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eidôlon [εἴδωλον] [grec]

Eikôn (εἰκών) phantasma (ϕάντασμα) Emphasis (ἔμϕασις) Tupos (τύπος)

fr. image

lat.effigies
effigies, figura
figura, forma
forma, imago
imago, pictura
pictura, simulacrum
simulacrum, species
angl. image
image, picture

→ IMAGE [BILD], et COMPARAISON, DOXA, IMAGINATION [PHANTASIA], MIMÊSIS,

OIKONOMIA

Le français image est calqué sur le latin imago. Ce dernier terme ne transcrit lui
même qu'assez pauvrement les multiples échos induits par le vocabulaire grec de
l'image, qui est avec eidôlon [εἴδωλον], eikôn [εἰκών], phantasma [ϕάνταὓμα],
emphasis [ἔμϕαὓιὖ], tupos [τύποὖ], etc. plus riche et beaucoup plus évocateur que le
latin. Or aucun de ces termes n'est l'exact équivalent de notre français image, et ils
ne sont pas non plus équivalents entre eux. De là de sérieuses difficultés de
traduction, qu'il s'agisse de ce que représente un dessin ou de ce qui se présente
dans un miroir. Car cette richesse n'a rien de fortuit : loin d'être simple, l'image est
par elle-même quelque chose de plural et d'ambigu; ce n'est ni une chose, ni un
concept, mais « un visible qui donne à en voir un autre »; visible de second degré qui
peut même n'être pas le résultat direct d'une sensation, mais un produit de la
mémoire ou de l'imagination. De plus, la manière dont on a conçu l'image a beaucoup
évolué en fonction des théories qu'on s'est fait de la vision et des découvertes
successives de l'optique. De là d'autres méprises possibles, car même pour un terme
dont la traduction par « image » semble naturelle, toute interprétation anachronique
peut conduire à manquer le sens d'un passage par suite d'une méprise proprement
culturelle.

I. Les vocables grecs et les traits archaïques de l' image

Ce qu'on voit dans un miroir ou une peinture a donné à penser aux anciens Grecs. Les termes usuels par
lesquels ils ont dénommé l'image ont été porteurs de traits archaïques dont on trouve des traces dans leur
réflexion philosophique.

A. « Eidôlon » : du visuel porteur d' illusion

Le terme le plus courant pour image, eidôlon [εἴδωλον], a pour racine le verbe signifiant voir, par son
infinitif aoriste eidon [εἶδον]. L'eidôlon, c'est ce qu'on voit comme si c'était la chose même, alors qu'il ne
s'agit que d'un double : ombres des morts dans l'Hadès (Odyssée, XI, 476), sosie d'Hélène créé par Héra
(Euripide, Hélène, 33), effigie ou portrait, qui met sous les yeux les absents, ou enfin ce qui se montre
dans un miroir et qui en réalité n'y est pas. Bref, l'eidôlon est du visuel porteur d'illusion, par opposition à
l' eidos ou l' idea [ἰδέα], de même racine, la forme belle et vraie, qui devient chez Platon “ idée ”
(Cratyle, 89b 3). Epicure a choisi le pluriel eidôla pour désigner techniquement les fines enveloppes
d'atomes émanées de la surface des objets et qui nous les font voir en pénétrant dans nos yeux (À
Hérodote, 46, 9); sorte de doubles voyageurs restant invisibles durant leur trajet, et qui sont à l'origine de
l'image mentale ou phantasia, laquelle permet de valider ou non ce qu'on voit (ibid., 50, 2). Le côté de
leurre sans consistance d'eidôlon a conféré au terme un sens parfois péjoratif, qui se retrouvera dans
l'“ idole ” des Septantes (II Rois, 17, 12) ou les “ idolâtres ” des iconoclastes.

B. « Eikon » : une reproduction fidèle

Le second terme, lui aussi usuel, est celui d' eikôn [εἰκών], qui vient de *Feikô, 'être semblable à'. Le
sens principal révèle donc un autre aspect de l'image, d'ailleurs lié au premier, et qui est sa similitude avec
l'objet. Les emplois classiques sont analogues à ceux d' eidôlon
eidôlon; mais celui de statue ou de portrait
précède celui d'image spéculaire ou de fantôme. Or l'effigie conserve toujours quelque chose de son
modèle, bien qu'il se présente des degrés dans la ressemblance. Platon, quand il divise dans le Sophiste
l'art de la mimétique, définit l'eikôn comme une reproduction fidèle, qui conserve strictement les
proportions et les couleurs de l'original (235d-e). Eikôn évoque donc plutôt le côté positif de l'imitation,
celui qui s'en tient à ce qui est, et on comprend que le terme ait donné notre icône et tous ses dérivés.

C. « Phantasma » : le trompe-l'œil

À eikôn, Platon oppose phantasma [ϕάνταὓμα], substantif provenant du verbe phainesthai


[ϕαίνεὓθαι], “ briller, se montrer, paraître ”, via phantazesthai [ϕαντάζεὓθαι] , “ se montrer, apparaître ”;
il définit phantasma en prenant pour exemple la pratique des peintres qui représentent les objets non tels
qu'ils sont, mais tels qu'ils apparaissent selon leur position et le point de vue de l'observateur (236b). Il
semble imprécis de traduire ici phantasma par “ simulacre ”, mot qui a souvent été choisi, mais qui
évoque aujourd'hui quelque chose à laquelle personne ne croit vraiment (comme lorsqu'on parle d'un
simulacre de paix), alors que phantasma insiste plutôt sur une apparence présente à s'y méprendre,
porteuse de toute la crédibilité que peut receler un “ trompe-l'œil ” réussi.

D. « Eidôlon », « eikôn », « phantasma » : les présences du faux

De manière caractéristique concernant le statut ontologique de l'image, là où selon nos catégories nous
attribuons l'erreur ou l'illusion à une méprise subjective, Platon estime que l'art de la mimétique confère au
faux une présence intramondaine; pour dire du faux la moindre chose, il faut donc établir que “ le non-être
est ”, qu'on l'entende dans les opinions ou les discours qui disent ce qui n'est pas, ou qu'on le voie dans les
images ( eidôla
eidôla), les reproductions ( eikôna
eikôna), les imitations ( mimêmata
mimêmata) ou les trompe-l'œil (
phantasmata
phantasmata) qui montrent ce qui n'est pas (241e).

! encadré [1] « To eikos », ou comment le vrai-semblable est la mesure du


vrai

E. « Emphasis » : un terme d'optique

Un autre vocable, plus technique, est celui d' emphasis [ἔμϕαὓιὖ], qui dérive comme phantasma de
phainesthai. Aristote l'emploie pour désigner l'effet visuel d'une “ brisure ” ou réflexion ( anaklasis
[ἀνάκλαὓιὖ]) du regard qui rencontre un obstacle, que cet effet soit une image nette ou non, car elle peut
se réduire à de simples taches colorées (Météorologiques, 372 a 30-372 b 8). Le terme est à rapprocher de
enoptron [ἔνοπτρον] ou katoptron [κάτοπρον], “ miroir ”, qui désigne “ ce dans quoi (ou au fond de
quoi) on voit ”. L'em-phasis, c'est “ ce qui apparaît dans ” de l'eau ou dans l'airain d'une armure : un pur
apparaître, qui peut n'être qu'une apparence, comme l'arc-en-ciel qui, reflet multiple du soleil dans les
gouttelettes d'eau d'un nuage, n'a pas en lui-même d'existence, apparence à rapprocher des apparitions
(phantasmata) de nos rêves, dont le caractère labile rappelle une image qui tremble dans l'eau au moindre
souffle (De la divination dans le sommeil, 464b 8-13). L'acception optique d'emphasis prête donc à bien
des anachronismes malgré sa très neuve technicité. Pour rendre compte des effets visuels de la réflexion,
les analyses des Météorologiques reposent sur l'idée que c'est la vue et non la lumière qui rebondit sur un
obstacle, comme le fera toute l'optique géométrique jusqu'au XIe siècle. De plus, il n'existe encore qu'un
seul mot (anaklasis) pour désigner la réflexion et la réfraction. L'emphasis reste clairement au ˜
IVe siècle ce qui se fait voir derrière une surface réfléchissante ou réfringente, leurre sans consistance qui
n'est pas vraiment là où on le voit, ni tel qu'on le voit.

F. « Tupos », l'empreinte et l'impression

a. Traduire « tupos » chez Démocrite

Enfin, un autre terme à évoquer est celui de tupos [τύποὖ], d' empreinte, qui a donné lieu à bien des
incompréhensions. C'est d'abord la trace d'un pas sur du sable, ou d'un sceau sur de la cire. Ce fut un des
modèles qui servirent jusqu'au ~ IVe siècle (av. J.-C.) à expliquer la présence d'images dans les miroirs,
comme si elles y étaient imprimées par l'air intermédiaire; et même, comme chez Démocrite, à expliquer
la vision à partir de l'image-empreinte qui se voit dans l'œil d'autrui quand on le regarde de près (De la
sensation et des sensibles, 437b 5-10). René Mugnier traduit ici emphasis par image réfléchie, et du coup
le sens du passage lui échappe (ibid., Petits traités d'histoire naturelle, Les Belles Lettres, 1965, p. 25).

b. Traduire « tupos » chez Platon

On s'explique que Platon ait pu comparer dans le Timée (71b) la surface lisse du foie à « un miroir où
s'impriment des formes (tupoi) et donnant à voir des images (eidôla) », pour expliquer que les impressions
envoyées par l'intellect puissent dominer celles qu'y impriment les visions et les fantasmes de l'âme
concupiscente. On rate le sens et la portée du texte si on y introduit des concepts modernes sur la vision
en traduisant comme Albert Rivaud (Les Belles Lettres, CUF, 1925) « comme un miroir qui reçoit des
rayons et laisse apparaître des images » ou comme Mugler (Dictionnaire historique de la terminologie
optique des Grecs, art. eidôlon) « comme un miroir qui reçoit des impressions lumineuses et permet de
voir des images ». Ce qui est en jeu, c'est l'explication que donne Platon de nos rêves à partir de ces
impressions-empreintes nocturnes, et sa justification concomitante de l'oniromancie. C'est aussi l'origine
des conceptions ultérieures de l'imagination et de la mémoire (voir PHANTASIA). C'est encore la parenté
surprenante entre l'oniromancie platonicienne et l'aruspicine des étrusques. C'est enfin la longue croyance
aux envies des femmes enceintes, produisant sur les nouveaux-nés des marques de naissance, que l'on
trouvera encore dans la Dioptrique de Descartes (Discours V).

L' image est une de ces notions faussement évidentes dont il faut se défier. Chez les Grecs, elle se
définit par le fait brut de sa visibilité, et ce n'est qu'à partir du ~ IIIe siècle qu'elle s'explique, et
uniquement dans une théorie savante des miroirs, par la réflexion, et seulement celle de rayons visuels.
On comprend mal le texte fameux de République VI, 510a, où Platon range avec les ombres l'image
spéculaire dans le dernier genre de l'être, le moins clair, celui qui produit les croyances et les leurres, si
l'on ne se souvient pas qu'il a en tête des visibles fictifs imitant des visibles réels, des doubles sans
consistance qui hantent et faussent le monde d'ici bas. Toute allusion à la réflexion de rayons lumineux
confère à cette image grecque antique une objectivité physique qu'elle n'a pas.

II. Le latin « imago » et le vocabulaire technique de l'optique médiévale

De tous les termes latins qui répondent à la notion d'image au moins en certains de leurs emplois, tels
que simulacrum, ou figura, forma, effigies, pictura, ou encore species (dérivé de specio, regarder),
le terme d' imago correspond le mieux à notre français “ image ”. Il convient toutefois de se méfier de
son apparente évidence, car la notion s'est intériorisée au fil du temps, comme l'attestent nos dérivés
“ imaginaire ” et “ imagination ”.

A. « Imago »

a. Reproduction

L' imago évoque par ses origines (sa racine est im-, qu'on retrouve dans imitor) d'abord une imitation
matérielle. Il s'agit en propre d'une statue ou d'un portrait (Cicéron, Epistulae ad familiares, V, 1, 7) et
plus particulièrement de ces effigies en cire d'ancêtres que les nobles faisaient porter en procession aux
funérailles (In C. Verrem actio secunda, II, 5, 36). C'est donc ce qui se présente comme un double, qui
peut être aussi l'ombre d'un mort (Virgile, Énéide, IV, 654), un spectre (ibid., IV, 773), ou encore une
image spéculaire (Lucrèce, De rerum natura, 4, 156). Mais si l'imago peut se manifester de manière
hallucinatoire ou virtuelle, elle possède le plus souvent la réalité d'une reproduction. Cicéron (De
finibus, I, 21) traduit par le pluriel imagines les eidôla matérielles des Épicuriens, que nous recevons
dans les yeux et nous font voir les choses dont elles émanent; Lucrèce, lui, use le plus souvent du terme
simulacra, simulacres, dérivé de simulo, copier, imiter (De rerum natura, IV, 159, etc.). La valeur des
deux mots est voisine : dans les deux cas, il s'agit d'images-portraits de l'objet, idée que l'on retrouve dans
ces résultats d'une technique de reproduction que désignent figura, forma, effigies ou pictura.

b. Similitude ou simulation

À cause de la ressemblance entre l' imago et ce dont elle est l'image, le sens s'engage dans les deux
directions antagonistes de la similitude véridique, comme celle du fils portrait du père (Cicéron,
Epistulae ad familiares, VI, 6, 13), ou au contraire de la simulation trompeuse, comme l'usurpation de
l'apparence d'autrui (Plaute, Miles gloriosus, 151). Au-delà, on accède à des emplois figurés, où le visage
est le miroir de l'âme (Cicéron De oratore, III, 221), ou bien où l'ambition prend le masque de la modestie
(Tacite, Historiae, IV, 86). Le côté intériorisé de la notion n'apparaît que tard, avec l'évocation de choses
tristes et agréables (Tacite, Annales, II, 53), ou encore de l'ami absent (Pline le jeune, Epistulae, VII, 5, 1).

B. « Imaginatio » : l'analyse augustinienne des palais de la mémoire

C'est sans doute par ce biais qu' imago a pu donner à l'époque impériale imaginari et imaginatio d'où
viendront notre “ imaginer ” et notre “ imagination ”, avec le sens de “ se représenter ”, mais sans
l'extrême diversité sémantique du terme grec de phantasia. On saisit chez saint Augustin la difficulté
qu'ont eu les Latins à dépasser la stricte notion de reproduction matérielle pour aller vers celle de
représentation mentale. Dans les Confessions, au livre X, 7-21, il analyse le contenu de ce qu'il
appelle les palais de sa mémoire : une lecture attentive montre que la métaphore se poursuit avec l'idée
d'un réceptacle d'images (imagines) des impressions sensibles, rangées par classes visuelles, auditives,
etc. (comme autant de portraits ?), dont il se demande « comment elles ont été fabriquées » (X, 13).
L'étude s'approfondit avec la mémoire des sciences, des affects, du souvenir lui-même, pour en venir au
cas dirimant de la mémoire de l'oubli : comment l'image de l'oubli peut-elle subsister dans la mémoire, si
elle est elle-même oubli imprimé en nous (X, 25) ? Il ne s'agit nullement ici, comme on a été tenté de le
penser, de subtilités paradoxales. Il faut plutôt y voir un effort approfondi pour dépasser l'idée de l'image
mentale comme reproduction stricte de ce dont elle est image, qui animera encore au XIXe siècle certaines
conceptions de la mémoire et de l'imagination. Ce n'est pas tant, une fois encore, le choix d'un équivalent
moderne du terme qui fait difficulté, que le contenu archaïque qu'il véhicule.

C. Une révolution optique : Alhazen

L'évolution ultérieure de l'optique devait profondément complexifier ces premières extensions intimes
de la notion d' imago. À la différence de la théorie épicurienne, l'hypothèse de l'émission d'un flux visuel,
sur laquelle reposait l'optique géométrique antique, pouvait se passer radicalement du périple d'une
quelconque image à travers l'air et à l'intérieur de l'œil et du corps, puisque c'est au contraire la vue elle-
même qui était censée aller au contact de l'objet externe le sentir. Mais au début du XIe siècle le savant
arabe Ibn al-Haytham (Alhazen) conçut une optique fondée sur l'entrée de rayons lumineux dans l'œil, ce
qui l'obligea à réfléchir sérieusement à la formation d'une quasi-image de l'objet sur le cristallin, qu'il
tenait pour l'organe sensoriel, et à sa transmission jusqu'à l'encéphale. L' image, de visible extérieur, était
devenue aussi une donnée interne se formant dans l'œil et cheminant à travers le nerf optique jusqu'au
siège de la faculté visuelle. Son Optique fut traduite en latin sans doute à l'extrême fin du XIIe siècle et
donna lieu à partir de l'original arabe à une rénovation du vocabulaire de la vision.

D. Un nouveau vocabulaire de la vision

a. « Forma » : traduction latine de l'arabe « o°ra »

Un premier terme ambigu est celui de forma, que sa polysémie conduit à transposer par “ forme ”
(anglais form
form). Comme l'indique A.I. Sabra (The Optics of Ibn al-Haytham, t. II, p. 68-73), il traduit
l'arabe Òºra qui renvoie d'ordinaire à toutes les notions que nous avons vues liées à celle d'image, comme
forme, figure, effigie, apparence, etc.; les premiers traducteurs arabes s'en sont servi pour rendre nombre
de mots grecs, dont eidos, idea, eidôlon, morphê, tupos. Dans les oeuvres optiques d'Ibn al-Haytham,
ṣūra a au moins trois significations. Tout d'abord, le terme caractérise la lumière et par extension la
couleur en tant qu'elles existent dans les objets lumineux ou colorés comme formes essentielles ou
accidentelles selon que ces objets sont lumineux ou colorés par eux-mêmes ou par une source extérieure :
il désigne donc une propriété ou une qualité de la chose. Dans la théorie de la vision, ṣūra a en outre deux
acceptions que l'auteur ne distingue pas toujours. Il s'agit tout d'abord ce que reçoit ponctuellement
l'organe sensible (le cristallin) d'un point externe lumineux et coloré : c'est donc l'image sensorielle d'un
point — les deux sensibles propres de la vue étant la lumière et la couleur. Il s'agit ensuite de la saisie de
l'objet dans toutes ses déterminations visuelles : bien sûr sa silhouette complète en tant qu'ensemble de
points lumineux et colorés, ce qui répond encore à notre notion d' image, mais aussi les vingt autres
intentiones visibiles qui le caractérisent, depuis sa grandeur, sa forme, sa position ou son mouvement,
jusqu'à son caractère lisse ou rugueux, continu ou discontinu, beau ou laid — bref il s'agit de ce que la
faculté visuelle ultime transmet à la mémoire pour reconnaissance, ou à l'intellect pour jugement.

b. « Intentio » : traduction latine de l'arabe « ma'na »

Lié à la notion de forma, un second terme encore plus polysémique apparaît ainsi, celui d' intentio, Il
traduit l'arabe ma' næ, qu'un ancien lexicographe, Ibn-al Arabi, définit comme « l'intention qui
s'extériorise, et se manifeste dans la chose quand elle y est recherchée ». Les traducteurs arabes du IXe
siècle usent de ce mot dans un sens assez large, pour rendre dans les textes philosophiques noêma
[νοήμα], logos [λόγοὖ] ou pragma [πρᾶγμα]. Ishak ibn Hunayn l'utilise au pluriel pour traduire dans
le De Interpretatione d' Aristote ta pragmata, désignant les “ choses ” dont les affections sont signifiées
par le son des paroles et les marques de l'écriture. Il prend dans la traduction en latin de l'Optique d' Ibn
al-Haytham un sens technique dans des expressions comme intentiones visibiles, intentiones
subtiles. Il s'agit de l'ensemble des qualités, des relations et des propriétés grâce auxquelles un objet se
manifeste complètement à celui qui le regarde; ce dernier les saisit certes grâce à l'image lumineuse et
colorée qui lui en parvient, mais grâce aussi à l'interprétation qu'il en fait par l'habitude, le jugement ou le
raisonnement. Pourtant, à la différence d' Avicenne, pour qui mana désigne la visée de ce qui comme la
dangerosité du loup s'associe à la vue d'un objet sans être par soi visible, le terme s'inscrit tout entier chez
Ibn al-Haytham dans le registre de la visibilité. Mais il confère à la vision de la forme ( forma
forma) un statut
irréductible à notre opposition entre subjectif et objectif, entre image mentale et chose stricto sensu. Il en
résulte chez les médiévaux une théorie de la connaissance décalée par rapport à la nôtre.

De plus, étant de nature lumineuse, l'image qui se forme dans le miroir acquiert en tant que telle une
première consistance, alors que dans une théorie du rayon visuel elle tirait son être d'emprunt uniquement
de l'objet qu'atteignait par ricochet le regard. Fait caractéristique, elle reçoit enfin par elle-même dans les
textes latins une dénomination technique et univoque : « Et forma comprehensa in corpore polito
nominatur imago [Et on nomme image la forme qu'on appréhende dans un corps poli] » (Opticae
Thesaurus, Alhazeni libri septem, 5, prooemium, p. 125). Cet emploi se fixe au XIIIe siècle; l'Optique de
Vitellion, inspirée par Alhazen et qui deviendra un classique, dit semblablement : « Imago dicitur forma
in speculo comprehensa [on appelle image la forme qu'on appréhende dans un miroir] » (ibid., Vitellonis
libri decem, 5, def. 13, p. 190).

III. Image optique et image mentale

A. « Imago » selon Kepler

La notion d' image évolue à nouveau à l'âge classique avec les progrès de l'optique. Pour Kepler
l'image vue dans un miroir ou à travers une surface réfringente, qu'il désigne par imago, reste un visible
trompeur dans sa localisation, et parfois ses proportions et ses couleurs. Comme les médiévaux, il estime
qu'elle « n'est presque rien », « une chose composée d'espèces lumineuses et colorées réelles, et de
quantités intentionnelles » (Ad Vitellionem Paralipomena [1604], III, def. 1, p. 64). Et il la distingue de la
pictura, de la peinture qu'on peut recueillir en chambre noire sur un écran (ibid., V, p. 174). Pourtant,
malgré sa référence à l'imago médiévale, Kepler change profondément la donne. Il démontre que le
cristallin n'a pas pour fonction de recevoir une forme sensorielle de l'objet, mais de faire converger les
rayons entrant par la pupille, pour donner sur la rétine, le véritable organe sensoriel, une pictura, une
image stigmatique réelle qu'on peut recueillir sur un écran. Et la question se pose de savoir comment cette
authentique “ peinture ” peut cheminer dans les conduits obscurs et tortueux du nerf optique. Le problème
de la transmission de l'œil au cerveau se pose à nouveaux frais.

B. Descartes : de l' image mentale à l'image-signe

Descartes dans le Discours IV de sa Dioptrique (1637) répond en remarquant que la ressemblance à


l'objet n'est pas nécessaire à l'image mentale, d'autant qu'il faudrait en ce cas pour l'appréhender à nouveau
des yeux dans le cerveau. Il suffit à l'âme de pouvoir distinguer les diverses propriétés des choses à partir
de signes différentiels transmis par les nerfs au cerveau, comme elle le fait par exemple à partir des sons
du langage. De manière décisive, la réflexion classique passe ainsi pour la vie mentale de l'image-portrait
à l'image-signe : le modèle du langage vient concurrencer celui de l' effigie ou du miroir. La description
psychologique de ce qui évoque en nous les choses devient un enjeu philosophique majeur. Le vieux
vocable d' idée ( idea
idea) change d'emploi, pour désigner simplement chez Locke (1690) une
représentation consciente, sans plus de référence métaphorique à la forme et par elle au visible. Et ce
à quoi renvoient nos idées devient problématique.

C. Objectiver l'image

Parallèlement, l' image qu'on voit dans un miroir ou à travers du verre cesse d'être le presque rien
évanescent et trompeur des anciens opticiens. Après les découvertes dues à la lunette de Galilée (1610),
elle acquiert au fil des ans une objectivité de bon aloi, grâce à la compréhension de son rôle dans le
grossissement produit par les instruments d'optique. Les progrès ultérieurs ne font qu'amplifier cette
objectivation de l'image, qui n'est plus seulement tenue pour un procédé d' illusion, mais devient de plus
en plus un moyen de perfectionner la vision. Par les techniques qui à partir de l'ère de la photographie la
fixent et la manipulent, elle devient même une chose parmi les choses, rigoureusement définissable, et
donc n'offrant plus aucun problème de traduction d'une langue moderne à une autre.

D. « Désobjectiver » l'image

A-t-elle pour autant perdu son mystère et ses pouvoirs ? On peut pour les retrouver revenir d'abord à
l'immédiateté du voir. Dans L'Œil et l'esprit, Maurice Merleau-Ponty évoque encore à propos de la
peinture ce qu'a de « louche » la ressemblance de l'image spéculaire, et d'insituable « la puissance des
icônes » (p. 38-39). Et pour en rendre compte, il est obligé de reformuler dans Le Visible et l'Invisible à
nouveaux frais l'immersion intramondaine de celui qui voit, avec des termes comme chair, entrelacs,
réversibilité, etc. qui, parce qu'ils se déprennent de la philosophie classique de la perception, n'ont pas
toujours d'équivalent en d'autres langues. Mais on peut aussi, pour retrouver la prégnance et les prestiges
de l'image, explorer les sources des pulsions liées à notre imaginaire, direction dans laquelle la
psychanalyse s'est rapidement engagée avec le concept d' imago.

! encadré [2] L'Imago en psychanalyse

En tant que visible immédiat, l' image n'a jamais cessé d'être et de n'être pas la chose. Bien que nos
sciences et nos techniques s'efforcent de la réduire à son caractère objectif de reproduction fidèle, elle a
gardé de cette ambivalence existentielle sa polysémie symbolique.
Gérard SIMON

BIBLIOGRAPHIE

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DESCARTES René, La Dioptrique. A.T., t. 6, Vrin, 1965.

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Outils

ERNOUT Alfred et MEILLET Antoine, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Klincksieck, 1932.

MUGLER Charles, Dictionnaire historique de la terminologie optique des Grecs. Douze siècles de
dialogue avec la lumière, Klincksieck, 1964.

© Le Seuil / Dictionnaires le Robert, 2003.

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