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Isabelle Morin
ERES | « Psychanalyse »
Une psychanalyse est possible quand l’analysant ne dit plus à son analyste com-
ment il se voit, ni comment il imagine qu’on le voit : « Je suis comme ci » ou « je suis
comme ça », ou encore « on dit que je suis comme ceci ou comme cela ». On entend
certains analysants annoncer comme programme à leur début « je veux être en accord
avec moi-même » ou « je veux être moi ». Pour ne pas les décourager d’emblée, nous
nous abstenons parfois de leur faire remarquer qu’être en accord avec « moi-même »
est impossible parce que je ne suis pas moi. Le processus analytique nécessite que l’ana-
lysant repère qu’il n’est pas celui qu’il croyait être, qu’il n’est pas non plus celui dont
il parle parce qu’il y a une faille entre le moi et l’être du sujet, une béance entre le
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Une psychanalyse ne donne pas, quand l’expérience est réellement traversée, une
représentation de soi, mais au contraire elle déshabille la représentation de soi. Elle
permet de cerner le trou dans lequel est logé le sujet. Elle le décape de sa brillance
phallique. C’est une épreuve de dénarcissisation et de destitution subjective. Lacan
faisait remarquer que si cette dernière était inscrite sur le ticket d’entrée dans une
analyse, cela en découragerait plus d’un.
On apprend à l’enfant, dès qu’il entre à l’école, à être représenté par son nom et
son prénom, c’est-à-dire des lettres, sans signification, auxquels on adjoint en général
un signe de reconnaissance, en général un animal qu’il a choisi. Il sait qu’il est repré-
senté par le koala, le chat ou le perroquet. Puis il sortira de la représentation par une
image pour se reconnaître dans le simple agencement des lettres s’il en reconnaît
l’ordre. Lacan avait cette formule pour définir ce qu’est le sujet pour la psychanalyse :
« Le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. » Il lui faut donc
se séparer de ce qu’on dit de lui, dans des paroles qui l’épinglent, s’il veut savoir où il
a logé son être de désir.
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parle de mâle et de femelle, vous tendez l’oreille parce que vous voudriez bien savoir
qui parle. S’agit-il d’un gynécologue, d’un électricien ou d’un concepteur de film X ?
Tant que vous n’avez qu’un signifiant et que vous n’avez pas saisi le second, vous ne
pouvez pas savoir ce dont il s’agit. Ou encore, le slogan « La France aux Français », à
qui peut-il être imputé ? Au Front national ou à un résistant qui a lutté contre le
nazisme ? Tant que vous ne savez pas sous quel signifiant les gens se rassemblent, vous
ne pouvez pas décrypter la signification. Quand l’effet binaire de la symbolisation pri-
mordiale a lieu, le sujet se loge dans le trou entre les signifiants.
Dans l’analyse, pour que cette expérience se réitère, l’analysant doit dire mot
après mot, signifiant après signifiant, tout en ignorant l’instant d’avant ce qui va se
dire l’instant d’après. C’est la fameuse association libre. L’analysant avait l’intention
de dire ça, mais il dit autre chose. C’est aussi dans l’écart, « derrière ce qui se dit dans
ce qui s’entend » que se logent la vérité du sujet et le savoir de l’inconscient, « un
savoir insu » de celui qui le dit. Le savoir de l’inconscient est différent des autres
savoirs. Il implique un autre statut du sujet et un autre rapport entre le savoir et la
vérité. Il est à extraire de la trame de l’inconscient. Or l’inconscient n’est pas un sac,
mais un tissage entre le fil du signifiant et le fil de l’Autre (de sa réponse).
Ce savoir, il suffit de le laisser se déplier dans les dires jusqu’à l’impossible pour
en extraire ses plus extrêmes conséquences. Cela produit toujours, quand il s’agit
effectivement d’une analyse, un savoir sur ce qui cause le désir, sur ce qui fonde la
singularité.