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DIMANCHE 20 - LUNDI 21 OCTOBRE 2019

75E ANNÉE– NO 23258


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Algérie : l’armée tente de passer en force
▶ La crise politique semble ▶ La quasi­totalité de l’op­ ▶ Des dizaines de milliers ▶ Les militaires restrei­ ▶ Pour l’ancien ministre
sans issue en Algérie, position, des islamistes de personnes ont mani­ gnent les libertés, harcè­ et opposant Abdelaziz
avant le scrutin présiden­ aux démocrates, n’accorde festé cette semaine, lent les contestataires Rahabi, le soulèvement du
tiel, imposé le 12 décembre plus aucun crédit à un à deux reprises, pour et multiplient les arresta­ peuple est pourtant « une
par une armée qui dirige gouvernement au lourd dénoncer la très opaque tions, après trente­cinq se­ opportunité historique »
de facto le pays passé de trucage électoral loi sur les hydrocarbures maines de manifestations PAGE S 2- 3

SNCF
Grève­surprise
au premier jour
CATALOGNE : des vacances
UN DEMI­ Le trafic dans les gares res­
tait très perturbé, samedi
MILLION DE  19 octobre, pour la
seconde journée d’affilée,
MANIFESTANTS lors des départs de la
Toussaint. Des agents ont
fait valoir leur droit de
▶ Une foule énorme retrait après un accident
et pacifique a manifesté, PAG E 15
vendredi 18 octobre,
à Barcelone, aux cris
de « Liberté, prisonniers
politiques »
Rouen
▶ Mais les émeutes
« Un sentiment 
de la nuit ont été parti­
culièrement violentes,
de trahison dans 
et l’indépendantisme
radical s’organise
la population »
PAGE 4 Après l’incendie de l’usine
Lubrizol, le 26 septembre,
les habitants de Rouen dé­
couvrent qu’ils n’étaient
Manifestation en rien préparés à la catas­
à Barcelone, trophe. Quelque 150 plain­
le 18 octobre.
LLUIS GENE/AFP
tes ont été déposées
P. 12- 13 ET IDÉES P. 30- 31

Politique Canada
Les conservateurs
Coline Serreau « J’ai passé
La laïcité, au coude­à­coude ma jeunesse dans les arbres »
angle mort avec Trudeau à la
veille du scrutin
de la Macronie PAG E 6

Les questions d’immigra­


tion, de terrorisme et d’is­ Egypte
lam se sont mêlées confu­ L’armée accapare
sément pendant un mois. des pans entiers
Un révélateur des contra­
dictions internes de la de l’économie
majorité présidentielle GÉOPOLITIQUE – PAG ES 18 À 21
PAGE 8 ET ÉDITORIAL PAG E 3 4

General Electric
Justice Après quatre mois
de conflit à Belfort,
Condamnations  quelques avancées
sévères pour  pour les salariés
les époux Balkany PAG E 1 4

Patrick Balkany a été de


Enquête
Avril 2010, à Montauroux (Var). DEPOILLY/ALPACA/ANDIA
nouveau condamné, ven­ SOS Education,
dredi 18 octobre, à cinq Institut pour la la réalisatrice de Trois hom­
mes et un couffin, à 71 ans, se ra­
toute La Comédie humaine.
Passionnant itinéraire, entre
ans de prison ferme pour
blanchiment, son épouse,
justice, un business conte pour la première fois dans un père cruellement absent,
un livre : sa jeunesse dans un mi­ une vocation de trapéziste,
Isabelle, à quatre ans conservateur lieu modeste, mais cultivé – elle a le théâtre et le cinéma.
PAGE 7 PAG E 9 lu tout Freud à 15 ans, puis aussi JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI… P. 27
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
INTERNATIONAL
0123
2| DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

PRÉSIDENTIELLE  EN  ALGÉRIE

En Algérie, le pouvoir veut passer en force
L’appareil sécuritaire restreint l’espace des libertés, harcèle les contestataires et multiplie les arrestations

U
ne Algérie ingou­
vernable. Et une
crise politique
sans issue. Voilà
sans doute ce qui
attend le futur
président algérien si le scrutin
prévu le 12 décembre se tient dans
le climat actuel. La mobilisation
contre la nouvelle loi sur l’inves­
tissement dans le secteur des hy­
drocarbures vient d’en donner un
avant­goût. Vendredi 11 octobre,
puis dimanche, et encore mardi,
des dizaines de milliers de mani­
festants sont descendus dans les
rues pour conspuer le texte. Ela­
boré dans une opacité totale, son
contenu exact n’était pas connu
des marcheurs. Qu’importe : les
mêmes slogans, martelés depuis
huit mois, ont retenti – « Voleurs »,
« Vendus », « Dégagez ! » – avec une
rage démultipliée.
Pour les contestataires, tout ce
qui émane du gouvernement de
Noureddine Bedoui, ancien mi­
nistre de l’intérieur sous Abdela­
ziz Bouteflika et dernier premier
ministre nommé par l’ancien
président, est frappé d’infamie et
d’illégitimité. La rupture de
confiance entre l’Etat et une par­
tie des Algériens est consommée.
C’est pourtant ce même gouver­
nement qui prépare l’élection du
12 décembre. Un scrutin voulu et
imposé par l’armée qui dirige le
pays de facto, mais boycotté par la
quasi­totalité de l’opposition, des
islamistes aux démocrates.
Laquelle opposition n’accorde
aucun crédit à une administra­
tion au lourd passé de trucage
électoral. Le casting se résume
donc aujourd’hui à une compéti­
tion entre anciens ministres du Manifestation antigouvernementale à Alger, le 20 septembre. RYAD KRAMDI/AFP
président sortant.
Le formalisme absurde de l’ad­
ministration et de l’autorité char­
gées du scrutin, qui annoncent privés qui lui sont assujettis. En arrête d’abord les gens et on leur fa­ Quartiers populaires et suppor­ nistre des affaires étrangères
une augmentation jamais vue des même temps, le pouvoir se raidit. brique des dossiers ensuite », s’in­ teurs des clubs de foot de la capi­ « TOUTES  Ahmed Taleb Ibrahimi, ou celui
inscriptions sur les listes électora­ L’actuel homme fort du régime, le dignait l’avocate Nabila Smail lors tale et de ses banlieues sont de re­ LES PROCÉDURES  de la culture et de la communica­
les, « notamment parmi les plus chef d’état­major Ahmed Gaïd d’une récente conférence de tour. Une atmosphère revendica­ tion Abdelaziz Rahabi.
jeunes », accroît le sentiment de Salah, qui lie de fait son sort politi­ presse. Mme Smail fustige une jus­ tive et festive, qui tranche avec SONT BAFOUÉES.  « S’aventurer à organiser une
malaise. A Alger, les mairies bai­ que à l’agenda électoral, durcit le tice aux ordres : « Des juges disent : l’ambiance des jours de semaine, élection présidentielle comme
gnent dans la torpeur d’un ton et multiplie les menaces. “Allah Ghaleb, maître” [ « Je n’y suis parfois « cauchemardesques » et IL NE S’AGIT PAS  annoncée, sans consensus natio­
automne caniculaire. Dans le L’appareil sécuritaire s’emploie pour rien »]. Cela veut dire quoi, marqués par les arrestations, se­ nal préalable, attisera le mécon­
reste du pays, aucune image, à restreindre l’espace des libertés quand un juge vous dit cela ? » lon les dires de manifestants.
D’INTERPELLATIONS,  tentement populaire et aggravera
aucun témoignage ne viennent arraché par les manifestants ces Parmi ces détenus figurent trois « Cela faisait un moment que l’on MAIS DE KIDNAPPINGS » la crise de légitimité du pouvoir,
confirmer ces allégations. huit derniers mois, harcelant les journalistes, accusés de diffusion ne défilait plus. Nous sommes ve­ écrivent­ils. Par conséquent, nous
contestataires et multipliant les de fausses nouvelles, d’incitation nues après ce qui s’est passé avec NABILA SMAIL invitons le pouvoir de fait à
MURÉS DANS LE SILENCE arrestations parmi les anima­ à l’attroupement, de collabora­ les étudiants », expliquaient deux avocate procéder (…) à une nouvelle lec­
Les deux principaux candidats et teurs présumés du Hirak (le tion avec des médias étrangers quadragénaires descendues dans ture de la réalité, afin de ne pas
deux anciens premiers ministres, mouvement populaire). Une cen­ non agréés. Au moment même la rue avec leurs trois filles, ven­ contrecarrer les revendications
Ali Benflis, challenger malheu­ taine de personnes ont été pla­ où la mainmise des autorités sur dredi 11 octobre. Le mardi précé­ « Le pouvoir réel est obligé de né­ légitimes du peuple et pour ne pas
reux en 2004 et en 2014, et Abdel­ cées en détention provisoire de­ les médias publics et les chaînes dent, pour la première fois depuis gocier parce que nous conduire au frustrer les générations de l’indé­
madjid Tebboune, sont murés puis l’été. Signe d’un emballe­ de télévision privées est totale. la fin du mois de mars, la police 12 décembre de cette manière est pendance de l’exercice de leur
dans le silence : un post Facebook ment judiciaire, les opposants avait harcelé, bousculé et tenté une grave erreur. Même s’il par­ droit à l’édification d’un Etat
pour critiquer la loi sur les hydro­ sont, dans leur majorité, poursui­ RÉELLE INQUIÉTUDE d’empêcher la marche hebdoma­ vient à faire passer un président, la moderne dans l’esprit rassem­
carbures pour l’un, une unique vis pour des accusations relevant « Sur le papier, quelle diversité ! daire des facultés algéroises en crise politique et économique va bleur du 1er novembre. »
conférence de presse pour l’autre. de « crimes », à la merci de très Sauf que nous avons tous une multipliant les interpellations aller en s’aggravant. Il est temps de
« A croire qu’ils ne savent pas lourdes condamnations. sorte de rédacteur en chef unique. dans et autour du cortège. Une at­ sortir l’Algérie de cette situation », MOMENT CHARNIÈRE
quoi faire. Tebboune est peut­être Accusé d’« atteinte à l’intégrité Et je ne suis pas sûr qu’il fasse par­ titude qui a choqué, dans une so­ veut croire l’économiste Smail Mais l’armée acceptera­t­elle un
le candidat d’une partie du sys­ du territoire » et d’« incitation à la tie de la profession, ironise un ciété où les étudiants jouissent Lalmas, qui participa brièvement troisième revers, après l’annula­
tème, mais il n’est pas dit que le sys­ violence », Abdelwahab Fersaoui, journaliste en racontant la pres­ d’une image très positive. au panel de dialogue national tion de deux élections présiden­
tème a vraiment un candidat. La le président de l’association Ras­ sion exercée par les services de sé­ Le lendemain, rue Bab­Azzoun, nommé fin juillet par le président tielles cette année ? Le 1er novem­
seule chose qui compte est qu’il semblement action jeunesse, très curité. On a commencé par me dis­ dans le bas de la Casbah, la colère par intérim, Abdelkader Bensa­ bre, l’Algérie célébrera le 65e anni­
soit issu du sérail, estime un ob­ impliquée dans le mouvement, a suader de sortir couvrir le Hirak en n’était pas retombée. « Ils n’ont lah. L’objectif était alors d’organi­ versaire du déclenchement de la
servateur algérien, fin connais­ été incarcéré samedi 12 octobre me disant que les manifestants pas honte, s’en prendre à des étu­ ser un processus de transition guerre d’indépendance. Une
seur du régime. Les relais électo­ sans que ses avocats ni sa famille étaient hostiles à la presse. Ce qui diants ! Qu’ils bouffent du mal­ dans une démarche « consen­ commémoration qui coïncide
raux du régime, comme le FLN n’en soient informés. est vrai. Puis on a imposé une voix heur », s’indignait l’employé d’un suelle », avait­il promis. avec un vendredi, jour de mobili­
[Front de libération nationale] ou « Ce sont des prisonniers politi­ off sur les images. Désormais, on petit commerce, qui dit s’être « J’y suis resté trois jours, le sation nationale hebdomadaire
l’UGTA [Union générale des tra­ ques et toutes les procédures sont ne couvre plus. “Si ça ne tenait qu’à joint à la mêlée lors des bouscula­ temps de comprendre que rien dans les rues.
vailleurs algériens], sont morts, bafouées. Il ne s’agit pas d’interpel­ moi, je leur enverrais les chars”, m’a des de la veille. n’allait changer. L’option des élec­ Ce vendredi s’annonce déjà
balayés par la contestation et lations mais de kidnappings. On dit un jour un responsable. » Après trente­cinq semaines de tions devait être le fruit d’un dia­ comme un moment charnière
l’offensive de l’état­major contre Une inquiétude réelle gagne les manifestations, le pays est logue. Or les préalables n’ont pas dans le face­à­face qui oppose le
les réseaux d’Abdelaziz Bouteflika opposants. Mais si la crainte de comme une mèche qui se con­ été respectés, poursuit M. Lalmas. régime à ses opposants, alors
qu’il accuse de comploter contre l’arbitraire s’immisce de moins sume et raccourcit inexorable­ Il était nécessaire de nommer un que, dans les cortèges, les plus
lui. C’est l’inconnu. Quant à Benflis, en moins subrepticement dans ment à mesure que s’approche nouveau gouvernement, libérer jeunes s’identifient chaque se­
qui pensait qu’une voie royale se
LE CASTING  leur quotidien, cette campagne l’échéance du 12 décembre. Un les détenus, laisser les Algériens se maine un peu plus aux résistants
dégageait devant lui, il a pris un SE RÉSUME  répressive alimente aussi le foyer rendez­vous imposé « dans les pi­ rassembler, d’ouvrir le champ mé­ de l’Armée de libération natio­
coup sur la tête avec la candida­ de la contestation. « Où es­tu, Gaïd res conditions », dénoncent, dans diatique… Aucune mesure d’apai­ nale, dont les portraits sont dé­
ture de Tebboune. » AUJOURD’HUI À UNE  Salah ? Cette année, il n’y aura pas une rare unanimité, partis démo­ sement n’a été mise en place. » ployés et les noms sont scandés.
L’offre politique de l’armée, de vote ! », scandaient les manifes­ crates, islamistes, mouvements et Une nouvelle offre de dialogue, Quarante jours sépareront le
réduite au seul rendez­vous élec­ COMPÉTITION ENTRE  tants, le 11 octobre à Alger. personnalités issues de la société comme une dernière bouteille 1er novembre du 12 décembre,
toral du 12 décembre, est pour ANCIENS MINISTRES DU  Ces derniers temps, le Hirak a civile, qui demandent avec force jetée dans les flots, a été proposée jour de toutes les incertitudes et
l’instant inaudible, en dépit du renoué, les vendredis, avec les au commandement de l’armée de mardi 15 octobre par dix­neuf de tous les dangers. 
matraquage des médias publics et PRÉSIDENT SORTANT grandes marches du printemps. faire marche arrière. personnalités, dont l’ancien mi­ madjid zerrouky
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 international | 3

« Le système les, qui a été une forme de vio­


lence économique. Le printemps
berbère de 1980, les émeutes
d’octobre 1988, le mouvement
« LE PEUPLE NE SORT 
PAS DANS LA RUE 
départ de Bouteflika, travailler
pour un accord politique global.
L’accord était possible.
politique. Et la solution est forcé­
ment politique.

Que va­t­il se passer


DEPUIS HUIT MOIS POUR 
actuel a fait
civique en Kabylie de 2001… Cet accord a été refusé par le le 12 décembre ?
Pour la première fois, nous envi­ commandement de l’armée et Tout est possible chez nous.
sageons de sortir d’un système AVOIR UN SYSTÈME  vous avez vous­même refusé de Mais un faible taux de participa­
non démocratique de façon paci­ participer à l’élection présiden­ tion va entacher la légitimité et la
ÉDULCORÉ OU

son temps »
fique. C’est une immense avan­ tielle prévue le 12 décembre… crédibilité de celui qui sera élu. Un
cée. Une sorte de coup d’Etat civil,  LA REPRODUCTION  C’est sûr qu’il ne l’a pas encou­ candidat élu dans ces conditions
un coup d’Etat de la société contre ragé. A défaut d’accompagner le hypothèque forcément sa prési­
ses propres institutions, incapa­ DU MÊME SYSTÈME » Hirak, le pouvoir cherche à le dence. J’ai peur qu’on mette en
bles de se réformer, de se mettre neutraliser dans une tentative place les conditions d’une ingou­
L’ancien ministre Abdelaziz Rahabi en rapport avec le temps réel.
forme d’intermédiation entre lui
d’assurer la continuité du sys­
tème Bouteflika. Le principe
vernabilité de l’Algérie.

juge que l’Algérie se trouve face Comment expliquer cette


surdité et cette résistance
et le peuple. Son pouvoir ne repo­
sait que sur des allégeances.
d’une élection n’est pas rejeté. Ce
qui est rejeté, ce sont les condi­
Un compromis est­il encore
possible ?
à une « opportunité historique » du pouvoir ?
C’est le pays le plus fermé de la Que reste­t­il du système ?
tions dans lesquelles elle va se
dérouler. Or les conditions d’une
Nous entrons dans une phase de
transition. Celle du passage vers
Méditerranée alors que le peuple Il reste une administration, une élection régulière et transparente un système démocratique, car le
est mondialisé. Il y a un décalage bureaucratie, des groupes d’inté­ ne sont pas réunies. Ce que nous statu quo n’est plus possible. Il est
ENTRETIEN l’expression d’un ras­le­bol du
système Bouteflika, c’est l’expres­
profond entre la société, en lien
avec le temps réel, et la structure
rêts. La résistance au changement
vient de là. Nous sommes encore
demandons, c’est la mise en place
de mesures de confiance et
peut­être dans les calculs d’une
partie du système, mais il n’est pas

A
ncien ministre et diplo­ sion de l’accumulation de toutes gouvernementale, le fonctionne­ en présence d’un gouvernement d’apaisement. dans celui du peuple algérien. Le
mate, Abdelaziz Rahabi les frustrations politiques et des ment de l’Etat, qui est archaïque et des frères Bouteflika. Les walis peuple algérien n’est pas sorti et il
a dirigé en juillet les tra­ aspirations à la justice sociale de­ qui manifeste une très forte résis­ [préfets] sont les mêmes, les ré­ Lesquelles ? ne sort pas dans la rue depuis huit
vaux de la conférence puis des décennies. Le peuple s’est tance au changement. Soit parce flexes sont les mêmes. C’est le dis­ Je ne peux pas accepter que la mois pour avoir un système édul­
nationale de dialogue dite de Aïn réapproprié l’espace public et po­ qu’il n’a aucune vision de l’avenir, cours qui a changé, les éléments presse subisse toutes ces formes coré ou la reproduction du même
Benian, au cours de laquelle une litique. Ce mouvement trans­ soit par crainte de perdre sa rente, de langage. Parce que le peuple a de répression et de chantage. Je ne système sous d’autres formes. Les
plate­forme de revendications a cende les idéologies, il veut rom­ ses intérêts. Il est incapable d’ac­ gagné la rue et les cœurs, mais il peux pas accepter que des jeunes Algériens attendent une rupture.
été adoptée par plusieurs partis pre avec le système autoritaire, la compagner la transformation de n’est pas entré au cœur des insti­ aillent en prison pour avoir mani­ Ils veulent contrôler les richesses
politiques, personnalités et asso­ corruption, c’est ce qui fait son la société sans vouloir en contrôler tutions. Nous avons un peuple festé ou avoir porté un emblème publiques, la décision politique, la
ciations de la société civile. caractère éminemment politique. tous les tenants et aboutissants. qui ne fait pas confiance et un amazigh. Je ne peux pas accepter souveraineté nationale. Confis­
C’est aussi une opportunité his­ Prenons Bouteflika. Pendant gouvernement inaudible. Et cela que ce soit l’administration ac­ quées depuis 1962 par un groupe.
Les Algériens ont chassé torique dans un pays qui procède vingt ans, il n’a pas construit un fait huit mois que cela dure. C’est tuelle et le dernier gouvernement Les Algériens veulent se réconci­
Abdelaziz Bouteflika et et n’avance que par ruptures Etat, il a construit un pouvoir. le temps qu’il a fallu à l’Espagne, Bouteflika qui organisent les élec­ lier avec leur destin et ils savent
manifestent depuis trente­cinq violentes. La colonisation a été C’était un président omnipotent au Portugal ou à la Corée du Sud tions. La demande de démocratie qu’il est possible de construire
semaines. Qu’est­ce qui une très grande violence. L’indé­ qui décidait de tout, qui a cons­ pour organiser une transition… en Algérie est endogène, ce n’est une Algérie plus forte, plus juste
a changé en Algérie ? pendance a été marquée par la truit son pouvoir à coups de com­ C’est sur cette question que je di­ pas une greffe voulue par l’étran­ en rompant avec le système ac­
Le Hirak [mouvement populaire] violence de la lutte pour le pou­ plicités étrangères, en dépensant verge fondamentalement avec le ger. Le pouvoir a des réflexes sécu­ tuel. Il a fait son temps. Il faut que
a surpris tout le monde. Par sa co­ voir. Puis vint le coup d’Etat de la rente… Or il s’est effondré en commandement de l’armée. Je ritaires en emprisonnant et en ré­ nos dirigeants l’admettent. 
hérence, par son caractère massif, Houari Boumediene en 1965. La une semaine, car il n’a pas cons­ pense qu’on aurait pu, dès le 22 fé­ duisant au silence les opposants propos recueillis par
national, pacifique. Ce n’est pas nationalisation des terres agrico­ truit d’Etat. Il a neutralisé toute vrier ou dès le 2 avril avec le et les médias, alors que la crise est madjid zerrouky

La diversité sociologique, clé


de la longévité du mouvement
Chaque vendredi, trois manifestations réunissant plusieurs dizaines
de milliers de personnes parcourent les rues d’Alger

W allah ma rana hab­


sine [Nous jurons que
nous ne nous arrête­
rons pas]. » Décliné sur tous les
« C’EST UN MOMENT 
INÉDIT, CAR TOUT 
banlieues, dont celle d’El­Har­
rach et de ses turbulents suppor­
teurs, ceux de l’USMH, qui
arrivent à la Grande Poste après
tons depuis le mois de février, dé­ LE MONDE MANIFESTE :  une longue marche d’une di­
but de la contestation contre le ré­ zaine de kilomètres, les trans­
gime, c’est le leitmotiv des dizai­ JEUNES, FAMILLES,  ports étant suspendus par les
nes de milliers de manifestants autorités. C’est vers 15 heures que
qui emplissent les grandes artè­
VIEUX, MAIS AUSSI  les « trois affluents du Hirak
res de la capitale chaque vendredi. DES GENS AISÉS » d’Alger donnent toute leur puis­
Plus que toute autre ville, Alger sance », souligne Nacer Djabi.
a une charge symbolique et poli­ NACER DJABI Le sociologue insiste égale­
tique particulière pour les mani­ sociologue ment sur la dimension féminine
festants comme pour les autori­ et familiale de la mobilisation.
tés, qui y déploient un imposant « La présence des femmes – dont
dispositif de sécurité. Sans s’op­ premier cortège, constitué en beaucoup sont des femmes au
poser, pour l’instant, frontale­ grande partie d’hommes, de foyer – est remarquable. Tout
ment aux foules qui y défilent. femmes et de familles issus des comme celle de parents défilant
Ainsi, les jours de grande classes moyennes, de la petite avec leurs enfants. C’est aussi ce
mobilisation, ce n’est pas une, bourgeoisie, mais aussi des éli­ qui explique une constante des
mais trois manifestations qui tes, descend la rue Didouche­ manifestations : leur pacifisme.
parcourent les rues de la capitale Mourad, l’artère commerçante On n’envisage pas la violence
pour converger vers l’esplanade du centre­ville. Un flux alimenté lorsqu’on vient marcher avec un
de la Grande Poste. L’édifice de par ce que les Algérois appellent bébé accroché dans le dos, ou
MHD SAS, 105 Bvd de la Mission Marchand, 92400 Courbevoie – B 337 080 055 RCS Nanterre

style néomauresque, une icône la « deuxième vague ». Celle des lorsqu’on accompagne un
du centre­ville, est devenu le manifestants qui défilent après grand­père ou une grand­mère,
point névralgique de la contesta­ la grande prière du vendredi. voire des malades ou des handi­
tion dans la capitale. Beaucoup viennent de la mos­ capés. Cette diversité empêche les
« C’est un moment inédit car quée Al­Rahma. Située à quel­ face­à­face exclusifs et à risques
tout le monde manifeste, la ques encablures de « Didouche », entre jeunes garçons et policiers »,
diversité sociologique de l’Algérie elle accueille plusieurs milliers ajoute Nacer Djabi.
se retrouve et se brasse. Jeunes, de fidèles. Ceux qui ne prient pas C’est là une rupture avec les
familles, vieux : tous sortent. Les attendent dans le triangle de manifestations qu’a connues le
couches moyennes comme les rues environnantes. pays ces dernières décennies :
quartiers populaires. Mais aussi « Des mouvements urbains, impli­
des gens aisés, dirigeants d’entre­ Rupture quant des jeunes des quartiers po­
prises, petits entrepreneurs, ca­ Quatre kilomètres à l’ouest, les pulaires et tournant parfois à
dres, professions libérales », quartiers de Bab­el­Oued et de la l’émeute. Ces mouvements, dus à
explique le sociologue Nacer Casbah s’animent à la même la mal­vie, au mal­logement,
Djabi, qui travaille sur la mor­ heure. Plus populaire, festive, la bénéficiaient du soutien du reste
phologie du mouvement. « La marche « Bab­el­Oued­Casbah » de la population, mais sans que
force du mouvement tient au fait arrive au pas de course à la celle­ci ne s’implique dans la rue. »
qu’aucune classe n’avance de Grande Poste, souvent animée Un nombre et une diversité qui
revendication socio­économique par la présence des supporteurs rendent, pour l’instant, impossi­
ou catégorielle. Il y a un objectif des deux grands clubs de foot de ble un recours à la violence de la
commun, une détermination la ville, l’USMA et le MCA. Un dy­ part des forces de l’ordre : « Celui
collective à rompre avec le sys­ namisme qui habite aussi la troi­ qui ordonnerait un tel recours
tème », poursuit­il. sième manifestation, celle des contre ces manifestations en L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
Chaque vendredi, les quartiers quartiers populaires de l’est (Be­ payerait le prix politique. » 
des hauteurs ouvrent le bal. Un louizdad, Hussein Dey) et des m. z.
0123
4 | international DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

En Catalogne, l’indépendantisme radical s’organise


Après cinq soirs d’émeutes, le débat sur la nécessité d’un virage stratégique agite les cercles les plus déterminés

barcelone (espagne) ­ charges de la police catalane der­


envoyée spéciale rière des barricades en feu, place
Urquinanoa, où les émeutes ont

J
ordi, immobile au milieu de continué une bonne partie de la
la foule, a le regard perdu nuit, avec des jets de pierre et des
dans le vide. Autour de lui, saccages. De nombreux manifes­
des centaines de jeunes – cer­ tants et des journalistes ont pro­
tains, le visage masqué – testé contre la brutalité policière.
avancent d’un pas décidé vers Ur­ Si la majorité des indépendantis­
quinanoa, une centaine de mètres tes défend une voie pacifique, le
plus en avant. Une colonne de fu­ débat sur la nécessité d’un virage
mée s’élève en provenance de stratégique, après sept ans de mo­
cette place du centre de Barcelone. bilisations non violentes, agite les
De hautes flammes éclairent la cercles les plus radicaux. Certains
nuit. Le bruit des tirs de balles en défendent l’idée de « paralyser le
caoutchouc résonne au loin. pays », comme Enric Piñol, agent
Jordi, 58 ans, employé dans un administratif de 48 ans, qui voit
cabinet de gestion qui préfère ne dans les « gilets jaunes » français
pas donner son nom, n’en croit une source d’inspiration, « pour
pas ses yeux. Il a participé à quasi­ leur énergie et leur entêtement » ;
ment toutes les manifestations ou Ramon Ramos, retraité de
indépendantistes depuis 2012. Y 64 ans pour qui « la solution est de
compris celle, massive, du ven­ s’en prendre aux intérêts financiers,
dredi 18 octobre, convoquée pour en bloquant les infrastructures ».
protester contre les lourdes pei­ D’autres, souvent les plus jeu­
nes – de neuf à treize ans de pri­ nes, considèrent qu’il faut « me­
son – infligées aux chefs de file in­ ner des actions plus révolutionnai­
dépendantistes catalans à l’ori­ res et violentes face à la répres­
gine du référendum d’indépen­ sion », comme Sofia, 17 ans. Le pré­
dance illégal d’octobre 2017. Mais sident du gouvernement catalan,
il n’avait, jusqu’ici, jamais assisté l’indépendantiste radical Quim
au moindre incident. Torra, a gardé le silence sur les dé­
bordements.
Brutalité policière Jusqu’à présent, les Comités de
« Je ne sais pas quoi penser, tout défense de la République (CDR),
cela est nouveau, soupire­t­il, ha­ sortes d’associations de quartier
gard et cherchant ses mots. Jus­ nées pour organiser le référen­
qu’à présent, nous avons été très dum d’indépendance illégal d’oc­
gentils et cela n’a pas marché. tobre 2017, représentaient les plus Lors de la manifestation d’indépendantistes à Barcelone, le 18 octobre. BERNAT ARMANGUE/AP
Peut­être qu’il faut devenir mé­ radicaux. Souvent animés par des
chant. La révolution des sourires militants d’extrême gauche, pro­
est un échec, c’est évident. Tout ches du mouvement anticapita­ conseils et des numéros de télé­ selon le ministère de l’intérieur Depuis, plus rien. En tout cas sur
cela dure depuis trop longtemps et liste, eurosceptique et indépen­ phone d’avocats, ils ont promu qui les a définis comme des mem­
« La révolution son canal Telegram. Car la mysté­
nous sommes tous secoués. Mais dantiste Candidature d’union po­ ces deux dernières années des bres des « Equipes de réponse tac­ des sourires est rieuse organisation a lancé une
là, j’ai des doutes… » pulaire (CUP), ils se sont chargés blocages de routes, des coupures tique » des CDR. Durant les perqui­ application afin de communiquer
Comme lui, plus de d’apprendre aux indépendantis­ d’autoroutes, des occupations de sitions, du matériel et des subs­
un échec, c’est de manière plus sûre. Pour l’acti­
500 000 personnes se sont réu­ tes les techniques de résistance voies ferrées ou des manifesta­ tances soupçonnées de pouvoir évident. Tout cela ver, il est indispensable d’obtenir
nies dans l’après­midi sur l’ave­ passive face aux forces de l’ordre tions devant la préfecture qui ont servir à la fabrication d’explosifs un des codes QR (code­barres
nue Diagonal dans une ambiance avant le référendum interdit. déjà donné lieu à des heurts avec ont été saisis. Sept d’entre eux ont
dure depuis trop identifiable avec un smartphone)
calme, aux cris de « Liberté, pri­ Par la suite, ils ont instauré des la police. Mais jamais des émeu­ été placés en prison provisoire longtemps » distribués par les promoteurs du
sonniers politiques ». Lorsque la réunions hebdomadaires et com­ tes comme celles qui enflamment pour appartenance présumée à mouvement avec parcimonie
JORDI
manifestation s’est dispersée, des mencé à organiser des manifesta­ Barcelone depuis cinq soirs. un groupe terroriste. Deux hom­ auprès de militants de confiance.
manifestant catalan
milliers de jeunes se sont dirigés tions plus musclées que celles des mes auraient reconnu préparer Grâce à la géolocalisation de ses
vers la place de Catalogne et ses grandes associations indépen­ Une mystérieuse organisation des sabotages, selon des fuites de membres, elle devrait pouvoir in­
environs. Parmi eux, quelques dantistes ANC ou Omnium cultu­ Celles­ci ont déjà fait plus de l’investigation rapportées par la diquer à chacun quelles actions
centaines de radicaux ont brûlé ral. Convoqués par le biais de 250 blessés depuis lundi et la po­ presse espagnole. fugié en Belgique, mais aussi par mener et coordonner les actions
des bennes à ordures, via Laie­ leurs canaux de diffusion sur Te­ lice a procédé à plus de 150 gardes Cependant, la grande nou­ plusieurs chefs de file emprison­ des manifestants.
tana, avant de se replier sous les legram, qui délivrent aussi des à vue. Neuf personnes ont été in­ veauté de la sphère indépendan­ nés, comme le président de la « Le “Tsunami démocratique” est
carcérées de manière provisoire. tiste est l’apparition du « Tsu­ Gauche républicaine indépen­ utile dans un moment de manque
Cependant, selon le ministère es­ nami démocratique », à l’encon­ dantiste, Oriol Junqueras, ou les de meneurs et d’unité entre les par­
Puigdemont entendu par la justice pagnol de l’intérieur, Fernando
Garcia Marlaska, les violences ont
tre duquel la justice espagnole a
aussi ouvert une enquête pour
dirigeants associatifs Jordi
Cuixart et Jordi Sanchez, ainsi
tis indépendantistes, pour remobi­
liser les gens et mieux organiser les
L’ancien président du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, été essentiellement le fait de « terrorisme », vendredi. Ce que dirigeants de la CUP. protestations, tout en évitant la ré­
qui a fui en Belgique en 2017, a été entendu par un juge d’instruc- « près de 400 personnes organi­ groupe anonyme, qui prône pu­ Sa première action de grande pression grâce à l’anonymat, ex­
tion, vendredi 18 octobre, à Bruxelles, après la réactivation du sées », ce qui démontrerait leur bliquement la non­violence et envergure a été le blocage de l’aé­ plique Joan, 24 ans. Les gens en ont
mandat d’arrêt européen à son encontre pour « sédition et mal- caractère ultraminoritaire. dont le canal sur Telegram roport de Barcelone, le 14 octobre, marre de manifester et de ne rien
versation de fonds publics ». Après une vingtaine d’heures d’audi- Cet embrasement n’est toutefois compte près de 350 000 abon­ organisé en deux temps dès que obtenir. D’autres voies sont à ex­
tion, il a été laissé en liberté sous conditions en attendant une pas une surprise. Le 23 septembre, nés, est né le 2 septembre. les condamnations de la Cour de plorer pour démontrer que l’Etat
prochaine comparution devant le juge le 29 octobre, le temps la garde civile a arrêté neuf per­ Son lancement a été immédia­ suprême ont été connues : les espagnol est un Etat répressif.
pour le juge d’analyser le dossier et d’éclaircir la question de sa sonnes en lien avec les mouve­ tement signalé sur Twitter par le manifestants ont d’abord été ap­ Mais il faut de la constance et avoir
possible immunité. Elu au Parlement européen, M. Puigdemont ments indépendantistes, soup­ président du gouvernement ca­ pelés à se retrouver place de la des objectifs clairs, ce qui manque
n’a pas pu prendre ses fonctions, n’ayant pas prêté serment de çonnées de « se préparer pour me­ talan, Quim Torra, et son prédé­ Catalogne, où leur a été commu­ en ce moment. » 
respecter la Constitution de l’Espagne à Madrid. ner à bien des actions violentes », cesseur, Carles Puigdemont, ré­ niqué l’objectif final. sandrine morel

La jeune génération libanaise crie sa détresse dans la rue


L’absence de perspectives attise la contestation, menacée par les débordements et par les récupérations politiques

beyrouth ­ correspondance tobre, ils sont venus demander des prétexte. Depuis des semaines, des de rassemblement attenants, ce­ Mais, déjà, des menaces planent mouvement se concentre contre
comptes à ceux qui leur volent mois, l’inquiétude monte : l’éco­ lui de l’emblématique place des sur le mouvement. Celle, d’abord, une seule personnalité ou un seul

I ls s’appellent Malek, Rim,


Houssam, Nour, Hussein, ils
n’ont pas 30 ans et déjà si peu
d’espoirs. Certains triment dur
pour financer leurs études,
leurs rêves. « Une classe politique
de brigands ! Les mêmes au pouvoir
depuis trente ans ! », tonne Nour.
« Des responsables qui passent leur
temps à nous faire des promesses et
nomie est en rade, le système fi­
nancier menace d’imploser.

« Boule de neige »
A plusieurs reprises, on entonne
Martyrs, et celui de la place Riad
El­Solh, en contrebas du siège du
gouvernement. Le premier mi­
nistre, Saad Hariri, prend alors la
parole dans une allocution télévi­
de la violence. Vendredi soir, les
échauffourées sont montées cres­
cendo au centre de Beyrouth, des
manifestants lançant bouteilles
d’eau et pétards contre le cordon
parti, il ne résistera pas. Alors que
la fronde populaire gronde, des
responsables politiques ont com­
mencé à régler leurs comptes, es­
pérant affaiblir leur rival. Une
d’autres voient leurs amis émi­ à ne pas les tenir. Ils ont dépecé l’hymne national libanais, en se fé­ sée que l’on suit, dehors, sur les té­ de policiers. Les forces de sécurité énième crise politique plongerait
grer pour échapper au chômage, l’économie du pays », ajoute Lynn. licitant de l’unité du moment, au­ léphones portables. D’un ton ont répliqué en tirant des gaz la­ le pays dans la paralysie. Des par­
d’autres encore ne supportent Ils font partie des milliers de Li­ delà des confessions et des diffé­ grave, il met en cause les « obsta­ crymogènes. Des dizaines d’ar­ tis non communautaires appel­
plus, tout simplement, de devoir banais descendus dans la rue, ven­ rences sociales. Des manifestants cles », qu’il impute à des membres restations ont eu lieu. Tout au lent à la formation d’un gouver­
vivre résignés. D’être contraints dredi, au cri de « Révolution ! » Il y a sont venus un balai à la main : c’est de son cabinet de coalition, pour long de la journée, à deux pas des nement de technocrates.
de s’accoutumer, comme la géné­ aussi d’autres générations, des fa­ sur la scène politique qu’ils sou­ mener à bien des « réformes ». Il rassemblements, des casseurs et La journée de samedi devait
ration de leurs parents, à ce que milles, des têtes blanches, exaspé­ haitent faire le ménage. Chez ceux donne soixante­douze heures à des jeunes révoltés ont brûlé des donner quelques indications sur
les coupures d’électricité et d’eau rées par des années d’incurie poli­ qui ont moins de 30 ans, certains l’équipe pour changer la donne. pneus. Certains ont cassé des vi­ la persistance de la contestation,
persistent trente ans après la fin tique. Surprenant tout le monde, descendent dans la rue pour la pre­ Pas de démission, pas pour l’ins­ trines. « Ils sont envoyés pour se­ qui s’est étendue du palais prési­
de la guerre, à ce qu’un piston l’étincelle est partie jeudi soir, mière fois. « Je ne peux pas espérer tant en tout cas. Dans la foule, mer la zizanie et casser le mouve­ dentiel de Baabda, où siège Mi­
d’un responsable politique soit quand le gouvernement a an­ me fiancer, je n’ai aucune chance Emilio, ingénieur au chômage de ment par le parti Amal [celui du chel Aoun, à Tripoli, dans le nord,
nécessaire pour entrer dans la noncé son intention d’imposer de d’obtenir un visa pour émigrer, je 27 ans, n’est pas vraiment surpris. président du Parlement, Nabih ou Nabatiyé, dans le sud. Samedi
fonction publique, ou même pour nouvelles taxes, y compris sur l’ap­ travaille pour payer mes études et « Je ne m’attends pas à ce que le Berri] », accuse Emilio. matin, des routes restaient cou­
être soigné, quand on est démuni. plication WhatsApp, une message­ je ne sais même pas si j’aurai un tra­ mouvement arrive à faire plier le Autre défi pour que le mouve­ pées dans le pays, et une odeur de
Alors, dans le cœur de Beyrouth, rie très utilisée, quand les commu­ vail… », s’émeut Hussein, 24 ans. système politique. Mais, au moins, ment perdure, l’absence de lea­ brûlé traversait divers quartiers
pour le deuxième jour consécutif nications sur mobile sont si chè­ Vers 18 heures, la foule se fait la contestation grossit petit à petit, dership. Mais, surtout, le risque de Beyrouth. 
de manifestations, vendredi 18 oc­ res. Mais WhatsApp n’est qu’un plus massive, sur les deux points comme une boule de neige », dit­il. d’une récupération politique. Si le laure stephan
Depuis 1949, date de l’ouverture
du 1er centre E.Leclerc, on se bat pour que
le plus grand nombre de Français aient
accès au plus grand nombre de produits
et services qui améliorent le quotidien :
le carburant en 1985, les bijoux en 1986,
le voyage et la parapharmacie en 1988,
les biens culturels en 1994, le bio en 2000,
l’électricité verte en 2018. Eh oui, ça fait
70 ans qu’on est à vos côtés et on n’est
pas près de s’arrêter.
GALEC – 26 Quai Marcel Boyer – 94200 Ivry-sur-Seine, 642 007 991 RCS Créteil.

DÉFENDRE TOUT
CE QUI COMPTE POUR VOUS.
0123
6 | international DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Les conservateurs Indonésie : nouveau mandat sur


canadiens croient
en leurs chances fond de défiance pour « Jokowi »
Andrew Scheer est au coude­à­coude avec Le président Joko Widodo devait être intronisé dimanche
Justin Trudeau avant le scrutin du 21 octobre
bangkok ­ correspondant régional Pour elles, Jokowi est le garant de reux embusqués dans l’archipel.
montréal (québec) ­ Sa priorité au pouvoir sera
Ces derniers leur protection face aux poten­ Pire encore pour Jokowi, la colère

L
correspondance d’abolir la taxe sur le carbone es cinq prochaines an­ temps, « Jokowi » tiels périls d’un discours islamiste populaire contre le choix des dé­
mise en place par le gouverne­ nées risquent d’être com­ de plus en plus virulent. putés de la Chambre des repré­
donne de lui
L ors d’un meeting à La Prai­
rie, dans la banlieue sud de
Montréal, mardi 15 octobre,
le candidat conservateur aux
élections législatives canadien­
ment Trudeau pour lutter contre
le réchauffement climatique, An­
drew Scheer jugeant ce prélève­
ment « inefficace ». Promouvant
une production de pétrole locale,
pliquées pour le président
indonésien, Joko Widodo,
réélu le 17 avril : de nombreuses
manifestations étudiantes, fin
septembre, ont cristallisé, parfois
l’image
d’un dirigeant
hésitant,
Son choix d’aller courtiser l’élec­
torat conservateur s’est révélé ju­
dicieux. Pourtant, même s’il
prône la tolérance interconfes­
sionnelle et assure vouloir défen­
sentants a réuni dans un rejet
unanime supporteurs et adver­
saires du président.

« Bouffées d’autoritarisme »
nes Andrew Scheer a motivé ses il a répété tout au long de la cam­ de façon brutale, l’expression dre la diversité ethnique de son L’éditorialiste du quotidien an­
troupes, accompagné de son pagne sa volonté de construire d’un mécontentement populaire
indéchiffrable pays, avoir choisi comme vice­ glophone Jakarta Post, Kornelius
épouse Jill et de leurs cinq en­ un « corridor énergétique », do­ dans l’archipel avant même que le président un religieux vantant les Purba, se montre sévère à l’égard
fants. Devant une poignée de re­ tant ainsi le quatrième produc­ chef de l’Etat ne soit officielle­ mérites de l’excision – un « hon­ du chef de l’Etat. Selon lui, ce der­
présentants de son parti, il a mêlé teur mondial d’or noir de projets ment intronisé pour un second a, tout au long de son premier neur » pour les femmes, clama un nier n’a qu’une alternative : « Soit
anecdotes de jeunesse, références d’infrastructures. mandat, dimanche 20 octobre. En mandat, mis en place des pro­ jour Ma’ruf Amin – est une déci­ il choisit de rester du côté du peu­
à la culture populaire et promes­ ces temps troublés, dans cette In­ grammes financés par l’Etat pour sion que les milieux urbains pro­ ple, même au prix de la stabilité de
ses électorales, comme il le fait à « Déficit extravagant » donésie dont la vibrante démo­ aider les plus pauvres et les pay­ gressistes ont eu du mal à avaler. son gouvernement [de coalition],
chacune de ses apparitions. M. Scheer a axé sa campagne sur cratie des années de sortie de dic­ sans alors que n’ont cessé de croî­ L’éruption des manifestations soit il se range du côté des élites, et
L’issue des élections fédérales la baisse des impôts pour « re­ tature, au tournant du siècle, tre les inégalités. étudiantes est à analyser dans ce il deviendra un canard boiteux… »
du 21 octobre est plus que jamais mettre plus d’argent dans les po­ donne depuis un moment des si­ contexte­là : elles ont été provo­ A la décharge du président, c’est
incertaine : les conservateurs et ches des Québécois » et s’engage à gnes de déclin, un nombre crois­ Colistier conservateur quées par un projet de réforme peut­être l’Indonésie, en tant que
les libéraux étant respectivement ramener le pays à l’équilibre bud­ sant des partisans de ce président Pourtant, avant même qu’il ne du code pénal, qui prévoit no­ nation, qui est aujourd’hui, en
à 32,5 % et 31,9 % des intentions de gétaire en cinq ans. Au cours des de 58 ans s’interrogent sur la sin­ « rempile », l’idée que se font de lui tamment des peines de six mois partie, guettée par une sorte de
vote (sondage Nanos­Globe­CTV). dernières années, la dette publi­ cérité de ses engagements. certains partisans autrefois incon­ d’emprisonnement pour des lassitude démocratique. « Les ob­
On estime à 34 % le nombre que est passée de 616 milliards de A l’heure du début d’un second ditionnels d’un chef de l’Etat au relations sexuelles hors ma­ servateurs ont beau avoir vanté
d’électeurs encore indécis, dont dollars canadiens (420 milliards mandat qui ne peut, selon la Cons­ profil un peu décalé, dans le con­ riage. Et permet aux chefs de vil­ ces dix dernières années les quali­
près de 10 % qui confirmeront d’euros), lorsque Justin Trudeau titution, être renouvelé, Joko Wi­ texte indonésien, s’est brouillée. lage de dénoncer de tels faits au tés de la démocratie indonésienne,
leur choix dans l’isoloir, selon a pris le pouvoir durant l’exercice dodo a les mains libres. Mais com­ L’homme est un paradoxe : né de motif « de protéger le voisinage on assiste en ce moment à la ré­
l’institut de sondages Léger. financier 2015­2016, à 685,5 mil­ ment va­t­il articuler ses priorités, parents pauvres dans un quasi­bi­ de la contamination des mœurs émergence de bouffées d’autorita­
Malgré un parcours politique liards de dollars canadiens lui qui veut concilier pragmatisme donville, ce passionné de hard rock occidentales ». risme parmi les héritiers de l’an­
sans faute, élu député dans la pro­ en 2018­2019, le pays affichant économique et défense des acquis a commencé sa carrière en ven­ Joko Widodo a finalement de­ cienne classe dirigeante [sous la
vince de la Saskatchewan pour pourtant une bonne santé éco­ démocratiques ? A Djakarta, on dant des meubles. Aujourd’hui, il mandé aux députés de reporter ce dictature], la montée en puissance
cinq mandats consécutifs, puis nomique. s’interroge sur l’héritage qu’il veut lui faut prendre garde à ne pas vote. Le président donne cepen­ du sectarisme religieux [islamiste]
président de la Chambre des com­ Pour beaucoup, la dette est un laisser à ses 260 millions de ci­ écorner son image d’« homme du dant de lui ces derniers temps et une dérive d’ordre illibéral dans
munes en 2011, et chef du Parti sujet de préoccupation. « On toyens dans cette immense nation peuple » tout en démontrant qu’il l’image d’un dirigeant hésitant, la réglementation des libertés civi­
conservateur en 2017, Andrew tombe dans un déficit extrava­ qui pourrait devenir la quatrième est à la hauteur de l’impossible tâ­ indéchiffrable. Et pas seulement les », écrivaient en début d’année
Scheer, 40 ans, candidat au poste gant. Ce n’est pas ça, gérer un bud­ puissance économique mondiale che : diriger cet archipel aux parce qu’il est le fruit d’un univers les chercheurs Eve Warburton et
de premier ministre, a du mal à get », critique une bénévole du au milieu du siècle. 17 000 îles et aux 300 langues et javanais complexe, où le dalang, Edward Aspinall.
mobiliser au­delà de sa base et à se Parti conservateur, Linda Doucet, Elu à l’hiver 2014 sur un pro­ groupes ethniques. celui qui fait glisser les marionnet­ Joko Widodo, trop jeune pour
faire connaître, ce qui le désavan­ qui avance que les citoyens qu’elle gramme démocratique et libéral, En prenant comme colistier tes de cuir sur le drap du Wayang s’être sali les mains durant les
tage par rapport à Justin Trudeau. a rencontrés – avec ses acolytes, chantre têtu du développement pour le poste de vice­président le kulit (théâtre d’ombres), est aussi années de la dictature militaire,
Toutefois, sa personnalité tran­ elle dit avoir frappé à 40 000 por­ qui n’a cessé de mettre l’accent vieil ouléma conservateur Ma’ruf un maître en manipulation… reste malgré tout le garant des
che avec celle de Stephen Harper, tes dans une circonscription de sur la construction d’infrastruc­ Amin (76 ans), il aura, non sans Une autre loi, déjà passée à la acquis démocratiques. Il est aussi
premier ministre conservateur de Montréal – lui ont fait part de tures dans un archipel à la traîne, habileté politique, donné des ga­ Chambre des représentants, a ag­ l’homme du compromis, notam­
2006 à 2015, décrié pour son atti­ cette inquiétude. celui que l’on surnomme « Jo­ ges aux islamo­conservateurs, ses gravé les choses : cette législation ment avec les militaires, qu’il
tude froide et austère. Idéologi­ A l’international, M. Scheer a kowi » a remporté en avril une adversaires. Tout en raflant les va affaiblir la très populaire courtise. Il a cinq ans pour prou­
quement plus conservateur que ce promis de déménager l’ambas­ victoire encore plus nette que la voix de quasiment toutes les mi­ Agence anticorruption, qui ba­ ver qu’il saura bien manipuler
dernier sur des questions familia­ sade du Canada en Israël à Jérusa­ fois précédente : 55,5 % des suffra­ norités, chrétiennes en particu­ taille, avec succès, depuis des an­ les marionnettes. Et éviter d’en
les et morales, il se dit contre lem, s’alignant sur le gouverne­ ges, contre 53,15 % en 2014. lier (10 % de la population d’un nées pour traîner devant les tri­ devenir une. 
l’avortement, le mariage entre ment de Donald Trump. Il affirme L’homme est un rassembleur : il pays musulman à plus de 87 %). bunaux les hommes d’affaires vé­ bruno philip
personnes de même sexe et la lé­ vouloir également aussi durcir le
galisation du cannabis. Catholi­ ton face à la Chine et à la Russie et
que pratiquant dont la mère infir­ réduire de 25 % l’aide étrangère
mière était engagée dans le mou­ globale du Canada.
vement anti­avortement, le candi­
dat a néanmoins promis qu’il
voterait contre toute mesure vi­
Pendant la semaine du 14 octo­
bre, le candidat conservateur a
multiplié les déplacements au
Au Mexique, la libération forcée d’un fils
sant à rouvrir le débat sur le sujet, Québec. Dans la deuxième pro­
légal au Canada depuis 1988. vince la plus peuplée après l’Onta­
rio, il est au plus bas dans les inten­
tions de vote (17 % selon Abacus
d’« El Chapo » embarrasse le gouvernement
Data pour Politico). Une majorité
Andrew Scheer de Québécois sont opposés aux
Les affrontements entre le cartel de Sinaloa et les forces de l’ordre ont fait huit morts
se dit contre principes qu’il défend, selon les
différentes enquêtes d’opinion.
l’avortement,
le mariage
M. Scheer a notamment promis
de ne pas contester la loi 21 inter­
mexico ­ correspondance « L’opération a été mal prépa­
rée », a regretté le ministre de la
« Nos hommes Enrique Peña Nieto (2012­2018).
« On ne veut plus continuer cette
ont improvisé,
entre personnes
de même sexe
et la légalisation
disant les signes religieux chez les
agents de l’Etat en position d’auto­
rité. Le texte fait l’objet de vives po­
lémiques et de recours judiciaires
devant les tribunaux. 
L a polémique ne cessait
d’enfler au Mexique au len­
demain de la libération,
jeudi 17 octobre, d’un des fils du
défense, Luis Cresencio Sando­
val. Jeudi à 14 h 45 (heure locale),
une trentaine de policiers, de mi­
litaires et de gardes nationaux
sans en
mesurer les
politique qui a converti le pays en
cimetière », a justifié, vendredi, le
président de centre gauche.
Les chiffres officiels font état

du cannabis agnès chapsal


célèbre narcotrafiquant Joaquin
Guzman, alias « El Chapo », après
prenaient d’assaut une maison
de Culiacan, où se trouvait
conséquences » de plus de 250 000 morts en
treize ans. « Il faut s’attaquer
son interpellation à Culiacan, ca­ M. Guzman Lopez, 29 ans, alias LUIS CRESENCIO SANDOVAL aux causes de la violence », a­t­il
pitale de l’Etat de Sinaloa (Nord­ « El Raton (la souris) », en compa­ ministre de la défense milité après avoir lancé des pro­
Ouest) et fief de son cartel. « La gnie de trois proches. grammes sociaux visant à ré­
capture d’un criminel ne vaut pas duire les inégalités dans un pays
plus que la vie des gens », a justifié, « On a été dépassés » mot avoir libéré M. Guzman. La où près de la moitié de la popula­

DE CAUSE
vendredi matin, le président An­ Fils de la seconde épouse d’« El veille, le ministre de la sécurité tion est pauvre. « Des mesures à
dres Manuel Lopez Obrador (sur­ Chapo », cet héritier a repris avec publique, Alfonso Durazo, avait long terme alors que la libération
nommé « AMLO »), face aux réac­ plusieurs de ses frères les rênes assuré que le fils d’« El Chapo » du fils d’“El Chapo” accentue, dès

À EFFETS.
tions mafieuses ultraviolentes du cartel de Sinaloa. « Nos hom­ avait été arrêté par hasard au maintenant, la crise sécuritaire
qui ont mis la ville à feu et à sang. mes n’ont pas attendu l’ordre de cours d’une patrouille de routine. en renforçant l’impunité des nar­
© Radio France/Ch. Abramowitz

Tirs fournis de mitrailleuses, perquisitionner, a déploré M. San­ Mais le lendemain, le président cos », déplore M. Bravo.
Le magazine de barrages de véhicules en flam­
mes, cadavres sur le bitume… Le
doval. Ils ont improvisé, sans en
mesurer les conséquences. » Le
Lopez Obrador l’a contredit en ré­
vélant l’opération montée à la
Même vague de critiques dans
les journaux mexicains, nom­
l’environnement chaos a envahi, jeudi après­midi, ministre a raconté que des dizai­ suite du mandat d’arrêt motivé breux à dénoncer « un échec ».
les rues de cette agglomération nes de narcotrafiquants les ont par une demande d’extradition Vendredi, le célèbre journaliste,
de 700 000 habitants. Les vidéos, encerclés et pris pour cible. Dans d’Ovidio Guzman, émis par le Carlos Loret de Mola, s’inquiétait
diffusées par des témoins sur la foulée, ils incendiaient des bus gouvernement américain. dans une tribune publiée dans El
Chaque les réseaux sociaux, révèlent l’in­ et des camions pour bloquer dix­ « AMLO a cédé à la pression de Universal : « Les appareils de sécu­
dimanche tensité des affrontements à neuf axes routiers de la ville. Washington pour emprisonner rité se rendent face au pouvoir
l’arme lourde entre les membres Quarante­neuf détenus profi­ aux Etats­Unis les fils d’“El d’un cartel (…). Hier, l’image que
16H-17H du cartel de Sinaloa et les forces taient alors de la confusion pour Chapo”, commente l’analyste nous avons présentée au monde
Aurélie de l’ordre. Des scènes de guérilla s’évader de la prison de Culiacan. politique Virgilio Bravo. Ce fiasco était celle d’un Etat défaillant. »
Luneau urbaine qui ont fait huit morts,
dont un passant.
« On a été dépassés », a reconnu
M. Sandoval, qui a confié que des
révèle la naïveté et l’ambiguïté de
sa stratégie sécuritaire, qui mise
Une affirmation rejetée par
AMLO, qui assure vouloir garder le
Cette réplique musclée à l’arres­ militaires avaient été enlevés puis sur la non­violence et la préven­ cap, après avoir promis de réduire
tation d’Ovidio Guzman Lopez, libérés par les narcotrafiquants. tion au détriment de l’arrestation la violence. « Ayez confiance ! » a­
En partenariat un des neuf enfants d’« El Chapo », Ces derniers ont aussi attaqué des barons de la drogue. » t­il lancé, vendredi, alors que l’ava­
avec
L’esprit condamné en juillet à la prison à une résidence où logent les fa­ Entré en fonctions depuis lanche d’homicides (23 063 entre
d’ouver- perpétuité aux Etats­Unis, a milles des soldats. « Nous avons dix mois, « AMLO » a annoncé « la janvier et août) laisse craindre que
provoqué durant six heures un alors donné l’ordre à nos hommes fin de la guerre contre les cartels », cette année batte le record mor­
ture. vent de panique au sein de la de se retirer de la maison », a­t­il menée par ses prédécesseurs bide de 2018 : 33 749 tués. 
population de Culiacan. expliqué, reconnaissant à demi­ Felipe Calderon (2006­2012) et frédéric saliba
FRANCE
0123
DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 |7

Les Balkany condamnés pour blanchiment
Le maire de Levallois­Perret et son épouse ont fait appel de leurs condamnations à cinq et quatre ans de prison

L
a vaste salle 2.01 du tribu­ l’avoir utilisé pour « l’acquisition Le parquet national financier dence –, mais il n’a pas été prouvé appartiendrait de déposer un
nal de Paris était pleine, le et l’embellissement de biens im­ avait demandé sept ans contre Pa­ qu’elle s’inscrivait dans un
Isabelle Balkany recours pour tenter d’obtenir une
box des prévenus était mobiliers », en l’occurrence leurs trick Balkany dans un réquisitoire schéma de corruption. s’est contentée confusion de leurs peines qui,
vide. Patrick Balkany, villas à Saint­Martin (Antilles qui tenait compte de l’infraction Patrick et Isabelle Balkany, élus à sans intervention de leur part,
condamné à quatre ans de prison françaises) et Marrakech (Maroc). de corruption, laquelle n’a pas été la tête de Levallois­Perret presque
d’affirmer s’additionneraient.
et incarcéré le 13 septembre pour retenue par le tribunal. L’accusa­ sans discontinuer depuis 1983, se que l’affaire Quid du destin politique du duo,
fraude fiscale, était pourtant « Ferme et dissuasive » tion soutenait que le prévenu sont par ailleurs vu infliger dix qui souhaite se succéder à lui­
attendu derrière la vitre pour as­ Tâchant de faire bonne figure s’était fait offrir la villa de Marra­ ans d’inéligibilité – comme lors
ne concernait même lors des municipales de
sister, vendredi 18 octobre, au ju­ dans la cohue de la sortie kech par un richissime promoteur du premier procès – et la saisie de « pas 1 centime mars 2020 ? L’appel étant suspen­
gement de son procès pour blan­ d’audience, Isabelle Balkany s’est saoudien, Mohamed Al Jaber, en tous leurs biens immobiliers, y sif, les époux Balkany pourraient
chiment de fraude fiscale et cor­ contentée d’affirmer que l’affaire échange de délais de paiements compris le moulin de Giverny,
d’argent public » se présenter à l’élection si elle
ruption. Mais il n’a pas souhaité ne concernait « pas 1 centime d’ar­ favorables dans une énorme opé­ dans l’Eure. Ils devront, enfin, so­ avait lieu aujourd’hui. Si leur iné­
– c’était son droit – être extrait de gent public » mais « uniquement ration immobilière à Levallois. lidairement avec trois autres co­ ligibilité était confirmée en appel
sa cellule de la prison de la Santé. notre patrimoine familial », lais­ Compte tenu de la chronologie prévenus, verser 1 million d’euros posée vendredi, mais ne sera pas – le second procès pour fraude fis­
C’est donc en son absence que le sant planer une confusion entre des faits, de l’avantage limité que de dédommagement à l’Etat. forcément traitée le même jour cale se tiendra en décembre, celui
maire (Les Républicains) de argent public détourné – il n’y en constituait la modification de Face à cette peine jugée « mons­ que la première. « Absolument rien pour blanchiment et corruption
Levallois­Perret (Hauts­de­Seine), a pas eu, en l’espèce – et argent l’échéancier, et des nombreux trueuse », « jamais vue » dans une ne justifie qu’il soit maintenu en dé­ doit encore être fixé –, il leur reste­
71 ans, a été condamné par la dont l’Etat a été privé en raison de contentieux juridiques qui ont affaire de fraude fiscale, par tention », assure l’autre avocat de rait un recours : le pourvoi en cas­
32e chambre correctionnelle à cinq l’impôt éludé par le couple – soit opposé M. Balkany et M. Al Jaber Me Eric Dupond­Moretti, avocat Patrick Balkany, Me Antoine Vey. sation, également suspensif. Au
ans de prison, assortis d’un man­ 4,3 millions d’euros, selon le fisc. dans le cadre de ce projet, le tribu­ de Patrick Balkany, le couple a fait La question d’une éventuelle vu des habituels délais judiciaires,
dat de dépôt, pour blanchiment L’austère président du tribunal, nal a jugé qu’« il n’a pu exister [de] appel – il l’avait déjà fait pour le confusion des peines prononcées il est peu probable qu’un éven­
de fraude fiscale. Bien présente Benjamin Blanchet, a repris mot pacte de corruption » entre les jugement de septembre. ne se posera qu’une fois les re­ tuelle décision de la cour de cassa­
sur le banc des prévenus, Isabelle pour mot dans son second juge­ deux hommes. Selon le tribunal, Une demande de mise en liberté, cours épuisés. Si, à l’issue de leur tion tombe avant mars 2020. Le
Balkany, sa femme, première ad­ ment certaines formules du pre­ la villa de Marrakech appartient concernant la première condam­ parcours judiciaire, les deux élus prochain maire de Levallois pour­
jointe et maire par intérim, a, mier. Sur la « déchirure du pacte bien aux Balkany – ce que les inté­ nation, doit être examinée le étaient définitivement condam­ rait bien s’appeler Balkany. 
quant à elle, été condamnée à qua­ républicain » et le « lourd dom­ ressés ont nié, en dépit de l’évi­ 22 octobre. Une seconde a été dé­ nés dans les deux dossiers, il leur henri seckel
tre ans de prison pour ce même mage occasionné à la solidarité
délit, mais sa santé fragile lui évite nationale » que constituent ces
l’incarcération. Elle avait été con­ faits ; sur leur caractère « d’autant
damnée à trois ans de prison lors plus intolérable au corps social
du procès pour fraude fiscale. qu’ils ont été commis par des
Les deux élus ont été reconnus personnes choisies par le suffrage
coupables d’avoir déposé le universel pour incarner l’intérêt
produit de leur fraude « sur des général » ; sur la nécessité d’y ap­
comptes [offshore] non déclarés à porter « une réponse pénale parti­
l’administration fiscale », et de culièrement ferme et dissuasive ».

Levallois entre « dégoût »


et soutien inconditionnel
L’annonce des condamnations du couple a été
accueillie diversement par les administrés

REPORTAGE quiescent : « Il a un peu magouillé


mais il n’en méritait pas tant. »

P lace de la République, à
Levallois­Perret (Hauts­de­
Seine), il y a sans doute plus
de journalistes que de gens du cru,
dans l’après­midi de ce vendredi
« Ce jugement aggrave leur cas »,
estime le conseiller municipal
Arnaud de Courson (divers droite),
qui travaille à une alternative pour
les élections municipales de mars
18 octobre, pour accueillir la nou­ 2020. « La page se tourne, c’est la fin
velle de la condamnation à respec­ des Balkany », veut­il croire. Phi­
tivement cinq ans et quatre ans de lippe Lhaute, de l’association des
prison pour blanchiment de Pa­ contribuables de Levallois­Perret,
trick et Isabelle Balkany, et leur re­ fustige un clientélisme extrême et
laxe du chef de corruption. espère « la fin d’un système qui a
Les Levalloisiens seraient­ils trop perduré ». A gauche, deux
indifférents aux affaires judiciai­ élues, Anne­Eugénie Faure (PS) et
res de leur maire depuis trente ans Dominique Cloarec (EELV), appel­
et de sa première adjointe, qui as­ lent à la démission des époux :
sure l’intérim ? A l’entrée de l’hôtel « S’ils n’ont ni la morale ni l’éthique
de ville le livre d’or de soutien au pour décider d’eux­mêmes de quit­
maire est presque plein. « Mon­ ter leurs fonctions, il revient au gou­
sieur le maire, bon courage pour ce vernement de les révoquer. »
temps douloureux de la déten­ Du côté de la majorité munici­
tion », a inscrit un administré. pale, en dépit des nouvelles peines
D’autres voient loin : « On vous at­ de prison ferme prononcées, on
tend pour une nouvelle conquête préfère retenir une chose : « Il n’y a
de la mairie ! Forever. » Minoritai­ pas de corruption. » Isabelle Balk­ En 2000, on a lancé Bio Village de Marque Repère,
res, des messages moins favora­ any brandit la décision comme un notre marque de produits bio qui compte aujourd’hui
bles barrent aussi les pages : « Bon­ alibi moral. Passée l’annonce du près de 650 références à prix E.Leclerc, enrichie depuis
nes vacances ! C’est mérité ! » ou en­ juge Blanchet, la première cette année d’une gamme spécifique : Bio Village Bébé.
core, non signé, « Reste en taule ». adjointe a rejoint l’hôtel de ville Et comme seuls 12 % des Français mangent des produits
par la porte de derrière. Elle y offi­ bio au quotidien*, on est allé encore plus loin. Depuis 2018,
GALEC – 26 Quai Marcel Boyer – 94200 Ivry-sur-Seine, 642 007 991 RCS Créteil.

« Il n’en méritait pas tant » cie toujours en tant que maire par on développe le Marché Bio E.Leclerc, des magasins avec
Sur le parvis de la mairie, c’est fin intérim, faute de mandat de dépôt une offre 100 % bio. Parce qu’on pense que manger bio
de marché. « Un brigand », s’ex­ requis contre elle et étant donné ne devrait pas être un luxe mais un droit.
clame Françoise, Levalloisienne de l’appel immédiat interjeté, qui
toujours et « de gauche », qui se suspend les peines d’inéligibilité.
souvient avec plaisir du temps où Au­delà des peines, les spécula­
la ville était communiste. « S’il se tions commencent. Mardi, la
présente, il repasse », prédit­elle, demande de remise en liberté de
pointant une population de Patrick Balkany sera examinée. S’il
« bourgeois, bobos et retraités ». Un sortait, rien ne l’empêcherait juri­
ancien jardinier communal est diquement d’entrer en campagne,
venu, dans l’espoir d’apercevoir conformément à ce qu’il a laissé
Isabelle Balkany à son retour du entendre il y a bientôt un an, lors
tribunal, mais la première ad­ d’un conseil municipal. A moins
jointe a été discrète. Loin de soute­ qu’il ne préfère encourager son
nir les époux, il dit son « dégoût » épouse. Mais le calendrier très res­
et son désaccord pour leur politi­ serré d’un procès en appel avant DÉFENDRE TOUT
CE QUI COMPTE POUR VOUS.
que urbaine. « C’est une ville asepti­ les municipales, dès le 11 décembre
sée, sans vie et pas belle », juge­t­il. pour le volet fraude fiscale, pour­
D’autres sont sensibles aux rues rait s’avérer imparable. Pourtant,
propres, aux quartiers rénovés, près de la place de la République,
aux animations régulières pour certains ont déjà choisi, à l’instar
enfants et seniors. « On lui souhaite de Martine, retraitée. « Oui, pour­
* Part des Français consommant des produits bio tous les jours en 2018. Source : Baromètre de consommation et de perception des produits biologiques en France, Agence
de revenir vite », conclut une pas­ quoi pas, on votera pour lui ! »  BIO/Spirit Insight, février 2019.
sante. Philippe et Rose­Marie ac­ julie carriat
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8 | france DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Laïcité: cacophonie au cœur d’un débat piégé


Une série d’événements a fait revenir l’islam dans le champ politique, semant la confusion jusqu’au sommet de l’Etat

RÉCIT

L’
été tire à sa fin. Mais il
fait doux, ce lundi
16 septembre, dans les
jardins de l’hôtel de
Rothelin­Charolais, siège du mi­
nistère chargé des relations avec
le Parlement. Les députés et séna­
teurs La République en marche
(LRM) ont été conviés dans la soi­
rée pour un pot de rentrée autour
d’Emmanuel Macron, qui sou­
haite mobiliser ses troupes
pour l’acte II du quinquennat.
Derrière son pupitre « Jupiter », Emmanuel
censé évoquer la proue d’un ba­ Macron,
teau, le chef de l’Etat, en costume lors de son
bleu sombre, lance l’offensive sur discours en
l’immigration, en tête de ses nou­ hommage
velles priorités. « Nous n’avons aux policiers
pas le droit de ne pas regarder le victimes de
sujet en face, assène­t­il. En pré­ l’attaque à
tendant être humaniste, on est la Préfecture
parfois trop laxiste. » Il explique de police,
que « les bourgeois » n’ont pas de le 8 octobre.
problème avec l’immigration car JEAN-CLAUDE
« ils ne la croisent pas ». Ce sont les COUTAUSSE POUR
« classes populaires » qui « vivent « LE MONDE »
avec ». Il rappelle que le Parle­
ment doit débattre du sujet
quinze jours plus tard. Et incite les
siens à prendre le sujet « avec ma­
turité et calme ».
Le président est rentré de vacan­
ces avec une idée fixe : impulser
un virage régalien au quinquen­
nat, afin de préparer la présiden­
tielle de 2022. Il ne veut pas repro­
duire la coupable naïveté de Lio­
nel Jospin, qui se pensait protégé
par son bilan économique, avant
de trébucher sur la sécurité,
en 2002. Il sait aussi que son socle
électoral a muté depuis 2017 : il A l’approche du débat au Parle­ France. « Il existe un lien entre l’im­ vernement, soutenue par son col­ tenue autour de notions distinc­
s’est droitisé. Il a en outre besoin ment, programmé le 30 septem­ migration anarchique et le fonda­ lègue Cédric O, comme elle issu
« Le président ne tes, sous la pression des événe­
de renouer avec les catégories bre, un premier épisode vient en­ mentalisme islamiste dans notre des rangs de la gauche, assure au fait pas preuve ments. « C’est toujours la même
populaires après la crise des « gi­ venimer le débat. Le 28 septem­ pays », souligne ainsi Marine contraire qu’elle n’a « pas de diffi­ histoire… On prétend d’abord vou­
lets jaunes », considérée par le bre, la garde rapprochée de Le Pen, d’emblée. De l’autre côté culté à ce qu’une femme voilée
d’une clarté loir parler de laïcité et au final, on
pouvoir comme un sérieux aver­ Marion Maréchal organise à Paris de l’hémicycle, Jean­Luc Mélen­ participe à une sortie scolaire ». suffisante sur retombe sur l’islam », regrette le
tissement. une « convention de la droite », chon juge que ce débat n’est qu’un Elle reconnaît des « débats » au député LRM des Deux­Sèvres,
La veille de son discours devant qui rassemble les tenants d’une prétexte pour instiller le « poison sein de l’exécutif.
ces questions », Guillaume Chiche, pour qui « la
les élus LRM, Macron a reçu à dî­ droite conservatrice et identi­ de discorde dans les veines du L’incendie se propage à la majo­ soupire question de la laïcité, la lutte con­
ner à l’Elysée les « chapeaux à taire. Sous l’impulsion de l’ex­dé­ pays ». « Pourquoi attiser cette rité : les uns accusent les autres de tre le communautarisme et celle
plume » de la majorité, pour leur putée FN et du polémiste Eric braise­là ? », interroge le leader de défendre une « laïcité rigide », qui
un ministre contre le terrorisme sont trois su­
expliquer pourquoi il entend re­ Zemmour, condamné à deux re­ La France insoumise. a pour effet de « stigmatiser les jets différents qu’il faut cloison­
mettre l’immigration au cœur du prises pour provocation à la haine Au sein de la majorité, le malaise musulmans » ; les autres repro­ ner ». « Sinon, les gens mélangent
débat public. Il émet même, en raciale, la réunion vire à la dénon­ persiste. Lors du discours chent aux uns de « cautionner des ses à apporter. Rédigé fin 2018, un tout et finissent par faire le lien en­
des termes parfois crus, son sou­ ciation brutale de l’islam et d’un d’Edouard Philippe, à l’Assem­ replis communautaristes inaccep­ projet de loi de toilettage de la loi tre l’islam, le communautarisme
hait d’augmenter les expulsions « grand remplacement » supposé blée, plus de la moitié des élus tables dans la République ». Angle de 1905 a finalement été aban­ et le terrorisme… », ajoute le dé­
d’Albanais sans papiers, selon un de la population blanche et chré­ macronistes manquent à l’appel. mort de la Macronie depuis le dé­ donné au printemps 2019. « Le puté, qui redoute une stigmatisa­
participant à ce dîner. « Il était très tienne par une population immi­ Pour déminer, l’exécutif met en but du quinquennat, la question président ne fait pas preuve d’une tion des musulmans.
remonté, c’était du Sarkozy qui grée de confession musulmane. A avant un argument : loin d’aller de la laïcité met en lumière ses clarté suffisante sur ces questions,
avait branché le Kärcher », raconte la tribune, Eric Zemmour estime chasser sur les terres du Rassem­ contradictions internes. soupire un ministre de premier « Contamination »
cette source. que les « problèmes aggravés par blement national (RN), le débat Ce flottement ouvre un boule­ plan. Parce qu’au fond, cela heurte « Lorsque Macron a lancé le débat
Dans les jardins de l’hôtel de l’immigration sont aggravés par sur l’immigration doit empêcher vard aux oppositions. La droite sa vision initiale, très libérale, de la sur l’immigration, sans doute sou­
Rothelin­Charolais, le discours of­ l’islam ». Son intervention, diffu­ l’extrême droite d’occuper seule durcit le ton sur le voile, parle société française. » haitait­il éviter qu’il ne se télescope
fensif du chef de l’Etat est accueilli sée par LCI, déclenchera l’ouver­ le terrain. L’explication ne suffit d’un risque de « sécession ». Le Signe du flottement qui règne avec le sujet de l’islam, du commu­
fraîchement. Notamment dans ture d’une enquête judiciaire. pas à rassurer. D’autant plus tout nouveau président de LR, au plus haut sommet de l’Etat, nautarisme, ou de l’insécurité.
les rangs des élus LRM issus de la qu’aucune annonce concrète Christian Jacob, demande une loi l’entourage du président évoque, Mais à la faveur de l’actualité, ces
gauche, qui avaient applaudi aux Gestion maladroite n’est faite dans la foulée et que pour interdire le voile aux accom­ mardi 15 octobre, une prochaine différents sujets se sont percutés,
prises de position du candidat Quatre jours plus tard, l’attaque à personne ne connaît les inten­ pagnatrices de sorties scolaires. prise de parole sur le sujet de la laï­ au risque d’empêcher tout débat
d’En marche !, quand il se posait la Préfecture de police, à Paris, tions du gouvernement sur le su­ Même Xavier Bertrand, qui a cité, avant de rétropédaler le soir­ un tant soit peu serein », résume
en champion de la « société vient chambouler l’agenda prési­ jet, un an seulement après la loi quitté le parti, appelle Emmanuel même. L’après­midi, à l’Assem­ Chloé Morin, de l’institut Ipsos.
ouverte ». « Choquée » par les pro­ dentiel. Le 3 octobre, un informa­ Collomb sur l’asile et l’immigra­ Macron à « changer » face à « l’is­ blée, le premier ministre, Edouard Pour la spécialiste des sondages,
pos présidentiels, la députée LRM ticien de 45 ans, affecté au service tion. « Tout ça pour ça ! », s’agace lam politique ». « Sur le fond, tout Philippe, donne le tempo : pas de cette « contamination du débat »
des Alpes­de­Haute­Provence technique de la direction du ren­ un député LRM. le monde est d’accord avec nous », modification de la loi sur le voile entre plusieurs sujets – immigra­
Delphine Bagarry s’indigne ainsi : seignement, tue quatre de ses col­ Le 11 octobre, un événement sur­ ironise le vice­président du RN, mais une sévère mise en garde tion, communautarisme, laïcité,
« J’avais l’impression d’écouter non lègues avec un couteau de cuisine, venu au conseil régional de Bour­ Jordan Bardella. contre les « dérives communautai­ sécurité – est un « piège classi­
pas l’homme de la campagne pré­ dans les bureaux de la préfecture. gogne­Franche­Comté vient en­ res » et « l’islam politique ». que », devenu « inexorable compte
sidentielle mais un responsable du La charge symbolique de l’atten­ venimer encore le débat. L’élu RN Macron cherche la parade Depuis Toulouse, où il se trouve tenu de l’état de l’opinion ».
Front national ! » tat, qui endeuille une nouvelle Julien Odoul a posté une vidéo A gauche, c’est la consternation. le même jour pour un conseil des D’où la volonté marquée par
Dans l’entourage d’Emmanuel fois le pays, est lourde : l’Etat se dans laquelle il s’en prend à une Trois jours après la publication de ministres franco­allemand, Ma­ l’exécutif d’éteindre au plus vite la
Macron, on assume. « Il n’était pas voit frappé au cœur, de l’intérieur. femme voilée qui accompagne la vidéo, devenue virale, le député cron tente d’esquiver le sujet, tout polémique. A Bruxelles, où il
possible d’introduire cette ques­ La gestion maladroite de l’événe­ un groupe d’enfants venus assis­ PS des Landes Boris Vallaud est ef­ en critiquant « l’irresponsabilité assistait jeudi et vendredi à un
tion dans le débat sans le faire ment par le ministère de l’inté­ ter à l’assemblée plénière. Il lui de­ fondré : « Voir ainsi ce qu’ont dû de certains commentateurs politi­ conseil européen, Emmanuel
spectaculairement », sourit l’un rieur, qui a d’abord laissé enten­ mande de retirer son voile. subir cette mère et son fils me rend ques ». « Vous voudriez me mettre Macron a répété qu’il ne parlerait
de ses soutiens. Mais déjà, cer­ dre que le terroriste ne présentait « Après l’assassinat de nos quatre malade. Macron a lancé un débat le singe sur l’épaule, je crois qu’il est pas dans l’immédiat. Il a ajouté
tains s’inquiètent des conséquen­ aucun signe de dangerosité, policiers, nous ne pouvons pas to­ de manière totalement immaîtri­ sur la vôtre, répond­il à la presse. qu’il voulait « éviter de remuer des
ces de la manœuvre. « Il y a un ris­ donne le sentiment d’une perte lérer cette provocation commu­ sée. Résultat : on a une discussion Tout a été confondu dans le débat sujets » délicats « quand la société
que qu’on laisse le débat [sur l’im­ de contrôle, voire d’un déni de la nautariste », commente Julien qui n’est guidée que par de mau­ et les commentaires. Le commu­ se divisait dessus ». « Mon rôle est
migration] dériver vers l’identité, part des autorités, et ouvre la voie Odoul dans son Tweet. Le lende­ vaises passions et des clichés. Cela nautarisme, ce n’est pas le terro­ de rassembler », a­t­il insisté.
sur laquelle on n’a rien préparé… », aux discours les plus radicaux. main, sa vidéo a déjà été vue plus fait des dégâts considérables. » A risme, il faut distinguer les deux De son coté, la porte­parole de
soupire un député LRM. Une série La riposte de Macron est mar­ de 800 000 fois. contrario, l’ex­premier ministre notions ». Un proche du président LRM, la députée Aurore Bergé, qui
d’événements, sans lien entre tiale. Et ses mots, guerriers. Le Le dimanche qui suit, Sibeth socialiste Manuel Valls, retiré de insiste : « Il ne veut pas qu’on mé­ avait dit vouloir voter la proposi­
eux, va lui donner raison. 8 octobre, dans la cour de la pré­ Ndiaye et Jean­Michel Blanquer la vie politique française, ne ré­ lange l’antiterrorisme, la laïcité, le tion de loi de la droite visant à in­
fecture de police, le chef de l’Etat condamnent l’attitude de l’élu siste pas à sortir du bois sur son voile, l’immigration. Tout ça fait terdire le voile dans les sorties
rend hommage aux victimes et d’extrême droite. Mais sur le fond, sujet de prédilection. « L’islam po­ un shaker dangereux. » scolaires, a décidé de s’astreindre
demande aux Français de « faire deux lignes s’affrontent au gou­ litique amène à l’islamisme, l’isla­ Reste qu’aux yeux de l’opposi­ à plusieurs jours de diète médiati­
Angle mort bloc » face à « l’hydre islamiste ». Il vernement. Si le ministre de misme à la radicalisation et la ra­ tion, le bartender serait… Macron que. « Je ne perçois pas l’intérêt de
appelle aussi à construire une l’éducation nationale rappelle dicalisation peut amener, pas tou­ lui­même. Le député européen faire durer cette séquence », ad­
de la Macronie, « société de vigilance ». La veille, le que la loi n’interdit pas aux fem­ jours (…), au terrorisme », martèle­ Yannick Jadot se demande en effet met­elle. Il est urgent, désormais,
la question débat sur l’immigration à l’As­ mes voilées d’accompagner les t­il sur Europe 1, le 18 octobre, pourquoi le président a choisi, un de refermer la boîte de Pandore. 
semblée, repoussé d’une semaine enfants, il ajoute que le voile apportant un soutien sans ré­ mois plus tôt, de mettre l’immi­ julie carriat,
de la laïcité met à cause de l’attentat, a ouvert les « n’est pas souhaitable » en France. serve à Jean­Michel Blanquer. gration au cœur des débats. Il dé­ olivier faye,
en lumière ses vannes d’un glissement entre im­ Aussitôt applaudi par des minis­ Mis sous pression, Macron cher­ nonce une attitude de « pyromane alexandre lemarié,
migration, islam et terrorisme, tres issus de la droite, Bruno che la parade. Alors qu’il n’a ja­ qui se dresse en pompier ». cédric pietralunga,
contradictions quand bien même l’assaillant de Le Maire et Gérald Darmanin. De mais semblé à l’aise sur ces sujets Au sein de la majorité, beaucoup solenn de royer
internes la préfecture est né à Fort­de­ son côté, la porte­parole du gou­ sociétaux, il hésite sur les répon­ se désolent de la confusion entre­ et sylvia zappi
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 france | 9

SOS Education, vitrine d’un business conservateur


Depuis trente ans, la famille Laarman fait fructifier un réseau d’associations idéologiques à but lucratif

ENQUÊTE cants qui se créent entre le savoir


universitaire et les médias, et elles
Fiscalité, retraites, éducation,
justice… Autant de thématiques
ses newsletters, gratuites et
payantes. Le site, qui a long­
C’est le patriarche, désormais comme une « commu­
nauté » qui propose conseils et

C’
est un sondage s’yengagent », détaille Xavier Car­ susceptibles de séduire un public temps compté le très contro­ François guides – payants – pour « mieux
comme beaucoup pentier­Tanguy, professeur à âgé et aisé, cible prioritaire. Et versé professeur Henri Joyeux gérer votre vie digitale ». A la tête
d’autres, réalisé par Science Po et à l’université du une méthode qui marche. dans son comité scientifique, a
Laarman, de la structure, on retrouve…
l’IFOP, et publié le Luxembourg et spécialiste des En 2014, les comptes de Sauve­ été épinglé à plusieurs reprises, qui a importé Sylvain Marbach, le nouveau pré­
15 octobre dans Le Figaro. On y think tanks. garde retraites faisaient apparaî­ notamment par l’UFC­Que choi­ sident de l’association SOS Edu­
apprend que les parents ont un Chaque association est organi­ tre 4,5 millions d’euros de dons. sir. Dans la ligne de mire : son
en France des cation, qui n’a pas souhaité
« jugement sévère » à l’encontre sée autour d’un sujet grand pu­ En 2016, SOS Education affiche marketing agressif, sa promo­ méthodes très répondre à nos questions sur
de Jean­Michel Blanquer, le mi­ blic et publie des pétitions et 1,5 million d’euros de dons. L’Ins­ tion de traitements « miracles » cette société.
nistre de l’éducation nationale. autres « référendums ». Ces textes titut pour la justice, pour sa part, dont les effets sanitaires restent
américaines de M. Marbach est déjà installé
En regardant dans le détail cette sont envoyés en grandes quanti­ annonce 856 000 euros pour sujets à caution, et ses articles fonctionnement dans la région. Il a travaillé de
enquête, aux côtés de questions tés par la poste et par courriel et l’année 2017. Toutes ces associa­ anti­vaccins. 2013 à 2018 pour Santé nature
classiques sur la qualité de proposent aux destinataires non tions engrangent également des Un autre Laarman, Jan, frère de innovation. Rien d’étonnant dès
l’enseignement ou le nombre seulement de signer – et donc fonds en louant leurs fichiers Vincent, sera durant quelques ture classique », l’institut du lors à ce que SNI, comme
d’élèves par classe, on trouve d’accepter tacitement d’être ins­ d’adresses. années à la tête de la Sercogest, Mont­Pèlerin, référence à la So­ d’ailleurs SOS Education, assu­
aussi plusieurs questions sur la crit dans différents fichiers – entreprise chargée de la plate­ ciété du Mont­Pèlerin, groupe de rent la promotion des solutions
sécurité, ou le « niveau de mixité mais aussi de verser une contri­ Actifs aussi en Suisse forme téléphonique de SNI. réflexion libéral de l’après­guerre. et des guides de Serenways, sans
ethnique, sociale ou culturelle » bution de soutien. En revanche, il Vincent Laarman modernise les L’épouse de Vincent, Marie­ C’est également à Lausanne jamais évoquer les liens qui unis­
des établissements. Des thèmes n’est pas possible d’adhérer, si­ techniques de son oncle. Il n’oc­ Laure Jacquemond, lui succédera qu’a été domiciliée SerenWays. sent leurs fondateurs. A l’heure
qui intéressent beaucoup, depuis non symboliquement : le nom­ cupe aujourd’hui plus aucune jusqu’à la liquidation de la so­ Cette entreprise est le prolonge­ du marketing électronique, Syl­
près de dix ans, l’association qui bre de membres actifs est généra­ fonction au sein de SOS Educa­ ciété, en 2018. ment d’un énième « collectif », vain Marbach a un CV adéquat.
a commandé ce sondage : lement fixé par les statuts, assu­ tion ni de l’Institut pour la jus­ Installés depuis quelques an­ Alerte enfants écrans, qui avait Son compte Linkedin le décrit
SOS Education. rant que la structure ne soit pas tice, mais dirige Santé nature in­ nées à Lausanne, les Laarman connu une certaine notoriété comme un ingénieur spécialisé
Début octobre, elle avait fait bouleversée par l’arrivée de nou­ novation (SNI), une société sont aussi actifs en Suisse. en 2018 grâce à des pétitions con­ en sciences cognitives. 
l’objet de critiques de la part de velles personnes. suisse qui édite notamment un En 2017, Marie­Laure Jacquemond tre l’utilisation du téléphone mattea battaglia,
parents d’élèves, dont les enfants C’est le patriarche de la famille, site Web du même nom, et reven­ a contribué à y créer une école pri­ portable à l’école. Devenue damien leloup
lycéens avaient reçu par la poste François Laarman, qui a importé dique plus de 850 000 abonnés à maire « d’esprit chrétien et de cul­ Serenways, elle se positionne et samuel laurent
un « référendum » dénonçant le ces méthodes en France. Dans
« pédagogisme » des « syndicats l’hommage qu’il lui a rendu après
jusqu’au­boutistes » qui « gangrè­ son décès en 2009 sur le site de la
nent l’éducation nationale », et ré­ libérale fondation Ifrap, son ami
clamant « de vrais cours de mo­ Bernard Zimmern estimait que
rale, de civisme et de politesse ». M. Laarman avait « bouleversé
Interpellée sur les réseaux so­ – dans le bon sens – le fonctionne­
ciaux par plusieurs parents mé­ ment de la démocratie française »,
contents, l’association a plaidé en développant des « associa­
l’erreur de l’un de ses prestatai­ tions de défense de la société
res. Ces courriers n’auraient pas civile ». De fait, l’action des Laar­
dû être envoyés à des moins de man touche autant à l’éducation
18 ans, comme le veut la loi. « Nos qu’à la justice, à la culture qu’à
contrats sont très clairs : les fi­ l’alimentation.
chiers doivent évidemment être
expurgés de tous les mineurs, a 4,5 millions d’euros de dons
précisé au Monde Sophie Audugé, François Laarman crée d’abord
déléguée générale de l’associa­ en 1990 le navire amiral de cette
tion. Une erreur, cela arrive. » galaxie, Contribuables associés,
Ce n’est pourtant pas la pre­ au côté de Bernard Zimmern et
mière « erreur » de SOS Educa­ d’Alain Dumait, ancien journa­
tion, qui a eu son quart d’heure liste devenu maire du 2e arrondis­
de célébrité en 2007 en s’oppo­ sement de Paris dans les années
sant à l’exposition « Zizi sexuel », 1980. Contribuables associés s’ap­
du dessinateur Zep. En 2017, un puie sur des groupes de réflexion
hiérarque de l’association avait frères, constitués au fil du temps :
aussi utilisé une fausse adresse la Fondation pour la recherche
mail au nom d’Emmanuel Ma­ sur les administrations et les poli­
cron pour envoyer une pétition tiques publiques (Ifrap), l’Institut
provenant d’un site d’extrême de recherches économiques et
droite, Damoclès. Un site tenu fiscales (IREF) ; et même une école
par Samuel Lafont, militant con­ dispensant des séminaires, l’ins­
servateur libéral, longtemps sala­ titut de formation politique.
rié d’une association sœur, qui Pour M. Carpentier­Tanguy, ces
milite, elle, contre le « trop d’im­ différentes organisations ne peu­
pôts » : Contribuables associés. vent pas vraiment être considé­
rées comme des think tanks. « Un
Marketing agressif think tank travaille, théorique­
Bienvenue dans une galaxie ment, pour le bien commun, et en
vieille de trente ans, aux idées amont pour identifier des problè­
bien arrêtées et au marketing mes et proposer des recomman­
agressif. SOS Education n’avance dations. Là, on est dans l’émotif, Dès 1996, on a été le 1 er

en effet pas seule. Elle partage le on flatte la réaction des person­ distributeur à supprimer les sacs
même ADN que plusieurs struc­ nes, dans le but de lever des fonds en plastique jetables de nos caisses,
tures : Contribuables associés, très vite. Une organisation comme 20 ans avant que la loi ne l’oblige.
mais aussi Sauvegarde retraites l’Ifrap se présente, en fonction du Depuis, nous limitons l’usage du
ou l’Institut pour la justice, par contexte, alternativement comme plastique dans la fabrication de nombreux
exemple. Toutes portent une vi­ un think tank, une fondation, un produits du quotidien. Ainsi, d’ici la fin de
sion de la société à la fois conser­ lobby, ou une association. » l’année, Marque Repère sera la 1ère marque à
vatrice et économiquement libé­ A la politique s’ajoute en effet avoir supprimé le plastique de l’ensemble de ses
rale. Surtout, toutes ont été fon­ un savoir­faire commercial. lingettes imprégnées, économisant 820 tonnes de plastique
dées ou dirigées par les membres François Laarman se définissait sur une année. Et ce n’est pas tout. Nous économisons par
ou les proches d’une même fa­ comme « entrepreneur militant ». exemple 1330 tonnes de plastique vierge sur nos jus de fruits
mille : les Laarman. C’est ainsi qu’il a fondé, en 1996, grâce à nos nouvelles bouteilles incorporant du plastique
Quelle que soit la cause défen­ la société Score Marketing, recyclé. Parce qu’on pense que c’est en réduisant le plastique
due, ces structures utilisent des aujourd’hui dirigée par une à la source qu’on parviendra à le réduire durablement.
méthodes identiques, issues de la ancienne collaboratrice, Carole
nouvelle droite américaine des Néaumet. Son activité se spécia­
années 1980. « Ces associations lise dans le « mailing direct » :
GALEC – 26 Quai Marcel Boyer – 94200 Ivry-sur-Seine, 642 007 991 RCS Créteil.

ont une manière très américaine l’envoi de publicité ciblée au


de fonctionner, mais ce qui est en­ domicile. Autrement dit, cette
core plus typiquement américain, structure achète, puis revend ou
c’est la façon dont elles occupent loue – y compris à des groupes de
des espaces. Il y a des espaces va­ presse comme Le Monde – des
fichiers d’adresses déjà consti­
tués. Suivront d’autres entrepri­
ses, exerçant des activités similai­
SOS Education res : France Adresses, Top Data,
partage le même Starexis…
En 2001, François Laarman a
ADN que d’autres aidé son neveu Vincent à lancer
structures : SOS Education, où il sera épaulé
par sa sœur Isabelle. Suivra,
Contribuables en 2007, l’Institut pour la justice,
associés,
DÉFENDRE TOUT
cofondé par le même Vincent
Laarman et son épouse, Marie­
Sauvegarde
retraites
Laure Jacquemond. Celle­ci est
également trésorière de l’associa­
CE QUI COMPTE POUR VOUS.
tion Créer son école, fondée
ou l’Institut en 2004, et qui milite en faveur
pour la justice des écoles privées hors contrat.
0123
10 | france DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Bronca des départements Pour les municipales, la gauche


contre la réforme
de la fiscalité locale marseillaise veut jouer collectif
Réunis à Bourges, les congressistes LFI, PCF, PS, Génération.s, Place publique… une dizaine de partis
ont opposé une vive opposition au projet
vont constituer une liste commune pour le scrutin de mars 2020
bourges ­ envoyé spécial question d’abdiquer. » M. Lecerf
(Nord) est bien isolé quand il in­ marseille ­ correspondant 34 membres, moitié citoyens, définis « sans hiérarchie de prio­
Les questions
I l y avait eu, un an plus tôt,
l’« appel de Marseille », l’appel
des Territoires unis à défen­
dre les libertés locales. Il y aura le
« serment de Bourges », le ser­
vite ses collègues à « cranter les
progrès réalisés ».
Le point nodal porte sur les
droits de mutation à titre oné­
reux, autrement dit les « frais de I
l s’est, tour à tour, appelé
Rassemblement inédit, puis
Mouvement sans précédent.
C’est finalement sous l’ap­
des têtes de liste
de secteurs
(huit à Marseille)
moitié politique. « Et cela se passe
très bien », note l’astrophysicien
Jacques Boulesteix, coopté dans le
premier collège.
Volonté de ne pas personnaliser
rité » : « réunifier Marseille par
l’égalité de traitement », « transfor­
mer la démocratie locale pour que
la ville soit gouvernée avec ses ha­
bitants », « installer une écologie
ment d’unité des départements notaire » sur les transactions im­ pellation, moins présomptueuse la liste trop tôt ou hasard du qui change la vie » et « relancer
prononcé vendredi 18 octobre, mobilières perçus par les départe­ mais plus verte, de Printemps
et centrale calendrier ? L’entrée en campagne économiquement la ville pour
lors du congrès de l’Assemblée des ments. Ceux­ci réclament une marseillais que le collectif réunis­ sont repoussées s’est étonnamment déroulée en qu’elle bénéficie aussi aux habi­
départements de France (ADF), augmentation de 0,2 point du pla­ sant une dizaine d’organisations l’absence de deux des figures du tants défavorisés ».
pour demander le « respect impé­ fond. Le gouvernement, pour politiques de gauche, des structu­
à plus tard mouvement et têtes de listes po­ Dans les prochaines semaines,
ratif de leur autonomie financière l’heure, y est opposé. Il fait en res citoyennes et des représen­ tentielles. Le socialiste Benoît le Printemps marseillais compte
et de leur liberté fiscale ». outre remarquer que la dispari­ tants syndicaux a officialisé, ven­ Payan, président du groupe d’op­ résister aux divisions, tout en
Sans surprise, les départements tion de la taxe foncière sur les pro­ dredi 18 octobre, son entrée en (PCF), le Parti socialiste (PS), Géné­ position au conseil municipal, et élargissant son socle. Certains
refusent le projet de réforme de la priétés bâties (TFPB) est rempla­ campagne pour les élections mu­ ration.s, Ensemble !, Place publi­ la conseillère départementale élus PS, comme l’ex­député
fiscalité locale, intégré dans le pro­ cée par une recette fiscale dyna­ nicipales de mars 2020. que, Nouvelle Donne ou encore le Michèle Rubirola, suspendue par Patrick Mennucci ou la con­
jet de loi de finances pour 2020, mique et que la compensation « Nous serons la seule force poli­ Parti de gauche ont validé leur EELV depuis son refus, le 5 octo­ seillère municipale Annie Levy­
qui les privera, à partir de 2021, de excédera de 250 millions d’euros tique capable d’aller très haut dès participation. bre, de suivre l’option d’une Mozziconacci, ont ouvert une
la part de taxe foncière sur les pro­ le montant des recettes de la TFPB. le premier tour face au RN, à LR et à Côté mouvements citoyens, on candidature autonome des écolo­ première faille en demandant
priétés bâties, remplacée par une « C’est la première fois qu’on sup­ LRM », ont promis, lors d’une con­ y retrouve Mad Mars, qui, il y a un gistes marseillais, ont toutefois publiquement un vote des mili­
fraction de TVA. Le président de prime un impôt sans le remplacer férence de presse chorale à deux peu plus d’un an, a été à l’origine confirmé leur engagement dans tants socialistes concernant la
l’ADF, Dominique Bussereau, et par un autre », souligne Matignon, pas de la Canebière, les représen­ des premiers rapprochements un duplex surréaliste, bricolé de­ stratégie à Marseille. Initiative re­
ses collègues ne cessent de le répé­ qui s’étonne du décalage entre « la tants de cette union. D’une même entre habitants et politiques, puis l’hémicycle départemental. gardée avec intérêt par la séna­
ter : « C’est une mauvaise réforme. » tonalité très constructive dans les voix, ils dénoncent « vingt­cinq mais aussi des membres du trice Samia Ghali, qui pense tou­
Mais les rencontres entre le gou­ négociations et les propos de ans d’incurie, d’absence totale de collectif contre les partenariats Eclatement « mortifère » jours à une candidature.
vernement et les représentants tribune entendus à Bourges ». stratégie en matière d’écoles, de cli­ public­privé. Un mouvement de­ Les questions des têtes de liste de Alors qu’il a repris en coulisses
des départements laissaient pen­ mat, de logement, de transports… » venu symbole de la résistance à la secteurs (huit à Marseille) et cen­ des pourparlers avec certains ca­
ser que, à défaut d’un accord, il « Les rognons couverts » de la municipalité de Jean­Claude municipalité Gaudin depuis qu’il trale sont repoussées à plus tard. dres d’EELV, le Printemps mar­
pourrait y avoir quelques fragiles Une virulence qui masque aussi, Gaudin (Les Républicains, LR). a fait casser par le tribunal admi­ Le Printemps marseillais assure seillais espère aussi, autre feuille­
points de convergence. C’est ce peut­être, des divergences d’ap­ Le Printemps marseillais ne nistratif de Marseille le plan de ré­ que son expérience sera « incar­ ton de la gauche marseillaise, une
que voulait espérer le gouverne­ préciation entre départements veut pas être réduit à une simple novation des écoles, qui devait née par une seule personnalité » et jonction avec les membres du
ment. De leur côté, M. Bussereau « riches » – « qui ont les rognons « union de la gauche ». « C’est con­ coûter plus de 1 milliard d’euros. non un collectif, et a déjà défini la Pacte démocratique. Cette struc­
et le président de la commission couverts », selon l’expression du noté, daté… Ce que nous avons ini­ Conserver l’équilibre entre poli­ méthode de désignation. « Un col­ ture réunit des mouvements ci­
des finances locales de l’ADF, Jean­ président du Sénat, Gérard Lar­ tié va bien au­delà », assure le tiques et citoyens reste l’un des lège électoral composé d’un tiers toyens et associatifs comme la
René Lecerf, chefs de file de la dé­ cher – et les départements qui ne communiste Jean­Marc Coppola, défis du Printemps marseillais et de représentants des partis politi­ Fondation Abbé Pierre, Emmaüs
légation de l’ADF, n’étaient pas in­ bénéficient pas de la dynamique ex­vice­président de la région Pro­ l’un des points que surveillent ses ques, d’un tiers des collectifs ci­ ou le Collectif du 5 novembre, né
sensibles à certaines garanties de la TPFB et des droits de muta­ vence­Alpes­Côte d’Azur. « Nous détracteurs. Vendredi, à l’orée de toyens et d’un tiers d’habitants si­ après les effondrements de la rue
concédées en matière de compen­ tion à titre onéreux. Ces derniers ne sommes pas ici parce que des la conférence de presse, un petit gnataires de notre appel tirés au d’Aubagne. Elle reproche au Prin­
sation. Restait à en convaincre les gagnent au change puisque la frac­ appareils politiques l’ont décidé. jeu de chaises musicales en a sort », détaille ainsi Olivia Fortin. temps marseillais son manque de
congressistes. La partie a tourné tion de TVA qui remplace la part de Nous avons pris nos responsabili­ montré toute la difficulté. Les élus Cet appel, lancé en juillet, a réuni, diversité sociale et géographique
au vinaigre. TPFB bénéficiera de la même ma­ tés face à la situation d’urgence PCF, PS et LFI trustaient les places à ce jour, 3 248 signataires. et une démarche trop hégémoni­
Avant la réunion du bureau de nière à tous les départements. que vit Marseille », pose Sophie centrales face aux journalistes. D’ici à décembre, et le grand que. Alors que se profilent les
l’ADF mercredi, les groupes politi­ « La réalité, c’est que la solidarité Camard, chef de file La France Avant que l’un d’eux ne cède son meeting qui révélera le casting commémorations des effondre­
ques de droite et de gauche de l’as­ n’est pas naturelle, déplore un in­ insoumise (LFI) et suppléante du siège à Olivia Fortin, l’initiatrice des candidats, d’autres priorités ments du 5 novembre 2018,
sociation se sont réunis chacun de fluent président de département. député Jean­Luc Mélenchon, qui de Mad Mars. sont à l’agenda. Organiser une drame catalyseur de la colère ci­
leur côté. Tous deux ont exprimé Certains ont secrètement l’espoir soutient la démarche. Pour éviter de devenir ce que la série de trente­deux rencontres toyenne à Marseille, chaque camp
une position nette de rejet des de faire capoter l’accord du gou­ Après de longs mois de discus­ tête de liste écologiste Sébastien publiques (deux par arrondisse­ a en tête que, comme le résume
dernières propositions gouverne­ vernement d’inscrire le fonds de sions et même si Europe Ecologie­ Barles pointe comme « un cartel ment) pour se faire mieux con­ l’avocat Christian Bruschi, mem­
mentales. Le bureau qui a suivi a péréquation que nous avons voté Les Verts (EELV) lui a récemment des gauches », le Printemps mar­ naître des Marseillais, mais aussi bre du Printemps marseillais,
mis en minorité les partisans de la dans le projet de loi de finances. Le tourné le dos, le collectif peut seillais s’est doté de règles. Son débusquer quelques colistiers. Fi­ « l’éclatement des forces de gauche
conciliation. La tonalité à l’ouver­ front du refus, c’est une posture. » s’enorgueillir d’avoir fédéré large­ « parlement », qui décide de la naliser un programme autour des serait mortifère ». 
ture du congrès, jeudi, était donc à En dépit de ces divergences ment. LFI, le Parti communiste ligne de la campagne, regroupe « quatre piliers fondateurs » déjà gilles rof
la combativité, voire à la suren­ potentielles, la motion du bureau
chère. « Le compte n’y est pas », ont de l’ADF présentée par M. Busse­
quasi unanimement souligné les reau a été adoptée à l’unanimité,
intervenants, tirant « un constat moins une abstention, celle de
d’échec des négociations ».
« Nous sommes sur une mau­
vaise pente, déplore Olivier Riche­
M. Lecerf, avant que la ministre de
la cohésion des territoires, Jacque­
line Gourault, prenne la parole.
Stéphane Noël, nouveau président
fou (Mayenne). Il y a toujours cette Mission quasi impossible. Malgré
volonté de nous faire disparaître.
La dévitalisation nous attend si
nous ne réagissons pas. Nous ne
les efforts de pédagogie qu’elle
déployait, c’est devant un audito­
rium déserté de la moitié des par­
du tribunal de grande instance de Paris
pouvons pas accepter la proposi­ ticipants qu’elle achevait son dis­
tion du premier ministre. » Tandis cours, interrompu par des sifflets
Son prédécesseur, Jean­Michel Hayat, a été nommé premier président de la cour d’appel
qu’André Viola (Aude), président ou des huées. A Bourges, cité de
du groupe de gauche, se dit « très Jacques Cœur, « à cœur vaillant,
en colère » : « On ne peut pas parler
de transfert de compétences
quand le cœur même de la décen­
tralisation est atteint. Il est hors de
rien d’impossible », est­il coutume
de dire. Mais parfois, c’est vrai­
ment compliqué. 
patrick roger
L e Conseil supérieur de la
magistrature a décidé jeudi
17 octobre de proposer
pour la nomination du prochain
président du tribunal de grande
victime. Ancien conseiller de
Dominique Perben à la chancelle­
rie (2004­2006), Stéphane Noël a
laissé un souvenir amer dans le
monde judiciaire en ayant piloté,
A Créteil, M. Noël
a innové en
développant
Jean­François Bohnert, qui a
pris ses fonctions à la tête du PNF
lundi 14 octobre, a indiqué lors
d’une réunion avec la presse qu’il
inscrirait son action dans la conti­
instance de Paris, Stéphane Noël, au cabinet de Rachida Dati, la la médiation nuité de Mme Houlette. Mais avec
l’actuel président de Créteil. douloureuse réforme de la carte 584 dossiers en cours (+ 9 % en dix
L’information ne sera officielle judiciaire de 2008.
judiciaire mois) suivis par une équipe de
que dans une dizaine de jours, Hasard du calendrier, c’est ce dix­huit magistrats, le nouveau
passé le délai d’examen d’éven­ même 17 octobre que Jean­Michel procureur national financier
tuelles contestations. Sa rivale la Hayat faisait son pot de départ au pas quitter cette matière puisque compte obtenir de la chancellerie
plus sérieuse dans cette course à tribunal de Paris. Celui qui a piloté les crimes sont jugés aux assises des effectifs supplémentaires.
la présidence de la plus grande cette juridiction pendant le déli­ qui relèvent de la cour d’appel, et L’ancien procureur général de
juridiction du pays était Isabelle cat et titanesque déménagement les procès­fleuves des attentats de Reims, qui était le candidat de la

Le grand entretien
Gorce, présidente du tribunal de dans le nouveau tribunal de la Paris et de Nice sont annoncés France pour diriger le futur par­
Marseille et ex­directrice de l’ad­ porte de Clichy a déjà rejoint la pour 2020 et 2021. quet européen, ne sera finalement
sur l’actualité du monde ministration pénitentiaire.
Depuis quatre ans à la tête du
vieille île de la Cité où il a pris,
mardi 15 octobre, ses nouvelles
Ces dernières années ont aussi
été marquées par la création du
pas si éloigné de cette matière de
la fraude aux intérêts communau­
Ce dimanche à 12h10 tribunal de Créteil, M. Noël est
parvenu à améliorer le fonction­
fonctions de premier président
de la cour d’appel de Paris. Il
Parquet national financier (PNF)
en 2014. Pour juger ce nouveau
taires, car le PNF pourrait bien
abriter les deux délégués du par­
nement de cette grosse machine succède à Chantal Arens, partie flux d’affaires souvent techni­ quet européen pour la France.
BÉNÉDICTE LINARD francilienne, tout en n’hésitant présider la Cour de cassation. ques, M. Hayat a créé la 32e cham­ Avec la création en juillet du
Vice-présidente du gouvernement de la Fédération pas à innover comme dans le dé­ bre au tribunal de Paris, devant parquet national antiterroriste,
Photo © Christophe Lartige / TV5MONDE

Wallonie-Bruxelles, ministre de la Culture, de la Petite


enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias veloppement volontariste de la Changement complet de casting laquelle se sont tenus par exem­ confié à Jean­François Ricard, et la
médiation judiciaire ou dans la La présidence de M. Hayat a sur­ ple les deux procès des époux nomination il y a onze mois de
répond aux questions de Françoise Joly
(TV5MONDE) et Jean-Pierre
prise en charge des victimes de tout été marquée par l’irruption Balkany dont le second jugement Rémy Heitz comme procureur de
Stroobants (Le Monde). violences conjugales. du terrorisme de masse en 2015 est attendu vendredi. la République, c’est donc un chan­
Dans le cadre du Grenelle des avec les attentats contre Charlie Dans une entente avec Eliane gement complet de casting qui a
Diffusion sur TV5MONDE
et sur Internationales.fr
violences conjugales en septem­ Hebdo et l’Hyper Cacher puis Houlette, première procureure fi­ eu lieu à Paris. Mais, dans une ma­
bre, Créteil a été désigné comme ceux du Bataclan et des terrasses. nancière, le président de la juridic­ gistrature très majoritairement
en partenariat avec site pilote en vue de généraliser Un dédoublement de la 16e cham­ tion a permis l’émergence du nou­ composée de femmes, quatre
les circuits courts mis en place par bre correctionnelle a été néces­ vel instrument du PNF qu’est la hommes, un président du tribu­
le tribunal avec le parquet et les saire pour faire face au volume convention judiciaire d’intérêt pu­ nal et trois procureurs, ont été
associations pour un traitement des procès sur les délits terroris­ blic, une procédure qui permet de choisis pour piloter cette juridic­
rapide des demandes d’ordon­ tes comme de ceux des candidats négocier une sanction rapide des tion emblématique. 
nance de protection du conjoint au djihad en Syrie. M. Hayat ne va personnes morales (les sociétés). jean­baptiste jacquin
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 | 11

Les multiples vies de l’Australien Eddie Jones


Le coach de l’Angleterre, qui était opposée à l’Australie en quart du Mondial samedi, a aussi des origines japonaises

londres ­ correspondance sont en quarts de finale du Mon­ nationale et sa famille multicul­ le monde du ballon ovale regarde Il part quelques années plus tard
dial, tandis qu’Eddie Jones est de­ turelle apportent un vernis diffé­ les Japonais de haut et le drôle de
Ce n’est comme simple conseiller des Sud­

U
n mélange d’émo­ venu coach du Quinze de la Rose. rent, qui permet sans doute de choix de carrière de l’Australien est qu’à 31 ans africains, qui remportent la Coupe
tions devait agiter Ed­ En 2015, la victoire avait été percer plus facilement les cultu­ considéré au mieux comme exoti­ du monde. Puis de nouveau direc­
die Jones avant le d’autant plus savoureuse que res étrangères. que. « Tout le monde disait que
qu’Eddie Jones tion le Japon, d’abord pour
quart de finale Angle­ l’Australien avait poussé un in­ « J’ai été éduqué à 100 % comme j’étais fou. J’ai tout abandonné, a mis les pieds l’équipe Suntory Sungoliath, puis
terre­Australie, samedi 19 octo­ croyable coup de gueule public un Australien. Je n’avais rien à voir mais c’est parce que je voulais vrai­ pour l’équipe nationale. En 2015,
bre, en Coupe du monde de rugby trois ans plus tôt, après une défaite avec le Japon ou sa culture », expli­ ment devenir entraîneur. »
pour la première enfin, Eddie Jones arrive à la tête
au Japon. L’homme entraîne l’An­ contre la France. Bras croisés, re­ quait­il récemment dans un entre­ fois au pays d’une Angleterre en crise, sortie
gleterre, mais il est à moitié Aus­ gard noir, l’entraîneur s’était lâché, tien avec Clive Woodward, ex­en­ Résultats en dents de scie en Coupe du monde à domicile
tralien. Il est aussi de mère japo­ dans un pays qui a horreur du traîneur de l’Angleterre. Sa mère Eddie Jones ne restera pas long­
du Soleil-Levant dès les poules éliminatoires.
naise, marié à une Japonaise et a conflit public. « On a très mal joué. était japonaise, mais elle avait temps, assez cependant pour ren­ Depuis, les résultats sont en
entraîné l’équipe du Japon. Tou­ (…) J’étais vraiment déçu de l’éner­ grandi en Californie. « Elle avait un contrer sa future femme. Les an­ dents de scie : victoire au Tour­
tes ses vies, identités, amours et gie dégagée par les joueurs. (…) Cela visage japonais mais, en gros, elle nées suivantes, sa carrière tarde à très dure, sans doute trop dure. noi des Six Nations en 2016
déceptions se trouvaient rassem­ donne l’impression qu’ils n’ont pas était Américaine. » décoller : un travail qui tourne J’ai hérité ça d’elle. » (grand Chelem) et 2017, puis une
blées pour un affrontement de envie de jouer pour le Japon. » A son Ce n’est qu’à 31 ans qu’Eddie Jo­ court aux Saracens, une forma­ Par médias interposés, lui et année 2018 catastrophique (sept
quatre­vingts minutes. capitaine, assis à ses côtés, qui ca­ nes a mis les pieds pour la pre­ tion anglaise, un retour au Japon, Clive Woodward, alors entraîneur défaites consécutives), avant
Eddie Jones, 59 ans, l’un des en­ chait sa gêne derrière un petit rire, mière fois au pays du Soleil­Le­ où il travaille dans un lycée, puis la de l’Angleterre, se provoquent. d’arriver à la Coupe du monde
traîneurs les plus expérimentés il avait répliqué, glacial : « Ce n’est vant. Après une carrière de joueur direction des Brumbies, une Eddie Jones en garde un excellent plutôt en forme. Les charmes de
de ce Mondial, est une star au Ja­ pas drôle. Vraiment pas. » sans grand exploit, il commence à équipe australienne. souvenir. « Clive et moi nous som­ la compétition ont voulu qu’Ed­
pon. Des publicités le montrent entraîner à l’université de Rand­ Progressivement, sa passion du mes bien amusés. » Le clash final se die Jones trouve l’Australie sur
faisant la promotion d’une mar­ Accent traînant, franchise brute wick, en Australie. Une équipe uni­ jeu, qu’il décortique de façon ob­ déroule en finale de la Coupe du son chemin en quarts de finale.
que de gin, avec le slogan : « Eddie Quelques années plus tard, il se fé­ versitaire japonaise, installée sur sessionnelle, se met à payer. Il monde de 2003. Un drop de Jonny Pas de quoi l’ébranler. « Je suis
recommande. » Il fait aussi la pro­ licitait encore d’avoir dit ses qua­ le même campus, lui demande de prend la tête de l’équipe d’Austra­ Wilkinson, star du Quinze de la Australien, j’aime l’Australie. Mais
motion de sacs pour hommes. tre vérités aux Japonais. « C’est la l’aide. Cela se passe bien et elle lui lie en 2001. Ses séances d’entraî­ Rose, offre la victoire aux Anglais je suis professionnel et il n’y a
En 2015, la banque d’affaires amé­ meilleure chose que j’ai faite. Cela a offre un poste au Japon. nement sont physiques, et il ne dans les dernières secondes. « J’ai aucun conflit d’intérêts », avait­il
ricaine Goldman Sachs l’a nom­ aidé à changer l’état d’esprit des Entraîneur de rugby au Japon cache pas un petit penchant pour mis du temps à m’en remettre », re­ prévenu dès 2017. 
mé conseiller sur le Japon. Japonais, qui était une équipe qui dans les années 1990… A l’époque, la confrontation. « Ma mère était connaît Eddie Jones. éric albert
Cette élévation tient à un match faisait des efforts mais se conten­
d’anthologie lors de la Coupe du tait d’être battue honorablement.
monde 2015. Avec une victoire Il a fallu que j’explique que perdre
historique (34­32) contre l’Afrique n’était pas acceptable. »
du Sud, arrachée à la 84e minute, Une grande partie d’Eddie Jones
l’équipe nippone avait, pour la est là. Accent traînant, franchise
première fois, réalisé qu’elle pou­ brute, sens de la gagne : pas de
vait jouer dans la cour des grands. doute, il est Australien. Mais son
Quatre ans plus tard, les Japonais visage métissé, sa carrière inter­

Pour le XV de France,
désormais, c’est le pied
A l’inverse des Gallois, qu’ils doivent affronter
dimanche en quarts, les Français ont longtemps
négligé le jeu au pied défensif ou offensif

oita (japon) ­ envoyé spécial arme qui fonctionne : on l’utilise


peut être un peu plus. Parfois pas

O n a vu un ballon voler. A
Oita (Japon), ces derniers
jours, même si les séan­
ces d’entraînement de l’équipe de
France de rugby ont été masquées
assez, mais on essaye de l’utiliser
à bon escient. »
Depuis le début du Mondial,
« la stratégie est mieux en place »
en défense, pour faire face aux
au regard des curieux, on a pu coups de pied adverses, à en
apercevoir des ballons tapés haut, croire Fickou. « On est mieux ré­
qui rappellent un élément impor­ partis. On a appuyé sur ce point,
tant : le XV de France a décidé de qui sera primordial. »
travailler le jeu au pied. Stratégie encore en rodage : face
Dans le rugby de 2019, ce jeu au aux Tonga (victoire 23­21), les
pied est devenu une composante Bleus ont « pris un essai gag », re­
essentielle, pour mettre la pres­ connaît l’arrière Maxime Mé­
sion sur l’adversaire, comme le dard, pour n’avoir laissé qu’un
rappelle le trois­quarts centre seul joueur en couverture en dé­
français Gaël Fickou : « C’est une fense, au lieu de deux. « On pen­
arme redoutable ». Certaines équi­ sait qu’ils allaient jouer davan­
pes l’utilisent énormément. Plus tage physique et moins au pied. En
que nous. » Comme les Gallois, que réalité, ils ont joué au pied… » En 1973, on a créé
les Bleus doivent affronter diman­ Les Français ont aussi tapé pour le 1er rayon dédié aux biens
che 20 octobre en quarts de finale mettre la pression dans le camp culturels en hypermarché,
de la Coupe du monde, à Oita. d’en face. Ce sont deux coups de et en 1994, on a ouvert notre
Les Bleus en ont seulement pris pied qui ont entraîné autant d’es­ 1er Espace Culturel E.Leclerc,
conscience lors du dernier Tour­ sais contre les Etats­Unis (33­9). pour donner à la culture
noi des Six Nations. En mars, ils « Dès que tu mets de la vitesse, toute la place qu’elle mérite.
quittaient la compétition sur que tu gagnes tes duels et que tu Tout le monde a désormais
une triste quatrième place et alternes jeu à la main et jeu au l’occasion d’y accéder et de
trois défaites, contre les Gallois, pied pour faire reculer l’adver­ faire de belles découvertes.
les Anglais, puis les Irlandais. saire », ce dernier est « en diffi­ Quand on a accès à plus de
« Contre les Anglais et les Gal­ culté », fait valoir Fickou. 70 000 références en littérature,
lois », ce jeu au pied « nous a coûté Le quatrième et dernier match BD, musique, jeux vidéo et cinéma
cher », estime Fickou. de poule, samedi 12 octobre, con­ dans 220 Espaces Culturels E.Leclerc
GALEC – 26 Quai Marcel Boyer – 94200 Ivry-sur-Seine, 642 007 991 RCS Créteil.

tre l’Angleterre, aurait pu per­ partout en France, forcément,


« Stratégie mieux en place » mettre de mesurer l’écart entre on ne fait plus ses courses de
L’habitude voudrait que les Fran­ ces bonnes résolutions et leur la même façon.
çais privilégient le jeu à la main, le application. Le typhon Hagibis www.culture.leclerc
redoublement de passes, plutôt en a décidé autrement : le match
que de longs coups de pied. Voilà n’a pas pu avoir lieu.
pour le cliché… qui correspond à Avant cette annulation, Mé­
une certaine réalité. « J’ai été dard, face à des Anglais qui « t’ac­
formé à l’ouverture jusqu’à mes culent chez toi, te mettent beau­
18 ans et je ne devais pas taper, ra­ coup de pression par du jeu au
conte le centre Sofiane Guitoune. pied, par des rasants », préconi­
C’était jeu à la main avant tout. » sait, pour la défense, de « mettre
« Le rugby français, dans sa tradi­ en place une stratégie avec un
tion, n’est pas porté à se débarras­ troisième rideau important. »
ser du ballon » au pied, résume le Un tel déploiement pourrait

DÉFENDRE TOUT
sélectionneur Jacques Brunel. avoir son utilité face aux Gallois,
« A Toulouse, on est réputés pour qui, eux aussi, ont « une capacité à
jouer à la main, mais on a mon­
tré qu’on savait aussi utiliser le
mettre la pression sur l’adver­
saire », précise Jacques Brunel.
CE QUI COMPTE POUR VOUS.
pied quand il le fallait, nuance Sans que le sélectionneur ait be­
l’ouvreur Romain Ntamack, jeune soin de le préciser : au pied. 
champion de France. C’est une adrien pécout
PLANÈTE
0123
12 | DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

INCENDIE  DE  ROUEN

Lubrizol : « Il y a 
un sentiment 
de trahison dans 
la population »
Alerte tardive, manque d’exercices
de simulation et de consignes de sécurité :
les Rouennais n’étaient pas préparés aux
risques liés à la présence sur leur territoire
du site Seveso qui a brûlé le 26 septembre

REPORTAGE pu stocker plus de 4 000 tonnes de produits


potentiellement dangereux chez son voisin
A notre demande, Mme Bazire a fouillé dans
ses affaires pour retrouver les documents
mandie. Il est censé avoir été imprimé en
70 000 exemplaires en 2016 et distribué par
rouen ­ envoyé spécial
Normandie Logistique, pourtant non classé du notaire. Après les traditionnels diagnos­ voie postale dans les 32 communes – regrou­
Seveso, et dont les entrepôts ont aussi été ra­ tics plomb et amiante figurent bien en an­ pant environ 360 000 habitants – situées

D
epuis le grenier de sa mai­ vagés par les flammes ? L’enquête prélimi­ nexe une page sur les risques naturels et dans « les rayons de danger » des sites indus­
son, sur les hauteurs de naire ouverte par le parquet de Paris pour technologiques et un chapitre mentionnant triels recensés dans le PPI. Aucun Rouennais
Rouen, Stéphane Martot a mise en danger d’autrui devra tenter de lever que l’immeuble est situé sur un territoire n’est venu le lire en mairie « à l’exception
une vue imprenable sur la toutes les zones d’ombre, à commencer par « susceptible d’être soumis aux effets de plu­ d’une étudiante », rapporte­t­on au service
boucle de la Seine, le port l’origine de l’incendie, toujours indéterminée. sieurs phénomènes dangereux (surpression, « sécurité, incendie et risque majeur », où il
autonome de Rouen et Lu­ Une interrogation trotte aussi dans la tête thermique, toxique) engendrés par l’établis­ est consultable (ni photo ni copie).
brizol. Quand de premières explosions ont des Rouennais depuis le premier jour. Pour­ sement Lubrizol ». Mme Bazire reconnaît Le PPI, même dans sa version expurgée des
retenti vers 5 h 30 du matin, jeudi 26 septem­ quoi les sirènes ont­elles été activées si n’avoir pas prêté attention à ces quelques li­ données considérées comme les plus sensi­
bre, elles ne l’ont pas empêché de replonger tardivement, alors que l’incendie s’est dé­ gnes. « J’ai signé naïvement, je savais qu’il y bles face au risque terroriste, contient pour­
dans les bras de Morphée. « La veille, on avait claré dès 2 h 40 ? Le préfet de Seine­Mari­ avait des sablières à Rouen, mais pas qu’on tant des informations fondamentales. A
manifesté pour les retraites, raconte ce tra­ time, Pierre­André Durand, a d’abord justi­ était entouré de sites Seveso. » commencer par la liste des entreprises pré­
vailleur social de 47 ans. Je me suis dit dans fié ce choix par la volonté de ne pas créer de « C’ÉTAIT “MAD MAX”  Sa voisine, Martine Meley, a bouché les sentant des risques (incendie, explosion,
mon demi­sommeil : ils sont quand même panique inutile, selon le principe qu’un SOUS MES FENÊTRES.  aérations de ses fenêtres à cause des odeurs émission de gaz toxiques), qui rappelle que
gonflés les copains dockers de tirer des pétards Rouennais dans son lit est un Rouennais d’hydrocarbures. Elle habite la résidence de­ Rouen est « l’une des principales zones de
en pleine nuit ! Et puis je me suis rendormi. » confiné. Sous le feu des critiques pour sa ALORS QU’ON NOUS  puis trente­quatre ans. Autant d’années de concentration des industries chimiques et pé­
Ce n’est que deux heures plus tard, quand gestion de la crise, il a tout de même fini par cohabitation avec Lubrizol. De relents nau­ trolières de France » et que Lubrizol est loin
les sirènes d’alerte se sont mises à hurler, reconnaître que le système d’alerte reposait DISAIT TOUJOURS  séabonds, parfois le dimanche soir au mo­ d’être la seule usine dangereuse du secteur.
que Stéphane Martot a compris. Il s’est préci­ peut­être sur « des outils datés ». ment d’un « dégazage » sauvage. Mais, cette Le PPI en recense 23, dont 7 établissements et
pité dans son grenier, a ouvert le Velux et a
QUE C’ÉTAIT UN  fois, c’en est trop. « On insulte les Normands, 6 ouvrages liés au transport de marchandi­
filmé puis posté sur les réseaux sociaux : BRUTALE DÉCOTE DÉLIRE D’ÉCOLO ! » il y a un gros manque d’information sur les ses dangereuses classés Seveso. Les autres
l’usine chimique en feu et l’immense pana­ Muriel Bazire, elle, a été prévenue par un risques. En trente­quatre ans, jamais per­ sont considérés comme « générant un risque
che noir qui se répand au­dessus de la ville. SMS. « Une amie de Paris m’a dit qu’il ne fallait STÉPHANE MARTOT sonne n’est venu nous voir pour nous donner significatif pour la population ». Curieuse­
« C’était Mad Max sous mes fenêtres. Alors pas que je sorte de chez moi et que mon chou­ secrétaire des Verts à Rouen la moindre consigne. » Le plan de prévention ment, Normandie Logistique, dont les han­
qu’on nous disait toujours que c’était un délire chou était mort », raconte cette retraitée qui des risques technologiques (PPRT) autour du gars sont coincés entre deux sites Seveso et
d’écolo ! », témoigne Stéphane Martot, égale­ pleure autant la disparition de Jacques Chirac site de Lubrizol, mis à jour par la préfecture qui stockait plusieurs tonnes de produits Lu­
ment secrétaire des Verts à Rouen, conseiller que la brutale décote de son appartement. en 2014, indique pourtant que « le développe­ brizol, n’en fait pas partie.
municipal et à la Métropole. Cette Parisienne a acheté en 2013 dans la rési­ ment d’une culture du risque est indispensa­ Autre interrogation, le « rayon de danger »
Trois semaines après l’accident, la ministre dence Rouen Rondeaux, un ensemble de ble pour que chacun puisse jouer un rôle retenu pour Lubrizol (623 mètres ou 1 340 mè­
de la santé, Agnès Buzyn, considère que « les trois immeubles aux jardins bien entretenus effectif dans la prévention des risques », et tres, selon le niveau du scénario­catastrophe)
Rouennais peuvent reprendre une vie nor­ mais qui possède désormais un handicap de notamment les « riverains ». n’a­t­il pas été sous­estimé ? Le panache de fu­
male ». Jeudi 17 octobre, ils étaient encore taille : il est situé à environ 500 mètres à vol mée a atteint plus de 20 kilomètres de long,
près de 800, à la Halle aux Toiles, venus par­ d’oiseau de Lubrizol. « Mon appartement est PLANS D’URGENCE des retombées de suie ont été identifiées jus­
tager leurs craintes et leur colère jusque tard invendable ! ne décolère pas Mme Bazire. Qu’ils Des plans de secours d’urgence, dit plans que dans les Hauts­de­France, et des niveaux
dans la soirée, lors d’une réunion publique s’en aillent ! » Un sentiment partagé par beau­ particuliers d’intervention (PPI), sont pré­ de dioxines « inhabituels » ont été mesurés
organisée par un large collectif de syndicats coup de Rouennais. Surtout que, cette fois, la vus. « Des exercices sont organisés par la pré­ dans la commune de Préaux, à une quinzaine
et d’associations. Avec un mot d’ordre : « Pas faute à Eole, c’est la rive droite de la ville et les fecture pour tester ces plans », précise le PPRT. de kilomètres de Rouen, non intégrée dans le
de retour à la normale sans que la vérité soit quartiers cossus de Mont­Saint­Aignan ou Ni Martine Meley, ni Muriel Bazire, ni Sté­ PPI. La maire, Anne­Marie Delafosse, a porté
faite ! » De nombreuses questions hantent Bois­Guillaume, qui ont été touchés par le phane Martot, tous trois cogérants de la rési­ plainte contre X pour mise en danger d’autrui
toujours les Normands. Elles s’accumulent, panache de fumée et les retombées de suie. dence Rouen Rondeaux, n’ont été conviés à et incite les habitants à l’imiter. Elle a égale­
même, au fur et à mesure des révélations. participer à un quelconque exercice de simu­ ment ouvert un cahier de doléances pour ses
Quelle est la dangerosité des 9 500 tonnes (et lation d’accident. Le PPI – dont Le Monde a pu 1 850 administrés. Ici, un agriculteur rapporte
non des 5 253 tonnes initialement communi­ consulter une version condensée, le docu­ que ses vaches avaient encore « beaucoup

150
quées) de produits partis en fumée et quelle ment intégral étant classé « confidentiel d’hydrocarbures sur les poils » quinze jours
seront les conséquences sur leur santé à long défense » – stipule bien que « l’alerte initiale après l’incendie, là une femme confie que son
terme, certaines substances chimiques étant des populations » est une « priorité ». époux a des problèmes de toux, beaucoup ex­
potentiellement cancérogènes ou des per­ Les trois Rouennais n’ont jamais vu non pliquent que leurs salons de jardin sont dé­
turbateurs endocriniens ? nombre de plaintes déposées plus la couleur (bleue) de la « plaquette » lis­ gradés. Mme Delafosse, qui n’a pas digéré la
Comment un feu d’une telle ampleur a­t­il Depuis l’incendie de Lubrizol et Normandie Logistique, le 26 septem- tant les « bons réflexes en cas d’alerte indus­ mauvaise publicité faite au village après la di­
pu se déclarer sur un site Seveso seuil haut, bre, 150 plaintes ont été déposées contre X par l’avocat rouennais trielle ». « Les pouvoirs publics, les collectivi­ vulgation des analyses sur les dioxines, n’a
six ans après un premier incident (une fuite Jonas Haddad. Elles proviennent de particuliers victimes d’évanouis- tés et les industriels travaillent en commun pas souhaité s’exprimer. La préfecture n’a pas
de mercaptan s’était fait ressentir jusqu’en ré­ sements ou d’éruptions cutanées, de salariés victimes de malaise, pour renforcer votre sécurité et votre infor­ répondu non plus à nos sollicitations.
gion parisienne) et deux ans après une ins­ de restaurateurs qui ont dû fermer boutique ou d’agriculteurs empê- mation, afin que vous puissiez avoir une D’habitude, elle soigne sa communication.
pection des installations classées estimant le chés de commercialiser leurs récoltes. Plusieurs communes de l’ag- confiance lucide dans les industries », expli­ Toujours avec l’UIC Normandie, les servi­
risque d’un incendie à « au maximum une fois glomération rouennaise, dont Rouen, ou encore l’association Géné- que le fascicule édité par la préfecture et ces de l’Etat ont également édité une jolie
tous les 10 000 ans ». Comment Lubrizol a­t­il rations Futures ont aussi porté plainte pour mise en danger d’autrui. l’Union des industries chimiques de Nor­ plaquette au titre ronflant – la fameuse
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 planète | 13

Le préfet Pierre­André Durand,


« seul face à tous » depuis l’incendie
Très réservé, le fonctionnaire a été placé sous les projecteurs et exposé aux critiques

rouen ­ correspondance lors de son service militaire, dans qui n’est pas préparé à une telle
L’HOMME A DÉMARRÉ  la « musique » de la 2e région aé­ catastrophe industrielle ».

I l a fallu les caméras de l’émis­


sion « Envoyé spécial » de
France 2 pour que Pierre­An­
dré Durand exprime un début
de contrition, jeudi 10 octobre,
SA CARRIÈRE 
AU BAS DE L’ÉCHELLE, 
EN 1980, EN TANT 
rienne – entame son parcours de
haut fonctionnaire dans la Loire,
en tant que sous­préfet, puis en
Guyane, un an plus tard, avant
d’être le secrétaire général de la
Le député PCF de Seine­Mari­
time Sébastien Jumel renvoie, lui
aussi, la balle au « gouvernement,
qui a mal géré cette crise, de façon
technocratique, mais le préfet n’en
quinze jours après le spectacu­ préfecture de l’Aube, en 1996. est pas responsable ». Pour Damien
laire incendie qui a ravagé, jeudi
QU’AUXILIAIRE DE BUREAU,  En 1998, direction le ministère Adam, député LRM de Seine­Mari­
26 septembre, à Rouen, une partie À LA MAIRIE DE NICE de l’intérieur, où il dirige le cabi­ time, « cette image de distance est
de l’usine chimique Lubrizol et de net du directeur général de l’ad­ une figure obligée du poste. Mais,
sa voisine, l’entreprise Norman­ ministration. Après un passage à quand on gratte un peu, on décou­
die Logistique. Interrogé sur les jamais laissé paraître le moindre Bayonne (Pyrénées­Atlantiques), vre un homme intéressant ».
propos qu’il a tenus deux jours signe d’énervement. comme sous­préfet, en 2004, Lui aussi admet des cafouillages
après le sinistre – « un état habi­ Afin d’en savoir plus sur cet puis à Lille, en tant que secrétaire en matière d’information à la po­
tuel de la qualité de l’air » –, le pré­ énarque de 59 ans, promotion général de la préfecture du Nord, pulation : « Mais cela dépasse le
fet de Normandie et de Seine­Ma­ Gambetta (1990), qui a refusé de il obtient son premier poste de préfet, il s’agit d’un trou dans la
ritime reconnaît : « J’ai un regret, nous recevoir en tête­à­tête, il préfet en Haute­Saône, en 2008. raquette dans notre manière de gé­
parce que ce que j’ai dit était tech­ faut consulter son curriculum Il n’y restera pas longtemps : rer les sites Seveso. » Localement,
niquement exact, mais mal com­ vitae et se tourner vers les rares en 2010, il est choisi par Christian certains maires ont tout de même
pris par nos concitoyens. » articles de presse publiés au gré Estrosi, sudiste comme lui et fait part de leur sentiment de soli­
Arrivé de Seine­Saint­Denis il y a des affectations de ce nomade ad­ alors ministre de l’industrie, tude face à la crise. « Nous avons
six mois à peine, Pierre­André ministratif. Il est énarque, donc, pour être son directeur de cabi­ été informés tardivement et diffici­
Durand, en fonctions depuis le et titulaire d’un DESS en adminis­ net. Durant la décennie 2010, il lement. Le préfet s’en est excusé »,
23 avril, ne s’était pas encore fait tration des collectivités territoria­ est successivement préfet de la indique Charlotte Goujon, maire
un nom en Normandie. Cette les, mais autodidacte. Drôme, des Pyrénées­Atlanti­ PS du Petit­Quevilly, commune li­
catastrophe industrielle l’a placé Né à Antibes (Alpes­Maritimes), ques, de Seine­Saint­Denis et en­ mitrophe de l’usine Lubrizol.
sous les projecteurs et les criti­ en mars 1960, l’homme a démarré fin de Normandie. A Rouen, les élus et réseaux éco­
ques. Sa communication et sa carrière au bas de l’échelle, logistes se montrent plus criti­
certains de ses choix en matière en 1980, en tant qu’auxiliaire de « Au compte-gouttes » ques. « La réalité de la crise sani­
de gestion de crise ont été criti­ bureau, à la mairie de Nice, dirigée De son passage en région pari­ taire potentielle est sous­estimée.
qués. Notamment sa décision de à l’époque par Jacques Médecin, sienne, le député PCF de Seine­ Les informations ont été lâchées
ne pas actionner les sirènes avec un BEP pour seul bagage, Saint­Denis Stéphane Peu garde le au compte­gouttes », reproche
d’alarme dès la survenue de l’in­ selon Les Echos, qui lui ont consa­ souvenir d’« un préfet rigoureux, David Cormand, secrétaire natio­
cendie, en milieu de nuit. cré un article en 2010. très fiable, mais frileux et man­ nal EELV et élu à la métropole
Au cours de la décennie 1980, il quant parfois d’empathie ». En rouennaise. « S’il admet des er­
Tout en contrôle y gravit méthodiquement les Normandie, les élus apprennent reurs, ce qui n’est pas le cas de tous
Pierre­André Durand incarne un échelons de la fonction publique doucement à le connaître. Le pré­ les préfets, il n’a été qu’un rouage
personnage, celui du serviteur de territoriale, devenant successive­ sident de région, Hervé Morin dans le mécanisme orchestré par
l’Etat tout en contrôle, parfois jus­ ment agent de bureau, commis, (Les Centristes), décrit « un le ministère de l’intérieur », avance
qu’à la caricature. Lunettes fines, rédacteur puis attaché territorial. homme très carré », qui n’est « cer­ Guillaume Blavette, militant de
Le futur visage impassible, cheveux ras, Avant de réussir le concours d’en­ tes pas un grand communicant ». France Nature Environnement
écoquartier phrasé lent, il apparaît très ré­ trée de l’ENA à l’âge de 30 ans. « Il s’est retrouvé seul face à tous, Normandie. Ironie de l’histoire,
« confiance lucide » –, avec photo de fillette Flaubert se servé, voire austère. Lors de ses En 1993, ce célibataire friand de à gérer l’incendie en évitant le depuis le mois d’août, Pierre­An­
tout sourire derrière un bouquet de jon­ trouve à moins conférences de presse quotidien­ musique et en particulier d’opéra pire, tout en devant communiquer dré Durand représente l’Etat au
quilles. Le document rappelle la définition de 500 m de sites nes, censées témoigner de la – longtemps membre de l’harmo­ toutes les demi­heures », estime Conseil national de l’air. 
d’un établissement Seveso, les dispositifs de Seveso, dont « transparence » étatique, il n’a nie de Nice et engagé volontaire, M. Morin, pour qui « c’est le pays gilles triolier
sécurité et l’importance de l’industrie dans le l’usine Lubrizol,
tissu économique rouennais : « Les emplois qui a pris feu
industriels des secteurs de la chimie, de la plas­ le 26 septembre.
turgie, du raffinage (…) contribuent largement
au développement de l’économie régionale
[et] permettent de classer la zone d’emploi de
BENOIT DECOUT/REA
Analyses biologiques anormales pour
des pompiers intervenus sur le sinistre
Rouen treizième au niveau national. »

« ON PENSAIT ÊTRE À L’ABRI »


En 2018, Rouen a fêté les 10 ans de jumelage
avec Cleveland, la ville américaine où a été Au moins une dizaine de soldats du feu présentent des bilans hépatiques perturbés
fondé Lubrizol en 1928. « Lubrizol fait partie
du décor. Même si on savait que c’était un site
dangereux, on pensait être à l’abri. Moi­
même, je me suis laissé endormir par les dis­
cours officiels disant que tout était sous
contrôle, reconnaît Stéphane Martot, dont
un oncle a travaillé pour l’usine spécialisée
T rois semaines après l’in­
cendie qui a ravagé l’usine
chimique Lubrizol et les
entrepôts de Normandie Logisti­
les interpréter en les comparant et
confirmer s’ils sont liés ou non
à l’événement », précise­t­il.
A l’issue d’un comité d’hygiène,
« LUBRIZOL, C’EST 
UN SITE SEVESO, 
week­end ayant suivi l’accident,
le syndicaliste dit avoir reçu une
dizaine de messages de collègues
se plaignant « de toux irritantes,
dans la fabrication de lubrifiants pour mo­ que, l’inquiétude ne retombe pas de sécurité et des conditions C’ÉTAIT UN FEU DE  de vomissements et de diarrhées
teurs. C’est pour ça qu’aujourd’hui il y a un chez les Rouennais. Elle est de travail (CHSCT) extraordi­ importantes ».
sentiment de trahison dans la population et même montée d’un cran parmi naire organisé le 1er octobre, VOITURE MULTIPLIÉ PAR  Mathieu Gibassier est lui­
que les Rouennais demandent à Lubrizol de les sapeurs­pompiers intervenus des analyses sanguines ont été même intervenu sur le site de
partir. » Le patron de la firme américaine, sur le site Seveso, jeudi 26 sep­ prescrites à tous les pompiers en­
PLUSIEURS MILLIONS » Lubrizol. « Les premières interven­
Eric Schnur, a, lui, prévu de revenir en France tembre et les jours suivants. gagés sur le feu. MATHIEU GIBASSIER tions ont été effectuées sous pro­
la semaine prochaine pour rencontrer plu­ Selon les informations du Près de 900 agents, pas seule­ secrétaire général tection respiratoire de la tête aux
sieurs ministres et fixer les procédures d’in­ Monde, certains viennent de re­ ment de Rouen et de Normandie, de la CGT du SDIS-76 pieds, explique le pompier. C’est
demnisation des agriculteurs dont les récol­ cevoir les analyses biologiques sont intervenus sur le site sinistré une fois l’incendie maîtrisé que ça
tes ont été suspendues – les mesures de res­ réalisées après l’intervention. Et les 26 et 27 septembre. Les ordon­ s’est relâché. On est passés aux
triction ont été intégralement levées ven­ les résultats ne sont pas bons. nances prévoient de nouvelles que), de nombreuses substances masques en papier et il n’y en avait
dredi 18 octobre. En attendant, il répète que Pour au moins une dizaine d’en­ analyses un mois et trois mois dangereuses qui valent à l’usine pas assez pour tout le monde.
« l’activité reprendra quand le nettoyage aura tre eux, dont une majorité appar­ après les premiers prélèvements. d’être classée Seveso seuil haut y C’était un peu la démerde. » Or, ex­
été fait et que la sécurité sera garantie ». tient au service départemental Les sapeurs concernés par des ré­ figurent : six sont potentielle­ plique M. Gibassier, « de 19 heures
Au pied du pont Flaubert, rive gauche, de d’incendie et de secours de Seine­ sultats anormaux doivent, eux, ment cancérogènes, et davantage à 7 heures du matin, il a fallu conti­
l’autre côté de l’avenue qui jouxte la résidence Maritime (SDIS­76), les bilans faire des bilans tous les quinze ont une toxicité jugée aiguë. nuer à arroser les fûts pour les re­
Rouen Rondeaux, une immense palissade sanguins font apparaître des ré­ jours pendant six mois. Dans ce cocktail de matières froidir et il y avait encore un pana­
vante le grand projet immobilier soutenu par sultats anormaux pour le foie, toxiques, on trouve, notamment, che de fumée important. »
la mairie et la Métropole : l’écoquartier avec des niveaux de transamina­ Cocktail de matières toxiques des produits phosphorés connus Certains pompiers, dont les
Flaubert. « Un écoquartier calme et vivant », ses trois fois supérieurs à la nor­ « Ces résultats ne sont pas bons, pour attaquer le foie. « Parmi les analyses sanguines sont anor­
qui « répondra aux hautes exigences environ­ male, ainsi que des perturbations commente le toxicochimiste An­ nombreux produits partis en fu­ males, envisagent désormais de
nementales ». « Un écosystème effervescent » au niveau de la fonction rénale. dré Picot. Le foie, comme les reins, mée, il y a très vraisemblablement porter plainte contre X pour
de 90 hectares devant accueillir « 6 000 habi­ Deux sources internes ont con­ c’est notre centre antipoison. Si les des produits hépatotoxiques », mise en danger d’autrui. Une
tants », « 2 500 logements », « une tour en firmé, sous couvert d’anonymat, transaminases sont élevées, c’est confirme André Picot. démarche judiciaire déjà enga­
bois ». La promesse, aussi, de « 5 000 créations des « résultats anormaux » pour que le foie a subi une agression. » « Vu les quantités qui ont brûlé gée par le syndicat Unité SGP­Po­
d’emplois ». La tour en bois et tout le reste ris­ « cinq à sept agents » du SDIS­76, Le fondateur de l’unité de préven­ et que l’on a respirées, on est forcé­ lice de Rouen, pour des poli­
quent de partir en fumée après l’incendie de auxquels les bilans ont été remis tion du risque chimique du Cen­ ment inquiets, témoigne Ma­ ciers intervenus sur le site de Lu­
Lubrizol. Car l’écoquartier souffre d’un défaut sous pli pour raison de confiden­ tre national de la recherche scien­ thieu Gibassier, le secrétaire gé­ brizol. Le syndicat dénonce une
que cachaient jusqu’ici les palissades : il est tialité. Contacté par Le Monde, le tifique (CNRS) relève le risque de néral de la Confédération géné­ « mise en danger » par l’absence
implanté à moins de 500 mètres des sites Se­ commandant Chris Chislard, por­ développer une hépatite ou, à rale du travail (CGT) du SDIS­76. de tenue adaptée, et particulière­
veso. Le tout nouveau président de la Métro­ te­parole du SDIS­76, indique que long terme, des cancers. On nous répète depuis un an qu’il ment le manque de masques de
pole, qui est aussi le maire de Rouen, Yvon Ro­ ces résultats d’analyses, faites D’autant que, si l’on consulte faut faire attention avec la toxi­ protection. Il réclame « des
bert, a indiqué qu’« une réflexion collective se­ avant le vingt et unième jour l’inventaire des produits brûlés cité des feux pour une interven­ moyens de protection adaptés
rait menée sur le devenir de l’écoquartier ». après l’incendie, ne sont pas à Lubrizol (plus de 5 000 tonnes tion sur une maison ou une voi­ pour tous les policiers, au vu du
Dans son entourage, on fait savoir qu’il pour­ considérés comme déterminants. sur le site lui­même et plus ture. Lubrizol, c’est un site Seveso, nombre important de sites Seveso
rait aussi être lié à celui du site Lubrizol.  « Il faudra attendre le deuxième de 1 600 tonnes dans les hangars c’était un feu de voiture multiplié dans le département ».
stéphane mandard prélèvement à J + 31 pour pouvoir du voisin, Normandie Logisti­ par plusieurs millions. » Durant le st. m.
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
14 | DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Des employés du
géant américain
General Electric
bloquent l’entrée
principale de
l’usine de Belfort,
le 10 octobre.
SÉBASTIEN BOZON/AFP

Le combat tous azimuts des « GE Belfort »
Après quatre mois de conflit, les salariés de General Electric ont obtenu des avancées, avec l’appui de l’Etat

RÉCIT acquis (salaires, RTT, primes, heu­


res supplémentaires…). Les sala­
Pour élus et sion du site, notamment dans les
moteurs d’avion, domaine d’ex­
haut de la pile ». Et M. Macron
prend l’engagement d’« assurer
Avoir été conseiller pour l’indus­
trie du futur président, qui avait

L
e coup de fil a été décisif. riés seront consultés, lundi 21 oc­ syndicats, l’enjeu cellence de GE. Et quand trois sa­ l’avenir industriel de Belfort ». Ce­ octroyé des crédits à l’exportation
Mardi 15 octobre, vers tobre, et, s’ils acceptent de négo­ lariés meurent brutalement à lui­ci ne passe pas uniquement à des produits « made in France »
20 heures, Bruno Le cier sur la base de l’accord, des dis­
porte autant sur leur domicile à trois semaines par la production de turbines à de GE. Le parquet de Paris a
Maire profite d’une sus­ cussions formelles s’engageront la fabrication que d’intervalle, les syndicats en im­ gaz, prévient le gouvernement, ouvert une enquête préliminaire,
pension de séance lors de l’exa­ jusqu’à la fin du mois. L’horizon putent en partie la responsabilité convaincu, comme la direction de confiée à la police judiciaire, pour
men du projet de budget 2020 à se dégage enfin, quelques jours
sur le maintien au stress créé par le PSE, poussant GE, que le marché de ces gros « prise illégale d’intérêts ». Il n’est
l’Assemblée nationale pour appe­ avant la date d’expiration de la de centres la direction à dénoncer « une ins­ équipements ne se redressera pas sûr que l’opposition de droite
ler le PDG de General Electric (GE), procédure légale de consulta­ trumentalisation indécente ». pas. « Je vais me battre pour cha­ gagne sur le terrain judiciaire. Ni
Larry Culp. Le ministre de l’écono­ tion sur le plan de sauvegarde de
de décision Sans attendre l’annonce du que emploi », promet M. Le Maire, du crédit dans l’opinion. Dans
mie veut lui arracher un feu vert l’emploi (PSE), justement fixée sur le site plan, les élus locaux s’étaient mo­ qui installe rapidement un co­ cette affaire, le gouvernement a
pour l’accord informel qu’il a éla­ ce jour­là. En cas de rejet, la direc­ bilisés avec d’autant plus de dé­ mité de pilotage chargé de répar­ joué un rôle actif. Et c’est peu dire
boré à Bercy, quelques heures tion déposera sa proposition termination qu’ils n’appartien­ tir les 50 millions d’euros que les Américains restent aussi
plus tôt, avec l’intersyndicale initiale à la direction régionale ploi en 2025 ». Mais plusieurs sites nent pas à la majorité macro­ d’amende que GE a dû verser étonnés qu’agacés par ce nouvel
(CGT, CFE­CGC, SUD) et les diri­ du travail, avec 111 postes sauve­ sont frappés par une menace – ou niste : la ville et le département pour n’avoir pas créé les 1 000 exemple de « l’exception fran­
geants français du conglomérat gardés sur 792. une décision – de fermeture : sont dirigés par deux élus Les Ré­ emplois promis en 2015. çaise », note­t­on à Bercy.
américain : sauver 307 emplois Il a fallu quatre mois de ten­ l’aciérie Ascoval (Nord), Ford publicains, Damien Meslot et Flo­ A Paris, les oppositions ont A l’heure de la transition éner­
sur les 792 postes que GE entend sions et de manifestations de­ Blanquefort (Gironde), le papetier rian Bouquet, la région Bourgo­ trouvé là un symbole de plus de la gétique, l’intersyndicale mène­t­
supprimer dans l’activité des tur­ puis l’annonce, le 28 mai, de la Arjowiggins (Sarthe), l’usi­ gne­Franche­Comté par la socia­ désindustrialisation du pays. Et elle un combat d’arrière­garde en
bines de centrales au gaz fabri­ suppression de 792 emplois dans ne d’électroménager Whirlpool liste Marie­Guite Dufay. Aucun une arme anti­Macron. Alors mi­ défendant des équipements pour
quées à Belfort et Bourogne (Ter­ le Territoire de Belfort et de 252 d’Amiens (Somme)… La décision n’est disposé à lâcher prise dans nistre de l’économie, n’avait­il pas les énergies fossiles, le gaz en
ritoire de Belfort). postes en région parisienne. de GE, qui a annoncé la suppres­ une région à forte tradition in­ défendu, sur le site même, « l’ave­ l’occurrence ? Sans sous­estimer
Le « boss » donne son assenti­ Quatre mois de politique de la sion de 12 500 postes (dont 5 000 dustrielle (métallurgie, nu­ nir industriel » de la cité au lion ? l’avenir des renouvelables, elle
ment, à condition que les salariés chaise vide de la part des syndi­ en Europe) dans sa branche cléaire, ferroviaire…), et où GE a En juillet, des élus de tous bords conteste la réduction annoncée
acceptent un plan d’économies cats, mais de tractations infor­ « Power », est du pire effet. une empreinte très forte. descendent de Paris pour faire de la filière gaz. Et elle a obtenu de
de 12 millions d’euros par an. Son melles avec l’équipe de M. Le D’autant que ses salariés français En 1999, il a racheté des turbines cause commune avec les salariés la direction la mise en place, à la
contenu reste à négocier, mais Maire. Quatre mois de mobilisa­ ne sont plus protégés par les clau­ qu’Alstom produisait sous li­ dans un joyeux brassage de res­ fin du premier semestre 2020,
il rognera forcément certains tion des élus de droite et de gau­ ses de l’accord de 2015 sur la re­ cence GE ; puis, quinze ans plus ponsables politiques : Olivier d’un projet industriel avec des ac­
che. Et, pour finir, quelques jours prise d’Alstom. tard, toutes les activités énergéti­ Marleix (Les Républicains), Bas­ tivités commerciales, de produc­
de discussions­marathons sur L’intersyndicale CGT, CFE­CGC, ques d’un conglomérat français tien Lachaud (La France insou­ tion, d’ingénierie et de gestion de
fond de blocage du site, qui se SUD va déclencher une guerre incapable de rivaliser avec GE ou mise) et le secrétaire national du projets. « Belfort va redevenir le
LES CHIFFRES poursuivait samedi matin. tous azimuts. Nommé patron de l’allemand Siemens. PCF, Fabien Roussel. centre d’excellence des turbines à
GE France en avril, Hugh Bailey a Pour les élus et les syndicats, La droite n’a pas oublié que gaz 50 Hz » au niveau mondial, as­
L’industrie à la peine Les « GE bien affirmé qu’après le plan, l’enjeu porte autant sur la fabrica­ M. Macron était à la manœuvre sure­t­elle, comme le site de
Belfort » ne sont qu’à moitié sur­ « Belfort [resterait] le premier site tion que sur le maintien de cen­ lors de la vente d’Alstom à GE, Greenville (Caroline du Sud) l’est
265 000 pris, fin mai, par un plan dont industriel de GE Power en Eu­ tres de décision sur le site belfor­ comme secrétaire général adjoint pour les turbines 60 Hz.
C’est le nombre de salariés que l’annonce a été repoussée au len­ rope », rien n’y fait. Et il n’y a tain, un engagement du géant de l’Elysée en 2014, puis ministre L’analyse des dirigeants de GE
General Electric (GE) emploie demain des élections européen­ pas grand­chose à négocier. américain inscrit dans les accords de l’économie en 2015. Il a sou­ est différente. La production
dans le monde. Seize mille nes. GE vend quatre fois moins de « Aujourd’hui, on n’a pas de plan de 2015. Or, ils assurent que des tenu le choix du géant américain, d’électricité à partir du gaz ne dis­
d’entre eux travaillent en France turbines qu’il y a dix ans, et la me­ B », prévient Patrick Mafféïs, le vi­ directions importantes ont été et elle va chercher par tous les paraîtra pas du jour au lende­
(dans les énergies, le secteur nace d’un millier de suppressions ce­président des opérations in­ délocalisées, notamment en moyens à lui faire porter le cha­ main, mais le monde est entré
médical, l’aéronautique…), d’emplois plane depuis des mois. dustrielles de GE Power Europe. Suisse. « Belfort, dénoncent­ils, peau du plan social. En jan­ dans une phase de transition
dont 4 300 à Belfort. Guère surpris, mais indignés. Car Du siège du groupe jusqu’à Bel­ est passé d’un centre de décision à vier 2019, M. Marleix avait déjà énergétique irréversible qui fera
on est loin des 1 000 embauches fort, les dirigeants ne manquent un centre d’exécution. » Soutenus saisi la justice. Parmi ses dona­ la part toujours plus belle aux
promises lors du rachat d’Alstom pas de rappeler que cette activité par la ville, le département et la teurs ou ceux qui l’ont aidé à lever énergies renouvelables, prévient
19 MILLIARDS Power par le géant de Boston, perd « trois millions de dollars par région, la CFE­CGC et SUD saisis­ des fonds, le candidat à la prési­ Jérôme Pécresse, patron de l’acti­
C’est, en euros, le montant même si les postes supprimés jour » dans le monde. sent le tribunal administratif de dentielle avait « des personnes qui vité mondiale de GE dans les re­
des pertes essuyées par GE concernent une activité rachetée Paris, le 7 octobre. Une mise en auraient été intéressées aux ven­ nouvelables. Si GE Power perd
en 2018, pour un chiffre à Alstom en 1999, et non en 2015. Les élus des territoires mobili­ demeure de l’Etat, accusé de tes » d’Alstom, mais aussi de Tech­ des emplois, sa division GE Re­
d’affaires de 100 milliards. L’annonce de GE tombe dans un sés Au cœur de cet été brûlant, la n’avoir pas fait respecter les clau­ nip ou d’Alcatel, à des groupes newable Energy, elle, en crée, no­
climat où le sentiment général tension monte. Au début de cha­ ses de la vente d’Alstom, qui pré­ étrangers, écrit­il au procureur de tamment dans les usines d’éo­
peut se résumer ainsi : « France, que réunion sur le PSE, les repré­ voyait le maintien et le dévelop­ Paris. N’y a­t­il pas là matière à en­ liennes de Saint­Nazaire (Loire­
79 MILLIARDS ton industrie fout le camp ! » Un sentants syndicaux lèvent le pement de l’activité industrielle. quêter sur « un pacte de corrup­ Atlantique) et de Cherbourg
C’est, en euros, la capitalisation mois plus tôt, au sortir de la crise camp. Ils défendent leur turbine tion ? », s’interroge l’élu. (Manche), où une filière des éner­
boursière de GE, très loin der- des « gilets jaunes », Emmanuel 50 hertz quand la direction com­ Une affaire politique nationale Les syndicats s’en prennent gies vertes est en train de naître.
rière les valeurs technologiques Macron a annoncé « un pacte pro­ mence à envisager, avec l’appui Dès le printemps 2019, Bercy as­ aussi au nouveau patron de GE Loin de Belfort. 
(Apple, Google, Amazon…). ductif pour atteindre le plein­em­ du gouvernement, une reconver­ sure que « le dossier GE est sur le France. Le « délit » de M. Bailey ? jean­michel bezat
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 économie & entreprise | 15

A la SNCF,
les débrayages
se poursuivent
La grève, liée à un accident dans
les Ardennes, survient alors que
les cheminots dénoncent la réforme
ferroviaire et celle des retraites

P
our le deuxième jour SNCF, avec de fortes disparités
d’affilée, samedi 19 octo­ selon les régions : en Occitanie,
bre, qui ouvre la période Nouvelle­Aquitaine et Pays de la
de grands départs en Loire ou Provence­Alpes­Côte
congés scolaires à l’occasion de la d’Azur, le trafic était très perturbé.
Toussaint, la SNCF s’attendait à En Ile­de­France, 67 % des Transi­
un trafic encore très perturbé. Elle lien ont assuré leur service, mais,
a pris la décision de supprimer là encore, avec des lignes plus tou­
l’ensemble des TGV à petit prix chées que d’autres, comme celles
Ouigo, où les débrayages ont été des RER B et D.
nombreux. En revanche, le trafic
des TGV classiques devait être Colère et exaspération
quasi normal ou en tout cas équi­ Cet éclat soudain trouve son ori­
valent à celui du vendredi : trafic gine dans un accident impliquant Un TER a percuté un convoi routier à un passage à niveau, à Saint­Pierre­sur­Vence (Ardennes), le 16 octobre. AURÉLIEN LAUDY/PHOTOPQR/L’UNION DE REIMS/MAXPPP
normal vers le Nord et l’Est, neuf un TER survenu mercredi dans les
TGV sur dix entre Paris, Lyon et Ardennes, et à la suite duquel les le mode d’exploitation « équipe­ Tout est motif à irritation : une quatre syndicats représentatifs
Marseille ainsi que vers la Breta­ cheminots ont demandé à exer­ ment agent seul » – c’est­à­dire série d’agressions d’agents en Ile­
« Au fond, cet de la SNCF (CGT, UNSA, SUD et
gne et le Sud­Ouest. cer leur droit de retrait. Le train en un conducteur, mais pas de con­ de­France, en début de semaine, a épisode est un CFDT), a abouti, au bout de pres­
Pour le reste, sans avoir de possi­ question a percuté un convoi rou­ trôleur –, qui n’a jamais été ad­ fait monter la pression chez Tran­ que six heures de discussions,
bilité de prévoir le trafic, la SNCF tier à un passage à niveau, situé à mis par une partie des chemi­ silien. De nouvelles procédures
premier tour de à trois propositions de la direc­
supposait que les perturbations Saint­Pierre­sur­Vence, endom­ nots, et en particulier par la CGT. techniques envisagées pour le dé­ chauffe de la CGT tion : une modification des trains
seraient similaires à celles de la mageant très sérieusement Ce système a été mis en place part des trains inquiètent égale­ pour rendre les dispositifs
veille. Elle a prévenu les voya­ l’avant de l’autorail et faisant légè­ graduellement ces dernières an­ ment les conducteurs.
avant la bataille d’alerte radio moins vulnérables
geurs des TER et trains Intercités rement dérailler la rame. nées dans les autorails TER (80 % des retraites » aux grands chocs, un report de
que la plupart des correspondan­ D’après la CGT, le conducteur, des trains régionaux n’ont plus Trois propositions de la direction trois à six mois des nouvelles
UN EXPERT DU DIALOGUE
ces risquaient de ne pas être assu­ qui était le seul agent à bord, a dû, de contrôleurs), mais il existe de­ Et puis il y a la réforme des retrai­ procédures de départ des trains
SOCIAL À LA SNCF
rées et elle les a invités à reporter contusionné et légèrement blessé puis trente ans dans les trains de tes, qui prévoit de faire disparaître et des embauches d’agents de la
leur voyage ou à utiliser des à la jambe, sortir pour sécuriser la banlieue et les RER de la région l’avantageux régime spécial des police ferroviaire, en particulier
moyens alternatifs. voie afin d’éviter une collision, parisienne. cheminots. Deux syndicats de en Ile­de­France.
Tout a commencé vendredi, parce que le système d’alerte ra­ Plus profondément, l’accident la SNCF (UNSA­Ferroviaire et Instrumentalisation ou pas, les Manifestement, ces proposi­
quand des dizaines de contrô­ dio était hors service en raison de du TER a fait sauter le couvercle SUD­Rail) ont appelé à se joindre craintes sont bien réelles. Si le tions n’ont pas fait l’unanimité.
leurs et de conducteurs ont dé­ la violence du choc. Dans cet in­ de la cocotte­minute sociale qui à la grève illimitée lancée sur ce gouvernement et la direction de « Six heures de négociations pour
brayé sans préavis partout en tervalle, il a été contraint de lais­ bouillait depuis déjà quelque thème par les représentants la SNCF ont critiqué une utilisa­ aucune annonce, a ainsi tweeté
France, faisant valoir leur droit ser les passagers seuls, onze d’en­ temps à la SNCF. Humilié en 2018 des salariés de la RATP, le jeudi tion dévoyée du droit de retrait – Laurent Brun, le secrétaire géné­
de retrait et perturbant, ce fai­ tre eux étant blessés de manière par l’échec de sa grève de trois 5 décembre. « hors du cadre légal », a estimé le ral de la CGT­Cheminots. Ils ont
sant, le trafic sur de nombreuses superficielle. mois contre la réforme ferro­ « Au fond, cet épisode est un pre­ secrétaire d’Etat aux transports, choisi le pourrissement. » « Les sa­
lignes SNCF, en particulier dans « L’événement de sécurité », viaire, le corps social cheminot vit mier tour de chauffe de la CGT Jean­Baptiste Djebbari –, deux lariés qui ne prennent pas leur
les trains régionaux (TER) et sur ainsi qu’il est qualifié à la SNCF, avec amertume et animosité les avant la bataille des retraites, ana­ réunions se sont tenues au siège poste de travail se mettent en si­
le réseau des trains de banlieue et a causé un vif émoi au sein de négociations actuelles destinées lyse un expert du dialogue social du groupe ferroviaire pour ten­ tuation irrégulière, prévient la di­
RER (Transilien). la communauté cheminote. Tou­ à mettre en place, dès le 1er jan­ à la SNCF. La CGT, qui s’était fait de­ ter de rassurer et de remettre, par rection. Ils ne seront pas payés. »
Ce mouvement avait alors sur­ te la journée de jeudi, le récit a vier 2020, cette nouvelle SNCF – vancer par SUD et l’UNSA dans la même occasion, les cheminots L’heure est une nouvelle fois à
pris par sa vigueur. Environ un tourné en boucle sur les réseaux une société anonyme, sans em­ l’appel à la grève, prend prétexte de au travail. l’épreuve de force. Au grand dé­
train Intercités et un TER sur deux sociaux, alimentant à la fois co­ bauche au statut, ouverte à la con­ l’accident pour montrer ses mus­ La séance de négociation de fin sarroi des voyageurs. 
ont circulé ce jour­là, selon la lère et exaspération. En cause : currence – qu’il rejette. cles et tester sa force de frappe. » de journée, qui réunissait les éric béziat

737 MAX : Boeing soupçonné de dissimulation L’INTÉGRALITÉ DE LA SÉRIE


ÉVÉNEMENT D’ARTE
Le régulateur américain accuse l’avionneur de lui avoir caché des documents importants DISPONIBLE EN COFFRET DVD
UNE SÉRIE EN 6 ÉPISODES DE
new york ­ correspondant mention du MCAS dans le ma­ présentants, s’annonce houleuse. sorti des chaînes de production en GÉRARD MORDILLAT ET BERTRAND ROTHÉ
nuel de vol. Convaincue que le dis­ Il a été déchu de son titre de prési­ novembre 2015. Le 737 MAX a été

Y a­t­il eu négligence ou vo­


lonté frauduleuse de la
part de Boeing dans la cer­
tification de ses avions 737 MAX,
dont deux se sont écrasés – en In­
positif informatique n’était pas
dangereux, la FAA avait donné
son assentiment. Cet échange né­
cessitera une exégèse approfon­
die pour savoir s’il a été suivi de
dent du conseil d’administration
de Boeing et n’en est plus que di­
recteur général.
« C’est la preuve manquante. Ce
n’est plus juste une défaillance de
un succès commercial immédiat,
avec 5 000 commandes enregis­
trées. En outre, il avait l’avantage
de ne pas nécessiter de nouvelle
formation des pilotes de 737 tradi­
Limpide LA CROIX
Passionnant LE PARISIEN
La série qui démocratise
l’économie
Une réussite L’OBS
Un véritable appel à l’esprit
critique L’HUMANITÉ
Enfin un autre discours
LES INROCKUPTIBLES sur l’économie !
donésie en octobre 2018 et en mesures correctives et si l’actuali­ régulation ou une défaillance cul­ tionnels. Jusqu’à son immobilisa­ MARIANNE
Ethiopie en mars 2019 –, faisant sation du manuel aurait permis turelle. Cela commence à ressem­ tion, le 13 mars 2019, dans la foulée
au total 346 morts ? Le doute est d’éviter les accidents. bler à un comportement délic­ de l’accident survenu en Ethiopie.
permis depuis la publication, ven­ tueux », accuse, dans un entretien A ce moment­là, près de cin­
dredi 18 octobre, d’échanges entre « Comportement délictueux » au New York Times, Peter DeFazio, quante compagnies exploitaient
le pilote d’essais en chef du cons­ Sa publication a provoqué un représentant démocrate de l’Ore­ 376 appareils, effectuant plus de
tructeur, Mark Forkner, et l’un de choc majeur, parce que Boeing en gon au Congrès et président de la 8 500 vols par semaine.
ses collègues, Patrick Gustavsson, avait connaissance depuis février. commission des transports. L’avionneur continue de pro­
lors de la procédure de certifica­ Le constructeur de Seattle (Etat de Boeing est soupçonné d’avoir duire une quarantaine de
tion de l’appareil, en 2016. Washington) avait alors transmis privilégié sa rentabilité et sa part 737 MAX par mois, qui s’entassent
Il y est question d’essais dans un le document à la justice améri­ de marché aux dépens de la sécu­ sur le tarmac de Seattle. Début oc­
simulateur et du système antidé­ caine, mais pas au ministère des rité. L’affaire remonte à 2011, alors tobre, un panel d’experts améri­
crochage, le MCAS, qui s’est de­ transports et à la FAA, qui en dé­ que l’avionneur était sous pres­ cains et d’autorités de régulation
puis révélé déficient et serait res­ pend. Cette dernière est furieuse. sion face à la concurrence de étrangères avaient sévèrement
ponsable des deux accidents. Il Son administrateur, Steve Dick­ l’A320 Neo d’Airbus. Plutôt que de critiqué Boeing, mais aussi le rôle
« déraille dans le simulateur », s’in­ son, a écrit, vendredi, une lettre se lancer dans la conception d’un de la FAA dans la certification du
quiète ce jour­là M. Forkner, qui comminatoire de quatre lignes au nouvel appareil qui aurait pris 737 MAX : « La FAA n’avait pas une
ajoute : « Bon, je suis nul en pilo­ PDG de Boeing, Dennis Mui­ une décennie, il a décidé de mo­ connaissance suffisante du MCAS
tage, mais ça, c’était flagrant. » lenburg : « Je crois comprendre derniser son 737, conçu dans les ce qui, associé à sa faible implica­
M. Gustavsson fait alors remar­ que Boeing a découvert le docu­ années 1960. Il fallait un plus tion, l’a rendue incapable de four­
quer qu’il va falloir actualiser les ment dans ses archives il y a quel­ grand rayon d’action. C’est pour nir une évaluation indépen­
instructions dans le manuel de ques mois. J’attends de vous une cela que Boeing a décidé d’équi­ dante », accusaient les experts.
vol. « En gros, ça veut dire que j’ai explication immédiate concer­ per l’avion de moteurs plus L’Agence européenne de la sécu­
menti aux régulateurs sans le sa­ nant ce document et le délai mis lourds, ce qui a eu pour consé­ rité aérienne a d’ailleurs informé
voir », répond M. Forkner. Son col­ par Boeing à déclarer ce document quence d’augmenter les risques la FAA qu’elle n’était pas satisfaite
lègue poursuit : « Ce n’était pas un à son autorité de régulation. » de décrochage. Ceux­ci étaient de la démonstration effectuée par EN VENTE PARTOUT ET SUR ARTEBOUTIQUE.COM
mensonge. Personne ne nous avait A Wall Street, c’était la panique, censés être compensés par le fa­ cette dernière et Boeing pour SÉRIE ÉGALEMENT DISPONIBLE EN VOD
dit que c’était comme ça. » l’action de l’avionneur dévissant meux système informatique prouver la fiabilité du nouveau
De fait, huit mois plus tôt, de 6,8 %, à 344 dollars (309 euros). MCAS, qui a été installé à l’écono­ système de contrôle de vol. A cette
Mark Forkner avait demandé à L’audition de M. Muilenburg, pré­ mie, avec un seul capteur. aune, une reprise des vols en 2019 LE LIVRE LES LOIS DU CAPITAL de Gérard Mordillat & Bertrand Rothé
DISPONIBLE EN LIBRAIRIES (Le Seuil / ARTE Éditions)
l’Agence fédérale américaine de vue le 29 octobre au Sénat, puis le Le premier appareil, mis au paraît de plus en plus incertaine. 
l’aviation (FAA) de ne pas faire lendemain à la Chambre des re­ point à une vitesse expresse, est arnaud leparmentier
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16 | économie & entreprise DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

MATIÈRES PREMIÈRES
PAR NABIL WAKIM  Les Hauts­de­France en pointe
L’inquiétant sur l’économie responsable
yoyo pétrolier Près de 1 000 projets illustrent la dynamique de transformation de la région
L’observateur distrait pourrait s’y moitié de sa production de brut
laisser prendre. Puisque les cours pendant plusieurs semaines. Une
du brut continuent depuis plu­ douzaine d’attaques sur des tan­ lille ­ correspondance namique instaurée pour transfor­ gène, biométhanisation, réseaux
sieurs semaines d’osciller entre kers ont eu lieu ces derniers mois.
Le concept mer les Hauts­de­France en l’une électriques intelligents, rénova­

I
58 et 65 dollars (entre 52 et Et les sanctions américaines sur ls n’ont pas l’air de doux rê­ de troisième des régions européennes les plus tion thermique de parcs de loge­
59 euros), c’est que le marché est le pétrole iranien paralysent les veurs dans leurs costumes et avancées en matière de transition ments miniers, plans zéro car­
stable et le pétrole proche d’un exportations du pays. leurs chemises blanches.
révolution énergétique et de technologies bone, économie circulaire. Au
prix d’équilibre. Tout va donc A cela s’ajoute l’effondrement Pourtant, ils sont convain­ industrielle, né numériques, les citoyens sem­ total, seize territoires des Hauts­
pour le mieux au pays de l’or du Venezuela, toujours em­ cus que chaque citoyen détient le blent tout ignorer de cette trans­ de­France se sont engagés à deve­
noir… a priori. La réalité est plus bourbé dans une profonde crise pouvoir de changer le monde. A
il y a six ans, n’est formation profonde du territoire. nir des démonstrateurs de cette
inquiétante, et porte en elle les politique et économique. Ses ex­ l’heure du changement climati­ plus un schéma « Il y a un énorme travail à faire économie du futur.
germes d’une nouvelle crise. portations ont été divisées par que, les patrons du réseau nor­ afin d’aller au plus près des gens La révolution Rev3 est en mar­
Alors que le monde consomme plus de deux du fait du conflit qui diste Alliances, premier réseau ré­
abstrait pour convaincre, car il faut que che, avec un investissement pu­
chaque jour plus de 100 millions met aux prises le président Nico­ gional d’entreprises expert en chacun se bouge », constate Phi­ blic et privé estimé à 500 millions
de barils, le marché pétrolier, très las Maduro et l’opposition. Les responsabilité sociétale des en­ lippe Vasseur. d’euros par an, ainsi qu’un fonds
volatil, est plus fragile que jamais. mobilisations sociales en Equa­ treprises, ont choisi « Ego Impe­ les 6,2 millions d’habitants de la d’investissement inédit de 50 mil­
Du côté de l’offre, les perturba­ teur et en Algérie contribuent rium » comme thème de la 13e édi­ région Hauts­de­France, au mo­ Droit d’interpellation citoyen lions d’euros par an destiné à fi­
tions s’accumulent, et les si­ aussi à réduire l’offre mondiale. tion du World Forum For a Res­ ment où la planète vit une révolu­ L’ancien ministre de l’agriculture nancer des entreprises désireuses
gnaux sont contradictoires. Cette conjoncture devrait logi­ ponsible Economy. tion accélérée qui bouleverse les devenu président de la Mission de développer leur projet et à
D’abord, la production améri­ quement conduire à un prix du Cette grand­messe annuelle a modèles économiques, les habi­ Rev3 (union originale de respon­ créer des emplois.
caine de pétrole de schiste. Grâce pétrole en hausse. C’est pourtant réuni à Lille, pendant trois jours, tudes de consommation et la vie sables politiques, de chercheurs, Comment faire pour que les ci­
à elle, les Américains sont deve­ l’inverse qui se produit. Depuis du mardi 15 au jeudi 17 octobre, le quotidienne. d’entreprises, d’universités, de toyens s’en emparent ? « Les politi­
nus, en 2018, les premiers pro­ des semaines, les inquiétudes gotha du monde de l’économie « Il faut passer de la posture de clusters et d’associations con­ ques ont un rôle à jouer dans l’édu­
ducteurs mondiaux de brut, avec qui pèsent sur la situation éco­ responsable. Au total, près de revendication à l’engagement, a vaincus que la région peut deve­ cation aux véritables enjeux de ces
plus de 12 millions de barils par nomique mondiale et la guerre 4 000 visiteurs sont venus écou­ lancé Philippe Vasseur, fondateur nir le symbole de la troisième ré­ changements, a estimé Xavier
jour. Mais cette croissance stagne commerciale entre Washington ter le Suisse Bertrand Piccard, le de ce forum. En clair, O.K. tu vas volution industrielle comme elle Bertrand, président des Hauts­de­
et plusieurs analystes sont en et Pékin ont raison de toutes ces fondateur de Solar Impulse (le nettoyer la planète, mais com­ l’a été de la première révolution France, lors de la clôture du fo­
train de revoir à la baisse les pers­ tendances haussières. Corollaire : premier avion à voler sans carbu­ mence déjà par nettoyer ta cham­ industrielle, celle du charbon et rum. Les Français ont pris cons­
pectives pour les années à venir. les cours du baril jouent au yoyo. rant), l’Américain Dale Dou­ bre. » Un clin d’œil adressé no­ de la machine à vapeur) est déçu. cience de l’importance de lutter
Or le pétrole américain est de­ Si le contentieux entre l’Iran et gherty, considéré comme le père tamment à la jeunesse, qu’il es­ « Frustré, mais pas abattu, corrige­ contre le réchauffement climati­
venu la variable d’ajustement du les Etats­Unis venait à s’apaiser, du « mouvement des makers » père voir adopter ces change­ t­il, après trois jours passés au Fo­ que, mais comment mieux se
marché mondial : si les prix ou si l’OPEP relâchait un peu sa (qui rassemble les passionnés de ments de pratiques. rum mondial de l’économie res­ nourrir ou mieux isoler son loge­
montent, le Bassin permien, dans stratégie de coupes dans la pro­ nouvelles technologies désireux Car, si les acteurs économiques ponsable. Rev3 marche très bien, ment si l’on n’en a pas les moyens ?
l’ouest du Texas, voit les forages duction, les cours pourraient chu­ de fabriquer eux­mêmes des ob­ du Nord évoquent depuis près de sauf qu’on est encore trop dans un Il faut redonner une forme de pou­
se multiplier. Si les prix baissent ter brutalement. Cela représente­ jets), ou Heidi Solba, la représen­ vingt­cinq ans les questions de cercle fermé. » voir, une nouvelle forme de démo­
ou stagnent, l’activité ralentit. rait une bonne nouvelle à court tante mondiale du World responsabilité sociétale des en­ Le concept de troisième révolu­ cratie. » Un droit d’interpellation
Ensuite, dans le golfe Arabo­Per­ terme pour les consommateurs CleanUp Day, qui consiste à orga­ treprises (RSE), si l’économiste tion industrielle, né il y a six ans citoyen sera mis en place en 2020
sique, les tensions irano­saou­ occidentaux, mais une catastro­ niser des nettoyages citoyens américain Jeremy Rifkin a accepté d’une intuition partagée par dans la région, a­t­il annoncé.
diennes se sont accrues. L’offen­ phe pour les pays producteurs, pour lutter contre la pollution. d’accompagner la troisième révo­ Philippe Vasseur et Daniel Per­ L’élu est certain qu’il sera apostro­
sive menée contre les installa­ qui seraient précipités dans une « Ego imperium », qui se traduit lution industrielle amorcée au cheron, l’ancien président de la phé sur des sujets environne­
tions pétrolières saoudiennes, le crise violente.  par « j’ai le pouvoir de changer le pays des ch’tis, et si près d’un mil­ région, n’est pourtant plus un mentaux. 
14 septembre, a coûté à Riyad la monde », est un message visant lier de projets illustrent déjà la dy­ schéma abstrait. Filière hydro­ laurie moniez

CRYPTOM O NNAIE
Des mesures
en préparation
Commerce mondial :
contre le libra
La France, l’Italie et l’Allema­
gne préparent des mesures
pour interdire la cryptomon­
le courroux européen
naie de Facebook, le libra, sur
le sol européen, a annoncé,
L’application des sanctions américaines
vendredi 18 octobre, Bruno provoque de vives réactions en France
Le Maire, le ministre français
de l’économie, en marge des
réunions du FMI et de la Ban­
que mondiale, à Washington.
« Nous prendrons (…) un cer­
tain nombre d’initiatives pour
marquer clairement que le
L’ heure de la riposte a
sonné. L’entrée en vi­
gueur, vendredi 18 octo­
bre, des sanctions douanières
supportée par l’industrie aéro­
nautique, dont les ventes d’avi­
ons finis seront taxées à 10 %. Les
exportations de vins de raisin
Un rendez-vous mensuel de débats et libra n’est pas le bienvenu en américaines à l’égard des produits non pétillants, pénalisées par des
Europe, parce que c’est notre européens a provoqué une pre­ droits de douane de 25 %, seraient,
d’échanges sur les grandes mutations souveraineté qui est en jeu », mière volée de réactions irritées. elles, affectées à hauteur de
économiques. a­t­il déclaré. – (AFP.) « Regrettant » cette décision, la 370 millions d’euros. Le reste
commissaire européenne au pourrait être prélevé sur les pro­
CON S OMM ATIO N commerce, Cecilia Malmström, a duits laitiers (60 millions d’euros
Engie condamné pour estimé que l’Union européenne de pertes) et d’autres postes rési­
Retrouvez le compte rendu démarchage abusif (UE) n’avait « pas d’autre choix » duels (40 millions).
Le fournisseur d’énergie que des représailles.
des interventions des invités Engie a été condamné à payer Toutefois, Washington a ouvert Craintes de la filière vin
de la séance du 17 octobre. près de 900 000 euros la porte à des négociations. Selon Très inquiets, les exportateurs
d’amende pour démarchage le ministre français de l’écono­ d’alcool français ont demandé au
abusif, a annoncé, vendredi mie, Bruno Le Maire, qui s’est gouvernement des mesures de
18 octobre, la Répression des « longuement entretenu », à soutien rapides pour la filière vin,

EMMANUELLE WARGON fraudes (DGCCRF). Cette sanc­ Washington, avec le représentant et à la Commission européenne
tion fait écho à une enquête américain au commerce Robert l’ouverture de négociations avec
Secrétaire d’État auprès de la ministre menée dans les Hauts­de­ Lighthizer, celui­ci a accepté le Washington. La taxation améri­
Seine entre juin 2017 et fé­ principe de discussions. « Le plus caine sur les vins français devrait
de la Transition écologique et solidaire vrier 2019, à la suite de plu­ tôt sera le mieux », a lancé le mi­ conduire à une hausse des prix
sieurs plaintes de nistre, déplorant cependant « l’er­ pour le consommateur améri­
consommateurs. – (AFP.) reur politique et économique » que cain. Un renchérissement qui
JEAN-BERNARD LEVY constitue le choix américain. porte en germe un risque impor­
Président Directeur Général d’EDF É N ER GI E Cette hausse des droits de tant de pertes de part de marché.
Démarrage de la douane américains à l’encontre « Les Etats­Unis sont notre pre­
centrale solaire flottante des produits européens, qui mier client et représentent près de
de Piolenc s’élève à 7,5 milliards de dollars 20 % de l’ensemble de nos exporta­
La centrale solaire flottante (6,7 milliards d’euros), a reçu le tions de vins », souligne, dans un
de Piolenc (Vaucluse), la plus feu vert de l’Organisation mon­ communiqué, la Fédération des
puissante du genre en diale du commerce (OMC) dans le exportateurs de vins et spiri­
Europe, a produit, vendredi cadre du feuilleton des subven­ tueux (FEVS). Cette dernière
18 octobre, son premier élec­ tions accordées à Airbus. Le pro­ ajoute que plus de 4 500 entrepri­
tron, dans le cadre d’une offre chain épisode de cette affaire à re­ ses françaises exportatrices sont
sur lemonde.fr/le-club-de-l-economie d’électricité verte d’origine
contrôlée qui est, elle aussi,
bondissements devrait être la
possibilité qui sera donnée
désormais directement concer­
nées par la décision du gouverne­
une première en France. La en 2020 par l’OMC à l’UE d’impo­ ment américain. En début de se­
centrale O’Mega1, qui couvre ser à son tour des sanctions maine, le ministre français de
17 des 50 hectares d’un plan contre les Etats­Unis, accusés l’agriculture avait semblé vouloir
d’eau artificiel, avec d’avoir subventionné Boeing. renvoyer la balle à Bruxelles. Di­
47 000 panneaux photovol­ Pour la France, d’après l’assu­ dier Guillaume a demandé à la
taïques, pourra produire jus­ reur­crédit Euler Hermes, le coût Commission européenne de
qu’à 17 mégawatts par an, soit des sanctions américaines de­ « prendre des mesures d’accompa­
la consommation d’électricité vrait se monter à 1 milliard gnement pour faire face à cette si­
de 4 700 foyers ou d’environ d’euros. Plus de la moitié de la fac­ tuation exceptionnelle ». 
10 000 personnes. – (AFP.) ture (530 millions d’euros) sera anne eveno
0123
DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 économie & entreprise | 17

Le modèle économique polonais en question


Le pays ne veut plus être « l’atelier d’assemblage de l’Europe » et souhaite remonter dans la chaîne de valeur

varsovie ­ correspondance par le parti ultraconservateur est Morawiecki, le ministre de l’éco­ sation de cette ambition. « Tout principe de réalité : désormais,
claire : la Pologne voudrait sortir nomie et des finances, devenu
Indépendance comme la volonté de changer de chaque nouvel investissement

L
e parti ultraconservateur d’un modèle économique qui depuis premier ministre, présen­ de la justice, paradigme économique, ce genre attiré et chaque nouvelle entre­
Droit et justice (PiS), large consiste à attirer massivement tait sa « stratégie pour un dévelop­ de projet ne se décrète pas. Il faut prise ouverte sont présentés par
vainqueur des élections les investisseurs étrangers pement responsable », rapide­
atteintes à l’Etat les outils adéquats, des hommes la majorité comme un grand suc­
législatives du 13 octobre, – parmi lesquels l’industrie alle­ ment appelée « plan Mo­ de droit... Avec adéquats, et les entreprises adé­ cès de sa politique.
doit sa victoire, comme en 2015, à mande occupe une place de pre­ rawiecki ». Son objectif était quates, souligne M. Orlowski. En En d’autres termes, résume
des promesses économiques et mier plan – avec, pour principal d’éviter ce que les économistes
ces controverses, guise de principal outil, l’Etat pro­ Witold Orlowski, « la pression du
sociales qui bousculent la doxa li­ atout, le bas coût de sa polonais appellent le « piège du le gouvernement pose ses services d’“Etat stratège” gouvernement pour augmenter
bérale en vigueur dans le pays de­ main­d’œuvre. revenu intermédiaire », et qui est pour piloter ces projets, comme en les salaires peut être un important
puis la chute du communisme. Un modèle qualifié, par cer­ devenu une véritable hantise sur
ne crée pas un France dans les années 1960, ou élément de soutien en vue d’un
Lors de la précédente législature, tains économistes, de « capita­ les bords de la Vistule. Il s’agit de climat propice à en Corée du Sud dans les années changement de paradigme éco­
le parti de Jaroslaw Kaczynski a lisme périphérique », qui a l’impossibilité de rattraper le ni­ 1980. C’est comme si on se trom­ nomique, mais ne peut en être le
mis en place une révolution sur le contribué au développement veau de développement des Etats
l’investissement pait d’époque. » principal outil. Et, à cet égard, tous
marché du travail, en introdui­ spectaculaire de ce pays d’Europe les plus riches, pour cause d’inca­ les autres voyants sont au rouge. »
sant pour la première fois un sa­ de l’Est depuis 1989, mais qui est pacité à produire des richesses Principe de réalité Le plan Morawiecki a ainsi
laire minimum horaire à 13 zlotys sur le point de montrer ses autrement que par les sources de Selon l’économiste Witold Or­ De nombreux économistes souli­ complètement disparu du débat
(3 euros), qu’il a promis de porter limites. croissance à faible plus­value. En lowski, de l’Académie Leon Koz­ gnent, par ailleurs, que le gouver­ public polonais.
à 17 zlotys au 1er janvier 2020. Un d’autres termes : éviter le plafond minski (Varsovie), « ce plan posait nement ne crée pas un climat Le gouvernement ultraconser­
tournant, dans un pays où un ser­ Eviter le plafond de verre de verre auquel se sont heurtés un diagnostic juste des faiblesses propice à l’investissement et à la vateur, porté par une conjonc­
veur de café pouvait, il y a encore Lors d’un débat à l’Université éco­ Espagnols, Portugais ou Grecs, et de l’économie polonaise, avec le­ prise de risque : les controverses ture économique exceptionnelle
peu, être rémunéré l’équivalent nomique de Poznan (ouest), le réussir ce qu’ont pu faire le Japon quel les économistes sont unani­ autour des atteintes à l’Etat de (5,1 % de croissance) et un taux de
de 90 centimes d’euro de l’heure. 3 octobre, la ministre des entre­ ou la Corée du Sud. mement d’accord. Le problème est droit, de l’indépendance de la jus­ chômage au plus bas depuis 1989
La promesse phare de la campa­ prises et des technologies, Jad­ Le plan prévoyait ainsi une acti­ que sa réalisation a non seule­ tice, objet d’un conflit avec (3,3 %), s’est présenté, durant la
gne qui a mené à la réélection du wiga Emilewicz, candidate aux lé­ vité accrue de l’autorité publique, ment été un échec, mais l’essentiel Bruxelles, n’en sont que l’exem­ campagne électorale, comme le
PiS a été de quasi doubler le smic gislatives, expliquait ce point de pour promouvoir la recherche et des actions entreprises par ce gou­ ple le plus flagrant. champion de la gestion économi­
mensuel brut à l’horizon 2022, vue. « La Pologne se développe développement, l’innovation, la vernement est allées dans le sens Le scepticisme originel du gou­ que. L’Histoire, elle, risque de
pour le porter à 4 000 zlotys très vite, mais nos moteurs de mise en place de grands projets inverse des objectifs du plan ». vernement du PiS vis­à­vis des faire un bilan bien plus sévère de
(933 euros), contre 2 250 zlotys ac­ croissance se tarissent. Nous som­ industriels pilotés par les entre­ Principal symbole : la très géné­ investissements étrangers, mar­ ces années, que la majorité des
tuellement. L’intention affichée mes devenus “l’atelier d’assem­ prises publiques, la « repolonisa­ reuse politique d’allocations fa­ qué par la rhétorique récurrente économistes considèrent
blage” de l’Europe. Nous avons tion » de certains secteurs de l’in­ miliales mise en place a provo­ de la « repolonisation » de l’éco­ comme perdues. 
bien intégré la chaîne de produc­ dustrie et des finances. Un des qué une surchauffe de la con­ nomie, s’est vite confronté au jakub iwaniuk
tion globale de richesses, mais à symboles fut l’annonce par le sommation, mais une épargne
« Tout ce qui est un très bas niveau. Tout ce qui est gouvernement, en 2016, de la très limitée. Le taux d’investisse­
matière à haute plus value, mise en place d’un projet visant à ment, au lieu d’augmenter, est
matière à haute

4 000
comme l’innovation, la propriété construire la « première voiture ainsi tombé de 20 % à 18,5 % du
plus-value intellectuelle, et qui doit être électrique polonaise » par un produit intérieur brut (PIB).
source de croissance pour les dé­ consortium regroupant les Quatre ans après l’annonce du
se trouve cennies à venir, se trouve en de­ géants publics de l’énergie. Pour projet de construction de voiture
en dehors de hors de nos frontières. » financer les ambitions du plan électrique, la situation est C’est, en zlotys, le niveau auquel le parti Droit et justice (PiS)
Ce constat n’a rien de nouveau. Morawiecki, le taux d’investisse­ aujourd’hui au point mort, et a promis de porter le smic brut mensuel polonais à l’horizon 2022,
nos frontières » Il était déjà au cœur de la pre­ ment devait passer, à l’échelle du tout indique que c’est… l’indus­ soit 933 euros. Actuellement, celui-ci s’élève à 2 250 zlotys.
JADWIGA EMILEWICZ mière législature du parti ultra­ pays, de 20 % à 25 % du produit in­ trie allemande qui devra créer Aussi, au 1er janvier 2020, le salaire minimum horaire passera
ministre des entreprises conservateur. En 2016, Mateusz térieur brut (PIB). l’écosystème nécessaire à la réali­ à 17 zlotys (4 euros), alors qu’il est aujourd’hui à 13 zlotys.

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18 | DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

palais « pour l’Egypte », il a attisé la colère de


la population, qui subit de plein fouet les
mesures d’austérité instaurées depuis 2016.

Egypte L’armée,
Fin septembre, plusieurs milliers d’hommes
jeunes sont descendus dans la rue, un mou­
vement rare depuis que l’armée a repris le
pouvoir. La contestation a vite été réprimée,
mais le débat est relancé sur le rôle de l’ar­
mée dans l’économie.
Eau minérale, appareils électroménagers,

agent trouble
stations­service, panneaux publicitaires, ci­
menteries, médicaments, stations balnéai­
res, écoles internationales… la liste des sec­
teurs dans lesquels l’armée s’immisce ne
cesse de s’allonger. L’opacité entourant son
budget et les comptes de ses nombreuses fir­
mes suscite tous les fantasmes sur la part du

économique
militaire dans le produit intérieur brut (PIB) :
de 5 % à 40 %, selon les estimations.
Le président Sissi a balayé ces hypothèses,
assurant qu’elle ne dépassait pas 2 %. « L’esti­
mation du président Sissi est exacte en termes
de production totale de biens et services par les
institutions militaires », estime Yezid Sayigh,
directeur du programme sur les relations mi­
litaro­civiles dans le monde arabe (CMRAS)
Avec le président Sissi, les militaires étendent au centre Carnegie de Beyrouth. Le secteur
privé reste majoritaire, avec au moins 70 % de
leur emprise dans de nombreux secteurs, parts du PIB, évalué à 235 milliards de dollars
en 2017 par la Banque mondiale.
déséquilibrant des pans entiers de l’économie. Mais c’est compter sans les bénéfices que
tire l’armée de la présence de ses officiers à
Des hommes d’affaires commencent à briser le silence la retraite à la tête de compagnies publiques,
et surtout son contrôle de facto des terres
publiques, qui représentent 94 % de la sur­
face de l’Egypte. Le ministère de la défense
dispose en effet d’un droit de regard sur
le caire ­ envoyée spéciale tout facilité, du recrutement des sous­trai­ n’a été trouvé ; aucun des investisseurs ne l’allocation de ces terres pour l’usage civil, et
tants aux tribus locales assurant la sécurité. s’est risqué à commenter davantage. « C’était un contrôle plus grand encore sur les zones

L
es lecteurs du quotidien Al­Wafd Les premières récoltes avaient même été déjà clair qu’après ce geste Mohamed Sarhan était stratégiques, incluant notamment les
ont dû être surpris, le 5 septem­ réalisées. Et puis, à quelques semaines de fini. Les officiers l’ont fait payer », commente régions frontalières, le littoral, le Sinaï, le
bre 2018, par l’attaque en règle l’inauguration, stupéfaction : « L’équipe du un proche du dossier. canal de Suez, où se concentre la majorité
contre l’armée égyptienne, une comité a disparu. Plus personne ne répondait Depuis que l’armée et son homme fort, le des investissements. « En échange de son
institution dont l’intégrité et le dé­ au téléphone ! », raconte une source bien in­ maréchal Sissi, ont pris les rênes du pays en accord pour l’utilisation de ces terres, l’armée
vouement à la nation ne sont formée. Les investisseurs découvrent que le déposant le président islamiste Mohamed peut obtenir des avantages, des participa­
jamais remis en cause publiquement. Dans chef de l’armée de l’air, le maréchal Younès Morsi en juillet 2013, aucune critique n’est tions dans des sociétés, voire des pots­de­
une tribune, l’homme d’affaires Mohamed Al­Masri, a été rétrogradé au ministère de tolérée envers leur exercice sans partage du vin », indique Yezid Sayigh.
Sarhan interpellait le président égyptien, l’aviation civile, et que les autres membres du pouvoir. Dans les milieux d’affaires égyp­
Abdel Fattah Al­Sissi : « Le projet “Avenir de comité ont été arrêtés. DEPUIS L’ARRIVÉE  tiens et étrangers, pourtant, les griefs s’accu­ « FUITE EN AVANT »
l’Egypte’’ se meurt ! », l’intimant de trouver une DE SISSI, mulent contre cet acteur omniprésent, qui L’implication de l’armée dans l’économie
solution aux déconvenues de la quarantaine ACCORD ROMPU impose une concurrence jugée déloyale, et le n’est pas nouvelle. Elle remonte à la prise de
d’investisseurs de ce projet « soutenu par le La défiance s’est installée. « Les officiers de la AUCUNE CRITIQUE  silence sur les aléas de certains projets. pouvoir des officiers libres et de Gamal
chef de l’Etat lui­même », et supervisé par l’ar­ nouvelle équipe ont dit que leurs prédéces­ Le tabou a volé en éclats, début septem­ Abdel­Nasser, en 1952, et s’est développée
mée de l’air. Selon un accord passé début 2018, seurs étaient corrompus et ont blâmé les inves­ N’EST TOLÉRÉE  bre 2019, avec les allégations de corruption sous les présidents Anouar El­Sadate et
100 000 feddans (42 000 hectares) de désert tisseurs pour s’être lancés dans un si gros pro­ proférées contre le président Sissi et son Hosni Moubarak. Mais, depuis l’arrivée du
au nord du Caire devaient être transformés en jet sans signer de contrat », poursuit la même
ENVERS  armée par Mohamed Ali, un entrepreneur maréchal Sissi, « il y a une fuite en avant »,
terres agraires en à peine six mois. source. « L’accord entre gentlemen passé avec L’EXERCICE  du BTP jusqu’alors inconnu. Dans des vidéos souligne un diplomate occidental. Huit ans
Promesse avait été faite de remettre aux l’armée » a été rompu, a dénoncé Mohamed publiées sur les réseaux sociaux, l’homme après la révolution de 2011, le poids de
investisseurs les contrats au dernier mo­ Sarhan dans sa tribune : « Nous avons été cho­ SANS PARTAGE  d’affaires égyptien exilé en Espagne affirme, l’armée est plus important qu’à l’époque
ment, lors de l’inauguration par le président qués d’apprendre que nos contrats nous oc­ sans en fournir la preuve, que l’armée lui doit d’Hosni Moubarak, qui avait tenté, dans les
Sissi en personne, qui était prévue fin troieraient des concessions de cinq ans seule­ DU POUVOIR  220 millions de livres (12 millions d’euros) années 2000, de libéraliser plusieurs pans
juin 2018. Les investisseurs n’étaient pas ment. » Ce que les investisseurs ont refusé de DES MILITAIRES pour des projets réalisés en sous­traitance, de l’économie. « Jusqu’en 2011, l’économie
inquiets : la pratique est courante dans le signer. « C’est impossible de rentabiliser un in­ dont un palais présidentiel sur la côte médi­ militaire était une enclave, confirme Yezid
pays et l’armée avait donné sa parole que ces vestissement agricole sur cinq ans, indique un terranéenne. Il dénonce l’hégémonie de l’ar­ Sayigh. L’expansion est survenue en 2013,
terres leur seraient concédées pour quaran­ familier du secteur. Il en faut quinze au mini­ mée sur l’attribution des contrats publics avec le rôle accru donné à l’armée dans la
te­neuf ans renouvelables. Ils avaient donc mum. Sinon, c’est plus rentable de laisser son passés sans appels d’offres, l’obligation faite gestion des contrats de travaux publics. »
déposé des valises de billets à la banque : se­ argent dormir à la banque. » aux entrepreneurs d’entamer des travaux Le président Sissi a confié à l’armée le pilo­
lon la tribune, 150 millions de livres égyptien­ Ce projet a­t­il été mal étudié ? La nouvelle sans être payés et la multiplication de projets tage des grands travaux qu’il a lancés pour
nes (LE), l’équivalent de 8,3 millions d’euros, équipe s’est­elle montrée trop avide ? Ces mal ficelés, qui échouent. stabiliser l’Egypte et asseoir sa légitimité : ré­
pour le réseau électrique ainsi que 9 millions terrains revêtent­ils une importance straté­ Ces vidéos, vues par des millions d’Egyp­ novation des routes, doublement du canal de
de livres pour chaque lot de 1 000 feddans. gique pour l’armée ? La situation étant blo­ tiens, ont eu l’effet d’une déflagration. Au Suez, nouvelle capitale administrative et vil­
Au départ, la coopération entre les investis­ quée, M. Sarhan appelait le président à point que le président Sissi s’est senti obligé les nouvelles… L’institution militaire a peu à
seurs et le comité de suivi de l’armée de l’air « donner ordre [à l’armée] de signer le contrat d’y répondre, dénonçant de « purs menson­ peu ravi au secteur privé tous les contrats pu­
s’est déroulée à merveille. Les officiers ont initial ». Un an plus tard, aucun compromis ges », mais, en reconnaissant construire des blics d’infrastructures et de logements. En
0123
DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 géopolitique | 19

Les Egyptiens ont


subi de plein
fouet l’inflation
record de ces dix
dernières années,
depuis l’arrivée
au pouvoir
d’Abdel Fattah Al­
Sissi, qui a lancé
toute une série de
réformes
économiques.
Les habitants du
quartier pauvre
de Sayeda Zeinab,
au Caire, tentent
de joindre les
deux bouts au
quotidien.
NARIMAN EL-MOFTY/AP

septembre 2019, le porte­parole de l’armée, le la publicité aux renseignements généraux, et l’économiste égyptienne. Des dizaines d’en­ pas certain qu’il y ait une gestion stratégique
colonel Tamer Al­Rifai, dénombrait les grands projets, l’industrie manufacturière tre elles ont fleuri. Selon une enquête de de l’économie militaire, ni une réflexion éco­
2 300 projets supervisés par l’armée, em­ et les industries lourdes à l’armée. » l’agence Reuters datée de mai 2018, la ving­ nomique harmonisée, estime l’expert du
ployant cinq millions de personnes. « L’armée L’institution militaire a fait son entrée taine de sociétés chapeautées par le minis­ centre de Carnegie. Les militaires répondent
aide car les projets sont nombreux et qu’il faut dans de nouveaux secteurs, à la suite des pé­ tère de la production militaire – l’une des surtout à des influences politiques, des de­
d’accélérer leur mise en œuvre, mais elle n’in­ nuries liées à la crise du dollar et à la déva­ trois institutions supervisant les firmes de mandes du président, et pas forcément de fa­
tervient pas seule. Elle a recours à des sous­ luation de la livre égyptienne en novem­ l’armée avec le ministère de la défense et çon efficace. » Leur interventionnisme s’ins­
traitants du secteur privé », défendait, dans un bre 2016. Invoquant l’urgence et le risque de l’Organisation arabe pour l’industrialisa­ crit dans deux « héritages » : l’un protection­
entretien au Monde, fin 2017, Tarek Kabil, troubles sociaux, l’armée est alors interve­ tion – anticipait pour l’année 2018­2019 des niste, l’autre d’un Etat­providence assurant
alors ministre du commerce et de l’industrie. nue pour importer à bas prix des produits de revenus de 15 milliards de livres égyptien­ stabilité sociale et maintien du régime.
Plus rapide, plus efficace, moins chère et première nécessité. Ce fut le cas pour le lait nes, trois fois plus qu’en 2013­2014. « Les généraux impliqués dans l’économie
moins corrompue : l’armée a été présentée infantile, après des manifestations de mères Les hommes d’affaires égyptiens et étran­ sont plutôt incompétents. La combinaison de
par l’armée comme la seule institution digne inquiètes, en septembre 2016. « Le lait infan­ gers déplorent la concurrence déloyale qu’in­ leurs raisonnements économiques erronés ris­
de confiance, à l’opposé des milieux d’affai­ tile était à 60 livres égyptiennes au marché duisent les énormes avantages dont bénéfi­ que d’avoir un grave impact », poursuit Yezid
res, qui ont prospéré sous le régime d’Hosni noir, et à 30 LE subventionné. On pouvait im­ cie l’armée. Elle ne paie pas d’impôts sur le re­ Sayigh. Les activités de l’armée pourraient
Moubarak. « Les militaires voient les patrons porter de Bosnie à 10 LE, mais l’armée avait venu, les ventes et les importations de matiè­ connaître un ralentissement dans certains
égyptiens comme des corrompus qui s’en met­ fixé la limite à 8 LE : elle a donc importé du res premières, de produits, d’équipements et secteurs. Le gouvernement, endetté locale­
tent plein les poches et ne sont pas patriotes. Brésil et d’Afrique du Sud », explique un im­ de services. Elle profite toujours de subven­ ment et internationalement à un niveau
Ces derniers considèrent les militaires comme portateur égyptien. D’abord ponctuelles, ces tions à l’énergie, en dépit de leur suppression record depuis le début des années 2000, ré­
des incompétents. Ce sont deux mondes qui ne interventions se sont pérennisées. Parfois à progressive à partir de 2016. Un décret prési­ duit déjà ses investissements dans les projets
s’aiment pas, mais qui sont obligés de s’enten­ l’extrême : dans le secteur des équipements dentiel de 2015 a exempté près de 600 biens d’infrastructures et de logements. En sep­
dre », résume un diplomate occidental. médicaux, le ministère de la santé a ainsi immobiliers de l’armée de taxes sur la pro­ tembre 2016, le Fonds monétaire internatio­
Les grands patrons ont fait profil bas avant donné à l’armée le monopole. priété. Les conscrits sont parfois utilisés nal (FMI) a accordé un prêt de 12 milliards à
de retrouver leur place. « L’armée veut créer « Si je veux importer du poulet, je dois aller comme main­d’œuvre bon marché – du « tra­ l’Egypte, en échange de la mise en place de
une nouvelle classe de petits et moyens entre­ m’enregistrer au département des produits ali­ vail forcé », selon les ONG internationales. réformes structurelles.
preneurs et d’investisseurs plus loyaux. Pour­ mentaires de l’armée, poursuit l’importateur. « LES GÉNÉRAUX  Le secteur du ciment est devenu un cas
tant, les grands patrons sont à nouveau au C’est lui qui reçoit les ordres d’achat et fixe le SONT PLUTÔT  d’école des effets pervers de l’intervention de « LES YEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE »
centre des partenariats », analyse une écono­ prix d’importation. Il envoie ses officiers dans l’armée. « Le secteur est exsangue. Certains in­ Pourtant frileux dans ses critiques, le FMI a
miste égyptienne, qui souhaite garder l’ano­ les délégations qui négocient à l’étranger avec INCOMPÉTENTS  vestisseurs étrangers vont peut­être devoir se averti que le développement du secteur privé
nymat, tant le sujet est sensible. les fournisseurs. » Lui s’est reconverti dans retirer », déplore un observateur étranger. et la création d’emplois « pourraient être frei­
l’export. « L’armée contrôle tous les ports. Les DANS L’ÉCONOMIE.   Déjà déstabilisé par la crise du dollar et les nés par l’implication d’entités dépendant du
AUX POSTES DÉCISIONNAIRES droits de douane ont augmenté. Elle contrôle coupes de subventions, le secteur a été ministère de la défense ». Seul le secteur privé,
Incontournables, les grandes entreprises aussi les routes industrielles : elle les a pavées
LEURS  ébranlé par l’ouverture, en 2018, de la plus selon le FMI, peut absorber les 700 000 nou­
privées se plaignent toutefois « de jouer les et y a installé des péages », dit­il avant d’ajou­ RAISONNEMENTS  grande cimenterie au monde, d’une capacité veaux demandeurs d’emplois par an. Or, l’in­
vaches à lait du président Sissi », en investis­ ter : « Si vous protestez, vous êtes accusé d’être de 12,6 millions de tonnes par an, à Beni Suef, gérence de l’armée pourrait décourager l’en­
sant à perte sur de grands projets, note un un Frère musulman », la confrérie islamiste ERRONÉS  au sud du Caire. Propriété de la compagnie trée d’investisseurs étrangers, qui se mon­
diplomate occidental. « On le voit ainsi sur le décrétée « terroriste » depuis 2014. Al­Arish Cement, détenue par le ministère de trent « indisposés et inquiets à l’idée de l’avoir
projet de la nouvelle capitale, où les boîtes De l’importation, l’armée est ensuite passée RISQUENT D’AVOIR  la défense, elle a propulsé l’armée qui détient comme concurrent », indique un banquier
égyptiennes ont du mal à se faire payer, con­ à la production dans des secteurs de plus en UN GRAVE IMPACT » désormais 20 % de parts de ce marché. d’affaires : « La manière dont les militaires ont
firme un observateur étranger. Les plus vul­ plus variés. « Elle fait tout : les fermes piscico­ « Le gouvernement a besoin de ses propres voulu résoudre les problèmes de l’économie a
nérables sont les PME et les entreprises du les, les fruits et légumes, la viande, l’agriculture YEZID SAYIGH cimenteries pour contrôler les prix. Quand créé un problème plus gros encore, résume
secteur informel. » Ces sociétés protestent – et les serres, même des imprimeries ! En directeur du programme celle d’Al­Arish a suspendu sa production l’économiste égyptienne. Ils ont eu les yeux
en privé – de devoir rogner leurs marges au somme, il faudrait aller la voir et lui deman­ sur les relations en 2018, en raison des combats dans le Sinaï, plus gros que le ventre. »
maximum pour livrer des projets à bas coût. der : que ne faites­vous pas encore que nous militaro-civiles les autres en ont profité pour augmenter les Le budget de l’armée, qui échappe à tout
« L’armée veut conserver ses marges de pro­ pourrions faire ? », conclut cet importateur. au Carnegie Beyrouth prix de 40 %, explique au Monde Ahmed véritable examen public, est un autre enjeu
fit : quelqu’un doit payer, explique M. Sayigh. Une exagération, selon les autorités. « Si on El­Zeini, président de la branche ciment à la majeur. « L’armée est auditée, mais, comme
Elle peut contraindre les entreprises à accep­ n’a pas d’industrie, que l’on veut produire et Fédération égyptienne de l’industrie (FEI). toutes les entreprises publiques en Egypte, ces
ter des pertes : si elles refusent, elles savent que l’armée veut combler ce vide, c’est bien, ré­ C’est vrai que, en conséquence, les multinatio­ rapports n’ont pas obligation d’être publiés.
qu’elles n’auront plus de contrats. » pondait, fin 2017, le ministre du commerce et nales étrangères ont vu se réduire leurs mar­ Les quelques éléments disponibles sont com­
La présence d’officiers haut gradés aux de l’industrie, Tarek Kabil. Le problème, c’est le ges, mais cela reste profitable. » pliqués à déchiffrer. Il y a un manque total de
postes décisionnaires des entités publiques manque d’investisseurs. On ne peut pas les at­ Le problème est que la demande locale ne transparence », poursuit cette économiste,
stratégiques (développements industriel et tendre et se reposer sur les importations. » suit pas la production, qui devrait atteindre soulignant que « cela va à l’encontre de tout
agricole, import­export, transports publics C’est ainsi qu’après avoir pris le contrôle 85 millions de tonnes par an en 2019, selon ce que l’on a appris en termes de bonne
ou nouvelles technologies) confère à l’ar­ des importations dans le secteur pharma­ la FEI. En fait, elle plafonne à 53 millions de gouvernance et de lutte contre la corrup­
mée un contrôle quasi exclusif, même dans ceutique, confronté à de graves pénuries, tonnes par an et les capacités d’exportation tion ». La corruption n’a pas encore gan­
les secteurs où ses firmes ne sont pas l’Autorité nationale pour la production mili­ sont très limitées. « Le secteur de la construc­ grené toute l’institution militaire, mais « si
présentes. « Le premier ministre n’a plus de taire a obtenu l’agrément du gouvernement, tion se porte mal, il est en surcapacité et se ré­ ça continue comme ça, prévient­elle, dans
pouvoir, les ministres non plus, quand un gé­ en janvier 2017, pour créer sa propre usine. tracte puisqu’il n’y a plus d’argent », décrit vingt ou trente ans, ça risque d’être comme en
néral est à la tête d’une autorité de tutelle », D’autres ont été créées par la suite. Sur le site l’observateur étranger. Résultat, les entrepri­ Algérie ». « Les officiers deviennent plus
commente un diplomate. Certains sont pro­ d’information en ligne Al­Arabiya, le vice­ ses publiques ont été liquidées les unes avides. Preuve en sont les pots­de­vin de plus
pulsés à des ministères, à l’instar du lieute­ président de la chambre pharmaceutique de après les autres. Les multinationales sont à en plus élevés demandés par les officiers qui
nant­général Kamel Al­Wazir nommé aux la Fédération des industries, Osama Rostom, leur tour affectées. En août, la société Tourah accordent les contrats », note, pour sa part,
transports en mars 2019, après la démission justifiait alors l’entrée de l’armée sur le Cement, une filiale de l’italo­allemand Yezid Sayigh.
du ministre à la suite d’un accident ferro­ marché pour permettre un meilleur con­ HeidelbergCement, numéro deux du sec­ Quoi qu’il en soit, un soupçon de corrup­
viaire qui a tué 22 voyageurs. trôle des prix, grâce à l’importation groupée teur, a annoncé suspendre sa production. Le tion plane sur l’institution, dont l’image est
« Pour le président Sissi, poursuit ce diplo­ des matières premières et de principes numéro trois, le français Lafarge, exporte­ écornée aux yeux des Egyptiens. « Avant, la
mate, cette distribution des postes est un élé­ actifs. Toutefois, reconnaissait­il, les mêmes rait désormais 20 % de sa production. confiance dans l’armée était très forte, puis il y
ment essentiel pour renforcer son pouvoir et résultats auraient pu être atteints en don­ En octobre 2016, le premier ministre, a eu l’écroulement d’un pont et les rumeurs se­
sa popularité au sein de l’armée », qui compte nant les mêmes avantages aux sociétés déjà Chérif Ismaïl, promettait que l’armée allait lon lesquelles l’armée aurait empoché beau­
440 000 hommes pour 100 millions d’habi­ présentes sur le secteur. réduire ses activités économiques dans les coup d’argent sur cet appel d’offres, note un
tants. Il y aurait même, poursuit­il, un « par­ « La clé de cette interférence est le décret deux à trois prochaines années. Un vœu acteur économique égyptien. Les cas se sont
tage du gâteau entre les différentes branches présidentiel de décembre 2015, qui permet à pieux. Et les milieux d’affaires égyptiens et multipliés, jusqu’à l’affaire Mohamed Ali, qui a
des forces de sécurité : les sociétés privées de sé­ l’armée d’établir des sociétés avec des étrangers se demandent jusqu’où iront les révélé l’état de l’opinion dans la rue. » 
curité au ministère de l’intérieur, les médias et capitaux nationaux ou étrangers », note ambitions économiques de l’armée. « Il n’est hélène sallon
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20 | géopolitique DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Manifestations, répressions, attentats, guerres... des pays sous tension


Formes de violences,
du 1er janvier
Tunis Liban
au 12 octobre 2019 Alger

Violences N E Me
r Mé Territoires Syrie
U Beyrouth
contre les civils IQ Rabat dit e rra n é e palestiniens Bagdad Koweït
LA EA

T Tripoli Damas
(répression,
OC

Tunisie
N

batailles, Amman
Irak
Maroc
AT

explosions...) Jordanie
Le Caire
Koweït Barheïn
Emeutes
spontanées Algérie Arabie
saoudite Manama
Libye
Contestations Egypte Doha
pacifiques
Riyad Dubaï Mascate

Mer
Mauritanie Oman
Type de régime

Rou
Militaire Qatar

ge
Nouakchott
Monarchie DÉSERT DU SAHARA Soudan
Khartoum Sanaa Yémen Emirats
den arabes unis
d’A
o lfe
G

Le virage délicat des Etats arabes post­révolutions


Entre répression, chaos et risque d’effondrement économique, ces pays peinent à trouver un équilibre

Type de régime Contexte national Ruptures et temps forts


Militaire Islam politique au pouvoir Contestation sociale Guerre civile Déchéance Changement de régime Alternance
Monarchie sunnite chiite Manifestation massive Intervention extérieure Coup d’Etat Election démocratique politique

2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Gouv. de coalition
TUNISIE Ben Ali (23 ans au pouvoir) Parti Ennahda (dont Ennahda)
Nouvelle Constitution
LIBYE Kadhafi (42 ans) Plusieurs acteurs revendiquent le pouvoir, soutenus par des puissances extérieures
Scission entre les parlements de Tobrouk et Tripoli Offensive du général Haftar
ÉGYPTE Moubarak (29 ans) Morsi Sissi
Réélection de Sissi
Hadi Coalition armée arabe menée par l’Arabie saoudite
YÉMEN Saleh (35 ans) Après la prise de la capitale par les houthistes chiites, le pays se divise

SYRIE Assad (19 ans) Création de l’Armée syrienne libre contre le régime Début de l’intervention russe décisive aux côtés du régime
Retrait des forces américaines Coalition internationale pilotée par les Etats-Unis contre l’EI (Irak et Syrie)
IRAK Al-Maliki (8 ans) Abadi Abdel-Madhi
Prise de Mossoul par l’EI
Répression,
SOUDAN Al-Bachir (30 ans) Sécession du Soudan du Sud Insurrection au Darfour violences

TERRIT. PALESTINIENS Abbas (14 ans) Conflit politique entre l’autorité palestinienne et le Hamas Marche du retour à Gaza
Opérations israéliennes à Gaza Transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem
ALGÉRIE Bouteflika (20 ans)

MAROC Mohammed VI (20 ans) Révolte du Rif

JORDANIE Abdallah II (20 ans)

ARABIE SAOUDITE Abdallah (9 ans) Salman


Mohammed ben Salmane, prince héritier et vice premier ministre
KOWEÏT Sabah IV (13 ans)

BAHREÏN Al-Khalifa (20 ans)


Déploiement militaire saoudien à la demande du pouvoir Durcissement de la répression

Tous les pays arabes ne sont pas représentés dans cette chronologie.

Une corruption caractéristique de la déliquescence des Etats en 2018 Des sociétés en panne de développement
Pays très Evolution de l’indice de développement humain (IDH)
corrompu
L’IDH se fonde sur trois critères : le PIB par habitant, Espérance de vie entre 1987 et 2017,
Libye Syrie l’espérance de vie et le niveau d’éducation en années
Rang 180
170 e 178 e
Arabie Egypte
0,8 Syrie
Pays peu saoudite Tunisie 105 e Moyenne
corrompu 58 e 73 e mondiale 74,4
Libye 75
0,7 71,3
Rang 1 71
e 69,4
0,6 Egypt
Syrie
Indice 100 Indice 49 Indice 43 Indice 35 Indice 17 Indice 13 Indice 0
0,5
Indice de corruption Moyenne des pays arabes : indice 36 Yémen
0,4 54
Infographie : Le Monde.
2007 2011 2017 2011
Sources : Acled ; Banque mondiale ; « Arab Human Development Report », 2019, UNDP ; Transparency international ; Le Monde
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 géopolitique | 21

Myriam Benraad
«L’indignité
est au cœur
des contestations
dans le monde
arabe»
La politologue et spécialiste
du monde arabe estime que
les contestations portées
en grande partie par la jeunesse
apolitique s’inscrivent dans
le continuum des « printemps »
de 2011 et des déceptions qui ont suivi
Graffiti du collectif Kesh
Malek, peint sur un mur
d’Idlib, en Syrie, qui
représente la jeune femme
symbole de la contestation

ENTRETIEN tion de certains groupes ethniques ou reli­


gieux. Enfin les femmes, humiliées parmi les
terrorisme et pour le maintien de l’ordre, et
égalitariste, d’autre part, héritée de la révolu­
soudanaise ayant entraîné
la chute de président du
depuis 2011, et à mettre en œuvre les réformes
qui s’imposent ? Son conservatisme, son op­
humiliés, subissent une double oppression. tion contre la dictature de [Hosni] Moubarak Soudan Omar Al-Bachir. Il est position à l’égalité de succession pour les fem­

L
es « printemps arabes » de 2011 A l’opposé, les protestataires de 2011 comme [président d’octobre 1981 à février 2011] et ses inscrit : « La liberté n’est plus mes ou à la dépénalisation de l’homosexua­
paraissaient enlisés dans d’inter­ en 2019 expriment une conception « égalita­ manifestations contre une extrême person­ une statue, elle est vivante, lité interrogent sur son positionnement, qui
minables conflits (Libye, Syrie, riste » de cette dignité longtemps bafouée, nalisation du pouvoir, la répression militaire faite de chair et de sang. » n’est pas si éloigné, en définitive, de celui des
Yémen) ou étouffés par la évacuée de la grammaire politique officielle, féroce et le délabrement des conditions de Cette œuvre appartient au dignitaires traditionnels…
contre­révolution (Egypte). niée sur le plan socio­économique pendant vie. L’Egypte n’est cependant pas une excep­ projet « Syria Banksy », en
En 2019 a émergé une nouvelle toute la période postcoloniale, d’un régime à tion. Ailleurs dans le monde arabe, d’autres référence à l’artiste En Egypte ou en Algérie, les contestatai­
vague contestataire, portée par une jeu­ l’autre. Considérés a posteriori, les « prin­ Etats, en situation de régression autoritaire et britannique de street art, très res ne se revendiquent pas de la mou­
nesse qui se dit apolitique, en Egypte, en temps arabes », comme on les nomme encore s’adonnant à une répression tous azimuts engagé. vance de l’islam politique. En Irak,
Irak et en Algérie. Politologue et spécialiste aujourd’hui, s’assimilent à une remise en contre leur peuple, se prévalent aussi d’une KESH MALEK les contestataires expriment un fort rejet
du monde arabe, Myriam Benraad, auteure cause sans précédent des hiérarchies sociales approche patricienne de la dignité pour délé­ des partis islamistes au pouvoir.
notamment de Jihad : des origines religieu­ instituées de longue date, cristallisée autour gitimer ou tout simplement annihiler les de­ Kesh Malek (« échec et mat ») L’islam politique est­il décrédibilisé ?
ses à l’idéologie (Le Cavalier bleu, 2018), dé­ d’une demande de reconnaissance et de di­ mandes de ceux qu’ils qualifient de « plèbe ». est une ONG fondée à Alep en A partir de 2011, les Frères musulmans et les
crypte cette nouvelle donne. gnité de la rue arabe dans son ensemble. 2011 par de jeunes militants mouvements islamistes pris au sens large se
Ce conflit de représentations est­il aussi qui réclament le départ de sont, pour la première fois de leur histoire
Quel est le moteur de ces nouvelles Les mobilisations en Algérie et en Irak, un conflit générationnel, identitaire ? Bachar Al-Assad et défendent contemporaine, confrontés à l’exercice effec­
contestations ? où les contestations de 2011 avaient eu Oui, il s’agit en effet d’un conflit à la fois gé­ les « valeurs de la révolution tif du pouvoir. Or, dans la majorité écrasante
Il y a d’abord la colère de populations lais­ des répercussions assez faibles, expri­ nérationnel, et, dans une moindre mesure, syrienne » : la démocratie, la des cas – de l’expérience du parti Ennahda en
sées à l’abandon par des Etats qui n’ont ment­elles cette quête égalitaire ? identitaire. Générationnel, tout d’abord. La vi­ liberté et la dignité. Ils mènent Tunisie à celle des partisans de l’ancien prési­
aucune intention de se réformer. Les acteurs Les répercussions sont restées limitées sion que la jeunesse arabe entretient d’elle­ des actions humanitaires dent Mohamed Morsi en Egypte –, l’islam
de ces contestations – pas si nouvelles quand dans ces deux pays, mais cela ne signifie pas même et de son destin a changé avec le refus dans différents domaines, politique, tout entier construit autour d’une
on les replace dans le temps long – sont en pour autant que la colère n’était pas présente, des inégalités et des injustices – une vision notamment des programmes promesse millénariste de justice et de liberté
majorité des citoyens qui ne supportent plus ou latente. Replacées dans le continuum con­ diamétralement opposée à celle des élites. éducatifs auprès des enfants. pour le monde musulman, a lamentablement
leurs conditions de vie, ainsi qu’une jeu­ testataire de la dernière décennie, les mobili­ Pour beaucoup de jeunes, il n’est plus ques­ Leur projet « Syria Banksy », échoué à améliorer le quotidien des popula­
nesse, démographiquement toujours plus sations algérienne et irakienne prennent tion de transiger sur des revendications marquant le 8e anniversaire tions et à leur rendre leur dignité.
nombreuse, qui ne se satisfait plus de ce ainsi un tout autre sens. A Alger, derrière la élémentaires au bénéfice d’idéologies ou de de la révolution, rend La situation est identique en Libye, en
statu quo. Les griefs formulés par ces foules protestation amorcée en février contre la modèles non seulement dépassés, mais qu’ils hommage à la société civile , Syrie et au Yémen : trois pays où s’ajoutent
sont une remise en cause profonde des systè­ candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cin­ dénoncent comme autant d’outils ayant servi dans une série de graffitis les dissensions délétères entre factions isla­
mes politiques qui ont échoué à les entendre quième mandat présidentiel, le mouvement à manipuler les opinions publiques pour les où figurent des acteurs mistes. Dans le cas de l’Irak, ce sont tout
et à répondre à leurs attentes par une action Hirak revendiquait des réformes socio­éco­ faire renoncer à l’essentiel : le bien­être que emblématiques comme autant le primat des mouvances politiques
institutionnelle tangible. Il est impossible de nomiques de fond, l’instauration d’un nou­ chaque citoyen devrait être en droit les secouristes syriens et armées de l’islamisme chiite que l’in­
dissocier les revendications socio­économi­ veau régime politique et plus encore la desti­ d’escompter de la part d’un gouvernement casques blancs, qui ont payé fluence des fondamentalistes sunnites qui
ques du volet politique. tution des dignitaires au pouvoir. Face à la qui prétend le représenter. Identitaire, un lourd tribut à la guerre. sont rejetés par la population.
Ensuite, il y a la dignité, karama en arabe, persistance de l’Etat profond et aux obstruc­ ensuite, car ces jeunes conçoivent que leurs
une notion centrale et décisive, renvoyant à tions multiples et diverses de l’armée, vérita­ revendications sont universelles, portées par L’organisation Etat islamique, qui avait
une pluralité de sens qui ont constitué, de­ ble « Etat dans l’Etat », la contestation se d’autres peuples à travers le monde, au­delà pris pied dans les régions sunnites d’Irak
puis 2011, autant d’expressions protestataires poursuit sans grande surprise. du prisme culturel communément appliqué et de Syrie en promettant de redonner
que d’enjeux pour des transitions toujours Il en va de même en Irak, où les manifes­ aux sociétés arabes. aux sunnites leur dignité, a­t­elle encore
en cours. En descendant dans les rues, les tants ciblent une élite prédatrice et corrom­ une capacité de mobilisation
populations arabes exigent avant tout du res­ pue qui verrouille l’ensemble du champ so­ La victoire en Tunisie du juriste conserva­ après la chute du « califat » ?
pect et de la reconnaissance. Elles entendent ciopolitique depuis la mise à bas du régime teur et hors système Kaïs Saïed est analy­ Indignité, indignation et dignité sont les
donner corps à cette citoyenneté à laquelle de Saddam Hussein au printemps 2003. De sée comme un retour du « refoulé » de la trois mots­clés pour analyser l’ensemble des
toutes aspirent. Pour certains protestataires, façon symptomatique, cette colère a pris une révolution de 2011. Qu’en pensez­vous ? mouvements de contestation qui parcourent
cette revendication correspond également à forme plus nette à partir de 2011 et du pre­ Alors que personne ne l’attendait, et avec le monde arabe, en Irak tout particulière­
une quête d’identité, de morale, de justice, de mier désengagement militaire américain, au plus de 70 % des suffrages [au second tour des ment. En 2012­2013, alors que peu y prêtaient
valeurs, après de longues années d’autorita­ moment où l’establishment irakien, sous la élections, le 13 octobre], Kaïs Saïed s’est attention, les provinces sunnites irakiennes
risme politique et de violations de leurs tutelle de l’ancien premier ministre Nouri imposé comme le sauveur potentiel de la ré­ ont été touchées par de violentes manifesta­
droits les plus fondamentaux. Al­Maliki, a amorcé un virage autoritaire. volution tunisienne. Il incarne l’espoir d’une tions réclamant égalité et dignité.
vertu politique que beaucoup de révolution­ Face à l’inaction et à la répression de
La dignité était déjà centrale dans En Egypte, le président Abdel Fattah naires désiraient voir émerger dans l’après­ Bagdad, ces mêmes régions se sont littérale­
les soulèvements de 2011. S’agit­il Al­Sissi, au pouvoir depuis 2013, se targue Ben Ali [Zine El­Abidine Ben Ali a fui la Tunisie ment offertes, en 2014, aux djihadistes de
des mêmes ressorts ? de redonner au pays sa grandeur, mais le 14 janvier 2011 après plus de vingt ans passés l’Etat islamique qui promettaient un hon­
Au­delà des spécificités nationales, tous les les manifestations réprimées en septem­ à la présidence], qui avait, depuis, largement neur retrouvé. Evidemment, cette promesse
soulèvements de 2011 visaient des castes de bre traduisent un mécontentement été déçu. Du fait de sa maîtrise de la langue a été trahie par les horreurs perpétrées par ce
dignitaires établis dont le monopole sur les très profond. Qu’en est­il ? arabe, de sa connaissance intime des institu­ groupe. Cependant, avec le vide politique qui
ressources économiques et financières leur L’Egypte est un cas exemplaire. Sa situation tions, de sa dénonciation de la corruption et perdure sur le terrain, l’organisation a d’ores
était garanti par l’exercice du pouvoir. Aux intérieure illustre ce combat entre les deux du clientélisme d’Etat, Saïed a séduit une et déjà repris son « travail social » et ses
yeux de ceux­là, la dignité est « aristocrati­ définitions antagoniques de la dignité : aristo­ bonne partie des électeurs. efforts de recrutement, sur fond de relance
que » et se confond avec une conscience aiguë cratique, d’une part, dont se targue le régime Parviendra­t­il néanmoins à répondre à de la violence insurrectionnelle. 
de leurs privilèges. Il n’est pas non plus possi­ d’Al­Sissi au nom de la défense du peuple, du cette demande de dignité, qui perdure face au Myriam Benraad. propos recueillis par
ble de s’en prévaloir si l’on considère la situa­ « relèvement national », de la lutte contre le creusement des inégalités et des injustices BRICE TOUL hélène sallon et marc semo
CULTURE
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22 | DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

BANDE  DESSINÉE  ET  CINÉMA

Le collectif Valvoline fait encore tache d’huile
Deux membres du mythique groupe de dessinateurs italiens, Lorenzo Mattotti et Igort, sortent chacun un film

RÉCIT départs de Mattotti et d’Igort.


Tous deux installés à Paris depuis
Les deux Italiens des Beaux­Arts de Paris, se sent à
l’étroit dans les cases de la bande
capable de reportages d’une pro­
fondeur extraordinaire. Lisez ses
« Comme plusieurs de mes héros
– Roland Topor, Henri Michaux,

U
n robot affamé se go­ près de trente ans, ils sillonnent se sont croisés dessinée franco­belge. Lui privilé­ Cahiers ukrainiens, sur la mé­ Federico Fellini… –, Buzzati était un
berge de livres de Dino régulièrement l’Asie, la Russie ou gie la couleur au contour, à l’ins­ moire des famines staliniennes, remarquable dessinateur. Mon
Buzzati : « Crunc ! », mâ­ l’Amérique du Sud. Et finissent
en septembre, tar des Valvoline. « Les travaux de ou ses Cahiers russes, autour de la film s’inspire par endroits de ses
chonne la machine. toujours par se retrouver. à la Mostra ces Italiens ont commencé à être journaliste Anna Politkovskaïa ! » dessins. Pour pouvoir le réaliser, je
Croquée au pastel, dans des cou­ Les deux Italiens se sont ainsi traduits dans des revues françai­ Igort a grandi en Sardaigne, suis allé voir sa veuve, qui a fini par
leurs vives et vibrantes, la scène croisés en septembre, à la Mostra
de Venise, ses, ça m’a tout de suite emballé, et dans une famille très russophile me céder les droits. On oublie par­
est publiée par la revue italienne de Venise, dont Mattotti a conçu dont Mattotti l’on s’est liés d’amitié, raconte le – son père, un compositeur classi­ fois que l’Italie est à cheval entre la
Alter Alter, en 1982 – elle sera par la l’affiche et où Igort présentait un Parisien. Mattotti m’impression­ que, ne jurait que par les avant­ Mitteleuropa et la Méditerranée.
suite incluse au sein de l’album film. C’est que, dorénavant, nos
a conçu l’affiche nait par son traitement radical du gardes soviétiques : « Dans mon Buzzati en est l’exemple même : sa
Monsieur Spartaco ­ Voyages d’un dessinateurs sont aussi cinéas­ noir et blanc, au fusain, et par ses esprit, Tchekhov était une sorte de Sicile est très mentale et mysté­
épicentrique. Son auteur, Lorenzo tes. Par un clin d’œil du calen­ couleurs éclatantes. Igort, avec sa tonton… Ado, je m’amusais à com­ rieuse, nous sommes plus près de
Mattotti, né en 1954, grignote drier, leurs premiers longs­mé­ au Parador – parbleu ! – que Pe­ moustache et ses lunettes rondes parer les futuristes russes et ita­ Prague que de Palerme ! »
alors les dernières miettes de sa trages sortent en ce mois d’octo­ pino choisit de se dorer la pilule… de dandy, brillait par l’élégance de liens, ces groupes d’artistes me fas­
vingtaine ; ses dessins s’engouf­ bre, à deux semaines d’inter­ « Les univers de Lorenzo et d’Igort son dessin et de ses tenues… cinaient ! », dit­il en faisait frétiller Une salutaire dose d’ironie
frent déjà dans les tréfonds de la valle, et au terme d’une grosse étaient déjà en germe à l’époque de Comme moi, ils avaient une cul­ sa moustache, toujours aussi fi­ Non content de jouer les tueurs
mémoire et de l’inconscient. décennie de labeur. Celui de Mat­ Valvoline, prêts à émerveiller le ture très picturale, on parlait des nement ciselée. Au même mo­ pour Igort, Toni Servillo a prêté sa
Plus jeune de quatre ans, Igor totti, La Fameuse Invasion des monde entier », analyse Charles tableaux d’Hockney et d’Hopper, ment, le jeune Mattotti arpentait voix à la version italienne du film
Tuveri signe pareillement, sous le ours en Sicile, déploie toute la vir­ Burns, âgé de 64 ans. Comme ses des films de Wenders, des disques la plaine du Pô, au gré des affecta­ de Mattotti, au côté de l’écrivain
pseudonyme d’Igort, ses tout pre­ tuosité chromatique esquissée anciens condisciples, l’Américain du Velvet plutôt que de Tintin, ça tions de son militaire de papa : Andrea Camilleri et du comique
miers feuilletons, dans la même dans Monsieur Spartaco. Inspiré figure parmi les signatures les faisait du bien. » « Avec mes frères et ma sœur, nous Antonio Albanese. « La poésie de
revue. Le trait est plus noir et sty­ d’un conte de Dino Buzzati plus respectées de la BD contem­ Dans les années 1980, Françoise créions des tas de spectacles, qui Lorenzo sonde les abysses du
lisé, l’humour plus aiguisé. L’un – tiens tiens ! –, il décrit la diffi­ poraine. « J’ai fréquenté ce groupe Mouly repère ce collectif curieux, mêlaient musique, théâtre, des­ subconscient, celle d’Igort est plus
de ces récits, intitulé Goodbye cile cohabitation des plantigra­ pendant les deux ans où ma au nom huileux. Elle propose à sin… Inconsciemment, je me pré­ ludique », estime le comédien
Baobab, conte les turpitudes d’un des et des humains, en même femme travaillait pour l’université Mattotti et Igort de collaborer à la parais déjà à Valvoline », plaisan­ napolitain. C’est Servillo qui a
ex­sumo, mordu de viande. Pour­ temps que celle, tout aussi déli­ de Rome, poursuit l’auteur de revue Raw, qu’elle chapeaute avec te­t­il dans son vaste atelier pari­ convaincu le Sarde de porter lui­
chassé par des yakuzas, il s’exile cate, d’un père et de son fils. Black Hole. J’ai été frappé par leur son mari, Art Spiegelman. « Ça ne sien. Sa barbe grise et son sourire même sa BD à l’écran, après que le
sur une île aussi solaire qu’imagi­ utilisation des couleurs, la richesse s’est pas fait, mais je me suis tour­ semblent couverts d’une brume cinéaste hongkongais Johnnie To,
naire, le Parador. Alliance de légèreté et de gravité de leurs influences, leur transdisci­ née vers eux dès que j’ai pris la di­ de mélancolie. Elle ne se dissipe longtemps pressenti, ne jette
Une demi­douzaine d’années Les affres de la filiation traversent plinarité. » Alors à ses débuts, rection artistique du New Yorker, que lorsqu’il feuillette l’édition l’éponge. « Nous sommes saturés
durant, les deux dessinateurs ani­ également le film d’Igort, 5 est le Burns ressent le besoin de crever en 1993, raconte l’éditrice franco­ originale de La Fameuse Invasion de films et de séries qui dépeignent
meront le collectif Valvoline, à Bo­ numéro parfait, qui adapte en pri­ la bulle dans laquelle végètent les américaine. Depuis, Lorenzo a des ours en Sicile, illustrée de cro­ Naples sur un mode soi­disant
logne, aux côtés de Jerry Kramsky, ses de vues réelles l’un de ses al­ comics, trop fermés d’esprit à ses réalisé 34 couvertures pour nous ! quis réalisés par Buzzati himself : réaliste et contemporain, regrette
Marcello Jori, Giorgio Carpinteri bums les plus acclamés, paru yeux : « Aux Etats­Unis, on ne dessi­ Sa versatilité est exceptionnelle. l’acteur. 5 est le numéro parfait
et Daniele Brolli. Deux « membres en 2002. Depuis Goodbye Baobab, nait qu’en noir et blanc, ou avec des Qu’il travaille au pastel, à l’huile m’a plu pour sa vision très atempo­
honoraires », Charles Burns et l’ironie n’a rien perdu de son tran­ couleurs sommaires, dans un cir­ ou au fusain, il engage comme relle de ma ville, nocturne, dépeu­
Massimo Mattioli (décédé le chant, les ombres découpent l’es­ cuit très commercial, clos et auto­ nul autre le regard du lecteur, en « Nous étions plée et pluvieuse, d’une abstrac­
23 août), rejoindront le sextette pace avec toujours autant de net­ référencé. Grâce à Valvoline, je me conciliant l’esthétique et la narra­ tion hyper­onirique. »
sur le tard. Pour eux, la capitale teté. Le sumo retraité, accro à la suis familiarisé avec des techni­ tion. C’est le seul artiste à qui je
des personnalités Au début des années 1980, la
d’Emilie­Romagne représente à la barbaque, a laissé place à un loin­ ques d’encrage et de coloration peux demander d’illustrer un spé­ trop fortes pour majorité des fumetti, ainsi qu’on
fois un épicentre et un « Para­ tain cousin, campé par Toni Ser­ avant­gardistes, j’ai découvert les cial mode, comme un numéro sur désigne le neuvième art en Italie,
dor », point de rencontre créatif et villo : fétichiste d’armes à feu, Pe­ peintres futuristes, je me suis le génocide du Rwanda ou sur les
que l’aventure sont lestés par un climat politique
point de fuite vers de plus exoti­ pino est un mafioso rangé des ba­ même amusé à dessiner dans un 50 ans d’Hiroshima. » Chez Igort, dure plus de cinq pour le moins pesant. Bologne, en
ques explorations. L’aventure Val­ vures, au nez crochu et à la pater­ magazine de mode ! » Loustal admire cette même al­ particulier, paie un lourd tribut
voline, amorcée au tournant des nité fauchée. Lorsqu’il s’agit de A la fin des années 1970, Jacques liance de légèreté et de gravité :
ou six ans » durant ces « années de plomb » :
années 1980, ne survivra pas aux fuir les pépins napolitains, c’est de Loustal, fraîchement diplômé « Derrière sa désinvolture, il est LORENZO MATTOTTI en 1977, des affrontements san­
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 culture | 23

Versailles­Chantiers, îlot
urbain percé de jardins
La ville a mené la transformation de ce quartier
et privilégié au maximum la verdure sur le béton

ARCHITECTURE Passé la grande niveaux que l’architecte a négo­


ciés avec le terrain en pente. Une

C’
est l’aboutissement arche de brique manière gracieuse de réinterpré­
d’une longue aven­ ter la figure typiquement ver­
ture », a dit François
blanche devant saillaise de l’îlot urbain percé
de Mazières, maire la gare, on circule d’un jardin, à partir d’un pro­
(DVD) de Versailles (Yvelines), le gramme hyperdense qui explique
1er octobre, en présentant le nou­
dans un savant pour partie l’impression de mas­
veau quartier de la gare des Chan­ jeu de volumes, sivité ressentie depuis l’extérieur
tiers. Ce projet, placé au cœur de – deux immeubles qui se font face
la campagne qui le vit triompher,
de dénivelés, de de part et d’autre du jardin,
en 2008, de son prédécesseur doubles niveaux 15 000 m2 de bureaux privés et
Etienne Pinte (UMP à l’époque), 850 m2 de commerces dans le pre­
A gauche : l’a conduit à tordre le bras à deux mier, 6 500 m2 de bureaux dans
croquis puissants promoteurs et témoi­ destinées à ces deux ensembles, le second, réservés à la Caisse des
préparatoire gne de la marge de manœuvre et a mandaté Patrick Bouchain, allocations familiales.
du film dont dispose aujourd’hui le pou­ grand manitou de la réversibilité Le programme de logements
« La Fameuse voir politique pour influer sur les des usages et du réemploi, pour y privés et sociaux (21 000 m2) réa­
Invasion des formes de nos villes. insérer son nouveau siège social. lisé par Elizabeth de Portzamparc
ours en Sicile », En 2008, la transformation du Pendant que se construisait, par reprend cette spécificité locale. Le
de Lorenzo quartier était déjà sur les rails, tranches successives, l’extension chantier a pris un peu de retard,
Mattotti. mais aiguillée dans une tout autre de la gare, l’architecte Jean­Marie mais il est suffisamment avancé
PRIMA LINEA direction. L’extension de la gare, Duthilleul, fondateur d’Arep, la fi­ pour révéler la chaleur et la sen­
A droite : prévue pour répondre à un ac­ liale d’architecture de la SNCF, et le sualité qui émanent du jardin
planche extraite croissement prévisionnel du trafic paysagiste Michel Desvignes ont partagé, des angles incurvés des
de la bande (passé de 64 000 à 90 000 voya­ élaboré un projet (livré en 2013) façades, autant que des contrastes
dessinée geurs par jour entre 2010 et permettant de relier l’avenue de entre les couleurs des briques
« 5 est le numéro aujourd’hui), s’accompagnait d’un Sceaux au nouvel emplacement qui les composent : les aplats de
parfait », programme immobilier confié à de la gare routière, désormais si­ rouge qui rappellent le lycée Poin­
d’Igort. Nexity (Unibail lui était associé tuée entre la nouvelle extension caré voisin sont rehaussés de
IIGORT/CASTERMAN pour une partie de la réalisation), de la gare et le siège de Nature et splendides camaïeux de gris.
qui comprenait notamment un Découvertes, tout en valorisant ce
centre commercial et un multi­ « poumon vert » du quartier et Jardin en permaculture
plexe. Une dalle de béton devait son patrimoine historique. Plutôt On doit le phare du quartier à
être coulée sur la butte séparant la que de couler une dalle sur la Patrick Bouchain : le bâtiment
gare de l’avenue de Sceaux, qui file butte, ils ont pris le parti de percer construit pour Nature et Décou­
jusqu’au château, pour offrir un le monticule entre les deux bas­ vertes conserve la structure mé­
passage aux bus, désenclaver et sins historiques, dans le prolonge­ tallique d’origine, en utilisant,
désengorger le quartier. Elle aurait ment de l’avenue de Sceaux, et d’y pour la façade comme pour l’inté­
recouvert les anciens bassins qui installer le jardin des étangs rieur, du bois de récupération et
alimentaient les fontaines du jar­ Gobert, qui ouvre de nouvelles de l’aluminium blanc pour son
din du roi. Beaucoup trop cher perspectives sur la ville et de nou­ toit hérissé d’une haie de cornet­
pour François de Mazières, qui a veaux chemins la reliant à la gare. tes. Doté d’un bilan carbone quasi
À VOIR ET À LIRE promis qu’on pouvait faire mieux
en dépensant moins.
On peut regretter que ce travail
de suture n’ait pas été conduit
nul selon ses concepteurs, ce
grand vaisseau aux airs de bouti­
avec le même soin de l’autre côté que­souvenirs propose à l’inté­
Six ans de contentieux de la gare routière. Pour rejoindre rieur un espace confiné et chaleu­
FILMS Il s’y est attelé une fois élu, enga­
geant un bras de fer avec les pro­
le quartier des Chantiers, les bus
passent sous le parvis de la gare
reux, déstructuré par les tronçons
d’un drôle d’escalier sans cage,
La Fameuse Invasion des ours moteurs. Celui­ci s’est dénoué à dans un tunnel inhospitalier, et ménageant des espaces de travail
en Sicile, un film de Lorenzo l’amiable, après six ans de conten­ les piétons doivent faire un grand et de détente ouverts sur des ter­
Mattotti, sorti le 9 octobre. tieux, par une opération qui a détour pour gagner le parvis. rasses et égayés par les filtres co­
5 est le numéro parfait, un film conduit la ville à s’attribuer la Difficile de se réjouir, égale­ lorés des fenêtres triangulaires.
d’Igort, sorti le 23 octobre. maîtrise d’ouvrage des infrastruc­ ment, du surgissement, devant la Avec le jardin en permaculture
tures routières et la responsabi­ façade années 1930 de la gare des que l’enseigne a fait planter sur
lité de l’aménagement du terrain. Chantiers, de la grande arche de le site des étangs Gobert, on a là
glants opposent étudiants et for­ EXPOSITIONS pattes. « Plus qu’en France, les ar­ Tout en divisant par deux le coût brique blanche, enchâssée dans une image parfaite de cette « ville
ces de l’ordre ; en 1980, un atten­ « Mattotti et la fameuse invasion tistes et intellectuels italiens se de l’opération, qui serait passé de une structure de verre, de béton verte du XXIe siècle » que François
tat perpétré par l’extrême droite des ours », exposition de dessins sont toujours intéressés au fu­ 44 à moins de 20 millions d’euros. et d’acier, à dominante grise, qui de Mazières promeut (il en a fait,
tue 85 personnes. L’heure est au originaux et de croquis prépara- metto, considère­t­il. A Bologne, Nexity et Unibail ont dû se enveloppe le programme de bu­ en juin, à Versailles, le sujet de la
dessin réaliste, ou alors aux toires au film de Lorenzo Mat- Umberto Eco a cofondé la revue contenter d’un vaste programme reaux. Mais l’impression change première édition de la biennale
échappatoires de la BD de genre totti, à l’Institut culturel italien, Linus, dont Alter Alter était une de bureaux et de logements dont lorsqu’on passe la porte. La façade d’architecture et du paysage d’Ile­
– horreur, érotisme, satire ou Paris 7e. Jusqu’au 25 octobre. émanation ! Les Italiens ont long­ les réalisations ont été respective­ intérieure, tout en verre, laisse de­France). Soit une ville amie
aventures, portés par les maîtres temps publié en feuilleton, un ment confiées à Christian et Eliza­ s’engouffrer une douce lumière de la nature, dans les limites des
Hugo Pratt, Guido Crepax, Milo rythme qui induit davantage de li­ beth de Portzamparc. L’enseigne naturelle, révélant, comme un impératifs de la libre entreprise et
Manara ou Benito Jacovitti. LIVRES berté qu’en France, où le format al­ Nature et Découvertes s’est enti­ trésor caché, un luxuriant jardin. d’une gestion des deniers publics
Attablés à l’Osteria dell’Orsa ou La Fameuse Invasion des ours bum est roi. On privilégie l’expres­ chée de la halle Sernam désaffec­ On circule dans un savant jeu de en bon père de famille. 
affalés sur les sofas de l’apparte­ en Sicile, le roman du film sion des sentiments à la ligne tée, qui trônait entre les parcelles volumes, de dénivelés, de doubles isabelle regnier
ment d’Igort, les jeunes loups de et l’album du film, de Lorenzo claire, plus froide et distante. En ce
Valvoline opposent des salves Mattotti et Nathalie Kuperman, qui concerne Valvoline, cet expres­
d’inconscience à la morosité et au 64 pages et 44 pages sionnisme s’est autant nourri des
conformisme ambiants. « Quand (Gallimard jeunesse, 5,90 euros toiles de Max Beckmann et des bâ­
j’ai rencontré Lorenzo, il n’écoutait et 13,90 euros). timents d’Erich Mendelsohn que

TONY GATLIF COFFRET DVD


que de la musique mélancolique, 5 est le numéro parfait, d’Igort, de l’école argentine, d’Alberto Brec­
Nick Drake, Robert Wyatt, se marre avec des photographies de Gior- cia à José Muñoz, Carlos Sampayo
Igort. Moi, je carburais au punk et gio Marturana et Edoardo Tran- ou Jorge Zentner. Autant de dessi­
à la new wave, les Devo étaient mes chese, 184 pages (Casterman, nateurs et scénaristes qui ont
héros. On a fini par s’accorder sur réédition 2019, 35 euros). beaucoup collaboré avec nous
Brian Eno et Franco Battiato ! Et autres Italiens. Mais cette histoire,
nos dessins furent au diapason de hélas, reste méconnue. »
cette musique­là, à la fois expéri­ En 2008, la compagne de Mat­
mentale et accessible, hybride,
toujours surprenante. » Mattotti
Valvoline réalisent des pochettes
de disques pour le prestigieux la­
totti, Rina Zavagli, a ouvert la gale­
rie Martel, à Paris, pour mieux
7 FILMS ★ 1 CD MUSICAL ★ 1 LIVRET
confie volontiers combien Valvo­ bel de rock anglais Factory ; des ta­ mettre en perspective l’histoire
line l’a incité à dévoiler « la part la
plus intime de son art », tout en
pis pour les designers milanais
d’Alchimia, proches d’Ettore Sott­
proliférante des arts graphiques,
justement. L’un de leurs enfants CORRE,GITANO (INÉDIT) ★ LES PRINCES
GADJO DILO ★ VENGO ★ LIBERTÉ
l’allégeant d’une salutaire dose sass ; des montres pour l’horloger est libraire, à Bologne. Une cas­
d’ironie. « Lorenzo était déjà un suisse Swatch… quette de passeur qu’Igort enfile

JE SUIS NÉ D’UNE CIGOGNE (INÉDIT)


peu ours, très réflexif et appliqué. Je tout aussi volontiers : éditeur
rendais mes dessins toujours en « Un tremplin incomparable » chez Coconino Press, puis Oblo­
dernier, lui en premier, ça l’agaçait « Nous étions des personnalités mov, il dirige depuis 2018 Linus,
beaucoup ! » taquine Igort. Lui est trop fortes pour que l’aventure la revue où Valvoline a effectué EXILS
plutôt le « Tristan Tzara » de la dure plus de cinq ou six ans, juge ses premiers vrombissements. En
bande. De squats en lieux bran­ Mattotti. Avec Igort, nous avons 2014, le collectif au quasi complet
chés, il organise fêtes et perfor­ émigré en France, où l’industrie s’est retrouvé lors d’une ample
mances, où il s’improvise maître culturelle est bien plus structurée exposition que lui consacrait la SOIRÉE ÉVÈNEMENT AVEC TONY GATLIF Toutes les informations sur
de cérémonie, invitant magiciens, qu’en Italie. Paris est un tremplin Fondazione del Monte, dans leur LE 10 DÉCEMBRE À 19H30 AU CINÉMA L’ENTREPÔT - PARIS www.tonygatlif.com
comédiens et autres musiciens. incomparable vers l’internatio­ fief bolonais. Parmi le public, très
Tous très azimutés. « On se sentait nal. » Mais ne lui dites surtout pas juvénile, point de robot ni de
proches des graphistes et des qu’il se serait francisé avec les an­ sumo mangeur : on se contentait
photographes du collectif Ba­ nées : non sans un brin de matoi­ de dévorer les volumes de Valvo­ En vente partout et sur arteboutique.com
zooka, en France, qui repoussaient serie, Mattotti vous assurera qu’il line à pleines dents. 
les limites de leurs disciplines. » Les est resté rital jusqu’au bout des aureliano tonet
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24 | culture DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Un quintette
de choc,
pour rappel
Liebman, Brecker, Copland, Gress
et Baron : un « supergroupe »
qui s’accordait, jeudi, à la folie
du festival Nancy Jazz Pulsations

JAZZ Nancy Jazz Pulsations, ça c’est


sonore, incroyable, sans rime ni
nancy
raison, et bien peu ressemblant à

L
e Nancy Jazz Pulsations la ville qu’on aime. Ville dont,
(NJP) ne fait rien comme avant eux, Patou et Tito, excusez­
les autres festivals. Et il le nous, on n’avait pas bien saisi les
fait autrement. Sans rien pulsations. Les deux gaillards ont
céder sur son désir et sa bagatelle. été vite compris par quelques édi­
En 1973, l’intitulé n’avait rien les même, ça tient debout, avec ce
d’évident. « Nancy » n’était vrai­ détail qui compte : l’esprit n’a pas
ment pas, sous Pompidou et changé, l’époque, on n’en parle
Marcellin, la ville toute désignée pas, mais le public, lui, se renou­ Marc Copland, Drew Gress, Dave Liebman, Joey Baron et Randy Brecker à Nancy Jazz Pulsations, le 18 octobre. GABRIEL GEORGE
pour un cocktail d’avant­garde et velle sans barguigner. Selon cette
de fantaisie guerrière. Sun Râ pente, Tito et Patou – ben oui ! ça
Arkestra, Art Ensemble of Chi­ ne vous a pas l’air très sérieux, lon son programme, devrait dis­ musique. Sans détailler le pro­ de blé dans les fouilles ». Il vient de
cago, l’impensable Frank Wright, business plan, start­up macro­ paraître sous peu. Pas la planète, gramme en sa profusion, le NJP
Depuis 1973, la noter à l’amiable. C’est pour rire.
plus la horde du délicieux Chris niste, etc., on dirait plutôt d’un l’espèce humaine. La planète, découvre, consacre, signale, l’esprit Sauf que le quintette joue la propo­
McGregor, ça tenait de la provo­ duo de clowns métaphysiques elle, s’en remettra. Elle en a vu éclaire, dégage, et dès qu’il se sera sition au millimètre, Randy Brec­
cation en ville. versés dans le free style –, Tito et d’autres. Or, dans toutes les occa­ débarrassé de sa concession à
du festival ker et Dave Liebman à l’unisson du
« Pulsations », voilà la trouvaille. Patou se sont débrouillés pour sions de se morfondre, ou les rai­ l’écriture inclusive, il apparaîtra n’a pas changé, bout des lèvres, Marc Copland ser­
Qui, des deux Einstein du NJP, passer la main en douceur, en sons de se rebeller, on voudra en majesté. vant des harmonies princières,
Claude­Jean Antoine (il est désor­ douce, avec un talent très secret. bien mettre au premier rang le
mais le public, Drew Gress impeccable à la basse,
mais président de la chose, on Le nouveau directeur se nomme Nancy Jazz Pulsations. Pas seule­ Ecouter le génie lui, se renouvelle c’est la première fois qu’ils jouent
l’appelle toujours Tito) et Patrick Thibaud Rolland. Il prête son so­ ment pour son élan de vertu ci­ Résumé de l’étrange autant « ça », au terme d’un concert fan­
Kader (dit « Patou » pour les da­ prano à Dave Liebman, artiste de toyenne et de rayonnement ré­ qu’inhabituelle folie du NJP : le
sans barguigner tastique, cette invention de Joey
mes, désormais « conseil », après catégorie. Tiens, il est musicien. gional : de prisons en Ehpad, il of­ « rappel » du premier groupe, un Baron, et c’est à fondre.
avoir concocté près de cinquante L’équipe enchaîne, et la vie conti­ ficie partout, il n’est pas le seul, quintette, chargé d’ouvrir la Harmonisations spontanées,
saisons ahurissantes), qui donc a nue, plus que belle. Oui bon mille fois tant mieux ! Non, neuvième nuit sous chapiteau, comme on disait des assemblages syncopes agacées, finesse même
eu cette illumination d’adjoindre d’accord, nous traversons une pas seulement. Mais parce qu’il jeudi 17 octobre. Rappel ? Bis ? En­ de rock stars dans les années 1970. pas voulue, émotion que tout re­
« Pulsations » à « Nancy Jazz » ? sale passe et l’espèce humaine, se­ rend ses preuves d’intention en core ? On se met à la place de Au rappel, il s’est produit une tient pour ne pas verser vulgaire,
l’auditeur qui n’est en rien obligé chose étrange. Société de consom­ tout résume leur phénoménale
de savoir, le NJP s’en charge, que mation, hystérie du « bonus », ra­ prestation, ils saluent gentiment,
Randy Brecker (trompette) est contez­vous toutes les fables qui ni variété ni rock and roll, ils sa­
une légende de l’art moderne. vous plaisent, toujours est­il qu’en vent : leur résumé à eux résume le
Les Brecker Brothers ont ouvert tout genre le public réclame ce NJP qui présente en toutes salles
tout un monde, Michael son frère, soir du rappel et encore un selfie, autour d’eux sans le dire une di­
le ténor que tous les ténors veu­ puis un nouveau rappel. En avoir zaine de hasards heureux. 
lent apprendre, est bel et bien pour son argent ! Rabioter ! Logi­ francis marmande
mort, désormais. que de réfectoire…
L’auditeur sous chapiteau vient Typologie des « rappels » ? Cette Nancy Jazz Pulsations,
pour écouter le génie, on pèse les part d’invention qu’exige le pu­ jusqu’au 19 octobre.
mots, d’un Dave Liebman (saxo­ blic ? On tombe sur le rappel du Liebman/Brecker/Copland 5tet,
phone) qu’il ne connaît pas quintette : une chanson du bat­ avec Drew Gress et Joey Baron,
d’avance. Marc Copland (piano) teur bien connu sous les cieux le 7 mai 2020 à la Filature,

Dèsle perfectionne ce supergroupe du jazz, Joey Baron. Titre ? « Plein Mulhouse.

16octobre
Du Crotoy au « fish and chips »,
Alain Souchon égrène ses souvenirs
uneentrée
« Ame fifties », dix chansons au verbe juste et au lyrisme contenu

achetée
CHANSON pop, composée par ses fils Pierre
et Charles Souchon (dit « Ours »),
qu’on vend/et des hommes qui
pleurent », « à la découverte de l’el­

uneentrée
L a plage du Crotoy, des va­
canciers, la guerre d’Algérie,
des échanges de baisers,
le « salon d’l’auto », Gabin, un air
d’accordéon à la radio… Autant
celui de la peine – cette tristesse
qui envahit au moment de la
séparation – ; dans Irène, musique
de Laurent Voulzy, une ambiance
un peu country. Toutes parfai­
dorado/dans une poubelle verte ».
En miroir des souvenirs au dé­
but de l’album, voici On s’ramène
les cheveux, composée par Pierre
Souchon. Cette fois, c’est un sé­

offerte de souvenirs qui constituent la


trame d’Ame fifties, chanson
inaugurale et éponyme du nouvel
tement ouvragées, accrocheuses
par leur évidence mélodique,
le lyrisme réuni du texte et de la
jour en Angleterre, dans les an­
nées 1960, bien avant le tunnel
sous la Manche : la traversée en
album d’Alain Souchon. Une évo­ musique. On s’aimait, écrite et ferry, la découverte des jeunes
cation des années 1950, quand composée par Alain Souchon, filles et du fish and chips. Et, sur le
Souchon était adolescent – il est est une valse mélancolique, avec quai d’une gare, l’écho d’un épi­
né en 1944 –, par laquelle passent piano et quatuor à cordes. sode célèbre, la rencontre de

sur
l’insouciance, mais aussi les mo­ Mick et de « l’autre lascar », pre­
ments plus durs d’une époque, Tournures simples mière étape de la formation des

télérama fr
avec des paroles qui n’ont pas be­ Notre monde, ses questions so­ Rolling Stones. Dont on se plaît à
soin d’en dire plus, d’en dire trop. ciales sont aussi abordés, sans re­ imaginer qu’il a eu pour témoin
Une nouvelle fois, ce sens de cours au slogan mais avec un re­ Alain Souchon.
la phrase juste, du mot exact, est gard et des tournures simples. Ici En conclusion, la chanson écrite
au cœur des dix chansons de et là joue sur les contrastes entre par le septuagénaire pour Ouvert
Souchon, même lorsque, pour les envies et le quotidien, les réus­ la nuit, film d’Edouard Baer, sorti
deux d’entre elles, Presque et sites et les échecs de celles et ceux début 2017. L’histoire d’un patron
Debussy Gabriel Fauré, elles sont qui vivent d’un côté ou de l’autre de théâtre qui a une nuit pour
cosignées, la première par du boulevard périphérique. Sous sauver son établissement. Avec
Edouard Baer, la seconde par « le même soleil », mais séparés par une fanfare de jazz néo­orléanais,
David McNeil. A mi­parcours, « quarante mètres de goudron ». qui vire vers la musique de cir­
quelques vers d’un poème de Une musique un peu sombre que, et la voix de Baer par en­
Ronsard (Ronsard Alabama), vir­ aurait surligné le trait. Un peu reg­ droits. « Entrez, entrez », dit­il, à la
gule dans un accompagnement gae (signée Pierre Souchon), elle a fin, au sortir de cette belle collec­
sobre, façon folk, à la guitare avec un rien d’allégresse, comme pour tion de chansons. 
En
un soutien léger de percussions. exprimer que l’espoir n’est pas sylvain siclier
partenariat
On trouve ainsi dans Ame fifties perdu. Le chanteur procède par
avec
le thème éternel de l’émoi amou­ touches (Un terrain en pente) et Ame fifties, d’Alain Souchon, 1 CD
reux ; dans Presque, aux atours avec des instantanés – « une usine Parlophone/Warner Music.
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 culture | 25

Maria Ribot et Mathilde Monnier


S É L E C T I O N   A L B U M S

S E R G E I P R O KOF IE V
Piano Sonatas 4, 7 et 9
Alexander Melnikov, piano.
La tendance à l’expansion propre au
tempérament slave se traduit, chez Serge
Prokofiev, par un art de l’extension dont
témoignent ses sonates pour piano.
Tentaculaires sur le plan digital et
conquérantes dans le domaine expressif,
en duo face au temps qui passe
celles qu’a réunies Alexander Melnikov
pour former le deuxième volet de son intégrale procèdent d’une
Onze ans après « Gustavia », les deux danseuses se retrouvent dans
dimension kaléidoscopique qui invite à transcender l’imagerie
du propos. Ainsi, dans le Finale de la 4e (1917), le compositeur
« Please Please Please », une pièce sur la vieillesse et la transmission
donne­t­il l’impression de jongler avec les figures de style
comme avec des quilles à tête sculptée. La célèbre 7e (1942),
l’une des trois sonates dites « de guerre », mène une campagne
méthodique, avec frappes ciblées et diversions galopantes.
DANSE

E
Quant à la 9e (1947), tout en glissement progressif hors des st­ce une limace surdi­
cadres, elle exige une virtuosité non plus de bête de concours, mensionnée ? », s’inter­
mais d’improvisateur génial. Immense dans chaque cas, roge un spectateur en pé­
Melnikov se hisse au niveau de Prokofiev.  pierre gervasoni nétrant dans la Grande
1 CD Harmonia Mundi. Salle du Centre Pompidou, à Paris.
La scénographie imaginée par An­
F RA N C K AM SA L L E M nie Tolleter, sur laquelle s’adosse
Gotham Goodbye la pièce Please Please Please, cosi­
Pianiste et compositeur, Franck Amsallem gnée par les danseuses et choré­
avait exploré, dans de précédents disques, graphes Maria Ribot, 57 ans, et Ma­
les standards du jazz. En solo et étant thilde Monnier, 60 ans, ainsi que
par ailleurs chanteur dans Amsallem Sings le metteur en scène Tiago Rodri­
(2009), puis en trio et encore chanteur gues, 42 ans, est un mystère. Et
dans Franck Amsallem Sings vol. II (2014), soudain, vlan, après une heure de
et à nouveau en solo dans le coffret représentation, voilà que les deux
collectif At Barloyd’s (2018). Pour Gotham interprètes dépècent la chose et
Goodbye, c’est en quartette et avec huit de ses compositions – et nous abandonnent sans prévenir
une reprise de Last Night When We Were Young, d’Harold Arlen devant un tapis de fourrure et une
et Yip Harburg, 1935 – qu’Amsallem révèle à nouveau tout son structure de grillage, belle comme
talent. Dans ses doigts, une bonne partie de l’histoire du piano une carcasse d’animal échoué. La
jazz, un délié expressif, l’exactitude du choix des notes. Dans peau de bête est devenue acces­
son écriture, une lisibilité, une évidence mélodique à la manière, soire décoratif biffant la vie au
justement, des standards. Le saxophoniste Irving Acao, le con­ passage. Est­ce parce que les duet­
trebassiste Viktor Nyberg et le batteur Gautier Garrigue consti­ tistes viennent de parler transmis­
tuent de remarquables compagnons d’élans swing (From Two sion et vieillesse que l’image fi­
To Five, Gotham Goodbye, From Twelve To Four) et d’aériennes nale prend cette résonance ? Sans
ballades (A Night in Ashland, In Memoriam).  sylvain siclier doute, mais l’envie d’une suite
1 CD Jazz & People/PIAS. persiste, suspendue dans le vide
après une virée intrigante, mais Maria Ribot et Mathilde Monnier dans « Please Please Please ». GREGORY BATARDON
B I G TH IE F erratique, qui laisse perplexe.
Two Hands Please Please Please est l’une des
Décidément, la prolificité des Brookly­ six productions qui s’affichent de­ troisième tombe du manège dans une fille. Que laisse­t­on derrière spectacle qui les distinguent, ce
nois Big Thief contraste avec le tempo puis le 14 septembre jusqu’au un trou… Peur, instabilité, incom­ soi au­delà de l’increvable besoin dernier fait rêver à une version
modéré de leurs douces chansons – à 16 novembre, dans quatre théâ­ préhension, perte de soi, accident, d’amour et de reconnaissance ? plus virulente et inconfortable,
peine six mois séparent Two Hands de tres, à Paris et en Ile­de­France, le cauchemar semble ne jamais Avec Please Please Please, dont les thèmes sont là, mais qui
son prédécesseur, le déjà encensé U.F.O.F. dans le cadre du grand portrait de s’arrêter. auréolé d’un ton de supplication, reste à l’état latent. Comme les
En l’espace de trois ans, après quatre La Ribot, proposé par le Festival La Ribot et Mathilde Monnier La Ribot et Mathilde Monnier, qui textes troués et déconnectés de
albums et une tournée jusqu’ici ininter­ d’automne, à Paris. Entre la maintiennent un joli taux d’enga­ vient de clore six ans passés à la Tiago Rodrigues ou l’armature en
rompue, la formation emmenée par performance d’une durée de trois gement physique. La course con­ direction du Centre national de la fil de fer dépouillée laisse un
la captivante Adrianne Lenker (28 ans, chant et guitare), Buck heures Panoramix qui relance tre le temps les fait d’abord pati­ danse, à Pantin, se sont bien re­ arrière­goût d’inachevé. 
Meek (guitare), Max Oleartchik (basse) et James Krivchenia trente­quatre Pièces distinguées, ner en se jouant d’une séance trouvées. Leur premier duo, rosita boisseau
(batterie) s’impose parmi les plus excitantes de la scène folk créées entre 1993 et 2000, celle gym tonic avec brio. La danseuse Gustavia, créé en 2008, faisait un
rock indépendante. Si les titres de U.F.O.F. et Two Hands ont été autour du rire cruellement hysté­ s’escrime à rester dans le mouve­ joli tête­à­queue en se prenant les Portrait La Ribot, Festival
composés au cours de la même période, la méthode d’enregis­ rique transperçant trois femmes ment, la prouesse, à résister, et pieds dans le tapis du burlesque d’automne, jusqu’au
trement et l’environnement diffèrent sensiblement : à rebours dans Laughing Hole (2006), ce mieux plier si besoin. Se mettre féminin. Elles se risquent 16 novembre.
du premier, acoustique et peaufiné dans un studio de Seattle zoom sur le parcours de La Ribot en quatre au sens strict, casser les aujourd’hui dans un autre exer­ Please Please Please, de Maria
(Washington), ce second acte, produit à El Paso (Texas), permet de prendre la mesure articulations, avoir la jambe à cice de style aux mailles nette­ Ribot, Mathilde Monnier,
s’oriente vers l’aridité, l’électricité et la spontanéité. Shoulders d’une pensée intense et frondeuse l’oreille pour tendre un arc vers ment plus lâches en dépit de la Tiago Rodrigues. Centre
et Not traduisent la formidable intensité scénique du groupe, qui chahute les frontières. des horizons impossibles fait par­ présence du fameux metteur en Pompidou, Paris 4e.
tout en actualisant la mélancolie rugueuse de Neil Young pé­ tie de l’ordinaire quotidien. scène portugais à leurs côtés. Si Jusqu’au 20 octobre, à 20 heures
riode Zuma (1975). Encore une réussite.  franck colombani Combinaison bonbon de pop star Quand la musique donne, le duo elles tiennent bien les rênes d’un et dimanche à 17 heures.
1 CD 4AD/Beggars. Avec Please Please Please, l’artiste vrille illico et rampe vers de nou­
déploie un autre talent que celui velles incarnations.
S O UA D M A SSI de danseuse performeuse : elle de­ Le thème de la transmission
Oumniya vient comédienne. Lestée d’un surfile de rouge l’ensemble de la
Après El Mutakallimûn (Les Orateurs), texte écrit par Tiago Rodrigues pièce. La question de devenir père
paru en 2015, où elle met sa voix et sa qu’elle a dû apprendre par cœur, ou mère, plus précisément ici
guitare au service des vers d’éminents non sans difficulté selon ses dires, celle de la maternité, du lien aux
poètes arabes, anciens ou contemporains elle se jette dans cette dérive en enfants, ouvre un dialogue co­
(Zuhayr Ibn Abi Sulma, Al­Asmai, Ahmed eaux incertaines avec la fièvre casse entre les deux femmes. Si le
Matar…), Souad Massi renoue, dans Oum­ qu’on lui connaît. En combinai­ texte s’accroche un peu trop aux
niya (mon souhait), avec l’écriture pour son bonbon de pop star, Ribot et clichés de l’amour et de la mort, il
chanter – en dialecte algérois le plus Monnier s’emparent d’une di­ fait en particulier surgir le pé­
souvent – d’une voix paisible et pleine ce qui l’attriste, la révolte zaine d’histoires courtes plus ou rilleux accord entre les généra­
et la porte. Sur une musique entre folk et chaâbi, des mots, des moins bizarres sur du gros rock tions qui s’opposent et c’est sans
métaphores, en résonance avec l’actualité de l’Algérie – son pays qui stimule le cardio. Une femme doute bien ainsi. Plus grande que
quitté pour la France en 1999 –, des colères et des espoirs (« Je en fauteuil roulant échappe de sa mère, plus belle, mais surtout
pleure mais je reste debout. Je reste debout et je dois avancer », justesse à la noyade ; une autre différente et meilleure assuré­
dans Wakfa). Accompagnée par un quintette acoustique d’une écrit une lettre de désaccord à son ment, merveilleusement autre, là
belle éloquence (dont Mokrane Adlani, au violon, et le joueur père qu’elle n’enverra jamais ; une est aussi le cœur de l’affaire pour
de mandole et guitariste Mehdi Dalil, coréalisateur avec elle de
ce sixième album), elle compose des mélodies voilées de mé­
lancolie qui enchantent l’oreille. A ses chansons, la chanteuse
ajoute un titre de l’Egyptien Nader Abdallah (Salam, sur une
G A L E R I E

musique de Khaled Eize) et deux chansons en français, Pays PA SC A L CON VE RT


natal (emprunté à Françoise Mallet­Joris et Marie­Paule Belle) Galerie Eric Dupont
et Je chante, que lui a écrite Magyd Cherfi.  patrick labesse Destruction et disparition sont les obsessions de Convert. Il en
1 CD Naïve/Believe. saisit les traces par la sculpture, la photographie, le film et
l’écriture. De Bamiyan, en Afghanistan, il a rapporté en 2016 des
A N G E L O LSE N images de la falaise dont les bouddhas ont disparu. En Arménie,
All Mirrors en 2018, il a vu comment le cimetière de Djoulfa est détruit par
Avec My Woman (2016), l’Américaine les soldats d’Azerbaïdjan, pays voisin et ennemi. Ils arrachent
commençait à s’émanciper de son image et jettent dans le fleuve Araxe les pierres tombales anciennes,
de chanteuse folk crépusculaire, en les khatchkars gravés de croix votives et d’entrelacs. Des rares
optant pour une pop­rock synthétique qui avaient été déplacés auparavant dans des monastères,
mâtinée de chœurs aux réminiscences il a pris les empreintes par frottage et photographie. Elles sont
sixties. All Mirrors, quatrième album de
la native de Saint­Louis (Missouri) élargit
aux murs, tirages sombres pour les uns, d’un gris léger de fusain
pour d’autres, menacées de se perdre dans le noir ou de s’effacer, NICK CAVE AND
encore, et de manière spectaculaire, son comme au bord de l’anéantissement.
spectre musical, quitte à se mettre en danger artistiquement.
Accompagnée du fidèle producteur John Congleton (Sharon
Avant de parvenir à elles, le regard est capté par des quadripty­
ques en noir et blanc, volutes brillantes. On les croit de verre THE BAD SEEDS
Van Etten, St. Vincent), l’ancienne choriste de Bonnie « Prince » mais ce sont des écorces de bouleau arrachées par le philosophe
Billy n’a plus peur de se mesurer à un grand orchestre à cordes, et historien de l’art français Georges Didi­Huberman aux abords
et de prouver qu’elle est une grande voix. La guitare rangée du crématoire V d’Auschwitz­Birkenau et métamorphosées en DIMANCHE 14 JUIN
provisoirement, elle appose sur ses symphonies modernes des cristallisations lumineuses par le pouvoir de la photographie. ACCORHOTELS ARENA
textures électroniques qui évoquent Bjork période Homogenic. Au sol, sont posés tels des gisants les moulages d’un cerisier
On pense à Melody Nelson de Gainsbourg derrière le splendide brisé par le bombardement d’Hiroshima, laqués de noir. GHOSTEEN
NEW ALBUM
New Love Cassette, une glam pop étrange se dégage de l’irrésis­ Convert fait œuvre d’art avec et contre la folie de destruction N I C KC AV E .CO M OUT NOW

tible What It Is, tandis que la chanson­titre est une valse syn­ qui anime l’espèce humaine.  philippe dagen
thétique escortée de violons grandioses.  franck colombani « Trois arbres », Galerie Eric Dupont, 138, rue du Temple, Paris 3e.
1 CD Jagjaguwar. Tél. : 01-44-54-04-14. Du mardi et samedi. Jusqu’au 23 novembre.
26 | télévision DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019
0123

« Watchmen » : les suprémacistes prennent les armes VOS


SOIRÉES
TÉLÉ
Damon Lindelof crée la suite du célèbre comics d’Alan Moore en une série aux délires ancrés dans le réel

OCS CITY notamment pour collègue de


LUNDI 21 - 21 H 00 lutte Looking Glass (Tim Blake DIMANCHE  20  OCTOBRE
SERIE Nelson), dont le masque argenté TF1
reflète le monde environnant et 21.05 X-Men : Days of Future Past

A
vec sa nouvelle créa­ qui sait détecter tout type de Film de Bryan Singer. Avec Hugh
tion, Damon Lindelof mensonge, ou encore Laurie Jackman (EU, 2014, 165 min).
(Lost, The Leftovers) Blake (Jean Smart), une super­hé­ France 2
actualise un monu­ roïne devenue agent du FBI. 21.05 Le Hobbit : un voyage
ment de la pop culture bédéiste : Impossible ici d’énumérer tous inattendu
Watchmen, du scénariste Alan les personnages, super­héros ou Film de Peter Jackson. Avec Martin
Moore et de l’illustrateur Dave non, ni tous les clins d’œil et réfé­ Freeman, Andy Serkis (EU/NZ, 2012,
Gibbons, fit l’effet d’un ovni lors rences que Damon Lindelof glisse 175 min).
de sa sortie en 1986. Situé dans cette uchronie. Les fans y re­ France 3
en 1985, s’adressant aux adultes, trouveront de délirantes séquen­ 21.05 Les Enquêtes de Murdoch
par son langage, sa violence gra­ ces où un jubilatoire Jeremy Irons Série. Avec Yannick Bisson, Helene
phique et son propos, Watchmen interprète Ozymandias, alias Joy (Can., 2019, 2018 et 2014).
innovait en s’interrogeant sur la Adrian Veidt, homme au souffle Canal+
nature et les motivations des psychique si puissant qu’il serait 21.00 Football
super­héros. lui­même l’architecte de la peur Marseille-Strasbourg. Ligue 1,
Faisant sienne cette intention, qui permet d’avoir prise sur le 10e journée, en direct.
Damon Lindelof crée une suite à peuple et de gouverner le monde… France 5
cette bande dessinée en adaptant Autant dire qu’il sera sans doute 20.50 Maïs, pour le meilleur
son contexte à l’Amérique ac­ difficile à toute personne n’ayant et pour l’épi
tuelle. Alors que la menace d’une aucune connaissance du comics Documentaire d’Olivier Ponthus
guerre nucléaire hantait le comics Watchmen de suivre cette série, (Fr., 2019, 50 min).
des années 1980 – la terreur d’une Les miliciens masqués du 7e kavalerie dans la série « Watchmen ». OCS tout au moins dans sa première Arte
troisième guerre mondiale moitié. Ceux qui auront persé­ 20.55 Le Salaire de la peur
n’ayant pris fin qu’avec la chute véré seront, en revanche, à même Film de Henri-Georges Clouzot. Avec
d’un calamar géant qui, détrui­ Klux Klan) sèment dorénavant la de leur famille. En ce début de l’ordre pour sa couverture, elle de saluer la créativité, l’esprit de Yves Montand (Fr./Ita., 1953, 145 min).
sant Manhattan, amenait les for­ terreur, en guerre ouverte contre XXIe siècle, faire face à l’angoisse continue en sous­main d’enquê­ subversion et l’engagement poli­ M6
ces mondiales à s’unir –, Damon les Noirs et la police. qu’inspirent les nationalistes ex­ ter et de combattre les forces du tique explicite qui sous­tendent le 21.05 Zone interdite
Lindelof y substitue, dans sa série, trémistes et rendre justice n’est mal, travestie de cuir sous une projet de Damon Lindelof.  Magazine présenté par Ophélie
le drame de la haine raciale. Racisme d’Etat donc plus possible qu’en cachant longue cape à capuche (elle est martine delahaye Meunier.
Dans cette Amérique de 2019, Toujours est­il que les actions ter­ son identité et son visage… alors Sister Night), avant d’être
dirigée depuis un quart de siècle roristes des miliciens masqués du C’est le cas de la policière noire amenée à avaler des pilules de Watchmen, série créée par
par un certain Robert Redford 7e kavalerie ont amené les forces Angela Abar (Regina King), per­ nostalgie qui l’entraîneront dans Damon Lindelof. Avec Regina LUNDI  21  OCTOBRE
(que l’on ne voit jamais), les su­ de l’ordre à se masquer à leur tour, sonnage principal qui n’existait les années 1930, à la rencontre de King, Tim Blake Nelson, Jean TF1
prémacistes blancs du 7e kavalerie dans l’espoir d’assurer, par leur pas dans la bande dessinée : offi­ ses ascendants soumis au quoti­ Smart, Louis Gossett Jr., Jeremy 21.05 Astérix et Obélix. Mission
(avec un « k » comme dans Ku anonymat, leur sécurité et celle ciellement retraitée des forces de dien du racisme d’Etat. Elle a Irons (EU, 2019, 6 × 60 min). Cléopâtre
Film d’Alain Chabat. Avec Gérard
Depardieu (Fr./All., 2002, 130 min).
France 2
21.05 La Dernière Vague

Le «Loft» souris, du grand délire qui laisse un peu rongeur Série. Avec David Kammenos,
Marie Dompnier (Fr., 2019).
France 3
« La Maison des souris », remake de l’émission de télé­réalité, se doit d’être à la hauteur du grand n’importe quoi attendu 21.05 Secrets d’histoire
Léonard de Vinci. Magazine présenté
par Stéphane Bern.
Canal+
CANAL+ FAMILY vingt épisodes, la rescapée sera pour les chaussettes Burlington, Nuage, blanche et brune, Paulux, demoiselles et messieurs les sou­ 21.00 Chimerica
LUNDI 21 - 12 H 20 l’heureuse gagnante de la maison visible sur YouTube ; Tony la la tortue d’Hermann, Mirabelle, ris, lâchez­vous ! « C’est une super Série. Avec Alessandro Nivola,
TÉLÉ-RÉALITÉ de 5 m2, tout équipée en mobilier Thune pour « L’Emission », d’An­ dont l’accent méridional fait cra­ idée d’avoir mis l’œuf dans l’ome­ Jason Wong (RU, 2019).
de style, avec plantes vertes, pis­ toine de Caunes, sur Canal+ (2015) ; quer Nuage, Roquefort, le rustre à lette. » Mais qui pour faire un re­ France 5

L e 21 avril 2001, M6 osait


« Loft Story », première
émission française de télé­
réalité. Le 21 octobre 2019 Canal+
Family ose « La Maison des sou­
cine, transats, lits superposés,
salle de bains, toilettes, micros, ca­
méras. Un délire prometteur.
A l’origine de ce projet plus
pharaonique qu’il n’y paraît (il a
inventeur du « pull emploi » (avec
CV brodé), d’objets parlants dans
Bazardages, d’hibours ou d’am­
poulpe pour Les Animots.
Fait unique, dans « La Maison
poil raide, Elvis « made in USA »,
Jaune, Virgule, Rubis, Clique,
Michael le blagueur : « Qu’est­ce
qui est jaune et qui attend ? » Et ce
n’est pas Jonathan.
make de la scène de la piscine
avec Loana et Jean­Edouard ? 

La Maison des souris, de


catherine pacary
20.50 Les Temps modernes
Film de et avec Charles Chaplin.
(EU, 1936, 85 min).
Arte
20.55 L’Homme de la plaine
ris », transposition version ron­ fallu deux mois de tournage 24 h des souris », Tony ne se met pas en Les scènes excellentes ne man­ Tony Vernagallo, produite par Film d’Anthony Mann. Avec James
geur du genre audiovisuel, dont sur 24 pour extraire une heure scène, même s’il trouve le moyen quent pas. Mais au fil des quatre Remembers (Fr., 2019, Stewart, Arthur Kennedy,
elle conserve tous les codes : quarante de programme), de se montrer dans le deuxième épisodes visionnés, on sourit 20 × 5 min). Du lundi au vendredi (EU, 1955, 100 min).
11 candidats, filmés 24 heures sur Anthony Vernagallo, Strasbour­ épisode. Il assure les voix masculi­ avec moins de surprise. En cause, à 12 h 20 (deux épisodes par M6
24… Ici point de défi, mais un se­ geois de 28 ans à la fine moustache nes. Ricos, souris noir et blanc ju­ peut­être, la structure rigide de jour). Les épisodes sont 21.05 L’amour est dans le pré
cret à garder, faute de quoi la bes­ brune et créateur compulsif : pu­ chée sur son fauteuil style bergère chaque opus, avec introduction, disponibles sur myCANAL dont Emission de télé-réalité présentée
tiole est éliminée. A l’issue des blicitaire – « Can you sock me ? », écru, présente les candidates : résumé, redite des secrets… Mes­ les trois premiers en clair. par Karine Le Marchand.

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Coline Serreau
« A 15 ans, j’avais lu tout Freud »
ENTRETIEN boutoir contre le patriarcat, avec beaucoup de
ruse. C’est pour ça que ça a marché. Trois hom­
mes et un couffin, c’est aussi un grand mythe

L a réalisatrice de Trois hommes et un couf­


fin ou de La Crise, également metteuse
en scène de théâtre, d’opéra et chef de
chœur, publie #Colineserreau. A 71 ans, cette ci­
néaste aux trois Césars se raconte pour la pre­
retourné : les trois Rois mages et le Christ qui
est une fille. C’est elle qui va apporter le chan­
gement radical de vision du monde. C’était un
Scud que je voulais envoyer, et il est passé.

mière fois dans un livre en forme de Mémoires « Trois hommes et un couffin », « La Crise »,
fragmentaires, évoquant ses influences, ses « Chaos », « La Belle Verte », ou encore
sources d’inspiration et ses combats de tou­ votre documentaire « Solutions locales
jours en faveur des femmes et de l’écologie. pour un désordre global »… votre
filmographie donne l’impression
Je ne serais pas arrivée là si… que vous êtes en avance sur votre époque,
Si je n’avais pas été entourée de cinq femmes que vous anticipez les sujets qui vont
extraordinaires : ma grand­mère, ma mère et émerger. Avez­vous de bons capteurs ?
les trois femmes de l’école de Beauvallon. Ce J’ai la passion de comprendre la société, mes
sont mes géantes. capteurs sont alimentés par le réel. Mais on ne
comprend pas si on n’écoute pas ce que disent
Pourquoi sont­elles vos « géantes » ? les autres. Donc on en revient aux lectu­
En premier lieu, il y a ma mère. Elle était res formatrices du départ : l’écologie, Freud, le
d’abord et avant tout une artiste, une écrivaine féminisme et le marxisme. Avec ces quatre
et une femme courageuse qui nous a élevés piliers­là, vous êtes sur une base solide pour
seule, mes frères et moi. Sa culture, sa liberté et analyser les choses. Mais je continue à lire
son engagement politique m’ont construite. Et tout ce qui sort.
puis, évidemment, il y a les trois femmes de
l’école nouvelle de Beauvallon, à Dieulefit ARCHIVE COLINE SERREAU/ACTES SUD Dans le film « La Crise », qui attire plus
(Drôme), qui accueillait des enfants en diffi­ de 2 millions de spectateurs en 1992,
culté : Marguerite Soubeyran, Catherine Krafft, il y a la tirade culte de Maria Pacôme,
ma marraine, et Simone Monnier, ma tante. JE NE SERAIS PAS ARRIVÉE LÀ SI… « Le Monde » qui annonce à son mari et à ses enfants
C’étaient des pionnières. Marguerite Soubey­ qu’elle part avec son amant. Quelle est
ran avait étudié les grandes pédagogies nou­ interroge une personnalité l’histoire de cette scène ?
velles, comme celles de Montessori et Steiner. J’en avais tellement sur la patate que c’est
Elles étaient aussi en faveur des médecines na­ sur un moment décisif début de ma vie, et qui m’a rendue costaude sorti tout seul. Je n’ai pas eu à me forcer ! Je
turelles. J’ai acquis beaucoup de connaissances physiquement, y est peut­être aussi pour quel­ pensais à ma mère. Après le premier jet, je l’ai
sur la santé et l’écologie dans ce cadre­là. J’ai de son existence. Cette semaine, que chose. J’avais une grosse santé. Mon pre­ retravaillé, passé « au gueuloir », comme le di­
passé mes premières années à vivre dans la na­ mier prof à la Rue Blanche m’avait dit : « On sait Flaubert, jusqu’à ce que ce soit tellement
ture et, si j’ai une conscience écologique, c’est la cinéaste, qui publie vous dira que ce métier, c’est la chance, le talent, fluide et que ça sonne tellement juste qu’on
parce que ces femmes étaient en avance sur oui, bien sûr. Mais, pour réussir dans ce boulot, pense que c’est improvisé. C’est toute une
leur temps. Mais la pensée se travaille aussi un ouvrage, parle des femmes faut déjà avoir une belle santé, parce que c’est un technique, qui a à voir avec la musique. Trou­
grâce à des lectures. métier épuisant. » Je pouvais mener beaucoup ver les bonnes transitions, le rythme des
qui l’ont entouré, des livres et de de choses de front : faire un film, jouer le soir, mots. Les punchlines marchent quand elles
Quelles sont ces lectures m’occuper des gosses le matin, aller trois fois ont une musique.
qui ont tant compté ? son combat contre le patriarcat par semaine à l’Académie Fratellini.
J’étais vorace de lectures. J’ai commencé à lire Pouvez­vous raconter cette histoire, à Nan­
de manière assidue vers 6­7 ans, et aussi à Et pourquoi, parmi toutes les disciplines tes, où vous découvrez « l’âme des arbres » ?
écrire. En voyant cela, ma mère m’a pourvue en circassiennes, choisir le trapèze ? C’était dans les années 1990, la nuit, à la sor­
bouquins tous les jours et, grâce à ses goûts, je sentiment d’être riches culturellement, mais Parce que j’ai passé ma jeunesse dans les ar­ tie d’un théâtre. J’attendais un taxi et je me
n’ai jamais lu de choses médiocres. J’avais un alors sur le plan matériel… Je n’ai jamais été gê­ bres, à faire cent mètres en traversant de bran­ mets à entendre, au milieu du silence, le bruis­
esprit à la fois avide de littérature, mais aussi née par cela, mais je comprends très profondé­ che en branche, sans jamais tomber. Pour le sement d’un arbre et de ses feuilles. C’était
de philosophie. A 12­13 ans, j’avais lu toute la lit­ ment les gens qui ont peur du lendemain. trapèze, j’étais douée. Pas pour les autres dis­ comme une parole. J’ai un peu de pudeur à par­
térature enfantine importante et même Selma Parce que je l’ai vécu. Quand j’entends des « gi­ ciplines. On est tous doué pour quelque ler de ça, car ça fait un peu « yogi yogourt »,
Lagerlöf. « La Comédie humaine », de Balzac, et lets jaunes » dire : « Le 20 du mois, je n’ai plus un chose. Si vous prenez un gosse de 3 ans et que mais c’est le sentiment, tout d’un coup, qu’on a
George Sand ont été pour moi essentielles. rond », j’entends ma mère. Oui, aujourd’hui je vous lui faites jouer tous les instruments de des gens en face de soi, que tout est vivant,
Après, j’ai foncé dans la psychanalyse. A 15 ans, suis une bourgeoise, une bobo, tout ce que l’orchestre, il y en a un qu’il va adorer. Si vous comme nous, pas mieux ni moins bien. Il y a
j’avais lu tout Freud. Puis je me suis attaquée au vous voulez, mais je connais très bien ce que cultivez ce don­là, il va le développer, même si aussi une rencontre fondamentale. Quand Mi­
marxisme (aussi bien Trotski, Lénine que Rosa les gens dans la misère vivent. ses parents ne sont pas musiciens. L’humain chèle Rivasi, une femme que j’apprécie énor­
Luxemburg) pour me structurer l’esprit, même est hyperadaptable. mément, a créé, après Tchernobyl, la Commis­
si je n’étais pas forcément d’accord. Mais leur Votre mère semble être une héroïne, sion de recherche et d’information indépen­
analyse de la société de classes a été d’une im­ par contre, votre père… Vous avez pour passion la musique, dantes sur la radioactivité (Criirad), je l’ai aidée
portance fondamentale. Je me suis aussi atte­ C’était à la fois un mec bien – qui a pris des le cirque, le théâtre… Comment êtes­vous financièrement. Elle m’a un jour invitée dans
lée à toute la littérature féministe dès 18 ans et risques pendant la guerre, a fait des choses ¶ arrivée au cinéma ? son labo et j’ai découvert quelque chose que je
aux premiers ouvrages sur l’écologie. Tout cela courageuses pour l’Algérie – et un salaud, parti­ #colineserreau, Justement parce que c’est un art qui rassem­ n’ai jamais oublié : l’énergie de la pierre. Tout
donne une sacrée colonne vertébrale. Mon ter­ culièrement irresponsable, vis­à­vis de sa de Coline Serreau, ble tout. Je n’ai rien forcé, c’était évident. J’ai m’intéresse. J’ai l’envie de comprendre.
reau initial est là. Et puis mes parents ont été de femme et de ses enfants. Bien sûr que je lui en éd. Actes Sud, commencé mes premiers scénarios à 20 ans. Je
tous les combats politiques : la résistance con­ veux énormément de nous avoir abandonnés, 208 p., 29 euros ne voulais pas me laisser enfermer. Ni, par Le terme de « féministe » vous plaît­il
tre les Allemands, la lutte pour l’indépendance mais, quand on s’en prend aux gens indivi­ exemple, dans la troupe du Café de la Gare, à la­ toujours ?
de l’Algérie, contre la guerre d’Indochine et duellement, ce n’est pas fructueux. Il faut ana­ quelle j’ai participé, ni à la Comédie­Française, Plus je réfléchis, plus je me dis que je ne suis
contre la dictature stalinienne. Tout cela donne lyser comment une société – parce qu’elle est où j’ai été stagiaire. pas féministe, parce que ça donne l’impression
une pensée qui relativise la pensée dominante. patriarcale – a permis que ça se passe. Malgré le qu’on se bagarre pour sa boutique. Moi, je suis
droit de vote pour les femmes, le droit à l’indé­ Au début des années 1980 en France, il y contre le patriarcat. La place des femmes dans
Après avoir connu cette école pas comme pendance financière, le divorce, le verrou gé­ avait peu de femmes réalisatrices. Est­ce l’inconscient général, c’est le problème central
les autres dans la Drôme, vous êtes arrivée néral du patriarcat n’a pas sauté, et c’est dans que cela a été compliqué pour vous ? et premier. Il commence à être nommé depuis
à l’âge de 5 ans à Paris. Etait­ce un choc ? ce cadre général que tout le reste passe. Le mas­ Il y avait Agnès Varda, Diane Kurys… c’est deux ans. C’est comme quand, après Marx, on
Nous avons emménagé dans l’appartement sacre de la Terre vient très exactement du pa­ vrai qu’on était peu nombreuses. On était tel­ s’est dit : « Ah, mais on est dans une société de
haussmannien de mes grands­parents, il n’y triarcat. C’est un système. lement marginales que les hommes s’en fou­ classes. » Nous sommes dans une société pa­
avait plus de montagnes, plus d’air, plus de so­ taient. Ça faisait sympa dans le paysage. Mais triarcale : c’est contre cela qu’il faut combattre,
leil, mais des moulures, du parquet et peu de C’est­à­dire ? le fait d’être une femme n’a pas été un frein et avec les hommes. Le mouvement #metoo a
lumière. Je suis allée à l’école communale, où Le lien entre patriarcat et écologie est évi­ aussi parce que j’étais très têtue ! Quand je été très important mais, comme l’écologie, il
on a essayé de me rendre droitière parce que dent : la Terre, sur le plan symbolique, c’est la voulais faire quelque chose, j’avais le senti­ faut le replacer dans un cadre général. L’écolo­
j’étais gauchère. L’instit me disait : écrire de la mère, la femme, la fécondité. Si le corps de la ment que rien ne pouvait résister. C’était évi­ gie et le mouvement des femmes n’ont pas en­
main gauche, ça n’existe pas. Ah bon, d’ac­ femme m’appartient, la Terre m’appartient. dent pour moi qu’il fallait que je fasse du ci­ core leur cadre théorique, mais ça va venir. Le
cord. Je me suis révoltée. J’ai pris les cahiers et Les Amérindiens ou les aborigènes considè­ néma. Il le fallait, c’est tout. Je n’avais pas de patriarcat nous a formatés, il faut en sortir.
j’ai commencé à barbouiller tellement grand rent leur écosystème et l’Univers comme un doutes. J’avais probablement en tête l’exem­ C’est une grande révolution politique à mener.
que j’en utilisais plusieurs par jour ! L’inten­ endroit où ils passent et qu’ils doivent laisser ple de Marguerite Soubeyran, de ces femmes
dance ne suivait pas ! Ils ont fini par me laisser en bon état pour ceux qui vont suivre. La qui avaient construit seules l’école de Beauval­ Restez­vous optimiste ?
écrire de la main gauche, et je me suis appli­ conscience que l’humain n’est pas supérieur lon. Cela m’a formatée. Non, c’est sauve qui peut. Il faut se mettre aux
quée à bien calligraphier pour leur prouver et n’est pas propriétaire mais locataire extrê­ abris, en groupe, avec de la terre, de l’eau et du
qu’ils avaient tort. mement brièvement de la Terre est en train Quel souvenir gardez­vous de l’immense bois. Je ne suis pas collapsologue, mais je suis
d’advenir, mais ce n’est pas encore la philoso­ succès, en 1985, de « Trois hommes pour le boycott et pour le « Devenez riche,
Vous dites avoir été confrontée phie dominante. et un couffin » ? On ne fait pas un film n’achetez plus ». Et puis, il y a un hôpital dans
à la pauvreté, que cela vous a construite, en se disant que plus de 10 millions notre corps. Il faut arrêter d’ingurgiter des toxi­
ne vous a jamais quittée, c’est­à­dire ? Revenons à votre parcours artistique : de personnes iront le voir ? nes toute la journée. Mais c’est compliqué, c’est
On était, dans ma famille, coupés en deux. il y a le Conservatoire de musique, J’ai toujours fait un film en me disant qu’il y une bagarre, moi aussi, j’en suis pleine. A l’Ely­
Sur le plan culturel, ils étaient tous extrême­ l’Académie Fratellini, le théâtre… aura 50 millions de personnes qui iraient le sée, désormais, on mange bio. Mais pas dans
ment cultivés, ma mère étant dans un milieu Vous vous êtes nourrie de beaucoup voir ! J’ai été très heureuse. Je n’étais pas du tout les cantines, ni dans les hôpitaux. Pourquoi ?
de littérature d’avant­garde, mon père ayant de choses… sûre que ça arriverait, mais c’était ce que je vou­ Parce que c’est le peuple ? C’est une honte. On
découvert pratiquement tous les grands J’étais, disons, insatiable. L’éducation dans les lais. A l’époque, l’analyse du succès était pour est empoisonnés et tout le monde s’en fout. 
auteurs importants du théâtre. On avait ce arbres et extrêmement saine que j’ai reçue au moi limpide : c’est le premier grand coup de propos recueillis par sandrine blanchard
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S A N T É   M AT E R N E L L E   E T   I N FA N T I L E

L’Afrique et ses 
enfants en ont assez 
de souffrir à l’hôpital
Une meilleure prise en charge de la douleur
et des émotions des jeunes patients
émerge sur le continent et permet l’évolution,
lente, des pratiques thérapeutiques

J
e n’aime pas les piqûres. Ça me fait puis une vingtaine d’années dans un service
peur… Mais l’infirmière a demandé à de néonatologie à Dakar.
mon père d’aller chercher une corde. Et Cette évolution des pratiques thérapeuti­
on m’a attaché au lit pour me piquer. » ques est déjà perceptible dans plusieurs hôpi­
A la violence du nœud qui l’a main­ taux pour enfants ouest­africains et gagne
tenu prisonnier, Birima, 9 ans, aurait doucement du terrain. En Mauritanie et au
préféré un geste d’attention, une ex­ Burkina Faso, des groupes de parole com­
plication ou, simplement, un sourire qui ras­ mencent à se constituer, des « audits de qua­
sure. Ses parents aussi. Eux qui avaient lité des soins » aussi. « Quand on les écoute et
choisi l’hôpital d’enfants Albert­Royer de qu’on leur donne une place, les enfants expri­
Dakar, l’une des meilleures structures pédia­ ment des choses très précises qui peuvent nous
triques ouest­africaines. guider dans nos actes médicaux », ajoute collectif qui veut faire un état des lieux de leur incapacité à agir comme ils le souhaite­
Mais au Sénégal, comme ailleurs en Afri­ Diarra Yé, pédiatre au CHU Charles­de­Gaulle l’émergence de ce sujet. Car, pour Birima raient. Faute de matériel, de médicaments,
que de l’Ouest, l’enfant est loin d’être roi. « Le de Ouagadougou, l’un des trois hôpitaux de comme pour beaucoup d’autres, l’enquête l’infirmier n’a pas toujours une prise en
contexte socioculturel est tel que l’enfant n’a référence de la capitale burkinabée. L’atten­ souligne que les soins dans les hôpitaux afri­ charge à proposer au malade ; et, faute de pré­
pas l’occasion d’exprimer son ressenti par tion au malade présente en effet le triple cains comportent encore « une part de vio­ LES HÔPITAUX  paration, il souffre aussi de n’avoir pas les
rapport à la maladie, puisqu’il est rarement avantage de « montrer ce que peut être une mé­ lence physique et morale, une négligence AFRICAINS  mots et la présence suffisante pour tenir la
autorisé à parler devant les adultes. Et, à l’hô­ decine centrée sur le patient et pas sur la seule dans les protocoles thérapeutiques et une né­ main d’un enfant condamné, ou de savoir
pital, les personnels de santé ne lui donnent pathologie, de penser l’enfant comme un ac­ gation évidente de leur existence sociale ». COMPORTENT ENCORE quoi répondre à un autre malheureux à l’idée
pas non plus la parole et ne considèrent pas teur de ses soins, de sa santé et, à terme, d’amé­ Alors, pour faire avancer le débat, un collo­ que ses soins sont en train de ruiner sa famille.
toujours sa douleur comme un paramètre à liorer l’hôpital pédiatrique dans son ensem­ que, baptisé Forum régional sur l’expérience « UNE PART DE 
prendre en compte », fait remarquer Ibra­ ble », analyse l’anthropologue et directeur de des soins en Afrique, doit se dérouler du 21 « UN CHANGEMENT S’INSTALLE »
hima Diagne, en se référant à sa pratique de recherche émérite au CNRS, Yannick Jaffré. au 23 octobre à Dakar. L’événement est orga­
VIOLENCE PHYSIQUE,  En fait, cette prise de conscience croissante
pédiatre à Dakar. nisé par le Fonds français Muskoka, qui MORALE, ET UNE  de l’importance de la personne derrière le
Pourtant, hier étouffée derrière les murs INCAPACITÉ À AGIR œuvre à réduire la mortalité maternelle et jeune malade vient se superposer au travail
de l’hôpital, la souffrance de tous les petits Ce chercheur a dirigé une très large enquête infantile à travers le renforcement des systè­ NÉGATION ÉVIDENTE  encore crucial qu’il reste à faire sur la quan­
Birima commence à se faire entendre et de­ auprès de spécialistes en sciences sociales, mes de santé de huit pays africains franco­ tité de l’offre, son accessibilité, qui piétine, en
vient même un sujet de débat. « Nous es­ de professionnels de santé sur la qualité des phones (Sénégal, Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, DE L’EXISTENCE  dépit des 4,6 % ou des 3,1 % de leur PIB que
sayons de sortir de notre routine en nous libé­ interactions entre soignants et enfants dans Niger, Togo, Bénin, Tchad). SOCIALE DES  des Etats comme le Bénin ou le Sénégal con­
rant des objectifs de productivité et en con­ les services pédiatriques au Sénégal, en Outre le bien­être qu’elle apporterait à l’en­ sacrent au secteur de la santé. Des sommes
tournant au mieux la précarité de nos condi­ Mauritanie, au Burkina Faso et en Guinée. fant, une meilleure prise en charge de la dou­ ENFANTS » importantes dans des pays où la ressource
tions de travail. Cela permet d’améliorer C’est à lui que Birima a confié sa douleur, leur liée à une pathologie, mais aussi à celle gé­ publique est limitée, même si cela reste en
notre communication avec le patient, si jeune rapportée dans Enfants et soins en pédiatrie nérée par certains soins, limiterait aussi la deçà du seuil de 9 % recommandé par l’Orga­
soit­il », soutient Mame Dièye, infirmière de­ en Afrique de l’Ouest (Karthala), un ouvrage souffrance des soignants, mal à l’aise face à nisation mondiale de la santé (OMS).

« Ce sont les défaillances qui ont tué mes quatre bébés »


Au Cameroun, le manque de couveuses, les sous­effectifs, les négligences aggravent la mortalité infantile

REPORTAGE trente semaines de grossesse, elle


donne naissance à trois filles et « LE JOUR DU DÉCÈS 
néonatalogie, le personnel médi­
cal est en effet insuffisant, et c’est
d’anonymat, que « tous les hôpi­
taux publics du Cameroun man­
lui transmette sa chaleur. Serge
Armel Njidjou, de l’Agence univer­
bafoussam, cameroun ­
envoyée spéciale
deux garçons, « tout petits, mais en DU QUATRIÈME, SI  à la famille qu’il revient de nour­ quent de matériel. Ce qui donne sitaire pour l’innovation techno­
bonne santé », jure le père, qui ne rir les grands prématurés. l’impression que les prématurés logique, a quant à lui mis sur pied

L es photos des cinq nou­


veau­nés dans une cou­
veuse défilent sur le smart­
phone. Annie Chendjou pointe
une petite tête aux cheveux noirs.
comprend toujours pas pourquoi,
quelques heures après l’accouche­
ment, un premier bébé est mort.

Calvaire
J’AVAIS EU UNE ARME, 
J’AURAIS TUÉ AU MOINS 
TROIS INFIRMIÈRES »
Côté administration, le profes­
seur George Enow Orock, nouveau
directeur de l’hôpital, n’a pas sou­
haité s’exprimer, mais la respon­
sable du service de néonatologie,
sont dans l’attente d’une mort pro­
grammée ». Il précise que, sur la
quinzaine de couveuses disponi­
bles pour tout le pays, seules sept
sont fonctionnelles. Dans les trois
une couveuse néonatale interac­
tive, connectée au smartphone du
médecin pour un suivi à distance.
Après une phase d’expérimenta­
tion, il devrait passer bientôt à la
« Voici la seule survivante. » Assise Quelques jours plus tard, la santé FÉLIX Clémentine Kouene, estime que régions du Nord, il n’y a que huit fabrication en série. Mais déjà,
sur un banc dans le service néona­ d’un deuxième se dégrade et né­ père de quintuplés « tout le monde s’est mobilisé », que couveuses pour plus de 7 millions « dans la panique, des gens m’ap­
talogie de l’hôpital régional de cessite une transfusion sanguine. nés prématurés « les nouveau­nés ont reçu tous les d’habitants. pellent pour acheter la couveuse à
Bafoussam, dans l’ouest du Came­ Mais le nourrisson décède à son à l’hôpital de Bafoussam traitements possibles ». Assurant titre privé afin de sauver leur bébé ».
roun, la trentenaire est encore en tour, saignant du nez et de la bou­ qu’« il n’y a pas eu de défaillance », « Petite survivante » L’inventeur reste démuni face à
état de choc. Le 10 août, cette che. Apeurés, les parents deman­ les bébés auraient, selon elle, suc­ Nellie aussi a perdu son neveu cette souffrance, mais travaille
jeune maman met au monde des dent leur transfert à Yaoundé, la ver ses petits. De peur de perdre sa combé à une infection. quelques jours après sa naissance d’arrache­pied pour équiper rapi­
quintuplés, dont « quatre décè­ capitale, dans une formation hos­ dernière fille, il alerte les médias. Selon l’Organisation mondiale à l’hôpital régional de Bafoussam, dement les hôpitaux.
dent tour à tour en moins d’un pitalière plus compétente. Mais L’affaire fait scandale au point que de la santé (OMS), la moitié des au début de l’année. Là encore, Assise en tailleur sur son lit de
mois », poursuit­elle, les yeux la­ l’hôpital refuse, arguant qu’il le ministre de la santé annonce grands prématurés meurt en rai­ l’état de la couveuse est en ques­ maternité, Annie écoute de la mu­
vés par les larmes. « n’est pas dépassé ». Pourtant, l’ouverture d’une enquête et dépê­ son d’un manque de soins adap­ tion. Nellie raconte, encore fris­ sique religieuse et prie chaque jour,
Pourtant, la perspective de don­ deux autres bébés décèdent en che une équipe sur place. Mais, tés. Une faille dans le maintien de sonnante, qu’il fallait faire bouillir terrassée par le quadruple deuil.
ner le jour à cinq enfants les avait moins de deux semaines. deux mois plus tard, le mystère de la température, l’allaitement ou de l’eau, remplir des bouteilles et Son « ultime espoir » est de rentrer
ravis, elle et son mari, Félix « Le jour du décès du quatrième, si ces morts n’est pas éclairci. les soins de base pour traiter infec­ les placer de part et d’autre de la chez elle avec sa fille, Marie­Reine,
Tchoumo Denkeng. « Une bénédic­ j’avais eu une arme, j’aurais tué au Le père accuse : « C’est la négli­ tions et problèmes respiratoires couveuse pour la réchauffer. « saine et sauve ». Pour cela, « la pe­
tion », se souviennent­ils. Pour moins trois infirmières. J’étais telle­ gence des infirmières et la dé­ peuvent être fatals. Un médecin Face à cette pénurie, de nom­ tite survivante » doit passer la barre
éviter tout risque, Annie est allée à ment en colère ! », raconte Félix, faillance des couveuses qui ne de l’hôpital, « fatigué des critiques breux experts conseillent la mé­ des 2 kg. Plus que 350 g et Annie
l’hôpital de Bafoussam, le qui s’est endetté de 2 millions de chauffaient pas qui ont tué mes de ceux qui ne vivent pas notre cal­ thode « Kangourou », qui veut que pourra à nouveau respirer. 
meilleur de la région, où, après francs CFA (3 048 euros) pour sau­ quatre enfants. » Au service de vaire », rappelle, sous couvert la mère garde son bébé sur elle et josiane kouagheu
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« La mondialisation change la manière


d’envisager la maladie et la qualité des soins »
Pour Yannick Jaffré, anthropologue spécialiste des questions de santé en Afrique de l’Ouest,
il faut changer « la situation des soignants si l’on veut améliorer celle des enfants »

ENTRETIEN pour son avenir. Ainsi, les profes­


sionnels de santé, qui sont eux
et qu’il faut obliger les familles à
aller en acheter un, sachant que
manquent de produits et, sou­
vent, de formation dans l’utilisa­

Y annick Jaffré a fait de


l’analyse des systèmes de
santé « le combat d’une
vie ». Depuis une trentaine d’an­
nées, l’anthropologue, directeur
aussi parents, portent davantage
d’attention à sa plainte. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle la
demande de qualité des soins
émane d’abord des praticiens en
celles­ci n’en ont pas toujours les
moyens ?

L’Afrique a encore un taux


de mortalité infantile élevé.
tion de la morphine, par exemple.
Ces questions, qui sont à l’articu­
lation de la clinique, de l’anthro­
pologie et de l’éthique, doivent
être mises en lumière dans des
de recherche émérite au Centre pédiatrie. Ces derniers dénoncent L’hôpital a­t­il appris politiques publiques et être trai­
national de la recherche scientifi­ la précarité de leur environne­ à accompagner les enfants tées dans les cursus médicaux et
que (CNRS) sillonne l’Afrique de ment de travail, le déficit d’équipe­ et adolescents vers la mort ? paramédicaux.
l’Ouest, où il a notamment ensei­ ments, de médicaments et de per­ La mort de l’enfant à l’hôpital des
gné à la faculté de médecine de sonnels, ou encore les facteurs so­ suites d’une maladie chronique Qu’est­ce que cette nouvelle
Bamako. cio­économiques qui condition­ ou d’une pathologie lourde est un approche du malade révèle des
Ses travaux portent sur les dé­ nent l’accès aux soins et les phénomène relativement nou­ mutations à l’œuvre en Afrique
terminants sociaux de la santé et empêchent ainsi de bien faire leur veau. Il y a encore quelques an­ subsaharienne ?
l’amènent à pointer les indica­ travail. Cela crée une souffrance nées, les enfants mouraient à l’hô­ L’urbanisation, la mondialisa­
teurs qui feront baisser la morta­ chez eux. C’est ce qui explique pital plutôt de fièvre, de palu­ tion et une plus grande circula­
lité maternelle, la malnutrition, qu’il est impossible d’améliorer la disme, de malnutrition, de diar­ tion des émotions changent la
ou peuvent améliorer la santé situation des enfants si l’on ne rhées ou de choléra. Ce sont des manière d’envisager la maladie et
psychologique. Avec Enfants et change pas celle des soignants. décès rapides, et les personnels de les soins. Ces mutations sociales
soins en pédiatrie en Afrique de santé qui n’avaient pas eu le temps conduisent les populations à exi­
l’Ouest (Karthala, 364 pages, La faible prise en compte de la de tisser de liens avec ces enfants ger une offre de santé qui corres­
25 euros), il observe comment la douleur de l’enfant observée jus­ n’avaient donc pas, d’une certaine ponde à leurs attentes. Elles ne
demande de qualité des soins qui qu’ici dans certains services de façon, à « gérer » leur mort. sont plus dans l’obéissance abso­
émerge oblige à repenser l’acte santé a­t­elle pour seule explica­ Le problème qui se pose désor­ lue et la soumission envers la mé­
thérapeutique en lui­même. tion la précarité des hôpitaux ? mais, notamment en oncologie, decine ou les médecins, mais plu­
Il existe bien sûr des abus fla­ c’est qu’il y a un attachement des tôt dans un processus de revendi­
Pourquoi la demande sociale grants liés à la désinvolture ou à équipes médicales à leurs pa­ cation d’un droit à la parole pour
d’une meilleure qualité de l’incompétence. Mais l’environ­ tients, comme partout où il existe les femmes et pour les enfants.
soins de la mère et l’enfant nement pèse sur les soignants. des pathologies chroniques qui C’est un mouvement anthropolo­
émerge­t­elle ? Même si ces derniers sont formés durent. Quand la mort survient, gique de fond porteur de beau­
ILLUSTRATION YASMINE GATEAU Depuis quelques années, en Afri­ à une médecine clinique mondia­ c’est extrêmement douloureux coup d’espoir, capable de trans­
que, se dessine un changement de lisée, que peuvent­ils faire quand pour elles, sachant qu’elles ont été former la prise en charge hospita­
statut de l’enfant. Il a désormais un scanner est nécessaire et que confrontées, tout le long de la ma­ lière sur le continent. 
Depuis les indépendances, au début des an­ une réelle existence sociale. On lui l’appareil est indisponible, ou ladie, à un problème dans la prise propos recueillis par
nées 1960, d’importants efforts ont été réali­ donne la parole, en plus d’investir quand il n’y a pas de thermomètre en charge de la douleur : elles r. mb.
sés par les Etats africains dans la formation
des personnels médicaux et paramédicaux,
la création d’hôpitaux de proximité. Dès la
fin des années 1990, l’ouverture de pôles
d’excellence comme le Centre de recherche
et de lutte contre la drépanocytose de Ba­
Au CHU de Ouagadougou, les soignants se désolent
mako, le Centre de formation et de recherche
sur le paludisme du Mali, ou les centres d’on­ de « regarder les pauvres mourir et les riches guérir »
cologie pédiatrique de Dakar et de Nouak­
chott, en Mauritanie, ont multiplié l’offre. Fatigue, découragement, impuissance : au Burkina, les personnels hospitaliers craquent
Dernier exemple, l’Hôpital général de réfé­
rence de Niamey, inauguré en 2017, a déjà ac­
cueilli depuis, au Niger, plus de 40 000 mala­
des. Car, d’année en année, la population
croît et la demande de soins de qualité aussi.
REPORTAGE « ON SE SENT SEUL  ple, on manque de tout ici ! », ré­
sume une infirmière en sortant
Mais, là encore, « les moyens man­
quent et les patientes doivent sou­
ouagadougou ­ correspondance
Peu à peu, une culture de santé se diffuse jus­ ET ON GARDE TOUT SUR  de ses dix heures de garde de nuit vent ajouter de leur poche ! », dé­
que dans des zones rurales reculées, où vit
70 % de la population, et « un changement
dans le statut socio­affectif de l’enfant s’ins­
talle », lié, selon l’anthropologue Yannick Jaf­
fré, « au phénomène continu d’urbanisation ».
I ci, le ballet des brancards, c’est
vingt­quatre heures sur vingt­
quatre. Aux urgences trauma­
tologiques de l’hôpital Yalgado­
Ouédraogo, dans la capitale burki­
LE CŒUR. J’ESSAIE DE 
NE PLUS M’ATTACHER 
au service de chirurgie viscérale.
« Je suis épuisée et découragée,
poursuit­elle, la tête entre les
mains. On voit des cas très graves
arriver, mais souvent on est obligés
nonce une sage­femme. « Nous ac­
cueillons surtout des personnes dé­
munies ici. Alors on met en contact
ceux qui ne peuvent pas payer avec
l’action sociale, mais seulement
Parmi le jeune public composé de 400 mil­ nabée, « ça ne s’arrête jamais »,
AUX PATIENTS, SINON de les envoyer ailleurs par manque une sur trois environ est prise en
lions de moins de 15 ans, il y a urgence puis­ souffle un agent de santé qui se  CE N’EST PAS  de matériel ou de place. Notre bloc charge. Pour les autres, on essaie de
que près de 5 millions d’enfants décèdent en­ fraie un passage au milieu d’une a même été fermé pendant plus se cotiser », explique le docteur et
core chaque année avant 5 ans, notamment dizaine de patients allongés à GÉRABLE » d’un an. » Derrière elle, Cécile, chef du service des urgences médi­
en raison du paludisme, de la malnutrition, même le carrelage d’un couloir CÉCILE blouse rose, partage sa colère : « A cales Papougnézambo Bonkoun­
de diverses maladies infectieuses et d’un en­ décrépi. « Pas assez de lits ni de sage-femme la maternité, les patientes accou­ gou. « C’est injuste, on regarde les
semble de pathologies chroniques comme la chaises », s’excuse le brancardier, chent par terre la plupart du temps. pauvres mourir et les plus riches
drépanocytose et l’infection au VIH ou de avant de filer au pas de course der­ On prie que le bébé soit en bonne guérir, mais qu’est­ce qu’on peut
cancers. Le Fonds mondial de lutte contre le rière sa civière brinquebalante. rache­pied, on fait de notre mieux santé parce qu’on n’a même pas de faire ? », se désole un infirmier.
sida, la tuberculose et le paludisme vient Dans la chaleur moite, les bles­ avec le peu qu’on a, et pourtant on salle de réanimation. C’est difficile Le CHU Yalgado Ouédraogo,
d’engranger 14 milliards de dollars de dons sés guettent le passage des méde­ a toujours l’impression de mal sur le plan psychologique. On voit souvent qualifié de « mouroir » ou
pour juguler ces trois maladies les plus mor­ cins, l’œil inquiet. En attendant, faire notre travail, de négliger les mourir des femmes et des nou­ d’« hôpital du pauvre » par les Bur­
telles. Mais des pathologies nouvelles s’instal­ quelques pansements de fortune patients. » Tabous, les cas de dé­ veau­nés chaque jour alors qu’avec kinabés, traîne sa mauvaise répu­
lent, fruits des changements de mode de vie. ont été collés çà et là, avec plus ou pressions nerveuses s’évoquent l’équipement adéquat on pourrait tation à travers le pays, alors les
Or, comme le rappelle l’OMS, il manque déjà moins de bonheur. pudiquement. « On ne dit pas les sauver. » plus aisés préfèrent se tourner
4,2 millions de médecins sur le continent.  « Trois jours qu’on dort là. Mon quand ça ne va pas. Il faut faire vers les cliniques privées, plus
raoul mbog fils a eu un choc à la tête, un acci­ bonne figure devant l’équipe et le « Mouroir » onéreuses. « Nous sommes censés
dent de moto, on nous a envoyés public », rapporte Hamadi Konfé, Devant le bâtiment des urgences, être l’hôpital de référence du Bur­
Dossier réalisé en partenariat faire une radio. Depuis, plus rien. infirmier et représentant du syn­ Gilbert Savadogo patiente, assis kina, incarner le service public, et
avec le Fonds français Muskoka On attend », explique un homme, dicat Syntsha à l’hôpital. « On se sur un banc. « On me demande pourtant, on laisse mourir les
exténué, son fils, la vingtaine, en­ sent seul parfois, mais on garde 80 000 francs CFA [120 euros] gens », s’indigne le syndicaliste
dormi sur le sol. A l’accueil, les tout sur le cœur, confie Cécile, pour payer des radios complémen­ Hamadi Konfé, qui s’inquiète
fiches d’enregistrement s’empi­ sage­femme. J’essaie de ne plus taires pour ma femme. Je ne les ai aussi d’un projet d’augmentation

838 000
lent. « On est débordés, mais on ne trop m’attacher aux patients, si­ pas. J’espère que ma famille et mes des prestations examiné par la di­
peut refuser personne. Difficile de non ce n’est pas gérable. Mais c’est amis vont pouvoir m’aider », s’in­ rection de l’établissement, lequel
tenir », glisse un jeune interne en triste quand même, parce qu’on quiète ce cultivateur, arrivé la fait l’objet d’un plan de redresse­
médecine entre deux consulta­ fait ce métier pour eux. » veille depuis Nanoro, village situé ment financier.
Le nombre d’enfants entre 0 et 5 ans qui meurent tions. Manque d’effectifs, services Dans ce centre hospitalier uni­ à une centaine de kilomètres, En 2017, le gouvernement a
chaque année en Afrique saturés, locaux et matériels vétus­ versitaire public, le plus grand du avec son épouse, la colonne verté­ pourtant signé un protocole d’ac­
Près de la moitié d’entre eux (40 %) sont des nouveau-nés, selon tes… « Yalgado », c’est l’hôpital pays, le malaise est profond. brale fracturée après une chute. cord, prévoyant notamment
l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En Afrique subsaha- « malade » du Burkina Faso. Sages­femmes, infirmiers, anes­ Au Burkina Faso, un système de l’amélioration des conditions de
rienne, la probabilité que les enfants meurent avant l’âge de 5 ans Fatigue, découragement, senti­ thésistes, ils étaient près d’une prépaiement oblige les patients ou travail et d’accueil. « Mais deux ans
est quinze fois plus grande que dans les pays à revenu élevé. ment d’impuissance… Les nerfs centaine à faire grève le 10 octo­ leurs proches à débourser les frais après, rien n’est appliqué ! », fustige
L’agence onusienne précise encore que 55 000 femmes africaines du personnel médical sont mis à bre pour dénoncer leurs condi­ de soins pour être pris en charge. Pissyamba Ouédraogo, le secré­
meurent tous les ans en mettant au monde un enfant. rude épreuve. « J’ai trente et un ans tions de travail. « On a l’impres­ Un régime d’« assurance­maladie taire général de la Syntsha, qui
Ces chiffres s’expliquent en partie par un manque criant de service ici, mais je ne m’habitue­ sion que c’est de pire en pire, le ma­ universelle » a bien été voté en multiplie les mouvements de pro­
de médecins. Plus de 4,2 millions de praticiens supplémentaires rai jamais à voir des bébés “partir” tériel se dégrade et tombe en 2015, mais sa mise en place piétine. testation depuis avril. Contactée,
seraient nécessaires pour assurer des services de santé suffisants parce qu’on n’a pas pu faire de cé­ panne, les ruptures de médica­ Le gouvernement a également la direction de l’établissement n’a
au regard de la population. Le continent manque aussi de lieux sarienne », s’attriste M. Oué­ ments se multiplient », fustige un adopté en 2016 la gratuité des pas souhaité donner suite à nos
de formation et de recherche avec seulement 170 facultés draogo, un infirmier. Et d’ajouter : agent de santé. « Des gants, des co­ soins pour les enfants de moins de demandes d’entretien. 
de médecine en zone subsaharienne. « C’est frustrant. On travaille d’ar­ tons, du désinfectant… C’est sim­ 5 ans et les femmes enceintes. sophie douce
IDÉES
0123
30 | DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

L’USINE ET LA VILLE, UNE RELATION TOURMENTÉE


L’incendie du site de Lubrizol, à Rouen, met de nouveau en question
la présence d’activités industrielles dans les agglomérations. Mais une ville
qui n’abriterait pas de fonctions de production est-elle possible ?

Gilles Crague Reconstruire dans nos villes


un milieu favorable aux usines
V
ille et industrie ne feraient Conclure de la catastrophe de Lubrizol qu’il faut tindustrielle et de la « knowledge eco­ trouver de la place pour l’industrie,
pas bon ménage : c’est la nomy » (économie de la connais­ au sens physique du terme. Dans les
conclusion naturelle qui
fermer les sites industriels serait une erreur sance). Le récent mouvement du grandes agglomérations, la concur­
semble devoir être tirée économique et écologique, plaide le chercheur « faire » et des « makers » en constitue rence pour l’espace et les marchés
lorsque survient un acci­ un indice. foncier et immobilier auront sponta­
dent industriel, hier à Tou­ Si l’écologie est l’étude des milieux, nément tendance à évincer l’écono­
louse avec l’explosion d’AZF, nomique. Le déficit commercial ma­ turière française – 35 % –, bien plus alors l’enjeu industriel en France est mie productive. Dans les villes
aujourd’hui à Rouen avec l’incendie nufacturier est très loin d’être com­ que les fonctions R&D ou marketing un enjeu écologique : il s’agit non moyennes et petites, la disponibilité
de Lubrizol. Ces installations indus­ pensé par un excédent commercial – 10 % chacune (La France est­elle seulement de réduire l’empreinte foncière d’autrefois n’est plus de
trielles à risque font alors irruption dans le secteur des services (par exposée au risque protectionniste ?, carbone, mais aussi, plus largement, mise à l’heure de l’objectif de « zéro
dans l’espace public. On procède à exemple, le tourisme). Il engendre Anne­Sophie Alsif, Vincent Charlet et de reconstituer un « milieu » favora­ artificialisation nette » des sols, l’un
leur comptage (elles seraient plus de donc un trou structurel dans la ba­ Clément Lesniak, Presses de Mines, à ble à l’industrie. Autrement dit, il des objectifs du plan biodiversité du
700 labellisées Seveso seuil haut), on lance commerciale française, et la né­ paraître en janvier 2020). s’agit de ménager une place nouvelle ministère de la transition écologique
les cartographie pour constater leur cessité de s’endetter pour le financer En définitive, en dépit des inquiétu­ à l’industrie et à la fabrication dans et solidaire.
proximité avec des zones urbaines (L’Industrie française décroche­t­elle ?, des compréhensibles que l’accident les villes et les territoires. Nouvelle, Mais trouver de la place ne suffit
denses (2,5 millions de Français vivent Pierre­Noël Giraud et Thierry Weil, La industriel de Rouen a pu réveiller, parce que les dernières décennies ont pas, il faut aussi ménager des coexis­
à moins de 1 kilomètre d’une usine Se­ Documentation française, 2013). l’enjeu essentiel de l’industrie en vu triompher des doctrines de déve­ tences et faire cohabiter l’industrie
veso). Nombreux sont alors ceux qui Mais ce n’est pas tout : ces inconvé­ France, c’est celui de son maintien et loppement économique local qui ont avec les autres fonctions urbaines, et
partagent l’idée selon laquelle « plus nients économiques se doublent de sa relocalisation. Les raisons sont relativisé très fortement l’impor­ donc avec les habitations. L’urba­
aucune usine de ce type ne devrait exis­ d’un problème environnemental, tant économiques (déficit commer­ tance de l’industrie et de la produc­ nisme a ici un rôle crucial et stratégi­
ter à 3 km du centre­ville d’une grande puisque les importations manufactu­ cial) qu’environnementales (em­ tion, pour mettre en exergue que à jouer, lui qui s’est historique­
agglomération », pour reprendre les rières ont un effet direct sur l’em­ preinte carbone). On pourrait y ajou­ d’autres moteurs de développement, ment constitué comme l’art d’orga­
propos d’un avocat saisi par des asso­ preinte carbone de la France. En 2017, ter un argument d’ordre culturel : comme l’économie résidentielle ou niser l’espace afin d’assurer un
ciations sur Lubrizol. celle­ci s’élève à 749 millions de ton­ l’acte de fabrication pourrait redon­ la classe créative. certain équilibre fonctionnel. En dé­
Ce souhait de voir disparaître de nos nes de CO2, dont plus de la moitié ner un sens et une valeur au travail, finitive, il s’agit de remettre l’indus­
villes ces installations classées coïn­ (421 millions de tonnes) est due aux quelque peu perdus après plusieurs Un défi pour l’urbanisme trie au cœur des politiques d’aména­
cide de fait avec une évolution struc­ émissions importées ! Substituer les décennies d’éloge de la société pos­ Faisant fi de ces recommandations, gement de l’espace. L’ampleur et la
turelle de l’industrie en France : un importations manufacturières par des villes et des territoires ont néan­ difficulté de la tâche nécessiteront
nombre d’emplois divisé par deux des fabrications locales, dont les moins continué à soutenir leur tissu l’engagement et la coopération des
entre 1975 et 2015, qui se double de­ émissions unitaires sont nettement industriel. A Toulouse, dans la zone autorités publiques à toutes les échel­
puis 2005 d’un déficit commercial moins importantes, permettrait de li­ d’AZF, les autorités locales ont préféré les d’intervention. Une nouvelle
manufacturier grandissant (50 mil­ miter l’empreinte carbone française. réimplanter une filière industrielle cause nationale ? 
liards d’euros en 2017). La production de pointe (autour de l’oncologie) plu­
à l’étranger joue ainsi un rôle crois­ Maintien et relocalisation FAUT-IL SE RÉJOUIR tôt que de laisser le terrain aux pro­
sant dans la satisfaction de la de­ Afin de maintenir l’industrie tout en moteurs de logements. A Ivry­sur­
mande française de produits manu­ limitant ses nuisances, un compro­ DE L’ÉROSION Seine, dans le Grand Paris, la ville dé­
facturiers (meubles, téléphones, ordi­ mis pourrait être trouvé en mainte­ ploie des trésors d’ingéniosité pour
nateurs, automobiles, habillement, nant en France les seuls segments en DE L’INDUSTRIE tenter de maintenir une économie Gilles Crague est directeur
pétrole…). Faut­il se réjouir de cette amont (R&D) et en aval (marketing, productive menacée d’éviction en se­ de recherches à l’Ecole des ponts
érosion de l’industrie française qui ré­ distribution) des chaînes de valeur
FRANÇAISE conde couronne. A Flers, dans l’Orne, ParisTech-Centre international
glerait, en disparaissant, le problème (selon la fameuse « courbe du sou­ QUI RÉGLERAIT, les acteurs locaux se sont mobilisés de recherche sur l’environnement
des risques industriels pour les villes rire » préconisée par Stan Shih, le fon­ pour que l’usine Faurecia déménage, et le développement (Cired).
et leurs habitants ? Ne faut­il pas, au dateur d’Acer). Cette solution apparaît EN DISPARAISSANT, non pas en Pologne, mais sur un nou­ Il a dirigé « Faire la ville avec
contraire, la considérer comme un pour le moins discutable au regard veau campus industriel situé à 7 km l’industrie. Métropoles et villes
problème pour l’économie, le terri­ des chiffres : c’est en effet la fonction LE PROBLÈME DES du centre­ville. moyennes, retours d’expérience »
toire et les citoyens français ? de fabrication qui constitue, en 2014, RISQUES INDUSTRIELS Quelle que soit la taille du terri­ (Presses de l’Ecole nationale
L’érosion de l’industrie française la part la plus importante de la valeur toire, métropole ou ville moyenne, la des ponts et chaussées, à paraître
constitue d’abord un problème éco­ ajoutée totale de l’industrie manufac­ POUR LES VILLES ? tâche est ardue. Il s’agit d’abord de le 14 novembre)

Les « makers », premier chef, de fabriquer à l’unité, de fa­


çon souple et économe, en compressant les
coûts écologiques. Le succès actuel des « fab
Dans ce mouvement qui affecte les fa­
çons de produire, mais qui pourrait à
terme transformer l’ensemble du paysage
jourd’hui incarnent concrètement, mais
non sans ambiguïtés ni contradictions
parfois, cette volonté de faire société et de

ou comment produire
labs », « hackerspaces » et autres tiers lieux urbain, nous en sommes toujours au stade faire la ville autrement.
consacrés à la fabrication collaborative con­ des balbutiements. Néanmoins, des Mais leur issue reste encore incertaine.
vainc que les « makers » ont lancé plus start­up et des petites entreprises artisa­ De nombreuses questions demeurent :
qu’une petite révolution du travail. En fai­ nales produisent déjà de toutes petites sé­ comment les micro­industries « makers »

dans la cité autrement


sant éclater les oppositions anciennes entre ries qui sont commercialisées par des en­ peuvent­elles s’insérer dans des écosystè­
conception et fabrication, entre fonctions seignes de distribution connues. Des en­ mes qui ne sont pas nécessairement pré­
de producteur et de consommateur, entre ceintes musicales, des meubles, des disposés à les faire vivre ? Comment irri­
investissement productif et engagement ci­ composants électroniques ou chimiques, guer le métabolisme des villes pour en finir
toyen, etc., ils frayent la voie à un modèle de des vêtements, diverses pièces en bois, en avec les concentrations industrielles et les
production compatible avec de nouveaux métal ou plastique, etc., sont fabriqués à la risques qui leur sont immanents ? Com­
Les sociologues Isabelle Berrebi-Hoffmann, modèles de développement urbain. demande dans des délais très courts. Le ment faire des citoyens des acteurs à part
Le projet Fab City pourrait fournir un élan « makerspace » Ici Montreuil s’est ainsi ré­ entière de leur futur urbain ? La multiplica­
Marie-Christine Bureau et Michel Lallement décrivent décisif dans cette direction. L’objectif des cemment organisé pour honorer des com­ tion des lieux où l’on produit à l’unité avec,
les nouveaux modes de production partagée et grandes villes associées dans ce réseau mandes de prototypage et de production dans de nombreux cas, une philosophie du
d’envergure internationale est d’aboutir émanant d’industries les plus variées. C’est, partage qui tranche avec celle de l’échange
en circuit court qui émergent dans les centres urbains d’ici à 2054 au façonnement d’aggloméra­ ce faisant, tout un tissu urbain qui gagne marchand traditionnel ne résout pas tou­
tions localement autosuffisantes et globa­ en vitalité nouvelle. tes ces interrogations. Il est certain en re­

L’
lement connectées. Dans un tel esprit, les vanche que les « makers » participent d’un
incendie de Lubrizol, à Rouen, est « fab labs » et les « hackerspaces » consti­ Une issue encore incertaine mouvement plus large qui vise à expéri­
une catastrophe dont nous sommes tuent un fer de lance qui a déjà fait ses preu­ Mais rien n’est encore gagné. Le dévelop­ menter d’autres manières de travailler, de
loin d’avoir mesuré toutes les consé­ ves. Avec et autour de ces espaces alterna­ pement d’une micro­industrie intégrée au produire, de consommer et de vivre dans la
quences humaines et écologiques. A tifs de production, on voit émerger des éco­ territoire est loin en effet de contrecarrer cité. Il vaut, rien que pour cela, d’être atten­
lui seul, il est aussi le symptôme de l’épui­ systèmes qui font la part belle à un mode les dégâts des délocalisations. Par ailleurs, tif à leur action. 
sement d’un vieux monde industriel fondé de production économe en énergies fossi­ les futurs imaginés par les acteurs et les
sur les principes de concentration des res­ les et qui donne la priorité au collaboratif, observateurs du mouvement « maker » di­
sources, de clôture des espaces d’activité, aux circuits courts, au développement du­ vergent amplement. Assimilée à une dé­
de fabrication de masse et d’économies rable, ainsi qu’à l’inclusion sociale. Signe mocratisation massive de la création d’en­
d’échelle. L’urgence est plus que jamais à des temps, des collectifs rassemblant des treprise, la troisième révolution indus­
LA MULTIPLICATION l’expérimentation d’un nouveau para­ artistes, des artisans et des travailleurs du trielle théorisée par Chris Anderson n’a Isabelle Berrebi-Hoffmann,
digme capable de réconcilier économie de numérique s’implantent dans les locaux guère à voir par exemple avec l’utopie tôt Marie-Christine Bureau et Michel
DES TIERS LIEUX production et dynamique urbaine. désaffectés d’usines qu’ils réhabilitent et entrevue par André Gorz : le philosophe Lallement sont sociologues et membres
Une des options possibles nous est propo­ font revivre. En 2007, un des tout premiers croyait que la dissémination territoriale du Laboratoire interdisciplinaire
NE RÉSOUT sée aujourd’hui par le mouvement « ma­ « hackerspaces » franciliens avait ouvert d’ateliers coopératifs interconnectés à pour la sociologie économique (LISE,
PAS TOUTES LES ker ». Celui­ci s’est d’abord développé grâce ses portes dans la zone industrielle de l’échelle du globe offrait la possibilité CNAM/CNRS). Ils sont les auteurs de « Ma-
aux technologies du numérique, qui don­ Vitry­sur­Seine (Val­de­Marne), tout à côté d’une sortie civilisée du capitalisme. Les kers. Enquête sur les laboratoires
INTERROGATIONS nent la possibilité, par l’impression 3D au d’une usine classée Seveso. « fab labs » et les « hackerspaces » d’au­ du changement social » (Seuil, 2018)
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 idées | 31

LA  CHRONIQUE

Pierre Veltz les activités manufacturières, cel­ réalisant la fabrication personna­ DEDOMINIQUE MÉDA
les des grands réseaux (eau, télé­ lisée au plus près des marchés,
coms, transports) et des services grâce notamment à la robotisa­

L’industrie continue 150 citoyens vont-ils


liés à l’industrie (ce que j’appelle tion, puissant facteur de retour
le périmètre du nouveau monde des productions vers les pays ri­
« hyperindustriel »), on arrive à un ches et les centres urbains. La
bon tiers du produit intérieur convergence « hyperindustrielle »
sauver le climat ?
à se moderniser
brut français, un niveau compara­ entre industries, services et nu­
ble à celui de l’Allemagne. mérique trouve un biotope privi­

L
Cela peut sembler provocateur légié dans les tissus urbains : no­
face aux événements de Rouen, tamment autour des domaines e 4 octobre s’est ouverte au Con­
mais l’heure est sans doute venue concernant l’autoproduction de seil économique, social et envi­
de renouer les liens entre cette in­ la ville, la gestion de ses métabo­ ronnemental la Convention ci­ Dominique Méda est
La catastrophe de Lubrizol ne doit pas cacher dustrie nouvelle (modernisée, lismes et les attentes de proxi­ toyenne pour le climat, compo­ professeure de sociolo-
mais pas uniquement orientée mité des habitants (mobilité, sée de 150 citoyens tirés au sort. En six gie, directrice de l’Insti-
la mutation en cours d’un secteur industriel de vers les technologies de pointe) et énergie, santé, alimentation, etc.). longs week­ends, cette assemblée est tut de recherche inter-
plus en plus apte à renouer les liens avec la ville, la ville. De fait, le retour de la pro­ Le premier enjeu face à ces mu­ censée exprimer et mettre sous la disciplinaire en sciences
duction matérielle dans les villes tations est social. Nos métropoles forme juridique adéquate les proposi­ sociales (Dauphine/PSL)
observe l’économiste et sociologue est à l’ordre du jour dans de nom­ sont menacées de bipolarisation tions permettant de réduire de 40 %

L
breux pays développés. Aux Etats­ des emplois et des qualifications. les émissions de gaz à effet de serre à
a catastrophe de Rouen, Au­delà des légitimes indigna­ Unis, l’Alliance pour le manufac­ En caricaturant : des bac + 8 d’une l’horizon 2030. Le gouvernement s’est engagé à les soumettre au
venant après celle d’AZF, à tions, l’événement dévoile ainsi, turing urbain réunit 150 villes. part, une énorme masse d’em­ Parlement ou à l’administration.
Toulouse, en 2001, rappelle une fois de plus, le rapport de mé­ En Europe, Bruxelles, Rotterdam, plois de services peu qualifiés Certains commentateurs ne se sont pas privés de rappeler qu’il
que l’industrie chimique connaissance qui sépare l’opinion Londres, Hambourg, Stuttgart ex­ de l’autre. La réinvention d’une n’est nul besoin d’une telle grand­messe pour savoir quelles mesu­
reste une activité à risque, aussi française de la réalité de son in­ plorent de nouvelles manières de industrie urbaine, offrant des jobs res il faudrait prendre. A l’appui de leurs dires, deux rapports très
encadrée soit­elle. Elle rappelle dustrie. Rappelons que la France, réarticuler les tissus urbains rési­ qualifiés de type intermédiaire, clairs, publiés une quinzaine de jours auparavant, l’un par le Con­
aussi que le modèle de séparation au cours des dernières années, a dentiels avec le développement et le retour en ville d’un artisanat seil des prélèvements obligatoires (« La fiscalité environnementale
des fonctions urbaines (résidence, ouvert plus d’usines qu’elle n’en a d’activités productives, de l’artisa­ (traditionnel ou numérique) lar­ au défi de l’urgence climatique »), l’autre par l’Organisation de coo­
production, commerce, etc.) n’est fermé, que ces usines, dans leur nat traditionnel au néoartisanat gement chassé par les prix fon­ pération et de développement économiques (OCDE) (« Taxer la
pas simplement l’effet d’une immense majorité, sont propres, numérique des « makers » (« fa­ ciers sont sans doute le meilleur consommation d’énergie 2019 »), convergent dans la dénonciation
idéologie fonctionnaliste, celle de ressemblant souvent plus à des blabs », « hackerspaces » et autres antidote à ce scénario. de l’insuffisance de la taxe carbone, qu’il s’agisse de la France ou de
la charte d’Athènes (issue du laboratoires qu’à des garages à tiers lieux), en passant par de Le deuxième enjeu est urbanis­ la plupart des autres grands pays. La solution semble donc claire :
IVe Congrès international d’archi­ l’ancienne, et que la moyenne nouvelles usines plus ou moins tique. Faciliter le retour en ville elle consiste à mettre en place ou à augmenter fortement les taxes
tecture moderne, en 1933), deve­ des effectifs y tourne aujourd’hui miniaturisées. La région franci­ des activités du « faire », et pas sur les combustibles fossiles. Une politique dont on se souvient
nue la règle dans l’urbanisme de autour de 20 personnes. lienne et Paris ont aussi lancé des seulement du logement, du bu­ pourtant qu’elle a provoqué, en France, deux crises sociales majeu­
l’après­guerre et régulièrement Même au pire moment des an­ initiatives en ce sens. reau, du loisir et de la consomma­ res, celle des « bonnets rouges » et celle des « gilets jaunes », qui
dénoncée depuis lors. Si l’on a pro­ nées d’après la crise de 2008, tion, permettrait de redonner vie s’expliquent dans les deux cas par un mauvais calibrage et surtout
gressivement sorti de nombreu­ l’industrie a continué à se renou­ Redonner vie au tissu urbain à un tissu urbain toujours plus par l’absence d’accompagnement social des mesures.
ses industries des villes pour les veler et à se moderniser, et non L’ère des méga­usines est passée ; morne et fonctionnalisé. La ville L’intervention des citoyens se révèle donc bien utile : il sera(it) en
regrouper dans des zones d’activi­ pas à dépérir en masse, comme le les nouvelles usines sont petites, des métiers et des ateliers pour­ effet beaucoup plus difficile de remettre en cause des propositions
tés spécialisées, c’est aussi, et sur­ croit l’immense majorité de nos automatisées, non polluantes, rait renaître, sous des formes portées par des citoyens représentatifs de la population française.
tout, parce que ces industries concitoyens. De 2007 à 2017, la avec une main­d’œuvre de plus nouvelles. Faciliter le retour en Rappelons que les spécialistes indiquent que cet échantillon a été
étaient fortement polluantes. France a perdu, en solde global, en plus qualifiée. Le bouil­ ville de l’industrie permettrait particulièrement bien construit, même si subsiste évidemment
Mais les nuages noirs de Rouen, 435 000 emplois manufacturiers, lonnement récent mais vigou­ aussi de renouer les liens entre les un biais majeur : les personnes les plus concernées par ces ques­
aussi désastreux soient­ils, ne mais 5 400 communes ont affiché reux d’initiatives qu’on peut rat­ mondes de la technique, des arts, tions ont accepté plus facilement de participer et les 150 citoyens
devraient pas cacher la réalité un solde positif de 180 000 em­ tacher à la mouvance des « ma­ des sciences, de l’enseignement, se sentent donc sans doute plus impliqués que la moyenne de la
aujourd’hui dominante, celle plois de ce type. Et si on cumule kers » signale une mutation à l’image des villes d’avant la population. Il n’est donc pas exclu que la convention citoyenne ac­
d’une industrie qui, dans les gran­ autant, et sinon plus, culturelle grande divergence qui fut celle couche d’une augmentation de la taxe carbone, mais cette fois ac­
des villes, contribue moins à la que technico­économique : re­ des deux derniers siècles. Souhai­ compagnée des mesures sociales appropriées.
pollution atmosphérique que les cherche d’autonomie, recherche tons que des crises dramatiques
transports, et qui émet globale­ de sens et volonté de « faire », de comme celle de Rouen facilitent Un budget de guerre
ment moins de gaz à effet de serre voir le résultat concret, physique, cette mutation.  Comme si on allait ainsi effacer l’erreur fatale commise au moment
que l’agriculture ou le bâti­ de son action, fût­ce à petite de la hausse du prix des carburants – aveugle à la question sociale et
ment (du moins en France et en échelle, avec la priorité au local et ignorante du fait que les taxes sur les combustibles fossiles pèsent
Europe ; c’est très différent en
LES USINES aux circuits courts. proportionnellement plus sur les ménages modestes. Comme si on
Chine). On a pu entendre à propos RESSEMBLENT Un exemple entre cent : le vélo allait tout reprendre depuis le début en commençant, comme de­
de Lubrizol des commentaires pliable Brompton fait du « made vraient toujours le faire les décideurs publics, « par le bas », c’est­à­
étonnants : l’incendie révélerait, ô PLUS À DES in London » un élément­clé de Pierre Veltz, sociologue dire en partant de l’expérience des personnes, réceptacle final de
surprise, que l’industrie n’était son marketing. Les longues chaî­ et économiste, est l’auteur toutes les contradictions des politiques publiques, et non « d’en
pas encore complètement morte LABORATOIRES nes de valeur ultrafragmentées de « La France des territoires, haut », de trop loin, de Bercy, de Matignon ou de l’Elysée.
et que la « French Tech » n’avait QU’À DES GARAGES du « made in monde » vont pro­ défis et promesses » L’intervention des citoyens est d’autant plus utile que la taxe car­
pas encore intégralement rem­ bablement évoluer vers des sys­ (Editions de l’Aube, 176 pages, bone n’est évidemment pas la seule solution à mettre en œuvre.
placé le monde désuet des usines. À L’ANCIENNE tèmes productifs plus distribués, 16,90 euros) Dès le premier week­end, nos 150 représentants l’ont prouvé, en
montrant une remarquable maîtrise des sujets et en transformant
une séance classique de questions­réponses adressées aux experts
en une longue et audacieuse série de prises de parole ancrées dans

Michèle Dupré et Jean-Christophe Le Coze


l’expérience. S’est alors déployée, dans sa simplicité et dans sa radi­
calité, une liste de questions rhétori­
ques sans nul doute destinées au gou­
L’INTERVENTION  vernement mais aussi à la société

La sécurité au quotidien sur un site Seveso


DES CITOYENS EST  tout entière : ne faudrait­il pas suppri­
mer la publicité, développer le ferrou­
D’AUTANT PLUS  tage, contraindre les entreprises pol­
luantes, s’attaquer aux lobbys et aux
UTILE QUE LA TAXE  intérêts financiers, renoncer à la voi­
CARBONE N’EST   ture électrique, prendre en considéra­
La sociologue et l’expert dures sont ajoutés des dispositifs de sécurité pondre à leurs questionnements, qui exigent tion l’empreinte carbone (qui inclut
en risques industriels couplés à des automates. alors de plus amples recherches. Les outils de PAS LA SEULE  les émissions de gaz à effet de serre
Mais, dans le même temps, le quotidien gestion et leur support informatique volent des produits importés) et pas seule­
montrent l’impact des de ces entreprises reste jalonné de dysfonc­ du temps aux équipes, qui font de plus en plus SOLUTION À METTRE  ment les émissions de gaz à effet de
tionnements et d’incidents inhérents à leur de reporting pour répondre aux exigences bu­ EN ŒUVRE serre dont l’évolution laisse croire
changements d’organisation complexité. Ces événements ont des causes reaucratiques, administratives et réglementai­ que la France fait des progrès ?
du travail sur la culture multiples : défaillances techniques, erreurs res, peu sensibles aux dimensions sociales et Et l’on se prend alors à rêver que
humaines, conception inadéquate des instal­ organisationnelles de l’action. Bref, ces usines tout soit vraiment mis sur la table durant les cinq week­ends res­
de gestion des risques lations, problèmes organisationnels, qui ré­ sont différentes des autres organisations de tants. Qu’aux côtés des tenants de la taxe carbone, les défenseurs

N
sultent bien souvent de décisions stratégiques travail en raison de la prégnance de la sécurité, de la post­croissance et de la décroissance, des nouveaux indica­
ous étudions depuis 2004 les organisa­ des directions. L’introduction d’un nouvel incarnée dans des dispositifs managériaux et teurs de richesse, de la sobriété heureuse, de la déprise technologi­
tions de plusieurs entreprises chimi­ équipement ou d’un nouveau produit, la mo­ réglementaires, des injonctions et des prati­ que, ou les lanceurs d’alerte qui dénoncent le déploiement inces­
ques classées Seveso seuil haut en de­ dification d’une ligne de production ou de l’or­ ques, mais elles sont confrontées comme elles sant de nouveaux temples du consumérisme comme les centres
hors des contextes postaccidentels, ce ganisation d’une activité peuvent perturber le à des transformations qui ne relèvent pas de la commerciaux des gares ou Europacity…, viennent échanger avec
qui permet d’éliminer le biais rétrospectif qui cours de l’action, parfois plus qu’escompté. sécurité mais qui l’impactent. ces citoyens, véritables experts de la vie quotidienne. Et que ces
apparaît lorsqu’il s’agit d’élucider un événe­ Ces univers à risques ont été longtemps ana­ derniers parviennent à imposer leurs vues afin qu’en 2020 soit éla­
ment venant bouleverser leur vie quotidienne Un faisceau de relations sociales lysés sous le seul angle technique, tant par les boré, au lieu du budget actuel qui fait si peu de place à l’écologie et
et leur environnement, et qui occulte ce qui Dans la majeure partie des cas, le savoir­faire industriels que par les inspecteurs des installa­ au social, à la relance de l’investissement et de l’emploi, un projet
fait qu’elles fonctionnent aussi en sécurité, des équipes, combiné aux mesures techni­ tions classées. Or si les équipements techni­ de loi de finances 2021 de combat contre le péril climatique.
malgré les complexités de tous ordres. ques, permet de rattraper ces dérives et d’évi­ ques sont déterminants, ils ne pourraient Un budget de guerre donc, qui – outre les appuis nécessaires aux
Que peut­on constater ? Tout d’abord, que les ter qu’un incident ne se transforme en acci­ « agir » sans le faisceau de relations sociales qui changements de comportement et de pratique radicaux et à l’anti­
usines chimiques présentent en effet des dan­ dent. L’histoire du site et du territoire sur le­ les entoure. Nos recherches empiriques parti­ cipation des restructurations – acterait le lancement d’un investis­
gers par les procédés qu’elles emploient, les quel il est implanté marque de son empreinte cipent de la compréhension de ces systèmes, sement public supplémentaire massif (au moins 20 milliards
matières premières qu’elles utilisent et qu’el­ la sécurité (par exemple, le niveau de qualifica­ par exemple pour prendre en compte l’impact d’euros par an) dans la transition écologique – et particulièrement
les stockent. Ensuite, que ces usines font l’ob­ tion dans le bassin d’emploi considéré, ou de changements organisationnels sur la sécu­ dans la rénovation thermique des passoires énergétiques, chantier
jet d’une surveillance renforcée par une régle­ l’âge des installations), de même que l’appar­ rité. Les sciences sociales peuvent compléter le majeur susceptible de redessiner nos villes et de réconcilier l’écolo­
mentation toujours plus étoffée au fil des an­ tenance à des groupes internationaux ou à de regard des ingénieurs et contribuer aux débats gie et le social. Ces citoyens parviendront­ils à convaincre le prési­
nées, tant au niveau national qu’européen. plus petites structures dont l’expertise, les sur les transformations que la société attend dent de la République ? Lors du débat organisé par ce dernier le
Malgré les limites inhérentes à l’exercice, moyens, les ressources et les politiques de sé­ de ces systèmes industriels à risques.  18 mars avec les « intellectuels », je lui avais demandé s’il était prêt à
cette régulation par l’Etat ne peut être rempla­ curité diffèrent. Une caractéristique forte de mettre en œuvre un tel grand plan d’investissement. Sa réponse
cée par l’autorégulation, pourtant parfois re­ cette industrie est en effet son hétérogénéité. avait été nette : « Est­ce que la solution est dans un grand plan d’in­
vendiquée par les industriels. Par ailleurs, ces usines sont traversées par vestissement ? J’ai envie de dire, on l’a essayé, ça a été la réponse fran­
Ce renforcement des réglementations a des transformations à l’œuvre dans le monde çaise de Nicolas Sarkozy à la crise de 2008­2010. Quand je regarde les
contraint les entreprises à renforcer et profes­ du travail. Différents statuts d’emploi (intéri­ pays européens, la France est le seul à avoir fait un grand plan d’in­
sionnaliser leur service hygiène, sécurité, en­ maires, CDD, CDI) se côtoient ; la sous­ Michèle Dupré est sociologue du travail vestissement. Je regarde dix ans après, on a plus de chômage que
vironnement (HSE). L’apprentissage des règles traitance est à présent une constante. Dans le au Centre Max-Weber (université Lyon-II) ceux qui ne l’ont pas fait, et on a plus de déficit public. » Ajoutant :
de sécurité est devenu un objectif incontour­ cours de l’action, les salariés, opérateurs Jean-Christophe Le Coze est responsable « Les Français ont­ils été plus heureux ? Non. » Espérons que, là où les
nable, les équipements de protection collectifs comme ingénieurs, constatent souvent qu’ils étude et recherche à l’Institut national « intellectuels » ne sont pas parvenus à se faire entendre, les ci­
ou individuels sont obligatoires, et aux procé­ ne disposent pas des connaissances pour ré­ de l’environnement industriel et des risques toyens réussiront. 
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32 | idées DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

Jamal Mahjoub
Pour éviter
le désastre,
le Soudan YANN LEGENDRE

doit repartir
de zéro
Après neuf mois d’une révolution qui
a mis fin au régime d’Omar Al­Bachir, le pays,
bien que divisé et exsangue, est entré dans une
phase de transition démocratique qui laisse
du Nil Bleu et du Kordofan, essentielles réveillé par des coups de feu au loin,
déjà percevoir « des signes encourageants », à la stabilité du pays, inenvisageables avant d’apprendre, peu après, que l’école
sous le régime précédent. avait été fermée en raison d’un nouveau
estime l’écrivain anglo­soudanais Le risque d’échec reste cependant élevé. coup d’Etat. C’était chose courante.
Les obstacles auxquels le Soudan doit faire Cependant, aucune période de régime

P
face sont considérables. A commencer par militaire ne s’est bien terminée. Celui
une situation économique catastrophi­ d’Al­Bachir ne fait pas exception. Sembla­
our tous ceux qui ont suivi les cher. Khartoum est devenue le refuge de que. Après trente ans de stagnation et ble à une folie, ce régime militaro­islami­
événements survenus au Sou­ populations venues des quatre coins du d’inertie, le pays semble marcher tel un que n’a eu de cesse de vouloir, trente ans
dan ces neuf derniers mois, une pays, qui ont apporté avec elles leurs cou­ zombie vers le désastre. L’argent facile qui durant, éloigner le pays de la modernité.
question, cruciale, demeure : y tumes, leurs langues, de nouvelles tradi­ afflua pendant plus d’une dizaine d’an­
a­t­il une chance que la révolu­ tions culinaires et, dans certains cas, des nées après le boom pétrolier s’est asséché Aux marges du monde arabe
tion se conclue par l’instaura­ armes. Les dirigeants gouvernaient alors avec la sécession du Soudan du Sud Au Soudan, souvent, la religion s’est im­
tion d’une démocratie stable et durable ? le pays comme s’il était une lointaine co­ en 2011, qui a privé le pays de plus de 75 % posée comme l’ultime recours lorsque
Dans toute la région, les soulèvements lonie, cela est désormais impossible. de ses gisements de pétrole. L’eau de­ tout échouait. N’est­ce pas ce vers quoi se
populaires se sont heurtés à des répres­ Ceux qui cherchent aujourd’hui à le meure sans doute la plus grande res­ sont tournés, dans les années 1980, le
sions sanglantes qui ont conduit à la res­ reconstruire semblent l’avoir compris. En source du Soudan – sa valeur et son im­ colonel Gaafar Nimeiry [président de la
tauration de régimes autoritaires et témoigne la « déclaration constitution­ portance stratégique étant vouées à croî­ République de 1971 à 1985], puis, lors de la
anéanti tout espoir de réforme. Nous nelle » signée, le 17 août, entre la coalition tre dans les années à venir. Or cette décennie suivante, Hassan Al­Tourabi
avons tous été témoins de l’enlisement des Forces de la liberté et du changement ressource a également été compromise (1932­2016), le fondateur des Frères mu­
tragique des conflits en Libye, au Yémen (FFC) et le conseil militaire de transition. IL EST ENCORE par la vente de larges bandes de terre le sulmans soudanais, qui inspira le coup
et en Syrie. Tandis qu’en Egypte la junte Quelle qu’en soit l’issue, ce projet, qui vise long du Nil à plusieurs compagnies liées à d’Etat d’Al­Bachir en 1989. Cela s’explique
militaire, plus cruelle que l’ancienne, a ré­ à réorganiser le pays, est indéniablement
POSSIBLE D’IMAGINER la région du golfe Persique, au Liban, au en partie par la situation géographique
duit à néant tous espoirs de voir s’impo­ positif. Le nouveau gouvernement, formé UN PAYS QUI Pakistan ou encore à la Malaisie. Les seu­ du pays. Aux marges du monde arabe, le
ser dans un avenir proche un gouverne­ par Abdallah Hamdok, économiste che­ les personnes qui semblent ne pas en pro­ pays plaide toujours pour sa reconnais­
ment véritablement représentatif. vronné, marque le retour à un paysage po­ DEVIENDRAIT, fiter sont précisément les Soudanais. Il sance. Alors qu’il est unique en son genre.
Il est aisé de généraliser, toutefois, il faut litique plus diversifié. Longtemps, la politi­ pourrait toutefois en être autrement. Des liens historiques nous relient, ethni­
replacer chaque situation dans son que soudanaise a souffert d’un manque de FINALEMENT, Souvenons­nous, dans les années 1960, quement et culturellement, à nos voisins
contexte. Le Soudan, par exemple, n’est représentativité, en particulier aux postes­ CE QU’ON NOUS le Soudan a été l’un des plus grands pro­ africains au sud et à l’ouest. Dans les
pas l’Egypte, son plus proche voisin dont il clés du pouvoir, où les habitants des pro­ ducteurs au monde de coton à fibres lon­ années 1960 et 1970, il y eut même plu­
fut autrefois le vassal. Rappelons d’abord vinces régionales étaient tout simplement ENSEIGNAIT, ENFANTS : gues. Le fameux « Projet Gezira » [mis en sieurs tentatives pour définir, à travers
que nous sortons tout juste de trente ans absents. La distance, à la fois physique et place dans cette région bordée par le Nil l’art et la poésie, cet héritage culturel sin­
de régime militaro­islamique. Politique­ culturelle, entre la capitale et la périphérie LE GRENIER pour le doter de l’un des systèmes de gulier, en rassemblant ses éléments afri­
ment, du moins, l’islam ne représente pas
tant une menace qu’une force du passé
a toujours été source de déséquilibre,
nourrissant du ressentiment de part et
DE L’AFRIQUE ET canaux les plus importants au monde] est
tombé en décrépitude, par négligence et
cains et arabes. Mais elles furent large­
ment éclipsées avec le temps.
qui a échoué à unifier le pays lors de cette d’autre. Al­Bachir n’a eu de cesse d’ailleurs DU MOYEN-ORIENT mauvaise gestion, mais il est encore pos­ L’islam fait toujours partie du spectre
période. Source de divisions, ayant à la fois de s’appuyer sur ces divisions afin de sible d’imaginer un pays où les ressources culturel, mais en partie seulement. Le
supprimé la diversité et entravé l’égalité, maintenir son pouvoir, soit en armant des naturelles profitent à tous et non à quel­ symbolisme qui a émergé lors de la révo­
elle est à l’origine du conflit armé qui a milices comme au Darfour, soit en dres­ ques­uns, où le tourisme se développe. lution l’a clairement démontré, faisant
embrasé le Darfour, à l’ouest, et les régions sant les différentes branches des forces de Un pays qui deviendrait, finalement, ce ouvertement référence à l’histoire préis­
du Nil Bleu et du Kordofan, à l’est et au sécurité les unes contre les autres. Ironie que l’on nous enseignait, enfants : le gre­ lamique du pays et à la culture matriar­
centre du pays. Quant au sud, l’islamisme du sort : il se pourrait bien que cette straté­ nier de l’Afrique et du Moyen­Orient. cale nubienne, personnifiée par la figure
a transformé la guerre civile en un djihad gie ait, in fine, servi à rassembler le pays. Rien de cela n’est impossible. La levée de la « Kandaka », la reine mère. Tout cela
qui rendait inévitable la sécession en 2011. des sanctions commerciales américaines s’est incarné dans une image, devenue
Au temps du régime d’Omar Al­Bachir S’attaquer aux inégalités en 2017 a été un premier pas. Même si la virale, d’une jeune femme, Alaa Salah,
[président de 1989 à 2019], l’opposition fut L’unité est la clé du succès de la révolu­ monnaie a continué de chuter, condui­ perchée sur une voiture et dirigeant les
sévèrement réprimée : des politiques et tion. Les préjugés et les barrières de sant à une hausse des prix des biens de chants de protestation.
des journalistes, parmi lesquels mon père, classe, de race et de genre doivent tous première nécessité. Et qu’en arrière­plan Désormais, le Soudan doit saisir l’oppor­
ont été contraints à l’exil ou jetés en pri­ être renversés pour se substituer au prin­ s’agitent toujours les proches d’Al­Ba­ tunité qui lui est offerte : celle de remonter
son. Ceux qui ont survécu à cette purge cipe de citoyenneté. La question de l’iné­ chir. Le pays a connu ces derniers mois le temps et de repartir de zéro, peut­être
violente se sont installés dans une rela­ galité, qui a été le véritable moteur de la au moins quatre tentatives de coups même en meilleure posture. Nous avons
tion pragmatique avec la junte militaire. révolution, doit être désormais affrontée d’Etat, menées apparemment par les te­ tous assisté au désastre de la révolution
Le parti au pouvoir récompensant la en profondeur, au niveau institutionnel, nants de la ligne dure de l’ancien régime, égyptienne, des crises en Libye, au Yémen
loyauté par des contrats qui, notamment et se traduire par de profonds change­ faisant planer la menace d’une interven­ et, évidemment, en Syrie. Personne ne
lors du boom pétrolier, ont été particuliè­ ments et une véritable inclusion. tion armée. Bien sûr, certains vou­ veut voir le Soudan suivre la même voie.
rement lucratifs pour un petit groupe de Plusieurs signes encourageants suggè­ draient voir cette révolution échouer, Nous connaissons un moment de muta­
privilégiés. La paralysie qui a frappé toute rent déjà que la question de la diversité pour assurer le retour au modèle mili­ tion, où tout semble possible. L’essentiel,
l’économie (à l’exception du domaine mi­ commence à être prise au sérieux. L’en­ Jamal Mahjoub est écrivain. taro­islamiste. Les Saoudiens et les Emi­ dans cette période, est d’avoir pleinement
litaire, qui a absorbé 70 % des dépenses du trée au gouvernement de quatre femmes, Né à Londres, en 1960, d’un père rats œuvrent en coulisses avec leurs mil­ conscience que les occasions sont rares, et
gouvernement) a également touché le dont Asma Mohamed Abdallah au poste soudanais et d’une mère anglaise, liards. Mais d’autres acteurs, comme la qu’en échouant nous condamnons le pays
développement politique du pays. de ministre des affaires étrangères, mais il grandit à Khartoum, avant de Chine et la Russie, sont très présents. à des décennies d’instabilité, de guerre, de
J’ai grandi dans les années 1970, incons­ également la nomination au Conseil sou­ partir en Angleterre étudier la La démocratie a une longue histoire au souffrances, voire même à l’implosion. Le
cient des complexités qui traversaient verain [instance à majorité civile, mais di­ géologie. Son œuvre se partage Soudan. Le premier gouvernement mul­ Soudan du Sud a prouvé que la sécession
mon pays. Nous menions alors une vie rigée par un militaire, qui doit superviser la entre romans et romans policiers. tipartite a été formé en 1956 [année de n’est pas un remède miracle. Soixante­
tranquille, bien que modeste, dans une transition] de deux femmes, notamment Son prochain livre, « La Cité des l’indépendance du pays]. Depuis lors, de dix ans après l’indépendance, il est peut­
capitale paisible, à l’écart de la guerre qui une chrétienne (copte), Raja Nicolas chacals », paraîtra, sous le pseu- multiples efforts ont été déployés pour être temps de trouver la bonne formule. Il
déchirait le Sud, à quelques centaines de Abdel Massih, ont envoyé un signal clair. donyme de Bilal Parker, en fé- tenter de trouver un cadre politique adé­ ne nous reste plus qu’à espérer. 
kilomètres. Avec le temps, ce qui nous De même, les négociations engagées avec vrier 2020 chez Gallimard (collec- quat, chaque fois brisés par les militaires. Traduit de l’anglais par
semblait très éloigné a fini par se rappro­ les factions armées de l’Ouest soudanais, tion « Série noire ») Petit garçon, je me souviens d’avoir été Pauline Colonna d’Istria
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DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019 carnet | 33
Françoise Gillard, Caroline Malausséna,

Harold Bloom Le Carnet

Vos grands événements


son épouse,
Isabelle Gillard
et Bruno Tafforeau,
Laurent Gillard
et Véronique Menegatti,
son épouse,

Axel et Rebecca,
Cédric,
Anniversaire de décès
Le 20 octobre 2009, disparaissait
notre père, grand-père et arrière-
grand-père,

Critique littéraire Naissances, mariages


Avis de décès, remerciements
ses enfants,
Gabriele, Andrea, Clara, Anouk,
ses petites-filles,
Ses frères et sa sœur
Astrid et Michaël,
Mathilde et Jérôme,
ses enfants et leurs conjoints,
Benjamin Raymond UZAN,
avocat honoraire,

américain Colloques, conférences, séminaires


Soutenances de mémoire, thèses
Expositions, vernissages,
Et toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès


de
Margot, Sofia, Ilya, Raphaël,
ses petits-enfants,
Robert,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Rejoignant ainsi son épouse, notre


signatures, lectures,
communications diverses son frère, mère, grand-mère et arrière-grand-
André GILLARD, Adeline, mère,
survenu le 17 octobre 2019, sa nièce,
Vous pouvez nous envoyer Yvette UZAN,
vos annonces par mail : dans sa quatre-vingt-troisième année. Toute sa famille
carnet@mpublicite.fr Et ses proches,
La cérémonie religieuse aura lieu qui nous quitta prématurément, le
en précisant vos coordonnées le mardi 22 octobre, à 14 h 30, en 30 mai 1987, à l’âge de cinquante-
(nom, adresse, téléphone l’église Saint-Antoine-des-Quinze- ont la tristesse de faire part de la trois ans.
et votre éventuel numéro d’abonné Vingts, 66, avenue Ledru-Rollin, mort de
ou membre de la SDL) Paris 12e. Que tous ceux qui les ont connus
Réception de vos annonces : Régis TALAR, et aimés se souviennent avec nous.
L’inhumation aura lieu le mercredi
du lundi au vendredi 23 octobre, à 15 heures, au cimetière
jusqu’à 16 heures nouveau de Treigny (Yonne). Elizabeth et Frédéric Perrin,
survenue le 16 octobre 2019.
le samedi et les jours fériés leurs enfants, Guillaume Perrin,
jusqu’à 12 h 30 Lorraine et Chrystopher Rey
Annie Jamet, L’enterrement a eu lieu dans et leurs petits-enfants, Maxime et
son épouse, l’intimité au cimetière de L’Île Axel Rey,
Pour toute information Loïc, Bruno, Sébastien et Antoine,
ses enfants Rousse (Corse).
complémentaire Carnet : Laurence Uzan
Ainsi que la famille,
01 57 28 28 28 et son fils, Oliver Belanger,
Mme Nathalie Vidal,
ont la tristesse de faire part du décès
de son épouse, Danièle Uzan
M. Nicolas Vidal, et ses enfants, Pauline Uzan et
AU CARNET DU «MONDE» M. Marcel JAMET, son fils, Sébastien Berlet, Sébastien, Valentine
chevalier et Léopold Lefort,
dans l’ordre national du Mérite,
Décès officier Mme Renée Vidal Azizi,
dans l’ordre du Mérite agricole, Mme Raymonde Decheix, Josiane Uzan et Olivier Deparday
et leurs enfants, Thomas et Paul.
M. Jacques Vidal,
Lévon ARADIAN survenu le 14 octobre 2019,
dit Sir L., Mme Pierrette Pinot,
dans sa soixante-douzième année.
artiste-peintre, son frère et ses sœurs, Souvenir
La cérémonie religieuse a été Mme Marianne Pouillon,
célébrée le jeudi 17 octobre, en Pour
s’est éteint à Paris, le 17 octobre 2019, sa belle-sœur,
Dans les années 1990. à l’âge de quatre-vingt-sept ans. l’église Notre-Dame de Beauregard,
suivie de l’inhumation au cimetière Les familles Azizi, Vidal, Casenave- Patrice COLDREY,
YALE DAILY NEWS paysagé de La Celle-Saint-Cloud. Decheix, Pinot, Pouillon, Majerczak,
Artiste engagé, humaniste
son beau-frère, ses belles-sœurs, mort dans la nuit du vendredi 20 au
convaincu, Sir L. célèbre à travers son
Nicole Kervévan, ses neveux et nièces, samedi 21 octobre 1995.
œuvre la beauté du monde, des
femmes, des ciels et des fleurs. A la son épouse,

C’
fois peintre, dessinateur et Dominique, Pia, Jérôme et Valérie, Il avait quarante-deux ans.
était un personnage 11 JUILLET 1930 Naissance ont la profonde tristesse de faire
pastelliste, Sir L. était le chantre ses enfants,
comme on en croise à New York leurs conjoints, part du décès de « Rencontres de la vie avec l’éternité. »
peu. Véritable ins­ 1955 Devient professeur d’une figuration moderne, accessible Ses onze petits-enfants,
au plus grand nombre. Fils d’un Victor Hugo.
titution au sein de à l’université Yale Ses huit arrière-petits-enfants, Henri VIDAL,
rescapé du génocide arménien de Georges,
Yale (New Haven, Connecticut), 2007 « Le Livre de J. » 1915, il s’est toujours généreusement ENA promotion Turgot, Sylvie,
son frère,
où il enseignait les humanités (Denoël) investi dans de nombreuses causes, Ses trois neveux, ancien ambassadeur, Adrien et Pierre Coldrey-Verlhac.
depuis plus de soixante ans, 2013 « L’Angoisse de au niveau local, national et
Harold Bloom était universitaire, l’influence » (Aux forges international. ont la tristesse d’annoncer le décès survenu le lundi 14 octobre 2019, Communication diverse
de
professeur, théoricien de la litté­ de Vulcain) dans sa quatre-vingt deuxième
Son épouse, Elisabeth Guérineau
rature, auteur d’une vingtaine 14 OCTOBRE 2019 Mort à Pierre KALFON, année.
et son neveu, Ashod Aradian,
d’ouvrages dont de nombreux New Haven (Connecticut) remercient tous les amis, artistes et survenu le 14 octobre 2019, à Paris, Ils rappellent le souvenir de son
best­sellers, et l’un des critiques collectionneurs qui ont cheminé à dans sa quatre-vingt-dixième année.
littéraires les plus célèbres des ses côtés. frère,
Etats­Unis. Membre de l’Acadé­ de New York), suivies d’un doc­ Pierre Kalfon a consacré sa vie
La cérémonie de crémation aura professionnelle à l’action culturelle, Louis VIDAL.
mie américaine des arts et des let­ torat de littérature anglaise à Yale lieu le jeudi 24 octobre, à 12 h 30, au essentiellement en France et en
tres, il est mort lundi 14 octobre au milieu des années 1950, il leur cimetière du crématorium du Père- Amérique latine : Alliance française,
à New Haven (Connecticut). Il consacra d’ailleurs ses premiers UNESCO, Affaires étrangères. Il a été, L’inhumation aura lieu le lundi
Lachaise, Paris 20e.
cinq ans durant (1969-1973), 21 octobre, à 16 heures, au cimetière
était âgé de 89 ans. ouvrages, s’attachant en particu­ correspondant du Monde à Santiago L’Inalco fait son cinéma
Colossale silhouette carrée, il lier à William Blake (1757­1827) et à Ni fleurs ni couronnes. Ceux qui ancien de Saint-Germain-en-Laye, Projection du documentaire
du Chili et expulsé après le coup
ressemblait à un monarque un Percy Shelley (1792­1822). Il était le souhaitent peuvent faire un don d’Etat. Il a été haut-fonctionnaire à 78 bis, rue Léon Désoyer (Yvelines). Eastern memories - Vostfr
à l’association Aupetit de lutte l’Unesco, puis attaché et conseiller Un road movie surprenant à travers
peu las. « Les dinosaures comme aussi un grand admirateur du contre la maladie de Crohn et la RCH culturel à Rome, Montevideo et Ni fleurs ni couronnes. la Mongolie, le Japon, la Chine
moi ont perdu la bataille, cela ne poète et dramaturge irlandais www.afa.asso.fr. Santiago du Chili. et la Corée.
fait aucun doute », lâchait­il, ces William Butler Yeats (1865­1939). Mardi 22 octobre 2019,
La cérémonie d’incinération a eu Nathalie Vidal,
dernières années. Il avait toujours C’est en étudiant ces filiations Oujda. Rabat. Alger. Marseille. 18 heures - 20 h 30,
lieu ce samedi 19 octobre, à 11 h 30, 16, rue Cassette,
défendu l’idée d’une « haute » d’écrivains et de poètes qu’il met­ Ladignac-le-Long. Brive. Beauvais. au crématorium du cimetière du Auditorium de l’Inalco,
75006 Paris. 65, rue des Grands Moulins, Paris 13e.
littérature fondée sur un petit tra au point la théorie qui le ren­ Toulouse. Bordeaux. Père-Lachaise, Paris 20e.
nathalie.therese.vidal@gmail.com Entrée libre
nombre de textes matriciels et dra célèbre dans les années 1970
Anne-Marie et Bernard Chatein, Ses cendres seront dispersées au Nicolas Vidal dans la limite des places disponibles.
canoniques – le « canon occiden­ et qu’il énonce dans The Anxiety Chili.
Frédéric Benhaim, niconet.vidal@gmail.com www.inalco.fr
tal » représentant à ses yeux, en of Influence. A Theory of Poetry ses enfants,
poésie comme en prose, le mo­ (Oxford University Press, 1973), Antoine, Clémentine, Guillaume, Cet avis tient lieu de faire-part.
dèle esthétique indépassable (The
Western Canon, Harcourt Brace,
traduit en France en 2013 (L’An­
goisse de l’influence, Aux forges de
Juliette, Philippine,
ses petits-enfants,
Lise et Sibylle,
8, rue de Quatrefages,
75005 Paris. ANNONCEZ
1994, non traduit). Vulcain). Cette théorie suggère
ses arrière-petites-filles,
(Le Monde du 19 octobre.)
VOS ÉVÉNEMENTS LE CARNET

CULTURELS
Pourfendeur de ce qu’il appelait que le terrain de la création est
« l’école du ressentiment » – dans semblable à un champ de bataille ont l’immense tristesse de faire part Hugues Jallon
laquelle il incluait les féministes, freudien. Ce n’est qu’en absor­ du décès de Et les Éditions du Seuil,
Expositions, signatures, lectures,
les marxistes, les néo­historicis­ bant, en digérant, mais surtout en ont la tristesse d’annoncer la mort de
M. Jean-Claude BENHAIM, projections-débats, festivals...
tes ou encore les représentants « tuant » ses influents prédéces­
des « cultural studies » –, Bloom seurs, que l’artiste pourra faire avocat, inspecteur,
enseignant, magistrat Pierre KALFON.
condamnait tous ceux qui, selon jaillir cette étincelle d’étrangeté et fidèle lecteur du Monde,
lui, avaient pris la littérature en qui le rendra unique et grand. La
otage pour défendre à travers elle créativité, la vraie, est moins survenu le 15 octobre 2019, Homme de culture, écrivain et
des causes sans rapport avec sa hommage au passé que trahison, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. diplomate, il a consacré sa vie à
l’Amérique latine.
véritable essence. Tous ceux qui, négation, distorsion de la dette.
Ses obsèques auront lieu le lundi Il a publié aux Éditions du Seuil,
d’après lui, oubliaient ou faisaient Mais la dette doit exister, on ne
21 octobre, à 10 heures et il sera Argentine, dans la collection petite
mine d’oublier que la lecture crée pas à partir de rien. inhumé ensuite au cimetière de La Planète (1967), CHE, Ernesto Guevara,
de fiction est avant tout un Fils spirituel de l’Anglais Samuel Chartreuse, à Bordeaux. une légende du siècle (1997) et Pampa
moyen de plonger dans « l’abîme Johnson (1709­1784), son héritage (prix Joseph Kessel) en 2007.
universel du soi ». à lui était considérable. Chaucer, Il rejoint sa tendre épouse,
Les Éditions du Seuil assurent sa
Milton, Robert Frost, sans parler famille et ses proches de leur
Olga.
« Ils ont décidé que je suis Satan » de Shakespeare, dont il était un profonde affection.
A contre­courant de tous les mou­ spécialiste éminent et qu’il pla­ Que son optimisme et sa générosité
vements liés aux thématiques çait au sommet. Pour Harold nous accompagnent. L’Assemblée spirituelle nationale
identitaires, ses positions, sou­ Bloom, tous les grands héros sha­ des bahá’ís de France
Pour toute information :
vent qualifiées de misogynes et kespeariens avaient enseigné à ambchatein@aol.com
fred.benhaim@yahoo.fr a la tristesse de faire part du décès de 01 57 28 28 28
de réactionnaires, lui valaient l’Occident rien de moins que ce
des critiques constantes. Bloom qu’être humain voulait dire. carnet@mpublicite.fr
n’en avait cure, il s’en gaussait En 1990, il avait signé The Book Les familles Abraham, Cotinat, M. Ali NAKHJAVANI,
Franck, Gardeur, Reich de Laval, ancien membre
même. « Ils ont décidé que je suis of J. (Grove Press, traduit en fran­ du Conseil international dirigeant
Satan, et j’ai décidé qu’ils ne sont çais chez Denoël en 2007), où, à font part du décès de de la foi bahá’íe, Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
qu’un groupe de harpies et de partir d’une reconstruction de ce Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
pom­pom girls », déclarait­il au texte le plus ancien du Pentateu­ Martine FRANCK COTINAT, survenu le 11 octobre 2019, Directeur de la rédaction Luc Bronner
Monde, en 2003. que, il affirmait que certains pas­ épouse de à l’âge de cent ans. Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
Jacques COTINAT (†), Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,
Né le 11 juillet 1930, dans une fa­ sages de la Bible avaient été écrits Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur
Il consacra toute sa vie avec amour, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
mille juive du Bronx, lecteur vo­ par une femme. Le livre avait été survenu le 9 octobre 2019. bienveillance et détermination à la Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
race, il s’enthousiasma très jeune un best­seller aux Etats­Unis. Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws
promotion de la paix et au progrès et à
Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote
pour les poètes, le moderniste Harold Bloom voulait mourir Les obsèques auront lieu le mardi l’amélioration du monde. Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
américain Hart Crane (1899­1932) sur le campus de Yale. Ce qui signi­ 22 octobre, à 15 heures, au cimetière Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff
du Montparnasse, Paris 14e. La famille vous invite Chef d’édition Sabine Ledoux
ou son compatriote Wallace Ste­ fiait, dans son cas, « sortir de son cordialement à une cérémonie Directrice du design Mélina Zerbib
vens (1879­1955). Plus tard, il de­ dernier cours dans un linceul ». Il a d’adieu qui sera tenue le lundi Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Ni fleurs ni couronnes. 21 octobre, en la grande salle de Photographie Nicolas Jimenez
vint l’un des meilleurs connais­ été exaucé ou presque. Quatre Infographie Delphine Papin
l’Hôtel de la Monnaie, à Molsheim Médiateur Franck Nouchi
seurs des romantiques et des pré­ jours avant sa mort, il enseignait Hélène Gardeur, (Bas-Rhin), à 12 h 45, suivie de la mise Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
romantiques anglais. Après des encore. Avec la même passion. 21, allée de la Belle Feuille, en terre au cimetière de Zich, à Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
études à l’université Cornell (Etat florence noiville 92100 Boulogne-Billancourt. Molsheim. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
0123
34 | 0123 DIMANCHE 20 ­ LUNDI 21 OCTOBRE 2019

L’AIR DU TEMPS  | CHRONIQUE VIDER L’ABCÈS 


par fr é dér ic p ote t
DU DÉBAT 
SUR LE VOILE
Les tacos gnant les enfants lors de sorties scolaires
n’étaient pas tenus à la neutralité et pou­
vaient porter des signes d’appartenance re­
était de défendre la loi existante. Cet accès
de fièvre n’est pas une surprise : l’islam in­
quiète une partie de la société française, qui
et les clandestins ligieuse – à l’inverse des enseignants. Seul
bémol : le prosélytisme leur est interdit.
Dès lors, pourquoi sortir du cadre ? Deux
y voit une menace pour son identité et sa
culture. C’est en jouant sur cette peur que
Marine Le Pen prospère depuis des années.
jours plus tard, Emmanuel Macron, en C’est en l’instrumentalisant qu’elle a favo­
marge d’un sommet franco­allemand, a dé­ risé à droite la cassure entre les défenseurs

C
rêpe de maïs originaire LES CANDIDATS  noncé ceux qui « stigmatisent » les musul­ de l’identité heureuse (Alain Juppé) et les
du Mexique fourrée de mans, critiquant vivement ce « raccourci pourfendeurs de l’islam politique (Nicolas
viande et de sauce fro­ À L’EMBAUCHE  fatal » entre lutte contre le terrorisme et is­ Sarkozy, François Fillon). Laisser s’installer
magère, le tacos réalise, lam. Dans le même temps, le chef de l’Etat a cette surenchère est dangereux pour la
depuis quelques années, une per­ DEVAIENT VERSER  rappelé sa volonté d’être « intraitable avec concorde nationale – plusieurs millions de
cée prodigieuse dans le secteur de le communautarisme ». musulmans vivent en France et sont régu­
UN « DROIT D’ENTRÉE » 
la restauration rapide en France.
A Tours, l’offre en la matière s’est
brutalement réduite cet été, avec
la fermeture de trois restaurants
de l’enseigne O’Tacos, l’un des lea­
COMPRIS ENTRE 1 000
ET 1 500 EUROS
E n deux déclarations fermes, l’exécu­
tif a recadré, cette semaine, le débat
sur la laïcité, qui commençait à pren­
dre mauvaise tournure. Mardi 15 octobre,
lors des questions d’actualité à l’Assemblée
Il était temps de crever l’abcès : un climat
nauséabond était en train de s’installer. Il y
a d’abord eu ce coup d’éclat d’un élu RN in­
vectivant en pleine séance du conseil régio­
nal de Bourgogne­Franche­Comté une
lièrement stigmatisés.
La réponse du chef de l’Etat était ainsi at­
tendue depuis deux ans. Elle apparaît, heu­
reusement, très nette dans sa volonté de
mettre fin à la surenchère, mais elle est en­
ders du secteur. Un quatrième, à nationale, Edouard Philippe a fermement mère voilée devant son fils. Il y a ensuite eu core imprécise quant aux moyens concrets
Perpignan, appartenant aux mê­ mum et d’une ancienneté de tra­ rejeté l’idée d’une nouvelle loi pour inter­ l’offensive de la droite sénatoriale annon­ de renforcer la lutte contre le communau­
mes gérants, a été liquidé simulta­ vail de huit mois sur les deux der­ dire le port du voile aux accompagnatrices çant le dépôt d’une proposition de loi vi­ tarisme, qui constitue de fait une menace
nément, dans le cadre d’une af­ nières années (ou trente mois sur scolaires. « On peut porter un voile quand sant à étendre aux parents d’élèves l’inter­ pour le modèle républicain. Mardi, devant
faire de travail dissimulé en bande les cinq dernières années). « Il on accompagne une sortie scolaire, mais on diction de porter des signes religieux au les députés, Edouard Philippe n’a pas mas­
organisée et d’emploi de person­ était interdit de réclamer le paie­ n’a pas le droit de faire du prosélytisme, et les motif que le voile serait « une marque de qué certaines « dérives », en soulignant no­
nes en situation irrégulière. ment de nos heures supplémen­ autorités peuvent et doivent intervenir si tel soumission » et parfois de « sécession ». tamment le phénomène de déscolarisation
Révélée par La Nouvelle Républi­ taires, et même de se plaindre de est le cas », a déclaré le premier ministre, Il y a eu enfin, dans la majorité, le vif dé­ des jeunes filles dans certains quartiers.
que du Centre­Ouest, l’histoire en quoi que ce soit, sinon tout était dans un rappel bienvenu au texte de 2004 bat entre le ministre de l’éducation, Jean­ L’Etat est­il capable d’endiguer ce phéno­
dit long sur les pratiques exercées fini : le salaire, la demande de titre qui fait la part des choses entre pratique Michel Blanquer, qui a affirmé que « le voile mène ? La réponse tarde, parce qu’elle n’est
à l’encontre des migrants qui de séjour… », raconte Mahmud culturelle et militantisme religieux. en soi n’était pas souhaitable dans notre so­ pas évidente, mais le silence nourrit le fan­
cherchent à s’intégrer par le tra­ Miah, 30 ans. « Ils n’avaient pas Le Conseil d’Etat avait, de fait, précisé, en ciété », et le député du Val­d’Oise Aurélien tasme. Il est ainsi indispensable qu’Emma­
vail. Les victimes sont une ving­ d’autre choix que d’être dociles », décembre 2013, que les parents accompa­ Taché, jugeant que le rôle de la majorité nuel Macron traite le sujet jusqu’au bout. 
taine de Bangladais dépourvus de explique Yasmina Selatna, l’avo­
titre de séjour, à qui des condi­ cate de treize d’entre eux.
tions d’hébergement indignes
étaient par ailleurs proposées. Chantage aux papiers
Tout commence fin juin par leur Ce chantage aux papiers n’est pas
interpellation dans plusieurs ap­ le seul délit découvert par l’en­
partements du centre­ville et des quête. Pour intégrer l’un des trois
quartiers nord de Tours. L’un, O’Tacos tourangeaux, les candi­
d’une superficie de 70 m², est oc­ dats à l’embauche devaient ainsi
cupé par neuf hommes, dont cer­ verser un « droit d’entrée » com­ avec plus de
tains dorment sur des matelas pris entre 1 000 et 1 500 euros à 70 CARTES
posés à même le sol ; un autre, leur compatriote recruteur, Mo­ ORIGINALES
de 68 m², est habité par sept per­ hammed Rabibuzzaman. Concer­
sonnes, dont une femme et nant les appartements mis à dis­ HORS-SÉRIE
son enfant de 20 mois. Agés de position, ils n’avaient guère
25 à 30 ans les hommes tra­ d’autre alternative que d’y rési­
vaillaient alors, en cuisine, dans der, ne parlant pas français et ne
les trois O’Tacos de la ville, ouverts connaissant pas la ville (tous ve­
en 2017 et 2018 par le même gérant naient directement de la région
« franchisé », Yassine Zerizer. parisienne). Les loyers – 110 euros
Celui­ci est également appré­ par personne dans l’appartement
hendé par les forces de l’ordre ce de Tours­Nord, par exemple –
jour­là, ainsi que trois proches étaient directement versés à leurs
collaborateurs, dont un cuisinier patrons, de la main à la main.
bangladais, Mohammed Rabi­ L’argent liquide semblait
buzzaman, présenté par les en­ d’ailleurs circuler allégrement au
quêteurs comme le « recruteur » milieu des parfums de tortilla :
et l’« homme de main » de également soupçonnés d’abus
l’équipe. Auditionnés, les mi­ de biens sociaux, les quatre res­
grants seront vite remis en li­ ponsables des fast­foods avaient
berté. Ils se sont aujourd’hui ainsi l’habitude de « se servir »
constitués partie civile dans l’af­ dans la caisse des établissements,
faire et ont engagé un recours aux à hauteur de plusieurs centaines

L’EMPIRE
prud’hommes contre leur ancien d’euros par jour, pour leurs be­
employeur, resté en prison. soins personnels. Ceci n’empê­
L’enquête a en fait démarré chait pas les employés bangladais
en 2018, à la suite d’une dénoncia­ de toucher normalement leur sa­

AMÉRICAIN
tion d’un ex­salarié ayant été li­ laire par virement et de se voir dé­
cencié sans motif. Une année de livrer des feuilles de paie rédigées
surveillance et d’écoutes télépho­ par un expert­comptable.
niques permettra de mettre au C’est sur leur examen que le gé­
jour une « petite entreprise » délic­ rant des trois O’Tacos, Yassine Ze­
Naissance. Domination. Déclin ?
tueuse fonctionnant sur la loi du rizer, 34 ans, compte miser sa dé­
silence. Payés au smic, mais non fense. Son avocat, Denys Robi­
déclarés à la préfecture par leur liard, réfute la notion de « travail
employeur (qui avait l’obligation dissimulé » figurant dans la lon­
de signaler qu’il faisait travailler gue liste des chefs de mise en exa­
des clandestins), les employés men, précisant que des déclara­
bangladais n’avaient pas le droit tions préalables à l’embauche ont
de protester contre le non­paie­ été envoyées à l’Urssaf pour cha­
ment des heures supplémen­ que salarié, et que les heures sup­
taires qu’ils effectuaient (jusqu’à plémentaires étaient dûment
treize par semaine), sous peine payées. Il mentionne également
d’être mis à la porte sur­le­champ la bonne note – 86 % de satisfac­
– et voir leur espoir de régularisa­ tion – qu’aurait obtenue le pre­
tion s’envoler. mier des trois restaurants touran­
Originaires de la région de geaux, situé rue de la Rôtisserie,
Sylhet, la plupart d’entre eux es­ faisant suite à un audit social
comptaient, en effet, faire appli­ mandaté par la direction d’O’Ta­ Avec la liberté et la démocratie pour idéaux, les États-Unis sont devenus la première
quer la circulaire Valls de 2008 cos auprès sur l’ensemble de son puissance mondiale. Comment y sont-ils parvenus ?
pour obtenir leurs papiers. Cette réseau, en avril 2018.
disposition permet aux travail­ Tous les salariés bangladais Ce numéro spécial revisite les grands épisodes de l’histoire du pays de tous les
leurs étrangers en situation irré­ sont aujourd’hui revenus en ré­ possibles et offre une passionnante photographie de la société américaine,
gulière d’obtenir une carte de sé­ gion parisienne. Une partie a re­ surprenante par ses particularités, sa diversité et ses fractures. Reste-t-elle fidèle à
jour au cas par cas, à condition de trouvé un emploi, comme Mah­
justifier d’une présence sur le ter­ mud Miah, qui vient de décro­ ses valeurs fondatrices sous la présidence de Donald Trump ? Son leadership sur la
ritoire français de cinq ans mini­ cher un CDI dans un restaurant scène internationale est-il menacé par la Chine ?
de kebabs de Seine­Saint­Denis.
Réponses des meilleurs spécialistes accompagnées de nombreuses cartes originales.
L’homme vit dans l’attente d’une
réponse de la préfecture d’Indre­
LES QUATRE  et­Loire, à qui il a fait parvenir
RESPONSABLES une demande de titre de séjour. A

DES FAST­FOODS 
Tours, les trois O’Tacos ont été re­
pris par un nouveau gérant. Une
L’EMPIRE AMÉRICAIN
campagne de recrutements a été
AVAIENT L’HABITUDE  lancée, comme on peut le lire en Un hors-série
DE « SE SERVIR »  devanture : « Ici, ouverture pro­ 156 pages - 12 €
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Tirage du Monde daté samedi 19 octobre : 193 634 exemplaires
Quand
je serai rentier La quille à 40 ans ?
C’est possible, en
se serrant la ceinture
et avec un sacré sens
du placement financier.
Venue des Etats-Unis,
la méthode Fire,
qui promeut la retraite
très anticipée, fait
des émules en France

E N QU Ê TE

4 PAR ENTOLOGI E
Cris et
châtiments
L’éducation bienveillante
recommande vivement d’éviter
de hurler sur ses enfants. Dans
la pratique, c’est plus compliqué

6 VI N

La guerre
des voisins
Des viticulteurs bio se retrouvent
au tribunal pour défendre Sésame,
leur cheval, dont l’odeur incom-
mode la chambre d’hôte voisine

7 UN AP ÉRO AVE C …

Agathe
Auproux
La jeune chroniqueuse de
« TPMP » évoque son combat
contre un cancer dans un livre

D I MANCH E 20 - LU ND I 2 1 OC TOB R E 20 1 9 C AHI E R DU « MO N D E » N O 23 25 8 - NE PE U T ÊT R E V END U SÉPA R ÉM ENT


2 0123
D IMA NCH E 20 - LU N D I 2 1 O C TO BR E 201 9

ENQUÊTE

Objectif bulle
On les appelle « les frugalistes ». Dès leur
entrée dans la vie active, ils investissent
et économisent pour quitter le monde
du travail le plus tôt possible. Une vie
d’ascète pour une retraite à la cool
Par Catherine Rollot prometteuse pour cet objectif de vie. s’acheter la liberté de vivre à son rythme, res. » Un choix individuel qui est plutôt
Loin des débats sur le report du départ à avant d’être trop vieux. ouvert à des salariés bien payés et, pour

Q
uoi de plus savoureux la retraite et la pérennité du modèle fran­ Le rêve de sortir des codes impo­ la plupart, avec peu de charges familiales.
que de se réunir dans çais par répartition (les actifs paient les sés par la société n’est pas nouveau. Les Impossible d’épargner pour ceux qui pei­
un espace de cowor­ pensions des retraités), beaucoup dépen­ hippies des années 1970 rejetaient le nent à joindre les deux bouts pour assu­
king, temple des bu­ sent désormais leur énergie à trouver le consumérisme de leurs parents et vou­ rer leur subsistance. Mieux vaut aussi
reaux partagés, pour moyen de sauter du train métro­boulot­ laient inventer un autre monde. Les Fire avoir une confiance solide en ses capaci­
deviser de la façon la dodo, bien avant le terminus. (que l’on désigne aussi comme « frugalis­ tés pour oser se lancer sur un chemin qui
plus efficace de se retirer du monde du Quand Victor Lora s’est intéressé tes ») sont plus pragmatiques. Ils n’ont demande une discipline de fer et un goût
travail ? En cette soirée de fin septembre, pour la première fois à Fire, en 2011, il ve­ pas l’intention d’embraser le système ca­ des chiffres certain.
une assemblée d’une vingtaine de jeunes nait à peine de terminer sa double for­ pitaliste mais, au contraire, de s’en servir Une calculette dans la tête, les
trentenaires à peine, majoritairement mation d’ingénieur, en école de com­ pour devenir néo­rentiers. Pour Fanny yeux rivés sur des tableaux Excel et des
masculine, planche sur les moyens de merce. Ses expériences professionnelles Parise, anthropologue de la consomma­ prévisions à long terme, les adhérents du
prendre une retraite anticipée… très anti­ – du conseil aux salles de marché, en tion à l’Université de Lausanne, qui mène mouvement goûtent à l’abstraction et aux
cipée, idéalement avant 40 ans. « Vous passant par plusieurs start­up – ont ren­ des recherches sur le sujet, « les frugalis­ calculs savants et se recrutent souvent
avez dix minutes pour inscrire votre défi­ forcé le sentiment « qu’[il] n’avai[t] tes sont peu politisés, ils ne s’élèvent pas dans la finance ou la high­tech. A l’image
nition de l’indépendance financière », aucune intention de [s’]épuiser à tra­ contre la société de consommation, de leur modèle, un certain « Mister Mo­
exhorte Victor Lora, 31 ans, organisateur vailler toute [sa] vie pour consolider un comme le feraient les décroissants. Ils l’uti­ ney Moustache », alias Peter Adeney, un
de ce « meet­up » vespéral. Sur les pense­ curriculum vitae ». Une course vaine, se­ lisent pour atteindre un idéal et des projets Canadien immigré aux Etats­Unis, ancien
bête, les mêmes aspirations : liberté de lon le jeune homme hyperactif, notam­ de vie non contraints par l’argent et où ingénieur informatique de 45 ans, marié
temps, quête de sens, déconsommation, ment dans le secteur des start­up où, leurs rentes font office d’amortisseurs ». et père d’un enfant, retraité depuis qua­
nouvelles priorités, mais aussi l’étrange « passé 40 ans, il est très difficile de tirer En ce sens, la tendance s’inscrit torze ans. Depuis la création de son blog,
envie de « prendre feu ». son épingle du jeu et d’attirer encore les dans « les aspirations paradoxales de en 2011, ce gourou du « early retirement »
Pull marine et baskets blanches, recruteurs ». La certitude que « le système l’époque », poursuit la chercheuse : « L’ar­ (« retraite anticipée ») a fédéré toute une
le Monsieur Loyal de la soirée affiche de retraite actuel n’aura, de toute façon, gent devient un moyen d’atteindre un internationale de « moustachiens » ten­
l’enthousiasme des convertis. Depuis plus les moyens d’assurer à [sa] généra­ mode de vie plus vertueux, de répondre à tés par sa méthode, d’une simplicité dé­
2011, le responsable stratégie dans une tion un niveau de pension correct », a une quête de sens, mais aussi de s’extraire concertante, sur le papier du moins.
jeune société qui développe des applica­ achevé de le convaincre : mieux vaut d’un système, tout en assurant ses arriè­ Pour les Fire, la sortie du salariat
tions a fait siens les principes du mouve­ ne dépend plus de l’âge, mais d’une
ment Fire (« feu »), acronyme de « Finan­ somme à atteindre pour vivre de ses ren­
cial Independance, Retire early ». Compre­ tes. A chacun de la calculer en estimant
nez « Indépendance financière, retraite ses besoins. Selon la grille de Fire, pour
précoce ». L’idée : se serrer la ceinture pouvoir être financièrement indépen­
pour économiser au maximum, faire dant, il faut avoir accumulé au moins
fructifier son épargne par de judicieux T R AVA IL LE R , C ’ EST TRO P DUR vingt­cinq fois le montant de ses dépen­
placements boursiers ou immobiliers, et ses annuelles. Si celles­ci s’élèvent à

« Barista Fire »
apprendre à vivre de peu. 24 000 euros (soit 2 000 euros par mois),
Victor Lora prêche gratuitement, il faudra s’être constitué un patrimoine
par l’exemple. Une fois l’emprunt de son de 600 000 euros. Celui­ci, judicieuse­
appartement parisien payé, il ne dé­ ment placé pour générer des intérêts
pense pas plus de 1 000 euros par mois. moyens de 4 %, autre chiffre d’or du mou­
En quelques années, grâce à son confor­ vement, permettra de vivre sans avoir à
table salaire de 5 000 euros, il a déjà Le néorentier américain a puiser dans le capital investi.
acheté plusieurs appartements, en Mais pour en arriver là, pas de se­
grande partie à crédit, au prix d’une vie sa nomenclature. A mi-chemin cret, il est nécessaire d’adopter un mode
d’ascète. « Pas de voiture, peu de sorties, de vie frugal en dépensant moins. « Nous
des vacances gratuites dans une maison entre le « Fat Fire », très à l’aise avons commencé par vendre une de nos
de famille… [lui] permettront d’ici à deux voitures, puis nous avons épluché
dix ans », il l’espère, « de [s’]offrir la possi­ financièrement, et le « Lean Fire », tous nos contrats d’assurance et nos abon­
bilité d’arrêter de travailler. » nements (TV, Internet…), pour éliminer
Doux dingue ? Utopiste ? A l’en­ le plus fauché de tous, le « Barista d’éventuels doublons ou renégocier les
tendre manier avec agilité anglais, don­ conditions », énumère Marc, un trente­
nées financières et algorithmes mathé­ Fire » n’a pas tout à fait les moyens naire suisse, ingénieur informatique, qui
matiques, l’aspirant rentier donne l’im­ s’est lancé depuis cinq ans, avec sa
pression d’avoir sacrément bien réfléchi de ses ambitions. Pour s’assurer femme, employée dans le secteur social,
à son affaire. Et il n’est pas le seul. Venue et leurs deux enfants. Chaque achat fait
des Etats­Unis, pays roi du système par un complément de revenu désormais l’objet d’un arbitrage. « Avant,
capitalisation (chaque salarié doit épar­ on allait au centre commercial ou au res­
gner individuellement pour préparer sa et une couverture médicale, il taurant sans y penser. Maintenant, on se
retraite), la démarche se diffuse en pose systématiquement la question : est­ce
Europe, notamment en Allemagne et, exerce une activité en free-lance que j’en ai vraiment besoin ou envie ? » La
plus récemment, en France. réponse est souvent négative.
En l’absence de données chif­ ou à temps partiel. Il se dit que Résultat, le couple arrive à écono­
frées, impossible de mesurer l’ampleur miser chaque mois 50 % de leurs
réelle de ce phénomène, mais le foison­ beaucoup d’entre eux traîneraient 11 000 francs suisses (autour de
nement de blogs et de discussions 10 000 euros), un budget qui, compte
autour du Graal de la retraite précoce leurs rêves d’oisiveté derrière tenu de la cherté de la vie en Suisse,
témoigne d’un intérêt grandissant des implique des sacrifices. Marc a fait ses
jeunes actifs, diplômés et à la carrière les comptoirs d’un coffee shop. calculs : pour pouvoir partir entre 40 et
0123
DI MAN CHE 20 - LU N DI 21 OC TO BR E 20 19 3

Mr Money Moustache,
gourou de la retraite anticipée
Aux dernières nouvelles, Mr Money remplacée par des déplacements
Moustache aurait troqué ses à vélo, peu de restaurants ou de
bacchantes pour une barbe de trois sorties onéreuses, beaucoup de fait-
jours. Mais pour ses fans, l’aura de maison, de recyclage et de seconde
« MMM » ne tient pas à la longueur main, quelques rares voyages…
de ses poils. Pendant longtemps, le Résultat : le couple d’écureuils
gourou américain de l’indépendance a épargné, chaque année travaillée,
financière a préféré prospérer les deux tiers de ses revenus, placés
anonymement à l’ombre de son dans un plan d’épargne-retraite et
blog et de son avatar à la dégaine des actions, et ce malgré un crédit
de cow-boy. Le succès faisant immobilier pour sa résidence prin-
– MrMoneyMustache.com revendi- cipale et une assurance médicale.
que 1,5 million de pages vues par Au bout de neuf ans, en 2005, ils
mois –, il s’est peu à peu dévoilé. décident de partir à la retraite avec
Derrière le « jeune » retraité – il a 600 000 dollars d’investissements
quitté le monde du travail en 2005, de côté, et leur maison de
soit neuf ans seulement après y être 200 000 dollars mise en location,
entré et à la veille de son 31e anniver- après l’achat d’un autre domicile
saire –, se cache Peter Adeney, plus petit et moins cher. Dividendes
45 ans, un ex-ingénieur en informa- et loyers leur permettent de mener
tique, canadien d’origine, installé depuis une vie modeste. La famille,
dans la ville résidentielle de Long- qui s’est agrandie d’un enfant,
mont, à une demi-heure de Boulder, ne dépense que 24 000 dollars
capitale du Colorado (Etats-Unis). par an (22 000 euros environ).
Pendant leur courte vie active, Cette success story faite de discipline,
Peter et sa femme, elle aussi de renoncement matériel et d’un
ex-ingénieure en informatique, ont goût très prononcé pour les chiffres,
gagné en moyenne autour de est devenue une source de revenus
120 000 dollars par an chacun. Soit supplémentaire pour un Mr Money
un peu moins de 10 000 euros par Moustache paradoxalement de plus
mois, un revenu très confortable, en plus riche. Lancé en 2011, son
mais qui n’a rien d’exceptionnel blog génère au dire de l’intéressé
dans le secteur de la high-tech. près de 400 000 dollars par an en
Au fil des années, le couple – tous revenus publicitaires de ses parte-
deux sont issus de familles de la naires, banques et autres services
classe moyenne et sans patrimoine – financiers. S’il en reverse un quart à
a économisé en réduisant drastique- des œuvres caritatives, le frugaliste
ment son train de vie. Pas de voiture, réinvestit le reste pour développer
ELEKTRONS 08/PLAINPICTURE des activités annexes, centre de for-
mation, école, conférences pour dis-
penser sa bonne parole, mais aussi
un atelier de céramique, une des
passions du couple à la fibre plus
45 ans, il lui faut épargner 1,2 à 1,5 million met de faire une pause dans une exis­ admet le côté un brin égoïste de la dé­ entrepreneuriale que rentière.
de francs suisses (environ 1 million tence qui s’emballe. Comme celle de Tho­ marche : « Nous profitons de toutes les
d’euros). « Pour l’instant, nous en sommes mas, 36 ans, qui lie indépendance finan­ possibilités du capitalisme pour nous
Pionnier du genre, le blogueur
à 18 % de nos objectifs, avec notre for­ cière et reconversion. « J’ai tout enchaîné ; acheter du temps et de la qualité de vie, moustachu a inspiré aux Etats-Unis
tune de 360 000 euros », dit en souriant de longues études de médecine, un poste à avant les autres. » La famille est ainsi par­ et au-delà une multitude de récits
l’informaticien, qui a créé un blog, l’hôpital, trois enfants, l’achat d’une belle tie pendant un an faire le tour du monde. se faisant les apôtres de la méthode
« Mustachian Post », dans lequel il dé­ maison… jusqu’au burn­out. » Actuelle­ Un avant­goût de liberté avant de tirer le
taille son programme. ment en période de disponibilité, le mé­ rideau… dans quelques années. Fire (« Indépendance financière,
Vivre au­dessous de ses moyens, decin, « qui ne veut plus de sa vie d’avant », Ne plus travailler, certes, mais pas retraite précoce »). « Our Next Life »,
un art qui s’apprend, à condition d’y espère, d’ici à dix ans, avoir suffisamment question de passer son temps à siroter des « Frugalwoods » ou encore « The
consacrer temps et éner­ de revenus passifs pour dis­ cocktails sous les cocotiers. David, 37 ans,
gie. « Mine de rien, on poser enfin « du bien le plus et sa compagne de 34 ans, tous deux Mad Fientist », pour ne citer que les
passe des soirées à calculer
et à planifier », reconnaît « Nous profitons précieux : le temps ».
Ce mode de vie va
cadres bancaires, parents d’un petit gar­
çon de 3 ans, travaillent depuis huit ans à
blogs les plus populaires, racontent
les épopées au jour le jour de jeunes
Aurélie David, 37 ans,
deux enfants, installée en de toutes aussi de pair avec un idéal
anticonsumériste. Sophie,
se constituer « l’équivalent d’un smic, et à
être propriétaires de leur logement ». Tous
retraités avides de partager leur
expérience. D’autres utilisent cette
Grande­Bretagne. Après
son divorce, cette chef de les possibilités 44 ans, mariée avec trois
enfants, se revendique « de
deux issus de familles ouvrières, ils ont,
dès leurs premiers salaires, pris l’habitude catharsis collective pour se donner
projet en informatique « a
commencé par un chal­ du capitalisme la tribu des Moustachiens
depuis déjà cinq ou six
de mettre de côté. Aujourd’hui, lassés de
leurs emplois, le couple met les bouchées
du courage dans la progression vers
l’autosuffisance. Tous forment une
lenge no buy pour mettre
un coup d’arrêt à une fré­ pour nous ans ». Adepte de la « simpli­
cité volontaire », la mana­
doubles pour changer de vie. « Si nous
avons déjà de quoi vivre simplement, il sera ample communauté internationale
nésie d’achat ». Depuis
avril, elle est passée à la acheter du temps geuse dans un cabinet de
conseil assume ses contra­
plus facile de se lancer sans stress et sans
besoin de gagner beaucoup d’argent dans
avec l’anglais comme langue offi-
cielle. Depuis 2017, une traduction
vitesse supérieure. « En
grattant un peu partout », et de la qualité dictions et ses hauts reve­
nus, autour de 7 000 euros
une autre voie », explique David, qui
« monterait bien un petit business ». Sa partielle du blog de Mr Money
elle arrive « dans les bons
mois » à épargner quelque de vie, avant pour un temps partiel. Son
mari, enseignant, a arrêté
compagne, elle, se rêve en psychologue,
elle a d’ailleurs repris des études.
Moustache est toutefois assurée par
l’un de ses fans, la déclinaison fran-
20 % de ses 3 000 euros de
salaire mensuel. Le bud­ les autres » de travailler pour se consa­
crer aux enfants et à des
Parmi tous ses aspirants retraités,
combien sauteront réellement le pas ? çaise d’indépendance financière ri-
get vêtements et voyages Sophie, 44 ans, manageuse engagements associatifs. « Le risque est de toujours repousser la date mant avec investissement immobi-
a été divisé et l’abonne­ La famille vit dans de sortie, mais dans tous les cas, on aura lier et rêve de fortune. A l’image des
ment à la salle de sport l’est de la France avec fait des économies et appris à déconsom­
supprimé. « Il y a un côté challenge exci­ 3 500 euros mensuels, le reste est investi mer », relativise Noemi, 38 ans, cadre conseils dispensés par Yann Darwin,
tant qui ne doit pas virer à l’obsession, on dans la Bourse et dans la rénovation d’un dans l’industrie automobile en Allema­ Etienne Brois ou encore Olivier
veut toujours faire mieux pour atteindre gîte. « Nous sommes des décroissants aux gne. A la fin de cette année, elle mettra les Roland, des blogueurs très suivis,
le plus rapidement possible notre but », amandes », plaisante celle qui ne jure que voiles – « un an au moins » –, notamment
reconnaît Marc, l’informaticien suisse par le zéro déchet, roule dans une petite « pour peaufiner [s]on projet de retraite qui parlent davantage de gros
qui, comme tous les Fire, se dit « frugal voiture en autopartage avec ses parents, anticipée ! » Qu’il semble loin le temps où sous et stratégie boursière que
mais pas radin ». se contente d’acheter trois tenues de tra­ certains jugeaient de la réussite des de sobriété heureuse.
Au­delà de la perspective de pren­ vail par an et se passe de téléphone porta­ autres en regardant la Rolex au poignet.
dre la quille avec beaucoup d’avance, la ble, « une source d’incompréhension to­ Aujourd’hui, si à 50 ans tu n’as pas pris ta
route vers l’indépendance financière per­ tale pour mes collègues ». Lucide, Sophie retraite, c’est que tu as raté ta vie.
4 0123
DIMA NC HE 20 - L U ND I 2 1 O C TO BRE 2019

LE BLOC-NOTES
PARENTOLOGIE
L’éducation est une science (moyennement) exacte. Cette semaine,
Nicolas Santolaria s’intéresse à ces deux tribus de parents : ceux qui hurlent
L ES SI N GE S à tout de bout de champ et ceux qui restent calmes quoi qu’il arrive
SAVANT S
Un problème, deux solutions ? Quand l’être
humain va très majoritairement opter
Sur ton enfant,
pour celle qu’il a apprise, le singe capucin,
plus flexible, va préférer à 70 % une solution
plus efficace que celle qui lui avait été
tu ne crieras point
enseignée, selon une récente étude menée
par des chercheurs de l’université d’Etat
de Géorgie, aux Etats-Unis.

LA LOI

254
DE JENNIFER

Début octobre, la
femme du footballeur Plus de 414 conducteurs
anglais Wayne Rooney de trottinettes électriques
avait réussi à provo­ ont subi un test d’alcoolémie
quer une interruption positif pendant la quinzaine LASSE RUSSE
momentanée de de l’Oktoberfest (fête de la

M
Twitter en Grande­ bière), à Munich, en Allema- ême s’il est toujours trop simple de succomber à des « Mettez­vous en rang et TAISEZ­VOUS ! », hurlait­elle, sans se rendre
Bretagne en révélant gne. Parmi eux, 254 se sont dichotomies, on a du mal à y résister. Avançons alors compte qu’il y avait quelque chose de foncièrement paradoxal à exiger
les supposés méfaits de vu retirer leur permis de l’hypothèse – avec prudence, hein – que le monde des le calme, tout en étant soi­même le principal moteur du bruit
son ex­meilleure amie. conduire, dans ce pays où parents se divise en deux catégories aux bilans sono­ ambiant. Je ne lui jette pas la pierre, car il m’arrive moi aussi de crier.
Une semaine plus tard, ce moyen de déplacement res extrêmement contrastés : d’un côté, ceux qui Récemment, c’est lorsque j’ai surpris mes enfants en train de
l’actrice américaine est considéré comme crient pour un oui, pour un non (équipe 95 décibels) ; consciencieusement labourer avec un pied de chaise un parquet que
Jennifer Aniston un véhicule à moteur. de l’autre, ceux qui parlent doucement à leurs enfants en toutes cir­ j’avais passé trois jours d’été caniculaires à vitrifier. « Merde, merde,
a fait encore mieux : constances (équipe 25 décibels). merde, merde, MERDE ! », ai­je hurlé (oui, on n’est pas toujours poli
le compte Instagram Il suffit par exemple de se poster devant l’entrée d’une école quand on est un papa vénère). Mes enfants sont partis se réfugier dans
qu’elle venait d’ouvrir pour observer les mœurs de ces deux tribus. Arrivé généralement à leurs chambres. L’orage est passé. Et je me suis senti un peu ridicule,
a été aussitôt rendu l’avance, le parent de l’équipe 25 décibels susurre à son enfant une tant ma réaction semblait disproportionnée.
inopérant à cause de « bonne journée mon chéri » si doux qu’il se dépose aussi légèrement Au même titre que les coups, les menaces ou le chantage, les
l’afflux de « like » et de qu’une plume d’oisillon au creux de son conduit auditif. Ce ton apaisé cris font partie de ce que l’on nomme aujourd’hui les « violences éduca­
demandes de followers, fonctionne comme un régulateur d’humeur. Si tives ordinaires » (VEO), soit tous les moyens
116 000 en moins jamais il y a un hic – mettons que l’enfant a oublié coercitifs, plus ou moins brutaux, utilisés pour
son doudou à la maison –, la gestion de l’incident éduquer les enfants. Ce type de comportement
d’une heure.
n’occasionnera alors aucune surenchère sonore.
« Ce n’est pas grave, papa va aller le chercher et te le
Au même titre est en premier lieu révélateur d’une relation sta­
tutairement dissymétrique. Notamment parce

LE MOT DE L A SE M A I N E
ramener tout de suite. En attendant, je te prête
mon porte­clés Minion, qui pourra te servir de
que les coups, qu’il n’a pas la force physique de riposter et qu’il
occupe une position de subalterne dans l’orga­
doudou de secours. » Ici, la météo est celle d’un cli­ les menaces nigramme familial, l’enfant est invité à subir ces

Uniforme mat émotionnel invariablement stable, une oasis


de tempérance. Quand, soudain, déboule l’oura­
gan Irma. « Non mais BORDEL, t’as pas remis le
ou le chantage, VEO sans broncher (de toute façon, s’il bronche,
il sera « privé d’iPad ! »). Une récente étude,
publiée dans la revue Biological Psychology et
n. masc. cahier de texte dans ton sac ! Nân mais je RÊVE !!!!
Combien de fois il va falloir que je te répète de pré­
les cris font menée par des chercheurs de l’Université de
Montréal, a montré que ces violences éducati­
parer tes affaires la veille ? Tu seras privé de dessins partie de ce ves ordinaires étaient susceptibles d’altérer les
Un présentateur de LCI a été animés Minions pendant une semaine, ça t’ap­
prendra à t’organiser un peu mieux, C’EST COM­ que l’on nomme
circuits cérébraux liés à la peur, les enfants ne
réussissant plus à différencier les stimuli ef­
« fermement » rappelé à l’ordre PRIS ou je dois te faire un POWERPOINT ?!!! »,
hurle le père gueulard, en secouant sa progéni­ aujourd’hui frayants et les stimuli rassurants.
Mais peut­on mettre sur un même plan
par la direction de la chaîne ture horrifiée à bout de bras.
Alors que la gifle, la fessée, la tape sur la les violences des cris et une baffe ? Vraisemblablement, on se
situe là dans une zone grise éducative, où tout
après avoir fait le lien, le 16 oc- main ont été – à juste titre – mises hors la loi par
un vote du Sénat, le 2 juillet, le cri continue bizar­ éducatives
est affaire de nuances. Employés de manière
systématique et associés à des paroles qui
tobre, entre le voile d’une mère rement à résonner comme s’il était une chose
normale, prospérant sur l’ambiguïté de son sta­ ordinaires essentialisent les comportements (« Tu es un
incapable »), les cris peuvent s’apparenter à de
de famille et l’accoutrement tut. Encore aujourd’hui, son usage est souvent
justifié à des fins d’édification du caractère. L’an
véritables claques morales. En revanche, le cri
occasionnel, cette décharge émotionnelle
des nazis. Quelques jours plus dernier, dans le club de foot où mon fils était ins­
crit, l’entraîneur manifestait ainsi par des hurle­
libératrice, est ce qui permet au parent réel de
ne pas être totalement cannibalisé par
tôt, un pompier de l’Essonne ments son exigence supposée, un peu comme s’il était José Mourinho.
Puis, à l’occasion d’une causerie finale aux allures d’exégèse apaisée, il
l’image fantasmatique du parent idéal. Contrairement au papa
parfait, qui pratique l’« éducation positive » sans jamais dévier de sa
s’est lui aussi attiré les foudres expliquait le pourquoi de ces vociférations intempestives. « Vous voyez
les enfants, il n’y a pas un seul footballeur professionnel qui ne s’est pas
trajectoire bienveillante, le papa réel est un être faillible, parfois fati­
gué, pour qui le coup de gueule fait figure, certains jours, de sorte de
de sa hiérarchie en invectivant fait crier dessus. Si je hurle, c’est pour votre bien, pour que vous deveniez
des bêtes de joueurs… », se justifiait le paternaliste en crampons. « Et pas
bouée de sauvetage psychique.
Après avoir répété dix fois « mets ton pyjama, brosse­toi les
face caméra le président des joueurs bêtes », me glissait alors mon fils en douce, pour s’amuser
(pour info, il n’a pas voulu se réinscrire).
dents » à un enfant qui semble atteint de surdité, le parent réel, même
s’il s’efforce de rester calme le reste du temps, peut alors être tenté de
de la République, alors qu’il Voilà comment le cri peut, dans certains contextes, se trouver
revendiqué comme « tyrannie bienveillante », et parfois même au sein
hausser le ton. Ayant ses vertus marginales, cette forme d’« éducation
non bienveillante » permet de confronter vos enfants à une écologie
défilait en tenue pour exprimer de respectables institutions. Jusqu’à il y a peu, dans l’école de mes
enfants, une enseignante accueillait chaque jour ses élèves, mug
diversifiée des comportements humains. Eh oui, les petits, vous devez
savoir que, plus tard, tout le monde ne vous parlera pas avec un ton
le ras-le-bol des soldats du feu. fumant à la main, avec des éclats de voix de vendeuse de merlans. sirupeux de vendeur de confiseries.

L E PR ÉNOM D ES GE NS
5 400 Justine. Leur abandon est souvent que la sœur de Pauline soit
conjoint et, en 2018, seules 580 Pauline Justine. En bref, pour que ça marche,

Pauline et 540 Justine voient le jour. Leur âge il faut une « Pauline de proximité ».
DAVID ADRIEN

moyen aujourd’hui : 23 ans. Les statistiques le montrent ! Les effectifs


Et ces prénoms, socialement, se de la Pauline sont bien plus élevés que

et Justine ressemblent. Il ne semble pas que l’on


puisse distinguer une Justine de classe…
supérieure d’une Pauline plus populaire :
les effectifs de la Justine. Depuis 1950,
132 000 bébés ont reçu le premier
prénom, et 86 000 le second : il y en
Par Baptiste Coulmont ces deux prénoms, globalement, a 46 000 de moins. Justine n’est pas
ont les caractéristiques de prénoms vraiment « nulle part », mais comparé au
embrassés par les classes moyennes. matraquage quotidien que représente
Dans les toilettes des facs, sur les murs à les trouver ensemble. Ils font partie Mais alors, pourquoi Pauline serait le fait de rencontrer des Pauline,
des écoles d’art, en marge des du wagon de queue de la mode partout et Justine nulle part ? Pour que au travail, à l’université, chez des amis,
manifestations, on peut lire ce graffiti : en -ine, qui, de Martine en Céline, le détournement du slogan fonctionne, ou à la tête de l’association des parents
« Pauline partout, Justine nulle part ! » a fait les beaux jours des « trente il faut qu’il colle à l’expérience, qu’on d’élèves, Justine est un peu plus rare.
Comme souvent avec les formes glorieuses ». Ils sont revenus à la mode rencontre toujours de la Pauline quand Il sera difficile de faire régner la Justine.
artistiques de la subversion, on au même moment, à partir du début on est confronté à la Justine, mais
commence par sourire, puis par des années 1980. En 1991-1992, au pic beaucoup moins souvent la Justine Baptiste Coulmont est professeur de sociologie
à l’université Paris-VIII. Il a notamment publié
réfléchir. Ces deux prénoms vont en de leur popularité en France, naquirent quand on est face à la Pauline. Ou que « Sociologie des prénoms » (La Découverte, 2014).
effet de pair et il n’y a pas de surprise un peu plus de 6 000 Pauline et la sœur de Justine soit Pauline plus http ://coulmont.com
DI MAN CHE 20 - LU N DI 21 O C TO BRE 2019
0123
5

Dans un ancien buron, à La Bourboule


WEEK-END

Pour une escapade nature et écolo, direction La Bourboule, jolie station


thermale en plein cœur du massif du Sancy (Massif central) pour
un séjour dans un buron – ancienne bâtisse en pierre qui accueillait
hommes et bêtes pendant la période d’estive. Rénové dans une
ambiance chalet, l’endroit est désormais entièrement autonome : l’élec-
tricité, le chauffage et l’eau chaude fonctionnent à l’énergie solaire, et le
poêle à bois bouilleur prend le relais si le soleil n’est pas au rendez-vous.
L’insolite qui tombe à pic

Le buron des Vernières est au bord de 1 étang bucolique, avec ponton,


dans un domaine boisé d’un hectare propice aux balades. La station
de ski du Mont-Dore et sa trentaine de pistes sont à dix minutes…

GITEDETACHE
Gîte pour 4 personnes. Semaine : de 400 à 590 €.
Week-end : de 230 à 300 €. Sancy.com
Dans un buron, une dameuse ou un igloo, cinq séjours à la montagne qui sortent de l’ordinaire
Yoanna Sultan-R’bibo

Dans une dameuse,


à La Plagne
Pourquoi quitter les pistes à la
tombée de la nuit, alors que c’est
des sommets que la vue sur le ciel
étoilé et les pentes enneigées est
la plus belle ? La solution : dormir
dans une dameuse ! A la Plagne, en
Savoie, à 2 400 mètres d’altitude,
la dameuse Over the moon a été
aménagée en suite haut de gamme,
avec lit douillet, baignoire balnéo et
petites attentions. Le rendez-vous
est donné à 20 h 30 à la station,
pour une balade… en dameuse. Le
chauffeur vous emmènera jusqu’en
haut des pistes, au sommet de
l’Arpette, puis vous laissera seuls
au monde passer la nuit dans
ce drôle de vaisseau. Redescente
le lendemain, à 7 h 30.
Dameuse Over the moon,
320 €pour deux personnes,
tous les jours sauf le dimanche.
Skipass-laplagne.com
FOU D’IMAGE

ABRACADAROOM
AVILLAGE IGLOO
ALPIN COCOON

Dans un cocon, aux Orres Dans un igloo géant à Val Thorens Dans une cabane sur pilotis
à Puy Mary
Sur les pentes enneigées des Orres, dans les Qui, enfant, n’a jamais essayé de construire son
Hautes-Alpes, on distingue à peine ces neuf propre igloo pour jouer les Esquimaux ? Un rêve Envie de jouer les Davy Crockett ? La Cabane
cocons tout juste sortis de terre. Nous sommes à devenu réalité à Val Thorens, dans la vallée de la des trappeurs devrait vous plaire. Situé au cœur
l’Alpin Cocoon. Un village de dômes géodésiques Tarentaise, en Savoie. En quinze jours, architectes, du parc naturel régional des Volcans d’Auvergne, le
(qui accueilleront des touristes à partir de décem- menuisiers et sculpteurs ont transformé 3 500 m3 domaine du Puy Mary (Cantal) propose apparte-
bre), construits sur pilotis, qui disposent chacun de neige en véritable village de glace. 180 m2 per- ments et cabanes, dont celle des Trappeurs, sur
d’une terrasse privative pour profiter de la vue sur chés à 2 400 m d’altitude, où l’on peut prendre pilotis à 4 m de hauteur. On grimpe alors dans un
les montagnes. A l’intérieur, l’ambiance « chalet » un verre à l’Ice Bar, dîner, ou même dormir pour lieu cosy de 20 m2, tout en bois et peaux de bête,
est chaleureuse la nuit, lumineuse le jour, grâce à les plus aventureux ! Au programme de cette nuit et le lit king size nous appelle pour des soirées
une large baie transparente ouverte à 160 degrés. magique qui débute à 19 heures, une balade sous cocooning. Même sous la neige, on peut profiter
Les Cocoon peuvent accueillir jusqu’à six person- les étoiles, avec un moniteur, jusqu’au Village Igloo, de la grande terrasse équipée d’un Jacuzzi couvert.
nes, qui se réchaufferont autour du poêle à pellets. où vous attendra une fondue savoyarde. Après le De là, la vue sur la vallée et le Puy Mary, le plus
De ce village atypique, un chemin piétonnier mène dîner, on file dans sa chambre glacée, où des mate- grand volcan d’Europe, est sublime. Le domaine de
jusqu’aux commerces des Orres 1800 ; l’une des las douillets ont été posés sur des lits de neige. Le 1 hectare propose aussi un espace bien-être avec
quarante pistes du domaine skiable passe, elle, thermomètre indique… 0 degré ! Mais vous serez sauna, hammam, cabane de massage, mais égale-
juste au pied des Cocoon… au chaud dans un duvet prévu pour les expéditions ment trampoline et balançoire pour les petits.
Cocoon pour 4-6 personnes, à partir de 299 €. polaires. Au premier rayon du soleil, vous profite- À partir de 190 € la nuit avec petit déjeuner
Alpin-cocoon.com rez d’un petit déjeuner avec une vue splendide
inclus sur Abracadaroom.com
sur la station encore endormie.
Le Village Igloo accueille au maximum
8 personnes par nuit, soit en configuration
duo (à partir de 350 € la chambre),
soit en camp de base pour 3 à 4 personnes
(à partir de 360 € la chambre).
Village-igloo-valthorens.fr
6 0123
DIMANC HE 20 - LU N D I 2 1 O C TO B RE 2019

VIN

On ne choisit pas
ses voisins
Du cheval qui importune
les proprios du gîte d’à côté aux vols
de raisin, les viticulteurs ont eux
aussi leurs problèmes de voisinage.
Des conflits qui se terminent
souvent devant les tribunaux
Ophélie Neiman

E
n adoptant un registre trivial, on pourrait dire que cette
histoire « pue la merde ». L’expression est certes inélé­
gante, mais elle retranscrit bien le problème qui sera jugé le
18 novembre par la cour d’appel de Colmar. Au centre de
l’affaire, Sésame, brave cheval de trait comtois, alezan aux
crins lavés, plus très jeune mais précieux.
Sésame est le cheval de Marie et de son frère Jean­Paul Zusslin,
vignerons du domaine Valentin Zusslin, en Alsace (à Orschwihr, dans
le Haut­Rhin). Les amateurs de vin connaissent le domaine, au moins
de réputation, car il est en train de devenir une référence pour ses
excellents crémants, ses rieslings très droits et ses pinots noirs aux
accents bourguignons. Bref, du très bon, certifié en biodynamie
depuis 1997. Avec le choix, depuis 2012, de travailler les sols à la trac­ CHANG-KI CHUNG POUR « LE MONDE »
tion animale. D’où l’arrivée de Sésame. Quand il ne laboure pas,
Sésame vit sa petite vie de cheval, dans un champ. En face d’un gîte
rural. C’est là qu’est l’os, hélas ! Les voisins n’aiment pas Sésame. Ou cielle. Le vol de raisin sur pied est parfois plus subtil, à coups d’une
plutôt, ils n’aiment pas ses crottins, qui dégagent des odeurs qu’ils
estiment non compatibles avec leurs chambres d’hôte.
grappe par cep, sur plusieurs hectares. Discret mais efficace. Les
gendarmes des vignobles où la moindre baie vaut de l’or multiplient
Sélection
Pourtant originaires du village et habitués aux pratiques agri­ désormais les rondes et les surveillances en période de vendange. A DO MAI NE
coles, les voisins du domaine Zusslin décident de porter l’affaire cheval, le plus souvent. Et personne alors ne critique leurs crottins. ZUSSLI N,
devant le tribunal d’instance en juillet 2018. Ce dernier donne raison Plus question de plaisanter quand le voisin est une école. Les C RÉMA NT
aux vignerons. Les propriétaires du gîte font appel. Si la cour d’appel domaines viticoles qui jouxtent ces lieux sensibles ont l’habitude de D’A L S ACE , « CLOS
n’a pas encore rendu son jugement, les voisins ont déjà été jugés par prévenir lors des épandages. Et prennent garde au vent, qui peut por­ LIE B ENB ERG »
l’opinion publique. Et ils ont perdu. L’affaire a été largement médiati­ ter les produits au mauvais endroit. Las, deux châteaux bordelais ont L’un des plus beaux
sée, rangée aux côtés des procès loufoques comme celui du coq Mau­ été accusés, en mai 2014, d’avoir causé irritations et malaises chez des crémants qu’on puisse
rice, accusé de chanter trop fort sur l’île d’Oléron. écoliers et leur enseignante, lors de traitements des vignes avoisinan­ trouver dans le pays.
L’argument des demandeurs soulève néanmoins une vision tes. Et contre les idées reçues, l’un des domaines était pourtant certifié Aussi singulier que dis-
plus gênante : selon leur avocat, l’emploi du cheval ne se justifie pas bio. En avril, le tribunal correctionnel de Libourne a relaxé les proprié­ tingué, une aventure
puisque les parcelles du domaine viticole sont mécanisables, et qu’il taires des vignobles, en l’absence de « lien de certitude entre épanda­ à boire. A cheval
existe des viticulteurs bio qui ne possèdent pas de cheval. Le bruit du ges et symptômes ». Les parties civiles font appel. et en biodynamie.
tracteur plutôt que l’odeur du crottin, donc. En soutien aux Zusslin, De nouveaux conflits se profilent : la définition de zones où il Env. 33 €
une pétition intitulée « Bientôt plus de chevaux dans nos vignes ? » a serait interdit de traiter (zones de non­traitement) est une nouvelle
déjà recueilli plus de 120 000 signatures. Le domaine, qui trouve cette mèche prête à flamber. Dix mètres entre les épandages de vigne et les C HÂTE AU LAFITTE,
affaire un peu ridicule, retient surtout ces nombreuses manifesta­ habitations, propose le gouvernement. Cent cinquante mètres, répli­ B ORD EAUX ,
tions de sympathie, qui les confortent dans leur choix. quent les associations écologistes. Au cas par cas, déclare, crispée, la « HÉ RITAGE »,
Les problèmes de voisinage sont parfois moins cocasses. Au FNSEA. Dans les grands crus bourguignons, où parfois les rangs de 2016 , RO UGE
choix, les vols de vendange. Des vignerons indélicats, en manque de vigne dépassent le million d’euros à l’hectare, et où moins d’un mètre A ne pas confondre
raisin, sont parfois tentés de se servir chez le voisin. Les vendanges les sépare des maisons, ces zones tampons sont de haute importance. avec son prestigieux
2018, particulièrement peu abondantes dans le Bordelais, ont ainsi La guerre des voisins a encore de beaux jours devant elle. voisin Lafite-Roths-
donné lieu à divers vols, de plusieurs centaines de kilos à Saint­Emilion child, le second vin
jusqu’à 6,5 tonnes de raisin (l’équivalent de 25 000 à 30 000 grappes) de Lafitte réjouit
dans une propriété en AOC bordeaux supérieur. La gendarmerie de et réconcilie les âmes.
Gironde était, la même année, parvenue à démanteler « un réseau de Il n’est que plaisir.
trafiquants de raisin » organisé par un château du Libournais. Excellent rapport
Ça fauche partout. Même à Paris, les vignes municipales du qualité-prix. Env. 13 €
parc de Bercy ont été complètement ratissées avant la vendange offi­

TE ST É E T A PP R OUV É

Trois idées pour se faire flipper avant Halloween


Marlène Duretz

« Enterré vivant » et « crypte maudite » Vampires sur grand écran Danse avec les zombies
> Et si on jouait à se faire peur ? Les escape games, dont le prin- > Les canines du vampire, et l’avidité de cette créature au teint > Porte qui grince, pas qui résonnent, hurlements glaçants du
cipe est de résoudre en équipe une énigme, grâce à des indices, indéfectiblement blafard, sont légendaires. Cette sombre icône, loup… Le Thriller de Michael Jackson inaugure ce bal des
explorent volontiers le filon de la peur. Petit frisson avec Skeleton ni tout à fait morte, ni tout à fait vivante, et à laquelle la Cinéma- zombies, décharnés mais pris d’un rythme endiablé. Spotify a
Key, au Manoir de Paris, qui propose de pénétrer dans la crypte thèque de Paris consacre exposition et rétrospective, a inspiré concocté cette playlist Halloween 2019, soit 83 titres éclecti-
où se trouve le caveau ancestral de la famille Saint-Germain de nombreux écrivains, cinéastes, peintres et photographes, de- ques pour se glacer le sang, avoir la chair de poule, claquer des
pour y délivrer le gardien de sa malédiction. Autre bravade, et puis le célèbre roman Dracula, de Bram Stoker, à la fin du dents… et se mettre à danser comme un damné (ou prendre ses
grande frayeur, chez Destination danger, où il revient de mettre XIXe siècle, jusqu’à la saga Twilight, de Stephenie Meyer. A jambes à son cou). Idéal pour réchauffer les soirées lugubres,
un pied, et pas seulement, dans son « Enterré vivant ». Chaque l’écran, on tremblera devant Le Vampire, de Jean Painlevé (1939), sinon pour animer les soirées thématiques et, pourquoi pas,
joueur – c’est un escape game en duo – est installé dans un cer- Une messe pour Dracula, de Peter Sasdy (1969), Un vampire à les goûters d’enfants. Du Cannibal autotuné, de Kesha, aux
cueil, où il dispose d’une heure pour résoudre l’énigme et (re)ga- Brooklyn, de Wes Craven (1996), jusqu’au plus récent vidéoclip prenantes Hells Bells, d’AC/DC, en passant par le générique de
gner le grand air. « Aucun remboursement en cas de claustro- Niemand, de Bertrand Mandico (2018). L’exposition a prévu un « La Quatrième dimension », le psychédélique Voodoo Child, de
phobie ou de stress », avertit l’organisateur. Prêt à relever le défi, parcours pour les plus jeunes (9 ans et plus) guidés, une fois par Jimi Hendrix, ou encore le plus classique Songe d’une nuit de
« allongé, enfermé, seul, dans le noir et le silence » ? mois, par la conteuse Ariane Pawin. Gousses d’ail et pieux vive- sabbat, d’Hector Berlioz.
Skeleton Key, et sa « Crypte maudite », à Paris 10e. A partir de 111 euros ment recommandées. « Halloween playlist 2019 », gratuit sur Spotify, après inscription :
pour 3 personnes. Skeletonkey.fr. Destination danger, et son « Enterré Exposition « Vampires, de Dracula à Buffy » et rétrospective à la Open.spotify.com
vivant », à Paris 12e. 70 euros en duo. Destinationdanger.fr Cinémathèque de Paris. Films, rencontres, conférences et spectacles
jusqu’au 19 janvier 2020. Cinematheque.fr
0123
DI MANCHE 20 - LUN DI 2 1 O C TOBRE 201 9 7
UN APÉRO AVEC…
AGATHE AUPROUX
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. La chroniqueuse de « Touche pas
à mon poste » raconte son cancer dans un livre : « Tout va bien »

P EN DA NT C E T EMPS -LÀ …
À VILLEPERDU E (I NDRE- ET - LOIR E)

Au Light Club,
Eva Queen,
idole des ados
Frédéric Potet

Il n’y a pas que Greta (Thunberg) dans


la tête des ados. Il y a aussi Eva. Eva
Garnier de son vrai nom, alias Eva
Queen. A 18 ans, cette chanteuse
d’urban pop originaire de Nice n’en
finit pas d’affoler la Toile. Un an après
son premier clip, Mood, elle comptabi-
lise 180 millions de vues sur YouTube,
1,3 million de followers sur Instagram
et 2 millions de vues quotidiennes
sur Snapchat – sans compter les
80 000 exemplaires vendus de son
premier album, Queen, sorti en juillet.
Eva Queen est un phénomène ;
la « nouvelle idole des jeunes », comme
le clame son service de presse. Affecté
à gérer les débordements parfois hysté-
riques de ses fans, un vigile l’accompa-
gne lors de ses concerts. Ainsi, ce soir-là
au Light Club, une boîte de nuit située à
Villeperdue, un village d’Indre-et-Loire.
Il est 3 h 15 du matin quand la
discothèque – un vaste hangar entouré
de champs – entre en éruption à l’arri-
vée de la sylphide tout de rose vêtue.
Des centaines de smartphones se dres-
sent pour capturer l’instant. Eva Queen
A la brasserie La Rotonde, le 11 octobre, à Paris. MATHIEU ZAZZO/PASCO POUR « LE MONDE » ne lâche pas, elle non plus, son télé-
phone, avec lequel elle s’amuse à fil-
mer les fans qui la filment, tout cela en
chantant. L’assistance est composée

« Pendant les chimios, aux deux tiers de jeunes filles et de jeu-


nes femmes qui connaissent par cœur
les paroles. Les garçons se tiennent
plutôt à carreau ; cette soirée n’est clai-

je mangeais du Kiri »
rement pas la leur.
Dans ses textes, qu’elle écrit en
partie, Eva Queen taille en effet de sa-
crées croupières aux jeunes mâles

A
d’aujourd’hui, « tous ces hommes qui
Nicolas Santolaria
n’en sont pas » (On Fleek) et qui aiment
s’exhiber avec « des poupées de po-
près être sorti la veille, c’est un peu vasouillard que j’arrive à La Ro­ est­il qu’elle en a gardé la maîtrise d’un coup de pied en che » au « make-up de cagole » (Mood).
tonde, boulevard du Montparnasse, pour un apéro avec Aga­ mode rafale (« Le même que Chun­Li, dans le jeu vidéo Street Dans un autre de ses morceaux (Alibi),
the Auproux. Il est à peine 17 h 30. Je commande un Perrier Fighter ») et une certaine souplesse adaptative. elle va même jusqu’à imaginer le crime
tranche et constate que les murs sont décorés de faux Modi­ Après des études de journalisme au CFPJ, elle travaille parfait à l’encontre d’un petit ami cou-
gliani, ces visages sans pupille ajoutant un degré de plus à aux Inrocks tout en commençant à apparaître, à partir de pable d’infidélité. Après avoir de-
ma nausée. La chroniqueuse de « Touche pas à mon poste ! » 2017, dans « Touche pas à mon poste ! ». « Pour cette presse mandé aux filles et aux garçons de
(C8), elle, a l’air en pleine forme. Elle sort pourtant de six parisienne, c’était inconcevable que je puisse rire aux vannes faire, chacun leur tour, le « maximum
mois de chimiothérapie, un combat acharné contre un de Jean­Michel Maire et lire de la littérature russe, c’était un de bruit » (victoire haut la main des
lymphome hodgkinien, qu’elle raconte, sans pathos grand écart indigne. Quand ils m’ont dit que je devais choisir filles), la starlette entonne son hymne,
aucun, dans l’ouvrage Tout va bien (Albin Michel, 224 p., entre l’un ou l’autre, je n’ai pas hésité. » Ce sera Hanouna. Pas le repris à tue-tête par la foule : « Reste
15 €). Avec ce livre touchant, écrit à la première per­ clown beauf qui colle des nouilles dans le slip de ses chroni­ avec tes folles, avec tes folles/T’as pris
sonne, elle espère pouvoir aider ceux qui se sentent queurs, non, mais le dernier grand génie des médias. « Ha­ le seum et tu t’agites/Moi je décolle,
« exclus, honteux, coupables à cause de la maladie ». nouna, c’est l’un des mecs les plus intelligents que j’aie jamais moi je décolle ».
Mis à part la cicatrice laissée par un cathéter rencontré, il a su capter comme personne l’esprit de l’époque, il Quelques heures plus tôt, dans
sous sa clavicule droite (« le pire truc de toute cette a une liberté de ton absolue », dit­elle, avec une fascination qui un hôtel de l’agglomération touran-
histoire ») et cachée sous un gros pull en laine, dif­ s’accompagne aujourd’hui d’une profonde gratitude. gelle, Eva Queen défendait mordicus
ficile de déceler, chez elle, la moindre trace visible Lorsque Agathe Auproux voit soudain surgir des son répertoire anti-macho : « C’est une
de cette épreuve qui rend généralement le corps nodules inhabituels au niveau de sa poitrine, alors qu’aucun façon de se défendre. Les mecs méri-
exsangue. « Mais si, regarde, j’ai des trous, là. Ça ne te choque spécialiste n’arrive à lui fournir d’explication valable, tent de se faire allumer. Mais les meufs
pas, toi ? », interroge Agathe Auproux, en tournant vers moi « Cyril » insiste pour qu’elle aille consulter son père, Ange doivent aussi faire attention. Parce
le sommet de son crâne brun. Plutôt que ces stigmates si peu Hanouna, médecin aux Lilas, dans le 93. Ce dernier prescrit qu’elles recherchent le mec parfait,
PLAYLIST évidents, ce qui saute aux yeux quand on la croise pour la un scanner en urgence à la jeune fille. Et le verdict tombe beaucoup vont trop loin dans la
première fois, c’est plutôt sa grâce naturelle, une manière quelques jours plus tard : cancer du système lymphatique. vulgarité sur les réseaux sociaux, et se
> DERNIER MORCEAU d’être en tension entre un contrôle millimétré de l’image de Devant son eau minérale, Agathe Auproux se demande retrouvent embarquées dans des
ÉCOUTÉ soi et une ingénuité miraculeusement préservée. Bref, Aga­ encore comment ce truc a bien pu lui tomber dessus, elle qui histoires. Notre génération est hyper-
« Feel a Way », de H.E.R. the Auproux est un oxymore en mini­short. « Tu ne vas plus ne fume pas, ne boit pas, et n’a pour seul vice répertorié compliquée. »
avoir de bulles dans ton Perrier, je les entends toutes éclater », qu’une addiction aux bonbons et aux selfies. « Moi qui suis Compliquée mais réceptive.
> DERNIÈRE RECHER- glisse­t­elle d’une voix douce, alors que le photographe, à qui cartésienne, c’est assez frustrant, parce qu’il n’y a pas de justi­ Son succès, Eva Garnier – ex-lycéenne
CHER GOOGLE elle vient d’indiquer son bon profil (le gauche), l’immortalise fication scientifique. Ce genre de cancer qui est très fréquent aimant « la mode, Insta’ et Snap’» – le
« MK2 bibliothèque à côté de mon verre d’eau gazeuse. chez les jeunes, c’est la loterie, il faut l’accepter. » doit à son pouvoir d’identification
séances “Joker” » Collants résille, baskets à plate­forme, grandes lu­ Autre effet inattendu de ce bingo génétique, le corps auprès des 15-20 ans. Mais aussi à un
nettes qui structurent le visage : la demoiselle de 27 ans fait de la jeune femme, sculpté à coups de pizzas, résiste bien à la environnement familial propice à
> DERNIER CONCERT penser à une héroïne de manga, prenant la pose dans un poche de produit orange qu’elle se voit administrer à l’éclosion artistique. Son grand-père
Lollapalooza en juillet anachronique décor parnassien. C’est d’ailleurs avec ce per­ échéances régulières (« on aurait dit un truc radioactif »). « Je percussionniste a accompagné Geor-
sonnage de Lolita 2.0 qu’elle a fait son trou à vitesse accélé­ mettais un casque réfrigérant sur le crâne pendant le traite­ ges Moustaki, sa grand-mère a créé un
> DERNIÈRE SÉRIE rée au milieu de l’écosystème darwinien des chroniqueurs ment pour ne pas perdre mes cheveux. C’était hyperdoulou­ label, sa mère a été chanteuse et son
« Peaky Blinders » de Cyril Hanouna. Sa promptitude à se déhancher sur le pla­ reux. Même si tout ça m’épuisait, à ma grande surprise, j’ai père dirige une société d’événementiel.
teau et sa maîtrise du décolleté viral auront fini de dessiner gardé de l’appétit. Pendant les chimios, je mangeais même du Sa sœur aînée, enfin, prénommée Jazz,
> DERNIÈRE APPLI les contours d’une affriolante créature transmédia. Kiri. » Après l’avoir dissimulée un temps, puis fait le choix de est une ancienne vedette d’émissions
TÉLÉCHARGÉE Résultat logique de cette exposition exponentiel­ la révéler publiquement sur son compte Instagram, la mala­ de télé-réalité (Qui veut épouser mon
Air France lement dopée par Instagram (son compte cumule die enfin assumée aura eu, sur la jeune femme, l’effet d’un fils ? La villa des cœurs brisés…). Le site
730 000 abonnés), on croise aujourd’hui un nombre incal­ accélérateur de vie. « Avant, dès que j’avais un week­end de MyTF1 a flairé le filon en réalisant deux
> DERNIÈRE APPLI culable de jeunes femmes qui imitent plus ou moins bien libre, je prenais mes billets pour aller voir ma mère. Le fait saisons d’Eva, dans son mood, mé-
CONSULTÉE son style décomplexé. « Chez les opticiens, je sais que beau­ d’être malade, ça m’a mis dans une urgence de faire, de décou­ lange de documentaire et de feuille-
Jeu du bac coup de clients demandent aujourd’hui les lunettes “à la Aga­ vrir. Je me suis dit : finalement, y a peut­être d’autres endroits ton, vaguement inspiré de l’Incroyable
the Auproux”. Du coup, je ne peux plus porter de lentilles que Guéret. J’ai découvert la Grèce, l’Italie, Miami, la Martini­ famille Kardashian.
(rire). » Dès que la conversation s’interrompt un instant, ses que, c’était incroyable. J’ai beaucoup pris l’avion mais, de toute Au Light Club, pas moins de
ongles vernis de noir se mettent à pianoter frénétiquement façon, je n’ai aucune conscience écologique. » quatre gardes du corps escortent
sur l’écran de son smartphone. « Digital native », Agathe est Alors que d’abominables trolls lui reprochent de ne maintenant la jeune femme qui vient
également une enfant du divorce. Son père est un Creusois pas correspondre à l’image grise de la cancéreuse « prostrée » d’en finir avec son showcase de trente
(« Enfin, je crois qu’il est né en Creuse, mais je n’en suis pas très et d’avoir inventé toute cette histoire pour faire le buzz, Aga­ minutes. Dans sa loge, deux gamines
sûre ») avec qui elle n’a plus vraiment de contact. Prof de the Auproux répond de la plus belle des manières : malade, accompagnées de leur mère lui offrent
français à Guéret et indéfectible soutien, sa mère, d’origine elle continue à apparaître à l’écran, poste des photos d’elle en une écharpe faite main, déposée dans
vietnamienne, lui a quant à elle transmis l’amour des lettres maillot de bain et trouve même la force de poser pour une une boîte en carton décorée de cœurs.
et un sens aigu du mot juste. Est­ce pour cultiver ces lointai­ campagne pour une marque de sous­vêtements. « C’est din­ « Trop cool », remercie la chanteuse
nes racines asiatiques qu’Agathe Auproux a pratiqué durant gue : parce qu’on a un cancer, on est supposé ne plus avoir le avant de s’engouffrer, à l’arrière d’un
plusieurs années le viet vo dao ? Difficile à dire. Toujours droit de sourire. » Guérie, elle se fait percer les oreilles. van, dans la nuit de Villeperdue.

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