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P I A I !

CRIS PROPHETIQUES DES CORBEAUX D'APOLLON

LECTURES MURCIENNES
# 012 / 16 - 02 – 2018
CAVAFY ( 1 )

LA PENSEE POLITIQUE
DE CONSTANTIN CAVAFY
MARINA RISVA
150 p. LES BELLES LETTRES. 1981.

Idéal pour un néophyte qui se pencherait pour la première fois sur l’œuvre de
Cavafy et chercherait à se mettre au fait des événements politiques qui jalonnèrent
l’histoire de la Grèce et de l’Egypte entre 1880 et 1933. L’amateur averti n’y trouvera
pas grand-chose à se mettre sous la dent.
Les démocratolâtres de service de notre modernité seront déçus par la lucidité
pessimiste de Cavafy. Le citoyen Cavafy ne s’est jamais illusionné sur les bienfaits de la
citoyenneté. Elle était pour lui davantage une allégeance, pour ne pas dire une
soumission, au cratos qu’un épanouissement de l’individu magnifié par le démos ou le
tyran de service… La responsabilité politique personnelle n’était guère un mythe
collectif partagé par Cavafy. Face aux exigences et aux outrances des puissants, toute
l’existence et toute l’œuvre de Cavafy préconisent la méfiance et le retrait. Pot de terre
contre pot de fer. L’individu a tout intérêt à s’écarter du pouvoir. Pour vivre heureux,
soyons discrets.
A la réflexion cela peut surprendre : la poésie de Cavafy de par ses thèmes et
ses sujets n’est-elle pas éminemment politique ? Si, mais à y regarder de près, ses
personnages qui revendiquent haut et fort une identité culturelle grecque à
implications obligatoirement politiques, ne sont guère tendres avec les politiciens dont
ils dépendent. La critique est souvent acerbe, le jugement sans nuance, et la
condamnation lapidaire.
Chacun se débrouille comme il peut, louvoyant entre sa dignité et les aléas
temporels. Certains sont plus fiers que d’autres, qui se renient trop vite. Quant à nos
roitelets hellénistiques, ils ne font guère mieux que leur sujets, à composer avec les
Romains…
La poésie de Cavafy regarde plus vers le haut que vers le bas. Les voluptés
érotiques ne sortent pas de la sphère privée. Le petit peuple homosexuel vit ses plaisirs
à la va vit, tout en se foutant de la res publica, à laquelle leur modicité sociale enlève
tout droit de participation. Plus loin les souverains et les héros, les empereurs et les
gouverneurs agissent et naviguent au plus près de leurs contingences diplomatiques…
Leurs figures si nombreuses restent emblématiques des attitudes de rébellion ou de
résignation qui meuvent nos marionnettes humaines.
Nous devons apporter un correctif à notre première assertion. La poésie de
Cavafy n’est point politique, elle est métapolitique. Il est impossible de comprendre
l’œuvre de Cavafy et le sens stoïque de ce découragement désabusé qui presque
toujours forme le fond affectif de chaque poème. Si Cavafy s’en revient sans cesse du
côté de l’hellénisme fourvoyé du premier siècle avant JC, c’est que la Grèce moderne
connaît un sort similaire.
Cavafy est ainsi. Les manœuvres et atermoiements britanniques, la naissance
du nationalisme égyptien, la montée de l’expansionnisme turc, la poésie de Cavafy n’en
pipe mot. Esthétisme symboliste qui refuse de pleurer en son mouchoir ? Crispation
d’un orgueil national blessé qui tait les désastres annoncés et survenus pour cacher et
amoindrir les défaites irrémédiables ? Cavafy serait-il comme la Cléopâtre de son
poème qui au retour d’Actium donna une fête pour occulter auprès de son peuple la
victoire romaine ?
La poésie de Cavafy est une machine de guerre contre ce racornissement
programmé de la Grèce par les puissances européennes. Comme si elles regrettaient
encore d’avoir au siècle précédent soutenu du bout des doigts, forcées par leur opinion
publique, l’indépendance de la nation hellène. Dans cette même continuité notons
qu’aujourd’hui la Communauté Européenne met plus d’ardeur à accueillir en son sein
la Turquie qu’à s’empresser à distribuer d’équitables ( et paysanocides ) aides et
subventions agricoles à la Grèce !
Mais au lieu d’employer les mots de l’actualité du malheur de la Grèce, Cavafy
préféra user des termes ancestraux de l’identique catastrophe. Ceci, non pas pour se
voiler la face, mais pour attester de la pérennité séculaire de la Grècité, pour rappeler
à ses compatriotes que la Grèce avait connu un semblable engloutissement, et qu’elle
avait survécu.
Le phénix renaît de ses cendres. Cavafy a refusé de parler depuis son état de
timbre poste en peau de chagrin, sa poésie rappelle que la patrie de la Grèce est celle
de cette immense culture qui façonna le monde. Les jours anciens de Cavafy remontent
à l’origine de la civilisation européenne. Si Cavafy détestait tant que ses concitoyens
s’intéressassent à la poésie de Costis Palamas, le chantre de la poésie nationalisante
grecque, ce n’est pas, comme nombre de ses commentateurs se sont complus à le
répéter, par un reste de jalousie littéraire mais bien par une profonde intuition
métapoélitique. Le nationalisme grec est une doctrine dangereuse, une crispation
imbécile, un raidissement d’arrière garde, une stagnation régressive de l’eidos
grecque.
Les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Le désespoir de Cavafy ne
provient pas d’une lassitude intime, même si souvent il aime à répéter qu’il est un vieil
homme sur la piste des souvenirs. Le destin de la Grèce et donc de notre humanité, et
sa face amère le déclin de la Grèce entrevu en tant que l’étalon de la montée de la
barbarie, de la montée du nihilisme que Nietzsche qualifia de métaphysique
européenne, est le grand chant de la poésie de Constantin Cavafy.

LE PROBLEME RELIGIEUX
DANS L’ŒUVRE DE CAVAFY.
LES ANNEES DE FORMATION. ( 1892 – 1905 )
DIANA HAAS.
573 p. Collection de l’Université Neo-Hellénique.
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne. 1996.
Avertissement sans frais aux lecteurs de bonne volonté : la connaissance du grec,
de l’anglais et de l’allemand leur facilitera la lecture de ce gros pavé universitaire ! Les
commentaires de Diana Haas sur de nombreux poèmes de Cavafy n’apportent guère
de révélations fulgurantes. Pour la plupart ce ne sont qu’insipides paraphrases, mais
tout compte fait, ces scolaires redites sont sans doute préférables à ces abstruses
explications psychanalytiques ou à ces absconses analyses textuelles fort à la mode
chez nos chercheurs de troisième cycle. Quand serons-nous débarrassés de ces
mandarinades positivistes obligées, qui assèchent et formatent toute lecture littéraire
de soi-disant haut niveau dans nos UER de lettres ! Dieux merci, l’étude de Diana Haas
fourmille de poèmes, d’articles et de marginalia inédits qui feront le régal de tous les
admirateurs du poëte.
La poésie de Cavafy est avant tout l’histoire d’un itinéraire spirituel qui
pourrait se problématiser sous la forme d’une question insidieuse : pour quelles
raisons Cavafy emploie-t-il un ton si goguenard lorsqu’il évoque l’impérieuse figure de
Julien alors que le message idéologique, culturel et poétique des Poèmes s’interprète si
bien comme une glorification nostalgique des temps antiques, entrevus non comme le
paradis perdu d’un âge d’or révolu à tout jamais, mais comme le cœur ardent d’une
présence tutélaire ?
Toute maladroite qu’elle soit l’étude de Diana Haas aide à apporter une réponse
à cette interrogation qu’elle ne pose surtout pas en ses termes. Cavafy, écrit, agit, et
pense le monde en grec. En grec, et non en Romain. De Grèce Homérique, de Grèce
Classique, de Grèce Hellénique, de Grèce byzantine, de Grèce contemporaine même,
mais jamais d’Imperium romanum. Certes la Grèce de Cavafy n’échappe pas à Rome,
mais il est à craindre que dans l’esprit du poëte l’on ait attendu les Romains avec
autant de nécessité découragée que cinq siècles plus tard l’on ne se préparât à recevoir
les barbares.
Très explicitement Cavafy lui-même critiqua et dédaigna la plupart de ses
poèmes de jeunesse que Diana Haas entreprend de radiographier. Surtout ceux qui
s’attachaient à l’évocation de Byzance. Trop de byzanticisme, selon le maître. Le mot
peut paraître trop obscur : sa traduction gomme toutes les ambiguïtés : trop pro-
chrétien.
De la Grèce moderne à la Grèce antique nous sautons avec facilité et allégresse.
Cette dernière est si ancrée au fondement de notre culture que le passage se fait
automatiquement. Il semble qu’il en fut autrement à la charnière des deux siècles
précédents. A la fin du dix-neuvième, la Grèce, même si elle reste un vieux pays, est
une idée neuve. Sa longue domination, sous le joug ottoman, l’a laissée tout étonnée de
sa liberté. Il n’y avait pas si longtemps de cela que l’on venait de toute l’Europe mourir
à Missolonghi. La Grèce dépliait ses ailes. L’occupation musulmane avait intensifié la
foi chrétienne de son peuple. A peine libre la Grèce se remémore son ancienne
puissance et rêve de revanche. La Grande Idée travaille les Elites : reconquérir
Constantinople comme l’on avait délivré Jérusalem au temps des croisades.
Paradoxalement la colonisation du Moyen-Orient par les Anglais favorisa dans les
milieux de la diaspora grecque un renouveau du sentiment pan-hellénique.
Né à Alexandrie, d’une ancienne et aristocratique famille de Constantinople,
Cavafy n’échappa pas à l’effervescence générale des esprits. La catastrophe de Smyrne
mettra fin en 1922 à cette envolée romantique de l’âme grecque. Dans les années 1890
nous sommes encore loin de l’épilogue peu glorieux de cette renaissance avortée dans
l’indifférence générale. Le poëte Cavafy, lui s’essaie tout juste à écrire. Dans sa
musette idéologique il trouve l’air du temps et les idées de son milieu familial.
Défense et Illustration de la grande Grèce christo-byzantine. Très vite il adopte les
méthodes apologistiques des écrivains de l’Eglise et par la force des choses, poussé par
un goût prononcé pour l’Histoire et la curiosité originelle de l’esprit poétique, il en
arrive au moment décisif où bifurquent les chemins de l’Eglise papale de Rome et de
celle qui plus tard se dénommera Orthodoxe de Constantinople. Rome contre
Constantinople, l’Empire d’Orient se sépare de l’Empire d’Occident. Le phénomène
est lent mais irréversible. Comme par un fait exprès symbolique Julien sera le dernier
des Empereurs à retenir entre ses mains les deux lambeaux déchirés de l’Imperium…
Ces années de tourmente qui marquent la protohistoire de l’Empire Byzantin sont
aussi celles de la dernière coalition des chrétiens de tous bords contre le paganisme.
La logique voudrait que Cavafy épousât les haines de son camp : mais un poëte
grec peut-il être anti-païen ? Ne serait-ce point-là une trahison, un suicide ontologique
pour un rejeton des Muses ? Comment un grec oserait-il se proclamer poëte et feindre
d’ignorer la présence originelle et fondatrice d’Homère ou d’Archiloque ? Cavafy ne
surmontera jamais totalement cette contradiction. Dans un premier temps il tentera de
trouver un point de jonction entre paganisme et christianisme qui lui permît
d’échapper à cette tension insupportable. Les néo-platoniciens seront sa bouée de
sauvetage. N’existe-t-il pas de nombreux points de contact entre la spiritualité
gnostique d’un Plotin et un certain ésotérisme chrétien ? Grâce à ce dernier rameau
d’or de la pensée philosophique païenne il est possible d’affirmer que la multiplicité du
paganisme se résout en l’unicité monothéique d’un principe premier. Encore
aujourd’hui il est courant d’entendre nombre de théologiens ou de laïques user et
abuser de tels arguments à seule fin d’expliquer l’hégélienne inéluctabilité logique du
triomphe du christianisme.
Il reste juste un hic. Un hic Hellène. Et de taille. Julien ! Pourquoi cet
admirateur inconditionnel du Soleil-Roi, ce dernier représentant de la vision
plotinicienne de la divinité, s’est-il mis en tête d’éradiquer le christianisme et de
relever les anciens Dieux ? Pourquoi cet homme, qui plus que tout autre païen de son
temps était à même de comprendre le principe d’unicité du divin s’est-il totalement
opposé à toute fusion conceptuelle avec le christianisme monothéique ?
C’est que pour être grec, Julien n’en était pas moins romain. Entre l’Hellénisme
et Rome, Julien n’a jamais hésité. Cavafy est un parfait représentant du ressentiment
que les Grecs éprouvèrent envers les romains. Un subtil dosage mortifère, de
nationalisme, d’impuissance, et de jalousie rentrée. . . Il est inutile de se demander
pour quelles raisons la Grèce, héritière de la plus somptueuse pensée que l’humanité
sut élaborer, fut très vite un des principaux centre d’ancrage et de diffusion du
christianisme. D’instinct les grecs comprirent que le christianisme était la seule arme à
portée de leurs mains qui serait capable d’anéantir l’Imperium.
Au moment de sa mort, en 1933, Cavafy travaillait sur son dernier poème, qui
clôt son unique recueil posthume. Pour qui connaît quelque peu la biographie de
Julien, son titre Dans les faubourgs d’Antioche est déjà tout un poème. Je sais bien que
depuis quelques mois quelques aficionados échevelés de Julien s’emploient, en pure
perte, à expliquer que l’animosité de Cavafy envers l’Imperator est une feinte pour
mieux tromper l’ennemi, qu’il existe une ironie du second degré. . . nous n’en croyons
rien. Cavafy était trop intelligent pour ne pas comprendre que l’exemplaire Julien était
un reproche vivant aux grecs contemporains. Cavafy est certainement l’un des plus
grands poëtes du vingtième siècle. C’est déjà beaucoup. Mais pour un penseur de
l’Histoire aussi aigu que Cavafy, cela était insuffisant. Cavafy n’était que poëte. Parfois
la poésie est l’autre nom, le refuge, de l’impuissance politique.
Cavafy a souvent passé ses nerfs sur Julien. Notre Alexandrin lui en a, dès sa
prime jeunesse intellectuelle, voulu d’être ce qu’il était devenu : un médiocre
bureaucrate de troisième zone, condamné à survivre misérablement à la grandeur de
ses propres rêves, intérieurs et inavouables, d’une renaissance impossible. Dans un
siècle définitivement trop petit, et dans une Grèce, quelques années plus tard
définitivement exiguë, Cavafy a follement aimé le souvenir de ces époques nues, là-bas,
sous les portiques, comme le chanta Baudelaire. Il savait que jamais son cœur
n’entendrait le chant des légions en marche. Julien, le dernier capitaine à avoir osé,
était définitivement exaspérant.

Quelques idées pour toute fortune, ainsi couramment définit-on la jeunesse.


Mais une tête bien pleine n’exclut pas le désaccord du corps. Cavafy ne dérogea pas à
la règle commune. L’encens orthodoxique de principe et de tradition qu’il affecta, ne
résista pas à l’érostique oxydation du désir. Les relents anglicans de sa culture anglo-
saxonne malgré tous ses présupposés puritains qu’elle trimballe sous des oripeaux les
plus divers qu’il soit possible d’imaginer ne lui furent d’aucun secours. Peut-être
même précipitèrent-ils la prise de conscience de Cavafy. L’homosexualité refoulée d’un
Lawrence d’Arabie, cet exact contemporain de Cavafy, nous aide à comprendre la
violence du conflit qui agita Cavafy. Au diable Byzance et ôtez tous ces saints de la
culpabilité honteuse !
IONIQUE

Parce que nous avons brisé leurs statues,


Parce que nous les avons chassés de leurs temples,
Les dieux ne sont pas morts pour autant.
O terre d’Ionie, c’est toi qu’ils aiment
C’est toi que leurs âmes évoquent encore.
Lorsque le jour paraît par un de tes matins d’été,
Une palpitation de leur vie traverse l’air
Et parfois, la silhouette immatérielle d’un éphèbe,
Incertaine, d’un pas rapide,
Passe sur tes collines.

( Traduction : Etienne Coche de la Ferté. )

Diana Haas ne s’y trompe pas. Dans le ciel lourd et bas des vapeurs byzantines
les dix vers de Ionique claquent comme un coup de tonnerre. Zeus tonne. Et tout est
dit. Les Dieux reviennent. Et avec eux l’innocence première des jeux du corps et de
l’esprit. Cavafy s’arrache du rocher où le vautour chrétien lui rongeait les foies.
Cavafy libéré.
Toute sa vie Cavafy regrettera le temps perdu – il n’appartient pas à la même
race maudite que Proust pour rien ! – le puritanisme fondamental du christianisme,
l’un des sept piliers de la sagesse monothéique, a oblitéré sa jeunesse. Très
symptomatiquement la plupart des scènes sexuelles évoquées dans son œuvre le sont
sous le signe du regret. Regret d’étreintes trop rapides, souvent à peine entrevues,
quasi irréalisées, évanescentes. Ah ! le transparent glacier des viols qui n’ont pas fui !
Il existe aujourd’hui un lobbying homosexuel de l’œuvre de Cavafy. Il est aisé de
comprendre pourquoi ! Mais une lecture si exclusive de Cavafy est follement
réductrice. Les premières ébauches de Ionique, Mémoire, évoquaient non pas les
rivages égéens de l’Ionie mais les plateaux de Thessalie.

MEMOIRE

Les dieux ne meurent pas. C’est la foi de la foule ingrate des mortels qui meurt. Les dieux sont
immortels. Des nuages argentés les cachent à nos regards. O Thessalie sacrée, ils T’aiment
encore, leurs âmes se souviennent de Toi. Chez les dieux comme en nous-mêmes, fleurissent des
souvenirs, les frissons du premier amour. Quand l’aube amoureuse embrasse la Thessalie, un
frémissement de la vie des dieux traverse son atmosphère ; et parfois une forme éthérée vole au-
dessus de ses collines.

( Traduction : Diana Haas. )

Thessalie plus près des Dieux, puisque région de la Grèce abritant les célestiales
demeures du mont Olympe. Diana Haas, et nous partageons pleinement son hypothèse,
incombe ce changement géographique à l’expression d’une volonté politique. L’Ionie
est cette partie de la Grèce encore occupée par la Turquie. La poésie de Cavafy est
aussi une poésie militante. Chassez le naturel il revient au galop. Comment ne pas
ressentir en Ionique, comme en creux, un appel silencieux mais fervent à la figure
conquérante de Julien, sur les traces d’Alexandre, afin de conjurer la menace perse.

Nous reviendrons en d’autres articles sur la figure obsédante de Julien dans


l’œuvre de Cavafy. Mais nous finirons par l’évocation d’une des sources fécondantes
de Cavafy. Un livre, évidemment. Célèbre. Ni Homère, ni un obscur poète alexandrin
dont la postérité n’aurait préservé que quelques bribes, mais bien plus proche de nous,
The History of the Decline and the Fall of the Roman Empire, nous citons le titre original,
car Cavafy l’a si souvent feuilleté et commenté, que ce serait presque une hérésie d’en
proposer la traduction française ! Il faut croire au nombre de notes, et nous remercions
Diana Haas d’en avoir traduit de si longs passages, que Cavafy s’est senti fortement
déstabilisé par la lecture de l’ouvrage. La thèse d’Edward Gibbon, qui impute au
christianisme la responsabilité de la chute de l’Imperium, est connue. Elle fit
longtemps autorité : les historiens modernes la jugent aujourd’hui dépassée. La
complexité des phénomènes politico-sociologiques est un paravent très commode.
L’anti-christianisme de principe, serait-il celui d’un penseur incontestable comme
Nietzsche, est devenu politiquement incorrect. Le consensus libéral de la pensée unique
déteste les positions tranchées. Rien ne doit historiquement entraver le déroulement du
marché. Vous êtes priés de n’exprimer que des opinions feutrées. Modulez vos idées.
Coupez les cheveux en quatre, ne soyez plus jamais péremptoires. Nos modernes qui se
revendiquent des abstraits principes des droits de l’Homme ne supportent pas l’éclat
trop vif des Lumières. En philosophie, le relativisme démocratique triomphe. Vous
avez le droit de parler de tout, à la seule condition que vous n’affirmiez rien. L’anti-
christianisme virulent et forcené des Lumières est passé sous silence. Ce n’est plus le
moment d’insinuer d’une façon trop tonitruante, que tout comme la Renaissance, le
parti-pris anti-christique qu’elles ont déployé s’est décliné selon un retour à
l’antiquité. C’était venir chercher Cavafy sur son terrain. S’est drôlement débattu le
pauvre bougre ! Il lui a fallu des années et des années avant de s’avouer vaincu. La
confrontation n’a pas tourné à son avantage. Finalement le poète a dû s’incliner. Bye-
bye Byzance, Julien avait raison. Rémanence de son christianisme de jeunesse : Cavafy
ne le lui pardonnera jamais tout à fait.
La poésie de Cavafy restera incompréhensible à tout lecteur qui ne s ‘apercevra
pas que son retrait du monde moderne est une image fausse. Cavafy n’est pas un
esthète fatigué qui se serait écarté de son époque pour tenter de survivre dans une
bulle de nostalgie éplorée. Lorsque E. M. Foster évoque la silhouette du poëte, « se
tenant debout, tout à fait immobile, dans une position oblique par rapport au vaste
univers » il omet de préciser que Cavafy n’est pas un pas en arrière perdu dans le
songe chimérique des siècles oubliés, mais un pas en avant, déjà de retour, au sens
natal et hölderlinien du terme, dans l’avancée ensoleillante de l’origine fondationnelle
de notre présence historiquement impérieuse. Certes un grec ne saurait jamais
admettre cela. Ou alors, du bout des lèvres, à demi mot. Mais un demi-mot de poëte,
pour pousser une métaphore contemporaine, c’est un demi-lingot d’or pur non
démonétisé.
André Murcie.

# 013 du 23 / 02 / 2018 : CAVAFY ( II )

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