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Ménard
Résumé
La recherche de ces dernières années sur l'Évangile de Vérité s'est très intéressée à la langue et à la structure du nouvel écrit de
Nag Hamadi. Certains sont de l'opinion que l'Évangile de Vérité est d'origine égyptienne ou copte (Fecht), d'autres, qu'il est
d'origine syriaque (Nagel), d'autres, enfin, qu'il est d'origine grecque (Ménard, Böhlig). Il semble beaucoup plus qu'on soit en
présence d'un phénomène de bilinguisme, où des expressions ou des tournures grecques sont empruntées à celles du syriaque,
plus particulièrement. Mais si l'auteur ou les auteurs ou, encore, le rédacteur final pensaient syriaque, ils n'en écrivaient pas
moins en un grec qui demeure hellénistique.
Ménard Jacques E. La structure et la langue originale de l'Évangile de vérité. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 44,
fascicule 1-2, 1970. Mémorial du cinquantenaire de la Faculté de théologie catholique 1919-1969 (II suite et fin) pp. 128-137.
doi : 10.3406/rscir.1970.2582
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rscir_0035-2217_1970_num_44_1_2582
Jacques MÉNARD
Professeur d'histoire et d'archéologie bibliques
DE L'EVANGILE DE VERITE
Un des mystères les plus obscurs qui enveloppe cet écrit gnosti-
que copte de la découverte de Nag Hamadi est celui de sa structure
ou de sa composition et de sa langue. G. Fecht (1) s'est basé sur
une métrique égyptienne apparentée à celle de maints écrits
hiéroglyphiques pour diviser l'Evangile de Vérité en plusieurs strophes. Il
soutient que l'ouvrage fut directement écrit en copte, bien que son
auteur ait pu l'écrire en même temps en grec, le grec étant à l'époque
une langue courante en Egypte.
La première partie de l'Evangile de Vérité, la seule étudiée par
Fecht, traite de la rédemption grâce à la découverte par le Tout,
jusqu'ici séparé du Père, de cette connaissance surnaturelle
transmise par le Christ dans son enseignement et dans sa mort sur la
Croix.
Cette première partie comprend cent vingt versets et quinze
strophes, le tout faisant trois chapitres. Le premier chapitre est
consacré aux relations du Père et du Tout : à l'ignorance succède
maintenant une connaissance mutuelle. Ce chapitre est constitué
de quatre strophes et de trente versets. La première strophe de huit
versets (p. 16, 31-17, 4 de la pagination du Codex) exalte le salut
opéré par la découverte du Père. La deuxième strophe de sept
versets (p. 17, 5-21) décrit l'origine de la TcXdvyj. Cette dernière vient
de l'ignorance du Tout qui, par contrecoup, a besoin d'une révéla-
(1) Cf. Der erste « Teil » des sogenannten Evangelium Veritatis (S. 16,
31-22, 20), I : Kapitel* 1, Str. I-III ; II : Kapitel* 1, Str. IV-Kapitel4 2,
Str. VII ; III : Kapitel4 2, Str. VIII-Kapitel* 3, Str. IX, dans Orientalia.
30-32 (1961-1963), p. 371-390 ; p. 85-119 ; p. 298-335.
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Croix (p. 18, 24) à une interprétation gnostique et atemporelle (p. 20,
6-25,35), c'est-à-dire du Jésus de la Passion au Livre, disposition
du Père attachée à cette croix. La première interprétation
refléterait une couche rédactionnelle primitive de l'écrit (2). Ce dernier
pourrait toutefois ne vouloir révéler que lentement à ses lecteurs sa
véritable interprétation de la Croix. En passant d'une strophe à
l'autre, on se rend également compte que l'une appelle l'autre, qu'elles
se complètent et s'expliquent mutuellement selon une logique qui
progresse sans cesse. Ainsi les strophes VI et VII se terminent par
le même verset et font ressortir les oppositions qui existent entre la
connaissance et la icXàv/j, à moins que ces versets finaux ne soient
que des doublets. La métrique des strophes est la même à l'intérieur
d'un chapitre, mais différente d'un chapitre à l'autre.
(2) Cf. id., ibid., 32 (1963), p. 316-320. Fecht s'oppose ainsi à l'opinion
de W.-C. van Unnik, The « Gospel of Truth » and the New Testament,
dans The Jung Codex, Londres, 1955, p. 79 s. ; R. -McL. Wilson, The
Gnostic Problem, Londres, 1958, p. 163 ; P. Weigandt, Der Doketismus im
Urehristentum und in der theologischen Entwicklung des zweiten Jahrhun-
derts, Diss. Heidelberg, 1961, I, p. 93 ; H. Jonas, The Gnostic Eeligion 2.
The Message of the Alien God and the Beginnings of Christianity, Boston,
1963, p. 78, note 29 ; R.-McL. Wilson, Gnosis and the New Testament,
Londres, 1968, p. 89-92, pour qui l'auteur de VEvangile de Vérité n'est pas
encore complètement passé au gnosticisme. La p. 31, 4 ss. de l'écrit gnostique
semble bien manifester pourtant un docétisme évident (ainsi S. Giversen,
Sandhedens Evangelium. De gnostiske hândskrifter fra Nildalen,
Copenhague, 1957, p. 66, 106 ; B. Gaertner, Evangelium Veritatis och Nya Testa-
mentet, dans Eeligion och Bibel, 17 [1959], p. 63 ; Ringgren, Evangelium
Veritatis och den valentianiska gnosis, dans Religion och Bibel, 17 [1959],
p. 48 ; F.-M. Braun, Jean le théologien et son Evangile dans l'Eglise
ancienne [E. B.], I, Paris, 1959, p. 119 ; B. Gaertner, The Theology of the
Gospel of Thomas, Londres, 1961, p. 142 ; H. Ringgren, The Gospel of
Truth and Valentinian Gnosticism, dans Vox Theologica, 18 [1964], p. 51-
65 contre G. Quispel, Neue Funde zur valentinianischen Gnosis, dans
Z.B.G.G., 6 [1954], p. 294 ; J. Leipoldt, dans T.L.Z., 82 [1957], col. 832 ;
K. Grobel, The Gospel of Truth. A Valentinian Meditation on the Gospel.
Translation from the Coptic and Commentary, Londres, 1960, p. 22, 123 et
H. Jonas, op. cit., p. 196, note 28 qui admettent un certain docétisme dans
YEvangile de Vérité et surtout contre H.-M. Schenke, Die Herkunft des
sogenannten Evangelium Veritatis, Goettingue, 1959, p. 27, 46 ; P.
Weigandt, op. cit., p. 93, 153 qui pensent que la pensée du nouvel Evangile est
antidocétiste et enfin contre S. Arai, Die Christologie des Evangelium
Veritatis. Eine religionsgesehichtliche Untersuchung, Leyde, 1964 pour qui la
christologie de l'écrit gnostique, tout en présentant certains traits gnostiques,
n'est ni gnostique ni docétiste, mais pneumatique, cf. J.-E. Ménard, dans
Novum Testamentum, 7 [1965], p. 332-334).
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(sarirâ) dans laquelle les gnostiques des textes coptes sont consolidés
(sar) (24). Si l'origine syriaque du jeu de mots est évidente, il ne
s'agit pas pour autant d'un indice que les textes de Nag Hamadi
soient des homélies ou des textes liturgiques de confirmation
baptismale : ils ne veulent témoigner que d'un fait, à savoir que les
parfaits sont confirmés dans la Vérité. Nous nous séparons sur ce point
de Bohlig (25) qui se refuse à cette origine syriaque ; ce n'est pas
parce que l'expression est familière à la terminologie gnostique qu'on
peut dire qu'elle ne reflète pas une mentalité syriaque. Mais nous
sommes, d'autre part, de l'avis de Bohlig que le « Livre des Vivants »
de la p. 19, 35 n'est pas nécessairement une traduction de sefrâ
d*hajjë (26), c'est un sémitisme comme on en rencontre souvent dans
la xotvifj.Et, comme le note Bohlig, l'Evangile de Vérité aime les
redondances, et c'est précisément le cas de l'expression « le Livre
vivant des Vivants » en cette p. 19, 35 (27). Nous sommes aussi en
désaccord avec Nagel, quand il prétend que l'opposition d-fafldç -
icixpo'ç à la p. 42, 5 s. est une terminologie caractéristique des
Odes de Salomon (XIX, 1 ; XXVIII, 15 ; XXXI, 12 ; XXXVIII, 8 ;
XL, 3) (28). FI txpdç se rencontre dans le Pasteur d'HERMAS, Mand.,
XII, 4, 6 pour désigner le diable ou les mauvais anges (ibid., VI, 24),
et la y^xut71C es* u11 attribut divin dans le valentinisme (Ir., Adv.
Haer., I, 2, 2 : I, p. 15, 6, 8 Harvey) (29). A la p. 24, 15 il n'est
pas enfin nécessaire de rétroverser nimechH en rahmë (pi.) pour
traduire «miséricordes » (30). Mais le xà oi&d-p/va de Bohlig (31)
n'est pas non plus hellénistique, mieux vaut dire xà atkdy/ya è'Aiooç
(p. 18, 14) (32). D'autre côté, Bohlig a tout à fait raison de ne pas
admettre l'interprétation de Nagel à propos de la p. 42, 33 s. (33) :
il est question là de la nécessité pour l'être gnostique de percevoir
sa « racine », un terme classique de la gnose, comme il ressort du
commentaire de notre rétroversion grecque de l'Evangile de Vérité.