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MOMEN

T DE S
TUM

OUFFLE
À BOU PA R L IS
E J O L LY E T O L IV
IE R B R E TO N

Au commencement était Paris-Berlin, relation essentielle


mais plus suffisante. Pour relancer les vieux couples, il faut
de nouvelles perspectives. Sinon, c’est la famille entière qui
risque d’imploser.
EUROPÉENS

À BOUT DE SOUFFLE
Vers la fin
du franco-allemand ?

« La nécessité du Le franco-allemand est un réseau mori-


franco-allemand, dans bond, souffreteux qui se nourrit de son
une Europe élargie indéniable importance historique mais
qui tourne en rond sans proposer de nou-
et bousculée par la velles perspectives dans une Europe dont
mondialisation, à l’heure il se targue d’être le moteur. Reste qu’au vu
des avions low cost, de ce que devient l’Europe (Italie, Hongrie,
du tourisme de masse, Autriche, Hollande, Pologne, Slovaquie,
Finlande, Grèce, République tchèque…), il a
de l’abolition des
besoin d’être repensé, repositionné de fond
frontières européennes en comble : dans ses missions, ses postures,
et dans une planète ses principes. Sa construction sur les ruines
qui a la bougeotte, de deux conflits mondiaux n’a évidemment
semble devenue désuète plus la même importance qu’au sortir de
la guerre. Après 70  ans de paix, le couple
et bien insuffisante. » franco-allemand est-il toujours le moteur
de l’Europe  ? N’est-il pas paradoxalement
devenu le premier obstacle de la construc-
tion européenne  ? Il serait temps, une
bonne fois pour toutes, de relativiser son
importance et de l’inviter à délaisser son
LISE JOLLY exclusivité au profit d’un processus général
d’intégration seul à même de sauver une
Journaliste, spécialiste
des affaires européennes
certaine idée de l’Europe.

Des symboles exténués


OLIVIER BRETON Le franco-allemand est passé maître en
Directeur de la publication matière de commémorations et de sym-
34 de Européens boles. Il s’en nourrit de façon quasi exclu-
MOMENTUM
sive et passe son temps, au nom du devoir Hebdo avec Merkel appuyant sa tête sur
de mémoire, à ressasser les anniversaires et l’épaule de Hollande en signe de compas-
autres cérémonies sans objet. De fait, il mul- sion ou encore Kohl et Mitterrand main
tiplie les images pour la postérité. On les a dans la main à Verdun, Giscard et Schmidt,
toutes plus ou moins en mémoire, surtout meilleurs amis du monde ou Chirac et
chez ceux qui appartiennent à ces cercles Schröder partageant le même goût de la
restreints tant en France qu’en Allemagne bonne chère. Autant de signes qui sont là
et aiment à y paraître, tant le battage pour témoigner que, bien qu’humiliés les
médiatique et politique est intense. N’allez uns par les autres à deux reprises lors de
surtout pas demander aux « étrangers » de guerres eff royables, les deux nations incar-
s’en souvenir : pour eux, cela n’évoque rien nées par leurs chefs, sont à jamais réconci-
malgré la débauche d’argent public mis liées et travaillent main dans la main. Mais
sur la table pour faire survivre l’idée d’une des signes qui sont aussi, à force d’être
Allemagne coupable face à une France répétés, commentés, disséqués devenus
censément victorieuse. vides de sens. Cela sent la comédie de
boulevard maintes fois rejouée comme ce
Avant tout, il y a les grandes nouveau traité de l’Élysée II arrivant après
démonstrations politiques. La dernière en un agenda 2020 déjà acté, histoire de nous
date, c’est la commémoration qui a eu lieu replonger dans le passé et de réchauffer
à Rethondes, le 11  novembre dernier avec une marmite qui n’en fi nit plus de bouil-
une chancelière murmurant avec empa- lir au risque que la viande se racornisse.
thie à l’oreille d’un Emmanuel Macron Et avec elle le récipient.
bienveillant et souriant. Ah  ! Comme le
franco-allemand aime ces images  : cela Et pourtant…
lui donne de l’allure  ! Et le lendemain, aux
acteurs de ce franco-allemand de se réu- Et pourtant ces cérémonies, dont plus per-
nir, de se congratuler, de se féliciter, de sonne n’est dupe, ont eu par le passé une
commenter. Souvenons-nous aussi du ras- utilité. Le « Plus jamais ça » a indubitable-
semblement de la place de la République, ment rapproché la France et l’A llemagne,
à Paris, après les attentats contre Charlie et des réseaux se sont tissés. Le discours 35
EUROPÉENS
Le franco-allemand, un colosse
aux pieds d’argile
La France et l’A llemagne ont un début d’his-
toire commune : ils ont partagé un temps le
même empereur, Charlemagne ou Karl der
Grosse, (avant l’an mille), et il en reste des
traces. À commencer par les jumelages. C’est
par eux que le rapprochement a commencé.
Le plus vieux jumelage franco-allemand date
à la jeunesse allemande de De Gaulle de 836 entre Le Mans et Paderborn. C’est la
à Ludwigsburg, sa tournée triomphale en première trace d’échange et de coopération
Allemagne en 1962, le traité de l’Élysée du entre deux communes étrangères. Mais c’est
22  janvier 1963 qui régit les relations entre dans l’immédiate après-guerre que le pre-
les deux nations, ont été le début de la mise mier jumelage « moderne » franco-allemand
en place d’un réseau de coopération bila- est lancé entre Montbéliard et Ludwigsburg
térale à nul autre pareil. Ils ont aussi signé dans le Bade-Wurtemberg. Nous sommes
le début de la construction européenne. dans les années 50, et ce jumelage officialisé
Mais aujourd’hui à l’heure de la mondiali- en 1963 au moment du traité de l’Élysée, est
sation, cela pèse-t-il encore  ? Les premiers proprement révolutionnaire  : il démontre la

« Le franco-allemand est passé maître


en matière de commémorations et
de symboles. Il s’en nourrit de façon
quasi exclusive… »

héros de ce rapprochement (Schuman, vitalité de l’Europe des villes et des collecti-


Rovan, Adenauer, De Gaulle…) ne sont plus vités locales. Bien d’autres suivront : en tout
là et, malgré tout, la paix entre les deux 2 281  jumelages avec l’A llemagne. Cette
nations semble acquise. La nécessité du Europe « par le bas », qui a précédé l’Europe
franco-allemand, dans une Europe élargie par le haut des dirigeants politiques, a fait
et bousculée par la mondialisation, à l’heure évoluer les mentalités. Mais elle n’a pas su ou
des avions low cost, du tourisme de masse, pas pu dépasser ces rapprochements locaux
de l’abolition des frontières européennes et ni même se faire entendre par les plus hautes
dans une planète qui a la bougeotte, semble instances de l’État. Pis, elle n’a pas su imposer
devenue désuète et bien insuffisante. Elle des règles de fonctionnement, attribuer des
ne parle d’ailleurs plus guère qu’à ce que cahiers des charges précis à leurs actions et
certains n’hésitent pas à décrire comme allouer des moyens. Jusqu’à se contenter bien
un Directoire franco-allemand, voire un souvent de n’être qu’une simple mention sur
ghetto vieillissant fait de grandes et petites les panneaux de signalisation à l’entrée des
hypocrisies. Un franco-allemand, objet de communes. Une simple indication. Même
bien des critiques de la part de la totalité des pas une fierté. Encore moins un programme.
autres pays européens tellement désabusés
de ce qu’ils considèrent comme un autori- Aujourd’hui, on estime que la
tarisme permanent au point qu’ils préfèrent plupart des jumelages sont morts ou en
chercher des alliés sous d’autres cieux. déshérence. À peine 400 auraient encore
De nouvelles amitiés, qui loin de consolider une existence. Mais non centralisés, non
l’UE, la désintègrent au risque de la placer, encadrés, non coordonnés, et soutenus
selon Bruno Le Maire, dans un processus par des bénévoles vieillissants, ils sont à
36 de décomposition (BFMTV 19 juin 2018). la recherche d’un nouveau souffle. À quoi
« Après 70 ans

MOMENTUM
de paix, le couple
franco-allemand est-il
toujours le moteur
de l’Europe ? »

servent-ils  ? Plus besoin d’eux pour aller su appeler de ses vœux une coopération par
visiter le pays voisin. Le programme d’ac- les régions mais force est de constater que,
tivités qui ne se résume souvent qu’à des les structures administratives de la France
échanges gastronomiques ne séduit guère. et de l’A llemagne étant par trop différentes,
Les jeunes ignorent ces échanges et s’en ces coopérations ne reposaient que sur
détournent. En janvier dernier, la fonda- des hommes et les volontés politiques du
tion Bertelsmann et l’Institut français de moment et cela n’a pas fait long feu.
Ludwigsburg révélaient dans une étude
que seuls 23  % des participants aux jume- Apprendre la langue du voisin
lages avaient moins de 30 ans et 40 % plus
de 60  ans. Poussifs et en voie de dispari- n’y changera rien !
tion, les jumelages ne se sont pas repensés La compréhension, c’est le b.a.-ba mais c’est
et n’intéressent guère des maires qui savent aussi là que le bât blesse. En Allemagne selon
que leur futur se conçoit au-delà du bilatéral. l’AWA (Allensbacher Markt- und Werbeträ-
geranalyse), seuls 1,39  million d’A llemands
Ce qui est vrai au niveau commu- de plus de 14  ans, dans un pays de plus de
nal l’est aussi au niveau régional  : depuis 80  millions d’habitants, estiment avoir une
2003, depuis que les régions françaises ont très bonne connaissance de la langue fran-
acquis davantage d’autonomie, les coo- çaise. Un chiffre qui remonte légèrement
pérations avec les Länder allemands se mais qui a marqué une inflexion entre 2014
sont multipliées. Il en existe aujourd’hui et 2018. Et si la Sarre, région frontalière a mis
neuf, Auvergne-Rhône-Alpes avec le Bade- au point une « stratégie du français » et dans
Wurtemberg, Bourgogne-Franche-Comté les écoles, enseigne désormais dans les deux
avec la Rhénanie-Palatinat, la Nouvelle- langues, cette situation est une exception et
Aquitaine avec la Hesse, pour n’en citer a pour but de faciliter la vie des frontaliers
que quelques-unes. Ces coopérations fonc- (18 000 actuellement), qui traversent quoti-
tionnent, évidemment depuis longtemps diennement la frontière. Encore faudra-t-il
dans les régions frontalières, comme la mise attendre 2043 pour que le français devienne
en commun de service d’urgence entre la la deuxième langue officielle sarroise. Les
Sarre et la Moselle, et avec des échanges éco- régions frontalières comme la Sarre et le
nomiques et culturels mais on reste dans le Bade-Wurtemberg sont d’ailleurs celles qui
franco-allemand « d’en bas ». Celui qui fonc- comptent le plus de francophones, mais il
tionne de manière locale, dont on tire peu de est quasiment impossible d’apprendre le
retours sur expérience et peu de nouvelles français en première langue étrangère à
propositions. En son temps Raffarin avait Berlin et à l’Est en général. 37
EUROPÉENS
La situation est pire en France où il y a 20  000 chaque année. Mais ce ne sont
1,2 million de germanophones sur plus que moins de 200  000 jeunes par an qui
de 60  millions de Français mais sur- découvrent le pays partenaire. Soit envi-
tout localisés en Alsace et en Moselle. ron 10  millions de jeunes seulement en
Les revirements des gouvernements 55  ans d’existence. Un chiffre bien faible
successifs n’ont pas arrangé les choses. si l’on tient compte de la démographie des
Les décisions de la ministre Najat Val- deux pays et des sommes englouties. Et
laud-Belkacem, qui est revenue sur les même ridicule quand on sait que l’OFAJ
classes bilingues et les sections euro- comptabilise tout euro alloué comme
péennes, pour les voir rétablies ensuite une action  : qu’il s’agisse d’une subven-
par son successeur, Jean-Michel Blan- tion de 10 000 euros pour une association,
quer, ont porté un coup à la langue de comme d’une participation de 10 euros à
Goethe. Et l’on peut se demander à quoi un écolier se rendant en Allemagne !
sert vraiment le traité de l’Élysée signé
en 1963 et qui régit les relations entre Erasmus est passé par là, avec
les deux pays. Un traité renforcé en 2003 davantage de moyens. 2,2  milliards  d’euros
notamment en ce qui concerne l’appren- aujourd’hui, 33  pays participants. Les
tissage de la langue du partenaire, mais différents programmes Erasmus, qui
passé par pertes et profits par la ministre concernent aujourd’hui aussi les appren-

« La connaissance de la langue du
partenaire n’a guère fait de progrès en
70 ans, elle a même considérablement
régressé depuis les années 70. »

du gouvernement Hollande au prétexte tis et les jeunes entrepreneurs, ont séduit


que l’allemand est une langue élitiste. autant de jeunes en 30 années d’existence
Une considération largement dépassée (le programme a été créé en 1987) que
depuis les années  50, car aujourd’hui ce l’OFAJ en 55  ans, puisque ce sont 9  mil-
sont surtout avec le russe et le chinois que lions de jeunes européens qui ont parti-
les très bons élèves marquent leurs diffé- cipé à ces échanges y compris avec l’A lle-
rences. Quoi qu’il en soit, la connaissance magne. On peut aujourd’hui logiquement
de la langue du partenaire n’a guère fait se demander si l’OFAJ est toujours un pro-
de progrès en 70 ans, elle a même considé- gramme d’échange utile alors qu’Erasmus
rablement régressé depuis les années 70. est ouvert à une génération qui se sent
chez elle partout en Europe, qui refuse
toute récupération (du type franco-alle-
Dernier gardien du temple mand) et qui aux trois quarts, se sent euro-
franco-allemand, l’OFAJ, vestige péenne comme le montrait une étude de la
du passé Commission européenne faite au moment
du Brexit. Quant à l’image et la fréquenta-
Pourtant, il y a l’OFAJ, l’Office franco- tion de l’A llemagne, une étude effectuée
allemand pour la jeunesse. Le DFJW en il y a un an sur 300  jeunes Français de 18
allemand. Avec près de 22  millions d’eu- à 25  ans par l’ambassade d’A llemagne en
ros de frais de fonctionnement par an, France montre que près de deux jeunes
l’Office est censément l’organisme qui Français sur trois s’est déjà rendu en Alle-
permet aux jeunes de mieux connaître magne et porte sur le pays un regard bien
la culture de l’autre. Les programmes différent de leurs aînés et en a une image
d’échanges individuels, ou en groupe, plutôt rajeunie. De quoi se rassurer un peu
38 scolaires ou apprentis, sont près de sur l’avenir les échanges entre la France
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EUROPÉENS

« Ce “machin” franco-allemand continue


pou rtant de fonctionner depuis près de
20 ans… »

et l’A llemagne qui, heureusement, n’at- ces initiatives qui ne vivent qu’un temps.
tendent plus rien de l’OFAJ. Cela est d’au- De fausses bonnes idées sans substance
tant plus vrai que ces résultats auraient (tel le Haut Conseil culturel franco-alle-
été les mêmes si on les avait collectés sur mand) ou qui survivent sans qu’on sache
d’autres zones géographiques telles que vraiment à quoi ils servent tel le DFI, Deutsch-
l’Italie ou l’Espagne. Franzosisches Institut de Ludwigsburg, ou
encore la Brigade franco-allemande, embryon
Au-delà de cela, l’OFAJ en concen- d’armée européenne quasi mort-née mais qui
trant la quasi-totalité des moyens publics mérite qu’on s’arrête une seconde sur elle.
alloués au franco-allemand, a peu à peu été
positionné comme un organe de redistribu- La BFA symbole des limites
tion de la manne publique. Déculpabilisant
les pouvoirs en place et les exonérant de franco- allemandes
toutes autres initiatives. Un arbre cachant Le plus grand fait d’armes de la Brigade
mal le désert que le franco allemand est peu franco-allemande est d’avoir fait défiler
à peu devenu. des soldats allemands sur les Champs-
Élysées en 2009, brisant ainsi un tabou issu
Blaesheim, kesako ? des deux, voire trois guerres fratricides.
Sa présence à Sarajevo en 1996, au sein
Pourtant, dira-t-on, la coopération entre de la SFOR, en Bosnie en 2001, à Kaboul
gouvernements, elle, n’a cessé de se renfor- en 2004-2005 sous le commandement de
cer. On trouve des Français au ministère l’Eurocorps, ou encore en Afghanistan en
des Finances ou de l’Économie allemand et 2010, ne nous parle pas davantage que les
vice et versa. On échange des diplomates (de échanges de hauts fonctionnaires ou les
moins en moins). On fait même des Conseils réunions de l’exécutif.
des ministres (parfois), officiels ou informels
sous le nom de Blaesheim, une petite com- La seule chose qu’on peut éven-
mune française située dans le département tuellement retenir, ce sont les conclusions
du Bas-Rhin. Ce processus de Blaesheim d’un rapport de la Cour des comptes de
a aujourd’hui 17  ans. Il a été instauré par 2012 qui préconisait une refonte voire une
Gerhard Schröder et Jacques Chirac, pour disparition de la BFA. Un rapport des dépu-
que les têtes de l’exécutif se rencontrent tés datant de 2015 pointait déjà les difficul-
régulièrement afin de présenter un front tés de la brigade. Auparavant, soulignait
uni lors des sommets franco-allemands et cette année-là le député Francis Hillmeyer,
surtout européens. De vous à moi, personne les soldats s’exprimaient dans la langue du
parmi les électeurs des deux pays ne se sou- partenaire mais aujourd’hui ils n’utilisent
vient aujourd’hui de cette initiative qui ne plus que l’anglais pour communiquer.
trouve quasiment aucun écho dans la presse Le député mettait aussi l’accent sur le fait
des deux côtés du Rhin. Que se passe-t-il que la France assurait la partie offensive de
durant ces conseils informels ? On est bien certaines actions communes tandis que
en peine de le dire  ! Cela sert-il à les Allemands s’occupaient surtout de la
quelque chose  ? Le citoyen lambda n’en popote. Patricia Adam, la présidente de la
a aucune idée puisque rien ne filtre  ! Commission, épinglait aussi la difficulté
Ce « machin » franco-allemand conti- d’obéir à des ordres venus de deux pays
nue pourtant de fonctionner depuis près et déplorait la vétusté des matériels fran-
40 de 20  ans… Et il n’est qu’un exemple de çais mis à la disposition de cette brigade.
« La lente dérive
de ce franco-
allemand qui
meurt de ne
pas comprendre
qu’il n’existe
plus que dans
un cadre élargi
dans lequel il
se doit d’être
dissous sans
attendre. »
EUROPÉENS
Depuis, Donaueschingen a déjà dit adieu
au 110 e  régiment d’infanterie, les coupes
budgétaires sont passées par là.

La BFA créée en 1989 a montré ses


limites et n’a pas reçu grand soutien des
politiques. Quel avenir dans ces conditions
pour une armée européenne de défense que
préconisent Angela Merkel et Emmanuel
Macron pour faire pièce au désengagement
de Donald Trump dans l’OTAN ? La ques-
tion se pose clairement. S’agit-il d’une véri-
table volonté politique ou bien d’un vœu
pieux avant les élections européennes  ?
On pencherait plutôt pour la seconde par-
tie de l’hypothèse puisque, sur le terrain,
les deux pays n’ont pas réussi à faire vivre et
surtout à soutenir une brigade franco-alle-
mande dont l’objectif était d’être l’embryon
de cette armée européenne.

Clubs, think tank, et


autres cercles fermés
Il faudrait bien plus que l’espace d’un article
pour décrire la lente dérive de ce franco-
allemand qui meurt de ne pas comprendre
qu’il n’existe plus que dans un cadre élargi
dans lequel il se doit d’être dissous sans
attendre. Et dans lesquels on retrouve des assurément des structures « d’origine fran-
nostalgiques de l’après-guerre, des « person- co-allemande » qui l’ont admis  : ainsi de
nalités » en quête d’honneur et de postes l’Université franco-allemande qui impose
reluisants, des affairistes de tous poils, quand des cursus tri-nationaux ou de la chaîne
ce ne sont pas carrément des souverainistes de télévision Arte qui a tardivement com-
du Saint-Empire romain germanique ou des pris (pour tout dire seulement sous la
frontaliers rêvant de faire de leur exception présidence de Véronique Cayla) qu’elle
géographique une règle de fonctionnement devait s’extraire du toute histoire franco-
général. Lister les associations ou clubs qui allemande pour se rappeler à la significa-
se réclament du franco allemand serait fas- tion de l’acronyme qui la porte  : Associa-
tidieux et ne présenterait un intérêt que si tion Relative à la Télévision Européenne et
la somme de ses membres représentait plus se consacrer, enfi n et avec succès, à la créa-
de 2 à 3 000 individus. Ce sont eux que l’on tion européenne. Il ne s’agit là que de deux
retrouve de manifestation en manifestation, exceptions. C’est fort peu.
soldats désespérés et souvent aigris d’une
cause perdue faute d’avoir vu qu’elle devait Reste une vingtaine de clubs d’af-
inclure les autres pays européens plutôt que faires franco-allemand, un congrès annuel
d’en être la locomotive autoproclamée et de décideurs de haut niveau (les Rencontres
trop souvent arrogante. d’Évian), quatre ou cinq think tank fermés (et
parfois tellement confidentiels qu’ils ne sont
Et inutile de leur expliquer que constitués que par deux ou trois membres),
c’est de ne pas avoir su s’ouvrir aux autres voire exotiques et d’un autre âge (la FEFA
pays européens que les dérives populistes par exemple), deux chambres de commerce,
42 ou fascistes surviennent aujourd’hui. Il y a dont l’une est entièrement subventionnée
MOMENTUM
par l’A llemagne tandis que l’autre vivote en Tandis que la dette allemande se résorbe
Sarre. Mais la totalité de ces structures n’ont depuis plusieurs années, de 78  € par
en vérité aucune dimension sociale ou poli- seconde, selon la Fédération des contri-
tique, elles n’ont rien de spécifique. Leur but buables, et devrait passer sous les 60 % du
n’est pas l’amitié ou l’exception franco-alle- PIB voulu par Maastricht, à 56,3 % du PIB
mande  : elle réside pour la plupart d’entre pour 2019.
elles, et qui pourrait les en blâmer, très sim-
plement à rapprocher des entreprises pour Autrement dit, la problématique
faire des affaires. Reste que ces rencontres des deux pays s’est considérablement éloi-
opportunistes ou ponctuelles disposent de gnée. Quand la France gèle ou presque les
bien d’autres canaux pour se réaliser tant les pensions des retraités, les Rentner alle-
entreprises se sont ouvertes, et bénéficient mands se voient attribuer 4  milliards de
au niveau européen ou mondial de relais plus. Quand la France se demande com-
puissants pour explorer les marchés poten- ment financer ses prestations sociales et
tiels de l’autre. ses politiques publiques, l’A llemagne, elle,
se demande quoi faire de sa cagnotte. Dif-
France-Allemagne, deux ficile dans ses conditions d’avoir un lan-
gage commun sur l’Europe quand chacun
trajectoires par trop singulières tire la charrette dans le sens inverse du
Pour comprendre la fin du franco-alle- partenaire. Impossible par exemple, de
mand, il convient de replacer la France et faire avaler aux Allemands, avec un Bun-
l’A llemagne dans le contexte économique destag garant du budget fédéral, la créa-
et politique actuel. tion d’un budget européen souhaité par
Emmanuel Macron.
L’A llemagne en Europe, c’est le
pays de l’exportation, qui a su depuis L’A llemagne en Europe est déjà
longtemps se tourner vers la Chine entre celle qui paie la plus grosse partie de la
autres, celle qui a modéré ses salaires facture, notamment par sa contribution
pour être compétitive et qui affiche au budget européen 20  % (contre 18  % à la
aujourd’hui un quasi-plein emploi. Avec France). Nous ne sommes plus au temps

« Cause perdue faute d’avoir vu qu’elle


devait inclure les autres pays européens
plutôt que d’en être la locomotive
autoproclamée et trop souvent arrogante. »

ses 262  milliards engrangés dans ses du traité de Versailles, quand le ministre
caisses depuis plusieurs années, elle des Finances de Clemenceau, Louis-
affiche le plus gros excédent budgétaire Lucien Klotz, déclarait « l’A llemagne paiera ».
mondial. La France, elle, s’est désindus- Les Allemands, notamment dans le parti
trialisée. En 30 ans, elle a perdu 2 millions d’A ngela Merkel, redoutent précisément de
d’emplois industriels. Axée sur les ser- trop payer la facture européenne. On est
vices et la demande intérieure, elle se donc entré aujourd’hui au minimum dans
débat depuis près de 10 ans avec un déficit l’ère du Blues du franco-allemand, titre
excessif, c’est-à-dire qui dépasse les 3 % de du livre de Georg Blume, correspondant
Maastricht et peine tout juste de le maî- du magazine Die Zeit à Paris. Voire dans
triser. Sa dette ne se résorbe pas, elle frôle deux galaxies différentes qui s’éloignent
les 100 % du PIB à 2 300 milliards d’euros l’une de l’autre, dangereusement.
contre près 67  % au moment de la crise. 43
EUROPÉENS
sitaire française qui a publié un ouvrage
intitulé Le couple franco-allemand n’existe
pas, pour laquelle la France est aujourd’hui
à la remorque de l’A llemagne et qui conclut
son dernier livre par un constat défi nitif  :
« Limitatif, enfermant, déséquilibré, monté
en épingle par des élites françaises défai-
tistes, nourrissant un sentiment d’infério-
rité et d’envie à l’endroit du grand voisin
germain mais ne disant pas grand-chose
aux deux peuples, le couple franco-alle-
mand, lui, n’existe pas ».
L’Europe plus allemande
aujourd’hui ?
À la merci des aléas politiques
L’Europe est donc plus qu’influencée par la Le comportement et la cote de popula-
puissance économique de l’A llemagne. En rité des dirigeants, c’est aussi là que le bât
2010, tout le monde se souvient du destin blesse en Europe. Merkel comme Macron
de la Grèce suspendu au vote du Parlement se défient l’un de l’autre  : la première par
allemand pour savoir si elle allait être sauvée expérience et culture, le second par tac-
du désastre et rester au sein de l’Union ou tique et tropisme générationnel.
bien décrocher et partir au loin comme un
navire à la dérive. Tout le monde se sou- Ainsi, si lors de son élection
vient aussi, en 1992, des débats qui ont Emmanuel Macron est très vite apparu
émaillé le vote sur Maastricht, la critique comme le sauveur de l’Europe, l’homme
en règle des critères énoncés par le ministre qui voulait porter un projet européen, il
des Finances allemand de l’époque, Theo pouvait surtout, et aux yeux de tous, tordre
Waigel. L’un des critères était pourtant le bras à une Angela Merkel à son apogée,
d’origine française, créé en 1982 et adopté consacrée année après année comme la
ensuite par tous dans le texte proposé au femme la plus puissante du monde par
vote  : 3  % de déficit à respecter. Un diktat le magazine Forbes. Ce qui avait fi ni par
devenu allemand quand l’A llemagne vou- irriter même au sein de son propre parti,
lait instaurer de la rigueur en Europe pour la CDU. Et puis il y eu des élections et
ne pas payer pour les autres, déjà ! l’étoile de Merkel s’est soudain mise à pâlir
très sérieusement. Mal élue, mal mariée,
Ce traité de Maastricht, aux cri- la chancelière s’est soudain vue affaiblie
tères rigoureux, adopté de justesse en et responsable de l’entrée de la droite
France, est depuis imputé à une Allemagne extrême au Bundestag dans un pays où
qui a voulu faire de la politique de rigueur ce type d’évènement relève d’une com-
son credo et accusée de vouloir dépouiller motion, d’un traumatisme. Devenue celle
les États de leur souveraineté monétaire. par qui le malheur arrive, elle s’est retrou-
Une perte de souveraineté fustigée par vée, à travers son parti, à la place des per-
Jean-Luc Mélenchon, le président de la dants, obligée en matière d’immigration,
France insoumise, dans son livre le Hareng d’accéder aux volontés de son parti frère
de Bismarck ou encore par Marine Le Pen plus à droite, la CSU. Impuissante chez
à travers son souhait d’abandonner l’euro elle, quittant la tête de son parti, Merkel
lors de la dernière présidentielle. On pour- n’a plus la tête au projet européen et tous
rait encore citer le livre du sociologue alle- les câlins du monde sur l’épaule d’Emma-
mand Ulrich Beck qui dénonce lui aussi nuel Macron ne servent désormais plus
l’hégémonie de son pays et la volonté d’im- qu’à faire de belles images en télévision.
poser son modèle, notamment aux pays L’A llemagne, en position de leader écono-
du Sud, dans son livre Non à l’Europe alle- mique mais aussi politique, n’a pas su créer
44 mande. Ou Coralie Delaume, cette univer- d’espérance en Europe. Sa chancelière a
MOMENTUM
« Impuissante chez
elle, quittant la tête
de son parti, Merkel
n’a plus la tête au
projet européen. »

manqué complètement de vision et laissé La nécessité d’élargir


s’installer la défiance chez ses voisins mais
aussi chez elle. Alors faut-il élargir le leadership européen
à d’autres nations. Certains s’y sont essayés.
Son partenaire, Emmanuel Macron, Gerhard Schröder, à peine élu chancelier,
est aujourd’hui dans la même position. s’était précipité à Londres pour rendre
Dix-huit mois après une élection éton- visite à Tony Blair. En se rapprochant de la
nante au déroulement sans précédent avec Grande-Bretagne, il espérait copier les réus-
derrière lui un mouvement vieux d’à peine sites sociales-libérales dont il s’est d’ailleurs
un an, il avait suscité de grands espoirs inspiré et peser sur la politique européenne.
chez les Français en bousculant une vie Mal lui en a pris, il a fallu qu’il se résigne
politique devenue incompréhensible aux et finisse par se tourner vers Paris et vers
yeux des citoyens. Le voici aujourd’hui, Jacques Chirac dont il partageait le goût
Jupiter détrôné, tombé au bas de son pié- pour les libations. Le non à la guerre en Irak a
destal, désemparé par un mouvement été l’apothéose de ce rapprochement franco-
proche de la Jacquerie : le mouvement des allemand. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne
« gilets jaunes » qui traduit le mécontente- est sur le point de quitter l’Europe et ne
ment d’une France protéiforme mais qui représente plus une alliée. François Hollande,
dans l’ensemble se sent trahie et toujours lui aussi, a tenté sa chance en se tournant
autant coupée de ses élites. Un mouvement vers l’Italie de Renzi, espérant ainsi infléchir
émaillé de violences qui laisseront une la politique d’austérité à laquelle l’A llemagne
trace durable sur les prochaines années tenait tant. On sait ce qu’il en est advenu.
de son quinquennat et l’empêcheront sans Depuis, le vent a tourné, Renzi a disparu
doute de poursuivre ses réformes. pour laisser place au gouvernement italien de
Guiseppe Conte dont la politique de droite
Autant dire qu’à ce stade, et à extrême, incarnée par Matteo Salvini, est
quelques mois seulement des élections en opposition avec Bruxelles voire avec les
européennes, le franco-allemand et la valeurs de nos démocraties européennes.
relance de l’Europe sont à des années- L’Italie non plus ne peut être un allié.
lumière des préoccupations des deux
dirigeants qui tentent tous deux de Quant aux pays du groupe de Vise-
sauver leur mandat. Le moteur franco- grad, et notamment la Pologne, leurs tra-
allemand est mort, la relance de l’Europe jectoires s’éloignent, elles aussi, des valeurs
en panne et les solutions de rechange portées par l’Europe. Sortis pour la plupart
quasi inexistantes. de la domination austro-hongroise pour 45
EUROPÉENS
tomber dans l’escarcelle communiste avant orientale, en Russie, en Asie et a commencé
de rejoindre l’Europe avec circonspection, discrètement à développer une politique de
ces pays ont eu peu d’existence propre et prosélytisme linguistique en lançant à tra-
entendent bien faire valoir leur souveraineté vers le monde des centaines de professeurs
nationale. Leur conception de l’Europe des de langues. Handicapée par son histoire et se
nations s’éloigne de la politique d’intégration méfiant trop d’elle-même, elle n’a par ailleurs
européenne menée jusqu’ici par les 27 et qui jamais voulu être l’hêgemôn dont l’Europe
veut rapprocher les pays les uns des autres. aurait bien eu besoin.
Là non plus, point de salut. L’Europe est à l’ar-
rêt. Elle est pour l’instant sans perspective et D’avoir voulu consacrer la totalité des
sans solution. Les Américains de la chaîne de moyens institutionnels à l’entente franco-alle-
télévision Fox ne s’y trompent pas  : pour mande plutôt qu’à la réinventer et à l’ouvrir
eux, l’Europe se délite. Une Europe malade aux nouvelles réalités, on a fini par asphyxier
des conséquences de la crise et des sacri- les meilleures volontés. Et il n’est de cénacles
fices qu’elle a exigés, mais aussi malade franco-allemand qui ne s’irritent tout bas de
d’un franco-allemand qui aujourd’hui ne sait l’égoïsme allemand en France et de l’arrogance
plus se réinventer. française en Allemagne. Tant de moyens

« Le franco-allemand a désespérément
essayé de créer la franceallemagne, un
personnage hybride qui ne peut exister.
Qui n’a aucun sens anthropologique ».

consacrés à mieux se comprendre ont produit


L’histoire jugera l’effet inverse. Ceux qui en font profession ont
privatisé un espace jusqu’à le rendre contre-
Le grand projet de la France, raconte le journa- productif, alors qu’il aurait fallu faire de nos
liste et écrivain Georges Valance, a longtemps différences une terre d’accueil des altérités
été la construction européenne appuyée européennes, alors qu’il aurait fallu intégrer
sur le binôme franco-allemand. Pour n’avoir la mondialisation. Nous nous regardons
pas su réaliser cette mission originelle, ce en chien de faïence pour nous féliciter de
couple qui n’en a plus que le nom, condamne minimes avancées, tel le récent accord sur
l’Europe à errer. Car le franco-allemand les GAFA dont chacun sait le ridicule en
a désespérément essayé de créer la franceal- termes de résultats.
lemagne, un personnage hybride qui ne peut
exister. Qui n’a aucun sens anthropologique. C’est maintenant à un changement
Et dont personne de chaque côté du Rhin radical de perspectives qu’il faut s’atteler.
ne veut. Celui-ci passe par la disparition de l’existant,
par une réorientation des fonds publics qui
Le désir politique en France de faire doivent être pensés au niveau de l’UE voire
renaître le monde de la francophonie signe de l’Europe, qui doivent passer d’un axe bila-
bien le changement d’orientation. Un pays téral à des solutions multilatérales. À cette
universaliste comme la France peut s’expri- condition le rôle du franco allemand sera
mer dans le vaste monde francophone, trou- célébré. Sinon, il portera la responsabilité
ver des nouvelles opportunités, et de vrais de l’implosion de l’espace communautaire
relais de croissance. qu’il avait porté sur les fonts baptismaux
et de ses conséquences qui menacent
De la même façon, l’A llemagne a l’avenir. En l’occurrence le retour des sou-
compris depuis bien longtemps que son ave- verainistes qui enferment, des populistes
46 nir passait par des développements en Europe et autres fascismes.
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* Le Franco-Allemand est mort.
Mais il donne lieu à un espace bien plus large.

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