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Documentation destinée au cours LMUSI 2894


(Séminaire de musicologie)

Rhétorique et modalité dans trois cycles de Roland de Lassus et de


Giovanni Pierluigi da Palestrina
Année académique 2012-2013

N.B. Les présentes notes sont le reflet d’un exposé oral, dont elles conservent le style informel.
Elles ne sont pas destinées à la publication.

L’objectif du présent séminaire est d’introduire les étudiants aux principaux aspects de
la modalité et de la rhétorique musicale de la seconde moitié du XVIe siècle – quelquefois
surnommée âge d’or de la polyphonie vocale – à l’aide d’œuvres de deux compositeurs
majeurs : Roland de Lassus (1532-1594) et Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525/26-1594).
Les œuvres abordées appartiennent à des genres différents (chansons, motets et madrigaux
spirituels), mais font toutes parties de cycles modaux, c’est-à-dire de recueils de pièces
classées par mode. Ce type d’organisation, relativement courant à l’époque, facilite l’analyse
modale et l’étude des procédés rhétoriques d’ordre modal. Néanmoins, ces mêmes procédés
se retrouvent à des degrés divers dans les œuvres de l’ensemble du XVIe et de la première
moitié du XVIIe siècle.

Mémento

1 Introduction au contrepoint de la Renaissance


1.1 Le gamut

Le gamut est une échelle de vingt degrés couramment décrite par les théoriciens du
Moyen Âge et de la Renaissance.
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Chaque degré du gamut est désigné à l’aide d’une lettre. Le degré le plus grave, que
nous appelons sol, est indiqué par la lettre grecque gamma, Γ (dont provient le mot
« gamme »). L’octave la1-sol2 est notée en majuscules, de A à G. L’octave suivante
correspond aux minuscules, de a et g. Les cinq dernières notes sont désignées par des lettres
redoublées.
Au sein du gamut, il y a deux degrés mobiles, qui n’ont pas de hauteur fixe : si2 et si3.
Selon le contexte, ils peuvent être bécarre ou bémol. Lorsque le si2 est bécarre, il est désigné à
l’aide d’un (« b carré »), qui a donné son nom au signe « bécarre ». En revanche, lorsque le
même si est bémol, il est désigné à l’aide d’un  (« b rond » ou « mol »), dont découle le nom
« bémol ». À l’octave supérieure, le si bémol et le si bécarre sont notés à l’aide des mêmes
symboles, mais redoublés. La mobilité du si a pour but d’éviter les tritons et quintes
diminuées mélodiques et harmoniques. Lorsque le si survient dans les environs d’un mi, on le
maintient bécarre, mais quand il se produit dans les environs d’un fa, on en fait un si bémol.
Outre les lettres qui indiquent des lieux (loca) bien précis dans l’échelle, les notes sont
également associées à des syllabes de solmisation. Celles-ci sont au nombre de six : ut re mi
fa sol la. Elles sont inspirées d’une hymne à Jean-Baptiste, peut-être composée par le moine
bénédictin Guy d’Arezzo (? 995- ?1050).

Que tes serviteurs puissent chanter à pleine voix les merveilles de tes actes ;
éloigne le péché de nos lèvres souillées, ô saint Jean

Les syllabes de la solmisation forment un hexacorde, c’est-à-dire une sixte dans


laquelle la place des tons et de demi-tons est fixe : T-T-S-T-T. Lorsqu’on s’efforce de placer
cet hexacorde à l’intérieur du gamut, on observe qu’il y a sept lieux où il peut s’adapter. Au
total, le gamut compte donc sept hexacordes. Parmi ces derniers, il y en a deux sur un C (c),
qu’on appelle hexacordes par nature. Deux autres se situent sur F (f) ; on les nomme
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hexacordes par bémol. Les trois derniers commencent sur Γ (G, g) ; ce sont les hexacordes par
bécarre. On dit que des hexacordes à distance d’octave qu’ils partagent la même propriété.
Dans la théorie médiévale et renaissante, il est courant de désigner les degrés du gamut
non seulement à l’aide de leur lettre (A B C D E F G), mais aussi à l’aide des syllabes de
solmisation qui les accompagnent. Ainsi, la note la plus grave est appelée Gamma ut, la
seconde note est appelée A re, la troisième B mi, la quatrième C fa ut, etc.
On observera qu’il existe une distorsion entre les hexacordes par bémol et les
hexacordes par bécarre, puisque ces deux types d’hexacordes n’utilisent pas les mêmes notes.
Dans l’hexacorde par bémol, il y a toujours un si bémol, qui porte toujours la syllabe fa,
tandis que dans l’hexacorde par bécarre, il y a toujours un si bécarre, qui porte toujours la
syllabe mi. Le fa de l’hexacorde par bémol est dès lors plus grave que le mi de l’hexacorde par
bécarre. Il est important de comprendre que les syllabes de solmisation ne font pas référence à
des hauteurs fixes. Elles renvoient à un réseau d’intervalles, pas à des fréquences déterminées.
Pour les apprentis musiciens, on représente souvent les degrés du gamut sur une main.
Le degré le plus grave, Gamma ut, est situé sur l’ongle du pouce. Ensuite, on descend vers la
première articulation du pouce, où se trouve la note A re, puis sur la seconde, avec B mi.
Ensuite, à la base des autres doigts se trouvent les notes suivantes, qui se succèdent en spirale,
avec la dernière note, ee la, qui est généralement représentée au-dessus du majeur, mais dont
la place se trouve en fait au revers de la main, juste derrière d sol.
On peut imaginer que les enfants, lorsqu’ils apprenaient à solmiser, désignaient la
place des notes sur leur main tout en chantant. L’usage de la main s’est perpétué pendant
longtemps. En 1636, Marin Mersenne l’illustre encore dans son Harmonie universelle (Traitez
de la voix, et des chants, proposition VII), tout en précisant qu’elle tend à disparaître.

Pour chanter le nom des notes, avant l’époque baroque, les musiciens n’utilisent en
principe pas les lettres (A B C D E F G), mais exclusivement les syllabes de solmisation. Ces
syllabes ne couvrent pas une octave entière et par conséquent, lorsque l’ambitus d’une
mélodie dépasse la sixte, il faut sauter d’un hexacorde à l’autre ou, en terme techniques,
opérer une « muance ». Les muances se font en principe sur une note qui appartient à deux
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hexacordes à la fois : l’hexacorde que l’on quitte et le nouveau. Les instructions précises des
théoriciens au sujet de la solmisation varient. Cependant, dans la polyphonie, en général, ils
préconisent que les muances se fassent autant que possible sur les syllabes re et la. Même si
cela n’est pas possible, le but est de toujours chanter les demi-tons à l’aide des syllabes mi-fa
ou fa-mi. Quand il n’y a pas de muance possible, on est obligé de faire un saut disjoint.

La musica ficta ou musique feinte comprend toutes les notes qui ne figurent pas sur la
main (= la musica recta), c’est-à-dire la plupart des altérations. À l’origine, le si bémol n’est
pas considéré comme musica ficta, mais à la Renaissance, il est assimilé aux autres degrés
altérés. Bien souvent, la musica ficta (c’est-à-dire les altérations) n’est pas notée dans les
manuscrits médiévaux, et cette situation perdure encore au XVIe siècle. Les chanteurs étaient
censés les ajouter au moment de l’interprétation, selon des règles données dans les traités.
Deux cas de figure peuvent se présenter : la causa necessitatis (par nécessité) et la causa
pulchritudinis (pour la beauté). La causa necessitatis consiste à baisser un degré afin d’éviter
un triton ou une quinte diminuée mélodique ou harmonique. La causa pulchritudinis sert à
introduire des sensibles cadentielles en haussant une note (cf. ci-dessous). Autrement dit, la
causa necessitatis se rapporte généralement aux bémols et la causa pulchritudinis aux dièses.

Exercice de solmisation : Susanne un jour, voix supérieure, mes. 1-14.

1.2 Les tournures mélodiques

Au XVIe siècle, les règles de formation mélodique ressemblent assez bien à celles du
plain-chant, dans lequel on n’utilise que des secondes, des tierces, des quartes et des quintes.
Dans la polyphonie, deux intervalles sont ajoutés : la sixte mineure et l’octave. La septième
est inutilisée. La sixte mineure est toujours ascendante.
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Les intervalles disjoints ascendants n’apparaissent en principe pas après des noires
(semi-minimes) accentuées, sauf si cette noire est liée à une blanche, ce qui équivaut à une
blanche pointée. En revanche, une noire non accentuée peut être suivie d’un mouvement
disjoint ascendant.

Le traitement des croches (fuses) est encore plus restrictif. En principe, ces notes sont
toujours abordées et quittées par mouvement conjoint.
On notera toutefois que dans le répertoire profane, les règles sont nettement plus
souples que dans le répertoire sacré.

1.3 Consonances et dissonances

Les compositeurs de la Renaissance ne raisonnent pas en termes d’accords, comme


nous le faisons dans la musique tonale, mais en terme de combinaisons d’intervalles. La trame
du contrepoint est consonante. Les dissonances sont, d’une manière ou d’une autre, toujours
considérées comme des phénomènes surimposés, ajoutés à la trame de départ.

Les consonances :
• parfaites : l’octave et la quinte.
• imparfaites : les tierces majeure et mineure et les sixtes majeure et mineure.

Les dissonances :
• les secondes, les septièmes et leurs redoublements
• tous les intervalles augmentés et diminués.

Un intervalle hybride : la quarte.


• Dans le contrepoint vocal du XVIe siècle, comme dans l’harmonie tonale, la
quarte occupe une position ambiguë. Elle est dissonante quand elle tombe
contre la basse, mais elle reste consonante lorsqu’elle se produit entre des voix
supérieures.
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La quarte est le seul intervalle dont la valeur consonante varie en fonction de sa


position harmonique. Les autres intervalles restent soit consonants, soit dissonants, quelle que
soit leur place.
En fonction de ce qui précède, dans un contrepoint à plus de deux voix, les seuls
agrégats ou superpositions d’intervalles consonants sont les suivants :

• 3M + 5j (+ 8ve)
• 3m + 5j (+ 8ve)
• 3M + 6M (+ 8ve)
• 3m + 6m (+ 8ve)

Pour parler de manière anachronique, il s’agit des accords parfaits majeurs et mineurs
ainsi que des accords de sixte. Dans les combinaisons d’une tierce + une quinte, on peut
doubler la basse, ce qui provoque une quarte entre deux voix supérieures, mais cette quarte est
consonante. Dans les combinaisons tierce + sixte, il y a d’office une quarte, mais pas contre la
basse.

1.4 Typologie des dissonances

Le traitement des dissonances, surtout à l’époque de Palestrina, est extrêmement


contrôlé par diverses règles mélodiques et rythmiques. Ces règles, qui ne sont codifiées par
aucun théoricien du XVIe siècle, ont été étudiées au début du XXe siècle par le musicologue
danois Knud Jeppesen (Der Palestrinastil und die Dissonanz, Leipzig, 1925). L’exemple ci-
dessous présente les différents types notes dissonantes utilisées aux XVe et XVIe siècles. Chez
Palestrina et chez Lassus, ce sont surtout les types a à f qui sont utilisés.
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a. Le retard est une note qui est attaquée sur un temps faible, où elle est consonante.
Elle est tenue (« retardée ») sur le temps fort suivant, où elle devient dissonante par le
mouvement d’une autre voix. Elle se résout par mouvement conjoint descendant, et dans le
style strict de Palestrina, la voix contre laquelle se produit le retard doit être tenue au moment
de la résolution. On constate que la plupart des retards se résolvent sur des consonances
imparfaites plutôt que sur des consonances parfaites (7-6 ; 2-3) plutôt que sur des
consonances parfaites (2-1, 7-8), ce qui s’explique sans doute par le fait que la transition
dissonances-consonance parfaite est ressentie comme abrupte.
Une variante courante du retard dans le style de Palestrina est qualifiée de quarta
consonans. Dans cette construction, le retard est préparé par une quarte contre la basse. Cette
quarte est attaquée par mouvement conjoint et elle fait office de consonance ; sur le temps
fort, au moment de la syncope, en principe, une autre voix vient renforcer l’effet dissonant du
retard par une seconde ou une septième.
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b. L’anticipation est attaquée sur un temps faible, où elle forme dissonance avec une
autre voix. Sur le temps fort suivant, elle est réarticulée et devient consonante par le
mouvement de la voix contre laquelle elle formait la dissonance. L’anticipation est attaquée
par mouvement conjoint descendant, sous la forme d’une noire. Généralement, elle annonce
une cadence et est suivie d’une note syncopée qui forme un retard sur le temps fort suivant.

c., d. et e. La note de passage est une note dissonante qui remplit un intervalle
mélodique de tierce. Elle peut être ascendante ou descendante. La note de passage doit tomber
sur un temps faible ou relativement faible. Néanmoins, elle peut tomber sur un temps plus fort
que la note qui forme la résolution. Une note de passage dont la résolution se produit sur un
temps plus fort que la dissonance est dite « non accentuée » (c.). Une note de passage dont la
résolution se produit sur un temps plus « faible » que la dissonance est dite « accentuée » (d.
et e.). La valeur la plus longue qui puisse remplir la fonction de note de passage est la blanche
(minime). La note de passage (de même que toutes les notes dissonantes décrites ci-dessous)
ne peut pas être précédée d’une note de durée inférieure à elle-même.

f. La broderie est abordée par mouvement conjoint et quittée par mouvement conjoint
en direction opposée. La broderie peut être ascendante ou descendante. Toutefois, la forme
ascendante est plus rare. La durée de la broderie excède rarement la noire. En général, elle
n’est pas accentuée, mais cette interdiction n’est pas absolue.

g. L’échappée est abordée par mouvement conjoint et quittée par mouvement disjoint,
généralement de tierce, en direction opposée. Ce type de dissonance est fréquent au XVe
siècle, mais devient relativement rare à l’époque de Palestrina.

h. et i. La nota cambiata est abordée par mouvement conjoint et quittée par


mouvement de tierce dans la même direction (i.). Chez Palestrina, cette formule est en
principe complétée par un mouvement conjoint en direction opposée (h.). Chez ce même
compositeur, elle se présente presque toujours par mouvement descendant, sous la forme
d’une noire précédée d’une blanche pointée et le plus souvent suivie d’une blanche.

j. La note libre est une note abordée par mouvement disjoint et quittée par mouvement
conjoint en direction opposée. Chez Palestrina, elle est plus ou moins inexistante, mais on la
rencontre de temps à autre chez des compositeurs plus anciens.

En résumé :

Type Caractéristiques Remarques

Retard voix consonante voix dissonante


Impact immobile dissonance
Résolution Immobile (mouvement accentuée
conjoint)
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Anticipation voix consonante voix dissonante


Impact Immobile dissonance
Résolution immobile non accentuée

Note de passage voix consonante voix dissonante


impact immobile mouvement
conjoint
résolution mouvement
conjoint dans
la même
direction

Ou impact mouvement
conjoint
résolution Immobile mouvement
conjoint dans
la même
direction

Broderie voix consonante voix dissonante


impact Immobile mouvement
conjoint
résolution mouvement
conjoint en
direction opposée

Ou impact mouvement
conjoint
résolution Immobile mouvement
conjoint en
direction opposée

Nota cambiata voix consonante voix dissonante


impact Immobile mouvement
conjoint
résolution saut de tierce
dans la même
direction
Ou impact mouvement
conjoint
résolution saut de tierce
dans la même
direction

Echappée voix consonante voix dissonante


impact Immobile mouvement
conjoint
résolution mouvement
disjoint
Ou impact mouvement
conjoint
résolution Immobile mouvement
disjoint
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Remarques :

1) Les exemples ci-dessus sont intégrés dans une texture à deux voix. Palestrina et ses
contemporains composent souvent à quatre voix ou plus. Cependant, au XVIe siècle, les
dissonances doivent être analysées horizontalement, entre les différentes paires de voix.
Contrairement à ce que l’on observe dans la musique tonale, il n’est donc jamais question de
dissonances harmoniques, intégrées à un accord, qui s’opposeraient à des notes étrangères à
l’harmonie. Toutes les dissonances sont, d’une certaine manière, étrangères à l’harmonie
puisqu’elles rompent la consonance. Néanmoins, elles sont indispensables sur le plan
mélodique.
2) Le vocabulaire utilisé ci-dessus pour désigner les types de dissonances est
anachronique. Il n’apparaît pas comme tel chez les théoriciens du XVIe siècle. Toutefois, sa
pertinence a été largement démontrée par Jeppesen.

Exercice : Analyse des dissonances dans Je l’ayme bien, mes. 1-12.

1.5 L’enchaînement des consonances

Quoique leur usage soit moins strictement contrôlé que celui des dissonances, les
consonances doivent obéir à des règles d’enchaînement héritées du Moyen Âge, dont
certaines sont toujours valables dans la musique tonale. La principale de ces règles prévoit
l’interdiction des consonances parfaites parallèles, en d’autres termes, des quintes et des
octaves consécutives.

L’origine de cette règle remonte à l’époque de l’organum parallèle, qui consiste à


chanter une mélodie grégorienne en quintes et en octaves parallèles. Cette technique est
généralement associée aux débuts de la polyphonie, mais elle a survécu jusqu’à la fin du
moyen âge. Cependant, comme il s’agit d’un procédé d’improvisation et non de composition,
on n’en conserve pas beaucoup de traces écrites. Si les théoriciens du Moyen Âge interdisent
les quintes et les octaves parallèles dans le contrepoint écrit, c’est pour le différencier des
techniques rudimentaires d’improvisation.
Outre l’interdiction des quintes et des octaves parallèles, une autre règle concerne
l’enchaînement des consonances imparfaites. Au Moyen Âge, les théoriciens et les
compositeurs font nettement la distinction entre consonances parfaites et imparfaites. Les
consonances parfaites sont les seules qui peuvent figurer dans l’harmonie initiale et finale
d’une œuvre. Les consonances imparfaites, en revanche, ne procurent pas le sentiment d’un
véritable repos. Cela s’explique par le fait que dans la gamme pythagoricienne, les tierces et
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les sixtes ne sont pas pures. Elles font entendre de forts battements qui causent dès lors une
tension perceptible.
À la Renaissance, les tierces apparaissent de plus en plus souvent dans les harmonies
initiales et finales des œuvres. Ce changement reflète l’adoption progressive du tempérament
mésotonique sur les instruments à clavier à partir de 1500. Le caractère instable des tierces
pythagoriciennes a néanmoins laissé de profondes traces dans l’écriture polyphonique, même
après qu’elles aient été abandonnées. C’est l’instabilité de consonances imparfaites
pythagoriciennes qui est à la base de la construction des cadences en général et de la cadence
parfaite tonale en particulier.

Pour entendre les différents tempéraments, cf. www.almusie.be

1.5.1 Cadences simples

Comme les consonances imparfaites entonnées selon la gamme pythagoricienne


provoquent une tension, elles appellent une résolution. Celle-ci ne doit pas être immédiate.
Elle peut être différée lorsque l’intervalle tombe à l’intérieur d’un long trajet contrapuntique.
Cependant, la règle de la résolution des consonances imparfaites doit être respectée au
moment des cadences. La cadence amène la consonance parfaite, qui constitue un moment de
repos, une résolution de toutes les consonances imparfaites qui précédent.
La résolution classique des sixtes et des tierces se fait par deux mouvements conjoints
en direction opposée, de la manière suivante.

Les exemples A-H diffèrent par la disposition des intervalles et par la place des tons et
des demi-tons. Dans l’exemple A, il y a un demi-ton mélodique à la voix supérieure, tandis
que dans l’exemple B, le demi-ton se trouve à la voix inférieure. Les exemples C et D sont
des renversements des deux premiers exemples. L’exemple E est une tierce majeure qui se
résout sur une quinte. Dans les exemples F à H, il n’y a pas de demi-ton mélodique.
Tous ces enchaînements sont des prototypes de cadences. Certains musicologues les
qualifient de « progressions dirigées ». La cadence polyphonique renaissante, dans son
expression la plus simple, n’est rien d’autre que l’enchaînement d’une consonance imparfaite
à une consonance parfaite par deux mouvements conjoints en direction opposée. Il faut
cependant préciser que cet enchaînement doit se faire par le plus court chemin possible. En
d’autres termes, il faut qu’il y ait toujours un demi-ton mélodique, soit à la voix inférieure,
soit à la voix supérieure, comme dans les exemples A à E.
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Lorsqu’il n’y a pas de demi-ton, ni à la voix inférieure, ni à la voix supérieure, il faut


que les chanteurs en ajoutent un par eux-mêmes, soit à la voix inférieure, soit à la voix
supérieure. Les traités de la fin de Moyen Âge et de la Renaissance expliquent avec beaucoup
de détails comment introduire cette musica ficta dans l’interprétation. En général, le demi-ton
est ascendant plutôt que descendant.

Le modèle cadentiel le plus courant est donc celui des exemples A et C, qui
comportent un demi-ton mélodique ascendant et un ton entier descendant. Entre l’exemple A
et l’exemple C, A est considéré comme la référence et C comme un renversement.
Les exemples B et D sont possibles, mais ils ne se produisent en pratique que sur deux
degrés : sur mi quand il n’y a pas d’armure et sur la quand il y a un bémol à la clé. Mi et la
sont les deux seules notes sur lesquelles on peut descendre par demi-ton et construire une
quinte juste, indispensable dès que le contrepoint passe de deux à trois voix.

Les cadences par demi-ton descendant sont donc des constructions plus
exceptionnelles que les cadences par demi-ton ascendant. Pour bien les caractériser, on les
appelle, techniquement, des cadences « en mi » parce qu’elles tombent toujours sur une note
solfiée mi (que ce soit un mi selon la terminologie moderne ou un la surmonté d’un si bémol).
Ces cadences sont discutées en détail ci-dessous.
Depuis les années 1970, les musicologues ont pris l’habitude, à la suite de Bernhard
Meier, de qualifier le mouvement conjoint ascendant de clausula cantizans et le mouvement
conjoint descendant de clausula tenorizans. Cette terminologie est commode pour l’analyse
des partitions, à condition de ne pas oublier que la clausula cantizans ne doit pas forcément
apparaître à la voix supérieure, ni la clausula tenorizans au ténor. N’importe quelle voix
contrapuntique peut chanter chacune de ces deux formules.
Dans les œuvres à plus de deux parties, pour former des cadences, les compositeurs
ajoutent aux progressions dirigées présentées ci-dessus une ou plusieurs voix, tout en
respectant les règles du contrepoint. Celui-ci ne doit comporter ni quintes ni octaves
parallèles ; l’harmonie finale de la cadence ne peut contenir que des quintes et des octaves ou
des unissons ; l’avant-dernière harmonie peut contenir des consonances imparfaites, mais pas
de dissonances. On remarque que les possibilités combinatoires diffèrent dans les cadences
ordinaires et dans les cadences en mi. Par ailleurs, plus le nombre de voix augmente, plus le
nombre de solutions correctes diminue.
La progression dirigée de référence (enchaînement A dans l’exemple plus haut) servira
de point de départ à l’exposé qui suit. Pour l’adjonction d’une troisième voix, seules deux
solutions sont possibles. Dans le premier cas, le compositeur intègre une tierce fa au-dessus
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de la basse ré, tierce qui se résout sur la quinte do-sol. Comme le fa monte au sol, il faut
respecter la loi du plus court chemin et le transformer un fa dièse. On obtient ainsi une
cadence à double sensible, fréquente dans la musique du XIVe siècle.
Dans le deuxième cas, le compositeur ajoute une quinte en dessous de la voix
inférieure. Il obtient une dixième sol-si entre la voix inférieure et la voix supérieure. En toute
rigueur, cette dixième devrait se résoudre sur une quinte fa-do. Cependant, le fa perturberait
l’effet cadentiel. Les compositeurs résolvent dès lors la tierce par un saut d’octave ou
éventuellement de quarte ascendante. Cette solution est moins fréquente que la précédente
dans les œuvres à trois voix du XIVe siècle. Elle s’imposera progressivement au siècle suivant.

Dans la polyphonie à quatre voix, qui se propage au XVe siècle, la cadence à double
sensible n’est plus utilisable parce qu’elle provoquerait inévitablement des quintes et des
octaves parallèles. Seule la cadence par saut de quarte peut être harmonisée correctement. Elle
est à la base de la cadence parfaite tonale. Le mouvement caractéristique de la basse est
parfois qualifié de clausula bassizans.

Au XVIe siècle, les compositeurs utilisent de plus en plus souvent la tierce dans leurs
cadences. L’ossature cadentielle reste très semblable aux exemples qui précèdent, mais elle
intègre désormais une consonance imparfaite, devenue stable par l’adoption du tempérament
mésotonique.

1.5.2 Cadences ornées et évitées

Outre l’adjonction d’une ou de plusieurs voix, les progressions dirigées peuvent faire
l’objet d’une ornementation mélodique plus ou moins importante à la clausula cantizans. Afin
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d’accroître la tension cadentielle, à partir du XVe siècle, les compositeurs prennent l’habitude
d’insérer un retard avant la résolution de la consonance imparfaite, de la manière suivante :

Certains théoriciens ont qualifié ce type de cadence avec retard de clausula formalis
ou cadence formelle, par opposition au type simple, dépourvu de retard, qu’ils appellent
clausula simplex. Parfois, le retard est lui-même suivi d’une ornementation plus ou moins
abondante, dont l’objectif est toujours d’amplifier la cadence, de mieux la caractériser, de la
faire ressortir du contexte polyphonique.

Un procédé fréquemment adopté par les compositeurs de la Renaissance consiste à


altérer la cadence pour produire un effet inattendu. On parle dans ce cas de cadenza fuggita.
En général, la préparation de la cadence est régulière, mais au moment de la résolution, une
ou plusieurs voix ne se résolvent pas sur la note attendue ou se taisent.

Les cadenze fuggite servent un double but : d’une part, elles permettent d’articuler le
discours musical de manière fluide, sans provoquer des césures trop marquées au sein du flux
contrapuntique. D’autre part, elles revêtent souvent un caractère rhétorique, par exemple pour
signifier l’idée d’inachèvement, d’imperfection, etc.

1.5.3 Cadences en mi

Tous les exemples de cadences à plusieurs voix présentés jusqu’à présent se font par
demi-ton ascendant (ou sensible ascendante). La cadence en mi, qui n’a pas de sensible
ascendante mais une sensible descendante, pose des problèmes particuliers. Il est impossible,
dans l’avant-dernier agrégat harmonique, de placer une quinte sous la consonance imparfaite.
Dans l’exemple ci-dessous, on constate que le si bécarre provoquerait une quinte diminuée
par rapport au fa, tandis qu’un si bémol forcerait la basse à chanter un triton (si bémol-mi
bécarre).
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Face au caractère stéréotypé de la cadence par sensible ascendante, la cadence en mi


adopte des tournures nettement plus variables. Parfois, la note solfiée « mi » n’est pas la note
la plus grave de l’harmonie, ce qui diminue le sentiment cadentiel de l’enchaînement. Au XVIe
siècle, la cadence en mi apparaît comme un événement inhabituel, hormis dans les œuvres des
modes 3 et 4 (cf. plus loin). Dans la seconde moitié du siècle, elle revêt souvent une valeur
rhétorique et sert à souligner des mots tels que « piété », « humilité », « faute », « péché », ou
encore des sentiments tels que l’aspiration amoureuse, la supplication, la prière, le remords,
etc., mais aussi parfois la douceur, la suavité, etc.

1.5.4 Remarque générale

Au vu de ce qui précède, on comprend que la cadence modale présente des différences


fondamentales par rapport à la cadence tonale. Comme elle est d’essence fondamentalement
mélodique, elle peut ne toucher que deux voix, tandis que les autres poursuivent leur chemin.
Le contrepoint de la Renaissance apparaît dès lors comme un flux plus ou moins continu,
ponctué par des articulations cadentielles de force variable. La manière dont les compositeurs
jouent sur ce paramètre est fascinante à observer.
On remarquera néanmoins que comme la cadence tonale, la cadence modale se fonde
sur l’idée d’une tension qui doit se résoudre et appelle une détente, un moment de repos. De
ce point de vue, il existe une continuité dans la tradition musicale occidentale depuis la fin du
e
XIII siècle, voire antérieurement, jusqu’à l’avènement de l’atonalité.

2 La modalité

2.1 Les modes du plain-chant

Les modes en tant que catégories musicales trouvent leur origine en Europe
occidentale dans les traités de l’époque carolingienne. Avant d’aborder les modes dans la
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polyphonie de la Renaissance, un bref rappel s’impose donc au sujet des modes dans le plain-
chant médiéval.
La trame sur laquelle s’articulent les modes ecclésiastiques est le système diatonique
et plus particulièrement le gamut qui, dans sa version définitive, comprend vingt degrés de
sol1 à mi4, dont deux degrés mobiles, si2/si2 et si3/si3. C’est l’asymétrie de l’échelle
diatonique qui est à l’origine des modes et qui en façonne les particularités. Définir ce qu’est
un mode n’est pourtant pas une chose aisée et il est frappant de constater que les définitions
anciennes ne correspondent guère à celles que l’on trouve dans les dictionnaires et
encyclopédies modernes.
Ces derniers décrivent assez couramment les modes comme des « échelles
particularisées », c’est-à-dire comme des échelles musicales au sein desquelles certains degrés
acquièrent une fonction mélodique précise (finale, teneur, etc.). Une autre conception
envisage les modes comme des « mélodies généralisées », autrement dit comme des modèles
abstraits de construction mélodique. En réalité, ces deux définitions — que l’on peut qualifier
respectivement de « scalaire » et de « formulaire » — reflètent différentes facettes d’un même
phénomène. Lorsque les fonctions modales au sein d’une échelle sont bien définies, elles
conditionnent fortement la construction mélodique. Inversement, une mélodie modale se
profile comme telle par la mise en exergue de fonctions précises parmi les degrés dont elle se
sert.
Parmi les fonctions modales, la plus fréquemment citées est celle de finale du mode,
qui coïncide (en principe) avec la dernière note de la mélodie. Parmi les vingt degrés du
gamut, la théorie médiévale reconnaît quatre finales régulières : ré2, mi2, fa2 et sol2. À chaque
finale correspondent deux modes, dont l’un est qualifié d’authentique et l’autre de plagal.
Dans les modes authentiques, la finale se situe au bas de la tessiture, tandis que dans les
modes plagaux, elle se trouve plus ou moins au milieu. On peut donc considérer que les huit
modes se différencient par leur finale et par la distribution des intervalles possibles autour de
cette dernière.
La présentation des modes la plus facile à saisir pour le néophyte d’aujourd’hui
consiste sans aucun doute à les considérer comme autant de segments d’octaves au sein du
système diatonique. Le Prologus in Tonarium de Bernon de Reichenau (mort en 1048) offre à
cet égard un exposé à la fois clair et systématique. Bernon distingue trois espèces de quartes et
quatre espèces de quintes d’après la disposition des tons et des demi-tons qui les composent.

Espèces de quartes Espèces de quintes


1: T-S-T 1: T-S-T-T
2: S-T-T 2: S-T-T-T
3: T-T-S 3: T-T-T-S
4: T-T-S-T
T = ton entier ; S = demi-ton
— 17 —

Bernon remarque qu’il existe aussi sept espèces d’octaves, qui se différencient également
par la disposition des tons et de demi-tons : la première espèce va de la1 à la2, la deuxième, de
si1 à si2, et ainsi de suite jusqu’à la septième, qui couvre l’intervalle sol2-sol3. Il établit ensuite
un rapprochement entre sa théorie des intervalles et celle des modes, ce qui lui permet de
surmonter la contradiction apparente entre le nombre des espèces d’octaves, limité à sept, et
celui des modes, qui s’élève à huit. Bernon conçoit en effet chaque mode comme une octave
composée d’une espèce de quarte et de quinte. Les modes authentiques et plagaux qui
partagent la même finale ont leur quinte en commun. Ils se distinguent par le fait que dans les
modes authentiques, la quarte surmonte la quinte, tandis que dans les modes plagaux, la
quarte se trouve en dessous de la quinte.

Mode Finale Octave modale Structure Appellation

Quartes Quintes Quartes

1 ré2 ré2-ré3 Espèce 1 + Espèce 1 protus authenticus


2 ré2 la1-la2 Espèce 1 + Espèce 1 protus plagalis
3 mi2 mi2-mi3 Espèce 2 + Espèce 2 deuterus authenticus
4 mi2 si1-si2 Espèce 2 + Espèce 2 deuterus plagalis
5 fa2 fa2-fa3 Espèce 3 + Espèce 3 tritus authenticus
6 fa2 do2-do3 Espèce 3 + Espèce 3 tritus plagalis
7 sol2 sol2-sol3 Espèce 4 + Espèce 1 tetrardus authenticus
8 sol2 ré2-ré3 Espèce 1 + Espèce 4 tetrardus plagalis
— 18 —

En expliquant les octaves modales comme des superpositions de quintes et de quartes,


Bernon fait ressortir la différence entre les modes 1 et 8. Bien qu’ils partagent la même octave
modale, leur structure interne n’est pas la même puisque l’un est authentique et l’autre plagal.
La pensée de Bernon relève d’une conception strictement scalaire des modes. La
musicologie moderne a qualifié ce type de présentation de pseudo-classique, parce qu’elle
trouve son origine lointaine chez les auteurs classiques. Certains musicologues considèrent
qu’il s’agit d’une vision intellectuelle dont les applications musicales sont limitées. Il faut en
effet reconnaître que la description des modes par les espèces de quintes et de quartes est trop
rigide pour correspondre strictement aux données du plain-chant. La tessiture d’une mélodie
peut être légèrement plus étroite ou plus large qu’une octave sans qu’il faille y voir une
anomalie. En particulier, les mélodies du quatrième mode atteignent rarement la limite
inférieure de leur octave, une caractéristique dont ne rend pas compte la théorie de Bernon.
Un trait propre aux mélodies en mode 5 et 6 est qu’elles font abondamment usage du
si afin d’éviter les tritons par rapport à la finale. De cette manière, la troisième espèce de
quinte, prétendument constitutive de ces modes, se mue en quatrième espèce, ce qui crée une
incohérence supplémentaire par rapport à la théorie de Bernon.
À côté de la présentation pseudo-classique des modes, il en existe une autre, moins
spéculative et plus intimement liée à la pratique du plain-chant, que l’on qualifie
habituellement d’« ecclésiastique-occidentale ». Pour le lecteur formé au langage de la
tonalité harmonique, cette présentation peut sembler plus difficile parce qu’elle relève d’une
conception formulaire plutôt que scalaire. Elle joue cependant un rôle important, non
seulement dans le plain-chant, mais aussi dans la polyphonie de la Renaissance.
L’identification des finales et le nombre de modes ne varient pas par rapport à la
définition pseudo-classique. Aux notes ré2, mi2, fa2 et sol2 sont donc toujours rattachés huit
modes, dont quatre authentiques et quatre plagaux. En revanche, l’élément essentiel de la
définition des modes n’est plus l’octave au sein de laquelle ils se meuvent, mais plutôt la
relation entre la finale et sa teneur, qui constituent deux pôles importants autour desquels se
cristallisent les tournures mélodiques. Selon le mode, la teneur peut se trouver une tierce, une
quarte, une quinte ou une sixte au-dessus de la finale.

Finale Teneur du mode authentique Teneur du mode plagal


ré2 la2 fa2
mi2 do3 la2
fa2 do3 la3
sol2 ré3 do3
— 19 —

Cette présentation des modes trouve sa source dans les premiers tonaires. Dans ces
livres liturgiques, les antiennes servant de refrain au chant des psaumes sont classées en
fonction des tons psalmodiques. Ceux-ci sont au nombre de huit et consistent en des formules
mélodiques stéréotypées, basées sur une corde récitative ou teneur enrichie de diverses
inflexions mélodiques. À l’origine, la teneur est donc une caractéristique propre aux tons
psalmodiques. Cependant, en raison de l’association étroite entre ces derniers et les antiennes
modales, à partir de Johannes Cotton (vers 1100), la teneur est considérée comme un attribut
proprement modal. La paire finale-teneur, qui définit chaque mode de manière univoque, est
associée à un ambitus dans lequel la finale occupe une position plus ou moins élevée selon
que le mode est authentique ou plagal, mais cet ambitus n’est pas strictement limité à une
octave.
Quelle que soit la présentation des modes — scalaire ou formulaire, pseudo-classique
ou ecclésiastique-occidentale —, il est important de souligner qu’un mode se définit par les
rapports entre ses degrés constitutifs et non pas par la hauteur réelle des sons. Il s’ensuit qu’un
mode demeure identique à lui-même même lorsqu’il est déplacé dans le système diatonique,
ce qui correspond, en termes modernes, au phénomène de la transposition.

2.2 L’application de la théorie modale à la polyphonie

Bien que l’émergence de la polyphonie en Occident soit plus ou moins contemporaine


de l’élaboration des modes grégoriens, leur rapprochement théorique est beaucoup plus tardif.
Pendant des siècles, le contrepoint a été conçu de manière indépendante des modes, dont le
champ d’application se limitait au plain-chant. Pour un musicien formé à l’harmonie tonale,
cette constatation peut sembler étrange. Dans le répertoire tonal, en effet, la combinaison des
voix et la gestion des accords ne peuvent pas se penser indépendamment des tonalités,
puisque ces dernières sont de nature essentiellement harmonique. Il n’en va pas de même pour
les modes. Ceux-ci trouvent leur fondement dans la mélodie et leur théorisation est
intimement liée au chant liturgique. A priori, ils n’ont aucun rapport avec le contrepoint, qui
n’est qu’une technique d’écriture permettant la superposition correcte de deux ou de plusieurs
voix.
— 20 —

À partir du XIIIe siècle, pourtant, certains textes évoquent des rapports possibles entre
les modes et la polyphonie. Les débuts sont certes timides et certains théoriciens rejettent
formellement l’idée, mais le fait même qu’elle soit évoquée montre que la question est dans
l’air du temps.
En règle générale, les théoriciens de la modalité polyphonique estiment que c’est le
mode du ténor qui détermine celui de l’œuvre dans sa totalité, même si, envisagées
individuellement, les autres voix peuvent être rattachées à un autre mode. L’importance
accordée au ténor découle évidemment du rôle structurel que joue cette voix dans le
contrepoint du XVe siècle, mais sa prééminence modale continue d’être affirmée par nombre
de théoriciens jusqu’au début du XVIIe siècle, c’est-à-dire bien longtemps après que le ténor ait
perdu son statut de fondement des relations contrapuntiques.
Au cours du XVIe siècle, on observe que les modes occupent une place de en plus
importante dans les traités et que, parallèlement, leur impact sur la pratique des compositeurs
s’accroît sensiblement. Un phénomène qui en témoigne directement est l’essor des recueils
polyphoniques classés par mode. Frans Wiering a recensé 475 cycles de ce type, dont
l’essentiel date des années 1520 à 1620. Dans certains recueils, le classement modal des
pièces est dû à l’éditeur. Dans ce cas, l’agencement modal ne dit rien de la pensée du
compositeur. Bien souvent, par contre, l’ordonnancement des œuvres résulte de la volonté
propre de ce dernier, ce qui peut dévoiler certaines de ses conceptions musicales.
Dans le même temps, la texture polyphonique subit une évolution qui permet de
renforcer le sentiment modal qui émane des œuvres polyphoniques. À cet égard, il faut se
souvenir qu’au XVe siècle, la dénomination des voix — superius, contratenor altus, tenor,
contratenor bassus — ne renvoie pas tant à des tessitures qu’à des fonctions au sein du
contrepoint. À l’origine, le ténor, voix de référence, forme une ossature structurelle avec le
superius. À ce duo peuvent s’ajouter deux contre-ténors, dont le contratenor altus occupe
souvent une tessiture proche de celle du ténor. Au XVIe siècle, l’homogénéisation
fonctionnelle des voix va de pair avec l’émergence d’une texture de type nouveau, connue
sous le nom a voce piena. Selon cette disposition, les voix sont regroupées par paires : la
première est composée du ténor et du superius, la seconde, de la basse et de l’altus. À
l’intérieur de chaque paire, les voix ont des tessitures situées plus ou moins à l’octave l’une de
l’autre et entre elles, les paires sont décalées d’une quarte ou d’une quinte. L’étendue totale
des quatre voix est d’environ deux octaves et demie. S’il y a plus de quatre voix, cette étendue
n’augmente pas, car les voix additionnelles redoublent l’une des voix principales.

Superius
c. une octave
Altus
c. une octave
Tenor
c. une octave
Bassus
c. une octave

Dans ce type de texture, si l’ambitus du ténor est authentique, celui du superius l’est
aussi, mais à l’octave supérieure. Dans ce cas, l’altus et la basse sont plagaux. À l’inverse, si
— 21 —

le ténor et le superius sont plagaux, la basse et l’altus sont authentiques. De ce fait, une
distinction tangible se fait jour entre les œuvres authentiques et plagales,

Mode 7 Mode 8

L’écriture a voce piena, qui devient largement prédominante dans la polyphonie du


e
XVI siècle, s’accompagne d’une réduction des combinaisons de clés utilisées dans la notation
musicale. En pratique, seules deux dispositions demeurent couramment en usage : les clés
naturelles (chiavi naturali) — fa4, ut4, ut3, ut1 — et les clés aiguës ou chiavette : fa3, ut3, ut2
et sol2.

chiavi naturali chiavette

Il est à noter que pour l’interprétation, à la Renaissance, les chiavette impliquent


vraisemblablement une transposition d’une quarte ou d’une quinte vers le bas. Une œuvre
appartenant à un mode qui, visuellement, semble aigu, peut donc être interprétée dans la
même tessiture qu’un mode noté en chiavi naturali.
On observe par ailleurs dans la polyphonie classique, les armures à deux bémols sont
peu utilisées et les transpositions modales courantes se limitent à passer du cantus durus (avec
si) au cantus mollis (avec si). Compte tenu de cette restriction, les transpositions possibles se
limitent à celles données dans le tableau ci-dessous. Parmi ces dernières, seules celles qui sont
indiquées en gras sont d’un usage courant.
— 22 —

Mode Armure Finale


1-2  sol
3-4  la
5-6  do
7-8  do

Ce qui précède montre que la généralisation de l’écriture a voce piena et la


standardisation des combinaisons de clés déterminent une occupation de l’espace diatonique
propre à chaque mode. Par exemple, la couleur sonore d’une composition polyphonique
authentique n’est pas la même que celle d’une œuvre plagale ayant la même finale, et ce
phénomène est indépendant de l’acuité relative des modes. Dans de très nombreuses œuvres,
la différenciation est renforcée par une mise en évidence de la teneur authentique ou plagale
aux voix modales « dominantes », c’est-à-dire au ténor et au superius.
Un troisième élément qui renforce le sentiment modal dans la musique du XVIe siècle
est la restriction des degrés cadentiels. Au XVIe siècle, les théoriciens permettent de placer des
cadences non seulement sur la finale, mais aussi sur d’autres degrés du mode. Néanmoins, ils
affirment que les degrés d’un mode ne revêtent pas tous la même valeur cadentielle. Il
n’existe cependant pas de consensus entre eux quant à la hiérarchisation des degrés cadentiels
au sein de chaque mode.
La finale du mode figure toujours parmi les degrés cadentiels principaux. À côté de
cela, la teneur, la quinte au-dessus de la finale et la quarte sous la finale (dans les modes
plagaux) sont également souvent considérées comme des degrés acceptables. En revanche, les
cadences en mi (c’est-à-dire celles qui se basent sur un demi-ton descendant à la clausula
tenorizans) sont souvent considérées comme impropres, sauf dans les modes 3 et 4. Sur la
base de nombreux traités du XVIe siècle, Bernhard Meier dresse le tableau suivant de la
hiérarchie des degrés cadentiels (tessiture du ténor)1.

Mode Cadences de 1er rang Cadences de 2ème rang Cadences de 3ème rang
1 ré2, ré3 la2 fa2
2 ré2 la1, fa2 la2
3 mi2, mi3 la2, rarement do3 sol2
4 mi2 la2 sol2, do2
5 fa2, fa3 do3 la2
6 fa2 do2, la2 do3
7 sol2, sol3 ré3 do3
8 sol2 do3, ré2 ré3

En concordance avec les traités, la plupart des œuvres du XVIe siècle témoignent d’une
certaine prudence dans la gestion des degrés cadentiels, en particulier au début ou à la fin des
œuvres. Même si le contrepoint autorise une grande variété de cadences, on observe que les

1
Bernhard MEIER, Alte Tonarten, dargestellt an der Instrumentalmusik des 16. und 17. Jahrhunderts, Kassel,
Bärenreiter, 2/1994, p. 181.
— 23 —

compositeurs se limitent généralement à quelques degrés privilégiés qui entretiennent un


rapport étroit avec la finale. Ceci n’exclut évidemment pas l’une ou l’autre cadence
« étrangère », dans un souci de diversité contrapuntique ou à des fins rhétoriques.
Malgré le renforcement progressif du sentiment modal dans les œuvres polyphoniques
e
du XVI siècle, il faut se garder de croire que les balises exposées ci-dessus permettent au
musicologue du XXIe siècle de déterminer à coup sûr le mode de n’importe quelle œuvre de
cette époque. C’est ici que se révèle le fossé qui sépare la modalité de la tonalité. Alors que
toute œuvre tonale est composée dans une tonalité dont l’identification ne fait en principe
aucun doute, il n’est pas aussi certain que toute œuvre polyphonique ancienne soit conçue a
priori dans un mode bien défini.
On ne répétera jamais assez qu’au Moyen Âge, le contrepoint et les modes
n’entretenaient guère de rapports. La polyphonie était avant tout l’application d’un savoir-
faire contrapuntique indépendant des modes. Même si, au XVIe siècle, la question modale
occupe de plus en plus les esprits, rien ne prouve que toutes les formes de contrepoint soient
nécessairement modales et encore moins que ces modes s’expriment de manière uniforme.
Une œuvre polyphonique peut réunir des propriétés modales en nombre variable, mais malgré
les injonctions des théoriciens, les compositeurs restent relativement libres par rapport aux
modes tels qu’ils sont codifiés dans les traités, étant donné que ceux-ci ne sont pas
indispensables à la conception du contrepoint. Ceci explique qu’au sein de la production d’un
même compositeur, certaines œuvres puissent être modalement très typées et d’autres moins.
Enfin, même parmi les œuvres des compositeurs « classiques », il en est qui suscitent
de réelles difficultés d’attribution modale. Comment doit-on par exemple comprendre les
nombreuses pièces dont la finale est irrégulière, et en particulier celles qui se terminent sur
la ? À partir de quand doit-on considérer qu’un bémol à l’armure est un indice de
transposition ? Lorsque les compositions sont reprises dans un cycle modal, on dispose d’une
clé de lecture qui permet de répondre à ces questions, mais les œuvres isolées sont plus
délicates à analyser.

2.3 La réforme de Glarean et de Zarlino

L’année 1547 constitue un jalon important dans l’histoire de la théorie modale. C’est à cette
date que Heinrich Glarean publie son Dodekachordon, auquel il affirme avoir travaillé
pendant vingt ans. Soucieux de résoudre l’ancienne contradiction entre les huit modes
traditionnels auxquels ne correspondent que sept espèces d’octaves, il développe un nouveau
système dans lequel chacune de ces octaves peut être divisée harmoniquement (la quinte étant
placée sous la quarte) ou arithmétiquement (la quarte étant située sous la quinte). Il en déduit
douze modes différents, synthétisés dans le tableau suivant. En raison de la position de la
quinte diminuée et du triton, la deuxième espèce d’octave (si1-si2) ne peut pas être divisée
harmoniquement et la sixième espèce d’octave (fa2-fa3) ne peut pas être divisée
arithmétiquement.
— 24 —

Octaves divisées harmoniquement Octaves divisées arithmétiquement


(modes authentiques) (modes plagaux)
Mode et Espèce d’octave Mode et Espèce d’octave
dénomination dénomination
1 : dorien 4: ré2-mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3-ré3 2 : hypodorien 1 : la1-si1-do2-ré2-mi2-fa2-sol2-la2
3 : phrygien 5: mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3-ré3-mi3 4 : hypophrygien 2 : si1-do2-ré2-mi2-fa2-sol2-la2-si2
5 : lydien 6: fa2-sol2-la2-si2-do3-ré3-mi3-fa3 6 : hypolydien 3 : do2-ré2-mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3
7 : mixolydien 7: sol2-la2-si2-do3-ré3-mi3-fa3-sol3 8 : hypomixolydien 4 : ré2-mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3-ré3
9 : éolien 1: la1-si1-do2-ré2-mi2-fa2-sol2-la2 10 : hypoéolien 5 : mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3-ré3-mi3
11 : ionien 3: do2-ré2-mi2-fa2-sol2-la2-si2-do3 12 : hypoionien 7 : sol2-la2-si2-do3-ré3-mi3-fa3-sol3

Glarean se montre conscient du caractère novateur de sa théorie, mais il ne prétend


nullement avoir inventé quatre nouveaux modes. Au contraire, il s’efforce de démontrer leur
présence dans le plain-chant et cite divers exemples à l’appui. Dans le système de Glarean, un
bémol à l’armure devient clairement un signe de transposition. Autrement dit, les œuvres en
fa traditionnellement attribuées aux modes 5 et 6 sont désormais considérées comme des
transpositions de l’ionien et de l’hypoionien. L’identification modale des pièces en la est
facilitée par le fait que cette note devient une finale à part entière.
En 1558, Gioseffo Zarlino reprend — sans citer sa source — la théorie de douze
modes de Glarean dans ses Istitutioni harmoniche, où il témoigne d’une vision très
mathématique et spéculative des modes. Selon lui, chaque mode s’articule sur quatre piliers.
Ceux-ci correspondent aux trois notes qui délimitent l’espèce de quarte et de quinte,
auxquelles s’ajoute la tierce qui divise la quinte en deux.

Modes authentiques Degrés principaux Modes plagaux Degrés principaux


1 ré2-fa2-la2-ré3 2 la2-fa2-ré2-la1
3 mi2-sol2-si2-mi3 4 si2-sol2-mi2-si1
5 fa2-la2-do3-fa3 6 do3-la2-fa2-do2
7 sol2-si2-ré3-sol3 8 ré3-si2-sol2-ré2
9 la1-do2-mi2-la2 10 mi3-do3-la2-mi2
11 do2-mi2-sol2-do3 12 sol3-mi3-do3-sol2

En 1571, dans ses Dimostrationi harmoniche, Zarlino poursuit sa réforme modale, en


renumérotant les douze modes d’une manière qu’il considère comme plus naturelle :
— 25 —

Modes authentiques Modes plagaux


Numérotation Octave Numérotation Octave
1 do2-do3 2 sol1-do2-sol2
3 ré2-ré3 4 la1-ré2-la2
5 mi2-mi3 6 si1-mi2-si2
7 fa2-fa3 8 do2-fa2-do3
9 sol2-sol3 10 ré2-sol2-ré3
11 la2-la3 12 mi2-la2-mi3

Durant le dernier quart du XVIe siècle, le système des douze modes est adopté par un
certain nombre de théoriciens, bien qu’il connaisse aussi des détracteurs. En Italie, l’ancienne
numérotation de Glarean est parfois maintenue, mais en France, la nouvelle numérotation des
Dimostrationi harmoniche s’impose et sera d’un usage généralisé au XVIIe siècle.
Parmi les compositeurs, l’adoption du système des douze modes est relativement
inégale. Les premiers cycles conçus sur la base de douze plutôt que huit modes datent des
années 1560-1570. C’est dans la musique instrumentale qu’ils eurent le plus de succès. On
sait par diverses sources que ni Palestrina, ni Lassus n’adhéraient au système des douze
modes.

2.4 Modes et types tonals

Les difficultés que suscite l’analyse modale dans le répertoire du XVIe siècle et le fait
qu’une œuvre puisse être attribuée, selon la théorie dont on se réclame, à différents modes ont
incité le musicologue américain Harold Powers à proposer une autre lecture du répertoire,
basée sur ce qu’il appelle les types tonals. Un type tonal consiste en l’association d’une finale
(la note la plus grave du dernier accord), d’un groupe de clés (chiavi naturali ou chiavette) et
d’une armure (cantus mollis ou cantus durus). En théorie, vingt-quatre types tonals sont
possibles (6 finales x 2 armures x 2 systèmes de clés), bien que certains soient inusités (la
finale fa n’est guère utilisée en cantus durus et la finale mi est difficilement compatible avec
le cantus mollis). Powers note les types tonals de manière abrégée, de la façon suivante :  - c1
- fa (cantus mollis, chiavi naturali, finale fa) ;  - g2 - sol (cantus durus, chiavette, finale sol).
Comme le nombre de types tonals est plus élevé que le nombre de modes, un même mode
peut être représenté par plus d’un type tonal. L’inverse est possible aussi : un même type tonal
peut, à l’occasion, représenter différents modes. Compte tenu du fait qu’en principe, la
notation musicale ne fait pas appel à des lignes supplémentaires au-dessus ou en dessous de la
portée, les possibilités musicales qu’offre un mode diffèrent en cantus durus et en cantus
mollis, comme le montre le tableau suivant pour le premier mode.
— 26 —

Voix Ambitus disponible


 - c1 – ré  - g2 - sol
Superius si2-mi4 ré3-sol4
(2 degrés sous la finale, (4 degrés sous la finale,
9 degrés au-dessus de la finale) 7 degrés au-dessus de la finale)
Tenor do2-fa3 mi2-la3
(1 degré sous la finale, (2 degrés sous la finale,
10 degrés au-dessus de la finale) 9 degrés au-dessus de la finale)

La théorie des types de tonals facilite l’appréhension du répertoire polyphonique d’un


point de vue modal. Elle permet par exemple de regrouper des œuvres au sein d’un recueil
classé modalement, comme on pourra l’observer plus loin. Cependant, une véritable analyse
modale ne peut en aucun cas se réduire à l’observation des types tonals. Elle passe
nécessairement par une observation détaillée du déroulement mélodique et contrapuntique de
l’œuvre.

3 La rhétorique musicale

Dans la musique vocale, largement prédominante en Europe jusqu’au XVIe siècle, le


compositeur base son œuvre sur un texte qu’il s’efforce le plus souvent de mettre en valeur
par divers procédés musicaux. Selon les époques et la nature des textes, la relation musique-
texte est plus ou moins étroite, mais rares sont les répertoires dans lesquels le compositeur
écrit de manière purement abstraite, sans tenir compte du sens des mots qu’il met en musique.
Cela est particulièrement vrai pour les œuvres dont le texte n’est pas connu de tous (motets,
madrigaux, etc.).
L’analyse musicale d’une œuvre vocale passe donc nécessairement par l’étude de son
texte et l’examen des rapports que ce dernier entretient avec la musique. Sur le plan formel, le
discours musical peut mettre en relief la structure (souvent poétique) du support textuel ou au
contraire la voiler. Sur le plan du contenu, les lignes mélodiques peuvent illustrer de manière
très imagée certaines idées, certains concepts que le compositeur entend souligner.
À l’époque de Lassus et de Palestrina, les compositeurs se montrent particulièrement
sensibles au rapport entre la musique et le texte : les accents musicaux respectent
soigneusement ceux du texte, tandis que la polyphonie doit se comprendre à la lumière de ce
dernier, auquel elle ajoute du sens par le biais de madrigalismes et d’effets divers : lignes
mélodiques ascendantes pour évoquer la hauteur ou le ciel, « maladresses » contrapuntiques
pour suggérer l’idée d’erreur ou de péché, chromatismes pour refléter la peine ou la douleur,
etc.2 Si de nombreux théoriciens de l’époque s’efforcent d’établir des parallélismes entre la
musique et l’art oratoire, il n’existe cependant pas de « traité des madrigalismes » ni de
véritable théorie formalisée de la rhétorique musicale comme on en trouvera à l’époque
baroque. Bon nombre d’effets sont basés sur des conventions observées de façon plus ou

2
Bernhard Meier (The modes of classical vocal polyphony, partie II) propose une aperçu très complet de divers
effets rhétoriques couramment utilisés au XVIe siècle.
— 27 —

moins récurrente dans le répertoire polyphonique de l’époque, mais la fantaisie et l’originalité


du compositeur restent malgré tout quelque peu insaisissable.
Le musicologue du XXIe siècle qui étude des œuvres du XVIe siècle doit donc s’efforcer
de découvrir ce qui a pu frapper l’auditeur de l’époque, sans tomber dans des interprétations
abusives, injustifiées sur le plan historique. L’étude de la rhétorique musicale comporte
toujours une part d’incertitude (tel passage constitue-t-il un effet rhétorique ? l’interprétation
qui me vient à l’esprit de tel autre passage est-elle valide ?). Néanmoins, une sensibilité
accrue au phénomène de la rhétorique musicale contribue à mieux comprendre et apprécier le
répertoire et ne doit donc pas être négligée.

4 Analyses
4.1 Les Meslanges d’Orlande de Lassus contenant plusieurs chansons, à
IIII, V, VI, VIII, X parties : reveuz par luy et augmentez], Paris, Le Roy –
Ballard, 1576 (RISM A L0891)3

Les éditeurs de musique Adrian Le Roy et Robert Ballard étaient personnellement liés
avec Lassus et publièrent nombre de ses œuvres. Dans Les Meslanges d’Orlande de Lassus,
les chansons à quatre et à cinq voix font l’objet d’un classement par type tonal, mais il est
évident que ce classement fut réalisé a posteriori, c’est-à-dire après la composition des
œuvres, dont certaines avaient déjà paru antérieurement. Les chansons des Meslanges ne sont
donc pas conçues comme un cycle modal. Néanmoins, la mention « reveuz par luy » indique
que le compositeur a supervisé l’édition et a peut-être approuvé l’ordre dans lequel les pièces
sont présentées. On observe cependant quelques anomalies (cf. nos 64, 50, 63, 64 et 67) qui
suggèrent que la modalité ne joue pas, dans ce recueil, un rôle aussi crucial que dans les deux
recueils suivants.

Genre Incipit vx clés arm. finale mode


1. Chanson Las voulez-vous qu’une personne chante... 4 c1  la1 ?
2. Chanson L’heureux amour qui esleve & honore... 4 c1  la1 ?
3. Chanson Si le long tems à moy trop rigoureux... 4 c1  la1 ?
4. Chanson Un advocat dit à sa femme... 4 c1  la1 ?
5. Chanson Sauter dancer... 4 c1  la1 ?
6. Chanson Si par souhait, si par souhait je vous tenoye... 4 g2  sol2 1tr
7. Chanson En un chasteau ma dame par grand cure... 4 g2  sol2 1tr
8. Chanson Monsieur l’Abé & monsieur son varlet... 4 g2  sol2 1tr
9. Chanson Qui dort... 4 g2  sol2 1tr
10. Chanson Soyons joyeux sur la plaisant’ verdure... 4 g2  sol2 1tr
11. Chanson Quand mon mary vient de dehors... 4 g2  sol2 1tr
12. Chanson Ardant amour souvent me fait instance... 4 g2  sol2 1tr
13. Chanson A ce matin bonne estreine... 4 g2  sol2 1tr
14. Chanson Si je suis brun & ma couleur trop noire... 4 g2  sol2 1tr
Ne vous soit estrange... 4 g2  sol2 1tr
15. Chanson La nuict froide & sombre... 4 c1  ré2 1
16. Chanson O vin en vigne gentil joly vin en vigne... 4 c1  ré2 1

3
Version en ligne de l’édition originale (Ténor, Bassus, Quinta pars) : http://www.bvh.univ-
tours.fr/resauteur.asp?numauteur=587&ordre=titre
— 28 —

17. Chanson Avecques vous mon amour finira... 4 c1  sol1 2tr


18. Chanson Un jour vis un foulon qui fouloit... 4 c1  sol1 2tr
19. Chanson Je l’ayme bien & l’aymeray... 4 c1  sol1 2tr
20. Chanson Fleur de quinze ans si Dieu vous sauve & gard... 4 c1  sol1 2tr
21. Chanson Un doux nenny avec un doux sourire... 4 g2  ré2 2tr8
22. Chanson Helas quel jour feray-je à mon vouloir... 4 g2  ré2 2tr8
23. Chanson Le tems passé je soupire... 4 g2  ré2 2tr8
24. Chanson Si du malheur vous aviez cognoissance... 4 g2  ré2 2tr8
25. Chanson En espoir vis & crainte me tourmente... 4 c1  mi2 3/4
26. Chanson Je suis quasi prest d’enrager... 4 g2  la2 3/4tr
27. Chanson Du corps absent le coeur je te presente... 4 c1  mi2 3/4
28. Chanson J’ay cherché la sçience... 4 c1  mi2 3/4
29. Chanson La morre est jeu pire qu’aux quilles... 4 c1  mi2 3/4
30. Chanson Si vous n’estes en bon point bien... 4 c1  mi2 3/4
31. Chanson Le vray amy ne sestonne de rien... 4 c1  mi2 3/4
32. Chanson Or sus filles que l’on me donne... 4 c1  mi2 3/4
33. Chanson Qui bien se mire, bien se void... 4 c1  mi2 3/4
34. Chanson Sçais tu dire l’Ave disoit il... 4 c1  mi2 3/4
35. Chanson Au temps divers qui me deffend de veoir... 4 c1  mi2 3/4
36. Chanson De vous servir ne me puis contenir... 4 c1  mi2 3/4
37. Chanson Trop endurer sans avoir allegeance... 4 g2  fa2 5
38. Chanson Vray Dieu disoit une fillette... 4 g2  fa2 5
39. Chanson Il estoit une religieuse... 4 g2  fa2 5
40. Chanson Le temps peut bien un beau teint effacer... 4 g2  fa2 5
41. Chanson Petite folle estes vous pas contente... 4 g2  fa2 5
42. Chanson Fuyons tou d’amour le jeu comme le feu... 4 g2  fa2 5
43. Chanson Hatez vous de me faire grace... 4 g2  fa2 5
44. Chanson En un lieu ou l’on ne void goutte... 4 g2  do2 6tr
45. Chanson Si pour moy avez du souci... 4 g2  do2 6tr
46. Chanson Mes pas semez & loings alez... 4 g2  do3 6tr
47. Chanson Un jeune moine est sorti du couvent... 4 g2  do2 6tr
48. Chanson Beau le cristal beau l’albatre & l’yvoire... 4 g2  do2 6tr
49. Chanson Si froid & chaut... 4 g2  sol2 7
50. Chanson Je ne veux rien qu’un baiser de sa bouche... 4 g2  sol14 7
51. Chanson Bonjour mon coeur... 4 g2  sol2 7
52. Chanson Margot labourez les vignes... 4 g2  sol2 7
53. Chanson Ce faux amour d’arc & de fleches s’arme... 4 c1  sol1 8
54. Chanson En m’oyant chanter quelque fois... 4 c1  sol1 8
55. Chanson Quand un cordier cordant, veult corder une 4 c1  sol1 8
corde...
56. Chanson Ton feu s’estaint de ce que le mien ard... 4 c1  sol1 8
57. Cantus Fertur in conuiuiis Vinus Vina Vinum... 4
(motet)
58. Cantus Pro nuba juno... 4
(motet)
59. Cantus Deus qui bonum vinum creasti... 4
(motet)
60. Chanson Noblesse gist au coeur du vertueux... 5 c1  ré2 1
61. Chanson La terre les eaux va beuvant... 5 c1  ré2 1
62. Chanson Vive sera, & tousjours perdurable... 5 g2  sol2 1tr
63. Chanson Mon coeur se recommande à vous... 5 g2  sol1 1tr
64. Chanson Rendz moy mon coeur pillarde... 5 g2  sol1 1tr
65. Chanson Mon coeur ravi d’amour fort variable... 5 g2  sol2 1tr
66. Chanson Sur tous regretz le mien plus piteux pleure... 5 g2  sol2 1tr
67. Chanson Susane un jour d’amour solicitée... 5 g2  sol1 1tr
68. Chanson De tout mon coeur... 5 c1  sol1 2tr
69. Chanson J’endure un tourment... 5 c1  ré2 2tr
Mais à quel propos dire n’y escrire, n’y 5 c1  sol1 2tr

4
Sol2 dans d’autres éditions
— 29 —

escouter...
70. Chanson Vous qui aymez les dames Blande... 5 c1  sol1 2tr
71. Chanson J’atens le tems ayant ferme esperance... 5 c1  sol1 2tr
72. Chanson Chanter Chanter je veux la gente damoiselle... 5 c1  sol1 2tr
73. Chanson Un mesnagier viellard recreu d’ahan... 5 c1  fa1 ?
74. Chanson Dix ennemis... 5 c1  ré2 2
Et me prenant au collet doucement... 5 c1  sol1 2
75. Chanson S’il y a compagnon qui sa femme mescroye... 5 c1  sol1 2
76. Chanson Et d’ou venez vous ma dame Lucette... 5 g2  ré2 2tr8
77. Chanson Veux ton mal... 5 g2  sol1 2tr8
Le voulez vous... 5 g2  ré2 2tr8
78. Chanson Las me faut il tant de mal supporter... 5 c1  mi2 3/4
79. Chanson Un triste coeur remply de fantasie... 5 c1  mi2 3/4
80. Chanson Ardant amour sovent me fait instance... 5 c1  mi2 3/4
81. Chanson Je ne veux plus que chanter de tristesse... 5 g2  la1 3/4tr
82. Chanson Au feu au feu au feu venez moy secourir... 5 g2  fa2 5
A l’eau A l’eau A l’eau jettes toy vistement... 5 g2  fa2 5
83. Chanson Au tems jadis... 5 c1  fa1 6
84. Chanson Elle s’en va de moy la mieux aymée... 5 c1  fa1 6
85. Chanson Le Rossignol plaisant & gratieux... 5 g2  do2 6tr
86. Chanson Est-il possible à moy pouvoir trouver... 5 c1  fa1 6
87. Chanson Une puce j’ay dedans l’oreill’... 5 g2  do2 6tr
88. Chanson Le departir le departir est sans departement... 5 c1  sol1 8
89. Chanson Comme la Tourterelle languit jusqu’à la mort... 5 c1  sol1 8
Ou t’atend ta maitresse... 5 c1  sol1 8
90. Chanson Puis que fortune a sur moy entrepris... 5 c1  sol1 8
91. Chanson Quand me souvient... 5 in  mi1 4
contro
basso
92. Chanson Toutes les nuitz que sans vous je couche... 5 g2  la1 ?
93. Chanson Qui veult d’amour sçavoir tous les esbatz... 5 g2  la1 ?
94. Madrigal I vo piagendo i miei passati tempi... 5
Si che s’io viss’ in guerra... 5
95. Madrigal Soleasi vel mio cor star bell’ e viva... 5
Che piangon dentr’... 5
96. Madrigal Madonna Madonna fall’amor... 5
97. Madrigal Che piu d’un giorno è la vita mortale... 5
98. Madrigal Ove le luci... 5
99. Madrigal Con lei fuss’io... 5
100. Cantus Qvid <prodest stulto> Vanitas vanitatum & 5
(motet) omnia vanitas...
101. Cantus Bestia curua sia pulices... 5
(motet)
102. Cantus Qvis mihi, quis te te rapuit... 5
(motet)
Me miserum... 5
Nvnc iuvat immensi fines... 5
103. Cantus Alma venus vultu languentem... 5
(motet)
Nvnc elegos diuae querulos dimittere versus... 5
104. Cantus Ave color vini clari... 5
(motet)
O quam flagrans 5
105. Cantus Vt radios edit rutilo carbunculus auro... 5
(motet)
Non tenui Musae filo celebranda vetustas... 5
106. Cantus Quis valet eloquio munus celebrare Lyei?... 5
(motet)
107. Cantus Beatus ille qui procul negociis... 5
(motet)
Ergo aut adulta vitium propagine... 5
— 30 —

Liber jacere modo sub antiqua... 5


108. Cantus Stet quicunque volet potens... 5
(motet)
Sic cum transierint mei... 5
109. Cantus Cernere virtutes qui vult compagine... 5
(motet)
110. Cantus Dvlces exuviae dum fata deusque... 5
(motet)
Vrbem praeclaram statui... 5
111. Cantus De litiae Phaebi Musarum... 5
112. Cantus Super flumina Babilonis... 5
(motet)
Illic sedimus... 5
113. Cantus Te sperant Reginalde poli... 5
(motet)
114. Cantus Agimus tibi gratias... 5
(motet)
115. Cantus Nvnc gaudere licet... 6
(motet)
116. Cantus Herovum soboles... 6
(motet)
117. Cantus Pacis amans... 6
(motet)
Te nunc laetitur fortita... 6
118. Cantus Tytire tu patulae recubans... 6
(motet)
O Melibeae... 6
119. Cantus Si qua tibi obtulerint culti noua carmina... 6
120. Dialogue Un jour... 8
(chanson)
121. Dialogue Que dis-tu... 8
(chanson)
122. Dialogue Di moy... 8
(chanson)
123. Dialogus Edite Caesareo Boiorum sanguine... 8
(motet)
Obscura sub nocte... 8
124. Dialogus Dic mihi... 8
(motet)
125. Dialogus Vinum numquam bibi 8
(motet)
126. Dialogo S’una fed’amoroso... 8
(madrigal)
127. Dialogus Qvo. In aedes principis Aonidum... 10
(motet)

4.1.1 Margot labourez les vignes

L’auteur du texte est inconnu. Le poème rappelle une chanson populaire française (En
passant par la Lorraine avec mes sabots), mais rien ne prouve que celle-ci est antérieure à la
chanson de Lassus. Partition téléchargeable sur
http://www3.cpdl.org/wiki/index.php/Margot_labourez_les_vignes_%28Orlando_di_Lasso%
29 (sélectionner CPDL #03350, éd. par Rafael Ornes).
— 31 —

Margot labourez les vignes,


Vigne, vigne, vignolet,
Margot labourez les vignes bientôt.

En revenant de Lorraine, Margot,


Rencontrai trois capitaines,
Vigne, vigne, vignolet,
Margot, labourez les vignes bientôt.

Ilz m’ont salué vilaine, Margot,


Je suis leur fievres quartaines,
Vigne, vigne, vignolet.
Margot, labourez les vignes bientôt.

Margot labourez les vignes figure parmi les chansons rattachées au mode 7. Les
tessitures théoriques sont donc les suivantes :

Les quelques dépassements observés n’ont rien d’anormal. Toutes les cadences se font
sur sol et confirment le mode. La simplicité de la structure textuelle et musicale ainsi que
l’homophonie confèrent à la pièce un caractère populaire.

4.1.2 Je l’ayme bien

Il s’agit d’une chanson amoureuse sur un texte anonyme en vers octosyllabes. Texte
variable selon les éditions. Partition téléchargeable sur
http://www3.cpdl.org/wiki/index.php/Je_l%27aime_bien_et_l%27amerai_%28Orlando_di_La
sso%29 (sélectionner CPDL #02445 Pothárn Imre).
— 32 —

Je l’ayme bien et l’aymerai,


en ce propos suis et seray,
et demouray toute ma vie
et quoy que l’on me porte envie,
je l’ayme bien et l’aymerai.

Cette chanson figure parmi les pièces du deuxième mode transposé. Dans la
polyphonie du XVIe siècle, il est assez rare que ce mode soit utilisé en cantus durus, en raison
de l’extrême gravité des voix.

Pour cette raison, le mode 2 est souvent transposé d’une quarte vers le haut, avec un
bémol à la clé. Dans ce cas, la finale est sol, la teneur est si et les tessitures théoriques sont
les suivantes.

Dans la chanson de Lassus, chaque vers se termine par une cadence sur sol (mes. 13,
15, 18, 22, 34) qui confirme le mode. Il y a aussi quelques cadences intermédiaires sur si, qui
renforcent le sentiment plagal de l’œuvre. On observe la présence d’assez nombreux mi, qui
donnent à la pièce une saveur « éolienne », mais on sait que Lassus adhérait aux huit modes
traditionnels. Il ne convient donc pas de considérer que l’œuvre est dans un mode de la
transposé sur sol.
— 33 —

La structure de la pièce est assez simple : le premier et le dernier vers portent la même
mélodie et fonctionnent comme refrains. La pièce correspond donc à une forme AbcdA.

4.1.3 Susanne un jour

Il s’agit d’une des chansons les plus connues de Lassus, qui a fait l’objet d’une
multitude d’adaptations pour le luth et d’autres instruments à cordes. Le texte est dû au poète
réformé Guillaume Guéroult (1507-1569) et se compose de vers décasyllabes (divisés en 4 +
6). La thématique est inspirée de l’Ancien Testament (Daniel 13, 22-23), ce qui permet de
rattacher la pièce de Lassus au genre de la chanson spirituelle. Partition téléchargeable sur
http://www3.cpdl.org/wiki/index.php/Susanne_un_jour_%28Orlando_di_Lasso%29
(sélectionner CPDL #01998 éd. par Pothárn Imre).

Susanne un jour d’amour solicitée


Par deux viellardz, convoitans sa beauté,
Fust en son coeur triste et desconfortée,
Voyant l’effort fait à sa chasteté.
Elle leur dict, Si par desloyauté
De ce corps mien vous avez jouissance,
C’est fait de moy. Si ie fay resistance,
Vous me ferez mourir en deshonneur.
Mais j’aime mieux périr en innocence,
Que d’offenser par peché le Seigneur.

Cette chanson est rattachée aux pièces du premier mode transposé. Les tessitures
théoriques du mode non transposé et transposé sont les suivantes.

On observe quelques dépassements de ces tessitures théoriques, dont les plus


significatifs se situent aux mes. 4 (alto), 13-14 (soprano), 17 (alto, même formule qu’en 4) et
26-27 (soprano ; même formule qu’en 13-14). On pourrait être tenté de voir l’une ou l’autre
intention rhétorique dans ces dépassements, mais dans la mesure où ils se reproduisent à deux
reprises sur des textes différents, une telle interprétation est sujette à caution.
— 34 —

Sur le plan formel, la chanson suit d’assez près la structure poétique. D’une part, le
compositeur répercute souplement le découpage des vers en 4 + 6 syllabes. D’autre part, il
suit la structure globale du poème, par exemple en respectant l’enjambement entre les vers 5
et 6 (cadence plagale sur ré faiblement marquée). Le début de la chanson respecte un schéma
abab qui reflète celui des rimes. La suite est plus libre.

Rimes Cadences Cadences


int.
1. Susanne un jour d’amour solicitée a ré si
2. Par deux viellardz, convoitans sa beauté, b sol
3. Fust en son coeur triste et desconfortée, a ré si
4. Voyant l’effort fait à sa chasteté. b sol
5. Elle leur dict, Si par desloyauté b ré, plag.
6. De ce corps mien vous avez jouissance, c ré
7. C’est fait de moy. Si ie fay resistance, c sol (si) si
8. Vous me ferez mourir en deshonneur. d sol
9. Mais j’aime mieux périr en innocence, c si
10. Que d’offenser par peché le Seigneur. d sol

La présence récurrente de cadences sur la teneur du mode 2 (si bémol) est relativement
inhabituelle dans les œuvres en mode authentique. Elle provoque une incertitude modale que
les théoriciens de l’époque qualifient de mixtio (mélange de deux modes partageant la même
finale).

4.2 Orlando di Lasso, Psalmi Davidis poenitentiales, München, Adam Berg,


1584 (RISM L952)

Les psaumes de la pénitence (ps. 6, 32, 38, 51, 102, 130 et 1435) forment un cycle de
prières pénitentielles dont la première mention remonte à Cassiodore (c. 485-c. 580). Le pape
Innocent III (1198-1216) recommanda de les faire lire chaque jour de Carême. Pie V en
ramena la lecture aux vendredis de carême, hormis le vendredi saint. Les psaumes de la
pénitence figurent aussi régulièrement dans les livres d’heures et à l’époque de Lassus, ils
faisaient partie des dévotions couramment pratiquées durant les périodes de pénitence ou de
jeûne. Stefan Schulze a recensé 19 cycles dans lesquels les psaumes de la pénitence sont mis
en polyphonie entre 1564 et 1615.
Selon la préface de l’édition de 1584, la composition des Psalmi Davidis
poenitentiales de Lassus était terminée en 1559. Ce recueil répondait à une demande de son
patron, Albert V de Bavière. Le duc fut tellement satisfait du résultat qu’il interdit à Lassus de
publier l’œuvre, au grand déplaisir du compositeur. Les psaumes furent en revanche intégrés
dans un magnifique manuscrit dont la réalisation, comprenant de nombreuses miniatures et

5
Numérotation hébraïque. Selon la Vulgate, il s’agit des psaumes 6, 31, 37, 50, 101, 129 et 142.
— 35 —

commentaires bibliques, dura huit années. Cet ouvrage est aujourd’hui conservé à la
Bayerische Staatsbibliothek de Munich (Mielich-Kodex).
Les psaumes de la pénitence constituent le plus ancien cycle modal de Lassus conçu
en tant que tel. Afin de représenter les huit modes, le compositeur ajouta aux sept psaumes de
la pénitence un huitième motet, Laudate Dominum de caelis, également basé sur des extraits
psalmiques (ps. 148 et 150). Ce motet permet de clore le cycle sur un chant de louange plus
joyeux que les précédents. Il est intéressant de noter que dans ce cycle, les modes 3 et 4 sont
clairement différenciés, ce qui est assez rare dans le répertoire du XVIe siècle, où ces deux
modes se confondent souvent.

Textes6

Psaume 6
2
2
Domine, ne in furore tuo arguas me, Seigneur, châtie-moi sans colère,
neque in ira tua corripias me. corrige-moi sans fureur !
3
3
Miserere mei, Domine, quoniam infirmus sum ; Pitié, Seigneur, je dépéris ;
sana me, Domine, quoniam conturbata sunt ossa mea. guéris-moi, Seigneur, je tremble de tous mes os,
4
4
Et anima mea turbata est valde ; je tremble de tout mon être.
sed tu, Domine, usquequo ? Alors, Seigneur, jusqu’à quand... ?
5
5
Convertere, Domine, et eripe animam meam ; Reviens, Seigneur, délivre-moi,
salvum me fac propter misericordiam tuam. sauve-moi à cause de ta fidélité !
6
6
Quoniam non est in morte qui memor sit tui ; Car chez les morts, on ne prononce pas ton nom.
in inferno autem quis confitebitur tibi ? Aux enfers, qui te rend grâce ?
7
7
Laboravi in gemitu meo ; Je suis épuisé à force de gémir.
lavabo per singulas noctes lectum meum : Chaque nuit, mes larmes baignent mon lit,
lacrimis meis stratum meum rigabo. mes pleurs inondent ma couche.
8
8
Turbatus est a furore oculus meus ; Mes yeux sont rongés de chagrin,
inveteravi inter omnes inimicos meos. ma vue faiblit, tant j’ai d’adversaires.
9
9
Discedite a me omnes qui operamini iniquitatem, Ecartez-vous de moi, vous tous, malfaisants,
quoniam exaudivit Dominus vocem fletus mei. car le Seigneur a entendu mes sanglots.
10
10
Exaudivit Dominus deprecationem meam ; Le Seigneur a entendu ma supplication,
Dominus orationem meam suscepit. le Seigneur accueille ma prière.
11
11
Erubescant, et conturbentur vehementer, omnes Que mes ennemis, honteux et tout tremblants,
inimici mei ; s’en retournent tous, soudain couverts de honte !
convertantur, et erubescant valde velociter.
Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit,
Sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in saecula comme il était au commencement, maintenant et
saeculorum. Amen toujours, et pour les siècles des siècles.

Psaume 32
1
1
Beati quorum remissæ sunt iniquitates, Heureux l’homme dont l’offense est enlevée
et quorum tecta sunt peccata. et le péché couvert !
2
2
Beatus vir cui non imputavit Dominus peccatum, Heureux celui à qui le Seigneur ne compte pas la
nec est in spiritu ejus dolus. faute,
et dont l’esprit ne triche pas !
3
3
Quoniam tacui, inveteraverunt ossa mea, Tant que je me taisais, mon corps s’épuisait
dum clamarem tota die. à grogner tous les jours,
4
4
Quoniam die ac nocte gravata est super me manus car, jour et nuit, ta main pesait sur moi,

6
Texte d’après la Vulgate clémentine, 1592 (http://vulsearch.sourceforge.net/html/). Traduction d’après la
Traduction œcuménique de la Bible (TOB), http://bibliotheque.editionsducerf.fr/par%20page/120/TM.htm.
D’autres traductions sont disponibles sur http://www.lexilogos.com/bible.htm.
— 36 —

tua, ma sève s’altérait aux ardeurs de l’été.


conversus sum in ærumna mea, dum configitur spina.
5 5
Delictum meum cognitum tibi feci, Je t’ai avoué mon péché,
et injustitiam meam non abscondi. je n’ai pas couvert ma faute.
Dixi : Confitebor adversum me injustitiam meam J’ai dit : « Je confesserai mes offenses au Seigneur »,
Domino ; et toi, tu as enlevé le poids de mon péché.
et tu remisisti impietatem peccati mei.
6 6
Pro hac orabit ad te omnis sanctus Ainsi tout fidèle te prie
in tempore opportuno. le jour où il te rencontre.
Verumtamen in diluvio aquarum multarum, Même si les grandes eaux débordent,
ad eum non approximabunt. elles ne l’atteignent pas.
7 7
Tu es refugium meum a tribulatione quæ circumdedit Tu es pour moi un abri,
me ; tu me préserves de la détresse,
exsultatio mea, erue me a circumdantibus me. tu m’entoures de chants de délivrance.
8 8
Intellectum tibi dabo, et instruam te in via hac qua Je vais t’instruire, t’indiquer la route à suivre,
gradieris ; et te donner un conseil, en veillant sur toi :
firmabo super te oculos meos.
9 9
Nolite fieri sicut equus et mulus, N’imite pas le cheval ou la mule stupides,
quibus non est intellectus. dont mors et bride doivent freiner la fougue,
In camo et freno maxillas eorum constringe, et il ne t’arrivera rien !
qui non approximant ad te.
10 10
Multa flagella peccatoris ; Beaucoup de douleurs attendent l’impie,
sperantem autem in Domino misericordia circumdabit. mais la fidélité entoure celui qui compte sur le
Seigneur.
11 11
Lætamini in Domino, et exsultate, justi ; Exultez à cause du Seigneur,
et gloriamini, omnes recti corde. réjouissez-vous, les justes,
et criez de joie, vous tous les cœurs droits !
Gloria…

Psaume 38
2
2
Domine, ne in furore tuo arguas me, Seigneur, châtie-moi sans courroux,
neque in ira tua corripias me : corrige-moi sans fureur.
3
3
quoniam sagittæ tuæ infixæ sunt mihi, Tes flèches se sont abattues sur moi,
et confirmasti super me manum tuam. ta main s’est abattue sur moi.
4
4
Non est sanitas in carne mea, a facie iræ tuæ ; Rien d’intact dans ma chair, et cela par ta colère,
non est pax ossibus meis, a facie peccatorum rien de sain dans mes os, et cela par mon péché !
meorum : 5
5
quoniam iniquitates meæ supergressæ sunt caput Car mes fautes ont dépassé ma tête,
meum, comme un pesant fardeau, elles pèsent trop sur moi.
et sicut onus grave gravatæ sunt super me. 6
6
Putruerunt et corruptæ sunt cicatrices meæ, Mes plaies infectées suppurent,
a facie insipientiæ meæ. et cela par ma sottise.
7
7
Miser factus sum et curvatus sum usque in finem ; Je suis courbé et tout prostré ;
tota die contristatus ingrediebar. sombre, je me traîne tous les jours,
8
8
Quoniam lumbi mei impleti sunt illusionibus, car mes reins sont envahis par la fièvre,
et non est sanitas in carne mea. plus rien n’est intact dans ma chair.
9
9
Afflictus sum, et humiliatus sum nimis ; Je suis engourdi, tout brisé,
rugiebam a gemitu cordis mei. mon cœur gronde, je rugis.
10
10
Domine, ante te omne desiderium meum, Seigneur tous mes soupirs sont devant toi,
et gemitus meus a te non est absconditus. et mes gémissements ne te sont pas cachés.
11
11
Cor meum conturbatum est ; Mon cœur palpite, les forces m’ont abandonné,
dereliquit me virtus mea, et lumen oculorum meorum, j’ai perdu jusqu’à la lumière de mes yeux.
et ipsum non est mecum. 12
12
Amici mei et proximi mei adversum me Mes amis, mes compagnons reculent devant mes
appropinquaverunt, et steterunt ; plaies,
et qui juxta me erant, de longe steterunt : mes proches se tiennent à distance.
et vim faciebant qui quærebant animam meam. 13
13
Et qui inquirebant mala mihi, locuti sunt vanitates, Ceux qui en veulent à ma vie ont tendu des pièges,
et dolos tota die meditabantur. ceux qui cherchent mon malheur ont parlé pour me
— 37 —

perdre,
en murmurant chaque jour des perfidies.
14 14
Ego autem, tamquam surdus, non audiebam ; Mais moi, comme un sourd, je n’entends pas ;
et sicut mutus non aperiens os suum. je suis un muet qui n’ouvre pas la bouche.
15 15
Et factus sum sicut homo non audiens, Je suis un homme qui n’entend pas
et non habens in ore suo redargutiones. et qui n’a pas de réplique à la bouche.
16 16
Quoniam in te, Domine, speravi ; C’est en toi, Seigneur, que j’espère :
tu exaudies me, Domine Deus meus. tu répondras, Seigneur mon Dieu !
17 17
Quia dixi : Nequando supergaudeant mihi inimici Je disais : « Que je ne fasse pas la joie
mei ; de ceux qui triomphent de moi quand je vacille »,
et dum commoventur pedes mei, super me magna
locuti sunt.
18 18
Quoniam ego in flagella paratus sum, et me voici prêt à défaillir,
et dolor meus in conspectu meo semper. ma douleur m’est sans cesse présente.
19 19
Quoniam iniquitatem meam annuntiabo, Oui, je proclame ma faute
et cogitabo pro peccato meo. et je m’effraie de mon péché.
20 20
Inimici autem mei vivunt, et confirmati sunt super Mes ennemis, pleins de vie, sont puissants ;
me : ils sont nombreux, ceux qui me haïssent injustement.
et multiplicati sunt qui oderunt me inique.
21 21
Qui retribuunt mala pro bonis detrahebant mihi, Ceux qui me rendent le mal pour le bien
quoniam sequebar bonitatem. m’accusent pour le bien que je poursuivais.
22 22
Ne derelinquas me, Domine Deus meus ; Seigneur, ne m’abandonne pas.
ne discesseris a me. Mon Dieu, ne reste pas si loin.
23 23
Intende in adjutorium meum, Vite ! A l’aide !
Domine Deus salutis meæ. toi, Seigneur, mon salut !
Gloria…

Psaume 51
3
3
Miserere mei, Deus, secundum magnam Aie pitié de moi, mon Dieu, selon ta fidélité ;
misericordiam tuam ; selon ta grande miséricorde, efface mes torts.
et secundum multitudinem miserationum tuarum, dele
iniquitatem meam. 4
4
Amplius lava me ab iniquitate mea, Lave-moi sans cesse de ma faute
et a peccato meo munda me. et purifie-moi de mon péché.
5
5
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco, Car je reconnais mes torts,
et peccatum meum contra me est semper. j’ai toujours mon péché devant moi.
6
6
Tibi soli peccavi, et malum coram te feci ; Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ut justificeris in sermonibus tuis, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait,
et vincas cum judicaris. ainsi tu seras juste quand tu parleras,
irréprochable quand tu jugeras.
7
7
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum, Voici, dans la faute j’ai été enfanté
et in peccatis concepit me mater mea. et, dans le péché, conçu des ardeurs de ma mère.
8
8
Ecce enim veritatem dilexisti ; Voici, tu aimes la vérité dans les ténèbres,
incerta et occulta sapientiæ tuæ manifestasti mihi. dans ma nuit, tu me fais connaître la sagesse.
9
9
Asperges me hyssopo, et mundabor ; Ote mon péché avec l’hysope, et je serai pur ;
lavabis me, et super nivem dealbabor. lave-moi, et je serai plus blanc que la neige.
10
10
Auditui meo dabis gaudium et lætitiam, Fais que j’entende l’allégresse et la joie,
et exsultabunt ossa humiliata. et qu’ils dansent, les os que tu as broyés.
11
11
Averte faciem tuam a peccatis meis, Devant mes péchés, détourne-toi,
et omnes iniquitates meas dele. toutes mes fautes, efface-les.
12
12
Cor mundum crea in me, Deus, Crée pour moi un cœur pur, Dieu ;
et spiritum rectum innova in visceribus meis. enracine en moi un esprit tout neuf.
13
13
Ne projicias me a facie tua, Ne me rejette pas loin de toi,
et spiritum sanctum tuum ne auferas a me. ne me reprends pas ton esprit saint ;
14
14
Redde mihi lætitiam salutaris tui, rends-moi la joie d’être sauvé,
et spiritu principali confirma me. et que l’esprit généreux me soutienne !
15
15
Docebo iniquos vias tuas, J’enseignerai ton chemin aux coupables,
et impii ad te convertentur. et les pécheurs reviendront vers toi.
16
16
Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meæ, Mon Dieu, Dieu sauveur, libère-moi du sang ;
— 38 —

et exsultabit lingua mea justitiam tuam. que ma langue crie ta justice !


17 17
Domine, labia mea aperies, Seigneur, ouvre mes lèvres,
et os meum annuntiabit laudem tuam. et ma bouche proclamera ta louange.
18 18
Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique ; Tu n’aimerais pas que j’offre un sacrifice,
holocaustis non delectaberis. tu n’accepterais pas d’holocauste.
19 19
Sacrificium Deo spiritus contribulatus ; Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un esprit brisé ;
cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies. Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé.
20 20
Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion, Fais du bien à Sion,
ut ædificentur muri Jerusalem. rebâtis les murs de Jérusalem.
21 21
Tunc acceptabis sacrificium justitiæ, oblationes et Alors tu aimeras les sacrifices prescrits,
holocausta ; offrande totale et holocauste ;
tunc imponent super altare tuum vitulos. alors on offrira des taureaux sur ton autel.
Gloria…

Psaume 102
2
2
Domine, exaudi orationem meam, Seigneur, écoute ma prière,
et clamor meus ad te veniat. que mon cri parvienne jusqu’à toi !
3
3
Non avertas faciem tuam a me : Ne me cache pas ton visage
in quacumque die tribulor, inclina ad me aurem tuam ; au jour de ma détresse.
in quacumque die invocavero te, velociter exaudi me. Tends vers moi l’oreille.
Le jour où j’appelle,
vite, réponds-moi.
4
4
Quia defecerunt sicut fumus dies mei, Car mes jours sont partis en fumée,
et ossa mea sicut cremium aruerunt. mes os ont brûlé comme un brasier.
5
5
Percussus sum ut fœnum, et aruit cor meum, Comme l’herbe coupée,
quia oblitus sum comedere panem meum. mon cœur se dessèche ;
j’en oublie de manger mon pain.
6
6
A voce gemitus mei A force de gémir,
adhæsit os meum carni meæ. je n’ai plus que la peau sur les os.
7
7
Similis factus sum pellicano solitudinis ; Je ressemble au choucas du désert,
factus sum sicut nycticorax in domicilio. je suis comme le hibou des ruines.
8
8
Vigilavi, et factus sum sicut passer solitarius in tecto. Je reste éveillé, et me voici
comme l’oiseau solitaire sur un toit.
9
9
Tota die exprobrabant mihi inimici mei, Tous les jours mes ennemis m’outragent,
et qui laudabant me adversum me jurabant : furieux contre moi, ils maudissent par moi.
10
10
quia cinerem tamquam panem manducabam, Comme pain je mange de la cendre,
et potum meum cum fletu miscebam, et je mêle des larmes à ma boisson.
11
11
a facie iræ et indignationis tuæ : Par ton indignation et ton courroux
quia elevans allisisti me. tu m’as soulevé et rejeté.
12
12
Dies mei sicut umbra declinaverunt, Mes jours s’en vont comme l’ombre,
et ego sicut fœnum arui. et je me dessèche comme l’herbe.
13
13
Tu autem, Domine, in æternum permanes, Mais toi, Seigneur, tu sièges pour toujours,
et memoriale tuum in generationem et generationem. et tous les âges feront mention de toi.
14
14
Tu exsurgens misereberis Sion, Tu te lèveras, par amour pour Sion,
quia tempus miserendi ejus, quia venit tempus : car il est temps d’en avoir pitié :
oui, le moment est venu !
15
15
quoniam placuerunt servis tuis lapides ejus, Tes serviteurs tiennent à ses pierres,
et terræ ejus miserebuntur. et sa poussière leur fait pitié.
16
16
Et timebunt gentes nomen tuum, Domine, Les nations craindront le nom du Seigneur,
et omnes reges terræ gloriam tuam : et tous les rois de la terre, ta gloire,
17
17
quia ædificavit Dominus Sion, quand le Seigneur rebâtira Sion
et videbitur in gloria sua. et deviendra visible dans sa gloire,
18
18
Respexit in orationem humilium quand il se tournera vers la prière des spoliés
et non sprevit precem eorum. et cessera de les repousser.
19
19
Scribantur hæc in generatione altera, Que cela soit écrit pour la génération suivante,
et populus qui creabitur laudabit Dominum. et un peuple recréé louera le Seigneur :
20
20
Quia prospexit de excelso sancto suo ; Il s’est penché du haut de son sanctuaire ;
Dominus de cælo in terram aspexit : le Seigneur, depuis les cieux, a regardé la terre,
21
21
ut audiret gemitus compeditorum ; pour écouter le gémissement des prisonniers
— 39 —

ut solveret filios interemptorum : et relâcher les condamnés à mort.


22 22
ut annuntient in Sion nomen Domini, On publiera le nom du Seigneur dans Sion
et laudem ejus in Jerusalem : et sa louange dans Jérusalem,
23 23
in conveniendo populos in unum, et reges, quand se réuniront peuples et royaumes
ut serviant Domino. pour servir le Seigneur.
24 24
Respondit ei in via virtutis suæ : Il a réduit mes forces en pleine course ;
Paucitatem dierum meorum nuntia mihi : il a abrégé mes jours.
25 25
ne revoces me in dimidio dierum meorum, Mon Dieu, ai-je dit,
in generationem et generationem anni tui. ne m’enlève pas au milieu de mes jours !
Tes années couvrent tous les siècles.
26 26
Initio tu, Domine, terram fundasti, Autrefois tu as fondé la terre,
et opera manuum tuarum sunt cæli. et les cieux sont l’œuvre de tes mains.
27 27
Ipsi peribunt, tu autem permanes ; Ils périront, toi tu resteras.
et omnes sicut vestimentum veterascent. Ils s’useront tous comme un vêtement,
Et sicut opertorium mutabis eos, et mutabuntur ; tu les remplaceras comme un habit,
et ils céderont la place.
28 28
tu autem idem ipse es, et anni tui non deficient. Voilà ce que tu es, et tes années ne finissent pas.
29 29
Filii servorum tuorum habitabunt, Les fils de tes serviteurs s’établiront,
et semen eorum in sæculum dirigetur. et leurs descendants se maintiendront devant toi.
Gloria…

Psaume 130
1
1
De profundis clamavi ad te, Domine ; Des profondeurs je t’appelle, Seigneur :
2
2
Domine, exaudi vocem meam. Seigneur, entends ma voix ;
Fiant aures tuæ intendentes in vocem deprecationis que tes oreilles soient attentives
meæ. à ma voix suppliante !
3
3
Si iniquitates observaveris, Domine, Si tu retiens les fautes, Seigneur !
Domine, quis sustinebit ? Seigneur, qui subsistera ?
4
4
Quia apud te propitiatio est ; Mais tu disposes du pardon
et propter legem tuam sustinui te, Domine. et l’on te craindra.
Sustinuit anima mea in verbo ejus : 5
5
speravit anima mea in Domino. J’attends le Seigneur,
j’attends de toute mon âme
et j’espère en sa parole.
6
6
A custodia matutina usque ad noctem, Mon âme désire le Seigneur,
speret Israël in Domino. plus que la garde le matin.
7
7
Quia apud Dominum misericordia, Israël, mets ton espoir dans le Seigneur,
et copiosa apud eum redemptio. car le Seigneur dispose de la grâce
et, avec largesse, du rachat.
8
8
Et ipse redimet Israël C’est lui qui rachète Israël
ex omnibus iniquitatibus ejus. de toutes ses fautes.

Psaume 143
1
1
Domine, exaudi orationem meam ; Seigneur, écoute ma prière,
auribus percipe obsecrationem meam in veritate tua ; prête l’oreille à mes supplications,
exaudi me in tua justitia. par ta fidélité, par ta justice, réponds-moi !
2
2
Et non intres in judicium cum servo tuo, N’entre pas en jugement avec ton serviteur,
quia non justificabitur in conspectu tuo omnis vivens. car nul vivant n’est juste devant toi.
3
3
Quia persecutus est inimicus animam meam ; L’ennemi m’a persécuté,
humiliavit in terra vitam meam ; il m’a terrassé, écrasé ;
collocavit me in obscuris, sicut mortuos sæculi. il m’a fait habiter dans les ténèbres,
comme les morts des temps passés.
4
4
Et anxiatus est super me spiritus meus ; Je suis à bout de souffle,
in me turbatum est cor meum. j’ai le cœur ravagé.
5
5
Memor fui dierum antiquorum ; J’évoque les jours d’autrefois,
meditatus sum in omnibus operibus tuis : je me redis tout ce que tu as fait,
in factis manuum tuarum meditabar. je me répète l’œuvre de tes mains.
6
6
Expandi manus meas ad te ; Je tends les mains vers toi ;
— 40 —

anima mea sicut terra sine aqua tibi. me voici devant toi, comme une terre assoiffée.
7 7
Velociter exaudi me, Domine ; Vite ! réponds-moi, Seigneur !
defecit spiritus meus. Mon souffle s’est arrêté.
Non avertas faciem tuam a me, Ne me cache pas ta face,
et similis ero descendentibus in lacum. sinon je ressemble à ceux qui descendent dans la
fosse.
8 8
Auditam fac mihi mane misericordiam tuam, Dès le matin, annonce-moi ta fidélité,
quia in te speravi. car je compte sur toi.
Notam fac mihi viam in qua ambulem, Révèle-moi le chemin à suivre,
quia ad te levavi animam meam. car je suis tendu vers toi.
9 9
Eripe me de inimicis meis, Domine : Seigneur, délivre-moi de mes ennemis ;
ad te confugi. j’ai fait un abri près de toi.
10 10
Doce me facere voluntatem tuam, Enseigne-moi à faire ta volonté,
quia Deus meus es tu. car tu es mon Dieu.
Spiritus tuus bonus deducet me in terram rectam. Ton esprit est bon,
qu’il me conduise sur un sol uni !
11 11
Propter nomen tuum, Domine, vivificabis me : Pour l’honneur de ton nom, Seigneur, tu me feras
in æquitate tua, educes de tribulatione animam meam, vivre ;
par ta justice tu me sortiras de la détresse ;
12 12
et in misericordia tua disperdes inimicos meos, par ta fidélité tu extermineras mes ennemis
et perdes omnes qui tribulant animam meam, et tu feras périr tous mes adversaires,
quoniam ego servus tuus sum. car je suis ton serviteur.
Gloria…

Psaume 148
1
1
Laudate Dominum de cælis ; Louez le Seigneur depuis les cieux :
laudate eum in excelsis. louez-le dans les hauteurs ;
2
2
Laudate eum, omnes angeli ejus ; louez-le, vous tous ses anges ;
laudate eum, omnes virtutes ejus. louez-le, vous toute son armée ;
3
3
Laudate eum, sol et luna ; louez-le, soleil et lune ;
laudate eum, omnes stellæ et lumen. louez-le, vous toutes les étoiles brillantes ;
4
4
Laudate eum, cæli cælorum ; louez-le, vous les plus élevés des cieux,
et aquæ omnes quæ super cælos sunt, et vous les eaux qui êtes par-dessus les cieux.
5
5
laudent nomen Domini. Qu’ils louent le nom du Seigneur,
Quia ipse dixit, et facta sunt ; car il commanda, et ils furent créés.
ipse mandavit, et creata sunt. 6
6
Statuit ea in æternum, et in sæculum sæculi ; Il les établit à tout jamais ;
præceptum posuit, et non præteribit. il fixa des lois qui ne passeront pas.
7
7
Laudate Dominum de terra, Louez le Seigneur depuis la terre :
dracones et omnes abyssi ; dragons et vous tous les abîmes,
8
8
ignis, grando, nix, glacies, spiritus procellarum, feu et grêle, neige et brouillard,
quæ faciunt verbum ejus ; vent de tempête exécutant sa parole,
9
9
montes, et omnes colles ; montagnes et toutes les collines,
ligna fructifera, et omnes cedri ; arbres fruitiers et tous les cèdres,
10
10
bestiæ, et universa pecora ; bêtes sauvages et tout le bétail,
serpentes, et volucres pennatæ ; reptiles et oiseaux,
11
11
reges terræ et omnes populi ; rois de la terre et tous les peuples,
principes et omnes judices terræ ; princes et tous les chefs de la terre,
12
12
juvenes et virgines ; senes cum junioribus, jeunes gens, vous aussi jeunes filles,
laudent nomen Domini : vieillards et enfants !
13
13
quia exaltatum est nomen ejus solius. Qu’ils louent le nom du Seigneur,
car son nom est sublime, lui seul,
sa splendeur domine la terre et les cieux.
14
14
Confessio ejus super cælum et terram ; Il a relevé le front de son peuple.
et exaltavit cornu populi sui. Louange pour tous ses fidèles,
Hymnus omnibus sanctis ejus ; les fils d’Israël, le peuple qui lui est proche !
filiis Israël, populo appropinquanti sibi.
— 41 —

Psaume 150
1
1
Laudate Dominum in sanctis ejus ; Louez Dieu dans son sanctuaire ;
laudate eum in firmamento virtutis ejus. louez-le dans la forteresse de son firmament.
2
2
Laudate eum in virtutibus ejus ; Louez-le pour ses prouesses ;
laudate eum secundum multitudinem magnitudinis louez-le pour tant de grandeur.
ejus. 3
3
Laudate eum in sono tubæ ; Louez-le avec sonneries de cor ;
laudate eum in psalterio et cithara. louez-le avec harpe et cithare ;
4
4
Laudate eum in tympano et choro ; louez-le avec tambour et danse ;
laudate eum in chordis et organo. louez-le avec cordes et flûtes ;
5
5
Laudate eum in cymbalis benesonantibus ; louez-le avec des cymbales sonores ;
laudate eum in cymbalis jubilationis. louez-le avec les cymbales de l’ovation.
6
6
Omnis spiritus laudet Dominum ! Que tout ce qui respire loue le Seigneur !

Types tonals

Incipit vx clés arm. finale mode


1. Domine, ne in furore 5 c1  ré2 1
2. Beati quorum remissae sunt 5 c1  sol1 2
3. Domine, ne in furore 5 c1  mi1 3
4. Miserere mei, Deus 5 contr  mi1 4
ob.
5. Domine, exaudi orationem 5 g2  fa2 5
6. De profundis clamavi 5 c1  fa1 6
7. Domine, exaudi orationem 5 g2  sol1 7
8. Laudes Domini 5 c1  sol1 8

Les Psaumes de la pénitence de Lassus se caractérisent par un découpage des œuvres


en sections, souvent basées sur un seul verset. Dans l’analyse, il convient toutefois de prendre
en considération les œuvres dans leur totalité pour en comprendre le déroulement modal et
rhétorique.

Analyse du motet 7 : Domine, ne in furore

Plan formel et cadences

1. Domine, exaudi orationem meam ; auribus percipe obsecrationem meam in veritate tua ;
exaudi me in tua justitia. sol2
2. Et non intres in judicium cum servo tuo, Domine, quia non justificabitur in conspectu tuo
omnis vivens. ré2
3. Quia persecutus est inimicus animam meam ; humiliavit in terra vitam meam ; sol1
4. Collocavit me in obscuris, sicut mortuos sæculi. Et anxiatus est super me spiritus meus ;
in me turbatum est cor meum. ré2
5. Memor fui dierum antiquorum ; meditatus sum in omnibus operibus tuis, et in factis
manuum tuarum meditabar. sol1
6. Expandi manus meas ad te ; anima mea sicut terra sine aqua tibi. sol3
7. Velociter exaudi me, Domine ; defecit spiritus meus. sol1
8. Non avertas faciem tuam a me, et similis ero descendentibus in lacum. sol1
9. Auditam fac mihi mane misericordiam tuam, quia in te speravi. ré2
10. Notam fac mihi viam in qua ambulem, quia ad te levavi animam meam. sol2
11. Eripe me de inimicis meis, Domine : ad te confugi. Doce me facere voluntatem tuam,
quia Deus meus es tu. sol2
12. Spiritus tuus bonus deducet me in terram rectam. Propter nomen tuum, Domine,
vivificabis me : in æquitate tua. ré2
— 42 —

13. Educes de tribulatione animam meam, et in misericordia tua disperdes omnes inimicos
meos, sol1
14. Et perdes omnes qui tribulant animam meam, quoniam ego servus tuus sum. sol1
15. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto ré2
16. Sicut erat in principio et nunc et semper, et in secula seculorum. Amen sol1

On observe que le découpage du motet ne respecte pas strictement les versets du


psaume. Les deux dernières sections du motet (15 et 16) ne font pas partie de ce dernier, mais
correspondent à la doxologie, une formule conclusive traditionnellement chantée après chaque
psaume.
Selon sa place dans le recueil, ce motet correspond au mode 7. Les tessitures vocales
théoriques sont les suivantes.

Un dépassement d’un degré vers l’aigu ou vers le grave n’a rien d’anormal et on a vu
dans les chansons que des dépassements plus importants peuvent également se produire.
Lorsqu’une voix déborde davantage de sa tessiture théorique, il peut s’agir d’un effet
rhétorique. Tel est sans doute le cas des passages suivants :
• 3/11 sqq. (basse sur humiliavit in terra in vitam meam ; il m’a terrassé, écrasé)
• 4/2 sqq. (soprano, quinta vox et basse sur collocavit me in obscuris, sicut
mortuos sæculi ; et anxiatus est super me spiritus meus ; turbatum est cor
meum ; il m’a fait habiter dans les ténèbres, comme les morts des temps
passés ; je suis à bout de souffle)
• 8/10 (basse sur avertas ; cache, détourne)
• 8/22 sqq. (toutes les voix sur descendentibus in lacum ; ceux qui descendent
dans la fosse) ;
• 13/19-21 (basse sur inimicos meos ; mes ennemis)
• 14/14-15 (basse sur servus tuus sum ; je suis ton serviteur).
Les cas suivants sont plus ambigus :
• 5/13 (alto et basse sur et in factis ; l’œuvre [de tes mains])
• 9/19 et 24 (alto sur speravi ; je compte sur toi)
• 10/10 sqq. (basse sur notam fac ; révèle-moi)
• 10/11-12 (alto sur qua ambulem ; à suivre)
• 12/8 et 14-15 (soprano sur Propter nomen tuum, Domine, vivificabis me : in
æquitate tua ; pour l’honneur de ton nom, Seigneur, tu me feras vivre ; par ta
justice)
— 43 —

• 15/10 sqq. (alto et basse sur Spiritui ; l’Esprit)


• 16/7 (basse sur erat ; était)
• 16/31 (basse sur amen)
Les derniers exemples montrent qu’il ne faut pas chercher à interpréter toute
irrégularité de la tessiture en termes de rhétorique musicale. La doxologie est une formule à
fait standardisée sur laquelle les effets rhétoriques sont peu pertinents.
L’analyse des cadences se révèle relativement conforme aux normes du septième
mode, moyennant quelques effets rhétoriques. On observe que toutes les sections se terminent
soit sur la finale du mode, soit sur sa teneur. À l’intérieur des sections, les cadences les plus
remarquables sont les suivantes :
• 1/13, mi (obsecrationem meam ; mes supplications)
• 1/15, la (in mi ; in veritate tua ; par ta fidélité)
• 3/11, la (in mi ; humiliavit in terra ; il m’a terrassé)
• 7/7, sol – irrégulière parce qu’elle tombe sur un temps faible (defecit spiritus
meus ; je suis à bout de souffle)
• 9/13 : la (in mi ; in te speravi : je compte sur toi)
• 10/22-23 : sol aigu (levavi animam meam ; je suis tendu vers toi)
Quelques autres effets rhétoriques frappent dès la première audition
• 3/1-4 : début en imitation (appelé fuga à l’époque) sur Quia persecutus
(l’ennemi m’a persécuté) ; idem au début de 13, sur Educes (tu me sortiras)
• 4/5-8 : altération modale sensible (sicut mortuos ; comme les morts)
• 7/1-4 : accélération rythmique (velociter exaudi me, Domine ; vite, réponds-
moi)
• 10/1-11 : mélismes sur viam et ambulem (chemin à suivre)

4.3 Giovanni Pierluigi da Palestrina, Il primo libro de madrigali a cinque


voci, Venezia, Angelo Gardano, 1581 (RISM P761)

Le cycle Vergine bella de Giovanni Pierluigi da Palestrina s’inscrit dans une tradition
musicale qui remonte à Guillaume Dufay. Il se compose de huit madrigaux spirituels basés
sur un poème du Canzoniere de Pétrarque (1304-1374). Le Canzoniere est un recueil en
langue vernaculaire qui décrit la vie intérieure de Pétrarque et sa passion (inassouvie) pour
Laura, une femme qu’il aurait rencontrée le vendredi saint de l’année 1327. Etant mariée,
Laura aurait refusé les avances du poète, qui resta amoureux d’elle jusqu’à la fin de ses jours.
Au départ, le Canzoniere n’est donc pas une œuvre religieuse, mais elle se termine par une
longue prière à la Vierge, Vergine bella, qui revêt à la fois la forme d’une imploration et
d’une conclusion. Ecrite après la mort de Laura, c’est une prière d’intercession dans laquelle
le poète demande à Marie de le « secourir dans sa guerre », c’est-à-dire de l’aider à convertir
son amour terrestre en un amour plus noble. Le ton n’est pas apaisé : on sent le poète torturé à
la fois par sa passion et son angoisse face à la mort.
Des passages du poème Vergine bella ont fait l’objet d’une mise en polyphonie par
Dufay durant la première moitié du XVe siècle, puis par Cyprien de Rore, Palestrina et
— 44 —

plusieurs autres compositeurs italiens. Palestrina utilise les huit premières strophes du poème
de Pétrarque (il omet les strophes grisées ci-dessous), dont il fait autant de madrigaux
spirituels. Ceux-ci servent d’introduction à un recueil de plus vaste envergure publié en 1581,
mais dont seuls les huit premières œuvres sont classées modalement.

Texte7

Vergine bella, che di sol vestita8, Ô Vierge belle, vêtue de soleil


coronata di stelle, al sommo Sole d’étoiles couronnée, qui au plus haut Soleil
piacesti sì che ‘n te sua luce ascose, plus tant qu’en toi sa lumière il cela,
amor mi spinge a dir di te parole; Amour me pousse à dire mots de toi,
ma non so ‘ncominciar senza tu’ aita mais ne sais commencer sans aide tienne
e di Colui ch’amando in te si pose. et de Qui par amour en toi vint se poser ;
Invoco le che ben sempre rispose, j’invoque Celle qui toujours a exaucé
chi la chiamò con fede: qui l’appelle avec foi.
Vergine, s’a mercede Vierge, si à merci
miseria estrema de l’umane cose misère extrême des choses humaines
già mai ti volse, al mio prego t’inchina; jamais te disposa, écoute ma prière ;
soccorri a la mia guerra, secours-moi en ma guerre,
bench’i’ sia terra – e tu del ciel regina. encor que je sois terre et toi reine du ciel.

Vergine saggia, e del bel numero una9 Ô Vierge sage, et l’une du beau nombre
de le beate vergini prudenti, des bienheureuses vierges prudentes,
anzi la prima e con più chiara lampa; ou mieux la prime, avec plus claire lampe ;
o saldo scudo de l’afflitte genti solide bouclier des affligés
contr’ a’ colpi di Morte e di Fortuna, contre les coups de Mort et de Fortune,
sotto ‘l qual si triunfa, non pur scampa; sous lequel on triomphe plus qu’on ne se sauve ;
o refrigerio al cieco ardor ch’avampa fraîcheur contre l’ardeur aveugle qui enflamme
qui fra i mortali sciocchi; les mortels insensés ;
Vergine, que’ belli occhi, Vierge, que tes beaux yeux,
che vider tristi la spietata stampa10 qui ont vu tristement l’empreinte impitoyable
ne’ dolci membri del tuo caro figlio, sur les doux membres du Fils bien-aimé,
volgi al mio dubio stato, voient mon sort incertain,
che sconsigliato – a te vèn per consiglio. qui sans conseil vient te quérir conseil.

Vergine pura, d’ogni parte intera, Ô Vierge pure, en toute part intègre,
del tuo parto gentil figliuola e madre, de ton enfant gentil et fille et mère,
ch’allumi questa vita e l’altra adorni, toi qui éclaires cette vie et ornes l’autre,
per te il tuo Figlio e quel del sommo Padre, par toi ton Fils, et du Père suprême,
o fenestra del ciel lucente, altera, ô fenêtre du ciel, haute et brillante,
venne a salvarne in su li estremi giorni; vint nous sauver en ces ultimes jours :
e fra tutt’i terreni altri soggiorni entre tous autres terrestres séjours
sola tu fosti eletta, seule tu fus élue,
Vergine benedetta, toi, ô Vierge bénie,
che ‘l pianto d’Eva in allegrezza torni. qui le pleur d’Eve tourne en allégresse.
Fammi, chè puoi, de la sua grazia degno, Rends-moi, car tu le peux, digne de grâce
senza fine o beata, ô sans fin bienheureuse
già coronata – nel superno regno. et déjà couronnée au royaume souverain.

Vergine santa, d’ogni grazia piena, Ô Vierge sainte, emplie de toute grâce,

7
Traduction d’après Pétrarque, Le chansonnier, traduction, introduction et notes par Gérard Genot, Paris,
Aubier-Flammarion, 1969, p. 267-273.
8
Cf. Apocalypse 12, 1
9
Référence à la parabole des vierges sages et des vierges folles, Matthieu 25.
10
Les stigmates.
— 45 —

che per vera et altissima umiltate qui par sincère et haute humilité
salisti al ciel, onde miei preghi ascolti, montas au ciel où t’atteint ma prière,
tu partoristi il fonte di pietate tu enfantas la source de pitié,
e di giustizia il sol, che rasserena le Soleil de justice, qui éclaire
il secol pien d’errori oscuri e folti. le siècle plein d’erreurs obscures et nombreuses ;
Tre dolci e cari nomi hai in te raccolti, ces trois noms doux et chers as recueillis en toi,
madre, figliuola e sposa; mère, fille et épouse ;
Vergine gloriosa, ô Vierge glorieuse,
Donna del Re che nostri lacci ha sciolti Dame du roi qui nos liens dénoua
e fatto ‘l mondo libero e felice, et le monde rendit libre et heureux,
ne le cui sante piaghe dans ses très saintes plaies
prego ch’appaghe – il cor, vera beatrice. je te prie d’apaiser mon cœur, vraie béatrice.

Vergine sola al mondo, senza essempio, Ô Vierge unique au monde et sans pareille,
che ‘l ciel di tue bellezze innamorasti, qui as épris le ciel de tes beautés,
cui né prima fu simil, né seconda, nulle ne t’est première, ou semblable, ou seconde ;
santi pensieri, atti pietosi e casti tes saints pensers, tes actes pieux et chastes
al vero Dio sacrato e vivo tempio ont fait un temple sacré et vivant
fecero in tua verginità feconda. au vrai Dieu en ton sein virginal et fécond.
Per te po’ la mia vita esser ioconda, Par toi ma vie peut être emplie de liesse,
s’a’ toui preghi, o Maria, Marie, si tes prières,
Vergine dolce e pia, Vierge douce et pieuse,
ove ‘l fallo abondò la grazia abonda. où l’erreur abonda fait abonder la grâce.
Con le ginocchia de la mente inchine, Et, les genoux de mon âme ployés,
prego che sia mia scorta, je prie que tu m’escortes,
e la mia tòrta – via drizzi a buon fine. et ma voie détournée à bonne fin redresses.

Vergine chiara e stabile in eterno, Vierge resplendissante et stable en l’éternel,


di questo tempestoso mare stella, étoile de la mer tempêtueuse,
d’ogni fedel nocchier fidata guida, de tout nocher confiant guide assuré,
pon mente in che terribile procella considère dans quelle effrayante bourrasque
i’ mi ritrovo, sol, senza governo, je me retrouve seul, sans gouvernail,
et ho già da vicin l’ultime strida. entendant de tout près les hurlements ultimes.
Ma pur in te l’anima mia si fida; Pourtant en toi mon âme se confie,
peccatrice, i’ nol nego, j’en conviens, pécheresse,
Vergine; ma ti prego Vierge, mais je te prie
che ‘l tuo nemico del mio mal non rida. que de mon mal ton ennemi ne rie :
Ricorditi che fece il peccar nostro rappelle-toi que nos péchés ont fait
prender Dio per scamparne, que Dieu pour nous sauver
umana carne -al tuo virginal chiostro. prit chair d’homme en ton cloître virginal.

Vergine, quante lagrime ho già sparte, Vierge, combien de pleurs j’ai répandus,
quante lusinghe e quanti preghi indarno, de flatteries, de prières en vain,
pur per mia pena e per mio grave danno! seulement pour ma peine et mon mal accablant.
Da poi ch’i’ nacqui in su la riva d’Arno11, Depuis que je naquis sur la rive d’Arno,
cercando or questa et or quell’altra parte, parcourant ore l’une ore l’autre contrée,
non è stata mia vita altro ch’affanno. ma vie ne fut rien autre que tourment.
Mortal bellezza, atti e parole m’hanno Beauté d’une mortelle, son air, ses paroles
tutta ingombrata l’alma. m’ont tout encombré l’âme.
Vergine sacra et alma Vierge sainte et divine,
non tardar, ch’i’ son forse a l’ultimo anno. ne tarde point, j’en suis peut-être au dernier an,
I dì miei, più correnti che saetta, et mes jours qui s’envolent plus vite que flèche
fra miserie e peccati en misère et péché,
sonsen andati, - e sol Morte n’aspetta. s’en sont allés, et seule Mort m’attend.

Vergine, tale12 è terra, e posto ha in doglia Vierge, elle est faite terre et elle a mis en deuil
lo mio cor, che vivendo in pianto il tenne, mon cœur, que dans sa vie en larmes tint ;

11
A Arezzo.
12
C’est-à-dire Laura.
— 46 —

e de mille miei mali un non sapea; et de mes mille maux n’en savait un,
e per saperla, pur quel che n’avvenne et quand elle l’eût su, ce qui advint
fora avenuto; ch’ogni altra sua voglia certes fût advenu, car un autre vouloir
era a me morte et a lei fama rea. était ma mort et son mauvais renom.
Or tu, Donna del ciel, tu nostra Dea, Or toi, Dame du ciel, notre Déesse,
se dir lice e convensi, si ce mot est permis,
Vergine d’alti sensi, Vierge aux sens élevés,
tu vedi il tutto; e quel che non potea tu vois bien tout, et ce que ne pouvait
far altri, è nulla a la tua gran vertute: faire aucune autre est peu pour ta puissance,
por fine al mio dolore; mettre fin à mon deuil ;
ch’a te honore – et a me fia salute. ce sera ton honneur, et mon salut.

Vergine, in cui ho tutta mia speranza Vierge, en qui j’ai toute mon espérance
che possi e vogli al gran bisogno aitarme, que pourras et voudras au grand besoin m’aider,
non mi lasciare in su l’estremo passo ne m’abandonne point à l’ultime passage ;
non guardar me, ma chi degnò crearme; vois, non pas moi, mais Qui a daigné me créer ;
no ‘l mio valor, ma l’alta sua sembianza, non ma valeur, mais sa haute semblance
ch’è in me, ti mova a curar d’uom sì basso. en moi t’émeuve à prendre soin d’homme si bas.
Medusa e l’error mio m’han fatto un sasso Méduse et mes erreurs m’ont fait rocher
d’umor vano stillante. d’où jaillit vaine humeur.
Vergine, tu di sante Ô vierge, toi, de saintes
lagrime e pie adempi ‘l meo cor lasso; larmes pieuses remplis mon cœur las,
ch’almen l’ultimo pianto sia devoto, qu’au moins le dernier pleur soit de dévotion
senza terrestre limo, sans terreste limon,
come fu ‘l primo – non d’insania voto. quand le premier ne fut pas sans folie.

Vergine umana e nemica d’orgoglio, Vierge humaine et d’orgueil ennemie,


del comune principio amor t’induca: L’amour t’engage du commun principe,
miserere d’un cor contrito, umile,; miserere d’un cœur humble et contrit
ché, se poca mortale terra caduca si j’ai coutume, avec foi merveilleuse
amar con sì mirabil fede soglio, d’aimer un peu de terre fragile et mortelle
che devrò far di te, cosa gentile? que ferai-je pour toi, être gentil ?
Se dal mio stato assai misero e vile Et si de mon état bien misérable et vil
per le tue man resurgo. par tes mains me relève
Vergine, i’ sacro e purgo Vierge, je consacre et purifie
al tuo nome e pensieri e ‘ngegno e stile, en ton nom mes pensées, mon esprit et mon style,
la lingua e ‘l cor, le lagrime e i sospiri. et ma langue et mon cœur, mes larmes, mes soupirs.
Scorgimi al miglior guado, Escorte-moi au meilleur gué,
e prendi in grado – i cangiati desiri. et prends en gré mes désirs convertis.

Il dì s’appressa, e non pote esser lunge, Le jour s’approche et ne peut être loin,
sì corre il tempo e vola, car le temps court et vole,
Vergine unica e sola; ô Vierge unique et seule,
e ‘l cor or coscienza or morte punge. la conscienet et la mort poignent mon cœur.
Raccomandami al tuo Figliuol, verace Recommande-moi donc à ton Fils,
uomo e verace Dio, homme vrai et vrai Dieu,
ch’accolga ‘l mio – spirto ultimo in pace. qu’il accueille mon souffle dernier en sa paix.

Sur le plan formel, le poème de Pétrarque est une canzona, un genre majeur de la
poésie italienne. D’origine provençale, la canzona arriva en Italie au XIIIe siècle. Dante en fixa
les règles dans son De vulgari eloquentia. Les sujets de la canzona sont parmi les plus élevés :
les armes, l’amour, la vie morale, etc. Le poème se compose d’une série de stanze ou strophes
de structure identique. Chaque strophe comporte deux parties : la fronte et la sirma (traîne).
La fronte consiste généralement en deux piedi d’égale longueur et qui riment entre eux. Le
premier vers de la sirma s’appelle la chiave et rime avec le vers qui précède. C’est un
moment-charnière du discours poétique. Les deux derniers vers de chaque strophe portent le
— 47 —

nom de distico finale et constituent un moment fort. La canzone se termine par un envoi
(congedo, commiato).
Dans la canzona, les vers peuvent être uniquement des hendécasyllabes ou des
hendécasyllabes mêlés à des septénaires. Leur arrangement doit être constant tout au long de
la canzone, dans chaque strophe. Dans la poésie italienne, l’hendécasyllabe est un vers
privilégié depuis Dante. Il s’agit en théorie d’un vers de onze syllabes, mais en pratique, c’est
plus spécifiquement un vers qui porte l’accent tonique sur la dixième syllabe, souvent (mais
pas toujours) suivie d’une syllabe non accentuée. Dans le comptage des syllabes, il importe de
noter que lorsqu’un mot se termine par une voyelle et que le suivant commence par une
voyelle, on ne compte qu’une seule syllabe : coronata di stelle, al sommo Sole.

Vergine bella, che di sol vestita, A Fronte Piede 1


coronata di stelle, al sommo Sole B
piacesti sì che ‘n te sua luce ascose, C
amor mi spinge a dir di te parole; B Piede 2
ma non so ‘ncominciar senza tu’ aita A
e di Colui ch’amando in te si pose. C
Invoco le che ben sempre rispose, C Sirma Chiave
chi la chiamò con fede: d (pas de subdivision)
Vergine, s’a mercede d
miseria estrema de l’umane cose C
già mai ti volse, al mio prego t’inchina; E
soccorri a la mia guerra, f
bench’i’ sia terra – e tu del ciel regina. E

N.B. Dans l’analyse de la poésie italienne, les majuscules indiquent des vers de onze
syllabes et les minuscules des vers plus courts, brisés, généralement de sept syllabes.

Modes et types tonals

Incipit vx clés arm. finale Mode


1. Vergine bella 5 g2  la2 1
2. Vergine saggia 5 g2  ré2 2
3. Vergine pura 5 c1  mi2 3
4. Vergine santa 5 cont  mi2 4
rob.
5. Vergine sola 5 g2  fa2 5
6. Vergine chiara 5 c1  fa1 6
7. Vergine, quante lagrime 5 g2  sol2 7
8. Vergine, tale è terra 5 c1  sol1 8

Analyse de Vergine, tale è terra

Il s’agit du dernier madrigal de la série, dans lequel le poète souligne l’opposition


entre Laura, morte et réduite en poussière, et la Vierge, qu’il va jusqu’à déifier. Laura, dit-il,
n’a jamais su les maux qu’il a endurés à cause d’elle. Et même si elle les avait connus, cela
n’aurait rien changé, parce que si elle avait nourri d’autres désirs que ceux que son état de
femme mariée lui permettait, c’eut été la mort pour Pétrarque et le déshonneur pour elle. La
— 48 —

chiave marque un tournant dans la strophe : le poète se tourne vers Marie pour qu’il le délivre
de sa souffrance.
Le madrigal est attribué au mode 8, qui correspond aux tessitures théoriques suivantes.

Le compositeur respecte ces tessitures de manière assez scrupuleuse et n’opère guère


de dépassements supérieurs à la seconde.

rimes cad. cadences


int. finales

1. Vergine, tale è terra, e posto ha in doglia A enjambement


2. lo mio cor, che vivendo in pianto il tenne, B sol do sol (sur do)
3. e de mille miei mali un non sapea; C ré
4. e per saperla, pur quel che n’avvenne B sol
5. fora avenuto; ch’ogni altra sua voglia A do do mi la ré
6. era a me morte et a lei fama rea. C sol do sol
7. Or tu, Donna del ciel, tu nostra Dea, C do do
8. se dir lice e convensi, d (do)
9. Vergine d’alti sensi, d (sol)
10. tu vedi il tutto; e quel che non potea C enjambement
11. far altri, è nulla a la tua gran vertute: E do
12. por fine al mio dolore; f ré fa (sol)
13. ch’a te honore – et a me fia salute. E ré sol sol

Sur le plan modal, les vers se terminent pour la plupart sur des degrés cadentiels
« normaux », sauf en cas d’enjambement. On note deux cadences irrégulières au vers 5, qui
pourraient traduire la nature « fautive » d’une éventuelle passion de Laura à l’égard de
Pétrarque. La cadence sur fa du vers 12 reflète sûrement le mot dolore. Notons enfin la
cadence de la mes. 100, également sur dolore, dont le degré cadentiel est ré, mais qui se
résout de manière totalement anormale sur sol.

5 Travaux

En vue de l’examen, chaque étudiant analysera une œuvre de chacun des recueils
abordés ci-dessus. Les œuvres ne peuvent pas toutes les trois appartenir au même mode.

Le travail abordera les points suivants :


— 49 —

• le texte poétique (auteur, structure, etc.) ;


• les cadences et leur (non-)correspondance avec la structure du texte ;
• le type tonal et les tessitures vocales, ainsi que leur adéquation avec le mode ;
• les madrigalismes mélodiques, rythmiques, contrapuntiques, modaux.

Les analyses seront accompagnées d’enregistrements de bonne qualité.

6 Bibliographie

• Peter BERGQUIST, « Modal Ordering within Orlando di Lasso’s publications »,


Orlando di Lasso Studies, sous la dir. de Peter Bergquist, Cambridge,
Cambridge University Press, 1999, p. 203-226.
• Tim CARTER, « Word-painting », Grove Music Online. Oxford Music Online.
• Knud JEPPESEN, Der Palestrinastil und die Dissonanz, Leipzig, 1925.
• Nicolas MEEUS, Théorie modale. Moyen Âge et Renaissance, Paris, Université
de Paris Sorbonne, 2005 (www.plm.paris-sorbonne.fr/spip.php?article251).
• Bernhard MEIER, Die Tonarten der klassischen Vokalpolyphonie nach den
Quellen dargestellt, Utrecht, Oosthoek, Scheltema & Holkema, 1974
(traduction anglaise approuvée par l’auteur : The Modes of Classical Vocal
Polyphony, Described According to the Sources, trad. par Ellen S. Beebe, New
York, Broude, 1988).
• Bernhard MEIER, Alte Tonarten, dargestellt an der Instrumentalmusik des 16.
und 17. Jahrhunderts, Kassel, Bärenreiter, 2/1994.
• Harold S. POWERS, « Tonal Types and Modal Categories in Renaissance
Polyphony », Journal of the American Musicological Society, 34 (1981), p.
435-436.
• Harold POWERS, « ‘Is Mode Real’? Pietro Aron, the Octenary System, and
Polyphony », Basler Jahrbuch für historische Musikpraxis, 16 (1992), p. 9-52.
• Rudolf RASCH, « Modes, Clefs, and Transpositions in the Early Seventeenth
Century », Théorie et analyse musicales – 1450-1650 – Music Theory and
Analysis, sous la dir. d’A.-E. Ceulemans et de B. J. Blackburn, Louvain-la-
Neuve, Département d’histoire de l’art et d’archéologie, 2001, p. 403-432.
• Stefan SCHULZE, Die Tonarten in Lassos Busspsalmen: mit einem Vergleich
von Alexander Utendals und Jacob Reiners Busspsalmen (Tübinger Beiträge
zur Musikwissenschaft, 9), Neuhausen-Stuttgart, Hänssler, 1984.
• Frans WIERING, « Internal and External Views of the Modes », Tonal
Structures in Early Music, sous la dir. de Cristle Collins Judd, New York-
Londres, Garland, 1998, p. 87-107.
• Frans WIERING, The Language of the Modes. Studies in the History of
Polyphonic Music, New York-Londres, Routledge, 2001.
• Frans WIERING et Harold S. POWERS, « Mode », Grove Music Online. Oxford
Music Online.

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