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T DE S
TUM
OUFFLE
À BOU PA R L IS
E J O L LY E T O L IV
IE R B R E TO N
À BOUT DE SOUFFLE
Vers la fin
du franco-allemand ?
MOMENTUM
de paix, le couple
franco-allemand est-il
toujours le moteur
de l’Europe ? »
servent-ils ? Plus besoin d’eux pour aller su appeler de ses vœux une coopération par
visiter le pays voisin. Le programme d’ac- les régions mais force est de constater que,
tivités qui ne se résume souvent qu’à des les structures administratives de la France
échanges gastronomiques ne séduit guère. et de l’A llemagne étant par trop différentes,
Les jeunes ignorent ces échanges et s’en ces coopérations ne reposaient que sur
détournent. En janvier dernier, la fonda- des hommes et les volontés politiques du
tion Bertelsmann et l’Institut français de moment et cela n’a pas fait long feu.
Ludwigsburg révélaient dans une étude
que seuls 23 % des participants aux jume- Apprendre la langue du voisin
lages avaient moins de 30 ans et 40 % plus
de 60 ans. Poussifs et en voie de dispari- n’y changera rien !
tion, les jumelages ne se sont pas repensés La compréhension, c’est le b.a.-ba mais c’est
et n’intéressent guère des maires qui savent aussi là que le bât blesse. En Allemagne selon
que leur futur se conçoit au-delà du bilatéral. l’AWA (Allensbacher Markt- und Werbeträ-
geranalyse), seuls 1,39 million d’A llemands
Ce qui est vrai au niveau commu- de plus de 14 ans, dans un pays de plus de
nal l’est aussi au niveau régional : depuis 80 millions d’habitants, estiment avoir une
2003, depuis que les régions françaises ont très bonne connaissance de la langue fran-
acquis davantage d’autonomie, les coo- çaise. Un chiffre qui remonte légèrement
pérations avec les Länder allemands se mais qui a marqué une inflexion entre 2014
sont multipliées. Il en existe aujourd’hui et 2018. Et si la Sarre, région frontalière a mis
neuf, Auvergne-Rhône-Alpes avec le Bade- au point une « stratégie du français » et dans
Wurtemberg, Bourgogne-Franche-Comté les écoles, enseigne désormais dans les deux
avec la Rhénanie-Palatinat, la Nouvelle- langues, cette situation est une exception et
Aquitaine avec la Hesse, pour n’en citer a pour but de faciliter la vie des frontaliers
que quelques-unes. Ces coopérations fonc- (18 000 actuellement), qui traversent quoti-
tionnent, évidemment depuis longtemps diennement la frontière. Encore faudra-t-il
dans les régions frontalières, comme la mise attendre 2043 pour que le français devienne
en commun de service d’urgence entre la la deuxième langue officielle sarroise. Les
Sarre et la Moselle, et avec des échanges éco- régions frontalières comme la Sarre et le
nomiques et culturels mais on reste dans le Bade-Wurtemberg sont d’ailleurs celles qui
franco-allemand « d’en bas ». Celui qui fonc- comptent le plus de francophones, mais il
tionne de manière locale, dont on tire peu de est quasiment impossible d’apprendre le
retours sur expérience et peu de nouvelles français en première langue étrangère à
propositions. En son temps Raffarin avait Berlin et à l’Est en général. 37
EUROPÉENS
La situation est pire en France où il y a 20 000 chaque année. Mais ce ne sont
1,2 million de germanophones sur plus que moins de 200 000 jeunes par an qui
de 60 millions de Français mais sur- découvrent le pays partenaire. Soit envi-
tout localisés en Alsace et en Moselle. ron 10 millions de jeunes seulement en
Les revirements des gouvernements 55 ans d’existence. Un chiffre bien faible
successifs n’ont pas arrangé les choses. si l’on tient compte de la démographie des
Les décisions de la ministre Najat Val- deux pays et des sommes englouties. Et
laud-Belkacem, qui est revenue sur les même ridicule quand on sait que l’OFAJ
classes bilingues et les sections euro- comptabilise tout euro alloué comme
péennes, pour les voir rétablies ensuite une action : qu’il s’agisse d’une subven-
par son successeur, Jean-Michel Blan- tion de 10 000 euros pour une association,
quer, ont porté un coup à la langue de comme d’une participation de 10 euros à
Goethe. Et l’on peut se demander à quoi un écolier se rendant en Allemagne !
sert vraiment le traité de l’Élysée signé
en 1963 et qui régit les relations entre Erasmus est passé par là, avec
les deux pays. Un traité renforcé en 2003 davantage de moyens. 2,2 milliards d’euros
notamment en ce qui concerne l’appren- aujourd’hui, 33 pays participants. Les
tissage de la langue du partenaire, mais différents programmes Erasmus, qui
passé par pertes et profits par la ministre concernent aujourd’hui aussi les appren-
« La connaissance de la langue du
partenaire n’a guère fait de progrès en
70 ans, elle a même considérablement
régressé depuis les années 70. »
www.geodis.com
EUROPÉENS
et l’A llemagne qui, heureusement, n’at- ces initiatives qui ne vivent qu’un temps.
tendent plus rien de l’OFAJ. Cela est d’au- De fausses bonnes idées sans substance
tant plus vrai que ces résultats auraient (tel le Haut Conseil culturel franco-alle-
été les mêmes si on les avait collectés sur mand) ou qui survivent sans qu’on sache
d’autres zones géographiques telles que vraiment à quoi ils servent tel le DFI, Deutsch-
l’Italie ou l’Espagne. Franzosisches Institut de Ludwigsburg, ou
encore la Brigade franco-allemande, embryon
Au-delà de cela, l’OFAJ en concen- d’armée européenne quasi mort-née mais qui
trant la quasi-totalité des moyens publics mérite qu’on s’arrête une seconde sur elle.
alloués au franco-allemand, a peu à peu été
positionné comme un organe de redistribu- La BFA symbole des limites
tion de la manne publique. Déculpabilisant
les pouvoirs en place et les exonérant de franco- allemandes
toutes autres initiatives. Un arbre cachant Le plus grand fait d’armes de la Brigade
mal le désert que le franco allemand est peu franco-allemande est d’avoir fait défiler
à peu devenu. des soldats allemands sur les Champs-
Élysées en 2009, brisant ainsi un tabou issu
Blaesheim, kesako ? des deux, voire trois guerres fratricides.
Sa présence à Sarajevo en 1996, au sein
Pourtant, dira-t-on, la coopération entre de la SFOR, en Bosnie en 2001, à Kaboul
gouvernements, elle, n’a cessé de se renfor- en 2004-2005 sous le commandement de
cer. On trouve des Français au ministère l’Eurocorps, ou encore en Afghanistan en
des Finances ou de l’Économie allemand et 2010, ne nous parle pas davantage que les
vice et versa. On échange des diplomates (de échanges de hauts fonctionnaires ou les
moins en moins). On fait même des Conseils réunions de l’exécutif.
des ministres (parfois), officiels ou informels
sous le nom de Blaesheim, une petite com- La seule chose qu’on peut éven-
mune française située dans le département tuellement retenir, ce sont les conclusions
du Bas-Rhin. Ce processus de Blaesheim d’un rapport de la Cour des comptes de
a aujourd’hui 17 ans. Il a été instauré par 2012 qui préconisait une refonte voire une
Gerhard Schröder et Jacques Chirac, pour disparition de la BFA. Un rapport des dépu-
que les têtes de l’exécutif se rencontrent tés datant de 2015 pointait déjà les difficul-
régulièrement afin de présenter un front tés de la brigade. Auparavant, soulignait
uni lors des sommets franco-allemands et cette année-là le député Francis Hillmeyer,
surtout européens. De vous à moi, personne les soldats s’exprimaient dans la langue du
parmi les électeurs des deux pays ne se sou- partenaire mais aujourd’hui ils n’utilisent
vient aujourd’hui de cette initiative qui ne plus que l’anglais pour communiquer.
trouve quasiment aucun écho dans la presse Le député mettait aussi l’accent sur le fait
des deux côtés du Rhin. Que se passe-t-il que la France assurait la partie offensive de
durant ces conseils informels ? On est bien certaines actions communes tandis que
en peine de le dire ! Cela sert-il à les Allemands s’occupaient surtout de la
quelque chose ? Le citoyen lambda n’en popote. Patricia Adam, la présidente de la
a aucune idée puisque rien ne filtre ! Commission, épinglait aussi la difficulté
Ce « machin » franco-allemand conti- d’obéir à des ordres venus de deux pays
nue pourtant de fonctionner depuis près et déplorait la vétusté des matériels fran-
40 de 20 ans… Et il n’est qu’un exemple de çais mis à la disposition de cette brigade.
« La lente dérive
de ce franco-
allemand qui
meurt de ne
pas comprendre
qu’il n’existe
plus que dans
un cadre élargi
dans lequel il
se doit d’être
dissous sans
attendre. »
EUROPÉENS
Depuis, Donaueschingen a déjà dit adieu
au 110 e régiment d’infanterie, les coupes
budgétaires sont passées par là.
ses 262 milliards engrangés dans ses du traité de Versailles, quand le ministre
caisses depuis plusieurs années, elle des Finances de Clemenceau, Louis-
affiche le plus gros excédent budgétaire Lucien Klotz, déclarait « l’A llemagne paiera ».
mondial. La France, elle, s’est désindus- Les Allemands, notamment dans le parti
trialisée. En 30 ans, elle a perdu 2 millions d’A ngela Merkel, redoutent précisément de
d’emplois industriels. Axée sur les ser- trop payer la facture européenne. On est
vices et la demande intérieure, elle se donc entré aujourd’hui au minimum dans
débat depuis près de 10 ans avec un déficit l’ère du Blues du franco-allemand, titre
excessif, c’est-à-dire qui dépasse les 3 % de du livre de Georg Blume, correspondant
Maastricht et peine tout juste de le maî- du magazine Die Zeit à Paris. Voire dans
triser. Sa dette ne se résorbe pas, elle frôle deux galaxies différentes qui s’éloignent
les 100 % du PIB à 2 300 milliards d’euros l’une de l’autre, dangereusement.
contre près 67 % au moment de la crise. 43
EUROPÉENS
sitaire française qui a publié un ouvrage
intitulé Le couple franco-allemand n’existe
pas, pour laquelle la France est aujourd’hui
à la remorque de l’A llemagne et qui conclut
son dernier livre par un constat défi nitif :
« Limitatif, enfermant, déséquilibré, monté
en épingle par des élites françaises défai-
tistes, nourrissant un sentiment d’infério-
rité et d’envie à l’endroit du grand voisin
germain mais ne disant pas grand-chose
aux deux peuples, le couple franco-alle-
mand, lui, n’existe pas ».
L’Europe plus allemande
aujourd’hui ?
À la merci des aléas politiques
L’Europe est donc plus qu’influencée par la Le comportement et la cote de popula-
puissance économique de l’A llemagne. En rité des dirigeants, c’est aussi là que le bât
2010, tout le monde se souvient du destin blesse en Europe. Merkel comme Macron
de la Grèce suspendu au vote du Parlement se défient l’un de l’autre : la première par
allemand pour savoir si elle allait être sauvée expérience et culture, le second par tac-
du désastre et rester au sein de l’Union ou tique et tropisme générationnel.
bien décrocher et partir au loin comme un
navire à la dérive. Tout le monde se sou- Ainsi, si lors de son élection
vient aussi, en 1992, des débats qui ont Emmanuel Macron est très vite apparu
émaillé le vote sur Maastricht, la critique comme le sauveur de l’Europe, l’homme
en règle des critères énoncés par le ministre qui voulait porter un projet européen, il
des Finances allemand de l’époque, Theo pouvait surtout, et aux yeux de tous, tordre
Waigel. L’un des critères était pourtant le bras à une Angela Merkel à son apogée,
d’origine française, créé en 1982 et adopté consacrée année après année comme la
ensuite par tous dans le texte proposé au femme la plus puissante du monde par
vote : 3 % de déficit à respecter. Un diktat le magazine Forbes. Ce qui avait fi ni par
devenu allemand quand l’A llemagne vou- irriter même au sein de son propre parti,
lait instaurer de la rigueur en Europe pour la CDU. Et puis il y eu des élections et
ne pas payer pour les autres, déjà ! l’étoile de Merkel s’est soudain mise à pâlir
très sérieusement. Mal élue, mal mariée,
Ce traité de Maastricht, aux cri- la chancelière s’est soudain vue affaiblie
tères rigoureux, adopté de justesse en et responsable de l’entrée de la droite
France, est depuis imputé à une Allemagne extrême au Bundestag dans un pays où
qui a voulu faire de la politique de rigueur ce type d’évènement relève d’une com-
son credo et accusée de vouloir dépouiller motion, d’un traumatisme. Devenue celle
les États de leur souveraineté monétaire. par qui le malheur arrive, elle s’est retrou-
Une perte de souveraineté fustigée par vée, à travers son parti, à la place des per-
Jean-Luc Mélenchon, le président de la dants, obligée en matière d’immigration,
France insoumise, dans son livre le Hareng d’accéder aux volontés de son parti frère
de Bismarck ou encore par Marine Le Pen plus à droite, la CSU. Impuissante chez
à travers son souhait d’abandonner l’euro elle, quittant la tête de son parti, Merkel
lors de la dernière présidentielle. On pour- n’a plus la tête au projet européen et tous
rait encore citer le livre du sociologue alle- les câlins du monde sur l’épaule d’Emma-
mand Ulrich Beck qui dénonce lui aussi nuel Macron ne servent désormais plus
l’hégémonie de son pays et la volonté d’im- qu’à faire de belles images en télévision.
poser son modèle, notamment aux pays L’A llemagne, en position de leader écono-
du Sud, dans son livre Non à l’Europe alle- mique mais aussi politique, n’a pas su créer
44 mande. Ou Coralie Delaume, cette univer- d’espérance en Europe. Sa chancelière a
MOMENTUM
« Impuissante chez
elle, quittant la tête
de son parti, Merkel
n’a plus la tête au
projet européen. »
« Le franco-allemand a désespérément
essayé de créer la franceallemagne, un
personnage hybride qui ne peut exister.
Qui n’a aucun sens anthropologique ».
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* Le Franco-Allemand est mort.
Mais il donne lieu à un espace bien plus large.