LA PAROLE À...
christophe Dejours, Dans son livre Le choix,le fondateur de la psychodynamique
du travail montre, preuves à I'appui, qu'il existe une alternative à I'organisation gestionnaire
des entreprises, source de souffrance : le développement de la coopération.
« La coopêration
permet de transformer
le travail »»
Vous commencez Le Choix par une
partie intitulée " le temps de la
résignation ,. Comment en arrive-
t-on à ce constat ?
Christophe Dejours : Les raisons
sont à chercher du côté des trans-
formations du travail et de la réac-
tion des salariés qui y sont confron-
tés. En causg le tournant gestionnaire
opéré par les entreprises depuis
trente ans. L'évaluation de la per-
g formance individuelle en est le
S pivot, qui déstructure les solidari-
6 tés et accroît le pouvoir des direc-
tions. Et les syndicats. absorbés
par la bataille légitime sur les conditions de
travail, sont passés à côté de ces transformations
et de leurs effets sur la santé mentale. laissant
f initiative au patronat, relayé par l'Etat, lui aus-
si rangé au néolibéralisme.
Ce système génère une souffrance inédite, dont
nous sommes victimes. mais il ne fonctionne et
perdure que grâce
à notre zèle; c'est-
à-dire à notre intel-
ligence et à la mobi-
lisation de celle-ci.
Et pour ne pas
tomber malades,
nous mettons en place des stratégies de défense
qui diminuent la capacité d'éprouver la souffranoe,
la sienne et cel1e des autres. Le couple souffrance-
Cltri!lottile DeiÇur! défense est un processus clé dans le consentement.
Jusqu'à des actes que l'on réprouve. Ainsi, dans
Llliliik, des services de réanimation, tel celui dans lequel
mon équipe est intervenue, les soignants sont
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amenés à faire des choses inacceptables.
- une tradition, où la confiance et la loyauté tiennent
Le choix. Souffrîr Comment inverser le cours des choses ?
ou travoil n'est pqs C. D. : Contrairement à ce que martèle la pensée
une fotolité, par néolibérale, il existe une autre manière de penser
Christophe Dejours, l'organisation du travail, et de la mettre en æuvre,
Bayard,2015. de façon à reconstituer la santé mentale. Ce à
58 r slHrÉ a rnlvltt- lt.9o I avRtL 2015
quoi s'attachent les démarches relatées dans la
seconde partie du livre. ,< Le temps du change-
ment ». L'alternative repose sur le développement
de la coopération. C'est elle qui permet la trans-
formation du travail. Elle s'appuie sur la construc-
tion de règles issues de la confrontation des expé-
riences et opinions de chacun sur la manière de
surmonter 1es obstacles quotidiens, au sein d'un
espace de délibération. La coopération est hori-
zontale, entre les pairs. autour du métier. Elle est
verticale, car la discipiine et 1a loyauté sont néces-
saires à 1'action cohérente d'ensemble. Elle est
également transverse. de plus en plus, car la
qualité du service dépend aussi de la façon dont
I'autre, client ou bénéficiaire, le reçoit.
I1 y a des implications pour les managers : leur
fonction centrale est de rendre possible la coopé-
ration. Ce management coopératif mène à un autre
modèle de valeur. Par exemple, 1a confiance entre
le client et l'entreprise s'évalue à travers un juge-
ment, et un jugement contradictoire, non à l'aune
d'un résultat chiffré. Et ça marche ! Les gains de
productivité sont au rendez-vous 1à où le système
de la performance individuelle conduisait au gâchis.
Les résultats obtenus par les entreprises où nous
sommes intervenus, qui ont pris le risque de cette
remise en cause, sont très probants.
Les entreprises commencent-elles à prendre
conscience de ces questions ?
C. D. : On ne peut généraliser. Celles qui accom-
plissent une telle démarche sont des PME, préoc-
cupées de leur pérennité, travaillant sur un cycle
long. Elles ont besoin d'un personnel stable, en
bonne santé et aimant ce qu'il fait. Comme dans
cette société d'aménagement du territoire, qui porte
des projets sur la durée. D'autres s'inscrivent dans
une place importante. On ne pourrait développer
ces démarches que si les pouvoirs publics en recon-
naissaient f intérêt et les appuyaient. Encore faudrait-il
qu'ils aient une politique du travail et pas seulement
de l'emploi. # Propos recueillis par lsabelle Mahiou