Sunteți pe pagina 1din 21

Cahiers de civilisation médiévale

L'iconographie de la femme au cours des Xe-XIIe siècles


Prof. Chiara Frugoni

Citer ce document / Cite this document :

Frugoni Chiara. L'iconographie de la femme au cours des Xe-XIIe siècles. In: Cahiers de civilisation médiévale, 20e année
(n°78-79), Avril-septembre 1977. pp. 177-188;

doi : 10.3406/ccmed.1977.3070

http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1977_num_20_78_3070

Document généré le 01/06/2016


Chiara FRUGONI

L'iconographie de la femme au cours des Xe -XIIe siècles

Si l'on voulait employer une formule schématique, dépourvue de souplesse et sans aucun souci
des nuances et des exceptions de la réalité, on pourrait dire que l'iconographie de la femme
pendant le haut moyen âge est l'iconographie d'une absence.
L'art du moyen âge étant surtout un art religieux, les individus ne pouvaient prétendre à
être représentés que si, placés à un rang élevé dans la société, ils avaient eu avec l'Église des
rapports tels qu'ils puissent être figurés en tant que bienfaiteurs ou fondateurs.
La femme sera montrée alors en tant qu'épouse — sa mémoire est gardée le plus souvent
dans la mesure où elle est liée à celle de son époux, et non pas pour des qualités propres qu'elle
ne peut pas avoir — mais l'épouse est elle-même très peu considérée dans une société où sa
position est entièrement subordonnée à celle de l'homme. Ailleurs sont les valeurs qui comptent,
la force, le pouvoir, la loyauté de la relation féodale, l'expérience religieuse, la pensée
dominante de guerres continuelles1. Dans le mariage, union principalement fondée sur l'intérêt,
un intérêt variable au gré des circonstances, et, partant, union facile à dissoudre, la femme
est l'objet silencieux d'un don ou d'un échange entre son père et son prétendant2.
L'amour courtois, qui, vers la fin du xie s., va marquer la naissance d'un sentiment nouveau,
une possibilité d'idéalisation de la femme et de l'amour, est continuellement marqué par
l'adultère, car, dans une société où le mariage n'a des fins qu'utilitaires, « toute sublimation
de l'amour sexuel doit commencer par idéaliser l'adultère8 ». La femme est une pauvre chose
pour son mari qui n'éprouve pas le besoin de l'avoir près de lui dans son image publique.
D'autre part, pour l'Église, la femme appartient à un sexe inférieur — elle est créée d'Adam
et après Adam — et coupable; c'est sur elle que retombe tout le poids du péché originel :
Adam non est seductus, mulier autem seducia in praevaricatione fuit*. Les noces sont la
conséquence du péché : post peccaium autem et extra Paradisum protinus nuptiae : Eva in Paradiso
virgo fuit: post pellicias tunicas initium nuptiarum5 (on ne parle pas d'Adam). De là toute

1. Pour la bibliographie générale sur ce sujet, je m'en remets aux ouvrages cités dans les relations de J. Verdon,
R. Lejeune, M.-T. d'Alverny, publiées dans ce même volume, et à ceux mentionnés par N. Huyghebaert, Les femmes
laïques dans la vie religieuse des XIe et XIIe siècles dans la province ecclésiastique de Reims, dans / laid nella « Societas
christiana » dei secoli XI e XII [« Atti délia III Settimana intern. di studio, Mendola, 21-27 août 1965 »], Milan, 1968,
p. 346-390.
2. Voir, par ex., dans VErec de Chrétien de Troyes, la rencontre du héros avec Ënide, la très rapide négociation
matrimoniale entre le héros et le père de l'épouse, qui exclut autant la cour amoureuse que l'avis et le consentement de la
femme (v. 450-665).
3. C. S. Lewis, L'allegoria d'amore, Turin, 1969, p. 4.
4. L. Timoth., 2, 14.
5. Jérôme, Epist. XXII, Ad Eustochium, P.L., XXII, 406.

177
CHIARA FRUGONI

la doctrine médiévale posant comme principe que l'amour est, en soi, coupable, même à
l'intérieur du mariage : omnis ardentior amator propriae uxoris adulter est, d'après l'affirmation
de Pierre Lombard6. L'acte conjugal n'est innocent que lié à la procréation, mais le désir qui
y pousse est moralement pervers7.
Dans le livre de la Genèse, la malédiction de l'enfantement frappe la femme, et personne
d'autre, comme la protagoniste coupable de l'union charnelle ; le travail n'est une malédiction
pour l'homme qu'à cause de la fatigue qu'il comporte, non qu'il soit quelque chose de répré-
hensible en soi, même si l'homme videt bonum de labore suo, hoc donum Dei est*. Dans un certain
sens, il est interdit à l'homme d'apprendre et de progresser; or, même après le péché, Dieu
manifeste sa préoccupation que le savoir d'Adam ne continue pas à augmenter jusqu'à le
rendre égal à Dieu.
Dans les églises, si le cycle des mois rappelle que tout le travail de l'année est consacré à
Dieu et que le temps terrestre est Son temps, il exprime aussi la conscience de la protection
divine accordée aux habitudes laborieuses de l'homme : dans ces représentations il n'y a
plus trace de la malédiction biblique; les travaux, surtout les travaux agricoles, aux mois
d'avril et de mai, subissent même une interruption où l'on voit la vie gaie et insouciante
du seigneur et ses chasses. La condamnation divine semble au contraire être rappelée, puisque
la femme est exclue de ce tableau : le froid intense de janvier est évoqué par un intérieur de
logis où on ne la voit pas non plus assise près du feu. La femme est également absente des
représentations des métiers et, peut-on dire, de tout travail en général9. La seule occupation
qui lui soit assignée, c'est le filage : un travail mécanique, passif, solitaire, qui l'enferme
dans les limites de sa famille et de sa maison. Dans le livre de la Genèse de Vienne (début
du vie s.), au-dessous de la représentation de Joseph et de la femme de Putiphar, il y a une
scène de genre : un groupe de femmes qui filent auprès de leurs enfants10. C'est dans la même
occupation qu'Eve est représentée à côté d'Adam qui défriche le sol avec vigueur; mais il est
à remarquer que le plus souvent elle est représentée pendant l'allaitement : ces deux sujets
donnent la même indication, à savoir que l'accouchement et l'éducation des enfants constituent
son travail à elle11.
Les Évangiles apocryphes se sont montrés sensibles à l'importance de l'enfantement dans la
biographie de la Vierge; ils ont animé la Nativité de Jésus, soit par la présence des deux
sages-femmes qui lavent aussitôt l'enfant, soit en particulier par l'épisode de Salomé dont l'aide
incrédule est punie à l'instant même — ce qu'on peut voir, par exemple, sur un panneau de la
porte d'Hildesheim où Salomé, effarée, repentie, montre sa main desséchée à la Vierge12 [fig. 1 b],

6. Pétri Lombardi Libri sententiarum, IV, dist. XXXI (6-7), De excusatione coitus, P.L., CXCII, 920.
7. C. S. Lewis, op. cit., p. 17 et 88.
8. Eccl., 3, 13.
le bas-relief
9. Ces affirmations,
de Wiligelmo,valables,
sur la façade
en général,
de la jusqu'au
cathédralexn*de s.,Modène,
admettent
qui montre
cependant
nos d'évidentes
parents au travail,
exceptions
penchés
: par ensemble
exemple,
sur la pioche ; cf. C. L. Ragghianti, Varie in Italia, Rome, 1968, II, fig. 833, p. 795.
10. P. Brandt, Schaffende Arbeit und Bildende Kunst in Altertum und Mittelalter, Leipzig, 1927, fig. 271.
11. Parfois ces deux thèmes sont joints, comme dans une miniature du xve s. qui montre Eve occupée à allaiter et
à filer dans le même instant ; cf. V. Husa, Traditional Crafts and Skills ; Life and Work in Mediaeval and Renaissance Times,
Prague, 1967, flg. 59. La Vierge file, seule à l'intérieur du Temple, dans l'iconographie byzantine de l'Annonciation —
serait-ce là une allusion à Marie nouvelle Eve ? La servante file, présence par ailleurs inerte dans l'iconographie
occidentale du même sujet (il suffit de se rappeler Giotto). A Chartres, parmi les sculptures du portail nord (v. 1230) de la cathédrale,
la Vie Active est représentée par sept femmes qui accomplissent le cycle du travail de la laine, la Vie Contemplative par
autant de femmes en habit monacal qui lisent, méditent et prient. Selon l'interprétation d'É. Mâle, on aurait ainsi
représenté les quatorze béatitudes du corps et de l'âme dans la vie éternelle, décrites par le moine Edmère : Edmeri monachi
liber de beatitudine coelestis patriae, P.L., CLIX, 587-600. Quoi qu'il en soit, il faut surtout souligner, à mon avis, la fixité
de la tradition iconographique qui assigne à la femme le travail de la laine comme son propre travail.
12. L. Grodecki, F. Mûtherich, J. Taralon et F. Wormald, // secolo delVanno mille, Milan, 1974, flg. 13 (que je
citerai, dorénavant, avec le seul nom du premier auteur).

178
l'iconographie de la femme au cours des xe-xne siècles

Dans une miniature qui orne le sacramentaire de Robert de Jumièges (début du xie s.)18
et qui représente la Nativité, une femme nimbée — je crois qu'il s'agit encore de Salomé —
est en train de mettre un coussin derrière la tête de la Vierge étendue et accablée [fîg. 2].
Ce détail très affectueux et très réel nous montre une femme dans un moment d'activé
sollicitude : innovation qui n'aura pas de suite.
Les fêtes liturgiques qui commentent tout au long de l'année les faits principaux de la vie
de Marie concernent toutes — excepté l'Assomption — , la naissance, depuis sa propre
naissance jusqu'à celle du Christ, avec les autres événements qui accompagnent celle-ci :
l'Annonciation, la Visitation, la Purification.
L'iconographie de la Vierge qui s'est imposée est ainsi liée à l'Enfant Jésus : soit le type de
la Theotokos, où la Vierge est le support théologique du divin Enfant et, de quelque façon,
son trône, soit le type de YOdigitria, où Marie a la fonction de montrer l'enfant aux fidèles,
soit enfin le type de la Glykophilousa, où la tendresse de la mère à l'égard de son enfant est
pleinement rendue14. Dans l'église de Sainte-Marie-Antique à Rome, une fresque du vne s.
[fig. 3] rassemble, assises l'une à côté de l'autre, sainte Anne avec la petite Marie dans ses
bras, la Vierge avec l'Enfant, sainte Elisabeth avec le petit Jean16 : exaltation de la maternité
conçue de toute évidence comme le trait constitutif et essentiel de la personnalité des trois
saintes dans la biographie de chacune ; mais, par la triple et identique répétition, une valeur
absolue nous est signifiée : la maternité est tellement liée à la femme qu'elle peut devenir son
mérite sanctifiant.
En outre, la Vierge est la nouvelle Eve16, celle qui, avec la naissance du Christ, a permis
d'effacer le péché originel : aucirix peccali Eva, audrix meriti Maria. Eva occidendo obfuit,
Maria vivificando profuit. Illa percussit, ista sanavit17. Dans les célèbres portes d'Hildesheim
[fig. 1, 1 a], on oppose aux débuts catastrophiques du genre humain sa rédemption, qui
commence avec l'annonce de l'ange Gabriel18. On lit à partir du premier panneau du vantail
de gauche, puis on remonte à rebours le vantail de droite et l'on finit la lecture au premier
panneau de ce vantail : à la création d'Eve, laquelle, debout et déjà proche de l'arbre de son
péché, assiste stupéfaite au réveil d'Adam, fait pendant le geste suspendu de la Madeleine
agenouillée devant Jésus-Christ ressuscité; au sommeil d'Adam, à la création d'Eve, à la
mort et au péché, est opposé l'effacement de la mort spirituelle et corporelle par la résurrection
du Christ; à Eve qui n'a pas encore péché répond la Madeleine que le moyen âge identifia
à Marie de Magdala, délivrée des démons, et surtout à la pécheresse repentie qui, chez le
pharisien, arrosa le Christ de parfum19.
Aux paroles qui annoncent la nouvelle créature, à la joyeuse rencontre d'Adam et d'Eve
— mais qui entraînera la chute du genre humain — fait écho la rencontre rassurante de
l'ange et des Saintes femmes et l'annonce de la Résurrection; au péché — quelle insistance
sur la présence du terrible fruit! — la Crucifixion : vidus est Adam qui vestimenta quaesivit;

13. E. Pirani, Miniatura romanica, Milan, 1966, fig. 50.


14. Des exemples des trois types dans E. Sandberg Vavala', Viconografla délia Madonna con il bambino nella pittura
italiana del Dugento, Sienne, 1934 ; plus récemment dans J. de Borchgrave d'Altena, Madones en Majesté, « Rev. belge
d'archéol. et d'hist. de l'art », XXX, 1961, p. 3-114. (Un exemple du deuxième type, de l'époque de Justinien, a été étudié
par A. Grabar, Note sur V iconographie ancienne de la Vierge, « Cahiers techniques de l'art », III, 1956, p. 5-9).
15. A. Grabar, Vetà d'oro di Giustiniano, Milan, 1966, flg. 180 et p. 170.
16. Cf. E. Guldan, Eva und Maria, eine Antithèse als Bildmotiv, Cologne, 1966.
17. Augustini Serm. CCVIII, P.L., XXXIX, 2131.
18. G, Mross, Bernwardstùr Betrachtungen, Hildesheim, 1974, flg. p. 41-42.
19. Cf. V. Saxer, Les origines du culte de Marie-Madeleine en Occident, Paris, 1959, spécialement p. 7 et ss.

179
CHIARA FRUGONI

vieil Me (le Christ dans la Crucifixion) qui tegumenta deposuit20. A la juste inquisition de Dieu,
que nos parents tentent d'esquiver dans une chaîne de gestes accusatoires qui vont se décharger
sur le démon déjà serpentant à terre, est opposé l'injuste procès du Christ devant Hérode
à qui le démon de nouveau suggère le mal; à l'expulsion du Paradis terrestre, sous forme de
temple, la Présentation au temple, à la naissance de Caïn et au dur travail d'Adam, les cadeaux
des rois mages au divin Enfant — ici Eve, qui allaite assise, est placée juste à côté de la Vierge
en trône, dans un contrepoint visuel serré; au geste non apprécié de Caïn, celui dé la sage-
femme incrédule, le premier aboutissant à la mort du frère, le second au repentir et à
l'absolution ; enfin, à l'entrée dans le monde de la mort s'oppose l'annonce rassurante faite par Gabriel
de la naissance imminente du Rédempteur. La porte d'Hildesheim voit donc deux femmes,
Eve, la protagoniste active de la perdition, la Vierge, l'instrument involontaire de la
Rédemption (Eve apparaît six fois sur huit sur le vantail de gauche et la Vierge cinq fois sur
huit sur le vantail de droite). ,
C'est à ce rôle d'Eve, si active dans le péché, que s'oppose, comme peine du talion, la punition
divine qui l'enferme et l'enserre dans une perpétuelle tribulation, attachée à la procréation,
et qui l'anéantit par l'empire souverain que l'homme aura sur elle : mariium habere dominum
meruit mulieris non natura sed culpa : quod iamen nisi servetur, depravabitur amplius natura et
augebitur culpa*1. Puisque la nécessité de la procréation semble être une malédiction qui ne
frappe que la femme, celle-ci devient l'éternelle pécheresse qui n'est plus la camarade de
l'homme, mais seulement une occasion de péché pour lui.
C'est pourquoi dans la pensée médiévale la femme incarne la tentation diabolique qui fait
appel à la faiblesse de la chair. Dans la littérature religieuse, notamment monastique, la
femme est dépouillée de toute humanité ou richesse psychologique ; elle n'est que la projection
du désir (coupable) du mâle. Le péché de la luxure est représenté par le seul corps de la femme,
sur lequel des serpents ou un crapaud se jettent, prêts à punir ses attraits; si la Justice est
une femme tenant une balance, nul attribut ne marque la Luxure, laquelle est le corps même
de la femme22. La représentation de la Luxure comme une femme très belle et déjà punie
est l'expression la plus nette d'un état d'âme rendu par le procédé tout médiéval de
l'allégorie. L'introspection de l'âme humaine et l'analysé des diverses émotions sont rendues
aussi bien dans la littérature que dans l'art au moyen de la personnification des sentiments;
ce thème privilégié qu'est la lutte des vices et des vertus n'est que le moyen — comme
C. S. Lewis l'a montré dans un livre si beau28 — d'explorer et de mettre en évidence les conflits
intérieurs ; dans un certain sens, l'allégorie est l'outillage mental, qui a son langage technique
approprié, lç plus proche des procédés et du langage de la psychanalyse contemporaine.
La femme magnifique torturée par les serpents et le crapaud exprime une « scission précise »
du vouloir de l'homme, du religieux, qui désire et repousse à la fois l'objet de son désir et
de son péché. Ainsi, dans le tympan d'Autun (xne s.) [fîg. 4], près du démon démesuré en
train de mettre le condamné sur la balance, on voit la figure sinueuse d'une femme qu'un
démon ricanant agrippe aux épaules, et autour de son corps souple s'enroule, avec un effet
d'effroyable contrepoint, un serpent qui grimpe jusqu'à lui sucer le sein24; sur la frise située

20. Ambrosii Expositionis in Lucam libri, X, P.L., XV, 1924.


21. Augustini De genesi ad litteram, 1. XI, 37, P.L., XXXIV, 450.
p. 49.
22. A. Katzenellenbogen, Allégories of the Virtues and Vices in Mediaeval Art, Londres, 1939, rééd. Nendeln, 1968,
23. C. S. Lewis, op. cit., spécialement le deuxième chapitre consacré à l'allégorie (au seul point de vue littéraire).
24. D. Grivot et G. Zarnecki, Gislebertus, Sculptor of Autun, Londres, 1961, flg. K de la p. 45.

180
'*■ 'Ç^SjC'V v .-
,"%^ ' »•#' * * ***
Fig. 1 et 1 a. — HILDESHEIM (Basse-Saxe). Saint-Michel. Portes dites de saint Bernward (1015).
(D'après G. Mross, Bernwardstûr Betrachtungen, Hilde
\ \ l/

CHIARA FRUGONI PLANCHE II

js -• v # ■# « | .:-

_,
.
'
'
Fig. 1 b. — HILDESHEIM (Basse-Saxe). Saint-Michel. Portes dites de saint Bernward. Détail. Vantail de droite. Partie inférieure.
(D'après L. Grodecki, II secolo delVanno mille, Milan, 1974, fig. 13).

Fig. 2. — ROUEN (Seine-Maritime). Bibl. mun. , ms.Y 6, fol.32 v. Fig. 3. — ROME. Sante-Marie-Antique. Les trois Saintes Mères.
Sacramentaire de Robert de Jumièges. La Nativité Fresque du vne s.
(début xie s.). (D'après A. Grabar, L'età d'oro di Giustiniano, Milan, 1966, fig. 180).
(D'après E. Pirani, Miniatura romanica, Milan, 1966, fig. 50).
PLANCHE III CHIARA FRUGONI

Fig. 4. — AUTUN (Saône-et-Loire). Saint-Lazare. Tympan. Fig. 5.— MOISSAC (Tarn-et-Garonne). Abbatiale. Porche
Détail du Jugement dernier (xne s.). méridional. Piédroit ouest. La Luxure et la Mort (xne s.).
(D'après D. Grivot et G. Zarnecki, Gisleberius, Londres, (D'après M. Vidal, J. Maury et J. Porcher, Quercg roman,
1961, p. 45, fig. K). La Pierre-gui- Vire, 1969, fig. 24).

Fig. 6. — FLORENCE (Toscane). Galerie des Offices. Fig. 7. — VÉZELAY (Yonne). La Madeleine. Chapiteau.
Cabinet des estampes. Hans Baldung, la Femme et la La Luxure et le Désespoir (xne s.).
Mort (xve s.). (Cliché Zodiaque).
(D'après A. Tenenti, II senso délia morte e V amore délia
vita nel Rinascimento , Turin, 1957, fig. 1).
T

CHIARA FRUGONI PLANCHE IV

ROME. Bibl. Vat., ms. Reg. lat. 1290 : De deorum imctginibus


libellus, Vénus, Cupidon et Vulcain (1420).
(Id., p. 19, flg. B).

lu S. — AUTUN (Saône-et-Loire).
un damné et le diable
Saint-Lazare.
(xne s.). Chapiteau. La Luxure
'/' -iprès D. Grivot et G. Zarnecki, Gislebertus, op. cit., p. 85, flg. P)

ccnmnctr o

Fig. 10. - LONDRES, Brit. Mus., ms. Add. 24199, fol. 18 r°. Prudence
Psychomachie (vers 10001.
(D'après L. Grodecki, op. cit., flg. 250)

Fig. IL — VÉZELAY et le démon


(Yonne).de Lala Luxure
Madeleine.
(xneChapiteau.
s.). Un musicien
(D'après C. Jean-Nesmy, Vézelay, La Pierre-qui-Vire, 1970, flg. 31).
PLANCHL V CHIARA FRUGONI

l-'ijr. Vin et h. -IWUIS. liihl. rSïil., nis. 2077, fï. 173 r° e.t 170 r°.
Anibroise Aulpert,, Le conflit f des vices et des vertus. Luxure et Clias-
Miséricorde et Avarice fin \i«" s.,
fl>'iipres \\. Latoi i.iik. Le film de l'histoire mcdiérule en l<rance,
St:',-i:}-2S, Paris, /fl-îfl. p. 7',).

Fig. 13. — VÉZELAY (Yonne). La Madeleine. Chapiteau. Fig. 14. — AUTUN (Saône-et-Loire). Musée Rolin. Chapiteau
Tentation de saint Benoît (xne s.). provenant de l'église Saint-Lazare. Marie-Madeleine emportée par les anges
(D'après C. Jean-Nesmy, op. cit., fig. 13). (XIIe S.).
(D'après D. Grivot et G. Zarnecki, op. cit., p. 150, fig. 5).
CHIARA FRUGONI PLANCHE VI

Fig. 15. — VÉZELAY (Yonne). La Madeleine.


Chapiteau. Sainte Eugénie (xne s.). Fig.Paris,
(D'après
16. —1964,
J.VÉRONE
LaLedélivrance
fig.Goff,
79).
(Vénétie).
Laducivilisation
possédé
San Zeno.
(fin
de VOccident
xie
Détail
s.).d'une
médiéval,
porte.
(D'après C. Jean-Nesmy, op. cit., fig. 19).

Fig. 17. — POITIERS (Vienne). Bibl. mun., ms. 250, Fig. 18. — DARMSTADT (Hesse). Hess. Landesbibl., ms.
fol. 43 v°. Sainte Radegonde impose la règle à son 1640, fol. 6 r°. Évangiles de l'abbesse Hilda. L'abbesse offre
monastère (fin xie s.) le livre à sainte Walburge (début xie s.).
(D'après Le Goff, op. cit., fig. 14). (D'après L. Grodecki, op. cit., fig. 87).
PLANCHE VII CHIARA FRUGONI

Fig. 19. — NEW YORK. Pierpont Morgan Libr., ms. 709, fol. 1 r°. Évangiles de la comtesse Judith de Flandre.
Crucifixion (1050/65).
(D'après L. Grodecki, op. cit., fig. 254).

Fig. 20. — FONTEVRAUD (Maine-et-Loire). Abbatiale. Tombeaux d'Henri II et d'Aliénor d'Aquitaine (début xn* s.).
(D'après E. Panovsky, Tomb Sculpture, Londres, 1964, fig. 221).
So

CHIARA FRUGONI PLANCHE VIII

Fig. 21. — FIDENZA (Emilie). Cathédrale. Bas-reliefs du campanile. Berthe et Milon (xne s.).
(Cliché M. Grondona).

.; ^ ■. /' -.y t ^

Fig. 22. — NANCY (Meurthe-et-Moselle). Église des Cordeliers. Hugues Ier de Vaudémont et sa femme (v. 1165).
(D'après Y. Labande-Mailfert, Pauvreté et paix dans l'iconographie romane, Paris, 1974, fig. 7).
I
l'iconographie de la femme au cours des xe-xne siècles

au-dessous, parmi les ressuscites que l'ange pousse vers l'enfer est encore représentée une
femme que deux serpents mordent25. La misogynie qui a inspiré la composition du tympan
d'Autun ressort aussi d'une évaluation quantitative : il n'y a que deux femmes parmi les
ressuscites bienheureux, parmi les damnés il y en a quatre26; les coupables attraits du corps
des unes et des autres ont été soulignés : le sein, ou la chevelure flottante, cet autre instrument
de séduction que les sirènes, qui en sont le symbole, ne manquent jamais de déployer27.
L'exemple le plus ancien de la femme torturée — deux serpents lui mordent le sein, un
crapaud lui dévore le sexe — on peut le voir dans le piédroit ouest du tympan de Moissac
[fig. 5] ; l'horreur en est accrue non seulement par le démon épouvantable qui préside au
supplice, mais aussi par la figure de la femme, si décharnée qu'on entrevoit son squelette28.
On discerne ici, à peine esquissé, un concept que la tradition macabre répandra ensuite,
c'est-à-dire l'opposition amour-mort, telle qu'un dessin de Hans Baldung (début du xvr3 s.)
[fig. 6] l'illustre, en représentant l'étreinte répulsive d'un squelette avec une femme belle et
plantureuse29 : les attraits du corps, l'horreur et l'angoisse du délabrement physique d'un
corps aimé. C'est un thème que l'on trouve aussi dans un chapiteau de Vézelay [fig. 7], mais sa
signification est différente80 : près de la femme nue, à la coiffure riche et compliquée, mordue
par un serpent, un damné aux traits démoniaques s'enfonce une épée dans le ventre ; la luxure,
le dérèglement portent au désespoir et à la mort; si le point de vue est encore et seulement
masculin — c'est l'appétit sensuel qui tue l'homme — , ici pourtant apparaît une analyse
psychologique poussée de la passion et de ses conséquences, exprimée, comme d'habitude,
à l'aide de la méthode allégorique. Le même concept revient dans un chapiteau d'Autun
(côté ouest de la nef) [fig. 8]31 où l'on voit une très belle femme nue à la chevelure flamboyante
se tourner, d'un mouvement démoniaque, vers un jeune homme qu'un démon saisit par les
cheveux. Le jeune homme serre ses propres mains dans le geste typique du désespoir; cette
fois le serpent grimpe vers le sexe du diable : déplacement qui marque l'identité parfaite
de la femme avec le démon, d'ailleurs soulignée par la position des deux figures à la même
hauteur et par le regard que le démon darde sur la femme. Si la hache que le malin brandit,
si le long couteau et la pierre tenus par la femme, si la chevelure ébouriffée sont autant de
méprises par rapport au marteau de Vulcain, à l'arc, à la coquille et à la couronne de Vénus
[fig. 9] que le sculpteur ne sut pas déchiffrer dans la miniature qui lui servait de source32,
il y a toutefois une cohérence dans cette dégradation mythologique qui convertit les dieux
païens en êtres démoniaques et hostiles dans tous leurs attributs.
*
25. D. Grivot..., op. cit., fig. R de la p. 45.
26. Ibid.
27. Gervais de Tilbury (Otia imperialia, 1. III, chap. LXIV, éd. Leibnitz, Scriptores rerum brunsvicensium, t. I,
p. 984 et ss.) insiste, en décrivant les sirènes, sur les cheveux lucidi et proceri ; ci. aussi J. Leclercq-Kadaner, Sirènes-
poissons romanes, à propos d'un chapiteau de Véglise de Herent-lès-Louvain, « Rev. belge d'archéol. et d'hist. de l'art »,
XL, 1971 [paru 1973], p. 3-30. Dans un chapiteau provenant de l'église de San Giovanni in Borgo à Pavie et aujourd'hui
conservé au Musée de la Mairie de cette ville, la même représentation concentre, pour ainsi dire, luxure et châtiment, par
les deux thèmes de la sirène et de la femme torturée : les deux serpents en effet mordent le sein d'une sirène à deux queues
et aux longs cheveux flottants : cf. Id., De la Terre-Mère à la Luxure, A propos de « la migration des symboles », « Cahiers
civil, médiév. », XVIII, 1975, p. 37-43, fig. 11.
28. É. Mâle, L'art religieux du XIIe siècle, Paris, 1947, p. 374 ; M. Vidal, J. Maury et J. Porcher, Quercy roman,
La Pierre-qui-Vire, 1969, flg. 24.
29. A. Tenenti, II senso délia morte e Vamore délia vita nel Rinascimento, Turin, 1957, flg. 1 et p. 466-467.
30. É. Mâle, op. cit., fig. 216 de la p. 374 et p. 376.
31. D. Grivot et G. Zarnecki, op. cit., fig. P de la p. 85.
32. Ce dessin n'a pas été, évidemment, « la » source de Gislebertus, lequel n'en a pas moins dû avoir présente à l'esprit
quelque image qui lui ressemblait beaucoup (cf. Id., op. cit., p. 64). Le dessin appartient à un ms. de 1420 (Rome, Bibl.
Vat., ms. Reg. lat. 1290) qui comprend un long traité, Albrici Philosophi Liber imaginum deorum, ff. 8 v°-29 r°, et une
série de courts chapitres illustrés par des dessins à la plume (dont le nôtre), eux aussi attribués à Albricus, sous le titre De
deorum ijnaginibus libellus (ff. 1 r°-8 r°). En réalité le libellus est une mosaïque de textes hétérogènes ; le prototype de ces
dessins remonte au milieu du xive s. (cf. J. Seznec, The Survival ofthe Pagan Gods, New York, 1953, p. 170-179).

181
GHIARA FRUGONI

La femme nue et désespérée est encore associée dans un chapiteau de Vézelay [fig. 11] au
démon accompagné du serpent de la luxure et à un jeune homme qui joue de la flûte et porte
une gigue en bandoulière88. Le démon, comme le dit E. Mâle, « joue de la femme nue comme
d'un instrument de musique84». Sur l'autre face du chapiteau, une femme et un jongleur
paraissent de nouveau. C'est que la conception médiévale met un lien constant entre la musique
et la luxure : musica etiam instrumenta multum sunt timenda : frangunt enim corda hominum et
emolliunt35. L'Église se montre inflexible à l'égard des musiciens et des jongleurs, parce qu'ils
induisent homines ad lasciviam"; pour eux, ministri Satanae, il n'y a plus d'espoir87. Dans
ce chapiteau, le démon et le jeune homme jouent donc à l'unisson, et la femme, en tant que
péché de luxure, est encore une fois l'instrument de leur enchantement pervers. Parmi ceux
qui ne sauraient conserver d'espoir, l'Église place aussi les saltatrices** : il est donc bien naturel
de trouver dans une miniature illustrant la Psychomachia de Prudence [fîg. 10], dans un
manuscrit du xie s.89, la Luxure représentée en jeune femme aux vêtements amples et flottants
qui danse devant le groupe de ses admirateurs, accompagnée par deux musiciens. Dans une
autre miniature [fig. 12 a, b], dans un manuscrit de la fin du xie s., on peut voir deux vices
et deux vertus40 : sur une page la Luxure, femme richement vêtue, et qu'un démon couronne,
est en train de tourner son regard coupable vers l'homme — le malin qui lui serre le pied
constitue son piédestal sournois; proche est Chasteté qui, une palmette à la main, foule
aux pieds le malin; sur une autre page, Miséricorde, personnage très semblable à Chasteté,
se tourne avec pitié vers un jeune homme nu, et, en face, Avarice, sous l'apparence d'un
homme, verse des pièces de monnaie dans un bassin, tout en écrasant du pied un paysan
penché sur sa bêche ; assez proche est un autre homme aux vêtements trop courts ; peut-être
s'agit-il d'un autre pauvre qu'Avarice est en train de dépouiller.
Ce qu'il importe de relever ici, c'est, me semble-t-il, qu'on a choisi, pour symboliser l'Avarice,
un personnage masculin, ce qui exclut que les vices soient représentés par des femmes, en
raison du genre féminin du mot en question. Donner son bien aux pauvres, être chaste, voilà
les vertus principales dont les saintes, ou, d'une manière plus générale, les religieuses, peuvent
se vanter : ce sont donc des vertus féminines d'une façon, pour ainsi dire, professionnelle,
tout comme la Luxure est féminine en tant que provocation continue au péché, bien
entendu au péché de l'homme. Là où, au contraire, il y a libre initiative, même déformée
quant au but, dans le négoce, dans le gain, pour faire rapporter une propriété, là est l'homme.
Ce n'est pas seulement en allégorie que la femme obsède l'imagination monastique. Elle hante

33. Dom C. Jean-Nesmy, Vézelay, La Pierre-qui-Vire, 1970, flg. 31.


34. É. Mâle, op. cit., p. 374.
35. Guillaume Perraut, Summa de Vitiis, Paris, B.N., ms. lat. 3726, fol. 28 r°, cité par E. Fahal, Les jongleurs en
France au moyen âge, Paris, 1910, p. 27.
36. Parmi ceux qui damnabiles sunt nisi relinquerint officia sua se trouvent ceux qui habent instrumenta musica ad
delectandum homines. Ceux qui fréquentant publicas potationes et lascivas congregatiop.es et cantant ibi diversas cantilenas ut
moveant homines ad lasciviam et taies sunt damnabiles : on lit cela dans le pénitentiel de Thomas Cabham, probablement
du xme s., où les différentes espèces d'histrions sont décrites ; cité par E. Far al, op. cit., p. 67.
37. Voici la «juste» réponse qu'un disciple donne à son maître dans VEluciaarium d'Honorius d'Autun (1. II, 18,
P.L., CLXpCII, 1148), D. : Habent spem jaculatores? M. : Nullam. Tota namque intentione sunt ministri Satanae, de his
diciiur: « Deum non cognoverunt, ideo Deus sprevit eos eiDominus subsannabit eos » (Ps. II, 4).
38. Parmi ceux qui faciunt innumeras turpitudines, au premier chef on rencontre saltatores et saltatrices (texte cité
à la n. 36).
39. L. Grodecki, op. cit., flg. 250.
40. R. Latouche, Le film de Vhistoire médiévale en France, 843-1328, Paris, 1959, p. 75, ne donne pas la cote du
manuscrit et rassemble arbitrairement, comme si elles faisaient partie de la même page, deux miniatures contenues en
deux folios différents. Le manuscrit a été composé à Moissac à la fin du xie s., mais il remonte à un original du début
du siècle ; aujourd'hui il est conservé à Paris, B.N., ms. 2077 ; les deux miniatures se trouvent aux folios 173 r° et 170 r° :
cf. A. Katzenellenbogen, op. cit., p. 11 et 13. Les auteurs des miniatures ont eu présent à l'esprit surtout le texte du
premier livre du Pénitentiel d'Halitgarius de Cambrai (mort en 830 = P.L., CV, 651 et ss.) et, plus faiblement, celui de la
Psychomachie (Id., op. cit., p. 11).

182
l'iconographie de la femme au cours des xe-xne siècles

et trouble — irrésistible souvenir — la méditation des saints : d'où ces hallucinations qu'on
a fixées sur la pierre des églises afin d'exhorter les moines en évoquant à leurs yeux le danger
permanent. A Vézelay [fig. 13]41 et, auparavant, à Saint-Benoît-sur-Loire42, un des chapiteaux
montre la tentation de saint Benoît selon le récit de Grégoire le Grand48 : le malin lui remet
en mémoire une très belle femme ; ce souvenir le trouble au point qu'il s'en faut de peu qu'il
ne quitte la solitude de l'antre sacré de Subiaco. Ce n'est qu'en se jetant dans les épines qu'il
réussit à vaincre la tentation, per cutis vulnera eduxit a corpore vulnus mentis. Ici encore
le remède adopté suit le procédé allégorique, car il rend tangible et objective (les épines)
une sensation subjective et intérieure (le désir qui déchire le saint). D'autre part, c'est un
topos commun aux vies de saints que le diable tentateur soit déguisé en femme (dans le
chapiteau de Vézelay que je viens de mentionner, la femme et le démon sont identifiés par la
double inscription diabolus)**.
L'exégèse moralisante du moyen âge, qui fait de la Madeleine, en premier lieu, la pécheresse
convertie, modèle de pénitence et leçon de morale individuelle, ne s'écarte pas de
l'identification habituelle femme-luxure, même s'il y a ensuite, en ce cas, la réhabilitation par une vie
pénible45. La légende française qui, parce qu'elle veut justifier la présence en Provence des
reliques de la sainte, montre la Madeleine débarquant en Provence avec Lazare et sa sœur
Marthe, reproduit en partie la vie de Marie l'Égyptienne. On voit en effet Marie-Madeleine
passer le reste de son temps dans l'âpre retraite de la caverne de la Sainte-Baume où, une fois
par jour, des anges viennent la chercher pour lui faire entendre le concert céleste46 : un chapiteau
d'Autun [fig. 14], la cathédrale consacrée à son frère Lazare, illustre probablement ce moment47.
Le culte de la sainte, qui aura son apogée aux xie et xne s., culte d'une étendue et d'une
importance extraordinaires, fait se multiplier partout des sanctuaires et des reliques qui
attirent un très grand nombre de pèlerins. C'est de Vézelay que saint Bernard prêche la
croisade, comme si un peu de la terre qui avait vu Marie-Madeleine, témoin de la résurrection
du Christ, était restée attachée à la sainte48. Un Ordre religieux, celui des Pénitentes de
sainte Marie-Madeleine, fondé en 1225, ouvert aux femmes ayant mené une vie libre, contribua
à répandre ce culte davantage encore*9.
La vie de Marie l'Égyptienne, la courtisane qui expia sa vie antérieure, comme nous venons
de le dire, par la pénitence du désert et de la solitude, est illustrée sur un chapiteau du xne s.
qui figurait autrefois dans le cloître de Saint-É tienne à Toulouse. La sainte est montrée dans
sa métamorphose : la très belle dame qu'elle était — les longues tresses qu'elle dénoue dans
le Jourdain pour entreprendre» sa purification témoignent assez de la puissance de sa
séduction — devient, à l'heure de sa mort, une femme décharnée et velue50. Un chapiteau de Vézelay

41. Dom G. Jean-Nesmy, op. cit., fig. 19.


42. J. Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1964, fig. 78 et 156. Sur un chapiteau de la nef de l'église
abbatiale de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), sculpté entre 1067 et 1108, on a raconté in extenso tout l'épisode selon le
dire de Grégoire le Grand : l'arrivée du diable avec la femme et la fuite de saint Benott devant ce spectacle, nu dans les
orties.
43. AA.SS., mars, III, p. 278 et ss.
44. Pour une analyse plus détaillée de ce chapiteau, je renvoie à mon travail à paraître dans les Actes de la
XXIV* semaine d'étude de Spolète consacrée au mariage.
45. V. Saxer, op. cit., p. 328 et ss.
46. Id., op. cit., p. 130 et ss. ; É. Mâle, op. cit., p. 216.
47. D. Grivot et G. Zarnecki, op. cit., p. 150, pi. 5. Cette interprétation, c'est É. Mâle, op. cit., p. 216, qui l'a avancée,
pourtant avec prudence, et qui, après, l'a désavouée (« Gongr. archéol. de France, Avallon », 1907, p. 537). La critique
récente est revenue à la première hypothèse de Mâle : Autun demeure l'exemple le plus ancien de ce sujet, que la dédicace
de l'église justifie parfaitement ; ce thème connaîtra une longue fortune, notamment dans l'art de la contre-réforme :
cf. L. Réau, Iconographie de Part chrétien, iconographie des saints, art. Madeleine, Paris, 1958, p. 856-857.
48. V. Saxer, op. cit., p. 151.
49. Id., op. cit., p. 331.
50. É. Mâle, L'art religieux..., p. 239-242 et fig. 164-166.

183
CHIARA FRUGONI

narre l'histoire51 très populaire d'une autre sainte égyptienne [fig. 15], celle de sainte Eugénie,
qui vécut méconnue dans un couvent dont elle devint l'abbé, et qui, accusée d'avoir engrossé
une femme, se disculpe en découvrant son sein devant le juge, lequel n'est autre que son père.
Le chapiteau réunit les trois personnages, sainte Eugénie, tonsurée, faisant le geste de
montrer son sein, l'accusatrice qui saisit, hagarde et désespérée, ses propres cheveux, et le
père-juge étonné de l'aventure, au moment où il reconnaît sa propre fille sous les vêtements d'un
moine.
La femme, même sainte, garde donc en elle ce sceau d'Eve ; il y a plus : si on parcourt la
littérature hagiographique, c'est bien là le seul élément qui anime les biographies des saintes,
généralement d'une monotonie désespérante. Si l'on excepte les supplices des martyres,
interminables, mais sans cesse répétés, normalement la sainte est devenue telle en tant que
religieuse ou fondatrice de monastère, ou impératrice — - souvent passée à l'état de moniale
après la mort de son époux — , ou en tant que fille ou parente de saints, comme si c'eût été
une profession dont on hérite. Lorsqu'il y a un détail frappant et insolite, il est toujours lié
à la possibilité de pécher. C'est l'épreuve du feu que doivent subir, soupçonnées d'adultère,
Richarde d'Andlau, femme de Charles le Gros52, et Cunégonde, femme de Henri II58, qui les
contraint, après cette expérience, à consumer leur vie à l'ombre sanctifiante d'un monastère.
Ou bien c'est la possession diabolique, surtout de la fille du roi ou de l'empereur, qui fait
resplendir les vertus d'un saint. La présence d'une possédée dans la carrière d'un saint
exorciste54 est un topos qui s'explique, je crois, par la corrélation femme-diable, laquelle était si
habituelle qu'elle amenait le spectateur à considérer comme parfaitement naturel le fait
que la femme devienne l'habitacle préféré du démon. Du côté des femmes, la longue théorie
des possédées pourrait être déchiffrée aussi comme un symptôme de leur aliénation et de leur
insatisfaction quant au rôle que la société leur a assigné. Le moment de la possession diabolique
marque la possibilité magique d'une allégeance qui n'a pas de suites; d'une part, chaque
geste est attribué au démon, et, d'autre part, finalement vient l'exorcisme réparateur : la
femme devient d'une certaine manière importante, protagoniste d'un événement exceptionnel ;
ainsi est effacée pour un temps la méconnaissance de toute une vie. La fille du roi elle-même
n'est pas soustraite au joug du malin, afin qu'on puisse mieux se rappeler l'histoire et réfléchir
à ceci, que la possession diabolique guette véritablement tout être humain puisqu'elle ne
respecte même pas les princesses.
Sur un panneau de la porte de bronze de Saint-Zénon à Vérone (fin du xie s.) [fig. 16], on peut
voir le saint qui, aidé par un clerc, délivre du démon la fille de l'empereur Galien : on voit
ce démon sortir de sa bouche dans une attitude inconvenante, pudiquement voilée par une
longue queue55. A Modène, sur l'architrave de la porte des Princes de la cathédrale, c'est
saint Géminien qui délivre la fille de l'empereur Giovinien56 : le pivot de toute l'histoire est
ici la délivrance de la jeune aubergiste; on voit en effet le saint entreprendre son voyage
d'abord à cheval, puis par mer, et finalement arriver en présence de la famille impériale,

51. Dom C. Jean-Nesmy, op. cit., fig. 42 : É. Mâle, op. cit., p. 242. Histoire racontée par Honorius d'Autun, Spéculum
Ecclesiae, P.L., CLXXII, 820.
52. L. Réau, op. cit., art. Richarde d'Andlau, p. 1150-1151.
53. Id., op. cit., art. Cunégonde, p. 354-356.
54. Cette opinion pourra être confirmée même par la simple lecture des trois volumes de L. Réau, tous consacrés à
l'iconographie des saints. C'est pourquoi je m'abstiendrai de dresser une liste d'exemples inutile.
55. J. Le Goff, op. cit., fig. 79 et p. 232 ; L. Réau, op. cit., art. Zenon, p. 1360-1361.
56. R. Salvini, II duomo di Modena e il romanico nel modenese, Modène, 1966, fig. 111-112 ; cf. aussi Y. Labande-
Mailfert, L'iconographie des laïcs dans la société religieuse aux XIe et XIIe siècles, dans / laid..., p. 488-522, surtout
p. 509. Cette dernière souligne à juste titre l'active présence « féminine » dans les différentes scènes : la femme de l'empereur,
en posant sa main sur la bourse de son époux suspendue à la ceinture, exprime clairement son rôle de co-donateur.

184
l'iconographie de la femme au cours des xe-xne siècles

laquelle toute entière prend part à l'expulsion du démon et remercie ensuite le saint, en chœur,
avec gratitude, en lui faisant cadeau d'un manuscrit et d'un calice ; saint Géminien retourne
enfin en son pays et l'on assiste à sa pieuse mort.
Rarement, la femme brise la chaîne qui la relie au diable comme sa partenaire : c'est
lorsqu'elle même, religieuse et sainte, exorcise les possédés. C'est le cas d'Opportune de Sens,
abbesse du ixe s., dont les reliques ont un pouvoir exorcisant67, ou de Dympne de Gheel
(vne s.) qui transforme le désir incestueux et meurtrier de son père, excité et poussé au crime
par deux démons, grâce au pouvoir exorcisant de ses reliques68.
Mais quand une femme réunit en elle les mérites d'ex-reine, de moniale, de fondatrice d'un
monastère et de sainte recluse, c'est elle-même qui, de son vivant encore et sans que la faveur
divine l'ait publiquement confirmée, exorcise une possédée : ainsi apparaît Radegonde dans
trois miniatures d'un manuscrit du xie s. qui commentent sa biographie, rédigée par son ami,
le poète Fortunat69.
Dans une autre miniature — du même manuscrit — on voit Radegonde en « majesté » montrer
la règle de saint Césaire d'Arles, règle qu'elle impose à son monastère [fig. 17] ; Radegonde
apparaît assise sur un trône, une riche estrade incrustée de pierres précieuses la soutient,
sous l'arc de son monastère, autour duquel sont enroulés deux rideaux : seule et grande,
très grande, à l'instar d'une Vierge en trône ; sur son genou levé la Règle remplace l'Enfant60.
La femme n'acquiert donc une physionomie propre et ne peut prétendre à être représentée
pour elle-même que si elle refuse le mariage et se voue à l'époux céleste, ou si elle est veuve, ou,
en tout cas, seule. Autrement, elle est un pur symbole, soit illustrant un péché ou sa
contrepartie bienfaisante, soit personnifiant un concept ou une institution : l'Église, la Synagogue61,
les Arts libéraux, les Vertus62; dans ce cas on ne choisit pas la femme parce que son image
enrichit le concept à illustrer, mais tout simplement par l'inertie qu'exerce le genre « féminin
singulier » de ces abstractions ; mais si une réalité vigoureuse donne corps à l'abstraction,
alors là: connexion traditionnelle s'arrête : Avarice — comme nous l'avons vu — est un homme.
A mesure que la situation sociale change — changement dû à des facteurs multiformes et
complexes, tels que la formation d'une classe « bourgeoise » urbaine et marchande, où la
femme devient elle aussi un pilier actif de la prospérité familiale, l'essor du commerce et des
échanges et, par là, des rapports humains pour les deux sexes, la possibilité qu'a la femme,
à l'époque féodale, d'apporter en dot de vastes contrées, et donc un pouvoir — , changent
aussi, peu à peu, l'idée qu'on se fait de la femme et la façon dont on la représente : des symtômes
en sont la dévotion à la Vierge, pourtant nouvelle Eve, qui explose au xne s., et à la Madeleine,
la pécheresse repentie, ou encore la naissance de l'amour courtois qui donne enfin une âme
à la femme, mais c'est la femme d'autrui68.
Puisque, au moyen âge, l'organisation familiale est là pour exalter les liens de la solidarité
et du groupe, et pour étouffer et submerger l'individu, la femme ne se présente dans une image

57. L. Réau, op. cit., art. Opportune, p. 1010-1011.


58. Id., op. cit., art. Dympne, p. 407.
59. E. Ginot, Le manuscrit de sainte Radegonde de Poitiers, « Bull. Soc. de reprod. des manuscrits », Paris, 1914, p. 9-69.
Le ms., qui est à Poitiers, B.M. 250, a été rédigé au milieu du xie s. (Id., art. cit., p. 32). Les trois miniatures montrent
au fol. 34 v° la délivrance de la possédée Fraifreda, au fol. 35 celle de Leubila, au fol. 37 celle de la femme d'un charpentier.
Après le fol. 35, aujourd'hui manquant mais qu'un dessin nous a transmis, une autre miniature illustrait encore la
délivrance d'une possédée ; cf. Id., art. cit., pi. IX, X, XIV, et fig. 49.
60. J. Le Goff, op. cit., p. 44 et fig. 14.
61. B. Blumenkranz, Le juif médiéval au miroir de Vart chrétien, Paris, 1966, p. 57 et ss.
62. A* Katzenellenbogen, op. cit., passim.
63. J. Le Gofp, op. cit., p. 349-357 ; N. Huyghebaert, art. cit., p. 346-347 et 386-389.

185
CHIÂRA FRUGONI

publique que là où elle peut briser la chaîne de sa sujétion matérielle et morale, dans le seul
lieu où la personnalité et non le sexe ordonne sa position : dans le cloître. Ainsi une miniature
du début du xie s. [fig. 18] montre-t-elle deux femmes seulement qui dominent la scène :
au milieu, où Ton s'attendrait à voir le Christ ou un saint, on reconnaît sainte Walburge,
la fondatrice du monastère, à laquelle l'abbesse Hilda dédie un manuscrit64 ; il n'y a pas ici
que les protagonistes qui soient insolites, le don l'est aussi, ce manuscrit qui est par excellence
l'attribut de l'homme.
Autre exemple : sur une dalle tombale du début du xie s., on voit représentée la religieuse
sainte Reinhildis, dont l'attitude calque le schéma de la Vierge assistant à l'Ascension du
Christ, à cette différence près qu'au lieu de celui-ci on voit l'âme de la sainte sous la forme
d'un tout petit enfant rigide qu'un ange ramène au ciel65.
Ce n'est pas par hasard non plus qu'au haut moyen âge les femmes douées d'une personnalité
saillante sont des moniales ou des femmes seules; après Radegonde, l'amie du poète Venance
Fortunat, qu'elle a inspiré et à qui elle a commandé des œuvres, on peut évoquer, dans la
première moitié du xe s., Roswita, qui avait lu Térence66, chroniqueur et historienne de
son temps, et puis encore Herrade de Landsberg, à qui est dû YHortus deliciarum, somme
littéraire et figurative du savoir du moyen âge67. Parmi les femmes qui sont redevenues seules
se distingue Mathilde de Canossa ; une miniature du manuscrit original de la Vita Matildis
rédigée par Donizone au début du xne s. représente l'épisode qui l'a rendue célèbre : sa
médiation entre Henri IV et Grégoire VII68. Dans cette miniature, on voit l'empereur, petit et à
genoux, auprès de l'abbé de Cluny qui est en position dominante sur son faldistoire : tous
les deux sont tournés vers la comtesse, laquelle, enveloppée dans de très riches vêtements,
est assise sur un escabeau et sous un arc à colonnes. Par rapport à l'abbé, Mathilde reflète
son infériorité de femme dans la petitesse de sa taille, qui la fait sembler presque égarée
sur ce haut siège. Mais la petitesse de Mathilde est rachetée par l'encadrement architectural
qui lui est réservé et qui l'isole dans une position d'estime et d'honneur.
Cette situation de compromis a été tout à fait dépassée dans une miniature d'un livre
d'Évangiles du milieu du xie s.69 ayant appartenu à la comtesse Judith de Flandre [fig. 19]. La
donatrice — ce qui a déjà son importance — est allée efficacement remplacer la Madeleine au
pied de la Croix : Marie n'est plus ici seulement la douleur maternelle qui assiste impuissante
au supplice d'un fils; ses mains ne sont plus crispées dans le geste vide du désespoir : l'une
tient un livre, l'autre un pan du manteau levé pour recueillir le sang du Christ. Mais n'est-elle
pas ici Marie-Église, qui reprend le geste de YEcclesia carolingienne dans le dessin d'un
manuscrit de la région de la Meuse actuellement à la Bibliothèque nationale à Paris?
La promotion sociale s'étend nécessairement au monde profane : les premières qui en
bénéficient sont les reines parce que leur profession les met en état de remplir un rôle actif à l'intérieur

64. L. Orodecki, op. cit., fig. 87, p. 97.


65. E. Panofsky, Tomb Sculpture, Its Changing Aspects from Ancient Egypt to Bernini, Londres, 1964, p. 59 et fig. 237.
66. D. Heinze est enclin à rabaisser l'importance de Térence comme modèle des comédies de Roswita ; cf. Die Praefatio
zu den tDramen » Hrotsvits von Gandersheim — ein Program? [thèse de doctorat soutenue à l'Univ. de Bonn], Karlsruhe,
1973, spécialement p. 75 et ss. Je dois l'indication et la mise au point à l'amabilité de M. G. Meissburger et de Mlle T. Ehlert,
qu'ici je remercie.
67. Une attentive analyse iconographique en relation avec le texte est celle de G. Cames, Allégories et symboles dans
VHorlus deliciarum, Leyde, 1971.
68. Y. Labande-Mailfert, Pauvreté et paix dans l'iconographie romane (XI*-XII* siècle) dans Études sur Vhistoire de
la pauvreté sous la direction de M. Mollat, Paris, 1973, p. 319-342, p. 337-338, fig. 17.
69. L. Grodecki, op. cit., fig. 254, p. 252; J. Hubert, J. Porcher et W. F. Volbach, Uimpero carolingio, Milan,
1968, flg. 144. Je remercie Y. Labande-Mailfert pour le rapprochement des images citées dans ce paragraphe.

186
l'iconographie de la femme au cours des xe-xne siècles

de la famille et du royaume70. Je n'en évoquerai qu'un seul exemple : le tombeau d'Aliénor


d'Aquitaine (f 1204), protectrice d'artistes et de lettrés, dans l'abbaye de Fontevraud [fig.20],
près du tombeau similaire de Henri II, non point en qualité de fondatrice, mais pour y avoir
terminé ses jours, longtemps après la mort de son époux. L'identité des deux lits funèbres
voulait sans doute suggérer une union qui demeure après la mort, dans un des premiers
exemples de ce genre (début du xme s.)71.
Si la libre union de Berthe et de Milon, dans l'église de Fidenza [fig. 21], union d'où naîtra
le grand Roland72, est encore exprimée avec une crudité et une simplicité sous lesquelles
perce l'incapacité de rendre sa dignité à l'amour charnel7.3 en dehors de l'institution de la
famille — car l'amour qui appartient au monde fantastique et irréel des romans et des
aventures n'a pas encore trouvé un langage adéquat, même si son but est la naissance d'un héros — ,
c'est dans la dimension plus simple et immédiate de la réalité quotidienne que le sentiment
unissant un homme et une femme réussit à se frayer une voie paisible pour se montrer. C'est
ainsi que l'aventure d'une croisade, expérience religieuse et militaire toute individuelle,
peut se faire aventure familiale, comme nous le montre la représentation sculptée d'un couple
[fig. 22] étroitement uni dans une étreinte mutuelle, exprimant la force d'un attachement
qui se découvre enfin continu et réciproque, et qui voit la femme, elle aussi, protagoniste74.

DISCUSSION

Mme Mûrisse : Vous semblez avoir fait une description trop pessimiste des rapports entre les hommes
et les femmes ; ainsi la reine Marguerite d'Ecosse a convoqué plusieurs synodes de l'Église catholique.
Entre autres choses, elle a pu persuader les prêtres celtiques d'adopter les rites de l'Église romaine,
grâce à sa connaissance supérieure de l'Évangile. Ce succès lui valut d'être canonisée en 1249.
L'iconographie, d'autre part, nous représente plus de femmes saintes que vous ne le dites.
MmeFRUG0Ni : C'est sur l'image publique du couple que j'ai voulu insister, car un programme
iconographique répond à l'attente d'une mentalité collective et reflète celle-ci, même si, çà et là, on découvre
des exceptions.

70. Pour une illustration détaillée au moyen d'exemples, je renvoie à mon article sur le mariage, déjà cité (voir la
n. 44).
71. E. Panofski, op. cit., p. 57, fig. 221. Henri II mourut en 1189 et Aliénor en 1204. On a dû sculpter les deux
tombeaux aussitôt après cette date. Leur disposition actuelle n'est plus la disposition primitive ; quoi qu'il en soit de leur
premier emplacement, vraisemblablement rapproché, les deux lits funèbres, identiques dans leur forme et quant au drapé
du linceul, semblent bien avoir été ainsi exécutés pour suggérer un lien étroit. Cette idée a été reprise dans le sarcophage
conjugal, à base unique cette fois, du duc Henri le Lion et de la duchesse Mathilde dans la cathédrale de Brunswick (Id.,
op. cit., fig. 222 et p. 57), qu'on peut dater d'environ 1240 et intimement dépendant de Fontevraud ; cf. aussi L. Schreiner,
Die Frûhgotische Plastik Sildwestfrankreichs, Cologne/Graz, 1963, p. 66-67 et fig. 56, 58, 60.
72. R. Lejeune et J. Stiennon, La légende de Roland, Bruxelles, I, 1966, p. 153-159, ont interprété le bas-relief en
se rattachant à une hypothèse d'É. Mâle, op. cit., p. 273.
73. Milon introduit sa main dans la « gonne » de Berthe. Ce geste si transparent dans sa signification d'union charnelle
a son exact pendant textuel dans le poème moyen haut allemand Parzival de Wolfram von Eschenbach (éd. K. Lachmann,
Berlin/Leipzig, 1926, 1. VIII, v. 407, 2-10) ; voici comment Gawan conquiert Antikonies (je cite la traduction en prose
par W. Stapel, Munich, s.d., p. 208) : « Er schob den Arm unter ihren Mantel. Mir scheint er berûhrte dabei ihre Hiifte.
Das erhôhte sein Verlangen. Beide, das Mâdchen und der Mann, wurden von der Liebe in solche Not getrieben, dass da
fast ein Ding geschah — sie hatten beide Lust dazu,wâren nicht bôse Augen darûber gekommen. » Je dois cette indication
à la bonté de M. Meissburger, que je suis heureuse de remercier encore.
74. Il est fort probable qu'il s'agit ici du comte Hugues Ier de Vaudémont (parti pour la croisade en 1147 et revenu
après nombre d'années en pauvre pèlerin) et de sa femme. Hugues mourut peu après son retour entre 1161 et 1163. Ce
groupe funéraire semble représenter le moment si attendu de la rencontre : la croix portée par Hugues sur sa poitrine
constitue la preuve de son pèlerinage à Jérusalem ; cf. Y. Labande-Mailfert, Pauvreté et paix..., p. 328 et fig. 7.

187
CHIARA FRUGONI

M. Payen : Le problème est de savoir qui dispose des images. Dans un premier temps, c'est l'Église qui
en est maîtresse et cléricalise les images féminines d'origine profane : la reine Guenièvre, par exemple,
devient à Modène un exemplum de l'amour conjugal. Mais est venu un moment où l'Église a perdu son
pouvoir absolu sur les images, ce qui a permis à la culture chevaleresque et profane d'accéder à sa propre
iconographie, dont les Très riches heures du duc de Berry sont un témoignage.
Mme Dembinska : L'iconographie des xe-xne s. présente une image de la femme conforme à la volonté
de l'Église. Il est nécessaire, pour avoir une idée juste de la conception qu'on se faisait de la femme à cette
époque, de confronter les sources dans leur totalité.
M. Sicard : S'il est vrai que, dans cette iconographie contrôlée par les ecclésiastiques, la luxure est
toujours associée à la femme, les autres vices sont généralement représentés par des personnages
masculins et les vertus par des personnages féminins. Existe-il, d'autre part, des statues funéraires
représentant le mari seul, avant l'époque où c'est le couple qui est représenté?
Mme Frugoni : Au moyen âge, la tradition antique des sarcophages sculptés s'étant perdue, on utilise
des dalles funéraires. Les premiers sarcophages sculptés et placés côte à côte réapparaissent à
Fontevraud.
Mme Lejeune : II faut bien remarquer, cependant, que les sarcophages d'Henri II Plantegenêt et
d'Aliénor d'Aquitaine n'ont été disposés côte à côte que depuis peu de temps, au mépris des réalités
historiques.
M. Heitz : L'évolution d'un thème iconographique précis, celui de la sirène, illustre bien l'évolution
de l'image publique de la femme. Hybride à l'origine — il y a la sirène et le sirène, souvent aérien —
le thème se féminise au fur et à mesure que progresse le xne siècle, pour aboutir à la sirène-ondine,
la sirène séductrice et fatale représentée sur l'un des chapiteaux de l'église de Givaux (côté nord).
Toutefois, dans la même église (côté ouest), on peut voir un homme et une femme, laïcs, se donner la
main ; l'œuvre doit dater des années 1130 à 1140, et je ne connais pas d'exemple de couple antérieur
à celui-ci.
Mme Lejeune : Dans l'ensemble, vous avez quelque peu forcé le pessimisme de l'Église à l'égard de
la femme. Ainsi la porte d'Hildesheim montre effectivement une représentation traditionnelle de la
femme-luxure, mais la même porte offre aussi l'image de la femme qui connaît un début de rédemption
parce qu'elle allaite le Fils.
De même, un bas-relief de l'église Saint-Laurent de Liège, influencé par les écrits de Rupert de Deutz,
montre avec majesté la Vierge allaitant (lre moitié du xne s.). Selon le théologien, les seins de la Vierge
doivent être interprétés comme les mamelles où s'allaite l'humanité.
Quant à la légende de Berthe et Milon, représentée à Santo Donnino de Faenza, elle prouve que nous ne
sommes plus dans le registre de la femme fatale, puisque l'enfant, bien que né d'une union adultère,
fera preuve de grandes qualités, comme nous le montre le reste de la frise.
Mme Labande-Mailfert : Les images positives de la femme sont assez nombreuses. On peut citer,
outre Mathilde de Ganossa, œuvrant pour la réconciliation, Gisèle de Souabe qui, dans un ms. allemand
(Brème, Bibl. d'État, cod. Hs b21 [1039/43]), est présentée par l'inscription comme une pacificatrice
et pose ses mains sur celles de deux personnages (deux abbés), entre lesquels elle est placée.
Mme Frugoni : En ce qui concerne Hildesheim, on voit bien l'antithèse entre Eve et Marie ; mais le
rôle actif a été attribué à Eve, la femme qui pèche, tandis que le rôle passif l'a été à Marie : la femme
bonne apparaît donc ici comme l'instrument involontaire de la volonté divine.

188

S-ar putea să vă placă și