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p. 585-607
TEXTO BIBLIOGRAFÍA NOTAS AUTOR
TEXTO COMPLETO
balkaniques », du (...)
1Travaillant depuis novembre 2000, dans le cadre de mon séminaire de recherche de l’École
des Hautes Études en Sciences Sociales, sur la magie chez les musulmans balkaniques1, je me
suis très rapidement rendu compte de l’intérêt qu’il y avait à mener cette recherche selon
trois principes : l’entreprendre pays par pays, afin d’analyser plus facilement l’ensemble des
avec la magie pratiquée chez les populations non musulmanes des pays en question ; mais
aussi, comparer à la magie pratiquée dans d’autres régions du monde musulman, et avant
tout — pour des raisons évidentes — à celle des populations de l’Empire ottoman et de la
Turquie contemporaine.
2 Voir POPOVIC 2004a, 2005, et 2009a. Je compte publier, dès que je pourrais, deux autres
études dans (...)
2J’ai débuté ces recherches par les territoires de l’ex-Yougoslavie, car les publications et la
documentation en général y sont infiniment plus nombreuses et plus riches par rapport à
celles concernant les autres pays du Sud-Est européen. Tout en analysant de façon
1
systématique, au cours des séances bimensuelles de notre séminaire de l’EHESS l’ensemble
commentaires d’auteurs postérieurs sur ces sujets, etc.), j’ai commencé à publier les tout
premiers résultats de ces recherches dans deux séries d’articles : la première est consacrée
aux travaux des principaux auteurs qui ont travaillé dans ce domaine2, et la seconde à des
études « transversales »3. Je me suis alors rendu compte qu’il serait intéressant d’ajouter à
ces deux séries d’études une troisième, dans laquelle seraient analysés séparément les travaux
publiés dans chacune des deux principales zones où vivent les populations musulmanes du
Monténégro et la Macédoine ; et cela pour chacune des quatre périodes historiques s’étalant
entre la création de cet État en 1918 et la période actuelle (donc : 1918-41, 1941-45,
1945-91, et 1992-2008). Les publications, ainsi regroupées par régions et par périodes,
permettent de déceler certains faits importants qui, pour de multiples raisons (d’ordre
politique, religieux et/ou idéologique), n’ont pas été clairement perçus, et par conséquent,
encore moins abordés, jusqu’à présent. Cette étude se situe dans cette dernière perspective,
c’est-à-dire entre 1878 et 1918. Au préalable, je ferai quelques rappels historiques sur la
région, et je rappelerai ce que nous savons sur la magie en BH à l’époque ottomane, avant
3La conquête ottomane des diverses régions de BH a eu lieu entre 1463 (mise à mort par
les Ottomans du dernier roi de Bosnie, Stjepan V Tomašević) et 1592 (chute de la ville de
Bihać, en Bosnie occidentale). L’islamisation de la population, qui a suivi, a été très forte4.
Cependant, cette islamisation a été lente et progressive ; elle s’est opérée au cours de deux
2
périodes bien distinctes, dont chacune a duré plus de deux siècles : la première, allant de la
conquête ottomane à l’échec des Ottomans sous les murs de Vienne en 1683 ; et la seconde,
à partir de cette date, jusqu’à l’occupation austro-hongroise, imposée par les clauses du
Congrès de Berlin en 1878. Deux phénomènes importants doivent être soulignés. Tout
autres), ce qui fait que la population musulmane slave de BH est restée relativement très
homogène. Ensuite, les quatre siècles d’occupation ottomane ont joué un rôle prépondérant
dans les clivages existant au sein de la population de BH, creusant un fossé entre les divers
Juifs (dont la plupart sont arrivés au cours du XVIe siècle), sans compter quelques autres
groupes minoritaires (POPOVIC 1986 : 271). Au cours des quarante années suivantes ces
chiffres ont varié de façon importante, car par exemple, lors du quatrième (et dernier)
recensement officiel autrichien, celui de 1910, les orthodoxes étaient 825.918 (43,49 %), les
musulmans 612.137 (32,25 %), les catholiques 434.061 (22,87 %), et les Juifs 11.868
(donc moins de 1 %). Ces chiffres, ainsi que ceux des deux recensements intermédiaires (de
1885 et 1895), montrent clairement deux choses : d’une part l’accroissement régulier de la
continue.
5Par ailleurs, pour ce qui est des rapports sociaux entre les trois principaux groupes de
3
De longue date, les rapports interethniques en Bosnie-Herzégovine sont, autant et
peut-être plus que des rapports interculturels, des rapports sociaux. L’islamisation
par des raisons économiques, et reste liée à des questions autour desquelles se
sont sans cesse articulés les rapports entre les groupes nationaux : la question du
agricoles [donc des paysans sans terre]), à leur service sont musulmans, 6,1 %
21,5 % catholiques et 4,6 % musulmans. Quant aux paysans libres, ils sont
(BOUGAREL 1992 : 110).
religieux des Slaves de BH repose, bien entendu, sur plusieurs couches de croyances et
pratiques qui se sont superposées au cours des siècles, avec toutes sortes d’inévitables
mélanges entre elles. Tout au début il y avait probablement un fond commun, une « magie
provenant de la magie des populations ayant habité les territoires de BH dans l’antiquité,
bien avant l’arrivée vers le milieu du VIIe s. des populations slaves dans ces régions. Avec la
christianisation de ces populations slaves (environ deux siècles plus tard ?), il y eut d’abord
d’avant la séparation entre l’Église catholique de Rome et les diverses Églises du monde
4
pratiquèrent une magie (autorisée ou condamnée) sous la surveillance d’abord des autorités
5 Il s’agit d’une pratique magique « ayant des affinités avec l’incubation antique », voir
FAHD 1974, (...)
6 Voir mss. Şehid Ali Paşa, n° 2819/3, Süleymaniye Kütüphanesi, Istanbul, fol. 348 et
fol. 505.
7 Voir deux études extrêmement intéressantes (parues en 1930 et 1931), d’un historien
conquête ottomane, elle repose sur les fondements de la magie islamique arabo-persano-
turque médiévale. On possède relativement peu de renseignements à son sujet. Ainsi, je n’ai
rien trouvé pour l’instant en ce qui concerne le XVe et le XVIe s., et seulement quelques
brèves mentions qui attestent son existence au XVIIe s. Parmi elles, la plus importante est la
référence que fait Münîrî Belgrâdî (fin du XVIe-début du XVIIes.), notamment au rituel
16126. Nous avons, en revanche, nettement plus de détails sur le XVIIIe s. (voir POPOVIC,
2009b). Il existe ainsi sept brèves mentions touchant au monde de la magie dans la très
qui couvre en gros les années 1746-1804. Ses renseignements montrent à quel point la
magie faisait partie de la vie quotidienne des musulmans d’une grande ville provinciale
balkanique, comme l’était Sarajevo au XVIIIe s. Par ailleurs, une vingtaine de documents
également en turc ottoman, ont été conservés, par lesquels divers représentants des autorités
Fojnica (Bosnie centrale) de soigner sans tarder tel ou tel malade musulman (homme ou
5
femme), censé être atteint d’une maladie provoquée par des « actes magiques7 ». Enfin, deux
autres documents d’archives sont des témoignages émanant de membres du haut clergé
catholique. Le premier est un récit enregistré au Kosovo (en 1764) par un visitateur officiel
qui fut amené à soigner pendant quinze jours de suite un musulman malade, torturé par des
crises de fureur. Le second a été noté en Bosnie en 1780 par un évêque catholique croate,
fra Marko Dobretić, auquel un autre musulman malade (ou psychologiquement perturbé)
avait demandé lui-même de le guérir par un zapis (une « écriture »), c’est-à-dire dans le cas
précis, une prière, une bénédiction ou une invocation religieuse, écrite sur du papier.
8 Le texte a été publié à Zagreb en 1861, donc après la mort de son auteur présumé. Sur ce
point, voi (...)
8Il existe aussi quelques renseignements intéressants sur la magie en BH dans des
que je laisse pour l’instant de côté, je signalerai quelques pages divertissantes écrites par deux
Le premier décrit sous la forme d’un bref récit très drôle, non signé8, la manière dont un
musulman bosniaque, un certain Alija Pekez, fraîchement arrivé de Bosnie dans la ville
d’Edirne, s’était mis à confectionner et à vendre des amulettes et des talismans, sans avoir
aucune connaissance dans ce domaine, abusant ainsi d’une manière effrontée de la crédulité
de la population locale9. Quant à Jako Baltić, personnage beaucoup moins connu que Jukić,
(publiée seulement en 1991), dans laquelle on trouve deux brefs passages concernant la
magie. Dans le premier, il est question d’un évêque catholique qui confectionnait et vendait
6
lui-aussi des zapisi (« écritures » ou talismans), cette fois-ci pendant la grande épizootie qui
toucha le gros bétail en Bosnie, lors de l’été 1862. L’affaire ayant mal tourné, celui-ci se fit
insulter par ses clients non catholiques. Une autre anecdote concerne l’introduction du
télégraphe en Bosnie, en 1865, action qui, comme toutes les autres innovations, fut plutôt
conseil nous aussi, à ce sujet, mais nous n’en savons rien non plus10 ! ».
9Le bilan provisoire de nos connaissances sur les pratiques magiques ches les populations
comme suit :
2. Avant 1878, il n’a été fait aucune étude sur la magie chez les musulmans de BH.
3. Nous n’avons donc sur celle-ci que des renseignements et témoignages épars à partir du
début du XVIIe siècle.
ottomane en géné (...)
Pour faire une étude de la magie chez les musulmans de BH à l’époque ottomane, il faudrait
aussi faire une analyse des nombreux textes manuscrits (en arabe, turc et persan), conservés
par exemple à la Bibliothèque Gazi Husrev-beg de Sarajevo, qui sont autant de traités, de
textes théoriques et pratiques sur la magie. L’exploitation historique de ces textes qui
témoignent des pratiques magiques dans la société musulmane de l’époque est cependant
7
difficile, dans la mesure où beaucoup ne sont pas datés, ne comportent pas de noms
complém (...)
10La situation concernant les publications sur la magie en BH change radicalement à partir
13 On désignait parfois en ex-Yougoslavie ces immigrants de façon péjorative par le terme
de « kuferaš (...)
11Ces deux institutions ont joué un rôle primordial dans la collecte des données et leur
publication. Elles ont permis la parution des tout premiers articles portant directement sur
notre sujet. Ces premiers textes contiennent généralement soit des renseignements bruts sur
des objets relatifs à la magie, collectés sur le terrain (accompagnés de descriptions plutôt
sommaires), soit des observations faites (toujours sur le terrain) concernant les pratiques
magiques, le rituel ou autres phénomènes. Il s’agit d’une documentation disparate, fruit des
travaux d’une quinzaine d’auteurs, ayant des niveaux scientifiques (et des niveaux de
connaissances générales) très différents les uns par rapport aux autres. La majorité de textes
importants sont l’œuvre d’immigrants, arrivés en Bosnie après 1878 afin d’y faire carrière
dans les domaines les plus divers13. Ces immigrants venaient de différentes parties de
l’Empire austro-hongrois : de Pologne, comme le médecin Leopold Glück (dont le nom était
8
futur haut fonctionnaire de l’administration austro-hongroise en BH, le tout premier
qui devint directeur du musée à partir de 1905 et rédacteur en chef du GZM, Ćiro Truhelka.
12Plus d’une vingtaine de publications ont paru au cours de cette période, qui touchent de
près ou de loin à la magie chez les musulmans, mais parfois également chez les chrétiens
(orthodoxes et catholiques), voire aussi, de temps en temps, chez les Juifs de BH. Dans la
plupart des cas, ces publications ne traitent de la magie qu’au passage, à l’occasion de
l’analyse de sujets beaucoup plus vastes, tels les coutumes, les pratiques et la médecine
populaire (comme dans le cas des accouchements par exemple). Les auteurs décrivent aussi,
plus ou moins rapidement, comme nous le verrons plus loin, les différents objets et
croyances liés à la magie, tels les talismans et les amulettes, le mauvais œil (urok), les carrés
magiques (contre toutes sortes de maladies, les serpents, les scorpions, etc.). Parfois, ils
abordent en même temps la question de l’usage de certains termes techniques liés à la magie,
les rituels magiques (istikhâra, dâ’ira, fa’l, sihr/sihir, etc.), ainsi que les différentes catégories
13Sur le plan scientifique, la plus importante des publications parues au cours de cette
période est sans conteste, comme nous allons le voir, le livre en allemand (de 64 pages de
grand format) de Glück (1894), dans lequel l’auteur fait une synthèse de quelques unes de
ses publications antérieures. Cette étude trouve des compléments utiles dans différents
que dans les publications de Hörmann, Truhelka, Ćurčić, Kulinović et quelques autres
9
141. Bratić, Toma A. (1871-1929), prêtre orthodoxe, originaire d’Herzégovine.
(Bratić 1903), il constate (p. 176-178) que la croyance à la magie est omniprésente chez la
population orthodoxe, surtout dans le cas des maladies (croyance au mauvais œil, aux
sortilèges et mauvais sorts, etc.). Il s’attaque surtout aux « médecins populaires » qui
Sarajevo. Il a publié un grand nombre d’études sur divers sujets. Ainsi, dans un article paru
l’incendie, les serpents et les scorpions), figurant sur les dalles en pierre placées sur les murs
bénévole, qui a apporté beaucoup à notre savoir sur la magie, les croyances populaires, la
protection contre les maléfices et à la guérison par la magie en BH. Il a publié dans
17 Sur l’auteur : Anonyme, « H. ef. Fazlagić », Narodna Uzdanica 3, Sarajevo, 1935, p. 144.
Čapljina-Trebinje). Après avoir terminé six classes de lycée, il entre à l’école normale, puis il
10
à la commission chargée d’une enquête sur les écoles musulmanes, organisée par le
Gouvernement territorial de BH. Bien plus tard (en 1926), il est nommé Inspecteur de
Sarajevo, mais aussi des articles sur le bajanje (une forme particulière de magie, dont il sera
question un peu plus loin), le folklore et la médecine populaire, notamment sur les soins par
les plantes17.
18 Voir les références de ses différents textes sur la magie dans la bibliographie qui figure à
la fin (...)
internationale, originaire de Galicie (en Pologne). Il fait ses études de médecine à Cracovie
écrit sur la magie (le mauvais œil, les amulettes et les talismans, les carrés magiques, etc.).
196. Hodžić, Muhamed Hilmi, (?-?), écrivain bosniaque, auteur d’une brève nouvelle
« édifiante », parue dans la revue littéraire Behar de Sarajevo, en 1908, dans laquelle il est
« Savjetnik Kos (...)
mort à Vienne, trois ans après la fin de la première guerre mondiale. Il arrive à Sarajevo
1878, et y reste jusqu’en 1915. Il a été, entre autre, le premier directeur du ZM (de 1888 à
11
1903), et le rédacteur en chef du GZM. Il a publié un très grand nombre d’articles sur
divers sujets, dans la presse locale (journaux et revues), et évidemment dans le GZM, dont
l’auteu (...)
dans lesquels il cite un proverbe devenu célèbre, concernant le fameux rituel magique de
22 KAPIĆ 1900.
229. Kapić, Juraj (1861-1925), écrivain croate. Dans un de ses livres, à savoir dans un récit
de voyage, il a décrit très rapidement une curieuse façon, qu’ont les chrétiens et les « Turcs »
de Bosnie occidentale, de faire des amulettes, à la suite d’une observation effectuée près de la
populaire, la divination et les incantations, ainsi que sur les maladies et la guérison par la
magie, les talismans, etc. Ces matériaux ont été publiés d’abord dans la presse locale, puis
nombreux articles sur la BH dans le GZM, ainsi qu’un volume en allemand, dans lequel il a
rassemblé ses travaux antérieurs (parus aussi en 1896 dans les WM). Plusieurs de ses
12
travaux touchent à la médecine populaire et à la magie (LILEK 1892, 1894, 1896, et
1899)24.
25 Ibid., p. 266.
rad », Historijski Zbornik 5, Z (...)
ethnologue, historien, etc., il a été le premier conservateur en chef, puis directeur (à partir
en ce qui concerne la magie, un article sur les traitements médicaux d’après la tradition
27 Sur lui et ses travaux, voir Ž. IVANKOVIĆ, « O još nekim vareškim
uglednicima », Bobovac 95, novemb (...)
article sur la médecine populaire chez la population croate de la petite ville de Vareš (Bosnie
orientale), paru à Zagreb en 1906, dans lequel il s’attaque à la magie, en prétendant que
celle-ci est « répandue surtout chez les paysans serbes, peu chez les turcs [lire les
musulmans], et chez les catholiques pas du tout, ou alors très peu » ! (ŽULJIĆ 1906, p.
218)27.
rubriques, qui correspondent aux quatre principaux thèmes abordés par nos auteurs : 1.
13
le « mauvais œil » ou urok ; 2. la protection, le diagnostic et la guérison ; 3. la magie
divination.
œil », donc au urok, d’autre part, se trouvent être à la base de la magie chez les musulmans
29 Sur les autres aspects de ce texte de Glück, voir les deux parties suivantes qui traitent de
la pro (...)
30Le seul texte globalisant sur le urok, paru en BH au cours de cette période est celui de
Glück (1889, p. 58-65), qui a été republié cinq ans plus tard en allemand, à deux reprises,
avec quelques modifications minimes28. Les principales observations de Glück sont les
suivantes : la croyance au « mauvais œil » est particulièrement répandue chez les musulmans
et les Juifs venus d’Espagne. Celui-ci se propage par un simple regard, voire par une simple
parole d’admiration devant les qualités particulières d’une personne, devant ses qualités
animés ou inanimés (champs, arbres, etc.), et cela que cette personne entende la parole en
question ou ne l’entende pas. Il se déclenche également sans parole du tout. On peut même
se rendre malade du mauvais œil par soi-même, en songeant par exemple à quel point on est
bon, brave ou valeureux, riche ou prospère, etc. Si tout le monde est susceptible de pouvoir
jeter un mauvais œil sur quelqu’un, c’est cependant avant tout le domaine privilégié de
certaines vieilles femmes, sciemment ou non, par un regard malveillant. Mais, le mauvais œil
peut être jeté aussi par certains hommes, notamment ceux qui louchent, ou qui ont des
sourcils épais et touffus qui se touchent. Le urok provoque des maladies qui sont
14
dangereuses, très dangereuses, voire mortelles, et qui peuvent frapper tout le monde, mais
surtout les enfants, les jeunes filles à marier et les femmes jeunes. Chez les juifs en
particulier, il peut toucher les femmes enceintes ou les femmes en couches, et même, mais
plus rarement, leurs maris. Le urok peut tout aussi bien frapper les animaux domestiques,
avant tout les chevaux et les vaches. Quant aux objets inanimés, ils peuvent le subir
(fem. (...)
31Deux autres auteurs de notre corpus ont abordé très rapidement, et tout à fait « au
passage », la question du mauvais œil. Tout d’abord Truhelka (1889, p. 97-98), dans
l’introduction à son étude d’une pharmacopée locale ancienne, le mentionne sous son nom
sortilèges intentionnels, ayant pour but de nuire, de causer des dégâts de toutes sortes et de
provoquer des maladies qui ne peuvent être soignées que par la magie et par les procédés
magiques. Enfin, Bratić (1903, p. 176-178), le mentionne aussi, qui fustige violemment
aspects. Mais, ce sont encore les textes de Glück qui sont les plus complets et les plus
savants.
31 À cet endroit, en citant la formule nazar deǧmezsin, Glück fait une faute, en écrivant nazar
deǧmes (...)
33 Je compte d’ailleurs entreprendre, dès que possible, une étude sur cet auteur et ses
publications s (...)
15
33La protection. Globalement parlant et comme partout ailleurs dans le monde musulman,
regard de la personne susceptible de jeter le mauvais œil, par des stratagèmes les plus
divers ; 2. en répliquant à une parole d’admiration, par une formule appropriée (la plus
courante est le mot mašallah, littéralement « ce que Dieu veut ! »)31 ; et enfin 3. en étant
muni personnellement d’une amulette ou d’un talisman (le terme employé partout en ex-
arabe hamâ’il)32. Glück (1889, 1890a, 1890b, 1894) fait la description d’un certain
des explications et détails plus ou moins longs. Il décrit les méthodes utilisées par les
musulmans et les Juifs de BH, pour contrecarrer le mauvais œil : utilisation de l’ail, du sel, de
la rue etc. ; accrochage d’une cuillère dans l’encolure d’un poulain ; accrochage au cou d’un
cheval d’un ruban ou d’une étoffe de couleur rouge, sur lequel on aura cousu au préalable
des talismans triangulaires… Pour ce qui est des objets inanimés situés à l’extérieur des
maisons (ou à l’intérieur), on accroche également des inscriptions portant les mots « Yâ
hâfiz » (écrit par Glück de façon erronée : « ya hafis »). On trouvera, évidemment,
autrement plus de détails sur les amulettes (hamajlija) et les zapisi (talismans), dans son
article consacré directement à ce sujet (1890a, p. 45-55 ; 1894, p. 25-38). Il s’agit d’un
texte riche en informations, qui mériterait une longue analyse qui ne peut pas, bien entendu,
être entreprise ici33. Disons simplement qu’il y est question des hamajlija (donc de
l’ensemble des amulettes et des talismans) dans une vision assez large, incluant également
des remarques intéressantes sur les carrés magiques utilisés par les populations chrétiennes,
34Les cas des diverses hamajlija chrétiennes (en général de simples médaillons représentant
des images « saintes » : le baptême de Jésus dans le Jourdain, la Vierge, le Jésus, la figure d’un
saint, etc.), ou musulmanes, ont aussi été traités, plus ou moins rapidement, par Truhelka
16
(1889, p. 97-98) et par Hörmann. Celui-ci a tout d’abord publié une notice au sujet d’un
simple médaillon chrétien (HÖRMANN 1889), puis une autre au sujet d’un sceau musulman
fort ancien, en arabe, gravé sur bois, portant la date de 932/1525-26 (H ÖRMANN 1893). Il
a en outre publié un texte concernant sept « inscriptions magiques » en arabe, gravées sur
des cartouches en pierre, placées sur les murailles d’enceinte d’une tour (kula) fortifiée
carrés magiques composés par quelques uns des « plus beaux noms d’Allah », dans le but de
protéger l’ensemble des bâtiments de cette tour, de la foudre, de l’incendie, des serpents et
des scorpions (HÖRMANN 1890, p. 167-170), sujet qui sera abordé de nouveau une
quinzaine d’années plus tard par Ćurčić (1914). Pour ce qui est des amulettes, il faut
mentionner une façon très spéciale de chercher des « ingrédients » pour confectionner
des moći, donc des reliques religieuses faisant office d’amulettes, décrite par Kapić (1900,
p. 294-295). Au cours d’un pèlerinage annuel, près de la ville de Jajce, en Bosnie centrale,
des chrétiens et des « turcs » font ensemble, à genoux, le tour d’une petite église. Ils
s’arrêtent aux quatre angles pour gratter la pierre, avec des couteaux, afin d’en récolter la
poussière qu’ils placent ensuite dans des morceaux de chiffons pour en faire des hamajlija.
35Le diagnostic. Le urok ou « mauvais œil » peut se manifester chez un enfant qui jusque-là
était en bonne santé, par le fait qu’il se met subitement à se languir, devient geignard et n’a
plus envie de jouer, donc lorsque, sans motif apparent, il devient de mauvaise humeur et
pleurnichard. Pour être sûr qu’il s’agit effectivement de cette maladie, on lui lêche la peau
entre les yeux, en remontant vers le front, et si l’on sent le goût du salé il n’y a pas de doute,
cet enfant a été frappé par le mauvais œil. Chez les adultes les signes précurseurs sont des
maux de tête, un sentiment de malaise ; le chaud et le froid se succèdent, on baille sans cesse,
tout cela sans raison évidente. La situation deviendrait très dangeureuse pour les femmes
enceintes. De même, un cheval frappé de urok peut tomber, se casser une jambe ou attraper
la gale. Une vache peut refuser la nourriture, son lait tourner. Elle peut devenir stérile ou
17
avorter de son veau. Et il en est ainsi avec les autres animaux domestiques, tout comme avec
la volaille qui se met subitement à mourir. Le urok est censé provoquer également bien
d’autres malheurs : un homme riche peut en perdre sa fortune, une mère perdre ses enfants,
une très belle jeune fille rester défigurée par la variole, etc. (G LÜCK, 1889, p. 59-62 ; 1894,
36La guérison. Comme on pouvait évidemment s’y attendre, la question de la guérison est
traitée (ou au moins abordée) par pratiquement l’ensemble des auteurs de notre corpus, les
publications de Glück étant encore une fois de loin les plus complètes et les plus
importantes, bien que l’on puisse trouver parfois aussi, ici et là, dans les textes des autres
auteurs cités, des compléments intéressants. Mais avant d’essayer d’analyser ces très
nombreuses pages, et à travers celles-ci le niveau des connaissances sur ces sujets de ces
hommes (car, comme nous avons pu le voir, il n’y a pas encore de femmes parmi ces
auteurs, et il n’y en aura d’ailleurs pas avant 1943 dans les territoires yougoslaves), il est
37La situation « sur le terrain » était (et est encore de nos jours) extrêmement complexe, du
fait de l’existence de deux catégories de magie — une magie non religieuse et une magie
elle-même en trois sous-catégories (voire quatre si l’on y compte en plus les peu nombreux
Juifs de BH).
34 Les nombres sont particulièrement importants, et plus spécialement le système dit « le
dénombrement (...)
38La première, et probablement la plus ancienne, du fait qu’elle existe communément chez
qu’en Bulgarie, en Pologne, en Russie etc., est celle que l’on appelle partout en ex-
s’agit d’un rituel que l’on pourrait considérer comme une forme « populaire » et profane, ou
18
même « laïque » de magie, du fait qu’elle n’est pas marquée (ou alors extrêmement
rarement) par des éléments d’ordre religieux. Ce rituel magique est pratiqué avant tout par
des femmes âgées et parfois, mais très rarement, par des hommes. Il se compose de deux
opérations simultanées qui consistent en des « choses à dire » et des « choses à faire ». Les
qui semblent à première vue n’avoir aucun sens, mais qui peuvent correspondre à certains
systèmes de pensée et de fonctionnement34, comme l’ont montré les travaux récents des
brèves formules ingénieuses. Dans certains cas, elles peuvent être plus longues. Elles
possédent parfois un remarquable et très curieux souffle poétique, jouant savamment (et
parfois brillamment) avec des mots et des termes populaires rares, ainsi que des néologismes
connaissance plus ou moins fortuite). Les façons de faire évoluent avec leurs propres
expériences. Les plantes, les minéraux et les animaux (domestiques ou sauvages) peuvent
jouer un rôle plus ou moins important ; les manières de procéder (endroit, heure de la
39Certains auteurs postérieurs (donc après 1918) n’ont pas hésité à appeler la seconde
catégorie de magie « magie religieuse », du fait qu’elle est très clairement marquée soit par
l’islam, soit par le christianisme orthodoxe ou le catholicisme. D’où la très nette distinction
entre, d’un côté, une hamajlija (amulette) faite d’objet magique quelconque (végétal, minéral,
ou animal) sans inscription, qui peut être commun aux trois (et même aux quatre)
19
populations de BH, et de l’autre un zapis (talisman), littéralement « écriture », portant donc
des inscriptions et/ou des symboles particuliers, voire des images « saintes ». Ce dernier est
forcément lié, par son texte et son éventuelle iconographie, à un seul des quatre groupes
employé également pour désigner aussi bien une amulette qu’un talisman, et que son
40Étant lui-même médecin, Glück s’est intéressé, bien entendu, tout particulièrement à
l’aspect médical de la magie, donc au diagnostic et à la guérison, sujets sur lesquels il a publié
entre 1889 et 1894 plusieurs textes importants où l’on trouve beaucoup d’informations de
toute première main. Ces informations posent cependant toute une série de problèmes, sur
différents plans. Tout d’abord, celles-ci proviennent d’informateurs anonymes locaux, sur
lesquels nous ne savons pratiquement rien. Ensuite, ces renseignements sont éparpillés à
divers endroits de ses publications parues les unes après les autres au cours de ces six
années. Il reprend en fait souvent les mêmes thèmes sur lesquels il a déjà écrit auparavant,
en les complétant et/ou en y ajoutant de nouveaux exemples. Même dans les versions
n’étant pas « orientaliste », Glück n’était pas informé des acquis de l’islamologie européenne
de son époque, dans le domaine des études sur la magie arabe et musulmane, médiévale et
moderne.
Sarajevo, (...)
37 C’est-à-dire qu’il ne présente pas des signes maniaques qui se traduisent par des accès de
surexcit (...)
20
41En attendant mon article à venir sur Glück et ses travaux sur la magie en BH35, essayons
de structurer de façon thématique les principales informations qu’il nous fournit concernant
croyaient généralement à l’époque austro-hongroise, que les causes des maladies se divisaient
en cinq catégories ; quatre auraient été des catégories de causes surnaturelles, et une seule, la
cinquième, aurait été une catégorie de causes naturelles. Les maladies d’ordre surnaturel
seraient causées soit par des djinn (ésprits ou génies), soit par des êtres humains. Parmi ces
maladies, la plus grande partie concerne le système nerveux en général, et certains nerfs en
particulier. Elles occasionneraient par exemple : l’hystérie, la paralysie, les grands vertiges,
ainsi que la folie. Ce groupe de maladies est attribué soit aux mauvais esprits, soit aux
magies faites par les humains. Dans le premier cas, on croit que le malade a mis le pied sur
un groupe de djinn, et que ceux-ci l’ont frappé (par la dépression, le lumbago, les maladies
nerveuses, etc.), ou lui ont insufflé une maladie (telle l’épilepsie, l’hystérie, etc.). Il s’agit de
deux séries de maux que l’on appelle d’un terme commun, celui
par la magie des humains, correspond à des sortilèges, ou namet (ou encore sihr/sihir), etc.,
lancés par l’intermédiaire de femmes versées dans la magie. Si le malade devient fou, mais
que, d’après son comportement, il n’est visiblement pas possédé par les djinn37, alors il n’y a
pas de doute que sa maladie a été provoquée par les maléfices des humains. Il existerait en
outre des maladies provoquées par le mauvais œil, dont la pathologie et la thérapeutique ont
été décrites à part (voir GLÜCK 1889), ainsi que le pogani vjetar « le mauvais vent », une
sorte d’épidémie aiguë arrivant subitement, qui serait, elle aussi, une maladie envoyée par
les djinn. Il existe aussi des maladies que la population locale réduit à des cas de
imputant également la cause aux djinn ! En fait, selon Glück, les considérations concernant la
21
embrouillées, qu’il est pratiquement impossible de les ramener à un système commun (« dass
38 Ce système est donc différent de l’horoscope que l’on établit pour une personne, dans le
cas de la (...)
doit consulter le hodja qui, sans qu’il n’ait vu le malade, fait le diagnostic de la façon
suivante : il écrit, en caractères arabes, les noms du malade et de sa mère, puis transcrit en
chiffres la valeur numérique des caractères de ces deux noms, fait l’addition de tout, puis
enlève du chiffre total le plus grand multiple de cinq, pour obtenir un chiffre compris entre
un et cinq38. Au cas où ce chiffre est le « un », le malade doit être soigné par un médecin ;
le chiffre « deux » veut dire qu’il a été frappé par le mauvais œil ; le « trois » qu’il s’agit
qu’il s’agit d’un « mauvais vent ». Dans les cas de « deux » à « cinq », les remèdes
recommandés sont des zapisi (talismans), mais les zapisi peuvent être utiles également dans
39 Il est très intéressant de noter que cette information a été reprise d’un des tout premiers
ouvrage (...)
40 Quelques extraits des textes de Glück sur la magie en BH ont été cités en traduction
française par (...)
43La guérison par les incantations (bajanje) ou par des procédés « magiques » divers, à
l’aide de plantes ou autrement, a été encore beaucoup plus souvent abordée dans les textes
des auteurs de notre corpus. Jugeons en, en commençant par Glück lui-même, qui a publié,
en plus de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent, deux autres textes sur la guérison
donc effroi ou frayeur (GLÜCK 1892, p. 70-72 ; 1894, p. 15-18). Dans cet article, en ce qui
22
concerne la gravité, il place cette maladie un peu en-dessous
des čini (sortilèges). Il décrit la façon de faire son diagnostic, ainsi que les moyens à
(saljevanje strave, donc fusion du plomb). Il cite à titre d’exemple le texte de deux basma que
l’on peut employer au cours de ce rituel (voir RADENKOVIć 1996, p. 262). Le second article
concerne la rage (bjesnoća), et la façon populaire de guèrir le malade en BH, entre autre par
des zapisi où figurent des carrés magiques écrits en caractères cyrilliques39, et dans lesquels
p. 499-510)40.
sujet, dont la présentation exhaustive et l’analyse ne peuvent être faites ici, faute de place.
45Ainsi, Bratić (1903, p. 177) mentionne les prix des talismans, le fait que l’on les
considère comme l’unique remède pour les maladies psychiques et la façon de les utiliser. Le
malade reçoit du spécialiste le talisman en trois exemplaires qu’il doit garder pendant une
nuit. Ensuite, l’un des trois exemplaires doit être brûlé pour faire des fumigations au malade,
dans l’espoir que la fumée chasse la maladie. Le second exemplaire doit être jeté dans la mer,
afin que la maladie s’en aille chez quelqu’un d’autre. Quant au troisième exemplaire, il doit
41 Il s’agit d’une très intéressante basma (donc d’une formule magique) construite selon le
système ap (...)
46Dragičević (1907b, p. 317-318) décrit différents cas de bajanje : contre la grèle, les
morsures de serpent, pour la guérison des enfants, etc. (1907b, p. 317-318, 321-323, 490-
23
beaucoup d’autres maladies (1909, p. 461-478). Enfin, il cite toute une série de croyances et
47Fazlagić (1895, p. 155-157) a publié un bref article sur le bajanje, dans lequel il signale
que les bajalica sont la plupart du temps de vieilles femmes, et fréquemment des gitanes.
48Kulinović (1898, p. 503-530) a fait paraître en feuilleton, dans le Sarajevski List (à partir
médicaux chez les musulmans de BH, qui fut republié d’abord dans le GZM, puis, en
1996, p. 265-266).
magie en BH (voir RADENKOVIć 1996, p. 263), régulièrement publiées dans le GZM, puis en
allemand dans les WM, et ensuite reprises dans son gros volume, paru à Vienne en 1896. Sa
déchaussé, qui reste debout, nu-pieds dans l’eau. Ensuite, le hodja commence à réciter, et
les djinn, l’un après l’autre, sortent de l’eau… », (LILEK 1899, p. 706). Un peu plus loin dans
ce même texte, il cite des exemples d’incantations pour obtenir la pluie, la guérison du
il présente des exemples intéressants, comme celui contre le crveni vjetar (le vent rouge ou
particulier, p. 662). Nous reparlerons encore de Lilek un peu plus loin, dans la partie sur la
divination.
50Nuić a publié deux articles concernant le bajanje : le premier sur la guérison des morsures
24
42 Nom d’un alphabet ancien, à savoir une sorte de cyrillique, autrefois utilisé en Bosnie.
Sarajevo la m (...)
populaires, des remèdes sympathiques, ainsi que des traitements magiques : tels
question des talismans musulmans et chrétiens (p. 99-100), en essayant d’expliquer les
raisons de leur grand succès. Il traite également de la guérison par le plomb fondu, des
vertus magiques de l’ail, des méthodes employées par des sihirbazica (magiciennes), et cite
Particulièrement intéressant (et complexe !) est le cas d’un talisman chrétien orthodoxe, écrit
en grec, mais en alphabet dit bosančica42, sur une mince plaque en plomb (trouvée sous les
que dans une vieille pharmacopée bosniaque datée de 1749, que Truhelka présente en
annexe (p. 105-116), figure la traduction d’un curieux talisman, destiné à protéger les
ruches et les abeilles (voir p. 108), qui constituerait le plus ancien exemple d’un zapis de ce
genre en BH43.
textes directement axés sur la magie amoureuse ou érotique : Kulinović en 1898, Dragičević
en 1907 et 1909, et Hodžić en 1908. Cela provient probablement du fait que, dans ce cas,
l’acte magique ne se fait pas par un officiant professionnel (le hodja ou un autre « magicien
attitré »), mais par le « patient » lui-même (la jeune fille, ou le jeune homme), qui fait tout
seul une sorte de bajanje, en récitant tout simplement une (ou plusieurs ?) basma apprise de
25
quelqu’un. Il n’y a donc pas de véritable rituel organisé, et les « ingrédients » nécessaires sont
réduits au minimum : l’eau fraîche, des plantes, éventuellement un ou deux objets divers,
type de pratique devait être assimilé, je pense, plutôt à la catégorie des « coutumes
44 Signalons que, dans cette partie, Dragičević cite une très intéressante basma dans laquelle
il est (...)
53Ainsi, le seul texte globalisant et structuré sur ce sujet que l’on puisse citer ici est celui de
Dragičević (1907a, p. 31-56) qui traite des thèmes suivants : le choix de la jeune fille
(p. 31-34), les signes amoureux (p. 34-35), les sortilèges utilisés par les jeunes filles (partie
qui est évidemment la plus longue de l’article, p. 35-48)44, les sortilèges utilisés par les
des basma pour les jeunes filles afin qu’elles deviennent plus belles et plus attirantes, et
qu’elles puissent ainsi ensorceler le jeune homme de leur choix. En ce qui concerne Hodžić
(1908, p. 435-439), dans une nouvelle littéraire destinée au grand public, écrite de façon
très caricaturale (avec une grande profusion de « turcismes »), il mentionne chemin faisant
trente basma, concernant les jeunes filles à marier, dans le but de ridiculiser le bajanje, cette
55Ces thèmes, qui sont évidemment présents partout dans le monde, et à toutes les époques,
ont été curieusement très peu abordés par les auteurs de notre corpus qui se sont penchés
26
sur la magie en BH à l’époque austro-hongroise. De façon significative, seul le « quatuor des
immigrés », à savoir Glück, Hörmann, Lilek et Truhelka, y fait référence. Ces auteurs
deux reprises, par Lilek (1892, p. 133 ; 1894, p. 634). Une version assez particulière
du fa’l45, pratique divinatoire qui détermine les bonnes et les mauvaises augures, effectuée
ici à l’aide de graines de haricots blancs, est retracée très en détail par Lilek (1894, p. 638-
642). Le rituel du plomb fondu (voire de l’étain fondu) est mentionné par Glück dans le cas
mentionnée par Glück dans certains rituels accompagnant le bajanje (GLÜCK 1889, p. 63).
Enfin, Hörmann (1890, p. 269) note que le personnage principal de son article (c’est-à dire
Rizvanbegović) se serait intéressé, selon certaines rumeurs, à l’art de la divination par les
étoiles et les planètes. Rappelons toutefois que la divination est très souvent liée, bien
entendu, à la thérapie.
Conclusion
56La documentation examinée ici mériterait naturellement une analyse plus approfondie. Il
s’agissait surtout de faire un premier bilan de ce qui a été écrit sur la magie en BH durant
ces quatre décennies d’administration austro-hongroise. Les premières études, comme on l’a
donnée par les autorités austro-hongroises à la collecte de matériaux sur la culture et les
coutumes locales. Elles sont également dues à l’intérêt pour la médecine populaire, d’un
médecin venu dans la région, Leopold Glück qui, en précurseur, fournit les matériaux les
plus riches et les plus intéressants. Elles résultent parfois aussi d’une volonté d’éradiquer les
« superstitions ».
27
46 Ainsi HÖRMANN par exemple (1893, p. 669-671) était persuadé que, du moment que
57Cependant, pour ce qui est des auteurs, il est clair que la plupart n’avait qu’un faible
niveau de préparation, et de connaissances, pour pouvoir affronter avec succès les arcanes de
la magie musulmane, chrétienne, ou juive, sur le plan des rites et des pratiques, et à plus
forte raison, sur celui de la théorisation. Les auteurs d’origine locale n’avaient visiblement
pas eu accès aux publications européennes (ou autres) sur ces sujets, et il n’y a dans leurs
textes absolument aucune citation d’une source écrite quelconque. Quant au « quatuor des
ignorant totalement les langues orientales, ils citent souvent de façon erronnée les termes et
les expressions techniques46. Sur un tout autre plan, il est intéressant de noter que deux
auteurs de notre corpus, Bratić (un pope orthodoxe et Žuljić, un professeur catholique, qui
avait fait ses études chez les franciscains de Bosnie et de Rome), pour les mêmes raisons,
fustigeaient très fermement la magie, ce qui n’est pas le cas avec des hodja musulmans qui à
58En ce qui concerne les thèmes abordés, je ne reviendrai pas ici sur les différentes
catégories évoquées en détail dans ce texte. Il faut plutôt souligner que certains types de
magie n’apparaissent pas dans le corpus, de même que certains angles d’analyse. Tout
d’abord, à cette époque, aucun de nos auteurs ne mentionne les rites magiques cherchant à
provoquer la désunion dans un couple marié, un thème qui sera pourtant assez courant en
BH, au cours des périodes suivantes (donc après 1918). La magie par les astres est
également pratiquement absente. Surtout il faut noter l’absence d’essai de comparaison entre
les incantations et les rituels magiques, pratiqués dans les divers groupes ethnico-religieux,
47 Il s’agit des médecins Lujo Thaller (1891-1949), Stanko Sielski (1891-1958), et
28
59Après 1918, les travaux sur la magie en BH vont changer complètement de nature. En
effet, la Bosnie-Herzégovine fait dorénavant partie d’un nouvel État, créé le 1er décembre
1918, sous le nom de « Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes », qui devient à
partir du janvier 1929 le « Royaume de Yougoslavie ». Désormais, l’heure n’est plus aux
éthnologues et aux folkloristes amateurs, décrivant les objets ou les rituels de la magie
populaire observée sur le terrain, mais avant tout aux universitaires – médecins, historiens et
articles et quelques ouvrages sur la magie dans les différents territoires yougoslaves. Il s’agira
donc, de plus en plus, de publications des spécialistes avertis, ayant des connaissances plus
BIBLIOGRAFÍA
Abréviations
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32
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33
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— 2009a : « La magie chez les musulmans des Balkans (II) : l’apport du docteur Stanko
Kragujevac.
34
SCHMIDT, J., 2003 : « The occult sciences and their importance in ottoman culture ;
AraştırmalarıXXIII, p. 219-254.
NOTAS
1 Il s’agit du séminaire intitulé « Histoire moderne et contemporaine des musulmans
balkaniques », du Centre d’histoire du domaine turc de l’EHESS, qui existe depuis novembre
1973. Depuis novembre 2004, il fonctionne en collaboration avec Constant Hamès, qui avait
dirigé auparavant le GDR 2159 du CNRS intitulé « Magie et écriture islamique dans les
2 Voir POPOVIC 2004a, 2005, et 2009a. Je compte publier, dès que je pourrais, deux autres
études dans cette série portant l’une sur l’œuvre (dans le domaine de la magie) de Gliša
Elezović (1879-1960), et l’autre sur l’œuvre de Leopold Glück (1854-1907), dont le nom
5 Il s’agit d’une pratique magique « ayant des affinités avec l’incubation antique », voir
FAHD 1974, p. 271-272.
6 Voir mss. Şehid Ali Paşa, n° 2819/3, Süleymaniye Kütüphanesi, Istanbul, fol. 348 et
fol. 505.
7 Voir deux études extrêmement intéressantes (parues en 1930 et 1931), d’un historien
35
première est une monumentale publication contenant la traduction en serbo-croate des
résumés (regesta), en latin ou en croate, figurant au dos d’environ deux mille pièces
d’archives, dont la plus grande partie est en turc ottoman. Ces résumés avaient été faits à
diverses époques (plus ou moins bien, ou plutôt plus ou moins mal), par des traducteurs
anonymes occasionnels. La seconde publication est une synthèse de ces documents, faite
8 Le texte a été publié à Zagreb en 1861, donc après la mort de son auteur présumé. Sur ce
177).
ottomane en général, voir la riche et très éclairante étude de Jan S CHMIDT (2003). Pour ce
qui est de la situation en BH plus précisément, on peut se faire une assez bonne idée en
2002).
12 À partir de 1893, les articles jugés importants sont traduits en allemand (parfois avec des
13 On désignait parfois en ex-Yougoslavie ces immigrants de façon péjorative par le terme
de « kuferaši », qui veut dire « gens à la valise », donc « nouveaux venus, étrangers ».
36
17 Sur l’auteur : Anonyme, « H. ef. Fazlagić », Narodna Uzdanica 3, Sarajevo, 1935, p. 144.
18 Voir les références de ses différents textes sur la magie dans la bibliographie qui figure à
22 KAPIĆ 1900.
25 Ibid., p. 266.
BASLER].
27 Sur lui et ses travaux, voir Ž. IVANKOVIĆ, « O još nekim vareškim
29 Sur les autres aspects de ce texte de Glück, voir les deux parties suivantes qui traitent de
la protection et de la guérison.
31 À cet endroit, en citant la formule nazar deǧmezsin, Glück fait une faute, en écrivant nazar
37
32 Voir CARRA DE VAUX 1916, p. 258-259.
33 Je compte d’ailleurs entreprendre, dès que possible, une étude sur cet auteur et ses
publications sur la magie, destinée à figurer dans la première série de mes textes sur la magie
dans les territoires ex-yougoslave, consacrée aux travaux des principaux auteurs qui se sont
34 Les nombres sont particulièrement importants, et plus spécialement le système dit « le
37 C’est-à-dire qu’il ne présente pas des signes maniaques qui se traduisent par des accès de
surexcitation (qui sont par exemple ceux d’injurier, de blasphémer, de ne pas vouloir assister
à un rituel religieux, ni écouter des prières, etc.), (Voir G LÜCK 1890a, p. 51, note 2).
38 Ce système est donc différent de l’horoscope que l’on établit pour une personne, dans le
39 Il est très intéressant de noter que cette information a été reprise d’un des tout premiers
ouvrages sur la médecine populaire chez les Serbes de Serbie, écrit par le docteur Vladan
Djordjević, publié à Novi Sad en 1872. Glück le cite nommément à plusieurs reprises, ce qui
est absolument unique pour ce qui est des textes de notre corpus. Il sera longuement
question de V. Djordjević, dans mon article en préparation, sur la magie en Serbie avant
40 Quelques extraits des textes de Glück sur la magie en BH ont été cités en traduction
124), dans ses impressions de voyage. Je dois cette référence, comme beaucoup d’autres à
38
41 Il s’agit d’une très intéressante basma (donc d’une formule magique) construite selon le
répétition des mêmes syllabes, dans des mots qui se succèdent, comme dans :
« vallahi, billahi, tallahi ».
42 Nom d’un alphabet ancien, à savoir une sorte de cyrillique, autrefois utilisé en Bosnie.
Sarajevo la mention de deux manuscrits anonymes sur ce même sujet, écrits en turc ottoman,
44 Signalons que, dans cette partie, Dragičević cite une très intéressante basma dans laquelle
il est question de la magie faite par l’intermédiaire des djinn (p. 42). Aux pages 47 et 51,
sont citées des magies amoureuses, faites à l’aide de lettres et de chiffres en caractères arabes.
dans le talisman qu’il décrivait était mentionné, à côté du nom de Muhammad, celui de ‘Alī,
47 Il s’agit des médecins Lujo Thaller (1891-1949), Stanko Sielski (1891-1958), et
Vladimir Bazala (1901-1981) ; des historiens Gliša Elezović (1879-1960), Josip Matasović
(1895-1992).
AUTOR
Alexandre Popovic
CNRS - EHESS
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Del mismo autor
• La création des premiers partis politiques musulmans dans les Balkans : le cas de la
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