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N° 594 Mai 2019

NCAL/S 1120 CFP-NCAL/A 1960 CFP- POL/A : 2150 CFP

L 19853 - 594 S - F: 7,30 € - RD


SOMMAIRE N° 594/MAI 2019

La tête à l’envers
A
ccrochez vos ceintures ! Le Fana vous embarque sur
“Epsilon” pour une séance de voltige trépidante, de
quoi vous mettre la tête à l’envers ! Vous êtes encore
en manque de sensations ? Nous vous offrons un ticket pour
une course palpitante à Reno avec “Zébulon” qui virevolte
autour des légendaires pylônes ! Votre Fana c’est tout ça,
mais encore bien d’autres aventures dans le ciel.
Musique, Maestro !
Je vous souhaite une bonne lecture. Le Fana
Combat aérien simulé
dans une vallée des Pyrénées
entre un F-14 et un F1.
Composition de Daniel Bechennec.

4 Actualités 48 TB 30 “Epsilon”
10 Courrier Voltige en patrouille
Espace Clichy, immeuble SIRIUS
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX sur la Bourgogne
E-mail : redac_fana@editions-lariviere.com
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE 12 Livres Le plein de sensations garanti
Patrick Casasnovas
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE avec les “Epsilon” d’Apache Aviation.
Stéphanie Casasnovas
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION : Saab 2000
Patrick Casasnovas Les 50 ans 58
ÉDITEUR : Karim Khaldi
du Fana de l’Aviation Comment rater
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Tél. : 01 41 40 34 22 une élection
Rédacteur en chef : Alexis Rocher
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal
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Rédacteur graphiste : François Herbet
Secrétaires de rédaction : Antoine Finck
Comment j’ai ramené Une bonne idée ne fait pas forcément
un succès commercial éclatant !
Secrétariat : Nadine Gayraud
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trois “Skyraider”
(réservé aux diffuseurs et dépositaires)
Jennifer John-Newton
du Tchad Des Ju 86 bombardent
68 à haute altitude en 1942
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IMPRESSION : Imprimerie Compiègne
Un récit de Didier Chable publié
dans Le Fana n° 234 de mai 1989.
Zigzag dans le ciel
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Origine du papier : Opération Fox Deux bombardiers allemands narguent
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Les missions la Royal Air Force en 1942. Le Fana
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Eutrophisation : secrètes des F1 Ce jour-là… 13 mai 1949


0,018 kg/tonne.
76
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Premier vol du “Canberra”
Que valait le “Mirage” F1 face aux
chasseurs américains en 1990 ? Le “Mosquito”
De Havilland “Mosquito” embarqués
à réaction
28 Les ingénieurs d’English Electric trouvent
DIFFUSION : MLP
Printed in France/Imprimé en France Les “Sea Mossie” la recette pour faire un bon avion.
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Directeur de publicité : Christophe Martin de la Royal Navy et sur

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Excellent sur terre, le “Mosquito” devient 80 Maquettes
PETITES ANNONCES CLASSÉES pataud sur l’eau… Bélier, que vous réserve ce mois ?
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ABONNEMENTS Dossier “Epsilon”


ET VENTE PAR CORRESPONDANCE
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39 Socata TB 30
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pour l’“Epsilon” Où trouver Le Fana de l’Aviation
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Correspondance : Fana de l’Aviation, Ce fut au départ un avion-école nerveux Téléchargez l’application Flashcode
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Le Fana de l’Aviation est une publication
des ÉDITIONS LARIVIERE ; S.A.S. au capital de
3 200 000 € ; dépôt légal, 2e trimestre 2019.
42 Un Français à Reno sur “Epsilon” Au sommaire
du prochain numéro
Commission paritaire : n° 0722 K 82003.
ISSN : 0757-4169 “Zébulon” autour Q Dossier 6 juin 1944
Q Les 50 ans du Fana
N° de TVA intracommunautaire :
FR 96 572 071 884
CCP 11 5915A Paris
des pylônes Q Fonck, six victoires, un mythe
RCS Nanterre B572 071 884. Q Premier vol du “Mirage” IV
12, rue Mozart, 92587 CLICHY CEDEX Quand l’“Epsilon” se lance dans les Q 100 ans d’Aéropostale
Tél. : 01 41 40 32 32 – Fax : 01 41 40 32 50. Q “Mirage” F1 “Agresseurs” (2)
courses de Reno. Gaaaaaz !
Toute reproduction, même partielle,
des textes et illustrations publiés dans Le Fana
de l’Aviation, est interdite sans accord préalable USAF
de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable
des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs. Ce numéro comprend un dépliant “Boutique Fana 50 ans” déposé sur la totalité de la diffusion abonné.
ACTUALITES

Le F-86 “Sabre” d’Avignon bon de vol

FRÉDÉRIC AKARY
Le F-86
Arrivé sur l’aérodrome d’Avignon-Caumont dans plusieurs Restauré à l’origine par le collectionneur Américain Rich Sugden, “Sabre” F-AYSB
conteneurs le lundi 18 février, le Canadair CL 13B “Sabre” le F-AYSB est recouvert d’un camouflage expérimental porté par réassemblé
Mk 6 (F-86E) du collectionneur français Frédéric Akary quelques F-86 du 461st Fighter Day Squadron du 36th Fighter Day dans son
(lire Fana de l’aviation n° 593) a été remonté les jours suivants par Wing lorsqu’il était stationné en Allemagne, au milieu des années hangar
une équipe de mécaniciens mixte américains et français. Le jet a été 1960. Si tous les essais se passent sans problème, le F-86 “Sabre” d’Avignon,
inspecté par l’Osac (Organisme pour la sécurité de l’aviation civile) F-AYSB devrait apparaître en meeting pour la première fois lors du le 9 avril
le 9 avril. Il sera immatriculé F-AYSB au registre des aéronefs de spectacle aérien (gratuit) Vendée Airshow, qui aura lieu le dimanche dernier.
collection. Divers essais au sol des systèmes devaient encore être 2 juin sur la grande plage des Sables-d’Olonnes, de 15 h 00 à 18 h 00.
effectués avant que Frédéric Akary procède au vol de réception, alors Il sera ensuite présenté en vol lors du spectacle aérien Le Temps des
prévu pour la fin du mois d’avril, selon un programme conçu avec hélices à La Ferté-Alais les 8 et 9 juin. Lors du meeting Paris-Villaroche
l’aide d’un pilote d’essais de Dassault. Air Legend des 7-8 septembre, il volera en duo avec un MiG-15.

Le “Mosquito” PZ474 volera désormais aux États-Unis


LEWIS AIR LEGENDS
Le 31 mars, le De Havilland Le “Mosquito”
“Mosquito” FB IV matricule PZ474 PZ474 en cours
est arrivé près de San Antonio dans plusieurs de remontage
conteneurs depuis la Nouvelle-Zélande, où dans un des
il a été restauré en état de vol par la société hangars qui
AvSpecs de Wal Denholm (Le Fana n° 591). bordent la
Il a été ensuite réassemblé dans un des piste privée
hangars du ranch (avec piste privée) du du ranch de
milliardaire américain, magnat de l’énergie, Rod Lewis,
Rod Lewis, son propriétaire. La collection au nord de
Lewis Air Legends compte 36 machines parmi San Antonio,
lesquelles des joyaux comme le P-38F Glacier au Texas.
Girl et un Douglas A-20 “Havoc”.
4
En bref
10 000 heures de “Mustang” !
Lors du récent rassemblement Sun N’ Fun, à Lakeland, en
Floride, Lee Lauderback, président directeur général de la
société Stallion 51 Flight Operations, basé à Kissimmee en
Floride, a célébré son passage des 10 000 heures de P-51
“Mustang”. Aucun pilote dans l’histoire n’a accumulé autant
d’heures aux commandes du célèbre chasseur. Stallion 51
est une école de formation au pilotage du P-51 créée par
Doug Schultz en 1987, dont Lee Lauderback fut l’employé
pendant trois ans avant qu’il ne devienne propriétaire à parts
égales avec Doug Schultz en 1990.

VINTAGE AIRCRAFT MIDI PYRÉNÉES

Un nouveau MS 733
dans le ciel gersois
Le 17 mars dernier, l’association Vintage Aircraft Midi Ci-dessus,
Pyrénées a eu l’immense plaisir d’assister au premier vol retour du
après restauration du MS 733 n° 134, immatriculé F-AYOT, depuis premier
l’aérodrome d’Auch. Quatre années de travail ont été nécessaires à vol après
la remise en état de cet avion. restauration,
Construit en 1958 dans l’usine Morane-Saulnier de Tarbes-Ossun, au terme de
le Morane-Saulnier MS 733 n° 134 fut pris en compte par l’armée 30 minutes
JIM BUSHA
de l’Air avec l’immatriculation F-RHGA. Il fut retiré du service en sans problème
majeur.
novembre 1965 et affecté à la Direction générale de l’aviation Le P-40N de la CAF victime
civile (DGAC) à Saint-Yan sous l’immatriculation F-BNED, et ce
jusqu’en juin 1979. Vendu en 1981 au musée de Bex en Suisse pour
d’une rentrée inopinée de train
restauration, il fut transporté le 31 juillet 1985 jusqu’à Sion, où il Le 16 mars dernier, le Curtiss P-40N-5-CU “Warhawk”
reçut l’immatriculation HB-RAN. Récupéré par l’association pour le matricule 42-105867, immatriculé N1226N, de la
Maintien du patrimoine aéronautique (AMPA) en 1992, il fut repeint Commemorative Air Force (CAF), a été victime d’un accident
aux couleurs de l’Aéronautique navale puis fut stocké dans un à l’atterrissage sur l’aérodrome de Conroe, près de Houston
hangar, ailes démontées, sur l’aérodrome de La Blécherette jusqu’en au Texas. Le chasseur participait à un entraînement du
2015, date de son rapatriement en France après avoir été racheté groupe Tora ! Tora ! Tora ! de la CAF. Alors qu’il se posait
par l’association Vintage Aircraft Midi-Pyrénées (dite… les Vamp !). à l’issue d’une séance, la jambe de train gauche s’est
Le 134 avait été radié des registres suisses en janvier 2008.
Après concertations, les membres de Vintage Aircraft Midi-Pyrénées
ont opté pour une livrée originale, à défaut d’être historique : “Il
n’existe pas beaucoup de décorations authentiques… On a soit
Essai moteur
jaune armée de l’Air, soit alu Marine nationale, soit Cambodge.
après l’orage,
Comme il existe plein de 733 avec ces décos, nous avons décidé
quelques jours
d’inventer la nôtre. Beaucoup de monde la trouve très jolie. Après,
avant le
tous les goûts sont dans la nature…”
premier vol.

MONTGOMERY COUNTY POLICE REPORTER

inopinément repliée, et l’avion a terminé sa course à moitié


sur le ventre, ce qui a également endommagé l’hélice et
l’aile gauche. Le pilote n’a pas été blessé.
L’hélice ayant heurté le sol alors qu’elle tournait, le moteur
Allison devra être envoyé en révision. La cause de la rentrée
inopinée de la jambe de train fait l’objet d’investigations.
VAMP

5
ACTUALITES

Cinq nouveaux “Epsilon” immatriculés


au registre des aéronefs de collection

OLIVIER BATTISTI
L’“Epsilon”
Après le TB 30 SN 76 voler avant la fin de l’année. Par ailleurs, sous le régime du Certificat de navigabilité SN 68 en cours
immatriculé F-AYCL à Biscarosse le SN 113 entre en chantier pour voler lui restreint d’aéronef de collection (CNRAC). d’assemblage
par Jean-Luc Langeard depuis aussi fin 2019, tandis que le SN 99 est en Ces dernières années, les deux premiers lots dans son
l’été dernier, cinq autres “Epsilon” ont chantier de remise à niveau en Suisse – il – soit 27 TB 30 – vendus par les Domaines hangar de
rejoint le registre des immatriculations des sera peut-être aussi immatriculé en France. sont tous deux partis aux États-Unis et se Melun. Il est
aéronefs de collection. Remontés à Melun Il aura fallu dix ans pour parvenir à ce que sont revendus comme des petits pains désormais
par la famille Battisti, le SN 68 a pris les le premier TB-30 “Epsilon” en provenance – bien que des collectionneurs français aient immatriculé
marques F-AYAB, le SN 79 devient F-AYOB de l’armée de l’Air puisse être préservé sur soumissionné… mais leur troisième tentative, F-AYAB.
et le SN 77 est immatriculé F-AYJB. Deux le territoire français. La première tentative groupée, avait été couronnée de succès.
autres ont été immatriculés au registre des collectionneurs français remonte au Le “Zébulon” ne quittera donc pas le ciel de
des avions de collection par Pierre Duval, 17 juillet 2007, suite au retrait du service France après le retrait définitif du type par
le F-AYYL (SN 121) qui devait voler durant des premiers TB 30, pour obtenir la cession l’armée de l’Air. Lire notre dossier à ce sujet
le mois d’avril et le F-AYXG (SN 90) qui doit d’un exemplaire afin de le maintenir en vol en pages 39 à 51.

Un ancien “Neptune” de la RAAF


retrouve le ciel en Australie
Le 13 mars, à Albion Park, en Australie,
l’Historical Aircraft Restoration Society
(HARS) a fait voler à nouveau l’un de ses
quatre Lockheed P2V “Neptune”, immatriculé
VH-IOY. L’avion, ancien matricule A89-273 de
la Royal Australian Air Force, volait à nouveau
après restauration depuis 1998, mais il était
en révision depuis plus d’un an. À notre
connaissance, il est le seul “Neptune” encore Le “Neptune”
actif sur la planète, même si Neptune Aviation A89-273/VH-IOY
Services, à Missoula dans le Montana, en a lors du spectacle
conservé deux en état de vol. HARS restaure aérien Wings
par ailleurs pour le faire voler un ancien P2V-7 over Illawarra
de l’Escadrille 12S de l’Aéronautique navale. en mai 2017.
DR

6
En bref
À la mémoire du général Glavany
André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, a inauguré le
23 mars dernier une plaque commémorative en hommage au
général Roland Glavany (1922-2017) et à son épouse Monique.
Elle est apposée au niveau du 2 rue Claude Matrat. Cette
émouvante cérémonie a réuni autour de leurs fils, Michel et

BERNARD BOMBEAU

DR Jean Glavany, de nombreuses personnalités, riverains et amis,


au nombre desquels la générale Valéry André, les généraux
Le dernier survivant du raid de Forget et Toulze, ainsi qu’un détachement de la promotion
2016 “Roland Glavany” de l’École de l’air venu honorer son
Doolittle sur Tokyo est décédé illustre parrain, grand-croix de la Légion d’honneur, héros de
la Libération et pilote d’essais auteur du “premier Mach 2”
Richard E. “Dick” Cole, copilote du lt-col. James H. “Jimmy” Dick Cole était européen le 24 octobre 1958 sur le “Mirage” IIIA-01.
Doolittle lors du fameux raid de B-25 sur Tokyo du 18 avril le dernier
1942, est décédé le 9 avril, à l’âge de 103 ans. Après ce raid, Dick Cole survivant des Bétheny cherche de l’aide
pilota des C-47 sur le théâtre d’opérations CBI (Chine-Birmanie-Indie) 80 hommes qui pour restaurer son “Broussard”
au sein du 1st Air Commandos. À la fin de la guerre, il trouva un emploi avaient pris
de pilote d’essais chez Dougals Aircraft, puis il rempila pour la guerre part au raid de
de Corée, avant de prendre sa retraite en 1967 avec le grade de B-25 mené par
lieutenant-colonel. Dès 1945, les rescapés du fameux raid avaient pris Jimmy Doolittle
l’habitude de se retrouver tous les ans. À partir de 1959, un petit autel sur Tokyo.
sans prétention, portant une bouteille de Cognac Hennessy millésime
1896 (année de naissance de Doolittle) et 80 gobelets en argent Le 18 avril
gravés chacun du nom d’un des participants au raid (offerts par la ville 2017, au
VILLE DE BÉTHENY
de Tucson, en Arizona) accompagna ces retrouvailles annuelles, les National
Museum of the Le musée de l’Aéronautique locale de Bétheny recherche
gobelets des décédés étant retournés. Les “Doolittle Raiders” avaient
USAF, des personnes compétentes pour démonter proprement et
fait le serment que lorsque seulement deux d’entre eux seraient
Dick Cole restaurer le Max Holste 1521 “Broussard” n° 305 exposé
encore vivants, ils ouvriraient la bouteille. Cette dernière a en fait été
brandit le dans sa cour. Ce musée conserve les collections du musée
bue en 2013, lors de la réunion annuelle finale, à laquelle ont assisté
gobelet gravé de la défunte BA 112 de Reims, où le “Broussard” n° 305 fut
trois des quatre survivants d’alors – d’un commun accord, au vu de
à son nom longtemps exposé. Contacter Jean-Michel Pinot :
leur âge avancé et de peur que leur état de santé ne leur permette
devant l’autel jean-michel.pinot@ville-betheny.fr ou Tél. : 03 26 07 12 71.
plus de se réunir par la suite. Ils décidèrent alors que cette réunion
serait leur dernière. Après le décès de David Thatcher en juin 2016, qui porte les
Dick Cole se retrouva être le dernier survivant des “Doolittle Raiders”. 79 gobelets Un “Prowler” pour le Frontiers
Quelques mois plus tard, il se rendit au National Museum of the US Air retournés de of Flight Museum de Dallas
ses camarades
Force, où sont exposés le petit hôtel et la bouteille de cognac, Le 12 mars dernier, le Frontiers of Flight Museum de Dallas,
disparus et
et retourna lui-même le gobelet de David Thatcher. au Texas, a accueilli dans ses collections l’EA-6B “Prowler”
la bouteille
L’été dernier encore, il avait régalé les visiteurs d’Airventure 2018 BuN° 162228, en provenance du VMAQ-2 Death Jesters de
de cognac
à Oshkosh, avec ses histoires. l’US Marine Corps, suite au retrait du service du type. Si la
Hennessy.
plupart des EA-6B des Marines ont été envoyés à l’Aerospace
Maintenance and Regeneration Group sur la base de
Davis-Monthan, près de Tucson dans l’Arizona, pour y être
entreposés à ciel ouvert, quelques exemplaires ont néanmoins
été confiés à des musées, comme le Frontiers of Flight
Museum et le National Air & Space Museum de Washington.

DR

NMUSAF

7
ACTUALITES
F-86 et Junkers F13 en vedettes au meeting

XAVIER MÉAL
Le F-86 “Sabre”
À quelques semaines du (de Morane Marine et Association Train de Fred Akary, “Bonanza” renforcés pour la voltige, ou
rendez-vous tant attendu du Classique) et le MS 760 “Paris” d’Armor vu ici encore un Cap 20 et l’Extra 330 de l’équipe
Temps des Hélices, le spectacle Aéro Passion, tous pilotés par des anciens à Oshkosh de voltige de l’armée de l’Air (EVAA).
aérien annuel de l’Amicale Jean-Baptiste de l’Aéronautique navale. en 2010, sera la Bien sûr, les tableaux désormais classiques
Salis les 8 et 9 juin sur le plateau de Cerny, Côté warbirds, la diversité et la qualité grande vedette comme Tora ! Tora ! Tora !, Good Morning
près de La Ferté-Alais, le programme seront au rendez-vous : le F4U-5N F-AZEG du Temps des Viêtnam avec OV-10 “Bronco”, “Skyraider”
des présentations en vol est en cours de des Casques de Cuir, une paire de “Spitfire” Hélices 2019. et T-28 ou encore Les Faucheurs de
finalisation, mais Le Fana de l’Aviation est (dont un biplace) venus de Grande-Bretagne, marguerites avec Blériot XI, Caudron G III et
en mesure de vous en révéler les grandes les P-51D et P-40N de France’s Flying Morane H sont au programme, aux côtés de
lignes et les principales vedettes. Comme à Warbirds, le “Sea Fury” F-AZXJ “Seigneur tableaux nouveaux comme une patrouille de
l’accoutumée, les deux après-midis seront des anneaux” (de fumée) de Christophe six Stearman PT-16, un hommage à Serge
rythmées par des tableaux historiques. Jacquard, une paire de “Skyraider”, T-28, Dassaut qui mêlera “Rafale”, “Falcon” 8X,
L’un sera consacré à la Première Guerre une nuée de T-6, l’OV-10 “Bronco” de MD.311, “Falcon” 10 et “Mirage” 2000,
mondiale – centenaire oblige – et verra Montélimar, les Curtiss “Hawk” 75 et ou encore un tableau James Bond qui
s’envoler le somptueux “Bristol Fighter” Gruman “Wildcat” de The Fighter Collection, associera le plus petit biréacteur du monde,
F-AYBF des Casques de Cuir ainsi que le les Yak-3 G-OLEG et F-AZLY, le Hawker le CJ01 “Minijet” F-PJET et l’incroyable
rare Spad XIII F-AZFP de Memorial Flight, “Hurricane” F-AZXR, entre autres. homme volant Franky Zapata sur son
entre autres. Les amateurs de multimoteurs anciens Flyboard – de quoi épater grands et petits !
L’armée de l’Air dépêchera sa présentation pourront compte sur la présence de trois Du côté des avions rares, signalons la
solo du chasseur “Rafale”, un “Transall” DC-3/C-47, un MD.311/312, un Junkers 52 présence projetée d’un Klemm L 25 de
du Poitou mais aussi la Patrouille de et un Lockheed “Electra”. l’entre-deux-guerres venu d’Allemagne,
France qui se produira le samedi, Si vous aimez les avions dits classiques des ou de l’étrange push-pull de conception
en ouverture, seulement sous forme années 1930 et 1940, vous vous délecterez française Moynet 360-6 “Jupiter” F-BLKY
d’un accompagnement d’une “grosse d’un Bellanca “Cruisemaster” 14-19, d’un du musée Air Espace Passion d’Angers.
surprise” et le dimanche en clôture pour Waco venu d’Allemagne ou encore de Sans oublier, bien sûr, le North American
sa présentation complète. Le samedi, le l’unique reproduction de Junkers F13 volant F-86 “Sabre” de Frédérick Akary
spectacle sera clôturé par la Patrouille actuellement, qui viendra aussi d’Allemagne. qui effectuera à La Ferté-Alais l’une
Trachant et ses quatre Fouga “Magister”. Pour ce qui est du moment de grâce dans le de ses toutes premières présentations
La Marine nationale ne sera pas en reste, silence, il sera dévolu cette année à un trio en vol en public, sinon la première.
puisqu’elle a annoncé envoyer – sous de planeurs de voltige : DFS “Habicht” E, La direction des vols travaille encore
réserve de besoins opérationnels – H-101 “Salto” et Pilatus B4. La voltige sera à obtenir la participation de quelques
deux“Rafale”, un ATL 2 et un “Falcon” 10. présente, moteurs ronflants et fumigènes machines ou numéros peu communs.
Ils seront présentés dans le cadre d’un furieux, avec le trio Skyloop composé Quoi qu’il en soit, rendez-vous sur le
tableau qui mêlera également deux MS 733 d’un Pitts, d’un Cap 222 et d’un des rares plateau de Cerny les 8 et 9 juin prochains.
8
de La Ferté-Alais Le conseil du Fana
Venir assister au spectacle le samedi plutôt que
le dimanche : les accès seront moins encombrés.
Réservez votre baptême Quoi qu’il en soit, prenez de la marge si vous venez en
voiture, car les accès peuvent être encombrés, surtout
de l’air en avion ancien si la météorologie a été annoncée bonne !
Aero Vintage Academy proposera des baptêmes de l’air Venez tôt si possible ; les accès sont ouverts dès 7 h 30.
en Travel Air, PT-17 Stearman, T6 et T-28 (ci-dessous). Il est
plus que prudent de réserver à l’avance votre vol, non pas sur Les tarifs
le site Internet AVA, mais en téléphonant au 01 64 57 52 89 Le week-end du meeting, il en coûtera 28 euros par adulte
ou par courriel à contact@aerovintageacademy.com et 12 euros par enfant (de 10 à 16 ans) pour accéder à
Vous pourrez aussi faire un baptême sur le MS 893 l’enceinte générale. L’accès aux parkings avions, le matin
“Rallye” de l’AJBS au prix de 50 € la place (vente uniquement, coûtera 5 euros par adulte et par enfants de
uniquement sur place). Pour les amateurs de voilures 10 à 16 ans. L’accès est gratuit pour les moins de 10 ans,
tournantes, ABC Hélicoptères proposera également sur présentation d’une pièce d’identité.
des baptêmes !
Acheter les billets à l’avance
Acheter son billet à l’avance permet de perdre moins de
temps pour accéder au meeting, en empruntant une file
dédiée, et de faire quelques économies Il en coûte 28 euros
par adulte et 12 euros par enfant (de 10 à 16 ans) pour à
la fois accéder à l’enceinte générale et visiter le parking avion
le matin. Les billets peuvent être achetés sur le site Internet
de l’AJBS (www.ajbs.fr, dans le menu sélectionnez
“Billeterie 2019”), sur les sites www.weezevent.com,
www.francebillet.com et www.ticketnet.fr ou encore
dans les magasins Carrefour, Fnac, Géant, Hyper U et
Super U, Intermarché, Cultura, Leclerc, Auchan, etc.

S’y rendre sans se perdre


AVA Un bon moyen d’éviter les longues files d’attente est
d’emprunter le train au départ de Paris-Gare de Lyon,
jusqu’à La Ferté-Alais (RER D “Bipa”, direction Malesherbes ;
attention, un train par heure uniquement ; l’aller simple
coûte 8 euros). La gare est à 20 minutes à pieds de
l’aérodrome ; un fléchage sera mis en place.
Franky Zapata
Sinon, ci-dessous, l’itinéraire pour vous y rendre en voiture.
fera le spectacle
avec son
Flyboard Air.

L’unique
reproduction
de Junkers
F13 fera sa
première
apparition en
ZAPATA France.

DR

9
LE COURRIER
“Corvette” La “Corvette”
F-GPLA de

toujours la société
Aerovision.

En réponse à votre article


sur la “Corvette” dans le
n° 590, ci-joint un cliché
de cet avion pris le 14 juillet 2015
à Évreux. J’ignorais alors qu’il était
le dernier du genre.
Hervé Bocquet

Voici la
“Corvette” immatriculé
F-GPLA alors exploitée par
la société Aerovision. Numéro
de série 28, elle fut employée
dans de nombreuses prises
de vue pour le cinéma ou les
constructeurs aéronautiques,
par exemple lors des premiers
vols, comme ce fut le cas avec
l’A380 le 27 avril 2005.
HERVÉ BOCQUET

Deux inconnus surpris au Salon du Bourget


Voici deux photos prises s’agit de la maquette grandeur haut à gauche date du Salon de
au Salon du Bourget nature du projet d’avion à flèche 1991. Il s’agit du Yakovlev 42LL,
(ci-dessous). Je ne me rappelle inversée Rockwell “Saberbat”. un banc d’essais pour le moteur
plus des dates. Auriez-vous des Il répondait à un programme de à soufflante non carénée (ou
informations sur ces appareils ? recherches qui fut finalement Cette photo propfan) Progress D-236 de
permet de
Jeker Roland gagné par Grumman avec le X-29, 10 850 ch, dérivé du D-36 qui
bien distinguer
démonstrateur qui vola en 1984. motorise en version turboréacteur
la voilure en
La photo en bas date Le “Saberbat” resta au stade le Yak-42. Il vola pour la première
flèche inversée
du Salon du Bourget de 1979. Il de la maquette. La photo en du “Saberbat”.
fois le 15 mars 1991.

JEKER ROLAND
JEKER ROLAND

ROCKWELL/COLL. F. DOSREIS
Quand le
“Galaxy” avale
des étoiles
L’article sur le premier vol du Lockheed C-5
“Galaxy” dans Le Fana n° 583 amène le
général de brigade aérienne Jean-Claude
Ichac à partager l’un de ses souvenirs : “En classant
les nombreuses photos évoquant mes 37 ans dans
l’armée de l’Air, j’ai retrouvé une photo d’un C-5A du
(à l’époque) Military Airlift Command, avalant, non
des ferrailles variées, comme évoqué en page 80 du
n° 583 du Fana, mais bien une “galaxie” en devenir.
Je m’explique. En ce mois de mai 1982, sur la base
californienne de Travis (Californie), familièrement
appelée “la porte du Pacifique”, ce quadriréacteur
de transport lourd C-5A “Galaxy” s’apprête à
“avaler” une “galaxie” constituée par les stagiaires
de la 40e promotion de l’École supérieure de guerre
aérienne française, futurs grands chefs “étoilés” de
l’armée de l’Air. Cet appareil, sans doute le matricule
69-0026, faisait partie des 81 exemplaires du C-5A
livrés entre 1966 et 1970 qui devaient être rejoints
en fin d’année par les nouveaux C-5B, la production
de cet avion-cargo stratégique ayant été relancée
par le président Reagan. Comme les autres “Galaxy”
stationnés à Travis, il avait la particularité d’être
indifféremment mis en œuvre soit par les équipages
d’active du 22th Air Transport Squadron de la 66th
Military Airlift Wing, unité du Military Airlift Command,
soit par les réservistes du 312th Air Transport
Squadron de la 349th Military Airlift Wing de l’Air
Force Reserve, unité dite “associée”.” Groupe de gradés
français visitant le
Général de brigade aérienne (2S) “Galaxy” en 1982.
Jean-Claude Ichac
JEAN-CLAUDE ICHAC

Un Américain
à Paris Juin 1945 : un Américain
sur les Champs-Élysées.
Bravo pour la qualité de votre revue
qui ne se dément pas et qu’on
apprécie toujours. Une colle pour satisfaire
ma curiosité : la photo jointe est-elle un
montage ou une véritable photo ? J’espère
que vous pourrez en dire plus.
Jacques Simonnet

Cette photo n’est pas


un montage mais bel et bien un
cliché d’époque pris le 29 juin 1945
représentant un Douglas C-54A
“Skymaster” au-dessus de l’Arc
de Triomphe. Le même jour un
second cliché fut pris au-dessus de
la tour Eiffel. L’avion matricule
42-72235 du 2nd FrG (Second
Ferrying Group) fut livré le 30 juin
1944 à l’US Air Force et retiré du
service à Charleston en septembre
1945 pour être ferraillé.
USAF

11
A LIRE, A VOIR
Fraternité Chacun fit pourtant son Il en fallut de la volonté. Aviation pour Guerre
devoir. Germain Chambost Valérie André en avait
explique parfaitement lorsque, médecin les enfants d’Espagne
en quoi consistaient les militaire, elle prit les
missions, l’ambiance commandes d’un
dans les escadrilles, la hélicoptère, le meilleur
fraternité d’arme. Défilent moyen pour rapatrier le
la litanie des sorties, la plus rapidement possible
recherche de l’ennemi, les blessés. Elle raconte
l’attaque, le retour avec ici ces missions, revient
parfois l’avion endommagé, sur la guerre d’Indochine,
les débriefings où il faut soulignant le rôle de
comprendre pourquoi chacun. Une grande page
l’avion de l’ailier s’est brisé de l’Histoire.
lors d’une ressource. Cette BD propose une
Une belle plume Voici un récit très fort. grande aventure au cœur
partage avec vous ici Voici une excellente de la guerre d’Espagne
son expérience de la Algérie, d’amour occasion d’inoculer le entre 1936 et 1939.
guerre d’Algérie. Depuis et de guerre, virus de l’aviation à nos “Stuka”, CR-42 et
longtemps nous poussions Par Germain Chambost chères petites têtes Polikaprov I-16 s’affrontent
Germain Chambost, Éditions JPO blondes et brunes ! tandis qu’au sol la situation
journaliste bien connu, à 76 pages, 19,90 € Une grande histoire de est extrêmement complexe
écrire sur le conflit. Au- ISBN 978-2-37301-098-5 l’aviation tout en images. au vu du nombre des
delà de la description des Un avion accompagné belligérants. Il fallait la
missions, c’est tout un état d’un court texte pour plume de Yann au scénario
d’esprit qui apparaît dans Sacré destin passer de l’ornithoptère pour présenter les différents
ces pages. Les aviateurs au drone taxi à décollage acteurs de ce drame
sont loin des récits que Valérie André ? Un sacré vertical. préfigurant le désastre qui
leurs aînés avaient laissés destin ! On ne soulignera bouleversa peu après le
lors de la Deuxième jamais assez qu’au Femmes dans un ciel La Grande Imagerie monde. Une très belle page
Guerre mondiale. Pas de XXe siècle rien ne fut facile de guerre - T. 2 Valérie Les Avions d’histoire à lire.
chasse ennemie, pas de pour une femme pour André : seule à bord Par Agnès Vandewiele,
combat aérien, mais du s’imposer dans les rangs pour sauver des vies Jacques Dayan, Pascal Double 7
bombardement, l’emploi de l’armée, devenir pilote, Par Martine Gay Laheurte et Steve Weston Par Yann et Julliard,
du terrible napalm. Oui la puis escalader les rangs Éditions JPO Éditions Fleurus Éditions Dargaud
guerre n’avait décidément de la hiérarchie jusqu’au 141 pages, 19,90 € 27 pages, 7,95 € 72 pages, 16,95 €
pas la saveur espérée. grade de général. ISBN 978-2-37301-096-1 ISBN 978-2-2151-6908-6 ISBN 978-2-5050-7045-0

Conquête
Nouvelle édition pour l’ouvrage très beaux avions échouèrent dans
d’Alain Pelletier consacré aux leur carrière commerciale faute de Histoire mondiale
avions de ligne depuis leurs origines transporter suffisamment (ou trop !) des avions de lignes
jusqu’aux derniers Boeing et Airbus. de passagers. À l’heure où Airbus Par Alain Pelletier
Plus qu’une simple description, c’est annonce la fin de la production Éditions ETAI
toute une logique qui est ici détaillée, de l’A380, il n’est pas inutile 336 pages, 56 €
expliquée. Comment le voyage de revenir sur la grande histoire ISBN 979-10-0345-7
aérien se fit rentable ? Pourquoi de du transport aérien.
AIRBUS/J. V. REYMONDON

12
HISTOIRE

Opération Fox
Les missions secrètes
des F1 “Agresseurs”

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

16
Première partie.
En 1990, alors que vient de débuter l’opération
Bouclier du désert, les Américains demandent à la France
de pouvoir confronter le “Mirage” F1EQ6 irakien
à leurs chasseurs. Résultat : un avion dont il faudra
se méfier… Récit illustré par les témoignages et les
photos personnelles des acteurs.
Par Hugues de Guillebon

Patrouille serrée des deux “Mirage”


“Agresseurs” au-dessus des Landes.
Le “Mirage” F1EQ6 4662 et le 4562,
l’avion du leader qui le photographie,
sont tous deux équipés des
brouilleurs “Rémora” vendus à l’Irak.
Pilotés par des pilotes chevronnés,
ces deux chasseurs sont sur le point
d’engager des appareils de l’US Navy
ou de l’US Air Force.
Des confrontations riches
d’enseignements pour
les Américains !

17
“MIRAGE” F1 “AGRESSEURS”

L
e 2 août 1990, les troupes ira-
kiennes envahissent le
“ Je suis devenu de France en septembre en compa-
gnie d’autres Irakiens devenus bien
Koweït. Au sein de la com- encombrants ; parmi eux, huit autres
munauté internationale,
c’est la stupéfaction. En fait,
“pilote agresseur” pour pilotes en stage linguistique à
Rochefort et plusieurs techniciens
le “torchon brûlait” depuis plusieurs
semaines entre les deux voisins et
le compte de l’armée en formation radars et contre-me-
sures chez Thomson-CSF.
ex-alliés. Saddam Hussein exigeait
que le Koweït paie “le prix du sang” américaine ” Cet embargo a pour conséquence
immédiate de bloquer en France
versé par les Irakiens dans la guerre trois “Mirage” F1 appartenant au
contre l’Iran chiite, annule ses dettes est signé en septembre 1989 et per- client :
envers l’Irak et relève le prix du baril met de débloquer la situation. Les – le F1EQ2 4034, arrivé à Parme
de pétrole. Les réactions internatio- livraisons reprennent en jan- le 13 août 1987 après avoir subi en
nales ne se font pas attendre. Le soir vier 1990, à un rythme soutenu cette mai 1987 un accident lourd en Irak
même, le conseil de sécurité de fois-ci : six convoyages en cinq mois. (atterrissage train non sorti).
l’ONU condamne l’invasion du L e der n ier c onvoyage de L’appareil, qui totalise 1 041 heures
Koweït et vote la première des 12 “Mirage” F1 a lieu le 29 mai 1990. de vol, vient d’être entièrement ré-
résolutions qui vont suivre, exigeant Jean-Pierre Chevènement, ministre paré et est en instance de remontage
“le retrait immédiat et inconditionnel de la Défense, avait à Biarritz ;
des forces irakiennes sur les posi- d’ailleurs fait le – le F1EQ5
tions qu’elles occupent”. voyage en Irak en 4562, basé à
Le 3 août 1990, le gouvernement janvier 1990 pour Istres, site des
français gèle officiellement les avoirs renouer les liens essais en vol de
financiers du Koweït et annonce ave c Sadda m Dassault. Livré
qu’elle arrête toute livraison d’armes Hussein. au client en
à l’Irak, tout comme l’URSS, alors Le 6 août 1990, mars 1984 mais
son premier fournisseur. En fait, dès le conseil de sécu- jamais convoyé
le 2 août en début d’après-midi, dans rité de l’ON U en Irak, il est
la plus grande discrétion, le gouverne- adopte la résolu- utilisé jusqu’à
ment français notifie aux industriels tion 661 instaurant ce jour pour la
français l’embargo sur l’ensemble des le boycottage éco- mise au point
matériels militaires commandés par nomique, financier des équ ipe -
l’Irak, c’est-à-dire l’interdiction d’ex- et militaire de ments et em-
porter armes et équipements mili- l’Irak, l’une des ports de l’EQ5,
taires. Les industriels comprennent Le colonel plus sévères jamais puis le dévelop-
que l’annexion éclair du Koweït par Jean-François a d o p t é e s p a r pement du nou-
son turbulent voisin vient de mettre Lipka en 2003. l’ONU à l’encontre veau standard
DR/C J -F
OLLECTION EAN RANÇOIS LIPKA
un terme à 15 ans de relations com- d’un pays. Toutes EQ6. Il est
merciales soutenues. les activités en lien avec l’Irak, quelle alors dans un standard hybride
que soit leur nature, sont officielle- EQ5/6. Il était prévu de le rendre à
Une situation ment stoppées. Quatre pilotes ira- l’Irak en 1992 après révision et re-
kiens en stage à Cazaux sur mise au standard EQ5.
très embarrassante “Alphajet” doivent cesser immédia- – le F1EQ5 4569, touché par un
Pour la France, la situation est tement leurs vols. Ils seront expulsés missile sol-air SA-7 dans le golfe le
très embarrassante. L’Irak est consi-
déré depuis longtemps comme un
pays ami et un bon client des produc-
tions françaises, même si la dette à Les convoyages de “Mirage” F1EQ6
l’égard de la France est énorme : de 1988 à 1990
28 milliards de francs, dont la moitié
28e convoyage 13 janvier 1988 2 avions, 4600 et 4609
concerne des matériels militaires.
29e convoyage 2 mai 1988 2 avions, 4601 et 4603
Deux ans auparavant, en 1988, l’Irak
30e convoyage 29 juin 1988 4 avions, 4561, 4602, 4604 et 4605
ne payant déjà plus ses dettes, les
31e convoyage 21 septembre 1988 2 avions, 4610 et 4611
relations entre les deux pays avaient
32e convoyage 10 janvier 1990 4 avions, 4606, 4608, 4612 et 4613
connu un sérieux refroidissement.
33e convoyage 31 janvier 1990 4 avions, 4614, 4615, 4616 et 4619
La France avait alors décidé de sus-
34e convoyage 6 mars 1990 4 avions, 4607, 4618, 4621 et 4622
pendre ses livraisons d’armes. Cette
35e convoyage 27 mars 1990 4 avions, 4560, 4617, 4 620 et 4 623
suspension concernait entre autres
36e convoyage 18 avril 1990 4 avions, 4650, 4651, 4652 et 4653
le solde des “Mirage” F1EQ6 com-
37e convoyage 29 mai 1990 4 avions, 4654, 4655, 4660 et 4661
mandés à 30 exemplaires en 1985 et
1987. Si les six premiers appareils
Soit 34 avions livrés : 26 F1EQ6, deux F1EQ5 [4560 et 4561] et six F1BQ.
avaient bien été livrés alors que le
Huit avions ne seront jamais livrés : les EQ6 4662 à 4665 et BQ 4656 à 4659
pays était encore en guerre contre
Les contrats correspondants :
l’Iran, pour le soutenir, le reste de la
– “Baz 421” du 23 septembre 1985 : 18 “Mirage” F1EQ6 codés 4600 à 4608 et 4615
commande a été stocké à Istres et
à 4623 et six “Mirage” F1BQ codés 4609 à 4614 ;
Cazaux à partir de septembre 1988,
– “Baz 521” du 9 décembre 1987 : 12 “Mirage” F1EQ6 codés 4650 à 4655 et 4660
une fois la paix revenue, dans l’at-
à 4665 et quatre “Mirage” F1BQ codés 4656 à 4659.
tente d’un accord financier avec
Bagdad. Un accord de consolidation
18
21 avril 1988 et non encore réparé à
Biarritz (lire Le Fana de l’Aviation
n° 580 de mars 2018).
L’embargo a également pour
conséquence de bloquer en France
un grand nombre de matériels aéro-
nautiques en rechange, réparation
ou entretien appartenant aux
Irakiens : moteurs “Atar” 9K50 chez
Snecma, sièges éjectables chez
Hispano-Suiza, etc. (1)

Huit “Mirage” F1
encore à livrer
En plus de ces matériels, il reste
au 2 août 1990 huit “Mirage” F1 à
livrer par Dassault, dont aucun n’a
encore été réceptionné par le client.
À savoir quatre biplaces F1BQ :
– le BQ 4656 est le plus avancé.
Il a été livré à la piste le 7 mai 1990
puis a été réceptionné par le Centre
d’essais en vol le 22 juin 1990. Sa
prise en charge par l’Irak est immi-
nente. Il est le seul à avoir son nu-
méro 4656 peint sous le cockpit ;
JEAN-FRANÇOIS LIPKA
– le BQ 17 (4657) est entré en Exceptionnelle
piste le 13 juillet 1990, mais n’a pas photo prise aucun numéro, bien qu’il soit déjà tiers palestinienne. En août 1990, la
encore effectué son premier vol ; depuis le 4562. peint. Il n’est alors connu chez France décide de suspendre les li-
– les BQ 18 (4658) et BQ 19 (4659) Le navigateur Dassault que sous le code “EQ6 27”, vraisons d’armes vers ce pays. “Il
sont encore sur chaîne de montage. de ce F-14 de soit le 27e EQ6 construit ; s’agit d’une mesure conservatoire qui
Ainsi que quatre monoplaces la VF-74 tient – l’EQ6 28 (4663) est sorti de pourra être levée selon l’attitude
F1EQ6 : lui-même chaîne le 18 juin 1990. Il n’est pas adoptée par Amman dans la crise du
– l’EQ6 27 (4662) a été terminé un appareil encore peint ; golfe”, indique le gouvernement
le 21 mai 1990. Il n’a pas encore été photo entre – les EQ6 29 (4664) et EQ6 30 français. Conséquence : les 12
réceptionné par le CEV et n’arbore les mains et (4665) sont encore à divers stades de “Mirage” 2000 commandés en 1988
photographie fabrication. (plus huit en option) en cours de fa-
au même À noter qu’un autre pays va faire brication sont bloqués. Ils ne seront
(1) D’autres matériels militaires irakiens
aéronautiques ou terrestres se moment les frais de la situation : la Jordanie. finalement jamais livrés, l’Arabie
retrouvent bloqués en France : le F1EQ6 ! En raison de sa proximité avec Saoudite retirant son financement
hélicoptères “Super Frelon” en grande Bagdad, le pays s’efforce de ménager aux Jordaniens.
visite chez Aérospatiale à Marignane,
blindés AMX-10 et AMX-30 chez Giat son grand voisin irakien et la suscep- D e leur côté, les Irakiens
tibilité de sa population aux deux mettent la main sur huit “Mirage” F1

V
à Roanne et Bourges, etc.

Le “Mirage” F1EQ6 4651 est l’un des derniers


“Mirage” livrés en 1990. Il est vu ici au-dessus
de l’estuaire de la Gironde lors d’un vol de
réception en décembre 1989.
JEAN-FRANÇOIS LIPKA

19
“MIRAGE” F1 “AGRESSEURS”

Le “Mirage” F1EQ5/6 4562 (cône de parachute


orange) surpris en vol en décembre 1989.
Il est alors basé à Istres pour finir le
développement de la version EQ6.

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

koweitiens : trois monoplaces et mille sur place grâce à l’intermé- Thomson-CSF monté à l’arrière d’un
cinq biplaces. Cette prise de guerre diaire de la Libye… Iliouchine Il-76 avec l’aide des
vient très partiellement compenser Dès le mois d’août 1990, l’im- Français et susceptible d’assurer une
les 41 “Mirage” de leur flotte dé- mense dispositif Bouclier du désert certaine couverture radar du pays ou
truits de 1981 à 1990 (38 mono- se met en place en Arabie Saoudite, de guider les chasseurs irakiens ; un
places et trois biplaces). sous la houlette des États-Unis. On “mini-Awacs” en somme. Les
craint que le royaume saoudien ne Irakiens l’ont même équipé d’une
Bouclier du désert soit la prochaine cible de l’armée ira- nacelle française de reconnaissance
Le “Mirage” kienne. De nature défensive, le dis- électronique “Syrel”.
se met en place F1EQ6 pouvait positif acquiert rapidement une véri-
L’invasion du Koweït a aussi emporter table dimension offensive, et la Permettre aux Américains
pour effet de stopper en Irak tous deux AM39. coalition se renseigne activement sur
les chantiers en cours. Parmi eux, Des essais ont les capacités militaires de l’Irak.
de se confronter au F1
celui de la modernisation des été menés à Dans son édition du 14 août, l’Inter- En septembre, les États-Unis
Sukhoï 22. Le projet “Eagle” signé Cazaux par national Herald Tribune annonce font une nouvelle demande à la
par Thomson-CSF avec Bagdad en le 4562 avec que “la France aurait fourni aux France. Ils veulent obtenir des in-
janvier 1990 vise à intégrer dans le un bidon États-Unis des détails secrets sur le formations sur les équipements de
de 2 200 l.
Su-22 un système de navigation et matériel militaire vendu à l’Irak”. b rou i l l a ge qu e l a s o c iét é
La menace
d’attaque (SNA) proche de celui du Les Américains sont plus particuliè- Thomson-CSF a fourni à l’Irak
“Exocet” était
“Mirage” 2000, avec des fonctions rement intéressés par trois matériels : pour ses “Mirage” F1 et qui per-
prise très au
air-sol plus élaborées. Réalisable sérieux par les
le missile “Exocet”, le missile air-air turbent leur travail de détection
sur le papier. Mais le chantier se Américains.
“Super” 530F et le radar “Tiger” de électronique. L’affaire est révélée
révèle beaucoup plus compliqué que
prévu : l’avion de fabrication sovié-
tique est entièrement analogique et
l’intégration de calculateurs numé-
riques s’avère très complexe. De
plus, la petite équipe de Français
présente sur place n’a même pas
accès à l’appareil en question et doit
travailler uniquement sur plan, les
Irakiens étant très suspicieux.
Finalement l’affaire du Koweït vient
tout arrêter, au soulagement de
l’équipe… mais qui se retrouve pié-
gée. “De toute façon, c’était infai-
sable, on allait se planter !”, raconte
l’un des acteurs français. Pour au-
tant, les Irakiens ne baissent pas les
bras : ils proposent même, en vain,
à certains des Français impliqués
dans ce projet de continuer à tra-
vailler pour eux, d’être naturalisés
irakiens et de faire venir leur fa-
DASSAULT

20
septembre 1990. Outre les pilotes,
l’équipe est composée uniquement
de civils : techniciens de Dassault et
électroniciens de Thomson-CSF,
dont la plupart connaissent l’Irak
pour y avoir formé les pilotes et le
personnel aux équipements électro-
niques qui intéressent tant les
Américains. Les deux “Mirage” F1
immédiatement disponibles sont les
4562 et 4662. Comme on l’a vu, le
4562 est un appareil hybride EQ5/6
instrumenté qui vole depuis fin 1983
à Istres (202 vols au compteur en
août 1990) tandis que le 4662 est un
EQ6 de série qui vient tout juste
Un F-14 “Tomcat” d’effectuer son premier vol.
de la VF-103 du
Saratoga avec Une opération
toute sa panoplie
de missiles air-
très spéciale
air : “Phoenix”, Jean-François Lipka, alors com-
“Sparrow” mandant dans l’armée de l’Air, par-
et “Sidewinder”. ticipe à l’aventure. Il se souvient :
JEAN-FRANÇOIS LIPKA
“J’avais été muté en 1989 au CEAM,
par le Financial Times le 12 sep- haut niveau de l’État. L’accord conclu le Centre d’expériences aériennes
tembre. Mise en accusation, la so- avec les Américains prévoit la mise militaires, en tant qu’officier de
ciété T homson- C SF se voit à disposition par Dassault sur une marque missiles air- air sur
contrainte de réagir par un commu- base française de deux “Mirage” F1 “Mirage” 2000 quand l’invasion du
niqué de presse, indiquant que “le irakiens au plus haut niveau techno- Koweït est survenue en août 1990 et
groupe avait scrupuleusement res- logique et prélevés sur les F1EQ6 a chamboulé tout le plan de charge.
pecté les règles d’exportation avant bloqués par l’embargo, de pilotes et Un mois après, en septembre 1990,
l’embargo et avait cessé toute acti- de techniciens avions et emports. À Mont-de- je suis devenu avec le capitaine
vité avec l’Irak depuis”. Leur rôle : constituer une petite esca- Marsan, Napias, issu lui aussi du CEAM,
Initialement, les Américains drille d’“Agresseurs” au profit des les opérations “pilote agresseur” au sein de la petite
pensaient que les Irakiens allaient pilotes américains sur le modèle des de remise escadrille qui se mettait en place sur
mener leur guerre électronique “Agressors” de la base de Nellis au en œuvre “Mirage” F1EQ6 à Mont-de-Marsan
avec des matériels d’origine sovié- Nevada – toutes proportions gardées, des appareils pour le compte de l’armée améri-
tique qu’ils connaissent bien pour bien sûr ! – pour leur permettre de se au profit des caine. Nous étions tous deux com-
les espionner sans relâche le long confronter au F1 et à ses équipe- Américains plémentaires pour tirer le maximum
du rideau de fer en Europe. Ils font ments électroniques. L’opération est se faisaient de ces avions dans cette opération
maintenant le constat que cette strictement confidentielle. Même à l’abri des très spéciale : le capitaine Napias
mission est aussi réalisée à partir l’armée de l’Air en est tenue à l’écart. regards. avait une sensibilité plus “attaque au
Les avions
de matériel d’origine française Nom de code de l’opération chez sol et reconnaissance” acquise sur
décollaient
qu’ils ne connaissent pas. Dassault : Fox. F1CR ; moi une expérience plus “dé-
même parfois
La France va y répondre favora- Le dispositif Fox se met en place fense aérienne” après plusieurs an-
à contre QFU
blement. La décision est prise au plus sur la base de Mont-de-Marsan en nées passées sur “Mirage” F1C à la
V
(contre piste).

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

21
“MIRAGE” F1 “AGRESSEURS”

“ Passer du F1C Un EA-6B “Prowler” de l’America


spécialisé dans la guerre électronique.
au F1EQ6, c’est comme
passer de la 2CV
à la Rolls ! ”
5e Escadre d’Orange. D’autres pi-
lotes nous rejoindront plus tard au
sein du dispositif. Comme je n’avais
du F1 qu’une expérience sur F1C à
JEAN-FRANÇOIS LIPKA
l’électronique plutôt rudimentaire, je
me suis fait lâcher sur F1CR le Deux A-10A
20 septembre 1990 avant de com- de la base de
mencer les vols sur EQ6. Le F1CR Woodbridge à
basse altitude
était à l’époque l’avion français se
au-dessus de la
rapprochant le plus de la version ira-
forêt landaise.
kienne. Le lendemain, j’ai pris livrai-
son du 4562 à Istres.

“Quand j’ai pris l’avion je


n’avais pas de check-list”
Le 4562 était un EQ5 qui avait
été modifié en EQ6 pour servir
d’avion de développement à la nou-
velle version commandée par l’Irak.
Par rapport au F1C, tout était diffé- En 1990,
rent. Le tableau de bord était gradué le “Mirage”
JEAN-FRANÇOIS LIPKA
en mètres et km/h au lieu des pieds F1EQ6 est un
et nœuds. Pour rentrer à Mont- avion très Toute référence au client irakien et des maîtres-chiens. Même le per-
de-Marsan le 21 septembre, j’ai fait performant, est rapidement effacée sur l’avion : sonnel de l’armée de l’Air ne peut y
un vol d’1 h 10 min. Ce premier vol aussi numéro 4562 sous le cockpit et mar- pénétrer, l’escadrille ne travaillant
a été un peu déroutant : je voyais les sophistiqué quage “EQ” sur la dérive ; des co- qu’au profit des Américains.
mètres qui défilaient, je ne savais que le cardes françaises sont même appo- Jean-François Lipka poursuit :
pas où j’étais… Quand j’ai pris “Mirage” 2000. s é e s . À Mo nt- d e - M a r s a n , “On a monté notre “Agressor
l’avion, je n’avais même pas de La partie plus l’escadrille se met en place en bout Squadron” avec tous les gens en
check-list… Mais je l’ai finalement claire sous le de piste dans un endroit discret, la France qui avaient une expérience
vite pris en main. Quand on passe cockpit du 4562 zone Ouest, à l’abri des regards. irakienne et on s’est mis à travailler
révèle que son
du F1C au F1EQ6, il y a un monde Cette zone est gardée en perma- “à l’irakienne” pour tout : méthodes
numéro a été
en termes d’équipements ; c’est nence par des commandos de l’Air de vol, tactiques de combat,
effacé.
comme de passer de la 2CV à la
Rolls ! L’avion était vraiment ex-
traordinaire ! Il avait été instru-
menté par Dassault, ce qui était très
utile pour enregistrer de façon auto-
matique beaucoup de paramètres en
vol. Pour me permettre de me fami-
liariser rapidement avec ses équipe-
ments et particulièrement son radar,
j’ai bénéficié lors de ce premier vol
d’un plastron sur lequel j’ai pu faire
qu e l qu e s i n t e rc e pt i on s . L e
“Cyrano” IV de l’EQ6 était assez
proche de celui du F1CR, mais avec
en plus une capacité de tir de mis-
siles air-mer “Exocet”, air-air
“Super” 53 0F et “Magic” 2 .
L’avantage du F1EQ6 résidait aussi
dans sa capacité d’emports impor-
tante : neuf points d’emports, tous
câblés, au lieu de sept pour un F1
classique. Il n’était surtout limité
que par sa motorisation insuffisante
et sa consommation relativement
importante à pleine charge.”
JEAN-FRANÇOIS LIPKA

22
Venant de la base d’Upper
Heyford en Grande-Bretagne,
un EF-111A “Raven”.
Ces appareils ont pour mission
l’escorte électronique des
bombardiers et des chasseurs.

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

contre-mesures électroniques, etc. Je Dassault demandait un prix exorbi- Mont-de-Marsan en provenance de


connaissais bien les pilotes français tant pour ces vols et que ce pilote ne Bordeaux-Mérignac le 22 sep-
qui avaient formé les Irakiens ; la plu- connaissait pas les tactiques de com- tembre. Il vient d’effectuer son qua-
part provenaient de la 5 [5e Escadre] bat, on nous a finalement demandé, trième vol. Les techniciens de
d’Orange. Avec eux, on a coordonné à nous pilotes de chasse du CEAM Dassault l’équipent d’un magnétos-
nos expériences pour livrer aux qui sortions des forces, d’effectuer cope d’essais pour la récupération
Américains le meilleur de ce que l’on seuls ces missions. Par contre, tout le des données, d’une caméra supplé-
pouvait leur donner avec cet avion. “Mirage” soutien en piste continuait à être as- mentaire pour suivre les vols, d’un
F1EQ6 équipé
Au tout début, c’est un pilote d’essais suré par Dassault.” boîtier de traitement “Sherloc” et de
du “Rémora”,
de Dassault qui a effectué les pre- L e deuxième appareil, le deux nacelles de contre-mesures
un couple
miers vols sur le 4562. Mais comme “Mirage” F1EQ6 4662, arrive à “Rémora”.

V
redoutable !

JEAN-FRANÇOIS LIPKA/COLL. HUGUES DE GUILLEBON

23
“MIRAGE” F1 “AGRESSEURS”

Serge Hotton, chef-avion à Istres “On a enchaîné les combats aé-


aux essais en vol de Dassault, parti- riens contre les appareils de l’US Air
cipe également à l’opération Fox. Il Force et de l’US Navy, raconte
témoigne : “En septembre 1990, Jean-François Lipka. On effectuait
nous sommes partis à six techniciens parfois deux vols par jour. Je volais
de Dassault pour Mont-de-Marsan toujours sur le 4562 car je connais-
nous occuper des deux “Mirage” F1 sais parfaitement son instrumenta-
mis en place là-bas pour leur évalua- tion d’essais, assez compliquée à
tion, le 4562 et l’“EQ6 27”. Nous ne mettre en œuvre. C’était devenu mon
parlions jamais du “4662” car son avion attitré. Pour ces vols, on nous
numéro n’avait pas été peint sur demandait d’être des agresseurs
l’avion. Je connaissais particulière- dans des missions de type DACT
ment bien le 4562 qui était l’avion de (Dissimular Air Combat Training),
développement des standards ira- c’est-à-dire des missions de combat
kiens à Istres et que je suivais depuis simulées mais très réalistes, permet-
longtemps. L’autre contingent de tant aux pilotes américains de se
civils présents à Mont-de-Marsan confronter à d’autres avions et
était composé de personnels de d’autres tactiques de guerre. Notre
Thomson-CSF car c’était la partie objectif est de “tirer” l’adversaire qui
électronique fournie par cette société est en face. En quelques jours, nous
qui intéressait tout particulièrement nous sommes confrontés à tous les
les Américains.” avions américains susceptibles
d’êtres engagés dans le golfe. Ils arri-
Premiers vols vaient la plupart du temps directe-
ment de leur base en Europe ou de
des “Agresseurs” leurs porte-avions et ne se posaient
Les premiers vols opérationnels que rarement à Mont-de-Marsan.
des “Agresseurs” démarrent le Les F-16 venaient de Spangdahlem
JEAN-FRANÇOIS LIPKA
24 septembre 1990. Ce jour-là, les en Allemagne , le s F -15 de
deux avions équipés de “Rémora” Soesterberg aux Pays-Bas, les A-10 ment sa mission ? Nous ne l’avons
sont engagés contre des chasseurs de Woodbridge en Grande-Bretagne jamais su…
américains F-18 puis contre des F-14. et les F-14 et F-18 de l’USS Saratoga Au début, les Américains nous
Les missions de combat s’enchaînent par exemple (2). On les retrouvait donnaient les profils de vol que nous
ensuite à un rythme soutenu au pro- dans le ciel du Sud-Ouest de la Départ en devions scrupuleusement respecter.
fit d’appareils très différents : F-4, France sur la zone “Charlie 34” de mission pour le Les passes étaient parfaitement cali-
F-14, F-15, F-16, F-18, A-10, EF-111 100 km sur 100, puis ils repartaient 4562 à Mont- brées et paramétrées ; nous agissions
“Raven” ou bien EA-6B “Prowler”, une fois le combat terminé . de-Marsan en comme des pilotes d’essais en res-
même si ce sont les confrontations Au-dessus de nous tournait aussi septembre pectant parfaitement ce qu’ils nous
avec les F-14 qui seront les plus nom- en permanence un C-130 “Her- 1990. Les demandaient. Mais ils nous lais-
breuses. Au fur et à mesure des vols, cules”. Mais quelle était précisé- appareils saient le choix du brouillage ; nous
des équipements sont rajoutés sur les opéraient leur avons donc reproduit les mêmes
appareils, comme des gondoles depuis une types de brouillages que ceux que
zone de la
lance-leurres “Sycomor” plaquées (2) Pour retrouver les appréciations les Irakiens programmaient chez
de Jean-François Lipka sur les base isolée et
sous les ailes ou une nacelle de eux. On a interrogé pour cela les
confrontations entre le F1 et le F-14, sécurisée par
brouillage de grande puissance se rapporter au Fana de l’Aviation électroniciens qui étaient allés en
les commandos
CT-51F “Caïman”. n° 565 de décembre 2016.
de l’Air.
Irak et on leur a demandé de nous

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

24
Le 4662 du
cne Napias
est ravitaillé
par le KC-130F
“Hercules”
Hose Monster
(le monstre
du tuyau) le
28 septembre
1990 lors de
la mission
antinavire
“Exocet” contre
l’US Navy.

faire les mêmes programmations. aussi travailler en mode de brouil- j’en profitais pour faire des passes
Le résultat a été stupéfiant ! Alors lage coopératif, les brouilleurs de au profit des Français pour qu’ils
que les brouilleurs utilisés par les deux avions se coordonnant de commencent à enregistrer certains
Français à cette époque étaient des manière à mettre le bazar dans les paramètres. Nous appelions cela
brouilleurs très “propres” et que les conduites de tir. Cette capacité était des vols “chapeaux”.
signaux qu’ils produisaient pou- alors inconnue dans l’armée de l’Air
vaient assez bien être détectés, les française. Des phases de débriefing
“Rémora” étaient des brouilleurs Les Américains ont été stupé-
très “sales” qui faisaient un bruit faits par le matériel qu’ils ont trouvé
très confidentielles
très puissant, qui poussaient des en face d’eux ; ils ne s’attendaient Jean-François Lipka poursuit :
signaux extraordinaires et qui dé- pas à cela… Durant toute cette pé- Les profils de vol qui intéressaient le
routaient les détecteurs. En polari- riode, ils n’ont jamais pu déjouer le plus les Américains étaient les péné-
sation verticale, horizontale et cir- brouillage du “Rémora”. La sur- trations basse altitude avec des
culaire, les signaux rebondissaient prise a été très grande pour eux ! Et contre-mesures électroniques pro-
vers le sol et créaient une véritable pour nous aussi… Au retour de ces grammées pour un déclenchement
“macédoine” dans les conduites de vols, une fois la mission accomplie, automatique lors des phases d’at-
tir. De plus, les “Rémora” pouvaient s’il me restait un peu de carburant, taque. Le “Mirage” F1EQ6 possède
V

Un F-4G
“Phantom” II
“Wild Weasel”
de Spangdahlem.
La mission
principale de
ces avions est
la suppression
des défenses
antiaériennes.

JEAN-FRANÇOIS LIPKA

25
“MIRAGE” F1 “AGRESSEURS”

pour cela une centrale à inertie très lite de l’Irak était aveugle une heure la parade. C’est le 28 septembre qu’a
performante et un calculateur qui par jour. Nous avons voulu leur dé- lieu cette simulation d’attaques à la
permet de programmer les séquences montrer qu’en une heure, nous pou- mer contre des bâtiments américains
de brouillage et de “leurrage” en vions faire ce que nous voulions avec en Méditerranée ; la plus grosse mis-
automatique ou bien en manuel. l’avion sans que cela soit vu par les sion des “Agresseurs”. Elle va durer
Après les vols, commençaient au satellites. Jean-François Lipka a plus de sept heures. Les moyens mis
sol les longues phases de débriefing décollé avec un avion en configura- en œuvre pour l’occasion par les
des bandes enregistrées. Cette partie tion “Caïman”. Il a fait un vol et est Américains sont très importants : un
était très confidentielle. Personne revenu. En 15 minutes, on a reconfi- “Awacs” de l’Otan, un RC-135U
d’autre que nous n’y participait. guré totalement l’appareil, enlevé le “Combat Sent” pour le recueil des
Toutes les informations étaient en- “Caïman”, remis en ordre les données, un ravitailleur KC-130F à
suite envoyées directement aux “Rémora”, fait les pleins d’huile et de disposition des deux “Mirage” et
États-Unis par liaison de données. carburant et le “Mirage” est reparti. plusieurs navires de guerre.
Les Américains s’assuraient tou- Les Américains nous regardaient sur
jours que toutes les informations la butte à Mont-de-Marsan. L’attaché Une attaque
étaient bien transférées aux militaire de l’ambassade américaine
États-Unis ; cela leur a permis d’ac- en France était même présent pour
à la mer “Exocet”
quérir beaucoup d’informations sur suivre toute l’opération. Tous ont été Jean-François Lipka se souvient :
ces matériels. Ils étaient malins… littéralement bluffés par les possibi- “Je n’étais pas pilote de “Super
On débriefait également les phases lités d’opérabilité du “Mirage” !” Étendard” et spécialiste de l’as-
tactiques. Comme je connaissais Parmi les multiples missions saut-mer, mais les Américains
bien le missile air-air “Super” 530F, dont est capable le “Mirage” F1EQ6 m’avaient demandé de leur expliquer
je leur ai expliqué assez précisément figure l’attaque antinavire avec ce qu’était une attaque à la mer
son fonctionnement : radar, ultra- l’AM39 “Exocet”. L’avion est même “Exocet”. Je me suis renseigné pour
bande, etc. Ils savaient exactement capable d’en délivrer deux. La me- cela auprès d’ingénieurs de
ce qu’il fallait brouiller s’ils s’en pre- nace air-mer AM39 dans le golfe est Thomson-CSF sur le fonctionnement
naient un.” prise très au sérieux par les du radar de l’EQ6 en mode air-mer.
Américains après l’attaque surprise Après la formation théorique est venu
Les Américains de la frégate Stark en 1987 touchée l’exercice pratique. Nous sommes
par deux “Exocet”. L’US Navy de- partis à deux avions avec le capitaine
bluffés mande maintenant aux deux pilotes Napias depuis Mont-de-Marsan nous
Parmi les pilotes américains qui de simuler des attaques AM39 frotter à la flotte américaine dans le
viennent à Mont-de-Marsan se contre leurs bâtiments pour préparer golfe du Lion. Nos rôles étaient bien
confronter aux “Mirage” F1EQ6 en
septembre 1990 figure le capitaine
Jay T. Denney, qui effectuera égale-
ment quelques semaines plus tard en
Allemagne le même type de confron-
tation avec des MiG-29 d’origine
est-allemande. Le 27 janvier 1991, il
deviendra un héros de la guerre en
abattant à bord de son F-15C deux
MiG-23 irakiens.
“Toutes les missions Fox étaient
très secrètes, se souvient aussi Serge
Hotton. Nous ne savions rien de leur
déroulement et n’assistions pas non
plus aux débriefings. Notre rôle était
de préparer les deux avions mis à
disposition. Au retour des vols, nous
comprenions simplement à la tête du
pilote, sans échanger un mot, si la
mission avait réussi. J’avais pris
l’habitude de noter un code dans mes
carnets ; ce code était composé
d’étoiles : une étoile pour un beau
sourire et deux étoiles pour un grand
sourire. Les missions étaient la plu-
part du temps notées deux étoiles. Au
bout d’un moment, c’était devenu
tellement banal que je ne les reportais
même plus… Les avions et le maté-
riel fonctionnaient à merveille, les
pilotes “agresseurs” faisaient un
“carton” ; bref, on était les meilleurs !
Une fois, avec Jean-François
Lipka, je me souviens que nous
avions bluffé les Américains. Nous
avions appris que la couverture satel-
JEAN-FRANÇOIS LIPKA

26
spécifiques : le capitaine Napias sur
le 4662 effectuait les passes de tir
“ Les marins de les indications présentes dans le vi-
seur comme s’il s’agissait d’un tir
AM39 tandis que je me chargeais du
brouillage sur le 4562. L’avion avait l’US Navy très surpris : véritable. Ce qui comptait pour les
Américains, c’était surtout le train
la panoplie complète de guerre élec- d’ondes qu’ils recevaient durant
tronique : un “Caïman”, deux
“Rémora” et deux “Sycomor”, plus
“On n’a jamais réussi l’accrochage du “Cyrano” IV et
l’action des brouilleurs. De son côté,
deux bidons de 1 200 l. Nous avons
fait un vol de 3 h 30 min avec deux
à vous tirer” ” le RC-135U enregistrait toutes les
données pour pouvoir mettre au
ravitaillements en vol sur le KC-130F point les futurs systèmes de guerre
mis à notre disposition. D’autres pi- pendant que le capitaine Napias électronique et les contre-mesures
lotes ont ensuite pris le relais pour un enchaînait les attaques à très basse appropriées. Lors de certains vols, je
autre vol de 3 h 40 min. Au total, plus altitude, je volais au-dessus de lui volais à proximité de cet avion. Je
de sept heures de mission pour en- pour le dissimuler aux yeux de faisais sur lui des passes paramétrées
chaîner sur zone une vingtaine de l’“Awacs” avec le “Caïman”. ou alors je me collais juste derrière
passes de tir. L’“Awacs” voyait bien mon F1, mais lui ; il enregistrait tout. Nous débrie-
Ce fut la mission la plus com- pas le sien ! Lors de ces missions, il fions ensuite les attaques lors de lon-
plexe : les profils de vol entièrement y avait toujours un “Awacs” qui gues séances. C’est à l’occasion d’un
choisis par les Américains étaient patrouillait au-dessus de nos têtes débriefing que je leur ai parlé d’un
très précis et compliqués. Nous les pour évaluer les CME [contre-me- certain “Falcon” 50 “Exocet” ira-
respections scrupuleusement . sures électroniques] de nos avions. kien dont ils ignoraient totalement
C’était quasiment des vols paramé- J’ai pu à cette occasion me rendre L’US Air Force l’existence… (3).
trés pour qu’ils puissent enregistrer compte lors de ces vols que le radar a déployé de
un maximum d’informations. Ces de l’EQ6 voyait très très bien en mer ! gros moyens. Les “Mirage” français
vols avaient lieu aussi bien à haute I l n’y avait pas de missile Le
qu’à basse altitude. Il y avait des “Exocet” instrumenté sous le 4662. 28 septembre engagés face aux F1EQ6 ?
phases de vol où nous étions les deux L’avion était en configuration que 1990, le Boeing Les premiers à s’être vraiment
avions ensemble, d’autres où on l’on pourrait qualifier de “lisse”, avec RC-135U aperçus des qualités des brouilleurs
nous demandait d’être séparés. En deux réservoirs et les “Rémora” tout “Combat Sent” français ont été les marins de l’US
est en train
sept heures, on a exploré tout le do- de même. Le boîtier d’adaptation Navy avec leurs missiles embarqués
de collecter
maine, en attaquant dans tous les AM39 permettait au pilote de simu- “Sea Sparrow”. Malgré tous les pas-
les signaux
secteurs, sous tous les angles pos- ler un tir fictif en ayant toutes les sages que nous avons faits sur leurs
électroniques
sibles. Lors de l’une de ces passes, commandes à sa disposition et toutes des EQ6.
bateaux, ils nous ont avoué : “On n’a
jamais réussi à vous tirer”. Ils ont été
très surpris ! Ils étaient notamment
victimes de la TBJ (terrain bounce
jamming, la réflexion du brouillage
sur le sol), et particulièrement sur la
mer. Cela a mis toutes leurs conduites
de tir des missiles “en vrac”. Mais les
Américains apprendront vite ; en
quelques mois, l’autodirecteur du
“Sea Sparrow” sera modifié. Et dans
leur publicité, ils préciseront que le
“Sea Sparrow” prenait bien en
compte la TBJ.”
Au retour, les avions sont soi-
gneusement rincés pour éliminer le
sel et les moteurs lubrifiés. La mis-
sion est notée deux étoiles dans les
carnets de Serge Hotton…
La phase d’évaluation au profit
des États-Unis prend fin le même
jour. Durant cette semaine de
confrontation intense, les Améri-
cains ont tout enregistré et ont accu-
mulé une masse énorme de données,
dont ils sauront tirer largement pro-
fit. Mais les Français se rendent
compte aussi, vol après vol, de la
menace effective que fait peser ce
“Mirage” F1EQ6 sur leurs propres
“Mirage” engagés dans le golfe. Et
si les avions se retrouvaient demain
face à face… Q
À suivre

(3) À retrouver prochainement


dans Le Fana de l’Aviation.

27
MONOGRAPHIE

De Havilland “Mosquito” embarqués Une énième


déclinaison du
Les “Sea Mossie” versatile bimoteur
en bois De Havilland
“Sea Mosquito”
de la Royal Navy arrivée trop tard
pour combattre.
Par Geoffrey Bussy

BAE SYSTEMS
Les ailes

D
epuis le début de la “Mosquito” FB.VI, immatriculés repliées pour l’encombrement des hélices offrait
Deuxième Guerre mon- LR359 et LR387, furent prélevés et tenir moins une marge de sécurité lorsque
diale, dès que la RAF De Havilland leur greffa les équi- de place sur l’avion basculait vers l’avant au
mettait en service un pements incontournables pour ap- les porte-avions moment où il était stoppé par un
avion performant, l’Ami- ponter et décoller d’un pont. Les soulignent câble d’arrêt. La présence d’une
rauté lorgnait dessus et, à force de transformations comprenaient la vocation pale supplémentaire permettait de
persuasion, parvenait à en obtenir l’inévitable installation d’une crosse du prototype faire passer 5 à 10 % de puissance
une version navalisée. Ce fut ainsi le d’arrêt – une adaptation d’un mo- du “Sea supplémentaire, ce qui s’avérait bien
cas avec le Hawker “Hurricane” puis dèle de Fairey “Barracuda” –, le Mosquito” utile pour décoller sur une courte
avec le Supermarine “Spitfire”, mais renforcement de la structure par TR.33. distance. L’inconvénient de ces hé-
au prix de certaines lacunes. Grâce l’adjonction de longerons dans la lices résidait dans l’impossibilité de
à sa vitesse, son autonomie et ses partie arrière du fuselage et le rem- les mettre en drapeau. L’armement
capacités offensives, la merveille en placement des hélices à trois pales fut supprimé.
bois de De Havilland ne manqua pas larges par des quadripales expéri- Le premier “Mosquito” trans-
d’attirer l’attention de la Navy, bien mentales. Ces hélices d’un diamètre formé gagna le RAE (Royal
qu’aucun avion de combat bimoteur de 3, 81 m, c onstr u ites pa r A i rc ra f t E st abl i sh ment) à
n’eût jamais encore été employé à De Havilland, étaient métalliques Farnborough en janvier 1944, suivi
bord d’un porte-avions. avec des pales plus étroites et plus par le second exemplaire le 1er mars.
A fin d’étudier la faisabilité longues bien que les extrémités La phase initiale des essais consista
d’embarquer un bimoteur, deux fussent taillées. La réduction de à effectuer des atterrissages et dé-
28
collages simulés sur la piste où était
peint le pont d’un porte-avions. Il
fut aussi impératif d’obtenir des
mesures précises des vitesses de
décollage, d’atterrissage et de décro-
chage, ainsi que d’approche sur un
seul moteur. Tout cela fut répété à
diverses masses de 7 250 à 9 000 kg.
Pour réduire la distance de décol-
lage, la technique consistait à main-
tenir la queue le plus bas et le plus
longtemps possible. Plus de puis-
sance était mise sur le moteur
gauche que sur le droit. Les freins
étaient alors lâchés tandis que le
pilote ouvrait les gaz à fond (+18lb
de pression d’admission) et enfon-
çait la pédale de palonnier de droite Le “Mosquito” LR359 qui servit aux
pour contrer le couple. Aux deux premiers essais sur porte-avions.
masses extrêmes, dans des condi-
V

BAE SYSTEMS

29
“SEA MOSSIE” DE LA ROYAL NAVY

tions sans vent, les roues du maintenir une attitude horizontale, Petit événement puisque c’était
“Mosquito” quittaient le sol après l’avion percuta la barrière. Les résul- la première fois qu’un bimoteur ap-
une course de 190 et 250 m. Ces dis- tats furent décevants car les dégâts à pontait… du moins c’est ce que pen-
tances devaient être sensiblement la structure étaient très importants. saient les Anglais à l’époque. Ils
réduites sur un porte-avions grâce Le train fut arraché et le “Mosquito” avaient bien sûr eu connaissance du
au vent relatif ; ce dernier était impé- perdit une aile tandis que ses empen- raid audacieux réalisé le 18 avril
ratif sachant que la longueur totale nages se brisèrent. 1942 par les hommes de Doolittle,
d’un bâtiment comme le HMS Inde- ayant décollé des North American
fatigable était de 233 m. Pour pilotes B-25 “Mitchell” depuis le USS
Les deux avions furent convoyés Hornet pour bombarder Tokyo, mais
à Arbroath le 18 mars. Le LR387 fut
confirmés ceux-ci n’avaient pas eu à revenir
alors employé pour valider le fonc- Aux commandes du LR359 peu apponter. Cependant, il y avait eu
tionnement de la crosse d’arrêt, la chargé en carburant de manière à des précédents bien qu’ils ne concer-
piste disposant de brins d’arrêt. Le apponter à environ 7,2 t, le lt Eric nassent pas des avions de combat. La
LR359 partit à East Heaven pour y M. Brown décolla de Machrihanish primauté en revenait aux Français
réaliser une nouvelle session d’ap- et rejoignit le porte-avions qui navi- puisqu’un avion de transport et de
pontages simulés sur piste et per- guait à pleine vi- liaison Potez 565
mettre au batsman [officier d’appon- tes se, of f ra nt avait réussi des essais
tage, N DLR], le lieutenant ainsi un fort vent d’appontage à bord
commander Bob Everett, qui était de 40 nœuds du Béarn en sep-
aussi le commandant de l’école des (74 km/h) au-des- tembre 1936. Bien
officiers d’appontage, de se familia- sus du pont. Au- plus tard, en
riser avec ce grand appareil. Au dacieux, le bats- août 1939, les Amé-
terme de ces essais sur piste, le man s’était avancé ricains effectuèrent
“Mosquito” fut jugé apte à apponter vers l’intérieur du des décollages et ap-
et les deux appareils modifiés furent Eric M. Brown pont pour être pontages depuis le
envoyés à Machrihanish le 23 mars. s’entraîna à mieux visible, la Lexington avec un
Le porte-avions Indefatigable terre avant nacelle du moteur avion expérimental,
avait été sélectionné pour réaliser les d’apponter sur gauche le mas- extrapolé du Lock-
essais. Il était neuf : il venait de un porte-avions quant s’il se main- heed “Electra” et
prendre la mer le 14 mars avec de en “Mosquito”. tenait à son poste doté d’un train tri-
DR/C . G. B
OLL USSY
nombreux civils à bord pour les es- habituel. Le pi- cycle. Néanmoins ces
sais constructeur qui se prolongèrent Au centre, en lote effectua une approche délicate machines étaient bien plus légères et
jusqu’au 27 du mois. Chaque soir, il tenue de vol, afin de maintenir la vitesse la plus moins rapides que l’avion d’attaque
venait jeter l’ancre soit à Belfast, soit Eric M. Brown basse possible sans décrocher. Le lt De Havilland, et ces essais n’enle-
dans le Firth of Clyde en Écosse. peu après cdr Everrett donna le signal de cou- vaient rien au travail accompli par
Une expérimentation fut aussi me- son premier per les gaz au moment où l’avion les Britanniques avec le “Mosquito”.
née à bord du Triumph avec une appontage sur passait la poupe du porte-avions et D’ailleurs, ces essais ainsi que ceux
vieille cellule de “Mosquito” afin le porte-avions courut tête baissée vers l’extrémité du “Sea Vampire” (premier avion à
Indefatigable
d’évaluer sa résistance en cas d’utili- du pont, évitant de justesse l’aile réaction à apponter), valurent au
avec le
sation de la barrière d’arrêt. Tiré par gauche de l’avion. La crosse d’arrêt lt cdr Brown d’obtenir l’OBE – la
“Mosquito”
un câble, moteurs tournants et avec du “Mosquito” accrocha le deu- médaille de l’ordre de l’Empire bri-
LR359 le
une roulette de queue surélevée pour 25 mars 1944.
xième brin à la vitesse de 125 km/h. tannique – en 1946. Celui-ci était

DR/COLL. G.BUSSY

30
Sa taille imposait main, avec des vols à des masses en
augmentation régulières, passant
une roulette de queue verrouillable
afin de minimiser la tendance à dé-
successivement à 7 711 et 8 165 kg. vier sur la gauche lors des décol-
au pilote d’apponter De plus, le pilote n’était plus seul à
bord, un second membre d’équi-
lages. Après un passage à
Farnborough, les deux appareils
décalé par rapport page l’accompagnait. Lors du troi-
sième appontage, un boulon de
furent envoyés à Crail le 6 mai. Dès
le lendemain, le lt Brown convoyait
au centre du pont sécurité de la crosse d’arrêt céda ;
le crochet à l’extrémité n’était dès
le LR387 à Arbroath afin d’y enta-
mer une séance d’essais de valida-
lors plus maintenu sur son axe ver- tion de la crosse d’arrêt. Le jour
conscient des bénéfices que lui va- tical ; il se désengagea immédiate- suivant, il s’envolait pour Machriha-
lurent ces essais : “Cela a réellement ment du brin d’arrêt. Brown se ren- nish où furent réalisés des appon-
changé ma vie : le directeur du RAE dit rapidement compte de la tages simulés sur piste. Tout s’étant
m’a dit franchement qu’il ne pensait situation : “J’ai eu à décider si le bien passé, les essais à bord de l’In-
pas me revoir. J’ai reçu une promo- câble d’arrêt avait cédé, et dans ce defatigable purent débuter le 9 mai.
tion et suis devenu le pilote d’essais cas il me suffisait d’attendre d’attra- Le lt Brown et le cdr H. J. F. Lane
naval en chef à Farnborough”. per le brin suivant, ou si le crochet (commanding officer du Service
Après avoir remis du carburant, s’était cassé et j’avais intérêt à me Trials Unit) se relayèrent pour ac-
le “Mosquito” fut aligné pour son sortir de cette mauvaise situation complir des appontages et décol-
premier décollage. Du fait de sa dans les plus brefs délais. C’est là lages à des masses en constante aug-
grande envergure et afin de garder que votre expérience intervient ; mentation. Au poids minimal de
une distance de sécurité avec l’îlot, j’avais accumulé un nombre im- 7 257 kg et sous un vent de 63 km/h,
l’avion avait été décentré sur la pressionnant d’appontages. J’ai le “Mosquito” décollait en moins de
gauche, ce qui laissait évidemment réalisé que le crochet s’était rompu. 50 m. Lors d’un des appontages à 8 t
moins de marge par rapport à l’extré- Immédiatement, j’ai ouvert les gaz effectués le 10 mai, le cdr Lane
mité bâbord du pont. D’autant plus à fond et l’avion a embarqué sur la coupa les gaz à une mauvaise hau-
que le pilote devait aussi tenir gauche. Nous avons gagné suffi- teur, provoquant des rebonds et au-
compte de la voie du train et donc samment de vitesse pour rester en cun brin d’arrêt ne fut accroché.
veiller à ne pas trop dévier de sa ligne l’air. Des personnes à bord du Plutôt que de remettre les gaz, le
lors du décollage. Celui-ci se passa porte-avions ont rapporté par la pilote appliqua les freins de toutes
finalement très bien. Et même la ten- suite que les roues ont touché l’eau ses forces, parvenant quand même à
dance à embarquer fut moindre avant de reprendre de l’altitude stopper l’avion à peu de distance de
qu’au décollage d’un terrain grâce à mais j’ai des doutes à ce sujet… bien l’extrémité du pont. Après un chan-
la vitesse du vent qui rendait le gou- que cela fasse toujours des bonnes gement des pneus, les essais reprirent
vernail plus efficace dès le début de Quelques histoires à raconter.” L’avion mit à des poids de 8618, 9 072 et enfin
la course. En outre, la déviation “Mosquito” alors le cap sur Machrihanish. 9 752 kg. Dans le dernier cas, le
n’avait pas le temps de prendre de B.XVI reçurent Tandis que le LR359 retournait “Mosquito” avait été chargé de
grandes valeurs car l’avion s’envolait des hélices chez son constructeur, l’autre exem- bombes qui furent larguées avant
sur une très courte distance. quadripales plaire modifié était délivré au l’appontage. La distance de décol-
La première journée s’acheva et une crosse Service Trials Unit à Crail. Le lage atteignait alors 128 m sous un
avec trois appontages et autant de d’appontage LR359 réapparut à la fin avril, béné- vent de 63 km/h.
décollages sans incidents à déplo- et servirent à ficiant de quelques améliorations
rer. Les essais reprirent le lende- l’entraînement dont une crosse d’arrêt renforcée et La capacité
des pilotes.
à apponter validée
Ces deux séries d’essais vali-
dèrent la capacité à embarquer du
“Mosquito”. L’avion était facile à
piloter lors de l’approche. La princi-
pale difficulté résidait dans sa taille
qui imposait au pilote d’apponter
décalé par rapport au centre du pont,
afin de garder de la marge avec l’îlot
du porte-avions. Si l’envergure du
“Mosquito” était bien supérieure à
celles de la plupart des autres avions
de la Fleet Air Arm [FAA, l’aviation
embarquée de la marine britan-
nique, NDLR], elle était identique à
celle du Grumman “Avenger” qui
servit sans difficulté à bord des
porte-avions britanniques, même les
plus petits. La présence de deux
moteurs sur les ailes influençait pro-
bablement le jugement des pilotes.
Apponter un “Mosquito” ne lais-
sait cependant que peu de marge au
pilote, surtout si le vent ne soufflait
que faiblement au-dessus du pont.
V

DR/COLL. G. BUSSY

31
“SEA MOSSIE” DE LA ROYAL NAVY

Eric Brown expliqua : “Les Pilot’s


Notes – le livret du ministère des
Approvisionnements qui distillait
toutes les informations nécessaires
pour qu’un pilote puisse prendre les
commandes d’un avion – du
“Mosquito” FB.VI stipulaient une
vitesse d’approche de 201 km/h. On
m’a indiqué en outre que du fait des
limitations propres au matériel d’ar-
rêt du porte-avions en tenant compte
de la masse de l’avion, la vitesse
maximale autorisée pour accrocher
un brin d’arrêt était de 134 km/h.”
Cette différence n’était comblée
que partiellement par le déplace-
ment face au vent du porte-avions et
la puissance de vent. Afin de réduire
la vitesse sans décrocher, l’approche
devait se faire avec beaucoup de
puissance. Brown raconta : “La seule
manière de réduire l’écart entre la
vitesse d’approche et la vitesse de
décrochage consistait à maintenir
une énorme puissance sur les mo-
teurs, avec les hélices brassant une quée se trouvait dans la possibilité d’avantage mais induisait par
immense quantité d’air. En d’autres de sélectionner une pression d’ad- contre de l’oscillation. Ceux-ci
mots, nous devions rester pendus mission de +18 lb (1,225 ATA), n’étaient donc abaissés qu’à 25°.
aux hélices et arriver à 145 km/h. À contre +12lb pour les précédentes La difficulté était en outre décu-
moins d’un mètre au-dessus du pont, versions du “Merlin”, et ainsi fournir plée par les mauvaises performances
il fallait couper les deux moteurs et un surplus de puissance dans les du “Mosquito” sur un moteur. En
se laisser tomber dessus. Cela a fina- phases délicates. dessous de 305 km/h, un “Mosquito”
lement très bien marché, mieux que De Havilland avait dessiné un devenait simplement incontrôlable
ce que nous avions anticipé”. superbe avion qui n’offrait que peu si un moteur lâchait. Ce qui était
Outre les hélices quadripales, le de résistance aérodynamique, ce acceptable pour un avion terrestre
choix de deux “Mosquito” FB.VI qui se révélait un handicap. Ajouté ne l’était plus pour un avion embar-
équipés de “Merlin” 25 fut un fac- au fait que l’avion ne bénéficiait pas qué. Entre le moment où l’avion
teur décisif. Cette version du célèbre L’antenne du d’éléments hypersustentateurs décollait, à environ 190 km/h, et
moteur avait été spécialement radar ASH comme les avions navals, l’ap- l’instant où l’appareil atteignait sa
c onç ue p ou r le bi mot eu r (en fait un proche pour apponter était nette- vitesse de sécurité sur un moteur, il
De Havilland et équipait quelques AN/APS-4 ment plus plate que celle à laquelle s’écoulait un temps beaucoup trop
FB.VI, ainsi que des versions de américain) du étaient habitués les pilotes navals long. Dès que le “Mosquito” avait
chasse de nuit. Il développait l’im- “Sea Mosquito” et engendrait des risques de flotter quitté le pont, le pilote devait donc
pressionnante puissance de 1 610 ch TR.33 était au-dessus du pont. Au décollage, relâcher sa pression sur le manche
abritée dans un
à pleine puissance. Son principal le déploiement des volets au maxi- et essayer de gagner de la vitesse le
long et étroit
avantage pour une utilisation embar- mum n’apportait d’ailleurs que peu plus rapidement possible.
tube.

BAE SYSTEMS CROWN

32
“Mosquito” offrait bien sûr des
avantages en tant qu’avion embar-
qué, telle une excellente vue vers
l’avant lors de l’approche du pont.
Tandis que l’Amirauté analysait
les informations recueillies lors des
essais à bord de l’Indefatigable avant
de commander des “Mosquito” em-
barqués, la RAF envisageait de redé-
ployer dans le Pacifique une unité
très particulière volant sur
“Mosquito”… à bord d’un porte-
avions ( !), le Squadron 618, qui met-
tait en œuvre une arme exclusive, la
bombe “Highball” (lire Le Fana de
l’Aviation n° 500). Dans l’esprit
d’Eric Brown, ce fut d’ailleurs cet
HORNE
VINCENT D
objectif plus que l’intérêt de l’Ami-
rauté pour un “Sea Mosquito” qui
dicta les essais embarqués : “Je l’ai
découvert plus tard – et cela n’a ja-
mais été jamais mentionné au dé-
“Mosquito” TR.33 du Sqn 790 de la Fleet Air Arm basé à Culdrose en 1948-1949. part – lorsque j’ai rencontré Barnes
Wallis. J’avais été envoyé à Beccles
pour réaliser des démonstrations
De même à l’appontage, toute nous y étions aventurés à haute alti- d’appontages simulés sur piste au
perte de puissance sur un moteur se tude (afin de pouvoir reprendre la profit d’un escadron de la RAF.”
révélait catastrophique car l’avion main). Nous avons découvert qu’en
partait violemment et les ailerons se cas de défaillance d’un moteur le L’Amirauté impatiente
bloquaient… à quelques mètres de la “Mosquito” se retournait en deux
surface. Une série d’essais fut réalisée secondes. En d’autres mots, toute
de les mettre en œuvre
en réduisant la puissance sur un mo- perte de moteur lors de l’approche En dépit des lacunes et exigences
teur et montra qu’il fallait garder une serait fatale. C’était donc une expéri- mises en évidence lors des essais
vitesse de 273 km/h tout en appli- mentation à haut risque en vérité mais embarqués de mars et mai 1944,
quant la gouverne de direction à fond elle devait être menée. Il n’y avait l’Amirauté était impatiente de mettre
pour pouvoir garder le contrôle. aucun moyen de se prémunir contre en œuvre des “Mosquito”, avec le
Perdre un moteur en dessous de cela sinon de croiser les doigts.” théâtre du Pacifique à l’esprit et ses
150 m avec le train d’atterrissage et Les “Sea Mosquito” de série dis- grandes distances à couvrir. Le
les volets sortis ne permettait plus de posèrent d’hélices qu’il était possible Premier Lord de l’Amirauté, l’amiral
dégager. Brown relata ses essais avec de mettre en drapeau. Tout cela fut Cunningham, avait sollicité en sep-
un moteur mort : “L’inconvénient des amélioré plus tard sur le fabuleux tembre le chef de l’Air Staff pour
hélices quadripales expérimentales “Sea Hornet” qui disposa de mo- obtenir des “Mosquito” destinés à
résidait dans l’impossibilité de les teurs tournant en sens inverse. Short embarquer. Il requérait un premier
Le “Mosquito”
mettre en drapeau. Ainsi, nous fit encore mieux avec l’horrible lot de 200 appareils pour l’année
LR387,
n’avions en aucun cas envie de perdre “Sturgeon” qui bénéficiait de dou- 1945, suivi de 250 machines l’année
prototype de la
un moteur lors de l’approche. Nous blets d’hélices contrarotatives. Le version TR.33.
suivante. Plus précisément, initiale- V

33
“SEA MOSSIE” DE LA ROYAL NAVY

ment il désirait déployer deux flot-


tilles de “Mosquito” chasseur-bom-
Quatre canons de refonte de la structure. La solution
arriva grâce à un ingénieur physicien,
bardiers (soit 24 appareils),
complétées par six bimoteurs de re- 20 mm, deux bombes nommé Norman de Bruyne. Après
de nombreuses années de recherche,
connaissance et six autres “Mosquito” il avait élaboré des colles polymères
destinés à l’entraînement, à bord de
deux des derniers joyaux de la Royal
de 500 livres, torpilles telles l’Aerolite ou la Redux, cette
dernière ayant la capacité de souder
Navy, les Indefatigable et Implacable.
Néanmoins, la RAF se montra réti-
de 18 pouces, mine… bois et métaux. De Havilland com-
mença à les employer progressive-
cente à lâcher des exemplaires de son ment à partir de 1943 car elles se révé-
précieux bimoteur qui faisait des série qui furent livrés. En fait la com- laient plus puissantes que la colle à la
merveilles dans bien des rôles. Les mande passée le 28 décembre 1944 caséine employée jusque-là et dont
Américains ne se montrèrent pas non portait sur 100 “Sea Mosquito” l’efficacité variait avec la chaleur et
plus enthousiastes. La British Pacific TR.33 mais un lot de 50 fut annulé. l’humidité. La disponibilité de la
Fleet devant à terme s’intégrer à un Le site de Leavesden, au nord de Redux permit d’intégrer les articula-
groupe aéronaval de l’US Navy, la Londres, abritait une base de la RAF tions métalliques du mécanisme de
préférence devait être donnée à du dotée d’une piste capable d’accueillir repliage dans les ailes en bois.
matériel d’origine américaine ; seuls les bombardiers lourds. De Havilland L’usage de la Redux se généralisa sur
les “Seafire” et “Firefly” faisaient y avait installé deux usines pour les “Hornet” et “Sea Hornet”, auto-
exceptions en nombre limité. l’assemblage de “Mosquito” et risant une construction mixte de bois
L e premier exemplaire de d’Handley Page “Halifax”. Une et d’alliages métalliques.
“Mosquito” modifié pour les opéra- autre commande conséquente,
tions embarquées, le LR359, fut comptant 120 appareils, fut signée en Un armement offensif
perdu le 9 novembre 1944 lorsqu’il mai 1945 mais rapidement annulée.
plongea dans les eaux de l’estuaire de Le premier “Sea Mosquito”
impressionnant
la rivière Duddon qui s’ouvrait sur la TR.33 de série (TW227) vola le 10 no- De chaque côté de la ligne de
mer d’Irlande. À cette époque, le vembre 1945… La guerre était finie et repliage de la voilure, des feuilles
LR387 se trouvait chez De Havilland l’avenir de l’avion torpilleur inévita- d’Alclad [alliage d’aluminium,
pour y être complètement navalisé blement incertain. Comme les avions NDLR] avaient été insérées dans les
afin de servir de prototype aux futurs de préproduction, les 13 premiers panneaux d’intrados et d’extrados.
“Sea Mosquito” TR.33 commandés avions de série étaient dépourvus Les deux nervures à ce niveau
par la Royal Navy – TR signifiant d’ailes repliables. D’autres améliora- étaient constituées d’un sandwich
Torpedo Reconnaissance. Cela in- tions furent introduites en cours de d’Alclad et d’épicéa. Tous ces chan-
cluait l’introduction d’ailes repliables production : une cloison de fuselage gements à la voilure induisirent un
manuellement et l’installation d’un au niveau des attaches de la crosse embonpoint d’environ 140 kg, soit
radar américain ASH abrité sous un d’appontage ainsi que des jambes de 2 % de la masse à vide d’un
étroit mais long radôme placé à l’ex- train Lockheed. Des amortisseurs “Mosquito” FB.VI. Les sections de
trémité avant de l’avion. En réponse oléopneumatiques remplaçaient les voilure pliables commençaient juste
au cahier des charges N.15/44, jambes de train maison à blocs de à l’extrémité des volets. Elles s’arti-
De Havilland avait en effet présenté caoutchouc, offrant une plus longue culaient sur quatre charnières en
un projet de navalisation de son course destinée à réduire l’effet de alliage léger collées au Redux. Les
“Mosquito” FB.VI. rebond. Parallèlement, des pneus ra- goupilles de verrouillage étaient
Outre la mise à niveau du LR387, diaux de plus faible diamètre (norma- boulonnées sur la partie basse des
De Havilland fournit deux appareils Le “Sea lement employé sur les Bristol longerons principaux. Un grand le-
Mosquito”
de préproduction, immatriculés “Beaufighter”) furent aussi introduits. vier à ressort permettait de les déver-
TR.37 était
TS444 et TS449. La construction fut L’implantation d’ailes repliables rouiller simultanément. Deux dra-
équipé d’un
menée dans l’usine de Leavesden, sur l’appareil intégralement construit peaux rouges sur l’extrados des ailes
radar ASV
comme pour les 50 exemplaires de Mk XIII.
en bois ne fut pas aisée et exigea une confirmaient le déverrouillage du
BAE SYSTEMS
sionnant. Par rapport au “Mosquito”
FB.VI, la version navale perdait les
quatre mitrailleuses Browning de
petit calibre (7,7 mm), du fait de la
présence du radar, mais gardait les
quatre canons Hispano Mk 6 de
20 mm. Le “Sea Mosquito” pouvait
emporter deux bombes de 500 livres
(227 kg) en soute ventrale. Sous les
points d’attache extérieurs du fuse-
lage, une torpille de 18 pouces (46 cm),
une mine ou une bombe de 2000 livres
(907 kg) pouvait trouver place.
L’utilisation du point d’emport exté-
rieur de fuselage condamnait évidem-
ment la soute à bombes. Les points
d’emport sous les ailes permettaient
d’installer deux autres bombes de
500 livres, huit roquettes de 60 livres,
ou encore deux réservoirs de carbu-
rant additionnels de 50 gallons (227 l).
Pour les attaques à basse altitude, le
BAE SYSTEMS
Le poste de pilote disposait d’un altimètre radio à
mécanisme. L’opération de repliage pilotage du fuselage. Les “Sea Mosquito” se dif- modulation de fréquence, capable de
des ailes requérait trois à quatre “Sea Mosquito” férenciaient aussi de leurs congénères fournir une indication très précise de
hommes utilisant une perche. Une TR.37. terrestres par des gouvernes de pro- l’altitude entre 0 et 122 m.
fois les ailes repliées, celles-ci étaient L’opérateur fondeur agrandies.
soutenues par des entretoises cou- radar Pour accomplir ses missions, le Opérationnel…
rant des puits du train d’atterrissage s’installait “Sea Mosquito” TR.33 disposait
à l’extrados des parties repliées. à droite. d’un radar air-surface ASH (Air-to-
ou presque
Elles étaient maintenues en position Surface Homing, dont la désignation Les “Sea Mosquito” ne disposant
avec des cordes élastiques reliant les américaine était AN/APS- 4). pas de points d’attache pour le cata-
saumons à l’arrière de la verrière. Caractérisé par une antenne de cir- pultage, les fusées “Ratog” (Rocket
La structure interne du fuselage conférence réduite (37 cm) et un Assisted Take-Off Gear, fusée d’as-
était renforcée par l’ajout de deux poids raisonnable, il était utilisé sistance au décollage ) s’avéraient
longerons laminés qui s’étendaient du dans de nombreux avions de la indispensables pour une utilisation
longeron principal arrière de la voi- FAA, tels les “Barracuda” et les embarquée avec des charges. Des
lure jusqu’aux points d’attache de la “Firefly”, car il offrait des perfor- points d’attache pour deux paires de
crosse d’arrêt. Cette dernière était mances optimales en modes recon- fusées furent insérés de chaque côté
boulonnée à travers le fuselage à ces naissance et attaque, bien qu’il eût du fuselage, placés juste en arrière et
deux longerons laminés. Un autre aussi des capacités en interception. en dessous des bords de fuite de la
renforcement fut ajouté sur le flanc À l’exception de l’unité de contrôle voilure. Des essais furent accomplis
extérieur gauche, entre les cloisons 4 et de l’amplificateur, le radar était par le RAE en mai et juin 1946 avec
et 5 – le flanc droit en disposait déjà Le système logé à l’extrémité du nez, sous un un “Sea Mosquito” TR.33, dont plu-
de repliage
sur les “Mosquito” terrestres. Ces radôme cylindrique en Perspex. Des sieurs décollages avec une poussée
de l’aile,
différents renforts amenèrent la sup- prises d’air autorisaient un refroidis- asymétrique. Le bimoteur emporta
particularité
pression de la trappe d’accès arrière, sement adéquat de l’électronique. une torpille et deux bombes de
des “Sea
au profit d’une nouvelle située sous le Mosquito”.
L’armement offensif était impres- 250 livres, opérant ainsi jusqu’à
BAE SYSTEMS 10,2 t. En août, des décollages avec
le système “Ratog” furent effectués
depuis l’Illustrious.
La Fleet Air Arm mit en service
d’autres versions de “Mosquito”,
principalement des T.III à doubles
commandes pour l’entraînement,
mais aussi plusieurs dizaines de
bombardiers (B.XXV) et quelques
exemplaires de chasseurs de nuit
(NF.XIII) ou d’avions de reconnais-
sance (PR.XVI) selon ce qu’elle
arrivait à récupérer. Ces appareils
furent distribués à des escadrons de
servitude ou d’entraînement.
En prévision de l’entrée en service
du “Sea Mosquito” TR.33, 12
“Mosquito” FB.VI allèrent en dota-
tion au Sqn 811 afin de familiariser les
pilotes avec le bimoteur. Après avoir
opéré à bord de porte-avions d’escorte
V

35
“SEA MOSSIE” DE LA ROYAL NAVY

sur la route arctique durant la guerre,


cette unité avait été dissoute en dé-
cembre 1944 et venait d’être reformée
à Ford en septembre 1945. Le premier
“Sea Mosquito” TR.33 arriva à Ford
le 12 février 1946. Au total, 13 ma-
chines furent délivrées à l’unique es-
cadron de première ligne à voler sur
“Sea Mosquito”.
À l’occasion de la parade d’anni-
versaire du roi le 13 juin 1946, neuf
“Sea Mosquito” du Sqn 811 effec-
tuèrent sous la conduite de son com-
manding officer, le lt cdr S. M. P.
Walsh, un passage au-dessus de
DR/COLL G. BUSSY
Portsmouth, en compagnie de nom- Le “Mosquito”
breux autres appareils de la Fleet Air TT.39 PF606 Une version équipée d’un radar pour obtenir deux lots de 26 “Sea
Arm et de la RAF. En dé- en septembre plus performant vit le jour sous l’ap- Mosquito” TR.37 chacun auprès de
cembre 1946, la flottille fut relogée 1948, l’une pellation “Sea Mosquito” TR.37. Le De Havilland et, en sous-traitance,
à Brawdy, perdant au passage la moi- des dernières petit radar américain laissait sa place d’Airspeed. Finalement, le contexte
tié de son effectif. Le Sqn 811 fut à versions. à un radar ASV Mk XIII. Avec une amena à des réductions drastiques
nouveau déplacé sur la base d’Eglin- antenne d’une circonférence nette- et seules six machines furent
ton en mars 1947. Il fut finalement ment plus importante, ce radar né- construites par De Havilland dans
dissous le 1er juillet 1947 sans jamais cessita le dessin d’un nouveau cône l’usine de Chester, qui avait été ra-
avoir eu l’opportunité d’embarquer de nez pour faire le raccord avec le chetée à Vickers en juillet 1948. Les
à bord d’un porte-avions. radôme. Capable de détecter un livraisons s’étalèrent de mars à
Plusieurs unités de seconde ligne contre-torpilleur à 40 milles nau- août 1948. Leur carrière se limita à
utilisèrent des “Sea Mosquito” TR.33 tiques (74 km) ou même le kiosque quelques essais avec le Royal
à des fins d’évaluation, de développe- d’un sous-marin immergé à 8 milles Aircraft Establishment et l’A&AEE
ment ou d’entraînement. Au rang de nautiques (15 km), du moins dans (Aircraft & Armament Experi-
celles-ci se trouvait le Sqn 778, le des conditions de mer calme, ce ra- mental Establishment) ou une utili-
Service Trials Unit basé à Ford à par- dar était une version sous licence de sation éphémère par le Sqn 703 pour
tir d’avril 1946, dont le rôle consistait l’AN/APS-6 particulièrement dé- certains exemplaires, mais la plu-
à essayer les nouveaux appareils des- diée aux avions de lutte anti-sous- part vieillirent dans des entrepôts.
tinés à embarquer sur porte-avions. Le “Mosquito” marine. Le “Sea Mosquito” TR.33 La quasi mise au rebut des TR.37
Un autre utilisateur fut le Sqn 703, TT.39. Cette immatriculé TW240 fut prélevé pour peut étonner alors que les TR.33
connu comme l’Air Sea Warfare version servait servir de prototype à la version continuèrent à offrir des services au
Development Unit, basé à Thorney au remorquage TR.37. C’était aussi le premier sein d’unités de servitude jusque
Island, qui se chargeait d’évaluer et de de cibles. TR.33 à bénéficier des ailes re- dans les années 1950.
Un opérateur
développer de nouveaux équipements pliables et d’un train d’atterrissage Le dernier de tous les “Mos-
s’installait
pour la Fleet Air Arm. Le dernier oléopneumatique. L’installation du quito” fut un modèle destiné à la
dans l’étroite
utilisateur fut le Sqn 751 (Radio nouveau radar débuta en jan- Fleet Air Arm qui répondait au ca-
tourelle
Warfare Unit) qui fit voler des “Sea à l’arrière
vier 1946. L’Amirauté passa deux hier des charges Q.19/45. La Royal
Mosquito” TR.33 jusqu’en juin 1953. du fuselage.
commandes à la fin de l’année 1946 Navy désirait mettre en service des

36
remorqueurs de cibles rapides, ayant par un vitrage composé d’une mul- de prototypes. Les premiers B.XVI
par le passé dû se contenter de vieux titude de petites surfaces planes. Il destinés à la série de TT.39 arri-
appareils retirés des unités de pre- était constitué des cadres et de lisses vèrent en octobre 1946. Les livrai-
mière ligne et équipés tant bien que en bois stratifié recouverts de contre- sons à General Aircraft s’échelon-
mal des équipements nécessaires au plaqué. Le nez était détachable. nèrent jusqu’en juillet 1948. 40 TT.39
remorquage de cibles. Une coupole dorsale était installée furent délivrés à la Fleet Air Arm.
juste en arrière du bord de fuite de la Les “Mosquito” TT.39 ne furent
Le laideron voilure ; tâche assez ardue puisque le pas particulièrement appréciés par
fuselage n’avait pas été prévu pour cela les pilotes navals. L’avion ne pouvait
de la famille et l’équipage était auparavant regroupé maintenir son altitude sur un seul
Une version de remorquage de dans le seul poste à l’avant. La trappe moteur. Naturellement, le “Mos-
cibles existait déjà. La RAF en avait originale d’accès aux batteries du côté quito” avait tendance à embarquer
commandé près de 150 exemplaires droit du fuselage arrière fut supprimée. au décollage. Cette prédisposition
sous la dénomination “Mosquito” Un portillon d’entrée au nouveau com- rendait les décollages avec une cible
TT.35. Ceux-ci avaient une ligne partiment arrière fut posé sous le fuse- singulièrement délicats. Adapté d’un
proche des autres “Mosquito”. En lage. La coupole disposait de deux bombardier rapide dont le fuselage
revanche, la Royal Navy avait des faces planes optiquement. L’opérateur arrière n’avait pas été conçu pour
exigences qui défigurèrent l’avion. devait la pivoter manuellement. Dans accueillir un membre d’équipage, le
Un nez vitré, libre de toute obstruc- le peu d’espace disponible, selon les TT.39 n’offrait pas le confort et l’es-
tion sur les côtés, était en effet im- missions, il devait photographier, com- pace du Short “Sturgeon”. Les
posé : l’installation d’une caméra mander le treuil, ou encore accrocher avions étaient anciens et, pour cer-
pour enregistrer les tirs des artil- et larguer les cibles. tains exemplaires, avaient connu les
leurs antiaériens des navires selon Enfin, pour le remorquage de combats au-dessus de l’Allemagne.
la méthode des tirs déportés le né- cibles proprement dit, la soute à Leur disponibilité et leur fiabilité
cessitait. Il fallait prolonger le nez bombes accueillait un treuil hydrau- n’étaient pas des meilleures.
au-delà des nacelles moteurs des lique ainsi qu’une turbine éolienne Les deux seuls utilisateurs du
bimoteurs et disposer d’un vitrage rétractable. Le nez plus long et large “Mosquito” TT.39 furent le Sqn 771
autorisant les prises de vues vers avait imposé l’adoption d’hélices à Ford et le Sqn 728 à Hal Far. Leur
l’avant, où se situait le bâtiment, quadripales, de diamètre inférieur carrière fut courte, leur remplace-
ainsi que sur les côtés, où les explo- aux tripales des B.XVI. Celles-ci ne ment par des “Sturgeon” se dérou-
sions fleurissaient. Un calcul de furent pas disponibles immédiate- lant rapidement. À Malte, les
triangulation permettait ensuite de ment, et les premiers TT.39 volèrent “Mosquito” arrivèrent en mars 1949
contrôler la justesse des tirs. Impossible avec des hélices tripales rabotées. et supplantèrent les vieux monomo-
De Havilland produisit ainsi le de se Les empennages étaient protégés de teurs Miles “Martinet” TT.I, qui
“Mosquito” le plus étrange de la li- tromper dans tout risque de choc ou d’enroulement étaient en service depuis 1943. Les
gnée, pourtant prolifique quant à ses l’identification du câble de remorquage grâce à un derniers exemplaires quittèrent Hal
missions. Répondant au cahier des du “Mosquito” câble de protection. Far en mai 1952. Le Sqn 771, norma-
charges Q.19/45, la version TT.39 TT.39 avec Le travail de conception et de lement basé à Lee-on-Solent, perçut
reposait sur une base de bombardier son nez si modification fut sous-traité à des “Mosquito” TT.39 à partir de
“Mosquito” B.XVI, disponible en particulier. General Aircraft, sur son site de janvier 1950. Les bimoteurs furent
Ici un
grand nombre depuis la fin de la Hanworth, et la dénomination regroupés au sein d’une escadrille
“Mosquito”
guerre. La cellule était profondé- GAL.59 attribuée. Deux “Mosquito” qui fut détachée à Ford. Au premier
B.XVI modifié
ment remaniée. L’appendice le plus B.XVI furent réceptionnés au début mois de 1952, les “Mosquito” avaient
avec le
visible était le nez allongé et terminé nouveau nez.
de 1946 et transformés pour servir disparu des effectifs. Q

DR/COLL. G. BUSSY CROWN

37
HISTOIRE
Socata TB 30 nacelles de mitrailleuses, des paniers
lance-roquettes ou des bombes de

Une nouvelle vie


50 kg ou 125 kg. La définition finale
fut concrétisée par le prototype 02
qui vola pour la première fois le
31 octobre 1980. L’armée de l’Air
commanda 30 exemplaires en 1981 ;

pour l’“Epsilon”
des commandes ultérieures por-
tèrent le total à 150 exemplaires. Les
livraisons débutèrent en 1983 et le
TB 30 “Epsilon” entra officiellement
en service le 7 juin 1984 sur la base
aérienne 709 de Cognac. Il y gagna
Surnommé “Zébulon”, le TB 30 “Epsilon”, vite l’affectueux surnom de
“Zébulon”, un personnage de la sé-
nerveux et maniable, a formé plusieurs rie d’animation Le Manège enchanté.
Prototypes compris, Socata produi-
générations de pilote de l’armée de l’Air. sit jusqu’en 1988 un total de 175
Il entame depuis quelques mois une “Epsilon”.

nouvelle carrière, civile cette fois. Le succès de la patrouille


Par Xavier Méal
Cartouche Dorée
En 1989, le TB 30 “Epsilon”
passa le cap des 100 000 heures de

D
ès 1976, l’armée de l’Air nutes, hélice bipale et capable d’en- vol dans l’armée de l’Air, seulement
se mit en quête d’un fu- caisser des facteurs de charge de cinq ans après son arrivée sur la
tur remplaçant de ses +6,76 à -3,35 g. Deux prototypes base aérienne de Cognac. Pour célé-
Fouga “Magister” ; en furent commandés. brer cet événement, une patrouille
juin 1978, elle émit une Le prototype 01 effectua son vol de TB 30 pilotés par les lieutenants
fiche programme pour un avion inaugural le 22 décembre 1979 aux Paul-Guy Maneval, Dominique
d’entraînement de base à hélice, avec mains de Marc Yoh (pilote) et de Crochard et Albert Pouzoulet fut
une autonomie de 3 heures et un Claude Durand (ingénieur d’essais). créée en avril de cette même année.
moteur de 300 ch, pour revenir à une Nombre de défauts se révélèrent au Leur trio d’avions, qui devait être
formation hélices + réacteur plus fil des essais, qui furent corrigés, éphémère, reçut une livrée commé-
complète, au lieu de la formation entre autres, en agrandissant la dé- morative noir et or, et “Cartouche”
tout réacteur qui prévalait alors. La rive, en passant la dérive horizontale étant l’indicatif radio opérationnel
Socata (Société de construction aé- de la position mi-hauteur à la posi- de l’Escadron de formation des
ronautique de Tarbes) répondit à cet tion basse, en allongeant l’envergure moniteurs et de standardisation
appel avec un avion qui tenait à la par modification des saumons, en (EFMS) qui les met en œuvre, la
fois de son TB 10 et du Beechcraft remplaçant la verrière et en greffant La patrouille patrouille fut baptisée Cartouche
T-34 “Mentor”, désigné TB 30 : bi- une quille ventrale. Cartouche Doré Doré. Son succès fut tel lors de sa
place en tandem entièrement métal- Dès le début, cet avion avec une a représenté présentation officielle le 2 juin sui-
l’armée
lique, monomoteur avec un système forte charge alaire – pour le rendre vant sur la base de Cognac que la
de l’Air dans
d’alimentation en huile Christen nerveux et maniable – fut prévu pour patrouille devint une des équipes
les meetings de
permettant le vol dos pendant 2 mi- emporter des charges comme des officielles de représentation de l’ar- V
ARMÉE DE L’AIR
1989 à 2016.

39
SOCATA TB 30 “EPSILON”

Le prototype 01
du TB 30, ici dans
sa configuration
définitive,
lors d’un essai
d’emport
de panier
de roquettes.
MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

La force aérienne
du Portugal a
acquis 18 TB 30.
DR/COLL. JACQUES GUILLEM

mée de l’Air. Elle fut dissoute à 2006 son quatrième atterrissage qui fut promptement rectifié. En sep-
l’issue de ses dernières présenta- forcé en six ans, dû à une fuite d’huile tembre 2006, l’“Epsilon” passa le
tions lors du Free Flight World du moteur dont la fiabilité fut alors cap des 500 000 heures de vol dans
Master à Sainte-Maxime, le 1er et remise en question. L’enquête finit l’armée de l’Air. À partir de 2007,
2 octobre 2016. par mettre au jour un problème avec des Grob 120 commencèrent à être
L’école de pilotage de l’armée de le système Christen permettant la utilisés en parallèle des TB 30 pour
l’Air, à Cognac, enregistra le 14 juin lubrification du moteur en vol dos, la formation de base. Depuis la fin
Le TB 30
immatriculé
5V-MAT est un
des quatre TB 30
acquis par
le Togo.

DR/COLL. JACQUES GUILLEM


DR/COLL. JACQUES GUILLEM
Le Sénégal a reçu
six “Epsilon”.

40
Le TB 30 TB 30 SN 3 modifié avec un capot
SN 3 dans la destiné à abriter le moteur SMA
configuration diesel – mais qui abritait en réalité
et les couleurs un Lycoming d’origine – et la ver-
qu’il portait lors rière du TB 31 “Omega”. Le moteur
de son unique SMA SR460 ne fut en définitive
apparition en lancé qu’en 2013… bien des années
public au Salon plus tard, et le TB 30 Mark 2 n’exista
aéronautique donc jamais pleinement.
du Bourget en Lors du meeting aérien de la
1999 (le 216 sur Ferté-Alais 2012, la société Daher-
la queue est son Socata et l’association du Patrimoine
numéro d’avion Morane-Saulnier-Socata ont signé
d’exposition un partenariat avec l’association
au salon)… Armor Aéro Passion qui s’est vue
Il est aujourd’hui
confier le TB 30 “Epsilon” SN 3 pour
PHILIPPE DE SÉGOVIA en cours de
restauration en état de vol. Projet
restauration en
de l’été 2018, les TB 30 sont progres- remplacement des Fouga CM-170 et phare de l’association bretonne, il est
état de vol par
sivement remplacés par des Pilatus d’autres marchés à l’export, notam- l’association
remis au standard d’origine et rece-
PC-21 à turbine de 1 600 ch, qui rem- ment celui du programme JPATS Armor Aéro vra un moteur Lycoming AEIO-540.
placeront aussi à terme les “Alpha (Joint Primary Aircraft Training Passion.
Jet” pour la formation des pilotes de System) commun à l’US Navy et Le TB 30
chasse et des navigateurs officier sys- l’Air Force. Mais il ne fut pas retenu,
tème d’armes (Nosa). l’appareil brésilien Embraer EMB
à l’étranger
Le 9 novembre 1985, la CGTM 312 en France et le Raytheon T-6A En 1982 la Força Aéréa Portu-
(Compagnie générale des turbo-ma- “Texan” II aux États-Unis corres- guesa (FAP) décida d’acquérir un lot
chines) et Socata firent voler le pro- pondant plus aux attentes des états- de 18 “Epsilon” pour équiper son
totype 02 remotorisé avec un turbo- majors. Son programme fut en Esquadra 101. Le premier fut livré le
propulseur Turbomeca TP319 conséquence abandonné. Le 31 janvier 1989 ; porteur du matricule
“Arrius”. Cette motorisation vali- F-WOMG existe toujours, exposé Le prototype 1401, il fut le dernier et le seul
dée, un exemplaire de série fut par suspendu au plafond du hall de l’aé- du TB 31 construit totalement en France, les 17
la suite modifié avec un “Arrius” de roport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées. “Omega” autres étant assemblés par l’OGMA
450 ch, deux sièges éjectables Lors du Salon du Bourget 1999, (en haut) en (Oficinas Gerais de Material
Martin-Baker Mk 15FC, une nou- fut présenté – aux couleurs d’Aeros- compagnie Aeronautico) au Portugal, sur la base
velle verrière et des arêtes de dérive patiale-Matra – ce qui devait être le du deuxième d’éléments et de pièces fournis par
revues. Désigné TB 31 “Omega” et prototype d’une version Mark 2 du prototype du Socata, et recevant les matricules
TBM 700 qui
immatriculé F-WOMG, l’avion fit TB 30, équipée du futur moteur 1402 à 1418. Le dernier fut récep-
avait fait son
son premier vol le 30 avril 1989. 6 cylindres diesel SMA SR460 de tionné par la FAP le 8 juin 1990.
premier vol le
Cette version visait le marché de 330 à 400 ch. Il s’agissait en fait du Le Togo a acquis quatre TB 30,
3 août 1989.
livrés à partir de 1986 et affectés à
des missions de lutte antiguérilla et
d’appui au sol. Ces exemplaires sont
les seuls “Epsilon” armés, empor-
tant sous quatre points d’emport une
charge offensive composée de pa-
niers à roquettes, de bombes légères
et de nacelles de mitrailleuses.
L’e x e m p l a i r e i m m a t r i c u l é
5V-MAS s’est écrasé le 26 sep-
tembre 2017 et a été détruit.
La force aérienne du Sénégal
possède six exemplaires, reçus d’oc-
casion, dont deux furent offerts dès
mars 2006 par la France.
L’armée de l’Air a commencé à
retirer du service ses “Epsilon” de-
puis quelque temps déjà, et plusieurs
lots ont déjà été vendus comme sur-
plus. Certains ont trouvé preneur
auprès de collectionneurs améri-
cains et français, d’autres auprès de
sociétés spécialisées comme Apache
Aviation Training & Services qui les
exploitent commercialement (lire
notre article page 48). “Zébulon” a
certes rendu les armes en France,
mais n’a pas pour autant fini de faire
entendre son Lycoming AEIO-540
dans nos cieux. Q
MUSÉE DE L’AIR ET DE L’ESPACE

41
TÉMOIGNAGE

Un Français à Reno sur “Epsilon”


“Zébulon” autour
des pylônes
Engagé dans les célèbres courses de Reno en 2018,
Olivier Langeard nous raconte son aventure depuis
le cockpit de son TB 30 “Zébulon”.
Par Olivier Langeard

L
undi 10 septembre 2018, Sport Class avec le projet Big Frog
8 heures du matin : mon (lire encadré page 45), mais plutôt le
premier briefing sous la di- résultat d’une longue persévérance
rection de Rara (Reno Air de quelques individus.
Racing Association). Je suis Tout a commencé par une pre-
sur les bancs d’un hangar à Reno… mière visite des courses de Reno, il
Pince-moi je rêve ! Les mêmes bancs y a neuf ans, que j’ai ensuite renou-
sur lesquels les légendes vivantes velée chaque année. Bien que les
des courses de Reno Hoot Gibson, Unlimited soient la catégorie reine
John Penney, Stevo Hinton ou Tiger et fassent rêver les foules, une étude
Destefani se sont assis toutes ces un peu plus approfondie révèle que
années. Dans quelques heures les la Sport Class est la catégorie mon-
vols de qualifications Sport Class tante – une seule règle : un moteur
commenceront, et on a encore beau- Jean-Luc de moins de 1 000 cu/in [cubic inch,
coup de boulot avant de pouvoir être et Olivier pouces cube], soit 16 l de cylindrée,
sélectionné… Langeard et c’est tout ! Pas d’autres limites –
L a compétition commence, (combinaison), turbos, nitro, alcool tout est permis !
un seul but : ne pas être dernier ! avec Derry Le haut du panier est constitué
Comment un pilote français avec un Grégoire (en de “Super Legacy”, “Nemesis” NXT
bout d’aile),
avion français a-t-il pu arriver là ? Ce et autres Glasair III, mais en regar-
ramènent le
n’est pas une grosse aventure tech- dant en classe Medallion (niveau
“Zébulon” à
nico-industrielle comme put l’être la juste en dessous des classes Or,
son stand après
première participation française en Argent et Bronze), on y découvre
V

une course.

Photo symbole, quand


Olivier Langeard prend
conscience qu’il réalise
un vieux rêve…

OLIVIER MONET VIA OLIVIER LANGEARD

42
43
UN FRANÇAIS ENGAGÉ À RENO

aussi des RV-4, RV-8, Xbach et Reno – à une altitude densité (1) de convoyer l’avion depuis Wilmington
même un Zlin 50. Il faut une vitesse 8 000 pieds [2 440 m]… Au débrie- dans le Delaware jusqu’à Reno dans
minimale de 200 mph [322 km/h] fi ng je comprends mieux : pas un le Nevada : 11 heures de vol pour
pour se qualifier. Ce qui rend cette seul de ces avions est de série, les 2000 milles nautiques [3 700 km],
catégorie presque abordable pour un moteurs sont gonflés, les ailes tron- huit États traversés. Heureusement
pilote privé… sans sponsors. quées, des turbos ajoutés, etc. J’étais mon employeur Dassault m’aide pour
À force de traîner dans les stands bien naïf de croire avoir une chance. l’hébergement, et mes parents – sans
de Reno et de nouer des connais- L’expérience acquise à la Pilot qui cette aventure aurait été irréali-
sances, de rencontrer des pilotes et Racing School et mes premiers tours sable – ainsi que nos amis Derry et
de recevoir les encouragements né- de circuits sont mémorables : décou- Patricia Grégoire prennent l’avion au
cessaires, une idée avait commencé verte du vrai vol à basse altitude, où pied levé depuis la France. L’équipe
à germer… et si courir à Reno n’était même une barrière d’1,5 m de haut Zébulon Air Race est constituée.
pas si impossible que ça ? fait l’objet d’un briefing sécurité, Nous voilà donc 36e sur 36 à Reno
Mon Extra 300 était vraiment à exaltation du vol à haute vitesse et en Sport Class…
la limite minimale de qualification très bas niveau, et enfin concentra- Lors des premiers vols de fami-
mais toujours pas assez rapide pour tion ultime lors des dépassements liarisation qui précèdent les courses,
être sûr de courir… Que faire ? Un sur le circuit. Mais ma parti- je me fais doubler par un RV-4 Nitro
coup de fil de mon père apporta la cipation aux courses de (Matt) et un Lancair 360 (Tommy)
solution au problème : “L’armée de septembre est mise sur le circuit… Le lundi matin, nous
l’Air cède ses “Epsilon”, vends ton en attente : il n’y mettons à exécution un plan d’ur-
Extra, on part chercher des TB 30 !” a en effet que gence : retirer la prise d’air latérale
L’aventure “Epsilon” fut loin 36 places gauche, masquer tous les Karman,
d’être simple, mais après de mul- e t [raccord entre l’aile et le fuselage,
tiples péripéties, le TB 30 SN 130 ma NDLR], retirer le filtre à air et aug-
fut immatriculé aux États-Unis. menter les tours moteurs. Nous en
Enfin une machine rapide ! vitesse profitons aussi pour passer un coup
Ébloui par les performances théo- de cire sur la peinture militaire – je
de l’“Epsilon” – 15 nœuds rique me suis dubitatif des effets que cela peut
[28 km/h] plus rapide que plac e 41 e avoir sur une peinture mate, mais en
l’Extra –, j’ai contacté sur la liste des passant la main, on sent la différence.
Bob Mills, le président postulants. Je Le vol de qualification est stra-
de la Sport Class ne peux compter tégique, car il définit l’ordre de pas-
pour m’assurer de que sur des désis- sage en course, et surtout l’ordre de
l’éligibilité de tements pour remon- départ pour la finale du dimanche
la machine : ter à la 36e place… je si on termine toutes les courses de
pas de pro- croise les doigts. qualification. Afin d’avoir le temps
blèmes, il Je passe l’été avec mes de modifier l’“Epsilon”, j’ai demandé
c on na î t amis à peaufiner la machine, à ne participer à la course de quali-
bien le traquer le poids superflu et fication que le lundi après-midi – ce
TB 30, les traînées, et expérimenter… n’est pas idéal car il fait plus chaud et
ayant déjà uti- Peut-être faudra-t-il trouver un plus notre moteur n’a pas de turbo… Mon
lisé ceux de la force gros moteur pour 2019… Pour cette collègue et plus proche compétiteur
aérienne portugaise année c’est un peu court au point de Tommy se qualifie le matin à 220 mph
comme “Pace Plane” (avion vue délais. Le seul gros changement [354 km/h] avec son Lancair 360. Je
de sécurité) lors d’une course au possible : une nouvelle hélice tripale commence à douter car il a été plus
RD
EA
NG

Portugal : me voilà invité à la Pilot en carbone de Whirlwind Propellers. rapide que moi à tous les entraîne-
LA
ER

Racing School (école de pilotage de Elle permet de gagner un peu de ments : serai-je assez rapide pour
IVI
OL

course) de 2018. poids, de réduire les vibrations et est passer le minimum de 200 mph ?
Une seule règle éprouvée jusqu’à 800 ch – on a de quoi La chance me sourit : les départs
La Pilot Racing School, autour des
pylônes : on
voir venir ! d’avions de lutte anti-incendie inter-
rompent mon vol de qualification et
passage obligé tourne toujours
Le coup de fil mon effort est reporté à mardi matin
à gauche et on
La Pilot Racing School, qui a – dans un air plus frais donc ! Nous
lieu en juin, est le passage obliga-
double par la tant attendu découvrons le lendemain matin que
droite.
toire pour pouvoir courir à Reno : Enfin un appel de Reno arrive la nos modifications payent : après un
on y apprend la course ou, comme dernière semaine d’août : “Olivier, tour de circuit, je lance le chrono,
le dit Bob, le “vol en formation John a cassé son avion, peux-tu être à les deux tours suivants sont enre-
non-coopératif” ! Pour pouvoir y Reno dans deux semaines ?” Je veux gistrés officiellement et j’établis un
prendre part, il faut un avion adé- que je serai là ! Aucune hésitation, respectable 222,9 mph [358 km/h]
quat, 500 heures de vol minimum je fonce. Il nous faut juste trouver de moyenne. Cela me place 33e sur
sur le carnet de vol dont 50 sur la un hôtel et une équipe en moins 36 devant Tommy et Matt ! Cet ordre
machine et une solide expérience du de deux semaines… Et de nouveau restera le même toute la semaine lors
vol en patrouille. Là, c’est la douche des courses de qualification, sauf le
froide : même si je suis au niveau du (1) L’altitude-densité correspond à samedi : ayant “coupé” un pylône je
point de vue pilotage, je découvre à l’altitude-pression corrigée de l’effet me retrouve dernier du fait des péna-
quel point la compétition est forte… de la température. Avec l’altitude lités. Mais sur le circuit, l’“Epsilon”
Mon “Epsilon” qui dépose l’Extra et mais aussi avec l’augmentation de la a trouvé son élément : chaque course
température, la densité de l’air diminue.
les RV sur la côte Est (en basse alti- La portance est moindre et la puissance commence par un décollage indivi-
tude) peine à suivre mes collègues de délivrée par le moteur également… duel serré à neuf, huit concurrents
44
OLIVIER LANGEARD
Le stand
et l’avion de sécurité. Dès le pre- tout le monde en place derrière le Zébulon Air F-1 “Rocket Evolution” piloté par
mier virage une fois le train rentré, Peavine (la montagne qui domine la Race. Ayça, Kevin Elderidge, réputé pilote de
on travaille tous à se positionner en vallée où se trouve l’aérodrome de la compagne “Nemesis” NXT) nous demande
échelon à droite derrière ce dernier. Reno-Stead au sud). d’Olivier, de tous nous aligner de front. C’est
Contrairement à une patrouille bichonne certainement la partie la plus dif-
standard, on n’attend personne. Si “Gentlemen, la course la verrière ; ficile du vol : nous accélérons tous
vous êtes quatrième et que le troi- ses compères à près de 160-170 nœuds [296-
sième a du mal à se mettre en place,
est à vous !” soignent 315 km/h], en volant côte à côte à
on le double et lui laisse un trou N ous contournons donc le la superbe une envergure d’aile de distance et
dans la patrouille pour qu’il rat- Peavine et, lors du dernier virage, hélice tripale en regardant à gauche à 90° de la
trape plus tard. Cela permet d’avoir l’avion de sécurité (pour nous un Whirlwind. trajectoire. Et c’est à ce moment-là V

L’aventure Big Frog


L’équipe française Big Frog (grosse grenouille) engagea
aux courses de Reno 2011 un “Nemesis” NXT (avion
spécialement conçu pour les courses de Reno et produit
à seulement 10 exemplaires – photo ci-contre) à moteur
diesel SMA SR305-230 spécialement préparé pour la
course, avec une puissance portée à près de 350 ch.
Après avoir terminé à la seconde place des courses de
qualification, il remporta la Silver Race (course Argent) de
la catégorie Sport Class, ce qui le qualifia pour la Gold Race
(course Or, la grande finale). Hélas, l’équipe française dut
déclarer forfait à la dernière minute. Cette année-là, les
courses de Reno furent endeuillées à la suite de l’accident
du P-51 ultra-modifié Galloping Ghost (Olivier Langeard
en fut témoin). L’aventure de Reno s’arrêta là pour le Big
Frog. Quelques mois plus tard, l’avion fut endommagé
lors d’un atterrissage d’urgence en Californie le 24 janvier
2012, alors que son pilote tentait de battre le record de la
traversée des États-Unis.

BIG FROG

45
UN FRANÇAIS ENGAGÉ À RENO

VIA OLIVIER LANGEARD


Olivier
que résonne dans la radio la phrase Langeard sont très éclairés, ce qui facilite la théorique. D’autres concurrents
magique “ Gentlemen, you have a et son visée de la trajectoire. Dès le premier préfèrent tourner “carré” pour
race !” (Gentlemen, la course est à “Zébulon” 130 virage les écarts se créent, les avions diminuer la distance parcourue ;
vous) : Gazzzzzzzzz ! se frottent au les plus à la corde font la différence… je pense que l’“Epsilon” n’appré-
Plein pot, 2 750 tr/min en des- Lancair 360 Mais pour doubler, il faut passer par cieraient pas du fait de sa masse.
cente, l’avion accélère rapidement à (jaune) Yellow l’extérieur, donc avoir 5 à 10 mph [8 à
220 nœuds [407 km/h] ; on continue Fever de 16 km/h] de marge… pas évident… Une chance
de voler sur sa propre trajectoire, Tommy Ishii, À la fin du premier tour, nous pre-
mais quand les écarts de vitesse et au RV 8 nons le plus petit circuit Medallion
et un privilège
le permettent, on se resserre vers Triple 8 de aussi utilisé par les T-6. Lors d’une des courtes lignes
la gauche pour se préparer au pre- Neil Wischer, Ce circuit me permet de prendre droites du côté nord du circuit, je
mier virage. C’est là que l’“Epsilon” (masqué) les virages à 3 g. Au bout d’une trouve enfi n le temps de réaliser
brille : bien que manquant de turbo autour des semaine, on goutte pleinement le la chance et le privilège d’être là.
ou de nitro, sa masse et sa finesse per- pylônes du vol à 50 pieds [15 m] et 185 nœuds Toute ma vie aéronautique m’y a
mettent une accélération suffisante circuit de Reno. [342 km/h] indiqués… addictif ! Je préparé : que ce soit les cours de
pour rester au contact des premiers. travaille encore mes trajectoires voltige sur Cap 10B à Normandie
L’entrée sur le circuit et le premier mais privilégie des courbes souples Caen Voltige, élément essentiel
tour se font sur le grand parcours même si elles donnent un parcours pour sauver l’avion lorsque l’on
des Unlimited. Certains pylônes un peu plus large que le circuit passe dans une turbulence de sil-
46
Enfi n, la règle cardinale est de plaisir… Je réalise mon deuxième
ne jamais tourner à droite, cela pa- meilleur temps sur le circuit. Et sur-
raît évident, mais même si on voit tout quelle aventure : quatre courses
que l’on va couper un pylône, il ne à Reno alors que mi-août je n’étais
faut pas élargir la trajectoire brus- même pas sûr d’être retenu !
quement car un avion est peut-être
en train de vous doubler sur votre 11 heures de vol…
droite. À Reno, la règle d’or est :
“On tourne toujours à gauche”.
le temps de cogiter !
U ne fois la ligne d’arrivée L e lundi matin, je suis re-
franchie, on remonte à 7 500 pieds parti vers la côte Est : étapes à
[2 285 m] dans le cool down (circuit Wendover dans l’Utah, Sidney
de relaxation…). On stabilise alors dans le Nebraska, Knoxville puis
les paramètres moteurs et on se Pella dans l’Iowa, Peoria dans l’Illi-
prépare à l’atterrissage en prenant nois où je passe la nuit, puis New
les espacements adéquats. Une Philadelphia dans l’Ohio, et enfi n
fois posé, on attend le compétiteur Wilmington. De nouveau 11 heures
le plus proche pour rentrer deux à de vol dans les grandioses paysages
deux – le spectacle continue : il faut américains… mais 11 heures de vol
faire plaisir aux spectateurs. Il y a sereines qui m’ont laissé le temps de
un briefi ng avant chaque vol… et cogiter… Pour 2019, il me faut un
un débriefing lors duquel on attend plus gros moteur !
impatiemment les résultats officiels. En résumé, en 2018 j’ai traversé
Très vite on se rend compte que les États-Unis quatre fois entre la côte
la compétition majeure est de voler Est et la côte Ouest, en “Epsilon”, plus
contre soi-même : comment amélio- les courses de Reno, et je me suis aussi
rer chaque résultat, comment amé- rendu à EAA AirVenture à Oshkosh
liorer ses trajectoires. dans le Wisconsin : la fiabilité de cet
La chance a continué de me sou- avion est remarquable, merci Daher/
rire, bien que mon positionnement Socata, merci aux ingénieurs qui ont
dans le groupe ait été stable, la mé- conçu cet avion… Et maintenant si
canique rentre en ligne de compte ; on essayait un moteur… un peu plus
quand on pousse les avions, ils cassent puissant… Why not ?
souvent… la fiabilité de l’“Epsilon” A vril 2019 : le gros moteur
s’est révélée irréprochable. est lancé ! Le bloc d’origine a été
démonté et envoyé en atelier aux
En finale bons soins du spécialiste Ly-Con.
Objectif : augmentation de la cy-
le dimanche lindrée à 580 cu/in [9,5 l] (au lieu
En 2018, les courses de la Sport de 540 cu/in) et des pistons à haute
Class ont été le théâtre de quatre compression en espérant gagner
“Mayday” (situation de détresse), 50 ch. Toutefois rien n’est simple :
une collision aviaire, une hélice Lycoming est en rupture de stock
perdue et deux cylindres cassés. de nouveaux cylindres ! Les re-
Un des avions les plus rapides – le cevrons-nous à temps avant les
SX-300 d’Elliott Seguin – a aban- courses ? Suspense ! Q
donné le vendredi. Me voilà 32e et
invité à courir le dimanche pour la Merci à nos sponsors pour 2019 :
finale – génial et inespéré ! Je pars Dassault Aircraft Services, Daher
32e et finis sans surprise 32e, du pur et Clay Lacy Aviation.
lage, ou les vols en patrouille jadis
sur “Chipmunk” avec Charbo, Sourire
Marchi et Ponpon du temps des rayonnant…
Faucheurs de Margueritte et du le rêve est
devenu réalité.
ChipMeet à Lons-le-Saulnier, et
Avec un avion
surtout ma famille qui m’a soutenu
français qui
dans toutes ces aventures et qui
plus est !
est là aujourd’hui encore dans les
stands pour préparer l’avion.
Il faut garder sa concentration
jusqu’au dernier tour, toujours vi-
sualiser deux pylônes à l’avance, et
ne pas monter, ni dans les virages
ni en dernière ligne droite au pas-
sage du drapeau à damiers. Trop de
compétiteurs se sont fait disquali-
fier en montant au-delà de la limite
des 250 pieds [76 m] avant la ligne
d’arrivée…
VIA OLIVIER LANGEARD

47
REPORTAGE

XAVIER MÉAL
Sommet de boucle au-dessus
de la superbe campagne
bourguignonne…

TB 30 “Epsilon”
Voltige en patrouille
sur la Bourgogne
Vous rêvez de voler avec le Breitling Jet Team, mais votre
budget est serré ? Alors optez pour le vol acrobatique en
formation serrée sur “Epsilon” avec les pilotes des fameux L39.
Par Xavier Méal

49
APACHE AVIATION/BASTIEN OTELLI
Apache

P
our qui a déjà pénétré en nement à la prévention et à la gestion Aviation l’apprentissage du vol en formation,
voiture dans des bases aé- des positions inusuelles. L’UPRT est Training & et bien sûr la voltige en patrouille
riennes actives, le senti- un segment aujourd’hui obligatoire Services met serrée. C’est à ce dernier exercice
ment est étrange… à Dijon- de la formation de tout pilote de ligne. actuellement que nous avons été conviés.
Longvic, il n’y a plus de Pour répondre à ce nouveau marché, en œuvre Autour du tableau de briefi ng,
barrière au poste de garde. Alors on Apache Aviation a acquis six TB 30 cinq TB 30. on retrouve les pilotes instructeurs
passe sans s’arrêter pour échanger sa “Epsilon” des surplus de l’armée de Un sixième est d’Apache Aviation, membres de la
carte d’identité contre un sacro-saint l’Air. À ce jour, cinq ont déjà été re- en cours de Breitling Jet Team : Charbo, Douky,
badge… Seuls quelques panneaux mis au standard et “civilisés” quelque mise à niveau. Ponpon, Georgio, Paco, Gaston,
laissent entrevoir que l’endroit est peu, sous le régime du certificat de sous la direction du chef, Speedy
devenu civil, car pour le reste, tous navigabilité spécial (CDNS), avec le (aussi connu sous le nom de Jacques
les bâtiments ont gardé leur aspect soutien du constructeur. Un sixième Bothelin), l’homme aux 12 000 heures
de la belle époque de la base aé- “Zébulon” est en chantier et rejoin- de vol et plus de 3 000 présentations
rienne 102 Capitaine Georges dra la flotte sous peu. en spectacle aérien dans 25 pays. Ce
Guynemer, dont l’emploi militaire a Au-delà de l’UPRT, Apache sera un vol qualifié de “à sensation”
pris fin le 30 juin 2016. Les petits Aviation Training & Services pro- Un par la Direction générale de l’Avia-
“Mirage” IIIE
panneaux carrés marqués d’une sil- pose également diverses activités tion civile. Une fois les spécificités du
rappelle aux
houette de L39 “Albatros” jaune sur “à la carte” pour le simple curieux TB 30 présentées, le déroulement du
visiteurs que
fond bleu nuit nous amènent jusqu’à ou pour le pilote privé, du vol de vol est décortiqué par le menu, depuis
la BA 102 fut
un grand hangar. Au milieu, devant découverte à celui de prise en main le nid des
le moment où tout le monde quittera
les L39 immaculés de la patrouille du TB 30, en passant par la voltige, Cigognes…
la salle de briefing jusqu’au retour à
Breitling, trône, devant d’accueil-
lantes chaises et tables avec vue sur
piste, un superbe “Mirage” IIIE aux
couleurs des Cigognes et son réacteur
“Atar” 9C, qui rappelle aux visiteurs
que l’endroit fut pendant des décen-
nies le nid de l’Escadron de chasse
1/2. Mais pas le temps de s’attarder,
nous sommes attendus en salle des
opérations pour le briefing.

Découverte, prise
en main, voltige
En 2018, la société Apache
Aviation de Jacques Bothelin, qui
exploite le Breitling Jet Team, a créé
une filiale, Apache Aviation Training
& Services, afin de proposer des
formations Upset Prevention and
Recovery Training (UPRT) – entraî-
XAVIER MÉAL

50
TB 30 “EPSILON”

cette même salle pour le débriefing.


Ensuite direction le vestiaire, pour
enfiler une très seyante combinai-
son noire, puis la salle d’équipement
pour y enfiler un parachute, et tout
le monde aux avions, qui attendent
alignés au millimètre sur le parking,
sous la surveillance des mécaniciens.

L’horizon fait le tour


de la verrière
Harnais 5 points verrouillé, tout
comme la verrière coulissante, siège
réglé en hauteur, palonniers réglés
en longueur, “check” radio, magné-
tos 1 + 2 ; les 300 ch du Lycoming
IO-540 prennent le trot à la première
sollicitation et c’est parti… Roulage
en ordre au milieu des hangarettes,
point fixe devant l’énorme antenne
rotative du radar kaki. L’ambiance
est résolument militaire.
Décollage en formation, montée
et prise de cap vers la zone d’évolu-
tion. À peine le temps d’admirer la
superbe campagne bourguignonne ;
les figurent s’enchaînent déjà : boucle,
lazy 8, tonneau barriqué… en forma-
tion serrée. Mon pilote pour cette
séance, Paco, ancien de l’armée de
l’Air et de la Patrouille de France,
chantonne tranquillement le I will
survive de la coupe du monde 1998
alors que l’horizon fait le tour de
la verrière… Le saumon d’aile du
TB 30 voisin est à moins d’un mètre
du nôtre… puis une accélération ver-
ticale à 4 g plaque pilote et passager
au fond des sièges ; nous sortons de la
boucle et on enchaîne la suivante…
Après une petite dizaine de figures,
la formation rentre vers Longvic non
sans faire quelques minutes de pour-
suite à basse altitude. Le n° 2 colle
au train du leader, Jacques Bothelin
dans le n° 1 – qui fait tout sauf de la
ligne droite – , et le n° 3 colle aux
basques du n° 2, etc.
Retour au parking, les mécani-
ciens assurent l’accueil. Direction
la salle de débriefing puis le bar
de l’escadrille, des étoiles plein les
yeux. On y apprend de la bouche de
Ponpon qu’il a fait une grande par-
tie de sa carrière militaire ici, aux
Cigognes, sur “Mirage” 2000 (dont
il fut un des présentateurs officiels
pour l’armée de l’Air), et que son
père a aussi fait une grande partie
de sa carrière de pilote militaire sur
cette même base… Ou que Gaston
vole aussi sur un vieux Zlin et un Sortie de boucle…
vieux “Bonanza”, que Charbo roule l’accélération verticale
en “quatre pattes” et restaure une engendrée par la ressource
nouvelle fois son Stampe… Un après- ne va pas tarder à coller
midi de pur bonheur. Auquel vous au fond du siège pilote
pouvez désormais vous aussi goûter, et passager…
pour quelques centaines d’euros. Q
XAVIER MÉAL

51
LES 50 ANS DU FANA DE L’AVIATION
Sauvetages
Comment
j’ai ramené
trois “Skyraider”
du Tchad
Dans Le Fana de l’Aviation n° 234 de
mai 1989, Didier Chable, alors président
de l’Association des mécaniciens pilotes
d’aéronefs anciens, raconta comment
il avait ramené, en vol, trois “Skyraider”
du Tchad jusqu’à Melun.
Par Didier Chable

E
n 1986, le pilote du président Après une visite très détaillée
de la République tchadienne Le “Skyraider“ par notre spécialiste “Skyraider”
Hissen Habré nous avisa de n° 125716 à Michel Grodard, mécanicien au
la présence d’AD-4 à N’Dja- N’Djamena Centre d’essais en vol et responsable
mena. Avec les précisions (Tchad) en de notre atelier au sein de l’AMPAA
apportées par des amis de l’armée de janvier 1975. [Association des mécaniciens pilotes
l’Air et de la Coopération, les dé- Il appartient d’aéronefs anciens, NDLR]. Le bilan
alors à
marches auprès des autorités tcha- est plutôt pessimiste. Il faut se rési-
l’escadron
diennes eurent lieu et nous permirent gner à remettre ces avions en état de
1/22 Ain, unité
d’obtenir au printemps 1988 les auto- vol, car ils ne sont pas suffisamment
dissoute à la
risations de nous rendre à N’Djamena fin de cette
démontables pour être transportés
en vue de la cession de ces avions. par camion ou par avion. Cette opé-
V

même année.

ETIENNE RACHOU DIDIER CHABLE

52
Le “Skyraider” F-AZFO
(n° 126935) lors de son escale
à El Golea, en Algérie, après
l’éclatement d’un pneu
au décollage d’In Salah.

53
TROIS “SKYRAIDER” RAMENÉS DU TCHAD

“ Les démarches et
les travaux s’avèrent
très difficiles du fait de
la température (42°) ”
ration ne paraît pas insurmontable,
mais nécessite un lot très important
de pièces détachées, d’outillage, de
documentation et surtout d’heures
de main-d’œuvre, ce qui nous im-
pose un budget très important. Les
capots et portes ont été pillés par les Didier Chable,
Tchadiens pour en faire des casse- mécanicien-
roles, tandis que les instruments de pilote, vérifie
bord et les manches ont été récupé- le “Skyraider”
rés comme souvenirs par les diffé- F-AZFP
rents escadrons de passage – un (n° 126959) à
sympathique mécanicien de Reims Niamey,
apprenant que nous allions remettre au Niger, avant
ces avions en vol, s’empressa de nous son vol.
DIDIER CHABLE
restituer quelques-uns de ces souve-
nirs et nous l’en remercions. Le moteur du deuxième avion apprécier les qualités opération-
(n° 126935) qui n’avait pas été stocké nelles et le dévouement du génie de
Un grand élan rend l’âme au point fixe et la cellule l’Air qui arrache littéralement l’avion
qui avait été quelque peu sabotée de la boue.
de solidarité nous donne beaucoup de fil à I l est à noter qu’un grand
Après les formalités de vente, les retordre – câbles électriques et de nombre de volontaires des diffé-
travaux commencent sur deux des commande coupés, etc. –, et nous rentes unités de l’Armée française
avions avec une équipe de sept méca- décidons de l’abandonner momenta- stationnées à N’Djamena et de la
niciens dans l’espoir de faire voler nément en attendant le changement Coopération participent avec beau-
ces avions à l’été. Les démarches et moteur et une remise en état très coup d’engouement et de motiva-
les travaux s’avèrent très difficiles du complète des circuits. Il faut alors se tion au sauvage de ces avions. C’est
fait de la température (42° à l’ombre) résigner à sortir le troisième avion un grand élan de solidarité qu’il
et des pannes d’électricité et d’eau. du parc à ferraille (n° 126959) qui est convient de souligner de la part de
Les vaccinations et les soins transformé en marécage par les tor- ces bénévoles qui font preuve d’une
nous évitent les graves maladies nades quotidiennes. Nous pouvons grande technicité.
(méningite, fièvre jaune, paludisme) DIDIER CHABLE.

qui sévissent dans le pays (il y a alors D’autres


300 décès par jour à l’hôpital de “Skyraider”
N’Djamena). furent récupérés
au Tchad lors
Quelque temps après, nous avons
d’une opération
la désagréable surprise d’apprendre
ultérieure.
qu’un deuxième acheteur, un
Ici le “Skyraider“
Français (!), avait surenchéri sur nous F-AZKY à son
et tentait de racheter nos avions. arrivée à Melun
Après quelques semaines de en 1989 où il
démarches supplémentaires, l’hon- est toujours
nêteté tchadienne l’emporte et la basé dans le
situation se rétablit mais nous occa- hangar Eiffel
sionne des frais supplémentaires de l’AMPAA,
dont nous nous serions bien passés. (Association
Les travaux reprennent au mois des mécaniciens
d’août (les contraintes profession- pilotes
nelles et le manque de congés nous d’aéronefs
imposent de venir par périodes espa- anciens).
cées de deux mois).
Après de nombreuses semaines
de travail, le moteur du premier
avion (n° 125716) est déstocké et les
points fixes effectués. Les premiers
vols de contrôle sont effectués par
Roland Bousquet qui ne tarit pas
d’éloges sur le bon fonctionnement
et les qualités de cet avion.
54
À Niamey, le
“Skyraider”
F-AZFP en
1988 lors d’un
déroutement
technique.
DIDIER CHABLE

Le troisième avion présente C’est ainsi que début septembre chaines. En effet, il faut compter
quelques troubles de carburation au Roland Bousquet et moi-même quit- deux heures pour effectuer le ravi-
point fixe de déstockage mais nous tons N’Djamena avec les encourage- taillement des deux avions (soit
apparaît apte au vol. C’est votre ser- ments de nombreux spectateurs ve- 3 000 l) avec une pompe Japy.
viteur qui effectue les vols de contrôle. nus assister à notre départ, Aussi, étant déjà en retard, nous
Il ne reste plus qu’à charger les avions concrétisation d’un travail de longue décidons de nous dérouter sur
avec les équipements de survie, l’eau haleine dont l’aboutissement laissait Niamey [au Niger], nous permettant
(20 l par personne), les rations, l’outil- certains sceptiques. ainsi de rentrer rapidement en
lage, les pièces de rechange (dont une France par avion de ligne et re-
roue), de l’huile (200 l par avion), etc., Deux heures prendre chacun nos activités profes- Le “Skyraider”
F-AZFO au
et faire le plein d’essence. Le n° 125716 sionnelles.
est équipé de trois bidons de 600 l soit
pour le ravitaillement… Fin octobre, à Niamey, les répa-
décollage de
N’Djamena
un total de 3 200 l et le n° 126959 d’un Une première escale technique rations et les opérations de remise en
après sa
gros bidon de 1 200 l soit un total de à Zinder [au Niger] nous donne une œuvre de ces deux avions reprennent restauration
2 600 l avec les réservoirs internes. idée du temps à prévoir pour les pro- bon train (les moteurs Wright
V

par l’AMPAA.
DIDIER CHABLE

55
TROIS “SKYRAIDER” RAMENÉS DU TCHAD

3350-26 W nécessitent une opération


de pré-huilage assez fastidieuse
avant la remise en route après un
arrêt prolongé). Les contrôles et
points fixes effectués permettent de
déclarer apte au convoyage le
n° 125716 dont le pilote Louis
Le “Skyraider”
Bouquet assure les vols de contrôle.
n° 126880,
immatriculé
Je prends place F-AZGA, s’écrasa
dans la soute le 16 juin 1992
lors d’une
L’avion n° 126959 présentant opération
toujours des troubles de carburation ultérieure à
nous oblige à l’abandonner sur place Agadès (Niger),
en attente d’un carburateur neuf. tuant ses deux
Nous ne pouvons envisager de tra- occupants :
verser le désert avec le moindre Hervé Gonet
doute sur le bon fonctionnement (à gauche),
d’un avion. le mécanicien,
C’est ainsi que dans le style et Gérard
“Après vous Messieurs les Anglais”, Bellanger
Louis Bouquet prend les com- (dit Bébel),
mandes du n° 125716 et que je prends le pilote.
DIDIER CHABLE.
place dans la soute pour une bonne
partie du convoyage.
Nous avons décidé de passer par
“ Trois camions Le moteur nous donne alors
toute satisfaction, et après vérifica-
l’Algérie malgré les complications tions et vols de contrôle, nous quit-
administratives habituelles et d’évi-
ter ainsi la Mauritanie et le redou-
providentiels nous tons N’Djamena début février 1989
pour un itinéraire sensiblement iden-
table Polisario qui régulièrement se
manifeste à sa façon.
recalent vers tique (sauf le déroutement à Niamey).
C’est Hervé Gonet, le mécanicien,
Pour naviguer, nous utilisons dif-
férentes cartes à vue : cartes aéro- Tamanrasset ” qui prend place dans la soute et qui
peut apprécier la traversée du désert.
nautiques américaines (ONC) ou de La météo est moins favorable du fait
l’IGN (les plus précises) et les cartes du carburateur est effectué. Les car- des brumes de vents de sable. La
routières Michelin (les plus à jour) et burateurs Bendix- Stromberg mauvaise visibilité nous impose par-
nous essayons d’en exploiter les dif- PR58U1 à membranes montés sur fois de descendre à 500 pieds [150 m]
férents renseignements qui risquent ces moteurs supportent difficilement pour ne pas perdre la piste de vue.
de nous être utiles. un mauvais stockage. Impression fantastique du défile-
N ous quittons le Niger par
Agadès (où l’essence 100 LL est à
9 francs le litre) pour atterrir en
Algérie à Tamanrasset puis El Golea Naked Fanny, ancien F-AZFP,
et Oran (l’essence est moitié moins “Skyraider” n° 126959.
chère mais par contre les taxes d’at-
terrissage et de parking sont très éle-
vées du fait du système de gestion
style “Aéroport de Paris” qui a été
mis en place avec les mêmes incon-
vénients). Peu d’Algériens se sou-
viennent du “Skyraider” et pensent
que l’on vient pour la campagne des
criquets (ces grosses sauterelles qui
transforment les lieux cultivés en
désert), confondant notre bidon d’es-
sence supplémentaire avec un réser-
voir d’insecticide. Après des palabres
invraisemblables, nous quittons enfin
Oran. Une dernière escale à Tanger
nous amène à Perpignan fatigués,
crasseux (mélange de latérite et
d’huile) mais soulagés.
Réparation du n° 126935 : un
changement moteur s’impose, ce qui
est fait et l’opération est menée ron-
dement par Philippe Jason. Des
troubles de carburation se mani-
GREG MOREHEAD
festent également et le changement
56
DIDIER CHABLE.
Le “Skyraider”
ment du désert sous nos ailes à C’est ainsi qu’à Assamaka, la piste n° 126880 au Douze minutes après, l’avion quitte
200 nœuds [370 km/h] – quand qui avait été littéralement balayée est décollage de celle-ci par ses propres moyens, ouf !
l’appréhension de la panne ou de retracée par trois camions providen- N’Djamena Les fortes pluies sur l’Afrique du
l’erreur de navigation nous laisse le tiels qui nous permettent de nous pour son Nord nous imposent un déroutement
loisir d’apprécier. recaler vers Tamanrasset. El Goléa dernier vol le par Meknès [au Maroc] et notre re-
étant fermé (le vendredi étant un jour 16 juin 1992. tard nous vaut le déclenchement
Après 22 heures de vol, de repos en Algérie), nous nous dé- Alerfa (sécurité et sauvetage dans le
routons sur In Salah et Ghardaïa où désert obligent). L’étape Tanger-
l’avion arrive en France l’atterrissage s’effectue avec un pneu Perpignan s’effectue au niveau 135
Compte tenu du peu de moyens crevé qui nous immobilise sur la piste. (13 500 pieds) [4 115 m] du fait de la
de radionavigation disponibles, la Hervé n’a pas le temps de se remettre météo et du relief. L’avion y monte
traversée de désert s’effectue dans la de ses émotions ; il se retrouve dès sa d’ailleurs avec une facilité déconcer-
mesure du possible en suivant la route descente de l’avion avec les outils tante. Après 22 heures de vol, l’avion
ou la piste routière quand celle-ci dans les mains et la roue est promp- arrive en France, moteur rodé et
n’est pas effacée par les vents de sable. tement changée sur la piste. avec des consommations tout à fait
satisfaisantes (seulement 7 l d’huile
à l’heure et 400 l d’essence/heure ;
un modèle de sobriété !).
30 ans plus tard… Récupération du n° 126959 :
Deux des trois “Skyraider” ramenés en vol du Tchad existent toujours… après deux changements de carbu-
et volent toujours. rateur, une réparation du démarreur,
Le n° 125716 (Sferma 11), qui se posa à Melun le 9 novembre 1988, ramené en vol des réparations sur le circuit hydrau-
du Tchad par Louis Bouquet et Didier Chable, porte toujours l’immatriculation F-AZFN. lique, le vol de contrôle s’effectue le
Il vole depuis 2013 au sein de la collection France’s Flying Warbirds de Christian Amara, dimanche 19 mars. Tout est OK sauf
aux couleurs d’un “Sky” de l’EC 2/20 Ouarsenis mais avec le code 22-DG qu’il porta une fuite d’huile qui est rapidement
au sein de l’EAA 1/22 Ain au Tchad. colmatée et l’avion est disponible
Le n° 126959 (Sferma 50), arrivé à Melun fin mars 1989 avec l’immatriculation F-AZFP pour le départ le lundi 20 mars. Nous
fut rapidement vendu à l’Américain Don Hannah qui le fit immatriculer N2088V. sommes en retard pour reprendre
En 1995, il fut acquis par le Dr Michael Schloss et Rick Hegenberger, qui le firent notre travail et c’est ainsi que le
ré-immatriculer N959AD et le confièrent à la société Pacific Fighters de John Muszala, convoyage est mené bon train (trois
alors installé à Chino, qui le révisa et lui donna une nouvelle livrée. Depuis, l’avion porte jours pour 21 heures de vol) en pas-
les couleurs d’un A-1E “Skyraider” du 602nd Special Operations Squadron baptisé sant par Agadès, Tamanrasset,
Naked Fanny (Fanny nue), sobriquet donné par les soldats américains à la base où il Ghardaia, Tanger et Perpignan. Les
était alors stationné, Nahkon Phanom, en Thaïlande. Il fut revendu plusieurs fois entre “petits cadeaux” laissés au cours des
2006 et 2013 ; son opérateur actuel est Jim Rohlf, de Bennett dans l’Iowa. précédentes escales facilitent large-
Le n° 126935 (Sferma 56) a en revanche connu un triste sort. Arrivé en France ment les formalités administratives.
le 7 février 1989, piloté depuis le Tchad par Didier Chable avec l’immatriculation Ce fut donc une opération pas-
F-AZFO, il fut rapidement vendu aux États-Unis où il fut immatriculé N2088G. sionnante mais délicate, à ne confier
Il appartint d’abord à Dick Bertea, qui le revendit durant l’été 2000 à Danny Summers. ni à des mécaniciens néophytes, ni à
Malheureusement, l’ancien Sferma 56 s’écrasa dans le mauvais temps le 8 mars 2011, des pilotes ayant suivi la nouvelle
alors qu’il rentrait de Wendover, dans l’Utah, vers Rexburg, dans l’Idaho ; l’avion fut méthode de pilotage (navigation et
détruit, Danny Summers et sa passagère Jody Wyatt ne survécurent pas à l’accident. maniabilité). Quant au “Sky”, c’est un
avion fabuleux qui a confirmé sa répu-
tation de robustesse et de fiabilité. Q
57
ALBUM
Saab 2000
Comment rater
une élection
Le Saab 2000 demeure un bimoteur
particulièrement brillant au seul vu
de ses performances et équipements.
Mais il échoua ; peut-être pas seulement
à cause des circonstances.
Par Jacques Guillem (photos) et Michel Bénichou (texte).

M
es chères sœurs, mes de ô combien moins nombreuses lymphatisme (Le Fana de l’Aviation
chers frères, voyez machines à succès. Car, en vérité n° 588). Voici aujourd’hui son exact
combien les paroles cela doit être dit, ce n’est pas parce symétrique, ce Saab 2000, plus beau,
de notre Seigneur qu’une machine est réussie qu’elle plus fringant, plus rapide, plus mo-
rapportées par Saint réussira. Oyez ci-dessous la parabole derne, abandonné lui aussi avant son
Mathieu “car il y a beaucoup d’ap- du Saab 2000. 65e exemplaire.
pelés, mais peu d’élus” ont souvent Dans notre précédente chro- Sa genèse fut, en 1983, à une
raisonné dans l’industrie aéronau- nique, nous eûmes pour sujet l’ATP époque où le prix du baril de pétrole
tique tant il y eut de prototypes pour qui ne se vendit pas pour cause de semblait voué aux hautes altitudes,
Deutsche BA,
ex-Delta Air de
Friedrichshafen,
en Allemagne,
détenue par
Crossair et
British Airways,
fut la deuxième
compagnie à
commander
le Saab 2000.
Elle en utilisa
cinq qui furent
revendus à
Régional Airlines.
Le D-ADSA est
ici vu à Charles-
de-Gaulle en
mars 1995.

DR/COLL. J. GUILLEM

l’apparition du Saab 340, bi-tur- pensa, fin 1988, en dériver un avion profil de voilure légèrement modi-
bopropulseur de 30 sièges, écono- plus gros destiné à rivaliser avec les fié, la masse totale passant de 13 à
mique, destiné aux lignes courtes. appareils à turboréacteur en offrant 22 t. Mais le principal changement
Ses deux moteurs General Electric l’avantage d’une moindre consom- concernait la motorisation avec, cette
CT7-5A2 de 1 735 ch le propulsaient mation en carburant. Le fuselage fut fois, deux Rolls-Royce AE 2100 (ex-
à 252 nœuds (466 km/h) sur environ allongé de 7,55 m pour embarquer 50 Allison) de 4 152 ch dont c’était la
1 700 km. Ultramoderne, le Saab 340 passagers, et la surface alaire aug- première et fut la seule application
semblait devoir connaître une belle mentée de 41, 5 à 55 m2 avec 3,3 m civile. Ainsi musclé, le Saab 2000
ascension, aussi son constructeur d’envergure supplémentaire et un fit son premier vol le 26 mars 1992,

V
Crossair,
compagnie
de lancement
du Saab 2000,
en acheta 34 sur
les 60 appareils
commercialisés !
Le HB-IYD fait
de la promotion
pour les Jeux
Olympiques
d’hiver à Sion
en 2006, mais
le CIO choisira
Turin… Il est
vu à Genève en
novembre 1998.

DR/COLL. J. GUILLEM

59
SAAB 2000

capable de croiser à 370 nœuds


(685 km/h, Mach 0,63), presque
aussi vite que les avions à réaction
de même gabarit, avec des accéléra-
tions plus puissantes au décollage et
des vitesses de montée presque équi-
valentes, mais avec aussi l’avantage
de consommer moins de kérosène.
L’avion offrait ainsi l’un des meil-
leurs rapports puissance/masse de
l’aviation de transport. Sa vitesse le
fit surnommer “Jetprops”, l’avion à
JEAN-CLAUDE GIRAUD
hélices équivalent à un avion à réac-
tion, et il était, de fait sans concur-
rent. Il présentait particulièrement
bien avec sa planche de bord ultra-
moderne à écrans, le couple moteur-
hélice géré par une seule manette à
travers l’électronique d’un Fadec (1),
le gouvernail et la profondeur à com-
mandes électriques, et un système
d’insonorisation active emprunté
au Saab 340B : 72 microphones cap-
taient le son des moteurs, pour qu’il
soit diffusé par 36 haut-parleurs en
opposition de phase de façon à di-
DR/COLL. J. GUILLEM
minuer l’intensité sonore maximale
dans la cabine jusqu’à 76 dB. À ce
sujet, rappelons ce que nous disait
Dominique Berger, ancien ingénieur
en chef de l’ATR 72 : le système était
très coûteux et son efficacité très re-
lative, les “cobayes” finissant par se
demander s’il fonctionnait vraiment.
D’ailleurs, Saab indiquait qu’en
croisière, le Saab 2000 diffusait à
l’extérieur 79 dB… Quant aux com-
mandes électriques qui renchérirent
le prix de l’avion et retardèrent sa
sortie, elles n’auraient été adoptées
que pour résoudre un problème de
centrage.
CHRISTIAN LAUGIER
Les hélices Dowty à six pales de
3,81 m de diamètre, plus écartées du
fuselage que celles du 340, tournent
à 950 tr/min (1 100 au décollage) ; des
freins au carbone sur les roues per-
mettent de s’arrêter à l’atterrissage
en 1 300 m sans précipiter les passa-
gers contre le dossier d’en face. La
cabine est relativement spacieuse
avec des rangs de trois sièges, les
deux premiers séparés du dernier
par le couloir ; le pas entre les sièges
est large (810 mm), mais, en le rac-
courcissant à 760 mm, il est possible
d’embarquer huit passagers de plus.
À cette époque (1992), avait été
vendue ferme une cinquantaine de
Saab 2000, accompagnée de 140 op-
tions. Selon certaines opinions, l’avion Le G-CDEB, vu en 2017, est l’un
était en avance sur son temps, mais fut des six Saab 2000 loués d’Eastern Airways
mis en ligne trop tard et trop cher. Il utilisés par BA City Flyer (basée à London
coûtait de 13 à 14 millions de dollars
V

City Airport) jusqu’à fin 2018


aux couleurs de British Airways.
(1) Fadec (Full Authority Digital
Engine Control) : calculateurs de
régulation pour une performance
optimale des moteurs.

60
Le SE-LSA de
SAS (Swelink),
qui utilisa sept
Saab 2000, est
vu à Stockholm
Arlanda en 1997.

Le HB-IZK
de Crossair fait
la promotion
de la comédie
musicale The DR/COLL. J. GUILLEM

Phantom of the
Opera à Nice en
mars 1997.

Le HB-IZJ
de Darwin (basée
à Lugano de 2003
à 2017), qui Eastern Airways (anciennement Air Kilroe, basée
exploita dix à Humberside Airport) utilise à ce jour huit
Saab 2000, Saab 2000. Ici le G-CFLU à Orly en 2017.
est vu à Genève
JACQUES RÉGNIER
en août 2013.
FlyBe, anciennement Intra Airways puis Jersey European, a exploité
cinq Saab 2000 de 2014 à 2017. Elle utilise à ce jour 53 Dash 8-400 et 17
ERJ 170/175 ainsi que deux ATR-72. Ici le G-LGNO en juin 2014.

Darwin fut rachetée


par Etihad Airways
à hauteur de
33,33 % et devint
Etihad Regional
le 23 janvier 2014.
Ici le HB-IZP à
Charles-de-Gaulle
en 2014.
DR/COLL. J. GUILLEM
DR/COLL. J. GUILLEM
SAAB 2000

Regional Airlines
(ex-Air Vendée) a
exploité 13 Saab
2000 de juin 1995
à mars 2001.
Le F-GMVG porte
une publicité
Unisys en
novembre 1999
DR/COLL. J. GUILLEM

Le F-GMVE
de Regional fait
la promotion de
l’Alsace à Genève
en avril 1999.
DR/COLL. J. GUILLEM

tandis que les Italiens et les Français 2000 dont les programmes n’étaient
vendaient alors environ 10 millions de pas encore amortis et auxquels on
dollars leur avion de transport régio- commençait à reprocher des coûts Le Saab 2000
nal, conçu pour être léger, rustique d’entretien trop élevés, perdaient les en chiffres
avec une exploitation bon marché. dollars par centaines de millions. Ils
À cette époque, malheureusement, furent abandonnés. En 16 ans, 459 Longueur : 27,28 m
de nouveaux petits turboréacteurs à exemplaires du 340 avaient été mis en Envergure : 24,76 m
double flux faisaient apparaître de service, et, en cinq ans 63 Saab 2000. Hauteur : 7,73 m
petits biréacteurs de la capacité des En 2005, le prix du baril de pétrole Surface alaire : 55,7 m2
Saab 2000 et ATR 42 comme des ayant atteint la centaine de dollars, la Masse à vide équipé : 13,8 t
Le F-GMVD de parangons de modernité, plus silen- brève “jet mania” prit fin, et, sur ce Masse max. au décollage : 22,8 t
Régional opère Croisière maximale : 665 km/h
cieux (pour les passagers, en principe) marché des petits avions de transport,
pour Air France Distance franchissable : 2 870 km
et plus rapides. Les ventes des bi-tur- ce sont les ATR 42 et 72 qui triom-
à Charles-de- Plafond pratique : 9 450 m
bopropulseurs fléchirent. En 1999, phèrent, moins brillants mais plus
Gaulle 2 en
elles s’effondrèrent. Les Saab 340 et économes (un tiers de consommation
V

avril 1997.

DR/COLL. J. GUILLEM

62
DR/COLL. J. GUILLEM

Le EI-CPQ de
Cityjet (Dublin,
Irlande)
ex-F-GTSA de
Regional, chez
qui il reviendra
comme F-GTSL.
Il est ici vu
à Nantes en
novembre 1998.
DR/COLL. J. GUILLEM

En novembre
1999, le F-GMVD
fait de la
publicité
pour Compaq.
DR/COLL. J. GUILLEM

Le EI-CPM aux
couleurs d’Air
France by CityJet
à Charles-de-
Gaulle 2 en
mai 2000.
Il deviendra
F-GNEI chez
Regional.
DR/COLL. J. GUILLEM

Le F-GTSD (ex-D-ADSD) de Regional


porte toujours les couleurs de
Deutsche BA en août 1997.

63
SAAB 2000

Le V7-9508
d’Air Marshall
Islands, vu en
septembre 1995,
livré neuf en
juin 1995, sera
vendu à Regional
en avril 2000
où il deviendra
F-GJIG.

DR/COLL. J. GUILLEM

Le deuxième
Saab 2000
d’AMI V7-9509
devint F-GMVR
chez Regional
de mars 1996 à
septembre 1997.
Il est ici vu à
Marseille en
mai 1996.

DR/COLL. J. GUILLEM

OLT Express
de Brême, en
Allemagne,
exploita cinq
Saab 2000 entre
novembre 2011
et septembre
2013. Le D-AOLC
est vu à Francfort
en janvier 2013.

DR/COLL. J. GUILLEM

Med Airlines basée à Trapani


et Palerme utilisa deux Saab 2000
et un ATR 42 de 1998 à 2000.
Le SE-LSH est vu en janvier 1999.

DR/COLL. J. GUILLEM

64
DR/COLL. J. GUILLEM
Air Jet, basée
en moins en moyenne) et capables gros Q-400, est toujours commercia- à Orly puis peux vous assurer que le Saab 2000
de s’accommoder sans difficultés de lisé depuis 2000 à 585 exemplaires Charles-de- est un excellent avion ; étant opéra-
pistes courtes. L’ATR 72 jouissait jusqu’à présent ; il vole à 665 km/h, Gaulle et enfin teur de ce type, je peux en répondre !
par ailleurs d’une qualité enviable, plus de 100 km/h plus vite que ses Bordeaux, Le seul 50 sièges avec lequel on peut
sa légèreté, grâce à une voilure en prédécesseurs, emporte jusque 86 exploita le comparer est le CRJ [bombardier
plastique renforcé par du carbone, la passagers dans un fuselage plus long d’abord six CRJ-200 biréacteur], plus coûteux à
première du genre. que celui du Saab 2000 et plus large Fokker F27 puis exploiter et à peine plus rapide. Le
Bien sûr le Saab 2000 avait avec quatre sièges de front, et va plus cinq BAe 146 Saab 2000 vole aussi vite qu’un 146
pour beaucoup de fanas un sex-ap- loin ; le 1 250e Dash 8 a été livré en et deux [BAe 146 ou Avro TJ quadriréacteur]
peal autrement plus puissant, aussi juillet dernier. ATR, avec aussi un Saab 2000 : ou un Do 328 “Jet” [biréacteur], est
ces nostalgiques se demandent s’il fuselage à quatre sièges de front pour les F-GTSJ et plus gros et moins bruyant qu’un
n’aurait pas connu une carrière transporter 48 ou 78 passagers, passa F-GOAJ, qui est Embraer ERJ 145. Nous avons ex-
plus enviable en arrivant quelques le cap de 1 500 quelques mois plus ici vu à Orly en ploité des ERJ (135 et 145) pendant
années plus tôt ou plus tard. Cette tard, vendu toujours deux fois moins juillet 2002. deux ans, mais nous en sommes dé-
question a une double réponse : le cher que le Canadien. Il est douteux barrassés au profit de Saab 2000. Les
Bombardier Dash 8 canadien qui que malgré ses performances, le capacités et le niveau de confort de cet
était, à la fin des années 1980, assez Saab 2000 aurait triomphé de cette avion en font une vedette sur le mar-
comparable à l’ATR 42, fut vendu concurrence à cause de son fuselage ché des vols à la demande, comme
en 671 exemplaires jusqu’en 2008 ; étroit. Concluons sur ce témoignage pour les services réguliers.” Q
seule l’ultime version, le bien plus recueilli en anglais sur Internet : “Je (Suite des photos page 66)

Portugalia, à Lisbonne, utilisa


deux Saab 2000 entre février 2004 et
décembre 2006. Le CS-TLN est vu
à Faro en août 2006.

DR/COLL. J. GUILLEM

65
SAAB 2000

Lithuanian
Airlines (basée
à Vilnius) a
exploité sept
Saab 2000 entre
octobre 1998
et sa cessation
d’activité en
janvier 2009. Elle
sera rebaptisée
Fly Lal en
septembre 2005.
Le LY-SBK est
vu à Charles-
de-Gaulle en
juillet 2006

DR/COLL. J. GUILLEM

Polet Flight,
basée à
Cheremetievo
(Moscou) et
Oulianovsk de
1994 à 2014,
a utilisé six
Saab 2000
(ex-Swiss)
à partir de
mai 2006.
Le VP-BPQ est vu
en août 2006.

DR/COLL. J. GUILLEM

Le bureau de
l’Aviation civile
japonais a mis
en service en
décembre 1998
deux Saab 2000
équipés pour
la calibration
des aides à la
radionavigation
en remplacement
de leurs
NAMC YS-11.
Le JA003G est vu
à Tokyo-Haneda.

DR/COLL. J. GUILLEM

Six Saab 2000


AEW ont été
commandés.
Quatre ont
été livrés à la
Pakistan Air
Force dont le
10025 vu ici
à Dubai en
novembre 2011.
Deux autres
sont en cours
de conversion à
Linkoping pour la
Royal Saudi Air
Force.

DR/COLL. J. GUILLEM

66
HISTOIRE
Des Ju 86 bombardent
à haute altitude en 1942
Zigzag
dans le ciel
de l’Angleterre
En septembre 1942, deux bombardiers
allemands provoquèrent le désordre
au-dessus de l’Angleterre en narguant
la chasse britannique. Une brève mais
épique campagne de bombardements
des Ju 86 R.
Par Chris Goss.
Traduit de l’anglais par Alexis Rocher.

E
n 1942, pour punir les 3.Staffel/Aufklärungsgruppe Ober-
Britanniques de leur cam- befehlshaber der Luftwaffe, son pre-
pagne de bombardement mier vol opérationnel se déroula le
sur l’Allemagne qui prenait 26 juillet. Le 7 août, il avait effectué
de l’ampleur, Hitler relança sept vols d’essai ou opérationnels,
le Blitz. L’opération Baedeker – du notamment sur la Russie, après quoi
nom d’un guide touristique – com- il rentra à Oranienburg. Le 18 août, il
mença au mois d’avril. Si elle baissa vola vers l’ouest et arriva à Beauvais
d’intensité fin mai, la Luftwaffe deux jours plus tard.
poursuivit néanmoins les raids. Ce
fut dans ce contexte qu’au printemps Une unité à caractère
les Allemands décidèrent d’enga-
ger les nouveaux
expérimental
Junker 86 R adaptés Le 17 août, une unité
au vol à très haute à caractère expérimental
altitude. Grâce à sa connue sous le nom de
cabine pressurisée, le Höhenkampfkommando
bombardier pouvait der Versuchsstelle für
évoluer à 40 000 pieds Höhenflug puis Höhen-
(12 190 m), bien au- kampfkommando Beau-
dessus du plafond vais fut formée sous le
maximal des chas- commandement du leut-
seurs de la RAF (lire nant Erich Sommer. Elle En médaillon, Horst Götz,
encadré page 71). comprenait deux des l’un des pilotes allemands
Le 17 juin 1942, quatre Ju 86 R. engagés sur l’Angleterre
le flieger hauptin- Le feldwebel Horst sur Ju 86 en septembre 1942.
DR/C . G
OLL ÖTZ
g e n i e u r We r n e r Götz, l’un des pilotes
Altrogge, affecté au centre d’essais de l’unité, avait auparavant ef-
de Rechlin, pilota pour la première fectué des missions au sein du
fois le Ju 86 R à partir d’Oranien- Kampfgruppe 100 dès le début de
burg en Allemagne. Attaché au la guerre. Équipée de Heinkel 111,
V

DR

68
Le Ju 86 en configuration de vol haute altitude,
avec une cabine pressurisée pour l’équipage.
Cette version effectua des missions de
reconnaissance sur l’Angleterre et la Russie
dès 1940, avant d’être engagée dans des
missions de bombardement en 1942.

69
ZIGZAG DANS LE CIEL DE L’ANGLETERRE

“à L’important consistait
voler en zigzag pour
déclencher le plus
d’alarmes possibles ”
VINCEN
T DHORN
E
c’était alors une unité dédiée à l’ex-
périmentation de matériels, notam-
ment des systèmes de navigation. Caractéristiques principales
Cependant, comme le rappelle Götz, du Ju 86 R
piloter le Ju 86 R était une autre af- Longueur : 16 m
faire : “Pour obtenir les meilleures Envergure : 32 m
performances, il était nécessaire de Surface alaire : 97,5 m2
voler à 354 km/h à toutes les alti- Masse à vide : 6 758 kg
tudes. Cependant, à 40 000 pieds, Masse maximale : 11 530 kg
tout ce que nous pouvions obtenir Motorisation : x 2 Junkers “Jumo”
était 120 km/h. Les moteurs nous 207 B-3 de 1 000 ch chacun.
ont posé beaucoup de problèmes, Plafond : 14 500 m
notamment en ce qui concerne la lu-
brification et nous avons souvent dû
revenir sur un seul moteur. Même si qu’avec sa traînée de condensation Sussex, où ils larguèrent leur bombe.
de l’huile spéciale a été utilisée – elle à 38 000 pieds [11 580 m] selon les Six “Spitfire” avaient décollé mais
était chauffée électriquement – il y a estimations. Black Section l’a suivi ne purent parvenir à intercepter
eu plusieurs cas d’échec de lubrifica- les trois quarts du che- le Ju 86 R. La tra-
tion. La vitesse maximale des turbo- min de l’autre côté de jectoire aléatoire
compresseurs était de 24 000 tr/ min. Erich Sommer la Manche en direction parcourue ce jour-
L’injection protoxyde d’azote ne fai- participa à de Dieppe mais n’a pas là semblait inhabi-
sait pas beaucoup de différence et plusieurs pu rattraper l’avion tuelle mais elle fut
n’était généralement pas utilisée.” missions à très ennemi…” facilement expli-
haute altitude Le lendemain, Götz quée par Götz :
La première mission dans le ciel de et Sommer décollèrent “Après le décol-
l’Angleterre. en milieu d’après-midi lage de Beauvais,
sur l’Angleterre pour attaquer Luton. nou s grimpions
Les bombardements à une alti- Ils se dirigèrent d’abord d’e st e n oue st .
tude de 40 000 pieds posaient des vers Middle Wallop Lorsque nous at-
problèmes. Les experts estimaient dans le Hampshire à teignions une alti-
que la précision ne serait pas très 30 000 pieds, puis tour- tude élevée, nous
bonne, mais après quelques essais, les nèrent vers l’est pour tournions vers le
résultats furent jugés suffisamment Hunsdon dans l’Essex, nord en direction
DR/C . C
OLL G HRIS OSS
satisfaisants pour lancer des raids. et enfin vers le sud de l’Angleterre. Le
Ce fut donc le 24 août que se déroula en direction de Shoreham dans le temps de montée était presque exac-
la première mission sur l’Angleterre.
Götz et Sommer décollèrent à 14 h 30 Le moteur diesel
pour attaquer Aldershot. Werner “Jumo” 207
Altrogge et Gerhard Albrecht propulsait le
Ju 86 R. Il était
prirent un peu plus tard la direction
modifié pour
de Southampton. Les archives de la
fonctionner à
RAF confi rment que des bombes
haute altitude,
furent larguées sur Camberley et notamment avec
Southampton, provoquant le décès une injection
de Mabel Winter. 18 “Spitfire” dé- de protoxyde
collèrent mais ne purent intercepter d’azote.
les bombardiers, comme le précisa le
rapport du Squadron 308 :
“B lack Section [sgt Roman
Marecki et sgt Jan Osoba] a décollé
à 15 h 05 pour intercepter le raid en-
nemi… Lorsque près de Portsmouth,
à 20 000 pieds [6 095 m], ils ont vu les
tirs de DCA exploser entre 21 000 et
26 000 pieds. Une traînée de conden-
sation a été vue à 28 000 pieds
[8 535 m] et Black Section a grimpé
à 30 000 pieds [9 145 m], mais l’ap- NASM
pareil non identifié n’a pu être suivi
70
Junkers 86 R-1 de l’Höhenkampfkommando Beauvais basé
à Beauvais-Tillé en août et septembre 1942 et piloté par Horst
Götz et Erich Sommer lors de la mission du 12 août sur Bristol.

tement de 60 minutes. Lorsque nous l’après-midi. L’équipage allemand ne vers Swindon. Deux “Spitfire”
étions sur l’Angleterre, l’important savait pas que cette unique bombe échouèrent à les rattraper. La bombe
consistait à voler en zigzag pour dé- avait provoqué un carnage dans le tomba sur Drove Road à Swindon,
clencher l’alarme dans le plus grand quartier de Broad Weir à Bristol en tuant huit civils. Altrogge partit à
nombre de sites possibles. Comme mettant le feu à plusieurs bus, provo- 13 h 12 en direction de Cambridge.
nous n’avions qu’une seule bombe quant la mort de 45 personnes. Comme d’habitude, plusieurs inter-
de 250 kg, nous ne pouvions rien D ans l’après-midi, Altrogge cepteurs furent lancés, comme le
faire de plus.” s’envola en direction de Cardiff. signala le rapport du Sqn 124 :
Peu après deux “Spitfire” du Sqn 124 “Une section de deux avions fut
Une unique bombe décollèrent pour intercepter le Ju 86 lancée à 13 h 55 pour tenter d’inter-
qui évoluait alors à 41 500 pieds cepter un bandit s’approchant de
tue 45 personnes (12 650 m). Tant bien que mal ils la base à une altitude très élevée.
Deux jours plus tard, la RAF fi nirent par atteindre 40 600 pieds L’avion s’est avéré être un Ju 88 [sic]
tenta d’intercepter une nouvelle at- (12 375 m) à seulement 85 km/h. Ils et, bien que la section soit montée à
taque à haute altitude mais, selon les échouèrent fi nalement à atteindre 37 000 pieds [11 275 m] et à moins de
carnets de bord des deux pilotes alle- l’appareil d’Altrogge, qui largua 4 miles [6,4 km] de l’avion ennemi
mands, le vol suivant ne survint que sa bombe sur le quartier de Roath qui se trouvait 2 000 pieds [610 m]
le 28 août. Götz et Sommer partirent à Cardiff, faisant deux victimes et plus haut, il s’est éloigné avec facilité
de Beauvais à 8 h 40 en direction de plusieurs blessés. en montant encore…”
Bristol, larguèrent leur bombe, puis Le lendemain, Götz et Sommer Le Sqn 609 lança ses “Typhoon”
se posèrent sans encombre dans décollèrent à 8 h 18, se dirigeant de la base de Duxford près de
Cambridge à 13 h 20. Peter Raw
rapporta avoir vu un avion au
nord-ouest de Braintree à 14 h 11 à
Le Ju 86 R, bombardier haute altitude 33 000 pieds (10 060 m), mais ne put
Le Junkers 86 R fut l’ultime version du grand rival du Heinkel 111. Il est dérivé rien faire pour l’intercepter.
du Ju 86 P, spécialement étudié pour mener des missions de reconnaissance à haute Werner Altrogge devait lancer
altitude et qui vola en 1940. Le Ju 86 R disposait de deux moteurs diesel Junkers l’attaque matinale le 30 août, mais
“Jumo” 207 B-3. Ce moteur pouvait maintenir sa puissance développée au niveau l’un de ses moteurs avait une bielle
de la mer à environ 7 900 m d’altitude. Il était équipé de turbocompresseurs bénéficiant cassée et la mission fut annulée. Götz
d’injection de protoxyde d’azote (aussi connu comme le gaz hilarant) pour compenser et Sommer s’envolèrent à 14 h 30 en
la baisse du comburant dans le moteur à haute altitude. Cependant, le système était mal direction de Romford et larguèrent
maîtrisé et requérait une grande précaution d’emploi. Un pilote souhaitant utiliser les leur bombe sur Chelmsford, un peu
bombonnes de protoxyde d’azote devait le faire à une altitude où l’air était déjà raréfié plus au nord ; cependant elle n’ex-
(à partir d’environ 6 000 m d’altitude) et devait réduire les gaz avant de relancer ceux-ci plosa pas. Les “Spitfire” ne réussirent
une fois le dispositif mis en route, sous peine de casser le moteur. pas à s’approcher du Ju 86, qui volait
L’envergure du Ju 86 R atteignait 32 m, contre 20 m pour le Ju 86 classique, à plus de 38 000 pieds (11 580 m).
une importante voilure étant nécessaire pour pratiquer le vol à haute altitude. Werner Altrogge devait conduire
Le Ju 86 R devait voler en théorie hors de portée des chasseurs. Mais cet avantage était une attaque l’après-midi, mais son
contrebalancé par la charge offensive toute symbolique d’une seule bombe SC 250 avion souffrait alors d’une fuite de
de 250 kg qui offrait peu d’efficacité lors des bombardements. Quatre Ju 86 R furent liquide de refroidissement et, un peu
construits, et le bombardier joua un rôle tout à fait mineur dans les opérations. moins d’une heure et demie après son
Alexis Rocher départ, il revint à Beauvais.
Bien qu’il n’y ait que deux avions
en cause, l’incapacité de la RAF à
V

71
ZIGZAG DANS LE CIEL DE L’ANGLETERRE

La silhouette
d’un Ju 86 R
permet de
distinguer ses
grandes ailes,
qui avait été
allongées pour
faciliter le vol à
haute altitude.
DR/COLL. CHRIS GOSS

les intercepter aboutit le 5 sep- altitude, mais qui n’était pas entré trailleuses, ne laissant comme arme-
tembre à la formation du Special en service, il fallut se contenter de ment que les deux canons de 20 mm.
Service Flight (High Altitude) à “Spitfi re” IX modifiés se souvient Les avions étaient également peints
Northolt, commandé par le lieute- l’un des pilotes, Emanuel Galitzine : avec une finition légère spéciale
nant américain Jimmy Nelson. Ses “L ’avion avait été allégé de qui leur donnait une couleur assez
pilotes étaient soumis à un régime presque toutes les manières pos- proche du Cambridge Blue [bleu
alimentaire spécial pour les aider sibles. Une hélice en bois plus légère clair en fait, NDLR].”
à faire face aux difficultés des opé- avait été substituée à l’hélice en métal Le premier “Spitfi re” modifié
rations à haute altitude. Faute du classique ; tout le blindage avait été n’arriva pas avant la fi n de la pre-
“Spitfire” VII adapté au vol à haute retiré, de même que les quatre mi- mière semaine de septembre, mais
Les deux Ju 86 R
menèrent une
dizaine de
missions sur
l’Angleterre,
narguant la
DCA en volant à
haute altitude, là
où les chasseurs
britanniques
se montraient
incapables de les
intercepter.

72
dans l’intervalle, les Ju 86, après Trappe d’accès
une courte pause de quatre jours, à la cabine
revinrent au-dessus de la Grande- pressurisée
Bretagne dans l’après-midi du 4 sep- du Ju 86 R.
tembre. Horst Götz effectua un vol
sinueux au-dessus du Sud-Est du
pays et largua sa seule bombe dans la
mer au large de Ramsgate. Plusieurs
“Spitfire” avaient décollé, toujours
avec la ferme intention de l’inter-
cepter. Le Sqn 124 patrouillait au Il fallait
large d’Orford Ness à 36 000 pieds verrouiller
(10 970 m) et signala avoir vu deux la trappe pour
traînées au-dessus d’eux se diri- assurer
geant vers la base de Manston, la pressurisation
dans le Kent. Apparemment deux de la cabine.
DR/COLL. CHRIS GOSS DR/COLL. CHRIS GOSS
“Spitfire” IX du Sqn 133 réussirent
à s’approcher puisque le pilot officer guée sur Midland Road à Hatfield, rentrer à la base. Deux “Typhoon”
R. N. Beaty déposa une demande tuant quatre civils. Le Ju 86 re- du Sqn 609 pilotés par les pilotes
très optimiste, mais incorrecte, pour tourna à sa base via Colchester et belges “Balbo” Roeland et Jean
un Ju 86 endommagé au large de Clacton. Encore une fois, plusieurs Le Ju 86 R Creteur partirent de Duxford à
Ramsgate. chasseurs tentèrent de l’intercep- passe l’île de 11 h 22. Ils eurent un visuel sur
ter. Le lt Emil Foit et le sgt Karel Wight (flèche Luton à 11 h 50 mais échouèrent à
Le Ju 86 Pernica du Sqn 310 furent envoyés rouge) à se rapprocher du Ju 86. La dernière
de Warmwell et eurent du mal à haute altitude. tentative d’interception fut menée
nargue la chasse atteindre 35 000 pieds (10 670 m) L’avion prenait par le squadron leader Stanislaw
Le lendemain, les Allemands pour trouver ce qu’ils pensaient de l’altitude Lapka et le flying officer Tadeusz
étaient de retour. Götz et Sommer être un Heinkel 177 qui se situait au-dessus de Ciastula du Sqn 302. Ils ne furent
la France puis
avaient décollé dans la matinée en au moins à 2000 pieds au-dessus pas plus chanceux : le bombardier
en passant la
direction de Luton via Portsmouth- d’eux. Ils regardèrent impuissant la allemand leur échappa.
Manche avant
Oxford, Caste Bromwich, Bicester, bombe tomber à “15 miles [24 km] W erner Altrogge attaqua
d’aborder
Halton et Hatfield. La bombe fut lar- au nord de Londres…” avant de Brighton dans l’après-midi. Il fut

V
l’Angleterre.

DR/COLL. CHRIS GOSS

73
ZIGZAG DANS LE CIEL DE L’ANGLETERRE

aperçu survolant Winchelsea et réussi. Il s’est mis presque à la verti-


Hastings sur la côte à 15 h 35, mais cale, a lâché une rafale rapide, puis
il dut retourner à sa base après deux est tombé du ciel…”
heures et demie de vol suite à une Il y eut une pause de trois jours
panne moteur. au cours de laquelle le Special
Service Flight continua à se pré-
Le “Lightning” parer aux opérations. Au cours de
cette période, le Sqn 421 détacha
tente sa chance deux pilotes de chacun de ses deux
Le 6 septembre, les deux at- escadrilles et trois avions sans canon
taques eurent lieu l’après-midi : ni blindage sur la base de Colerne,
Götz se dirigea vers Gloucester et près de Bath, pour intercepter les
Altrogge vers Aldershot. Ce der- incursions à haute altitude dans
nier subit une nouvelle l’Ouest de l’Angleterre.
panne moteur et dut Son premier décollage
retourner à son point sur alerte visa Altrogge L’impact
de départ. Götz, sui- dans l’après-midi du de l’obus
vant la route Portland- 9 septembre. Ce dernier de 20 mm
Br istol- Gloucester- attaquait Chelmsford, qui toucha
Portsmouth, provoqua située beaucoup plus le Ju 86 R.
DR/COLL. CHRIS GOSS
un désordre certain à l’ouest. La mission
dans la défense aé- fut écourtée encore Emanuel tion de Bristol via Portsmouth et
rienne britannique. À sur panne moteur, Galitzine, le seul Stockbridge. Cependant, cette fois,
Warmwell, le plt off. sans que les chasseurs pilote qui réussit l’équipage allemand n’alla pas aussi
J. A. Jackson et le ser- du Sqn 421 puissent à intercepter loin se souvient Sommer :
geant H. C. Henderson intervenir. Altrogge un Ju 86 R le “La première chose que j’ai vue
du Sqn 501 décollèrent, réussit sa mission 12 septembre était une traînée de condensation
suivis un peu plus de contre Bournemouth 1942. venant de derrière nous à envi-
G /C . A
ALITZINE OLL LFRED P
RICE
15 minutes plus tard deux jours plus tard, ron 5 km de là. J’ai dit à Horst :
par deux P-38 “Lightning” du sa bombe explosant entre Poole “Comment se fait-il que l’autre
94th Fighter Squadron de l’USAAF, et Bournemouth en faisant cinq avion vienne déjà derrière ? [Il
dont l’un piloté par le 1st lt Lewis victimes. Pour ne pas changer, les pensait alors au deuxième Ju 86 de
C. Murdock. Ayant perdu son “Spitfire” du Sqn 501 pilotés par les l’unité, NDLR]. Je me suis rendu
numéro 2, Murdock poursuivit la plt off. J. A. Jackson et S. W. Chilton, compte qu’il ne s’agissait pas de
mission seul – c’était la première les sgt E. H. Moore et J. A. Collis, la condensation du Ju 86 mais
mission opérationnelle de l’unité –, tentèrent d’attraper l’agresseur. de celle d’un avion qui avait suivi
comme l’indique son rapport : “(…) notre piste. Il est arrivé sur la droite
“Red 1” a reçu le vecteur 170°, quitté Face à face à une distance de 2 miles et a pris
la côte à l’île de Wight et a orbité au de la hauteur, puis il nous a dépas-
3/4 du chemin vers le continent sur
à 13 000 m sés dans un large virage à environ
la Manche. Le contrôleur a annoncé L e 10 septembre, Emanuel 600 m en grimpant 500 pieds au-
à “Red 1” qu’il y avait un bandit et Galitzine effectua son premier vol à dessus de nous. À ce moment, j’ai
qu’il pouvait faire équipe avec une haute altitude dans le “Spitfire” modi- largué la bombe…”
section de “Spitfi re” se trouvant à fié, atteignant 43 000 pieds (13 105 m).
proximité. L’avion ennemi se diri- Deux jours plus tard, il était prêt. À
geait vers l’Angleterre. “Red 1” a 9 h 27, il décolla pour intercepter un
rejoint les deux “Spitfi re” près de
l’île de Wight et les trois avions
avion détecté à haute altitude à la
hauteur de Rouen. Au même mo- “ Horst nous a fait
ont eu le vecteur 220° et ont repéré
l’avion à une altitude de 41 000-
ment, à Colerne, le Sqn 421 lança un
“Spitfire” alors que le Sqn 501 fit dé-
descendre presque à la
42 0 0 0 pieds [12 495-12 800 m].
“Red 1” a quitté les “Spitfire” et
coller de Warmwell le plt off. J. M. B.
Scott et le flt sgt C. J. Carmody. verticale (…) Nous avons
est monté à 38 000 pieds [11 580 m] Horst Götz et Erich Sommer
sans pouvoir atteindre l’avion en-
nemi qui a continué vers le nord…
avaient quitté Beauvais en direc-
DR/COLL. CHRIS GOSS
coupé les moteurs ”
“Red 1” indique que l’avion ennemi
avait deux moteurs, le nez au niveau
des moteurs, les extrémités des ailes
étaient ovales et blanches. Un seul
plan vertical de dérive avec gou-
verne de direction, et le dessous
peint en rose très clair. Le fuselage
était plus épais que Ju 86P.”
Horst Götz déclara plus tard :
“Presque chaque fois que nous
avons attaqué l’Angleterre, les chas-
seurs ont essayé de nous attraper. Le
Lockheed “Lightning” américain a
failli nous intercepter mais il n’a pas
74
La campagne de
bombardement
des deux Ju 86 R
prit fin après
l’interception
de l’avion
par un “Spitfire”.
Les dégâts furent
mineurs mais
les raids avaient
contraint la
défense aérienne
britannique à
s’adapter à cette
nouvelle menace.
DR/COLL. ALFRED PRICE

L’équipage allemand jugea pru- de descendre au niveau de la mer dit de nouveau un moteur et dut
dent de se faire demi-tour et c’est à au milieu de la Manche…” rentrer plus tôt. Il répéta la mis-
ce moment-là que Galitzine attaqua, De son côté, Galitzine affronta sion le 2 octobre avec des résultats
en provenance du nord-nord-ouest. à haute altitude le gel de son canon inconnus mais, six jours plus tard,
Il ouvrit le feu sur le Ju 86, puis le gauche, de sorte qu’il ne put utiliser il ramena le Ju 86 à Oranienburg.
dépassa avant de revenir à l’assaut. que celui de droite. Horst Götz se di- Le Höhenkampfkommando, qui
Sommer poursuit : “(…) À ce mo- rigea vers Caen pour vérifier s’il avait devait être renommée 14.Staffel/
ment-là, j’ai averti Horst qui a incliné subi des dégâts au combat. Après Kampfgeschwader 6 (14./KG 6)
péniblement l’avion vers la droite. l’atterrissage, il ne trouva qu’un seul en septembre 1942, fut dissous.
Nous étions toujours à 13 000 m et impact dans l’aile gauche. 25 minutes Les Ju 86 R furent alors probable-
nous avons jugé préférable de rester plus tard, il décolla pour Beauvais. ment affectés au 2.Staffel (Fern)/
à haute altitude afin de lui rendre la Aufklärungsgruppe 123 basé à
vie aussi difficile que possible. Nous La fin Kastelli en Crète. Pour la petite
avons attendu qu’il ouvre de nouveau histoire, cette unité fut mise en
le feu et quand j’ai vu la lueur de ses
des opérations place pour mener des opérations à
canons, j’ai averti Horst qui à fait La fin du Höhenkampfkommando haute altitude sur l’Égypte. Elle vit
pivoter l’avion sur la droite…” était proche, comme se souvient le 24 août 1942 l’un de ses Ju 86P
G alitzine attaqua une troi- Götz : “Plusieurs officiers supérieurs revendiqué comme abattu par un
sième fois, contraignant l’équipage ont exprimé des doutes sur le fait “Spitfire” spécialement modifié du
allemand à esquiver les coups. qu’un chasseur ait pu nous attaquer 103 Maintenance Unit d’Aboukir.
Cependant le combat était pratique- à si haute altitude. Je leur ai dit qu’il Horst Götz, Erich Sommer et
ment terminé. Erich Sommer : n’était pas possible que nous ayons Gerhard Albrecht survécurent à la
“J’ai dit à Horst de descendre fait ce trou nous-mêmes. Résultat : le guerre mais Werner Altrogge fut tué
dans une couche de brouillard Höhenkampfkommando a cessé ses dans un accident à Memmingen le
alors que le “Spitfi re” se dirigeait opérations au-dessus de la Grande- 15 avril 1944, alors qu’il testait les
vers l’est en prenant de l’altitude. Bretagne. Il était maintenant clair caractéristiques en roulis du chas-
Horst nous a fait descendre presque que ce n’était qu’une question de seur révolutionnaire Dornier 335.
à la verticale. Je n’ai plus rien vu de temps avant qu’un de nos “comman- En 1975, Horst et Erich se rencon-
notre agresseur. Nos moteurs ont dos solitaires” soit abattu.” trèrent et devinrent bons amis avec
commencé à laisser des traces de I l semblerait que Werner Emanuel Galitzine grâce aux efforts
condensation épouvantables. Nous Altrogge ait tenté le 25 septembre de l’historien de l’aviation Alfred
les avons coupés et n’avons pas redé- une autre mission contre une cible Price. Ils promirent de faire mieux
marré avant d’atteindre 4 000 m et au sud de Londres, mais il per- la prochaine fois au combat ! Q

Un Ju 86 R vu
à Beauvais,
où il était
basé lors des
opérations contre
l’Angleterre.
Il emportait
seulement
une bombe de
250 kg, ce qui
limita la portée
des raids contre
l’Angleterre.

75
CE JOUR-LÀ… 13 mai 1949
Premier vol du “Canberra”
Le “Mosquito”
à réaction
Brillant dès son premier vol,
le successeur du “Mosquito” fut
l’une des plus grandes réussites de
l’industrie aéronautique britannique.
Par Alexis Rocher

T
out a commencé en 1944 William Edward Willoughby Petter
avec le rêve un peu fou travaille de son côté pour Westland
de trouver un successeur sur le projet P1056, qui ne dépasse
au “Mosquito”. La “mer- pas le stade de la planche à dessin
veille en bois” (wooden mais lui permet néanmoins de défri-
wonder) selon les Britanniques ne cher le monde de la propulsion à ré-
cesse pas d’impressionner par ses action. Lorsque cet ingénieur, qui a
capacités. Il va loin, vite, au ras des conçu les “Lysander”, “Whirlwind”
pâquerettes comme à haute alti- et “Welkin”, passe chez English
tude. C’est un des meilleurs bimo- Electric en septembre 1944, il a une
teurs au combat, efficace lors des bonne idée de son futur avion.
raids du Bomber Command sur
l’Allemagne, redoutable chasseur Elégant
de nuit sur l’Europe, véloce dans
les missions de reconnaissance.
biréacteur
Les ingénieurs britanniques sont P etter reprend finalement
néanmoins invités à dessiner son les mêmes principes que pour le
BAE SYSTEMS
remplaçant. Seul impératif : un ou “Mosquito”. Il faut les meilleures
des réacteurs comme propulseur. La performances possibles en élimi- à la disposition de ses ingénieurs plu-
proposition de De Havilland d’ins- nant l’armement défensif, tout en sieurs souffleries qui permettent en
taller deux réacteurs à la place des soignant l’aérodynamique, le tout particulier d’optimiser l’aérodyna-
“Merlin” sur le “Mosquito” est vite avec des moteurs puissants et fiables. mique. Pour la propulsion le choix
abandonnée. Gloster dessine des English Electric nourrit de grandes se porte sur le Rolls-Royce “Avon”,
quadriréacteurs, sans plus de succès. ambitions pour l’après-guerre et met tout nouveau, plus moderne que le
“Nene” qui équipe la plus grande
Roland “Bea” partie des jets britannique de pre-
Beamont mière génération. C’est ainsi qu’ap-
aux commandes paraît un élégant biréacteur avec
du prototype
une voilure à faible allongement
du “Canberra”.
(1). Elle constitue un excellent com-
promis entre vol à haute altitude et
maniabilité.

Succès
immédiat
Dès le premier vol le 13 mai
1949, son pilote est enthousiaste.
Roland “Bea” Beamont est un
as (neuf victoires) avec un carnet
de vol encyclopédique qui com-
prend à peu près tout ce qui a volé

(1) L’allongement est le rapport entre


l’envergure d’une aile et sa surface.
BAE SYSTEMS

76
Le prototype
en Grande-Bretagne depuis 1939. Dès le mois d’août l’avion atteint du “Canberra” les chasseurs contemporains et les
Flegmatique, il écrit dans son car- Mach 0,8 et 42 000 pieds (12 800 m) se montra performances déjà atteintes laissent
net de vol à propos de cette première d’altitude avec une déconcertante performant présager un redoutable avion de
sortie de 30 minutes sans histoire : facilité. Il fait sensation au Salon de dès le début combat. La Royal Air Force tient
“Satisfaisant”. Tout au plus note-t-il Farnborough en septembre 1949. Il de ses premiers son remplaçant du “Mosquito” !
que l’empennage doit être modifié. se montre tout aussi maniable que essais en vol
en mai 1949. Présent sur les cinq
continents
Le “Canberra” entre en service
en 1951. Il s’impose comme le fer
de lance de la RAF jusqu’en 1970,
notamment en étant doté de bombes
nucléaires. La version de bombar-
dement est déclinée pour l’entraîne-
ment et la reconnaissance, domaine
L’équipe dans lequel il excelle. Avec le U-2
d’English américain, c’est l’un des espions oc-
Electric devant cidentaux qui passe le plus souvent
le “Canberra”. le rideau de fer pendant la guerre
En imperméable froide. Il ne quitte les cocardes
Roland Beamont, britanniques qu’en 2006, au grand
pilote, et, dam de ses pilotes. À l’exportation,
à sa droite, la réussite ne tarde pas. L’Australie
W. E. W. Petter, le commande (il porte le nom de la
ingénieur capitale du pays). Les pilotes amé-
en chef. ricains sont très impressionnés lors
V

BAE SYSTEMS

77
“CANBERRA”

de son évaluation et recommandent “Canberra” T.17


son adoption par l’US Air Force. du Squadron 360
Martin le construit sous licence sous de la RAF.
la désignation de B-57 “Canberra”. Il servait à
Sans entrer dans la liste fastidieuse l’entraînement
des nombreux utilisateurs, souli- pour la guerre
gnons que le “Canberra” s’illustre électronique.
sur les cinq continents, depuis
l’Inde jusqu’en Argentine en pas-
sant par l’Afrique du Sud et bien
sûr la France. L’avion est l’une des
plus grandes réussites de l’industrie
aéronautique britannique.
70 ans après le premier vol du
prototype, la Nasa exploite toujours
des “Canberra”, notamment pour ses
capacités à évoluer à haute altitude. Q
DR/COLL JACQUES GUILLEM

Un des trois
“Canberra”
utilisés par
les Allemands
de l’Erpro-
bungsstelle 61,
notamment
comme banc
d’essais à haute
altitude.

DR/COLL JACQUES GUILLEM

La force aérienne
du Venezuela
utilisa des
“Canberra”,
comme ce B(I).8
du Grupo de
Bombardeo 13,
vu en mars 1972.

CHRISTIAN VOLPATI/COLL. JACQUES GUILLEM

“Canberra”
B(I).6 du
Squadron 213 en
septembre 1959
à Blackbushe.

DR/COLL JACQUES GUILLEM

78
MAQUETTES Par Hangar 47

Natifs de 1944, votre signe d’air se transformera en signe de terre, ascendant feu, le 12 septembre 1945.
Un XP-79B “Flying Ram” (bélier volant) qui s’apprête à frapper un grand coup !

XP-79B “Flying Ram” JG 54 en Russie. Les marques d’unité ou individuelles sont très colorées
et l’histoire de chaque machine et de son pilote est documentée.
RS Models, 1/72
Étudié récem-
m Notre appréciation : maquette de très grande qualité et
ment dans décorations colorées, la meilleure combinaison sur le marché.
Le Fana, le
XP-79 est reproduit au
1/72 par la marque SE.5a “Night Fighter”
tchèque RS. La Eduard Profipack, 1/48
maquette est simple
mais moulée avec Nous
finesse et précision. vons
retrouvons
Le poste de pilo- ici le joli
oli
tage et les loge- SE.5, déjà décrit
ments de train sont dans cette ru-
juste cloisonnés, les entrées d’air sont occultées. La verrière moulée brique, complétéé
en deux parties ne sera pas simple à installer. RS propose trois de pièces en
décorations dont deux fictives, un avion tout blanc (Le Fana le voit résine ou métal
jaune, ce que semblent confirmer les photos), un second camouflé photodécoupé
vert et gris intrados jaune et un dernier argent, blanc et rouge… (instruments
de bord et har-
Notre appréciation : bonne base pour un étonnant prototype. nais prépeints),
de masques autocollants et de décalcomanies
é permettant de choisir
entre quatre machines aux marques modifiées pour la chasse de nuit.
Fw 190A-5 “Light Fighter” Rappelons simplement l’entoilage figuré avec soin (lardage légèrement
Eduard Profipack, 1/48 trop marqué pour l’échelle), le moulage impeccablement précis,
les ailes bien conçues pour faciliter le montage en préservant leur
Le très beau finesse, les options nombreuses et, bien entendu, le poste de pilotage
rd,
Fw 190 Eduard, extrêmement détaillé grâce à l’apport des éléments en métal.
dans sa ver- Le moteur et ses échappements sont également fort bien reproduits,
sion A-5, est complété tout comme l’ensemble des détails extérieurs (échappements
pour cette édition de et supports de fusées éclairantes spécifiques par exemple).
métal photodécoupé Les livrées proposées ont toutes pour base le classique vert foncé
prépeint, de masques des surfaces supérieures mais le blanc des marques de nationalité est
autocollants et de remplacé par du vert ou du rouge. De plus l’un des avions est couvert
décalcomanies pour d’un damier noir superposé au vert du camouflage, damier entièrement
cinq livrées originales fourni en décalcomanies.
présentées sur des plans couleurs complets. La gravure est toujours
parfaite, la maquette est entièrement et finement détaillée. Quatre Notre appréciation : maquette d’une très grande qualité,
des cinq avions sont camouflés en gris, le cinquième en vert pour la options de décorations originales
80
sentation de l’entoilage des gouvernes. Avec plus de 30 pièces, incluant
L-29 “Delfin” les instruments imprimés sur film et le harnais, le poste de pilotage
Eduard week-end, 1/48 très complet reste accessible par ses deux petites portes latérales
moulées séparément. Le moteur, son capot, le train et les mitrailleuses
Produit à près de sont également reproduits avec soin. Rappelons que les colles “cyano”
3 700 exemplaires res nécessaires pour fixer la résine sont plus toxiques encore que les colles
et utilisé par dee plastique, et donc qu’un local ventilé est souhaitable.
nombreux pays, le L-29 a Les décalcomanies offrent deux choix : un avion vert uni dessus et
parfois porté d’étranges l’autre camouflé des classiques taches vert et brun rouge sur fond sable.
couleurs comme la robe
de tigre objet de cette Notre appréciation : maquette en résine remarquablement
édition “simplifiée”, détaillée.
c’est-à-dire réduite à
ses pièces plastique. D’origine AMK, la gravure est ici plus marquée
et plus simple que sur les moules Eduard mais elle reste fort convenable. De Havilland “Sea Vixen” Faw.2
Le poste de pilotage est bien détaillé, des décalcomanies figurent Airfix, 1/48
les instruments et harnais. Les logements de train, les entrées d’air et la
tuyère sont correctement reproduits. La verrière en trois éléments peut Sortie il y a
rester ouverte. Côté décorations, les éléments noirs du tigre tchèque plusieurs
sont entièrement fournis en décalcomanies (175 pour les courageux…). années déjà,
L’autre option est slovaque, gris uni. cette belle maquette
Notre appréciation : bonne maquette pour un jet très répandu sur témoin du renouveau
la planète, donc susceptible de recevoir de nombreuses livrées. d’Airfix mérite bien
une présentation, fut-
elle tardive. Découpé
Bf 109G-10 “MTT Regensburg” en 227 pièces, ce
Eduard Profipack, 1/48 gros biréacteur ne
manque pas de détails. Le poste de pilotage et les sièges éjectables
Dédiée aux sont très correctement reproduits. Sans atteindre des sommets
machines japonais ou tchèques, la gravure est assez réaliste. Airfix a bien soigné
produites parr les entrées d’air et les tuyères. Côté logements de train, les détails
l’usine de Regensburg, sont moins poussés ; rien de gênant, les trappes étant rarement toutes
cette boîte associe les ouvertes. La séparation des verrières et de leurs armatures métalliques
grappes plastique déjà facilite la peinture mais pas le collage (colle blanche ou, plus délicat
connues avec toutes mais efficace, peinture acrylique noire sur la surface de contact côté
leurs pièces option- transparent et colle liquide côté armature seulement pour dissoudre
nelles (trois verrières, légèrement le plastique avant mise en contact). Les volets peuvent se
quatre hélices, coller en position atterrissage. Airfix offre également l’option voilure
trois dérives, etc.), repliée avec les pièces nécessaires pour figurer la structure interne
des éléments photodécoupés prépeints, des masques autocollants pour visible dans cette configuration. De même, les aérofreins et la crosse
peindre la verrière et les roues, et des décalcomanies offrant cinq options d’appontage peuvent être sortis. Les charges extérieures fournies
de camouflage. Rappelons l’incroyable finesse de la gravure incluant un incluent des réservoirs largables, des lance-roquettes Matra et
rivetage complet très réaliste et un poste de pilotage parfaitement amé- des missiles “Redtop”. L’énorme feuille de décalcomanies reprend des
nagé, harnais inclus, qui reste accessible sous une verrière limpide mou- centaines de marquages de servitude et les immatriculations portées
lée en deux pièces. Le train, ses logements et les radiateurs bénéficient par quatre machines gris bleu foncé dessus et blanc dessous.
également d’une reproduction fidèle. Les volets et becs de bord d’attaque
sont moulés séparés tout comme l’ensemble des gouvernes. Quatre des Notre appréciation : belle maquette bien détaillée et pleine
livrées proposés associent le camouflage gris et vert de la fin du conflit à d’options de configuration pour une machine aux formes uniques
des bandes de fuselage colorées, la cinquième, bleu gris clair uni, carac- aussi agressives qu’originales.
térisait des avions destinés à la chasse aux “Mosquitto” à haute altitude.

Notre appréciation : sans aucun doute la meilleure maquette


de 109 disponible au 1/48, avec en prime des décorations L’agenda du maquettiste
intéressantes, le tout au service de l’une des versions les plus
performantes du célèbre chasseur. Bravo ! Eyzin-Pinet (38), 1er et 2 juin, 8e Exposition de maquettes organisée par
“Les Fanakits Eyzinois Fighters”, salle Christian Arnaud, le samedi de 10 h 00
Fiat G.50 “Freccia” à 19 h 00, le dimanche de 10 h 00 à 18 h 00. Un concours est organisé.
Rens. : Tél. : 06 45 82 30 05 ou 06 46 44 29 94 ou assofighters@gmail.com
SBS Model, 1/72 Saint-Martin-de-Crau (13), 8 et 9 juin 2019, Salon de la maquette,
du modélisme, des arts créatifs, avec bourse d’échange, salle Mistral,
Grâce à la résine, au ZA du Cabrau, rue des Compagnons, organisé par le Rassemblement
métal photodécoupé du Model Club de la Crau (RMCC). Rens. Tél. : 04 42 05 38 05/
et au métal blanc, 06 18 66 12 56, ou sur le site www.rmcc13.net
SBS nous propose ici un G.50 Mundolsheim (67), 22 et 23 juin 2019, 16e Festival international de modèles
parfaitement et très finement réduits et de figurines, organisé par le Club maquettiste de Strasbourg
détaillé. On remarque d’entrée et environs, gymnase du collège, le samedi de 11 h 00 à 18 h 00, le dimanche
l’extrême finesse de la gravure de 10 h 00 à 17 h 00. Rens. : www.club-maquettiste-strasbourg.fr
des surfaces tout à fait adap-
tée à l’échelle et la belle repré-
81
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