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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

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CÉCILE COULON, LAURÉATE L’ÉVÉNEMENT DE LA RENTRÉE DES LIVRES

BREXIT : LA STRATÉGIE COMPROMISE DE BORIS JOHNSON 
▶ Le premier ministre
britannique a essuyé
▶ Les parlementaires ont
largement adopté la loi
▶ La Chambre des lords
devrait à son tour adopter
▶ Johnson a perdu sa
majorité, et les 21 députés 1 ÉDITORIAL
un deuxième camouflet, qui l’oblige à demander très rapidement le texte, « rebelles » comptent des DANGER POPULISTE
mercredi 4 septembre, un report du Brexit avant la suspension de figures du parti, dont le
devant la Chambre des à Bruxelles, pour éviter la session du Parlement, petit­fils de Churchill AU ROYAUME­UNI
communes, à Westminster un « no deal » le 31 octobre la semaine prochaine PAG ES 2- 3 PAG E 29

Retraites ITALIE 
Le gouvernement 
veut « un mini­ Thomas Piketty ▶ L’économiste publie
« Capital et Idéologie »
Un gouvernement 
anti­Salvini

L’inégalité
(Seuil), après « Le
grand débat » Capital au XXIe siècle »,
paru en 2013 et vendu
giuseppe conte a prêté serment,
jeudi 5 septembre, après avoir
Tout en assurant vouloir à 2,5 millions formé le 66e gouvernement de

est idéologique
mener à bien la réforme, d’exemplaires l’histoire de la République ita­
lienne. Ce front « anti­Salvini »
Edouard Philippe souhaite ▶ « Le Monde » en respecte l’équilibre entre ses
une phase de concerta­ propose des extraits deux composantes, le Mouve­
tion sur ce dossier sociale­ et a demandé à des ment 5 étoiles (M5S, antisystème)

et politique
ment explosif. La droite et le Parti démocrate (centre gau­
intellectuels de les lire che). Luigi Di Maio, le chef politi­
crie à la pusillanimité et de les commenter que du M5S, est ministre des
PAGE 7 affaires étrangères.
PAGE S 24- 25 PAGE 4

MANGER DEMAIN 5|6
Les lentilles  Hongkong
miraculeuses L’opposition
ORSETTA CAUSA ESTHER JAMES BRANKO ne relâche pas
du Canada et NICOLAS RUIZ DUFLO GALBRAITH MILANOVIC la pression
Les agriculteurs de la « Un ouvrage « L’une des « Une vision « Une utilisation
Saskatchewan ont fait du qui bouscule leçons est que du monde novatrice des Après le retrait du projet
pays le premier produc­ notre savoir rien n’est écrit franco et anglo- données » de loi sur l’extradition, les
teur mondial de la légumi­ économique » d’avance » centrée » DÉBATS – PAG ES 2 6- 27
manifestants rappellent
neuse, riche en protéines leurs autres revendications
PAGES 15 À 17 PAG E 5

Immobilier Forte hausse de la taxe foncière Sénat
Gérard Larcher DÉCOUVREZ LA VERSION
mauvaise surprise dans les boî­ des logements, qui n’avait pas été nouvelle arrive alors que les prix durcit le ton ÉLECTRIQUE DU CONFORT
tes aux lettres de nombreux pro­
priétaires : la taxe foncière a été
modifiée depuis 1970. Les haus­
ses peuvent atteindre de 8 % à
de l’immobilier, à Paris et dans
certaines grandes villes, ne ces­
contre l’exécutif ABSOLU À PARTIR DE

2990 €
fortement revalorisée cette an­ 30 % en certains endroits. Les sent de grimper et alimentent les PAGE 10
née. Cette hausse est justifiée par élus locaux s’inquiètent de la gro­ craintes d’une bulle spéculative.
une révision de la valeur locative gne de leurs administrés. Cette
Education
PAGE 1 2
seulement !
Dans le désert
LE REGARD DE PLANTU scolaire, ce village
qui a dû ouvrir
une école privée…
PAGE 8

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Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
INTERNATIONAL
0123
2| VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

C R I S E   P O L I T I Q U E   A U   R OYA U M E ­ U N I

Johnson perd
le contrôle
de son Brexit
Le premier ministre a subi deux nouveaux
camouflets au Parlement. La loi demandant
un report du Brexit a été approuvée
et les députés refusent pour l’instant
l’organisation d’élections générales

londres ­ correspondante dissolution du Parlement. Mais cette


dernière ne peut advenir qu’avec les

B
oris Johnson, déjà la sortie de deux tiers des voix aux Communes. Or,
route ? Mercredi 4 septembre, en fin de soirée mercredi, le compte n’y est
six semaines à peine après pas du tout… M. Johnson avait besoin de
son arrivée à Downing Street, 434 voix, il n’en obtient que 298.
le premier ministre britanni­ Les votes travaillistes, indispensables, Boris Johnson
que a perdu la maîtrise de sa manquent largement à l’appel. Pris à partie à la Chambre
stratégie sur le Brexit, celle de son calendrier par un Boris Johnson électrique, Jeremy des communes,
et même celle de son propre camp, en pleine Corbyn explique avoir voulu éviter un le 4 septembre,
crise interne. La veille, déjà, Boris Johnson « piège ». « C’est un mouvement cynique de la à Londres.
avait encaissé coup sur coup la défection part d’un premier ministre cynique », ajoute JESSICA TAYLOR/AFP
d’une vingtaine de tories de premier plan, le leader travailliste, dans une Chambre des
perdu sa majorité et cédé le contrôle de communes survoltée, les yeux braqués sur
l’agenda législatif à la Chambre des commu­ son premier adversaire politique. « Notre
nes. « Il y aura des bosses sur la route », priorité est d’éviter un “no deal”, de finir
avait­il prévenu fin août, à propos d’un d’adopter ce texte de loi [anti­“no deal”] », a passé la main fin août, mais reste une voix dirigeants dirigent », souligne aux Commu­
éventuel « no deal » ou d’une négociation assure encore M. Corbyn. très écoutée dans le parti. nes Margot James, une des élues « rebelles »
commerciale avec les Etats­Unis. Avait­il Les « rebelles » tirent aussi à vue, et mise à l’index. Le Telegraph, bien renseigné
prévu d’être aussi secoué, et aussi vite ? UNE DATE JUGÉE RISQUÉE bruyamment, sur le premier ministre. « Je sur M. Cummings, rapporte mercredi soir
La surprise n’est pas totale, mais la claque « Il est devenu le premier leader de l’opposi­ suis un conservateur passionné, mais voir que les relations se sont brusquement ten­
est quand même sonore. Mercredi, vers tion dans l’histoire démocratique de notre les principes du parti mis à la poubelle me dues entre le premier ministre et l’ex­direc­
17 heures, les députés britanniques infligent pays à refuser des élections générales. Je ne BORIS JOHNSON  consterne », assène le très sérieux Dominic teur de la campagne « Leave » en 2016.
à M. Johnson son deuxième camouflet légis­ peux m’empêcher de penser que la seule rai­ « A UNE TRÈS GRANDE Grieve, ex­attorney general (haut magistrat Le doute gagnerait­il Downing Street ? Il y
latif en deux jours, votant à une majorité son pour laquelle il refuse, c’est qu’il pense conseiller juridique du gouvernement), qui a une semaine, le premier ministre sem­
confortable (28 voix) une loi l’obligeant à al­ qu’il va perdre », éructe Boris Johnson. Le chef RESPONSABILITÉ,  participe à un rassemblement de militants blait en position de force : il venait d’annon­
ler quémander un report de la date du Brexit des travaillistes rêve pourtant d’élections anti­Brexit, devant les grilles du Parlement. cer la suspension du Parlement pendant
au 31 janvier 2020. Le but ? Eviter une sortie générales depuis deux ans. Tout comme les JE LUI DEMANDE  Aux Communes, Kenneth Clarke a lui cinq longues semaines, à partir du 9 sep­
sans accord le 31 octobre, brutale et très dom­ lib­dem, les Verts et le SNP, le parti nationa­ aussi droit, à plusieurs reprises dans l’après­ tembre, afin de mieux neutraliser des élus
mageable pour l’économie britannique. liste écossais. Mais tous refusent cette date
D’ARRÊTER  midi, aux hommages appuyés de l’oppo­ réfractaires au « no deal ». Désormais, il est
Aux Communes, Boris Johnson a beau rou­ du 15 octobre, jugée trop risquée. Si M. John­ DE TRAITER  sition. Comment le « Father of the House » à la tête d’un gouvernement sans majorité,
ler des yeux, dénoncer une « loi défaitiste », son était réélu, ce jour­là, avec une majorité a­t­il pu être « sorti » des rangs conser­ avec un Parlement qui dit non à presque
jurer qu’il travaille toujours à un accord avec confortable, rien ne l’empêcherait de laisser TOUT CELA  vateurs, alors qu’il siège depuis… 1970 ? tout : les élus ont voté trois fois contre l’ac­
Bruxelles, l’alliance du « non au “no deal” », le pays sortir brutalement de l’UE le 31 octo­ M. Johnson est « maintenant premier minis­ cord de Theresa May, ils ne veulent pas d’un
cet attelage improbable constitué des tra­ bre, sans accord avec Bruxelles… COMME UN JEU » tre, il a une très grande responsabilité, je « no deal », ni d’élections générales à la date
vaillistes, des libéraux, des indépendantistes Plus grave pour le premier ministre : la dé­ KENNETH CLARKE lui demande d’arrêter de traiter tout cela avancée par M. Johnson.
écossais et des « rebelles » conservateurs, fiance à son égard a encore monté d’un cran conservateur membre comme un jeu », lui assène M. Clarke.
tient bon. C’en est presque fini du Brexit « do dans ses propres rangs. L’expulsion, la veille du Parlement depuis 1970 M. Johnson a­t­il commis une grosse bou­ « IL N’A PAS ENCORE PERDU »
or die » (maintenant ou jamais) promis par le au soir, des vingt et un élus tories « rebelles » lette en procédant à une telle « purge », à la Comment le premier ministre peut­il s’ex­
premier ministre pour Halloween. ne passe pas chez les conservateurs. veille de probables élections générales où traire d’un tel piège ? Les élections semblent
La deuxième défaite de la journée est « Au nom de tout ce qui est sacré, n’y a­t­il toutes les voix tories compteront, y compris inévitables. Il peut faire campagne en jouant
encore plus cinglante pour le locataire donc pas de place au sein des conservateurs celles des modérés ? A­t­il trop écouté Domi­ au dirigeant bridé par un Parlement favora­
du 10 Downing Street. M. Johnson avait pour Nicholas Soames, un officier et un nic Cummings, son principal conseiller, ble à l’UE et sourd au vote populaire de 2016,
prévenu : si les députés devaient l’obliger à gentleman ? » : c’est Ruth Davidson qui ouvre architecte de sa stratégie « do or die », et qui a saboté sa stratégie de négociation avec
demander un report du Brexit à Bruxelles, il le bal, mercredi matin, en faisant réfé­ considéré comme un idéologue du Brexit ? Bruxelles… « Il n’a pas encore perdu, la politi­
réclamerait immédiatement des élections rence au petit­fils de Winston Churchill. « La grande Margaret Thatcher avait dit que britannique est devenue extrêmement
générales, le 15 octobre, par le biais d’une L’ex­chef de file des conservateurs écossais une fois que les conseillers conseillent et les volatile et les travaillistes sont très divisés »,
estime Anand Menon, professeur de politi­
que européenne au King’s College.
Les « rebelles », des figures respectées dans les rangs conservateurs Ironie de l’histoire : s’il joue cette option,
Boris Johnson se trouve pris de court par sa
propre décision de suspendre le Parlement à
ce ne sont ni des seconds couteaux ni des tembre au soir, à propos de son ex­Parti conserva­ gouvernement John Major, dans les années 1990. partir du 9 septembre au soir : il faut que d’ici
débutants : les vingt et un « rebelles » expulsés des teur, qu’il ne le reconnaissait plus et qu’il était Après le référendum de 2016, sa voix modérée a là, la loi anti­« no deal » et sa motion visant à
rangs conservateurs pour avoir voulu s’opposer devenu « le parti du Brexit avec un autre badge ». rejoint celle des autres conservateurs centristes, provoquer les élections aient eu le temps
au « no deal » et voté contre leur premier ministre Philip Hammond est une figure tout aussi opposés à un Brexit dur. Mercredi, ému, il a pro­ d’être traitées. Dans la nuit de mercredi, la
sont au contraire des « figures » tories, et c’est bien respectée des Communes. A 63 ans, cet homme noncé un bref discours, à la Chambre des commu­ Chambre des lords a fait savoir que sa lecture
pour cela que leur mise à l’index choque tant. posé a été chancelier de l’Echiquier de Theresa May. nes, pour annoncer la fin de sa carrière politique et du texte serait achevée vendredi 6 septem­
Neuf anciens ministres, dont deux ex­chanceliers Remainer convaincu, il a embrassé la cause du dire adieu à ses « honorables collègues ». Emu mais bre : il serait théoriquement prêt pour l’ul­
de l’échiquier, le petit­fils de Winston Churchill, et Brexit, comme son ex­première ministre, mais a acide : « J’ai toujours pensé que le résultat du réfé­ time assentiment royal, le lundi suivant.
même le « Father of the House », Kenneth Clarke, toujours conservé un point de vue raisonnable rendum devait être honoré. C’est la raison pour A moins que l’opposition aille au vote de
détenteur du plus long mandat à la Chambre des vis­à­vis de Bruxelles. Et régulièrement mis en laquelle j’ai voté pour l’accord de Theresa May défiance, qu’elle a de bonnes chances de
communes, député depuis 1970… garde sur les risques économiques liés au divorce autant de fois qu’il a été mis au vote. Ce n’est pas le gagner, en tout début de semaine pro­
Commençons par lui. L’homme, toujours vaillant d’avec l’Union européenne. Depuis que Boris cas de tous les élus dont la déloyauté a été pour moi chaine… Voire que M. Johnson propose lui­
à 79 ans – et très assidu à Westminster –, a com­ Johnson est à Downing Street, il a pris la tête de l’al­ une grande source d’inspiration… » même ce vote de défiance, mais contre
mencé sa carrière politique en 1970, comme élu liance des « rebelles » tories, qui n’hésitent plus à Avocat issu d’Oxford, Dominic Grieve a été élu lui­même : « C’est possible », expliquait
du Rushcliffe (centre de l’Angleterre), quand Boris discuter avec le camp d’en face, les travaillistes, en 1997 dans le comté du Buckinghamshire. Il siège Maddy Thimont Jack, experte de l’Institute
Johnson entamait l’école primaire. Il a tâté de tous pour éviter à tout prix un « no deal ». depuis lors sans interruption. Ses talents d’orateur of Government, jeudi 5 septembre, au micro
les portefeuilles ministériels (intérieur, éducation, et sa parfaite connaissance du droit ont fait de lui le de la BBC. Tout comme, théoriquement,
santé, finances), a servi sous les gouvernements de Filiation prestigieuse juriste vedette des tories. En 2010, David Cameron une démission, même si Downing Street a
Margaret Thatcher, de John Major et de David Nicholas Soames. A 71 ans, ce député du Sussex le nomme « attorney general ». En 2016, ce franco­ repoussé cette option mercredi… Boris
Cameron. Il est l’un des plus éminents représen­ depuis 1983 est autant connu pour sa carrière que phone et européen convaincu se lance de toutes Johnson veut à tout prix des élections avant
tants de l’aile modérée et pro­européenne du Parti pour sa filiation prestigieuse. Il est par sa mère, ses forces dans la campagne du oui. Malgré les me­ le Conseil européen du 17 octobre. L’oppo­
conservateur. C’est la raison pour laquelle son nom Mary Soames, fille de l’ex­premier ministre naces de perdre son mandat électif, c’est Dominic sition préfère voter une fois la menace du
a circulé, cet été, pour prendre la tête d’un éventuel Winston Churchill, le petit­fils du grand homme, Grieve qui fait voter l’amendement en décem­ « no deal » totalement écartée. La nouvelle
gouvernement « de transition », en cas de vote de dont la statue fait face à l’entrée de Westminster. bre 2017 obligeant le gouvernement à obtenir le feu bataille de Westminster est de savoir qui
défiance gagné contre M. Johnson. Laconique, il a Respecté pour sa carrière militaire (il a servi vert du Parlement sur tout accord du Brexit.  aura la maîtrise de ce calendrier. 
lâché sur les plateaux de télévision, mardi 3 sep­ dans les Hussards), il fut ministre des armées du c. du. (londres, correspondante) cécile ducourtieux
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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 international | 3

En embuscade, Nigel Farage se prépare aux élections


Le tribun d’extrême droite, chef du Parti du Brexit, dénonce « le spectacle donné par le Parlement à Londres »

REPORTAGE alors parallèlement par Nigel Fa­


rage et Boris Johnson avait séduit « FARAGE EST LE SEUL 
Londres « c’est un bordel sans fin »,
souffle un vieil homme, et que les
Il a dit cela d’un air à la fois mena­
çant et gourmand. C’est que le ré­
doncaster (royaume­uni) ­
envoyée spéciale
cette ancienne cité minière de À VOULOIR RESPECTER  députés ont refusé l’après­midi sultat d’une éventuelle élection lé­
110 000 habitants devenue ville même le retour aux urnes réclamé gislative se jouerait aujourd’hui

L a pinte de bière est à 5 livres


(5,50 euros), comme l’as­
siette de chili con carne. On
peut aussi acheter le tee­shirt bleu
ciel et blanc du Parti du Brexit (BP),
du tertiaire, avec ses jobs de ser­
vice et son nœud autoroutier.
Aujourd’hui que le Brexit n’est
toujours pas effectif, Denise n’en­
tend parler autour d’elle que de
UNE CHOSE SIMPLE : 
QUITTER L’UE VEUT 
DIRE QUITTER L’UE »
par Boris Johnson. Qu’importe :
le Parti du Brexit a fait distribuer
des centaines de pancartes qui
proclament déjà « Je suis prêt ». Et
c’est cette forêt de « I’m ready » qui
entre Boris Johnson et Nigel Fa­
rage, bien plus qu’avec le leader du
Parti travailliste Jeremy Corbyn.
Non pas que Nigel Farage ait la
moindre chance de devenir pre­
et Denise – « un prénom français, « Farage », parce que « de tous les DENISE accueille la star de la soirée. mier ministre – il oscille entre 12 %
s’amuse­t­elle, vous voyez qu’on politiciens, il est le seul à vouloir sympathisante et 14 % dans les sondages – « mais
n’a rien contre l’Europe » – l’arbore respecter cette chose simple : quit­ du Parti du Brexit « Siphonner des voix » parce qu’il peut siphonner une par­
fièrement sous sa veste. Autour ter l’UE veut dire quitter l’UE ». Costume gris et large sourire, tie des voix des tories et a donc la
d’elle, ils sont peut­être 600 « ordi­ Assis derrière elle, Michaël et Da­ Nigel Farage n’a pas changé depuis capacité de faire perdre Boris John­
nary people », comme chacun le nuta ne disent pas autre chose. sans accord qui effraie la majorité cette campagne référendaire dont son », analyse John Curtice, polità
répète, à attendre Nigel Farage, ce Bien sûr, reconnaît ce couple dont des députés à Westminster. il fut, avec Boris Johnson, le héraut l’université de Strathclyde.
mercredi 4 septembre. Beaucoup les parents polonais s’étaient Sur la scène, dans l’une des gran­ victorieux. Il a toujours ce verbe Le leader du Parti du Brexit
de cheveux gris, un militaire avec installés dans les années 1950 à des salles de cet hippodrome où a haut et cette façon de résumer en n’ignore rien de la puissance que
ses décorations, des couples qui se Doncaster pour travailler dans les lieu le meeting de Nigel Farage, le une formule les peurs et les colè­ la situation lui offrirait si un scru­
tiennent par le bras… On se croi­ mines de charbon, « Boris est déjà responsable local du BP présente res de ses électeurs. « J’étais tout à tin avait lieu. « Si Boris est déter­
rait dans un de ces meetings du mieux que Theresa May »… Eux­ les candidats aux prochaines lé­ l’heure avec des gens ordinaires miné à faire un Brexit clair et net
Rassemblement national, dans le mêmes ont voté – « il y a long­ gislatives : une jeune blonde pim­ comme vous, et ils étaient dégoûtés – et déjà, il a viré les vingt et un dé­
Nord­Pas­de­Calais : mêmes visa­ temps » – pour les conservateurs, pante, un quinquagénaire d’ori­ du spectacle donné par le Par­ putés qui avaient peur, c’est un bon
ges et mêmes mots dans cette An­ et le premier ministre Boris John­ gine indienne venu du Labour et lement à Londres », dit­il, connais­ début –, alors nous ferons passer
gleterre périphérique si semblable son leur semble de bonne volonté. une jeune artiste noire. Ils ne res­ sant la détestation de son public l’intérêt du pays avant celui du
à la France périphérique. semblent en rien à leurs électeurs, pour la capitale et les politiciens. parti », explique­t­il. Il ne dit pas si,
Denise n’a vu le leader du BP que Enfin séparé mais il s’agit ici de battre la gauche, – Theresa May… en cas de législatives, il retirerait
sur YouTube et à la télévision, Mais dans cette circonscription et le leader local assure qu’ils sont – Hou, hou ! hue la foule. alors ses candidats ou s’il aide­
mais dans son salon de toilettage tenue par le travailliste Ed Mili­ aussi là « pour changer l’image » du – … n’a pas seulement été la plus rait d’une quelconque façon les
pour chien, la plupart de ses band, la plupart des gens autour BP, fondé pour les élections euro­ mauvaise première ministre. Elle a conservateurs version Boris John­
clients ont voté il y a trois ans pour d’eux considèrent que « la seule péennes de mai par M. Farage été aussi la plus malhonnête ! » son. Sa voix enfle alors : « Si Boris
la sortie de l’Union européenne. vraie alternative au Labour, ce ne après qu’il a quitté le parti d’ex­ Les rangs se soulèvent d’indi­ n’est pas prêt à ce Brexit sans appel,
A Doncaster (Yorkshire), dans le sont plus les conservateurs, c’est le trême droite UKIP, accusé d’être gnation comme sous l’effet d’une alors nous ferons battre les Remai­
nord de l’Angleterre, le oui au Parti du Brexit ». Ils rêvent d’un « raciste » et « tourné vers le passé ». houle. Mais l’orateur calme ses ef­ ners [partisans du maintien dans
Brexit avait même frôlé les 70 %. Royaume­Uni enfin séparé du Quand le scrutin aura­t­il lieu ? fets d’un geste : « Boris est plus l’UE] et leurs complices ! » 
C’est dire si la campagne menée continent, sans craindre le Brexit Personne n’en sait rien, puisque à honnête… Mais qui croit en Boris ? » raphaëlle bacqué

Bruxelles envisage le pire, faute


d’une relance des négociations

Instrument du temps pour explorateurs urbains


Les Vingt­Sept n’ont reçu aucune proposition, tandis que Johnson
se targue d’« importants progrès » dans les négociations avec l’UE

bruxelles ­ bureau européen peu de temps qui reste et la situa­ huit semaines de la date butoir.
tion politique au Royaume­Uni ont D’ailleurs, a­t­elle rappelé, le

F ace à l’offensive des élus


britanniques opposés à une
sortie de l’UE sans accord,
Boris Johnson a assuré, mercredi
4 septembre à Londres, faire
accru le risque que le Royaume­Uni
se retire sans accord » de l’Union, a
souligné la Commission mercredi.
En d’autres termes, elle juge de
moins en moins probable que
Royaume­Uni a plus à perdre que
les Vingt­Sept : un divorce sans
accord « aura de graves répercus­
sions économiques qui seront
proportionnellement bien plus
d’« importants progrès » dans les Londres ratifie d’ici au 31 octobre importantes au Royaume­Uni que
négociations avec l’Union. A l’accord de retrait qui a été négocié dans les Etats membres ».
Bruxelles, le son de cloche est tout durant des mois entre son négo­ Et si le Brexit était assimilable à
autre. Le Royaume­Uni n’a, pour ciateur en chef, Michel Barnier, et une catastrophe naturelle ou à un
l’heure, fait « aucune proposition l’ancienne première ministre bri­ dommage collatéral de la mondia­
concrète » pour sortir de l’impasse, tannique, Theresa May. lisation ? La Commission a en tout
bellross.com

a commenté ce même jour Mina cas annoncé, mercredi, qu’elle


Andreeva, la porte­parole de la « Dans son rôle » aurait recours, pour accompagner
Commission européenne. Dans ce contexte, la Commission les pays qui seraient le plus tou­
Cette impasse porte le nom de invite les Européens à ne surtout chés par un retrait sans accord du
« filet de sécurité », ou « backstop », « pas tabler sur l’hypothèse qu’une Royaume­Uni, au fonds de soli­
que prévoit l’accord sur le Brexit troisième prolongation [du délai darité de l’UE (à hauteur de
afin d’éviter le retour d’une fron­ pour réaliser le Brexit] sera de­ 600 millions d’euros) et au fonds
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tière entre l’Irlande du Nord, qui mandée par le Royaume­Uni et ac­ d’ajustement à la mondialisation
fait partie du Royaume­Uni, et la cordée par le Conseil européen ». Et (180 millions). Le premier est, en
République d’Irlande, membre de à se préparer au « no deal », en dé­ temps normal, réservé aux Etats
l’UE. Cette disposition respecte les pit de la motion adoptée par les dé­ victimes d’inondations ou d’oura­
accords du Vendredi saint qui ont putés de Westminster enjoignant gans. Le second sert « à aider les
ramené la paix en Irlande du Nord, à M. Johnson de demander un re­ travailleurs » qui sont « licenciés
mais maintient le Royaume­Uni port. « La Commission a raison, elle quand leur entreprise fait faillite »,
dans l’union douanière, ce dont le est dans son rôle. Le “no deal” peut a rappelé Mme Andreeva.
nouveau premier ministre conser­ advenir le 31 octobre. Même si un Et il n’est pas question que les
vateur ne veut pas entendre parler. report n’est pas non plus exclu », Britanniques bénéficient des
La Commission a rappelé que commente un diplomate. 780 millions d’euros qui seront
c’était au Royaume­Uni de propo­ La Commission ne veut en mobilisables – si le Conseil et le
ser une solution alternative, et que aucun cas laisser penser à Lon­ Parlement entérinent la proposi­
celle­ci devrait respecter les ac­ dres qu’elle pourrait fléchir, à tion de la Commission – pour pan­
cords de paix en Irlande et pré­ ser les plaies que leur décision
server le marché unique. David de quitter le navire européen
Frost, le sherpa de Boris Johnson infligera à leurs partenaires. Ils
sur les affaires européennes, est LA COMMISSION « n’auront pas accès à cet argent »,
arrivé mercredi à Bruxelles pour précise­t­on à la Commission, où
des entretiens à huis clos, au ni­ A INDIQUÉ QUE DES  l’on rappelle que d’autres fonds,
veau technique. « Ils vont peut­être comme ceux de l’agriculture ou de
trouver une solution à laquelle
PAYS TRÈS IMPACTÉS  la pêche, pourraient également
nous n’avions pas pensé », ironise PAR UN BREXIT  être utilisés pour accompagner les
un bon connaisseur du dossier.
SANS ACCORD 
Vingt­sept dans cette épreuve.  TIME INSTRUMENTS
Alors que le Royaume­Uni s’en­
fonce dans une crise politique
POURRAIENT 
virginie malingre
FOR URBAN EXPLORERS
sans précédent et que Boris John­ Cet article est le premier New BR 05 collection
son subit défaite sur défaite au BÉNÉFICIER DE FONDS  de Virginie Malingre en tant
Parlement britannique, l’exécutif que correspondante au
européen se prépare au pire. « Le DE SOLIDARITÉ bureau européen à Bruxelles
0123
4 | international VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

En Italie, la revanche surprise du Parti démocrate


Le chef du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, désormais allié à la gauche, devient chef de la diplomatie

rome ­ correspondant
LE PROFIL

L
a crise gouvernementale
la plus folle de l’histoire
italienne s’est achevée
paisiblement, mercredi
4 septembre, dans une séré­
nité tranchant avec la frénésie
des dernières semaines. En début
d’après­midi, le président du
conseil sortant, Giuseppe Conte,
s’est rendu au palais du Quirinal Roberto Gualtieri
pour y rencontrer le président de Président de la commission
la République, Sergio Mattarella. des affaires économiques au Par-
Il lui a indiqué être parvenu à for­ lement européen depuis 2014,
mer un gouvernement d’alliance Roberto Gualtieri (Parti démo-
entre la gauche et le Mouvement crate, centre gauche) né à Rome
5 étoiles (M5S, « antisystème »), et en 1966, aura une tâche délicate
entendait donc, selon la formule à la tête du ministère italien de
consacrée, lever les « réserves » l’économie. Il devra négocier
avec lesquelles il avait accepté sa avec les instances de l’UE afin
désignation, jeudi 29 août. Puis il de desserrer la contrainte budgé-
s’est rendu devant les journalis­ taire sur l’Italie pour redresser
tes, afin de lire la composition du un pays au bord de la récession,
66e gouvernement de l’histoire de tout en évitant le dérapage de
la République, qui devait prêter la dette publique (132 % du PIB).
serment jeudi matin, à 10 heures. Décrit par des sources européen-
Un an et trois mois après nes comme un économiste
« Conte I », place donc à un sérieux et un redoutable juriste,
« Conte II », qui n’aura presque un homme calme et raisonnable,
rien à voir, hormis le nom, avec le quinquagénaire très apprécié
son devancier. En effet, parmi les de Bruxelles doit empêcher l’aug-
vingt et un ministres désignés par mentation de la TVA et permettre
le président du Conseil, à l’excep­ la mise en œuvre d’un ambitieux
tion du chef du gouvernement plan d’investissement.
lui­même, seuls quatre figuraient Giuseppe Conte au palais du Quirinal, à Rome, le 4 septembre. ALESSANDRO DI MEO/AP
déjà dans le précédent exécutif. Et
ils ne sont que deux, le ministre
de la justice, Alfonso Bonafede, et son alliance avec le Mouvement Pour le reste, le gouvernement côté « 5 étoiles », ont été renvoyés rection du Parti démocrate – avait
le ministre de l’environnement, 5 étoiles. Quant à Luigi Di Maio, respecte un strict équilibre entre
Des membres sans ménagements : ainsi de fait savoir, dès les premiers jours
Sergio Costa, à rester à leur place. il a consenti à renoncer à son titre ses deux composantes : dix mi­ importants Giulia Grillo, ex­ministre de la de la crise, qu’il n’entrerait pas
Le chef politique du M5S, Luigi Di de vice­premier ministre après nistres pour les « 5 étoiles », dix santé, très critiquée pour ses posi­ dans le futur exécutif. Ses proches
Maio, peut bien insister depuis avoir tout fait pour le conserver. pour le centre gauche – neuf pour
du premier tions ambiguës sur la question de les plus exposés sont eux aussi
des jours sur la « continuité » entre le Parti démocrate (PD), et le gouvernement la vaccination obligatoire, ou du restés à l’écart, mais plusieurs
les deux exécutifs, « Conte II » Strict équilibre ministère de la santé à Roberto ministre des transports et des de ses partisans, comme Teresa
ressemble à « Conte I » comme ces Cependant, le premier ministre Speranza, qui sera l’unique re­
Conte, côté M5S, infrastructures, Danilo Toninelli, Bellanova (politiques agricoles) et
immeubles historiques dont on sera tout de même flanqué d’un présentant de Libres et égaux, ont été renvoyés qui était devenu le symbole de Lorenzo Guerini (défense) feront
ne conserve que la façade pour proche du chef politique des une formation fondée par des l’opposition du M5S au chantier leur entrée au gouvernement.
mieux en bouleverser l’intérieur « 5 étoiles » : Riccardo Fraccaro, dissidents du PD.
sans ménagement du tunnel ferroviaire Lyon­Turin Cependant, l’arrivée la plus im­
de fond en comble. ancien ministre des relations avec Dans le même temps, les profils et, par extension, à l’ensemble des portante est peut­être celle du dé­
Première nouveauté, le prési­ le Parlement, à qui sera confiée la « techniques » se font rares. Le grands travaux. puté européen Roberto Gualtieri
dent du conseil, Giuseppe Conte, fonction capitale de sous­secré­ nouveau gouvernement comp­ vice­premier ministre, qui reste le (PD), qui remplacera Giovanni
qui sort renforcé de la crise, ne taire à la présidence du conseil. Au tera une seule ministre ne venant chef de la délégation du M5S au Discussion budgétaire périlleuse Tria au ministère de l’économie,
sera plus entouré de deux nu­ palais Chigi, il sera les yeux et les pas du monde politique, mais gouvernement, c’est mieux qu’un Parmi les nouveaux ministres is­ mettant un terme à une longue
méros deux, représentant les oreilles de Luigi Di Maio, qui sup­ pas n’importe laquelle : l’avocate lot de consolation. Mais dans le sus de la gauche, le seul véritable succession, depuis 2011, de « tech­
composantes de la coalition de porte de moins en moins la popu­ et ancienne préfète de Milan, même temps, cette nomination ténor à avoir accepté de tenter niciens » ou banquiers à ce poste.
gouvernement. Le chef de la Li­ larité et l’autonomie croissante Luciana Lamorgese, aura la lourde aura pour effet de l’éloigner des l’aventure est Dario Franceschini, A la veille d’une discussion budgé­
gue (extrême droite) Matteo Sal­ dont fait preuve Giuseppe Conte tâche de succéder à Matteo Salvini dossiers économiques et sociaux, partisan de longue date du dialo­ taire qui s’annonce très complexe
vini est relégué dans l’opposition depuis la rupture avec l’ex­minis­ à l’intérieur, avec pour mission de cœur des revendications du mou­ gue avec les « 5 étoiles », qui a été et périlleuse, ce fin connaisseur
après avoir torpillé début août tre de l’intérieur Matteo Salvini. dépassionner et de « dépolitiser » vement, tout en lui confiant la intronisé comme le chef de la dé­ des arcanes européens, très ap­
un ministère qui vivait, depuis charge des questions diplomati­ légation du PD au sein du gouver­ précié à Bruxelles, aura la lourde
quatorze mois, au rythme de la ques, sur lesquelles il n’a pas nement. Il retrouvera son poste tâche de tenter de desserrer la
Les marchés saluent le nouvel exécutif campagne électorale permanente
de son dirigeant. Sa mission s’an­
particulièrement brillé par le
passé – et qui, d’ailleurs, sont loin
de ministre des biens culturels, à
peine plus d’un an après l’avoir
contrainte budgétaire sur l’Italie,
pour empêcher l’augmentation
L’annonce d’un nouveau gouvernement italien, pro-européen, nonce particulièrement délicate : d’être des priorités pour le M5S. laissé à Alberto Bonisoli (M5S), de la TVA et permettre la mise en
alliant le Parti démocrate (PD, centre gauche) et le Mouvement la remise à plat de deux décrets Six mois à peine après sa ren­ qui quitte l’exécutif. Il récupère œuvre d’un ambitieux plan d’in­
5 étoiles (« antisystème »), a été saluée par les marchés finan- sur la sécurité, édictés par le chef contre retentissante, en banlieue même dans l’opération le porte­ vestissement. C’est sur ce dossier
ciers. Mercredi 4 septembre, à la mi-journée, le « spread » – écart de la Ligue, risque d’être l’un des parisienne, avec des représen­ feuille du tourisme, qui avait été – ainsi que sur la question migra­
entre le taux d’intérêt de la dette souveraine italienne à dix ans premiers sujets de discorde dans tants des « gilets jaunes », qui avait détaché de son ministère pour toire – que le gouvernement
et celui de l’Allemagne – reculait nettement, à 146 points, les prochaines semaines entre les provoqué une crise inédite entre être rattaché à l’agriculture par le Conte II, né dans les conditions les
contre 158 points la veille. Le spread, mesure de l’angoisse deux forces de la coalition. la France et l’Italie, M. Di Maio gouvernement précédent. plus improbables, joue son avenir.
des investisseurs, avait déjà reculé ces derniers jours, après avoir Du côté des « 5 étoiles », Luigi Di n’aura pas les mains libres sur les L’ancien premier ministre Mat­ Le vote de confiance des
atteint un pic en octobre 2018, à 333 points. Maio quitte le ministère du travail dossiers européens : ceux­ci ont teo Renzi – qui a eu le premier, deux chambres, ultime étape de
Selon des projections des analystes, la nouvelle coalition et du développement économi­ été confiés au très proeuropéen après la rupture de Matteo Salvini la naissance du nouveau gouver­
gouvernementale disposerait de 167 élus au Sénat (sur 315) que pour rejoindre la prestigieuse Enzo Amendola (PD). avec le M5S, l’idée de proposer nement, devrait avoir lieu en
et de 347 à la Chambre (sur 630), soit la majorité absolue Farnesina, siège du ministère des D’autres acteurs importants du une alliance aux « 5 étoiles » en dé­ début de semaine prochaine. 
dans chaque assemblée. affaires étrangères. Pour l’ancien premier gouvernement Conte, pit des résistances de l’actuelle di­ jérôme gautheret

Après son coup d’éclat, la métamorphose de Giuseppe Conte


DE CAUSE la première fois, fin mai 2018, il était
venu en taxi, comme pour signifier que le
Au printemps 2018, Giuseppe Conte était
un parfait inconnu, un professeur de droit
chef de la Ligue a décidé de rompre, le
8 août, pour provoquer des élections antici­

À EFFETS.
chef de ce gouvernement d’un genre nou­ de 53 ans originaire des environs de Foggia pées, il n’imaginait pas que Giuseppe Conte
veau arrivait au pouvoir dans la peau d’un (Pouilles), proche du M5S mais « apoli­ serait un obstacle. Las, celui­ci a refusé d’ob­
© Radio France/Ch. Abramowitz

citoyen comme les autres. Il paraissait em­ tique ». Sa mission première était de faire tempérer, faisant dérailler en quelques
Le magazine de prunté, écrasé par la majesté du palais du
Quirinal et l’importance de ses nouvelles
respecter le contrat de gouvernement en­
tre le M5S et la Ligue, dont il n’était que le
heures le plan du chef politique de la Ligue.
Plutôt que de se démettre sans ciller,
l’environnement fonctions. Mais le temps des commence­ garant, et les deux vice­premiers minis­ Giuseppe Conte est allé défendre son bilan
ments est bien fini. Mercredi, Giuseppe tres, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, devant le Sénat, le 20 août, avant de remet­
Conte s’est présenté à la présidence de la Ré­ l’avaient choisi en raison de son absence tre sa démission, et il s’est livré dans l’hé­
publique en voiture officielle, avec l’assu­ de poids politique. Pendant quatorze micycle à un violent réquisitoire contre
Chaque rance d’un vieux routier de la politique. mois, ils n’ont pas manqué une occasion son numéro deux, assis à quelques centi­
dimanche Devant la presse, il a énoncé la composi­ de lui rappeler que s’il était premier minis­ mètres de lui. Dans le même temps, il pe­
tion du deuxième gouvernement Conte. tre, il ne fallait surtout pas qu’il se prenne sait de tout son poids institutionnel pour
16H-17H Un exécutif aux antipodes du précédent, pour le chef du gouvernement. faciliter un accord entre le M5S et le Parti
Aurélie qui mènera sur de nombreux sujets une démocrate (centre gauche), au point de
Luneau politique opposée à celle conduite par l’Ita­
lie jusqu’au coup de force de Matteo Sal­
Violent réquisitoire
Malgré tout, M. Conte s’est acquitté du
faire de l’ombre au chef politique des Cinq
étoiles, Luigi Di Maio, dont il parviendra à
vini, le 8 août, qui a sonné la fin de l’al­ mieux qu’il pouvait de cette tâche inédite, vaincre les réticences.
liance entre le Mouvement 5 étoiles (« anti­ usant de ses talents de conciliateur pour Comme métamorphosé par les consé­
En partenariat système ») et la Ligue (extrême droite). maintenir tant bien que mal un attelage quences de son coup d’éclat, M. Conte parle
avec
L’esprit Giuseppe Conte a effectué l’exercice avec disparate et déséquilibré. Le 3 juin, las des et agit désormais comme un président du
d’ouver- une certaine aisance, comme si cela allait querelles incessantes entre les deux com­ conseil. On en oublierait presque qu’il n’a
de soi. Ce faisant, il montrait la longueur du posantes de son gouvernement et des pro­ jamais été élu, et même qu’il ne s’est jamais
ture. chemin parcouru en un an, en même temps vocations de Matteo Salvini, il avait même présenté à la moindre élection. 
qu’une souplesse politique peu commune. menacé de démissionner. Aussi, lorsque le j. g.
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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 international | 5

Nucléaire : Washington A Hongkong, « trop peu, trop


et Téhéran multiplient
les gestes de défiance tard » pour apaiser la colère
L’Iran, cible de nouvelles sanctions, dit Le retrait du projet de loi sur les extraditions ne satisfait pas les manifestants
abandonner « tous les engagements » de 2015
hongkong ­ correspondance « Trop peu, trop tard », résu­ cette crise, elle explique que, en bien tard pour ces mesures », a dé­
washington ­ correspondant ment la plupart des manifes­ fait, le gouvernement avait déjà ré­ claré Starry Lee, président du parti
Le représentant

L’
effet de soulagement tants. Une affiche, publiée en pondu aux revendications des pro­Pékin, à l’Associated Press.

L’ initiative française sur


l’Iran lancée au sommet
du G7 à Biarritz a­t­elle
déjà atteint ses limites ?
Washington et Téhéran ont en
spécial américain
pour l’Iran,
Brian Hook,
n’aura été que de
courte durée, mer­
credi 4 septembre en
fin de journée, après que la chef
de l’exécutif de Hongkong, Car­
ligne par les responsables de la
communication du mouvement,
indique : « Trois yeux abîmés,
1 183 arrestations, plus de 100 in­
culpations, deux attaques terro­
manifestants… Le projet contro­
versé ? Il était « suspendu » depuis
deux mois. La qualification des
manifestants comme émeutiers ?
C’est « sans conséquences juridi­
Carrie Lam a rejeté mercredi la
demande d’amnistie pour tous les
manifestants susceptibles de
poursuites. Et face à la revendica­
tion qui a devancé, dans les sonda­
tout cas multiplié, mercredi
a essayé de rie Lam, a annoncé le retrait du ristes et d’innombrables incidents ques lorsque les suspects seront de­ ges, la demande du retrait du pro­
4 septembre, les annonces qui ré­ soudoyer le projet de loi d’extradition qui a de brutalité policière, 8 vies sacri­ vant les tribunaux », autrement dit, jet de loi, celle d’une commission
duisent les marges de manœuvre plongé le territoire dans une fiées, et vous voudriez que le re­ c’est une demande non perti­ d’enquête indépendante sur les
de la diplomatie. Washington a
capitaine d’un grave crise politique durant tout trait du projet de loi suffise ? » nente. La reprise de réformes poli­ violences policières, la chef de
campé sur la ligne de « pression pétrolier iranien l’été. Dans les heures qui ont tiques en vue d’instaurer un sys­ l’exécutif a réitéré sa confiance
maximale » adoptée depuis la suivi, plusieurs participants au « Trouver une sortie » tème réellement démocratique ? dans l’organe interne de la police,
sortie unilatérale des Etats­Unis mouvement de contestation ont Une partie des jeunes protestatai­ Elle­même le souhaite ardem­ rejeté par les manifestants. Elle a
de l’accord de 2015 sur le nu­ « Nous n’avons aucune idée s’il y exprimé leur frustration face res, réunis autour du Parlement ment, mais cela ne peut avoir lieu toutefois annoncé que des experts
cléaire iranien, en mai 2018, en en aura une. Il n’y a pas de propo­ aux propositions de Carrie Lam. dans la soirée, ont fondu en lar­ que dans un contexte apaisé… internationaux allaient rejoindre
annonçant de nouvelles sanc­ sition [officielle] et nous n’allons Et affirmé leur intention de con­ mes en apprenant le neuvième Dans le camp pro­establish­ l’institution, qui serait également
tions contre « 16 entités », « 10 in­ donc pas commenter quelque tinuer leur combat. « saut » (suicide) de l’une de leurs ment, qui depuis des semaines de­ renforcée par deux personnalités
dividus » et « 11 bateaux ». chose qui n’existe pas », a­t­il ré­ « Nous n’avons même pas besoin congénères lié à cette crise… Les mandait à Mme Lam de lâcher du locales, dont les protestataires ont
Ils seraient, selon le départe­ pondu. Brian Hook a rappelé de changer nos slogans, nous di­ porte­parole du mouvement lest, on espère que la ville saisira aussitôt contesté l’impartialité.
ment d’Etat, à l’origine d’une « fi­ que des négociations avec Téhé­ sions déjà : répondez à nos cinq re­ soupçonnent le gouvernement cette opportunité d’un retour à la Carrie Lam a aussi promis
lière » de transport maritime ac­ ran devraient reprendre sur la vendications, pas une de moins. d’avoir été poussé à réagir à l’ap­ normale, mais on craint que cela l’ouverture d’un dialogue direct
cusée de vendre illégalement du base des conditions formulées Aujourd’hui, le gouvernement a proche de la rentrée du Sénat ne suffise plus. « La crise dure de­ entre la population et le gouverne­
pétrole, « pour le bénéfice du bru­ en juin 2018 par le secrétaire répondu à l’une des cinq, il en reste américain, où doit reprendre puis des mois et ne porte plus spéci­ ment et une étude approfondie du
tal régime Assad » (le président sy­ d’Etat, Mike Pompeo. Elles sont donc quatre », a déclaré une porte­ l’examen du Hongkong Human fiquement sur le projet de loi. Il est « malaise profond de la société ».
rien), à la milice libanaise du Hez­ jugées inacceptables par les auto­ parole des contestataires, au Rights and Democracy Act, qui, Pourtant, hormis les aspirations
bollah, liée à l’Iran, et à d’autres rités iraniennes. cours d’une conférence de presse s’il était adopté, pourrait remettre démocratiques réelles, le pro­
« acteurs terroristes ». Dans le bureau Ovale de la Mai­ improvisée à la nuit tombée. en cause le statut particulier, fis­ blème social le plus évident de
Un peu plus tard dans la jour­ son Blanche, Donald Trump a « Miss Chan », de son nom de cal et commercial, de Hongkong « Le gouvernement Hongkong, celui du logement, est
née, le président iranien, Hassan également écarté, mercredi, l’hy­ guerre, coiffée d’un casque de cy­ vis­à­vis des Etats­Unis. connu depuis des années. Le parc
Rohani, a annoncé de son côté pothèse d’une levée de sanc­ cliste et le visage masqué jus­ « Nous sommes tous très sou­
a répondu immobilier et foncier est dans les
que Téhéran allait prendre « tou­ tions. « Cela n’arrivera pas », a­t­il qu’aux yeux, a estimé que les so­ cieux de trouver une sortie à cette à l’une des cinq mains d’un quasi­cartel de gran­
tes mesures nécessaires en ma­ dit alors que Téhéran en fait le lutions apportées par Carrie Lam crise », affirmé Mme Lam en annon­ des familles, qui maintiennent les
tière de recherche et de développe­ préalable d’une reprise de discus­ revenaient à « soigner la gangrène çant le retrait du projet de loi, après
revendications, prix à un niveau totalement inac­
ment » dans le domaine nu­ sions. Le président des Etats­Unis avec un sparadrap ». « Ce qui avoir décrit d’abord les scènes de il en reste donc cessible pour la majorité des Hong­
cléaire, « et abandonner tous les a répété une nouvelle fois que se­ n’était au départ qu’une demande chaos que le territoire a connu ces kongais, dans une ville qui a une
engagements » pris dans le cadre lon lui « l’Iran a changé » sous l’ef­ facile à satisfaire a fait boule de dernières semaines. Mais, avec la
quatre » plus grande disparité de richesses
de l’accord de 2015. Il l’avait pro­ fet de la pression américaine. neige à cause de ce gouvernement maladresse qui a caractérisé ses « MISS CHAN » que tous les pays développés. 
mis au début de l’été en cas d’ab­ délétère », a­t­elle ajouté. prises de parole depuis le début de porte-parole des contestataires florence de changy
sence de progrès dans les démar­ « Enorme potentiel »
ches entreprises par les autres Le président des Etats­Unis évo­
pays signataires, dont les Euro­ que régulièrement la possibilité
péens, pour parvenir à un com­ d’un « marché » avec un pays
promis avec Washington. dont il a encore une fois loué BA HA M AS
L’Iran a déjà augmenté en juillet « l’énorme potentiel » économi­ Le bilan de l’ouragan
son stock d’uranium enrichi au­ que mercredi, avec les termes Dorian passe à 20 morts

Votre escapade de
dessus du seuil autorisé, et repris qu’il utilise pour caractériser la L’ouragan Dorian a fait au
l’enrichissement à 4,5 % au lieu Corée du Nord. « Ils veulent par­ moins 20 morts et causé des
de 3,67 %, le maximum prévu par ler, ils veulent un marché », a­t­il dégâts inimaginables dans
l’accord de Vienne de juillet 2015. répété, refusant d’écarter la pers­ les îles des Bahamas, ont an­

la Rentrée
Le feu vert donné mercredi com­ pective d’une rencontre avec son noncé, mercredi 4 septembre,
prend les centrifugeuses qui per­ homologue iranien, lors de l’As­ les autorités de l’archipel.
mettent d’enrichir l’uranium à semblée générale des Nations Le premier ministre, Hubert
20 %. « Cela est clairement un unies, fin septembre. « Tout est Minnis, a évoqué une « dévas­

littéraire
mauvais signal », soulignent les possible », a­t­il lancé alors même tation générationnelle », sur­
autorités françaises, qui n’aban­ que le président iranien exclut tout sur les îles Abacos, dont
donnent pas leur initiative pour une telle hypothèse. la principale ville, Marsh
parvenir à une désescalade. L’administration américaine, à Harbour, a été détruite à
Avant cette annonce, le repré­ commencer par le conseiller à 60 %, et de Grande Bahama.
sentant spécial américain pour la sécurité nationale, John Bol­ Après avoir perdu un peu de
l’Iran, Brian Hook, avait assuré ton, et son secrétaire d’Etat, tien­ sa vigueur, l’ouragan a repris
que les Etats­Unis n’entendaient nent invariablement des pro­ de la force mercredi soir
pas changer de ligne. Les nouvel­ pos beaucoup moins optimistes, à l’approche de la côte sud­est « Un petit théâtre social
les sanctions en attesteraient.
« Nous avons pris des sanctions
qui justifient la nécessité de la
ligne dure.
des Etats­Unis. – (AFP.)
dont chaque personnage
hier [contre le programme spatial Cette dernière a été illustrée par A FGHA N I STA N sublime sa caricature. »
iranien]. Nous avons pris des sanc­ la révélation, par le Financial Ti­ Nouvel attentat-suicide
tions vendredi. Nous avons pris mes, d’une démarche inhabi­ des talibans à Kaboul P HILIPPE-JEAN CATINCHI,
des sanctions aujourd’hui. Il y tuelle de la part d’un diplomate Au moins cinq personnes ont LE MONDE DES LIVRES
aura plus de sanctions à venir. de haut rang comme Brian Hook, été tuées et 25 autres blessées
Nous ne pouvons pas dire plus clai­ confirmée ultérieurement par le dans l’explosion, jeudi 5 sep­
rement que nous sommes engagés département d’Etat. Le représen­ tembre, à Kaboul, d’une voi­ «Un exercice de dentelle
dans cette campagne de pression tant spécial pour l’Iran a en effet ture piégée. L’explosion littéraire fin, précis, fragile.
maximale, et nous ne cherchons essayé de soudoyer le capitaine a eu lieu dans le quartier de
pas à accorder des exceptions ou d’un pétrolier suspecté d’ache­ Shash­Darak, proche de la En bref, on lit un magnifique
des dérogations », a­t­il précisé. miner du pétrole iranien vers la zone verte (périmètre ultra­ bonheur de vivre. »
« Nous avons expliqué très claire­ Syrie, et que Washington avait protégé où sont situées plu­
ment qu’après avoir terminé avec tenté sans succès de bloquer. sieurs ambassades) et qui CLARA DUPONT-MONOD,
les exemptions [permettant « Je suis Brian Hook », « je tra­ abrite le siège du NDS, les ser­ M ARIANNE
l’achat de pétrole iranien], il n’y en vaille pour le secrétaire d’Etat vices secrets afghans. Le
aurait plus », a ajouté le diplo­ Mike Pompeo en tant que repré­ porte­parole des talibans,
mate. Interrogé sur l’éventualité, sentant des Etats­Unis pour Zabihullah Mujahid, a reven­ « Avec beaucoup de subtilité, l’auteur nous fait
poussée par Paris, de l’octroi à Té­ l’Iran » et « je suis porteur de bon­ diqué l’attentat, affirmant
héran d’une ligne de crédit qui nes nouvelles », a­t­il indiqué qu’il visait « un convoi d’enva­ regretter cet hier où l’on espérait encore quelque chose,
pourrait porter sur 15 milliards de dans un courrier électronique hisseurs étrangers » et avait tout, n’importe quoi, pourvu que le monde bouge. »
dollars (13,6 milliards d’euros) et envoyé au capitaine indien du tué « 12 envahisseurs et
qui serait adossée à des ventes de tanker, dévoilé par le quoti­ 8 membres du NDS ». – (AFP.) LAURENCE CARACALLA, LE FIGARO MAGAZINE
pétrole, pour accompagner la re­ dien des affaires britannique. Le
prise de négociations, Brian Hook diplomate promettait en effet G UATE MA L A
s’est montré évasif. une somme conséquente, esti­ Etat de siège dans « Un roman social profondément humain, aux accents
mée à plusieurs millions de dol­ le nord-est du pays mélancoliques et pourtant tellement vivants. »
lars, pour diriger le navire vers un Le président du Guatemala,
port où les Etats­Unis pourraient Jimmy Morales, a décrété M ARIA FERRAGU, LIBRAIRIE LE PASSEUR DE L’ISLE,
L’Iran a repris l’immobiliser. l’état de siège, mercredi 4 sep­ L’ISLE-SUR-LA-SORGUE
l’enrichissement Coïncidence ? Le même Brian tembre, dans une vingtaine
Hook a annoncé mercredi matin de municipalités du nord­est
d’uranium qu’une récompense de 15 mil­ du pays, après une embuscade
à 4,5 % au lieu lions de dollars serait versée à menée, selon les autorités, par
toute personne susceptible de li­ des narcotrafiquants, et qui
de 3,67 %, le vrer des informations sur les fi­ a coûté la vie à trois soldats.
maximum prévu lières pétrolières liées, selon Le décret, qui doit être adopté
Washington, au corps des gar­ par le Parlement, limite
par l’accord diens de la révolution iraniens.  pendant un mois les droits
de 2015 gilles paris constitutionnels. – (AFP.)
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6 | international VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Nétanyahou courtise l’électorat ultranationaliste


Le premier ministre israélien a fait campagne mercredi dans la colonie d’Hébron pour le scrutin du 17 septembre

hébron ­ envoyé spécial position de principe, M. Lieber­


man, ancien bras droit de M. Né­

D
e toutes les colonies tanyahou, l’avait empêché de for­
israéliennes en Cis­ mer un gouvernement en mai.
jordanie, Benyamin Cela lui réussit. Il tient la clé de
Nétanyahou a choisi cette nouvelle élection, avec dix
la plus étouffante, la vieille ville sièges au Parlement selon les
d’Hébron, pour courtiser l’élec­ sondages.
torat ultranationaliste. Mercredi Face à M. Gantz, ancien chef
4 septembre, à deux semaines d’état­major, qui refuse la suren­
d’élections législatives mal enga­ chère sur les enjeux de sécurité,
gées, le premier ministre israé­ M. Nétanyahou a beau jeu de
lien compte ses alliés. Les 800 co­ commenter, depuis une semaine,
lons d’Hébron, qui vivent sous les opérations militaires qu’il ap­
haute protection militaire parmi Le premier prouve contre l’ennemi iranien et
200 000 Palestiniens, sont ministre ses alliés au Liban, en Irak et en Sy­
parmi les plus ardents au sein de israélien, rie. « Ce n’est pas le moment de dis­
la mouvance nationaliste et mes­ Benyamin cuter avec l’Iran. C’est le moment
sianique, dont M. Nétanyahou se Nétanyahou, d’accentuer la pression sur l’Iran »,
veut le protecteur. Du centre de le 4 septembre a­t­il martelé, jeudi matin, depuis
la cité palestinienne où ils sont à Hébron, en l’aéroport Ben­Gourion, avant de
reclus, leur voix porte loin. Cisjordanie. s’envoler pour Londres où il doit
M. Nétanyahou se rendait pour MENAHEM KAHANA/AFP rencontrer son homologue bri­
la première fois depuis vingt et tannique, Boris Johnson.
un ans sous les murs du Tom­
beau des patriarches. Il s’agissait « République bananière »
de commémorer le massacre de Cette lutte éprouvante n’aura d’in­
67 juifs par des émeutiers pales­ térêt qu’au 17 septembre au soir,
tiniens, sous le mandat britanni­ une fois les bulletins comptés,
que en 1929, qui avait provoqué lorsque les négociations entre fac­
la fuite de la communauté juive tions pour la formation d’une coa­
de la ville – l’une des plus ancien­ lition gouvernementale commen­
nes au monde. Premier chef du ceront. « Il ne s’agit pas de savoir
gouvernement à s’exprimer ici, En fin d’après­midi, sur les ces partisans, rédacteur en chef rebellent », note un fidèle gro­ qui peut former un gouvernement,
M. Nétanyahou n’a pas répété la pelouses du Tombeau des
« “Bibi” ne du quotidien de droite Israël gnard, Tzachi Hanegbi. mais si “Bibi” peut arrêter le proces­
promesse qu’il avait faite en avril patriarches, le public a acclamé contrôle plus Hayom, Boaz Bismuth. « En Is­ Il leur reste à patienter, durant sus judiciaire, soupire un ancien
aux colons : annexer, s’il est les ministres de son camp, issus raël, c’est lui qui fait la vie politi­ cette campagne morne, sans en­ membre du Likoud. Il n’y a plus
réélu, les principales implanta­ de la droite radicale. Arrivés dans
le jeu. Il a perdu que, c’est presque comme s’il jeu sinon la survie du chef. Les Is­ qu’une question qu’il pose à ses in­
tions de Cisjordanie. Mais cette son gouvernement cet été, ils ses pouvoirs l’avait inventée… Mais, pour la raéliens y prêtent peu attention. terlocuteurs : me donnerez­vous
promesse était bien dans toutes l’aiguillonnent. Bezalel Smotrich première fois, il n’a pas su livrer la Ils sont las. Combien se déplace­ l’immunité à la Knesset, contre la
les têtes. (transports) et le rabbin Rafi
magiques » marchandise… Alors il se de­ ront pour voter, le 17 septembre ? justice, contre le principe d’égalité
Peretz (éducation) multiplient les BOAZ BISMUTH mande comment faire. Mais il est M. Nétanyahou sait encore atti­ devant la loi ? S’il réussit, Israël de­
Animal blessé provocations et ignorent ses ré­ rédacteur en chef déjà revenu de plus loin ! » rer l’attention de sa base : il s’en vient une république bananière. »
M. Nétanyahou l’avait déjà réité­ primandes. Comme tous les du quotidien de droite Enterrer « Bibi », est­ce possi­ prend avec une violence sans Le calendrier judiciaire est
rée dimanche, lors d’une visite autres, ils voient dans le chef un « Israel Hayom » ble ? Le premier ministre a dé­ nom à la presse, qui poursuit ses cruel. Début octobre, M. Néta­
aux écoliers de la colonie d’Elk­ animal blessé. « Bibi » saigne, c’est passé cet été en longévité au pou­ révélations sur ses démêlés judi­ nyahou doit être entendu par le
ana, en Cisjordanie, à la rentrée le moment, pour leur coalition de voir David Ben Gourion, père ciaires. Il profite aussi de l’apho­ procureur général du pays, Avi­
des classes. Sa ministre de la cul­ trois partis de droite radicale, de « partenaires naturels » une majo­ fondateur de l’Etat d’Israël. Il a nie de son principal rival, le parti chaï Mandelblit, durant les négo­
ture et le président du Parlement hausser ses exigences. rité nette. Chacun attend par encore toute autorité sur son Bleu Blanc, qui se veut au centre ciations entre partis. S’il finissait
l’ont pressé de tenir parole, mer­ M. Nétanyahou a échoué, après ailleurs une décision de la justice, parti : les parlementaires du de l’échiquier politique. En avril, par être mis en examen, les pro­
credi, sur l’estrade d’Hébron. A les dernières législatives d’avril, à qui pourrait mettre M. Nétanya­ Likoud ont démissionné comme cette jeune formation avait fait ches du premier ministre souli­
leurs côtés, le premier ministre rassembler assez d’alliés au Parle­ hou en examen avant la fin de un seul homme, en mai, pour re­ jeu égal avec le Likoud, en empor­ gnent que rien ne l’empêcherait
s’est contenté d’affirmer que la ment pour former une majorité l’année pour des accusations de tourner aux urnes. Suicide col­ tant 35 sièges sur 120. Mais son de gouverner tout en luttant pied
ville ne deviendrait jamais « ju­ de gouvernement, en mai. Voilà « corruption », de « fraude » et lectif. Depuis, aucune voix criti­ meneur, Benny Gantz, n’a pas à pied avec la justice, jusqu’en ap­
denrein » – épurée de ses juifs, un pourquoi le pays retourne aux ur­ d’« abus de confiance ». Résultat : que n’est sortie des rangs. « 90 % d’autre proposition de fond que pel et à une mise hors de cause
terme issu de l’Allemagne nazie. nes. Las, les grands blocs de droite, désordre et fébrilité générale. des électeurs du Likoud veulent l’alternance. Il tend la main à Avi­ définitive. A condition que le Par­
« Nous ne sommes pas des étran­ du centre et de gauche ne bougent « Bibi ne contrôle plus le jeu. Il a que “Bibi” reste au pouvoir. Les gdor Lieberman, chantre de la ré­ lement ne l’écarte pas, par un
gers à Hébron, nous y resterons pas. Aucun sondage ne donne à perdu ses pouvoirs magiques », ambitieux savent qu’ils risquent sistance aux mouvements ultra­ vote à majorité simple. 
pour l’éternité », a­t­il ajouté. « Bibi » et à ceux qu’il nomme ses reconnaît l’un de ses plus effica­ de payer un prix tragique s’ils se orthodoxes. En s’arrimant à cette louis imbert

Le pape s’attaque aux « Américains »


DÉCOUVREZ La ligne de François est combattue, aux Etats­Unis, par de puissants catholiques conservateurs

NOTRE NOUVEAU maputo ­ envoyée spéciale à l’été 2018. Ayant échoué, ils con­
Les courants revient largement et dans lequel il

HORS-SÉRIE
sacreraient aujourd’hui leurs ef­ voit une tentative de « putsch » vi­

C’ est un honneur pour moi


que les Américains m’at­
taquent. » La repartie du
pape a fusé, spontanée et nar­
quoise, dans l’avion qui le condui­
forts à peser sur le choix du suc­
cesseur du pape argentin. Une
autre façon, affirme l’auteur, de
fomenter un « coup d’Etat ».
Devant l’émoi soulevé par la
qui s’opposent
au pontife
évoquent de plus
sant à obtenir la démission de l’ac­
tuel pape. L’archevêque Carlo Ma­
ria Vigano, un ancien nonce (am­
bassadeur) aux Etats­Unis, avait
accusé François, dans une lettre
sait au Mozambique, mercredi phrase de François dans l’avion, les
en plus la figure ouverte, d’avoir protégé le cardinal
4 septembre. Comme François sa­ collaborateurs du pontife jésuite du pape émérite américain Theodore McCarrick –
luait un à un les journalistes, le ont tenté d’en atténuer le caractère qui a depuis été privé de sa pour­
correspondant au Vatican du quo­ belliqueux, quelques instants plus
Benoît XVI pre cardinalice puis renvoyé de
tidien La Croix, Nicolas Senèze, ve­ tard. Le nouveau directeur de la l’état sacerdotal, en février –, ac­
nait de lui offrir un exemplaire de salle de presse, Matteo Bruni, a cusé aujourd’hui de violences
son livre Comment l’Amérique présenté une déclaration indi­ curer cet ouvrage – le Vatican avait sexuelles sur mineur et de harcèle­
veut changer de pape (Bayard, quant que, « dans le contexte infor­ été informé de sa prochaine paru­ ment de séminaristes.
276 pages, 18,90 euros), qui parais­ mel » des salutations du début du tion –, mais qu’on lui avait dit qu’il Mgr Vigano accusait le pape
sait le jour même en France. voyage, « le pape a voulu dire qu’il n’était pas encore disponible. d’avoir discrètement levé des
« C’est une bombe », a souri le considère toujours comme un hon­ La rentrée 2019 promet donc sanctions qui auraient été prises
pape en agitant le livre. Le vatica­ neur les critiques, en particulier d’être aussi agitée que celle de 2018 contre Theodore McCarrick par
niste expérimenté y explique les quand elles viennent de penseurs à la tête de l’Eglise. Ces dernières Benoît XVI. L’ex­diplomate avait
attaques subies par François ces reconnus et, dans ce cas, d’une na­ semaines, les sites et courants ca­ appelé explicitement François à
dernières années, par l’hostilité à tion importante ». tholiques conservateurs ont mul­ renoncer au siège de Pierre. Il ne
sa « ligne » d’un puissant courant tiplié les critiques contre plusieurs semble pas que l’état d’esprit ac­
catholique conservateur améri­ Brèche inacceptable nominations récemment interve­ tuel du pape le pousse en ce sens.
cain, animé par des laïcs fortunés Autant dire que, si François a nues au Vatican, évoquant de plus Faute d’avoir obtenu gain de
et influents, relayé par des médias voulu adoucir la forme, il ne renie en plus la figure du pape émérite cause en 2018, les catholiques con­
importants et décidé à refermer la rien du fond de sa déclaration ini­ Benoît XVI dans leurs combats. Ils servateurs américains auraient
« parenthèse » François. tiale. Les attaques venues des se mobilisent également dans la entrepris de passer au crible, avec
En phase avec la montée du con­ Etats­Unis – mais pas seulement – perspective du prochain synode une escouade d’anciens policiers,
servatisme aux Etats­Unis, en dés­ existent bien. Elles peuvent bien sur l’Amazonie, en octobre, où sera d’universitaires et d’avocats, le pe­
accord total avec la critique viru­ se poursuivre, a­t­il signifié, elles débattue la possibilité d’ordonner digree des quelque 125 cardinaux
lente du libéralisme économique n’auront pour effet ni de le faire des hommes mariés. Certains y électeurs, qui sont aussi les succes­
portée imperturbablement par le taire ni de lui faire changer de cap. voient une brèche inacceptable seurs possibles de François. Afin
chef de l’Eglise catholique, ces ac­ Il n’a d’ailleurs pas été pris au dé­ ouverte contre le sacerdoce. de pouvoir écarter, le moment
En vente chez votre marchand de journaux teurs, qui sont aussi des finan­ pourvu par le livre tendu par Il y a un an, fin août, était inter­ venu, d’éventuels gêneurs et don­
ciers importants pour le Saint­ Nicolas Senèze. Il a remercié, au venu l’épisode sans doute le plus ner au prochain pontificat une
Siège, auraient trempé dans un contraire, le journaliste, en lui pré­ extravagant de la série d’attaques coloration plus à leur goût. 
« putsch » pour renverser François cisant qu’il avait cherché à se pro­ contre François, sur lequel le livre cécile chambraud
FRANCE
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 |7

Retraites : la ligne de crête de l’exécutif
Accusés d’immobilisme par la droite, Macron et Philippe revendiquent de prendre le temps de débattre

M
ême l’ex­député ra­
dical Roger­Gérard
Schwartzenberg est
sorti de sa réserve
en rédigeant un texte, envoyé aux
rédactions par mail mais aussi
par… fax. « La procrastination rede­
vient­elle une méthode de gouver­
nement ? », interroge dans ce com­
muniqué incisif l’ancien ministre
de Lionel Jospin, qui compare le
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, à Henri Queuille, président
(radical) du Conseil sous la IVe Ré­
publique. Pour ce dernier, il n’était
« pas de problème si complexe
qu’une absence durable de solution
ne finisse par résoudre ».
Voyant l’exécutif prendre le
temps de la « négociation » avec les
partenaires sociaux pour réfor­
mer les retraites, tout en rechi­
gnant à véritablement engager
celle des institutions, l’ancien dé­
puté accompagne les chœurs de la
droite, qui tonnent depuis plu­
sieurs jours contre le supposé « im­
mobilisme » du pouvoir à l’heure
de l’acte II du quinquennat.
« Emmanuel Macron remet les
difficultés à plus tard. » « Jamais
une période de concertation n’aura
été aussi longue ! » Que ce soit par
l’entremise de Valérie Pécresse,
présidente de la région Ile­de­
France, ou d’Eric Woerth, député
Les Républicains (LR) de l’Oise, la
« nouvelle méthode » du gouver­
nement – résumée par le tripty­
que « écoute, dialogue, proximité »
– offre un angle d’attaque à l’oppo­
sition, qui accuse le chef de l’Etat
d’avoir renoncé à mener des réfor­
mes d’ampleur. « Il ne fait pas le
quart de ce qu’il faudrait pour re­ Amélie de Montchalin, Sibeth Ndiaye, Jean­Paul Delevoye et Annick Girardin, lors d’une réunion à l’Elysée, le 4 septembre. LUDOVIC MARIN/POOL VIA REUTERS
dresser le pays », dénonce ainsi
Mme Pécresse. « Il est temps de pas­
ser à l’action et à la décision. On a Un site Web doit aussi être lancé. qu’on ne renonce pas à réformer, sure cet élu. Et en même temps, on leur est passé au­dessus, dé­
déjà eu une longue pause à cause « Sur les retraites, on a eu un défaut même s’il y a des échéances électo­ c’est une manière d’en faire un en­
« Sur les retraites, crypte un député de la majorité. Il
du grand débat, on ne peut pas se de mise en scène du dialogue so­ rales à venir. » « Ce n’est pas la fin jeu dépassionné. » on a eu un défaut y a beaucoup d’électeurs de gau­
permettre d’encore repousser », cial », estime une ministre in­ du quinquennat, au contraire ! che modérée qui ont voté Emma­
met en garde M. Woerth. La crise fluente, pour qui il faut « inviter Nous sommes déterminés à met­ Virage tactique
de mise en scène nuel Macron en 2017 et qui sont
des « gilets jaunes », à les enten­ les Français dans la cuisine ». tre un coup d’accélérateur en cette Les chantiers mis en avant déno­ du dialogue proches de cette sensibilité­là. »
dre, aurait entraîné une forme de La Macronie veut convaincre rentrée, comme le montrent les tent en tout cas une volonté de « Le coût du compromis ne doit
paralysie au sommet de l’Etat, qu’elle n’a pas abandonné pour chantiers énormes à venir », soigner les marqueurs de gauche
social », estime pas être trop élevé ni finir sur
prudence oblige. autant son ambition de « trans­ abonde le député LRM des Deux­ du pouvoir dans l’optique des une ministre l’abandon des objectifs sociaux et
former » le pays en profondeur. Sèvres Guillaume Chiche. Un dé­ municipales. « Nous allons renfor­ financiers d’une réforme », pré­
« Coup d’accélérateur » « Notre marqueur, apprécié des puté « marcheur » concède néan­ cer la ligne écologique et sociale.
influente vient de son côté Eric Woerth.
L’exécutif assume sa ligne, pour Français, c’est de réformer, assure moins que la prudence sur le dos­ L’acte II, c’est la reconquête du cen­ Pour l’instant, cette opération
autant. A l’issue du séminaire ainsi la porte­parole du gouverne­ sier des retraites aurait des visées tre gauche », assure­t­on ainsi ne porte pas encore ses fruits de
gouvernemental de rentrée qui ment, Sibeth Ndiaye. Avec la PMA, électoralistes. « C’est une façon de dans l’entourage d’Emmanuel reconquête de l’électorat de gau­ manière massive dans l’opinion,
s’est tenu, mercredi, à l’Elysée, les retraites, la dépendance, nous délayer cette réforme pour qu’elle Macron. Lors des élections euro­ che. « Pendant sa campagne, Ma­ même si le chef de l’Etat com­
Edouard Philippe a assuré que ce allons apporter la démonstration passe après les municipales, as­ péennes, en mai, le chef de l’Etat a cron avait promis un agenda de ré­ mence à reprendre des couleurs
projet de loi se ferait « en écoutant perdu du terrain de ce côté de formes et de changer la politique. Il dans l’électorat de gauche : il enre­
les partenaires sociaux et les Fran­ l’électorat, tout en gagnant à ne s’est pas donné les moyens jus­ gistre une hausse de trois points
çais ». Le premier ministre devait Les ministres pourront être candidats droite. « On sort des européennes qu’à maintenant de répondre à ce chez les Français proches du Parti
recevoir à Matignon, jeudi et ven­ Alors que plusieurs ministres ne cachent pas leurs ambitions avec une consolidation du macro­ deuxième aspect », décrypte un socialiste (49 %), selon un son­
dredi, les organisations syndica­ électorales, Edouard Philippe a précisé la ligne de conduite nisme au centre droit et la doctrine observateur proche du pouvoir. dage Harris Interactive réalisé
les et patronales pour partager qu’ils devront adopter lors des municipales de mars 2020 : les de l’acte II, qui passe par le centre Un virage tactique, autant destiné pour LCI et diffusé mardi. Sa cote
notamment avec elles le calen­ membres de son gouvernement pourront être candidats tout gauche », sourit un proche de M. à casser l’étiquette de « président de confiance, qui augmente de­
drier à venir de la réforme. Une en restant en fonctions mais, s’ils sont élus, ils ne pourront Macron, reconnaissant le para­ des riches » qu’à réussir une sorte puis janvier, s’établit à 43 %
sorte de « mini grand débat », pas cumuler avec un poste de maire. doxe apparent de la situation. Un de « en même temps » dans les ur­ auprès de l’ensemble des sondés.
comme dit un proche de M. Phi­ « Nous sommes attachés, avec le président de la République, à cap qui devrait beaucoup à l’in­ nes. L’ouverture d’Emmanuel La tonalité de l’exécutif ravit en
lippe, devrait par ailleurs être or­ cette possibilité pour les membres du gouvernement de se con- fluence, dit­on, de Philippe Gran­ Macron en faveur d’une réforme tout cas l’aile gauche de sa majo­
ganisé dans les mois qui vien­ fronter, parfois pour la première fois, parfois une fois de plus, au geon, le conseiller spécial du chef des retraites à travers l’allonge­ rité, qui plaide sans relâche de­
nent. Des réunions publiques suffrage universel », a expliqué le premier ministre à l’issue du de l’Etat. « Le président doit garder ment de la durée de cotisation puis le début du quinquennat
pourraient se tenir en présence séminaire gouvernemental avant de définir la ligne : « A partir le cap régalien tout en réussissant plutôt que l’instauration d’un âge pour une orientation plus sociale.
du chef du gouvernement, de janvier 2020, chaque ministre pourra être candidat », puis « il à reconquérir le centre gauche, qui pivot peut être vue à cette aune : « L’acte II commence bien, se ré­
d’Agnès Buzyn et de Jean­Paul De­ appartiendra à ceux qui sont candidats, le moment venu et s’ils est parti chez les écolos », résume la CFDT faisait de cette question jouit le député LRM du Val­d’Oise
levoye, les ministres chargés de la sont élus, de déterminer si oui ou non ils veulent rester membre un conseiller de l’exécutif. un point d’achoppement. Aurélien Taché. Au lieu d’être dans
réforme, et des parlementaires de du gouvernement ou si oui ou non ils choisissent d’exercer des Le changement de méthode fait « On veut remettre les syndicats une forme de jusqu’au­boutisme et
La République en marche (LRM). fonctions à la tête de l’exécutif auquel ils auraient été élus ». partie intégrante de la volonté de dans le jeu. Sur certaines réformes, une logique comptable et bureau­
cratique, nous avons compris qu’il
valait mieux être dans l’écoute et la
coconstruction pour mettre plus
Les partenaires sociaux restent sur leurs gardes d’humanité et de justice dans la ré­
forme des retraites. »
Ce partisan de thèses sociales­
« chat échaudé craint l’eau froide. » lait pas d’un âge pivot à 64 ans comme le convaincre de sa bonne foi. « On jugera Yves Veyrier, n’est pas loin de penser la démocrates appelle l’exécutif à
Après plus de deux ans durant lesquels préconisait M. Delevoye en juillet. sur pièces, indique le président du Medef, même chose : « C’est un peu curieux poursuivre dans cette voie : « Il
les partenaires sociaux ont eu le senti­ Syndicats et patronat auront l’occasion Geoffroy Roux de Bézieux. Mon souci, comme façon de faire. On nous parle de faut continuer avec la même mé­
ment d’être traités comme quantité né­ de se faire une idée plus précise des in­ c’est que les sujets avancent. » Si Laurent dialogue, de concertation, mais il se passe thode lorsque nous étudierons la
gligeable par l’exécutif et après les récen­ tentions du gouvernement lors de leurs Berger, le secrétaire général de la CFDT, beaucoup de choses avant même que l’on réforme du revenu universel d’acti­
tes promesses présidentielles de mieux rencontres, jeudi 5 et vendredi 6 sep­ parle d’un « changement », il reste sur ses rencontre le premier ministre. » vité, en étant guidés par un prin­
les associer aux textes, ils attendent tembre, avec Edouard Philippe, qui les gardes. « M. Macron est aujourd’hui da­ Selon François Homméril, le président cipe de justice sociale. » De quoi
désormais des actes. C’est particulière­ reçoit à Matignon. « Ce projet de loi (…) vantage dans la discussion, moins dans de la CFE­CGC, « c’est un manque de res­ parier sur un futur virage social ?
ment vrai sur le dossier des retraites, où il nous n’allons pas le préparer seuls, mais l’arrogance, explique­t­il, dans un entre­ pect ». Le numéro un du syndicat des ca­ « Un virage social ? Quelle hor­
n’est pas question, affirme le gouverne­ nous allons le faire en écoutant les parte­ tien, jeudi, au Parisien. Mais tout cela se dres – l’un des rares à ne pas être opposé reur ! », fait mine de s’étrangler
ment, de passer en force. naires sociaux, en écoutant les Français », mesurera aux actes, aux politiques me­ à l’idée de l’âge pivot – est très remonté. en retour un philippiste. Le pre­
« Sur cette réforme, je veux que l’on in­ a martelé, mercredi, le premier minis­ nées, aux choix qui seront faits. » « La méthode est vraiment désagréable, mier ministre l’a d’ailleurs rap­
carne le changement de méthode que j’ai tre, à l’issue du séminaire gouverne­ C’est très insécurisant car on ne peut ja­ pelé à l’issue du séminaire de ren­
souhaité », a fait valoir Emmanuel Ma­ mental de rentrée, tout en précisant Une méthode « vraiment désagréable » mais investir le fond du dossier. A tout mo­ trée : « Le gouvernement fait des
cron le 26 août. Pour preuve, il a exprimé qu’il dévoilera le calendrier et la mé­ Certains redoutent que le naturel ne re­ ment, le président peut faire un tête­à­ choix et entend trouver le juste
sa préférence pour « un accord sur la du­ thode retenus « dans le courant de la se­ vienne au galop. « Le président n’a pré­ queue. » Pour son homologue de la CGT, équilibre. » Jusque dans ses in­
rée de cotisation plutôt que sur l’âge » afin maine prochaine ». venu personne qu’il ferait une sortie sur les Philippe Martinez, l’affaire est entendue : flexions politiques. 
d’obtenir une retraite à taux plein. Une C’est donc la prudence qui est de mise retraites, croit savoir un haut gradé patro­ toute cette séquence ne constitue qu’une olivier faye,
déclaration analysée comme un geste chez les interlocuteurs sociaux, et l’exé­ nal. C’est quand même une méthode très « opération de communication ».  alexandre lemarié
d’ouverture envers la CFDT, qui ne vou­ cutif va devoir donner des gages pour macronienne… » Le numéro un de FO, raphaëlle besse desmoulières et cédric pietralunga
0123
8 | france VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Quand un village décide d’ouvrir son école privée


LES DÉFIS DE L’ÉCOLE 4|5 Depuis la rentrée, La Bussière (Vienne) n’est plus un désert scolaire, comme tant de campagnes

H
uit petites blou­
ses alignées sur
Le phénomène
des cintres. Des reste marginal,
chaises, des ta­
bles, des pots à
mais se
stylos… Vingt­ développe
huit ans que La Bussière (Vienne)
n’avait pas vu ça. Ce village de
rapidement.
320 habitants a vu son école fer­ 800 écoles
mer en 1991. Depuis, ses enfants
faisaient chaque jour des dizaines
hors contrat ont
de kilomètres pour aller en classe ouvert en 2010,
dans ce que l’éducation nationale
appelle, dans son jargon, le re­
1 300 en 2017
groupement pédagogique inter­
communal (RPI). Lundi 2 septem­
bre, la rentrée scolaire a eu lieu, à tion pour l’école (qui promeut les
nouveau, dans ce village qu’Eric écoles hors contrat, « indépendan­
Viaud, son maire (sans étiquette), tes »)… Pélagie Boufrioua espère le
a vu mourir petit à petit. modèle pérenne.
L’école, la boulangerie, l’épice­ Même si le phénomène reste
rie… Heureusement, il y a encore encore marginal – les écoles hors
le café­restaurant – propriété de contrat ne concernent qu’environ
la mairie –, quelques artisans, un 75 000 élèves sur 12 millions –, il
agriculteur, un électricien et la se développe très rapidement
Sodifrex, une entreprise de mobi­ (800 établissements en 2010,
lier urbain. Chaque année, grâce 1 300 en 2017), et les communes
au tourisme, La Bussière revit aux rurales y ont recours ces dernières
beaux jours, mais remeurt à années, faute d’effectifs suffi­
l’automne. Alors, vendredi sants pour maintenir une école
30 août, cet enfant du village publique. Céré­la­Ronde (Indre­et­
n’était pas peu fier d’inaugurer Loire), Préchac­sur­Adour (Gers),
l’école privée Gilbert­Bécaud (le Molières (Lot)… Et la liste pour­
chanteur avait élu domicile dans rait s’allonger.
la commune). Pour Eric Viaud, il ne faut pas y
Habitants, voisins des alentours, AGATHE DAYHOT voir une « guerre des écoles ». Fer­
anciens élèves : ils étaient une cen­ vent soutien de l’école publique et
taine et pour rien au monde, ils des RPI, il estime néanmoins que
n’auraient manqué ça. Deux jours « Ce village était bénévoles – compétences juridi­ siasme est là, mais des réticences Durant l’été, Yves, un chauffeur « si la République ne vient pas à
plus tard, huit écoliers de 3 à 11 ans ques, commerciales, en gestion, s’expriment : l’école publique est routier à la retraite qui habite quel­ moi », il faut « prendre le taureau
passaient le seuil de la classe uni­
recroquevillé en RH et en communication. Et un droit, alors pourquoi payer ques maisons derrière l’école, a fa­ par les cornes et créer une école,
que avec Chloé Chevalier. Après sur lui-même. les réseaux des uns et des autres. pour s’instruire (210 euros par briqué les meubles en bois. Toutes parce qu’une école, c’est la vie ».
trois ans dans le privé, où elle était L’ambition est d’ouvrir l’école mois sans compter la cantine, les « couturières » du village ont Désormais, ses habitants ont un
suppléante, la jeune femme de
Son cœur s’est en septembre. Les réunions se 4,95 euros par jour) ? Et puis ne va­ sorti leur machine pour faire les « double choix » possible, « entre
25 ans a déjà assuré tous les ni­ remis à battre » multiplient. Le projet s’affine. t­on pas fragiliser les écoles voisi­ blouses des enfants. Le maire a ac­ l’école publique et l’école privée » :
veaux, mais jamais en même L’école Gilbert­Bécaud sera un éta­ nes si on en retire nos enfants ?, cepté de sous­louer à l’association « Mais rien n’est fini, tout com­
PÉLAGIE BOUFRIOUA
temps. Un beau « challenge », re­ blissement privé hors contrat, laï­ s’inquiètent certaines familles. les locaux de l’ancienne école, mence, ce sera un combat de tous
habitante de La Bussière
connaît celle que les enfants, qui que, régie par la loi Gatel de 2018 : pour 100 euros symboliques par les jours pour garder cette école. »
à l’initiative du projet
se sont emparés des gros jeux en pour lutter contre des parents qui Cantine au café-restaurant mois, situés en plein centre du En mai, Emmanuel Macron s’est
bois de kermesse, appellent déjà voudraient s’improviser ensei­ Résultat : sur les huit élèves ins­ bourg, à côté d’un jardin arboré engagé à ce qu’il n’y ait plus de
« maîtresse ». gnants et surtout contre les écoles crits, quatre habitent le village, et qui sera la cour. Ordinateurs et im­ fermetures d’écoles sans accord
(Seine­et­Marne). Cette maman confessionnelles à l’enseigne­ deux nouveaux élèves devraient primante ont été donnés. Et c’est préalable du maire de la com­
Une dizaine de volontaires de trois enfants souhaitait une ment trop radical, le gouverne­ arriver en octobre. Damien, qui ré­ chez Philippe, au café­restaurant, mune, d’ici à la fin du quinquen­
A l’heure où les fermetures de « autre » école pour eux et avait ment a décidé de durcir les side à Bonnes, à 20 km de La Bus­ que les enfants iront déjeuner nat. « A la rentrée 2019, 63 écoles
classes rythment la vie des cam­ opté pour l’enseignement à la conditions d’ouverture. Désor­ sière, a sauté le pas, séduit par le tous les midis. « Ce village était re­ ont fermé en zone rurale à la de­
pagnes, comment a­t­on réussi à maison, quand d’autres scolari­ mais, le rectorat a trois mois pour projet. Il ne voulait pas d’un « par­ croquevillé sur lui­même. Son cœur mande des maires », indique­t­on
ouvrir une école ? On pourrait ré­ saient les leurs dans les établisse­ donner son accord. La loi prévoit cours traditionnel » pour son fils s’est remis à battre », se réjouit au ministère de l’éducation natio­
sumer ce tour de force à une ren­ ments alentour, à Nalliers, Saint­ aussi un contrôle annuel des ser­ Côme. A 3 ans, il sera le plus jeune Pélagie Boufrioua. nale, qui précise : « On sait com­
contre. Celle d’Eric Viaud, qui, à Savin, Chauvigny. vices par l’éducation nationale. de l’école. « Ils vont être trop bien, Elle assure que le budget de bien c’est important une école dans
peine élu en 2014, avait ce projet En octobre 2018, l’association « Notre idée était de créer une école ici », lâche Aurélie, agricultrice de 45 000 euros nécessaire pour te­ un village, alors, s’il y a un projet
en tête, et de Pélagie Boufrioua, Villa Scholae – « l’école au cœur qui s’insère dans la nature, avec des 32 ans, qui vient, elle, de Béthines, nir l’année est quasiment bouclé. qui respecte les valeurs de la loi Ga­
néorurale installée à La Bussière du village » en latin – est créée. pédagogies alternatives Montes­ à 20 km également, et dont deux En quelques semaines, 7 000 eu­ tel, il vaut mieux une école hors
en 2016. « Nos amis trouvaient Pas une association de parents, sori et Freinet, mais qui suive aussi enfants ont fait leur rentrée à ros ont été récoltés grâce à une contrat que pas d’école du tout. » 
que c’était génial chez nous, mais souligne la trentenaire. Mais une le socle commun des connaissan­ l’école Gilbert­Bécaud. Elle attend campagne de crowdfunding ; le nathalie brafman
ils nous disaient : “Mais y a rien ! association de gestion profes­ ces », précise Pélagie Boufrioua. juste de voir, à la fin de l’année, si mécénat est en cours de fina­ et camille stromboni
On viendra pas” », se souvient sionnelle, qui réunit les compé­ L’accord du rectorat arrive en avril. cela « tient » financièrement. lisation avec plusieurs grandes
celle qui habitait il y a encore tences d’une dizaine de volon­ Au fil des réunions, il a fallu Pour en arriver là, c’est tout le vil­ entreprises ; ou encore la de­ Prochain article L’école face
quelques années à Fontainebleau taires du village et des environs, lever les inquiétudes. L’enthou­ lage qui a retroussé ses manches. mande d’un soutien à la Fonda­ aux inégalités

Pour les petits collèges ruraux, la survie impose d’être inventif


Difficulté à conserver des équipes stables, classes de plusieurs niveaux… Les établissements de moins de cent élèves sont fragiles

clermont­ferrand ­ quante en France pour un effectif Amant­Roche­Savine illustre la « Notre stratégie qui s’est appuyé sur le festival de « Nous avons besoin d’un statut
correspondant de 3 866 élèves. L’académie de difficulté à constituer des équipes jazz pour ouvrir un internat administratif dérogatoire pour
Clermont­Ferrand en compte pédagogiques stables dans le repose sur le autour de la musique. Résultat : faire vivre nos collèges », ajoute

C inq élèves. C’est l’effectif


de la classe de 6e du col­
lège Alexandre­Vialatte à
Saint­Amant­Roche­Savine, dans
le Puy­de­Dôme. Classe est un
seize dont sept dans le Puy­de­
Dôme. Confrontés à une démogra­
phie chancelante, ils sont fragiles.

« Revivifier les territoires »


temps. « Il n’y a qu’un seul prof ti­
tulaire, les autres sont des rempla­
çants ou des contractuels », af­
firme Marie Chassaigne. Ce qui
suscite la défiance de beaucoup
développement
des internats et
sur des projets
les effectifs ont doublé.
A l’inverse du rectorat de
Clermont­Ferrand, l’inspection
générale de l’éducation nationale
estime que « le devenir des petits
Pierre Morel­A­L’Huissier, dé­
puté (UDI, Agir et indépendants)
de la Lozère et membre du col­
lectif. Avec huit collèges publics
de moins de 100 élèves sur les
bien grand mot : il faut plutôt par­ « La question de l’avenir de ces de parents qui développent des éducatifs collèges est posé ». Selon un rap­ dix­sept du département, la Lo­
ler de niveau, puisque les élèves de établissements ne se pose pas, stratégies de fuite, en particulier d’ouverture port de juillet 2018, la question est zère est en première ligne.
6e font classe commune avec leurs affirme pourtant Benoît Vers­ par le jeu des options. d’autant plus aiguë qu’il n’y a « Nous avons la particularité
dix camarades de 5e. Il en va de chaeve, le secrétaire général du « La moitié des élèves du secteur au monde » « pas de stratégie d’ensemble de d’être un département à la fois
même pour les neuf de 4e qui sont rectorat de Clermont­Ferrand. de Saint­Amant bénéficient de dé­ PASCAL CLÉMENT réussite des élèves en milieu ru­ très rural et très montagneux,
regroupés avec les treize de 3e. « La Les élèves concernés bénéficient de rogations pour être scolarisés dans directeur de l’éducation ral ». L’inspection générale re­ d’où la nécessité de maintenir
rentrée est difficile, s’agace Marie la même offre pédagogique que d’autres collèges », poursuit Marie nationale en Lozère commande d’« adopter un dispo­ un réseau de petits collèges »,
Chassaigne, mère d’une élève de tous les autres élèves. » Ne rencon­ Chassaigne. Ces fragilités annon­ sitif explicitement différencié pour note Pascal Clément, le directeur
4e et fille du député communiste trent­ils pas, tout de même, des cent souvent des disparitions. les élèves et les établissements de départemental de l’éducation
André Chassaigne, ancien princi­ difficultés spécifiques ? « On peut Au cours des dernières années, sident macroniste du conseil certains territoires ruraux ». nationale, qui met en avant
pal du collège. Il a fallu nous battre s’interroger sur la pertinence d’une quatre petits collèges ont ainsi été départemental du Puy­de­Dôme. Cette position conforte le col­ « une volonté d’innovation de
pour obtenir que la classe soit dé­ classe de cinq élèves », reconnaît rayés de la carte scolaire du dépar­ Il faut que les effectifs soient suffi­ lectif « collège rural, collège vi­ tous les acteurs » : « Notre straté­
doublée pour les matières du bre­ M. Verschaeve, qui s’empresse de tement. « C’est le résultat de la poli­ samment consistants. » tal », créé au printemps, et qui fé­ gie repose sur le développement
vet. Pour les enseignants, ce n’est renvoyer le problème aux élus lo­ tique du chien crevé au fil de l’eau », Auteur d’un rapport sur l’in­ dère déjà des parents d’élèves, des internats et sur des projets
pas du tout évident de gérer des caux, en précisant que les déci­ estime André Chassaigne. ternat du XXIe siècle remis en des élus et des enseignants im­ éducatifs d’ouverture au monde,
classes avec deux niveaux. » sions d’ouverture et de fermeture Les élus ruraux sont prompts mars 2018 au ministre de l’éduca­ pliqués dans 47 collèges de que ce soit sur le plan culturel ou
Avec ses 37 élèves, l’établisse­ relèvent de la compétence des à brandir les nécessités de l’amé­ tion nationale, M. Gouttebel es­ moins de 100 élèves. « Nous de­ sportif. » Selon M. Clément, cela
ment est un concentré des problè­ conseils départementaux. nagement du territoire pour dé­ time qu’il y a là un moyen de mandons l’arrêt des fermetures paie : « Nous avons le meilleur
mes qui se posent aux collèges ru­ Du point de vue des ensei­ fendre leurs établissements. « Les conforter les petits établis­ des petits collèges, le maintien taux de réussite au brevet des
raux. Spécialement à ceux qui gnants, souvent à cheval sur plu­ collèges sont faits pour les élèves et sements et de « revivifier les terri­ d’une classe par niveau et l’octroi collèges de toute l’académie de
comptent moins de 100 élèves. sieurs collèges, la situation est pas pour les élus locaux, met en toires ». Et de citer l’exemple du de moyens supplémentaires », Montpellier. » 
A la rentrée 2018, ils étaient cin­ difficile. L’exemple de Saint­ garde Jean­Yves Gouttebel, le pré­ collège de Marciac, dans le Gers, liste Marie Chassaigne. manuel armand
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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 france | 9

Violences conjugales : les forces de


S ANTÉ profondir les recherches sur
Marseille : le corps d’un l’ensemble des objets », a dé­
disparu retrouvé après claré M. Larcher. − (AFP.)
15 jours dans un hôpital

l’ordre face à leurs responsabilités


Après quinze jours de recher­ JUSTICE
ches, un septuagénaire atteint L’enquête sur la mort
de démence, disparu d’un ser­ de Steve Maia Caniço
vice hospitalier marseillais dépaysée à Rennes
où il attendait une séance de L’enquête sur la mort de
Un grand audit est annoncé dans 400 commissariats et gendarmeries chimiothérapie, a été retrouvé
mort, deux étages plus haut,
Steve Maia Caniço lors de la
Fête de la musique à Nantes
dans une unité désaffectée du a été dépaysée, mercredi
même établissement. Entré 4 septembre, à Rennes. Une

L’ exercice d’autocritique
s’annonce d’ores et déjà
des plus sensibles.
Edouard Philippe a annoncé, en
ouverture du Grenelle sur les
tionnements », qui auraient pu
être évités par une meilleure prise
en charge. Pour mener à bien sa tâ­
che, la police des polices va réo­
rienter un dispositif déjà existant.
« Une opération nécessaire », juge
la direction générale de la police
nationale. Au sein des forces de
l’ordre, on observe avec prudence
ce volontarisme de la hiérarchie.
dangereuses et donc les plus étu­
diées à l’école », assure­t­on à la di­
rection générale de la police na­
tionale. « C’est très délicat pour
plein de raisons, vous rentrez dans
à l’hôpital de la Conception le
19 août et venu spécialement
du Var pour son traitement,
l’homme avait dû patienter
dans une salle d’attente
décision « cohérente » pour
l’avocate de la famille du
jeune homme, « compte tenu
du caractère sensible et
politique du dossier ». La
violences conjugales, mardi 3 sep­ Chaque année, le cabinet des « Si on regarde en détail, c’est cer­ l’intimité des gens, sur un moment pendant plusieurs heures. disparition de cet animateur
tembre, un grand audit de audits de l’IGPN passe déjà au tain qu’il y a beaucoup de situa­ de conflit, il y a une charge émo­ Une autopsie a été menée, périscolaire de 24 ans, dont
400 commissariats et brigades de crible quelque 200 commissa­ tions où les choses ne vont pas, tionnelle très importante. On fait mercredi 4 septembre, « qui le corps a été retrouvé le
gendarmerie, afin d’évaluer les riats, en auditionnant le chef de admet volontiers Philippe Capon, souvent face à des réactions très n’établit pas l’intervention 29 juillet dans la Loire, a sus­
conditions dans lesquelles sont re­ service, en faisant des visites sur­ secrétaire général de l’UNSA­Po­ agressives, parce qu’on est l’in­ d’un tiers », a précisé le procu­ cité une très forte émotion et
çues les victimes et la façon dont prises, en jouant à « l’usager mys­ lice. On a un problème d’effectif et trus », explique un fonctionnaire reur de Marseille, Xavier de vives critiques sur l’inter­
sont menées les investigations en tère », ou en réalisant des entre­ de formation à ces problématiques. chevronné. Tarabeux. Une enquête est vention des forces de l’ordre.
pareil cas. Le gouvernement sait tiens avec des victimes. S’il s’agit d’améliorer les choses, Aucun policier interrogé ne nie en cours pour déterminer La demande de dépaysement
qu’un long chemin reste à parcou­ C’est ce dernier volet qui sera nous sommes d’accord. S’il s’agit de l’existence des failles, mais ils les circonstances exactes avait été lancée il y a un mois
rir : les nombreux témoignages de particulièrement mis à contribu­ faire de la communication et de s’étendent plus volontiers sur les de la mort. − (AFP.) par les deux juges d’instruc­
femmes gardant un souvenir cui­ tion d’ici à la fin de l’année et faire croire aux gens qu’il y aura un situations équivoques auxquelles tion nantais chargés de l’en­
sant de leur accueil par les forces en 2020. Dans chaque circonscrip­ accueil spécialisé 24 heures sur 24, ils ont fait face. Et pointent tous les PARLEME NT quête pour « homicide invo­
de l’ordre parlent d’eux­mêmes. tion auditée, les inspecteurs en­ ce qui est impossible, on va créer de limites de l’uniforme face à la Enquête du Sénat sur lontaire ». − (AFP.)
Les travaux de l’inspection géné­ tendront une dizaine de victimes la déception inutilement et ça va complexité des affaires touchant à la présence d’un buste
rale de la police nationale (IGPN), de violences conjugales. Un rap­ nous retomber dessus. » la sphère familiale. « Je suis assez d’Hitler dans ses caves Ile d’Oléron : la justice
qui sera chargée de cette plongée port sera ensuite rédigé sur cha­ dubitatif sur toutes ces annonces, Après la révélation par Le autorise le coq Maurice
au sein des commissariats, seront cun des commissariats concernés Limites de l’uniforme résume un haut gradé. Ça prouve Monde de la présence d’un à continuer de chanter
particulièrement surveillés. L’ob­ et une synthèse permettra de se Parmi les autres mesures annon­ surtout l’affaissement du social en buste d’Hitler, legs de l’occu­ Le tribunal correctionnel de
jectif est d’identifier les « dysfonc­ faire une idée de la situation. cées par le premier ministre, celle France. On se tourne vers la police pation allemande, dans les Rochefort (Charente­Mari­
concernant les prises de plainte pour régler tous les problèmes. Où caves du Sénat, son président, time) a jugé, jeudi 5 septem­
directement en milieu hospita­ sont les collectivités locales, les Gérard Larcher, a dit l’ignorer. bre, que le coq Maurice pou­
L’exécutif reconnaît des failles lier inquiète sur le mélange des
genres. En revanche, la « grille
systèmes d’accompagnement, les
services psychiatriques ? On nous
Mais des recherches « en pro­
fondeur » ont été lancées.
vait continuer de chanter,
rejetant la plainte des voisins
L’actualité vient d’illustrer à deux reprises les problèmes de prise d’évaluation du danger », qui doit demande d’être présents dans tous Le Monde a révélé que ce qui l’accusaient de les ré­
en charge par les forces de l’ordre des violences conjugales. être mise en place pour aider les ces compartiments, alors que ce buste ainsi qu’un drapeau veiller dès l’aube. Cette af­
Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, a reconnu que l’inter- agents d’accueil, et les formations n’est pas notre rôle. » nazi de 2 mètres sur 3 sont faire, très médiatisée, était
vention policière à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le 31 août, continues qui doivent être créées Le mouvement n’est pourtant conservés depuis la seconde devenue un symbole pour
avait été un « échec ». Une jeune femme de 21 ans a été battue sont plébiscitées. pas près de s’arrêter. Le Grenelle guerre mondiale dans les ré­ les défenseurs de la ruralité.
à mort et son compagnon a été mis en examen. Des témoins des Actuellement, la question des des violences conjugales dure serves du Sénat. Le palais du « Maurice a gagné [et] les plai­
faits avaient alerté la police. Une enquête de l’IGPN a été ouverte. violences conjugales ne fait pas jusqu’au 25 novembre et l’allocu­ Luxembourg a été occupé gnants devront verser à sa
De son côté, Emmanuel Macron a fait l’expérience directe des diffi- l’objet d’un module spécifique tion d’Edouard Philippe ne souf­ entre 1940 et 1944 par l’état­ propriétaire 1 000 euros de
cultés rencontrées par les victimes. Le chef de l’Etat, en déplace- dans la formation initiale des po­ frait d’aucune ambiguïté : le mi­ major général de l’armée de dommages et intérêts », se fé­
ment au 3919, la plate-forme d’accueil téléphonique des victimes, liciers. Elle est incluse au sein des nistère de l’intérieur en sera l’un l’air allemande. « J’ai demandé licite Julien Papineau, avocat
le 3 septembre, a été témoin du refus d’un gendarme d’accompa- « interventions pour différend fa­ des acteurs majeurs.  à la questure [chargée de la de la propriétaire du volatile,
gner à son domicile une femme ayant peur de son conjoint violent. milial », « une des missions les plus nicolas chapuis gestion de l’institution] d’ap­ Corinne Fesseau. – (AFP.)

La délégation parlementaire au
renseignement veut plus de moyens
Censée assurer une fonction de contrôle démocratique,
cette instance manque de mains et d’accès aux informations

L a Délégation parlemen­
taire au renseignement
(DPR) n’aurait pu mieux
souligner la modestie de ses
moyens et de ses prérogatives.
« La DPR aimerait
juger elle-même
de la pertinence
l’inspection interne sur la gestion
des sources. La DPR demande
donc « la communication de la
liste des rapports de services d’ins­
pection ministériels et interminis­
Elle vient de publier, mercredi des documents tériels » et de ceux produits par
4 septembre, son rapport an­ « les organes de contrôle interne
nuel… pour 2018. Et outre des
utiles, voire des services de renseignement ».
considérations, déjà entendues, indispensables,
sur la lutte contre la radicalisa­ « Enjeu majeur »
tion et le terrorisme, et l’avenir
à l’exercice de Dans son rapport 2017, la DPR
de l’Europe du renseignement son contrôle », avait commencé à se rebiffer. Elle
ainsi qu’un dégagement, plus avait évoqué des « pistes de ré­
inédit, sur les ressources humai­
écrit la délégation flexion sur l’avenir du contrôle
nes dans le monde du secret, l’in­ parlementaire des services de ren­
térêt du texte réside bien dans ce seignement ». L’espoir a fait long
constat : la faiblesse chronique fense des deux chambres en sont feu. Dans son rapport 2018, on lit
du contrôle démocratique du membres de droit et président, à que « le débat sur la loi de pro­
renseignement en France. tour de rôle, la délégation. Ces grammation militaire 2019­2025
Certes, on part de loin. Née de la fonctions, très chronophages, n’a pas permis de dégager de con­
loi du 9 octobre 2007, la DPR ne empêchent, de fait, leurs respon­ sensus sur les évolutions à appor­
s’est vu reconnaître une fonction sables de remplir leur rôle à la ter au cadre juridique actuel ».
de contrôle qu’en 2014, puis il a tête de la DPR. L’ensemble des amendements
fallu attendre le vote de la pre­ La tâche est d’autant plus com­ déposés depuis quatre ans pour
mière loi sur le renseignement, pliquée, écrit la DPR, qu’elle est renforcer ses pouvoirs ont été re­
en 2015, pour qu’elle étende le privée d’informations qu’elle jetés, faute de consensus. Il s’agis­
champ de son activité au­delà de juge essentielles, celles des rap­ sait, notamment, « d’auditionner
quelques réunions avec les direc­ ports des services d’inspection des agents des services, autres que
teurs de services et d’un rapport des administrations. « Ces élé­ directeurs » ou de « faire état,
squelettique. Mais son périmètre ments constitueraient une base de dans son rapport public de graves
demeure limité. « Les moyens doi­ travail précieuse », dit­elle. Or la dysfonctionnements ».
vent être repensés et mis en cohé­ loi lui donne accès à cette ma­ Ne s’avouant pas vaincue, Yaël
rence », assure la DPR, pour assu­ tière. « Encore faut­il, relève­t­elle, Braun­Pivet (LRM), à la tête de
mer « la montée en puissance de que la DPR soit informée de l’exis­ DPR entre 2018 et 2019, et actuelle
l’évaluation et du contrôle parle­ tence de ces rapports, (…) et la DPR présidente de la commission des
mentaire de la politique publique aimerait juger elle­même de la lois à l’Assemblée nationale,
du renseignement ». pertinence des documents utiles, donne rendez­vous au gouverne­
voire indispensables, à l’exercice ment en 2020 pour une nouvelle
Manque de temps de son contrôle. » loi sur le renseignement qui per­
La DPR veut ajouter des embau­ En 2018, la DPR a même essuyé mettra notamment, espère­t­elle,
ches à l’équipe de quatre person­ des refus. L’inspection générale de remettre à plat le fonctionne­
nes qui travaillent pour elle, dont des finances n’a pas voulu lui ment de la DPR. « L’enjeu démo­
une à mi­temps. Elle veut aussi transmettre un rapport sur la pro­ cratique est majeur, écrit la DPR, et
changer sa gouvernance, qui la tection des entreprises stratégi­ le Parlement doit se donner les
prive de temps et de moyens. Elle ques. Et le directeur général de la moyens de remplir avec toute l’ef­
est composée de huit parlemen­ sécurité intérieure (DGSI) a inter­ fectivité que cela requiert, sa mis­
taires, à parité de députés et de dit à la commission de vérifica­ sion de garant de l’Etat de
sénateurs. Les présidents des tion des fonds spéciaux, émana­ droit. » 
commissions des lois et de la dé­ tion de la DPR, l’accès au travail de jacques follorou
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10 | france VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Pour sa rentrée,
Larcher fait
la leçon à Macron
Dette, immigration… Le président
du Sénat durcit le ton face à l’exécutif

J
e suis celui qui suis », c’est son 1 n’a pas été très convain­ Gérard Larcher,
par une formule qu’il ad­ cante », lance le sénateur des Yve­ président
met « totalement ambi­ lines qui exige, pour l’Acte II du du Sénat, lors
tieuse et biblique » que le quinquennat des « réponses pré­ de l’université
président du Sénat a défini cises à des questions simples ». d’été de LR,
son rôle mercredi 4 septembre, Son premier sujet de préoccupa­ à La Baule
pour une rentrée qui l’installe, tion : la gestion des finances pu­ (Loire­
plus qu’avant, en fer de lance bliques par l’exécutif. « Le gouver­ Atlantique),
d’une droite en recomposition nement a significativement ré­ le 31 août.
face à Emmanuel Macron. Lors duit ses ambitions en matière de SÉBASTIEN SALOM-GOMIS/
de cette conférence de presse, redressement des comptes pu­ AFP
au­delà de cette référence au blics » et « renoncé à baisser l’en­
nom de Dieu dans la Bible, il a dettement ». « En cas de retourne­
également endossé le rôle d’op­ ment conjoncturel ou de remon­
posant au chef de l’Etat, se po­ tée brutale des taux, la France ris­
sant en alternative au duel entre que de perdre la pleine maîtrise la reprise du dialogue avec la Rus­
« Gérard Larcher Mais le détour par les territoires « Assez ouvert »
« le président de la République de de ses choix budgétaires », pré­ sie – le président du Sénat livre lui offre surtout une voie de pas­
La République en marche et le vient­il. « Il donne l’alerte sur ses critiques sans état d’âme. « Je est en train sage pour peser dans une droite
sur la bioéthique
Rassemblement national ». quelque chose sur lequel l’exécutif voudrais que cette saison 2­Acte II toujours en miettes. En faisant Débattre de bioéthique sans
Si Gérard Larcher hausse le ton, doit absolument se ressaisir », ne ressemble pas à la précédente
de recoudre un pas de côté vis­à­vis du parti diviser davantage les Français,
c’est que « la réduction à un choix salue Philippe Bas, président Les sur deux sujets : l’Europe et la poli­ la droite et le Les Républicains, déboussolé et telle est la promesse de Gérard
binaire m’inquiète pour la démo­ Républicains (LR) de la commis­ tique migratoire », lance­t­il. Il dé­ occupé par la désignation d’un Larcher. Mercredi, ce dernier a
cratie, assure­t­il. J’ai une respon­ sion des lois sénatoriale. plore une relation franco­alle­
centre en partant successeur à Laurent Wauquiez, annoncé être personnellement
sabilité comme président du Sé­ mande « appauvrie » et juge « in­ du terrain » le sénateur a pris une longueur « assez ouvert sur ce sujet-là »,
nat à assumer car ce pays ne peut Tour de France dispensable de renforcer la lutte d’avance pour préparer l’avenir. alors que l’Assemblée s’apprête
PHILIPPE BAS
pas rester sans contre­pouvoir. Si en début de quinquennat, contre l’immigration clandestine Embarqué depuis juin, après la à examiner dès la semaine
sénateur LR de la Manche
Une démocratie sans contre­pou­ Gérard Larcher mettait en avant et les réseaux de passeurs ». défaite des européennes, dans prochaine en commission le texte
voir, c’est une démocratie qui, un son état d’esprit « constructif », Sur les retraites, « les Français un tour de France de la droite et prévoyant notamment l’ouver-
jour, termine dans la fragilité la les relations avec le sommet de sont un peu perdus », estime­t­il, du centre destiné à renouer les ture de la PMA à toutes les fem-
plus absolue et qui peut se retrou­ l’Etat n’ont cessé de se dégrader, jugeant « incontournable » de po­ compensation de la suppression liens en vue des élections muni­ mes. « J’ai une responsabilité de
ver dans les bras de valeurs qui ne en particulier depuis l’affaire ser clairement la question de de la taxe d’habitation. La crise cipales, Gérard Larcher assure faire que l’orchestre Sénat puisse
sont pas totalement les valeurs de Benalla. Avec Emmanuel Ma­ l’âge. Quant à la réforme des col­ des « gilets jaunes » fait figure que « ça n’est nullement concur­ exprimer des choses différentes,
la démocratie. Donc j’assume ». cron, le dialogue se poursuit lectivités locales, « il va falloir pas­ d’argument massue pour jus­ rent de ce que doivent faire les mais de manière que la polypho-
Dans les salons du Petit Luxem­ mais sans chaleur. S’il salue tou­ ser des déclarations aux actes », tifier de sa position sur la révi­ partis politiques ». nie ne soit pas disharmonieuse »,
bourg, voilà donc le troisième jours certaines réussites du pré­ prévient­il, soulignant que l’exé­ sion constitutionnelle afin de li­ Sept nouvelles étapes l’atten­ a-t-il déclaré. « Il n’y a pas que la
personnage de l’Etat qui fait la le­ sident de la République – comme cutif avait promis pour juillet miter la diminution du nombre dent d’ici au 10 octobre et la PMA », a-t-il noté avant d’évoquer
çon au gouvernement. « La sai­ l’organisation du G7 à Biarritz, ou d’éclairer les mécanismes de de parlementaires. conclusion de son initiative par le don d’organes ou l’importance
la publication d’une plate­forme. des recherches scientifiques.
La veille, Contre­pouvoir, son livre « Tous ces sujets-là méritent
Réforme des institutions : des concessions insuffisantes d’entretiens avec la journaliste du
Figaro Marion Mourgue aura paru
autre chose que des manifesta-
tions dans la rue », a-t-il ajouté
aux éditions de l’Observatoire. alors que La Manif pour tous
à entendre tous les acteurs du dos­ aussi deux chiffres à la baisse : la dose le 4 septembre, Gérard Larcher s’y est op­ Assis au premier rang mercredi, a prévu de se mobiliser contre
sier, un accord sur la réforme des institu­ de proportionnelle pour l’élection des dé­ posé, renvoyant le gouvernement à la Bruno Retailleau, président du le texte le dimanche 6 octobre.
tions n’aurait jamais été aussi proche putés – elle ne serait que de 20 % au lieu Constitution, qui évoque un renouvelle­ groupe LR au Sénat, justifie le pre­
d’être trouvé entre le Sénat et le gouverne­ de 25 % –, et le nombre de parlementaires, ment « partiel ». Selon des sources macro­ mier rôle institutionnel et politi­
ment. « Les discussions ont permis de beau­ qui ne diminuerait plus que de 25 % (contre nistes, ce point pourrait toujours être né­ que joué par le président de la firmer que ses conventions réu­
coup avancer », reconnaît ainsi Philippe 30 %). Deux concessions faites aux séna­ gocié dans la phase qui s’annonce. Car le Chambre haute. « On entre dans nissent désormais plus de monde
Bas, président de la commission des lois du teurs, dont l’accord est nécessaire à l’adop­ gouvernement a décidé de geler le proces­ une lessiveuse électorale qui est que la rentrée de LR à La Baule
Sénat (Les Républicains). Le gouvernement tion de l’essentiel de la réforme. Elles ne sus et de ne pas inscrire la réforme des ins­ éminemment liée aux territoires. (environ 400 personnes samedi
a présenté le 28 août une version rema­ sont pas encore suffisantes : Gérard Lar­ titutions au menu du Parlement tant qu’il C’est à la fois l’angle mort du ma­ dernier). « Il trace son sillon. Il a sa
niée de la réforme. Trois nouveaux textes cher tient à ce que le moins de départe­ n’y aurait pas d’accord. cronisme et, comme institu­ stratégie », souligne­t­on, tout en
(constitutionnel, loi organique, loi ordi­ ments possible ne disposent plus que Un nouveau sujet de crispation avec les tion, le centre du rôle du Sénat. » démentant quelque ambition
naire) remplaceront ceux dont l’examen d’un sénateur après la baisse du nombre locataires du Palais du Luxembourg. « C’est Le sénateur Philippe Bas abonde : présidentielle que ce soit. D’au­
avait été interrompu par l’affaire Benalla d’élus. La version du gouvernement pré­ ignorer le Parlement !, s’est indigné Gérard « Gérard Larcher est en train de re­ tres dans sa famille politique ju­
en juillet 2018. « Nous sommes assez pro­ voit 261 sénateurs, lui en veut 20 de plus. Larcher. Le rôle du Parlement c’est d’enrichir coudre la droite et le centre en par­ gent que le président du Sénat est
ches d’un accord sur le texte constitution­ un texte et donc d’ouvrir le débat. » « Nous tant du terrain, estime­t­il. Sa dé­ loin de se borner à la sauvegarde
nel, a assuré Nicole Belloubet. En revanche, Processus gelé sommes disponibles » pour les discussions, marche n’exclut pas, au contraire, de sa majorité. Pour un député LR,
il y a sans doute un dialogue à continuer, à Autre ligne rouge : l’exécutif veut repous­ a­t­il toutefois assuré, sans qu’on y voit elle appelle une restructuration « il joue sa carte perso, de sauveur
prolonger sur les deux autres textes. » ser d’un an les prochaines sénatoriales, plus clair sur la possibilité de cette réforme des appareils politiques de la de la droite, pour 2020 mais aussi
La version 2019 est expurgée d’un thème et organiser en septembre 2021 un renou­ d’aboutir tant elle est devenue le serpent droite et du centre. » bien au­delà ». 
de fâcherie avec le Sénat : la modification vellement intégral et non partiel du Sénat. de mer du quinquennat.  Cette compatibilité n’empêche julie carriat
de la procédure parlementaire. Elle revoit Lors de sa conférence de presse de rentrée ma. re. pas l’entourage du président d’af­ et manon rescan

Tiraillés, les macronistes choisissent de ménager le dissident Villani


Alors que le mathématicien a confirmé, mercredi, sa candidature aux municipales parisiennes, LRM a critiqué sa décision sans l’exclure

C édric Villani a réussi la pre­


mière étape de son coup
de force. Le fils rebelle de la
Macronie a beau avoir confirmé,
mercredi 4 septembre, son inten­
LRM, Benjamin Griveaux de­
meure son candidat officiel. « Il n’y
a qu’un seul candidat » de LRM
pour les municipales à Paris, « il
s’appelle Benjamin Griveaux », a
Exclure, ne pas exclure ? La
question a suscité un immense
casse­tête au sein de l’exécutif et
du parti cet été, et fait naître des
tensions. « Le problème, c’est
lequel les instances compétentes
du mouvement ont investi un autre
candidat » se trouve « lui­même
mis en dehors du mouvement ».
Donc exclu automatiquement, de
comment on pourrait l’exclure, on
passerait pour des sectaires », cons­
tatait fin août un responsable ma­
croniste. « Si on l’exclut, cela envoie
un message négatif de caporalisa­
expliqué dans son discours de
candidature, au fond d’un café du
14e arrondissement bondé de jour­
nalistes et de militants. J’ai pu me­
surer les limites du fonctionnement
tion de se présenter en dissident à martelé mercredi Stanislas Gue­ qu’on n’a que deux mauvaises facto. En outre, comme tous les tion et pourrait obérer les condi­ d’appareil politique que nous dé­
la Mairie de Paris, il ne sera pas ex­ rini. Ajoutant : « J’ai la conviction options dans cette histoire, con­ participants à la course à l’investi­ tions de la victoire, qui suppose un noncions il y a peu. » Puis il a passé
clu de La République en marche qu’il est le seul aujourd’hui qui peut fiait, il y a peu, un responsable du ture, Cédric Villani s’était engagé rassemblement à venir », appuyait l’été à consulter : « Vous m’avez dit :
(LRM) pour autant. La question a battre Anne Hidalgo », la maire so­ parti. Soit on exclut Villani, et il par écrit à soutenir le candidat mardi une source au sein de l’exé­ “Vous êtes libre, allez­y !” », a­t­il
été réglée, lundi 2 septembre, à cialiste de la capitale. peut se poser en martyr. Soit on ne désigné. Il aurait donc été logique cutif. En outre, comment sanc­ poursuivi.
l’Elysée, à l’occasion du déjeuner L’ancien porte­parole du gou­ l’exclut pas, et cela divise nos trou­ de sanctionner son incartade, tionner un élu qui se dit totale­ A présent, il n’a aucune envie de
hebdomadaire entre Emmanuel vernement a désormais pour mis­ pes dans la capitale, tout en créant comme le président de la commis­ ment loyal au chef de l’Etat et re­ rendre les armes et compte mener
Macron et son premier ministre, sion officieuse de mener active­ un précédent dangereux, qui peut sion d’investiture, Alain Richard, vendique la même démarche que une intense campagne de terrain.
Edouard Philippe, indiquent des ment campagne et de s’imposer permettre à certains de justifier puis celui de l’Assemblée natio­ lui en 2016, celle d’un « homme li­ Elle commencera vendredi par
proches du dossier. La décision a dans les sondages, afin de forcer leur dissidence ailleurs. » nale, Richard Ferrand, en ont bre », en dehors des partis ? 24 heures de rencontres, avec no­
ensuite été officialisée mercredi son concurrent au rassemble­ brandi la menace. C’est cette ligne qui l’a emporté, tamment la visite d’un internat et
par le patron du parti présidentiel, ment derrière lui. Faute d’y parve­ Espoir qu’il rentre au bercail Les tenants d’une réaction plus avec l’espoir affiché que Cédric Vil­ celle d’un cinéma indépendant.
Stanislas Guerini. Pas question de nir, il court le risque de se faire Les partisans d’une ligne dure, conciliante, eux, ont souligné que lani pourra rentrer à terme au ber­ Ce n’est que plus tard qu’arrive­
transformer le mathématicien en « débrancher », au profit de son ri­ soutenue notamment par des fi­ le pataquès actuel résultait en cail, comme une brebis égarée. ront les propositions et les « idées
victime. En dépit de sa fronde, il val… « La campagne peut avoir un dèles de Benjamin Griveaux, bonne partie de la manière dont le Mais, pour l’heure, le député de fraîcheur » promises par le menu
restera dans le parti. Quitte à créer vrai impact », juge un ténor de la avaient de solides arguments pour mathématicien avait été « humi­ l’Essonne savoure sa liberté. devant lequel Cédric Villani a fait
une périlleuse jurisprudence… majorité. Ces prochaines semai­ eux. Les statuts du parti sont lié » lors des vraies fausses primai­ « Avant l’été, j’ai participé à un pro­ sa déclaration. 
Adoubé en juillet par la com­ nes, les macronistes vont avoir clairs : d’après l’article 33, tout res. Et que l’exclusion risquait cessus de désignation dont j’ai pu denis cosnard
mission nationale d’investiture de l’œil rivé sur les sondages. « candidat à un poste électif pour d’être mal perçue. « Je ne vois pas constater l’inadaptation, a­t­il et alexandre lemarié
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
12 | VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Immobilier : Paris franchit un cap historique
Le seuil des 10 000 euros le mètre carré a été dépassé. En dix ans, le prix moyen d’un logement a crû de 66 %

P
aris est une fête pour les
propriétaires, mais le
ticket d’entrée coûte de
plus en plus cher. Selon
les données publiées par la cham­
bre des notaires, jeudi 5 septem­
bre, le prix moyen du mètre carré
dans la capitale a bien franchi le
cap des 10 000 euros en août. Il
pourrait atteindre 10 280 euros en
octobre, soit une hausse de plus
de 66 % en dix ans. Cinq arrondis­
sements sont déjà au­delà de
12 000 euros et tous dépassent les
8 000. L’envolée est sans com­
mune mesure avec celle observée
dans d’autres métropoles, même
dynamiques, comme Nantes,
Lyon ou Bordeaux. A tel point
qu’il faut gagner au minimum
11 000 euros à deux pour acheter
75 m², selon les calculs du courtier
Vousfinancer.com !
Est­on face à une bulle sur le
point d’exploser ? Le terme fait dé­
bat. « On ne peut pas vraiment par­
ler de bulle, estime Thomas Lefeb­
vre, qui chapeaute les études de la
plate­forme d’estimation en ligne
Meilleursagents.com. La situation
n’est pas comparable avec l’envo­
lée de 2009 à 2011, quand l’immo­
bilier parisien avait bondi de 40 %
en deux ans. A l’époque, les inves­
tisseurs échaudés par la chute des
marchés financiers plaçaient leur
argent dans la pierre pour reven­
dre au plus vite. Aujourd’hui, la
hausse est justifiée par les fonda­
mentaux du marché. »

Appétit d’emprunt
Si les prix atteignent des niveaux
stratosphériques, c’est en raison
notamment de la baisse excep­ des crédits à l’habitat enregistré Prudence toutefois : le HCSF jusqu’en 1997, a provoqué une pas en 2018, selon le Service de la prix. » Si on considère la distribu­
tionnelle des taux d’emprunt. en juillet : + 6,5 % (après + 6,3 % en souligne que « le renforcement » baisse de 40 % des prix. Plus ré­ donnée et des études statistiques tion des revenus à Paris, seuls
Pour les crédits immobiliers, ces juin et en mai). de la dynamique des prix et des cemment, entre 2011 et 2015, on a du ministère de la transition 24 % des habitants de l’agglomé­
derniers sont aujourd’hui cinq Cet appétit d’emprunt pour­ transactions immobilières « pour­ également assisté à une contrac­ écologique et solidaire, chargé de ration peuvent aujourd’hui
fois moins élevés qu’au début des rait­il devenir dangereux, et pla­ rait devenir préoccupant ». Car le tion de l’ordre de 10 %, sur fond de les mesurer. Or, souligne Thomas s’acheter un logement de 36 m²
années 2000. Il est donc nette­ cer certains ménages en situation marché parisien a ceci de particu­ hausses d’impôts et de dégrada­ Grjebine, économiste au Centre (surface minimum jugée décente
ment plus facile de s’endetter. de ne plus pouvoir rembourser ? lier que c’est la hausse des prix qui tion des aides fiscales à l’acces­ d’études prospectives et d’infor­ pour deux personnes), estime
D’après l’Observatoire Crédit Lo­ Pour le Haut Conseil de stabilité fi­ nourrit la demande. Cette der­ sion à la propriété. mations internationales (CEPII) et Meilleursagents.com.
gement CSA, les taux des prêts nancière (HCSF), instance chargée nière n’est pas entretenue par la spécialiste des cycles immobi­ Malgré un large accès au crédit,
(hors assurance) atteignaient en de limiter les menaces du système poussée démographique (Paris Gare à l’euphorie liers, « la dynamique de la cons­ les acheteurs potentiels ont peu
moyenne 1,2 % en juillet dans financier, « les risques sont à ce perd plutôt des habitants), l’aug­ Aujourd’hui, la conjoncture sou­ truction et celle des prix sont histo­ de chances de devenir propriétai­
toute la France. stade maîtrisés, en raison des spé­ mentation du nombre de ména­ tient davantage le marché. La riquement très corrélées, y com­ res s’ils ne bénéficient pas d’un
A la faiblesse des taux s’ajoute cificités du marché français ». Les ges (elle est continue depuis les Banque centrale européenne ne pris sur Paris ». Il n’est pas exclu, bel apport personnel. De fait, le
l’allongement de la durée des banques n’accordent, en effet, que années 1970) ou même l’arrivée semble pas décidée à relever ses pense le chercheur, « qu’on entre marché parisien est surtout en­
prêts. En 2018, ils s’étalaient en des prêts à taux fixe (pour 98,5 % de riches étrangers. « C’est une spé­ taux directeurs, ce qui devrait dans une phase de transition », tretenu par les revendeurs, qui
moyenne sur 19,9 ans. En outre, des crédits souscrits en 2018), ce culation sur le moyen et le long maintenir les taux d’emprunt au avec une correction de l’ordre de disposent à l’achat d’un capital
« la part d’apport personnel exigé qui limite les dangers liés à une terme, observe Philippe Crevel, di­ plancher. La récession menace à 5 % à 7 %. constitué.
par la banque a également été re­ possible remontée des taux d’in­ recteur du Cercle de l’épargne. l’échelle mondiale, mais le ralen­ Autre élément penchant en fa­ Les primo­accédants, eux, sont
vue à la baisse », souligne Michel térêt. La quasi­totalité bénéficie, L’idée de la plus­value est rentrée tissement est pour le moment as­ veur d’un tassement : « On ob­ de plus en plus contraints de
Mouillart, professeur d’écono­ par ailleurs, d’une caution, d’une dans la tête des gens. » sez indolore en France. De plus, serve un décalage croissant entre s’éloigner du centre. Un mouve­
mie à l’université Paris­Ouest. hypothèque ou d’une garantie. Et Pourtant, même à Paris, l’im­ l’emploi se porte bien, le taux de l’augmentation des prix et celui ment qui a fait bondir les prix
Toutes les conditions sont réu­ les banques doivent aussi tenir mobilier peut se retourner. chômage étant passé de 10,5 % des loyers à Paris, note Thomas dans les communes de petite et
nies pour permettre aux aspi­ compte du poids des rembourse­ En 1991, au début de la guerre du en 2015 à 8,7 % cette année. Grjebine. Les rendements sont grande couronne. 
rants à la propriété de s’endetter. ments mensuels par rapport aux Golfe, le marché avait dégringolé. Mais gare à l’euphorie… Les per­ faibles. Par ailleurs, les salaires ne élise barthet
En témoigne le fort dynamisme revenus de leurs clients. Cette chute, qui s’est prolongée mis de construire ont marqué le suivent pas du tout la hausse des et véronique chocron

Taxe foncière : la mauvaise surprise de la rentrée


La revalorisation de la valeur locative des logements entraîne une hausse de cet impôt pour certains propriétaires

T out a commencé cet été


dans l’Isère, lorsque
l’Union nationale de la
propriété immobilière (UNPI),
une association qui défend les
Cette valeur est un élément­clé
dans le calcul de la taxe foncière
payée chaque année par les pro­
priétaires. Elle est fixée par l’ad­
ministration fiscale en accord
Le souci est
que les valeurs
locatives
tout que l’inverse n’est pas vrai.
Les quartiers qui se sont dégradés
ou qui sont désormais situés à
côté d’un équipement générant
des nuisances devraient voir leur
d’équité des contribuables devant
l’impôt : « Les chambres de bonne
qui avaient des toilettes sur le pa­
lier dans les années 1970 et qui ont
depuis longtemps une petite salle
pas de permis de construire,
comme l’aménagement de com­
bles ou l’installation d’une nou­
velle salle de bain, c’est souvent
lors de la vente du logement que
propriétaires, a vu arriver près de avec les communes et repose sur actuelles sont taxe foncière baisser, « mais en gé­ de bain doivent payer le juste la taxe foncière est actualisée.
300 adhérents désemparés. Tous le loyer théorique que le proprié­ basées sur les néral, l’harmonisation se fait à la prix », estime­t­on à la DGFIP. Avec la loi de finances, c’est dé­
avaient reçu une lettre de l’admi­ taire serait en mesure de recevoir hausse », prévient M. Hautus. D’ores et déjà, des commissions sormais l’ensemble des loge­
nistration fiscale indiquant que s’il mettait le logement en loca­ conditions du se réunissent régulièrement lo­ ments qui devrait être concerné.
leur taxe foncière allait augmen­ tion. Elle dépend de la surface, du marché locatif du Une mesure d’équité calement pour revaloriser la va­ « On sent que le gouvernement
ter fortement. « Nous nous som­ standing de l’immeuble, de l’état En dépit de ces difficultés, le gou­ leur de certains logements. cherche de l’argent et on peut se
mes dit que quelque chose d’anor­ d’entretien de la construction, 1er janvier 1970 vernement a décidé de passer à En 2017 et 2018, la valeur locative demander si ce n’est pas pour com­
mal se passait avec ces augmenta­ mais aussi du secteur où est situé l’action. « Un article dans le projet de 134 000 locaux a été revue et penser la suppression de la taxe
tions comprises entre 8 % et 30 % », le bien. « Un quartier mal desservi de loi de finances pour 2020 qui va pour 2019, 69 000 nouveaux d’habitation qui va réduire forte­
explique Pierre Hautus, directeur par les transports en commun et puis quarante­neuf ans, aucune être présenté prochainement au biens ont été réévalués. Les loge­ ment les recettes des collectivités »,
général de l’UNPI. Un contribua­ peu demandé n’aura pas la même révision d’ampleur n’a eu lieu. Or conseil des ministres prévoit de ments des 300 adhérents de s’interroge M. Hautus. « Faux », ré­
ble grenoblois a ainsi indiqué à valeur locative qu’un apparte­ certains quartiers à l’époque peu s’attaquer au problème », explique l’UNPI sont sans doute parmi ces pond Léah Chambord qui indique
l’UNPI que sa taxe foncière pas­ ment de centre­ville dans un quar­ prisés sont aujourd’hui très re­ Léah Chambord, chargée de mis­ derniers. Par ailleurs, la réévalua­ que les contours de la réforme se
sait de 2 323 à 2 549 euros, soit tier recherché », explique­t­on à la cherchés. Une révision de grande sion finances et fiscalité à France tion est automatique lorsque des précisent et que les communes
226 euros en plus à payer cette fin direction générale des finances ampleur serait donc nécessaire, urbaine, qui représente les métro­ gros travaux sont entrepris, recevront une partie de la TVA
d’année. Un autre a indiqué dans publiques (DGFIP). mais les gouvernements succes­ poles et les grandes villes de comme des extensions ou la pour compenser la baisse des re­
un courrier que la taxe de Le souci est que les valeurs loca­ sifs ont retardé l’échéance, no­ France. La DGFIP le confirme et construction d’une piscine… cettes. En attendant, les 31 mil­
1 289 euros pour son apparte­ tives actuelles sont calculées sur tamment à la demande des élus rappelle que les locaux profes­ Dans ce cas, l’administration est lions de contribuables assujettis à
ment situé en centre­ville grim­ la base des conditions du marché locaux. Ces derniers redoutent, sionnels ont déjà fait l’objet d’une informée par le permis de cons­ la taxe foncière risquent de voir
pait de 188 euros. La raison de ces locatif du… 1er janvier 1970 pour en effet, la réaction de leurs admi­ réforme en 2017. Pour France ur­ truire ou la déclaration de tra­ leur impôt augmenter fortement
hausses : une revalorisation de la les propriétés bâties, et même de nistrés furieux de voir leur feuille baine comme pour la DGFIP, cette vaux déposée en mairie. Pour les l’an prochain. 
valeur locative du logement. celui de 1961 pour les terrains ! De­ d’impôt gonfler d’un coup. Sur­ revalorisation est une mesure améliorations qui ne nécessitent nathalie coulaud
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VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 économie & entreprise | 13

La baisse du coût des batteries, Le patron de Nissan


avoue avoir été trop payé
clé du succès des voitures vertes Une enquête interne a établi qu’Hiroto
Saikawa a perçu une rétribution inappropriée
D’ici cinq ans, les prix d’une automobile électrique seront très proches
de ceux d’un classique modèle thermique, selon le cabinet AlixPartners
tokyo ­ correspondance aux règles en vigueur. Je pensais
que cela résultait de procédures

U
ne question existen­
tielle agite l’industrie
automobile
péenne depuis des
euro­
chaines années pour finir par at­
teindre la barre cruciale des
100 dollars (91 euros) le kilowat­
theure (kWh) avant 2024, contre
Le coût de la
production des
nos clients, confirme Eric Feun­
teun, directeur du programme vé­
hicules électriques de Renault.
Nous vendons la batterie de
I l y a un peu de l’arroseur ar­
rosé dans les dernières révéla­
tions sur les rémunérations
des dirigeants de Nissan. Selon
certaines sources citées jeudi
correctes », aurait déclaré M. Sai­
kawa, selon des propos rapportés
par l’agence de presse Jiji. Le diri­
geant a promis de restituer les
sommes indûment perçues. La
mois : le gigantesque – et vital – environ 140 dollars par kWh
batteries devrait 52 kWh de la nouvelle Zoé au même 5 septembre par la presse japo­ question devrait être abordée lors
pari électrique des constructeurs aujourd’hui. Sur une période plus atteindre la barre prix que la précédente de 41 kWh. » naise, plusieurs d’entre eux, à d’un conseil d’administration
peut­il être gagné ? Une étude du longue, la chute est vertigineuse. Résultat pour l’électrique la plus commencer par l’actuel président prévu courant septembre. « S’il ap­
cabinet de conseil AlixPartners, En 2010, le prix pour produire
des 100 dollars vendue en France : une autono­ et directeur général, Hiroto Sai­ paraît que M. Saikawa, qui n’a pas
dévoilée mercredi 4 septembre, 1 kWh de batterie atteignait en­ le kilowattheure mie augmentée d’un tiers (à pres­ kawa – critique assidu des malver­ réussi à empêcher les malversa­
pourrait bien apporter un début core les 1 000 dollars. que 400 kilomètres) pour un véhi­ sations reprochées à son prédéces­ tions présumées de M. Ghosn, est
de réponse réconfortante aux L’étape est d’importance. A cule proposé à un tarif équivalent seur, Carlos Ghosn –, aurait perçu lui aussi reconnu coupable de
décideurs du secteur qui se sont 100 dollars, le coût pour le cons­ En théorie, une poussée de cette à celui de la précédente version. des dividendes d’actions supé­ fraude, son autorité pourrait être
tous lancés à corps perdu dans tructeur d’un système de batteries ampleur doit conduire à une « Ces progrès ne vont pas seule­ rieurs aux montants autorisés. affectée », estimait le 5 septembre
des investissements pharao­ pour véhicules électriques avoi­ hausse des ventes de véhicules re­ ment améliorer le coût du véhi­ Le comité d’audit du construc­ le quotidien Asahi. Et la question
niques afin d’électrifier massi­ sine le coût global (recherche + dé­ chargeables à batteries. La part de cule, ajoute M. Feunteun. En inté­ teur nippon aurait révélé, mer­ de son remplacement, lancinante
vement leurs ventes de voitures veloppement + fabrication) d’un marché des voitures électriques grant les aides de l’Etat, nous pro­ credi 4 septembre, que, selon une depuis l’éclatement en novem­
d’ici à 2030. groupe motopropulseur thermi­ en Europe est susceptible, selon le posons d’ailleurs déjà, en location enquête interne, M. Saikawa avait bre 2018 de l’affaire Ghosn, pour­
Ainsi, selon les experts d’Alix­ que, affirme l’étude du cabinet cabinet AlixPartners, d’atteindre de longue durée, un loyer mensuel touché 47 millions de yens rait de nouveau se poser.
Partners, le coût de la production américain. Autrement dit, la voi­ 15 %­20 % en 2025 puis 30 %­40 % égal entre une Clio thermique et (402 000 euros) en excès en 2013. Reste à savoir comment réagira
des batteries devrait baisser de ture verte ne sera bientôt pas plus en 2030 contre 2 %­3 % une Zoe électrique – autour de L’argent aurait été versé par l’inter­ le bureau d’enquêtes spéciales du
35 % en moyenne ces cinq pro­ chère à fabriquer que la classique aujourd’hui. Mais il va falloir que 200 euros. Après 2024­2025, les fu­ médiaire du système des droits à la parquet de Tokyo, chargé des in­
auto et son moteur à explosion. l’offre rencontre la demande des tures technologies solides permet­ plus­value des actions (Stock Ap­ vestigations concernant Carlos
Pour mesurer en quoi une telle consommateurs. Et dans cette tront de rendre la batterie – et en preciation Rights, SAR), qui per­ Ghosn, aujourd’hui en liberté sous
prévision est susceptible de chan­ équation, le prix du véhicule joue particulier sa vitesse de charge – met aux entreprises de payer, en caution avec interdiction de voir
LES CHIFFRES ger la donne, il faut revenir sur le un rôle essentiel. Aujourd’hui, moins sensible aux variations de capital ou en espèces, des bonus à son épouse et en attente de son
contexte de long terme dans le­ une voiture électrique coûte plus températures. » leurs dirigeants si les performan­ procès – prévu en mars 2020 –
quel se débat le secteur automo­ cher qu’une voiture thermique, Dans ce rassurant avenir, de­ ces sont bonnes. pour la minoration de ses déclara­
bile. Les quatre dernières années hors aides gouvernementales, meure une incertitude qui pour­ tions de revenus et pour abus de
19 % ont été marquées par les suites du d’abord à cause du coût de la bat­ rait venir gâcher les prévisions et Promesse de remboursement confiance aggravée.
C’est la part des véhicules électri- scandale Volkswagen des mo­ terie, qui représente un bon tiers remettre à plus tard la baisse du Les informations du comité Le 1er septembre, dans Le Journal
ques rechargeables (12 % purs teurs diesel truqués et la prise de du coût global. prix des batteries : les fluctua­ d’audit confirmeraient les accusa­ du dimanche, l’avocat français de
électriques + 7 % hybrides re- conscience autour du réchauffe­ tions des matières premières né­ tions formulées en juin par l’avo­ M. Ghosn, François Zimeray, s’en
chargeables) dans les ventes ment climatique. Cette situation a Autonomie augmentée cessaires à l’électrochimie. La bat­ cat américain Greg Kelly – l’ex­bras prenait au parquet de Tokyo.
de voitures neuves en Europe conduit à des transformations de « Tout semble s’aligner pour aller terie contenant, en effet, des mé­ droit de Carlos Ghosn – mis en « Tout semble permis au procureur
en 2025, selon le cabinet Alix- l’environnement réglementaire. vers cette réduction du prix, dé­ taux en quantité plus ou moins examen pour avoir contribué à japonais pour qui l’enjeu est autant
Partners. Ce taux s’élèverait à En Chine, les autorités locales et taille Georgeric Legros, directeur importante selon la technologie : minorer les revenus de M. Ghosn, de ne pas perdre la face que de dy­
13 % (9 + 4) à l’échelle mondiale. gouvernementales encouragent au bureau parisien d’AlixPar­ lithium, cobalt, nickel, manga­ dans les rapports remis par Nissan namiter la tutelle française sur Nis­
la production et l’achat de véhicu­ tners. Les innovations en matière nèse, fer, aluminium, etc. aux autorités boursières entre san en protégeant ses actuels diri­
les électriques. Dans l’Union de composants chimiques amélio­ La trajectoire vertueuse vers les 2011 et 2015, puis entre 2015 et geants avec qui a été passé un ac­
600 européenne, des objectifs de ré­ rent la densité énergétique des bat­ 100 dollars du kWh s’entend à des 2018, le tout pour 9 milliards de cord secret. »
C’est, en gigawattheures (GWh), duction des émissions de CO2 im­ teries de 15 % à 50 %, ce qui aug­ niveaux de prix du cobalt, du nic­ yens. M. Ghosn et Nissan sont mis Lundi 2 septembre, Tetsuya Sogi,
la prévision de demande mon- posée à l’industrie automobile mente l’autonomie à poids de bat­ kel et du lithium équivalents à en examen dans cette affaire. fraîchement nommé à la tête du
diale en capacité de batterie pour 2020, 2025 et 2030 (assortie terie égal. Si vous ajoutez les pro­ ceux d’aujourd’hui. AlixPartners a Dans une interview publiée le parquet de Tokyo, a défendu l’en­
en 2025, soit cinq fois plus de fortes amendes en cas de dé­ grès en matière de charge rapide, simulé une hausse « prévisible » et 10 juin par l’hebdomadaire Bungei quête menée sur M. Ghosn, affir­
qu’en 2019 (125 GWh). passement), contraignent les qui vont diviser par quatre les raisonnable du cours de ces trois Shunju, M. Kelly expliquait que Hi­ mant qu’elle était conduite confor­
constructeurs à augmenter consi­ temps de charge, et une certaine métaux­clés. Le prix du kWh roto Saikawa avait bénéficié, mément au droit japonais. Il a éga­
dérablement leurs ventes de voi­ tension baissière sur les prix des s’équilibrerait alors à 110­115 dol­ en 2013, d’une dérogation dans le lement dit ne pas comprendre les
50 % tures électriques. Ces derniers, cellules du fait des surcapacités lars, ce qui reste acceptable. Mais, versement de dividendes d’ac­ accusations de « justice de l’otage »
C’est l’augmentation maximale pour électrifier la production, ont dans les usines chimiques asiati­ en cas de hausse plus forte et bru­ tions. Il les avait touchés avec une ciblant le système judiciaire nip­
prévue de la capacité énergéti- donc entrepris un effort sans pré­ ques, vous avez tous les éléments tale des matières premières, toute semaine de retard, alors que la va­ pon, critiqué pour sa tendance à
que des packs de batteries cédent, qu’AlixPartner évalue à d’un cycle baissier. » la mécanique économique de la leur des titres avait augmenté. garder en détention les suspects,
entre 2019 et 2024. Le minimum 200 milliards de dollars d’inves­ « C’est un phénomène que nous voiture électrique serait grippée.  « J’ai reçu une rétribution sous jusqu’à ce qu’ils avouent. 
d’augmentation serait de 15 %. tissement entre 2019 et 2024. observons et qui bénéficie déjà à éric béziat une forme qui ne correspond pas philippe mesmer

Mediaset gagne une bataille contre Vivendi NOUVEAU


Le groupe de télévision privé italien de Silvio Berlusconi a fait voter, contre l’avis
de Vincent Bolloré, un projet de fusion de ses activités italiennes et espagnoles
HORS-SÉRIE

E n Italie, Silvio Berlusconi


vient de gagner une man­
che contre son ancien ami
Vincent Bolloré. Son groupe de té­
« Je ne crois pas
qu’on puisse
avoir de doute
péen. Je ne crois pas qu’on puisse
avoir de doute sur le fait que nous
ayons des objectifs industriels. »
Pour parvenir à ses fins, Media­
ria de voter », a dénoncé le groupe
français, qui se prépare à un nou­
veau recours contre Mediaset.
Voici trois ans que M. Bolloré est
Des cures
maison
lévision, Mediaset, a voté, mer­ set a tout fait pour barrer la route à prisonnier de Mediaset. Au départ,
credi 4 septembre, en faveur d’un sur le fait que Vivendi lors de l’assemblée géné­ le Breton et Silvio Berlusconi
projet de fusion de ses entités rale. Ce dernier dispose de 9,9 % de avaient un projet commun, celui
nous ayons
européennes. Présenté comme
un moyen de mieux s’armer des objectifs
droits de vote en direct, et de 20 %
de manière indirecte, à travers Si­
de créer une plate­forme de télévi­
sion payante européenne, fondée
pour chaque saison
contre Netflix et les autres géants mon Fiduciaria. C’est la justice ita­ sur le service déjà existant Media­ DÉTOX • IMMUNITÉ • TONUS
américains, ce rapprochement
industriels » lienne qui avait obligé le groupe set Premium. Pour ce faire, il était
permettra de loger, dans la même FEDELE CONFALONIERI hexagonal à geler une partie de prévu un échange de participation
entité, Mediaset (qui comprend président de Mediaset ses droits de vote, dans la mesure dans leur groupe respectif. 60
RECETTES
notamment les chaînes privées où il est aussi le premier action­ Las, avant même d’avoir posé la 20
italiennes Italia 1, Rete 4 et Ca­ naire de l’opérateur Telecom Italia. première pierre à ce projet, MONO-DIÈTES

nale 5) et Mediaset España, qui du groupe français. Mediaset l’homme d’affaires breton et le
possède Telecinco. Baptisée « Me­ aurait bien offert à Vivendi de cé­ Vers un nouveau recours fondateur de la formation de cen­
dia for Europe », la société sera do­ der ses titres, mais à un prix de Fin août, Mediaset a annoncé à Vi­ tre droit Forza Italia se sont dispu­
miciliée aux Pays­Bas. 2,60 euros par action, bien infé­ vendi qu’il ne pourrait pas voter le tés, et Vincent Bolloré a tenté un
Depuis le départ, Vivendi, rieur aux 3,70 euros dépensés 4 septembre. Ce dernier a contesté coup de force en montant au capi­ Avec
deuxième actionnaire de Media­ pour les acquérir. cette décision en justice, qui lui a tal du groupe transalpin. Depuis, le docteur
set, est farouchement opposé au « C’est un projet dont dépend, à donné raison. Le groupe a pu exer­ les parties sont à couteaux tirées Charrié
Les secrets d’une
projet. Pour le propriétaire de Ca­ notre avis, l’avenir du groupe, a cer ses 9,9 % de droits de vote. Puis et s’affrontent dans les tribunaux. médecine préventive
nal+, cette fusion n’a d’autre fonc­ contesté Fedele Confalonieri, le Mediaset a attendu mercredi Chez Vivendi, on a quand même
tion que de renforcer les pouvoirs président de Mediaset, lors de 4 septembre, à quelques heures de cru trouver un accord avec Silvio
de la famille de Silvio Berlusconi l’assemblée générale. Nous avons l’assemblée générale, pour inter­ Berlusconi en décembre 2018 Cure de raisins, d’ananas-champignons, de citron-cannelle ou
au sein de Mediaset et n’offre déjà fait la démonstration que dire à Simon Fiduciaria de s’expri­ pour obtenir une sortie par le d’avoine-fruits rouges... À chaque besoin et à chaque saison
aucune synergie intéressante. nous étions prêts à investir massi­ mer lors de la réunion des action­ haut. Mais l’ex­premier ministre correspond une mono-diète à faire à la maison, avec les fruits
Grâce à un jeu de droits de vote vement dans ProSiebenSat.1 [Me­ naires. Un délai si serré que l’entité italien a fait volte­face en janvier. et légumes du moment. Retrouvez 20 cures et 60 recettes pour
multiple des actions nouvelles, Fi­ diaset est entré, en juin, à hauteur n’a pas pu contester cette décision Pour lui non plus, tout n’est pas booster votre énergie, lutter contre les rhumatismes ou la cellu-
ninvest, la holding familiale de de 9,9 % dans le groupe de télévi­ devant le tribunal. rose. Le nouveau gouvernement
lite, enrayer les coups de froid ou les excès des fêtes...
l’ex­chef de gouvernement italien, sion allemand, présent outre­ Or un vote négatif de la société fi­ italien pourrait faire adopter une
verrait passer ses droits de vote de Rhin, en Autriche et en Suisse]. duciaire aurait fait basculer le pro­ loi sur les conflits d’intérêts, ce
45,9 % à 87 %, fait valoir Vivendi. Et Avec eux, comme avec d’autres jet de Mediaset, qui nécessitait les qui obligerait l’octogénaire, selon HORS-SÉRIE - 148 PAGES - 12 €
ce, « sans payer de prime de con­ opérateurs de premier plan, nous deux tiers des voix. « Cette résolu­ certains analystes, à se désenga­ En vente chez votre marchand de journaux et sur www.sensetsante.fr
trôle, ni offrir de sortie aux action­ avons engagé des discussions tion a été adoptée grâce à l’interdic­ ger d’une partie de son empire. 
naires minoritaires », dit un proche pour construire un futur paneuro­ tion illégale faite à Simon Fiducia­ sandrine cassini
0123
14 | économie & entreprise VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

PERTES & PROFITS | CONCURRENCE
Le gouvernement britannique par philip pe esc and e

annonce la « fin de l’austérité » Ouragan en vue


sur Google
Le chancelier de l’Echiquier programme une hausse des dépenses
Dorian n’est pas la seule menace lions d’euros) pour avoir exposé
climatique qui rôde en ce mo­ les enfants à des vidéos inappro­
londres ­ correspondance Si cela ne s’apparente pas réelle­ mande et sous l’inflation du prix ment le long des côtes américai­ priées et collecté des données
ment à un plan de relance, cela
La dramaturgie des soins, reçoit également une nes. Lundi 9 septembre, un oura­ personnelles les concernant.

E
n temps normal, l’an­ représente quand même une du Brexit et la aide supplémentaire, en hausse gan d’un autre genre devrait at­ Enfin, le Financial Times a sou­
nonce des grandes lignes somme considérable : une aug­ de 3,1 % en valeur réelle. teindre les rivages californiens. levé un nouveau lièvre, mercredi
budgétaires (spending re­ mentation de 4,1 %, en valeur
bataille politique En grande partie, il s’agit de re­ Ce jour­là, près d’une trentaine 4 septembre, avec l’accusation
view) pour l’année à ve­ réelle, du budget de fonctionne­ au Parlement faire ce qui a été défait depuis de procureurs généraux d’autant d’un concurrent qui a porté
nir est l’événement de la semaine, ment du gouvernement britan­ près de dix ans. Les effectifs des d’Etats américains devraient an­ plainte en Irlande, en affirmant
voire du mois, à la Chambre des nique. « La hausse la plus forte de­
ont relégué forces de l’ordre avaient juste­ noncer le lancement d’une en­ que la firme exploitait les don­
communes. Mercredi 4 septem­ puis quinze ans », affirme M. Javid. au second plan ment baissé de 20 000 policiers quête coordonnée sur les prati­ nées de particuliers à des fins pu­
bre, alors que Sajid Javid, le chan­ De quoi annuler les deux tiers des en une décennie. Les écoles vont ques antitrust de Google. Une blicitaires sans les prévenir, ce
celier de l’Echiquier, entamait coupes budgétaires effectuées de­
la réalité progressivement retrouver le ni­ pratique qui permet aux justices qui est contraire au règlement
l’exercice, les députés ont pour­ puis 2010 pour les dépenses cou­ économique veau de financement par élève des Etats de combiner leurs for­ général sur la protection des
tant commencé à quitter leur rantes, selon les calculs de l’Insti­ d’avant la crise. « Et vous voudriez ces et de faire pression sur les données européen.
place. Même Boris Johnson, le tute for Fiscal Studies, un groupe qu’on se réjouisse de ça ? », s’agace autorités fédérales pour qu’elles
premier ministre, s’est levé de son de réflexion. Entre les deux partis, l’heure est M. McDonnell. lancent à leur tour une enquête Victime de son succès
banc, avant d’être rappelé à l’ordre désormais à la surenchère dans Cette série de promesses, qui approfondie. C’est ce qui s’était Bien sûr, Google n’est pas la seule
par l’un de ses ministres. La dra­ Une surenchère de promesses les promesses. John McDonnell, restera lettre morte si le gouver­ passé dans les années 1990 victime de cette nouvelle météo
maturgie du Brexit et la bataille En cette période préélectorale, numéro deux du parti travailliste, nement de Boris Johnson perd le autour du cas Microsoft, accusé politique. Facebook avait essuyé
politique à mort qui se déroule alors que Boris Johnson réclame à estime que les décisions de M. Ja­ pouvoir, respecte les limites des d’utiliser son monopole sur Win­ les premiers vents de la tempête
au Parlement ont relégué au se­ cor et à cri une élection législative vid ne vont pas assez loin : « N’in­ règles budgétaires que les conser­ dows pour entrer sur de nou­ avec les scandales à répétition
cond plan la réalité économique. anticipée (que le Parlement lui re­ sultez pas l’intelligence des Britan­ vateurs se sont auto­imposées. veaux marchés. sur la protection des données
En temps normal, pourtant, l’an­ fuse), l’annonce fleure bon le ca­ niques. Ce sont des promesses élec­ En particulier, Philip Hammond, C’est la saison des intempéries privées et Amazon est également
nonce de M. Javid aurait marqué deau populiste. Mais elle marque torales. Les tories ont regardé les le prédécesseur de M. Javid, avait à Mountain View, le siège de dans le collimateur des autorités
un profond virage : « Après une aussi un important virage rhéto­ sondages pour connaître les deux promis que le déficit « structurel » Google. La firme n’arrête pas pour son appétit sans limites.
décennie de redressement, nous rique, les conservateurs s’étant ou trois sujets qui inquiétaient les (corrigé du cycle de la croissance) d’empiler les sacs de sable face Google apparaît de plus en plus
tournons la page de l’austérité. » battus cette dernière décennie gens, et y ont mis aussi peu d’ar­ ne dépasserait pas 2 % du PIB. aux vagues qui déferlent. Elle a victime de son succès. Sa réus­
Le grand programme de coupes pour paraître, au contraire, le plus gent que possible. » « J’ai toujours cru à l’importance déjà été touchée par la tornade site, dans le domaine de la publi­
budgétaires, débuté en 2010, qui a père la rigueur possible. Les priorités de M. Javid vont de vivre dans la limite de Margrethe Vestager, la commis­ cité sur le Net, est tellement écla­
dominé la politique du gouverne­ Désormais, quelle que soit la aux promesses que M. Johnson nos moyens, explique M. Javid. saire européenne à la concur­ tante que toute tentative pour
ment conservateur, est terminé. tournure des événements dans répète depuis qu’il a accédé au Même avec ces dépenses sup­ rence, qui a infligé plus de 8 mil­ sortir de cette prison dorée est
Cela fait déjà quelques années les mois qui viennent – Brexit ou 10 Downing Street : 750 millions plémentaires, nous respecterons liards d’euros d’amendes à la interprétée comme un abus de
qu’il a été réduit. Mais le chan­ pas, élection ou pas –, l’austérité de livres pour commencer à em­ nos règles budgétaires. » firme et entame une nouvelle position dominante. Et les politi­
celier de l’Echiquier promet dé­ est terminée. Ce sera le cas si baucher 20 000 policiers, 1,8 mil­ Pas si sûr, réplique l’Institute for enquête. Aux Etats­Unis, sa filiale ques, comme les cyclones, finis­
sormais d’augmenter les dépen­ M. Johnson parvient à rester au liard pour les écoles primaires et Fiscal Studies : « Ce sera serré, YouTube va devoir payer sent toujours par s’attaquer aux
ses. En plus du budget déjà pouvoir. Ce sera aussi le cas si secondaires, 1 milliard pour l’aide même si la sortie de l’Union euro­ 170 millions de dollars (154 mil­ îles les plus paradisiaques. 
prévu par son prédécesseur, il les travaillistes gagnent les élec­ aux personnes âgées en situa­ péenne se passe en douceur. »
va injecter 13,4 milliards de li­ tions. Jeremy Corbyn, à la tête du tion de dépendance… Le service Et en cas de « no deal », une sortie
vres (14,9 milliards d’euros) sup­ Labour depuis quatre ans, a fait de santé, qui a été exempt sans accord, le ralentissement
plémentaires, pour l’année, du combat contre les coupes bud­ des coupes les plus drastiques de­ économique risquerait de pro­
d’avril 2020 à mars 2021. gétaires son cheval de bataille. puis 2010, mais croule sous la de­ voquer une soudaine hausse des DISTRIBU TION annoncé la société, jeudi
emprunts. Daniel Kretinsky 5 septembre.
Le Royaume­Uni peut cepen­ au capital de Casino
dant se le permettre. Le déficit, Vesa Equity Investment, la MÉDIAS
qui avait atteint 10 % du PIB holding d’investissement dé­ Orange cesse la
en 2010, est désormais de 1,2 % du tenue majoritairement par diffusion de BFM-TV
PIB. Quant à la dette, après avoir l’homme d’affaires tchèque Après Free, Orange a coupé,
doublé, elle est en légère baisse Daniel Kretinsky, actionnaire jeudi 5 septembre, le signal des
depuis deux ans, à 83 % du PIB.  indirect du Monde, détient chaînes d’Altice (BFM­TV, RMC
éric albert 4,63 % du capital de Casino, a Story et RMC Découverte).

Révélations Patrick Buisson Gaspard Kœnig Manuel Woody Allen Confession


raconté par son fils de survie à l’ère de L’IA sur notre époque
« Portabilité des données » :
sous pression, Facebook riposte
www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 5 septembre 2019 n° 2453
Sommée de permettre qu’on quitte le réseau social avec ses contacts

Spécial
et ses contenus, l’entreprise liste ses objections dans un Livre blanc
114
PAGES

vins
P ortabilité des données. »
Cette expression technique
désigne la possibilité pour
l’utilisateur d’un réseau social de
récupérer ses contacts ou ses
sa fonction « Téléchargez vos in­
formations », Facebook estime
être en conformité avec ces textes.
Mais, reconnaît Mme Egan, cet outil
n’est « pas très pratique et certains
de vos amis sont identifiables ? »,
poursuit la responsable. Face­
book prépare pour octobre un
prototype d’outil de portabilité
des photos, au sein du Data Trans­
contenus pour les emporter vers voudraient un transfert direct vers fer Project, un groupe réunissant
un service concurrent. De plus en d’autres services ». Google et d’autres plates­formes.
plus de pouvoirs publics ou d’asso­ En effet, télécharger un gros fi­ Mme Egan soulève un autre
ciations y voient un moyen de chier avec les contenus de ses point : « Qui est responsable, en
limiter la domination de plates­ billets Facebook ne suffit pas à cas d’usage problématique, par
formes comme Facebook ou You­ migrer vers un autre réseau so­ un service concurrent, des don­
Tube. Conscient de cette pression, cial. Certains prônent une por­ nées transférées ? » Une allusion à
143 grandes bouteilles le réseau social fondé par Mark
Zuckerberg a publié, mercredi
tabilité plus poussée et même
une « interopérabilité » qui per­
la polémique Cambridge Analy­
tica, en mars 2018, lorsqu’on a
à moins de 10 euros 4 septembre, un Livre blanc sur la
question. Son objectif : montrer
mettrait de communiquer avec
ses contacts sur d’autres réseaux.
reproché à Facebook d’avoir
transféré des données vers des
514 vins sélectionnés que la mise en œuvre de cette por­
tabilité soulève des questions juri­
« Des régimes plus stricts peuvent
être imposés par le biais de régula­
tiers, sans contrôle.
Facebook ne cherche­t­il pas à
13 appellations au top diques et techniques.
« Nous sommes favorables à la
tions de secteurs », préconise un
rapport sur « La politique de la
retarder l’avancée de la portabi­
lité ? « Nous ne ralentissons pas
portabilité et nous voulons amé­ concurrence à l’ère numérique » les choses, nous avançons », ré­

Foires aux vins liorer nos outils. Beaucoup de voix


vont dans ce sens. Mais il y a peu
rédigé en mars par des experts de
la Commission européenne.
pond Mme Egan, alors que Face­
book va organiser des « ateliers »
Le guide complet de lignes directrices sur la façon avec des experts, à Berlin, à
MICHEL LABELLE POUR « LE POINT »

de le faire », justifie Erin Egan, vi­ « Qui est responsable ? » Washington ou à Singapour.
de Jacques Dupont Loïc Massart
ce­présidente responsable de la En France, La Quadrature du Net, La Quadrature du Net n’est tou­
et Olivier Bompas Domaine « Les Chemins de Sève »,
à Vaison-la-Romaine
protection de la vie privée chez
Facebook. Celle­ci rappelle que
avec 74 autres organisations de
défense des libertés sur le Web,
tefois pas convaincue : « L’intero­
pérabilité, c’est justement l’idée
(Provence-Alpes-Côte d’Azur).
M. Zuckerberg avait jugé, dans a demandé, fin mai, au gouverne­ que les gens puissent contrôler
une tribune en mars, que la por­ ment de forcer les grands réseaux quelles données ils mettent sur
tabilité était l’un des domaines à être « interopérables ». quel réseau social, explique
dans lesquels davantage de « ré­ Facebook estime qu’exporter la Martin Drago, juriste de l’associa­
gulation » serait souhaitable. liste de ses « amis » vers un autre tion. Et l’interopérabilité entre
Le Règlement général sur la pro­ service peut poser un problème Orange et SFR pour le téléphone,
tection des données européen et la de respect de la vie privée : ou entre Gmail et La Poste pour les
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX loi de protection des consomma­ « Que se passe­t­il si les personnes courriels, n’a pas vraiment posé de
et sur boutique.lepoint.fr teurs de l’Etat de Californie, aux
Etats­Unis, imposent déjà qu’un
concernées ne sont pas d’ac­
cord ? », demande Mme Egan. Fau­
question de vie privée… » Le volon­
tarisme de Facebook est en tout
utilisateur puisse récupérer les in­ drait­il leur demander une forme cas un signe que les débats sur la
formations qu’il a soumises à un de « permission » ? « Et si vous portabilité vont s’animer. 
réseau social. Avec la mise à jour de transférez des photos où certains alexandre piquard
PLANÈTE
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 | 15

Lentilles produites par


la société Copeland
Seeds, à Elrose (Canada),
le 10 juillet.
PHOTOS : JULIEN GOLDSTEIN
POUR « LE MONDE »

Les lentilles miraculeuses


du Canada CANADA

SASKATCHEWAN

MANGER DEMAIN 5 | 6 En une quarantaine d’années, les agriculteurs de la Saskatoon


Rosetown
Moose Jaw Regina
province de la Saskatchewan ont fait du Canada le principal
producteur mondial de la légumineuse, considérée comme une CANADA ÉTATS-
UNIS
alternative aux protéines animales. Avec des méthodes intensives Ottawa 750 KM

REPORTAGE katoon, ville la plus peuplée de la province


avec 273 000 habitants, David Purcell parti­
saskatoon, rosetown, elrose (canada) ­
envoyée spéciale
cipe à cet effort national. En cette mi­juillet, le
fils de Murray affiche cependant une mine

L
e ciel de juillet charrie des carava­ soucieuse. Ses plans de lentilles pointent tout
nes de nuages. La Saskatchewan juste alors qu’ils devraient être en fleurs. « J’ai
honore son surnom de « Pays des semé le 28 avril et on commence en principe à
cieux vivants » (« The Land of Li­ récolter mi­août », explique ce quadragénaire
ving Skies »), mais les sols de cette en casquette et salopette.
province de l’Ouest canadien ne Les yeux rivés sur l’écran de son smart­
sont pas en reste. Quadrillés par des chemins phone, il consulte des applications qui actuali­
rectilignes tel un gigantesque patchwork aux sent les prévisions météorologiques toutes les
nuances or et vert, ils exultent. Blé, orge, quinze minutes et qui simulent le rendement
avoine, canola – une variété de colza spécifi­ de la récolte à venir. Même si les lentilles, peu
que au Canada –, graines de moutardes… No­ gourmandes en eau, sont parfaitement adap­
tre pick­up vorace en gazole et aux amortis­ tées au climat semi­aride de cette région, la sé­
seurs robustes semble tracer une route sans cheresse – enrayée de justesse par quelques
fin dans cette profusion de cultures à perte précipitations récentes – a bien failli les faire
de vue et à 360 degrés. mourir. « Heureusement, la neige de fin d’hiver
Avec l’Alberta et le Manitoba, la Saskat­ « FAIRE POUSSER  a laissé de l’humidité dans le sol et il doit pleu­
chewan compose la région des Prairies cana­ voir encore », se réjouit David Purcell.
diennes. Située dans le prolongement des LES LENTILLES, 
Grandes Plaines des Etats­Unis, cette province C’EST ASSEZ  UNE DENRÉE PRÉCIEUSE
de 1,1 million d’habitants compte près de Il plonge les mains dans un bac et laisse filer
19 millions d’hectares de terres cultivées qui SIMPLE, MAIS entre ses doigts, comme autant de pièces
font d’elle le grenier alimentaire du pays. Une d’or, un flot de lentilles rouges. Une partie tamine B9, et elles sont aussi pauvres en gras Kelly McFarell,
fois libérées de la gangue de gel et de neige qui IL FAUT ÊTRE BON  du stock de 2018 qu’il s’est refusé à brader… et en calories : un vrai remède à l’insécurité ali­ à Zealandia, le 12 juillet.
les contraint au repos jusqu’à 250 jours par an, « Les faire pousser, c’est assez simple, mais il mentaire mondiale », affirme Murray Purcell, L’exploitant se prépare
ces terres savent se montrer généreuses. Et les
EN MARKETING » faut aussi être bon en marketing, dit­il. Bien qui a enseigné l’éducation physique et spor­ à épandre un herbicide
bouquets de silos rutilants qui les hérissent DAVID PURCELL ventilées, elles gardent leur couleur et je peux tive et les sciences durant vingt ans avant de dans un de ses champs
recèlent bien d’autres richesses que les tradi­ exploitant les conserver jusqu’à trois ans. » Et attendre prêter main­forte à son père agriculteur. Mais de lentilles.
tionnels oléagineux et céréales. que les cours remontent. il avoue toujours préférer un steak de bœuf
Ces dernières décennies, le blond dominant Verte, blonde, noire ou rouge corail, la len­ Angus élevé en liberté à un plat de lentilles.
du blé et du canola a cédé du terrain à des ali­ tille est ici est une denrée précieuse. Selon Les agriculteurs de la Saskatchewan n’ont en
gnements de pousses vert tendre inattendues l’agence du gouvernement fédéral Statistique effet pas adopté ces petites graines par goût,
sous ces cieux. D’aspect fragile, celles­ci ne dé­ Canada, cette culture arrivait dans la province, ou par altruisme, mais par nécessité.
passent guère quelques dizaines de centimè­ en 2016, en troisième position derrière le ca­ Quelques kilomètres plus au sud, à Elrose,
tres une fois à maturité. « Des lentilles…, révèle nola et le blé de printemps en superficie décla­ Bill Copeland, 82 ans, un colosse tout de jean
notre guide, Murray Purcell, 70 ans. La Saskat­ rée avec plus de 2 320 000 hectares (he) a con­ vêtu, à la main rêche et au visage buriné, est
chewan assure 40 % de leur production mon­ tre seulement plus d’1 125 000 ha en 2011. Soit un pionnier de cette conquête hardie. Il est
diale, ce qui fait aujourd’hui du Canada le pre­ une hausse de 106,2 % sur cette période tandis l’un des premiers à avoir parié sur la lentille,
mier producteur et exportateur de la planète. » que la culture du blé reculait de 16,3 %. dès le début des années 1970. Il retrace la ge­
Le pays en exporte même… en Inde, où cette A entendre ses cultivateurs, c’est une plante nèse de leur introduction dans la rotation des
plante fait partie de l’alimentation de base. miraculeuse. « Les lentilles sont riches en fi­
Sur son exploitation de Rosetown, à une bres, en protéines, en glucides et en micronu­
heure quarante de route au sud­ouest de Sas­ triments essentiels comme le fer, le zinc, la vi­ lire la suite page 16
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16 | planète VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Les silos à légumineuses de la société Copeland Seeds, à Elrose (Canada), le 9 juillet.

suite de la page 15 réinvesties dans les programmes du Centre


de développement des cultures pour l’ac­
croissement de la productivité. Plus de 150
cultures dans le Sud aride de la Saskat­ variétés de légumineuses ont ainsi vu le jour
chewan. Comme Murray Purcell et tous leurs par l’entremise de l’organisme de recherche.
collègues, il a d’abord cultivé du blé. « Pour chaque dollar investi, on en a eu 20 en A Saskatoon,
« La commission canadienne du blé avait le retour, estime Murray Purcell, probablement le 13 juillet.
monopole de sa vente et de son exportation, en deçà de la réalité. Et les sols ont bénéficié de Le docteur
raconte­t­il. Elle établissait des quotas et nous l’introduction des lentilles dans la rotation des Alfred Slinkard,
versait des paiements initiaux, mais le solde cultures. » Aujourd’hui, la plupart des agricul­ 88 ans, directeur
n’arrivait qu’à la fin de la campagne, huit mois teurs de la Saskatchewan plantent jusqu’à un de recherche
plus tard. Avec les excédents mondiaux dans quart de leurs terres en légumineuses chaque retraité
les années 1970, les prix étaient très bas et nous année. Celles­ci présentent en effet l’avantage du Centre de
nous retrouvions avec des silos pleins de blé de fixer l’azote dans les sols, ce qui permet de développement
produit à des coûts supérieurs aux prix fixés diminuer le recours aux engrais et aux herbi­ des cultures de
par la commission. » cides, lorsqu’on réintroduit les céréales et les l’université de la
C’est un désastre. Les agriculteurs de la Sas­ oléagineux les années suivantes. Et leur pré­ Saskatchewan.
katchewan cherchent donc désespérément à sence, une année sur cinq dans la rotation, di­
cultiver tout ce qu’ils peuvent vendre. En fé­ minue les émissions de gaz à effet de serre sur
vrier 1972, la nomination d’un Américain, le l’ensemble d’un cycle.
docteur Alfred Slinkard, comme directeur de « Je n’avais aucune idée de l’ampleur que
recherche au tout nouveau Centre de dévelop­ prendraient mes recherches, s’étonne encore
pement des cultures de l’université de la Sas­ Alfred Slinkard. Je ne suis ni économiste ni
katchewan facilite cette réorientation de ma­ commercial, simplement un chercheur qui
nière providentielle. Transfuge de l’université
de l’Idaho, cet agronome ingénieux travaille à
l’époque sur le développement d’une variété
de pois adaptés aux conditions canadiennes.
Les racines, cruciales pour la sécurité alimentaire
ADAPTATION DE L’ÉQUIPEMENT AGRICOLE pour les scientifiques de Global donc une partie de la solution », synthé­ de gaz à effet de serre que le bétail – durablement leurs cultures aux condi­
« Les caractéristiques des deux cultures étant institut for food security (GIFS), labo­ tise le professeur américain Leon Ko­ contribue efficacement à la lutte tions agricoles qui s’imposent à eux. »
très proches, je me suis procuré les lentilles de ratoire de recherche canadien, ins­ chian, directeur associé du GIFS. contre le changement climatique. Pour étudier les dessous des plantes,
la collection du ministère de l’agriculture des tallé sur le campus de l’université de Pour s’acquitter de sa mission qui « Rendre les racines résilientes permet le GIFS a développé des systèmes d’ima­
Etats­Unis, j’en ai testé dix variétés sur des ter­ la Saskatchewan, à Saskatoon, l’avenir consiste à « nourrir le monde en amé­ un transport plus efficace de l’eau et des gerie en 2D et en 3D permettant d’ob­
res que Bill Copeland et d’autres mettaient à de la planète se joue désormais… liorant les cultures à travers la génomi­ nutriments vers la partie aérienne des server des végétaux produits en culture
ma disposition, raconte ce professeur émérite quelques pieds sous terre. Depuis que » et à « accroître la production ali­ plantes et favorise l’émergence de varié­ hydroponique : la méthode consiste à
du département des sciences végétales de 2016, date d’entrée en opération de mentaire pour les pays en développe­ tés adaptables même à des sols pauvres, les placer dans une solution composée
l’université de la Saskatchewan de 88 ans. leur entité, ils cherchent une parade à ment, le Canada et la Saskatchewan », notamment dans les régions où le man­ d’eau, d’azote, de phosphate et de potas­
Sept variétés ont pris, j’en ai lancé deux qui la crise alimentaire mondiale, à l’in­ le GIFS s’appuie également sur l’équipe que de nutriments et la présence de mé­ sium. « On dispose ainsi d’un système ra­
sont devenues très populaires : la Laird, flation démographique galopante et à du professeur Tim Sharbel, centrée sur taux toxiques limitent le rendement », cinaire vierge de terre, on contrôle 100 %
en 1978, et l’Eston, en 1980. » la compétition féroce pour les terres l’amélioration de la qualité des semen­ explique Pierre­Luc Pradier, physiolo­ des nutriments auxquels la plante a ac­
Signe de sa passion pour le sujet, le docteur arables afin d’aider les 195 Etats signa­ ces et leur biologie reproductive, et giste végétal français chargé de la ges­ cès, et on peut la soumettre à des stress
Slinkard a ressorti des piles de publications taires de l’accord sur le climat, de celle du professeur Dave Schneider, tion du laboratoire de Leon Kochian. de nutriments, de température, et/ou de
concernant ces travaux et a enfilé une veste 2015, à tenir leur engagement de spécialiste de l’agriculture numérique. « Sécheresses, inondations et autres métaux toxiques », note M. Pradier.
pour nous recevoir dans sa résidence pour se­ « contenir la hausse des températures épisodes climatiques extrêmes vont en­ L’équipe de Leon Kochian peut donc
niors de Saskatoon. Il raconte que les agricul­ à 1,5 degré par rapport à l’ère préindus­ Systèmes d’imagerie core réduire la superficie de sols sains cartographier les gènes associés aux ca­
teurs ayant foi dans la lentille ont su prendre trielle ». Et le meilleur moyen d’y par­ La recherche fondamentale à laquelle pouvant servir à la production alimen­ ractéristiques du système racinaire qui
leur destin en main quand, en 1976, onze venir est, selon eux, de prendre se consacrent ces scientifiques fait taire, prévient son patron. Les sols aci­ favorisent l’absorption des éléments
d’entre eux, dont Bill Copeland, ont fondé l’étude des céréales et légumineuses écho au rapport spécial, rendu public des représentent déjà 40 % des terres nutritifs comme de l’eau et qui leur per­
l’ancêtre de la puissante Saskatchewan Pulse par leur système racinaire. le 8 août, par le Groupe d’experts in­ potentiellement arables de la planète et mettent de réagir efficacement dans
Growers, association des producteurs de lé­ « Pour nourrir les 9,6 milliards d’habi­ tergouvernemental sur l’évolution se trouvent majoritairement dans des des conditions de sécheresse et d’aci­
gumineuses de la province qui représentent tants que devrait compter la planète du climat, qui porte notamment sur pays tropicaux ou subtropicaux en voie dité induites et amplifiées par le dérè­
aujourd’hui plus de 15 000 exploitants. d’ici à 2050, la productivité agricole doit la dégradation des sols, la gestion du­ de développement. La compréhension glement climatique. Le GIFS publiera
Initiative décisive, en 1983, l’organisation augmenter d’environ 70 %, la culture de rable des terres et la sécurité alimen­ de l’architecture des systèmes racinai­ des résultats dans quelques mois, no­
vote une retenue obligatoire annuelle à la végétaux aux racines saines et vigou­ taire. Cet état des lieux rappelle que la res est donc cruciale pour que les agri­ tamment une étude attendue sur la ré­
source sur toutes les ventes de légumineuses reuses, capables d’absorber efficace­ culture et la consommation de pro­ culteurs – et plus particulièrement ceux sistance des plantes à la sécheresse. 
commerciales de la province. Des sommes ment l’eau et les éléments nutritifs, est téines végétales – moins émettrices des pays émergents – puissent adapter patricia jolly
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 planète | 17

taires évoluent, et les lentilles – et d’autres es­


LES CHIFFRES pèces comme les pois, les pois chiches, les ha­
ricots secs ou les fèves – font désormais figure
d’alternative aux protéines animales.
« Au­delà de la diversification de la produc­
2,32 MILLIONS tion des grains entiers, il faut penser, des an­
d’hectares en 2016 nées en amont, à celle destinée à être intégrée
C’est la superficie consacrée dans des produits alimentaires en améliorant
à la culture des lentilles, selon le profil nutritionnel des lentilles », explique le
l’agence du gouvernement docteur Kirstin Bett, directrice du programme
fédéral Statistique Canada. de génomique des lentilles au Collège d’agri­
Soit un bond de 106,2 % par culture et de bioressources de l’université de
rapport à 2011. la Saskatchewan, qui y travaille depuis 2010.
Les associations de défense de l’environne­
ment, et le Groupe intergouvernemental
40 % d’études sur l’évolution du climat (GIEC) – qui
de la production mondiale dénoncent l’impact de la production de
de lentilles assurée par la viande sur les sols, les ressources en eau et les
province de la Saskatchewan émissions de gaz à effet de serre – renforcent
Le Canada est le premier produc- l’intérêt pour les protéines végétales, et
teur et exportateur de la planète. ouvrent de nouvelles perspectives au com­
merce mondial des légumineuses. Celui­ci
aimante les investisseurs les plus inattendus.
et cherche à se protéger de concurrents avec James Cameron, réalisateur oscarisé dont
lesquels elle doit tout de même composer l’ensemble des films a dégagé des bénéfices
puisqu’elle ne produit pas suffisamment par de plusieurs milliards de dollars, a ainsi inau­
Au Crop Science Field Lab de l’université de la Saskatchewan, à Saskatoon, le 10 juillet. rapport à ses besoins. Fin 2017, pour préserver guré, en novembre 2017, Verdient Foods, la
ses agriculteurs, elle a imposé des tarifs doua­ plus grosse usine actuelle de transformation
niers sur les importations de légumineuses de de protéines de pois d’Amérique du Nord, à
toute origine : 33 % pour les lentilles, 50 % pour Vanscoy, un bourg de 460 habitants de la Sas­
les pois et 66 % pour les pois chiches. Une me­ katchewan. Avec son épouse, Suzy Amis, mi­
sure rude pour le Canada et les autres gros litante écologiste, le cinéaste originaire de
pays producteurs (Australie, Etats­Unis…). l’Ontario a investi dans cette entreprise qui
« Nous avons les terres disponibles et la doit traiter, à terme, 160 000 tonnes de pro­
technologie pour produire les lentilles en téines de pois biologiques destinés à servir
masse, mais les coûts de production augmen­ d’ingrédients pour des produits alimen­
tent et notre part du gâteau s’amenuise », ob­ taires. Pour l’heure, elle se contente de pois
serve Bill Copeland. Selon le ministère de conventionnels. Végan depuis 2012, le couple
l’agriculture canadien, le prix moyen des – qui partage sa vie entre la Nouvelle­Zélande
lentilles était de 575 dollars la tonne pour où il possède une ferme bio et la Californie –
l’année 2016­2017, contre une prévision si­ s’est contenté de préciser que son investisse­
tuée entre 455 à 485 dollars la tonne pour ment vaut « plus que la peine ».
2018­2019. Une tendance qui n’est pas pour
déplaire à Vandana Shiva, 66 ans, figure in­ BURGER À BASE DE PROTÉINES DE POIS
dienne de l’altermondialisme. Jointe par té­ La huitième version du « Guide alimentaire
léphone à Dehradun, dans le nord de son canadien », institué en 1942 en pleine se­
pays, cette militante qui prône l’agroécolo­ conde guerre mondiale, confirme cette ten­
gie et désigne l’agriculture intensive comme dance. Publiée en janvier, elle a provoqué une
responsables de la crise alimentaire a fondé, petite révolution en regroupant produits lai­
en 1991, l’ONG Navdanya (« Neuf semen­ tiers et viandes – qui constituaient jusqu’ici
ces »), laquelle a donné naissance à une des groupes alimentaires à part entière – au
soixantaine de banques de semences desti­ sein de la famille des aliments protéinés, au
nées à préserver les variétés locales. même titre que les légumineuses.
Auteure de Who Really Feeds The World « En supprimant le terme “alternatives” qui
(« Qui nourrit vraiment le monde ? », North At­ définissait jusqu’ici les protéines végétales
lantic Books, 2016, non traduit), Vandana comme “alternatives à la viande”, le guide in­
Shiva est en pleine promotion de son nouvel cite à manger davantage d’aliments à base de
Serre de lentilles en pot au Crop Science Field Lab de l’université de la Saskatchewan, à Saskatoon, le 10 juillet. essai 1 %. Reprendre le pouvoir face à la toute­ plantes tout en dissipant la croyance selon la­
puissance des riches (Rue de l’Echiquier, 184 p., quelle seule la viande contient des protéines »,
19 euros). Celle qui a obtenu son doctorat en observe la docteure Susan Whithing, profes­
s’est trouvé au bon endroit au bon moment. » l’utilisation du Roundup, l’herbicide au gly­ philosophie des sciences au Canada en 1978 ne seure au Collège de nutrition et de pharmacie
Et qui n’a pas ménagé ses efforts pour accom­ phosate fabriqué par la multinationale améri­ décolère pas. « L’Inde n’a pas besoin des lentilles de l’université de la Saskatchewan.
pagner cette transition exigeant une adapta­ caine Monsanto, rachetée en 2018 par l’Alle­ du Canada, qui sont aspergées de glyphosate et Une aubaine pour les fabricants de substi­
tion de l’équipement agricole, des pratiques mand Bayer, sont en cours aux Etats­Unis. n’ont pas la qualité nutritionnelle des nôtres, tuts de viande comme la start­up califor­
agronomiques et des habitudes des agricul­ En un peu plus d’un an, des tribunaux cali­ peste Vandana Shiva. Au lieu d’acheter à nos nienne Beyond Meat, dont le burger végéta­
teurs. « J’ai fait des dizaines de présentations forniens estimant que « l’usage ancien et ré­ agriculteurs qui cultivent la plus grande diver­ rien colonise les rayons des supermarchés du
orales à de petits groupes de fermiers aux qua­ pété du glyphosate » a pu provoquer lympho­ sité au monde de légumineuses nutritives, no­ Canada depuis juillet 2018. L’engouement
tre coins de la province », se souvient­il. mes non hodgkiniens et cancers (ce que con­ tre gouvernement en importe qui sont toxi­ pour sa galette à base de plantes et d’ingré­
Il a fallu une vingtaine d’années à la lentille teste Bayer), ont condamné le groupe à in­ ques. » Elle accable en particulier les lentilles dients imitant la coloration, la jutosité et la
pour s’imposer dans la région. Selon Statisti­ demniser un ancien jardinier, un retraité et Clearfield, résistantes aux herbicides, lancées consistance du bœuf a même généré des rup­
que Canada, sa superficie ensemencée dans un couple. Une addition de plusieurs dizai­ au Canada en 2006. tures de stocks.
la Saskatchewan est passée de 109 000 hecta­ nes de millions de dollars. Un « non­sens », se­ « Les lentilles Clearfield ont éliminé le princi­ Les ventes d’A & W, première chaîne de res­
res en 1990 à 1,37 million d’hectares en 2019. lon Bill Copeland et Murray Purcell, convain­ pal obstacle à une production compétitive, ré­ tauration rapide à servir le burger Beyond
« Au début, cultiver des lentilles ressemblait à cus que les requérants sont « probablement plique le docteur Albert Vandenberg, 65 ans, Meat au Canada, ont augmenté de 10 % entre
du travail supplémentaire sans grand résul­ malades d’autre chose ». « Nous avons besoin qui dirige la chaire de recherche industrielle mi­mai et mi­juin. Au point qu’elle a récem­
tat », se souvient Bob Copeland, 56 ans, fils et du Roundup, insiste Bill Copeland. L’interdire en amélioration génétique des lentilles du ment ajouté un sandwich à l’œuf et à la sau­
associé de Bill. « Ça donnait de toutes petites provoquerait un retour à l’utilisation de pro­ département des Sciences végétales de l’uni­ cisse (fabriquée, comme le burger, à partir de
plantes, renchérit Murray Purcell, et jusqu’à la duits beaucoup plus nocifs. » versité de la Saskatchewan, financée par la protéines de pois et d’huile de canola) et est
mise au point des têtes de récolte flexibles La fièvre judiciaire autour de cet herbicide Saskatchewan Pulse Growers et le gouverne­ désormais imitée par des enseignes concur­
[technologie qui permet d’atteindre ces plan­ gagne pourtant la Saskatchewan. Mi­mai, à PRINCIPAUX  ment canadien. Elles s’insèrent dans la rota­ rentes. Introduite en Bourse, le 2 mai, au
tes plus basses que les céréales ou les oléagi­ Moose Jaw, dans le sud, une procédure collec­ tion de cultures sans laquelle nos sols devien­ cours de 25 dollars l’unité, l’action Beyond
neux], on s’arrachait les cheveux avec nos en­ tive a été lancée par un avocat réputé opiniâ­ MARCHÉS : L’INDE,  nent infertiles, ce qui permet à la production Meat avait presque triplé au cours de sa pre­
gins agricoles trop hauts. » « On était un peu tre autour d’un producteur de légumineuses LES ÉMIRATS  bio de redémarrer peu à peu, pour retrouver mière journée de cotation.
perdus avant que les fabricants de produits atteint d’un lymphome non hodgkinien. De son niveau de l’époque précédant le système Un succès sur lequel espère capitaliser Mu­
chimiques ne nous aident à lutter contre les quoi écorner « l’image de notre agriculture », ARABES UNIS, de jachères de blé qui s’était généralisé, con­ rad Al­Katib. Anticipant le potentiel de déve­
mauvaises herbes auxquelles les lentilles résis­ regrettent Bill Copeland et Murray Purcell. Et duisant à une destruction complète des sols. » loppement de ces plantes, ce Canadien aux
tent très mal », complète Bill Copeland. nuire à son économie… Car Bill et Bob sont LE BANGLADESH, Avec Alfred Slinkard (son professeur auquel racines turques a créé, en 2001, à Regina, ca­
Bob Copeland recharge le réservoir de son aussi négociants à l’international. La société il a succédé) et Rick Holm, un spécialiste des pitale administrative de la Saskatchewan,
pulvérisateur aux bras géants en métribu­ Copeland Seeds cultive des lentilles et autres
LA TURQUIE mauvaises herbes, le docteur Vandenberg a AGT Food And Ingredients. L’entreprise est
zine, un herbicide « homologué et approuvé », légumineuses qu’elle nettoie, vend et ex­ ET L’UNION  mis au point, après une dizaine d’années de re­ devenue l’un des plus grands fournisseurs
précise­t­il. La sécheresse a occasionné une porte dans le monde entier, au gré des ordres cherches, ces plants de lentilles qui résistent à de légumineuses à valeur ajoutée, d’ali­
invasion d’herbes indésirables plus tardive de courtiers basés de Vancouver à Dubaï, en EUROPÉENNE la pulvérisation de l’herbicide imidazolinone, ments de base et d’ingrédients alimentaires
qu’à l’accoutumée au milieu de ses plants de passant par la Caroline du Nord. Le 8 juillet, au Centre de développement des cultures. au monde. Elle emploie 2 000 personnes et
lentilles. Il opère sans autre protection que 24 tonnes de lentilles sont parties « pour le L’université en détient le brevet, concédé sous achète au Canada, aux Etats­Unis, en Tur­
des gants en caoutchouc. « Aucun risque, j’ai Brésil ou le Mexique », dit Bill. licence au groupe chimique allemand BASF. quie, en Australie, en Chine et en Afrique du
fait comme ça toute ma vie, assure­t­il. Et ces Chef de file du commerce mondial des légu­ Dans son laboratoire de l’université de la Sas­ Sud des légumineuses qu’elle transforme et
lentilles, je les mange mêmes crues. » mineuses, le Canada traite avec plus de katchewan, en périphérie de Saskatoon, où il distribue dans plus de 120 pays d’Amérique,
130 pays, selon l’association nationale des pro­ œuvre sans relâche avec ses équipes à percer d’Europe, d’Afrique et d’Asie.
FIÈVRE JUDICIAIRE ducteurs, négociants et transformateurs de lé­ tous les mystères de la lentille, le docteur Van­ Mais déguster un burger à base de lentilles, la
Bob Copeland attrape un livre volumineux gumineuses canadiennes Pulse Canada. denberg défend son travail. « Nous travaillons Rolls des légumineuses par sa valeur nutritive
qui ne quitte jamais le cockpit climatisé truffé En 2018­2019, selon le ministère de l’agricul­ au développement de la production de légumi­ et ses qualités agronomiques, semble encore
d’ordinateurs de bord. C’est une bible à ture canadien, les exportations de lentilles – neuses afin qu’elles fournissent des protéines une perspective lointaine. « Les lentilles ont,
l’usage des agriculteurs de la province pour la dont plus de 90 % proviennent de la Saskat­ végétales améliorant la nutrition tout en rédui­ pour l’heure, trop de valeur [marchande] en vrac
« gestion des produits chimiques pour la pro­ chewan – ont atteint 2 millions de tonnes, soit sant l’empreinte environnementale des systè­ dans les pays dont le régime alimentaire de base
tection des cultures ». « Le bon sens doit préva­ une hausse de 30 % par rapport à la période mes agricoles », martèle le scientifique en rap­ en dépend », explique la docteure Kirstin Bett. A
loir dans leur utilisation, dit­il. Bien sûr, les ac­ 2017­2018. Principaux marchés : l’Inde, les pelant que « l’empreinte carbone de 1 gramme Saskatoon, Güd, le premier et unique fast­food
cidents arrivent, mais si on est éclaboussé, il Emirats arabes unis, le Bangladesh, la Turquie de protéine de bœuf est 350 fois supérieure à végan de la Saskatchewan, propose des burgers
suffit de se laver avec du savon. » et l’Union européenne. « Les cargaisons chan­ celle de 1 gramme de protéine de lentille ». Beyond Meat… et la lentil cream ale : une bière
Ici, comme presque partout dans la pro­ gent souvent d’acheteur au milieu de l’océan », La mission des chercheurs est de fournir aux artisanale brassée à partir de lentilles rouges et
vince, la culture hypermécanisée des légumi­ précise un des quinze employés de Copeland agriculteurs un accès rapide à des variétés à d’orge cultivés localement. Lancée fin 2015 par
neuses, se fait à grand renfort de pesticides, Seeds. haut rendement et de haute qualité, adaptées Rebellion, une entreprise fondée dans le sud de
comme dans toutes les cultures industrielles L’Inde, à la fois producteur de légumineuses aux conditions climatiques canadiennes pour la province, le breuvage fait fureur, selon la ven­
conventionnelles. « On ne peut pas nourrir le (25 % de la production mondiale avec 22 mil­ accroître durablement la production. Mais le deuse. « Il permet aux gens qui ne mangent
monde en travaillant en bio sur des exploita­ lions de tonnes en 2018, contre 8 millions défi des chercheurs est aussi de les aider à res­ pas de lentilles mais savent qu’elles sont bon­
tions de la taille des nôtres », justifie Bill Cope­ pour le Canada) et consommateur (30 % de la ter les fournisseurs de légumineuses favoris nes pour leur santé d’en consommer… », assure­
land. L’exploitant n’ignore pas que des milliers consommation mondiale), joue un rôle pré­ des pays importateurs en devançant les désirs t­elle le plus sérieusement du monde. 
de requêtes judiciaires (plus de 18 000) liées à pondérant dans l’évolution de ce commerce, des consommateurs. Or, les habitudes alimen­ patricia jolly
CULTURE
0123
18 | VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

L A   S É L E C T I O N   S P E C TA C L E S

La rentrée 
sur les planches
D
es classiques revi­
sités, du vaude­ Théâtre, humour,
ville forcément
enlevé, de l’hu­ opéra, danse…
mour à cheval, des
répliques cultes, Tour d’horizon
des créations XXL en danse et des
rêveries hypnotiques à l'opéra… des spectacles d’art
Une réjouissante sélection de
spectacles par les critiques du vivant à l’affiche d’ici
« Monde ».
à la fin de l’année
THÉÂTRE
« Oreste à Mossoul »
au Théâtre de Nanterre-
Amandiers
Le Festival d’automne à Paris
ouvre avec un spectacle remar­
quable sur la question de la
violence et de la reconstruction
d’un pays après la guerre, en liant
la tragédie d’Eschyle à l’Irak souvent depuis longtemps, pro­ Et le voilà qui fait coup double,
d’aujourd’hui. En mars, Milo Rau, posent un hymne à la vie, à avec deux de ses pièces les plus
le nouveau directeur du Théâtre découvrir au Théâtre du Rond­ brillantes : La Dame de chez
national de Gand (Belgique) et ses Point. On trépigne d’impatience. Maxim et La Puce à l’oreille. C’est le
équipes sont allés à Mossoul. Du 1er au 20 octobre. match de la rentrée. A ma droite,
Dans cette ville qui fut la « capi­ une Dame menée par Zabou
tale » déclarée de l’Etat islamique, « Jungle Book » et « Mary Breitman, avec Léa Drucker, Micha
de sa prise en 2014 à sa chute Said What She Said », Lescot et André Marcon. A ma
en 2017, ils ont travaillé avec des à Paris et à Lyon gauche, une Puce titillée par Lilo
habitants, artistes ou non. Une reine déchue et un enfant Baur, avec Serge Bagdassarian, Sé­ Alex Lutz et son
Comme Eschyle à la fin de L’Ores­ abandonné : tels sont les deux bastien Pouderoux et Anna Cer­ cheval Nilo, dans
tie, ils se demandent si l’on peut personnages au centre des mises vinka. Deux metteuses en scène « Alex Lutz »,
pardonner, et comment. Du théâ­ en scène de Robert Wilson pré­ de talent, deux regards féminins aux Folies
tre politique, sans culpabilisation sentées cet automne. A Lyon, sur Feydeau, qui devraient légère­ Bergère.
ni démagogie, et un grand comé­ Isabelle Huppert joue au Théâtre ment décaler la perspective. JEAN-CLAUDE LOTHER
dien, Johan Leysen. des Célestins Mary Said What « La Dame de chez Maxim »,
Du 10 au 14 septembre. She Said, le monologue de Darry Théâtre de la Porte Saint-Martin, Page de droite :
Pinckney sur Marie Stuart, créé Paris. A partir du 10 septembre. « Orlando »,
« Le Misanthrope » au printemps à Paris, et dans le­ « La Puce à l’oreille », Comédie- adaptation
à l’Espace Cardin, à Paris quel elle est prodigieuse. Quant à Française, salle Richelieu, du du roman
Signée par Alain Françon, une l’enfant abandonné, Mowgli, il 21 septembre au 23 février 2020. de Virginia Woolf
mise en scène éclairante d’une trouve refuge au 13e Art, à Paris, par Katie
des plus grandes pièces de Mo­ où Robert Wilson adapte Le Livre « The Way She Dies » Mitchell,
lière. Alceste, qui ne porte pas de la jungle sur le mode d’une co­ au Théâtre de la Bastille, à l’Odéon.
de rubans verts mais un cos­ médie musicale, avec la compli­ à Paris STEPHEN CUMMISKEY
tume d’aujourd’hui, y apparaît cité du duo CocoRosie. Un specta­ L’auteur et metteur en scène
moins comme un misanthrope cle à voir à partir de 8 ans et apte portugais Tiago Rodrigues re­
que comme un homme seul, à séduire tous les âges. trouve ses comparses flamands « Abgrund » au théâtre scène du chef­d’œuvre ramiste d’ouvrir sa saison avec Philip
dont la douleur secrète est avivée « Jungle Book », 13e Art, Paris, du tg STAN pour une traversée en Les Gémeaux, à Sceaux que s’essaie le cinéaste et plasti­ Glass, dont l’emblématique Eins­
par l’entre­soi d’une société où la du 6 octobre au 8 novembre. compagnie d’Anna Karénine, Pas de bonne rentrée théâtrale cien, avec la chorégraphe Bintou tein on the Beach mis en scène
méchanceté s’avère redoutable. « Mary Said What She Said », dans la lignée de son beau Bo­ sans un spectacle de Thomas Dembélé. Une production atten­ par Bob Wilson devait changer
Gilles Privat joue subtilement cet Théâtre des Célestins, Lyon, vary. The Way She Dies n’est pas Ostermeier. Le directeur de la due qui réunira la fine fleur du la face du monde. Plus de qua­
homme, et ceux qui l’accompa­ du 30 octobre au 3 novembre. une adaptation du roman­fleuve Schaubühne de Berlin est un jeune chant français. rante ans après sa création
gnent (dont Dominique Valadié de Tolstoï, mais conte l’histoire incontournable, que l’on retrouve Du 27 septembre au 15 octobre. en 1976 au Festival d’Avignon, le
en Arsinoé) sont au diapason. Un Christoph Marthaler de deux couples, entre les années cet automne avec Abgrund chef­d’œuvre sera confié à l’ac­
beau soir au théâtre. à la Grande Halle 1970 et aujourd’hui, dont la vie (« L’Abîme »), d’après un texte « Richard Cœur-de-Lion » teur, chorégraphe et metteur en
Du 18 septembre au 12 octobre. de La Villette, à Paris est traversée par la lecture du ro­ d’une nouvelle auteure, Maja à l’Opéra royal de Versailles scène Daniele Finzi Pasca, lequel
Le spectacle s’appelle Bekannte man. Amour de la littérature et Zade, dramaturge à la Schau­ Il ne fallait pas moins que le re­ entend projeter cette rêverie hyp­
« La Gioia » au Théâtre Gefuhle, gemischte Gesichter littérature de l’amour. bühne. Elle signe une pièce trou­ tour de Richard Cœur­de­Lion notique dans une « galaxie in­
du Rond-Point, à Paris (« Sentiments connus, visages Du 11 septembre au 6 octobre. ble et troublante, où la pire des (1784) de Grétry, l’opéra­comique connue », où prévalent arts du
Oui, il en faut de la joie, surtout mêlés »). Christoph Marthaler l’a tragédies familiales surgit dans français du XVIIIe siècle le plus cirque et théâtre acrobatique.
quand on a perdu un être cher. créé en hommage à Frank « Orlando » à l’Odéon- un milieu bourgeois protégé, connu en Europe durant un siè­ Une vision dont se passera le Fes­
Dans La Gioia, qu’il a créée après Castorf, le directeur de la Volks­ Théâtre de l’Europe, à Paris sans que l’on sache s’il s’agit du cle, pour célébrer les 250 ans de tival Musica à Strasbourg, optant
la mort de Bobo, son compagnon bühne de Berlin, qui l’a souvent Bonheur de retrouver Virginia réel ou de fantasmes et de peurs. l’Opéra royal de Versailles. En­ pour une version de concert
de route, le merveilleux Italien invité dans son théâtre avant d’en Woolf : l’écrivaine anglaise est Cette réflexion sur la fraternité tonné par les Gardes du corps de qui laissera champ libre à la mu­
Pippo Delbono et une dizaine de partir, en 2017. Le metteur en doublement présente en cette – ou la sororité – est mise en Louis XVI lors de leur banquet du sique sous la direction de Titus
ses proches, qui l’accompagnent scène suisse a réuni des acteurs rentrée, avec la sortie du livre scène avec sa maestria habituelle 1er octobre 1789, l’air fameux Engel, la narration restant confiée
avec qui il travaille depuis long­ d’Emmanuelle Favier (Virginia, éd. par Thomas Ostermeier. « Ô Richard, Ô mon Roi » aurait à la pop star Suzanne Vega.
temps, et qu’il imagine dans un Albin Michel) et la mise en scène Du 3 au 13 octobre. même déchaîné la vindicte qui Grand Théâtre de Genève, du 11
musée – le musée du temps qui d’Orlando par la Britannique Katie amena le peuple à Versailles, et la au 18 septembre. Festival Musica
passe que seule, souvent, la mu­ Mitchell, accompagnée par les co­ OPÉRA famille royale à quitter le château à Strasbourg, le 27 septembre.
sique console : comme toujours médiens de l’excellente troupe de « Les Indes galantes » le 6 octobre… Visée doublement
avec Christoph Marthaler, on y la Schaubühne de Berlin. Avec son à l’Opéra Bastille, à Paris historique donc, à laquelle s’at­ DANSE
entendra des œuvres variées, de théâtre­cinéma sophistiqué et ré­ En un détonnant court­métrage tellent le chef d’orchestre Hervé Merce Cunningham au
Mozart à Boby Lapointe. solument féministe, la metteuse réalisé pour l’Opéra de Paris et Niquet et le metteur en scène Festival d’automne, à Paris
Du 21 au 24 novembre. en scène a les outils pour emme­ sa « 3e scène » en ligne, Clément Marshall Pynkoski, pour cette Voir et revoir l’œuvre si inten­
ner sur les traces de cet extraordi­ Cogitore a fait basculer dans le première production intégrale sément déterminée et inventive
recherchent de Coup double pour naire Orlando dont la course com­ XXIe siècle Rameau et sa « Danse de l’Opéra royal de Versailles de­ du chorégraphe américain Merce
nouveaux auteurs Feydeau à Paris
L’auteur de la rentrée, c’est lui :
mence au milieu du XVIe siècle
pour aller jusqu’au début du XXe,
des sauvages » extraite de l’opéra
Les Indes galantes. Dix minutes
puis 1789.
Du 10 au 13 octobre.
Cunningham (1919­2009) est un
plaisir que le Portrait concocté
Envoyez vos manuscrits : Georges Feydeau. Ce n’est pas en un parcours qui voit le héros/ d’une violence et d’une beauté par le Festival d’automne à Paris
Editions Amalthée
2 rue Crucy – 44005 Nantes cedex 1 franchement un petit nouveau, héroïne traverser toutes les fron­ inouïes avec des sauvageons à ca­ « Einstein on the Beach », offre en grande largeur. Avec dix
Tél. 02 40 75 60 78 mais le maître du vaudeville fait tières : celles du temps, de l’es­ puche, adeptes du « krump », ce à Genève et Strasbourg pièces reprises dont les emblé­
www.editions-amalthee.com toujours recette, en horloger pace, du genre et de l’identité. hip­hop radicalisé né à Los Ange­ Le nouveau directeur du Grand matiques Summerspace, Sound­
virtuose de la mécanique du rire. Du 20 au 29 septembre. les. Cette fois, c’est à la mise en Théâtre de Genève a choisi dance et Pond Way, interprétées
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 culture | 19

Ci­contre : « Abgrund », de
Thomas Ostermeier, au théâtre
Les Gémeaux, à Sceaux.
ARNO DECLAIR

Ci­contre : « Triton »,
de Philippe Decouflé,
repris à Chaillot.
ANTOINE LE GRAND

Ci­dessous : « La Dame
de chez Maxim »,
de Feydeau, au Théâtre
de la Porte Saint­Martin.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ

Canal+ le personnage de Cathe­


rine dans Catherine et Liliane, le
programme court mettant en
scène deux secrétaires pipelettes.
Ce comédien caméléon (réalisa­
teur et interprète du film Guy,
pour lequel il a reçu le César du
meilleur acteur cette année) re­
vient sur scène dans un spectacle
singulier qui procure, avec pana­
che et habilité, autant de rires
que d’émotion. Accompagné de
Nilo, élégant lusitanien à la
robe crème, l’humoriste partage
ses doutes et ses interroga­
tions sur ce drôle d’animal qu’est
l’homme. Sans jamais être don­
neur de leçons, utilisant toute la
palette de ses talents (mime, imi­
tateur, as de la métamorphose),
il confirme avec ce deuxième
spectacle que l’humour n’empê­
che pas la poésie.
Du 25 octobre au 2 novembre.

La série « Palace »
au Théâtre de Paris
Pour la première fois depuis sa
création, la série télévisée Palace
est adaptée à la scène. Diffusée
en 1988 sur Canal+ puis sur An­
tenne 2, elle se voulait « une
bouffée de folie et d’absurdité
pour casser l’humour consensuel
de l’époque ». Son créateur, Jean­
Michel Ribes (actuel directeur du
Théâtre du Rond­Point à Paris),
accompagné de l’auteur et scé­
nariste Jean­Marie Gourio, ont
choisi le Théâtre de Paris pour
faire renaître les répliques cultes,
les séquences d’anthologie et de
nouvelles scènes interprétées par
une vingtaine de comédiens et
danseurs. « Champagne, drôlerie,
mais aussi danse et surtout inso­
lence : ça, c’est Palace ! Pourquoi
ne pas être encore heureux main­
par cinq compagnies de haut Crystal Pite au Palais çon manqué qui rêvait d’être peut se targuer d’avoir, avec son Du 24 au 28 septembre. Puis au tenant ? Dans cette grisaille infer­
niveau, ainsi qu’une multitude Garnier, à Paris musicienne. Six ans plus tard, complice Pierre Palmade, écrit Dôme de Paris (Palais des sports) nale, c’est une issue de secours
d’événements, cet hommage à Elle a séduit et même em­ dans Et Pof !, l’humoriste et co­ des saynètes mémorables. En du 1er au 12 octobre et en tournée pour aller vers la joie », promet
l’un des maîtres de l’art choré­ ballé le public en 2016 avec The médienne revient convoquer le avril, à l’occasion du retour de La à partir de janvier 2020. Jean­Michel Ribes. 
graphique souligne soixante ans Seasons’Canon, forme courte passé, mais d’une tout autre fa­ Troupe à Palmade, Muriel Robin Du 18 septembre au 30 octobre,
de création non­stop. L’ami des créée pour les danseurs du Bal­ çon. En cette rentrée, elle reprend avait repris, sur la scène du Théâ­ Alex Lutz aux puis en tournée.
musiciens et des plasticiens a let de l’Opéra national de Paris. les sketches qui ont fait son suc­ tre de l’Œuvre, à Paris, sa mythi­ Folies Bergère, à Paris sandrine blanchard,
aussi emporté la danse vers des La chorégraphe canadienne est cès dans les années 1980­1990. que « Addition ». Un scénario in­ Alex Lutz est l’un des humoristes rosita boisseau,
horizons visuels étonnants, of­ de retour dans l’institution pari­ « L’addition » , « Le Noir » , « Le temporel, un texte aux petits les plus doués de sa généra­ fabienne darge,
frant au spectateur une expé­ sienne avec un vrai challenge : répondeur » , « Le salon de coif­ oignons, son humour ne sem­ tion. Il l’a prouvé notamment en marie­aude roux,
rience globale palpitante. une pièce d’une soirée pour la­ fure »… la « Mumu » stéphanoise blait pas avoir pris une ride. incarnant pendant sept ans sur brigitte salino
Du 28 septembre au 21 décembre. quelle elle rassemble 43 inter­
prètes dont les étoiles Ludmila
Philippe Decouflé Pagliero, Léonore Baulac et Hugo
au Théâtre national Marchand, les premières dan­
de Chaillot, à Paris seuses Marion Barbeau et Héloïse

PROMENONS-NOUS
Avec Tout doit disparaître, Phi­ Bourdon et beaucoup de beau
lippe Decouflé ne fait pas les cho­ monde. Sur une musique de
ses à moitié. Artiste­associé du
Théâtre national de la danse­
Owen Belton, dans des décors de
Jay Gower Taylor, gageons que DANS LES BOIS,
Chaillot à Paris, il investit tous les
espaces et moindres recoins de ce
cette création, dont le titre n’est
pas encore connu, profitera une TANT QUE L’HOMME
lieu labyrinthique pour une mé­
ga­opération. En complicité avec
fois encore du geste collectif
puissant de l’artiste. « L’un des écrivains les
N’Y EST PAS.
plus puissants et originaux
une centaine de danseurs, musi­ Du 25 octobre au 23 novembre. de la scène littéraire américaine. »
ciens et performers, il revient sur Florence Noiville,
quarante ans de spectacles, re­ HUMOUR Le Monde des Livres
monte certaines pièces de ses dé­ Muriel Robin au Théâtre
buts avec les interprètes d’origine de la Porte Saint-Martin, En suivant une botaniste
et remixe ses obsessions dans de à Paris
nouveaux formats. Trois parcours En 2013, Muriel Robin reprenait
qui perce le SECRET
déambulatoires d’environ quatre le chemin du one­woman­show de la COMMUNICATION
heures seront proposés au public avec un excellent spectacle entre les ARBRES,
qui choisira, selon ses envies, de (Muriel Robin tsoin tsoin) dans RICHARD POWERS
revoir telle ou telle époque ou lequel elle vidait ses « valises », nous emmène au plus
une autre. Une grande fête pour racontant pour la première fois profond de nos RACINES.
un parcours artistique unique. sur scène son parcours de petite
Du 27 septembre au 6 octobre. provinciale, d’adolescente gar­
20 | télévision 0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Des robots plus humains que jamais VOTRE


SOIRÉE
TÉLÉ
Divertissante et bien ficelée, « Better Than Us » reste néanmoins en deçà de son modèle, la suédoise « Real Humans »

NETFLIX Sans du tout révolutionner le


À LA DEMANDE genre, évitant même de s’engager VENDREDI  6 SEPTEMBRE
SÉRIE dans un récit pluritemporel ou
labyrinthique à la façon de TF1

T
romper sa femme avec Westworld, Better Than Us se veut 21.05 The Voice Kids
un “sexbot”, est­ce vrai­ avant tout une série familiale, un Divertissement présenté
ment la tromper ? », s’in­ bon divertissement coloré de par Nikos Aliagas et Karine Ferri.
terroge­t­on lors d’un science­fiction, jamais une 23.30 Vendredi, tout est permis
magazine télévisé à Moscou, vers dissertation ennuyeuse ou dés­ avec Arthur
2029. A quoi certains répondent humanisée. Moins surprenante Divertissement présenté par Arthur.
« Non, ce n’est pas tromper ! Un ro­ que ne le fut Real Humans à son
bot sexuel n’est jamais qu’un ap­ époque, elle se suit malgré tout France 2
pareil ménager comme les autres, avec intérêt et laisse pantois 21.05 Les Petits Meurtres
si ce n’est qu’il ressemble à un être quant à la capacité de l’actrice d’Agatha Christie
humain. » Partant du principe principale (Paulina Andreeva) de Série. Avec Samuel Labarthe,
que l’on ne saurait être amoureux « se robotiser » (gestuelle légère­ Blandine Bellavoir (Fr., 2018).
de l’équivalent d’une cafetière ou ment raidie, mouvements im­ 22.40 Les Petits Meurtres
d’un sèche­cheveux, une femme perceptiblement saccadés, im­ d’Agatha Christie
n’a nul lieu de se montrer jalouse passibilité du visage…). Série. Avec Samuel Labarthe,
d’un « sexbot »… Même si, admet Difficile, en revanche, de quali­ Elodie Frenck (Fr., 2016 et 2014).
l’un des débatteurs, les robots fier Better Than Us de série russe,
sexuels présentent l’avantage de si ce n’est au vu de son générique France 3
ne jamais vieillir et de ne pas faire qui prouve que ses créateurs et co­ 21.05 On va tous rire avec…
d’histoires si l’on veut en changer, médien(ne)s relèvent de cette na­ Documentaire de Charles Hudon
permettant à la gent masculine tionalité. Estampillée « Netflix (Fr., 2019).
de préserver son idéal féminin. Robotisation réussie pour Paulina Andreeva, qui interprète l’humanoïde Arisa. NETFLIX Original », Better Than Us, de par 23.10 Francis Cabrel,
De même qu’ont été conçues de sa mise en scène (architecture, dé­ un chanteur très discret
splendides cyberfemmes, quel cors extérieurs et intérieurs, cos­ Documentaire de Laurent Thessier
mal y a­t­il à créer un robot physi­ humaine peut­elle s’assimiler à (diffusée par Arte en 2013) l’auront fuge chez une adorable petite tumes, etc.), aurait tout aussi bien et Thierry Teston (Fr., 2015, 115 min).
quement identique à l’enfant que des rapports « humains » ? Une compris : après avoir donné lieu à fille, qui vit avec son frère ado et pu voir le jour dans n’importe
l’on a perdu, lorsque l’un des pa­ interrogation d’autant plus brû­ Humans, une adaptation améri­ son père, Georgy. La série suivant quel autre pays.  Canal+
rents apparaît inconsolable ? lante que le prototype le plus doué cano­britannique, voici une nou­ aussi bien la vie de cette tou­ martine delahaye 21.05 Les Animaux
d’intelligence artificielle conçu à velle série qui s’en inspire. A son chante famille, dorénavant aug­ fantastiques. Les Crimes
Empathie et libre arbitre ce jour, la sublime « bot » dénom­ tour, Better Than Us met en scène mentée d’Arisa, que les agisse­ Better Than Us, saisons 1 et 2, de Grindelwald
Dans Better Than Us, où les mée Arisa, innove en se montrant un monde à peine futuriste dans ments du PDG de Chronos, ou les série d’Andrey Junkovsky, Film de David Yates. Avec Eddie
« bots » secondent la vie quoti­ dorénavant capable d’empathie lequel l’humanoïde la plus so­ « coups » montés par un groupe Aleksandr Dagan et Aleksandr Redmayne (RU/EU, 2018, 130 min).
dienne, la question se pose : jus­ et, apparemment, de libre arbitre. phistiquée (la splendide Arisa) va surnommé « les liquidateurs », Kessel. Avec Paulina Andreeva, 23.15 Johnny English
qu’où l’interaction avec des ma­ Ceux qui connaissent l’excel­ fuir son commanditaire, le PDG opposé à ces robots qui ôtent tra­ Andrey Kryzhniy (Russie, 2018, contre-attaque
chines d’apparence parfaitement lente série suédoise Real Humans de la firme Chronos, et trouver re­ vail et pouvoir aux humains. 16 × 52 min). Film de David Kerr.
Avec Rowan Atkinson, Ben Miller
(Fr./EU, 2018, 85 min).

France 5

A Hollywood, le virage numérique de l’été 1982 20.50 La Maison France 5


Magazine présenté
par Stéphane Thebaut.
Jac et Johan reviennent sur plusieurs films dont « Mad Max 2 », « Rocky III », « E.T. », « Blade Runner », « Tron »… 22.20 Silence, ça pousse !
Magazine présenté
par Stéphane Marie et Carole Tolila.

ARTE de réalisateurs, tandis que se con­ sommaire la décennie 1970, Runner et, en particulier, dans une invasion extraterrestre, entre Arte
VENDREDI 6 - 23 H 05 centrait un nombre inhabituel de comme s’il s’agissait d’une quasi­ Tron, deux films quelque peu dé­ en collision avec la vision idylli­ 20.55 Squadra criminale
DOCUMENTAIRE grands films. parenthèse dans le cinéma améri­ laissés par le public, très loin de que d’une banlieue américaine et Série. Avec Miriam Leone,
Le documentaire de Jac et Johan cain, quand c’est en réalité son âge l’impact qu’ils auront plus tard, et d’un aimable habitant d’une Matteo Martari (It., 2017).

I l y a, dans l’histoire du cinéma,


des années qui importent plus
que d’autres. Pour rester dans
la stricte chronologie du cinéma
américain, on peut citer 1939, avec
reprend le même principe, se con­
centrant sur l’année où sont appa­
rus Conan le Barbare, de John
Milius avec Arnold Schwarzeneg­
ger ; Blade Runner, de Ridley Scott ;
d’or, ou se perde dans de grossières
erreurs factuelles, comme l’argu­
ment selon lequel l’échec com­
mercial d’Apocalypse Now (1979)
aurait modifié les mentalités
celles d’un cinéma du corps, body­
buildé, porté sur la stricte perfor­
mance physique, à l’opposé du vir­
tuel, avec l’installation au firma­
ment d’Arnold Schwarzenegger,
autre planète dans le non moins
formidable E.T., qui, lui, rencon­
trera son public. Or, si cette ten­
sion de l’été 1982 s’est dissipée,
c’est bien un cinéma numérique,
23.05 Hollywood 1982
Documentaire de Jac et Johan
(Fr., 2018, 52 min).

M6
Autant en emporte le vent et Le Ma­ Rocky III, de Sylvester Stallone ; quand le film de Francis Ford Cop­ de Sylvester Stallone et de Mel le plus souvent infantile, qui s’est, 21.05 Bull
gicien d’Oz ; 1969, avec Easy Rider, Mad Max 2, de George Miller ; pola, au contraire, s’est avéré un Gibson dans Mad Max 2. depuis, imposé à Hollywood.  Série. Avec Michael Weatherly,
symbole de l’émergence du nou­ Tron, de Steven Lisberger ; The succès fracassant, on ne peut que L’extraordinaire réussite artisti­ samuel blumenfeld Freddy Rodriguez, Geneva Carr
vel Hollywood ; 1999, avec Eyes Thing, de John Carpenter ; et E.T., noter la pertinence de se concen­ que de The Thing, chef­d’œuvre (EU, 2016).
Wide Shut, Fight Club et Dans la de Steven Spielberg. trer sur cet été 1982. Celui­ci mar­ du cinéma d’horreur aux visées Hollywood 1982. Un été 22.50 Bull
peau de John Malkovich. S’instal­ S’il est regrettable que le docu­ que les prémices d’un cinéma nu­ métaphysiques, décrivant de magique au cinéma, de Jac Série. Avec Michael Weatherly,
lait alors une nouvelle génération mentaire balaye de manière aussi mérique, exprimées dans Blade facto la fin du monde à travers et Johan (Fr., 2018, 52 min). Chris Jackson (EU, 2016).

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22 | styles 0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

et, à la fin,
c’est la pizza
qui gagne
Pourquoi le Zebra, brasserie tradi
du 16e arrondissement parisien
qui avait tout pour plaire, a­t­il dû
céder la place à une trattoria ?
Les propriétaires racontent
leur échec… et leur nouveau pari :
réitérer le succès de Daroco,
leur table italienne de la rue Vivienne

GASTRONOMIE Et, concernant Zebra, ils s’étaient


donné les moyens de leurs ambi­

D
ans la quiétude du quar­ tions : pour pimper ce vaste restau­
tier d’Auteuil, à Paris, rant qui, au fil des années, a déjà vu
impossible de rater cette se succéder les chefs et les con­ Julien Ross et Alexandre Giesbert. LEA PAOLI Au Daroco 16. THE SOCIAL FOOD
double porte bleu élec­ cepts, le trio de trentenaires avait
trique d’où s’échappe de la musique. investi 1,3 million d’euros qui
C’est l’entrée de Daroco 16, nouveau avaient permis de transformer la
temple de la cuisine italienne qui a brasserie vieillissante en un lieu se dit que son offre n’est peut­être sauce chimichurri avec la côte de personnes. Et les comptes sont
ouvert le 1er septembre. Dans un dé­ chic et branché, tout en marbre et pas assez claire. Le décor trop mo­ bœuf… Ils accèdent aux requêtes toujours dans le rouge.
cor qui parvient à être à la fois chic et velours. Que s’est­il donc passé derne ne colle pas avec l’esprit clas­ des clients, qui demandent de bais­ Ainsi donc, après une petite an­
chaleureux, on mange d’excellentes pour que Zebra soit un échec, au sique de la cuisine, et puis, surtout, ser la musique, de monter la lu­ née d’ouverture, deux options s’of­
pizzas à partir de 11 euros, une côte point qu’un an après l’ouverture il les clients ne comprennent pas les mière, de mettre du bordeaux à la frent à eux : jeter l’éponge ou tout
de veau à la milanaise tendre et gé­ faille déjà tout changer ? prix pratiqués. carte des vins. « Faire des compro­ changer. Avant de se lancer dans la
néreuse (29 euros), une panna cotta Quand, en septembre 2017, ils dé­ mis, c’est un mauvais travers, sou­ brasserie tradi, ils avaient un temps
aux figues d’une délicatesse rare cident de reprendre Zebra, Julien Peinture et plantes vertes pire Alexandre Giesbert. Parce que, imaginé de dupliquer Daroco, leur
(9 euros). C’est fantastique, et a Ross et Alexandre Giesbert, qui se Comme les produits de Zebra sont à la fin, il n’y a plus de cohérence trattoria du centre de Paris qui mar­
priori, ce nouveau restaurant a tou­ connaissent depuis sept ans (ils se fournis par la crème des produc­ dans le restaurant. » che si bien. « Mais on ne trouvait
tes les raisons de faire un carton. sont rencontrés dans un restau­ teurs (la viande vient de Terroirs Et malgré leurs efforts, il n’y a pas ça excitant intellectuellement
Mais… n’avait­on pas déjà pas fait rant du Marais où Julien était en
DAROCO,  d’avenir, le café de Coutume, le sau­ d’ailleurs pas non plus de cohé­ de se répéter », concède Alexandre
une telle prédiction il y a un an ? salle et Alexandre en cuisine), ont C’EST UNE FORMULE  mon porte le Label rouge…), les prix rence dans la fréquentation. Cer­ Giesbert. N’empêche, Daroco, c’est
Retour en arrière. A l’été 2018, au une idée bien précise en tête : ils ne s’en ressentent. Le ticket moyen tains services stagnent à trente une formule magique : la cuisine
même emplacement, les mêmes veulent pas se répéter en refaisant MAGIQUE :  tourne autour de 50 euros. Chez Ze­ couverts, d’autres vont jusqu’à italienne est fédératrice, surtout
entrepreneurs, Julien Ross et un italien et s’attaquent donc à la bra, le plat de saumon atteint cent. « L’irrégularité, c’est ce qu’il y a quand elle est mijotée avec de bons
Alexandre Giesbert, inauguraient brasserie française. « Pour moi, LA CUISINE  27 euros, alors qu’il plafonne à de pire », estime Alexandre Gies­ produits. La matière première tran­
Zebra avec un nouvel investisseur,
Romain Glize. Un tout autre con­
c’était limpide : on voulait des plats
simples comme la saucisse­purée
ITALIENNE  17 euros au bistrot d’en face où l’of­
fre est, sur le papier, à peu près iden­
bert. Ça rend les stocks de marchan­
dises difficiles à gérer et engendre
salpine de qualité a l’avantage
d’être plutôt bon marché, et la pâte
cept de restaurant, puisqu’il s’agis­ ou le tartare de bœuf, mais avec EST FÉDÉRATRICE,  tique. Alexandre Giesbert a beau beaucoup de pertes, notamment à pizza a le bon goût de bien se
sait d’une brasserie française tradi, de superproduits », se souvient avoir formé ses serveurs à parler de des produits chers et périssables conserver, donc de ne pas générer
ambiance poireaux­vinaigrette et Alexandre Giesbert. SURTOUT QUAND  l’origine des produits, les clients res­ comme les viandes et poissons. trop de pertes (et la pizza, c’est 40 %
maquereaux en escabèche. A l’épo­ Au lancement du restaurant, à tent surtout sensibles à l’argument La qualité du service s’en ressent, du chiffre d’affaires de Daroco).
que, les médias s’étaient enflam­ l’été 2018, les nombreux articles ra­
ELLE EST MIJOTÉE  du prix. « Et puis, souvent, ils s’en fou­ puisque, en cas de grande fréquen­ Après une étude de marché, les
més, parlant de « renouveau de la mènent du monde. Et puis, après AVEC DE BONS  tent de savoir que le poulet a gam­ tation inattendue, l’équipe n’est trois entrepreneurs constatent que
brasserie parisienne », du « grand re­ quelques mois, la fréquentation de badé dans une ferme du Médoc. Cer­ pas toujours assez nombreuse ni le 16e arrondissement manque
tour du resto mythique du 16e », de ce restaurant assez excentré dans PRODUITS tains disaient même : “La chair est assez préparée. « Le service, ça cruellement de bonnes pizzerias.
« la brasserie­choc des beaux quar­ l’Ouest parisien décline. « Attirer les dure.” Bah oui, mais il a couru toute fonctionne à l’adrénaline. Si les ser­ Ils décident donc de rejouer leur
tiers ». Il faut dire que Julien Ross et clients la première fois, c’est notre sa vie, il est musclé ! » veurs sont mous parce qu’il n’y a trattoria de la rue Vivienne moyen­
Alexandre Giesbert avaient l’habi­ travail, mais les faire revenir, c’est le Déconcertés mais pas découra­ que dix réservations, ils ne sont pas nant 150 000 euros de travaux,
tude de transformer tout ce qu’ils job du restaurant ! », rappelle l’atta­ gés, ils tentent de faire évoluer la prêts si finalement, quarante per­ pour mettre un coup de peinture,
touchaient en or, à l’instar du pre­ chée de presse du Zebra. carte, de se distinguer en la rendant sonnes débarquent », estime des plantes vertes et un four à
mier Daroco, leur trattoria planquée Au départ, le trio visait 400 cou­ plus exotique, et tant pis pour Alexandre Giesbert. A l’été 2019, pizza. « C’est un fait : en France, un
dans une rue tranquille du quartier verts par jour. Il est obligé de revoir leurs idéaux de tradition française. l’équipe qui comptait initialement bon italien, ça cartonne », affir­
de la Bourse, à Paris, qui fait tou­ ses objectifs à la baisse : ce sera plu­ Il y a désormais des condiments une cinquantaine de salariés se ment­ils. A eux de le prouver. 
jours salle comble. tôt 200. Et tente de corriger le tir. Il thaïlandais dans les moules, une trouve réduite à une vingtaine de elvire von bardeleben

CUISINEZ­MOI | CHRONIQUE PAR ELVIRE VON BARDELEBEN  
J’ai passé mon dimanche à faire du « batch cooking »

L e « batch cooking », qui a commencé


à prendre de l’ampleur il y a un an,
est désormais partout : dans la bou­
che des collègues (surtout ceux qui se sont
reproduits), dans les meilleures ventes de
Samedi, le créneau de livraison initial en­
tre 8 heures et 13 heures se rétrécit miracu­
leusement grâce à un texto du transpor­
teur qui prévient qu’à 9 h 45 le livreur sera
là. Quand on déballe, ça fait beaucoup de
cuire puis de les séparer en deux ». On les
jette entières dans l’eau et on profite des
vingt minutes de cuisson pour se con­
fronter au problème de place dans le
frigo, qui déborde déjà. Le mari, qui passe
à bien – les pommes de terre sautées du
mardi, tendres et dorées, font leur effet. El­
les sont censées être accompagnées d’un
gaspacho qu’on rétrograde en salade de to­
mates. Du nerf ! MALGRÉ TOUS 
bouquins de cuisine sur Amazon, aux côtés cartons, ça fait aussi bizarre de sortir du ba­ par là, demande s’il peut mettre une Mais malgré tous nos efforts, notre NOS EFFORTS, 
de Marc Levy en librairie, et même sous silic d’une feuille de papier bulle. Le côté bière au frais. Négatif. cerveau refuse de gérer en même temps
forme de paniers à commander. Mais sauvage du colis est assuré par la présence Sept courgettes en fines lamelles, c’est en­ la cuisson des éléments pour les poivrons NOTRE CERVEAU 
qu’est­ce que c’est ? L’expression anglaise, d’un insecte vert aux longues antennes qui core trente fastidieuses minutes, mais au farcis (du vendredi) et la ratatouille (du
qui se traduit littéralement par « cuisson traîne dans le sachet de poivrons. moins, on maîtrise. Alors que vider des lundi). De toute façon, l’équipement de REFUSE DE GÉRER 
par lots », désigne le fait de cuisiner en poivrons tout en les gardant entiers pour notre cuisine ne nous le permet pas non
avance tous ses repas de la semaine. Le UN HIMALAYA DE COURGETTES pouvoir ensuite les garnir, on n’a jamais plus, aucun contenant n’étant assez grand
EN MÊME TEMPS 
« batch cooking » est censé être rapide et ne Sous une montagne de courgettes, on dé­ fait. Enlever la tige puis le secouer très fort pour cuire en même temps l’Himalaya de LA CUISSON DES 
demander que deux (voire une !) heures de couvre un document de cinq pages dé­ au­dessus de l’évier pour évacuer les grai­ courgettes, les oignons, les poivrons, les
préparation hebdomadaire. taillant la marche à suivre. Ouf, la liste des nes n’est sans doute pas une méthode que tomates et les aubergines. ÉLÉMENTS POUR 
Voilà pour la théorie. On a testé en pre­ ingrédients à avoir chez soi pour compléter l’on apprend à l’école Bocuse, mais elle 20 h 30, après une pause dîner, on déclare
nant l’option facile : pas de courses, mais les recettes est très basique (huile, beurre, fonctionne (et ça détend après avoir dé­ forfait sans être venue à bout de notre mis­ LES POIVRONS 
une commande sur le site Pourdebon.com, citron, riz…), pas besoin de se traîner au taillé 6 kg de légumes). sion, mais avec plusieurs bons alibis : les FARCIS 
qui livre les produits de 150 producteurs supermarché. 16 h 30, top départ. Sur Deux heures pour préparer cinq plats, poivrons farcis sont réussis, la ratatouille,
différents en France et propose depuis mai le papier, « nettoyer, sécher, ciseler les c’est une prévision trop optimiste qui ne énorme, devrait nous tenir deux jours, et, (DU VENDREDI) 
des paniers « batch cooking ». En choisis­ herbes », c’est une demi­ligne. En cuisine, prend pas en compte le moment où l’on d’ici à mercredi, on trouvera bien un quart
sant la version végétarienne, moyennant ça prend vingt minutes. Frustrant de pas­ renverse sur le carrelage les 59 grammes de d’heure pour réaliser les miettes du crum­ ET LA RATATOUILLE 
30 euros, on reçoit de quoi préparer cinq ser autant de temps sur ce basilic, resplen­ riz que l’on vient de peser, l’aspirateur affé­ ble aux courgettes et une vinaigrette pour (DU LUNDI)
plats différents pour deux personnes. dissant la veille et qui, depuis son séjour au rent, la vaisselle pour laver l’unique poêle la salade de pommes de terre du jeudi.
Les légumes sont fournis par Cédric frigo, est devenu ramollo. qui ait la taille adéquate pour ce projet pha­ Epuisée ? Certes… Mais quelle fierté
Joliveau (souriant, adepte du béret, noté On enchaîne sur les patates. Les indica­ raonique, la recherche (vaine) de la râpe dès le lundi soir, quand aux premiers
4,8/5 sur le site), maraîcher dans le Loiret tions sont peu claires. Elles parlent de les dans tous les placards. A 18 h 30, tous les lé­ cris affamés des enfants, on n’a plus qu’à
qui travaille sans pesticides. « couper en cubes et en tranches pour les gumes sont découpés et on a un plat mené réchauffer son plat. 
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 carnet | 23
Le conseil d’administration, « Alors nous quittâmes la place Les Mardis de la Philo

Ivo Malec Le Carnet


La direction,
Les collaborateurs
de Lextenso,

ont la tristesse de faire part du décès


L’odyssée de
avec tristesse... »
Homère.
reprise le 17 septembre 2019, à 9 h 30

17 nouveaux sujets
et 27 conférenciers d’exception :

Compositeur Vos grands événements


Naissances, mariages,
de
Paul SAMSON,
chef de brigade des douanes, • Lectures féminines des monothéismes,
Philippe GUALINO. Delphine Horvilleur,
anniversaires de naissance a pris fin le 6 août 2019. Marion Muller-Colard,
Avis de décès, remerciements Kahina Bahloul
anniversaires de décès, Éditeur réputé, il a développé Une nouvelle étoile est née dans
grâce à son enthousiasme et à une • La pensée chrétienne contemporaine,
souvenirs force de conviction remarquable de
le ciel.
Rémi Brague
Colloques, conférences, nombreuses collections d’ouvrages et Jean-Luc Marion
juridiques et de comptabilité-gestion Familles Badlou, Samson, Vertueux.
séminaires, tables-rondes, • La Fontaine moraliste,
qui ont contribué au succès des
portes-ouvertes, journées éditions Gualino. kvertueux@wanadoo.fr Bertrand Vergely
d’études, congrès, • La question animale,
nominations, Nous présentons à sa famille et
Sabine et Charles, Laurence Devillairs,
assemblées générales à ses proches nos plus sincères
condoléances. Olivier et Frédérique, Elisabeth de Fontenay, Francis Wolff
Soutenances de mémoire, Axell, • Les philosophes et le bouddhisme,
thèses, Alice Higgins Jouve,
ses petits-enfants, Roger-Pol Droit
Expositions, vernissages, Nicolas, Claire,
son épouse, • Un monde d’individus ?
Audrey et Elian, Antoine, Vincent,
signatures, lectures, Christine Jouve Michaël Fœssel
et Michael Piacentini, ses arrière-petits-enfants,
communications diverses Samuel, • L’enracinement, Olivier Dhilly
Patrick et Elizabeth Jouve,
Alexandre Jouve, son arrière-arrière-petit-fils • Culture et formes symboliques,
Vous pouvez nous envoyer ses enfants et leurs conjoints, Et toute la famille, Heinz Wismann
Luc et Claire, • L’énigme de la démocratie,
vos annonces par mail : Mary Alice et Isabelle, ont la tristesse de faire part du décès Pierre-Henri Tavoillot
carnet@mpublicite.fr ses petits-enfants,
de
Simone Jouve, • Hugo philosophe, Jean Delabroy
en précisant vos coordonnées Blandine et Jean-Charles Colin, • Le sentiment d’exister,
(nom, adresse, téléphone ses sœurs et son beau-frère, Mme Annie VILLENEUVE,
et votre éventuel numéro d’abonné née LAUVERGNAT, Jacques Darriulat
Ses neveux et nièces,
ou membre de la SDL) Les familles Jouve, Daude, Halkin, • Dire philosophiquement la foi,
Baron et Brunhes, survenu au Chesnay, le 2 septembre Monique Castillo
Réception de vos annonces :
2019, à l’âge de cent un ans. • Philosophie de l’amitié,
du lundi au vendredi ont la douleur de faire part du décès
Thierry Paquot
jusqu’à 16 heures de Pour ceux qui le souhaitent, nous et Jean-Michel Besnier
le samedi et les jours fériés Daniel Gabriel JOUVE, nous retrouverons le vendredi
• Dans la tête d’un fanatique,
diplômé de l’Institut 6 septembre, à 9 h 45, au funérarium
En 1966. LASZLO RUSZKA/INA jusqu’à 12 h 30 Michel Eltchaninoff
d’études politiques de Paris de Saint-Germain-en-Laye, 10, rue
et de Harvard Business School, Saint-Eloi. • De quelques vertus,
Pour toute information ancien membre du directoire Charles Pépin et Éric Fiat
du Groupe l’Express, Un moment d’hommage sera • La solitude, Christophe Perrin
complémentaire Carnet : fondateur
01 57 28 28 28 rendu le vendredi 6 septembre, • L’idéalisme

I
vo Malec, compositeur fran­ 30 NOVEMBRE 1925 Nais- du journal Le Nouvel Économiste, à 16 heures, au cimetière Saint-Denis
fondateur du cabinet de recrutement selon Jean-Michel Le Lannou,
çais d’origine croate, est sance à Zagreb (Croatie). Jouve et Associés, de Châteauroux.
avec Arthur Cohen,
mort le 14 août à Paris, à l’âge 1966 « Cantate pour elle » AU CARNET DU «MONDE»
Famille Lefebvre, Alexandre Lissner, Frédéric Berland.
de 94 ans. Etabli en France 1968 « Lumina » survenu le samedi 31 août 2019, à Paris,
1972-1990 Professeur dans sa quatre-vingt-unième année. 14, rue Henri-Penon,
depuis 1959, il se fit connaître Anniversaire de naissance 78400 Chatou. Les conférences ont lieu
comme membre historique du de composition La cérémonie religieuse sera
6 septembre 1999 ... 2019, 4, place Saint-Germain-des-Prés,
Groupe de recherches musicales au conservatoire de Paris célébrée le lundi 9 septembre,
Le président, Paris 6e.
(GRM), fondé par Pierre Schaeffer 2006 « Epistola » à 15 heures, en l’église Saint-François-
Victor Xavier, Paris 7e, suivie de Les directeurs d’études Renseignements au 01 43 26 05 67.
en 1958, avant de tracer son sillon 14 AOÛT 2019 Mort à Paris
l’inhumation au cimetière du et les maîtres de conférences, www.lesmardisdelaphilo.com
sur le terrain alors en devenir de la Montparnasse, Paris 14e. Les étudiants et auditeurs,
« musique mixte ». a vingt ans.
Le personnel administratif La 5e saison des Matinées
Animée d’une flamme toujours contribution instrumentale au Jean-Michel, Olivier et Philippe, de l’École Pratique des Hautes Études,
vive, sa musique témoigne d’une « concert collectif » émerger si­ Nous l’embrassons. de la Littérature débutera
leurs épouses,
quête de soi, dont ont su profiter multanément de plusieurs lo­ leurs enfants et petits-enfants, le 3 octobre, à 9 h 30
ont la tristesse de faire part du décès,
maints compositeurs (d’Edith Ca­ caux sous les différentes formes Louis, Jean-Christophe, Sylvie.
survenu le 25 juillet 2019, de
ont la tristesse de faire part du décès • Romain Gary ou les romans
nat de Chizy à Eric Tanguy, de Phi­ électroacoustiques que tentent de de
lippe Leroux à Frédéric Durieux) lui donner les autres artisans du Décès d’une vie, Denis Labouret
passés dans sa classe au conserva­ GRM. De là lui vient l’idée de Mme Paule MAIGNE, Elke ZIMMERMANN, • Le Maître et Marguerite
Catherine Trouboul née HERMAN. personnalité qualifiée de Boulgakov, Michel Eltchaninoff
toire de Paris. Né le 30 mars 1925, à transférer à l’écriture orchestrale
Et Anne Bouthier, ayant siégé au Conseil scientifique • Littérature et opéra,
Zagreb (Croatie), Ivo (prénommé les principes du studio (boucles, Les obsèques seront célébrées
ses filles, de l’EPHE Christine Rodriguez
officiellement Ivan) Malec aborde jeu sur les potentiomètres, substi­ le 6 septembre 2019, à 10 h 30,
Sa famille en l’église Saint-Germain-des-Prés, du 2 juin 2016 au 23 janvier 2018, • Madame de Staël, Jean Delabroy
le piano à 6 ans, en cours particu­ tution d’attaques…). La création
Et ses amis, Paris 6e. professeur d’écologie • Houellebecq dans le texte,
liers, mais doit l’abandonner lors de Sigma (très remarquée,
comportementale Agathe Novak-Lechevallier
de son entrée au séminaire, à l’âge en 1963) fournit une première il­
sont dans la tristesse du départ, Tours. Orléans. à l’université de médecine
de 10 ans. Le retour au clavier s’ef­ lustration de ce que le composi­ • Les Misérables, Jean Delabroy
le 12 août 2019, de Concremiers (Indre). vétérinaire de Hanovre.
fectue quatre ans plus tard, au teur entrevoit comme la pro­ • La planète des contes,
sortir de l’institution religieuse, messe d’un avenir fécond. Chantal et Isabelle, Bernadette Bricout.
Ils s’associent à la douleur de la
et se double bientôt de cours Confirmation, en 1966, avec Mireille BOUTHIER, ses filles, famille.
d’écriture, en privé. Une fois le Cantate pour elle, son grand ENS Sèvres, Sarah, Les conférences ont lieu
agrégée d’histoire-géographie, sa petite-fille
baccalauréat en poche (1943), le œuvre, qui se distingue par le jeu Cinéma Beauregard,
maître de conférences en géographie
Et toute la famille, Remerciements
jeune homme s’oriente vers la (tant ludique que dramatique) des 22, rue Apollinaire, Paris 6e.
musique en entrant, en 1945, au parties musicales. Emulsion de la à l’université Paris VII Diderot, ont la tristesse de faire part du décès Martine Franck Cotinat En savoir plus 01 43 26 05 67.
conservatoire de Zagreb. matière (en studio pour la bande de www.lesmatineesdelalitterature.com
magnétique réalisée au GRM), dans sa quatre-vingt-troisième année. remercie toutes les personnes qui
M. Marcel RODAIS, lui ont adressé des messages de
Pierre Schaeffer, son maître émulation des interprètes (dans ancien secrétaire général
sympathie lors du décès de son
Communication diverse
Ses premiers essais de composi­ l’action « live » entre une soprano La dispersion des cendres aura du Rectorat de l’Académie
d’Orléans-Tours, époux,
teur le conduisent d’une Sonate fantasque et une harpe ascéti­ lieu dans la vallée de la Clarée qu’elle
officier de la Légion d’honneur,
pour piano (1949), classique, à que). Il en ira de même, deux ans aimait tant. officier Jacques COTINAT.
une Symphonie (1951), ouverte sur plus tard, avec Lumina, autre de l’ordre national du Mérite,
une citation de Stravinsky, en pas­ « classique » de l’auteur. Sa famille commandeur 2, square de La Tour-Maubourg,
Et ses amis, de l’ordre des Palmes académiques, 75007 Paris.
sant par un Trio, qui trahit l’in­ Si la rencontre de Pierre Schaef­
fluence de Chostakovitch. fer a été déterminante dans survenu à Tours,
En 1955, une bourse lui permet l’orientation créatrice d’Ivo Ma­ ont l’immense douleur d’annoncer à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans. Conférences SOS AMITIE
le décès de Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
d’effectuer un séjour à Paris et lec, celle d’Henri Dutilleux – alors
Les obsèques sont célébrées
d’aller à la rencontre des princi­ chef du service des illustra­ ce jeudi 5 septembre 2019, à 14 h 30, Les bénévoles de SOS Amitié
paux acteurs de la vie musicale tions musicales de la Radiodiffu­ Annie GROSMAN, écoutent
en l’église de Concremiers, suivies
enseignante-chercheuse par téléphone et par internet
tels André Jolivet, Darius Milhaud sion française – a aussi beaucoup de l’inhumation au cimetière de ceux qui souffrent de solitude,
et Pierre Schaeffer auprès duquel compté. Il en a résulté une com­ à Sorbonne Université, Concremiers. mal-être et pensées suicidaires.
il découvre la musique concrète. mande (Les Douze Mois, conte ra­
survenu le jeudi 29 août 2019. Mme Catherine Saada, Nous ne répondons
De retour à Zagreb, Ivo Malec or­ diophonique créé en 1961) et une qu’à 1 appel sur 3
née Zadoc-Kahn,
ganise une conférence (en 1956) amitié (étendue à l’épouse de Du­ son épouse, et recherchons des écoutants
Un hommage lui sera rendu lors Grande Conférence de Rentrée
sur le sujet et compose plusieurs tilleux, Geneviève Joy, interprète Renaud Saada et Chantal, bénévoles.
des obsèques qui auront lieu du Doyen, Claude Landman, L’écoute peut sauver des vies
musiques de scène à base de en 1963 de Dialogues pour piano, Matthieu Saada et Laurence,
le vendredi 6 septembre, à 16 heures, Anne Saada et Lionel, et enrichir la vôtre.
« sons fixés » sur bande magnéti­ donnés en création mondiale à Pourquoi devient-on névrosé ?
au cimetière de Fontenay-sous- ses enfants, Horaires flexibles, formation
que. Il retourne à plusieurs repri­ Zagreb). Ivo Malec succédera à Paris, le jeudi 12 septembre 2019, assurée.
Bois (Val-de-Marne), 116, boulevard Fanny, Iris, Chloé, Adrien, Théo
ses en France avant de s’installer Dutilleux, en 1972, comme pro­ et Manon, à 21 heures.
Galliéni. En IdF RDV sur
définitivement à Paris, en 1959, et fesseur de composition au con­ ses petits-enfants, Centre Sèvres,
www.sosamitieidf.asso.fr
d’intégrer le GRM, en 1960. servatoire de Paris. Cette fonc­ Samuel et Benjamin, 35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e,
Le président En région RDV sur
ses arrière-petits-enfants,
Composée à l’issue du premier tion, occupée jusqu’en 1990, ne ouvert au public. www.sos-amitie.com
de Sorbonne Université, Jacqueline, Jeanne et Paul,
grand stage effectué dans le giron réduit pas son ardeur créatrice, le ses sœurs et son frère Plus d’infos : www.ephep.com
Ses collègues
de Pierre Schaeffer, Reflets (1961) compositeur lançant des ponts Et toute la famille,
de la faculté des sciences et
dépasse largement le cadre de principalement sur le domaine ingénierie, de l’UFR de physique et ont la grande tristesse de faire part Société éditrice du « Monde » SA
l’exercice. La musique frétille et, de l’orchestre (avec une prédilec­ de l’institut des NanoSciences de de la mort de Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
par­delà les explosions et les tion pour les cordes, jusqu’à la Paris, Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
heurts de matériau, se propage création d’Arc­en­cello, en 2003) Georges SAADA, Directeur de la rédaction Luc Bronner

avec une vraie dramaturgie. La et sur celui de la voix (manifeste Sfax, août 1932 - Boulogne, août 2019, Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
ont la grande peine d’annoncer X 52, Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,
marque d’Ivo Malec est déjà per­ jusqu’en 2006 avec Epistola). le décès de Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
ceptible. Le quotidien du composi­ Eruptive et voluptueuse, la survenue le 30 août 2019, Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws
teur se déroule toutefois au service musique d’Ivo Malec possède un Mme Annie GROSMAN, Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote
du GRM, notamment dans la pers­ souffle dont une revendication enseignante-chercheuse Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
Il avait donné son corps à la science.
pective d’un « concert collectif », du compositeur cerne bien le à Sorbonne Université. Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff
Chef d’édition Sabine Ledoux
concept cher à Pierre Schaeffer caractère. « Aujourd’hui, il ne suf­ Un hommage civil lui sera rendu Directrice du design Mélina Zerbib
Un hommage lui sera rendu ultérieurement. Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
que Malec tient dorénavant pour fit pas d’avoir le talent de créer. Il Photographie Nicolas Jimenez
son « seul véritable maître ». faut avoir le talent de vivre, d’en­ le vendredi 6 septembre 2019, Infographie Delphine Papin
Cet avis tient lieu de faire-part. Médiateur Franck Nouchi
Un jour, alors que le jeune musi­ treprendre, d’imposer, d’être là, né­ à 16 heures, au cimetière de
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
cien se promène aux abords de la cessaire. »  Fontenay-sous-Bois, 116, boulevard 235, Grande-Rue - Bât. A, Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Maison de la radio, il entend sa pierre gervasoni Gallieni. 92380 Garches. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
IDÉES
0123
24 | VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

Après « Le Capital au XXIe siècle », paru en 2013 et vendu à 2,5 millions d’exemplaires,
l’économiste français publie aux éditions du Seuil, jeudi 12 septembre, un livre d’enquête de
plus de 1 200 pages sur la formation et la justification des inégalités. « Le Monde » en publie
des extraits en exclusivité, accompagnés de six commentaires critiques de chercheurs

Les bonnes feuilles de « Capital et Idéologie », son dernier livre

Thomas Piketty
L’inégalité est
idéologique et politique

L’
mis que l’idée de progrès humain devienne sa version chinoise, ainsi, dans une certaine L’humanité vit aujourd’hui en meilleure
une réalité (le suffrage universel, l’école gra­ mesure, que dans sa variante est­euro­ santé qu’elle n’a jamais vécu ; elle a égale­
tuite et obligatoire, l’assurance­maladie uni­ péenne, en dépit de tout ce qui différencie ment davantage accès à l’éducation et à la
verselle, l’impôt progressif). Il est très proba­ ces trois trajectoires) est devenu en ce début culture qu’elle ne l’a jamais eu. L’Unesco
ble qu’il en aille de même à l’avenir. Les iné­ de XXIe siècle le meilleur allié de l’hyperca­ n’existait pas au début du XIXe siècle pour
galités actuelles et les institutions présentes pitalisme est la conséquence directe des dé­ définir l’alphabétisation comme elle le fait
ne sont pas les seules possibles, quoi que sastres communistes staliniens et maoïs­ depuis 1958, c’est­à­dire la capacité d’une
puissent en penser les conservateurs, et el­ tes, et de l’abandon de toute ambition égali­ personne « à lire et écrire, en le comprenant,
les seront appelées elles aussi à se transfor­ taire et internationaliste qui en a découlé. un énoncé simple et bref se rapportant à sa
mer et à se réinventer en permanence. Le désastre communiste a même réussi à vie quotidienne ». Les informations
Mais cette approche centrée sur les idéolo­ faire passer au second plan les dégâts cau­ recueillies dans de multiples enquêtes et
gies, les institutions et la diversité des trajec­ sés par les idéologies esclavagistes, colonia­ recensements permettent toutefois d’esti­
toires possibles se différencie également de listes et racialistes, ainsi que les liens pro­ mer qu’à peine 10 % de la population mon­
certaines doctrines parfois qualifiées de fonds qui les rattachent à l’idéologie pro­ diale âgée de plus de 15 ans était alphabéti­
« marxistes », selon lesquelles l’état des priétariste et hypercapitaliste, ce qui n’est sée au début du XIXe siècle, contre plus de
forces économiques et des rapports de pro­ pas un mince exploit. 85 % aujourd’hui. Là encore, des indicateurs
duction déterminerait presque mécanique­ (…) plus fins, comme le nombre moyen d’an­
ment la « superstructure » idéologique nées de scolarisation qui serait passé d’à
d’une société. J’insiste au contraire sur le fait peine une année il y a deux siècles à plus de
qu’il existe une véritable autonomie de la Le progrès humain, huit années dans le monde aujourd’hui, et
sphère des idées, c’est­à­dire de la sphère plus de douze années dans les pays les plus
inégalité n’est pas économique ou techno­ idéologico­politique. Pour un même état de
le retour des inégalités, avancés, confirmeraient le diagnostic. A
logique : elle est idéologique et politique. développement de l’économie et des forces la diversité du monde l’époque d’Austen et de Balzac, moins de
Telle est sans doute la conclusion la plus évi­ productives (dans la mesure où ces mots ont Entrons maintenant dans le vif du sujet. Le 10 % de la population mondiale accédait à
dente de l’enquête historique présentée un sens, ce qui n’est pas certain), il existe progrès humain existe, mais il est fragile, et il l’école primaire ; à celle d’Adichie et de Fuen­
dans ce livre. Autrement dit, le marché et la toujours une multiplicité de régimes idéolo­ peut à tout moment se fracasser sur les déri­ tes, plus de la moitié des jeunes générations
concurrence, le profit et le salaire, le capital giques, politiques et inégalitaires possibles. ves inégalitaires et identitaires du monde. Le des pays riches accèdent à l’université : ce
et la dette, les travailleurs qualifiés et non Par exemple, la théorie du passage méca­ progrès humain existe : il suffit pour s’en qui était depuis toujours un privilège de
qualifiés, les nationaux et les étrangers, les nique du « féodalisme » au « capitalisme » à convaincre d’obser­ classe devient ouvert à la majorité.
paradis fiscaux et la compétitivité, n’exis­ la suite de la révolution industrielle ne per­ ver l’évolution de la Pour prendre conscience de l’ampleur des
tent pas en tant que tels. Ce sont des cons­ met pas de rendre compte de la complexité santé et de l’éduca­ transformations en jeu, il convient éga­
tructions sociales et historiques qui dépen­ et de la diversité des trajectoires historiques tion dans le monde lement de rappeler que la population
dent entièrement du système légal, fiscal, et politico­idéologiques observées dans les au cours des deux humaine tout comme le revenu moyen ont
éducatif et politique que l’on choisit de met­ différents pays et régions du monde, en L’ÉTUDE DES derniers siècles (…). été multipliés par plus de 10 depuis le
tre en place et des catégories que l’on se
donne. Ces choix renvoient avant tout aux
particulier entre régions colonisatrices et
colonisées, comme d’ailleurs au sein de
DIFFÉRENTES L’espérance de vie à
la naissance est pas­
XVIIIe siècle. La première est passée d’envi­
ron 600 millions en 1700 à plus de 7 mil­
représentations que chaque société se fait de chaque ensemble, et surtout ne permet pas TRAJECTOIRES sée d’environ 26 ans liards en 2020, alors que le second, autant
la justice sociale et de l’économie juste, et de tirer les leçons les plus utiles pour les dans le monde en que l’on puisse le mesurer, est passé d’un
des rapports de force politico­idéologiques étapes suivantes. HISTORIQUES moyenne en 1820 à pouvoir d’achat moyen (exprimé en euros
entre les différents groupes et discours en En reprenant le fil de cette histoire, on 72 ans en 2020. Au de 2020) d’à peine 80 euros par mois et par
présence. Le point important est que ces rap­ constate qu’il a toujours existé et qu’il exis­
ET DES MULTIPLES début du XIXe siècle, habitant de la planète autour de 1700 à envi­
ports de force ne sont pas seulement tera toujours des alternatives. A tous les BIFURCATIONS la mortalité infantile ron 1 000 euros par mois en 2020. Il n’est
matériels : ils sont aussi et surtout intellec­ niveaux de développement, il existe de frappait autour de pas certain toutefois que ces progressions
tuels et idéologiques. Autrement dit, les multiples façons de structurer un système INACHEVÉES 20 % des nouveau­ quantitatives considérables, dont il est utile
idées et les idéologies comptent dans l’his­ économique, social et politique, de définir nés de la planète au de rappeler qu’elles correspondent toutes
toire. Elles permettent en permanence les relations de propriété, d’organiser un DU PASSÉ EST cours de leur pre­ deux à des rythmes de croissance annuelle
d’imaginer et de structurer des mondes nou­ régime fiscal ou éducatif, de traiter un LE MEILLEUR mière année, contre moyenne d’à peine 0,8 %, cumulés il est vrai
veaux et des sociétés différentes. De multi­ problème de dette publique ou privée, de moins de 1 % sur plus de trois siècles (preuve s’il en est
ples trajectoires sont toujours possibles. réguler les relations entre les différentes ANTIDOTE aujourd’hui. Si l’on se qu’il n’est peut­être pas indispensable de
Cette approche se distingue des nom­ communautés humaines, et ainsi de suite. Il concentre sur les per­ viser une croissance de 5 % par an pour
breux discours conservateurs visant à expli­ existe toujours plusieurs voies possibles TOUT À LA FOIS AU sonnes atteignant atteindre le bonheur terrestre), représen­
quer qu’il existe des fondements « naturels »
aux inégalités. De façon peu surprenante,
permettant d’organiser une société et les
rapports de pouvoir et de propriété en son
CONSERVATISME l’âge de 1 an, l’espé­
rance de vie à la nais­
tent des « progrès » en un sens aussi incon­
testables que ceux réalisés en termes de
les élites des différentes sociétés, à toutes les sein, et ces différences ne portent pas que ÉLITISTE ET À sance est passée d’en­ santé et d’éducation.
époques et sous toutes les latitudes, ont sou­ sur des détails, tant s’en faut. En particulier, viron 32 ans en 1820 Dans les deux cas, l’interprétation de ces
vent tendance à « naturaliser » les inégalités, il existe plusieurs façons d’organiser les L’ATTENTISME à 73 ans en 2020. évolutions est ambiguë, et ouvre des débats
c’est­à­dire à tenter de leur donner des rapports de propriété au XXIe siècle, et cer­ On pourrait multi­ complexes pour l’avenir. La croissance dé­
fondements naturels et objectifs, à expli­ taines peuvent constituer un dépassement
RÉVOLUTIONNAIRE plier les indicateurs : mographique reflète certes pour partie la
quer que les disparités sociales en place sont du capitalisme bien plus réel que la voie DU GRAND SOIR la probabilité pour chute de la mortalité infantile et le fait qu’un
(comme il se doit) dans l’intérêt des plus consistant à promettre sa destruction sans un nouveau­né d’at­ nombre croissant de parents a pu grandir
pauvres et de la société dans son ensemble, se soucier de ce qui suivra. teindre l’âge de avec des enfants en vie, ce qui n’est pas rien.
et qu’en tout état de cause leur structure L’étude des différentes trajectoires histori­ 10 ans, celle pour un Il reste qu’une telle hausse de la population,
présente est la seule envisageable, et ne sau­ ques et des multiples bifurcations inache­ adulte d’atteindre si elle se poursuivait au même rythme, nous
rait être substantiellement modifiée sans vées du passé est le meilleur antidote tout à l’âge de 60 ans, celle pour une personne conduirait à plus de 70 milliards d’humains
causer d’immenses malheurs. la fois au conservatisme élitiste et à l’atten­ âgée de passer cinq ou dix ans de retraite dans trois siècles, ce qui ne semble ni sou­
L’expérience historique démontre le con­ tisme révolutionnaire du grand soir. Un tel en bonne santé. Sur tous ces indicateurs, haitable ni supportable par la planète. La
traire : les inégalités varient fortement dans attentisme dispense souvent de réfléchir au l’amélioration de long terme est croissance du revenu moyen reflète pour
le temps et dans l’espace, dans leur ampleur régime institutionnel et politique réelle­ impressionnante. On peut certes trouver partie une amélioration bien réelle des con­
comme dans leur structure, et dans des con­ ment émancipateur à appliquer au lende­ des pays et des époques où l’espérance de ditions de vie (les trois quarts des habitants
ditions et avec une rapidité que les contem­ main du grand soir, et conduit générale­ vie décline, y compris en temps de paix, de la planète vivaient proches du seuil de
porains auraient souvent peiné à anticiper ment à s’en remettre à un pouvoir étatique comme l’Union soviétique dans les an­ subsistance au XVIIIe siècle, contre moins
quelques décennies plus tôt. Il en a parfois tout à la fois hypertrophié et indéfini, ce qui nées 1970 ou les Etats­Unis dans les an­ d’un cinquième aujourd’hui), ainsi que des
résulté des malheurs. Mais, dans leur en­ peut s’avérer tout aussi dangereux que la nées 2010, ce qui en général n’est pas bon possibilités nouvelles de voyages, de loisirs,
semble, les diverses ruptures et processus sacralisation propriétariste à laquelle on signe pour les régimes concernés. Mais sur de rencontres et d’émancipation.
révolutionnaires et politiques qui ont per­ prétend s’opposer. Cette attitude a causé au la longue durée la tendance à l’améliora­ Il reste que les comptes nationaux mobili­
mis de réduire et de transformer les inégali­ XXe siècle des dégâts humains et politiques tion est incontestable, dans toutes les par­ sés ici pour décrire l’évolution de long
tés du passé ont été un immense succès, et considérables, dont nous n’avons pas fini ties du monde, quelles que soient par terme du revenu moyen, et qui depuis leur
sont à l’origine de nos institutions les plus de payer le prix. Le fait que le postcommu­ ailleurs les limites des sources démogra­ invention à la fin du XVIIe et au début du
précieuses, celles précisément qui ont per­ nisme (dans sa variante russe comme dans phiques disponibles. XVIIIe siècle au Royaume­Uni et en France
0123
VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019 idées | 25

▶▶▶

tentent de mesurer le revenu national, le galité patrimoniale extrême du XIXe siècle


produit intérieur brut et parfois le capital
national des pays, posent de multiples
problèmes. Outre leur focalisation sur les
n’était aucunement indispensable pour as­
surer la stabilité et la prospérité, bien au
contraire), et que peuvent se construire des
OUVRIR L’ÉVENTAIL
moyennes et les agrégats et leur absence
totale de prise en compte des inégalités, ils
ne commencent que trop lentement à inté­
idéologies et des mouvements politiques
novateurs en ce début de XXIe siècle.
La grande faiblesse de l’idéologie proprié­
DES POSSIBLES
grer la question de la soutenabilité et du tariste est que les droits de propriété issus
capital humain et naturel. Par ailleurs, leur du passé posent souvent de sérieux problè­
LE LIVRE d’inégalités était, en 1914, supé­

C
capacité à résumer en un indicateur unique mes de légitimité. Nous venons de le voir rieur à celui observé en 2019.
les transformations multidimensionnelles avec la Révolution française, qui trans­ ertains ouvrages resser­ Mais, parfois, la transition réus­
des conditions de vie et du pouvoir d’achat forma sans coup férir des corvées en loyers, rent les convictions et cris­ sit. Après la dépression des an­
sur des périodes aussi longues ne doit pas et nous retrouverons cette difficulté à de tallisent les certitudes. nées 1930 puis la seconde guerre
être surestimée. nombreuses reprises, en particulier avec la D’autres élargissent les mondiale, la social­démocratie a
De façon générale, les réels progrès réali­ CAPITAL ET IDÉOLOGIE question de l’esclavage et de son abolition horizons et ouvrent le champ des bâti une justice sociale et éduca­
sés en termes de santé, d’éducation et de de Thomas Piketty dans les colonies françaises et britanni­ possibles. Le nouveau livre de tive inégalée en Europe.
pouvoir d’achat masquent d’immenses iné­ Seuil, 1 232 pages, ques (où l’on décida qu’il était indispensa­ Thomas Piketty, Capital et Idéolo­ Telle est probablement la grande
galités et fragilités. En 2018, le taux de mor­ 25 euros ble de dédommager les propriétaires, et gie (Seuil, 1 232 p., 25 €), est de vertu de cet ouvrage : rappeler que
talité infantile avant 1 an était inférieur à non pas les esclaves), ou bien encore avec ceux­là. Ce pavé, dense mais non certaines options économico­ po­
0,1 % dans les pays européens, nord­améri­ celle des privatisations postcommunistes jargonnant, a une ambition : litiques, présentées aujourd’hui
cains et asiatiques les plus riches, mais ils et des pillages privés de ressources naturel­ « Convaincre le lecteur que l’on peut comme inapplicables, ont, en vé­
atteignaient quasiment 10 % dans les pays les. Plus généralement, le problème est s’appuyer sur les leçons de l’histoire rité, déjà été testées avec succès
africains les plus pauvres. Le revenu moyen et de façon beaucoup plus explicite dans les que, indépendamment de la question des pour définir une norme de justice et par le passé. Dans les années 1950
mondial atteignait certes 1 000 euros débats politiques autour de la propriété qui origines violentes ou illégitimes des appro­ d’égalité (…) acceptable par le plus et 1960, les Etats­Unis affichaient
par mois et par habitant, mais il était d’à eurent lieu au cours de la Révolution fran­ priations initiales, des inégalités patrimo­ grand nombre ». le salaire minimum national le
peine 100­200 euros par mois dans les pays çaise et tout au long du XIXe siècle, peut se niales considérables, durables et large­ Pour ce faire, l’auteur, par plus élevé du monde, tandis que,
les plus pauvres, et dépassait les résumer de la façon suivante. Si l’on com­ ment arbitraires tendent à se reconstituer ailleurs chroniqueur au Monde, des années 1930 à 1980, le taux
3 000­4 000 euros par mois dans les pays les mence à remettre en cause les droits de pro­ en permanence, dans les sociétés hyperca­ retrace à grands traits, parfois au marginal d’impôt sur le revenu
plus riches, voire davantage dans quelques priété acquis dans le passé et leur inégalité, pitalistes modernes, comme d’ailleurs prix de quelques raccourcis, l’évo­ culminait à 70 %­90 % pour les
micro­paradis fiscaux que d’aucuns soup­ au nom d’une conception de la justice dans les sociétés anciennes. lution des inégalités de l’Ancien plus aisés. Or, la croissance était
çonnent (non sans raison) de voler le reste sociale certes respectable, mais qui inévita­ Il n’en reste pas moins que la construction Régime à nos jours, en France, aux alors bien plus forte qu’aujour­
de la planète, quand il ne s’agit pas de pays blement sera toujours imparfaitement défi­ d’une norme de justice acceptable par le Etats­Unis, en Suède, au Royau­ d’hui, preuve qu’imposer les hauts
dont la prospérité s’appuie sur les émis­ nie et acceptée, et ne pourra jamais faire to­ plus grand nombre pose des problèmes me­Uni, ou encore en Inde, au revenus n’est pas un frein à l’acti­
sions carbone et le réchauffement à venir. talement consensus, ne risque­t­on pas de considérables, et nous ne pourrons vérita­ Brésil et en Russie. vité et ne provoque pas automati­
Certains progrès ont bien eu lieu, mais cela ne pas savoir où arrêter ce dangereux pro­ blement traiter de cette question complexe Son best­seller Le Capital au quement l’exil fiscal des riches. Au
ne change rien au fait qu’il est toujours pos­ cessus ? Ne risque­t­on pas d’aller tout droit qu’à l’issue de notre enquête, après l’exa­ XXIe siècle (Seuil, 2013), vendu à contraire, les recettes budgétaires
sible de mieux faire, ou en tout état de cause vers l’instabilité politique et le chaos perma­ men des différentes expériences histori­ plus de 2,5 millions d’exemplaires engrangées furent alors utilisées
de s’interroger sérieusement à ce sujet, plu­ nent, ce qui finira par se retourner contre ques disponibles, et en particulier des expé­ dans le monde, fut critiqué pour pour généraliser l’accès à l’éduca­
tôt que de se complaire dans un sentiment les plus modestes ? La réponse propriéta­ riences cruciales du XXe siècle en matière son occidentalo­centrisme. En ré­ tion, remède le plus efficace pour
de béatitude face aux succès du monde. riste intransigeante est qu’il ne faut pas cou­ de progressivité fiscale, et plus générale­ ponse à ces reproches, l’écono­ favoriser à la fois la justice sociale
Surtout, ce progrès humain moyen incon­ rir un tel risque, et que cette boîte de Pan­ ment de redistribution des propriétés, qui miste s’est plongé dans les archi­ et le dynamisme économique.
testable, si l’on compare les conditions de dore de la redistribution des propriétés ne ont apporté la démonstration historique ves coloniales. Il a voyagé en Asie
vie en vigueur au XVIIIe siècle et au début du doit jamais être ouverte. matérielle que l’inégalité extrême n’avait et en Amérique latine afin de ser­ L’utopie face à la fatalité
XXIe, ne doit pas faire oublier que cette évo­ Ce type d’argumentation est présent en rien d’indispensable, ainsi que des connais­ vir au mieux l’ambition de son La progressivité de la fiscalité
lution de très long terme s’est accompagnée permanence lors de la Révolution française, sances concrètes et opérationnelles sur les projet. Celle­ci agacera les gar­ – c’est­à­dire le fait de relever le
de phases terribles de régression inégalitaire et il explique nombre des ambiguïtés et des niveaux d’égalité et d’inégalité qui pou­ diens du temple qui, en France, to­ taux d’imposition à mesure que le
et civilisationnelle. Les « Lumières » euro­ hésitations observées, en particulier entre vaient être envisagés a minima. En tout état lèrent mal qu’un intellectuel sorte revenu ou le patrimoine concerné
américaines et la révolution industrielle se les approches « historiques » et « linguisti­ de cause, l’argument propriétariste fondé de sa case disciplinaire pour pio­ augmente – est au cœur de la
sont appuyées sur des systèmes extrême­ ques » des droits anciens et de leur retrans­ sur le besoin de stabilité institutionnelle cher dans celle des autres. Le dé­ question des inégalités, selon
ment violents de dominations propriétaris­ cription en droits de propriété nouveaux. Si doit être pris au sérieux et être évalué préci­ cloisonnement des approches M. Piketty. Elle évite que les ri­
tes, esclavagistes et coloniales, qui ont pris l’on remet en cause les corvées et les lods sément, au moins autant que l’argument permet pourtant d’appréhender chesses se concentrent au sein des
une ampleur historique sans précédent au [droits féodaux], ne risque­t­on pas de re­ méritocratique insistant davantage sur le le monde avec plus de justesse, à mêmes ménages au fil des décen­
cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, avant mettre aussi en cause les loyers et l’ensem­ mérite individuel, argument qui joue un défaut d’objectivité. nies. En 1989, la chute du commu­
que les puissances européennes sombrent ble des droits de propriété ? Nous retrouve­ rôle sans doute moins central dans l’idéolo­ Ainsi donc, M. Piketty se nourrit nisme jeta l’opprobre sur la redis­
elles­mêmes dans une phase d’autodestruc­ rons ces arguments dans les sociétés de pro­ gie propriétariste du XIXe siècle que dans la d’histoire, de sciences politiques tribution. Les gouvernements
tion génocidaire entre 1914 et 1945. Ces priétaires du XIXe siècle et du début du reformulation néopropriétariste en vi­ et même de littérature. Pour oublièrent alors les leçons de la
mêmes puissances se sont ensuite vu impo­ XXIe siècle, et nous verrons qu’ils jouent gueur depuis la fin du XXe siècle. Nous mieux cerner les ressorts inégali­ crise des années 1930. Ils rognè­
ser les décolonisations dans les années 1950­ toujours un rôle fondamental dans le débat aurons largement l’occasion de revenir sur taires du XIXe siècle européen, il rent la progressivité de la fiscalité
1960, au moment où les autorités étatsu­ politique contemporain, en particulier avec ces différents développements politico­ dissèque Balzac et Jane Austen. et réduisirent l’impôt sur les béné­
niennes finissaient par étendre les droits le retour en force d’un discours néoproprié­ idéologiques. Pour analyser le discours civilisa­ fices au nom de la compétitivité.
civiques aux descendants d’esclaves. tariste depuis la fin du XXe siècle. De façon générale, l’idéologie propriéta­ teur qui justifia le colonialisme, il Et l’on voit poindre ici l’une des
Les craintes d’apocalypse atomique liées La sacralisation de la propriété privée est riste dure doit être analysée pour ce qu’elle étudie Chateaubriand et Lamar­ explications du divorce actuel
au conflit communisme­capitalisme étaient au fond une réponse naturelle à la peur du est : un discours sophistiqué et potentielle­ tine. Quels que soient le pays et ses entre les citoyens et leurs diri­
à peine oubliées, après l’effondrement sovié­ vide. A partir du moment où l’on aban­ ment convaincant sur certains points (car la spécificités, démontre­t­il, un geants, en particulier en Europe.
tique de 1989­1991, et l’apartheid sud­afri­ donne le schéma trifonctionnel, qui propo­ propriété privée, correctement redéfinie grand récit national – qu’il définit En laissant une partie des grandes
cain était à peine aboli en 1991­1994, que le sait des solutions permettant d’équilibrer le dans ses limites et dans ses droits, fait effec­ comme une idéologie – justifie entreprises et des grandes fortu­
monde entrait à partir des années 2000­ pouvoir des guerriers et celui des clercs, et tivement partie des dispositifs institution­ toujours l’existence des inégalités, nes échapper à l’impôt et en entre­
2010 dans une nouvelle torpeur, celle du qui reposait dans une large mesure sur une nels permettant aux différentes aspirations à grand renfort d’arguments par­ tenant l’idée que les y soumettre
réchauffement climatique et d’une ten­ transcendance religieuse (indispensable et subjectivités individuelles de s’exprimer fois légitimes. Sous l’Ancien Ré­ est presque impossible, ils ont ali­
dance générale au repli identitaire et xéno­ pour assurer la légitimité des clercs et de et d’interagir de façon constructive), et en gime, la division entre le clergé, la menté la frustration de ceux qui
phobe, tout cela dans un contexte de remon­ leurs sages conseils), il faut trouver des ré­ même temps une idéologie inégalitaire qui, noblesse et le tiers état était ainsi peinent à boucler les fins de mois.
tée inédite des inégalités socio­économi­ ponses nouvelles permettant de garantir la dans sa forme la plus extrême et la plus justifiée par le besoin de stabilité : Pas étonnant, dès lors, que les par­
ques à l’intérieur des pays depuis les années stabilité de la société. Le respect absolu des dure, vise simplement à justifier une forme le premier offrait les repères spiri­ tis promettant fermeture et sécu­
1980­1990, dopée par une idéologie néo­ droits de propriété acquis dans le passé particulière de domination sociale, souvent tuels, la deuxième la protection rité séduisent une part toujours
propriétariste particulièrement radicale. fournit une transcendance nouvelle per­ de façon excessive et caricaturale. militaire, et le troisième la nourri­ plus grande de l’électorat.
Prétendre que tous ces épisodes observés mettant d’éviter le chaos généralisé et de De fait, il s’agit d’une idéologie bien prati­ ture pour tous. Pour sortir de ce piège,
depuis le XVIIIe siècle jusqu’au XXIe siècle remplir le vide laissé par la fin de l’idéologie que pour ceux qui se trouvent tout en haut M. Piketty suggère, en conclusion,
étaient nécessaires et indispensables pour trifonctionnelle. La sacralisation de la pro­ de l’échelle, aussi bien en ce qui concerne Points de rupture de l’histoire de construire un socialisme parti­
que le progrès humain se réalise n’aurait priété est d’une certaine façon une réponse l’inégalité entre individus que l’inégalité Cette promesse de stabilité s’est cipatif, à l’échelon d’une Union
guère de sens. D’autres trajectoires et régi­ à la fin de la religion comme idéologie poli­ entre nations. Les individus les plus riches souvent traduite par une sacra­ européenne plus fédérale et dé­
mes inégalitaires étaient possibles, d’autres tique explicite. y trouvent des arguments pour justifier lisation de la propriété. Celle des mocratique. Il y a beaucoup d’uto­
trajectoires et d’autres régimes plus égalitai­ Sur la base de l’expérience historique, et leur position vis­à­vis des plus pauvres, au nobles, de la bourgeoisie indus­ pie dans un tel projet, et l’on peut
res et plus justes sont toujours possibles. de la construction d’un savoir rationnel nom de leur effort et de leur mérite, mais trielle puis, plus tard, des milliar­ douter de la capacité des Etats
S’il y a bien une leçon à retenir de l’histoire fondé sur ces expériences, il me semble aussi au nom du besoin de stabilité dont daires au patrimoine dispersé comme des peuples à dépasser les
mondiale des trois derniers siècles, c’est que qu’il est possible de dépasser cette réponse bénéficiera la société tout entière. Les pays dans les paradis fiscaux. Las, l’ob­ égoïsmes nationaux pour y adhé­
le progrès humain n’est pas linéaire, et que certes naturelle et compréhensible, et en les plus riches peuvent également y trou­ session de la propriété conduit rer. Capital et Idéologie rappelle
l’on aurait bien tort de faire l’hypothèse que même temps quelque peu nihiliste et pares­ ver des raisons pour justifier leur domina­ parfois à des extrêmes. C’est au néanmoins avec force qu’il n’y a
tout ira toujours pour le mieux, et que la seuse, et peu optimiste sur la nature hu­ tion sur les plus pauvres, au nom de la nom de celle­ci qu’à l’abolition de jamais de fatalité. Qu’il suffit par­
libre compétition des puissances étatiques maine. Je vais essayer dans ce livre de con­ supériorité supposée de leurs règles et ins­ l’esclavage nombre d’Etats indem­ fois d’effacer les ornières impo­
et des acteurs économiques suffirait à nous vaincre le lecteur que l’on peut s’appuyer titutions. Le problème est que ces argu­ nisèrent les propriétaires d’escla­ sées par le consensus et l’idéolo­
conduire comme par miracle à l’harmonie sur les leçons de l’histoire pour définir une ments et les éléments factuels présentés ves plutôt que les esclaves eux­mê­ gie pour se rappeler que des alter­
sociale et universelle. Le progrès humain norme de justice et d’égalité plus exigeante par les uns et les autres pour les étayer ne mes, pour les « dommages subis ». natives existent toujours. Les pro­
existe, mais il est un combat, et il doit avant en matière de régulation et de répartition sont pas toujours très convaincants. Mais, Mais l’histoire regorge aussi de fesseurs de désespoir affirmant le
tout s’appuyer sur une analyse raisonnée de la propriété que la simple sacralisation avant d’analyser ces développements et ces points de rupture, insiste contraire sont, en vérité, les plus
des évolutions historiques passées, avec ce des droits issus du passé, une norme qui crises, il importe de commencer par étu­ M. Piketty. Lorsque les inégalités grands ignorants de l’histoire.
qu’elles comportent de positif et de négatif. certes ne peut qu’être évolutive et ouverte à dier l’évolution des sociétés de propriétai­ deviennent intolérables pour On referme l’ouvrage en se pre­
(…) la délibération permanente, mais qui n’en res au XIXe siècle, en France et dans les ceux qui les subissent, lorsque nant à espérer que le point de
est pas moins plus satisfaisante que l’option autres pays européens, à l’issue de ce mo­ des idéologies alternatives suffi­ rupture où se trouvent nos socié­
commode consistant à prendre comme ment fondateur et ambigu que fut la Révo­ samment mûres permettent de tés aboutisse à l’ébauche d’une
De la justification données les positions acquises et à naturali­ lution française.  penser autrement l’organisation solution. Celle qui résoudra la dif­
ser les inégalités ensuite produites par le thomas piketty sociale, les régimes politiques ficile équation menaçant de faire
de l’inégalité dans « marché ». C’est d’ailleurs sur cette base (économiste, directeur d’études changent. La transition est tan­ basculer le monde dans le chaos :
les sociétés de propriétaires pragmatique, empirique et historique que à l’Ecole des hautes études tôt violente, tantôt progressive. combiner lutte contre les inégali­
Au fond, l’argument formulé par l’idéologie se sont développées les sociétés sociales­dé­ en sciences sociales (EHESS) Il arrive qu’elle échoue : ainsi, la tés, transition écologique et jus­
propriétariste, de façon implicite dans les mocrates au XXe siècle (qui, malgré toutes et professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Révolution de 1789 a enfanté une tice sociale. 
déclarations de droits et les Constitutions, leurs insuffisances, ont démontré que l’iné­ et par ailleurs chroniqueur au « Monde ») société française dont le degré marie charrel
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26 | VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

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Branko Milanovic
Thomas Piketty fait une utilisation novatrice des données
Spécialiste des inégalités, l’économiste serbo­américain dier les clivages politiques récents dans ciétés historiques, dont beaucoup ont aux partis de droite conservatrice, restés
salue un ouvrage qui pourrait « transformer le regard les sociétés modernes (quatrième partie). duré plusieurs siècles, a traversé diffé­ les partis de la « droite marchande ».
des politologues sur leur propre domaine » Je suis quelque peu sceptique quant au rentes phases de développement, sujet­ L’élite s’est ainsi divisée, pour simpli­
succès complet de la première partie, tes à diverses interprétations. Aborder de fier, entre les « brahmanes » éduqués et
malgré l’immense érudition de l’auteur telles évolutions comme s’il s’agissait de les « investisseurs » ou capitalistes, plus
et ses talents de narrateur, car réussir trajectoires incontestées est réducteur. portés sur le commerce. Cette partition

L
une analyse à propos d’un sujet aussi C’est choisir un récit historique plausible a néanmoins laissé sans représentation
es livres de Thomas Piketty sont digme dominant a vidé l’économie de étendu géographiquement et temporel­ parmi de nombreux autres. Cela peut les personnes qui n’ont pas pu bénéfi­
toujours monumentaux. Certains presque tout son contenu social, et pré­ lement est délicat, même pour les esprits être comparé, désavantageusement, au cier d’une mobilité ascendante en ma­
le sont plus que d’autres. Les Hauts sente une vision de la société aussi éclairés ayant étudié ces sociétés pen­ propre récit de Piketty dans Les Hauts Re­ tière d’éducation et de revenus. Celles­ci
Revenus en France au XXe siècle abstraite qu’erronée. dant la majeure partie de leur carrière. venus en France, riche et nuancé. se sont tournées vers la vague « popu­
(Grasset, 2001) couvrait plus de deux siè­ La réintroduction de la vie réelle dans Pour chacune d’elles, un haut niveau de liste » actuelle. Thomas Piketty montre
cles d’inégalités de revenus et de patri­ l’économie par M. Piketty et quelques connaissances historiques sophistiquées « Brahmanes » et « marchands » de manière assez extraordinaire l’évo­
moines, ainsi que les changements so­ autres (ce n’est pas un hasard si ce sont à propos des dogmes religieux, de Si je suis plutôt sceptique à propos de lution de l’éducation et des revenus des
ciaux et politiques en France. Son principalement ceux qui s’intéressent l’organisation politique et de la stratifi­ cette partie, je ne le suis pas à propos de électeurs de gauche en utilisant des
best­seller international, Le Capital au aux inégalités) est bien plus qu’un sim­ cation sociale est indispensable. la seconde. Nous retrouvons ici la force données à long terme méthodologique­
XXIe siècle (Seuil, 2013), a élargi cette ple retour aux sources de la politique Citons deux exemples d’auteurs qui de Thomas Piketty : une utilisation auda­ ment très semblables, provenant de tou­
approche aux principaux pays occi­ économique et de l’économie. Et ce parce ont tenté de le faire : un ancien, Max cieuse et novatrice des données pour for­ tes les grandes démocraties dévelop­
dentaux (France, Etats­Unis, Royaume­ que nous avons aujourd’hui beaucoup Weber, tout au long de sa vie (et, plus ger une nouvelle façon de regarder les pées (et de l’Inde). Le fait que cette évolu­
Uni, Allemagne). plus d’informations (les data) que ce particulièrement, dans Economie et so­ phénomènes que nous observons tous, tion soit cohérente d’un pays à l’autre
Ce nouvel ouvrage couvre le monde en­ dont disposaient les économistes il y a ciété, 1921) ; et un plus récent, Francis mais que nous n’avons pas été en me­ confère une vraisemblance presque
tier et présente un panorama historique un siècle, sur nos sociétés contemporai­ Fukuyama, dans ses deux chefs­d’œuvre sure de définir avec autant de précision. inouïe à son hypothèse.
sur la façon dont la propriété des actifs nes comme sur celles du passé. sur les origines de l’ordre politique et Ici, l’auteur « joue » sur le « terrain » fami­ Il est également frappant, du moins à
(y compris des personnes) fut traitée et économique. Mais leurs résultats n’ont lier de l’histoire économique occidentale mes yeux, que de telles données plu­
justifiée dans différentes sociétés histo­ « Turbo-Annales » pas toujours été approuvés à l’unanimité qu’il connaît bien, probablement mieux riannuelles disponibles pour de nom­
riques, de la Chine, du Japon et de l’Inde Cette combinaison de la méthodologie par les spécialistes des sociétés et reli­ que tout autre économiste. breux pays n’aient, semble­t­il, jamais
aux colonies américaines sous domi­ originale de l’économie politique et du gions concernées. Cette partie étudie de façon empirique été utilisées par des politologues. Je
nation européenne et aux sociétés féo­ big data est ce que j’appelle le « turbo­An­ Dans son analyse de certaines sociétés, les raisons pour lesquelles les partis de pense que cette partie du livre trans­
dales et capitalistes en Europe. Il suffit nales », où les sujets de l’économie poli­ Thomas Piketty a dû s’appuyer sur des gauche, ou sociaux­démocrates, qui formera, ou du moins affectera, la ma­
de mentionner l’étendue géographique tique classique et ceux des auteurs liés à éléments quelque peu simplifiés ou étaient à l’origine ceux des classes les nière dont ces derniers considéreront
et temporelle du livre pour donner un l’école des Annales peuvent désormais schématisés, paraissant à la fois vraisem­ moins éduquées et les plus pauvres, les nouveaux réalignements politiques
aperçu de son ambition. être étudiés de manière empirique, voire blables et superficiels. Chacune de ces so­ sont progressivement devenus des par­ dans les démocraties avancées au cours
Avant de passer à l’examen de économétrique : une chose que ces tis de classes moyennes supérieures ri­ des années à venir. Tout comme Le Ca­
l’ouvrage, il convient de mentionner auteurs ne pouvaient pas faire à l’épo­ ches et éduquées. Dans une large me­ pital au XXIe siècle a modifié la façon
l’importance de l’approche globale de que, du fait de la rareté des données et de sure, ils ont changé parce que leur pro­ dont les économistes considèrent les
Thomas Piketty, présente dans ces trois l’indisponibilité des méthodologies mo­ gramme social­démocrate initial a inégalités, ce nouvel ouvrage pourrait
livres. Son approche est caractérisée par dernes. C’est dans ce contexte, je crois, réussi à ouvrir l’éducation et des pers­ transformer le regard des politologues
le retour méthodologique de l’économie qu’il convient de considérer Capital et pectives de revenus élevés aux per­ sur leur propre domaine. 
à ses fonctions originelles et essentiel­ Idéologie (Seuil, 1 232 pages, 25 euros, à SON APPROCHE sonnes qui, dans les années 1950 et
les : être une science qui éclaire les inté­ paraître le 12 septembre). 1960, venaient de milieux modestes. Ces
rêts et explique les comportements des Dans quelle mesure cette approche, ici EST CARACTÉRISÉE personnes, les « gagnants » de la social­
individus et classes sociales dans leur vie appliquée au monde entier et sur un démocratie, ont continué à voter pour
quotidienne (matérielle). Cette métho­ très long horizon temporel, fonctionne­
PAR LE RETOUR les partis de gauche, mais leurs intérêts
dologie rejette le paradigme dominant t­elle ? J’aimerais diviser l’examen de MÉTHODOLOGIQUE et vision du monde n’étaient plus les Branko Milanovic est économiste
depuis un demi­siècle, qui a ignoré avec l’ouvrage en deux sous­ensembles : celui mêmes que ceux de leurs parents au Graduate Center de la City
toujours plus de vigueur le rôle des clas­ déjà mentionné, qui examine les justifi­ DE L’ÉCONOMIE (moins éduqués). University of New York.
ses et des individus hétérogènes dans le cations idéologiques des inégalités dans La structure sociale interne des partis a Il est l’auteur de « Capitalism, Alone »
processus de production, pour consi­ les différentes sociétés (première partie, À SES FONCTIONS donc changé – en raison de leur propre (Harvard University Press,
dérer toutes les personnes comme des deuxième et, dans une certaine mesure, ORIGINELLES succès politique et social. Ils sont deve­ à paraître le 15 octobre)
agents abstraits, maximisant leurs reve­ troisième partie du livre), et le second, nus, selon les termes de Thomas Piketty, et d’« Inégalités mondiales »
nus sous certaines contraintes. Ce para­ qui introduit une nouvelle façon d’étu­ ET ESSENTIELLES la « gauche brahmane », par opposition (La Découverte, 288 p., 22 €)

James Galbraith au pays s’inspire d’ethnographies remon­


tant aux années 1880 d’observateurs de
l’Empire britannique colonial, et s’inté­
pages. Je n’en ai repéré qu’une, à Marx
(p. 975). Si les autres sont mentionnées, el­
les m’ont échappé.
Thomas Piketty défend la noble cause de
la démocratie en Europe : les institutions
de l’Union européenne devraient être

Une vision du monde


resse essentiellement au système des Pour Thomas Piketty, le communisme ne « plus démocratiques ». Mais pour quelle
castes. Il s’agit d’un sujet intéressant, bien fut rien d’autre qu’une « absurdité », valant finalité, il ne le dit pas. Ce qu’il n’évoque
sûr, mais quel rapport avec le « capital » ? à peine une discussion sérieuse. Le fait que pas, c’est précisément l’idéologie suscepti­
Les castes sont un système féodal la puissance militaire et industrielle sovié­ ble de façonner un programme éco­

franco et anglo-centrée
d’origine religieuse. Il manque ici le rôle­ tique, construite presque à partir de rien nomique cohérent et sérieux, qu’il soit
clé joué par le capitalisme commercial en deux décennies, ait fourni près des fondé sur Marx, Keynes ou même l’école
dans la colonisation britannique de l’Inde neuf dixièmes de l’acier et du sang qui ont austro­libertarienne.
– la Compagnie des Indes orientales est permis de vaincre l’Allemagne nazie (et, En résumé, il s’agit d’un livre tout à fait
à peine mentionnée. De même, le traite­ plus tard, de favoriser les victoires com­ remarquable – si long soit­il à digérer. Il
ment des Caraïbes par l’auteur s’attarde munistes en Chine et au Vietnam) ne mé­ renferme de nombreux éclairages sur les
L’économiste américain reproche à Thomas sur l’esclavage et l’« extrême inégalité » rite pas, à ses yeux, d’être évoqué. lectures de Thomas Piketty, de la non­fic­
qui lui est associée. Mais il semble ignorer, Il décrit également les Etats­Unis comme tion aux romans, comme ceux de Jane
Piketty de faire, dans son dernier livre, des impasses ou peut­être peu disposé à reconnaî­ une nation marquée par des inégalités Austen et Carlos Fuentes, en passant par
sur les confrontations idéologiques contemporaines tre, que c’est précisément dans les colo­ « abyssales » d’accès à l’éducation supé­ une mention à celui de l’économiste
nies sucrières des Antilles que le rieure. Une étrange façon d’évoquer un parisien Tancrède Voituriez, paru en 2016,
et les sources non occidentales capitalisme moderne a émergé, avec des pays qui, en vérité, a envoyé une plus qui évoque une milliardaire chinoise
esclaves faisant office de principaux grande part de sa population à l’université (L’Empire du ciel, Grasset).
biens de production. que la France – 42 % contre 30 % en 2013, C’est l’exemple même d’une vision du

T
Les 250 premières pages évoquent essen­ selon l’Organisation de coopération et de monde manifestement allergique aux
homas Piketty, auteur d’un premier tiellement la France et quelques autres développement économiques. La France grandes traditions occidentales de l’éco­
livre de près de mille pages, Le Capi­ pays européens. Elles soutiennent la thèse de Thomas Piketty, par contraste, est sup­ nomie politique, sans parler de celles qui
tal au XXIe siècle (Seuil, 2013), qui fut d’une société divisée en trois classes posée être bien plus égalitaire aujourd’hui ont émané de Russie, de Chine, du Japon,
plus largement acheté que lu, re­ comme modèle mondial – noblesse, qu’elle ne l’était dans les années 1950­1960, d’Amérique latine ou d’Afrique lors des lut­
vient avec un nouvel ouvrage qui sera clergé et tiers état –, aboutissant à la lors la reconstruction d’après­guerre. Une tes idéologiques autour du capital et du ca­
peut­être reçu de façon similaire. Il aura création de la « société propriétariste », où proposition que toute personne connais­ pitalisme au cours des deux derniers siè­
de la chance si c’est le cas. Car Capital et la propriété détermine la position. « Idéo­ sant la réalité du marché de l’immobilier cles. Nous avons ici le monde tel qu’il est
idéologie est une œuvre de confiance en logiquement » – pour faire référence au parisien ne peut guère prendre au sérieux. vu des hauteurs olympiennes des fenêtres
soi universitaire, pour ne pas dire d’égo­ titre de l’ouvrage –, il s’agit du XIXe siècle d’un appartement parisien. 
tisme – des centaines et des centaines de décrit par Balzac et Flaubert. Selon l’argu­ Idiosyncrasie et archaïsme
pages s’inspirant de sources à la fois an­ ment de Piketty, celui­ci est précapita­ Ancré dans ses taxonomies « ternaires »
« CAPITAL ciennes et obscures, presque exclusive­ liste, puisqu’il a choisi de dater l’origine idiosyncratiques et archaïques, le traite­
ment franco et anglo­centrées. Une vision du capitalisme à la fin du XIXe siècle. ment des problèmes actuels des Etats­Unis
ET IDÉOLOGIE » du monde nourrie d’une bibliothèque Un choix aussi incongru qu’excentrique et de l’Europe se concentre sur le « social­
généreuse, comme du travail statistique que ne partage, autant que je sache, aucun nativisme », les divisions raciales aux Etats­ James K. Galbraith est titulaire
EST UNE ŒUVRE salué – bien que trompeur à de nom­ grand universitaire. Unis et ethnonationalistes en Europe. Leur de la chaire Lloyd M. Bentsen Jr
DE CONFIANCE breux égards – des collègues de M. Piketty Dans un livre sur le capital et l’idéologie, relation aux derniers développements éco­ de relations entre le gouvernement
dans le World Inequality Report 2018 l’on pourrait s’attendre à une discussion nomiques, notamment celui du capital, et les entreprises à la
EN SOI (« Sparse, Inconsistent and Unreliable : sur Smith, Ricardo, Veblen, Keynes, et sur­ n’est pas développée. Lyndon B. Johnson School
Tax Records and the “World Inequality tout Marx, ainsi que, peut­être, des précur­ Les problèmes économiques et budgé­ of Public Affairs de l’université
UNIVERSITAIRE, Report 2018” », James K. Galbraith, Deve­ seurs et opposants tels que Quesnay, Saint­ taires de l’Europe sont abordés sans réfé­ du Texas à Austin.
POUR NE PAS lopment and Change, 2018). Simon, Proudhon et Bastiat, pour men­ rence à l’orthodoxie fatale imposée par la Il est notamment l’auteur d’« Inégalité.
L’Inde est par exemple un « cas impor­ tionner quelques noms français. Vous pensée néolibérale, les politiques réac­ Ce que chacun doit savoir »
DIRE D’ÉGOTISME tant », nous dit­il. Le chapitre consacré chercherez ces références en vain dans les tionnaires et le pouvoir financier. Certes, (Seuil, 288 p., 23,50 €)
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Orsetta Causa et Nicolas Ruiz Esther Duflo L’une des leçons


Un ouvrage qui bouscule essentielles de ce livre est
notre savoir économique que rien n’est écrit d’avance
La professeure du MIT se réjouit de du fait que l’ouvrage rompt avec
Les deux chercheurs de l’OCDE voient dans « Capital et Idéologie » le fatalisme dont font preuve ses collègues, qui tendent à identifier
« un travail minutieux sur les données », qui permet de poser la question « dans toute situation historique l’expression de lois fondamentales »
de la soutenabilité du modèle de croissance contemporain

S D
ix ans après Le Capital au dans lesquelles nous vivons et cutables, voire périlleuses. On re­ ès les premières pages de Capital et Idéo­
XXIe siècle (Seuil, 2013), qui pose la question de la soutenabi­ grettera notamment l’argument logie (Seuil, 1 232 pages, 25 euros, à paraî­
a radicalement changé no­ lité du modèle de croissance con­ selon lequel les récentes augmen­ tre le 12 septembre), Thomas Piketty en­
tre regard et notre analyse temporain. Mais que dire des con­ tations avortées de la taxe car­ joint au lecteur de ne pas se précipiter sur
des inégalités, Thomas Piketty
nous propose une œuvre qui, par
clusions et solutions politiques
que propose l’auteur pour faire
bone en France auraient eu pour
but de financer l’abolition de l’ISF,
le dernier chapitre et de lire le livre du début à la
fin. De toute évidence, il n’y croit pas complète­
LES HASARDS
bien des aspects, est tout aussi im­ face aux mécontentements liés à d’autant que tout système fiscal ment. Si quelqu’un veut aller directement à la HISTORIQUES, MAIS
pressionnante, portée par le déve­ la montée des inégalités, non se doit d’être appréhendé dans fin, nous dit­il, un peu bougon, je ne peux pas
loppement d’une perspective his­ seulement de revenu ou de ri­ son ensemble, et non instrument l’en empêcher… AUSSI LA NATURE DES
torique à long terme et d’un appa­ chesse, mais aussi, et surtout à no­ par instrument. J’espère que la plupart de ceux qui auront cet
reillage statistique vaste et tre sens, d’opportunités ? Dans un autre registre, les accu­ ouvrage entre les mains suivront ce conseil. Tout
DÉBATS ENTRE LES
détaillé. Ainsi, l’auteur nous rap­ A n’en pas douter, et comme sations répétées sur le système de d’abord, ils prendront plaisir à se livrer à ce tour ACTEURS POLITIQUES
pelle encore une fois la nécessité l’auteur aime à le rappeler, ce livre production statistique actuel d’horizon foisonnant, écrit avec une clarté et
d’ancrer la science économique à se veut le point d’ouverture d’un nous paraissent discutables. un dynamisme remarquables. Car où d’autre ONT UNE INFLUENCE
d’autres disciplines ; mais aussi débat important et nécessaire sur L’idée que la défaillance des don­ auraient­ils l’occasion de s’entendre conter, dans
qu’une meilleure connaissance les changements à apporter à nos nées officielles à mesurer les très le même tome, le récit invraisemblable de la dette CONSIDÉRABLE
des faits, passés et présents, ne politiques et institutions, tant au hauts revenus et patrimoines s’ex­ imposée à la France par Haïti à son indépen­ SUR LES CHOIX QUE
peut se faire qu’au travers d’un niveau national que transnatio­ plique par le prisme d’une idéolo­ dance ; l’origine nébuleuse du système des castes
travail minutieux, parfois éprou­ nal. Cependant, le point d’ouver­ gie visant à laisser volontaire­ en Inde et la tentative de clarification­récupéra­ FONT LES SOCIÉTÉS
vant, sur les données. ture du débat proposé par Tho­ ment le public dans l’ignorance tion de ce dernier par la puissance coloniale an­
Depuis Les Hauts Revenus en mas Piketty demeure quelque peu du vrai niveau des inégalités nous glaise ; les tensions sur le juste équilibre entre res­
France au XXe siècle » (Grasset, spécifique, voire limité. semble relever davantage de la pect du droit de propriété, quelles qu’en soient les ne sont pas l’aboutissement inéluctable de la des­
2001), Piketty défend et démontre théorie du complot que de la réa­ origines, et la nécessité de rétablir la justice so­ truction du contrat implicite liant les gagnants et
que l’analyse pertinente des iné­ Une polarisation sur le sommet lité. Il est bon de rappeler par ciale chez les révolutionnaires français ; la main­ les perdants de la mondialisation, et ne sont pas
galités doit s’intéresser à ce qui se Certes, toute analyse exhaustive exemple que l’Insee demeure l’un mise des oligarques russes sur la propriété publi­ nécessairement le prélude à une nouvelle catas­
passe tout en haut de la distribu­ des inégalités nécessite une con­ des meilleurs bureaux statisti­ que dans le cadre d’une privatisation à la hâte, et trophe. Qu’il n’en faudrait pas tant que cela pour
tion, chez les plus riches et les plus naissance du sommet de la distri­ ques au monde de par la qualité de bien d’autres récits encore… que les humains se remettent à avoir des conver­
fortunés. L’intérêt porté à la con­ bution, et la concentration crois­ sa production, et que son indé­ Mais surtout, il faut lire cette fresque pour com­ sations plus apaisées sur les sujets qui les concer­
centration, parfois extrême, des sante des richesses observée dans pendance n’est pas questionnable. prendre en profondeur l’optimisme fondamental nent tous au plus haut point, plutôt que de se
richesses au sein d’un petit un certain nombre de pays, avan­ De plus, quand bien même la de Thomas Piketty, optimisme qu’il revendique et chercher des ennemis intérieurs et extérieurs
groupe d’individus n’est pas nou­ cés et émergents, pose problème, production statistique proposée sans lequel on ne peut pas comprendre la nature pour se consoler de ne rien pouvoir faire de plus.
veau en soi. Après tout, Vilfredo notamment dans la mesure où par l’auteur et ses équipes consti­ des propositions par lesquelles le livre se conclut.
Pareto étudia ce phénomène au elle menace la mobilité sociale. tue un progrès fondamental, elle Les économistes sont en général portés vers le Réfléchir à une redistribution des pouvoirs
sujet de la répartition des terres Mais un regard polarisé sur le n’en est pas moins soumise à des fatalisme, et profondément pessimistes sur la na­ La seconde leçon essentielle de notre histoire col­
dans l’Italie du XIXe siècle. sommet de la distribution risque critiques récurrentes, et parfois ture humaine. Que cela soit par déformation pro­ lective, c’est qu’il existe toute une gamme de pos­
Mais les économistes du siècle de passer à côté du reste – et le virulentes, depuis sa création. Au fessionnelle ou par goût, ils ont tendance à voir sibilités entre l’hypercapitalisme des Etats­Unis
suivant ne s’emparèrent guère de reste est important. final, la question n’est pas de sa­ dans toute situation historique l’expression de d’aujourd’hui et le désastre de l’expérience com­
la question, pas avant que Thomas En effet, l’auteur nous semble ici voir qui a les meilleures statisti­ lois fondamentales, résultat, en général, de l’égo­ muniste. Ces systèmes ont montré que les hom­
Piketty ne la cristallise au travers se retrouver quelque peu victime ques sur les inégalités, mais plu­ ïsme et de la paresse essentiels de l’être humain. mes et les femmes continuent de travailler et de
d’un cadre analytique lui permet­ de sa propre idéologie, avec une tôt comment les différentes sour­ Cela ne les décourage pas nécessairement de lire créer, même sans la menace de mourir de faim
tant de mesurer le niveau et l’évo­ obsession quasi constante – et que ces peuvent converger, corriger l’histoire. Mais la lecture qu’ils en font est alors (s’ils ne le font pas) ou la certitude que tous leurs
lution de la concentration des re­ certains pourraient trouver exces­ leurs imperfections et se nourrir colorée par ce prisme : en dehors de situations ex­ gains leur reviendront. Qu’ils sont tout à fait capa­
venus et de la richesse dans les sive – sur les très riches, ce que le les unes des autres. traordinaires (comme la Révolution française), bles de se préoccuper et de se passionner pour
pays occidentaux. Bien au­delà du président Emmanuel Macron a L’ensemble des propositions de les rapports de force se perpétuent et se renfor­ quelque chose de plus large qu’une consomma­
cercle des économistes, le « top maintes fois qualifié de « passions réformes politiques développées cent. Le passé – colonial ou précolonial – forme tion matérielle toujours plus importante, qu’il
1 % » est depuis rentré dans la tristes françaises ». Loin de nous dans le dernier chapitre représen­ une prison dont il très difficile de sortir. s’agisse du bien­être des plus pauvres ou du futur
culture populaire comme la réfé­ l’idée de plaider en faveur d’une tent un terrain de réflexion fer­ L’une des leçons essentielles qui ressort des de la planète. Cela signifie qu’un système de redis­
rence aux très riches. concentration croissante des ri­ tile. Nous saluons l’importance nombreux exemples donnés dans le livre est à tribution et de répartition du pouvoir économi­
Capital et Idéologie utilise cette chesses : lors de travaux récents, accordée à l’éducation, et en parti­ quel point rien n’est écrit d’avance. Des hasards que et politique ambitieux est possible, en prin­
puissante dynamique statistique l’Organisation de coopération et culier l’objectif d’arriver à une historiques (petits ou grands), mais aussi la na­ cipe, et donc qu’il faut y réfléchir et en débattre,
instaurée il y a maintenant quinze de développement économiques réelle égalité d’opportunité, y ture des débats entre les acteurs politiques exer­ quelles que soient les difficultés pratiques. C’est ce
ans pour aller encore plus loin : (OCDE) a bien documenté une compris dans un pays comme la cent une influence considérable sur les choix que que Piketty nous invite à faire dans le dernier cha­
d’une part, en étendant le regard baisse prononcée de la redistribu­ France, qui est loin d’être exem­ font les sociétés, à un moment historique donné, pitre, en offrant sa propre vision comme une base
et l’analyse des inégalités hors tion fiscale dans les pays avancés. plaire en la matière. sur les questions fondamentales d’organisation : de départ, et non pas comme un modèle tout prêt
pays occidentaux ; d’autre part, en Concomitante avec une aug­ En tant qu’économistes, nous les inégalités de revenus, de patrimoine et d’accès à être adopté. Mais si la proposition est ambi­
développant un traitement inno­ mentation quasi généralisée des nous interrogeons cependant sur à l’éducation, la définition de la communauté lé­ tieuse, elle n’est pas une utopie : un grand pays
vant des enquêtes post­électorales inégalités, cette baisse de perfor­ les effets d’un revenu universel po­ gitime, et les formes de délibération collective. comme les Etats­Unis pourrait déjà l’expérimen­
produites depuis la seconde mance redistributive doit être sitionné à 60 % du revenu moyen Ces choix ont ensuite des répercussions impor­ ter (même si cela paraît peu probable dans les an­
guerre mondiale dans certains corrigée au plus vite, et nul doute sur les incitations à travailler et, de tantes, mais ils peuvent changer, parfois très pro­ nées à venir, mais qui sait…). De plus petits pays,
pays occidentaux, afin de con­ que les très riches doivent être manière plus générale, sur la place fondément et très rapidement. comme la France, ne pourraient y parvenir qu’en
fronter l’évolution des inégalités mis à contribution, notamment du travail dans nos sociétés. Ainsi l’Inde, devenue indépendante, a pu choisir coopérant, mais cette coopération est possible.
avec le processus politique de par un système d’imposition plus Soyons clairs, en effet : nous re­ de mettre le suffrage universel et la discrimina­ Finissons donc de lire ce livre, et retroussons
construction des idéologies à progressif, efficace, et à l’intérieur grettons le peu de place accordé au tion positive au cœur de son système politique, nos manches. La lecture du passé que ce livre
même de justifier ces inégalités. duquel la pression fiscale sur la travail, le grand absent de cet malgré les doutes de Churchill. La révolution con­ nous propose nous montre que c’est à nous qu’il
En ce sens, le titre de l’ouvrage est classe moyenne doit être allégée ouvrage à nos yeux. Au final, en se servatrice enclenchée par Reagan et Thatcher appartient d’écrire l’histoire. 
explicite : si on y parle d’idéolo­ afin de rétablir un sentiment de concentrant sur les 1 %, Piketty en dans l’espoir (futile) de relancer la croissance
gies, de leurs constructions et légitimité pour tous face à l’im­ a quelque peu négligé les 99 %, américaine a suffi à mettre les Etats­Unis et le
leurs transformations au cours de pôt, en lieu et place d’un senti­ pour qui le travail représente non Royaume­Uni sur la voie d’une explosion des iné­
l’histoire, c’est pour mettre en ment d’appauvrissement. Cet ob­ seulement la principale source de galités, en apparence inéluctable.
avant leur incidence sur la struc­ jectif nécessite entre autres une revenu mais aussi, comme de Aujourd’hui, en Inde, Modi, premier ministre
turation des inégalités. transparence et une coordination nombreuses études l’ont démon­ tout juste réélu [le 23 mai], représentant d’une
La lecture des quelque 1 200 pa­ fiscale accrues au niveau transna­ tré, de bien­être. Et c’est pourquoi droite hindoue sans complexe, sape aujourd’hui à
ges de l’ouvrage enrichit, bouscule tional, ce que l’OCDE contribue à il constitue un moteur fondamen­ grande vitesse le socle séculariste sur lequel l’Inde
et interroge notre savoir économi­ mettre en place grâce au modèle tal de cohésion sociale. paraissait construite. Et aux Etats­Unis, les jeunes
que. L’approche historique et mondial d’échange automatique Quoi qu’il en soit, la réflexion élus démocrates poussent leurs aînés vers des po­
transnationale met en perspec­ des renseignements relatifs aux est maintenant ouverte, et on ne sitions sur la fiscalité, le salaire minimum, l’assu­
tive les crises et turbulences aux­ comptes financiers. peut que remercier l’auteur de rance santé ou la gratuité de l’éducation, qui, bien
quelles sont soumises les sociétés Cependant, la question mérite lancer la pierre au moment où il que situées, pour des Européens, quelque part en­ Laurence Fontaine « Un choix politique rejaillit
d’être posée : une imposition for­ devient sans aucun doute urgent tre le bon sens commun et la timidité, ne les em­ sur les analyses historiques »
tement accrue sur les très gros d’apporter des réponses aux frus­ pêchent pas de se faire traiter de socialistes (ou L’historienne salue le travail de Thomas Piketty
revenus et patrimoines, en sup­ trations qui nourrissent un peu communistes) par les républicains. sur les idéologies qui servent à justifier les sociétés
posant qu’elle réussisse en effet à partout dans le monde le rejet du Cette fluidité signifie que tout est (encore) possi­ inégalitaires, tout en s’interrogeant sur
réduire la concentration de ri­ système socio­économique ac­ ble. Que les crises liées au repli identitaire que la pertinence des catégories sociales retenues
chesses au sommet, constitue­t­ tuel et la dangereuse montée des nous vivons aujourd’hui partout dans le monde pour analyser leur évolution.
elle l’outil central pour faire face replis identitaires.  Nonna Mayer « Un éclairage du régime
NOUS REGRETTONS aux grands défis inégalitaires et inégalitaire “néopropriétariste” actuel »
LE PEU DE PLACE planétaires ? C’est ce que, à nos
yeux, l’auteur semble suggérer. Or
Pour la politiste, l’ouvrage de Thomas Piketty
a le mérite d’identifier les causes de la montée
ACCORDÉ il est raisonnable de penser que la des inégalités en Occident, mais aussi de proposer
réalité est un peu plus complexe. Esther Duflo est économiste, professeure des réformes concrètes qui pourraient refonder la
AU TRAVAIL, On notera qu’en se concentrant Orsetta Causa et Nicolas au Massachusetts Institute of Technology (MIT), social-démocratie.
quasi exclusivement sur les très Ruiz sont économistes où elle est titulaire de la chaire Abdul Latif
LE GRAND ABSENT riches, l’auteur se livre à quelques au département des affaires Jameel sur la réduction de la pauvreté LE DÉBAT SE POURSUIT SUR LEMONDE.FR
DE CET OUVRAGE réflexions qui nous semblent dis­ économiques de l’OCDE et l’économie du développement WWW.LEMONDE.FR/IDÉES
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28 | idées VENDREDI 6 SEPTEMBRE 2019

En finir avec l’élevage intensif,


et l’émergence de nouveaux agents pa­ SONT NOTAMMENT
thogènes extrêmement dangereux. SIGNATAIRES
Nous ne voulons plus d’un système DE CETTE TRIBUNE

cet ennemi de l’intérêt général


spéculatif créant des déséquilibres so­
ciaux et économiques dans de nom­ Isabelle Adjani, actrice ; Aurélien
breuses régions du monde. Barrau, astrophysicien ; Stéphane
Nous ne voulons plus d’un modèle ali­ Bern, présentateur ; Allain Bougrain-
mentaire fortement carné et lacté qui Dubourg, journaliste et président de
sous­tend ces modes de production et la Ligue pour la protection des oiseaux ;
A l’occasion de la parution de son livre « Quand la faim ne justifie plus qui met en danger notre santé. Florence Burgat, philosophe ; Belinda
Elus, responsables politiques, nous Cannone, romancière ; Jérémie
les moyens », l’association de défense des animaux L214, rejointe n’en pouvons plus, au mieux de votre Carroy, créateur et directeur de
par près de 200 signataires du monde culturel, intellectuel, associatif immobilisme, au pire – et plus souvent – « La Relève et la peste » ; Yves Cochet,
de votre soutien actif au lobby de l’éle­ ancien ministre de l’environnement,
et de l’entreprise, lance un appel pour exiger une sortie de ce système vage intensif. président de l’Institut Momentum ; Cyril
de production et pour une végétalisation de l’alimentation L’urgence éthique, climatique, envi­ Dion, auteur, réalisateur, poète, militant
ronnementale, sanitaire et sociale im­ écologiste ; Arielle Dombasle,
pose d’engager notre pays dans une actrice et chanteuse ; Annie Ernaux,
transition agricole et alimentaire : nous femme de lettres ; David Foenkinos,
Dans son ouvrage­manifeste paru aux édi­ ments fermés, dans des cages, dans des devons nous diriger rapidement vers écrivain ; Dalibor Frioux, écrivain et
tions Les Liens qui libèrent (240 pages, bassins en béton, les forçant à vivre dans une consommation essentiellement vé­ consultant ; Franz-Olivier Giesbert,
14,80 euros), l’organisation L214 décrit des conditions de promiscuité extrêmes. gétale, durable, saine, respectueuse de journaliste et écrivain ; Arno Klarsfeld,
comment l’être humain a façonné les ani­ Nous ne voulons plus d’élevages inten­ l’environnement, des animaux et des avocat et écrivain ; Mélanie Laurent,
maux pour son usage (sélection génétique sifs non respectueux de l’environne­ humains. actrice et réalisatrice ; Frédéric Lenoir,
accélérant leur croissance, entassement du ment, fortement émetteurs de gaz à effet Aujourd’hui nous voulons des actes, philosophe et écrivain ; Guillaume
bétail dans des bâtiments surpeuplés, de serre, producteurs d’algues vertes et des mesures fortes et concrètes pour Meurice, chroniqueur et humoriste ;
souffrances…) et appelle à dépasser les de pluies acides. sortir de l’impasse. Nous exigeons : un Amélie Nothomb, écrivaine ; Michel
« oppositions stériles » entre végans et par­ Nous ne voulons plus d’élevages inten­ moratoire immédiat sur l’élevage inten­ Onfray, philosophe et essayiste ;
tisans d’une consommation modérée de sifs destructeurs de la biodiversité, ac­ AUJOURD’HUI, sif et l’interdiction de nouvelles cons­ Corine Pelluchon, philosophe ;
viande. L214 considère qu’un consensus se teurs de la déforestation. tructions destinées à élever des animaux Riss, directeur de la publication de
dessine pour demander à sortir d’un « mo­ Nous ne voulons plus de ce système,
NOUS VOULONS sans accès au plein air ; un plan concret « Charlie Hebdo » ; Olivia Rosenthal,
dèle agricole moribond et mortifère ». soutenu par l’argent public, ennemi de DES ACTES, DES de sortie de l’élevage intensif, avec ac­ écrivaine ; Véronique Sanson,

N
l’intérêt général. Un système qui impose compagnement des personnes qui en chanteuse, pianiste, auteure-compo-
ous, citoyennes, citoyens, organi­ des conditions de travail éprouvantes, MESURES FORTES dépendent aujourd’hui vers des produc­ sitrice-interprète ; Pablo Servigne,
sations, conscients des enjeux aliénantes et risquées, où les agriculteurs tions alternatives ; une végétalisation chercheur ; Jacques Tardi, auteur-
éthiques, environnementaux, sa­ se suicident davantage que dans toute ET CONCRÈTES d’ampleur de l’alimentation en restaura­ illustrateur de bandes dessinées ;
nitaires et sociaux, ne voulons autre catégorie socioprofessionnelle. POUR SORTIR tion collective publique ou privée. Lambert Wilson, acteur.
plus des élevages intensifs et industriels Nous ne voulons plus des élevages in­ Elus, responsables politiques, serez­ Retrouvez la liste complète
qui confinent les animaux dans des bâti­ tensifs qui favorisent l’antibiorésistance DE L’IMPASSE vous au rendez­vous ?  des signataires sur Lemonde.fr

CHRONIQUE  | PAR AUDREY TONNELIER RENDRE L’ÉCONOMIE CRIMINELLE VISIBLE


Budget : les « gilets LE LIVRE cadre d’activités légales – corrup­
tion, entente, extorsion, chantage,
éthiques et juridiques de la lutte
contre la criminalité, au point de

jaunes », et après ? E conomiste et spécialiste


des mafias, auxquelles elle
a déjà consacré plusieurs
expropriation, abus de pouvoir,
fraude, évasion fiscale –, qu’elle ré­
sume sous le terme de « déviance
légitimer certaines pratiques illé­
gales ou suspectes en les incluant
dans le PIB des pays, comme la
ouvrages, Clotilde Champeyrache entrepreneuriale » ; ou encore les prostitution ou les jeux en ligne.
reprend dans ce livre une syn­ activités légales exercées par les Pour l’auteure, lutter contre la

L e projet de loi de finances 2020 ?


Ce sera celui du pouvoir
d’achat. » Pour qui suit les dé­
bats budgétaires depuis le début du
quinquennat, l’assertion de Lau­
que l’on ne parle plus de pouvoir
d’achat, on préfère vanter des mesures
pour que « le travail paie ». Et pourtant
c’est peut­être le moment ou jamais.
Outre la baisse de 5 milliards de
thèse de ses travaux antérieurs,
qui offre au lecteur une descrip­
tion minutieuse des mécanismes
économiques mis en œuvre dans
les différentes configurations
acteurs de l’économie criminelle
– blanchiment, entreprises ma­
fieuses –, qui ne sont en rien un si­
gne de « rédemption » des crimi­
nels, mais bien le prolongement
criminalité est indispensable au
maintien de la cohésion sociale et
institutionnelle de nos sociétés.
Mais, pour que cette lutte soit ef­
ficace, elle doit s’appuyer sur les
rent Saint­Martin, député La Répu­ l’impôt sur le revenu, le budget 2020 – incroyablement variées ! – des de leur pouvoir de nuisance. réalités de son fonctionnement.
blique en marche (LRM) du Val­de­ entérinera la poursuite de la revalo­ activités illégales, bien loin des Les activités « légales » des crimi­
Marne, a de quoi faire sourire, tant risation de la prime d’activité et de la LA FACE CACHÉE  mythologies construites par la S’attaquer aux territoires nels doivent être poursuivies,
elle semble reprendre les antiennes défiscalisation des heures supplé­ DE L’ÉCONOMIE.  littérature et le cinéma. Mais Ensuite, elle s’interroge sur les tout comme les activités illégales
des années précédentes. mentaires, ainsi que la suppression NÉOLIBÉRALISME  l’auteure ajoute à cela deux di­ conditions de l’expansion de cette des « honnêtes gens ».
Il y a deux ans, le 27 septembre 2017, du dernier tiers de la taxe d’habita­ ET CRIMINALITÉS mensions importantes, qui font économie criminelle. S’il a déjà été Il ne suffit pas de saisir des ton­
Gérald Darmanin, ministre de l’action tion pour 80 % des foyers… Côté éco­ de Clotilde l’originalité de son travail. souvent montré comment la nes de drogue aux frontières, il
et des comptes publics, présentait le nomies, le rabot des niches fiscales a Champeyrache Tout d’abord, elle tente de cerner croissance et la dérégulation du faut s’attaquer aux territoires
premier budget de l’ère Macron avec à été revu à la baisse, tandis que l’ob­ PUF, 302 p., 21 € les frontières de cette économie commerce mondial, et en particu­ d’une économie criminelle qui ne
la main un petit fascicule jaune, inti­ jectif de suppression de 50 000 pos­ criminelle. Rejetant l’idée, large­ lier des échanges financiers, cou­ peut prospérer que parce qu’elle
tulé Le Livret du pouvoir d’achat. En tes de fonctionnaires d’Etat a été ment répandue, d’une séparation plées à l’affaiblissement des Etats, s’ancre dans des villes, des régions,
quelques calculs simples, cas types à abandonné, compte tenu des annon­ nette entre « économie légale » et ont favorisé l’extension des activi­ des paradis fiscaux, dont elle con­
l’appui, il se faisait fort d’expliquer ces du président sur la non­ferme­ « économie illégale », elle ajoute à tés criminelles, l’auteure va plus trôle les acteurs économiques et le
aux Français en quoi les mesures pri­ ture d’écoles et d’hôpitaux à la suite la liste des « marchés criminels » loin ici. Elle montre comment le pouvoir politique. Tout comme il
ses par le nouveau gouvernement al­ du grand débat. – c’est­à­dire l’échange de produits cadre idéologique – le triomphe faut en finir avec une approche
laient profiter à leur portefeuille. Si bien que ce sont surtout les gran­ et services illégaux (drogue, pros­ des économistes néolibéraux abstraite et théorisée du fonction­
Las, la polémique sur le « président des entreprises qui devront davan­ titution, contrefaçon, déchets vantant l’efficacité des marchés, nement de l’économie, il faut rom­
des riches », déclenchée par la sup­ tage mettre la main à la poche l’an dangereux, espèces protégées, mi­ l’utilitarisme individuel et l’affai­ pre avec la vision d’une criminalité
pression de l’impôt de solidarité sur prochain. Quant au déficit public, of­ gration clandestine) – les prati­ blissement de la régulation publi­ omniprésente et insaisissable. 
la fortune (ISF) et l’instauration d’une ficiellement attendu à 2,1 % du pro­ ques illégales effectuées dans le que – a désarmé les références antoine reverchon
« flat tax » sur les revenus du capital, duit intérieur brut (PIB) l’an prochain,
vint percuter le récit imaginé par il pourrait être légèrement plus élevé.
Bercy. Les effets dilués de la suppres­
sion en deux temps des cotisations Des reculades qui font tiquer
chômage et maladie (en janvier puis A l’Elysée comme dans la majorité, le Dorian et Donald | par serguei
en octobre 2018), ajoutés aux angles raisonnement est clair : avec des
morts de mesures mal calibrées – taux d’intérêt au tapis et un déficit
comme la hausse de la contribution durablement sous le seuil des 3 %,
sociale généralisée (CSG) pour un cer­ les Français n’iront pas leur repro­
tain nombre de retraités modestes, cher de ponctionner les entreprises
uniquement parce que le revenu fis­ ou de faire déraper les finances pu­
cal global de leur couple était plus bliques de quelques dixièmes de
élevé –, le tout au sortir d’une décen­ points de PIB supplémentaires. « Il
nie de hausse de la pression fiscale, faut savoir ce que l’on veut : on ne
achevèrent de brouiller le message. peut pas nous demander d’être par­
Un an plus tard, rebelote : à faits sur le déficit et de maintenir des
l’automne 2018, le gouvernement services publics de proximité. Nous
vante les 6 milliards de baisses d’im­ rendons du pouvoir d’achat aux
pôts pour les ménages que contient le Français comme jamais depuis douze
budget 2019. Mais, mi­novembre, ans, les entreprises créent des em­
l’augmentation du prix du carburant plois et investissent. En plus, nous fai­
sur fond de hausse de la taxe carbone sons preuve de sérieux budgétaire, en
fait tout dérailler, et le mouvement ne laissant pas filer la dette », souli­
des « gilets jaunes » embrase la France. gne M. Saint­Martin, qui sera rap­
La troisième tentative de l’exécutif porteur du budget en janvier 2020.
pour convaincre les Français qu’il A Matignon et au cabinet du minis­
baisse leurs impôts sera­t­elle la tre de l’économie, Bruno Le Maire,
bonne ? A Bercy, cela fait un moment en revanche, ces reculades font ti­
quer. La dette publique baissera net­
tement moins que prévu : désormais
attendue à 97 % du PIB en 2022, elle
À BERCY, CELA FAIT UN  n’aura diminué que de 1,4 point au
cours du quinquennat, contre plus
MOMENT QUE L’ON NE PARLE  de 5 points espérés dans la loi de pro­
grammation votée début 2018. De
PLUS DE POUVOIR D’ACHAT,  quoi donner prise aux critiques
ET POURTANT C’EST PEUT­ outrées de la droite envers un gou­
vernement qui se voulait plus ver­
ÊTRE LE MOMENT OU JAMAIS tueux que ses prédécesseurs. 
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INTERNATIONAL | CHRONIQUE DANGER 


par al ai n f rachon
POPULISTE AU 
31 janvier 2020 si, comme il est probable, La détermination de Boris Johnson à por­
ROYAUME­UNI
Retrait de Trump, aucun accord n’est trouvé. Le texte vise à
empêcher M. Johnson de réaliser son des­
sein ravageur : un « no deal », ce brutal dé­
ter l’estocade s’est retournée contre lui. Ni la
décision de suspendre le Parlement ni les
menaces de retirer l’investiture aux députés
retour du djihad ? couplage avec le continent. Les Lords ayant
levé leur obstruction, la loi devrait être
adoptée définitivement dès lundi, compro­
conservateurs rebelles n’ont suffi. Au con­
traire : il n’a fait que fédérer opposants au
Brexit et élus modérés, outrés par les atta­
mettant la promesse­phare d’un Brexit à la ques contre le Parlement, dans ce que l’his­
fin octobre. torien Simon Schama qualifie d’« étrange

D L’ACCORD 
éjà dix­huit ans en L’impasse est telle que M. Johnson a été moment révolutionnaire britannique ».
Afghanistan : « C’est ri­ contraint d’annoncer des élections législa­ Alors que la démocratie donne de sérieux
dicule », dit Donald SUR L’AFGHANISTAN  tives anticipées pour le 15 octobre. Nouvel signes de faiblesse en d’autres points du
Trump. Le président échec : il n’a pas obtenu la majorité requise continent européen, il faut se réjouir de
veut « en finir avec ces guerres ENTRE LES ÉTATS­UNIS  des deux tiers. L’opposition travailliste est cette résistance de Westminster. La vieille
sans fin », ces campagnes lointai­ bien décidée à ne pas tomber dans son démocratie britannique n’est pas prête à
ET LES TALIBANS 
nes que l’Amérique mène depuis
le 11 septembre 2001. Il a donné
des ordres : septembre 2019 mar­
quera le début d’un retrait défini­
tif d’Afghanistan, où un accord de
EST UN CURIEUX 
DONNANT­DONNANT
S ix semaines ont suffi. Arrivé en fan­
fare au pouvoir fin juillet, le flam­
boyant Boris Johnson vient d’échouer
lamentablement son examen de passage
devant l’institution­clé de la plus vieille dé­
piège qui consisterait, une fois le principe
du scrutin avalisé, à oublier le texte exi­
geant un report du Brexit ou à reporter le
vote au­delà du 31 octobre, une fois le di­
vorce consommé avec l’UE. Pour le Labour,
céder au diktat d’un Boris Johnson et de
son conseiller Dominic Cummings, l’ap­
prenti sorcier du Brexit.
Mais le sursaut bienvenu des députés
masque les périls à venir. La stratégie de
paix serait en vue. Bientôt, le mocratie du monde, le Parlement de West­ pas question d’accepter des élections tant Downing Street consiste désormais à pré­
même mouvement aura lieu en battables. Les Etats­Unis sont sur minster. Dès la rentrée parlementaire, que la proposition de loi destinée à éviter senter les parlementaires comme des traî­
Syrie, puis en Irak. Il suffit de dire le point d’annoncer un accord mardi 3 septembre, il a perdu sa faible majo­ une sortie de l’UE sans accord n’est pas vo­ tres au Brexit et à les jeter en pâture aux
qu’on a gagné. Pas si simple. Si les avec ces derniers, qu’ils combat­ rité et, dans la foulée, a été humilié par le tée et promulguée. électeurs. La montée du vocabulaire guer­
Etats­Unis veulent partir, le dji­ tent sans succès depuis plus de vote d’une motion permettant aux députés Nouvel épisode cinglant d’une lutte sécu­ rier (« reddition », « collaborateurs ») en té­
hadisme connaît, lui, un retour quinze ans. Mais jamais les tali­ de lui ravir la maîtrise de leur ordre du jour. laire au Royaume­Uni, l’affrontement entre moigne. Le pari de M. Johnson consiste à
en forme dans la région. bans, opérant de leurs bases pa­ Le lendemain, le premier ministre, qui a le premier ministre et les députés porte à gagner les élections en jouant le « peuple
Au lendemain des attentats de kistanaises, n’ont été aussi actifs. juré de sortir de l’Union européenne leur paroxysme les tensions générées par des brexiters » contre les élites de Londres,
2001, les Américains s’étaient fixé Ils multiplient les atrocités contre « coûte que coûte » le 31 octobre, a essuyé le référendum de 2016 sur le Brexit. En vo­ qui seraient vendues à l’UE. Une stratégie
un objectif stratégique : trans­ la population : 16 morts, 119 bles­ deux nouveaux revers. Une proposition de tant pour sortir de l’UE contre l’avis de risquée, et pas seulement pour le Royau­
former le « Grand Moyen­ sés à Kaboul le 2 septembre (voir loi approuvée par la Chambre des commu­ Westminster, les Britanniques ont affaibli me­Uni. Que le populisme gangrène la plus
Orient », berceau du djihadisme, l’article de Ghazal Golshiri dans nes l’oblige à solliciter de l’Union euro­ la démocratie parlementaire, pierre angu­ enracinée des démocraties serait une terri­
du monde arabe à l’Afghanistan. Le Monde daté du 4 septembre). péenne (UE) un report de cette date au laire de leurs institutions. ble nouvelle pour tout le continent. 
Hébergée par le régime des tali­ Plus grave, depuis cinq ans, l’EI
bans, alors au pouvoir à Kaboul, s’est bien implanté dans le pays,
Al­Qaida avait revendiqué l’atta­ avec quelque 3 500 combattants.
que contre les Etats­Unis. On Eux aussi tuent et mutilent à plai­
chassa les talibans (et Al­Qaida) sir, y compris à Kaboul (63 morts
du pays. On installa leurs oppo­ mi­août dans une attaque lors UNE COLLECTION
sants au pouvoir (la coalition de d’un mariage).
©Edouard Caupeil/Pasco

l’Alliance du Nord). Mais, au lieu


de laisser ceux­ci se débrouiller, La renaissance de l’EI
les Occidentaux restèrent en L’accord entre les Etats­Unis et les
Afghanistan. On allait « transfor­ talibans, négocié au Qatar, est Présentée par
mer » ce pays, en guerre depuis un curieux donnant­donnant. Les ALEXANDRE ADLER
1979, lui apporter stabilité politi­
que et début de démocratie. On
Etats­Unis retireraient l’essentiel
de leur contingent (14 000 hom­ Une collection pour revivre
l’histoire de l’humanité
appelait cela « construire un Etat ». mes) et s’engageraient à laisser
La vraie cible du président les talibans revenir au pouvoir à
George W. Bush était l’Irak de Kaboul. Ces derniers garantiraient
Saddam Hussein. Les dictatures qu’aucune organisation djiha­
arabes, interdisant toute oppo­ diste ne s’en prendra aux Occiden­
sition, avaient engendré le djiha­ taux depuis l’Aghanistan. L’EI a
disme, forme suprême de la vio­ des appuis dans la branche la plus
lence terroriste islamiste, di­ dure des talibans, celle qui pour­
sait­on à Washington. L’absence rait refuser l’accord de Doha : ni
de démocratie au Moyen­Orient, les uns ni les autres n’ont été dé­
cause première de l’islamisme faits. L’Amérique s’apprête à quit­
militant, avait accouché des at­ ter un pays en guerre. Sans avoir
tentats de 2001. « gagné » ni « perdu » ?
Saddam Hussein représentant Courant juillet, devant ses colla­
la quintessence de la dictature borateurs, Trump était encore
arabe, il fallait commencer par plus triomphaliste concernant la
lui, le chasser du pouvoir puis oc­ Syrie et l’Irak : « On a fait un bou­
cuper le pays le temps d’y implan­ lot formidable, on a démoli 100 %
ter un début de démocratie jef­ du califat [proclamé par l’EI à l’été
fersonienne. C’était la meilleure 2014] et on va rapidement se reti­
façon de protéger l’Amérique, et rer de Syrie. » « On sera dehors d’ici
puis, effet de domino quasi méca­ peu de temps et on les laissera [les
nique, après l’Irak viendrait la Sy­ Syriens] se débrouiller tout seuls »,
rie et, même au­delà du monde a­t­il dit, avant d’ajouter : « La Sy­
arabe, peut­être aussi l’Iran des rie peut régler ses propres affaires
ayatollahs. On appelait cela avec l’appui de l’Iran et de la Russie
« étendre la démocratie ». et aussi de la Turquie. Nous [les

12
Tel était le credo profond des Etats­Unis], nous sommes à LE VOLUME 2
néoconservateurs américains. 10 000 kilomètres de là. » Autre­

,99
On sait ce qu’il en fut – des années ment dit, ce n’est pas notre
de guerres qui ont dessiné sphère d’influence.
cette terre de désastres qu’est le Sauf que, là aussi, en Syrie SEULEMENT
Moyen­Orient d’aujourd’hui. Les comme en Irak, l’EI connaît une
historiens, rendant compte de la renaissance, mobilisant entre
complexité de cette séquence, di­ 15 000 et 18 000 hommes, selon
ront la part de responsabilité des des rapports officiels des Etats­
Etats­Unis et celle des acteurs lo­ Unis et des Nations unies publiés
caux. Pour Donald Trump, la si­ cet été. L’EI mène une gué­
tuation est simple : Washington a rilla de plus en plus active de
terrassé l’islamisme le plus viru­ part et d’autre de la frontière en­
lent, notamment l’organisation tre les deux pays. L’organisation
Etat islamique (EI), un dérivé d’Al­ a été chassée de « ses » villes,
Qaida ; le devoir accompli, les elle n’a plus le profil d’un
Américains peuvent quitter la ré­ « Etat », elle ne contrôle que des
gion. Trump sera le président qui villages dans le désert, mais elle
a sorti les Etats­Unis des pièges reconstitue ses forces.
du Grand Moyen­Orient. Bon ar­ Indifférent à ce que les Etats­
gument électoral pour le scrutin Unis ont pu promettre aux uns et
présidentiel de novembre 2020. aux autres dans la lutte contre le
Il y a juste une difficulté : en ce
moment, l’EI, soi­disant « défaite
djihadisme (aux Kurdes, notam­
ment), Trump aimerait accomplir
LE VOLUME 2 :
à presque 100 % », fait sa « ren­ ce que Barack Obama avait es­ L’EMPIRE ÉGYPTIEN
trée » et les talibans restent im­ quissé : refermer le moment in­ (de 1 152 à 1069 av. J.-C.)
terventionniste américain au
Moyen­Orient – ce qui interdit au Des Thoutmosides aux Ramessides :
DONALD TRUMP  président d’aller trop loin dans l’apogée du Nouvel Empire
son conflit avec l’Iran. Obama sa­
AIMERAIT  vait que sa politique de retrait re­

ACCOMPLIR 
latif et raisonné impliquait de
prendre quelques distances à
UNE ŒUVRE DE RÉFÉRENCE À LIRE, À ADMIRER ET À CONSERVER
l’égard de l’Arabie saoudite et d’Is­ En partenariat avec
CE QUE  raël, les alliés traditionnels de
BARACK OBAMA  Washington dans la région, et de
TOUS LES QUINZE JOURS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
tenter un dialogue avec l’Iran.
AVAIT ESQUISSÉ Trump en est­il capable ? 
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3
MOTS DE PASSE
v Les engrenages
de Nina Allan

4|5
LITTÉRATURE
v Olivier Adam, Chris
Kraus, Violaine Huis-
man, Tommy Orange

6|7
DOSSIER
v Joyce Carol Oates
à la vie, à la mort

Kevin Lambert
La lutte
des classes 8
HISTOIRE
D’UN LIVRE
v « Eden »,

est un ébat de Monica Sabolo

11
douteux RENCONTRE
v Jean-Paul Dubois,
propriétaire
de son temps

L’écrivain québécois de 27 ans


signe « Querelle », roman
d’une grève dans une scierie. 12
ENTRETIEN
Exploitant magnifiquement v Avec Cécile Coulon,
lauréate du Prix
la puissance subversive littéraire « Le Monde »
pour « Une bête
du plaisir cru, il plante au Paradis »

la question sexuelle au flanc


du mouvement social Kevin Lambert,
à Paris, en septembre 2019.
GRÉGORY AUGENDRE CAMBON/
LE NOUVEL ATTILA

l’émeute, voire à l’orgie. L’initiative en re­ ment, la nuit venue, de réconforter les
vient à un jeune Québécois nommé Ke­ gars du coin. Les uns après les autres, ils
vin Lambert. A chacun des manifestants se mettent sous l’aile de l’ange extermi­
susnommés, il doit quelque chose, un nateur : « Querelle se saisit, l’instant d’un
texte qui l’a mis en mouvement ou juste soir, d’une vie dont personne ne veut – sur­
jean birnbaum un mot d’ordre. Comme beaucoup d’acti­ tout pas le jeune homme – et la fourre
vistes aujourd’hui, on peine à savoir d’où d’un sens dont elle était dépourvue. Après,

O
n connaît les vidéos il surgit, comment il a forgé sa mémoire il faudra jeter le garçon. Querelle sait
YouTube où François des luttes (lire la rencontre page 2), mais qu’on ne sauve personne et déteste les hé­
Ruffin se filme dans sa on doit constater que ce garçon de 27 ans ros. »
cuisine, devant son frigo, impose déjà sa voix pour accomplir un Il n’y a pas de lendemains qui chantent.
sa bouilloire et son rou­ geste rare : planter la question sexuelle La lutte des classes est un ébat douteux,
leau de Sopalin. Le dé­ au flanc du mouvement social. et Kevin Lambert ne ménage guère ses
puté y raconte ses actions contre une Au centre du défilé, Kevin Lambert a efforts pour en exhiber l’obscène équivo­
mesure injuste, dit sa solidarité avec les placé le personnage de Querelle. Bien que que. Au début du roman, du reste, on se
« gilets jaunes », confie ses enthousias­ ce bel ouvrier n’ait « pas l’air pédé », tout dit que l’auteur va peut­être un peu loin
mes, ses colères, ses haines. Lui qui vou­ dans la surenchère pornographique,
drait changer la vie met en scène ses as­ Solidaire le jour, Querelle s’efforce comme s’il voulait à tout prix choquer le
pects les plus quotidiens. La vie vraiment bourgeois « hétéroplouc ». De même, on
humaine, pourtant, ce n’est pas celle également, la nuit venue, de songe que la référence à Genet, explicite
qu’évoque ce discours qui se présente réconforter les gars du coin. Les dès le titre du livre, devient parfois en­
comme s’il était transparent à lui­même. combrante. Mais, très vite, il apparaît
On aimerait voir Arthur Rimbaud, Virgi­
uns après les autres, ils se mettent que cette prose outrancière se trouve jus­
nie Despentes, Emile Zola, Louis sous l’aile de l’ange exterminateur tifiée par le projet du roman : exploiter le
Guilloux, Guillaume Dustan, Christine potentiel libératoire du corps exposé, la
Angot, Xavier Dolan et Mathieu Riboulet puissance subversive du plaisir cru. Ici le
débouler chez Ruffin pour proclamer en le monde est impressionné par la fière sexe est un outil de sabotage, il dynamite
chœur dans un mégaphone : « Eh, cama­ orientation de son désir. Venu de Mon­ le bel ordonnancement des langues de
rade ! Il n’y a pas que de la politique dans tréal, il est le dernier embauché d’une bois, discours amoureux ou paroles mili­
ta cuisine ! Retourne­toi donc et vise ce scierie située dans la région du lac Saint­ tantes. Et cette destruction est un céré­
gros bordel, ce chaos de fantasmes obs­ Jean, dont les salariés font grève afin de monial jubilatoire, une fête pareille à
curs et de joies terribles, de postures sauver l’usine. « Leur tête enfouie sous celles qu’organisent les salariés de la scie­
équivoques et de liquides divers. Ton une capuche, leur fierté mollement rete­ rie (« le gars du karaoké annonce qu’on va
corps a d’autres idées que toi ! » nue », ils brandissent drapeaux et pan­ commencer ça bientôt »…), un moment à
Or, cette juste expédition existe. Elle
nourrit une bousculade féconde, un
cartes autour d’un café : « Un lait un sucre
chaque, pas une température pour jouer
pleurer de tendresse et de cruauté.
Car la trahison commence et finit par Avec Un monstre et un chaos,
branle­bas romanesque baptisé Querelle.
C’est la manif la plus sauvage de cette
avec les dosettes ou les petits sachets : à
moins trente­deux dehors – avec le vent –
les corps. Et Kevin Lambert, qui a l’art du
croquis et de la saynète, le confirme à tra­ Hubert Haddad frappe droit au cœur.
rentrée littéraire. Aucun service d’ordre t’enlèves pas tes mitaines, et si elles ont un vers des gestes apparemment dérisoires.
n’est prévu, personne n’a averti la police trou dedans, tu le sais tout de suite. » Soli­
www.zulma.fr Sandra Benedetti, L’Express
des lettres, ça pourrait bien tourner à daire le jour, Querelle s’efforce égale­ lire la suite page 2

Cahier du « Monde » No 23220 daté Vendredi 6 septembre 2019 ­ Ne peut être vendu séparément
2 | .. à la « une » 0123
Vendredi 6 septembre 2019

suite de la première page Kevin Lambert évoque


son intérêt pour les luttes
Ceux du père Fauteux, syndica­
liste hardi, attachant, qui finit par
sociales, sa sensibilité
dévoiler ses pulsions misogynes
et xénophobes. Ceux de la mère
aux marges et à leur
Savard, ancienne militante socia­
liste ayant sombré dans un délire
puissance inventive, en
vénéneux. Ou ceux de sa fille Jé­
zabel, jeune syndiquée qui passe tant qu’auteur québécois
pour une intello parce qu’elle
commande des livres sur Ama­ et homosexuel
zon : blacklistée par le patronat de
la ville, elle aussi fera coïncider la
révolte sincère avec une insou­
ciante férocité.
Ainsi Kevin Lambert mêle­t­il
« J’aime la
des choses qui d’habitude ne sont
pas superposables : le désir de li­
berté et la tyrannie des entrailles.
Afin de tenir ensemble des élans
façon dont les
contradictoires, il croise les
points de vue, entrelace les pro­
noms personnels (on passe du
« nous » au « tu » et du « ils » au
revendications
« on ») et enchevêtre plusieurs to­
nalités, depuis le bavardage ordi­
naire jusqu’au chant tragique en
passant par la farce burlesque, la
se disent»
La plume
de Lambert n’est RENCONTRE
pas celle d’un
pornographe
cynique, mais celle

C’
d’un moraliste est un jeune homme gracile
et rieur, tout juste débarqué
qui veut poser la du Québec, qui s’installe à la
question du mal table du café parisien. Il a une
voix douce, parfois à la lisière du silence,
et néanmoins confiante dans la solidité
rhétorique prophétique ou en­ de ce qu’elle porte. Très vite, on demande
core le théâtre de l’insulte façon à Kevin Lambert comment il en est venu
joual (« hostie de traître ! », « christ à si bien parler du mouvement ouvrier,
de tapette ! »…). de ce monde militant dont les gens de sa PLAINPICTURE/CÉDRIC ROULLIAT
Plutôt qu’un roman à thèse, le génération ignorent pour la plupart le
jeune auteur de Querelle propose rayonnement passé. Est­il né dans un fasciné par l’importance que peut prendre plutôt le désir d’affirmer l’infinie plura­ dans le domaine du vivable. Cela passait
donc une méditation métaphysi­ milieu populaire ? Ses parents lui ont­ils une entreprise dans la vie des gens. » lité de la langue française, et l’égale di­ par la littérature. Longtemps, le jeune
que. Sa plume n’est pas celle d’un transmis les valeurs, les réflexes de cette Mais c’est pour rédiger son roman que gnité de ses diverses formes : « Il faut ces­ Lambert a essentiellement lu Stephen
pornographe cynique, mais celle tradition que sa plume fait vivre avec tant Kevin Lambert se plonge vraiment dans ser de penser cette langue par rapport à un King, Mary Higgins Clark ou Agatha
d’un moraliste qui veut poser la de loyauté ? la culture du mouvement ouvrier. Accu­ centre, plaide le jeune romancier. Les Christie. Puis est venu le temps de l’uni­
question du mal, et la poser fron­ La réponse est non. Né d’une mère mulant les lectures, il regarde également films de Xavier Dolan sont encore présen­ versité à Montréal, la découverte de Gui­
talement, en traquant ses indices à pharmacienne et d’un père physiothéra­ des documentaires afin de se laisser im­ tés avec des sous­titres, ce n’est pas nor­ bert, Angot, Dustan… Paradoxalement, la
même la langue, dans des nappes peute, l’auteur de Querelle a grandi à prégner par un lexique : « J’aime la façon mal. Il n’y a pas une manière correcte de façon qu’a Lambert d’être fidèle à ces
de mots aussi contemporaines, et Chicoutimi, petite ville située dans la ré­ dont les revendications se disent, confie­ dire les choses. Quand on regarde la lan­ auteurs, c’est de délaisser l’autofiction,
aussi diverses, que les déclarations gion du lac Saint­Jean, que son roman t­il. La figure qui m’a le plus marqué est gue dans ses marges, on constate qu’il genre auquel ils sont associés : « Après un
syndicales, les applications de dra­ décrit. Les grands­parents tiennent bou­ celle du syndicaliste Michel Chartrand existe là une immense créativité… » premier roman qui relevait de l’autofic­
gue, les commentaires Facebook, tique, reçoivent commande, aucun rap­ [1916­2010]. Il avait un sens presque Cette sensibilité aux marges et à leur tion [Tu aimeras ce que tu as tué, Hélio­
les forums de jeux vidéo, les fu­ port avec le syndicalisme, encore moins clownesque de la formule, il n’hésitait puissance inventive, Kevin Lambert l’a trope, 2017], j’ai eu envie de m’éloigner du
reurs conspirationnistes… avec la révolution. Alors ? « Si je cherche développée assez tôt, en tout “je”, qui reste une forme d’autorité. Le “je”
A chaque fois, il s’agit de repérer une première image, dit Lambert, je me cas dès l’instant où lui­même organise, voile, dévoile… et, en se limitant
la manière dont le besoin d’avilis­ souviens que, pour aller au lycée, je pre­ « Ce qui fait le potentiel s’est senti mis à l’écart. Sans à son point de vue, on ne parvient pas à
sement hante la demande d’af­ nais un bus qui passait devant un conces­ subversif de l’homosexualité, jamais faire de coming out en saisir ce qui relève du social, du commun.
franchissement. Loin de tout ni­ sionnaire automobile. Les salariés étaient bonne et due forme, il a an­ La politique, dans mon roman, naît de la
hilisme, cette enquête poétique en grève, je ne comprenais pas bien pour­ c’est de questionner noncé à ses parents, l’année de multiplication des perspectives. »
sur la trahison constitue un geste quoi ces gens étaient là, en colère, avec l’hétérosexualité, donc le ses 19 ans, qu’il habiterait dé­ Comme d’autres auteurs avant lui, et
d’affirmation. A tous ceux qui leurs pancartes. Ils étaient mal vus. Mon sormais à Montréal… avec son c’est un interminable débat, Kevin Lam­
prétendent relancer l’espérance père disait qu’ils étaient bien payés, mais
patriarcat et le capitalisme, petit ami. Jusqu’alors, il ne bert fait de l’homosexualité une force ca­
d’émancipation sans affronter les ne voulaient pas travailler. » comme systèmes normatifs » s’était pas autorisé à assumer pable de maintenir ce point de vue plu­
ruses intimes de la domination, A ce moment, la langue de la révolte une sexualité maudite. « Etre riel, en troublant l’ordre du désir et du lan­
Kevin Lambert semble lancer était encore inaudible, elle ne perçait gay dans ma région, ce n’était gage. Or, conclut­il, un tel anarchisme lan­
cette mise en garde : vous souhai­ même pas la vitre de l’autobus. Plus tard, pas à dire que les mange­merde étaient pas être gay à Montréal, témoigne encore gagier se trouve menacé par les combats
tez de nouvelles Lumières pour elle allait se gonfler de mots sensibles, de des mange­merde. C’était une autre l’écrivain. Pour moi, être gay n’apparte­ actuels pour l’égalité des droits, et plus
aujourd’hui ? Alors acceptez en­ plus en plus submergeants. D’abord époque, son français n’était pas celui de nait guère à l’univers des possibles. Il y généralement par ce qu’il fustige sous le
fin de reconnaître notre nuit in­ parce que Kevin Lambert a lui­même Radio­Canada… » avait un gars, un seul, au lycée, qu’on pré­ terme d’« assimilationnisme » : « Ce qui
térieure, traversez ces sombres participé à la grande grève étudiante de Dans Querelle, la langue n’est donc pas tendait gay, il se faisait sans cesse intimi­ fait le potentiel subversif de l’homosexua­
territoires où l’appétit de liberté 2012, qui a marqué son véritable éveil à la seulement le vecteur d’une protestation. der, taper, et si je refusais de me dire gay, lité, assure­t­il, c’est de questionner l’hété­
côtoie la soif du sang versé.  politique. Ensuite parce qu’un professeur Elle est la revendication elle­même. Du c’était pour ne pas être comme lui. Gay, rosexualité, donc le patriarcat et le capita­
jean birnbaum d’université l’a fait bûcher une année en­ reste, Kevin Lambert a pas mal résisté à c’était seulement une insulte. Ce mot ne lisme, comme systèmes normatifs. Voilà
tière sur Les Misérables : « On devait écrire son éditeur français, qui lui demandait nous permettait pas d’exister autrement pourquoi cela m’écœure qu’on veuille faire
querelle, un texte à la manière d’Hugo, et j’avais ra­ de changer tel mot, telle expression typi­ que dans le négatif, le péjoratif. » de l’homosexualité quelque chose de nor­
de Kevin Lambert, conté l’histoire d’une usine papetière qui que du Québec, et plus encore de sa ré­ Tenir bon sur son désir, c’était trouver mal, c’est­à­dire une hétérosexualité… » 
Le Nouvel Attila, 240 p., 19 €. avait fermé quand j’avais 9 ans. J’étais gion natale. Nul chauvinisme local ici, une écriture qui permette de le rapatrier j. bi.

EXTRAIT ÉCLAIRAGE « Kevin Lambert emprunte beaucoup au lexique populaire »


Benoît Melançon est profes­ donc causé un véritable scandale Quand le joual est apparu et à utiliser la langue vernaculaire,
Bataille entre grévistes ça fait moins mal que dans seur de littérature à l’université avec sa pièce Les Belles­Sœurs que la littérature québécoise a d’autres le font également avec
de la scierie et sous­traitants les couilles : c’est un mythe, de Montréal. Ses recherches (1968), car il mettait en scène des commencé à s’exporter, l’éton­ talent, je pense notamment à
forestiers. Jézabel le sait. Ou plutôt : ça portent notamment sur les personnages issus des classes nement était très fort à Paris. William S. Messier et à son ma­
« Plusieurs forestiers qui se fait très mal aussi, c’est dur à usages linguistiques et l’his­ populaires s’exprimant avec un Mais, aujourd’hui, je n’ai pas gnifique roman Dixie (Marchand
précipitent trop vite se font comparer comme douleur, vu toire culturelle du Québec. accent marqué et des expres­ l’impression que les critiques de feuilles, 2013). Mais Kevin
renvoyer à coups de batte. qu’y’a pas grand monde qui a Il est l’auteur, entre autres, sions propres à leur milieu. Ce hexagonaux accordent une aussi Lambert est sans doute celui qui
Des bras sont cassés dès les déjà subi les deux. Querelle, de Le niveau baisse ! (et autres moment de rupture suscite d’in­ grande importance à la question pousse le plus loin cette recher­
premières ardeurs de l’affron­ lui, ne porte pas de coquille idées reçues sur la langue) tenses débats : s’agit­il de la lan­ de la langue. On trouve chez che. Il emprunte beaucoup au
tement, des ventres se font pour protéger son précieux (Del Busso, 2015). gue parlée par la majorité des Dany Laferrière des éléments du lexique populaire, plusieurs
défoncer par un bout rond membre, qui durcit dans ses Québécois ? Y a­t­il une langue lexique québécois, sans que cela mots que l’on retrouve dans
planté fort, t’as le souffle shorts en jean chaque fois Comment la littérature québécoise ? A mon avis, il ne pose de problème de compré­ Querelle sont même propres à
coupé et tu craches, tu vomis. que son poing s’écrase contre québécoise s’est­elle empa­ faut pas y chercher un portrait hension pour le lecteur français. sa région natale, le Saguenay.
(…) La plupart des gars, bien la joue du forestier un peu rée de la langue vernaculaire linguistique. C’est une langue de Certaines œuvres ne se sont pas Toutefois, je n’ai pas l’impres­
conscients qu’ils venaient frêle, qu’il trouvait magni­ propre à la province ? création. Céline n’écrivait pas la bâties sur la différence linguisti­ sion que la critique québécoise
pour se taper, ont mis une fique avant de lui refaire le Dans les années 1960, langue parlée en France dans les que. C’est peut­être au cinéma se soit tellement intéressée à cet
coquille en dessous de leurs portrait. Plus les hommes qui certains auteurs ont promu années 1930. C’est la même (les films de Xavier Dolan) que aspect du livre. C’est presque
shorts. Jimmie Boisvert en pâtissent sous ses coups sont l’usage de ce que l’on a appelé chose pour Michel Tremblay. l’usage du français québécois est passé au second plan derrière
avait pas, il se roule à terre en mignons, plus la brutalité de le « joual », un parler populaire le plus remarqué en France. la violence, la question de
gémissant. Même Jézabel en Querelle lui vient de québécois. Auparavant, les écri­ Quelles réactions cette littéra­ l’homosexualité ou la dimen­
porte une, elle l’a achetée juste bon cœur. » vains essayaient souvent de ture empreinte de français Quelle place tient Kevin sion sociale de son roman. 
pour ça. On pense souvent masquer les différences lexica­ québécois suscite­t­elle dans la Lambert de ce point de vue ? propos recueillis par
qu’un coup dans le vagin, querelle, page 185 les locales. Michel Tremblay a critique française ? Kevin Lambert n’est pas le seul marc­olivier bherer
0123
Vendredi 6 septembre 2019
Mots de passe | 3

Bestiaire
L’anecdote amuse beaucoup Nina Allan
car elle témoigne d’une petite victoire.
Modeste mais vertigineuse. Une fois le
manuscrit de La Fracture remis à sa mai­
macha séry son d’édition britannique, Titan, révi­
seurs et éditeurs se sont mis à l’ouvrage :

C
e qui caractérise la scien­ correction orthographique, vérification
ce­fiction, selon Nina des faits… Jusqu’à achopper sur un
Allan, c’est d’abord le « énorme » poisson­chat : cette espèce
brassage d’idées. Il n’y a n’existe pas plus que le « creef » qu’on de­
pas chez elle d’expérimentations vine, lui, inventé de toutes pièces, en rai­
scientifiques qui auraient mal son des étranges aptitudes dont le dote
tourné ou de projections futuris­ Nina Allan sur la planète Tristane : aussi
tes fondées sur la technologie. gros qu’un homme, il peut se contracter
Pour la Britannique, la « science », en accordéon, se loger dans un volume
dans la SF, renvoie à la connais­ minuscule, passer sous une porte, hiber­
sance tirée d’un vaste éventail de ner, résister à des températures extrê­
disciplines : linguistique, politi­ mes. Parasite animal cherchant des hôtes
que, philosophie, anthropologie, humains pour se développer, le creef
médecine, musique, mathémati­ s’inspire de L’Invasion des profanateurs
ques, cosmologie, géographie… de sépultures (1955), fameux roman de
Rien qui ne soit de l’ordre de l’ex­ Jack Finney, porté à l’écran par Don Siegel,
plication rationnelle, de l’inter­ un livre et un film ayant profondément
prétation mystique ou d’un dé­ marqué Nina Allan, amatrice de SF de­
nouement tranchant les ques­ puis l’enfance.
tionnements existentiels surgis Çà et là, celle­ci a toujours pris plaisir à
en cours de lecture. Si l’expres­ injecter des détails fantastiques dans ses
sion « sortir de sa zone de con­ récits qu’enchâsse une langue classique :
fort » a un sens, il est à chercher contrées étranges, personnages « empa­
dans l’œuvre de cette auteure de thes », animaux nommés « surbaleines »
53 ans qui, depuis le recueil de ou « smartdogs » dans La Course (Tris­
nouvelles Complications (Tris­ tram, 2017). Soit des lévriers génétique­
tram, 2013, Grand Prix de l’imagi­ ment modifiés capables de communi­
naire 2014), décompose méthodi­ quer avec leurs « pisteurs » au moyen d’un
quement la frontière entre rêve et implant neural.
réalité. Avec La Fracture, prix
British Science Fiction 2017, Nina
Allan livre un fascinant récit alter­
natif, combinant plusieurs régi­
mes d’écriture afin de fusionner Extraterrestre
réalisme et fantastique. Désas­ A peine évoquée dans les précédents ré­
semblage d’un dispositif littéraire Nina Allan, en 2013. FRED KIHN/ADOC-PHOTOS/BN cits de Nina Allan, la figure de l’extrater­
aussi captivant qu’inquiétant. restre traverse La Fracture d’un bout à
l’autre. Il est, par exemple, question d’un

Pris dans
gag à répétition scellant la complicité des
deux sœurs, au centre du livre, dans leur
Chronophobie jeunesse. « Repérer les aliens était un jeu
Styliste élégante, Nina Allan est auquel elles jouaient en permanence
une horlogère qui dérègle, par de quand Julie avait 14 ans, Selena 12, et
légers à­coups, des mécanismes qu’elles étaient toutes les deux obsédées
de précision. Diplômée de litté­ par les X­Files. S’il leur arrivait de voir quel­

les engrenages
rature à l’université d’Oxford, qu’un de bizarrement habillé ou au com­
auteure d’une thèse sur « Folie, portement insolite, elles levaient les sour­
mort et maladie dans les romans cils d’un air entendu puis tournaient au
de Vladimir Nabokov », elle par­ coin de la rue à toute vitesse pour se répan­
tage, avec le natif de Saint­Péters­ dre en fous rires. Selena se rappelait avoir
bourg, la « chronophobie » que parfois tellement ri qu’elle en avait les lar­

de Nina Allan
l’écrivain américain d’origine mes aux yeux. Elle ne croyait pas que ces
russe évoque dans ses Mémoires, gens étaient des aliens, pas vraiment, mais
Autres rivages (Gallimard, 1961). une partie d’elle­même était émoustillée
« Depuis l’âge de 7 ans, confie­t­ par l’idée qu’ils puissent en être. »
elle au “Monde des livres”, j’ai L’enlèvement d’un humain par des ex­
conscience de la finitude des cho­ traterrestres ou l’infiltration de ceux­ci
ses, qu’elles ne peuvent durer, au sur Terre est un classique de la science­
moins sous la même forme. » D’où fiction. C’eût pu être le point de départ de
sa dilection pour les histoires de La Fracture. Au reste, ça l’a été avant que
traumas, de perte, pour le passage Les captivantes fictions spéculatives de l’écrivaine Nina Allan ne bifurque dans une voie
du temps et les effets de disjonc­ buissonnière. L’un de ses prochains ro­
tion que celui­ci produit « sur nos britannique grincent de distorsions temporelles, mans contera l’histoire d’une composi­
vies, un groupe d’amis, une fa­
mille. Par exemple, six semaines de clignotent de personnages à éclipses, bruissent trice de talent qui, après le décès de sa
mère, rejoint un club d’ufologues « parta­
vacances d’été, de la fin des cours à
la rentrée des classes, peuvent mo­
d’animaux jamais vus, crissent d’êtres venus d’ailleurs. geant un système de croyances alternati­
ves, telle une religion ». L’exploration
difier la nature des liens noués par
plusieurs personnes. Pour les uns
« La Fracture », son nouveau roman, en atteste d’autres mondes est chez Nina Allan un
fait littéraire, tout autant que philosophi­
et les autres, l’expérience de l’ab­ que. 
sence a été décisive. Face à la fuite
du temps et aux métamorphoses
qu’elle induit, il est important de Revenant
déposer des traces mémorielles ». Si des personnages se volatilisent mystérieusement dans les fictions spéculatives de Une cosmogonie
La « fracture » qui donne son ti­ Nina Allan, ils réapparaissent souvent. Les revenants de Nina Allan n’ont rien de spec­
tre à son nouveau roman fait réfé­ tral ou de fantomatique, aucun oripeau du gothique victorien. Exception faite de la AU­DELÀ DES FAILLES INTIMES QUE dont La Fracture est le cinquième livre
rence au vortex entre deux planè­ béance savamment creusée dans l’intelligibilité logique. Comment se fait­il que, dans CAUSE UN TRAUMA, le premier mor­ traduit aux éditions Tristram, les maî­
tes mais aussi au temps, dont la Stardust (Tristram, 2015), des astronautes censés avoir péri dans l’explosion de leur ceau de bravoure de La Fracture est de trise à la perfection. Elle n’invente pas
chronologie étale est brisée chez première fusée bambochent dans un wagon de train ? Une autre nouvelle du même parvenir à dissiper l’incrédulité ration­ seulement une cosmogonie au climat
Selena, l’une des deux protago­ recueil conte le désarroi de Christine, dont Amma, l’ancienne camarade d’école, a nelle du lecteur, dans un processus pa­ contrasté. Elle bâtit une civilisation où
nistes, par la disparition de sa disparu il y a vingt ans, cet événement dessinant une ligne nette entre l’avant et rallèle au cheminement psychologique l’archaïsme (chariot tiré par un âne, bol
sœur aînée, vingt ans plus tôt. l’après. Elle a échafaudé toutes les hypothèses : fugue, meurtre… Et voilà qu’elle croise qu’emprunte Selena, lorsqu’elle reçoit en terre cuite…) cousine avec le futu­
D’où un perpétuel sentiment d’ir­ Amma dans la rue, comme si de rien n’était. Que s’est­il passé ? un coup de téléphone de Julie, sa sœur risme (biodômes, thérapie génique de
réalité. « Je n’arrivais pas à m’y ha­ Jusqu’ici Nina Allan misait sur l’ellipse, l’étrangeté. Dans La Fracture, elle donne un aînée disparue vingt ans plus tôt. pointe). Elle la dote d’un folklore, d’une
bituer, lit­on dans La Fracture, nom à un monde parallèle : la planète Tristane. Le retour tardif de Julie auprès des A l’époque, plusieurs hypothèses littérature, d’une histoire écrite, d’un
probablement parce que cela me siens, sa peur de ne pas être crue rappellent l’intrigue de Pique­nique à Hanging Rock, avaient été envisagées par la police. corpus de légendes. Eminemment
faisait douter de tout ce que je roman­culte de l’Australien Joan Lindsay adapté au cinéma en 1975. Avant de disparaî­ Aucune ne ressemble de près ou de douée, habile à mêler le vrai et le faux,
croyais savoir – de ma vie et de ce tre, Julie avait consacré au film de Peter Weir un long essai dans le cadre de ses études loin à la version que va progressi­ elle authentifie sa création par des
que je pensais avoir vécu, et même secondaires : « L’Irma qui retourne au pensionnat est une autre personne. Sa différence vement livrer la trentenaire à sa documents relatifs à Tristane, afin de
de mon identité. Caelly ne cessait est soulignée par la manière dont elle s’habille – tout en rouge, ce qui contraste avec les cadette. Car Julie, dit­elle, a vécu sur faire vaciller les certitudes du lecteur.
d’affirmer que mes souvenirs me ternes uniformes scolaires des autres élèves. Il ne s’est écoulé qu’un bref laps de temps, or une exoplanète nommée Tristane, Renversant.  m. s.
reviendraient, mais tous les jours Irma semble soudain être dans un autre monde : distante, décalée, adulte. [Les autres peuplée non d’aliens mais d’habitants
je m’éveillais et j’étais encore moi, élèves] veulent désespérément savoir ce qui s’est passé, et pourtant nous craignons semblables aux Terriens. C’est là où la fracture
je savais que j’étais de Warrington qu’elles ne croient pas un mot de ce qu’[Irma] dira, que le simple fait d’avoir été séparées elle semble avoir basculé, après un (The Rift),
dans le Cheshire, que Caelly, Noah d’elle par l’expérience ne les ait montées contre elle à jamais. » L’histoire de Joan Lindsay évanouissement, le 16 juillet 1994. de Nina Allan,
et Fiby n’avaient pas d’existence est non conclusive, lacunaire en ses explications. L’énigme reste entière. Il en va de Tout démiurge doit posséder les traduit de l’anglais par Bernard Sigaud,
réelle. » même dans La Fracture. moyens de son ambition. Nina Allan, Tristram, 404 p., 23,90 €.
4 | Littérature | Critiques 0123
Vendredi 6 septembre 2019

Tchao Pantin
Avec « Une partie de Comment regardera­t­on une sta­
tion­service après avoir lu Alexan­
dre Labruffe ? Certainement avec
badminton », Olivier Adam curiosité, tant le primo­romancier
transfigure ce lieu où l’on passe
retrouve son alter ego naviguant sans s’attarder. Loufoque et
désabusé, Beauvoire, le narrateur,
à vue entre crises personnelles est pompiste à Pantin. Il aime
l’odeur de l’essence, les notes de
et sociales. Lucide bas de page, les vieux films,
Baudrillard et Fitzgerald. Sous
forme de fragments entremêlant

Basses eaux observations sociologiques, élucu­


brations philosophiques et micro­
récits, Beauvoire raconte son quo­
tidien fait d’ennui et d’assujettis­
sement à l’impératif commercial,

à Saint­Malo mais aussi rempli de rencontres


incongrues. En arpentant cet « épi­
centre de la banalité contempo­
raine », l’écrivain suggère une so­
ciété de consommation qui épuise
autant les ressources naturelles
que ses membres et qui semble
avoir étouffé toute trace de ré­
Saint­Malo après une parenthèse volte. Comme si la
parisienne de cinq ans, perché sur seule résistance
la butte Montmartre ; Paris où il possible résidait
fut fêté, où il a vu sa cote décliner, dans l’ironie et
où son inadaptation au monde la fuite dans
macha séry s’est confirmée. « C’est bien moi, l’imaginaire. 
pensa­t­il. Jamais à ma place là où stéphanie dupays

L
e même ! Un autre ! » Cette je me trouve. Ici [à Paris], les consi­  Chroniques d’une
formule serinée par les dérations sur l’état de la mer, le station­service,
ivrognes pourrait être temps qu’il fait, les menus événe­ d’Alexandre Labruffe,
celle des romanciers qui ments de la côte lui avaient man­ Verticales, 142 p., 15 €
ajustent les mensurations de leur qué. Là­bas, il se languissait sans se
personnage fétiche en fonction l’avouer d’une vie intellectuelle ali­
des exigences romanesques. A mentée en permanence. Pourtant
travers un portrait personnel mis qu’avait­il gagné de tout cela ? Un vétéran de l’Algérie
en crise ou en aventures et réac­ Qu’y avaient gagné ses livres ? »
tualisé à date plus ou moins fixe, Quels que soient les avatars de « J’ai toujours eu peur de Jim »,
ils ébauchent une chronique Paul dans l’œuvre d’Olivier Adam, avoue Thierry Crouzet à propos
d’époque. C’est Bandini chez John ils ne s’épargnent pas. Lerner se de son père, qui, un jour, a menacé
Fante (1909­1983). C’est Paul chez juge épuisant, assommant, capa­ Saint­Malo vu du Grand Bé, à l’embouchure de la Rance. DAVID SAUVEUR/AGENCE VU de les tuer, sa mère et lui, avec un
Olivier Adam. Des alter ego sur ble de se brouiller avec quiconque fusil. Dans ce premier roman,
lesquels chacun d’eux a exercé du jour au lendemain. Chez cet l’écrivain­journaliste tente de re­
son autodérision et perfectionné hypersensible, passablement mi­ monter à l’origine de cette vio­
son sens de l’honnêteté. santhrope, quelque chose résiste ville touristique. Les résidences complexe hôtelier de luxe. Crise lence et, par là, de se rapprocher de
De livre en livre, la compagne de à la corrosion. Tant pis pour l’air secondaires ouvrent leurs fenê­ de couple, crise d’adolescence, ce géniteur. Jim fait partie des ap­
Paul s’appelle Sarah et leurs du temps – désormais iodé. Parmi tres, les Parisiens affluent. Hors crise des migrants. Sûr, c’est pas pelés envoyés en 1956 en Algérie.
enfants, Manon et Clément. Tan­ la génération d’écrivains propul­ saison, le coin ne compte que des du badminton. Les deux mois de camp où le jeune
tôt celle­ci est l’aînée de la fratrie, sés sur le devant de la scène litté­ gens ayant des emplois modestes. Le sport dans lequel se distingue homme et ses camarades, tous
comme dans Une partie de raire la même année que lui, il fut Quand ils en ont un. Olivier Adam – qui, fort heureuse­ aussi ignorants de ce pays, pren­
badminton, le nouveau roman de A cette aune, le titre, Une partie ment, assume le label de « roman­ nent peu à peu conscience de ce
l’auteur, tantôt c’est son frère. de badminton, détonne. Il respire cier social » et la mission affé­ qui s’y joue, le premier meurtre et
Parfois Sarah a quitté Paul. Parfois Quels que soient les avatars l’été quand il faut, une nouvelle rente – est d’ordre prosodique, l’envol de l’innocence paternelle,
elle est morte (Des vents contrai­ fois, « passer l’hiver ». Il exprime dans le balancement des phrases, puis le massacre d’Oued Arich, à la
res, L’Olivier, 2009). Dans Les de Paul dans l’œuvre du une insouciance inhabituelle. Car, dans la rythmique des mots, dans frontière marocaine, marquent les
Lisières (Flammarion, 2012), ils romancier, ils ne s’épargnent quoi qu’il lui en coûte, Olivier la lucidité qu’ils formulent. En étapes de sa métamorphose. A
sont divorcés. pas. Lerner se juge épuisant, Adam est l’écrivain des bords du témoignent les considérations partir des notes de son père et
Paul lui­même présente un profil monde et des débords de soi. En par touches pointant les discrètes d’une ample documentation,
changeant. Ses origines géographi­ assommant, capable de se outre, il n’est jamais question de mutations à l’œuvre depuis la l’auteur compose un récit saisis­
ques fluctuent, comme son patro­ brouiller avec quiconque jouer au badminton au fil de l’in­ parution des Lisières, en 2012 : sant et restitue un peu d’humanité
nyme – Tellier dans Je vais bien, ne du jour au lendemain trigue. Alors quoi ? La référence la transformation des quartiers, aux vies minuscules
t’en fais pas (Le Dilettante, 2000), provient d’une chanson d’Alain la conversion des commerces, les lâchées dans un
Anderen dans Des vents contraires, Chamfort devenue une réplique trajectoires brisées des uns, l’as­ conflit qui les dé­
Steiner dans Les Lisières, Lerner complice entre père et fille. « Ma­ cension fulgurante des autres, la passe et dont la vio­
dans le nouveau livre. Le plus et reste celui qui a, selon la for­ non en conclut que la vie était un chape de plomb provoquée par les lence les hante pour
souvent, sa raison sociale est d’être mule de Paul Lerner, endossé le sacré sac de nœuds, un putain de attentats, les crispations politi­ toujours.  st. d.
romancier­scénariste renommé costume de « romancier social ». sport de rue et Paul acquiesça. ques. Paul Lerner navigue à vue et  Mon père,
ou en cale sèche (toute ressem­ Qu’importe la réputation de gra­ − Sûr, c’est pas du badminton. » tient la barre.  ce tueur,
blance avec l’écrivain de chair et vité, « sa manière et ses convic­ Lui­même est en passe de perdre de Thierry Crouzet,
d’os n’étant pas totalement for­ tions le portant en dépit de tout à sa femme et son travail de journa­ une partie de badminton, La Manufacture de livres,
tuite). Mais il peut être moniteur implanter ses récits dans la réalité liste. Une inconnue l’épie. Manon d’Olivier Adam, 220 p., 17,90 €.
d’auto­école (Des vents contraires) quotidienne de la majorité silen­ fugue. Sa maison est taguée d’in­ Flammarion, 378 p., 21 €.
ou reporter pour un journal bre­ cieuse, entre fins de mois difficiles sultes. Des lycéens tabassent un Signalons, du même auteur,
ton (Une partie de badminton). et chômage, précarité, sentiment réfugié et le maire donne son ac­ la parution en poche de Chanson
Paul Lerner est, en effet, d’abandon et spectre du déclasse­ cord pour que soit détruit le cam­ de la ville silencieuse, Sabotage
retourné vivre avec sa famille à ment ». L’été, Saint­Malo est une ping face la mer, au bénéfice d’un J’ai lu, 252 p., 7,40 €.
Peu de livres exigent à ce point
d’être lus jusqu’à la dernière ligne

La métamorphose de Violaine Huisman pour être compris. Ce qui n’ôte


aucune de ses qualités au premier
roman de Guillaume Lavenant.
Mais incite le lecteur à tourner les
« Rose désert », deuxième livre de l’écrivaine, poursuit son exploration singulière de l’héritage maternel pages de ce texte intrigant, dont
l’écriture se veut d’autant plus
rationnelle et maîtrisée que
singularité de style sans échapper à ses expatriés. Elle se cherche, donc, et se perd, narratif. C’est la saga familiale de Fugitive la folie et la démesure transpirent
obsessions, sans renoncer surtout à l’hé­ se moque aussi de ses embrasements parce que reine que l’on retrouve ainsi, à de son propos. S’adressant à une
ritage de cette « reine » que fut sa mère, comme de ses préjugés. Elle raconte, sur­ l’arrière­plan d’un récit où Violaine fait jeune femme qu’il missionne
dont elle réécrit, en filigrane, le tombeau. tout, dans l’élan discontinu d’une prose entre Paris et New York l’apprentissage pour entrer au service d’une
Le livre débute par un voyage, l’espèce qui parfois semble s’égarer, elle aussi, du monde, de la vie, des garçons… Une famille très conventionnelle,
fabrice gabriel de folie d’un départ au désert, après mais toujours nous reprend et finit par éducation sentimentale et sexuelle, ta­ le narrateur de Protocole gouver­
une rupture amoureuse : un périple nous mener au Sénégal, où la mère a bleau d’une jeunesse pré­bobo, au tour­ nante détaille chacun des actes

C’
est à Proust que Violaine solitaire, pour l’essentiel mauritanien, passé les dernières années de sa vie. nant des années 2000, dans une quête qu’elle devra accomplir pour
Huisman avait emprunté le ponctué de quelques rencontres et des d’identité qui pourrait presque être ba­ saboter ce foyer. Anticipant ainsi
beau titre de son premier souvenirs récurrents de l’ex­fiancé, ses L’apprentissage du monde nale si elle ne s’ombrait, encore une fois, dans le moindre détail – et ce n’est
livre, Fugitive parce que reine étreintes, sa cruauté, son insupportable Le livre alors se casse, pour recommen­ de la silhouette de cette mère « destruc­ pas le moins inquiétant – chacune
(Gallimard, 2018), qui annonçait, en arrogance d’Américain bien né qui cer : après l’Afrique et les emportements trice, manipulatrice, dangereuse, imprévi­ des réactions, des paroles et même
même temps qu’un récit familial large­ condescend à lire Balzac et se pique de de la première personne, la deuxième sible, suicidaire ». des pensées des différents acteurs
ment autobiographique, le portrait sou­ traduire Apollinaire… partie s’ouvre sur la neu­ On comprend dès lors que Rose désert du drame. Utopie ou dystopie,
vent poignant d’une mère fantasque et C’est un peu « Violaine en Afrique », qui rose tralité d’un acte de nais­ n’est pas simplement un livre de souve­ le roman de
libre, sombre et imprévisible, dont l’his­ cherche le danger, l’oubli même, mais désert, sance. Carnet rose après nirs ou d’adieu, qui se clôt pourtant sur Guillaume Lave­
toire racontait aussi, sans bavardage sans s’épargner dans le miroir de cette de Violaine rose désert : « Violaine est une manière d’horizon méditatif et ma­ nant a la force des
théorique, quelque chose de la condition fausse fiction aventureuse, volontiers Huisman, née le 7 mai 1979. » licieux, digne de… Lucky Luke (la narra­ récits engagés et
des femmes – et des filles – depuis la se­ érotique : nulle complaisance dans Gallimard, Comme s’il était vain de trice ne manque pas de drôlerie). C’est désespérés. 
conde guerre mondiale. Ce titre valait­il l’image que donne d’elle­même la narra­ 236 p., 19 €. se soustraire à l’origine, plutôt comme l’expérience, crânement florence bouchy
devise d’écriture, programme d’une trice, cliché assumé de la femme blanche donc à son premier livre, littéraire, d’une métamorphose réussie :  Protocole
œuvre à venir ? Peut­être… car c’est bien parcourant, autant que des paysages ex­ l’écrivaine choisit de le réécrire selon un fugitive et tellement fille, c’est par le défi gouvernante,
encore d’une fuite qu’il s’agit dans Rose traordinaires, les conventions possibles autre point de vue, un prénom d’homme de l’écriture que Violaine, devenue mère de Guillaume
désert, le deuxième roman de cette écri­ d’une littérature (post)coloniale, avec ses assurant le lien, discrètement, entre les elle­même, pourra se dire à son tour, et Lavenant, Rivages,
vaine installée à Brooklyn, qui affirme sa dunes de rigueur et ses baroudeurs hémisphères de ce drôle d’organisme de son irrésistible façon, une reine.  192 p., 18,50 €.
0123
Vendredi 6 septembre 2019
Critiques | Littérature | 5
Tachkent-Moscou
L’Ouzbékistan : c’est là qu’est née
l’auteure, en 1953. A Tachkent, où
sa famille, comme des milliers
marie­hélène fraïssé d’autres, fut évacuée pendant la
seconde guerre mondiale. Son

D
e ses origines « mix­ enfance et son adolescence se sont
tes », de la complexité déroulées dans cette ville d’Asie
et des déchirements centrale, avant qu’elle ne démé­
qu’elles impliquent, nage à Moscou, puis n’émigre en
Tommy Orange, né en 1982 d’un Israël. Du côté ensoleillé de la rue,
père cheyenne et d’une mère son quatrième roman traduit, met
blanche, fait un atout maître. Son en scène deux femmes, des an­
magnifique premier roman, Ici nées 1940 aux années 1990 : une
n’est plus ici, a rencontré un succès mère délinquante souvent empri­
immédiat aux Etats­Unis. There sonnée pour trafic, et sa fille, une
There, le titre original, fait réfé­ artiste. Jamais vaincues, mère et
rence au quartier populaire fille se fraient un passage dans la
d’Oakland où le romancier a vie, comme le ruisseau – l’aryk –
grandi et où évoluent ses person­ dans les rues de Tachkent. S’effor­
nages. Il l’emprunte à Gertrude çant de jeter des passerelles
Stein, qui avait elle aussi vécu sa par­dessus les années écoulées,
jeunesse dans ce faubourg de San Roubina ressuscite un monde à ja­
Francisco, peu peuplé à son épo­ mais évanoui où l’exotisme orien­
que. Passant par là au soir de sa tal et le quotidien soviétique sont
vie, elle fut prise de vertige : « Ici inextricablement
n’est plus ici. » (« There is no there mêlés. 
there. ») Trou noir mémoriel, ver­ elena balzamo
tigineux mais fugace, d’une voya­  Du côté
geuse en transit. Tommy Orange, ensoleillé de la rue
lui, se saisit de ces deux mots Journée des peuples autochtones, en Californie, en octobre 2017. DAVID MCNEW/AFP (Na solnetchnoï
pour définir le mal­être transgé­ storone ulitsy),
nérationnel qui colle à la peau des de Dina Roubina,
siens, descendants des premiers
habitants des Amériques, broyés, La vie ne fait pas de cadeau aux Amérindiens d’Oakland. traduit du russe
par Sophie Lafaille,
acculturés, déplacés, hantés par la
perte d’une terre « enfouie sous le Tommy Orange chante ce mal­être dans «Ici n’est plus ici» Macha, 448 p., 19,90 €.

verre, le béton, le fer et l’acier ».

Contre les clichés


Tommy Orange n’a pas grandi
dans une réserve. Il est « plus ha­
bitué au bruit d’une autoroute
Le blues de l’Indien urbain Une rencontre à Zurich
« Il ne viendra pas », dit l’élégante
femme assise à lun café en bordure
qu’à celui des rivières ». Et bien du lac de Zurich à l’homme qui, à la
qu’il soit enregistré en tant que table voisine, tente d’attirer son
native (ce qui lui a donné un pré­ l’intérieur), car aucun de ses per­ l’eau, et tu te demandais comment vie de ses personnages aussi abî­ chien avec un biscuit. Effective­
cieux accès à des bourses d’étu­ sonnages ne semble trouver une ils pouvaient être attachés au més qu’attachants. ment, le chien ne vient pas. Mais
des), il n’arbore pas de plumes, ne vraie rédemption sur ces che­ même corps, dans une même Dans cette galerie, une femme l’homme et la femme, eux, ne s’en
joue pas du tambour. Son en­ mins militants. baignoire. » semble tenir solidement debout, rapprocheront pas moins. Tout
fance a baigné dans l’ambiance L’un d’entre eux, au fil du ro­ Chez d’autres, la part autoch­ en dépit d’un parcours personnel pourtant les sépare. Elle, ancienne
de la Native American Church, où man polyphonique qu’il a savam­ tone se révèle carrément toxique. et familial tout aussi accidenté. danseuse étoile ; lui, d’origine
son père officiait, laquelle com­ ment composé, où les destins in­ Tony Loneman, qui se rendra Opale Viola Victoria Bear Shield est kurde, jardinier. Cette première
bine le culte visionnaire du dividuels se trouvent progressi­ complice de la tuerie collective le nom à tiroirs que l’auteur attri­ rencontre sera suivie d’autres jus­
peyotl et le message chrétien. vement interconnectés à la veille dudit pow­wow, trimballe bue, sourire en coin, à cette grand­ qu’à ce qu’ils deviennent amants.
Mais Orange se définit surtout en d’un certain « Grand Pow­Wow comme une sorte d’animal de mère corpulente, résiliente, géné­ On reconnaît ici la trame inversée
tant qu’« Indien urbain », ferraille d’Oakland » bouffon et tragique à compagnie maudit ce qu’il ap­ reuse. Opale a tracé sa route obsti­ de la nouvelle de Tchekhov « La
contre les clichés peaux­rouges, la fois, est plus particulièrement pelle son « Drome », abréviation nément. Malgré une adolescence Dame au petit chien » (1899). Mais,
tout en interrogeant le désespoir l’alter ego de l’auteur : un jeune du « syndrome d’alcoolisation ballottée au cours de laquelle elle a par­delà ce renversement, Dana
irréductible de ses proches avec documentariste half­blood (moi­ fœtale » transmis par sa mère. laissé pour mort d’un coup de Grigorcea, auteure suisse d’origine
une sorte de tendresse empathi­ tié indien) nommé Dene Oxen­ batte bien appliqué une sorte ici n’est roumaine, parvient à inventer,
que et lucide. Certains, plus tradi­ dene, que hante un sentiment Humour noir d’« oncle » trop caressant, cette plus ici avec beaucoup de finesse, une his­
tionalistes ou plus activistes que d’irréalité : « Quand tu prenais un Jacquie Red Feather, elle, se Mère Courage amérindienne (There There), toire pleine d’une grâce mélan­
lui, le qualifieront peut­être de bain, tu regardais tes bras cuivrés présente comme « conseillère finit par élever seule, avec de Tommy colique, sur les arcanes de l’amour
« pomme » (rouge dehors, blanc à sur tes jambes blanches, dans en toxicomanie ». Violée toute rigueur et amour, ses petits­ Orange, et les injonctions du désir. 
jeune, lors de l’occupation d’Alca­ enfants. Factrice à Oakland, traduit de pierre deshusses
traz en 1969 – moment fondateur elle va de porte en porte par l’anglais  La Dame au petit
EXTRAIT du réveil amérindien, dont le tous les temps, distribuant le (Etats­Unis) chien arabe
mythe est écorné au passage –, courrier aux personnages du par Stéphane (Die Dame mit dem
« Tony se retourne au son des coups de que Charles lui tire dessus, mais il n’a Jacquie replonge régulièrement roman voués à se rencontrer Roques, maghrebinischen
feu, se dit que c’est peut­être lui qui est encore rien senti. La gâchette est coin­ dans l’alcool et n’a réussi à pren­ lors du drame final… Albin Michel, Hündchen), de Dana
visé. Il voit un jeune danseur être cée. Le pistolet est trop chaud pour dre en charge aucun de ses en­ Tommy Orange avoue se « Terres Grigorcea, traduit
atteint par une balle derrière Charles, qu’il puisse le garder à la main, alors fants. Des années plus tard, elle sentir mal dans sa peau lui d’Amérique », de l’allemand (Suisse)
le voit s’écrouler. Tony lève son arme et Tony le lâche. C’est à ce moment­là croise son violeur à l’occasion aussi : trop peu amérindien, 336 p., 21,90 €. par Dominique
s’avance vers eux – sans trop savoir qui qu’il reçoit la première balle. Il a l’im­ d’un colloque sur le taux de sui­ pas assez blanc. De cette « in­ Autrand, Albin Michel,
viser. Tony voit Carlos tirer dans le dos pression qu’elle lui brûle et lui traverse cide exponentiel des jeunes de la suffisance », qui lui fournit une 140 p., 15 €.
d’Octavio, puis un drone tomber sur la la jambe, même s’il sait que sa course communauté. « Les empêcher de sorte d’énergie créatrice, il a tiré
tête de Carlos. Le pistolet de Tony s’est arrêtée. Charles continue de lui se faire du mal », le titre bien­pen­ un maître livre. A lire absolument
fonctionne assez longtemps pour qu’il tirer dessus et de le rater. » sant de cette réunion de bras pour dépasser le mépris, autant
puisse tirer deux ou trois fois sur Car­ cassés, reflète l’humour noir dont que l’adulation niaise, qui s’atta­ La dernière patiente
los, assez pour l’immobiliser. Tony sait ici n’est plus ici, page 326 Tommy Orange larde les récits de che à la figure de « l’Indien ». 
Rencontre de deux personnes
abusées et désabusées par la vie,

Chris Kraus devant les barreaux Agathe séduit par son atmosphère
feutrée ainsi que par l’immense
attention que l’auteure porte aux
émotions de ses personnages
Autour de l’expérience carcérale, l’écrivaine poursuit sa critique de l’Amérique commencée avec « I Love Dick » maladroits. Il y a dans ce premier
roman la délicatesse du regard
d’Emmanuel Bove. Le livre prend la
Chris Kraus est en effet devenue une ressources, sans culture académique et, Elle avait franchi une ligne. Elle ne pouvait forme du journal d’un psychana­
figure de la vie artistico­mondaine de partant, sans accès au langage abstrait, plus regarder quelqu’un d’autre sans pen­ lyste peu avant la retraite. La dis­
Los Angeles. Elle y évolue avec aisance. Paul se débat avec le réel et vit avec l’idée ser “Moi je sais et toi, non” ». tance avec les autres est le pilier de
Dans la fureur du monde peut être lu qu’« il y a toujours une menace qui se Si elle récuse les termes d’autobio­ la vie de ce solitaire qui ne laisse
comme le récit du choc suscité chez elle profile ». Même lorsque la vie semble en­ graphie et même d’autofiction, pour rien de ce qui se passe dans son ca­
florence bouchy par la sortie brutale de ce qu’elle nomme fin lui sourire, grâce à sa rencontre avec désigner son travail, au motif que la binet le suivre dans son apparte­
elle­même une « bulle », lorsqu’on la ren­ Catt, la narratrice, il sait que, « quoi qu’il construction du texte, sa recherche for­ ment. Puis arrive Agathe. Elle veut

P
our ceux qui ont lu I Love Dick contre en juin, à Paris. « Dans le milieu ar­ accomplisse, il sera toujours un impos­ melle, son travail d’élucidation par l’écri­ consulter après une tentative de
(Flammarion, 2016), le nouveau tistique que je fréquente à Los Angeles, ex­ teur. Un jour ou l’autre, il sera découvert ». ture en font un véritable roman, Chris suicide mais ne nourrit « aucune
livre de l’Américaine Chris plique­t­elle, tout le monde est de gauche, Dans la fureur du monde décrit le méca­ Kraus fait bel et bien de son vécu, réel et illusion d’aller bien » et souhaiterait
Kraus, Dans la fureur du monde, tout le monde se dit engagé, on parle nisme implacable en vertu duquel celui fantasmé, la matière exclusive de son « simplement pouvoir fonctionner ».
paraît d’abord évoluer en terrain fami­ constamment de politique. Mais cela reste qui sort de prison et n’a ni argent ni ré­ œuvre. Mais le regard constamment dé­ Celle qui sera sa dernière patiente
lier. Au roman­performance rapportant complètement abstrait, sans lien avec la seau social sur lequel compter retourne calé qu’elle porte sur lui, son goût pour sent la pomme, trouve le psycha­
le délire auquel la narratrice s’était livrée, réalité politique du pays, car nous vivons immanquablement en prison. l’analyse et les associations d’idées et, nalyste, qui lentement baisse la
avec la complicité de son mari, durant sa entre nous, dans un monde d’opulence, où surtout, son honnêteté intellectuelle en garde. Bomann décrit avec justesse
passion amoureuse pour un certain Dick l’argent n’est un problème pour personne Regard constamment décalé font l’occasion d’une lecture revivifiée et ce moment où
(lequel n’en demandait pas tant, et avait et peut régler tous les problèmes. » Quand, chaque jour de visite, au furieusement revigorante d’une Améri­ deux individus se
eu fort à faire pour se libérer du disposi­ Son argent, elle le gagne d’ailleurs en pénitencier, elle voit le garde passer les que que les années Obama n’ont pas reconnaissent.
tif artistique et littéraire dans lequel il réalisant des opérations immobilières, menottes à Paul, la narratrice prend réussi à guérir des années Bush.  Deux êtres que
s’était trouvé pris), succède l’évocation qui l’amènent à investir dans une tout conscience qu’elle a « lu tous les livres qu’il vivre effraie. 
de la relation sadomasochiste de l’écri­ autre Amérique, à Albuquerque (Nou­ fallait sur la violence symbolique, les for­ dans la fureur du monde gladys marivat
vaine avec « un tueur ». C’est au Chateau veau­Mexique). Elle y emploie un mes douces de contrôle, elle a même (Summer of Hate),  Agathe, d’Anne
Marmont, l’hôtel où se presse le Tout­ homme, tout juste sorti de prison, donné des cours dessus – mais [qu’]assis­ de Chris Kraus, Cathrine Bomann,
Hollywood, qu’elle l’avait rencontré. De­ qu’elle nomme Paul Garcia dans le ro­ ter à cette petite humiliation quotidienne » traduit de l’anglais (Etats­Unis) traduit du danois
puis le succès d’I Love Dick et la recon­ man, et dont elle fait rapidement son lui a fait « le même effet que regarder des par Alice Zeniter, par Inès Jorgensen,
naissance de son travail de vidéaste, compagnon. Sans diplôme et sans photos de la Shoah quand elle avait 12 ans. Flammarion, 304 p., 20 €. La Peuplade, 176 p., 18 €.
6 | Dossier 0123
Vendredi 6 septembre 2019

Joyce Carol Oates


à la vie, à la mort « Un livre de martyrs américains » : à la fin des années 1990, en Ohio,
un médecin pratiquant des avortements est assassiné par un
fanatique chrétien. C’est le point de départ d’un splendide roman
familial et politique, où tout est plus complexe et nuancé
qu’il n’y paraît. L’écrivaine y déploie tout son talent
pour brosser le portrait de ces Etats­Unis épuisés de rancœur

sont pas limpides. « Il a pesé dans la ratatiné et au sourire de tête de mort. »


balance la probabilité de sa mort et la va­ Au travers du récit opposant les deux
lola lafon leur des services qu’il rendait aux femmes familles, Joyce Carol Oates dissèque la
qui avaient besoin de lui, et décidé que filiation, la transmission. Les enfants
écrivaine cela en valait la peine, quoi qu’il arrive. Le accablés du poids des ambitions de leurs
martyr parfait est suicidaire. » A ces hom­ parents, de leurs croyances et de leurs
mes qui draguent la postérité quoi qu’il haines. Les enfants impuissants à
en coûte à leur entourage, Oates n’offre condamner leurs parents ou ceux qui
finalement qu’une place de figurants passent leur vie à construire un mauso­

I
l est 7 h 26, ce matin de 1999 à mégalomanes, des martyrs volontaires lée à la mémoire de leur talent sont plus
Broome, Ohio, et Gus Voorhees va ou accidentels. proches qu’ils ne l’imaginent. Ces pères
mourir dans quelques secondes, sont terriblement inoubliables. Et si
ce médecin gynécologue que tou­ Des vivantes qui cherchent la sortie oublier est impossible, alors il faut se
tes les désemparées d’Amérique Ce « courage » de son père assassiné, souvenir des absents dans leurs moin­
viennent trouver en secret, lui Naomi Voorhees n’en a rien à faire : dres détails. Naomi Voorhees se met en
confiant qu’elles veulent avorter : « Parce « Etre en vie, voilà ce qui compte. » En quête de témoins qui l’aideraient à ré­
je ne peux dire à personne que je suis en­ vie, mais laminées, les femmes sont des pondre à cette question : son père a­t­il
ceinte docteur,/ parce que je perdrai mon survivantes : Jenna Voorhees est « souf­ eu conscience de la dangerosité de ce
travail,/ parce que le père est parti,/ parce flée comme une chandelle » à l’annonce dans quoi il s’engageait, et si oui, a­t­il
que le père est marié,/ parce que je ne sais de la mort de son mari. Edna Mae poursuivi par négligence ou par
pas comment c’est arrivé,/ parce que c’est Dunphy, la veuve du tueur, cette zélée héroïsme ?
mon oncle/ mon frère. » productrice d’enfants dévouée à Dieu, Oates déplie lentement le très beau
Son assassin se rend aussitôt : Luther gavée d’anxiolytiques, est « une poupée personnage de l’autre fille, celle du tueur,
Amos Dunphy, autoproclamé « soldat de de chiffon fatiguée ». Ce sont leurs filles Dawn Dunphy. Vouant une foi aveugle à
l’Armée de Dieu », a accompli sa mission : son père, harcelée et violée au collège,
éliminer les « tueurs de bébés » et faire cette errante fruste renonce aux mots
que cessent les « meurtres d’embryons ». L’écrivaine tient à bout de pour investir le geste : elle sera boxeuse,
C’est mal connaître Joyce Carol Oates bras et dans ses bras chacun le « marteau de Jésus ». De celles qu’on
que d’imaginer trouver dans Un livre de fait maigrir et grossir à l’envi, de celles
martyrs américains un face­à­face sim­ des personnages, même que leur manager néglige de soigner
pliste et douteux entre partisans du droit ceux dont on imagine qu’ils même si elles pissent le sang. Ouvrières,
à l’avortement et anti. Car l’écrivaine mères célibataires, employées à mi­
possède comme aucune autre la science
lui sont étrangers, comme temps, on achève bien les jeunes corps
des fausses pistes : si le tueur est l’illu­ l’assassin d’une Amérique épuisée de rancœur, à
miné auquel on s’attend, le docteur, lui, qui il ne reste que ça : l’espoir que la
n’est pas le héros prévu ; ses convictions bagarre, à défaut de la révolution, sera
mettent en danger sa famille, contrainte qui font de ce roman le livre de vivantes télévisée.
de déménager au fur et à mesure que se qui cherchent la sortie, qui, chacune à On sait Oates passionnée par la boxe, à
précisent les menaces dont il est la cible. leur manière, refusent d’être « les en­ laquelle elle a consacré un court essai, De EXTRAIT
Oates examine l’héroïsme comme un fants du désastre ». « Nous étions des en­ la boxe (Stock, 1988). Si elle excelle à
symptôme : si les causes sont nobles, les fants rendus méchants par le chagrin. écrire le combat, c’est le roman entier qui « Dis seulement un mot et
raisons pour lesquelles on s’engage ne Nous étions des enfants au petit cœur me semble sous l’influence de l’upper­ mon âme sera guérie.
cut ; rythme des multiples points de Le Seigneur me le commanda.
vue, narration entremêlant des strates Dans tout ce qui arriva, ce fut
de la conscience et de l’inconscient des Sa main qui ne faiblit pas.
« JCO » nouvelliste : de bien noirs desseins personnages, paysages d’hématomes
célestes : « Des lambeaux de nuages hori­
Des cris éclatèrent : “Reculez !”
C’était Voorhes que le fusil
« POURQUOI VOTRE ÉCRITURE EST­ terrifiant. Ce qui les intrigue, au fond, Un soldat accusé de « meurtre raciste zontaux s’effilochaient dans le ciel. Un visait en premier. Le médecin
ELLE SI VIOLENTE ? » Tel est le titre c’est comment une petite dame fanatique », une adolescente agressée croissant de soleil, pareil à un œuf ensan­ avorteur enjoignant d’une voix
d’un texte rédigé par Joyce Carol fluette, avec son air de ne pas y toucher par son cousin détraqué dans une glanté, allait sombrer sous l’horizon. » rauque : “Reculez ! Posez cette
Oates dans les années 1980 et repris et ses yeux candides derrière ses lunet­ belle maison vide, une femme qui Sobriété poétique lorsqu’elle évoque le arme !”
en 2017 dans le « Cahier de l’Herne » tes immenses, arrive à semer dans ses comprend avec horreur les noirs 11 septembre 2001 : « Quand tant de gens Et d’autres cris : “Non ! Non !”
qui lui est consacré. L’auteure de pages autant d’effroi et de chaos. Mais desseins de son mari à son encontre : meurent, une mort cesse d’être singulière, Le Seigneur exécuta mes mou­
Blonde s’y agace : cette question lui où va­t­elle chercher tout ça ? toutes ces « histoires terrifiantes » que elle devient l’une de ces morts. La signifi­ vements si vite que peur ou
colle à la peau. On ne cesse de la lui promet le sous­titre s’intéressent à cation du “terrorisme” : la fin du cha­ alarme n’eurent pas le temps
poser partout où elle parle de son La mort et la petite enfance l’irruption du macabre dans l’ordi­ grin. » L’écrivaine tient à bout de bras et d’apparaître dans les yeux de
œuvre. Et souvent, ironiquement, On se prend à se poser une fois de naire. Un effet de bascule qu’Oates dans ses bras chacun des personnages, l’ennemi. Il n’y eut pas de ter­
dans les lieux les plus épouvanta­ plus la question à la lecture du Maître regarde à la loupe, en nous faisant même ceux dont on imagine qu’ils lui reur, seulement une grande
blement éprouvés par l’histoire. On des poupées, qui rassemble six nou­ entrer dans les pensées de ses pré­ sont étrangers, comme Dunphy. stupeur. Quand je m’avançai
la lui poserait à Hiroshima si elle y velles parues dans diverses publica­ dateurs. Saisi entre leurs griffes, le dans l’allée derrière le Dodge
allait ! « Lorsque je souligne que mon tions américaines en 2015 et 2016. Ce lecteur frissonne de fascination, de La mort, une affaire embarrassante des avorteurs, fusil épaulé et
écriture n’est pas violente de manière qui frappe d’abord, ce sont ces mon­ plaisir, de peur. Et, tel l’Homo ameri­ Il faut être de la trempe d’une Joyce canons levés, nombreux furent
explicite, mais que, la plupart du des qui entrent en collision alors canus souvent décrit par Oates, finit Carol Oates pour emprunter tant de dia­ ceux qui me regardèrent avec
temps, elle décrit le phénomène de la qu’ils sont à l’opposé les uns des par voir la vie comme un grand mélo­ gonales sans jamais se perdre, il faut être étonnement et crainte, car il
violence et ses conséquences, un peu autres et ne devraient, en principe, drame gothique où la violence est à la elle pour choisir que le débat sur l’avorte­ était interdit par la loi aux ma­
à la façon des dramaturges grecs ; jamais se rencontrer. La mort et la fois intensément hypnotique et ment ait lieu entre une mère – celle de nifestants de se rassembler
lorsque je souligne que, en tout cas, petite enfance, le sang et les poupées, parfaitement banale.  fl. n. Voorhees – et son fils : « Ce qui compte, dans l’allée (…) et voilà que l’un
l’écriture est un langage et que, la l’urine et l’univers ouaté du luxe. Dès c’est qu’une femme ait le droit d’avoir la de ceux­là, de l’Armée de Dieu,
plupart du temps, elle traite du lan­ les premières lignes, la peur s’installe. le maître des poupées maîtrise de son corps, (…) le droit de faire connu par certains pour être
gage plutôt que d’un sujet, l’inter­ « En voyant un bébé de près, on est et autres histoires terrifiantes des erreurs. Au moins ce sont les siennes. » Luther Dunphy, osait désobéir
viewer hoche la tête et prend des titillé par une sensation effrayante à (The Doll­Master Roman familial, d’apprentissage et ro­ (…) et sans une hésitation.
notes puis il s’enquiert de mon en­ l’idée qu’il puisse arriver malheur à ce and Other Tales of Terror), man politique dans l’examen qu’Oates Guide ma main, Seigneur !
fance : a­t­elle été tragique ? La vie bébé, explique le petit (et pervers ?) de Joyce Carol Oates, fait d’un capitalisme qui régit un terri­ Fais que je n’échoue pas. »
m’a­t­elle fait trembler ? » narrateur du premier récit. Et c’est ce traduit de l’anglais (Etats­Unis) toire allant jusqu’à ses prisons, jusqu’à la
Les lecteurs de « JCO » savent bien à que je ressentais pour Bébé Emily, par Christine Auché, mort. La mort, ici, est une affaire embar­ un livre de martyrs
quel point le monde réel peut être même si ce n’était qu’une poupée. » Philippe Rey, 336 p., 22 €. rassante qu’on abandonne à ceux qui américains, pages 9­10
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Vendredi 6 septembre 2019
Dossier | 7
Repères
A 81 ans, Joyce Carol Oates est une femme
de lettres au sens le plus vaste et complet
du terme, à la fois romancière, nouvelliste,
poète, dramaturge, essayiste, auteure de
mémoires, de livres pour enfants… et
même très active sur Tweeter. Exception­
nellement productive, lauréate des plus
grands prix et décorée personnellement
par Barack Obama, en 2010, de la Médaille
nationale des arts, Oates a également pu­
blié de nombreux romans noirs sous les
pseudonymes de Rosamond Smith (qui
fait écho au nom de son premier mari,
Raymond Smith) et de Lauren Kelly.

1938 Joyce Carol Oates naît à Lockport


(Etat de New York).

1960 Diplômée des universités


de Syracuse et du Wisconsin.

1963 Elle publie son premier recueil de


nouvelles, By the North Gate (non traduit).

1969 Eux (Stock, 1971), National Book Award.

1978 Elle devient professeure de création


littéraire à Princeton (New Jersey).

1987 De la boxe (Stock, 1988).

1994 Corky (Stock, 1996).

2000 Blonde (Stock, 2000).

2004 Les Chutes (Philippe Rey,


prix Femina étranger 2005).

2007 Journal, 1973­1982


(Philippe Rey, 2009).

2011 J’ai réussi à rester en vie (Philippe Rey,


2011), sur son premier veuvage.

2012 Mudwoman (Philippe Rey, 2013).

2015 Sacrifice (Philippe Rey, 2016).

2017 Un livre de martyrs américains


(Philippe Rey, 2019).

2018 Le Petit Paradis (Philippe Rey, 2019).

2019 My Life As a Rat (« Ma vie de rat »,


2019, non traduit).
Joyce Carol Oates, à Jérusalem, en mai 2019. ODED BALILTY/AP

n’ont d’autre choix que de s’y coller : ils


sont désignés par le directeur, les mem­
bres du personnel carcéral qui injectent
le produit létal sans la moindre forma­
« Oates ne cherche pas à faire de “belles phrases” »
tion, moyennant une prime de 300 dol­ d’un autre auteur, Christiane thunder and shattering glass. » ci­contre]. J’ai un faible pour les
lars : « Nous ressemblons à des soldats au Claude Seban est la principale Besse me disait : « Non, non, tu J’avais traduit : « Dieu surgit dans personnages opaques de Joyce
statut particulier. On nous paye pour tuer
un être humain mais ce n’est pas un meur­
traductrice de Joyce Carol Oates : n’as pas le temps ! » De fait, Joyce
Carol Oates est si prolifique que,
le tonnerre et une explosion de
verre. » J’ai voulu trouver autre
Carol Oates, ceux qui manient
peu ou mal le langage et qu’elle
tre. » Les pages consacrées à l’exécution un emploi à temps plein depuis 2015, nous sommes deux chose. En particulier parce qu’en fait remarquablement exister.
sont parmi les plus fortes du roman. à la traduire. Christine Auché se anglais Dieu ne surgit pas, il Donc, oui, je vis dans son univers,
Oates se colle au travail comme les em­ charge des nouvelles, et moi des « erupts ». Et aussi parce que la j’ai l’impression de connaître ses
ployés, elle n’omet rien, ni les aiguilles ENTRETIEN romans. phrase est très rythmée. J’ai opté personnages comme s’ils étaient
émoussées à force d’avoir trop servi qui pour « Dieu se déchaîna dans un réels mais, je vous rassure, je ne
ne transpercent pas la veine, alors il faut Quel est le premier livre d’elle fracas de tonnerre et de verre suis pas possédée.
s’y reprendre à dix fois, ni les erreurs de que vous ayez traduit ? brisé. »
dosage qui font agoniser le condamné Corky [Stock, 1996]. C’est Si j’étais amenée à revoir cette Comment travaillez­vous
des heures durant. propos recueillis par d’ailleurs le livre grâce auquel je traduction une nouvelle fois, il concrètement avec Joyce Carol
Désire­t­on le repentir d’un meurtrier florence noiville l’ai découverte, car je ne la est probable que je modifierais Oates ? La connaissez­vous
ou sa mort ? « Un pays civilisé n’exécute connaissais pas auparavant. J’ai de nouveau cette première bien ?

D
pas », scandent les militants opposés à la epuis plus de vingt tout de suite été séduite par ce phrase. Et celles qui suivent… Je la connais surtout par ses
peine capitale qui défendent Dunphy, ce ans, Claude Seban personnage magnifique de Corky Etre traducteur, c’est donner sa ouvrages. Je l’ai rencontrée lors
soldat de Dieu, leur ennemi, partisan de traduit en français – ses rapports avec les femmes, lecture d’un texte. Un autre tra­ de ses différents passages à Paris,
la peine de mort. La religion vue par l’œuvre de Joyce Carol avec la politique locale. C’est un ducteur en aura une autre. Il l’in­ toujours dans un cadre profes­
Oates est un désordre, « la marée noire de Oates. Quasi quotidiennement, homme qui joue au dur et qu’on terprétera différemment. Savoir sionnel. Pour la traduction, je me
l’ignorance », elle n’est jamais loin du entre cinq et huit heures par jour, aime pour ses failles. L’écriture qu’un ouvrage pourra être retra­ limite aux questions essentielles.
business ; en témoignent ces centaines elle s’immerge dans son monde, aussi m’a impressionnée : ramas­ duit permet d’affronter la crainte Etant donné les décalages dans le
d’exemplaires du Nouveau Testament ses mots, ses intrigues. Elle a déjà sée, rythmée, efficace. Oates ne d’être un « traduttore, traditore », temps et sa rapidité, Oates est gé­
que l’aumônier de la prison fait dédica­ traduit une quarantaine d’ou­ cherche pas à faire de « belles du moins en ce qui me concerne. néralement déjà passée à autre
cer à Dunphy. Après son exécution, ils se­ vrages de « JCO ». Rencontre avec phrases » mais chaque person­ chose lorsque je la questionne
ront revendus sur eBay. La religion mène une traductrice entièrement et nage a sa voix propre. Vous disiez qu’Oates ne cherche sur un livre. Et puis, je ne suis pas
au cul­de­sac des croisades que rejoi­ exclusivement dévouée à une pas à faire de « belles phrases » sûre que la cuisine du traducteur
gnent de pauvres bougres qui voteront écrivaine. Quels défis cette écriture mais celle­ci, « God erupted… » l’intéresse. Une fois, elle m’a dit :
pour Bush, pour Trump, ces politiciens représente­t­elle pour une en est pourtant une… « Si ce n’est pas clair, supprimez. »
« financés par des sociétés prospères uni­ Comment votre rencontre avec traductrice ? Absolument. Et symbolique Sur un plan moins professionnel,
quement préoccupées de faire élire des l’œuvre d’Oates s’est­elle faite ? Le rythme haletant, les diffi­ pour moi. Car c’est le moment où il m’arrive de lui envoyer des
gouvernements favorables aux affaires ». Grace à Christiane Besse, direc­ cultés du texte, tout cela m’atti­ Joyce Carol Oates elle­même a photos de chats.
« Arrêtez le combat », hurle Naomi lors­ trice de collection et traductrice, rait – m’attire toujours. Les diffi­ fait irruption dans ma vie…
qu’elle assiste, effarée, à un match de une femme admirable qui a l’art cultés sont à la fois le moteur et Les éditions Philippe Rey
boxe. Ces quelques mots annoncent le de vous amener à donner le l’angoisse du traducteur : elles le Comment l’a­t­elle changée ? ont encore, à l’heure où nous
dénouement splendide du roman : Joyce meilleur de vous­même. C’est à stimulent, et elles l’angoissent Quel effet cela fait­il de vivre parlons, trois romans et
Carol Oates abandonne le « ils » pour son arrivée chez Stock [son édi­ parce qu’il se demande s’il rend jour après jour, pendant plus quatre recueils de nouvelles
passer au « nous », un « nous » de jeunes teur de l’époque] que je dois justice à l’auteur, s’il n’est pas un de vingt ans, à l’intérieur à publier. Du travail pour vous
filles, lesquelles, contrairement à leurs d’avoir traduit mon premier livre imposteur. d’une œuvre ? Est­on absorbée, jusqu’en 2022 ! Aucun risque
pères, renoncent à convaincre ; ce d’Oates. C’était il y a vingt­trois possédée par elle ? de lassitude ?
« nous » de Naomi adressé à Dawn : ans et je n’imaginais pas, à Qu’est­ce qui vous permet Disons que je m’identifie sou­ Non, car ses livres sont tous
« Nous sommes les deux seules à pouvoir l’époque, que cela se transforme­ de dépasser cette crainte ? vent aux personnages de ses ro­ différents. Récemment, Philippe
comprendre. »  rait tout de suite en un « full time L’idée que le texte pourra être mans… le temps d’une traduc­ Rey m’a fait lire un roman dont
job » ! retraduit. Nous parlions de ce tion, et que j’ai une prédilection l’un des protagonistes est un
un livre de martyrs américains premier roman sur lequel j’ai tra­ pour certains – comme Skyler, ancien combattant de la guerre
(A Book of American Martyrs), Vous faites allusion à la vaillé, Corky [le titre original est l’enfant rebelle et sensé du d’Irak. Un format très court, très
de Joyce Carol Oates, productivité stupéfiante de What I Lived For]. En 2012, Stock a monde dément de Petite sœur, ramassé et qui frappe comme un
traduit de l’anglais (Etats­Unis) Joyce Carol Oates… décidé de le rééditer et j’ai pu re­ mon amour [Philippe Rey, 2010] coup de poing. Eh bien, une fois
par Claude Seban, Oui, au début, à chaque fois que voir ma traduction. Le roman ou D. D. Dunphy, la boxeuse d’Un de plus, Oates a réussi à me
Philippe Rey, 864 p., 25 €. je voulais faire une traduction s’ouvre ainsi : « God erupted in livre de martyrs américains [lire surprendre. 
8 | Histoire d’un livre 0123
Vendredi 6 septembre 2019

Répondre à l’appel de la forêt AUTEURS DU « MONDE »

Les Derniers Jours


Pour « Eden », Monica Sabolo s’est égarée dans les bois de Colombie­Britannique. de Marlon Brando
Emerveillée par les lieux et horrifiée par le sort des femmes autochtones de Samuel Blumenfeld,
Stock, 252 p., 18,50 €.
« Brando, c’était autre chose. » Ainsi
le journaliste spécialisé dans les
portraits de stars d’Hollywood,
narrateur du roman de Samuel
Blumenfeld (grand reporter à M),
considère­t­il l’immense acteur
qu’il rencontre peu avant sa mort.
raphaëlle leyris Dans la relation qui se tisse entre
les deux hommes, c’est la carrière

R
ares sont les auteurs de Brando, l’ascen­
capables de dire au jour sion portée par le
près quand ils ont com­ plus grand talent
mencé à travailler sur un puis la déchéance,
livre. Monica Sabolo, elle, n’hésite et sa vie privée,
pas quand on lui demande la date tumultueuse et
approximative des premières re­ tragique, qui
cherches qui l’ont menée à écrire semblent défiler
Eden : « L’après­midi du 16 novem­ sous les yeux du
bre 2017. » Le matin même, l’écri­ lecteur – en
vaine a appris que son cinquième Technicolor. 
roman, Summer (JC Lattès), fina­
liste du Goncourt des lycéens, ne
l’avait pas emporté (il est allé à
L’Art de perdre, d’Alice Zeniter,
Flammarion). Pour oublier la sau­ Soir de fête
vagerie du monde littéraire, elle de Mathieu Deslandes et Zineb Dryef,
décide de s’intéresser à la sauva­ Grasset, 240 p., 18 €.
gerie tout court, elle que travaille Alors que Mathieu Deslandes croyait
une « envie de grands espaces », un morte sa grand­tante Simone, il la
désir de forêt, ce lieu « de tous les rencontre à un enterrement. Toute
possibles, de toutes les transfor­ disposée à raconter les secrets entou­
mations, de toutes les légendes », rant la naissance du grand­père de
détaille­t­elle pour « Le Monde Mathieu, conçu, comme trois autres
des livres ». Après avoir fait des enfants de Sougy (Loiret) en 1922, le
montagnes et de la neige des Une forêt de Colombie­Britannique (Canada). SYLVAIN CORDIER/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES soir du bal du village : « On parle beau­
personnages de Crans­Montana coup de consentement en ce moment,
(JC Lattès, 2015), et de l’eau du lac ben je peux te dire qu’elles étaient pas
Léman le cœur de Summer, elle se consentantes », balance l’aïeule en cet
dit que la forêt serait un décor les tortues luth en Guyane. Elle se automne 2017.
idéal pour le genre du roman fait ensuite journaliste à Paris, au Ainsi commence
« gothique » auquel elle rêve de mitan des années 1990, dans une EXTRAIT l’enquête de Zineb
s’essayer – parmi ses modèles, elle publication spécialisée, Mer et Dryef, journaliste à
cite Bellefleur, de Joyce Carol Oates Océan, avant de bifurquer vers la « Presque tous les jours, Lucy allait dans la forêt faire des choses mystérieu­ M, et de Mathieu
(Stock, 1980). presse féminine. L’obtention du ses. Je la voyais marcher au loin, sa parka bleue progressait le long de la Deslandes, récit his­
Plus tard dans la conversation, prix de Flore, en 2013, pour Tout route. Elle disparaissait d’un seul coup, comme si elle était passée de l’autre torique mais aussi
alors que l’on essaie de compren­ cela n’a rien à voir avec moi (JC Lat­ côté, aspirée dans la grande bouche des bois. Après l’épisode des bonshom­ délicate réflexion
dre le lien qu’entretient avec la na­ tès), son troisième roman, l’en­ mes suspendus, j’avais le sentiment d’avoir manqué une occasion avec elle, sur la culture du
ture l’écrivaine grandie à Genève, courage à quitter son métier pour quelque chose qui aurait dû se faire, sans que je sache quoi, et qui, par ma viol, le silence et
aujourd’hui Parisienne installée se consacrer à l’écriture romanes­ faute, s’était échappé. le genre. 
rive gauche, Monica Sabolo re­ que. Spontanément, elle rappro­ J’essayais de la suivre, en laissant toujours passer un quart d’heure avant
monte bien plus loin que che celle­ci de l’eau ou de la forêt : de me mettre en route, pour ne pas avoir l’air de l’espionner (…).
l’automne 2017. A des vacances à « C’est un autre monde, sous la sur­ Un après­midi d’avril, j’étais entrée dans la forêt, là où j’avais vu Lucy s’en­
Majorque, où, enfant silencieuse, face, d’une extrême vitalité. » gouffrer à plusieurs reprises. Je pénétrai dans une pénombre fraîche et
sage et maladroite sur terre, elle Mais revenons­en au mois de odorante, avec la sensation d’entrer à l’intérieur même de ma mémoire. » Pourquoi
découvre la plongée aux côtés novembre 2017 : très vite, ses re­ les enfants de profs
d’un pêcheur et, par là même, un cherches mènent Monica Sabolo éden, pages 64­65
élément dans lequel elle se sent à des images « somptueuses » de réussissent mieux
intrépide. Naît ainsi une passion la Colombie­Britannique, dans le de Guillemette Faure et Louise Tourret,
pour la mer, les lacs, l’eau pro­ sud­ouest du Canada, avec « ses lement célèbre pour le sort qu’y en les filmant, ce qui l’aide à ima­ Les Arènes, 240 p., 20 €.
fonde en général, ainsi que pour forêts immenses, son humidité, ses craignent d’y connaître les fem­ giner la manière dont se tien­ Il y a des exceptions, bien sûr. Reste
les œuvres du commandant lacs magnifiques, sa beauté ma­ mes autochtones, descendantes dront et s’habilleront ses person­ que les enfants d’instituteurs comme
Cousteau. A 20 ans, elle postule gistrale de paysage originel ». des premiers occupants du terri­ nages. Elle contemple les clichés ceux des enseignants du secondaire
pour travailler au WWF : son pre­ Bientôt, elle apprend que l’Etat toire canadien – Amérindiens, du photographe canadien Lincoln ou des professeurs d’université ont
mier emploi consiste à recenser aux sept parcs nationaux est éga­ Inuits et Métis : elles y sont surre­ Clarkes, regarde des vidéos de fo­ tendance à moins redoubler et à
présentées parmi les personnes rêts, de lacs, d’animaux. Elle est intégrer des filières plus sélectives.
assassinées ou disparues. Cette très marquée par Forêts. Essai sur C’est sur les secrets de leurs parents
découverte produit un « choc l’imaginaire occidental, de Robert que se sont penchées Guillemette
La question de l’exploitation émotionnel fort » chez l’écrivaine, Harrison (Flammarion, 1992). Faure, chroniqueuse
dont les deux précédents romans Au fur et à mesure de ses recher­ à M, et Louise
« ON POUVAIT mal à s’imaginer un avenir. sont des histoires de disparition, ches (il y en aura aussi, beaucoup, Tourret, journaliste
CROIRE QUE C’est l’une d’eux, Nita, qui ra­ de jeunesse saccagée, de violence sur la fauconnerie, eu égard au à France Culture, au
CES MILLIERS conte, retraçant les événements exercée sur des jeunes filles. rôle joué par une chouette dans fil d’un livre drôle et
DE KILOMÈ­ qui ont mené à ce matin où une « C’était très étrange, comme une Eden), elle se met à écrire, avec en vivant qui traque ces
TRES de forêts Blanche de sa classe, Lucy, a été rencontre intime entre quelque tête quelques images fortes, la « délits d’initiés » et
et de lacs, de découverte, le corps griffé, mais chose qui m’est complètement certitude que la narratrice sera explique ce que peu­
vert et de bleu, vivante, étrangement rayon­ étranger et beaucoup de thèmes une adolescente autochtone… et vent en retenir les
constituaient nante – « un esprit de la forêt », le désir de construire une intrigue parents extérieurs
une réplique du paradis. » Oui assure la femme qui l’a trouvée. plus « verrouillée » que dans ses au sérail. 
mais, dans cet « éden », on Sans doute pourrait­on présen­ Dans cet Etat canadien, précédents livres, malgré la
entend « le vrombissement des ter cet Eden superbement mysté­ crainte que l’action fasse perdre
tronçonneuses, monotone et rieux comme un roman « éco­
les femmes amérindiennes, son roman « en poésie et en
entêtant » – la forêt est transfor­ féministe », évoquant de nom­ inuits et métisses sont profondeur ».
mée « en bois d’œuvre, en pa­ breuses formes de domination surreprésentées parmi Avançant à tâtons, concentrée « C’est toujours moi
pier », et puis un nouveau tron­ – des hommes sur la nature, des
les personnes assassinées sur les « fils » qu’elle tire, elle écrit qui fais le sale boulot »
çon d’oléoduc vient d’être validé Blancs sur les autochtones, des un premier jet en prêtant moins
par le gouvernement. Surtout, il hommes sur les femmes… ou disparues d’attention à chaque phrase. de Marie Bordet et Laurent Telo,
y a des jeunes filles qui dispa­ Cela serait vrai, mais ne dirait Vient le moment de relire le texte Fayard, 288 p., 19 €.
raissent, d’autres qui se suici­ pas grand­chose de son charme dans son ensemble. « C’est comme Trotskiste, puis hiérarque socialiste,
dent. Le plus souvent, elles vien­ puissant, de la force des images qui m’obsèdent. » Cet « ébranle­ si elle était sortie de mois en ap­ proche de Jean­Luc Mélenchon,
nent de la réserve où vivent les que fait surgir Monica Sabolo (on ment » nourrit la romancière, née », dit son éditrice, Charlotte puis de François Hollande et, un
autochtones – lesquels ont du pense immanquablement à mais ouvre la porte à nombre de von Essen, avec laquelle elle a sou­ temps, d’Emmanuel Macron,
Laura Kasischke), de la délica­ questions, qu’englobe celle­ci : vent discuté des personnages et Julien Dray a été mêlé à « toutes les
tesse avec laquelle elle se collette « Est­ce que moi, si éloignée de ces de l’histoire. Démarre alors un tra­ combinaisons politiques, officielles
à la question de l’exploitation, ni femmes, je pouvais m’approprier vail de polissage mot à mot. C’est ou clandestines – clandestines sur­
de la poésie avec laquelle elle ce drame immense ? » à ce moment même, au début de tout ». Il est, selon Laurent Telo, jour­
accompagne l’affranchissement Pour s’y autoriser, d’une part, l’année 2019, que Karina Hocine, naliste à M, et Marie Bordet, « le type
d’une poignée de jeunes fem­ elle décide de ne pas situer pré­ directrice générale adjointe de JC le plus attachant au
mes. A la grâce, elle ajoute une cisément l’intrigue d’Eden (qui Lattès, quitte cette maison, où elle monde. Dray, ce n’est
profondeur et une maîtrise de pourrait se dérouler aux Etats­ suit l’auteure depuis ses débuts, que de la politique,
recherchent de ses moyens romanesques qui lui Unis comme au Canada), tout en pour Gallimard, dont elle devient mais avec de l’hu­
nouveaux auteurs offrent une place toute parti­
culière dans le paysage littéraire
se documentant beaucoup afin
de se « donner une légitimité »
la secrétaire générale. Monica
Sabolo se contentera de dire que
main tout autour ».
Leur enquête, qui
Envoyez vos manuscrits : français.  r. l. – d’abord à ses propres yeux. Elle cet épisode, à l’issue duquel elle croise le regard de
Editions Amalthée
2 rue Crucy – 44005 Nantes cedex 1 plonge dans des travaux sociolo­ est passée sous la couverture l’homme politique
Tél. 02 40 75 60 78 éden, giques, passe des heures sur le site blanche, a été « perturbant ». La et celui de nom­
www.editions-amalthee.com de Monica Sabolo, Wapikoni mobile, voué à « donner voilà prête, cependant, à affronter breux témoins,
Gallimard, 288 p., 19,50 €. une voix aux jeunes autochtones » la jungle de la rentrée littéraire.  raconte les deux. 
0123
Vendredi 6 septembre 2019
Critiques | Essais | 9
« Voyager dans l’invisible », passionnante enquête ethnologique de Charles Trois fois Uccello
Dans ses Vies des meilleurs peintres,
Stépanoff, montre combien les chamanes sibériens ont à nous apprendre sculpteurs et architectes, Giorgio
Vasari (1511­1574) livre une courte

Leçon de liberté venue de la toundra


biographie du peintre florentin di
Dono di Paolo, dit Paolo Uccello
(« oiseau ») (1397­1475). Trois siècles
plus tard, un chapitre des Vies ima­
ginaires, de Marcel Schwob (1896),
et des passages de L’Ombilic des
limbes, d’Antonin Artaud (1925), en
donnent une version imaginaire.
Ce volume croise les trois textes,
qui se répondent pour dresser le
portrait d’un artiste excentrique,
passant sa vie dans la pauvreté,
reclus, à étudier la perspective.
Figure de la première Renaissance,
nicolas weill le défricheur acharné et mélancoli­
que inspirera les symbolistes puis

O
n les a appelées primitives, les surréalistes. Marcel Schwob lui
mais les sociétés dites « pre­ invente une amante qu’il aurait
mières » témoignent souvent laissée mourir de faim, absorbé par
d’une sophistication à faire sa tâche. Sur le mode de l’identi­
pâlir les nôtres. Si Voyager dans l’invisible, fication, Antonin Artaud imagine
grand livre d’ethnologie consacré au quant à lui un « Paul les Oiseaux »
chamanisme sibérien, ne cherchait qu’à inadapté, sans sexualité, avec « une
nous en convaincre, il aurait abon­ voix imperceptible, une démarche
damment rempli sa tâche, en montrant d’insecte, une robe trop grande ».
comment les peuples d’Asie septentrio­ L’imaginaire littéraire recouvre
nale ont su développer des technologies l’exactitude factuelle dans une
d’imagination active, et non simplement biographie composite qui ne
contemplative, permettant de voyager à se donne qu’un but, mais le rem­
volonté dans une dimension du rêve et plit avec finesse :
de l’invisible que l’imaginaire atrophié raviver la mémoire
de notre modernité rend de moins en d’Uccello. 
moins accessible. Mais Charles Stépa­ antonella
noff, spécialiste du chamanisme touva francini
(Sibérie du Sud), maître de conférences à  Vies de Paolo
l’Ecole pratique des hautes études, à Pa­ Uccello, de Marcel
ris, va plus loin. Il propose, à partir de son Schwob, Antonin Artaud
matériel de savant, une véritable leçon de et Giorgio Vasari,
philosophie politique. L’Eclat, « Eclats »,
62 p., 7 €.
Images mentales
Il renoue par là avec une tradition de
l’anthropologie française, illustrée no­ Le shamane Yuri Ondar officie devant les membres d’une expédition archéologique à Tunnug, république de Touva, en Russie, en juillet 2019.
tamment par Pierre Clastres (1934­1977) ARTYOM GEODAKYAN/TASS Armées mutantes
et reprise aujourd’hui par le chercheur
et militant anarchiste américain David Officier et historien, Michel Goya
Graeber. Celle­ci entend puiser dans les composent à la fois un code rigoureux chamane en grande tenue officie comme montre comment les armées se
sociétés d’autrefois des modèles alterna­ qui en tient lieu et la cartographie du médiateur unique et exclusif avec l’au­ sont transformées, au gré des
tifs au rétrécissement que la modernité monde invisible que l’auteur nous aide à delà, face à un public purement cantonné EXTRAIT innovations et en fonction de
impose tant aux libertés qu’à l’imagina­ décrypter dans ses détails. à la contemplation. C’est dans l’expé­ leurs ennemis. Ses analyses de la
tion. Sans céder pour autant au mythe du Il est vrai que les traditions chamani­ rience religieuse, et non dans la division « La prise de champignon mutation de l’armée prussienne
« bon sauvage », ce courant se refuse à ques, détruites par le régime soviétique, économique du travail, qu’apparaît la hallucinogène par les cha­ entre la bataille de Valmy (1792)
réduire les mondes anciens à l’état de sont difficiles à reconstituer. Une telle première formation d’une élite magi­ manes chukch, koriak ou et celle de Sedan (1870), de la stra­
curiosité exotique. Sous cette inspiration, entreprise nécessite le recours aux récits cienne dont la charge, désormais hérédi­ khant est possible mais tégie de bombardement adoptée
Stépanoff rejette aussi la célèbre lecture des voyageurs et ethnographes russes taire, n’est plus ni révocable ni partagée. jamais indispensable : le par les Alliés contre le IIIe Reich
que Mircea Eliade (1907­1986) fit du cha­ qui y furent jadis confrontés. Charles Mais si le style hiérarchique a recouvert voyage en esprit peut être et de la « schizophrénie tactique »
manisme, dont l’historien des religions Stépanoff maîtrise cette littérature (la une pratique plus conviviale et démo­ accompli avec ou sans. Les de l’armée française pendant la
limitait la richesse à la « transe extatique » première mention des chamanes se crate, elle ne l’a pas tout à fait éliminé. effets neuropharmacologi­ guerre d’Algérie sont stimulantes.
et dont un tourisme en vogue, porté ex­ trouvant dans une chronique chinoise Par ce message optimiste qui résonne ques ne sont pour les cha­ Sa réévaluation du succès des
clusivement sur les plantes hallucinogè­ du Xe siècle). A tous ceux qui ont été ten­ dans notre contemporain, par l’élégance manes qu’un adjuvant de poilus au prix de la mutation
nes, forme une sorte de prolongement. tés de considérer le chamanisme comme de son style (à peine gâché par les nom­ l’expérience rituelle et non « la plus rapide de [l’]histoire »
Car le sorcier boréal ne délire pas, la religion originelle et immuable des breuses coquilles laissées par l’éditeur), son but. (…) Les arts chama­ de cette même armée, synthèse
pas plus qu’il ne simule. Il déploie au sociétés indifférenciées et préhistori­ par la prodigalité de ses narrations, niques ne peuvent donc être d’un livre plus long, Les Vain­
contraire une culture contrôlée d’images ques, il présente un tableau diversifié et Voyager dans l’invisible réussit le tour de réduits à l’hallucination (…). queurs (Tallandier, 2018), se révèle
mentales qui rend poreuses les frontiè­ surtout doté d’une histoire chargée d’en­ force de réunir en un seul ouvrage le livre Ils mobilisent un continuum moins convaincante, car elle
res, trop tranchées par notre civilisation, seignement pour notre présent. de voyage et le livre érudit, l’étude théori­ de perceptions non sensoriel­ minore l’effondrement de l’armée
entre l’homme, l’animal, la nature et les que et l’incitation à une rêverie qui s’est les qui font partie du patri­ allemande. Après les lourdes
esprits. L’image illustrant cette fonction « Tente sombre » et « tente claire » perdue dans une imagination dirigée de moine le plus quotidien de pertes subies entre mars et juillet
leitmotiv du livre est celle de la radiogra­ Cette histoire, celle de la substitution l’extérieur par l’art, la lecture ou le jeu notre vie mentale, incluant le 1918, celle­ci est frappée par une
phie. L’art du chamane consiste en effet à progressive du « chamanisme hiérarchi­ vidéo. « On ne s’ennuie jamais avec un rêve, la rêverie et le voyage grève larvée dont le poids dans
se rendre translucide afin d’ouvrir, dans que » (propre aux peuples turco­altaïques chamane », confie Stépanoff, qui parle mental. C’est en ce sens que la victoire alliée doit
l’âpre immensité de la toundra, des hori­ d’Asie centrale, toungouses ou iakoutes) d’expérience. Heureux qui la partage l’on peut dire que nous être pris en compte
zons cosmiques et des « perceptions non à une version plus égalitaire et participa­ avec lui.  sommes tous des chamanes au moins autant
sensorielles » (oniriques ou mystiques). tive, le « chamanisme hétérarchique » (par potentiels. Sortir l’art chama­ que les assauts
D’où la centralité de son tambour, dont la exemple, celui des Youkaguirs du bassin voyager dans l’invisible. nique de son image patho­ français. 
peau laisse passer la lumière comme une de la Kolyma, dans l’Est sibérien), Stépa­ techniques chamaniques logique, c’est éviter de neu­ antoine flandrin
membrane, ou de son étrange costume, noff l’illustre par l’alternance entre deux de l’imagination, traliser le potentiel subversif  S’adapter pour
dont les lanières jouent avec le jour, et qui pratiques : la « tente sombre » d’une part, de Charles Stépanoff, dont il est porteur. » vaincre. Comment les
reproduit symboliquement le squelette où l’assistance plongée dans l’obscurité préface de Philippe Descola, armées évoluent,
du chamane. Chez ces peuples souvent participe de plain­pied au voyage du cha­ La Découverte, « Les empêcheurs voyager dans l’invisible, de Michel Goya,
nomades et sans écriture, les accessoires mane ; la « tente claire » d’autre part, où le de penser en rond », 468 p., 23 €. pages 414­415. Perrin, 384 p., 23 €.

Réhabiliter la qualité de vie


Le philosophe Pascal Chabot imagine une nouvelle éthique fondée sur l’expérience des qualités sensibles. Respect

zon collectif de sens et une forme que, chez Cicéron, « qualitas » se qu’elle anime nos désirs, mais surtout une éthique. Pascal Cha­ d’abord parce que tout est
inédite de progressisme, comme borne à désigner le fait d’avoir aussi nos frustrations – quand bot en formule la maxime inspi­ ultimement lié – et aucun bunker
le fait le philosophe belge Pascal telle ou telle propriété, dès le nous souffrons du « merdique » ? rée de Kant : « Agis de telle sorte n’épargnera même les privilégiés
Chabot. Traité des libres qualités, XVIIe siècle « qualité » connote un A l’heure où le culte de la per­ que la qualité de vie de chaque être du désastre écologique –, ensuite
son nouveau livre, est en effet être recommandable et agréable formance et du profit semble soit assurée et respectée », ce qui parce qu’il en va de la dignité
serge audier une sorte de manifeste en faveur – une personne estimable tout noyer dans l’eau froide du signifie que « la qualité de vie pros­ de tous.
d’une doctrine philosophico­po­ comme un bon vin. calcul égoïste, il père où prospère celle de l’autre ». C’est pourquoi le qualitarisme

L
a crise écologique boule­ litique, le « qualitarisme ». traité est urgent, plaide sera aussi une politique. Dans ses
verse les cadres intellec­ Valoriser la qualité est pour lui Se relier à autrui des libres l’auteur, de réha­ Tout est ultimement lié objectifs et ses modalités, celle­ci
tuels qui ont sous­tendu un geste profondément moderne Définir la qualité est certes qualités, biliter la « qualité Dans le projet qualitariste, la devra concilier la qualité de vie et
le devenir de nos sociétés. et, de fait, progressiste. La philo­ ardu, sinon impossible. Mais cha­ de Pascal de vie » sous qualité ne saurait être un îlot la liberté pour tous les citoyens.
Déjà affaibli, le grand récit du sophie et la science, depuis Gali­ cun ressent l’importance existen­ Chabot, quatre angles in­ pour happy few jouissant de Et elle sera au service d’un projet
« progrès » est au plus mal et lée et Descartes, ont « disquali­ tielle de ce « je­ne­sais­quoi » qui PUF, 402 p., séparables : la quelques grammes de douceur de société : des relations quoti­
l’avenir devient illisible. La mode fié » l’expérience immédiate des évoque une façon heureuse d’être 19,90 €. « dignité » de cha­ dans un monde de brutes. Les diennes de travail à la façon
actuelle de la « collapsologie » qualités sensibles au profit d’une au monde et de se relier à autrui cun, la « robus­ luttes pour la « justice environne­ de produire, de consommer ou
tient sans doute moins au rêve description quantitative et ma­ dans le respect, l’amitié ou tesse » ou solidité interne, le mentale » ont montré que les d’habiter, un immense chantier
d’une vie alternative esquissé par thématique du monde. Mais, en l’amour. Car la qualité n’est pas « plaisir » – une vie sans sensua­ pays et les populations les plus de la qualité est ouvert – un chan­
ses hérauts qu’à la panique d’un même temps, les Modernes n’ont une propriété intrinsèque : elle se lité est une vie mutilée – et, enfin, pauvres étaient de surcroît victi­ tier décarboné, tant l’essentiel
effondrement généralisé. cessé de rechercher la qualité. joue dans la relation entre un su­ la « relationnalité », ou l’ouver­ mes des pollutions et des déchets sera de réinventer un lien respec­
Aussi faut­il de l’audace pour Les évolutions du mot depuis jet et un objet, et entre les êtres ture aux autres et au monde. des plus riches. L’auteur plaide tueux entre les êtres humains et
imaginer encore un nouvel hori­ l’Antiquité le signalent : tandis humains. Et comment ne pas voir Le qualitarisme est aussi et donc pour une « qualité élargie », avec la Terre. 
10 | Chroniques 0123
Vendredi 6 septembre 2019

LE FEUILLETON

CAMILLE LAURENS littérature, qu’il avait déjà célébrées dans


une lettre clandestine publiée par Le
Monde au moment de son procès, en
DES POCHES
SOUS LES YEUX

Altan, le passe muraille


septembre 2017. La première lui permet
d’inventer des vies en brodant sur les MATHIAS ÉNARD
récits du bonheur passé que lui font ses
codétenus ou de savourer avec eux leur
plat préféré – un Adana kebab, une JE NE VOUS APPRENDS RIEN, C’EST LA REN­
pizza… – en jetant leur nom en l’air, car TRÉE DES CLASSES ET UNE QUESTION ME
les mots deviennent nourriture. La puis­ TARABUSTE : qu’est­ce que les inspecteurs
sance du souvenir lui fait revoir et res­ généraux de l’éducation nationale peuvent
pirer les mimosas tant aimés ou sentir la bien trouver à Henri Beyle dit Stendhal
neige sous ses pas dans sa cellule à la (1783­1842), alias le Grenoblois napoléoni­
chaleur étouffante. Les rêves de la nuit que, et plus précisément au Rouge et le
l’emmènent vers les rives du Danube, Noir, du même Grenoblois ? (Bien évidem­
entrouvrent les portes dérobées de l’in­ ment, être grenoblois n’est pas du tout
conscient, des fantasmes accueillent son honteux, je ne voudrais pas me fâcher avec
désir : « Pas un matin je ne me suis éveillé la bourgeoisie grenobloise, dont chacun
en prison », assure­t­il. connaît la puissance de la vindicte et l’effi­
Cette merveilleuse capacité d’oubli est cacité de la vengeance.) En ces temps où les
cependant minée par l’insistance du réel. jeunes gens n’hésitent plus fréquemment
La lâcheté et la bêtise font assaut dès les (on est en droit de le déplorer) entre le sa­
premiers interrogatoires où lui sont noti­ bre et le goupillon, de telles lectures peu­
fiés des chefs d’inculpation incohérents vent leur sembler pour le
et contradictoires. Le mal – « la vilenie », moins exotiques, voire pro­
« la méchanceté pure » – apparaît à l’occa­ pices à provoquer chez nos
sion d’un pseudo­examen médical sous chères têtes blondes des
les traits d’une jeune femme pieuse qui ronflements démesurés
traite l’intellectuel athée comme « une plus souvent que des hurle­
sorte de rien ». La perception du temps – ments d’admiration. Même
bloc, reptile – se modifie jusqu’à l’effroi et les jeunes filles, pourtant
le manque des êtres chers est indescripti­ promptes à s’émouvoir,
ble. Difficile, alors, de ne pas devenir fou, dit­on, réprimeront un
même si l’envie de lutter persiste, car « il long bâillement en lisant
est une chose à laquelle on ne peut pas se les aventures de Julien So­
préparer : l’absence totale d’espoir ». rel au pays de l’amour et des usines de
Quant à la littérature, ce sont d’abord clous. Attention, spoiler : Le Rouge et le Noir
les souvenirs de lectures dont l’écrivain finit mal. Très mal, même. Julien Sorel
tire secours. Elles transforment les bu­ meurt à la fin. Si si, je vous assure. Guillo­
reaucrates qui le harcèlent en « petits tiné, qui plus est. Pour un meurtre qu’il n’a
fonctionnaires de Gogol » ; telle réminis­ pas commis, puisque si Mme de Rênal
cence de Borgès, Brodsky ou Canetti sou­ meurt elle aussi, c’est plouf plouf par ma­
lève le couvercle de son « “cercueil”, TIRE gie, en embrassant ses enfants et pas sous
ILLUSTRATION FRANCESCA CAPELLINI
LE VERROU DE SA “cage” ». Puis arrive ce les coups de pistolet de son (si peu) amant.
bonheur souvent décrit dans les témoi­ Mathilde conservera quelque temps la tête
IL EXISTE DES PHRASES QUE L’ON COM­ brillants, l’écran de votre téléphone (…), gnages carcéraux : la possibilité de lire. de Julien sur sa coiffeuse, pour pouvoir la
PREND AUSSITÔT, toujours, partout, des vous en avez tellement l’habitude que « Je n’étais pas fini, je n’étais pas aban­ regarder dans les yeux, ces yeux adorés,
écrans de néant où se projette une peur vous finissez par oublier que c’est un mira­ donné, je n’étais pas perdu./ J’avais un puis finira par l’enterrer de ses mains sans
universelle. Par exemple : « Je ne pourrai cle de voir votre visage. » livre. » L’ouvrage de Tolstoï qu’on lui se casser un seul ongle – on n’y croit pas
plus embrasser la femme que j’aime ni Si le corps est soumis à de telles épreu­ une seconde.
étreindre mes enfants », ou bien : « Je ne ves, à peine moins destructrices que la
reverrai plus le monde ». Cette angois­ faim, la brutalité, la soif, les forces de ré­ Pour ne pas être broyé AH, LA JOIE DES INSTRUCTIONS MINISTÉ­
sante prédiction a été choisie pour titre sistance viennent de l’esprit. L’« esprit » : par le « monstre de RIELLES ! HEUREUSEMENT, IL NOUS RESTE
du recueil de textes écrits en prison par le ce mot revient sans cesse sous la plume la réalité », le journaliste LA POÉSIE. Au programme : Les Fleurs du
journaliste et écrivain turc Ahmet Altan, du prisonnier, qui se rappelle Epictète : mal, Les Contemplations et Alcools. Hugo,
accusé de complicité dans le putsch man­ « Même quand notre corps devient et écrivain turc en Baudelaire et Apollinaire (1880­1918), voilà
qué de juillet 2016 et condamné à la per­ esclave, notre esprit demeure libre. » Alors prison dispose de deux qui donne envie de redevenir lycéen. Quel
pétuité le 16 février 2018. qu’il est menacé de sombrer « dans une bonheur que relire Alcools. Retrouver Clo­
Mais ce qui nous fait éprouver physi­ sorte de bouillie humaine sans identité »
alliées : l’imagination tilde, visiter de nouveau La Maison des
quement la détention sans raison ni jus­ où il n’est plus qu’un matricule, c’est son et la littérature morts, suivre l’étrange Cortège, apercevoir
tice qu’il subit tous les jours depuis trois esprit qui permet à l’homme sans miroir Marizibill dans la Haute­
ans, ce sont des choses d’appa­ de « garder la face » et à l’emmuré Rue à Cologne… « Je me
je ne reverrai plus rence plus anodine, des gestes d’ouvrir des portes pour se mettre hors donne a beau ne pas être son meilleur, il disais Guillaume il est
le monde. dont nous ne savions même d’atteinte. L’une d’elles est celle de accomplit les bienfaits d’une « fée ». temps que tu viennes »,
textes de prison pas qu’ils étaient des privi­ l’ironie. Ahmet Altan la pousse à deux Enfin, et surtout, la porte capitale et oui, il était temps,
(Dunyayi bir daha lèges. Ainsi, lorsque Ahmet battants dès le premier matin en propo­ ouvre cette « pièce invisible où per­ Guillaume, que tu arri­
Görmeyecegim), Altan écrit : « Je n’ouvrirai plus sant une tasse de thé aux policiers venus sonne ne peut entrer que moi », la ves dans la poésie, avec
d’Ahmet Altan, jamais une porte moi­même », l’arrêter : « C’est pas un pot­de­vin, vous chambre d’écriture où il reconquiert sa ta subtile ironie et ta
traduit du turc par Julien nous restons incrédules, avant pouvez en boire » ou, un peu plus tard, en liberté intérieure en défiant ses bour­ mélancolie traînarde de
Lapeyre de Cabanes, que cette phrase toute simple refusant une cigarette : « Merci, je ne reaux : « Je sais écrire dans le noir voyageur en modernité,
Actes Sud, 220 p., 18,50 €. ne nous fasse empoigner la fume que quand je suis tendu » – il sourit, aussi. » Le 5 juillet, la Cour suprême de d’aviateur christique de
sensation charnelle de notre et c’est aussi pour nous comme une Turquie a cassé la condamnation à vie fonds de taverne : ta tris­
propre liberté. De même quand il délivrance. d’Ahmet Altan, mais il reste incarcéré. tesse est un puissant alcool. « J’ai cueilli ce
constate qu’il n’y a aucun miroir en pri­ Au fil du temps et des textes, cepen­ Si son livre de combat témoigne à cha­ brin de bruyère/ L’automne est morte sou­
son, ce qui lui signifie son effacement dant, quoique l’humour reste par éclairs que page du pouvoir passe­muraille de viens­t’en/ Nous ne nous verrons plus sur
d’entre les hommes, il s’adresse à nous, une échappatoire, la dérision ne pèse la littérature, il nous tend aussi un mi­ terre/ Odeur du temps brin de bruyère/ Et
lecteurs, frères humains : « Ce visage que guère face au « monstre de la réalité ». roir où nous pouvons apercevoir le souviens­toi que je t’attends. » Quel écho à
mille fois par jour vous voyez reflété dans Pour ne pas en être broyé, l’écrivain dis­ danger qui guette toute société dès lors « la bruyère en fleurs » des Contemplations,
le miroir, les vitrines des magasins, les sols pose de deux alliées : l’imagination et la qu’elle laisse mourir la démocratie.  d’Hugo ! Le deuil et l’ivresse traversent
cette poésie de personnages, poésie de
voix et de figures comme entrevues au
FIGURES LIBRES bouchner démêle ces questions
avec clarté. En peu de pages, ac­
mettre ? Des valeurs ? C’est un
leurre. Plutôt une « atmosphère »,
cours d’un long voyage – et on sait com­
bien il est important de voyager lorsqu’on
cessibles et nourrissantes, il pré­ induisant des habitudes intellec­ est assis toute la journée sur une chaise
ROGER-POL cise ce qui caractérise une tête hu­ tuelles. Plus encore qu’« édu­ de lycée.
DROIT maine à la fois bien construite et quer », « former des citoyens »,
libre. Ce n’est pas une affaire de « instruire » ou encore « cultiver » UN AUTRE VOYAGE IMMOBILE D’IMPOR­
don. La loterie génétique n’y est – réponses qui se heurtent cha­ TANCE, C’EST CELUI DE MONTAIGNE (1533­
pour rien, ou presque. L’appren­ cune à des objections connues –, 1592) au Nouveau Monde – Montaigne

Vous avez quoi, tissage et l’exercice, en revanche,


sont décisifs.
Car une tête agile et nette est
la tâche essentielle, selon Denis
Kambouchner, est de « donner les
mots ». C’est par les mots mis à
l’unique, dont la beauté de la pensée et la
liberté de la langue
plongent les essayistes

dans la tête ? l’aboutissement d’une éducation


et d’une culture, lesquelles de­
meurent stériles quand elles ne
sont pas intensives. Beaucoup
sa disposition qu’on permet à
chacun d’apprendre, de créer, de
penser, de grandir.
Ce petit livre, incisif et bien­
d’aujourd’hui dans une
mélancolie jalouse. Le
chapitre 31 des Essais,
« Des cannibales », pro­
LA LANGUE ORDINAIRE A DU rébellion, le caprice. Selon les apprendre, beaucoup s’exercer, venu, risque de ne pas plaire à posé lui aussi aux ly­
GÉNIE. Tout le monde le sait, contextes, « la tête » renvoie au ca­ voilà la clé. Cet entraînement tous. Le philosophe y bouscule en céens, en est un exemple
personne n’y prête suffisamment ractère, à l’esprit, à l’intelligence. n’emplit pas la tête d’informa­ effet allégrement quelques dog­ parfait. La réflexion
attention. Il suffit pourtant Elle implique parfois une forme tions, ne l’encombre pas de mes socio­pédagogiques qui sont de Montaigne s’élance :
d’écouter les mots de tous les de sagesse pratique, d’à­propos et connaissances amoncelées. Une à ses yeux des erreurs funestes. « Chacun appelle barba­
PHOTOS PHILIPPE MATSAS, PIERRE MARQUÈS, BRUNO LEVY

jours pour en apprendre de belles. de discernement – quali­ tête qui marche est constituée Toutefois, ce qui demeure le plus rie ce qui n’est pas de son
Par exemple, les subtiles diffé­ quelque chose tés d’une tête bien faite. avant tout d’idées claires, insiste frappant est de constater com­ usage. » Ou, comme un viatique pour nos
rences entre les usages du mot dans la tête, Mais comment se fabri­ le philosophe, qui a consacré à bien ce chercheur de haut vol, temps troublés : « (…) il ne se trouva jamais
« tête ». « Qu’as­tu donc dans la suivi de vous que une tête ? Est­elle le Descartes une grande part de sa pilier de l’Université, professeur à aucune opinion si déréglée qui excusat la
tête ? » peut signifier « quelle est avez dit produit d’un pur hasard, vie. La clarté empêche les aveugle­ la Sorbonne, ancien président du trahison, la desloyauté, la tyrannie, la
ton intention secrète ? », mais transmettre ?, qui fait naître géniaux les ments de la haine. Elle a partie liée jury d’agrégation de philosophie, cruauté, qui sont nos fautes ordinaires. »
également « l’étourderie t’égare, de Denis uns, idiots les autres ? Est­ avec le sérieux et l’attention et sait écrire simple. Visiblement, il Allez, bonne année ! (scolaire). 
tu es incapable de réagir avec Kambouchner, elle au contraire le sait se nourrir de ce qui est beau. fait confiance au génie des mots
pertinence ». Flammarion, résultat d’une élabora­ ordinaires. Il sait que penser  Le Rouge et le Noir, de Stendhal,
Avoir la tête ailleurs, se prendre 152 p., 16 €. tion exigeante, d’une « Donner les mots » n’implique pas de jargonner, et GF, édition avec dossier, 672 p., 3,90 €.
la tête, être une forte ou une mau­ transmission patiente ? Dans le même volume, un se­ que réfléchir n’exige pas d’être  Alcools, de Guillaume Apollinaire,
vaise tête, n’en faire qu’à sa tête… S’adressant à de jeunes lecteurs, cond essai s’adresse aux adultes obscur. Voilà des signes de bonne Hatier, « Classique & Cie. Lycée », 228 p., 2,95 €.
indiquent respectivement la n’usant que de termes courants, et traite de l’école et de l’éduca­ santé. Ou, si l’on préfère, de tête  « Des cannibales » et « Des coches »,
distraction, la crispation, la le philosophe Denis Kam­ tion. Que devraient­elles trans­ sur les épaules.  de Montaigne, Folio+, « Lycée », 144 p., 3,20 €.
0123
Vendredi 6 septembre 2019
Rencontre | 11
Jean-Paul Dubois

Propriétaire
de son temps
Le romancier n’écrit, quand il écrit, qu’au mois
de mars. « Tous les hommes n’habitent pas le monde
de la même façon », son nouveau livre, comme les
précédents. Le reste du temps ? Il vit sa vie

raphaëlle leyris Parcours

T
ous les écrivains n’appré­
hendent pas la rentrée litté­ 1950 Jean­Paul Dubois naît à Toulouse.
raire de la même façon. Pre­
nez Jean­Paul Dubois et le 1968 Il commence des études de
regard (gris­vert) gentiment sociologie à l’université du Mirail.
perplexe qu’il pose sur toute
cette agitation. Dans les bureaux des édi­ 1984 Premier roman, Compte rendu
tions de l’Olivier, il se montre affable au analytique d’un sentiment désordonné
possible, disponible, souriant, mais vous (Fleuve noir).
ne lui retirerez pas de l’esprit qu’on mar­
che un peu sur la tête, à publier 524 livres 1984 Il devient grand reporter
d’un coup, et à faire tant d’histoires au Nouvel Observateur.
autour. Présentement, ce qui le préoc­
cupe est que l’un de ses chiens est en 1986 Succès d’Eloge du gaucher dans
train de mourir chez lui, à Toulouse. Ça, un monde manchot (Robert Laffont).
ça le dévaste ; le reste, et il semble sincère,
il s’en moque un peu. 2004 Prix Femina pour Une vie
Enfin, non. Il ne se fiche pas d’être loyal française (L’Olivier). Démissionne du
à l’égard de son éditeur, Olivier Cohen, et Nouvel Observateur.
de sa maison, dont il remercie les
employés passés et présents, vivants et 2016 La Succession (L’Olivier).
morts, à la fin de son nouveau roman, Jean­Paul Dubois, à Paris, en 2011. PATRICE NORMAND/LEEXTRA
Tous les hommes n’habitent pas le monde
de la même façon. « Ici, c’est la famille »,
dit­il avec un sourire, en décortiquant
délicatement son mini­pain au chocolat. déprimé, malheureux. Il m’a envoyé des devenu sa marque de fabrique, affirme assigner à l’écriture : lui
A l’écouter, on en viendrait même à se lettres marrantes. C’est à ce moment­là presque un élément de « storytel­ permettre de gagner suffisam­
demander si le romancier de 69 ans que j’ai eu l’idée de raconter la vie de ling », Jean­Paul Dubois se donne ment d’argent pour rester le « pro­ EXTRAIT
n’écrit pas, désormais, en premier lieu, Serge. » Serge (transformé en Paul dans le le mois de mars, qui a le double priétaire » de son temps, à l’excep­
pour faire plaisir à ceux qui, depuis 1997 roman, comme tous les héros de Dubois) avantage de compter trente et un tion d’un mois de mars à l’occa­ « L’année 1975, celle de mes
(et son treizième livre, Je pense à autre est un « mec incroyable », l’intendant de jours et d’afficher une pluviomé­ sion. Si ce qu’il fait de ce temps 20 ans, marqua la fin d’un
chose), l’ont accompagné, soutenu, et l’immeuble montréalais où habitait la trie peu propice aux activités exté­ « ne regarde que [lui] », dit­il pour monde, le nôtre, celui des
dont il est devenu l’un des auteurs les belle­mère de l’écrivain. Son quotidien rieures, pour écrire son livre. Ob­ fermer le ban, il remonte volon­ Hansen, celui de ces gens du
plus célèbres. consiste à aider les gens et à réparer des jectif : tomber huit pages par jour, tiers (et au présent) aux origines Nord et du Sud, qui avaient
Si ça n’avait tenu qu’à lui, Jean­Paul choses, deux activités pour lesquelles au moins, avec interdiction d’aller se de ce rapport à l’existence. « Tout part du fait tant de kilomètres et tel­
Dubois doute qu’il se serait mis au Dubois professe le plus grand respect. coucher avant de les avoir écrites. fait qu’à 8 ans on m’annonce que mon lement de sacrifices intimes
Afin de donner de l’ampleur De 10 heures à 3 ou 4 heures du matin père va mourir dans les mois à venir, pour s’allier, appris des lan­
à son futur roman, il imagine le lendemain, l’écrivain est à son bureau, d’une maladie cardiaque. Il mourra en gues inconnues, acheté d’im­
Parfois, ces trente et un jours envoyer son personnage en occupé à « piocher dans l’espèce de ban­ fait vingt ans plus tard, mais je prends probables véhicules, baisé
de mars sont un cauchemar, prison, d’où il va raconter son que de sensations, de souvenirs, d’anec­ conscience enfant de la fragilité de la vie, n’importe comment, à leur
histoire. Il en fait le fils, né à dotes trouvées ici où là », où se trament à du fait qu’on peut aller se coucher un soir, façon, l’un fermant les yeux,
tout au long duquel, raconte Toulouse, d’un pasteur danois son insu ses histoires, allant chercher se réveiller sans père le lendemain, et que l’autre pas, fait un enfant
l’auteur, « je me répète que je et d’une femme française pro­ « des odeurs de [son] père, des trucs de [sa] c’est inacceptable. » Il n’y a pas grand­ sans trop savoir pour qui ni
n’y arriverai jamais, que je vais grammatrice d’une salle de
cinéma, résolument athée.
mère »… Parfois, ces trente et un jours
sont un cauchemar, tout au long duquel,
chose à faire pour lutter contre cela, reste
à s’organiser pour ne pas passer à côté de
pourquoi, prêché la part de
Dieu, programmé celle du
mourir avant d’avoir atteint Ainsi, il tient son point de dé­ raconte Dubois, « je me répète que je n’y sa vie, pour ne pas tout donner au sala­ diable, et, comme on le leur
la page 100 ». Parfois, et ce fut part, avec la vie de Serge, qui la arriverai jamais, que je vais mourir avant riat, « cette forme civilisée d’esclavage ». avait fait promettre, balayé
le cas cette année, cela se passe lui a racontée au téléphone
« deux jours entiers » ; il a ses
d’avoir atteint la page 100 ». Parfois, et ce
fut le cas cette année, cela se passe
Très marqué à 18 ans par Mai 68 et des
slogans comme « Les gens qui travaillent
tous les jours les sables qui
s’accumulaient devant leur
« comme dans un rêve » marottes, avec la question de « comme dans un rêve ». Au point de se s’ennuient quand ils ne travaillent pas. Les porte, tout cela, enduré jus­
la foi (son éducation chez les demander une fois le roman achevé gens qui ne travaillent pas ne s’ennuient qu’à l’os, pour finir séparés,
jésuites l’a traumatisé) et de la pourquoi ne pas profiter de cet état de jamais » (qu’il a glissé dans Tous les hom­ détachés, disjoints, déchirés
travail. Il a fallu l’habile et discrète insis­ famille, son grand sujet ; il a des lieux « surrégime » cérébral, « assez compara­ mes…), il « bosse sur des chantiers » ou et rompus. »
tance d’Olivier Cohen, suggérant qu’il se­ auxquels il est attaché : Toulouse, sa ville ble aux plateaux qu’on atteint quand on comme « photographe de meubles » pour
rait peut­être temps de donner un suc­ natale qu’il n’a jamais quittée malgré fait du sport ». Jean­Paul Dubois l’a déjà des catalogues, avant de devenir journa­ tous les hommes
cesseur à La Succession (2016), ajoutant une brillante carrière dans la presse pari­ fait, écrivant successivement « un roman liste « par hasard » à Sud­Ouest, où il s’oc­ n’habitent pas le monde
que l’écrivain, lors de leurs échanges, lui sienne, la Scandinavie, qu’il « adore », et vraiment sombre », Une année sous si­ cupe de sport, puis de culture : « A l’épo­ de la même façon,
racontait de plus en plus d’histoires le Canada, sa « deuxième maison », d’où lence, et un livre « drôle », Parfois je ris que, à raison d’un ou deux articles par se­ page 71
– « Ce qui est, selon lui, toujours un signe ». vient sa compagne, Hélène. Nous som­ tout seul (Robert Laffont, 1992). maine, ce métier laissait du temps pour
« A quoi je lui ai répondu, comme d’habi­ mes alors fin février (2019, oui !). Selon Oui, mais cela reviendrait à oublier soi. » Nouveau « coup de chance », Le Ma­
tude, que je n’avais pas envie, que j’étais un rituel bien rodé depuis trente ans, quel rôle premier Jean­Paul Dubois tin de Paris l’embauche à son tour, sans
exiger qu’il s’installe dans la capitale :
« Quand on a besoin de moi, on m’ap­
pelle. » Cette « vie de rêve » se poursuit au n’enlève rien à l’honnêteté avec laquelle
Vivre avec ses morts Nouvel Observateur, où il entre en 1984,
grand reporter allant glaner des histoires
j’écrivais ces livres, au sérieux que j’y met­
tais », précise­t­il. En 2004, Une vie fran­
« IL Y A UNE INFINITÉ DE ne révélera que tardivement, et de son narrateur, qui a l’élégance insensées aux Etats­Unis, qu’il raconte çaise remporte le prix Femina. Le jour
FAÇONS DE GÂCHER SA VIE », où il partage sa cellule avec un de ne jamais se départir d’un comme des nouvelles – « et personne ne même, il donne sa démission au Nouvel
assure Paul Hansen. Il en colossal biker. léger sourire. vient m’embêter si je ne publie rien dans le Obs, où il n’était pourtant guère esclava­
connaît un rayon en la matière, Paul n’éprouve aucun remords à A cela, il ajoute la nécessaire journal pendant deux mois ». gisé, et à l’égard duquel il éprouve de « la
par son père, pasteur danois à la l’égard des faits qui lui ont valu pincée d’obsessions bien connue A la même époque, il commence à reconnaissance ». Mais il s’agit pour lui
foi chancelante, autant que par son emprisonnement, mais cela de ses lecteurs – les voitures, les écrire. Son premier roman, Compte d’être fidèle à sa vision du temps, à son
sa mère, Anna, à l’athéisme aussi n’empêche pas Tous les hommes dentistes, les tondeuses, les che­ rendu analytique d’un sentiment désor­ refus des contraintes, à sa haine des
irréductible que son amour du n’habitent pas le monde de la vaux, les accidents d’avion… Le donné (Fleuve noir, 1984), passe ina­ réveille­matin.
cinéma – elle travaillait comme même façon d’être un beau miracle est que cet attelage qu’on perçu. Son deuxième livre, Eloge du gau­ Depuis, il écrit moins souvent, mais
programmatrice dans une salle roman du regret et de la perte. pourrait imaginer bigarré consti­ cher dans un monde manchot (Robert toujours des romans au charme inquiet,
toulousaine, ce qui ne fut pas Jean­Paul Dubois assemble des tue un poignant hommage aux Laffont, 1986), né du « harcèlement » d’un à la noirceur zébrée d’humour mélanco­
sans susciter nombre de fric­ éléments romanesques aussi morts, et à la manière dont on ha­ jeune éditeur, Vincent Landel, suite à un lique – et aux titres souvent irrésistibles.
tions entre les époux. hétéroclites qu’un pasteur danois bite le monde à leurs côtés.  r. l. article de Dubois, lui vaut de passer à la Il assure que cette activité n’a rien à voir
Paul s’est lui aussi appliqué, à et une cinéphile toulousaine, ou télévision chez Bernard Pivot et de avec un éventuel questionnement sur
sa manière, à saboter sa propre que Paul et son voisin de cellule. Il tous les hommes n’habitent connaître un grand succès. Dès lors, il dé­ une autre temporalité, une autre ma­
existence : on fait sa connais­ fait jaillir des éclats de burlesque pas le monde de la même façon, cide d’écrire un livre par an, chaque mois nière de se cabrer contre la mort, osons
sance au pénitencier de Mon­ ou d’onirisme, voire de chama­ de Jean­Paul Dubois, de mars, « comme on jouerait au loto ce gros mot : avec la postérité. Rien
tréal, où l’a conduit un acte qu’il nisme, dans le récit douloureux L’Olivier, 248 p., 19 €. sportif », dit­il avec un sourire. « Ce qui n’oblige à le croire. 
12 | Entretien 0123
Vendredi 6 septembre 2019

Le septième Prix littéraire « Le Monde »


a été attribué à « Une bête au Paradis »
Cécile Coulon: «J’ai eu envie
d’aborder la question
du corps des femmes dans
le monde rural»
Monde des livres”. » Donc je rêvais
un peu d’y voir un de mes livres
propos recueillis par critiqué, même en négatif !
jean birnbaum [En 2012, le supplément publiait
et raphaëlle leyris une critique très enthousiaste de
son troisième roman, Le roi n’a

J
usque­là, Cécile Coulon pas sommeil].
n’avait jamais participé à
une rentrée littéraire. Bien Au début de l’année, avec
lui a pris de se lancer : Une « Sérotonine » (Flammarion),
bête au Paradis, le (déjà) on a vu Michel Houellebecq Cécile Coulon, mercredi 4 septembre, à Paris. BRUNO LEVY POUR « LE MONDE »
septième roman de l’écri­ s’emparer de la ruralité pour
vaine née en 1990, a reçu le en faire de nouveau un objet
Prix littéraire Le Monde. La noir­ romanesque, alors qu’une
ceur de ce conte cruel, la beauté large partie de la littérature
sèche de son écriture ont em­ contemporaine l’avait délais­

Gallimard
porté le jury présidé par Jérôme sée. Vous avez un discours sur
Fenoglio, directeur du Monde, et la nécessité d’un pareil geste…
composé de journalistes tra­ Pendant un moment, la littéra­
vaillant au « Monde des livres » ture a abandonné le monde agri­
(Jean Birnbaum, Florent Geor­
gesco, Raphaëlle Leyris, Florence
cole. L’exode rural a provoqué
une sorte d’exode littéraire. Mais présente
Noiville et Macha Séry) et aux il se trouve que les campagnes
quatre « coins » du Monde : Em­ n’ont pas été totalement vidées.
manuel Davidenkoff (Développe­ Alors que cet « exode » se produi­
ment éditorial), Clara Georges sait, on a vu émerger une éti­
(« L’Epoque »), Raphaëlle Rérolle quette « littérature de terroir »,
(« Grands reporters »), Solenn de réunissant tous les textes qui par­ KARINE TUIL
Royer (Politique) et Alain Salles laient des fermes, des champs et
(International). Une bête au Para­ des étangs, destinés à un certain
dis (lire « Le Monde des livres » du
30 août) succède à A son image,
public. J’ai toujours trouvé ça
condescendant. Mais il y a des LES CHOSES
de Jérôme Ferrari (Actes Sud). écrivains comme Marie­Hélène
Lafon, Pierre Bergounioux ou
HUMAINES
Vous n’aviez jamais participé à Franck Bouysse qui ont heureu­ roman

une rentrée littéraire jusqu’à sement fait en sorte de ramener


aujourd’hui. Quel rapport ce monde au premier plan.
entretenez­vous avec les prix Une bête au Paradis n’est pas un
littéraires ? « roman agricole », c’est d’abord
Je n’avais jamais voulu être un roman noir. J’ai eu envie d’y
Photo F. Mantovani © Gallimard

dans une rentrée littéraire, parce aborder la question du corps des


que la surproduction éditoriale femmes dans le monde rural.
me faisait très peur. Avec Viviane Qu’est­ce qu’ils deviennent, avec
Hamy, qui a été mon éditrice jus­ leurs désirs, leurs métamorpho­
qu’à l’année dernière, je me po­ ses, quand tout cela est secon­
sais la question en ces termes : daire, soumis au rythme des sai­ GALLIMARD

« Est­ce que ça vaut le coup de sons, à la vie des animaux ? Est­ce


prendre ce risque d’être écrasée que ces corps, qui ne sont pas
par les autres pour avoir éven­ moins forts que ceux des hom­
mes, ont une place pour
exister ?
KARINE

TUIL
Vous avez cité plusieurs
tuellement une chance que mon noms d’auteur. « Une bête au
nom se retrouve sur la liste d’une Paradis » porte­t­il les traces de
sélection ? » Je me disais que romans qui ont compté pour
j’avais le temps. Mes romans sont vous ?
parus entre janvier et mars parce
que nous pensions que, si succès
il devait y avoir, il fallait que ce
Je cite à nouveau Marie­Hélène
Lafon, dont Le Soir du chien (Bu­
chet­Chastel, 2001) a beaucoup
Les choses humaines
soit un succès de librairie – ils du­ compté pour moi. Il y a aussi ROMAN
rent plus longtemps. Mais ce rai­ L’Epervier de Maheux, de Jean Car­
sonnement valait à l’époque où la rière (Pauvert, 1972), un Goncourt « Avec une affaire de viol dans le beau monde, Karine Tuil ajuste sa focale sur l’époque
rentrée de janvier comptait génial et oublié. Et puis Le Puits, et capte l’air du temps avec la finesse d’une dentelière. »
moins de livres qu’aujourd’hui. d’Ivan Repila (Denoël, 2014), qui
Marine de Tilly, Le Point
En disant cela, j’ai l’impression m’a mis une claque : on pouvait
d’être vieille ! donc écrire aujourd’hui un conte
Les prix littéraires, on n’a pas avec très peu de personnages, en­ « Karine Tuil décrit une société de la performance et de la compétitivité permanentes.
envie d’y penser, mais on est fermés, et qui vous emporte. Tout Il est digne de ne pas pleurer ; il est dangereux d’échouer. »
obligé de le faire, parce que ça est possible si on travaille son
peut changer la donne pour le style avec une rigueur absolue. Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche
destin d’un livre – ça peut aussi
n’avoir aucun effet. Toujours est­il Comment travaillez­vous « Les choses humaines brasse avec brio tout ce que notre époque génère d’impostures
que je suis très heureuse d’avoir le vôtre ?
reçu le prix du Monde, d’autant J’ai un rapport à mon écriture
et d’abus de pouvoir. Un bûcher des vanités parisien. »
qu’il y avait une belle sélection. qui est plus celui d’une lectrice Élisabeth Barillé, Le Figaro Magazine
que d’une auteure : je me de­
Avez­vous un lien particulier mande d’abord ce que j’ai envie
« Karine Tuil brosse un tableau implacable de la violence sociale contemporaine.
avec « Le Monde » ? de lire. Ce qui m’intéresse, ce sont
J’ai un abonnement numéri­ les livres dont l’auteur n’apparaît Un roman magistral. »
que ! Je viens d’une famille où j’ai pas. Je dois être complètement au Claire Julliard, L’Obs
toujours vu traîner Télérama et service de l’histoire. Une bonne
Le Nouvel Observateur sur la table histoire sans un style vivace, vi­
du salon. Mon oncle et ma tante vant et poétique, c’est un superbe
étaient abonnés au Monde, mes moteur sans carrosserie autour.
parents l’achetaient en fonction J’enlève tout ce qui est inutile. Si
de la « une ». mes livres avaient des corps, ce
Quand j’ai commencé à publier, seraient ceux de marathoniens,
à 18 ans, on m’a dit : « Tu commen­ d’une sécheresse absolue, mais gallimard.fr I facebook.com/gallimard
ces à compter à partir du moment dotés du nécessaire pour ne pas
où tu as un papier dans “Le cesser d’avancer. 

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