DIMANCHE 24 - LUNDI 25 FÉVRIER 2019

75E ANNÉE– NO 23055

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DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

LE TRAFIC AÉRIEN NUIT GRAVEMENT À LA PLANÈTE

La colère des Algériens contre Bouteflika
▶ Des milliers de person­
nes ont manifesté pacifi­
quement, vendredi
22 février, dans les rues
d’Alger et des grandes villes,
pour protester contre
un cinquième mandat
d’Abdelaziz Bouteflika
▶ Le président sortant,
81 ans, est au pouvoir
depuis vingt ans. Victime
d’un AVC en 2013, il
n’apparaît presque plus
en public et ne reçoit
plus ses hôtes étrangers
▶ Les manifestants ont
également hué son frère
Saïd, soupçonné de vouloir
lui succéder, ainsi que
le très impopulaire premier
ministre, Ahmed Ouyahia
▶ La contestation,
inattendue et massive,
s’est diffusée sur les
réseaux sociaux et
n’a été revendiquée par
aucun des partis algériens Pendant une manifestation,
à Alger, le 22 février. RYAD KRAMDI/AFP
PAGES 2-3

Géopolitique Italie Brexit Politique Droite Rencontre

La Côte d’Ivoire, La Ligue fait de Bruxelles se La majorité entend Dupont­Aignan Les douloureux
principale terre l’ombre au M5S prépare au chaos imposer l’écologie et son camping­car souvenirs d’enfance
de migrations jusque dans son du « no deal » dans le grand inquiètent de Clémentine
africaines fief de Sardaigne britannique débat national Les Républicains Autain
PAGES 12 À 15 PAG E 5 CAHIER ÉCO – PAGE 2 PAGE 6 PAGE 8 JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI... P. 21

VENEZUELA Césars Le triomphe de Léa  Education “UN GRAND FILM !”

EPREUVE  Drucker et de « Jusqu’à la garde » Dehaene :  PREMIÈRE

DE FORCE AUX  « L’école doit 
FRONTIÈRES être une cause  SANTIAGO, ITALIA
DU PAYS nationale » UN FILM DE NANNI MORETTI

deux vénézuéliens, des In­ Pour enrayer la baisse des

diens, ont été tués par des mili­
taires, vendredi 22 février,
à 70 km de la frontière brési­
lienne, alors qu’ils tentaient
de forcer un barrage de l’armée
pour faire passer l’aide humani­
taire venue des Etats­Unis.
Nicolas Maduro a aussitôt affi­
ché son soutien à l’armée, alors
que les convois de vivres sont
censés faire plier les soutiens
militaires du régime et ouvrir
la voie à son opposant, Juan
Guaido, président de l’Assem­
blée nationale, chef d’Etat par
intérim autoproclamé.
A Cucuta, petite ville colom­
bienne, la « guerre » s’est jouée
en musique avec, de chaque
côté de la frontière, un concert
défendant des valeurs opposées.
Côté Venezuela, des militaires
ont organisé un show chaviste.
Côté colombien, des dizaines
de milliers de partisans
de Guaido se sont rassemblés.
PAGE 4
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
résultats des élèves fran­
çais depuis quinze ans,
Stanislas Dehaene, le pré­
sident du Conseil scienti­
fique de l’éducation natio­
nale, appelle à s’inspirer
d’urgence des leçons des
modèles étrangers
DÉBATS – PAGE 2 2
GONZALO FUENTES/REUTERS
1
ÉDITORIA L
xavier legrand est sorti grand succès populaire avec plus de
vainqueur, vendredi 22 février, 4 millions d’entrées, n’a récolté NÉTANYAHOU,
de la 44e cérémonie des Césars, que le César du meilleur acteur
en remportant quatre statuettes, pour un second rôle, décerné UN CYNIQUE
27 FÉVRIER
dont celle du meilleur film
pour Jusqu’à la garde et celle de
à Philippe Katerine. Les Cha­
touilles, d’Andréa Bescond
EN CAMPAGNE
la meilleure actrice pour Léa et Eric Métayer, a de son côté
P AG E 24
Drucker. En revanche Le Grand été distingué deux fois.
Bain, de Gilles Lellouche, gros PAGE 17
 INTERNATIONAL
2|
M A N I F E S TAT I O N S   E N   A L G É R I E
Algérie : révolte inédite contre le pouvoir
Des milliers de personnes ont défilé
vendredi dans les principales villes
du pays pour protester contre
la perspective d’un cinquième
mandat du président Bouteflika
DÉCRYPTAGE
alger ­ correspondance
C
inquième mandat d’Abdelaziz
Bouteflika : « L’Algérie dit
non ! » Accompagnant une
photo de foule, l’exclamation
barre la « une » du quotidien
francophone El Watan, ce sa­
medi 23 février, et résonne un peu comme
une libération. La veille, des milliers de per­
sonnes ont défilé à Alger et d’autres gran­
des villes du pays pour dire leur refus de
voir le président sortant, 81 ans, briguer un
cinquième mandat le 18 avril en dépit de
son état de santé.
Un mouvement inédit et spectaculaire :
c’est la première fois, en vingt ans de règne
d’Abdelaziz Bouteflika, que les Algériens
descendent simultanément dans les rues
de plusieurs régions du pays pour le contes­
ter. A Alger, la capitale, la mobilisation a
surpris aussi bien les opposants que le pou­
voir. La capitale, où les rassemblements
sont interdits depuis l’année 2001, a connu
ses plus importantes manifestations de­
puis près de dix­huit ans.
Les mots d’ordre des cortèges sont tran­
chants. Contre Ahmed Ouyahia, le très im­
populaire premier ministre, traité de « vo­
leur ». Contre le cinquième mandat, objet de
toutes les colères. « Bouteflika, Saïd [le frère
du président], pas de cinquième mandat »,
« le peuple veut le changement de régime »,
« non à la mascarade ». Mais aussi, fait nou­
veau, contre le président lui­même. Ainsi,
un slogan irrévérencieux venu des stades
de football, où les tribunes sont connues
pour être des espaces de contestation politi­
que, était particulièrement repris :
« Bouteflika le Marocain, pas de cinquième
mandat ». Abdelaziz Bouteflika étant né à
Oujda, au Maroc. Jusqu’ici, beaucoup
d’Algériens considéraient le président
comme un vieil homme malade que son
entourage ferait mieux de laisser en paix,
mais la récente annonce de sa candidature à
un cinquième mandat a fait tomber les
digues de la bienséance.
Le 10 février, après des semaines de sus­
pense, le pouvoir faisait en effet savoir par
le biais d’un communiqué signé Abdelaziz
Bouteflika que celui­ci était officiellement
candidat à sa réélection. « La volonté iné­
branlable de servir la patrie ne m’a jamais
quitté et elle me permet de transcender les
contraintes liées aux ennuis de santé aux­
quels chacun peut être un jour confronté », y
écrivait le président.
L’annonce avait provoqué un choc tant
l’état de santé du chef de l’Etat semble in­
compatible avec les fonctions présidentiel­
les. Victime d’un AVC en 2013, celui­ci n’ap­
paraît quasiment plus en public, est incapa­
ble de s’adresser directement aux Algériens
et même désormais de recevoir les hôtes
étrangers. Malgré tout, les différents clans
qui composent le pouvoir algérien n’ont
pas réussi à se mettre d’accord sur une
éventuelle succession. La machinerie s’est
Mer
ESPAGNE Méditerranée
Alger
Relizane Annaba
Béjaïa
Oran
Oujda
Sétif Khenchela
Saïda
MAROC TUNISIE
Ouargla
ALGÉRIE
LIBYE
250 km
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
alors mise en route pour faire avaliser un
cinquième mandat.
Faute d’un candidat valide, les partis et les
clientèles du régime ont organisé des céré­
monies surréalistes autour du « cadre », le
portrait de Bouteflika, censé suppléer à son
absence physique. Ces scènes ont fait naître
répulsion et colère, mais les autorités n’ont
pas pris la mesure de l’indignation qui
montait dans le pays.
Les signaux n’ont pourtant pas manqué.
Mardi dernier, à Khenchela, dans l’est du
pays, un maire a décidé qu’aucun parrainage
autre que pour Abdelaziz Bouteflika ne se­
rait accepté dans sa mairie. En réaction, des
milliers de personnes se sont rassemblées
devant la mairie et ont exigé le retrait d’un
portrait géant du président qui voisinait
avec un grand drapeau national. Le propos
d’un manifestant – « enlève la photo et laisse
le drapeau » – a ensuite fait fureur dans le
pays. A Annaba, le jour suivant, des habi­
tants ont investi le siège de la mairie, arraché
un portrait du président qu’ils ont cassé et
piétiné. Les images sont devenues virales. A
Alger, le grand portrait de Bouteflika accro­
ché près de la grande poste a été arraché,
vendredi, par des manifestants.
Ces rassemblements sont un signal fort
envoyé au pouvoir : une partie des Algériens
ne se résignent pas à la reconduction du sta­
tut quo, à cette perspective jugée humi­
liante d’un cinquième mandat, et sont prêts
pour cela à descendre dans les rues. Pour
empêcher toute contestation, le régime a
souvent utilisé la peur du chaos, dans un
pays qui a vécu dix années de terrorisme.
« L’Etat a prouvé par le passé qu’il peut maî­
triser la rue. Nous avons fait comprendre au
groupe qui sillonnait le pays en appelant au
boycott de demander des salles. Mais ils ne
feront pas sortir le peuple dans la rue. Nous
les empêcherons de maîtriser la rue ou de
nous créer de l’anarchie », avait prévenu le
premier ministre, Ahmed Ouyahia, à l’in­
tention des partis d’opposition appelant au
boycott de l’élection présidentielle.
ÉVITER UNE PROPAGATION « VIRALE » reine, pacifique et déterminée qui était dans
Le pouvoir a, semble­t­il, tenté de limiter les la rue. C’est une jeunesse qui ne se résigne LES DATES
mobilisations. Révélées sur les réseaux so­ pas. Le pouvoir est averti, l’option du statu
ciaux, des consignes pour des prêches inci­ quo ne sera pas une promenade », souligne
taient les imams à mettre en garde leurs fi­ Moumène Khelil, secrétaire général de la
dèles contre la « défiance » à l’égard du « diri­ Ligue algérienne de défense des droits de AVRIL 1999
geant », à rappeler les « bienfaits de la stabi­ l’homme. Election d’Abdelaziz Bouteflika,
lité » et les drames que vivent des pays « C’EST UNE ALGÉRIE  62 ans, à la tête de l’Algérie. Sa
comme la Libye et la Syrie. Tous les imams DIVERSE, SEREINE,  LE POUVOIR MARCHE SUR DES ŒUFS priorité, rétablir la paix : le pays
n’ont pas suivi ces « directives ». Ceux qui Ces manifestations, aussi inattendues que est en guerre civile depuis 1992.
l’ont fait n’ont pas eu de succès et ont même PACIFIQUE ET  massives, auront­elles une incidence sur les
parfois suscité des mouvements d’humeur choix du pouvoir ? Jeudi, la télévision a
de leur public. DÉTERMINÉE QUI ÉTAIT  diffusé la prestation de serment du nou­ SEPTEMBRE 1999
La crainte d’une forte mobilisation semble veau président du Conseil constitutionnel, « Oui » massif au référendum
également avoir été anticipée dans certaines
DANS LA RUE. C’EST  Tayeb Belaiz, un fidèle du chef de l’Etat qui sur la loi de concorde civile, pré-
villes par les services de sécurité, qui ont UNE JEUNESSE QUI NE  a, entre autres prérogatives, celle de valider voyant une amnistie condition-
tenté d’éviter une propagation « virale » de la les candidatures à la présidence de la Répu­ nelle pour les islamistes armés.
contestation et une visibilité des manifesta­ SE RÉSIGNE PAS. LE  blique, dont le dossier prévoit la fourniture
tions en ciblant Internet. Des perturbations d’un « certificat médical délivré à l’intéressé
rendant les connexions sur les réseaux so­ POUVOIR EST AVERTI,  par des médecins assermentés ». Une chose 2004 PUIS 2009
ciaux très problématiques ont été signalées L’OPTION DU STATU  est sûre : la résistance au cinquième man­ Réélu président.
dès jeudi soir à partir de 22 heures et se sont dat d’Abdelaziz Bouteflika a cessé d’être vir­
amplifiées dans la journée du vendredi. Elles QUO NE SERA PAS  tuelle et le pouvoir marche sur des œufs.
ont notamment visé les régions d’Alger, Tizi­ Malgré un déploiement massif, les forces de 2011
Ouzou, Blida, Médéa et Chlef. UNE PROMENADE » sécurité sont dans l’ensemble restées passi­ Alors que les soulèvements po-
Malgré tout, la contestation s’est déroulée MOUMÈNE KHELIL ves. Le pouvoir est, lui, resté silencieux. pulaires balaient plusieurs diri-
de manière pacifique à Alger et dans les secrétaire général de la Ligue Le prochain test pourrait avoir lieu dès ce geants de la région, le pouvoir
grandes villes du pays – d’Annaba, à l’est, à algérienne de défense dimanche. Le mouvement Mouwatana (« ci­ algérien achète la paix sociale
Oran, à l’ouest, en passant par Sétif, Béjaïa ou toyenneté ») a appelé à des rassemblements grâce à la manne pétrolière.
des droits de l’homme
encore Ouargla, dans le Sud – et a même ga­ « de la dignité » afin d’exprimer le rejet des
gné des villes moyennes comme Jijel, dans le Algériens du « cinquième mandat et du ré­
Nord­Est, Sidi Bel Abbès, à l’ouest, ou encore gime politique en place et exiger l’Etat de droit 2013
Aïn Beïda, dans les Aurès. promis depuis la déclaration du 1er novem­ Le président est hospitalisé
Née d’appels diffusés sur les réseaux so­ bre 1954 ». Le jour même, le président Abde­ trois mois à Paris après un AVC
ciaux, elle n’a été revendiquée par aucun laziz Bouteflika devrait se rendre à Genève aux importantes séquelles.
parti. « Le fantasme de la récupération isla­ pour y effectuer des « contrôles médicaux pé­
miste sur lequel joue le pouvoir n’a pas mar­ riodiques », a annoncé un communiqué de la
ché. Les manifestants sont venus des mos­ présidence de la République.  2014
quées, mais également de leurs quartiers, de amir akef (avec charlotte bozonnet M. Bouteflika est réélu, contre
leurs maisons. C’est une Algérie diverse, se­ et madjid zerrouky à paris) toute attente (81,5 % des voix).
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DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 international | 3

Manifestation à
Des milliers d’Algérois dans la
Alger, le 22 février.
PHOTOS : RYAD KRAMDI/AFP ;
RAMZI BOUDINA/REUTERS rue pour clamer leur ras­le­bol
Dans la capitale, les manifestants, très déterminés, ont défilé dans le calme

REPORTAGE les images se répandent peu à peu et le

cortège grossit au cri de « le peuple ne
alger ­ correspondance
veut ni Bouteflika ni Saïd » – en réfé­
(Tout sur l’Algérie), une « imposante
marche » a eu lieu à Tizi Ouzou (à
100 km à l’est d’Alger). « Des milliers de

A l’heure où la nuit tombe sur

Alger, la clameur de la rue s’es­
tompe peu à peu. Le bruit
vient désormais du ciel, que qua­
drillent des hélicoptères de la sécurité.
Leur bourdonnement emplit un cen­
tre­ville qui se vide doucement de ses
milliers de manifestants. Mehdi,
25 ans, redescend à pied vers son quar­
tier, de la fierté dans les yeux : « Vous
avez vu, la peur a changé de camp ! »
Ce vendredi 22 février, un soleil de prin­
temps brille sur la capitale algérienne.
En début d’après­midi, à l’heure où la
prière se termine, le paysage urbain s’est
métamorphosé. Les Algérois ont décidé
de ne pas rentrer chez eux. Peu à peu, les
artères s’obscurcissent et des milliers de
marcheurs convergent vers le centre de­
puis la place du 1er­Mai. Ils répondent à
des appels lancés sur les réseaux sociaux
pour dénoncer la candidature du prési­
dent Abdelaziz Bouteflika. Au pouvoir
depuis 1999, ce dernier, 81 ans, a officiel­
lement annoncé, le 10 février, qu’il bri­
guerait un cinquième mandat lors de la
présidentielle du 18 avril.
Près du marché du 1er­Mai, des véhi­
cules de police anti­émeutes sont sta­
tionnés et des forces de sécurité sont
déployées le long des grandes artères.
Dans la matinée, les forces de l’ordre
ont procédé à plusieurs arrestations ;
mais le cortège semble avoir oublié
cette pression.
Réseaux sociaux
Les manifestants veulent faire connaî­
tre leur audace. Téléphones portables
brandis au­dessus des têtes, ils filment.
Il leur faut diffuser en direct sur les ré­
seaux sociaux ce réveil du peuple dans
une ville où toute manifestation est of­
ficiellement interdite depuis 2001 et où
la police intervient généralement sur­
le­champ pour endiguer la moindre
tentative de rassemblement.
Cette fois pourtant, les forces de sécu­
rité ne leur barrent pas la route. Le trafic
Internet est certes ralenti depuis la
veille au soir, mais qu’à cela ne tienne,
rence au frère du président.
« Le cinquième mandat est une aber­
ration. C’est anticonstitutionnel. Mar­
cher, c’est aussi dire qu’on veut ouvrir la
politique à d’autres personnes », expli­
que Aziz, la trentaine, habitant du cen­
tre­ville. Voile pastel sur ses cheveux,
Souad tient dans la main une feuille
blanche où elle a inscrit un définitif
« Non au cinquième mandat ». Ce slo­
gan, elle l’explique d’un lapidaire :
« C’est trop. On n’en peut plus.
Bouteflika a assez gouverné. » A côté
d’elle, une autre femme donne, elle, de
la voix, scandant : « Y’en a marre de ce
pouvoir ! Bouteflika dégage ! On en a
marre d’être gouverné par un cadre [en
référence au portrait de Bouteflika
suppléant à son absence] ! » Déter­
miné, le cortège avance et grossit en­
core, rejoint par des jeunes du centre­
ville qui veulent faire savoir que « les
autorités nous méprisent ! »
Au fil des kilomètres, l’assurance
s’installe. Devant le siège de la sûreté
de la wilaya (préfecture de police), les
manifestants applaudissent même.
Près de la grande poste, ils huent l’im­
mense portrait d’Abdelaziz Bouteflika
accroché sur la façade du siège du Ras­
semblement national démocratique,
le parti du premier ministre Ahmed
Ouyahia. Un moment plus tard, un pe­
tit groupe le décroche même. Cela fait
désormais presque une demi­heure
qu’ils marchent, sans heurt. « Notre
peuple est sage ! Ils nous ont méprisés,
ils nous ont humiliés », crie un homme
âgé, coiffé d’un béret. Pourtant, dans ce
pays figé, l’appel à manifester avait
suscité beaucoup de craintes. Sofiane
avait « fait fermer les bureaux de [son]
entreprise à Oran et à Constantine, par
peur des violences ». Un manifestant
tente, lui, de rassurer sa mère au télé­
phone quand une jeune femme à son
côté lui sourit : « Pourquoi j’aurais peur
de manifester ? Je suis venue exprimer
mon opinion. Je suis comme le peuple. »
Dans d’autres villes aussi la rue a
parlé. Selon le site d’information TSA
manifestants ont scandé “le peuple veut
la chute du régime” » à Ouargla (est), a
rapporté le quotidien El Watan sur son
site et la presse algérienne mentionne
également des marches de protesta­
tions à Béjaïa, Tiaret, Relizane et Sétif
(nord), à Annaba (nord­est).
Deux virages plus loin, face au palais
du gouvernement, la foule s’est encore
enhardie. Cette fois, les chants l’empor­
tent : « Vous, les voleurs, vous avez
mangé le pays », entend­on. Alors que
le cortège remonte la pente jusqu’au
quartier du Telemly, un commerçant
distribue même des bouteilles d’eau, et
des femmes saluent depuis les balcons.
Alors que des jeunes hommes enta­
ment un chant funéraire d’un « Allahu
Akbar », d’autres les arrêtent, prudents,
craignant qu’on dise : « Regardez, ce
sont les islamistes qui manifestent. » Les
appels à la vigilance sur les récupéra­
tions qui pourraient être faites du
mouvement continuent de circuler sur
les réseaux sociaux.
« Ils nous méprisent »
En fin d’après­midi, alors que des
manifestants tentent de rejoindre la
présidence de la République, au som­
met de la colline, les forces de l’ordre
font cette fois usage de gaz lacrymogè­
nes et vers 18 h 30, des échauffourées
éclatent près de l’Ecole des beaux­arts.
La police riposte avec des balles en
caoutchouc face à 200 jeunes qui ten­
tent de bloquer la route, brûlent des
poubelles et jettent des projectiles.
L’un d’eux est blessé au visage, deux
autres montrent les impacts sur leurs
bras. « Ils nous méprisent », lance un
blessé. Le gérant d’un commerce d’ali­
mentation secoue la tête : « Ce sont des
voyous. La manifestation était pacifi­
que, très bien organisée. Un jeune a
tenté de voler un téléphone, il s’est fait
tabasser par d’autres manifestants. »
Mais, ce vendredi 22 février, la volonté
de n’être ni récupéré ni débordé était
forte dans les rues algéroises. 
zahra chenaoui

Face à une société sclérosée, de plus en plus de candidats au départ

Malgré leur situation prospère, beaucoup de quarantenaires choisissent de quitter l’Algérie pour offrir une meilleure éducation à leurs enfants

TÉMOIGNAGES front, cette nouvelle mode de plus

en plus présente. Et je ne parle
alger ­ correspondance
même pas de la bigoterie qui ac­
« LE CORPS DES 
« Le privé est une alternative que
j’ai refusée de peur que ma fille ne
financiers… les prétextes au dé­
part ne manquent pas. Mais
épouse. « Le corps des filles est
sexualisé et caché de plus en plus
FILLES EST SEXUALISÉ  vive en vase clos », témoigne comme pour Nora et Amine, tôt, commente Skander. Or,

N ora n’a pas l’habitude de

prendre une journée de
congé comme ça, mais
là, le motif était important. Ce
mercredi de février, elle a aban­
donné son poste de directrice
d’agence chez un opérateur télé­
phonique à Béjaïa, pour assister à
Alger à une session d’informa­
tion sur l’émigration au Canada.
Mariée, deux enfants, Nora pré­
sente pourtant tous les signes
extérieurs d’une vie « réussie ».
Mais elle veut partir.
« C’est la naissance de notre fils,
il y a trois ans, qui m’a ouvert les
yeux. Il n’était pas question qu’il
aille dans une école qui enseigne
à faire la prière, à réciter et pas à
réfléchir, comme celle qu’a fré­
quentée notre fille. » Et l’école
n’est pas un cas isolé de ce qu’elle
déteste. C’est la société entière
que Nora ne reconnaît plus.
« Le niqab et les barbes, qui
n’étaient plus très visibles après la
guerre civile des années 1990
(remportée par l’armée contre les
islamistes armés), mais aussi les
marques de prosternation sur le
compagne ces signes extérieurs
de religiosité. On a appris à notre
fille à mentir, car nous ne faisons
pas le ramadan ou parce qu’il
nous arrive d’ouvrir une bouteille
de vin… Si nos enfants sont
ouverts d’esprit, ils vont souffrir.
Comme nous. Car nos espoirs de
voir une Algérie progressiste
émerger ne se sont pas réalisés. Et
moi, je veux qu’ils soient libres de
faire ce qu’ils veulent sans être
perçus comme des marginaux »,
explique la mère de famille.
Le choix d’une école privée
« Plusieurs sources d’enquêtes
souvent partielles attestent de ce
phénomène naissant en Algérie,
mais déjà bien développé au Ma­
roc et en Tunisie : des familles au
statut social et professionnel en­
viables s’installent à l’étranger
pour l’avenir de leurs enfants »,
explique Saïb Musette, directeur
de recherche au Centre de re­
cherche en économie appliquée
pour le développement (Cread).
L’investissement local, c’est la
solution qu’Amine, 45 ans, a
ET CACHÉ DE PLUS EN 
PLUS TÔT. J’AIMERAIS 
QUE MA FILLE VIVE  a ouvert un restaurant. « Etu­
SON ADOLESCENCE  diant, je me disais que ce pays,
SANS SE CACHER »
SKANDER
médecin
choisie. Par défaut. Journaliste
dans un quotidien, il n’avait ja­
mais songé à émigrer, par peur
d’un déclassement social, jus­
qu’à la naissance de sa fille. Alors,
avec son épouse, employée dans
une multinationale, il a com­
mencé à se documenter, bien
qu’il se refuse encore à partir
sans la garantie d’un emploi.
Le couple compte déjà quatre frè­
res et sœurs installés aux Etats­
Unis, au Canada, en France et en
Bulgarie. Tous ses efforts sont
tournés vers l’éducation de leur
fille, inscrite à l’âge de 6 ans dans
une école privée.
Skander. Alors, depuis trois ans,
ce fondateur d’une agence de pu­
blicité fait la navette entre l’Algé­
rie et l’Espagne, où il a installé sa
femme et sa fille de 7 ans, et où il
alors entre deux systèmes (parti
unique et multipartisme), allait fi­
nir par évoluer positivement,
poursuit­il. Mes premiers doutes
sur notre capacité à changer sont
apparus en 2010 avec le troisième
mandat du président et le vrai dé­
clic a été la naissance de ma fille. »
Alors il a franchi le pas.
Comme l’avait fait la généra­
tion d’avant pour fuir la guerre
civile. Selon l’OCDE, 267 799 Al­
gériens qualifiés (un quart du
flux total) vivent hors de leur
pays de naissance. 75 % sont en
France, 11 % au Canada et 4 % en
Grande­Bretagne, selon le Cread,
organisme qui a enregistré une
explosion de ces départs depuis
les années 1990.
Corruption, vide culturel, sys­
tèmes d’éducation et de santé
défaillants malgré les moyens
c’est le refus d’une « société
rongée par la bigoterie inculquée
dès l’école » qui a eu raison
de Skander.
Plusieurs chercheurs ont, ces
dernières années, pointé les dis­
cours contenus dans les manuels
scolaires, en cours de réforme. Il
y est question de rejet du non­
musulman, d’une religion qui ré­
glemente la vie privée et publi­
que et d’une place de la femme
réduite à la portion congrue.
Dakar ou Abidjan
Cet élu de l’ancien parti unique,
le FLN, confortablement installé
à Oran, s’était toujours opposé
aux velléités de départ de sa
femme… jusqu’à cet été. Alors
qu’ils passaient le week­end dans
un complexe côtier où ils ont
leurs habitudes, un membre de
l’établissement a demandé à sa
femme et à sa fille, âgée de 8 ans,
de remiser leur maillot et de
s’habiller « plus convenable­
ment » sur la plage. Cette anec­
dote banale, une de plus, a fait
basculer l’époux du côté de son
j’aimerais que ma fille vive son
adolescence et sa sexualité sans
se cacher. »
Employé à l’hôpital militaire de
Aïn Naâdja, à Alger, ce jeune mé­
decin, métier le plus siphonné
par la fuite des cerveaux, a re­
noncé à partir en Allemagne avec
sa femme et sa fille de 3 ans.
« Trop compliqué… Mais on songe
à Dakar ou Abidjan, ça peut être
intéressant ? », interroge­t­il,
dans un pays où la migration
vers le sud est rarement associée
à une amélioration de la qualité
de la vie. « Et Addis Abeba ? j’ai en­
tendu dire qu’il y avait une crois­
sance à deux chiffres en Ethio­
pie… » Fahem, ingénieur et jeune
militant politique, veut pourtant
voir un espoir : « Quel que soit
leur profil, ces milliers de person­
nes qui veulent partir font la
queue devant les consulats de
pays libres, pas devant l’Arabie
saoudite », sourit­il, estimant
que ces personnes ne sont peut­
être pas aussi isolées qu’elles ne
le pensent. 
fahim djebara

4 | international
Epreuve de force aux frontières du Venezuela
Alors que Nicolas Maduro a fermé les points de passage, Juan Guaido a fixé à samedi l’entrée de l’aide d’urgence
cucuta (colombie), pacaraima
(brésil) ­ envoyées spéciales
L
a mort de deux Vénézué­
liens sous les balles des
militaires venait à peine
d’être ébruitée que Nicolas
Maduro a affiché par un Tweet,
vendredi 22 février, son soutien
aux forces armées « garantes de la
paix ». « Morale maximale, cohé­
sion maximale, action maximale,
nous vaincrons ! », a écrit l’héritier
et successeur d’Hugo Chavez.
Vingt­quatre heures avant l’arri­
vée aux frontières brésiliennes et
colombiennes de camions char­
gés de vivres et de médicaments
venus des Etats­unis, l’opération
humanitaire censée faire plier les
soutiens militaires du président
vénézuélien et ouvrir la voie à son
opposant, Juan Guaido, faisait
craindre une dangereuse escalade.
Les balles tirées par l’armée à
Kumurakapay, à 70 kilomètres de
la frontière brésilienne, visaient
les Indiens de la communauté Pe­
mon déterminés à forcer le pas­
sage de l’aide en dépit du barrage
des militaires. « Ou vous capturez
et livrez les responsables de cette
répression et de ces assassinats de
nos frères, ou vous serez les res­
ponsables », a lancé de son côté,
sur Twitter, Juan Guaido, le prési­
dent de l’Assemblée nationale,
chef d’Etat par intérim autopro­
clamé et reconnu notamment par
une vingtaine d’Etats européens,
dont la France.
Redoutant une augmentation
de la violence, le président brési­
lien, Jair Bolsonaro, a convoqué
une cellule de crise dans la soirée.
Sans renoncer à l’opération, le
Brésil prévient que si la frontière
restait fermée samedi, les ca­
mions rebrousseraient chemin,
sans forcer le passage. Nicolas Ma­
duro « pense qu’il va être envahi
par les Etats­Unis, il veut donner à
la population l’impression qu’il est
menacé », avait relativisé un peu
plus tôt le vice­président brési­
lien, le général Hamilton Mourao.
« On rentre demain »
Dans la petite ville colombienne
de Cucuta, la confrontation s’est
jouée en musique. De chaque côté
de la frontière se tenait un con­
cert défendant des valeurs oppo­
sées. Du côté vénézuélien, les mi­
litaires avaient monté une es­
trade pour un show chaviste sur
le thème « Para la guerra, nada »
(« Rien pour la guerre »). Côté co­
lombien, le Venezuela Aid Live a
rassemblé plusieurs dizaines de
milliers de personnes.
Venue « pour la musique et pour
« Barkhane » élimine l’un des principaux chefs djihadistes au Sahel
Djamel Okacha, alias Yahya Abou Al­Hammam, était l’une des deux cibles « de haute valeur » de l’armée française, avec Iyad Ag­Ghali
S a dernière apparition sur
une vidéo de propagande
remontait à septembre
2018. Une nouvelle fois, il mena­
çait « la France chrétienne », aver­
tissant que « tout ce que tu nous
fais ne fera que nous encourager à
continuer sur le chemin du dji­
had ». Jeudi 21 février, Djamel Oka­
cha, alias Yahya Abou Al­Ham­
mam, « chef de l’émirat de Tom­
bouctou », a été tué au Mali par
Barkhane, la force antiterroriste
française déployée au Sahel. Il
était émir adjoint de la Jama’at
Nusra Al­Islam wa­l­Muslimin
(JNIM, ou Groupe de soutien à l’is­
lam et aux musulmans) qui re­
groupe plusieurs mouvements
affiliés à Al­Qaida au Maghreb is­
lamique (AQMI).
Le communiqué du ministère
des armées se félicite de cette
« action spectaculaire [qui] con­
crétise des années de recherche ».
Mer des Antilles
Caracas
Cucuta
VENEZUELA
GUYANA
COLOMBIE Pacaraima
BRÉSIL
500 km
la cause », la foule porte là des tee­
shirts aux couleurs du Venezuela
et à la gloire de la liberté. Tous ont
le sourire. « Le régime de Nicolas
Maduro vit ses derniers jours », se
réjouit Jesus, 37 ans. Sur la scène
montée au pied du pont de Tien­
ditas, qui relie Cucuta au Ve­
nezuela, la chanteuse Reymar Per­
domo entonne Me fui (« Je suis
partie »). La chanson que la jeune
femme de 29 ans, originaire d’une
petite ville au sud de Caracas, a
composée pour gagner sa vie
dans les bus de Lima est devenue
l’hymne de la migration vénézué­
lienne. La foule reprend en chœur
« Maduro coño e tu madre » – ver­
sion vénézuélienne du « nique ta
mère » – sous l’objectif des camé­
ras du monde entier.
Les spectateurs et les vendeurs
ambulants qui proposent bois­
sons gazeuses et chapeaux de so­
leil sont en majorité vénézuéliens.
Certains ont passé la frontière au
petit matin. D’autres sont instal­
lés en Colombie depuis plusieurs
années ou plusieurs mois. Au to­
tal, plus de trois millions de Véné­
zuéliens ont fui le pays dévasté
par la crise économique et l’auto­
ritarisme croissant du régime.
« On rentre demain », lance
joyeusement Karell. Professeur
d’université dans son pays, il est
serveur depuis quatre mois à Cu­
cuta. Samedi matin, il avait prévu
de rejoindre le groupe des volon­
taires qui entendaient passer la
frontière les bras chargés d’aide
humanitaire. L’opération a été
montée par Juan Guaido et ses
équipes qui, depuis un mois, dé­
fient le pouvoir chaviste. Depuis,
Nicolas Maduro n’a eu de cesse de
crier au coup d’Etat, refusant toute
aide envoyée par Washington.
Six cents tonnes d’aliments at­
tendent dans les hangars de Cu­
cuta : une goutte d’eau pour un
pays de 30 millions d’habitants.
Mais les cartons sont devenus le
symbole de la lutte engagée par
Yahya Abou Al­Hammam, tué au
nord de Tombouctou, était de­
puis quelque temps déjà l’une des
deux cibles djihadistes « de haute
valeur » recherchées par l’armée
française au Sahel, au côté d’Iyad
Ag­Ghali, le chef du JNIM.
« C’était une figure centrale du
djihad au Sahel depuis vingt ans,
explique Andrew Lebovich, cher­
cheur américain associé au Con­
seil européen des relations inter­
nationales. A la fois chef militaire
et stratège, une figure rassem­
bleuse entre les différents mouve­
ments djihadistes. » Dans son
communiqué, la ministre fran­
çaise des armées, Florence Parly,
le décrit comme « le concepteur et
le financier de nombreuses atta­
ques contre les valeurs et intérêts
communs que nous partageons et
défendons avec les pays du G5 Sa­
hel : le Burkina Faso, le Mali, la
Mauritanie, le Niger et le Tchad ».
Juan Guaido
et les chefs
d’Etat du
Chili, de la
Colombie et
du Paraguay
au concert
Live Aid pour
le Venezuela,
à Cucuta,
le 22 février.
LUIS ROBAYO/AFP
l’opposition vénézuélienne et ses
alliés internationaux pour faire
tomber Nicolas Maduro. « Si une
seule caisse passe la frontière,
nous aurons gagné », résume
Omar Lares, un ancien maire
aujourd’hui exilé à Cucuta.
« Irréversible »
La ville colombienne d’un million
d’habitants est le théâtre depuis
deux jours d’une activité diplo­
matique et d’une attention mé­
diatique inusuelles. L’envoyé spé­
cial des Etats­Unis, Elliott Abrams,
a fait le voyage depuis Miami à
bord d’un avion militaire chargé
d’aide alimentaire. « Si le gouver­
nement de Nicolas Maduro ne
tombe pas aujourd’hui ni demain,
nous continuerons la lutte », a dé­
claré ce vétéran des administra­
tions Reagan et Bush, confirmant
également l’existence de pourpar­
lers entre son gouvernement et
les autorités vénézuéliennes.
Le président colombien Ivan Du­
que est venu de Bogota en compa­
gnie de son homologue chilien Se­
bastian Piñera et du Paraguayen
Mario Abdo. Le secrétaire général
de l’Organisation des Etats améri­
cains, Luis Almagro, les a rejoints.
« Le processus d’encerclement est
irréversible », a déclaré le chef de
l’Etat colombien. La droite du con­
tinent, unie, entend venir à bout
de Nicolas Maduro.
En 2012, Yahya
Abou Al-Hammam
avait été nommé
« gouverneur »
de Tombouctou,
le laboratoire
d’Al-Qaida au
Maghreb islamique
C’est en Algérie, où il est né
en 1978 à Réghaïa (est d’Alger),
que Djamel Okacha fait d’abord
parler de lui. En 1995, il purge plu­
sieurs mois de prison pour ses
liens présumés avec le Groupe is­
lamique armé (GIA), avant de re­
joindre le Groupe salafiste pour
la prédication et le combat
(GSPC) dès sa création, trois ans
plus tard. En 2003, sous la pres­
« Me Fui »
(« je suis partie »),
la chanson que
Reymar Perdomo
entonne à Cucuta,
est devenue
l’hymne des
Vénézuéliens
en exil
Dans le hall de l’hôtel Casino de
Cucuta, l’ambiance est à la conspi­
ration. Les hommes présents ne
prêtent qu’une attention distraite
au concert retransmis sur écran
géant. « C’est demain que les cho­
ses sérieuses commencent », expli­
que Yoel. Membre du comité or­
ganisateur, il refuse d’en dire plus
long sur ses fonctions. « Coordon­
ner une opération de cette enver­
gure nous oblige à être très pru­
dents. Les services secrets vénézué­
liens – et cubains – sont partout,
explique­t­il. Nous ne dévoilerons
notre stratégie qu’au dernier mo­
ment afin d’empêcher que le gou­
vernement de Nicolas Maduro
puisse anticiper une réponse. »
Omar Lares sera au pied du pont
Union, à une heure de route de Cu­
cuta, pour attendre les instruc­
sion de l’armée algérienne qui
traque ses membres, il accompa­
gne le redéploiement du GSPC
dans le nord du Mali et participe à
l’implantation puis au dévelop­
pement d’Al­Qaida au Maghreb
islamique dans tout le Sahel.
« Pelouse »
En 2012, alors que la coalition des
indépendantistes touareg et des
djihadistes contrôle la moitié du
Mali, il est nommé « gouverneur
de Tombouctou » par Abdelma­
lek Droukdel, l’émir d’AQMI et ex­
chef du GSPC. Cette ville est alors
le laboratoire du nouvel ordre is­
lamique qu’Al­Qaida et ses alliés
tentent d’imposer dans la région.
« Abou Al­Hammam a servi à
pratiquement tous les niveaux de
la hiérarchie d’AQMI, écrivait en
janvier Alex Thurston, professeur
à l’université Miami dans l’Ohio.
Il a ainsi connu tous les hauts et les
tions de Juan Guaido. « Plus de
170 000 Vénézuéliens vivent à Cu­
cuta. Cela fait du monde à mobili­
ser », se réjouit cet ancien élu mu­
nicipal. Comme tous les responsa­
bles de l’opposition vénézué­
lienne, il rêve de voir un fleuve de
volontaires marcher vers la fron­
tière et insiste sur le caractère paci­
fique de l’opération : « Nous
n’avons pas d’armes, nous n’avons
que du courage et des mots. »
« Le scénario idéal serait de voir la
garde nationale s’écarter pour lais­
ser passer pacifiquement les mani­
festants », continue M. Lares. Le
scénario le plus dramatique serait
celui d’un affrontement violent.
« Il aurait des conséquences inter­
nationales », souligne l’ancien
maire. Au sein de l’opposition vé­
nézuélienne, certains appellent de
leurs vœux une intervention mili­
taire américaine. Donald Trump
entretient l’ambiguïté sur ses in­
tentions. De son côté, le président
Maduro avait, dès jeudi soir, an­
noncé la fermeture « pour une du­
rée indéfinie » de la frontière ter­
restre avec le Brésil et de l’espace
aérien du Venezuela.
« Jouer plus fin »
« Je ne crois pas que le gouverne­
ment de Nicolas Maduro prenne le
risque de déployer la force armée,
analyse Yoel. Je crois qu’il va jouer
plus fin. » Comme tous les oppo­
bas du groupe, et tout particulière­
ment dans le champ politique au
Mali. » A ce titre, aux côtés d’Abou
Zeïd, d’Iyad Ag­Ghali et de Mokh­
tar Belmokhtar, il a connu l’apo­
gée des conquêtes djihadistes au
Mali en 2012. Et puis la chute : l’ef­
fondrement de leur projet de
maîtrise territoriale provoqué
par l’intervention militaire fran­
çaise « Serval » en 2013.
Il participera ensuite au rebond
d’AQMI dans la région en adop­
tant une nouvelle stratégie,
moins frontale. Sur le plan mili­
taire, c’est une nécessité face à la
force de frappe française, au dé­
ploiement de milliers de casques
bleus et à la naissance d’une
force régionale, le G5 Sahel. Dans
le tissu local, il reprend son jeu
d’alliances, complexes et insta­
bles, avec différents groupes et
tribus. Signe d’un renouveau, Ya­
hya Abou Al­Hammam apparaît
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
sants, ce membre du comité orga­
nisateur se veut optimiste. « La
garde nationale nous a laissés
passer », fait remarquer Gilmar
Marquez, un des députés véné­
zuéliens qui a fait le voyage par la
route jusqu’à Cucuta pour soute­
nir la cause de l’aide humanitaire.
« C’est bien le signe que Nicolas
Maduro hésite à user de la répres­
sion, insiste­t­il. les militaires sa­
vent que le pays a besoin d’aide,
que leurs familles en ont besoin. »
Juan Guaido avait quitté Cara­
cas jeudi matin avant d’arriver en
fin d’après­midi à Cucuta, juste à
temps pour assister à la clôture
du concert. Frappé d’une inter­
diction de sortie du territoire, le
jeune leader a affirmé que l’ar­
mée avait contribué au succès de
son périple. « Nous sommes là
précisément parce que les forces
armées ont aussi participé à ce
processus », a­t­il déclaré, poing
levé et chemise blanche, au côté
des présidents de Colombie, du
Chili, du Paraguay et du secrétaire
général de l’Organisation des
Etats américains. Dans la soirée,
le président Nicolas Maduro an­
nonçait la fermeture provisoire
des ponts qui séparent les deux
pays. Les proches de M. Guaido
voyaient dans cette décision un
« aveu de faiblesse du pouvoir ». 
marie delcas
et claire gatinois
en 2017 sur la vidéo marquant la
création du JNIM scellant l’union
de cinq groupes djihadistes.
Deux ans plus tard, deux ou
trois des cinq fondateurs pré­
sents sur les images sont morts.
« Sans chef, plus de direction ni de
coordination : les combattants
sont désemparés », s’est félicitée,
vendredi, la ministre française
des armées.
« Depuis un an, Barkhane est de­
venue plus efficace pour “tondre
la pelouse” », remarque Andrew
Lebovich, en référence à la capa­
cité des forces françaises à élimi­
ner les chefs de groupes armés.
« Mais la stabilité du Mali ne re­
pose pas uniquement sur la lutte
antiterroriste, ajoute­t­il, préci­
sant que, si Yahya Abou Al­Ham­
mam est une grande perte pour
AQMI, il n’était pas le seul à déte­
nir les clés du djihad. » 
christophe châtelot
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Italie : la Ligue s’enracine en Sardaigne
Le M5S, partenaire de Matteo Salvini, est en perte de vitesse dans les sondages, à la veille d’un scrutin régional
REPORTAGE
cagliari (italie) ­ envoyé spécial
L
e drapeau de la Ligue
flotte sur la Sardaigne.
Par tous les moyens –
tracts, affiches et ca­
mions publicitaires –, le nom et le
visage de son chef, Matteo Salvini,
sont omniprésents à Cagliari. Au
point de faire de l’ombre à Chris­
tian Solinas, le candidat présenté
par l’ensemble des formations de
droite pour l’élection régionale
du dimanche 24 février.
Jeudi soir, les milliers de person­
nes accourues sur la Piazza del
Carmine n’en avaient que pour
lui. Et lorsque « Matteo » est ap­
paru sous les vivats, vêtu d’un
blouson aux couleurs du drapeau
sarde, tandis que dans la foule
s’agitaient des dizaines de ban­
nières de la Ligue, naguère sym­
boles de la haine des méridio­
naux, la démonstration de force
était saisissante.
A peine chahuté par une poi­
gnée de militants de gauche ve­
nus chanter Bella ciao – « Tiens, il y
a des moustiques ce soir ! », leur
lance M. Salvini, débonnaire,
avant de promettre la fermeture
prochaine de tous les centres so­
ciaux de la ville –, le ministre de
l’intérieur italien a déroulé avec
aisance un répertoire désormais
classique. Eloge des produits agri­
coles locaux et de l’autonomie ré­
gionale, volonté de créer une
« zone franche » pour doper l’acti­
vité, attaques contre la gauche, qui
a « ruiné » la Sardaigne ces cinq
dernières années, et rappel de son
intransigeance face aux migrants.
Avec, en ligne de mire, une ambi­
tion difficilement contestable,
« faire de la Sardaigne un lieu où
l’on vit bien douze mois par an » –
autrement dit pas seulement lors
de la saison touristique. Au cours
des 31 réunions publiques aux­
quelles il a participé sur l’île, le mi­
nistre de l’intérieur a eu le temps
de se roder. A Cagliari, il est en vi­
tesse de croisière.
Deux semaines après une écla­
tante victoire de la droite dans
l’élection régionale des Abruzzes,
où le candidat présenté a frôlé les
50 % des suffrages, porté par une
Ligue à 28 %, le scénario semble
É TATS - UN I S
Nouvelle ambassadrice
américaine à l’ONU
Donald Trump a annoncé le
22 février qu’il avait désigné
Kelly Craft comme candidate
pour le poste d’ambassadrice
des Etats­Unis à l’ONU. Cette
républicaine de 56 ans est ac­
tuellement ambassadrice
des Etats­Unis au Canada. Sa
candidature doit encore être
confirmée par le Sénat. La
semaine dernière, Heather
Nauert a retiré sa candida­
ture pour le poste. – (AFP.)
S O U DA N
Etat d’urgence, le
gouvernement limogé
Le président soudanais Omar
El­Béchir a annoncé le 22 fé­
vrier le limogeage du gouver­
nement et décrété l’état d’ur­
gence dans tout le pays,
secoué depuis deux mois par
des manifestations presque
quotidiennes déclenchées par
la décision du gouvernement
de tripler le prix du pain. L’As­
sociation des professionnels
soudanais (APS), fer de lance
de la contestation, a dit qu’elle
continuerait à appeler à ma­
nifester jusqu’à ce que le chef
de l’Etat, au pouvoir depuis
presque trente ans, démis­
sionne. Selon un bilan officiel,
31 personnes sont mortes de­
puis le 19 décembre. L’ONG
Human Rights Watch évoque
51 morts, dont des enfants et
du personnel médical. – (AFP.)
Au meeting
de M. Salvini
à Cagliari,
des bannières
de la Ligue
flottent dans
la foule, naguère
symboles de
la haine des
méridionaux
devoir se répéter en Sardaigne. Sur
place, la formation de Matteo Sal­
vini fait figure de nouvelle venue,
mais en réalité le candidat qu’elle
défend est tout sauf un néophyte.
Christian Solinas, 42 ans, a com­
mencé en politique dans les rangs
de la démocratie chrétienne avant
de rejoindre le Parti sarde d’action,
une formation autonomiste qui
s’est davantage caractérisée, ces
derniers temps, par son opportu­
nisme que par son intransigeante
doctrinale. Et, en mars 2018, c’est
en tant que candidat de la Ligue
qu’il a été élu au Sénat.
« Transformisme »
Ancien adjoint aux transports du
conseil régional, M. Solinas con­
naît parfaitement les arcanes de la
région. En cela, il est l’exemple
parfait d’un des secrets de la « con­
quête du Sud » opérée par la Li­
gue : le recours à un grand classi­
que de la vie politique italienne, le
« transformisme ». Ainsi, au lieu
de chercher à faire émerger de
nouveaux responsables, la forma­
tion de Matteo Salvini s’appuie­t­
elle, lorsqu’elle le peut, sur des no­
tables locaux auxquels elle offre
son parrainage. Sous les dehors de
la modernité, elle peut alors affi­
cher une progression spectacu­
laire, tandis que les anciennes éli­
tes politiques restent en place.
Fort de son implantation en
Sardaigne et de l’appui de M. Sal­
vini, qui lui offre un élan et l’ap­
parence de la nouveauté, Chris­
tian Solinas fait donc figure de fa­
vori. D’autant plus que la force
qui s’annonçait comme sa princi­
pale concurrente, le Mouvement
BREXIT
Le leader du Labour
évoque un nouveau
référendum
Le chef de file de l’opposition
britannique, Jeremy Corbyn, a
déclaré le 22 février à la chaîne
SkyNews que le Labour rené­
gocierait l’accord de Brexit
avec l’UE s’il arrivait au pou­
voir, et qu’il pourrait organi­
ser un nouveau référendum
sur le nouvel accord. L’atti­
tude jugée ambiguë du diri­
geant travailliste a été parti­
culièrement critiquée ces
derniers jours, notamment
par neuf parlementaires pro­
européens qui ont annoncé
quitter le parti. – (Reuters.)
P H I L I P P IN E S
Un leader musulman
à la tête d’une nouvelle
région autonome au sud
Le président philippin Ro­
drigo Duterte a intronisé le
22 février Murad Ebrahim, le
dirigeant de la principale or­
ganisation musulmane de ce
pays très majoritairement ca­
tholique, comme chef du gou­
vernement local de la nou­
velle région autonome de
Bangsamoro. Après des an­
nées d’insurrection violente
(plus de 150 000 morts), le
principal groupe rebelle, le
Front Moro islamique de libé­
ration (MILF), dirigé par Mu­
rad Ebrahim, avait signé
en 2014 un accord de paix
avec le gouvernement. – (AFP.)
international | 5
5 étoiles – allié de la Ligue à Rome
–, paraît s’être volatilisée.
tirer de ces revers en série, qui doi­
vent surtout être attribués à un
tes abouti à un résultat clair : 59 %
des votants, militants du M5S, se
par la gauche, Massimo Zedda, se
sont­ils repris à espérer ces der­
Avec près de 43 % des voix lors mode de scrutin défavorable. Ce­ sont dits hostiles à la tenue d’un niers jours. Porté par une série de
des élections législatives de pendant, Luigi Di Maio lui­même, procès contre Matteo Salvini dans listes civiques et soutenu le plus
mars 2018 et une victoire dans dans la foulée du désastre des l’affaire du Diciotti – ce bateau de discrètement possible par un
toutes les circonscriptions ouver­ Abruzzes, a ouvert la porte, sur le secours aux migrants dont les Parti démocrate (PD, centre gau­
tes au scrutin majoritaire, la for­ blog du mouvement, à une ré­ passagers en détresse avaient dû che) largement discrédité, le
mation « antisystème » semblait forme conduisant à mieux struc­ attendre cinq jours dans le port de maire de Cagliari est peu à peu
en situation de s’ancrer dans l’île. turer le M5S, tout en reconnais­ Catane, en août 2018, avant d’être monté en puissance durant la
Mais elle a démontré une fois de sant qu’il serait parfois préférable autorisés à débarquer. campagne, au point d’espérer
plus son incapacité à proposer de ne pas se présenter aux élec­ contester la victoire à la droite.
une offre crédible lors des élec­ tions lorsque la formation ne dis­ Listes civiques Jeudi soir, depuis la tribune,
tions intermédiaires. Son candi­ pose pas de candidat crédible. Mais cette consultation a aussi Matteo Salvini a lui aussi souligné
dat, Francesco Desogus, biblio­ Ces réflexions cachent mal une mis en lumière les profondes di­ que l’affrontement en Sardaigne
thécaire et ancien directeur des crainte qui s’est emparée, ces der­ visions qui traversent la forma­ se jouait désormais entre lui et la
parcs et jardins de Cagliari, n’a ja­ niers jours, du mouvement « anti­ tion, un grand nombre de sympa­ gauche, lançant aux électeurs des
mais réussi à s’imposer. système » : celle d’une chute accé­ thisants estimant désormais qu’il 5 étoiles : « On ne peut pas tou­
Aussi, pressentant chaque jour lérée dans l’opinion préfigurant faut rompre au plus vite avec la Li­ jours dire non à tout. » Pourtant,
un peu mieux le désastre à venir, une catastrophe aux européen­ gue avant qu’il soit trop tard. quelques heures plus tôt, il avait
les ténors du mouvement ont nes du 26 mai. Un vote électroni­ Aussi, dans l’élection sarde, les réaffirmé sa volonté de continuer
préféré ne pas se montrer en Sar­ que organisé lundi 18 février a cer­ partisans du candidat soutenu à gouverner, à Rome, avec eux.
daigne. Tout au plus le chef poli­ Jusqu’à quand cette position
tique du M5S, Luigi Di Maio, a­t­il acrobatique sera­t­elle tenable ?
décidé de tenir vendredi soir une
réunion publique dans une salle
Salvini accusé de financement russe Jeudi après­midi, lors d’une con­
férence de presse conjointe avec
de conférences d’un hôtel de Ca­ Matteo Salvini a-t-il profité d’une visite à Moscou, en octo- Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) et
gliari, sans dissiper l’impression bre 2018, pour chercher à obtenir du Kremlin un financement en Silvio Berlusconi (Forza Italia), qui
qu’il s’acquittait, en la matière, vue de la campagne européenne à venir ? C’est ce qu’affirment soutiennent Christian Solinas, les
du strict minimum. Deux semai­ deux journalistes italiens, Giovanni Tizian et Stefano Vergine, deux partenaires de Matteo Sal­
nes après une cruelle déconfi­ dans un ouvrage à paraître, Il Libro nero della Lega (ed. Laterza, vini ont assuré qu’ils allaient l’ap­
ture dans les Abruzzes – la candi­ non traduit). Après une enquête de plusieurs mois, dont le ma- peler « dès lundi » pour le convain­
date du M5S y a récolté moins de gazine L’Espresso doit publier dimanche des extraits, les deux cre de mettre un terme à l’alliance
20 % des voix –, les responsables journalistes affirment que la Ligue s’est vue proposer par un in- gouvernementale avec le M5S. Ce­
de la formation s’attendent à un termédiaire russe proche du Kremlin 3 millions de tonnes de lui­ci leur a répondu, soudain gla­
résultat comparable. carburant à revendre sur le marché italien. Pour l’heure, malgré cial : « Dans ce cas­là, lundi, je
Officiellement, il n’y aurait les demandes d’explication de l’opposition, Matteo Salvini n’a laisse mon portable éteint. » 
aucune conséquence nationale à fait aucun commentaire sur ces accusations. jérôme gautheret
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• du Val d’Oise : http://www.val-de-marne.gouv.fr/Publications/AOEP-Avis-d-
AVIS D’ENQUÊTE PUBLIQUE Ouverture-d-Enquetes-Publiques
La Société du Grand Paris, située au 30 avenue des Fruitiers, Immeuble Toute information relative au projet peut être demandée auprès du maître
«Le Cézanne», 93200 Saint-Denis, a présenté une demande d'autorisation d’ouvrage, Madame Sophie GARNIER, chargée de mission à la Direction de
environnementale en application des articles L.181-1 à L.181-4 du code de l’ingénierie environnementale, Société du Grand Paris, 30 avenue des Fruitiers,
l'environnement au titre de l’autorisation des installations, ouvrages, travaux et Immeuble «Le Cézanne», 93200 Saint-Denis.
activités mentionnés à l'article L. 214-3 du code de l'environnement (loi sur l’eau) et Toute personne qui aurait à formuler des observations concernant cette opération pourra
à la dérogation pour atteinte à des espèces protégées, conformément à l’article L. les faire connaître pendant la durée de l’enquête publique : - en les consignant sur le
411-2 du code de l’environnement concernant la création et l’exploitation de la ligne registre d’enquête prévu à cet effet dans les lieux d’enquête cités ci-dessus, aux jours
15 Est du réseau de transport du Grand Paris Express reliant les gares de Saint- ouvrables et heures d'ouverture habituelle des services,
Denis Pleyel (exclue) dans le département de la Seine-Saint-Denis et de Champigny - en les adressant par écrit, au siège de l’enquête, à la préfecture de la Seine-Saint-
Centre (exclue) dans le département du Val-de-Marne. La Ligne 15 Est, d’une Denis, direction de la coordination des politiques publiques et de l'appui territorial,
longueur d’environ vingt-trois kilomètres, desservira deux départements : la Seine- bureau de l’environnement située au 1 Esplanade Jean Moulin – 93000 Bobigny,
Saint-Denis et le Val-de-Marne et comprendra dix nouvelles gares : Stade de France, - par voie électronique, du 15 mars 2019 à 08h00 au 15 avril 2019 à 18h00, via un
Mairie d’Aubervilliers, Fort d’Aubervilliers, Drancy-Bobigny, Bobigny-Pablo Picasso, registre dématérialisé accessible sur le site dédié à l’enquête à l'adresse suivante
Pont-de-Bondy, Bondy, Rosny-Bois-Perrier, Val de Fontenay, Nogent-Le-Perreux. : http://autorisationenvironnementale.ligne15est.enquetepublique.net ou par courriel
Les rubriques concernées par le projet au titre de la loi sur l’eau sont les suivantes : à l’adresse : autorisationenvironnementale.ligne15est@enquetepublique.net.
1.1.1.0., 1.1.2.0., 2.1.5.0., 2. 2. 1. 0., 2. 2. 3. 0., 3.2.2.0. et 5. 1. 1. 0. Les observations reçues par voie électronique seront consultables sur le site dédié.
L’enquête publique sera ouverte pendant 32 jours consécutifs du vendredi 15 Un membre de la commission d’enquête se tiendra à la disposition du public pour
mars 2019 au lundi 15 avril 2019 inclus en mairies d’Aubervilliers, Bobigny, Bondy, recevoir ses observations aux lieux de permanences, aux dates et heures fixées dans
Drancy, Noisy-le-Sec, Pantin, Rosny-sous-Bois, Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine, le tableau suivant :
Villemomble dans le département de la Seine-Saint-Denis, Champigny-sur-Marne,
MAIRIE D'AUBERVILLIERS Vendredi 22 mars 2019
Fontenay-sous-bois, Le Perreux-sur-Marne, Nogent-sur-Marne dans le département
Direction de la santé publique de 09h00 à 12h00
du Val-de-Marne et Gonesse dans le département du Val d’Oise et en préfecture de
Service santé environnementale Jeudi 4 avril 2019
la Seine-Saint-Denis.
31-33, rue de la Commune de Paris de 14h00 à 17h00
Le 24 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Montreuil a désigné
93300 AUBERVILLIERS
une commission d’enquête constituée de Monsieur Jean-Pierre CHAULET, général
de gendarmerie en retraite en qualité de président, de Madame Nicole SOILLY, cadre MAIRIE DE BOBIGNY Vendredi 15 mars 2019
supérieur à la Poste en retraite et de Monsieur Jean CULDAUT, architecte urbaniste 31 Avenue du Président Salvador de 08h30 à 11h30
indépendant en qualité de membres titulaires. Allende Lundi 8 avril 2019
Le dossier, comprenant notamment une étude d'impact et l’avis de l'autorité de 93000 BOBIGNY de 14h00 à 17h00
l'État compétente en matière d'environnement, les avis de l’Agence régionale de
santé d’Île-de-France (pour le compte des délégations départementales de la Seine- MAIRIE DE BONDY Jeudi 21 mars 2019
Saint-Denis et du Val-de-Marne), de la direction régionale des affaires culturelles Esplanade Claude-Fuzier de 09h00 à 12h00
d’Île-de-France et du conseil national de protection de la nature, des collectivités 93143 BONDY CEDEX Vendredi 5 avril 2019
territoriales et de leurs groupements, des mémoires en réponse de la Société du de 14h15 à 17h15
Grand Paris, ainsi qu’un registre d’enquête publique, seront déposés dans les lieux
MAIRIE DE DRANCY Mercredi 20 mars 2019
d’enquête suivants, où ils pourront être consultés aux jours ouvrables et heures
Direction générale de 14h00 à 17h00
habituelles d’ouverture au public :
Place de l’Hôtel de Ville Lundi 8 avril 2019
- Mairie d’Aubervillers, Direction de la santé publique – Service santé
93701 DRANCY CEDEX de 09h00 à 12h00
environnementale, 31-33, rue de la Commune de Paris, 93300 AUBERVILLIERS,
- Mairie de Bobigny, 31 Avenue du Président Salvador Allende, 93000 BOBIGNY, MAIRIE DE NOISY-LE-SEC Vendredi 22 mars 2019
- Mairie de Bondy, Esplanade Claude Fuzier, 93143 BONDY CEDEX, 1 Place du Maréchal Foch de 09h00 à 12h00
- Mairie de Drancy, Direction générale, Place de l’Hôtel de ville, BP 76, 93701 93130 NOISY-LE-SEC Jeudi 4 avril 2019
DRANCY CEDEX, de 09h00 à 12h00
- Mairie de Noisy-le-Sec, les permanences de la commission d’enquête se
dérouleront au 1 Place du Maréchal Foch. Le dossier sera consultable au centre MAIRIE DE ROSNY-SOUS-BOIS Jeudi 21 mars 2019
administratif au 1 rue de Châlons, 93130 NOISY-LE-SEC, Mairie annexe de 09h00 à 12h00
- Mairie de Pantin, 84-88, avenue du Général Leclerc, 93500 PANTIN, 22 rue Claude Pernès Lundi 15 avril 2019
- Mairie de Rosny-sous-Bois, le lieu d’accueil sera à l’annexe de la mairie de 93111 ROSNY-SOUS-BOIS CEDEX de 14h30 à 17h30
Rosny-sous-Bois, au 22 rue Claude Pernès, 93111 ROSNY-SOUS-BOIS CEDEX MAIRIE DE SAINT-DENIS Mardi 26 mars 2019
- Mairie de Saint-Denis, Service de l’urbanisme, 2, place du Caquet, 93200 SAINT- Service de l’Urbanisme de 09h00 à 12h00
DENIS, 2, place du Caquet Vendredi 12 avril 2019
- Mairie de Saint-Ouen-sur-seine, Centre administratif et social, Service foncier, 93200 SAINT-DENIS de 14h00 à 17h00
2ème étage – bureau 249, 6, place de la République, 93400 SAINT-OUEN-SUR-
SEINE, MAIRIE DE FONTENAY-SOUS-BOIS Lundi 18 mars 2019
- Mairie de Villemomble, 13 bis rue d'Avron, 93250 VILLEMOMBLE, Service de l’Urbanisme de 14h00 à 17h00
- Mairie de Champigny-sur-Marne, le dossier sera consultable à l’accueil de la 6 rue de l’Ancienne Mairie Jeudi 4 avril 2019
Direction des Infrastructures, des Transports et de l’Espace Public (DITEP) au 2ème 94120 FONTENAY-SOUS-BOIS de 14h00 à 17h00
étage, 14 rue Louis Talamoni, 94500 CHAMPIGNY-SUR-MARNE,
- Mairie de Fontenay-sous-Bois, Service de l’urbanisme, 6 rue de l’Ancienne MAIRIE DU PERREUX-SUR-MARNE Jeudi 21 mars 2019
Mairie, 94120 FONTENAY-SOUS-BOIS, Place de la Libération de 14h00 à 17h00
- Mairie de Le Perreux-sur-Marne, Place de la Libération, 94170 LE PERREUX- 94170 LE PERREUX-SUR-MARNE Vendredi 5 avril 2019
SUR-MARNE, de 09h00 à 12h00
- Mairie de Nogent-sur-Marne, Place Roland Nungesser, 94130 NOGENT-SUR-
MARNE, SIEGE : PREFECTURE DE LA Vendredi 29 mars 2019
- Mairie de Gonesse, direction de l’aménagement urbain, Secteur de l’urbanisme, SEINE-SAINT-DENIS de 09h00 à 12h00
A l'accueil général de la préfecture
Bureau du Parc 66 rue de Paris, B.P. 10060, 95503 GONESSE CEDEX,
- Préfecture de la Seine-Saint-Denis, Esplanade Jean Moulin, 93007 BOBIGNY 1 Esplanade Jean Moulin
CEDEX. 93007 BOBIGNY CEDEX
Le dossier d'enquête publique sera mis à la disposition du public sur le site À l’issue de cette enquête, le rapport et les conclusions de la commission
internet dédié à l’enquête, à l'adresse suivante : http://autorisationenvironnementale. d’enquête seront tenus à la disposition du public pendant un an dans les mairies
ligne15est.enquetepublique.net au plus tard à la date d'ouverture de l'enquête visées ci-dessus, ainsi qu’en préfectures de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne
publique. et du Val-d’Oise ainsi que sur les sites internet précités.
Il sera également consultable sur un poste informatique situé à la préfecture de La décision susceptible d'intervenir à la fin de cette procédure prend la forme d’une
la Seine-Saint-Denis, 1 esplanade Jean Moulin, 93007 Bobigny Cedex, du lundi au autorisation environnementale assortie du respect de prescriptions ou un refus. Elle
vendredi de 09h00 à 16h00. est prise par arrêté des préfets des départements concernés.
Des informations relatives à l'enquête publique peuvent être consultées sur les
EP19-062
 FRANCE
6|
La majorité veut imposer l’écologie dans le débat
Pour plusieurs députés La République en marche, le bilan de l’exécutif est largement insuffisant
N’
oublions pas l’éco­
logie ! » Plusieurs
députés La Répu­
blique en marche
(LRM) appellent l’exécutif à pren­
dre des mesures ambitieuses en
matière environnementale, à l’is­
sue du grand débat national. Près
de trois mois après le lancement
du mouvement des « gilets jau­
nes », ces membres de la majorité
regrettent que les questions de
pouvoir d’achat ou institution­
nelles aient pris le pas sur l’ur­
gence climatique. « L’écologie en
a malheureusement pris un coup
avec la crise des “gilets jaunes”,
qui a eu pour effet de faire passer
cet enjeu après d’autres », observe
le député LRM du Doubs et ex­élu
Vert Eric Alauzet.
Dans ce contexte social éruptif,
ces élus macronistes s’inquiètent
que l’ambition écologique de l’exé­
cutif soit revue à la baisse. Comme
si la nécessité de calmer la colère
des manifestants qui défilent cha­
que samedi était devenue plus im­
portante que de répondre à ceux
qui s’alarment de la destruction de
la planète. « La tentation peut être
de trouver des solutions rapides,
sous la pression de l’opinion publi­
que ou des lobbys. Mais la consé­
quence, c’est que, comme souvent,
les enjeux écologiques sont relé­
gués au second plan », déplore Bar­
bara Pompili, présidente LRM de la
commission du développement
durable à l’Assemblée. Pour l’ex­se­
crétaire d’Etat à la biodiversité
sous la présidence de François
Hollande, « le problème du climat
est pourtant si grave qu’il faut une
vision et surtout de la volonté poli­
tique dans ce domaine. Sans tom­
ber dans le piège qui consiste à sa­
crifier les enjeux de long terme pour
ceux de court terme ». « On ne peut
pas se limiter aux revendications
immédiates des Français. Il faut
construire les quarante prochaines
années », abonde sa collègue de Pa­
ris, Laetitia Avia.
A leurs yeux, les politiques en fa­
veur de l’écologie et du pouvoir
d’achat ne doivent pas être me­
nées de manière séparée. « Il faut
faire le “en même temps” sur ces
deux thèmes, qui doivent cohabiter
et ne pas être opposés », estime la
députée LRM des Bouches­du­
Rhône Claire Pitollat. « Une vraie
politique en faveur du développe­
ment durable nécessite de travailler
sur l’écologie, l’économie et le social
en synergie, appuie la députée du
Nord Jennifer de Temmerman.
Faisons bouger ces trois curseurs de
manière simultanée, plutôt que de
fonctionner en silos. »
Tous soulignent qu’une partie
des Français reste en attente de
mesures écologiques plus ambi­
tieuses. Mouvement des « gilets
jaunes » ou non. Comme en té­
«Un défenseur de l’environnement sur le modèle du défenseur des droits»
Cécile Muschotti, députée La République en marche du Var, a remis une note au ministre de la transition écologique
ENTRETIEN
C écile Muschotti, députée
La République en marche
(LRM) du Var et ex­socia­
liste, propose de créer une auto­
rité indépendante, calquée sur le
modèle du défenseur des droits.
Pourquoi proposer la création
d’un défenseur de l’environne­
ment ?
Vu l’urgence climatique, la pro­
tection de la biodiversité doit être
au centre de nos décisions et des
pratiques de chacun. Or, à l’heure
actuelle, la transition écologique
ne s’amorce pas aussi efficace­
ment et rapidement qu’il le fau­
drait. Pour y remédier, il apparaît
Barbara Pompili, présidente LRM de la commission du développement durable et ex­secrétaire d’Etat à la biodiversité, le 18 décembre 2018. AURÉLIEN MORISSARD/IP3
moignent les actions militantes
ayant eu lieu en parallèle de la
crise sociale, ces derniers mois,
afin d’alerter sur l’urgence clima­
tique. Qu’il s’agisse des marches
citoyennes, des rassemblements
de jeunes – le dernier en date a eu
lieu vendredi 22 février, à Paris –
ou de la pétition lancée par quatre
ONG écologistes pour demander
à l’Etat d’agir, signée par 2,1 mil­
lions de personnes.
« Vieux réflexes »
Pour ces députés macronistes, le
bilan de l’exécutif sur les ques­
tions environnementales reste
largement insuffisant. Avec des
résultats pas à la hauteur des es­
poirs suscités par le slogan « Make
our planet great again », pro­
noncé par Emmanuel Macron en
juin 2017. « Nous ne sommes pas
au niveau sur l’écologie, alors que
c’est le seul chemin pour une so­
ciété durable », juge Claire Pitollat,
qui préconise d’être « plus offen­
sif » sur la lutte contre la pollution
de l’air. « Le gouvernement ne va
pas assez vite sur certains sujets »,
estime à son tour Jennifer de Tem­
nécessaire de créer une autorité
indépendante, qui se situe au­des­
sus de tout parti politique. Nous
avons considéré il y a quelques an­
nées que les droits de chaque ci­
toyen devaient être mieux proté­
gés par la création d’un défenseur
des droits. Il est temps de prendre
une décision du même type pour
s’assurer que notre société, dans
son ensemble – Etat, collectivités,
entreprises, associations et ci­
toyens – mette tout en œuvre pour
protéger l’environnement. Notre
responsabilité est majeure : il
s’agit de sauver l’humanité.
Quelles seraient les similitudes
avec le défenseur des droits ?
Le défenseur de l’environne­
merman, qui regrette quant à elle
la non­inscription de l’interdic­
tion du glyphosate dans la loi ou
l’absence de mesure pour taxer le
kérosène des avions.
Si ces députés tentent de con­
vaincre l’exécutif, eux­mêmes
sont soumis à la pression de leur
base. En particulier des adhé­
rents du parti LRM, en pointe sur
ce sujet. « Malgré le départ de
Matthieu Orphelin, on considère
toujours que la transition écologi­
que doit être la priorité. Alors on
pousse nos députés à l’afficher »,
explique le président des Jeunes
avec Macron, Martin Bohmert,
dont l’organisation compte près
de 27 000 membres.
Message reçu par les élus de l’As­
semblée nationale. « Une bonne
partie de la majorité est très cons­
ciente des enjeux écologiques et
pousse le gouvernement à aller
plus loin car la nécessité d’agir vite
et fort n’est pas encore suffisam­
ment prise en compte au sommet
de l’Etat, où il persiste des vieux ré­
flexes, avec des arbitrages budgé­
taires à court terme », estime
Mme Pompili. « Si on veut être au
ment tirerait lui aussi sa pleine lé­
gitimité de son indépendance.
Personne ne pourrait l’empêcher
d’effectuer des signalements
quand les règles ne sont pas res­
pectées, et il ne pourrait pas être
accusé de partialité. Lui aussi se­
rait nommé par le président de la
République pour un mandat uni­
que de six ans. Et lui aussi débute­
rait son mandat au milieu de cha­
que quinquennat, pour ne pas être
contraint de quitter son poste en
cas d’alternance. Il n’aurait pas le
droit d’avoir une quelconque acti­
vité économique ou profession­
nelle. Et serait chargé d’une mis­
sion unique : développer la média­
tion économique et sociale ; s’oc­
cuper du règlement de différents
rendez­vous de l’histoire, il n’y a pas
le choix : il faut investir massive­
ment dans la transition écologique,
en ayant une vision de long terme »,
tranche le député ex­LRM Mat­
thieu Orphelin, aujourd’hui non­
inscrit. Ce proche de Nicolas Hulot
préconise d’allouer 15 milliards
d’euros supplémentaires (5 mil­
liards issus du public et 10 du
privé) pour atteindre un budget de
55 milliards d’euros par an. Une
simple question de choix politi­
que, d’après lui : « Pour l’Etat, la
somme nécessaire ne représente
que 0,2 % de la part du PIB ! »
Le risque de la fronde
« On peut évidemment faire mieux
mais on peut déjà être fiers d’avoir
déjà obtenu beaucoup d’avancées,
en particulier sur la prime à la con­
version pour le changement des vé­
hicules anciens et des chaudières
au fioul, ou sur le chèque énergie »,
relativise le député LRM de l’Isère
Jean­Charles Colas­Roy, qui pro­
pose l’organisation de grands
états généraux associant les diffé­
rents acteurs (Etat, associations…),
après le 15 mars, pour « passer à
dans les territoires, en trouvant
des compromis négociés ; faire des
recommandations aux pouvoirs
publics ; et privilégier les décisions
en équité plutôt qu’en droit pur.
L’actuel défenseur des droits est
un modèle car il démontre son ef­
ficacité en termes d’indépen­
dance. On a pu le constater lors des
prises de position critiques de Jac­
ques Toubon sur la loi asile­immi­
gration ou anti­casseurs.
Quelles décisions concrètes
pourrait­il prendre ?
Comme le défenseur des droits,
il n’aurait pas de pouvoir judi­
ciaire. Mais son pouvoir d’alerte
serait très important. S’il venait à
être saisi par une ONG, il pourrait
« Il faut
construire
les quarante
prochaines
années »
LAETITIA AVIA
députée LRM de Paris
l’action de la manière la plus con­
sensuelle possible ».
Pas question de reproduire les
erreurs ayant débouché sur l’éclo­
sion du mouvement des « gilets
jaunes ». Si la plupart de ces élus
font partie des 86 députés ayant
signé la tribune publiée le 13 fé­
vrier dans Le Figaro, plaidant
« pour une fiscalité carbone juste
socialement », aucun ne souhaite
un retour de la première mouture
de la taxe carbone, abandonnée
par le gouvernement fin décem­
bre, qui prévoyait une augmenta­
tion de la taxe sur les carburants à
partir du 1er janvier, sans réel ac­
compagnement financier.
Sans renoncer à l’outil fiscal, cha­
alerter un procureur pour con­
damner jusqu’à la puissance pu­
blique, en cas de manquement à
tout ce qui touche à la protection
de l’environnement. Dans chaque
préfecture, des collectifs citoyens
pourraient le saisir pour lui faire
remonter le non­respect d’une rè­
gle. Mais aussi pour lui faire part
de propositions, non prises en
compte par les pouvoirs locaux,
auxquelles il pourrait donner un
écho au niveau national.
Comment aboutir à la création
d’une telle autorité ?
Seul le gouvernement peut créer
une telle structure. J’essaie donc de
convaincre le ministre de la transi­
tion écologique, François de Rugy
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
cun a intégré qu’une nouvelle taxe
ne peut être remise en place en ro­
gnant le pouvoir d’achat des Fran­
çais. Le risque de voir ressurgir une
fronde populaire est trop grand.
« Il faut maintenir l’ambition de
mettre en place une fiscalité envi­
ronnementale, tout en la rendant
acceptable sur le plan social. Et
veiller à prendre en compte les spé­
cificités de chaque territoire pour
ne pas pénaliser les habitants des
zones rurales », plaide Bérengère
Abba, députée LRM de la Haute­
Marne et responsable de la transi­
tion écologique au parti.
Mme Pitollat résume l’enjeu : « Il
faut réconcilier justice sociale et
écologie. » « Vu le contexte de rejet
des taxes, on ne peut pas remettre
en place une taxe carbone sans une
part de restitution sociale significa­
tive », convient Eric Alauzet, en ré­
sumant l’état d’esprit des députés
macronistes : « Dans la majorité,
on pousse en faveur de la fiscalité
écologique avec perplexité, après le
séisme social des “gilets jaunes”.
Quand on s’est brûlé une fois, en­
suite, on a peur du feu. » 
alexandre lemarié
– à qui j’ai remis une note préci­
sant les contours de ma proposi­
tion – de l’inscrire dans le cadre de
la future réforme constitution­
nelle ou d’instaurer une loi organi­
que, accompagnée d’une loi ordi­
naire pour définir la mise en prati­
que. Je souhaite que le gouverne­
ment décide de la création de cette
nouvelle autorité indépendante à
l’issue du grand débat national.
Une vingtaine de députés LRM
soutiennent ma démarche, dont
Hugues Renson, Barbara Pompili,
Aurélien Taché et Cedric Villani.
Tous y voient un acte fort, suscep­
tible d’engager durablement et ef­
ficacement notre pays dans la
transition écologique. 
propos recueillis par a. le.
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Un millier de jeunes
manifestent pour le climat
Greta Thunberg, la Suédoise à l’origine
du mouvement, a été reçue par le chef de l’Etat
D e toutes parts, journalis­
tes, étudiants et badauds
se bousculent pour
l’apercevoir ; elle reste impassible,
le visage crispé, encadré par ses
longues nattes. La foule qui défile
dans les rues de Paris, vendredi
22 février, accueille une icône de
la lutte contre le changement cli­
matique : Greta Thunberg, la Sué­
doise de 16 ans qui a lancé le mou­
vement international de grèves
scolaires pour le climat. Accom­
pagnée par les figures de proue
des marches belges, allemandes,
suisses et luxembourgeoises, elle
a manifesté avec un millier de jeu­
nes depuis la place de l’Opéra jus­
qu’à celle de la République pour
demander des actions aux gou­
vernements.
Sous un grand soleil – « 15 de­
grés, c’est trop pour février ! » –, des
étudiants, mais surtout des ly­
céens, dont une majorité de fem­
mes, entonnent leurs tradition­
nels refrains : « Et un, et deux, et
trois degrés, c’est un crime contre
l’humanité » et « On est chauds,
plus chauds que le climat ». Munis
de nombreuses pancartes, ils
sont rejoints par des personnali­
tés comme le réalisateur et écri­
vain Cyril Dion, l’actrice Juliette
Binoche ou la maire de Paris,
Anne Hidalgo. « Quand j’ai com­
mencé à faire grève, je n’aurais pas
imaginé un tel mouvement », af­
firme Greta Thunberg, lors d’une
conférence de presse en amont de
la marche. Le mouvement « Fri­
days for future », qu’elle a lancé à
l’été 2018 en manifestant seule de­
vant le Parlement suédois, ras­
semble désormais plusieurs di­
zaines de milliers de jeunes dans
50 pays chaque semaine.
« Choix égoïstes »
« Nos aînés ont ignoré la crise cli­
matique pendant des décennies.
Nous voulons pousser les gens à
agir », assure l’Allemande Luisa
Neubauer, 20 ans. « Nous avons
déjà rencontré tous les dirigeants
politiques mais à chaque fois nous
sommes déçus : ils nous parlent
pendant trois heures mais ne di­
sent rien, lance Anuna De Wever,
l’une des héroïnes des marches
belges. Nous leur demandons
d’écouter enfin les experts scientifi­
ques et de mettre en place les solu­
tions qui s’imposent. »
« J’en veux aux personnes res­
ponsables d’erreurs qui ont ag­
gravé le changement climatique
mais qui persistent dans leurs
choix égoïstes », dénonce de son
côté Yda Kurz, en seconde au ly­
cée Colbert dans le 10e arrondis­
sement. Elle ne mange plus de
P O L I TI Q U E
Marlène Schiappa
présente ses excuses
à La Manif pour tous
Marlène Schiappa « présente
[ses] excuses à toutes les per­
sonnes qui auraient pu se sen­
tir sincèrement blessées » par
ses propos dans le magazine
Valeurs actuelles, où elle évo­
quait une « convergence idéo­
logique » entre La Manif pour
tous et les « terroristes islamis­
tes ». « Les gens qui ont adhéré
à La Manif pour tous ne sont
évidemment pas des terroris­
tes », écrit la secrétaire d’Etat à
l’égalité entre les femmes et
les hommes dans un commu­
niqué vendredi. – (AFP.)
J UST IC E
Anticor vise les
collaborateurs de l’Elysée
L’association Anticor a saisi,
vendredi 22 février, le parquet
de Paris pour qu’il enquête
sur de possibles cas de viola­
tion des règles de transpa­
rence visant les chargés de
mission de l’Elysée, sous le
viande, se déplace à vélo, prend
des douches plutôt que des bains,
limite ses déchets et sensibilise
son entourage.
Tous croient en leur force et
leurs poids. « Les jeunes, nous
sommes la première génération à
faire face au changement climati­
que et la dernière capable d’agir »,
estime Matthias Castaing, 22 ans.
L’étudiant en école d’ingénieurs à
Saint­Ouen est engagé dans le
mouvement scout, qui soutient la
mobilisation de la jeunesse plutôt
que la grève scolaire. « Nous
constatons au quotidien la dispa­
rition des oiseaux et des insectes
dans nos camps. »
« Entre les “gilets jaunes” et nous,
cela fait de plus en plus de mécon­
tents. Le gouvernement va finir
par réagir », veulent croire des élè­
ves de seconde au lycée Buffon,
dans le 15e arrondissement de Pa­
ris. D’autres, venus du lycée Bal­
zac dans le 17e arrondissement,
comptent revenir, « pas forcé­
ment tous les vendredis mais le
plus possible » afin de « tout conci­
lier », avec les cours. « Nos forma­
tions ne répondent pas aux enjeux
actuels », estime Julie, 21 ans, en
master de politique environne­
mentale à Sciences Po. « Pourquoi
faire des études si nous n’avons pas
de futur ?, interroge­t­elle. On
nous enseigne encore un modèle
productiviste et intensif qui détruit
la biodiversité et les paysages.
Nous demandons une refonte to­
tale du modèle de société. »
Cette revendication radicale et
anticapitaliste est portée par une
partie des étudiants franciliens
qui ont choisi de mener chaque
semaine une action de désobéis­
sance civile, en parallèle des
marches. Vendredi 22 février au
petit matin, une trentaine d’en­
tre eux ont bloqué l’une des en­
trées de la Caisse des dépôts et
consignations. Pour Cyril Dion,
coréalisateur du film Demain
(2015), « les lycéens peuvent peser
car ils ne sont pas suspectés d’être
partisans. Il faut qu’avec les “gi­
lets jaunes”, les jeunes et les
autres citoyens parviennent à te­
nir le pavé pour obliger les politi­
ques à se positionner. »
Tous ont désormais en ligne de
mire la grève scolaire mondiale
programmée le 15 mars, à l’appel
de Greta Thunberg – qui a été re­
çue par Emmanuel Macron, ven­
dredi soir. « On vise 500 000 jeu­
nes mobilisés dans 150 à 200 villes
en France, annonce Romaric Thu­
rel, 22 ans, coordinateur de Youth
for climate France. C’est le début
d’un printemps climatique. » 
audrey garric
feu des projecteurs depuis
l’affaire Benalla. L’association
anticorruption a décidé de
saisir le procureur de « plu­
sieurs cas de violation » de la
loi du 11 octobre 2013 sur la
transparence de la vie publi­
que, qui oblige « les collabora­
teurs du président de la Répu­
blique » à transmettre à la
Haute Autorité pour la trans­
parence de la vie publique
(HATVP) une déclaration de
patrimoine et une déclara­
tion d’intérêts. – (AFP.)
Un deuxième juge
chargé d’enquêter
sur l’affaire Boulin
Un deuxième juge d’instruc­
tion va enquêter sur la mort,
en 1979, du ministre Robert
Boulin, à la demande de sa
fille, qui déplore la « lenteur »
de la justice. Ce second juge
a été désigné à Versailles
le 24 janvier, à la suite d’une
demande faite le 9 novem­
bre 2018, a indiqué vendredi
Marie Dosé, l’avocate
de la famille. – (AFP.)
Syndicats et patronat unis contre
les propos d’Emmanuel Macron
L’échec de la négociation sur l’assurance­chômage crée des tensions
E
mmanuel Macron n’a eu
besoin que de quelques
mots teintés d’acide pour
ressouder des organisa­
tions patronales et syndicales, qui
venaient de s’entre­déchirer sur
l’assurance­chômage. Jeudi 21 fé­
vrier, devant les présidents de dé­
partements réunis à l’Elysée, le
chef de l’Etat a ironisé sur l’échec
de la négociation, que les parte­
naires sociaux avaient acté, la
veille, à propos du régime d’in­
demnisation des demandeurs
d’emploi. « On est dans un drôle de
système ! Chaque jour, dans le pays,
on dit : “Corps intermédiaires, dé­
mocratie territoriale, démocratie
sociale, laissez­nous faire”, s’est­il
exclamé. Et quand on donne la
main, on dit : “Mon bon monsieur,
c’est dur, reprenez­la.” Et le gouver­
nement va devoir la reprendre, car
on ne peut pas avoir un déficit cu­
mulé sur le chômage, comme on a
depuis tant d’années. »
Beaucoup de concessions
Ceux qui étaient visés par ces sar­
casmes n’ont pas du tout appré­
cié. « Menteur », « manipulateur »,
a riposté la CGT, vendredi dans un
communiqué, en ciblant le prési­
dent de la République. Fait plutôt
inhabituel, le Medef a, lui aussi,
réagi en des termes virulents, son
numéro un, Geoffroy Roux de Bé­
zieux, fustigeant « la lâcheté [de]
l’Etat, [qui] fixe toutes les règles,
mais veut faire endosser les déci­
sions par les autres ». Une allusion
à la feuille de route que Matignon
a transmise, fin septembre 2018,
aux confédérations de salariés et
d’employeurs pour cadrer leurs
discussions en vue d’une nou­
velle convention Unédic – l’asso­
ciation paritaire qui gère l’assu­
rance­chômage.
Ce document fixe des objectifs
difficiles à avaler pour les prota­
gonistes : d’un côté, des écono­
mies de 3 à 3,9 milliards d’euros
en trois ans, dénoncées par les
leaders syndicaux au motif qu’el­
les vont amputer les droits des
chômeurs ; de l’autre, la volonté
de combattre la prolifération des
contrats courts, qui donne des
sueurs froides aux organisations
d’employeurs car elles craignent
une hausse du coût du travail. Sur
ce deuxième volet, la lettre de ca­
drage ne mentionne pas l’idée du
bonus­malus – un mécanisme
qui majore les cotisations des en­
treprises dont le personnel
tourne beaucoup – mais M. Ma­
cron a récemment réaffirmé son
intention de mettre en œuvre
cette promesse de campagne.
Autrement dit, l’exécutif deman­
dait beaucoup de concessions
aux deux parties. Beaucoup trop,
même, au goût de celles­ci.
« La démocratie sociale a sou­
vent prouvé son efficacité et sa res­
ponsabilité lorsqu’elle n’est pas
soumise à des lettres de cadrages
impossibles, menant sciemment
une négociation dans l’impasse »,
a souligné, jeudi soir, Laurent Ber­
ger, le secrétaire général de la
CFDT. « La place qui nous était lais­
sée pour parvenir à un accord était
étroite », renchérit Alain Griset, le
président de l’Union des entrepri­
ses de proximité. François Hom­
meril, le numéro un de la CFE­
CGC, est sur la même ligne : « Si ça
a échoué, c’est en très grande par­
tie la faute du gouvernement qui
avait dressé un cadre dans lequel il
était quasi impossible de trouver
un compromis. »
Au sujet de la sortie de M. Ma­
cron, le responsable de la centrale
de l’encadrement s’interroge :
« Soit c’est un propos vraiment cy­
nique qui est volontairement bles­
sant et stigmatisant, ce que je ne
crois pas ; soit c’est un propos ma­
ladroit et c’est comme “Oui­Oui au
pays du paritarisme” qui n’a rien
compris au film. » François Asse­
lin, le chef de la Confédération des
petites et moyennes entreprises,
se fait plus philosophe : « Avec
Macron, on commence à être habi­
tués, c’est plus fort que lui, il est in­
numérique
és
abonn
« La place qui
nous était laissée
pour parvenir
à un accord était
étroite »
ALAIN GRISET
président de l’Union
des entreprises de proximité
corrigible. Pour lui, les corps inter­
médiaires sont des freins plutôt
que des atouts. »
Au­delà des petites phrases, les
tensions qui ont éclaté dès jeudi
soir résultent des choix politi­
ques et de la vision que le chef de
l’Etat a des partenaires sociaux.
Publiées en septembre 2017, les
ordonnances réformant le code
du travail en sont une illustra­
tion : elles encouragent l’élabora­
tion des normes sociales par le
biais de négociations au sein des
entreprises. C’est une sorte de
« pari, qui encourage le patronat
et les syndicats à prendre leurs af­
faires en main, à cet échelon­là »,
décrypte Pierre Ferracci, prési­
dent du groupe Alpha et spécia­
liste de ces thématiques. En re­
vanche, le niveau interprofes­
sionnel, celui où se discute, par
exemple, le devenir de l’Unédic,
« n’est nullement valorisé », com­
plète M. Ferracci. L’Elysée, d’une
certaine manière, le confirme :
« On a besoin de plus de partenai­
res sociaux, pas de moins. Mais au
bon endroit, dans les entreprises. »
« L’Etat pilote le régime »
Autre changement fondamen­
tal : le remplacement des cotisa­
tions salariales, qui alimentaient
le budget de l’assurance­chô­
mage, par de la CSG – laquelle
peut être assimilée à de l’impôt.
Ce faisant, « l’Etat entre au capital
de l’Unédic », comme le disait, il y
a un an, un conseiller de l’exécu­
tif, et il resserre son emprise sur
merci
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200 000 abonnés
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le portefeuille d’abonnés L’Équipe numérique
a franchi le cap des 200 000 le 17 janvier 2019
france | 7
le dispositif. « Le système qui se
met en place remet radicalement
en cause la place du paritarisme
et des partenaires sociaux », dé­
plore Yves Veyrier, le secrétaire
général de FO.
Sans doute faut­il rappeler que
le patronat et les syndicats ne sont
pas – et depuis longtemps – les
seuls maîtres à bord de l’assuran­
ce­chômage. L’ombre tutélaire
des pouvoirs publics plane, ne se­
rait­ce que parce que l’Etat doit
donner son agrément à chaque
convention que les partenaires
sociaux élaborent afin de définir
les conditions d’indemnisation
des demandeurs d’emploi. « En ce
sens, les négociations, bien que
menées dans une logique paritaire,
ont toujours relevé d’une forme de
tripartisme », explique Jean­Pascal
Higelé, maître de conférences en
sociologie à l’université de Lor­
raine. Mais « cette tutelle étatique
est sortie de l’ombre », enchaîne­
t­il, avec l’arrivée au pouvoir de
M. Macron. Entre la substitution
de la CSG aux cotisations salaria­
les et la lettre de cadrage de Mati­
gnon, « l’Etat pilote ouvertement le
régime », observe­t­il.
Les partenaires sociaux accep­
teront­ils le siège de passager
dans un camion conduit par le
gouvernement ? Difficile de tran­
cher à ce stade. « On se posera la
question de savoir si on reste ou
non » dans l’hypothèse où l’exé­
cutif décide de « récupérer la ges­
tion » du régime, confie M. Berger.
« Nous n’avons pas l’intention de
déserter le terrain, lance Denis
Gravouil (CGT). Nous avons des
choses à dire sur les droits des chô­
meurs et nous les dirons jusqu’au
bout. » Philippe Louis, le prési­
dent de la CFTC, pense, pour sa
part, que le fait ne pas être dans la
gouvernance de l’Unédic « serait
dommageable pour les salariés et
pour les entreprises ». 
raphaëlle besse desmoulières,
bertrand bissuel
et cédric pietralunga

8 | france
Européennes :
Dupont­Aignan
reprend la route
en solitaire
Soutien de Le Pen au second tour
de la présidentielle, le souverainiste
espère créer la surprise le 26 mai
REPORTAGE
V
ous ne voulez pas re­
jouer le match Ma­
cron­Le Pen, n’est­ce
pas ? » A peine des­
cendu de son camping­car de cam­
pagne – autoportrait géant sur la
carrosserie et drapeau tricolore
sur la couchette –, Nicolas Dupont­
Aignan décoche sa nouvelle botte.
Voter pour son parti souverainiste
aux européennes éviterait la « re­
belote » du « système » à la pro­
chaine présidentielle, glisse­t­il.
Une attaque dirigée contre le pré­
sident de la République mais aussi
contre la patronne de l’extrême
droite française.
Marine Le Pen, qu’il a pourtant
soutenue il y a moins de deux ans,
brisant alors le tabou de l’alliance
avec le FN dans l’entre­deux­tours
de la présidentielle. Marine Le Pen,
dont il serait devenu le premier
ministre, si elle était parvenue à
prendre l’Elysée. Lui ne voit pas le
problème. « J’ai compris qu’il fallait
partir du duel Macron­Le Pen pour
tirer la ficelle. » Celle, en l’occur­
rence, de la réserve grandissante
d’électeurs qui ne choisirait plus ni
l’un ni l’autre, en cas de nouveau
face­à­face. Les votes blancs décol­
lent à 19 % dans un récent sondage
IFOP rejouant le second tour de la
présidentielle, soit plus du double
par rapport à mai 2017 (8,5 %).
Nicolas Dupont­Aignan use
donc de sa nouvelle ficelle à cha­
que main tendue sur son chemin
de tête de liste aux européennes.
Jeudi 21 février, c’est en Seine­et­
Marne que le président de Debout
la France s’est joint à sa « caravane
des territoires », qui traverse la
France depuis le début de l’année.
Pour son 10 000e kilomètre, elle
est venue s’appuyer, comme sou­
vent, sur un projet local à dénon­
cer – en l’occurrence Terzéo, un
centre de traitement de déchets
très controversé. « Et vous êtes
aidés par les élus ? », s’enquiert
M. Dupont­Aignan auprès d’un
opposant. Soupirs. « Disons que
comme avec vous, y a beaucoup de
Debout la France, le « petit » parti qui commence à inquiéter LR
Crédité de 6 % dans les sondages, Nicolas Dupont­Aignan pourrait prendre de précieuses voix en mai à la formation de droite
I l y a à peine deux ans, la sim­
ple évocation de cette possi­
bilité les aurait fait sourire.
Nicolas Dupont­Aignan, un dan­
ger pour la liste du parti Les Répu­
blicains (LR) aux européennes ?
Jamais les cadres de LR n’auraient
pensé que l’éternel candidat sou­
verainiste de Debout la France
(DLF) pourrait leur prendre quel­
ques précieuses voix le 26 mai.
Mais ça c’était avant. Avant l’élec­
tion d’Emmanuel Macron à la
présidence de la République et la
vague « dégagiste » qui s’est en­
suivie, laissant le parti de droite
exsangue. Avant aussi les limbes
sondagiers dans lesquels LR est
tombé depuis et dont il semble ne
pas réussir à s’extraire.
A un peu plus de trois mois de
l’échéance, certains commencent
à craindre sérieusement que Ni­
compassion… » « Ah oui, ça ne suffit
pas », convient le député de l’Es­
sonne, avant de filer enregistrer
une vidéo de campagne sur le
rond­point voisin, le fameux cam­
ping­car placé en arrière­plan,
dans l’axe des banderoles fati­
guées installées depuis bien long­
temps par les riverains.
Clic­clac sur le siège passager. Ni­
colas Dupont­Aignan photogra­
phie la vue sur la cathédrale, à l’en­
trée du centre­ville de Meaux.
« Tiens, je vais l’envoyer par texto à
Copé [le maire LR de la ville]. J’ai
mis “coucou”. Je sais pas s’il va ap­
précier, remarquez… »
Chasuble fluo et vidéos en direct
Le tractage peut commencer. Ici,
la patronne d’un magasin en li­
quidation raconte Internet et la
zone commerciale si proche qui
n’aident pas les affaires. Là, l’infir­
mier d’un hôpital parisien expli­
que qu’il a dû « s’excentrer » jus­
qu’ici, puisque « tout est trop cher
à Paris ». Partout, Nicolas Dupont­
Aignan rejoue la même scène : « Il
faut éviter le même second tour la
prochaine fois. Alors aidez­nous à
grandir ! »
Passage obligé par la cathédrale à
pas cadencés. « Allez, je vous en
laisse un, c’est mon dernier. » Sur le
dépliant imprimé en réponse à la
crise des « gilets jaunes », des por­
traits de cette France qui travaille
forment un Hexagone. Un mouve­
ment de colère sociale qu’il pré­
tend avoir « vu venir » bien avant
les autres et qu’il ne s’est en tout
cas pas privé d’exploiter depuis
Nicolas Dupont-
Aignan sait bien
d’où il a tiré
sa brusque
notoriété.
« Comme Marine
dit : “Je t’ai fait de
la publicité !” »
colas Dupont­Aignan ne rogne
leur électorat. Certes légèrement,
mais dans un contexte suffisam­
ment compliqué pour que cha­
que voix compte plus que d’habi­
tude. « Il ne faut pas négliger l’effet
qu’il pourrait avoir sur nous »,
avertit un cadre de LR, inquiet à la
lecture des sondages pour sa for­
mation, qui ne décollent pas en
dépit de l’offensive médiatique
récente de Laurent Wauquiez. Se­
lon la dernière enquête Ifop­Fidu­
cial pour Paris Match, CNews et
Sud Radio parue mardi 19 février,
Nicolas Dupont­Aignan est à 6 %
d’intentions de vote, quand LR
demeure encore et toujours can­
tonné à 10 %.
« Nicolas Dupont­Aignan est, de­
puis longtemps, une variable
d’ajustement aux européennes, ex­
plique Brice Teinturier, directeur
Nicolas Dupont­Aignan, en campagne pour les européennes, à Meaux (Seine­et­Marne). JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE »
quelques mois, endossant lui­
même la chasuble fluo dans des vi­
déos diffusées en direct des sta­
tions­essence.
« Gagner plus, payer moins, vivre
mieux ! », clame la première page
de son tract. La recette miracle
pour une telle trilogie du bon­
heur ? « Récompenser ceux qui bos­
sent et réduire la facture de l’immi­
gration », résume Nicolas Dupont­
Aignan. « Stopper la submersion
migratoire », promet la brochure,
sur laquelle trônent encore quel­
ques mots d’Emmanuelle Gave
dans un encadré. Ultraconserva­
trice, ultralibérale, partisane de
l’union des droites, l’avocate de­
vait figurer en bonne place sur sa
liste aux européennes.
Elle va être écartée de la liste, a
promis DLF, après que quelques­
unes de ses publications sur les ré­
seaux sociaux ont été exhumées
par l’émission « Quotidien », sur
TMC. « Les musulmanes sont quasi­
ment inemployables en tant qu’em­
ployées de maison », pouvait­on
lire sur l’un de ses posts publics sur
Facebook. « Moi je trouve qu’il y a
beaucoup trop de Noirs dans les
courses de 100 mètres, » écrivait­
elle encore sur Twitter. Sans comp­
ter un autre message dans lequel
elle estime que la liberté d’expres­
sion « devrait pouvoir s’étendre à la
réfutation de la Shoah ».
Emmanuelle Gave plaide l’iro­
nie. « Ce n’est pas mon type d’hu­
mour », rétorque Nicolas Dupont­
Aignan, qui défendait encore la
« famille exemplaire » de la candi­
date quelques jours plus tôt. Que
Charles Gave soit un adepte de la
théorie du « grand remplace­
général délégué d’Ipsos. Lors de ce
scrutin, il y a toujours toute une
partie de l’électorat de droite assez
volatile qui passe de LR à DLF ou en­
core au RN en fonction des échéan­
ces. » Avec ces 6 ou 7 % potentiels,
Nicolas Dupont­Aignan contribue
donc, selon le spécialiste, à affai­
blir le parti Les Républicains.
« Il ne sait pas s’entourer »
D’autant qu’en nommant à la tête
de la liste LR François­Xavier Bel­
lamy, un jeune philosophe ver­
saillais peu connu, Laurent Wau­
quiez a fait le choix de mobiliser
le noyau traditionnel de l’électo­
rat de droite, celui qui avait voté
pour François Fillon à la présiden­
tielle. Avec cette stratégie, le prési­
dent de LR « s’éloigne de l’électorat
plus populaire du RN et de l’électo­
rat de droite moins catholique, es­
ment », très partagée à l’extrême
droite, ne l’avait pourtant pas em­
pêché de lui proposer de figurer
sur sa liste, en position non éligi­
ble. Dans un texte intitulé « la
peste blanche » et publié en sep­
tembre 2017, le père d’Emma­
nuelle Gave tentait ainsi de dé­
montrer le « basculement » en Eu­
rope d’une « population de sou­
che » à « une population d’origine
immigrée (ce qui veut dire en Eu­
rope : musulmane) ».
Il se retirera probablement « de
lui­même » après l’éviction de sa
fille, avance Nicolas Dupont­
Aignan, en ajoutant que sa campa­
gne sera financée « quoi qu’il ar­
rive. » Une précision d’impor­
tance, puisque, selon L’Opinion,
Charles Gave avait prévu d’appor­
ter 2 millions d’euros avec sa can­
didature. « Le moment est compli­
qué », convient la tête de liste sou­
verainiste, mais « plus facile à pas­
ser » en début de campagne. Avant
même l’annonce officielle de sa
liste, prévue fin mars. Et puis
« c’est les vacances scolaires, les
gens s’en foutent ».
« Pas le même cuistot »
Dans les rues de Meaux, les allu­
sions à son alliance passée avec
Marine Le Pen se font rares. Celles
à Emmanuelle Gave, inexistantes.
Nicolas Dupont­Aignan se sou­
vient d’une campagne autrement
plus agressive durant les législati­
ves. « Je pensais que c’était la fin de
ma vie politique, que j’étais mort au
champ d’honneur. » Aujourd’hui,
le député réélu sourit sur les selfies
que lui réclament les passants.
« Vous seriez venu avec moi il y a
« Dupont-Aignan
flatte les colères
populaires, ce qui
en fera un choix
plus simple pour
certains “gilets
jaunes” », analyse
un cadre de LR
time Brice Teinturier. Si LR avait
fait un choix plus populaire, c’est
Nicolas Dupont­Aignan qui aurait
été probablement affaibli. »
Julien Aubert, député LR du Vau­
cluse, qui a travaillé avec le patron
de Debout la France pendant
quelques mois en 2008, tient à
préciser : « Nicolas Dupont­
C’est désormais
sa volonté de
se détacher du
Rassemblement
national qu’il doit
justifier
deux ans, on ne me reconnaissait
pas comme ça ! » Il sait bien d’où il a
tiré sa brusque notoriété. « Comme
Marine dit : “Je t’ai fait de la publi­
cité !” » Un vendeur l’interpelle po­
liment dans un magasin de télé­
phonie. « Ce que vous avez fait, je
vais vous dire, j’ai pas compris. »
L’équipe se tend autour de Nicolas
Dupont­Aignan. Lorsqu’il a sou­
tenu Marine Le Pen ? « Non,
après. Ne pas continuer, c’était pas
cohérent. »
C’est désormais sa volonté de se
détacher du Rassemblement na­
tional qu’il doit justifier. Marine Le
Pen parle de « crise d’ado » ; lui « as­
sume » sa candidature en solo,
malgré des éléments de pro­
gramme communs. « Si on n’était
d’accord sur rien, je ne l’aurais pas
soutenue ! » Mais si la recette est si­
milaire, lui ne ferait « pas le plat de
la même manière », soutient­il.
« Ce n’est pas le même cuistot, pas
les mêmes méthodes, pas les mê­
mes équipes. » Le président de DLF
a tout de même récupéré un cer­
tain nombre de cadres venus du
RN, depuis la présidentielle. Rien
que sur son tract, apparaissent les
visages des députés européens
Sylvie Goddyn et Bernard Monot,
transfuges frontistes. Ou encore la
Aignan n’est pas non plus le missile
que certains imaginent, il ne sait
pas s’entourer, comme le montre
l’exemple récent d’Emmanuelle
Gave. » Pressentie pour être sur la
liste de DLF aux européennes,
cette ancienne avocate a été écar­
tée du mouvement mercredi
20 février, après la révélation par
« Quotidien » de messages à carac­
tère raciste postés sur son compte
Twitter. En revanche, analyse l’élu,
« il cherche à enrôler des “gilets jau­
nes”, ce que nous n’avons pas fait
pour le moment et qui est peut­être
plus difficile pour nous ».
De l’aveu de ses dirigeants, le
parti Les Républicains a eu du mal
à gérer la crise des « gilets jau­
nes ». Déchiré qu’il est entre des
revendications qu’il partage, tel­
les que la revalorisation des terri­
toires, et une violence qu’il ne
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
sénatrice Claudine Kauffmann,
suspendue du FN en 2017 pour
avoir comparé les migrants à de la
« vermine » et à l’occupation nazie.
Sur la méthode, les deux partis
partagent la même propension
aux exagérations et aux contre­vé­
rités. Nicolas Dupont­Aignan a
ainsi accusé à plusieurs reprises le
ministère de l’intérieur d’avoir en­
couragé, ou du moins laissé faire,
les casseurs lors des manifesta­
tions des « gilets jaunes ». « J’ac­
cuse le gouvernement, chaque se­
maine, de scénariser ces violences
pour discréditer un mouvement so­
cial sincère et profond », a­t­il ainsi
lancé le 10 février sur LCI, avant de
réclamer une commission d’en­
quête parlementaire.
Dans l’électorat, Nicolas Dupont­
Aignan semble toutefois grap­
piller davantage à droite de l’échi­
quier. « On récupère les LR qui aspi­
rent à une alliance avec le Front
mais ne veulent pas être Front », ré­
sume­t­il. Un sas entre la droite et
l’extrême droite, qui le place à 6 %
dans les sondages, après une per­
cée à 8 % en décembre. « S’il passe
devant LR aux européennes,
Wauquiez est mort », glisse un
conseiller de Marine Le Pen.
Dans un café de Meaux, un
« peintre en bâtiment patriote » le
salue avec chaleur. « Vous, vous
avez les couilles de dire les choses
comme elles sont. Que la France elle
nous appartient à nous, et pas au
tiers­monde. » Nicolas Dupont­
Aignan lui glisse un tract en sou­
riant : « L’argent des Français doit
revenir d’abord aux Français, c’est
simple. » Si la recette est bonne… 
lucie soullier
peut cautionner, étant histori­
quement du côté de l’ordre. « Ni­
colas Dupont­Aignan n’a pas inté­
rêt à défendre l’ordre, il flatte les
colères populaires, ce qui en fera
un choix plus simple, plus tranché
pour certains “gilets jaunes”, ana­
lyse un cadre de LR qui poursuit :
Nous, c’est plus compliqué, nous
avons un électorat plus large, plus
divers, avec des disparités géogra­
phiques, et nous sommes un parti
de responsabilité. »
De son côté Eric Woerth, député
de l’Oise, balaie la menace et tran­
che : « Nous ne devons avoir peur
de rien et avoir de grandes ambi­
tions. Il ne s’agit pas de savoir si on
sera troisième ou deuxième aux
européennes. Si on situe LR par
rapport à Debout la France, on
n’existe plus… » 
sarah belouezzane
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Depuis la marche du 19 février,
les actes antisémites se multiplient
A Paris, la mairie en dénombre deux par jour
M ort aux juifs », « sales
juifs », « les juifs du CRIF
[Conseil représentatif
des institutions juives de France,
dont le dîner annuel s’est déroulé
mercredi 20 février en présence
d’Emmanuel Macron], je vous ni­
que », croix gammées… Une di­
zaine d’inscriptions ont été re­
trouvées sur les murs du 14e ar­
rondissement de Paris, jeudi
21 février, dont une sur le pan­
neau d’affichage du groupe sco­
laire Simone­Veil.
Quelques heures plus tôt, à Arti­
gues­près­Bordeaux, en Gironde,
des croix gammées à l’envers avec
la mention « Mort aux juifs »
étaient découvertes sur des pan­
neaux routiers, des Abribus et des
compteurs électriques. « Sous Vi­
chy, il fallait se tenir à carreau », a­
t­on pu également lire sur une
feuille à petits carreaux épinglée
sur la façade d’un gymnase du
4e arrondissement de Paris, de­
vant le « parvis des 260 enfants »,
en mémoire des élèves de confes­
sion juive scolarisés dans l’établis­
sement public des Hospitalières­
Saint­Gervais et déportés pendant
la seconde guerre mondiale.
« Sale juive (…). On va tous vous
brûler », ont hurlé deux hommes
alors qu’ils agressaient une habi­
tante de Garges­lès­Gonesse
(Val­d’Oise) mardi 19 février. « Sale
juif », ont scandé le même jour
trois inconnus en volant le télé­
phone portable d’un adolescent
au Pré­Saint­Gervais (Seine­Saint­
Denis). « Es­tu prêt à mourir ? », a
reçu un homme sur son télé­
phone portable, vendredi 22 fé­
vrier. Tandis qu’à Versailles, dans
les Yvelines, à Sarlat, en Dordo­
gne, et à Paris, dans les 16e et 17e ar­
rondissements, de nouveaux tags
apparaissaient.
En quelques jours, depuis les
manifestations contre l’antisémi­
tisme mardi 19 février lancées par
une vingtaine de partis politi­
ques, injures, menaces, tags et ac­
tes antisémites se sont multipliés.
Législatives : le Conseil constitutionnel
préconise de dépoussiérer les règles
L’enjeu est notamment de s’adapter au développement du numérique
L e Conseil constitutionnel
en est persuadé : à l’heure
du numérique et des ré­
seaux sociaux, il est temps de dé­
poussiérer les règles du jeu électo­
ral. Au fil des élections, en effet, se
multiplient les contentieux élec­
toraux, entraînant un allonge­
ment des délais de traitement.
Dans sa décision rendue le 21 fé­
vrier, la haute juridiction indique
qu’elle a été saisie, à la suite des
élections législatives de juin 2017,
de 298 réclamations formées par
des candidats ou des électeurs,
contre 108 en 2012, ce qui a con­
duit à l’annulation des opérations
électorales dans huit circonscrip­
tions, et 351 saisines de la Com­
mission nationale des comptes de
campagne et des financements
politiques, contre 238 en 2012,
pour deux élections invalidées
avec des peines d’inéligibilité.
Le Conseil formule plusieurs re­
commandations. Première piste
pour éviter l’inflation des re­
cours : relever de 1 % à 2 % des suf­
frages exprimés le seuil en deçà
duquel, sauf en cas de perception
de dons de personnes physiques,
les candidats n’ont pas à déposer
de compte de campagne.
Surtout, constatent les juges
constitutionnels, l’usage d’Inter­
net est « susceptible de poser des
questions nouvelles ». Ainsi, l’en­
voi par un candidat, la veille du
scrutin, d’un courrier électroni­
« Plus l’Etat
s’intéresse aux
juifs et se soucie
d’eux, plus
ça agace et plus
certains le
leur font payer »
SAMMY GHOZLAN
président du Bureau
national de vigilance
contre l’antisémitisme
La Mairie de Paris en dénombre
deux par jour en moyenne. « Ce
qui est choquant, c’est la virulence
des propos et le choix des lieux,
toujours très symboliques, relève
Emmanuel Grégoire, premier ad­
joint, qui fait des signalements au
parquet à chaque fait relevé ou
porte plainte. L’intention antisé­
mite est doublement caractérisée ;
l’objectif est clairement de blesser
profondément la communauté. »
Le politologue Jean­Yves Camus
appelle ça « l’effet de réplique ». Il
explique : « La médiatisation de
l’antisémitisme déclenche souvent
une vague d’incidents dupliquant
les précédents. » Une semaine plus
tôt, la haine antijuifs avait marqué
l’actualité. Croix gammées ta­
guées sur des portraits de Simone
Veil dans le 13e arrondissement de
Paris le 11 février ; chiffres annuels
de l’antisémitisme (+ 74 % en 2018)
dévoilés le soir même par le mi­
nistre de l’intérieur, Christophe
Castaner, dans l’Essonne, à l’en­
droit où deux arbres plantés en
mémoire d’Ilan Halimi, jeune
homme de confession juive tor­
turé à mort en 2006, ont été re­
trouvés sciés ; insultes proférées à
l’encontre d’Alain Finkielkraut en
marge d’une manifestation de
« gilets jaunes » le 16 février…
« Plus on s’intéresse aux juifs,
plus l’Etat s’intéresse aux juifs et se
soucie d’eux, plus ça agace et plus
que à une partie des électeurs de
sa circonscription a entraîné l’an­
nulation de l’élection. Même
sanction pour la diffusion de
« messages de propagande électo­
rale » le jour du scrutin sur les pa­
ges Facebook d’un maire candidat
et d’un de ses adjoints.
Traçabilité des opérations
La décision relève plusieurs in­
congruités. Parmi celles­ci, le
Conseil s’étonne que le code élec­
toral interdise que figure sur le
bulletin de vote un autre nom que
celui du candidat ou de son sup­
pléant mais qu’aucun texte n’em­
pêche que le bulletin comporte la
photographie du candidat aux cô­
tés d’une personnalité politique
non candidate, procédé couram­
ment utilisé par plusieurs forma­
tions politiques.
Il est également apparu, lors de
ces élections, que certains mem­
bres de bureaux de vote tenaient,
en plus de la liste d’émargement
officielle, une deuxième liste des­
tinée à relever le nom des vo­
tants. Jusqu’à ce qu’une élection
soit annulée, la liste parallèle
ayant été jointe au procès­verbal
au lieu de la liste officielle.
« Compte tenu des confusions
qu’elle engendre et des risques
qu’elle présente, une telle pratique,
non prévue par le code électoral,
devrait être abandonnée », re­
commande le Conseil.
france | 9
N O M I N AT I O N S
AUX OSCARS
DONT
M E I L L E U R F I L M
certains le leur font payer », se dé­
sole Sammy Ghozlan, président
du Bureau national de vigilance
contre l’antisémitisme, qui re­
cense les actes antisémites. Cette
« attention » portée à la commu­
nauté juive contribue à nourrir du
ressentiment et alimenter cer­
tains stéréotypes antisémites qui
véhiculent l’idée qu’« il n’y en a
que pour les juifs » et que « c’est
bien la preuve qu’ils sont bien pla­
cés pour qu’on parle autant d’eux ».
« Sentiment d’impunité »
Pas question pour autant de céder
à « la panique » et de cesser d’en
« parler », insiste Frédéric Potier,
délégué interministériel à la lutte
contre le racisme, l’antisémi­
tisme et la haine anti­LGBT. « La
question se pose à chaque fois,
note Jean­Yves Camus. En parler
réveille les pulsions des gens ma­
lintentionnés. Ne pas en parler
rend impossible tout travail de
fond en matière de sensibilisation,
d’éducation… »
Evoquant tantôt un « effet de
mode », tantôt un « effet de mimé­
tisme » et de « surenchère », Frédé­
“ E X T R AO R D I NA I R E ” L E PA R I S I E N
ric Potier parle d’une « tendance
nettement à la hausse » ces dix
“SUPERBE”
derniers jours. « Je crains que l’on
soit entré dans une concurrence
entre les différents antisémitismes, VERSION FEMINA
avance Sammy Ghozlan. Après les
insultes proférées par un islamiste
radical contre Alain Finkielkraut,
d’autres profanent des tombes jui­ “ F É RO C E E T D R Ô L E ” LE POINT
ves à Quatzenheim, en Alsace, pro­
bablement le fait de militants d’ex­
“ E X T R Ê M E M E N T J U B I L ATO I R E ”
trême droite, comme pour dire :
“C’est nous les vrais antisémites.” »
Autre facteur qui explique cette M A DA M E F I GA RO
nouvelle vague : « le sentiment
d’impunité », souligne Jean­Yves
Camus. Pour preuve, la série d’ins­
criptions relevées dans le 14e ar­
rondissement de Paris le 21 février
à 12 h 37 par la maire d’arrondisse­
ment. Le matin, il n’y avait rien.
L’auteur ou les auteurs ont donc
agi en plein jour. 
louise couvelaire
Parmi les autres questions po­
sées aux juges : un candidat
peut­il recevoir des dons par l’in­
termédiaire de l’opérateur en li­
gne PayPal ? Ils y ont répondu par
la négative. Le code électoral im­
pose en effet que les dons collec­
tés soient versés directement sur
le compte du mandataire, « ce qui
exclut le recours à un système de
paiement faisant transiter les
fonds par un compte tiers ». Il re­
vient en conséquence au législa­
teur d’assouplir, s’il le souhaite,
les dispositions en vigueur, tout
en garantissant la traçabilité des
opérations.
Enfin, un bilan de mandat
doit­il être considéré, dès lors
qu’il est diffusé pendant les six
mois précédant le premier tour
de l’élection, comme une dépense
électorale devant figurer au
compte de campagne du candi­
dat ? Pour le Conseil, « la frontière
entre bilan de mandat et docu­
ment électoral est ténue », ce qui
l’a amené à prendre des décisions
différenciées selon les cas. Il juge
néanmoins souhaitable de clari­
fier, en la matière, les obligations
incombant aux candidats. De
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
même plaide­t­il pour une har­
monisation de la législation con­
cernant l’inéligibilité de candi­
dats ayant méconnu les règles de
financement des campagnes PROPRIÉTÉ DE FOX. UNIQUEMENT À USAGE PROMOTIONNEL. VENTE, DUPLICATION OU TOUT AUTRE UTILISATION SONT INTERDITES
électorales. 
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0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Au procès « Air cocaïne », une charge contre les Stups
Les services d’enquête successifs ont réglé leurs comptes à la barre pendant la première semaine d’audience
marseille ­ correspondant
A
l’Office central pour la
répression du trafic il­
licite des stupéfiants
(OCRTIS), l’affaire « Air
Cocaïne » est vécue comme la pre­
mière « blessure d’orgueil » – le
prestigieux service antidrogue
français est visé depuis par des en­
quêtes sur ses pratiques avec les
indics. L’aveu a été fait par son ex­
numéro 2, le commissaire divi­
sionnaire Stéphane Lapeyre, de­
vant la cour d’assises spéciale des
Bouches­du­Rhône qui, depuis le
18 février et jusqu’au 5 avril, juge
neuf hommes accusés d’avoir im­
porté de la cocaïne depuis la Ré­
publique dominicaine par des
vols transatlantiques privés.
La première des sept semaines
d’audience du procès « Air co­
caïne » a sorti de l’ombre une
étonnante guerre des polices en­
tre les services d’enquête succes­
sifs. Un grand déballage où l’on ap­
prend que les policiers auraient
« mis des bâtons dans les roues »
des gendarmes. Tout part du des­
saisissement de l’OCRTIS, le
18 juillet 2014, par la juge d’ins­
truction marseillaise Christine
Saunier­Ruellan, qui transfère
l’enquête à la section de recherche
de la gendarmerie de Marseille et
au Service national de douane ju­
diciaire. Un coup de tonnerre dans
les locaux de l’office à Nanterre.
« On l’a ressenti comme une injus­
tice », reconnaît Boris Laligant,
chef du groupe chargé de cette af­
faire médiatique depuis l’arrai­
sonnement, le 20 mars 2013, sur
l’aéroport de Punta Cana (Républi­
que dominicaine), d’un Falcon 50
chargé de 700 kilos de cocaïne.
« Obligation de loyauté »
Selon la juge, l’OCRTIS s’est mon­
tré déloyal. Elle apprend fortuite­
ment, lors d’une réunion en
mai 2014 avec les policiers de l’of­
fice, que l’un des mis en examen,
Fabrice Alcaud, un dirigeant de la
compagnie d’aviation privée qui
a affrété l’avion, avait été inscrit
au Bureau central des sources en
mars 2013. Avant le vol arrai­
sonné à Punta Cana, il avait in­
formé la police de ses doutes sur
Nicolas Pisapia, unique passager
de deux précédents vols dont le
coût est évalué à 300 000 euros.
Après des contacts téléphoni­
Harcèlement dans la marine : la justice tarde à enquêter
Victime d’humiliations répétées, un aspirant a déposé plainte en octobre 2018 au parquet militaire de Rennes
T u suces des bites. » « T’es la
pute du groupe. » « Tu sers
à rien, démissionne. » Le
jeune homme livre rapidement
les sales phrases qu’il dit avoir
entendues durant son engage­
ment comme civil dans la ma­
rine nationale à Cherbourg
(Manche) entre fin 2016 et début
2018. A 28 ans, Arnaud (le pré­
nom a été modifié) est aujour­
d’hui retourné vivre chez ses
parents dans la région de Tou­
louse. Ce grand gaillard brun, un
peu poupon, apparaît cabossé,
amer, et déçu.
Son avocate, Me Elsa Correia, a
saisi, le 31 octobre 2018, le par­
quet de Rennes, compétent pour
les affaires militaires, d’une
plainte contre X pour « harcèle­
ment sexuel, violences, et harcè­
lement moral ». Au groupement
des plongeurs démineurs (GPD)
de la Manche, sous couvert de
pratiques d’intégration, des actes
dégradants ont été imposés au
jeune volontaire, dénonce­t­elle
notamment. Le jeune homme a
écrit à la ministre des armées,
Florence Parly. Il a saisi la cellule
Thémis d’écoute des victimes. Au
Des pièces
à conviction,
à la cour
d’assises
des Bouches­
du­Rhône,
le 18 février.
GERARD JULIEN/AFP
« On avait les
infos au compte-
gouttes, ou alors
il fallait pleurer »
FRANÇOIS SEGURA
major de gendarmerie
ques, l’agent Jocelyn Berret avait
rencontré cet « informateur occa­
sionnel » dans un bar de la porte
Maillot, à Paris, unique rendez­
vous avant de couper toute rela­
tion en raison de la saisine de
l’OCRTIS pour mener l’enquête.
La colère de la juge transpire
des questions qu’elle pose, en
juin 2014, à MM. Berret et La­
peyre. « Je n’ai nullement été infor­
mée de la qualité d’informateur
de M. Alcaud. Ce manquement à
l’obligation de loyauté est de na­
ture à avoir des conséquences gra­
ves pour Fabrice Alcaud au regard
de sa détention provisoire », écrit­
elle sèchement. Trois jours plus
moment où ces lignes ont été
écrites, le parquet n’avait pas en­
core pris sa décision d’ouvrir, ou
non, une enquête.
Souffre-douleur
Entre le premier bizutage qui l’a
vu sauter depuis le quai de la base
de Cherbourg dans l’eau de la
Manche et ceux qui ont suivi, le
jeune homme affirme ne plus sa­
voir « combien de fois il est allé au
bac ». Il a détesté se déguiser en
Miss Normandie ou en Jésus por­
tant sa croix. Comme se faire
« traiter de pédé », ce qu’il confie
ne pas être. « Quand je suis arrivé,
on est allés en boîte et on m’a de­
mandé de me comporter en sou­
dard, sur le thème “Tu chopes la
fille et tu la baises”. Je n’étais pas
d’accord. Après, pour certains,
j’étais gay, et on m’a dit : “Pas de
pédé dans l’équipe”. »
C’est sur une proposition de la
marine qu’Arnaud a rejoint le
GPD. Diplômé d’un master en
santé­pharmacie en 2015, plon­
geur qualifié dans le civil, il a « hé­
sité entre ces deux voies », dit­il.
« J’aimais l’eau, j’avais fait une pré­
paration militaire marine au ly­
tard, M. Alcaud est libéré. A la
barre de la cour d’assises, Boris
Laligant conteste : « Le 2 septem­
bre 2013, la veille de l’interpellation
de Fabrice Alcaud, j’ai avisé par té­
léphone Mme Saunier­Ruellan qu’il
avait été en contact avec quel­
qu’un de nos services. » Cela figure
même dans un procès­verbal
daté du 2 septembre 2013 intitulé
« avis à magistrat ».
Le hic, c’est que ce document est
arrivé chez la juge le 1er août 2014,
une fois l’office dessaisi. « Cela in­
terpelle », observe Jean­Luc Tour­
nier, président de la cour d’assises.
« Je ne vois pas l’intérêt de cacher
cela à la juge », insiste Boris Lali­
gant. « Il y a eu un problème de
communication », veut convain­
cre Stéphane Lapeyre, qui sou­
haite « lever un certain nombre de
fantasmes ». « On n’a pas gardé de
choses secrètes, assure­t­il. Nous
ne sommes pas à l’origine de l’in­
terception du Falcon, nous l’avons
appris par le canal de la coopéra­
tion internationale. » Il faut aussi
s’expliquer sur la visite de Jocelyn
En 2017, la marine
renouvelle
son contrat
sous réserve
de réussite à des
tests physiques
qu’il n’a jamais
passés
cée, où j’avais eu un avis très favo­
rable pour poursuivre. Et sur le pa­
pier ce que proposait la marine
était très intéressant. » En octo­
bre 2016, il est ainsi incorporé
comme volontaire officier aspi­
rant pour un an : selon son dos­
sier, « en qualité de plongeur au
groupement de plongeurs démi­
neurs de la Manche à Cherbourg »
et « au titre de la spécialité état­
major et services ». Il travaillera
dans les bureaux. Encouragé par
ses recruteurs, le nouveau venu a
le projet de devenir officier sous
contrat et plongeur militaire.
En 2017, la marine renouvelle
son contrat sous réserve de réus­
Berret dans la geôle de Fabrice Al­
caud, envoyé par Boris Laligant
pour « décoincer le gardé à vue ».
« Mettre du liant, l’inviter à s’épan­
cher pour dire la vérité », explicite
M. Berret. Fabrice Alcaud traduit :
« Ils m’ont dit : “Ta juge est folle, elle
veut du biscuit.” »
Bras de fer
L’enquête était passée entre les
mains du major de gendarmerie
François Segura, qui, face aux ju­
ges, vide son sac. Selon lui, l’OCR­
TIS n’a pas « transmis tous les élé­
ments qu’il aurait dû ». Il enfonce
le clou : « Sans critiquer les collè­
gues de l’office, ça a été compliqué
d’obtenir des pièces, il fallait passer
par la juge. Quand on a vu qu’on
ne pouvait pas communiquer avec
eux, on est reparti de zéro avec le
handicap de ne pas avoir des élé­
ments ». Evoquant une « déperdi­
tion sur la téléphonie », François
Segura était à la recherche des
« fadettes » des personnes placées
sur écoute. « On les appelle, on leur
demande. Le directeur d’enquête
site à des tests physiques. Le com­
mandant du GPD lui a donné un
avis « très favorable ». « L’aspirant
se montre disponible et rend de
bons services à l’unité, notam­
ment en ce qui concerne les tâches
administratives. » Mais conseille
le supérieur, « il doit améliorer sa
connaissance de la marine natio­
nale, notamment dans le domaine
des opérations ».
Le commandant préconise
« une année supplémentaire sur
unité navigante ». En vue, une for­
mation de plongeur de bord em­
barqué – en principe réservée aux
marins de carrière – que sa quali­
fication civile lui ouvre par déro­
gation. Arnaud ne passera pas les
tests. La marine lui reproche de
les avoir refusés. Lui assure qu’on
ne les lui a jamais proposés.
Car lorsque l’équipe comman­
dant le GPD change, à l’été 2017, sa
situation devient problématique.
Arnaud vit sur la base, en souffre­
douleur. Il embarque sur des ba­
teaux pour des missions ponc­
tuelles. « Quand je reviens dans
l’unité, je continue de prendre. » Il
ne supporte plus ni les « puni­
tions » (les bizutages), ni le
[de l’OCRTIS] nous dit : “On a tout
transmis.” Alors on ne demande
plus rien, car on avait les infos au
compte­gouttes, ou alors il fallait
pleurer. » Côté OCTRIS, on se dé­
fend d’avoir gardé quoi que ce soit
sous le coude : « On a transmis
l’intégralité du dossier au magis­
trat instructeur », soutient Sté­
phane Lapeyre.
La cour a évoqué une autre illus­
tration de ce bras de fer. Le 14 octo­
bre 2014, à Tarragone, les policiers
espagnols épaulés d’agents de
l’OCRTIS arrêtent des trafiquants
affairés à décharger un conteneur
de boîtes de thon en provenance
du Pérou, contenant 420 kilos de
cocaïne. Parmi eux, le Lyonnais Ali
Bouchareb, seul accusé jugé dé­
tenu, celui qui est aux yeux de l’ac­
cusation le commanditaire des
vols d’« Air cocaïne ». Il s’en défend
farouchement. Chez lui sont saisis
des faux papiers au nom de Ryan
Hanouna. Or, depuis des mois, la
juge Saunier­Ruellan et les enquê­
teurs peinent à identifier un sus­
pect prénommé Ryan. « En débrie­
« compte rendu d’activité sexuelle
post­week­end », dit « CRAS ».
En août 2017, un événement
achève de le faire basculer. Lors
d’une sortie privée en ville, il est
agressé par deux hommes non
identifiés, signale à la gendarme­
rie un viol, sans porter plainte.
L’aspirant confiera plus tard aux
gendarmes qu’il a « eu de ce fait
énormément de mal à se concen­
trer sur son travail ». Mais il n’en
parle pas sur le moment, et as­
sure qu’il s’est relevé de ce grave
événement. Les médecins mili­
taires estiment au contraire que
ce traumatisme l’a conduit à dé­
compenser. Juste après l’avoir dé­
claré « apte », les praticiens de
l’armée jugent soudain sa per­
sonnalité « préoccupante ». Leurs
entretiens relèvent alors d’un
dialogue de sourds.
Dialogue de sourds
Le jeune homme n’a qu’une idée :
voir son harcèlement reconnu.
« Je suis devenu le pantin, le débile.
Les réflexions dégradantes étaient
quotidiennes », a­t­il résumé pour
les besoins de son dossier médi­
cal. Traité pour dépression en
france | 11
LES DATES
2013
19 mars La police dominicaine
découvre 680 kg de cocaïne dans
un avion à l’aéroport de Punta
Cana. Quatre Français sont
arrêtés, les deux pilotes,
Pascal Fauret et Bruno Odos,
et les deux passagers, Alain
Castany et Nicolas Pisapia.
2015
14 août Les quatre Français sont
condamnés à vingt ans de prison
en République dominicaine.
Ils font immédiatement appel.
Octobre MM. Odos et Fauret quit-
tent clandestinement la Républi-
que dominicaine, aidés par l’euro-
député FN Aymeric Chauprade.
2019
18 février Ouverture du procès
devant la cour d’assises des
Bouches-du-Rhône en l’absence
de M. Pisapia, assigné à résidence
en République dominicaine, et
M. Castany, pour raison de santé.
fant avec mes effectifs présents en
Espagne, rapporte M. Lapeyre, on a
fait le rapprochement avec le
Ryan » du dossier Air cocaïne.
Mais à croire François Segura,
l’OCRTIS ne l’a pas prévenu de cette
arrestation, pourtant un tournant
dans l’enquête. « On leur a ensuite
demandé des éléments, des photos,
mais ils nous ont répondu qu’ils
n’avaient rien, qu’ils n’étaient en Es­
pagne que comme observateurs »,
déplore le gendarme. « J’ai veillé,
via le canal de la coopération inter­
nationale, à ce que Mme Saunier­
Ruellan et la section de recherches
de Marseille soient avisées », op­
pose Stéphane Lapeyre.
Dans les failles de cette enquête
malmenée par ces dissensions, la
défense enfonce ses coins. « Mon
client encourt la perpétuité or il
manque des CD, des scellés. Je veux
un dossier complet, peste Me Phi­
lippe Screve. Il y a peut­être dans
ces éléments des choses essentiel­
les qui pourraient démontrer que
Ryan n’est pas Ali Bouchareb. » 
luc leroux
janvier 2018, placé en arrêt­mala­
die, Arnaud tente de se suicider
dans sa chambre le 19 fé­
vrier 2018. Le jour même, la gen­
darmerie de Cherbourg l’entend
comme victime de harcèlement.
Pour les médecins militaires, son
état justifie que l’aspirant soit ré­
formé « dans son propre intérêt » ;
la procédure est en cours.
Des connaissances témoignent
qu’ils ne le voyaient pas dans l’ar­
mée. « Trop gentil, pas sportif de
base », dit l’une d’elles. « C’est un
tendre, qui peut facilement deve­
nir une tête de turc dans ce genre
de milieu », décrit Juliette, moni­
trice d’aviron qui le connaît de­
puis l’enfance. La marine l’a re­
cruté dans un contexte où elle fait
flèche de tout bois pour attirer
des personnels. Avant d’évoquer
« un manque de motivation » et
même des « écarts de comporte­
ment » dont « un cas d’ébriété ma­
nifeste ». Elle assure que « toutes
les chances lui furent données ». Et
affirme que « l’enquête de com­
mandement diligentée en
mars 2018 a écarté [les] faits » de
harcèlement. 
nathalie guibert
 GÉOPOLITIQUE
12 |
Côte d’Ivoire
Une mosaïque
fragile
Mais les conflits fonciers et les manipulations politiques
cyril bensimon
soubré (côte d’ivoire) ­ envoyé spécial
U
ne pure merveille, ce chop­
per Original Bravo­S et ses
125 cm3. Sur la piste ocre,
la petite moto noire se joue
des ornières, slalome entre
les cacaoyers, tient en équi­
libre sur un pont pas plus large qu’une latte
de parquet, évite sans déraper les poules
prêtes à s’aventurer sous ses roues. Est­ce son
compteur kilométrique bloqué depuis des
lustres sur 666 qui lui donne cette précision
diabolique, ou bien plutôt son redoutable
pilote ? Au guidon, Noël Kaboré connaît
chaque plantation, chaque village, de cette
route qui quitte la ville de Méagui pour
s’aventurer jusqu’au parc national de Taï.
La Nawa est le paradis du cacao et, si la Côte
d’Ivoire est le premier producteur mondial
de petites fèves brunes, cette région du
sud­ouest du pays est l’épicentre de sa
culture. A elle seule, elle serait le quatrième
producteur mondial. Sa culture est vitale
pour l’économie du pays. Dans cette zone
où la forêt primaire a été avalée pour être
transformée en un immense verger, on
scrute les fluctuations du cours de cette ma­
tière première et les soubresauts du secteur
avec attention. L’argent généré est ici le
meilleur ciment entre les communautés
autochtones et celles venues du Nord, de
l’Est ou des pays sahéliens, attirées par les
promesses de cette terre fertile.
Méagui est une ville poussiéreuse aux
allures de cité du Far West du temps de la
ruée vers l’or. De grandes fortunes libanaises
tiennent une partie du négoce des fèves
avec les multinationales qui viennent s’ap­
provisionner au port de San Pedro, plus au
sud ; des boutiquiers mauritaniens ou séné­
galais se chargent du petit commerce. Mais,
ici, « la ville est pour les Burkinabés. Sur cent
personnes, nous sommes peut­être quatre­
vingt­cinq », avance Noël Kaboré. Ces chiffres
sont peut­être exagérés, mais ils témoignent
de l’attractivité de cette région.
MALI
BURKINA
FASO
GUINÉE CÔTE
D’IVOIRE
Yamoussoukro
Parc national
de Taï
GHANA
Nawa
LIBERIA Abidjan
Méagui
San Pedro
Golfe de Guinée
150 km
Alors qu’un quart de ses habitants sont de nationalité
étrangère, principalement bukinabée,
le pays s’érige en laboratoire du vivre­ensemble,
comme dans la région cacaoyère de la Nawa.
peuvent à tout moment le transformer en poudrière
Noël Kaboré, 44 ans, s’y est installé il y a
vingt ans. « Avant ma naissance, mes parents
sont partis à l’aventure du Burkina Faso pour
la Côte d’Ivoire, pour chercher de quoi aider
la famille », raconte­t­il. Sa famille s’installe à
Abidjan, dans le quartier populaire et mul­
ticulturel de Treichville. Il fera sa scolarité à
Ouagadougou, jusqu’au 15 octobre 1987 :
« Le jour de l’assassinat de notre président,
Thomas Sankara, qui m’a tellement marqué
que je n’ai plus eu le cœur d’aller à l’école. » Un
premier emploi dans une blanchisserie, puis
retour à Abidjan. « En grandissant, j’ai vu que
mes parents n’avaient pas les moyens de
préparer notre avenir, alors je suis venu à Méa­
gui pour rejoindre un vieux de la famille, rela­
te­t­il. En 2009, après une expérience de chauf­
feur poids lourd, j’ai acheté deux hectares pour
y faire pousser du cacao. » Etranger dans le
pays qui l’a vu naître, Noël Kaboré n’est pas
non plus propriétaire de la terre qu’il cultive,
mais locataire pour quatre­vingt­dix­
neuf ans. Selon une loi votée en 1998, le
domaine foncier n’appartient qu’aux natio­
naux, en l’occurrence aux communautés
autochtones qui ont souvent cédé l’exploita­
tion d’arpents aux nouveaux arrivants en
échange de broutilles. La Constitution, votée
par référendum en 2016, a ajouté que « seuls
l’Etat, les collectivités publiques et les person­
nes physiques ivoiriennes peuvent accéder à
la propriété foncière rurale ».
LA PALME DE L’HOSPITALITÉ
Mémoire de ses compatriotes de la région
qui, à l’en croire, seraient « environ un mil­
lion », soit approximativement la moitié de
la population totale, le consul honoraire du
Burkina Faso à Soubré, préfecture de la
Nawa, Jean de Dieu Zoungui, 75 ans « à peu
près », dont soixante en Côte d’Ivoire, ra­
conte que, au début des années 1980, « les
gens de la région ont commencé à céder
des terres contre une bouteille de gin, de vin
ou un poulet, pour honorer les fétiches ». Les
jalousies, les querelles d’argent et d’héritage,
les doubles ou triples cessions faute de titre
de propriété, les expulsions violentes, les dé­
nonciations d’une invasion venue de l’exté­
rieur viendront plus tard, sur cette terre qui
n’a encore jamais été cadastrée. « Pour main­
tenir la bonne entente, chaque année, nous
faisons un geste pour la famille de celui qui
nous a accueillis. Pour leurs cérémonies,
on leur donne un coup de main. Quand il y a
des funérailles, on les aide financièrement »,
explique Noël Kaboré.
A une centaine de kilomètres au nord de
Méagui, avec ses toits de tôle et ses maisons
bétonnées, Yacolidabouo n’accédera cer­
tainement jamais au statut de village de
charme. Pour le sens de l’hospitalité, en
revanche, il peut remporter la palme. Lors­
qu’un étranger est annoncé, il est accueilli
par l’ensemble des notables du coin. Un ma­
gnifique coq blanc lui est offert pour lui sou­
haiter bonheur, prospérité et lui offrir tou­
tes les protections pour l’avenir. « Avoir un
étranger chez soi, c’est un privilège pour nous,
les Bété [communauté autochtone]. Celui qui
en reçoit beaucoup est bien vu, c’est le signe
qu’il est un homme bon », dit doctement Ika
Sérébo, le chef des lieux. Sous un préau om­
bragé se sont installés côte à côte les chefs
coutumiers des bourgades alentour, mais
aussi Christophe Boukongo, le représentant
de la communauté burkinabée dans le conseil
du village, dont les ressortissants sont si
nombreux qu’« on ne peut même pas les
compter », dit­il en plaisantant.
Yacolidabouo, 3 500 âmes, est installé en
plein cœur de cette Côte d’Ivoire assise sur
une agriculture de rente. La terre constitue
ici le socle des richesses et la base d’une par­
tie des conflits des deux dernières décen­
nies. Qui est ivoirien et qui ne l’est pas ? A qui
appartient la terre ? Ces questions, manipu­
lées politiquement, ont menacé de faire
voler en éclats la mosaïque ivoirienne,
petite Amérique d’Afrique de l’Ouest où les
populations étrangères représentent un
quart des habitants, selon le recensement
effectué en 2014. Il n’existe aucun décompte
exact, car la Communauté économique des
ÉTRANGER DANS  Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est un es­
LE PAYS  pace ouvert dont les ressortissants peuvent
circuler d’un pays à l’autre sans visa, mais,
QUI L’A VU NAÎTRE,  d’après plusieurs sources officielles, les
étrangers représenteraient en réalité envi­
LE BURKINABÉ  ron 40 % de la population totale. Société
métisse, la Côte d’Ivoire est à la fois un labo­
NOËL KABORÉ  ratoire du vivre­ensemble et une poudrière
N’EST PAS NON  que les figures politiques de ces vingt­cinq
dernières années ont à plusieurs reprises
PLUS PROPRIÉTAIRE  menacé de faire exploser.
Selon le rapport « Comment les immigrés
DE LA TERRE  contribuent à l’économie des pays en
QU’IL CULTIVE,  développement », publié, début 2018, par
l’Organisation de coopération et de dévelop­
MAIS LOCATAIRE  pement économiques et l’Organisation in­
ternationale du travail, 59 % des immigrés
POUR QUATRE­ en Côte d’Ivoire sont originaires du Burkina
VINGT­DIX­NEUF ANS Faso et 16 % du Mali, et sont, pour près de la
moitié d’entre eux, employés dans le do­
maine agricole. Au Nigeria et en Afrique du
Sud, les deux autres principaux pôles
d’immigration du continent africain, ce
sont respectivement les industries pétro­
lière et minière qui ont servi d’aimants à
des populations généralement venues des
Etats voisins. Selon les estimations, entre
70 % et 80 % des migrations africaines se
font à l’intérieur du continent. L’harmonie
est parfois difficile ; chaque pays a connu des
flambées xénophobes.
« Ici, la seule politique qui nous intéresse,
c’est de créer de la richesse. Nous votons mais,
le plus important, c’est d’être indépendants
financièrement pour ne pas être tributaires
des politiciens », prévient Ika Sérébo. L’his­
toire agricole de Yacolidabouo se confond
avec celle des migrations issues des pays
sahéliens, mais aussi du centre­est de la Côte
d’Ivoire, le pays baoulé, et du nord, d’où sont
originaires les populations regroupées sous
le terme générique de « Dioula ».
Il y a d’abord eu la culture du riz, puis celle
du maïs, du café, de l’anacarde qui fut « un
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
échec », dit le chef. « A partir de 1975, le boom
du cacao est arrivé, et tout le monde n’a fait que
ça. Puis, dans les années 1990, ce fut l’hévéa,
qui donne de la sève dix mois sur douze, alors
que le cacao ne permet qu’une seule grande ré­
colte, mais dont le prix est passé en vingt ans de
700 francs CFA [1,06 euro] le kilo, en moyenne,
à 200 francs CFA, ce qui nous a tous appauvris
et amenés à revenir à l’agriculture vivrière. »
Les sols qui s’épuisent, les changements
climatiques qui font que l’« on ne sait plus
quand viendra la pluie », les espaces à culti­
ver qui s’amenuisent faute de forêts encore à
défricher, les cours des matières premières
qui fluctuent, et dont on ne se rappelle que
les baisses : voilà quelques éléments de na­
ture à perturber la cohabitation entre
communautés… « Non, coupe Ika Sérébo.
Nous avons tous les mêmes souffrances.
Le secret est que chacun possède un peu de
plantations. C’est quand on commence à
croire que ceux qui viennent de l’extérieur ont
tout que cela crée des problèmes. »
DES ÉVÉNEMENTS QUI UNISSENT
Au fil de la discussion affleurent les taquine­
ries – « Les Burkinabés aiment bien marier
les filles bété, mais, toi, tu envoies tes filles se
marier au Burkina », lance l’un des notables à
Christophe Boukongo sous les rires de l’assis­
tance –, mais aussi le récit d’événements qui
unissent durablement. En 2011, les ex­rebelles
devenus les Forces républicaines de Côte
d’Ivoire ont traversé la zone, pour chasser,
à Abidjan, Laurent Gbagbo, un Bété fils de la
région, d’un fauteuil présidentiel qu’il ne
voulait pas quitter : « Les Burkinabés et les
Dioula ont protégé les Bété. Par peur d’être
attaqués, nous sommes allés nous cacher en
brousse, dans les campements des Burkinabés.
Ils nous apportaient à manger, nous infor­
maient de ce qui se passait chez nous », confie
le chef de la localité de Lilyo.
Toute la Côte d’Ivoire, tant s’en faut, n’a pas
connu et ne connaît pas cette même bien­
veillance mutuelle. A environ 200 kilomè­
tres au nord­ouest, la zone des villes de
Duékoué, Toulepleu et Guiglo fut le théâtre,
en 2011, de massacres perpétrés selon une lo­
gique de représailles entre communautés.
Des centaines de morts et des haines qui ne
se sont pas dissipées, d’autant que la justice
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 géopolitique | 13

Le 12 février,
sur un marché
d’Abidjan,
des pagnes
traditionnels
des Baoulé,
ethnie du
centre­est de
la Côte d’Ivoire.
THIERRY GOUEGNON/REUTERS

le nom] est arrivé au pouvoir, l’administration

n’a jamais été rendue et que la compétition
pour les terres demeure vive dans cette ré­
gion forestière frontalière du Liberia.
Pour comprendre la Côte d’Ivoire d’aujour­
d’hui et ses tumultes récents, il faut remonter
le temps. A l’époque coloniale, le pays fut
pensé comme une vaste plantation destinée
à l’exportation de cacao, de café, de caout­
chouc et d’huile de palme. Le sociologue
Francis Akindès expliquait, en 2004, dans
Le Racines de la crise militaro­politique en
Côte d’Ivoire (Codesria) : « Des vagues succes­
sives d’immigrations économiques ont ali­
menté le besoin croissant de ressources hu­
maines sur les différents chantiers de la basse
Côte d’Ivoire [entre 1932 et 1947, une large part
de la Haute­Volta, qui deviendra, en 1984, le
Burkina Faso, fut rattachée à son voisin méri­
dional sous le nom de Haute Côte d’Ivoire].
Entre 1920 et 1940, le système d’approvision­
nement en main­d’œuvre reposait sur un mé­
canisme dans lequel s’entremêlent volonta­
riat, réquisition obligatoire des travailleurs
voltaïques acheminés vers la Côte d’Ivoire.
Pour cela, des subventions spéciales étaient
octroyées à la société des chemins de fer pour
convoyer gratuitement la main­d’œuvre vers
le sud de la Côte d’Ivoire, avec la complicité des
syndicats interprofessionnels des employeurs
de Côte d’Ivoire, des chefs coutumiers voltaï­
ques pour assurer l’approvisionnement gra­
tuit de cette main­d’œuvre. »
Lorsque survint l’indépendance, en 1960, le
président Félix Houphouët­Boigny, père fon­
dateur et grand architecte de la nation ivoi­
rienne, poursuivit cette politique d’ouverture
sur l’extérieur. Des populations du Bénin, du
Togo, du Mali, de Guinée, du Sénégal, et plus
encore de l’actuel Burkina Faso, affluèrent,
contribuant largement au développement du
pays et à sa vitalité économique. Le chef de
l’Etat affirmait que « la terre appartient à celui
qui la met en valeur » et permit aux étran­
gers venus de la Cedeao de participer aux
élections afin de s’assurer un plébiscite. « Du
bétail électoral », dénonça l’opposition au
tournant des années 1990, alors que la Côte
d’Ivoire s’ouvrait au multipartisme.
Ces années­là seront le tombeau du « miracle
ivoirien » et de ses 10 % de croissance annuelle
reposant, pour l’essentiel, sur une agriculture
de rente. Le prix du café et du cacao chuta de
plus de moitié sur le marché mondial, par rap­
port à celui d’une décennie plus tôt. Alors que
Félix Houphouët­Boigny est malade et vieillis­
sant, son pays perclus de dettes se voit
contraint d’accepter un programme d’ajuste­
ment structurel imposé par les bailleurs de
fonds internationaux. Des coupes sévères
sont opérées dans les dépenses publiques,
poussant des masses de petits fonctionnaires
au chômage à retourner vers une terre qu’ils
avaient cédée aux populations venues du Sa­
hel ou à des migrants de l’intérieur. La mort du
« Vieux », en 1993, et la guerre de succession
qui s’ensuivit accéléra la plongée vers l’abîme.
Avec pour principal souci d’éliminer de la
course au pouvoir Alassane Ouattara, le pre­
mier ministre d’Houphouët­Boigny et candi­
dat des Ivoiriens du Nord, le nouveau chef de
l’Etat, Henri Konan Bédié, introduit dans le
champ politique le concept d’« ivoirité ». Ce­
lui­ci établit une séparation entre Ivoiriens
« de souche » et Ivoiriens « de circonstance ».
L’étranger devient bouc émissaire et l’on parle
désormais officiellement d’un « seuil du tolé­
rable largement dépassé » en matière d’immi­
gration. Du fait de leur proximité culturelle
avec les migrants venus du Mali et du Burkina
Faso, les populations du nord du pays voient
leur citoyenneté contestée.
« XÉNOPHOBE : ET ALORS ? »
En 1998, une loi interdit l’accès à la propriété
foncière aux étrangers. En novembre 1999, à
Tabou, dans l’extrême sud­ouest du pays,
un conflit autour de la terre dégénère et pro­
voque la fuite de 17 000 Burkinabés vers leur
pays d’origine. Lorsque Laurent Gbagbo
prend le pouvoir, fin 2000, il maintient ce cap
nationaliste. Le pays est mûr pour la rébellion.
Elle éclate en septembre 2002, avec le soutien
du Burkina Faso. A Ouagadougou, le prési­
dent d’alors, Blaise Compaoré, s’alarme de
voir revenir des centaines de milliers de res­
sortissants avec les conséquences sociales et
politiques que cela induirait. « On ne pouvait
pas laisser faire. La Côte d’Ivoire, c’est notre
profondeur stratégique », expliquait, avant sa
mort, Salif Diallo, qui fut l’un des très proches
conseillers de M. Compaoré. Ironie de l’his­
toire, ce dernier est désormais réfugié en Côte
d’Ivoire où il s’est vu offrir la nationalité, afin
d’échapper à la justice de son pays.
Des préparatifs de l’insurrection au Bur­
kina Faso, des années de guerre, de la pé­
riode où l’on voyait surgir dans les manifes­
tations « patriotiques », à Abidjan, des slo­
gans tels que « Xénophobe : Y a quoi ? » (« xé­
nophobe : et alors ? »), Messamba Koné, ex­
chef rebelle devenu préfet de la Nawa, ne
souhaite pas parler. Dans son grand bureau
lambrissé et climatisé à 16 °C, il assure que
son « seul souci est de préserver la cohésion
sociale, de maintenir la paix à tout prix entre
les autochtones, qui sont très accueillants, et
ceux qui viennent du Burkina, où la vie est
dure comme caillou ».
A écouter les représentants des différentes
communautés et les acteurs politiques de la
région, Soubré et ses environs sont demeu­
rés des modèles de cohabitation durant les
« MON SEUL SOUCI  années de crise. « Les relations étaient plus
EST DE MAINTENIR  apaisées car, ici, le brassage est très fort. Dans
les familles dioula, on trouve forcément des
LA PAIX ENTRE  Bété et vice versa. Les acteurs politiques et ad­
ministratifs de l’époque ont aussi fait un tra­
LES AUTOCHTONES,  vail de fond pour que les communautés conti­
nuent de vivre ensemble. Il ne faut pas non
QUI SONT TRÈS  plus négliger l’aspect économique : tout le
ACCUEILLANTS,  monde avait intérêt à ce que Soubré ne brûle
pas. Si la ville brûlait, une grande partie de
ET CEUX QUI  l’économie serait partie en fumée », explique
Mamadou Karamoko, député suppléant du
VIENNENT  parti au pouvoir et fils d’une famille de
DU BURKINA,  transporteurs originaire du nord du pays.
Cependant, en visitant le chef coutumier
OÙ LA VIE EST DURE  de la région, Roland Zobré Digbeu, « et sa no­
tabilité », il ne faut pas longtemps pour com­
COMME CAILLOU » prendre que de grandes frustrations restent
MESSAMBA KONÉ enfouies dans les cœurs. Après les précau­
tions d’usage, rappelant que « le chef ne fait
ex-chef rebelle, pas de politique », on nous explique : « Les frè­
préfet de la Nawa res que nous accueillons ne respectent pas les
conventions. On leur donne un hectare et, dès
que vous tournez les dos, ils font venir leurs
frères pour en cultiver trois. Ils ne participent
pas au développement, se croient chefs de vil­
lage au même titre que nous­mêmes. Et, bien
souvent, l’administration les soutient. »
Ange Séri (le nom a été changé), 33 ans et
nouvellement chômeur, souscrit à tous ces
griefs. La photo de Laurent Gbagbo sur son
téléphone témoigne sans détour de son
orientation politique. Selon lui, « depuis que
le Monsieur [Ouattara, dont il refuse de dire
et les commerces sont pour les nordistes. Il y a
trop de Burkinabés, ils sont partout. Tout cela
crée des tensions et l’on se regarde en chiens
de faïence ». Et le jeune homme de pour­
suivre : « Je pense que nos parents ont été
trop accueillants. A cause de leur générosité
et parce qu’ils ont aimé l’argent facile en cé­
dant leurs terres, ils nous ont privés d’opportu­
nités. » Cette jeunesse sans emploi, ne trou­
vant sa place ni dans les villes ni dans les vil­
lages, a été au temps de la crise, entre 2002 et
2011, la principale ressource des mouve­
ments dits « patriotiques ».
A la tête de l’Agence foncière rurale, Daniel
Cheick Bamba mesure l’extrême sensibilité
de la mission qui lui a été confiée : aider à
délimiter des parcelles dans un pays où,
en 2016, à peine 4 % des terres étaient recen­
sées. « C’est une opération à haut risque ; un
rien peut mettre le feu aux poudres. Il faut ras­
surer tout le monde et dépolitiser cette question
de la terre. Il faut lever les réticences et expliquer
aux uns que l’on ne va pas s’organiser pour
chasser les étrangers, et aux autres qu’ils doi­
vent mieux s’organiser pour maintenir le vivre­
ensemble », explique ce haut fonctionnaire qui
se définit, avec un certain humour, comme « le
fils d’un intégriste musulman du Nord et d’une
radicale FPI [le parti de Laurent Gbagbo] ».
INGRATITUDE ET INCOMPRÉHENSIONS
Le sociologue Sosthène Koffi est chargé du
« programme foncier rural » au sein de la
Fondation Friedrich Naumann pour la liberté,
qui, avec le think tank Audace Institut Afrique,
a lancé un programme pour que les villageois
constituent leurs propres registres. « Les pro­
blèmes partent souvent de questions de grati­
tude et d’incompréhensions, explique­t­il. Les
autochtones disent que les jeunes étrangers
passent sur leur moto sans les regarder, qu’ils
ont prospéré sans participer à la vie du village.
Ils craignent aussi de se voir accaparer leurs
terres par de grands groupes ou des personnali­
tés de l’Etat. De l’autre côté, les migrants crai­
gnent de se voir arracher la terre qu’ils cultivent
depuis des années. » Mais, selon lui, « si tout le
monde ne dit pas la vérité, il y a toujours dans
les villages des “sachants” capables de retracer
l’histoire de la terre et ainsi de clarifier les droits
de chacun pour limiter les conflits ».
L’équilibre est fragile. Le grand jeu politi­
que en vue de l’élection présidentielle de
2020 a repris sans que les problèmes de fond
de la société ivoirienne aient été réglés, et la
crainte est grande de voir ressurgir les vieux
thèmes de campagne jouant sur les peurs
et les ressentiments. Peut­être la plus grande
chance de voir se maintenir cette cohabita­
tion fragile, d’éviter les dérives xénophobes
du passé et les réflexes tribaux tient­elle en
la lassitude de cette jeunesse qui servit, dans
un camp ou dans l’autre, de main­d’œuvre
bon marché pour soutenir les ambitions des
leaders politiques ivoiriens. « On ne veut plus
revivre ce qui s’est passé entre 2002 et 2011,
conclut Ange Séri. Les Ivoiriens sont fatigués
de toutes ces palabres. » 
 0123
14 | géopolitique DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

L’Afrique de l’Ouest,
terre d’immigration
Les mouvements migratoires
de la région s’effectuent à 65 % dans
cette zone, contre 10 % en Europe
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Rinaldo
Depagne
« Au Burkina
Faso,
les groupes
armés
ont trouvé
un “maillon
faible” »
ENTRETIEN
A
ttaques terroristes, enlève­
ments, conflits intercom­
munautaires… Au Burkina
Faso, le bilan humain ne
cesse de s’alourdir avec plus
de 340 morts comptabili­
sés depuis 2015. Spécialiste et directeur
de projets pour l’ONG International Crisis
Group pour l’Afrique de l’Ouest, Rinaldo
Depagne analyse les causes et les enjeux de
la crise sécuritaire dans ce pays.
Comment définir la situation actuelle
au Burkina Faso ?
La vitesse de la dégradation sécuritaire et le
niveau des violences sont inédits dans l’his­
toire de ce pays. Il semble que les groupes ar­
més aient trouvé au Burkina une sorte de
« maillon faible » leur permettant de déclen­
cher des insurrections rurales au Sahel. Ils
visent principalement les zones frontalières,
près du Mali et du Niger, où ils sont déjà soli­
dement implantés. En un an, dans l’est du
Burkina, nous sommes passés d’assauts
sporadiques à des attaques régulières meur­
trières. Dans le nord, les violences se sont
étendues du Soum à d’autres provinces, tel­
les que la Kossi ou le Sourou. Pour la pre­
mière fois, les troubles se déroulent dans les
campagnes, alors que, jusqu’à présent,
ceux­ci touchaient surtout les centres ur­
bains, qu’il s’agisse des révoltes de 1966 et de
2014 ou des coups d’Etat des années 1980.
Comment expliquer que le Burkina,
longtemps épargné par les groupes
djihadistes, soit devenu un terrain
d’expression de cette violence ?
Le président Blaise Compaoré [1987­2014]
avait privilégié la négociation avec les
groupes armés qui, à l’époque, étaient sur­
tout actifs au Mali. Son régime leur apportait
de l’aide ou fermait les yeux sur leurs trafics,
en échange de quoi ils n’opéraient pas sur le
sol burkinabé. Le gouvernement de Roch
Marc Christian Kaboré, installé après la tran­
sition, fin 2015, semble moins enclin à colla­
borer avec les groupes radicaux, désormais
INTERNATIONAL
CRISIS GROUP
plus dispersés, moins hiérarchisés et, pour
certains, endogènes. Il est aussi plus compli­
qué d’établir des contacts et de maintenir
des relations avec ces groupes qui n’ont ni
chefs identifiés ni revendications claires. Par
ailleurs, le régime actuel a hérité d’un appareil
sécuritaire fragilisé et divisé.
Ces faiblesses se sont révélées lors des
mutineries de 2011, qui avaient donné lieu à
la radiation de plus de cinq cents membres
des forces de sécurité. Elles ont ensuite été
accentuées par le départ de Blaise Compaoré,
puis par le coup d’Etat manqué de 2015. A la
chute de l’ancien président [à la suite d’une
insurrection populaire en 2014], la structure
des renseignements, qui reposait sur le
général Gilbert Diendéré, s’est délitée. Au­
jourd’hui, le gouvernement a choisi une ré­
ponse militaire forte et plus répressive,
mais son manque d’organisation ne lui per­
met plus d’imposer l’autorité de l’Etat sur
l’ensemble du territoire.
Il faut aussi souligner la carence de la ré­
ponse politique. Les mécanismes de règle­
ment local des conflits se sont grippés avec
la perte d’influence des chefferies tradi­
tionnelles, lesquelles opéraient un travail de
médiation important. Les nouvelles géné­
rations respectent moins les chefs coutu­
miers, d’autant que certains ont été discrédi­
tés en s’impliquant dans la vie politique.
Enfin, les élus locaux, maires et députés, ont
de grandes difficultés à participer aux mé­
diations. Ils sont menacés, voire assassinés,
par les groupes djihadistes.
Certains voient derrière le terrorisme
la « main » de Compaoré, pourquoi ?
Ces accusations sont souvent basées sur
des rumeurs. Dans une situation où 90 % des
attaques ne sont pas revendiquées, il est ras­
surant de mettre un nom sur l’ennemi. L’an­
cien président ne détient plus le pouvoir de
nuisance qu’on lui prête. Il est possible que
des déserteurs militaires aient rejoint des
groupes armés, mais il s’agit de trajectoires
individuelles et non d’un plan orchestré par
des dirigeants à la retraite. Ensuite, ces accu­
sations contre l’ancien régime épousent le
narratif du pouvoir en place, qui s’est cons­
truit sur le rejet de l’ère Compaoré. Enfin,
pour de nombreux Burkinabés, il est encore
difficile d’admettre que le terrorisme puisse
être endogène. L’idée d’une force extérieure
téléguidant des groupes armés étrangers a
quelque chose de rassurant.
Comment des groupes djihadistes
tels qu’Ansaroul Islam, le Groupe
de soutien à l’islam et aux musulmans,
l’Etat islamique au Grand Sahara ont­ils
réussi à proliférer ?
Dans le nord du Burkina, dans le Soum,
le prédicateur Malam Dicko, fondateur d’An­
saroul Islam, s’est fait connaître grâce à ses
« L’Identité » (peinture, 2016)
ARTSPER/GALERIE SAGA
Kokouvi Adoku Né en 1986,
originaire du Togo, Kokouvi
Adoku vit et travaille au
Burkina Faso depuis 2010.
Il étudie la calligraphie,
la sérigraphie et le dessin.
Ses compositions, réalisées
à partir de papier mâché,
de colle, de pastel, d’ocre
et de pigments sur des
matériaux de récupération,
mettent en scène les délaissés
de la société. Les œuvres
de Kokouvi Adoku sont
régulièrement exposées
en Afrique et commencent
à être découvertes en Europe.
géopolitique | 15
prêches à la radio. Il a utilisé un double dis­
cours, religieux, appelant à un retour aux
« vraies » sources de l’islam, et social, qui a
porté dans cette province délaissée par
l’Etat. Dicko a su exploiter le désarroi des
populations en accusant les responsables
locaux de la société traditionnelle – mara­
bouts et nobles peuls – d’être à l’origine de
leur misère pour appeler à un changement
radical de l’ordre social.
Dans l’est, les causes de la percée djihadiste
sont plus difficiles à déterminer. Au djihad
se mêlent sans doute une insurrection so­
ciale et rurale ainsi qu’une contestation bru­
tale de l’Etat par une partie de la population.
Celle­ci s’étant sentie notamment dépossé­
dée de ses terres et de sa culture par la créa­
tion d’espaces naturels protégés et de zones
de chasse commerciale, dont la gérance a été
attribuée à des opérateurs économiques
étrangers. Le racket dont ont été victimes
les éleveurs, opéré par les forces de sécurité,
a aussi joué un rôle important. Les groupes
armés ont su capter ce mécontentement et
attirer à eux des individus agissant plus par
sentiment de révolte que par attachement à
l’idéologie de l’islam radical.
Quel est le rapport des populations
avec ces groupes dans les localités ?
Les populations sont prises entre le marteau
des terroristes et l’enclume des forces de l’or­
dre. D’un côté, elles vivent dans la peur, avec
une grande défiance à l’égard de l’armée, qui
agit souvent de manière brutale. De l’autre
côté, les groupes armés font régner la terreur
en éliminant toute personne qui s’oppose à
eux, ainsi que les informateurs et les repré­
sentants locaux capables d’agir comme mé­
diateurs ou susceptibles de les dénoncer
auprès des autorités. Dans cette configuration
instable et violente, les civils n’adhèrent pas
majoritairement aux idéaux des djihadistes,
mais ils sont souvent obligés de s’arranger
avec eux. Les djihadistes cherchent à plaire
aux populations. Ainsi, dans l’est, des éleveurs
peuvent maintenant faire paître leurs trou­
peaux dans des zones jusqu’alors réservées à
la chasse commerciale, ou exploiter des mi­
nes d’or artisanales échappant désormais aux
règles de l’Etat. Il sera intéressant de voir si ces
populations obéiront aux nouvelles règles
que leur imposeront les groupes armés.
Le 1er janvier, une attaque a entraîné
des représailles contre la communauté
peule à Yirgou, dans le centre­nord. Quel
est l’état des relations communautaires ?
Au Burkina Faso, comme dans de nom­
breux pays d’Afrique de l’Ouest, les tensions
entre éleveurs nomades et agriculteurs sé­
dentaires sont anciennes. Le drame de Yirgou
est certainement né de l’accumulation de
conflits locaux et de la montée en puissance
de groupes armés : les djihadistes, mais aussi
Alors que la
crise sécuritaire
s’aggrave
dans le pays
depuis 2015,
le spécialiste
de l’Afrique de
l’Ouest souligne
la diversité
des facteurs
qui mènent
les individus
à la violence, au
sein des groupes
djihadistes
ou des milices
d’autodéfense
les milices d’autodéfense koglweogo [« gar­
diens de la brousse »] qui font partie des ac­
teurs de ce drame puisqu’elles ont pourchassé
et tué des civils [quarante­six morts selon les
sources officielles, peut­être beaucoup plus].
Il faut une réponse politique forte de la part
des autorités et des chefs coutumiers pour
diffuser des messages de paix. Le risque, en
s’engageant dans une politique répressive
qui présente une communauté – en l’occur­
rence les Peuls – comme principale actrice
du terrorisme, est de voir ces tensions ethni­
ques s’amplifier et être exacerbées par les
groupes armés qui en tirent bénéfice.
La montée en puissance
des groupes d’autodéfense koglweogo
est­elle inquiétante ?
Ces « initiatives locales de sécurité » ont
commencé à se mettre en place dans les an­
nées 2000 pour pallier l’insuffisance poli­
cière sur l’ensemble du territoire. Des grou­
pes d’autodéfense villageois se sont alors
peu à peu structurés. Le plus connu et le plus
important est celui des koglweogo, dont le
nombre est estimé à 45 000 membres, parmi
près de 4 000 groupes. Ils se sont donné
pour mandat de lutter contre la criminalité
et restent, pour le moment, peu engagés
dans la lutte antiterroriste.
Le législateur peine à encadrer ces réponses,
locales et informelles, avec des agendas diffé­
rents. Par exemple, les koglweogo de Saaba,
dans la banlieue de Ouagadougou, luttent
contre le vol de bétail, alors que dans l’est , ils
se confrontent au grand banditisme armé et
transfrontalier. Ils ont réussi à faire baisser le
taux de criminalité dans certaines zones, ce
qui leur confère une certaine aura au sein de la
population, tout en créant un problème politi­
que puisque le gouvernement peut difficile­
ment aller contre l’avis de son électorat. Sa­
chant que ces groupes d’autodéfense se sont
surtout développés dans la région du Plateau­
Central et de l’Est, qui constituent deux grands
bassins d’électeurs pour le parti au pouvoir.
A un an de la présidentielle, la période
est cruciale pour le chef de l’Etat,
Roch Marc Christian Kaboré. Peut­il faire
face à tous ces enjeux ?
C’est une période charnière. Le gouverne­
ment sera­t­il capable d’organiser l’élection
sur l’ensemble de son territoire en 2020 ? De­
puis quelques mois, certaines zones ne sont
plus contrôlées par les autorités. Le risque,
pour le gouvernement, est de se retrouver pris
en tenaille entre la question sécuritaire et un
fort mécontentement social. Le Burkina est
un pays au passé riche en revendications so­
ciales, avec une société civile et des syndicats
actifs. Il va être difficile de répondre à tous ces
enjeux, ne serait­ce que financièrement.
propos recueillis par sophie douce
(ouagadougou, correspondance)
16 | carnet
Alessandro
Mendini
Designer italien
U
n fauteuil style XVIIIe
éclaboussé de pein­
ture pointilliste (le
« Proust ») et un tire­
bouchon à visage humain (« Anna
G. ») auraient suffi à sa gloire.
Mais l’Italien Alessandro Mendini
– qui a dessiné ces objets­cultes –
était également architecte de ta­
lent et théoricien du design,
parmi les principaux représen­
tants du mouvement du « design
radical » (visant à rompre avec le
design industriel). Le maestro,
distingué par deux prix Compas
d’or en Italie, et par le titre de
chevalier des arts et des lettres
en France, est mort lundi 18 fé­
vrier à Milan, sa ville natale.
Né le 16 août 1931, diplômé
en 1959 en architecture de l’uni­
versité Politecnico de Milan, Ales­
sandro Mendini a été rédacteur en
chef de Casabella, de Modo qu’il
a fondé, puis de Domus, autant de
revues­phares de l’architecture et
du design. Dès les années 1960,
il est le chantre d’un « controde­
sign » ou « anti­design », en réac­
tion notamment aux diktats du
Bauhaus, jugé trop fonctionnel
et sans âme. « Je crois que le mini­
malisme est une forme de puni­
tion que nous nous infligeons »,
confiait­il au Monde en 2002, à
l’occasion de l’exposition « Fragi­
lisme » à laquelle il a participé, à la
Fondation Cartier, à Paris.
Architecte reconnu
Il rejoint à la fin des années 1970 le
studio Alchimia, l’un des premiers
collectifs de production dirigé par
des designers en Italie. Ainsi nais­
sent deux collections Bau Haus I
et Bau Haus II, des meubles et des
objets du quotidien colorés, ultra­
décorés, ironiques…, réalisés en
petite série. Alessandro Mendini
fait surtout sensation avec le fau­
teuil Proust, au kitsch revisité.
« Pendant deux ans, tout le monde
s’est moqué de nous. C’était un tel
tremblement de terre, une telle rup­
ture avec tout le design existant !
Et puis, très lentement, le public et
les industriels ont fini par com­
prendre la portée culturelle de cette
transformation », racontait le desi­
gner à Télérama, en 2012.
C’est ainsi qu’il devient le
conseiller artistique des firmes
Alessi, puis Swatch. En 1982,
Alessandro Mendini fonde la
Domus Academy, avec Maria Gra­
zia Mazzocchi, Alessandro Guer­
riero et Andrea Branzi, proposant
pour la première fois des master
class aux designers. En 1989, il
crée avec son cadet, Francesco,
l’Atelier Mendini, à Milan, où ils
A Milan,
en 2016.
TULLIO M. PUGLIA/
GETTY IMAGES/AFP
16 AOÛT 1931 Naissance
à Milan
1987 Conçoit le Musée
de Groningue (Pays-Bas)
2014 Reçoit le Prix européen
pour l’architecture
18 FÉVRIER 2019 Mort
à Milan
explorent toutes les disciplines de
l’architecture au design d’objets
en passant par la décoration inté­
rieure. Parmi leurs clients : Magis,
Philips, Cartier, Hermès, Venini…
En architecture, Alessandro
Mendini dessine le théâtre
d’Arezzo en Toscane, le mémorial
d’Hiroshima au Japon ou le Mu­
sée de Groningue aux Pays­Bas.
Ce dernier bâtiment, construit de
1987 à 1994 avec la collaboration
des designers Michele de Lucchi
et Philippe Starck, est considéré
comme sa masterpiece, avec
cette tour centrale de 60 mètres
de haut, recouverte de plastique
lamifié doré.
« Mendini est l’une des rares
icônes dans l’histoire de l’art et de
l’architecture. Dans une ère où
les idées architecturales sont co­
piées et dupliquées mondialement,
Mendini et son travail restent sin­
gulier, prophétique et original », a
commenté Christian Narkiewicz­
Laine, président du musée de l’ar­
chitecture et du design Chicago
Athenaeum, alors que le designer
recevait en 2014 le Prix européen
pour l’architecture.
Alessandro Mendini, qui se rê­
vait peintre, a créé plusieurs dizai­
nes de fauteuils Proust, en bronze,
en céramique, en plastique, unis
ou colorés, théâtralisés, dont des
pièces en série limitée pour la ga­
lerie Kreo, à Paris. Comme l’œuvre
d’une vie, « une toile en trois di­
mensions », qu’il n’a cessé de re­
prendre. « Ce créateur était une fi­
gure majeure du design italien,
dans la lignée d’un Ettore Sottsass.
Il a su questionner la société des
hommes au travers de ses objets,
en réinterprétant le kitsch avec une
grande liberté », souligne Didier
Krzentowski, de la galerie Kreo.
En 2016, à Séoul, l’exposition
« Alessandro Mendini, the Poetry
of Design » insistait sur la dimen­
sion magique, colorée et émo­
tionnelle de l’œuvre de l’Italien.
Dans un dernier entretien ac­
cordé au journal italien Corriere
della Sera, en 2018, Alessandro
Mendini s’était ainsi décrit : « Je
suis comme Gepetto qui, de ses
mains, crée la vie. » 
véronique lorelle
/H &DUQHW
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Les docteurs Lucile et Pierre
Bensignor,
M. et Mme Laurent Clavel,
M. et Mme Pierre Clavel,
ses enfants,
Les docteurs Emmanuel et Elisabeth
Bensignor,
Nicolas et Vida Bensignor,
Marie-Constance et Grégoire Challe,
Agnès Clavel,
Arthur Clavel,
ses petits-enfants,
Clara et Alice Bensignor,
Jean-Vladimir, Louise et Léna
Bensignor,
Céleste et Félicie Challe,
ses arrière-petits-enfants,
Les familles Jugnet, Epinay, Thévenin,
Le Thomas, Nahon,
ont la tristesse de faire part du décès de
Mme Eveline CLAVEL,
née EPINAY,
officier
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 21 février 2019,
dans sa quatre-vingt-seizième année.
Les obsèques seront célébrées le jeudi
28 février, à 14 h 30, en l’église Sainte-
Bernadette de Versailles, 7, rue Saint-
Nicolas.
L’inhumation aura lieu le vendredi
1er mars, dans le caveau familial de Thizy-
les-Bourgs (Rhône).
Cet avis tient lieu de faire-part.
Hélène Dorin
et ses enfants,
Sophie Dorin et Yann Chiquello
et leurs enfants,
Philippe et Laure Dorin,
Alban et Carole Dorin
et leurs enfants,
Gérard (†) et Claude Dorin,
Marie-France et Michel Cossa,
Béatrice et Antoine Dumurgier
et leurs enfants,
Paul-François et Blandine Cossa
et leurs enfants,
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu de
Bernard DORIN,
ambassadeur de France,
conseiller d’Etat (h.),
commandeur de la Légion d’honneur,
grand-croix
de l’ordre Royal de Victoria,
le 20 février 2019.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le 28 février, à 10 h 30, en l’église Notre-
Dame-de -l’Assomp tion de Passy,
Paris 16e.
Suivie de l’inhumation au cimetière
d’Aussac-Vadalle (Charente).
famillebernarddorin@gmail.com
Semur-en-Auxois (Côte-d’Or).
Fabienne Lécallier-German,
son épouse,
Gricha, Nicolas, Pauline,
ses enfants
Et toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Vladimir GERMAN,
peintre et sculpteur,
survenu à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Les obsèques auront lieu le mardi
26 février 2019, à 15 heures, en la
collégiale de Semur-en-Auxois.
Agnès Hano et Redouane Kartobi,
Sylvie Hano et Thomas Gaudin,
ses enfants,
Anouk, Auguste, Elias, Abel,
ses petits-enfants,
Catherine Goguel Monbeig,
sa sœur,
Jean-Paul et Laurent Monbeig,
ses frères
et ses belles-sœurs,
ont la tristesse de faire part du décès de
Marianne HANO-MONBEIG,
psychologue.
L’inhumation aura lieu au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e, lundi 25 février
2019, à 10 h 45 (entrée principale).
sylvie-hano@orange.fr
agnes.hano@wanadoo.fr
Sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Jean Edmond HEMERY,
survenu le 31 décembre 2018,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans,
après une longue carrière au sein de la
La crémation a eu lieu le 6 février,
au crématorium de Clamart.
La Fraternité des Petites Sœurs
de Jésus (Charles de Foucauld),
Petite sœur Dolors-Francesca
Et son Conseil,
font part du décès de
petite sœur Jeanne de Jésus
(Jeanne BEUF),
survenu le 22 février 2019, à Rome.
Native de Marseille, elle entre dans la
Congrégation en 1942, elle aurait eu cent
ans en juin. Petite sœur Jeanne, fidèle
compagne de petite sœur Magdeleine,
notre fondatrice, a collaboré étroitement à
la fondation et a été notre première
responsable générale de 1949 à 1969.
Ses funérailles seront célébrées à Rome,
le mardi 26 février, à 14 heures, en la
chapelle de la Fraternité générale, Via di
Acque Salvie, 2, à Rome.
Agnès Joffre,
son épouse,
Benoît, Maud et Jérôme,
ses enfants
et leurs conjoints,
Titouan, Gaspard, Jean-Lou et Elia-
Stella,
ses petits-enfants,
Solange Joffre,
sa maman,
Annie et Pierre Vandamme,
sa sœur et son beau-frère,
Catherine et Babeth,
ses belles-sœurs,
Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès du
docteur Bernard JOFFRE,
cardiologue,
survenu le 19 février 2019,
à l’âge de soixante-douze ans.
La cérémonie aura lieu le lundi
25 février, à 15 h 15, au crématorium
d’Avignon.
La famille tient à exprimer sa gratitude
à toutes les personnes qui lui ont prodigué
des soins à domicile et à l’hôpital.
Merci de privilégier les dons à Médecins
du Monde.
C’est avec une très profonde émotion
que la
Maison CHANEL
a le regret d’annoncer le décès de
Karl LAGERFELD,
le 19 février 2019.
Ses obsèques ont eu lieu dans la plus
stricte intimité.
Une cérémonie d’adieu aura lieu
ultérieurement.
(Le Monde du 21 février.)
Adieu à
Serge MERLIN.
La cérémonie sera célébrée le jeudi
28 février 2019, à 11 h 30, en la salle
Mauméjean du crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
Ni fleurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part.
(Le Monde du 22 février.)
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
La famille et l’entourage de Bénédicte Zambeaux,
Fernand MOSZKOWICZ
ont la tristesse d’annoncer son décès
Véronique et Bernard Cousyn,
Patricia et Jean-Pierre Binoche,
Hugues et Béatrice Zambeaux,
Nicolas et Laurence Zambeaux,
survenu le 14 février 2019, ses enfants,
à l’âge de soixante-seize ans.
Ses onze petits-enfants
Il est inhumé à Nice. et leurs conjoints
Fernand Moszkowicz, assistant de
Louis Malle et de Bernardo Bertolucci
notamment, a réalisé de nombreux films,
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du rappel
dont le court-métrage Désirée (prix Jean à Dieu de
Vigo 1968) et le merveilleux Voyageur
italien sur Bertolucci. Claude ZAMBEAUX,
conseiller honoraire
Nous ne l’oublierons jamais. à la Cour de cassation,
officier de la Légion d’honneur,
Pour adresser vos messages de commandeur
condoléances : Jacques Moszkowicz, de l’ordre national du Mérite,
91, avenue des Arènes de Cimiez,
06000 Nice. le 19 février 2019,
dans sa quatre-vingt-quinzième année.
Jean-Michel et Isabelle Pawlotsky,
Françoise Pawlotsky, La cérémonie religieuse sera célébrée
Catherine et Laurent Le Diagon, le lundi 25 février 2019, à 10 h 30, en
ses enfants, l’église Notre-Dame, 35, rue de la Paroisse,
Clémentine, Aurèle et Alexandre à Versailles, suivie de l’inhumation
Pawlotsky, à 14 heures, dans le caveau familial,
Sarah et Hannah Le Diagon, au cimetière du Montparnasse, Paris 14e.
ses petits-enfants,
Ses neveux et nièces,
Ses petits-neveux et petites-nièces,
Remerciements
Marie-France Deleule,
ont la douleur de faire part du décès de Ses enfants
Et toute sa famille,
M. Yves PAWLOTSKY,
professeur de médecine, profondément touchés des nombreuses
ancien chef du service de rhumatologie marques de sympathie qui leur ont été
du Centre hospitalier universitaire témoignées lors du décès de
de Rennes,
Didier DELEULE,
survenu le 18 février 2019,
dans sa quatre-vingt-huitième année. vous prient de trouver, ici, leurs sincères
remerciements.
Une cérémonie laïque aura lieu le mardi
26 février, à 10 h 30, en la Coupole du
cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Anniversaires de décès
Rondeaux, Paris 20e (métro Gambetta).
Paris. Casablanca. Lorgues.
Ni fleurs ni couronnes. Une collecte
Hommage à
au profit de Médecins sans Frontières sera
organisée selon son souhait.
Simone CAILLOUX
28 avril 1934 - 23 février 1989.
Anne-Marie Israel,
sa sœur, Jawad, Karim, Khalid, Margiane,
Elisabeth Bacher,
Soufyan,
sa belle-sœur, ses enfants,
Ses neveux et nièces Audrey, Gabrielle, Garance, Léa, Kévin,
et leurs conjoints, Stanislas, Vanessa,
ses petits-enfants.
ont la grande tristesse de faire part
66, rue Condorcet,
du décès de
75009 Paris.
Françoise REUCHLIN, famille.lemniai@gmail.com
née BACHER,
ancien directeur
à l’Ecole pratique des hautes études, Guy DAMAIS,
officier 20 mai 1927 - 25 février 1996.
dans l’ordre des Palmes académiques,
« Une âme
survenu à Paris, le 31 janvier 2019, Si elle veut se connaître
à l’âge de quatre-vingt-dix ans. C’est dans une âme
Qu’elle doit se regarder. »
Françoise, Pascal et Philippe, Georges Séféris,
ses enfants, Poèmes.
leurs conjoints
Et ses petits-enfants, Paule Damais-Garlaud.
ont la tristesse d’annoncer le décès de Souvenir
Guy RIDEAU,
directeur de recherche au CNRS. Julien BARTHÉLEMY,
11 juin 1982 - 25 février 1999.
La cérémonie aura lieu le 27 février
2019, à 15 heures, au cimetière de Lagny- Julien manque à toute sa famille,
sur-Marne (Seine-et-Marne). à ses amis, il manque au monde.
Vingt ans déjà, tant de présence.
Bernard Wils,
Anne et François, Communication diverse
ses enfants,
Charlotte, Pauline et Albane,
ses petites-filles,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Nika WILS,
Rencontre/Projection/Signature
née THORAVAL,
d’ouvrages
survenu le 11 février 2019.
Quels destins pour le Crac
des Chevaliers ?
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mardi 26 février, à 10 h 30, en l’église Avec Jean Rolin, Jean Mesqui,
Saint-Dominique, 20, rue de la Tombe- Michel Al Maqdissi, Yves Ubelmann,
Issoire, Paris 14e, suivie de la crémation
Lazare E. Assomo, Cyrille Louis,
au crématorium du cimetière du Père- Jean-Marc Hofman
Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. et Emmanuel Pénicaut.
Cet avis tient lieu de faire-part et Mercredi 27 février 2019,
de remerciements. 14 h 30 à 17 heures.
Entrée libre.
93, boulevard Arago, Auditorium, inscription et programme
75014 Paris. complet sur citedelarchitecture.fr
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
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Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol
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Médiateur Franck Nouchi
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
 CULTURE
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 | 17

Vent de fronde sur les Oscars 2019
La cérémonie, qui a lieu dimanche 24 février, est mise sous pression par les plates­formes de streaming

CINÉMA

U
ne cérémonie sans
présentateur après le
retrait du comique
Kevin Hart, qui a re­
fusé de présenter des excuses pour
des Tweet homophobes ; le réalisa­
teur de Bohemian Rhapsody
– nommé à l’Oscar du meilleur
film – accusé d’agressions sexuel­
les sur mineurs ; des innovations
– un nouvel Oscar du film popu­
laire, la remise du trophée du
montage et de la photographie
pendant les coupures publicitai­
res – contestées par les membres
de l’académie qui remet les sta­
tuettes et finalement abandon­
nées ; la forte probabilité d’assis­
ter, dimanche 24 février, au triom­
phe d’un film – Roma, d’Alfonso
Cuaron – diffusé pour l’essentiel L’affiche des
en dehors des salles de cinéma… La Oscars 2019,
91e cérémonie des Oscars s’est pré­ à Los Angeles,
parée dans la tourmente. mardi
Alors que le calendrier mondial 19 février.
du cinéma d’auteur est désormais LUCY NICHOLSON/
réglé par celui des Oscars (le festi­ REUTERS
val de Berlin vient d’annoncer
qu’il déplaçait les dates de son édi­
tion 2020 après que celles des
Oscars ont été avancées), ceux­ci
sont en position de faiblesse aux
Etats­Unis. Cette cérémonie cor­
porative organisée par l’Academy
of Motion Picture Arts and Scien­
ces (Ampas), créée en 1927 par les
studios pour contrer les syndicats,
est devenue un rite national à par­
tir de 1953, date de sa première
retransmission télévisée.
Ces dernières années, l’audience rie avant d’être abandonnée. Au Formulée dans le souci de raccour­ Pour la première fois, celle­ci fait la pense suprême, la plate­forme a Darryl F. Zanuck reste incertain,
des Oscars est en chute libre, au moins trouve­t­on cette année cir la cérémonie afin de ne pas dé­ course en tête, trois ans après dépensé plus pour les trophées mais on sait déjà que la stratégie de
grand dam d’ABC, la chaîne qui les trois blockbusters parmi les pré­ courager les téléspectateurs, cette l’échec de la campagne menée en qu’Alfonso Cuaron et ses produc­ ses nouveaux propriétaires est de
diffuse, propriété de Disney. tendants au trophée du meilleur mesure s’est heurtée à un corps faveur de Beasts of no Nation, de teurs pour le film lui­même : de donner la priorité à une plate­
En 2018, la 90e édition, qui a vu le film : Black Panther, avec ses électoral de 6 000 votants, en Cary Fukunaga, qui n’avait re­ 25 millions à 30 millions de dollars forme qui a vocation à concurren­
triomphe de La Forme de l’eau, de 700 millions de dollars au box­ partie renouvelé. Plus féminine, cueilli aucune nomination. Cette de budget de campagne, contre cer Netflix et Amazon.
Guillermo del Toro, n’a attiré que office, Bohemian Rhapsody et A plus diverse, plus jeune, la com­ année, Roma concourt dans dix 15 millions de budget de produc­ Il ne reste à l’Ampas et aux pro­
26,5 millions de spectateurs, le Star Is Born. Mais aucun des position de l’Ampas favorise les catégories, après avoir fait une car­ tion, selon le New York Times. ducteurs de la retransmission,
plus faible score de l’histoire. auteurs de ces films n’a été films issus du système de pro­ rière limitée en salles aux Etats­ Un succès de Roma, qu’annon­ Donna Gigliotti et Glenn Weiss,
Depuis Argo, en 2012, aucun des nommé à l’Oscar du meilleur réali­ duction indépendant aux dépens Unis, dont les résultats ont été te­ cent de nombreux pronos­ qu’à espérer que, dimanche soir,
longs­métrages qui ont obtenu la sateur, ce qui diminue fortement de ceux issus des studios. nus secrets par Netflix. tiqueurs, consacrerait le boulever­ sur la scène du Dolby Theater de
récompense suprême n’a dépassé leurs chances. Pour défendre les couleurs du sement des rapports de force dans Los Angeles, aucun des 30 présen­
la barre des 100 millions de dollars La fronde, menée par les plus « Roma » étend son empire film, Netflix a embauché une l’industrie cinématographique. tateurs, parmi lesquels Barbra
de recettes au box­office nord­ grands cinéastes, de Scorsese à del Or, les films indépendants sont tri­ vétérane des campagnes triom­ D’autant que l’autre triomphateur Streisand, Javier Bardem ou Cons­
américain, la plupart (Birdman, Toro, qu’a suscitée la proposition butaires, chaque année un peu phales qu’organisait Harvey des nominations, La Favorite, de tance Wu, ne se trompera d’enve­
Spotlight, Moonlight) n’atteignant de reléguer la remise des prix pour plus, du soutien des plates­formes Weinstein au temps où son studio, Yorgos Lanthimos, qui concourt loppe et que, malgré le maintien
même pas les 50 millions. D’où la le montage et la photographie de streaming Amazon (qui avait Miramax, dominait les Oscars. lui aussi dans dix catégories, a été des Oscars du montage et de la
proposition de créer un Oscar du pendant les coupures publicitai­ pris une longueur d’avance Sous la direction de Lisa Taback, produit par un studio de la Fox, en photographie, la cérémonie ne
film populaire, qui s’est heurtée à res est révélatrice d’une autre con­ en 2017 avec les deux Oscars de qui a déjà conduit un film en noir passe d’être racheté par Disney. dépassera pas les trois heures. 
la difficulté de délimiter la catégo­ tradiction qui mine les Oscars. Manchester by the Sea) et Netflix. et blanc – The Artist – à la récom­ L’avenir de la firme fondée par thomas sotinel

Petit millésime pour les Césars

La soirée a brillé par son manque de rythme et d’irrévérence

A vant l’ouverture de la
44e cérémonie des Cé­
sars, vendredi 22 février,
deux films partaient favoris, avec
chacun dix nominations : Le
Grand Bain, de Gilles Lellouche, et
Jusqu’à la garde, de Xavier Le­
grand. C’est finalement le second
qui est ressorti gagnant de la soi­
rée, organisée salle Pleyel, à Paris,
en remportant quatre statuettes,
dont celle du meilleur film et de la
meilleure actrice pour Léa Druc­
ker. Le Grand Bain, en revanche,
gros succès populaire avec plus de
4 millions d’entrées, n’a reçu
qu’une récompense, celle du
meilleur acteur dans un second
rôle, décernée à Philippe Kate­
rine. Les professionnels du ci­
néma ont ainsi, une fois de plus,
manifesté leur peu de goût pour
la comédie.
Ils l’ont prouvé aussi en ne réser­
vant aucun trophée au film de
Pierre Salvadori, En liberté, pour­
tant nommé neuf fois. Films en­
gagés, drames sociaux sur les vio­
lences faites aux femmes ou sur
l’enfance sexuellement abusée
ont, à l’inverse, été distingués.
Avec notamment Les Chatouilles,
d’Andréa Bescond et Eric Métayer,
qui a reçu deux Césars, dont celui
de la meilleure actrice pour un se­
cond rôle remis à Karin Viard. Di­
lili à Paris, de Michel Ocelot, a été
récompensé du César du meilleur
film d’animation et Vilaine fille,
d’Ayce Kartal, de celui du meilleur
court­métrage d’animation.
Climat d’autocensure
Le western de Jacques Audiard, Les
Frères Sisters, a réalisé une belle
moisson en remportant les Césars
de la meilleure réalisation, du
meilleur son, du meilleur décor et
de la meilleure photographie. Le
César du meilleur acteur est re­
venu à Alex Lutz pour le rôle qu’il
interprète dans son propre film,
Guy. Les meilleurs espoirs fémi­
nin et masculin sont allés à deux
interprètes non professionnels,
Kenza Fortas et Dylan Robert,
pour Shéhérazade, long­métrage
de Jean­Bernard Marlin – récom­
pensé du César du premier film.
C’est au magnifique long­métrage
Une affaire de famille, du Japonais
Hirokazu Kore­eda, Palme d’or à
Cannes, qu’est revenu le César du
meilleur film étranger.
Cette 44e cérémonie, présentée
par un Kad Merad sans fantaisie
ni humour – entré en roi, façon
Freddie Mercury, il est vite de­
venu triste sire –, n’avait pas
grand­chose de festif. Les remer­
ciements se sont succédé sans
surprises ni prises de parole poli­
tiques de la part des intervenants,
comme nous y avaient habitués
les éditions précédentes. Tout
juste Léa Drucker s’est­elle es­
sayée à quelques phrases sur les
violences faites aux femmes. Et
quelques larmes ont­elles été ver­
sées par la jeune Kenza Fortas.
Pour le reste, la vie et l’enthou­
siasme semblaient s’être retirés
de cette soirée, à l’image des hom­
mages rendus aux disparus,
parmi lesquels Charles Aznavour
et les compositeurs Francis Lai et
Michel Legrand, qui ont permis
de revoir quelques extraits de
films revigorants, mais de trop
courte durée. Contrite et
vieillotte, dépourvue de rythme,
de drôlerie et d’irrévérence, cette
cérémonie est à inscrire parmi les
plus ennuyeuses de ces dix der­
nières années. Peut­être faut­il at­
tribuer cette retenue à une
conduite d’autocensure qui vise­
rait à vouloir se protéger des
réseaux sociaux. Ou plus proba­
blement au climat social qui pèse
actuellement sur le pays. 
véronique cauhapé
 0123
18 | culture DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

Le falsetto princier de Curtis

S É L E C T I O N   A L B U M S
LO U IS- NO Ë L BE STIO N DE C AMBO U L AS
Soleils couchants
Sélection d’œuvres transcrites pour orgue
de salon et divers instruments.

Mayfield, grande voix de la soul

A la différence de celui des églises, l’orgue
de salon n’est pas une scène de théâtre
mais un espace d’intimité. Intimes, les in­
terprètes de ce disque le sont visiblement
entre eux et tout autant avec les œuvres
Quatre albums du musicien de Chicago mort en 1999 sont réédités qu’ils revisitent dans d’audacieuses trans­
criptions. Leur prestation, en duo ou trio avec l’orgue de salon
de Royaumont (1864), rend cohérent un programme d’appa­
rence composite. Le violon alto d’Adrien La Marca traverse la Ro­
MUSIQUE mance oubliée de Franz Liszt comme une apparition, corps de
fantôme et voix d’ange. La harpe de Lucie Berthomier semble

U
n son énorme de de même nature au service de Claude Debussy (Deux danses).
basse, la mention, par Métamorphosée par l’orgue aux mille visages de Louis­Noël
une voix féminine, Bestion de Camboulas, chaque page exerce un extraordinaire
du Livre de la révéla­ pouvoir de fascination. Des très célèbres, telles la Sicilienne de
tion, texte prophétique du Nou­ Gabriel Fauré tournant comme un manège psychédélique, aux
veau Testament, des percus­ méconnues, à l’instar de la grave Fantaisie d’Emile Paladilhe,
sions, et Curtis Mayfield qui an­ chantée avec esprit par le baryton Etienne Bazola, et de l’intense
nonce « If There’s a Hell Below, Soleils couchants de Nadia Boulanger, magnifiquement projetée
We’re All Gonna Go ! » (« Si l’enfer par la soprano Eugénie Lefebvre.  pierre gervasoni
existe, nous y finirons tous »), puis 1 CD Harmonia Mundi.
un cri, l’entrée de cuivres, de cor­
des, une guitare wah­wah… PO SS IBLE( S) Q UARTET
L’ouverture de Curtis, premier al­ Songs From Bowie
bum de Curtis Mayfield en solo, Commande du festival Rhino Jazz(s)
publié en septembre 1970, est un en 2017, au Possible(s) Quartet, lors de la
choc. Par sa construction, sa du­ première étape d’un hommage à David
rée, près de huit minutes, son Bowie, supervisé par Daniel Yvinec, ce
texte, peinture terrible des Etats­ programme de reprises de compositions
Unis, entre faillite de l’éducation, du chanteur et auteur­compositeur, mort
drogues, pollution (déjà) et ten­ en janvier 2016, avait d’abord été présenté
sions raciales. en concert. Le voici enregistré en studio.
A la parution de cet album, Pas de voix pour chanter les textes de titres parmi les plus con­
aujourd’hui réédité dans un cof­ nus (Space Oddity, Life on Mars, Heroes) ou plus secrets (Dead
fret avec Roots (1971), Back to the Man Walking, Little Wonder, Absolute Beginners…), mais une al­
World (1973) et Sweet Exorcist liance des vents qui met en valeur le lyrisme mélodique, l’inven­
(1974), Curtis Mayfield a déjà une tivité harmonique. Pas de saxophone non plus, instrument que
longue carrière derrière lui. Né le pratiquait Bowie à l’occasion. Trompette et bugle (Rémi Gau­
3 juin 1942, à Chicago (Illinois), il a dillat et Fred Roudet), trombone (Loïc Bachevillier) et clarinette
fondé à la fin des années 1950 basse (Laurent Vichard) sont mis en jeu. Souvent dans un éloi­
avec Jerry Butler une formation gnement des originaux, en procédant par rappels, citations, évo­
qui va devenir, sous le nom de cations, sans suivre la structure couplet­refrain, pour aboutir à
The Impressions, l’une des plus une réinterprétation profondément originale.  sylvain siclier
réputées de la soul music des an­ 1 CD Les ImproFreeSateurs-Rhino Jazz(s) Festival/Inouïe Distribution.
nées 1960, au même titre que The
Miracles, The Temptations, The MIC HA EL C HAP MAN
Four Tops ou The Isley Brothers. True North
Après le départ de Butler en 1962, Curtis Mayfield, en janvier 1970. GILLES PÉTARD/REDFERNS Visage taillé à la serpe, souvent dissimulé
Mayfield devient le leader et le par des lunettes aviator et une casquette,
principal compositeur du groupe Michael Chapman, 78 ans, est une légende
et y développe son attention aux What’s Going on de Marvin Gaye phique fondée en 1968 par May­ discrète de la scène british folk au même
sujets sociaux. (qui sera publié en mai 1971), les
Découvrir cette field avec Eddie Thomas, qui res­ titre que ses pairs Roy Harper et feu John
Si Curtis est donc dans la droite productions de Norman Whit­ voix tendant vers tera active jusqu’en 1980. Martyn. Depuis ses débuts en 1969, le gui­
ligne de son engagement de May­ field pour The Temptations entre La parution de ce coffret serait tariste et songwriter cumule près d’une
field, avec des chansons comme 1969 et 1973 ou la tétralogie
l’aigu, caressante donc l’occasion pour beaucoup de soixantaine d’albums, parfois dispensa­
The Other Side of Town, We the d’Isaac Hayes constituée de Hot sur les romances, découvrir cette voix tendant vers bles, mais recelant aussi quelques chefs­d’œuvre. Il y a quelques
People Who Are Darker Than Blue Buttered Soul, The Isaac Hayes l’aigu, caressante sur les roman­ années, le label Light in the Attic a œuvré à sa réhabilitation en
et Move on Up, il est d’abord l’af­ Movement, To Be Continued et
expressive pour ces, expressive pour interpréter rééditant deux de ses meilleurs opus parus en 1970, Fully Quali­
firmation de la part du chanteur, Black Moses. interpréter les textes sociaux, entre parlé et fied Survivor et Window. True North poursuit sa remarquable
guitariste, claviériste et auteur­ chanté. D’autant que les trois al­ cure de jouvence entamée avec 50 en 2017, tous deux produits
compositeur d’un nouveau son Ancrage gospel
les textes sociaux bums suivants, présentés, comme par le guitariste américain Steve Gunn. Le picking toujours
par rapport aux Impressions Curtis Mayfield, qui avait été vic­ Curtis, dans leur pochette d’ori­ alerte et la voix rocailleuse, Chapman puise dans son répertoire
(qu’il quitte en 1971) : soul, psyché time d’un grave accident lors d’un gine, sont de la même qualité mu­ quelques pépites méconnues et signe quatre inédits aux con­
et funk dans un kaléidoscope de concert en août 1990, à Brooklyn Europe, que d’autres grandes voix sicienne. Et que tous avaient béné­ tours dépouillés, crépusculaires (dont deux duos avec
surprises instrumentales, la mise – sa colonne vertébrale est brisée, de la soul. Un peu comme Donny ficié de rééditions en CD au début la chanteuse Bridget St John). L’ensemble exhale un magnétisme
en avant de croisements rythmi­ il se déplacera ensuite en chaise Hathaway, né lui aussi à Chicago, des années 2000, mais n’étaient noir qui n’est pas sans évoquer les ultimes productions
ques, qui le placent au même plan roulante –, est mort le 26 décem­ qui avait travaillé comme arran­ plus commercialisés régulière­ de Johnny Cash.  franck colombani
que ces grands disques aux arran­ bre 1999. Il reste moins connu du geur et parolier pour Curtom Re­ ment depuis plusieurs années. 1 CD Paradise of Bachelors/Differ-ant.
gements sophistiqués que sont grand public, en particulier en cords, la compagnie phonogra­ Roots, publié en octobre 1971,
s’oriente plus vers une manière INTERZO NE – SE RG E TEYSS OT-GAY & K H ALED
psyché­funk (Get Down, Beautiful ALJ ARAMANI
Brother of Mine, Underground) en Kan Ya Ma Kan - 4e jour
rappelant aussi l’ancrage gospel La musique comme une proposition
qui a été l’école de musique de d’évasion. « Kan Ya Ma Kan » : dans le

Georges
Mayfield dans sa jeunesse (We Got monde arabe, tous les conteurs ouvrent
to Have Peace). On y trouve l’une par cette formule l’histoire qu’ils s’apprê­
de ses ballades les plus empor­ tent à raconter. Il était une fois celle que
tées, Now You’re Gone, coécrite continuent d’inventer ensemble le guita­

Henri
par le bassiste Joseph Scott, direc­ riste Serge Teyssot­Gay et le oudiste Kha­
teur musical de son orchestre jus­ led Aljaramani. Elle a pris naissance lors
qu’au milieu des années 1980. de leur rencontre à Damas en 2002. Teyssot­Gay était alors gui­
En juillet 1972 paraît la musique tariste du groupe Noir Désir, de passage dans la capitale sy­

Rivière
écrite par Mayfield pour le film rienne, où Aljaramani enseignait au Conservatoire. Après leurs
Superfly, réalisé par Gordon Parks premiers échanges musicaux, trois albums sont nés. Voici le
Jr. (son père a signé un an plus tôt quatrième, frémissant de mélancolie et de silences. Dans des
le film Shaft, dont la bande origi­ ambiances en clair­obscur, au fil de mélodies, les deux musi­
Voir, c’est comprendre nale a été confiée à Isaac Hayes). ciens proposent une invitation au voyage. Dans les airs (Tapis
Pour des questions de droits, la volant) ou à dos de chameau (Hala Hala Haïa – chant de carava­
bande­son du film ne figure pas nier), passant par les vers d’Ivresse, du mystique soufi égyptien

Mucem
dans ce coffret, et l’on passe direc­ Omar Ibn Al Faridh (1181­1234), chantés par Khaled Aljaramani,
tement à Back to the World, qui ou une allusion à Erik Satie.  patrick labesse
sort en mai 1973. 1 CD Intervalle Triton/L’Autre Distribution.
Nouvelle réussite, ne serait­ce
que pour l’émotion vocale de la DIPLO
Exposition Jusqu’au 4 mars 2019 chanson titre ou le funk ramassé Europa
de Future Shock, l’une des compo­ Avant d’être le leader du trio Major Lazer,
sitions les plus célèbres de May­ le producteur américain Diplo n’a eu de
field avec sa syncope rythmique cesse d’explorer toutes les tendances des
de vents. Le falsetto du chanteur musiques électroniques et urbaines dans
est à son plus haut, une influence les recoins les plus sombres des métropo­
évidente pour Prince quelques les mondiales. Depuis un an, il reprend du
années plus tard. Sweet Exorcist service en lançant une série d’EP (format
(mai 1974) conclut cette réédition court d’un album en six titres), disponible
avec une ballade de premier or­ seulement en digital. Après California, en 2018, il réunit sur

Marseille
dre, Suffer (coécrite avec Donny Europa ce qui lui paraît le plus original sur notre continent,
Hathaway), dans un enrobage de Niska et Soolking pour les francophones, les Britanniques Octa­
cordes délicates.  vian et IAMDDB, et les Hollandais BIzzey et Ramiks ou l’Alle­
sylvain siclier mand Bausa. Ce sont d’ailleurs les germanophones qui étonnent
le plus sur les productions toujours aussi puissantes de Diplo,
Curtis, Keep on Keeping on : surtout l’intrigant Dip Raar. Soolking a, quant à lui, un écrin
Mucem.org Avec la participation de En partenariat avec
Curtis Mayfied Studio musical à la hauteur de son talent vocal et Niska arrive même
Georges Henri Rivière lisant la revue Museum, publiée par l’ICOM, 1975. Photographie J. Guillot © Mucem / J. Guillot (D.R.) Le titre de l’exposition s’inspire d’un poème de Paul Éluard : Voir, c’est comprendre,
juger, transformer, imaginer, oublier ou s’oublier, être ou disparaître Publié dans Donner à voir, Paris, Gallimard, 1939, coll. « Poésie / Gallimard ». Réédition en 1978
Albums 1970­1974, un coffret à chanter sur autre chose qu’une instrumentale trap dans
de 4 CD, Curtom Records­ Boom Bye Bye.  stéphanie binet
Rhino/Warner Music. 1EP digital Because Music
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DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 culture | 19

La culture en
tête de gondole
En région, la grande distribution
a conquis le marché culturel. Coup
d’œil à l’espace Leclerc de Bayeux

REPORTAGE Je fus ébloui (…) Ordre et beauté,

c’était le moins que l’on puisse dire.
bayeux (Calvados)
Luxe, calme et volupté… »

P
aris a découvert que la
province existe ?, s’amuse
Jean­Sébastien Altherr,
qui dirige l’espace cultu­
rel Leclerc de Bayeux (Calvados),
alors qu’on lui annonce qu’on va
passer la journée dans ses rayons.
C’est quoi, en vrai, votre idée ? »
Bayeux, sa tapisserie, ses cime­
tières du Débarquement, son
rond­point Eisenhower occupé
par les « gilets jaunes », et puis les
flèches de la cathédrale qu’on
entrevoit depuis l’hypermarché
posé sur la rocade. En 2018, Alice
Zeniter est venue ici signer L’Art
de perdre (Flammarion, 2017), le
reporter de guerre Pascal Manou­
kian y a exposé ses photos
d’Afghanistan, la chanteuse Nol­
wenn Leroy a joué dans la galerie
marchande…
Parce que, en vingt ans – qu’on le
regrette ou non –, le champ de la
culture s’est déplacé. Cinémas,
salles de spectacle, librairies ont
déserté les centres­villes de
province pour se reconstruire,
société de l’automobile et prix du
mètre carré obligent, à leur péri­
phérie. Et, quand ce n’est pas sur
Internet, c’est désormais dans la
grande distribution – « espaces
culturels » Leclerc, Fnac, Cultura –
que s’achètent livres, disques,
DVD et même parfois les instru­
ments de musique.
Bayeux. Un samedi après­midi.
Grand soleil. En tête de gondole
au rayon littérature, Sérotonine,
de Michel Houellebecq (Flamma­
rion, 352 p., 22 euros), nous lance
un clin d’œil malicieux. Page 273 :
« Je n’avais jamais, à mon âge, mis
les pieds dans un centre Leclerc,
confie le héros, débarquant à l’hy­
per de Coutances, dans la Man­
che, à une heure d’ici vers l’ouest.
Pierre­Yves Alhéritière sourit :
« Avec Houellebecq, mieux vaut se
méfier du second degré. » Comme
son directeur, le responsable de la
librairie de ce Leclerc est un an­
cien « fnacqueux ». A 49 ans, il en a
parcouru, des rayons : à la Fnac de
Tours ou de Nantes, mais aussi
dans des librairies indépendantes
(Livre­image à Blois, qui a disparu,
Mille sabords à La Rochelle…),
avant d’arriver ici, il y a sept ans.
« J’avais les mêmes a priori que
tout le monde, confie­t­il. Les espa­
ces culturels ont mauvaise presse.
Sauf chez les éditeurs et leurs
représentants, parce qu’on vend et
qu’avoir sa propre capacité
d’achat, son autonomie de gestion
du fonds, c’est ça, le métier de
libraire. » Et de montrer dans les
rayonnages une série très nourrie
des œuvres de Robert Pinget (« On
n’en vend aucun mais j’adore », iro­
nise le taquin libraire) et les best­
sellers d’Elena Ferrante : « Nos
ventes sont grosso modo à l’image
des chiffres des meilleures ventes
publiées dans Livre hebdo. »
Interrompant notre conversa­
tion, un gars trapu, voix énergi­
que, s’enquiert : « Vous avez Le Pa­
lais du facteur cheval ? Je suis venu
le commander l’aut’ fois. » La
demande est précise mais le livre
en question, difficile à trouver.
« Je suis rocailleur, confie­t­il.
Vous chercherez ce que c’est sur In­
ternet… » Rocailleur ? L’homme,
Franck Isidor, sculpte le béton. Il a
travaillé sur la Sagrada Familia, la
cathédrale de Gaudi à Barcelone,
et en parle avec amour : « Tout ce
qui est culture, ça m’intéresse. »
L’espace culturel, c’est 4 mil­
lions d’euros de chiffre d’affaires.
Les livres rapportent autour de
1,7 million. « Au niveau de la taille
SEVERIN MILLET
de cette ville, c’est énorme », té­ c’est Antoine Elie, qui vient de sor­ ont fait « 288 kilomètres » depuis
moigne Alexandre Giard, qui,
« Nos clients tir son premier album, Roi du si­ Amiens. Il est vendeur en menui­
avec son frère Guillaume, a repris, ne pensent pas lence, chez Universal. La dou­ serie, elle est auxiliaire de vie, un
il y a un peu plus de deux ans, la li­ doune kaki, c’est Amaury Feron, cœur tatoué sur la poitrine, déçue
brairie du centre­ville, rebaptisée
s’adresser son chef de produit chez Polydor, qu’il y ait si peu de monde pour ad­
« Métropolis ». Jolie. Agréable. Fré­ à la libraire mais et la grosse barbe de hipster, Dimi­ mirer sa star : « Ils font ça souvent
quentée. Et un chiffre qui n’at­ tri Simonin, du marketing. Le ici ? Chez nous, jamais, et pourtant
teint pas le tiers de celui de l’es­
à la vendeuse chanteur doit jouer à 15 heures sur on en a deux, des Leclerc. »
pace culturel. « On peut montrer de chez Leclerc » une petite scène montée pour l’oc­ Et c’est ainsi qu’on transforme
qu’on est capables de faire diffé­ casion. « Au départ, les artistes une galerie marchande en salle
JULIE PELTANT
remment. Ou mieux. Mais on ne avaient peur », témoigne Dimitri. des fêtes. Et un bout de moquette
vendeuse
peut pas gagner contre Leclerc. » Depuis, assure­t­il, Fréro Delavega, en lieu de contes pour enfants, le
Louane, Natasha St­Pier, Pascal samedi à 17 heures, avec l’ancienne
Produit de consommation Obispo sont passés par la case hy­ libraire jeunesse du centre­ville
Admettre que la culture est un été le top des ventes de fin d’an­ per. Comme un tas d’enfants du (« Rousse et sa valise à histoires »).
produit de consommation née. « Et pas seulement chez les pays telle cette Miss Paramount, En arrivant, on pensait « gilets
comme un autre (« La vérité, c’est ados mais aussi chez les agricul­ look de pin­up, voix de crooneuse, jaunes », mais c’est une « inspec­
que nos clients ne pensent pas teurs, s’amuse Antony, chef de qui a autoproduit, en 2018, deux trice des finances publiques des col­
s’adresser à la libraire mais à la ven­ rayon. Ça ne me viendrait pas à cents exemplaires de son premier lectivités locales » que l’on croise
deuse de chez Leclerc », glisse Julie l’idée de jouer à simuler un vendeur album, que l’on découvre dans les dans les rayons. « Il y a un tel
Peltant, l’une des cinq libraires). de jeux vidéo. Sinon, sur GTA 5, des rayons en dépôt­vente parmi les choix… », dit­elle, serrant ses livres
Admettre qu’il n’y a pas de bons et joueurs ont créé un mod où le but stars du hit­parade. sous le bras, publicité vivante pour
de mauvais lieux culturels (« Il y est de bloquer un rond­point. » Et Chanter au milieu du va­et­vient la grande distribution, avant
aura toujours des gens qui ne met­ sur YouTube, on peut voir un des chariots ? « L’idée me plaît d’ajouter à l’adresse de son mari :
tront jamais les pieds ici par prin­ joueur utiliser le mod LSPD First bien », s’amuse Antoine Elie, à qui « Ce sera tout, ne t’inquiète pas,
cipe », soupire son chef, en bris­ Reponse pour bidouiller des mises un vieil homme demande un sel­ chéri. » Forcément, lui, ça l’in­
card désabusé). Admettre que ce en scène où s’affrontent policiers fie, avant de s’en aller sans rien quiète. Ce samedi­là, on a dénom­
monde est polymorphe. Au rayon et « gilets jaunes ». écouter. Gilles, lui, est resté, avec bré 701 passages en caisse. « Petite
jeux vidéo, Farming Simulator, un Début d’après­midi. Débarquent ses deux bonbonnes de 15 litres journée », soupire le directeur. 
logiciel de simulation agricole, a trois branchés. Le blouson noir, d’huile de cuisine. Lucie et Romain laurent carpentier

Rencontrer mon père

G A L E R I E S

J O H N M YE RS
Galerie Clémentine Les Films d’Ici, Les Films Hatari et JHR Films présentent
de la Féronnière
Il y a un classicisme hors du temps dans les portraits
sensibles qu’a faits le Britannique John Myers dans les an­ Un film d’Alassane Diago
nées 1970, exposés galerie Clémentine de la Féronnière, à
Paris. Armé d’une lourde chambre Gandolfi, il a fait poser
ses amis, ses voisins dans sa petite ville de Stourbridge
(près de Birmingham). John Myers croque les gens chez
Au cinéma depuis le 20 février
eux, dans leurs délicieux intérieurs anglais, sur fond de
posters musicaux, de tapisserie à fleurs ou de faux feu de
cheminée, fiers ou embarrassés, le regard toujours intense. Les évènements au Reflet Médicis
Mais les images de John Myers, dont la plupart n’ont pas 3 rue Champollion, 75005 Paris
été montrées pendant près de quarante ans – la photogra­

Dimanche 24 février – 11h25

phie documentaire a longtemps été négligée outre­
Manche – portent aussi la marque des changements
d’époque : on y voit des bikers, des jupes courtes et des
canapés psychédéliques, ainsi qu’une collection de télévi­ Séance présentée par le réalisateur
sions. Une typologie pleine d’humour.  claire guillot Alassane Diago
Galerie Clémentine de la Féronnière, 51, rue Saint-Louis-en-l’Ile, Paris 4e.
Tél. : 01-42-38-88-85. Jusqu’au 6 avril.

VA S AN T H A YOGA N A N T H A N Lundi 25 février – 20h45

Galerie Folia Projection suivie d’un débat avec le réalisateur
Le mythe du Ramayana n’évoque pas grand­chose en Alassane Diago et Nadia Meflah,
France. En Inde, ce récit mythologique composé en sanskrit
au IVe siècle et attribué au poète Valmiki est connu de tous critique de cinéma, journaliste à Radio Libertaire,
et a valeur fondatrice. Y sont racontées les aventures d’un programmatrice de festivals sur les questions
couple princier dont l’amour doit affronter l’exil, un d’identités et d’immigration
enlèvement et une guerre meurtrière. Le photographe
Vasantha Yogananthan explore, dans un travail au très
long cours et en sept livres – un pour chacun des chants
« Lorsque qu’il filme frontalement celui

Rencontrer mon père

du Ramayana – ce qui reste du mythe dans l’esprit des
habitants. A la galerie Folia, dans le cadre du prix Camera qui est son père et qu’il n’a pas vu depuis
Clara, qui récompense un travail réalisé à la chambre, il vingt-huit ans, Alassane Diago ne partage pas
expose des portraits et des natures mortes, dans lesquels
les passants rencontrés sur les lieux du Ramayana jouent un film d’Alassane Diago un moment d’une intimité familiale qui ne regarde
des scènes de l’histoire, mariant la légende et le quotidien personne. Il ouvre un espace gigantesque,
de l’lnde contemporaine. Ces images cultivent aussi une dérangeant, frémissant. Et accueillant à tous. »
distance poétique, due, en grande partie, à leurs couleurs LES FILMS D’ICI, LES FILMS HATARI ET JHR FILMS PRESENTENT “RENCONTRER MON PERE”
J-M Frodon – Slate
Design et visuel Hakima El Djoudi

SCENARIO, REALISATION, IMAGE ET SON ALASSANE DIAGO - MONTAGE CATHERINE GOUZE

étranges : les photographies, initalement en noir et blanc, MONTAGE SON MATTHIEU DENIAU - MIXAGE PHILIPPE GRIVEL - ETALONNAGE SERGE ANTONY
DIRECTION DE PRODUCTION ANGELE DIABANG ET ALASSANE DIAGO - UN FILM PRODUIT PAR
RICHARD COPANS ET MICHEL KLEIN - UNE COPRODUCTION LES FILMS D’ICI ET

ont été confiées au peintre Jaykumar Shankar, qui les a LES FILMS HATARI EN ASSOCIATION AVEC STUDIO ORLANDO, MANUEL CAM ET
KARONINKA - AVEC LE SOUTIEN DU CENTRE NATIONAL DU CINEMA DE STRAS-
BOURG EUROMETROPOLE, DE LA REGION ILE-DE-FRANCE, EN PARTENARIAT AVEC LE

rehaussées de teintes pastel délicates.  cl. g. CNC AVEC LA PARTICPATION DE CINE + - DISTRIBUTION JHR FILMS www.jhrfiwww.jhrfilms.com
lms.com

« A Myth of Two Souls », galerie Folia. 13, rue de l’Abbaye, Paris 6e. www.jhrfilms.com
Tél. : 01-42-03-21-83. Jusqu’au 2 mars. Quatre livres aux éditions
Chose commune, Chosecommune.com
20 | télévision
Le rêve de deux autodidactes aux Marquises
Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier décodent l’art des tatouages dans les îles polynésiennes
FRANCE Ô
LUNDI 25 FÉVRIER - 9 H 40
DOCUMENTAIRE
P
ieds nus sur scène, il a
surpris la grande salle en
lançant un haka plein
d’émotion. Un long
chant qui a même été repris par
quelques proches assis parmi le
public. « C’est une incantation
marquisienne dédiée à la Terre des
hommes et qui inspire les hom­
mes », explique avec lyrisme He­
retu Tetahiotupa. Difficile de
trouver une plus belle façon de
définir son film – Patutiki, l’art du
tatouage des îles Marquises –, ré­
compensé, dimanche 10 février,
par le Prix du public du Festival
international du film documen­
taire océanien (FIFO) qui s’est
tenu à Papeete (Tahiti).
Patutiki raconte avec poésie les
tatouages des îles Marquises et
leur histoire douloureuse. Cet art
avait été interdit par les mission­
naires catholiques en 1898 : ces
« envoyés de Dieu » étaient trop
effrayés par l’apparition de corps
entièrement recouverts de des­
sins noirs envoûtants. Pourtant,
les innombrables motifs et la ri­
chesse des graphiques ont tra­
versé les années et les continents.
Il est ainsi courant de croiser aux
Etats­Unis ou en Europe des Occi­
dentaux dont la peau est mar­
Ballet terrifiant pour danseuse schizophrène
Darren Aronofsky a chorégraphié un pas de deux exaltant et épuisant, magnifiquement exécuté par Natalie Portman
TCM CINÉMA
DIMANCHE 24 - 20 H 45
FILM
L’ exquise Nina (Natalie
Portman) danse pour une
compagnie new­yorkaise
dirigée par un chorégraphe roué
d’origine probablement française
qui a le port avantageux de Vin­
cent Cassel. Nina vit seule avec sa
maman, Erica (Barbara Hershey).
Elle a passé le quart de siècle, mais
dort toujours dans sa chambre de
petite fille. La retraite approche, et
Nina n’a toujours pas dansé de
premier rôle. Or, Thomas Leroy
GRILLE N° 19 - 047
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V ces. Permet de prendre de la hauteur.
VI
VII
VIII
IX
X 4. Personnel. Avait toutes les vertus
SOLUTION DE LA GRILLE N° 19 - 046
HORIZONTALEMENT I. Chantignolle. II. Lutée. Rabiot. III. Altesses. Ur.
IV. Que. Ténacité. V. Ulna. Râleurs. VI. Eau-de-vie. Lei. VII. Tiennes. Me.
VIII. Tés. Vu. Musil. IX. En. Toréas. Lô. X. Statisticien.
VERTICALEMENT 1. Claquettes. 2. Hululaient. 3. Atténués. 4. Née. ADN.
Tt. 5. Test. Envoi. 6. Serveurs. 7. Grenais. Et. 8. Nasale. Mai. 9. Ob. Ce.
Musc. 10. Li. Iules. 11. Loutre. Ile. 12. Etrésillon.
19 - 047 daté lundi 25 février.indd 1
Un corps tatoué de symboles marquisiens. STUDIO HASHTAG/EKA EKA PRODUCTIONS
quée de symboles marquisiens,
sans qu’ils en connaissent pour
autant l’origine et la signification.
Une référence
Heretu Tetahiotupa et son coréa­
lisateur, Christophe Cordier, ont
souhaité donner la parole aux an­
ciens, âgés de 70 à 90 ans, ultimes
témoins à avoir côtoyé la der­
nière génération de corps totale­
ment tatoués. Héritiers de la
grande tradition orale marqui­
(Vincent Cassel) a décidé de pro­
grammer Le Lac des cygnes, et
s’est séparé de sa danseuse étoile
(Winona Ryder).
Le double rôle de cygne blanc­
cygne noir que le scénario offre à
Nina lui ouvre aussi les portes du
délire. Dans un New York mena­
çant, la jeune femme commence
à entrevoir un double mysté­
rieux. A la maison, rien ne va
plus, Erica se comporte comme
une vraie mère de films d’hor­
reur et, dans le studio de répéti­
tion, Nina peine à convaincre
Thomas qu’elle ferait un bon cy­
gne. Entre le chaste cygne blanc et
7 8 9 10 11 12
sienne, ils expliquent en quoi ces
marquages étaient « une forme
d’écriture ».
La force de ce documentaire est
d’avoir laissé les témoins et le
narrateur du film se raconter en
langue marquisienne, sans dou­
blage. « Nous sommes pour la re­
valorisation des langues autoch­
tones », affirme Heretu Tetahio­
tupa. On peut regretter que pour
la version destinée à France Ô, la
voix off soit en français. « C’était
sa version noire et érotique, Nina
perd bientôt la tête. C’est dans ce
cerveau enfiévré que Darren Aro­
nofsky s’est glissé, et le film en­
tier s’en tient au point de vue de la
danseuse folle, sujette à des vi­
sions horrifiques.
Un monstre adorable
Le spectateur est livré à lui­même,
psychiatre de la salle obscure,
chargé de déterminer quelle em­
prise sur la réalité ont les fantas­
mes de Nina. Le corps de la jeune
femme se déforme, se blesse. Elle
est la proie de désirs inconnus qui
la portent vers sa rivale Lily.
HORIZONTALEMENT
I. Vous ne la prendrez ni par surprise
ni au dépourvu. II. Vocalisée à Inns-
bruck. Qualité de la feuille. III. Pas
toujours facile à atteindre. Manifesta
son désir d’entrer en religion. IV. Ont
tout intérêt à planquer leur peau. Ré-
chauffait le Nil. V. Lancier des armées
allemandes. Etoiles des mers. VI. Ar-
ticle. Très courante. Négation. VII. Re-
joint la Loire à Nantes. Assure la liai-
son. Voyageur européen. VIII. Elle
aussi est au courant de nos confiden-
IX. Jeu de foire. Tranche de foie. Ne
lâchera rien. X. Prenaient les bonnes
mesures.
VERTICALEMENT
1. Ajoute un peu de piquant à nos sa-
lades. 2. Jetterait des regards en coin.
3. Table d’office. Se manifestera.
pour Pétrarque. 5. Un droit pour celui
qui est attaqué. Centrale de défense.
6. On croit à ses idées mais on ne
les applique pas. Lectrice à la cour.
7. Vous lançâtes. 8. Dans la poche des
Nippons. Placera. 9. Contradiction
dans le raisonnement. Pointe d’étoile.
10. Sans le moindre intérêt. Elle
s’ouvre sur la mer, lui ouvre sur le
quai. 11. Vilaine manie. Sans grande
importance. 12. Entame en surface.
13/02/19 15:26
une demande de la chaîne », préci­
se­t­il. Joliment filmé, jalonné de
reconstitutions de scènes rituel­
les réalistes et d’infographies sty­
lisées, ce film permet de mieux
comprendre une culture qui n’est
pas passée loin de l’extinction, les
maladies importées par les co­
lons ayant décimé la population
des îles Marquises entre le XVIe et
le XXe siècle.
Pour un premier film, c’est une
réussite. Heretu Tetahiotupa et
Black Swan est un film de pures
sensations qui relègue les émo­
tions au second plan et il faut
quand même croire un peu à cette
histoire pour en ressentir les ef­
fets psychotropes. C’est le travail
de Natalie Portman. Peut­être
parce qu’elle s’est soumise à la
douloureuse discipline du ballet,
sûrement parce qu’elle sait s’im­
merger dans ses personnages
pour en partager toutes les ava­
nies, l’actrice parvient à faire de sa
Nina un monstre adorable.
On peut toujours rêver à un
film qui réfléchirait plus profon­
dément sur l’art de danser, plus
SUDOKU
N°19­047
2 3
1 8
4 7
6 8 2 Chaque chiffre ne doit
7 9
2 7 5 9
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HORS -S É R I E
L’ATLAS
6000 ANS
DES
D’HISTOIRE
EMPIR ES
DITION 2019
OÙ EST LE POUVOIR AUJOURD’HUI ?
son comparse Christophe Cor­
dier, qui habite aussi aux îles Mar­
quises, viennent du monde de la
musique : ils ont appris la réalisa­
tion et la production sur le tas. « Et
puis, il y a tout sur YouTube », sou­
ligne Heretu.
Contrairement aux autres pro­
ductions locales plus faibles (tant
sur la réalisation que sur les
moyens), Patutiki a pu bénéficier
d’un gros budget (200 000 euros)
grâce notamment aux subven­
tions du Centre national du ci­
néma et de l’image animée, du
fonds de soutien mis en place par
le gouvernement de la Polynésie
française et « à des partenaires pri­
vés que nous sommes allés cher­
cher », précise Christophe Cordier.
Pour toutes ces raisons, ce film
devrait s’imposer comme une ré­
férence en Polynésie française.
Heretu Tetahiotupa et Christo­
phe Cordier verraient bien leur
film sortir aux Etats­Unis. « Il y a
un intérêt pour notre documen­
taire là­bas et un potentiel », as­
sure M. Cordier. Le tatouage n’a
pas de frontière. 
mustapha kessous
Patutiki, l’art du tatouage
des îles Marquises, d’Heretu
Tetahiotupa et Christophe
Cordier (France, 2017, 57 min).
Disponible, également, sur
France.tv jusqu’au 24 février.
respectueux du travail des dan­
seurs et des chorégraphes, plus
mesuré. Mais il ne fallait pas
compter sur Darren Aronofsky
pour le réaliser. Le cinéaste est
allé jusqu’au bout de ses fantas­
mes, de ses hallucinations. Au
mépris de la bienséance et de la
vraisemblance, il les agence sur
un rythme exaltant et épuisant,
pour la plus grande gloire de
Natalie Portman. 
thomas sotinel
Black Swan, de Darren
Aronofsky. Avec Natalie Portman,
Vincent Cassel (E.­U., 2010, 110 min.).
2 1 3 8 9 6
9 5 4 2 1 7
7 6 8 4 5 3
1 4 8 2 6 3 1 5
3 7 1 9 4 5
4 7 9 5 9 6 7 8 2 3
6 3 9 1 2 4
4 1
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7
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6
7
8
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DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
0123
VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
DIMANCHE  24  FÉVRIER
TF1
21.00 Les Bronzés font du ski
Film de Patrice Leconte avec Josiane
Balasko, Michel Blanc, Marie-Anne
Chazel (Fr., 1979, 110 min).
France 2
21.00 Les Aventures
de Rabbi Jacob
Film de gérard Oury avec Louis de
Funès, Suzy Delair (Fr, 1973, 100 min).
France 3
21.00 Inspecteur Barnaby
Série avec Neil Dudgeon,
Fiona Dolman (RU, 2017).
Canal+
21.00 Football
AS Monaco-Olympique Lyonnais,
26e journée de Ligue 1.
France 5
20.55 La moutarde nous
monte au nez
Documentaire de Baya Bellanger
(Fr., 2019, 50 min).
Arte
20.50 Impitoyable
Film de Clint Eastwood avec
Gene Hackman, Morgan Freeman
(EU, 1992, 125 min).
M6
21.00 Capital
Magazine présenté
par Julien Courbet.
LUNDI  25  FÉVRIER
TF1
21.00 Camping Paradis
Série avec Laurent Ournac, Thierry
Heckendorn (Fr., 2018).
France 2
21.00 Zone blanche
Série avec Suliane Brahim, Marina
Hands, Laurent Capelluto (Fr./Bel.).
France 3
21.00 Le Monde de Jamy
Magazine de Bruno Bucher
et Mathieu Duboscq.
Canal+
21.00 Engrenages
Série avec Caroline Proust, Thierry
Godard, Audrey Fleurot (Fr., 2018).
France 5
20.50 Marie Besnard,
l’empoisonneuse
Téléfilm de Christian Faure avec
Muriel Robin (Fr., 2006, 95 min).
Arte
20.55 Hope and Glory
Film de John Boorman avec
Sebastian Rice-Edwards, Geraldine
Muir (RU, 1987, 110 min).
M6
21.00 Mariés au premier regard
Télé-réalité (Fr., 2019).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
7 4 5
Abonnements par téléphone : de France 3289
6 3 8 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger :
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2 8 6 Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
1 4 Courrier des lecteurs
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8 5 7
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4
1
9
6
3
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Clémentine Autain « Ma mère 
m’a donné le goût de la liberté »
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI…
« Le Monde » interroge
une personnalité
sur un moment décisif
de son existence. La députée
raconte la disparition
brutale de sa mère, l’actrice
Dominique Laffin
D éputée La France insoumise de Sei­
ne­Saint­Denis depuis 2017, Clémen­
tine Autain doit publier, chez Gras­
set le 6 mars Dites­lui que je l’aime, un
ouvrage bouleversant consacré à ses rap­
ports douloureux avec sa mère, l’actrice
Dominique Laffin, décédée à 33 ans en 1985.
Je ne serais pas arrivée là si…
« Là » ? Là où ? Il faut d’abord définir le « là »
pour s’interroger sur le « si »…
Eh bien, voici une piste : vous ne seriez
pas arrivée là, femme politique en vue,
âgée de 45 ans, publiant un livre
sur ce personnage­clé dont vous n’aviez
encore jamais parlé, si…
Si je n’étais pas enfin apaisée par rapport à
cette histoire. Si je n’avais pas aujourd’hui
une vie suffisamment équilibrée et joyeuse
pour oser affronter et revisiter ma mémoire.
Si je ne sentais pas des bases solides, notam­
ment dans ma vie affective, pour être cer­
taine que me rapprocher de ma mère ne me
mènerait pas, comme je l’ai longtemps cru,
vers la chute. Et puis, disons­le, si mon mari
n’avait pas eu l’idée saugrenue de ce livre.
L’idée ne venait donc pas de vous ?
Non ! Je suis tombée des nues lorsqu’il m’en
a fait la suggestion. Il m’aurait dit : « Pourquoi
ne vas­tu pas sur Mars ? » que cela m’aurait
fait le même effet. C’était totalement loufo­
que ! Mais quelque temps après, alors que je
racontais cette « dernière blague » à une amie
d’enfance, elle a réagi le plus sérieusement
du monde : « Bien sûr que tu vas faire ce livre !
On le sait tous ! » J’étais sciée. Alors j’ai appelé
mon oncle Olivier, celui qui a vu ma mère
morte dans sa baignoire en 1985 : « Mais Clé­
mentine, c’est une évidence ! » Alors là… Mes
proches sentaient visiblement quelque
chose que moi­même n’imaginais pas.
Sans doute étiez­vous prête…
A affronter mon cadavre dans le placard ?
Sans doute. Je l’avais emmuré depuis si long­
temps. Je ne voulais pas y penser. Mais il y
avait les questions récurrentes de mes en­
fants, ces éponges à émotions, à propos de
leur grand­mère dont je ne leur parlais ja­
mais… Alors je me suis lancée dans l’écriture.
Pour moi d’abord, sans éditeur. Pour faire
face à mon histoire. A la recherche de cette
mère partie si brusquement. A la découverte
de cette femme, actrice, dont je n’avais pas
voulu visionner les films, ne voyant en elle
que ma mère, ce qui n’était vraiment pas son
meilleur rôle. Ce fut une lente maturation.
Trois ans et demi…
Au bout desquels vous êtes sortie
différente ?
Oui. Car ce n’est pas un livre sur elle. C’est
un livre sur nous deux. Sur cette relation mè­
re­fille si difficile dans laquelle la mère n’a
pas su prendre soin de sa fille, laquelle, pour
lui survivre, pour se construire, pour ne pas
risquer le naufrage dans lequel avait sombré
la mère, l’a mise à distance et a obstinément
cherché à être son envers.
C’est­à­dire ?
Je trouvais déjà que j’avais de la chance de
ne pas lui ressembler physiquement. Je suis
petite, blonde aux yeux bleus, elle était
grande, châtain aux yeux noisette. Mais
j’étais aussi certaine de n’avoir rien à voir
avec elle sur le plan du caractère. Elle était in­
somniaque alors que je dors comme un loir
et si possible avant minuit. Elle était artiste, je
fais de la politique. Elle était systématique­
ment en retard, j’ai mis un point d’honneur à
être ponctuelle pendant longtemps. Elle
s’enivrait de vin rouge, je n’y ai pas touché
En janvier 2019. JEAN-FRANCOIS PAGA/OPALE/LEEMAGE
avant trente ans. Elle ne vivait que dans le
désordre, alors que j’aime l’ordre d’une mai­
son avec un canapé carré comme ma vie, ou
plutôt comme la vie que je fantasmais. Son
contraire absolu ! En tout cas, j’avais tout fait
pour le croire et le faire croire.
Mais pourquoi ce rejet initial ?
Quelle fut donc cette enfance dans
l’ombre de Dominique Laffin ?
J’ai encore du mal à évoquer certains épiso­
des douloureux. Et puis je relativise. Ça va,
hein ! Je n’ai pas connu la misère ou la guerre !
Mais ma mère était une femme à la dérive
qui, d’année en année, a eu de plus en plus de
mal à s’occuper de moi : s’assurer que j’étais
rentrée de l’école, que je portais des chausset­
tes un jour de neige, qu’il y avait à manger à la
maison. Elle avait bien autre chose en tête, et
je pense qu’elle était surtout très malheu­
reuse. Une souffrance liée à l’enfance et au
fait de n’avoir pas été aimée. Au fond, c’est ça,
la pire des maltraitances. Ma mère n’a pas
réussi à prendre soin de moi, mais je ne peux
pas dire qu’elle ne m’a pas aimée.
A quoi ressemblait votre vie de petite fille
auprès d’elle ?
Incertitude, tristesse et crainte devant sa
déprime… Et attentes. Attentes interminables
dans la loge de la concierge de l’école où elle
finissait par surgir, empestant souvent l’al­
cool ; ou attentes chez mon père où elle pas­
sait me chercher avec un ou deux jours de re­
tard, parfois pour me déposer chez d’autres
gens parce qu’un casting ou un nouvel amant
l’attendaient. Y compris un 24 décembre…
Et les vacances ?
Quelques scènes de violence m’ont mar­
quée à vie. Comme cet été où elle s’est violem­
ment disputée avec son amoureux du mo­
ment, en Grèce, et où je l’ai surprise nue et en
sang, complètement ivre, prête à se jeter du
balcon. Ou comme cet autre soir où, fâchée
de voir que le bar de l’hôtel était fermé, elle a
dézingué avec une canne toutes les bouteilles
alignées sur les étagères en hurlant qu’elle
voulait boire. Je l’ai aidée à remonter dans no­
tre chambre, j’ai caché les anxiolytiques parce
que j’avais compris que cela ne faisait pas bon
ménage avec l’alcool et je lui ai tenu la main
jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Je ne serais pas
arrivée là si… je n’avais pas nourri très tôt le
sens de la responsabilité que m’a assignée la
part d’irresponsabilité de ma mère.
Quel était le sentiment qui dominait ?
La honte bien sûr. Au bistro, où les hommes
la regardaient bizarrement. Ou ce jour où elle
est tombée du train sur les rails et où j’ai tra­
versé la gare de Lyon avec elle, ivre morte,
¶ était partie, me laissant seule après avoir
Dernier ouvrage
« Dites-lui que je l’aime »,
aux éditions Grasset,
162 pages, 16 euros.
En librairie le 6 mars
rencontre | 21
dans le chariot à bagages. En fait, je n’ai
jamais nourri de fierté vis­à­vis d’elle, alors
que j’aurais pu, c’était tout de même une star
de cinéma. Elle était belle, elle était drôle…
Mais non. Je voyais en elle uniquement ma
maman défaillante.
Et vous la jugiez ?
En tout cas, je n’avais aucune confiance. Je
peux même dater le soir où mon lien avec elle
s’est rompu. J’avais 7 ans, je m’étais mise en
pyjama, glissée dans mon lit et elle m’avait lu
une histoire avant de m’embrasser et de me
dire qu’elle était, bien sûr, dans la chambre d’à
côté. Mais quand je me suis relevée un peu
plus tard, inquiète du grand silence, j’ai décou­
vert que l’appartement était vide. Ma mère
menti. J’en ai fait des cauchemars pendant des
années ! Il aura fallu ce livre pour dépasser le
regard de la petite fille et adopter le point de
vue d’une adulte sur une autre. J’aime beau­
coup cette phrase de Marceline Loridan : « Il
faut vieillir pour accéder aux pensées de ses pa­
rents. » Cela prend en effet du temps.
Comment est­elle morte ?
On l’a retrouvée dans sa baignoire. Et l’idée
d’un suicide a vite été avancée. Il n’y avait pas
de lettre, mais sa sœur a estimé que la proxi­
mité d’une boîte vide de barbituriques et d’un
magazine ouvert sur une page consacrée à la
mort de la comédienne Pascale Ogier signait
une sorte d’aveu. Je n’en sais rien. Mais un
jour, en entendant l’expression « suicide acci­
dentel » dans un documentaire consacré à
Marilyn Monroe, je me suis dit : C’est ça ! C’est
un curieux oxymore, mais ça me va. Ce qui est
sûr, c’est qu’on m’a incitée à conclure, quand
elle est morte, que « c’était peut­être mieux
comme ça ». Cette idée a sans doute pour
vertu de faciliter la résilience. Mais c’est terri­
ble de pouvoir penser, à 12 ans, qu’on va
mieux vivre grâce à la mort de sa mère…
Comment avez­vous réagi ?
Le manque était immense. Je recherchais
son parfum, tournais autour de sa tombe.
C’était une obsession. Et puis sont venues la
colère et la haine. Et un irrépressible rejet. Je
ne voulais plus en entendre parler. Pour m’en
sortir, jeune adulte, je me suis construite
contre. Violemment contre.
Quel était alors votre grand rêve ?
Devenir prof, fonctionnaire ; avoir une
carte famille nombreuse et un pavillon en
banlieue avec des chiens, des chats, et une vie
sans heurts, équilibrée, extrêmement stable.
Il y avait déjà la politique, quand même !
Oui. C’est une passion que j’ai ressentie très
jeune. L’empathie que je n’ai pas eue pour ma
mère, je l’ai développée pour les drames des
autres, les malheurs sociaux. Militante asso­
ciative, journaliste, élue, j’ai toujours eu be­
soin de faire des choses auxquelles je croyais.
Mais je n’avais aucun plan de carrière politi­
que. Quand je suis devenue la benjamine de
l’équipe [de Bertrand] Delanoë, loin d’être ras­
surée ou grisée, j’ai même ressenti une nou­
velle angoisse : ma mère aussi avait connu
très jeune le succès. Sa chute n’en avait été
que plus rapide. Pour plus de sûreté, il me
fallait la conserver aux oubliettes, serrures
fermées à double tour.
Ce livre les a pourtant fait sauter…
Un jour, avec ma fille, je suis descendue à la
cave ouvrir une malle rescapée de mes démé­
nagements et pleine de photos et d’articles
sur ma mère. J’y ai découvert des petites
phrases sombres, écrites de sa main, qui
m’ont bouleversée. Et d’autres choses qui
m’ont fait rire. Comme cette interview de
Claude Miller dans laquelle il raconte com­
ment il l’a choisie pour interprète principale
de Dites­lui que je l’aime. Elle débarque un
matin à un casting. « Il paraît qu’on prépare
un film ici ? » Miller n’est pas là mais il y a son
producteur : « Oui. Vous avez déjà joué dans
quoi ? » Elle répond : « Dans un court­métrage
de Gérard Zingg, Tous les chats sont gris. » Il
dit : « Vous savez, il s’agit du rôle principal, il
nous faut une star. » Et là, elle fait cette ré­
ponse hallucinante : « Mais je suis une star. Ça
tombe bien, vous ne trouvez pas ? » C’est ma­
gnifique, non ? Un jour, une amie m’a dit que
j’avais sûrement hérité de ma mère le culot.
Cela m’a sidérée. Je ne me reconnaissais
absolument pas ce trait de caractère. Mais
peut­être que finalement…
Etait­ce le début d’une reconnaissance
de filiation ?
C’est arrivé peu à peu. J’ai commencé par
acheter un album pour y mettre des photos
de famille. Mon premier album à 44 ans ! Et
puis je me suis prise au jeu. Une fois ma co­
lère explosée et couchée sur le papier, celle
que je n’avais pas pu crier à haute voix pen­
dant l’adolescence, je pouvais passer à autre
chose. Et me rapprocher d’elle doucement.
Alors j’ai décidé de mener une sorte d’en­
quête. J’ai appelé des gens qui l’avaient
connue, des amies comme Marianne Sergent
ou d’anciens amoureux comme Jacques
Doillon. Et voilà qu’a surgi la facette lumi­
neuse de ma mère, que j’avais ignorée : son
intelligence, sa sensibilité, son humour. Voilà
que des souvenirs de moments joyeux sont
réapparus, des instants de complicité, des
fous rires merveilleux. Quel étrange phéno­
mène, la mémoire !
Et vous avez compris que vous lui étiez
plus proche que vous ne pensiez…
Oui ! Je la faisais renaître et mon rapport à
elle était transformé. Comme une petite ré­
volution intérieure qui m’a fait gagner en
liberté. Je m’en rends compte aujourd’hui : je
peux enfin laisser s’épanouir une part de
moi­même à laquelle je résistais. Une fantai­
sie que j’avais brimée, un tempérament que
j’avais cadenassé. Par instinct de survie.
Votre engagement féministe fait­il partie
de son héritage ?
Bien sûr ! La filiation est évidente ! Elle était
militante dans les groupes MLF, elle dessi­
nait dans Les Pétroleuses, un journal fémi­
niste de l’époque. Elle faisait partie de cette
première génération qui voulait « jouir sans
entraves », hurlait son refus de la soumis­
sion et son désir de liberté, sans savoir où al­
ler, et quitte à se fracasser. Je dois à ma mère
le goût de la liberté.
Il est rare qu’un personnage politique
se dévoile aussi intimement…
C’est pourquoi j’ai beaucoup hésité avant
de signer chez un éditeur. Mais n’est­ce pas
ma liberté ? Je ne suis pas qu’une femme poli­
tique ! Je fais ce que je crois juste, avec sincé­
rité. Je suis heureuse de faire connaître ma
mère à ceux qui ne la connaissaient pas. Je
suis heureuse de réparer une injustice qui l’a
versée dans l’oubli quand Patrick Dewaere,
dont elle partage un peu le destin, reste une
sorte de mythe. Et puis, les rapports avec les
parents, la façon dont on se construit, contre
eux, avec eux, en dépit d’eux… N’est­ce pas
une histoire universelle ? 
propos recueillis par
annick cojean
 DÉBATS & ANALYSES
22 |
Dehaene « L’école doit être une cause nationale »
Pour enrayer la baisse des résultats des élèves français
depuis quinze ans, Stanislas Dehaene, président du Conseil
scientifique de l’éducation nationale créé il y a un an
par le ministre Jean­Michel Blanquer, appelle
à « une mobilisation générale » en s’inspirant parfois
d’exemples étrangers, notamment allemand et britannique
Neuroscientifique, titulaire de la
chaire de psychologie cognitive expé­
rimentale du Collège de France, mem­
bre de l’Académie des sciences, direc­
teur au centre NeuroSpin, Stanislas
Dehaene est, depuis janvier 2018,
président du Conseil scientifique de
l’éducation nationale. Alors que
l’Assemblée nationale vient d’adopter
en première lecture la « loi pour l’école
de la confiance » portée par le minis­
tre, dont il estime qu’elle vise à « revi­
taliser l’éducation », il expose quelles
pourraient être les recettes du succès.
H
omo sapiens est un colosse
aux pieds d’argile. Notre
espèce doit tout à son
extraordinaire capacité
d’apprentissage, décuplée par une
autre compétence­clé : la capacité de
transmettre son savoir aux autres.
Grâce à l’éducation, une vingtaine
d’années suffisent pour que tout bébé
devienne ingénieur aérospatial,
musicien, ébéniste ou programmeur.
Mais, à l’inverse, en une seule généra­
tion, ces acquis formidables pour­
raient s’effondrer si notre système
éducatif perdait de son efficacité.
C’est pourquoi, alors que l’Assem­
blée nationale vient d’adopter en pre­
mière lecture, le 19 février, un projet
de loi qui vise à revitaliser l’éducation
en France, je lance un appel : l’enjeu de
l’école doit devenir une véritable
cause nationale, notre cause à tous
car il s’agit de nos enfants et de notre
futur. Il y a urgence, et je voudrais par­
tager ici l’inquiétude que m’inspirent
certains chiffres, mais aussi l’espoir
que nous puissions trouver collecti­
vement des solutions. Nous devons
tous nous mobiliser pour notre école.
Commençons par le constat, ou
plutôt la claque. Elle ne date pas
d’hier. Depuis 2003, tous les quatre
ans, l’enquête PISA (Programme
international pour le suivi des ac­
quis des élèves), menée chez les élè­
ves de 15 ans, montre une baisse sys­
tématique du niveau des enfants
français en mathématiques. Cette
enquête, parfois critiquée, est ce­
pendant corroborée par d’autres.
Ainsi, en 2015, l’enquête TIMMS
(Trends in International Mathema­
tics and Science Study) place la
France à la dernière place de toute
l’Europe de cette discipline reine où
nous croyons exceller par nos mé­
dailles Fields.
PAS DE FATALITÉ
En douze ans, nous sommes deve­
nus les derniers en maths… mais pas
seulement : en lecture, un graphi­
que inquiétant, issu de l’enquête
PIRLS (Progress in International
Reading Literacy Study) chez les en­
fants de 10 ans, montre une baisse
systématique des performances de­
puis 2000, alors que dans le même
temps la moyenne des autres pays
de l’OCDE grimpe d’autant. Nos
enfants sont parmi les derniers en
compréhension de textes.
Les mêmes difficultés se retrou­
vent lors des journées défense et
citoyenneté où plus de 20 % des jeu­
nes adultes présentent de très
faibles compétences en lecture. En­
fin, autre terrible spécificité fran­
çaise, dans un pays qui se targue
d’égalité, les inégalités sociales
n’ont jamais été aussi fortes : plus
on vient d’un milieu défavorisé,
plus les résultats scolaires plongent
et, sur ce plan encore, la France est la
dernière des pays développés.
Nul ne connaît précisément les
raisons de ce déclin, et l’école n’est
probablement pas la seule en cause.
Mais nous devons réagir, car la
baisse des compétences des enfants
n’est nullement une fatalité. Là
encore, la comparaison internatio­
nale fournit de nombreux éclaira­
ges. En Allemagne, à la suite du trau­
matisme (le fameux « PISA shock »)
causé par le mauvais classement du
pays à l’enquête PISA de l’an 2000,
une mobilisation massive de tous
les acteurs de l’éducation a permis
une remontée des scores en mathé­
matiques. L’Allemagne est passée
par l’établissement de standards
nationaux, la création d’un institut
d’évaluation, la conception de pro­
grammes de soutien aux élèves en
difficulté, l’autonomie des établis­
sements, la formation et la respon­
sabilisation de tous.
L’Angleterre, elle, porte depuis une
quinzaine d’années une attention
forte à la lecture, avec la mise en
place d’une heure quotidienne de
lecture et d’un test standardisé, le
phonics check. Depuis lors, la
compréhension écrite et la vitesse
de lecture remontent nettement.
Les Anglais ont également créé,
en 2011, une institution indépen­
dante et puissante : le Fonds de
dotation pour l’éducation, initiale­
ment nanti de 125 millions de livres
(144 millions d’euros) d’argent pu­
blic, somme rapidement doublée
par des dons privés.
Cette institution agit scientifique­
ment : elle évalue les pratiques édu­
catives, finance des études, diffuse
tout ce qui marche, et compile tou­
tes les données dans un site qui ré­
sume l’impact, le coût et la solidité
de diverses pédagogies. Dernier
exemple : en Pologne, un mathéma­
ticien, Zbigniew Marciniak, a ré­
formé entièrement l’enseignement
des mathématiques pour le recen­
trer autour de la démonstration et la
résolution de problèmes ouverts.
Résultat : là encore, une nette aug­
mentation de l’intérêt des élèves, et
une nette progression dans [l’en­
quête] PISA.
Quelles sont les recettes de ces
succès ? J’en retiens deux : une
mobilisation collective et résolue,
particulièrement tournée vers les
familles défavorisées et la petite en­
fance, là où la recherche démontre
que les efforts sont les plus
productifs ; et une approche ration­
nelle, dépourvue d’idéologie mais
« En lecture, à l’âge de 10 ans (CM1), une chute continue de la compréhension
de l’écrit en quinze ans, alors que les autres pays de l’OCDE progressent »
SCORE MOYEN À L’ÉPREUVE PIRLS DE COMPRÉHENSION DE L’ÉCRIT
545 19 pays de l’OCDE
France
536
535
529
525
525
522
515
505
2001 2006
Lecture : Les 19 pays qui, outre la France, ont participé aux quatre cycles de PIRLS entre 2001 et 2016,
ont un score moyen de 543 en 2016.
France métropolitaine + Guadeloupe et Martinique ; public et privé sous contrat.
« Le nombre de candidats par poste aux concours de recrutement de l’éducation nationale a été pratiquement divisé par deux en dix ans »
2nd degré public
le concours externe spécial
de l’agrégation, organisé
en 2017, est pris en compte
2nd degré privé
1er degré public
le concours externe
supplémentaire de Créteil,
organisé en 2015, 2016 et 2017,
est pris en compte
1er degré privé
données non disponibles
avant 2010
fondée, comme en médecine, sur
l’expérimentation et les données
probantes.
La recherche scientifique peut et
doit éclairer les politiques publiques
de l’éducation, et accompagner leur
administration et leur évaluation.
C’est l’engagement qu’ont pris
21 scientifiques en acceptant de
donner bénévolement de leur
temps au sein du Conseil scientifi­
que de l’éducation nationale (CSEN).
Ce ne sont pas, dans leur grande
majorité, des neuroscientifiques, et
peu leur importe par quelle cir­
convolution cérébrale s’effectue
telle ou telle opération. Mais, en tant
que psychologues, économistes, so­
ciologues, ils connaissent les roua­
ges de l’apprentissage, peuvent
aider à évaluer les pratiques pédago­
giques existantes et proposer de
nouvelles pistes, grâce à une veille
permanente sur la recherche et les
pratiques internationales.
UNE PÉDAGOGIE CIBLÉE
En un an d’existence, le CSEN a été à
l’initiative de plusieurs actions im­
portantes. La première, appelée « Eva­
luation et intervention », a consisté à
aider l’éducation nationale à se doter
d’une meilleure mesure des besoins
et des progrès des jeunes enfants, ins­
pirée du phonics check anglais. Grâce
à ce dispositif, à deux moments du CP
et en début du CE1, chaque ensei­
gnant peut situer le développement
de chacun de ses élèves dans les diffé­
rentes dimensions cognitives néces­
saires à l’apprentissage du langage
oral, de la lecture et des mathémati­
ques, vérifier leurs progrès par
rapport aux normes de leur âge, et
proposer une pédagogie ciblée à ceux
en difficulté.
En complément, l’action « Pédago­
gie et manuels » examine les
méthodes d’enseignement et les
recommandations que l’on peut pro­
poser sur une base scientifique ; elle
rendra prochainement public un
point sur les méthodes de lecture,
domaine dans lequel la France se
distingue par un foisonnement de
plus de 35 manuels souvent coûteux,
parfois baroques, et peu respectueux
des données scientifiques.
Dans l’académie de Paris, les ensei­
gnants, les formateurs et les inspec­
teurs se sont récemment emparés de
ce sujet et sont parvenus aux mêmes
conclusions que le conseil scienti­
fique : refocaliser l’apprentissage de
la lecture sur les pédagogies scientifi­
quement validées.
Les « signaux d’alerte » pointés par Stanislas Dehaene
539
520
2011
NOMBRE DE CANDIDATURES PAR POSTE OUVERT AUX CONCOURS DES CORPS ENSEIGNANTS
8
7 effectives (c’est-à-dire seules celles où
6 la personne s’est présentée à la première
5 candidat peut s’être présenté
4
3 3,4
2
1 (hors session exceptionnelle 2014).
0 les concours du premier degré.
2008 2009 2010 2011
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
gnants, qui font un métier terrible­
LA RECHERCHE  ment difficile. Outre le salaire faible,
le décalage croissant entre pratiques
MONTRE QUE  familiales et scolaires, il y a une aug­
L’INTERVENTION  mentation de la violence dans les
rapports intrafamiliaux, qui provo­
AUPRÈS DES PARENTS que de graves dysfonctionnements.
Existent aussi les difficultés et les
EST L’UNE DES  sentiments d’injustice résultant de
ACTIONS LES PLUS  la gestion d’un système qui doit
former, recruter, payer, suivre la car­
EFFICACES ET LES  rière de plus d’un million d’agents !
MOINS COÛTEUSES UNE ATTRACTIVITÉ DES POSTES
L’enquête TALIS (Teaching and Lear­
ning International Survey) montre
L’action « Formation », peut­être la que, chez les enseignants français, la
plus essentielle, œuvre pour la trans­ durée de formation continue, ainsi
mission aux enseignants des résul­ que le taux de participation à des for­
tats les plus probants en psychologie mations, sont très inférieurs à ce qui
et en sciences de l’éducation. L’ac­ se pratique dans le reste du monde.
tion « Handicap et inclusion sco­ On comprend alors la raison d’un
laire » propose des adaptations des autre chiffre terrible : le nombre de
manuels, des examens et des classes, candidats par poste aux concours de
afin de favoriser l’inclusion de tous recrutement de l’éducation natio­
les enfants, notamment pour que, nale a été pratiquement divisé par
même en cas de handicap (dyslexie, deux en dix ans…
dyscalculie, dyspraxie, troubles de Il n’y aura pas de progrès sans re­
l’attention… mais aussi surdité ou cé­ créer les conditions d’une vraie at­
cité partielle insuffisamment dépis­ tractivité des postes d’enseignants
tées), ils bénéficient des mêmes – pas seulement sur le plan salarial
chances que les autres. (les enseignants de primaire sont
Enfin, l’action « Confiance en soi et parmi les moins bien payés d’Europe
métacognition » affirme avec force occidentale), mais aussi sur le plan
que la motivation, l’envie d’appren­ matériel et humain, en réenchantant
dre, l’image de soi sont des facteurs un métier qui continue de trouver sa
déterminants de la réussite, et que plus belle récompense dans l’épa­
certains gestes pédagogiques peu­ nouissement des élèves.
vent éviter que les élèves en diffi­ Tous ces éléments – formation et
culté, dont ceux issus de l’immigra­ carrière des enseignants, pédagogie
tion ou de milieux défavorisés, renforcée, évaluations scientifi­
soient stigmatisés et se découragent. ques, motivation d’apprendre –
Ces actions doivent s’accompagner doivent être au cœur de la nouvelle
d’une mobilisation bien plus large, mobilisation pour l’école et de la loi
car l’école est l’affaire de tous. Mobili­ que les sénateurs examineront pro­
sation des parents : pour qu’ils chainement à leur tour. Je ne vois
soient aux côtés des enseignants et aucune cause plus juste, car c’est de
qu’ils relaient tous les soirs et tous la tête de nos enfants que sortiront
les week­ends les apprentissages de les solutions de demain aux grands
la semaine – ce qui implique, bien défis de la santé, du climat, de l’envi­
sûr, que l’école leur ouvre les portes : ronnement, de la démographie et
la recherche montre que l’interven­ de la paix. 
tion auprès des parents est l’une des
actions les plus efficaces et les moins
coûteuses. Mobilisation de tous les
actifs, pour qu’ils accueillent plus de ¶
stagiaires, fassent la démonstration Stanislas Dehaene est
de leur métier et passionnent les élè­ professeur au Collège de
ves. Mobilisation des retraités, pour France, président du Conseil
qu’ils donnent de leur temps aux scientifique de l’éducation
enfants, qu’ils mettent en place des nationale. Il est l’auteur
clubs de maths, des bibliothèques de plusieurs livres sur l’ensei-
dans chaque classe, des temps de gnement, dont « Apprendre !
lecture et de culture. Les talents du cerveau,
Et, bien sûr, mobilisation de tous le défi des machines »
ces acteurs pour épauler les ensei­ (Odile Jacob, 2018)
« A l’entrée dans l’âge adulte, plus de 20 % des jeunes sont mauvais lecteurs
ou illettrés »
PROFILS DE LECTEURS À LA JOURNÉE DÉFENSE ET CITOYENNETÉ, EN 2017, EN %
543 11,5
Lecteurs médiocres
76,9 6,3
Lecteurs Très faible capacité
efficaces de lecture
5,2
511 Difficultés sévères
2016
Compte tenu des arrondis, les totaux des colonnes peuvent être légèrement différents de 100 %
France métropolitaine + DOM
Ce graphique comptabilise les candidatures
épreuve du concours) ; néanmoins, un même
4,1 à plusieurs concours.
France entière + COM
2,8 + Nouvelle-Calédonie, concours externes
et internes des corps enseignants
Hors Nouvelle-Calédonie pour
2012 2013 2014 2015 2016 2017
SOURCE : DEPP, L’ÉTAT DE L’ÉCOLE 2018
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 débats & analyses | 23

Alstom­Siemens : une nouvelle victoire… chinoise
Analyse (CNR) pour donner naissance à China Railway
Rolling Stock Corporation (CRRC), masto­
donte de 28 milliards d’euros de chiffre d’affai­
jean­michel bezat
res et de 180 000 salariés. La Chine s’enor­
Service Economie
gueillit désormais du réseau à grande vitesse
le plus étendu du monde (29 000 kilomètres)
de la chimie (ChemChina) ou des réseaux
électriques. Le monstre public State Grid Cor­
poration of China est déjà présent en Grèce,
en Italie et au Portugal. « C’est le Huawei de
l’électricité, capable de proposer des services et
des équipements de réseau et de production
pace Science and Technology met au point
des fusées récupérables et veut devenir le
leader mondial de l’aérospatiale avant 2045.
Quant à l’automobile de demain, elle bénéfi­
cie d’investissements massifs et les grands
de l’Internet, Baidu, Alibaba et Tencent, cons­

C’
était à Changchun (au
nord de la Chine), en
mai 2005. Autant dire il y
a une éternité, à l’aune du
développement indus­
HORMIS  triel de l’ex­empire du
L’AÉRONAUTIQUE Milieu. Devant le ministre français du com­
merce extérieur de passage dans cette sinistre
ET L’AUTOMOBILE, métropole de Mandchourie où Alstom fabri­
quait des trains avec un partenaire local, le
IL N’EST PLUS patron du groupe dans le pays assurait que la
Chine ne mettrait pas en service de trains à
DE SECTEURS  grande vitesse avant longtemps.
D’EXCELLENCE  L’affirmation s’est vite révélée infondée.
Quand la Chine ferroviaire s’est éveillée, le
EUROPÉENS groupe de Belfort a encore cru pouvoir vendre
de nombreux trains dans le cadre de coentre­
OÙ LA CHINE  prises ; finalement, ils sont surtout sortis des
N’ALIGNE UN RIVAL usines des « Alstom chinois ». Pékin avait déjà
passé la surmultipliée. Dès 2006, l’opérateur
des transports mettait en service des rames
roulant à 200 km/heure ; en 2010, l’un des
constructeurs publics testait des trains lancés
à 400 km/heure, se rapprochant du record
mondial détenu par la SNCF et Alstom
(574,8 km/heure).
Puis, en 2015, le gouvernement a décidé de
consolider le secteur en fusionnant China
South Railways (CSR) et China North Railways
et commence à exporter ses équipements
ferroviaires en Europe et aux Etats­Unis. C’est
cette poussée qui a justifié le mariage franco­
allemand Alstom­Siemens – cassé le 6 février
par une Commisssion européenne arc­
boutée sur sa défense vétilleuse de la concur­
rence au sein de l’Union.
Hormis l’aéronautique et l’automobile, il
n’est plus de secteurs d’excellence européens
où la Chine n’aligne un rival de taille mon­
diale. Dans le nucléaire, China National
Nuclear Corporation (CNNC) et CGN (China
General Nuclear) concurrencent de plus en
plus la filière EDF­Framatome­Orano, avec le
réacteur de troisième génération « Dragon ».
« Au cours des deux décennies à venir, 70 % à
80 % des réacteurs seront construits par la
Chine (la quasi­totalité du reste par la Rus­
sie) », pronostique Hervé Machenaud, ex­pa­
tron du nucléaire et « monsieur Chine »
d’EDF, dans la lettre des conseillers du com­
merce extérieurs français, « La Chine hors les
murs » (n° 26). Comme s’il enterrait les es­
poirs de son ancienne maison…
On n’ose plus citer l’équipementier télépho­
nique Huawei, roi de la 5G désormais si puis­
sant et menaçant pour la sécurité qu’il subit le
boycottage de plusieurs pays occidentaux. Ni
les titans de l’e­commerce (Alibaba et JD. com),
électriques de l’amont à l’aval », s’inquiète le
patron d’un réseau européen face à la puis­
sance de la première « utility » de la planète.
« LE SYNDROME TGV »
La construction navale n’est pas en reste. Sur
le marché des navires marchands, les sociétés
d’Etat font plus qu’inquiéter les conglomérats
coréens (Hyundai, Samsung, Daewoo) et les
constructeurs japonais ; sur celui des bateaux
de croisière, prometteur en Chine, les concur­
rents chinois débarquent, obligeant les Chan­
tiers de l’Atlantique et l’italien Fincantieri à né­
gocier une fusion. En 2018, ils ont vendu leurs
premiers paquebots « propres » (fioul­gaz
liquéfié) et des méthaniers. Les Européens ont
commis la « flagrante erreur de jugement » de
sous­estimer la capacité des Chinois à appren­
dre, et vite, analyse Philippe Louis­Dreyfus,
président de l’armateur homonyme.
Hervé Guillou, patron de Naval Group (ex­
DCNS), a mis en garde contre le « syndrome
TGV » dans la marine militaire. Pour contrer
les géants chinois (China State Shipbuilding
Corporation, China Shipbuilding Industry
Corporation) et russe (OSK), il travaille à une
alliance avec Fincantieri. Dans le spatial, la
Chine vient de poser un module explorateur
sur la face cachée de la Lune. China Aeros­
truisent « un véritable écosystème du véhi­
cule autonome dont la matrice est leur plate­
forme d’intelligence artificielle », décrypte
Sandrine Zerbib, conseillère au commerce
extérieur en Chine.
Ainsi en ont décidé les planificateurs du
Parti communiste chinois et le président Xi
Jinping, dans le cadre du plan Made in China
2025, annoncé en 2015 auquel l’Etat est prêt à
consacrer 2 200 milliards d’euros. Le pays ac­
cuse des retards en recherche fondamentale
et en R&D des entreprises. Déployer une in­
dustrie 4.0 dans dix secteurs stratégiques (ro­
bots industriels, énergies renouvelables, véhi­
cule électrique, avion gros­porteur…) permet­
tra d’en finir avec une dépendance aux tech­
nologies étrangères jugée humiliante.
M. Xi a intimé aux officiels et aux médias
l’ordre de ne plus en parler. Sans doute s’agit­il
d’une manœuvre pour ne pas irriter plus Do­
nald Trump et compromettre le succès des
âpres négociations commerciales sino­améri­
caines. Car ce plan, qui n’a pas son équivalent
made in Europe, est un élément­clé du « rêve
chinois » dessiné par le président dès 2013. Qui
peut croire qu’il renonce à ce rêve de faire de
son pays la première puissance mondiale à
l’horizon 2049, l’année du centième anniver­
saire de la République populaire ? 

Le malentendu du référendum L’Olympique de 

d’initiative citoyenne Marseille en décalé
La mise en place d’un RIC, exigée par les « gilets jaunes », ne saurait quement la participation des citoyens et leur
contribution à un processus législatif éclairé. MASSILIA FOOT SYSTEM. 
constituer la panacée de la démocratie participative, observe Un quart seulement de l’électorat se déplace en MARSEILLE AU RYTHME DE L’OM
Danièle Lamarque, membre de la Cour européenne des comptes Suisse pour les votations. L’initiative citoyenne de Michel Henry,
européenne, qui permet à un million de Marabout, 240 pages,
citoyens d’au moins sept pays de proposer un 17,90 euros
texte législatif à la Commission, n’a abouti
Par DANIÈLE LAMARQUE responsabilités que des personnes éthique­ qu’une fois, sur le droit à l’eau. Plus générale­
ment inattaquables. Mais le peuple lui­même ment, quand les citoyens sont consultés, par
est­il si vertueux, alors même que les citoyens exemple sur un grand projet qui a des inciden­
Le livre
L a crise des « gilets jaunes » a mis en
pleine lumière des questions aussi
vieilles que la démocratie : comment
réélisent pour plusieurs mandats consécutifs
des élus locaux convaincus d’une gestion pi­
toyable, ou pire, soupçonnés de fraude, et con­
ces sur l’environnement, seuls les plus motivés
se déplacent, par intérêt privé ou par engage­
ment. Ce n’est donc pas tant qu’il faille se

prendre en compte les attentes du peuple, par tinuent d’accorder leur confiance à des partis
son expression directe, ou à travers ses repré­ politiques qui refusent de se plier à ces règles ?
sentants ? Des référendums, pour quoi (et Les uns jouent de leur proximité, sésame élec­
comment) faire ? Et enfin et surtout, qui est toral, les autres érigent leur cynisme en vertu.
le peuple : l’ensemble des citoyens, ou bien La mise en cause du Parlement a pris un tour
une fraction sociologiquement typée ou plus radical avec la revendication du référen­
politiquement fantasmée ? Parler de malen­ dum d’initiative citoyenne. Mais de même que
tendu, n’est­ce pas à la fois signaler que la pa­ le référendum peut prendre diverses formes, il
role du peuple n’est pas suffisamment prise ne peut se substituer à la démocratie représen­
en compte, et mettre au jour les ambiguïtés et tative qui demeure, selon le mot de Churchill,
contradictions liées à cette expression ? « le pire régime à l’exclusion de tous les autres ».
Ces questions – qui ne sont pas propres à la La Suisse elle­même, championne des vota­
France – nourrissent le débat actuel, un débat tions populaires, a un Parlement national.
aussi utile que confus. Elles sont légitimes,
parce qu’elles expriment une inquiétude de LES EXEMPLES ÉTRANGERS
beaucoup de nos concitoyens, sur le monde et Deuxième constat : contrairement au dis­
sur eux­mêmes ; on ne doit certainement pas cours en vogue, le référendum n’est pas la
les éluder, mais chercher au contraire à panacée du renouveau de l’expression
comprendre ce qu’elles expriment. citoyenne. Il éveille souvent la méfiance, pour
Premier constat, criant : la représentation sa capacité à susciter des réponses qui n’ont
nationale est une des principales cibles de la rien à voir avec la question posée. Celui sur le
contestation. L’antiparlementarisme est an­ Brexit a ainsi donné lieu à une campagne
cien. Il se renforce, en Europe comme ailleurs, dominée par les mensonges (le bus rouge et
dans un phénomène plus général de rejet des ses 350 millions de livres d’économies heb­
partis politiques traditionnels, des élites, et domadaires destinées au système de santé) et
plus généralement de tous les corps qui assu­ la hantise de l’immigration.
rent la médiation entre les citoyens et le pou­ Les exemples étrangers et les propositions
voir. Un rejet en partie alimenté par les scan­ récentes de Terra Nova ouvrent au contraire
dales à répétition qui marquent le fonctionne­ plusieurs pistes pour un référendum réussi :
ment de la vie politique et le financement préciser les thèmes autorisés, et les soumettre
des partis et des campagnes électorales, dans à l’approbation du juge constitutionnel ; requé­
nombre de pays, et qui a favorisé la montée rir un nombre minimum de signatures pour
de partis extrêmes ou de leaders atypiques. son lancement ; fixer des règles de majorité
La France – comme de nombreux pays avant qualifiée, incluant des critères comme le taux
elle – et l’Europe ont imposé des règles de de participation ou la représentation géogra­
transparence pour prévenir les conflits d’inté­ phique ; accompagner la consultation d’une
rêts et la corruption et ne laisser venir aux mise en débat permettant aux électeurs de
bien en comprendre l’enjeu ; associer la consul­
tation à un processus parlementaire. Enfin et
peut­être surtout, on le sait mieux maintenant,
IL FAUT PARFOIS  protéger l’ensemble de ces opérations d’ingé­
rences étrangères et de l’influence des lobbys,
SAVOIR FAIRE  et contrôler leur financement.
LE DÉTOUR PAR  Le référendum à la française, y compris le
référendum d’initiative partagée entré en
L’INTÉRÊT GÉNÉRAL  vigueur en 2015, ne remplit que très peu de ces
conditions ; il peut donc être utilement
POUR L’ACCORDER  réformé… par référendum ?
AUX INTÉRÊTS  En fait, le problème est plus complexe et sa
solution n’est que partiellement juridique. La
PARTICULIERS démocratie directe n’emporte pas automati­
méfier du peuple : c’est plutôt que le peuple n’a
pas suffisamment confiance en lui­même ou
en ses pouvoirs pour les exercer pleinement.
C’est donc bien tout le processus de la démo­
cratie participative qu’il s’agit de revisiter :
associer les citoyens à l’élaboration de la déci­
sion publique, en amont d’un débat parle­
mentaire encore trop peu informé (la France
se distingue par la rareté et la pauvreté des étu­
des d’impact des projets de loi) ; ne pas occul­
ter la complexité des choix publics et faire en
sorte que les citoyens puissent les appréhen­
der et en débattre ; adapter l’expertise à ces
nouveaux modes de consultation pour éviter
qu’elle soit contestée ou récusée comme on le
voit désormais trop souvent ; évaluer les résul­
tats de l’action publique et associer les
citoyens à ces évaluations et aux suites qui
leur sont réservées. L’Europe, souvent présen­
tée comme un monstre opaque et technocra­
tique, est au contraire bien plus ouverte à ces
modes de participation citoyenne, par la
conduite de larges enquêtes préalables aux
réformes et la recherche du consensus qui
caractérise le Parlement européen.
Cela suppose de remettre en question un
certain nombre d’idées reçues et de fausses
évidences. On ne voit pas forcément mieux
de près, et il faut parfois savoir faire le détour
par l’intérêt général (l’environnement, la sécu­
rité routière) pour l’accorder aux intérêts par­
ticuliers. Et si les budgets participatifs peuvent
s’accorder à des opérations limitées ou à des
collectivités d’un millier d’habitants, on
n’adopte pas le budget de l’Etat ou d’une
grande collectivité par référendum.
Il n’y a pas plusieurs peuples, mais un seul
pour la démocratie : un peuple certes traversé
d’intérêts contradictoires, mais qui ne saurait
être ni ignoré ni inventé, et qui doit être écouté
comme un acteur d’où provient la légiti­
mité dans le champ politique. Une leçon de
modestie, d’exigence et d’honnêteté pour tous
ceux, experts ou politiques, qui prétendent
s’exprimer au nom du peuple. 
¶ tage du ménage à trois entre l’OM, la municipalité et
Danièle Lamarque est membre de la Cour
européenne des comptes et vice-présidente
de la Société européenne d’évaluation
A
jamais le premier ? Difficile de l’affirmer avec
certitude. Mais le journaliste Michel Henry
fait sans conteste partie des pionniers qui,
dans la presse française, ont introduit hu­
mour et décalage dans le traitement de cette matière si
sérieuse qu’est le football. Le magazine So Foot, désor­
mais mètre étalon, n’était encore qu’un projet que la
plume de Michel Henry rendait déjà le quotidien de
l’Olympique de Marseille savoureusement délirant. Les
lecteurs du journal Libération, dont il a assuré la corres­
pondance dans le Sud­Est de 1998 à 2010, se régalaient
alors de chroniques débridées, aux titres aussi inoublia­
bles que « Les trois jambes de Rolland Courbis ».
De février à septembre 2018, Michel Henry est revenu
observer au plus près les « grandes gueules », « allumés »,
« détraqués », « gaga­fadas » qui font la passion olym­
pienne. Joueurs, entraîneurs et dirigeants, supporteurs,
politiques, mais aussi coiffeurs, faux curé, blogueurs,
journalistes, figures du foot amateur… Tous alimentent
de leur folie une nouvelle série d’articles produite pour
le site Les Jours, et réunie ici sous le générique Massilia
Foot System, clin d’œil au Sound System du même nom.
LE « BINOCLARD D’HARVARD » ET PAMELA ANDERSON
Les punchlines de Michel Henry claquent toujours aussi
bien (« Pas d’Ibra, pas de chocolat »), et l’année olym­
pienne a été – comme souvent – extrêmement riche en
rebondissements. Une finale de Ligue Europa « bleu
blanc lose », un Balotelli que « l’OM a attendu, attendu
mais qui n’est jamais venu » (il est arrivé, depuis), un
groupe de supporteurs – les Yankees – définitivement
interdit de stade par le « binoclard d’Harvard », soit le
président marseillais, Jacques­Henri Eyraud. Sans
oublier la surréaliste présence de Pamela Anderson,
compagne du champion du monde Adil Rami, que
l’auteur ne résiste pas au plaisir de convoquer à – pres­
que – chacune de ses chroniques.
La dérision tient lieu de fond de jeu, mais elle n’empê­
che pas Michel Henry d’aller droit au but quand il s’agit
de montrer à quel point « l’Ohème », comme il l’écrit,
brasse des enjeux qui dépassent la simple pelouse. Mas­
silia Foot System est le récit de l’évolution des rapports
entre foot business et ultras, dindons de la farce. Celui de
la récupération du « ballon » par les politiques, avec,
exemple parmi d’autres, « l’enthousiasme de premier
communiant et la foi des convertis » d’un Jean­Luc Mélen­
chon découvrant la ferveur locale. C’est aussi le décryp­
Arema, filiale du groupe Bouygues, pour exploiter le Sta­
de­Vélodrome sur le dos du contribuable marseillais. 
gilles rof
 0123
24 | 0123 DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

L’AIR DU TEMPS  | CHRONIQUE NÉTANYAHOU,

par cl ara g e org e s
UN CYNIQUE
La dérive identitaire et populiste de la la défense Moshe Yaalon et un autre ex­chef
EN CAMPAGNE
A bout de souffle droite israélienne n’est pas nouvelle. Le
jour même des dernières élections législa­
d’état­major, Gabi Ashkenazi. En matière
sécuritaire, ils offrent de solides garanties,
tives, en mars 2015, M. Nétanyahou avait ce qui n’empêche pas M. Nétanyahou de
diffusé une vidéo appelant ses électeurs à leur instruire un procès en gauchisme.

P
as de pitié pour les cos­
sards ! Dans le métro, le
travailleur francilien,
déjà sommé de ne plus
fumer en novembre, de ne plus
banqueter en décembre, de ne
plus boire en janvier, s’est récem­
ment vu prescrire un nouvel im­
pératif bien­être : « Dépensez tou­
jours moins pour vous dépenser
toujours plus », lui crie Decathlon
sur des affiches de 4 mètres par 3.
« S’entraîner plus pour payer
moins », l’admoneste Neoness
sur le même format. Sculptez­
vous, qu’ils disent, aux pauvres
hères compressés façon César
dans leur wagon. Le temps de
s’assoupir, de relâcher le ventre
jusqu’à la station suivante, et
hop ! hop ! hop !, ça recommence.
« Chaque effort paye », renchérit
Neoness. On aurait plutôt ten­
dance à trouver que chaque effort
coûte, mais c’est un état d’esprit.
Sus aux fainéants ! Dans les boî­
tes aux lettres parisiennes s’est
glissé un intrus ce mois­ci. Entre
un prospectus pour le dernier
restaurant de sushi­burrito et
une publicité pour une agence
immobilière vantant des ventes à
10 000 euros le mètre carré, un
tract pour Freeness, un nouveau
LES SALLES DE  Arabes israéliens allaient voter massive­
FITNESS OUVRENT  ment, transportés, affirmait­il, dans des
AUSSI VITE QUE  puis, en quatre ans, la majorité la plus à
LES BISTROTS  fensive sans précédent contre ceux qu’elle
FERMENT
cross­training, une douce disci­
pline qui croise haltérophilie, en­
durance, gymnastique. On y ap­
prend à marcher sur les mains, à
sauter pieds joints sur une boîte
en hauteur, toutes choses utiles
au quotidien des Tourangeaux
– et des autres.
Ainsi de Vienne, dans l’Isère, où
les gérants de salle de sport s’alar­
ment qu’il y ait « trop de salles de
sport », selon Le Dauphiné libéré.
Aux cinq existantes s’en ajoute ce
mois­ci une sixième, Basic­Fit, en
plein cœur de cette ville de
30 000 habitants. Basic­Fit, la for­
mule low cost néerlandaise qui
envahit l’Europe : 261 salles ouver­
tes en France depuis 2014. Ro­
main Cicéron, patron indépen­
dant du Vienne Fitness Club, ne
voit pas d’un bon œil ce rouleau
compresseur qui s’installe à
J usqu’où Benyamin Nétanyahou ira­
t­il ? Qu’est­il prêt à faire pour se main­
tenir au pouvoir et obtenir un cin­
quième mandat ? La question est au
centre de la campagne pour les élections lé­
gislatives du 9 avril, qui vient de s’ouvrir en
Israël dans une ambiance électrique. En
matière de longévité dans les démocraties
occidentales, il n’y a qu’Angela Merkel pour
rivaliser avec « Bibi », comme l’on sur­
nomme le premier ministre en Israël. Mais,
contrairement à la chancelière allemande,
qui a su se mettre à l’abri des scandales,
M. Nétanyahou, 69 ans, est engagé dans
une fuite en avant. Sous la menace d’une
procédure d’inculpation annoncée comme
imminente, le vétéran du Likoud n’a plus
ni principes ni retenue. Son ami Donald
Trump est une inspiration.
la mobilisation en raison d’un danger : les
bus fournis par les ONG de gauche. De­
droite de l’histoire d’Israël a lancé une of­
désigne comme des ennemis de l’inté­
rieur, au risque d’ébranler les contre­pou­
voirs et la démocratie du pays.
Dans le viseur se trouvent à la fois les
médias, les universtaires, les ONG docu­
mentant l’occupation et ceux qui lancent
les enquêtes pour corruption contre
M. Nétanyahou : les policiers et les magis­
trats. Le mot même de « gauche » est de­
venu infamant. C’est une étiquette que l’on
colle sur un adversaire ou un contradic­
teur pour le disqualifier, puisque le mot
suppose une complaisance fantasmée à
l’égard du terrorisme palestinien et une
naïveté diplomatique susceptible de com­
promettre la sécurité d’Israël.
C’est cette étiquette que « Bibi » s’est em­
pressé de coller sur ses rivaux, l’attelage
composé du centriste Yaïr Lapid et de l’an­
cien chef d’état­major Benny Gantz. Leurs
deux autres alliés sont l’ancien ministre de
La bataille promet d’être rude et indécise.
De nombreux paramètres ne se cristallise­
ront qu’au dernier moment, comme l’im­
pact d’une éventuelle procédure d’incul­
pation. L’un des enjeux majeurs est de sa­
voir quels partis passeront la barre des
3,25 %, nécessaire pour entrer à la Knesset.
Seuls ceux­là pourront devenir des parte­
naires de coalition.
Constatant une fragmentation dange­
reuse à la droite du Likoud, M. Nétanyahou
a consolidé son flanc droit, au risque de
l’infamie. Le premier ministre a déconta­
miné une petite formation raciste et supré­
maciste que personne n’osait fréquenter :
Force juive, dirigée par les héritiers du rab­
bin Meir Kahane. Cet extrémiste avait
fondé le parti Kach, entré à la Knesset
en 1984 avant d’être interdit en 1988.
M. Nétanyahou a encouragé l’union entre
Force juive et le parti nationaliste religieux
Foyer juif. Il prend ainsi le risque de perdre
une frange de l’électorat traditionnel de la
droite, patriote mais pas extrémiste, au
profit de M. Gantz. Mais surtout, cette
manœuvre marquera son parcours d’une
tache indélébile, sombre illustration du
cynisme en politique. 

club de sport dans le 11e arrondis­
sement. « Le sport santé », promet
le flyer multicolore où sourient
de jeunes gens musclés abdomi­
Le SUV
300 mètres de chez lui.
Mais, au téléphone, il se dit tran­
quille, sûr de la fidélité de ses
800 adhérents. Chez ses nou­

naux à l’air. « A partir de
9,90 euros par mois, cardio­mus­
cu­cross­training­cours co­smoo­
thie bar­sauna­DJ free mix ». Rien
que d’y penser, cela donne envie
de s’affaler sur un canapé.
Mort aux tire­au­flanc ! Ils sont
traqués jusque dans les salles de
cinéma, où ils se croyaient pé­
pouze devant les bandes­annon­
ces, pop­corn au bout des doigts.
« Il faudra surmonter des épreu­
ves », leur annonce d’un ton mar­
tial une voix off, tandis que défi­
lent des images dégoulinantes de
sueur. « Chez Decathlon, nous
croyons que le sport est une mer­
veilleuse contribution à l’épa­
nouissement des femmes et des
hommes. » Raidissement garanti
sur les fauteuils rouges.
La France transpire, et pas parce
qu’elle a peur. Une âcre odeur de
baskets neuves et de tapis de sol
en mousse de polyéthylène nous
remonte aux narines. Entendez­
vous, dans nos campagnes, mugir
ces véloces forçats ? Les salles de
fitness ouvrent aussi vite que les
bistrots ferment. En guise de
blanc limé, des boissons énergi­
santes. Au lieu des banquettes,
des rangées de vélos. A la place
des écrans plats diffusant
en classe confort.
veaux concurrents, il n’y a pas de
parking. Grave erreur. Et puis,
chez lui, « il n’y a pas de terre au
sol, les haltères sont rangés, ça
parle bien sur le plateau ». Trop de
salles de sport ? Finalement, pas
vraiment : « La France était le
mauvais élève de l’Europe, dit­il.
On rattrape notre retard. »
La France est « fit »
Que s’est­il passé ? Nous étions
ce lycéen qui se planque dans un
buisson pour gratter un tour de
la course d’endurance. Comment
sommes­nous devenus ces êtres
de Lycra, qui pensent obliques et
adducteurs, pour lesquels CAF
est l’acronyme de cuisses­abdos­
fessiers ? La France est « fit ». Plus
de 5,7 millions de personnes sont
inscrites dans les 4 200 clubs du
pays. La progression est d’envi­
ron 4 % à 5 % par an. Mes aïeux !
Ou plutôt, mes aïeules ! Car on ne
voit guère que Véronique et Da­
vina à tenir pour responsables de
cette frénésie.
Chez Deloitte, cabinet qui me­
sure chaque année l’évolution du
marché, Philippe Dardelet a
d’autres explications : la proxi­
mité, d’abord. Une salle de sport
près de son domicile ou de son

BFM­TV, des écrans plats diffu­
sant… BFM­TV.
Ainsi de Saint­Brieuc où, nous
apprend Le Télégramme, dans un
périmètre de dix kilomètres
autour du centre­ville, onze salles
de sport attendent les Costarmo­
ricains. « D’ici deux ans, on peut
imaginer qu’il y aura une quin­
NOUVEAU SUV
travail, et tout le monde finit ser­
viette éponge sur les épaules
dans un cours de zumba. Autre­
ment dit, l’offre crée la demande.
Le gouvernement, ensuite : le pré­ CITROËN C5 AIRCROSS
sident Macron n’a­t­il pas sou­
haité voir les rangs des prati­
quants réguliers de sport grossir
de 3 millions de Français sur le Suspensions avec Butées Hydrauliques Progressives® À PARTIR DE

249 €
zaine de structures. Le monde at­ quinquennat ?
tire le monde », philosophe un pa­ Il y a du pain sur la planche, par­
3 sièges arrière indépendants et de même largeur
tron de salle. Ici, on peut enchaî­ don, sur le planking (gainage). Les Volume de coffre record jusqu’à 720 L* / MOIS (1)
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dre­et­Loire), village de 208 âmes « manger­bouger ». « C’est une hy­ 20 aides à la conduite* ÉLIGIBLE À LA PRIME À LA CONVERSION GOUVERNEMENTALE
et autant de corps, où la mairie, giène de vie permanente, résume
l’église et la salle polyvalente ont Marie­Anne Teissier, cofondatrice
vu débarquer l’Association Sport de Neoness. On mange bien, on
Santé Training, comme le ra­ dort bien, on se dépense pour se
conte La Nouvelle République. sentir bien. »
Dans cette salle, on pratique le Mise en pratique immédiate au
club de Belleville, Paris 11e. Une
demi­heure d’elliptique, 409 ca­
COMMENT SOMMES­ lories de moins. Trois minutes de
marche sur le boulevard, un pain
NOUS DEVENUS  farci tunisien. Reste la sieste. On
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Brexit : comment l’Europe se  LE PALLADIUM GONFLÉ
prépare au chaos du « no deal »
▶ A trente­quatre jours du
Brexit, les Européens ont
mis les bouchées doubles
pour préparer l’Union
européenne à un « no deal »
Du champ à l’assiette,
une révolution nécessaire
Alors que s’ouvre le Salon de l’agriculture,
économistes et experts s’interrogent sur
les obstacles à la transformation du modèle
agricole, alors que les solutions sont là
Comment changer
d’échelle et promou­
voir de véritables
filières alternatives
offrant des revenus
décents aux
agriculteurs et une
nourriture plus saine
aux consommateurs,
y compris de milieu
modeste ?
SOPHIE MICHEL, EM STRASBOURG
BUSINESS SCHOOL
RECHERCHES | CHRONIQUE PAR ANTOINE REVERCHON
Quand l’argent nippon ruisselait sur la Chine
S i l’Europe fut la grande
gagnante de la première
mondialisation des XVIe et
XVIIe siècles, lorsque les grands
navigateurs ouvrirent la voie aux
commerçants sur tous les océans,
c’est parce que, nous ont long­
temps expliqué historiens et éco­
nomistes, les puissances asiati­
ques fermaient au même mo­
ment leurs portes, comme le
Japon, au négoce international
(1636), voire incendiaient, comme
la Chine, leur flotte de commerce
(1525). Mais l’historiographie plus
récente tend à réévaluer cette
vision, sans doute au fil du recen­
trage de l’actuelle mondialisation
autour de ces mêmes puissances.
Guillaume Carré, maître de
conférences en histoire économi­
que et sociale du Japon pré­
moderne à l’EHESS, a ainsi expli­
qué lors d’une conférence, le 13 fé­
vrier, à Paris, que l’essor du
commerce international sur les ri­
ves des mers de Chine entre 1550
et 1650, classiquement attribué à
l’afflux d’or et d’argent sud­améri­
cain via le fameux « galion de Ma­
nille » et à l’arrivée des commer­
çants portugais, puis hollandais,
est surtout dû aux exportations
Cahier du « Monde » No 23055 daté Dimanche 24 ­ Lundi 25 février 2019 ­ Ne peut être vendu séparément
▶ Le 30 mars, en cas de
« hard Brexit », le Royaume­
Uni perdra l’accès au
marché intérieur et à plus
de 700 accords européens
Nous devons sortir
de la guerre cultu­
relle entre les défen­
seurs de l’environ­
nement, d’un côté,
et les promoteurs
d’une agriculture
productiviste indiffé­
rente à ses consé­
quences, de l’autre
PASCAL CANFIN, DIRECTEUR
GÉNÉRAL DE WWF
IDÉES PAGE S 6-7
massives d’argent extrait des
mines du nord et de l’ouest du Ja­
pon, intensivement exploitées à
partir de 1530 pour remédier à la
pénurie de monnaie de cuivre im­
portée de Chine.
Au cours du XVIIe siècle, les deux
tiers du volume d’argent arrivant
dans les ports chinois viennent
du Japon, contre un tiers d’Améri­
que – même si les chiffres officiels
sont faussés par la contrebande.
Ce commerce explose à partir de
1560 lorsque l’empereur de Chine,
excédé par la persistance, malgré
ses campagnes navales, de la pira­
terie, qui contourne l’interdiction
faite aux Chinois de commercer
librement avec l’étranger, lève
cette interdiction.
Navigateurs chinois, japonais,
malais, javanais, vietnamiens se
ruent alors sur la manne, échan­
geant l’argent japonais contre la
soie et la porcelaine chinoises, les
épices d’Asie du Sud. Les négo­
ciants japonais installent des
comptoirs sur toutes les rives
d’Asie du Sud­Est – sauf en Chine,
où ils sont interdits de séjour : ils
vont au Vietnam ou à Manille
pour acheter les produits chinois,
dont raffole l’élite de leur pays.
MATIÈRES PREMIÈRES
À L’HÉLIUM
▶ A Bruxelles, un gros choc
est redouté : économique,
politique, social. Il s’agit
de contenir la catastrophe
PAGE 2
TÉLÉCOMS
LA 5G, STAR  en juge. Il a été placé sur la
DU SALON 
DE BARCELONE
Le futur standard
de la téléphonie mobile
fait partie des vedettes
incontournables du Mobile
World Congress. Toutefois,
des interrogations subsis­
tent sur un possible retard
de son déploiement
PAGE 3
SPONSORING
ACCOR SIGNE  moteurs diesel, cette motori­
POUR TROIS ANS  tine privilégié comme filtre
AVEC LE PSG
Le groupe hôtelier devient
le nouveau sponsor maillot
du club de football parisien
à la place d’Emirates. Le
contrat a une option pour
trois ans supplémentaires
PAGE 4
Portugais puis Hollandais suivent
les mêmes circuits, mais ne repré­
sentent qu’un peu plus de 10 % de
ce fourmillement de navires qui
se croisent dans la « Méditerranée
formera la base d’une économie
japonaise indépendante de son
puissant voisin.
L’argent japonais aura aussi
une influence déterminante sur
asiatique ». l’histoire de la Chine. Il pallie la
pénurie de cuivre, qui est la mon­
La chute de la dynastie Ming
Pourtant, le Japon se « ferme »
naie de la vie quotidienne en
Chine, pour pouvoir payer l’im­
en 1636. Le Shogun, bien qu’enri­
chi par le contrôle des mines d’ar­
pôt que Pékin récolte dans les
ports de Chine du Sud enrichis
gent, qui a assis son pouvoir aux par leurs exportations. La ferme­
dépens des féodaux, interdit le ture du Japon est souvent présen­
commerce avec les étrangers, tée comme la cause indirecte de
essentiellement pour des raisons la chute de la dynastie des Ming.
religieuses : il s’agit de mettre fin Mais cette fermeture étant
au prosélytisme des missionnai­ toute relative, puisque le com­
res chrétiens, dont les marchands merce de l’argent continue,
européens ont l’étrange coutume Guillaume Carré avance une
de s’accompagner. autre explication : Pékin soldant
Mais le commerce de l’argent ses troupes stationnées aux fron­
continue via le seul port ouvert tières du nord en argent, celui­ci
aux étrangers, Nagasaki, et grâce irrigue l’économie des pays fron­
aux négociants japonais bloqués taliers, la Corée et la Mandchou­
dans leurs comptoirs outre­mer. rie. Voilà qui donnera aux souve­
Et le Japon ne souffre pas vrai­ rains mandchous les moyens de
ment de cette fermeture, puisque lever des armées de plus en plus
le Shogun soutient activement la puissantes, qui finiront par oc­
production interne de produits cuper Pékin en 1644, puis pro­
de substitution aux importations gressivement tout le reste de la
chinoises : soie, coton, porce­ Chine jusqu’en 1683, fondant une
laine, artisanat de luxe et agri­ nouvelle dynastie impériale, les
culture connaissent un essor qui Qing, qui régnera jusqu’en 1912. 
La bulle spéculative du palla­ de pied. Certains estiment
dium ne cesse de gonfler. Mer­ que le marché pourrait être
credi 20 février restera mar­ déséquilibré sur les dix pro­
qué d’une pierre argentée, de chaines années.
la couleur de ce métal de plus En 2018, la demande n’a fina­
en plus précieux. Ce jour­là, lement dépassé l’offre que de
son cours a dépassé le seuil 29 000 onces, selon le premier
des 1 500 dollars (1323 euros) raffineur mondial, Johnson
l’once en séance à la Bourse de Matthey. Mais il estime que le
New York. Du jamais­vu. Le déficit pourrait atteindre
palladium est gonflé à l’hé­ 1 million d’onces en 2019, em­
lium. Les spéculateurs ne ces­ porté par la demande chi­
sent de souffler un vent chaud noise. Les futures normes
qui propulse le prix à des ni­ auxquelles devraient s’astrein­
veaux stratosphériques. Qu’on dre les constructeurs automo­
piste de décollage début 2016.
biles dans l’empire du Milieu
les inciteraient à glisser une
Fin 2017, le métal passait la
barre des 1 000 dollars l’once,
un niveau jugé déjà vertigi­
pincée supplémentaire de
palladium dans leurs véhicu­
les. De quoi échauffer un peu
neux. Depuis, rien ne semble plus les esprits… Même si les
arrêter cette irrésistible ascen­ volumes de stock restent un
sion. Le palladium vole de re­ secret bien gardé. Et si le
cord en record. rythme de vente des voitures
en Chine a connu une baisse
Spéculation de régime en 2018.
Pour justifier ce décollage en La Russie, elle, se frotte les
flèche, les investisseurs mi­ mains. Le pays de Poutine est
sent sur le retour en grâce des le premier producteur mon­
moteurs à essence. Une pincée dial de palladium, avec près de
d’once de ce métal se glisse en 40 % des volumes, devant
effet dans les pots catalytiques l’Afrique du Sud. De plus, en
pour filtrer les émissions pol­ Russie, ce métal précieux est
luantes des véhicules à es­ un sous­produit de l’extrac­
sence. Or, depuis la sortie de tion du nickel, quand l’Afrique
route fracassante de Volkswa­ du Sud extrait en même
gen en 2015, après sa fraude
aux tests de pollution de ses
temps platine, palladium et
rhodium. Un cocktail dont
sation perd du terrain. Et en­
tous les ingrédients ne bénéfi­
cient pas de la même bonne
traîne dans sa disgrâce le pla­ fortune, puisque le platine a
pour les moteurs diesel.
perdu de sa superbe.
Cette progression plein pot
Chaque nouvelle statistique
évoquant une progression du
du palladium l’a propulsé de­
vant l’or dans le classement
nombre de véhicules à es­ des métaux les plus précieux.
sence vendus fournit le carbu­ Les trajectoires se sont croi­
rant de la spéculation. Et sées mi­décembre 2018. Même
transforme le cours du palla­ si, depuis le début de l’année,
dium en Bibendum. Car cha­ le métal jaune se rebiffe et a
cun sort sa calculette. Et se dit repassé la barre des 1 300 dol­
que les mines ne turbineront lars l’once. Le palladium reste
pas assez pour suivre le au summum… 
rythme de ce changement laurence girard
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2 | plein cadre 0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

A Bruxelles,
avant la rencontre
entre le président
de la Commission
européenne,
Jean­Claude
Juncker, et la
première ministre
britannique,
Theresa May,
le 20 février.
OLIVIER MATTHYS/AP

bruxelles ­ bureau européen

L
e décompte est désormais large­
ment engagé : à un peu plus de
trente jours du Brexit, les Euro­
péens mettent les bouchées dou­
bles pour préparer l’Union à un
« no deal », un Brexit sans accord.
Quand les travaux ont commencé, mi­2018,
coordonnés par le secrétariat de la Commis­
sion européenne, la démarche n’était pas
exempte d’arrière­pensées. Les dirigeants de
l’Union européenne (UE) à 27 comptaient sur
la peur du « no deal » pour faciliter la conclu­
sion de l’accord de retrait.
Négocié pendant dix­sept mois entre
Bruxelles et Londres, ce traité est bouclé. Il a
été signé par les 28 chefs d’Etat et de gouver­
nement – y compris Theresa May, le 25 no­
vembre 2018. Le Parlement européen se
tient prêt à le ratifier. Mais, à la Chambre des
communes, aucune majorité ne s’est déga­
gée pour l’adopter. C’est la raison pour la­
quelle, à Bruxelles, plus personne ne songe à
faire du bluff. Et les propositions de législa­
tions pour tenter d’organiser le chaos d’un

Comment Bruxelles
« no deal » s’accumulent. A ce jour, 19 direc­
tives ou règlements européens ont été rédi­
gés, 7 ont été adoptés à marche forcée par le
Parlement de Strasbourg et le Conseil (les
Etats membres), et les 12 autres sont en

se prépare au « no deal »
cours de finalisation.

Un vrai « no deal »
En l’absence d’accord, le 29 mars à minuit
(heure de Bruxelles), le Royaume­Uni de­
viendra un pays tiers, perdant l’accès au mar­
ché intérieur, à plus de 700 accords euro­
péens, dont une quarantaine de libre­
échange. Les Bruxellois ont beau répéter que
l’Europe à 27 résisterait mieux que le Royau­
me­Uni, dont elle est le premier partenaire
commercial (44 % des exportations britanni­
ques vont vers l’UE, 54 % des importations
du pays en proviennent), ils redoutent un
très gros choc : économique, politique, voire
social. Engorgements gigantesques du trafic
routier, avions cloués au sol, expatriés euro­
péens en panique, etc.
Leur but est de contenir la catastrophe.
Mais attention : pas question d’adoucir le
« no deal » au point de le transformer en une
succession de mini deals. Cela ne peut pas
être « business as usual », déclarait Michel
Barnier, le négociateur en chef du Brexit au
Monde, en janvier 2019. La Commission a été
très explicite, mercredi 20 février : les mesu­
res en cas de « no deal » « ne peuvent en aucun
cas répliquer les bénéfices d’une apparte­
nance à l’UE ou ceux prévus par le traité du di­
vorce. Ces textes sont temporaires par nature,
limités dans leur champ d’application, et se­
ront adoptés unilatéralement par l’Union ».
Le transport aérien
Un accord a été trouvé entre le Conseil, la
Commission et le Parlement européens le
19 février pour maintenir la connexion aé­
rienne entre le Royaume­Uni et l’Europe
continentale jusqu’au 30 mars 2020, en cas
de non­accord. Les compagnies aériennes ti­
tulaires d’une licence britannique pourront
continuer d’opérer dans l’UE, dans la limite
des chiffres du trafic 2018. Les compagnies
auront, par ailleurs, six mois pour se mettre
en conformité : pour pouvoir faire voler des
avions au sein de l’UE, elles doivent disposer
d’un siège européen et leurs capitaux doi­
vent être détenus à 50 % par des investis­
seurs européens (cela concerne surtout Ibe­
ria et British Airways).
Le transport routier
En l’absence d’accord, les routiers britanni­
ques perdront leur droit d’opérer sur le conti­
nent, idem pour les transporteurs européens
au Royaume­Uni. Etant donné l’importance
du trafic routier transmanche (50 millions
de tonnes y ont transité en 2017, dont 30 mil­
lions de l’UE vers le Royaume­Uni et 20 mil­
lions en sens inverse), la Commission pro­
pose que, pour le transport des marchandi­
ses, soient maintenus les permis de circuler
des transporteurs britanniques, jusqu’au
Pour tenter d’organiser le chaos d’un Brexit
sans accord, 19 directives ou règlements européens
ont été rédigés, 7 adoptés et 12 sont en finalisation.
Malgré ces travaux préparatoires bruxellois,
l’absence d’entente reste un saut dans l’inconnu
31 décembre 2019. A condition que les mê­
mes conditions soient faites aux Européens.
Ces permis ne concernent que des livrai­
sons simples, du Royaume­Uni vers un pays
membre. Ces derniers jours, la France a ré­
clamé au Conseil que soient aussi encore
autorisées, jusqu’à fin 2019, des opérations
de cabotage (livraisons d’un point à un autre
des pays traversés), pour éviter un engorge­
ment à Calais (Pas­de­Calais). L’Irlande ré­
clame, elle, une continuité temporaire du
trafic passager.
La pêche
Deux règlements ont été préparés. Le pre­
mier permet aux pêcheurs des Vingt­Sept, si
l’accès aux eaux britanniques leur était bru­
talement interdit, de bénéficier du Fonds
européen pour les affaires maritimes et la
pêche (Feamp). Cet instrument est d’ordi­
naire destiné à financer la transition vers des
pêches plus « durables ». Il a été budgété à
hauteur de 6,4 milliards d’euros sur 2014­
2020, dont 588 millions pour la France.
Le deuxième règlement permet à l’UE de
délivrer des autorisations de pêche aux ba­
teaux britanniques dans les eaux territoria­
les des Vingt­Sept, même si le Royaume­Uni
est un « pays tiers ». Ces autorisations de­
vraient donner accès aux mêmes quotas de
pêche que ceux définis dans le cadre de la po­
litique maritime commune, arrêtée fin 2018
pour 2019 et 2020, mais elles ne seront vala­
bles que jusqu’à la fin de l’année. Et à la con­
dition expresse que Londres, de son côté, dé­
livre des autorisations équivalentes.
Les expatriés
Environ un million de ressortissants britan­
niques séjournent dans l’UE à 27. Symétri­
quement, 3 millions de citoyens des Vingt­
Sept vivent au Royaume­Uni. Etant donné la
fréquence des échanges, la Commission a
proposé que les citoyens britanniques soient
exemptés de l’obligation de visa lorsqu’ils se
rendent dans l’Union pour de courts séjours
(de 90 à 180 jours). A condition que le Royau­
me­Uni offre la réciproque aux citoyens des
Vingt­Sept sur son territoire à partir du
30 mars 2019.
Par ailleurs, les Britanniques dans l’UE
pourront bénéficier d’une directive harmo­
nisant les conditions de séjour de longue du­
rée des citoyens non européens (ils peuvent
faire une demande à partir de cinq années
de résidence). Ces dispositions limiteront les
tracas administratifs – au moins provisoire­
ment. Mais on est très loin du niveau de sé­
curité procuré par le traité de retrait : tout
Européen vivant au Royaume­Uni peut res­
ter librement dans le pays ainsi que sa fa­
LA CAPACITÉ DE L’UE  mille après le Brexit. Idem pour tout Britan­
À ENCAISSER UN  nique dans l’UE.
« NON­ACCORD »  puis deux ans, Bruxelles insiste pour que le
Le programme Erasmus
DÉPEND AUSSI  La Commission propose que les étudiants
BEAUCOUP DE L’ÉTAT  bénéficiant d’un programme d’échanges
Erasmus au jour du Brexit puissent aller jus­
DE PRÉPARATION DES qu’à son terme. A la date du Brexit, il devrait
y avoir près de 14 000 citoyens de l’UE à 27
ÉTATS MEMBRES :  (étudiants, doctorants, stagiaires, etc.) con­
BRUXELLES N’A PAS  cernés au Royaume­Uni et 7 000 Britanni­
ques dans le même cas sur le continent.
À TOUT ORGANISER
Le budget de l’UE
En cas de « no deal », près de 45 milliards
d’euros d’argent britannique vont manquer
aux programmes financés ou garantis par
l’UE d’ici à fin 2020 : la politique agricole com­
mune, des milliers de projets de recherche,
etc. La Commission propose de limiter les
ruptures de financements catastrophiques,
au moins pour 2019. Pendant neuf mois, le
Royaume­Uni restera éligible aux program­
mes européens commencés avant le Brexit.
A une condition cependant : le gouverne­
ment britannique devra s’engager, par écrit,
au plus tard le 18 avril 2019, et promettre que
le pays assumera ses engagements finan­
ciers prévus au budget de l’UE pour cette an­
née (environ 10 milliards d’euros).
Les points en suspens
La Commission est « prête » au « no deal », as­
sure­t­elle. Mais la capacité de l’UE à encais­
ser un « non­accord » dépend aussi beaucoup
de l’état de préparation des Etats membres :
Bruxelles n’a pas à tout organiser. Ce sont
eux qui, en cas de « no deal », devront pren­
dre en charge les expatriés britanniques, pro­
téger les nouvelles frontières extérieures de
l’UE vis­à­vis du Royaume­Uni, en recrutant
des centaines de douaniers, en mettant en
place les contrôles nécessaires (sanitaires et
phytosanitaires, taxes, respect des normes
européennes), etc.
Autre problème : la situation irlandaise. De­
Brexit préserve l’absence de frontière entre
la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.
En jeu : la préservation des accords de paix
du « Good Friday Agreement ». Mais des
pourparlers ont déjà commencé entre
Bruxelles et le gouvernement irlandais pour
réintroduire des contrôles en cas de « no
deal » : il faudra bien protéger ces 500 km de
frontières d’éventuels trafics. L’Irlande, où le
sujet est totalement tabou, sera­t­elle prête ?
Enfin, l’Europe a beau s’être préparée à gérer
le méga « bug » d’un « no deal », la plupart des
textes rédigés au niveau communautaire sup­
posent la réciproque britannique. Or, si Lon­
dres n’est pas prêt le 30 mars, personne
n’échappera au désordre généralisé. C’est la
raison pour laquelle les diplomates euro­
péens estiment qu’en l’absence d’accord, la si­
tuation deviendra si chaotique que Britanni­
ques et Européens reviendront très vite à la ta­
ble des discussions. Dans les dix ou les quinze
jours ? Personne n’en sait rien. Malgré tous les
travaux préparatoires bruxellois, le « no deal »
reste un énorme saut dans l’inconnu. 
cécile ducourtieux
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019 économie & entreprise | 3

Téléphonie :
la 5G, vedette Au Mobile
World Congress,

du Salon à Barcelone,
le 26 février
2018.
YVES HERMAN/REUTERS

de Barcelone
Les constructeurs ne veulent pas
laisser passer le train de cette
prochaine rupture technologique

C’
est l’une des têtes
d’affiche du Mobile
World Congress
(MWC). Alors que dé­
bute, ce lundi 25 février, la grand­
messe annuelle des télécoms à
Barcelone, difficile en effet de
faire l’impasse sur la 5G. Cette
norme de la téléphonie mobile
qui remplacera progressivement
la 4G au cours de la prochaine dé­
cennie est annoncée comme ré­
volutionnaire. Opérateurs, cons­
tructeurs et équipementiers sont
bien décidés à ne pas laisser pas­
ser le train de cette prochaine rup­
ture technologique. Le sud­co­
réen Samsung l’a bien compris,
doublant ses rivaux en dévoilant,
mercredi 20 février, un smart­
phone compatible 5G. Ses concur­
rents ne sont pas en reste.
Huawei, LG, Xiaomi, ZTE et une
flopée d’autres marques de­
vraient en profiter pour présenter
leurs téléphones et produits équi­
pés en 5G. Le déploiement du
nouveau standard de téléphonie
mobile doit toutefois faire face à
une série d’écueils qui menacent
de ralentir son arrivée en Europe.
Manque de fréquences disponi­
bles Avant le déploiement du ré­
seau, c’est sur la disponibilité des
fréquences que les premières in­
quiétudes apparaissent. Bruxelles
s’est pourtant fixé des objectifs
clairs : au moins une grande ville
par Etat membre couverte en 5G
d’ici à la fin 2020. Sur le papier, la
feuille de route est simple, mais
certains pays se retrouvent coin­
cés, une partie de leurs fréquen­
ces ayant déjà été attribuées à
d’autres acteurs. C’est le cas de la
France, dont la bande des 3,5 giga­
hertz (Ghz), identifiée comme un
compromis idéal pour profiter du
potentiel de la 5G, est déjà partiel­
lement occupée, limitant le spec­
tre disponible à allouer aux opéra­
teurs. De quoi laisser planer un
doute sur la capacité des Euro­
péens à respecter le calendrier
fixé. Selon l’Observatoire euro­
péen de la 5G, lancé en octo­
bre 2018 par Bruxelles pour suivre
l’état d’avancement du projet, seu­
les 6,7 % des fréquences 5G ont été
attribuées à ce jour.
Le casse­tête des enchères Autre
dilemme : la vente par les Etats de
ces fréquences. Si la Suisse et la
Finlande, bons élèves, ont d’ores
Le déploiement
du nouveau
standard
de téléphonie
en Europe
est menacé
par une série
d’écueils
et déjà attribué leurs lots disponi­
bles pour la 5G, le reste de l’Europe
avance en ordre dispersé. Outre­
Rhin, les opérateurs, en désaccord
avec les conditions posées par le
régulateur allemand, ont saisi la
justice pour trancher le litige, tan­
dis qu’en Belgique la cacophonie
qui règne au sein du gouverne­
ment sur ce dossier a conduit à re­
pousser la date des enchères de
plusieurs mois.
En France, les modalités des en­
chères qui se tiendront à l’autom­
ne n’ont pas encore été arrêtées
par Bercy mais ne manquent pas
de susciter quelques inquiétudes
chez les opérateurs. Ces derniers
redoutent surtout un scénario à
l’italienne, où le pays a vu la vente
de ses fréquences, fin 2018, tour­
ner à la foire d’empoigne avec des
enchères atteignant 6,7 milliards
d’euros. Une somme vertigineuse
qui a jeté un froid dans le petit
monde des télécoms. Pour les opé­
rateurs, qui dépensent chaque an­
née plusieurs milliards d’euros
dans leurs réseaux, des enchères
aussi élevées affecteraient sérieu­
sement leurs capacités à investir
massivement dans le développe­
ment des futures infrastructures
5G et retarderaient son arrivée.
Le mythe des nouveaux usages
Vitesse décuplée, latence réduite,
capacité à gérer quasiment en
temps réel des millions d’objets
connectés. La 5G promet monts et
merveilles, notamment dans la
santé, l’industrie, les transports
ou le divertissement, mais reste
encore très abstraite aux yeux du
grand public. Avec les premiers
smartphones 5G, les industriels
vont donc devoir redoubler d’ef­
forts pour démontrer son intérêt
dans ses usages au quotidien. Le
Mobile World Congress devrait en
partie y contribuer. Parmi les dé­
monstrations attendues sur le sa­
lon figurent une opération de chi­
rurgie réalisée à distance grâce à
la 5G ou une expérience de réalité
immersive qui promet de plonger
son utilisateur dans l’ambiance
d’un match de sport comme s’il
était dans les tribunes.
Huawei en question Au cœur de
toutes les discussions, le géant
chinois, dont la sécurité des équi­
pements réseaux a été remise en
cause par les Etats­Unis, qui le
soupçonnent d’intégrer dans ses
matériels des portes dérobées à
des fins d’espionnage, n’en finit
pas de susciter la polémique.
Poussée par les Américains à ex­
clure de ses futurs réseaux 5G les
matériels signés Huawei, l’Europe
reste pour le moment prudente,
hésitant à se priver du premier
fournisseur mondial d’équipe­
ments réseaux et peu encline à se
mettre à dos Pékin.
De leur côté, les opérateurs
mettent en garde : « Des mesures
de bannissement ou de restric­
tions sur un des grands acteurs de
la filière ne seraient pas une
bonne nouvelle ni pour les opéra­
teurs, ni pour les consommateurs.
Cela pourrait se traduire par des
délais ou des coûts supplémentai­
res », observait Stéphane Ri­
chard, le PDG d’Orange, lors de la
présentation des résultats du
groupe jeudi. En revanche, les
concurrents européens de
Huawei estiment « être en me­
sure de répondre aux besoins du
marché immédiatement. S’il y a
un retard, il ne sera en aucun cas
imputable à un manque de dispo­
nibilité des technologies de la part
des industriels européens », pré­
vient Franck Bouétard, PDG
d’Ericsson France.
zeliha chaffin

Plombé par sa dette, Telecom Italia

tente de sortir la tête de l’eau
Un rendez-vous mensuel de débats et
Sur fond de débâcle financière et de guerre entre actionnaires, d’échanges sur les grandes mutations
l’opérateur a dévoilé son plan stratégique pour se redresser d’ici à 2021 économiques.

T elecom Italia (TIM) sortira­

t­il enfin du marasme ?
Après une année 2018
marquée par un changement de
direction à la tête de l’opérateur, la
chute du cours en Bourse, l’arri­
vée d’un nouveau concurrent sur
le marché et l’affrontement de ses
actionnaires, l’ex­fleuron italien
organise sa riposte. Jeudi 21 fé­
vrier, l’ancien monopole a dé­
voilé sa feuille de route des trois
prochaines années pour relancer
sa croissance alors que le groupe,
plombé par une dette de 25 mil­
liards d’euros, affiche pour 2018
des résultats en berne : son chiffre
d’affaires est en recul de 3,6 % à
19,1 milliards d’euros tandis que
sa perte nette s’élève à 1,4 milliard,
contre un bénéfice de 1,1 milliard
d’euros un an plus tôt.
Pour remonter la pente, TIM
s’est notamment engagé à ré­
duire ses coûts de 8 % et à abais­
ser sa dette à 22 milliards en 2021.
Des économies qu’il entend en
partie mettre en œuvre en re­
voyant son offre de contenus et
en mutualisant ses infrastructu­
res de réseau 5G avec l’opérateur
Vodafone, l’un de ses concurrents
sur le territoire italien.
En parallèle, le groupe a entamé
des discussions avec Open Fiber,
propriété de la compagnie d’élec­
tricité Enel et de la Cassa depositi
e prestiti (CDP, l’équivalent de la
Caisse des dépôts), en vue d’une
éventuelle fusion de leurs ré­
seaux fixes. Un sujet que les ac­
tionnaires, dont les vues
divergent sur le projet, de­
vraient suivre avec une atten­
tion particulière.
Vivendi dans la bataille
Les plans de l’opérateur pour­
raient toutefois être chamboulés
par la guerre ouverte qui agite de­
puis plusieurs mois ses deux
principaux actionnaires, le fran­
çais Vivendi et le fonds activiste
américain Elliott – également
connu dans l’Hexagone pour s’en
être pris récemment à Pernod Ri­
card –, qui s’accusent mutuelle­
ment d’être responsables des
mauvais résultats du groupe.
L’affrontement larvé est monté
d’un cran lorsque l’américain a
ravi, le 4 mai 2018, le contrôle du
conseil d’administration de TIM
lors d’une assemblée générale
d’actionnaires, au nez et à la
barbe du français, avant de bruta­
lement évincer, en novembre,
Amos Genish, alors directeur gé­
néral de l’opérateur et proche de
Vivendi, pour le remplacer par
Luigi Gubitosi.
Une manœuvre que le groupe
tricolore n’a pas digérée, accu­
sant, depuis, une partie du con­
seil d’administration de TIM
d’être à la botte du fonds activiste.
En décembre, Vivendi avait alors
réclamé la convocation d’une as­
semblée générale d’actionnaires.
Cette dernière, fixée au 29 mars,
Retrouvez le compte rendu
des interventions des invités
promet d’être tendue. Si, officiel­ de la séance du 21 février.
lement, Vivendi, qui détient
23,94 % du capital de TIM, se dé­
fend de vouloir profiter de l’occa­
sion pour reprendre le contrôle
du conseil d’administration de
l’opérateur, en coulisses, les ac­
tionnaires fourbissent leurs ar­
GEOFFROY ROUX
mes pour se préparer à cette éven­
tualité. Elliott s’est d’ailleurs ren­ DE BÉZIEUX
forcé au capital de l’opérateur ita­ Président du Medef
lien au cours du mois de janvier,
dont il détient désormais 9,54 %
des parts, contre 8,85 % fin dé­
cembre. Et il n’est pas le seul.
Le fonds canadien Canada
Pension Plan Investment Board
JULIEN DENORMANDIE
(CPPIB), qui avait apporté son Ministre en charge de la Ville et du Logement
soutien à Elliott en mai 2018, a
également augmenté sa position
en janvier, grimpant à 3,13 % du
capital, tout comme la CDP pas­
sée, le 18 février, de 4,93 % à 5,03 %
des parts et dont la presse ita­
sur lemonde.fr/le-club-de-l-economie
lienne murmure qu’elle pourrait
monter jusqu’à 10 %. Vivendi est,
de son côté, plus limité dans ses
manœuvres : un dépassement du
seuil de 25 % du capital déclen­
cherait obligatoirement une OPA,
selon la réglementation ita­
lienne. La réunion de famille
s’annonce houleuse. 
z. c.
 0123
4 | économie & entreprise DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

Au Salon de l’agriculture, Macron Valeo : pourquoi

le bon élève trébuche
livre sa vision européenne Les performances économiques
de l’équipementier automobile font pâle
Le président français lance un appel aux Etats membres de l’Union figure par rapport à ses homologues
pour faire bloc face aux autres grandes puissances mondiales
ANALYSE bal de 150 000 salariés à l’horizon
2 021. « Gérer une telle croissance

L’ U
agriculture, et non la selon lui, face aux autres grandes viers et sucriers, après la fin des n bénéfice en chute de n’est facile pour personne, com­
ruralité. La dimension puissances qui ont fait de l’agri­
Pour le chef de quotas, en 2017. Il estime que les 38 %, à 546 millions mente un bon connaisseur du
européenne, et non culture un enjeu stratégique, à l’Etat, la politique filières doivent s’organiser au d’euros, une marge opé­ secteur. Il y a eu des erreurs de jeu­
française. C’est le cahier l’exemple des Etats­Unis, de la niveau européen, comme il a rationnelle passée de 8 % en 2017 nesse, y compris celles de l’excès
des charges que s’est fixé Emma­ Chine ou de la Russie. Au point
agricole souhaité qu’elles se structurent à moins de 6 % l’année dernière, de confiance au moment où tous
nuel Macron pour le discours que le pays de Vladimir Poutine commune en France. un chiffre d’affaires (19 milliards les choix faits par l’entreprise pa­
qu’il a choisi de prononcer à est devenu, par exemple, le pre­ Vendredi 22 février, la Commis­ d’euros) inférieur à ce qu’atten­ raissaient être les bons. Que Valeo
l’ouverture du Salon internatio­ mier exportateur mondial de blé.
doit permettre sion a annoncé le relèvement du daient les analystes… Valeo, ait pu chuter à ce point en Chine
nal de l’agriculture, samedi 23 fé­ Pour M. Macron, la PAC doit per­ à l’Europe plafond des aides que peuvent l’équipementier star de la Bourse avec le carnet de commandes
vrier, à Paris, porte de Versailles. mettre à l’Europe de retrouver sa verser immédiatement les Etats il y a encore dix­huit mois, le qu’ils avaient, c’est qu’il y a eu des
Le président de la République a souveraineté alimentaire, y com­
de retrouver membres à leurs agriculteurs, champion français de la voiture ratés. » Jacques Aschenbroich re­
décidé de livrer sa vision de l’agri­ pris l’autonomie de ses approvi­ sa souveraineté sans en référer à Bruxelles, en cas du futur, capable de faire rouler connaît qu’il faut maintenant ra­
culture européenne devant une sionnements en alimentation ani­ de crise. Il passe de 15 000 euros, une voiture autonome dans les lentir l’allure des investisse­
audience de 500 personnes, dont male, dépendante à 70 % de soja
alimentaire sur trois ans, par agriculteur, à rues de Paris lors du Mondial de ments et que le rythme pris com­
des jeunes agriculteurs venus des transgénique américain. Un taux 25 000 euros. En parallèle, les dis­ l’automobile en octobre 2018, a portait des risques.
pays membres. Alors que le futur de dépendance qui est de 40 % en cussions se poursuivent à Bruxel­ présenté jeudi 21 février des résul­
de la politique agricole commune France. Il estime que le plan protéi­ France réclame toutefois que le les pour dessiner la PAC post­ tats financiers 2018 actant un re­ Réduction des coûts
(PAC) est en pleine négociation et nes doit avoir la dimension euro­ pourcentage alloué à la protec­ 2020 et s’accorder sur le budget cul de sa rentabilité l’an dernier. Face à un environnement écono­
que se profilent les élections péenne. Sachant que la Commis­ tion de l’environnement soit pluriannuel européen pour la pé­ A vrai dire, ce n’était pas une sur­ mique devenu incertain (fluctua­
européennes. sion européenne s’est engagée, en équivalent d’un pays à l’autre. riode 2021­2027. Des discussions prise. « Les résultats sont confor­ tions des changes et des matières
Le locataire de l’Elysée veut mars 2018, dans une telle démar­ Avec la promesse d’une PAC qui qui ont pris du retard en raison de mes à nos objectifs tels que nous les premières, géopolitique à l’ère du
d’abord lancer un appel aux che, soutenue, en France, par le protège les consommateurs, la campagne électorale pour les avions revus en octobre », souligne président Donald Trump), Valeo a
autres pays européens. Sans man­ groupe Avril, bras armé de la filière mais aussi les agriculteurs, face européennes et des incertitudes Jacques Aschenbroich, le PDG du mis en place dès juillet 2018 un
quer de rappeler, en préambule, oléoprotéagineuse. aux risques de marché ou aux majeures liées au Brexit. groupe. A deux reprises l’an der­ plan de réduction de ses coûts et
que les Vingt­Huit forment la pre­ aléas climatiques. Emmanuel Un accord sur le volet financier nier – à l’été puis à l’automne – la de ses investissements. « Les dé­
mière puissance agricole mon­ Qualité, environnement Macron n’hésite pas à évoquer le est attendu avant la fin de l’année. direction a révisé en baisse ses penses de recherche et développe­
diale et que la France est leader de Le président prône également recours à des indicateurs pour Sachant que la crainte d’une prévisions de résultat 2018. Et les ment étaient passées de 5 % à 8 %
ce groupe. Ce qui lui donne une lé­ une agriculture de qualité et sou­ mieux réguler les marchés au ni­ coupe franche dans les fonds agri­ investisseurs avaient anticipé lar­ en quelques années, note un ana­
gitimité pour exprimer son pro­ haite que tous les Etats membres veau européen. Avec, en tête, la coles s’est fait jour dans un con­ gement ce trou d’air, infligeant lyste. Cela coûte 2 points de marge
jet. Il souhaite qu’ils fassent bloc, se saisissent de la transition en­ crise provoquée par la fin des texte budgétaire difficile et avec le une chute de 60 % à l’action de­ à l’entreprise. » Le groupe, qui anti­
qu’ils soient partenaires plutôt vironnementale. Pour éviter les quotas laitiers, en 2015, et celle Brexit. La France, première béné­ puis janvier 2018. D’autant que, cipe un marché automobile plat
que concurrents. Une nécessité, distorsions de concurrence, la que vivent maintenant bettera­ ficiaire de la PAC, avec une dota­ comparées à ses homologues en 2019, a promis d’accélérer son
tion de 55 milliards d’euros sur la équipementiers français (hausse plan de réduction des coûts tout
période 2014­2020, souhaite, du résultat net de 17 % pour Faure­ en mettant l’accent sur la capacité
Des agriculteurs bio attaquent l’Etat comme l’a rappelé M. Macron,
d’abord fixer le cadre budgétaire
cia et de 25 % pour Plastic Om­
nium), les performances de Valeo
du groupe à dégager des liquidi­
tés. « Mais, cela se fera au fil de
pluriannuel avant de définir les paraissent fort pâles. l’eau, précise M. Aschenbroich. Je
finalement, la Fédération nationale de l’agri­ pliaud, agriculteur dans l’Ain, fait aussi partie politiques sectorielles. Elle milite Premier constat, Valeo a subi de peux vous assurer que nous ne fer­
culture biologique (FNAB) a décidé de taper du des agriculteurs qui ont saisi le tribunal admi­ pour le maintien du budget à son plein fouet le recul du marché qui merons pas d’usine. »
poing sur la table. Elle a annoncé, vendredi nistratif. Le dernier a préféré garder l’anonymat. niveau actuel, quand le commis­ avait fait sa prospérité. En Eu­ Les revers du moment n’ont pas
22 février, que trois de ses membres avaient Ce retard de versement des aides gérées con­ saire européen à l’agriculture, l’Ir­ rope, l’entreprise avait gagné des fait changer M. Aschenbroich de
choisi de saisir le tribunal administratif pour jointement par l’Etat et les régions qui dure de­ landais Phil Hogan, proposait une parts de marché chez les cons­ cap, qui a le soutien du conseil
retard dans le paiement des aides. puis trois ans a été maintes fois dénoncé. Il met réduction de 5 %. tructeurs allemands, or les reculs d’administration. Celui­ci l’a con­
Parmi eux, Guillaume Riou, président de la de nombreuses exploitations bio dans des diffi­ Mais le chef d’Etat devait avoir de production en Europe des firmé jeudi dans ses fonctions
FNAB. « La situation est intenable et profondé­ cultés financières. Benoît Biteau avait, par d’autres sujets d’actualité à évo­ Volkswagen, Daimler et BMW liés pour quatre nouvelles années.
ment injuste », affirme­t­il. Il chiffre à exemple, décidé de médiatiser sa situation en quer lors de ses longues pérégrina­ aux nouvelles normes ont forte­ « Nous continuons à creuser notre
29 000 euros la somme non perçue sur les plein cœur de l’été 2018, en interpellant le mi­ tions dans le Salon, comme les at­ ment pénalisé le groupe. En sillon dans la voiture électrique
aides dues pour les années 2016, 2017 et 2018. nistère de l’agriculture. Cet agriculteur, installé tentes des retombées de la loi Ali­ Chine, si Valeo a su profiter à autonome et connectée », martèle
Sur un total de 41 000 euros. « Il nous manque à Sablonceaux (Charente­Maritime), également mentation. Les agriculteurs veu­ plein de la croissance des cons­ le patron, fier d’annoncer que sur
l’équivalent d’un smic et demi sur une année et conseiller régional de la Nouvelle­Aquitaine, lent que les promesses se tructeurs locaux, l’effondrement les 28 milliards d’euros de com­
demie », juge­t­il. élu sous l’étiquette du Parti radical de gauche concrétisent dans leur porte­mon­ de ces mêmes industriels a pesé mandes prises en 2018, un mil­
La FNAB a saisi le défenseur des droits le 24 oc­ (PRG), se plaignait d’une ardoise cumulée de naie. Certains s’interrogent sur la sur les comptes. liard est directement lié à des
tobre 2018. Il avait jusqu’au 21 février pour ré­ 70 000 euros et affirmait être proche de la ces­ réelle volonté de jouer le jeu des Autre problème : la crise de technologies employant l’intelli­
pondre. En l’absence de réaction, la fédération a sation de paiement. enseignes de la grande distribu­ croissance. En 2009, 45 000 per­ gence artificielle et un autre mil­
souhaité réagir. M. Riou porte plainte contre Début septembre, M. Biteau avait annoncé tion. Quant au sujet sensible de sonnes travaillaient pour Valeo liard correspond aux activités
l’Etat à titre principal, et contre l’agence des avoir reçu 43 000 euros, soit les deux tiers du l’interdiction de l’usage du glypho­ dans le monde. Aujourd’hui, ce automobiles de géants améri­
paiements et la région Nouvelle­Aquitaine à ti­ montant des aides dues. D’autres ont été con­ sate en France, il ne devrait pas chiffre atteint les 115 000 et l’en­ cains du numérique. 
tre secondaire. Avec à la clé une demande de traints de déposer le bilan.  manquer de faire débat.  treprise a anticipé un effectif glo­ éric béziat
paiement rapide des aides dues. Pierre Cham­ l. gi. laurence girard

Accor mise sur le PSG pour fidéliser ses clients

Le groupe hôtelier devient le nouveau sponsor maillot du club de football parisien
1 MILLIARD
C’est le montant, en euros, que Daimler et BMW ont annoncé, vendredi
22 février, vouloir investir ensemble dans leur offre commune de mobi-
lité urbaine. Elle sera composée de cinq entreprises allant de l’auto-

S ébastien Bazin, PDG du

groupe hôtelier Accor, est
coutumier des annonces
surprises. Il a récidivé, jeudi 21 fé­
vrier, à l’occasion de la présenta­
tion des résultats annuels. Accor
devient le nouveau sponsor
maillot du club de football du Pa­
ris­Saint­Germain (PSG). Un par­
rainage dont les contours ont été
précisés, vendredi 22 février,
dans l’enceinte du stade du Parc
des Princes. Accor et le PSG ont
signé « un contrat de trois ans
avec une option pour trois ans
supplémentaires », ont indiqué
M. Bazin et Nasser Al­Khelaïfi,
président du PSG.
En revanche, les deux dirigeants
ont refusé de dévoiler le montant
annuel du contrat. « Ce n’est pas
cher, mais c’est beaucoup d’ar­
gent », a plaisanté M. Bazin. Selon
certaines sources, Accor pourrait
verser un peu plus de 50 millions
d’euros par an pour faire figurer
ALL (Accor Live Limitless), le nom
de son programme de fidélité, sur
le maillot du club dès la saison
2019­2020. Un montant deux fois
plus important que celui versé,
chaque année, par la compagnie
aérienne Emirates, dont le con­
trat arrive à échéance en juin.
Avec une telle somme, le PSG se
rapproche du gotha des clubs
européens, tel Manchester Uni­
ted, qui perçoit près de 80 mil­
lions d’euros par saison de son
sponsor Chevrolet.
L’objectif de l’hôtelier est d’agré­
ger aux 265 millions d’adhérents à
son programme de fidélité les
395 millions de fans du PSG sur les
réseaux sociaux. Les programmes
de fidélité sont devenus le nerf de
la guerre qui oppose les masto­
dontes de l’hôtellerie. Mesuré à
cette aune, Accor n’est pas encore
au niveau de ses adversaires. ALL
ne génère que 30 % de son activité
quand Marriott Bonvoy, le pro­
gramme de fidélité du groupe
américain, compte pour plus de
55 %. Les programmes permettent
aux groupes hôteliers de court­
circuiter les agences de tourisme
en ligne, telles que Booking.com
ou Expedia.fr, qui grignotent, cha­
que année un peu plus, leurs mar­
ges. Pour Accor, la volonté de ren­
forcer son programme de fidélité
n’est pas nouvelle. Déjà, à l’été
2018, le groupe de M. Bazin avait
tenté de racheter la participation
de l’Etat dans le capital d’Air Fran­
ce­KLM, notamment pour mettre
la main sur le programme de fidé­
lité de la compagnie aérienne
franco­néerlandaise.
Des liens historiques
Avec le maillot du PSG bientôt flo­
qué de la marque ALL, Accor se
veut ambitieux. Le parrainage
avec « le PSG va permettre à Accor
de faire connaître son nom dans le
monde entier », s’est exclamé
M. Bazin. Le patron du groupe hô­
telier veut ainsi renforcer sa pré­
sence « en Amérique latine, en
Afrique, en Asie et en Chine ». Avec
le PSG, « un des plus grands clubs
au monde », selon M. Bazin, Accor
devrait accroître sa notoriété en
Chine. Parmi les maillots les plus
vendus dans l’empire du Milieu
figurent ceux de Neymar et de Ky­
lian Mbappé, deux joueurs du
club parisien.
A l’examen, le parrainage par
Accor du maillot du PSG ne
tombe pas du ciel. Les deux parte­
naires ont des liens historiques.
Avant de prendre les commandes
du groupe hôtelier, Sébastien Ba­
zin a été président pour l’Europe
du fonds d’investissement améri­
cain Colony Capital, propriétaire
du PSG jusqu’en 2011 et vendu,
cette année­là, à Qatar Sport In­
vestments (QSI). Enfin, Nicolas
Sarkozy, l’un des plus fervents
supporteurs du PSG, présent à
partage (Share Now) à une application pour trouver la prochaine
borne de recharge pour voitures électriques (Charge Now), ou encore à
la réservation de places de parking (Park Now). Les deux groupes alle-
mands, qui veulent concurrencer Uber, se lancent avec retard dans
l’offre de services et de technologies de mobilité grand public. – (AFP.)
chaque match du club aux côtés
de Nasser Al­Khelaïfi, est, depuis
deux ans, administrateur d’Accor. JUSTIC E tice, vendredi 22 février, pour
Du côté du PSG, l’annonce de ce Rolls-Royce et GSK : les geler un projet de vente par
parrainage sonne comme une di­ autorités britanniques l’actionnaire chinois Casil de
vine surprise. La manne versée par renoncent aux poursuites ses actions dans la société de
Accor devrait aider le PSG à desser­ L’autorité britannique de la gestion de l’aéroport de Tou­
rer l’étreinte du fair­play financier. lutte contre la délinquance louse­Blagnac (ATB). Leur de­
Cette règle, imposée par les instan­ financière, le Serious Fraud mande de mise sous séques­
ces internationales du football, a Office (SFO), a annoncé ven­ tre de la part de 49,99 % que
pour objectif d’empêcher les dé­ dredi 22 février renoncer à Casil Europe détient dans
penses excessives des clubs. Des des poursuites dans des af­ cette société sera examinée
instances qui reprochent au club faires distinctes concernant le 13 mars par le tribunal de
d’être financé trop exclusivement le motoriste Rolls­Royce et le commerce de Paris. – (AFP.)
par des intérêts qataris. Une suspi­ groupe pharmaceutique
cion que le contrat avec Accor GSK. Le SFO a pris cette déci­ AU TO MO BILE
n’éloigne pas totalement. En effet, sion faute de preuves suffi­ Batteries électriques :
le Qatar détient 10,44 % du capital santes à l’issue des deux en­ la Pologne rejoint le
du groupe hôtelier. Mais, au dire quêtes qui ont été « vastes et tandem franco-allemand
de M. Bazin, ses actionnaires complexes », selon un com­ Bruno Le Maire, ministre de
n’auraient pas eu leur mot à dire à muniqué. – (AFP.) l’économie et des finances, a
l’occasion du partenariat avec le annoncé, vendredi 22 février,
PSG. « Nous n’en avons jamais dis­ TRANS PO RT AÉRIE N à Varsovie que la Pologne
cuté avec les actionnaires du La justice saisie rejoignait la France et l’Alle­
groupe. Ce n’est pas leur rôle de d’un projet de vente de magne dans une alliance
prendre les décisions à ma place », a l’aéroport de Toulouse européenne destinée à déve­
assuré le PDG d’Accor.  Trois syndicats, la CGT, FSU lopper la production de bat­
guy dutheil et Solidaires, ont saisi la jus­ teries électriques. – (AFP.)
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
Amazon, Uber, Airbnb, cibles de la gauche à New York
Le maire de la ville, le démocrate Bill de Blasio, multiplie les initiatives à l’encontre des géants de la tech
ANALYSE
new york ­ correspondant
L
e panneau est apparu sur
Times Square, au cœur
de Manhattan : « Retrait
d’Amazon : 25 000 em­
plois perdus pour New York, 4 mil­
liards de dollars de salaires perdus
pour New York, 12 milliards d’acti­
vité économique perdue pour New
York. Merci quand même AOC. »
« AOC », comme Alexandria Oca­
sio­Cortez. La nouvelle égérie dé­
mocrate de la Chambre des repré­
sentants, élue du Bronx et du
Queens à 29 ans, incarne aux
yeux de ses adversaires l’échec de
l’implantation d’Amazon dans un
quartier populaire et de friches
industrielles de New York.
L’intéressée dénonce une cam­
pagne orchestrée par l’extrême
droite, mais se vante du résultat
obtenu. Avec de bons arguments
– New York avait­elle besoin d’ac­
corder des crédits d’impôts à l’en­
treprise la plus riche du monde, la­
quelle ne va pas payer d’impôt fé­
déral cette année ? – et d’autres
franchement trompeurs. « Nous
subventionnions ces emplois. Si
nous étions prêts à dépenser 3 mil­
liards de dollars [2,6 milliards
d’euros] pour cet accord, nous pou­
vons investir ces 3 milliards nous­
mêmes dans notre district, nous
pouvons embaucher plus de profs,
nous pouvons réparer nos métros,
nous pouvons mettre beaucoup de
gens au travail si nous le voulons. »
Mme Ocasio­Cortez semble con­
fondre subvention et crédit d’im­
pôts. Il n’y a pas un cent de cash
rendu disponible par le renonce­
ment d’Amazon. Le quartier du
Queens où l’entreprise de Jeff
Bezos avait élu domicile évitera
donc la gentrification, ses loge­
ments sociaux et ses salaires mé­
diocres ne changeront donc
guère. Pas rapidement en tout cas.
Peu importe, Mme Ocasio­Cortez
et la gauche démocrate ont rem­
porté une victoire majeure. Ils
ont accéléré la bascule du maire
de la ville, le démocrate Bill de
Blasio. Ce dernier avait d’abord
soutenu l’accord avec l’entreprise,
il a ensuite défendu l’idée qu’elle
soit syndiquée, un chiffon rouge
pour Amazon. Et depuis que la
Chine : la « grande baie » accueillie avec perplexité à Hongkong
Pékin souhaite faciliter les échanges dans cette vaste zone, mais son projet se heurte à de nombreux freins
hongkong ­ correspondance
S ur le papier, le concept
d’une « grande baie » (Grea­
ter Bay Area, GBA) située
autour de l’immense delta de la ri­
vière des Perles et centrée sur la re­
cherche et les nouvelles technolo­
gies, a de quoi séduire. Il s’agit de
rapprocher les neuf principales
villes de bassin de ce delta (dont
Canton, Shenzhen et Dongguan),
d’y inclure les deux « régions ad­
ministratives spéciales » que sont
Hongkong et Macao (dans le giron
chinois depuis 1997 et 1999).
L’objectif ? Faire une « grande
baie », « à l’instar de la baie de To­
kyo, de San Francisco ou de New
York » comme l’a déclaré Lin Nan­
xiu, vice président du Groupe de
direction du développement de la
grande baie Guandong­Hon­
gkong­Macao, lors du symposium
qui a eu lieu à Hongkong le 21 fé­
vrier, pour en annoncer le plan
stratégique à court et moyen
terme (2022 et 2035).
Cet ensemble regroupe 70 mil­
lions de personnes, dont 7 mil­
lions de Hongkongais, sur une
surface de 56 000 kilomètres car­
rés. Selon la Banque mondiale,
c’est, déjà depuis plusieurs années,
la plus vaste zone urbaine de la
La mairie vient
d’assigner en
justice Airbnb
ainsi que
HomeAway, pour
obtenir le fichier
de leurs clients
société de Jeff Bezos « a repris son
ballon et est partie », M. de Blasio,
57 ans, a viré à gauche toute.
Ce géant réélu maire en 2017 et
marié à une Afro­Américaine
avait défendu ses propres idées
progressistes en 2016 – c’est la rai­
son pour laquelle il avait tardé à
soutenir Hillary Clinton. Depuis,
il dit le plus grand bien du séna­
teur indépendant du Vermont,
Bernie Sanders, mais voudrait
surtout rouler pour lui­même. Le
maire de New York n’exclut pas de
rejoindre la cohorte des démocra­
tes prétendants à l’élection prési­
dentielle de 2020. Dans la ville de
Wall Street, il a prononcé début
janvier un « discours sur l’Etat de
New York » digne du « mon adver­
saire, c’est la finance » de François
Hollande, alors candidat socia­
liste à l’élection présidentielle,
en janvier 2012. « Nous avons l’ar­
gent pour résoudre les problèmes
et je sais où est l’argent. Ce pays a
passé des décennies à prendre aux
travailleurs et à concentrer la ri­
chesse dans les mains des 1 %. C’est
là où est l’argent. Il y a plein d’ar­
gent dans ce pays – il est juste dans
les mauvaises mains. » Sans évo­
quer l’accord Amazon déjà forte­
ment contesté par l’aile gauche
new­yorkaise.
L’implantation de la firme de
Jeff Bezos devait consacrer la bas­
cule réussie de New York vers les
nouvelles technologies. Un mou­
vement lancé par le maire de
l’époque, le milliardaire Michael
Bloomberg, après la grande réces­
sion de 2008, qui a voulu faire
sortir sa ville de la mono­indus­
trie financière. Il y a un mois, on
vantait l’arrivée de Google et de
Facebook, la mutation de la fi­
nance vers le numérique. Le
« narratif », comme disent les
Canton
Dongguan
CHINE
CHINE
Shenzhen
Hongkong
Macao
Mer de Chine
méridionale
40 km
planète. Le rôle essentiel du sud de
la Chine dans le développement
économique du pays s’illustre par
son poids dans le PNB chinois :
en 2017, le produit régional brut de
la zone s’est élevé à environ
1 300 milliards d’euros.
Cette région, souvent décrite
comme « l’usine du monde » dis­
pose de trois des plus grands ports
du monde, Guangzhou (Canton),
Shenzhen et Hongkong, qui est
également le premier hub mon­
dial de fret aérien. « Le président Xi
s’intéresse personnellement à ce
projet », a rappelé le gouverneur de
la province de Guandong, Ma Xin­
grui, à Hongkong.
A New York,
le 21 février,
un panneau
dénonçant
le rôle
d’Alexandria
Ocasio­Cortez,
« AOC », dans
l’abandon du
projet de siège
d’Amazon
dans le
Queens.
BRENDAN MCDERMID/
REUTERS
communicants, a changé. La Sili­
con Alley de New York se trans­
forme en traquenard pour la tech.
Et M. de Blasio prépare l’assaut
contre le Big Business.
Lutte contre les embouteillages
« Après la guerre entre New York et
Amazon sur son siège social dans
le Queens, la ville se dirige vers une
bataille contre un autre géant de
la tech : Uber », écrit le New York Ti­
mes. En 2018, M. de Blasio a ins­
tauré un salaire minimal pour
les conducteurs (17,2 dollars de
l’heure en moyenne sur une se­
maine) et plafonné pour un an le
nombre de licences à New York
(elles sont passées de 60 000 à
plus de 100 000 depuis 2015).
M. de Blasio compte prolonger
la mesure pour lutter contre les
embouteillages, au grand dam
d’Uber. Les adversaires du maire
notent qu’il s’est opposé pendant
des années à un péage urbain qui
permettrait de financer les tra­
vaux du métro. M. de Blasio es­
Jusqu’à présent, les autorités ont
mis l’accent sur le développement
des infrastructures avec de nom­
breux mégaprojets récemment
inaugurés ou sur le point de l’être,
notamment un immense pont­
tunnel de 56 kilomètres de long re­
liant les deux rives du delta, de
nouvelles autoroutes, une ligne de
train rapide, des nouvelles lignes
de métro, de nouvelles gares et de
nouveaux postes douaniers…
Des « villes en compétition »
En 2018, 235 millions de personnes
sont passées entre Hongkong et
la Chine. D’ailleurs, les relations
économiques avec la Chine conti­
nentale remontent bien avant la
rétrocession de 1997, puisque ce
sont essentiellement des capitaux
hongkongais et taïwanais qui ont
financé le développement écono­
mique du sud de l’empire du Mi­
lieu dans les années 1980 et 1990.
Mais la zone reste divisée par des
frontières physiques, des mon­
naies et des « systèmes » foncière­
ment différents… « Ils n’ont encore
rien annoncé de concret », observe
Alicia Garcia­Herrero, chef écono­
miste Asie­Pacifique de Natixis,
pour qui la principale question à
résoudre est celle de la libre circu­
lation des capitaux. « Pour une in­
time que cette mesure frapperait
les ménages modestes et a long­
temps privilégié une taxe sur les
plus riches. De toute façon, la me­
sure doit d’abord être votée par
l’Etat de New York, et un péage ne
sera pas mis en place avant deux
ans. Le débat montre en tout cas
que le désastre des transports en
commun new­yorkais n’est pas
vraiment dû à Amazon ni à Uber,
mais à un sous­investissement
structurel et à des coûts de tra­
vaux et de fonctionnement pro­
hibitifs. Le prolongement sur
moins de 4 kilomètres de la ligne
Q pour desservir l’Upper East Side
à Manhattan a pris dix ans et
coûté 4,4 milliards de dollars.
Autre symbole de la tech mal­
aimée, Airbnb, qui loue 50 000
logements à New York. L’entre­
prise est accusée d’aggraver la
pénurie de logements et d’inciter
à la fraude fiscale. La mairie de
New York vient d’assigner en jus­
tice l’entreprise ainsi que Ho­
meAway pour obtenir le fichier
tégration complète, soit Hongkong
renonce à la convertibilité de sa
monnaie en dollars et à son rôle de
place financière internationale
pour devenir le centre financier de
la Chine, mais elle aurait beaucoup
à y perdre, soit c’est le côté chinois
de la grande baie qui adopte le mo­
dèle hongkongais, mais qui doit
alors s’isoler du reste de la Chine »,
affirme­t­elle.
« Ce n’est pas la première fois que
l’on voit passer ce genre de grands
plans à Hongkong. Mais on est très
mauvais en la matière et, en géné­
ral, cela ne prend pas », observe
Cliff Tan, économiste à la MUFG, la
plus grande banque japonaise. Il
souligne plusieurs problèmes
pour transformer cette ambition
en réalité. « Pour encourager une
économie intelligente, basée sur la
Cette région
regroupe
70 millions
de personnes
sur une surface
de 56 000
kilomètres carrés
économie & entreprise | 5
de leurs clients. « Si votre appar­
tement est loué chaque jour, ce
n’est plus votre appartement,
c’est un business », a accusé Bill de
Blasio, avant d’ajouter : « Si Air­
bnb pense que toutes les person­
nes avec lesquelles il travaille font
les choses bien, pourquoi ne pas
être transparent ? »
En 2016, New York a interdit de
louer pour moins de trente jours
un appartement entier sur Airbnb
et prévoyait, en 2018, d’exiger des
compagnies de location de court
terme qu’elles fournissent les
données de leurs clients à la ville.
Cette mesure a été suspendue par
la justice. En janvier, M. de Blasio a
aussi lancé des poursuites contre
des agences accusées d’avoir uti­
lisé illégalement Airbnb dans
trente­cinq immeubles de Man­
hattan et d’y avoir logé 75 000 per­
sonnes entre 2015 et 2018, moyen­
nant 21 millions de dollars.
Cette bataille a lieu alors que le
New York City Housing, qui gère
176 000 appartements dans 2 400
connaissance, il faut permettre aux
idées de s’échanger et de circuler li­
brement. Le côté chinois de cette
“baie” va­t­il bénéficier d’un accès
Internet aussi libre qu’à Hong­
kong ? Sinon, c’est peine perdue ».
L’économiste souligne aussi que le
prix rédhibitoire de l’immobilier à
Hongkong a poussé nombre de
pépinières d’entreprises technolo­
giques, sans parler des usines, à
s’installer de l’autre côté – chinois
– de la frontière.
Une autre question que pose ce
projet sans y répondre est celle du
statut commercial de Hongkong
qui siège à l’Organisation mon­
diale du commerce (OMC), séparé­
ment de la Chine. En vertu du
Hong Kong Policy Act (1992), les
Etats­Unis commercent avec
Hongkong distinctement de la
Chine. Hongkong suit d’ailleurs de
très près les tensions commercia­
les entre la Chine et les Etats­Unis.
Dans un premier temps, Hong­
kong en bénéficierait car son rôle
de plaque tournante ou de palier
d’entrée et de sortie de l’empire du
Milieu n’en serait que renforcé.
Mais personne n’exclut le risque
que les brouilles amènent les
Etats­Unis à revoir ce traité, ce qui
serait catastrophique pour Hong­
kong. « Si cette dernière se retrou­
immeubles pour 400 000 habi­
tants modestes, a échappé de peu
à la mise sous tutelle fédérale.
Pour éviter cette humiliation,
M. de Blasio a accepté un change­
ment de direction et un investisse­
ment de 2,2 milliards de dollars
sur dix ans. La gestion de cet office
de HLM, largement financé sur
des fonds fédéraux en réduction,
est désastreuse. Les conditions sa­
nitaires sont déplorables pour les
enfants, dont 800 ont été diagnos­
tiqués contaminés au plomb entre
2012 et 2016. Les investissements
nécessaires sont estimés à 32 mil­
liards de dollars sur cinq ans.
Uber et Airbnb prévoient de
s’introduire cette année en
Bourse. La première pourrait va­
loir 120 milliards de dollars, la se­
conde a été évaluée à plus de
30 milliards de dollars lors d’une
levée de fonds en 2017. Wall Street
leur dit oui, mais New York les
combat, occultant un peu rapide­
ment ses propres défaillances. 
arnaud leparmentier
vait totalement intégrée à la Chine
par le biais de la grande baie, les
Etats­Unis auraient de bonnes rai­
sons de réviser le “Hongkong Policy
act” », estime Mme Garcia­Herrero.
« Ces villes sont en compétition
les unes avec les autres. Elles n’ont
aucun intérêt à s’entraider comme
le prévoit ce plan », estime le jour­
naliste suédois Johan Nylander,
auteur de l’essai Shenzhen Supers­
tars – How China’s Smartest City Is
Challenging Silicon Valley (non tra­
duit), qui rappelle que « le Sud
n’aime pas se faire dicter ce qu’il
faut faire par le Nord (Pékin) ».
« Tout le monde sait que ce projet
n’est pas seulement ou pas essen­
tiellement économique », ajoute
Cliff Tan. « Leur but est en fait d’en­
gloutir Hongkong dans le trou noir
qu’est la Chine. Intégrer Hongkong
à cette vaste région aura pour effet
certain de faire disparaître Hong­
kong », estime la députée d’oppo­
sition Claudia Mo. Elle rapporte
que, de manière semi­officielle, un
nouveau mot se répand : « Dawan­
qu­ren », les « gens de la grande
baie », une manière insidieuse, dit­
elle, de fabriquer une impression
de communauté entre les gens de
Hongkong, Shenzhen, Macao,
Canton et Dongguan. 
florence de changy
6 | idées 0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019

Cinq experts s’interrogent sur la difficulté de faire évoluer le système,

alors que s’ouvre, samedi 23 février, le Salon international de l’agriculture

Du champ à l’assiette, une révolution nécessaire
Connecter les initiatives l’enjeu est majeur. Un tiers de la popu­
lation locale est considérée comme
pauvre dans l’agglomération de Mul­

pour changer de modèle house, avec un taux de chômage élevé

et des problèmes de santé importants
résultant d’une alimentation de qua­
lité insuffisante (obésité, diabète…). En
La construction d’une filière dans mon assiette ». Il serait dommage, même temps, la production agricole
alimentaire alternative efficace pourtant, de sous­estimer les dynami­ est ici particulièrement industrialisée,
ques à l’œuvre dans certains territoires avec moins de 6 % des terres cultivées
et productive est en train pionniers, qui ont su tirer parti d’une loi en bio dans le Haut­Rhin.
de s’ébaucher, constate votée à l’automne 2014 et appliquée à
partir de 2016, favorisant les mobilisa­ NOUVEAUX BESOINS
la chercheuse Sophie Michel tions autour de « projets alimentaires Les rencontres entre acteurs divers,
territoriaux » (PAT). que nous avons étudiées ne vont pas
Imaginés sur le modèle des Food de soi. Le dialogue a parfois du mal à
Par SOPHIE MICHEL Councils d’Amérique du Nord, ces PAT se nouer entre des personnes aux pré­
ont eu comme premier objectif de occupations très différentes et qui
favoriser les synergies entre des ac­ n’attribuent pas toujours le même

L es alternatives à la nourriture
industrielle sont de plus en plus
médiatisées : paniers de produc­
teurs, épiceries participatives, jardins
partagés… Mais ces initiatives restent
beaucoup plus marginales qu’on ne
l’imagine. Malgré l’expansion des
ventes de produits locaux, moins de
10 % de l’alimentation globale des
Français provient aujourd’hui d’autres
sources que de l’industrie agroalimen­
taire mondialisée.
Comment changer d’échelle et pro­
mouvoir de véritables filières alternati­
ves offrant des revenus décents aux
agriculteurs et une nourriture plus
saine aux consommateurs, y compris
de milieu modeste ? Les gouverne­
ments successifs, sous la pression des
acteurs dominants du marché, ont jus­
qu’à présent agi avec circonspection sur
ces sujets. Une pétition lancée fin jan­
vier sur les réseaux sociaux tente
actuellement de créer la mobilisation
autour du slogan « Stop aux kilomètres
LE DÉBAT SE POURSUIT SUR
LEMONDE.FR
WWW.LEMONDE.FR/IDEES
« Les modèles agro-écologiques ont fait
leurs preuves », par un collectif regroupant
35 organisations de défense des paysans
et de protection de l’environnement
« La permaculture tire le meilleur parti
possible des interactions naturelles
entre les êtres vivants », par Ricardo
Azambuja, Gazi Islam et Anahid Roux-Rosier
teurs qui avaient peu de chances de se
rencontrer : des paysans souhaitant
modifier leurs pratiques, des autori­
tés de santé publique préoccupées
par les effets sanitaires de l’alimenta­
tion industrielle, des travailleurs so­
ciaux confrontés à l’insécurité ali­
mentaire des populations les plus
pauvres, des élus, des consultants,
des distributeurs alternatifs, des res­
taurateurs, des citoyens soucieux de
manger plus sain.
SYSTÈME COHÉRENT
Le sud de l’Alsace, où de nombreuses
initiatives émergent actuellement en
matière d’agriculture de proximité,
s’est saisi de cet outil, et leur démarche,
que nous étudions depuis plusieurs
mois, s’avère très prometteur (« Les
transformations du système alimen­
taire au prisme du travail collaboratif :
l’exemple de la distribution locale à
Mulhouse », séminaire de recherche
organisé par la Fabrique des territoires
innovants, 8 décembre 2017). Les réu­
nions, modestes au départ, ont attiré
jusqu’à une centaine de participants.
En s’inscrivant dans cette démarche,
les porteurs de projets ont contribué
à la création d’un réseau permettant
de créer des complémentarités, des
systèmes d’entraide, des partenariats
innovants.
La construction d’une filière alterna­
tive, du champ à l’assiette, est ainsi en
train de s’ébaucher, avec par exemple la
création en 2018 d’une légumerie,
Terra Alter Est, transformant les pro­
duits bio cultivés localement en plats
préparés, achetés par les cantines sco­
laires des communes du territoire.
L’association Epices, célèbre à Mul­
house pour ses ateliers de cuisine
interculturels et intergénérationnels,
va ouvrir d’ici peu une école de cuisine
alternative ; la nécessité d’enseigner
comment cuisiner différemment étant
apparu comme un élément central
pour faire évoluer l’alimentation, cet
enseignement devant concerner les
adultes autant que les enfants.
Des projets d’épicerie participative,
de jardins partagés à vocation sociale
ou pédagogique sont par ailleurs en
voie de finalisation. Une monnaie
ADRIÀ FRUITOS
locale, facilitant les échanges et renfor­
çant les liens de coopération, est en
train d’être déployée. La mise en réseau
de tous ces acteurs apparaît comme un
élément déterminant pour que ces ini­
tiatives se transforment en un système
économique cohérent.
De vastes locaux situés dans une fri­
che industrielle, emblématique de la
ville, vont servir bientôt de vitrine à
cette dynamique. La visibilité de cette
offre alimentaire locale étant jugée pri­
mordiale pour que chacun, quel que
soit son milieu social, puisse s’estimer
concerné. Pour les pouvoirs publics,
sens aux mots. Mais les échanges
entre les parties prenantes ont permis
de faire émerger de nouveaux
besoins. Les consommateurs ont pu
prendre la parole et coconstruire des
projets. A côté de réunions plénières
où tous les acteurs ont l’occasion de se
rencontrer, des réunions plus res­
treintes permettent de mener une
réflexion plus approfondie.
Ces résultats sont­ils suffisants pour
mettre en cause la domination encore
massive de l’agriculture industrielle ?
Des points de blocage demeurent. Les
reconversions des agriculteurs vers le
bio n’ont rien d’évident, y compris lors­
qu’ils en ressentent la nécessité. Les
lycées agricoles doivent faire évoluer
plus rapidement leurs formations ini­
tiales et continues. Des soutiens finan­
ciers sont aussi nécessaires pendant la
période de transition, qui dure plu­
sieurs années. Au­delà, le financement
des projets à dimension sociale pose
question. Des collectifs, parfois très
motivés et capables, peinent à obtenir
des soutiens, faute de maîtriser les
codes de l’administration.
Dans les années 1960, la construction
de la filière agro­industrielle s’était
faite en quelques années. L’enjeu est
aujourd’hui d’enclencher une dynami­
que de même ampleur pour promou­
voir un modèle alimentaire plus sain,
durable et social. 
¶
Sophie Michel est enseignante-
chercheuse au laboratoire Humanis
de l’EM Strasbourg Business School

Pourquoi l’utilisation des produits chimiques ne diminue pas

Faute d’incitation à choisir d’autres solutions, pesticides, culture biologique sont caractérisés par
des risques majeurs. Ainsi 2017 a vu cer­
herbicides et fongicides, peu coûteux, restent les garants tains exploitants viticoles perdre près
d’une gestion des risques plus aisée pour les agriculteurs, de 80 % de leur récolte sur des vignes en
culture biologique. Pour les exploita­
selon les économistes Cécile Aubert et Eric Giraud­Héraud tions bien implantées, cela peut être
compensé par les profits d’autres
années. Mais pour d’autres, une telle
Par CÉCILE AUBERT consommateur à évaluer la qualité perte peut signifier une cessation d’acti­
environnementale d’un produit, à l’ex­ vité. Cela peut donc conduire à une
et ÉRIC GIRAUD­HÉRAUD ception d’une dichotomie entre certifi­ concentration de la production biologi­
cation bio et absence de certification ; que, alors qu’elle était initialement plu­
supporter les risques liés à une culture
plus respectueuse de l’environnement.
Une augmentation aussi forte et brutale
des taxes sur les produits chimiques
n’est pas envisageable : elle conduirait à
un très fort désavantage sur de
nombreux secteurs agricoles dans un
contexte de concurrence internationale,
et elle mettrait en danger l’équilibre fi­
nancier d’exploitations ne disposant pas
du temps et des flux financiers nécessai­
res pour s’adapter à une nouvelle forme
aussi de la date à laquelle ils ont été utili­
sés, des conditions météorologiques et
climatiques dans une région. L’assu­
rance basée sur des indices climatiques
(et non sur une constatation des dom­
mages réellement subis) est déjà utili­
sée dans les pays en développement, où
elle permet de contourner les coûts très
élevés de vérification des dommages.
Ces assurances pourraient être utili­
sées, dans un cadre fixé par les pouvoirs
publics, comme mécanisme incitatif. Il

D epuis de nombreuses années,

les pouvoirs publics se sont en­
gagés pour une réduction de
l’usage de produits chimiques dans
l’agriculture en France. Malheureuse­
les réticences d’agriculteurs qui suppor­
tent des coûts importants de conver­
sion (sélection de variétés plus résistan­
tes, acquisition de nouvelles techni­
ques, coûts de main­d’œuvre…) pour
tôt le fait de petits exploitants motivés à
titre personnel par la conversion au bio.

ment, les plans Ecophyto, qui visaient à
réduire l’usage des produits phytosani­
taires, ont été des échecs. De nombreux
agriculteurs, après avoir effectué une
conversion à l’agriculture biologique, re­
tournent à l’agriculture conventionnelle
après quelques années. Peut­on lever cer­
tains freins à cette difficile évolution ?
Pour comprendre pourquoi l’usage
des produits chimiques ne baisse pas, il
faut analyser les freins à leur réduction.
Ils sont nombreux et de nature diffé­
rente : l’organisation des filières agroali­
mentaires, qui demande des produits
calibrés, des productions régulières, des
coûts minimum ; la difficulté pour le
des bénéfices très incertains. Enfin, les
routines comportementales (notam­
ment sur l’usage des pesticides) dans le
milieu agricole sont nombreuses, et la
transmission des savoir­faire tend à
figer les modes de culture.
Un obstacle majeur à la conversion à
l’agriculture biologique est le risque
élevé de perdre une grande partie de la
récolte. L’Etat subventionne en effet les
assurances­récoltes (à hauteur de 65 %
des primes d’assurance, grâce aux fonds
européens), mais sans privilégier l’agri­
culture raisonnée ou biologique. Si les
rendements agricoles sont typique­
ment risqués, les rendements en agri­
MÉCANISME INCITATIF
Les pesticides, herbicides, fongicides, res­
tent peu coûteux. La viticulture repré­
sente près de 20 % de la consommation
de pesticides en France, pour seulement
3 % des surfaces cultivées. Or, le coût des
traitements chimiques représente en
moyenne moins de 5 % de la valeur d’une
bouteille… Dans ces conditions, on ne
peut s’étonner qu’un viticulteur préfère
s’assurer contre le risque de perte en uti­
lisant massivement les produits chimi­
ques, dont l’efficacité est connue.
Puisque ces produits occasionnent des
coûts à la société, la solution classique en
économie consiste à les taxer. Mais le
niveau de taxation devrait être extrême­
ment élevé pour que l’exploitant préfère
de culture. Un accroissement des taxes
sur ces produits au niveau européen per­
mettrait toutefois de limiter les effets
concurrentiels entre pays voisins.
Il faudrait donc commencer par
mieux informer les agriculteurs sur les
marges de manœuvre réelles dont ils
disposent pour réduire significative­
ment l’usage des pesticides sans altérer
forcément les rendements. Une piste
intéressante pour remédier à l’un des
multiples freins à la réduction des pesti­
cides serait de favoriser des systèmes
assurantiels spécifiques : ces systèmes
devraient être conditionnés au type
d’agriculture choisi par l’exploitant et à
son respect de normes de culture défi­
nies par des experts. Les primes d’assu­
rance pourraient ainsi dépendre de
façon très fine non seulement des
quantités de produits utilisés, mais
ne s’agirait plus d’économiser sur les
coûts de vérification des dommages,
mais d’inciter les agriculteurs à adopter
des pratiques respectueuses de l’envi­
ronnement. En s’appuyant sur des assu­
reurs privés qui doivent y trouver leur
compte, les pouvoirs publics pourraient
réglementer les contrats assurantiels
afin qu’ils ne jouent pas seulement un
rôle de subvention mais aussi d’incita­
tion à la conversion. 
¶
Cécile Aubert est professeure à l’Ecole
d’économie de Toulouse et chercheuse
au Groupe de recherche en économie
théorique et appliquée (Gretha)
de l’université de Bordeaux
Eric Giraud-Héraud est directeur
de recherche INRA et chercheur au Gretha
0123
DIMANCHE 24 ­ LUNDI 25 FÉVRIER 2019
La PAC doit être l’outil
de la transition
Il faut remettre la politique agricole commune au centre
de la performance économique et environnementale
de l’agriculture, selon l’expert Luc Vernet
Par LUC VERNET
N ous ne ferons pas de l’agriculture
au XXIe siècle comme nous l’avons
fait aux siècles précédents. La con­
naissance des écosystèmes et de leurs inte­
ractions, les progrès de la génétique asso­
ciés à des outils, notamment numériques, à
même de diffuser à grande échelle une
agronomie de précision, révolutionnent
peu à peu l’ensemble des filières. Ils sont
prometteurs pour l’environnement,
comme pour le revenu agricole.
Pour autant, rien n’est écrit de ce que sera
l’agriculture de demain. Allons­nous sauver
le modèle d’une agriculture majoritaire­
ment familiale d’exploitations de taille
humaine, où l’agriculteur occupe une place
centrale ? C’est à ce modèle que nous
devons une alimentation d’une diversité et
d’une qualité remarquables, où chaque
consommateur peut construire un régime
répondant à ses capacités budgétaires, à ses
choix diététiques ou idéologiques. Chaque
agriculteur peut y développer ses spécifici­
tés – avec à la clé une multitude de filières.
Ou bien, à l’inverse, va­t­on vers une frag­
mentation des métiers, la propriété du sol
étant l’apanage de sociétés de placements,
les opérations dans les champs l’exclusivité
DANS LES CHAMPS,  doit être envisagée, a minima, à l’échelle du
OPPOSER « MESURES  faire que collectivement, faute de quoi, elle
VERTES » ET « MESURES  chés. Même si un certain nombre de flexi­
ÉCONOMIQUES »
N’A GUÈRE DE SENS
En finir avec la guerre des agricultures
Les pouvoirs publics, de l’échelon local à Bruxelles, doivent
inciter producteurs, industriels et distributeurs à changer
de modèle, affirme Pascal Canfin, directeur général de WWF
Par PASCAL CANFIN
L e modèle agricole traditionnel est en
faillite humaine, économique et
environnementale : revenus agrico­
les en berne avec la moitié des exploitants
qui déclaraient moins de 350 euros par mois
en 2017, diminution du nombre d’agricul­
teurs, plafonnement des rendements, ap­
pauvrissement des sols, impact croissant
des changements climatiques, disparition
des oiseaux et des insectes, non­respect de
la qualité environnementale des eaux…
Comment en sortir ? Tout d’abord en s’ap­
puyant sur l’appétit nouveau et structurant
des Français pour des produits responsa­
bles qui permettent une meilleure rémuné­
ration aux agriculteurs ainsi que la mise en
œuvre de pratiques bénéfiques pour l’envi­
ronnement. La consommation de produits
bio progresse de 16 % par an et la tendance
est profondément ancrée dans les habitu­
des de consommation. Une enquête IFOP
pour le WWF a montré que 72 % des Fran­
çais sont prêts à consommer moins de
viande, de produits laitiers ou de poisson
pour inclure davantage de produits bio
dans leur panier. La baisse de la consom­
mation de viande (− 12 % en dix ans) est
une autre tendance d’ampleur. C’est une
excellente nouvelle, car l’élevage est la pre­
mière cause de déforestation à l’échelle
mondiale et l’un des principaux facteurs
d’émissions de gaz à effet de serre.
La transition alimentaire est en cours, et
c’est elle qui va tirer la transition agricole. A
condition bien sûr que les acteurs écono­
miques (exploitants, coopératives, indus­
triels, distributeurs, etc.) s’organisent pour
de spécialistes de l’achat de machines et la
commercialisation celle de traders, les agri­
culteurs étant cantonnés à la coordination
et aux choix de production ? L’alimentation
resterait sûre, sans doute. Elle serait moins
diversifiée, concentrée dans quelques
zones, moins ancrée dans nos territoires,
au­delà de quelques niches haut de gamme
qui, elles, naturellement, survivraient.
La réponse à ce choix de société tient en
trois mots : la politique agricole commune
(PAC). Depuis 1992, son budget n’a cessé de
se rétrécir, alors que le nombre de bénéfi­
ciaires a été multiplié par deux, du fait des
élargissements successifs de l’Union euro­
péenne. La PAC, notre alimentation et nos
agriculteurs méritent mieux. Et le choix de
l’actuel Parlement de résister à la pression
de la Commission, qui souhaite boucler au
pas de charge une refonte administrative
de la PAC, est une excellente nouvelle.
DYNAMIQUES COMPLEXES
L’agriculture est un secteur aux dynami­
ques complexes. Economie et écologie y
sont les deux facettes d’une même pièce.
Pour faire entrer notre agriculture dans le
XXIe siècle, la PAC doit accompagner à la
fois la transition économique et la transi­
tion environnementale. Dans les champs,
opposer « mesures vertes » et « mesures
économiques » n’a guère de sens.
Malgré une commercialisation en circuits
courts, l’économie des produits agricoles
marché européen. La transition ne peut se
sera vite rattrapée par la réalité des mar­
bilités est nécessaire pour adapter locale­
ment les leviers d’action en s’appuyant sur
les Etats et les régions, des garanties que
y répondre et en tirer tous les bénéfices. Si­
non, nous assisterons à une augmentation
des importations de produits de qualité no­
tamment bio, quand les producteurs fran­
çais tenteront de faire face à la compétition
mondiale sur une agriculture à bas coût
dont ils ont très peu de chance de sortir ga­
gnants. Pour réussir cette montée en
gamme de l’agriculture française et satis­
faire cette nouvelle demande des consom­
mateurs, nous devons sortir de la guerre
culturelle entre les défenseurs de l’environ­
nement d’un côté et les promoteurs d’une
agriculture productiviste indifférente à ses
conséquences de l’autre.
CONTRAT DE CONFIANCE
Cette stratégie repose sur un triptyque :
plus de revenus pour les agriculteurs, plus
de protection contre les pratiques déloya­
les, plus de transformation écologique de la
production. Les outils pour déployer ce cer­
cle vertueux de la transition agricole se
multiplient. Ainsi, les contrats de long
terme assortis d’une prime durant la pé­
riode de conversion au bio, signés entre les
distributeurs ou les industriels et les agri­
culteurs, participent à l’amélioration du re­
venu des agriculteurs, au changement de
pratiques agricoles, à des relations stabili­
sées et de confiance. Des distributeurs tels
que Carrefour ou Picard se sont déjà enga­
gés sur cette voie.
D’autres entreprises explorent la possibi­
lité de rémunérer des services environne­
mentaux fournis par leurs producteurs, tel
Danone, qui vise la neutralité carbone à
l’horizon 2050 et souhaite encourager le
stockage de carbone dans les sols, ou le
groupe BEL, qui accompagne les produc­
l’effort environnemental sera partagé doi­
vent être fortement sécurisées.
Un socle d’aide aux revenus est néces­
saire, qui doit être bien réparti et prendre
en compte les difficultés des zones inter­
médiaires. Ce premier filet de sécurité doit
être accompagné d’outils de mutualisation
des risques à adapter à chaque filière, pour
faire face aux aléas climatiques et économi­
ques de plus en plus fréquents. Ils doivent
donner des assurances aux agriculteurs
que les risques seront gérés rapidement,
avec des mécanismes de déclenchement
prévisibles. Mais ces outils ne résisteront
aux soubresauts les plus graves qu’à la
condition d’être accompagnés d’une force
de frappe européenne – une partie du bud­
get doit être sanctuarisée pour faire face
aux crises graves – seul gage du retour des
investissements dans le secteur.
En parallèle, un nouvel outil d’accompa­
gnement de la transition des exploitations
doit être mis en place, afin d’encourager le
déploiement de systèmes performants éco­
nomiquement et environnementalement.
Tout changement de pratiques agricoles
comporte des risques, qui doivent être ac­
compagnés. Au même titre que les aides
existantes à la conversion bio, des mesures
doivent soutenir d’autres systèmes tels que
l’agriculture de conservation des sols ou
l’agriculture numérique. Les gains écono­
miques et écologiques à la clé sont considé­
rables et à notre portée d’ici à dix ans. Les
investissements pour franchir les marches
de ces modes d’exploitation, qui restent
souvent inaccessibles, doivent être financés
par un grand plan européen.
Ces outils doivent permettent de consoli­
der des filières puissantes et bien organi­
sées, mettant à la disposition de chaque
agriculteur les dispositifs d’accompagne­
ment pour positionner au mieux son ex­
ploitation en fonction de ses marchés lo­
caux, nationaux, européens ou mondiaux.
Avec cet équilibre entre protection et tran­
sition des systèmes agronomiques, sans
œillères idéologiques, la PAC sera porteuse
à la fois d’un renouveau de notre modèle
agricole et d’un rapprochement entre les
Européens et leurs agriculteurs. 
¶ de race, religion, sexe. » Certes.
Luc Vernet est secrétaire général du groupe
de réflexion Farm Europe, à Bruxelles
teurs revenant au pâturage. De telles dé­
marches sont essentielles pour faciliter la
sortie du glyphosate et la diminution des
pesticides. Mais le monde agricole génère
des solutions innovantes aussi en interne.
Le travail mené par la Fédération nationale
des centres d’initiatives pour valoriser
l’agriculture et le milieu rural sur les exploi­
tations laitières du Grand Ouest a démon­
tré la possibilité d’améliorer la valeur ajou­
tée économique de 10 % tout en diminuant
la consommation de pesticides de 80 %,
tout en ayant recours au pâturage !
Outre l’accompagnement du secteur
privé, un cadre réglementaire et politique
favorable est indispensable. Ainsi, le
fléchage de 50 % des fonds de la future poli­
tique agricole commune vers des pratiques
favorables à l’environnement sera un élé­
ment pivot. Il est également essentiel que
les politiques commerciales ne viennent
pas ouvrir le marché européen à des prati­
ques interdites pour nos agriculteurs. Il ne
s’agit pas de protectionnisme, mais de
concurrence loyale. Utiliser la puissance du
marché européen – le premier au monde –
pour édicter des règles d’accès qui encoura­
gent les bonnes pratiques agricoles au lieu
d’importer les pires de l’extérieur est un
acte politique décisif dans le contrat de
confiance entre les agriculteurs et l’Europe.
Si l’on ajoute à cela le développement des
énergies renouvelables, telle la méthanisa­
tion, comme revenu complémentaire pour
les agriculteurs, ou encore les engagements
d’achat d’au moins 20 % de produits bio
pour fournir les cantines scolaires, nous
voyons se dessiner les contours d’une poli­
tique ambitieuse, juste, innovante et prag­
matique de transition agricole. 
¶ cevant d’un collaborateur qui
Pascal Canfin a été ministre délégué
au développement de Jean-Marc Ayrault
entre 2012 et 2014
MA VIE EN BOÎTE
CHRONIQUE PAR ANNIE KAHN
Des compétences
toutes relatives
C hacun le sait pour l’avoir
vécu sur les bancs de
l’école. Quand l’élève a
réussi un exercice de mathéma­
tiques, que son calcul est juste,
il reçoit le maximum de points.
En revanche, il lui est souvent
bien difficile de savoir si sa dis­
sertation va plaire à l’examina­
teur. Si les deux ne partagent pas
le même point de vue, bien
souvent, la note s’en ressent.
Un employeur se retrouve fré­
quemment dans la même situa­
tion, lorsqu’il lui faut embaucher
ou promouvoir un collaborateur.
Sélectionner sur la base de tests
et résultats, mais aussi d’entre­
tiens, n’est pas une science
exacte. Il est donc très étonnant,
voire surprenant, que, dès lors
que l’on parle d’imposer des rè­
gles pour compenser les biais
entachant toute évaluation d’un
individu, les critiques pleuvent.
Dernier exemple en date : la pa­
rution, dans Le Monde daté du
15 février, d’une tribune de deux
associations rappelant « la domi­
nation masculine » dans le
monde des médias et ailleurs, et
visant à prendre des mesures
pour plus de diversité dans les
entreprises. Les réactions à ce
texte, publiées en ligne, sont si­
dérantes de naïveté. « Il faut pren­
dre des gens pour leurs compéten­
ces et pas pour des caractères de
naissance », lit­on. Ou : « On va
engager des gens incompétents
au prétexte qu’il faut des femmes,
arabes, homos et handicapés.
La République, c’est la méritocra­
tie par le travail, sans distinction
Mais comment mesure­t­on ces
fameuses « compétences » ?
BIAIS COGNITIFS ET SOCIAUX
Le dernier livre d’Olivier Sibony,
professeur à HEC Paris et ex­
associé senior du cabinet McKin­
sey, Vous allez commettre une
terrible erreur ! (Flammarion,
384 pages, 10 euros), paraît à
point nommé pour nous rappe­
ler la multitude de biais cognitifs
qui faussent les décisions des di­
rigeants et « leur font commettre
des erreurs de raisonnement sys­
tématiques », souvent en toute
inconscience, précise l’auteur.
Qu’il s’agisse de décisions straté­
giques d’investissement, de re­
crutements et, plus largement,
de gestion du personnel.
« On ne sait pas mesurer les
compétences de manière objec­
tive », nous confirme Olivier Si­
bony. Les performances objecti­
ves ne pèsent que pour 20 % à
25 % dans le résultat des entre­
tiens d’évaluation, rappelle­t­il
dans la newsletter d’actualité
Time to sign off (TTSO). Il ajoute :
« 25 % tiennent uniquement à vo­
tre évaluateur (sévère ou laxiste,
en général). Le reste, 50 % au
moins, c’est “l’interaction” entre
les deux, totalement aléatoire…
bref, la tête du client. » La marge
d’erreur est bien plus importante
quand un recruteur évalue un
candidat avec lequel il n’a jamais
interagi professionnellement.
Parmi les multiples biais,
« l’aversion à la perte, l’aversion à
l’incertitude et le biais rétrospectif
unissent leurs forces pour pro­
duire une aversion exagérée au
risque », explique Olivier Sibony.
Le « biais rétrospectif » consiste,
en cas d’échec (ou de succès),
à surestimer a posteriori la pro­
babilité d’échec (ou de succès)
assignée a priori. « Cela devait ar­
river », va ainsi fulminer ce diri­
geant, confronté au résultat dé­
n’avait pas tout à fait le profil
type. Alors que ce même em­
ployeur aurait sans doute cher­
idées | 7
SÉLECTIONNER 
SUR LA BASE 
DE TESTS ET 
DE RÉSULTATS, MAIS 
AUSSI D’ENTRETIENS, 
N’EST PAS UNE 
SCIENCE EXACTE
ché d’autres causes si son colla­
borateur avait été du même
milieu ou, mieux, diplômé de la
même école que lui.
Cette aversion à l’incertitude se
conjugue avec la peur de la diffé­
rence pour renforcer les biais so­
ciaux qui vont conduire un diri­
geant à préférer recruter et
promouvoir quelqu’un qui lui
ressemble. Ainsi, pour un poste à
responsabilité en France, majori­
tairement un homme, blanc, hé­
térosexuel, ayant fait des études
supérieures similaires à celles de
son futur patron.
HOMOGÉNÉITÉ DES ÉQUIPES
Le « biais de confirmation, l’une
des sources les plus universelles
d’erreurs de raisonnement », se­
lon Olivier Sibony, est aussi un
redoutable piège. Il conduit tout
décideur à construire une his­
toire cohérente pour expliquer
une situation et à négliger les
faits contradictoires. Un diri­
geant concentrera son attention
sur les personnes qu’il a recru­
tées et qui ont réussi. Il occultera
en revanche les recrutements
malheureux, et oubliera encore
plus facilement les personnes
qu’il n’a pas recrutées et qui
auraient peut­être donné des
résultats encore meilleurs.
« Ce qui lui permet de persister
dans ses illusions, de continuer
d’agir de la même façon, même
après un siècle d’erreurs. »
Dire : « Seules les compétences
comptent » sans avoir pris la
mesure des nombreux pièges
qui s’opposent à une évaluation
juste de ces compétences con­
duit à renforcer l’homogénéité
des équipes, au risque d’en dé­
grader la performance globale.
On incrimine alors le manque
de talents disponibles – le man­
que de femmes qualifiées pour
tenir des postes de direction,
par exemple –, alors que tout
aura été fait en chemin pour
les éliminer.
Comment se sortir de ces piè­
ges ? Par le dialogue et la con­
frontation des points de vue.
A condition qu’ils soient divers.
« Cognitivement divers », précise
Olivier Sibony. C’est­à­dire de for­
mations, cultures, parcours pro­
fessionnels différents. Comment
initier ce cercle vertueux ? « Avec
des processus de recrutement
aussi aveugles que possible », pré­
conise le professeur et consul­
tant, que l’on sent hostile aux
quotas. Mais dans la mesure
où nombreux sont les recrute­
ments, et encore plus les promo­
tions, qui ne peuvent se prati­
quer à l’aveugle, on voit
difficilement comment on pour­
rait se passer, dans un premier
temps, de mesures contraignan­
tes. Comme celle des quotas de
femmes dans les conseils d’ad­
ministration. Ou les règlements
d’entreprises imposant une cer­
taine diversité dans les listes de
candidats aux promotions inter­
nes. Parce que loin de s’opposer,
le renforcement des compéten­
ces et l’accroissement de la
diversité sont au contraire deux
facteurs qui se renforcent
l’un l’autre. 
 Le trafic aérien
nuit gravement
à la planète.
Est-il possible
de continuer
à s’envoyer
en l’air sans
piétiner
sa conscience
écologique ?

Le ciel
attendra
2

EN QUÊ T E

6 L IVRE S

Girl power
Exit princes charmants
et lits à petit pois, sélection
de cinq livres jeunesse pour
les filles bien dans leurs jupes

8 A PÉ RO AVEC …
Nora
Hamzawi
GUIA BESANA POUR « LE MONDE »

Un nouveau spectacle,
de nouvelles névroses
pour la comédienne qui ose tout,
ou presque

D I MANCH E 24 - LU N DI 2 5 F ÉV R I ER 20 1 9 C AHI E R D U « M O N DE » N O 23 0 5 5 - NE P EU T ÊT R E V E NDU SÉPA R ÉM ENT

2 0123
D IMA NCH E 24 - LU ND I 2 5 F É V R I E R 201 9
ENQUÊTE

Maman, j’ai arrêté l’avion

En vacances, j’oublie tout, surtout
mon empreinte carbone. Pour le citoyen
« responsable », le voyage côté hublot
fait partie de ces petits arrangements
avec la conscience écologique.
Dans de nombreux pays, les incitations
à la détox aérienne se multiplient

GUIA BESANA POUR « LE MONDE »
Par Pascale Krémer
I
ls ont renoncé aux Coton­Tige, au
Nutella et même à l’harmonie scan­
dinave de la cuisine depuis l’adop­
tion du lombricomposteur et des
moucherons qui vont avec. Alors
pas question d’annuler le Paris­New
York de cet été… Ils embarqueront avec
les enfants, trop de bagages et ce léger
sentiment de culpabilité qui gagne, de­
puis peu, ceux qui ont l’heur de voyager
et de songer à leur bilan carbone.
Malaise et premières tensions
entre copains, devant la pizza quatre
légumes. Peut­on se dire écolo tout en
s’envolant pour le week­end à Porto ?
L’avion sème la zizanie. D’un côté, ceux
qui connaissent les chiffres et commen­
cent à s’interroger. De l’autre, ceux qui ne
veulent surtout rien savoir de peur d’ob­
jectiver ce qu’ils pressentent : tous ces
efforts louables pour acheter en vrac ou
cuisiner les légumes bizarres du panier
Amap n’auront rimé à rien s’ils prennent
la direction de l’aéroport.
Ne me dites pas… Qu’un aller­
retour Paris­New York envoie plus d’une
tonne de gaz carbonique dans l’atmos­
phère par passager, soit autant qu’une
année de chauffage et le cinquième des
émissions annuelles d’un Français. Que
tout trajet national ou européen en
avion pollue quarante fois plus que le
TGV, sept fois plus que le bus, deux fois
plus qu’une voiture avec trois passagers.
Que le secteur aéronautique est respon­
sable de 2 % des émissions mondiales
de CO2. Soit deux fois plus qu’un pays
comme la France.
2 % seulement ? Et vous me pri­
veriez pour si peu de la petite semaine
andalouse prévue à Pâques ? Un chiffre
trompeur, selon l’Agence de l’environne­
ment et de la maîtrise de l’énergie
(Ademe) qui souhaite « briser le tabou »
en lançant « un débat démocratique sur
la maîtrise du développement du trans­
port aérien ». Car ce secteur connaît une
croissance exponentielle (4 milliards de
passagers en 2018, le double prévu dans
vingt ans), et les progrès technologiques
qui y sont attendus ne suffiront pas à
absorber l’explosion de ses émissions de
gaz à effet de serre.
Cerise sur le brownie du plateau­
repas : il est exempté de tout accord onu­
sien de réduction des émissions. La
croissance de ces dernières fera simple­
ment l’objet d’une compensation car­
bone, à partir de 2020, pour les vols
internationaux. Bref, au vu de cet « im­
pact considérable sur le réchauffement
climatique planétaire, impact qu’on peut
évaluer à 5 % si l’on prend en compte
l’ensemble des gaz à effet de serre émis, et
pas seulement le CO2 », il est urgent de
« rechercher une baisse du trafic aérien »,
insiste Lorelei Limousin, du Réseau
Action Climat. Qui observe l’émergence
d’une prise de conscience, y compris
hors des cercles militants.
C’est vrai que l’on se vante moins
de la petite escapade balinaise, sur les
réseaux sociaux. Toujours un fâcheux
pour vous renvoyer à votre empreinte
carbone… Chez les blogueurs voyage, le
temps est même venu de l’introspection.
« En huit heures de voyage, je fous en l’air
une année de zéro déchets et 95 % de
consommation locale et responsable,
écrit Isa, du blog “Let’s go”. Je commence
à ne plus vivre bien avec ça. En résumé, je
suis une grosse hypocrite. »
« Schizophrène », même, se fla­
gelle Pierre Grante, 30 ans, blogueur
d’Un notre monde, temporairement ins­
tallé en Thaïlande. « On sait que voyager
fait partie des activités nocives pour l’en­
vironnement. Mais on empêche le cer­
veau de trop y penser pour ne pas se sen­
tir coupable. Moi qui me prétends écolo,
qui suis végétarien, j’ai une empreinte
beaucoup plus forte que ceux qui n’ont
pas les moyens de voler. »
Elle affleure, déstabilise, crispe à
tous les coups, cette question de l’avion.
Dissonance cognitive, diagnostiquent
les psys, face à une telle incohérence
entre convictions et pratiques. Car les
accumulateurs de miles sont aussi ceux
Tout trajet national
ou européen en avion
pollue quarante fois
plus que le TGV,
sept fois plus que
le bus, deux fois plus
qu’une voiture
avec trois passagers
qui ont la volonté, les moyens, de man­
ger bio et de rouler à vélo électrique.
Juliette Belliard, 28 ans, professeure
d’anglais, incarne parfaitement ce ma­
laise : « J’ai tout bon sauf l’avion ! »,
avoue­t­elle d’emblée. Colocation, refus
de passer le permis de conduire, régime
végétarien depuis sept ans. Mais Jorda­
nie en ligne de mire pour les vacances.
« Le voyage annuel en avion, je n’arrive
pas à l’abandonner. Sans ça, je n’aurais
pas le courage de tenir les autres résolu­
tions. C’est ma récompense. » L’avion,
dernière frontière du citoyen en transi­
tion écologique. Sacrifice ultime, une
fois entrecôtes et SUV abandonnés.
Des figures héroïques de renon­
ciation se dressent, barrant la piste d’en­
vol de leurs bras écartés. L’adolescente
suédoise Greta Thunberg en tête, qui
s’est fait connaître en interpellant les
puissants sur leur inaction climatique.
En janvier, elle a rejoint le forum de
Davos en trente­deux heures de train,
avant de dénoncer les 1 500 jets privés
des dirigeants venus évoquer le réchauf­
fement climatique. Deux autres Suédoi­
ses, Maja Rosen et Lotta Hammar, ont
lancé une campagne de boycottage :
« We stay on the ground 2019 » (« Nous
restons au sol en 2019 »), déjà suivie par
15 000 de leurs compatriotes.
A Vienne, il y a trois ans, Magda­
lena Heuwieser les avait devancées avec
son manifeste et réseau international
« Stay grounded » pour en « finir avec
l’avion roi ». Au Danemark, le quotidien
de gauche Politiken vient d’annoncer
que ses journalistes ne prendraient plus
de vols intérieurs, que ses pages Voyage,
aussi, seraient repensées : priorité aux
pays nordiques. Sur Twitter pullulent
les hashtags incitant à la détox aé­
rienne ou témoignant d’une nouvelle
« honte » de voler (#flyingless, #stop­
flying, #flightfree2019, #flugscham,
#flygskam…). Des universitaires et cher­
cheurs y mettent désormais en scène
leurs épopées en chemin de fer, comme
ces climatologues qui ont fondé le col­
lectif No Fly Climate Sci (« Ne prenez pas
l’avion, climatologues »).
Et les Français ? Pour 35 % des
interrogés par l’Ademe, en 2018, « ne
plus prendre l’avion pour les loisirs » est
un objectif dont ils se sentent « incapa­
bles » ou qui serait « difficile ». Si
l’échantillon était réduit aux seuls
clients de l’aérien, ce pourcentage serait
encore plus fort, se doute l’Ademe. « Au
voyage en avion est lié un imaginaire de
déconnexion de ce monde hyper rapide,
hyper techno, observe Amélie Anciaux,
qui prépare une thèse à l’Université
catholique de Louvain sur la consom­
mation verte. En vacances, j’oublie tout,
même mon empreinte carbone. C’est l’ex­
ception écologique. »
Pour l’instant dominent donc le
déni, l’irritation contre les « Khmers
verts » et autres « Notre­Dame­des­Lan­
des », les petits arrangements avec la
conscience écologique. « Les voyages
m’ouvrent les yeux sur ce qu’endure la pla­
nète », entend­on. Ou encore : « Les
avions décolleront sans moi de toute fa­
çon. » Et : « Avec tous les efforts que je fais,
l’avion me rapproche simplement des
émissions moyennes des Français. » De
même : « J’irai au Pérou, mais sur place, si
je vois un gars jeter un papier gras sur le
Machu Picchu, je l’éclate ! »
Tout pousse à emprunter le pro­
chain couloir aérien. Les incessantes pu­
blicités incitant à « succomber aux envies
d’ailleurs », les billets low cost, les promo­
tions du Web, les programmes de fidéli­
sation, les pouvoirs publics se félicitant
de la croissance du secteur aérien – et le
subventionnant. Sans compter les alter­
natives qui manquent ou coûtent cher.
Les trains de nuit disparaissent (plus que
deux en circulation dans l’Hexagone).
Même sur un trajet de 500 kilomètres,
l’avion bat souvent le train, côté porte­
monnaie. ▶▶▶
DI MANCHE 24 - LU N DI 25 FÉ VRI E R 20 19
Y A - T- I L U N ÉCO LO CH EZ L ES AVI O NNEU RS ?
Du vert dans le moteur
D
e plus en plus de gens pren­
nent l’avion. Le nombre de
passagers a augmenté de
60 % entre 2005 et 2017. Consé­
quence, les émissions de dioxyde de
carbone et d’oxyde d’azote de l’avia­
tion ont connu une progression
continue ces dernières années.
Aujourd’hui, le transport aérien re­
présente 2 % des émissions de CO2
mondiales, et 12 % des émissions
produites par les moyens de trans­
ports (train, voiture, bateau…).
Airbus, comme son rival
américain Boeing, s’emploient à
minorer leur impact environnemen­
tal, notamment en limitant la gour­
mandise des moteurs des avions.
Une préoccupation moins écologi­
que qu’économique. En effet, le kéro­
sène est le premier poste de dépen­
ses des compagnies aériennes. A
l’instar de Safran, les motoristes ont
développé des moteurs plus écono­
mes en carburant. Le Leap, produit
par le français Safran et l’américain
General Electric, qui équipe la tota­
lité des nouveaux moyen­courriers
737 Max de Boeing et la moitié des
A320 Neo d’Airbus, consomme 20 %
de kérosène de moins que son prédé­
cesseur. Pour les deux avionneurs,
l’étape suivante sera une propulsion
hydride, qui associe, par exemple,
des carburants alternatifs et des
moteurs électriques.
Airbus travaille ainsi sur un
fuel « green » produit à base d’algues
tout en mettant au point un moteur
à hydrogène. En avance sur ce sujet,
Boeing a développé un carburant
baptisé HEFA, en cours d’homologa­
tion, composé à 15 % de diesel vert.
Les objectifs de l’américain restent
C E NE S ER A PA S TO I !
Loterie
Pour permettre à la France
de respecter ses engagements de
réduction de CO2 d’ici à 2030,
le cabinet B & L Evolution
propose de limiter les vols
à 500 000 par an et d’attribuer
ceux-ci par le biais d’une loterie
nationale. Autres mesures
suggérées : pas plus de deux
long-courriers (A/R) par jeune
de 18 à 30 ans, interdiction
des vols extra-européens
d’agrément et des vols intérieurs
ayant une alternative terrestre
de moins de quatre heures
0123
3
cependant modestes : à l’en croire,
HEFA pourrait, à court terme, ré­
pondre à 1 % de la demande mon­
diale de carburants. Quant à la pro­
pulsion hybride, Boeing développe
le projet d’un petit avion régional de
15 à 20 passagers qui sera « testé à
l’horizon 2021 ».
Les avionneurs avancent
aussi sur le tout­électrique. Airbus
comme Boeing travaillent sur des
projets de taxis volants à propulsion
électrique. L’américain a aussi
dévoilé, en 2018, un petit avion élec­
trique de transport de fret capable
d’emporter une charge de 200 kg.
Les premiers essais en vol de ce
« petit porteur » devraient avoir lieu
cette année.
Par ailleurs, Airbus et Boeing
cherchent continuellement à alléger
le poids de leurs avions pour réduire
leur consommation. Les deux der­
niers­nés d’Airbus et de Boeing, les
long­courriers A350 et le 787 Dreamli­
ner, sont constitués à plus de 50 %
de matériaux composites beaucoup
plus légers. Les ailes des nouveaux
appareils ont aussi été redessinées
pour mieux pénétrer dans l’air et
donc consommer moins.
Enfin, la dernière grande
source d’économie de carburant passe
par une meilleure gestion du trafic
aérien. Selon Airbus, la mauvaise or­
ganisation des routes aériennes coûte
à elle seule 8 % de la consommation
mondiale de kérosène.
Guy Dutheil
4 0123
DIMA NC HE 24 - LU N D I 25 F É V R I E R 2019
▶▶▶ Car les dés sont pipés, déplore
Matthieu Orphelin, député (ex­LRM
désormais non­inscrit) du Maine­et­
Loire, proche de Nicolas Hulot, qui « ne
consomme l’avion qu’avec modération ».
Contrairement à l’essence et au diesel, le
kérosène n’est pas taxé, comme l’ont re­
marqué les « gilets jaunes », alors qu’il
pourrait l’être pour les vols intérieurs.
Les billets nationaux ne sont pas soumis
à la TVA à taux plein, encore moins à la
contribution énergétique.
« Pour baisser les émissions de la
France de 3 % chaque année, tous les
secteurs doivent contribuer, rappelle le
député. L’avion symbolise les grands
voyages, la liberté. Mais il n’y aura pas de
tourisme dans un monde dévasté. Même
s’il bouscule toute une culture, le sujet de
l’aérien va s’imposer. » Au niveau euro­
péen ? L’idée d’une taxe sur les rejets de
CO2 des avions revient régulièrement (le
12 février, encore, sur proposition néer­
landaise) avant de s’effacer, telle une traî­
née de condensation striant le ciel.
Dans la génération Erasmus et
Ryanair, pourtant, l’idée d’un « flexita­
risme » aérien commence à faire son
chemin. « Moi, je suis flexitaérien », se
vantera­t­on bientôt ? Comme pour la
viande, pas question de s’interdire, mais
de réduire allègrement. Les vols d’agré­
ment en priorité puisque, au boulot, pro­
poser une téléconférence ne réjouit pas,
hors période d’économies. Un long­cour­
rier par an, de rares vols européens, plus
le moindre en France ? Chacun se fixe un
cadre moral de bric et de broc. Ex­grand
voyageur repenti, Juan Martinez, 28 ans,
chargé de mission environnement dans
une mairie, s’accordera « un vol par an,
mais pas de long­courrier ».
Récemment, il a gagné le Maroc
en ferry (48 heures), la Catalogne en train
de nuit, covoiturage et bus (17 heures).
« C’est la suite logique de tout ce que j’ai
entrepris pour réduire mon impact. Je re­
prends conscience des distances, je regarde
les paysages traversés. Le déplacement
redevient une aventure, une composante
du voyage. » A l’université parisienne de
Jussieu, le 8 février, les étudiants ont pro­
grammé leur première grève climatique,
une semaine plus tard, et formulé leurs
revendications prioritaires. Dont l’inter­
diction des vols intérieurs.
Sentant poindre cette sobriété
stratosphérique, Air France permet de­
puis septembre à ses clients de compen­
ser les émissions carbone de leur voyage
en finançant la plantation d’arbres dans
le pays de leur choix pour quelques dizai­
nes d’euros. Le PDG de Voyageurs du
monde, Jean­François Rial, affiche lui
aussi des tarifs « comprenant la compen­
sation carbone à 100 % des transports des
clients et collaborateurs ». Mais surtout, il
s’interdit désormais de proposer cer­
tains voyages « inacceptables » : « Les
long­courriers en dessous de cinq nuits,
les allers­retours en Europe dans la jour­
née, c’est non ! Nous essayons aussi de
renforcer l’offre sur la France et l’Europe, à
pied et à vélo, en prenant le train. »
Le voyage lent et de proximité,
voilà qui est du dernier chic. En témoi­
gnent le boom du cyclotourisme ou le
succès du guide Chilowé des « micro­
aventures de plein air et de courte durée
près de Paris » – de Lyon, Bordeaux et
Nantes, aussi, bientôt. Descendre la
Seine en paddle, écouter le brame du
cerf à Rambouillet ou en Sologne,
bivouaquer un soir de semaine… « Pas
besoin d’un vol transcontinental, la
France est un immense terrain de jeu »,
pour le cofondateur de Chilowé, Thibaut
Labey, trentenaire « culpabilisé par un
récent voyage en Colombie­Britanni­
que ». Guillaume Cromer, lui, se dit en
plein « deuil » de plaisirs aériens. Cet
expert ès tourisme durable persuade les
collectivités locales que « les premiers
touristes de demain seront intrarégio­
naux ». Il leur faut donc « construire de
nouveaux imaginaires sur l’ailleurs, dé­
payser grâce à des hébergements atypi­
ques, comme les cabanes perchées ». Per­
chées bien haut pour voir la cime des
arbres, comme depuis le hublot.
« La compensation carbone
ne doit pas servir à se dédouaner »
Hervé Lefebvre est chef
du service climat de l’Agence de
l’environnement et de la maîtrise
de l’énergie (Ademe).
La compensation carbone volon-
taire n’est pas encore une démar-
che très connue. Pouvez-vous nous
expliquer comment l’idée est née,
et quel en est le principe ?
On a commencé à parler de com-
pensation carbone en 1997, lors
du protocole de Kyoto, cet accord
international par lequel 84 Etats
s’engageaient à réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre
(GES) durant la période 2008-
2012. En 2001, les Etats-Unis ont
finalement décidé de ne pas rati-
fier le traité. Alors, pour montrer
qu’ils agissaient tout de même,
l’idée est apparue, surtout chez les
grandes entreprises les plus
émettrices, de financer, sur leur
territoire ou dans les pays en voie
de développement, des projets
qui permettent de réduire l’émis-
sion de GES, ou de séquestrer des
émissions qui se sont déjà produi-
tes. Au départ, il était question
d’actions d’efficacité énergétique,
de remplacer des énergies carbo-
nées par des énergies renouvela-
bles (panneaux et fours solaires,
éoliennes…). Puis s’est développée
la séquestration de carbone à
Pour
les
irréductibles
> Eviter les vols intérieurs
et intra-européens
Six vols aller-retour Paris-
Marseille émettent autant
de C02 qu’un Paris - New
York. Sur une même dis-
tance, le TGV émet
40 fois moins que l’avion.
Même la voiture est moins
polluante que l’avion dès
lors qu’au moins deux
personnes sont à bord.
Autres solutions pour les
distances inférieures à
1 500 km : le covoiturage
ou l’autocar.
> Bien choisir les vols
internationaux
Privilégier les vols sans
escale, la consommation
de kérosène étant accen-
travers la gestion de forêts, parce Lyon-Marseille en voiture peut-il
s’assurer de tout cela, et choisir son
que les arbres tout au long de leur projet de compensation carbone ?
vie absorbent du carbone. En France, il existe une régle-
mentation qui oblige quiconque
Certaines associations écologistes
émettent régulièrement des doutes commercialise une prestation
sur l’efficacité de ces programmes de transport à fournir à son client
que n’importe quel organisme
peut proposer… une information relative à la
Oui, il est arrivé que des arbres quantité de gaz à effet de serre
émise. Dans ce cadre, par exem-
ne soient jamais plantés, ou que
ple, les voyageurs aériens peuvent
des surfaces soient transformées
facilement trouver les émissions
en cultures alors que le projet aidé
d’un vol sur le site du calculateur
prévoyait une reforestation,
de la Direction générale de l’avia-
ou encore que des projets soient
tion civile. Pour les déplacements
financés plusieurs fois… En fait,
quatre conditions doivent être en voiture, un particulier peut
obtenir une bonne approxima-
réunies pour qu’un projet de
tion de ses émissions de GES
compensation soit sérieux : mesu-
rabilité, vérifiabilité, permanence (exprimées en kilogrammes
et additionnalité. Il faut que les de CO2) en multipliant par trois
le nombre de litres de carburant
émissions de GES absorbées ou
évitées soient comptabilisées consommés.
grâce à une méthode validée par Ensuite, il peut se fier à des
labels ; ceux reconnus par les
un tiers indépendant. Et que des
auditeurs tout aussi indépendants Nations unies comme le Gold
puissent venir sur place effectuer standard ou Verra (listés sur Info-
compensation-carbone.com).
des vérifications à tout moment.
Que le projet dure au minimum Pour les projets français, le minis-
sept ans, et que, sans le finance- tère de l’environnement vient
ment apporté par la compensa- de publier le label Bas Carbone.
Il est essentiellement attribué
tion, il n’ait pu être réalisé – cela
afin d’éviter les effets d’aubaine. à des projets forestiers (replanta-
tion d’arbres) ou agricoles,
Comment un particulier comme la dénitrification des sols
qui souhaite compenser son vol
transatlantique ou son trajet
par l’insertion des légumineuses
dans la rotation des cultures.
GUIA BESANA POUR « LE MONDE »
tuée lors des décollages Rester le plus longtemps
et atterrissages. Voyager possible pour amortir le
léger et plutôt en classe coût carbone du vol.
éco : les émissions asso-
ciées à un vol en classe af- > Compenser
faires ou en « first » sont Si elles ne sont pas indi-
trois fois plus importantes, quées sur le billet d’avion
la taille des sièges rédui- (comme la réglementa-
sant le nombre de passa- tion le prévoit), calculer
gers convoyés pour une les émissions de CO2 liées
même quantité de kéro- au vol (sur le calculateur
sène. Choisir une compa- en ligne de la Direction
gnie dont la flotte est ré- générale de l’aviation
cente, donc moins énergi- civile par exemple), puis
vore, et dont le taux de verser à une organisation
remplissage est élevé. spécialisée dans la com-
pensation carbone la
> Ralentir somme finançant la
Se rendre à l’aéroport en réduction d’une quantité
transports en commun. équivalente de gaz à
Une fois sur place, se dé- effet de serre (grâce à
placer en train ou à vélo. des plantations d’arbres
notamment). Certaines
compagnies aériennes
proposent directement
ce service lors de la réser-
vation des billets.
Mais, à terme, il pourrait couvrir
d’autres secteurs.
Les Français commencent-ils
à s’emparer de la compensation
volontaire ?
Les pouvoirs publics tentent
de le faciliter, avec ce label. Mais la
pratique est sans doute encore
marginale parce qu’elle demande
une implication personnelle.
En revanche, de plus en plus
d’entreprises y viennent, ainsi
que des collectivités locales,
pour leurs habitants.
Est-ce la panacée ? Peut-on avoir
bonne conscience écologique
une fois que l’on a versé quelques
dizaines d’euros à une association
pour compenser un aller-retour
Paris - New York ?
Les premières questions à se
poser sont : « Est-ce que je dois
voyager ? », « Mon déplacement
est-il nécessaire ou pas ? De loisir
ou non ? Est-il impératif d’aller à
Bali ou puis-je faire un tour dans
les Alpes suisses ? » Si le voyage
est vraiment nécessaire, il faut
choisir pour l’effectuer le moyen
de transport qui émet le moins
de GES. Et une fois choisi
(même s’il s’agit du train, du co-
voiturage, d’une voiture hybride),
aller vers une compensation car-
bone véritable. La compensation
carbone ne doit intervenir que
pour les émissions ne pouvant
être réduites. On parle alors
d’émissions incompressibles.
Donc plus jamais d’avion pour les
vacances ? C’est un peu drastique !
Entre faire comme s’il n’y avait
pas de problème et arrêter à tout
jamais de prendre l’avion, il y a
sans doute la place pour une évo-
lution des comportements. Ce
n’est pas à nous d’indiquer ce que
doivent faire les particuliers, mais
de les outiller et les informer pour
qu’ils agissent en toute connais-
sance des impacts. Cela implique
un vrai changement de modes de
vie. Il faut de la sobriété. On sait
bien que les évolutions technolo-
giques ne pourront pas répondre
à nos émissions de GES. La cap-
tation de CO2 dans l’atmosphère
est très coûteuse, et elle n’est pas
pour demain. Elle ne correspond
pas à l’urgence de réduction des
émissions. Les individus doivent
changer leurs comportements,
agir à leur niveau pour diminuer
leur empreinte carbone.
Alors, la compensation carbone
ne sert à rien ?
Si. Celui qui compense est effi-
cace par rapport à celui qui
voyage et ne fait rien. Mais la
compensation volontaire ne doit
pas servir à se dédouaner. Elle ne
peut pas intervenir en première
intention, comme une facilité
évitant d’entrer dans une logique
de réduction. Il nous faut dimi-
nuer au maximum nos émissions,
et compenser en totalité ou en
partie toutes les émissions restan-
tes. Mieux vaut ne pas émettre
que compenser.
Propos recueillis
par Pascale Krémer
 0123
DI MANCHE 24 - LUN DI 2 5 F ÉVR I ER 2019 5
LE BLOC-NOTES
S’AIMER COMME ON SE QUITTE
Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le dernier parce
que tout s’y perd. A chacun de deviner ce qui s’est passé entre-temps. Lorraine de Foucher
a recueilli ces moments-clés d’une histoire. Cette semaine, Pierre, 50 ans, témoigne
G I LE TS R OUGE S
UN SYNDICAT DES EMPLOYÉS du métro
londonien a brandi la menace d’une grève
« Mon salut, c’est de me tenir
pour faire plier la direction du Tube, qui
a décidé d’équiper ses agents de nouvelles
vestes rouges. Trop chaudes et trop
voyantes, selon ces employés, qui ont
éloigné d’elle »
surnommé l’uniforme les « gilets rouges »,
en référence au mouvement social français.

LA DINDE QUI TUE
Faire cuire un rôti
produit autant de parti­
cules fines dans un
appartement qu’un
centre­ville pollué.
57 EUROS
C’est le prix d’une page
du livre Harry Potter
et la Coupe de feu qui,
enduite de drogue, était
fumée par des détenus
d’une prison de
Nottingham, au Royaume-
Uni. La substance,
un psychotrope proche
de celui vendu sous le nom SIMON LANDREIN
Premier jour

Selon une étude de
l’université du Colo­
rado, le niveau de parti­
cules PM2,5 émises lors
de la cuisson d’une
dinde sur des plaques
de gaz dépasse les
200 microgrammes par
mètre cube, soit vingt
fois les limites définies
par l’OMS et treize fois
plus que la moyenne
constatée dans le cœur
de Londres. Les scienti­
fiques ont ensuite testé
un English breakfast et
des garnitures – farce,
choux de Bruxelles
rôtis, pommes de terre
à l’eau. Résultat : les
émissions les plus
importantes prove­
naient de la cuisson
des choux de Bruxelles.
LE SON DAGE D E L A S EM A IN E
de Spice, la « drogue zom-
bie », avait été vaporisée
sur les pages d’un des tomes
de la saga de J.K. Rowling.
Wingardium leviosa !
VIOLON DINGUE
Un ingénieur du son et DJ
italien a entrepris d’enregis-
trer toutes les notes produi-
tes par un Stradivarius pour
la postérité – soit des centai-
nes de milliers de fichiers.
Après avoir convaincu
de son projet le Musée du
violon de Cremona, la ville
où Antonio Stradivari
fabriqua ses violons, il a
obtenu du maire d’interdire
la circulation et d’imposer
le silence à ses administrés
autour de l’auditorium
où a eu lieu l’enregistrement
pendant un mois.
Je suis étudiant, encore chez mes parents. Je décroche un
entretien, je la vois quatre secondes dans le bureau quand elle
m’accueille et que je bredouille « bonjour je viens pour le
stage ». Elle a une beauté qui me bouleverse, c’est mon idéal
féminin, elle ressemble à Emma Peel : elle a ce charme anglais,
légèrement gothique, un peu trop maquillée avec son épais
trait d’eye­liner, et son look tout noir. C’est l’insaisissable Marilou
en vrai, « la beauté païenne » et shampouineuse de l’homme à la tête
de chou de Gainsbourg.
Je suis pris en stage, il me faut trois semaines pour aligner
trois phrases cohérentes devant elle. On a quatre ans d’écart, elle a
son appartement, je me dis : « Elle n’est pas pour toi, elle est trop belle,
trop mûre. » C’est la fête de fin d’année et la fin de mon stage. Pensant
ne jamais revenir dans l’entreprise, je tente un « je te raccompagne ? »
alors que la soirée se termine. En bas de chez elle, sans autre forme de
procès, je surenchéris : « Je peux monter ? » Elle me répond « non »,
sans même se justifier. Je me sens d’autant plus idiot que, quelques
jours après, la société où elle travaille me rappelle pour m’embau­
cher. Mon unique stratégie post­vent est d’être le plus professionnel
possible pour l’impressionner, je veux être le meilleur pour laver
l’affront et lui plaire. Je gagne beaucoup d’argent, plus que ma mère
alors que ce sont mes premiers salaires.
Au bureau, on communique par Minitel. On passe des heu­
res à jouer dessus pour gagner tout un tas de trucs inutiles. Plus je
deviens important, plus elle me considère, et finit par accepter un
verre. Elle est en train de déménager, il est question que je reprenne
son appartement, elle me le fait visiter. A l’intérieur du salon vide,
on s’embrasse et on couche ensemble à même la moquette. Il n’y a
pas cet érotisme de la première fois, je fais l’amour avec l’objet de
mon désir, mon fantasme absolu – je pourrais la dessiner tellement
je suis sidéré par sa beauté, mais c’est nullissime. Maladroit. Mon
narcissisme est rassasié, je suis dans l’avoir, pas dans l’être. Com­
ment fait­on pour passer à l’être ?
Dernier jour
On a des moments d’amour, on est sincères quand on se re­
trouve, notre vie commune est rigolote. Notre vie sexuelle n’est
pas optimale, j’essaye d’en parler mais elle n’aime pas. Et puis il
y a la vie, son licenciement, la naissance de nos deux enfants.
Elle me trompe, je la trompe parce que c’est important
la sexualité quand même. Je finis par exploser : « On arrête ou
tu reviens à la vie ? On se sépare ou on se marie ? » On s’est mariés
dans le sud de la France, devant 130 personnes, je suis heureux mais
je n’arrive pas à avoir son âme, alors j’essaye de faire en sorte qu’elle
soit heureuse. Mais elle reste une séductrice, je lis Nietzsche, elle lit
Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, de Katherine Pan­
col. Je suis l’intello ténébreux, elle est très attirée par les profs de
voile, les Popeye du Club Med ou les guitaristes de boulevard. En soi­
rée, c’est un avion de chasse, elle danse avec tous les mecs qui lui
tournent autour et me fait passer pour un con. Elle reste jusqu’à
6 heures du matin, je m’énerve contre les cinq pochetrons qui la dé­
sirent. On rentre, elle me dit qu’elle est fatiguée, se refuse à moi, et
quand je lui demande des explications, me répond : « Si on ne peut
plus s’amuser… »
Elle pourrait s’ouvrir plutôt que de me faire subir ça et de
m’enfermer dans le rôle du mec qui gère les choses. Je passe de plus
en plus de temps au bureau, au bistrot avec les collègues. Je fuis le
foyer, m’occupe des enfants le matin, je lui laisse le soir, je fais exprès
de rentrer après le dîner. On fait chambre séparée – officiellement
parce que je ronfle. Je m’enregistre toutes les nuits, je ne ronfle pas.
A la maison, mon ordinateur tombe en panne. J’utilise le
sien, et je constate qu’il n’y a plus d’historique dans la barre du navi­
gateur. « Pourquoi il n’y a plus d’historique ? » « Ah parce qu’on a été
piratés au bureau, et qu’on nous a appris à toujours nettoyer notre
historique, c’est un réflexe », me répond­elle avec sa voix de fausset.
Un vendredi soir, on est chez nous, je suis devant la télé, elle vient
me voir : « Il serait temps qu’on arrête. » Elle met une semaine à
m’avouer qu’en fait elle a un mec. J’ai une copine moi aussi, mais je
suis sidéré quand même. J’en dors plus.

Satisfaction Je veux la récupérer à tout prix, et lui propose une thérapie

de couple. Comme à son habitude, elle ne se livre pas vraiment lors
des séances, esquive souvent, mais je m’accroche à l’espoir, guette
dans le moindre de ses mots l’interstice pour faire redémarrer ce
cadavre qu’est notre couple. En réalité elle me berne, je vais le
Selon une étude Ifop découvrir très vite à cause d’un ticket de parking, que je trouve dans
la boîte à gants de la voiture. Je deviens extrêmement intrusif, je
de février, « près de huit fouille l’ordinateur, l’iPad, le GPS de la voiture. Il y a une adresse en
Seine­Saint­Denis. Avec l’adresse, je trouve le nom dans les Pages
Françaises sur dix (78 %) Blanches : c’est l’un de ses collègues. Elle continue d’aller voir son
amant malgré la thérapie qu’on met en place.
sexuellement actives admettent Je comprends que la séparation est inéluctable. C’est terminé.
Je lui ai demandé ce qu’elle n’était pas, ce qu’elle ne voulait pas dire.
avoir déjà eu des difficultés Mon salut, c’est de me tenir très éloigné d’elle, parce qu’à chaque fois
que je la revois, je la trouve toujours aussi belle, mais j’ai compris que
à jouir, soit une proportion je ne l’aurai jamais, que je ne l’ai jamais eue.

en hausse significative
(+ 13 points) par rapport à ce
que l’Inserm avait mesuré en
2006 (65 %). » Quant aux hom- LE S MOTS DU S E XE au XIIe siècle, ce mot désigne un Le renvoi aux gamineries
mendiant, une personne de très déculpabilise. Du coup, la coquinerie
mes, 57 % admettent avoir déjà
eu du mal à jouir, dont 62 %
avec leur partenaire actuel.
Coquin basse condition, avant d’incarner au
XVIe siècle un vrai méchant. Pourquoi
tant de haine ? On ne sait pas trop.
permet de vendre des dildos
(godemichés) cloutés de 38 cm sans
transgresser le tabou lié au sexe
Le mot pourrait remonter au – un tour de passe-passe digne
Par Maïa Mazaurette coquinus (cuisine) latin, à « cuistron » d’un dérapage en roue arrière
(valet de cuisine, marmiton) ou à à 180 degrés.
Lingerie coquine, soirée coquine, « coquistro » (bâtard, sans honneur). Résumons : les cocus, coquettes,
PRES QU E PR O positions coquines… Dans le langage Comment passe-t-on d’un mot aux cuistres et coqs français que nous
courant, l’adjectif « coquin » est connotations si chargées à notre sommes employons le mot « coquin »
Une équipe de football du championnat synonyme de grivoiserie rigolarde, coquin contemporain, qui ne trompe pour éviter de prendre au sérieux
de troisième division italienne a été exclue de la
compétition depuis que les dirigeants de ce club, d’érotisme au goût douteux, de sexy personne sur ses intentions – mais les aspects de notre sexualité
Pro Piacenza, ont aligné, dimanche 17 février, sans danger. qui, au contraire, les affiche ? Le que nous avons du mal à assumer.
une équipe comptant seulement sept joueurs La coquinerie originelle est pourtant glissement exige un détour par le Ce qui fait de nous de fieffés coquins
(au lieu de onze), les absents étant en grève depuis
loin de ces friponneries. Le coquin monde de l’enfance : le « petit en effet : des êtres érotiques… mais
plusieurs semaines pour cause de salaires non
versés. Cuneo, son adversaire du jour, a profité des siècles passés qualifie une coquin » est espiègle, malicieux, aussi de vils poltrons.
de la situation pour l’emporter par vingt buts personne malhonnête, trompeuse, plutôt mignon. Ses bêtises ne prêtent
à zéro. « Une insulte pour notre sport », a protesté sans scrupule, lâche. La coquine pas à conséquence, et ça tombe
le président de la Fédération italienne de football.
est une femme de petite vertu. bien : la sexualité passe souvent
Cette mauvaise réputation date : pour un passe-temps inconséquent.
6 0123
DIMANC HE 24 - L U N D I 2 5 F É V RI E R 20 19
« Les filles peuvent le faire
A partir de 3 ans
aussi/Les garçons peuvent
le faire aussi »
Ce livre pacificateur n’est pas partisan
et prône la tolérance. Il se présente sous
forme de double face, avec deux couver-
tures, deux histoires (un côté fille, un
côté garçon) très bien illustrées, pour
bousculer les clichés inhérents à chaque
sexe. « Le football, c’est pas pour les filles !
Les poupées, c’est pas pour les garçons ! (…)
Tu as peut-être déjà entendu ces phrases
à l’école, à la maison, à la télévision. Même
si ce sont des adultes qui les ont dites, ce
sont des fausses idées. Car rien n’est inter-
dit aux filles/garçons ! A toi de décider qui
tu veux être ! », annoncent les premières
pages. Et le livre examine le champ
des possibles : une fille peut avoir envie
de s’habiller en rose, de devenir ballerine,
aimer les princesses et jouer à la poupée.
Ou préférer le foot, le bleu, les histoires
de monstres et les camions. Même
principe du côté des garçons. Au final,
l’enfant retient que tout est bien,
et donc qu’il n’y a aucune raison de faire
suer son voisin, ou sa voisine.
De Sophie Gourion et Isabelle
Maroger (Gründ, 2019, 48 p., 12,95 €).
« La Légende de Mulan »
A partir de 6 ans
Cela fait maintenant vingt et un ans qu’on résume
Mulan – un conte chinois féministe avant l’heure
(La ballade de Hua Mulan) datant du IVe siècle –
au film d’animation de 1998. Contrairement
à Disney, qui a tendance à rajouter des péripéties
et des protagonistes, Flammarion a eu la bonne
idée d’en faire un album à la narration simple, très
joliment illustré avec des estampes chinoises.
En Chine, le vieux père de Mulan est mobilisé
pour la guerre ; afin de le sauver, sa fille se déguise
en homme et part à sa place. Après dix ans de
bataille, Mulan refuse l’or proposé par l’empereur
pour ses loyaux services et ne demande que ce
dont elle a besoin : un bon cheval pour rentrer
dans sa famille et reprendre son identité de femme.
L’album se clôt sur cette maxime : « L’homme
est dans la femme et la femme est dans l’homme, et,
quand leur apparence est voilée, nul ne peut les
distinguer. » Intrépide, intègre, « gender fluid » :
comment rêver d’une meilleure héroïne ?
De Kochka et Donatien Mary (Flammarion,
Père Castor, 2018, 28 p., 14 €).
LIVRES
Super
nanas
Dans la vie, les princes ne sont pas
toujours charmants. Sélection de cinq
livres pour sortir des clichés, inculquer
à ses enfants quelques saines notions
d’égalité et leur apprendre à ne pas
se laisser marcher sur les pieds
Elvire von Bardeleben
« Femmes, 40 combattantes
A partir de 10 ans
pour l’égalité »
« J’ai juste fait mon travail. La NASA avait un
problème, et j’avais la solution. » Katherine
Johnson est l’ingénieure spatiale américaine à
qui l’on a confié les calculs du premier lance-
ment suborbital en 1959. Son histoire a même
inspiré un film (Les Figures de l’ombre, 2016).
A partir de 4 ans
Dans ce petit ouvrage coloré recommandé
à partir de 10 ans, on apprend aussi pêle-mêle
« Comme un million que les lois ségrégationnistes obligeaient
de papillons noirs » Katherine Johnson à fréquenter les écoles
réservées aux Noirs, qu’elle a assisté à 99 ans
La capacité d’agir passe à l’inauguration d’un bâtiment à la NASA
aussi par l’acceptation de soi. qui porte son nom, qu’Obama lui a remis
Cet album raconte l’histoire la médaille présidentielle de la liberté… Pour
d’Adé, une petite fille noire chacune des quarante femmes qu’il présente,
aux cheveux crépus. Sa che- l’ouvrage mélange avec brio informations
velure lui vaut d’être moquée de fond et anecdotes, destinées heureuses et
par ses camarades qui trou- détails sinistres. Le choix des figures féminines
vent que ses nattes ressem- est aussi très malin puisqu’il présente à la fois
blent à « des carottes tordues » des femmes dont le jeune lecteur a toutes les
qui grossissent sous la pluie. chances d’avoir entendu parler (Simone Veil,
Grâce à sa mère et à ses tan- George Sand…), d’autres plutôt inconnues
tes, Adé apprend à brosser, (l’écrivaine somalienne Waris Dirie, la juge
soigner, s’approprier et américaine Ruth Bader Ginsburg…) ou issues
apprécier ses cheveux qui de la pop culture, telles que la dessinatrice
finissent par lui évoquer un Alison Bechdel et la chanteuse Beth Ditto.
million de papillons noirs
D’Isabelle Motrot et Véronique Joffre
battant des ailes – et c’est une
(Gallimard jeunesse, 2018, 96 p., 9,90 €).
bonne nouvelle car elle
adore les lépidoptères. Une
comparaison pas tout à fait
fortuite ; l’histoire s’inspire
de Délivrances (Christian
Bourgois éditeur, 2015),
le roman de Toni Morrison.
Poétique, l’album a le mérite
de passer subtilement son
message (« aime-toi, le ciel
t’aimera »). Pas sûr que
le marmot de 4 ans à qui « Pourquoi y a-t-il des inégalités
A partir de 12 ans
il s’adresse comprendra entre les hommes et les femmes ? »
du premier coup. Mais les
parents le savent bien : un Pour expliquer les inégalités ancestrales entre hommes et femmes, il fallait
livre pour enfant, on ne le lit bien deux figures historiques du magazine Elle, l’illustratrice Soledad Bravi
pas qu’une seule fois… et la grande reporter Dorothée Werner. Procédant par vignettes illustrées
(comme la dernière page du Elle), elles ont divisé les périodes en chapitres
De Laura Nsafou
– qui finissent assez invariablement par des femmes poignardées (Antiquité),
et Barbara Brun
brûlées (Moyen Age), noyées (Renaissance), décapitées (les Lumières)… Cette
(Cambourakis, 2018, débauche de cruauté et d’injustice devrait logiquement fasciner les enfants,
coll. Sorcières, 36 p., 14 €). souvent très friands d’histoires épouvantables – même si cet ouvrage qui
évoque la sexualité s’adresse plutôt aux préados. On peut lui reprocher un
léger manque de finesse dans les explications qui donnent parfois l’impres-
sion que tous les hommes sont d’atroces personnages dont l’unique but est
de martyriser les femmes. Mais il s’appuie sur des faits historiques et donne
une vision assez panoramique de la tradition d’oppression.
De Dorothée Werner et Soledad Bravi (Rue de Sèvres, 96 p., 10,50 €).
 0123
DI MAN CHE 24 - LU NDI 2 5 FÉV RI ER 201 9 7
l’oïdium, il n’y aurait plus besoin de les traiter. De quoi faire le
trait d’union entre les bio et les anti­bio, plus besoin de cuivre,
plus besoin de fongicide chimique. C’est ainsi que l’Institut
national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut fran­

VIN
çais de la vigne et plusieurs viticulteurs ont développé ces
nouveaux cépages, obtenus par hybridation entre une vigne
classique et une vigne sauvage.

Le raisin Une trentaine de variétés sont à l’étude, certaines ont

déjà obtenu une autorisation de plantation. Le Domaine de
la Colombette, dans l’Hérault, et les vignobles Ducourt, à
Bordeaux, sont les pionniers. Ici, trois hectares de cabernet

du futur jura (croisement de cabernet sauvignon et de vignes sauva­

ges) et de réselle (cépage issu de sauvignon blanc, riesling et
vignes sauvages) ont donné leurs premières cuvées. Du mus­
caris et du souvignier gris, deux variétés déjà autorisées
pour certaines IGP (indications géographiques protégées),
Sélection
ont également été plantés. CHÂTEAU D E R EY,
Pour éviter les pesticides, Et cela va vite : début février, après l’IGP pays­d’oc, les
membres de l’IGP terres­du­midi ont voté pour intégrer dans
CÔTE S-
CATA LANE S,
des viticulteurs expérimentent leur appellation plusieurs cépages résistants : du cabernet
cortis, du souvignier gris, du muscaris, du soreli et du caber­
« MI NE DE RE Y »
BLA NC 20 17
des cépages hybrides, résistants net blanc. Des noms inconnus de tous mais qui pourraient, Grenache blanc et
dans quelques décennies, être aussi communs que le cari­ grenache gris ont vieilli
aux maladies de la vigne. gnan ou le chenin. Car, pour l’INRA, les cépages résistants dans des barriques
ont vocation à être déployés sur l’ensemble du vignoble fran­ mi-acacia, mi-chêne,
On a goûté çais à l’horizon 2030. pour un résultat
Qu’est­ce que ça change ? Tout ! Nos appellations se délicieusement floral.
Ophélie Neiman sont construites autour de cépages adaptés à leur terroir. Ce 27 €
sont ceux qui donnent les meilleurs raisins, et en grande
quantité, en fonction du climat. C’est pour cela qu’on trouve MAS SE REN,

O
ubliez le merlot, le chardonnay, le cabernet sauvi­ du grenache dans le Rhône, mais pas en Alsace, du vermen­ CÉV ENN ES,
gnon ou le pinot noir. Pas tout de suite, mais pré­ tino en Corse, mais pas dans le Muscadet. De nombreux pays « LI LITH »
parez leurs funérailles. Peut­être. Ou pas. La viti­ ont importé nos cépages les plus populaires, en raison de la ROUG E 20 18
culture, en toute discrétion, ne cesse d’évoluer. Et qualité des vins qu’ils produisent, pour les planter à leur tour. Tout jeunot mais déjà
prépare l’une de ses plus grandes révolutions du Qui peut prédire le succès de ces nouveaux raisins ? gourmand, ce cinsault-
siècle. Sauf si ça capote. La seule question qui vaille est toute simple : est­ce grenache a plus de
Elle part d’un constat sur lequel tous s’accordent : la viticulture que c’est bon ? Hé bien… c’est difficile à dire. Pour en avoir finesse qu’il n’y paraît.
utilise trop de traitements chimiques. Pourtant, il faut saluer les pro­ goûté, ce n’est pas mal du tout. Mais les vignes sont encore si On a hâte de sonner
grès. A titre d’exemple, le Syndicat des côtes­du­rhône qui vient de jeunes qu’il n’y a pas de recul pour évaluer leur durée de vie, l’heure du dîner.
faire une annonce importante : il prévoit l’interdiction du désherbage la garde des vins et surtout sa complexité. De nombreux 13 €
chimique sur la moitié de la surface des parcelles. Cela pourrait même sceptiques désapprouvent la démarche : les vignes sauvages
faire partie du futur cahier des charges de l’AOC. n’ont jamais donné de bons vins. On a déjà essayé l’hybrida­ ANTEC H,
Et puis, le bio s’étend. Pour l’emploi des pesticides et herbici­ tion à la fin du XIXe siècle (pour lutter contre le phylloxéra BLA NQUE TTE -
des, c’est une bonne nouvelle. Mais l’agriculture bio est elle­même qui ravagea la vigne), sans résultats probants. Ces bâtards DE-LI MOUX ,
critiquée, notamment en raison de l’utilisation du cuivre, seul produit n’arrivent pas à la cheville de cépages qui font leurs preuves « B RUT NATURE »
autorisé pour lutter contre le mildiou, champignon qui ravage les depuis des siècles. Il n’empêche. De l’innovation, de la créa­ Pour une envie de
raisins lors des printemps pluvieux. tion et l’espoir d’une agriculture exempte de traitements bulles légères et sans
Et voilà une innovation folle. Est­ce une flopée de super­héros phytosanitaires, ça fait rêver. Ce n’est pas souvent que l’agri­ complexes, on peut
ou des créatures immondes de Frankenstein qui sont en train d’appa­ culture nous offre cela. Alors, rêvons un peu. compter sur ce
raître ? L’avenir nous le dira. En tout cas, ils sont au centre des recher­ pétillant pour nous
ches : on les appelle les « cépages résistants ». transformer en petite
Ils prennent le problème à l’envers : et si les vignes ne tom­ plume voguant dans
baient plus malades ? Si elles n’étaient plus sensibles au mildiou et à la brise. 9,30 €

© HOPSCOTCH - Photo : Christophe Meireis - Année 2019 - LIDL RCS Strasbourg 363 262 622.
*Étude réalisée en France par Kheolia pour Portman Concept SL du 28 mars au 17 juillet 2018 auprès de 285 701 consommateurs.
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UN APÉRO AVEC…
NORA HAMZAWI
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. La comédienne et humoriste
s’est imposée doucement mais sûrement. Pourtant, c’était mal parti
« Rien ne m’angoisse
plus que quelqu’un
qui va toujours bien »
Par Sandrine Blanchard
E
lle a beau être humoriste, Nora Hamzawi n’a pas envie de faire la
folle sur la photo. Tout juste consent­elle à défaire ses che­
veux qu’elle remet en un clin d’œil en chignon négligé. Sa
coiffure fétiche. La séance terminée, elle décompresse et re­
trouve le sourire. Un verre de vin rouge à la main, son côté
bonne vivante reprend le dessus. « J’aime trop manger et bien
boire », dit la comédienne pour justifier son choix du Biondi,
restaurant­bar argentin, ambiance vieilles pierres et lumière
tamisée, dans le 11e arrondissement de Paris. « C’est bon, et à
deux pas du Cirque d’hiver, le karma est positif ici. » Et puis ce
n’est pas loin du Théâtre Le République où, jusqu’au 30 avril,
elle présente son nouveau spectacle. Elle y raconte, en jean,
marinière et baskets, des histoires de nanas qui ont passé la
trentaine, sont devenues mères mais ont du mal avec l’âge
adulte et perdent (beaucoup) de temps sur Instagram.
Nora Hamzawi, 33 ans, c’est le genre de comédienne
qui peut dire sur scène : « Tu ne peux pas avoir une comptine
dans la tête et une bite dans la bouche » ou encore « à 20 ans,
tu peux baiser dans une bagnole, à 35, il te faut une tête de lit ».
Et, en même temps, avoir été la révélation du dernier film
d’Olivier Assayas, Doubles vies. « Passer du populaire à l’in­
PLAYLIST tello, cela me fait me sentir libre. » Elle n’en revient toujours
pas d’avoir joué aux côtés de Juliette Binoche, Guillaume
> DERNIER MORCEAU Canet et Vincent Macaigne. D’avoir suscité l’intérêt de la criti­
ÉCOUTÉ que pour sa prestation dans le rôle d’une attachée parlemen­
« Quoi ? », de Jane Birkin. taire. « Cela fait du bien d’être reconnue en dehors de la scène,
je suis à la fois heureuse et joyeuse, mais tout m’impressionne.
> DERNIER LIVRE LU Peut­être est­ce moi qui ai le plus d’a priori sur moi­même ? »
« Heimat », de Nora Il a fallu la réflexion de Jean Benguigui lors de son pas­
Krug, et « Moins qu’hier sage à « On n’demande qu’à en rire » sur France 2, en 2012,
(plus que demain) », pour qu’elle réalise que son rêve de comédienne n’était pas
de Fabcaro. un caprice. « Elle ne sait pas bouger, elle ne sait pas jouer, elle
ne sait même pas porter une robe ! », balance l’acteur, membre
> DERNIÈRE RECHERCHE du jury. « Avant, je croyais que j’avais une volonté molle, mais
GOOGLE là, ça a été tellement violent, c’était tellement la lose, que ce fut
« Je ne sais plus si c’était un mal pour un bien : je me suis donné trois mois pour écrire
“meilleure recette un spectacle, se souvient­elle. Ce qui m’a mise en colère, c’est
gâteau chocolat que j’essayais de leur plaire plutôt que d’être sincère. »
banane” ou “fourmille- Elle reprend une gorgée d’amalaya malbec, mais ne
ments bras gauche” »… commande rien à grignoter parce qu’elle a un dîner après
l’entretien. Nora Hamzawi connaît la carte par cœur, et
> DERNIER CONCERT recommande les « croquetas crémeuses de jamon iberico ».
Chris, à Bercy. « C’est bon, non ? » Excellent. Mais une « volonté molle », què­
saco ? C’est une jeune femme qui, après un IUT d’info­com, le
> DERNIÈRE SÉRIE Celsa et le Cours Florent en parallèle, se retrouve au service
« Hippocrate », communication des Galeries Lafayette où elle s’ennuie,
de Thomas Lilti passe son temps à « manger et acheter des fringues » tout en
rêvant d’une autre vie. Elle a beau faire, ici ou là, des scènes
> DERNIÈRE INFO LUE ouvertes à la sortie du boulot, elle a besoin d’être secouée.
« Une alerte du “Parisien” Olivia, sa meilleure amie du lycée, à Paris, est l’une des seules
où l’on apprend que 71 % à avoir compris que l’avenir de cette copine allergique à
des Français préfèrent l’autorité est ailleurs que dans une entreprise. « Tu aimes
la raclette à la fondue… écrire, raconte », lui conseille­t­elle. Mais les chroniques en
P EN DA NT C E T EMPS -LÀ …
A U MA N S
Une maison
de poupées
pour les grands
Frédéric Potet
Les maisons closes sont interdites en
France depuis 1946. Rien, en revanche,
n’empêche d’ouvrir un lupanar où les
« prestations » tarifées seraient propo-
sées par des poupées en silicone
– « un espace de divertissement pour
adultes consentants », comme le défi-
nit Benoît B., créateur des Marquises
Dolls, au Mans. Ouvert fin janvier, son
établissement occupe les locaux
d’une ancienne société de dépannage
de chaudières, au fond d’une impasse
de la zone industrielle nord. Aucun
signe extérieur, sur la façade repeinte
en blanc, ne permet de deviner ce qui
se trame à l’intérieur, ni qui y demeure :
six mannequins en polymère – quatre
femmes, un homme, un hermaphro-
dite – ainsi que le patron du lieu, qui
ne souhaite pas voir apparaître son
nom. Il n’existe à sa connaissance
qu’un seul autre établissement de ce
type en France, à Paris – la capitale n’a
pas le monopole des pratiques singu-
lières en la matière.
Ex-salarié d’un établissement
de paiement luxembourgeois, Benoît
B., 27 ans, cherchait une idée de
Au restaurant Biondi, à Paris, le 5 février. THIBAULT STIPAL POUR « LE MONDE » start-up à créer. Le lancement, à Paris il
y a un an, de X Dolls, une « maison de
tolérance » approvisionnée en pou-
pées sexuelles, comme il en existe au
Japon, a inspiré le jeune entrepreneur.
Après s’être procuré un modèle de piè-
tre qualité fabriqué en Chine, il s’est
dirigé vers un fabricant alsacien pro-
posant des sex dolls à l’aspect plus raf-
finé, à 6 000 euros pièce.
Chacune s’est vu attribuer un
prénom : Ginger, Kendra, Trish, Keira,
Andy et Hermaphrodia sont mises à la
disposition des clients, dans des
chambres équipées de lits à deux
places, fournies en préservatifs (obli-
gatoires pour les actes sexuels), sex-
toys et films X. « Il s’agit de locations
ligne pour le magazine Glamour ne suffisent pas. « Je vivais courte durée. Tout est légal, et cela ne
tous les succès des humoristes comme des échecs personnels », fait de mal à personne », plaide le
se souvient Nora Hamzawi. Elle finit par accepter de « ne pas gérant. Les consommateurs, hommes
être unique », d’écrire sur ses névroses, son rapport au ou femmes – « même si, pour l’instant,
monde et à la féminité et quitte son travail. Grâce au bouche­ je n’ai vu que des hommes » –, peuvent
à­oreille, son premier spectacle rencontre le succès, convainc venir seuls ou en couple. Un sas, dans
un producteur et lui permet de décrocher une chronique sur l’entrée, permet de fréquenter le lieu
France Inter et sur Canal+. Jean Benguigui s’est trompé. anonymement.
La voilà enfin indépendante, elle qui, dès son adoles­ Benoît B. explique avoir essuyé
cence, s’achetait des bibelots en prévision de son futur le refus d’une dizaine de banques,
appartement. « Tout n’est pas allé très vite, insiste l’humoriste. avant de s’orienter vers des investis-
Il a fallu de l’endurance. » Et le regard d’un producteur, Jean­ seurs privés. Il a fallu ensuite trouver
Philippe Bouchard, qui lui a dit : « J’adore, mais y a du boulot. » un local et s’entendre dire non, à cinq
Surtout, contrairement à d’autres, il ne lui a pas demandé ou six reprises, par des propriétaires
d’aborder sur scène ses origines syriennes et l’actualité. Nora suspicieux. Enfin, communiquer sur
Hamzawi n’est pas toujours loquace. De son enfance et de les réseaux sociaux s’avéra impossi-
son adolescence, elle parle peu. « J’avais juste envie d’être ble en raison de leurs politiques de
comme les autres », résume­t­elle. Elle est née à Cannes de modération ; l’homme s’est tourné
parents syriens. Son père, armateur, est mort d’un cancer vers un site d’escort girls pour publier
alors qu’elle avait 2 ans. Avec sa mère et ses trois frère et une petite annonce. Avoir fait la
sœurs, ils partent s’installer à Paris dans une ambiance de « une », début février, du Maine libre, a
deuil. « Notre force a été de se construire sans modèle, de finalement donné un petit coup de
manière libre. On foutait la paix à notre mère », se souvient fouet à son activité.
cette élève moyenne qui supportait mal les notes. Une dizaine d’habitués fré-
« Les névroses sont aussi une bonne chose, il n’y a rien quenteraient régulièrement les Mar-
qui m’angoisse plus que quelqu’un qui va toujours bien », quises Dolls, et autant de clients ne
lâche­t­elle. Elle a passé beaucoup de temps chez le psy. seraient venus qu’une seule fois, selon
« Trop de temps peut­être. » Nora Hamzawi a arrêté son billet le maître des lieux. Celui-ci se contente
humoristique sur France Inter – « Il y avait urgence à écrire un de prendre les réservations, de veiller à
nouveau spectacle, et puis j’étais moins bonne, et il y a trop la propreté des lieux et des poupées,
d’humoristes à la radio » –, mais répond chaque semaine aux installées sur un fauteuil recouvert
questions des enfants qui concernent les adultes dans d’un plaid chauffant. Jamais il ne de-
« Nora a la réponse », l’une des chroniques de l’émission mande à ses clients ce qui les amène
« Quotidien » sur TMC. Cet automne, elle sera à l’affiche de là. Tout juste se dit-il qu’il y a parmi eux
Femme­enfant, le film de son grand frère, le scénariste et réa­ autant de célibataires en manque de
lisateur Amro Hamzawi. Il lui a offert le premier rôle. « Il n’y a rapports sexuels que d’hommes qui
rien d’autobiographique », assure­t­elle. « Avec Amro, on a des s’ennuient dans leur couple, ou de
centres d’intérêt commun : la pression sociale, la norme, les libertins en mal de sensations.
cases, la difficulté à s’aimer à cause du regard des autres », dit « Les poupées pèsent entre
cette fan des films de Bacri­Jaoui et de Woody Allen. 25 kg et 35 kg, c’est du sport de les posi-
Moins fragile, elle a arrêté d’être à l’affût des com­ tionner, souligne le maître des lieux.
mentaires sur les réseaux sociaux, essayant tant bien que Mais comme au Japon, on peut aussi
mal de s’extraire de la temporalité exacerbée de notre épo­ leur faire des câlins, leur parler… »
que. Son portable vibre : « J’y suis », prévient le SMS d’une
copine. Elle doit partir. « Il est bien cet endroit, hein ? » Appa­
remment elle y vient souvent. Car, un peu plus tard, alors
qu’elle a filé et qu’on demande la note, il n’y a qu’un seul verre
de vin à régler. Où sont les deux autres et les croquetas ? On
insiste pour « payer notre coup », promesse de ce rendez­
vous, mais rien à faire. Quelques jours après, le producteur
appelle, inquiet pour la photo, étonné qu’elle ait pu détacher
ses cheveux. Tout ira bien, rassure­t­on. Nora n’en a pas fini
avec ses angoisses, mais c’est ça qui, sur scène, la rend drôle.