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Beauté et chasteté.

L’épisode de Joseph et de la femme de Putiphar (Gn 39, 6-20) relu


par les Pères latins

Régis Courtray, Université de Toulouse

Beauté physique et beauté spirituelle de Joseph


Parmi les figures de beauté que présente la Bible, celle de Joseph a retenu l’attention
des Pères latins : « Joseph avait une belle prestance et un beau visage1 » (Gn 39, 6). Toutefois,
cette beauté du patriarche est pour eux indissociable de sa chasteté qui lui fait refuser les
avances de l’épouse de son maître Putiphar (Gn 39, 7-20) ; il est ainsi souvent rapproché de
Suzanne, elle aussi belle et chaste2 : « Si un homme se flatte d’avoir belle allure, si une
femme est fière de sa beauté, que le premier suive l’exemple de Joseph et l’autre l’exemple de
Suzanne : que leur corps soit chaste et leur esprit pudique3. » Les deux thèmes de la beauté et
de la chasteté constituent la trame de ces récits : la beauté est à l’origine de la tentation et des
accusations portées contre Joseph et Suzanne ; la chasteté les protège du péché et leur assure
finalement une réputation de sainteté parmi les hommes et la gloire éternelle auprès de Dieu.
Dans la présentation qu’il fait des modèles bibliques de chasteté4, Quodvultdeus
fournit quelques précisions sur la beauté de Joseph : « Que les jeunes gens imitent saint
Joseph, beau par son corps, plus beau encore par son esprit5. » L’évêque établit ainsi une
distinction entre le corps et l’esprit ; si Joseph est beau dans son corps, il est plus beau dans
son âme. Zénon de Vérone présente également Joseph en hiérarchisant ses qualités : « Joseph,
un jeune homme hébreu, illustre par son origine, plus illustre par sa beauté, illustrissime
encore par la probité de ses mœurs fut, parmi les fils de Jacob, le plus petit par l’âge, mais le
plus grand par l’esprit6. » Dans son Sermon 24, Chromace d’Aquilée consacre tout un
développement à la beauté de Joseph7 ; or, celle-ci est aussitôt nuancée : Joseph était « plus
beau quant à l’âme », ou encore : « la beauté du corps brillait en lui, mais plus encore celle du
caractère ». Ces textes montrent la prudence des Pères latins à l’égard de la beauté de Joseph.
Si celle-ci n’est pas niée, elle est toujours subordonnée à une beauté plus grande, qui est
intérieure.
Cette beauté de l’âme tire son origine de vertus liées à la fois au corps et à l’âme :
« car il était chaste de corps et avait l’âme pudique », dit Chromace. C’est la chasteté qui
engendre la beauté spirituelle, autant dire la vraie beauté du patriarche. Chromace nous
permet de mieux comprendre la distinction qui est faite entre beauté corporelle et beauté
spirituelle : en l’homme, il convient de distinguer la chair, avec son poids de péché et l’âme,
qui est tournée vers Dieu. Ainsi, la beauté du corps, c’est-à-dire de la chair, « est d’habitude
un obstacle au salut » parce qu’elle entraîne l’homme vers le péché. L’attitude juste consiste
donc à soumettre le corps à l’âme, afin que l’âme soit maîtresse et la chair servante, et ce fut
bien le cas chez Joseph : « La beauté de son caractère fut maîtresse de celle de l’âme. » Mais
si quelqu’un inverse les priorités, malheur à son âme : « en ne gardant pas la foi au
Seigneur », elle se soumet « à l’esclavage du péché ». Dans le récit de la Genèse, au contraire,
Joseph résiste dans sa chair aux avances de sa maîtresse, et l’âme garde son empire sur la
chair : son corps devient alors sanctuaire et, dans la prison où il est enfermé suite aux
accusations calomnieuses dont il est victime, Joseph devient lui-même un palais, « car où sont
1
Traduction : Bible de Jérusalem, Le Cerf, Paris, 2003.
2
Dans la conférence que nous avions donnée aux Rencontres de Carcassonne et dont est tiré cet article, nous
avions traité conjointement des figures de Joseph et Suzanne chez les Pères latins.
3
CHROMACE D’AQUILEE, Sermon 24, 2 (SC 164, éd., notes et index par J. Lemarié, trad. par H. Tardif, p. 73).
4
Les autres modèles sont : pour les vierges Marie, pour les veuves la prophétesse Anne (Lc 2, 36-38), pour les
épouses Suzanne (Dn 13).
5
QUODVULTDEUS, Sermon 7, De cataclysmo 6, 17 (CCSL 60, éd. R. Braun, p. 419).
6
ZENON DE VERONE, Traité I, 1, 5, 15 (CCSL 22, éd. B. Löfstedt, p. 12).
7
Cf. CHROMACE D’AQUILEE, Sermon 24 (SC 164, p. 71-73) ; le passage qui nous intéresse se trouve au § 2 ;
nous empruntons notre traduction à H. Tardif. Ce sermon se trouve repris presque textuellement dans les œuvres
de Césaire d’Arles : cf. Sermon 93 (CCSL 103, éd. G. Morin, p. 382s).
1
la foi, la chasteté et la pudeur, là se trouve le palais du Christ, le temple de Dieu, la demeure
du Saint-Esprit. »

Les dangers de la beauté


La suite de la citation de Quodvultdeus montre effectivement que la beauté physique
présente des dangers aux yeux des Pères : « La chasteté avait si bien pris possession de lui que
l’avalanche des menaces de sa maîtresse, une femme impudique, ne purent lui porter atteinte,
pas même dans son corps. » Une trop grande beauté peut en effet susciter le désir, et l’âme est
en danger si le corps est convoité indépendamment de la personne tout entière.
Dans son Traité sur le Cantique des Cantiques, Grégoire d’Elvire résume comment le
patriarche attira les regards impudiques de sa maîtresse. Parmi les obstacles à la chasteté qu’il
énumère, il cite « la beauté du corps et de la silhouette, qui souvent susurre qu’il faut cueillir
l’occasion de plaisir qui s’offre, parce qu’elle est comme la fleur, qui promptement passera,
du temps véloce8. » Ici encore, la beauté corporelle est perçue comme un danger pour la
chasteté. Mais la raison invoquée est différente : c’est la fuite du temps et de la jeunesse qui
pousse les jeunes gens à jouir de leur beauté au-delà des limites qu’impose la pudeur.
Si la beauté peut présenter des risques pour celui qui est beau, elle peut également être
dangereuse pour les autres, comme Ambroise l’explique dans son De Ioseph9. On admire
souvent, écrit l’évêque, que Joseph, vendu comme esclave en Égypte, ait su gouverner une
maison privée10 ; mais il faudrait plutôt admirer qu’il a su d’abord se gouverner lui-même.
Joseph aurait pu, s’il le voulait, abuser de son charme et s’en servir pour faire du tort à autrui :
bien au contraire, il le « conserva à son propre avantage. » Il le garde pour sa propre gloire, et
cette vertu ne fait qu’accroître sa beauté : il se pensait « d’autant plus beau, poursuit l’évêque,
qu’il se montrerait plus remarquable non au détriment de sa chasteté mais par le respect de la
pudeur » ; pour lui, la vraie beauté ne cherche pas à capter les regards des autres et ne porte
pas atteinte aux esprits faibles ; elle obtient bien au contraire l’approbation de tous, « pour ne
porter préjudice à personne, mais se procurer à soi-même la gloire. » On voit bien le rapport
qui existe pour Ambroise entre beauté, chasteté et regard. La vraie beauté ne cherche pas à
plaire, mais vise sa propre gloire : elle a en vue les réalités célestes. Quel jugement porter
alors sur les regards concupiscents de l’épouse de Putiphar sur Joseph ? celui-ci en est-il
coupable ? Pour l’évêque, puisque jamais Joseph n’avait voulu être regardé de la sorte, la
faute en revient uniquement à la femme : « Il n’y eut pas non plus de faute à être regardé : il
n’était pas au pouvoir d’un jeune esclave de n’être pas regardé ; le mari aurait dû surveiller les
regards de sa femme. »

Comment éduquer son regard à la vraie beauté ?


Le thème du regard qu’Ambroise aborde ici paraît essentiel. La première perception
que nous avons de l’autre passe en effet par le regard ; il convient donc d’éduquer son regard
si l’on ne veut pas s’en tenir à la surface des êtres, mais percevoir leur véritable beauté, qui,
selon les Pères, porte le nom de « chasteté ».
Le sermon 343 d’Augustin Sur Suzanne et Joseph11 – largement réemployé par
l’évêque Césaire d’Arles12 – développe assez longuement le thème de l’éducation du regard à

8
Cf. GREGOIRE D’ELVIRE, Traité sur le Cantique des Cantiques, Homélie V, 7 (CCSL 69 – trad. inédite de M.
Dulaey, à paraître dans SC). Nous remercions Mlle Dulaey pour sa traduction que nous citons ici.
9
AMBROISE, De Ioseph 5, 22 (CSEL 32, 2, éd. C. Schenkl, p. 87). Ce traité d’Ambroise a servi de base à Césaire
d’Arles, au début du VIe s., pour son sermon 92, Sur le bienheureux patriarche saint Joseph : cf. CESAIRE
D’ARLES, Sermon 92 (SC 447, éd. G. Morin, introd., trad. et notes par J. Courreau, p. 241-243). Notre traduction
des passages s’appuie sur celle donnée par J. Courreau pour les sermons de Césaire d’Arles ; pour les passages
qui ne sont pas repris par Césaire, nous avons-nous-même proposé une traduction.
10
Césaire amplifie la comparaison et parle quant à lui du gouvernement du royaume d’Égypte.
11
AUGUSTIN, Sermon 343, De Susanna et Ioseph, 6 (éd. C. Lambot, RB 66 (1956), p. 20-38). Ici encore, notre
traduction des passages s’appuie sur celle donnée par J. Courreau pour les sermons de Césaire d’Arles, sauf pour
les passages propres à Augustin.
2
la beauté. L’évêque d’Hippone revient tout d’abord sur l’histoire de Joseph et de la femme de
Putiphar : « Elle aima un homme beau, cette femme non chaste et dont était perverti l’esprit
où elle n’avait pas d’yeux où la beauté pût sembler spirituelle et invisible. » D’emblée,
Augustin montre l’erreur de cette femme qui ne sait pas distinguer la vraie beauté – qui est
intérieure –, mais s’arrête à l’apparence des choses : aux yeux du corps qui ne voient que la
beauté charnelle et apparente doivent se substituer les yeux de l’esprit qui voient la beauté
spirituelle et invisible. Ce qui manque finalement à cette femme, ce sont des yeux pour voir la
vérité des choses. Son erreur essentielle est de n’avoir pas compris le lien profond qui unit
beauté et chasteté : « Celui qu’elle aimait beau, elle ne le voulait pas chaste », écrit l’évêque,
qui s’interroge aussitôt sur l’objet qu’aime véritablement cette femme : était-ce Joseph qu’elle
aimait ou n’était-ce pas plutôt elle-même ? La preuve que son amour n’est pas véritable se
trouve, selon Augustin, dans les causes qui ont enflammé son cœur : elle se consume du
« poison de la débauche », et non de la « flamme de la charité ». Joseph, quant à lui, « avait su
voir ce qu’elle n’avait pas su voir. » Cette qualité du regard de Joseph est soulignée par la
reprise du thème des deux beautés : « Il était plus beau intérieurement qu’extérieurement, plus
beau par la lumière du cœur que par l’enveloppe de sa chair : là où les regards de cette femme
ne pénétraient pas, c’est là qu’il jouissait de sa beauté. » Chacun regarde donc : la femme
regarde l’extérieur de Joseph, Joseph, lui, contemple « la beauté intérieure de la chasteté ».
Cette beauté que Joseph aperçoit « dans le miroir de sa conscience13 » le prémunit de toute
tentation de laisser violer sa chasteté. Si l’un et l’autre aiment, ce que Joseph « aimait était
davantage que ce qu’elle aimait. Parce qu’il voyait ce qu’elle ne voyait pas. »
Augustin – comme Césaire qui suit pas à pas la trame de son sermon – se rend bien
compte du caractère très abstrait de son propos : comment le peuple qui l’écoute peut-il
percevoir la beauté spirituelle de la pureté ? et comment savoir s’il a des yeux aptes pour la
voir ? Un exemple suffira à le montrer : que chaque auditeur songe à la beauté qu’il aime en
sa femme. Or quelle beauté aime-t-il sinon celle de la chasteté ? Si donc c’est la chasteté
qu’on aime en sa femme, pourquoi vouloir ruiner la beauté de l’épouse d’autrui en désirant
coucher avec elle ? « Refuse donc de haïr en la femme d’autrui ce que tu aimes dans la
tienne14 », conclut Augustin. Au-delà des personnes, l’évêque encourage à aimer la chasteté
elle-même. On comprend cependant l’objection qu’Augustin soulève de lui-même à
l’encontre de son argument : « Mais tu estimes peut-être que tu es amoureux de la chair de ta
femme, non de sa chasteté. » Pour apporter une preuve irréfutable que c’est bien la chasteté, et
non la chair qui est aimée dans l’épouse, le prédicateur prend un second exemple : celui des
filles. « Y a-t-il un homme qui ne veuille pas que ses filles soient chastes ? Y a-t-il un homme
qui ne se réjouisse pas de la chasteté de ses filles ? » Puisque l’inceste ne peut être envisagé
qu’avec horreur, ce n’est donc pas la beauté du corps que l’on aime dans ses filles, mais bien
la chasteté. Preuve est donc faite, pour Augustin, que la seule beauté véritable est celle de la
chasteté qui instaure le lien juste avec les autres et avec Dieu. Césaire se permet toutefois
d’ajouter un dernier argument : « Enfin, si tu avais une belle femme qui d’aventure ne soit ni
chaste ni réservée, au lieu d’aimer sa beauté physique, ne la détesterais-tu pas au contraire ?
On s’arrête sans doute à la beauté extérieure du corps, mais c’est la beauté intérieure de la
chasteté que l’on recherche : si on ne la trouve pas, tout amour du corps se refroidit à
l’instant ; en effet, à quelque degré que la beauté soit considérée, c’est cependant l’échange de
l’amour intérieur qui est le plus recherché15. » La fin du raisonnement s’impose d’elle-même :
si c’est la chasteté que l’on aime dans ses filles, si c’est la chasteté que l’on aime dans son
épouse, alors c’est aussi la chasteté qu’il faut aimer en soi.

De la beauté du corps à la beauté de Dieu


12
Cf. CESAIRE, Sermon 90, 2-3, sur Le bienheureux Joseph (SC 447, éd. G. Morin, introd., trad. et notes par J.
Courreau, p. 211-217).
13
Selon l’expression que Césaire d’Arles ajoute au texte d’Augustin.
14
AUGUSTIN, Sermon 343, 7.
15
CESAIRE, Sermon 90, 3.
3
Dans la citation de Quodvultdeus, un dernier aspect mérite notre attention : « La
chasteté avait si bien pris possession de lui que l’avalanche des menaces de sa maîtresse, une
femme impudique, ne purent lui porter atteinte, pas même dans son corps ; Dieu avait déjà
pris possession de son esprit. » La répétition du verbe « prendre possession de » montre
qu’une fois que Joseph a choisi de se tourner vers la chasteté, son corps et son esprit ne lui
appartiennent plus en propre : son corps est « possédé » par la chasteté, son esprit l’est par
Dieu. Joseph a su se détourner de la beauté corporelle pour se tourner vers la seule beauté
véritable, celle de Dieu. Sa chasteté le fait ainsi passer de la chair à l’éternité.
Dans son sermon sur Joseph, Chromace explicite bien le fait que Dieu peut être séduit
par la beauté de l’homme chaste. L’évêque renouvelle ainsi la thématique du regard en
ajoutant au regard des hommes celui de Dieu : la chasteté rend les hommes et les femmes
beaux aux yeux de Dieu : « Que leur corps soit chaste, écrit-il, et leur esprit pudique. S’il en
est ainsi, ils sont beaux, non seulement aux yeux des hommes, mais aussi à ceux de Dieu16. »
Cette remarque est importante car elle montre bien les enjeux de la beauté chez les Pères : la
beauté physique, celle de la chair, est belle aux yeux des hommes qui n’ont, dans leur
corporalité, pas d’autre appréhension d’un homme ou d’une femme que son apparence,
souvent trompeuse ; seule la beauté spirituelle est susceptible de plaire aux yeux de Dieu et
des hommes qui ont su s’élever vers les réalités spirituelles.
Dans son sermon sur Suzanne et Joseph17, Augustin développe quant à lui l’idée d’une
récompense éternelle que Dieu accorde à l’homme pour prix de sa chasteté : pour l’évêque
d’Hippone18, la chasteté apporte à celui qui la possède un vrai profit. Comme Joseph, il faut
désirer puis contempler en soi la beauté de cette vertu. Et l’avantage de la chasteté, c’est que,
dès qu’on l’a aimée, on la possède tout aussitôt. Et Augustin de conclure : « Aime donc la
chasteté pour avoir le bonheur éternel. » Dans sa réécriture du sermon augustinien19, Césaire
d’Arles a pu trouver cette conséquence immédiate du bonheur éternel un peu rapide ; aussi
tente-t-il de l’expliciter : ce bonheur éternel que procure la chasteté, c’est celui de l’ataraxie.
Quand on possède en soi la beauté de la chasteté, on n’a en effet plus à rechercher à
l’extérieur la beauté que l’on convoite : les belles femmes ne nous troublent plus, nous ne
recherchons plus les caresses non plus puisque « la sainte chasteté te caresse intérieurement,
dans la chambre de ton cœur ; doux est son embrassement, « sans amertume est son
intimité » (Sg 8, 16). » Si un homme parvient à accueillir « dans la demeure de sa
conscience » la chasteté, il ne connaît plus ni les disputes, ni les troubles, ni les contradictions.
Telle fut donc en Joseph « cette si admirable beauté qu’on appelle la chasteté. » Le chrétien
est alors invité à suivre l’exemple du patriarche et « à préférer aux concupiscences de la chair,
aux joies du siècle, à la pompe vaine et changeante et à la fumée de cette vie présente,
l’honneur et la beauté de la sagesse, à leur préférer la douceur et la suavité de la sagesse, à
leur préférer l’honneur de la pudicité, la beauté de la chasteté20. » Les Pères y voyaient un
exemple moral pour le peuple ; pour Grégoire d’Elvire par exemple, ce récit enseigne tous les
hommes : « Aussi, mes très chers frères, il nous faut toujours avoir devant les yeux de l’âme
ces faits et d’autres analogues, et méditer jour et nuit ceux qui leur sont semblables21. »
Dans son Traité sur le Cantique des Cantiques, Grégoire d’Elvire va encore plus loin
dans les rapports que la beauté instaure entre l’homme et Dieu : la beauté de Joseph fait de ce
dernier un véritable type du Christ, image de la beauté divine. Parmi les divers arguments qui
permettent de relier les deux figures, Grégoire pense d’abord, par exemple, à la trahison de
Joseph par ses frères, du Christ par Judas. Mais nous retiendrons surtout son développement
sur la beauté : la beauté du patriarche est en effet rapprochée de la beauté du Christ dont
témoigne David dans le Ps 44 (45), 3 : « Tu es beau, d’une beauté supérieure à celle des fils

16
CHROMACE D’AQUILEE, Sermon 24, 2 (SC 164, p. 73).
17
AUGUSTIN, Sermon 343, 7.
18
Voir également AMBROISE, De Ioseph 5, 22 (cité supra).
19
CESAIRE, Sermon 90, 3.
20
AUGUSTIN, Sermon 343, 9.
21
GREGOIRE D’ELVIRE, Homélie V, 10.
4
des hommes, et la grâce est répandue sur tes lèvres22. » Ce parallèle textuel lui permet de
comparer la beauté physique de Joseph avec la beauté divine du Christ. Du coup, toute
l’histoire de Joseph peut être relue de manière allégorique à la lumière de la vie du Christ23.
La femme de Putiphar qui souhaite s’unir avec le beau Joseph préfigure la Synagogue qui
commet l’adultère en s’unissant avec des dieux étrangers : « En effet la synagogue dont cette
femme portait la ressemblance, outre le fait qu’elle a souvent commis l’adultère de l’idolâtrie,
a encore ajouté à son crime en délaissant la Loi divine, qui était comme son mari, ainsi que
l’explique l’apôtre, et en suivant la tradition pharisaïque. » Le vêtement de Joseph saisi par sa
maîtresse annonce, de manière allégorique, les attaques de la Synagogue contre le Christ :
« La Synagogue mit la main sur lui et le saisit, et elle s’efforçait de faire porter sa propre faute
sur l’innocent, prétendant qu’il blasphémait le temple de Dieu et qu’il transgressait la Loi24. »
En triomphant de cette tentation d’adultère par sa chasteté, Joseph préfigure le Christ qui n’a
pas commis l’idolâtrie en se détournant des préceptes de son Père. La chasteté fait ainsi de
Joseph une image du Christ : si Dieu se complaît dans les hommes chastes, c’est parce qu’il
trouve en eux un reflet de sa propre beauté.

Un lecteur moderne restera sans doute un peu gêné par la manière dont les Pères
traitent ici de la beauté physique. Celle-ci est d’abord subordonnée à la beauté de l’âme ; mais
elle est également regardée avec défiance, car toujours la beauté des corps est dangereuse, non
seulement pour soi mais aussi pour les autres. Enfin et surtout une question demeure, que
Jean-Michel Fontanier a bien exprimée, dans son livre sur La beauté selon saint Augustin, à
propos de l’histoire de Joseph : « On notera toutefois, écrit-il, que la corrélation entre beauté
du corps et beauté de l’âme n’est pas explicite, de sorte que, par crainte de surinterpréter
l’exemplum, on devrait s’en tenir à l’affirmation : le héros se révèle digne de la beauté
apparente qui lui a été conférée – fortuitement ou non ? –, parce qu’il sait lui préférer la
beauté de la castitas25. » Aucun Père ne dit en effet que Joseph est beau extérieurement parce
qu’il est beau intérieurement, que la beauté de son âme le rend beau dans sa chair.
La seule chose qui importe pour les Pères, c’est le bonheur éternel, et non les plaisirs
éphémères de ce monde ; aussi seule la beauté de la chasteté, reflet de la beauté de Dieu, est à
rechercher. Si beauté corporelle il y a, celle-ci n’est pas charnelle : « Ce n’est plus la
perfection anatomique et plastique du corps qui reproduit l’harmonie de l’âme, poursuit Jean-
Michel Fontanier, mais la beauté de la chasteté qui recouvre et revêt la beauté… du corps26. »
Et, pour aller plus loin, si l’on veut laisser transparaître la beauté de la chasteté dans le corps,
il convient de dépouiller celui-ci de tous ses apparats de peur que la simplicité de la création
divine ne soit pervertie par les regards charnels. Ainsi, si le corps manifeste la beauté
intérieure, c’est moins par son apparence que par sa mise et son maintien. À travers la figure
de Joseph, nous découvrons que les Pères ont profondément renouvelé l’idéal classique du
kalos kagathos, selon lequel il y a correspondance entre la beauté de l’âme et la beauté du
corps ; cet idéal se trouve de fait subverti, et il convient de « sacrifier la beauté apparente du
corps pour laisser apparaître la beauté réelle de l’âme27 », comme le confirme cette maxime
de Chromace d’Aquilée que nous citions au début de notre étude : « Si un homme se flatte
d’avoir belle allure, si une femme est fière de sa beauté, que le premier suive l’exemple de
Joseph et l’autre l’exemple de Suzanne : que leur corps soit chaste et leur esprit pudique28. »

22
GREGOIRE D’ELVIRE, Homélie V, 18.
23
Cf. GREGOIRE D’ELVIRE, Homélie V, 19-22.
24
Voir en parallèle CHROMACE D’AQUILEE Sermon 24, 5 : « Joseph souffre la calomnie d’une femme
impudique ; le Seigneur aussi a, maintes fois, souffert les calomnies de la Synagogue » (SC 164, p. 77).
25
J.-M. FONTANIER, La beauté selon saint Augustin, p. 121. On trouve d’intéressants développements sur la
beauté du corps et la beauté de l’âme aux p. 121s.
26
Ibid. Les développements qui suivent sont inspirés des pages 121-122, elles-mêmes nourries de références
patristiques que le lecteur lira avec intérêt.
27
Ibid.
28
CHROMACE D’AQUILEE, Sermon 24, 2 (SC 164, p. 73).
5

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