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Réviser son bac

avec

Histoire Terminale L, ES, S

Une réalisation de

Avec la collaboration de :

© rue des écoles & Le Monde, 2016. Reproduction, diffusion et communication strictement interdites.
Didier Giorgini
Cédric Oline
Mélanie Mettra-Geoffret
Sandrine Henry

En partenariat avec
AVANT-PROPOS
Depuis plus de soixante ans, le journal Le Monde analyse les grands événements et les grandes
évolutions du monde contemporain. Ses articles, rédigés par les meilleurs spécialistes, constituent
une formidable ressource pour les historiens, les étudiants, mais aussi pour vous, candidat au bacca-
lauréat ! Dans cet ouvrage, vous trouverez toutes les clés de la réussite. Tout d’abord, de quoi réviser
en vue de l’épreuve : pour chaque chapitre, une synthèse du cours, accompagnée des mots et notions
clés ainsi que des dates essentielles. Ensuite, des sujets corrigés, qui vous permettront de vous entraî-
ner en appliquant les conseils prodigués dans les pages de méthodologie. Des documents clés, textes
et images, accompagnent chaque chapitre, vous pourrez les confronter avec certaines des sources
fondamentales pour les questions au programme. Enfin, les articles constituent l’une des richesses de
cet ouvrage et vous permettent une mise en perspective du cours : ils l’approfondissent, en éclairent
certains points, mobilisent les acquis en les illustrant à travers un texte stimulant et pertinent. Et ils
amènent un questionnement très formateur pour apprendre à rédiger une problématique. Dans votre
copie, vous pourrez ainsi exploiter les connaissances et les exemples, différents de ceux du cours, tirés
des articles. Par ailleurs, le style de leur rédaction vous permet de vous familiariser avec une langue
écrite riche et précise, celle-là même que vous devez utiliser dans vos copies.
Le programme se focalise sur les grands enjeux du monde contemporain et est divisé en quatre grands
thèmes : le rapport des sociétés à leur passé ; idéologies et opinions en Europe de la fin du XIXe siècle à
nos jours ; puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
et les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours.
Plusieurs questions sont proposées pour chacun de ces thèmes. Elles permettent de solliciter les acquis
des années précédentes pour mieux questionner l’histoire et comprendre le temps présent.
Les modalités de l’examen sont également passées en revue. L’épreuve se compose de deux par-

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ties, l’une en histoire et l’autre en géographie : une composition, exercice obligatoire, et une étude de
documents, suivant une consigne donnée. Les sujets proposés dans cet ouvrage intègrent le fait que,
désormais, les sujets de composition peuvent reprendre tout ou partie des intitulés des questions du
programme en proposant, le cas échéant, de travailler sur une période plus courte que celle étudiée
en classe. On attend, dans ces épreuves, que vous mettiez en œuvre des connaissances riches, déve-
loppiez une argumentation qui, par son plan, réponde à une problématique, le tout en rédigeant de
façon correcte.
Le présent ouvrage n’a d’autre but que de vous aider à préparer cette épreuve, en utilisant les res-
sources du Monde, référence depuis maintenant plus d’un demi-siècle.
D. G.

Message à destination des auteurs des textes figurant dans cet ouvrage ou de leurs ayants-droit :
si malgré nos efforts, nous n’avons pas été en mesure de vous contacter afin de formaliser la
cession des droits d’exploitation de votre œuvre, nous vous invitons à bien vouloir nous contacter
à l’adresse plusproduit@lemonde.fr.

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L’ESSENTIEL
SOMMAIRE
DU COURS

LE RAPPORT DES SOCIÉTÉS À LEUR PASSÉ p. 5


chapitre 01 – L’historien et la mémoire de la Seconde Guerre
mondiale en France p. 6
chapitre 02 – L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie p. 16
IDÉOLOGIES ET OPINIONS EN EUROPE
DE LA FIN DU XIXE SIÈCLE À NOS JOURS (1) p. 25
chapitre 03 – Socialisme, communisme et syndicalisme
en Allemagne depuis 1875 p. 26
chapitre 04 – Médias et opinion publique dans les grandes
crises politiques en France depuis l’affaire Dreyfus p. 34
(1) Hors-programme en Terminale S.

PUISSANCES ET TENSIONS DANS LE MONDE, DE LA FIN


DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE À NOS JOURS p. 41
chapitre 05 – Les États-Unis et le monde depuis les « 14 points »
du président Wilson (1918) (2) p. 42

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chapitre 06 – La Chine et le monde depuis 1949 p. 52
chapitre 07 – Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits
depuis la fin de la Première Guerre mondiale (3) p. 60
(2) En Terminale S : les États-Unis et le monde depuis 1945.
(3) En Terminale S : le Proche et le Moyen-Orient depuis 1945.

LES ÉCHELLES DE GOUVERNEMENT DANS LE MONDE, DE LA FIN


DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE À NOS JOURS p. 67
chapitre 08 – Gouverner la France depuis 1946 :
État, gouvernement et administration.
Héritages et évolutions p. 68
chapitre 09 – Le projet d’une Europe politique depuis le congrès
de La Haye (1948) (4) p. 76
chapitre 10 – La gouvernance économique mondiale
depuis 1944 (5) p. 86
(4) En Terminale S : le projet d’une Europe politique depuis 1992.
(5) En Terminale S : la gouvernance économique mondiale depuis 1975.

LE GUIDE PRATIQUE  p. 93
le rapport

à leur passé
des sociétés

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L’ESSENTIEL DU COURS

MOTS CLÉS
COLLABORATION
L’historien et la mémoire de
Politique entreprise par le régime
de Vichy, à sa propre initiative,
pour faire de la France un allié de
l’Allemagne, avec pour prétexte
la Seconde Guerre mondiale
d’adoucir les pressions de
l’occupant.
Elle avait d’abord une portée
économique, avec l’envoi de
en France
travailleurs en Allemagne par le

L
biais du Service du travail obli-
gatoire (STO) dès 1942. Elle s’est a Seconde Guerre mondiale constitue une période d’épreuves
ensuite élargie, avec la déporta-
tion des juifs et la lutte contre les
particulière pour la France. Le traumatisme de la défaite de 1940
résistants. et l’occupation allemande créent une situation tout à fait inouïe
qui conduit certains à la collaboration ou à un engagement dans la
LOI MÉMORIELLE
Texte de loi déclarant le point de Résistance et mène le plus grand nombre à se préoccuper surtout
vue de l’État sur un événement de sa propre survie. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale est
historique. Il peut s’accompagner
de dispositions punissant l’expres-
donc très complexe. Elle est faite de mémoires individuelles et collec-
sion d’idées sur certains événe- tives, de mémoires croisées et antithétiques. Elle est à la fois mémoire
ments et qui seraient contraires à
l’éthique ou hostiles au travail de
des heures sombres où la France collabora à l’effort de guerre nazi et
mémoire des victimes. à la Shoah, et celle d’un combat pour la liberté aux côtés des Alliés ou
dans la Résistance. Celle aussi de l’attentisme du plus grand nombre.

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MÉMOIRES
Ensemble des témoignages fondés Il existe ainsi des problèmes de points de vue et des problèmes de
sur des souvenirs personnels. Ces sources. L’historien contribue à créer à son tour une mémoire des
mémoires sont portées et trans-
mises par des individus ou par
événements. Comment peut-il, en étudiant les mémoires de la guerre,
des groupes. Elles relèvent donc de contribuer à l’élaboration d’une mémoire avec ses ambiguïtés pen-
la subjectivité, à la différence du
travail de l’historien, qui, à partir de
dant une période troublée ?
sources, dont les mémoires peuvent
faire partie si elles sont lues de La mise en place de mémoires le général de Gaulle refuse de la proclamer. Dans la
façon critique tend à l’objectivité. officielles (de 1945 au début même optique, on tente d’oublier très vite l’épuration
des années 1970) sauvage et ses 10 000 morts. La
RÉGIME DE VICHY Au lendemain de la guerre, priorité mémoire se focalise sur les grands
Nom donné à l’État français mis en est donnée à la reconstruction poli- procès de Laval et de Pétain, pensant
place à partir de juillet 1940. Dirigé tique et économique du pays. Les solder ainsi le phénomène de colla-
par le maréchal Pétain, il siège à historiens n’ont pas assez de recul. boration. Le travail législatif va dans
Vichy. Il met en place une politique La première des mémoires du conflit le sens de cet « oubli », comme le
antisémite dès octobre 1940 avec le est la mémoire gaulliste. Le général montrent les lois d’amnistie votées
« statut de juif » et engage le pays de Gaulle (au pouvoir jusqu’en dès 1947. En 1971 encore, le président
dans la voie de la collaboration. 1946 et à nouveau de 1958 à 1969) Georges Pompidou amnistie Paul
souhaite mettre en avant le rôle Touvier, chef de la milice lyonnaise
RÉSISTANCE combattant de la France, d’une part durant l’Occupation, au nom de
Ensemble des mouvements en lutte dans la Résistance avec les Forces la nécessité d’une réconciliation
contre l’occupation allemande et la françaises de l’intérieur, d’autre part entre les Français. En 1981, François
politique de collaboration. dans le combat au côté des Alliés au Mitterrand refuse que la République
sein des Forces françaises libres. Un assume les crimes de Vichy. Dans
SHOAH consensus se met en place autour de cette même perspective, rares sont
« Catastrophe » en hébreu. Désigne cette vision du conflit, qui répond les monuments mémoriels élevés.
l’extermination par les nazis de plus au besoin des gouvernements de Citons tout de même le mémorial
de cinq millions de juifs pendant la IVe République d’engager le pays de la Résistance au mont Valérien.
la Seconde Guerre mondiale. La dans la voie des réformes. L’idée va Charles de Gaulle (1890-1970) Parallèlement à cette mémoire
politique d’extermination nazie donc se développer que le régime officielle, le Parti communiste
frappa également les tziganes, les de Vichy est une parenthèse et que la République tente, dès 1945, de profiter des bénéfices politiques
handicapés et les homosexuels. n’a jamais cessé d’exister ; c’est pourquoi, d’ailleurs, de son engagement dans la Résistance (mouvement

6 Le rapport des sociétés à leur passé


L’ESSENTIEL DU COURS

des Francs-tireurs et partisans ou FTP). « Parti des


75 000 fusillés », il revendique d’avoir payé le plus haut
La mémoire de la Shoah réussit progressivement à
s’affirmer, ouvrant de nouveaux champs d’études
DATES CLÉS
prix pour son action. Peu d’historiens, par souci d’apai- aux historiens. Leur travail est précédé de celui de 15 AOÛT 1945
sement et par manque de données précises, rappellent cinéastes (Max Ophuls avec Le Chagrin et la Pitié, en Condamnation à mort du maréchal
que le Parti communiste n’est entré en Résistance qu’en 1971) et d’enquêteurs (Jacques Lanzmann avec Shoah, Pétain, peine commuée en déten-
1941. Le régime de Vichy fait, quant à lui, l’objet d’une en 1985). Les historiens doivent aussi réagir à l’appari- tion à perpétuité, eut égard à son
mémoire sélective. Sa participation au génocide est tion d’un courant négationniste : certains polémistes grand âge (89 ans).
largement refoulée dans le cadre d’un usage politique – qui se présentent comme des historiens – nient
de la mémoire mais aussi de l’oubli ; oubli facilité par l’existence de l’extermination. On établit également 1947
la difficulté d’accéder aux sources dans l’immédiat le fait que l’engagement dans la Résistance ou dans la Premières lois d’amnistie pour les
après-guerre. La spécificité de la Shoah dans le cadre collaboration n’a finalement concerné qu’une minorité coupables de collaboration.
de la déportation et du système concentrationnaire de Français, la majorité étant restée plutôt attentiste.
n’est que peu évoquée. Il faut attendre 1956 pour voir Enfin, on constate que l’opinion publique est passée 1954
sortir le film Nuit et Brouillard, dans lequel les images d’une adhésion assez large à Pétain à un rejet total Publication d’Histoire de Vichy de
de policiers français sont supprimées par la censure. de Vichy, quitte à ce que certains passent pour des Robert Aron.
Certains historiens commencent, par ailleurs, à donner « résistants de la dernière heure ».
une lecture ambiguë de l’action de l’État français, 1956
tendant même à le disculper. Ainsi, pour Robert Aron Sortie du film Nuit et Brouillard.
dans son Histoire de Vichy, le maréchal Pétain a fait tout
son possible pour alléger le sort des Français. 1960
Inauguration du mémorial du
Vers de nouvelles historiographies mont Valérien.
de la mémoire depuis les années 1970
À partir des années 1960, dans un contexte moins 1973
meurtri que celui de l’après-guerre, les historiens Publication de La France de Vichy
s’engagent dans une voie plus polémique, allant lire de Robert Paxton.
des sources désormais rendues accessibles. Dans un
premier temps, ce travail est plus aisé pour les his- 1987

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toriens anglo-saxons. L’année 1973 est un tournant : Début du procès de Klaus Barbie.
Robert Paxton publie La France de Vichy, dans lequel il
démontre que les autorités de l’État français ont volon- 1990
tairement engagé une politique antisémite et participé Vote de la loi Gayssot.
à la Shoah. D’autres travaux s’intéressent à la nature
du régime de Vichy, que l’on présente comme proche 1994
du fascisme, avec un véritable culte de la personnalité, Condamnation de Paul Touvier.
ou simplement autoritaire et conservateur, donnant
une nouvelle lecture de la « Révolution nationale ». 1995
Le travail de l’historien : Reconnaissance par Jacques Chirac
un « travail de mémoire » du rôle de la France dans la Shoah
Depuis les années 1980, le travail des historiens est mis et rappel de la reconnaissance de
QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER à profit par la justice et par le pouvoir législatif pour Français parmi les « justes ».
tenter d’apporter une réponse juste aux questions
• Le procès de l’ancien chef milicien difficiles posées par la mémoire du conflit. Dans les 1997
devant la cour d’assises des Yvelines années 1970, s’appuyant sur les travaux des historiens, Condamnation de Maurice Papon.
« Les crimes de Touvier s’inscrivent dans des hommes, comme l’avocat Serge Klarsfeld, ont
l’histoire de France » p. 10-11 établi la responsabilité de certaines personnalités dans
(Laurent Greilsamer, Le Monde daté du 17.04.1994) des crimes contre l’humanité dans le cadre de la Shoah. PERSONNAGE
• M. Chirac reconnaît la « faute collective »
De grands procès peuvent alors s’ouvrir. En 1987, Klaus
Barbie, chef de la Gestapo à Lyon, est jugé. Il s’agit du
CLÉ
commise envers les juifs p. 12-13 premier procès filmé, pour en garantir la mémoire. En ROBERT PAXTON
(Jean-Baptiste de Montvalon, Le Monde daté du 1994, Paul Touvier est condamné ; en 1997, c’est au tour Né en 1932, cet historien américain
18.07.1995) de Maurice Papon, organisateur de la déportation des révolutionne, dans les années
juifs de Bordeaux. 1970, l’histoire de la France sous
• Le « parti » et la Résistance p. 13 Les mémoires de la guerre sont donc multiples et le l’Occupation avec la publication
(Michel Lefebvre, Le Monde daté du 10.12.2006) conflit n’est pas commémoré de la même façon selon de La France de Vichy. Cet ouvrage
les époques. Le travail de l’historien contribue à ce que met en avant la politique antisé-
• La Résistance au Panthéon : les choix de la mémoire et ses ambiguïtés soient assumées par l’État. mite de l’État français et sa parti-
Hollande pour la postérité p. 14-15 En 1995, Jacques Chirac reconnaît ainsi la responsabilité cipation à la Shoah. Il contribue
(David Revault d’Allonnes, Le Monde daté du de la France dans la déportation, tout en rappelant aussi de façon décisive à mieux
28.05.2015) l’engagement de ceux qui s’y opposèrent. Des lois comprendre la nature du régime de
mémorielles, comme la loi Gayssot en 1990, interdisent Vichy et notamment son lien avec
le fait de nier le génocide nazi. les fascismes européens.

Le rapport des sociétés à leur passé 7


UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
DÉPORTATION
Composition :
Fait de déplacer de force, pendant
la Seconde Guerre mondiale, des Le rôle de l’historien dans le travail de mémoire
personnes vers l’Allemagne ou des
territoires qu’elle contrôle pour les sur le régime de Vichy.
emprisonner ou les faire travail-
ler au service du Reich, dans des Analyse du sujet
camps de concentration ou pour Le sujet consiste à s’interroger sur la façon dont DOCUMENT CLÉ
y être mis à mort dans des camps les historiens ont contribué à ce que la France
d’extermination. reconnaisse la responsabilité du régime de Vichy
(1940-1944) dans la collaboration avec le nazisme.
DEVOIR DE MÉMOIRE Au-delà des mémoires, individuelles et collectives,
Obligation morale de ne pas oublier les historiens ont utilisé des sources qui ont permis
les aspects douloureux du passé de déterminer les responsabilités et de mieux com-
afin d’éviter que d’autres événe- prendre comment des Français ont pu prendre
ments du même type puissent se part à la déportation et à l’effort de guerre nazi,
reproduire et afin que les victimes ainsi qu’au combat contre les résistants. Cela pose
soient reconnues comme telles. également la question de comprendre quelle fut
l’action du régime de Vichy en France et comment
FASCISME elle fut perçue.
Au sens strict : idéologie du parti
qui gouverna l’Italie de 1922 à 1943, Proposition de plan
marquée par un pouvoir autori-
taire, le nationalisme, le culte du I. Le rôle de l’historien de l’immédiat après-guerre
chef et un embrigadement de la dans la mise en lumière du régime de Vichy
société. - L’Occupation, la collaboration et la Résistance pour

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Par extension de sens : désigne un légitimer le gaullisme
régime politique dictatorial dans - La Résistance et ses acteurs pour les héros du
lequel on retrouve la plupart de communisme
ces caractéristiques. - Le régime Vichy pour l’intégrer dans l’histoire des
fascismes européens
NÉGATIONNISME
Attitude niant l’existence de la II. Le travail de l’historien pour la mémoire et la
Shoah et défendue par un certain responsabilité
nombre d’auteurs dans les années - Les ambiguïtés des historiens et du régime de Vichy
1970. (R. Aron)
Contraires aux conclusions des - Les « faussaires de l’histoire » (R. Badinter) : le
historiens, pourtant fondées sur négationnisme et le refus des faits (Shoah)
des faits tangibles, les idées des - L’État français et le travail de mémoire : connaître le
négationnistes sont générale-
ment motivées par des partis pris
antisémites.
passé pour comprendre, juger, reconnaître et assumer
ses responsabilités À partir de 1942, dans la France occupée
par l’armée allemande, le régime
nazi demande, en échange du retour
Repères essentiels d’Allemagne des prisonniers français,
RÉGIME • Collaboration, crime contre l’humanité, déportation, des ouvriers qualifiés pour compenser
Forme que prend le gouvernement régime de Vichy, Shoah. le manque de main-d’œuvre dans les
d’un pays. Cette forme est liée à • Robert Aron, Robert Paxton. usines allemandes. Mais le volontariat
la nature du pouvoir, c’est-à-dire • Procès de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice est en dessous des attentes et, à partir
à des institutions (monarchie, Papon. de 1943, les travailleurs sont recensés
république, etc.), mais aussi à la et une loi impose le Service du travail
façon dont il s’y exerce (démocratie obligatoire (STO). Des milliers de français
libérale, dictature, etc.). partent en Allemagne, d’autres, pour y
Ce qu’il ne faut pas faire échapper, entrent en clandestinité dans
TRAVAIL DE MÉMOIRE • Raconter l’histoire du régime de Vichy. la Résistance.
Processus qui consiste à progres-
• Ne citer aucun historien et parler de la mémoire
sivement mieux connaître un
de la Seconde Guerre mondiale en général.
passé difficile à accepter, de façon
à pouvoir en identifier les causes, • Ne pas évoquer les conséquences du travail
les conséquences et les acteurs. Le des historiens dans le domaine politique
but est de parvenir à reconnaître ou judiciaire.
les responsabilités de chacun.

8 Le rapport des sociétés à leur passé


UN SUJET PAS À PAS

Étude critique de document : ZOOM SUR…


Le bilan humain de la
Seconde Guerre mondiale
À l’aide du document, montrez l’évolution de en France
MILITAIRES
l’attitude de l’État français vis-à-vis de la mémoire – Soldats tués : 160 000
de la Shoah. – Prisonniers décédés en
Allemagne : 45 000
– Alsaciens et Lorrains enrôlés
dans l’armée allemande morts
Jacques Chirac, président de la République, et les responsabilités de l’État français au combat : 31 000

Il est dans la vie d’une nation des moments qui blessent la mémoire et l’idée que l’on se fait de son pays. RÉSISTANTS
Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes – Résistants tués au combat :
pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie [...]. Il est difficile 20 000
de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à – Résistants morts en déporta-
notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par tion : 20 000
l’État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes, sous les autorités de – Résistants fusillés par les
leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et la région parisienne, près Allemands : 25 000
de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin [...]. La France,
patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait CIVILS
l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Conduites au vélodrome – Morts en déportation (juifs et
d’Hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l’on sait, d’être tsiganes) : 76 000
dirigées sur l’un des camps de transit, Pithiviers ou Beaune-la-Rolande, ouverts par les autorités de Vichy. – Morts en Allemagne dans le
L’horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d’autres rafles, d’autres arrestations. Soixante- cadre du STO : 40 000
quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n’en reviendront – Morts dans les bombardements :
pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible [...]. Les plus jeunes d’entre nous, j’en suis 67 000

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heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de – Morts dans les opérations
plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé [...]. Je veux me souvenir que cet été terrestres : 58 000
1942, qui révèle le vrai visage de la « collaboration », dont le caractère raciste, après les lois anti-juives de – Victimes de l’épuration sauvage :
1940, ne fait plus de doute, sera, pour beaucoup de nos compatriotes, celui du sursaut, le point de départ 10 000
d’un vaste mouvement de recherches impitoyables de l’occupant et de la milice, par l’action héroïque et
fraternelle de nombreuses familles françaises. Le bilan matériel de la Seconde
Guerre mondiale en France
(Allocution de M. Jacques Chirac, président de la République,
prononcée le 16 juillet 1995, lors des cérémonies commémorant IMMEUBLES DÉTRUITS
la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942.) OU ENDOMMAGÉS
2,5 millions
Analyse du sujet l’État français a longtemps minimisé l’importance
Le document proposé est un discours prononcé par de la collaboration et plus encore de son implication PONTS DÉTRUITS
Jacques Chirac, président de la République depuis peu, dans celle-ci. 10 000
à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vél’
d’Hiv de 1942. Par ce discours, et pour la première fois, II. Une lente reconnaissance VOIES FERRÉES
un chef de l’État reconnaît la participation de l’État Il faut ensuite montrer que l’État français a progres- DÉTRUITES
français à la Shoah. sivement fini par reconnaître son implication dans 20 000 km
La consigne concernant « l’évolution de l’attitude de la collaboration, y compris s’agissant de la Shoah, et
l’État français vis-à-vis de la mémoire de la Shoah » expliquer pourquoi (pression des associations). TERRES INUTILISABLES
nous invite à regarder en amont et en aval pour com- 3 millions d’hectares
prendre comment on en est arrivé à cette reconnais- III. L’insistance sur le rôle de la Résistance
sance tardive, et quelles en ont été les conséquences. Jacques Chirac ne se contente pas de reconnaître les VILLES LES PLUS
errements de l’État français durant la Seconde Guerre TOUCHÉES PAR
Problématique mondiale, mais insiste également sur l’action des LES DESTRUCTIONS
En quoi le discours prononcé par Jacques Chirac résistants, dans une volonté de réconcilier les Français Brest, Caen, Le Havre, Saint-Malo,
en 1995 marque-t-il une inflexion majeure dans la avec leur passé. Saint-Nazaire, Cherbourg, Évreux.
mémoire officielle française de la Seconde Guerre
mondiale ? GARES DÉTRUITES
Ce qu’il ne faut pas faire 115
Proposition de plan • Oublier d’expliciter les nombreuses allusions
I. Une longue occultation à des événements relatifs à la Seconde Guerre WAGONS DE MARCHAN-
Il s’agit de rappeler, en s’appuyant sur les propos de mondiale présentes dans le texte. DISES DÉTRUITS
Jacques Chirac afin de ne pas être hors sujet, comment 65 %

Le rapport des sociétés à leur passé 9


9
LES ARTICLES DU

Le procès de l’ancien chef milicien


devant la cour d’assises des Yvelines
« Les crimes de Touvier s’inscrivent dans l’histoire de France. »

P
laider. Encore plaider. Pour cinquante années qui séparent déportés résistants. Pas de juifs : Et les quatre mille officiers polo-
émouvoir, pour convaincre, la fusillade des sept otages à « Aucune place pour les soixante- nais de Katyn anéantis sur ordre
pour comprendre aussi. Au Rillieux-la-Pape de ce procès quinze mille juifs disparus. » Il de Staline ? Et Georges Boudarel,
dernier jour consacré aux parties de Versailles. «  En cinquante n’y a aucune colère dans la voix dans les camps vietminh ? Et le
civiles, Me Michel Zaoui, Roland ans, cela doit changer un indi- de Me  Zaoui. Il constate : « Il a Cambodge ? Me Zaoui se tourne
Dumas, Alain Jakubowicz et Henri vidu…, suppose l’avocat. C’est le fallu attendre trente ans pour que vers Me Trémolet de Villers : « Si
Leclerc se sont regroupés sur le temps d’une métamorphose. » l’étau se desserre, pour que l’on ces procès n’ont pas lieu, est-ce
même banc. Pour un ultime Un silence, et puis : «  La lecture puisse parler, et vingt ans pour notre faute, confrère ? Qu’on ne
assaut, à charge pour eux de du fameux cahier vert de Paul que cela se traduise en termes me fasse pas dire de ces crimes
répondre aux interrogations Touvier, son journal, nous a prouvé judiciaires. Il a fallu cinquante que les uns sont plus graves que
muettes les plus profondes et les la permanence de son antisémi- ans pour se dégager de la honte les autres. »
plus embarrassantes des jurés. À tisme. Mais ce cahier n’a jamais et de la douleur vécues par nos Mais les jurés ont à juger Paul
charge pour eux de ne rien laisser été un moyen de démontrer le aînés, cinquante ans pour briser Touvier. Pas un autre. Et Me Zaoui
dans l’ombre avant de laisser la crime contre l’humanité que l’on un tabou, pour regarder Vichy en s’attache à montrer qu’il n’a pas
parole à l’avocat général et à reproche à Touvier », conclut-il face, sans haine et sans crainte. » sauvé la vie de juifs en contre-
Me Jacques Trémolet de Villers, provisoirement. Justement. On ne lui fera pas partie du massacre des sept
conseil de Paul Touvier. dire ce qu’il ne veut pas dire. otages fusillés le 29 juin 1944.
Premier au feu, Me Michel Zaoui «Vichy ce n’est pas le Contrairement à de nombreuses Non, il a agi conformément à son

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aura été le plus simple, le plus nazisme » parties civiles, il réfute paisible- idéologie, acceptant d’obéir à des
sensible et le plus direct. Car lui Et Me Zaoui revient au demi-siècle ment l’équation selon laquelle le ordres lui agréant en tous points,
aussi a hésité, douté. Lui aussi enfui depuis l’Occupation. Il com- régime de Vichy est équivalent désireux qu’il était de «  forger
s’est posé des questions avant prend le trouble que peut provo- à celui du IIIe Reich. « Vichy n’a une France pure ». «  C’est cela le
d’accepter de représenter quatre quer la tenue d’un procès trente jamais légalisé le meurtre des crime contre l’humanité, déclare
associations, dont la Fédération ans après la prescription des deux juifs. J’ai la conviction que Vichy, l’avocat. Touvier a besoin des
des sociétés juives de France. Oui, peines de mort prononcées contre ce n’est pas le nazisme et que… Allemands et les Allemands ont
il a eu «  l’impression que la France Paul Touvier. Mais il note bientôt : Vichy n’est rien sans le nazisme », besoin de Touvier. »
se donnait bonne conscience en « Ici, le temps permet d’accéder à dit-il. La conviction aussi que Un Touvier congelé dans ses
allant chercher un Touvier, du la mémoire.  » Voilà la méthode le procès de Versailles n’est pas certitudes, qui «  a choisi de se
menu fretin, un reître ». Oui, il de l’avocat : des phrases dites seulement celui d’un homme, plonger dans les eaux mortes du
s’est demandé s’il n’y avait pas là sur le ton de la conversation. Pas mais d’un homme resitué dans mensonge ». Un Touvier sur lequel
une manière de « faire l’économie d’éloquence théâtrale. Pas d’effets le contexte de la Milice, de Vichy le temps n’a pas eu de prise. Un
d’autres procès », visant d’anciens de manches. «  Touvier a quitté et du national-socialisme. Touvier tel qu’en lui-même, cin-
collaborateurs de plus haut rang son histoire personnelle pour quante ans après. «  Votre cour
comme Maurice Papon. Oui, il participer à l’histoire politique, Les propos devra le juger comme au premier
s’est interrogé sur le demi-siècle relève simplement Me Zaoui. Ses de François Mitterrand jour parce qu’il n’a pas changé »,
écoulé et sur la nécessité de juger crimes s’inscrivent dans l’histoire M e  Zaoui n’entend pas non conclut Me Zaoui.
maintenant l’ancien chef milicien de France. » plus faire endosser à l’accusé M e Roland Dumas, pour la
« devenu vieillard ». Me Zaoui cherche une image, plus qu’il n’a fait : « Il n’est pas FNDIRP, et Alain Jakubowicz,
Et ces incertitudes-là, d’entrée, une comparaison. Un homme responsable de la Shoah. Je ne pour le Consis­toire central des
ont fait la force de son propos. massacre un voisin à coups de lui jetterai pas cet anathème. communautés juives de France,
Établissant entre lui et le jury ce pioche. La violence, l’horreur, sont Il est responsable de la mort de vont eux aussi fortement souli-
lien magique qui éveille l’intérêt, patentes. Mais qui niera que ce sept juifs. » Mais précisément gner la nécessité de ce procès. Des
force l’attention. Rassurant les crime ne renvoie qu’à lui-même ces sept suppliciés s’inscrivent extraits d’un entretien accordé
jurés sur la validité de leurs alors que le massacre de Rillieux selon l’avocat dans le plan par le président de la République
doutes secrets et leur fournissant concerne la société tout entière ? concerté des nazis visant à la à l’historien Olivier Wievorka
quelques réponses. Point de belles « C’est notre histoire à tous », dit destruction des juifs où qu’ils pour son livre Nous entrerons
phrases ciselées, mais une tenta- Me Zaoui. se trouvent. Ils entrent involon- dans la carrière (éditions du
tive constante de cerner au plus Cinquante ans… L’avocat évoque tairement dans cette catégorie Seuil), publiés dans le Monde du
près un sentiment, un argument, les dépouilles des quatorze per- décrétée hors de l’humanité par 14 avril, déterminent la réaction
une réflexion. sonnes mortes pour la France le IIIe Reich, vouée à disparaître de Me Jakubowicz. Que François
Ainsi Me Zaoui a-t-il longtemps enterrées sous l’Arc de triomphe au terme d’un massacre planifié, Mitterrand note qu’on « ne peut
réfléchi à voix haute sur ces après guerre. Des militaires. Des industriel. pas vivre tout le temps sur des

10 Le rapport des sociétés à leur passé


LES ARTICLES DU

souvenirs ou des rancœurs », avant qu’elle ait été écrite. Ce validée à l’initiative de la France Non ! nazi. Que ce soit le chef de
qu’une amnistie s’impose après procès aurait-il dû être sacrifié sur au travers d’une résolution des la Gestapo lyonnaise, Knab, que
un délai de vingt ans et qu’il n’y l’autel de la réconciliation natio- Nations unies en février 1993. ce soit Joseph Darnand, chef de la
a plus grand sens à juger «  des nale ? C’est un véritable chantage Aussi cinquante années, aussi Milice, que ce soit Touvier, pour
vieillards  » alors qu’il «  ne reste intellectuel !» longues soient-elles, ne peuvent- eux les juifs sont des parasites, des
plus beaucoup de témoins » le elles être opposables, selon l’an- bacilles, des poux. Simplement des
révolte. « Un “non” à l’oubli »  cien ministre, à la justice saisie poux à écraser. Ils n’ont rien à dire.
Sur le ton de la colère, il s’adresse Sans se référer aux propos du d’un crime contre l’humanité. Pas besoin de les torturer : ils n’ont
aux jurés : « Je ne peux pas accepter président de la République, «  L’avocat général sera la parole qu’à mourir. »
ces propos et vous ne pouvez pas M e  Roland Dumas, ancien de la France, de celle qui a souffert, Écartant la controverse ouverte
les accepter. Comment… pourquoi ministre des Affaires étrangères de celle qui demande réparation, a par Me Arno Klarsfeld à propos de
mépriser à ce point les sept fusillés et ami de François Mitterrand, a fait valoir l’avocat. Je ferai mienne l’origine des ordres reçus par Paul
de Rillieux ? Je ne comprends pas ! pour sa part affiché sa satisfaction la peine qu’il demandera. » Touvier avant de faire fusiller
Dans quelques jours, le président de ce que le procès Touvier ait Et Me Roland Dumas de conclure à Rillieux sept otages juifs,
ira se recueillir à Izieu, où Klaus lieu. « On nous dira : à quoi sert à l’intention de la cour d’assises : Me Leclerc clame : «  Allons ! je
Barbie a raflé quarante-quatre d’approfondir les déchirures fran- « Votre “oui” à la condamnation pense qu’il a agi avec l’aval de
enfants juifs. Est-ce qu’Izieu serait çaises ? a-t-il relevé. Mais ce procès sera un “non” à l’oubli ». Dans un Vichy et des Allemands. Durant
plus important parce que Barbie servira à les cicatriser. S’il est style voisin, Me Alain Jakubowicz deux ans, en 1943-1944, il a non
est allemand et Rillieux moins tardif, il n’est en aucune manière s’est adressé à l’avocat général seulement été un traître, mais
parce que Touvier est français ? » anachronique. Au contraire, il va Hubert de Touzalin : « Vous allez le complice d’une des plus
Et Me Jakubowicz de s’étonner dans le sens de l’histoire ! » bientôt requérir. C’est la noblesse grandes entreprises criminelles
du désir présidentiel de refermer Ainsi Me Dumas a-t-il rappelé de votre tâche. Vous ne le ferez de l’humanité. »
ce douloureux chapitre de notre que la notion de crime contre pas au nom des victimes mais au Me Leclerc fixe les jurés : «  Il ne
histoire : « Il n’est pas digne de l’humanité, définie juridique- nom de la France. Car ce n’est pas peut y avoir d’oubli, de pardon,
la France de tourner cette page ment en 1945, a de nouveau été le procès des juifs pour les juifs, tant que la justice n’a pas été
c’est le procès de l’humanité contre rendue. » Il se rassoit. Me Trémolet
POURQUOI CET ARTICLE ? ficité des mémoires de la Shoah, l’inhumanité. » de Villers a cessé depuis long-
la mémoire politique également, Il revenait à Me Henri Leclerc, temps de prendre des notes,

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Cet article permet une immersion entre oubli et retour sur le régime conseil de la Ligue des droits de marquant son étonnement
dans le procès de Paul Touvier, de Vichy. Le travail de l’historien est l’homme, de clore cette semaine lorsque Me Leclerc a parlé de
qui se déroula en 1994, et met en utilisé dans ce contexte pour contri- de plaidoiries des parties civiles. « l’ignoble Robert Brasillach  »,
avant les débats entre les avocats, buer à établir les faits. Par ailleurs, Tendu, ému, ce dernier s’est attaché écrivain et journaliste collabora-
dans lesquels apparaissent les on évoque également l’entretien à faire ressortir la spécificité de tionniste exécuté à la Libération.
différents enjeux des mémoires entre François Mitterrand et Olivier l’antisémitisme de Paul Touvier Me Trémolet a croisé les bras.
de la Seconde Guerre mondiale. La Wievorka, où le positionnement du et son embrigadement au service Comme s’il en avait trop
réflexion montre comment diffé- chef de l’État sur la question de la du IIIe Reich. « La Milice était une entendu.
rentes mémoires s’articulent : la mémoire prend également valeur troupe allemande sous uniforme
mémoire des victimes, avec la spéci- de témoignage historique. français, a-t-il affirmé. On y parle Laurent Greilsamer
français, mais on y pense allemand. Le Monde daté du 17.04.1994

Le rapport des sociétés à leur passé 11


11
LES ARTICLES DU

M. Chirac reconnaît la « faute


collective » commise envers les juifs
Les propos du président de la République sur la responsabilité de « l’État » dans la dépor-
tation, tenus en juillet 1995, ont tranché avec l’attitude de son prédécesseur et suscité des
réactions très positives.
Intervenant au cours de la cérémonie commémorative du cinquante-troisième anniversaire
de la rafle du Vel’ d’Hiv’, organisée dimanche 16 juillet sur les lieux de l’ancien vélodrome d’Hi-
ver, le président de la République a reconnu « les fautes commises par l’État » dans la dépor-
tation des juifs de France au cours de la Seconde Guerre mondiale et l’existence d’une « dette
imprescriptible » à leur égard. François Mitterrand avait refusé, lui, de reconnaître la respon-
sabilité de l’État. « Je ne ferai pas d’excuses au nom de la France. La République n’a rien à voir
avec ça. J’estime que la France n’est pas responsable », avait-il affirmé en septembre 1994. La
vigilance doit se manifester, selon M. Chirac, « avec plus de force que jamais », face à « l’esprit
de haine, avivé ici par les intégrismes de toute nature, alimenté là par la peur et l’exclusion »
et face à « certains partis politiques ».

E
ntre Seine et terre, c’est autobus à plate-forme, vers le voici cinquante-trois ans, plu- « L’irréparable »
une esplanade sans Vél’ d’Hiv’, rue Nélaton, dans sieurs centaines de personnes, M. Mitterrand se voyait, en outre,

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charme, plantée là toute le 15e  arrondissement de Paris. parmi lesquelles les représen- reprocher de faire déposer tous
en longueur. En contrebas, les Le bilan de cette opération qui tants de la communauté juive les ans une gerbe sur la tombe
voitures filent le long du quai, répondait au doux nom de « Vent et des Églises de France, se sont du maréchal Pétain, geste qu’il
tandis que sur les trottoirs, des printanier » 12 884 personnes rassemblées à proximité du allait réitérer le 11 novembre
grappes de touristes cheminent (3 031 hommes, 5 802 femmes et monument inauguré l’an der- 1992. L’ancien président de la
invariablement en direction de 4 051 enfants) appréhendées fut nier par François Mitterrand. Une République n’était pas intervenu
la tour Eiffel. Sur les lieux de inférieur aux prévisions établies sculpture en bronze de Walter ce jour-là, et il avait fallu la colère
l’ancien vélodrome d’Hiver, on par la préfecture de police, qui Spitzer, qui porte l’inscription : de Robert Badinter, alors pré-
ne visite rien ; rien d’autre que la avait envisagé l’arrestation de « La République française, en sident du Conseil constitutionnel,
plus sombre partie de l’invisible près de 25 000 juifs. Les détenus hommage aux victimes des per- pour réduire au silence les huées
mémoire d’une nation. furent parqués dans des camps sécutions racistes et antisémites des protestataires.
À l’aube du jeudi 16 juillet 1942, en France, avant d’être envoyés en et des crimes contre l’humanité, L’année suivante, alors même
près de quatre mille cinq cents déportation en Allemagne, d’où la commis sous l’autorité de fait dite qu’il avait institué par décret une
fonctionnaires de police français plupart ne devaient pas revenir. “gouvernement de l’État français” journée commémorative de la
entreprenaient l’arrestation, à En cette matinée du dimanche (1940-1944). N’oublions jamais ! » rafle du Vél’ d’Hiv’ et « des persé-
leur domicile, de familles juives. 16 juillet 1995, jour de commé- Le 16 juillet 1992, lors de la com- cutions racistes et antisémites », et
Celles-ci furent dirigées, sur des moration des atrocités commises mémoration du cinquantenaire réclamé que soient mis en œuvre
de la rafle, des sifflets avaient « tous les moyens que nous avons
accueilli François Mitterrand. de perpétuer cette mémoire », le
Alors qu’un mois auparavant président de la République ne
POURQUOI CET ARTICLE ? un groupe d’intellectuels lui s’était pas rendu à la cérémonie,
avait adressé un appel pour qu’il se faisant représenter par le chef
Cet article montre un basculement dans le rapport à la mémoire de reconnaisse « que l’État français de son état-major particulier. En
la Seconde Guerre mondiale. Le chef de l’État, Jacques Chirac, récem- de Vichy est responsable de per- 1994 enfin, lorsqu’il avait inau-
ment élu, reconnaît la responsabilité de l’État français dans la dépor- sécutions et de crimes contre les guré le monument à la mémoire
tation des juifs. Le moment choisi est éloquent : la commémoration juifs de France », le chef de l’État des victimes de la rafle du Vél’
de la rafle du vélodrome d’Hiver. Cette attitude rompt avec celle de venait de réaffirmer, le 14 juillet, d’Hiv’, M. Mitterrand était une
François Mitterrand, qui, dans la tradition des mémoires officielles que la République n’était pas res- nouvelle fois resté silencieux. « Je
des années 1950 à 1970, dissocie Vichy – illégitime – et la République, ponsable des crimes commis sous ne ferai pas d’excuses au nom de
qui perdura dans la France libre et dans la Résistance. Le travail mené le régime de Vichy. « Ne demandez la France, affirmait à nouveau
par les historiens sur la Shoah et le régime de Vichy a donc progres- pas de comptes à la République, M. Mitterrand le 12 septembre
sivement contribué à une nouvelle prise en compte de la mémoire elle a fait ce qu’elle devait ! », décla- 1994. La République n’a rien à voir
par le pouvoir. rait-il à l’époque. avec ça. J’estime que la France n’est
pas responsable […]. Ce sont des

12 Le rapport des sociétés à leur passé


LES ARTICLES DU

minorités agissantes et activistes cette circonstance était déjà une Jacques Chirac après une brève l’homme » : « La France, ce jour-
qui ont saisi l’occasion de la défaite marque de rupture avec le passé. introduction. là, accomplissait l’irréparable. »
pour s’emparer du pouvoir et qui Les mots qu’il devait prononcer Rappelant l’« atrocité » des arres- Une vingtaine de minutes plus
sont comptables de ces crimes-là. « en ce lieu qui tient une place tations opérées en juillet 1942, le tard, M. Chirac quittait la petite
Pas la République, pas la France ! » centrale dans notre mémoire chef de l’État passait en une tribune bleutée pour aller saluer
Lorsque son successeur, Jacques collective », selon l’expression sombre revue les responsabilités les porte-drapeaux et les repré-
Chirac, a pénétré dimanche d’Henri Bulawko, président de de l’État, ne négligeant pas plus sentants des associations.
matin, à 11 heures, dans le square l’Amicale des anciens déportés les éléments matériels « les bus
des Martyrs-du-Vél’-d’Hiv’, toute juifs de France, allaient permettre parisiens et les fourgons de la
l’assemblée attendait donc les d’en mesurer l’ampleur. « Oui, la préfecture de police » que la res- Jean-Baptiste de Montvalon
termes de son intervention. folie criminelle de l’occupant a ponsabilité morale d’actes Le Monde daté du 18.07.1995
Le fait que le président de la été secondée par des Français, commis par « la patrie des
République prenne la parole en par l’État français », s’exclamait Lumières et des droits de

Le « parti » et la Résistance
L
e rôle du PCF dans la de la Libération, Jacques Duclos L’Humanité clandestine daté du estime qu’elle intervint à l’été
Résistance a longtemps répond que « tout cela est une 10 juillet 1940 et comportant le 1941. Le PCF s’est présenté, après
été un enjeu politique. affaire de police et de flics  ». fameux appel, signé Jacques la guerre, comme « le parti des
Après guerre, des polémiques Pourtant, l’attaque subie devant Duclos et Maurice Thorez. Or 75 000 fusillés  ». Jean-Pierre
sont nées, dans le contexte de l’Assemblée nationale va porter. il s’agit d’un faux, fabriqué Besse et Thomas Pouty, dans Les
la guerre froide, en particulier En 1949, une enquête interne dans les années 1950, selon Fusillés, répression et exécutions
avec les gaullistes. Il s’agit d’une au PCF, gardée secrète, conclut les auteurs, pour accréditer pendant l’Occupation 1940-1944

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époque où le PC représente un que, de «  la fin juin 1940 à une orientation politique qui, (éd. l’Atelier), estiment que
bon quart de l’électorat. Les octobre 1940, une orientation en fait, ne fut adoptée qu’au 4 520 personnes ont été fusil-
critiques à l’égard du parti de politique comportant de graves printemps 1941 : l’union des lées, en France, pendant la
Maurice Thorez portent sur erreurs a été impulsée ». communistes avec les autres guerre, dont 80 % à 90 % de
plusieurs points : la demande Parmi les boucs émissaires, mouvements de Résistance. communistes.
de reparution de L’Humanité en Maurice Tréand se tait. Jean Quant à l’entrée massive des
juin 1940 ; l’«  appel du 10 juil- Catelas, qui a aussi participé communistes dans l’action Michel Lefebvre
let », présenté par les dirigeants aux négociations, a été tué armée, la majorité des historiens Le Monde daté du 10.12.2006
communistes comme la preuve par les Allemands. Cette poli-
de leur choix de la Résistance tique, comme l’a montré Roger POURQUOI l’autorisation de la publication du
dès l’été 1940 ; la date d’entrée Bourderon (La Négociation. CET ARTICLE ? journal L’Humanité par le régime
des communistes dans l’action Été 1940, éd. Syllepse, 2001), de Vichy, rendue possible par le
armée, avant ou après l’attaque était celle de l’Internationale La question du rôle du Parti pacte germano-soviétique, deve-
allemande contre l’URSS en communiste et de Staline. communiste français pendant la nait également difficile à assumer.
juin 1941. Les communistes, malgré des Seconde Guerre mondiale a long- Les historiens mentionnés dans
Les travaux des historiens ont nuances, suivaient la ligne. temps constitué un point fort de l’article, grâce à leur travail avec
apporté des rectifications. Sur À l ’e xc e p t i o n du j o u r n a - la mémoire de ce conflit. Le parti, les sources, semblent avoir réussi
la demande de reparution de liste Gabriel Péri, qui refusa structuré sur le modèle soviétique, à remettre en cause cet aspect de
L’Humanité, le discours du de se commettre dans ces adopte une ligne officielle qui la mémoire officielle du parti. De
PCF a d’abord consisté à nier négociations. Sur l’«  appel tend à montrer qu’il préparait, dès même, d’autres historiens ont pu
ou à rejeter cette initiative du 10 juillet », les historiens 1940, son entrée dans la Résistance, fortement relativiser le nombre de
sur des militants égarés. En Jean-Pierre Besse et Claude qui ne fut effective – sauf excep- fusillés appartenant au parti.
décembre 1947, face aux inter- Pennetier présentent un docu- tions liées à des initiatives indivi-
rogations de Pierre de Chevigné, ment accablant. Il s’agit de la duelles – qu’en 1941. La question de
député centriste et compagnon photographie d’un numéro de

Le rapport des sociétés à leur passé 13


13
LES ARTICLES DU

La Résistance au Panthéon :
les choix de Hollande pour
la postérité
Mercredi 27  mai 2015, le chef de l’Etat a préparé avec soin l’entrée dans le temple
des grands hommes de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine
Tillion et Jean Zay.

A
ses yeux, c’est l’une des Attaché aux symboles au jour de son investiture, se rabattre sur une plaque en
journées les plus impor- Rite républicain par excellence, M.  Hollande marchera sur les hommage à Aimé Césaire.
tantes, sinon la plus acte éminemment politique traces de son modèle socialiste
importante, de son quinquennat. et geste présidentiel entre pour remonter la rue Soufflot Trois ans de réflexion
Et il l’aborde avec autant de soin tous depuis le début de la et s’installer au bas des marches François Hollande, lui, en aura
qu’il avait envisagé le 70e anni- Ve  République (sous la IIIe et de ce temple laïque inauguré quatre, donc, à l’issue de trois
versaire du débarquement en la IVe, le choix des panthéo- en 1791, où il prononcera son ans de réflexion et d’une véri-

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Normandie, en 2014. «  Depuis nisés relevait des députés), discours. table campagne avec comités
le 6  juin, je ne l’ai jamais senti la cérémonie de panthéo- Féru d’histoire et attaché aux de soutien, dont des historiens
préparer avec autant d’attention nisation, mercredi 27  mai, symboles de la mémoire, le de renom en soutien plus ou
et de méticulosité un événement de la fondatrice d’ATD Quart chef de l’Etat sait qu’il en est moins discret, lobbying et
et un discours », affirme l’un des Monde Geneviève de Gaulle qui marquent un mandat. Il messages passés au chef de
conseillers de François Hollande. Anthonioz, de l’ethnologue n’ignore rien des précédents l’Etat, par l’intermédiaire de
Son équipe l’a même vu appa- Germaine Tillion, du journaliste présidentiels. Le fameux « Entre conseillers ou de ministres. Et,
raître par surprise, vendredi Pierre Brossolette, torturé par ici… » lancé par André Malraux aussi, des centaines de courriers
15 mai, à une réunion convoquée la Gestapo, et du ministre de pour la panthéonisation de adressés au président, dont
à cette occasion, donnant des l’éducation nationale du Front Jean Moulin, sous de Gaulle, ceux, spontanés, de collégiens
« éléments extrêmement précis populaire Jean Zay, assassiné en décembre  1964. Le choix qui avaient passé l’année à tra-
sur le discours » et sur le déroule- par la Milice, en dit long sur de Georges Pompidou puis de vailler sur l’une ou l’autre de ces
ment de la cérémonie, de l’ordre la façon dont M. Hollande Valéry Giscard d’Estaing de ne personnalités. « Il n’y a pas une
d’arrivée des cercueils à la liste ambitionne de s’inscrire dans panthéoniser personne. Le fait commémoration qui ait suscité
des invités. « Il va vraiment très la lignée de ses prédécesseurs. que François Mitterrand ait à autant d’initiatives », affirme
loin dans les détails », poursuit Trente-quatre ans et six jours son actif sept panthéonisés, une collaboratrice du président.
ce collaborateur. après François Mitterrand dont Jean Monnet, symbole Jacques Attali et Erik Orsenna
d’une construction européenne avaient plaidé pour Denis
dans laquelle il entendait laisser Diderot, Pierre Nora pour Jules
POURQUOI CET ARTICLE ? choisi d’insister sur l’exempla-
sa marque, et Jacques Chirac Michelet. Le nom de Pierre
rité de ceux qui lui résistèrent.
Comme tous les présidents fran- C’est pourquoi il a souhaité deux, dont Alexandre Dumas, Brossolette, porté par un comité
çais de la Ve République, Fran- faire entrer au Panthéon quatre écrivain métis dont l’entrée présidé par l’historienne Mona
çois Hollande a tenu à imprimer grandes figures de la Résistance. dans ce temple républicain Ozouf et soutenu, entre autres,
sa marque sur les mémoires de L’une d’entre elles, Germaine constituait une réponse au par Jean-Noël Jeanneney, Alain
la Seconde Guerre mondiale. Là Tillion, fut aussi une militante 21  avril 2002. Il ne lui a pas Finkielkraut, Jean d’Ormesson,
où Jacques Chirac avait surtout de la cause algérienne, et sa non plus échappé, bien sûr, Jean-Pierre Chevènement,
mis l’accent sur la culpabilité panthéonisation présente donc
que Nicolas Sarkozy avait raté Edmonde Charles-Roux, Max
de l’État français et sur la réha- l’intérêt de faire également
bilitation de ceux qui en furent écho aux mémoires de la guerre celle d’Albert Camus, sa famille Gallo, François Fillon et Lionel
victimes, François Hollande a d’Algérie. s’y étant opposé, et avait dû Jospin, suscita une polémique.

14 Le rapport des sociétés à leur passé


LES ARTICLES DU

Certains des opposants à accompagnant leurs époux. De comme dans le rapport com- ensemble, forment quelque
l’entrée de Pierre Brossolette, nombreuses figures féminines mandé à Philippe Bélaval, chose de cohérent », assure
comme Pierre Péan, esti- sont alors évoquées : Louise président du Centre des monu- son équipe. Le socialisme avec
maient qu’il s’agissait là d’un Michel, Olympe de Gouges, ments nationaux. «  Mais cela Brossolette, le radicalisme
«  affront » à la mémoire de George Sand ou la chanteuse donnait l’impression d’une laïque avec Zay, la décoloni-
Jean Moulin, fondateur du et résistante Joséphine Baker, session de rattrapage spéciale à sation avec Tillion et le chris-
Conseil national de la résistance soutenue par Régis Debray. leur attention, ce qui n’était pas tianisme social avec de Gaulle
(CNR), les deux hommes s’étant Le président, lui, voulait «  des l’idée », précise une conseillère Anthonioz : par-delà leurs
frontalement opposés. Furent grandes personnalités du du président. L’idée de panthéo- engagements résistants, leurs
aussi proposés Marc Bloch et XXe  siècle », avec «  une forte niser plusieurs personnalités convictions et positions réunies
Stéphane Hessel, les résistants valeur d’exemplarité » : le nom avait été soufflée à ce dernier soulignent l’esprit d’équilibre et
du groupe Manouchian, Léon de Germaine Tillion, d’abord, par Mona Ozouf, qui défendait de synthèse qui caractérise le
Blum ou encore Maurice puis celui de Geneviève de Pierre Brossolette. chef de l’Etat.
Genevoix, écrivain et interprète Gaulle Anthonioz s’imposent M. Hollande avait acquiescé et «  Hollande est un homme
des combattants de la Grande très vite à lui. Toutes deux résis- rajouté à ce trio de résistants d’astuce. Il est assez difficile de
Guerre, soutenu par l’écono- tantes et membres du réseau le nom de Jean Zay, contesté critiquer ce choix », note un
miste Bernard Maris, assassiné du Musée de l’homme, toutes par l’extrême droite et par des habitué de l’Elysée. D’autant
le 7 janvier dans les locaux de deux déportées à Ravensbrück, associations d’anciens com- que ce choix politique per-
Charlie Hebdo. elles représentent également battants, notamment pour un mettra au président de for-
François Hollande, lui, y son- des symboles de l’engage- poème rédigé en 1924 sur la muler un message d’actualité
geait depuis longtemps, qui ment, humanitaire pour l’une, Grande Guerre. Le choix est et d’en tirer «  la leçon pour le
avait évoqué le sujet dès sa cam- contre la torture pendant la finalisé en février  2014, deux présent et l’avenir », glisse un
pagne de 2012. Dans le costume guerre d’Algérie pour l’autre. semaines avant que le pré- conseiller. Un autre n’en doute
du président, il avait annoncé, «  Des femmes qui ont dépassé sident n’annonce, au Mont- pas : « Parler à la nation sur les
le 8 mars 2013, Journée interna- l’épreuve et réussi, après cette Valérien, son carré parfait : Zay- marches du Panthéon, évoquer

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tionale des droits des femmes, épreuve, à se mettre au service Tillion-Brossolette-de Gaulle le passé et l’avenir de la nation :
sa volonté d’«  accueillir des des autres », rappelle l’Elysée. Anthonioz. ce sera forcément un grand
femmes au Panthéon ». Si deux Au-delà de la dimension exem- discours. »
femmes, Marie Curie et Sophie Une addition qui fait sens plaire de leurs parcours, c’est
Berthelot, figurent parmi les Il a d’ailleurs été proposé au leur addition qui, aux yeux du
73 « grands hommes », elles n’y chef de l’Etat de ne faire entrer président de la République, fait David Revault d’Allonnes
avaient fait leur entrée qu’en que des femmes au Panthéon, sens. « Ces quatre figures, prises Le Monde daté du 28.05.2015

Le rapport des sociétés à leur passé 15


15
L’ESSENTIEL DU COURS

NOTIONS CLÉS
HARKIS
Algériens servant comme auxiliaire
L’historien et les mémoires
dans l’armée française pendant la
guerre d’Algérie. Victimes de repré-
sailles après l’indépendance, certains
d’entre eux gagnent la France, où
de la guerre d’Algérie
L
ils vivent dans des conditions très
difficiles et demandent la recon- a récente reconnaissance, le 17 octobre 2012, par François
naissance de leur engagement. C’est
seulement en 2012 que le président
Hollande, de la sanglante répression qui eut lieu le 17 octobre
Nicolas Sarkozy fait une déclaration 1961 contre des manifestants en faveur de l’indépendance de
en ce sens. l’Algérie montre combien le souvenir de la guerre d’Algérie est tou-
KABYLES jours vif. Les mémoires de ce conflit sont liées à des blessures très
Peuple berbère vivant dans la région profondes et à des interprétations divergentes. Violences de part et
de la Kabylie. Leur langue, différente
de l’arabe, et leur culture ont été
d’autre depuis les attentats lancés par le FLN le 1er novembre 1954
victimes de la politique d’arabisa- et qui marquent le début de la guerre, déracinement des pieds-
tion entreprise dans le pays dans
les années 1960 et 1970. C’est seule-
noirs, emploi de la torture, traitement des harkis. La liste des bles-
ment après des années de reven- sures mal résolues lors de l’indépendance du pays en juillet 1962
dications, marquées notamment pourrait être encore plus longue. Comment l’historien peut-il, en
en 1980 par les manifestations du
« printemps berbère », que leurs France comme en Algérie, aider au travail de mémoire, sachant
spécificités ont davantage été prises que ces mémoires peuvent parfois difficilement être croisées avec
en compte.
d’autres types de sources comme celles de l’armée française, pro-

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OAS gressivement rendues accessibles, ou celles du gouvernement
Organisation de l’armée secrète.
Mouvement politique et terroriste
algérien, strictement contrôlées ?
en faveur du maintien de l’Algérie
française, fondé le 11 février 1961. pose problème car l’Algérie est composée
jusqu’à l’indépendance de trois dépar-
« PORTEURS DE VALISES » tements français, dont les préfectures
Français soutenant la cause de étaient Alger, Oran et Constantine. Un
l’indépendance algérienne et million de Français vivent en Algérie, qui
apportant leur soutien au FLN. Le est la principale colonie de peuplement
mot vient du « réseau Jeanson », et une des plus anciennes de l’empire
qui dissimulait faux papiers et colonial, conquise en 1830. De plus, la
argent dans des valises. guerre a profondément divisé l’opinion,
tant parmi les Français de métropole que
PUTSCH DES GÉNÉRAUX parmi ceux d’Algérie. Certains, parfois
Le 23 avril 1961, les généraux Challe, proches du Parti communiste mais pas
Jouhaud, Salan et Zeller font une exclusivement, s’engagent en faveur de
tentative de coup d’État à Alger l’indépendance du pays et vont jusqu’à
en faveur du maintien de l’Algérie aider le FLN : ce sont les « porteurs de
française et contre la politique de valises ». Des manifestations ont lieu en
négociation du général de Gaulle. France pour soutenir l’indépendance. Elles
Elle échoue très rapidement. sont réprimées de façon brutale, comme
le 17 octobre 1961, ou au métro Charonne
le 8 février 1962, où il y eut neuf morts.
PERSONNAGE Manifestation anti-OAS, le 8 février 1962, à Paris. D’autres souhaitent à tout prix le main-
CLÉ En France, l’historien et la mémoire
tien de l’Algérie française et considèrent
les négociations entreprises par le général de Gaulle
AHMED BEN BELLA de la « guerre sans nom » comme une trahison. En avril 1961, quatre généraux
(1916-2012) La mémoire de la guerre d’Algérie en France a tentent un putsch qui échoue. D’autres fondent l’Or-
Il est l’un des chefs historiques du longtemps été occultée. Les termes employés sont ganisation de l’armée secrète (OAS), qui perpètre des
FLN et fut président de la Répu­blique révélateurs : on parle alors des « événements », des attentats, entretenant ainsi un climat de terreur. Le
en Algérie de 1963 à 1965 avant sa « opérations de pacification » ou encore des « opéra- 22 août 1962, certains de ses membres organisent un
destitution par un coup d’État. tions de maintien de l’ordre ». Le terme de « guerre » attentat contre le général de Gaulle au Petit-Clamart.

16 Le rapport des sociétés à leur passé


L’ESSENTIEL DU COURS

Après l’indépendance, le gouvernement français


souhaite faire oublier ces déchirures et vote des lois
En Algérie : les historiens et la « guerre
patriotique »
DATES CLÉS
d’amnistie jusqu’en 1982. Le travail de l’historien Après l’indépendance, le 5 juillet 1962, un état auto- 1er NOVEMBRE 1954
est alors confronté à l’immédiateté des événements ritaire se met en place en Algérie, dirigé par le FLN. Vague d’attentats organisés
et peut difficilement s’appuyer sur des sources, non La guerre est alors utilisée pour fonder le nouveau contre les Français d’Algérie par le
encore accessibles. régime. Elle est appelée « guerre patriotique » pour FLN : début de la guerre d’Algérie.
Les mémoires de ce conflit sont cependant très montrer son rôle fondateur. Le nombre de victimes
vives. La multiplication des points de vue conduit est fixé par le gouvernement à un million, sans qu’il 19 MARS 1962
à une grande diversité, pouvant refléter des clivages soit possible aux historiens de vérifier ce chiffre. Le Accords d’Évian prévoyant
idéologiques, sociologiques, géographiques, voire régime étant d’inspiration socialiste, la mémoire l’indépendance du pays et la
économiques. Il existe ainsi les mémoires, souvent officielle reprend la rhétorique des guerres de libéra- possibilité pour les Français
politisées, de ceux qui se sont engagés dans un camp tion nationale soutenues par le bloc de l’Est dans les d’Algérie d’opter pour la natio-
ou dans l’autre. Michel Rocard, par exemple, dénonça années 1950 : anticolonialisme, exaltation du peuple nalité algérienne.
dès 1957 le bien-fondé d’une lutte pour le maintien de en armes, glorification des héros de la révolution
l’Algérie française, alors que Maurice Papon, préfet devenus chefs de l’État. Un grandiose monument aux 5 JUILLET 1962
de police de Paris de 1957 à 1968, mène une politique martyrs et héros de la guerre est érigé à Alger en 1982. Indépendance du pays, suivie de
de répression contre le FLN et ses sympathisants. Le patrimoine historique est transformé pour faire l’exode des Français d’Algérie.
On trouve aussi les mémoires vécues du million de oublier l’époque coloniale. Les statues de Jeanne d’Arc
Français rapatriés d’Algérie qui, malgré les accords érigées par les Français en Algérie sont ainsi démontées 22 AOÛT 1962
d’Évian (signés le 18 mars 1962), qui devaient leur et souvent remplacées par des monuments à la gloire Attentat du Petit-Clamart.
permettre de pouvoir rester en Algérie, ont eu le choix de l’indépendance.
entre « la valise ou le cercueil » et ont été confrontés Cela permet au régime de gommer certaines réalités, 1975
à des conditions de vie très difficiles. Constitués en comme le fait que le FLN n’était pas le seul parti à Première visite d’un président
associations, ils entretiennent le souvenir du pays combattre pour l’indépendance du pays ou encore le français en Algérie (Valéry Giscard
où ils vécurent pendant plusieurs générations. Ils ont fait qu’une importante minorité berbère souhaitait d’Estaing).
recours à un travail historique pour garder vivante voir ses spécificités reconnues au sein de la nation.
la mémoire et assurent un rôle de sauvegarde du Les historiens algériens peuvent très difficilement 3 DÉCEMBRE 1982
patrimoine culturel français en Algérie. Les Algériens accomplir leur travail dans ce contexte. Dans les années Vote de la dernière loi d’amnistie

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engagés en faveur de l’Algérie française et qui servirent 1980, cependant, cette mémoire officielle est remise des membres de l’OAS.
dans l’armée française furent également contraints en cause. En 1984, des Kabyles manifestent pour que
à l’exil. Ces harkis connaissent des conditions de vie leur culture soit valorisée au-delà de la rhétorique sur 1982
difficiles car leur mémoire a longtemps été gênante la guerre. En 1992, la victoire des islamistes du Front Inauguration du monument aux
pour les relations diplomatiques franco-algériennes. islamique du salut montre que les membres du FLN au martyrs de la guerre patriotique
C’est seulement dans les années 1990, avec l’ouverture pouvoir ne peuvent plus utiliser l’héritage de la guerre à Alger.
progressive des archives de l’Outre-mer, du ministère comme seule source de légitimité pour le pouvoir.
de l’Intérieur et du ministère de la Défense, que les Depuis les années 2000, un certain apaisement a vu 1983
historiens ont pu entreprendre des travaux permet- le jour. Des historiens français, comme Benjamin Stora, Première visite d’un président
tant de faire avancer le travail de mémoire national. né en Algérie, travaillent avec leurs homologues algé- algérien en France (Chadli
Des questions comme la torture sont envisagées et riens pour transmettre le devoir de mémoire. Le pré- Bendjedid).
font l’objet de travaux historiques. sident Bouteflika a reconnu, en 2006, que certains
éléments de la guerre devaient être éclaircis par les JUIN 1999
En 1999, l’expression « guerre d’Algérie » est officiel- historiens. Cependant, il a insisté également sur la L’Assemblée nationale vote à
lement reconnue. En 2003, Jacques Chirac se rend en nécessité pour la France de reconnaître le lourd héri- l’unanimité le terme de « guerre
Algérie et reconnaît cet héritage difficile. En 2012, tage du colonialisme, allant même jusqu’à parler de d’Algérie ».
Nicolas Sarkozy admet que la France n’a pas honoré « génocide culturel » de la part de la France. L’historien
ses engagements vis-à-vis des harkis. Les dernières doit ainsi constater que l’histoire de la guerre d’Algérie 2001
déclarations de François Hollande, le 17 octobre 2012, ne peut s’écrire qu’en prenant en compte les mémoires Émeutes en Kabylie.
montrent que ce travail se poursuit. présentes sur les deux rives de la Méditerranée.
2003
Voyage de Jacques Chirac en
QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER Algérie et déclaration sur le rôle
de la France dans cette guerre.
• La guerre d’Algérie face aux pièges de la mémoire p. 20-21
(Nicolas Weill, Le Monde daté du 05.04.1996) 2005
Adoption puis retrait en France
• France-Algérie, la mémoire lourde p. 21-22 (Gérard Courtois, Le Monde daté du 24.10.2012) d’une loi reconnaissant le « rôle
positif » de la présence française
• Les passions s’apaisent sur la guerre d’Algérie p. 22-23 en Afrique du Nord.
(Thomas Wieder, Le Monde daté du 31.10.2014)
2007
• Une proposition de loi relance le débat sur la commémoration de la guerre d’Algérie p. 23-24 Visite du président Bouteflika à
(Thomas Wieder, Le Monde daté du 25.10.2012) Paris.

Le rapport des sociétés à leur passé 17


UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
ASSOCIATION
Composition : 
MÉMORIELLE Le travail de l’historien face aux mémoires
Association qui regroupe des
personnes ayant une mémoire de la guerre d’Algérie.
commune, parce qu’elles ont
une identité commune, qu’elles
ont vécu les mêmes événements
Analyse du sujet
La guerre d’Algérie (1954-1962) est un des événements
DOCUMENT CLÉ
ou bien parce qu’elles sont des les plus douloureux pour les deux pays impliqués
descendantes de ces personnes. depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a profondé-
Les associations mémorielles ment divisé les Français et elle est marquée par l’exis-
collectent souvent une documen- tence de plusieurs mémoires, souvent douloureuses,
tation importante et contribuent pour les rapatriés d’Algérie et les harkis par exemple.
à l’entretien du patrimoine. Elles L’historien utilise ces témoignages pour son travail.
peuvent aussi agir auprès des Ils sont pour lui des sources, mais partielles, qu’il
pouvoirs publics pour contribuer convient de lire en parallèle et de croiser avec d’autres
au devoir de mémoire à l’échelle sources. Son travail contribue aussi à entretenir cette
nationale. mémoire.

MÉMOIRES Proposition de plan


Ensemble des souvenirs vécus
par les témoins d’un événement
ou d’une période. Ces mémoires I. Le travail de l’historien : reconstituer les faits
peuvent être transmises par des - La spirale de la violence (terrorisme, FLN, OAS)
témoignages oraux ou écrits, - La torture militaire
peuvent être individuelles ou - Les données à analyser pour toucher à la réalité des
collectives. faits (données démographiques, nombre de morts)

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Au singulier, ce terme désigne - La « grande guerre patriotique » (FLN) et la naissance
le souvenir qu’un groupe de d’une nation
personnes ou qu’une nation
choisit d’entretenir car il possède II. L’histoire et le travail sur la mémoire vivante
une valeur morale ou éthique - La mémoire des rapatriés d’Algérie
particulière, liée à un devoir de - La mémoire des harkis
mémoire. - Recouper les sources et s’extraire de la subjectivité Une de L’Humanité, du 8 février 1962

RECONNAISSANCE III. Le travail de mémoire : reconnaître et assumer


MÉMORIELLE
Fait de reconnaître la valeur
d’une mémoire. Il s’agit souvent
ses responsabilités
- Ouverture des archives par l’État français
- Les « événements » d’Algérie deviennent la « guerre »
A près les violences policières, orches-
trées par le préfet Papon, envers les
Algériens lors de la manifestation du 17 oc-
de la mémoire d’un épisode d’Algérie tobre 1961 et la radicalisation de l’OAS, qui
d’épreuves ou de souffrances. - Assumer la responsabilité de l’État français dans la fait régner un climat de terreur, une grande
Ceci permet de redonner une répression sur le territoire algérien et sur le territoire manifestation est organisée à l’appel du
dignité aux victimes, que l’on français Parti communiste, à Paris, le 8 février 1962,
souhaite ainsi honorer. pour soutenir l’autodétermination de
Cette reconnaissance peut Repères essentiels l’Algérie. Les forces de l’ordre la répriment
s’exprimer par des lois mémo- • Attentats, FLN, OAS, torture. violemment, forçant les manifestants à se
rielles ou l’organisation de • Accords d’Évian, harkis, rapatriés d’Algérie. réfugier dans la station de métro Charonne,
commémorations. • Reconnaissance mémorielle, sources historiques, fermée par des grilles. Le mouvement de
témoignages, travail de l’historien, travail de panique qui s’ensuit cause neuf morts et
SOURCES HISTORIQUES mémoire. des centaines de blessés.
Ensemble des documents qui
permettent à l’historien d’écrire
l’histoire. Il peut s’agir de docu-
Ce qu’il ne faut pas faire
ments officiels, mais aussi
• Se limiter à donner une liste des travaux
de récits et de témoignages.
L’historien doit ensuite procéder des historiens sans problématiser le devoir.
à l’étude critique de ces sources • Dresser un tableau incomplet des mémoires
en les confrontant pour tenter de la guerre d’Algérie.
d’appréhender les événements • Ne pas prendre en compte la mémoire
de la façon la plus complète de la guerre en Algérie après l’indépendance.
possible.

18 Le rapport des sociétés à leur passé


UN SUJET PAS À PAS

Étude critique de document : MOTS CLÉS


ALN (ARMÉE DE
LIBÉRATION NATIONALE)
Expliquez les objectifs de la loi du 23 février 2005 et les C’est le nom de la branche armée
raisons pour lesquelles elle a suscité une vive polémique du FLN qui mène la guerre d’in-
dépendance en Algérie. Elle est
ayant conduit à la suppression de son article 4. devenue l’armée de l’État algérien
depuis l’indépendance de 1962 et
y possède toujours un pouvoir
Extrait de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation important. C’est elle notamment
et contribution nationale en faveur des Français rapatriés qui a dirigé la répression contre les
islamistes durant les années 1990.
Article 1 : La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre
accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en FIS (FRONT ISLAMIQUE
Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. DU SALUT)
Il s’agit d’un parti politique isla-
Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres miste créé à la faveur de l’instau-
des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements ration du multipartisme en Algérie
liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs en 1988. Vainqueur des élections
familles, solennellement hommage. […] en 1992 au détriment du FLN qui
monopolisait le pouvoir depuis
Article 4 : Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française 1962, l’armée le prive du pouvoir en
Outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. annulant le processus électoral, ce
qui plonge le pays dans une guerre
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française Outre-mer, civile de dix ans.
notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée
française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. GIA (GROUPES

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ISLAMIQUES ARMÉS)
Article 5 : Sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de Il s’agit des groupes d’insurgés
personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d’ancien membre des formations supplé- islamistes qui combattent l’ar-
tives ou assimilés ; toute apologie des crimes commis contre les harkis et les membres des formations mée, à laquelle ils reprochent de
supplétives après les accords d’Évian. leur avoir volé la victoire électo-
rale durant la guerre civile des
années 1990.
Analyse du sujet En soi, cela ne constitue en rien une entorse à l’his-
Le sujet propose d’analyser cette célèbre loi de 2005 toire, mais on peut s’étonner que seule une partie PIEDS-NOIRS
afin d’en déceler les objectifs et d’en repérer les de victimes de la guerre (les partisans de l’Algérie Appellation familière qui désigne
aspects polémiques. On sait en effet que, suite à la française) soient ici évoqués, les autres étant passées les populations algériennes d’ori-
mobilisation de certains historiens, son article 4 a sous silence. gine européenne. Il n’est pas syno-
finalement été retiré. nyme de « rapatriés » car certains
II. Vers une histoire officielle ? rapatriés (harkis, juifs) n’étaient
Problématique L’article le plus surprenant, et qui ne manqua pas de pas des pieds-noirs.
En quoi ce texte de loi témoigne-t-il des rivalités faire polémique, est le quatrième puisque le législa-
entre groupes de pression mémoriels et ne pouvait teur entend y définir les programmes de recherches RAPATRIÉS D’ALGÉRIE
manquer de raviver les querelles entre eux ? universitaires et imposer une certaine vision de Français d’Algérie quittant le pays
l’histoire dans les écoles. après l’indépendance, dans des
Proposition de plan Bien sûr, c’est le rôle d’un législateur de définir les conditions très difficiles, liées au
I. Une loi influencée par le lobby des rapatriés programmes scolaires, mais est-ce le rôle d’un cours climat de violence régnant dans
À la lecture du texte de loi, on décèle clairement d’histoire de dégager des aspects « positifs » ou le pays (par exemple massacre
une volonté de la part de son auteur de flatter les « négatifs » du passé ? De porter sur lui un regard d’Européens à Oran le jour de
populations « rapatriées » d’Algérie, qu’il s’agisse moralisateur ? On sait que la mobilisation de certains l’indépendance).
des pieds-noirs ou des harkis, en reconnaissant leur historiens contre cet article a abouti à sa suppression.
dévouement à la France et les souffrances qu’elles Une association, nommée « Liberté pour l’histoire », FLN
ont eues à subir. s’est d’ailleurs créée à l’occasion de ce combat. Front de libération nationale. Parti
fondé en 1954 en Algérie pour sou-
tenir l’indépendance. Il se double
Ce qu’il ne faut pas faire d’une organisation militaire,
l’Armée de libération nationale.
• Rédiger une longue digression sur la polémique suscitée par cette loi sans référence au document : c’est Arrivé au pouvoir en 1962, son
lui qui doit rester au cœur de votre analyse. chef, Ahmed Ben Bella, devient le
premier président du pays.

Le rapport des sociétés à leur passé 19


LES ARTICLES DU

La guerre d’Algérie face aux pièges


de la mémoire
L
a situation dans laquelle sous-estimer ? Le 1er novembre Mohammed Harbi, de l’univer- à jamais occultés par l’histo-
l’Algérie se trouve plongée 1954, ici simple incident de sité Paris-VIII, dont les ouvrages riographie officielle, comme
depuis janvier 1992 ravive parcours dans une guerre de ont longtemps circulé sous le les luttes internes entre mes-
les plaies de la guerre d’indé- décolonisation, est là-bas, depuis manteau, parle sans détour des salistes et FLN, par le même
pendance. « Révolution » ou l’école, perçu comme un évé- innombrables luttes de faction FLN, des villageois de Melouza,
« guerre de libération », comme nement majeur de l’histoire à l’intérieur du FLN, des aveux en 1957.
on dit à Alger, ce conflit, qui universelle. extorqués sous la torture à Il ne faut pas céder à la tentation
prend fin en 1962, semble avoir l’époque du complot du colonel de lire systématiquement, dans
eu pour prolongement l’affron- Amouri (1958-1959) ou des les cruautés de la guerre d’indé-
tement de deux mémoires her- Culture de la violence tentatives de mainmise sur le pendance, la cause lointaine de
métiques l’une à l’autre, la fran- Du côté algérien, le nationalisme Maghreb, initiées par l’Égypte la guerre civile actuelle, ce qui
çaise et l’algérienne, chacune exacerbé, alimenté par des nassérienne. serait une autre façon de tomber
produisant ses déformations, manuels scolaires que rédigèrent Comment ne pas déceler des dans les pièges que la mémoire
ses « faux patriotiques », ses après 1962 des étudiants arabi- lignes de continuité avec les tend à l’histoire. Ce qui est en jeu,
chiffres de victimes minimisés sants formés au Caire, comme événements d’aujourd’hui dans c’est plutôt la possibilité nou-
ou gonflés au-delà de toute l’a montré Hassan Remaoun, cette propension manifestée, dès velle des Algériens d’apprécier
mesure. de l’université d’Oran, n’a guère 1958, par les dirigeants de l’état- de façon critique et scientifique

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Ne peut-on appliquer à son favorisé la formation d’une major de l’armée algérienne à le legs de l’indépendance, et de
histoire ce que Benjamin Stora, connaissance objective et scien- dépasser le cadre strict de leur restituer à la naissance de l’Al-
dans une communication écrite tifique. Il n’en reste pas moins fonction pour s’immiscer dans gérie contemporaine la dimen-
(menacé de mort, il vit désormais que la brèche est là, ouverte, et des sujets gouvernementaux sion maghrébine et arabe que
en exil), dit de la filmographie qu’en Algérie même une vérité voire civils ? Une certaine culture les Français lisent exclusivement
de la guerre d’Algérie, marquée, historique, aussi dérangeante de la violence après l’indépen- à la lumière de leurs propres
selon lui, par une «  volonté de soit-elle, est prête à prendre le dance, relayée par l’éducation, divisions politiques.
cloisonnement des mémoires », relais d’une mémoire sujette à n’a-t-elle pas aussi sa part de Longtemps enfin, la guerre d’Al-
un « refus absolu (ou gêné) de toutes les manipulations. responsabilité dans le déchaîne- gérie aura été racontée presque
reconnaissance des motivations Même si bon nombre de ceux ment terroriste actuel, comme le sans sources écrites. L’ouverture
de l’autre » ? qui écrivent cette histoire en suggère le Français Guy Pervillé ? problématique des archives fran-
Cependant, à voir universitaires Algérie en ont été aussi partie Voilà qui n’entraîne pas, loin s’en çaises et algériennes, en 1992,
et chercheurs algériens réunis à prenante, certains n’en osent faut, l’adhésion des historiens représente un adjuvant énorme
Paris, avec les historiens français, pas moins sortir d’une geste algériens. pour le passage du mythe à
prendre en charge « le souci de nationale pesamment codifiée Pourtant, nombre d’entre eux l’histoire.
soi » sans concession à l’adver- à l’époque Boumediene, parfois n’hésitent pas à discuter de À cet égard, il convient de
saire, mais sans complaisance par le président en personne ! sujets qu’on aurait pu croire saluer le travail des archivistes
non plus pour l’historiographie
officielle, on peut penser qu’une
page commence, difficilement, à
POURQUOI CET ARTICLE ? la part de groupes islamiques armés officielles et à l’opacité des archives.
être tournée.
qualifiés par certains de véritable À la confusion, également, des
Certes, remarque Charles-Robert Rédigé en 1996, cet article montre guerre civile. La brutalisation de la termes employés et des chiffres
Ageron, de l’université Paris-XII, comment les mémoires de la société algérienne trouve l’une de proposés. Pourtant, il montre
le temps n’est pas venu encore, guerre d’Algérie ont pu être instru- ses sources dans la question de la comment, dans les années 1990,
pour les ennemis d’hier, de mentalisées dans le cadre des mémoire de la guerre. Une mémoire des historiens tant algériens que
produire en commun une his- troubles qui ont lieu en Algérie violente. Une mémoire dont l’au- français poursuivent leurs travaux,
toire acceptable pour les deux dans les années 1990. Le gouverne- teur montre qu’elle pose des défis de façon à mettre les mémoires en
ment du FLN est alors confronté à importants à l’historien. Celui-ci est perspective pour mieux distinguer
camps. Pudeur française face à
une violente contestation armée de confronté au poids des mémoires les enjeux du présent.
une défaite qu’on aurait tort de

20 Le rapport des sociétés à leur passé


LES ARTICLES DU

français du service historique chercheurs les premières pistes ceux de Mahfoud Kaddache sur mérites de cette rencontre de
de l’armée de terre. Avec leur menant à l’établissement des le nationalisme algérien, n’ont l’avoir fait une des toutes pre-
Inventaire des archives de l’Al- faits. Mais les travaux pion- pas attendu 1992. Restait à mières fois.
gérie (tome II 1945-1967) discrè- niers sur une histoire, trop confronter les adversaires sur
tement publié en 1994, ils ont célébrée en Algérie, trop le terrain de l’histoire, sans Nicolas Weill
enfin mis à la disposition des occultée en France, comme trop de passion. C’est un des Le Monde daté du 05.04.1996

France-Algérie,
la mémoire lourde
P
arce qu’elle s’y inscrit et avec lucidité ces faits. Cinquante présidente du Front national, 1860, le tiers de sa population,
l’écrit au quotidien, parce et un ans après cette tragédie, je Marine Le Pen, lui a emboîté puis d’une colonisation brutale
que le récit de son action rends hommage à la mémoire le pas  : «  Je commence à en où le moindre soulèvement
pèse autant que sa réalité, parce des victimes. » avoir soupé de ces représentants se soldait par une implacable
que l’imaginaire est l’un de ses C’est presque aussi sec et mini- de la France qui n’ont de cesse répression, jusqu’à ces huit
ressorts, la politique entretient maliste qu’un constat d’huissier, que de la salir », avant de qua- années d’une «  guerre » qui
avec l’histoire des rapports validant les recherches menées lifier de «  bobard  » la terrible n’osa dire son nom qu’en 1999,
jaloux, volontiers manipula- depuis une vingtaine d’années répression du 17 octobre 1961 et trente-sept ans après la pro-
teurs, voire incestueux. par quelques historiens coura- d’« acte de lâcheté absolue » le clamation de l’indépendance

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En France plus qu’ailleurs, dit- geux et tenaces. Et évitant – trop communiqué présidentiel. algérienne.
on. « Nous sommes un pays de prudemment diront certains –, Rien ne surprend vraiment dans Si aucun de ceux qui l’ont
mémoire lourde. Nous passons de pointer du doigt responsables ces réactions pavloviennes. Ni vécue – et bien souvent leurs
une partie de notre temps à com- ou coupables, en l’occurrence la la défense aveugle des œuvres enfants – n’a oublié les drames
mémorer nos libérations et nos police parisienne et ses chefs de complètes du général de Gaulle, de cette séparation sanglante,
victoires, mais aussi nos haines l’époque, à commencer par le en dépit de ses parts d’ombre. Ni beaucoup n’en ont pas fait le
civiles, à remuer le couteau dans préfet Maurice Papon. la condamnation de la « repen- deuil, murés dans d’indicibles
la plaie vive de nos rancunes, Mais il a suffi que le président tance » (cette « mode exécrable » souvenirs, enfermés dans des
à reconstruire le passé au gré de la République rompe un que dénonçait déjà Nicolas mythes rassurants autant que
de nos passions », écrit ainsi silence officiel d’un demi-siècle Sarkozy en 2007), sans s’aviser dans les silences officiels des
l’historien Michel Winock, dans pour déclencher les foudres de qu’il n’y en a précisément pas responsables des deux pays.
Parlez-moi de la France (Perrin, la droite. Il est «  intolérable de trace dans le communiqué de Pour la France, cela aura été
2010). mettre en cause la police répu- M. Hollande. Ni la vitupération le second grand traumatisme
Il n’est guère d’épisode de notre blicaine et avec elle la République contre l’anti-France, ou peu s’en national du siècle, après l’effon-
histoire contemporaine où cette tout entière », a dénoncé faut, qui est depuis toujours drement de 1940. Pas seulement
mémoire lourde soit plus évi- Christian Jacob, le président du l’un des procès simplistes dont pour le million de rapatriés
dente que dans le douloureux groupe UMP à l’Assemblée, sans raffole l’extrême droite. dont l’Algérie était la patrie, à
chapitre de la guerre d’Algérie. se soucier de savoir ce qui fut le Il est vrai que la vérité de la défaut d’avoir su y construire
François Hollande vient d’en plus « intolérable », les faits ou tragédie algérienne blesse cruel- une nation. Mais aussi pour les
apporter une nouvelle démons- leur occultation, au prix d’un lement la mémoire – ou plutôt deux millions d’appelés qui
tration. On pouvait pourtant mensonge d’État. les mémoires. «  Tragédie  »  ? eurent 20 ans dans les Aurès.
difficilement imaginer commu- Candidat à la présidence de Raymond Aron employait le Enfin pour l’ensemble d’un pays
niqué plus lapidaire que celui l’UMP, François Fillon n’y est mot dès 1957. Comment quali- qui vécut là, entre massacres
publié par l’Élysée, la semaine pas non plus allé par quatre fier autrement cette histoire de et torture, le dernier épisode
passée : « Le 17 octobre 1961, des chemins  : «  J’en ai assez que violence, de mort et de mépris d’une histoire coloniale – et
Algériens qui manifestaient pour tous les quinze jours la France qui s’est écrite pendant cent d’une puissance impériale – où
le droit à l’indépendance ont été se découvre une nouvelle res- trente ans : depuis les longues la République avait trouvé l’un
tués lors d’une sanglante répres- ponsabilité, mette en avant sa années d’une conquête féroce de ses fondements et la France
sion. La République reconnaît culpabilité permanente.  » La qui coûta à l’Algérie, en 1830 et une part de sa « grandeur ».

Le rapport des sociétés à leur passé 21


21
LES ARTICLES DU

En outre, aujourd’hui encore, conquise par ceux qui impo- La France et l’Algérie en sont dramatique, pour ne pas savoir
comment ne pas voir dans saient une conception policière encore loin, mais le travail des inventer un avenir partagé et
le refoulement de ce drame de l’action, le boulet d’une his- historiens, autant que la lucidité assumé.
l’origine de ce que l’historien toire officielle immuable, tout des dirigeants tracent la voie.
Benjamin Stora a appelé «  le cela a engendré les drames et les Français et Algériens ont un Gérard Courtois
transfert de mémoire » : l’impor- paralysies dont l’Algérie reste, trop long passé commun, fût-il Le Monde daté du 24.10.2012
tation, en «  métropole » d’une aujourd’hui encore, prisonnière.
mémoire coloniale où se mêlent Comme ce fut longtemps le
la peur du «  petit blanc » et le cas à propos de Vichy, la vérité POURQUOI CET ARTICLE ? tal de la vie politique dont il révèle
sentiment d’abandon qui lui fait mal. Il fallut un demi-siècle certains clivages. Cette mémoire
est lié, son angoisse identitaire pour que Jacques Chirac dise, Dans cet article, nous voyons invite l’historien à s’interroger sur
face à l’islam, son racisme anti- en 1995, la responsabilité de comment la question des le pourquoi d’une telle force polé-
maghrébin et les crispations l’État français dans la rafle du mémoires de la guerre d’Algérie mique dans tout ce qui concerne la
occupe une place spécifique dans guerre d’Algérie. L’auteur se réfère
identitaires antagonistes qui en Vél’ d’Hiv et dénonce la colla-
un processus qui concerne par donc aux travaux de deux histo-
résultent. boration avec l’occupant nazi. Il ailleurs également la mémoire riens pour mieux comprendre
Pour l’Algérie, le traumatisme aura fallu aussi longtemps pour de la Seconde Guerre mondiale. ce processus. Michel Winock tout
fut tout aussi profond, même que François Hollande recon- Après la déclaration de François d’abord, Benjamin Stora ensuite
s’il était celui d’une libération. naisse la réalité de ce sinistre Hollande sur la répression de avec la question du « transfert de
La violence du nationalisme 17 octobre 1961. manifestation du 17 octobre 1961, mémoire » proposent des clés de
algérien – contre la France Paul Ricœur faisait précisément les avis exprimés par des membres lectures qui permettent de prendre
de l’UMP et du FN montrent que du recul avec les mémoires et de
bien sûr, mais aussi contre une de la «  reconnaissance  » la
l’usage politique de la mémoire est les analyser, de les intégrer dans le
partie des Algériens, dissidents condition de ce « petit miracle, toujours un processus fondamen- champ du travail de l’historien.
ou harkis –, la suprématie alors une mémoire heureuse ».

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Les passions s’apaisent
sur la guerre d’Algérie
Soixante ans après le début du conflit, l’IFOP a sondé les Français pour « Le Monde »
et la Fondation Jean-Jaurès.

S
ur la guerre d’Algérie, l’his- vous, qu’évoque-t-elle ? » sont de une assez forte majorité d’entre l’opinion. Cette acceptation glo-
toire a fait son chemin, ce point de vue révélatrices. eux. Soixante-huit pour cent des bale de l’histoire telle quelle s’est
mais pas encore au point Rares sont ceux qui reprennent personnes interrogées estiment réellement passée ne doit toute-
de faire converger les mémoires. un vocabulaire de l’époque ou ainsi que l’indépendance « a fois pas masquer la persistance
Tel est le double enseignement des qualificatifs symptomatiques été plutôt une bonne chose pour de réels clivages au sein de la
de l’enquête réalisée par l’IFOP d’une mémoire blessée («  événe- l’Algérie  », tandis que 65 % affir- population française.
pour Le Monde et la Fondation ments », «  abandon  », «  déchire- ment quelle a été «  plutôt une De ce point de vue, l’enquête met
Jean-Jaurès à l’occasion du soixan- ment », etc.). À l’inverse, une majo- bonne chose pour la France  ». La en lumière le poids des apparte-
tième anniversaire du début du rité répond avec des termes plus même question, posée par l’IFOP nances politiques dans le regard
conflit, la « Toussaint rouge » du abstraits ou plus génériques, ceux en mai 1972, n’avait pas donné les porté sur la guerre d’Algérie. Les
1er novembre 1954. des cours et des manuels, preuve mêmes résultats : à l’époque, à Français continuent ainsi d’avoir
Réalisée sur Internet du 22 au 25 que l’histoire a fait son œuvre peine plus d’un Français sur deux une vision assez différente du
octobre auprès d’un échantillon («  indépendance  », «  guerre  », estimait que l’indépendance avait conflit en fonction de leurs affi-
de 2 002 personnes représentatif « colonisation », « morts »). été «  plutôt une bonne chose » nités partisanes. Pour les sympa-
de la population française en âge pour chacun des deux pays. thisants du PS, celui-ci reste avant
de voter, cette enquête montre Acceptation globale Le fait qu’une nette majorité de tout «  une guerre de libération
d’abord que la guerre d’Algérie est Autre preuve de ce regard dis- Français considèrent aujourd’hui pour un peuple colonisé  ». Pour
en passe d’entrer dans l’histoire. tancé que portent aujourd’hui que l’issue du conflit a été la ceux qui se disent proches de
Les réponses à la question « Pour les Français sur le conflit : l’accep- bonne montre que l’événement l’UMP ou du FN, la guerre d’Algérie
tation de son dénouement par est en passe d’être « digéré » par est d’abord associée à «  l’arrivée

22 Le rapport des sociétés à leur passé


LES ARTICLES DU

des pieds-noirs en France ». autre. Il en va ainsi du « recours à des différences assez nettes appa- public. De ce point de vue, les
Sans surprise, certains événe- la torture par l’armée française », raissent quand d’autres catégories Français font une distinction
ments ont davantage marqué telle nettement plus cité à gauche qu’à sont évoquées : à gauche, seul un entre les médias et l’école. Dans
famille politique plutôt que telle droite, des «  attentats du Front Français sur deux estime ainsi les médias, cette place est jugée
de libération nationale », qui ont que la France s’est bien comportée suffisante par 43 % des personnes
POURQUOI laissé de plus vifs souvenirs à envers le « peuple algérien  » et interrogées mais insuffisante par
CET ARTICLE ? droite et à l’extrême droite, ou « les Français issus de l’immigra- 37 % d’entre elles. À l’école, en
du « retour du général de Gaulle tion algérienne », alors que cette revanche, 54 % des personnes
Cet article analyse les résul- au pouvoir  », beaucoup plus opinion est nettement majori- interrogées estiment qu’on n’en
tats d’un sondage réalisé en mentionné par les sympathisants taire à droite. parle « pas assez ». Cette curiosité
France en 2014, soixante ans UMP que par les autres. Seule la question des harkis, c’est- doit être vue comme une oppor-
après le déclenchement de la à-dire des Algériens favorables à tunité : combler cet appétit pour
guerre d’Algérie. Il montre que Frustration l’Algérie française, fait consensus : l’histoire est sans doute le meil-
par delà les tensions mémo- Restent un malaise et une frus- à droite comme à gauche, plus de leur remède aux plaies de la
rielles qui accaparent encore tration. Le malaise porte sur deux personnes interrogées sur mémoire.
souvent l’espace médiatique, le l’attitude de la France depuis la trois estiment que « la France s’est
rapport des Français à ce passé fin de la guerre d’Algérie. Si, pour plutôt mal comportée  » à leur Thomas Wieder
désormais lointain est plus une majorité de personnes inter- égard. Quant à la frustration, elle Le Monde daté du 31.10.2014
apaisé qu’on ne le croit. rogées, celle-ci s’est bien com- porte sur la place accordée à la
portée à l’égard des pieds-noirs, guerre d’Algérie dans l’espace

Une proposition de loi relance

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le débat sur la commémoration
de la guerre d’Algérie
Droite et gauche s’affrontent sur le choix du 19 mars comme « Journée
nationale du souvenir ». Le gouvernement est embarrassé.

C
’est un débat dont sa position, est très embarrassé. selon les termes employés lors du reconnaisse qu’il y avait bien eu
François Hollande se Comment commémorer la guerre congrès de la Fnaca, en 1963. une « guerre »…
serait bien passé. À d’Algérie ? Voilà cinquante ans À l’origine, la date ne faisait pas
quelques semaines du voyage que la question est posée, sans réellement polémique. Le 19 mars Alternative
du président de la République qu’aucune réponse consensuelle 1964, quand la Fnaca organisa une C’est dans les années 1970 que
en Algérie, prévu d’ici à la fin n’ait été trouvée. Depuis la fin du cérémonie à l’Arc de Triomphe, la bataille autour du 19 mars
de l’année, le Sénat doit exa- conflit, le combat pour la recon- les pouvoirs publics autorisèrent s’est politisée. En 1971, la Fnaca
miner, jeudi 25 octobre, une naissance du 19 mars est porté par la présence d’une musique mili- lance une campagne nationale
proposition de loi à forte charge la principale association de vété- taire. Le général de Gaulle, artisan en direction des municipalités
polémique : la reconnaissance rans, la Fédération nationale des des accords d’Évian, pouvait pour que celles-ci baptisent des
du 19 mars comme « journée anciens combattants en Algérie, difficilement s’opposer à ceux « rues du 19-mars-1962 » (il y en a
nationale du souvenir et de Maroc et Tunisie (Fnaca), qui qui voulaient les célébrer. Mais environ 1 700 aujourd’hui, essen-
recueillement à la mémoire des revendique 358 000 adhérents. il lui était pour autant difficile tiellement dans des communes
victimes civiles et militaires de L’argument est le suivant : jour de d’officialiser une telle date : c’eût de gauche). À droite, la contre-
la guerre d’Algérie et des com- l’entrée en vigueur du cessez-le- été reconnaître que les «  événe- offensive est notamment menée
bats en Tunisie et au Maroc  ». feu au lendemain de la signature ments  » d’Algérie n’étaient pas, par deux jeunes députés, Alain
La gauche est pour, la droite des accords d’Évian, le 19 mars comme on le disait à l’époque, de Griotteray et Charles Pasqua.
est contre, et le gouvernement, 1962 marque une « étape impor- simples « opérations de maintien Cette mobilisation est efficace :
conscient de la passion avec tante » vers « la paix », la guerre de l’ordre ». Rappelons qu’il fallut en 1975, un an après son élection
laquelle chaque camp défend étant qualifiée de « cauchemar », attendre 1999 pour que la France à la présidence de la République,

Le rapport des sociétés à leur passé 23


23
LES ARTICLES DU

Valéry Giscard d’Estaing interdit Notre-Dame-de-Lorette d’Ablain- « générations du feu ». Dans les les militaires d’active, ce jour est
la présence d’une musique mili- Saint-Nazaire (Pas-de-Calais). années suivantes, le 16 octobre un échec. Et pour les harkis et les
taire lors des cérémonies organi- Il y rejoint les corps de aura la faveur d’une partie des pieds-noirs, c’est un jour de grand
sées le 19 mars. 20 000 anciens combattants milieux anciens combattants, deuil, la fin de l’Algérie française,
Conscients toutefois qu’ils ne tombés en 1915 lors de la bataille pour qui la date a l’avantage de le jour où ils n’ont plus eu le choix
peuvent avoir gain de cause d’Artois, ainsi que ceux d’un rappeler l’héroïsme des soldats qu’entre la valise et le cercueil »,
s’ils n’imposent pas une alter- soldat inconnu de la guerre et non une défaite de l’armée explique M. Cléach.
native, les détracteurs du 19 de 1939-1945 et d’un déporté française. Au Palais du Luxembourg, jeudi,
mars cherchent une autre date. inconnu de la Seconde Guerre Pas plus que le 19 mars, toutefois, le 19 mars aura pour principal
Mais laquelle ? En 1977, un évé- mondiale. À travers cette céré- le 16 octobre ne fait l’unanimité. avocat Alain Néri, sénateur
nement vient à leur secours : monie, la guerre d’Algérie est Pour réconcilier les mémoires, socialiste du Puy-de-Dôme. En
le 16 octobre de cette année-là, symboliquement reliée aux une troisième date fait l’objet 2002, alors député, il avait déjà
un « soldat inconnu des com- grandes guerres du passé. Ses d’un décret en 2003 : celle du défendu une proposition de loi
bats d’Afrique du Nord » est vétérans s’inscrivent dans 5 décembre. Elle ne correspond à en faveur de cette date, dont
inhumé à la nécropole nationale la lignée des précédentes rien, sinon à l’inauguration par Jean-Marc Ayrault et François
Jacques Chirac, un an plus tôt, Hollande comptaient parmi
qui les tenait éloignés de leur d’un mémorial aux combattants les signataires. Celle-ci avait
POURQUOI famille. Mais, pour les pieds- d’Afrique du Nord, quai Branly été votée par 57 % des députés
CET ARTICLE ? noirs et les harkis, dont certains à Paris. Aujourd’hui, à l’excep- présents, dont quelques-uns de
furent victimes d’exactions et de tion de la Fnaca, les associations droite, mais jamais adoptée par
Querelle en apparence anodine massacres après ce cessez-le-feu d’anciens combattants, qui le Sénat.
voire ridicule, la question de la qui n’en fut donc pas vraiment regroupent environ un million de Pour M. Néri, «  il est temps de
date à laquelle doit être célé- un, commémorer une telle date personnes, auxquelles s’ajoutent revenir sur le 5 décembre, qui est
brée la fin de la guerre d’Algé- est un affront. Sans parler des les associations de rapatriés et une offense aux victimes de la
rie est pourtant l’une des plus soldats de métier, pour qui on de harkis, veulent maintenir le guerre d’Algérie, car elle n’a
âprement disputées. C’est que ne peut décemment commé- 5 décembre, moins par attache- aucune valeur historique ou sym-
chacun des groupes qui ont été morer une défaite, la deuxième ment à celui-ci que par rejet du bolique ». Pour lui, le choix du
impliqués dans ce conflit n’en a d’affilée après celle d’Indochine. 19 mars. C’est la position que 19 mars s’impose : «  La guerre

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pas la même vision, et que la fin On voit par là comment une défendra, jeudi 24 octobre, d’Algérie est restée trop longtemps
de la guerre n’a pas été la même commémoration, destinée à le sénateur UMP de la Sarthe, une guerre sans nom. Elle ne peut
pour tous. Ainsi le 19 mars, l’origine à apaiser les mémoires Marcel-Pierre Cléach : « On peut pas rester indéfiniment une
date officielle du cessez-le-feu, en rendant hommage au retour à comprendre que les anciens du guerre sans date. »
constitue-t-il un bon souvenir, la paix, peut raviver les blessures contingent [qui forment les gros
digne d’être commémoré pour mal cicatrisées d’une guerre bataillons de la Fnaca], soient
les anciens appelés, qui en ont dont on ne parvient pas à tour- attachés au 19 mars, qui fut pour Thomas Wieder
fini ce jour-là avec un dur conflit ner la page. eux un soulagement. Mais pour Le Monde daté du 25.10.2012

24 Le rapport des sociétés à leur passé


en europe

à nos jours (*)


idéologies et opinions

de la fin du xixe siècle

(*) : Hors-programme en TS.


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L’ESSENTIEL DU COURS

MOTS CLÉS
COMMUNISME
Dans la doctrine marxiste, état
Socialisme, communisme
ultime de l’histoire, où toute pro-
priété est abolie et où l’humanité
accède au bonheur. Les partis
et syndicalisme en
Allemagne depuis 1875
communistes poursuivent ce but
ultime, mais il n’a pu être mis en
œuvre dans aucun État où le parti
communiste a été au pouvoir.

L
IIE INTERNATIONALE
Association de partis politiques ’étude du socialisme, du communisme et du syndicalisme en
socialistes fondée en 1889. Les Allemagne depuis 1875 montre comment des idées politiques
communistes fondèrent une
IIIe Internationale en 1919.
et sociales se sont structurées et de quelle manière elles ont
été confrontées à la réalité. On voit également que les grands évé-
MARXISME-LÉNINISME nements ont marqué le pays : guerres mondiales, division pendant
Doctrine politique élaborée en
URSS et associant les idées poli- la guerre froide, expériences totalitaires avec le nazisme, mais aussi
tiques de Karl Marx et celles de avec la dictature communiste en RDA. Quels sont les liens entre
Lénine sur la façon de mener la
Révolution et d’organiser le pou- socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis
voir dans un état communiste. 1875 ? En quoi ont-ils été marqués par l’histoire du pays et suivant
SOCIAL-DÉMOCRATIE
quelles modalités en ont-ils été l’un des acteurs ?
Désigne, dans le cas présent, une

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idée politique qui associe des 1875-1919 : naissance et affirmation chefs, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont tués.
éléments socialistes réformistes du socialisme et du syndicalisme La division est profonde et durable entre le SPD et le
à l’acceptation des règles du libé- en Allemagne KPD. Le mouvement syndical, qui avait obtenu des
ralisme économique. lois sociales au début du XXe  siècle est un des plus
C’est en 1875 qu’apparaît un parti socialiste unifié importants d’Europe en nombre d’adhérents. Il éclate
SOCIALISME en Allemagne. Lors du congrès de Gotha, deux en 1919 entre un syndicat proche du SPD (l’ADGB), qui
Doctrine politique dont le sens partis socialistes s’unissent pour former le SAP privilégie la négociation, et un syndicat proche du
varie suivant le contexte. Pour (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands). En KPD (le RGO). L’arrivée au pouvoir du parti nazi en
les socialistes réformistes, il 1890, il prend le nom de SPD (Sozialdemokratische 1933 conduit à l’interdiction du SPD et du KPD, ainsi
Partei Deutschlands). Ce parti existe encore et a
désigne la volonté de faire que de tous les syndicats. De nombreux militants
gardé son nom d’origine. Il adopte les idées de Karl
évoluer les sociétés et les États sont déportés.
Marx, critiquant le capitalisme et appelant à une
dans le sens d’une plus grande
révolution prolétarienne pour une abolition de la
justice, notamment dans la propriété privée, et adhère à la IIe Internationale. De 1945 à nos jours : socialisme,
répartition des richesses. Les communisme et syndicalisme dans
communistes emploient aussi Dans un premier temps, le pouvoir s’oppose au un pays divisé puis réunifié
ce terme, mais pour désigner un socialisme. Le chancelier Bismarck fait voter une Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, SPD
régime politique dans lequel la loi antisocialiste en 1878. Dans les années 1890, ces et KPD se reconstituent. La division de l’Allemagne
propriété privée est abolie, au lois sont abolies et la majorité des membres du SPD va cependant avoir des conséquences décisives. En
profit de la propriété collective. évoluent vers des idées réformistes. La révolution 1949, la République fédérale d’Allemagne (RFA)
Il s’agit d’une étape sur la voie du russe d’octobre 1917 conduit à une fracture au sein est créée dans les zones d’occupations occidentales
communisme. du mouvement. et la République démocratique allemande (RDA)
dans la zone d’occupation soviétique. À l’Est, le
SOCIALISTES 1919 - 1945 : de la division SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands),
RÉFORMISTES à l’effacement communiste, devient un parti unique. Il dirige un
Socialistes qui souhaitent agir En janvier 1919, le parti communiste allemand, État qui est une démocratie populaire, c’est-à-dire
par la voie de la démocratie le KPD (Kommunistische Partei Deutschlands) est une dictature strictement contrôlée par l’URSS.
pour accéder au pouvoir et fondé. Les plus radicaux de ses membres, appelés Toute revendication sociale y est interdite, les
transformer l’économie et les les Spartakistes en référence à Spartacus, chef des syndicats étant aux ordres du pouvoir. La révolte
sociétés par la voie légale. Ils esclaves révoltés de la Rome antique, lancent un des ouvriers de 1953 à Berlin-Est est très violem-
se distinguent des socialistes mouvement révolutionnaire. Les socialistes du SPD, ment réprimée. Le marxisme-léninisme devient
révolutionnaires, qui souhaitent réformistes et dirigés par Freidrich Ebert, dirigent la doctrine officielle, qui est enseignée dans les
une action immédiate, totale et depuis novembre 1918, le nouveau régime qui a rem- écoles et les universités. L’origine allemande de
radicale pour renverser les cadres placé l’empire : la République de Weimar. Ils décident Karl Marx est également exaltée. En RFA, le KPD
politiques et sociaux. de réprimer violemment la révolte spartakiste. Ses est interdit en 1956.

26 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
1875
Congrès de Gotha, fondation
d’un parti socialiste unifié, le
SAP.

1878
Lois antisocialistes.

1890
Création du SPD suite à l’unifi-
cation de plusieurs mouvements
socialistes.

1er JANVIER 1919
Création du KPD.

JANVIER 1919
Révolte des Spartakistes.

1933
Interdiction des partis politiques
par Hitler.

1946
Le SPD, qui est alors dans l’opposition car le pays est dernier dirigeant de la RDA, Erich Honecker, est exclu Création du SED.
gouverné par la droite, avec les démocrates-chrétiens du parti, qui tente ainsi de trouver une certaine

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du CDU/CSU, s’engage encore plus dans la voie du respectabilité. Pourtant, le parti n’a pas survécu à la 1949
réformisme. Lors du congrès de Bad-Godesberg en fin de la RDA. Son héritage est repris par un nouveau Création de la RFA et de la RDA.
1959, il abandonne toute référence au marxisme et parti socialiste, le PDS (Partei des Demokratischen
adopte les idées de la social-démocratie. Il s’intègre Sozialismus). Le SPD revient au pouvoir en 1998, avec 1953
à la vie politique, profitant de l’alternance et gouver- le chancelier Gerhard Schröder. Il choisit de s’allier Soulèvement ouvrier en RDA.
nant le pays à deux reprises, de 1969 à 1982, avec les avec le parti écologiste. La politique qu’il mène reste
chanceliers Willy Brandt puis Helmut Schmidt. Le attachée au libéralisme économique et mécontente 1956
syndicalisme suit la même voie réformiste. La DGB une partie de la gauche : une gauche qui ne se Interdiction du KPD en RFA.
(Deutscher Gewerkschaftsbund) adopte le principe de reconnaît plus dans la social-démocratie s’affirme
la cogestion, siégeant avec le patronat pour résoudre alors. Le PDS élargit son audience et prend le nom 1959
les conflits par la voie de la négociation. C’est le de Linkspartei (Parti de gauche) en 2005. L’ancien Congrès de Bad-Godesberg : le
cas du syndicat IG Metall, associé à la plupart des membre dirigeant du SPD, Oskar Lafontaine, le SPD adopte la social-démocratie.
décisions importantes dans le domaine de l’industrie rejoint la même année. En 2007 un nouveau parti
sidérurgique, par exemple. Pourtant, l’idée d’un est créé, intégrant le Linkspartei et le WASG 1969
socialisme radical ne disparaît pas totalement en (Wahlalternative Arbeit und soziale Gerechtigkeit) : Willy Brandt devient chancelier
RFA. Il est ravivé lors du mouvement de mai 1968 et le parti Die Linke obtient plus de 10 % des voix en de la RFA.
dans les années 1970 ; certains activistes s’engagent 2009. Le mouvement syndical a été lui aussi marqué
dans la voie du terrorisme, comme les membres de par cette évolution, avec le retour à des revendica- 1989
la bande à Baader. tions plus radicales de la part de certains militants. Chute du mur de Berlin, abandon
La réunification de l’Allemagne, le 3 octobre 1990, Pourtant, les six millions de syndicalistes allemands du rôle dirigeant du SED en RDA.
change la donne. Depuis 1989 et la chute du mur de restent très majoritairement attachés à la voie de la
Berlin, la SED a abandonné son rôle dirigeant. Le négociation. 1990
Réunification de l’Allemagne.

TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER 1998


Gerhard Schröder devient
• Rétro n° 8 : 15-16 novembre 1959 1. Le SPD envoie Karl Marx au musée p.. 30 chancelier.
(Michel Noblecourt, Le Monde daté du 29.07.2009)
2005
• La longue nuit du PC de Berlin-Est p. 31-32 (Henri de Bresson, Le Monde daté du 10.12.1989) Le PDS devient le Linkspartei.

• En Allemagne, le Parti Social démocrate se positionne à gauche pour reconquérir l’électorat 2007
de Die Linke p.32-33 (Frédéric Lemaître, Le Monde daté du 12.01.2011) Création du parti Die Linke.

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 27


UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
COGESTION
Composition :
Principe selon lequel une entre- Socialisme, communisme et syndicalisme
prise doit être administrée par
des représentants du patronat en Allemagne de 1945 à nos jours.
et des salariats. Elle est mise en
place en Allemagne à partir de Analyse du sujet III. Le triomphe de la social-démocratie et le renou-
1951, où elle est fondée sur la Le sujet prend en compte trois aspects fonda- veau d’une gauche radicale
participation de syndicats puis- mentaux de l’engagement politique et social en 1. La social-démocratie du SPD de Gerhard Schröder :
sants, représentatifs des salariés. Allemagne : socialisme et communisme sont du sous le signe du libéralisme économique
domaine politique. Le syndicalisme, s’il n’est pas 2. Le réveil syndicaliste et la montée d’une gauche
DÉMOCRATIE LIBÉRALE nécessairement à gauche, trouve son origine histo- plus exigeante
Démocratie fondée sur des élec- rique dans des engagements proches du socialisme
tions représentatives, garantis- au début du XXe siècle. Il prend en compte la période Repères essentiels
sant les libertés individuelles. où l’Allemagne est divisée en zones d’occupations • RDA, RFA.
Elle est caractérisée par une (1945-1949), puis en deux États, la RFA et la RDA • Congrès de Bad-Godesberg, Linkspartei, PDS, SED, SPD.
séparation et un équilibre entre (de 1949 à 1990), ainsi que la période qui va de la • Cogestion, communisme, socialisme, social-
les pouvoirs législatifs-, exécutif réunification à nos jours. démocratie, syndicalisme.
et judiciaire. C’est le système mis
en place en RFA. Proposition de plan
I. La RDA et la toute-puissance du Parti communiste Ce qu’il ne faut pas faire
DÉMOCRATIE 1. L’arrivée au pouvoir du SED • Faire une partie sur le socialisme, une autre
POPULAIRE 2. La rhétorique marxiste-léniniste et la justification sur le communisme, une troisième
Démocratie dans laquelle le d’un état totalitaire sur le syndicalisme (« plan à tiroirs »).
peuple est théor iquement II. La RFA et le tabou du communisme • Ne pas tenir compte du contexte général
au pouvoir à travers le Parti 1. La guerre froide et l’ennemi communiste : inter- en ne soulignant pas les moments clés
communiste, qui représente diction du KPD de l’histoire du pays.

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le prolétariat. La RDA en est un 2. Du marxisme à la social-démocratie : la reconver- • À l’inverse, « raconter » l’histoire de l’Allemagne,
exemple. Dans les faits, il s’agit sion du SPD en ne faisant que ponctuellement allusion
d’une dictature dans laquelle le 3. Temporisation du mouvement syndical : la aux termes du sujet.
parti confisque le pouvoir et les cogestion
libertés.

ÉTAT TOTALITAIRE
Système politique dans lequel

DOCUMENT CLÉ
l’État, structuré par une idéologie
officielle, contrôle totalement la
société et prive les citoyens de
leurs libertés individuelles. Ce fut
le cas en RDA.
Portraits de Karl
Liebknecht et de
GAUCHE RADICALE Rosa Luxemburg
Terme désignant les partis qui
défendent une lutte radicale
contre toutes les formes d’oppres-
sions liées au capitalisme.
Son emploi est très large. Il peut
désigner des partis s’inscrivant
dans le jeu démocratique, mais
aussi des mouvements qui, dans
les années 1970, peuvent aller
jusqu’à l’emploi du terrorisme.

MOUVEMENT OUVRIER
Ensemble des actions militantes,
portées par les syndicats, mais
aussi par toutes les formes
R osa Luxemburg et Karl Lieb-
knecht sont membres du
SPD, le parti social-démocrate
du parti, en particulier lors du
déclenchement de la Première
Guerre mondiale. En opposition
le Parti communiste allemand
(KPD). Leurs discours militants
leur valent de nombreuses peines
d’engagements associatifs ou allemand. Défenseurs d’un totale avec le SPD qui vote les cré- d’emprisonnement et ils trouvent
individuels, qui militent pour marxisme radical, leurs posi- dits de guerre, ils fondent la Ligue la mort lors des soulèvements
l’amélioration des conditions de tions les éloignent petit à petit spartakiste, qui devient ensuite de 1919.
vie et de travail des ouvriers.

28 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


UN SUJET PAS À PAS

PERSONNAGES
Étude critique de document : CLÉS
Étudiez de façon critique le document en insistant en KARL MARX (1818-1883)
particulier sur le contexte dans lequel il a été élaboré. Vous Philosophe allemand, il analyse
l’histoire de l’humanité comme
montrerez en quoi il est révélateur des permanences et des le résultat d’une perpétuelle lutte
des classes. Pour remporter celle-
changements du socialisme allemand. ci, le prolétariat, dont Marx se
veut le défenseur, doit s’organiser
Analyse du sujet à l’échelle internationale en vue
Le programme du Parti social-démocrate La consigne qui accompagne le document est d’instaurer une « dictature du
allemand (SPD), défini au congrès de détaillée et indique clairement sur quoi il faudra prolétariat », étape transitoire en
Bad Godesberg, en RFA, en 1959 mettre l’accent dans l’analyse. Il est explicite- vue de l’avènement de la société
ment demandé de porter un regard critique sur communiste qu’il érige en idéal.
Valeurs fondamentales du socialisme : nous le document et de le replacer dans son contexte, Avec Friedrich Engels, il fonde en
nous opposons à toute dictature, toute forme pour bien en comprendre le sens et la portée. On 1847 la Ligue des communistes et
de domination totalitaire et autoritaire où la précise également qu’il est nécessaire de restituer rédige le Manifeste du parti commu-
dignité de l’homme est méprisée, sa liberté ce document dans le cours de la longue et chaotique niste en 1848.
supprimée et ses droits réduits à néant. Le histoire du SPD.
socialisme ne se réalisera que par la démocratie ; ERICH HONECKER
la démocratie ne peut s’accomplir que par le Problématique (1912-1994)
socialisme. [...] Les communistes se réclament En quoi la rupture opérée au congrès du SPD de Bad Emprisonné dans les années 1930
à tort de la tradition socialiste. En réalité, ils Godesberg en 1959 peut-elle être considérée comme du fait de son engagement commu-
en ont trahi la pensée. Les socialistes veulent le fruit d’une lente maturation ? niste, il est libéré en 1945 et promu
instaurer la liberté et la justice, tandis que les au sein de la nouvelle RDA. Leader
communistes exploitent les divisions sociales Proposition de plan du SED, il orchestre la construction

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pour installer la dictature de leur parti. L’État : I. Un contexte de guerre froide du mur de Berlin en 1961, avant de
la division de l’Allemagne menace la paix. La Montrez les nombreuses allusions au contexte prendre la tête du pays en 1971. Il
surmonter est indispensable pour le peuple de guerre froide et de division de l’Allemagne qui quitte le pouvoir en 1989, juste
allemand. Le Parti social-démocrate allemand se jalonnent le texte. Celles-ci permettent de com- avant l’effondrement du mur, et
reconnaît dans une démocratie où l’autorité de prendre pourquoi le SPD se détourne du marxisme, s’exile au Chili, où il meurt en 1994.
l’État émane du peuple et où le gouvernement considéré comme un attribut du bloc soviétique.
est toujours responsable devant le Parlement. WILLY BRANDT (1913-1992)
[...] L’expansion économique : le but de la poli- II. Une rupture dans l’histoire du socialisme Engagé très jeune dans des mouve-
tique économique du Parti social-démocrate allemand ments socialistes, dès 1929, il s’oppose
est l’accès de tous à la prospérité croissante. Expliquez en quoi l’abandon du marxisme, même au nazisme. Pendant la guerre, il se
[...] La libre consommation et le libre choix de s’il s’explique par le contexte du congrès, constitue réfugie en Norvège et résiste au
l’emploi sont des points fondamentaux ; la libre malgré tout pour le SPD une véritable révolution et régime nazi, qui le déchoit de la natio-
concurrence et la libre entreprise sont des élé- une rupture avec son histoire. nalité allemande. En 1948, il adhère
ments importants d’une politique économique au SPD, qu’il dirige de 1964 à 1987.
social-démocrate. [...] Une économie totalitaire III. Le résultat d’une lente évolution idéologique De 1969 à 1974, il devient le premier
ou dictatoriale détruit la liberté. C’est pourquoi Mettez en lumière les évolutions qui laissaient chancelier social-démocrate en RFA.
le Parti social-démocrate approuve un marché présager et ont finalement mené à cette rupture,
libre où règne la concurrence. Notre parcours : qui n’est donc pas aussi radicale qu’on pourrait le GERHARD SCHRÖDER
le mouvement socialiste accomplit une mission croire au premier abord, mais est au contraire le (NÉ EN 1944)
historique. Il est né d’une protestation naturelle point final d’un long processus de rénovation Membre du SPD depuis 1963, député
et morale des travailleurs salariés contre le sys- interne du SPD. depuis 1980, puis président du Land
tème capitaliste. [...] Éliminer les privilèges des de Basse-Saxe dans les années 1990,
classes dirigeantes et donner à tous les hommes il accède à la chancellerie en 1998.
liberté, justice et bien, c’est là tout le sens du
Ce qu’il ne faut pas faire Allié aux écologistes, il gouverne
socialisme. Malgré de lourds revers et nombre • La formulation de la consigne laisse clairement durant sept ans, au cours desquels
d’erreurs, le mouvement ouvrier a pu, aux xixe et apparaître le plan attendu. Mieux vaut donc il lance de vastes réformes impo-
xxe siècles, gagner la reconnaissance d’un grand éviter d’en choisir un autre. pulaires qui lui valent les critiques
nombre de ses revendications. • Attention à ne pas présenter le congrès de son propre camp. Retiré de la
seulement comme une rupture radicale ou vie politique depuis sa défaite
(Extraits de la déclaration finale du congrès comme un épiphénomène : il faut au contraire électorale de 2005, il jouit désor-
du Parti social-démocrate allemand, à Bad montrer qu’il est un tournant, mais que celui-ci mais d’une forte popularité car ses
Godesberg, RFA, 1959.) était prévisible et résulte d’une évolution réformes douloureuses sont consi-
entamée de longue date. dérées comme la cause de l’actuelle
prospérité allemande.

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 29


LES ARTICLES DU

Rétro n° 8 : 15-16 novembre 1959


1. Le SPD envoie Karl Marx au musée
Lors d’un congrès extraordinaire à Bad-Godesberg, le Parti social-démocrate allemand
abandonne toute référence au marxisme.

C
’est dans la salle des fêtes tive privée. » Le SPD réclame un Longtemps pacifiste et hostile Rovan, «  sortir du ghetto de son
de Bad-Godesberg, petite nouvel « ordre économique et à tout réarmement, il se électorat traditionnel voisin de
ville au sud de Bonn, social » fondé sur les valeurs de prononce en faveur d’une 30 % » et faire peau neuve.
que le Parti social-démocrate liberté, de justice et de solidarité. défense nationale mais souligne Trente ans avant la chute du
allemand (SPD) choisit de faire Influencé par de jeunes écono- que la République fédérale mur de Berlin, le SPD se guérit
ce qui apparut au fil du temps mistes comme Karl Schiller, «  ne doit ni produire ni utiliser de sa sclérose doctrinale. Aux
comme une révolution. Du 13 qui a comme devise « libre des armes atomiques  ». Enfin, élections de 1961, Willy Brandt, le
au 15 novembre 1959, 340 délé- concurrence autant que possible, pour mieux séduire l’électorat maire de Berlin, un des artisans
gués révisent, lors d’un congrès planification autant que néces- chrétien, le SPD affiche son de ce tournant réaliste, est candi-
extraordinaire, les tables de la saire », et le futur chancelier anticommunisme et « renonce dat à la chancellerie. En 1966, il
loi du SPD et suppriment toute Helmut Schmidt, le programme à la séparation de l’Église et de participe à un gouvernement
référence au marxisme. Erich de Bad-Godesberg défend le l’État ». dirigé par la CDU. Et, en 1969, il
Ollenhauer, le président du capitalisme mais ne renonce pas La presse française, y compris devient chancelier.
SPD, se défend de tout «  esprit à le réguler. La propriété privée Le Monde, traite avec discrétion Dès lors, le congrès de
d’abdication et de résignation », doit être encouragée « tant qu’elle Bad-Godesberg. «  On a voulu Bad-Godesberg devient l’étalon
mais souligne que si son parti n’empêche pas la mise en place présenter ce congrès doctrinal de la mutation doctrinale. De

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reste fidèle à Marx il ne sera d’un ordre social juste ». Mais comme celui de la rupture manière récurrente, le Parti
plus « qu’une secte condamnée à il insiste sur la nécessité d’un avec l’idéologie marxiste, écrit socialiste français est accusé de
disparaître ». contrôle public sur l’économie, l’envoyé spécial du Monde […]. n’avoir toujours pas accompli
Au terme de trois jours de débats, encourage la cogestion et Si rupture il y a, c’est bien plutôt « son Bad-Godesberg ». Pourtant,
« attentivement suivis mais rare- n’exclut pas la nationalisation avec toute forme d’idéologie et dès 1982, en choisissant une
ment animés », note l’envoyé en jugeant légitime une « mise en de perspectives à long terme.  » politique de rigueur dans le
spécial (anonyme) du Monde, le commun des moyens de produc- De fait, le parti d’Heidelberg cadre de l’économie de marché,
nouveau programme du SPD, tion » là « où il n’est pas possible a amorcé sa mue réformiste François Mitterrand avait
qui rompt avec le précédent de garantir par d’autres moyens aux congrès de Berlin (1954) abandonné la rupture avec le
d’Heidelberg en 1925, est un ordre sain des conditions et de Stuttgart (1958) qui capitalisme.
largement adopté, par 324 voix dans lesquelles s’exerce le pouvoir préfigurent l’aggiornamento Mais, en faisant une « paren-
contre 16. Le SPD se définit d’em- économique ». de Bad-Godesberg. Après trois thèse  », le PS de Lionel Jospin
blée comme « le parti de la liberté défaites électorales successives, refusa de théoriser cette
de l’esprit » et « des réformes ». Il Mutation doctrinale en 1949, en 1953 et en 1957, conversion réformiste. Ce n’est
arbore un «  socialisme démo- D’autres ruptures se produisent où la CDU-CSU du chancelier qu’en juin 2008 que le PS s’est
cratique » qui « prend racine en à Bad-Godesberg. Le SPD adopte Adenauer creuse l’écart, Erich enfin défini officiellement
Europe dans l’éthique chrétienne, les principes de la démocratie Ollenhauer accélère le rythme comme « un parti réformiste ». 
dans l’humanisme et dans la parlementaire. Il se montre de la mutation. Pour accéder au
philosophie classique ». favorable à la perspective d’une pouvoir, le SPD devait, selon la Michel Noblecourt
Sur le plan économique, la réunification de l’Allemagne. formule de l’historien Joseph Le Monde daté du 29.07.2009
social-démocratie se convertit à
l’économie de marché. La plate-
forme de Bad-Godesberg affirme POURQUOI CET ARTICLE ? Marx au profit de valeurs issues politique de la RFA, pays fortement
que le dogme du « passage de la du christianisme, de l’humanisme ancré dans le bloc de l’Est dans le
propriété privée à la socialisa- Cet article revient sur l’un des et de la philosophie. Un enjeu contexte de la guerre froide. Il
tion des moyens de production moments clés du socialisme en économique, avec la conversion à s’agissait également de trouver des
est abandonné. Les bases de Allemagne : le congrès de Bad- l’économie de marché. Un enjeu valeurs communes dans la perspec-
la politique économique sont Godesberg. Le SPD opère une social, avec l’appel à davantage de tive de la construction européenne.
désormais le libre choix de la transition complète vers la social- justice et de solidarité, sanction- Une transition qui a permis au
consommation et du lieu de démocratie, dont l’article montre nant l’ancrage à gauche du parti. Il parti de revenir aux affaires, dans
travail, ses éléments essentiels tous les enjeux. Un enjeu idéolo- s’agissait pour les membres du SPD les années 1960, en répondant aux
la libre concurrence et l’initia- gique : abandon de la référence à de s’intégrer pleinement à la vie attentes des citoyens.

30 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


LES ARTICLES DU

La longue nuit du PC de Berlin-Est


À l’issue de débats confus, le Parti communiste de RDA s’est donné un nouveau chef
le 9 décembre 1989, avant de décider de changer de nom et de programme.
Nommé, samedi matin Parti socialiste unifié d’Alle- membre du parti dans son L’incapacité d’organiser en si
9 décembre, président du PC magne (SED), sous lequel le entreprise, affirmant que ses peu de temps un débat véri-
est-allemand, l’avocat Gregor PC avait été créé en 1946 lors collègues avaient cessé de lui table sur le futur programme
Gysi a déclaré que le parti de la fusion forcée de l’ancien adresser la parole. du parti donnait un aspect
devait définir une nouvelle Parti communiste et du Parti Certains auraient souhaité quelque peu cosmétique aux
voie, caractérisée, notam- social-démocrate de la zone des solutions beaucoup plus réformes de structures envi-
ment, par une « démocratie d’occupation soviétique. Le radicales. Un délégué d’Erfurt sagées. Il ne s’est pas passé
radicale ». À Prague, les négo- nouveau nom du parti ne sera est venu proposer la dissolu- cinq jours en effet entre
ciations entre le pouvoir et toutefois décidé que le week- tion pure et simple du parti. la dissolution de l’ancien
l’opposition ont abouti, ven- end prochain. Le congrès Il s’est fait accueillir par des comité central et celle de
dredi soir, à un accord pour extraordinaire reprendra en sifflets. La proposition, qui l’ancien bureau politique, et
la formation d’un gouver- effet ses travaux dans une reflète néanmoins un cou- l’ouverture du congrès.
nement où les communistes semaine pour débattre des rant encore minoritaire, a été
seront minoritaires. À Sofia, grandes lignes des nouveaux repoussée dans la nuit par le
le comité central a procédé programmes et des statuts Congrès. Le premier ministre, Rompre avec le passé
à un remaniement impor- dont il entend se doter. M. Hans Modrow, était lui- stalinien
tant de la direction du parti, même intervenu avec véhé- Le report de la décision sur
qui renforce la position de mence, à la reprise des tra- le nouveau nom du parti
M. Mladenov, successeur de Dissolution refusée vaux à huis clos, contre une correspond à une certaine
M. Jivkov, lequel a été exclu Après avoir accepté d’ou- telle extrémité, affirmant logique. Des délégués avaient

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du comité central. À Moscou vrir le congrès à la presse, que son gouvernement avait fait valoir qu’il ne s’agissait
enfin, le comité central s’est les délégués n’ont cessé de besoin de s’appuyer sur un pas de mettre la charrue
réuni, samedi matin, à trois manifester à son égard leur parti en état de fonctionne- devant les bœufs. L’élection
jours de la session du Congrès hostilité, applaudiss ant ment pour poursuivre les du comité directeur et du
des députés, dans une atmos- bruyamment dès que l’on réformes. nouveau président du parti
phère tendue, en raison des demandait aux journalistes Selon les délégués le Premier n’a pas lui non plus donné
mises en garde répétées des d’interrompre l’interview des ministre aurait appelé le lieu à de réels débats.
conservateurs. dirigeants et de regagner leur parti à ne pas prendre trop Les listes de candidats à la
place à l’issue des interrup- de risques et aurait fait valoir direction avaient été arrêtées
La nuit a été très longue dans tions de séance. que M. Gorbatchev lui-même d’avance par les conférences
le stade couvert du célèbre La presse a fini par être prise aurait demandé de se mon- régionales de délégués, et il
club Dynamo de Berlin-Est où comme bouc émissaire au trer prudent, car un échec en n’y a eu que quelques candi-
les 2 800 délégués du congrès milieu de la nuit et priée de RDA menacerait tout mouve- dats en plus du nombre prévu
extraordinaire du Parti com- vider les lieux alors que l’on ment de réformes en Europe de membres du comité direc-
muniste est-allemand ont se disputait dans les rangs de l’Est. teur. L’avocat Gregor Gysi a
élu, samedi 9 décembre, aux sur la manière de poursuivre Le congrès parviendra-t-il été de la même manière le
premières heures du jour, les débats. à donner au pays l’image seul candidat pour la prési-
l’avocat Gregor Gysi, qua- Ceux-ci ont fait ressortir d’un nouveau départ ? Les dence. Le maire de Dresde,
rante et un ans, président l’énorme pression qui pèse nouveaux dirigeants avaient M. Wolfgang Berghofer, qui
d’un parti sans nom, dont actuellement sur les mili- bien senti, en avançant d’une a présidé les débats au cours
la structure de direction a tants du parti. Tel délégué semaine la date d’ouver- de la nuit et qui passait pour
été entièrement changée. est venu dire que dans son ture de ce congrès, que le l’un des candidats les plus
Les délégués ont ensuite entreprise le parti avait dû vide politique dans lequel sérieux, avait renoncé par
procédé à l’élection d’un se retirer sous la menace le pays s’enfonce en raison avance à se présenter contre
comité directeur (Vorstand ) de grèves. Tel autre que, si de l’absence de force poli- M. Gysi. Dans son discours
d’une centaine de membres l’on n’était pas capable de tique capable de représenter à l’ouverture du congrès, ce
pour remplacer l’ancien s’entendre sur des décisions réellement la population dernier s’est prononcé avec
comité central. Il n’y a plus concrètes, il ne serait pas à présentait un risque grave. force pour une rupture radi-
ni bureau politique ni secré- même de regagner lundi son Mais le déroulement des tra- cale avec le passé stalinien
taire général. À une majorité poste de travail tant la décep- vaux a montré qu’il était plus de la RDA. Avec des accents
qualifiée, le congrès avait tion des gens serait grande. facile de faire des discours qui rappelaient certains
voté auparavant dans la nuit Tel autre enfin avouait sa que de prendre des mesures débats socialistes en France
pour abandonner le nom de peur de se déclarer encore concrètes et réelles. à la fin des années 1970, il a

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 31


LES ARTICLES DU

revendiqué une « troisième dirigeants seraient menées un renforcement considé- l’avenir des deux Allemagnes
voie » socialiste entre les jusqu’au bout. Il a égale- rable de la coopération avec devait être laissée pour le
errements du passé et une ment défendu la dissolution l’Allemagne fédérale et a futur.
domination par le « complexe de l’ancien ministère de la indiqué que, si l’on pouvait Henri de Bresson
militaro-industriel interna- Sécurité d’État (Stasi). Il s’est avancer dans la voie de struc- Le Monde daté du 10.12.1989
tional ». « Notre combat, a-t-il prononcé pour la suppression tures confédérales, toute
dit, vaut contre toutes les des « groupes de combat » autre perspective concernant
structures monopolistiques de de la classe ouvrière, que
domination, que ce soit dans le gouvernement avait déjà POURQUOI CET ARTICLE ?
l’économie, la politique, la vie décidé en début de semaine En décembre 1989, l’« au- principes de la démocratie et
intellectuelle. Cette troisième de désarmer. tomne des peuples » conduit les libertés fondamentales, le
voie vers le socialisme que De son côté, M. Modrow, le à la chute des régimes com- but étant de sauver le parti, et
nous voulons se caractérise Premier ministre, auquel il munistes en Europe centrale avec lui l’État de RDA, en lui
par une démocratie radicale, était revenu de prononcer et orientale. Les partis com- donnant de nouveaux diri-
l’État de droit, l’humanisme, la première allocution du munistes, face à la pression geants capables d’assurer la
la justice sociale, la protection congrès, a consacré celle-ci du peuple, abandonnent pro- transition vers la démocratie.
de l’environnement, l’égalité à un plaidoyer en faveur de gressivement leur rôle diri- On sait que cette tentative fut
de la femme. Il ne s’agit pas l’existence de deux États
geant et tentent de se rénover vaine et que la RDA disparut.
de changer la tapisserie, nous allemands. « Stabilisons ce
pour survivre politiquement En revanche, l’héritage de la
voulons un nouveau parti », a pays en toute souveraineté.
proclamé M. Gysi avec force Ne nous laissons pas acheter dans un contexte pluraliste. SED rénovée a perduré grâce à
sous les acclamations de la par la République fédérale. L’article montre le climat l’action de certains de ses diri-
salle. La réunification n’est pas d’effervescence qui règne geants, qui se sont intégrés à
Le nouveau président du à l’ordre du jour », a-t-il alors dans les instances diri- la gauche allemande après la
parti a également rappelé que proclamé en soulignant le geantes de la SED. Le constat réunification, que ce soit dans
les enquêtes sur les abus de danger d’un « chauvinisme du divorce entre l’opinion et le cadre du SPD ou bien du
pouvoir et les privilèges que grand-allemand ». le parti conduit à admettre les Linkspartei.
s’étaient assurés les anciens Il a rappelé qu’il était prêt à

© rue des écoles & Le Monde, 2016. Reproduction, diffusion et communication strictement interdites.
En Allemagne, le Parti social-
démocrate se positionne à gauche
pour reconquérir l’électorat
de Die Linke
Des élections sont prévues dans sept des seize Länder au cours de l’année 2011.

À
l’aube d’une année élec- du chancelier Schröder (1998- internationale et déboucher, Clin d’œil
torale primordiale – les 2005) qui ont contribué à rendre avant les élections de 2013, La justice et la durabilité sont
Allemands vont être le pays plus compétitif mais sur un document intitulé les deux fondements du pro-
appelés à élire leurs représen- au prix de sacrifices pour les « La qualité de vie ». grès qu’il appelle de ses vœux.
tants dans sept des seize États- classes moyennes. Dans la Frankfurter Allgemeine « Concrètement, les personnes
régions en 2011 –, les partis de Les trois dirigeants du SPD ont Zeitung (du 10 janvier 2011), et les familles avec un revenu
gauche tentent de se mettre en publié, lundi 10 janvier [2011], Sigmar Gabriel, le président du mensuel brut compris entre 800
ordre de bataille. un long document de travail parti, explique dans une tribune et 3 000 euros par mois doivent
Le Parti social-démocrate (SPD), intitulé « Pour un nouveau pro- qu’« à l’avenir, l’État social doit à nouveau ressentir que c’est
dans l’opposition depuis 2009, grès et plus de démocratie ». remplir trois objectifs équiva- d’elles qu’il s’agit lorsqu’on parle
veut faire du « progrès  » le Celui-ci doit être discuté dans lents : il doit créer plus de justice, d’acteurs-clés dans ce pays »,
thème central des campagnes le parti jusqu’au congrès de rendre possible plus de solidarité précise-t-il.
à venir. Une façon de faire décembre. En 2012, la discussion et établir plus de consensus ». Pour le spécialiste de sciences
oublier les réformes de l’ère devrait être élargie à l’échelle politiques Klaus-Peter Sick,

32 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


LES ARTICLES DU

«  le SPD tente de reconquérir au cœur d’une polémique après Die Linke au niveau fédéral, très implanté dans l’ex-Alle-
une partie de l’électorat qui, le les propos de sa coprésidente, il n’en est pas de même dans magne de l’Est, recueille
trouvant trop libéral, l’a quitté Gesine Lötzsch, qui a appelé à les États-régions, notamment environ 10 % des voix au niveau
au profit de Die Linke ; cela « trouver la voie vers le commu- à Berlin. Créé par Gregor Gysi national. Si certains commen-
a notamment été le cas des nisme  ». Immédiatement, les et Oskar Lafontaine, un ancien t at e u r s estiment que
milieux syndiqués ». Dans son partis de droite ont dénoncé cet dirigeant du SPD, Die Linke a été Gesine Lötzsch a gaffé, Klaus-
texte, Sigmar Gabriel fait d’ail- objectif.Une des figures charis- destabilisé par la semi-retraite Peter Sick ne partage pas cet
leurs référence à Karl Marx, matiques du parti, Gregor Gysi, d’Oskar Lafontaine, replié avis : « Elle a envoyé un signal
pour qui « seul un capitalisme ancien membre du Parti com- depuis mai 2010 sur son Etat- aux vieux électeurs de l’Est et
dynamique crée les conditions muniste d’Allemagne de l’Est, région, la Sarre. Les deux copré- aux très jeunes qui trouvent que
du progrès social ». aujourd’hui président du sidents, Gesine Lötzsch (issue le SPD n’est pas suffisamment à
Ce clin d’œil n’est pas neutre. groupe Die Linke au Bundestag, de l’ex-RDA) et Klaus Ernst (issu gauche », analyse-t-il. Pendant
Depuis quelques jours, a dû corriger le tir, précisant : de l’ouest) n’ont pas le charisme ce temps, les Verts ont choisi,
Die Linke, ce parti qui a été créé «  Nous ne sommes pas et ne des fondateurs et ont du mal eux, de se positionner au centre
en 2007 par les déçus du SPD serons pas un Parti commu- à définir une ligne politique en appelant explicitement les
et les anciens communistes niste.  » Si Sigmar Gabriel précise. électeurs déçus par le
d’Allemagne de l’Est, se trouve a exclu de gouverner avec Malgré tout, le parti, encore Parti libéral à venir les
rejoindre.

POURQUOI CET ARTICLE ? Si le SPD avait depuis long- explique le succès du parti de Frédéric Lemaître
temps rompu avec la doctrine gauche radicale Die Linke dans Le Monde daté du 12.01.2011
L’histoire de la gauche alle- marxiste, la réunification alle- cette partie du pays. Un succès
mande est marquée par une mande l’a placé devant le défi qui pousse le SPD à revoir sa
incessante hésitation, qui se d’attirer à lui les électeurs de stratégie vers plus de radicalité.
traduit généralement en divi- l’ex-RDA qui ont précisément Mais à trop vouloir renforcer
sions, sur le degré de radicalité été formés dans un moule com- son aile gauche, le parti pourrait
des revendications à porter. muniste. C’est d’ailleurs ce qui bien y perdre son aile droite.

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Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 33


L’ESSENTIEL DU COURS

NOTIONS CLÉS
BOURRAGE DE CRÂNE
Expression inventée par les
Médias et opinion
« poilus » de 1914 pour désigner
l’action de la propagande, voire de
la censure, qui contrôlait l’informa-
publique dans les grandes
crises politiques en France
tion donnée pour éviter de briser
le moral des troupes et de l’arrière.

CRISE POLITIQUE

depuis l’affaire Dreyfus


Moment clé de l’histoire politique
d’un pays au cours duquel celui-ci
devient difficilement gouvernable.
La crise politique peut être liée à
des éléments internes ou bien au

P
contexte international.
resse écrite, radio, télévision, Internet… depuis la fin du
DREYFUSARD/ XIXe siècle, la France a connu une véritable révolution média-
ANTIDREYFUSARD tique. Celle-ci a accompagné la vie de la République, à la
Partisan de l’innocence ou de la
culpabilité du capitaine Alfred fois dans son enracinement, mais aussi dans ses crises. En effet,
Dreyfus, accusé d’espionnage au les médias révèlent les opinions exprimées dans le pays mais les
profit de l’Allemagne en 1894.
Cette division profonde de l’opi-
façonnent également, surtout depuis que la loi du 29 juillet 1881 a
nion traversa parfois même des garanti la liberté d’expression et a donné ses limites, qui sont l’in-
familles et cristallisa toutes les
passions du moment : anticlé-
terdiction de la diffamation et de l’appel à l’atteinte aux biens d’au-
trui et à la sécurité publique. Lors de certains moments clés qui

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ricalisme, antimilitarisme d’un
côté, antisémitisme, nationa- engagent le destin du pays, le lien entre médias et opinion publique
lisme de l’autre, sans pour autant
recouvrir totalement le clivage devient déterminant. La France a, en effet, connu un certain nombre
droite-gauche. de crises politiques, c’est-à-dire de moments où le destin du pays
LIGUES a ou aurait pu basculer, qui se sont caractérisées par des fractures
Mouvements nationalistes, profondes au sein de l’opinion publique.
souvent d’extrême droite, issus
des mouvements d’anciens
Comment les médias ont-ils été des acteurs lors des grandes crises
combattants de la Première politiques ? Quels engagements ont-ils révélés et quels furent leurs
Guerre mondiale et organisés rapports avec l’opinion publique ?
de façon parfois paramilitaire.
On peut citer le mouvement des
Croix-de-Feu, dirigées par le colo- Les médias et l’enracinement de l’idée
nel de la Roque. républicaine (1894-1918)
Au début du XXe siècle, l’action des médias – à
LOI DU 29 JUILLET 1881
cette époque, il s’agit essentiellement de la presse
S’inscrivant parmi les grandes lois
écrite – est fondamentale pour comprendre com-
sur les libertés, fondatrices de la
ment la République s’affirme et comment se
République, elle garantit la liberté définit la nation française.
d’expression, sauf provocation au
meurtre, au vol ou à l’incendie. Deux grandes crises la marquent en effet. Tout d’abord
l’affaire Dreyfus. Elle survient alors que la diffusion
MÉDIA de la presse s’accroît. Les lois scolaires de Jules Ferry
Terme latin repris en français et ont, en effet, fait progresser l’alphabétisation. Plus
signifiant « moyen ». Il désigne nombreux, les journaux voient leur coût baisser, et
tous les moyens de communica- leur présence dans les lieux de sociabilité, comme les politique. Le 1er novembre 1894, le journal d’extrême
tion – presse écrite, radio, télévi- cafés, augmentent encore leur lectorat. Il s’agit pour droite, très antisémite, La Libre Parole, d’Édouard
sion, Internet – et tout spéciale- l’essentiel d’une presse d’opinion marquée par le grand Drumont, accuse le capitaine Dreyfus, qui est juif,
ment ceux qui s’adressent aux débat du moment, portant sur la laïcité. À gauche, on de trahison et d’espionnage au profit de l’Allemagne.
masses, c’est-à-dire à un nombre trouve L’Humanité, à droite, La Croix, par exemple. Dreyfus est condamné. Une partie de la presse
important de personnes recevant Cette politisation de la presse va faire naître l’affaire prend alors sa défense. Le terme d’« intellectuel »
le même message. Dreyfus et contribuer à en faire un moment de crise est alors forgé pour désigner les journalistes qui s’y

34 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


L’ESSENTIEL DU COURS

expriment. Deux textes se distinguent dans cette relayent les informations, comme Libération  ; DATES CLÉS
presse : le « J’accuse » d’Émile Zola dans L’Aurore et Radio Londres est écoutée clandestinement. Le
« Les preuves » de Jean Jaurès dans La Petite République. 19 décembre 1944, le journal Le Monde est fondé, 29 JUILLET 1881
Cette bipolarisation de la presse reflète et alimente succédant au Temps. Il accompagne le retour à l’ordre Loi sur la liberté d’expression.
celle de l’opinion et contribue à surmonter la crise avec républicain.
la réhabilitation de Dreyfus en 1906 et donc la victoire 1894
des dreyfusards, le tout dans un contexte de victoire Début de l’affaire Dreyfus.
de la laïcité avec les lois de 1905.
La Première Guerre mondiale a constitué une autre 13 JANVIER 1898
épreuve pour la République. L’« union sacrée » de tous Publication dans L’Aurore du
les partis politiques conduit aussi à un strict contrôle « J’accuse » de Zola.
de la presse pour éviter le défaitisme, notamment
en 1917 alors que le moral des troupes et de l’arrière 1906
faiblit. Certains journalistes dénoncent toutefois ce Dreyfus est réhabilité.
« bourrage de crâne » : en 1915, Maurice et Jeanne
Maréchal fondent Le Canard enchaîné, hebdomadaire 1915
satirique. Fondation du Canard enchaîné.

Médias entre crises et guerres 6 FÉVRIER 1934


(1918-1945) Manifestation des ligues d’extrême
Dans les années 1930, la crise économique frappe Médias et opinion dans les crises droite devant l’Assemblée natio-
le pays et conduit à raviver les tensions. Depuis des IVe et Ve Républiques nale. L’intervention de la police fait
le lendemain de la Première Guerre mondiale, (1946 à nos jours) 15 morts.
répondant à la « brutalisation » des sociétés lors Les médias accompagnèrent les Français dans
du conflit, des partis politiques aux choix plus la guerre d’Algérie. Celle-ci aboutit à une crise 10 JUILLET 1940
extrêmes apparaissent, et avec eux une presse politique le 13 mai 1958. La presse, presque Vote des pleins pouvoirs au maré-
encore plus mobilisée. À droite, on peut citer L’Action unanime, soutient le retour du général de Gaulle chal Pétain.
française de Charles Maurras. À gauche, le journal au pouvoir. Il utilise alors les médias comme

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L’Humanité devient communiste suite à la scission relais avec l’opinion publique, d’autant plus que 13 MAI 1958
entre socialistes et communistes au congrès de certains de ces médias sont très contrôlés par Retour au pouvoir du général de
Tours en 1920. La radio apparaît également avec l’État. L’ORTF possède le monopole des émissions Gaulle suite au risque de coup
la première émission publique en 1921, mais elle de télévision. Elles sont émises depuis 1947, mais d’État lié à la guerre d’Algérie.
se diffuse surtout à la fin des années 1930 et est les téléviseurs entrent lentement chez les Français
strictement contrôlée par l’État. Le 6 février 1934, avant les années 1960. Le Général prononce 23 AVRIL 1961
une nouvelle crise politique intervient. Suite à des dans ces années de nombreux discours lors des Putsch des généraux à Alger.
scandales comme l’affaire Stavisky, qui implique moments clés de la vie de la nation. La radio est
des députés, des ligues d’extrême droite organisent encore un outil efficace : en dénonçant dans MAI 1968
ce jour-là une importante manifestation devant un message le « quarteron de généraux à la Mouvement des étudiants, rejoints
l’Assemblée nationale. La presse donne alors deux retraite », le général de Gaulle fait échouer le ensuite par les travailleurs.
versions des faits, comme lors de l’affaire Dreyfus : putsch d’avril 1961 en s’adressant directement
pour les journaux de gauche, il s’agissait d’une aux appelés du contingent pour qu’ils ne suivent 21 AVRIL 2002
tentative de coup d’État, pour ceux d’extrême pas les putschistes. Cependant, les événements Jean-Marie Le Pen au second tour
droite, d’une répression sanglante face à une simple de mai 1968 montrent que les médias officiels des élections présidentielles.
manifestation. Ce ressentiment de l’extrême droite souffrent d’un déficit de crédibilité chez les jeunes
s’exprima pleinement en juillet 1940 avec la mise et les travailleurs. Une nouvelle presse, plus
en place du régime de Vichy. Devant l’instauration indépendante, fleurit dans les années 1970. PERSONNAGE
d’un régime autoritaire, antisémite et collaborateur,
les médias se divisent. La presse officielle est
La dernière crise politique qu’a connue la France est
celle qui intervient le 21 avril 2002, avec la présence
CLÉ
maréchaliste, la presse d’extrême droite, comme Je de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection ÉMILE ZOLA (1840-1902)
suis partout, pousse le régime à se durcir. Radio Paris présidentielle. De nouveaux médias sont apparus, Célèbre auteur de romans, prin-
est strictement contrôlée. Une partie de la presse notamment Internet. Ils permettent la diffusion cipal représentant du courant
entre alors en Résistance. Des journaux clandestins de l’information : les sondages qui n’avaient pas naturaliste, il s’engagea auprès de
annoncé un tel résultat, mais la gauche dans les batailles sociales
aussi les messages de mobilisation menées sous la IIIe République. Il
DEUX ARTICLES DU MONDE À CONSULTER utilisant les courriels et les SMS. prit parti publiquement pour
Les médias ont ainsi accompagné Dreyfus dans un texte intitulé
• Pamphlétaires et enquêteurs p. 38-39 la vie politique en France et joué « J’accuse », inaugurant l’enga-
(Thomas Ferenczi, Le Monde daté du 13.01.1998) un rôle clé dans les moments de gement des intellectuels dans
crises politiques. Cristallisant les la presse. Une constante qui
• Les secrets de fabrique d’un sondage politique p. 39-40 opinions, ils ont ancré en France se retrouve lors de toutes les
(Gérard Courtois et Thomas Wieder, Le Monde daté du 17.03.2011) une liberté fondamentale : la liberté grandes crises politiques des XXe et
d’expression. XXIe siècles.

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 35


UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
AFP (AGENCE FRANCE
Composition : 
PRESSE) Médias et grandes fractures de l’opinion publique
Créée en 1944, elle fournit aux
autres médias une information lors des grandes crises politiques en France
impartiale sous la forme de
dépêches.
(de la fin du XIXe siècle à nos jours).
BIPOLARISATION Analyse du sujet 2. Les médias comme contre-pouvoir (soutien à
Division de l’opinion en deux Le sujet porte l’attention du candidat sur les divi- Dreyfus et antimilitarisme, révélations des journaux
camps. Les médias reflètent cette sions profondes de l’opinion publique lors des crises d’opinion : de l’affaire du canal de Panamá aux
bipolarisation, mais y contribuent politiques majeures. Une des constantes des crises écoutes de l’Élysée, de l’affaire Stavisky au finance-
également. C’est pour la première majeures est de conduire à une bipolarisation plus ment des partis)
fois pendant l’affaire Dreyfus que ce radicale de l’opinion publique. Les médias sont plei-
concept fonctionne, avec une affaire nement investis dans ce processus. Il s’agit de prendre Repères essentiels
qui pousse chacun à prendre parti. en compte l’ensemble des médias, suivant leur date • Liste des grandes crises de la vie politique française.
d’apparition et l’évolution de leur diffusion dans • Noms des grands organes de presse suivant leur
CSA (CONSEIL SUPÉ- l’opinion. type (journal, magazine, etc.), leur positionnement
RIEUR DE L’AUDIOVISUEL) politique, de même que les grands réseaux de radio
Créé en 1989, il a pour mission de Proposition de plan et de télévision, sites internet, etc.
surveiller les médias télévisuels et I. Les grandes crises politiques et leurs enjeux • Acteurs de l’engagement dans la presse (journalistes,
radiophoniques afin de s’assurer de 1. Les grandes crises politiques (au choix : affaire chroniqueurs, éditorialistes), textes importants (par
la conformité de leur contenu avec Dreyfus, Première Guerre mondiale, mai 1968, exemple « J’accuse » de Zola).
la loi. En période électorale, c’est lui avril 2002, etc.)
qui veille au respect de l’égalité du 2. Les médias existants (radiophonique, télévisuel,
temps de parole entre les différents presse) et leur lien avec les crises : prises de position,
candidats. prises de parole Ce qu’il ne faut pas faire

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II. Les médias, relais de la parole officielle
OPINION PUBLIQUE 1. Les médias et leur relation avec le pouvoir • « Raconter » l’ensemble de la vie politique
Terme qui désigne les convictions, 2. La difficile limite entre l’information et la propa- française de la période en faisant de temps
les avis, les jugements de l’ensemble gande (presse de gauche dans les années 1930, presse en temps allusion aux médias.
des citoyens. Elle peut être unie ou d’extrême droite sous Vichy, versatilité des médias • Ne parler que de la presse écrite et pas
divisée, suivant les points considé- face aux changements de majorité) des autres médias.
rés. Les médias en sont le reflet mais III. Les médias, tribunes de l’opinion • N’évoquer qu’une partie de la presse engagée
peuvent également l’influencer. 1. Les médias porteurs d’une parole contestataire en négligeant les autres points de vue.
(mai 1968)
ORTF
Office de radiodiffusion télévision
française. De 1964 à 1974, il possède
une situation de quasi-monopole
de diffusion sur les ondes. Il faut DOCUMENT CLÉ
attendre 1981 pour que les radios
indépendantes puissent émettre
sur la bande FM et 1984 pour
qu’apparaisse la première chaîne
privée de télévision.
D ans la tradition des écrivains
défenseurs des grandes
causes politiques, à l’instar d’un
Voltaire ou d’un Victor Hugo,
PRESSE D’OPINION Émile Zola prend position dans
Presse écrite qui a pour vocation non la défense du capitaine Dreyfus.
seulement de relayer l’information, Dans son article « J’accuse » paru
mais aussi d’en donner une inter- dans le journal L’Aurore le 13 jan-
prétation suivant un point de vue vier 1898, il s’adresse au président
assumé. Cette presse couvre tout de la République Félix Faure et
l’éventail politique, depuis l’extrême récuse les décisions de justice
gauche jusqu’à l’extrême droite. prises à l’encontre de Dreyfus. Jugé
pour ses propos antimilitaristes
PRESSE INFORMELLE et accusateurs, il est condamné
Presse échappant au système à l’exil.
commercial et qui est produite et
diffusée par des réseaux associatifs La une de L’Aurore, « J’accuse »
ou politiques.

36 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


UN SUJET PAS À PAS

Étude critique de documents : ZOOM SUR…


Les principales crises
Montrez que ces deux documents reflètent les fractures de politiques françaises depuis
la fin du xixe siècle
l’opinion publique lors de l’affaire Dreyfus. Permettent-ils de
SCANDALE DES
comprendre les rapports entre médias et opinion publique ? DÉCORATIONS (1887)
Le scandale éclate lorsque la presse
révèle que le gendre du président
Jules Grévy monnaye son influence
J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam auprès de son oncle à des personnes
d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur souhaitant obtenir la Légion d’hon-
judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et neur. Jules Grévy est finalement
d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, contraint à la démission.
depuis trois ans, par les machinations les plus
saugrenues et les plus coupables. […] J’accuse SCANDALE DE PANAMÁ
enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé (1892)
le droit, en condamnant un accusé sur une Cette affaire de corruption, qui
pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil implique des députés mais aussi
de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par des journalistes, est liée à des verse-
ordre, en commettant à son tour le crime juri- ments de pots-de-vin par la compa-
dique d’acquitter sciemment un coupable. […] gnie chargée de la construction du
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais canal de Panamá.
pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux
ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que 6 FÉVRIER 1934
des entités, des esprits de malfaisance sociale. Ce jour-là, une manifestation
Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen organisée principalement par les

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révolutionnaire pour hâter l’explosion de la ligues d’extrême droite se termine
vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, en émeute place de la Concorde.
celle de la lumière, au nom de l’humanité qui Plusieurs manifestants sont tués
a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma par les forces de l’ordre, qui tentent
protestation enflammée n’est que le cri de de les empêcher de franchir la
mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour Seine et de pénétrer dans le Palais-
d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! Bourbon, siège de l’Assemblée
nationale.
(Émile Zola, « J’accuse », extraits, Caricature de Caran d’Ache, parue dans Le Figaro,
le 14 février 1898.
une du journal L’Aurore du 13 janvier 1898.) CRISE DU 13 MAI 1958
Ce jour-là est créé un Comité de salut
public à Alger, en faveur du maintien
de l’Algérie française, qui menace le
L’analyse du sujet Problématique gouvernement de la IVe République
La consigne est relativement longue, car elle contient En quoi la presse a-t-elle été tout à la fois le reflet et d’une tentative de putsch. On fait
en fait plusieurs éléments, deux précisément. Dans l’instrument des débats d’idées qui agitèrent la société alors appel, le 29 mai, au général
un premier temps, il s’agit de montrer en quoi les française pendant l’affaire Dreyfus ? de Gaulle, qui apparaît comme
deux documents permettent d’illustrer et de com- l’homme providentiel. Il accepte, à
prendre les clivages causés par l’affaire Dreyfus dans Proposition de plan condition de pouvoir proclamer une
l’opinion publique de l’époque. Puis il est demandé de I. La presse, reflet des divisions suscitées par nouvelle Constitution, au pouvoir
réfléchir à l’impact des médias sur l’opinion publique l’affaire Dreyfus exécutif fort.
dans le cadre de ce que l’on a appelé « l’Affaire ». Toute Insister sur le rôle de la presse d’opinion, dont sont
la difficulté est de parvenir à donner une réponse extraits les deux documents à analyser : à l’inverse de MAI-JUIN 1968
commune à ces deux questions, en montrant le lien la presse d’information, qui se contente de relater des Parti des universités de la région
qu’il y a entre elles. événements de manière neutre, la presse d’opinion parisienne, le mouvement de
se concentre sur le commentaire et l’analyse des protestation de mai-juin 1968
événements autour desquels elle entretient le débat. se propage ensuite au reste de
Ce qu’il ne faut pas faire la France. Bientôt les ouvriers se
• La problématique étant double, il ne faut pas II. La presse et son rôle d’acteur dans l’affaire Dreyfus mettent en grève et rejoignent les
négliger un des deux aspects, et rester attentif En publiant le texte de Zola, L’Aurore fait rebondir étudiants dans les rues. La crise
à bien la traiter dans son ensemble. l’Affaire et lui donne une ampleur nouvelle. Le journal prend fin avec les accords de
• Ne pas confronter entre eux les deux possède donc une influence sur le cours des choses Grenelle et surtout le triomphe
documents. qui explique qu’on peut le considérer comme un des électoral du président de Gaulle
protagonistes à part entière de l’Affaire. en juin.

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 37


LES ARTICLES DU

Pamphlétaires et enquêteurs
En publiant « J’accuse », Zola s’inscrit dans une forte et glorieuse tradition de la
presse française, celle de la lutte contre les pouvoirs. Toutefois l’affaire Dreyfus ne fut
pas seulement une bataille d’opinions, mais aussi une bataille d’informations.

L
a « Lettre à M. Félix Avant que n’existe le métier de d’une série d’articles de toutes militaire allemand, innocentant
Faure, président de la journaliste, qui s’organise dans tendances qui, depuis la fin de Dreyfus.
République », publiée par le dernier quart du XIXe siècle, l’année 1894, ont été l’occasion, Tout au long de l’affaire,
L’Aurore sous le titre « J’accuse », les hommes politiques, souvent, pour les journalistes, de rivaliser dreyfusards et antidreyfusards
appartient à un genre journa- et les écrivains, parfois, ont pra- dans la recherche du « scoop » et s’affrontent donc, par journaux
listique bien défini : l’éditorial tiqué cet exercice, qui donne de multiplier enquêtes, inter- interposés, à coup de témoi-
militant. Un tel article relève aux journaux leur ton. views, reportages. gnages inédits, de renseigne-
de la longue tradition du jour- Balzac cite, parmi les meil- C’est La Libre Parole, de Drumont, ments exclusifs, de documents
nalisme d’opinion et même de leurs représentants du qui, le 29 octobre 1894, révèle l’ar- ignorés. De ce point de vue,
polémique, dont la Révolution genre, Benjamin Constant, restation du capitaine Dreyfus, l’affaire Dreyfus marque une
française a marqué la véritable Chateaubriand, Paul-Louis sur le mode interrogatif, et sans étape décisive dans la naissance
naissance avant que le XIXe siècle Courier sous la Restauration, dévoiler l’identité de l’accusé. d’un journalisme d’information
ne l’illustre à son tour. puis, sous la monarchie de L’agence Havas, L’Éclair, La Patrie qui se définit peu à peu face
Avant même que la loi de 1881 Juillet, Lamennais, même si, confirment l’information, et Le au journalisme d’opinion. Ainsi
n’ait consacré la liberté de la selon lui, « ce grand écrivain a Soir, le premier, rend public le est-ce le patient travail d’investi-

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presse, celle-ci a surtout servi oublié que le pamphlet est le nom de Dreyfus. Au cours des gation mené par Bernard Lazare
de tribune politique à tous ceux, sarcasme à l’état de boulet de mois et des années qui suivent, et par d’autres journalistes qui
de quelque bord qu’ils fussent, canon ». Après eux, d’autres les journaux tentent d’exploiter sert de base au pamphlet de
qui voulaient défendre leurs grands noms de la littérature, de les « fuites », les confidences, les Zola.
idées ou attaquer celles des Victor Hugo à Maurice Barrès, révélations, vraies ou fausses, De ce nouveau journalisme,
autres. Publié sur six colonnes ont conféré au journalisme venues de l’un ou l’autre bord. qui recourt aux techniques
à la une, le texte de Zola a béné- d’idées, considéré comme le Ainsi L’Éclair, en septembre anglo-saxonnes du reportage
ficié, il est vrai, d’un traitement grand journalisme, ses lettres 1896, lève-t-il le voile sur la pièce ou de l’interview et qui préfère
exceptionnel, à la mesure de la de noblesse. secrète, accablante pour Dreyfus, les faits aux idées, l’auteur de
bataille engagée par L’Aurore. En publiant « J’accuse », Zola dont on devait apprendre « J’accuse » est loin d’être un
Car c’est bien au service d’une s’inscrit donc dans une forte ensuite qu’elle avait été forgée fervent partisan. « Le flot de
bataille politique que l’auteur et glorieuse tradition de la par le colonel Henry. l’information à outrance, écrit-il
des Rougon-Macquart a mis sa presse française, celle de la En novembre 1896, Le Matin en 1888, a transformé le jour-
plume. « J’accuse » est un écrit lutte contre les pouvoirs. publie le fac-similé du fameux nalisme, tué les grands articles
de combat, voire un pamphlet. L’arme de cette lutte n’était bordereau, ce qui permet aux de discussion, tué la critique
« Le pamphlétaire est rare, écri- pas seulement le journal, amis de Dreyfus d’en comparer littéraire, donné chaque jour
vait Balzac dans sa Monographie c’était aussi la brochure : pré- l’écriture avec celle du capitaine. plus de place aux dépêches, aux
de la presse parisienne, plus cisément, sur l’affaire Dreyfus, En novembre 1897, Le Figaro nouvelles grandes et petites, aux
d’un demi-siècle avant l’affaire entre ses derniers articles du désigne, sans le nommer, mais procès-verbaux des reporters et
Dreyfus ; il doit d’ailleurs être Figaro, en décembre 1897, et d’une façon que les initiés des interviewers ». Il n’est pas le
porté par les circonstances ; mais son premier article de L’Aurore, peuvent comprendre, Esterhazy seul, à l’époque, à s’inquiéter
il est alors plus puissant que le en janvier 1898, Zola a diffusé comme l’auteur du document. des dérives du « nouveau jour-
journal. » Si le pamphlétaire en brochures sa « Lettre à la Deux semaines plus tard, il nalisme », qui flatte son public
est rare – entendons le pam- jeunesse » et sa « Lettre à la publie une lettre compromet- au lieu de l’éduquer.
phlétaire de talent, celui dont France ». Toutefois l’affaire tante du même Esterhazy à son Dans un article du Figaro, un
le texte fait mouche parce qu’il Dreyfus ne fut pas seulement amie, Mme de Boulancy. En mois avant « J’accuse », il dis-
est « sans faute » – , le tribun, une bataille d’opinions, elle fut avril 1899, Le Siècle divulguera tingue trois sortes de journaux,
lui, bon ou mauvais, ne manque aussi une bataille d’informa- des propos privés du colonel qu’il condamne avec la même
pas dans l’histoire de la presse. tions. « J’accuse » vient au terme von Schwarzkoppen, attaché sévérité : « La basse presse en rut,

38 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


LES ARTICLES DU

battant monnaie avec les curio- des effets positifs. En dépit de Journaliste « à l’ancienne », par journalisme moderne, dont il eut
sités malsaines » ; les « journaux sa nostalgie de la presse d’antan, son attachement à une presse la lucidité de dénoncer les excès
à un sou », coupables « d’obs- l’auteur des Rougon-Macquart pour tribuns et écrivains, l’auteur et de percevoir les vertus.
curcir la conscience publique et est de ceux qui comprennent le de « J’accuse » sut aussi, à ce
d’égarer tout un peuple » ; et mieux les nouvelles tendances moment-charnière de l’histoire Thomas Ferenczi
« la grande presse, la presse dite et qui contribuent même à leur de la profession, ouvrir la voie au Le Monde daté du 13.01.1998
sérieuse et honnête », qui se développement. Ainsi accorde-
contente « de tout enregistrer t-il de nombreuses interviews, POURQUOI CET ARTICLE ?
avec un soin scrupuleux, la vérité au moment où le genre devient
comme l’erreur ». La raison de à la mode. Il a lui-même lon- L’auteur nous plonge dans le Le journalisme moderne est en
cette faillite générale est, pense- guement collaboré à plusieurs contexte de l’affaire Dreyfus train de naître. L’affaire Dreyfus
t-il, que « la presse immonde a publications. Il va même jusqu’à qu’il replace dans le cadre du est donc un moment-clé dans
dévoyé la nation ». conseiller aux jeunes roman- XIX e siècle français. En effet, lequel la presse prend conscience
l’affaire s’inscrit dans un temps de sa force mais aussi de sa diver-
Une partie de la presse, pour- ciers de s’essayer à cet exercice
où des écrivains qui sont aussi sité. C’est d’ailleurs la presse elle-
tant, à commencer par celle afin de forger leur style sur des polémistes révolutionnent même qui a créé l’affaire, en tant
qui a ouvert ses colonnes « l’enclume toujours chaude, la presse. C’est le sens de la com- que telle, en tissant un lien entre
à Zola, a sauvé l’honneur. Le toujours retentissante du jour- mémoration du centenaire du un procès qui se révéla être une
goût du reportage, le recours à nalisme ». C’est lui qui, en 1893, « J’accuse » d’Émile Zola, publié le erreur judiciaire et une opinion
l’enquête, l’attention portée à conduit à Londres la délégation 13 janvier 1998. La notion d’« intel- publique qui jugeait cette affaire
l’événement, la mise en scène de française au premier Congrès lectuel » apparaît donc en même souvent par des présupposés idéo-
temps que celle d’« information ». logiques.
l’actualité peuvent donc avoir international des journalistes.

Les secrets de fabrique

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d’un sondage politique
Un sondage Ipsos-Logica Business Consulting pour « Le Monde » et Europe 1 donne
les intentions de vote en 2012.

L
a polémique sur les Qui décide quoi ? François Hollande, Ségolène donc retenu, au risque de minorer
sondages resurgit. Elle Le directeur général délégué Royal et Dominique Strauss- le score potentiel du président
a été lancée par la publi- d’Ipsos France, Brice Teinturier, Kahn) sont celles des personna- sortant.
cation dans Le Parisien, les a décidé, le 10 mars, de réaliser lités qui paraissent en mesure de Dès cette étape, il est donc clair
6 et 8 mars, de deux enquêtes une enquête afin de confirmer, remporter la primaire prévue à qu’un tel sondage repose sur des
d’Harris Interactive qui plaçaient ou de corriger, la tendance tracée l’automne. choix discutables. Dans l’idéal,
la présidente du Front national par Harris Interactive. Europe 1 Pour les autres, nous avons testé il faudrait tester toutes les can-
en tête au premier tour de la s’y est associé. Bien qu’il ne soit les candidatures les plus pro- didatures et les configurations
présidentielle de 2012, quels que pas un commanditaire régulier bables. Ainsi a été retenue celle possibles. Cela conduirait à un
soient les autres candidats. de sondages, Le Monde a saisi – déclarée – d’Eva Joly pour les questionnaire trop long et trop
Les modalités de réalisation de l’occasion pour tenter de mettre à écologistes, et non celle, encore coûteux.
ces enquêtes ont été critiquées plat les conditions de réalisation virtuelle, de Nicolas Hulot.
d’autant plus vivement qu’une d’une telle enquête, dont le coût De même, dès lors que le centre Qui interroge-t-on ?
proposition de loi adoptée à l’una- est de l’ordre de 10 000 euros. droit entend être présent dans Cette enquête a été réalisée sur
nimité par le Sénat, le 14 février En accord avec Ipsos, nous avons la compétition, nous avons un échantillon de taille classique
[2011], vise à imposer des règles décidé de ne publier des inten- testé Hervé Morin qui a claire- (948 personnes), représentatif de
de transparence beaucoup plus tions de vote que sur le premier ment exprimé son intention la population française âgée de
strictes aux instituts de sondage. tour : faire des estimations de de concourir, ce qui n’est pas le 18 ans et plus, personnes inscrites
Dans ce contexte, Le Monde a second tour est prématuré tant cas de Jean-Louis Borloo. Restait sur les listes électorales.
décidé de publier un sondage que l’offre politique, notamment Dominique de Villepin : l’écarter Pour obtenir cette « France 
d’intentions de vote et d’en faire socialiste, n’est pas connue. aurait inévitablement été inter- en miniature », Ipsos se fonde sur
un décryptage aussi complet que Pour le candidat du PS, les quatre prété comme un choix favorable les données les plus récentes de
possible. hypothèses (Martine Aubry, à Nicolas Sarkozy ; nous l’avons l’Insee pour fixer le nombre de

Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours 39


LES ARTICLES DU

personnes à interviewer en fonc- Ce sondage a été réalisé lundi 14 telles marges d’erreur conduit, 5 % à Jean-Marie Le Pen, dans tel
tion du sexe, des tranches d’âge, mars, entre 12 heures et 21 heures, selon Brice Teinturier, à « donner grand institut ; or après redresse-
des catégories socioprofession- par 74 enquêteurs d’Ipsos. Au l’illusion de la scientificité » et à ment, l’intervalle des intentions
nelles, des tailles d’agglomération total, quelque 7 000 appels ont « se rassurer à bon compte ». de vote se situait entre 10 % et
de résidence et des régions. été nécessaires pour obtenir 13 %, beaucoup plus conforme à
Cet échantillon a été interrogé par 948 répondants ; parmi eux, Quel redressement ? son score final (10,9 %).
téléphone. Pour Brice Teinturier, 847 ont exprimé une intention Les réponses données par les Sur cette base, intervient enfin
cette méthode est celle dont il de vote. Chaque entretien a duré sondés constituent les résultats l’arbitrage qui prend en compte
a «  le plus d’expérience » ; elle seize minutes. Pour éviter de « bruts ». Ce ne sont pas les résul- d’autres paramètres. D’une part,
est moins coûteuse que le face-à- privilégier tel ou tel candidat tats publiés. Le travail du sondeur les réponses sur la solidité du
face et mieux maîtrisée que des socialiste, le nom de chacun a été consiste à opérer des correctifs choix et la certitude d’aller voter,
questionnaires auto-administrés présenté selon le principe d’une et un arbitrage final. Le premier qui donnent plus ou moins de
par Internet. Toutefois, pour tenir rotation aléatoire. correctif est technique : si telle consistance aux réponses en
compte du fait qu’un certain L’entretien comportait en outre ou telle catégorie sociodémo- faveur de tel ou tel candidat.
nombre de Français n’ont pas de des questions sur le profil graphique est imparfaitement D’autre part, la sociologie poli-
téléphone fixe, 5 % des appels des sondés : niveau d’études, représentée, une pondération lui tique fournit d’utiles indications
ont été adressés à des porteurs proximité politique, votes lors est appliquée pour mettre l’échan- sur les comportements des diffé-
de mobiles. du 1er et du 2e tour de la présiden- tillon « d’équerre ». rents électorats, notamment en
tielle de 2007 (dernier scrutin de Le second correctif est politique : matière de participation.
POURQUOI même nature) et lors du 1er tour il consiste à « redresser » l’échan-
CET ARTICLE ? des régionales de 2010 (dernière tillon – et non les intentions de Secret de fabrique ?
élection en date). Enfin, deux vote – en fonction du résultat Les sondeurs ne rendent jamais
Alors que les sondages jouent autres questions ont été posées : des élections antérieures. Si 5 % publics leurs résultats bruts et
un rôle accru dans la vie poli- « Êtes-vous sûr d’aller voter ? » des sondés déclarent avoir voté leurs redressements Brice 
tique française, Le Monde s’est et « Votre choix de vote est-il pour le candidat X en avril 2007 Teinturier n’a pas souhaité le
penché dans cet article sur les définitif ou peut-il changer ? » alors que celui-ci a recueilli 10 % faire dans le cas du sondage que
coulisses de leur réalisation. La réponse à cette dernière ques- des voix, il faut appliquer un nous publions. Comme ses
On comprend ainsi mieux tion est essentielle : selon le can- coefficient multiplicateur de 2 à confrères, il estime que l’obliga-

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leurs limites et les précautions didat socialiste, entre 47 % et 56 % ces sondés. Le même exercice est tion de communiquer leurs
qu’il est nécessaire de prendre seulement des sondés répondent fait pour tous les candidats et sur chiffres et leur méthodologie à la
pour les lire et les analyser. Il que leur choix est définitif. plusieurs scrutins – dans le cas Commission des sondages est
n’en demeure pas moins qu’ils Cette information est beaucoup présent la présidentielle de 2007 déjà une garantie de sérieux. Il
sont aujourd’hui devenus des plus déterminante que l’invoca- et les régionales de 2010. craint que la publication de
outils incontournables pour tion de « marges d’erreur », cou- Cette opération de « redresse- l’ensemble de ces opérations
sonder l’opinion publique ramment évaluées à 3 % pour un ment » comporte des faiblesses : complexes ne vienne nourrir un
et, en conséquence, orienter échantillon de 1 000 personnes. les réponses sur les votes anté- peu plus la confusion. Enfin,
l’action des gouvernants. Au En effet, il est statistiquement rieurs peuvent être erronées aucun institut ne souhaite voir
risque de priver ceux-ci de pertinent de calculer une marge ou insincères. L’expérience son savoir-faire – et éventuelle-
toute possibilité de mener de d’erreur sur un échantillon sélec- démontre, cependant, que cette ment ses faiblesses – livré à ses
grandes réformes, souvent tionné de façon aléatoire (comme correction permet de délimiter, concurrents.
décriées sur le moment, mais c’est l’habitude dans les pays pour chaque candidat, un inter-
qui peuvent être finalement anglo-saxons). valle d’intentions de vote beau-
approuvées sur la longue Mais cela n’est pas scientifique- coup plus réaliste que les résul- Gérard Courtois
durée. ment démontré pour un échan- tats bruts. À la veille du 1er tour et Thomas Wieder
tillon sur quotas. Évoquer de de 2007, les « bruts » accordaient Le Monde daté du 17.03.2011

40 Idéologies et opinions en Europe de la fin du xixe siècle à nos jours


puissances
et tensions dans
le monde, de la fin

mondiale à nos jours


de la première guerre

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L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
• 8 janvier 1918 : discours de
Wilson devant le Congrès, où il
Les États-Unis et le monde
expose ses « 14 points ».
• 1920 : refus d’adhésion à la SDN. depuis les « 14 points »
• 7 décembre 1941 : attaque
japonaise sur Pearl Harbour.
• 6 août 1945 : bombardement
atomique d’Hiroshima.
du président Wilson (1918)
L
• 4 avril 1949 : création de
l’Organisation du traité de
e 8  janvier 1918, le président des États-Unis Thomas
l’Atlantique Nord (OTAN). Woodrow Wilson prononce devant le Congrès des États-Unis
• 1950-1953 : guerre de Corée. un discours justifiant, en 14 points, l’engagement du pays
• 1962 : crise des missiles à Cuba. dans la Première Guerre mondiale. Depuis cette date, les États-
• 1963-1973 : guerre du Vietnam.
Unis sont présents en tant que puissance majeure sur la scène
mondiale. Leur engagement y est politique, diplomatique, écono-
• 1991 : disparition de l’URSS.
mique et culturel, et s’articule entre un « hard power » (une puis-
• 1991 : première guerre du Golfe.
sance militaire déployée sur toute la planète) et un « soft power »
• 11 Septembre 2001 : attaque
terroriste contre le World Trade
(hégémonie culturelle), mais systématiquement justifié par la
Center à New York. défense de la démocratie et des droits fondamentaux. Ce mélange
d’idéalisme et de pragmatisme est une constante de la présence

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• 2001 : intervention en
Afghanistan avec l’aval de l’ONU. des États-Unis dans le monde. Quelles en furent les modalités ?
• 2003 : seconde guerre du Golfe. Comment la puissance américaine s’est-elle affirmée ? Quelles
• 2011 : Barak Obama décide furent les limites de cette puissance ?
du retrait des troupes en Irak.
avec la doctrine Monroe, l’hégémonie sur le conti-

PERSONNAGES nent américain, et depuis 1898, ils administrent les


Philippines, prises à l’Espagne.
CLÉS L’idéalisme apparaît surtout dans l’idée de fonder un
nouveau type de diplomatie basée non sur les rapports
THOMAS WOODROW de force mais sur une entente entre les nations. Wilson
WILSON (1856-1924) souhaite donc qu’une Société des Nations (SDN)
Président des États-Unis de 1913 soit créée. Cependant, lors du congrès de Versailles,
à 1921, il fait entrer son pays Wilson ne peut empêcher un règlement du conflit où
dans la Première Guerre mon- triomphent les ambitions de chacun. Désavoué par le
diale. Il souhaite renouveler les Congrès dans son propre pays, il ne peut empêcher un
règles des relations internatio- retour à l’isolationnisme. Les États-Unis refusent ainsi
nales, fondées sur le droit et la d’entrer dans la SDN. Leur présence dans le monde
démocratie. reste donc essentiellement économique. Possédant
désormais un tiers du stock d’or mondial, ils pèsent
FRANKLIN DELANO cependant de tout leur poids dans la gouvernance
ROOSEVELT (1882-1945) économique mondiale et influencent le règlement
Président des États-Unis de 1933 de la question des réparations exigées à l’Allemagne.
à 1945. Il met en application la
politique du New Deal pour lutter L’entrée en guerre est justifiée par Wilson suivant
Champignon atomique sur la ville de Nagasaki, le 9 août 1945
plusieurs principes énoncés dans ses « 14 points » :
contre la crise économique. Hostile
le pays ne revendique aucun territoire. Il agit pour
à l’isolationnisme, il engage son L’entrée en scène d’une grande le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
pays dans la Seconde Guerre puissance (1918-1945) (*) soutenant l’indépendance de la Pologne ou des
mondiale. Il tient à résoudre le Dès le mois d’avril 1917, les États-Unis se sont engagés peuples de l’Empire austro-hongrois.
conflit en créant une organisation dans la guerre aux côtés des Alliés. Ils ont ainsi rompu
des Nations unies dans laquelle avec leur traditionnel isolationnisme. En réalité, les Depuis 1939, une polémique existe aux États-Unis
son pays s’engage de façon États-Unis n’avaient pas attendu 1917 pour s’engager pour juger de l’opportunité d’une entrée en guerre
déterminante. dans le monde. En effet, depuis 1823, ils revendiquent, aux côtés des Alliés, notamment à cause de la présence

42 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

d’une forte minorité d’origine allemande dans le pays. Ronald Reagan, président des États-Unis à, partir de
Comme en 1914, les tensions entre interventionnisme 1980, signifie un retour en force du pays. « America MOTS-CLÉS
et isolationnisme apparaissent. L’attaque lancée par le is back. » Il ravive la mystique de l’engagement du
Japon sur Pearl Harbour le 7 décembre 1941 place de pays au nom de valeurs universelles contre l’URSS, DISSUASION NUCLÉAIRE
façon brutale les Américains devant leurs responsabi- qualifiée d’« Empire du mal ». Il relance la course aux Doctrine stratégique consistant
lités de grande puissance. Leur engagement contre les armements et conduit les Soviétiques à une crise à utiliser la possession de l’arme
forces de l’Axe (Japon-Allemagne-Italie) apporte une majeure de leur système économique, déjà à bout de nucléaire comme moyen de
contribution déterminante aux Alliés. Leur territoire, souffle. En 1989, le bloc soviétique disparaît, suivi par dissuader l’adversaire de passer à
sanctuarisé, leur permet de disposer d’une force pro- l’URSS en 1991. l’offensive.
ductive qui, par le biais de la loi du prêt-bail, alimente
en armes les pays combattants et leur permet de De l’« hyperpuissance » au monde « ÉTATS PARIAS »
s’enrichir. En 1945, le pays est devenu une superpuis- multipolaire (1991 à nos jours) Terme employé par l’adminis-
sance. Il dispose du monopole de l’arme atomique, Les États-Unis peuvent ainsi apparaître comme la tration de George W. Bush pour
employée le 6 août 1945 sur Hiroshima, puis le 9 sur seule superpuissance, une « hyperpuissance ». Le pays désigner les États soutenant le
Nagasaki. Lors des conférences de Yalta et Potsdam, en va alors alterner le jeu d’une gouvernance mondiale terrorisme ou les réseaux illégaux,
février et juillet 1945, le président Roosevelt, puis son assurée par l’ONU et celui de l’unilatéralisme. Encore ou menant des actions contraires
successeur Truman jettent, avec les Britanniques et les une fois, valeurs universelles et intérêt national s’entre- aux droits de l’homme.
Soviétiques, les bases du monde de l’après-guerre. Du croisent. On peut ainsi citer la différence entre les deux
point de vue économique, le pays dispose désormais guerres du Golfe. La première est menée sous mandat « HARD POWER »,
des deux tiers du stock d’or mondial, métal sur lequel de l’ONU en 1991 pour libérer le Koweït envahi par « SOFT POWER »
repose alors le système monétaire mondial. l’Irak. La seconde est entreprise en 2003, sans mandat Concepts développés par Joseph
de l’ONU, pour abattre le régime de Saddam Hussein. Nye désignant pour l’un le pou-
L’une des deux superpuissances Cette fois sous mandat de l’ONU, les États-Unis sont voir de contraindre par les voies
pendant la guerre froide (1945-1991) présents en Afghanistan pour lutter contre le régime traditionnelles de rapport de force
La période suivante est marquée par un monde bipo- des talibans. Pendant les présidences de George W. politique et militaire, pour l’autre
laire où les États-Unis sont confrontés à l’URSS, l’autre Bush (2001-2009), la vision du monde des États-Unis est un pouvoir d’influence qui peut
superpuissance. Cet affrontement passe tout d’abord manichéenne : « nouvel ordre mondial » contre « États passer par les voies de l’économie
par la définition d’un bloc occidental dans lequel les parias ». Cette vision est renforcée par les attentats du et de la culture.

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États-Unis disposent du leadership. Dans ce bloc, le 11 Septembre 2001, la première attaque du sol américain
modèle américain s’impose avec une culture diffusée depuis Pearl Harbour. Cet acte terroriste montre les HÉGÉMONIE
par les produits américains et les médias. Le pays est limites de l’hyperpuissance. Les États-Unis ont cepen- Situation de domination absolue.
devenu le pivot de l’économie mondiale depuis les dant recherché de nouvelles modalités d’action, allant Elle peut être totale ou bien
accords de Bretton Woods (1944), qui font du dollar la du soutien à des solutions négociées (entre Israël et les s’exercer dans un domaine parti-
seule monnaie convertible en or. Par l’aide Marshall, Palestiniens) jusqu’à des interventions armées unila- culier, ou sur un territoire donné.
ils permettent de relancer les économies européennes térales (comme en Irak en 2003). Pourtant, l’image des
et de continuer à soutenir leur système productif. Du États-Unis dans l’opinion mondiale est profondément ISOLATIONNISME
point de vue militaire, un réseau de bases américaines ternie, au Moyen-Orient notamment. Depuis la crise Doctrine qui considère qu’un pays
s’installe dans le monde, relayé sur les océans par des économique de 2008, le pays semble devoir composer doit se tenir à l’écart des conflits
flottes qui contrôlent tous les espaces maritimes. avec d’autres puissances dans le cadre d’un monde et des alliances. Les États-Unis
Une véritable « pactomanie » a lié les États-Unis à multipolaire, et notamment avec la Chine, ou encore adoptèrent cette position avant et
leurs alliés : création de l’OTAN en 1949, de l’ANZUS les puissances émergentes d’Amérique latine. Ainsi, si après la Première Guerre mondiale
(Australia, New Zealand, United States Security Treaty) le PIB américain représentait 19 % du PIB mondial en en refusant de s’engager dans la
en 1951, de l’OTASE (Organisation du traité de l’Asie 1913, s’il en constituait la moitié en 1945, il n’est plus que SDN, mais l’abandonnèrent défini-
du Sud-Est) en 1954, pacte de Bagdad (1955). L’ONU de 23 % actuellement. tivement après la Seconde Guerre
leur permet de disposer d’un pouvoir important car, (*) Cette période est hors-programme en TS. mondiale.
avec leurs alliés, ils disposent de la majorité des sièges
de membres permanents du Conseil de sécurité. QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER SUPERPUISSANCE
L’affrontement avec le bloc de l’Est occupe alors le Puissance capable de s’affirmer
devant de la scène. Suivant la phrase de Raymond Aron, • Cinquante ans d’« équilibre de la terreur » dans suffisamment de domaines
« guerre improbable, paix impossible », l’affrontement p.  46-47 (Michel Tatu, Le Monde daté du 25.07.2005) (politique, diplomatie, armée,
prend souvent la forme de conflits périphériques : etc.) pour exercer une domina-
guerre de Corée de 1950 à 1953, puis du Vietnam de • Nous sommes tous Américains p.  47-48 tion déterminante sur un vaste
1963 à 1973. On assiste aussi à des crises comme les (Jean-Marie Colombani, Le Monde daté du 13.09.2001) ensemble de territoires. Le terme
deux crises de Berlin en 1948 et 1961, ou encore celle d’« hyperpuissance » (prononcé
de Cuba en 1962. Par ailleurs, la puissance américaine • Ronald Reagan, l’homme qui a bousculé pour la première fois par Hubert
s’affirme dans la course aux armements dans le cadre « l’Empire du mal » p.  49-50 (Michel Tatu, Le Védrine, ministre français des
de la dissuasion nucléaire. L’« équilibre de la terreur » Monde daté du 08.06.2004) Affaires étrangères en 1999) est
est ainsi justifié par la « défense du monde » libre face utilisé lorsqu’il n’y a qu’une super-
à la dictature communiste. Cependant, dans les années • Les Etats-Unis et Cuba vont rouvrir leurs puissance dans le monde, comme
1970, les États-Unis semblent connaître des revers. ambassades p.  50-51 (Paulo A. Paranagua, ce fut le cas en 1991. Les attentats
L’image du pays pâtit de la critique de son engagement Le Monde daté du 02.07.2015) du 11 Septembre 2001 ont montré
au Vietnam et de la crise économique. L’action de les limites de ce concept.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 43
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
DIPLOMATIE
Composition :
Ensemble des relations inter- La puissance des États-Unis dans le monde
nationales entretenues par les
États. Elles impliquent des négo- depuis 1918.
ciations menées soit par les diri-
geants du pays, soit par le corps Analyse du sujet III. Une puissance contrastée (1991 à nos jours)
diplomatique. Il s’agit, pour traiter ce sujet, de mettre en évidence 1. Une puissance économique secouée par la
les fondements, les manifestations et les limites de la multipolarité du monde (concurrence des pays
IMPÉRIALISME puissance des États-Unis dans le monde depuis leur asiatiques)
Doctrine politique visant à établir choix d’intervenir dans la Première Guerre mondiale. 2. Une puissance politique nuancée et contestée dans
une domination complète sur Tous les aspects de la puissance doivent être envi- la défense du droit international (guerre en Irak, en
certains territoires. Cette domina- sagés : politique, militaire, culturel. On peut recourir Afghanistan)
tion peut être politique, militaire aux notions de « hard power » et de « soft power ». 3. Un unilatéralisme profondément ancré mis en
ou culturelle, et passe par l’impo- équilibre précaire (pays émergents dans le domaine
sition de sa propre supériorité à Proposition de plan économique, attentats du 11 Septembre dans le
d’autres peuples ou civilisations. I. Le renforcement de la puissance américaine domaine politique)
Ce terme est souvent utilisé pour (1918-1945)
critiquer la politique d’influence 1. Une économie puissante (développement indus- Repères essentiels
menée par un pays. triel, course aux gratte-ciel) • Première et Seconde Guerres mondiales, guerre
2. Une puissance politique au service de la liberté froide, « nouvel ordre mondial », attentats du
MANDAT DE L’ONU et de la démocratie (engagement dans les conflits 11 Septembre.
Mission confiée par l’ONU à un mondiaux, création de l’ONU) • Hégémonie, superpuissance, hyperpuissance,
État visant à faire appliquer, avec 3. Un pays à la démographie dynamique (émigration, unilatéralisme.
engagement de la force militaire si triomphe des self-made men) • Hard power et soft power.
nécessaire, le droit international. 4. Une puissance tempérée par les crises écono-
Il peut s’agir, comme dans le cas miques, démocratiques et la tentation de l’isolation-
Plan pour un sujet commençant

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de la première guerre du Golfe en nisme (crise de 1929, prohibition, refus de la SDN)
1991, de venir au secours d’un État II. Les États-Unis, leader du monde occidental (1945-1991) en 1945 (programme TS)
membre de l’ONU. 1. La guerre froide et le leadership américain (OTAN,
OTASE, etc.) I - Les États-Unis dans la guerre froide
« MONDE LIBRE » 2. La diffusion du modèle américain (pratiques éco- (1945-1991)
Désigne, pour les États-Unis, les nomiques, alimentaires, culturelles : cinéma, séries II - L’apogée de la puissance américaine
États dont le système politique télévisées, etc.) (1991-2001)
est une démocratie libérale dans 3. La tentation de l’impérialisme et les contestations III - Une puissance dans le doute
laquelle les libertés fondamen- (refus de la France d’entrer dans l’OTAN, contestations (de 2001 à nous jours)
tales sont garanties. Pendant la au sein de la population américaine : guerre du
guerre froide, désigne plus large- Vietnam, Watergate)
ment tous les pays alliés aux États-
Unis, quel que soit leur système
politique.
DOCUMENT CLÉ
MONDE MULTIPOLAIRE
Monde dans lequel coexistent
plusieurs puissances dont aucune I° Des conventions de paix, III° Suppression, autant que C’est lors du discours du 8 jan-
ne peut prétendre à l’hégémonie. préparées au grand jour ; après possible, de toutes les barrières vier 1918 devant le Congrès
Après le monde bipolaire de la quoi il n’y aura plus d’ententes économiques, et établissement américain que le président
guerre froide et la décennie de particulières et secrètes d’aucune de conditions commerciales Wilson présente les 14 points
l’hyperpuissance américaine (1991- sorte entre les nations, mais la égales pour toutes les nations qui doivent permettre de
2001), le monde est de plus en plus diplomatie procédera toujours consentant à la paix et s’asso- mettre fin à la Première
marqué par cette configuration franchement et à la vue de tous. ciant pour son maintien. Guerre mondiale. De l’auto-
multipolaire. II° Liberté absolue de la naviga- IV° Échange de garanties suffi- détermination des peuples
tion sur mer, en dehors des eaux santes que les armements de au désarmement, de la fin
PUISSANCE territoriales, aussi bien en temps chaque pays seront réduits au de la diplomatie secrète au
En géopolitique, ce terme désigne de paix qu’en temps de guerre, minimum compatible avec la libre-échange, la plupart de
la capacité d’imposer ses volontés sauf dans le cas où les mers sécurité intérieure. ces « points » resteront lettre
et de tirer profit d’un ordre qu’on seraient fermées en tout ou en morte.
Les quatre premiers points
peut organiser et garantir. La partie par une action interna- du président Wilson
puissance peut passer par la voie tionale tendant à faire appliquer
des accords internationaux.
politique, militaire, économique,
culturelle.

44 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…
Étude critique de document : Les principaux présidents
américains
En analysant ce document, que vous replacerez dans son WOODROW WILSON
contexte, vous expliquerez en quoi il est caractéristique (1856-1924)
Issu du Parti démocrate, il devient
du modèle américain, mais aussi de ses limites. président en 1912, poste qu’il
occupe jusqu’en 1920. Contre la
tradition isolationniste de son
pays, il décide en 1917 d’intervenir
Deuxième message de J. F. Kennedy sur l’état de l’Union (11 janvier 1962) lors de la Première Guerre
mondiale. En 1918, il propose
Au cours de l’année écoulée, j’ai voyagé non seulement à travers notre propre pays, mais dans d’autres – au ses « 14 points » comme base de
Nord, au Sud et par-delà les mers. Et j’ai constaté que les peuples du monde entier, malgré des déceptions refondation des relations inter-
passagères, comptent sur nous – non sur notre richesse ou notre puissance, mais sur la splendeur de nos nationales et appelle à la création
idéaux, car notre nation a reçu mission de l’histoire d’être soit le témoin de l’échec de la liberté, soit l’artisan de la Société des Nations. Mais
de son triomphe. [...] Cette tâche doit d’abord être accomplie chez nous, car si nous pouvons réaliser nos le Congrès américain refuse d’y
propres idéaux, nous ne pouvons pas espérer que d’autres les acceptent. [...] Une Amérique forte ne peut adhérer. Il reçoit le prix Nobel de
négliger les aspirations de ses concitoyens – l’amélioration de la condition des nécessiteux, les soins aux la paix en 1920.
personnes âgées, l’éducation de la jeunesse. Car nous ne développons pas les richesses de la nation pour
elles-mêmes. La richesse n’est qu’un moyen, dont la population est une fin. Toutes nos richesses matérielles FRANKLIN D. ROOSEVELT
ne nous apporteront pas grand-chose si nous ne les employons pas pour augmenter les chances offertes (1882-1945)
à la population. [...] Nous avons entrepris l’an dernier un nouvel effort massif dans l’espace exosphérique. Issu du Parti démocrate, il mène
Notre but n’est pas seulement d’arriver les premiers sur la Lune, pas plus que le véritable but de Charles une brillante carrière politique
Lindbergh n’était d’arriver le premier à Paris. Son but était de développer les techniques et la maîtrise de malgré une grave maladie et
son pays et d’autres pays dans le domaine de l’atmosphère. Et l’objectif que nous poursuivons en entrepre- devient président en 1932, en
nant cet effort qui, nous l’espérons, nous permettra de déposer l’un de nos concitoyens sur la Lune, est de pleine crise économique. Par

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développer au sein d’une nouvelle frontière de la science, du commerce et de la coopération, la position des son « New Deal », il contribue à
États-Unis et celle du monde libre. Cette nation est parmi les premières à explorer cette nouvelle frontière redresser l’économie américaine
et nous entendons être parmi les premiers, sinon les premiers. Nous offrons nos connaissances et notre et est réélu à trois reprises, un
coopération aux Nations unies. Nos satellites fourniront bientôt aux autres nations des renseignements record jamais égalé. Contre une
météorologiques améliorés. Et j’enverrai au Congrès une mesure tendant à régir le financement et le opinion majoritairement isola-
fonctionnement d’un système international de communications par satellites, d’une façon compatible tionniste, il engage progressive-
avec l’intérêt public et notre politique étrangère. ment son pays dans la Seconde
Guerre mondiale, mais meurt
en avril 1945, peu avant la fin du
conflit.
Analyse du sujet II. Une réaffirmation du modèle américain
À travers le discours du président Kennedy, il Dans son discours, Kennedy réaffirme en effet HARRY S. TRUMAN
convient de montrer comment sont mobilisés les les valeurs et les principes qui fondent le modèle (1884-1972)
grands thèmes structurants de l’identité américaine américain et qui constituent sa principale force Issu du Parti démocrate, il succède
et de son rapport spécifique au monde. Le plan à d’attraction dans le monde. Il espère ainsi rassurer à Roosevelt, dont il était le vice-
suivre vous est donné implicitement : le contexte, ses alliés, qui pourraient douter de la capacité président, suite à son décès en
le modèle américain, ses limites. américaine à les défendre et les aider. 1945. Il fait entrer les États-Unis
dans la guerre froide par sa
Proposition de plan III. Un modèle perfectible célèbre doctrine énoncée en 1947.
I. Un contexte international incertain Si Kennedy vante les vertus du modèle américain, il Il y oppose le modèle américain à
Il faut rappeler le contexte de guerre froide, mais ne néglige cependant pas d’en pointer les limites, celui de l’URSS et prône l’« endi-
aussi l’élection récente de Kennedy, de même que notamment sociales. En effet, combattre la misère guement » du communisme.
l’imminence de la crise de Cuba, qui constituera le aux États-Unis est un moyen de valoriser le modèle
véritable test de vérité pour le plus jeune président américain et de contrecarrer la propagande sovié- RONALD W. REAGAN
de l’histoire des États-Unis. tique. (1911-2004)
Issu du Parti républicain, cet
ancien acteur de cinéma dirige
la Californie avant d’accéder à la
Ce qu’il ne faut pas faire présidence en 1984. Défenseur
• Le document fait surtout référence à des problèmes internes aux États-Unis, ce qui peut vous conduire du libéralisme économique, il
à faire un hors-sujet, puisque vous devez parler du rapport des États-Unis au monde. Il faut donc être voue une haine viscérale à l’URSS,
en mesure de montrer en quoi les problèmes intérieurs des États-Unis ont des répercussions sur leur contre laquelle il intensifie la
position internationale. lutte, contribuant à accélérer son
effondrement.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 45
LES ARTICLES DU

Cinquante ans
d’« équilibre de la terreur »
La bombe d’Hiroshima, le 6 août 1945, a bouleversé toutes les règles de la stratégie
militaire. La suprématie américaine puis l’équilibre précaire entre les États-Unis et
l’Union soviétique ont multiplié les scénarios possibles. Bien peu se sont concrétisés.
La dissuasion a néanmoins empêché la guerre froide de devenir chaude.

A
u début, tout est simple, Truman, le seul président amé- novembre 1952, un « engin » de doit n’avoir aucun doute qu’il subira
ou presque. Les militaires ricain qui a décidé d’employer ce type, mais il pèse à lui tout seul un dommage bien supérieur à tous
américains n’avaient pas l’atome, estime, à la différence de 65 tonnes. Les Soviétiques, eux, tes- les gains qu’il pourrait espérer d’une
eu d’états d’âme pour employer la ses chefs de guerre, que la bombe teront en août 1953 une bombe H agression ». Bref, et bien que Dulles
bombe atomique contre Hiroshima « n’est pas une arme militaire ». déjà opérationnelle. parle déjà de « réponse flexible »,
et Nagasaki, ils n’en ont pas plus « Elle sert à détruire des femmes, Une autre raison est le changement c’est bien d’une escalade délibérée
pour intégrer la nouvelle arme à des enfants et des gens désarmés, de gouvernement à Washington. qu’il s’agit, de ce qu’on appellera le
leur arsenal. Et celle-ci s’inscrit tout pas à atteindre un but militaire », Eisenhower et ses amis républicains brinkmanship, la tendance à jouer
naturellement dans la panoplie des explique-t-il à David Lilienthal, un reprochent aux démocrates d’avoir « au bord du gouffre » une partie où
« bombardements stratégiques » des premiers industriels de l’atome « perdu la Chine » et de s’être englués l’ambiguïté est plus calculée que le
qui ont dominé la dernière année aux États-Unis. dans la guerre de Corée, la première risque. En fait, et pas plus que la doc-
de la campagne contre l’Allemagne Dès novembre 1945, d’ailleurs, au cours de laquelle les États-Unis trine du roll back (le refoulement du

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et le Japon. On calcule simplement Truman a signé avec Attlee, le n’ont pas remporté la victoire. Or, communisme) également formulée
qu’il aurait fallu 730 bombar- Premier ministre britannique, une si l’Amérique a été rattrapée, elle par Dulles, celle des représailles mas-
diers B-29 pour exécuter ce qu’un déclaration affirmant qu’« aucun est encore de loin la plus forte. Avec sives ne sera jamais appliquée, mais
seul d’entre eux a fait à Hiroshima, pays ne peut avoir le monopole la multiplication des essais, menés c’était bien le but recherché : il n’y a
mais qu’il aurait fallu tout de d’utilisation » de ces armes. Cette à grande échelle à Bikini dans le pas eu de défi communiste sérieux
même 400 bombes pour infliger à bonne volonté se traduira quelques Pacifique en 1946, puis à Eniwetok à entre la fin de la guerre de Corée en
l’Allemagne les destructions qu’elle mois plus tard par le plan Baruch, partir de 1948, leur arsenal est passé 1953 et les premières pressions de
a connues en quatre ans. qui prévoit la gestion par un orga- de 3 bombes en 1945 à 400 en 1949, Khrouchtchev sur Berlin en 1958.
Sans doute quelques théoriciens nisme international des installa- au moment de la première bombe A Tout cela va en effet changer avec
précurseurs, comme Bernard Brodie tions nucléaires de tous les pays. soviétique, à plusieurs milliers dès l’annonce, en août 1957, du lance-
en mai 1947, posent-ils les vraies Le refus du représentant soviétique le début des années 50. Et l’US Air ment de la première fusée inter-
questions en observant : « Jusqu’à à l’ONU, un certain Andreï Gromyko, Force dispose d’une formidable continentale russe (ICBM), confirmé
présent, le but principal des appareils qui signe ainsi son premier « niet », flotte de près de deux mille bom- en octobre par le premier satellite
militaires a été de gagner les guerres. enterrera en juillet 1946 ce premier bardiers capables d’atteindre l’URSS, artificiel, le Spoutnik. Cette fois,
Il sera dorénavant de les empêcher. » essai de mise sous contrôle de alors que la réciproque n’est encore l’Amérique doit se rendre à l’évi-
Mais ces « appareils », précisément, l’énergie atomique jusqu’à sa reprise qu’embryonnaire. dence : son territoire, ses villes, sont
ont tout simplement remplacé dans sous une autre forme, pour les seuls C’est ici qu’intervient John Foster vulnérables à une attaque nucléaire.
leurs calculs l’Allemagne vaincue par pays non nucléaires, avec l’agence Dulles, le tout-puissant secrétaire Et cette attaque peut surgir comme
une Union Soviétique de plus en atomique de Vienne et les méca- d’État d’Eisenhower. Sans doute a-t-on un coup de tonnerre dans un ciel
plus hostile et qui n’a pratiquement nismes du traité de non-prolifération. quelque peu caricaturé sa doctrine bleu, surtout lorsque l’on a affaire
pas désarmé : elle sera traitée de la La politique américaine va se des « représailles massives ». Telle à une dictature entourée de secret
même manière en cas de conflit, durcir à partir de 1953, sous l’effet qu’il la formule en 1954, elle n’est pas comme l’est l’Union soviétique.
grâce à un monopole atomique que de plusieurs facteurs. D’abord, le la panacée ni le « tout ou rien », mais Le choc psychologique a été terrible,
l’on estime devoir durer dix à quinze monopole américain a été brisé l’une des options que Washington se il provoque aux États-Unis une flo-
ans. Un des premiers plans de guerre plus tôt que prévu, avec le premier réserve en cas de nouvelle agression raison sans précédent d’analyses,
de l’US Air Force, déposé en mai 1948 essai soviétique de 1949. Moscou communiste : plutôt que de résister d’études et de théories. McNamara,
sous le nom de « Demi-Lune » (Half va d’ailleurs mettre les bouchées sur le terrain comme on l’a fait en le brillant ministre de John Kennedy,
Moon), prévoit une phase initiale doubles en passant plus vite que Corée, on se permettra de « riposter installé au Pentagone en janvier 1961,
de bombardements de trente jours, les États-Unis à ce que l’on appelle vigoureusement aux endroits et avec consacre la notion de « destruction
pas tous atomiques d’ailleurs, contre alors la « superbombe », la bombe les moyens de son choix », laissant mutuelle assurée » que doit assurer
70 zones-cibles soviétiques peuplées à hydrogène, deux cents fois plus l’agresseur dans l’ignorance de ce lieu une « seconde frappe » toujours dispo-
de quelque 28 millions d’habitants… puissante que la bombe A. Sans et de ces moyens. nible quoi qu’il arrive. Cela se traduit
En fait, les dirigeants politiques doute les États-Unis sont-ils Et la riposte sera « massive » dans en anglais par « MAD », un mot qui
ne l’entendent pas de cette oreille. les premiers à faire exploser, en la mesure où « l’agresseur potentiel signifie « fou », mais dont la gauche

46 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

libérale américaine, jusqu’à Reagan, va sans jamais pouvoir expliquer com- que sont les villes de l’ennemi, et rattraper les États-Unis sur le plan
faire son credo. C’est lui aussi qui fixe ment et quand on s’en servirait, encore afin d’éviter les représailles contre des quantités, à défaut d’égaler leur
les limites de l’arsenal américain : très moins rassurer les Européens situés les siennes, on s’en prendra d’abord technologie. Brejnev, qui se réjouit de
exactement 1 054 ICBM et 656 SLBM au cœur dudit « théâtre ». Certains aux cibles « dures » que sont les consacrer ainsi sa « parité » avec l’autre
(les missiles embarqués à bord de croiront bien faire, vingt ans plus objectifs militaires (Carter raffinera Super Grand, ira jusqu’à accumuler
sous-marins, qui ont fait leur appari- tard, en développant la « bombe à en ajoutant à la liste les bunkers de 45 000 armes nucléaires et poussera
tion en 1961 avec les premiers Polaris), neutrons », qui tue par radiation les la nomenklatura soviétique). ses pions partout où il le pourra, mais
environ 400 bombardiers lourds. soldats dans leurs chars mais limite les Mais, du coup, les missiles eux- sans jamais s’approcher du seuil fati-
C’est beaucoup, mais ces chiffres « dommages collatéraux », autrement mêmes deviennent vulnérables : dique ni mettre en cause sauf chez lui
ne seront jamais dépassés, même dit les massacres de civils. Ce sera un on a beau les avoir enfouis dans la remarquable stabilité que « l’équi-
lorsque les Soviétiques, avec Brejnev, déchaînement de propagande contre des silos renforcés, ils invitent une libre de la terreur » aura apportée aux
auront largement crevé ces plafonds. cette bombe « capitaliste », qui « tue « première frappe désarmante ». relations internationales.
En revanche, McNamara, sans trop les gens mais épargne les propriétés ». Le missile à tête multiple, ou MIRV, Aujourd’hui encore, on reste sur
y croire d’ailleurs, lance un projet Deux autres « progrès » sont encore qui apparaît chez les Américains un paradoxe et une question. Le
vite avorté de construction d’abris plus déstabilisants : à la différence en 1968, n’arrange pas les choses, paradoxe est que la guerre froide n’a
antinucléaires aux États-Unis et le des premiers missiles, qu’il fallait puisque celui qui attaquera le pre- jamais été aussi chaude qu’à la fin
premier programme « Sentinelle » longuement alimenter en carburant mier neutralisera plusieurs armes des années 40 (blocus de Berlin et
de missiles antimissiles (ABM), juste avant la mise à feu, les nou- chez l’ennemi avec une seule des guerre de Corée) alors que la dissua-
toutes choses qui contredisent la veaux engins à combustible solide siennes. Rien de bon à attendre non sion, du fait du monopole nucléaire
philosophie du « MAD ». Enfin, le peuvent partir dans la seconde, plus de la défense antimissile ABM, américain, aurait dû être à son niveau
mépris dont il écrase les « capacités sans aucun préparatif visible : cela dont les Soviétiques ont pris l’initia- maximal. Le surarmement soviétique
nucléaires indépendantes, dange- ne laisse plus que vingt minutes tive dès le début des années 60 et est allé de pair, au contraire, avec une
reuses, coûteuses, sujettes à obso- à la victime pour prendre ses que Ronald Reagan relancera vingt conduite plus raisonnable.
lescence et manquant de crédibilité décisions… En outre, ces missiles ans plus tard avec la « guerre des La question, heureusement restée
en tant que force de dissuasion » sont de plus en plus précis : d’une étoiles » : celui qui cherche à se pro- théorique, est celle de savoir ce que
ne suffit bien évidemment pas à erreur probable de 1 000 mètres téger des représailles ne prépare-t-il les États-Unis auraient fait en cas
convaincre de Gaulle de renoncer à en 1965, on passe à 200 mètres dès pas un mauvais coup ? d’agression soviétique « classique »
la force de frappe française. les années 1970 pour les missiles En fait, les esprits se calmeront bien contre l’Europe seule. Mais la stabilité

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À partir de là, l’évolution sera beaucoup balistiques, et l’on fait beaucoup avant la fin de la guerre froide : avec a été faite précisément de ces incerti-
moins rapide et dépendra surtout des mieux encore de nos jours avec les la crise de Cuba d’abord, qui a fait tudes. Comme l’écrit l’historien bri-
innovations technologiques, toujours missiles de croisière. Schlesinger, passer sur tout le monde le vent du tannique Lawrence Freedman, « le roi
en avance sur les doctrines d’emploi. le dernier secrétaire à la Défense boulet, ensuite avec l’ouverture des de la dissuasion était nu, mais il est
Un premier « progrès » a été la minia- de Nixon, en tire les conclusions négociations SALT, puis START, sur le resté le roi ».
turisation des armes et la réduction en confirmant en 1974 l’orientation contrôle des armements stratégiques.
des charges explosives : dès 1957, les « antiforce » de son arsenal : plutôt Comme par hasard, celles-ci s’ouvrent Michel Tatu
expériences américaines tombent au que de viser les cibles « molles » en 1969, année qui voit l’URSS Le Monde daté du 03.08.1995
niveau de la kilotonne d’équivalent
TNT. Cette évolution va à l’encontre
POURQUOI CET ARTICLE ?
des idées reçues qui identifient pro-
lifération et « overkill » (capacité de Le rôle des États-Unis dans le monde rentes doctrines stratégiques arti- siècle, la constitution de cette puis-
« surtuer ») : de fait, le mégatonnage depuis 1945 a été fortement mar- culent une rhétorique de puissance sance a été prodigieusement rapide,
total de l’arsenal américain sera divisé qué, tout particulièrement dans le et de compétition avec l’URSS et une car le pays ne dispose dans les années
par quatre en trente ans. contexte de la guerre froide, par la rhétorique de défense du monde 1930 que d’un potentiel militaire
Mais elle conduit aussi à l’aberration question de la dissuasion nucléaire. Il libre. La capacité pour les États-Unis très limité. Elle a été rendue possible,
qu’est l’arme nucléaire « tactique » est donc important de procéder à une de frapper l’adversaire en tout point comme cela est montré à de nom-
(ANT). Qu’il s’agisse d’« obus ato- lecture à la fois chronologique et ana- de la planète crée une situation iné- breuses reprises, par la mobilisation
miques », de « mines nucléaires » ou lytique de cet aspect de la question. dite qui confère au pays une capacité constante au profit de l’armement,
d’autres projectiles dits « de théâtre », L’article met tout particulièrement majeure en matière de hard power. des avancées technologiques et des
on entreposera dans les années 1950 en évidence comment les diffé- On remarquera qu’à l’échelle du capacités économiques du pays.
jusqu’à 7 000 de ces ANT en Europe,

Nous sommes tous américains


D
ans ce moment tragique sommes tous américains ! Nous comme dans les moments les plus devons la liberté, et donc notre
où les mots paraissent si sommes tous new-yorkais, aussi graves de notre histoire, profondé- solidarité.
pauvres pour dire le choc sûrement que John Kennedy se ment solidaires de ce peuple et de Comment ne pas être en même
que l’on ressent, la première chose déclarait, en 1963 à Berlin, berlinois. ce pays, les États-Unis, dont nous temps aussitôt assaillis par ce
qui vient à l’esprit est celle- ci : nous Comment ne pas se sentir en effet, sommes si proches et à qui nous constat : le siècle nouveau est avancé.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 47
LES ARTICLES DU

La journée du 11 Septembre 2001 POURQUOI CET ARTICLE ?


marque l’entrée dans une nouvelle
ère, qui nous paraît bien loin des Cet éditorial de Jean-Marie Colom- un constat : les États-Unis prennent démocratie libérale. Le texte montre
promesses et des espoirs d’une bani, alors directeur du Monde, est conscience de la réalité d’un antiamé- également que les attentats ouvrent
autre journée historique, celle du l’un des textes majeurs publiés lors ricanisme violent dans le monde de un futur incertain. Pearl Habour
9 novembre 1989, et qu’une année des attentats du 11 Septembre 2001. Il l’après guerre froide. Au-delà du dis- avait conduit les États-Unis à entrer
quelque peu euphorique, l’an 2000, s’agit d’une analyse, au lendemain cours passionnel attaché à l’image des en guerre. Comment vont-ils réagir
que l’on croyait pouvoir se conclure des attentats, de la façon dont ceux- États-Unis – entre haine et fascina- après le 11 Septembre 2001 ? La ré-
par la paix au Proche-Orient, avait ci conduisent à un bouleversement tion – dans les pays qui constituent les flexion de l’auteur se porte alors vers
fait naître. complet dans la modalité de pré- « Suds », notamment dans le monde le rôle et la place des États-Unis dans
Un siècle nouveau s’avance donc, tech- sence au monde des États-Unis. Cette musulman. La phrase restée célèbre un monde où les menaces prennent
nologiquement performant, comme mise en perspective comporte un « Nous sommes tous américains » un nouveau visage, inconnu, bien
le montre la sophistication de l’opé- parallèle avec l’attaque de Pearl Har- montre que, malgré tout, le pays différent de celles qui existaient au
ration de guerre qui a frappé tous les bour en 1941, puis elle se poursuit par reste dans le monde le symbole de la temps de la guerre froide.
symboles de l’Amérique : ceux de la
surpuissance économique au cœur de en Europe, de la guerre du Golfe faisait une tournée de conférences en qui nourrit ces attentats tout comme le
Manhattan, de la « puissance » militaire à l’utilisation des F16 par l’armée Europe pour plaider contre toute impli- choix des cibles et le caractère militaire
au Pentagone, et enfin de la puissance israélienne contre les Palestiniens, cation américaine, une large partie de de l’organisation nécessaire limitent le
tutélaire du Proche-Orient tout près sous-estimé l’intensité de la haine l’opinion Outre-Atlantique rêvait déjà nombre des auteurs possibles.
de Camp David. Les abords de ce siècle qui, des faubourgs de Djakarta à ceux d’un repli sur l’espace latino-améri- Au-delà de leur apparente folie
sont aussi inintelligibles. Sauf à se de Durban, en passant par ces foules cain, laissant l’Europe à ses ruines et à meurtrière, ces derniers obéissent
rallier promptement et sans précau- réjouies de Naplouse et du Caire, se ses crimes. Après Pearl Harbor tout a malgré tout à une logique. Il s’agit
tions au cliché déjà le plus répandu, concentre contre les États-Unis. changé. Et l’Amérique a tout accepté, évidemment d’une logique barbare,
celui du déclenchement d’une guerre Mais la réalité, c’est peut-être aussi le plan Marshall comme l’envoi de d’un nouveau nihilisme qui répugne
du sud contre le nord. Mais dire cela, celle d’une Amérique rattrapée par GI’s sur tous les points du globe. Vint à une grande majorité de ceux qui
c’est créditer les auteurs de cette folie son cynisme : si Ben Laden est bien, ensuite la déchirure vietnamienne, croient en l’islam, dont la religion
meurtrière de « bonnes intentions » ou comme semblent le penser les auto- qui a débouché sur une nouvelle doc- n’autorise pas plus le suicide que le
d’un quelconque projet selon lequel il rités américaines, l’ordonnateur de la trine, celle de l’emploi massif et rare christianisme ; à plus forte raison le

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faudrait venger les peuples opprimés journée du 11 Septembre, comment de la force, accompagné du dogme du suicide couplé au massacre des inno-
contre leur unique oppresseur, l’Amé- ne pas rappeler qu’il a lui-même « zéro mort » américain comme cela fut cents. Mais il s’agit d’une logique
rique. Ce serait leur permettre de se été formé par la CIA, qu’il a été illustré pendant la guerre du Golfe. Tout politique qui par la montée aux
réclamer de la « pauvreté », faisant l’un des éléments d’une politique, cela est désormais balayé : nul doute extrêmes veut obliger les opinions
ainsi injure aux pauvres ! Quelle mons- tournée contre les Soviétiques, que que tous les moyens seront utilisés musulmanes à « choisir leur camp »,
trueuse hypocrisie. Aucun de ceux qui les Américains croyaient savante. contre des adversaires restés à ce jour contre ceux qui sont couramment
ont prêté la main à cette opération Ne serait-ce pas alors l’Amérique qui insaisissables. désignés comme « le grand Satan ».
ne peut prétendre vouloir le bien de aurait enfanté ce diable ? La nouvelle donne qui s’esquisse Ce faisant, leur objectif pourrait bien
l’humanité. Ceux-là ne veulent pas d’un En tout état de cause, l’Amérique dans le sang comporte à ce stade au être d’étendre et de développer une
monde meilleur, plus juste. Ils veulent va changer. Profondément. Elle est moins deux conséquences prévisibles. crise sans précédent dans l’ensemble
simplement rayer le nôtre de la carte. comme un grand paquebot, glissant Toutes deux ont trait aux alliances : du monde arabe.
La réalité est plus sûrement celle, en longtemps sur une même trajec- c’en est bel et bien fini d’une stra- À long terme, cette attitude est évi-
effet, d’un monde sans contrepoids, toire. Et lorsque celle-ci est infléchie, tégie tout entière conçue contre la demment suicidaire. Parce qu’elle
physiquement déstabilisé donc dan- elle l’est durablement. Or même si Russie alors soviétique. La Russie, du attire la foudre. Et qu’elle peut l’attirer
gereux, faute d’équilibre multipo- le langage est galvaudé, les États- moins dans sa partie non islamisée, sans discernement. Cette situation
laire. Et l’Amérique, dans la solitude Unis viennent de subir un choc sans va devenir le principal allié des États- commande à nos dirigeants de se
de sa puissance, de son hyperpuis- précédent. Sans remonter à la toute Unis. Mouvement que le président hisser à la hauteur des circonstances.
sance, en l’absence désormais de première agression sur son terri- Poutine a saisi dès le soir du drame. Pour éviter aux peuples que ces fau-
tout contre-modèle soviétique, a toire, celle de 1812 où l’armée britan- Peut-être en est-ce fini aussi d’une teurs de guerre convoitent et sur
cessé d’attirer les peuples à elle ; nique détruisit la première Maison alliance que les États-Unis avaient lesquels ils comptent d’entrer à leur
ou plus précisément, en certains Blanche, l’épisode le plus proche qui esquissée dès les années trente et soli- tour dans cette logique suicidaire. Car
points du globe, elle ne semble plus s’impose est celui de Pearl Harbor. dement établie dans les années 1950 on peut le dire avec effroi : la techno-
attirer que la haine. Dans le monde C’était en 1941, loin du continent, avec l’intégrisme musulman sunnite, logie moderne leur permet d’aller
régulé de la guerre froide où les ter- avec des bombardiers contre une tel qu’il est défendu notamment en encore plus loin. La folie, même au
rorismes étaient peu ou prou aidés flotte militaire : l’horreur de Pearl Arabie Saoudite et au Pakistan. Aux prétexte du désespoir, n’est jamais
par Moscou, une forme de contrôle Harbor n’est rien en regard de ce yeux de l’opinion américaine et de ses une force qui peut régénérer le
était toujours possible ; et le dialogue qui vient d’arriver. Elle est au sens dirigeants, l’islamisme, sous toutes ses monde. Voilà pourquoi, aujourd’hui,
entre Moscou et Washington ne s’in- propre sans commune mesure : hier formes, risque d’être désigné comme nous sommes américains.
terrompait jamais. Dans le monde 2 400 marins engloutis, aujourd’hui le nouvel ennemi. Certes, le réflexe
monopolistique d’aujourd’hui c’est bien plus de civils innocents. anti-islamiste avait déjà donné lieu, Jean-Marie Colombani
une nouvelle barbarie, apparem- Pearl Harbor avait marqué la fin d’un aussitôt après l’attentat d’Oklahoma Le Monde daté du 13.09.2001
ment sans contrôle, qui paraît vou- isolationnisme, ancré au point d’avoir City contre un immeuble fédéral, à des
loir s’ériger en contre-pouvoir. Et résisté même à la barbarie de Hitler. déclarations ridicules, sinon odieuses.
peut-être avons-nous nous-mêmes Quand en 1941, Charles Lindbergh Mais, cette fois, la haine inextinguible

48 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

Ronald Reagan, l’homme qui a


bousculé « l’Empire du mal »
« L
’Empire du mal » : qui vient de commencer ses soviétique est à un tournant. Pour mettre fin à l’impasse sur
l’expression a réformes économiques et à Ronald Reagan, en même temps les euromissiles, il propose de
fait florès, au laquelle Alexandre Haig, alors qu’il dénonce la boulimie sovié- renoncer à tout : les Russes à
point de résumer toute la poli- secrétaire d’État, offre des armes tique en la matière, lance donc leurs SS-20 ainsi qu’à toutes
tique de Ronald Reagan à l’égard dès juin 1981, ainsi que vers à Moscou le défi d’une « course leurs armes à moyenne portée
de l’Union soviétique pendant l’allié commun pakistanais. aux armements que vous capables d’atteindre l’Europe ;
son premier mandat (1981-1985). Il aide aussi, beaucoup plus ne pourrez gagner ». Et cette les Américains aux Pershing-II
Pour les propagandistes sovié- directement que Washington course se déroulera non pas sur et missiles de croisière qu’ils
tiques de l’époque, «  Reagan ne l’avait jamais fait depuis la le plan de la quantité, mais sur se préparent à installer sur
le cow-boy  » est vite devenu guerre du Vietnam, les forces celui de la qualité. C’est tout le le vieux continent. Refus
« Hitler », l’homme qui pouvait qui s’opposent au communisme sens de l’« Initiative de défense indigné de Moscou, où l’on
conduire à la Troisième Guerre sous toutes ses formes : la résis- stratégique » (IDS) annoncée le n’est prêt (Brejnev le confirme
mondiale et contre qui il fallait tance afghane, la Somalie vic- 23 mars 1983. quelques semaines plus tard à
mettre en garde les dirigeants time d’empiétements de la part Cet ambitieux projet, vite bap- Bonn) qu’à offrir « une réduc-
européens « raisonnables ». de l’Éthiopie, sans parler des tisé « guerre des étoiles » par la tion  » du déploiement des
Dans les faits, il en a été de « contras » au Nicaragua. Tout presse, vise à édifier, à grand SS-20 contre «  une renoncia-
l’antisoviétisme de Ronald cela le conduira à se fourvoyer renfort de satellites tueurs, un tion totale  » de l’OTAN à son

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Reagan comme de son idéo- dans le scandale de l’Irangate et bouclier spatial antimissiles programme…
logie conservatrice à l’intérieur : aussi à sous-estimer le danger au-dessus des États-Unis, mais Réticences aussi chez certains
plus de mots que d’actions, du fondamentalisme islamique. aussi sur le territoire soviétique alliés, qui trouvent que, avec
un pragmatisme à géométrie Mais l’objectif immédiat est lui-même : les engins russes ou sans SS-20, le « recouplage »
variable compensé par un credo atteint : pour la première fois seront stoppés « à la source » dès entre le théâtre européen et
invariant. depuis la fin de la guerre du leur mise à feu. Pour Moscou, l’arsenal américain est une
Et puis, on ne voit pas très bien Vietnam, l’Amérique renverse dont l’industrie électronique bonne chose. Finalement, c’est
ce qu’un autre aurait fait de l’image traditionnelle d’un pays accuse un retard croissant, c’est Ronald Reagan qui a raison :
mieux dans les circonstances de « conservateur » confronté à presque un casus belli, d’autant son option zéro sera bien la
l’époque. Ronald Reagan a tiré le la subversion « révolution- que ce projet met en cause le solution retenue, mais six
meilleur parti de la glaciation naire » du « camp socialiste ». traité ABM interdisant les anti- ans plus tard seulement, avec
des relations Est-Ouest pendant Désormais, c’est ce dernier missiles, signé en 1972. Gorbatchev… Entre le « bâton »
son premier mandat, mais il a qui se défend et l’Amérique C’est aussi un sujet d’inquié- et la « carotte » qu’ont toujours
aussi accompagné sans diffi- qui « contre-attaque ». La tude pour les Européens, dont la été pour les stratèges améri-
culté aucune le dégel qui suivit, contre-attaque est encore plus France, puisque l’IDS met à mal cains les relations économiques
et qui était d’ailleurs largement décisive dans le domaine des la doctrine de la « destruction avec les pays communistes,
dû à son action. armements. Certes, c’est Carter mutuelle assurée » (MAD) qui Ronald Reagan a officiellement
Renouvelant la politique inau- et non pas Reagan qui a com- est à la base de sa dissuasion. choisi le bâton : les restrictions
gurée une douzaine d’années mencé, après l’invasion de Mais Ronald Reagan s’accroche à l’exportation de technologies
plus tôt par Richard Nixon, l’Afghanistan, le réarmement à son projet sans négliger pour sont encore durcies dans le
Ronald Reagan ne se presse américain. autant l’interminable dossier cadre du Cocom, l’organisme de
pas pour parler avec Moscou. Il C’est lui aussi qui, dès la fin des des négociations sur le « désar- coordination occidentale établi
laissera s’écouler six ans entre années 1970, a décidé d’installer mement » ouvert depuis plus à Paris. Mais les sanctions ne
le dernier sommet soviéto- des fusées nucléaires en Europe de dix ans avec Moscou. Mais doivent pas heurter les élec-
américain, tenu entre Carter pour faire pièce aux SS-20 sovié- là encore, il en renouvelle le teurs américains. Les ventes de
et Brejnev, à Vienne en 1979, et tiques. Mais, à la différence de contenu et l’esprit. Une de céréales à l’URSS, interrompues
celui qu’il aura plus tard avec son prédécesseur, le nouveau ses brillantes intuitions est par Jimmy Carter pour cause
Gorbatchev. Comme Nixon, il Président républicain sent l’« option zéro », annoncée le d’invasion de l’Afghanistan,
regarde ailleurs : vers la Chine, intuitivement que le régime 18 novembre 1981. reprennent dès 1981.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 49
LES ARTICLES DU

Les années 1983 et 1984 sont sentiments : «  Il existait entre sur l’Afghanistan : le tandem second et ultime mandat, est
pourtant des années noires, Gorbatchev et moi quelque chose Gorbatchev-Chevardnadze a une sorte d’apothéose. En mai,
celles de l’« Empire du mal  », de chimique, assez proche de admis dès le début le principe Ronald Reagan se rend enfin à
celles de la destruction d’un l’amitié […] J’aimais Gorbatchev d’un retrait de l’armée rouge, Moscou, pour la première fois
Boeing sud-coréen par la bien qu’il soit aussi attaché qui deviendra effectif en 1989. de sa vie, pour la ratification des
chasse soviétique (269 morts, au communisme que moi au Tout cela n’empêche pas Ronald accords START sur les arme-
le 31 août 1983), du déploiement capitalisme. » Reagan d’insister sur ce qui reste ments stratégiques. Il tient
des Pershing en Europe et de la De fait, la « chimie » fonctionne à faire. Le 12 juin 1987, en visite encore avec le couple
suspension de toutes les négo- presque trop bien lors du second à Berlin, il met au défi Mikhaïl Gorbatchev, en décembre à New
ciations de désarmement, du sommet de Reykjavik, en 1986. Gorbatchev d’abattre le Mur, York, un ultime sommet
boycottage par l’URSS des Jeux À la frayeur de ses conseillers, dont il souligne le caractère quelque peu assombri par le
olympiques de Los Angeles, Reagan manque de peu de sous- contre-nature et provisoire… tremblement de terre d’Ar-
enfin des incertitudes sur le crire à un vaste programme de Encore une anticipation bien ménie : le dirigeant soviétique
pouvoir à Moscou. Celles aussi désarmement nucléaire général audacieuse pour l’époque… doit rentrer précipitamment à
pendant lesquelles Washington que lui soumet son interlocu- C’est au successeur, George Moscou, où l’attendent encore
montre ses muscles, à la teur. Les deux hommes buttent Bush, qu’il reviendra de présider d’autres séismes…
Grenade en octobre 1983. C’est in fine sur l’obstacle de la guerre aux changements encore plus
avec l’arrivée de Gorbatchev des étoiles, si chère au président grandioses à venir. Mais déjà, Michel Tatu
au pouvoir, en mars 1985, que américain. l’année 1988, la dernière du Le Monde daté du 08.06.2004
les choses vont changer réelle- L’année 1987 voit la percée
ment. Comme tout le monde, décisive, avec l’accord sur les
Ronald Reagan ne s’attendait euromissiles, premier véritable POURQUOI CET ARTICLE ?
sans doute pas, en tout cas pas traité de désarmement conclu Ronald Reagan apparaît aux yeux froide, non par un conflit mais par
si vite, à de tels changements. entre les deux Grands depuis de nombreux Américains comme une série d’étapes passant progres-
Mais il n’a plus qu’à recueillir les débuts de la guerre froide. le président dont la politique a sivement du bras de fer à la négo-

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le fruit de ses efforts. Ronald Reagan n’a pas eu à conduit à la victoire des États-Unis ciation. Un pragmatisme qui prend
Compensant le « silence radio » modifier ses positions : c’est face à l’URSS. L’auteur de l’article en compte les atouts réels des États-
propose, à l’occasion de la mort Unis : leurs capacités économiques,
de son premier mandat, il aura le partenaire qui s’est rallié à
de Ronald Reagan, le 5 juin 2004, leur avance technologique. Ronald
en tout cinq sommets avec le son « option zéro », nonobs- une relecture de son action poli- Reagan accompagne ce pragma-
nouveau dirigeant soviétique tant l’IDS qui n’est toujours tique. Celle-ci est remise en pers- tisme d’un discours plus radical,
pendant le second. Sans doute pas abandonnée. Il en va de pective : Jimmy Carter, son prédé- destiné à mobiliser son peuple
ne s’emballe-t-on pas au début : même des autres dossiers du cesseur, avait commencé à réagir autour des grands idéaux démocra-
il ne se passe pratiquement désarmement (en matière aux avancées soviétiques et c’est tiques et en diabolisant l’adversaire,
rien à la première rencontre, à de contrôle notamment, on son successeur, George W. Bush, l’« Empire du mal ». Il incarne donc
qui a vu tomber le mur de Berlin et le retour des États-Unis comme
Genève en novembre 1985, et s’est mis d’accord dès 1986
disparaître l’URSS. C’est pourtant la moteurs des relations internatio-
ce n’est que beaucoup plus tard, sur une série de «  mesures de politique pragmatique de Reagan nales et jette les bases de l’« hyper-
dans son autobiographie, que confiance  » jusque-là rejetées qui a permis de sortir de la guerre puissance » des années 1990.
le président américain dira ses en bloc par Moscou) ainsi que

Les Etats-Unis et Cuba vont rouvrir


leurs ambassades
Barack Obama devait annoncer le 1er juillet la reprise des relations diplomatiques entre
les deux pays.

L
e drapeau américain flot- cubain sera déployé à Washington, brouillés pendant plus d’un demi- mais ils ont le statut mineur d’une
tera bientôt à La  Havane, devant les ambassades respec- siècle. Les deux voisins disposent simple «  section » (ou bureau)
tandis que le drapeau tives des deux anciens ennemis, déjà de sièges diplomatiques, veillant à leurs intérêts auprès

50 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

POURQUOI CET ARTICLE ? le fils est en bonne place sur à la demande des hommes
les photos. d’affaires péninsulaires.
La brouille entre Cuba et les États- (au Moyen-Orient et en Asie) et
Le dernier obstacle à la réou- La normalisation des relations
Unis constitue, avec la division La  Havane ne peut plus se per-
de la Corée, le dernier grand stig- mettre le luxe du splendide iso-
verture des ambassades avait entre les Etats-Unis et Cuba
mate de la guerre froide. Celui-ci lement que lui inflige l’embargo été levé fin mai, lorsque le a été saluée, mardi, par la
semble en passe de se résorber américain. Avec cette réconci- département d’Etat américain présidente brésilienne, Dilma
enfin, plus de vingt ans après liation hautement symbolique avait retiré Cuba de la liste des Rousseff, lors d’une confé-
la chute de l’URSS, qui avait fait réalisée à la fin de son second Etats soutenant le terrorisme. rence de presse commune
de la grande île caribéenne son et dernier mandat présidentiel, La levée de l’embargo amé- avec M. Obama à la Maison
« porte-avion » aux portes d’une Barack Obama parfait pour la
ricain ne constituait pas un Blanche : «  Je veux souligner
Amérique honnie. Désormais, postérité sa stature de diplo-
les préoccupations stratégiques mate, qu’avait inaugurée le prix
préalable, puisqu’il relève du l’importance de ce geste pour
de Washington sont ailleurs Nobel de la paix décerné en 2009. Congrès de Washington, dont l’ensemble de l’Amérique latine
la majorité républicaine ne et, plus largement, pour la
cesse d’entraver les initiatives paix dans le monde », a-t-elle
de l’ambassade helvétique. Ce territoire, sans passer par une de politique extérieure de M. affirmé. Mme Rousseff a parlé
mercredi 1er  juillet, l’annonce demande d’autorisation préa- Obama, à dix-huit mois de son d’une « étape cruciale dans les
hautement symbolique de la lable pour chaque déplacement départ de la Maison Blanche. relations entre les Etats-Unis
réouverture des ambassades hors de la capitale. « Il y a une histoire compliquée et l’Amérique latine », per-
américaine à Cuba et cubaine Des délégations de haut niveau entre les Etats-Unis et Cuba, mettant «  de mettre fin aux
aux Etats-Unis devait être des deux pays s’étaient réunies mais l’heure est venue d’en- derniers vestiges de la guerre
effectuée depuis les jardins de quatre fois depuis janvier, tamer un nouveau chapitre », froide ». Les relations entre
la Maison Blanche par Barack tantôt à La Havane, tantôt à avait déclaré le président Washington et «  l’hémisphère
Obama, décidé à faire du réta- Washington, pour négocier les américain le 17  décembre, occidental » n’ont « jamais été
blissement des relations diplo- modalités du rétablissement constatant sans détour l’échec aussi bonnes », a renchéri M.
matiques avec le régime com- des relations diplomatiques. d’un demi-siècle d’isolement Obama.

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muniste de Fidel Castro, puis Auparavant, il avait fallu du régime castriste. Une large L’annonce de la réouverture
de son frère Raul Castro, un des dix-huit mois de négociation majorité d’Américains est favo- des ambassades par la Maison
marqueurs de sa présidence. secrète menée par des repré- rable à ce tournant, y compris Blanche tranche néanmoins
L’événement a été annoncé sentants personnels des deux la communauté d’origine avec les allocutions conjointes
mardi soir par un responsable présidents, avec le soutien du cubaine. du 17  décembre. Depuis cette
de l’administration américaine Canada et du Vatican. La Maison Blanche a évoqué à date, les Américains semblent
s’exprimant sous couvert plusieurs reprises la possibilité désireux de presser le pas,
d’anonymat. Six mois après Dernier obstacle d’une visite de M. Obama à tandis que les Cubains
les allocutions simultanées de A La  Havane, des sources non Cuba en 2016, alors que le pape prennent leur temps, comme
Barack Obama et Raul Castro officielles confient que le négo- François est attendu en sep- s’ils voulaient avant tout capi-
sur leur historique rapproche- ciateur de Raul Castro aurait tembre. François Hollande avait taliser politiquement l’an-
ment, le 17 décembre 2014, les été son propre fils, le colonel ouvert, en mai, le défilé de chefs nonce et l’accueil réservé à
Etats-Unis et Cuba ont trouvé Alejandro Castro Espin, offi- d’Etat désireux de se précipiter Raul Castro au Sommet des
un accord sur les conditions de cier du ministère de l’intérieur à La  Havane pour consolider Amériques, au Panama, en
réouverture des ambassades chargé de la coordination avec ou déployer leur implantation avril, où a eu lieu le premier
des deux nations, séparées les forces armées, nommé économique. tête-à-tête entre les deux pré-
par le détroit de Floride. Cela récemment conseiller de sécu- L’ancien monarque espagnol sidents.
concerne notamment la liberté rité nationale du chef de l’Etat Juan Carlos en a d’ores et déjà
de mouvement et d’action cubain. A chaque déplacement sollicité l’autorisation auprès Paulo A. Paranagua
des diplomates sur tout le du père, à Rome ou à Moscou, du gouvernement de Madrid, Le Monde daté du 02.07.2015

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 51
L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
1945
La Chine et le monde
La Chine nationaliste obtient un
siège de membre permanent au
Conseil de sécurité de l’ONU.
depuis 1949
Q
1ER OCTOBRE 1949
Proclamation de la République uand la Chine s’éveillera… le monde tremblera. C’est ainsi
populaire de Chine (RPC) par Mao qu’Alain Peyrefitte intitulait en 1973 un livre qui attirait
Zedong.
l’attention du grand public francophone sur le formidable
1950 potentiel de l’empire du Milieu. Pays le plus peuplé du monde, la
Traité d’alliance avec l’URSS.
Chine s’est progressivement affirmée sur la scène internationale.
DÉBUT DES ANNÉES 1960 D’abord dominée par les Occidentaux et l’éternel rival japonais dans
Rupture sino-soviétique.
la première moitié du xxe siècle, elle s’est émancipée au lendemain
1964 de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à devenir, aujourd’hui, l’un
La Chine fait exploser sa première des acteurs essentiels d’un monde où la hiérarchie des puissances
bombe atomique (bombe H).
est en pleine recomposition. L’adoption de la voie communiste par
1971 la Chine, puis son ouverture à l’économie de marché la placent
La RPC récupère le siège de
membre permanent du Conseil dans un rapport au monde marqué à la fois par la fermeture – à la
de sécurité de l’ONU au détriment démocratie et à la circulation de l’information par exemple – et par
de Taïwan.
l’ouverture – aux marchés financiers et aux exportations. Comment

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1976 la Chine est-elle parvenue, en à peine un demi-siècle, à s’affirmer
Mort de Mao. sur la scène internationale ?
1978
Début des réformes économiques les Chinois sont alors divisés
de Deng Xiaoping. entre les partisans du nationa-
liste Tchang Kaï-chek, leader
1989 du Guomindang, et ceux du
Répression du mouvement étu- communiste Mao Zedong,
diant place Tian’anmen à Pékin. leader du Parti communiste
chinois. Bientôt, la guerre entre
1997 ces deux camps, qui avait été
Rétrocession de Hong Kong par la interrompue par l’invasion japo-
Grande-Bretagne. naise, reprend de plus belle.
Vainqueurs, les communistes
1999 proclament, le 1er octobre 1949,
Rétrocession de Macao par le la création de la République
Portugal. populaire de Chine (RPC). Mais
les hommes de Tchang Kaï-chek
2001 sont parvenus à se réfugier sur
Admission de la Chine dans La place Tian’anmen. l’île de Taïwan et ne recon-
l’Organisation mondiale du naissent pas la légitimité de la RPC. Avec la bénédiction
commerce. La Chine divisée de Washington, soucieux en ces temps de guerre
Attaquée par le Japon en 1937, la Chine recouvre son froide d’endiguer la progression du communisme, ils
2008 indépendance avec la défaite de celui-ci en août 1945, conservent le siège de la Chine au Conseil de sécurité
Admission de la Chine dans le suite aux bombardements atomiques d’Hiroshima de l’ONU. La Chine populaire n’est donc reconnue que
G20. et Nagasaki par les Américains. Le pays se voit par par le bloc de l’Est et signe, en 1950, un traité d’alliance
ailleurs reconnu comme une puissance mondiale avec l’URSS.
2010 puisqu’il devient un membre permanent du Conseil
La Chine devient la deuxième de sécurité de la toute jeune Organisation des Nations Mao et le monde
puissance économique mondiale, unies (ONU), un privilège qu’elle ne partage qu’avec Dans un premier temps, la RPC se fait le relais de
reléguant le Japon à la troisième quatre autres pays (États-Unis, Royaume-Uni, Russie l’influence soviétique en Asie. Elle tente notamment
place. et France) et qui lui confère un droit de veto. Mais de propager le communisme dans les pays de la région

52 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

fraîchement décolonisés. Mais Mao maintenant le contrôle du Parti com- NOTIONS CLÉS
ne supporte pas longtemps d’être muniste sur le pays, il engage une
relégué dans l’ombre de Moscou, et il vague de libéralisation de l’économie « GRAND BOND
s’écarte progressivement du modèle destinée à attirer les investisseurs EN AVANT »
soviétique, dont il mesure les limites, étrangers désireux de profiter du bas Politique entreprise par Mao, de
et finit par rompre toute relation coût de la main-d’œuvre chinoise. 1958 à 1960, visant à accroître
avec l’URSS en 1963. Pour eux, il crée sur le littoral des rapidement la production du
Pour accélérer la mise en place du zones économiques spéciales (ZES) pays.
communisme, il lance en 1958 le exemptées d’impôts. En 1989, les Elle se solde par un échec et
« Grand Bond en avant », censé étudiants, qui réclament qu’une une famine qui fait plusieurs
accroître la production du pays, mais libéralisation politique accompagne millions de morts.
qui se solde par un désastre. Malgré cette libéralisation économique, sont
ses échecs en Chine, la doctrine violemment réprimés sur la place GUOMINDANG
maoïste jouit d’une forte popularité Portrait de Mao Zedong. Tian’anmen à Pékin. La RPC fait alors Nom donné au parti nationaliste
dans le monde grâce à une habile l’objet de vives critiques de la part des chinois fondé en 1912. Il forme
propagande. Fondée sur une grande radicalité et le Occidentaux, mais les importantes opportunités écono- un gouvernement en 1921, dirigé
culte du chef et de ses maximes, compilées dans Le Petit miques dont recèle le pays font vite taire ces critiques. par Tchang Kaï-chek à partir de
Livre rouge, elle se propose d’opérer un renouvellement En 2001, la Chine intègre l’OMC, ce qui lui permet 1928.
radical de la société avec la Révolution culturelle lancée d’exporter dans le monde entier ses productions. Forte À partir de 1949, seule l’île de
en 1967. d’un taux de croissance économique de près de 10 % Taïwan reste sous l’autorité
La « voie chinoise » est alors adoptée dans quelques par an durant la décennie 2000, la Chine s’impose du gouvernement dirigé par le
pays, comme la Tanzanie, et surtout le Cambodge, dans bientôt comme l’« atelier du monde ». Pour assurer son Guomindang.
lequel les Khmers rouges provoquent la mort d’un approvisionnement en matières premières et afficher
quart de la population du pays entre 1975 et 1979. En ses ambitions, la Chine ne se contente pas d’accueillir PETIT LIVRE ROUGE
Occident, le maoïsme séduit une partie de la jeunesse des investissements, elle en réalise également de plus Appellation française du recueil
en quête d’engagement dans la foulée des événements en plus partout dans le monde, notamment en Afrique. de citations de Mao Zedong le
de mai 1968 et désabusée par les dérives du stalinisme. Le pays peut également compter dans le monde entier, plus célèbre. Publié en 1964 à
Disposant de l’arme atomique à partir de 1964, la Chine et en premier lieu en Asie, sur la présence d’une forte l’initiative de la RPC, il est dif-

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populaire affirme ses ambitions militaires. En 1969, des diaspora chinoise composée d’au moins 35 millions de fusé dans une quarantaine de
accrochages à la frontière sino-soviétique manquent de personnes. langues et aurait été imprimé
dégénérer en guerre ouverte. Cette montée des tensions Elle n’abandonne pas pour autant son affirmation à près de 800 millions d’exem-
avec l’URSS explique que Mao opère à cette époque un géostratégique à l’échelle régionale : après avoir obtenu plaires depuis sa parution.
rapprochement avec les États-Unis, ce qui lui permet en la rétrocession de Hong Kong en 1997 et de Macao en
1971 de récupérer le siège chinois de membre permanent 1999, elle revendique désormais certaines îles de la RÉVOLUTION
du Conseil de sécurité de l’ONU. La même année, le mer de Chine, comme l’archipel Senkaku, appartenant CULTURELLE
président américain Richard Nixon effectue une visite officiellement au Japon. Mouvement lancé de 1967 à 1969
officielle en Chine. La Chine a ainsi fait preuve, au cours de la seconde pour raviver l’ardeur révolu-
Lorsque Mao meurt en 1976, la Chine est une puissance moitié du xxe siècle, d’une étonnante capacité à concilier tionnaire. De jeunes militants,
reconnue dans le « grand jeu » diplomatique de la les contraires. Dogmatique d’un côté, avec le culte d’un les « gardes rouges », formés
guerre froide, mais il reste fort à faire pour redresser maoïsme dont les piètres résultats n’ont pas écorné la aux idées maoïstes, luttent
son économie à l’agonie. figure du « Grand Timonier », la Chine a su se montrer contre la sclérose du parti et
pragmatique quand Deng Xiaoping a fait le choix de ce qui reste de la culture tradi-
Le tournant Deng Xiaoping la conversion du pays au libéralisme économique. Un tionnelle chinoise (les « quatre
Après la mort de Mao, la place de la Chine dans le monde pari réussi qui a sans doute permis au régime de se vieilleries »).
se transforme, suite à la rupture radicale opérée par maintenir, alors que l’URSS s’est effondrée comme un Il s’agit en fait d’un mouvement
Deng Xiaoping, qui dirige le pays à partir de 1978. Tout en château de carte au début des années 1990. orchestré par Mao pour procéder
à une purge du parti et récupérer
le pouvoir.
QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER
ZONE ÉCONOMIQUE
• La Chine s’affirme comme grande puissance mondiale p.  56 SPÉCIALE (ZES)
(Bruno Philip, Le Monde daté du 08.10.2009) Zone souvent située dans un
espace portuaire, dans laquelle
• De Mao à Deng Xiaoping, comment la Chine a retrouvé son rang p.  57 les règles de l’économie socia-
(Erik Izraelewicz, Le Monde daté du 26.10.2012) liste sont aménagées de façon à
permettre des échanges avec les
• « Chine-U.R.S.S., la guerre inévitable », d’Harrison Salisbury p.58 espaces où s’exerce l’économie
(André Fontaine, Le Monde daté du 04.12.1970) de marché.
Elles permettent un enrichisse-
• Pékin confond martyre d’hier et démonstration de force actuelle p.59 ment rapide de la Chine dans les
(Harold Thibault, Le Monde daté du 11.08.2015) années 1980. La première a été
créée en 1979.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 53
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
ÉMERGENCE
Composition :
Affirmation d’un pays sur la scène L’affirmation de la Chine sur la scène internationale
économique mondiale, mais qui
peut aussi désigner une puissance de 1949 à nos jours.
s’affirmant militairement, politi-
quement ou diplomatiquement. Analyse du sujet III. L’atelier du monde (les années 2000)
Le sujet part du présupposé que la Chine s’est - Entrée de la Chine dans l’OMC (2001)
NATIONALISME affirmée sur la scène internationale. Il va donc - La Chine tire profit de sa main-d’œuvre abon-
Idée politique centrée sur l’idée falloir s’interroger sur les modalités de cette affir- dante pour opérer un spectaculaire rattrapage
de nation. En Chine, il correspond mation, sur sa portée et sur ses limites. Il s’agit économique
aux idées du Guomindang, qui d’un sujet d’histoire, mais aussi de géopolitique,
souhaite promouvoir l’indépen- et il faut mobiliser le vocabulaire spécifique de Les repères essentiels
dance et la puissance de la Chine. cette discipline, comme les notions de puissance, • Proclamation de la RPC, repli des nationalistes à
d’émergence, d’hégémonie, de zone d’influence, etc. Taïwan, rivalité pour le siège à l’ONU
VOIE DE DÉVELOPPEMENT • Rupture sino-soviétique, rapprochement RPC/
COMMUNISTE Proposition de plan États-Unis
Choix d’un développement marqué I. La Chine maoïste (1949-1976) • Réformes de Deng Xiaoping, création des ZES,
par la propriété collective des - La victoire de Mao et l’alliance avec l’URSS : la intégration de l’OMC
moyens de production et d’échange. promotion du communisme dans les pays asia-
L’État occupe un rôle central par le tiques décolonisés
biais de la planification. - La rupture avec l’URSS et la diffusion du maoïsme Ce qu’il ne faut pas faire
à travers le monde (Le Petit Livre rouge, jeunesses

PERSONNAGES maoïstes)
- Le rapprochement avec les États-Unis (visite de
• Poser une problématique artificielle
qui consisterait à se demander si la Chine
CLÉS Nixon en Chine, entrée au Conseil de sécurité de
l’ONU)
s’est réellement affirmée sur l’échiquier mondial,
la réponse étant contenue dans le sujet.

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TCHANG KAÏ-CHEK • Escamoter une des périodes de l’histoire
(1887-1975) II. La Chine s’ouvre à l’Occident (1976-années en faisant des parties trop déséquilibrées
Principal dirigeant du Guomindang 1990) en longueur.
à partir de 1925. Replié à Taïwan - Les réformes économiques de Deng Xiaoping • Ne pas clairement définir les notions à mesure
depuis 1949, il dirige le pays de (libéralisation, ZES) qu’elles apparaissent.
1950 jusqu’à sa mort, exerçant le - L’absence de réforme politique (le massacre
pouvoir de façon autoritaire. de la place Tian’anmen et ses répercussions
internationales)
MAO ZEDONG
(1893-1976)
Membre fondateur du Parti
communiste chinois en 1921, il DOCUMENT CLÉ
en devient le chef en 1935 après
l’épisode de la Longue Marche.
Il proclame la République popu-
laire de Chine (RPC) en 1949 et en
est le président jusqu’à l’échec du
« Grand Bond en avant ». Écarté
S ur cette affiche, les travailleurs, issus
des mondes paysan et ouvrier, et
les militaires mettent leurs forces au
du pouvoir, il revient au premier service du « Grand Bond en avant ». Ce
plan grâce à la Révolution cultu- programme ambitieux lancé par Mao
relle et dirige le pays jusqu’à sa a pour but la construction d’une Chine
mort. nouvelle et conquérante, en rupture
avec la Chine traditionnelle, représen-
HU JINTAO (1942-) tée par le panneau de bois que brise
Président de la République popu- l’ouvrier, qui serre contre lui Le Petit
laire de Chine depuis 2003 et Livre rouge, manifeste politique de Mao.
secrétaire général du PCC de 2002 à
2012. Il mène une politique accom-
pagnant l’affirmation du pays sur
la scène internationale et, par la
théorie du « développement scien-
tifique », tente de faire profiter une Affiche de propagande
large part de la société des fruits de communiste chinoise, 1974.
la croissance.

54 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…
Étude critique de documents : Les dates clés des relations
sino-américaines
En quoi ces deux documents témoignent-ils de l’évolution 1945
de la politique étrangère chinoise dans les années 1970 ? Roosevelt décide d’inclure la Chine
comme membre permanent du
Conseil de sécurité de l’ONU.

« Un appel inquiétant » 1954


Accord de défense entre les États-
Commentant les déclarations Unis et Taïwan.
de M. Deng Xiaoping en faveur
d’une coalition antisoviétique 1971
sino-américaine, L’Humanité La « diplomatie du ping-pong »
du mardi 30 janvier écrit : « Un permet un premier rapprochement
tel appel à l’union avec l’impé- entre les deux pays par le biais de
rialisme américain et les autres leurs équipes de tennis de table.
impérialismes contre l’Union
soviétique et d’autres pays socia- 1972
listes ne contribue certes pas à Visite à Pékin du président Nixon,
la détente dans le monde. Il est préparée en 1971 par plusieurs
même inquiétant lorsqu’on sait voyages secrets d’Henry Kissinger.
d’autre part qu’il entre dans les
plans de M. Brzezinski, conseiller 1975
du président Carter pour les Visite du président Ford à Pékin.
affaires de sécurité nationale.
Dans le monde d’aujourd’hui, 1979

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la seule puissance militaire sus- Établissement des relations
ceptible de neutraliser les visées diplomatiques entre la RPC et les
de l’impérialisme américain est États-Unis.
celle de l’Union soviétique. Toute Visite aux États-Unis de Deng
tentative de rompre, au profit Xiaoping.
des États-Unis, un équilibre qui a Coca-Cola ouvre une usine d’em-
jusqu’ici évité de grandes confla- bouteillage à Shanghai.
grations ne peut qu’être grave-
Deng Xiaoping avec le président américain Jimmy Carter, à Washington, le 31 janvier
ment dommageable à la paix. » 1980
1979, lors de l’établissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et la (Le Monde daté du 31.01.1979) Premier vol commercial entre la
République populaire de Chine. Chine et les États-Unis depuis 1949.

Analyse du sujet 1984


Les deux documents proposés portent sur le rappro- Ce qu’il ne faut pas faire Visite en Chine du président
chement sino-américain opéré à la surprise générale • Quand vous avez une photographie à analyser, Reagan.
dans les années 1970, suite à la rupture par la Chine de ne pas oublier de bien la décrire, en veillant
son traité d’amitié avec l’URSS. Il faut en expliquer les si nécessaire à utiliser les termes appropriés 1989
causes, les implications et les réactions qu’il a suscitées. (premier plan, arrière-plan, etc.). Le président Bush décrète un
embargo sur les ventes d’armes
Problématique II. Une trahison vue de Moscou à la Chine suite au massacre de la
En quoi le rapprochement sino-américain boule- Il n’est dès lors pas étonnant de constater dans le place Tian’anmen.
verse-t-il l’équilibre mondial des puissances dans les document 2 que cette alliance est perçue dans le camp
années 1970 ? communiste comme une grave trahison qui ne ferait 1990
que renforcer le prétendu « impérialisme » américain Ouverture du premier restaurant
Proposition de plan et affaiblir « la paix » que prétend défendre l’URSS. MacDonald’s en Chine.
I. Une alliance de raison plus que de cœur
Le rapprochement sino-américain n’avait rien III. Une opportunité vue de Pékin 1997
d’évident, tant les modèles politico-économiques de Mais, pour Pékin, cette ouverture diplomatique est Visite du président chinois Jiang
ces deux puissances étaient radicalement opposés. une chance qui prélude à son ouverture économique. Zemin aux États-Unis.
Qui plus est, les États-Unis étaient alors l’allié par Deng Xiaoping (document 1) est en effet le père du
excellence du Japon, rival de Pékin. C’est donc par tournant libéral chinois, l’inventeur des ZES, qui vont 1999
pur pragmatisme que les deux pays finissent par se progressivement permettre à la Chine de s’affirmer Les États-Unis apportent leur
rapprocher pour mieux isoler leur rival commun comme une grande puissance économique, alors soutien à la candidature chinoise
soviétique. même que l’URSS finit par s’effondrer. à l’OMC.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 55
LES ARTICLES DU

La Chine s’affirme comme grande


puissance mondiale
L
’impressionnante parade nationale, fortement sous-évaluée ses frontières, Presses de Sciences affaires intérieures d’autres pays
militaire organisée à Pékin, par rapport au dollar, le moment Po, 2005), Jean-Pierre Cabestan a donné lieu ces derniers temps à
jeudi 1er octobre, à l’occasion était mal choisi : la Chine finance et Benoît Vermander ont fait une «  des ajustements pragmatiques
du 60e  anniversaire de la fonda- une partie de la dette des États- analyse de la sémantique utilisée de la part de Pékin, mais la plupart
tion de la République populaire Unis puisqu’elle a déjà acheté pour par le pouvoir, remarquant que le du temps en conjonction avec des
vient de boucler un cycle d’occa- quelque 800 milliards de dollars terme da guo (grande puissance) pressions internationales pour
sions qui ont montré à quel point de bons du Trésor américains… était utilisé de manière croissante intervenir dans des crises d’ordre
les dirigeants de la troisième éco- La Chine suscite à l’étranger des en Chine. Certes, ajoutaient-ils, humanitaire  ». Interventions
nomie mondiale revendiquent réactions complexes : elle est « ce statut n’est pas considéré [par dans laquelle s’engage de manière
désormais sans complexe le statut perçue comme une puissance les Chinois] pleinement acquis croissante l’armée chinoise.
de grande puissance pour leur avec laquelle il est nécessaire encore  ». Ils insistaient sur le À Pékin, des voix modérées n’hé-
pays. « Aujourd’hui, la Chine socia- d’avoir des relations apaisées. fait que si sa politique étrangère sitent pas à relativiser les limites
liste se tient solidement debout à Mais son « émergence » – et est en phase «  expansionniste  » de la « puissance » de cet empire
l’est, face à l’avenir », a proclamé peut-être la façon dont Pékin se et s’oriente dans un rôle voulu du Milieu au rôle central. Comme
dans son discours du 1er octobre rengorge devant les manifesta- de puissance de premier plan, le dit Shi Yinhong, professeur de
le président Hu Jintao, vêtu d’un tions de sa nouvelle puissance la Chine estime que son statut politique internationale à Pékin :
costume similaire à celui que Mao – est source d’inquiétude. Entre de leadership mondial «  ne [lui] « La Chine a récemment fait de
portait soixante ans plus tôt. autres exemples, sa compétitivité sera reconnu que si elle prouve sa grands progrès mais doit encore
En août 2008, les Jeux olym- dans le domaine des échanges capacité à jouer avec maîtrise et surmonter de nombreuses fai-
piques de Pékin avaient sym- commerciaux a, selon des ins- pondération dans son environne- blesses : elle n’est pas très avancée

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bolisé le retour en fanfare de tituts de recherche américains ment régional ». en matière technologique, son
la Chine sur la scène mondiale. indépendants, fait perdre en La Chine, grand pays qui fera environnement écologique est
En novembre 2008, au G20 de moyenne 350 000 emplois par de plus en plus faire valoir les dégradé et, dans certaines de ses
Washington, la Chine était an aux États-Unis depuis que la droits conférés par sa puissance, campagnes, on vit dans un climat
apparue comme un acteur essen- Chine est devenue membre de tout en se comportant comme d’anarchie partielle. On peut vrai-
tiel du sauvetage de l’économie l’Organisation mondiale du com- un « bon citoyen » du village ment faire mieux, beaucoup
mondiale mise à mal par la crise merce (OMC), en 2001. global ? Richard Baum, sinologue mieux ! »
financière. Au G20 de Londres, au Dans le domaine militaire, en et professeur à l’université de Los
printemps, des commentateurs revanche, les menaces que pour- Angeles, estime que le principe Bruno Philip
avaient même avancé que le G20 rait faire peser sur le nouvel ordre cardinal de la diplomatie chinoise Le Monde daté du 08.10.2009
devrait s’appeler G2, puisqu’il n’y a mondial une armée engagée dans de «  non-interférence  » dans les
que deux pays qui comptent vrai- un processus de modernisation
ment : les États-Unis et la Chine ! n’alarment pas – encore – les POURQUOI CET ARTICLE ?
En juillet, lors du sommet sino- experts : en termes de « capa-
américain de Washington, il était cité de projection » loin de ses Cet article permet de faire un devenue un créancier des États-
frappant de voir comment de frontières, la Chine est encore en bilan complet de la puissance de Unis, ce qui n’est que l’un des
nombreux experts chinois des retard de deux décennies par rap- la Chine au lendemain des jeux aspects des concurrences entre
questions stratégiques et finan- port aux Américains si elle voulait Olympiques de Pékin, en 2008. ces deux puissances dans le cadre
cières analysaient le rapport de soutenir un conflit prolongé. L’auteur montre comment le pays d’un monde de plus en plus multi-
force entre Washington et Pékin : Si le XXe  siècle fut celui des articule soft power et hard power, polaire. Les jeux Olympiques eux-
le ton de leurs interviews laissait Américains, le XXI e serait-il pour reprendre l’expression de mêmes ont été un moment fort
clairement entendre que la Chine celui de la Chine ? L’assertion est Joseph Nye. L’auteur dresse un pour la Chine en termes d’image.
était désormais en mesure de prématurée, même si ce que les bilan de la puissance chinoise, en L’article évoque également les
dicter certaines de ses conditions. responsables pékinois ont baptisé montrant quels sont ses aspects, différentes échelles de puissance :
Un certain professeur Yu Wanli, «  ascension pacifique  » prouve ses enjeux, ses moyens. L’affir- une Chine qui s’affirme en Asie,
du Centre des études internatio- aujourd’hui, et de manière sans mation de la Chine sur la scène dans les « Suds », dans le monde.
nales et stratégiques de l’univer- doute durable, que la Chine ne internationale passe ainsi par une Par ailleurs, les limites de cette
sité de Pékin, se réjouissait à la va pas cesser de se hisser sur les affirmation de la puissance mili- puissance sont abordées à la fin
pensée que, si Washington voulait barreaux de l’échelle de la diplo- taire, mais aussi par un rôle crois- de l’article, où l’on voit que la
faire à nouveau pression sur la matie mondiale. Dans leur livre sant dans l’économie mondiale. Chine est encore confrontée à de
République populaire afin qu’elle consacré à la confrontation sino- On voit ici comment la Chine est nombreux défis.
consente à apprécier sa monnaie taïwanaise (La Chine en quête de

56 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

De Mao à Deng Xiaoping, comment


la Chine a retrouvé son rang
L
’anomalie de l’histoire ne La Chine a ainsi fait, en l’espace – un indicateur plus pertinent du à la tête du pays. Une nouvelle géné-
réside pas dans le retour actuel d’une seule génération (trente ans) niveau de vie de la population. […] ration, la cinquième, dit-on à Pékin,
de la Chine parmi les grandes sa « révolution industrielle », cette Pour maintenir son rang, comme va prendre les commandes. Celle-ci
puissances mais plutôt dans la phase de décollage économique le suggère le XIIe Plan, la Chine doit n’a connu ni la révolution, ni la
longue éclipse qu’elle a connue,
entre 1830 et 1980. L’empire était POURQUOI CET ARTICLE ? facteurs qui accompagnent cette quences sociales de ces évolutions
puissant, riche et innovant. Après croissance. Elle est liée à un rapport doivent être nuancées : la Chine
les guerres de l’opium (1839-1860), L’auteur présente une donnée fon- très particulier entre politique et reste un pays aux écarts de richesses
les occupations étrangères (euro- damentale en commençant par économie. Après le rattrapage in- importants, largement marqué par
péenne, américaine puis japonaise) replacer l’affirmation de la Chine dustriel opéré à l’époque de Mao, le la pauvreté. Surtout, l’apparition
et les errements de la vie politique sur la scène internationale comme maintien par Deng Xiaoping, et ses d’une classe aisée et d’une classe
interne (l’admiration sans bornes un processus lié au « temps long ». successeurs, d’un pouvoir politique moyenne crée de nouvelles at-
de l’Occident dans une première En effet, c’est l’éclipse qu’a connue le dictatorial et communiste a permis tentes : une nouvelle articulation du
phase, le dogmatisme de Mao et pays au XIXe et au début du XXe siècle une ouverture à l’économie de mar- « socialisme » et du « libéralisme »
de ses amis ensuite) ont à leur tour qui est une anomalie. On peut trou- ché qui n’a pas déstabilisé le cadre doit donc être envisagée.
contribué à un affaiblissement ver dans l’article l’ensemble des des pouvoirs. Cependant, les consé-
violent du pays.
Mao laisse à ses successeurs, à la
fin des années 1970, un pays fermé que l’Europe et l’Amérique avaient désormais passer d’une croissance guerre, ni les famines. Cette généra-
au reste du monde, isolé de tout connue un siècle et demi plus tôt et alimentée par l’exportation, l’inves- tion sera-t-elle prête à poursuivre la

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et de tous, souffrant de terribles qui avait nécessité, dans ces régions- tissement et la copie à une crois- libéralisation et l’ouverture de l’éco-
famines et dont l’intelligentsia a été là, deux ou trois fois plus de temps. sance fondée sur la consommation nomie tout en amorçant celle de la
décimée par la révolution culturelle. Tout en Chine s’est fait beaucoup des ménages, les services et l’inno- vie politique ? Acceptera-t-elle de
Mais avant sa descente aux enfers, plus rapidement : le transfert de vation. « Communiste », la Chine a prendre, comme le lui demandent
la Chine avait longtemps été la l’agriculture vers l’industrie, de la en réalité besoin d’une double révo- ses partenaires occidentaux, ses
première puissance économique campagne vers les villes, l’émer- lution : « socialiste », avec la mise en responsabilités dans les affaires du
de la planète, selon l’historien de gence d’une classe moyenne et les place d’un État-providence, et « libé- monde ?
l’économie Angus Maddison. Elle débuts d’une consommation de rale », avec l’instauration d’un État Cette nouvelle dynastie n’a pas
représentait le tiers de la richesse masse. La production y a ainsi pro- de droit, le développement de réels encore fait ses choix. Elle va devoir
mondiale au début du XIXe siècle. gressé en moyenne de près de 10 % contre-pouvoirs et la promotion de en tout état de cause davantage
Elle n’en pesait plus que 1 % à peine par an. Elle a été multipliée par sept l’esprit d’initiative. Le Parti et l’État compter sur son peuple, plus riche,
au milieu du XXe ! […] en trente ans. Du jamais-vu. disent y travailler. C’est par exemple mieux formé et informé, plus
Des trois dogmes qui structuraient Jamais en effet dans l’histoire éco- l’objectif du projet visant à assurer connecté aussi. Les 500 millions de
la période maoïste – les pleins nomique un pays aussi grand n’a une protection minimale à tous les Chinois qui surfent sur le Net et les
pouvoirs au Parti, l’étatisation de connu une croissance aussi forte citoyens en matière de santé, de 250 millions d’utilisateurs de Weibo,
l’économie et le « compter sur ses pendant une période aussi longue. chômage ou de retraite. C’est aussi le service de microblogging local,
propres forces » –, Deng Xiaoping Cela étant, malgré ses milliardaires, celui recherché avec l’effort mis sont désormais une force politique
n’en conservera finalement qu’un ses villes champignons et son sur l’éducation et la formation de qui compte, sur laquelle les maîtres
seul, celui qui assure la domination appétit pour le luxe occidental, la haut niveau. de l’empire doivent en tout cas
du PCC sur l’ensemble de la société. Chine est au début du XXIe siècle Mais cette double révolution se compter. En Chine, même en ce
Sur ce plan, très politique, malgré un pays riche peuplé de pauvres, heurte à de nombreux obstacles, début de XXIe siècle, Mao n’est pas
peut-être ce qu’il en pense, Deng un pays jeune mais à la population politiques notamment. Elle est au mort. Autour de la Cité interdite,
ne touche à rien. Sous son règne, le vieillissante avant même de s’être centre des débats, intenses, voire près de la place Tiananmen, son
régime reste autoritaire et centra- enrichie. Numéro deux, derrière les violents, qui agitent avec plus ou ombre continue de circuler. Le Net
lisé. Sur le front économique, Deng États-Unis, par son produit intérieur moins de transparence le sommet pourrait lui être fatal.
engage en revanche une double brut total, elle se situe en fond de de l’appareil communiste chinois
libéralisation avec la fin du tout- classement, pas loin de la 100e place, à la veille de la grande transition
État à l’intérieur et les débuts de si l’on prend en considération le qui doit conduire, en mars 2013, à Erik Izraelewicz
l’ouverture avec l’extérieur. [...] produit intérieur brut par habitant l’installation d’une nouvelle équipe Le Monde daté du 26.10.2012

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 57
LES ARTICLES DU

Chine-U.R.S.S., l’autre affrontement de la


guerre froide
En 1970, le journaliste américain Harrison Salisbury minimisait dans un livre célèbre,
« Chine-U.R.S.S., la guerre inévitable », le risque d’un conflit ouvert.

L
e chapitre XIV porte le faits que notre confrère donne reconnaître le régime de Mao et dit-il, que la mort de Mao modifie
même titre que le livre, plus à l’appui de sa thèse ; mais sur d’abandonner Taïwan à son sort. beaucoup de choses ; et à ceux
un point d’interrogation. Or deux points au moins il apporte qui soutiennent avec assurance
l’auteur, à la question ainsi posée, des indications peu connues et « Nouvelle guerre le contraire, il rappelle l’opinion
répond « immédiatement » par impressionnantes. de cent ans ? » quasi unanime des kremlinolo-
la négative. Une maison d’édition Abonné à la Grande Encyclopédie Venant à des temps plus rap- gues d’il y a vingt ans, suivant
aussi réputée qu’Albin Michel a-t- soviétique, il reçut, en 1956, prochés, le collaborateur lesquels celle de Staline n’entraî-
elle besoin, pour écouler sa pro- une lettre de l’éditeur de cette du  New York Times évoque à nerait aucune évolution sensible
duction, de recourir à de pareils publication on ne peut plus offi- grands traits, plus exacts que de la politique soviétique. Mais
procédés ? cielle, l’invitant à substituer à la précis, les circonstances de la ce qu’il appelle de ses vœux, c’est
M. Salisbury a été pendant page 213 dont il disposait, une dégradation des rapports sino- une modification radicale de
cinq ans correspondant feuille relative à la ville tibétaine soviétiques. Il doute beaucoup l’attitude américaine vis-à-vis
du  New York Times à Moscou. de Gyangtsé. La page à retirer que les signes de rapprochement tant des relations avec la Chine
C’est un des très rares journa- était consacrée à un certain Kao- enregistrés récemment changent que du problème fondamental
listes occidentaux qui aient pu Kang. M. Salisbury n’avait jamais grand-chose à l’essentiel, à savoir du déséquilibre mondial entre la
visiter la Sibérie orientale. Il l’a entendu parler de ce personnage. que des deux côtés on se prépare, population et les ressources. Il
vue au lendemain de la mort Une curiosité légitime le piqua. à toutes fins utiles, à la grande met en garde avec force ses com-

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de Staline, quand elle n’était Il découvrit que celui-ci, devenu explication. Il est persuadé, pour patriotes contre l’illusion, entre-
encore qu’une vaste prison à la faveur de la guerre civile le sa part, que les militaires sovié- tenue par certains, que l’Occident
hérissée de barbelés et de mira- maître du Nord-est chinois, s’y tiques surestiment largement pourrait avoir tout à gagner des
dors. « Ce fut une expérience fan- était comporté en « roi sans cou- leurs chances de liquider rapi- hostilités entre les deux géants
tasmagorique, écrit-il,... j’appre- ronne », négociant directement dement leur adversaire et que du monde communiste : outre
nais de la manière la plus directe, avec Moscou, et qu’il s’était la direction actuelle au Kremlin que les nuages d’armes ato-
de visu, la véritable signification suicidé peu après l’exécution n’est guère en état de résister miques particulièrement
du terme "État policier".» Mais de Beria. La presse de Pékin le à une pression un peu forte de « sales » auraient de fortes
c’était déjà, aussi, un « État gar- dénonçait comme un traître, leur part. Il voit l’U.R.S.S. engagée chances de contaminer les États-
nison » ; et de s’étonner qu’alors coupable d’avoir voulu détacher un peu partout dans une vaste Unis, il est impensable que ceux-
qu’une totale entente semblait la Mandchourie de la Chine. entreprise de consolidation de ci se tiennent à l’écart d’un conflit
régner entre l’U.R.S.S. et la Chine Aujourd’hui Kao Jang est pré- ses arrières et de plus en plus qui, quelle que soit son évolution
un tel dispositif militaire eût senté dans la littérature sovié- tentée par une aventure pour – victoire rapide de l’U.R.S.S. ou
été maintenu dans ces régions. tique comme un Chinois « hon- laquelle elle pourrait être assurée nouvelle guerre de cent ans, –
Depuis lors, il a pu retourner nête, patriote et loyal ». de bénéficier du soutien enthou- remettra en question, en tout
en Extrême-Orient soviétique, L’autre précision – il s’agit ici siaste d’une population dont le état de cause, l’équilibre mondial.
et notamment en Mongolie, où plutôt d’une interprétation – chauvinisme, pour ne pas dire On ne peut qu’applaudir à ce
les Soviétiques intensifient en n’est pas moins intéressante. le racisme, a été chauffé à blanc. langage de bon sens.
hâte les préparatifs contre l’amie Vingt ans après la guerre L’auteur n’envisage guère que
d’hier. de Corée, les causes fondamen- deux possibilités de changer le André Fontaine
La Chine a-t-elle jamais été, à tales de son déclenchement cours des événements. Il se peut, Le Monde daté du 04.12.1970
vrai dire, l’amie de la Russie ? demeurent assez mystérieuses.
L’auteur, dont la documentation L’auteur pense qu’elle peut avoir
POURQUOI CET ARTICLE ? une volonté d’extension de leur
remonte loin dans la nuit des eu pour but essentiel, dans
influence hors de leurs frontières.
temps, est persuadé du contraire. l’esprit de Staline, de prendre
Si la Chine maoïste partage la Mais cette guerre sur laquelle
En tout cas, tous ceux qui ont la Chine en tenaille ; il aurait même idéologie communiste pariaient bien des stratèges occi-
étudié la question savent que pu ajouter, à la lumière de ce que l’URSS, des divergences entre dentaux n’aura finalement pas
Staline n’a jamais rien fait, c’est qui s’est passé depuis :... ou de les deux grandes puissances du lieu, comme le pressentait déjà,
le moins qu’on puisse dire, pour brouiller les cartes entre Pékin monde communiste apparaissent dans les années 1970 le journaliste
faciliter la victoire de Mao ni, et Washington en un moment où rapidement. Aussi le risque d’un américain Harrison Salisbury dont
une fois celle-ci acquise, pour le président Truman avait prati- conflit fratricide apparaît d’au- le présent article rend compte d’un
l’aider à développer le pays. Ils quement décidé, comme ce livre tant plus probable que les deux ouvrage sur cette question.
sont familiers de nombre des le rappelle opportunément, de pays sont riverains et partagent

58 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

Pékin confond martyre d’hier et


démonstration de force actuelle

L
’ambiguïté des célébrations Cette vision est en elle-même que la Chine est au centre des souveraineté est contestée,
organisées par la Chine discutable, car les troupes com- puissances mondiales. Cette fois, des îlots pour accueillir son
pour le soixante-dixième munistes, si elles ont contribué la Chine joue la carte de l’histoire aviation.
anniversaire de la reddition du à une guérilla anti-japonaise, mais en fait il est question de Les crimes japonais sont indis-
Japon de 1945 ne pourrait être étaient trop faibles à l’époque politique internationale. » cutables. Mais, et le dire est
plus évidente que dans le logo pour jouer un « rôle essentiel » devenu banalité, le parti unique
présenté par le gouvernement pour contrer l’occupant. Le plus Propagande n’est pas le mieux placé pour
pour l’occasion. En rouge et gros des combats, côté chinois, a La propagande ne lésine pas sur enseigner l’histoire et faire l’in-
jaune, une grande muraille en été livré par les troupes nationa- les moyens et déploie à ce titre ventaire des crimes des autres,
forme de « V » de la victoire est listes et c’est bien sûr la violence une vive créativité. A une expo- car il a la mémoire sélective et
survolée par cinq colombes qui, inédite des bombardements ato- sition à Shanghaï, les curieux réprime lui-même aujourd’hui
selon la description officielle, miques américains qui a mis ont pu se prendre en photo ceux qui voudraient évoquer les
symbolisent la paix tout autant l’empire japonais à genoux. aux côtés d’un étrange « robot millions de morts de la famine
que «  le peuple chinois volant Au-delà de ce détail, au moins Shinzo Abe s’excusant », une du Grand Bond en avant, la folie
vers un futur de grande renais- autant que la défaite du Japon réplique de l’actuel premier de la Révolution culturelle ou la
sance sous la direction du Parti hier, c’est sa nouvelle puissance ministre japonais effectuant violente répression des mani-
communiste » chinois (PCC). que la Chine entend célébrer, automatiquement des cour- festations de Tiananmen.
L’idée du mélange des genres et l’on serait même tenté de bettes. Vingt documentaires, Le négationnisme d’une frange
de ces célébrations, en rien dire le parti unique et à sa tête 12 téléfilms et trois films d’ani- de la droite japonaise quant
dissimulé, vient du sommet de son secrétaire, M.  Xi, qui se mation seront diffusés sur ce aux souffrances infligées aux

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l’Etat, de Xi Jinping en personne. célèbrent. En nourrissant le syn- thème sur les écrans chinois, peuples d’Asie, les visites d’of-
L’angle d’attaque sur le plan his- drome de la forteresse assiégée à quoi s’ajoutent des concours ficiels nippons au sanctuaire
torique consiste à replacer le et en favorisant le nationalisme, de chant ou de calligraphie. Le de Yasukuni, la modification
PCC au cœur de la victoire des ils entendent créer, dans l’opi- tout culminera, le 3 septembre, en cours par Tokyo du cadre
Alliés, afin de louer sa contri- nion, un soutien plus marqué nouveau jour férié, avec une juridique qui contraignait le
bution à la paix internationale au pouvoir. parade militaire au cours de Japon depuis sa défaite au
hier, étape qui doit contribuer à Aux yeux de l’historien Su laquelle la Chine exhibera son pacifisme et l’omniprésence
légitimer son rôle futur. Zhiliang, qui étudie les atro- arsenal militaire. de l’armée américaine dans la
L’homme fort de Pékin l’a cités commises par le Japon à L’équivoque des célébrations région, offrent un terrain favo-
détaillé, jeudi 30 juin, devant les l’Université normale à Shanghaï, chinoises n’a pas échappé rable, excitant, côté chinois, le
membres du bureau politique le but officiel est de souligner aux dirigeants des puissances sentiment que les massacres
du comité central du PCC, il l’importance du théâtre chinois occidentales, qui ont hésité en d’hier n’ont pas été reconnus
s’agit « d’évaluer correctement » dans la guerre. Mais ce profes- recevant leurs cartons d’invita- à leur juste valeur, comme ne
la guerre et ses acteurs. seur, spécialiste des « femmes de tion pour assister au défilé des l’est pas la place de la Chine
Comprendre, selon M. Xi : « En confort », ces esclaves sexuelles troupes sur la place Tiananmen. d’aujourd’hui.
tant que colonne vertébrale de la violées par les soldats japonais, Le président russe, Vladimir Le risque premier pèse sur la
force de résistance, le PCC a joué ajoute, ensuite, qu’il est loin Poutine, serait de la partie mais Chine elle-même. En confon-
un rôle essentiel pour s’assurer d’être uniquement question du pas d’officiel américain haut dant à dessein deux questions,
de la victoire dans la guerre. » passé : « Il s’agit de démontrer placé, pour l’heure. L’Allemagne les atrocités japonaises du passé
sera représentée par son ambas- et sa propre démonstration de
POURQUOI meure dominée par la rivalité avec sadeur à Pékin. force actuelle, elle a découragé
CET ARTICLE ? son voisin japonais. Mais la récente Le dilemme est de taille. Pas les chefs d’Etat étrangers qui
montée en puissance tant écono-
question de mettre en cause auraient pu assister aux com-
Les célébrations du soixante-dixième mique que militaire de la Chine lui
le fait que la Chine a été une mémorations des souffrances
anniversaire de la défaite japonaise impose désormais de penser sa poli-
grande victime de la seconde d’hier mais ne souhaitent pas
de 1945 ont donné lieu en Chine tique étrangère à l’échelle mondiale
à une véritable démonstration de et plus seulement régionale. De
guerre, mais les dirigeants être associés à l’autoritarisme
force militaire. Cet article expose la ce point de vue, il semble que
occidentaux souhaitent éviter d’aujourd’hui.
façon dont, malgré les évolutions l’exacerbation de cette vieille rivalité de cirer les bottes militaires de
politiques qu’a connues la Chine avec le Japon place la Chine dans une Pékin, à l’heure où il avance ses
depuis la fin de la Seconde Guerre situation inconfortable vis-à-vis de prétentions en mer de Chine Harold Thibault
mondiale, sa politique étrangère de- ses alliés occidentaux. méridionale et fait émerger (Pékin, correspondant)
de bancs de sable, dont la Le Monde daté du 11.08.2015

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 59
L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
1920
Après la disparition de l’Empire
Le Proche et le Moyen-Orient,
ottoman, attribution de mandats
à la France et à la Grande-Bretagne. un foyer de conflits depuis
1932
Indépendance de l’Irak.

1948
la fin de la Première Guerre
mondiale (*)
Indépendance de l’État d’Israël ;
première guerre israélo-arabe.

1956
Crise de Suez.

« P
1967
oudrière », ce terme et souvent utilisé pour désigner
Guerre des Six-Jours ; occupation le Proche et le Moyen-Orient. En effet, la région a été,
de Gaza et de la Cisjordanie par depuis la fin de la Première Guerre mondiale, une de
Israël.
celles qui a connu le plus de conflits. Ces conflits répondent à des
1973 logiques spécifiques et répondent à des enjeux locaux, à cause des
Guerre du Kippour.
différentes appartenances ethniques, religieuses et politiques qui s’y
1975-1990 côtoient. Ces conflits sont également liés à un « grand jeu » géopo-
Guerre civile au Liban.
litique en raison des ressources en hydrocarbures de certains États
de la région. Leurs origines sont aussi à rechercher dans les grands

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1979
Révolution islamique en Iran. rapports de force aux XXe et XXIe siècles : colonisation et décoloni-
1980-1988 sation, guerre froide et nouvel ordre mondial défendu par les États-
Guerre Iran-Irak. Unis. Pour quelle raison le Proche et le Moyen-Orient connaissent-
1991 ils de nombreux conflits ? Quels en sont les enjeux ?
Première guerre du Golfe.
Une mosaïque culturelle et religieuse majoritairement arabes de l’ancien Empire ottoman,
1993 Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, dont la Turquie est l’héritière. La France reçoit un
Accords de Washington entre l’Empire ottoman, dont le sultan est turc, domine la mandat de la Société des Nations (SDN) pour la Syrie
Palestiniens et Israéliens. région. Cet empire multiethnique et multiculturel et le Liban, et la Grande-Bretagne pour la Palestine,
contrôle ainsi les lieux saints de l’islam et intègre la Jordanie et l’Irak. Les lieux saints de l’islam sont
2003 des populations très diverses. D’un point de vue attribués à l’Arabie saoudite, qui est indépendante.
Deuxième guerre du Golfe. ethnique, l’Empire comporte des populations arabes, Les frontières de ces mandats sont tracées suivant
majoritaires au Machrek, des Turcs en Anatolie les besoins des Occidentaux, au mépris de leur

MOTS CLÉS et des Kurdes. Un autre État de la région, l’Empire


perse, qui prend le nom d’« Iran » en 1935, est peuplé
cohérence. Dans chacun d’entre eux sont présentes
d’importantes minorités ethniques ou religieuses.
majoritairement de Persans. Certains territoires Lors de l’indépendance de ces territoires, les fron-
ISLAM SUNNITE/ arabes sont marqués par la colonisation britannique, tières ne sont pas remises en cause, dans un souci
ISLAM CHIITE comme le Yémen et le Koweït. D’un point de vue de stabilité. C’est le cas pour l’Irak en 1932, pour la
Branches de l’islam issues d’un religieux, la situation est également très complexe : Syrie et le Liban en 1946. On trouve des Kurdes – qui
schisme au VIIIe  siècle entre ceux des communautés juives sont présentes dans toutes ne possèdent pas d’État – en Turquie, en Iran, en Irak
qui suivent la tradition la Sunna et les grandes villes de la région. Les chrétiens, témoins et en Syrie.
ceux qui sont partisans (Shi’a) d’Ali, des cultures antérieures à la conquête musulmane,
gendre du prophète. sont divisés en près de dix-sept Églises de traditions Des conflits identitaires
Au sein de ces grandes branches différentes. L’islam, largement majoritaire, est Cette situation a conduit à des conflits, et notam-
de l’islam existent également plu- divisé en plusieurs familles spirituelles. L’islam sun- ment au conflit israélo-arabe, qui marque tout par-
sieurs courants. nite est globalement majoritaire, mais l’islam chiite ticulièrement la région. Depuis la fin du XIXe siècle,
est majoritaire en Iran et présent chez nombre de le mouvement sioniste, soutenu par la Grande-
ISLAMISME populations arabes, en Irak et au Liban par exemple. Bretagne depuis la déclaration de Balfour en 1917,
Mouvement politique souhaitant Après la Première Guerre mondiale, la défaite et milite pour la création d’un « foyer national juif »
faire de l’islam la source unique de le démembrement de l’Empire ottoman, les puis- en Palestine. Le nombre d’immigrants juifs pro-
la loi et du droit. sances européennes se partagent les territoires gresse fortement. En 1948, la Palestine accède à

60 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

l’indépendance, sans que soit appliqué le plan de Des conflits aux enjeux multiples MANDAT DE LA SDN
partage de l’ONU en 1947 : celui-ci prévoyait un La région du golfe Persique est également le lieu de Territoire placé sous tutelle d’une
partage de la Palestine entre un État juif et un État conflits liés aux importantes ressources en gaz et puissance coloniale par la Société
arabe. L’État d’Israël naît le 14 mai 1948. en pétrole qu’elle contient, à la différence des pays des Nations (SDN) en attente de
Trois guerres israélo-arabes ont lieu en 1948, 1967 bordant la Méditerranée. Les États-Unis y sont donc son accès à l’indépendance.
– la guerre des Six-Jours – et 1973 avec la guerre du particulièrement présents. Dans les années 1950,
Kippour. Elles sont toutes gagnées par Israël. Il faut ils agissent pour installer un régime favorable en SIONISME
leur ajouter la crise de Suez en 1956, impliquant la Iran, éliminant le Premier ministre Mossadegh et Mouvement fondé à la fin du
France et la Grande-Bretagne, mais aussi les États- restaurant les pouvoirs absolus du shah. Ils établissent XIXe  siècle par Theodor Herzl,
Unis et l’URSS dans le contexte de la guerre froide. un réseau d’alliance avec les pétromonarchies du militant en faveur de l’installation
Depuis 1967, Israël occupe ainsi la Cisjordanie et Golfe en profitant de la logique de guerre froide. des juifs en Palestine de façon à
la bande de Gaza, appelées désormais « territoires Avec la disparition de l’URSS en 1991, ils affirment assurer leur sécurité. Le choix de
occupés », et annexe le plateau du Golan. encore leur présence. En 1991, ils dirigent la coalition la Palestine est expliqué par des
Depuis les années 1980, les Palestiniens tentent de organisée par l’ONU pour libérer le Koweït envahi raisons historiques, en référence
faire valoir leurs droits. Yasser Arafat engage l’OLP par l’Irak. En 2003, ils entreprennent sans mandat au royaume d’Israël.
dans une lutte armée puis dans une voie ouvrant à de l’ONU une guerre contre l’Irak de façon à chasser
la négociation, qui culmine avec les accords d’Oslo Saddam Hussein du pouvoir. Pourtant, leur action THÉOCRATIE
en 1993. Mais ce processus de paix est remis en est fortement contestée dans la région. En 1979, la Régime politique dans lequel les
cause par la montée de l’islamisme avec le Hamas « révolution islamique » conduit à l’établissement religieux exercent le pouvoir. C’est
du côté palestinien et la poursuite de la colonisation d’une théocratie en Iran. Le régime est violemment le cas en Iran depuis 1979, où le
israélienne dans les territoires occupés. Ce conflit a anti-américain et dénonce le soutien apporté par clergé chiite (mollahs et ayatol-
fortement marqué la région, déjà fragile. les États-Unis à Israël. Un violent conflit oppose de lahs) contrôle le pouvoir politique.
1980 à 1988 l’Iran à l’Irak, conflit à l’initiative de ce
dernier,qui occasionne la mort de près d’un million
de personnes et se termine par une victoire indécise. PERSONNAGES
À partir du milieu des années 2000, l’Iran développe
un programme nucléaire qui pourrait déboucher à la
CLÉS
f abrication de l’arme atomique. L’islamisme connaît YASSER ARAFAT

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dans la région un développement important depuis (1929-2004)
les années 1980. Il prend parfois la forme d’organisa- Chef historique du mouvement
tions terroristes, entretenant un climat de conflit et palestinien. Il dirigea à partir de
d’insécurité. Un autre enjeu pour la région est celui de 1969 l’Organisation de libération
la possibilité d’y établir de véritables démocraties. Les de la Palestine (OLP). Il mena
révoltes du « Printemps arabe » de 2011 suscitent des tout d’abord une lutte armée
espoirs, mais aussi des inquiétudes face à la question puis des négociations (accords
de l’islam politique. D’autres tensions pourraient dés- de Washington en 1993) ; il fut le
tabiliser la région, comme la question de l’accès aux premier président de l’autorité
ressources en eau, rare mais vitale dans une région Palestinienne.
marquée par un fort accroissement démographique.
Les conflits du Moyen-Orient et du Proche-Orient SADDAM HUSSEIN
témoignent donc d’enjeux multiples, tous liés les (1937-2006)
Forces égyptiennes, syriennes, omanaises, koweïtiennes
uns aux autres et dont la résolution doit tenir Arrivé au pouvoir en 1962, il gou-
et françaises en 1991, après la guerre du Golfe
compte d’enjeux politiques, mais aussi culturels verna tout d’abord suivant les prin-
Au Liban, une violente guerre civile éclate en 1975. et sociaux. cipes du parti Baas (également au
Le pays, partagé à peu près à égalité entre chrétiens (*) : Le programme de TS ne commence qu’en 1945 pouvoir en Syrie) : modernisation
et musulmans (chiites et sunnites), abrite de nom- et nationalisme arabe. Il exerça
breux réfugiés palestiniens, ce qui conduit Israël à cependant le pouvoir de façon dic-
intervenir sur son territoire en 1982 et en 2006. Le tatoriale. Après la défaite de l’Irak
Liban a ensuite été occupé par l’armée syrienne, lors de la première guerre du Golfe,
mais peine à retrouver sa stabilité depuis le retrait DEUX ARTICLES DU MONDE ill est laissé au pouvoir. Il en est
de celle-ci. L’Irak est cruellement déchiré depuis À CONSULTER chassé lors de la défaite de l’Irak en
2003 par de violentes actions terroristes à cause de 2003, puis arrêté et exécuté.
l’affrontement entre sunnites (minoritaires, mais • 1948 Naissance d’Israël p. 64-65
exerçant le pouvoir à l’époque de Saddam Hussein) (Gilles Paris, Le Monde daté du 16.10.2004) DAVID BEN GOURION
et chiites, majoritaires. Le nord du pays, peuplé de (1886-1973)
Kurdes, est devenu une région largement autonome. • Damas et Moscou, alliés de longue date Homme politique appartenant au
La guerre civile en Syrie actuellement en cours a p. 65-66 parti travailliste israélien. Il a été le
pour une de ses causes, outre le rejet du régime de (Isabelle Mandraud et Benjamin Barthe, fondateur de l’État d’Israël en 1948,
Bachar El-Assad, la volonté de la majorité sunnite Le Monde daté du 19.10.2015) puis le premier Premier ministre
de prendre le pouvoir, contrôlé par les alaouites, du pays. Il crée également Tsahal
adeptes d’une des branches de l’islam chiite. (acronyme de « Armée de défense
d’Israël »).

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 61
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
CONFLITS AU LIBAN
Composition : 
Depuis 1975, le pays est régulière- Les facteurs d’instabilité au Moyen-Orient depuis
ment déstabilisé à cause du fragile
équilibre existant entre chrétiens, la fin de la Première Guerre mondiale.
sunnites, chiites et Druzes. Par
ailleurs, le pays a été victime de Analyse du sujet
l’affrontement israélo-palestinien Le sujet invite à considérer les causes constitutives DOCUMENT CLÉ
et des ambitions de ses voisins : de la situation d’instabilité que connaît la région
le sud du pays a été occupé par depuis près d’un siècle. Il ne s’agit donc pas de
Israël et l’armée syrienne a long- raconter les événements qui s’y déroulent, mais Gestion de l’eau en Israël, Cisjordanie et Gaza
temps été présente sur le reste du de les analyser, de considérer leurs causes à la fois
territoire. profondes et immédiates.

CONFLIT ISRAÉLO- Proposition de plan


PALESTINIEN I. Le Moyen-Orient : une mosaïque de peuples et
Conflit lié au partage de l’ancien de cultures
mandat britannique de Palestine. 1. Le berceau des trois grandes religions monothéistes
En 1947, le plan de partage de 2. Des peuples aux cultures diverses (Perses, Turcs,
l’ONU prévoit deux États et une Kurdes, Arabes)
zone sous contrôle international 3. Une région aux frontières politiques arbitraires
pour Jérusalem. Actuellement,
l’État d’Israël et l’autorité pales- II. Un lieu de tensions exacerbées et radicalisées
tinienne (elle-même divisée 1. Les tensions religieuses (entre branches d’une
entre Cisjordanie et bande de même religion, interreligieuses, guerres civiles :
Gaza) tentent difficilement de Liban, Irak, Syrie)
parvenir à un règlement, alter- 2. La naissance de l’État d’Israël et les conflits israélo-

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nant périodes d’apaisement et palestiniens (territoires occupés, OLP et Hamas,
de conflit. guerre des Six-Jours, du Kippour, attentats)
3. Le berceau de l’islamisme politique (révolution
GUERRES DU GOLFE iranienne de 1979)
Guerres menées en 1991 et 2003
contre l’Irak. En 1991, les États- III. Un lieu déstabilisé par des enjeux internationaux
Unis agissent dans le cadre d’une 1. Les mandats territoriaux et les tensions entre
coalition sous mandat de l’ONU puissances étrangères pour le contrôle de la région
pour libérer le Koweït. En 2003, ils 2. Les enjeux énergétiques : un pétrole tant convoité
agissent de façon unilatérale pour (guerres Iran-Irak, Koweït)
mettre fin au régime de Saddam 3. Le difficile partage de l’eau (plateau du Golan,
Hussein. tensions entre Israël et la Syrie)

ISLAMISME POLITIQUE Les repères essentiels


Doctrine politique qui considère • Empire ottoman, mandats de la SDN, décolonisa-
que la loi religieuse musulmane tion, Israël, Palestine, territoires occupés.
doit être la source unique de la • Guerres israélo-arabes, guerre Iran-Irak, première
loi civile. Il peut être appliqué de guerre du Golfe, seconde guerre du Golfe.
façon modérée et respecter le jeu • Contexte géopolitique : cadre des États, des peuples
démocratique (Turquie), ou de et des religions dans la région.
façon radicale. Il peut, lorsqu’il
est radical, constituer l’idéolo-
gie de régimes totalitaires (Iran)
L e Jourdain est la seule source majeure d’eau
dans le Proche-Orient. Il est alimenté par
quatre rivières, Yarmouk, Banias, Hasbani et
ou de mouvements terroristes Ce qu’il ne faut pas faire Dan, qui confluent sur le territoire d’Israël.
(al-Qaida). Ce dernier occupe également depuis 1967 le
• Raconter l’histoire de la région, plateau du Golan, revendiqué par la Syrie, où
PÉTROMONARCHIES sans problématiser ni argumenter naissent une partie des affluents du Jourdain,
Monarchies du golfe Persique sur les facteurs de déstabilisation. ce qui lui assure la maîtrise de l’amont du
riches en hydrocarbures : Arabie • Ne pas réussir à définir clairement réseau fluvial. En aval, ses voisins palestiniens et
saoudite, Koweït, Qatar, Bahreïn, les territoires, les peuples et les religions jordaniens sont donc entièrement dépendants
Émirats arabes unis, Oman. Tous considérées. d’Israël pour leur approvisionnement en eau, ce
les pays producteurs de pétroles • Ne pas adopter un point de vue neutre. qui crée des tensions extrêmes autour de cette
de la région ne sont pas des monar- ressource vitale.
chies, comme l’Iran et l’Irak.

62 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…
Étude critique de document : Les minorités
du Moyen-Orient
À l’aide de ce document, expliquez en quoi le pétrole a été LES KURDES
un enjeu majeur dans les conflits du Moyen-Orient depuis Avec les Palestiniens, ils sont le
principal peuple sans État du
les années 1950. Proche-Orient. On les trouve princi-
palement en Irak (où ils bénéficient
d’une très large autonomie depuis
l’intervention américaine de 2003),
en Turquie (où leur branche armée,
le PKK, est solidement implantée),
ainsi qu’en Syrie et en Iran.

LES ALÉVIS
Ces musulmans hétérodoxes, qui
boivent de l’alcool et n’ont pas de
mosquées, représentent environ
20 % de la population de la Turquie,
pays qui en regroupe la plus forte
communauté.

LES COPTES
Chrétiens égyptiens héritiers de
la culture anté-islamique du pays,
ils représentent environ 10 % de
la population du pays. Comme

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nombre de chrétiens d’Orient,
ils font fréquemment l’objet de
persécutions.
(Source : BP Statistical Review of World Energy, juin 2007.)
LES MARONITES
Ces chrétiens d’Orient, disciples du
Analyse du sujet enjeu dans les nombreux conflits qui ont affecté le monastère de Saint-Maron, sont
Alors que le programme couvre la période qui va de Moyen-Orient depuis les années 1950. principalement présents au Liban,
1918 à nos jours, le sujet à traiter ne porte que sur dont le président est, par tradition,
la deuxième moitié du xxe siècle. La raison en est Proposition de plan toujours issu de cette communauté
évidente : c’est en effet à cette époque que le pétrole I. Le Moyen-Orient, cœur de l’économie pétro- depuis 1943. Beaucoup vivent
du Moyen-Orient commence à être massivement lière mondiale aujourd’hui en Occident car ils ont
exploité. L’analyse documentaire consiste pour Il faut montrer la place cruciale qu’occupe le fui la guerre civile qui a déchiré
l’essentiel à interpréter la courbe de l’évolution du Moyen-Orient dans la production et l’exportation leur pays dans les années 1990.
prix du pétrole afin de déterminer si les hausses de pétrole, ce qui en fait une région particulière-
et les baisses sont corrélées avec les événements ment stratégique. On évoque également ici le rôle LES CHIITES
géopolitiques de cette région du monde. de l’OPEP. Ces musulmans dissidents sont
minoritaires dans tous les pays
Problématique II. L’impact des conflits du Moyen-Orient sur les du Moyen-Orient, à l’exception de
En s’appuyant sur le document, il s’agit de montrer cours du pétrole l’Iran, de l’Irak et du Bahreïn, où
en quoi les ressources en pétrole ont constitué un On ne peut que constater, en regardant de près le pouvoir est cependant détenu
l’évolution des cours du pétrole, que celle-ci est par un souverain sunnite. Ils
intimement liée à l’histoire des conflits au Moyen- sont également nombreux et très
Orient. De toute évidence, dès qu’une crise agite la influents au Liban. À la différence
Plan pour un sujet commençant région, cela se répercute sur les prix, qui partent des sunnites, les chiites ont un
en 1945 (programme TS) à la hausse. clergé très hiérarchisé.

I - Le conflit pour la Palestine depuis III. Le pétrole, une source de conflits au Moyen- LES ALAOUITES
la création d’Israël en 1947 Orient ? Ces musulmans dissidents sont
II - Les conflits liés à l’appropriation À plusieurs reprises depuis 1950, le pétrole a essentiellement présents en Syrie,
des ressources contribué au déclenchement de graves conflits au où ils représentent environ 10 %
III - Les guerres civiles Moyen-Orient. Ce fut par exemple le cas de la de la population. Le président
longue et meurtrière guerre qui opposa l’Iran à Bachar el-Assad est issu de cette
l’Irak dans les années 1980. communauté.

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 63
LES ARTICLES DU

1948 Naissance d’Israël


Le rêve perdu de la paix

L
orsque David Ben dirigeants sionistes spéculent militaire, déterminé à profiter mouvement national pales-
Gourion proclame l’État également sur le jeu ambigu de l’occasion qui lui est donnée tinien. Encore balbutiant en
d’Israël au Musée de d’Abdallah de Transjordanie, pour réécrire à son avantage 1948, il profitera de la déroute
Tel-Aviv, devant le Conseil avec lequel ils sont en contact le partage de 1947, et qui une cuisante d’États arabes plus
populaire juif, le 14 mai 1948, et qui pourrait avoir intérêt au fois engagé n’hésitera pas à préoccupés par leurs intérêts
à 16 heures, la partie est loin dépeçage de la Palestine pour recourir à tous les moyens nationaux que par le sort de la
d’être gagnée. Les armées consolider un royaume aux pour parvenir à ses objectifs, population palestinienne pour
des pays arabes alentour contours artificiels. qui passent par l’expulsion se prendre en main.
n’attendent que cette déci- La proclamation de l’État de la plus grande partie pos- En 1948, le sionisme touche
sion pour passer à l’offensive d’Israël entraîne bien la sible de la population arabe au but. Un peu plus de cin-
et prendre le relais de forces guerre, renvoyant Abdallah autochtone. quante ans après le congrès
palestiniennes qui, après de dans le camp arabe, mais les fondateur de Bâle, en 1897,
premiers succès fin 1947, sont troupes israéliennes en défi- L’année à la fin d’un siècle qui a vu
en difficulté depuis le mois de nitive l’emportent sur leurs de la « catastrophe » prospérer les nationalismes et
mars. adversaires. Dans les mois Pour les Palestiniens, l’année les colonisations, ses respon-
Adopté en novembre 1947, qui suivent ce 14 mai 1948, les 1948 reste celle d’une tout sables peuvent regarder avec
le plan de partage des toutes mythes fondateurs de l’État autre célébration, celle de la fierté le chemin parcouru et
jeunes Nations unies pré- juif se gravent dans les esprits. « catastrophe », la Naqba. La les objectifs atteints en dépit

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voyant la création de deux Pour longtemps. Entraîné fin d’un âge d’or, l’écroulement de l’adversité.
États vivant côte à côte sur le contre son gré dans le conflit, d’une société, l’exil de 700 000 La popularité d’Israël, dans
territoire de la Palestine man- Israël, pourtant très inférieur d’entre eux vers les pays arabes un monde encore stupéfié
dataire est resté lettre morte. numériquement, a gagné seul voisins, où ils s’établiront dans par l’horreur de la Shoah,
une guerre au cours de laquelle la précarité, condamnés à une est sans doute à son zénith.
Jérusalem, un enjeu ses troupes se sont comportées interminable attente. « L’État d’Israël sera ouvert
Pour le camp arabe, sûr à la fois honorablement. Car 1967 va répéter 1948 avec à l’immigration juive et au
de sa force et de son droit, les Cette guerre a entraîné le la victoire écrasante de l’armée rassemblement des exilés ; il
concessions territoriales qu’il départ volontaire d’une grande israélienne sur les troupes développera le pays pour le
implique sont inconcevables, partie de la population arabe, syriennes, égyptiennes et jor- bénéfice de tous ses habitants ;
et si les représentants juifs du mal conseillée par des diri- daniennes. Cette catastrophe il se fondera sur la liberté, la
Yishouv se montrent officiel- geants aveuglés par leur haine fera paradoxalement le jeu du justice et la paix telles que les
lement prêts à jouer le jeu, on des juifs, et qui attendait la fin
voit mal en vérité comment des combats pour revenir chez POURQUOI
ils s’accommoderaient d’un elle après la victoire. Le sort CET ARTICLE ?
territoire disparate, privé qui contraire des armes a trans-
plus est de Jérusalem. D’autant formé les fuyards en réfugiés. Cet article revient sur un des évé- des États-Unis mais aussi de
que les circonstances jouent À partir des années 1980 et avec nements majeurs du XXe siècle l’URSS au Moyen-Orient. Ces
objectivement en leur faveur. l’ouverture des archives israé- au Moyen-Orient : la nais- logiques se conjuguent en 1948
sance de l’État d’Israël. L’auteur en faveur de la naissance du
Alors que la guerre froide est liennes, un groupe d’historiens
montre quelles dynamiques, nouvel État. Se posent alors éga-
en passe d’imposer ses fron- et de journalistes revisite les parfois contradictoires, étaient lement deux questions toujours
tières, ils peuvent compter à grands chapitres de cette his- à l’œuvre dans ce processus. Il ouvertes. La première est la rela-
la fois sur la sympathie des toire officielle pour dresser un replace cette création dans son tion d’Israël et des États arabes
États-Unis et sur l’objectif de tableau plus nuancé. contexte : fin de la Seconde voisins, dont l’article montre
l’Union soviétique de pousser Apparaît alors un pays tout Guerre mondiale et découverte les ambiguïtés, la seconde, celle
la Grande-Bretagne, le mentor aussi prêt à la guerre que de la Shoah, décolonisation du sort des Palestiniens après la
avec le départ des Britanniques, « Naqba » et dans le cadre des
des principaux États arabes, ses voisins, rapidement plus
guerre froide avec l’engagement territoires occupés depuis 1967.
hors du jeu oriental. Les jeunes puissant qu’eux sur le plan

64 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

envisageaient les Prophètes aux principes de la Charte des pourtant que la proclamation conclus avec l’Égypte et la
d’Israël ; il assurera la complète Nations unies. » Telles sont, le de l’État va au contraire mettre Jordanie, Israël n’en est tou-
égalité de droits politiques et 14 mai 1948, les promesses de le feu aux poudres, dresser les jours pas sorti.
sociaux à tous ses habitants, David Ben Gourion, qui tend murailles au lieu de les abattre.
quelles que soient leur religion, alors la main « aux habitants Mais, pour lui, le destin du Gilles Paris
conscience, langue, éducation arabes d’Israël » et « aux États sionisme, sa réalisation, passe Le Monde daté du 16.10.2004
et culture ; il veillera à la sau- arabes de la région ». par l’épreuve de force.
vegarde des Lieux saints de Le dirigeant le plus presti- Plus d’un demi-siècle plus tard,
toutes les religions et sera fidèle gieux de l’histoire du pays sait et malgré les traités séparés

Damas et Moscou,
alliés de longue date
Interrompue à la fin des années 1980, l’idylle reprend en 2003 et se renforce
avec la révolution syrienne.

L
’intérêt de Moscou pour Royaume-Uni et Israël se liguer

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la Syrie prend naissance contre l’Egypte de Nasser, POURQUOI L’intervention russe dans
dans la première moitié servira de détonateur. CET ARTICLE ? la guerre civile syrienne,
du XIXe  siècle. Au nom de la Porté par la fièvre nationaliste Durant la guerre froide, le enclenchée en 2015, tend à
Moyen-Orient fut l’un des changer cette donne. Pour la
défense des chrétiens ortho- qui s’empare de la région, le pre-
nombreux terrains d’affron- première fois depuis 1990,
doxes de l’empire, la Russie mier ministre, Khaled Al-Azm,
tement entre l’URSS et les une grande puissance non-
pousse ses premiers pions dans pur produit de la bourgeoisie États-Unis, chacun des deux orientale s’engage dans un
cette province ottomane, qui a damascène, scelle un premier grands y entretenant un ré- conflit au Moyen-Orient sans
l’avantage d’offrir un accès aux accord d’armement avec les seau d’alliance local à même s’aligner sur la position des
mers chaudes, l’une des obses- Soviétiques. « C’est comme cela de relayer son influence dans États-Unis. En effet, la Russie
sions du régime tsariste. Le que les Russes ont commencé la région. Avec la disparition de Vladimir Poutine soutient
travail d’approche se poursuit à infiltrer l’armée syrienne », de l’URSS, les États-Unis se le président syrien Bachar Al-
après la révolution bolchévique, précise Samir Al-Taqi, un sont un temps retrouvés en Assad, dont les États-Unis ré-
sous couvert, cette fois, de la ex-communiste syrien, qui position hégémonique : ils clament le départ du pouvoir.
lutte contre la tutelle coloniale conseille aujourd’hui l’oppo- étaient la seule puissance non- Cet article présente l’intérêt,
orientale à même d’intervenir en plus d’éclaircir les tenants
française. En février 1946, deux sition. Dans les années qui
de manière décisive au Moyen- et les aboutissants de cette
mois avant l’indépendance de la suivent, plusieurs gros contrats
Orient, même s’ils veillaient à nouvelle donne géopolitique
Syrie, un pacte secret est signé d’infrastructures, comme la inclure les alliés européens dans la région, de revenir sur
entre les deux pays. construction d’un barrage (Royaume-Uni, France) dans la longue histoire de la rivalité
La guerre froide donne une sur l’Euphrate, permettent à leurs initiatives. russo-américaine en Orient.
traduction concrète à cette Moscou de prendre pied dans
alliance. Moscou a besoin de l’économie et la société.
la Syrie pour contrer le pacte L’arrivée au pouvoir, en 1963, de l’Est. Mais, après le fiasco plus pragmatique, est soutenu
de Bagdad, un regroupement du parti Baas, champion du de la guerre des Six-Jours de en sous-main par le Kremlin.
régional, formé en 1955, qui « socialisme arabe », donne un 1967, Leonid Brejnev, maître Les livraisons d’armes prennent
place l’Irak, la Turquie, l’Iran nouveau coup d’accélérateur à de l’URSS, se détourne de cet alors leur envol, d’autant que
et le Pakistan dans l’orbite de la relation bilatérale. L’homme idéologue suspecté d’aventu- Moscou «  néglige » souvent
Londres et Washington. La cala- fort de l’époque, Salah Jedid, risme. En 1970, le coup d’Etat d’envoyer la facture. La Syrie
miteuse expédition de Suez, tenant de l’aile gauchiste du du ministre de la défense, Hafez reçoit des Mig-23 et négocie un
en 1956, qui voit la France, le Baas, aligne son pays sur le bloc Al-Assad, partisan d’une ligne report de sa dette. En retour, les

Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours 65
LES ARTICLES DU

Soviétiques obtiennent, en 1971, La perestroïka, à la fin des moindre, durant le premier dans la région, monnaie de nou-
le droit d’ouvrir une base mili- années 1980, puis l’effondre- mandat de Vladimir Poutine, veaux contrats d’armement en
taire dans le port de Tartous, ment de l’URSS coupent court entre 2000 et 2004. Le jeune échange de l’effacement de la
sur la Méditerranée. La venue à cette idylle. Fini les transferts Bachar Al-Assad, qui a succédé majeure partie de la dette
d’Hafez Al-Assad à Moscou, d’armes gratis ! Banqueroute à son père en 2000 et se pique syrienne, puis, plus nettement,
en 1972, est la première d’une oblige, Mikhaïl Gorbatchev de modernité, préfère lorgner après l’assassinat du premier
longue série de visites, avec réclame à Hafez Al-Assad le du côté du Golfe et des capitales ministre libanais Rafik Hariri, en
pour étape obligée le dépôt de remboursement de sa dette. occidentales. «  Un conseiller 2005, que les puissances occi-
gerbes au mausolée de Lénine. « Les Russes partent vers l’ouest. de Poutine m’avait dit à cette dentales attribuent à Damas.
L’URSS couvre la répression Comment pourrions-nous les époque : “Nous savons que Bachar Al-Assad trouve un appui
ultrabrutale du soulèvement suivre ? », confie alors le dicta- votre président ne nous aime auprès de Moscou. La révolution
des Frères musulmans en 1981- teur syrien à Samir Al-Taqi. « Il pas”, raconte Samir Al-Taqi, syrienne, en 2011, accentue le
1982. Le nombre de conseillers était très inquiet, se souvient qui officiait comme consul- rapprochement. Le Kremlin ne
militaires russes stationnés en ce dernier. Il savait que, sans le tant au ministère des affaires pouvait soutenir ce mouvement,
Syrie explose. Il passe de 1 000 soutien de Moscou, son régime étrangères syrien. Ils avaient dirigé, qui plus est, contre un
en 1980 à 6 000 en 1983. « Cette était menacé. C’est notamment été déçus par le fait que Bachar allié de cinquante ans.
année-là, certains d’entre eux pour cette raison qu’en 1991 il a Al-Assad réserve ses premières
ont été priés de débarquer à soutenu l’attaque américaine visites à l’étranger à la France et Isabelle Mandraud
l’aéroport habillés en touriste, contre les troupes irakiennes au au Royaume-Uni. » (Moscou, correspondante)
pour ne pas effaroucher la popu- Koweït. » La tendance s’inverse à partir de et Benjamin Barthe
lation ! », témoigne un officier Le refroidissement se poursuit 2003, lorsque Vladimir Poutine, (Beyrouth, correspondant)
soviétique à la retraite. sous Boris Eltsine et, à un degré qui cherche à reprendre pied Le Monde daté du 19.10.2015

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66 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours
les échelles
de gouvernement

de la seconde guerre
mondiale à nos jours
dans le monde, de la fin

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L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
9 OCTOBRE 1945
Création de l’École nationale
Gouverner la France depuis
d’administration (ENA).

27 OCTOBRE 1946
1946 : État, gouvernement
Proclamation de la Constitution
de la IVe République.

4 OCTOBRE 1958
et administration.
Adoption de la Constitution de
la Ve République.

1962
Héritages et évolutions
Élection du président de la

G
République au suffrage universel
direct. ouverner la France depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale a posé un certain nombre de défis. En 1946, la
1963
Création de la Délégation de France sort d’une crise profonde. Malgré la continuité de la
l’aménagement du territoire et République dans le cadre de la France libre, le régime de Vichy a été
à l’action régionale (DATAR).
profondément discrédité. Afin de tenter de bâtir un système poli-
1969 tique stable, deux Républiques se succèdent : la IVe République, de
Rejet du référendum sur la
régionalisation.
1946 à 1958, puis la Ve, dont la Constitution est toujours en vigueur.
Il s’agit de gouverner le pays, mais de l’administrer à toutes les
échelles : locale, régionale et nationale. L’État s’investit également

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1982
Loi Defferre instituant
22 Régions. dans les domaines économique et culturel. Quels sont les grands
enjeux liés au gouvernement de la France depuis 1946 ? Quelles
1986-1988, 1993-1995,
1997-2002
permanences et quelles mutations ont été notées dans la façon
Périodes de cohabitation. dont l’État administre le pays ?
2000 Deux Constitutions, deux modes Le nouveau régime est de type semi-présidentiel.
Réforme de la Constitution insti- de gouvernement : les IVe et En effet, le Premier ministre est toujours choisi
tuant le quinquennat. Ve Républiques parmi la majorité parlementaire, mais l’Assemblée
Depuis 1946, le cadre des institutions françaises a été nationale est élue au suffrage universel suivant un
caractérisé par deux Républiques qui se succèdent. La scrutin uninominal. Il est donc plus facile pour une
PERSONNAGE IVe  République est organisée par la Constitution du majorité nette d’y apparaître. Le Sénat est élu au
CLÉ 27 octobre 1946. Il s’agit d’un régime parlementaire. Le
président de la République, élu au suffrage universel
suffrage indirect et partage le pouvoir législatif avec
l’Assemblée.
CHARLES DE GAULLE indirect, dispose de peu de pouvoir. Le président du
(1890-1970) Conseil, nom donné au chef du gouvernement, qui Les pouvoirs du président de la République sont
Le 16 juin 1946, dans le discours exerce le pouvoir, est issu de la majorité parlementaire étendus. Il signe les décrets d’application des
de Bayeux, il se prononce pour dans une Assemblée élue au scrutin proportionnel. lois, est chef de l’armée, dispose depuis 1960 de
un pouvoir exécutif fort. N’étant De ce fait, il est difficile à un parti d’obtenir une large l’emploi de l’arme atomique, peut dissoudre l’As-
semblée nationale en cas de crise politique, peut
pas suivi par les partis rédigeant majorité, et ce sont des coalitions qui se succèdent.
faire appel à l’avis des Français par référendum.
la Constitution, il avait quitté le On voit donc 24 gouvernements se succéder en
En cas de péril, il peut, en utilisant l’article 16 de la
pouvoir le 20 janvier de la même douze ans, dont le plus court ne dura qu’un jour. Le
Constitution, disposer des pleins pouvoirs.
année. général de Gaulle critique violemment ce système
En mai 1958, il est rappelé au politique et quitte le pouvoir en 1946. Il souhaite Depuis 1962, le président est élu au suffrage universel
pouvoir pour résoudre la crise un pouvoir exécutif fort qui imprime au pays une direct, ce qui crée un lien tout particulier avec
algérienne. Il accepte à condi- direction claire. La crise du 13 mai 1958 lui permet les Français. C’est donc dans le cadre de ces deux
tion de fonder une nouvelle de revenir au pouvoir. Il pose comme condition Républiques que la France a été gouvernée.
République. Élu en 1958 et 1965, la rédaction d’une nouvelle Constitution. Celle-ci
il dispose de pouvoirs étendus. naît donc en lien avec l’image du « grand homme » De nouvelles pratiques du pouvoir
Il démissionne en 1969 après providentiel. Le 4 octobre 1958, celle-ci est adoptée, Malgré les critiques dont elle a fait l’objet, le bilan de la
l’échec d’un referendum sur le fondant la Ve République. En signe de continuité, elle IVe République comporte des points positifs. En effet,
Sénat et la régionalisation. conserve le préambule de la Constitution de 1946. au-delà de la succession rapide des gouvernements,

68 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

des hommes politiques très compétents ont travaillé


dans plusieurs gouvernements successifs, assurant la
publique avec l’École nationale d’administration (ENA),
née en 1946, qui prolonge les formations reçues dans
MOTS CLÉS
continuité. Certains présidents du Conseil réussissent les Instituts d’études politiques (IEP). Même si le CONSTITUTION
à imprimer leur marque. C’est le cas de Pierre Mendès personnel qui en est issu est parfois accusé d’établir Texte fondamental d’un régime
France de juin 1954 à février 1955. La IVe  République une technocratie, il a permis de donner une cohérence politique qui en définit les valeurs
réussit à mettre en place la Sécurité sociale et à à la gestion du territoire. Outre le territoire, cette et les grands principes.
ancrer la France dans l’Europe avec la CECA en 1951 gestion a également un fort impact économique, car Elle règle aussi les rapports entre
et le traité de Rome en 1957. Sous la Ve  République, une des spécificités françaises est l’importance de les différentes institutions dont
la personnalisation du pouvoir est plus importante, l’État comme acteur de l’économie. D’importantes elle définit les compétences.
centrée sur la figure du président de la République. entreprises nationales (énergie, industrie automobile, En France, elle peut être révi-
L’aura du général de Gaulle (président de 1958 à 1969) transports, banques…) ont été créées par des nationali- sée soit par référendum, soit
a mis en exergue cette présidence forte. Avec Georges sations en 1945-1947 et 1981 (outre celles de 1936), qui par le Congrès (réunion des
Pompidou (1969-1974), cet héritage est conservé. firent naître de grandes entreprises gérées par l’État, deux chambres qui forment le
Malgré le nouveau style imprimé par Valéry Giscard souvent dirigées par des hommes issus de la haute Parlement, c’est-à-dire du Sénat
d’Estaing (1974-1981), c’est sous les présidences de fonction publique. Une planification incitative est et de l’Assemblée nationale, à
François Mitterrand (1981-1995) et de Jacques Chirac mise en œuvre dès 1946. Les privatisations intervenues Versailles, dans le but d’une révi-
(1995-2007) que de nouvelles pratiques apparaissent. depuis 1986 n’ont pas totalement remis en cause le rôle sion constitutionnelle).
Il s’agit d’une part de l’alternance : les Français tendent de l’État dans la vie économique. Quant aux échelles
à faire alterner droite et gauche. D’autre part, on voit d’action du gouvernement et de l’administration, DÉCENTRALISATION
apparaître des cohabitations. L’Assemblée nationale elles ont été profondément transformées depuis 1946. Transfert de compétences de l’État
étant élue pour cinq ans et le président pour sept L’ancrage de la France dans la CEE puis dans l’Union vers des collectivités territoriales
ans, on voit à trois reprises apparaître une majorité européenne a conduit à l’émergence d’une nouvelle ou des établissements publics.
parlementaire qui met en minorité le parti dont est issu échelle de pouvoir, supranationale. Les décisions prises
le président de la République. En 1986, par exemple, par l’Union européenne engagent la France : gouverne- DÉCONCENTRATION
François Mitterrand, socialiste, est président de la ment et administration doivent les mettre en œuvre. Délégation de pouvoir depuis les
République, et l’Assemblée nationale nouvellement La France connaît aussi une véritable révolution en services centraux de l’État vers des
élue a une majorité de droite, et Jacques Chirac (qui limitant la tradition centralisatrice. Ces mouvements échelons inférieurs.
appartient au RPR) est nommé Premier ministre. Le de décentralisation et de déconcentration sont lancés

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Premier ministre et son gouvernement sont donc d’un dans les années 1960 avec la création de la Délégation SCRUTIN
parti opposé à celui du président : ils se partagent un à l’aménagement du territoire et à l’action régionale MAJORITAIRE
certain nombre de compétences, le président gardant le (DATAR). Mais le transfert de pouvoir aux collectivités Élection dans laquelle un seul
rôle de chef de l’armée et un rôle important en matière territoriales est assez tardif. La création de Régions est candidat est élu sur un territoire
de relations internationales. Pour limiter les risques ralentie par l’échec du référendum proposé à ce sujet donné. Cela suppose qu’il obtienne
de cohabitation, Jacques Chirac décide, en 2000, de en 1969. C’est seulement en 1982 que la loi Defferre la majorité des voix pour être élu.
procéder à une révision de la Constitution pour limiter institue 22 Régions. Il s’agit de la première grande loi de
à cinq ans le mandat présidentiel. décentralisation. Ce nouvel échelon entre l’État et les SCRUTIN
départements dispose aujourd’hui de compétences PROPORTIONNEL
élargies et d’un véritable pouvoir exécutif. On assiste Élection dans lequel chaque parti
ainsi à un partage des compétences et des personnels. obtient un nombre de sièges en
Dans le domaine de l’Éducation nationale notamment, fonction du pourcentage de voix qu’il
les écoles dépendent des communes, les collèges, des obtient. Il s’agit donc d’un scrutin de
départements, les lycées, des Régions. Par ailleurs, l’État liste, chaque parti déposant la sienne.
reste présent à l’échelle locale avec un préfet nommé
dans chaque département et dans chaque Région.
PERSONNAGE
CLÉ
PIERRE MENDÈS FRANCE
TROIS ARTICLES DU MONDE (1907-1982)
À CONSULTER Homme politique français, membre
du Parti radical puis du Parti radical-
François Mitterrand en 1984 • L’ENA a soixante ans et cherche socialiste. Il est président du Conseil
un nouvel élan p. 72-73 de juin 1954 à février 1955. Pendant
De nouveaux modes d’administration (Claire Guélaud, Le Monde daté du 16.10.2005) ces quelques mois de l’« expé-
L’administration du pays est aussi placée entre héri- rience PMF », il met fin à la guerre
tages et innovations. Tout d’abord, le processus de déco- • La fin de la monarchie républicaine d’Indochine et tente de renforcer le
lonisation, mené par la IVe puis par la Ve République est p.  73-74 (Éric Dupin, Le Monde daté du pouvoir exécutif. Il est cependant
achevé en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie, ce qui 05.05.2002) mis en échec par le système des
ramène le pays dans son cadre métropolitain. Les terri- partis. Sous la Ve République, il
toires d’Outre-Mer reçoivent le statut de départements • Régions : les cinq plaies de la réforme p.  75 s’oppose à l’exercice très person-
ou territoires d’Outre-Mer. On doit à la IVe République (Gérard Courtois, Le Monde daté du 24.12.2014) nalisé du pouvoir mis en place par
d’avoir créé un outil de formation de la haute fonction le général de Gaulle.

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 69
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS Composition :


ADMINISTRATION
Ensemble des acteurs assurant
État, gouvernement et administration de la France
la gestion d’un territoire dans
tous les secteurs nécessitant une
de 1946 aux lois de décentralisation de 1982-1983
action de l’État ou des collectivités
territoriales.
incluses.
COLLECTIVITÉ Analyse du sujet III. De la libéralisation de l’économie à la décen-
TERRITORIALE Le sujet part d’un constat : depuis la fondation de la tralisation : les nouvelles voies de la Ve République
Division administrative du terri- IVe République (1946), l’État central a redéfini son champ 1. Valéry Giscard d’Estaing et la libéralisation progres-
toire dotée d’un certain nombre et ses moyens d’action. La construction européenne, sive de l’économie (désengagement du capital des
de décisions. d’une part, l’essor des demandes d’autonomie locale, entreprises nationalisées)
On peut citer en France les d’autre part, ont contribué à une redéfinition du gou- 2. Les socialistes et la décentralisation (lois Deferre)
Régions, les départements et les vernement et de l’administration de la France, comme 3. Composer avec ses partenaires : la France dans la
communes. en témoignent les lois de décentralisation de 1982. construction européenne (partage de la souveraineté,
directives européennes et droit français)
ENTREPRISE NATIONALE Proposition de plan
Entreprise dont le capital est I. Le bilan de la IVe République Les repères essentiels
entièrement ou majoritairement 1. La valse des gouvernements : douze ans d’instabilité • IVe République, Ve République.
possédé par l’État. Il s’agit souvent parlementaire (unions et divisions entre les partis, élec- • Institutions : Assemblée nationale, président de la
de secteurs clés en matière de tions des députés suivant un scrutin proportionnel). République, gouvernement.
transports et d’énergie. 2. La naissance d’une administration solide et stable • Décentralisation, collectivités territoriales, aména-
(ENA) gement du territoire.
ÉTAT 3. Un État investi socialement et économiquement • ENA, Sécurité sociale, lois Defferre.
Organisation politique exerçant (reconstruction après guerre, nationalisations, créa-
son pouvoir sur un territoire tion de la Sécurité sociale)
Ce qu’il ne faut pas faire

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donné. L’État peut être de plusieurs II. La Ve République de 1958 à 1974 : continuités et ruptures
types. 1. Retour de la stabilité parlementaire et renforce- • Ne pas problématiser le sujet et raconter
On parle d’État « centralisé » ment du pouvoir présidentiel (élections au suffrage l’histoire de France sur la période.
lorsque l’État central applique universel du président de la République, élection des • Ne pas clairement distinguer les termes
directement ses décisions sur le députés suivant un scrutin uninominal) du sujet et utiliser en les confondant les mots
territoire sans recourir à des éche- 2. Le maintien d’une forte implication de l’État (amé- « État », « gouvernement » et « administration ».
lons intermédiaires. nagement du territoire, ministère de la Culture de • Oublier de rappeler les grandes articulations
On parle d’État « fédéral » lorsque Malraux, réévaluation du franc) chronologiques (changement de régime politique,
plusieurs États se soumettent aux 3. Une toute-puissance contestée (montée de la mandats des présidents de la République).
décisions d’un gouvernement gauche, mai 1968)
commun.

FONCTION PUBLIQUE
Ensemble des personnes employées
DOCUMENT CLÉ
par une administration. Elle est
constituée de fonctionnaires. 1. Au lendemain de la victoire 2. Il proclame, en outre, comme dans son travail ou son emploi,
On distingue la fonction publique remportée par les peuples libres particulièrement nécessaires à en raison de ses origines, de ses
d’« État », dont les fonctionnaires sur les régimes qui ont tenté d’as- notre temps, les principes poli- opinions ou de ses croyances.
servir et de dégrader la personne tiques, économiques et sociaux 6. Tout homme peut défendre
sont employés par l’adminis-
humaine, le peuple français ci−après : ses droits et ses intérêts par
tration centrale, et la fonction
proclame à nouveau que tout être 3. La loi garantit à la femme, l’action syndicale et adhérer au
publique « territoriale », dont les
humain, sans distinction de race, dans tous les domaines, des syndicat de son choix.
fonctionnaires sont employés par de religion ni de croyance, possède droits égaux à ceux de l’homme. 7. Le droit de grève s’exerce dans
les collectivités territoriales. des droits inaliénables et sacrés. 4. Tout homme persécuté en le cadre des lois qui le régle-
Il réaffirme solennellement les raison de son action en faveur mentent.
GOUVERNEMENT droits et libertés de l’homme et du de la liberté a droit d’asile sur
Institution qui décide de la direc- Extrait du texte introductif de la
citoyen consacrés par la Déclara- les territoires de la République. Constitution de la Ve République,
tion des affaires d’un pays. Il fait tion des droits de 1789 et les prin- 5. Chacun a le devoir de travail- repris de la IVe
partie du pouvoir exécutif. Dans cipes fondamentaux reconnus par ler et le droit d’obtenir un
une démocratie parlementaire, il les lois de la République. emploi. Nul ne peut être lésé,
doit être issu de la majorité parle-
mentaire sous la IVe République, La Constitution du 4 octobre 1958 inaugure la Ve République. Elle regroupe la Déclaration des droits de
son chef porte le nom de président l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de la IVe République (1946), qui, dans
du Conseil, sous la Ve République, l’immédiate après-guerre, marquée par l’Occupation et le régime de Vichy, redéfinissait les droits et
libertés du peuple français. Y a été ajoutée, depuis 2004, la Charte de l’environnement.
celui de premier Ministre.

70 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…
Étude critique de document : Les différents niveaux
de gouvernement
À partir de l’étude critique du document, montrez COLLECTIVITÉS
en quoi il rend compte du rôle de l’administration TERRITORIALES
Il s’agit des communes, inter-
dans le gouvernement de la France de la IVe et de la communalités, départements
et Régions. Du fait des lois de
Ve République. décentralisation adoptées à partir
de 1982, leur rôle est de plus en
plus important. Ce sont elles qui
Ce qu’il ne faut pas faire
La carrière d’un haut fonctionnaire, fixent les objectifs des aménage-
Paul Delouvrier (1914-1995), • Se contenter de décrire le parcours de ments locaux et en organisent la
évoquée par le journal L’Humanité Delouvrier : il faut surtout l’interpréter réalisation. Elles sont dirigées par
par rapport au sujet. des élus, mais contrôlées par les
Avec la mort, hier, de Paul Delouvrier, c’est • Se contenter de citer les différents organismes préfets, qui sont des hauts fonc-
l’un des derniers grands serviteurs de l’État dont Delouvrier a eu la charge au cours de sa tionnaires nommés par l’État. Ils
du temps du général de Gaulle qui vient de carrière : il faut expliquer leur rôle. ont notamment pour mission de
disparaître. Inspecteur des finances, il participa s’assurer que les décisions prises
aux combats de la Résistance dans la région de par les autorités élues localement
Nemours, fit partie, à la Libération, d’un cabinet Analyse du sujet ne contreviennent pas au droit
ministériel, avant de diriger, en 1948, la section Le sujet propose, à partir d’un article nécrolo- national.
financière du commissariat général du Plan. gique publié suite au décès de Paul Delouvrier,
Dix ans plus tard, il sortit de l’ombre, à la faveur grand commis de l’État à la charnière des IVe et LES DROM-COM
du retour au pouvoir du général de Gaulle, qui Ve Républiques, de montrer le rôle de l’adminis- Les départements et Régions
le nomma délégué général du gouvernement en tration dans le gouvernement de la France : à d’outre-mer, et plus encore les
Algérie. L’anecdote veut que, tenté de refuser ce travers le parcours qui fut celui de Paul Delouvrier, Communautés d’outre-mer, sont

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poste, il objecta : « Mon général, je ne suis pas comment les hauts fonctionnaires ont-ils joué un des collectivités territoriales
de taille. » Ce à quoi il lui fut répondu : « Vous rôle considérable dans l’action des gouvernements spécifiques car ils bénéficient
grandirez, Delouvrier ! » Pendant près de deux successifs ? Il faut également se demander si ce de marges de manœuvre plus
ans, il fut donc l’un des hommes clés de la poli- rôle a évolué dans le temps et, le cas échéant, le importantes que les autres.
tique algérienne de De Gaulle, avant de devenir, démontrer et l’expliquer. Ils ont notamment le droit de
en 1961, celui de la restructuration de la région procéder à des adaptations du
parisienne. Nommé délégué général de ce qui Problématique droit national à leurs spéci-
s’appelait alors un « district », il attacha son De quelle manière sous la IVe République et dans la ficités locales : on parle alors
nom au projet des « villes nouvelles » et, d’une première partie de la Ve, le rapport entre les gouver- d’autonomie.
façon plus générale, à l’élaboration, en 1965, du nants, élus du peuple, et les hauts fonctionnaires
premier schéma directeur d’aménagement de nommés par l’État s’est-t-il articulé ? L’ÉTAT
l’Île-de-France. Préfet de la région parisienne Acteur traditionnellement très
de 1966 à 1969, Paul Delouvrier avait gardé un Proposition de plan puissant en France du fait de
œil critique sur l’expérience qu’il avait initiée I. Un haut fonctionnaire en IVe République la tradition centralisatrice du
et sur ses développements ultérieurs. « On Il faut montrer comment Delouvrier, à l’origine pays, il conserve un rôle impor-
rêve d’un idéal et la vie en offre rarement le inspecteur des finances, poste très prestigieux tant dans le pilotage du pays.
spectacle », confiait-il, il y a moins d’un mois, de l’administration française, fait carrière sous la Néanmoins, il est affaibli par
au journal Libération, avant de tenter cette IVe République, notamment grâce au soutien de ses difficultés financières et a
définition : « Une ville, c’est un référendum de Gaulle. dû déléguer une partie de ses
permanent. » Ou encore : « Une banlieue, compétences traditionnelles
c’est une zone d’habitation qui ne propose II. Un haut fonctionnaire sur le devant de la aux collectivités territoriales et
pas les équipements d’une ville. En ce sens, scène à l’Union européenne.
un banlieusard est un citoyen mutilé. » Paul Il faut montrer l’impact pour Delouvrier du passage
Delouvrier présida ensuite aux destinées d’EDF de la IVe à la Ve République : des coulisses, il passe L’UNION EUROPÉENNE
– de 1969 à 1979 – puis, jusqu’en 1984, à celles à la lumière en se voyant confier par de Gaulle une Elle a un pouvoir de plus en
de l’établissement public du parc de La Villette. difficile mission en Algérie. plus important puisque les lois
Il était âgé de quatre-vingts ans. adoptées par le Parlement euro-
III. Un administrateur en mission pour l’État péen sont ensuite retranscrites
(Source : L’Humanité, 18 janvier 1995.) Après la guerre d’Algérie, Delouvrier se voit confier en droit français. Par ailleurs,
des missions d’un nouveau genre : représenter l’Union européenne impose des
l’État à la tête d’institutions ou d’entreprises règles et des normes, notamment
publiques. Des postes qui témoignent du rôle financières, que tous les États
économique important, bien que sur le déclin, de membres sont tenus de respec-
l’État en France. ter, sous peine de sanctions.

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 71
LES ARTICLES DU

L’ENA a soixante ans et cherche


un nouvel élan
L’École nationale d’administration, née en octobre 1945 de la volonté de reconstruire les
élites d’après-guerre, connaît une crise similaire à celle de l’État lui-même. Concurren-
cée par les business schools anglo-saxonnes, elle tente cependant de s’ouvrir à l’Europe.
Après soixante ans d’existence, l’École nationale d’administration (ENA) souhaite
revenir à sa fonction initiale : former des grands serviteurs de l’État. L’école, qui a formé
deux présidents de la République, est sous le feu des critiques : trop élitiste, trop pari-
sienne. Elle souffre du « pantouflage » (passage dans le privé) de ses anciens élèves.
Pour le sociologue Michel Bauer, l’ENA doit abandonner « son rêve de concurrencer
les business schools, alors même qu’aujourd’hui les « fils de famille partent faire un
MBA aux États-Unis ». Sophie Brocas, qui est entrée à l’ENA à 37 ans, juge pour sa part
la formation « pas très adaptée » aux défis de la haute fonction publique. Le directeur
de l’école, Antoine Durrleman, a réformé le cursus : l’Europe constitue désormais un
tiers des enseignements et le management a été intégré à la formation.

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S
oixante ans après sa création serait devenue au fil des ans, à en Nelson Mandela s’en prirent, dans qui a formé, depuis 1945, plus de
dans la fièvre réformatrice croire ses détracteurs, l’une des une pétition, à la « médiocrité » de 2 600 étrangers et 5 600 Français.
et idéaliste de la Libération, figures négatives de l’exception la formation et à une institution La commission Silguy a pourtant
l’École nationale d’administra- française. Et l’une de nos grandes devenue « une machine à classer » écarté l’idée de supprimer l’ENA,
tion (ENA) rêve de renouer avec la écoles les plus caricaturales, avec qui « renforce les corporatismes ». agitée par certains de ses anciens
mission originelle que le général l’X : trop française, trop bour- Deux ans plus tard, dans un élèves les plus connus comme
de Gaulle lui avait assignée en geoise, trop parisienne, trop tech- rapport que lui avait commandé Laurent Fabius, Michel Rocard
octobre 1945 : former, d’abord, de nocratique et, bien entendu, trop Jean-Pierre Raffarin, l’ancien et Alain Juppé. Mais elle a aussi
grands serviteurs de l’État. sûre d’elle-même. commissaire européen Yves- insisté sur la nécessité d’une véri-
Définitivement installée à Les critiques les plus féroces ont Thibault de Silguy, énarque lui- table réforme : « Aujourd’hui, il
Strasbourg au terme d’un démé- été proférées par ses propres même, n’était guère plus tendre : ne s’agit pas de proposer des amé-
nagement qui a mis plus de douze élèves. En 1967, lorsque Jean-Pierre « Le conformisme tend à s’imposer, nagements à la marge de l’ENA.
ans à se faire – la promesse de Chevènement, Didier Motchane le développement des aptitudes L’enjeu pour l’État est d’une tout
vente à Sciences-Po de l’immeuble et Alain Gomez inventèrent, sous n’est pas encouragé, la connais- autre portée : comment pourra-
parisien de la rue de l’Université a le pseudonyme de Jean Mandrin, sance des administrés et des t-il maintenir l’attractivité de la
été signée mercredi 12 octobre –, le néologisme d’« énarchie » pour entreprises n’est guère stimulée haute fonction publique dans un
résolument tournée vers l’Europe, désigner la formation d’une caste et l’ouverture au monde reste fri- environnement politique, démo-
l’institution veut donner aux monopolisant tous les leviers de leuse », déplorait-il, dans un rac- graphique, économique, social et
jeunes générations le goût du commande. En 2001, lorsque 96 courci saisissant pour une école universitaire totalement différent
service public avant celui du pou- des 103 élèves de la promotion
voir. Vaste programme pour une
école qui a formé deux présidents
POURQUOI CET ARTICLE ?
de la République (Valéry Giscard
La question de la formation du nir sur son apport à la mise en place fort – et la décentralisation. Toutefois,
d’Estaing et Jacques Chirac), sept personnel de la haute fonction d’une administration centrale efficace le texte fait écho d’un certain nombre
chefs de gouvernement, 8 des publique française a reçu en 1945 une et qui assure la continuité au-delà des de critiques adressées à l’ENA, portant
32 ministres du gouvernement réponse très particulière, qui n’exis- changements de gouvernement. Cet sur le recrutement, l’esprit de corps ou
Villepin, et qui concentre sur elle tait alors dans aucun pays d’Europe : anniversaire permet aussi de faire un l’accusation de technocratie. Autant
un feu de critiques. la création d’une École nationale bilan face aux grands défis que sont de défis que l’école doit relever pour
Figure d’un élitisme républicain d’administration. Les soixante ans l’ancrage dans l’Europe – l’installation s’adapter aux évolutions du contexte
dévoyé, symbole de la fermeture de cette école sont l’occasion de reve- de l’ENA à Strasbourg a été un signe socio-économique du pays.
de nos classes dirigeantes, l’ENA

72 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

de celui qui prévalait lors de la réformé le cursus, réaffirmé l’an- premiers ministres non énarques, L’État n’en aura pas moins fort à
création de l’école ? » crage européen de l’ENA, diminué Édith Cresson et M. Raffarin, a faire, dans les prochaines années,
À cette question qui peut devenir par deux le nombre d’épreuves de donné l’occasion à l’institution pour fidéliser ses hauts fonction-
brûlante avec les départs à la retraite classement, et s’est engagé dans une de se repenser. Le recrutement ne naires. À la fois sur le terrain des
des générations nombreuses de logique de gestion prévisionnelle s’est pas démocratisé, mais l’ENA rémunérations – le différentiel avec
l’après-guerre, Antoine Durrleman, des emplois et des compétences. est cependant moins parisienne le privé devenant rapidement consi-
directeur depuis décembre 2002, Les administrations interro- qu’elle ne fut. dérable – et sur celui de la gestion de
s’efforce depuis trois ans d’apporter gées sur l’ENA, ayant insisté sur Son directeur juge les nouvelles carrière. Mais une telle évolution
des réponses. L’ancien conseiller les progrès à accomplir dans le générations moins enclines que suppose, comme l’a souvent rappelé
social de M. Juppé à Matignon est domaine du management, l’école leurs aînées « à voir l’entreprise Arnaud Teyssier, président de l’Asso-
un homme du sérail. Il a fait l’École a pris conscience de la nécessité de comme l’horizon certain du bon- ciation des anciens élèves, que la
normale supérieure et l’ENA, où son former des hauts fonctionnaires heur ». Si le « pantouflage » (le France accepte au préalable de
classement de sortie lui a permis qui soient à la fois des experts et passage dans le privé) reste impor- répondre aux deux questions
d’accéder directement à la Cour des managers. Et revoit, pour ce tant – 20 % des promotions – et est suivantes : « Quel État voulons-nous
des comptes, l’un des trois grands faire, l’ensemble de ses formations surtout plus précoce, l’ENA peut et de quels fonctionnaires a-t-il
corps de l’État avec le Conseil d’État et stages. mettre en avant, depuis 2000, besoin ? »
et l’inspection des finances. L’installation définitive à Stras­ le nombre élevé de candidatures
Sensible aux critiques adressées bourg, qui eût été impossible sans qu’elle suscite (+ 25 % en trois ans Claire Guélaud
à l’institution, M. Durrleman a la détermination de deux anciens pour le concours externe). Le Monde daté du 16.10.2005

La fin de la monarchie républicaine


À la domination élyséenne des débuts de la Ve République a succédé une présidence

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affaiblie dès la première cohabitation de 1986.

L
a prééminence présiden- ans, ces institutions hybrides sa conception en estimant, le Paradoxalement, ce n’est pas
tielle, qui a marqué les – semi-présidentielles, semi- 31 janvier 1964, que l’autorité de sous son règne que le « pou-
débuts de la Ve République, parlementaires – ont montré l’État est « confiée tout entière voir personnel » a été le plus
a fortement reculé avec les leur souplesse. Elles ont digéré au président par le peuple qui flagrant. De Gaulle laissait une
années de cohabitation. Certains les alternances et les cohabi- l’a élu ». assez grande latitude d’action à
plaident aujourd’hui pour un tations. Mais le fondateur de Le général a franchement son premier ministre, Georges
pouvoir du président renforcé, la Ve République ne reconnaî- appliqué ses propres prin- Pompidou. Une fois élu à
d’autres pour un régime plus trait plus, dans les pratiques cipes. Loin de se cantonner au l’élysée, celui-ci a sensiblement
nettement parlementaire actuelles, son précieux héritage. « domaine réservé » de la poli- « présidentialisé » le régime.
La « clé de voûte » de la cathé- Chacun sait que « l’esprit » tique étrangère, il est intervenu L’ancien chef de gouvernement,
drale institutionnelle, bâtie de des institutions – c’est-à-dire dans des choix économiques bon connaisseur des dossiers,
1958 à 1962, menace de s’effon- l’interprétation de ceux qui décisifs comme celui du « plan avait trop pris l’habitude
drer. L’expression est de Michel les conduisent – importe plus de stabilisation » de 1963 ou d’intervenir dans les affaires
Debré, l’un des principaux que leur lettre. La vision gaul- du refus de dévaluer en 1968. publiques. Sa méfiance à l’égard
géniteurs de la Constitution de liste a toujours été d’une clarté C’est lui qui a conduit la tor- du réformisme de Jacques
la Ve République. Elle désigne cristalline. Le général a exercé tueuse politique algérienne Chaban-Delmas a accentué
la fonction présidentielle. Sacré son pouvoir en conformité de la France, en prenant soin cette montée en puissance de
par le suffrage universel direct, avec… le texte d’un avant-projet de faire ratifier son change- l’élysée. La nomination de Pierre
le chef de l’État est au cœur du constitutionnel retiré en 1958 ment de cap indépendantiste Messmer à l’Hôtel Matignon,
système politique. Or, à de mul- à la demande des ministres par référendum. Quoi qu’on en 1972, a spectaculairement
tiples égards, l’élection de 2002 de l’époque : « Assisté du gou- en pense, de Gaulle est resté illustré la prédominance pré-
sanctionne sa crise profonde. vernement », le président de fidèle au fil rouge de son propre sidentielle sur un premier
Le général de Gaulle a la République « définit l’orien- « dessein », l’indépendance ministre qui venait de recevoir
certes légué à la France une tation de la politique inté- nationale. Et il a quitté volon- la confiance de l’Assemblée
Constitution qui a franchi rieure et extérieure du pays ». tairement le pouvoir lorsqu’il nationale. Malgré la maladie, le
avec succès l’épreuve de la Quelques années plus tard, de fut désavoué, en 1969, par les septennat écourté de Pompidou
durée. Depuis plus de quarante Gaulle explicite publiquement électeurs. restera, lui aussi, marqué par

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 73
LES ARTICLES DU

une idée directrice, celle de Qu’il s’agisse de l’étendue des


POURQUOI CET ARTICLE ?
« l’industrialisation ». nationalisations en 1981 ou
Avec Valéry Giscard d’Estaing, du tournant de la « rigueur » Le 5 mai 2002 a lieu le second tour ouvert la possibilité d’une limite à ce
de l’élection présidentielle opposant pouvoir. C’est ainsi que les périodes
élu en 1974, la fonction pré- en 1983, c’est Mitterrand
Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. de cohabitation ont remis en cause
sidentielle continue sur sa qui tranche sur l’essentiel.
L’article est rédigé à la veille du vote les pouvoirs du président. Rédigé à un
lancée d’une personnalisation Sans négliger l’accessoire des et procède à une relecture de l’évo- moment où la vie politique traverse
du pouvoir. Le jeune chef de innombrables nominations. lution des pouvoirs du président une crise après le choc du 21 avril 2002,
l’État arrive au « château » avec Cette centralisation du pouvoir de la République depuis le début l’article peut aujourd’hui être relu de
son propre « grand dessein » : de la part de l’auteur du Coup de la Ve République. On y voit que façon rétrospective. La fonction prési-
« moderniser » la société fran- d’État permanent s’accompagne le régime semi-présidentiel permet dentielle a su résister dans ses préro-
çaise. Il impulse des réformes cependant de sérieux coups de une certaine souplesse dans sa mise gatives fondamentales, alors que le
de société, comme le droit de canif à l’orthodoxie gaullienne. en œuvre, ce qui a permis l’affirma- quinquennat limite – mais n’exclut
vote à 18 ans ou l’avortement, Lorsque Mitterrand change radi- tion de la fonction présidentielle, mais pas – l’éventualité d’une cohabitation.
et s’essaie à l’exercice périlleux calement d’orientation écono-
d’une « décrispation » de la vie mique moins de deux ans après
politique française. Son goût son élection, il ne songe pas une chef de l’État, même s’il faut lui l’avantage de la durée sur les
d’ancien ministre des Finances seconde à consulter les Français. reconnaître la cohérence de son députés. Or, depuis 1981, ce sont
pour les questions économiques Et se dispense même de leur engagement européen. plus souvent les élections légis-
alimente encore l’intervention- expliquer clairement ce qui sera Le présidentialisme n’a pas latives que présidentielles qui
nisme élyséen. La mésentente souvent ressenti comme une ressuscité avec Jacques Chirac, ont attribué le pouvoir. Comme
avec son premier ministre véritable rupture de contrat. En loin s’en faut. Le fondateur du si le choix d’une majorité par-
Jacques Chirac se soldera par une 1986, en acceptant sans hésiter RPR s’est plus fait élire, en 1995, lementaire était devenu l’enjeu
reprise en main, avec son rem- la « cohabitation », le chef de sur un positionnement de cam- majeur. D’autant plus que les
placement par Raymond Barre l’État franchit une étape déci- pagne (« la fracture sociale ») conditions atypiques du second
en 1976, assurant la suprématie sive dans l’affaiblissement de que sur un véritable projet. Pire, tour vident largement de sens,
présidentielle. En fin de mandat, la fonction présidentielle. Pour il n’a pas mis six mois avant cette année, l’élection du chef

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accablé par des attaques per- la première fois depuis 1958, d’en prendre le contre-pied. de l’État. La monarchie élective
sonnelles, Giscard s’est enfermé l’essentiel du pouvoir passe sur Cette désinvolture n’a pas peu s’est décomposée. « La fonction
dans une solitude de palais qui la rive gauche de la Seine. contribué au discrédit de la présidentielle, en France, ne
a contribué à sa défaite de 1981. Mais c’est le deuxième sep- fonction présidentielle. Chirac continuera à s’affirmer que si elle
L’apogée de la domination ély- tennat de Mitterrand qui signe a ensuite provoqué lui-même un est exercée par des titulaires cor-
séenne sur le système politique l’affaissement de la domina- franc désaveu du corps électoral respondant au profil de l’homme
français s’est produit sous le tion élyséenne. Les conditions par sa dissolution de l’Assemblée d’État », prévenait Jean-Louis
premier septennat de François mêmes de sa réélection sont nationale en 1997. Cela ne l’a pas Quermonne.
Mitterrand. Le premier pré- déjà révélatrices. Le contrat empêché de pratiquer la coha- Au-delà des faiblesses indivi-
sident de gauche arrive d’abord passé avec les Français par celui bitation. Son implication dans duelles, c’est l’exercice d’un
à l’élysée avec un projet – les qu’ils choisissent comme pré- l’échec de la droite explique sans pouvoir personnel qui est
fameuses 110 propositions – sident manque, cette fois-ci, de doute pourquoi, contrairement à contestable et contesté.
aussi précis qu’un programme clarté. Mitterrand se contente Mitterrand, Chirac s’est souvent L’archaïsme du « présidentia-
législatif. Par la dissolution, il d’une vague Lettre à tous les montré léthargique face à son lisme à la française » tient à ce
bâtit une majorité parlemen- Français et fait miroiter l’ouver- adversaire de premier ministre. qu’il combine, en faveur de
taire à sa botte. Pour contrôler ture au centre d’une « France Là encore, le rôle présidentiel l’élysée, un formidable potentiel
une équipe ministérielle sans unie ». L’ancien ministre de la s’est dégradé, le chef de l’État de concentration du pouvoir
expérience, la présidence de IVe République, resté parlemen- étant même incapable de se avec l’extraordinaire faculté de
la République se transforme tariste dans l’âme, revient à une poser en sévère vigie des choix se défausser sur le gouverne-
en « supra-gouvernement ». « présidence paternelle », selon gouvernementaux. Le manque ment. Le grand perdant, dans
Alors que le nombre des colla- l’expression d’Alain Lancelot. Sa d’allant de la campagne du pre- cette affaire, n’est autre que le
borateurs de l’élysée tournait cohabitation suspicieuse avec mier tour de 2002 illustre l’épui- principe de responsabilité poli-
autour d’une bonne vingtaine Michel Rocard se traduit par sement du système. Jacques tique. Les anglophones ont un
sous les présidences anté- une guérilla éclairante sur la Chirac, dont l’autorité morale excellent mot pour résumer
rieures, Mitterrand s’adjoint perversité de la dyarchie à la tête a été atteinte par les « affaires », cela : « accountability ». Il est
d’emblée trente-six conseillers. de l’État. Affaibli par la maladie, n’a pas osé décliner un projet pratiquement intraduisible en
Et ce chiffre gonfle au cours des Mitterrand laisse ensuite sa fort. Lionel Jospin n’a pas su français.
ans. Les ministres sont parfois deuxième cohabitation affermir s’incarner dans un rôle élyséen.
étroitement contrôlés par les la position de Matignon. Il a Le quinquennat ne renforce pas Éric Dupin
hommes du président. bel et bien brouillé l’image du forcément le président qui perd Le Monde daté du 05.05.2002

74 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

Régions : les cinq plaies de la réforme


A
chaque année, sa réforme est loin de faire l’unanimité. A le fond (les pouvoirs). A quoi sur ce point : « La question princi-
emblématique : le mariage côté des six régions inchangées André Vallini, secrétaire d’Etat à pale est celle de la redéfinition des
pour tous en 2013, la nou- (Ile-de-France, Centre-Val de la réforme territoriale, réplique, compétences de l’Etat et de leur
velle carte de France en 2014. Loire, Bretagne, Pays de la Loire, caustique : «  Il est certain que si transfert, alors que le projet de loi
Au terme d’un ultime vote Provence-Alpes-Côte d’Azur et nous avions fait le choix inverse, ne traite que de la répartition des
des députés, le 17  décembre, le Corse) et de quatre régions nou- on nous aurait dit qu’il fallait compétences entre collectivités.
Parlement a entériné la créa- velles où les regroupements sont d’abord connaître les nouvelles On ne peut plus gérer le pays de
tion de treize «  méga-régions » peu ou prou acceptés (Haute et régions avant d’envisager de les manière colbertiste, il faut le faire
métropolitaines, au lieu des Basse-Normandie, Bourgogne- renforcer… » Il reste que le pro- de manière collaborative. » En
vingt-deux existantes. Lancée par Franche-Comté, Auvergne-Rhône- blème de la règle du jeu entre dépit des efforts indéniables de
le président de la République le Alpes et Aquitaine-Limousin- les différents acteurs – qui fait Thierry Mandon, secrétaire d’Etat
14  janvier, confirmée par le pre- Poitou-Charentes), trois régions quoi ? – est entier et épineux. Il à la réforme de l’Etat, c’est loin
mier ministre dans son discours renâclent fortement : Nord- l’est d’autant plus que le gouver- d’être gagné.
de politique générale en avril, Pas-de-Calais-Picardie, dont la nement avait gaillardement envi- Le quatrième obstacle est finan-
passée à la moulinette de huit maire de Lille, Martine Aubry, a sagé, à l’origine, la suppression cier. Grâce à la réorganisation
lectures parlementaires, il s’agit dit tout le mal qu’elle en pense ; des départements d’ici à 2020, territoriale, à la clarification des
d’une réforme majeure. Languedoc-Roussillon-Midi- avant de se rendre compte que compétences et à la mutuali-
Elle consacre, en effet, le glisse- Pyrénées, qui irrite bon nombre cela supposait une très impro- sation des moyens, la réforme
ment d’une carte de France bâtie de Languedociens ; et surtout bable révision constitutionnelle. entend favoriser des économies
depuis deux siècles autour de la Alsace-Lorraine-Champagne- budgétaires. La direction géné-
commune et du département vers Ardenne, qui continue à provo- Architecture bancale rale des collectivités locales en
un nouveau paysage national. Si quer la colère des Alsaciens. Du coup, l’architecture initiale a fait un inventaire précis : elle
commune et département ne dis- Or, d’ici à l’entrée en vigueur (aux régions le développement évalue le gisement d’économies à
paraissent pas, ils sont appelés à effective de la nouvelle carte, le économique, aux intercommuna- une bonne vingtaine de milliards
passer progressivement au second 1er  janvier 2016, ces réticences lités ou aux métropoles les poli- d’euros en cinq ans, dans l’idéal.
plan, au profit des trois échelons vont peser sur la période de tiques de solidarités actuellement Mais, dans l’immédiat, les pré-

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les mieux adaptés aux enjeux transition qui s’ouvre et dont à la charge des départements) sidents de région craignent que
contemporains : les régions, ren- Marylise Lebranchu, ministre de est bancale et les départements les transferts de compétences
forcées ; les métropoles, qui ont la décentralisation, a souhaité, s’emploient déjà à reconquérir n’entraînent une augmentation
fait l’objet de la loi de janvier ; le 16  décembre, devant les séna- leurs prérogatives. La discussion des dépenses, du fait de l’aligne-
les intercommunalités élargies, teurs, qu’elle soit «  une phase du projet de loi « Notre » (nouvelle ment à la hausse des régimes
qui sont un des chapitres-clés du de construction, non d’attente et organisation territoriale de la des personnels. Et ils déplorent
projet de loi redéfinissant les pou- d’attentisme ». Car la tâche est République), qui a commencé au surtout que le projet de loi sur la
voirs des différentes collectivités. considérable : choix du nom des Sénat le 16 décembre, a donné la réorganisation des compétences
Evoquée à maintes reprises nouvelles régions (au plus tard mesure de la complexité du débat. ne soit accompagné d’aucune
depuis une quinzaine d’années, au 1er  octobre 2016), choix de la Qui, demain, s’occupera des col- disposition sur l’allocation des
à gauche comme à droite, cette « capitale » régionale, unification lèges, des routes, des organismes ressources et de la fiscalité. Ce fac-
réforme d’envergure est donc sur des budgets, harmonisation des sociaux, des ports… ? A ce stade, teur d’incertitude n’est pas mince.
les rails. Elle est pourtant loin statuts des personnels, mais aussi la réponse n’est pas acquise. De Enfin, cette réforme complexe
d’être aboutie, tant elle bouscule des stratégies de développement, même, dès lors qu’elles se voient va être conduite en période de
de traditions, d’organisations et intégration des subventions reconnaître un rôle majeur en fortes turbulences électorales. Au
de pouvoirs. Elle ne sera para- européennes… matière de développement écono- moment de l’entrée en vigueur de
chevée que si elle parvient à sur- Le deuxième obstacle est celui de mique, les régions revendiquent, la réforme, dans un an, les scru-
monter cinq obstacles, et non des la redéfinition des compétences logiquement, la décentralisation tins départementaux en mars,
moindres. respectives des collectivités à leur profit des politiques de puis régionaux en décembre,
Le premier obstacle est celui des territoriales. Bien des voix ont soutien à l’emploi. Mais c’est l’Etat auront profondément redistribué
résistances tenaces qu’elle sus- déploré que le gouvernement ait qui s’y refuse. Jolis pataquès en les cartes politiques locales. Bien
cite. La nouvelle carte des régions privilégié la forme (la carte) avant perspective ! des acteurs auront changé et,
selon toute probabilité, la pré-
Impuissance de l’Etat dominance actuelle de la gauche
POURQUOI CET ARTICLE ? Car – c’est le troisième obstacle –, dans les régions et les départe-
chacun souligne la réticence ments aura vécu. Avec quelles
La réforme territoriale de 2014 a en- s’avère compliquée, car il faut par-
de l’Etat, pour ne pas dire son conséquences sur l’ensemble du
tériné le principe d’une réduction venir à dégager un accord sur les
impuissance, à engager une véri- projet ? Personne ne saurait en
du nombre des régions de France contours géographiques des nou- table réforme de sa propre orga- préjuger.
métropolitaine. L’idée est de doter velles régions, ainsi que sur leurs nisation et une nouvelle étape On le voit : la carte est tracée ; tout
le pays de régions plus grandes, prérogatives politiques. Or, ces de décentralisation, que tous les le reste est en chantier. « Bon cou-
plus riches et plus peuplées, afin de décisions suscitent des résistances acteurs locaux appellent de leurs rage ! », comme dirait Ségolène
leur permettre d’avoir une taille cri- de toutes sortes qui menacent de vœux. Alain Rousset, président Royal.
tique à l’échelle européenne. Mais limiter les effets bénéfiques atten- (socialiste) de la région Aquitaine
la mise en œuvre de la réforme dus d’une telle réforme. et de l’Association des régions de Gérard Courtois
France, n’est pas le moins sévère Le Monde daté du 24.12.2014

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 75
L’ESSENTIEL DU COURS

NOTIONS CLÉS
APPROFONDISSEMENT
DE L’UE
Le projet d’une Europe
Processus consistant à intensifier
la mise en commun des décisions
politiques et économiques enga-
geant les pays membres de l’Union
politique depuis le congrès
européenne. Elle nécessite la
mise en place d’une gouvernance
commune.
de La Haye (1948) (*)
CITOYENNETÉ DE L’UE
Citoyenneté attribuée automati-
quement à tout citoyen d’un pays
membre de l’Union européenne ;
elle s’ajoute à la citoyenneté
nationale.

ÉLARGISSEMENT DE L’UE
Processus visant à accueillir dans
l’Union européenne de nouveaux

L
pays. Il faut pour cela qu’ils fassent
acte de candidature et répondent a Seconde Guerre mondiale a poussé les Européens à s’inter-
à des critères politiques, en ayant
un régime démocratique, et éco- roger sur la nécessité d’unir leurs forces face au désastre qui
nomique, en ayant une économie venait de se jouer sur le Continent. Cette idée s’est finalement
capable de s’intégrer à celles des
incarnée dans la Communauté économique européenne à partir

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pays membres.
de 1957, devenue en 1992 l’Union européenne. Pourtant, c’est par
EUROSCEPTICISME
Attitude qui consiste à considérer
le moyen de l’économie que cette Europe s’est construite, et le
que l’idée d’une Europe politique, projet d’une Europe politique révèle encore de nombreux défis à
ou sa mise en œuvre, ne peut rem- relever. Comment l’idée d’une Europe politique s’est-elle affirmée
placer le cadre national. Il peut
aussi s’agir d’une attitude critique et à quels obstacles a-t-elle été confrontée ?
vis-à-vis de l’Union européenne
sous sa forme actuelle, souvent De l’idée d’une Europe politique à la il énonce des règles pour le respect des droits de
considérée comme peu représen- réalité d’une Europe économique l’homme et de la démocratie.
tative des citoyens. Dès 1943, certains résistants réfléchissent à un mou-
vement fédéraliste européen, constatant que des
MAJORITÉ QUALIFIÉE Européens menaient le même combat. Au lendemain
Actuellement, les décisions au sein de la guerre, des hommes politiques, des démocrates-
du Conseil de l’Union européenne chrétiens, comme Jean Monnet et Robert Schuman en
doivent être adoptées par 73,9 % France, Alcide de Gasperi en Italie, Konrad Adenauer
des voix, sachant que chaque pays en Allemagne, mais aussi des socialistes réfléchissent
dispose d’un nombre de vote selon à la manière de prolonger ce projet. Ils accèdent très
son poids démographique. rapidement à des responsabilités politiques. Par
ailleurs, les États-Unis souhaitent favoriser l’entente
« PÈRES FONDATEURS » entre les États européens, de façon à ce qu’ils pré-
DE L’EUROPE sentent un front commun face à la progression du
Hommes politiques originaires communisme. L’aide Marshall est ainsi attribuée
des six premiers pays signataires globalement aux États européens qui l’ont acceptée.
de la CECA après la Seconde Guerre Pour se la répartir, les Européens doivent s’entendre
mondiale, qui jetèrent les bases au sein de l’Organisation européenne de coopéra-
d’une association entre les pays tion économique (OECE). Afin d’approfondir cette
européens. La plupart d’entre dynamique, les associations favorables à une Europe
eux appartenaient aux partis économique organisent un congrès à La Haye en mai
démocrates-chrétiens, comme 1948. Ils y débattent, sans toutefois réussir à définir
Robert Schuman (France), Konrad quel type d’union politique doit être mis en place.
Adenauer (RFA), Alcide de Gasperi Pourtant, la première institution européenne est Robert Schuman (1886-1963) est considéré comme l’un
(Italie), Henri Spaak (Belgique). créée : le Conseil de l’Europe. Siégeant à Strasbourg, des pères fondateurs de la construction européenne

76 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

Devant ces difficultés, c’est finalement en jetant les Royaume-Uni, le Danemark et l’Irlande. Posant comme DATES CLÉS
bases d’une Europe économique que les dirigeants conditions la nature démocratique de l’État candidat
convaincus de l’idée européenne décident d’agir. Le et des engagements économiques, elle accepte en son • Mai 1948 : congrès de La Haye.
plan de Robert Schuman vise à mettre en commun sein la Grèce en 1981, l’Espagne et le Portugal en 1986. • Mai 1949 : création du Conseil
les ressources stratégiques en charbon et acier de En 1995, elle admet la Suède, la Finlande et l’Autriche. de l’Europe.
l’Allemagne de l’Ouest et de la France, de façon à créer En 2004, d’anciens pays du bloc soviétique entrent 1951 : création de la CECA.
une solidarité qui rende nécessaire l’union politique. dans l’Union – Pologne, République tchèque, Slovaquie, • 1954 : échec du projet de la CED.
En 1951 est créée la Communauté économique du Hongrie, Estonie, Lettonie, Lituanie –, ainsi que Malte, la • 1955 : conférence de Messine.
charbon et de l’acier (CECA), constituée de la France Slovénie et Chypre. En 2007, la Roumanie et la Bulgarie • 25 mars 1957 : traité de Rome
et de la RFA, mais aussi de l’Italie, de la Belgique, du y entrent à leur tour. instituant la CEE.
Luxembourg et des Pays-Bas. Ils tentent ensuite de • 1986 : « acte unique européen »
doter les pays européens d’une armée commune. Mais Les limites et les obstacles au projet par lequel les États de la CEE s’en-
ce projet de Communauté européenne de défense d’Europe politique gagent à approfondir leur union.
(CED) est rejeté par la France, qui craint de voir renaître • 7 février 1992 : signature du traité
une armée allemande. Le projet européen semble L’Europe politique s’approfondit également. L’acte de Maastricht. La CEE devient
dans l’impasse. L’idée de relancer la construction unique de 1986 conduit à la signature du traité l’Union européenne.
européenne s’affirme lors de la conférence de Messine, de Maastricht en 1992 : la CEE devient l’Union • 2001 : signature du traité de Nice
en 1955. Les dirigeants des pays membres de la CECA européenne. Une citoyenneté de l’Union euro- instituant la majorité qualifiée.
péenne est instituée. L’accord de Schengen, signé
décident alors de poursuivre l’approfondissement de • 2005 : rejet, par référendum, en
en 1985, entre en vigueur en 1997, permettant
leur projet en suivant la voie économique. Le 25 mars France et aux Pays-Bas, du projet de
la libre circulation des personnes entre les pays
1957 est signé le traité de Rome, qui donne naissance à Constitution européenne.
membres. La monnaie unique, l’euro, commence
la Communauté économique européenne (CEE), dont à circuler en 2002. • 2007 : traité de Lisbonne.
le but est de créer un espace économique commun
mais qui comporte aussi les dispositifs nécessaires
pour créer des institutions destinées à assumer pro-
La question de la gouvernance d’une Union élargie
pose également question : comment obtenir l’una- PERSONNAGES
gressivement un rôle politique. nimité nécessaire ? En 2001, le traité de Nice adopte
le principe de la majorité qualifiée de 73,9 % des
CLÉS
Affirmation et approfondissement voix au Conseil de l’Union européenne, liée au poids JACQUES DELORS

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du projet européen démographique de chaque État. En 2004, un projet de (1925-)
Des institutions européennes sont créées qui par- constitution de l’Union européenne est rédigé. Suite Homme politique français, il pré-
ticipent à la gouvernance économique de l’espace à son rejet, c’est le traité de Lisbonne qui, en 2007, sida la Commission européenne
commun. Elles assument progressivement un rôle renforce l’Europe politique en créant un président du de 1985 à 1995. Il a ainsi été la che-
politique. Le Parlement européen donne des direc- Conseil européen.Malgré ces efforts, le projet d’Europe ville ouvrière de toutes les grandes
tives. Depuis 1979, il est élu au suffrage universel, de politique a été confronté à diverses questions. La réformes qui, depuis l’acte unique
façon à ancrer l’Europe dans les pratiques citoyenne. première concerne le contenu à donner à cette Union. de 1986, ont abouti en 1992 au
La Commission européenne met en œuvre les déci- Dès le congrès de La Haye en 1948 s’affrontent trois traité de Maastricht, instituant
sions communautaires mais partage le pouvoir exé- idées. La première est celle d’une Europe fédérale, l’Union sous sa forme actuelle.
cutif avec le Conseil des ministres de pays membres. plutôt défendue par l’Allemagne dans les années 1960.
Une cour de justice est créée à La Haye. Le principe est La deuxième est celle d’une Europe souverainiste, où ROBERT SCHUMAN (1886-
celui de décisions prises à l’unanimité pour respecter les États conservent les principales prérogatives. C’est 1963)
la souveraineté des États. Des politiques communes la position du général de Gaulle, qui boycotta les insti- Homme politique français,
sont lancées, comme Euratom en 1958 ou la politique tutions européennes en 1965 lorsqu’on parla de revenir membre du MRP, il fut deux
agricole commune en 1962. sur la règle des décisions à l’unanimité ou qui s’opposa fois président du Conseil sous
L’Union poursuit alors un double mouvement d’élargis- à l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. C’est finalement la IVe  République. Il est consi-
sement et d’approfondissement. En 1973, elle accueille le une Europe supranationale qui l’emporta : une voie déré, avec Jean Monnet, comme
moyenne dans laquelle les États cohabitent avec les un des « pères fondateurs » de
TROIS ARTICLES DU MONDE À CONSULTER institutions européennes, avec recours au principe l’Europe. Il élabore en 1950 le
de subsidiarité. L’Europe peine également à entretenir « plan Schuman », qui aboutit à
• Jean Monnet visionnaire de l’Europe concrète un lien avec ses citoyens. Elle apparaît souvent comme la création de la CECA. De 1958 à
p. 80-82 (Michel Noblecourt, Le Monde daté du un ensemble de directives procédant de décisions 1960, il fut le premier président
29.04.2004) complexes. Ainsi, en 2005, le projet de Constitution du Parlement européen.
européenne est rejeté suite à un référendum en France
• Le « non » français plonge l’Europe et aux Pays-Bas. L’Europe politique apparaît aussi
dans une période d’incertitudes p. 82-83 comme une Europe « à géométrie variable » : certains NOTION CLÉ
(Henri de Bresson [avec le bureau de Bruxelles], pays ont refusé d’adopter l’euro, d’autres, de signer les
Le Monde daté du 31.05.2005) accords de Schengen.Ainsi, l’idée d’Europe politique PRINCIPE
s’est peu à peu incarnée dans des institutions et dans DE SUBSIDIARITÉ
• Les dix ans du non : l’UE, du « non » de 2005 à une citoyenneté. Cependant, héritée d’une construc- Principe selon lequel l’Union euro-
la peur du « no » britannique p. 83-85 tion liée essentiellement à l’économie, elle peut être péenne fait appliquer ses décisions
(Cécile Ducourtieux, Jean-Pierre Stroobants, encore approfondie pour répondre aux attentes des par les différents États et n’agit
Alain Salles et Philippe Ricard, Le Monde daté du Européens. (*) En TS, le programme ne commence qu’en directement que s’ils ne peuvent
29.05.2015) 1992 (soit la dernière partie du cours ci-dessus). le faire.

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 77
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
CONSTRUCTION
Composition :
EUROPÉENNE Le projet d’une Europe politique depuis 1948 :
Ensemble des processus qui
tendent à associer entre eux les idées et réalisations.
pays de l’Europe. Il s’agit d’un
processus à la fois politique, écono- Analyse du sujet 3. L’instauration du principe de supranationalité
mique et culturel. Le sujet consiste à confronter les grandes idées qui et politiques communes (PAC, Euratom, politiques
présidèrent à la mise en œuvre de la construction culturelles, rôle des régions européennes)
FÉDÉRALISME d’une Europe politique avec les réalités de cette
Principe qui associe plusieurs États construction. Il conviendra donc de voir quelles III. L’Union européenne : accélération et revers
sous un gouvernement commun. sont ces idées, qui les a mises en œuvre, par quels d’une Europe politique
moyens et pour quels congrès de La Haye, considéré 1. L’Europe politique à marche forcée (traité de
POLITIQUES COMMUNES comme une étape fondamentale dans l’idée de Maastricht, engouement des pays à entrer dans
Projets portés par plusieurs pays « construction européenne ». l’Union et augmentation rapide du nombre d’États
de l’Union européenne, voire membres, concrétisation de l’idée de citoyenneté
par l’ensemble des pays. Il en Proposition de plan européenne)
existe dans le domaine écono- I. Une idée germée sur le terreau des guerres : la 2. Les difficultés du nombre (difficulté des prises de
mique, mais aussi culturel et naissance de l’Europe décision, instauration de la majorité qualifiée, traités
environnemental. 1. Le traumatisme de la guerre : s’unir pour ne plus de Nice et de Lisbonne)
s’affronter (idées humanistes, congrès de La Haye, 3. Une construction politique soumise aux divisions
SOUVERAINISME plan Marshall et OECE, Conseil de l’Europe) et aux lourdeurs technocratiques (fédéralistes et
Idée selon laquelle, au sein de l’Eu- 2. Une Europe d’abord économique (CECA, CEE, traité souverainistes, le référendum de 2005 et le désin-
rope politique, les nations restent de Rome) térêt des citoyens)
souveraines et peuvent décider
d’appliquer ou non les décisions II. La CEE : une communauté économique mais Les repères essentiels
prises. aussi politique • Supranationalité, souverainisme, fédéralisme,

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1. Des règles d’entrée basées sur des principes écono- fonctionnalisme.
SUPRANATIONALITÉ miques mais aussi politiques (respect des droits de • Majorité qualifiée, institutions européennes.
Principe selon lequel il existe des l’homme, régime démocratique) • Élargissement, approfondissement, politiques
institutions supérieures aux États 2. Des institutions démocratiques (idée de citoyen- communes.
qui élaborent des réglementations neté, Parlement européen, Conseil de l’Europe) • Traité de Rome, traité de Maastricht, traité de Nice,
que les États doivent appliquer une traité de Lisbonne.
fois qu’ils les ont adoptées.

TECHNOCRATIE Plan pour un sujet commençant en 1992


Système dirigé par des experts (programme TS)
et des spécialistes qui n’ont pas
I - Le traité de Maastricht : de la CEE à l’UE
été élus. L’Union européenne
II - Un élargissement rapide
a été accusée d’en être une lors III - Un risque de blocage institutionnel
des débats autour du référen-
dum de 2005 sur la Constitution
de l’Union européenne, car la
Commission européenne n’est
pas composée de membres élus.
Ils sont cependant nommés par
DOCUMENT CLÉ
des gouvernements nationaux qui
ont été élus et sont représentatifs Article 4 du traité de Rome, 1957
des citoyens.
Article 4 : – un CONSEIL ; Chaque institution agit dans les
ORGANISATIONS La réalisation des tâches confiées – une COMMISSION ; limites des attributions qui lui
ÉCONOMIQUES à la Communauté est assurée par: – une COUR DE JUSTICE ; sont conférées par le présent
INTERNATIONALES – un PARLEMENT EUROPÉEN ; – une COUR DES COMPTES. traité.
O r g a n i s at i o n s r e g r o u p a n t
plusieurs États et dont le but
est de garantir leur prospérité Le traité de Rome, signé le 25 mars 1957, instaure la CEE. Il règle avant tout les principes économiques
économique. Certaines ont une qui vont régir la nouvelle communauté (libre circulation des biens, règlements sur les tarifs douaniers,
vocation mondiale (OMC, FMI, interdiction du dumping, aides et programmes économiques commun), mais jette déjà les bases
etc.), d’autres ont pour cadre une d’une Europe politique, en mettant en place des institutions démocratiques, et l’idée de citoyenneté
région du monde, comme l’Union est semée.
européenne ou l’Alena.

78 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
UN SUJET PAS À PAS

ZOOM SUR…
Étude critique de document : Les institutions de l’UE
LE CONSEIL EUROPÉEN
Après avoir replacé le document dans son contexte, Il réunit à Bruxelles, depuis 1974,
montrez en quoi le traité de Maastricht a tenté de au minimum deux fois par an,
l’ensemble des chefs d’État et de
donner un nouvel élan à la construction européenne gouvernement de tous les États
membres de l’UE, ainsi que le
et interrogez-vous sur les réussites et les limites de sa président de la Commission. Il fixe
les grandes orientations et impulse
mise en œuvre. le travail de la Commission.

Document - Le traité de Maastricht, 7 février 1992 (extraits) LE CONSEIL DE L’UNION


EUROPÉENNE
Par le présent traité, les hautes parties contractantes instituent entre elles une Union européenne. Parfois appelé « Conseil des
Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite ministres », il réunit tous les
entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises au plus près des citoyens. […] L’Union ministres des États membres
se donne pour objectifs : concernés par un sujet donné, afin
de dégager entre eux un consen-
– de promouvoir un progrès économique et social équilibré et durable, notamment par la création sus sur la politique à mener. Ils
d’un espace sans frontières intérieures, par le renforcement de la cohésion économique et sociale et partagent avec le Parlement la
par l’établissement d’une union économique et monétaire comportant à terme une monnaie unique ; mission de discussion et de vote
des lois et du budget européens.
– d’affirmer son identité sur la scène internationale, notamment par la mise en œuvre d’une politique
étrangère et de sécurité commune, y compris à terme d’une politique de défense commune ; LA COMMISSION
EUROPÉENNE
– de renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses États membres par C’est le gouvernement de l’UE,

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l’instauration d’une citoyenneté de l’Union ; dont le siège est à Bruxelles. Elle
est composée de 28 commissaires
–  de développer une coopération étroite dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. (un par État membre), qui sont
l’équivalent d’un ministre, chacun
ayant en charge un domaine
précis (économie, justice, agri-
Analyse du sujet au projet européen, d’en faire sentir plus clairement culture, etc.). Ils sont nommés
La formulation du sujet insiste sur la nécessité de ne les bénéfices aux peuples qui le portent. Il s’agit de par les États membres et investis
pas se concentrer sur une pure critique interne du répondre aux critiques qui voient dans l’unification par le Parlement. Ce sont eux qui
document : il faut au contraire le mettre en rapport européenne un processus purement technocratique dirigent l’UE au quotidien. Depuis
avec son contexte tant antérieur que postérieur. En coupé des réalités quotidiennes. peu, la Commission s’est dotée
clair, on nous demande de montrer ce qu’il apporte d’un haut représentant pour la
de nouveau par rapport aux précédents traités III. Une mise en œuvre contrastée politique étrangère, afin de tenter
européens, et d’évaluer a posteriori ses retombées L’essentiel du traité a été mis en œuvre, notamment de mieux faire entendre l’UE sur
concrètes. la création d’une monnaie commune. Mais l’ambition la scène internationale.
de placer les citoyens au cœur du jeu européen
Problématique demeure inaccomplie : l’abstention lors des élections LE PARLEMENT
En quoi l’élan impulsé par le traité de Maastricht a-t-il européennes et l’euroscepticisme galopant montrent EUROPÉEN
permis à la construction européenne de progresser qu’il reste beaucoup à faire sur ce point. Quant au Cette assemblée, qui siège en alter-
sans pour autant parvenir à atteindre tous les objec- projet d’une défense européenne, il demeure nance à Bruxelles et à Strasbourg,
tifs ambitieux assignés par ce traité ? aujourd’hui de l’ordre de l’utopie. est composée de 736 députés élus
pour cinq ans au suffrage univer-
Proposition de plan sel direct dans les États membres.
I. De l’union économique à l’union politique Ils ont pour mission de représen-
La principale innovation du traité de Maastricht, ter les citoyens de l’UE. Ils votent
et par là même de l’Union européenne à laquelle il le budget et des lois.
donne naissance, et de mettre en œuvre un rappro-
chement politique et non plus seulement écono- LA COUR DE JUSTICE
mique entre les États concernés. EUROPÉENNE
Elle siège à Luxembourg et a
II. La citoyenneté au cœur du projet européen pour mission de s’assurer du
Le traité crée une citoyenneté européenne. Plus respect du droit européen et, le
fondamentalement, le mot « citoyen » y est fréquem- cas échéant, de condamner ceux
ment cité : on sent là un souci de donner de la chair qui l’enfreignent.

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 79
LES ARTICLES DU

Jean Monnet visionnaire


de l’Europe concrète
Il y a quarante-neuf ans, l’acte de naissance de la Communauté économique
européenne.

L
e mot d’accompagne- l’ancien commissaire général Allied Executive Councils, pour Du second conflit mondial,
ment, bref, tenait du au Plan, alors âgé de 67 ans, le blé puis le fret maritime. où, loin d’être inerte, il est
faire-part de naissance, fonde le Comité d’action Il apprend à « penser inter- un artisan du rapprochement
ou du bulletin de victoire : pour les États-Unis d’Europe, allié ». Brièvement secrétaire entre les généraux Giraud et
« Ci-joint, votre enfant. » auquel participeront des général adjoint de la Société de Gaulle, il forge la convic-
Ce 6 mai 1955, il y a quarante- politiques, de droite comme des Nations, il démissionne en tion européenne, qui ne le
neuf ans, Jean Monnet rece- de gauche, à l’exception des 1922 et retourne aux affaires quittera plus : l’avenir est à
vait, à son domicile parisien, gaullistes et des communistes, familiales. une « entité européenne »,
le Mémorandum des pays et des syndicalistes des six Le destin du paysan charen- une fédération d’États fondée
du Benelux aux six pays de pays défricheurs de la cause tais bascule de nouveau en sur une unité économique
la CECA. Rédigé par Paul- européenne. 1938. Le chef du gouverne- commune. À l’été 1944, dans
Henri Spaak, ministre belge D’emblée, Monnet met la ment, Édouard Daladier, le sa maison de Cognac, il
des affaires étrangères, ce barre haut : « Il faut écarter charge d’acheter des avions rédige sa profession de foi :
texte préconisait une nou- les faux-semblants. Une simple de guerre aux États-Unis. En « Il n’y aura pas de paix en

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velle étape de la construc- coopération entre les gouver- septembre 1939, le voilà pré- Europe si les États se recons-
tion européenne : après la nements ne saurait suffire. sident du comité de l’effort de tituent sur une base de sou-
Communauté européenne du Il est indispensable que les guerre franco-britannique. À veraineté nationale, avec ce
charbon et de l’acier (CECA), États délèguent certains de Londres, il négocie d’arrache- que cela entraîne de politique
l’Euratom et l’échec de la leurs pouvoirs à des institu- pied le projet de fusion des de prestige et de protection
Communauté européenne tions fédérales européennes, deux empires, français et économique. »
de défense (CED), il s’agis- mandataires de l’ensemble britannique, que Winston
sait de mettre sur pied une des pays participants. Il s’agit Churchill propose en vain à Pragmatisme
« Communauté économique ». en même temps d’assurer Paul Reynaud. Fusion, intérêts Et Monnet d’ajouter : « Si les
Pierre après pierre, Jean une association étroite de la communs, dépassement des pays d’Europe se protègent
Monnet, ce laboureur de l’Eu- Grande-Bretagne aux réalisa- égoïsmes nationaux guide- à nouveau les uns contre les
rope aux racines charentaises tions nouvelles. » ront dès lors son action. autres, la constitution de
et aux rêves planétaires, se L’échec de l’Union franco-bri- vastes armées sera à nouveau
lançait dans l’« aventure ful- Supranationalité tannique le stimule. « Je venais nécessaire. » Le poids des
gurante » de la construction Dès l’âge de 17 ans, à l’aube de comprendre, écrit-il dans budgets militaires bloquera
européenne. Le mémorandum de ce XXe siècle de guerres et ses Mémoires (1976, Fayard), les réformes sociales. La
de Spaak, adopté par la confé- de fureurs, Jean Monnet, fils que la recherche de l’unité, fût- conclusion coule de source :
rence des six États pionniers de négociant en cognac, né à elle circonscrite aux problèmes « La France est liée à l’Europe.
à Messine, les 1er et 2 juin Cognac en 1888, non-bache- matériels, ceux de la produc- Elle ne peut s’en évader. […]
1955, c’était le coup d’envoi lier, tombe dans la marmite tion, de l’armement, des trans- De la solution du problème
au Marché commun de 1957. de la supranationalité. Pour ports, mettait en jeu, au-delà européen, dépend la vie de
Monnet venait d’abandonner trouver des clients afin de de la décision administrative, la France. » Le chemin de la
la présidence de la Haute renflouer l’entreprise fami- toute l’autorité politique des prospérité, c’est le grand large.
Autorité de la CECA pour se liale, il parcourt le monde, pays engagés dans une lutte Visionnaire de l’Europe, Jean
dédier à la cause de sa vie : les de Bruxelles à Londres, des commune. Quand les peuples Monnet est l’adepte d’une
États-Unis d’Europe. États-Unis au Canada. En sont menacés par un même démarche pragmatique.
Pour ramener Messine à sa 1916, réformé, on le retrouve danger, on ne traite pas sépa- L’Europe se construit par
juste proportion – un acte dans les premiers organismes rément les différents intérêts petites touches et grands
fondateur, mais une étape –, communs franco-anglais, les qui concourent à leur destin. » pans, par projets concrets,

80 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

l’acier puis le charbon, le réservé une surprise, raconte- créer ainsi les conditions d’une d’immenses secteurs d’activité
nucléaire, la défense, l’union t-il dans ses Mémoires, en paix entre l’Est et l’Ouest. » sur lesquels elles exerçaient
économique puis, un jour, présentant un exemplaire du L’époque est à l’affrontement la part de souveraineté qui
l’union politique. La « fédé- traité qu’il avait fait composer « froid » entre « monde libre » leur était déléguée. Mais elles
ration de l’Ouest » qu’il par l’Imprimerie nationale, sur et « bloc soviétique ». avaient besoin pour fonc-
dessine en 1948 part d’une du papier de Hollande, avec de Mais quand, en avril 1972, la tionner efficacement que les
union franco-allemande, l’encre allemande. La reliure France ratifie, par référendum gouvernements eussent la
se prolonge par un amar- était offerte par la Belgique et mais avec une forte abstention même volonté européenne et
rage de la Grande-Bretagne le Luxembourg, les signets de (39,75 %), l’élargissement à la qu’ensemble, agissant comme
et s’affirme en partenaire soie par l’Italie. » Grande-Bretagne, à l’Irlande une autorité commune, ils
indépendant des États-Unis : et au Danemark, l’Européen fussent prêts à transférer les
« Il n’est pas possible, à mon Maison commune anglophile ne cache pas sa suppléments de souveraineté
avis, que l’Europe demeure Mais il n’y a pas de pause pour déception : « Il était clair qu’appelait une union euro-
“dépendante” très longtemps, le laboureur de l’Europe, qui que, pour que le sentiment se péenne véritable », écrit-il.
et presque exclusivement, pour a fait sien le principe d’Ibn concrétisât en adhésion poli-
sa production, des crédits amé- Saoud : « Pour moi, tout n’est tique, il faudrait que le spec- Une étape
ricains, et pour sa sécurité, de qu’un moyen, même l’obs- tacle ne soit plus seulement Difficile de dire ce que le
la force américaine, sans que tacle. » Convaincu que « ce celui de la discussion mais « citoyen d’honneur de l’Eu-
les conséquences mauvaises se que nous pourrons laisser, ce celui de la décision. À Bruxelles, rope », mort le 16 mars 1979,
développent ici et en Europe. » ne sera pas notre expérience on discutait beaucoup et l’on plus de dix ans avant la chute
Monnet n’a jamais été ministre personnelle, qui disparaîtra décidait peu. » du mur de Berlin, penserait de
– sauf « en mission » en 1944 – avec nous […], ce sont des insti- Jusqu’à son retrait du l’Europe de 2004. « Personne
ni n’a appartenu à un parti tutions », il poursuit sa course. combat européen actif, en ne peut dire aujourd’hui la
politique. Mais le visiteur, le En 1960, il plaide pour « une 1976, Monnet salua chaque forme qu’aura l’Europe où nous
familier ou l’ami de Roosevelt, confédération européenne » étape de la construction de vivrons demain, car le chan-

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Churchill, John Kennedy – qui dotée d’un « conseil suprême l’Union, comme le sommet gement qui naîtra du change-
disait de lui que, « par son des chefs de gouvernement ». de Paris d’octobre 1972, lan- ment est imprévisible », écrit-il
impulsion », l’Europe « s’est En 1973, il propose aux diri- çant un processus d’Union dans ses Mémoires. « Je n’ai
davantage rapprochée de son geants de la Communauté économique et monétaire, jamais douté, ajoutait-il, que ce
unité qu’elle ne l’avait fait européenne de « se constituer ou, en 1975, l’instauration du processus nous mène un jour à
auparavant en mille ans » –, en gouvernement européen Conseil européen. Mais avec, des États-Unis d’Europe, mais je
Konrad Adenauer, Edward provisoire ». Entre-temps, au coin du cœur, un senti- ne cherche pas à en imaginer
Heath, René Pleven et Robert l’Europe se peuple d’insti- ment de déception, face à des aujourd’hui le cadre politique, si
Schuman eut plus d’influence tutions : une Commission, gouvernements incapables de imprécis sont les mots à propos
que bien des chefs d’État et un Parlement, une Cour de donner à leurs peuples l’envie desquels on se dispute : confédé-
de gouvernement. De tous les justice. La méthode « fédéra- d’Europe. ration ou fédération. […] Cette
actes fondateurs de l’Europe, trice » triomphe. À la fin de 1975, il semble Communauté est fondée elle-
il a été l’inspirateur. Il en est Sans relâche, et dès l’origine, désabusé : « Les institutions même sur des institutions qu’il
de même de la proposition Jean Monnet se bat pour que européennes avaient en charge faut renforcer, tout en sachant
française du 9 mai 1950 sur la Grande-Bretagne rejoigne
la CECA, « véritable document la maison commune, ne POURQUOI CET ARTICLE ?
d’origine de la Communauté » pardonnant pas à de Gaulle
La vie de Jean Monnet est indisso- européenne lors de la conférence de
à ses yeux. « L’Europe, sou- son opposition. Ce faisant, il ciable de la naissance d’une Europe Messine. Outre l’action institution-
ligne-t-il alors, ne se fera donne à l’Europe une vision politique. L’article permet de voir nelle, l’idée d’une Europe suprana-
pas d’un coup ni dans une planétaire. « L’unité écono- comment l’itinéraire de ce « père tionale est donc née du réseau que
construction d’ensemble ; elle mique et politique de l’Europe fondateur » de l’Europe l’a préparé Jean Monnet a su mobiliser autour
se fera par des réalisations comprenant l’Angleterre et à la définition de l’idée de supra- de cette idée. Il s’agissait de relan-
l’établissement de relations de nationalité. Dans ce creuset appa- cer la construction européenne
concrètes, créant d’abord une
raissent la vie personnelle, mais à chacune de ses étapes, comme
solidarité de fait. » partenaires d’égal à égal entre
aussi les engagements politiques par exemple au lendemain de la
Quand le traité sur la CECA l’Europe et les États-Unis, écrit- de l’avant-guerre et l’action pen- conférence de Messine. Un rythme
est signé solennellement, le il le 26 juin 1962 au nom de dant celle-ci. Souvent employé à des qui est toujours celui de l’Union
18 avril 1951 à Paris, Monnet son comité d’action (qu’il ne missions nécessitant des talents de européenne dans ses dynamiques
savoure cet instant de pur prend pourtant pas la peine conciliateur, il les utilise à nouveau d’approfondissement et d’élargis-
bonheur européen : « Un de de réunir), permettront seuls lors de la nécessaire relance de l’idée sement.
nos collaborateurs nous avait de consolider l’Occident et de

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 81
LES ARTICLES DU

que la véritable autorité poli- fédération. Le promoteur d’une sur la scène internationale. Le n’est qu’une étape vers les
tique dont se doteront un jour « fédération de l’Ouest » n’aurait rêve de Jean Monnet sur formes d’organisation du
les démocraties européennes pu que se réjouir de ses succes- « l’ordre nouveau du monde » monde de demain » ?
reste à concevoir et à réaliser. » sifs élargissements, comme de ne s’arrêtait sans doute pas aux
Un quart de siècle après sa l’idée d’une Constitution euro- frontières de l’Europe. Son Michel Noblecourt
mort, l’Europe n’est ni une péenne. Mais il aurait sûrement intuition n’était-elle pas que (29 avril 2004)
c o n f é d é r at i o n n i u n e déploré l’absence de l’Europe « la Communauté elle-même

Le « non » français plonge l’Europe


dans une période d’incertitudes
Bruxelles appelle à poursuivre les ratifications de la Constitution, après le vote des
Français, dimanche 29 mai 2005.

À
Bruxelles et dans la plu- les autres doivent le faire d’ici semble des processus de ratifi- dans et pour l’Europe ». De
part des autres capi- à 2006. Les Pays-Bas votent à cation ». « L’Europe, concluent- nombreux dirigeants se sont
tales européennes, leur tour mercredi 1er juin, et ils, a déjà connu des moments exprimés pour que les ratifi-
les appels à poursuivre le là aussi le non est largement difficiles et elle a su à chaque cations se poursuivent. C’est

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processus de ratification de en tête des pronostics. Les fois en sortir renforcée, meil- le cas du premier ministre
la Constitution se sont multi- formations populistes et d’ex- leure qu’avant, prête à faire suédois, Göran Persson,
pliés au soir du non français, trême gauche qui appellent à face aux défis et aux respon- comme du vice-président du
dimanche 29 mai. Tony Blair, voter non se sont félicitées du sabilités qui sont les siens. conseil italien, Gianfranco
le premier ministre britan- vote des Français. Aujourd’hui, l’Europe continue Fini. Le chef du gouvernement
nique, dont on estime qu’il D a n s u n e d é c l a r at i o n et les institutions fonctionnent espagnol, José Luis Zapatero,
se passerait bien d’avoir à commune, les présidents des pleinement. Nous sommes considère que « le traité a déjà
organiser le référendum trois grandes institutions conscients des difficultés mais été approuvé par neuf pays,
qu’il a lui même promis, a européennes – le premier nous avons confiance que de […] et doit donc être soumis
toutefois réservé sa réaction ministre du Luxembourg, nouveau nous trouverons au vote des autres États de
pour lundi. Son ministre des Jean-Claude Juncker, dont les moyens de faire progres- l’Union », a déclaré son porte-
affaires étrangères, Jack Straw, le pays exerce la présidence ser l’Union européenne. » parole. Le gouvernement
a estimé que le vote français tournante du Conseil, le Les chefs des principaux irlandais a indiqué que le vote
« pose de sérieuses questions président de la Commission, groupes au Parlement euro- français ne remettait pas en
pour tout le monde ». José Manuel Barroso, et le péen ont réagi eux aussi dans cause le référendum irlandais.
Le traité doit être ratifié par président du Parlement ce sens. Jean-Claude Juncker, le
tous pour entrer en vigueur. européen, Josep Borrell  – ont Du côté des États, le chancelier président en exercice de
Mais il prévoit, dans une indiqué qu’elles partaient du allemand Gerhard Schröder, l’Union, qui a eu également
déclaration annexe, qu’au principe que le processus irait qui s’est entretenu par télé- un entretien téléphonique
bout du processus, si quatre jusqu’au bout. « Le résultat du phone avec le président dimanche soir avec Jacques
cinquièmes des États ont rati- référendum français mérite Chirac, s’est refusé à drama- Chirac, a indiqué que la suite
fié et que les autres ne l’ont une analyse approfondie, en tiser. C’est « un revers pour le à donner aux référendums
pas fait, les chefs d’État et de premier lieu de la part des processus de ratification de la français et néerlandais serait
gouvernement des Vingt-Cinq autorités françaises. […] Les Constitution mais pas sa fin », examinée lors du prochain
se réuniront pour décider institutions européennes a-t-il fait savoir par son service Conseil des chefs d’État et de
quoi faire. Neuf pays, dont l’Al- devront également, pour leur de presse, en soulignant que gouvernement européen, les
lemagne, l’Italie et l’Espagne, part, réfléchir, le moment « ce n’est pas non plus la fin du 16 et 17 juin à Bruxelles. Celui-ci
ont déjà approuvé le traité, venu, sur les résultats de l’en- partenariat franco-allemand

82 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

va donner lieu à d’intenses les chances de conserver sa POURQUOI CET ARTICLE ?


consultations préparatoires. majorité sont faibles, ne pren-
Cet article montre comment le projet d’une Europe politique a été
M. Juncker va recevoir à dra aucun engagement qui
confronté en 2005 au « non » des Français à la Constitution européenne
Luxembourg ses pairs, à impliquerait un effort finan- lors du referendum du 29 mai. Le chef de l’État, Jacques Chirac, avait remis
commencer, lundi 30 mai, par cier supplémentaire pour son aux électeurs l’acceptation du projet de Constitution, préférant cette voie
les premiers ministres belge pays. La Grande-Bretagne, à celle d’une ratification par le Parlement. Le défi consistait à associer plus
et tchèque. Il rencontrera le qui exercera au 1er juillet la étroitement les citoyens à une étape décisive de la construction d’une
président français le 9 juin. présidence de l’Union, doit Europe politique. Cet échec remet profondément en cause plusieurs aspects
Celui-ci aura également le 10 faire face à de fortes pres- importants de la dimension politique de l’Europe, et c’est un des intérêts
de cet article que de les présenter tels qu’ils se posaient juste au moment
une rencontre avec le chan- sions pour renoncer au rabais
où le refus des Français remet en cause des points importants. Il s’agit tout
celier Schröder, en France, en qui lui a été consenti en 1984 d’abord de réussir à conserver un cap dans la gouvernance de l’Union,
présence des deux ministres sur sa contribution. Elle a notamment dans ses aspects financiers. Par ailleurs, on constate la diversité
des affaires étrangères, puis plutôt intérêt à temporiser du point de vue des différents pays sur la portée à donner au « non » français,
avec Tony Blair, lequel effec- en attendant de savoir si elle ainsi que, dans certains cas, du divorce entre les gouvernements favorables
tue une tournée européenne pourra ou non échapper à au projet et certains de leurs citoyens. Cette situation préfigure la façon
pour préparer son sommet du son propre référendum sur dont la construction de l’Europe s’est poursuivie, par une suite d’accords
et de traités qui tentent d’opérer les compromis les plus étroits possibles.
G8, en juillet. la Constitution.
Il était initialement prévu Quant à la France, très affai-
que le Conseil européen soit blie par le non, elle court dire avant toute la politique d’incertitudes dont on ne voit
consacré exclusivement à le risque d’une confusion agricole commune. pas l’issue dans l’immédiat,
la négociation du budget qui la rendrait imprévisible Autant dire que les chances de avec de su r c r o ît u n e
de l’Europe élargie pour la jusqu’aux échéances électo- parvenir à un accord sur le Commission qui n’a pas fait la
période 2007/2013. Mais rales de 2007. Jacques Chirac, financement de l’Union avant preuve de son efficacité dans
aucun des trois grands États qui n’est plus en position la fin de 2006 sont singulière- les premiers mois de son
n’est en mesure d’accepter des de prendre des initiatives, a ment réduites. Un an après un mandat.

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compromis. L’Allemagne va annoncé dimanche soir, dans élargissement à Vingt-Cinq qui
avoir des élections anticipées son intervention télévisée, a rendu son fonctionnement Henri de Bresson
à la rentrée de septembre, et qu’il défendrait bec et ongles plus difficile, l’Union euro- (avec le bureau de Bruxelles)
le chancelier Schröder, dont les intérêts français, c’est-à- péenne entre dans une période Le Monde daté du 31.05.2005

Les dix ans du non :


l’UE, du « non » de 2005
à la peur du « no » britannique
Dix ans après le rejet du traité constitutionnel et sur fond de crise de l’euro, deux
Europe cohabitent.

D
’un référendum, en passant par Berlin, pour claire : « Le Royaume-Uni doit- Constitution reste un souvenir
l’autre… Jeudi 28 mai, défendre le référendum sur il rester membre de l’UE ? » Le traumatisant.
le premier ministre le maintien du Royaume-Uni «  Brexit » inquiète Bruxelles Le 29  mai 2005, les Français
britannique David Cameron dans l’Union européenne, et les capitales européennes, votaient non au référendum
s’est lancé dans une tournée de qu’il doit organiser d’ici à la où l’échec, dix ans auparavant, à 54,68 %. Le 1er  juin, dans
deux jours, de Paris à Varsovie fin 2017. La question posée est du référendum français sur la un autre pays fondateur de

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 83
LES ARTICLES DU

l’UE, les Néerlandais leur Barnier, commissaire euro- risque de remettre en péril souveraineté : ils voulaient
emboîtaient le pas, dans une péen au marché intérieur l’ensemble de l’édifice. Le tout, une Europe avec un marché
proportion plus forte encore et aux services entre 2009 sans modification de traité. intérieur encore plus libéra-
(61 % de non). «  Le choc a et 2014. En réponse à David Cameron, lisé… « On ne savait pas trop
été énorme », témoignent Angela Merkel et François comment s’adapter, décrypter
tous ceux qui travaillaient à Epreuve Hollande viennent d’esquisser ce message, on était un peu
l’époque dans les institutions Très vite, les principaux une feuille de route qui, si perdus », témoigne une
communautaires. Pas plus éléments du traité consti- elle écarte toute révision des source européenne.
qu’à Paris, ce non français à la tutionnel ont pourtant été traités à court terme, prend en «  La France et les Pays-Bas
Constitution européenne, les repris, sans les symboles, compte la réalité de l’Europe ont fait la construction
fonctionnaires européens ne dans un texte un peu plus du moment : celle d’une union européenne, explique Yves
l’avaient vu venir. ramassé. Mais, surtout, la crise à plusieurs vitesses. Le noyau Bertoncini, directeur de l’ins-
En dix ans, l’Union euro- financière, puis le naufrage dur des pays de l’euro est titut Notre-Europe. Ils ont un
péenne ne s’est jamais vrai- de la Grèce et le sauvetage promis à davantage d’inté- lien ontologique avec l’UE,
ment remise du choc, mais in extremis de la monnaie gration, même si celle-ci se alors que le Royaume-Uni est
elle a profondément changé, unique sont passés par là. fait par petites touches, tandis dans une logique d’optimisa-
même sans Constitution. A peine entré en vigueur, que les Vingt-Huit sont recen- tion. La France est dans une
Le non a stoppé net l’élan fin 2009, l’héritier de la trés sur le marché unique, le logique de projection d’une
fédéraliste. Les électeurs Constitution a montré qu’il développement du numé- Europe puissance, contrariée
français et néerlandais ont n’était pas conçu pour une rique, le droit de la concur- par le libéralisme et par l’élar-
aussi rejeté la poursuite de telle tempête. rence, l’encadrement de la gissement. Ces deux hantises
l’élargissement : même si cela L’épreuve n’est pas ter- mobilité des travailleurs ou françaises se sont incarnées
n’a pas empêché l’entrée de la minée, mais elle accélère la la libéralisation des échanges. dans le projet de directive
Bulgarie, de la Roumanie et de mise en place d’une Europe « Ces derniers projets sont du Bolkestein et la polémique sur
la Croatie, le vote a contribué à plusieurs vitesses, où ressort des Vingt-Huit, ce qui, le plombier polonais » – en

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à bloquer les négociations cohabitent deux visions, au au passage, pourrait inciter 2005, ce texte prévoyait la
avec la Turquie. La diplo- moins jusqu’au référendum David Cameron à appeler à libéralisation des services sur
matie européenne promise promis par M. Cameron : voter oui », décrypte un haut le marché intérieur.
par la défunte Constitution celle des pays de l’euro, qui diplomate.
est encore balbutiante, tant ont compris sur le tard que L’affrontement entre les Perte d’influence
chacun des grands Etats reste l’existence de la monnaie deux Europe avait dominé les Pour la France, le non a
jaloux de ses prérogatives en unique les oblige à une Union débats constitutionnels, lors amorcé une nette perte
la matière. L’ancien secrétaire toujours plus étroite, et celle de la Convention présidée d’influence à Bruxelles. « Elle
général du Service européen des Britanniques, qui se par Valéry Giscard d’Estaing, avait toujours été au cœur de
d’action extérieure, Pierre contentent d’optimiser leur en 2002 et  2003. Le rejet la construction européenne,
Vimont, estime que le non a accès au marché unique. du projet constitutionnel, c’est elle qui amenait toutes
été un « révélateur » et qu’il a Désormais, et M. Cameron puis la crise, ont modifié les nouvelles idées », rappelle
ouvert « une longue phase de le constate à chaque Conseil les rapports de force entre Jean-Claude Piris, ex-direc-
crise pour l’Europe » : « Il a mis européen à Bruxelles, l’UE vit Européens. Au lendemain teur des services juridique du
en évidence l’euroscepticisme au rythme de la zone euro du double non, ce fut la stu- Conseil. Il y eut aussi une vraie
d’une fraction importante de en crise. Dans l’urgence, des peur et l’inaction. Les fonc- rupture de la confiance avec
l’opinion. Plus importante que fonds de secours ont été mis tionnaires et les décideurs les Allemands, qui ne com-
beaucoup ne le pensaient. » en place, une Union ban- bruxellois étaient sonnés. prenaient pas qu’on puisse
Les élections espagnole et caire est en train d’être bâtie, Mais aussi désarçonnés, rejeter le marché unique et la
polonaise du 24 mai viennent sous la tutelle de la Banque car les deux votes étaient concurrence. « La Constitution
encore d’en témoigner. centrale européenne (BCE), contradictoires. Alors que les avait été faite par Giscard. Elle
«  Après le référendum, j’ai devenue l’institution – la seule Français, eux, avaient voté était d’inspiration française.
passé beaucoup de temps à vraiment fédérale – la plus soit pour sanctionner leur C’était compliqué d’expliquer
écouter les gens qui avaient puissante d’Europe. La gou- président, Jacques Chirac, soit à Berlin que le peuple français
voté non. C’est important, de vernance budgétaire est, elle par peur des dérives libérales n’en voulait pas. Mais ce qui a
les écouter. Ce n’est pas du aussi, plus contraignante : pas de Bruxelles, les Néerlandais, affaibli la situation de Paris,
tout à prendre à la légère, tout question, vu de Berlin ou de eux, au contraire, marquaient ce sont les mauvais résultats
comme le référendum réclamé Bruxelles, de laisser un pays leur volonté de moins d’ingé- de son économie et le décou-
par Cameron », insiste Michel dériver comme la Grèce, au rence, moins de transferts de plage avec une Allemagne en

84 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

POURQUOI aux idées françaises », d’un approfondissement


CET ARTICLE ? explique M. Bertoncini. De de l’Union économique et
la politique volontariste de monétaire.
Cet article revient sur les mul- traité constitutionnel européen
Mario Draghi, qui demande Alors que le sentiment euros-
tiples crises traversées par l’Union par les Néerlandais et les Français
européenne au cours des dix der- a de ce point de vue marqué un en contrepartie d’approfondir ceptique continue de se déve-
nières années. Alors que, depuis la véritable coup de semonce, dont encore la zone euro, au ren- lopper aux quatre coins du
création de la CECA, l’unification l’UE ne semble toujours pas s’être flouement des Etats en fail- continent, les responsables
de l’Europe n’avait eu de cesse de remise. Et c’est maintenant la me- lite, en passant par le soutien politiques ont peur de se
progresser, tant en terme d’appro- nace d’une sortie du Royaume-Uni aux investissements (le plan lancer dans un exercice à haut
fondissement des politiques com- de l’UE («  Brexit »), brandie par le Juncker), ces avancées réali- risque : celui d’être obligés de
munes que d’élargissement à de Premier ministre David Cameron,
sées dans la douleur sont en consulter leur peuple sur une
nouveaux pays, il semble qu’elle qui menace d’affaiblir encore une
soit, depuis 2005, entrée dans une Union de plus en plus acculée à une contradiction avec un certain question liée à l’Union. C’est
zone de turbulences. Le rejet du posture défensive. nombre de dogmes écono- pourquoi François Hollande,
miques allemands. Angela Merkel et leurs homo-
Aujourd’hui, une modi- logues redoutent tant le pari
croissance et avec un faible la Commission européenne fication des traités reste tenté par David Cameron.
niveau de chômage », souligne et le Fonds monétaire inter- taboue, à Paris ou à Berlin,
M. Bertoncini. national] ont donné l’image dans le cadre des revendica- Cécile Ducourtieux,
Les deux pays ont dû faire désastreuse d’une Europe-FMI tions britanniques, comme Jean-Pierre Stroobants,
des concessions pour sauver qui fait du mal. Mais cela a dans celui de la réflexion, (à Bruxelles), Alain Salles
l’euro. «  La crise et la poli- permis des avancées inima- initiée par le Conseil euro- et Philippe Ricard (à Paris)
tique de la “troïka” [la BCE, ginables et qui correspondent péen de décembre  2014, Le Monde daté du 29.05.2015

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Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 85
L’ESSENTIEL DU COURS

DATES CLÉS
22 JUILLET 1944
Signature des accords de Bretton
La gouvernance
Woods et création du FMI et de
la BIRD.

JUIN 1947
économique mondiale
Lancement du Plan Marshall
destiné à soutenir la reconstruc-
tion de l’Europe.
depuis 1944 (*)
P
30 OCTOBRE 1947
Signature des accords du GATT. endant la Seconde Guerre mondiale, des économistes réalisent
1948
le rôle de la crise économique de 1929 dans l’arrivée au pouvoir
Création de l’OECE (Organisation des régimes totalitaires dans les années 1930, et notamment du
européenne de coopération nazisme. Garantir l’ordre économique se révéla donc une des condi-
économique) destinée à gérer les
fonds du plan Marshall. tions nécessaire pour garantir la paix. C’est pourquoi dès 1944 des
cadres nouveaux furent posés, destinés à établir une gouvernance
1961
L’ O E C E d e v i e n t l ’ O C D E
économique mondiale. Néanmoins, ces cadres furent remis en cause
(Organisation de coopération et par les événements politiques, et les rythmes économiques, par de
de développement économique).
nombreuses résistances. La gouvernance économique mondiale
1964 a donc dû s’ajuster à ces mutations et au reclassement des puis-
Réunion de la première Cnuced sances. Comment s’organise la gouvernance économique mondiale

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organisée par l’ONU et fondation
du « G77 ». depuis 1944 ? Quels en ont été les enjeux et les acteurs ?
1971 Le système de Bretton Woods à
Premier Forum économique l’épreuve de la guerre froide (1944-1971)
mondial à Davos. Avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale,
les bases d’une nouvelle gouvernance économique
15 AOÛT 1971 mondiale sont posées lors de la conférence de
« Choc Nixon », fin de la converti- Bretton Woods. Le 22 juillet 1944, elle se conclut
bilité du dollar. par des accords qui doivent garantir la stabilité
de l’économie mondiale et ainsi garantir la
1973 paix. L’ensemble est largement inspiré des idées
Premier choc pétrolier. de l’économiste John Maynard Keynes. Tout
en s’inscrivant dans le respect du libéralisme
1975 économique, l’État intervient dans le domaine de
Création du G7, devenu G8 après l’économie en soutenant l’investissement pendant
l’admission de la Russie en 1998. les périodes de crise. Le système de Bretton Woods
consacre l’hégémonie des États-Unis sur l’économie
1979 mondiale. Les accords stabilisent les monnaies
Second choc pétrolier. et institutionnalisent l’hégémonie du dollar sur
l’économie mondiale. La monnaie américaine
1995 est désormais la seule convertible en or (à 35 $
Création de l’OMC (Organisation de l’once), et toutes les autres monnaies ont une Harry Dexter White (à gauche) et John Maynard Keynes
mondiale du commerce), rempla- parité fixe avec le dollar. Des institutions sont en 1946. Ils furent les deux principaux protagonistes de la
çant les négociations des accords créées pour veiller au bon fonctionnement du conférence tenue à Bretton Woods.
du GATT. système. Le Fonds monétaire international (FMI)
sert à garantir la stabilité du système monétaire. pays du tiers-monde, qui remettent également en
2001 Une Banque internationale pour la reconstruction cause le système de Bretton Woods, dans lequel ils
Premier Forum social mondial à et le développement est créée. Les accords voient un aspect de la domination du « Sud » par
Porto Alegre (Brésil). commerciaux doivent désormais être négociés le « Nord ». L’ONU leur sert de tribune. Ils créent
dans des rounds, conformément aux accords du en 1964 la Conférence des Nations unies sur le
1999 GATT. Cette gouvernance est cependant contestée, commerce et le développement (Cnuced). Soixante-
Création du G20 notamment par le bloc de l’Est, qui possède ses dix-sept des pays y participant s’organisent sous le
propres institutions, comme le CAEM, et par certains nom de « G77 ». En 1967, dans la Déclaration d’Alger,

86 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
L’ESSENTIEL DU COURS

ils militent pour un nouvel ordre économique


mondial. De plus, dès les années 1950, le système de
l’Union européenne, l’euro, en circulation depuis 2002,
a également modifié les enjeux monétaires mondiaux.
MOTS CLÉS
la parité face au dollar ne peut être maintenu face La gouvernance économique mondiale s’est adaptée CHOCS PÉTROLIERS
aux dévaluations rendues nécessaires par l’inflation. à cette nouvelle donne. En 1995, le GATT est remplacé Brusque augmentation des prix
par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En du pétrole de la part des pays
La gouvernance économique mondiale 2001, la Chine y est admise. Des groupes informels producteurs.
face à la crise (de 1971 au milieu existent également : Forum économique mondial En 1973, le choc est causé par une
des années 1990) à Davos, réunions du G8 regroupant les principales décision des pays de l’Organisation
En 1971, le système de Bretton Woods vole en éclats. Le puissances économiques mondiales (États-Unis, des pays producteurs de pétrole
15 août de cette année-là, le président des États-Unis Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Russie, (Opep) et en 1979 par les consé-
Richard Nixon décide de suspendre la convertibilité en Italie, Canada). Depuis 1999 il existe également un quences de la révolution islamique
or du dollar. L’importance des déficits américains liés G20 (mais la première réunion ne date que de 2008), en Iran.
au financement de la guerre du Vietnam et l’utilisation qui regroupe les pays du Nord et du Sud les plus
du dollar comme monnaie de réserve avaient, en effet, influents économiquement et représentant 85 % FORUM ÉCONOMIQUE
rendu intenable le système de la parité. Cette action du PIB mondial. Les associations internationales MONDIAL
unilatérale montrait que la gouvernance économique régionales assurent un relais à cette gouvernance Organisé à Davos tous les ans
mondiale était très liée aux États-Unis. Face aux plaintes économique mondiale. On peut citer l’Union depuis 1971, il réunit tous les
de leurs partenaires économiques, le secrétaire d’État européenne, ou encore l’Alena, qui, avec les États- acteurs de la mondialisation libé-
au trésor John Connaly aurait répondu : « Le dollar est Unis, le Canada et le Mexique, associent deux pays du rale : hommes politiques, chefs
notre devise, mais c’est votre problème. » Par ailleurs, Nord et un pays du Sud. La gouvernance économique d’entreprises, économistes.
les chocs pétroliers de 1973 et 1979, liés aux conflits du mondiale apparaît comme un puissant vecteur de
Moyen-Orient, déstabilisent l’économie. Après avoir la mondialisation libérale. Elle est donc remise en FORUM SOCIAL MONDIAL
cru percevoir dans cette situation les signes de « la question par le mouvement altermondialiste. Un Organisé systématiquement
crise finale du capitalisme », les autorités soviétiques Forum social mondial est ainsi organisé en parallèle depuis 2001 dans une ville du Sud,
voient leur système économique s’effondrer face à son du Forum économique de Davos depuis 2001. La il réunit l’ensemble des associa-
incapacité d’adaptation. Le rôle des États est ainsi entré prise en compte de la question du développement tions s’opposant à la mondialisa-
dans une crise profonde. Certains États sont frappés durable et des enjeux environnementaux est aussi tion libérale.
par un endettement incontrôlable, comme le Mexique un défi majeur pour les acteurs de la gouvernance

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en 1982. Le FMI répond par une politique de rigueur économique mondiale. Les aspects économiques de KEYNÉSIANISME
leur imposant un strict contrôle en contrepartie du la question environnementale ont donc été pris en Doctrine adoptant les idées de
financement de leur économie. Les États tendent à compte dans le protocole de Kyoto en 1997. John Maynard Keynes (1883-1946),
se désengager de la gouvernance économique, sous selon lequel l’État doit « réamorcer
Le poids économique des États-Unis, et plus lar-
l’influence des doctrines économiques néolibérales. gement des pays industrialisés, est relativisé par la pompe » en injectant des fonds
De 1979 à 1990, Margaret Thatcher mène une politique l’émergence de certaines économies du Sud. Ces dans l’économie en cas de crise et
de ce type en Grande-Bretagne. pays émergents – on parle souvent des Brics, soit en menant une politique sociale
le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du pour soutenir la consommation,
Sud – contribuent à donner l’image d’un espace fût-ce au prix d’un déficit public.
économique mondial multipolaire. Le poids des
acteurs institutionnels a, par ailleurs, diminué LIBÉRALISME
face à celui des banques et des agences de nota- ÉCONOMIQUE
tion, comme le montre la gestion de la crise depuis Doctrine fondée sur la liberté
2008, mais aussi des firmes transnationales et des de circulation des biens et des
grandes marques. Les ONG sont également de plus capitaux, la propriété privée et la
en plus actives et prennent position en matière de fixation des prix suivant les lois de
gouvernance économique. l’offre et de la demande.
(*) En TS, le programme ne commence qu’en 1975
(soit les deux dernières parties du cours ci-dessus). NÉOLIBÉRALISME
Wall Street, l’un des symboles de la puissance Doctrine économique qui, depuis
économique américaine QUATRE ARTICLES DU MONDE À CONSULTER les années 1960, prône un retour
La gouvernance économique aux principes du libéralisme contre
mondiale face aux défis d’un monde • Dans les archives du Monde | Nixon les excès supposés de la doctrine
suspend la convertibilité du dollar en or p. 89
multipolaire (du milieu des années (Le Monde daté du 09.10.2012) keynésienne. L’économiste
1990 à nos jours) Friedrich Hayek (1899-1992) en est
Depuis la fin de la guerre froide et la décomposition • Commerce mondial : l’irrémédiable déclin un des théoriciens.
du bloc économique soviétique (dont certains pays de l’OMC p. 90 (Éditorial, Le Monde daté du
ont intégré, en 2004 et 2007, l’Union européenne), 05.08.2014) PARITÉ MONÉTAIRE
le contexte économique a profondément changé. • Le G7 s’élargit au G20 pour une meilleure Idée selon laquelle la stabilité de
Le système économique libéral n’a plus face à lui de concertation économique p. 91 l’économie mondiale doit être
contre-modèle, d’autant plus que la Chine, depuis (Babette Stern, Le Monde daté du 17.12.1999) fondée sur un système de parité fixe
1978, s’est elle-même engagée l’économie libérale. Par entre les monnaies et garantie par
ailleurs, l’affirmation de la monnaie unique au sein de • Retour à Bretton Woods p. 91-92 la convertibilité en or d’au moins
(Paul Jorion, Le Monde daté du 03.11.2010) une monnaie de référence.

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 87
UN SUJET PAS À PAS

NOTIONS CLÉS
CRISE ÉCONOMIQUE
Composition :
Dégradation de la conjoncture Enjeux et acteurs de la gouvernance économique
économique. Elle se double généra-
lement d’une crise sociale liée à la mondiale depuis 1944.
rétractation du marché de l’emploi.
Les crises peuvent être sectorielles Analyse du sujet III. L’émergence d’une nouvelle gouvernance éco-
(crise financière, crise de l’indus- Ce sujet invite à montrer qui a tenté de mettre nomique mondiale
trie, etc.), générales, liées à une en place une gouvernance économique mondiale 1. La fin des États ? Le néolibéralisme et les nou-
région du monde (crise asiatique depuis 1944, et dans quel but. Il implique donc que veaux acteurs financiers (banques, entreprises, fonds
de 1997) ou bien mondiales (crise l’on s’interroge sur la portée d’une telle démarche d’investissements)
de 2008). La crise économique des et de l’intérêt poursuivi par ceux qui la mettent 2. Le poids des économies émergentes dans les ins-
années 1970 et 1980 (les « vingt en place : organisations internationales, États, titutions économiques mondiales (Brics, G8, G20)
piteuses ») a été marquée par entreprises… 3. La crise actuelle : opportunités ou risques pour les
une association de la stagnation acteurs ? (crises bancaires, crises des fonds d’inves-
de l’économie et de l’inflation (la Problématique tissement, renouveau du rôle des gouvernements,
« stagflation »). Suivant quelles logiques et de quelle manière les nouveaux horizons pour les économies émergentes)
différents acteurs de l’économie mondiale ont-ils
GOUVERNANCE tenté de mettre en place une gouvernance écono- Les repères essentiels
ÉCONOMIQUE mique mondiale depuis 1944 ? Depuis cette époque, • La conférence de Bretton Woods, le « choc Nixon »,
La gouvernance est un terme comment les enjeux de cette gouvernance se sont-ils les doctrines keynésiennes et néolibérales.
désignant les pratiques de gouver- adaptés aux nouvelles donnes économiques et • Les grands acteurs de la gouvernance économique.
nement et la façon dont elles s’ef- politiques ? • Les États, avec les pays industriels à économie de
forcent généralement de répondre marché, et en premier lieu les États-Unis, les pays du
à des règles compatibles avec des Proposition de plan Sud, les pays émergents.
principes éthiques. En matière I. Le système de Bretton Woods et les outils d’une • Les organisations internationales : FMI, BIRD, OMC,
d’économie, la notion de gouver- gouvernance mondiale G8, G20, Forum économique mondial.

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nance pose un certain nombre 1. Une nouvelle pensée économique (Keynes, White) • Les acteurs privés : grandes firmes transnationales
de questions, comme celle de la 2. Les accords de Bretton Woods et le nouvel ordre et fonds d’investissement financier.
concertation entre les différents économique mondial (conversion dollar/or, parité
acteurs, dont les objectifs peuvent monnaies nationales/dollar)
être antagonistes. 3. De nouveaux acteurs sur la scène économique Plan pour un sujet commençant
(institutions : FMI, BIRD) en 1975 (programme TS)
LIBRE-ÉCHANGE
Principe économique qui consi- II. La remise en cause du système de Bretton Woods I - La crise des années 1970 et la création du G6
dère que rien ne doit entraver la et les crises des années 1970 II - La domination occidentale contestée
circulation des biens pour une 1. La marche difficile des pays du Sud contre l’hégé- (BRICS, G20)
totale application des lois de la monie du Nord (Cnuced, déclaration d’Alger, G77) III - Vers un nouveau Bretton Woods
concurrence. En effet, les États 2. Les crises des années 1970 et l’ébranlement du (la crise économique de 2008 et ses suites)
peuvent être tentés de favoriser système (chocs pétroliers, inflation, fin de la parité
leurs produits nationaux en prati- du dollar)
quant le protectionnisme, c’est-
à-dire en taxant par des droits de
douanes les produits étrangers.
DOCUMENT CLÉ
TIERS-MONDE
Extrait de l’article 1er des statuts du Fond monétaire international
Expression forgée en 1952 par
l’économiste français Alfred Article I : Buts en ce qui concerne les problèmes développement des ressources
Sauvy et désignant les pays du Les buts du Fonds monétaire monétaires internationaux. productives de tous les États
Sud qui pourraient revendiquer international sont les suivants : 2. Faciliter l’expansion et membres, objectifs premiers de
un nouvel ordre mondial face 1. Promouvoir la coopération l’accroissement harmonieux la politique économique.
aux deux blocs. Il est surtout monétaire internationale au du commerce international et […]
devenu un terme désignant les moyen d’une institution perma- contribuer ainsi à l’instauration Dans toutes ses politiques et déci-
pays confrontés à des problèmes nente fournissant un mécanisme et au maintien de niveaux élevés sions, le Fonds s’inspire des buts
de développement. Ce terme est de consultation et de collaboration d’emploi et de revenu réel et au énoncés dans le présent article.
aujourd’hui peu employé, compte
tenu de la diversité des « Suds ». Le Le FMI a été créé en juillet 1944, dans le cadre de la conférence de Bretton Woods, fixant la parité des
monnaies sur le dollar, pour garantir la stabilité des taux de change des monnaies. Depuis la fin du système
tiers-mondisme trouva plusieurs
de Bretton Woods, le FMI n’a plus le rôle de régulateur des monnaies. Il intervient désormais auprès des
voies d’expression dans les années
pays ayant des difficultés financières et dans la régulation du commerce. Son libéralisme et son dirigisme
1960 et 1970 comme la Cnuced ou
font l’objet de nombreuses critiques, en particulier dans les pays en développement.
le « groupe des 77 »

88 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

Dans les archives du Monde :


Nixon suspend la convertibilité
du dollar en or
Alors que la balance commerciale américaine est déficitaire pour la première fois
depuis 1893, le président américain annonce, le 15 août 1971, la suspension de la
convertibilité en or du dollar, victime de la spéculation.
L’aveu des réserves officielles, le cours Exchange Standard était inter- l’embargo sur l’or, décrété le
La fiction, selon laquelle rien de l’or sur le marché libre ouvert venue de la même manière : dix 6 mars 1933, devait amener la
de fondamental n’était changé aux personnes privées […]. Il pays, cette année-là, laissèrent dévaluation de 40,9 % du dollar
dans le système international s’agit d’une décision capitale, fluctuer librement leurs mon- en janvier 1934. La crise n’a pas
des paiements, s’est évanouie puisque la libre convertibilité naies. Parmi elles se trouvait la pris cette fois des proportions
avec le discours du président du dollar en or était la pierre livre sterling. aussi catastrophiques […].
Nixon, qui marque la fin d’une angulaire des accords de Autre analogie avec les événe-
période de l’histoire monétaire. Bretton Woods, tentative pour ments de cette époque : Le Monde daté du 09.10.2012

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Au-delà de l’embargo sur les rétablir un système multila-
exportations d’or par les Etats- téral des paiements, lui-même POURQUOI CET ARTICLE ?
Unis, l’imposition d’une surtaxe condition de la restauration du Cet article permet de revenir les exportations d’or. La cessation
libre-échange entre les nations. sur un des moments les plus de la convertibilité leur permet
de 10 % sur les importations
La faiblesse du dollar apparut critiques de la gouvernance de retrouver le contrôle de leur
industrielles apparaîtra comme économique mondiale depuis monnaie, qu’ils peuvent dévaluer
l’équivalent, ou peu s’en faut, au grand jour dès octobre 1960,
1944 : le « choc Nixon ». Le 15 août de façon déguisée pour redevenir
d’une dévaluation du dollar. avec la brusque montée du prix 1971, le président annonce la fin de compétitifs. Cette dissociation de
Sur le terrain proprement de l’or sur le marché de Londres la convertibilité en or du dollar. la monnaie de sa valeur or est,
monétaire, on imaginait mal les […]. Depuis trois ans environ, Le texte revient sur les causes pour l’auteur, un signe d’une crise
Etats-Unis assister impuissants on assiste à l’agonie du Gold de cette décision unilatérale en économique majeure, car c’est ce
Exchange Standard. La libre montrant que l’or était devenu qui s’est produit dans les années
au lent, mais sûr, épuisement
fluctuation du deutschemark, un produit spéculatif, tout comme 1930 lorsque les grandes puis-
de leurs réserves métalliques. le dollar. Leur stabilité était sances avaient abandonné l’une
L’embargo sur le métal pré- du florin et du dollar canadien
donc compromise et avec elle, le après l’autre la parité fixe de leurs
cieux est la suite logique de la traduit la volonté de l’Allemagne, contrôle de l’économie mondiale devises avec l’or, mettant fin, de
décision, prise sur l’initiative des Pays-Bas et du Canada de par les États-Unis, c’est pourquoi fait, au système du Gold Exchange
de Washington le 17 mars 1968, ne plus acheter de dollars. En ils avaient imposé un embargo sur Standard.
de cesser de soutenir, au moyen 1931, la condamnation du Gold

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 89
LES ARTICLES DU

Commerce mondial : l’irrémédiable


déclin de l’OMC
L
’échec est cuisant. Certains À la dernière minute, Le risque est réel que les nou- protège d’un certain arbitraire
observateurs n’hésitent jeudi 31 juillet, l’Inde a posé velles règles du commerce mon- d’État. Mais le procédé ne va
plus à parler de chant son veto à l’accord de Bali, dial s’écrivent dans l’ombre et pas de soi. Pour les autorités
du cygne pour l’Organisation très laborieusement scellé sous le règne de la loi du plus allemandes, qui considèrent
mondiale du commerce (OMC) le 7 décembre 2013 et censé faci- fort. Depuis quelques années, que les tribunaux nationaux
et par là même de la fin d’un liter les procédures douanières les puissances – Américains, sont bien plus légitimes, il est
cycle, celui de la mondialisation entre les 160 États membres Européens, Chinois – font la hors de question d’accorder un
des échanges, entamé après la de l’OMC. Mais, pour cette der- course aux accords bilatéraux tel pouvoir à des institutions
chute du mur de Berlin et qui a nière, la plus grande humilia- pour imposer leur jeu et leurs extraterritoriales.
favorisé l’émergence de tant de tion est peut-être ailleurs : dans normes dans le commerce mon- Bref, le rêve de règles commer-
pays en voie de développement. cette gigantesque négociation dial. C’est pour éviter cette dérive ciales mondiales et démocra-
à huis clos sur la libéralisation qu’avait été créée l’OMC en 1995, tiques est moribond. La méca-
des échanges de services, lancée sur un principe on ne peut plus nique de l’OMC a commencé
POURQUOI en mars 2013 par 50 pays, dont démocratique : un pays, une à dérailler en 2003, à Cancun
CET ARTICLE ? les membres de l’Union euro- voix. (Mexique), quand les États-Unis,
péenne. Elle se tient hors du Ces règles démocratiques, rejetant la demande des pays
La libéralisation triomphante du
cadre de l’OMC, précisément qui ont conduit à la paralysie, d’Afrique de l’Ouest, ont refusé

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commerce mondial a longtemps
fait de l’OMC le bouc émissaire parce que ces États, qui veulent étaient plus légitimes en cas de tout compromis sur leurs sub-
privilégié des altermondialistes. doper leur croissance en aug- litiges tranchés par l’OMC. Las, ventions à l’industrie du coton.
Pourtant, l’institution semble mentant les échanges de ser- la multiplication des accords Quel avenir pour l’OMC ? Elle
aujourd’hui à la peine. Plutôt vices, n’en pouvaient plus de bilatéraux entraînerait un restera, pendant un temps
que de se plier aux exigences voir les discussions traîner en retour des cours d’arbitrage encore, le gendarme des diffé-
de cette organisation à vocation
longueur à Genève... internationales chargées de rends commerciaux entre pays,
universelle, les États, surtout les
plus puissants, ont de plus en
Depuis dix ans, les accords résoudre les différends entre avant de perdre, là aussi, sa
plus tendance à préférer négo- bilatéraux et régionaux se mul- entreprises et États, hors du légitimité en la matière, puisque
cier directement avec leurs par- tiplient, comme le traité transat- cadre de l’OMC. Comme les les nouvelles règles des
tenaires économiques. Au détri- lantique en cours de discussion juridictions qui pourraient échanges internationaux s’écri-
ment des États les plus faibles entre l’Union européenne et émerger dans le sillage du ront hors de son enceinte. Faute
qui se trouvent en position désa- les États-Unis. Ces accords sou- traité transatlantique en cours d’avoir pu se réformer.
vantageuse dans les négociations
lèvent une forte opposition de de négociation. Les entreprises
commerciales.
la part de certaines organisations sont souvent demandeuses de Éditorial
non gouvernementales. ce genre de dispositif qui les Le Monde daté du 05.08.2014

90 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
LES ARTICLES DU

Le G7 s’élargit au G20 pour une meilleure


concertation économique
C
’est par un dîner au suivie en Russie et en Amérique désaccords qui fâchent, comme financement bonifié pour des
Reichstag, à Berlin, latine, ont mis en évidence la les grandes questions finan- États capables d’obtenir faci-
que les ministres des nécessité d’un échange d’idées cières internationales, la cor- lement des capitaux privés, ni
Finances et les gouverneurs entre les poids lourds tradition- ruption ou le commerce ; le une agence d’aide à long terme
de banques centrales de nels de l’économie mondiale et « syndrome de Seattle » qui a vu pour des États incapables de
20 pays riches et en dévelop- les pays émergents qui peuvent s’opposer le Nord et le Sud étant renoncer à leurs mauvaises
pement ont inauguré, mercredi représenter un danger pour omniprésent dans les esprits. habitudes économiques ».
15 décembre, un nouveau l’ensemble du système finan- Les ministres des Finances Le G20 peut être considéré par
forum de dialogue, baptisé cier. Les responsables du FMI, devaient se contenter d’évoquer, certains comme un « groupe de
G20, dont la création avait de la Banque mondiale, de la une énième fois, la nouvelle plus ». Au lendemain de l’échec
été décidée en septembre à Banque centrale européenne architecture financière inter- de la réunion de Seattle qui a
Washington lors des assem- et le président en exercice de nationale et « la vulnérabilité vu l’Organisation mondiale du
blées annuelles du FMI et de la l’Union européenne, sont éga- financière externe et interne » commerce vivement chahutée
Banque mondiale. Ce groupe lement conviés. À eux tous, de l’économie mondiale. pour l’opacité de ses décisions,
de discussions, informel, est ils représentent près des deux Le secrétaire américain au il s’agit plutôt d’une avancée
destiné à compléter le Groupe tiers de la population de la pla- Trésor, Larry Summers, avait vers un fonctionnement plus
des Sept (G7), jugé par beau- nète et produisent plus de 85 % exigé, la veille de la réunion, démocratique des grandes ins-
coup inefficace et inadapté, des richesses. que les engagements finan- titutions multilatérales.
en associant désormais aux ciers du FMI envers les États
débats de nouveaux protago- « Syndrome de Seattle » soient « plus limités, plus sélec- Babette Stern
nistes de la scène économique Pour cette première réunion, tifs et à court terme. [Le FMI] ne Le Monde daté du 17.12.1999

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internationale (l’Union euro- on ne devait pas aborder les devrait pas être une source de
péenne en tant que telle et la
Russie, l’Argentine, l’Australie, POURQUOI
le Brésil, la Chine, l’Inde, l’In- CET ARTICLE ?
donésie, le Mexique, l’Arabie
saoudite, l’Afrique du Sud, la En 1999, la réunion de l’OMC à émergentes et aux pays du Sud la souhaitaient les manifestants de
Corée du sud et la Turquie). Seattle voit se dérouler d’impor- possédant des matières premières Seattle ? Certes, un nombre accru
« Il devient de plus en plus tantes manifestations des alter- stratégiques. Il se différencie donc de pays participent à une organi-
difficile et de moins en moins mondialistes. Elles avaient pour du G7, constitué de pays dévelop- sation de ce type, l’émergence de
accepté que les décisions se but de protester contre le manque pés à économie de marché. Le G20 nouvelles puissances et le monde
fassent par un petit groupe », de démocratie dans le cadre de a essentiellement pour vocation multipolaire qui en découle sont
a déclaré récemment l’Italien la gouvernance économique d’être un lieu de dialogue, chaque pris en compte. Pourtant, la parti-
Tomaso Padoa-Schioppa, mondiale. Quelques mois plus État membre restant maître de cipation des citoyens et de la société
membre du directoire de la tard, à Berlin, le G20 se réunit ses décisions. S’agit-il d’un élar- civile n’est en rien garantie car elle
Banque centrale européenne. pour la première fois. Cette insti- gissement de la gouvernance dépend de la représentativité du
La crise asiatique, survenue à tution s’ouvre aux économies économique mondiale, telle que gouvernement de chaque État.
l’été 1997, puis celles qui l’ont

Retour à Bretton Woods


A
lors que les chefs d’État et depuis 1971, en l’occurrence sur les en 1944. La situation était alors système de survivre encore dix
de gouvernements du G20 décombres des accords historiques devenue intenable pour les États- ans. Quand la Suisse puis la France
affirment vouloir définir un de 1944. Unis depuis une dizaine d’années réclamèrent aux États-Unis l’or cor-
nouvel ordre monétaire interna- Pourquoi parler de « décombres » ? déjà. En 1961, il avait fallu, pour respondant aux dollars accumulés,
tional en empruntant la voie pro- Parce que les accords de Bretton maintenir la parité prévue ini- Nixon s’exécuta… avant de fermer
posée sans succès par Keynes lors Woods sont morts en 1971, quand tialement de 35 dollars pour une le robinet une fois pour toutes.
des accords de Bretton Woods en le président américain Richard once d’or, créer un London Gold Pourquoi le système mis en place
1944, il est bon de rappeler le cadre Nixon les dénonça et mit fin à Pool rassemblant huit nations. en 1944 s’est-il effondré ? En raison
au sein duquel les nations opèrent la parité dollar-or, convenue Ce regroupement avait permis au du « dilemme de Triffin », du nom

Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours 91
LES ARTICLES DU

de l’économiste Robert Triffin, qui de référence exige au contraire c’est ce qu’il s’apprête à faire économiques entre nations doit se
analysa le premier la contradic- que celle-ci soit déficitaire. Aucun encore pour un nouveau mil- déplacer du domaine des devises
tion qui le minait. Une nation gère pays ne peut, bien entendu, jamais lier de milliards de dollars. Mais à celui d’un équilibre de leurs
sa monnaie en en maintenant le faire les deux. C’est là le « dilemme dans l’après-Bretton Woods, la comptes courants, et en proposant
stock à la mesure de la richesse de Triffin », qui dénonçait en 1961 devise américaine vaut-elle ce que ceux-ci ne puissent dévier de
créée sur son territoire. Mais quelle « les absurdités associées à l’usage que M. Bernanke suppose au nom plus de 4 % du produit intérieur
quantité doit-elle en créer lorsque de devises nationales comme des États-Unis ou bien ce que le brut (PIB) – qu’il s’agisse d’un
cette monnaie sert de référence au réserves internationales ». reste du monde en pense ? excès d’importations ou d’expor-
monde entier ? Elle doit en créer La parité or ayant été abandonnée Face à la machine à créer de l’argent tations –, le secrétaire du Trésor
plus ! en 1971, les États-Unis se sont des États-Unis, les autres nations se américain, Tim Geithner, a défini la
Le seul moyen pour elle d’y par- retrouvés en possession d’une sont retranchées. La seule parade problématique d’un nouvel ordre
venir est d’acheter à l’étranger machine à créer de l’argent : la pour une autre devise consiste à monétaire… à la façon de John
davantage que l’étranger ne lui modération à laquelle ils étaient lier son sort à celui du dollar, et Maynard Keynes en 1944 !
achète, autrement dit, d’avoir autrefois astreints n’était plus c’est ce qu’a fait la Chine avec le Nous voilà donc enfin revenus à la
une balance commerciale des de mise. Les autres pays étant yuan. En réponse, les Américains bifurcation de Bretton Woods,
paiements déficitaire. Alors que la preneurs de dollars, pourquoi se sont braqués sur la valeur de enfin prêts à emprunter la bonne
bonne gestion de sa devise comme ne pas en créer à volonté ? C’est celui-ci. voie. Il s’agit maintenant d’aller
monnaie domestique exige un ce que M. Bernanke, président de Mais, en affirmant le vendredi résolument de l’avant.
équilibre de sa balance des paie- la Réserve fédérale américaine 22 octobre à Gyeongju (Corée du
ments, une bonne gestion de sa (Fed), fit en 2009 à hauteur de Sud), au cours du G20 Finances, Paul Jorion
qualité d’émettrice d’une monnaie 1 750 milliards de dollars, et qu’une pacification des relations Le Monde daté du 03.11.2010

POURQUOI CET ARTICLE ?

La question d’un ordre monétaire monnaie était la seule convertible sur la puissance américaine, a non mique mondial. Un ordre, cepen-
international est un des aspects en or. Depuis le « choc Nixon » seulement vécu, mais est désor- dant, dans lequel les États-Unis
fondamentaux de la gouvernance en 1971, ce système avait volé en mais appelé à être remplacé par ont encore un poids important,

© rue des écoles & Le Monde, 2016. Reproduction, diffusion et communication strictement interdites.
économique mondiale. L’ordre dé- éclat. Le fait que dans le cadre du des négociations qui prennent en comme le montre le rôle moteur
fini à Bretton Woods en 1944 avait G20, en 2010, se pose la question compte deux aspects nouveaux accordé au secrétaire du Trésor
pour but de garantir la stabilité de d’un nouvel ordre monétaire du monde contemporain : l’émer- dans la définition de ces nouvelles
l’économie en se fondant sur la montre que l’ordre économique gence de nouvelles puissances et problématiques.
puissance des États-Unis, dont la mondial, garanti exclusivement la mutipolarité de l’espace écono-

92 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
le guide pratique
LE GUIDE PRATIQUE

CONSEILS
DE RÉVISIONS Méthodologie et conseils
• Apprendre ses cours régulière-
ment pendant l’année : les relire le
soir même et les apprendre avant
chaque évaluation.
• Apprendre son cours de façon
problématisée : se poser des ques-
tions, essayer de chercher l’idée
directrice de chaque partie. Cela
vous entraîne à problématiser et
à argumenter.
• Faire éventuellement des fiches
de révisions. Attention aux fiches
inutiles : celles qui sont trop lon-
gues (quelle différence avec le
cours ?) ou trop courtes.
• Être attentif tout au long de
l’année aux publications (presse,
livres) ou aux émissions de télé-
vision ou de radio qui peuvent
être consacrés aux thèmes traités
et qui peuvent vous intéresser et
mieux vous les faire comprendre.

GESTION
DU TEMPS
Il n’existe pas de règle générale
en la matière. On peut cependant
considérer qu’on peut consacrer
2h30 (1h45 en S) à la composition
et 1h30 (1h15 en S) à l’étude de L’épreuve d’histoire-géographie maîtrise suffisante du vocabulaire spécifique de l’his-
document. Pour la composition, L’épreuve des baccalauréats ES, L et S en histoire- toire ou de la géographie. Il n’existe pas de barème
cela suppose de consacrer 1 h géographie se compose de deux exercices. La durée précis avec un nombre de point attribué à chacun des
(45 minutes en S) à faire un plan de l’épreuve est de 4 heures en ES/L, et de 3 en S ; son deux exercices. La note est attribuée globalement à
détaillé au brouillon et 1 h 30 (1 h coefficient est de 4 en L, de 5 en ES et de 3 en S. l’ensemble de la copie. Cela veut dire que vous ne
en S) à la rédaction. Pour l’étude Le premier exercice est une composition d’histoire devez négliger aucun des deux exercices mais, qu’à
de documents, on peut consacrer ou de géographie. Deux sujets au choix sont propo- l’inverse, un exercice particulièrement bien réussi
40 minutes (30 minutes en S) au sés, mais dans la même discipline. On ne peut donc peut contribuer à valoriser la copie.
travail au brouillon et 50 minutes pas choisir entre histoire et géographie : il y a deux
au propre. sujets possibles en histoire ou deux sujets possibles La composition d’histoire
en géographie. Le libellé du sujet peut prendre des Le but d’une composition est de produire un texte
PRÉSENTATION formes diverses : reprise partielle ou totale d’intitulés
du programme, question ou affirmation ; la problé-
répondant à une problématique liée à un sujet. Il
s’agit donc d’utiliser ses connaissances au service
DE COPIE ET matique peut être explicite ou non. d’une pensée structurée en fonction de la probléma-
ORTHOGRAPHE Le deuxième exercice est soit une analyse d’un ou
deux documents soit un croquis de géographie.
tique et de la réponse que l’on compte lui apporter.
Plusieurs étapes sont nécessaires au brouillon comme
Il n’y a pas de nombre de points Pour l’étude de document, une consigne est donnée au propre.
précis attribués au soin de la copie pour guider le candidat dans son étude. Un seul sujet
et à l’orthographe. Néanmoins, est donné, soit en histoire, soit en géographie. Pour Au brouillon :
une copie peu lisible, sale, négli- le croquis de géographie, un fond de carte est fourni – analyser le sujet. Il faut lire le sujet et y repérer
gée indisposera le correcteur. Par au candidat. les mots-clés, qu’il faut comprendre et analyser, le
ailleurs, il est presque impossible L’évaluation de ces épreuves est basée sur plusieurs cadre spatial et temporel de l’étude, pour éviter un
pour le correcteur, de dissocier le points. Tout d’abord la maîtrise d’un certain nombre hors-sujet et les connecteurs logiques, qui aident à
fond et la forme. Il est difficile de de connaissances nécessaires pour mener une repérer les liens entre les différents termes du sujet ;
juger qu’une copie est brillante si réflexion historique ou géographique. Ensuite, la – trouver une problématique. Il s’agit d’une question
sa lecture est rendue fastidieuse capacité à produire un travail problématisé, struc- principale, parfois complétée d’une ou plusieurs
par la présence d’un grand nombre turé et argumenté. Enfin, la capacité à s’exprimer questions secondaires qui lui sont liées, qui guidera
de fautes d’orthographe. dans une langue écrite correcte témoignant d’une toute l’étude. Dans la problématique, on doit trouver

94 Le guide pratique
LE GUIDE PRATIQUE

les mots-clés du sujet, des termes qui sont importants


pour le thème traité et des connecteurs logiques ;
– noter les éléments de présentation du document
(nature, auteur, date, contexte, public visé) ;
CE QU’IL NE
– trouver un plan et le détailler. Trouver tout d’abord – trouver trois (ou deux) thèmes directeurs qui FAUT PAS FAIRE
les trois (éventuellement deux) grandes parties qui permettent de répondre à la consigne. Surligner dans
répondent soit à des thèmes, soit à des périodes. le document les parties qui s’y rapportent. Si trop de Pour la composition
Trouver ensuite les sous-parties de chaque partie parties du texte restent non surlignées, ou bien si trop • Réciter votre cours tel quel, sans
(deux ou trois généralement). Trouver ensuite deux de parties sont surlignées plusieurs fois, considérez vous adapter à la problématique.
ou trois points importants dans chaque sous-partie. que les thèmes choisis ne conviennent pas ; • Se contenter d’une probléma-
Pour chacun d’entre eux, trouver une idée, la démon- – rédiger au brouillon l’introduction et la conclu- tique qui recopie le sujet (même
trer, l’associer à un exemple ; sion. On reprendra le même schéma que pour l’intro- s’il est précédé de « est-ce que » et
– rédiger au brouillon l’introduction et la conclu- duction de la composition. On remplacera dans suivi d’un « ? », ce qui ne trompe
sion. L’introduction comporte une accroche (on l’introduction la définition des termes du sujet par personne…).
commence par une idée générale, une citation ou une présentation du document. Dans la conclusion, • Ne pas donner d’exemple après
un événement important qui permet d’entrer dans on veillera à faire référence au document. avoir donné une idée.
le sujet, on définit ensuite les termes importants, Au propre : • Rédiger la conclusion direc-
on délimite son cadre spatial et temporel), la pro- – adopter les mêmes normes que pour une composi- tement au propre, sans l’avoir
blématique précédemment établie et une annonce tion. Votre travail sera néanmoins plus court, compte préparée au brouillon juste après
du plan. La conclusion comprend un rappel du plan, tenu du temps disponible ; l’introduction. Le risque est que
avec ses différentes parties, une réponse (nuancée – rédiger chaque sous-partie en veillant à faire sys- la conclusion ne réponde pas à la
et argumentée) à la problématique et une ouverture tématiquement référence au texte, soit en le citant problématique.
vers un autre aspect du sujet, vers une autre période, entre guillemets, soit en indiquant les numéros de • Faire des fautes d’orthographe
vers un autre espace géographique. lignes si c’est un texte, soit en indiquant précisément et de français. Parmi les plus fré-
un élément si le document est une image ou une quentes, on peut signaler l’emploi
Au propre : carte. Après avoir fait référence au texte, vous devez de « dû à » en tête de phrase, alors
– rédiger le devoir. Après avoir recopié l’introduction, obligatoirement utiliser des connaissances précises qu’on n’emploie cette formule
il faut rédiger à partir du plan sans rendre apparent pour l’expliquer. Expliquer un document consiste à qu’après avoir donné son antécé-
les numéros de parties et transformer les titres du montrer comment il confirme ou vient nuancer ce dent…. Apprendre à conjuguer les
plan détaillé en phrases. Au début de chaque grande que l’on sait par ailleurs sur le contexte. Il s’agit donc verbes « croire » et « conquérir »
partie, prévoir quelques lignes annonçant le thème également d’adopter une lecture critique du docu- est de la plus haute utilité en his-
de la partie. À la fin de chaque grande partie, faire ment : quelle est sa portée ? Quelles sont ses limites ? toire.
une transition vers la suivante. Et enfin, recopier la – prêter le même soin à la correction et la fluidité • Ne pas faire de transition entre
conclusion. Ne sauter des lignes qu’entre les grandes de la langue écrite que pour la composition. les différentes parties, ne pas
parties, après l’introduction et avant la conclusion. introduire chaque partie par une
Aller à la ligne sans sauter de ligne entre chaque phrase. Cela est nécessaire car c'est
sous-partie ; un moyen pour le correcteur de
– intégrer à la copie, si vous le souhaitez, des sché- juger de la qualité de votre argu-
mas et/ou des organigrammes qui expliquent un mentation à travers la rigueur de
processus historique, mais à condition d’introduire votre plan.
et de commenter ces productions graphiques, même
brièvement ; Pour le commentaire
– adopter une écriture lisible et un propos clair. • S’il y a deux documents, consa-
Utilisez un langage soutenu comportant le vocabu- crer une grande partie à chacun
laire spécifique de l’histoire. Employez des phrases des documents. Il faut au contraire
qui ne soient pas trop longues. Attention aux fautes montrer que l’on réussit à les lier.
d’orthographe lexicales (mots mal orthographiés) et Pour cela, on peut montrer leurs
surtout grammaticales (accords des verbes, participes différences ou bien leur complé-
passés, etc.). Relisez-vous attentivement en gardant le mentarité.
temps nécessaire pour cela avant la fin de l’épreuve. • Paraphraser le texte, c’est-à-dire
redire ce qu’il dit déjà, sans mettre
Commentaire d’un ou deux les citations entre guillemets.
documents • Se contenter de mettre bout à
Cette épreuve a pour objectif de construire un com- bout des citations du texte sans
mentaire du ou des documents proposés. Il faut pour utiliser la moindre connaissance
cela trouver un axe directeur, un plan et utiliser des personnelle pour les expliquer.
connaissances pour expliquer le document. De même • Ne pas repérer les différences
que pour la composition, au brouillon comme au entre date de rédaction, date de
propre, plusieurs étapes sont nécessaires. publication et date des événe-
Au brouillon : ments dont parle le document. Il
est important de voir si un texte
– lire la consigne avant de lire les documents, pour est un témoignage sur le vif ou
avoir une première idée des éléments que l’on doit bien une analyse a posteriori. 
y chercher ;

Le guide pratique 95
Crédits

COUVERTURE
Palmyre : © Rafal Cichawa/iStock ; Parlement européen : Jorisvo/ iStock

LE RAPPORT DES SOCIÉTÉS À LEUR PASSÉ


L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France
p.6 DR ; p.7 © Rue des Archives/ RDA ; p.8 © Rue des Archives/ Tallandier
L’historien et les mémoires de la guerre d’Algérie
p.16 © Gérald Bloncourt/ Rue des Archives ; p.18 © Rue des Archives/ Tallandier

IDÉOLOGIES ET OPINIONS EN EUROPE


DE LA FIN DU XIXE SIÈCLE À NOS JOURS
Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875
p.27 © iStockphoto/ Thinkstock ; p.28 DR
Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques
en France depuis l’affaire Dreyfus
p.34 © Fotolia ; p.35 © Ingram Publishing/ Thinkstock ; p.36 © Rue des Archives/ RDA  ; p. 37 DR

PUISSANCES ET TENSIONS DANS LE MONDE


DE LA FIN DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE À NOS JOURS
Les États-Unis et le monde depuis les « 14 points » du Président Wilson (1918)
p.42 DR
La Chine et le monde depuis 1949
p.52 © Comstock/ Thinkstock ; p.53 © Fotolia
p.54 © The Granger Collection NYC/ Rue des Archives  ; p. 55 DR
Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Première Guerre mondiale
p.61 DR ; p.62 © Philippe Rekacewicz/ Le Monde diplomatique  ; p. 63 DR

LES ÉCHELLES DE GOUVERNEMENT DANS LE MONDE


DE LA FIN DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE À NOS JOURS
Gouverner la France depuis 1946 : État, gouvernement et administration.
Héritages et évolutions
p.69 DR
Le projet d’une Europe politique depuis le congrès de La Haye (1948)
p.76 haut © iStockphoto – p.76 bas DR
p. 79 European union flag and euro © mamaluky/iStock/ Thinkstock
La gouvernance économique mondiale depuis 1944
p.86 : DR
p.87 © Karen-Struthers/ Fotolia

LE GUIDE PRATIQUE
p.93 © Istockphoto ; p.94 © Purestock/ Thinkstock
p.95 © Istockphoto/ Thinkstock

Edité par la Société Editrice du Monde – 80, boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris
Tél : +(33)01 57 28 20 00 – Fax : +(33) 01 57 28 21 21
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Directeur de la rédaction : Jérôme Fenoglio
Dépôt légal : mars 2016 - Imprimé par Aubin - Achevé d’imprimer : mars 2016
Numéro hors-série réalisé par Le Monde - © Le Monde – rue des écoles 2016

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