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DE L'ESPACE AU CINÉMA

Jacques Lévy

Armand Colin | « Annales de géographie »

2013/6 n° 694 | pages 689 à 711


ISSN 0003-4010
ISBN 9782200928230
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.inforevue-annales-de-geographie-2013-6-page-689.htm
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De l’espace au cinéma
On Space in Cinema

Jacques Lévy
École polytechnique fédérale de Lausanne – jacques.levy@epfl.ch

Résumé Il existe une ambiguïté sur la réalité de la présence de l’espace au cinéma. On


pourrait dire que le cinéma est, par excellence, un art spatial. En fait, on peut
discuter, avec des arguments forts, cette évidence apparente. Cet article s’intéresse
plus particulièrement aux films de géographie, qui cherchent à montrer l’espace
habité et l’habiter de cet espace avec la visée d’augmenter l’intelligence de cette
dimension du monde social.
Ce texte développe son propos en deux temps. D’abord, il s’emploie à montrer
le caractère extrêmement lacunaire de la présence de l’espace dans la production
cinématographique comme environnement et de la spatialité comme agir, qui
contribuent l’un et l’autre à géographicité. Ensuite, l’idée qu’il est possible d’ouvrir
de nouvelles voies à l’association entre sciences sociales de l’espace et cinéma est
avancée et précisée. Cette démarche conduit à proposer de desserrer l’emprise du
cinéma populaire de fiction (et de son avatar le « documentaire ») et d’établir des
liens avec des courants esthétiques de l’histoire du cinéma plus propres à entrer
en résonance et avec la géographicité et avec les sciences. L’article se termine
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par un « manifeste » qui énonce dix principes pour un cinéma scientifique de
l’espace habité.
Abstract The relationship between space and cinema is ambiguous. Cinema can be seen
as a spatial art par excellence. However it can be argued that space has only a
very indistinct presence in film. Starting from this proposition, this article explores
the ways that can lead to the inclusion of space in films. The text focuses on
geographic films, those which aim at showing inhabited spaces and spatialities of
inhabiting in order to increase our comprehension of this dimension of the social
world.
The argument is developed from two viewpoints. First, the weak presence of
space in cinematographic production as an environment and of spatiality as an
agency both contributing to geographicity is analysed. This situation is related to
the predominance of certain particular expressions of cinematographic languages.
Second, the idea that it is possible to open new paths towards the association
between social sciences of space and cinema is put forward and developed. Such
a perspective implies loosening the grip of large-audience fiction cinema (and of
its ‘documentary’ avatar). In correlation, this leads to establishing fresh ties with
aesthetic trends that might be in resonance with geographicity as well as sciences.
Finally, the article proposes a ‘manifesto’ in ten principles for a scientific cinema
of the inhabited space.

Mots-clés espace, spatialité, cinéma, histoire du cinéma, espace diégétique, distanciation,


musique de film, fiction, documentaire, cinéma scientifique
Keywords Space, spatiality, cinema, history of cinema, diegetic space, distancing, film
musics, fiction documentary, scientific films

L’espace semble être partout au cinéma. En fait, il est plutôt nulle part,
ou presque. Ce constat conduit à réfléchir aux manières de l’accueillir dans les

Ann. Géo., n° 694, 2013, pages 689-711,  Armand Colin


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films. Je m’intéresserai plus particulièrement aux films qu’on peut appeler « de


géographie », au sens où ils cherchent à montrer l’espace habité et l’habiter de
cet espace avec la visée d’augmenter l’intelligence de cette dimension du monde
social.
Dans ce texte, la démarche argumentative sera développée en deux temps.
D’abord, je m’emploierai à montrer le caractère incertain de la présence de l’espace
comme environnement et de la spatialité comme agir – de la géographicité, en
somme – dans les expressions dominantes des langages cinématographiques.
Ensuite, je chercherai à convaincre le lecteur qu’il est possible d’ouvrir de
nouvelles voies à l’association entre sciences sociales de l’espace et cinéma. Un tel
projet suppose de desserrer l’emprise du cinéma populaire de fiction (et de son
avatar le « documentaire ») et d’établir des liens avec des courants esthétiques de
l’histoire du cinéma plus propres à entrer en résonance et avec la géographicité
et avec les sciences.
Si l’objectif de cet article est bien de dégager un cadre intellectuel cohérent
pour l’utilisation des langages filmiques, et plus généralement audiovisuels, dans
l’approche de la composante géographique du monde social, on comprendra
aisément que le premier moment est, néanmoins, absolument nécessaire à la
démonstration. En effet, si la culture cinématographique la plus courante et la
plus accessible constituait un acquis solide pour fonder un cinéma scientifique
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de l’espace, on pourrait sauter l’étape de la critique et passer directement à la
proposition. On le verra d’emblée : tel n’est pas le cas et le passage par une
relecture de l’histoire du cinéma s’impose.

1 Le cinéma par la géographie : l’espace entre décor et


personnage

Dans L’espace au cinéma (1993), André Gardiès distingue quatre types d’espace
liés au cinéma :
– l’espace cinématographique : c’est celui de l’hétérotope « institutionnel »
(par exemple la salle de cinéma ou différents environnements domestiques
contenant des écrans ou encore des dispositifs de projection mobiles) dans
lequel se trouve immergé ou exposé le spectateur et qui lui permet de recevoir le
film ;
– l’espace diégétique : c’est celui que construit le film, comme réalité indé-
pendante du récit (et au sein duquel Gardiès fait des « lieux » une actualisation
d’un « espace » qui, sans eux, resterait virtuel) ;
– l’espace narratif : c’est la spatialité spécifique des personnages, qui contribue
à donner corps au récit qui les implique ;
– l’espace du spectateur : c’est la spatialité produite par les choix de communi-
cation que fait le film en direction du spectateur, par exemple entre « localisation »
et « monstration », selon les termes de Gardiès.
Sommaire De l’espace au cinéma • 691

Insistons sur la différence entre le 2 et le 3. Le 3, l’espace narratif, est un cadre


pour l’action, il n’a de sens que par l’action. Il peut être incohérent, ou même
invraisemblable. Le champ et le hors-champ ne dessinent pas une configuration
spatiale crédible, mais se contredisent souvent car, pour le réalisateur, l’enjeu
n’est pas là, mais dans la perception de l’action. Cela a été montré pour Le Crime
de Monsieur Lange de Jean Renoir (Séguin, 1999), Rosemary’s Baby de Roman
Polanski (1968) ou Play Time de Jacques Tati (1967). Les deux derniers cas
sont à ce titre symétriques : dans le premier, un projet architectural a cherché
à rendre matériellement vraisemblable ce que le film voulait « diaboliquement »
faux (Maniglier, 2010). Dans le second, il a été démontré (collectif_fact, 2004)
que l’agencement des bureaux que traverse le personnage joué par Tati ne possède
pas la crédibilité et la cohérence que le film nous laisse croire. Le point commun
est que ces espaces « de service » mettent le mouvement des personnages au
premier plan (au sens propre comme au figuré), même si cela doit conduire à
fabriquer un monde géométriquement absurde ou tout simplement irréaliste,
alors même que l’objectif est de créer un univers facile d’accès pour le spectateur,
qui croit y retrouver des repères familiers. Cette dissonance est rendue possible
par l’énorme capacité elliptique du spectateur : il peut se sentir à l’aise dans un
agencement spatial dans lequel une bonne partie est visuellement absente.
Symétriquement, le 2, l’espace diégétique pose des problèmes à la lisibilité
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de l’action. Une ville est un système géographique complexe qui ne peut être
réduit au mouvement des personnages qui le parcourent et l’utilisent. Comment
faire lorsque, par exemple, on veut indiquer des proximités là où il y a écart, ou
inversement ? En pratique, la logique du récit impose souvent une absence de
respect pour la géographie de la ville. Celle-ci devient une variable d’ajustement
que les contraintes pratiques du tournage, le style d’énonciation (avec, notamment,
les partis pris en matière d’ellipse) ou l’économie narrative peuvent maltraiter
sans porter atteinte au projet.
En ce sens, la dualité narratif/diégétique ne recoupe pas le couple spatia-
lité/espace (Lévy et Lussault, 2013). Dans une approche de la géographicité
centrée sur les acteurs, qui « font avec l’espace », les logiques de l’environnement
spatial (qu’elles soient vues comme milieu contraignant, prises utiles ou contexte
transformable) sont toujours présentes. Au contraire, l’« espace narratif » ignore
ces logiques et fait évoluer les personnages comme si l’environnement était
fabriqué au rythme et en fonction de l’action. L’espace diégétique commence
lorsque, justement, cette géographie devient une force organisatrice assumée
et, par ses contraintes mêmes, une ressource pour le scénario. Ainsi en est-il
des films « géographiques » de Wim Wenders – par exemple Alice dans les villes
(1973), L’ami américain (1977) ou Lisbon Story (1994) : Wuppertal, Hambourg
ou Lisbonne y imposent leur configuration et ces films seraient bien différents
si cette règle du jeu était absente. À d’autres échelles, Messidor (1979) d’Alain
Tanner ou Central do Brasil (1998) de Walter Salles ne se contentent pas de
respecter l’agencement géographique de la Suisse ou du Brésil, ils en font un
ressort fondamental du film. Les différents lieux parcourus ne forment pas une
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simple liste, ils se situent entre eux dans une relation d’abord définie par un
système de relations fondé sur la distance.
En tout cas, l’inventaire foisonnant de Gardiès convainc : il y a bien tout
cela qui est spatial dans un film. Pourtant, dans l’ensemble, et c’est un paradoxe
apparent, l’espace est rare au cinéma.
Le cinéma est certes un ensemble de langages par définition spatiaux, puisque
constitués d’abord d’images. Cependant, on peut très bien produire des messages
s’adressant à notre appareil de visualisation qui se révèlent être des images
vulnérables. Vulnérables d’abord parce qu’elles sont fugaces : c’est une des
différences entre le cinéma (même quand il utilise des images fixes) et la
photographie. Vulnérables ensuite parce que, comme dans l’usage le plus courant
de la perception visuelle, les flux fournis par l’œil ne sont pas forcément traités
sous forme d’une succession d’images isolables et identifiables comme telles, mais
sont mis au service de la gestion de notre relation à l’environnement. Lorsque
nous marchons, par exemple, les informations que nous envoie notre œil sont
très fortement associées à notre mouvement, dont des études en neurosciences
montrent même qu’elles en sont une composante (Berthoz, 1997). La gestion du
mouvement impose des règles particulières d’extraction de l’information visuelle
en sorte d’en permettre une mobilisation immédiate pour l’action et qui s’écarte
beaucoup de ce qu’on voit quand on regarde, un paysage, par exemple. Dans ce
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dernier cas, la relative permanence des données saisies par l’œil permet une lecture
à la fois synchronique (tout semble vu simultanément, même si techniquement
ce n’est pas le cas car c’est le résultat d’un balayage rapide) et configurée (l’œil
agence l’image, organise son espace). L’image se forme alors par sa spatialité, par
les relations de distance entre ses différents éléments.
Inversement, la composante « image » peut s’effacer derrière la composante
« flux visuel ». Or le cinéma penche de ce dernier côté, d’abord par le simple fait
de sa technologie, qui tend à empêcher la stabilisation du regard en proposant
une succession ininterrompue d’objets visuels toujours différents. C’est aussi
la conséquence du tour particulier qu’a pris l’histoire du cinéma à partir des
années 1930. En ce sens, dans la modalité la plus courante de l’interaction
spectateur/film, celui-ci est vu davantage qu’il n’est regardé. Comme on va
le constater, ce choix technique fait écho à une orientation privilégiée vers la
narration, et, corrélativement, éloigne du langage cinématographique de la prise
en compte de ce qui dans l’image échappe au récit, en particulier la géographicité.

1.1 Dictature du récit, primat du genre


Dans Le Mépris (1963), puis dans For Ever Mozart (1996) et encore dans
Histoire(s) du cinéma (1998), Jean-Luc Godard cite cette phrase qu’il attribue, à
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tort, à Henri Bazin : « Le cinéma substitue à notre regard un monde conforme à


nos désirs1 . »
Il y a là une incohérence sémantique : ce à quoi est substitué le monde
conforme à nos désirs ne devrait pas être « notre regard », mais un autre monde,
que nous pourrions regarder au lieu de regarder des films. Cependant, cette phrase
est forte et, à mon avis, juste. Elle résume l’histoire du cinéma, notamment la
partie qui suit l’invention du parlant. Dès 1923, Dziga Vertov avait déjà prévenu :
« Le ciné-drame est l’opium du peuple » (Vertov, 1972, p. 101) !
Le cinéma (au sens large : l’image animée avec du son) est devenu en peu
de temps le langage du récit par excellence, éclipsant un rival qui avait occupé
la scène pendant des siècles : la fiction littéraire et en particulier le roman. Au
début du XXe siècle, celui-ci avait atteint un maximum dans la capacité de tenir en
haleine un immense public en associant la narrativité (c’est-à-dire l’analogie entre
temporalité de l’histoire et séquentialité du discours) et l’identification fusionnelle
du lecteur avec les personnages. La limite de la littérature, qui est aussi sa force,
est le passage par une médiation entre un langage symbolique et un imaginaire, ce
qui implique une participation active du lecteur qui produit une lente hybridation
entre l’univers du roman et son propre monde intérieur. En jouant sur la vue
et l’ouïe, les deux sens qui permettent le plus facilement d’établir une interface
avec l’extérieur et qui, simultanément, parlent le plus directement à notre sphère
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intime, le cinéma a trouvé un avantage comparatif formidable.
Il ne faut donc pas incriminer l’industrialisation comme cause du problème –
si d’ailleurs on considère qu’il y a un problème... La situation de départ était qu’il
y avait un public potentiellement infini pour ce type de spectacle, à condition
que les spectateurs et les faiseurs de films jouent sans réticence le jeu du réalisme
sensoriel que la technique rendait possible. D’où la nécessité que ces produits se
situent au point le plus avancé de ce que la technologie peut offrir en matière de
fabrication de réalités vraisemblables, aisément et directement perceptibles par les
sens.
La conséquence en est que le film est un objet qui doit être cher pour atteindre
un très large public, ce qui renforce, par rétroaction positive, la nécessité qu’il soit
conçu pour attirer les nombreux spectateurs qui vont permettre sa rentabilisation.
La production d’un effet de réalité permettant au spectateur de s’immerger dans
le film comme dans un rêve repose sur des techniques toujours plus sophistiquées.
En effet, chaque nouveau « tour de magie » cinématographique se trouve tôt
ou tard intégré dans une culture des spectateurs qui finissent par déceler les
« trucs » là où naguère ils se livraient sans résistance aux magiciens de la caméra,
du montage et des effets spéciaux. Le frisson qui s’est emparé du public lors
de la projection des 52 secondes d’Arrivée d’un train dans la gare de la Ciotat
(Lumière et Lumière, 1896) ne pourrait plus se produire aujourd’hui. Il a fallu

1 La citation exacte dont s’est inspiré Jean-Luc Godard est de Michel Mourlet. Elle a été publiée dans un
article des Cahiers du cinéma, « Sur un art ignoré », n° 98, août 1959. Il s’agit de : « Le cinéma est un
regard qui se substitue au nôtre pour nous donner un monde accordé à nos désirs. »
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faire toujours plus pour affaiblir la vigilance du spectateur et ce processus s’est


poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Lorsque nous regardons des films vieux seulement
de cinq ou dix ans, nous les trouvons inévitablement lents, artisanaux, désuets.
Là se trouve la logique industrielle très contraignante du cinéma, qui explique
que, face à cette mécanique puissante, un film qui ne va pas entrer dans ce cadre
se trouvera inévitablement marginalisé. Pour éviter cela, il faudrait qu’existent
deux systèmes de financement complètement distincts (comme par exemple pour
le théâtre en Europe, où cohabitent deux circuits, privé-populaire et public-savant,
sans intersection entre les deux), ce qui n’est pas le cas au cinéma.
On n’imagine guère un ouvrage de recherche en musicologie qui étudie-
rait, sans jamais les distinguer, les corpus des chansons de variétés et les pièces
de musique (savante) contemporaine. C’est bien pourtant ce qu’a fait Gilles
Deleuze (1983 ; 1985) dans son ambitieux traité sur le cinéma, et personne ne
s’en offusque. Les cinéastes les plus innovants réussissent parfois d’impression-
nants succès populaires et, dans l’autre sens, les cinéphiles les plus experts ne
dédaignent pas toujours les superproductions d’échelle industrielle. Ce conti-
nuum entre « films d’auteur » et « films commerciaux » a ses bons côtés : il évite
les dichotomies excessives et protège jusqu’à un certain point contre l’arrogance
aristocratique des créateurs et la vulgarité ignare des tycoons. Jusqu’à un certain
point seulement. Car ce dialogue entre le savant et le populaire souffre d’une
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évidente dissymétrie. Les films d’auteurs sont très fortement aimantés par le style
des films commerciaux, notamment pour ce qui est du primat de la narrativité et
de l’identification du spectateur à l’action. À bien des égards, ces films restent des
« petits » films, simples variantes bon marché des « grands » dont ils subissent la
pression, ce qui a pour effet d’empêcher l’émergence de principes esthétiques vrai-
ment indépendants de ceux qui dominent le marché. L’émergence récente d’un
cinéma de qualité dans le monde de l’art (plastique) contemporain ou l’irruption
d’un autre modèle économique liés au faible coût du matériel numérique et à la
diffusion directe par Internet pourraient peut-être un jour changer la donne.
Un des effets du système-cinéma est la force du genre, au sens d’une
classification portant un fort pouvoir sur l’organisation du discours et des langages
qui le portent. Le cinéma est la seule discipline artistique qui découpe aussi
précisément ses productions en catégories et qui ne cesse de le faire malgré la
tendance constitutive de l’activité esthétique à justement défier les genres. Là
où, dans le roman, ce genre de découpage définit des secteurs éventuellement
puissants (policier, science-fiction...) mais esthétiquement marginaux, dans le
cinéma, au contraire, l’étiquetage comme « comédie », « comédie dramatique »
ou « drame » ne crée aucun handicap de légitimité pour le film ainsi étiqueté
mais au contraire garantit la cohérence de son parcours, du pitch à la diffusion
en salle ou en DVD.... Et chaque fois qu’on cherche à échapper au genre, on ne
fait en réalité qu’en ajouter un nouveau, comme ce fut le cas avec le « cinéma
indépendant » depuis la création du festival de Sundance, en 1978.
La télévision a encore renforcé le phénomène en ajoutant au système de
production existant un autre système fondé sur la publicité, qui a des exigences
Sommaire De l’espace au cinéma • 695

comparables de ciblage, garantissant la maîtrise du retour sur investissement.


La télévision a aussi institutionnalisé un genre, le « documentaire », c’est-à-dire
le document audio-visuel non fictionnel réalisé dans l’esprit du journalisme.
C’est alors le « documentaire expérimental » qui se trouve dans une position de
marginalité similaire à celle du « film d’auteur ». C’est a fortiori le cas du film
scientifique (voir infra 2.)
En résumé, l’histoire du cinéma montre une prise de pouvoir d’un certain
type de productions parmi les nombreuses potentialités que recèle le langage
filmique. Dans l’ensemble, cette évolution a mis au premier plan un effet de
réalité puissant qui entre en collision à la fois avec l’émergence d’une réflexivité
critique du spectateur et avec la possibilité d’utiliser l’image pour s’écarter du
récit, et, en particulier, de donner une place significative à l’espace diégétique.

1.2 La musique ou l’espace ?


Ainsi le primat de la narrativité permet-il une identification du spectateur aux
personnages et à l’action. Le spectateur se trouve plongé et impliqué dans une
histoire. La phrase de Godard cité plus haut suggère bien, par contraste, une
vigilance critique du spectateur vis-à-vis de ce qu’on lui montre. Cette situation
tend à gommer toutes les autres composantes du film qu’il est en train de regarder,
et notamment sa géographicité (l’espace diégétique de Gardiès). On peut en
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déduire une relation particulièrement nette entre, d’un côté, la possibilité d’une
dimension spatiale au cinéma et, de l’autre, la capacité du spectateur à s’abstraire
du seul rapport d’identification narrative. L’espace n’a de chance d’exister au
cinéma que si l’immersion subjective dans le récit n’est pas totale.
Or le son joue ici un rôle décisif. Il se situe en position pivot et peut, selon
la manière dont on l’utilise, contribuer à la dictature d’un récit indentificatoire
ou au contraire augmenter le niveau de réflexivité du spectateur. Le son, et en
particulier la musique, nous intéresse donc en ce qu’il éloigne ou rapproche la
perspective d’une prise en compte de l’espace.
Bertolt Brecht (1898-1956) a développé une théorie très innovante du
rapport des spectateurs à la performance théâtrale (Brecht, 1948). Dans le
sillage d’autres réflexions esthétiques menées surtout en Allemagne et en Russie
dans les années 1920, il a défini la notion de Verfremdungseffekt, traduite en
français par « distanciation ». Cette Verfremdung – action de rendre étranger à
soi-même –, Brecht la situe à la limite entre esthétique et politique. Elle porte
sur la contestation du caractère « réaliste » de l’art prétendument réaliste. La
distanciation cherche à contrer l’illusion de réalité qu’engendre l’identification
du spectateur au personnage et au récit. Selon lui, les producteurs d’esthétique
doivent faire un choix clair entre la recherche d’une augmentation ou au contraire
d’une diminution de la lucidité de celui qui consomme leurs productions. Godard
et d’autres cinéastes de la seconde moitié du XXe siècle se réclamèrent de cette
approche, qu’ils ont aussi rencontrée chez le cinéaste soviétique Dziga Vertov,
dont L’Homme à la caméra (1929) est un manifeste en ce sens.
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Pour parvenir à cette distanciation, Brecht utilise différents procédés qui jouent
sur la diction de l’acteur, la présence d’un narrateur extérieur, la présentation à la
salle de panneaux de textes qui commentent l’action ou encore des modifications
d’éclairages. Or, parmi ces dispositifs, la musique occupe une place importante :
pour éviter l’identification du spectateur au héros, Brecht a souvent inséré
des intermèdes musicaux, appelés songs, dans lesquels les acteurs chantent des
chansons qui reprennent, souvent avec ironie, l’épisode qui a eu lieu dans la scène
précédente. L’objectif est d’inciter le spectateur à effectuer un débriefing de ce
qui vient de se passer pour éviter d’en subir les significations implicites.
Cette utilisation de la musique est totalement inverse du rôle de la bande-
son dans les films commerciaux habituels. Dès l’époque du muet, lorsque des
musiciens interprétaient en direct des partitions interagissant avec les images,
le but était d’accroître les effets d’identification du spectateur avec ce qui se
passait sur l’écran afin que la différence entre l’hétérotope « cinéma » et le monde
habituel des sensations et des sentiments soit gommée. S’est alors mis en place
un système auto-renforcé qui a consisté à coder musicalement les différentes
situations narratives des films : action dramatique, épisode comique, angoisse,
romance, etc., dont la combinaison, elle-même normée, contribue fortement à
définir le genre d’un film. Ce codage a contribué à son tour à rigidifier ces
catégories et à contraindre les compositeurs de musique à se caler dans ces
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standards pesants.
Cela n’a pu se faire qu’au prix de la fermeture des langages musicaux. Dans le
cinéma populaire contemporain, un univers musical spécifique a vu le jour avec les
« musiques de film » qui se restreignent le plus souvent à des paraphrases (rarement
à des citations directes) de la musique classique occidentale de la seconde moitié
du XIXe siècle, y compris des réécritures dans le style de cette période d’objets
musicaux antérieurs (comme la musique à connotation mozartienne). Dans
chaque situation, les codes de mélodie, de tempo, d’harmonie et de formation
instrumentale sont impérieux et souffrent peu d’écarts à la norme. Ainsi, le
spectateur se trouve-t-il, chaque fois qu’il va au cinéma, musicalement lobotomisé.
À l’exception des films d’« auteur », « expérimentaux » ou d’« avant-garde »,
les prises de distance vis-à-vis de ce schéma sont inattendues : c’est dans le cinéma
musical qu’on les rencontre le plus volontiers. La comédie musicale est en effet
un genre qui admet par construction un écart avec l’effet de réalité habituel.
On ne prétend pas faire croire au spectateur que, dans le monde réel, les gens
s’expriment en chantant. Du coup, tout film musical s’assume pour une part
comme un jeu dont les règles sont partagées avec le public et qui désamorce
partiellement l’identification intersubjective avec les personnages.
C’est une inversion qui se produit jusqu’à un certain point avec tous les genres,
les plus rigides se prêtant le mieux à un traitement au second degré. Les spécialistes
du western ou du film de zombies (Borzakian, 2013), par exemple, sont capables
de détecter les micro-écarts aux normes habituelles qui offrent une certaine
innovation. Dans le cas du genre musical, c’est encore plus évident. La plupart
du temps, l’univers dans lequel se situent les comédies musicales est tellement
Sommaire De l’espace au cinéma • 697

stylisé que cela laisse peu de place à l’approche d’un espace d’un espace un tant
soit peu complexe. Il y a cependant des exceptions, y compris, parfois, dans les
films bollywoodiens. Même dans les plus stéréotypés d’entre eux, qui sont légion,
on rencontre systématiquement des ruptures de l’unité de lieu et d’action qui
créent inévitablement une prise de distance chez le spectateur. C’est le cas quand
les héros se retrouvent soudain dans un tout autre cadre que celui, habituel,
d’une maison indienne : quand on les voit chanter et danser dans un décor
de montagnes suisses ou néo-zélandaises. Cette succession, très ritualisée, de
numéros tend à atténuer ou à suspendre le mécanisme d’identification subjective
du spectateur aux personnages et à ce qui leur arrive et à lui redonner une part
de réflexivité, à travers la maîtrise des règles du jeu et des « astuces » utilisées
par les réalisateurs. Il marche, mais il n’est pas dupe. Tel n’est pas le cas du film
ordinaire, dans lequel la musique cherche à ne pas se faire remarquer, précisément
pour obtenir le maximum de formatage des attentes du spectateur.
Un bon exemple du mariage entre comédie musicale et/ou espace est constitué
par le film de Jacques Demy Les demoiselles de Rochefort (1967). Beaucoup de
scènes ont été tournées dans la ville de Rochefort, toilettée pour l’occasion, et,
même lorsqu’elles sont chantées, la théâtralisation de l’espace public ne nuit pas à
un certain « réalisme théorique » : l’accent mis sur les métriques pédestres, l’usage
des lieux semi-privés comme les cafés, le rôle de micro-événements imprévus,
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les logiques sérendipiennes non seulement jouent un rôle dans le scénario, mais
prennent une importance directe, comme si on avait modélisé ces espaces pour
y réaliser des expériences. On ne se trouve pas si éloigné, quoique dans un
registre différent, de la démarche d’Italo Calvino dans Les villes invisibles (1974) :
chaque ville y est à la fois une fiction et un concept. L’inspiration, quoique très
différente en apparence, est voisine de celle de Cléo de 5 à 7, d’Agnès Varda
(1962), un film qui travaille du début à la fin la relation entre spatialité des
personnages qui entretiennent avec un environnement urbain, situé et singulier,
une relation fondamentale. Cette démarche, tout à fait originale à son époque, le
reste aujourd’hui encore.
La plupart du temps, cependant, il y a comme une corrélation négative entre
musique et espace. Plus la musique joue son rôle normatif conventionnel, plus
on se trouve dans la domination du récit et du genre, et moins un espace qui
aurait son existence propre peut trouver sa place. Il n’est donc pas surprenant
que, dans sa recherche d’une rupture avec les canons du cinéma commercial, le
manifeste Dogme 95 (Trier et Vinterberg, 1995), qui par ailleurs pose comme une
nécessité absolue le tournage en extérieur (Principe 1) et rejette l’idée même de
genre (Principe 8), se soit intéressé à la musique, en posant que l’ensemble de la
bande-son doive être diégétique (Principe 2). Autrement dit, seul le son ayant un
sens dans la situation du film est considéré comme licite. Ce n’est pas forcément
la solution à tous les problèmes, mais c’est en tout cas très différent des signatures
sonores stéréotypées consistant à indiquer qu’on se trouve à New York par des
sirènes de police ou à Paris par un rythme de java. Cela nous permet d’entrevoir
le fait que le son offre lui aussi une ressource de spatialisation très importante
698 • Jacques Lévy ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 694 • 2013

(Sapiéga, 2010), d’une puissance comparable à celle de l’image. Lisbon Story


(Wim Wenders, 1994) montre comment on peut construire un espace urbain en
plaçant le pôle sonore de la sensorialité au centre. Cela signifie que si, le plus
souvent, la musique participe d’un dispositif qui chasse l’espace du cadre, ce n’est
nullement une fatalité. La force diégétique du son présente une piste prometteuse
pour donner de la géographie au cinéma.
En résumé, on peut dire que la présence de l’espace au cinéma entretient une
relation forte avec la possibilité offerte au spectateur d’une distanciation vis-à-vis
de l’hégémonie narrative et que la musique constitue un levier important à cet
égard, dans un sens ou dans l’autre.

1.3 La déroute de l’espace au cinéma


Si l’on revient au classement de Gardiès, on dira que, une fois posé le type 1, qui
est une condition de possibilité du film lui-même, ce sont les types 3 et 4 qui
écrasent le type 2, qui serait le plus proche d’une géographicité du cinéma. Dit
autrement : il n’y a d’espace au cinéma que pour autant qu’il accompagne le récit
et contribue à la production d’un spectateur non réflexif. Cela signifie que, pour
reprendre une expression utilisée à propos de la ville (Jousse et Paquot, 2005 ;
La Rocca, 2005), l’espace n’est pas un personnage, mais seulement un décor.
Ainsi, l’espace diégétique ne joue pas comme environnement, c’est-à-dire
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comme un élément actif comparable à celui des personnages, mais simplement
comme un contexte tenu à distance, dont la contribution au récit sera cantonnée
à une position de contenant qui rend l’action crédible (une scène en extérieur,
par exemple) ou, au mieux, à l’ajout d’une coloration symbolique particulière
(un haut lieu reconnaissable, une ambiance météorologique, la présence d’une
foule...). On peut rencontrer bien sûr une multitude de cas particuliers où les
lieux, leur agencement, leur localisation ont une importance, mais on se trouve
le plus souvent dans l’anecdote. On notera par exemple qu’un grand nombre
de films policiers américains commencent par un parcours aérien, avec des vues
obliques ou zénithales, au-dessus de la ville où se situera l’action, mais, dès que le
générique sera terminé, on reviendra à la norme habituelle. Même si les films se
situant à Los Angeles sont innombrables, le cas de Collateral de Michael Mann
(2004) est singulier car l’environnement urbain joue un rôle central dans tout le
déroulement du film, y compris dans son fonctionnement spatial : fragmentation
géographique de la ville, dominante des métriques automobiles et conclusion à
la fois symbolique et pratique sur le métro. Ici, l’espace urbain cesse d’être un
décor pour devenir un personnage. La plupart du temps, c’est le contraire et
l’environnement spatial à la fois englobant et modifiable par les (vrais) personnages
reste fondamentalement hors-champ (Séguin, 1999).
Filmer l’espace en tant que tel exige des moyens langagiers qui ont, du
coup, été peu développés dans l’histoire du cinéma. Abandonner des personnages
pour s’intéresser à ce qui les entoure ou leur donner une place minoritaire dans
l’image pour attirer l’œil du spectateur vers un ensemble complexe d’objets
diversement fixes et mobiles, ou encore prendre le temps de s’arrêter pour
Sommaire De l’espace au cinéma • 699

regarder un paysage, voilà des choses que le cinéma populaire a oubliées, et


de plus en plus, car, si l’on considère que les évolutions du langage dominant
traduisent une demande, le public souhaite un tempo de plus en plus rapide.
Les plans-séquences « à la hongroise » (de Miklós Jancsó à Béla Tarr) ou « à
la russe » (de Andreï Tarkovski à Alexandre Sokourov) ont toujours été rares,
ils le sont encore davantage quand la durée moyenne d’un plan a en gros été
divisée par deux en cinquante ans, de 10 à 5 secondes environ (voir à ce sujet le
site Cinemetrics.lv). Cela participe justement de la fuite en avant technologique
et stylistique permettant de conforter l’identification du spectateur au réalisme
narratif, un objectif central pour le courant dominant du cinéma actuel. La
divergence n’est donc pas seulement thématique ou sémantique, elle porte, très
en amont, sur le type de ressources langagières que l’on va mobiliser.

1.4 L’espace quand même


En résumé, la question qui se pose est celle de la valorisation qu’on donne à
l’espace non comme décor mais comme personnage. Si on opte pour la seconde
option, cela signifie qu’une réalité de type environnemental, qui comprend donc
une multitude d’acteurs (les personnages du film et d’autres) et d’objets se trouve
être, au moins en partie, au cœur de l’image. On se trouve alors aux antipodes
de la tradition consistant à se polariser sur un petit nombre de réalités visuelles
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identifiables. Il n’est donc pas surprenant dans ce contexte que l’espace comme
environnement (la catégorie 2 de Gardiès) soit peu présent dans l’histoire du
cinéma.
Néanmoins, il n’est pas totalement absent et on peut le repérer dès le début
du XXe siècle, sous formes de brillantes exceptions (voir la filmographie en fin
d’article). On peut identifier plusieurs contextes qui ont rendu possibles ces
exceptions.
1.4.1 Le muet d’avant-garde
On reparlera plus loin de l’emblématique L’homme à la caméra de Dziga Vertov
(1929).
1.4.2 Quelques « films d’auteur »
On peut citer le long plan-séquence initial de Touch of Evil (La Soif du mal,
1958) d’Orson Welles, qui traverse la frontière américano-mexicaine et dans lequel
acteurs, objets et environnement contribuent à une hybridation sémiologique
particulièrement remarquable. Les films des années 1960 de Jean-Luc Godard ont
aussi une forte sensibilité à l’espace diégétique. À la même époque, le Zazie dans
le métro de Louis Malle fait de l’espace parisien un matériau à la fois burlesque
et fantastique. On peut également mentionner, à une autre échelle, Gosford Park
(2001) de Robert Altman, dans lequel l’espace complexe de la maison est utilisé
comme une métaphore des rapports sociaux.
700 • Jacques Lévy ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 694 • 2013

1.4.3 Le moment urbain en Occident


Dans les années 1970 et 1980, on voit apparaître quelques figures significatives
de cinéastes qui font de l’environnement urbain un personnage de leurs films.
C’est particulièrement net pour Wim Wenders, surtout au début de son parcours
mais aussi, de temps en temps, dans la suite de sa production. On peut aussi
citer Alain Tanner, avec, par exemple, Dans la ville blanche (1983) ou Buffet
froid de Bertrand Blier (1979). C’est un moment d’histoire du cinéma qui a pu
naître d’une rencontre : d’un côté, la recherche de nouveaux langages esthétiques
pour exprimer les rapports individus/sociétés qui émergent après les mouvements
d’émancipation de la fin des années 1960, de l’autre le réinvestissement dans la
ville et dans l’urbanité d’une partie de la société.
À la même période, aux Allemagne, c’est la « crise urbaine » et le rapport
à l’espace dans la ville est dur : After Hours de Martin Scorsese (1985) ou Do
the Right Thing de Spike Lee (1989). On retrouve le même genre de crise à
Détroit, quinze ans plus tard, dans le 8 Mile de Curtis Hanson (2003). Cela reste
des exceptions, qui décrivent avec une précision remarquable des configurations
spatiales qui ne se réduisent pas à la trame du récit. En revanche, le Manhattan
de Woody Allen (1979) appartient plutôt à la filière européenne.
La comparaison entre Les Ailes du désir (1987), de Wenders, et son remake,
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réalisé par Brad Silberling, La Cité des anges (1998) et tourné en Californie et au
Nevada, est éclairante. Alors que le film de Wenders articulait les géographies des
personnages et celles de Berlin et du Monde, ce qui compte dans le second film,
ce sont des spatialités privées, celles d’individus pour lesquels l’environnement
dans lequel ils évoluent a finalement peu d’importance.
1.4.4 Cinémas émergents
Il y a de l’espace dans certains films venant d’ailleurs que d’Europe ou d’Amérique
du Nord. Cela peut se produire pour des raisons complexes, marquées par des
rétroactions entre ce que les cinéastes avaient envie de faire, ce que le public
avait envie de voir et ce que les diffuseurs européens avaient envie de montrer à
leur propre public, qui a beaucoup fait pour leur succès. C’est particulièrement
net dans l’aire culturelle chinoise à Taïwan dans les années 1980-1990 avec Hou
Hsiao-hsien, Edward Yang et Tsai Ming-liang, à Hong Kong (Wang Kar-wai)
ainsi que, dans les années 1990-2000, en Corée du Sud et surtout en Chine, avec
un nombre significatif d’œuvres, y compris certaines destinées au grand public.
On note aussi une sensibilité spatiale dans certaines composantes du cinéma
d’auteur slovène, serbe, albanais, turc, russe, iranien, brésilien (sans rapport
cependant avec le cinema novo des années 1960), argentin (notamment ce cinéma
pauvre d’après la crise de 2001-2002).
On peut cependant se demander si ce n’est pas à une certaine phase de
l’histoire ces cinémas « nationaux » que l’ouverture à l’espace se produit lorsque
la singularité de ces sociétés est déjà communicable mais encore attirante pour
les spectateurs étrangers. Puis, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les
Sommaire De l’espace au cinéma • 701

films de ces pays tendent à se couler dans le moule de la normalisation narrative....


Ou alors, ils restent ou deviennent une branche marginale, comme ailleurs.
Cette géographie mondiale de l’espace au cinéma est d’autant plus remar-
quable qu’elle est loin d’être homogène, même si les tendances lourdes sont
similaires. Ainsi, en l’Europe de l’Ouest, où les films « exotiques » prenant l’es-
pace diégétique au sérieux sont appréciés, les cinéastes « autochtones » ont peu
développé cette dimension depuis les années 1980. Le brillant cinéma « social »
britannique, lancé dans les années 1960 et réactivé dans la période thatchérienne,
avec notamment Ken Loach, touche peu à l’espace. Dans le genre de la comédie
populaire, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (2001), qui montre un espace
stylisé, peut-être nostalgique, mais célébrant la sérendipité de la ville et la qua-
lité intime de l’espace public, constitue aussi une exception dans la production
française. Enfin, la posture singulière de Théo Angelopoulos qui prend l’espace
au sérieux, tout spécialement dans Le Pas suspendu de la cigogne (1991), ne se
retrouve guère dans le reste du cinéma grec.
Le cinéma « néo-réaliste » italien (au sens large) des années 1945-1975
manifeste une tangentialité éphémère à l’espace. Après un intérêt évident, et
parfois spectaculaire pour l’espace et la spatialité (Rome, ville ouverte, 1945 et
Allemagne année zéro, 1948, de Roberto Rossellini ; Riz amer, de Giuseppe De
Santis, 1949 ; ou encore, plus tard, Main basse sur la ville de Francesco Rosi,
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1963), les thèmes socio-économiques et politiques délaissent progressivement
l’espace. Tous les futurs grands (notamment Luchino Visconti, Federico Fellini,
Michelangelo Antonioni, Pier Paolo Pasolini) ont commencé par proposer
un cinéma « social », qui était déjà assez peu spatial, mais ont ensuite eu
tendance à se concentrer sur le psychique, développant parfois une hybridation
« phénoménologique » avec la métaphysique. Avec son exploration angoissante
des zones industrielles dans Le Désert rouge (1964) et le regard très aigu sur
l’espace londonien que propose Blow-Up (1966), Antonioni aurait pu établir un
nouveau genre en faisant jouer à l’environnement spatial le rôle d’une altérité
radicale et incommunicable, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Ceux qui
maintenaient un intérêt pour la société dans son ensemble se sont concentrés
sur le politique, avec ses complots et ses intrigues (Francesco Rosi, Elio Petri)
tandis que la comédie ou la « comédie dramatique », un temps colorées d’un
regard social (comme dans Le Pigeon, de Mario Monicelli, 1958, Le Voleur
de bicyclette, 1948 ou Miracle à Milan, 1951, tous deux de Vittorio De Sica),
sont rapidement rattrapées elles aussi par le mouvement de psychologisation
décontextualisée. En fin de période, Luigi Comencini, Ettore Scola ou Bernardo
Bertolucci nous montrent avec fierté qu’ils ont presque totalement effacé les
traces de leurs prédécesseurs de l’immédiat après-guerre. Il y a là un paradoxe :
en acquérant une stature majeure d’artistes, ces cinéastes ont pris congé de la
géographicité. Bien plus tard, L’Étoile manquante (2000) qui déploie une force
spatiale intense, apparaît, malgré la nationalité de son réalisateur, Gianni Amelio,
comme un film chinois plutôt qu’italien.
702 • Jacques Lévy ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 694 • 2013

Le Japon, quant à lui, présente un parcours assez proche de celui de l’Italie, le


Vivre de Akira Kurosawa (1948) se rapprochant à certains égards de Main basse
sur la ville et restant, comme lui, une étrangeté dans le paysage. Comme en Italie,
le sociétal, qui reste avant tout centré sur les personnages idéal-typiques (comme
avec Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar, de Shoei Imamura), ne
résiste pas au triomphe de la psycho-métaphysique dont Yasujiro Ozu représente
le sublime achèvement et où la spatialité se limite pour l’essentiel à l’intérieur de
la maison.
Au terme de cette rapide exploration de l’histoire du cinéma du point de vue
de l’espace diégétique, c’est-à-dire de la géographicité, il ressort que le courant
principal de cette histoire a été peu intéressé et s’est même largement désintéressé
de ces enjeux, pour des raisons qui n’ont rien de conjoncturel ou de contingent,
mais qui tiennent à la place qu’a progressivement remplie le cinéma au sein
de l’univers mental du spectateur. Si l’on veut placer l’espace au centre d’une
réflexion sur l’image, il faut donc prendre ses distances vis-à-vis de cette histoire,
et la relire autrement.

2 La géographie par le cinéma : un dialogue de la démarche


scientifique avec l’esthétique contemporaine
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Dans un second temps, je voudrais donc proposer une autre lecture du titre de cet
article : donner de l’espace au cinéma, réfléchir aux conditions qui permettraient
à ceux qui travaillent sur l’espace d’utiliser le langage cinématographique et d’en
exploiter les ressources.

2.1 Pour en finir avec le documentaire


Dans cette perspective, la première étape consisterait en une relecture de l’histoire
du cinéma. Jusqu’à présent – et les exceptions sont rares –, le cinéma scientifique
a surtout visé la vulgarisation et non l’énoncé, comme si, implicitement, tous
s’accordaient pour considérer que l’image animée ne pouvait pas constituer une
ressource pour l’énonciation argumentative. Du coup, c’est le « documentaire »
qui a monopolisé une expression cinématographique considérée comme se situant
en aval des discours à prétention objective utilisant le langage verbal. Mais qu’est-
ce que le documentaire ? C’est un objet hybride qui se situe à la rencontre
entre deux mondes pourtant assez éloignés de la démarche scientifique : celui
du journalisme audiovisuel et celui de la fiction commerciale (figure 1). Le
documentaire, c’est le « reportage » monté en graine qui ose se comparer à un
film de fiction distribué dans les cinémas.
Et de fait, les documentaires sont de moins en moins confinés aux chaînes de
télévision : une partie croissante, quoique néanmoins limitée, est projetée en salle,
un retour en grâce étonnant après la longue période, jusque dans les années 1960,
où une séance de cinéma comprenait un court-métrage, souvent documentaire
et un journal filmé. Aujourd’hui, il s’agit souvent de films militants qui ne
Sommaire De l’espace au cinéma • 703

s’embarrassent pas de nuance et ne se situent pas dans la logique argumentative.


Comme les films réalisés par Michael Moore qui en constituent la caricature, ils
peuvent souvent susciter le double reproche de positivisme et de dogmatisme.
Positivisme, car ils ne permettent pas au spectateur de reconstituer le processus de
construction de l’objet filmique : la « vérité » qu’ils sont censés contenir résulte
d’un dévoilement, comme si l’auteur avait un accès direct et immédiat au monde
objectif. Dogmatisme, car ils acceptent rarement une méthodologie symétrique,
consistant à tester des contre-arguments qui réfuteraient les énoncés qu’ils ont
adoptés. Au contraire, on assiste au déroulement d’un discours jamais mis en
cause qui se renforce, tout au long du film, de sa propre énonciation.
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Fig. 1 D’où vient le documentaire ?
Where does the documentary stem from ?

On comprend aisément que le rapport entre science et cinéma se trouve


affecté négativement par sa satellisation autour de modèles qui, sous couvert de
vulgarisation, renoncent aux principes élémentaires du projet scientifique.
Il y a certes une autre définition possible du documentaire, celle qui le
rangerait dans les « films d’auteurs », mais qui remplacerait l’intrigue (fiction)
par un référent objectif plus ou moins contraignant. Il faut ici faire un choix
lexical clair car on ne parle pas du tout de la même chose dans ce cas, où c’est le
projet esthétique qui constitue le fil conducteur principal de la démarche, avec
parfois des résultats remarquables. On rencontre des objets comparables dans
la littérature sans que cela ait fait émerger un terme spécifique. Ainsi un livre
comme Les Vigilantes de Jonathan Littell (2006) reste bien considéré comme un
roman de même que Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais (1980) est un film
704 • Jacques Lévy ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 694 • 2013

de fiction, même s’il consacre des scènes entières à l’exposé d’une théorie à visée
scientifique. Je propose donc de nommer ce domaine « fiction documentée »2 .
On peut imaginer une relation alternative du film à visée cognitive-objective
avec les productions existantes (figure 2). Le cinéma scientifique deviendrait alors
un domaine né de la rencontre entre la démarche scientifique et les langages
audiovisuel. Cette rencontre ne peut profiter de l’ouverture d’une fenêtre de
dialogue avec l’univers de l’esthétique contemporaine. Ce qu’on peut voir à
propos de la musique (Lévy, 1999) se vérifie aussi avec le cinéma : lorsqu’ils
cherchent vraiment à remplir le contrat éthique qui les lie à la société à travers la
figure de la création, l’art (cognitif-subjectif) et la science (cognitif-objectif) ont
beaucoup à se dire.

Fig. 2 Rencontre pour le film scientifique.


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Encounter for the scientific film.

Dans cette perspective, le film n’est d’ailleurs qu’un produit parmi d’autres
possibles des langages audiovisuels. On peut imaginer d’autres combinaisons
entre le son et l’image, celle-ci pouvant faire une place plus ou moins grande au
texte écrit. On peut aussi faire varier la part d’interaction entre l’objet audiovisuel
et le spectateur qui le reçoit. Du logiciel de presentation [exposé] (PowerPoint,
Keynote, Prezi...) au film stricto sensu, du « Web documentaire » à l’« installation »
dans une galerie d’art contemporain, c’est un large éventail d’objets, dont certains
restent à inventer, qui s’offre à l’imagination des chercheurs.

2.2 Monstration/démonstration
Par-delà la diversité de ces ressources, le cinéma scientifique pose la question de
la relation entre monstration et démonstration. L’image endosse-t-elle automa-
tiquement le statut de preuve empirique, comme peuvent le faire les exemples
développés, les statistiques, les cartes ou les entretiens, peuvent le faire dans un
article ? Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas la seule solution. Le langage verbal peut
être utilisé pour de nombreux usages, y compris dans un film. Quant à l’image,
elle peut être mobilisée pour confronter des situations différentes, construire une
comparabilité, tester une hypothèse, vérifiée systématiquement sur tous les cas
possibles. Il est également possible de recourir à l’image figurative comme on le

2 Merci à Camille Bui pour m’avoir incité à proposer une classification plus claire sur ce sujet.
Sommaire De l’espace au cinéma • 705

fait pour un graphique (qui est une image non figurative) : comme l’expression
stylisée d’un énoncé.
Par ailleurs, la combinaison d’éléments multiples : image fixe/mobile, d’une
part, son verbal/non verbal, d’autre part, que permet le cinéma active des
ressources méthodologiques et épistémologiques très riches. La Jetée de Chris
Marker (1962), un film composé uniquement d’images fixes, se révèle tout à
fait capable de raconter une histoire, ce qui serait encore plus évident... s’il
n’y avait pas d’histoire et que l’on remplace le récit par des descriptions ou
des raisonnements. Grâce à différents procédés de Verfremdung (voir 1.2), ces
assemblages d’un nouveau type peuvent en effet aider à la réflexivité du spectateur
en multipliant les prises de recul et les prises de distance vis-à-vis de l’énoncé
proposé, ce que l’article scientifique habituel ne fait pas toujours, loin s’en faut.
C’est notamment le cas de la séquentialité : si, comme un texte, un film possède
une structure séquentielle, avec un début, un milieu et une fin, les deux familles
de langages peuvent intégrer des éléments synchroniques figuratifs, analogiques
ou symboliques (Lévy, 1996). Ces remarques permettent d’activer une distinction
entre films de tournage et films de montage, dont l’école soviétique du muet,
avec Vertov mais aussi Sergueï Eisenstein, a montré toute la richesse. Le montage,
c’est, sans équivoque, la composante la plus constructionniste du travail du
cinéaste, celle où il peut communiquer le mieux avec le spectateur sur autre chose
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que l’« histoire », et c’est logiquement un domaine où le film scientifique peut
s’affirmer comme tel.
Par ailleurs, les rythmes de réception peuvent être très variés, surtout depuis
que la projection en salle n’est plus la seule option. Les lectures actives (accélérées,
fragmentées, répétées) ne sont pas toujours respectueuses de l’intégrité de l’œuvre,
mais elles renforcent la composante cognitive des images. Là où le cinéma apporte
quelque chose de plus que le texte, c’est qu’il peut suggérer (seulement suggérer
car il reste toujours possible de s’affranchir de l’invitation de son auteur) un
certain type d’arrangement temporel et donc faciliter l’appropriation critique
de ses énoncés par les spectateurs, par exemple, en ménageant des pauses de
divers ordres dans le déroulement du processus communicationnel. L’interaction
entre chercheurs sur des énoncés complexes a tout à gagner dans l’ensemble à
rendre possible la lenteur dans l’échange, qui est certes possible dans la lecture
d’un texte, mais qui devient obligatoirement un choix de l’auteur, volontaire et
cohérent avec le reste de son propos dans le cas d’une proposition filmique. En
ce sens, il est, dans le principe, tout aussi crédible de réfuter une proposition
présentée par un film que par un texte.
Dans le générique de L’homme à la caméra, Vertov écrit « à l’attention
des spectateurs » : « Le film que vous allez voir propose une expérience de
ciné-transmission d’événements visibles sans l’aide ni d’intertitres [...], ni d’un
scénario [...], ni de décors ou d’acteurs de théâtre. Ce travail expérimental vise à
la création complète d’un langage vraiment international pour fonder sur cette
base un cinéma totalement distinct du langage du théâtre et de la littérature ». Ce
projet a de quoi intéresser les chercheurs, qui se sont employés à construire des
706 • Jacques Lévy ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 694 • 2013

langages verbaux adaptés à l’expression propre de leurs énoncés, en se démarquant


de ceux la littérature de fiction.
Enfin, plus généralement, si on rend sa liberté à l’image et à la complexité
des informations qu’elle contient, on se donne de nouveaux moyens, tout en
conservant le caractère explicite des thèses défendues, de mettre en jeu un point
fondamental du travail scientifique : l’absence de relation simple entre empirie et
théorie et la tension entre ces deux termes que, inévitablement, toute recherche
met en scène. Exprimer la science par le cinéma ne signifie donc nullement
renoncer à l’administration de la preuve, mais contribue à une plus grande lucidité
du monde de la recherche sur la multiplicité des rapports entre deux composantes
nécessaires du travail scientifique : se laisser déranger par le réel (pertinence) et
construire un discours qui transforme ce dérangement en énoncés aussi simples
et rigoureux que possible (cohérence). À moins d’avoir une vision naïve, pré-
kantienne de la relation entre la raison et les objets auxquels cette raison s’applique,
on doit bien admettre qu’il n’existe pas de méthode à la fois simple, isolable et
indépendante des situations de recherche pour faire communiquer efficacement
cette raison et ces objets. Cela signifie que l’organisation argumentative des
textes scientifiques mérite vigilance, critique et innovation. En ajoutant d’autres
langages à visée scientifique, on contribue à ouvrir un débat sur l’ensemble des
outils de raisonnement que les tendances à la standardisation des produits de
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communication scientifique risqueraient de fermer et de verrouiller.

2.3 Quelle spatialité pour le cinéma ?


Ce n’est pas un hasard si L’Homme à la caméra, le film-manifeste pour un
cinéma qui s’oppose à l’identification personnage/spectateur est aussi un film sur
l’espace. Presqu’au même moment (1927), Metropolis de Fritz Lang et surtout
Die Sinfonie der Großstadt de Walther Ruttmann font de la ville et de sa spatialité
propre, à la fois complexe et synchronique, le cœur de leur propos. Le « langage
universel » que vise Vertov et qui permettrait, pense-t-il, de s’écarter des sources
littéraires et théâtrales du cinéma, est un langage qui organise la séquentialité
du film autrement que par une homologie à une autre chronologie, celle de
l’action dramatique. Ce qui fait cohérence chez Vertov, ce sont des énoncés et
des thématiques dont l’unité repose sur des liens logiques portés par la sémiologie
filmique : le mouvement des parties et du tout, les interactions humains-humains
et humains-machines, l’articulation entre action individuelle et projet collectif,
entre acteurs et environnement, toutes choses qui ne sont pas éloignées du travail
théorique des sciences sociales de l’espace.
En d’autres termes, la géographie contemporaine est particulièrement bien
placée pour « repartir de Vertov », car le moment de l’histoire du cinéma le plus
proche par son épistémè de la démarche scientifique est aussi celui où l’on a le
plus spontanément parlé d’espace.
Le rapport entre géographie et cinéma est certes affecté par les malentendus
quant au visible. La géographie classique (1870-1970) cultivait l’idée qu’elle était
une science du visuel, traçant ainsi une ligne de démarcation épistémologique
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entre le visible et l’invisible. Ce point de vue nous apparaît aujourd’hui aussi


ingénu qu’absurde, puisque ce que nous percevons par l’œil renvoie à la fois une
très grande hétérogénéité interdisant d’en faire un territoire disciplinaire et un
auto-enfermement qui rendent impossible de tirer jusqu’au bout la chaîne des
« pourquoi ? ». De fait, la géographie-science-du-visuel se révélait une démarche
grevée par son empirisme et par son incapacité à construire des théories crédibles
de la spatialité des humains. Parmi les sciences sociales, c’est en fait l’anthropologie
qui a le plus tôt utilisé le cinéma comme un langage scientifiquement, d’abord
comme un moyen de description à la fois rigoureux et élaboré (c’est toute la
démarche de l’« anthropologie visuelle »), puis par un compagnonnage avec le
cinéma de fiction, que Jean Rouch (1917-2004) a fortement incarné : au sein
d’une filmographie impressionnante, Petit à petit (1971) montre, sans doute
avec certaines naïvetés, que, entre fiction (esthétique) et simulation (scientifique),
la frontière est poreuse et que la recherche a beaucoup à apprendre de cette
porosité.
L’usage de langages visuels dans la communication scientifique sur l’espace
doit donc bien évidemment assumer le travail accumulé. Montrer le visible –
c’est-à-dire, comme l’a dit justement Paul Klee (1998 [1945]), rendre visible –,
c’est aussi, immédiatement, prendre conscience des limites du visible, expliciter
ces limites et ne pas chercher à faire croire au spectateur qu’on serait capable de
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les franchir. Le monde de l’invisible n’est pas forcément plus inaccessible que celui
du visible : une conversation banale avec un inconnu nous y fait très simplement
accéder. Il n’est ni plus ni moins fait de représentations ou de réalités non
représentationnelles. Il n’y a donc pas lieu de développer une métaphysique en ce
domaine. Il faut simplement admettre que le déploiement du visible comprend
ipso facto la reconnaissance de l’invisible.
La vie urbaine telle qu’elle s’est développée dans les grandes agglomérations de
la première moitié du XXe siècle a offert aux chercheurs une expression concrète de
cette problématique. En analysant la grande ville dans le sillage de Georg Simmel
et de Walter Benjamin, Siegfried Kracauer (1889-1966) a franchement proposé
de se limiter à un regard – et donc à une vision – en surface du réel urbain, non
par impuissance mais parce que là résidait d’après lui l’essence des interactions
dans l’espace public, la base des identités métropolitaines (Füzesséry et Simay,
2008). Or Kracauer (1995 [1964] ; 2010 [1960]) est à la fois un observateur
aigu de l’urbanité des grandes villes et un théoricien du cinéma. La masse des
interactions, l’anonymat, la civilité, la gestion de l’altérité concourent à créer
dans l’espace public une retenue communicationnelle qu’a bien décrite Erving
Goffman (1973 [1959]). Montrer l’espace public par le film, c’est reconnaître
qu’on va se limiter à la « surface des choses », mais les liens faibles qu’on va rendre
visibles sont absolument essentiels pour comprendre l’espace public lui-même et,
au-delà, le fonctionnement des sociétés d’individus contemporaines (Lévy, 2013).
Ce n’est donc pas du temps perdu car il est possible, par l’image, de construire
un objet qui fasse sens dans une théorie du social. Il suffit de regarder Dogville
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de Lars von Trier (2003) pour comprendre que, quand on donne de l’espace au
cinéma, la géographie et la théorie du social ont tout à y gagner.
Enfin, comme la carte, le film géographique crée un nouvel espace, qui
s’ajoute, sur le même plan, à tous les espaces préexistants, y compris à ceux que
l’on cherche ainsi à montrer. Ici comme ailleurs, représenter le monde, c’est le
changer.
Un cinéma constructiviste-réaliste pour parler de l’espace habité par les
humains semble donc un horizon à la fois stimulant et raisonnable. Ce sont
ces principes que j’ai tenté de mettre en pratique dans la réalisation du film
Urbanité/s (Lévy, 2013). On en trouvera ci-dessous une version compacte.

FILMER L’ESPACE HABITÉ


DIX PRINCIPES POUR UN CINÉMA SCIENTIFIQUE
1. Affirmer. Se situer sur le terrain et dans le cadre de l’expression scientifique, viser
les modes d’expression typiques des énoncés de recherche : pertinence, cohérence,
accessibilité, explicitation, réfutabilité.
2. Bifurquer. S’écarter de la tradition du documentaire, inventer une nouvelle famille
de langages.
3. Refuser. Rejeter l’association automatique entre séquentialité cinématographique et
narrativité.
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4. Inventer. S’affranchir de l’utilisation du langage cinématographique comme une
« illustration » d’autres discours et rechercher son apport singulier pour la communi-
cation scientifique : comparatisme, preuve par l’existant (6= discours illustré, images
commentées).
5. Dialoguer. Rechercher des résonances entre science et art. Lancer des passerelles
avec ce qu’il y a de meilleur dans l’histoire du cinéma de fiction depuis sa naissance (6=
référent du cinéma commercial).
6. Distancier. Augmenter le niveau de lucidité et de réflexivité du spectateur (6= effets
d’identification conventionnels).
7. Fabriquer. Représenter des environnements (6= acteurs, objets) et s’employer à
retrouver ou inventer les langages qui le permettent.
8. Viser. Se détourner du couple particulier/général, avoir en vue la relation dialogique
singulier/universel en refusant l’exotisme et autres anecdotes géographiques.
9. Observer. Tirer tous les avantages possibles de l’observation de la « surface » du
monde, des gens et des choses.
10. Penser. Montrer l’invisible par le visible, en n’oubliant pas que ce n’est jamais tout
à fait possible.

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