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LA RÉFÉRENCE MONDIALE

EN NEUROSCIENCES
4 e

édition

NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
Mark F. Bear • Barry W. Connors • Michael A. Paradiso

Traduction et adaptation André Nieoullon


4 e

édition

NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau
III

4


édition

NEUROSCIENCES
à la découverte du cerveau

Mark F. Bear, Ph.D.


Picower Professor of Neuroscience
The Picower Institute for Learning and Memory
Department of Brain and Cognitive Sciences
Massachusetts Institute of Technology
Cambridge, Massachusetts, États-Unis

Barry W. Connors, Ph.D.


L. Herbert Ballou University Professor
Professor of Neuroscience and Chair
Department of Neuroscience
Brown University
Providence, Rhode Island, États-Unis

Michael A. Paradiso, Ph.D.


Sidney A. Fox and Dorothea Doctors Fox
Professor of Ophthalmology and Visual Science
Department of Neuroscience
Brown University
Providence, Rhode Island, États-Unis

Traduction et adaptation

André Nieoullon
Professeur de Neurosciences
Université d’Aix-Marseille
Marseille, France
IV 

Dédicace

Anne, David et Daniel


Ashley, Justin et Kendall
Brian et Jeffrey
Wendy, Bear et Boo

L’éditeur décline toute responsabilité, exprimée ou implicite, y compris toute garantie quant à l’exactitude, la compréhen-
sion ou l’actualité du contenu de l’ouvrage.
Ce travail ne peut en aucun cas se substituer à une évaluation clinique par un professionnel de santé de l’état d’un patient,
considérant, entre autres, que l’évaluation de l’état d’un patient et la prescription médicale doit prendre en compte, à titre indi-
viduel, toute une série de paramètres comme l’histoire individuelle du malade, son âge, son poids, son genre, les résultats d’exa-
mens cliniques et paracliniques, y compris les traitements dont il bénéficie au moment de l’examen et du diagnostic. L’éditeur
ne donne ainsi aucune recommandation ou conseil d’ordre médical et cet ouvrage doit être considéré comme un outil de
référence dans un contexte théorique. Seuls les professionnels de santé, et non l’éditeur, sont habilités à utiliser les informations
contenues dans cet ouvrage afin d’éclairer leur appréciation clinique et de les aider au diagnostic et à la prescription médicale.
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© John Libbey Eurotext, Paris, 2016, 4e édition française

Éditions Pradel
John Libbey Eurotext
127, avenue de la République
92120 Montrouge
France
e-mail : contact@jle.com
http://www.jle.com

ISBN 978-2-36110-082-7

Tous droits réservés. Ce livre est protégé par copyright. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou communiquée
sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, y compris la photocopie, le scanning, ou d’autres procédés électro-
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copyright, sauf pour de courtes citations dans le corps d’un article ou d’une revue.

Ce livre est une traduction de la 4e édition de Neuroscience – Exploring the Brain


© 2015 Wolters Kluwer, USA
Publié en accord avec Wolters Kluwer, USA.
V

P R É FAC E À L ’ É D I T I O N F R A N Ç A I S E

Les neurosciences ont acquis une autonomie récente au sein des sciences de
la vie dont elles représentent désormais le plus important domaine de recherche.
Les sciences du cerveau fédèrent des dizaines de disciplines plus ou moins auto-
nomes qui explorent avec des méthodes et des niveaux d’approches qui leur
sont propres la nature du fonctionnement du système nerveux. Boulimiques,
elles absorbent toutes les autres sciences, mathématiques, physique, techniques
de l’information, biologie moléculaire, génomique, etc., jusqu’aux sciences
humaines et sociales. De fait, l’accaparement de toutes les nouvelles technolo-
gies est le moteur d’un développement qui accumule les superlatifs par le nombre
des laboratoires et des chercheurs, des doctorants, des journaux internationaux
(plus de 300). Les publications s’amoncellent d’une manière exponentielle et les
informations accumulées apparaissent à beaucoup d’entre nous sous la forme
d’un mur conceptuellement impénétrable. Cette évolution renforce une tendance
pour chaque chercheur à s’enfermer dans sa propre sous-discipline, elle-même
complexe et en perpétuelle évolution.
À titre d’exemple, il est désormais admis que les connaissances structurales
et fonctionnelles, de plus en plus précises et généralement obtenues à l’aide de
modèles animaux, constituent les bases nécessaires pour appréhender la nature
des dysfonctionnements et maladies psychiatriques. La démarche est conforme
aux principes de la médecine expérimentale depuis Claude Bernard. Dans le sil-
lage de la Decade of the Brain (États-Unis, 1990-2000), des dizaines de milliards
d’euros ont été affectés des deux côtés de l’Atlantique pour découvrir les causes,
les mécanismes physiopathologiques et les traitements de ces maladies, essentiel-
lement à partir d’approches moléculaires et génomiques. « Mieux connaître
pour guérir » est le programme imposé par les agences de financement partout
dans le monde. Cependant, en dépit d’efforts gigantesques, aucune stratégie n’est
présentement disponible pour proposer une conception cohérente des processus
psychopathologiques et corollairement, une neuropharmacologie efficace, restée
en l’état depuis des décennies.
Les neurosciences, globalement, progressent sur les bases du réductionnisme,
le projet mis en œuvre s’exprimant selon deux dogmes. L’un, fondamental,
stipule que tout ce que le cerveau fait (pensées, imaginaire, comportement,
etc.) est explicable à partir de ses composants de base, les neurones ; l’autre, dit
de l’identité, énonce que tout événement mental correspond à un événement
cérébral qui lui est causal, de telle sorte que la connaissance de ce dernier permet
la connaissance du premier. Rien n’arrêtera cette ardente quête pour démon-
ter, pièce par pièce, jusque dans son infime construction, les mécanismes de la
machine cérébrale. Ainsi, de nombreux laboratoires concentrent leurs efforts
pour enfin cartographier les connexions synaptiques d’un seul neurone dans un
cerveau de souris. Au bout de ce gigantesque effort se concrétisera l’espoir de
proposer une « théorie du cerveau » intelligible et à terme, si l’on parvient à
reconstruire un tout à partir des éléments, pourra-t-on résoudre le dilemme con-
naître versus comprendre. Le cerveau humain pourrait alors se comprendre lui-
même. Pour de nombreux chercheurs, cependant, cette quête d’une cohérence
globale, d’une synthèse, est devenue une tâche impossible. Certains parlent d’im-
passe, ou de crise. Ceci n’aurait rien de redoutable : toutes les grandes disci-
plines scientifiques en ont connu avant de renaître sur d’autres bases théoriques,
technologiques et surtout paradigmatiques. Rien de surprenant si l’on considère
que l’on s’adresse à l’ensemble constitué le plus complexe de l’univers, celui qui
permet de connaître tous les mondes possibles. Retenue et modestie sont de mise.
VI Préface à l’édition française

Paradoxalement les neurosciences n’ont jamais été aussi populaires. Elles


envahissent l’univers médiatique. Des découvertes devant expliquer l’humain,
le changer, le guérir de ses maux, sont divulguées de par le monde quotidienne-
ment. Il est vrai que la médiatisation est un appât irrésistible pour certains, aidés
en cela par un journalisme vulgaire. Il est de mode d’ajouter le préfixe « neuro »
à tout substantif afin de créer des dizaines de nouveaux champs d’intérêt, avec
autorité et sans scrupule, du neurodroit à la neuroéconomie, la neurophilosophie
ou la neuroéthique en passant par la neurocuisine.

Depuis la nuit des temps la transmission du savoir relève d’un art réservé
à une catégorie particulière d’individus non seulement qui savent et mais sur-
tout, qui ont un esprit clair. Connaître est commun, vouloir transmettre et savoir
transmettre est plus rare. Ici nous sommes dans un autre monde, celui où se
retrouvent tous ceux que nous appelons les Maîtres. Nos Maîtres, de la petite
école jusqu’aux hauts grades, habitent à jamais nos mémoires et continuent de
faire de nous ce que nous serons toujours : des apprentis. Ils paraissaient tout
savoir, mais ils avaient à nos yeux cet esprit critique peu commun qui les rendait
capables d’extraire avec certitude l’essentiel, de déblayer nos esprits des scories
qui naturellement l’encombrent pour nous offrir les bases sur lesquelles nous
avons pu, avec le temps, à notre tour construire. Et l’on entend encore « … il a
été l’élève de… », manière de dire que la personne a hérité d’une certaine forme
de savoir et de l’art de le transmettre. Il est implicitement entendu que le Maître
restera inégalé, entouré d’une respectueuse affection.
L’enseignement, me semble-t-il, n’est plus une activité aussi honorée qu’elle
le fût. Est-il possible d’imaginer qu’il y a quelques décennies, le professeur
entrait dans l’amphithéâtre précédé et annoncé par un appariteur, les étudiants
se levaient, entendaient « asseyez-vous » et le cours commençait avec craie et
tableau vers lequel les têtes étaient orientées, mues en va-et-vient pour transcrire
notes et schémas, dans le silence ; il en était ainsi dans les facultés de sciences
ou de médecine. L’apprenti-enseignant que j’étais s’entendait dire « une heure
de cours, dix heures de préparations ». Il me vient en mémoire que l’une des
nombreuses réformes subies - et enterrées - par notre enseignement supérieur
stipulait que les plus anciens du corps professoral devaient se produire devant
les étudiants nouveaux venus dans l’université. Sage proposition pour ceux qui
devaient recevoir, mais plus encore, pour ceux qui devaient transmettre.
Quel que soit le symbole, des piliers ou de la pierre angulaire, il faut con­
struire l’édifice à partir de bases. On ne transmet pas des parcelles, mais un tout
ayant une cohérence de la première à la dernière ligne, reposant sur un chemine-
ment historique, à chaque étape les vérités naissant de contradictions. L’esprit
critique surplombe le savoir. Il faut craindre que ne s’engramment dans les
neurones de nos étudiants des enseignements dispensés à partir de champs précis
et limités de recherche, spécialisés, enracinés dans le présent, coupés de la longue
accumulation temporelle des savoirs, nourris de repères bibliographiques ne
dépassant pas 5 ans. Cela forme des esprits rectilignes peu enclins à exhumer des
contradictions, à formuler des hypothèses nouvelles, à détecter les impasses des
modèles existants de pensée et de représentation et globalement peu aptes
à œuvrer pour des changements de paradigme. La fragmentation du savoir
pourrait s’aggraver en raison d’un clicktivisme qui paraît se généraliser, qui
morcelle au détriment du tout.

Ces quelques réflexions, parmi d’autres, naissaient alors que j’avais sous les
yeux, sur le bureau, ce magnifique ouvrage écrit par Mark Bear, Barry Connors
et Michael Paradiso. Il s’agit d’une quatrième édition revue et actualisée ;
la première datait de 1996. Vingt ans pour parfaire, réécrire, compléter. Elle
rassemble les connaissances fondamentales et actuelles de la discipline. Nos
pensées oscillent entre un monde de publications dont on ne voit pas de fin et un
Préface à l’édition française VII

ensemble précis, rectangulaire, épais de 1 000 pages, un coffret d’un bon poids
que l’on nous offre contenant une cohérence dans le savoir, qui se déroule avec
sagesse de la première à la dernière page. Résultat impressionnant devant lequel
on se sent humble. Cohérence du tout, un tout cohérent. L’immense savoir trans-
formé par la volonté de transmettre, un art de la transmission qui nous saisit
d’émerveillement. Il me revient à l’esprit ces manuscrits de nos grands auteurs,
à la Bibliothèque nationale, les mots remplacés, les lignes réécrites et surtout, ce
qui m’a toujours plongé dans la perplexité, ces pages supprimées par des traits
de plume en croix : jetées comme hors sujet, ou inutiles au propos essentiel, ou
comme source de confusion. L’on imagine ici le tri délicat, la réflexion inquiète
pour les choix nécessaires devant le « mur de données », puis l’écriture, puis les
suppressions au nom de ce qui fait l’âme de l’œuvre : cette « cohérence d’un
savoir ».
Parcourant les chapitres, j’ai vite pris la mesure de tout ce que je ne savais pas
ou que j’avais oublié. Parallèlement, on est saisi par l’émerveillement de décou-
vrir et d’apprendre dans un tel contexte : ce qui était compliqué devient clair,
grâce à des mises en pages attractives, des figures et des encadrés qui propo-
sent autant de béquilles pour la mise en mémoire. Les découvertes de récente
actualité s’intègrent naturellement au socle des matières constitutif du domaine.
Les données expérimentales, certaines datant des deux dernières années sont
transformées en schémas ou graphiques simples et directement compréhensi-
bles. Pénétrant dans l’ouvrage, chacun y trouvera son fil rouge. Les structures
élémentaires, des bases moléculaires aux interactions cellulaires sont clairement
exposées, de même que les apports récents de la génomique. J’ai apprécié une
direction que l’on pourrait dénommer « intégrative », faisant une large part à
la physiologie — au sens classique — c’est-à-dire aux grandes fonctions, dont
les capacités neuropsychologiques. Les exposés combinent des approches « top-
down » et « bottom-up ».
À qui s’adresse ce livre qui paraît être plus qu’un manuel sans être un traité ?
Impérativement à tous ceux qui doivent enseigner les neurosciences, quel que
soit le niveau des diplômes, des classes de fin d’études secondaires à l’ensei­
gnement supérieur. Aux étudiants, il apportera un socle de connaissances
fondamentales ayant peu d’équivalents pour les cursus de neurobiologie, de
psychologie scientifique et bien évidemment de neurologie et de psychiatrie.
Tous les membres de ces disciplines commençant par « neuro » auront à cœur
de se procurer l’ouvrage.

Nous devons la traduction de cette dernière édition au Professeur André


Nieoullon. Je le remercie et l’admire : il est à la tâche, pas aisée, depuis la
première édition. Que notre longue amitié ne m’empêche pas de dire que lui seul
était capable de mener à bien ce travail, en raison de son savoir encyclopédique
et, pour revenir au cœur du sujet, parce qu’il est depuis longtemps l’un de nos
grands pédagogues. Il sait, mieux que beaucoup, qu’un grand livre ne fait pas
qu’enseigner : il éduque.

Michel Le Moal
Membre de l’Académie des Sciences
Professeur émérite à l’Université de Bordeaux
Neurocentre Magendie, Inserm U1215, Bordeaux
IX

INTRODUCTION

Les origines de Neurosciences, à la découverte du cerveau


Depuis plus de trente ans nous proposons un cours intitulé «  Neurosciences  1  :
Introduction à l’étude du système nerveux ». Ce cours « Neuro 1 » a rencontré
un succès considérable. À Brown University, où ce cours a débuté, à peu près un
étudiant sur quatre y a assisté ! Pour quelques-uns d’entre eux, c’est le début
d’une carrière dans les neurosciences ; pour les autres, c’est la chance unique
d’avoir une bonne connaissance de base des sciences du cerveau au cours de
leurs études.
Le succès de cette introduction aux neurosciences reflète la fascination et la
curiosité de chacun pour la perception, le mouvement, l’émotion et la pensée.
Mais cet engouement vient aussi de la façon dont l’enseignement est donné.
Pour avoir accès à cet ouvrage, il n’existe ainsi aucun prérequis : seul un niveau
de connaissances élémentaires en biologie, physique et chimie est nécessaire, fai-
sant que, globalement tous les étudiants sont à même de comprendre les fon-
dements des neurosciences. Les données indispensables à l’étude plus poussée
des neurosciences sont présentées au fur et à mesure de la progression du cours.
Ceci permet d’aborder les concepts les plus modernes du domaine en guidant
les étudiants et en s’assurant qu’aucun n’est laissé pour compte. Ensuite, nous
avons voulu faire partager notre goût et notre intérêt pour la science, et mon-
trer qu’elle peut parfois être source d’amusement. Pour cela, nous avons utilisé
des métaphores simples, présenté des exemples concrets, tenté de faire preuve
­d’humour et avons enrichi notre propos de nombreuses anecdotes. Enfin le cours
ne prétend pas couvrir toute la neurobiologie. Il est plutôt consacré au cerveau
des mammifères et, chaque fois que c’est possible, au cerveau humain. En ce
sens, ce cours emprunte beaucoup au programme des étudiants en médecine
de deuxième année des universités américaines, même s’il est moins axé sur la
clinique. De fait, dans de nombreuses facultés et universités, les départements
de psychologie, de biologie et de neurosciences proposent maintenant des cours
semblables.
La première édition de Neurosciences, à la découverte du cerveau a été rédi-
gée avec l’idée de servir simplement de support au cours « Neuro 1 » de notre
université, dans l’esprit d’ouverture à la culture scientifique mais aussi de
la philosophie de l’approche des sciences, qui a fait le succès de cet enseigne-
ment. Comme nous l’avaient demandé nos étudiants et nos collègues d’autres
Universités, dans la deuxième édition de cet ouvrage, nous avons introduit de
nouveaux chapitres dans le domaine des neurosciences comportementales, et
quelques notions supplémentaires d’anatomie, pour aider les étudiants à mieux
comprendre la structure du système nerveux. Dans la troisième édition, nous
avons simplifié quelques chapitres en s’en tenant chaque fois que c’était possible
à des exemples, sans entrer trop dans les détails ; nous avons aussi travaillé sur
l’iconographie, pour rendre l’ouvrage encore plus attractif. Nous pensons que,
de ce point de vue, les objectifs ont été atteints puisque ce livre est véritablement
devenu une référence du domaine, y compris au plan international du fait de sa
traduction. Pour ce qui nous concerne, c’est véritablement une fierté de consta-
ter que notre ouvrage a permis aussi de créer de nouveaux enseignements en
neurosciences.
X Introduction

Ce qui est nouveau dans la quatrième édition


Les progrès de neurosciences depuis la publication de la troisième édition
ne sont rien moins que stupéfiants ! Le séquençage du génome humain, notam-
ment, a contribué à confirmer ce que nous savions déjà, que chaque popula-
tion de neurones diffère des autres au niveau moléculaire, mais il a conduit
en particulier à développer des technologies révolutionnaires, par exemple
pour tracer les connexions neuronales et tenter de préciser leurs fonctions. Ces
mêmes données relatives au séquençage du génome humain nous ont également
révélés les bases génétiques d’un certain nombre de pathologies neurologiques
et psychiatriques. Les méthodes du génie génétique nous ont conduits à déve-
lopper des modèles animaux pour examiner comment les gènes et les circuits
neuronaux qu’ils contribuent à définir sont impliqués dans les diverses fonctions
cérébrales. Il est aussi fascinant d’observer comment des cellules de la peau de
patients ont été transformées en cellules souches, et celles-ci en neurones, révé-
lant par-là comment les fonctions cellulaires peuvent être modifiées, y compris
par les maladies, et comment le cerveau pourrait être réparé. Par ailleurs, de
nouvelles méthodes d’imagerie cérébrale couplées à des approches computation-
nelles particulièrement puissantes ne sont pas loin de nous permettre d’imaginer
que, demain peut-être, nous serons à même de reproduire tout ou partie du fonc-
tionnement cérébral. L’un des objectifs de cette quatrième édition a ainsi été de
mettre au plus vite toutes ces avancées considérables à la portée des étudiants
s’initiant aux neurosciences.
Nous autres, auteurs, sommes tous des neurobiologistes actifs, et nous sou-
haitons que nos lecteurs comprennent la dynamique de la recherche. Ce qui fait
l’une des originalités de cet ouvrage est présenté dans les encarts notés « Les voies
de la découverte », dont nous avons confié la rédaction à des chercheurs renom-
més du domaine pour qu’ils nous racontent comment s’est faite leur découverte.
Ces textes originaux ont plusieurs avantages : la plupart du temps, ils permettent
d’accéder à ce qui a été véritablement le frisson de la découverte ; ils illustrent
parfaitement combien dans ce métier il faut travailler dur et être patient, et aussi
quel est le rôle de l’intuition, et parfois de la chance ; ils révèlent — au-delà — le
côté humain de la science ; et, finalement, ils illustrent le fait que la recherche
peut prendre un tour quelquefois divertissant, voire même amusant. Dans cette
quatrième édition nous avons demandé à 26 de nos estimés collègues de raconter
leur histoire. À cet égard, nous sommes heureux d’avoir pu convaincre quelques-
uns des plus récents lauréats du prix Nobel dans le domaine des neurosciences,
Mario Capecchi, Eric Kandel, Leon Cooper, May-Britt Moser et Edvard Moser.

Vue générale de l’ouvrage


Neurosciences, à la découverte du cerveau est axé sur la description de
l’organisation et des fonctions du système nerveux humain. Les données les
plus actuelles du domaine des neurosciences sont présentées dans cet ouvrage,
mais d’une façon que nous avons voulu accessible, autant aux étudiants en
sciences qu’aux autres. C’est pourquoi son niveau correspond à celui d’un
manuel d’introduction à la biologie générale.
L’ouvrage est divisé en quatre parties : (1) Bases cellulaires, (2) Systèmes sen-
soriel et moteur, (3) Cerveau et comportement et (4) Plasticité cérébrale. La pre-
mière partie constitue une introduction aux données modernes des neuro­sciences,
et retrace leur histoire. Puis la structure et le rôle des neurones sont présentés
de façon plus approfondie à l’échelle cellulaire : la communication chimique
intercellulaire, et comment l’organisation des cellules en réseaux nerveux ou en
ensembles neuronaux constitue le système nerveux. La deuxième partie nous
fait pénétrer au niveau cérébral pour aborder la structure et la fonction des sys-
tèmes qui traitent les sensations et commandent les mouvements volontaires.
La troisième partie est consacrée aux aspects neurobiologiques de certains com-
portements humains, incluant la motivation, le dimorphisme sexuel, l’humeur,
les émotions, le sommeil, le langage et les processus attentionnels. Enfin, dans
Introduction XI

la quatrième partie nous traitons de la neuroplasticité, en montrant comment


l’environnement est susceptible d’influencer le cerveau, tant pendant le dévelop-
pement que chez l’adulte, dans les processus de mémorisation et d’apprentissage.
Le système nerveux humain est examiné à des niveaux différents de l’organi-
sation du vivant (dans une approche quelquefois qualifiée de « multi-échelles »),
depuis celui très élémentaire des molécules, qui déterminent les propriétés des
neurones, jusqu’aux grands systèmes intégrés qui sous-tendent les processus
cognitifs et le comportement. La pathologie cérébrale, tant neurologique que
psychiatrique, est traitée au fur et à mesure de la progression de l’ouvrage, dans
le contexte des fonctions étudiées ; en fait, l’observation des maladies provo-
quées par le dysfonctionnement de ces systèmes donne de nombreuses infor-
mations sur leurs fonctions normales. De plus, le manuel aborde aussi les effets
des drogues et des toxines sur le cerveau, en montrant comment, à partir de ces
effets, différents systèmes neuronaux sont impliqués dans le comportement, mais
aussi comment les agents psychotropes peuvent altérer les fonctions cérébrales.

Organisation de la première partie :


Bases cellulaires (chapitres 1-7)
L’objectif est ici de donner de solides connaissances de base en neurobio-
logie. Il convient de suivre les chapitres dans l’ordre, mais il est éventuellement
possible de ne pas consulter les chapitres 1 et 6, ce qui ne gênera pas la progres-
sion de l’enseignement.
Considéré dans une perspective historique, le chapitre 1 reprend les prin-
cipes de base concernant les fonctions du système nerveux, puis présente les
démarches actuelles de la recherche en neurosciences. Cette démarche amène en
particulier à considérer que la recherche en neurosciences ne peut être exempte
d’une certaine éthique, notamment lorsqu’elle implique l’animal.
Le chapitre 2 porte sur la biologie du neurone, à l’échelle cellulaire. Ce thème
est important pour les étudiants qui n’ont pas de formation en biologie, et cette
révision s’avère très utile pour les autres. Après la description de la cellule et de
ses organites, les caractères structuraux, qui font la spécificité des neurones, sont
présentés, mettant en corrélation structure et fonction. À cette occasion, nous
introduisons également quelques-unes des méthodes du génie génétique que les
chercheurs en neurosciences utilisent maintenant en routine pour aborder la
fonction des gènes ou de certaines populations neuronales.
Les chapitres 3 et 4 sont consacrés à l’abord des mécanismes de l’excitabilité
cellulaire au travers de la physiologie de la membrane neuronale et de ses princi-
pales propriétés physicochimiques et moléculaires, qui permettent aux neurones
de produire et de transmettre les signaux électriques. Ici nous évoquons les nou-
velles méthodes, quelque peu révolutionnaires, d’enregistrement optogénétique.
L’intuition des étudiants et leur bon sens sont sollicités au moyen de métaphores
et de comparaisons avec le réel.
Les chapitres 5 et 6 sont consacrés à la communication interneuronale, par-
ticulièrement la transmission synaptique. Le chapitre 5 présente les principes
généraux de la transmission synaptique ; le chapitre 6 étudie de façon plus
détaillée les neurotransmetteurs et leurs modes d’action. Il aborde aussi plu-
sieurs méthodes récentes utilisées pour étudier les mécanismes de la transmission
synaptique. Les chapitres suivants ne font pas référence à une étude de la trans-
mission synaptique aussi approfondie qu’au chapitre 6, et l’enseignant peut donc
décider de sauter le chapitre s’il le désire. Quant à la psychopharmacologie, elle
est traitée essentiellement dans le chapitre 15, après une présentation de l’orga-
nisation générale du cerveau et des systèmes sensoriel et moteur. Les auteurs ont
en effet constaté que les étudiants veulent en général connaître où et comment
les drogues psychotropes agissent sur le cerveau et le comportement.
Le chapitre 7 présente l’anatomie générale du système nerveux. Il souligne
l’organisation commune du système nerveux chez les mammifères, en retra-
çant notamment le développement embryonnaire du cerveau (les aspects cellu-
laires du développement sont traités dans le chapitre 23). Nous montrons que
XII Introduction

les caractéristiques du cerveau humain ne sont que de simples variations d’une


organisation de base présente chez tous les mammifères. Ici, nous introduisons
le champ nouveau de la « connectomique ».
L’annexe du chapitre 7, constitue un « Guide illustré de l’anatomie du cer-
veau humain », consacré à l’anatomie générale et à la présentation de l’organisa-
tion du système nerveux à partir de coupes du cerveau, de la moelle épinière, du
système nerveux autonome, des nerfs crâniens, et de la circulation cérébrale. Un
questionnaire d’autoévaluation permet aux étudiants d’apprendre la terminolo-
gie. Nous leur recommandons de se familiariser avec l’anatomie avant d’aborder
la deuxième partie. Cette approche de la neuro-anatomie est sélective, visant
principalement à mettre en exergue les structures nerveuses qui sont particuliè-
rement évoquées dans les différents chapitres de l’ouvrage. En fait, nous avons
constaté que les étudiants aiment beaucoup la neuroanatomie.
Organisation de la deuxième partie :
Systèmes sensoriels et moteurs (chapitres 8-14)
Ces chapitres sont consacrés à l’étude des systèmes qui contrôlent la percep-
tion d’une part, et le mouvement volontaire d’autre part. Ces chapitres peuvent
être considérés séparément, à l’exception des chapitres 9 et 10 sur la vision, et 13
et 14 sur le contrôle du mouvement.
Nous avons choisi de débuter cette deuxième partie par la description des
sens chimiques — l’odorat et le goût — dans le chapitre 8. L’organisation de ces
systèmes sensoriels représente des exceptions plutôt que la règle, mais les méca-
nismes de la transduction sensorielle présentent de fortes homologies avec ceux
d’autres systèmes sensoriels.
Les chapitres 9 et 10 portent sur le système visuel, un des sujets essentiels
de ce cours d’introduction aux neurosciences. Ils présentent de façon détaillée
l’organisation du système visuel, illustrant ainsi non seulement le niveau des
connaissances actuelles dans ce domaine, mais aussi des principes qui s’appli­
quent là encore à d’autres systèmes sensoriels.
Le chapitre 11 explore le système auditif et le chapitre 12 introduit le sys-
tème somatosensoriel. Ces sens prennent une telle place dans la vie quotidienne
qu’ils représentent un thème important des neurosciences. Ils sont donc traités
ici comme tels. L’équilibration est par ailleurs traitée comme une partie séparée
du chapitre 11. Cela permet aux enseignants de pouvoir éventuellement passer
sur le système vestibulaire, à leur discrétion.
Les chapitres 13 et 14 sont consacrés aux systèmes moteurs. Étant donné le
rôle-clé du cerveau dans le contrôle du mouvement, cette étude extensive est par-
faitement justifiée. Cependant, la complexité du système moteur peut paraître
redoutable, tant aux étudiants qu’aux enseignants. Les auteurs ont, de ce fait,
tenté de présenter les éléments essentiels, notamment au moyen d’exemples liés
à l’expérience personnelle.
Organisation de la troisième partie :
Cerveau et comportement (chapitres 15-22)
La troisième partie traite des relations entre cerveau et comportement, en
prenant pour exemple les systèmes pour lesquels ces relations sont les plus évi-
dentes. Nous traitons ainsi des systèmes qui contrôlent les fonctions viscérales et
l’homéostasie, les comportements motivés « simples » (comme la faim et la soif),
les comportements sexuels, le contrôle de l’humeur, les émotions, le sommeil, la
conscience, le langage, ou encore les processus attentionnels. Finalement, nous
nous intéressons à la pathologie, lorsque ces systèmes neuronaux sont déficients.
Les chapitres 15 à 19 décrivent un certain nombre de systèmes neuronaux qui
orchestrent des réponses globales de l’organisme. Le chapitre 15 est consacré à
trois systèmes caractérisés par leur influence majeure sur le fonctionnement céré-
bral et leur organisation quelque peu particulière sur le plan de l’action de leur
neurotransmetteur : l’hypothalamus sécrétoire, le système nerveux autonome, et
les systèmes neuronaux modulateurs diffus du cerveau. Dans ce chapitre, nous
montrons aussi comment des manifestations comportementales provoquées par
divers agents psychotropes et certains troubles psychiatriques peuvent être liés à
un dysfonctionnement de ces systèmes.
Introduction XIII

Dans le chapitre 16, nous présentons les principaux facteurs physiologiques


qui motivent un certain nombre de comportements, en prenant pour exemple
les données récentes sur les comportements alimentaires. Ici nous avons décidé
de parler aussi du rôle de la dopamine dans la motivation et dans l’addiction,
et nous avons introduit ce qui apparaît comme un champ nouveau des neuro­
sciences, la « neuroéconomie ». Le chapitre 17, quant à lui, est consacré à
l’approche de l’influence du sexe de l’individu sur le cerveau et, réciproquement,
à l’influence du cerveau sur le comportement sexuel. Le chapitre 18 étudie parti-
culièrement les systèmes neuronaux considérés comme sous-tendant les proces-
sus émotionnels, en particulier les manifestations comportementales de la peur
et de l’anxiété, de la colère et de l’agressivité.
Le chapitre 19 est consacré aux systèmes à l’origine des rythmes du cerveau,
depuis les rythmes électriques rapides mesurés pendant le sommeil et la vigi-
lance, jusqu’aux rythmes circadiens beaucoup plus lents, qui contrôlent certaines
sécrétions hormonales, la température du corps et le métabolisme. Ce qui suit
est plus spécifiquement lié à l’abord de fonctions particulièrement développées
dans le cerveau humain. Le chapitre 20 est consacré aux bases neuronales du
langage, et le chapitre 21 aborde le fonctionnement du cerveau dans des états liés
au repos, aux processus attentionnels et à la conscience. Enfin, cette troisième
partie se termine par l’abord des troubles mentaux au chapitre 22, ce qui nous
donne l’occasion d’évoquer de nouveaux traitements susceptibles d’améliorer
l’état de patients souffrant de troubles psychiatriques graves.
Organisation de la quatrième partie :
Neuroplasticité (chapitres 23-25)
La quatrième partie explore les bases cellulaires et moléculaires du développe-
ment du cerveau d’une part, et de l’apprentissage et de la mémorisation, d’autre
part, ce qui représente deux des facettes les plus actuelles des neurosciences.
Le chapitre 23 est dévolu aux mécanismes agissant au niveau cérébral au
cours du développement, notamment ceux contrôlant avec une extrême préci-
sion la mise en place des connexions entre les neurones. Le développement est
ainsi abordé ici plutôt que dans la première partie, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, parce que parvenus à ce point de l’ouvrage, les étudiants ont en effet
appris que le fonctionnement normal du cerveau dépend d’une organisation ana-
tomique très précise des connexions interneuronales. Le système visuel servant
d’exemple concret, ce chapitre doit être rapproché de celui sur les voies visuelles,
traitées dans la deuxième partie. Ensuite, nous décrivons ici divers aspects de
plasticité dépendant de l’activité nerveuse au cours du développement et régulés
par les systèmes modulateurs diffus du cerveau, qui sont décrits également dans
les chapitres précédents, dans la troisième partie. Enfin, le chapitre 23 aborde le
rôle essentiel de l’environnement sensoriel dans le développement du cerveau.
Les deux chapitres suivants expliquent, de ce point de vue, comment les modifi-
cations de l’activité cérébrale liées à l’expérience sont susceptibles d’être à la base
de l’apprentissage et de la mémorisation. Nous montrons ainsi les similarités
existant entre ces divers mécanismes, illustrant par-là l’unité de la biologie.
Les chapitres 24 et 25 sont consacrés à l’apprentissage et à la mémoire.
L’anatomie de la mémoire est traitée au chapitre 24, notamment en ce qui
concerne les processus de stockage de différents types d’informations mnésiques
impliquant des régions particulières du système nerveux. Au chapitre 25, l’étude
approfondie des mécanismes cellulaires et moléculaires de la mémorisation est
centrée sur les modifications intervenant au niveau synaptique.

Comment aider les étudiants à apprendre ?


L’objectif de cet ouvrage n’est pas de couvrir chaque sujet de façon encyclo-
pédique, mais plutôt de proposer aux étudiants un manuel qui présente les bases
essentielles des neurosciences d’une façon claire et pratique. Pour en faciliter la
compréhension, plusieurs moyens ont été utilisés.
•• Pour chaque chapitre, une présentation, une introduction et une conclusion
permettent d’annoncer le plan du chapitre, d’en délimiter le sujet et de le
situer dans une perspective plus vaste.
XIV Introduction

•• Des textes encadrés rappelant des concepts ou connaissances fondamentales


(Bases théoriques), que le lecteur doit avoir assimilé pour comprendre les
éléments du chapitre.
•• Des textes encadrés présentant des connaissances nouvelles (Focus), qui se
réfèrent à des découvertes récentes, le plus souvent en rapport avec des
méthodes, nécessaires à la compréhension du texte et qui doivent per-
mettre au lecteur d’approfondir ses propres connaissances, si le besoin
s’en fait sentir.
•• Des encadrés rédigés par des chercheurs, qui racontent leur démarche scien-
tifique (Les voies de la découverte). Ces textes contribuent à personnaliser
les découvertes et à montrer que la recherche est une aventure humaine,
faite de beaucoup de travail, souvent de très grandes frustrations, et parfois
d’un peu de chance.
•• Glossaire. Il existe un langage propre aux neurosciences dont il faut
connaître le vocabulaire. Dans tous les chapitres, les mots importants sont
présentés en caractères gras. Ces mots et leur définition sont rassemblés
dans un glossaire extensif, placé à la fin de l’ouvrage.
•• Révisions. À la fin de chaque chapitre, un certain nombre de questions
sont posées («  Questions de révision »). Celles-ci sont destinées à aider
l’étudiant dans sa réflexion et lui permettent de tester son niveau de
connaissance et de compréhension du sujet.
•• Références. Pour tous ceux qui souhaitent approfondir leurs connais-
sances, nous fournissons une liste de publications scientifiques associées à
chaque chapitre (« Pour en savoir plus »). À la fin de l’ouvrage le lecteur
trouvera pour chaque chapitre les références de nombreuses publications
ou des ressources accessibles à partir de sites-web, lui permettant le cas
échéant d’approfondir ses connaissances.
•• Révision de l’anatomie. Au chapitre 7, où est présentée l’anatomie du sys-
tème nerveux, le texte est interrompu régulièrement par un questionnaire
devant permettre d’autoévaluer les termes de cette anatomie. De plus, à la
fin de l’annexe d’anatomie du chapitre, le lecteur a la possibilité de tester
ses connaissances et de reporter directement sur le livre les réponses aux
questions posées, relatives à la description du système nerveux.
•• Illustrations en couleur. Nous croyons dans le pouvoir des illustrations,
non pas celles qui « en disent trop », mais plutôt celles qui visent à éclai-
rer un point précis. La première édition de ce livre, à cet égard, a fourni
une nouvelle façon d’illustrer les neurosciences, qui sert maintenant de
référence. Dans cette quatrième édition, nous avons introduit de nouvelles
illustrations et amélioré plusieurs autres, de façon à accroître l’attractivité
pour le lecteur et faciliter son accès aux connaissances.
XV

Q U E L Q U E S R E C O M M A N DA T I O N S
POUR MIEUX ABORDER CET OUVRAGE…

E
xploitez au mieux ce que vous apporte Neurosciences, à la découverte
du cerveau, pour conforter et approfondir vos connaissances en neuro­
sciences, dans un domaine où les progrès sont rapides. Ce guide d’uti-
lisation est conçu pour vous permette une utilisation optimale de cet ouvrage.

Le sommaire du chapitre
Il s’agit de l’utiliser comme une sorte de « feuille de route », qui vous per-
mettra de suivre l’organisation et la progression des connaissances présentées
sur chaque thématique. C’est aussi un outil particulièrement utile pour réviser
ensuite les connaissances acquises.

Les encadrés « Bases théoriques »


Vous voulez mieux comprendre ? Ces textes sont conçus pour élargir votre
horizon et vous donner l’occasion d’aller plus loin dans la démarche, jusqu’à un
approfondissement de vos connaissances, si vous le souhaitez.

Les encadrés « Focus »


Vous vous demandez comment les concepts des neurosciences ont un sens
dans la vraie vie ? Ces textes complètent les notions introduites dans chaque
chapitre en montrant quelques-unes des applications des concepts. Ces exemples
sont orientés soit vers les pathologies, soit comportent des études de cas, d’effets
de drogues psychotropes, ou encore sont consacrés à la présentation de nouvelles
technologies.

Les encadrés « Les voies de la découverte »


Ces textes vous donnent accès directement à quelques « superstars » du
domaine des neurosciences ! Ils vous diront comment se sont faites leurs décou-
vertes, et vous raconteront comment ils en sont arrivés là.

Les mots-clés : aborder le vocabulaire


des neurosciences au travers d’un glossaire
Les neurosciences utilisent pour partie un langage qui leur est propre. Les
termes sont présentés dans le texte en caractère gras et chacun d’entre eux appa-
raît par ordre alphabétique dans le glossaire situé à la fin de l’ouvrage, dans
lequel ils font l’objet d’une définition. Acquérir ce vocabulaire est une étape
essentielle de l’abord des neurosciences.

Questions de révision
Testez votre compréhension des concepts introduits à chaque chapitre en
répondant à ces questions.
XVI Quelques recommandations pour mieux aborder cet ouvrage…

Pour en savoir plus


Vous souhaitez approfondir vos connaissances ? À la fin de chaque chapitre
sont proposés quelques articles de synthèse afin de vous permettre d’en savoir
plus. Si un point particulier vous intéresse vous pourrez à ce moment vous réfé-
rer à la littérature propre à chaque chapitre comportant des articles originaux,
placée en fin d’ouvrage.

Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain


Cette annexe du chapitre 7 détaille l’organisation du cerveau humain, en
rapport notamment avec l’étude des fonctions cérébrales présentées dans les
différents chapitres de l’ouvrage. Il comprend un questionnaire d’auto-éva­
luation.

Questionnaire d’auto-évaluation
Au chapitre 7, ce type de questionnaire est conçu pour vous permettre de
vous familiariser avec l’anatomie du système nerveux.
XVII

REMERCIEMENTS

E
n 1993, lorsque nous avons sérieusement débuté la rédaction de la pre-
mière édition, nous avons eu la chance de travailler en étroite collabo-
ration avec une équipe remarquable, dévouée et talentueuse — Betsy
Dilernia, Caitlin et Rob Duckwall et Suzanne Meagher —, qui nous a réellement
aidés à produire le livre. Betsy a poursuivi sa collaboration avec nous pour les
trois premières éditions. Notre succès doit beaucoup à ses efforts extraordinaires
pour améliorer la compréhension de notre texte et, plus généralement, la qualité
de cet ouvrage. Le départ à la retraite tout à fait justifié de Betsy nous a tous
beaucoup affectés mais, par chance, nous avons travaillé pour cette quatrième
édition avec Tom Lochhass, qui a été recruté à la place de Betsy. Tom, par ailleurs
un auteur reconnu, partage avec Betsy le souci du détail et nous a quelque peu
bousculés pour que nous ne nous endormions pas sur nos lauriers. Nous sommes
fiers de cette quatrième édition et très reconnaissants à Tom de n’avoir jamais
transigé avec l’excellence associée à cet ouvrage. Nous ne saurions aussi évoquer
sa participation sans le remercier pour son extrême patience lorsque les auteurs,
pris par leurs obligations, ne remettaient pas leurs textes dans les délais impartis.
Il est quelque peu incroyable qu’en dépit du temps considérable qui s’est
écoulé depuis le début de ce travail — 21 années ! — nous soyons toujours la
même équipe : Caitlin, Rob et Suzanne. L’agence Dragonfly Media Group de
Caitlin et Rob a produit les illustrations, en collaboration avec Jennifer Clements,
et le résultat parle de lui-même ! Les artistes se sont littéralement emparés de nos
concepts, parfois quelque peu nébuleux, pour en faire une merveilleuse réalité.
La qualité des illustrations a toujours été une priorité pour les auteurs et nous
sommes très satisfaits que cette équipe ait pu nous conforter dans le sentiment
que nous avons produit l’ouvrage en neurosciences le plus accessible et le plus
richement illustré qui soit. Enfin, nous sommes pour toujours extrêmement
reconnaissants à Suzanne, qui nous a assistés en permanence tout au long de
cette aventure. Sans son incroyable dévouement à ce projet et sa totale fidélité,
le livre n’aurait jamais pu être achevé. Suzanne, tu es la meilleure ! Et ceci reste
vrai depuis 1983 !
Pour cette nouvelle édition, nous avons le plaisir de remercier un nou-
veau membre de l’équipe, Linda Francis. Linda est assistante éditoriale chez
Lippincott Williams & Wilkins. Elle a travaillé constamment avec nous, notam-
ment en nous aidant à respecter les contraintes de l’édition. Son efficacité, sa
flexibilité, et sa bonne humeur furent très appréciées.
Dans l’industrie de l’édition, les éditeurs paraissent changer fréquemment.
Pour ce qui nous concerne, nous tenons à remercier chaleureusement l’un des
éditeurs seniors qui a été toujours l’avocat fidèle de notre projet : Emily Lupash.
Merci à vous, Emily, et à tout votre staff ! Cela a été un réel plaisir de travailler
avec vous.
Nous souhaitons encore remercier les fondateurs du cursus de neurosciences
à l’Université Brown. Nous remercions chaleureusement Mitchell Glickstein,
Ford Ebner, James McIlwain, Leon Cooper, James Anderson, Leslie Smith,
John Donoghue, Bob Patrick et John Stein pour tout ce qu’ils ont fait pour
développer les meilleurs enseignements des neurosciences dans cette Université.
Merci aussi à Sebastian Seung et Monica Linden pour avoir contribué à réno-
ver l’enseignement des neurosciences au Massachusetts Institute of Technology
(MIT) à Boston. Monica, qui est maintenant au département de neurosciences
de Brown University, a fait de nombreuses suggestions pour améliorer encore
cette quatrième édition. Et nous l’en remercions chaleureusement.
XVIII Remerciements

Nous sommes particulièrement reconnaissants aux organismes suivants


pour leur soutien constant de nos projets de recherche : National Institutes of
Health (NIH), Whitehall Foundation, Alfred P. Sloan Foundation, Klingenstein
Foundation, Charles A. Dana Foundation, National Science Foundation (NSF),
Keck Foundation, Human Frontiers Science Program (HFSP), Office of Naval
Research, DARPA, Simons Foundation, JPB Foundation, Picower Institute for
Learning and Memory, Brown Institute for Brain Science, et le Howard Hughes
Medical Institute.
Nous remercions aussi nos collègues du département de neurosciences de
l’Université Brown et du département de neurosciences et de sciences cognitives
du MIT pour leurs encouragements et leurs conseils avisés. Nous remercions tous
les anonymes, collègues d’autres universités ou d’institutions, qui ont apporté
leur commentaire critique et essentiel des premières éditions. Nous remercions
encore les scientifiques qui ont accepté que nous utilisions certaines de leurs
figures illustrant leurs résultats, et en particulier Satrajit Ghosh et John Gabrieli
du MIT pour certaines des images qui illustrent cet ouvrage. Enfin, de nombreux
collègues et étudiants nous ont aidés à améliorer encore cette nouvelle édition,
en nous signalant des avancées nouvelles, des erreurs de la première édition et en
nous suggérant quelques idées pour améliorer l’illustration de certains concepts.
Nous souhaitons mentionner, sans pouvoir citer tout le monde, Peter Kind, de
l’Université d’Edinbourg et Weifeng Xu du MIT.
Ces remerciements ne sauraient enfin être complets sans une dédicace parti-
culière aux nombreux collègues qui ont rédigé pour nous les textes faisant l’objet
des encadrés « Les voies de la découverte ». Ils nous inspirent.
Pour terminer, nous souhaitons associer à cette entreprise nos proches, qui
nous ont soutenus en dépit des innombrables week-ends et soirées passés à pré-
parer cet ouvrage, mais aussi pour leurs encouragements et leurs nombreuses
suggestions pour l’améliorer.
Enfin, et ce n’est pas là le moindre, nous remercions les milliers d’étudiants
à qui nous avons eu le privilège d’enseigner les neurosciences depuis plus de
trente-cinq années.
XIX

IMAGES

Couverture
Image IRM du cerveau humain permettant de révéler la diffusion des molé-
cules d’eau. La diffusion des molécules d’eau dans le cerveau s’effectue de
façon préférentielle en suivant les faisceaux d’axones. Les axones représentent
les connexions « électriques » du système nerveux et conduisent les potentiels
d’action produits par les neurones. Cette image révèle quelques-unes des voies
neuronales par lesquelles s’effectue la communication entre différentes parties
du cerveau. L’image a été obtenue à l’aide d’un algorithme permettant de visua-
liser les faisceaux d’axones à l’aide de pseudo-couleurs. Les couleurs varient en
rapport avec la direction de la diffusion des molécules d’eau dans le cerveau.
(Source : courtoisie de Satrajit Ghosh et John Gabrieli, McGovern Institute for
Brain Research et Department of Brain and Cognitive Sciences, MIT.)

1re partie - Photo d’ouverture des chapitres


Les neurones et leurs neurites. Des coupes sériées de rétine ont été photo-
graphiées au microscope électronique. Puis, grâce à un logiciel particulièrement
sophistiqué impliquant « en ligne » des milliers de personnes connectées à un jeu
nommé « Eye Wire », chaque neurone et l’ensemble de ses connexions synap-
tiques a pu faire l’objet d’une reconstruction. Sur cette image, les neurones sont
identifiables par de fausses couleurs et leurs neurites, axones et dendrites, sont
représentés dans leur intégrité. (Source : courtoisie de Sebastian Seung, Princeton
University, et Kris Krug, Pop Tech.)

2e partie - Photo d’ouverture des chapitres


Cortex cérébral de la souris. Le cortex cérébral s’étend juste en dessous de
l’os du crâne. Il s’agit d’une région qui joue un rôle critique pour la perception
consciente et le contrôle du mouvement volontaire. Les afférences principales
au cortex cérébral proviennent du thalamus, une structure cérébrale située au
centre du cerveau. Les éléments figurés en rouge correspondent aux axones des
neurones thalamiques, qui amènent l’information sensorielle des vibrisses de
la souris vers le cortex cérébral. Ces axones sont organisés en formations assi-
milées à des barils corticaux ou « barrels », en anglais, qui représentent pour
chacun d’entre eux la projection d’un seul des vibrisses. Les neurones corticaux
qui projettent en retour leur axone vers le thalamus, ont été marqués par une
protéine fluorescente verte, par les techniques du génie génétique (à l’aide de la
protéine GFP pour green fluorescent protein). Les éléments identifiés de couleur
bleue figurent les noyaux d’autres cellules marqués par un marqueur de l’ADN.
(Source : courtoisie de Shane Crandall, Saundra Patrick et Barry Connors,
Department of Neuroscience, Brown University.)
XX Images

3e partie - Photo d’ouverture des chapitres


Réduction du volume de la substance grise dans le cortex d’adolescents souf-
frant de schizophrénie. La schizophrénie est une maladie mentale grave, carac-
térisée par une perte de contact avec la réalité et une distorsion de la pensée, de
la perception, de l’humeur et des troubles des mouvements. La maladie se déve-
loppe typiquement pendant l’adolescence ou au début de l’âge adulte, et persiste
pendant toute la vie de l’individu. Les symptômes sont considérés comme pou-
vant trouver une origine dans l’atrophie de certaines régions cérébrales incluant
le cortex. L’examen du cerveau de ces malades utilise une IRM puissante pour
suivre au fil des années l’évolution du développement du cortex cérébral. Sur
cette image, les régions correspondant à une réduction de la substance grise sont
présentées en couleur. Cette méthode a permis de quantifier à près de 5 % par
an la perte cérébrale dans certaines régions colorées ici en rouge et rose. Les
régions colorées en bleu ne présentent en revanche pas d’évolutions sensibles au
fil des ans. (Source : courtoisie de Arthur Toga et Paul Thompson, Keck School
of Medicine, University of Southern California.)

4e partie - Photo d’ouverture des chapitres


Neurones de l’hippocampe. L’hippocampe représente une structure jouant un
rôle critique dans la mémorisation. L’un des mécanismes de la consolidation
mnésique correspond à des changements de l’efficacité synaptique, ces jonctions
spécialisées intervenant entre les axones et les dendrites, principalement. La plas-
ticité synaptique de l’hippocampe a été étudiée de telle manière qu’elle puisse
nous permettre d’aborder les bases moléculaires de la mémoire. Cette image
illustre les neurites d’un ensemble de neurones hippocampiques colorés par la
méthode mise au point à la fin du xixe siècle par l’histologiste italien Camillo
Golgi. (Source : courtoisie de Miquel Bosch et Mark Bear, The Picower Institute
for Learning and Memory and Department of Brain and Cognitive Sciences, MIT.)
XXI

SOMMAIRE SYNTHÉTIQUE

Un sommaire détaillé est proposé à l’ouverture de chaque chapitre.

Préface à l’édition française....................................................................... V


Introduction............................................................................................... IX
Quelques recommandations pour mieux aborder cet ouvrage…................... XV
Remerciements.......................................................................................... XVII
Images....................................................................................................... XIX
Liste des textes encadrés............................................................................ XXIII
Les auteurs des encadrés « Les voies de la découverte »............................... XXVII

1re PARTIE  Bases cellulaires


1 Neurosciences : passé, présent et futur............................................... 2
2 Neurones et cellules gliales................................................................ 22
3 Membrane du neurone au repos........................................................ 56
4 Potentiel d’action............................................................................... 78
5 Transmission synaptique................................................................... 106
6 Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique
du système nerveux............................................................................ 140
7 Anatomie du système nerveux........................................................... 176

2e PARTIE  Systèmes sensoriel et moteur


8 Sens chimiques.................................................................................. 258
9 Œil et vision...................................................................................... 288
10 Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales........... 328
11 Audition et système vestibulaire........................................................ 366
12 Système sensoriel somatique.............................................................. 412
13 Contrôle spinal du mouvement.......................................................... 454
14 Contrôle central du mouvement........................................................ 484

3e PARTIE  Cerveau et comportement


15 Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques.......................... 524
16 Motivation........................................................................................ 552
17 Cerveau masculin, cerveau féminin.................................................... 582
18 Mécanismes centraux des processus émotionnels............................... 620
19 Rythmes du cerveau et sommeil......................................................... 650
20 Langage............................................................................................. 690
21 Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience.................... 726
22 Troubles mentaux.............................................................................. 762

4e PARTIE  Neuroplasticité
23 Développement du cerveau................................................................ 798
24 Apprentissage et mémoire.................................................................. 840
25 Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation... 888

Glossaire................................................................................................... 925
Références................................................................................................. 949
Index......................................................................................................... 973
XXIII

LISTE DES TEXTES ENCADRÉS

Bases théoriques
Concevoir les bases biologiques du fonctionnement cérébral dans l’ère
post‑génomique…..................................................................................... 31
Révision des moles et de la molarité.......................................................... 64
L’équation de Nernst................................................................................ 69
L’équation de Goldman............................................................................ 72
Méthodes d’enregistrement du potentiel d’action..................................... 81
Méthode du patch-clamp..................................................................... 93
Théorie du complexe « SNARE » et libération des neurotransmetteurs.... 121
Potentiels d’inversion................................................................................ 124
« Pomper » les ions et les neurotransmetteurs........................................... 152
Imagerie par résonance magnétique.......................................................... 186
TEP et IRMf............................................................................................ 187
Organisation corticale révélée par imagerie optique et calcique................. 347
Inhibition latérale..................................................................................... 428
Des grenouilles à trois yeux, des colonnes de dominance oculaire
et autres bizarreries…............................................................................... 826
Le concept de période critique.................................................................. 828
Plasticité synaptique : tout est dans le « timing »...................................... 902
Le vaste monde de la dépression à long terme........................................... 907

Focus
Les développements de la microscopie...................................................... 27
Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal........................................ 39
Auto-stop sur le « rétro-rail » :
focus sur transport axoplasmique rétrograde............................................ 44
Retard mental et épines dendritiques........................................................ 46
Comprendre la structure du neurone et sa fonction par la fabuleuse
« Cre »...................................................................................................... 50
Mort par injection létale........................................................................... 76
Anesthésie locale....................................................................................... 101
Sclérose en plaques, maladie démyélinisante............................................. 102
Comportement électrique éclectique des neurones.................................... 104
Le rêve d’Otto Loewi................................................................................ 108
Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…..................................... 129
Des mutations effrayantes et des poisons.................................................. 135
Les endocannabinoïdes de votre cerveau................................................... 158
Ces poisons si excitants : beaucoup trop de si bonnes choses…................. 165
De l’eau dans la tête.................................................................................. 184
Nutrition et tube neural............................................................................ 192
Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate, calcium ou
simplement de l’eau ?................................................................................ 261
Souvenirs d’un repas cauchemardesque…................................................ 270
Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?............................................... 273
XXIV Liste des textes encadrés

Démonstration des zones aveugles de l’œil................................................ 293


Troubles de la vision et maladies de l’œil................................................... 295
Correction de la vision.............................................................................. 298
Génétique de la vision des couleurs........................................................... 312
David et Goliath....................................................................................... 334
La magie d’une vision en 3D..................................................................... 361
Ultrasons et infrasons............................................................................... 369
Comment les sourds peuvent entendre : les implants cochléaires.............. 379
Lorsque l’oreille produit des sons : les émissions otoacoustiques.............. 383
Mais comment fonctionne le cortex auditif ? Consultez un spécialiste !.... 399
Les troubles auditifs et leurs traitements................................................... 400
Herpès, zona et dermatomes..................................................................... 425
Misère d’une vie sans douleur................................................................... 438
Attention : très pimenté !.......................................................................... 440
La douleur et l’effet placebo...................................................................... 448
Sclérose latérale amyotrophique (SLA) :
glutamate, gènes et maladie de Lou Gerhig............................................... 464
Myasthenia gravis..................................................................................... 466
Dystrophie musculaire de Duchenne......................................................... 470
Parésie, paralysie, spasticité et Babinski.................................................... 490
Neurophysiologie comportementale.......................................................... 497
Est-ce que dans certaines pathologies des ganglions
de la base les neurones se suicident ?......................................................... 505
Lésions et stimulations cérébrales : des méthodes thérapeutiques
utiles pour les maladies neurologiques...................................................... 507
Mouvements involontaires : du normal au pathologique.......................... 517
Stress et cerveau........................................................................................ 534
« Dites-moi ce que vous mangez, je vous dirai qui vous êtes… »............... 542
Le cerveau affamé des obèses.................................................................... 559
La marijuana et la stimulation de l’appétit................................................ 565
Diabète mellitus et choc insulinique.......................................................... 567
Autostimulation du cerveau humain......................................................... 569
Dopamine et addiction............................................................................. 570
Neuroéconomie........................................................................................ 580
Oiseaux chanteurs et cerveaux d’oiseaux…............................................... 607
David Reimer et les bases de l’identité sexuelle…...................................... 610
Des papillons dans l’estomac…................................................................ 625
Phineas Gage............................................................................................ 628
Lobotomie frontale................................................................................... 643
Marcher, parler et gémir pendant le sommeil !.......................................... 667
La plus longue journée d’éveil................................................................... 670
Narcolepsie............................................................................................... 674
Les horloges des hamsters mutants........................................................... 685
Penser en différentes langues..................................................................... 694
Évaluer la dominance hémisphérique du langage...................................... 702
Entendre ce que l’on voit et voir ce que l’on touche…............................... 721
Syndrome du déficit attentionnel et de l’hyperactivité chez l’enfant.......... 732
Syndrome d’héminégligence spatiale......................................................... 746
Agoraphobie avec attaque de panique....................................................... 770
Une orangeraie magique dans un cauchemar…........................................ 777
Neurogenèse chez l’homme adulte (ou comment les chercheurs
ont appris à aimer la bombe…)................................................................. 803
Pourquoi les axones des neurones ne régénèrent-ils pas
dans le système nerveux central ?.............................................................. 816
Liste des textes encadrés XXV

Les mystères de l’autisme.......................................................................... 820


Une mémoire extraordinaire..................................................................... 843
Le syndrome de Korsakoff et le cas de N.A.............................................. 863
Former des faux souvenirs et ne pas se souvenir des événements
traumatisants............................................................................................ 878
Mémoire de mutants................................................................................. 912

Les voies de la découverte


Modifier les gènes chez la souris, par Mario Capecchi.............................. 33
De l’importance des canaux ioniques dans ma vie, par Chris Miller......... 74
La découverte des channelrhodopsines, par Georg Nagel......................... 84
Pour l’amour des épines dendritiques, par Kristen M. Harris................... 116
À la recherche des récepteurs des opiacés, par Solomon H. Snyder........... 149
Le connectome : à la recherche de l’organisation cérébrale,
par Sebastian Seung.................................................................................. 208
Canaux ioniques de la vision et de l’olfaction, par Geoffrey Gold............ 278
Voir au travers de la mosaïque des photorécepteurs, par David Williams.. 304
À la recherche de la représentation des visages dans le cerveau,
par Nancy Kanwisher............................................................................... 358
Capturer le rythme, par Donata Oertel..................................................... 391
Les barils corticaux, par Thomas Woolsey................................................ 433
La régénération nerveuse ne permet pas une récupération totale,
par Timothy C. Cope................................................................................ 474
Codage distribué dans le colliculus supérieur, par James McIlwain........... 514
L’exploration des neurones noradrénergiques centraux, par Floyd Bloom 544
Apprendre à désirer…, par Julie Kauer..................................................... 573
La vie de couple des campagnols, par Thomas Insel................................. 596
Des concepts et des mots dans la science au quotidien,
par Antonio Damasio............................................................................... 634
Le puzzle des rythmes du cerveau, par Stephanie R. Jones....................... 656
Découvrir les aires du langage du cerveau, par Nina Dronkers................. 704
À la recherche des corrélats neuronaux de la conscience,
par Christof Koch..................................................................................... 754
Réglage fin des circuits neuronaux de la dépression, par Helen Mayberg.. 785
Cartographier l’esprit !, par Pasko Rakic.................................................. 808
Comment le cerveau forme les représentations,
par Edvard et May-Britt Moser................................................................ 870
Qu’est-ce qui a bien pu m’attirer dans l’étude de l’apprentissage
et de la mémoire chez l’aplysie ?, par Eric Kandel..................................... 895
Souvenirs de mémoires, par Leon Cooper................................................. 904
XXVII

L E S AU T E U R S D E S E N C A D R É S
« LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE »

Floyd Bloom, M.D. Christof Koch, Ph.D.


Scripps Research Institute Allen Institute for Brain Science
La Jolla, California Seattle, Washington
Mario Capecchi, Ph.D. Helen Mayberg, M.D.
University of Utah Emory University School of
Howard Hughes Medical Institute Medicine
Salt Lake City, Utah Atlanta, Georgia

Leon N Cooper, Ph.D. James T. McIlwain, M.D.


Brown University Brown University
Providence, Rhode Island Providence, Rhode Island

Timothy C. Cope, Ph.D. Chris Miller, Ph.D.


Wright State University Brandeis University
Dayton, Ohio Howard Hughes Medical Institute
Waltham, Massachusetts
Antonio Damasio, Ph.D.
University of Southern California Edvard Moser, Ph.D., et May-Britt
Los Angeles, California Moser, Ph.D.
Kavli Institute for Neural Systems
Nina Dronkers, Ph.D.
University of Science and
University of California
Technology
Davis, California
Trondheim, Norway
Geoffrey Gold, Ph.D. Georg Nagel, Ph.D.
Monell Chemical Senses Center
University of Würzburg
Philadelphia, Pennsylvania
Würzburg, Germany
Kristen M. Harris, Ph.D. Donata Oertel, Ph.D.
University of Texas University of Wisconsin School of
Austin, Texas Medicine and Public Health
Thomas Insel, M.D., Director Madison, Wisconsin
United States National Institute Pasko Rakic, M.D., Ph.D.
of Mental Health Yale University School of Medicine
Rockville, Maryland New Haven, Connecticut
Stephanie R. Jones, Ph.D. Sebastian Seung, Ph.D.
Brown University Princeton University
Providence, Rhode Island Princeton, New Jersey
Eric Kandel, M.D. Solomon H. Snyder, M.D.
Columbia University The Johns Hopkins University
Howard Hughes Medical Institute School of Medicine
New York, New York Baltimore, Maryland
Nancy Kanwisher, Ph.D. David Williams, Ph.D.
Massachusetts Institute of University of Rochester
Technology Rochester, New York
Cambridge, Massachusetts
Thomas Woolsey, M.D.
Julie Kauer, Ph.D. Washington University School of
Brown University Medicine
Providence, Rhode Island St. Louis, Missouri
1re PARTIE

Bases
cellulaires
CHAPITR E 1
Neurosciences : passé, présent et futur   2

CHAPITR E 2
Neurones et cellules gliales  22

CHAPITR E 3
Membrane du neurone au repos   56

CHAPITR E 4
Potentiel d’action  78

CHAPITR E 5
Transmission synaptique  106

CHAPITR E 6
Neurotransmetteurs :
organisation anatomobiochimique du système nerveux   140

CHAPITR E 7
Anatomie du système nerveux   176

Annexe
Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain   212
2

CHAPITRE  1 Neurosciences :
passé, présent
et futur

LES ORIGINES DES


NEUROSCIENCES
Place du cerveau dans la Grèce antique............................................... 4
Place du cerveau sous l’Empire romain............................................... 5
Place du cerveau, de la Renaissance au xixe siècle................................ 6
Le cerveau au xixe siècle...................................................................... 8

LES NEUROSCIENCES
AUJOURD’HUI
Niveaux d’analyse............................................................................... 12
Chercheurs en neurosciences.............................................................. 13
Démarche scientifique en neurosciences.............................................. 15
Expérimentation animale en neurosciences......................................... 16
Coût de l’ignorance : les maladies du système nerveux........................ 18

CONCLUSION
INTRODUCTION

« L’homme devrait savoir que la joie, le plaisir, le rire et le divertissement, le chagrin, la


peine, le découragement et les larmes ne peuvent venir que du cerveau. Ainsi, de façon
singulière, nous acquérons sagesse et connaissance, nous pouvons voir et entendre, appré-
cier ce qui est intelligent ou sot, ce que sont le bien et le mal, ce qui est doux et ce qui est
sans saveur… C’est à cause du même organe que l’on peut devenir fou et dément et que
la peur et l’angoisse nous assaillent… Tout ceci se passe quand le cerveau est malade…
Je considère donc que le cerveau exerce le plus grand pouvoir sur l’homme. »
Hippocrate. La maladie sacrée (ive siècle av. J.-C.)

L’
homme a toujours cherché à savoir comment il voit et comment il
entend ; pourquoi certaines choses sont bonnes et d’autres mau-
vaises ; comment il bouge ; comment il raisonne, apprend, mémorise
et oublie ; quelle est l’origine de la colère et celle de la folie. La recherche dans le
domaine des neurosciences commence à éclaircir ces mystères et les résultats de
tous ces travaux constituent le contenu de cet ouvrage.
Le mot « neurosciences » est récent. La Society for Neuroscience (Société des
neurosciences), association de chercheurs en neurosciences, n’a été fondée qu’en
1970 (en France, la Société des neurosciences a été créée en 1988, elle comprend
plus de 2 500 membres). Cependant, l’étude du cerveau est aussi ancienne que
la science elle-même. Historiquement, les scientifiques qui se sont intéressés au
système nerveux venaient de disciplines diverses : médecine, biologie, psycholo-
gie, physique, chimie, mathématiques. La révolution des neurosciences est venue
du fait que ces scientifiques ont réalisé que le plus grand espoir de comprendre
le fonctionnement du cerveau résidait dans une approche résolument pluri­
disciplinaire, une combinaison des approches traditionnelles et de technologies
modernes, pour parvenir à une vision actualisée de l’organisation et du fonc-
tionnement cérébral et ouvrir de nouvelles perspectives. Aujourd’hui, quelle que
soit l’approche qu’ils mettent en œuvre, la plupart des scientifiques impliqués
dans la recherche sur le système nerveux se considèrent comme des chercheurs
en neurosciences. En fait, même si les enseignements de neurosciences peuvent
être dispensés par les départements de psychologie ou de biologie, selon les
­universités, et qu’il est alors possible de parler de neuropsychologie ou de neuro-
biologie, le cours porte toujours sur les neurosciences. Actuellement, la Society
for Neuroscience est, dans le domaine de la biologie expérimentale, la plus impor-
tante association de scientifiques et celle qui se développe le plus rapidement.
Loin d’être hyperspécialisé, ce domaine est au contraire presque aussi vaste que
l’ensemble des sciences naturelles, le système nerveux étant le point commun
de toutes les études. Pour comprendre le fonctionnement du ­cerveau, il est de
fait nécessaire d’acquérir des connaissances dans des domaines variés, depuis
la structure moléculaire de l’eau, jusqu’aux propriétés électriques et chimiques
du cerveau ; mais aussi pour tenter de comprendre pourquoi le chien de Pavlov
salivait en entendant une cloche sonner. C’est dans cette vaste perspective que
cet ouvrage part à la découverte du cerveau.
L’aventure commence par une brève histoire des neurosciences. Comment
le cerveau a-t-il été perçu à travers les âges ? Qui sont les chercheurs en neuro­
sciences d’aujourd’hui, et quelle est leur approche dans l’étude du cerveau ?
4 1 – Bases cellulaires

Les origines
des neurosciences
Le système nerveux — cerveau, moelle épinière et nerfs — est vital et per-
met de sentir, de bouger, et encore de penser. Comment l’homme en a-t-il pris
conscience ?
Il est prouvé que, dès la préhistoire, nos ancêtres considéraient le cerveau
comme un organe vital. Les musées archéologiques comptent de nombreux
crânes d’hominidés datant d’un million d’années et plus, qui montrent des traces
de lésions crâniennes mortelles, probablement infligées par d’autres hominidés.
Il y a 7 000 ans, des interventions étaient déjà pratiquées au niveau du crâne
(un procédé appelé trépanation), non pour tuer mais pour guérir (Fig. 1.1). Ces
crânes montrent des signes de guérison, ce qui indique que l’opération était pra-
tiquée sur des êtres vivants et n’était pas seulement un rituel accompli après
la mort. Quelques individus ont, semble-t-il, survécu à plusieurs opérations du
crâne. Le but recherché par ces premiers chirurgiens n’est pas clair, même s’il
est envisageable que ce procédé était utilisé pour traiter les maux de tête ou les
troubles mentaux. Mais peut-être ne s’agissait-il simplement que d’ouvrir une
porte de sortie aux mauvais esprits…
Les écrits des premiers médecins de l’Égypte ancienne, datant de presque
5 000 ans, montrent qu’ils avaient reconnu plusieurs symptômes liés à des lésions
Figure 1.1 – Évidence d’une intervention
cérébrales. Cependant, c’est le cœur et non le cerveau qui était considéré à cette
neurochirurgicale de l’époque préhistorique. époque comme le siège de l’âme et des souvenirs. En fait, alors que le reste du
Ce crâne humain date de plus de 7 000 ans. corps était soigneusement préparé pour la vie après la mort, le cerveau du défunt
Il a fait l’objet d’une intervention du vivant du était simplement retiré par les narines et jeté. L’idée que le cœur était le siège de
sujet. (Source : Alt et al., 1997, Fig. 1a.) la conscience et de la pensée n’a ainsi pas été remise en question à cette époque
et celles qui ont suivi, jusqu’à Hippocrate.

Place du cerveau dans la Grèce antique


En première approximation, il est possible de considérer que toutes les par-
ties du corps sont différentes parce qu’elles ont des fonctions différentes. La
structure des pieds diffère de celle des mains et leurs fonctions sont très diffé-
rentes : les pieds sont faits pour marcher et les mains pour manipuler. Il existe
donc une corrélation très claire entre structure et fonction. En acceptant cette idée
très simple, les différences d’aspect traduisent alors des différences fonctionnelles
fondamentales.
Quel rapport y a-t-il entre la structure de la tête et sa fonction ? Un examen
rapide et quelques expériences simples (par exemple, fermer les yeux) montrent
que la tête est faite pour percevoir l’environnement. Les yeux, les oreilles, le nez
et la langue font partie de la tête ; même une dissection grossière montre que les
nerfs issus de ces organes pénètrent, au travers du crâne, à l’intérieur du cerveau.
À partir de ces observations, que peut-on alors conclure sur le rôle du cerveau ?
Si la déduction principale de ce raisonnement est que le cerveau représente
l’organe de la sensation, cette conclusion est similaire à celle des savants grecs du
ive siècle av. J.-C. ; cependant, l’érudit le plus célèbre de cette époque, Hippocrate
(460-379 av. J.-C.), le père de la médecine occidentale, déclarait que le cerveau
n’était pas seulement impliqué dans les sensations, mais qu’il était aussi le siège
de l’intelligence.
Toutefois, cette opinion n’était pas unanimement partagée. Le célèbre philo-
sophe grec, Aristote (384-322 av. J.-C.) maintenait que le cœur était le centre de
l’intellect, alors que le cerveau servait à refroidir le sang qui était surchauffé par
l’agitation du cœur. Le tempérament raisonnable des hommes s’expliquait ainsi
par la grande capacité de refroidissement de leur cerveau.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 5

Cerveau Cervelet

1 cm

Vue de côté Vue de dessus

Figure 1.2 – Représentation d’un cerveau de mouton.


Notez la place et l’apparence du cerveau et du cervelet.

Place du cerveau sous l’Empire romain


Le personnage le plus important de la médecine romaine fut le médecin écri-
vain Galien (130-200), qui partageait les vues d’Hippocrate sur le rôle du cer-
veau. En tant que médecin des gladiateurs, il avait probablement observé les
conséquences dramatiques résultant des blessures du cerveau et de la moelle
épinière. Mais c’est en pratiquant des dissections sur des animaux que Galien a
précisé son point de vue sur le cerveau. La figure 1.2 représente un cerveau de
mouton, un des sujets favoris de Galien. Deux parties sont mises en évidence :
le cerveau à l’avant et le cervelet en arrière (voir le chapitre 7 sur la structure du
cerveau). De même qu’il est possible de deviner le rôle des pieds et des mains à
partir de leur structure, Galien commença par observer la structure du cerveau
et du cervelet pour tenter de préciser leur fonction respective. Il constata qu’en
appuyant un doigt sur un cerveau fraîchement disséqué, le cervelet apparaissait
plutôt ferme et le cerveau plutôt mou. À partir de cette observation, Galien
­suggéra que le cerveau était le réceptacle des sensations et le cervelet, le centre
de commande des muscles. Pourquoi cette distinction ? Galien reconnaissait
simplement que, pour être mémorisées, les sensations doivent « s’imprimer » Ventricules
sur le cerveau. Dès lors, pour lui ceci devait naturellement se passer sur la partie cérébraux
malléable du cerveau.
Aussi improbable que cette opinion puisse sembler, les déductions de Galien
n’étaient pas loin de la vérité. En fait, le cerveau est largement impliqué dans la
sensation et la perception et le cervelet est avant tout un centre de contrôle du
mouvement. De plus, le cerveau est bien le centre de la mémoire. Dans l’histoire
des neurosciences, il est alors intéressant de remarquer que ceci n’est pas le seul
exemple d’une conclusion générale juste, obtenue à partir de raisonnements faux…
Comment le cerveau perçoit-il les sensations, et comment commande-t-il les
mouvements ? Galien, en ouvrant le cerveau en deux, découvrit qu’il était creux
(Fig. 1.3). Dans ces espaces creux, appelés ventricules (par similitude avec les
ventricules du cœur), se trouve un liquide. Pour Galien, cette découverte cor-
respondait parfaitement à la théorie prédominante de l’époque selon laquelle
les fonctions du corps dépendaient de l’équilibre de quatre liquides vitaux ou
humeurs. Les sensations étaient enregistrées et les mouvements initiés par le
déplacement de ces humeurs vers ou à partir des ventricules du cerveau, en
empruntant les nerfs qui étaient dès lors considérés comme des canaux sem- Figure 1.3 
– Dissection d’un cerveau de
blables aux vaisseaux sanguins. mouton montrant les ventricules cérébraux.
6 1 – Bases cellulaires

Place du cerveau, de la Renaissance au xixe siècle


L’opinion de Galien a prévalu pendant presque 1 500 ans. À l’époque de la
Renaissance, le grand anatomiste Andreas Vesalius (Vésale, en Français ; 1515-
1564) donna plus de détails sur la structure du cerveau (Fig. 1.4) ; mais la loca-
lisation ventriculaire des fonctions cérébrales n’était toujours pas contestée. En
fait, ce concept fut même renforcé au xviie siècle, lorsque des chercheurs français
mirent au point des machines hydrauliques. Ces appareils corroboraient le fait
que le fonctionnement du cerveau pouvait ressembler à celui d’une machine : le
fluide expulsé des ventricules à travers les nerfs pouvait littéralement « actionner
la pompe » et entraîner les mouvements des membres. De fait, les muscles ne se
gonflent-ils pas quand ils se contractent ?
Le français René Descartes (1596-1650), mathématicien et philosophe, fut
l’un des ardents défenseurs de cette théorie mécaniste impliquant des mouve-
ments de fluides pour réaliser les fonctions cérébrales. Pourtant, s’il pensait que
cette théorie pouvait expliquer le fonctionnement du cerveau et le comportement
Figure 1.4 – Représentation des ventricules des animaux, il lui paraissait inconcevable de l’appliquer à tous les aspects du
cérébraux du cerveau humain, à l’époque de comportement humain. Pour lui, contrairement aux animaux, les hommes ont
la Renaissance. une intelligence et une âme, qui est donnée par Dieu. Il suggérait donc que les
Ce schéma est reproduit d’après De humani mécanismes du cerveau contrôlaient le comportement humain seulement dans
corporis fabrica, de Vésale (1543). Le sujet fut ce qu’il avait de semblable avec celui des animaux. De façon unique, les facul-
probablement un condamné à mort décapité. tés mentales de l’homme existent en dehors du cerveau, dans « l’esprit ». Pour
L’auteur a apporté une grande attention à la des- Descartes, l’esprit est une entité immatérielle qui perçoit les sensations et com-
cription anatomiquement exacte des ventricules mande les mouvements, en communiquant avec les mécanismes du cerveau par
cérébraux. (Source : Finger, 1994, Fig. 2.8.)
la glande pinéale (Fig. 1.5). Aujourd’hui encore, certains pensent que la question
de la relation cerveau-esprit n’est pas résolue et que, d’une façon ou d’une autre,
l’esprit est distinct du cerveau. Cependant, comme cela sera développé dans la
troisième partie de cet ouvrage, les données les plus actuelles de la recherche en
neurosciences amènent à une autre hypothèse : l’esprit a un support matériel,
représenté par le cerveau.
Au cours des xviie et xviiie siècles, d’autres scientifiques se détournèrent de
la théorie traditionnelle de Galien centrée sur les ventricules et commencèrent à
s’intéresser de plus près à la matière cérébrale. Ils découvrirent que le tissu céré-
bral est formé de deux parties : la substance grise et la substance blanche (Fig. 1.6)
et ils expliquaient ainsi la relation entre la structure et la fonction : puisque la
substance blanche est en continuité avec les nerfs du corps, il est envisageable
qu’elle contienne les fibres qui véhiculent l’information vers et à partir de la
substance grise.

Figure 1.5 – Organisation du système ner-


veux d’après Descartes.
Ce schéma a été publié en 1662. Les nerfs
issus des yeux projettent vers les ventricules
cérébraux. L’esprit influence la commande Substance Substance
motrice au travers de la glande pinéale (H) qui grise blanche
sert de valve pour contrôler les déplacements
de l’esprit animal qui gonfle les muscles par
les nerfs. (Source : Finger, 1994, Fig. 2.16.)

Figure 1.6 – Substance blanche et
substance grise.
La simple section du cerveau en
deux parties révèle la dualité de la
matière cérébrale.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 7

Hémisphères
cérébraux
Cerveau
Cervelet
Système
nerveux
Moelle épinière central

Système
nerveux
périphérique

Figure 1.7 – Organisation anatomique des deux principales subdivisions du système nerveux. Sillon Lobe
Le système nerveux comprend deux parties : le système nerveux central (SNC) et le système ner- central pariétal
veux périphérique (SNP). Le SNC comprend lui-même le cerveau et la moelle épinière et le cerveau Lobe
Lobe
frontal
est subdivisé en trois parties principales représentées par les hémisphères cérébraux, le cervelet et occipital
le tronc cérébral. Le SNP est représenté par l’ensemble des nerfs et des cellules nerveuses situées
hors du cerveau et de la moelle épinière.

À la fin du xviiie siècle, le système nerveux était complètement disséqué et son


organisation générale connue en détail. Depuis lors, il est distingué deux grandes Scissure
de Sylvius
parties : le système nerveux central, comprenant le cerveau et la moelle épinière,
Lobe temporal Cervelet
et le système nerveux périphérique formé par l’ensemble des nerfs (Fig. 1.7). La
découverte de circonvolutions (les gyrus ou gyri) et de sillons (les sulcus ou scis-
Figure 1.8 – Lobes du cerveau humain.
sures) à la surface du cerveau de tous les individus (Fig. 1.8) fut un progrès consi- La scissure (profonde) de Sylvius sépare le
dérable. Ce schéma, qui permet de diviser le cerveau en lobes, permettait ainsi de lobe frontal du lobe temporal ; le sillon cen-
supposer que les différentes fonctions du cerveau correspondaient à différentes tral sépare quant à lui le lobe frontal du lobe
circonvolutions. Le décor était fin prêt pour que s’ouvre l’ère de la théorie des pariétal. Le lobe occipital représente la partie
localisations cérébrales. la plus postérieure du cerveau.
8 1 – Bases cellulaires

Le cerveau au xixe siècle
À la fin du xviiie siècle, les connaissances sur le système nerveux peuvent se
résumer ainsi :
•• une atteinte du cerveau peut supprimer les sensations, empêcher le mou-
vement, altérer la pensée, et même entraîner la mort ;
•• les nerfs assurent la communication entre le cerveau et le corps ;
•• il est possible de distinguer dans le cerveau des sous-régions qui jouent
probablement des rôles différents ;
•• le cerveau (sinon l’esprit) fonctionne comme une machine et obéit aux lois
de la nature.
Au cours du siècle qui suivit, les connaissances sur l’organisation et les
fonctions du cerveau progressèrent plus que dans toute l’histoire qui avait
précédé. Ces travaux eurent un caractère fondamental, conférant à la recherche
du xixe siècle un rôle essentiel dans le progrès des connaissances sur le cerveau.
À titre d’illustration, quatre éléments déterminants sont évoqués ci-dessous.

Les nerfs, assimilés à des câbles électriques.  En 1751, Benjamin Franklin


publia un pamphlet intitulé Expériences et observations sur l’électricité, qui
annonçait de nouvelles découvertes sur l’électricité. Au tournant du siècle, le
savant italien Luigi Galvani et le biologiste allemand Emil du Bois-Reymond
avaient montré que les muscles se contractent lorsqu’ils sont stimulés électrique-
ment et que le cerveau lui-même peut générer de l’électricité. Cette découverte
balayait la notion de nerfs communiquant avec le cerveau par le mouvement des
fluides et le nouveau concept assimilait les nerfs à des câbles électriques, « vers »
et « à partir » du cerveau.
Mais la question se posait encore de savoir si les signaux qui génèrent le
mouvement des muscles sont transmis par les mêmes canaux que ceux qui enre-
gistrent les sensations à travers la peau. En montrant que la section d’un nerf
dans une région du corps entraîne habituellement une perte de sensation et de
mouvement dans la région concernée, il apparaissait qu’effectivement la com-
munication se faisait à double sens, le long de ces nerfs. Sachant à cette époque
que tous les nerfs contiennent de fins filaments appelés fibres nerveuses, chacune
de ces fibres était dès lors considérée comme pouvant servir de fil conducteur
pour transmettre l’information dans des directions différentes.
Vers 1810, le médecin écossais Charles Bell et le physiologiste français
François Magendie apportèrent une réponse à la question précédente, à travers
leurs observations : par un curieux phénomène anatomique, juste avant de se
rattacher à la moelle épinière, les fibres des nerfs se divisent en deux branches
ou « racines ». La racine dorsale pénètre vers l’arrière de la moelle épinière, et
la racine ventrale vers l’avant (Fig. 1.9). En procédant expérimentalement chez
l’animal, Bell sectionna chaque racine séparément, pour voir si ces deux racines
transportaient l’information dans des directions différentes. Il découvrit que
seule la section des racines ventrales causait la paralysie des muscles. Plus tard,
Magendie montra que les racines dorsales transportaient l’information senso-
rielle vers la moelle épinière. Bell et Magendie en conclurent qu’à l’intérieur
de chaque nerf se trouve un ensemble de plusieurs fibres nerveuses, les unes
transmettant l’information au cerveau et à la moelle épinière (les fibres senso-
rielles), et d’autres conduisant l’information aux muscles (les fibres motrices). La
transmission est strictement à sens unique dans chaque fibre nerveuse, motrice
ou sensorielle. Les deux types de fibres sont regroupés sur presque toute leur
longueur, mais elles sont anatomiquement séparées lorsqu’elles pénètrent ou
sortent de la moelle épinière.

Localisation des fonctions cérébrales. Si les diverses racines spinales


n’exercent pas les mêmes fonctions, il est possible qu’il en soit de même des
différentes parties du cerveau. En 1811, Bell suggéra que l’origine des fibres
motrices se trouvait dans le cervelet et la destination des fibres sensorielles dans
le cerveau.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 9

Moelle
épinière

Racines ventrales

Racines
dorsales

Nerf Muscle Peau


Figure 1.9 – Nerfs spinaux et racines rachi-
diennes.
Trente et une paires de nerfs émergent de
la moelle épinière pour innerver la peau et
les muscles. La section de l’un de ces nerfs
Fibres
nerveuses est suivie d’une perte de sensation et d’une
(axones) impossibilité de réaliser des mouvements
dans la région correspondante du corps. Les
fibres afférentes sensorielles et les fibres effé-
rentes motrices se séparent au niveau de la
moelle épinière, juste à proximité de la moelle.
Bell et Magendie ont démontré que les fibres
Vertèbre
des racines ventrales (antérieures) avaient un
rôle moteur, alors que les fibres empruntant
les racines dorsales (postérieures) étaient
uniquement sensorielles.

Pour vérifier cette hypothèse, la même méthode que celle de Bell et Magendie,
cherchant à identifier les fonctions des racines spinales, fut mise en œuvre :
détruire différentes parties du cerveau et observer les déficits sensoriels et moteurs
qui en résultent. Cette approche consistant à détruire des parties du cerveau de
façon systématique pour déterminer leur fonction relève de la neurologie expéri-
mentale. En 1823, le fameux physiologiste français Marie-Jean-Pierre Flourens
utilisa cette méthode sur plusieurs espèces d’animaux (notamment des oiseaux),
pour démontrer que le cervelet joue un rôle évident dans la coordination du
mouvement. Il en conclut aussi que le cerveau est impliqué dans la sensation et
la perception, comme Bell et Galien l’avaient suggéré avant lui. Mais, contraire-
ment à ses prédécesseurs, Flourens fournissait un solide support expérimental à
la théorie de la localisation des fonctions cérébrales.
Que représentent toutes les circonvolutions à la surface du cerveau ? Ont-
elles des fonctions différentes ? Cette idée paraissait évidente au jeune étudiant
en médecine autrichien, Franz Joseph Gall. Pensant que les bosses du crâne cor-
respondaient aux circonvolutions du cerveau, Gall suggéra en 1809 que certains
traits de caractère — tels que la générosité, la réserve, l’instinct de destruction,
etc. — pouvaient être en relation avec la forme de la tête (Fig. 1.10). Pour confor-
ter ses propositions, Gall et ses disciples effectuèrent des mesures sur le crâne de
centaines de personnes représentant un large éventail de personnalités, depuis le
surdoué jusqu’au fou criminel. Cette nouvelle « science », mettant en relation la
structure de la tête avec les traits de la personnalité, prit le nom de phrénologie.
Bien que la plupart des scientifiques n’aient jamais pris au sérieux les déclara-
tions des phrénologistes, ceux-ci ont néanmoins réussi à toucher l’imagination
populaire de leur temps et un manuel de phrénologie fut publié en 1827 et tiré à
plus de 100 000 exemplaires !
Flourens fut un des plus violents opposants de la phrénologie. Sa critique
reposait sur des bases simples. D’une part, il n’y a pas de corrélation entre les Figure 1.10 – Carte phrénologique.
dimensions du crâne et celles du cerveau. D’autre part, Flourens, au moyen des En accord avec les travaux de Gall et de ses
lésions expérimentales, montra que les caractères particuliers ne sont pas isolés disciples, les traits du comportement peuvent
dans les parties du cerveau répertoriées par la phrénologie. Mais Flourens sug- être mis en rapport avec la forme de diffé-
géra aussi que toutes les régions du cerveau sont impliquées de façon équivalente rentes parties du crâne. (Source : Clarke et
dans toutes les fonctions cérébrales, ce qui s’avéra erroné par la suite. O’Malley, 1968, Fig. 118.)
10 1 – Bases cellulaires

C’est au neurologue français Paul Broca qu’il revient d’avoir apporté les élé-
ments les plus déterminants sur la question de la localisation des fonctions céré-
brales (Fig. 1.11). Un jour, il examina un patient qui comprenait les mots mais ne
pouvait pas parler. Lorsque cet homme mourut, en 1861, Broca observa atten-
tivement son cerveau et découvrit une lésion du lobe frontal gauche (Fig. 1.12).
À partir de ce cas et de plusieurs autres cas similaires, Broca conclut que cette
région du cerveau humain était spécifiquement reliée au langage.
Sur la base de ces observations, la localisation cérébrale fit l’objet d’une
intense recherche expérimentale sur l’animal. En 1870, les physiologistes alle-
mands Gustav Fritsch et Eduard Hitzig montrèrent qu’en appliquant de faibles
décharges électriques sur une région précise de la surface exposée du cerveau
d’un chien, de discrets mouvements pouvaient être générés. Le neurologue
écossais David Ferrier reproduisit ces expériences sur des singes et, en 1881, il
démontra que l’ablation de cette partie du cerveau entraînait la paralysie des
muscles. De même, le physiologiste allemand Hermann Munk prouva, au moyen
Figure 1.11 – Paul Broca (1824-1880). de lésions effectuées chez l’animal, que le lobe occipital du cerveau était spécifi-
C’est en étudiant le cerveau d’un homme quement concerné par la vision.
ayant perdu l’usage de la parole après une
Comme cela sera discuté dans la deuxième partie de cet ouvrage, au niveau
lésion cérébrale (Fig. 1.12) que Broca fut
convaincu que les différentes fonctions céré-
cérébral il existe un partage très précis des tâches, les diverses régions étant sus-
brales pouvaient siéger dans des régions ceptibles de remplir des fonctions très différentes. Les cartes actuelles de l’orga-
particulières du cerveau. (Source : Clarke et nisation anatomofonctionnelle du cerveau rivalisent avec celles les plus élaborées
O’Malley, 1968, Fig. 121.) des phrénologistes. La grande différence est, cependant, qu’à l’opposé des phré-
nologistes les scientifiques ont recours à une expérimentation très rigoureuse
Sillon central avant d’attribuer une fonction spécifique à une partie donnée du cerveau ; dès
lors, il semble que l’idée de Gall n’était pas si fausse. Il est alors intéressant
de se poser la question de savoir pourquoi Flourens, le pionnier de la localisa-
tion fonctionnelle cérébrale, s’est trompé en pensant que le cerveau fonctionnait
comme un tout et ne pouvait pas être subdivisé en sous-régions fonctionnelle-
ment différentes. Il est possible que ce chercheur pourtant doué soit passé à côté
de la localisation cérébrale pour plusieurs raisons, mais il est clair qu’une des
raisons principales était son opposition viscérale à Gall et à la phrénologie. Il
ne pouvait en aucune façon accepter l’idée de Gall, qu’il considérait comme un
lunatique ! Cette anecdote nous rappelle alors combien la science, pour le meil-
leur et pour le pire, était et reste véritablement une activité qui ne peut pas être
Figure 1.12 – Photographie du cerveau à totalement dénuée de subjectivité.
partir duquel Broca établit la théorie de la
localisation des fonctions cérébrales. Évolution du système nerveux.  En 1859, le biologiste anglais Charles Darwin
Ce cerveau est celui du patient ayant perdu (Fig. 1.13) publia De l’origine des espèces. Cet ouvrage étonnant proposait une
l’usage de la parole avant son décès en 1861. La théorie de l’évolution, à savoir que les espèces se développaient à partir d’un
lésion qui produit ce type de déficit est identifiée ancêtre commun. Selon sa théorie, les différences entre les espèces reposaient sur
par un cercle. (Source : Corsi, 1991, Fig. III, 4.) un processus que Darwin dénomma la sélection naturelle. Dans les mécanismes
de la reproduction, les traits physiques des descendants sont quelquefois diffé-
rents de ceux des parents. Si ces traits sont utiles à la survie, les descendants eux-
mêmes se reproduiront, augmentant ainsi la possibilité de transmettre ces traits
positifs à la génération suivante. À travers plusieurs générations, ce processus a
permis le développement des caractères qui distinguent les espèces de nos jours :
des nageoires pour les phoques, des griffes pour les chiens, des mains pour les
ratons laveurs, etc. Cette seule intuition a révolutionné la biologie. De nos jours,
il est incontestable que les preuves scientifiques, depuis l’anthropologie jusqu’à
la génétique moléculaire, sont en faveur de la théorie de l’évolution par la sélec-
tion naturelle.
Pour Darwin le comportement faisait partie des caractères transmis suscep-
tibles d’évoluer. Par exemple, il remarqua que les réactions de peur étaient les
mêmes chez plusieurs espèces de mammifères : les pupilles des yeux s’agran-
dissent, le cœur s’accélère, les poils se hérissent ; ceci est valable pour les hommes,
comme pour les chiens. Pour Darwin, la similitude de cet ensemble de réponses
prouvait que l’évolution des espèces venait d’un ancêtre commun, qui possédait
Figure 1.13 – Charles Darwin (1809-1882). le même trait comportemental (présumé positif parce qu’il permettait d’échap-
Darwin proposa sa théorie de l’évolution, expli- per aux prédateurs). Puisque le comportement est le reflet de l’activité du sys-
quant comment les espèces évoluent par sélec- tème nerveux, il est vraisemblable que les mécanismes du cerveau qui génèrent
tion naturelle. (Source : The Bettman Archive.) ces réactions de peur soient similaires, sinon identiques, à travers les espèces.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 11

L’idée que le système nerveux des différentes espèces est issu d’un ancêtre
commun et donc que la possibilité existe de mécanismes similaires, permet d’ex-
trapoler à l’homme les résultats obtenus chez l’animal. Ainsi, par exemple, cer-
taines caractéristiques de la conduction des potentiels d’action le long des fibres
nerveuses ont d’abord été étudiées chez le calmar ; mais on sait maintenant
qu’elles s’appliquent aussi à l’homme. Aujourd’hui, la plupart des neurobiolo-
gistes ont recours aux modèles animaux pour étudier les mécanismes des proces-
sus humains. Par exemple, les rats montrent des signes évidents de toxicomanie
si la possibilité leur est donnée de s’auto-administrer de la cocaïne. De ce point
de vue, les rats représentent donc un modèle animal important dans la recherche
consacrée à l’effet des drogues psychotropes sur le système nerveux.
Par ailleurs, de nombreux traits comportementaux sont fortement adaptés à
l’environnement d’une espèce donnée. Par exemple, les singes qui se balancent de
branche en branche ont une vue perçante, tandis que les rats, qui glissent le long
des canalisations souterraines, ont une vision faible mais un sens accru du tou-
cher grâce aux vibrisses présentes sur leur museau. La structure et la fonction du
cerveau de chaque espèce reflètent ces adaptations. En comparant les spécificités
du cerveau des différentes espèces, les neurobiologistes ont ainsi pu identifier les
parties du cerveau correspondant aux différents comportements. La figure 1.14
en montre des exemples chez les singes et les rats.

7 cm

(a) Cerveau de singe

3 cm

(b) Cerveau de rat

Figure 1.14 – Évolution de différentes spécialisations du cerveau chez le singe et le rat.


(a) Le cerveau du macaque possède une vision très évoluée. La région identifiée par un carré
reçoit les informations des yeux. Une préparation de ce tissu pour mesurer l’activité cérébrale
sur des coupes de tissu permet de mettre en évidence une mosaïque de zones actives. Dans ces
régions, les neurones sont très hautement spécialisés, notamment pour l’analyse des couleurs
du monde environnant. (b) Le cerveau du rat possède une capacité particulière à recevoir des
informations sensorielles à partir des vibrisses placées sur son museau, lui permettant d’explorer
l’environnement. La région identifiée sur le schéma comme précédemment reçoit ces informations
sensorielles. La mesure de l’activité cérébrale sur des coupes de cerveau permet de mettre en
évidence dans cette région une mosaïque de microzones appelées barrels, chacun de ces barrels
étant spécialisé dans la réception des informations émises par une seule de ces « moustaches
sensorielles ». (Microphotographie : Dr S. H. C. Hendry.)
12 1 – Bases cellulaires

Le neurone, unité de base du fonctionnement cérébral.  Dès les années 1800,


les développements de la microscopie donnèrent les toutes premières opportu-
nités d’observer des agrandissements de tissus animaux. En 1839, le zoologiste
allemand Theodor Schwann proposa ce qui allait devenir la théorie cellulaire :
tous les tissus sont composés d’unités microscopiques appelées cellules.
Bien que des cellules du cerveau aient déjà été identifiées et décrites, la dis-
cussion se poursuivait : la « cellule nerveuse », à titre individuel, était-elle véri-
tablement l’unité de base du fonctionnement cérébral ? Les cellules nerveuses
présentent de nombreux petits prolongements qui partent du corps cellulaire
(Fig. 1.15). Initialement, l’une des idées avancées considérait que les projec-
tions issues des différentes cellules se reliaient toutes ensemble pour former un
réseau, à la manière des vaisseaux sanguins. Si cela se vérifiait, c’est le « réseau
nerveux » formé de cellules nerveuses interconnectées qui représenterait alors
l’unité ­élémentaire du fonctionnement cérébral.
Le chapitre 2 présente un bref historique de cette découverte, mais il faut
d’ores et déjà considérer que c’est vers l’année  1900 que la cellule nerveuse,
considérée à titre unique, dès lors dénommée « neurone », fut reconnue effecti-
vement comme l’unité fonctionnelle de base du système nerveux.

Figure 1.15 – Première description d’une


cellule nerveuse.
Ce schéma a été publié en 1865 par l’ana-
Les neurosciences aujourd’hui
tomiste allemand Otto Deiters, illustrant une
cellule nerveuse ou neurone et ses prolonge- L’histoire des neurosciences poursuit aujourd’hui sa marche en avant et les
ments nombreux dénommés neurites. Pen-
acquis considérables de la recherche à ce jour, avec les avancées les plus récentes,
dant un certain temps, l’idée fut avancée que
ces neurites fusionnaient à la manière des
forment le contenu de cet ouvrage. Dans ce domaine de recherche, avec ce qu’il
vaisseaux sanguins pour former un réseau représente de fondamental pour nos sociétés, l’approche est résolument pluri­
continu. Aujourd’hui nous savons que ces disciplinaire et s’effectue en général par niveaux d’analyse.
neurones représentent des entités distinctes
communiquant par des signaux chimiques.
(Source : Clarke et O’Malley, 1968, Fig. 16.)
Niveaux d’analyse
Si l’histoire des neurosciences ne nous apprend pas grand-chose que nous
ne sachions déjà, elle nous montre au moins que la quête de la connaissance
dans ce domaine est essentielle pour l’humanité mais aussi que cela représente
une aventure considérable. Pour tenter de comprendre le fonctionnement céré-
bral, l’une des approches les plus classiques consiste en l’analyse des constituants
du système nerveux. Cette démarche est qualifiée d’approche réductionniste. La
dimension de l’objet étudié définit alors le niveau d’analyse, pouvant aller du
plus élémentaire au plus intégré. Par ordre croissant de complexité, les niveaux
d’analyse sont définis de la façon suivante : moléculaire, cellulaire, intégré (niveau
d’analyse des systèmes), comportemental et cognitif.
Neurobiologie moléculaire.  Le cerveau est reconnu comme l’élément le plus
complexe de l’univers. Il est composé d’une extraordinaire variété de molécules,
dont beaucoup sont spécifiques du système nerveux. Ces différentes molécules
assurent des fonctions diverses mais indispensables au fonctionnement cérébral :
tels les messagers qui permettent aux neurones de communiquer entre eux, les
« sentinelles » qui contrôlent ce qui pénètre dans les neurones ou en sort, les
chefs qui orchestrent la croissance du neurone, les archivistes des expériences
passées… L’étude du cerveau à ce niveau très élémentaire est qualifiée comme
relevant des neurosciences (ou de la neurobiologie) moléculaires.
Neurobiologie cellulaire.  Le niveau d’analyse suivant est représenté par les
neurosciences (ou neurobiologie) cellulaires. Il étudie essentiellement comment
toutes ces molécules confèrent au neurone ses propriétés particulières. Parmi les
questions qui se posent à ce niveau, il est d’usage de se demander, par exemple,
combien il existe de types de neurones distincts et quelles sont leurs différentes
fonctions ; quelles influences réciproques exercent les neurones entre eux ; com-
ment se mettent en place les connexions entre les neurones pendant le dévelop-
pement fœtal ; ou encore, comment les neurones intègrent les informations qu’ils
reçoivent ?
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 13

Neurosciences intégratives. Des constellations de neurones forment des


c­ ircuits complexes, qui jouent un rôle particulier : la vision, par exemple, ou le
mouvement volontaire. Ainsi, parle-t-on de « système visuel » et de « système
moteur », chacun représenté par des circuits distincts à l’intérieur du cerveau.
À ce niveau d’analyse, dénommé neurosciences intégratives, les chercheurs étu-
dient comment les différents circuits neuronaux analysent les informations
sensorielles, élaborent la perception du monde extérieur ou encore décident et
ordonnent les mouvements.
Neurosciences du comportement.  Comment les systèmes neuronaux s’as-
semblent-ils pour réaliser des comportements intégrés ? Les différentes formes
de mémoire sont-elles associées à des circuits différents ? Dans quelle partie du
cerveau agissent les drogues qui altèrent l’esprit ? Et quelle est la contribution
normale de ces systèmes à la régulation de l’humeur et du comportement ? Existe-
t-il un déterminisme neuronal des comportements propres à chaque sexe ? Où les
rêves se forment-ils dans le cerveau ? Toutes ces questions relèvent d’un niveau
d’étude plus global, tendant à préciser les bases des comportements ; ces études
sont regroupées sous le vocable de neurosciences du comportement.
Neurosciences cognitives. Le plus grand défi des neurosciences concerne
l’étude des mécanismes neuronaux responsables des plus hauts niveaux de l’ac-
tivité mentale chez l’homme, tels que la conscience, les représentations mentales,
et le langage. À ce niveau, la recherche relève du champ des neurosciences cogni-
tives, elles-mêmes s’inscrivant dans le champ plus vaste des sciences cognitives,
et étudie comment l’activité du cerveau crée la pensée ; en d’autres termes, les
neurosciences cognitives analysent la relation entre le cerveau et l’esprit.

Chercheurs en neurosciences
Les chercheurs du domaine des neurosciences se regroupent dans une très
vaste communauté ayant en commun l’étude du cerveau, sous ses différents
aspects. Ces chercheurs sont qualifiés de neurobiologistes, se référant au fait
qu’ils sont d’abord des biologistes. Cependant, leur appartenance à des disci-
plines diverses, du domaine clinique ou encore de la psychologie, par exemple,
amène à les qualifier plus globalement de « neuroscientifiques » (neuroscientists).
Ce terme paraît très impressionnant, un peu comme « spécialiste des fusées »,
mais les auteurs de ce manuel, comme les autres, ont d’abord été des étudiants.
Quelle que soit leur motivation — connaître les causes de sa propre mauvaise
vue ou comprendre pourquoi, à la suite d’un accident vasculaire, une personne
proche ne pouvait plus parler — ces neurobiologistes ont partagé le même désir
de comprendre comment fonctionne le cerveau. Cela sera peut-être aussi le cas
de certains étudiants qui se pencheront sur cet ouvrage.
Le travail du chercheur est gratifiant, mais le parcours est difficile et nécessite
de nombreuses années d’études : d’abord, obtenir un master, puis un doctorat en
sciences ou un doctorat en médecine (ou les deux). Suivent en général plusieurs
années de recherche post-doctorale, pour se familiariser avec les nouvelles tech-
niques et les approches scientifiques modernes, sous la direction d’un chercheur
confirmé. Enfin, le jeune chercheur est prêt à travailler à l’Université, dans un
grand organisme de recherche de type CNRS, INSERM, ou encore CEA en
France, dans un institut ou à l’hôpital.
De façon schématique et quelque peu artificielle, la recherche en neuro­
sciences peut être divisée en deux grands domaines : celui de la recherche clinique
et celui de la recherche fondamentale, de caractère souvent expérimental. La
recherche clinique est essentiellement dirigée par des médecins. Chez l’homme,
les spécialités médicales concernant le système nerveux sont représentées par la
neurologie, la psychiatrie, la neurochirurgie et la neuropathologie (Tab. 1.1). De
nombreux chercheurs de ce domaine suivent la tradition de Broca : ils tentent
d’expliquer le rôle des différentes parties du cerveau à partir des troubles du
comportement causés par des lésions cérébrales dans une démarche dite « ana-
tomoclinique ». D’autres orientent leurs études sur les apports et les risques des
nouveaux types de traitements.
14 1 – Bases cellulaires

Tableau 1.1 – Médecins spécialisés dans les maladies du système nerveux.

Spécialiste Fonction
Neurologue Docteur en médecine : diagnostic et traitement des maladies du système
nerveux
Psychiatre Docteur en médecine : diagnostic et traitement des troubles de l’humeur
et du comportement
Neurochirurgien Docteur en médecine : chirurgie du cerveau et de la moelle épinière
Neuropathologiste Docteur en médecine et/ou docteur en sciences : étude des altérations
du tissu cérébral en rapport avec la pathologie

Bien que la recherche clinique présente un intérêt évident, le fondement de


tout traitement médical a été et reste la recherche fondamentale. Elle est prati-
quée par des docteurs en médecine ou des docteurs en sciences. Les approches
expérimentales de l’étude du cerveau sont si variées qu’elles ont recours à toutes
sortes de méthodologies. Ainsi, en dépit de la pluridisciplinarité caractérisant
les neurosciences, c’est la maîtrise d’une méthodologie particulière qui sert de
référence pour distinguer tel ou tel chercheur. Les neuroanatomistes utilisent des
microscopes sophistiqués pour définir la complexité des connexions cérébrales ;
les neurophysiologistes utilisent des électrodes, des amplificateurs et des oscillos-
copes pour mesurer l’activité électrique du cerveau ; les neuropharmacologues
testent de nouvelles molécules pour étudier la chimie des fonctions cérébrales ;
les biologistes moléculaires travaillent sur le matériel génétique des neurones
pour tenter de trouver la clé de la structure des molécules du cerveau, etc. Le
tableau 1.2 donne une liste de certaines de ces différentes catégories de cher-
cheurs, qui pratiquent la recherche expérimentale.
Les neurosciences théoriques représentent un domaine relativement nouveau
des neurosciences, dans lequel les chercheurs utilisent les outils mathématiques
et computationnels pour comprendre l’organisation et le fonctionnement du
cerveau, à tous niveaux d’analyse. Dans la plus pure tradition de la physique,
les neurosciences théoriques s’efforcent ainsi de donner un sens à la somme
consi­dérable de données expérimentales recueillies par les expérimentateurs,
avec l’objectif d’aider à résoudre les questions de la plus haute importance qui
s’offrent à nous, en particulier d’ordre cognitif, et établir les principes mathéma-
tiques de l’organisation et du fonctionnement cérébral humain.

Tableau 1.2 – Chercheurs en neurosciences fondamentales.

Dénomination Fonction
Neurobiologiste du développement Analyse le développement et la maturation du système
nerveux
Neurobiologiste moléculaire Étudie la nature et la fonction des molécules du cerveau,
notamment à partir du matériel génétique des neurones
Neuroanatomiste Étudie la structure du système nerveux
Neurochimiste Étudie la chimie du système nerveux, notamment la signa-
lisation intra et intercellulaire
Éthologiste Étudie les bases des comportements spécifiques d’une
espèce en milieu naturel
Neuropharmacologue Observe les effets des drogues sur le système nerveux
Neurophysiologiste Mesure l’activité électrique du système nerveux
Psychologue, neuropsychologue, Étudie les fondements biologiques des comportements
comportementaliste
Psychophysicien Mesure quantitativement les capacités de perception
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 15

Démarche scientifique en neurosciences


Tous les neuroscientifiques s’efforcent d’établir des vérités. Quel que soit le
niveau d’analyse choisi, la stratégie d’approche des questions scientifiques est la
même et relève d’une méthode qui comprend les quatre étapes essentielles sui-
vantes : l’observation, la reproduction des données expérimentales, l’interpréta-
tion des résultats et leur vérification.
Observer et soumettre l’hypothèse à l’épreuve de l’expérimentation.
 ’observation repose en général sur des expériences tendant à valider une
L
hypothèse particulière. Par exemple, pour démontrer que les racines ventrales
contiennent les fibres nerveuses qui contrôlent les muscles (hypothèse), Bell
sectionna ces fibres chez l’animal (expérimentation) et vérifia si cela entraînait
la paralysie des muscles (observation). L’étude clinique chez l’homme est aussi
une autre forme d’observation. Ainsi, les observations attentives de Broca l’ont
conduit à corréler les atteintes du lobe frontal gauche avec la perte du langage.
Reproduire l’expérience.  Que l’observation soit expérimentale ou clinique,
la reproduction de cette observation constitue une étape indispensable avant de
l’accepter comme un fait. Reproduire signifie réaliser à nouveau l’expérience sur
des sujets différents ou bien faire des observations semblables chez des patients
différents, autant de fois qu’il est nécessaire pour écarter la possibilité d’un fait
dû au hasard.
Interpréter les données expérimentales : revoir l’hypothèse. Lorsque le
chercheur considère que l’observation est valable, il doit en donner une interpré-
tation. Cette interprétation dépend de l’étendue de ses connaissances au moment
de l’observation et de son intuition particulière. Ces interprétations ne résistent
pas toujours à l’épreuve du temps. Par exemple, au moment de ses observations,
Flourens ne savait pas que le cerveau d’un oiseau est fondamentalement diffé-
rent de celui d’un mammifère. De ce fait, il concluait, à tort, à partir de lésions
expérimentales chez l’oiseau, que certaines fonctions n’ont pas de localisation
dans le cerveau des mammifères. De plus, comme cela a déjà été mentionné, sa
profonde aversion à l’égard de Gall influençait aussi son interprétation. En fait,
il arrive qu’une interprétation correcte ne soit obtenue que des années après que
l’observation originale ait été réalisée. Ainsi, des avancées majeures résultent
parfois d’observations anciennes, reprises dans un autre contexte.
Acceptation des résultats de l’expérimentation. La dernière étape de la
méthode scientifique est la vérification des résultats. Cette opération est distincte
de la reproduction des données de l’expérimentation. Vérification signifie que
l’observation est assez sûre pour être obtenue par tous les chercheurs qui suivent
précisément le protocole de l’observation originale. La vérification est couronnée
de succès si l’observation est acceptée comme un fait. Cependant, ceci est loin
d’être toujours le cas. Cela peut provenir des imprécisions du rapport original ou
d’une reproduction insuffisante de l’expérience par l’expérimentateur lui-même.
Mais l’échec de la vérification provient le plus souvent de variables expérimen-
tales additionnelles, telles que la température ou l’heure à laquelle l’observation
originale a été réalisée et de bien d’autres paramètres… Ainsi, le processus de
vérification, s’il est positif, établit un nouveau fait scientifique et, s’il est négatif,
demande de nouvelles interprétations de l’observation première.
De temps à autre, la presse parle de « fraude scientifique ». Les chercheurs
sont confrontés à une dure concurrence dans le financement de plus en plus
limité de leur recherche et une pression considérable les pousse à « publier ou
disparaître » (le publish or perish des Anglo-Saxons). Par intérêt personnel, cer-
tains seulement ont publié de fausses « observations ». Heureusement, ces cas
de fraude sont rares, justement à cause de la rigueur de la méthode scientifique :
les autres chercheurs découvrent rapidement que ces observations sont men-
songères et demandent à leurs auteurs de préciser dans quelles conditions elles
ont été réalisées. Mais le fait que nous puissions écrire autant de choses dans cet
ouvrage atteste définitivement de la validité de la démarche expérimentale.
16 1 – Bases cellulaires

Expérimentation animale en neurosciences


La plus grande partie des connaissances sur le système nerveux repose sur
l’expérimentation animale. Le plus souvent, les animaux sont sacrifiés et leur
cerveau est examiné dans les laboratoires de neuroanatomie, neurophysiologie
et/ou neurochimie. Le sacrifice d’animaux pour le progrès de la connaissance
humaine pose le problème de l’éthique dans la recherche animale.
Modèles animaux.  Il est important de replacer les éléments de ce débat sen-
sible dans leur contexte. À travers l’histoire, l’homme a considéré les animaux et
les produits animaux comme des ressources naturelles renouvelables, qu’il a uti-
lisées pour se nourrir, se vêtir, se déplacer, se divertir, ou encore pour le sport et
la compagnie. Les animaux utilisés pour la recherche, le dressage et l’expérimen-
tation ne représentent qu’une infime partie des animaux utilisés dans d’autres
buts. Par exemple, actuellement aux États-Unis le nombre des animaux utilisés
dans tous les domaines de la recherche biomédicale représente moins de 1 %
du nombre des animaux abattus seulement pour se nourrir (d’après le National
Academy of Sciences Institute of Medecine [Institut de médecine de l’Académie
nationale des sciences, États-Unis], 1991). Ce chiffre est considérablement plus
faible si seule la recherche en neurosciences est prise en compte.
Dans le domaine des neurosciences, les expériences sont pratiquées sur de
nombreuses espèces, depuis les escargots, jusqu’aux singes. Le choix de l’espèce
est généralement dicté par l’objet de l’étude, le niveau d’analyse et le rapport
avec l’espèce humaine à ce niveau d’analyse. En règle générale, plus le processus
étudié est élémentaire, plus l’espèce utilisée peut être éloignée de l’homme. Ainsi
les expériences visant à établir les bases moléculaires de la conduction de l’influx
nerveux ont-elles été principalement pratiquées, pour ce qui concerne l’établis-
sement ces principes fondamentaux, sur une espèce relativement lointaine de
l’homme, le calmar. En revanche, les mécanismes nerveux du mouvement et des
troubles de la perception chez l’homme font l’objet d’études utilisant des espèces
plus proches de l’homme, telle que le macaque. Aujourd’hui, plus de la moitié
des animaux utilisés en neurosciences sont des rongeurs — souris et rats — élevés
spécialement dans ce but.
Protection des animaux.  À l’heure actuelle, nos sociétés ont pris conscience
de la nécessité de prendre en compte la protection des animaux. Les chercheurs
en neurosciences partagent ce sentiment et veillent au bon traitement des ani-
maux. Cependant, il faut remarquer que la société n’a pas toujours eu ce souci,
comme le montrent certaines pratiques scientifiques du passé. Par exemple,
au xixe siècle, pour ses premières expériences, Magendie utilisait de jeunes
chiens sans pratiquer d’anesthésie (ce que critiqua plus tard son rival, Bell).
Heureusement, depuis ce temps les choses ont rapidement et considérablement
changé. La protection des animaux est maintenant admise par la société en géné-
ral et par les scientifiques en particulier.
Actuellement les neurobiologistes reconnaissent leur responsabilité morale
envers les animaux :
•• les animaux ne sont utilisés que pour des expériences susceptibles de faire
progresser la science ;
•• toutes les mesures nécessaires sont prises pour atténuer la souffrance et la
détresse des animaux de laboratoire (utilisation d’analgésiques, d’anesthé-
siques, etc.) ;
•• toutes les alternatives possibles à l’utilisation d’animaux sont prises en
considération.
Aux États-Unis, mais aussi plus largement dans le monde et notamment en
France1, le respect de ce code d’éthique est surveillé à plusieurs niveaux. Aux

1.  NdT : en France, l’expérimentation animale est sous la tutelle du Ministère de l’agri-
culture, chargé du respect des normes récemment actualisées par une directive européenne
qui définit avec précision les conditions d’utilisation des animaux à des fins de recherche
biomédicale et de formation, sous le contrôle d’une Commission nationale de l’expéri-
mentation animale (CNEA), placée sous la tutelle du Ministère de l’éducation nationale,
de l’enseignement supérieur et de la recherche.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 17

États-Unis, les projets de recherche sont examinés par le Institutional Animal


Care and Use Committee (IACUC, Comité de protection et d’utilisation des ani-
maux). Ce comité regroupe un vétérinaire, des scientifiques d’autres disciplines
et des représentants non scientifiques de la société. Après l’avis de ce Comité,
l’évaluation scientifique des projets présentés est réalisée par un groupe d’ex-
perts en neurosciences. Cette étape permet de ne retenir que les projets les plus
intéressants. De plus, les manuscrits que les scientifiques soumettent pour publi-
cation à des journaux professionnels sont soigneusement examinés par d’autres
scientifiques, qui donnent anonymement leur avis sur la valeur scientifique des
observations réalisées et sur le respect de la protection des animaux. Des réserves
formulées sur un de ces points peuvent entraîner le rejet du manuscrit et, par
voie de conséquence, la suppression du financement du projet de recherche. À ce
contrôle, il faut ajouter que les lois fédérales fixent des règles strictes de condi-
tions d’élevage et de soins des animaux de laboratoire.
Droits des animaux.  La plupart des gens reconnaissent l’intérêt de l’expéri-
mentation animale pour le progrès de la science, à condition qu’elle soit conduite
dans le respect de la protection des animaux. Cependant une minorité bruyante
et violente, toujours plus grande, cherche à faire interdire l’utilisation des ani-
maux à des fins de progrès des connaissances pour l’homme, y compris l’expé-
rimentation. Cette minorité adopte une position philosophique se référant aux
« droits des animaux », considérant que les animaux ont les mêmes droits légaux
et moraux que les hommes.
Cette position est facile à admettre si on aime les animaux mais il faut aller
plus loin. Faut-il se priver et priver les siens des progrès de la médecine établis
grâce aux animaux ? La mort d’une souris est-elle aussi importante que la mort
d’un être humain ? La possession d’un animal domestique est-elle une forme
d’esclavage pour l’animal ? Le fait de manger de la viande est-il l’équivalent
moral d’un meurtre ? Est-il immoral de prendre la vie d’un porc pour sauver la
vie d’un enfant ? Le contrôle de la prolifération des rongeurs dans les égouts ou
des cafards dans les habitations, est-il comparable à l’holocauste ? En répon-
dant négativement à l’une de ces questions, on ne peut adhérer à la philosophie
des « droits des animaux ». La protection des animaux — une préoccupation
partagée par tous les gens civilisés — ne peut se confondre avec les droits des
animaux !
Les défenseurs des animaux continuent vigoureusement à mener leur action
contre la recherche expérimentale sur l’animal, parfois avec un succès inquiétant. Recently, a surgical technique perfected on animals was used to remove
a malignant tumor from a little girl's brain. We lost some lab animals.
Ils manipulent l’opinion publique en renouvelant les allégations de cruauté dans But look what we saved.

l’expérimentation animale présentée de façon fausse et grossière. Ils continuent à


saccager des laboratoires, faisant disparaître des années de résultats scientifiques Figure 1.16 – Notre dette envers les animaux
difficilement obtenus, et détruisent occasionnellement pour des milliers d’euros de laboratoire.
de matériel d’équipement (acquis avec l’argent du contribuable). Par la violence Cette affiche a été réalisée pour s’opposer aux
de leurs actions, ils ont même réussi à écarter certains chercheurs de la science… campagnes des antivivisectionnistes et pour
Heureusement, la situation évolue quelque peu. Grâce aux efforts de plu- sensibiliser l’opinion aux bénéfices immenses
sieurs personnalités éminentes, scientifiques et non scientifiques, les fausses allé- de l’expérimentation animale pour la santé
gations de ces extrémistes ont été dénoncées et les bénéfices de l’expérimentation publique. Le texte dit : « Ce sont les animaux
que vous ne voyez pas qui lui ont permis de
animale pour le genre humain sont largement reconnus (Fig. 1.16). Considérant
guérir. Récemment, une nouvelle méthode
le prix inacceptable de la souffrance humaine engendrée par les maladies du
chirurgicale mise au point sur des animaux a
système nerveux, nous pensons que ce qui paraît immoral c’est en fait de ne pas été utilisée pour retirer une tumeur maligne du
utiliser raisonnablement tout ce que la nature peut offrir, y compris les animaux, cerveau de cette petite fille. Nous avons perdu
et qu’il est ainsi de notre responsabilité d’agir de cette façon pour comprendre quelques animaux de laboratoire, mais regar-
comment fonctionne le cerveau sain et quels sont les mécanismes des maladies dez ce que nous avons sauvé ! ». (Source :
afin de pouvoir proposer de nouveaux traitements. Foundation for Biomedical Research.)
18 1 – Bases cellulaires

Coût de l’ignorance : les maladies du système nerveux


La recherche en neurosciences est coûteuse mais le coût de l’ignorance est
encore plus élevé. Le tableau 1.3 donne la liste des principales affections du sys-
tème nerveux, certaines ayant pu vous toucher de près. Ces maladies représentent
un coût social très lourd, que l’on peut évaluer pour chaque pays2. Prenons
quelques exemples.

Tableau 1.3 – Quelques maladies majeures du système nerveux.

Maladie Description
Maladie d’Alzheimer Maladie dégénérative progressive du cerveau entraînant la sénilité
et la démence
Syndrome autistique Maladie émergeant pendant le développement, caractérisée par
un déficit de communication et des interactions sociales, souvent
accompagnée de comportements limités et répétitifs
Infirmité motrice Trouble moteur causé par une atteinte du cerveau, pouvant interve-
cérébrale nir au moment de la naissance
Dépression Trouble sévère de l’humeur caractérisé par l’insomnie, la perte
­d’appétit et le sentiment de découragement
Épilepsie État caractérisé par des troubles périodiques de l’activité électrique
du cerveau pouvant entraîner des crises convulsives, des pertes de
conscience et des troubles sensoriels
Sclérose en plaques Maladie qui affecte la conduction nerveuse, avec des épisodes de
faiblesse, et se traduisant par un manque de coordination motrice et
jusqu’à des troubles du langage
Maladie de Parkinson Maladie dégénérative du cerveau se traduisant par des difficultés de
déclenchement du mouvement volontaire
Schizophrénie Maladie psychotique grave, caractérisée par des illusions, des
­hallucinations et un comportement étrange
Paralysie spinale Perte de sensation et de mouvement due à une lésion traumatique
de la moelle épinière
Accident vasculaire Altération de la structure du cerveau causée par l’obturation des
cérébral (AVC) vaisseaux ou, au contraire, par une hémorragie cérébrale. Les AVC
conduisent généralement à un déficit sensoriel, moteur et/ou cogni-
tif plus ou moins définitif, avec des récupérations longues et souvent
très partielles

La maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson sont toutes les deux


caractérisées par une dégénérescence progressive de populations de neurones
spécifiques. La maladie de Parkinson entraîne une altération très invalidante du
mouvement volontaire, et touche environ 500 000 personnes aux États-Unis3.
La maladie d’Alzheimer se caractérise par une démence, un état de confusion
mentale, rendant impossible la mémorisation de nouvelles informations et le
souvenir de ce qui est déjà acquis. Aux États-Unis, le National Institute of Health
(NIH, Institut national de la santé) estime que la démence touche 18 % des
personnes après 85 ans4, ce qui représente environ 4 millions d’Américains. En
fait, il est maintenant admis que la sénilité n’est pas une fatalité de la vieillesse,
comme cela a pu être envisagé, mais bien le signe d’une atteinte du cerveau. Pour

2.  NdT : une étude en 2010 chiffre en Europe le coût des maladies du cerveau et leur prise
en charge, affectant plus d’un tiers des 514 millions d’habitants, à 798 milliards d’euros
(Gustavsson et al. European neuropsychopharmacology 2011 ; 21 : 718-79).
3.  National Institute of Neurological Disorders and Stroke. “Parkinson Disease back-
grounder”, 18 octobre 2004.
4.  US Department of Health and Human Services, Agency for Healthcare Research and
Quality. “Approximately 5 percent of seniors report one or more cognitive disorders”,
mars 2011.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 19

le moment, hélas, la progression de la maladie d’Alzheimer est inexorable, pri-


vant tout d’abord les malades de leur raison, puis du contrôle des fonctions de
base et finalement de leur vie ; la maladie est toujours mortelle. Aux États-Unis,
la prise en charge des personnes atteintes de démence coûte environ 100 milliards
de dollars par an à la société.
La dépression et la schizophrénie sont des troubles de l’humeur et de la pen-
sée. La dépression nerveuse est caractérisée par un sentiment général de décou-
ragement, d’inutilité et de culpabilité. Plus de 30 millions d’Américains souffrent
d’une dépression nerveuse grave à un moment ou à un autre de leur vie. La
dépression est la plus grande cause de suicide du pays, représentant environ
30 000 décès par an.
La schizophrénie constitue quant à elle un trouble sévère de la personnalité,
caractérisé par des illusions, des hallucinations et un comportement étrange. Cette
maladie survient souvent au début de la vie — dans l’adolescence ou chez les jeunes
adultes — et peut durer toute la vie. Plus de 2 millions d’Américains sont atteints
de schizophrénie. Le National Institute of Mental Health (NIMH, Institut national
de santé mentale) estime que les troubles mentaux, comme la dépression et la schi-
zophrénie, coûtent chaque année aux États-Unis plus de 150 milliards de dollars.
L’accident vasculaire cérébral (AVC) est aux États-Unis la troisième cause de
décès. Les victimes de ces AVC, plus de 500 000 par an, risquent d’être paralysées à
vie, ce qui représente une charge de 54 milliards de dollars supplémentaires par an.
Quant à l’alcoolisme et à la toxicomanie, aux États-Unis ils affectent virtuel-
lement presque toutes les familles. Le coût, en termes de traitement, perte de
salaire et autres conséquences, est supérieur à 600 milliards de dollars par an,
uniquement pour ces pathologies.
Ces quelques exemples ne font qu’effleurer le problème. Chacun doit en fait
savoir que le plus grand nombre d’Américains est hospitalisé pour des troubles
neurologiques ou mentaux, c’est-à-dire plus que pour tout autre grand groupe de
maladies, y compris les maladies cardiovasculaires ou encore le cancer.
Le coût économique des maladies neurologiques et psychiatriques est très
élevé, mais il n’est rien à côté de la lourde charge émotionnelle et de la détresse
qui pèsent sur les patients et leur famille. La prévention et le traitement des mala-
dies du système nerveux passent obligatoirement par la connaissance du fonction-
nement normal du cerveau, ce qui est l’objectif des recherches en neurosciences.
Ces recherches ont déjà permis de mettre au point des traitements plus efficaces,
notamment dans la maladie de Parkinson, la dépression nerveuse et la schizophré-
nie, et de nouvelles stratégies sont élaborées pour tenter de préserver les neurones
qui dégénèrent chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou chez les
victimes d’AVC. Par ailleurs, les mécanismes d’action des drogues et de l’alcool
sur le cerveau, et la question de savoir comment ces agents induisent un com-
portement de dépendance, sont mieux compris. Cet ouvrage a pour ambition de
présenter un état des connaissances sur le cerveau, en considérant toutefois que ce
que nous savons est insignifiant par rapport à ce qu’il reste à découvrir.

Conclusion
Les sciences du cerveau représentent un domaine tout à fait particulier de
l­’activité humaine. De nombreux chercheurs ont contribué à l’élaboration des
fondements des neurosciences au cours des générations précédentes. Aujourd’hui,
des hommes et des femmes travaillent, à différents niveaux et avec des techno­
logies variées, pour tenter d’expliquer le fonctionnement cérébral.
Afin de préciser le rôle du système nerveux, d’intéressantes observations ont
déjà pu être réalisées, sans intervenir sur le cerveau lui-même. Ainsi, en étudiant
le comportement, qui reflète l’activité cérébrale, il est possible d’évaluer pré-
cisément les capacités et les limites du système nerveux. La modélisation des
principes du fonctionnement cérébral par les neurosciences théoriques constitue
également une façon d’aborder la complexité du système nerveux. Un autre type
20 1 – Bases cellulaires

d’analyse porte aussi sur l’étude des ondes du cerveau sur le scalp, ce qui corres-
pond à des évaluations de l’activité électrique en différentes parties du cerveau
en rapport avec leur activité. Enfin, de nouvelles techniques d’imagerie assistée
par ordinateur permettent maintenant aux chercheurs d’explorer la structure
du cerveau in vivo ; et avec des méthodes encore plus sophistiquées, des mesures
sont effectuées de l’activité des différentes parties du cerveau, jusqu’en rapport
avec des activités mentales. Toutefois, quelle que soit leur puissance, aucune de
ces méthodes non traumatiques, ancienne ou nouvelle, ne peut remplacer l’ex-
périmentation sur le tissu cérébral vivant. Objectivement, il n’est pas possible
de tenir compte de signaux recueillis à distance sans savoir comment ils sont
générés, ni ce qu’ils signifient. Pour comprendre comment est organisé et fonc-
tionne le cerveau, il faut ainsi pouvoir ouvrir le crâne et examiner ce qu’il y a à
l’intérieur, que ce soit par les méthodes anatomiques, en neurophysiologie, ou
encore en neurochimie.
La recherche en neurosciences avance à grands pas et fait naître des espoirs
réels pour de nouveaux traitements dans tous les domaines des maladies du sys-
tème nerveux, qui touchent et handicapent des millions de personnes chaque
année. Cependant, en dépit de ces progrès considérables des dernières décennies
et depuis plusieurs siècles, il nous reste encore un long chemin à faire pour com-
prendre comment fonctionne réellement le cerveau. Mais c’est aussi cela qui fait
que cette recherche est si excitante : notre ignorance est telle que chaque pas
dévoile d’étonnantes découvertes.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Que représentent les ventricules du cerveau ? Quelles fonctions leur


a-t-on attribué aux différentes époques ?
2. Par quelle expérience Bell a-t-il démontré que les nerfs sont composés
de fibres sensorielles et de fibres motrices ?
3. Que suggéraient les expériences de Flourens sur le rôle respectif du
cerveau et du cervelet ?
4. Que signifie l’expression « modèle animal » ?
5. Une région du cerveau s’appelle l’aire de Broca ; quelle est la fonction
de cette région et pourquoi ?
6. Quels sont les différents niveaux d’analyse de la recherche en neuro­
sciences ? À quel type de questions correspondent-ils chacun ?
7. Quelles sont les différentes étapes de la méthode scientifique ? Décri-
vez-les.
1 – Neurosciences : passé, présent et futur 21

POUR EN SAVOIR PLUS

Allman JM. Evolving Brains. New York : Scientific American Library,


1999.
Clarke E, O’Malley C. The Human Brain and Spinal Cord, 2nd ed.
Los Angeles : University of California Press, 1968.
Corsi P, ed. The Enchanted Loom. New York : Oxford University Press,
1991.
Crick F. The Astonishing Hypothesis : The Scientific Search for the Soul.
New York : Macmillan, 1994.
Finger S. Origins of Neurosciences. New York : Oxford University Press,
1994.
Glickstein M. Neuroscience : a Historical Introduction. Cambridge, MA :
MIT Press, 2014.
22

CHAPITRE  2 Neurones
et cellules gliales

LA DOCTRINE DU NEURONE
Coloration de Golgi............................................................................ 25
Contribution de Cajal......................................................................... 26
Encadré 2.1 Focus  Les développements de la microscopie

ORGANISATION DU NEURONE
Soma.................................................................................................. 27
Encadré 2.2 Bases théoriques  Concevoir les bases biologiques du
fonctionnement cérébral dans l’ère
­post-­génomique…
Encadré 2.3 Les voies de la découverte  Modifier les gènes chez la souris,
par Mario Capecchi
Membrane neuronale.......................................................................... 37
Cytosquelette..................................................................................... 37
Encadré 2.4 Focus  Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal
Axone................................................................................................. 38
Encadré 2.5 Focus  Auto-stop sur le « rétro-rail » : focus
sur le transport axoplasmique rétrograde
Dendrites........................................................................................... 44
Encadré 2.6 Focus  Retard mental et épines dendritiques

CLASSIFICATION
DES NEURONES
Classifications basées sur la structure des neurones............................ 47
Classification basée sur l’expression génique...................................... 49
Encadré 2.7 Focus  Comprendre la structure du neurone
et sa fonction par la fabuleuse « Cre »

CELLULES GLIALES
Astrocytes.......................................................................................... 52
Cellules gliales et myélinisation........................................................... 52
Autres types de cellules, non neuronales............................................. 53

CONCLUSION
INTRODUCTION

T
ous les organes du corps sont formés de cellules. Les fonctions spéci-
fiques des cellules et leurs interactions déterminent celles des organes que
ces cellules forment. Le cerveau est un organe à part entière — l’organe le
plus sophistiqué et le plus complexe que la nature ait inventé ; mais la stratégie de
base utilisée pour l’étude de son fonctionnement n’est pas différente de celle mise
en œuvre pour explorer le pancréas ou encore le poumon, à titre d’illustration.
L’observation doit d’abord porter sur le rôle propre des cellules, puis, dans un
second temps, il est nécessaire de comprendre comment celles-ci s’assemblent
pour travailler ensemble. Dans le domaine des neurosciences, il n’est pas utile de
vouloir séparer le cerveau de l’esprit ; la compréhension de l’action des neurones,
puis de celle des réseaux qu’ils forment, devrait permettre d’expliquer l’origine
de la pensée créatrice ; en tout cas nous le pensons. Le plan de cet ouvrage illustre
cette « neurophilosophie ». Il est d’abord consacré à l’étude des cellules formant
le système nerveux : leur structure, leur fonction, ou encore leurs modes de com-
munication entre elles. Dans les chapitres suivants, il explique comment ces cel-
lules sont assemblées en circuits, qui sont à la base des sensations, de la percep-
tion, du mouvement, du langage ou encore des processus émotionnels.
Ce chapitre est centré sur la structure des différents types de cellules du
système nerveux : les neurones et les cellules gliales. Les neurones et les cellules
gliales représentent de vastes catégories cellulaires. Dans chacune d’entre elles,
de nombreuses sous-catégories peuvent être distinguées, avec des différences de
structure, de chimie, ou simplement de fonction. Mais, distinguer neurones et
cellules gliales est absolument fondamental. En effet, bien qu’il y ait à peu près
le même nombre de neurones et de cellules gliales dans le cerveau humain adulte
(environ 85 milliards de chaque), ce sont bien les neurones qui sont responsables
des fonctions si particulières du cerveau. En raison notamment de leur contri-
bution aux circuits qui sous-tendent les fonctions cérébrales, ce sont, de fait, les
neurones qui ressentent les modifications de l’environnement, communiquent ces
informations à d’autres neurones et commandent les réponses du corps à ces
sensations. Les cellules gliales contribuent elles aussi aux fonctions du cerveau
mais principalement en isolant, en protégeant et en nourrissant les neurones
situés dans leur entourage. Si le cerveau était, par exemple, comparé à un cookie
au chocolat, les neurones seraient les pépites de chocolat, alors que les cellules
gliales seraient comparables à la pâte qui forme le gâteau et répartit les pépites de
chocolat. En fait, le mot « glie » vient du mot grec qui signifie « glu », suggérant
que la fonction principale de ces cellules est d’empêcher le cerveau de s’écouler
par les oreilles ! Comme nous le verrons plus loin, cette vision des choses plutôt
naïve montre l’ampleur de notre ignorance en ce qui concerne la fonction de ces
cellules gliales. Mais, il est vrai que les neurones jouent le rôle le plus important
dans le traitement de l’information cérébrale.
Enfin, les neurosciences, comme d’autres sciences, ont leur propre langage
et, pour le comprendre, il faut en connaître le vocabulaire. À cette fin, chaque
chapitre est suivi de mots-clés dont il faudra vous assurer que vous en comprenez
bien le sens. Au fur et à mesure de l’avancée de notre découverte du cerveau, le
vocabulaire des neurosciences vous deviendra ainsi plus accessible.
24 1 – Bases cellulaires

La doctrine du neurone
Les scientifiques sont confrontés à un certain nombre d’obstacles dans
l’étude de la structure des cellules du cerveau, le premier étant leur très petite
taille. De fait, la plupart des cellules ont un diamètre de 0,01 à 0,05 mm. Sachant
que, à titre de comparaison, la pointe d’un crayon non taillé est d’environ 2 mm,
les neurones apparaissent ainsi 40 à 200 fois plus petits (le tableau 2.1 présente
une révision du système métrique). Cette taille est à la limite ou au-delà de ce que
l’on peut voir à l’œil nu ; les neurosciences cellulaires n’ont donc pas progressé
jusqu’au développement du microscope, à la fin du xviie siècle. Mais d’autres
obstacles restaient à franchir. L’observation de tissus cérébraux au microscope
nécessite en effet la réalisation de coupes extrêmement fines, l’idéal étant des
coupes à peine plus épaisses que le diamètre des cellules. Or les tissus cérébraux
ont la consistance d’une gelée, c’est-à-dire qu’ils ne se présentent pas de façon
assez ferme pour pratiquer ces coupes très fines. L’observation anatomique du
cerveau restait donc conditionnée par le développement d’une méthode per-
mettant de durcir le cerveau sans altérer sa structure et par l’invention d’un
appareil permettant de réaliser les coupes observables au microscope. Au début
du xixe siècle, les scientifiques ont découvert comment « fixer » les tissus en les
immergeant dans du formol et un appareil appelé microtome a permis de réaliser
des coupes de tissu fixé de très faible épaisseur.

Tableau 2.1 – Unités de grandeur du système métrique.

Unité Abréviation Équivalence en mètres Comparaison avec le réel


Kilomètre km 103 m Environ 2/3 de 1 mile (États-Unis)

Mètre m 1 m Environ 3 pieds (États-Unis)

Centimètre cm 10–2 m Épaisseur du petit doigt

Millimètre mm 10–3 m Épaisseur de l’ongle de l’orteil

Micromètre µm 10–6 m À la limite de résolution du microscope


optique
Nanomètre nm 10–9 m À la limite de résolution du microscope
électronique

Le développement de la microscopie et de méthodes permettant de fixer et


de couper les tissus donna naissance à un nouveau domaine appelé histologie ou
étude microscopique de la structure des tissus. Mais un autre obstacle attendait
les scientifiques. En réalité, un cerveau fraîchement préparé présente un aspect
uniforme de couleur crème, lorsqu’il est examiné au microscope ; aucune diffé-
rence de pigmentation ne pouvant aider les histologistes à distinguer les cellules.
Ce fut dès lors l’introduction de méthodes capables de colorer sélectivement
mais pas globalement, les cellules dans les tissus cérébraux qui représenta alors
un des progrès les plus déterminants de l’histologie.
C’est le neurologue allemand Franz Nissl qui introduisit le premier un pro-
cédé encore largement utilisé aujourd’hui. Nissl montra que l’utilisation de cer-
tains pigments colorait les noyaux de toutes les cellules du cerveau, ainsi que
des amas de substance entourant les noyaux des neurones (Fig. 2.1). Ces amas
sont appelés corps de Nissl et la coloration, coloration de Nissl. Cette coloration
est extrêmement utile, pour deux raisons. D’abord, elle permet de différencier
les neurones des cellules gliales ; ensuite, elle permet aux histologistes d’obser-
Figure 2.1 – Coloration de Nissl.
Cette coupe de cerveau très fine a été colorée ver l’organisation, ou cytoarchitecture, des neurones dans différentes parties du
par le violet de Crésyl. Le colorant est accu- cerveau (le préfixe cyto vient du mot grec qui signifie « cellule »). L’étude de la
mulé dans les corps cellulaires des neurones, cytoarchitecture montre que le cerveau comporte de nombreuses zones spécia-
au niveau des corps de Nissl. (Source : Ham- lisées, chacune étant susceptible de jouer un rôle différent, comme cela est bien
mersen, 1980, Fig. 493.) connu maintenant.
2 – Neurones et cellules gliales 25

Coloration de Golgi
La coloration de Nissl n’explique cependant pas tout. Un neurone avec colo-
ration de Nissl ressemble à un petit amas de protoplasme contenant un noyau.
Mais les neurones sont beaucoup plus que cela. Il fallut en fait attendre les tra-
vaux de l’histologiste italien Camillo Golgi (Fig. 2.2) pour mieux comprendre
leur rôle. En 1873, Golgi découvrit qu’en mettant du tissu cérébral dans une
solution de chrome argenté, un petit pourcentage de neurones seulement pre-
nait uniformément une coloration sombre (Fig. 2.3). Cette méthode est appelée
depuis coloration de Golgi. Elle a permis de montrer que le corps de la cellule
neuronale, c’est-à-dire la partie du neurone située autour du noyau mise en évi-
dence par la coloration de Nissl, n’est en fait qu’une petite partie du neurone. Les
figures 2.1 et 2.3 montrent comment ces colorations histologiques donnent des
aspects très différents du même tissu. Actuellement, l’histologie reste un domaine
très dynamique des neurosciences, avec son credo selon lequel « les progrès dans
la connaissance du cerveau sont essentiellement liés à sa coloration » (The gain
in brain is mainly in the stain).

Figure 2.2 – Camillo Golgi (1843-1926).


(Source : Finger, 1994, Fig. 3.22.)

Soma
Figure 2.3 – Neurones colorés par la méthode de Golgi.
(Source : Hubel, 1988, p. 126.)

La coloration de Golgi révèle par imprégnation argentique que les neurones


sont constitués d’au moins deux parties distinctes : une partie centrale contenant
le noyau, et de nombreux petits prolongements disposés en rayons depuis la par- Dendrites Neurites
tie centrale. La partie centrale, qui contient le noyau, a plusieurs appellations : Axone
corps cellulaire, soma, ou encore perikaryon. Les fins prolongements, qui partent
du soma, sont dénommés neurites. Ils sont divisés en deux catégories différentes :
les axones et les dendrites (Fig. 2.4).
Le corps cellulaire donne généralement naissance à un seul axone. Le dia-
mètre de l’axone est le même sur toute sa longueur et, s’il se divise les branches
partent généralement à angle droit. Parce que les axones de certaines cellules
peuvent atteindre des longueurs très importantes (jusqu’à 1 mètre ou plus chez
l’homme pour certains axones de cellules reliant le cortex cérébral à la moelle
épinière, par exemple), les histologistes pensaient que ces axones fonctionnaient Figure 2.4 – Représentation schématique des
comme des « fils électriques » véhiculant les messages nerveux. En revanche, les différentes parties du neurone.
26 1 – Bases cellulaires

dendrites ont rarement plus de 2 mm de longueur. Les dendrites naissent en


grand nombre du corps cellulaire et se terminent généralement en pointe effi-
lée. Comme les dendrites sont en contact avec de nombreux axones, les premiers
histologistes pensaient qu’ils étaient comparables à des antennes, permettant au
neurone de recevoir des signaux.

Contribution de Cajal
C’est Camillo Golgi qui mit au point le premier procédé de coloration des
neurones, mais c’est un de ses contemporains espagnol qui en tira le meilleur
profit. Santiago Ramon y Cajal, histologiste brillant et artiste, connaissait la
méthode de Golgi depuis 1888 (Fig. 2.5). Au cours des 25 années suivantes, dans
une remarquable série de publications, Cajal tenta de démontrer l’existence de
Figure 2.5 – Santiago Ramon y Cajal (1852- circuits dans plusieurs régions du cerveau, en utilisant la méthode de Golgi
1934). (Source : Finger, 1994, Fig. 3.26.) (Fig. 2.6). Ironiquement, Golgi et Cajal parvinrent à des conclusions opposées
au sujet du neurone. Golgi proclamait que les neurites des différentes cellules
fusionnent entre eux pour former un reticulum continu ou réseau nerveux, sem-
blable aux veines et aux artères de la circulation. Selon cette théorie dite « réticu-
laire », le cerveau apparaît alors comme une exception dans la théorie cellulaire,
qui établit que la cellule, à l’échelon unitaire, constitue l’unité fonctionnelle élé-
mentaire de tous les tissus animaux. À l’opposé, Cajal soutenait vigoureusement
que les neurites des neurones ne sont pas reliés les uns aux autres, mais qu’ils sont
probablement en contiguïté et non en continuité. C’est en rattachant la nature du
neurone à la théorie cellulaire que fut émis le concept de neurone. Cajal et Golgi
partagèrent un prix Nobel en 1906 mais ils restèrent toujours rivaux.
Les données obtenues au cours des cinquante années suivantes étaient net-
tement en faveur du concept de neurone mais ce n’est que vers 1950 que les pro-
grès du microscope électronique en apportèrent la preuve finale (Encadré 2.1).
L’augmentation déterminante de la capacité de résolution du microscope élec-
tronique a effectivement permis de montrer à cette époque que les neurites des
neurones ne sont pas en continuité les uns avec les autres (Fig. 2.7). Par consé-
quent, notre point de départ de l’exploration de cerveau se doit d’être le neurone
lui-même.

Figure 2.6 – Organisation du cortex cérébral,


selon Ramon y Cajal.
Les lettres repèrent les différents éléments
cellulaires identifiés dans une région du cortex
cérébral humain impliquée dans le contrôle
des mouvements volontaires (voir cha-
pitre 14). (Source : DeFilipe et Jones, 1988,
Fig. 90.)

Figure 2.7 – Neurites « en contact » mais non « en continuité ».


Ces neurites sont reconstruits à partir d’une série d’images réalisées par observation au micros-
cope électronique. L’axone (coloré en jaune) est en contact avec une dendrite (colorée en bleu).
(Source : courtoisie du Dr Sebastian Seung, Princeton University, et Kris Krug, Pop Tech.)
2 – Neurones et cellules gliales 27

Encadré 2.1 FOCUS

Les développements de la microscopie


L’œil humain ne peut distinguer deux points que s’ils nation au moyen de rayon laser de molécules fluores-
sont séparés par une distance d’au moins un dixième de centes préalablement introduites dans les neurones. La
millimètre (100 µm). Cette distance représente donc la fluorescence est enregistrée par des détecteurs très sen-
limite de résolution pour l’œil. Les neurones ont un dia- sibles et les ordinateurs utilisent cette information pour
mètre d’environ 20 µm et les neurites peuvent être aussi reconstruire l’image du neurone. Contrairement aux
petits qu’une fraction de micromètre. Le microscope méthodes traditionnelles utilisant des microscopes
optique représentait donc un progrès indispensable pour optiques et électroniques qui nécessitent des fixations
l’observation de la structure neuronale. Cependant, ce préalables des tissus, ces nouvelles techniques donnent
type de microscopie présente une limite théorique, en en plus aux scientifiques et pour la première fois, la pos-
raison des propriétés des lentilles du microscope et de sibilité d’observer le tissu cérébral vivant. De plus, leur
celles de la lumière visible. Avec un microscope optique résolution est considérable, repoussant les limites impo-
ordinaire la limite de résolution est ramenée à 0,1 µm. sées par l’observation en microscopie optique jusqu’à
Or la distance entre deux neurones est seulement de pouvoir observer des structures aussi petites que celles
0,02 µm (20 nm). Il n’est donc pas étonnant que deux de taille d’environ 20 nm.
scientifiques aussi éminents que Golgi et Cajal ne soient
pas parvenus à s’entendre sur la continuité ou la
non-continuité des neurites. Cette question resta sans
réponse jusqu’à l’invention du microscope électronique
permettant l’examen de spécimens biologiques, il y a
environ 70 ans.
En microscopie électronique, c’est un faisceau d’élec-
trons et non la lumière qui produit l’image, accroissant
ainsi la capacité de résolution d’une manière impor-
tante. La limite de résolution d’un microscope électro-
nique est de 0,1 nm, c’est-à-dire un million de fois supé-
rieure à celle de l’œil. C’est grâce au microscope
électronique que l’observation de la structure fine du
neurone ou ultrastructure, a pu être réalisée.
Actuellement de nouvelles générations de micros-
copes apparaissent. Avec ces appareils très perfection-
nés (Fig. A), les tissus sont éclairés par un rayon laser et Figure A – Microscope à éclairage laser et système d’enregistre-
des images digitales sont reproduites par ordinateur. Les ment des données numérisées montrant un neurone fluorescent
neurobiologistes utilisent de façon très routinière les dont on distingue les dendrites.
méthodes de microscopie confocale basées sur l’illumi- (Source : Dr Miquel Bosch, Massachusetts Institute of Technology.)

Organisation du neurone
Comme cela a déjà été mentionné, le neurone (encore dénommé cellule ner­
veuse) comprend trois parties principales : le soma, les dendrites et l’axone.
L’intérieur du neurone est séparé de son environnement par une enveloppe qui
le délimite, la membrane neuronale, apparaissant comme posée sur un squelette
interne complexe ou cytosquelette, qui donne à chaque partie de la cellule son
aspect particulier tridimensionnel. L’intérieur du neurone et les différentes par-
ties qui le composent peuvent être décrits de la façon suivante (Fig. 2.8).

Soma
La forme du soma est variable, mais le plus souvent sphérique. Le corps cel-
lulaire d’un neurone typique a environ 20 µm de diamètre et le liquide aqueux
se trouvant à l’intérieur de la cellule est dénommé le cytosol. Il s’agit d’une
28 1 – Bases cellulaires

Mitochondrie
Membrane
Noyau

Reticulum
endoplasmique
rugueux Polyribosomes
(RE rugueux)
Appareil de Golgi

Ribosomes

Reticulum
endoplasmique lisse
(RE lisse)
Cône
axonique

Microtubules

Axone

Figure 2.8 – Représentation schématique de la structure du neurone.


2 – Neurones et cellules gliales 29

solution salée, riche en potassium. La membrane sépare l’intérieur de la cellule


de son environnement. Dans le soma se trouvent des structures entourées de
membranes dénommées globalement quant à elles organites.
Le corps cellulaire du neurone contient les mêmes organites que ceux pré-
sents dans l’ensemble des cellules animales. Les plus importants sont le noyau, le
reticulum endoplasmique rugueux, le reticulum endoplasmique lisse, l’appareil
de Golgi et les mitochondries. Tout ce qui se trouve à l’intérieur de la membrane,
excepté le noyau, est regroupé sous le nom de cytoplasme.
Noyau. Le noyau de la cellule est en général sphérique et il est situé approxi-
mativement au centre du soma. Il mesure environ 5 à 10 µm de diamètre, et se
trouve enfermé dans une double membrane appelée enveloppe nucléaire, inter-
rompue en plusieurs endroits par des pores d’environ 0,1 µm.
Le noyau contient les chromosomes, qui représentent le matériel héréditaire
constitué par l’ADN (acide désoxyribonucléique). L’ADN est transmis par les
parents et porte les empreintes de l’ensemble de l’organisme. L’ADN contenu
dans chaque neurone est le même et il est semblable à l’ADN de toutes les cel-
lules de l’organisme, telles celles du foie ou des reins. Ce n’est pas l’ADN en soi
qui distingue un neurone d’une cellule du foie mais plutôt les parties de l’ADN
utilisées pour assembler les différents types cellulaires. Ces fragments d’ADN
représentent les gènes.
Chaque chromosome est constitué d’une double hélice continue d’ADN de
2 nm de large. Si l’ADN composant les 46 chromosomes humains était mis bout
à bout, il formerait un filament d’environ 2 m de longueur. L’une des façons
d’apprécier ce que représente cet ADN est de comparer ce filament à l’aligne-
ment de toutes les lettres qui composent ce livre. Dans ce cas, les gènes, qui
sont porteurs de l’information génétique, sont comparables à chacun des mots.
Chaque gène est représenté par un fragment d’ADN mesurant de 0,1 µm à
quelques micromètres de longueur.
La « lecture » du code génétique porté par l’ADN est appelée l’expression
génique. Le rôle de l’expression génique est de procéder à la biosynthèse des
protéines. La structure, comme la taille des diverses protéines de l’organisme, est
extrêmement variable. Ces protéines exercent de nombreuses fonctions et, par la
nature spécifique de certaines d’entre elles, confèrent aux neurones leurs caracté-
ristiques exceptionnelles. La synthèse des protéines, c’est-à-dire l’assemblage des
molécules protéiques, se déroule dans le cytoplasme, au niveau du soma. Puisque
l’ADN ne quitte jamais le noyau, il faut un médiateur pour transmettre le mes-
sage génétique jusqu’aux sites de synthèse des protéines, dans le cytoplasme.
C’est un autre type de molécule, appelé acide ribonucléique-messager ou ARNm,
qui joue ce rôle. Les ARNm se composent de quatre nucléotides liés en séquences
variées, formant une longue chaîne. La séquence spécifique des nucléotides de la
chaîne correspond à l’information du gène, exactement comme une séquence de
lettres donne son sens à l’écriture d’un mot.
Le processus qui permet de copier une partie de l’information d’un gène s’ap-
pelle la transcription et l’ARNm, le transcrit (Fig. 2.9a). Les séquences codantes
des protéines dans les gènes sont flanquées de séquences qui ne sont pas, quant
à elles, impliquées dans le code génétique des protéines. Ces séquences non
codantes sont importantes pour réguler la transcription. À une extrémité du
gène se trouve une séquence particulière dénommée promoteur, représentant la
région du gène où l’enzyme de synthèse de l’ARN, l’ARN polymérase, se fixe
pour initier la transcription. La liaison de la polymérase au promoteur est étroi-
tement régulée par d’autres protéines, dénommées facteurs de transcription. À
l’autre extrémité du gène se trouve une autre séquence particulière dénommée
terminator ou séquence stop, que l’ARN polymérase reconnaît comme un signal
de fin de transcription.
En plus de ces régions non codantes de l’ADN qui flanquent les gènes, il se
trouve souvent à l’intérieur même du gène des séquences ne pouvant pas être
utilisées pour le codage des protéines. Ces régions sont dénommées introns, et
les séquences codantes, exons. Les transcrits initiaux contiennent à la fois des
introns et des exons, puis, par un processus dénommé épissage de l’ARN, les
introns sont retirés et les exons restants fusionnent (Fig. 2.9b). Dans quelques
30 1 – Bases cellulaires

Figure 2.9 – Transcription génique.


(a) Les molécules d’ARN sont synthétisées par une ARN poly-
mérase, puis transformées en ARN messagers (ARNm) pour
transférer l’information génique au niveau de l’assemblage des
protéines, passant ainsi du noyau au cytoplasme. (b) La trans-
cription est initiée au niveau du promoteur du gène et elle se
termine à la région « terminator ». L’ARN initial doit être épissé,
de façon à éliminer les introns, représentant des parties non
codantes du gène.

Gène

Gène
Promoteur Terminator

ADN DNA
Exon 1 Exon 2 Exon 3
1 Transcription
Intron 1 Intron 2

ADN
Transcription

ARN polymérase ARN


ARN

2 Traitement de l’ARN Épissage

Transcrit
d’ARNm (b) ARNm

3 Sortie du noyau

Cytoplasme

(a)

cas des exons spécifiques sont également retirés avec les introns, conduisant à
un épissage « alternatif », qui forme un ARNm particulier. Celui-ci encode réel-
lement une protéine différente. Ainsi, la transcription d’un gène unique peut
donner différents ARNm, et, partant, des protéines différentes.
Les ARNm passent du noyau, au travers des pores de l’enveloppe nucléaire,
jusqu’aux sites de synthèse des protéines situés en d’autres endroits du neurone.
Sur ces sites, les molécules protéiques s’assemblent comme le font les molécules
d’ARNm, en créant une chaîne de plusieurs petites molécules. Pour les protéines,
les blocs de construction sont représentés par les acides aminés, dont il existe
20 sortes différentes. L’assemblage des protéines à partir des acides aminés, sous
le contrôle des ARNm, s’appelle la traduction.
L’étude de ce processus, qui commence avec l’ADN du noyau et se termine
par la synthèse des molécules protéiques dans la cellule, relève de la biologie
moléculaire dont le « dogme central » peut être résumé schématiquement de la
façon suivante :
transcription traduction
ADN    ARNm    protéine

Gènes, variations du génome et ingénierie génétique.  Les neurones diffèrent


des autres cellules de l’organisme par l’expression de gènes spécifiques condui-
sant à autant de protéines particulières, au-delà des gènes partagés avec d’autres
catégories de cellules. Une lecture particulière de ces gènes est possible depuis
le séquençage du génome humain, c’est-à-dire de l’ensemble de l’information
2 – Neurones et cellules gliales 31

génétique présente dans nos chromosomes sous forme d’ADN. Nous connais-
sons aujourd’hui l’ensemble des 25 000 « mots » de notre génome et nous savons
où ces gènes peuvent être trouvés sur chacun des chromosomes. De plus, nous
savons aussi quels sont les gènes dont l’expression est spécifique des neurones
(Encadré 2.2). Ces connaissances ont ainsi considérablement accru notre com-
préhension des bases génétiques de plusieurs maladies du système nerveux.

Encadré 2.2 BASES THÉORIQUES

Concevoir les bases biologiques du fonctionnement cérébral


dans l’ère post‑génomique…
Le séquençage du génome humain, c’est-à-dire de tillon sont marqués par une autre substance fluores-
l’ensemble de l’ADN comportant l’information géné- cente, mais cette fois de couleur différente, par exemple
tique de nos chromosomes, a représenté une aventure rouge. Ces échantillons sont alors déposés sur le micro­
démesurée, qui s’est achevée en 2003. Ce programme, array. Les gènes fortement exprimés sont repérables par
connu comme le Human Genome Project, a conduit à les spots de fluorescence émise, étudiés à l’aide d’un
l’identification d’environ 25  000 gènes de l’ADN microscope confocal par exemple, et les différences d’ex-
humain. Nous sommes donc bien aujourd’hui dans pression génique entre échantillons sont données par les
« l’ère post-génomique », où l’information sur les gènes différences d’émission de fluorescence de l’une et l’autre
exprimés dans nos tissus peut permettre le diagnostic de couleur (Fig. A).
certaines maladies et les traiter. Les neurobiologistes
utilisent maintenant cette information pour tenter d’al-
ler plus loin et de répondre par exemple à des questions Cerveau n° 1 Cerveau n° 2
anciennes et encore loin d’être résolues sur les bases bio-
logiques des maladies neurologiques et psychiatriques,
mais aussi en utilisant les données comme outils pour
sonder l’origine même de notre personnalité et de nos
comportements. Dans cette affaire, la démarche est la
suivante : le cerveau résulte de l’expression des gènes
qu’il contient ; les différences d’expression des gènes
entre un cerveau normal et un cerveau malade ou issus
d’un cerveau présentant des capacités particulières,
peuvent alors être un moyen d’identification des bases
moléculaires des symptômes observés chez les patients,
ou de ces capacités particulières. Échantillon Échantillon
Le niveau d’expression d’un gène est habituellement d’ARNm issu d’ARNm issu
du cerveau du cerveau
défini par le nombre de transcrits d’ARNm synthétisés n° 1, coloré n° 2, coloré
par les cellules et les tissus, pour contribuer à la synthèse en rouge en vert
de protéines spécifiques. Par conséquent, l’analyse de Mélange Spot d’ADN
l’expression génique nécessite une méthode qui per- des deux échantillons synthétique
mette de comparer le nombre relatif de ces ARNm dans soumis au microarray correspondant
le cerveau de différents groupes de sujets humains ou à une séquence
spécifique
d’animaux. L’une des façons de faire est d’utiliser la
technique dite des microarrays d’ADN, créés par des
dispositifs robotisés permettant de disposer des milliers
de fragments d’ADN spécifiques sur une lame de Lame de
microscope. Chaque dépôt contient une séquence microscope
unique d’ADN synthétique d’un gène connu, suscep- Gène présentant Gène ne présentant Gène présentant
tible de reconnaître une séquence complémentaire une réduction pas de différence une réduction
d’ARNm. Pour comparer l’expression génique de deux d’expression d’expression d’expression dans
dans le entre les le cerveau n° 1
échantillons de cerveau, on commence donc par extraire cerveau n° 2 deux cerveaux
les ARNm de chacun des échantillons. Les ARNm de
l’un des cerveaux sont alors repérables par un marqueur Figure A – Étude différentielle du profil d’expression génique de
fluorescent, par exemple vert, et ceux de l’autre échan- deux échantillons par la technique des microarrays.
32 1 – Bases cellulaires

Dans certaines de ces pathologies, de longues séquences d’ADN qui contiennent


des gènes particuliers sont manquantes ; dans d’autres cas, les gènes sont au
contraire dupliqués, conduisant à une surexpression de protéines particulières.
Ces défauts de construction du génome, connus comme variations du nombre de
copies des gènes, interviennent souvent au moment de la conception, lorsque les
ADN des deux parents se mélangent pour créer celui de la progéniture. Ainsi
a-t-il été montré récemment que, dans certains cas de pathologies psychiatriques
graves comme des syndromes autistiques ou certaines formes de schizophrénie,
la maladie est causée par des variations du nombre de copies de gènes particu-
liers (les maladies psychiatriques sont discutées dans le chapitre 22).
D’autres pathologies sont causées par des mutations — des « erreurs typo-
graphiques », en quelque sorte — à l’intérieur d’un gène ou dans les régions très
proches du génome impliquées dans la régulation de l’expression du gène. Dans
quelques cas, une seule protéine est affectée, soit parce qu’elle est anormale, soit
parce qu’elle est totalement manquante, impactant la fonction neuronale. C’est
le cas par exemple de ce que l’on nomme le syndrome de l’X fragile, une maladie
qui se manifeste par une atteinte des capacités intellectuelles et des symptômes
autistiques, causée par la perte de fonction d’un seul gène (voir discussion cha­
pitre 23). Plusieurs de nos gènes sont soumis à de faibles mutations, nommées
polymorphisme d’un gène unique (single gene polymorphism), qui sont analogues
à ce qu’est un changement d’une simple lettre dans un mot. De telles altéra-
tions de l’expression génique sont en général bégnines, conduisant à des mots
dont l’orthographe peut être légèrement différente mais le sens identique (par
exemple : « connection », qui n’est pas correct, et « connexion »). Toutefois, les
mutations affectent parfois la fonction de la protéine, notamment comme dans le
cas où les lettres d’un mot sont les mêmes mais ne sont pas placées dans le même
ordre (par exemple : « porte » ou « report »). Ainsi le polymorphisme, d’un seul
ou de plusieurs gènes, peut-il affecter la fonction neuronale.
L’étude de la façon dont les gènes forment le cerveau et de comment ils
contribuent aux fonctions neuronales dans les situations normales et patholo-
giques constitue un enjeu majeur des neurosciences. Une étape importante de
ce challenge est le développement de technologies permettant l’ingénierie géné-
tique, c’est-à-dire de modifier l’expression génique, par exemple en empêchant
l’expression d’un gène ou, au contraire, en créant l’insertion d’un nouveau gène.
Cette technologie est utilisée principalement chez la souris du fait de sa capacité
à se reproduire rapidement, tout en ayant un système nerveux très similaire au
nôtre. La production de souris knock-out dans lesquelles l’expression d’un gène a
été supprimée peut dès lors être utilisée comme modèle animal pour suivre l’évo-
lution de la progression d’une maladie ; par exemple dans le cas du syndrome de
l’X fragile, avec pour objectif le projet d’en réinsérer une copie pour restaurer la
fonction du gène et combattre la maladie. Une autre approche consiste à créer
des souris transgéniques dans lesquelles certains gènes sont introduits (stratégie
de knock-in) et deviennent surexprimés. Ces gènes nouveaux pour l’animal sont
dénommés transgènes. Des souris knock-in sont aussi créées pour remplacer un
gène natif par un transgène modifié.
Dans cet ouvrage nous aurons l’occasion de voir de nombreux exemples
d’animaux transgéniques utilisés pour comprendre le fonctionnement du cer-
veau. De fait, cette technologie basée sur des modifications ciblées de l’expres-
sion génique a révolutionné les neurosciences et, plus généralement, la biologie.
Les chercheurs qui ont développé cette technologie ont obtenu la reconnaissance
de leurs travaux par le Prix Nobel de physiologie et médecine en 2007 : Martin
Evans, de l’Université de Cardiff, Oliver Smithies, de l’Université de Caroline
du Nord à Chapel Hill et Mario Capecchi de l’Université d’Utah (Encadré 2.3).
Reticulum endoplasmique rugueux. Les neurones utilisent l’information
génétique en synthétisant des protéines. La synthèse des protéines intervient
dans des structures globuleuses compactes dénommées ribosomes. Les trans-
cripts d’ARNm se fixent ainsi sur les ribosomes et ceux-ci traduisent les instruc-
tions contenues dans les ARNm pour former les protéines. En d’autres termes,
les ribosomes utilisent les informations contenues dans les ARNm pour synthé-
tiser les protéines à partir des acides aminés.
2 – Neurones et cellules gliales 33

Encadré 2.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Modifier les gènes chez la souris


Par Mario Capecchi

Comment m’est venue l’idée de réaliser souris transgéniques par intégration au


une intervention sur un gène particulier hasard d’ADN dans des chromosomes
chez la souris ? D’une simple observation. d’œufs de souris ou zygotes. Pour optimiser
Mike Wigler, qui travaille désormais au encore l’expression de cet ADN exogène
Cold Spring Harbor Laboratory, et Richard dans les cellules réceptrices, j’ai rajouté de
Axel, à Columbia University, avaient publié courts fragments d’ADN viral dont nous
en 1979 un article montrant que l’exposi- savons aujourd’hui qu’il contient des
tion d’une cellule de mammifère à un séquences amplificatrices absolument cri-
mélange d’ADN et de phosphate de cal- tiques pour l’expression génique des cel-
cium entraînait l’incorporation de l’ADN, lules eucaryotes.
Mario Capecchi
et que celui-ci était capable d’exprimer dans Mais ce qui m’a le plus fasciné a été de
la cellule hôte les gènes correspondants. Ce résultat constater que lorsque plusieurs copies d’un même gène
extrêmement intéressant, montrait que de l’ADN exo- étaient injectées dans le noyau d’une de ces cellules,
gène fonctionnel pouvait être introduit dans des cellules toutes ces séquences d’ADN s’alignaient dans un ordre
de mammifères. Mais je me demandais pourquoi l’effi- précis, de la tête à la queue, reconnu comme concatémère
cacité de cette méthode était si faible. Était-ce une ques- (Fig. B). Ceci était étonnant et ne pouvait pas résulter
tion d’administration de l’ADN, d’insertion de cet ADN d’un simple hasard. Nous avons alors voulu prouver que
exogène dans les chromosomes, ou encore d’expression la recombinaison homologue, le mécanisme par lequel
des gènes une fois insérés dans le chromosome hôte ? les chromosomes partagent l’information génétique
Que pourrait-il arriver si de l’ADN purifié était directe- pendant la division cellulaire, était bien responsable de
ment injecté dans le noyau de cellules de mammifères en l’intégration de l’ADN exogène (Folger et al., 1982). Ces
culture ? expériences démontrèrent que toutes les cellules soma-
Pour tester cette idée, j’ai utilisé une microélectrode tiques des mammifères expriment une machinerie très
représentée par une très fine aiguille hypodermique pro- sophistiquée pour absorber les fragments d’ADN dont
venant d’un poste d’enregistrement électrophysiolo- les séquences sont similaires à des nucléotides. L’injection
gique voisin, pour injecter directement l’ADN dans le de milliers de copies d’une séquence d’un gène dans le
noyau d’une cellule en culture grâce à un micromanipu- noyau d’une cellule résultait donc bien en une insertion
lateur, sous contrôle microscopique (Fig. A). La méthode d’un concatémère contenant un millier de copies de
fut remarquablement efficace (Capecchi, 1980). La fré- cette séquence, toutes orientées dans la bonne direction.
quence de transfert de gène dans une cellule devenait de Cette simple observation m’a conduit à envisager la pos-
l’ordre de un pour trois cellules traitées contre un pour sibilité de créer des mutations de n’importe quel gène
un million de cellules avec la méthode précédente. Cette chez la souris vivante, par ce ciblage génique (gene tar­
efficacité remarquable a conduit au développement des geting).

Pipette permettant
de maintenir l’œuf
en place

Œuf de souris
fertilisé

Figure A – Œuf de souris fertilisé, recevant une injection Micropipette


d’ADN exogène. contenant
la solution d’ADN
(Source : courtoisie du Dr Peimin Qi, Division of Comparative à injecter
Medicine, Massachusetts Institute of Technology.)
34 1 – Bases cellulaires

Encadré 2.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

confirmer cette information. Ma question suivante a été


de savoir si je pouvais immédiatement venir le rencon-
trer. Sa réponse fut très spontanément positive. La
période de Noël 1985 à Cambridge fut ainsi particuliè-
rement heureuse. Avec ma femme, qui travaille avec moi,
nous avons passé deux semaines délicieuses à apprendre
comment maintenir en vie ces merveilleuses cellules et à
les utiliser pour générer des souris capables d’exprimer
l’ADN exogène.
Les expérimentateurs ont souvent des idées pré-
conçues quant au rôle potentiel du gène sur lequel ils
focalisent leur intérêt, et ils sont dès lors parfois très
surpris des résultats obtenus par le knockout du gène. La
Figure B méthode du gene targeting nous a emmenés dans de
nombreuses directions, jusqu’à étudier plus récemment
le rôle de la microglie, des cellules qui migrent dans le
Enthousiasmé par cette perspective, j’ai soumis en cerveau après avoir été générées dans la moelle osseuse
1980 un projet de recherche au NIH (National Institute en même temps que des cellules du système immunitaire
of Health) proposant de modifier directement l’ADN et des cellules sanguines. En mutant ces cellules chez la
de cellules en culture, par recombinaison homologue. Le souris, on obtient une pathologie très similaire à ce que
projet a été refusé et je dois dire que les arguments des l’on appelle chez l’homme la trichotillomanie, une sorte
experts n’étaient pas déraisonnables… Ceux-ci oppo- de maniacodépression caractérisée par une tendance à
saient que la probabilité qu’une séquence d’ADN exo- s’arracher les cheveux. De façon amusante, en transplan-
gène se combine avec l’ADN d’une cellule vivante (com- tant de la moelle osseuse d’un animal normal chez les
portant de l’ordre de 3 x 109 paires de bases) était infime. animaux ayant été soumis au knockout, on obtient une
Par chance, mon projet présentait deux autres proposi- guérison définitive de ce syndrome se traduisant par
tions, que les experts ont, en revanche, retenues et finan- ce comportement si particulier (Chen et  al., 2010).
cées. J’ai évidemment utilisé ces fonds pour réaliser les Actuellement, nous tentons de comprendre comment la
expériences qui me tenaient le plus à cœur. Quatre microglie est capable de contrôler des comportements
années plus tard, nous avions les résultats démontrant aussi complexes et, peut-être encore plus important,
notre capacité à faire du gene targeting dans des cellules comment peut-on imaginer les relations existant entre le
de mammifères en culture. J’ai donc resoumis un projet système immunitaire, représenté ici par la microglie, et
au NIH, en proposant cette fois d’étendre cette étude des troubles psychiatriques aussi complexes que la
pour générer des souris transgéniques. La réponse que dépression, l’autisme, la schizophrénie ou encore la
j’ai reçue débutait par la phrase suivante : « Nous maladie d’Alzheimer.
sommes très heureux que vous n’ayez pas suivi nos
conseils. »
Cela m’a pris 10 ans pour développer la méthode du
Références
gene targeting chez la souris (Thomas et Capecchi,
1987). Avant d’arriver à nos fins, il fallut tenter de com- Capecchi MR. High efficiency transformation by direct
prendre les mécanismes de la recombinaison homologue microinjection of DNA into cultured mammalian
dans les cellules eucaryotes. De plus, la fréquence du cells. Cell 1980 ; 22 : 479-88.
gene targeting étant vraiment très faible, il fallut aussi Chen SC, Tvrdik P, Peden E, Cho S, Wu S, Spangrude G
accéder à des cellules souches embryonnaires de souris et  al. Hematopoietic origin of pathological groo-
capables de générer des lignées —  le sperme et les ming in Hoxb8 mutant mice. Cell 2010 ; 141 : 775-
œufs — chez l’adulte. Notre échec relatif à l’utilisation 85.
de lignées de cellules embryonnaires cancéreuses (EC, Folger KR, Wong EA, Wahl G, Capecchi MR. Patterns
pour embryonic carcinoma) m’a, je dois le dire, quelque of integration of DNA microinjected into cultured
peu déprimé. Puis j’ai appris qu’à partir d’une autre mammalian cells: evidence for homologous recombi-
lignée de cellules, Martin Evans, à Cambridge en nation between injected plasmid DNA molecules.
Angleterre, était à même de produire des cellules que Molecular and cellular Biology 1982 ; 2 : 1372-87.
l’on nomme EK, ressemblant aux cellules EC mais déri- Thomas KR, Capecchi MR. Site-directed mutagenesis
vées non pas de cellules cancéreuses mais d’embryons by gene targeting in mouse embryo-derived stem
normaux. Je l’ai donc appelé pour lui demander de cells. Cell 1987 ; 51 : 503-12.
2 – Neurones et cellules gliales 35

Dans les neurones, plusieurs ribosomes sont attachés à des membranes parti-
culières dénommées reticulum endoplasmique rugueux ou RE rugueux (Fig. 2.10).
Le RE rugueux est très abondant dans les neurones, beaucoup plus que dans les
cellules gliales ou dans toute autre cellule non neuronale. En fait, comme cela
a déjà été mentionné, le RE rugueux est aussi reconnu sous le nom de corps de
Nissl, à cause de ses propriétés de coloration spécifiques. Ce sont en effet ces
structures qui sont colorées positivement par la méthode de Nissl, qui fut mise
au point il y a environ 100 ans.

Noyau Enveloppe
nucléaire

Pore

Ribosomes
Reticulum endoplasmique Figure 2.10 – Reticulum
rugueux (RE rugueux) endoplasmique rugueux.

Le RE rugueux constitue un site majeur de la synthèse des protéines dans


les neurones, bien que tous les ribosomes ne soient pas attachés au RE rugueux.
Beaucoup d’entre eux sont libres et constituent ce que l’on nomme des ribosomes
libres. Quelques ribosomes libres peuvent aussi apparaître comme reliés entre
eux et former une chaînette ; ce sont les polyribosomes dont le support de liaison
est constitué par un ARNm, les ribosomes se regroupant sur cet ARNm pour
reproduire des copies de la même protéine.
Quelle est la différence entre les protéines synthétisées dans le RE rugueux
et celles qui sont synthétisées dans les ribosomes ? Tout dépend de la place qui
leur est assignée dans la cellule. Si la protéine est destinée au cytosol du neu-
rone, l’ARNm codant pour la protéine n’est pas associé aux ribosomes du RE
rugueux et gravite au contraire vers les ribosomes libres (Fig. 2.11a). Cependant,
si la protéine est destinée à s’insérer dans la membrane de la cellule ou celle d’un
organite, la synthèse s’effectue sur le RE rugueux. Pendant la synthèse, la pro-
téine est insérée dans la membrane du RE, où elle est prise au piège (Fig. 2.11b).
Il n’est pas étonnant que les neurones soient si bien dotés de RE rugueux car,
comme cela sera évoqué plus loin, de très nombreuses protéines membranaires
tout à fait particulières donnent à ces cellules leurs remarquables capacités à
traiter l’information.
Reticulum endoplasmique lisse et appareil de Golgi.  Le reste du cytosol du
soma est rempli d’autres structures membranaires similaires au RE rugueux,
mais sans les ribosomes. Ces structures forment le reticulum endoplasmique lisse
ou RE lisse. Le RE lisse est en fait très hétérogène et possède des fonctions dif-
férentes, selon les endroits. Le RE lisse peut aussi être en continuité avec le RE
36 1 – Bases cellulaires

ARNm

ARNm ARNm

RE rugueux
Ribosome
libre

ARNm
en cours
ARNm
de traduction
en cours
Figure 2.11 – Synthèse des protéines sur un de traduction
Protéine
ribosome libre et sur le reticulum endoplas-
néosynthétisée
mique (RE) rugueux.
Les ARN messagers (ARNm) se fixent aux
ribosomes, initiant par-là la synthèse des
protéines. (a)  Les protéines synthétisées sur
les ribosomes libres sont destinées au cyto-
sol. (b) Les protéines synthétisées sur le RE Nouvelle protéine
rugueux sont destinées à être transférées à associée à la membrane
une membrane. Les protéines associées aux
membranes sont insérées dans la membrane (a) Synthèse protéique (b) Synthèse protéique
dès leur assemblage. sur un ribosome libre sur le RE rugueux

Protéine
Reticulum endoplasmique nouvellement
rugueux (RE rugueux) synthétisée Appareil de Golgi

Figure 2.12 – L’appareil de Golgi.
Cet organite complexe est impliqué dans
la récupération des protéines nouvellement
synthétisées et dans leur adressage dans les
régions appropriées du neurone.

rugueux. C’est à ce niveau que les protéines qui sortent de la membrane seraient
soigneusement « repliées », ce qui leur confère leur structure tridimensionnelle.
D’autres régions du RE lisse ne sont pas impliquées dans la synthèse protéique
mais plutôt dans celle des lipides et agissent aussi pour contrôler les concentra-
tions internes de substances telles que le calcium (ceci est particulièrement vrai
pour les cellules musculaires, où le RE lisse représente le reticulum sarcoplas­
mique, comme on le verra dans le chapitre 13).
L’ensemble des disques délimité par une membrane dans la partie du soma
la plus éloignée du noyau constitue l’appareil de Golgi, décrit pour la pre-
mière fois en 1898 par Camillo Golgi (Fig. 2.12). Il s’agit d’un site de traite-
2 – Neurones et cellules gliales 37

ment « post-traductionnel » des protéines. Une des fonctions importantes de


l’appareil de Golgi est probablement aussi de sélectionner les protéines selon
leur destination dans le neurone, par exemple l’axone ou les dendrites.
Mitochondrie. Les mitochondries représentent un autre type d’organite,
existant en grand nombre dans le soma. Dans les neurones, ces structures de
forme allongée mesurent environ 1 µm de long. La membrane externe abrite les
nombreux replis de la membrane interne dénommés crêtes. L’espace entre les
crêtes représente la matrice (Fig. 2.13a).
Les mitochondries sont le siège de la respiration cellulaire (Fig. 2.13b). Lorsque
les mitochondries « inspirent », elles incorporent l’acide pyruvique (dérivé du
sucre et de la digestion des protéines et des graisses) et l’oxygène, présents tous
deux dans le cytosol. Dans la partie la plus interne de la mitochondrie, l’acide
pyruvique entre dans une série de réactions biochimiques complexes appelée
cycle de Krebs, d’après le nom du scientifique germano-britannique Hans Krebs,
Membrane
qui l’étudia le premier vers 1937. À l’intérieur des crêtes, les produits du cycle
externe
de Krebs fournissent de l’énergie, ce qui se traduit par l’addition de phosphate
à l’adénosine diphosphate (ADP), donnant de l’adénosine triphosphate ou ATP. Membrane
L’ATP représente la source d’énergie de la cellule. Ainsi, pour chaque molécule interne
d’acide pyruvique métabolisée, 17 molécules d’ATP sont produites.
Crêtes
L’ATP est la source d’énergie de la cellule. L’énergie stockée dans l’ATP est
utilisée pour alimenter la plupart des réactions biochimiques du neurone. Par
exemple, comme cela sera développé dans le chapitre 3, des protéines particu-
lières de la membrane neuronale utilisent l’énergie libérée par la transformation
de l’ATP en ADP pour pomper certaines substances à travers la membrane, afin
d’établir des différences de concentration entre l’intérieur et l’extérieur du neu-
rone (notion de pompes et de transport actif). Matrice

(a)
Membrane neuronale
La membrane neuronale délimite le pourtour cellulaire. Elle intervient pour
maintenir le cytoplasme à l’intérieur du neurone, mais elle joue aussi un rôle + O2 + CO2
pour contenir certaines substances hors du neurone. Cette membrane a environ
5 nm d’épaisseur et contient de nombreuses protéines. Certaines de ces protéines
associées de la membrane agissent pour maintenir un gradient, c’est-à-dire une
Acide
différence de concentration de différentes substances entre l’intérieur et l’exté- pyruvique
rieur du neurone. D’autres forment les pores, qui sélectionnent les substances Sources
pouvant pénétrer à l’intérieur du neurone. Une des caractéristiques importantes d’énergie
Protéines stockées
du neurone est la composition protéique de la membrane qui varie selon son Glucides
et fournies
appartenance au soma, aux dendrites ou encore à l’axone. Lipides
par l’alimentation
(b)
On ne peut comprendre la fonction des neurones sans connaître la structure
et les fonctions de la membrane et de ses protéines associées. Cet aspect est si
Figure 2.13 – Rôle de la mitochondrie.
important qu’il sera largement repris dans les quatre chapitres suivants : il s’agit, (a) Composants de la mitochondrie. (b) Res-
en fait, de comprendre comment la membrane donne aux neurones la faculté piration cellulaire. L’ATP représente l’énergie
remarquable de véhiculer et de transmettre les messages nerveux, non seulement utilisée par les neurones.
au travers du cerveau, mais également dans tout l’organisme.

Cytosquelette
Précédemment, nous avons comparé la membrane neuronale à la tente d’un
cirque, drapée au-dessus d’un échafaudage interne. Cet échafaudage représente
le cytosquelette, qui donne au neurone sa forme caractéristique. Les « os » de
ce cytosquelette sont constitués par les éléments caractéristiques que sont les
microtubules, les microfilaments et les neurofilaments (Fig. 2.14). Contrairement
à la tente du cirque, cependant, le cytosquelette n’est pas statique. Ses éléments
sont de fait sans cesse régulés et déterminent probablement des changements
permanents de la forme même du neurone. Cette notion est fondamentale et
s’oppose à une image de rigidité de la structure du système nerveux, encore trop
souvent répandue. Pour tout dire, en lisant cette phrase, il est vraisemblable que
vos neurones sont en train de se modifier…
38 1 – Bases cellulaires

Microtubules. Les microtubules représentent des éléments de taille impor-


tante, avec un diamètre de 20 nm, qui se situent principalement le long des neu-
rites. Un microtubule est assimilable à un tuyau rigide, creux, avec une paroi
épaisse. La paroi est constituée de filaments associés de façon à délimiter la
partie creuse. Chacun de ces filaments se compose d’une protéine particulière :
la tubuline, de petite taille et de configuration globulaire. Le processus qui ras-
semble ces petites protéines pour former le filament s’appelle la polymérisation
et la molécule qui en résulte, un polymère. À l’intérieur des neurones, des signaux
variés peuvent contrôler la polymérisation et la dépolymérisation des micro­
tubules, c’est-à-dire finalement la forme des neurones.
Un groupe de protéines particulières participe à la régulation de l’assemblage
et de la fonction des microtubules. Ce sont les protéines associées aux micro­
tubules ou MAPs (microtubule-associated proteins). Entre autres fonctions
(d’autres restent à découvrir), les MAPs assemblent solidement les microtubules
(a)
les uns avec les autres, ainsi qu’à d’autres parties du neurone. Des changements
d’une des formes de MAP axonique, dénommée tau, ont été impliqués dans les
démences qui accompagnent la maladie d’Alzheimer (Encadré 2.4).
Molécule Microfilaments  Les microfilaments sont des éléments de petite taille, d’un
de tubuline
Filament diamètre de 5 nm seulement, c’est-à-dire approximativement de la même épais-
d’actine seur que celle de la membrane cellulaire. Ils sont présents dans tout le neurone
mais se trouvent particulièrement nombreux dans les neurites. Les microfila-
ments sont constitués par des assemblages de deux petits filaments qui sont des
20 nm polymères d’une autre protéine particulière, l’actine. L’actine est une des pro­
(b)
téines les plus abondantes de tous les types de cellules, y compris les neurones, et
Microtubule 5 nm
10 nm elle joue probablement un rôle dans les modifications de la forme de la cellule.
Microfilament
Neurofilament En fait, comme cela sera développé dans le chapitre 13, les filaments d’actine
Figure 2.14 – Composants du cytosquelette. sont impliqués dans la contraction musculaire.
L’organisation des microtubules, des neuro­ De la même façon que les microtubules, les microfilaments d’actine se font
filaments et des microfilaments donne au et se défont constamment et ce processus est contrôlé par des signaux neuro-
neurone sa forme caractéristique. naux. Ils sont présents le long des neurites, comme les microtubules, mais ils
sont aussi solidement associés à la membrane. Les microfilaments sont fixés à la
membrane par les mailles d’un filet de protéines fibreuses qui tapisse l’intérieur
de la membrane à la manière d’une toile d’araignée.
Neurofilaments.  Avec un diamètre de 10 nm, les neurofilaments ont une taille
intermédiaire entre les microtubules et les microfilaments. Ils sont présents dans
toutes les cellules de l’organisme sous le nom de filaments intermédiaires mais
ce n’est que dans les neurones qu’ils sont nommés neurofilaments. En fait, cette
différence de dénomination reflète de subtiles différences dans la structure d’un
tissu à l’autre. La kératine est l’exemple de filament intermédiaire d’un autre
tissu, la peau : dans ce cas, ces filaments sont regroupés pour former les poils.
Les neurofilaments sont formés de nombreuses sous-unités protéiques,
chaque sous-unité étant elle-même formée de trois protéines formant de longues
chaînes. À la différence des microtubules et des microfilaments, ces structures
sont formées de longues molécules protéiques individuelles, enroulées à la façon
d’un ressort serré. Cette structure rend les neurofilaments mécaniquement très
solides.

Cône axonique
Axone
Jusque-là, nous avons exploré le soma, les organites, la membrane et le
cytosquelette, qui représentent des éléments structurels appartenant à toutes les
cellules du corps. À l’inverse, l’axone est une structure qui n’appartient qu’au
Collatérales neurone, hautement spécialisée dans la transmission de l’information dans le
axoniques
système nerveux.
L’origine de l’axone se situe dans une partie du neurone appelée le cône
Figure 2.15 – Axone et collatérales d’axone.
Un peu à la manière d’un fil électrique, l’axone axonique, qui s’amincit pour former le segment initial de l’axone (Fig. 2.15).
véhicule les messages nerveux à distance, Deux caractères importants distinguent l’axone du soma. Premièrement, le
dans le système nerveux. Le sens de la trans- RE rugueux ne s’étend pas dans l’axone et il ne s’y trouve peu, sinon pas, de
mission de l’information nerveuse est indiqué ribosomes libres. Deuxièmement, la composition protéique de la membrane de
par les flèches. l’axone est fondamentalement différente de celle du soma.
2 – Neurones et cellules gliales 39

Encadré 2.4 FOCUS

Maladie d’Alzheimer et cytosquelette neuronal


Les neurites représentent les structures les plus La coloration argentique de Bielschowsky montra
remarquables des neurones. Leurs multiples branche- des changements caractéristiques des neurofibrilles.
ments, tout à fait critiques pour ce qui concerne les À l’intérieur de certaines cellules d’apparence nor-
transferts d’information, reflètent une organisation par- male, il était possible de distinguer un ou plusieurs
ticulièrement sophistiquée de leur cytosquelette sous- filaments de caractère épais, marqués spécifique-
jacent. Dès lors, il n’est pas surprenant qu’une désorga- ment par la coloration. À un stade plus avancé, plu-
nisation de ce cytosquelette puisse se traduire par une sieurs fibrilles organisées de façon parallèle présen-
perte de fonction dramatique. La maladie d’Alzheimer taient le même profil. Puis elles avaient tendance à
est caractérisée par une atteinte du cytosquelette des s’accumuler, formant des faisceaux denses et avan-
neurones du cortex cérébral, une région du cerveau tout çant graduellement vers la surface de la cellule.
à fait cruciale pour les fonctions cognitives. Cette mala- Éventuellement, le noyau et le cytoplasme disparais-
die a été décrite pour la première fois par le médecin saient complètement et l’emplacement de la cellule
allemand Aloïs Alzheimer en 1907, dans un article inti- était alors simplement marqué par le faisceau de
tulé « Une maladie caractéristique du cortex cérébral », fibrilles restant en place.
dont on trouvera ci-dessous des extraits de la traduction Comme ces fibrilles peuvent être mises en évidence
anglaise. par des colorations qui ne marquent pas les neurofi-
brilles des cellules non atteintes, une transformation
(…) L’un des premiers symptômes de la maladie chez chimique des constituants de ces fibrilles a pu inter-
cette patiente de 51 ans fut un sentiment de jalousie venir au cours de la maladie. Ceci pourrait alors
aiguë à l’égard de son époux. Très tôt, elle montra expliquer pourquoi les fibrilles survivent à la dispa-
des troubles mnésiques de plus en plus importants. rition du neurone. De ce fait, il semble que la trans-
Elle ne pouvait plus retrouver seule le chemin de sa formation des neurofibrilles au cours de la maladie
maison, cachait des objets, et quelquefois avait le puisse accompagner l’accumulation dans le neurone
sentiment que des étrangers étaient là pour la tuer, ce d’un produit du métabolisme encore inconnu.
qui l’amenait à hurler. (…) Environ un quart à un tiers des neurones du cortex
Pendant son internement, son comportement tradui- subissent cette transformation, qui conduit à leur
sit un total manque d’initiative. Elle était désorientée disparition. Ainsi, de nombreux neurones, en parti-
en permanence, tant sur le plan temporel que spatial. culier dans les couches corticales supérieures, ont
Le plus souvent, elle ne paraissait pas comprendre ce totalement disparu (d’après Bick et al., 1987, p. 2-3).
qu’on lui demandait, elle était confuse et totalement
Dans la maladie d’Alzheimer, la sévérité de la démence
perdue. Quelquefois, elle considérait la visite du
est très bien corrélée avec le nombre et la distribution de
médecin comme une visite officielle et elle s’excusait
ce qui est maintenant communément dénommé les
de n’avoir pu terminer son ouvrage ; d’autres fois,
« dégénérescences neurofibrillaires » (DNF), les « pierres
elle paraissait paniquée à l’idée que le médecin veuille
tombales » des neurones disparus ou en voie de dégéné-
l’opérer. Il y avait des moments où elle le renvoyait,
rescence (Fig. A). De fait, comme le suggérait Alzheimer,
indignée, proférant des phrases qui indiquaient sa
la formation de ces DNF est vraisemblablement la cause
crainte que le médecin eut pu porter atteinte à son
des symptômes de la maladie. Les études ultrastructu-
honneur. De temps en temps, elle délirait complète-
rales, au microscope électronique, montrent que les
ment, rejetant ses draps et ses couvertures, appelant
constituants majeurs de ces neurofibrilles sont représen-
à l’aide son époux et sa fille, et semblant avoir des
tés par des paires de filaments organisés en hélice, consti-
hallucinations auditives. Le plus souvent, elle hurlait
tués de longues protéines fibreuses tressées ensemble
pendant des heures, d’une voix horrible. (…)
comme les fils d’une corde (Fig. B). Nous savons
La régression mentale progressait régulièrement. La aujourd’hui que ces filaments sont formés de protéines
patiente décéda après quatre années et demie. Elle tau.
était à ce moment-là complètement apathique, confi-
La protéine tau est normalement impliquée dans
née au lit en position fœtale (…) (d’après Bick et al.,
l’association des microtubules au niveau des axones,
­
1987, p. 1-2).
contribuant à les maintenir droits et parallèles les uns par
Après sa mort, Alzheimer procéda à l’examen rapport aux autres. Dans la maladie d’Alzheimer, la
microscopique du cerveau de sa patiente. Il nota en par- ­protéine tau se détache des microtubules et s’accumule
ticulier les changements intervenant au niveau des dans le soma. Cette dissociation du cytosquelette entraîne
« neurofibrilles », des constituants du cytosquelette mis des modifications de la structure des axones, altérant,
en évidence par la coloration argentique. entre autres, le flux axonal dans les neurones affectés.
40 1 – Bases cellulaires

Encadré 2.4 FOCUS  (suite)

(a) (b) (c)

Figure A – Neurones d’un cerveau de patient atteint de la maladie d’Alzheimer.


Les neurones normaux contiennent des neurofilaments mais pas de dégénérescences neurofibrillaires (DNF). (a) Coupe de tissu colorée par une
méthode permettant la mise en évidence des neurofilaments par une fluorescence verte, caractéristique des neurones normaux. (b) Même région
du cerveau colorée pour mettre en évidence la protéine tau au niveau des DNF, révélée par la fluorescence rouge. (c) Superposition des images
obtenues en a et b. Le neurone indiqué par la pointe de flèche (en haut de l’image) contient des neurofilaments mais pas des DNF ; de ce fait, ce
neurone est normal. Le neurone indiqué par la flèche épaisse exprime des neurofilaments mais contient également de la protéine tau ; il est atteint
par la maladie. Le neurone indiqué par la flèche fine au niveau des parties b et c de la figure a dégénéré car il ne contient plus de neurofilament.
Dès lors, ces DNF peuvent être considérées comme la « pierre tombale » de ce neurone, détruit par la maladie d’Alzheimer. (Source : courtoisie
du Dr John Morrison et modifié d’après Vickers et al., 1994.)

100 nm

Figure B – Paire de filaments hélicoïdaux d’une dégénérescence neurofibrillaire (DNF).


(Source : Goedert, 1996, Fig. 2b.)

Qu’est-ce qui peut être à l’origine des altérations de DNF et à la démence. Les espoirs thérapeutiques portent
la protéine tau ? Il n’y a pas encore de réponse claire à alors sur la possibilité de réduire les dépôts d’amyloïde
cette question mais l’attention se porte sur une autre dans le cerveau. Les besoins de trouver des solutions
protéine qui s’accumule dans le cerveau des patients thérapeutiques sont urgents : rien qu’aux États-Unis,
atteints de maladie d’Alzheimer, appelée protéine amy- plus de 5 millions de personnes sont atteintes de cette
loïde. Ce domaine de recherche est en perpétuelle évolu- maladie tragique1 !
tion et les choses bougent très vite. Aujourd’hui, le
consensus se fait sur l’hypothèse selon laquelle la pro-
duction anormale de la protéine amyloïde est l’une des 1. En France cette maladie touche plus de 850 000 per-
toutes premières phases du processus qui conduit aux sonnes et en Europe près de 5 millions, comme aux États-Unis.
2 – Neurones et cellules gliales 41

Terminaison axonique Figure 2.16 – Terminaison axonique et synapse.


présynaptique Les terminaisons axoniques forment des
synapses avec les dendrites ou le soma
Mitochondrie d’autres neurones. Quand un potentiel
Synapse d’action arrive au niveau de la terminaison
nerveuse, les molécules de neurotransmet-
teur contenues dans la terminaison ner-
veuse sont libérées à partir des vésicules
Vésicules synaptiques, dans l’espace synaptique. Le
synaptiques
neurotransmetteur se fixe alors sur les récep-
teurs membranaires situés sur la membrane
post-synaptique, induisant une réponse
Dendrite post-synaptique post-synaptique représentée soit par une
modification de l’excitabilité membranaire,
Espace
synaptique
soit par le déclenchement d’une chaîne de
Récepteurs réactions biochimiques spécifiques liées à la
signalisation synaptique.

Ces différences structurales se traduisent par des différences de fonctions.


Comme il n’y a pas de ribosomes, il ne se trouve pas de synthèse de protéines
dans l’axone. Ceci signifie que toutes les protéines de l’axone doivent se for-
mer dans le soma, certaines d’entre elles étant spécifiquement impliquées dans
la conduction du signal nerveux et la transmission de l’information au niveau
synaptique.
La longueur de l’axone peut mesurer moins d’un millimètre mais elle peut
atteindre jusqu’à plus de 1 mètre chez l’homme, selon le type de neurone. Les
axones se divisent souvent en branches multiples dénommées collatérales axo-
niques. Parfois, un axone se divise à proximité de son émergence et la collatérale
revient vers la cellule qui lui a donné naissance. Dans ce cas, elle devient une
afférence de la même cellule ou s’étend vers les dendrites de cellules voisines. Ces
branches de l’axone qui reviennent vers leur région d’origine sont dénommées
collatérales récurrentes.
Le diamètre de l’axone est variable, de 1 à environ 25 µm chez l’homme et
jusqu’à 1 mm chez le calmar. Ces variations dans la taille sont importantes.
Comme le montrera le chapitre 4, la vitesse du signal électrique qui parcourt
l’axone — l’influx nerveux — varie avec le diamètre axonal. Plus l’axone est gros,
plus la vitesse de conduction de l’influx nerveux est rapide. Axone
Terminaison axonique.  Tous les axones ont un début (le cône axonique),
une partie principale (l’axone proprement dit) et une terminaison. Cette partie
terminale s’appelle la terminaison axonique ou le bouton terminal de par sa forme Synapse
caractéristique (Fig. 2.16). Le bouton terminal est le site où l’axone entre en
contact avec d’autres neurones (ou d’autres cellules) et leur transmet l’informa- Dendrite
tion. Ce point de contact est dénommé synapse, d’après un mot grec signifiant
Figure 2.17 – Un bouton « en passant ».
« attacher ensemble ». Les axones peuvent être extrêmement ramifiés dans leur
Un axone (coloré en jaune) fait synapse avec
partie terminale et chaque branche forme une synapse située sur les dendrites
une dendrite (colorée en bleu). Cette synapse
ou les corps cellulaires de la même région. Ces différentes synapses déterminent est reconstruite à partir d’une série d’images
le champ terminal. Les axones forment parfois des synapses en des parties ren- obtenues par une étude en microscopie élec-
flées de leur partie terminale dénommées varicosités, puis se prolongent pour se tronique. (Source : courtoisie du Dr Sebastian
terminer ailleurs (Fig. 2.17). Ces varicosités forment des contacts synaptiques Seung, Princeton University, et Kris Krug, Pop
particuliers dénommés boutons « en passant1 ». Quel que soit le cas, quand un Tech.)

1.  En français dans le texte.


42 1 – Bases cellulaires

neurone établit un contact synaptique avec une autre cellule, on dit qu’il innerve
cette cellule.
Le cytoplasme de la terminaison axonique présente plusieurs différences avec
celui de l’axone. Premièrement, les microtubules ne s’étendent pas jusque dans
la partie terminale de l’axone. Deuxièmement, cette partie terminale contient de
nombreuses petites « billes » entourées de membrane, les vésicules synaptiques,
d’un diamètre de 50 nm, environ. Troisièmement, un revêtement particulière-
ment dense en protéines couvre la surface intérieure de la membrane qui fait
face à la synapse. Quatrièmement, une autre caractéristique de la terminaison
axonique est le nombre important de mitochondries que l’on y trouve, ce qui
révèle un grand besoin d’énergie.
Synapse. Les chapitres 5 et 6 sont entièrement consacrés à la transmission de
l’information d’un neurone à l’autre à travers la synapse. Nous n’en donnerons
ici qu’un bref aperçu.
La synapse présente deux éléments distincts, qualifiés de présynaptique et
de post-synaptique (Fig. 2.16). Ces termes indiquent le sens habituel du trajet
de l’information nerveuse, de la partie présynaptique vers la partie post-synap-
tique. L’élément présynaptique est généralement formé d’un bouton terminal,
alors que l’élément post-synaptique peut être représenté par une dendrite ou le
soma d’un autre neurone. L’espace situé entre la membrane présynaptique et la
membrane post-synaptique représente la fente ou espace synaptique. La trans-
mission de l’information d’un neurone à l’autre au niveau de la synapse constitue
une série d’opérations complexes déterminant la transmission synaptique.
Dans la plupart des synapses, l’information, sous forme d’impulsions élec-
triques se propageant jusqu’à l’extrémité de l’axone, est transformée dans le bou-
ton terminal en un signal chimique, qui permet le franchissement de l’espace
synaptique. Au niveau de la membrane post-synaptique, ce signal chimique est
en général à nouveau transformé sous forme d’un signal électrique. Le signal
chimique est lui-même représenté par un neurotransmetteur, stocké et libéré
par les vésicules synaptiques dans la partie présynaptique. Différents types de
­neurotransmetteurs correspondent en général à différents types de neurones.
La transformation de l’information nerveuse, d’électrique à chimique puis,
dans un deuxième temps, de nouveau de chimique à électrique, donne aux neu-
rones une capacité d’intégration des informations nerveuses. Ces mécanismes
sont impliqués notamment dans les processus mnésiques et liés à l’apprentis-
sage. Le dysfonctionnement de la transmission synaptique est par ailleurs res-
ponsable de certains troubles neurologiques et mentaux. C’est aussi au niveau de
la synapse qu’agissent la plupart des drogues psychoactives.
Transport axoplasmique. L’absence de ribosomes est une des caractéris-
tiques du cytoplasme des axones, y compris la partie terminale. Puisque les
ribosomes sont impliqués directement dans la biosynthèse des protéines, en leur
absence la synthèse des protéines de l’axone n’a lieu que dans le soma ; puis elles
sont transportées jusqu’à l’extrémité de l’axone. C’est en fait dès le milieu du
xixe siècle que le physiologiste anglais Auguste Waller montra que les axones ne
pouvaient persister lorsqu’ils étaient séparés de leur soma. La dégénérescence
des axones qui suit leur section est ainsi dénommée dégénérescence wallérienne.
Comme celle-ci peut être mise en évidence par une coloration histologique
appropriée, elle est utilisée pour le traçage des voies nerveuses.
La dégénérescence wallérienne intervient car le flux normal de matériel,
notamment de protéines, apporté à partir du corps cellulaire vers les terminai-
sons axoniques, est interrompu. Ce transport de protéines à l’intérieur de l’axone
s’appelle le transport axoplasmique. Le transport axoplasmique a été démontré
pour la première fois dans les années quarante, par les expériences du neurobio-
logiste américain Paul Weiss et ses collègues. Ils découvrirent qu’en nouant un
fil autour d’un axone, des composants cytoplasmiques s’accumulaient du côté
de l’axone le plus proche du soma. En défaisant le nœud, ces composants conti-
nuaient à descendre dans l’axone à l’allure de 1 à 10 mm/j.
2 – Neurones et cellules gliales 43

Cette découverte remarquable n’expliquait cependant pas tout. Si tout le


matériel cytoplasmique descendait le long de l’axone par ce seul mécanisme de
transport, il lui faudrait au moins la moitié d’une année pour atteindre l’extré-
mité des axones les plus longs, ce qui représente un trop long délai pour entre-
tenir l’activité des synapses. À la fin des années soixante, de nouvelles méthodes
furent mises au point pour suivre les mouvements des molécules protéiques dans
les axones. Ces méthodes consistaient à injecter des acides aminés radioactifs
au niveau du soma des neurones. Ces acides aminés étant incorporés dans les
pro­téines nouvellement synthétisées, le délai d’arrivée des protéines radioactives
dans les terminaisons axoniques permettait de calculer le temps du transport.
Bernice Grafstein de l’Université Rockefeller découvrit que ce transport axoplas­
mique rapide (appelé ainsi par comparaison avec le transport axoplasmique lent
décrit par Weiss) s’effectue à une vitesse de 1 000 mm/j.
Les mécanismes de ce transport axoplasmique sont maintenant mieux
connus. Les molécules transportées sont contenues dans des vésicules, qui « des-
cendent » le long des microtubules de l’axone. Une protéine, la kinésine, fait
office de « transporteur » et le processus est alimenté par l’ATP (Fig. 2.18). La
kinésine permet le mouvement du soma vers la partie terminale de l’axone, uni-
quement. Ce type de transport est qualifié de transport antérograde, tous les
mouvements s’effectuant dans cette direction.
En plus du transport antérograde, du soma vers la partie terminale de l’axone,
il existe aussi un mécanisme permettant de faire remonter des éléments de la par-
tie terminale, en direction du soma. Ce processus est considéré comme pouvant
faire parvenir des signaux au soma ; ces signaux informeraient notamment des
modifications dans les besoins métaboliques de la partie terminale de l’axone.
Ce mouvement, qui s’effectue de la partie terminale de l’axone vers le soma,
est dénommé transport rétrograde. Le mécanisme moléculaire est comparable
à celui du transport antérograde, si ce n’est que le transport est assuré par une
protéine différente, la dynéine. Il est intéressant de constater que les neuroana-
tomistes ont utilisé et utilisent encore largement aujourd’hui les propriétés de
ces deux mécanismes de transport, antérograde et rétrograde, pour effectuer le
traçage des voies neuronales dans le système nerveux (Encadré 2.5).

Figure 2.18 – Implication des microtubules dans le transport


axoplasmique.
Le matériel à transporter est incorporé dans la membrane de
vésicules particulières qui vont migrer du soma vers la partie
Axone
terminale des axones grâce à l’action d’une protéine, la kiné-
sine, se déplaçant le long des microtubules par un processus
dépendant de l’ATP.

Direction
du transport
axoplasmique
antérograde
Vésicule

Kinésine

Microtubules
44 1 – Bases cellulaires

Encadré 2.5 FOCUS

Auto-stop sur le « rétro-rail » :


focus sur transport axoplasmique rétrograde
C’est en injectant des acides aminés radioactifs au des morsures. Cependant, une fois dans le soma, il se
niveau du soma des neurones que le transport rapide réplique immédiatement et très vite, ce qui a pour consé-
antérograde des protéines dans les axones a été mis en quence la destruction de son hôte neuronal. Le virus est
évidence. Le succès de cette méthode a immédiatement alors hébergé par d’autres neurones du système nerveux
suggéré un moyen de suivre le tracé des connexions neu- et le processus se répète indéfiniment, généralement
ronales dans le système nerveux. Par exemple, pour jusqu’à la mort de la victime.
savoir jusqu’où s’étendent les axones des neurones de la
rétine, un acide aminé, la proline radioactive, a été
injecté dans l’œil. La proline a été incorporée dans les
protéines synthétisées au niveau des corps cellulaires des
neurones, puis ces protéines transportées jusqu’aux ter-
minaisons axoniques. La radio-autographie est une tech-
nique qui permet de détecter la radioactivité sur des
coupes de cerveau, c’est-à-dire qu’elle permet ici d’iden-
tifier le site des terminaisons axoniques radioactives. De
cette manière est ainsi révélée l’étendue de la connexion
entre la rétine et le cerveau.
Le transport rétrograde est également très utilisé Injection de HRP Deux jours plus tard,
après transport rétrograde
pour décrire les voies neuronales. Assez curieusement,
l’enzyme peroxydase du raifort (horseradish peroxydase,
HRP) est sélectivement absorbée par les terminaisons
axoniques, puis transportée jusqu’au soma de façon
rétrograde. Une réaction chimique peut alors être effec-
tuée pour localiser la HRP sur des coupes de tissu céré-
bral ; cette méthode est très largement utilisée pour
déterminer le tracé des voies neuronales (Fig. A).
Certains virus utilisent aussi le transport rétrograde
pour infecter les neurones. Par exemple, la forme orale Dépôt
de HRP
du virus de l’herpès pénètre dans les terminaisons axo- dans le cerveau
niques au niveau des lèvres et de la bouche, puis ce virus
remonte jusqu’au niveau des corps cellulaires des neu-
rones correspondants. Le virus reste alors latent jusqu’à Neurones
l’occurrence d’un stress physique ou émotionnel, puis il marqués
par la HRP
se réplique et migre à nouveau vers la terminaison du
nerf, provoquant une plaie douloureuse. De même, le
virus de la rage entre dans le système nerveux à travers
les axones de la peau par transport rétrograde, au niveau Figure A

Dendrites
Le terme « dendrite » vient du mot grec qui signifie « arbre », indiquant que
ces neurites, dans leur extension depuis le soma, ont une configuration similaire
à celle des branches d’un arbre. L’arborisation dendritique désigne collective-
ment l’ensemble des dendrites d’un neurone ; chaque ramification constitue une
branche dendritique. Les arborisations dendritiques présentent une variété de
formes et de dimensions permettant de classer les neurones en différents groupes,
sur ce critère.
2 – Neurones et cellules gliales 45

Figure 2.19 – Dendrites recevant des affé-


rences synaptiques à partir de terminaisons
axoniques.
Cette coupe de tissu a été traitée par une
méthode permettant la mise en évidence
d’une protéine associée aux microtubules
apparaissant sous forme d’une fluorescence
verte, laquelle permet de visualiser direc-
tement les microtubules des neurones. Les
terminaisons nerveuses, quant à elles, sont
révélées par une autre méthode permettant
de visualiser sur la même coupe des pro-
téines spécifiquement liées aux vésicules
synaptiques (coloration orange-rouge) ; Les
noyaux des neurones sont colorés par une
fluorescence bleue. (Source : Dr Asha Bhakar,
Massachusetts Institute of Technology.)

Comme les dendrites représentent des sortes d’antennes du neurone, ils sont
couverts de centaines de synapses (Fig. 2.19). La membrane dendritique située
sous la synapse (la membrane post-synaptique) possède de nombreuses molé-
cules protéiques spécialisées, les récepteurs, représentant les sites d’action spéci-
fiques des neurotransmetteurs au niveau synaptique.
Les dendrites de nombreux neurones sont recouvertes de structures particu-
lières, les épines dendritiques, qui reçoivent certains types de synapses. Ces neu-
rones particuliers sont qualifiés de neurones épineux, les épines représentant de
petits diverticules couverts de synapses, disposés préférentiellement sur la partie
distale (éloignée du soma) des dendrites (Fig. 2.20). La morphologie particulière
des épines dendritiques a littéralement toujours fasciné les neurobiologistes et,
cela, depuis leur découverte par Cajal. Elles pourraient contribuer à l’intégration
de l’information nerveuse sous forme de cascades de réactions de signalisation
variées, initiées par certains types d’activation synaptique. De fait, la structure
des épines est sensible au type et à l’intensité de l’activation synaptique. De façon
intéressante, des altérations de la forme et du nombre d’épines dendritiques ont Figure 2.20 – Épines dendritiques.
été mises en évidence à partir de cerveaux de patients ayant souffert de troubles Cette figure représente une reconstruction
cognitifs (Encadré 2.6). tridimensionnelle d’un segment de dendrite
Le cytoplasme des dendrites est, quant à lui, en grande partie comparable à comportant des épines dendritiques, éla-
celui des axones. Il contient des éléments du cytosquelette et des mitochondries. boré par une analyse d’images automatisée.
Cependant, une différence intéressante concerne la présence de polyribosomes La variabilité dans la forme et dans la taille
des épines dendritiques est parfaitement
dans les dendrites, souvent situés juste sous une épine (Fig. 2.21). Cette décou-
visible sur cette représentation. Chaque épine
verte suggère la possibilité d’une régulation de la synthèse des protéines à ce
représente un site synaptique pour une ou
niveau par la transmission synaptique, dans quelques neurones. Dans le cha­ plusieurs terminaisons axoniques. (Source :
pitre 25, nous verrons combien, en fait, la régulation de la synthèse des protéines Harris et Stevens, 1989.)
est essentielle pour la mémorisation d’informations nouvelles.

Figure 2.21 – Polyribosomes des éléments post-synaptiques.


Cette photographie prise au microscope électronique illustre une dendrite (den) contenant un
cluster de polyribosomes (flèche) situé à la base d’une épine dendritique (e) recevant elle-même
une synapse d’une terminaison axonique (t). (Source : courtoisie du Dr Oswald Steward, University
of California, Irvine.)
46 1 – Bases cellulaires

Encadré 2.6 FOCUS

Retard mental et épines dendritiques


L’architecture élaborée des arborisations dendri- problèmes de pauvreté et de marginalisation pendant
tiques d’un neurone est un excellent reflet de la com- l’enfance, avec des déficits de socialisation, de nutrition
plexité de ses connexions avec les autres neurones. Le ou encore de stimulation sensorielle.
fonctionnement cérébral dépend ainsi de ces connexions Alors que certaines formes de retard mental ont des
synaptiques très précises qui s’élaborent pendant la corrélats physiques évidents (par exemple arrêt du déve-
période fœtale et sont « retouchées » jusqu’à la petite loppement, anomalies de la structure de la tête, des
enfance. De façon non surprenante, ce processus déve- mains, voire du corps), dans la plupart des cas les mani-
loppemental particulièrement complexe est susceptible festations ne sont que comportementales. De plus, à
d’altérations. On parle de retard mental si de telles alté- première vue les cerveaux de ces individus paraissent
rations développementales se traduisent par des troubles normaux. Comment expliquer alors les lourds déficits
des fonctions cognitives affectant les adaptations com- cognitifs de ces personnes ? Une donnée intéressante
portementales telles qu’elles peuvent être mesurées en a été apportée dans les années 1970 par le travail
moyenne sur une population. de Miguel Marin-Padilla à Dartmouth College et
L’utilisation de batteries de tests parfaitement stan- Dominique Purpura du Albert Einstein College of
dardisés montre que l’intelligence d’une population Medicine (New York). Par l’utilisation de la coloration
d’individus donnée se distribue de façon gaussienne, de Golgi, ils ont étudié à l’autopsie une série de cerveaux
selon une courbe dite « en cloche ». Par convention, le d’enfants présentant des signes de retard mental et ils
quotient intellectuel (QI) moyen est fixé à 100. Environ ont montré qu’il y avait des changements caractéris-
deux tiers de la population a un QI dans une gamme de tiques de la structure des dendrites. Plus précisément,
15 autour de la moyenne (une déviation standard) et les résultats montraient que les dendrites des cerveaux
95 % dans la gamme des 30 points (soit deux déviations d’enfants retardés présentaient beaucoup moins
standard). Les individus présentant un QI inférieur à d’épines dendritiques que les sujets témoins et que les
70 sont considérés comme présentant un retard mental épines elles-mêmes étaient très fines et particulièrement
si l’altération des fonctions cognitives se traduit par un allongées au niveau du « col » de l’épine (Fig. A). De
déficit d’adaptation en rapport avec son mode de vie façon intéressante, l’importance de ces changements au
habituel. Environ 2 à 3 % des êtres humains entrent dans niveau des épines dendritiques était corrélée à l’am-
ce cadre. pleur du retard mental.
Le retard mental a plusieurs causes. Les formes les
plus sévères sont liées à des maladies génétiques ; par
exemple dans le cas de la phénylcétonurie. Dans ce cas,
l’anomalie de base est un déficit enzymatique au niveau
du foie, qui empêche la métabolisation de la phényla­
lanine, un acide aminé apporté par l’alimentation. Les Dendrite Dendrite d’un enfant
enfants qui naissent avec cette anomalie génétique pré- d’un enfant ayant présenté
sentent de très fortes concentrations de cet acide aminé normal un retard mental
au niveau sanguin et cérébral. Si rien n’est fait, alors le
développement du cerveau s’arrête et de sévères déficits
cognitifs en résultent. Un autre exemple est la triso-
mie 21 ou maladie de Down, qui intervient lorsque le
fœtus présente une copie supplémentaire du chromo-
some 21. Dans ce cas, l’expression génique qui préside
au développement normal du cerveau est fortement
altérée.
Une autre cause de retard mental est liée à des acci-
dents de grossesse ou lors de l’accouchement ; par
exemple lorsque la mère est atteinte de rubéole ou
lorsque le nouveau-né subit une asphyxie néonatale.
Une troisième cause est la malnutrition de la mère pen-
dant la grossesse. Un exemple est donné par l’état des
fœtus des mères alcooliques, qui donnent des enfants 10 µm
présentant toute une série d’anomalies du développe-
ment cérébral. Une quatrième cause encore, qui pour- Figure A – Dendrite normale et anormale.
rait être à l’origine de troubles fréquents, est liée à des (Source : Purpura, 1974, Fig. 2A.)
2 – Neurones et cellules gliales 47

Encadré 2.6 FOCUS  (suite)

Les épines dendritiques reçoivent normalement les épines dendritiques, dépend de façon critique de l’envi-
informations afférentes au neurone, par l’ensemble des ronnement durant la petite enfance. Un environnement
synapses qui s’articulent à leur niveau. Purpura nota « appauvri » durant cette période « critique » du déve-
que les épines dendritiques des enfants retardés étaient loppement peut alors résulter en de sévères altérations
assez similaires à celles des fœtus. Il suggéra que le retard des circuits neuronaux. Cependant, il y a aussi de bonnes
mental reflétait l’impossibilité de la mise en place des nouvelles : la plupart des déficits engendrés par ces
connexions normales des réseaux neuronaux pendant le déprivations au cours du développement peuvent être
développement. Depuis ces travaux princeps, les trente réversés, si la compensation intervient suffisamment
années qui ont suivi ont permis d’établir que le dévelop- tôt ! Dans le chapitre 23, nous montrerons combien l’ex-
pement synaptique normal, incluant la maturation des périence peut influencer le développement cérébral.

Classification des neurones


Il semble illusoire d’espérer comprendre un jour comment chacun des 85 mil-
liards de neurones du système nerveux contribue, à titre individuel, aux fonctions
cérébrales. Mais que se passerait-il si on pouvait démontrer qu’il est possible de
classer tous les neurones du cerveau en un petit nombre de catégories et qu’au
sein de ces catégories tous les neurones fonctionnent de la même façon ? La com-
plexité du problème se réduirait alors à comprendre la contribution de chaque
catégorie neuronale, plutôt que celle de chaque cellule. C’est à partir de cette
Soma
idée que les neurobiologistes ont imaginé des solutions pour classer les neurones.

Classifications basées sur la structure des neurones


Les premières tentatives de classer les neurones en catégories ont débuté
avec le développement de la coloration de Golgi. Ces classifications, basées Neurone unipolaire
sur la morphologie des dendrites, des axones ou encore sur la structure qu’ils
innervent, sont, de fait, encore largement utilisées.
Classification selon le nombre de neurites.  Les neurones peuvent d’abord
être classés simplement selon le nombre de leurs neurites, c’est-à-dire le nombre
de prolongements de type axonique et dendritique qui se forment depuis le soma
(Fig. 2.22). Un neurone avec un seul neurite est qualifié d’unipolaire ; s’il pos-
sède deux neurites, la cellule est dite bipolaire. Si le neurone en comprend trois
ou plus, la cellule est alors reconnue comme multipolaire, ce qui est le cas de la
plupart des neurones.
Classification basée sur les dendrites. Les arborisations dendritiques Neurone bipolaire
varient grandement d’un type de neurone à l’autre. Ils portent parfois des noms
plein d’élégance, comme « cellules en corbeille », « cellules en double bouquet »
ou encore « cellule en chandelier » ; d’autres sont moins imagés, comme « cel-
lules alpha », à titre d’illustration. Il est intéressant de constater qu’une région
donnée du système nerveux ne présente souvent qu’une seule de ces catégories.
Par exemple, dans le cortex cérébral deux grands groupes de cellules seulement
sont reconnus : les cellules pyramidales et les cellules dites étoilées, parce qu’elles
sont en forme d’étoiles (Fig. 2.23).
Une autre façon simple de classer les neurones est de considérer ou non la
présence d’épines sur les dendrites. Lorsqu’ils possèdent des épines dendritiques,
les neurones sont qualifiés d’épineux et ceux qui n’en ont pas sont appelés sans Neurone multipolaire
épines ou non épineux. Ces schémas de classification dendritique peuvent se
superposer. Ainsi, dans le cortex cérébral, toutes les cellules pyramidales sont Figure 2.22 – Classification des neurones sur
épineuses ; en revanche, les cellules étoilées peuvent être épineuses ou sans épines. la base du nombre de leurs neurites.
48 1 – Bases cellulaires

Neurone en étoile

Cellule pyramidale

Figure 2.23 – Classification des neurones sur la base de l’organisation de leur arborisation den-
dritique.
Les cellules pyramidales et les cellules en étoile sont parfaitement identifiables sur la base de la
forme de leur arborisation dendritique ; ces deux types de neurones sont représentés au niveau du
cortex cérébral.

Classification basée sur les connexions neuronales.  L’information est trans-


mise au système nerveux par des neurones qui comportent des neurites présents
dans les zones sensorielles du corps, telles que la peau ou la rétine de l’œil. Les
cellules contribuant à cette fonction sensorielle sont reconnues comme neurones
sensoriels primaires. D’autres neurones voient leur axone former des synapses
directement avec les muscles. De ce fait, ils contribuent à la commande du mou-
vement : ce sont les neurones moteurs. La plupart des neurones du système ner-
veux sont cependant en relation avec d’autres neurones et ne sont pas directe-
ment impliqués dans une fonction aussi identifiable que la fonction sensorielle
ou motrice. Selon ce schéma, ces cellules sont alors qualifiées d’interneurones.
Classification basée sur la longueur de l’axone. Certains neurones pré-
sentent des axones de grande longueur, qui s’étendent d’une partie du cerveau à
une autre ; ce sont des neurones dits de projection ou cellules de Golgi de type I.
D’autres ont des axones courts, qui ne dépassent pas le voisinage immédiat de
la cellule ; il s’agit alors de neurones contribuant à des circuits locaux ou cel-
lules de Golgi de type II, encore dénommés interneurones. Ainsi, dans le cortex
cérébral, les cellules pyramidales ont en général des axones longs qui s’étendent
à d’autres parties du cerveau, ce qui les classe dans la catégorie des cellules de
Golgi de type I. En revanche, les cellules étoilées ont des axones courts, qui ne
dépassent jamais le cortex cérébral et sont donc reconnues comme des cellules
de Golgi de type II.
2 – Neurones et cellules gliales 49

Classification basée sur l’expression génique


Nous savons maintenant que la plupart des différences entre les neurones
peuvent être expliquées par des profils d’expression du génome différentiels.
A titre d’illustration, de telles différences d’expression génique peuvent parfai-
tement rendre compte des formes si particulières des cellules pyramidales ou
encore des neurones étoilés. Une fois que le profil génétique est établi, cette
information peut alors être utilisée pour créer des souris transgéniques, permet-
tant alors une analyse détaillée des neurones de ces différentes catégories. Par
exemple, un gène étranger encodant une protéine fluorescente peut être introduit
dans les cellules et placé sous le contrôle d’un promoteur lui-même spécifique
d’une sous-catégorie de neurones. La protéine fluorescente verte dénommée
GFP (green fluorescent protein), encodée par un gène découvert chez une méduse,
est ainsi utilisée très couramment en neurosciences. Lorsqu’elle est éclairée par
une lumière de longueur d’onde appropriée, la GFP émet une luminescence de
couleur verte, ce qui permet la visualisation des neurones dans lesquels elle est
exprimée. Les méthodes du génie génétique sont maintenant d’un usage très
courant pour appréhender et manipuler les fonctions des neurones dans leur
diversité (Encadré 2.7).
Nous savons depuis longtemps maintenant que les neurones diffèrent notam-
ment par le neurotransmetteur qu’ils utilisent pour communiquer avec d’autres
neurones (ou d’autres cellules qu’ils innervent). Ces différences entre neurotrans-
metteurs résultent d’une expression différentielle de protéines impliquées dans
leur biosynthèse, leur stockage ou encore leur utilisation. Comprendre ces
différences d’expression génique permet alors d’aboutir à une classification
des neurones en fonction du neurotransmetteur qu’ils utilisent. Ainsi, les neu-
rones moteurs qui commandent la contraction des muscles striés squelettiques,
libèrent tous le neurotransmetteur acétylcholine au niveau de leurs terminaisons
synaptiques. Ces neurones moteurs sont classés comme cholinergiques, c’est-à-
dire qu’ils expriment les gènes qui leur permettent d’utiliser ce neurotransmet-
teur particulier. Les ensembles de neurones utilisant le même neurotransmetteur
forment des systèmes neuronaux identifiables comme tels, permettant une clas-
sification de populations neuronales homogènes sur le plan de leur contenu en
neurotransmetteur (voir chapitres 6 et 15).

Cellules gliales
Dans ce chapitre, il a surtout été fait état des neurones. Cependant, même si ce
choix est justifié par le niveau des connaissances acquises dans ce domaine, cer-
tains scientifiques considèrent les cellules gliales un peu comme les «  oubliées  » des
neurosciences. Ces chercheurs pensent qu’il sera assez prochainement démontré
que les cellules gliales participent beaucoup plus au ­traitement de ­l’information
dans le cerveau qu’il n’est considéré habituellement. Actuellement, il paraît
ainsi évident que les cellules gliales contribuent au fonctionnement ­cérébral, en
étroite synergie avec la fonction neuronale. De fait, le rôle des ­cellules gliales
est peut-être secondaire mais, sans elles, le cerveau ne pourrait pas fonctionner
correctement.
50 1 – Bases cellulaires

Encadré 2.7 FOCUS

Comprendre la structure du neurone et sa fonction


par la fabuleuse « Cre »
Un type de cellule de l’organisme peut être distingué d’une souris un transgène préparé de telle manière qu’il
d’un autre type par le pattern des gènes qu’il exprime, est sous le contrôle du même promoteur, ce transgène
matérialisé par les protéines qu’il produit. De façon sera également exprimé sélectivement dans les neurones
similaire, différentes catégories de neurones du cerveau cholinergiques. Si le transgène exprime l’enzyme recom­
peuvent être identifiées sur la base des gènes qu’elles binase Cre dérivée d’un virus bactérien, nous pouvons
expriment en commun. Avec les méthodes modernes du alors contraindre ces neurones cholinergiques à nous
génie génétique, savoir dès lors qu’un gène donné est livrer leurs innombrables secrets. Voyons de quelle
uniquement exprimé par un seul type de neurone peut manière…
permettre de déterminer sa contribution particulière au La recombinase Cre reconnaît de courtes séquences
fonctionnement cérébral. d’ADN désignées comme étant les sites loxP, qui peuvent
Prenons à titre d’exemple les neurones qui pro- quant à eux être insérés à chaque extrémité d’un autre
duisent l’enzyme choline acétyltransférase (ChAT). La gène. L’ADN ainsi encadré par les sites loxP est dit
ChAT est l’enzyme qui est à l’origine de la biosynthèse « floxé ». La recombinase Cre a alors pour fonction d’exci-
de l’acétylcholine, celle-ci n’étant produite que par les ser littéralement le gène situé entre les deux sites loxP. En
neurones que l’on qualifie pour cette raison de « choli- faisant se reproduire une « souris Cre » avec une « souris
nergiques » et qui utilisent l’acétylcholine pour trans- floxée », il est possible d’obtenir une souris comportant
mettre l’information nerveuse au niveau des synapses. une délétion génique sur un seul type de neurones.
Ces seuls neurones ont dans leur patrimoine génétique La question peut alors se poser de savoir comment
les facteurs de transcription susceptibles d’agir sur le réagissent les neurones cholinergiques à la délétion
promoteur du gène. Dès lors, si on insère dans le génome d’un gène qu’ils expriment normalement ? À titre

Recombinase Cre exprimée


LoxP LoxP Promoteur ChAT
Gène X dans les neurones cholinergiques

Gène encodant la recombinase Cre


ADN ADN

Parents X

Souris floxée Souris ChAT-Cre


Gène X
délété sélectivement
dans les neurones
LoxP LoxP exprimant Cre

ADN

Descendance

Souris transgénique délétée du gène X


dans les neurones cholinergiques

Figure A
Créer une souris présentant le knockout d’un gène sélectivement dans les neurones cholinergiques est réalisé en croisant une souris floxée avec
le gène d’intérêt (gène X) flanqué par deux sites loxP avec une autre souris chez laquelle la recombinase Cre est sous contrôle du promoteur du
gène de la ChAT. Chez les petits, le gène X est délété sélectivement dans les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire les neurones cholinergiques.
2 – Neurones et cellules gliales 51

Encadré 2.7 FOCUS  (suite)

d’illustration appelons ce gène X. Pour répondre à cette obtient une descendance exprimant le transgène seule-
question nous allons croiser la souris qui comporte le ment dans les neurones cholinergiques, puisque la
gène X floxé avec la souris qui exprime Cre sous le séquence « stop » a été supprimée seulement dans ces
contrôle du promoteur ChAT (la souris « ChAT-Cre »). neurones (Fig. B).
Chez les petits, le gène floxé est éliminé seulement dans Si nous préparons un transgène comportant une pro-
les neurones qui expriment Cre, c’est-à-dire seulement téine fluorescente, nous pouvons utiliser la fluorescence
dans les neurones cholinergiques (Fig. A). pour étudier les connexions de ces neurones choliner-
Il est également possible d’utiliser Cre pour per- giques. En supposant par exemple que le transgène
mettre l’expression d’un nouveau transgène dans les fluorescent n’est actif que lorsque le neurone lui-même
neurones cholinergiques. Normalement, l’expression est en activité, alors il est possible de monitorer l’activité
d’un transgène nécessite qu’il soit inclus dans la séquence des neurones cholinergiques en mesurant des flashes de
d’un promoteur, en amont de la région encodant pour la lumière émis par les neurones. Il est également possible
protéine ciblée. La transcription du transgène n’inter- d’envisager d’utiliser des transgènes qui tuent les neu-
vient pas si une séquence « stop » est insérée entre le rones cholinergiques ou encore qui les rendent inactifs.
­promoteur et la séquence encodant pour la protéine. Il est dans ce cas possible d’aborder la fonction de ces
Considérons maintenant ce qui est susceptible d’arriver neurones ainsi mis hors circuit. Dès lors, il n’y a guère
lorsque nous générons une souris transgénique compor- que les limites de l’imagination des chercheurs qui
tant cette séquence « stop » flanquée de deux sites loxP. puissent limiter ce qu’il est possible de faire avec ce type
En croisant cette souris avec la souris « ChAT-Cre », on de technologie !

Recombinase Cre exprimée


LoxP LoxP Promoteur ChAT
Stop dans les neurones cholinergiques

Gène encodant la recombinase


Promoteur ubiquitaire Transgène X ADN

Parents X

Souris transgénique Lox-Stop-Lox Souris ChAT-Cre


Séquence Stop
délétée sélectivement
dans les neurones exprimant Cre

Transgène X exprimé sélectivement


dans les neurones exprimant Cre

ADN

Descendance

Souris transgénique spécifique


des neurones cholinergiques

Figure B
Le transgène d’intérêt (transgène X) peut lui aussi être exprimé sélectivement dans les neurones cholinergiques. La première étape est de créer
une souris chez laquelle l’expression du transgène est bloquée par l’insertion d’une séquence stop floxée, située entre un promoteur ubiquitaire
et la région codante du gène. Dans une seconde étape, le croisement de cette souris avec la souris ChAT-Cre produit une descendance chez
laquelle la séquence stop a été supprimée sélectivement dans les neurones cholinergiques, ce qui permet l’expression du transgène seulement
dans ces neurones.
52 1 – Bases cellulaires

Astrocytes
Les cellules gliales les plus nombreuses sont les astrocytes (Fig. 2.24). Ces
cellules comblent l’espace situé entre les neurones. L’espace compris entre les
neurones et les astrocytes mesure environ 20 nm de large, seulement. En consé-
quence, l’extension ou la rétraction des neurites, dont il a été fait état, pourrait
étroitement dépendre des astrocytes. Ces cellules représentent ainsi l’essentiel de
l’environnement dans lequel « baignent » les neurones. Cet environnement est
plus formé par ces cellules que par un liquide présent dans l’espace intercellu-
laire, lequel se trouve, de ce fait, très réduit.
Les astrocytes participent à la régulation de la composition du milieu extra­
cellulaire. Ainsi, les astrocytes forment une sorte d’enveloppe autour des jonc-
tions synaptiques (Fig. 2.25), contribuant à réduire la diffusion des molécules
Figure 2.24 – Représentation d’un astrocyte.
de neurotransmetteurs qui ont été libérées. Les astrocytes présentent aussi dans
Les astrocytes sont représentés en grand
nombre dans le système nerveux où ils leurs membranes des protéines spécifiques, qui leur permettent de capter acti-
occupent l’espace entre les neurones et les vement de nombreux neurotransmetteurs et autres molécules agissant dans l’es-
vaisseaux sanguins. pace synaptique. Il a été récemment démontré que les membranes des astrocytes
présentent également des récepteurs à certains neurotransmetteurs qui, comme
les récepteurs situés sur les neurones, peuvent générer des phénomènes élec-
triques et biochimiques dans les cellules gliales. Outre la régulation des taux de
neurotransmetteurs synaptiques, les astrocytes contrôlent aussi la concentration
extracellulaire de certaines substances qui pourraient empêcher le bon fonction-
nement des neurones ; telle la concentration des ions potassium dans le milieu
extracellulaire.

Épine dendritique Prolongement


Figure 2.25 – Astrocytes enveloppant des (post-synaptique) astrocytaire
synapses.
Cette photographie obtenue au microscope Terminaison
électronique montre un profil de synapse où axonique
(présynaptique)
l’on distingue une terminaison axonique et
une épine dendritique (colorée en vert). Un
astrocyte entoure littéralement cette synapse
et restreint ainsi l’espace extracellulaire. Synapse
(Source : courtoise des Drs  Cagla Eroglu et 0.5 µm
0,5
Chris Risher, Duke University.)

Cellules gliales et myélinisation


Contrairement au rôle des astrocytes, qui est encore en grande partie inconnu
comme cela vient d’être mentionné, le rôle des oligodendrocytes et des cellules
de Schwann est beaucoup plus clair. Ces cellules gliales particulières forment
les couches de membrane qui isolent la plupart des axones. L’anatomiste Alan
Peters, de l’Université de Boston, un pionnier de l’étude ultrastructurale du sys-
tème nerveux, a montré que cette enveloppe, la myéline, s’enroule autour des
axones du cerveau (Fig. 2.26). L’axone est ainsi localisé dans la spirale comme
une épée dans son fourreau, d’où le terme de gaine de myéline pour décrire tout
l’enroulement. Par endroit, la gaine est discontinue sur une petite longueur où
la membrane de l’axone se trouve exposée. Cette région particulière s’appelle un
nœud de Ranvier (Fig. 2.27).
La myéline contribue à accélérer la propagation des impulsions nerveuses le
long de l’axone, comme cela sera décrit en détail dans le chapitre 4. Les différences
entre les oligodendrocytes et les cellules de Schwann proviennent essentiellement
de leur localisation et d’autres caractéristiques plus mineures. Par exemple, les
oligodendrocytes ne se trouvent localisés que dans le système nerveux central,
c’est-à-dire le cerveau et la moelle épinière, tandis que les cellules de Schwann
ne sont présentes que dans le système nerveux périphérique, représentant tout
Figure 2.26 – Section transversale d’axones le système nerveux présent en dehors du cerveau et de la moelle. Une autre dif-
myélinisés de nerf optique observés au férence fondamentale porte sur le fait qu’un oligodendrocyte contribue à la for-
microscope électronique. mation de myéline pour plusieurs axones, alors que chaque cellule de Schwann
(Source : Dr Alan Peters.) ne myélinise qu’un seul axone.
2 – Neurones et cellules gliales 53

Oligodendrocytes

Feuillets
Axone de myéline

Cytoplasme Nœud
des oligodendrocytes de Ranvier Mitochondrie

Figure 2.27 – Représentation d’un oligodendrocyte.


Comme les cellules de Schwann au niveau des nerfs périphériques, les oligodendrocytes sont
à l’origine de la gaine de myéline formée autour d’un très grand nombre d’axones du système
­nerveux central et de la moelle épinière. La gaine de myéline est interrompue à intervalles réguliers
par les nœuds de Ranvier.

Autres types de cellules, non neuronales


Même si tous les neurones, tous les astrocytes et tous les oligodendrocytes
étaient supprimés, il resterait encore d’autres types de cellules dans le cerveau.
Deux types au moins doivent être mentionnés : tout d’abord, des cellules par-
ticulières, les cellules épendymaires, tapissent les ventricules cérébraux et pour-
raient jouer un rôle considérable dans le contrôle du sens de la migration de
certaines cellules pendant le développement cérébral. Ensuite, un deuxième type
cellulaire particulier est représenté par les cellules microgliales ou microglie, qui
pourraient quant à elles jouer le rôle de phagocytes pour éliminer les débris lais-
sés par les neurones et les cellules gliales en voie de dégénérescence. La microglie
est apparue récemment comme un élément essentiel de l’organisation cérébrale,
notamment en ce sens que les cellules microgliales paraissent impliquées dans le
remodelage des connexions synaptiques en les engloutissant, littéralement. De
façon intéressante, comme cela est décrit dans l’Encadré 2.3, les cellules micro-
gliales ont aussi la capacité de migrer dans le cerveau à partir du compartiment
sanguin et un dysfonctionnement de cette migration microgliale peut alors inter-
férer avec les fonctions cérébrales et le comportement. Enfin, en imaginant effec-
tivement que toutes ces cellules soient éliminées, il resterait encore la vasculature
cérébrale — artères, veines, et capillaires sanguins —, dont la structure implique
d’autres cellules spécialisées.
54 1 – Bases cellulaires

Conclusion
L’étude des caractéristiques structurales du neurone laisse percevoir sa fonc-
tion et celles de ses différentes parties, car structure et fonction sont étroitement
corrélées. Par exemple, l’absence de ribosomes dans l’axone laisse supposer,
avec raison, que les protéines présentes dans la terminaison axonique sont pro-
duites dans le soma et transportées dans la terminaison nerveuse via le trans-
port axoplasmique. Le grand nombre de mitochondries dans la partie termi-
nale de l’axone illustre par ailleurs une grande demande d’énergie nécessaire au
fonctionnement synaptique. La structure élaborée de l’arborisation dendritique
paraît, quant à elle, particulièrement adaptée à la réception des informations par
le neurone : c’est en effet l’endroit où la plupart des synapses s’établissent.
Depuis l’époque de Nissl, il est établi que le RE rugueux représente un
élément important des neurones. Mais quelle en est la signification ? Le RE
rugueux est le site de la biosynthèse des protéines, notamment de celles associées
à la membrane. Ces différentes protéines de la membrane neuronale ont alors
été reconnues comme conférant seules au neurone sa faculté exceptionnelle de
recevoir, de transmettre et de stocker l’information nerveuse.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Énoncez la doctrine du neurone en une seule phrase. Qui en est l’au-


teur ?
2. Quelles parties du neurone la coloration de Golgi révèle-t-elle, que la
coloration de Nissl ne montre pas ?
3. Donner trois caractéristiques physiques qui distinguent les axones des
dendrites.
4. Parmi les éléments suivants, citer ceux qui ne se trouvent que dans
les neurones, et ceux qui ne s’y trouvent pas : noyau, mitochondrie,
RE rugueux, vésicule synaptique, appareil de Golgi ?
5. Quelles sont les différentes étapes du processus par lequel l’informa-
tion contenue dans l’ADN du noyau dirige la synthèse d’une molécule
protéique associée à la membrane ?
6. La colchicine est un agent qui détruit les microtubules (par dépolymé-
risation). Quel effet peut avoir cette drogue sur le transport antéro-
grade ? Que se passe-t-il dans ce cas au niveau de la partie terminale
de l’axone ?
7. Classer les cellules pyramidales du cortex cérébral d’après (1) le
nombre de neurites, (2) la présence ou l’absence d’épines dendri-
tiques, (3) leurs connexions, (4) la longueur de l’axone.
8. L’identification d’un gène uniquement exprimé par une catégorie de
neurones particuliers peut être utilisée pour comprendre le fonction-
nement de ces neurones. Donnez un exemple de la façon dont vous
pouvez utiliser l’information génétique pour étudier spécifiquement
une catégorie de neurones.
9. Que représente la myéline ? Quel est son rôle ? Par quelles cellules est-
elle produite dans le système nerveux central ?
2 – Neurones et cellules gliales 55

POUR EN SAVOIR PLUS

De Vos KJ, Grierson AJ, Ackerley S, Miller CCJ. Role of axonal transport


in neurodegenerative diseases. Annual Review of Neuroscience 2008 ;
31 : 151-73.
Eroglu C, Barres BA. Regulation of synaptic connectivity by glia. Nature
2010 ; 468 : 223-31.
Jones EG. Colgi, Cajal and the Neuron Doctrine. Journal of the History
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Lent R, Azevedo FA, Andrade-Moraes CH, Pinto AV. How many neurons
do you have? Some dogmas of quantitative neuroscience under revi-
sion. European Journal of Neuroscience 2012 ; 35 : 1-9.
Nelson SB, Hempel C, Sugino K. Probing the transcriptome of neuronal
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Biology, 9th ed. Sunderland, MA : Sinauer, 2011.
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rosciences 1997 ; 20 : 385-92.
Wilt BA, Burns LD, Wei Ho ET, Ghosh KK, Mukamel EA, Schnitzer MJ.
Advances in light microscopy for neuroscience. Annual Review of
Neuroscience 2009 ; 32 : 435-506.
CHAPITRE  3 Membrane
du neurone au repos

RÔLE DES COMPOSANTS


CELLULAIRES
Cytosol et milieu extracellulaire........................................................... 59
Phospholipides membranaires............................................................ 60
Protéines............................................................................................ 61

MOUVEMENT DES IONS


Diffusion............................................................................................ 64
Encadré 3.1 Bases théoriques  Révision des moles et de la molarité
Propriétés électriques de la membrane................................................ 65

BASES IONIQUES
DU POTENTIEL DE REPOS
Potentiels d’équilibre.......................................................................... 67
Encadré 3.2 Bases théoriques  L’équation de Nernst
Distribution des ions de part et d’autre de la membrane..................... 70
Perméabilité ionique relative de la membrane au repos....................... 71
Encadré 3.3 Bases théoriques  L’équation de Goldman
Encadré 3.4 Les voies de la découverte  De l’importance des canaux
ioniques dans ma vie,
par Chris Miller
Rôle fondamental de la régulation de la concentration de potassium
extracellulaire..................................................................................... 75
Encadré 3.5 Focus  Mort par injection létale

CONCLUSION
INTRODUCTION

P
our aborder de façon relativement simple la question de la propagation
et de la transmission des informations nerveuses dans le système nerveux
central, prenons un exemple simple : posons-nous la question de savoir
à quel problème le système nerveux est confronté lorsque l’on marche inopiné-
ment sur une punaise (Fig. 3.1). La réaction est automatique : un cri de douleur
au moment où l’on se pique le pied et un retrait rapide pour éliminer la cause de
la douleur. Pour que cette réponse simple se produise, le percement de la peau
doit se traduire en signaux neuronaux, qui se propagent rapidement et sûrement
le long des nerfs sensoriels de la jambe. Au niveau de la moelle épinière, ces
signaux sont transmis aux interneurones. Certains de ces neurones sont connec-
tés avec les parties du cerveau qui interprètent les signaux comme étant de nature
douloureuse ; d’autres sont en rapport avec les neurones moteurs qui contrôlent
les muscles de la jambe, permettant de retirer le pied très rapidement. Ainsi, un
réflexe aussi simple que celui-là a recours au système nerveux pour recueillir,
distribuer et intégrer l’information. Un des buts de la neurophysiologie est de
comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de ces fonctions.
Pour transmettre l’information à distance, le neurone utilise des signaux élec-
triques qui se propagent le long de l’axone. En ce sens, les axones ressemblent
à des fils téléphoniques. Cependant l’analogie s’arrête là car le type de signaux
utilisé par le neurone est soumis à l’environnement particulier du système ner-
veux. Dans le fil de cuivre du téléphone, l’information est transportée sur de
longues distances, à grande vitesse (environ la moitié de la vitesse de la lumière)
car le fil téléphonique est un merveilleux conducteur d’électrons, bien isolé et
suspendu dans l’air (l’air étant mauvais conducteur d’électricité). Les électrons
se déplacent donc à l’intérieur du fil au lieu de disparaître en rayonnements.
En revanche, la charge électrique du cytosol de l’axone est transportée par des
atomes chargés électriquement, les ions, au lieu d’électrons libres. Le cytosol
est donc beaucoup moins conducteur que le fil de cuivre. De plus, l’axone n’est
pas particulièrement bien isolé, et il baigne dans un milieu extracellulaire salé,
conducteur d’électricité. Ainsi, si l’activité électrique se propageait passivement
le long de l’axone, elle ne tarderait pas à disparaître.
Par chance, la membrane neuronale présente des propriétés lui permet-
tant de transmettre un type particulier de signaux — l’impulsion nerveuse ou
potentiel d’action — qui surmontent ces contraintes biologiques. Comme nous
le verrons plus loin, le terme « potentiel » se réfère à une distribution différen-
tielle de charges électriques de part et d’autre de la membrane. À l’opposé des
signaux électriques qui se déplacent d’une façon passive, les potentiels d’action
ne s’altèrent pas avec la distance : ce sont des signaux d’amplitude et de durée
fixes. L’information est codée par la fréquence des potentiels d’action de chaque
neurone, ainsi que par la population particulière et le nombre de neurones qui
émettent des potentiels d’action dans un nerf donné. Ce code est semblable au
Morse utilisé en télégraphie ; le message est présent dans le pattern des potentiels
d’action. Les cellules susceptibles de générer des potentiels d’action, tant ner-
veuses que musculaires, ont une membrane excitable. Dès lors, le terme « action »
traduit bien des changements intervenant au niveau de la membrane du neurone.
Lorsqu’une cellule possédant une membrane excitable ne génère pas d’im-
pulsions, elle est dite « au repos ». Dans le neurone au repos, le cytosol de la

58 1 – Bases cellulaires

Vers le cerveau

Moelle
épinière
3

Corps cellulaire
d’un motoneurone

Corps cellulaire
d’un neurone sensitif
4

1
2

Axone d’un
neurone sensitif
Axone d’un
motoneurone

Figure 3.1 – Évocation d’un réflexe simple.


① Imaginez une personne marchant inopinément sur une punaise. ② Le percement de la peau est immédiatement transformé en signaux nerveux qui
empruntent les nerfs sensitifs (direction de la transmission des signaux selon les flèches). ③ Dans la moelle épinière, l’information est distribuée aux
interneurones. Certains d’entre eux envoient leur axone au cerveau où la sensation douloureuse est enregistrée. D’autres interneurones contactent des
motoneurones qui envoient directement des signaux aux muscles de la jambe. ④ La commande motrice permet la contraction musculaire et donc de
retirer très rapidement le pied de la punaise.

face interne de la membrane présente une charge électrique négative, comparée


à celle de la face externe. La différence de charge électrique de part et d’autre de
la membrane correspond au potentiel de la membrane au repos (ou potentiel de
repos). Le potentiel d’action correspond simplement à un bref renversement de
la situation, de sorte que, pour un instant — environ un millième de seconde —
la face interne de la membrane devient soudainement et donc transitoirement
positive par rapport à la face externe. Ainsi, pour comprendre comment les neu-
rones communiquent entre eux, il faut savoir comment la membrane neuronale
au repos répartit la charge électrique et comment cette charge électrique peut
être rapidement redistribuée au travers de la membrane au cours du potentiel
d’action. Enfin, il est nécessaire aussi de savoir comment l’impulsion se propage
véritablement le long de l’axone.
Ce chapitre commence l’exploration du signal nerveux par une question :
quelle est l’origine du potentiel de la membrane au repos ? Cette question est
d’importance car le potentiel de repos est bien à la base de toute la connaissance
de la physiologie nerveuse ; et connaître la neurophysiologie est absolument
nécessaire pour comprendre les capacités cérébrales mais aussi les limites du
fonctionnement du cerveau.

Rôle des composants cellulaires


Trois acteurs principaux interviennent pour contrôler le potentiel de la
membrane au repos : les milieux salés de part et d’autre de la membrane, la
membrane elle-même et les protéines incorporées dans la membrane et qui la
traversent. Chacun d’eux présente des propriétés particulières, qui sont à l’origine
du potentiel de repos.
3 – Membrane du neurone au repos 59

Cytosol et milieu extracellulaire


L’eau est le composant principal à la fois du milieu intérieur du neurone ou
cytosol et du milieu extracellulaire. Les ions sont en solution dans cette eau et
sont responsables du potentiel de repos et du potentiel d’action.
Eau.  Pour ce qui concerne l’excitabilité membranaire, la propriété la plus
intéressante de la molécule d’eau (H2O) est la distribution inégale de sa charge
électrique (Fig. 3.2a). Les deux atomes d’hydrogène et l’atome d’oxygène sont
liés par covalence, c’est-à-dire qu’ils se partagent des électrons. Cependant,
comme l’atome d’oxygène possède une plus grande affinité pour les électrons
que l’atome d’hydrogène, il en résulte que les électrons partagés restent plus long-
temps associés à l’atome d’oxygène qu’aux deux atomes d’hydrogène. En consé-
quence, l’atome d’oxygène adopte une charge négative (car il y a des électrons
en surplus) et les atomes d’hydrogène, une charge positive. On dit que H2O est
une molécule polaire. Cette polarité électrique fait de l’eau un solvant efficace
des autres molécules polaires ou possédant une charge électrique ; en d’autres
termes, les autres molécules polaires ont tendance à se dissoudre dans l’eau.
Ions.  Les atomes et les molécules qui présentent une charge électrique nette
sont dénommés ions. Le sel de table est formé d’un cristal d’ions de sodium (Na+)
et de chlore (Cl–) assemblés par l’attraction des charges des atomes. Cette attrac-
tion représente la force ionique. Le sel se dissout rapidement dans l’eau, car les
parties chargées de la molécule d’eau présentent une attraction plus forte pour
les ions qu’ils n’en présentent entre eux (Fig. 3.2b). Au moment où un ion passe
de la forme solide à la forme dissoute, il est entouré d’une sphère de molécules
d’eau. Chaque ion chargé positivement (le Na+, dans ce cas) va être recouvert
de molécules d’eau orientées de façon à ce que l’atome d’oxygène des molécules
d’eau (le pôle négatif) se trouve face à l’ion. De même, chaque ion chargé négati-
vement (l’ion Cl–) sera entouré par les atomes d’hydrogène des molécules d’eau.
Ces cortèges de molécules d’eau qui se forment autour de chaque ion s’appellent
les sphères d’hydratation ; elles isolent efficacement les ions les uns des autres.
La charge électrique d’un atome dépend de la différence entre le nombre de
protons et d’électrons. Quand cette différence est de 1, l’ion est dit monovalent ;
quand la différence est de 2, l’ion est divalent, et ainsi de suite. Les ions avec
une charge positive sont dénommés cations ; ceux qui ont une charge négative,
anions. Dans les systèmes biologiques, y compris le neurone, les ions sont les por-
teurs de charge électrique les plus importants. Pour la cellule, quatre d’entre eux
jouent un rôle déterminant : les cations monovalents Na+ (sodium) et K+ (potas-
sium), le cation divalent Ca2+ (calcium) et l’anion monovalent Cl– (chlore).

(a) H2O = O = +

+
H H
+ –

+
+
+

+ +
+

Na+ Cl–

+

+ + +
+ –
+

+ –
+


+

+
– +
– +

+ –

– + +
+

+ +
+
+ –


+
– +
+
+ –

– + – +
+ – + + – – +
+
+ +
+ +

– +

+ –
+ –
+

+
+

Na+
+

+
– +

+
– +

– +

Cl– +

+
Figure 3.2 – L’eau est un solvant polaire.

+ ++ – (a) Représentations de la structure atomique
Na+
+
+

– de la molécule d’eau. L’atome d’oxygène pré-


+ –

Cl– +
+ –+

sente une charge électrique nette négative et


– +

Na+
+ +
+

l’hydrogène, positive. Cette structure rend la


+


– +

– + molécule polaire. (b) Une molécule de chlo-


+
rure de sodium (NaCl) se solubilise dans l’eau
+ –
+

car les molécules d’eau polaires présentent


une attraction plus forte pour les ions sodium


Molécule de NaCl cristalisée Na+ and Cl– et les ions chlorure que ces deux ions entre
(b) en solution dans l’eau eux.
60 1 – Bases cellulaires

Phospholipides membranaires
Comme mentionné ci-dessus, les substances présentant des charges élec-
triques vont se dissoudre dans l’eau à cause de la polarité de la molécule d’eau.
Ces substances comprenant des ions et des molécules polaires ont une « affi-
nité pour l’eau » ; elles sont qualifiées d’hydrophiles. Cependant, les composés
dont les atomes sont associés par des liens de covalence non polaires ne sont pas
susceptibles d’interactions avec l’eau. Un lien de covalence non polaire s’éta-
blit lorsque les électrons sont répartis uniformément dans la molécule, de sorte
qu’aucune partie ne prend une charge électrique nette. Ces composés ne sont
pas solubles dans l’eau ; ils n’ont pas d’affinité pour l’eau et sont ainsi qualifiés
d’hydrophobes. Pour prendre un exemple simple, l’huile d’olive est une substance
hydrophobe. L’huile et l’eau ne se mélangent pas. Plus généralement, les lipides
représentent un type de molécules insoluble dans l’eau, jouant un rôle important
dans la structure des membranes biologiques. Les lipides de la membrane du
neurone contribuent au potentiel de repos et au potentiel d’action en formant
une barrière, qui s’oppose au passage des ions solubles dans l’eau et, en fait, de
l’eau elle-même.
Les principaux constituants des membranes cellulaires sont les phospholi-
pides. Comme les autres lipides, les phospholipides se composent de longues
chaînes non polaires d’atomes de carbone liés à des atomes d’hydrogène. De plus,
les phospholipides comportent à une extrémité de la molécule un groupement
phosphate polaire (un atome de phosphore lié à trois atomes d’oxygène). Les
phospholipides présentent ainsi une « tête » polaire hydrophile et une « queue »
non polaire hydrophobe.
La membrane neuronale est constituée d’une double couche de molécules de
phospholipides. La coupe transversale de la membrane illustrée par la figure 3.3,
montre que les têtes hydrophiles font face à l’environnement aqueux interne et
externe, tandis que les longues chaînes hydrophobes se font face. Cette organi-
sation stable est dite en bicouche de phospholipides ; elle isole effectivement le
cytosol du neurone du milieu extracellulaire.

Figure 3.3 – Bicouche de phospholipides
La bicouche de phospholipides constitue l’élément principal de la structure de la membrane de la
cellule nerveuse et forme une barrière au passage des ions solubles dans l’eau.

Groupements phosphate
représentant la « tête »
polaire

Chaînes hydrocarbonées
constituant une « queue »
non polaire
Extérieur de la cellule

Bicouche
de phospholipides

Intérieur de la cellule
3 – Membrane du neurone au repos 61

Protéines
Le type des molécules protéiques et leur distribution cellulaire différen-
cient les neurones des autres types de cellules. Les enzymes, qui catalysent les
réactions chimiques dans le neurone, le cytosquelette, qui donne au neurone sa
forme particulière, les récepteurs, sensibles aux neurotransmetteurs : tous ces
constituants cellulaires se composent de molécules protéiques. Le potentiel de
repos et le potentiel d’action dépendent aussi de protéines particulières qui sont
incor­porées dans la membrane et traversent la bicouche de phospholipides. Ces
protéines représentent des voies de passage sélectif que les ions utilisent pour
traverser la membrane.
Structure des protéines.  Pour accomplir leurs nombreuses fonctions dans
le neurone, les protéines présentent une grande variété de forme, de taille et de
caractéristiques chimiques. Avant d’aborder leur diversité, il paraît nécessaire de
revenir brièvement sur la structure de ces protéines.
Comme on l’a vu dans le chapitre 2, les protéines sont des combinaisons de
20 acides aminés différents. La figure 3.4a illustre la structure de base d’un acide
aminé. Tous les acides aminés ont un atome central de carbone (le carbone α),
lié par covalence avec quatre groupes de molécules : un atome d’hydrogène, un
groupement aminé (NH3+), un groupement carboxyl (COO–) et un groupement
variable appelé le groupement R (R pour résidu). Les différences entre acides
aminés proviennent de la taille et de la nature de ces groupements R (Fig. 3.4b).
Les propriétés du groupement R déterminent les réactions chimiques auxquelles
chaque acide aminé peut participer.
La synthèse des protéines se fait dans les ribosomes, au niveau du corps
cellulaire. Dans ce processus, les acides aminés sont assemblés en une chaîne
formée par des liaisons peptidiques, qui associent le groupement aminé d’un
acide aminé au groupement carboxyl du suivant (Fig. 3.5a). Les protéines se
composant d’une seule chaîne d’acides aminés sont également dénommées
polypeptides (Fig. 3.5b).
La figure 3.6 illustre les quatre niveaux de structure d’une protéine. La struc-
ture primaire est comme une chaîne, dans laquelle les groupements R d’acides
aminés sont liés par des liaisons peptidiques. Cependant, tandis que la molé-
cule protéique est synthétisée, la chaîne polypeptidique peut s’enrouler en une
spirale appelée hélice alpha. L’hélice alpha est un exemple de structure secon-
daire d’une molécule protéique. Au sein des groupements R, les interactions
peuvent ­provoquer des modifications encore plus poussées de la morphologie
tridimensionnelle de la molécule. Ainsi, les protéines peuvent se courber, se plier
et prendre une forme globulaire. Cette forme particulière, propre à chaque pro­
téine, est qualifiée de structure tertiaire. Enfin, différentes chaînes de polypeptides
peuvent s’associer pour former une molécule plus importante : cette protéine
présente alors une structure quaternaire. Dans ce cas, chacun des polypeptides
entrant dans la composition d’une protéine comportant une structure quater-
naire est qualifié de sous-unité.
Protéines canaux.  La surface exposée d’une protéine peut être chimique-
ment hétérogène. Les parties présentant des groupements R non polaires exposés
sont de caractère hydrophobe et auront tendance à s’associer rapidement avec
les lipides. Les régions comportant des groupements R polaires exposés sont de
caractère hydrophile et auront tendance à éviter l’environnement de lipides. En
conséquence, il est facile d’imaginer des types de protéines en forme de bâtonnet,
avec des groupements polaires à chaque extrémité et des groupements hydro-
phobes seulement au centre de la molécule. Lorsqu’il est incorporé dans une
bicouche de phospholipides, ce type de protéines voit donc sa partie hydrophobe
tournée vers l’intérieur de la membrane et ses deux pôles hydrophiles exposés à
l’environnement aqueux, de part et d’autre de la membrane.
Les canaux ioniques se forment à partir de molécules protéiques de ce type, qui
traversent la membrane. De façon caractéristique, un canal fonctionnel à travers
la membrane correspond à un assemblage de 4 à 6 molécules protéiques sem-
blables, qui forment un pore (Fig. 3.7). La composition des sous-unités varie d’un
type de canal à l’autre et détermine aussi leurs propriétés spécifiques. La sélectivité
62 1 – Bases cellulaires

H
+H –
3N C COO

(a)

Acides aminés présentant des groupements R hydrophobes

H H H H H
+H – +H C COO– +H – +H – +H –
3N C COO 3N 3N C COO 3N C COO 3N C COO
CH CH2 H C CH3 CH2 CH2
H3C CH3 CH CH2 CH2
H3C CH3 CH3 S
CH3

Valine Leucine Isoleucine Phénylalanine Méthionine


(Val) (Leu) (Ile) (Phe) (Met)

Acides aminés présentant des groupements R hydrophiles

H H H H H H H
+H – +H – +H – +H – +H – +H – +H C COO–
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N

CH2 CH2 CH2 CH2 CH2 CH2 CH2


+
COO– CH2 C CH2 CH2 CH2 C NH
H2N O C CH2 CH2 CH
COO–
H2N O CH2 NH C N
H H
NH3+ C NH3+
NH2
Acide Acide
aspartique glutamique Asparagine Glutamine Lysine Arginine Histidine
(Asp) (Glu) (Asn) (Gln) (Lys) (Arg) (His)

Autres acides aminés

H H H H H H H H
+H +H C COO–
3N
+H – +H – +H – +H – +H – +H – –
3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 3N C COO 2N C COO
H CH3 CH2 CH2 H C OH CH2 H2C CH2 CH2
SH OH CH3 CH2 C CH

NH

OH

Glycine Alanine Cystéine Sérine Thréonine Tyrosine Proline Tryptophane


(Gly) (Ala) (Cys) (Ser) (Thr) (Tyr) (Pro) (Trp)

(b)

Figure 3.4 – Acides aminés, éléments de base de la structure des protéines


(a) Chaque acide aminé présente un carbone central (α), un groupement amine (NH3+) et un groupement carboxyl (COO–). Les acides aminés diffèrent
entre eux par la structure d’un groupement variable R. (b) Les 20 acides aminés entrant dans la composition des protéines neuronales.

ionique, déterminée par le diamètre du pore et la nature des groupements R qui les
tapissent, est une des propriétés importantes de la plupart des canaux ioniques. Il
existe des canaux potassiques, qui sont sélectivement perméables aux ions K+. De
même, les canaux sodiques sont perméables aux ions Na+, les canaux calciques
aux ions Ca2+ et ainsi de suite. Le mécanisme d’ouverture (ou d’activation) des
canaux ioniques (en anglais gating) est une autre propriété importante de la plu-
part de ces canaux. Les canaux qui possèdent cette propriété peuvent s’ouvrir ou
se fermer, en d’autres termes faire fonctionner ce mécanisme d’ouverture, selon
des modifications du microenvironnement local de la membrane.
Ce thème très important sera approfondi dans les chapitres suivants, mais
il est d’ores et déjà essentiel de retenir que la compréhension du rôle des canaux
ioniques dans la membrane neuronale est la clé de la neurophysiologie cellulaire.
3 – Membrane du neurone au repos 63

Liaison peptidique

H R2 H R2 H R4
+H
3N C C N C COO– +H
3N C C N C C N C C N C COO–

R1 O H R1 O H H O H R3 O H H

(a) (b)

Figure 3.5 – Liaison peptidique et polypeptides.


(a) La liaison peptidique est à la base de l’association entre eux des acides aminés. La liaison se forme entre le groupement carboxyl d’un acide aminé
et la fonction amine d’un autre. (b) Un polypeptide est constitué d’une simple chaîne d’acides aminés.

Acides aminés

Sérine

Sérine

Leucine

(a)
(c)
Sous-unités
Hélice α

(b)
Figure 3.6 – Structure des protéines.
(a) Structure primaire : elle est représentée par la séquence des acides ami-
nés constituant le polypeptide. (b) Structure secondaire : enroulement du
polypeptide en hélice α. (c) Structure tertiaire : repliement tridimensionnel
du polypeptide. (d) Structure quaternaire : plusieurs polypeptides s’asso-
(d)
cient pour former une protéine plus grosse (polymère).

Milieu extracellulaire

Sous-unité
polypeptidique

Figure 3.7 – Structure du canal ionique mem­


branaire.
Les canaux ioniques sont constitués par
des protéines insérées dans la membrane
qui s’assemblent entre elles pour former un
pore. Dans cet exemple, le canal est constitué
par une protéine formée de cinq sous-unités
polypeptidiques. Chacune de ces sous-unités
Cytosol Bicouche présente une région hydrophobe (zone grisée)
de phospholipides qui s’associe étroitement avec la bicouche de
phospholipides.
64 1 – Bases cellulaires

Pompes ioniques. En plus des protéines formant les canaux, il en existe


d’autres qui traversent aussi les membranes et s’assemblent pour produire des
pompes ioniques. Souvenez-vous dans le chapitre 2 nous avons mentionné que
l’adénosine triphosphate (l’ATP) représente la source d’énergie de la cellule.
En fait, ces molécules sont des enzymes qui utilisent l’énergie produite par
l’hydrolyse de l’ATP pour faire passer certains ions à travers la membrane ;
ces pompes jouent un rôle crucial dans le signal neuronal en transportant les
Na+
ions Na+ ou Ca2+ de l’intérieur du neurone vers l’extérieur.

Cl– Mouvement des ions


Un canal traversant la membrane est comme un pont enjambant une rivière
(ou, dans le cas d’un canal à ouverture régulée, comme un pont-levis) : il permet le
passage d’un côté à l’autre. Cependant, le franchissement du pont n’est pas obli-
(a) gatoire : utilisé pendant la semaine pour faire la navette entre son domicile et son
travail, le pont peut ne pas servir pendant le week-end. Les canaux ioniques de
la membrane peuvent être considérés de façon similaire. La présence d’un canal
ouvert dans la membrane ne signifie pas nécessairement qu’il y ait un mouvement
précis des ions à travers la membrane. Un tel mouvement des ions implique aussi
Na+ l’intervention de forces externes conditionnant le fonctionnement du système
­nerveux. Deux facteurs essentiels contrôlent les déplacements des ions à travers
les canaux : la diffusion et les propriétés électriques de la membrane.

Cl– Diffusion
Les ions et les molécules en solution dans l’eau sont constamment en mou-
vement. Ce mouvement erratique dépendant de la température a cependant
tendance à répartir les ions uniformément dans la solution. Ainsi se forme un
(b)
mouvement d’ions, depuis les régions de forte concentration vers les régions de
plus faible concentration ; ce mouvement s’appelle la diffusion. Pour prendre un
exemple concret, si on ajoute une cuillère de lait dans une tasse de thé chaud, le
lait va tendre à se diluer uniformément dans le thé. Si l’énergie thermique de la
dissolution diminue, comme avec du thé glacé, la diffusion des molécules de lait
Na+ Na+ sera considérablement plus longue.
Bien que les ions ne soient pas de nature à traverser directement la bicouche de
phospholipides, la diffusion va tendre à les pousser à travers les canaux situés dans
la membrane. Par exemple, si NaCl est en solution dans le milieu d’un seul côté
Cl– Cl–
d’une membrane comportant des canaux qui permettent le passage de Na+ et Cl–,
les ions Na+ et Cl– vont traverser jusqu’à ce qu’ils soient uniformément répartis
des deux côtés de la membrane (Fig. 3.8). Comme dans l’exemple précédent, le
lait dans le thé, les ions vont se déplacer clairement d’une région de forte concen-
(c) tration vers une région de faible concentration (voir pour révision l’Encadré 3.1
sur les mesures de concentration). La différence entre les concentrations s’appelle
Figure 3.8 – Diffusion.
(a) Une solution de NaCl a été dissoute dans
la partie gauche d’un compartiment séparé Encadré 3.1 BASES THÉORIQUES
par une membrane imperméable. La taille
des lettres Na+ et Cl– indique la concentra-
tion relative de ces ions. (b) Des canaux per-
mettant le passage des ions Na+ et Cl– ont Révision des moles et de la molarité
été insérés dans la membrane. À cause de
la forte différence de concentration (gradient La concentration des substances Une solution millimolaire (1  mM)
de concentration) existant entre les deux représente le nombre de molécules contient 0,001 mole par litre. L’abré­
compartiments, les ions Na+ et Cl– vont pas- par litre de solution. Le nombre de viation qui représente la concen­
ser des régions de forte concentration vers molécules est exprimé généralement tration s’écrit conventionnel­ lement
les régions de plus faible concentration, de
en moles. Une mole représente entre crochets. [NaCl] = 1 mM et se
la gauche vers la droite. (c) En l’absence
6,02 × 1023 molécules. Une solution lit : « La concentration de la solution
d’autres facteurs, le déplacement des ions
à travers la membrane cessera lorsque les est dite molaire (1 M) lorsque la de NaCl est de 1 milli­molaire ».
concentrations de part et d’autre de cette concentration est d’une mole par litre.
membrane perméable seront égales.
3 – Membrane du neurone au repos 65

le gradient de concentration. Le mouvement des ions s’effectue selon un gradient


de concentration. La diffusion des ions à travers la membrane nécessite donc (1)
l’existence dans la membrane de canaux perméables aux ions et (2) la présence
d’un gradient de concentration à travers la membrane.

Propriétés électriques de la membrane


Au-delà de la diffusion selon un gradient de concentration, un autre moyen Générateur
de générer un déplacement des ions dans une solution est d’imposer un champ
électrique car les ions sont des particules chargées d’électricité. Sur la figure 3.9, + –
les deux fils d’une batterie sont placés dans une solution contenant des ions
NaCl dissous. Souvenez-vous que des charges opposées s’attirent et des charges
semblables se repoussent. Il y aura donc un mouvement de Na+ vers le pôle néga-
tif (la cathode) et de Cl– vers le pôle positif (l’anode). L’amplitude du déplace- Na+ Cathode
ment des charges électriques correspond au courant électrique ; il est représenté (Cation)
par le symbole I et il est exprimé en unités appelées ampères (amps). Selon la + –
définition donnée par Benjamin Franklin, le courant est considéré comme posi-
tif dans la direction du déplacement des charges positives. Par conséquent, dans Anode Cl–
l’exemple ci-dessus, le courant positif passe dans la direction du mouvement des (Anion)
ions Na+, de l’anode vers la cathode.
Deux facteurs importants déterminent l’amplitude du courant : le voltage
et la conductance électrique. Le voltage (ou différence de potentiel) est la force
exercée sur une particule chargée et reflète la différence de charge entre l’anode
et la cathode. Plus cette différence de potentiel est grande, mieux le courant pas- Figure 3.9  – Déplacement des ions sous
l’effet d’un champ électrique.
sera. Le voltage est représenté par la lettre V et il est exprimé en unités appelées
volts. Pour donner un exemple, la différence de potentiel électrique entre les deux
bornes d’une batterie de voiture est de 12 volts ; c’est-à-dire que le potentiel élec-
trique d’une des bornes est plus positif de 12 volts que celui de l’autre.
La conductance électrique mesure la capacité de passage de la charge élec-
trique d’un point à un autre. Elle est représentée par le symbole g et calculée en
unités appelées siemens (S) ; la conductance dépend du nombre de particules
disponibles pour transporter la charge électrique et de la faculté de ces particules
à se déplacer dans l’espace. La résistance est une autre façon de désigner la même
propriété ; elle calcule la difficulté que rencontre une charge électrique pour se
déplacer. Elle est représentée par le symbole R et calculée en unités appelées
ohms (Ω). La résistance est simplement l’inverse de la conductance (R = 1/g).
Il existe une relation simple entre la différence de potentiel (V), la conduc-
tance (g) et la quantité de courant (I) qui passera. Cette relation, connue sous
le nom de loi d’Ohm, se formule ainsi : I = gV. Le courant est le produit de la
conductance et de la différence de potentiel. Si la conductance est nulle, le cou-
rant ne passera pas, y compris si la différence de potentiel est très grande. De
même, si la différence de potentiel est égale à zéro, le courant ne passera pas,
même si la conductance est très grande.
La figure 3.10a illustre l’expérience suivante : des ions NaCl dissous sont en
concentration égale de part et d’autre d’une bicouche de phospholipides. Si les
deux fils d’une batterie sont plongés dans les deux solutions présentes de part et
d’autre de la membrane, une grande différence de potentiel est générée à travers
la membrane. Cependant le courant ne passera pas car il n’y a pas de voies de
passage qui permettent la migration de Na+ et Cl– à travers la membrane ; la
conductance de la membrane est nulle. Pour conduire électriquement un ion
à travers la membrane, il est donc nécessaire (1) que la membrane possède des
canaux perméables à cet ion et (2) qu’il existe une différence de potentiel élec-
trique entre les deux côtés de la membrane (Fig. 3.10b).
La situation s’établit alors de la façon suivante : des ions chargés d’électri-
cité sont en solution de part et d’autre de la membrane neuronale ; les ions ne
peuvent traverser la membrane qu’au moyen des canaux protéiques ; les canaux
protéiques peuvent être très sélectifs pour des ions spécifiques ; le déplacement
de chaque ion dans son canal dépend du gradient de concentration et de la
différence de potentiel électrique à travers la membrane. Ainsi, à partir de ces
connaissances élémentaires, les bases du potentiel de repos peuvent être établies.
66 1 – Bases cellulaires

Figure 3.10 – Courant électrique traversant


la membrane.
(a) Si un champ électrique est appliqué
+ – + –
entre deux compartiments séparés par une
membrane constituée d’une simple bicouche
de phospholipides, aucun courant sera
mesuré entre les deux compartiments. Aucun Na+ Na+ Na+
mouvement de particules chargées électri-
quement pourra intervenir car la membrane + – + –
est imperméable aux ions. La conductance de
cette membrane est nulle. (b) L’insertion de
canaux dans la membrane permet le mouve- Cl– Cl– Cl–
ment des ions. Dans ces conditions, un cou-
rant électrique est mesuré dans la direction du
déplacement des cations (de la gauche vers la
droite, dans cet exemple).
(a) Pas de courant (b) Courant électrique

Bases ioniques
du potentiel de repos
Le potentiel de membrane — ou voltage de la membrane — d’un neurone est
représenté par le symbole Vm. Il peut être mesuré en introduisant une micro­
électrode dans le cytosol. Une microélectrode est le plus souvent constituée d’un
tube de verre très fin, possédant une extrémité effilée obtenue par étirage à chaud
(0,5 µm de diamètre) qui pénètre dans la membrane d’un neurone avec le mini-
mum de lésion. Ce tube est rempli d’une solution conductrice de l’électricité et
connecté à un appareil appelé voltmètre. Le voltmètre mesure la différence de
potentiel entre l’extrémité de cette microélectrode et une deuxième électrode pla-
cée en dehors de la cellule (Fig. 3.11). Cette méthode permet de montrer que la
charge électrique n’est pas équivalente de part et d’autre de la membrane neuro-
nale. L’intérieur du neurone est négatif par rapport à l’extérieur. Cette différence
constante représente le potentiel de repos et se maintient tant que le neurone ne
génère pas de potentiel d’action.

Voltmètre

Terre

Microélectrode

Figure 3.11 – Mesure du potentiel de repos.


Un voltmètre mesure la différence de poten-
tiel entre l’extrémité d’une électrode placée à
l’intérieur de la cellule et une autre électrode
placée dans le milieu extracellulaire. Typique-
ment, l’intérieur du neurone est négatif par – +
rapport à l’extérieur ; la valeur du potentiel de – +
repos étant de l’ordre de – 65 mV. Ce potentiel – +
est lié à l’existence d’une différence de dis-
– +
tribution des charges électriques de part et
– +
d’autre de la membrane (zone agrandie).
3 – Membrane du neurone au repos 67

En général, le potentiel de membrane d’un neurone au repos est d’envi- Intérieur Extérieur
ron – 65  millivolts (1 mV = 0,001 volts). Ce potentiel de repos négatif de la de la cellule de la cellule
membrane interne du neurone, Vm = – 65 mV, est une des conditions indispen-
sables au fonctionnement du système nerveux. L’origine de ce potentiel négatif

K+
de la membrane est liée à la nature des ions en présence et à la façon dont ils se
répartissent à l’intérieur et à l’extérieur du neurone. K+

Potentiels d’équilibre
Considérons une cellule hypothétique dont l’intérieur est séparé de l’exté-
rieur par une membrane de phospholipides pure, ne comportant aucune proté-
A– A–

ine. L’intérieur de la cellule contient une solution concentrée de sel de potassium,


libérant des ions K+ et A– (A– pour anion, c’est-à-dire toute molécule possédant
une charge négative). À l’extérieur de la cellule se trouve une solution constituée
du même sel, mais diluée vingt fois plus dans l’eau. Bien qu’il existe un gradient (a)
de concentration important entre l’intérieur de la cellule et l’extérieur, il n’y aura
pas de déplacement des ions car l’absence de canaux protéiques dans la bicouche
de phospholipides la rend imperméable aux atomes hydrophiles chargés électri- – +
quement. Dans ces conditions, une microélectrode n’enregistrerait aucune diffé-
rence de potentiel entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. En d’autres termes, K+ K+
Vm serait égal à 0 mV car le rapport de K+ à A– de chaque côté de la membrane
est de 1 ; les deux solutions sont électriquement neutres (Fig. 3.12a). – +
Cette situation serait très différente si des canaux potassiques étaient insérés
dans la bicouche de phospholipides. En raison de la perméabilité sélective de ces A– A–
canaux, les ions K+ passeraient librement à travers la membrane, mais pas les A–.
Dans ce cas, au début, la diffusion s’établit ainsi : les ions K+ passent à travers les – +
canaux, de l’intérieur vers l’extérieur de la cellule, selon le gradient de concentra-
tion tendant à équilibrer les concentrations en ions K+ de part et d’autre de la (b)
membrane. Cependant, comme les ions A– ne suivent pas, l’intérieur de la cellule
concentré en A– commence immédiatement à devenir négatif et une différence
de potentiel s’établit à travers la membrane (Fig. 3.12b). Au fur à mesure que le – +
milieu intérieur devient vraiment négatif, la force électrique s’oppose au flux – +
ionique lié au gradient de concentration et tend alors à maintenir les ions K+ à
l’intérieur de la cellule. Quand une certaine différence de potentiel est atteinte, la
K+ – +
K+

force électrique qui ramène les ions K+ à l’intérieur équilibre exactement la force – +
A–
de diffusion qui les pousse à l’extérieur. Un état d’équilibre se crée, dans lequel les
– + A–
forces électrique et de diffusion sont opposées et égales, et dans ces conditions le
déplacement des ions K+ à travers la membrane s’arrête (Fig. 3.12c). Le potentiel – +
d’équilibre ionique, ou plus simplement potentiel d’équilibre, est la différence de – +
potentiel qui compense exactement un gradient de concentration ionique ; il est – +
représenté par le symbole Eion. Dans l’exemple ci-dessus relatif aux ions potas-
(c)
siques, le potentiel d’équilibre sera d’environ – 80 mV.
L’exemple illustré par la figure 3.12 montre qu’il est assez facile de générer Figure 3.12 – Établissement d’un équilibre
une différence de potentiel constante à travers la membrane. Un gradient de au travers d’une membrane sélectivement
concentration ionique et une perméabilité ionique sélective sont des éléments perméable.
suffisants. Avant d’examiner ce qui se passe avec de véritables neurones, quatre (a) Une membrane imperméable sépare deux
remarques importantes peuvent être faites à partir de cet exemple. compartiments dont l’un contient une très forte
concentration de sels (« intérieur ») et l’autre une
1. De grandes variations du potentiel membranaire sont le résultat de très faibles faible concentration (« extérieur »). (b) L’inser-
modifications de la concentration ionique. Dans l’exemple de la figure 3.12, tion dans cette membrane de canaux sélective-
l’insertion des canaux potassiques a permis l’écoulement des ions K+ hors de ment perméables aux ions K+ induit d’abord un
la cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire passe de 0 mV au potentiel déplacement de ces ions du compartiment le
d’équilibre de ces ions, c’est-à-dire – 80 mV. Cependant, il est notable que plus concentré vers le moins concentré, selon
cette redistribution ionique n’a affecté que faiblement les concentrations de le gradient de concentration ; ici de la gauche
K+ de part et d’autre de la membrane. Pour une cellule de 50 µm de diamètre, vers la droite. (c) L’accumulation des charges
contenant 100 mM de K+, il peut être établi qu’une modification de concen- positives à l’extérieur et de charges négatives
à l’intérieur tend à ralentir le déplacement des
tration d’environ 0,00001 mM est suffisante pour faire passer la membrane
ions K+ de l’intérieur vers l’extérieur. Un équi-
de 0 à – 80 mV. C’est-à-dire que, lorsque les canaux ont été insérés et que les
libre s’établit de telle façon que le déplacement
ions K+ ont migré jusqu’au point d’équilibre, la concentration interne de K+ des ions à travers la membrane s’arrête, contri-
est passée de 100 mM à 99,99999 mM, ce qui représente une différence de buant alors à établir une différence de charge
concentration négligeable. électrique entre les deux côtés.
68 1 – Bases cellulaires

Égal Égal Égal 2. La différence de charge électrique s’opère à la fois sur les surfaces interne et
+,– +,– +,– externe de la membrane. La bicouche de phospholipides est si fine (moins de
5 nm d’épaisseur) qu’une interaction de type électrostatique s’opère entre les
+ – + – + – + – ions situés de chaque côté. De fait, la membrane peu conductrice se com-
– + – + + porte comme une capacité électrique. Ainsi, les charges négatives à l’intérieur
+ + –
– + du neurone et les charges positives à l’extérieur sont mutuellement attirées
+ – +
– – + – + vers la membrane cellulaire, un peu comme, par une chaude soirée d’été, les
+ moustiques sont attirés vers une fenêtre par une lampe éclairée de l’intérieur.
– + – + –
+ –
– – De même, la charge négative à l’intérieur de la cellule n’est pas distribuée de
+ – + – +
+ + – façon uniforme dans le cytosol : elle est plutôt localisée sur la face interne de
– +
+ – + + – la membrane (Fig. 3.13). Cette propriété de la membrane s’appelle la capa-
– + +
– citance.
+ – – + – + –
– + – 3. La quantité d’ions transportés ainsi que la vitesse de transport des ions à travers
– + – + –
la membrane sont proportionnelles à la différence entre le potentiel membra-
Cytosol Milieu naire et le potentiel d’équilibre. Comme cela apparaît sur la figure 3.12, une
extracellulaire fois les canaux insérés, le mouvement de K+ ne s’établit que si le potentiel
Membrane
membranaire et le potentiel d’équilibre diffèrent. La différence entre le poten-
Figure 3.13 – Distribution des charges élec­ tiel membranaire réel et le potentiel d’équilibre (Vm – Eion) pour un ion parti-
triques de part et d’autre de la membrane. culier s’appelle la force électromotrice. Ce thème sera à nouveau abordé dans
Parce que la membrane est extrêmement fine, les chapitres 4 et 5, en étudiant le déplacement des ions à travers la membrane
les charges situées de part et d’autre sont en au cours du potentiel d’action et de la transmission synaptique.
interaction électrostatique ; ceci contribue à
favoriser la distribution des charges électriques 4. Quand, pour un ion particulier, la différence de concentration entre les deux
de chaque côté de la membrane, l’intérieur côtés de la membrane est connue, il est facile de calculer le potentiel d’équi-
étant négatif par rapport à l’extérieur. Dans ces libre. Dans l’exemple de la figure 3.12, la concentration de K+ était supposée
conditions, tant le cytosol que le milieu extra- plus importante à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur. En partant de cette
cellulaire est électriquement neutre. donnée, il a pu être déduit que le potentiel d’équilibre serait négatif si les
membranes étaient sélectivement perméables à K+. Pour prendre un autre
exemple, avec une concentration de Na+ plus forte à l’extérieur de la cellule
(Fig. 3.14), si la membrane contenait des canaux sodiques, Na+ s’écoulerait
selon le gradient de concentration vers l’intérieur de la cellule. L’entrée d’ions
chargés positivement amènerait le cytosol situé près de la surface interne
de la membrane à se charger positivement. L’intérieur de la cellule, chargé
positivement, ralentirait alors le flux des ions Na+ en tendant à les ramener
en arrière, à travers les canaux. À une différence de potentiel donnée, la force
électrique qui repousse les ions Na+ compenserait exactement la force de
diffusion qui les pousse à l’intérieur. Dans cet exemple, le potentiel membra-
naire à l’équilibre serait positif à l’intérieur de la cellule.
Les exemples des figures 3.12 et 3.14 démontrent que, si la différence de
concentration ionique à travers la membrane est connue, il est alors possible de
calculer le potentiel d’équilibre pour chaque ion. Supposons que la concentra-
Figure 3.14 – Autre exemple d’établissement tion des ions Ca2+ soit plus élevée à l’extérieur de la cellule et que la membrane
d’un équilibre au travers d’une membrane soit sélectivement perméable à Ca2+. Peut-on dire si l’intérieur de la cellule sera
sélectivement perméable. positif ou négatif au point d’équilibre ? Qu’en est-il par ailleurs en supposant
(a) Une membrane imperméable sépare deux
que la membrane soit sélectivement perméable à Cl– et que la concentration de
compartiments, l’un de forte concentration en
sels (« extérieur »), l’autre de faible concen-
tration (« intérieur »). (b) L’insertion dans la
membrane de canaux sélectivement per-
Intérieur Extérieur
méables aux ions Na+ résulte initialement en
de la cellule de la cellule
un déplacement des ions Na+ au travers de
la membrane, selon le gradient de concentra-
tion ; ici, de la droite vers la gauche. (c) L’ac- + – + –
+ –
cumulation de charges positives à l’intérieur Na+
et de charges négatives à l’extérieur, tend à
Na+ Na+ Na+ Na+ Na+
ralentir le mouvement des ions Na+ de l’ex- + –
térieur vers l’intérieur. Un équilibre s’établit + – + –
alors, de telle manière que le déplacement A– + –
A– A– A– A– –
des ions Na+ s’arrête, conduisant à l’établis- + – A
sement d’une différence de charges entre les + –
+ –
deux côtés de la membrane ; dans ce cas, + –
l’intérieur de la cellule est chargé positivement
par rapport à l’extérieur. (a) (b) (c)
3 – Membrane du neurone au repos 69

Cl– soit plus forte à l’extérieur de la cellule ? (dans ces exemples, attention à la
charge ionique !).
Les exemples précédents montrent qu’il existe un potentiel d’équilibre pour
chaque ion, correspondant au potentiel de membrane qui serait obtenu si les
membranes n’étaient perméables qu’à cet ion seulement. Ainsi peut-on parler
du potentiel d’équilibre du potassium, EK ; du potentiel d’équilibre du sodium,
ENa ; du potentiel d’équilibre du calcium, ECa, etc. Enfin, connaissant la charge
électrique d’un ion et la différence de concentration entre les deux côtés de la
membrane, il est possible de déduire que l’intérieur de la cellule sera positif ou
négatif au point d’équilibre. En fait, la valeur exacte du potentiel d’équilibre en
mV peut être calculée en utilisant une équation basée sur des principes de chimie
physique, l’équation de Nernst, qui prend en compte la charge de l’ion, la tem-
pérature et le rapport entre les concentrations ioniques intérieure et extérieure.
L’équation de Nernst permet de calculer la valeur du potentiel d’équilibre d’un
ion donné. Par exemple, si la concentration de K+ est 20 fois plus élevée à l’inté-
rieur d’une cellule par rapport à la concentration externe, l’équation de Nernst
s’écrit : EK = – 80 mV (Encadré 3.2).

Encadré 3.2 BASES THÉORIQUES

L’équation de Nernst
On peut calculer le potentiel d’équilibre d’un ion en À la température du corps (37 °C), l’équation de
utilisant l’équation de Nernst : Nernst pour les ions les plus importants, K+ , Na+, Cl– et
RT [ ion ]e Ca2+, s’écrit plus simplement :
E ion = 2,303 log [ K + ]e
zF [ ion ]i E k = 61,54 mV log +
[ K ]i
dans laquelle :
[ Na + ]e
Eion = potentiel d’équilibre de l’ion E Na = 61,54 mV log
[ Na + ]i
R = constante gazeuse
[ Cl − ]e
T = température absolue E Cl = − 61,54 mV log
[ Cl − ]i
z = charge de l’ion
[ Ca 2 + ]e
F = constante de Faraday E Ca = 30,77 mV log
[ Ca 2 + ]i
log = logarithme de base 10
[ion]e = concentration ionique à l’extérieur de la cel- Pour calculer le potentiel d’équilibre d’un ion donné
lule à la température du corps, il suffit par conséquent de
[ion]i = concentration ionique à l’intérieur de la cel- connaître les concentrations ioniques de part et d’autre
lule de la membrane. Par exemple, dans la figure 3.12, il est
stipulé que la concentration de K+ est dix fois plus élevée
L’équation de Nernst repose sur les principes de à l’intérieur de la cellule qu’à l’extérieur :
base de la chimie physique. Rappelons que le point
De ce fait, si
d’équilibre résulte de deux influences : la diffusion, qui [ K + ]e 1 1
assure le mouvement des ions selon le gradient de =  et log = − 1,3
[ K + ]i 20 20
concentration, et la charge électrique par laquelle les
ions de charge opposée sont attirés et ceux de charge de alors EK = 61,54 mV × – 1,3 = – 80 mV.
même type, repoussés. L’élévation de l’énergie ther- Notez que, dans l’équation de Nernst, il n’y a pas de
mique de chaque particule accroît la diffusion et, par prise en compte de la perméabilité ou de la conductance
voie de conséquence, la différence de potentiel obtenue ionique. De ce fait, calculer la valeur de Eion ne nécessite pas
au point d’équilibre. Eion est donc proportionnel à T. que l’on connaisse le niveau de perméabilité ou de sélectivité
Par ailleurs, l’augmentation de la charge électrique de de la membrane pour l’ion en question. Il existe un potentiel
chaque particule diminue la différence de potentiel d’équilibre pour chaque ion présent au niveau du milieu
nécessaire pour équilibrer la diffusion. Eion est donc intra et extracellulaire. Eion représente le potentiel de
inversement proportionnel à la charge de l’ion (z) ; il membrane qui compense tout juste le gradient de concen-
n’est pas nécessaire de tenir compte de R et F, qui sont tration de cet ion, de telle manière qu’aucun courant ionique
des constantes. ne soit généré si la membrane est perméable à cet ion.
70 1 – Bases cellulaires

Distribution des ions de part


et d’autre de la membrane
Nous avons montré que le potentiel de la membrane neuronale dépend de la
concentration ionique de part et d’autre de la membrane. La figure 3.15 donne
des évaluations de ces concentrations. Il faut noter que la concentration de K+
est plus forte à l’intérieur des neurones, alors que celles de Na+ et Ca2+ sont plus
fortes à l’extérieur.
Comment se forment ces gradients de concentration ? Les gradients de
concentration ionique sont établis par l’intermédiaire de pompes ioniques situées
dans la membrane neuronale. Deux types de pompes ioniques sont particulière-
ment importants en neurophysiologie cellulaire : la pompe sodium-potassium et
la pompe calcium. La pompe sodium-potassium est une enzyme qui hydrolyse de
l’ATP en présence d’ions Na+ à l’intérieur de la cellule. L’énergie libérée par cette
réaction actionne la pompe qui échange des ions Na+ internes pour des ions K+
externes. L’activité de la pompe maintient la concentration de K+ à l’intérieur du
neurone et celle de Na+ à l’extérieur. Il faut remarquer que la pompe repousse
ces ions à travers la membrane contre leur gradient de concentration (Fig. 3.16)
et que cette action nécessite un apport d’énergie important. Ainsi a-t-on pu cal-
culer que la pompe sodium-potassium consomme près de 70 % de la quantité
totale d’ATP utilisée dans le cerveau.

Milieu
extérieur Milieu intérieur

Rapport Eion
Milieu extérieur Milieu intérieur
extérieur/intérieur (à 37 °C)

[K+]e = 5 mM [K+]i = 100 mM 1:20 – 80 mV


[Na+]e = 150 mM [Na+]i = 15 mM 10:1 62 mV
[Ca2+]e = 2 mM [Ca2+]i = 0,0002 mM 10 000:1 123 mV
[Cl–]e = 150 mM [Cl–]i = 13 mM 11.5:1 – 65 mV

Figure 3.15 – Concentration des ions de part et d’autre de la membrane neuronale (concentra­


tions approximatives).
Eion représente le potentiel de membrane qui serait effectivement atteint (à la température du corps)
si la membrane était sélectivement perméable à cet ion.
3 – Membrane du neurone au repos 71

Milieu Pompe sodium-potassium


extracellulaire

Na+
Na+ K+
K+
Na+
Na+
+
K+ Na+ K
Na+

Figure 3.16 – Pompe à sodium-potassium.
Cette protéine associée à la membrane trans-
Membrane
porte les ions à travers la membrane, contre
Cytosol un gradient de concentration. Elle utilise de
l’énergie pour effectuer ce transport.

La pompe calcium est aussi une enzyme, qui transporte activement les ions
Ca2+ en dehors du cytoplasme, à travers la membrane cellulaire. Des mécanismes
additionnels réduisent la concentration intracellulaire de calcium ionisé à un
niveau très faible (0,0002 mM), impliquant des protéines qui lient le calcium et
divers organites intracellulaires, tels que les mitochondries et les différents types
de reticulum endoplasmique qui séquestrent des ions calciques cytosoliques.
Les pompes ioniques sont les héros méconnus de la neurophysiologie cel-
lulaire ; elles travaillent à l’arrière-plan pour assurer l’existence et le maintien
des gradients de concentration ionique. Ces protéines n’ont pas le prestige des
canaux ioniques mais sans elles le cerveau ne pourrait pas fonctionner.

Perméabilité ionique relative de la membrane au repos


Les pompes établissent des gradients de concentration ionique à travers la
membrane. En connaissant les concentrations des ions de part et d’autre de la
membrane, l’équation de Nernst permet de calculer le potentiel d’équilibre des
différents ions (Fig. 3.15). Il faut cependant rappeler que le potentiel d’équilibre
d’un ion est le potentiel membranaire résultant de la perméabilité sélective de la
membrane à cet ion. En fait, les membranes des neurones ne sont pas perméables
à un type d’ions particulier mais bien à tout un ensemble de ces ions.
Supposons la présence d’ions K+ et Na+. Si la membrane d’un neurone était
seulement perméable aux ions K+, le potentiel membranaire serait égal à EK,
soit, selon la figure 3.15, – 80 mV. Par ailleurs, si la membrane du neurone était
seulement perméable aux ions Na+, le potentiel membranaire serait égal à ENa,
soit + 62 mV. Dans le cas où la membrane serait également perméable à K+ et
Na+, le potentiel membranaire serait par conséquent une moyenne de ENa et EK.
Mais que se passerait-il si la membrane était 40 fois plus perméable à K+ qu’à
Na+ ? Dans ce cas aussi, le potentiel membranaire se situerait entre ENa et EK,
mais plus près de EK que de ENa. Ceci est proche de ce qui se passe en réalité avec
les neurones. Le potentiel de la membrane au repos est de – 65 mV. Il est proche
mais n’atteint pas les – 80 mV du potentiel d’équilibre du potassium. Ainsi donc,
bien que la membrane au repos soit fortement perméable à K+, cette différence
apparaît parce qu’il y a aussi un flux continu d’ions Na+ vers l’intérieur de la
cellule.
Le potentiel de la membrane au repos peut alors être calculé en utilisant
l’équation de Goldman, une formule mathématique qui tient compte de la per-
méabilité relative de la membrane à certains ions. Si on prend en compte seule-
ment les ions K+ et Na+, en utilisant les concentrations ioniques de la figure 3.15
et en supposant que la perméabilité de la membrane au repos à K+ est 40 fois
supérieure à la perméabilité à Na+, le résultat de l’équation de Goldman sera un
potentiel membranaire de repos égal à – 65 mV, ce qui correspond à la valeur
observée (Encadré 3.3).
72 1 – Bases cellulaires

Encadré 3.3 BASES THÉORIQUES

L’équation de Goldman
Si la membrane d’un neurone était seulement per- Vm étant le potentiel membranaire, PK et PNa repré-
méable aux ions K+, le potentiel de repos serait égal à sentant respectivement les perméabilités relatives ; les
EK, soit environ – 80 mV. En réalité, le potentiel de repos autres termes étant les mêmes que ceux de l’équation de
de la membrane d’un neurone est d’environ – 65 mV. Nernst.
Cette différence s’explique par le fait que les neurones Si la perméabilité ionique de la membrane au repos
au repos ne sont pas exclusivement perméables aux pour K+ est 40 fois supérieure à celle de Na+, en uti-
ions K+ ; il existe aussi une certaine perméabilité aux lisant les concentrations de la figure 3.15, l’équation de
ions Na+. En d’autres termes, la perméabilité relative de Goldman s’écrit :
la membrane neuronale au repos est plutôt élevée pour
40 (5) + 1 (150)
K+ et plutôt basse pour Na+. Si la valeur des perméabi- Vm = 61,54 mV log
lités relatives est connue, il est alors possible de calculer 40 (100) + 1 (15)
le potentiel membranaire au point d’équilibre en utili- 350
= 61,54 mV log
sant l’équation de Goldman. Soit, pour une membrane 4 015
perméable seulement à Na+ et K+ à 37 °C : = − 65 mV
P [ K + ]e + PNa [ Na + ]e
Vm = 61,54 mV log K
PK [ K + ]i + PNa [ Na + ]i

Le vaste monde des canaux potassiques.  Comme nous venons de le voir,


la perméabilité sélective des canaux potassiques est un élément déterminant du
potentiel de la membrane au repos et, par conséquent, de la fonction du neurone.
Quelles sont les bases moléculaires de cette sélectivité ionique ? La sélectivité
pour les ions K+ est en rapport avec l’arrangement des acides aminés qui forment
la région du pore du canal ionique. De ce fait, ce fut vraiment une avancée consi-
dérable lorsque, en 1987, les chercheurs déterminèrent la séquence en acides ami-
nés de familles de canaux potassiques. L’étude fut conduite en utilisant le modèle
de la mouche des fruits, Drosophila melanogaster. Alors que ces insectes sont
honnis de la cuisine, ils représentent un outil de choix pour les scientifiques car
leurs gènes peuvent être étudiés et manipulés comme cela n’est absolument pas
possible chez les mammifères.
Les mouches normales, comme les humains, peuvent être anesthésiées par
des vapeurs d’éther. Alors qu’ils expérimentaient sur ces insectes anesthésiés,
les investigateurs ont remarqué qu’une souche de mouches mutantes répondait
à l’éther en secouant les pattes, battant des ailes et en produisant des mouve-
ments de l’abdomen. Cette souche fut dénommée Shaker, en rapport avec ce
comportement de secousses. Des analyses moléculaires fines ont révélé que ce
curieux comportement est lié à un défaut d’expression d’un type particulier de
canal potassique (Fig. 3.17a). Grâce aux méthodes de la biologie moléculaire, les
chercheurs cartographièrent le gène muté dans la souche Shaker. La séquence de
ce gène, connu aujourd’hui comme celui du canal potassique Shaker, a permis
d’aboutir à l’identification des gènes d’autres canaux potassiques à partir des
analogies de séquence. Cette analyse a révélé l’existence d’un très grand nombre
de canaux potassiques différents, incluant ceux responsables du maintien du
potentiel de repos de la membrane des neurones.
La plupart des canaux potassiques sont formés de quatre sous-unités dispo-
sées comme les douves d’un tonneau, de façon à former un pore (Fig. 3.17b). En
dépit de leur diversité, les différentes sous-unités ont une structure similaire qui
leur confère la sélectivité ionique vis-à-vis des ions K+. De façon intéressante,
une région particulière dénommée boucle du pore, fut caractérisée comme contri-
buant à cette sélectivité ionique, ce qui rend le canal principalement perméable
aux ions K+ (Fig. 3.18). En plus de la drosophile, le scorpion a lui aussi permis
d’accroître les connaissances sur les canaux potassiques, en particulier sur le
3 – Membrane du neurone au repos 73

Canal
potassium
Milieu Shaker
Membrane
extracellulaire

Membrane

Cytosol

Boucle située
au niveau du pore

(a)

(b)

Figure 3.17 – Structure d’un canal potas­


sique.
(a) Visualisation des canaux potassiques
Shaker dans la membrane d’une cellule de
drosophile ; vue de dessus au microscope
électronique. (Source : Li et al., 1994 ; Fig. 2.)
(b) Le canal potassique Shaker présente 4
sous-unités disposées comme les douves
d’un tonneau pour former le pore. Agrandisse-
ment : structure tertiaire d’une sous-unité pro-
téique présentant la boucle située au niveau
du pore, une partie d’un polypeptide formant
une boucle dans le plan de la membrane.
Cette boucle représente la partie critique de
la protéine, conférant au canal sa sélectivité
ionique vis-à-vis des ions K+.

Figure 3.18 – Représentation de la région du pore du canal potassique.


La structure atomique d’un canal ionique sélectivement perméable au potassium a récemment
été publiée. Le schéma représente le pore vu de l’extérieur de la membrane. La sphère rouge, au
centre, mime un ion K+. (Source : Doyle et al., 1998.)
74 1 – Bases cellulaires

filtre de sélectivité lié à la boucle du pore. Chris Miller, de l’Université Brandeis,


et son étudiant Roderick MacKinnon, ont observé que les toxines de scorpion
bloquent les canaux potassiques (et empoisonnent de fait leurs victimes) en se
fixant sur un site localisé à l’intérieur même du pore. Ils ont utilisé la toxine
pour identifier les acides aminés qui forment les parois du pore et contribuent à
la sélectivité ionique du canal (Encadré 3.4). MacKinnon a résolu la structure
atomique tridimensionnelle d’un canal potassique. Ceci a permis d’établir les
bases physiques de la sélectivité ionique et a été récompensé par le prix Nobel de
chimie, remis à Roderick MacKinnon en 2003. Il est alors devenu compréhen-
sible qu’une simple mutation impliquant un seul acide aminé dans cette région
du canal puisse considérablement affecter le fonctionnement neuronal.

Encadré 3.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

De l’importance des canaux ioniques dans ma vie


Par Chris Miller

Pour ma part, je n’ai jamais considéré la sur la façon dont ils fonctionnaient et pro-
recherche comme un travail mais plutôt duisaient de l’électricité. Parallèlement, au
comme un jeu. Ainsi, démarrer un nouveau fur et à mesure que je découvrais ce monde,
projet, aussi futile soit-il, m’a toujours paru j’étais submergé de données et horrifié par
un plaisir plutôt égoïste. Et ce n’est que plus la complexité des cellules vivantes. En parti-
tard qu’interviennent les difficultés, sous culier, l’interprétation des données de l’ex-
forme de recherche de financement, de sueur périmentation n’était le plus souvent pas
et de doutes en tous genres, nécessaires pour univoque, notamment au regard d’expé-
attaquer ces problèmes –  et parfois résoudre Chris Miller riences réalisées sur des membranes isolées.
ces questions – que nous fournit la nature. C’est ainsi que C’est cette combinaison de fascination et d’horreur face
j’ai passé les 40 dernières années de ma vie avec le plus à cette complexité du vivant qui m’a conduit à m’inté-
fascinant des jouets : les canaux ioniques, ces protéines resser à des membranes artificielles de composition bien
transmembranaires qui font réellement l’activité des neu- définie, développées dans les années 1960 par Paul
rones sous forme de signal électrique. Si l’on considère Mueller. Ces modèles permettaient alors d’envisager
que le cerveau est un peu comme un ordinateur – ce qui d’analyser les caractéristiques de ces protéines particu-
est inexact mais permet une métaphore – alors les canaux lières sorties de leur monde si complexe. J’ai donc tra-
ioniques sont un peu comme des transistors. En réponse vaillé sur une méthode permettant d’insérer ces canaux
aux contraintes biologiques, ces minuscules pores for- ioniques dans des membranes artificielles, et j’ai utilisé
ment des systèmes de diffusion pour les ions Na+, K+, les membranes ainsi équipées de canaux pour enregis-
Ca2+, H+ et Cl–, qui transportent les charges électriques trer l’activité des canaux potassiques au moment même
au travers de la membrane, génèrent et transportent le où commençaient à se développer les méthodes d’enre-
signal nerveux. Je suis littéralement tombé amoureux de gistrement par patch-clamp. Je confesse aujourd’hui que
ces protéines lorsque je me suis accidentellement inté- je m’amusais un peu avec mes premiers enregistre-
ressé à un type de canaux potassiques, alors que je tentais ments… Pouvoir ainsi observer et modifier l’activité de
d’isoler une protéine tout à fait différente, une enzyme simples protéines juste devant mes yeux en temps réel
sensible au calcium. Et au fil des années cet amour s’est était — et reste — tout simplement fascinant !
considérablement développé, à tel point que j’ai mainte- Accessoirement, cette forme de jeu m’a donné l’oc-
nant une vraie collection de ces fascinantes protéines. casion de comprendre qu’il est possible d’aborder des
Ma formation initiale en physique, suivie d’une expé- questions de grande complexité par une approche
rience en tant que professeur de mathématiques dans un quelque peu réductionniste. Au milieu des années 1980,
lycée, m’a permis ensuite d’intégrer une formation doc- j’ai eu la chance d’avoir dans mon laboratoire des
torale dans les années 1970, jusqu’à développer mon post-doctorants de talent – Gary Yellen, Rod MacKinnon
propre laboratoire à Brandeis University, sans réelle for- et Jacques Neyton, parmi d’autres – qui travaillaient sur
mation en neurobiologie ou en électrophysiologie. C’est la sélectivité ionique de différentes catégories de canaux
en parcourant la littérature et grâce à mon entourage à potassiques. Les questions étaient alors de savoir com-
l’université que j’ai pu m’imprégner de cette culture et ment différencier des ions aussi similaires que les ions
que j’ai été de plus en plus fasciné par les canaux potassiques ou les ions sodiques ; et comment cette
ioniques. À cette époque, nous n’avions que peu d’idées sélectivité ionique se maintenait lorsque les neurones
3 – Membrane du neurone au repos 75

Encadré 3.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE (suite)

étaient actifs pour nous permettre de penser, de sentir et


d’agir. Nous nous sommes alors lancés dans un projet
insensé d’utilisation de neurotoxines naturelles pour
tenter de bloquer ces canaux ioniques. L’utilisation d’un
peptide issu d’un venin de scorpion couplé à des Toxine
méthodes d’enregistrement de canaux uniques nous a de scorpion
permis de démontrer que ces toxines ont la propriété de
se fixer à l’intérieur du pore d’un canal potassique, à la
manière d’un bouchon sur une bouteille (Fig. A). En
1988, Rod MacKinnon présenta notre toxine au sémi-
naire de Cold Spring Harbor. Il montra comment utiliser Pore
du canal 2 nm
les méthodes d’ADN recombinant pour faire exprimer
des canaux ioniques. C’est alors qu’il fit une découverte potassique
fondamentale : la toxine bloquait aussi les canaux
Shaker, ces canaux représentant les premiers canaux Figure A
potassiques clonés l’année précédente dans le labora- Représentation de la partie extracellulaire d’un canal potassique
toire de Lilly et Yuh-Nung Jan. Cette découverte nous a associé à une toxine de scorpion. Points d’interactions : partie du
canal qui fixe la toxine (cercle bleu foncé). Le résidu de lysine de la
permis de procéder par mutagenèse dirigée et d’identi-
toxine, qui joue un rôle clé dans cette association, s’introduit littéra-
fier la séquence en acides aminés de la partie du canal
lement dans le canal (cerclé bleu clair). Les ions K+ sont déplacés
formant la région du pore. Ce résultat fut immédiate- plus bas dans le canal par la fixation de la toxine (cercle jaune). La
ment transposable à l’ensemble des canaux sensibles au barre d’échelle représente 2 nm. (Source : adapté de Goldstein et al.
voltage : sodiques, potassiques et calciques. Quelques Neuron 1994 ; 12 : 1377-88.)
années plus tard, Rod et Gary ont poursuivi leur colla-
boration sur l’identification des caractéristiques de la
structure de ces pores. C’est ainsi que 7 ans après, Rod a surprise — provient de la beauté de l’organisation de la
obtenu la première structure atomique par rayons X du nature. Ce sentiment inégalable a été décrit par le grand
canal potassique, conduisant à une vision globale des physicien Richard Feynman qui, en réponse au poème
relations structure-fonction de ces canaux. de W. H. Auden, minimisant la motivation scientifique, a
Lorsque je me souviens de mes premiers travaux sur les écrit de façon tout aussi poétique : « Nous voulons com-
canaux ioniques, ma plus grande joie — et ma plus grande prendre pour aimer encore davantage la nature. »

Tel est le cas chez une lignée de souris dénommée Weaver. Ces animaux ont les
plus extrêmes difficultés à maintenir leur posture et à se mouvoir correctement. La
mutation a été identifiée comme portant sur un seul acide aminé de la boucle du
pore d’un canal potassique exprimé sélectivement dans un type de neurone par-
ticulier du cervelet, une région de l’encéphale impliquée de façon critique dans la 20
Potentiel de membrane (mV)

coordination motrice. La conséquence principale de cette mutation est que les ions 0
Na+ et K+ passent indifféremment par le canal. L’augmentation de la conductance
– 20
sodique se traduit par un potentiel de repos moins négatif que la normale, altérant
par là le fonctionnement de la membrane (d’ailleurs, ce potentiel de membrane – 40
aux valeurs négatives anormales dans ces neurones est considéré comme à l’ori- – 60
gine de leur mort prématurée). Au cours de ces dernières années, il est ainsi devenu
– 80
évident qu’un certain nombre de maladies neurologiques transmises héréditaire-
ment, comme certaines formes d’épilepsie notamment, pourraient être expliquées – 100
1 10 100
par des mutations de canaux potassiques spécifiques. [K+]o (mM)
Figure 3.19 – Dépendance du potentiel de
membrane de la concentration extracellu­
Rôle fondamental de la régulation laire de potassium.
de la concentration de potassium extracellulaire Parce que la membrane neuronale au repos
est principalement perméable aux ions potas-
La membrane du neurone au repos étant essentiellement perméable à K+, sium, une variation de concentration de K+ de
le potentiel membranaire est proche de EK. Pour la même raison, le potentiel 10 fois, de 5 à 50 mM, provoque une dépo-
membranaire est particulièrement sensible aux variations de la concentration de larisation de la membrane de 48 mV. Cette
potassium extracellulaire. La figure 3.19 illustre cette relation. Une augmentation fonction est établie par l’équation de Goldman
de dix fois de la concentration extracellulaire des ions potassium, de 5 à 50 mM, (voir Encadré 3.3).
76 1 – Bases cellulaires

K+ K+ ramènerait ainsi le potentiel de membrane de – 65 à – 17 mV. Quand le potentiel


K+ membranaire devient moins négatif, la membrane est dite dépolarisée. Par consé-
K+ K+ quent, l’augmentation du potassium extracellulaire dépolarise les neurones.
La sensibilité du potentiel membranaire à la concentration extracellulaire
K+ K+ de potassium est corrélative d’une évolution des mécanismes qui régulent pré-
Astrocyte cisément dans le cerveau cette concentration extracellulaire de potassium. L’un
d’entre eux est représenté par le fonctionnement de la barrière hématoencépha-
lique, une des parois des capillaires sanguins qui limite les mouvements des ions
K+ potassium (et d’autres substances transportées par le sang) dans le milieu extra-
K+ o cellulaire du cerveau.
K+
K+ Les cellules gliales, en particulier les astrocytes, représentent aussi des méca-
nismes efficaces pour contrôler les concentrations d’ions K+ extracellulaires lors-
Figure 3.20 – Rôle des astrocytes dans le
qu’elles s’élèvent, ce qui accompagne en général l’activité neuronale. Il faut rappe-
contrôle de la concentration de potassium
ler que les astrocytes comblent la plus grande partie de l’espace entre les neurones
extracellulaire.
Lorsque la concentration extracellulaire de et que leur membrane présente des pompes potassiques qui concentrent les
potassium augmente sous l’effet de l’acti- ions K+ dans leur cytosol, ainsi que des canaux potassiques. Lorsque la concen-
vité neuronale, les ions K+ pénètrent dans tration extracellulaire de potassium s’élève, les ions K+ pénètrent dans l’astrocyte
les astrocytes par l’intermédiaire de canaux par les canaux potassiques, ce qui entraîne la dépolarisation de sa membrane.
membranaires. Le réseau très dense formé L’afflux des ions K+ augmente la concentration interne de cet ion, qui se répartit
par les astrocytes permet alors une normali- probablement dans toute la cellule. Ce mécanisme de régulation de la concen-
sation des concentrations de potassium dans tration extracellulaire de potassium implique le réseau astrocytaire dans son
une région très large, couverte par les astro- ensemble, conférant une dimension spatiale à la régulation de la concentration
cytes environnant les neurones actifs. extracellulaire de potassium localement (potassium spatial buffering) (Fig. 3.20).
Il est cependant important de savoir que toutes les cellules excitables ne sont
pas protégées contre les changements qui interviennent dans la concentration
extracellulaire de potassium. Les cellules musculaires, par exemple, ne sont pro-
tégées ni par la barrière hématoencéphalique, ni par les mécanismes impliquant
les cellules gliales. Aussi, bien que le cerveau soit relativement protégé, l’élévation
des concentrations d’ions potassium dans le sang peut avoir de sévères consé-
quences sur la physiologie de l’organisme (Encadré 3.5).

Encadré 3.5 FOCUS

Mort par injection létale


Le 4 juin 1990, le Dr Jack Kevorkian sema le trouble Rappelons en effet que le bon fonctionnement des
dans la profession médicale, en aidant Janet Adkins à se cellules excitables (y compris celles du muscle cardiaque)
suicider. Mme Adkins, âgée de 54 ans, mariée et mère de suppose que leur membrane maintienne un potentiel de
trois enfants, était atteinte de maladie d’Alzheimer, une repos, lorsqu’elles ne génèrent pas d’impulsions. Le
maladie évolutive du cerveau qui provoque une démence potentiel de repos négatif est le résultat d’une perméabi-
sénile et la mort. Mme Adkins faisait partie de la Hemlock lité sélective aux ions K+ et de l’activité de pompes qui
Society, qui prône l’euthanasie dans les cas de maladie concentrent le potassium à l’intérieur de la cellule.
fatale. Le Dr Kevorkian accepta d’aider Mme Adkins à Cependant, comme le montre la figure 3.19, le potentiel
se suicider. À l’arrière d’une Volkswagen 1968, sur un ter- membranaire est très sensible aux changements de
rain de camping d’Oakland County, dans le Michigan, il concentration du potassium extracellulaire. Une concen-
lui plaça une perfusion qui contenait une solution saline tration extracellulaire de potassium dix fois plus élevée
banale. Mme Adkins remplaça la solution par une autre supprimerait le potentiel de repos. Bien que les neurones
contenant un anesthésique, l’administration de cette solu- du cerveau soient protégés contre les grandes variations
tion étant suivie automatiquement par celle d’une autre de concentration de ce potassium extracellulaire,
de chlorure de potassium. Après l’injection de l’anesthé- d’autres cellules excitables du corps, telles que celles des
sique, qui supprimait l’activité des neurones dans une muscles, ne le sont pas. En l’absence d’un potentiel de
partie du cerveau dénommée formation réticulée, repos négatif, les cellules du muscle cardiaque ne peuvent
Mme Adkins perdit connaissance. Mais, c’est l’injection plus générer les impulsions qui entraînent la contraction
de KCl qui provoqua l’arrêt cardiaque et la mort. La et le cœur s’arrête de battre immédiatement. Le chlorure
connaissance des bases ioniques du potentiel de repos de potassium administré par voie intraveineuse consti-
explique pourquoi le cœur s’est arrêté de battre. tue donc une injection létale.
3 – Membrane du neurone au repos 77

Conclusion
En étudiant les mécanismes du maintien du potentiel de la membrane du
neurone au repos, il apparaît que l’activation de la pompe sodium-potassium
produit et maintient à travers la membrane un gradient de concentration d’ions
potassium important. La membrane neuronale au repos est largement per-
méable à ces ions K+, grâce à la présence des canaux potassiques. Compte tenu
de ce gradient de concentration existant au travers de la membrane, l’intérieur
du neurone est négatif par rapport à l’extérieur.
La différence de potentiel électrique existant à travers la membrane est ainsi
comparable à celle d’une batterie de voiture dont la charge serait maintenue par
le travail des pompes ioniques. Le chapitre suivant est ainsi consacré à l’étude des
mécanismes qui font que cette énergie électrique parcourt notre cerveau.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Quelles sont les deux fonctions des protéines de la membrane neu-


ronale qui permettent d’établir et de maintenir le potentiel de la
membrane au repos ?
2. De quel côté de la membrane neuronale les ions K+ sont-ils les plus
abondants ?
3. Lorsque la membrane est au potentiel d’équilibre du potassium, dans
quelle direction (vers l’intérieur ou vers l’extérieur) se fait le mouve-
ment des ions K+ ?
4. La concentration des ions K+ est beaucoup plus forte à l’intérieur de la
cellule qu’à l’extérieur. Dans ces conditions, pourquoi le potentiel de
la membrane au repos est-il négatif ?
5. Lorsque le cerveau est privé d’oxygène, les mitochondries présentes
à l’intérieur du neurone cessent de produire de l’ATP. Quel effet cela
peut-il avoir sur le potentiel de la membrane ? Pourquoi ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Hille B. Ionic channels of excitable membranes, 3rd ed. Sunderland, MA :


Sinauer, 2001.
MacKinnon R. Potassium channels. Federation of European Biochemical
Societies Letters 2003 ; 555 : 62-5.
Nicholls J, Martin AR, Fuchs PA, Brown DA, Diamond ME, Weisblat D.
From Neuron to Brain, 5th ed. Sunderland, MA : Sinauer, 2011.
Somjen GG. Ions in the Brain: Normal Function, Seizures, and Stroke.
New York : Oxford University Press, 2004.
CHAPITRE  4 Potentiel d’action

PROPRIÉTÉS
DU POTENTIEL D’ACTION
Différentes phases du potentiel d’action............................................. 80
Déclenchement du potentiel d’action.................................................. 80
Encadré 4.1 Bases théoriques  Méthodes d’enregistrement
du potentiel d’action
Déclenchement d’une salve de potentiels d’action............................... 82
Enregistrements optogénétiques : contrôle de l’activité neuronale
par la lumière..................................................................................... 83
Encadré 4.2 Les voies de la découverte  La découverte
des channelrhodopsines,
par Georg Nagel

POTENTIEL D’ACTION :
LA THÉORIE
Courants et conductances membranaires............................................ 86
Complexité du potentiel d’action........................................................ 87

POTENTIEL D’ACTION :
LA RÉALITÉ
Canaux sodiques dépendants du potentiel.......................................... 90
Encadré 4.3 Bases théoriques  Méthode du patch-clamp
Canaux potassiques dépendants du potentiel..................................... 96
Potentiel d’action : vue d’ensemble..................................................... 96

PROPAGATION
DU POTENTIEL D’ACTION
Facteurs influençant la vitesse de propagation.................................... 99
Myéline et conduction saltatoire......................................................... 100
Encadré 4.4 Focus  Anesthésie locale
Encadré 4.5 Focus  Sclérose en plaques, maladie démyélinisante

POTENTIELS D’ACTION,
AXONES ET DENDRITES
Encadré 4.6 Focus  Comportement électrique éclectique des neurones

CONCLUSION
INTRODUCTION

C
e chapitre est consacré au signal qui transmet l’information à distance
dans le système nerveux, le potentiel d’action. Comme cela a déjà été
mentionné, le cytosol du neurone au repos présente une charge négative
par rapport au milieu extracellulaire. Le potentiel d’action correspond au ren-
versement rapide de cet état, de telle sorte que l’intérieur de la membrane devient
transitoirement positif par rapport à l’extérieur. Le potentiel d’action est sou-
vent désigné par les termes d’influx nerveux ou de décharge neuronale.
Les potentiels d’action générés par une cellule ont tous la même amplitude et
la même durée. Ils ne s’affaiblissent pas au fur et à mesure de leur propagation
vers l’extrémité de l’axone. Il faut se souvenir de ce fait essentiel : la fréquence
des potentiels d’action et/ou leur association en bouffées (pattern ou patron de
décharge) représente le code utilisé par les neurones pour transmettre l’infor-
mation d’un endroit à l’autre du système nerveux. Ce chapitre est consacré aux
mécanismes responsables du potentiel d’action et de sa propagation dans la
membrane axonale.
80 1 – Bases cellulaires

Propriétés du potentiel d’action


Les potentiels d’action présentent un certain nombre de propriétés univer-
selles, c’est-à-dire des caractéristiques partagées par tous les axones du sys-
tème nerveux de toutes les espèces animales, depuis le modeste calmar jusqu’à
­l’étudiant à l’université. Quelles sont ces propriétés ? Qu’est-ce qu’un potentiel
d’action ? Comment est-il déclenché ? En combien de temps un neurone génère-
t-il des potentiels d’action ?

Différentes phases du potentiel d’action


Comme cela a été décrit dans le chapitre 3, le potentiel de la membrane, Vm,
peut être déterminé en introduisant une microélectrode dans la cellule. Au repos,
la différence de potentiel existant entre l’extrémité de cette électrode intracel-
lulaire et une autre électrode placée à l’extérieur de la cellule, mesurée à l’aide
d’un voltmètre, présente une valeur stable de – 65 mV. Cependant, au cours du
potentiel d’action le potentiel membranaire devient brièvement positif. Cela se
produit si rapidement — à peu près 100 fois plus vite qu’un clignement de pau-
pière — qu’il est nécessaire d’utiliser un voltmètre particulier, un oscilloscope,
pour étudier les potentiels d’action. L’oscilloscope enregistre les variations du
voltage dans le temps (Encadré 4.1).
La figure 4.1 illustre un potentiel d’action tel qu’il apparaît sur l’écran d’un
oscilloscope. Cette courbe représente l’évolution du potentiel membranaire en
fonction du temps. Certaines phases du potentiel d’action sont identifiables. La
première phase, qualifiée de phase ascendante, est caractérisée par une rapide
dépolarisation de la membrane. La modification du potentiel membranaire se
poursuit jusqu’à ce que Vm atteigne un pic d’environ + 40 mV. Pendant une
très courte période, l’intérieur du neurone est positif par rapport à l’extérieur
(dépassement, overshoot). La phase descendante du potentiel d’action, qui suit,
correspond à une rapide repolarisation de la membrane, atteignant des valeurs
plus négatives que celles du potentiel de repos. La dernière partie de la phase
­descendante est dénommée post-hyperpolarisation, en anglais undershoot. Enfin,
le retour au potentiel de repos se fait graduellement. Au total, le potentiel
­d’action dure environ 2 millièmes de seconde (ms).

Déclenchement du potentiel d’action


Dans le chapitre 3, il a été souligné que le seul fait de marcher sur une punaise
Figure 4.1 – Potentiel d’action. génère des potentiels d’action dans un nerf sensitif. Poursuivons avec cet exemple
(a) Potentiel d’action tel qu’il est enregistré pour mieux comprendre comment sont produits ces signaux.
au moyen d’un oscilloscope. (b) Différentes
composantes du potentiel d’action.

40
Dépassement
20
Potentiel de membrane (mV)

0 0 mV
Phase Phase
ascendante descendante
– 20

– 40

Hyperpolarisation
– 60

Potentiel de repos
– 80

0 1 2 3
(a) Temps (ms) (b)
4 – Potentiel d’action 81

Encadré 4.1 BASES THÉORIQUES

Méthodes d’enregistrement du potentiel d’action


Globalement, deux types de méthodes, intracellulaire Le potentiel d’action est caractérisé par une séquence
et extracellulaire, permettent d’étudier les influx nerveux de mouvements ioniques à travers la membrane neuro-
(Fig. A). Pour obtenir un enregistrement intracellulaire, nale à l’origine des courants. Il est possible de détecter
une microélectrode est placée à l’intérieur d’un neurone ces courants électriques sans pénétrer dans le neurone,
ou d’un axone. La petite dimension de la plupart des en plaçant simplement une électrode près de la
neurones fait de cette méthode un véritable défi, ce qui membrane. C’est le principe de l’enregistrement extracel­
explique pourquoi tant d’études sur les potentiels d’ac- lulaire, qui permet aussi de mesurer la différence de
tion ont été effectuées précédemment sur des neurones potentiel entre l’électrode et la terre. L’électrode peut
d’invertébrés, de dimension 50 à 100 fois supérieure à être constituée d’un fin tube de verre rempli d’électro-
celle des neurones de mammifères. Les développements lytes mais c’est le plus souvent un simple fil de métal
technologiques ont permis de pouvoir maintenant effec- isolé. Normalement, en l’absence de toute activité ner-
tuer des enregistrements intracellulaires même dans les veuse, la différence de potentiel mesurée entre l’électrode
plus petits neurones de vertébrés et ces travaux ont extracellulaire et la terre est nulle. Cependant, lorsque le
confirmé que les connaissances acquises sur les inverté- potentiel d’action atteint le site de l’enregistrement, des
brés étaient directement applicables à l’homme. charges positives pénètrent à l’intérieur du neurone.
Le but de l’enregistrement intracellulaire est simple : Ainsi, le potentiel d’action est-il mesuré comme une très
mesurer la différence de potentiel entre la pointe de brève variation de voltage entre l’électrode et la réfé-
l’électrode intracellulaire et une autre électrode placée rence, représentée par la terre. Ces variations de voltage
dans la solution baignant le neurone (en continuité avec peuvent être visualisées sur un oscilloscope mais on peut
la terre et donc appelée « terre »). L’électrode intracellu- aussi les entendre en connectant l’amplificateur à un
laire est remplie d’une solution saline concentrée (sou- haut-parleur. Chaque impulsion produit alors un son
vent de KCl), à grande conductivité électrique. L’électrode distinctif, si bien que l’enregistrement de l’activité d’un
est reliée à un amplificateur, qui mesure la différence de nerf sensoriel ressemble au bruit que fait le pop-corn en
potentiel entre cette électrode et la terre. L’oscilloscope éclatant lors de sa cuisson.
permet de visualiser la différence de
potentiel. Cet appareil est basé sur le Écran de l’oscilloscope
déplacement d’un faisceau d’électrons,
de gauche à droite, sur un écran de Amplificateur
40 mV
20 mV
phosphore. Les déflexions verticales de 0 mV
ce faisceau indiquent les variations de –20 mV
voltage. En fait, l’oscilloscope n’est –40 mV
Terre
qu’un voltmètre sophistiqué, qui enre- –60 mV
Électrode
gistre les plus brèves variations de vol- intracellulaire
tage telles que celles produites lors d’un
potentiel d’action. Aujourd’hui les oscil- 40 µV
loscopes sont remplacés par des enregis- 20 µV
treurs numériques du potentiel de 0 µV

membrane en fonction du temps, mais le –20 µV


–40 µV
principe des mesures reste le même. Il ne –60 µV
s’agit en fait que de voltmètres sophisti- Électrode
qués, capables de suivre des évolutions extracellulaire
rapides comme celles liées au décours du
potentiel d’action. Figure A

Les potentiels d’action générés dans certaines fibres nerveuses de la peau (la
douleur est traitée dans le chapitre 12) sont à l’origine de la perception de la dou-
leur aiguë consécutive à la blessure du pied sur la punaise. La membrane de ces
fibres est considérée comme possédant un type particulier de canal sodique, qui
s’ouvre lorsque la terminaison nerveuse est étirée. Les faits se déroulent donc
ainsi : (1) la punaise pénètre dans la peau ; (2) la membrane des fibres nerveuses de
la peau est étirée et déchirée ; (3) les canaux perméables aux ions Na+ s’ouvrent.
82 1 – Bases cellulaires

Du fait du gradient de leur concentration élevé et de la charge négative du cytosol,


les ions Na+ pénètrent dans la fibre nerveuse. L’entrée de sodium dans cette fibre
a pour effet de dépolariser la membrane ; c’est-à-dire que le cytosol de la fibre
devient moins négatif. Si la dépolarisation, génératrice de potentiel, atteint un
niveau critique, la membrane va initier un potentiel d’action. Le niveau critique
de dépolarisation qui déclenche un potentiel d’action s’appelle le seuil. Lorsque la
dépolarisation de la membrane dépasse le seuil, elle génère les potentiels d’action.
Dans les divers types de neurones, la dépolarisation à l’origine des potentiels
d’action survient de différentes façons. Dans l’exemple ci-dessus, c’est le passage
des ions Na+ au travers des canaux ioniques spécialisés, sensibles à l’étirement de
la membrane, qui provoque la dépolarisation. Dans les neurones, en général, la
dépolarisation est causée par l’entrée de Na+ dans la cellule à travers les canaux
dont l’ouverture est contrôlée par des neurotransmetteurs libérés par d’autres
neurones. À côté de ces processus physiologiques, il est aussi possible de dépola-
riser les neurones en injectant du courant électrique dans les cellules au moyen
d’une microélectrode, méthode communément utilisée par les neurobiologistes
pour étudier les potentiels d’action dans différents types de cellules.
Générer un potentiel d’action en dépolarisant un neurone est comparable
à photographier en déclenchant l’obturateur de l’appareil, s’agissant encore
d’un appareil argentique… Exercer une pression progressive sur l’obturateur n’a
aucun effet jusqu’à une valeur critique ; puis l’obturateur s’ouvre et un plan du
film est exposé. De même, la dépolarisation progressive d’un neurone n’a aucun
effet jusqu’à un certain seuil à partir duquel est soudainement généré un poten-
tiel d’action. C’est pour cette raison, que les potentiels d’action sont dits de type
« tout ou rien ».

Déclenchement d’une salve de potentiels d’action


Mais que se passe-t-il si on utilise un de ces appareils photographiques auto-
matiques, semblables à ceux des photographes de mode ou de sport, qui prennent
des photos « en rafale » ? Dans ce cas, en exerçant une pression continue sur
l’obturateur au-delà de la valeur critique, c’est une succession de prises de vue
qui est déclenchée. Il en est de même avec les neurones. Si un courant dépolari-
Figure 4.2 – Effets de l’injection d’un courant sant est injecté de façon continue dans un neurone à travers une microélectrode,
positif à l’intérieur d’un neurone. ce n’est pas un, mais une série de potentiels d’action qui est déclenchée (Fig. 4.2).
(a) Deux électrodes sont implantées au niveau
La fréquence de déclenchement des potentiels d’action dépend de l’amplitude
du cône axonique, l’une pour enregistrer le
potentiel de membrane par rapport à l’exté-
du courant continu dépolarisant. Si on fait passer juste assez de courant pour
rieur du neurone, l’autre pour stimuler le neu- que la dépolarisation atteigne le seuil, la cellule génère des potentiels d’action
rone par l’injection de courant. (b) Quand le à la cadence d’environ un par seconde, ou 1 hertz (1 Hz). En injectant un peu
courant est injecté dans le neurone (tracé du plus de courant, la cadence augmente, pour atteindre 50 impulsions par seconde
haut), la membrane se trouve suffisamment (50 Hz). La « fréquence de décharge » des potentiels d’action reflète l’amplitude
dépolarisée pour déclencher une salve de du courant dépolarisant. Ceci est un des processus utilisé par le système nerveux
potentiels d’action (tracé du bas). pour coder l’intensité de la stimulation (Fig. 4.3).

Amplificateur
Courant Courant injecté
injecté
+
+
Potentiel de membrane (mV)

+ Terre 0
40
Électrode
Électrode d’enregistrement
0
de stimulation

– 40

– 65
– 80
(a) (b) Temps
Axone
4 – Potentiel d’action 83

Courant Figure 4.3 – Dépendance de la fréquence de


injecté décharge des neurones (fréquence des
potentiels d’action) de la dépolarisation
0 membranaire.

– 65 mV

Temps

Si la quantité de courant Si le courant injecté dépo- La fréquence de décharge


injectée n’est pas suffi- larise la membrane jusqu’à des potentiels d’action
sante pour atteindre le une valeur qui avoisine augmente avec le niveau
seuil de dépolarisation, le seuil, dès que le seuil de la dépolarisation,
il n’y a pas déclenchement est atteint, les potentiels proportionnellement à la
de potentiel d’action. d’action sont générés. quantité de courant injecté.

Bien que la fréquence augmente avec la quantité de courant dépolarisant,


il y a une limite à la cadence à laquelle un neurone peut générer des potentiels
d’action. La fréquence maximum est d’environ 1 000 Hz ; lorsqu’un potentiel
d’action est initié, le suivant ne peut survenir qu’après un délai de 1 ms. Ce délai
s’appelle la période réfractaire absolue. De plus, il est parfois relativement diffi-
cile d’initier un autre potentiel d’action pendant plusieurs millièmes de secondes
après la fin de la période réfractaire absolue. Durant cette période, dite réfractaire
relative, la quantité de courant nécessaire pour dépolariser le neurone jusqu’au
seuil du potentiel d’action est plus élevée que dans des conditions normales.

Enregistrements optogénétiques :
contrôle de l’activité neuronale par la lumière
Comme nous venons de le voir, les potentiels d’action naissent de la dépolari-
sation de la membrane au-delà d’une valeur seuil à laquelle s’ouvrent les canaux
sodiques, ce qui permet l’entrée des ions Na+ dans le neurone. Pour pouvoir contrô-
ler artificiellement la décharge des neurones, historiquement, les électrophysiolo-
gistes utilisaient des microélectrodes pour injecter du courant directement à l’inté-
rieur de ces neurones, cellule par cellule. Cette difficulté a été récemment contournée
par une méthode révolutionnaire nommée optogénétique, qui permet d’introduire
dans les neurones ciblés des gènes particuliers s’exprimant dans les membranes
sous forme de canaux ioniques ayant la propriété de s’ouvrir à la lumière.
Dans le chapitre 9, nous discuterons de la façon dont l’énergie lumineuse
est absorbée par des protéines qualifiées de photopigments pour générer des
réponses dans nos rétines à l’origine de notre perception visuelle. Bien entendu,
la sensibilité à la lumière est une propriété de nombreux organismes. Et c’est
ainsi qu’en étudiant les réponses à la lumière d’une algue verte, des chercheurs
travaillant à Francfort en Allemagne, ont caractérisé un photopigment, qu’ils
ont appelé channelrhodopsine-2 (ChR2). En introduisant le gène de la ChR2 dans
des cellules de mammifères, ils ont alors montré que celui-ci encode un canal Figure 4.4 – Contrôle optogénétique de l’ac-
cationique sensible à la lumière, perméable aux ions Na+ et Ca2+ (Encadré 4.2). tivité neuronale dans le cerveau d’une souris.
Ce canal a la particularité de s’ouvrir rapidement lorsqu’il est exposé à la lumière Le gène encodant la channelrhodopsine-2 a
été introduit dans les neurones du cerveau
bleue et, dans ce cas, le flux cationique qui pénètre les cellules est suffisant pour
de cette souris par l’intermédiaire d’un virus.
entraîner une dépolarisation membranaire au-delà du seuil des potentiels d’ac-
Dès lors, l’activité de ces neurones peut être
tion. L’intérêt majeur de cette méthode fut alors démontré par les chercheurs, contrôlée par une illumination utilisant une
notamment aux États-Unis, en mettant en évidence que le comportement de lumière bleue délivrée localement à l’aide
rats ou de souris peut être modifié de façon spectaculaire en procédant à l’illu- d’une fibre optique. (Source : courtoisie du
mination de neurones dans lesquels le gène de la ChR2 avait préalablement été Dr  Ed Boyden, Massachusets Institute of
inséré (Fig. 4.4). Les développements de cette méthode permettent aujourd’hui Technology.)
84 1 – Bases cellulaires

de disposer d’autres sondes, telles que la halorhodopsine, une protéine dérivée


d’un microbe particulier, qui a la particularité d’inhiber les neurones en réponse
à une lumière jaune.
Comprendre les bases neuronales des comportements nécessite d’appréhen-
der la façon dont les potentiels d’action sont générés et se propagent dans tout
le système nerveux. Prenons dès lors le temps d’observer comment se font les
mouvements des ions au travers des canaux ioniques pour générer ces signaux.

Encadré 4.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

La découverte des channelrhodopsines


Par Georg Nagel

Lorsqu’en 1992, après mon post-docto- recherche des rhodopsines chez Chlamydo­
rat à Yale puis à Rockefeller University, je monas. Peter a donc demandé cet ADN et je
suis entré à l’Institut de biophysique du l’ai quant à moi fait exprimer dans les ovo-
Max Planck à l’Université de Francfort, je cytes. Nos premières expériences furent
me suis intéressé aux mécanismes contri- décevantes, et l’addition ou, au contraire, la
buant à maintenir les gradients de concen- suppression d’ions Ca2+ dans la solution
tration ionique au travers des membranes dans laquelle baignaient les ovocytes ne
cellulaires. Le directeur de mon départe- changeait rien au potentiel de membrane
ment, Ernst Bamberg, m’a convaincu de lorsque cette préparation était illuminée,
développer une nouvelle approche basée comme nous aurions pu l’espérer si nous
sur l’utilisation des rhodopsines micro- avions eu un canal calcique sensible à la
Georg Nagel
biennes, protéines connues pour transporter lumière. S’il existait un courant induit par la
les ions au travers des membranes lorsqu’elles absorbent lumière, celui-ci était très faible et n’était pas influencé
de l’énergie lumineuse. Nous avons donc exprimé le gène par de quelconques modifications de la composition
d’une bactériorhodopsine dans des ovocytes de xénope ionique du milieu extracellulaire.
et mesuré ainsi, grâce à des microélectrodes et après Cependant, comme l’idée de l’existence d’un canal
expression du gène, le courant généré par l’illumination ionique dont la conductance serait sensible à la lumière
de ces cellules. Dès 1995, nous avons ainsi montré que continuait à me séduire, idée que la plupart de mes col-
l’illumination de la bactériorhodopsine s’accompagnait lègues rejetaient alors, j’ai poursuivi mes travaux en
d’un flux de protons (H+) au travers de la membrane ; et modifiant encore et encore la composition des milieux
en 1996 nous avons entrepris d’étudier, par une méthode extracellulaires. Je me souviens d’un soir où j’ai soudain
similaire, l’activation du transfert des ions Cl– utilisant obtenu un incroyable courant entrant suite à une expo-
une halorhodopsine. sition à la lumière, en utilisant une solution dont la com-
À cette époque, nous avons reçu de Peter Hegemann, position visait à inhiber les courants calciques. J’ai pensé
de l’Université de Regensburg, l’ADN des chlamyop- qu’il y avait un problème technique, en particulier avec
sines-1 et 2. Elles devaient représenter des photorécep- le tampon utilisé pour préparer la solution. De fait, en
teurs de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii. vérifiant je me suis rendu compte que cette solution était
Malheureusement, comme l’ensemble des laboratoires plutôt de pH acide et donc qu’elle contenait un excès
qui ont reçu cet ADN, nous n’avons pas pu observer de d’ions H+. Mais ce fut un déclic et j’ai réalisé que le cou-
changements de potentiel de membrane induits par l’illu­ rant que je venais d’enregistrer dépendait des ions H+.
mination. J’ai cependant accepté de tester une nouvelle Ainsi, en acidifiant le milieu intracellulaire de l’ovocyte,
rhodopsine récemment découverte, toujours à partir de j’ai montré que j’étais capable de générer des courants
Chlamydomonas, lorsque Peter m’annonça que cette pro- sortants, déclenchés par l’exposition à la lumière. Dès
téine, qu’il souhaitait nommer chlamyrhodopsine-3, se lors, il m’apparaissait évident que la chlamyrhodop-
comportait comme un activateur dépendant de la lumière sine-3 contrôlait les flux de protons au travers de la
de la conductance calcique membranaire. Bien que cette membrane. Et c’est ainsi que j’ai proposé à Peter
protéine n’ait pas encore été purifiée à cette époque, la Hegemann et à Ernst Bamberg de nommer cette proté-
séquence de la chlamyrhodopsine-3 fut détectée dans un ine channelrhodopsine-1. D’autres expériences ont par
centre de recherche à Kazusa, au Japon, dans une banque la suite révélé que plusieurs cations monovalents transi-
d’ADN séquencé à partir de Chlamydomonas, cette taient par ce canal channelrhodopsine-1. Les faibles
séquence présentant de très grandes similarités avec celle courants que nous avions initialement enregistrés étaient
de la bactériorhodopsine. Ces caractéristiques faisaient simplement liés au très faible niveau d’expression de la
de cette protéine un très bon candidat pour satisfaire la protéine dans les ovocytes.
4 – Potentiel d’action 85

Encadré 4.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

nelrhodopsine-2 dans les neurones de


Lumière bleue Lumière jaune
(460 nm) (580 nm)
mammifères. Son travail absolument
remarquable réalisé avec Ed  Boyen et
Feng Zhang attira l’attention de très
nombreux neurobiologistes et suscita des
Channelrhodopsine-2 Halorhodopsine collaborations en nombre pour exprimer
ces ADN particuliers dans le cerveau. De
+ - nombreux collègues en Europe réali-
Na Cl
sèrent alors seulement que la channel-
rhodopsine avait été caractérisée à
Éclairement Éclairement
Francfort…
Le succès et la simplicité d’utilisation
Vm Vm
de la channelrhodopsine-2 ont rapide-
ment amené Karl et Alexander à se
Temps Temps
demander s’il n’existait pas d’autres types
Figure A – Représentation schématique du positionnement de la channelrhodop- de rhodopsines qui pourraient cette fois
sine-2 et de l’halorhodopsine dans la membrane des cellules. Les enregistrements permettre d’inhiber et non plus seulement
illustrent les effets d’une illumination par lumière bleue et jaune sur le potentiel de stimuler l’activité neuronale. C’est alors
membrane, liés à l’activation de la channelrhodopsine-2 et de la halorhodpsine, que nous leur avons parlé de la bactério-
­respectivement. rhodopsine et de la halorhodopsine, cou-
plées respectivement aux transports
Littéralement fascinés par cette découverte, nous lumière-dépendants des protons (export)
-
avons rédigé un manuscrit publié en 2002, et déposé un et des ions Cl (import). Chacune de ces pompes rendait
brevet décrivant comment l’utilisation de la lumière l’intérieur de la cellule plus négatif, ce qui correspond à
pouvait conduire à effectuer des mesures de l’activité une hyperpolarisation de la membrane. Nous leur avons
cellulaire grâce à des méthodes non-invasives, y compris recommandé d’utiliser l’halorhodopsine issue du
dans des organismes vivants. Par la suite, j’ai étudié la microbe Natronomonas pharaonis pour hyperpolariser
channelrhodopsine-2, toujours issue de l’algue. Tout les membranes en réponse à la lumière. Tenant compte
devenait facile tant les courants générés par la lumière de ce que nous avions appris dès 1996, l’halorhodopsine

étaient de grandes amplitudes. La channelrhodopsine-2 avait une affinité forte pour les ions Cl et elle présentait
(chop2), protéine de 737 acides aminés dans sa forme une expression stable dans les cellules.
native, peut être raccourcie à 310 acides aminés et cou- Ainsi, après transfection, l’illumination des cellules
plée à une autre protéine connue pour sa fluorescence conduit au travers de l’halorhodopsine à l’activation de
jaune (yellow fluorescent protein, YFP), permettant la la pompe des ions chlore, ce qui est suffisant pour blo-
visualisation directe de son expression par microscopie quer la production de tout potentiel d’action des neu-
à fluorescence. En publiant ces résultats en 2003, de rones de mammifères ou encore d’inhiber la contraction
nombreuses demandes nous sont parvenues pour obte- des muscles du nématode C. elegans. De façon quelque
nir cette protéine et c’est ainsi que nous avons débuté peu ironique, ces expériences utilisant l’halorhodopsine
notre collaboration avec les neurobiologistes. L’une de (ou encore la bactériorhodopsine) auraient pu parfaite-
nos premières « victimes » fut Alexander Gottschalk, de ment être réalisées quelques années plus tôt, mais ce
l’Université de Francfort, qui travaillait sur le nématode sont les découvertes réalisées avec la channelrhodop-
Caenorhabditis elegans (C. elegans). Malheureusement sine-2 qui ont déclenché leur utilisation, jusqu’à créer un
en préparant l’ADN, j’ai commis une erreur. En dépit nouveau champ d’investigation que l’on nomme « opto-
d’une très bonne fluorescence jaune, le nématode ainsi génétique ». De nombreux neurobiologistes utilisent
traité ne réagissait pas à la lumière. Réalisant mon maintenant cette technologie. Quant à notre propre
erreur, nous avons immédiatement transfecté des cel- groupe et quelques autres, nous œuvrons pour améliorer
lules musculaires de C. elegans avec l’ADN de chop2- l’utilisation de ces méthodes afin de mieux diffuser ces
YFP. Nous fument très surpris de voir avec quelle faci- outils.
lité nous pouvions alors induire la contraction de ces
petits vers simplement en les éclairant avec une lumière Référence
bleue. Au même moment, Karl Deisseroth à Stanford Nagel G, Szellas S, Kateriya S, Adeishvili N, Berthold P,
University, me contacta pour me demander des informa- Ollig D et al. Channelrhodopsin-2, a directly light-
tions, puis me proposa une collaboration que j’ai immé- gated cation-selective membrane channel. Proceedings
diatement acceptée. Karl fut rapidement à même de of the National Academy of Sciences of United States
pouvoir démontrer la puissance analytique de la chan- of America 2003 ; 100 : 13940-5.
86 1 – Bases cellulaires

Potentiel d’action : la théorie


Le potentiel d’action représente une redistribution massive de la charge élec-
trique à travers la membrane. La dépolarisation de la cellule qui accompagne le
potentiel d’action est provoquée par l’influx d’ions sodium à travers la membrane
et la repolarisation est à son tour provoquée par la sortie d’ions potassium. Dans le
chapitre 3, il a été montré comment les ions se déplacent à travers la membrane
et comment ces mouvements ioniques agissent sur le potentiel membranaire.

Courants et conductances membranaires


La figure 4.5 représente un neurone quelque peu idéal. La membrane de cette
cellule possède trois types de protéines spécialisées : des pompes sodium-potas-
sium, des canaux potassiques et des canaux sodiques. Les pompes fonctionnent
continuellement pour établir et maintenir les gradients de concentration.
Comme dans les exemples précédents, les ions K+ sont 20 fois plus concentrés
à l’intérieur de la cellule et les ions Na+, 10 fois plus concentrés à l’extérieur de
la cellule. En accord avec l’équation de Nernst, à 37 °C le potentiel d’équilibre
du potassium s’établit à EK = – 80 mV et celui du sodium ENa = + 62 mV. Cette
cellule théorique permet d’explorer les facteurs dont dépend le mouvement des
ions au travers de la membrane.
Supposons tout d’abord que les deux types de canaux, potassiques et sodiques,
soient fermés et que le potentiel membranaire, Vm, soit égal à 0 mV (Fig. 4.5a).
Puis, considérons dans un deuxième temps que seuls les canaux potassiques sont
mis en jeu (Fig. 4.5b) : les ions K+ vont sortir de la cellule selon leur gradient
de concentration, jusqu’à ce que l’intérieur de la cellule devienne négatif et que
Vm = EK, comme cela a été mentionné dans le chapitre 3 (Fig. 4.5c). Dans cette
situation, c’est bien la sortie des ions K+ de la cellule qui fait passer le potentiel
membranaire de 0 mV à – 80 mV. Trois remarques s’imposent alors :
1. le passage des ions K+ au travers de la membrane génère un courant élec-
trique représenté par le symbole IK ;
2. le nombre de canaux potassiques ouverts est proportionnel à la conductance
ionique, représentée par le symbole gK ;
3. le courant potassique de la membrane Ik est maintenu aussi longtemps que
Vm est différent de EK. La force électromotrice exercée sur les ions K+ est
définie comme la différence entre le potentiel réel de la membrane et le poten-
tiel d’équilibre, représentée par Vm – EK.
Il existe une relation simple entre la force électromotrice, la conductance et
la quantité de courant correspondant. Pour les ions K+, cette relation s’écrit :
IK = gK (Vm – EK), soit plus généralement :
Iion = gion (Vm – Eion)

Cette formulation représente alors simplement l’expression de la loi d’Ohm,


I = gV, telle qu’elle est mentionnée dans le chapitre 3.
Considérons maintenant cet exemple sous un autre angle. La figure 4.5a
illustre le cas où Vm = 0 mV et il n’y avait pas de perméabilité ionique. Une
grande force électromotrice est exercée sur les ions K+ car Vm est différent de
EK : en fait, (Vm – EK) = 80 mV. Cependant, comme la membrane est imper-
méable aux ions K+, la conductance potassique gK est égale à 0, par voie de
conséquence, IK = 0. Comme nous l’avons vu, le courant potassique s’établit
seulement si les canaux potassiques sont ouverts, c’est-à-dire lorsque gK > 0.
Dans ces conditions, les ions K+ quittent la cellule tant que le potentiel membra-
naire diffère du potentiel d’équilibre (Fig. 4.5b). Remarquons que le courant va
dans le sens qui rapproche Vm de EK. Ainsi, lorsque Vm = EK, la membrane est
à l’équilibre et le courant ne passe plus. Dans ces conditions, bien que la conduc-
tance au potassium gK soit forte, aucune force électromotrice ne s’exerce plus sur
les ions K+ (Fig. 4.5c).
4 – Potentiel d’action 87

0
Vm

Milieu Canal Canal


Extérieur
extracellulaire sodique potassique
du neurone
Milieu EK = – 80 mV
intracellulaire
ENa = 62 mV
gK = 0
Neurone idéal IK = gK (Vm– EK) = 0 Intérieur
du neurone

(a) 0
Vm

K+ K+
K+ + + + +
EK = – 80 mV
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – –
IK = gK (Vm– EK) > 0

(b)
0
Vm

– 80
K+ K+
EK = – 80 mV + + + + + + + + + + + + +
ENa = 62 mV
gK > 0 – – – – – – – – – – – – –
IK = gK (Vm– EK) = 0
K+ K+
(c)

Figure 4.5 – Courants et conductances membranaires.


Cette figure symbolise un neurone idéal, comportant des pompes à sodium-potassium, des canaux potassiques et des canaux sodiques. Les pompes
établissent les gradients de concentration ioniques, de telle façon que le potassium soit concentré à l’intérieur du neurone et le sodium à l’extérieur.
(a) Au départ, les canaux sont considérés comme fermés et le potentiel de membrane égal à 0 mV. (b) Dans cette situation, les canaux potassiques sont
considérés comme ouverts et les ions K+ sortent donc du neurone. Cette sortie de potassium correspond à un courant électrique IK et ce mouvement
des ions potassium dure tant que la conductance membranaire aux ions K+, gK, est supérieure à zéro et que le potentiel de membrane n’est pas égal
au potentiel d’équilibre du potassium. (c) À l’équilibre, il n’y a pas de courant potassique bien que la conductance potassique gK > 0, car le potentiel
de membrane à l’équilibre est égal à EK.

Complexité du potentiel d’action


Dans cet exemple, la membrane de notre neurone idéal est seulement perméable
aux ions K+ et Vm = EK = – 80 mV. Que se passe-t-il avec les ions Na+ concentrés
à l’extérieur de la cellule ? Le potentiel membranaire est en fait tellement néga-
tif comparé au potentiel d’équilibre du sodium que la force électromotrice s’exer-
çant sur les ions Na+ est très forte ([Vm – ENa] = [– 80 mV – 62 mV] = – 142 mV).
Néanmoins, il n’y a pas de réel courant sodique tant que la membrane n’est pas
perméable aux ions Na+. Que se passe-t-il maintenant lorsque les canaux sodiques
s’ouvrent ?
Dès que la perméabilité ionique de la membrane est changée, la conductance
sodique gNa est élevée et une grande force électromotrice s’exerce sur les ions
Na+. Dans ces conditions, un large courant sodique INa est généré à travers la
membrane. Les ions Na+ traversent la membrane par les canaux sodiques dans
88 1 – Bases cellulaires

le sens qui rapproche Vm de ENa ; dans ce cas, le courant sodique INa représente
un courant entrant dans la cellule. En supposant maintenant que la membrane
soit beaucoup plus perméable au sodium qu’au potassium, l’afflux d’ions Na+ à
l’intérieur du cytoplasme va dépolariser le neurone jusqu’à ce que Vm soit proche
de ENa, soit + 62 mV.
Ce qui se passe ici est tout à fait remarquable : il suffit de modifier la perméa-
bilité de la membrane de telle manière que celle-ci soit transitoirement plus per-
méable aux ions Na+ que K+ pour inverser le potentiel membranaire. En théorie, la
phase ascendante du potentiel d’action peut alors s’expliquer ainsi : en réponse à
la dépolarisation de la membrane au-delà du seuil, les canaux sodiques s’ouvrent.
Cela permet l’afflux des ions Na+ dans le neurone, ce qui entraîne une dépolarisa-
tion massive jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit proche de ENa.
Comment expliquer maintenant la phase descendante du potentiel d’action ?
En supposant simplement que les canaux sodiques se referment rapidement et
que les canaux potassiques s’ouvrent, la perméabilité ionique dominante de la
membrane est ramenée de Na+ à K+  ; et les ions K+ s’écouleront hors de la
­cellule jusqu’à ce que le potentiel membranaire soit de nouveau égal à EK.
Le modèle théorique choisi pour expliquer les mouvements ioniques interve-
nant lors du potentiel d’action dans un neurone idéal est illustré par la figure 4.6.
Dans ce modèle, la phase ascendante d’un potentiel d’action s’explique par le
passage à travers la membrane d’un courant sodique entrant et la phase des-
cendante par le passage d’un courant potassique sortant. Le potentiel d’action
repose simplement sur le déplacement des ions à travers les canaux dont l’ou-
verture dépend des modifications du potentiel membranaire. Ainsi ce modèle
simple rend compte en grande partie des bases ioniques du potentiel d’action.
Mais qu’en est-il, en réalité, dans les neurones ?

Potentiel d’action : la réalité


Reprenons la théorie. Lorsque la membrane est dépolarisée jusqu’au seuil, il
se produit une augmentation transitoire de la conductance sodique gNa entraînant
une entrée d’ions Na+ qui dépolarise le neurone. L’augmentation de gNa ne peut
être que brève, si on considère la courte durée du potentiel d’action. Le potentiel
membranaire redevient négatif grâce à l’augmentation de la conductance potas-
sique gK qui suit, contribuant à la sortie rapide des ions K+ du neurone dépolarisé.
En principe, il devrait être assez facile de vérifier cette théorie. Il suffit de
mesurer les conductances sodique et potassique de la membrane pendant le
potentiel d’action. En pratique cependant, une telle mesure dans les neurones
s’avère extrêmement difficile. C’est par la méthode dite du potentiel imposé (vol­
tage-clamp), mise au point par le physiologiste américain Kenneth C. Cole, que
les expériences décisives ont été réalisées vers 1950 par des physiologistes de
l’Université de Cambridge, Alan Hodgkin et Andrew Huxley. Grâce au vol­
tage-clamp, Hodgkin et Huxley ont pu stabiliser le potentiel membranaire d’un
axone à une valeur donnée. En mesurant les courants traversant la membrane,
ils ont pu déduire les modifications intervenues dans la conductance membra-
naire à différents potentiels membranaires. Dans une série d’expériences remar-
quables, Hodgkin et Huxley ont montré que l’augmentation transitoire de gNa et
l’entrée d’ions Na+ étaient bien à l’origine de la phase ascendante du potentiel
d’action ; de même, ils démontrèrent que la phase descendante était associée à
l’augmentation de gK et à la sortie des ions K+. Leurs travaux furent récompen-
sés par le Prix Nobel, en 1963.
Pour rendre compte des changements transitoires de conductance sodique
gNa, Hodgkin et Huxley ont suggéré les premiers l’existence de canaux dans
la membrane axonale. Ils ont avancé l’idée que ces canaux sont « acti-
vés » —  ouverts  — lorsque la dépolarisation dépasse le seuil et « inactivés »
—  fermés  — lorsque le potentiel de la membrane devient positif. Ces canaux
sont « réactivables », — c’est-à-dire capables de s’ouvrir à nouveau, — seule-
ment si le potentiel de la membrane redevient négatif.
4 – Potentiel d’action 89

g >> g
K Na
Extérieur
Canal Canal
du neurone
K+ sodique K+ potassique

+ + + + + + + + + + + + + + + + + + + V
m

– – – – – – – – – – – – – – – – – – –

Intérieur
K+ K+
– 80 mV
du neurone

(a)
g >> g
Na K

K+ K+
V
m

– –

Na+ Na+
Entrée de sodium – 80 mV

(b)
g >> g
K Na
Sortie de potassium
K+ K+
– – – – – – –
V
m

+ + + + + + +

– 80 mV

(c)
g >> g
K Na

K+ K+
+ + + + + + + + + + + + + + + + + +
V
m

– – – – – – – – – – – – – – – – – –

K+ K+
– 80 mV

(d) Temps

Figure 4.6 – Déclenchement du potentiel d’action par modification de la perméabilité ionique relative de la membrane.


(a) Représentation du neurone idéal décrit à la figure 4.4. Au départ, nous considérons que ce neurone n’est perméable qu’aux ions K+ et que Vm = EK.
(b) Considérons maintenant que les canaux sodiques sont ouverts, de telle façon que gNa >> gK. Une force électromotrice importante s’exerce sur les
ions Na+ qui pénètrent rapidement dans le neurone, ce qui entraîne une variation du potentiel de membrane Vm qui tend vers ENa. (c) Dans ce troisième
cas, les canaux sodiques se ferment et plus de canaux potassiques sont ouverts, de telle manière que gK >> gNa. Parce que le potentiel de membrane
est positif à ce moment, une très importante force électromotrice s’exerce sur les ions potassium. La sortie d’ions K+ permet alors d’amener le potentiel
de membrane de Vm vers EK. (d) Le potentiel de membrane est rétabli lorsque Vm = EK.
90 1 – Bases cellulaires

Il faut rendre hommage à Hodgkin et Huxley d’avoir proposé leur hypothèse


sur les échanges ioniques membranaires vingt ans avant la démonstration de
la présence effective dans la membrane neuronale de canaux protéiques dont
l’ouverture est dépendante du potentiel. Deux autres techniques, utilisées plus
récemment, ont permis de mieux connaître le mode d’ouverture des canaux
membranaires. D’abord les neurobiologistes ont pu décrire en détail la structure
de ces protéines grâce aux techniques de la biologie moléculaire. Ensuite, ils ont
pu mesurer au niveau unitaire les courants ioniques qui passent au travers des
canaux analysés à l’aide de nouvelles méthodes utilisées en neurophysiologie. Ce
sont ces études qui ont permis d’examiner les relations entre le potentiel d’action
et les canaux ioniques membranaires. Voyons maintenant quelles sont les bases
ioniques du potentiel d’action en considérant ces propriétés des canaux ioniques.

Canaux sodiques dépendants du potentiel


Le canal sodique dépendant du potentiel ou voltage-dépendant porte bien son
nom. La protéine forme un pore dans la membrane, hautement sélectif aux
ions Na+. Ce pore s’ouvre et se ferme avec les changements du potentiel de
membrane.
Structure du canal sodique.  Le canal sodique dépendant du potentiel est
formé à partir d’un seul polypeptide. La molécule comporte quatre domaines
distincts, notés de I à IV ; chacun d’entre eux est formé de six hélices α trans-
membranaires, notées S1 à S6 (Fig. 4.7). Les quatre domaines sont réunis et for-
ment entre eux un pore. Le pore est fermé lorsque le potentiel de la membrane
au repos est négatif. Lorsque la membrane est dépolarisée jusqu’au seuil, la
molécule subit une modification de structure amenant à une configuration qui
permet le passage des ions Na+ à travers le pore (Fig. 4.8).
Comme le canal potassique, le canal sodium présente dans chacun des
domaines de sa structure des boucles polypeptidiques dans la région du pore, qui
sont impliquées dans la sélectivité ionique. Cette sorte de « filtre ionique » rend le
canal sodium 12 fois plus perméable aux ions Na+ qu’aux ions K+. Apparemment,
la plupart des ions Na+, mais pas tous, sont associés à leur cortège de molécules
d’eau et passent ainsi plus facilement au travers du canal. Les molécules d’eau,
qui servent ainsi en quelque sorte de molécules chaperonnes pour l’ion, sont
nécessaires à la sélectivité ionique du canal. Ce complexe ion-eau peut alors être
utilisé pour sélectionner les ions Na+ et exclure les ions K+ (Fig. 4.9).
Le canal sodium est activé par un changement de potentiel de la membrane.
Il est maintenant bien établi que le senseur de potentiel est situé dans le seg-
ment S4 de la molécule. Dans ce segment, des résidus d’acides aminés positi-
vement chargés sont régulièrement espacés, tout au long des spires de l’hélice.
Dans ces conditions, c’est le segment entier qui est mobilisé lorsqu’intervient un
changement de potentiel. Ainsi la dépolarisation tend à éloigner le segment S4
de la membrane, dans un mouvement intervenant de l’intérieur vers l’extérieur,
et c’est ce changement conformationnel de la protéine qui est à l’origine de
l’ouverture du canal.
Propriétés fonctionnelles du canal sodique.  Les travaux effectués autour de
1980 à l’Institut Max Planck de Göttingen, en Allemagne, révélèrent les pro-
priétés fonctionnelles du canal sodique dépendant du potentiel. Une méthode
nouvelle dénommée patch-clamp fut utilisée pour étudier les courants ioniques
au travers de canaux uniques (Encadré 4.3). La méthode du patch-clamp per-
met de sceller la pointe d’une minuscule électrode à une très petite partie de
membrane neuronale. Ce patch peut ensuite être extrait de la membrane, ce qui
permet de mesurer les courants ioniques qui passent au travers, tout en bloquant
le potentiel membranaire à une valeur choisie comme avec la méthode du poten­
tiel ou voltage imposé. Avec un peu de chance, la partie de la membrane enlevée
contiendra un seul canal dont les caractéristiques peuvent alors être étudiées.
Cette méthode a permis à Neher et à ses collaborateurs d’étudier les propriétés
fonctionnelles du canal sodique dépendant du potentiel.
4 – Potentiel d’action 91

Milieu I II III IV
extracellulaire

+ + + +
+ + + +
+ + + +
+ + + +

Milieu
intracellulaire

(a)

S1 S2 S3
S4 S5 S6

+
+
+
+

Boucle
(b)
de la région du pore

Filtre de sélectivité ionique

+ +
+ +
+ +
+ +

(c) Senseur de potentiel


Porte

Figure 4.7 – Structure du canal sodique dépendant du potentiel.


(a) Modèle conformationnel rendant compte de la position du canal dans la membrane. La molé-
cule comprend 4 domaines, notés de I à IV. Chaque domaine est lui-même formé de 6 hélices α
(représentées par des cylindres de couleur bleue) qui occupent une position transmembranaire.
(b) Agrandissement de l’un de ces domaines montrant le senseur de potentiel de l’hélice α S4 et
la boucle intervenant au niveau du pore (en rouge) qui contribue à la sélectivité ionique. (c) Repré-
sentation de la molécule montrant comment les domaines s’auto-organisent pour former le pore.
(Source : adapté de Armstrong et Hille, 1998, Fig. 1.)
92 1 – Bases cellulaires

Pore fermé Pore ouvert

+ +
+ +
+ +
+ + + +
+ +
+ +
+ +

– 65 mV – 40 mV

Figure 4.8 – Modèle hypothétique du changement conformationnel du canal sodique lors de la


dépolarisation de la membrane.

Faire varier le potentiel membranaire de – 80 à – 65 mV dans ce patch repré-


sentant une petite partie de la membrane axonique n’a que peu d’effet sur les
H H canaux sodiques dépendants du potentiel : ils restent fermés car le potentiel
H H O
O
membranaire n’a pas encore atteint le seuil de dépolarisation. Lorsque le poten-
0,5 nm
K+
tiel membranaire passe ensuite de – 65 à – 40 mV, les canaux s’ouvrent. Comme
Na+
le montre la figure 4.10, le fonctionnement des canaux sodiques dépendants du
Dimension Dimension Dimension potentiel est stéréotypé :
du filtre des ions des ions 1. ils s’ouvrent rapidement ;
de sélection Na+ K+ 2. ils restent ouverts environ 1 ms, puis se referment (c’est l’inactivation) ;
ionique partiellement partiellement
du canal hydratés hydratés 3. la dépolarisation ne provoque pas de nouvelle ouverture tant que le potentiel
sodique membranaire ne retrouve pas une valeur négative proche du seuil.
Figure 4.9 – Dimensions du filtre de sélecti- La figure 4.10c présente un modèle hypothétique montrant les changements
vité ionique pour le canal sodique. conformationnels susceptibles de rendre compte des propriétés des canaux
Un cortège de molécules d’eau accom- sodiques dépendants du potentiel.
pagne le passage des ions Na+. Les ions Na+ Un seul canal ne fait pas un potentiel d’action. La membrane d’un axone
hydratés passent ; les ions K+, non. (Source : peut contenir des centaines de canaux sodiques par μm2 et l’action concertée de
adapté de Hille, 1992, Fig. 5 et 6.)
tous ces canaux est nécessaire pour générer ce que l’on enregistre comme étant
un potentiel d’action. Néanmoins, il est intéressant de voir l’importance des rela-
tions entre les caractéristiques du potentiel d’action et les propriétés des canaux
sodiques dépendants du potentiel. Par exemple, le fait que des canaux particu-
liers ne s’ouvrent que lorsque la membrane atteint un certain niveau de dépolari-
sation explique l’existence du seuil du potentiel d’action. L’ouverture immédiate
des canaux en réponse à la dépolarisation explique quant à elle pourquoi la
phase ascendante du potentiel d’action survient si rapidement ; et la brève durée
d’ouverture qui précède l’inactivation (environ 1 ms), explique aussi en partie
pourquoi le potentiel d’action est si bref. De plus, l’inactivation des canaux peut
expliquer la période réfractaire absolue : d’autres potentiels d’action ne seront
générés que lorsque les canaux sont réactivés.
Le génome humain comporte plusieurs gènes codant pour les canaux
sodiques. Les différences d’expression de ces gènes dans différentes catégories
de neurones peuvent rendre compte de variations subtiles mais importantes des
propriétés du potentiel d’action. Récemment, il a été rapporté que des mutations
d’un seul acide aminé dans le domaine extracellulaire d’un sous-type de canal
sodique provoquaient une forme héréditaire d’épilepsie chez l’enfant, dénom-
mée épilepsie généralisée avec crises fébriles. Dans ce cas, les crises d’épilepsie
résultent d’une activité neuronale « explosive », hautement synchrone, dans cer-
taines régions du cerveau (l’épilepsie sera décrite en détail dans le chapitre 19).
Les crises d’épilepsie résultant de ces mutations sont déclenchées en réponse à
une forte fièvre (fébrile dérive du mot latin pour « fièvre »). Cette forme d’épilep-
sie est généralement constatée chez les très jeunes enfants, entre 3 mois et 5 ans.
Bien que les mécanismes exacts du déclenchement de ces crises par l’élévation de
la température ne soient pas connus avec précision, l’idée est que les mutations
ralentissent l’inactivation des canaux sodiques, prolongeant ainsi l’effet de dépo-
larisation. L’épilepsie généralisée avec crises fébriles est reconnue comme appar-
tenant au groupe des canalopathies, correspondant à des maladies génétiques
causées par l’altération de la structure et de la fonction des canaux ioniques.
4 – Potentiel d’action 93

Encadré 4.3 BASES THÉORIQUES

Méthode du patch-clamp
L’existence réelle de canaux dépendants du potentiel membrane sous-jacente. Si l’on retire alors l’électrode de
dans la membrane n’était qu’une hypothèse, jusqu’au déve- la cellule, on peut arracher le morceau de membrane
loppement de méthodes permettant d’étudier les protéines (Fig. Ac), et mesurer les courants ioniques tout en appli-
individuelles de ces canaux. Au milieu des années 1970, quant des voltages constants à travers la membrane
deux neurobiologistes allemands, Bert Sakmann et Erwin (Fig. Ad). Avec un peu de chance, il est possible de déter-
Neher, mirent au point une nouvelle méthode révolution- miner les courants qui passent dans un seul canal. Si, par
naire, pour laquelle ils reçurent le prix Nobel en 1991. exemple, la partie de membrane contient un canal
Cette méthode permet d’enregistrer les courants sodique dont l’ouverture est dépendante du potentiel et
ioniques au travers d’un type de canaux. La première si on modifie le potentiel membranaire de – 65 à – 40 mV,
étape consiste à descendre doucement l’extrémité effilée le canal va s’ouvrir et le courant passera à travers (Fig. Ae).
d’une électrode de verre, de 1-5 μm de diamètre, jusqu’à Avec un voltage membranaire constant, l’amplitude du
la membrane du neurone (Fig. Aa), puis à pratiquer une courant reflète la conductance du canal et le temps de
aspiration au travers de la pointe de l’électrode (Fig. Ab). passage du courant reflète la durée d’ouverture du canal.
Légèrement aspirée, la partie de membrane sous-jacente La méthode du patch-clamp montre que la plupart
s’insère à l’intérieur de la pointe de l’électrode et se trouve des canaux basculent entre deux états de conductance,
étroitement associée aux parois de verre. Cet échantillon que l’on peut interpréter comme « ouvert » ou « fermé ».
membranaire dénommé scellement «  giga-ohm  » (à Le temps d’ouverture est variable, mais la valeur de la
cause de sa grande résistance électrique, > 109 Ω) ne conductance d’un type de canal ne change pas. Les ions
laisse passer les ions présents au niveau de l’électrode peuvent passer au travers de ces canaux à une cadence
qu’au travers des canaux présents dans la partie de étonnante : bien plus d’un million par seconde.

Pipette
Pointe Canal Canal
de la pipette sodium (fermé) sodium (ouvert)

Na+

Neurone

(a)

Échantillon
membranaire
« giga-ohm » (b) (c) (d)

Vm

– 65 mV

Modification du voltage à travers le patch


membranaire
Extérieur
Canal ouvert Canal fermé

Intérieur
(e)
Figure A
94 1 – Bases cellulaires

5 ms

– 40 mV
Vm
– 65 mV

(a)

Canal fermé

Courant Canal ouvert


entrant

Courant
entrant

1 3 4
Courant 2
entrant
(b)

Canal sodique
Na+

Membrane
1 2 3 4

(c)

Figure 4.10 – Ouverture et fermeture des canaux sodiques avec la dépolarisation de la membrane.


(a) Cet enregistrement illustre les variations du potentiel membranaire mesurées par la méthode
du patch-clamp. Lorsque le potentiel de membrane varie de – 65 à – 40 mV, les canaux sodiques
s’ouvrent brutalement. (b)  Ces enregistrements montrent comment trois canaux différents répondent
à cette dépolarisation de la membrane. Chacun des enregistrements illustre le ­comportement d’un
seul de ces canaux. ① À – 65 mV, les canaux sont fermés et aucun courant n’est donc enregistré.
② Lorsque le potentiel de membrane passe à – 40 mV, les canaux s’ouvrent brièvement ce qui
génère un courant entrant mesuré par l’électrode de patch. Ce courant entrant est représenté par la
déflection vers le bas de l’enregistrement. Bien que quelques différences puissent être enregistrées
d’un canal à l’autre, tous s’ouvrent avec un délai très bref et restent ouverts pour une durée infé-
rieure à 1 ms. Notez qu’après une première ouverture, ces canaux se ferment et demeurent fermés
tout autant que le potentiel de membrane Vm se maintient à la valeur dépolarisée. ③ La fermeture
des canaux par cette dépolarisation persistante est dénommée inactivation. ④ Pour permettre une
nouvelle activation des canaux, le potentiel de membrane doit retourner à – 65 mV. (c) Ce modèle
tend à expliquer comment les changements de conformation de la protéine-canal rendent compte
de ses propriétés fonctionnelles. ① Le canal fermé ② s’ouvre en réponse à la dépolarisation de la
membrane. ③ L’inactivation intervient par obturation du pore à partir du déplacement d’une partie
de la protéine, le canal étant ouvert. ④ L’activation est à nouveau possible lorsque cette partie de
la protéine qui obstrue le pore est dégagée sous l’effet de la repolarisation de la membrane, ce qui
entraîne le retour à la normale et la fermeture du canal par des changements conformationnels des
domaines transmembranaires.

Effets des toxines sur le canal sodique.  Au début des années 1960, des
chercheurs de l’Université Duke ont été à l’origine de la découverte des effets
bloquants de la tétrodotoxine (TTX), une toxine isolée des ovaires d’un pois-
son japonais très particulier, sur les canaux sodiques (Fig. 4.11). Les courants
sodiques, ainsi que les potentiels d’action, peuvent effectivement être bloqués au
moyen de la TTX ; cette toxine virulente obstrue le pore perméable aux ions Na+
en se liant fortement à un site spécifique situé à l’extérieur du canal. Comme cela
4 – Potentiel d’action 95

Figure 4.11 – Le poisson Fugu, source de TTX.


(Source : courtoisie du Dr Toshio Narahashi, Duke University.)

sera à nouveau mentionné, ce composé est fréquemment utilisé dans les expé-
riences pour bloquer la propagation des influx dans le muscle ou le nerf. La TTX
est fatale lorsqu’elle est ingérée. Pourtant ces poissons sont très appréciés au
Japon et les spécialistes du sushi s’entraînent de nombreuses années et doivent
obtenir une licence du gouvernement pour pouvoir préparer ce poisson, de façon
qu’en le mangeant on ressente un léger engourdissement de la bouche. C’est ce
qui s’appelle se nourrir dangereusement !
La TTX est une des nombreuses toxines naturelles interférant avec les canaux
sodiques dépendants du potentiel. Une autre de ces neurotoxines qui bloque
les canaux est la saxitoxine, produite par les dinoflagellés du genre Gonyaulax.
La saxitoxine est concentrée dans les praires, les palourdes, les moules et autres
coquillages associés à ce genre de protozoaire. Occasionnellement, les dinofla-
gellés se développent, causant ce que l’on nomme une « marée rouge ». Manger
des coquillages à ce moment-là peut s’avérer fatal, à cause de la concentration
anormalement élevée de la toxine.
En plus de ces toxines qui bloquent les canaux sodiques, d’autres substances
interfèrent avec le fonctionnement neuronal en produisant des ouvertures inap-
propriées des canaux ; telle la batrachotoxine, isolée de la peau d’une espèce de
grenouille de Colombie. La batrachotoxine provoque une ouverture des canaux
sodiques à un potentiel plus négatif que la normale. De plus, l’ouverture du
canal est plus longue que normalement, brouillant ainsi l’information codée par
les potentiels d’action. D’autres toxines, telles que la vératridine produite par une
sorte de muguet et l’aconitine extraite du bouton d’or, présentent un mécanisme
d’action similaire. Enfin, l’inactivation des canaux sodiques est aussi affectée par
des toxines de scorpions ou d’anémones de mer.
Que nous apprennent ces toxines ? D’abord, que les différentes toxines
affectent la fonction des canaux ioniques en se fixant sur différents sites de ces
protéines. Ces informations ont ainsi contribué à résoudre la structure tridimen-
sionnelle des canaux sodiques. Ensuite, les toxines peuvent être utilisées comme
des outils pharmacologiques pour étudier les conséquences du blocage des
potentiels d’action. Par exemple, comme nous le verrons plus loin, la TTX est
un agent fréquemment utilisé dans les expériences nécessitant le blocage d’une
activité nerveuse ou musculaire. Enfin, la dernière et sans doute plus importante
leçon tirée de l’utilisation de ces toxines : faites donc attention à ce que vous
mangez !
96 1 – Bases cellulaires

Canaux potassiques dépendants du potentiel


Les expériences de Hodgkin et Huxley ont démontré que la phase descen-
dante du potentiel d’action ne s’explique qu’en partie par l’inactivation de gNa.
Ils ont découvert qu’une augmentation transitoire de la conductance potassique
gK entre aussi en jeu, pour ramener plus rapidement la membrane à un potentiel
négatif après que la dépolarisation ait atteint sa valeur maximale. Ces auteurs
ont proposé l’existence dans la membrane de canaux potassiques semblables aux
canaux sodiques, qui s’ouvrent en réponse à la dépolarisation de la membrane.
Cependant, à l’inverse des canaux sodiques, les canaux potassiques ne s’ouvrent
pas immédiatement lors de la dépolarisation de la membrane ; il leur faut envi-
ron 1 ms pour s’ouvrir. À cause de ce délai et parce que la conductance potas-
sique entre en jeu pour rétablir le potentiel de la membrane, cette conductance
génère un courant dit de rectification tardive du potentiel membranaire.
Nous savons aujourd’hui qu’il existe plusieurs types différents de canaux
potassiques dépendants du potentiel. La plupart s’ouvrent lorsque la membrane
est dépolarisée, ce qui vient ainsi affaiblir toute dépolarisation ultérieure en
permettant aux ions K+ de sortir de la cellule en traversant la membrane. Les
canaux potassiques dépendants du potentiel qui sont connus ont en commun
une structure similaire. Les protéines de ces canaux comportent quatre sous-uni-
tés polypeptidiques distinctes, associées pour former un pore. Comme dans le
cas du canal sodique, ces protéines sont sensibles aux variations de potentiel qui
affectent la membrane. Lorsque la membrane est dépolarisée, les sous-unités
pourraient ainsi subir un changement conformationnel qui permettrait le pas-
sage des ions K+ à travers le pore.

Potentiel d’action : vue d’ensemble


Compte tenu des données sur les ions et les canaux présentées ci-dessus, les
propriétés du potentiel d’action peuvent être résumées comme suit (Fig. 4.12).
•• Seuil. Le seuil représente le potentiel membranaire auquel un nombre suf-
fisant de canaux sodiques dépendants du potentiel s’ouvrent, de sorte que
la perméabilité ionique de la membrane soit en faveur du sodium plutôt
que du potassium.
•• Phase ascendante. Lorsque l’intérieur de la membrane présente un potentiel
négatif, une grande force électromotrice s’exerce sur les ions Na+. Les ions Na+
pénètrent donc à l’intérieur de la cellule au travers des canaux sodiques qui
sont ouverts, ce qui entraîne la dépolarisation rapide de la membrane.
•• Phase de potentiel positif (overshoot). Parce que la perméabilité de la
membrane est largement en faveur du sodium, le potentiel membranaire
s’établit à une valeur proche de ENa, supérieure à 0 mV.
•• Phase descendante. Deux types de canaux jouent un rôle dans la phase des-
cendante. Les canaux sodiques, qui sont inactivés ; puis les canaux potas-
siques, qui s’ouvrent brutalement (avec un délai de 1 ms, sous l’influence
de la dépolarisation de la membrane). Lorsque la membrane est fortement
dépolarisée, une puissante force électromotrice pousse les ions K+ hors de la
cellule au travers des canaux, et le potentiel de la membrane redevient négatif.
•• Post-hyperpolarisation (undershoot). Les canaux potassiques ouverts sous
l’influence de la dépolarisation augmentent la perméabilité de la membrane
au potassium. Comme la perméabilité au sodium est à ce moment-là très
faible, le potentiel membranaire tend vers EK, ce qui entraîne une hyper-
polarisation par rapport au potentiel de repos, jusqu’à ce que les canaux
potassiques se referment.
•• Période réfractaire absolue. Les canaux sodiques sont inactifs lorsque la
membrane est fortement dépolarisée. Leur réactivation et la genèse d’un
autre potentiel d’action ne sont plus possibles tant que le potentiel de la
membrane n’est pas suffisamment négatif pour réactiver les canaux.
•• Période réfractaire relative. Le potentiel membranaire est hyperpolarisé
tant que les canaux potassiques sont ouverts. Aussi faut-il plus de courant
dépolarisant pour que le potentiel membranaire atteigne le seuil de dépo-
larisation.
4 – Potentiel d’action 97

Na +

Sortie
e
Entrée d

de K
+
(a)

Courants correspondant Courant entrant


aux canaux sodiques
dépendants du potentiel

(b)

Courant global résultant


de l’activation de l’ensemble
des canaux Na+
(c)

Courants correspondant
Courant sortant
aux canaux potassiques
dépendants du potentiel

(d)

Courant global résultant


de l’activation de l’ensemble
des canaux K+

(e)

Sortie de K+
Courant transmembranaire
« net » Courant sortant

Courant entrant
(f)
Entrée de Na+

Figure 4.12 – Bases moléculaires du potentiel d’action.


(a) Représentation des variations du potentiel de membrane pendant le potentiel d’action. La phase ascendante est liée à l’entrée des ions Na+ au
travers de centaines de canaux sodiques dépendants du potentiel. La phase descendante correspond à l’inactivation des canaux sodiques et à la
sortie des ions K+ au travers des canaux potassiques dépendants du potentiel. (b) Courants entrant au travers de 3 canaux sodiques dépendants du
potentiel représentatifs. Lorsque la membrane est dépolarisée au seuil, les canaux s’ouvrent avec un petit délai. Les canaux ne restent ouverts que
pour une durée de 1 ms au maximum, puis sont inactivés. (c) Courant sodique global résultant de l’activation de tous les canaux sodiques dépendants
du potentiel. (d) Courant sortant résultant de l’activation caractéristique de 3 différents canaux potassiques dépendants du potentiel. Les canaux
potassiques dépendants du potentiel s’ouvrent environ 1 ms après la dépolarisation au seuil de la membrane. Ils restent ouverts aussi longtemps que
la membrane reste dépolarisée. Cependant, la haute perméabilité au potassium entraîne rapidement une hyperpolarisation de la membrane. Lorsque
les canaux potassiques se ferment, alors le potentiel de membrane retourne à sa valeur de repos, soit environ – 65 mV. (e) Courant potassique global.
(f) Courant membranaire « net » durant le potentiel d’action (sommation algébrique des courants mesurés en c et e).
98 1 – Bases cellulaires

Comme cela vient d’être développé, les caractéristiques du potentiel d’action


sont directement liées à la présence des canaux et au mouvement des ions au
travers de ces canaux. Toutefois, il est important de se souvenir que la pompe
sodium-potassium travaille aussi sans relâche à l’arrière-plan et qu’elle inter-
vient dans les variations de potentiel. Il est ainsi possible de se représenter l’af-
flux des ions Na+ au cours du potentiel d’action comme une vague se projetant
à l’avant d’un bateau qui naviguerait en haute mer. Comme la pompe de cale du
bateau évacuant l’eau ainsi embarquée, la pompe sodium-potassium travaille
sans interruption pour faire passer les ions Na+ au travers de la membrane. Elle
contribue au maintien des gradients de concentration ioniques qui sont à la base
des mouvements des ions Na+ et K+ au travers de leurs canaux respectifs, pen-
dant la durée du potentiel d’action.

Propagation
du potentiel d’action
Pour transférer l’information d’un point à un autre du système nerveux, il
est nécessaire que le potentiel d’action qui a été généré se propage dans l’axone.
Ce processus est semblable à ce qui se passe lors de la mise à feu d’une fusée.
Imaginez que vous tenez une fusée de feu d’artifice dans la main et une allumette
enflammée dans l’autre, pour la mise à feu. La fusée décolle quand elle est suffi-
samment chauffée (au-delà d’un certain seuil) à sa base. Puis la chaleur dégagée
par la combustion se propage vers le segment de fusée situé juste au-dessus,
jusqu’à ce qu’il prenne feu à son tour. La flamme va se propager ainsi progres-
sivement tout au long de la fusée, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à brûler. Il est
important de remarquer que la fusée, qui a été allumée à un bout, ne peut brûler
que dans un sens : la flamme ne peut pas revenir sur elle-même car le matériel
combustible à l’arrière a déjà été utilisé.
La propagation du potentiel d’action le long de l’axone est semblable à la
propagation de la flamme le long de la fusée. Lorsque l’axone est suffisamment
dépolarisé pour atteindre le seuil nécessaire, les canaux sodiques dépendants du
potentiel s’ouvrent et le potentiel d’action est initié. L’afflux de charge positive
dépolarise le segment de membrane situé juste devant, jusqu’à ce qu’il atteigne
le seuil à son tour et génère son propre potentiel d’action1 (Fig. 4.13). Ainsi, le
potentiel d’action poursuit son chemin vers l’axone jusqu’à ce qu’il parvienne
à son extrémité dans les terminaisons axoniques et déclenche la transmission
synaptique (voir chapitre 5).
Le potentiel d’action généré à l’une des extrémités de l’axone ne se propage
que dans une seule direction ; il ne peut pas revenir en arrière. Cela provient
de ce que la membrane située juste en arrière est devenue réfractaire, à cause
de l’inactivation des canaux sodiques. Mais, comme la fusée, un potentiel d’ac-
tion peut être généré à partir de l’une ou l’autre extrémité de l’axone et ainsi se
propager dans une direction ou l’autre (bien que, en général, les potentiels d’ac-
tion ne se propagent que dans une seule direction ; celle-ci est dénommée pro­
pagation orthodromique. La propagation des potentiels d’action en sens inverse
sur l’axone est dénommée quant à elle propagation antidromique). Parce que la
membrane axonique est excitable (c’est-à-dire capable de générer des potentiels
d’action) sur toute sa longueur, l’influx nerveux se propage régulièrement. Il
en est de même avec la fusée car le matériel combustible s’étend régulièrement
sur toute sa longueur. Cependant, contrairement à la fusée, l’axone présente la
faculté de régénérer sa capacité de mise à feu.

1.  NdT : le potentiel d’action est ainsi qualifié « d’autorégénératif ».


4 – Potentiel d’action 99

+ +

Temps zéro +

+ +

1 ms plus tard +

+ +

2 ms plus tard + Figure 4.13 – Propagation du potentiel d’ac-


tion le long de l’axone.
L’entrée de charges positives au cours du
+ + potentiel d’action induit une dépolarisation au
seuil de la zone membranaire située juste en
3 ms plus tard avant du potentiel d’action.

La vitesse de conduction des potentiels d’action est variable, avec une valeur
moyenne de 10 m/s. Comme, du début à la fin, le potentiel d’action ne dure
que 2 ms, la longueur de la membrane concernée par le potentiel d’action à un
moment donné peut être calculée simplement de la façon suivante :
10 m/s × 2 × 10– 3 s = 2 × 10– 2 m

Par conséquent, un potentiel d’action se propageant à la vitesse de 10 m/s est


présent sur une longueur d’axone de 2 cm.

Facteurs influençant la vitesse de propagation


Au cours du potentiel d’action, le courant sodique entrant dépolarise la par-
tie de la membrane située juste devant. Si cette région de la membrane atteint le
seuil de dépolarisation, elle déclenche un potentiel d’action qui va se propager
jusqu’à l’extrémité de cette membrane. La vitesse à laquelle se propage le poten-
tiel d’action dans l’axone dépend de la propagation de la dépolarisation émanant
du potentiel d’action qui se déplace le long de l’axone. Cette vitesse de propaga-
tion dépend de certaines caractéristiques physiques de l’axone.
La modification de la charge dans un axone au cours du potentiel d’action,
matérialisée par une entrée de charges positives, peut être assimilée à la mise en
eau d’un tuyau d’arrosage percé. L’eau peut s’écouler de deux façons : soit s’écou-
ler dans le tuyau, soit s’écouler par les trous qui parsèment le tuyau. La quantité
d’eau qui s’écoule dépend de la résistance relative du tuyau ; la plus grande par-
tie de l’eau prendra le chemin qui présente le moins de résistance. Si le tuyau est
étroit et que les trous sont de gros diamètre et nombreux, l’eau s’écoulera essen-
tiellement par les trous. Si au contraire le tuyau est large et que les trous sont très
petits et peu nombreux, l’eau s’écoulera essentiellement par le tuyau. Les mêmes
principes sont applicables au courant positif qui se propage le long de l’axone à
l’avant du potentiel d’action. La charge positive peut prendre deux directions :
soit se diriger vers l’intérieur du neurone, soit traverser la membrane axonique.
Si l’axone est de petit diamètre et que de nombreux pores sont ouverts dans la
membrane, le courant passera surtout à travers la membrane. Si l’axone est de
diamètre plus important et qu’il y a peu de pores ouverts dans la membrane, le
courant se propagera surtout à l’intérieur de l’axone. Plus loin le courant envahit
une région importante de l’axone, plus la dépolarisation de la membrane générée
par le potentiel d’action sera elle-même importante, et plus vite se propagera le
potentiel d’action. Aussi, en règle générale, la vitesse de conduction du potentiel
d’action augmente avec le diamètre de l’axone.
100 1 – Bases cellulaires

À cause de cette relation entre le diamètre de l’axone et la vitesse de conduc-


tion, les systèmes neuronaux particulièrement impliqués dans la survie de l’in-
dividu ont développé des axones de taille anormalement importante, comme
par exemple l’axone géant du calmar. Formé à partir des neurones du ganglion
étoilé du calmar, l’axone géant innerve la musculature du manteau externe de
l’animal. Cet axone fait partie d’une voie qui sert de relais au réflexe de fuite, en
réponse à une forte stimulation sensorielle. Le diamètre de l’axone géant du cal-
mar peut atteindre 1 mm, à tel point qu’il a été avancé, dans un premier temps,
que cet axone faisait partie du système circulatoire du calmar. Les neurosciences
reconnaissent au zoologiste britannique J. Z. Young le mérite d’avoir, en 1939,
démontré l’intérêt que représentait l’axone géant du calmar dans l’étude de la
biophysique de la membrane neuronale. Hodgkin et Huxley utilisèrent ces don-
nées pour déterminer les bases ioniques du potentiel d’action et la neurobiologie
continue d’utiliser l’axone géant dans toute une série de travaux.
Il est intéressant de noter ici que le diamètre de l’axone et le nombre de
canaux sodiques dépendants du potentiel de la membrane affectent aussi l’ex-
citabilité. Les axones de petit diamètre nécessitent une dépolarisation plus forte
pour atteindre le seuil du potentiel d’action et ils sont plus sensibles au blocage
par les anesthésiques locaux (Encadré 4.4).

Myéline et conduction saltatoire


La conduction des potentiels d’action est plus rapide dans les axones de
gros diamètre ; en revanche ces axones occupent beaucoup de place. Si tous les
axones du cerveau avaient le diamètre de l’axone géant du calmar, notre tête
serait tellement grosse qu’il ne nous serait pas possible de franchir une porte.
Heureusement, les vertébrés ont développé une autre façon d’augmenter la
vitesse de conduction des potentiels d’action : en isolant l’axone au moyen d’une
gaine de myéline (voir chapitre 2). La myéline est constituée de plusieurs enroule-
ments de membrane produits par les cellules gliales : les cellules de Schwann du
système nerveux périphérique, c’est-à-dire en dehors du cerveau et de la moelle
épinière, et les oligodendrocytes du système nerveux central. De même qu’en
entourant le tuyau d’arrosage percé avec de la toile adhésive, l’écoulement de
l’eau dans le tuyau est facilité, la myéline facilite le passage du courant à l’inté-
rieur de l’axone et augmente ainsi la vitesse de conduction du potentiel d’action
(Encadré 4.5).
La gaine de myéline n’est pas continue sur toute la longueur de l’axone. Il y a
des interruptions dans l’isolation, par lesquelles les ions traversent la membrane
pour générer des potentiels d’action. Ces interruptions dans la gaine de myéline,
s’appellent les nœuds de Ranvier (Fig. 4.14). Il existe une forte concentration
de canaux sodiques dépendants du potentiel dans la membrane au niveau des
nœuds de Ranvier2. La distance entre les nœuds est généralement de 0,2-2,0 mm,
selon la taille de l’axone (la distance entre les nœuds est plus importante dans les
axones de gros diamètre).
Le potentiel d’action se déplace ainsi le long de la membrane axonique
comme on se déplace le long d’un chemin. Sans myéline, la conduction du poten-
tiel d’action se passe comme si on marchait à petits pas, en posant le talon puis la
pointe du pied et encore le pied juste devant, pour parcourir chaque centimètre
de l’allée. En revanche, en présence de myéline, la conduction se passe comme
si on sautillait tout au long du chemin. Dans les axones myélinisés, le potentiel
d’action, saute de nœud en nœud (Fig. 4.15). Ce type de propagation du potentiel
d’action s’appelle la conduction saltatoire.

2.  NdT : a contrario, l’intervalle entre les nœuds de Ranvier, qualifié de « segment inter-
variqueux », présente une excitabilité moindre et comporte une forte densité de canaux
potassiques.
4 – Potentiel d’action 101

Encadré 4.4 FOCUS

Anesthésie locale
Même si vous avez décidé de résister à la douleur, à Canaux
un moment vous ne pouvez plus la supporter et vous sodiques
allez voir votre dentiste ! Heureusement, le pire qui vous I II III IV dépendants
du potentiel
attend pour traiter votre carie n’est que la piqûre provo-
quée par l’aiguille, qui va lui permettre de vous adminis-
trer l’anesthésique localement. Après l’injection, votre
bouche est rapidement engourdie et vous pouvez rêvas-
ser, alors même que le dentiste fraise votre dent et vous
traite efficacement. Mais qu’est-ce qui a été injecté et
comment cela agit-il ? N
Les anesthésiques locaux sont des agents qui vont C
temporairement bloquer la propagation des potentiels
d’action le long des axones. Ils sont qualifiés de « locaux »
car ils sont administrés à l’intérieur même du tissu à anes-
thésier. Les axones de petit diamètre, qui déchargent à Hélice alpha S6
haute fréquence, sont les plus sensibles au blocage de la
conduction nerveuse par les anesthésiques locaux.
Le premier anesthésique local utilisé en médecine a
été la cocaïne. Ce produit a été initialement extrait des
feuilles de coca en 1860, par le chimiste allemand Albert
Niemann. En accord avec les usages en pharmacologie
de cette époque, Niemann a entrepris de goûter lui-même
son produit, et a constaté un engourdissement de sa
langue. Néanmoins, il s’avéra très vite que la cocaïne C2H5 C2H5

avait d’autres effets, notamment des propriétés addic- N


Sites de fixation
tives et toxiques (les propriétés psychotropes de la cocaïne CH2
de la lidocaïne
O C S6
furent étudiées par un autre fameux médecin de cette NH
époque, Sigmund Freud. La cocaïne affecte l’humeur par H3C CH3

un mécanisme complètement distinct de celui de l’anes-


thésie locale, comme nous le verrons dans le chapitre 15).
Lidocaïne
La recherche d’un substitut de la cocaïne a conduit à
la mise au point de la lidocaïne, qui est maintenant
l’anesthésique local de référence. La lidocaïne peut être
dissoute dans une gelée et badigeonnée dans la bouche,
notamment (et ailleurs), pour engourdir les terminai-
sons nerveuses (ce qui est dénommé anesthésie topique) ;
elle peut aussi être injectée directement dans les tissus Figure A – Mécanismes d’action de la lidocaïne.
(Source : adapté de Hardman et al., 1996, Fig. 15.3.)
(infiltration) ou dans les nerfs (pour bloquer l’activité
nerveuse). Elle peut même être administrée directement
dans le liquide céphalorachidien de la moelle épinière sont ouverts plus souvent). La lidocaïne ainsi fixée au
(anesthésie spinale) et, dans ce cas, anesthésier une large canal interfère avec le flux d’ions Na+ qui résulte nor-
partie du corps. malement de la dépolarisation.
La lidocaïne et les autres anesthésiques locaux Les axones de petit diamètre sont plus sensibles aux
bloquent la propagation des potentiels d’action par une anesthésiques locaux que les axones de plus gros dia-
action sur les canaux sodiques dépendants du potentiel. mètre parce que leurs potentiels d’action ont moins de
Le site d’action de la lidocaïne sur ces canaux a été iden- marge de sécurité : plus de canaux sodiques dépendants
tifié au niveau du segment S6 du domaine IV de la pro- du potentiel sont engagés dans la propagation du poten-
téine (Fig. A). La lidocaïne ne peut pas atteindre directe- tiel d’action. Cela augmente la sensibilité des petits
ment ce site à partir de l’extérieur et doit d’abord axones aux anesthésiques locaux mais cela est fortuit en
pénétrer la membrane axonique au travers du pore du clinique humaine. Comme nous le verrons dans le cha­
canal avant de trouver ses sites de fixation à l’intérieur pitre 12, ce sont les fibres de petit diamètre qui véhi-
de ce pore. Cela explique pourquoi les nerfs les plus culent les informations nociceptives, telles que celles
actifs sont bloqués plus rapidement (les canaux sodiques relatives à la douleur dentaire.
102 1 – Bases cellulaires

Encadré 4.5 FOCUS

Sclérose en plaques, maladie démyélinisante


C’est une atteinte neurologique connue sous le nom de myéline augmente la vitesse de conduction dans le sys-
sclérose en plaques qui a révélé le rôle critique de la myéline tème nerveux. Il existe des tests simples qui consistent à
dans le transfert de l’information dans le système nerveux stimuler l’œil avec un genre de damier lumineux, puis à
chez l’homme. Les personnes souffrant de sclérose en calculer, à partir du scalp, le délai de réponse électrique
plaques se plaignent souvent de faiblesse musculaire, de dans la partie du cerveau qui correspond aux projections
manque de coordination et de gêne dans la vision et le du nerf optique. La vitesse de conduction du nerf optique
langage. La maladie est capricieuse, généralement caracté- est significativement réduite dans la sclérose en plaques.
risée par des rémissions et des rechutes, sur plusieurs Une autre maladie démyélinisante, le syndrome de
années. Bien que l’origine précise de la maladie ne soit pas Guillain-Barré, affecte la myéline des nerfs périphériques
vraiment connue, la cause des troubles moteurs et senso- qui innervent les muscles et la peau. Cette maladie peut
riels est tout à fait claire. La sclérose en plaques affecte les survenir à la suite d’affections mineures ou de vaccination
gaines de myéline de groupes d’axones du cerveau, de la et il semble qu’elle traduise une réponse immunologique
moelle épinière et des nerfs optiques. Le mot vient du grec anormale contre la propre myéline du patient. Les symp-
skleros, qui signifie durcir, ce qui correspond à l’effet des tômes proviennent du ralentissement et/ou du manque de
lésions qui se développent autour des groupes d’axones ; conduction des potentiels d’action dans les axones qui
et l’on parle de sclérose en plaques car la maladie affecte innervent les muscles. Ce déficit peut être exploré clinique-
plusieurs endroits du système nerveux, simultanément. ment en utilisant la stimulation électrique des nerfs péri-
Les lésions du cerveau peuvent aujourd’hui faire l’ob- phériques à travers la peau, et en calculant le délai de
jet d’une exploration grâce à des méthodes non invasives, réponse (la contraction d’un muscle, par exemple). La
telle que la résonance magnétique nucléaire (RMN), mais ­sclérose en plaques, comme le syndrome de Guillain-Barré,
les neurologues ont pu depuis longtemps diagnostiquer la est caractérisée par un profond ralentissement du délai
sclérose en plaques en tenant compte du fait que la de réponse car la conduction saltatoire est interrompue.

Axone

Figure 4.14 – Gaine de myéline et nœuds de


Ranvier.
L’isolation électrique assurée par la myéline
contribue à la propagation du potentiel
­d’action d’un nœud de Ranvier à un autre.
Nœud de Ranvier
Les canaux sodiques dépendants du poten-
tiel sont concentrés dans la membrane de
l’axone, au niveau des nœuds de Ranvier. Gaine de myéline

Gaine de myéline Nœud de Ranvier Axone

+ +

Temps zéro

Figure 4.15 – Conduction saltatoire.
La myéline contribue à une diffusion plus large + +

et plus rapide des courants entre les nœuds


de Ranvier, ce qui résulte en une conduction
rapide des potentiels d’action. À cet égard,
comparez cette figure avec la figure 4.12. 1 ms plus tard
4 – Potentiel d’action 103

Potentiels d’action,
axones et dendrites
Les potentiels d’action étudiés dans ce chapitre ne concernent que les axones.
En règle générale, la membrane des dendrites et du soma ne génère pas de poten- Neurone
pyramidal
tiel d’action lié au sodium car cette membrane contient peu de canaux sodiques
dépendants du potentiel. Seule la membrane qui contient cette protéine spé-
cifique est capable de générer des potentiels d’action et ce type de membrane
excitable se trouve généralement dans les axones. C’est pourquoi la partie du
neurone qui donne naissance à l’axone à partir du soma, le cône axonique, s’ap-
pelle aussi la zone d’initiation de l’influx nerveux. Dans les neurones du cerveau
ou de la moelle épinière, la dépolarisation des dendrites et du soma causée par
les afférences synaptiques issues d’autres neurones entraîne le déclenchement
de potentiels d’action si la dépolarisation de la membrane du cône axonique Zone d’initiation
dépasse le seuil (Fig. 4.16a). Dans la plupart des neurones sensoriels, toutefois, des influx nerveux :
la zone d’initiation des décharges se trouve près des terminaisons du nerf senso­ cone axonique
riel, là où la dépolarisation provoquée par la stimulation sensorielle entraîne le
déclenchement de potentiels d’action se propageant le long des nerfs sensoriels (a) Neurone
(Fig. 4.16b). sensoriel
Dans le chapitre 2, il a été mentionné que les axones et les dendrites pré-
sentent une morphologie différente. Ils ont aussi des fonctions différentes, qui
sont entre autres spécifiées au niveau moléculaire par la nature des protéines
existant dans la membrane. Les différents types de canaux ioniques et leur den-
sité dans la membrane expliquent aussi les propriétés électriques caractéristiques Zone d’initiation des influx nerveux :
terminaison nerveuse sensorielle
des différents types de neurones (Encadré 4.6). (b)
Zone membranaire à haute densité
de canaux sodiques dépendants
du potentiel

Conclusion Figure 4.16 – Les protéines membranaires


contribuent à spécifier les fonctions des
­différentes parties du neurone.
Les schémas (a) et (b) représentent, respecti-
Revenons rapidement à l’exemple de la punaise présenté dans le chapitre 3. vement, un neurone pyramidal et un neurone
Le déchirement de la peau par la punaise étire les terminaisons du nerf sen- sensoriel primaire. En dépit de leur diversité
soriel du pied. Des canaux ioniques particuliers, sensibles à l’étirement de la structurale, la membrane de ces deux caté-
membrane, vont s’ouvrir et laisser des ions sodium positifs entrer dans les ter- gories de neurones peut être caractérisée au
minaisons nerveuses. L’afflux de charge positive dépolarise la membrane de la niveau moléculaire par sa très forte densité
zone d’initiation des décharges jusqu’au seuil, et génère à ce niveau le potentiel de canaux sodiques dépendants du poten-
d’action. La charge positive, qui est concomitante de la phase ascendante du tiel. Cette particularité permet aux axones de
potentiel d’action, se répand dans l’axone et dépolarise, jusqu’au seuil, la par- générer et de conduire les potentiels d’ac-
tie de membrane située juste à l’avant du potentiel d’action. De cette façon, le tion. La région de la membrane où les poten-
potentiel d’action est généré de façon continue, au fur et à mesure qu’il envahit tiels d’action sont normalement générés est
dénommée zone d’initiation de l’influx ner-
l’axone sensoriel, comme une vague. Après avoir vu comment est générée l’in-
veux. Les flèches indiquent la direction nor-
formation nerveuse, il faut maintenant comprendre comment cette information male de propagation des influx nerveux dans
est distribuée et intégrée par d’autres neurones dans le système nerveux central. ces deux types de neurones.
Le transfert de l’information d’un neurone à l’autre s’appelle la transmission
synaptique. Cela sera le sujet des deux chapitres suivants.
Comme nous le verrons, la transmission synaptique, comme le potentiel
d’action, dépend finalement de protéines spécialisées de la membrane neuro-
nale. Ainsi, commence à émerger l’image du fonctionnement cérébral comme un
réseau complexe d’interactions moléculaires dans les membranes neuronales. Si
l’on considère qu’un neurone typique a une surface de membrane moyenne d’en-
viron 250 000 μm2, la surface totale des quelques 85 milliards de neurones qui
pourraient former le système nerveux, atteindrait 21 250 m2, soit grossièrement
la surface de quatre terrains de football… Cette membrane, avec sa myriade de
protéines spécialisées, constitue l’origine de nos pensées.
104 1 – Bases cellulaires

Encadré 4.6 FOCUS

Comportement électrique éclectique des neurones


Les neurones ne sont pas tous semblables ; leur
forme, leur dimension et leurs connexions sont
variées. Les propriétés électriques peuvent aussi
varier, d’un neurone à l’autre. La figure A donne
quelques exemples de comportement des neurones.
Il y a deux grands types de neurones dans le cortex
cérébral, définis selon leur morphologie : les cellules
étoilées et les cellules épineuses pyramidales. La Vm
réponse typique d’une cellule étoilée à l’injection
dans le soma d’un courant dépolarisant constant est
le déclenchement de potentiels d’action à une fré-
quence relativement stable pendant toute la durée Injection de courant dépolarisant 25 ms
du stimulus (Fig. Aa). Cependant, la plupart des cel- (a)
lules pyramidales ne peuvent pas soutenir un rythme
de décharge constant. Elles vont plutôt décharger
rapidement au début de la stimulation, puis ralentir
leur décharge, même si la stimulation reste forte
(Fig. Ab). Ce ralentissement dans le temps s’appelle
l’adaptation et représente une des propriétés com-
munes des cellules excitables. Un autre mode de
décharge est représenté par des bouffées, un
ensemble rapide de potentiels d’action suivi d’une
pause brève. Certaines cellules, dont un sous-type
particulier de grand neurone pyramidal du cortex,
50 ms
vont même répondre à une stimulation constante
par des décharges rythmées et répétées (Fig. Ac). La (b)
variabilité des réponses ne se limite pas au cortex
cérébral. L’observation de nombreuses régions du
cerveau montre que les neurones ont autant de com-
portements électriques que de morphologies diffé-
rentes.
Comment rendre compte de la diversité de com-
portements des différents types de neurones ? En
fait, la physiologie de chaque neurone est détermi-
née par les propriétés et le nombre des canaux
ioniques de sa membrane. Il existe beaucoup plus de
canaux ioniques que ceux décrits dans ce chapitre et
50 ms
chacun a ses caractéristiques propres. Par exemple,
l’activation de certains canaux potassiques est rela- (c)
tivement lente. Un neurone qui possède une grande
densité de ces canaux fera preuve d’adaptation car, Figure A – Les divers comportements des neurones.
durant la stimulation, les canaux potassiques s’ou- (Source : adapté de Agmon et Connors, 1992.)
vriront lentement les uns après les autres et le cou-
rant sortant qu’ils génèrent aura tendance à hyper-
polariser la membrane. Lorsque l’on sait qu’un
seul neurone peut contenir plus d’une douzaine de
canaux ioniques différents, on comprend mieux
l’origine de comportements électriques divers.
C’est la complexité des interactions entre les canaux
ioniques qui signe l’impulsion électrique éclectique
de chaque type de neurone.
4 – Potentiel d’action 105

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Définir le potentiel membranaire (Vm) et le potentiel d’équilibre du


sodium (ENa). Lequel des deux se modifie au cours du potentiel d’ac-
tion ?
2. Quels ions sont impliqués dans la genèse du courant entrant précoce
et du courant sortant tardif, au cours du potentiel d’action ?
3. Pourquoi dit-on du potentiel d’action qu’il est « tout ou rien » ?
4. Certains canaux K+ représentent des « correcteurs tardifs » du poten­
tiel de membrane à cause de leur délai d’ouverture au cours du
­potentiel d’action. Que se passerait-il si ces canaux mettaient beau-
coup plus de temps à s’ouvrir ?
5. Imaginez que vous puissiez utiliser de la tétrodotoxine marquée par
un isotope radioactif, de sorte qu’elle puisse être examinée au micros-
cope. Quelles parties du neurone seraient repérées par ce marqueur ?
Quelles seraient les conséquences fonctionnelles ?
6. Quelle relation existe-t-il entre la vitesse de conduction du potentiel
d’action et le diamètre de l’axone ? Expliquez pour quelle raison.

POUR EN SAVOIR PLUS

Boyden  ES, Zhang  F, Bamberg  E, Nagel  G, Deisseroth  K. Millise-


cond-timescale, genetically targeted optical control of neural activity.
Nature Neuroscience 2005 ; 8 : 1263-8.
Hille  B. Ionic Channels of Excitable Membranes, 2nd ed. Sunderland,
MA : Sinauer, 1992.
Hodgkin  A. Chance and design in electrophysiology: an informal ac-
count of certain experiments on nerves carried out between 1942 and
1952. Journal of Physiology (London) 1976 ; 263 : 1-21.
Kullmann DM, Waxman SG. Neurological channelopathies: new insights
into disease mechanisms and ion channel function. Journal of Physio-
logy (London) 2010 ; 588 : 1823-7.
Neher  E. Nobel lecture: ion channels or communication between and
within cells. Neuron 1992 ; 8 : 605-12.
Neher  E, Sakmann  B. The patch-clamp technique. Scientific American
1992 ; 266 : 28-35.
Nicholls  J, Martin  A, Fuchs  PD, Brown  DA, Diamond  ME, Weisblat.
From Neuron to Brain, 5th ed. Sunderland, MA : Sinauer, 2011.

CHAPITRE  5 Transmission
synaptique

Encadré 5.1 Focus  Le rêve d’Otto Loewi

DIFFÉRENTS TYPES
DE SYNAPSES
Synapses électriques........................................................................... 109
Synapses chimiques............................................................................ 112
Encadré 5.2 les voies de la découverte  Pour l’amour des épines
dendritiques,
par Kristen M. Harris

PRINCIPES
DE LA TRANSMISSION
SYNAPTIQUE CHIMIQUE
Neurotransmetteurs........................................................................... 118
Biosynthèse et stockage des neurotransmetteurs................................ 119
Libération des neurotransmetteurs..................................................... 120
Encadré 5.3 Bases théoriques  Théorie du complexe « SNARE »
et libération des neurotransmetteurs
Récepteurs des neurotransmetteurs et leurs effecteurs........................ 123
Encadré 5.4 Bases théoriques  Potentiels d’inversion
Recyclage et inactivation synaptique des neurotransmetteurs.............. 127
Neuropharmacologie.......................................................................... 128
Encadré 5.5 Focus  Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…

PRINCIPES DE L’INTÉGRATION
SYNAPTIQUE
Intégration des potentiels post-synaptiques d’excitation (PPSE)......... 130
Contribution des propriétés des dendrites à l’intégration synaptique... 131
Inhibition............................................................................................ 134
Encadré 5.6 Focus  Des mutations effrayantes et des poisons
Neuromodulation............................................................................... 135

CONCLUSION
INTRODUCTION

L’
un des principaux enseignements des chapitres 3 et 4 a été de montrer
comment l’énergie mécanique — la blessure causée par une punaise —
était convertie en signal nerveux. D’abord, les canaux ioniques spé-
cialisés situés dans les terminaisons du nerf sensoriel laissent entrer des charges
positives dans l’axone puis, lorsque la dépolarisation ainsi induite atteint un
certain seuil, elle génère des potentiels d’action. Comme la membrane axonique
est excitable et contient des canaux sodiques sensibles au potentiel, les potentiels
d’action se propagent régulièrement sur toute la longueur des nerfs sensoriels,
sans perte d’amplitude pour maintenir toute la force de ce signal. Pour que cette
information soit intégrée par tout le système nerveux, il est nécessaire que le
signal soit transmis à d’autres neurones, par exemple les neurones moteurs qui
contrôlent la contraction musculaire, ou encore aux neurones du cerveau et de
la moelle épinière responsables d’une réponse réflexe coordonnée. À la fin du
xixe siècle, il a été établi que ce transfert de l’information d’un neurone à un
autre s’effectue à des sites de contact spécifiques et c’est en 1897 que le physio-
logiste anglais Charles Sherrington donna à ces sites le nom de synapses. Le
processus de transfert de l’information impliquant une synapse est de ce fait
dénommé transmission synaptique.
La controverse sur la nature physique de la transmission synaptique a duré
près d’un siècle. Considérant la rapidité de la transmission synaptique, une des
hypothèses attrayantes suggérait qu’elle pouvait être assimilée à du courant
électrique passant d’un neurone à l’autre. L’existence de ces synapses électriques
fut démontrée à la fin des années 1950 par Edwin Furshpan et David Potter,
deux physiologistes travaillant sur le système nerveux de l’écrevisse à l’Univer-
sity College à Londres et par Akira Watanabe qui travaillait sur les neurones
du homard au japon, au Tokyo Medical and Dental University. Il est admis
aujourd’hui que les synapses électriques sont communes, tant dans le système
nerveux des invertébrés que dans celui des vertébrés, incluant les mammifères.
Une autre hypothèse, datant aussi de la fin du xixe siècle, suggérait que
des messagers chimiques transmettent l’information d’un neurone à l’autre à
la synapse. En 1921, Otto Loewi, chef du Département de pharmacologie de
l’Université de Graz, en Autriche, conforta ce concept de synapse chimique en
montrant que la stimulation électrique des axones innervant le cœur de la gre-
nouille libérait une substance chimique et que cette substance pouvait mimer
les effets de la stimulation du neurone sur les battements du cœur (Encadré 5.1).
Plus tard, Bernard Katz et ses collègues de l’University College à Londres, ont
démontré que la transmission synaptique rapide entre l’axone d’un neurone
moteur et un muscle squelettique était le résultat d’une médiation chimique. En
1951, au moyen d’un nouvel instrument, la microélectrode en verre, John Eccles
de l’Australian National University, a pu étudier la physiologie de la transmission
synaptique dans le système nerveux central (SNC) des mammifères. Ces expé-
riences révélaient que de nombreuses synapses du SNC utilisent également un
neurotransmetteur. Aujourd’hui nous savons que les synapses chimiques repré-
sentent le plus grand nombre des synapses du cerveau et au cours de ces dix
dernières années de véritables révolutions sont intervenues dans la connaissance
de la transmission synaptique, notamment grâce à de nouvelles méthodes utili-
sées dans l’étude de la structure et de la fonction des molécules concernées. Ces

108 1 – Bases cellulaires

travaux montrent que le fonctionnement synaptique est beaucoup plus complexe


qu’aucun neurobiologiste ne l’avait imaginé.
La transmission synaptique est un domaine vaste et fascinant. À titre
­d’illustration, il faut savoir que l’effet des médicaments psychotropes, les causes
des troubles mentaux, les bases neuronales de l’apprentissage et de la mémoire
— en fait, toutes les opérations du système nerveux — ne peuvent pas être com-
prises sans connaître les modalités de la transmission synaptique. Plusieurs
chapitres sont donc consacrés à ce sujet, plus spécifiquement aux synapses
chimiques. Ce chapitre explore plus particulièrement les mécanismes de base de
la transmission synaptique. À quoi ressemblent les différents types de synapses ?
Comment sont réalisés la synthèse et le stockage des neurotransmetteurs ? Et
comment se fait la sécrétion des neurotransmetteurs par la terminaison axo-
nique, en réponse à un potentiel d’action ? Quelle est l’action des neurotransmet-
teurs sur la membrane post-synaptique ? Comment un seul neurone intègre-t-il
les informations qui lui sont fournies par les milliers de synapses qu’il reçoit ?

Encadré 5.1 FOCUS

Le rêve d’Otto Loewi


Une des anecdotes les plus pittoresques de l’histoire carrière de scientifique. Cependant, la nuit suivante
des neurosciences est celle qui concerne Otto Loewi, un je m’éveillai de nouveau, à 3 heures, et je me souvins
chercheur autrichien des années vingt, qui démontra le de quoi il s’agissait. Cette fois-ci, je ne pris aucun
premier que la transmission synaptique entre les nerfs et risque ; je me levai immédiatement, partis au labora-
le cœur était d’ordre chimique. Il y a deux types d’inner- toire et je fis l’expérience sur le cœur d’une grenouille
vation du cœur ; un premier système accélère les batte- décrite ci-dessus. À 5 heures, j’avais définitivement la
ments du cœur et l’autre les ralentit. Ce dernier type d’in- preuve de la transmission chimique de l’influx ner-
nervation est lié à l’action du nerf vague. Pour le prouver, veux. Une réflexion diurne poussée m’aurait certai-
Loewi isola le cœur d’une grenouille en laissant intacte nement incité à rejeter ce type d’expérience car il
l’innervation vagale et il appliqua une stimulation élec- m’aurait semblé probable que, dans le cas où un
trique sur le nerf ; il put ainsi constater l’effet attendu, influx nerveux libérait un agent transmetteur, ce
c’est-à-dire le ralentissement des battements du cœur. serait seulement en quantité suffisante pour agir sur
Pour vérifier la nature chimique de la médiation, Loewi l’organe effecteur, le cœur dans ce cas, plutôt qu’en
tenta l’expérience suivante : il prit la solution où baignait quantité importante, de sorte qu’une partie disparaî-
le cœur de la grenouille et l’appliqua à un autre cœur de trait dans le liquide de perfusion du cœur et qu’il
grenouille préparé parallèlement. Il découvrit alors que serait ainsi possible de le détecter. Et pourtant, tout
les battements de ce cœur aussi se ralentissaient. le concept nocturne de l’expérience reposait sur cette
Loewi avait, en fait, eu l’idée de cette expérience dans éventualité. Contrairement à toute attente, les résul-
un rêve. Il raconte ceci : tats furent positifs » (Loewi, 1953, p. 33-34).
« Dans la nuit du dimanche de Pâques en 1921, je Le composé actif que Loewi appelait vagusstoff
m’éveillai, allumai la lumière, et jetai quelques notes (­littéralement « la substance du vague », en allemand)
sur une feuille de papier. Puis je m’endormis de nou- était en fait l’acétylcholine. L’acétylcholine est aussi un
veau. À 6 heures du matin, il me vint à l’esprit que neurotransmetteur agissant au niveau de la synapse
pendant la nuit j’avais écrit quelque chose de très entre le nerf et le muscle squelettique ; mais ici, à la
important mais je ne pouvais pas déchiffrer le grif- ­différence du cœur, l’acétylcholine provoque l’excitation
fonnage. Ce dimanche fut le jour le plus triste de ma et la contraction du muscle.
5 – Transmission synaptique 109

Différents types de synapses


Comme cela a été mentionné dans le chapitre 2, la synapse représente une
zone de jonction spécialisée située à l’endroit où la terminaison d’un axone entre
en contact avec un autre neurone ou un autre type de cellule. Le sens du transfert
de l’information est normalement dirigé de la terminaison axonique vers le neu-
rone cible ; c’est pourquoi la terminaison axonique est dite présynaptique et le
neurone cible (ou la cellule, plus généralement) post-synaptique. Mais quels sont
les divers types de synapses présentes dans le système nerveux ?

Synapses électriques
Les synapses électriques présentent une structure et un fonctionnement rela-
tivement simples, permettant au courant ionique de passer directement d’une
cellule à l’autre. Les synapses électriques sont situées en des régions particulières
des cellules, dites jonctions étroites ou gap junctions, en anglais. Les gap junctions
sont présentes entre cellules à peu près dans tout l’organisme et interconnectent
de nombreuses cellules, y compris non neuronales ; par exemple des cellules
épithéliales, des cellules de muscles lisses ou du muscle cardiaque, des cellules
hépatiques, des cellules sécrétrices ou encore des cellules gliales.
Lorsque ces gap junctions interconnectent deux neurones, elles peuvent fonc-
tionner comme des synapses électriques. À ces points de jonction, l’espace entre
les membranes pré et post-synaptiques est de l’ordre de 3  nm et de petites protéines
dénommées connexines forment les éléments moléculaires de ces connexions. Six
connexines se combinent pour former un canal, que l’on appelle un connexon, et
deux connexons (l’un de chaque cellule) se combinent pour mettre les canaux en
continuité (Fig. 5.1). C’est par ces jonctions étroites que les ions passent directe-
ment du cytoplasme d’une cellule au cytoplasme de l’autre. Le pore formé par les
connexons est parmi les plus importants. Avec un diamètre d’environ 1 à 2 nm,
il est assez gros pour que les ions les plus importants ainsi que de nombreuses
petites molécules organiques puissent passer au travers.

Figure 5.1 – Représentation d’une jonction étroite.


Cellule 1
(a) Neurites de deux cellules connectées au travers d’une jonction
Jonction étroite étroite. (b) Agrandissement de cette jonction étroite montrant la pré-
sence de connexons, protéines-canaux réalisant un pont véritable entre
le cytoplasme des deux cellules. Les ions et les molécules de petite taille
peuvent franchir ces canaux dans les deux directions. (c) Six sous-unités
de connexine forment un connexon, et deux connexons forment une gap
Cellule 2 junction.
(a)

Cellule 1 Connexons
cytoplasme

Gap
junction
3.5 nm 20 nm
Connexon

Cellule 2 Connexine
cytoplasme
Ions et molécules Canal formé par l’association
(b) de petite taille de pores présents dans (c)
chacune des membranes
110 1 – Bases cellulaires

La plupart de ces gap junctions permettent des échanges ioniques équiva-


lents dans les deux directions. Par conséquent, contrairement à la plupart des
synapses chimiques, les synapses électriques sont bidirectionnelles. Comme le
courant électrique (sous forme de flux ioniques) peut passer au travers de ces
canaux, les cellules connectées par les gap junctions sont dites couplées électri-
quement, ou encore couplées électrotoniquement. Dans les synapses électriques,
la transmission est le plus souvent sûre et très rapide. Aussi, un potentiel d’action
du neurone présynaptique peut-il produire presque instantanément un potentiel
d’action dans le neurone post-synaptique. Chez les invertébrés comme l’écre-
visse, les synapses électriques sont quelquefois trouvées entre les neurones sen-
soriels et moteurs, dans les voies nerveuses qui interviennent dans les réflexes de
fuite. Cela permet à ces animaux de fuir le plus rapidement possible lorsqu’ils se
trouvent face à un danger.
Les synapses électriques sont également présentes dans le SNC des vertébrés
(Fig. 5.2a). Lorsque deux neurones sont couplés électriquement, un potentiel
d’action dans le premier neurone (présynaptique) provoque un petit courant
ionique qui traverse la gap junction et atteint ainsi le second neurone. Ce cou-
rant est à l’origine d’un potentiel post-synaptique (PPS) dans ce second neurone
(Fig. 5.2b). Parce que la plupart des synapses électriques sont bidirectionnelles,
lorsque le second neurone émet ainsi un potentiel d’action il va, en retour, affec-
ter l’excitabilité du premier neurone et créer à son tour un PPS. Les PPS générés
dans le cerveau des mammifères par les synapses électriques sont en général de
faible amplitude, environ 1 mV ou moins, et ne sont de ce fait pas suffisants
pour déclencher un potentiel d’action dans le neurone post-synaptique. Dans la
plupart des cas cependant, un neurone établit des synapses électriques avec de
nombreux autres, faisant que plusieurs PPS simultanés peuvent en fait exciter
correctement un neurone donné. Ceci représente une forme d’intégration synap-
tique, que nous discuterons plus loin dans ce chapitre.
Le rôle précis des synapses électriques varie d’une région du cerveau à une
autre. Ces synapses sont souvent trouvées lorsque la fonction de la structure
considérée nécessite que l’activité entre neurones voisins soit hautement syn-
chronisée. Par exemple, les neurones d’une région du tronc cérébral dénommée
l’olive inférieure peuvent générer soit de légères oscillations de leur potentiel de

Cellule 1
Vm de la cellule 1

Potentiel
0 d’action
Dendrite Enregistrement
du potentiel
de membrane
Vm de la cellule 1 – 65

Enregistrement 0 1 2 3
du potentiel Temps (ms)
de membrane
Gap Vm de la cellule 2
junction – 63
Vm de la cellule 2

– 64 PPS électrique
Dendrite

– 65

0 1 2 3
(a) (b) Cellule 2
Temps (ms)

Figure 5.2 – Synapses électriques.
(a) Microphotographie au microscope électronique d’une gap junction interconnectant deux den-
drites, ce qui constitue une synapse électrique (Source : Sloper et Powell, 1978). (b) Un potentiel
d’action généré dans un neurone provoque un léger courant ionique suivi d’un potentiel post-­
synaptique (PPS) électrique dans un second neurone, par l’intermédiaire d’une gap junction.
5 – Transmission synaptique 111

membrane, soit, plus occasionnellement, des potentiels d’action. Ces neurones


envoient leur axone vers le cervelet et contribuent de façon majeure au contrôle
moteur. Ils sont interconnectés entre eux par des jonctions électriques. Les cou-
rants ainsi générés servent à coordonner et à synchroniser l’activité des neurones
de l’olive inférieure (Fig. 5.3a) et ceci contribue, à la manière d’une horloge, à
synchroniser le contrôle moteur. Michael Long et Barry Connors, travaillant à
Brown University, ont démontré que la délétion du gène de l’une des protéines
de ces jonctions dénommée connexine 36 (Cx36) n’impactait pas la capacité des
neurones à générer des potentiels d’action et des oscillations du potentiel de
membrane, mais abolissait la synchronisation de ces événements du fait de la
suppression de cette protéine (Fig. 5.3b).
Les gap junctions entre neurones sont particulièrement fréquentes pendant
les premiers stades du développement. De fait, pendant le développement, les
gap junctions permettraient à des cellules voisines d’échanger des signaux à la
fois de nature électrique et chimique, susceptibles de contribuer à leur croissance
et à leur maturation.

(a)
Avec gap junctions :
Potentiel d’action
Vm de la cellule 1

–0 Enregistrement
de Vm
Oscillations
de la cellule 1
1
– 65 Gap junction
Vm de la cellule 2

–0 2

– 65 Enregistrement
de Vm
de la cellule 2
(b)
Sans gap junctions :
Vm de la cellule 3

Enregistrement
–0 de Vm
de la cellule 3
3
Sans gap
– 65 junction
Vm de la cellule 4

4
–0

– 65
Enregistrement
0 1 2 3 4 5 de Vm
de la cellule 4
Temps (s)

Figure 5.3 – Fonctionnement de synapses électriques.


Les synapses électriques peuvent contribuer à la synchronisation de l’activité de populations de
neurones. Certains neurones du tronc cérébral génèrent de légères mais régulières oscillations
de leur potentiel de membrane Vm et seulement occasionnellement des potentiels d’action.
(a) Lorsque deux neurones sont interconnectés par des gap junctions (cellules 1 et 2), leurs oscil-
lations et potentiels d’actions sont synchronisés. (b) Les mêmes neurones, lorsqu’ils ne sont pas
interconnectés (cellules 3 et 4) ne présentent aucune synchronisation de leur activité électrique.
(Source : adapté de Long et al., 2002, p. 10903.)
112 1 – Bases cellulaires

Synapses chimiques
Dans le système nerveux de l’homme adulte, en règle générale, la transmis-
sion synaptique dans son écrasante majorité est de nature chimique ; c’est la
raison pour laquelle ces synapses font ici l’objet d’un examen tout particulier.
Les différents types de synapses chimiques présentent, de fait, un certain nombre
de caractéristiques communes (Fig. 5.4).
À la synapse, les membranes pré et post-synaptiques sont séparées par une
fente ou espace synaptique de 20-50 nm de large, ce qui représente 10 fois la
­largeur de l’espace qui les sépare dans les gap junctions. L’espace synaptique est
rempli d’une matrice de protéines extracellulaires fibreuses, qui fait adhérer les
membranes pré et post-synaptiques. L’une des fonctions de cette matrice est de
maintenir associées les parties pré et post-synaptiques de la synapse. Le côté pré­
synaptique de la synapse, l’élément présynaptique, est généralement représenté
par une terminaison axonique. De façon caractéristique, la terminaison contient
des douzaines de petites sphères délimitées par une membrane, de 50 nm de
diamètre environ, dénommées vésicules synaptiques (Fig. 5.5a). Ces vésicules
stockent les neurotransmetteurs, qui sont des agents de nature chimique per-
mettant la communication avec le neurone post-synaptique. De nombreuses
terminaisons axoniques contiennent aussi des vésicules de taille plus impor-
tante, d’environ 100 nm de diamètre, appelées granules de sécrétion. Ces gra-
nules contiennent une protéine soluble qui a un aspect compact au microscope
électronique, de sorte qu’ils sont quelquefois dénommés vésicules à cœur dense
(Fig. 5.5b).
Dans les membranes pré et post-synaptique se trouvent accumulées des pro-
téines formant des zones de différenciation membranaire. Du côté présynaptique
les protéines qui se trouvent à la face intracellulaire de la membrane, dans le
cytoplasme de la terminaison axonique, présentent une organisation qui res-
semble à un champ de petites pyramides. Les pyramides et la zone membra-
naire correspondante représentent les sites réels de la libération des neurotrans-
metteurs ou zones actives. Les vésicules synaptiques sont rassemblées dans le
cytoplasme adjacent aux zones actives (Fig. 5.4).

Terminaison axonique
(élément présynaptique)

Granules
de sécrétion
Mitochondries

Espace Zones actives


Différenciation
synaptique Densité membranaire
Vésicules post-synaptique
synaptiques

Récepteurs iq u e
Dendrite post-synapt

Figure 5.4 – Représentation des différentes parties d’une synapse chimique.


5 – Transmission synaptique 113

Mitochondrie

Terminaison
présynaptique

Élément
post-synaptique Zone active
(a)
Vésicules
synaptiques

Vésicules
« à cœur dense »

(b)

Figure 5.5 – Microphotographies d’une synapse chimique vue au microscope électronique.


(a) Synapse excitatrice « rapide » du SNC. (Source : adapté de Heuser et Reese, 1977, p. 262.)
(b) Synapse du système nerveux périphérique montrant de nombreuses vésicules « à cœur
dense ». (Source : adapté de Heuser et Reese, 1977, p. 278.)

Les protéines se trouvant dans l’épaisseur de la membrane post-synaptique


constituent la densité post-synaptique. La densité post-synaptique contient les
récepteurs des neurotransmetteurs qui, dans la cellule post-synaptique, trans-
forment le signal chimique intercellulaire (par exemple le neurotransmetteur) en
signal intracellulaire (un changement du potentiel de membrane ou encore de
métabolisme intracellulaire). Comme cela sera mentionné plus loin, la nature de
la réponse synaptique est très variée ; elle dépend du type de récepteur activé par
le neurotransmetteur.
Synapses chimiques du système nerveux central.  Dans le SNC, les différents
types de synapses sont distingués sur la base de la localisation de la partie post-­
synaptique du neurone. Si la membrane post-synaptique est située sur une dendrite,
la synapse est dite axodendritique ; si elle est située sur le corps cellulaire, la synapse
est dite axosomatique. Dans certains cas particuliers, la membrane post-synaptique
est située sur un autre axone ; ces synapses sont alors qualifiées d’axo-axoniques
(Fig. 5.6). Lorsqu’un axone présynaptique contacte une épine dendritique, on
parle de synapse axoépineuse (Fig. 5.7a). Dans certains neurones enfin, les dendrites
forment véritablement des synapses entre elles ; celles-ci sont alors dénommées
synapses dendrodendritiques. La taille et la forme des synapses du SNC varient
aussi considérablement (Fig. 5.7a-d). Les détails de l’organisation synaptique ne
sont accessibles qu’à l’examen au microscope électronique (Encadré 5.2).
En fonction de la nature des différenciations membranaires pré et post-synap-
tiques, il est aussi possible de séparer les synapses du SNC en deux grandes caté-
gories. Les synapses dont les différenciations membranaires du côté post-synap-
tique sont plus épaisses que celle du côté présynaptique sont dites asymétriques
ou synapses de Gray de type I ; celles dont les membranes pré et post-synaptiques
présentent la même épaisseur sont dites symétriques ou encore synapses de Gray
114 1 – Bases cellulaires

Soma

(a) (b) (c)

Dendrite

Axone

Figure 5.6 – Différents types d’arrangements


synaptiques présents dans le système ner­
veux.
(a) Synapse axodendritique, (b) axosomatique,
(c) axoaxonique.

Axones

(a) (b)
Terminaisons
présynaptiques
Épine dendritique
post-synaptique
Figure 5.7 – Illustration de différentes formes
et de différentes tailles de synapses dans le
Éléments
système nerveux central. post-synaptiques
(c)
(a) Synapse axoépineuse : une fine terminai-
son axonique contacte une épine dendritique. Axone
Axone
Notez que la terminaison axonique peut être (d)
identifiée de façon caractéristique par la pré- Éléments
sence de nombreuses vésicules synaptiques présynaptiques
et l’élément post-synaptique par les épaissis­
sements membranaires (densité post-synap-
tique). (b) La même branche axonique se divise
pour former deux terminaisons présynap-
tiques, l’une de plus grande taille que l’autre,
chacune contactant le soma de la cellule cible.
(c) Représentation d’une situation exception- (a)
nelle où une terminaison axonique de grande
taille englobe littéralement le soma de la cel-
lule sur laquelle elle s’articule. (d) La même
terminaison axonique contacte simultanément
Zones actives
5 éléments post-synaptiques différents. Notez
dans ce cas que les synapses les plus larges Axone
présentent plus de zones actives.

de type II (Fig. 5.8). Ces différences de structure sont supposées être en rapport


avec des différences de fonction. Les synapses de Gray de type I sont, en général,
considérées comme excitatrices, alors que les synapses de Gray de type II sont
plutôt considérées comme inhibitrices.
Jonction neuromusculaire.  Des jonctions synaptiques existent également en
dehors du cerveau et de la moelle épinière. Par exemple, les axones du système
nerveux autonome innervent les glandes, les muscles lisses et le cœur. Il existe
aussi des synapses chimiques entre les axones des neurones moteurs de la moelle
épinière et les muscles squelettiques. Ce type de synapse est dénommé jonction
neuromusculaire et possède de nombreux aspects structuraux de l’ensemble des
synapses chimiques du SNC (Fig. 5.9).
5 – Transmission synaptique 115

Figure 5.8 – Représentation schématique des


deux types principaux de différenciations
synaptiques membranaires du système ner­
veux central.
(a) Les synapses de Gray de type I sont Différenciation
­asymétriques et habituellement excitatrices. membranaire Différenciation
asymétrique membranaire
(b) Les synapses de Gray de type II sont
(a) (b) symétrique
symétriques et en général inhibitrices.

Motoneurone

Fibres musculaires

Gaine de myéline

Axone

Jonction neuromusculaire

Vésicules
synaptiques

Zone active

Espace synaptique
Récepteurs
Appareil
sous-neural

Fibre musculaire
Terminaisons axoniques Région des plaques motrices post-synaptique
(éléments présynaptiques) (éléments post-synaptiques)

Figure 5.9 – Jonction neuromusculaire.
A la jonction entre le nerf et le muscle, la membrane post-synaptique, encore dénommée
plaque motrice, est organisée en de nombreux replis formant un appareil sous-neural où
sont situés les très nombreux récepteurs de l’acétylcholine.
116 1 – Bases cellulaires

Encadré 5.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Pour l’amour des épines dendritiques


Par Kristen M. Harris

La première fois que j’ai réalisé une importée de Norvège, alors qu’il partait
observation au microscope, ce fut pour y d’Harvard pour rejoindre la nouvelle école
voir une épine dendritique. C’était magni- de médecine de Rootstown dans l’Ohio. Je
fique pour une première observation, et cet fus complètement extasiée par les possibili-
amour pour les épines dendritiques ne m’a tés extraordinaires que m’apportait cette
plus quitté depuis. À l’époque, j’étais étu- nouvelle méthode utilisant les sections
diante en neurosciences à l’Université d’Illi- d’hippocampe. Et j’ai tenté de mettre au
nois et c’était dans ce domaine vraiment point une méthode de coloration utilisant
une période fantastique. Je me souviens du l’imprégnation argentique de ces coupes
congrès annuel de la Society for Neuroscience Kristen M. Harris fraîches pour terminer ma thèse de PhD
en 1979, rassemblant près de 5 000 partici- avec Teyler. Cette fois je ne commis pas la
pants (aujourd’hui, environ 25 000…), et même erreur, je préparai les coupes jusqu’à
du numéro de membre qui m’a été attribué à l’époque (et leur observation immédiate. Comme cela apparaît sur la
que j’ai toujours) : le numéro 2 500 ! figure A, visualiser les épines était un ravissement !
Mon projet était de découvrir comment se présen- Malencontreusement, la résolution du microscope
tait une épine dendritique issue d’un cerveau « qui avait optique ne permettait pas d’observer la forme et le
appris », en entraînant des animaux à apprendre, puis nombre de ces épines.
en utilisant la coloration de Golgi pour quantifier les Après ma thèse je me souviens d’avoir parlé de mon
changements potentiels d’épines dendritiques tant en parcours lors d’une école d’été réputée, qui s’est tenue
termes quantitatifs que sur le plan de leur forme. Avec au laboratoire de biologie marine de Woods Hole,
enthousiasme, j’ai préparé les cerveaux d’un grand Massachusetts. Au cours de cette session, j’ai été initiée
nombre de rats en réalisant des coupes histologiques de aux méthodes de reconstitution permettant une analyse
cerveaux entiers, en les traitant par imprégnation argen- tridimensionnelle à partir d’une observation au micros-
tique, puis en les stockant sous butanol. J’ai ensuite cope électronique (3DEM). J’ai été littéralement harpo-
engagé plusieurs étudiants pour monter ces coupes et nnée par cette méthode qui permettait de reconstruire le
les observer au microscope. À notre grand désespoir, détail des dendrites, des axones ou encore des cellules
plusieurs mois après cette étape préparatoire, nous gliales ; et pas seulement de compter et de mesurer les
avons constaté qu’il ne restait plus de dépôt argentique, épines dendritiques. Les observations permettaient aussi
entraînant la fin prématurée et inéluctable de ce si beau de voir comment se forment les synapses et comment les
projet. cellules gliales y contribuent (Fig. B). Objectivement la
C’est alors que j’ai eu la chance de rencontrer le plateforme 3DEM offrait des possibilités considérables.
Professeur Timothy Teyler alors que j’assistais à une Depuis ce temps, ma vie continue d’être centrée sur les
Gordon Research Conference. Il venait de développer processus à la base du développement et de la plasticité
aux États-Unis une méthode d’étude basée sur l’utilisa- des synapses en rapport avec l’apprentissage et la
tion de coupes d’hippocampes de rat in vitro, qu’il avait mémoire.

Terminaison
axonique
Épine dendritique
Rat adulte Cellule
Dendrites gliale Vésicule
Densité
Soma post-synaptique
Épine
du neurone Dendrite dendritique
Axones Axone
Cellule gliale
Dendrites Épine

Mitochondrie
Coloration de Golgi (Harris, 1980) 1 micron

Figure A Figure B
5 – Transmission synaptique 117

Encadré 5.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Plus tôt dans ma carrière, alors que la biologie molé- (plasticité au cours de la mémorisation, par exemple), ou
culaire révolutionnait notre approche du cerveau, je fus encore en rapport avec le développement de pathologies
l’une des rares personnes à poursuivre mes travaux utili- neurologiques ou psychiatriques touchant jusqu’à
sant la 3DEM. De fait, avec la possibilité d’accéder au ­l’essence même de ce qui fait l’homme.
niveau moléculaire, chacun s’est attaché à tenter de com-
Représentation tridimentionnelle (3DEM)
prendre comment ces molécules agissent au travers des d’une dendrite avec synapse (en rouge)
organites intracellulaires, y compris dans les dendrites et et ses organelles
les épines, et la 3DEM fut dès lors mise au service de la
description de l’organisation des synapses. Ces possibili-
tés de reconstruction 3D ont suscité l’intérêt de nom-
breux biologistes et neurobiologistes. L’automatisation
des quantifications y a beaucoup contribué. Par exemple,
la figure C illustre une observation récente utilisant des
colorations imagées de diverses organelles liées à la
transmission synaptique au cours du développement.
Les perspectives de ces travaux sont dès lors centrées sur
la compréhension des mécanismes du changement de la
structure des synapses dans les conditions fonctionnelles Figure C

La transmission synaptique neuromusculaire est rapide et fiable. Normalement,


un potentiel d’action dans l’axone moteur déclenche toujours un potentiel
­d’action dans la cellule musculaire qu’il innerve. Cette fiabilité vient en partie
des spécialisations structurales de la jonction neuromusculaire, qui, par sa taille,
est l’une des plus importantes du système nerveux. Par exemple, la membrane
synaptique contient un grand nombre de zones actives. De plus, à ce niveau la
membrane post-synaptique, appelée aussi plaque motrice, contient une série de
replis profonds. Les zones actives présynaptiques correspondent précisément à
ces diffé­renciations, la membrane post-synaptique des plaques motrices com-
portant ­localement de très nombreux récepteurs aux neurotransmetteurs. Ces
caractéristiques font que de nombreuses molécules de neurotransmetteurs sont
focalement libérées sur une large surface de membrane chémoréceptrice.
C’est essentiellement l’étude des synapses neuromusculaires, plus accessibles
que les synapses du SNC, qui a permis de progresser dans la connaissance des
mécanismes de la transmission synaptique. Mais, globalement, la connaissance
des jonctions neuromusculaires est par elle-même d’une grande importance :
c’est à ce niveau que certaines maladies, des médicaments, ou encore des poi-
sons agissent pour avoir des effets directs sur les fonctions vitales de l’organisme.

Principes de la transmission
synaptique chimique
Les mécanismes de la transmission synaptique chimique sont complexes. Les
opérations peuvent être décrites en différentes étapes : tout d’abord, les neu-
rotransmetteurs doivent être synthétisés et incorporés dans les vésicules synap-
tiques, puis les vésicules doivent déverser leur contenu dans l’espace synaptique
en réponse à un potentiel d’action présynaptique pour permettre la réponse
électrique ou biochimique du neurone post-synaptique au neurotransmetteur.
Enfin, un mécanisme procède à l’élimination du neurotransmetteur de l’espace
synaptique. Pour être efficace dans la sensation, la perception et le contrôle du
mouvement, il est par ailleurs nécessaire de considérer que toutes ces actions
doivent être effectuées très rapidement. Il n’est donc pas étonnant que les physio-
118 1 – Bases cellulaires

logistes aient eu quelque doute, au début, sur l’existence de synapses chimiques


dans le cerveau !
Après plusieurs décennies de recherche dans ce domaine, les différents aspects
de la transmission synaptique commencent à livrer leurs secrets. Ce chapitre pré-
sente les principes de base de la transmission synaptique, le chapitre 6, quant à
lui, étudie de façon plus détaillée les neurotransmetteurs et leurs modes d’action
post-synaptiques.

Neurotransmetteurs
Depuis la découverte de la transmission synaptique chimique, la recherche
s’est attachée à identifier les neurotransmetteurs présents dans le cerveau. Il
semble que la plupart des neurotransmetteurs se rattachent à une des trois caté-
gories chimiques suivantes : (1) les acides aminés, (2) les amines, (3) les peptides
(Tab. 5.1). La figure 5.10 en montre quelques exemples. Les neurotransmetteurs
appartenant au groupe des acides aminés et des amines représentent tous de
petites molécules organiques, contenant au moins un atome d’azote ; ils sont
stockés dans et libérés par les vésicules synaptiques. Les neurotransmetteurs
peptidiques représentent des molécules de taille plus importante, qui sont stoc-
kées dans et libérées par les granules de sécrétion. Comme mentionné ci-dessus,
les granules de sécrétion et les vésicules synaptiques sont fréquemment obser-
vés dans les mêmes terminaisons axoniques. En conséquence, très souvent des
neuropeptides sont trouvés dans les mêmes terminaisons axoniques que celles
contenant des amines ou des acides aminés jouant le rôle de neurotransmetteur.
On verra plus loin que ces différents neurotransmetteurs, éventuellement pré-
sents dans les mêmes terminaisons nerveuses, sont libérés dans des conditions
différentes.

Tableau 5.1 – Principaux neurotransmetteurs.1

Acides aminés Amines Peptides


Acide γ-aminobutyrique (GABA) Acétylcholine (ACh) Cholécystokinine (CCK)
Glutamate (Glu) Dopamine (DA) Dynorphine
Glycine (Gly) Adrénaline Enképhalines (Enk)
Histamine N-acétylaspartyl-glutamate (NAAG)
Noradrénaline (NA) Neuropeptide Y
Sérotonine (5-HT)1 Somatostatine
Substance P
Hormone thyréotrope
Polypeptide intestinal vasoactif
(VIP)

Ainsi, différentes populations de neurones du système nerveux sécrètent des


neurotransmetteurs différents. La vitesse de la transmission synaptique varie
considérablement, selon ces populations. Les synapses les plus rapides fonc-
tionnent sur la base d’une transmission de signal en 10 à 100 ms. Les média-
teurs de la transmission synaptique rapide sont représentés par des acides ami-
nés, tels que le glutamate (Glu), l’acide γ-aminobutyrique (GABA) ou la glycine.
L’acétylcholine (ACh) est le neurotransmetteur de la transmission synaptique
rapide des jonctions neuromusculaires. Les formes plus lentes de la transmission
synaptique peuvent durer de quelques centaines de millisecondes à la minute.
Elles peuvent concerner le SNC et le système nerveux périphérique impliquant
des neurotransmetteurs appartenant aux trois catégories.

1.  NdT : la sérotonine est aussi dénommée 5-hydroxytryptamine, d’où l’abréviation


5-HT.
5 – Transmission synaptique 119

COOH COOH Figure 5.10 – Quelques exemples des prin­


cipaux neurotransmetteurs.
CH2 CH2
(a) Les acides aminés : le glutamate (Glu),
CH2 CH2 le GABA et la glycine (Gly) ; (b) les amines :
l’acétylcholine (ACh) et la noradrénaline (NA) ;
NH2 CH COOH NH2 CH NH2 CH2 COOH
(c) les neuropeptides : la substance P.

(a) Glu GABA Gly

HO
O CH3 OH
CH3 C O CH2 CH2 N+ CH3 HO CH CH2 NH2
CH3

(b) ACh NE

Carbone

Oxygène

Azote
Hydrogène

Arg Pro Lys Pro Gln Gln Phe Phe Gly Leu Met Sulfure

(c) Substance P

Biosynthèse et stockage des neurotransmetteurs


La transmission synaptique chimique nécessite la synthèse et la libération de
neurotransmetteurs prêts à l’emploi. La synthèse des neurotransmetteurs s’ef-
fectue de différentes façons. Par exemple, le glutamate et la glycine font partie
des 20 acides aminés intervenant dans la synthèse des protéines (voir Fig. 3.4b) ;
ces acides aminés se trouvent donc abondamment représentés dans toutes les
cellules du corps, y compris le neurone. En revanche, le GABA et les amines ne
sont produits que dans des neurones particuliers, par lesquels ils sont libérés. Ces
neurones contiennent des enzymes spécifiques qui synthétisent les neurotrans-
metteurs à partir de précurseurs métaboliques variés. Les enzymes impliquées
dans la biosynthèse des acides aminés et des amines sont transportées dans la
terminaison axonique, où s’opère la synthèse rapide du neurotransmetteur.
Lorsque la synthèse est terminée dans le cytosol de la terminaison axonique,
les acides aminés et les amines doivent être incorporés dans les vésicules synap-
tiques. C’est aux transporteurs, représentés par des protéines particulières de la
membrane des vésicules synaptiques, que revient la charge de procéder à l’incor-
poration des neurotransmetteurs dans les vésicules.
La synthèse et le stockage des peptides dans les granules de sécrétion se font
très différemment. Dans les chapitres 2 et 3, on a vu que les peptides sont ­formés
à partir d’acides aminés assemblés par les ribosomes, présents dans le corps cellu-
laire. La synthèse des neurotransmetteurs peptidiques s’opère dans le RE rugueux.
Généralement, les peptides synthétisés dans le RE rugueux sont clivés dans l’ap-
pareil de Golgi, pour libérer le neurotransmetteur actif. Les ­granules de sécrétion
contenant les neuropeptides, issus de l’appareil de Golgi, sont transportés jusqu’à
la terminaison axonique par le transport axoplasmique. La figure 5.11 présente
une comparaison des mécanismes impliqués dans la s­ ynthèse et le stockage des
acides aminés et des amines d’une part, avec ceux des neuropeptides, d’autre part.
120 1 – Bases cellulaires

Peptide Vésicules
précurseur Neuropeptide actif synaptiques
(propeptide) (neurotransmetteur)

Noyau 3 4
1 2

Granules
Ribosome de sécrétion
Appareil de Golgi
Reticulum
endoplasmique Molécule
rugueux précurseur
(a) 1 Enzyme
de biosynthèse
Molécule
de neurotransmetteur
Transporteur
2
vésiculaire
Vésicule
synaptique

(b)

Figure 5.11 – Synthèse et stockage de différents neurotransmetteurs.


(a) Neuropeptides : ① un peptide précurseur (propeptide) est synthétisé dans le reticulum
endoplasmique rugueux ; ② le peptide précurseur est clivé dans l’appareil de Golgi où est produit
le neuropeptide actif ; ③ les granules de sécrétion contenant le peptide actif émergent de l’appareil
de Golgi ; ④ ces granules de sécrétion sont transportés le long de l’axone jusqu’aux terminaisons
nerveuses où le neuropeptide est stocké. (b) Amines et acides aminés : ① c’est à l’intérieur du
cytosol de la terminaison nerveuse que des enzymes synthétisent les neurotransmetteurs à partir
de molécules précurseurs représentant des substrats pour ces enzymes ; ② des transporteurs
localisés dans la paroi des vésicules synaptiques (transporteur vésiculaire) incorporent le neuro­
transmetteur dans les vésicules où il est stocké.

Libération des neurotransmetteurs


En se propageant dans la terminaison axonique, le potentiel d’action
déclenche la libération des neurotransmetteurs par la terminaison nerveuse. La
dépolarisation de la membrane des terminaisons nerveuses provoque l’ouverture
des canaux calciques dépendants du potentiel des zones actives. Ces canaux sont
très semblables aux canaux sodiques présentés dans le chapitre 4, si ce n’est qu’ils
sont perméables aux ions Ca2+ au lieu des ions Na+. Une force électromotrice
importante s’exerce sur les ions Ca2+, la concentration ionique interne du cal-
cium, [Ca2+]i, étant très basse au repos, 0,0002 mM seulement. Les ions Ca2+
vont donc pénétrer dans la terminaison axonique aussi longtemps que les canaux
calciques sont ouverts ; il en résulte une élévation de la concentration interne
du calcium [Ca2+]i, qui constitue un signal pour que les vésicules synaptiques
libèrent les neurotransmetteurs.
Les vésicules libèrent leur contenu par un processus dénommé exocytose. La
membrane de la vésicule synaptique fusionne avec la membrane présynaptique
de la zone active, laissant ainsi le contenu de la vésicule se déverser dans l’espace
synaptique (Fig. 5.12). L’étude de la synapse géante de calmar a montré que l’exo-
cytose est un processus extrêmement rapide. Elle s’effectue dans les 0,2 ms après
l’influx des ions Ca2+ dans la terminaison. Les synapses de mammifères, opérant
à une température plus élevée que celle des calmars, peuvent fonctionner encore
plus rapidement. L’exocytose est rapide parce que les ions Ca2+ pénètrent dans
la zone active, précisément à l’endroit où les vésicules synaptiques sont prêtes à
libérer leur contenu. Dans ce « microdomaine » localisé autour de la zone active,
la concentration du calcium peut être très élevée (supérieure à 0,01 mM).
5 – Transmission synaptique 121

Présynaptique

Vésicules 4
1
synaptiques

3 Figure 5.12 – Libération synaptique du neu­


rotransmetteur par exocytose.
2 Zone active
① Les vésicules synaptiques chargées de
Fente neurotransmetteur, en réponse ② à une
synaptique entrée de calcium Ca2+ dans la terminaison
nerveuse à travers des canaux dépendants
du potentiel de membrane, ③ libèrent leur
contenu dans l’espace synaptique par fusion
Canal calcique Molécules de de la membrane des vésicules avec celle de
dépendant neurotransmetteur
la membrane basale de l’élément présynap-
du voltage
Post-synaptique tique. ④ La vésicule synaptique peut être
recyclée pour être à nouveau utilisée.

Les mécanismes par lesquels l’élévation de [Ca2+]i stimule l’exocytose sont


encore mal connus mais ils font l’objet d’intenses investigations. La rapidité
de libération des neurotransmetteurs laisse penser que les vésicules concernées
sont celles qui sont déjà « arrimées » aux zones actives de la synapse. L’arrimage
(docking) implique probablement des interactions entre les protéines de la
membrane de la vésicule synaptique et celles de la zone active (Encadré 5.3).
En présence d’une concentration élevée d’ions [Ca2+]i, ces protéines changent
de conformation, de sorte que les bicouches de lipides de la membrane de la
vésicule et de la membrane présynaptique fusionnent et forment un pore, qui
laisse passer le neurotransmetteur dans l’espace synaptique. Ce processus se
poursuit jusqu’à ce que la totalité de la membrane de la vésicule soit totale-
ment incorporée dans la membrane basale de la terminaison (Fig. 5.13). Par la
suite, la membrane de la vésicule est restituée dans le cytoplasme par un pro-
cessus dénommé endocytose ; la vésicule recyclée étant à nouveau disponible
pour incorporer les neurotransmetteurs (Fig. 5.12). Dans les périodes d’intense
stimulation, d’autres vésicules prises dans une « réserve » liée au cytosquelette
de la terminaison axonale peuvent intervenir. C’est encore l’élévation de Ca2+
intracellulaire qui déclenche la mobilisation de ces vésicules, ainsi que leur arri-
mage aux zones actives.

Encadré 5.3 BASES THÉORIQUES

Théorie du complexe « SNARE » et libération des neurotransmetteurs


Les levures sont des micro-­organismes bien connus plies de neurotransmetteurs au bon endroit de la
pour contribuer à faire lever la pâte à pain et fermenter membrane présynaptique, puis de faire que leur fusion
le jus de raisin. De façon tout à fait remarquable, ces avec la membrane plasmique intervienne juste au bon
humbles levures présentent des caractéristiques com- moment, lorsque le potentiel d’action entraîne une
munes aux synapses du système nerveux des mam- entrée massive de Ca2+ dans le cytosol. Cette exocytose
mifères. Des travaux récents montrent que les protéines n’est qu’un cas particulier d’un processus plus général
qui contrôlent les processus de sécrétion chez les levures qui relève des échanges membranaires. Les cellules pos-
et les synapses sont assez similaires. Apparemment, ces sèdent plusieurs types de membranes, incluant celles qui
protéines sont tellement importantes qu’elles ont été entourent la cellule elle-même mais aussi le noyau, le
conservées tout au long d’un milliard d’années d’évolu- reticulum endoplasmique, l’appareil de Golgi et diffé-
tion et qu’elles sont présentes dans toutes les cellules rents types de vésicules. Pour éviter le chaos, chacune de
eucaryotes. ces membranes doit être adressée à des sites spécifiques
L’enjeu de la signalisation synaptique rapide est de de la cellule et, en général, il est possible d’observer par
délivrer en temps voulu les vésicules synaptiques rem- endroit des processus de fusion entre ces différentes
122 1 – Bases cellulaires

Encadré 5.3 BASES THÉORIQUES  (suite)

membranes. C’est là qu’une machinerie moléculaire Neurotransmetteur Synaptotagmine


commune est supposée intervenir pour la production et Vésicule
l’adressage de toutes ces membranes, de toutes petites
différences intervenant alors pour préciser où et quand
telle ou telle membrane doit intervenir.
Les processus d’association et de fusion des
membranes entre elles paraissent dépendre des protéines Membrane
t-SNARES vésiculaire v-SNARE
de la famille SNARE, qui ont été initialement caracté­
risées chez la levure. SNARE est un acronyme trop
­complexe pour le définir ici mais il désigne aujourd’hui
parfaitement la fonction de ces protéines et on parle
maintenant communément de « complexe SNARE »,
qui permet à une membrane de s’associer à une autre.
Chacun des peptides de cette famille présente une partie Membrane de Canal
l’élément présynaptique calcique
terminale hydrophobe qui favorise son insertion dans la
membrane et une longue queue hydrophile, tournée vers
le cytosol. Les vésicules présentent des protéines dites
« v-SNAREs » (« v » pour « vésiculaires ») et les mem­
branes externes, plasmiques notamment dans le cas de
l’exocytose, des protéines « t-SNAREs » (« t » pour
target, c’est-à-dire « cible »). Les parties cytoplasmiques
de ces deux types de protéines SNARE ont la particula-
rité d’être complémentaires et ainsi d’avoir une forte
affinité les unes pour les autres, ce qui permet aux vési-
cules de s’associer aux membranes dans un processus
d’arrimage que l’on dénomme le docking. Ainsi les vési-
cules synaptiques peuvent-elles s’associer étroitement à
la membrane présynaptique du neurone (Fig. A).
Bien que les complexes SNARE soient à la base de
l’association des vésicules synaptiques avec les membranes
cibles, il existe un nombre absolument considérable
d’autres protéines qui viennent interagir avec cette sorte
d’épingle de fixation. Les fonctions de la plupart d’entre
elles restent aujourd’hui encore inconnues. Cependant,
parmi elles, la synaptotagmine, une protéine vésiculaire,
pourrait représenter le « senseur de Ca2+ » et être à l’ori-
gine de la fusion rapide de la vésicule et, par conséquent,
de la libération du neurotransmetteur. Du côté de la
membrane présynaptique, les canaux calciques eux-
Figure A – Le complexe SNARE et la fusion des vésicules synap­
mêmes pourraient faire partie du système de docking.
tiques.
Ainsi, en plaçant les vésicules synaptiques à proximité « SNARE » est mis ici pour SNAP receptor (récepteur SNAP) ; « SNAP »
immédiate de ces canaux calciques, l’influx de Ca2+ peut quant à lui signifie NSF attachment protein (protéine impliquée dans
déclencher la libération du neurotransmetteur à une l’attachement des NSF) ; « NSF » signifie N-ethylmaleimide-sensitive
vitesse étonnamment rapide, environ dans les 60 µs dans factor (facteur sensible à la N-éthylmaléimide). Les noms des ­protéines
le système nerveux des mammifères, à la température du impliquées dans ces processus sont ainsi comme des « poupées
corps. Le cerveau présente par ailleurs toute une série de russes », avec un nom en cachant un autre, qui en cache un autre, qui
synaptotagmines dont l’une est spécialisée dans les pro- en cache un autre, etc.
cessus de transmission synaptique ultrarapide.
Il y a encore du chemin à faire avant que nous com-
prenions avec précision le rôle de chacune des protéines
impliquées dans la neurotransmission. Dans l’intervalle,
nous pouvons cependant compter encore sur les levures
pour nous donner du bon pain et du bon vin pour nous
aider à réfléchir…
5 – Transmission synaptique 123

Figure 5.13 – Visualisation de la libération
des neurotransmetteurs par l’élément pré­
synaptique, à partir de la région post-synap­
tique.
(a) Cette microphotographie représente la sur-
face extracellulaire de la terminaison nerveuse,
Canaux
calciques au niveau de la zone active de la jonction neu-
(présumés) romusculaire de la grenouille. (b) Dans cette
vue, l’élément présynaptique a été stimulé de
façon à déclencher la libération du neurotrans-
metteur. Les pores représentent les régions de
fusion de la membrane des vésicules synap-
tiques avec la membrane de la terminaison
(a) nerveuse sous l’effet de l’exocytose, là où le
neurotransmetteur a été libéré. (Source : Heu-
ser et Reese, 1973.)

Pore de fusion
des vésicules
synaptiques
(exocytose)

(b)

Les granules de stockage libèrent aussi des neuropeptides par exocytose,


de façon dépendante du calcium mais, de manière caractéristique, pas dans les
zones actives. Étant donné que les sites d’exocytose sont dans ce cas éloignés des
sites d’entrée des ions Ca2+, il n’y a pas, généralement, de neuropeptides libérés
par chaque potentiel d’action se propageant dans la terminaison. Au contraire, la
libération des neuropeptides nécessite des trains de potentiels d’action à haute fré-
quence, de telle sorte que la [Ca2+]i dans la terminaison s’élève jusqu’à un niveau
suffisant pour déclencher la libération hors des zones actives. Contrairement à la
libération rapide des acides aminés et des amines, la libération des neuropeptides
constitue un processus plus lent, qui demande 50 ms ou plus.
Membrane
Récepteurs des neurotransmetteurs et leurs effecteurs
Les neurotransmetteurs libérés dans l’espace synaptique agissent sur le neu-
rone post-synaptique en se fixant à des milliers de récepteurs protéiques spéci- Cytoplasme
fiques, enchâssés dans la densité post-synaptique. La fixation du neurotransmet-
teur au récepteur est comme une clé dans une serrure ; elle entraîne un changement (a)
de conformation de la protéine. Bien qu’il y ait beaucoup plus de 100 types de
récepteurs différents connus, ces récepteurs peuvent être classés en deux grandes
catégories : les récepteurs-canaux, et les récepteurs couplés aux protéines G.
Récepteurs-canaux. Les canaux ioniques contrôlés par les neurotransmet-
teurs représentent des protéines transmembranaires formées de quatre ou cinq
sous-unités, qui se regroupent en formant un pore (Fig. 5.14). En l’absence des
neurotransmetteurs, le pore est généralement fermé. Lorsque le neurotransmet-
teur se fixe à des sites spécifiques sur la partie extracellulaire du canal, il pro-
voque un changement de conformation — une légère torsion des sous-unités —
qui, en quelques microsecondes, provoque l’ouverture du pore2. La nature des
ions qui transitent au travers du pore détermine la fonction du récepteur. (b)

Figure 5.14 – Structure d’un récepteur-canal.


2.  NdT : un tel changement conformationnel correspond à un mécanisme qualifié
(a) Représentation schématique en vue laté-
« d’allo­stérique ». Dans ce cas, l’ouverture du pore conduit en règle générale à une
rale d’un récepteur cholinergique nicotinique.
moindre stabilité de la protéine, nécessitant une force énergétique plus importante pour
(b) Représentation de dessus montrant le
la maintenir. Cette instabilité de la protéine va être à l’origine de la fermeture spontanée
pore au centre des cinq sous-unités.
et rapide des canaux, y compris en présence du neurotransmetteur.
124 1 – Bases cellulaires

Les canaux ioniques dépendants des neurotransmetteurs n’ont pas le même


degré de sélectivité ionique que les canaux sensibles au potentiel. Par exemple,
les canaux ioniques sensibles à l’ACh des jonctions neuromusculaires sont per-
méables aux ions Na+ et K+. Néanmoins, en règle générale si les canaux ouverts
sont perméables aux ions Na+, l’effet exact sera la dépolarisation de la cellule
post-synaptique depuis le potentiel de repos de la membrane (Encadré 5.4). Cet
effet, qui tend à amener le potentiel membranaire au seuil pour générer des poten-
tiels d’action, est dit excitateur. La dépolarisation transitoire de la membrane
post-synaptique causée par la libération présynaptique de neurotransmetteur est
désignée sous le nom de potentiel post-synaptique excitateur (PPSE) (Fig. 5.15).
C’est l’activation synaptique des canaux ioniques liés à l’ACh et au glutamate
qui provoque les PPSE.

Encadré 5.4 BASES THÉORIQUES

Potentiels d’inversion
Nous avons vu dans le chapitre 4 que lorsque les
À des valeurs positives
canaux sodiques sensibles au potentiel de la membrane du potentiel de membrane,
s’ouvrent durant le potentiel d’action, les ions Na+ l’ACh induit un courant sortant
pénètrent dans la cellule, entraînant la dépolarisation
rapide de la membrane vers le potentiel d’équilibre du
Extérieur
sodium, ENa, d’environ 40 mV. À l’inverse des canaux Courant
sensibles au potentiel, toutefois, de nombreux canaux membranaire
ioniques associés aux récepteurs des neurotransmet-
teurs sont perméables à plusieurs types d’ions. Par
exemple, les canaux associés aux récepteurs de l’ACh Potentiel
Tracé de la courbe
de membrane
des jonctions neuromusculaires, sont perméables aux I-V traduisant
ions Na+ et K+. l’action de l’ACh

Comme nous l’avons vu par ailleurs dans le cha-


– 60 mV 60 mV
pitre 3, l’équation de Goldman permet de calculer le
potentiel membranaire Vm, en tenant compte de la per- Potentiel d’inversion
méabilité relative de la membrane aux différents ions
(voir Encadré 3.3). Si la membrane était autant per-
méable aux ions Na+ que K+, ce qui pourrait arriver si les
canaux sensibles à l’ACh étaient ouverts, alors Vm aurait
une valeur se situant entre ENa et EK, autour de 0 mV. Intérieur
Par conséquent, le courant ionique passerait à travers ces
canaux en rapprochant le potentiel membranaire de
À des valeurs négatives
0 mV. Si le potentiel membranaire était < 0 mV avant la du potentiel de membrane,
fixation de l’ACh, ce qui se trouve être le plus souvent le l’ACh induit un courant entrant
cas, le flux net du courant à travers les canaux ioniques
associés à l’ACh se ferait vers l’intérieur, en entraînant Figure A
une dépolarisation. Cependant, si le potentiel membra-
naire était > 0 mV avant que la fixation de l’ACh sur ses
récepteurs n’intervienne, le flux net du courant transitant Les neurotransmetteurs qui, en modifiant la perméa-
à travers les canaux ioniques associés à l’ACh s’effectue- bilité relative de la membrane, poussent Vm à prendre
rait vers l’extérieur et le potentiel membranaire devien- une valeur supérieure au seuil du potentiel d’action, ont
drait moins positif. Il est possible d’établir la relation un effet excitateur. Généralement, les neurotransmet-
existant entre le courant ionique et le potentiel membra- teurs qui contrôlent l’ouverture d’un canal perméable
naire, comme le montre la figure A. Cette courbe s’ap- aux ions Na+ sont excitateurs. Les neurotransmetteurs
pelle un tracé I-V (I : courant ; V : voltage). La valeur du qui amènent Vm vers une valeur inférieure au seuil du
potentiel membranaire pour laquelle le flux du courant potentiel d’action ont un effet inhibiteur. Les neu-
s’inverse s’appelle le potentiel d’inversion. Dans ce cas, le rotransmetteurs qui contrôlent l’ouverture d’un canal
potentiel d’inversion serait de 0 mV. La détermination perméable aux ions Cl– sont inhibiteurs, comme le sont
expérimentale d’un potentiel d’inversion peut donc révé- les neurotransmetteurs qui ouvrent un canal sélective-
ler la perméabilité sélective de la membrane. ment perméable aux ions K+.
5 – Transmission synaptique 125

Influx nerveux
Axone

Terminaison
(a) axonique

Dendrite
post-synaptique

Enregistrement
Molécules de neurotransmetteurs de Vm

Espace
synaptique
PPSE

Vm

Cytosol
– 65 mV

Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)

Figure 5.15 – Déclenchement d’un PPSE.


(a) L’arrivée de l’influx nerveux dans la terminaison axonique déclenche la libération du neurotransmetteur. (b) Le neurotransmetteur se fixe sur ses
récepteurs-canaux de la membrane post-­synaptique. Dans le cas où l’activation du récepteur induit une entrée de Na+, la membrane se dépolarise.
(c) La conséquence de cette dépolarisation est une variation du potentiel de membrane (Vm) appelée PPSE.

Si les canaux ioniques ouverts par les neurotransmetteurs sont perméables


aux ions Cl–, l’effet sera l’hyperpolarisation de la cellule post-synaptique
depuis le potentiel de repos de la membrane (car le potentiel d’équilibre du
chlore est négatif ; voir chapitre 3). Cet effet, qui tend à éloigner le potentiel
membranaire du seuil de déclenchement des potentiels d’action, est dit inhibi-
teur. L’hyperpolarisation de la membrane post-synaptique causée par la libéra-
tion présynaptique de neurotransmetteurs est désignée sous le nom de potentiel
post-synaptique inhibiteur (PPSI) (Fig. 5.16). L’activation synaptique des récep-
teurs-canaux de la glycine et du GABA provoque des PPSIs. Ces processus de
PPSE et de PPSI seront analysés plus en détail, lorsque nous aborderons plus
loin les principes de l’intégration synaptique.
Récepteurs couplés aux protéines G. Les médiateurs de la transmission
synaptique chimique rapide sont des acides aminés et des amines agissant sur
les canaux ioniques sensibles aux neurotransmetteurs. Cependant, les trois caté-
gories de neurotransmetteurs présentent aussi des effets post-synaptiques plus
lents, plus durables et beaucoup plus variés, impliquant des récepteurs couplés
aux protéines G. Ce type de transmission comporte trois phases :
1. les molécules de neurotransmetteur se fixent aux protéines du récepteur qui
se trouvent enchâssées dans la membrane post-synaptique ;
2. les protéines du récepteur activent de petites molécules protéiques, les pro­
téines G, qui se déplacent librement sur la face intracellulaire de la membrane
post-synaptique ;
3. les protéines G activent les protéines représentant les « effecteurs » de la
réponse du récepteur.
126 1 – Bases cellulaires

Influx nerveux
Axone

Terminaison
(a) axonique

Dendrite
post-synaptique

Enregistrement
Molécules de neurotransmetteur de Vm

Cl– Cl– Cl–


Espace
synaptique

PPSI
Vm

Cytosol

– 65 mV

Récepteurs-canaux 0 2 4 6 8
(b) (c) Temps écoulé à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)

Figure 5.16 – Déclenchement d’un PPSI.


(a) L’arrivée de l’influx nerveux dans la terminaison axonique déclenche la libération du neurotransmetteur. (b) Le neurotransmetteur se fixe sur ses
récepteurs de la membrane post-synaptique. Dans le cas où l’activation des récepteurs induit une entrée de Cl– dans la cellule, la membrane devient
hyperpolarisée. (c) La variation du potentiel de membrane correspondant à cette entrée de Cl–, enregistrée dans l’élément post-synaptique, représente
un PPSI.

Les protéines effectrices sont soit des canaux ioniques présents dans la
membrane et qui sont directement sensibles aux protéines G (Fig. 5.17a), soit
des enzymes assurant la synthèse de molécules particulières dénommées seconds
messagers qui diffusent plus loin dans le cytosol (Fig. 5.17b). Les seconds messa-
gers ont la possibilité d’activer d’autres enzymes du cytosol, qui peuvent réguler
le fonctionnement des canaux ioniques et modifier le métabolisme cellulaire. Les
récepteurs couplés aux protéines G jouant un rôle important dans le contrôle
du métabolisme, ils sont aussi désignés parfois sous le terme de récepteurs méta-
botropiques.
Le chapitre 6 étudie de façon détaillée les divers neurotransmetteurs, leurs
récepteurs et leurs effecteurs. Cependant, il faut savoir qu’un même neurotrans-
metteur peut avoir des effets synaptiques divers, selon les récepteurs auxquels
il est associé. L’effet de l’ACh sur le cœur et sur les muscles du squelette est un
exemple de cette diversité. L’ACh ralentit le rythme des contractions du cœur
en provoquant une lente hyperpolarisation des cellules du muscle cardiaque.
Au contraire, dans les muscles squelettiques l’ACh induit la contraction en
provoquant une dépolarisation rapide des fibres musculaires. Cette différence
s’explique par la nature des récepteurs mis en jeu. Dans le cœur, le récepteur à
l’ACh est associé à un canal potassique par l’intermédiaire d’une protéine G
et les fibres du muscle cardiaque sont hyperpolarisées par l’ouverture du canal
potassique. Dans les muscles squelettiques, le récepteur est en revanche un canal
ionique sensible à l’ACh perméable au Na+ et les fibres musculaires sont dépo-
larisées par l’entrée de sodium résultant de l’ouverture de ce canal.
5 – Transmission synaptique 127

Canal ionique activé


par une protéine G
Récepteur Neurotransmetteur Récepteur Neurotransmetteur
Enzyme

Protéine G Protéine G
Seconds
messagers

(a) (b)

Figure 5.17 – Action des neurotransmetteurs sur les récepteurs couplés aux protéines G.


La fixation du neurotransmetteur sur le récepteur conduit à l’activation des protéines G. L’activation de ces protéines G conduit secondairement à
­l’activation de protéines représentant des effecteurs cellulaires qui peuvent être soit des canaux ioniques (a), soit des enzymes qui génèrent la produc-
tion de seconds messagers (b).

Autorécepteurs. En dehors de leur localisation au niveau de la densité


synaptique de l’élément post-synaptique, les récepteurs sont souvent situés aussi
dans la membrane de la terminaison axonale de l’élément présynaptique. Les
récepteurs présynaptiques sensibles aux neurotransmetteurs libérés par la ter-
minaison présynaptique sont dénommés autorécepteurs. Ce sont essentiellement
des récepteurs couplés aux protéines G qui stimulent la production de seconds
messagers. Les conséquences de l’activation de ces récepteurs sont variables mais
l’effet le plus fréquent est l’inhibition de la libération et, dans certains cas, de la
synthèse des neurotransmetteurs. Il semble que ces autorécepteurs3 jouent le rôle
de systèmes de sécurité, en agissant pour freiner la libération du neurotransmet-
teur lorsque sa concentration est trop élevée dans l’espace synaptique.

Recyclage et inactivation synaptique


des neurotransmetteurs
Après que l’interaction entre le neurotransmetteur libéré et les récepteurs
synaptiques ait eu lieu, le neurotransmetteur doit être éliminé de l’espace synap-
tique pour rendre à nouveau possible la communication intercellulaire, en rapport
avec l’arrivée de nouveaux potentiels d’action. Cela peut se faire simplement par
la diffusion des molécules de neurotransmetteur hors de la synapse. Cependant,
pour la plupart des acides aminés et des amines, la diffusion est facilitée par la
réintégration du neurotransmetteur dans la terminaison axonique qui l’a libéré,
au niveau présynaptique. Cette incorporation du neurotransmetteur représente
un processus actif, s’effectuant à l’aide de transporteurs protéiques spécifiques
des neurotransmetteurs situés dans la membrane présynaptique. Parvenus dans
le cytosol de la terminaison, les neurotransmetteurs sont soit détruits par des
enzymes, soit à nouveau incorporés dans les vésicules synaptiques pour être
réutilisés. D’autres transporteurs des neurotransmetteurs sont situés dans les
membranes des cellules gliales situées autour de la synapse, qui, de ce fait, contri-
buent également à l’élimination des neurotransmetteurs de l’espace synaptique4.

3.  NdT : cette notion d’autorécepteur est dans certains cas élargie à la présence de récep-
teurs situés sur la partie somatodendritique du neurone, lorsque celui-ci est à même de
libérer le neurotransmetteur à ce niveau par un mécanisme somatodendritique ou qu’il
existe des collatérales de l’axone formant localement des synapses avec les dendrites du
même neurone. L’effet de la mise en jeu de ces récepteurs est également compris comme
exerçant un rétrocontrôle inhibiteur sur l’activité neuronale.
4.  NdT : c’est notamment le cas pour les acides aminés excitateurs comme le glutamate,
qui est principalement éliminé de l’espace synaptique par l’action très efficace de diffé-
rents types de transporteurs situés sur les astrocytes associés à la synapse et/ou des trans-
porteurs neuronaux situés principalement dans la partie post-synaptique de la synapse.
128 1 – Bases cellulaires

Une destruction enzymatique des neurotransmetteurs dans l’espace synap-


tique lui-même peut aussi interrompre leur mécanisme d’action. C’est par
exemple le cas de l’inactivation de l’ACh à la jonction neuromusculaire. L’enzyme
acétylcholinestérase (AChE) est présente dans l’espace synaptique, au contact
des cellules musculaires. L’AChE détruit la molécule d’ACh, la rendant inactive
sur les récepteurs à l’ACh.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’élimination synaptique des neu-
rotransmetteurs. Dans les jonctions neuromusculaires, par exemple, l’exposition
persistante des récepteurs à de fortes concentrations d’ACh conduit en quelques
secondes à un processus dénommé désensibilisation, dans lequel, malgré la pré-
sence de l’ACh, les canaux sensibles au neurotransmetteur se ferment. Cet état
de désensibilisation peut persister plusieurs secondes, y compris après le retrait
du neurotransmetteur. La destruction rapide de l’ACh par l’AChE empêche
normalement cette désensibilisation de se produire. Cependant, si l’activité de
l’AChE est inhibée, par exemple par des gaz toxiques agissant sur le système
nerveux, les récepteurs de l’ACh seront inactivés par désensibilisation et la trans-
mission neuromusculaire ne pourra plus s’effectuer normalement.

Neuropharmacologie
Tous les aspects de la transmission synaptique étudiés ci-dessus — la syn-
thèse des neurotransmetteurs, leur stockage dans les vésicules synaptiques, l’exo-
cytose, la fixation des neurotransmetteurs sur leurs récepteurs et l’inactivation
des neurotransmetteurs — sont d’ordre chimique. Il est donc possible d’agir sur
ces mécanismes au moyen d’agents pharmacologiques, de médicaments ou de
toxines spécifiques (Encadré 5.5). La neuropharmacologie est la discipline qui
étudie l’effet de ces drogues5. sur le système nerveux.
Nous avons mentionné précédemment que certains gaz toxiques peuvent
interférer avec la transmission synaptique en inhibant l’activité de l’AChE de
la jonction neuromusculaire. Cette interférence est un des effets des drogues,
consistant à inhiber le fonctionnement normal de protéines spécifiques impli-
quées dans la transmission synaptique ; ces drogues sont qualifiées d’inhibiteurs.
Les inhibiteurs des récepteurs de neurotransmetteurs, appelés antagonistes des
récepteurs, se fixent sur les récepteurs et bloquent le mécanisme normal d’action
du neurotransmetteur. Le curare, par exemple, un poison traditionnellement uti-
lisé par les Indiens d’Amérique du Sud au bout d’une flèche pour paralyser leur
proie, représente un antagoniste de récepteurs. Il se fixe fortement aux récepteurs
de l’ACh présents sur les cellules des muscles squelettiques et bloque les effets de
l’ACh, empêchant ainsi la contraction musculaire.
D’autres agents pharmacologiques se lient aux récepteurs mais, au lieu de les
inhiber, ils imitent les effets des neurotransmetteurs synthétisés naturellement.
Ce sont les agonistes des récepteurs. La nicotine, un dérivé du tabac, en est un
exemple. La nicotine, en se liant aux récepteurs de l’ACh du muscle, entraîne leur
activation. C’est pourquoi les canaux ioniques du muscle sensibles à l’ACh sont
également dénommés récepteurs cholinergiques nicotiniques, pour les distinguer
des autres types de récepteurs à l’ACh, tels que ceux du cœur qui ne sont pas
sensibles à la nicotine6 Il existe aussi des récepteurs cholinergiques nicotiniques
au niveau du SNC. Ce sont d’ailleurs ceux qui sont impliqués dans les effets de
l’addiction et de la dépendance au tabac.
La complexité de la transmission synaptique la rend particulièrement prédis-
posée au corollaire médical de la loi de Murphy, qui dit que si un processus phy-
siologique peut se dérégler, il se déréglera. Lorsque la transmission synaptique
n’est pas correctement assurée, le système nerveux fonctionne mal. Des anoma-

5.  NdT : la notion de drogue est ici considérée au sens pharmacologique, c’est-à-dire d’un
agent pharmacologique actif et non au sens populaire qui associe la drogue à la toxico-
manie.
6.  NdT : cette seconde catégorie de récepteurs cholinergiques est sensible à un autre
agent, la muscarine ; de ce fait, cette deuxième catégorie de récepteurs est dénommée
récepteurs cholinergiques muscariniques.
5 – Transmission synaptique 129

Encadré 5.5 FOCUS

Les bactéries, les araignées, les serpents et vous…


Qu’y a-t-il de commun entre la bactérie Clostridium La morsure du cobra de Taiwan aussi bloque la
botulinum, l’araignée «  veuve noire  », le cobra et transmission neuromusculaire chez sa victime, mais par
l’homme ? Tous produisent des toxines qui s’attaquent à un autre mécanisme. L’un des composés actifs du venin
la transmission synaptique des jonctions neuromuscu- du serpent, l’α-bungarotoxine, est une molécule pepti-
laires. Une neurotoxine, la toxine botulinique, produite dique, qui se fixe fortement aux récepteurs nicotiniques
par le développement de C. botulinum dans des conserves post-synaptiques et empêche leur activation par l’ACh
impropres à la consommation, est à l’origine du botu- pendant plusieurs jours. Dès lors, le venin du cobra va
lisme (botulisme vient du latin botulus pour « saucisse » paralyser les muscles et en particulier les muscles respi-
car cette maladie a rapidement été associée à de la viande ratoires de sa victime2.
mal conservée). La toxine botulinique provoque un blo- Un grand nombre de substances chimiques suscep-
cage puissant de la transmission neuromusculaire : dix tibles d’empoisonner la transmission synaptique à la
molécules de cette toxine suffisent pour inhiber une jonction neuromusculaire ont par ailleurs été synthéti-
synapse cholinergique. La toxine botulinique perturbe sées par l’homme. Au départ, motivés par les recherches
probablement la libération de l’ACh sous l’effet du sur la guerre chimique, ces travaux ont abouti au déve-
­calcium, dans la jonction neuromusculaire. loppement d’un nouveau type de composés, les organo-
Les toxines botuliniques sont en fait des enzymes phosphorés. Ce sont des inhibiteurs irréversibles de l’en-
à activité peptidase, extrêmement spécifiques. Elles zyme AChE ; en empêchant la dégradation de l’ACh,
agissent pour inactiver certaines protéines du complexe ils tuent probablement leurs victimes en désensibilisant
SNARE dans les terminaisons synaptiques (voir les récepteurs de l’ACh. Les organophosphorés utilisés
Encadré 5.3). Ironiquement, cette action spécifique aujourd’hui comme insecticides, tel que le parathion, ne
en fait des outils précieux pour étudier l’exocytose des sont toxiques pour l’homme qu’à forte dose.
neurotransmetteurs1.
Bien que le mécanisme soit différent, le venin de la
« veuve noire » (Fig. A) est mortel car il affecte la libéra-
tion des neurotransmetteurs. L’action du venin poten-
tialise dans un premier temps puis supprime, la libéra-
tion de l’ACh à la jonction neuromusculaire. L’examen
au microscope électronique des synapses empoisonnées
par ce venin montre que les terminaisons de l’axone sont
dilatées et que les vésicules synaptiques sont absentes.
L’action du venin n’est pas encore bien comprise. Il
semble que la molécule protéique du venin s’associe à la
partie externe de la membrane présynaptique en for-
mant un pore. En laissant à la fois pénétrer dans la ter-
minaison les ions Na+ et Ca2+, ce pore contribue à la
dépolarisation de la membrane, entraînant rapidement
la déplétion en neurotransmetteurs. Dans certains cas, il
semble aussi que le venin puisse induire la libération
massive du neurotransmetteur sans passer par le cal- Figure A – Photographie d’une Veuve noire.
cium. (Source : Matthews, 1995, p. 174.)

1.  NdT : l’efficacité des toxines botuliniques pour inacti-


ver la jonction neuromusculaire a permis de proposer des
applications thérapeutiques. Ainsi, dans plusieurs types de
dystonies focales, comme la crampe de l’écrivain ou le blépha-
rospasme, l’injection locale de la toxine dans les muscles impli-
qués permet de réduire les contractures. Toutefois, la durée de 2.  NdT : l’α-bungarotoxine représente aussi un outil de
l’effet thérapeutique est limitée à quelques semaines, du fait choix pour l’étude des récepteurs nicotiniques. Cette toxine a
de processus compensatoires du blocage de la synapse, et de permis les premiers travaux ayant conduit à la caractérisation
nouvelles injections doivent être réalisées régulièrement pour des différentes sous-unités du récepteur, notamment par
prolonger l’effet thérapeutique. l’équipe de Jean-Pierre Changeux, à l’Institut Pasteur.
130 1 – Bases cellulaires

lies de la transmission synaptique sont ainsi vraisemblablement à l’origine d’un


grand nombre de troubles mentaux et neurologiques. Heureusement, grâce à
l’avancée des connaissances dans le domaine de la pharmacologie de la transmis-
sion synaptique, les médecins disposent aujourd’hui de nouveaux médicaments,
plus efficaces, pour traiter ces affections. L’origine cellulaire et synaptique de
certains troubles mentaux et les traitements neuropharmacologiques correspon-
dant seront étudiés dans le chapitre 22.

Principes de l’intégration
synaptique
La plupart des neurones du SNC ont la capacité de recevoir plus ou moins
simultanément des milliers d’informations synaptiques, qui activent différentes
combinaisons de récepteurs-canaux et de récepteurs couplés aux protéines G.
Le neurone post-synaptique intègre tous ces signaux complexes et génère un
signal simple : le potentiel d’action. La transformation de nombreux signaux
synaptiques de nature chimique ou électrique en un seul type d’énergie est à la
base de l’intégration de l’information neuronale, le cerveau effectuant des mil-
liards d’opérations à chaque seconde. Pour comprendre ce phénomène, il faut
alors tenter de rendre compte de certains principes de base de l’intégration des
informations synaptiques. L’intégration synaptique est le processus par lequel
de multiples potentiels d’action afférant au neurone se combinent dans un seul
neurone post-synaptique.

Intégration des potentiels post-synaptiques


d’excitation (PPSE)
La réponse post-synaptique la plus élémentaire est l’activation d’un seul
récepteur-canal (Fig. 5.18). Le courant entrant à travers les canaux ainsi ouverts
par l’action du neurotransmetteur dépolarise la membrane post-synaptique,
provoquant l’émergence de PPSE. Toutefois, dans chaque synapse se trouvent
de quelques dizaines à quelques milliers de récepteurs-canaux sensibles aux neu-
rotransmetteurs et non un seul ; le nombre de récepteurs activés au cours de la
transmission synaptique dépend alors de la quantité de neurotransmetteur libéré
par l’élément présynaptique.
Analyse quantique des PPSE.  La quantité minimale de neurotransmetteur
qui peut être libérée à chaque instant correspond au contenu d’une seule vésicule
synaptique. Chaque vésicule contient environ le même nombre de molécules de
transmetteur (plusieurs milliers) ; la quantité de neurotransmetteur libéré cor-
respond dès lors à un multiple de ce chiffre. En conséquence, l’amplitude du
PPSE post-synaptique est également un multiple de la réponse au contenu d’une
seule vésicule. En d’autres termes, dans une synapse donnée, les PPSE post-­
synaptiques résultent de l’action des multiples d’une unité indivisible, le quan-

Pas de courant
Sens du courant entrant

entrant Canaux fermés

Figure 5.18 – Enregistrement par la méthode


du patch-clamp de l’activité d’un canal
ionique déclenchée par un neurotransmet­
teur.
Les courants ioniques passent à travers le 20 ms
Canaux ouverts
canal lorsque celui-ci est ouvert. En présence
de neurotransmetteur, ces canaux alternent
d’un état ouvert à un état fermé. (Source :
Application de neurotransmetteur au niveau de la membrane
adapté de Neher et Sakmann, 1992.)
5 – Transmission synaptique 131

tum, qui reflète le nombre de molécules de neurotransmetteur contenues dans


une seule vésicule synaptique, mais aussi le nombre de récepteurs disponibles au
niveau de la synapse.
Dans de nombreuses synapses, en l’absence de stimulation synaptique l’exo-
cytose des vésicules se réalise à un niveau très faible. L’électrophysiologie per-
met d’évaluer l’amplitude de la réponse synaptique au neurotransmetteur libéré
spontanément. Cette réponse très faible se traduit par un potentiel qualifié de
potentiel post-synaptique miniature, souvent simplement nommé mini. Chaque
mini est généré par le contenu d’une seule vésicule synaptique. L’amplitude du
PPSE post-synaptique évoqué par un potentiel d’action présynaptique corres-
pond alors simplement à un multiple entier (1X, 2X, 3X, etc.) de l’amplitude du
potentiel miniature.
On utilise l’analyse quantique, méthode servant à comparer les amplitudes
des potentiels miniatures et post-synaptiques évoqués, pour déterminer com-
bien de vésicules libèrent de neurotransmetteur lors de la transmission synap-
tique normale. L’analyse quantique de la transmission synaptique de la jonction
neuromusculaire révèle qu’un seul potentiel d’action atteignant la terminaison
présynaptique déclenche l’exocytose d’environ 200 vésicules synaptiques, ce qui
produit un PPSE de 40 mV ou plus. De façon très différente, cependant, dans de
nombreuses synapses du SNC c’est le contenu d’une seule vésicule qui est libéré
en réponse au potentiel d’action présynaptique, générant un PPSE de seulement
quelques dixièmes de millivolt.
Sommation des PPSE.  Les différences constatées entre la transmission exci-
tatrice à la jonction neuromusculaire et des synapses du SNC ne sont pas sur-
prenantes. Le développement de la jonction neuromusculaire a évolué vers plus
d’efficacité ; seul le déclenchement d’un PPSE de grande amplitude peut per-
mettre le fonctionnement continu de la jonction. Par ailleurs, si chaque synapse
du SNC était capable par elle-même de générer un potentiel d’action dans sa cel-
lule post-synaptique (comme le font les jonctions neuromusculaires), le neurone
serait à peine plus qu’un simple relais. Au contraire, il semble que les neurones
effectuent des opérations plus complexes, nécessitant la sommation de tous les
PPSE pour produire une dépolarisation post-synaptique significative. C’est cette
opération qui correspond au processus d’intégration des PPSE.
La sommation des PPSE représente la forme la plus simple de l’intégration
synaptique dans le SNC. Deux types de sommation sont généralement consi-
dérés : la sommation spatiale et la sommation temporelle. La sommation spa-
tiale représente l’addition des PPSE générés simultanément par les différentes
synapses situées sur une même dendrite. La sommation temporelle représente
quant à elle l’addition des PPSE générés par la même synapse lorsque les PPSE
se succèdent rapidement, à 1 à 15 ms les uns des autres (Fig. 5.19).

Contribution des propriétés des dendrites


à l’intégration synaptique
Même avec l’intégration de l’effet de l’ensemble des PPSE générés sur une
dendrite, la dépolarisation peut ne pas être suffisante pour qu’un neurone
déclenche un potentiel d’action. Le courant entrant dans la zone des contacts
synaptiques doit se propager le long de la dendrite jusqu’au soma et provoquer
la dépolarisation au seuil de la membrane de la zone d’initiation des potentiels
d’action avant qu’un potentiel d’action puisse se produire. L’efficacité d’une
synapse excitatrice dans le déclenchement d’un potentiel d’action dépend donc
de la distance existant entre la synapse et la zone d’initiation des décharges, mais
aussi des propriétés de la membrane dendritique.
Propriétés de câble des dendrites.  Pour simplifier l’analyse de la contribu-
tion des propriétés dendritiques à l’intégration synaptique, il est possible de com-
parer les dendrites à des câbles cylindriques électriquement passifs, c’est-à-dire
ne comportant aucun canal ionique sensible au potentiel (contrairement aux
axones). Pour reprendre l’analogie du chapitre 4, imaginez que l’entrée d’une
charge positive dans une dendrite soit comme l’ouverture du robinet d’un tuyau
132 1 – Bases cellulaires

Sommation spatiale

Potentiel d’action Sommation temporelle

Afférence présynatique

Enregistrement Enregistrement Enregistrement


de Vm de Vm de Vm

PPSE

PPSE
Vm Vm Vm

– 65 mV – 65 mV – 65 mV

Temps Temps Temps


(a) (b) (c)

Figure 5.19 – Sommation des PPSE.


(a) Un potentiel d’action présynaptique déclenche un PPSE de faible amplitude dans un neurone
post-synaptique. (b) Sommation spatiale des PPSE : quand deux (ou plus) afférences présynap-
tiques sont actives en même temps, les PPSE individuels se somment. (c) Sommation temporelle :
lorsqu’une afférence décharge répétitivement, les PPSE individuels se somment également.
Vm : potentiel de membrane.

d’arrosage percé. L’eau peut prendre deux directions : soit elle se dirige vers l’in-
térieur du tuyau et continue à s’écouler, soit elle sort par les trous. De la même
façon, le courant synaptique peut prendre deux directions : soit il se propage à
l’intérieur de la dendrite vers les régions somatiques du neurone, soit il passe au
travers de la membrane dendritique. À une certaine distance de la zone d’entrée
du courant, l’amplitude du PPSE devient nulle à cause de la dispersion du cou-
rant au travers de la membrane.
L’atténuation de la dépolarisation le long du câble dendritique en fonction
de la distance est représentée par le graphique de la figure 5.20. Pour simplifier
les mathématiques, on considérera ici que la dendrite est infiniment longue, sans
branchement, et de diamètre uniforme. Cette atténuation présente une allure
exponentielle avec l’accroissement de la distance. L’amplitude de la dépolarisa-
tion de la membrane à une distance donnée (Vx) peut être calculée par l’équation
suivante : Vx = Vo/ex/λ, dans laquelle Vo est la dépolarisation d’origine (juste au
niveau de la synapse), e (= 2,718…) est la base des logarithmes, x représente la
distance depuis la synapse, et λ est une constante qui dépend des propriétés de la
dendrite. Quand x = λ, alors Vx = Vo/e ; soit : Vλ = 0,37 (Vo). Cette distance λ,
marquant l’endroit où le taux de dépolarisation représente 37 % de la dépolari-
sation initiale, est dénommée constante de longueur dendritique (souvenez-vous
que cette analyse est volontairement très simplifiée. Les dendrites n’ont pas de
longueur infinie, elles sont très branchées et ont tendance à s’effiler vers les extré-
mités, ce qui affecte la diffusion des courants et, par conséquent, l’efficacité des
potentiels synaptiques).
La constante de longueur est un index de la distance sur laquelle la dépola-
risation peut s’étendre le long d’une dendrite. Plus la constante de longueur est
grande, plus il est probable que les PPSE générés dans des synapses éloignées
dépolariseront la membrane du cône axonique. Dans notre dendrite idéale, élec-
triquement passive, la valeur de λ dépend de deux facteurs : (1) la résistance au
flux du courant longitudinal le long de la dendrite, appelée résistance interne
(ri), et (2) la résistance au flux du courant à travers la membrane, appelée la
résistance membranaire (rm). Le courant passera généralement par la voie où la
5 – Transmission synaptique 133

Vm Vm

Injection
de courant

Enregistrement Enregistrement
de Vm de Vm

Vers
le corps
cellulaire Figure 5.20 – Atténuation passive de la dépo­
Câble dendritique larisation avec la distance, le long d’une den­
(a)
drite.
(a) Un courant est injecté dans une dendrite
Pourcentage de la dépolarisation

et la dépolarisation qui en résulte est enregis-


100 trée. Ce courant qui diffuse dans la dendrite
se dissipe pour l’essentiel au travers de la
membrane. Par conséquent, la dépolarisa-
à l’origine

tion mesurée à distance du site d’injection


Vλ du courant est considérablement atténuée
par rapport à ce qu’elle est juste à l’endroit
37 de l’injection du courant. (b) Cette courbe tra-
duit l’atténuation en fonction de la distance,
le long de la dendrite. À une distance λ, la
0
dépolarisation membranaire (Vλ) est de 37 %
(b) λ Distance le long de celle mesurée à l’origine.
de la dendrite
Vm : potentiel de membrane.

résistance est la moins forte ; ainsi la valeur de λ augmente lorsque la résistance


membranaire augmente, car le flux de courant dépolarisant est plus important
à l’intérieur de la dendrite. La valeur de λ décroît, à l’inverse, lorsque la résis-
tance membranaire décroît car le flux du courant est plus important à travers la
membrane. De même que l’eau s’écoulera mieux dans un tuyau faiblement percé,
le courant synaptique se propagera plus loin dans une dendrite de gros diamètre
(ri faible) contenant peu de canaux ouverts dans la membrane (rm élevée).
La résistance interne dépend seulement du diamètre de la dendrite et des pro-
priétés électriques du cytoplasme ; elle est donc relativement constante dans un
neurone ayant achevé son développement. Au contraire, la résistance membra-
naire dépend du nombre de canaux ioniques ouverts, ce qui varie d’un instant
à l’autre selon l’activité des autres synapses. Par conséquent, la constante de
longueur dendritique n’est donc pas du tout constante ! En fait, les fluctuations
de la valeur de λ représentent un facteur important de l’intégration synaptique.
Excitabilité dendritique. L’analyse des propriétés de câble des dendrites
repose sur une hypothèse : la membrane des dendrites est électriquement pas-
sive et ne contient pas de canaux dépendants du potentiel. En effet, dans le
cerveau certaines dendrites présentent des membranes passives et inexcitables.
De ce fait, les équations simples du câble peuvent leur être appliquées. Les den-
drites des motoneurones spinaux par exemple, sont très proches de la passivité.
Cependant, beaucoup d’autres dendrites neuronales ne sont pas du tout pas-
sives. Les dendrites de certains neurones contiennent un nombre important de
canaux sodiques, calciques et/ou potassiques sensibles au potentiel. Ces canaux
ioniques dendritiques ne sont toutefois pas suffisamment nombreux pour per-
mettre une véritable propagation des potentiels d’action comme dans les axones.
Cependant, les canaux dépendants du potentiel situés dans les dendrites jouent
le rôle d’amplificateurs de petits potentiels post-synaptiques générés beaucoup
plus loin sur les dendrites. Les PPSE, qui tendent à s’atténuer pour disparaître
dans une dendrite longue et passive, peuvent être assez importants pour déclen-
cher l’ouverture de canaux sodiques qui, à leur tour, vont générer un courant
permettant de renforcer le signal synaptique jusqu’au soma.
134 1 – Bases cellulaires

Paradoxalement, les canaux sodiques présents sur les dendrites pourraient


aussi, dans quelques cellules particulières, véhiculer les signaux électriques dans
l’autre direction, c’est-à-dire du soma vers l’extrémité des dendrites. Cela pour-
rait être un mécanisme par lequel les synapses situées sur ces dendrites pour-
raient être informées qu’il y a bien eu transfert d’information vers le soma et
qu’un potentiel d’action a été généré, comme cela est postulé pour les méca-
nismes de l’apprentissage et de la mémoire, discutés dans le chapitre 25.

Inhibition
Comme nous l’avons vu, la contribution d’un PPSE à la genèse d’un poten-
tiel d’action dépend de plusieurs facteurs, y compris le nombre de synapses
excitatrices coactives, la distance entre la synapse et la zone d’initiation des
potentiels d’action, ou encore les propriétés des membranes dendritiques. Dans
le cerveau, toutes les synapses ne sont cependant pas excitatrices. Le rôle de cer-
taines synapses consiste à éloigner le potentiel membranaire du seuil du potentiel
d’action ; c’est le rôle des synapses inhibitrices qui exercent un contrôle puissant
sur l’activité neuronale (Encadré 5.6).
Potentiels post-synaptiques d’inhibition (PPSI) et effets de shunt. Les
récepteurs post-synaptiques des synapses inhibitrices sont très semblables à ceux
des synapses excitatrices ; il s’agit dans ce cas aussi de récepteurs canaux. Les
seules différences importantes entre ces récepteurs concernent les neurotrans-
metteurs auxquels ils sont associés et le type d’ions qu’ils laissent passer. Les
récepteurs de la plupart des synapses inhibitrices ne sont perméables qu’à un seul
ion, l’ion Cl–. L’ouverture du canal chlore laisse passer les ions Cl– dans un sens
qui tend vers le potentiel d’équilibre du chlore, ECl, d’environ – 65 mV. De ce fait,
au moment où le neurotransmetteur est libéré, si le potentiel de la membrane est
supérieur à – 65 mV, l’activation de ces canaux produit un PPSI hyperpolarisant.
À l’inverse, si le potentiel de membrane est à ce moment de – 65 mV, l’activa-
tion du canal chlore ne produit aucun PPSI puisque la valeur du potentiel de
membrane est déjà équivalente à ECl (c’est-à-dire le potentiel d’inversion pour
cette synapse ; voir Encadré 5.4). Mais, si aucun PPSI n’apparaît, le neurone
est-il réellement inhibé ? Dans ce cas, on considère en effet que l’action du neu-
rone est réellement inhibée. La figure 5.21 illustre le cas suivant : une synapse
excitatrice est située sur la partie distale d’une dendrite et une synapse inhibitrice
sur une partie plus proximale, plus proche du soma. L’activation de la synapse
excitatrice entraîne un afflux de charges positives dans la dendrite. Ce courant
dépolarise la membrane et se déplace en direction du soma. Cependant, à l’en-
droit où la synapse inhibitrice est active, le potentiel de la membrane est presque
égal à ECl, c’est-à-dire à – 65 mV. Donc, à cet endroit précis le courant positif
passe à l’extérieur de la membrane et ramène Vm à – 65 mV. Cette synapse joue
le rôle d’une dérivation électrique associée à une chute de la résistance membra-
naire ; elle empêche le courant de se propager à travers le soma vers le cône
axonique. Ce type d’inhibition (shunting inhibition) se traduit par le déplacement
vers l’intérieur des ions chlore négatifs, ce qui est formellement équivalent à un
courant positif sortant. Cette inhibition est comparable à l’apparition d’un gros
trou dans le tuyau d’arrosage déjà percé : toute l’eau va s’écouler par cet endroit
de moindre résistance avant d’arriver au jet qui permet d’arroser.
Ceci explique comment les synapses inhibitrices contribuent également à
l’intégration synaptique. Lorsque les PPSI sont soustraits des PPSE, le neurone
post-synaptique est moins susceptible de produire des potentiels d’action. De
plus, l’inhibition réduit de façon drastique rm et par conséquent λ, laissant ainsi
le courant positif passer à l’extérieur à travers la membrane au lieu de passer
dans les dendrites vers la zone d’initiation des potentiels d’action.
Géométrie des synapses excitatrices et inhibitrices.  Les synapses inhibitrices
du cerveau dont le GABA est le neurotransmetteur correspondant, ont toujours
une morphologie caractéristique de type II de Gray (voir Fig. 5.8b). Cette struc-
ture contraste avec celle des synapses excitatrices qui utilisent le glutamate et qui
ont toujours une morphologie de type I de Gray. La corrélation entre structure et
fonction a servi à établir les relations géométriques entre les synapses excitatrices
5 – Transmission synaptique 135

Encadré 5.6 FOCUS

Des mutations effrayantes et des poisons


Un éclair… un coup de tonnerre… une tape sur souche de bétail. Chez ces animaux, les récepteurs glyci-
l’épaule alors que vous pensiez être seul ! Si vous ne vous nergiques sont normaux mais ils sont beaucoup moins
y attendez pas, tous ces stimuli vous font réagir, reculer nombreux que chez les animaux normaux. Ainsi, quel
soudainement, grimacer, courber les épaules et respirer que soit le mécanisme, dans les deux cas un défaut d’ac-
plus vite. Nous connaissons tous ces situations qui nous tion de la glycine est présent et le neurotransmetteur ne
font sursauter de surprise. peut exercer normalement ses effets inhibiteurs dans la
Heureusement, quand l’orage gronde pour la troi- moelle épinière ou le tronc cérébral.
sième ou la quatrième fois ou que votre ami vous tape à La plupart des circuits neuronaux sont ainsi soumis
nouveau sur l’épaule, l’effet de surprise se disperse et à un équilibre subtil entre des effets excitateurs et des
vous sursautez beaucoup moins. Ainsi nous habi- effets inhibiteurs pour un fonctionnement cérébral nor-
tuons-nous rapidement et devenons-nous plus relax… mal. Si l’excitation est trop importante ou l’inhibition
Pour une minorité de souris, de vaches, de chevaux et réduite, alors peut s’instaurer un état d’hyperactivité
même d’entre nous, cependant, la vie n’est qu’une suc- comme celui décrit ci-dessus. Une altération de la fonc-
cession de réponses de sursaut, sans habituation. Même tion glycinergique exagère ainsi les réponses de sursaut.
le plus banal stimulus, comme par exemple un claque- De la même manière, une réduction de l’action du
ment de mains ou une tape sur le nez, peut alors déclen- GABA peut conduire à des crises d’épilepsie (comme
cher un raidissement incontrôlable du corps, une flexion nous le verrons dans le chapitre 19). Comment alors
des membres, voire une chute. Pis encore, ces réponses peut-on envisager de traiter ces maladies ? La logique
inappropriées ne diminuent pas lorsque l’on répète les est simple : renforcer l’inhibition reste la solution la plus
stimulations. Le terme clinique pour ces réponses exagé- efficace.
rées est celui d’hyper-réplexie et les premiers cas étudiés Les mutations génétiques des récepteurs de la glycine
le furent dans la communauté franco-canadienne de ressemblent à un empoisonnement à la strychnine. La
Lumberjacks, en 1878. L’hyper-réplexie est une maladie strychnine est un poison puissant, isolé à partir d’une
héréditaire, détectée sur toute la planète, et ceux qui en plante au xixe siècle. Cette substance est traditionnelle-
souffrent sont reconnus par le bon sens populaire ment utilisée par les fermiers pour éradiquer les ron-
comme les « Français sauteurs du Maine » au Québec, geurs qui détruisent les récoltes. Le mécanisme d’action
les « myriachit » en Sibérie, les « iatah » en Malaisie ou de la strychnine est simple : il s’agit du blocage du récep-
encore les « ragin cajuns » en Louisiane. teur de la glycine où elle agit comme antagoniste. Une
Nous connaissons maintenant les bases moléculaires légère intoxication (sublétale) à la strychnine se traduit
de deux de ces troubles des réponses de sursaut. De par une exagération des réactions de sursaut et d’autres
façon remarquable, dans les deux cas, un déficit d’inhi- réflexes, comme dans le cas de l’hyper-réplexie. Les plus
bition par les récepteurs glycinergiques est impliqué. Le fortes doses éliminent quasi totalement l’inhibition nor-
premier type, identifié chez l’homme et chez une souris malement exercée par la glycine dans les circuits neuro-
mutante qualifiée de spasmodique, est causé par la muta- naux de la moelle épinière et du tronc cérébral. Ceci se
tion d’un gène qui encode un récepteur de la glycine. traduit par des crises convulsives, des spasmes et des
Cette mutation est la plus petite possible puisqu’un seul paralysies des muscles respiratoires et, in  fine, par la
acide aminé sur plus de 400 n’est pas encodé correcte- mort par asphyxie. Il s’agit alors d’une mort atroce,
ment. Néanmoins, cela suffit pour que le canal au chlore assortie d’une longue agonie. Parce que la glycine n’est
s’ouvre moins facilement lorsque la glycine se fixe sur pas un neurotransmetteur des régions plus antérieures
son récepteur. Le second type de ces maladies du sursaut du cerveau, la strychnine n’affecte pas les fonctions
est détecté chez la souris mutante spastique et dans une cognitives, ni d’ailleurs les fonctions sensorielles.

et inhibitrices sur les neurones, au plan individuel. En plus de leur présence sur
les dendrites, sur beaucoup de neurones les synapses inhibitrices sont regroupées
sur le soma et près du cône axonique, occupant une position particulièrement
importante pour contrôler l’activité du neurone post-synaptique.

Neuromodulation
La plupart des mécanismes post-synaptiques mentionnés ci-dessus impliquent
des récepteurs qui sont eux-mêmes des canaux ioniques. Les synapses com-
portant des récepteurs-canaux véhiculent la majeure partie de l’information
136 1 – Bases cellulaires

Synapse excitatrice Synapse inhibitrice


(active) (inactive)

Dendrite
Soma

Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm

PPSE

Vm de la Vm du
dendrite soma
(a)

Synapse excitatrice Synapse inhibitrice


(active) (active)

Dendrite
Soma

Cône axonique
Enregistrement de Vm Enregistrement de Vm

PPSE

Vm de la Vm du
dendrite soma

(b)

Figure 5.21 – Effets d’inhibition.
Le schéma représente un neurone recevant à la fois une afférence excitatrice et une afférence inhibitrice. (a) La stimulation de l’afférence excitatrice
entraîne un courant entrant qui diffuse vers le soma de la cellule où un PPSE peut être enregistré. (b) Lorsque les afférences excitatrice et inhibitrice
sont simultanément mises en jeu, le courant dépolarisant « fuit » au travers de la membrane avant d’atteindre le soma.

spécifique traitée par le système nerveux. Cependant, il existe de nombreuses


synapses fonctionnant avec des récepteurs couplés aux protéines G qui ne sont
pas directement associés avec un canal ionique. L’activation de ces récepteurs
ne produit pas de PPSE et de PPSI mais, au contraire, modifie l’efficacité des
PPSE générés par d’autres synapses utilisant des récepteurs-canaux. Ce type
d’effet synaptique est qualifié de neuromodulation. L’influence de ce mécanisme
sur l’intégration synaptique peut, par exemple, être mis en évidence en explorant
les effets de l’activation d’un type de récepteur couplé aux protéines G, le récep-
teur β de la noradrénaline.
La fixation du neurotransmetteur, la noradrénaline, sur le récepteur β
déclenche un processus biochimique à l’intérieur de la cellule. En bref, le récep-
teur β active une protéine G, qui, à son tour, active une protéine effectrice repré-
sentée dans ce cas par une enzyme intracellulaire dénommée adényl cyclase.
L’adényl cyclase catalyse la réaction chimique qui transforme l’adénosine tri-
phosphate (ATP), le produit du métabolisme oxydatif dans la mitochondrie,
en un composé appelé adénosine monophosphate cyclique ou AMPc, qui diffuse
librement dans le cytosol. Ainsi, le premier message chimique de la transmission
synaptique (la libération de noradrénaline dans l’espace synaptique) est converti
par le récepteur β en un second message (la production d’AMPc) ; l’AMPc est
un exemple de second messager.
5 – Transmission synaptique 137

Récepteur β Canal
adrénergique NA potassique
Adényl
cyclase

1
2
5
3
Protéine
Protéine G kinase

Figure 5.22 – Modulation au travers du récepteur β-adrénergique.


① La fixation de la noradrénaline (NA) à son récepteur β active une protéine G de la membrane.
② La protéine G active l’adényl cyclase. ③ L’adényl cyclase transforme l’ATP en AMPc. ④ L’AMPc
active une protéine kinase. ⑤ La protéine kinase induit la fermeture d’un canal potassique par
phosphorylation.

L’AMPc stimule une autre enzyme, la protéine kinase. La protéine kinase est
le catalyseur d’une réaction chimique appelée phosphorylation, qui se traduit par
le transfert de groupements phosphates (PO3) de l’ATP jusqu’à des sites spé-
cifiques situés sur des protéines cellulaires particulières dénommées phospho-
protéines (Fig. 5.22). La phosphorylation peut modifier la conformation d’une
protéine et donc sa fonction.
Dans certains neurones, une des protéines phosphorylée par l’élévation des
taux d’AMPc est un type particulier de canal potassique de la membrane den-
dritique. La phosphorylation provoque la fermeture de ce canal, réduisant ainsi
la conductance au potassium de la membrane. En soi, cette action sur les canaux
potassiques ne provoque pas d’effet dramatique sur le neurone. Cependant, elle
a une conséquence plus importante : la diminution de la conductance potassique
augmente la résistance de la membrane dendritique et augmente donc la constante
de longueur. C’est comme si on réparait les trous du tuyau d’arrosage percé avec
du ruban adhésif : l’eau s’écoulera davantage par le tuyau et moins par les parois
du tuyau. En augmentant λ, les synapses excitatrices distales, d’action faible sur
la genèse du potentiel d’action, deviennent plus efficaces pour dépolariser la zone
d’initiation des potentiels d’action au-delà du seuil ; la cellule deviendra donc
plus excitable. Ainsi, la fixation de la noradrénaline aux récepteurs β modifie en
elle-même peu le potentiel membranaire mais elle accroît de façon significative
la réponse induite par un autre neurotransmetteur d’une synapse excitatrice. Ce
processus impliquant plusieurs intermédiaires, il prolonge l’activité synaptique
qui peut ainsi durer beaucoup plus longtemps que le très court moment de la
présence effective du transmetteur lui-même dans l’espace synaptique.
Nous avons décrit un récepteur particulier couplé aux protéines G et les
conséquences de son activation dans un type de neurone mais il faut savoir
que d’autres types de récepteurs peuvent induire la formation d’autres types de
seconds messagers. L’activation de chacun de ces récepteurs va initier une série
de réactions biochimiques dans le neurone post-synaptique, sans provoquer sys-
tématiquement de phosphorylation ni de diminution de la résistance membra-
naire. En fait, dans un autre type de cellules, l’AMPc, avec d’autres enzymes,
peut induire sur l’excitabilité cellulaire des changements fonctionnels de carac-
tère inverse de ceux mentionnés précédemment.
Le chapitre 6 abordera plus longuement la modulation synaptique et ses
mécanismes mais il est déjà perceptible que les diverses formes de modulation
de la transmission synaptique offrent un nombre presque illimité de possibilités
de traitement et d’utilisation par le neurone post-synaptique de l’information
codée par le neurone présynaptique.
138 1 – Bases cellulaires

Conclusion
Ce chapitre a présenté les bases théoriques de la transmission synaptique
chimique. Le potentiel d’action, que la punaise a fait naître dans le nerf sensoriel
dans le chapitre 3, s’est propagé le long de l’axone dans le chapitre 4 et a mainte-
nant atteint la terminaison axonique dans la moelle épinière. La dépolarisation
de la terminaison a déclenché l’entrée d’ions Ca2+ à travers les canaux calciques
sensibles au potentiel, ce qui a par la suite stimulé l’exocytose du contenu des
vésicules synaptiques. Le neurotransmetteur libéré a diffusé à travers l’espace
synaptique et s’est fixé à des récepteurs spécifiques situés dans la membrane
post-synaptique. Le neurotransmetteur (probablement du glutamate) a provo-
qué l’ouverture des canaux ioniques, permettant ainsi la genèse d’un courant
positif dans la dendrite post-synaptique. Puisque le nerf sensoriel a initié des
potentiels d’action à fréquence élevée et que plusieurs synapses ont été activées
en même temps, les PPSE se sont additionnés pour amener la zone d’initiation
de la décharge du neurone post-synaptique au seuil de dépolarisation et cette
cellule a généré des potentiels d’action. Si la cellule était un neurone moteur, ce
mécanisme d’action aurait entraîné la libération d’ACh à la jonction neuromus-
culaire et la contraction du muscle. Si la cellule post-synaptique était un inter-
neurone utilisant le GABA comme neurotransmetteur, son action consisterait à
inhiber ses cibles synaptiques. Si cette cellule utilisait enfin un neurotransmet-
teur impliqué dans la neuromodulation comme la noradrénaline, elle provoque-
rait des modifications durables de l’excitabilité ou du métabolisme de ses cibles
synaptiques. C’est la grande variété des interactions synaptiques chimiques qui
explique la diversité et la complexité des comportements (tel qu’esquisser un
mouvement de retrait d’un membre à la suite d’une douleur), en réponse à des
stimuli simples (comme marcher accidentellement sur une punaise).
Il est aussi nécessaire de s’intéresser à la chimie de la transmission synap-
tique de façon plus détaillée. Le chapitre 6 est consacré à l’étude particulière
des divers systèmes de neurotransmetteurs. Enfin, après avoir examiné les sys-
tèmes moteur et sensoriel dans la 3e partie, nous étudierons la contribution des
divers neurotransmetteurs au fonctionnement du système nerveux et cherche-
rons à élucider leur rôle dans le comportement. Il est ainsi tout à fait justifié de
porter autant d’attention à la transmission synaptique car, comme nous l’avons
déjà mentionné, les défauts de la communication intercellulaire sont à l’origine
de nombreux troubles neurologiques et psychiatriques. De plus, virtuellement,
toutes les molécules psychoactives, qu’elles soient d’un intérêt thérapeutique ou
illicite, exercent leur effet par ces synapses.
Les connaissances acquises dans le domaine de la transmission synaptique,
ajoutées aux données sur le traitement de l’information nerveuse et sur les effets
des drogues, donnent une clé supplémentaire pour comprendre les bases cel-
lulaires de la mémorisation et de l’apprentissage : la mémoire des expériences
passées paraît se construire grâce aux variations de l’activité des synapses
chimiques dans le cerveau. Plusieurs possibilités sont envisagées dans ce cha-
pitre pour modifier l’activité synaptique, depuis les variations survenant dans
l’entrée de Ca2+ dans l’élément présynaptique et la libération des neurotransmet-
teurs, jusqu’aux changements intervenant aux récepteurs post-synaptiques ou de
­l’excitabilité. Tous ces changements sont susceptibles de contribuer au stockage
de l’information par le système nerveux (chapitre 25).
5 – Transmission synaptique 139

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Que signifie la libération quantique des neurotransmetteurs ?


2. Supposons que l’on utilise de l’ACh pour activer les récepteurs nicoti-
niques à la surface d’une cellule musculaire. Dans quel sens le courant
passera-t-il à travers les récepteurs si Vm = – 60 mV ? Si Vm = 0 mV ? Si
Vm = 60 mV ? Pour quelles raisons ?
3. Il existe un canal ionique sensible au GABA perméable aux ions Cl–.
Le GABA active aussi un récepteur couplé à une protéine G, dénom-
mé récepteur GABAB, qui provoque l’ouverture de canaux sélectifs du
potassium. Quel est l’effet de l’activation du récepteur GABAB sur le
potentiel de membrane ?
4. Vous pensez avoir découvert un nouveau neurotransmetteur et vous
étudiez ses effets sur les neurones. Le potentiel de réversion causé
par ce nouveau neurotransmetteur est de – 60 mV. Comment quali-
fiez-vous cette substance ? Excitatrice ou inhibitrice ? Pourquoi ?
5. La strychnine, une drogue tirée des graines d’un arbre originaire de
l’Inde et communément employée comme mort-aux-rats, bloque
­
­l’action de la glycine. La strychnine agit-elle comme un agoniste ou un
antagoniste du récepteur à la glycine ?
6. Comment certains gaz nerveux causent-ils une paralysie respiratoire ?
7. Pourquoi une synapse excitatrice localisée sur le soma d’un neurone
agit-elle plus efficacement qu’une synapse excitatrice située à l’extré-
mité d’une dendrite, sur le déclenchement de potentiels d’action dans
le neurone post-synaptique ?
8. Par quel type de mécanisme la libération de noradrénaline entraîne-t-
elle une excitabilité accrue des neurones ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Connors  BW, Long  MA. Electrical synapses in the mammalian brain.


­Annual Review of Neuroscience 2004 ; 27 : 393–418.
Cowan  WM, Südhof  TC, Stevens  CF. Synapses. Baltimore : Johns
Hopkins University Press, 2001.
Kandel ER, Schwartz JH, Jessell TM, Siegelbaum SA, Hudspeth AJ. Prin-
ciples of Neural Science, 5th ed. New York : McGraw-Hill Professio-
nal, 2012.
Koch  C. Biophysics of Computation: Information Processing in Single
Neurons. New York : Oxford University Press, 2004.
Nicholls JG, Martin AR, Fuchs PA, Brown DA, Diamond ME, Weisblat D.
From Neuron to Brain, 5th ed. Sunderland, MA : Sinauer, 2007.
Sheng M, Sabatini BL, Südhof TC. The Synapse. New York : Cold Spring
Harbor Laboratory Press, 2012.
Stuart G, Spruston N, Hausser M. Dendrites, 2nd ed. New York : Oxford
University Press, 2007.
Südhof TC. Neurotransmitter release: the last millisecond in the life of
a synaptic vesicle. Neuron 2013 : 80 : 675–90.
CHAPITRE  6 Neurotransmetteurs :
organisation
anatomobiochimique
du système nerveux
ÉTUDE
DES NEUROTRANSMETTEURS
Localisation des neurotransmetteurs et de leurs enzymes de synthèse. 142
Mesure de la libération des neurotransmetteurs.................................. 145
Approche de l’effet synaptique des neurotransmetteurs...................... 145
Étude des récepteurs.......................................................................... 146
Encadré 6.1 Les voies de la découverte  À la recherche des récepteurs
des opiacés,
par Solomon H. Snyder
ORGANISATION
ANATOMOBIOCHIMIQUE
DU SYSTÈME NERVEUX
Neurones cholinergiques..................................................................... 151
Encadré 6.2 Bases théoriques  « Pomper » les ions
et les neurotransmetteurs
Neurones catécholaminergiques.......................................................... 154
Neurones sérotoninergiques............................................................... 155
Systèmes neuronaux utilisant les acides aminés comme neuro­
transmetteurs..................................................................................... 156
Autres neurotransmetteurs et messagers intercellulaires putatifs........ 157
Encadré 6.3 Focus  Les endocannabinoïdes de votre cerveau

RÉCEPTEURS-CANAUX
Structure des récepteurs-canaux......................................................... 161
Récepteurs-canaux des acides aminés................................................. 162
Encadré 6.4 Focus  Ces poisons si excitants :
beaucoup trop de si bonnes choses…

RÉCEPTEURS COUPLÉS
AUX PROTÉINES G
Structure des récepteurs couplés aux protéines G............................... 167
Caractère ubiquitaire des protéines G................................................. 167
Effecteurs des récepteurs couplés aux protéines G.............................. 169
DIVERGENCE
ET CONVERGENCE
ENTRE LES SYSTÈMES
DE NEUROTRANSMETTEURS

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
e fonctionnement du cerveau humain est basé sur une organisation
méthodique d’innombrables réactions chimiques. De l’ensemble de ces
réactions chimiques, celles qui sont associées à la transmission synap-
tique comptent parmi les plus importantes. Le chapitre 5 a présenté les prin-
cipes généraux de la transmission synaptique chimique, avec des exemples liés
à quelques neurotransmetteurs spécifiques. Ce chapitre explore plus en détail la
variété et le raffinement des grands systèmes neuronaux, tels qu’ils peuvent être
identifiés par leur neurotransmetteur.
Ces systèmes neuronaux se trouvent caractérisés par le fait qu’ils rassemblent
des populations de neurones utilisant un même neurotransmetteur. Les trois
groupes principaux de neurotransmetteurs : les acides aminés, les amines et les
neuropeptides ont déjà été mentionnés dans le chapitre précédent. La liste par-
tielle des neurotransmetteurs connus, comme celle présentée dans le tableau 5.1,
dénombre déjà près de 20 molécules différentes. Chacune d’entre elles définit
un système neuronal particulier. En plus de la présence de la molécule de neu-
rotransmetteur elle-même, ces systèmes neuronaux présentent tous des méca-
nismes moléculaires spécifiques, responsables de la synthèse du neurotransmet-
teur qu’ils expriment, de son stockage dans les vésicules, de son élimination
synaptique et de sa dégradation, et de son action post-synaptique (Fig. 6.1).
La première molécule identifiée comme neurotransmetteur, par Otto Loewi
dans les années vingt, est l’acétylcholine ou ACh (voir Encadré 5.1). Le pharma-
cologue britannique Henry Dale introduisit le terme cholinergique pour qualifier
les cellules qui produisent et libèrent l’ACh (Dale partagea le prix Nobel avec
Loewi en 1936 pour ses travaux sur la neuropharmacologie de la transmission
synaptique). Dale inventa aussi le terme de noradrénergique pour les neurones
associés à l’action de la noradrénaline (NA). Par convention, le suffixe -ergique
est ainsi également utilisé pour les autres neurotransmetteurs identifiés. Il est
donc fait état de synapses glutamatergiques pour les synapses associées au glu-
tamate, de synapses GABAergiques pour celles qui impliquent le GABA, de
synapses peptidergiques pour celles qui utilisent les neuropeptides comme neu-
rotransmetteur, etc. Ces adjectifs désignent aussi plus généralement les divers
systèmes neuronaux utilisant ces neurotransmetteurs. Par exemple, l’ACh et tous
les neurones et mécanismes qui lui sont associés, représentent, collectivement, le
système cholinergique.
Avec cette terminologie, ce chapitre commence l’exploration des systèmes
neuronaux identifiés par le neurotransmetteur qu’ils utilisent dans la communi-
cation intercellulaire : d’abord, il se focalise sur les stratégies expérimentales qui
ont permis de les étudier ; puis il décrit les mécanismes relatifs à la biosynthèse,
au métabolisme et aux effets post-synaptiques des principaux neurotransmet-
teurs. Avec une meilleure connaissance de ces systèmes, il sera alors possible
d’envisager dans le chapitre 15 leur rôle potentiel dans le contexte de leur contri-
bution individuelle à la régulation des fonctions du cerveau et du comportement.
142 1 – Bases cellulaires

Terminaison
axonique présynaptique

Enzymes de synthèse
des neurotransmetteurs

Transporteurs vésiculaires

Transporteurs neuronaux

Enzymes de dégradation

Récepteurs-canaux

Récepteurs couplés aux protéines G

Protéines G

Canaux ioniques couplés aux protéines G


Dendrite
Cascade des seconds messagers post-synaptique

Figure 6.1 – Différents éléments de la neurotransmission.

Étude des neurotransmetteurs


L’une des premières étapes de l’étude d’un système neuronal particulier
consiste à identifier le neurotransmetteur impliqué et ceci n’est pas simple.
Considérant que le cerveau contient un nombre incalculable de substances
chimiques, comment reconnaître alors le petit nombre de celles qui jouent un
rôle dans la signalisation intercellulaire ?
Après des années de recherche, certains critères ont été proposés, qui per-
mettent de considérer qu’une molécule est susceptible de jouer un rôle dans la
neurotransmission. Pour l’essentiel, il est envisagé que :
1. la molécule doit être synthétisée et stockée dans le neurone présynaptique ;
2. la molécule doit être libérée par la terminaison axonique présynaptique après
stimulation de ce neurone présynaptique ;
3. la molécule, lorsqu’elle est appliquée sur la cellule post-synaptique, doit géné-
rer une réponse qui imite celle produite physiologiquement par la libération
du neurotransmetteur à partir du neurone présynaptique.
Ces critères sont loin d’avoir une valeur absolue mais ils donnent une base à
l’étude expérimentale dont les principes sont énoncés ci-dessous.

Localisation des neurotransmetteurs


et de leurs enzymes de synthèse
C’est souvent la simple intuition qu’une molécule particulière représente,
peut-être, un neurotransmetteur qui incite le chercheur à pousser plus loin ses
investigations. Cette idée peut venir de l’observation de la concentration de cette
molécule dans une région particulière du cerveau, ou encore du fait que l’action
de la molécule sur certains neurones se traduit par une modification de leur
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 143

fréquence de décharge. Quoi qu’il en soit, la première étape dans la vérification


de l’hypothèse consiste à démontrer qu’une molécule donnée est, en fait, loca-
lisée dans et synthétisée par des neurones particuliers. Plusieurs méthodes sont
utilisées dans cette recherche mais l’immunocytochimie et l’hybridation in situ
constituent deux des plus importantes, aujourd’hui.
Immunocytochimie.  Cette méthode est utilisée pour déterminer la localisa-
tion anatomique de molécules données dans des cellules particulières. Le prin-
cipe de l’immunocytochimie est relativement simple (Fig. 6.2). Après purification,
le candidat neurotransmetteur est injecté dans la circulation sanguine d’un ani-
mal où il déclenche une réponse immunitaire. Du fait du faible pouvoir antigé-
nique des neurotransmetteurs, qui sont en général de petites molécules, il faut
souvent coupler la molécule de neurotransmetteur avec une molécule de taille
plus importante pour obtenir une réponse. Un des aspects de la réponse immu-
nitaire est la production d’anticorps, qui se lient fortement sur certains sites à la
surface de la molécule étrangère et, dans ce cas, le candidat neurotransmetteur.
Pour l’immunocytochimie, les meilleurs anticorps sont ceux qui présentent la
plus grande spécificité en ne reconnaissant que le candidat neurotransmetteur
et très peu les autres constituants du cerveau. Il est possible de prélever ces anti-
corps spécifiques avec un échantillon du sang de l’animal qui a reçu l’injection et
de les marquer chimiquement au moyen d’une substance susceptible d’être révé-
lée pour une visualisation au microscope, tant optique qu’électronique. Lorsque
ces anticorps marqués sont appliqués sur une coupe histologique de cerveau,
seules les cellules qui contiennent le candidat neurotransmetteur apparaîtront
positives à la coloration (Fig. 6.3a). En utilisant conjointement plusieurs types
d’anticorps, chacun étant identifiable par un marqueur spécifique, il est ainsi
possible de distinguer sur une même coupe histologique plusieurs constituants
d’une même région cérébrale (Fig. 6.3b).

Coupe
de tissu
nerveux

(a) Injection de l’antigène, (b) Prélèvement sanguin (c)


candidat neurotransmetteur permettant de purifier Neurones marqués Neurone
les anticorps Marqueur contenant le candidat non marqué
permettant neurotransmetteur
la visualisation
du complexe

Anticorps associé au marqueur

(d) Neurotransmetteur candidat

Figure 6.2 – Immunocytochimie.
Cette méthode utilise des anticorps marqués pour localiser les molécules à l’intérieur des cellules. (a) La molécule étudiée (un candidat neurotransmet-
teur, par exemple) est injectée à un animal, induisant une réponse immunitaire et la production d’anticorps. (b) Le prélèvement sanguin permet ensuite
d’isoler les anticorps du sérum. (c) Les anticorps, marqués par une molécule permettant de les visualiser, sont appliqués sur des coupes de cerveau.
L’anticorps marqué permet de repérer les cellules contenant l’antigène, c’est-à-dire le neurotransmetteur putatif. (d) Agrandissement d’un complexe
formé par le neurotransmetteur « candidat », l’anticorps et le marqueur permettant de le visualiser.
144 1 – Bases cellulaires

Figure 6.3 – Localisation immunocytochimique
d’un neurotransmetteur peptidique.
(a) Neurone du cortex cérébral marqué par
un  anticorps dirigé contre un neuropep-
tide (Source : courtoisie du Dr Y. Amitai et
S. L. Patrick.) (b) Identification de trois diffé-
rents types de neurones sur une coupe histolo-
gique de cortex cérébral utilisant des anticorps
spécifiques dirigés contre trois neurotrans-
metteurs, chacun marqué par une sonde
fluorescente différente (vert, rouge et bleu).
(Source : courtoisie du Dr S. J. Cruikshank et
S. L. Patrick.)
La photographie en  (a) a été prise avec un
grandissement plus important qu’à la photo-
graphie en (b). (a) (b)

L’immunocytochimie représente une méthode analytique puissante, qui


peut être utilisée pour identifier n’importe quelle molécule du cerveau pour
laquelle des anticorps sont disponibles, y compris les enzymes de synthèse des
neurotransmetteurs à défaut ou en complément des neurotransmetteurs eux-
mêmes. La démonstration ainsi faite qu’un candidat neurotransmetteur poten-
tiel est présent dans un même neurone – ou mieux encore dans une terminaison
nerveuse – qui contient aussi les enzymes nécessaires à sa synthèse, peut dès lors
satisfaire au critère que cette molécule est produite et localisée dans un neurone
particulier.
Hybridation in situ.  Cette méthode est utilisée pour vérifier qu’une protéine
ou un peptide donné sont synthétisés dans une cellule particulière. Rappelons
que les protéines sont assemblées par les ribosomes, sur les instructions de
molécules spécifiques : les ARNm (voir chapitre 2). Pour la synthèse de chaque
polypeptide, il n’existe qu’une seule molécule d’ARNm. Le transcrit ARNm est
composé de quatre acides nucléiques différents, associés en séquences variées
ARNm d’un neurone pour former un brin spécifique. Chaque acide nucléique présente la propriété
tout à fait particulière de se lier seulement à un autre acide nucléique, dit com-
plémentaire. Ainsi, si l’on connaît la séquence des acides nucléiques présents
Sonde marquée dans un brin, il est possible de produire, en laboratoire, un brin complémentaire
représentant qui va se rattacher, comme une bande velcro, à la molécule d’ARNm. Le brin
une séquence complémentaire représente une sonde et le processus par lequel la sonde se lie à la
complémentaire
d’une partie de l’ARNm molécule d’ARNm s’appelle l’hybridation (Fig. 6.4). Pour savoir si l’ARNm d’un
Coupe peptide donné se trouve dans le neurone, la sonde appliquée sur une coupe histo-
de tissu
nerveux logique de cerveau est marquée chimiquement, pour qu’elle puisse être détectée ;
il suffit ensuite de rechercher les neurones marqués par cette méthode.
Dans l’hybridation in situ, les sondes utilisées sont, en général, radioactives.
Mais, étant donné que la radioactivité n’est pas visible, pour détecter les sondes
hybridées les coupes de cerveau sont recouvertes d’une mince couche d’un
Figure 6.4 – Hybridation in situ. film spécial sensible à la radioactivité. Après exposition, le film est développé
Les ARNm représentent des séquences de comme une photographie et donne des images négatives des cellules radio­actives
nucléotides, chacun de ces nucléotides pou- (Fig. 6.5). Il est aussi possible d’utiliser des analyseurs d’images couplés à la
vant s’associer avec un nucléotide complé- détection de la radioactivité pour localiser précisément les marquages. Cette
mentaire. Dans l’hybridation in situ, une sonde technique permettant de visualiser la distribution de la radioactivité est dénom-
synthétique marquée est fabriquée, contenant
mée radio-autographie. Depuis quelques années, toutefois, les méthodes de
une séquence oligonucléotidique complé-
mentaire de l’ARNm à étudier. L’hybridation
radiomarquage ont de plus en plus laissé la place à d’autres techniques utilisant
de cette sonde marquée avec l’ARNm permet des marqueurs fluorescents. Dans ce cas l’utilisation d’un microscope à fluores-
de le repérer sur des coupes histologiques de cence ou confocal permet l’observation directe. Cette méthode est connue sous
cerveau. le terme de FISH pour fluorescent in situ hybridization.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 145

En résumé, l’immunocytochimie permet la localisation de molécules spé-


cifiques, y compris les protéines, dans certaines parties du tissu cérébral.
L’hybridation in situ est une méthode qui sert à localiser les transcrits spécifiques
ARNm des protéines ou des peptides. Ces deux méthodes, utilisées de façon
combinée, permettent de savoir si un candidat neurotransmetteur est présent et
synthétisé dans le même neurone.

Mesure de la libération des neurotransmetteurs


Lorsqu’il a été démontré que la synthèse d’un candidat neurotransmetteur
se réalise dans une population de neurones donnée et que ce neurotransmet-
teur putatif est localisé dans les terminaisons nerveuses présynaptiques, il faut
encore vérifier qu’il est effectivement libéré après stimulation de ces neurones.
Dans certains cas favorables, il est possible de prélever des échantillons de milieu
baignant les cibles d’une population de neurones ou d’axones, qui peut être sti-
mulée. L’activité biologique de ces échantillons peut alors être testée, permettant
de savoir si elle imite les effets physiologiques des synapses, puis d’en faire une
Figure 6.5 – Localisation des ARNm d’un
analyse biochimique pour démontrer la structure de la molécule active. Cette
neuropeptide par hybridation in situ.
approche générale a aidé Loewi et Dale à identifier l’ACh comme étant le neu- Seuls les neurones exprimant les ARNm cor-
rotransmetteur de nombreuses synapses du système nerveux périphérique. respondant au neuropeptide sont marqués,
Contrairement au système nerveux périphérique (c’est-à-dire en dehors du cer- ce qui apparaît sous forme d’amas de points
veau et de la moelle épinière) cependant, la plupart des régions du SNC contiennent blancs. (Source : Dr S. H. C. Hendry.)
un ensemble complexe de synapses mêlées utilisant des neurotransmetteurs diffé-
rents. Jusqu’à une période récente, il n’était ainsi pas possible de stimuler une seule
population de ces synapses sécrétant un seul type de neurotransmetteur. Dans
ce cas les chercheurs doivent se contenter de stimuler plusieurs synapses dans
une région donnée du cerveau, de prélever, puis de doser toutes les substances
chimiques libérées suite à la stimulation. Une des façons de procéder consiste à
utiliser des coupes de cerveau fraîchement disséqué, in vitro. Afin de stimuler la
libération de neurotransmetteurs, ces coupes sont immergées dans une solution à
forte concentration de K+. Cette opération provoque une forte dépolarisation de
la membrane (voir Fig. 3.19), stimulant la libération des neurotransmetteurs situés
dans les terminaisons axoniques du tissu. La libération des neurotransmetteurs
étant soumise à l’afflux des ions Ca2+ dans la terminaison axonique, il faut aussi
montrer que la libération du candidat neurotransmetteur contenu dans la section
de tissu ne survient, après dépolarisation, que si la solution contient des ions Ca2+.
Les nouvelles méthodes telles que l’optogénétique (voir Encadré 4.2) permettent
maintenant de n’activer qu’une seule population de terminaisons nerveuses. Les
méthodes génétiques sont de fait utilisées pour introduire dans une population
de neurones particuliers des protéines sensibles à la lumière (photosensibles), et
l’illumination de ces neurones à l’aide de fibres optiques notamment, permet de
délivrer des flashs de lumière qui ne modifient pas l’activité des neurones qui n’ont
pas été transfectés. Ainsi le neurotransmetteur sécrété est-il seulement issu des
neurones traités par la méthode optogénétique.
Même s’il est démontré qu’un candidat neurotransmetteur a été libéré après
une dépolarisation calcium-dépendante, il ne peut toutefois pas être affirmé que
les molécules prélevées dans les milieux de superfusion ont été libérées depuis les
terminaisons axoniques ; leur libération peut être une conséquence secondaire
de l’activation synaptique. Ces difficultés techniques font que le second critère,
selon lequel un candidat neurotransmetteur doit être libéré dans le SNC par la
terminaison axonique présynaptique après stimulation du neurone, est le plus
difficile à satisfaire sans erreur.

Approche de l’effet synaptique des neurotransmetteurs


Le fait de démontrer qu’une molécule est localisée et synthétisée dans et libé-
rée par un neurone donné n’est pas suffisant pour la qualifier de neurotrans-
metteur. Un troisième critère est nécessaire : lorsqu’elle est appliquée au contact
des neurones-cibles potentiels, la molécule doit provoquer la même réponse
synaptique que celle produite par un neurotransmetteur naturel qui serait libéré
­physiologiquement à partir du neurone présynaptique.
146 1 – Bases cellulaires

Pipette Pour évaluer les actions post-synaptiques d’un candidat neurotransmet-


Application
des agents teur, l’approche la plus souvent utilisée est la micro-ionophorèse. La plupart des
pharmaco- candidats-neurotransmetteurs peuvent être dissous dans des solutions qui leur
logiques permettent d’acquérir une charge électrique nette. Une pipette de verre, avec
par éjection
de courant une extrémité de quelques mm de diamètre, est remplie de la solution ionisée.
Stimulation
L’extrémité de la pipette est soigneusement placée tout près de la membrane
des axones post-synaptique du neurone et le candidat neurotransmetteur est éjecté en très
petites quantités par un courant électrique traversant la pipette. Les candidats
Terminaison présynaptique neurotransmetteurs peuvent aussi être éjectés en très petite quantité simplement
Dendrite par pression sur la micropipette. En plaçant une microélectrode intracellulaire
post- Enregistrement dans le neurone post-synaptique, l’action du candidat neurotransmetteur peut
synaptique du potentiel être mesurée directement sur le potentiel de membrane (Fig. 6.6).
de membrane Vm Si l’application ionophorétique ou par pression de la molécule sur le neurone
induit des modifications électrophysiologiques reproduisant les effets produits
par le neurotransmetteur libéré normalement au niveau de la synapse et si les
autres critères de localisation, de synthèse et de libération sont remplis, alors la
molécule et le neurotransmetteur sont généralement considérés comme étant la
même substance chimique.

Étude des récepteurs


Chaque neurotransmetteur exerce son action sur la membrane post-synap-
Figure 6.6 – Principe de la micro-ionopho-
tique en se fixant à des récepteurs spécifiques. En général, deux neurotransmet-
rèse. teurs ne se lient pas au même récepteur ; cependant, le même neurotransmetteur
Cette méthode permet l’application en très peut se fixer à plusieurs types de récepteurs. Chacun des récepteurs auxquels
petites quantités de substances pharmacolo- ­s’associe un neurotransmetteur constitue un sous-type de récepteurs. Par exemple,
giques ou de candidats neurotransmetteurs, à dans le chapitre 5 il a été mentionné que l’ACh agit sur deux sous-types de récep-
proximité immédiate des neurones dont l’acti- teurs cholinergiques différents : l’un situé sur le muscle squelettique et l’autre sur
vité électrique est simultanément enregistrée. le muscle cardiaque. Les deux sous-types de récepteurs sont cependant présents
Les réponses à ces stimulations pharmacolo- dans de nombreux autres organes et dans le SNC.
giques peuvent alors être comparées à celles
Les chercheurs ont appliqué pratiquement toutes les méthodes d’analyse
liées à l’activité synaptique.
­biologique et biochimique à l’étude des différents sous-types de récepteurs, dans
les divers systèmes de neurotransmetteurs. Trois approches se sont montrées
particulièrement intéressantes : l’analyse neuropharmacologique de la transmis-
sion synaptique, les méthodes de liaison de ligands marqués spécifiques et, plus
récemment, l’analyse moléculaire des protéines constituant les récepteurs.
Analyse neuropharmacologique.  Elle a apporté des connaissances considé-
rables sur les sous-types de récepteurs et permis d’établir des classifications de
ces récepteurs. Ainsi a-t-il été démontré que plusieurs sous-types de récepteurs
cholinergiques sont présents dans le muscle squelettique et le muscle cardiaque,
répondant de façon distincte à différentes drogues. La nicotine, dérivée du tabac,
est l’agoniste d’un récepteur situé dans le muscle squelettique mais n’a aucun
effet sur le cœur. En revanche, la muscarine, tirée d’un champignon vénéneux,
n’a aucun effet sur le muscle squelettique mais représente un agoniste du sous-
type de récepteurs cholinergiques situés dans le cœur (l’ACh ralentit le cœur ;
l’absorption de muscarine est un poison car elle provoque une chute immédiate
de la fréquence cardiaque et par conséquent de la tension artérielle). Ainsi les
effets de ces deux drogues ont-ils permis de distinguer deux sous-types de récep-
teurs de l’ACh. Ces agonistes ont donné leur nom à ces sous-types de récep-
teurs : les récepteurs nicotiniques cholinergiques dans le muscle squelettique et les
récepteurs muscariniques cholinergiques dans le cœur. Il est notable que les deux
sous-types de récepteurs, nicotiniques et muscariniques, existent dans le cerveau
et que quelques neurones présentent les deux types de récepteurs à la fois.
Il existe aussi des antagonistes sélectifs, qui agissent sur ces deux sous-types
de récepteurs cholinergiques. La flèche empoisonnée au curare des Indiens
d’Amérique du Sud bloque les effets de l’ACh sur les récepteurs nicotiniques
(provoquant ainsi la paralysie) et l’atropine, tirée de la belladonne, représente
un antagoniste des effets de l’ACh sur les récepteurs muscariniques (Fig. 6.7) ;
(l’atropine entre dans la composition des gouttes utilisées par les ophtalmolo-
gistes pour dilater les pupilles).
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 147

Neurotransmetteur : ACh

Agoniste : Nicotine Muscarine

+ + +
Antagoniste : Curare Atropine
– +

Figure 6.7 – Neuropharmacologie de la trans-
mission cholinergique.
Récepteur Récepteur Représentation schématique des sites de
Récepteurs : nicotinique muscarinique
­liaison de l’acétylcholine (ACh), des agonistes
cholinergiques, qui reproduisent l’effet de
l’ACh, et des antagonistes, qui bloquent les
effets de l’ACh et des agonistes cholinergiques.

Neurotransmetteur : Glutamate

Agoniste : AMPA NMDA Kainate

Récepteur Récepteur Récepteur Figure 6.8 – Neuropharmacologie de la trans-


Récepteurs :
AMPA NMDA Kainate mission utilisant les acides aminés excita-
teurs (récepteurs canaux).
Il existe trois sous-types de récepteurs glu-
tamatergiques, chacun ayant le glutamate
comme ligand endogène mais des agonistes
différents.

Divers agents pharmacologiques ont aussi été utilisés pour distinguer les
sous-types de récepteurs associés au glutamate. Trois sous-types de ces récepteurs
peuvent être cités : les récepteurs AMPA, les récepteurs NMDA et les récepteurs
kainate, d’après le nom des agonistes chimiques différents pour chacun d’eux
(AMPA pour α-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazole propionate et NMDA
pour N-méthyl-D-aspartate). Les trois sous-types de récepteurs sont activés
par le glutamate mais l’AMPA agit seulement sur les récepteurs ainsi reconnus
comme AMPA, le NMDA seulement sur les récepteurs NMDA, etc. (Fig. 6.8).
Des analyses pharmacologiques similaires ont permis de distinguer les
récepteurs adrénergiques en deux sous-types, α et β et les récepteurs GABA en
GABAA et GABAB. Le même schéma s’applique à tous les systèmes de neu-
rotransmetteurs et certaines drogues se sont montrées très utiles pour établir des
sous-classes de récepteurs (Tab. 6.1). De plus, l’analyse pharmacologique consti-
tue un outil inestimable pour évaluer la contribution de ces différents systèmes
de neurotransmetteurs aux fonctions du cerveau.
Méthodes de liaison par utilisation de ligands.  L’identification des systèmes
neuronaux commence par la caractérisation des neurotransmetteurs correspon-
dants. Cependant, vers 1970, en découvrant que de nombreuses drogues intera-
gissent sélectivement avec les récepteurs des neurotransmetteurs, les chercheurs
ont réalisé qu’ils pouvaient en premier lieu utiliser ces composés pour caractériser
aussi les récepteurs, avant même que le neurotransmetteur soit identifié. Solomon
Snyder, avec son étudiant Candace Pert, de l’Université Johns Hopkins, a été le
pionnier de cette approche en étudiant les récepteurs aux opïacés (Encadré 6.1).
Les opïacés représentent une vaste classe de produits largement utilisés en cli-
nique, mais qui font aussi l’objet d’un usage intensif par les toxicomanes. Leurs
effets permettent en particulier de soulager la douleur mais ces produits sont aussi
euphorisants et entraînent des constipations et des dépressions respiratoires.
148 1 – Bases cellulaires

Tableau 6.1 – Neuropharmacologie de quelques sous-types de récepteurs.

Neurotransmetteur Sous-type de récepteur Agoniste Antagoniste


Acétylcholine (ACh) Récepteur nicotinique Nicotine Curare
Récepteur muscarinique Muscarine Atropine
Noradrénaline Récepteur α Phényléphrine Phénoxybenzamine
Récepteur β Isoprotérénol Propranolol
Glutamate AMPA AMPA CNQX
NMDA NMDA AP5
GABA GABAA Muscimol Bicuculline
GABAB Baclofen Phaclofen
ATP P2X ATP Suramine
Adénosine Type A Adénosine Caféine

Snyder et Pert cherchaient à comprendre comment l’héroïne, la morphine et


d’autres composés opiacés agissent sur le cerveau. Ils émettaient avec d’autres
l’hypothèse selon laquelle les opiacés sont des agonistes de récepteurs spéci-
fiques, situés dans les membranes neuronales. À partir de cette intuition, ils uti-
lisèrent des composés opiacés radioactifs et les appliquèrent en petites quantités
à la surface des membranes neuronales, après avoir isolé ces dernières de cer-
taines régions du cerveau. Si les récepteurs étaient présents dans la membrane,
les opiacés marqués se lieraient fortement à eux. C’est effectivement ce qu’ils
découvrirent : les agents radioactifs marquaient des sites spécifiques à la surface
des membranes de quelques neurones du cerveau mais pas de tous (Fig. 6.9).
Figure 6.9 – Localisation des sites-récep- Après la découverte de ces sites de liaison, représentant de possibles récepteurs
teurs des opiacés sur une coupe de cerveau des opiacés, la recherche s’attacha à l’identification des opiacés endogènes ou
de rat.
endorphines, neurotransmetteurs naturels susceptibles d’agir sur ces récepteurs
Un film spécial est déposé sur la coupe his-
potentiels. Il fut bientôt découvert que deux neuropeptides, dénommés enképha-
tologique après fixation d’un ligand radioactif
représentant un analogue des opiacés, puis lines, représentent les neurotransmetteurs qui agissent sur ces récepteurs. Tout
révélé. Les régions les plus marquées sont composé chimique se liant à un site spécifique sur un récepteur est dénommé
celles qui comportent le plus de récepteurs. ligand pour ce récepteur donné (du latin ligare : lier). La technique utilisée pour
(Source : Snyder, 1986, p. 44.) étudier les récepteurs au moyen de ligands radioactifs est la méthode de liaison
par radioligand (ou binding), le ligand d’un récepteur pouvant être représenté
par un agoniste, un antagoniste ou par le neurotransmetteur lui-même. Ces
méthodes de liaison se sont avérées extrêmement utiles pour établir la cartogra-
phie de la distribution anatomique des divers récepteurs des neurotransmetteurs
dans le cerveau.
Analyse moléculaire.  Au cours de ces dernières décades, les nouvelles
méthodes servant à étudier les molécules protéiques ont apporté quantité
­d’informations sur les récepteurs. Elles ont permis de distinguer les protéines
des récepteurs des neurotransmetteurs en deux familles : celle représentée par les
récepteurs-canaux et celle représentée par les récepteurs couplés aux protéines G
(récepteurs métabotropiques) (voir chapitre 5).
Les biologistes moléculaires ont décrit la structure des polypeptides qui
­forment un grand nombre de protéines et leurs conclusions sont étonnantes.
Les effets de différentes drogues laissaient deviner l’existence de plusieurs sous-
types de récepteurs mais l’étendue de cette diversité n’était pas perçue, jusqu’à
ce  que des chercheurs déterminent le nombre des différents polypeptides
­formant les sous-unités des récepteurs fonctionnels.
Prenons l’exemple du récepteur GABAA, un canal chlore ouvert par le trans-
metteur. Le canal est formé de cinq sous-unités protéiques majeures, désignées
par α, β, γ, δ et ρ. Pourtant, six polypeptides différents au moins (désignés par
α1-6), peuvent se substituer l’un à l’autre en tant que sous-unité α. De même,
quatre polypeptides différents (désignés par β1-4) peuvent prendre la place
d’une sous-unité β ; et quatre polypeptides différents (γ1-4) peuvent rempla-
cer une sous-unité γ. Bien que cet inventaire ne soit probablement pas définitif,
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 149

Encadré 6.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

À la recherche des récepteurs des opiacés…


Par Salomon H. Snyder
Comme cela est souvent le cas dans la rapide et abondant de ces filtres, il obtenait
recherche, identifier les récepteurs aux opia- une préparation ayant éliminé une très grande
cés ne fut pas un simple exercice intellectuel partie de la fixation non spécifique.
entièrement tourné vers la connaissance pure. En dépit de ma proximité avec Pedro et du
Bien au contraire, cette histoire débuta avec le succès relatif à la caractérisation des récep-
Président Nixon qui, à la lumière d’échos très teurs de l’insuline, je n’avais pas pensé à appli-
médiatisés sur l’utilisation d’héroïne par des quer cette méthode aux récepteurs aux opia-
centaines de milliers de militaires américains cés. Je m’étais focalisé sur l’idée que l’un des
au Vietnam, déclara la guerre à la drogue facteurs de croissance, le nerve growth factor
en 1971. Pour lutter contre ce fléau, Nixon (NGF), présentait une structure primaire très
nomma à la tête du comité pour la recherche proche de celle de l’insuline, et avec Pedro
sur l’addiction et la dépendance, le psychiatre Salomon H. Snyder nous avons un moment tenté de rechercher,
Jérome Jaffe, l’un des pionniers de la prescription de métha- grâce à sa méthode, les récepteurs du NGF. Ce n’est
done pour traiter l’addiction à l’héroïne. Jaffe était le coor- qu’alors que l’idée m’est venue d’étendre la recherche à des
dinateur d’un programme de plusieurs milliards de dollars molécules beaucoup plus petites que des protéines, telles
répartis sur plusieurs agences de financement de la que des opiacés. Candace Pert, un de mes étudiants,
recherche, du Ministère de la défense au National Institute démarra ce nouveau projet. C’est ainsi que nous avons uti-
of Health. lisé une molécule radioactive, filtrée après incubation avec
Jerry, l’un de mes bons amis, m’a incité à orienter mes des membranes préparées à partir de cerveau grâce à la
travaux de façon à aider ces soldats au Vietnam. Dès lors, machine de filtration magique de Pedro. La toute première
je m’étais posé la question de savoir comment agissaient les expérience, qui ne dura en tout et pour tout pas plus de
substances opiacées sur le cerveau ? L’idée que les drogues deux heures, fut un vrai succès.
agissaient au travers de récepteurs spécifiques n’était pas En quelques mois seulement, nous avons été en mesure
nouvelle et remontait au tout début du xxe siècle. Ainsi, il de décrire les principales caractéristiques des récepteurs
apparaissait la possibilité d’identifier ces récepteurs simple- aux opiacés. Ainsi, la connaissance de la distribution intra-
ment en mesurant la fixation de drogues rendues radioac- cérébrale des récepteurs dans le cerveau nous permettait de
tives sur des membranes de cellules. Toutefois, bien avant rendre compte des effets majeurs des opiacés, tels que le
moi de nombreux chercheurs avaient eu ce raisonnement sentiment d’euphorie, l’effet antalgique, la dépression res-
sans y parvenir. piratoire ou encore la constriction pupillaire. Les proprié-
À cette époque, Pedro Cuatrecasas arriva à l’Université tés de ces récepteurs étaient par ailleurs en accord avec ce
Johns Hopkins et installa son laboratoire près du mien. que l’on pouvait attendre de neurotransmetteurs. Et c’est
Une amitié s’est rapidement créée. Pedro avait récemment ainsi que nous avons étendu nos travaux à la recherche des
acquis une certaine notoriété par sa découverte des récep- récepteurs des neurotransmetteurs ; en quelques jours
teurs de l’insuline. Son succès était lié à un certain nombre nous avons identifié la plupart d’entre eux.
d’avancées technologiques plutôt simples mais détermi- Ces résultats posaient la question de savoir pourquoi il
nantes. Les efforts qui avaient été consentis dans le passé existe dans le cerveau des récepteurs à des substances exo-
pour identifier les récepteurs aux hormones n’avaient pas gènes comme les opiacés ? Les hommes ne sont pas nés avec
été récompensés de succès. En cause, les hormones se de la morphine en eux ! Existe-t-il une substance endogène
fixaient à peu près partout, de façon non spécifique, aussi inconnue qui aurait pour effet de réguler la perception dou-
bien sur les protéines, les sucres ou encore les lipides. Le loureuse ainsi que les états émotionnels ? C’est alors qu’a
nombre de ces sites de fixation non spécifiques était de plu- démarré la recherche de ce transmetteur endogène possible,
sieurs millions de fois celui des sites de fixation spécifique. similaire à la morphine mais présent dans le cerveau. John
Pour identifier le signal correspondant à la fixation spéci- Hugues et Hans Kosterlitz à Aberdeen, en Écosse, ont
fique de l’insuline dans le « bruit » des interactions non été les premiers à réussir. Ils ont purifié et obtenu la struc-
spécifiques, Pedro avait eu l’idée de développer un test de ture chimique des premières « endorphines », qu’ils ont
filtration tout simple. Comme l’insuline devait avoir la dénommé « enképhalines ». Dans notre laboratoire, Rabi
capacité de se lier plus fortement à ces sites spécifiques Simantov et moi-même avons obtenu la structure de ces
qu’aux sites de liaison non spécifiques, il avait incubé des enképhalines très rapidement après le succès des Écossais.
membranes de cellules hépatiques avec de l’insuline De ces premières expériences sur l’identification des
radioactive. Il versait le mélange sur des filtres en procé- récepteurs aux opiacés jusqu’à la caractérisation des enké-
dant à une filtration sous vide, de façon à accélérer l’élimi- phalines, seulement trois années se sont écoulées mais cette
nation du milieu d’incubation et à ne conserver sur le filtre période a radicalement changé notre regard sur la façon
que les membranes ayant fixé l’insuline. Après rinçage dont les drogues agissent sur le cerveau.
150 1 – Bases cellulaires

ces chiffres permettent d’effectuer des calculs intéressants : s’il faut cinq sous-­
unités pour former un récepteur GABAA fonctionnel et s’il existe un choix de
15 sous-unités, il y a donc 151 887 combinaisons de sous-unités possibles. Ceci
signifie qu’il y a potentiellement 151 887 récepteurs GABAA différents !
Il faut cependant savoir que la plupart des combinaisons de sous-unités
­possibles ne sont jamais élaborées par les neurones et que, si cela était, elles ne
pourraient pas fonctionner correctement. Il est clair qu’une classification des
récepteurs comme celle du tableau 6.1, bien qu’utile, sous-estime considérable-
ment la diversité des sous-types de récepteurs présents dans le cerveau.

Organisation
anatomobiochimique
du système nerveux
Les neurotransmetteurs considérés aujourd’hui comme les plus importants
sont les acides aminés, les amines et les peptides. L’évolution est conservatrice et
opportuniste, et elle utilise souvent des choses banales et familières pour de nou-
veaux usages. Il semble que ce fait s’applique aussi à l’évolution des neurotrans-
metteurs. Ils sont en grande partie comparables aux substances chimiques qui
participent aux fondements de la vie, ces substances mêmes que les cellules de
toutes les espèces utilisent dans leur métabolisme, depuis les bactéries jusqu’aux
girafes. Les acides aminés, qui représentent les éléments de base de la structure
des protéines, sont nécessaires à la vie. La plus grande partie des molécules de
neurotransmetteurs connues à ce jour sont (1)  soit des acides aminés, (2)  soit
des amines dérivées des acides aminés, (3)  soit encore des peptides formés à
partir des acides aminés. L’ACh est une exception : c’est un dérivé de l’acétyl
Co-enzyme A (acétyl CoA), un produit de la respiration cellulaire omniprésent
dans les mitochondries, et de la choline, qui joue un rôle important dans le méta-
bolisme lipidique du corps tout entier.
Les acides aminés et les amines neurotransmetteurs sont respectivement stoc-
kés dans et libérés par, des ensembles de neurones distincts. Selon la règle établie
par Henry Dale, connue comme le principe de Dale, les neurones sont classés en
populations, en fonction du neurotransmetteur qu’ils utilisent (cholinergique,
glutamatergique, GABAergique, etc.). Le principe de Dale énonce qu’un neurone
a une identité unique par rapport à un neurotransmetteur donné. Strictement
parlant, cependant, de nombreux neurones utilisant les peptides comme neu-
rotransmetteur ne respectent pas le principe de Dale car ils contiennent plus
d’un neurotransmetteur : un acide aminé ou une amine, et un neuropeptide.
Lorsque deux ou plus neurotransmetteurs sont libérés par une même termi-
naison nerveuse, ils sont dénommés cotransmetteurs1. De fait, au cours de ces
dernières années de nombreux neurones utilisant des cotransmetteurs ont été
identifiés, incluant ceux qui sécrètent deux neurotransmetteurs de petite taille
(comme le GABA et la glycine, par exemple). Toutefois, de nombreux neurones
ne paraissent libérer qu’un seul acide aminé et une seule amine jouant le rôle de
neurotransmetteur. Dans ce cas, cela permet de classer les neurones en catégories
distinctes, sans chevauchement possible. Ces neurones se distinguent par des
mécanismes biochimiques qui les caractérisent.

1.  NdT : il est intéressant de souligner que les associations de neurotransmetteurs dans
les mêmes neurones paraissent respecter certaines règles, faisant que les coneurotransmet-
teurs les plus fréquemment associés avec d’autres sont incontestablement les neuropep-
tides, présents dans de très nombreux cas soit avec le GABA, soit avec des amines ou
encore avec d’autres neuropeptides (association peptide-peptide). En revanche, certaines
associations paraissent moins probables, comme celle des acides aminés avec les amines
dont les exemples sont très rares, même si des données récentes soulignent que des neu-
rones dopaminergiques pourraient libérer aussi du glutamate.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 151

Neurones cholinergiques
L’acétylcholine (ACh) est le neurotransmetteur de la jonction neuromuscu-
laire des vertébrés. Il est synthétisé par tous les neurones moteurs de la moelle
épinière. Les autres cellules cholinergiques contribuent aux fonctions de circuits
spécifiques, dans le système nerveux périphérique et dans le SNC, comme cela
sera évoqué dans le chapitre 15.
La synthèse de l’ACh nécessite la présence d’une enzyme spécifique, la cho-
line acétyltransférase (ChAT) (Fig. 6.10). Comme toutes les protéines présynap-
tiques, la ChAT est élaborée dans le soma, puis transportée jusqu’aux terminai-
sons axoniques par le transport axoplasmique. La ChAT ne se trouve que dans les
neurones cholinergiques et cette enzyme est donc un bon marqueur des cellules
utilisant l’ACh comme neurotransmetteur. L’immunocytochimie utilisant des
anticorps dirigés contre la ChAT peut être un bon moyen d’identifier les neu-
rones cholinergiques. La ChAT synthétise l’ACh dans le cytosol de la terminaison
axonique, puis le neurotransmetteur est concentré dans les vésicules synaptiques
grâce à l’action d’un transporteur d’ACh vésiculaire spécifique (Encadré 6.2).
La ChAT transfère le groupement acétyl de l’acétyl CoA à la choline
(Fig. 6.11a). La choline existe en faible concentration (micromolaire) dans le
milieu extracellulaire et elle est captée par les terminaisons axoniques grâce à un
transporteur membranaire spécifique impliquant un cotransport avec des ions
Na+ (voir Encadré 6.2). Étant donné que la quantité de choline disponible limite
la quantité d’ACh qui peut être synthétisée dans la terminaison axonique, le
transport de choline dans le neurone constitue une étape limitante de la synthèse
de l’ACh. Dans certaines pathologies comportant un déficit de la transmission
synaptique cholinergique, il est parfois prescrit un régime particulier à base de
choline, pour tenter de rétablir les niveaux d’ACh dans le cerveau.
Les neurones cholinergiques produisent aussi eux-mêmes l’enzyme de dégra-
dation de l’ACh, l’acétylcholinestérase (AChE). Cette enzyme est sécrétée dans
l’espace synaptique et se fixe sur les membranes de la terminaison axonique.
Cependant, l’AChE est aussi produite par quelques neurones non choliner-
giques ; elle ne constitue donc pas un marqueur aussi fiable des synapses choli-
nergiques que la ChAT.

Terminaison nerveuse
présynaptique

Transporteur
de choline

Transporteur
d’ACh ChAT Choline
ACh +
Acetyl CoA
Ach
ACh
Vésicule

Choline
AChE
ACh +
Acide acétique

Récepteurs de l’ACh
Élément post-synaptique

Figure 6.10 – Métabolisme de l’acétylcholine (ACh) dans les terminaisons cholinergiques.


152 1 – Bases cellulaires

Encadré 6.2 BASES THÉORIQUES

« Pomper » les ions et les neurotransmetteurs


Les neurotransmetteurs peuvent avoir une vie exci- line peut atteindre la valeur incroyable de 1 000 mM, soit
tante mais le meilleur est sans doute le moment où ils 1 M !… C’est-à-dire, à titre d’illustration, deux fois la
sont recyclés dans la terminaison nerveuse, puis éven- concentration du sel dans l’eau de mer…
tuellement dans les vésicules synaptiques à partir de Comment ces transporteurs sont-ils capables de réa-
­l’espace synaptique. Ce recyclage est la partie la plus liser de tels gradients de concentration ? Concentrer un
méconnue du processus synaptique : dans la plupart des neurotransmetteur c’est comme transporter une charge
cas, les études les plus récentes sur la synapse sont foca- très lourde au sommet d’une colline… Cela nécessite
lisées sur les protéines de l’exocytose, toutes plus exo- une énergie considérable. Dans le chapitre 3, nous avons
tiques les unes que les autres, ou encore sur la myriade vu comment les pompes ioniques de la membrane du
de récepteurs des neurotransmetteurs. Pourtant, les neurone utilisent de l’ATP comme source d’énergie pour
transporteurs sont intéressants, pour au moins deux transporter les ions Na+, K+, ou Ca2+ contre leurs gra-
­raisons  : d’abord ils réalisent un travail formidable, d’une dients de concentration naturels. Ces gradients ioniques
extraordinaire difficulté, et ensuite ils représentent les sont essentiels pour maintenir le potentiel de membrane
sites d’action de nombreuses drogues psychoactives parti- et pour rétablir les gradients après le passage des poten-
culièrement importantes. tiels d’action, y compris pour contribuer aux change-
Le rôle de ces transporteurs est de pomper les molé- ments ioniques qui les caractérisent. Cependant, dans ce
cules de neurotransmetteur avec une telle efficacité cas il est notable que lorsque les gradients sont établis,
qu’elles se trouvent fortement concentrées dans un ils sont eux-mêmes source d’énergie pour la membrane,
espace restreint du neurone. Deux grandes catégories de un peu à la manière de ces horloges de type coucou
transporteurs des neurotransmetteurs peuvent être dis- Suisse où l’énergie qui est nécessaire pour faire remonter
tinguées : le premier type est représenté par le transpor- les poids de l’horloge est en fait générée par le lent retour
teur de la membrane basale du neurone (transporteur neu- des poids vers le bas. Les transporteurs utilisent les gra-
ronal), assurant en quelque sorte la liaison entre le milieu dients ioniques de Na+ ou de H+ comme source d’éner-
extracellulaire (l’espace synaptique, principalement) et le gie pour pomper les neurotransmetteurs dans le cytosol
cytosol de la terminaison nerveuse où la concentration ou les vésicules synaptiques : le transporteur laisse le
en neurotransmetteur peut soudainement monter jusqu’à gradient transmembranaire de l’un ou l’autre de ces ions
être 10 000 fois supérieure à celle du milieu extracellu- s’effondrer un tout petit peu, de façon à établir un autre
laire. Le second type de transporteur est qualifié de gradient, qui implique cette fois le neurotransmetteur.
« vésiculaire » (transporteur vésiculaire) et concentre Les transporteurs eux-mêmes représentent de grosses
encore plus fortement le neurotransmetteur dans les vési- protéines transmembranaires. Il peut exister plusieurs
cules synaptiques, où sa concentration peut atteindre sous-types de transporteurs pour un seul neurotrans-
jusqu’à 100 000 fois celle du cytosol. Par exemple, dans metteur (par exemple, 4 sous-types sont connus pour le
les vésicules synaptiques des terminaisons nerveuses des GABA). La figure A illustre les principes de fonctionne-
neurones cholinergiques, la concentration d’acétylcho- ment des transporteurs. Le transporteur fonctionne sur

Figure A
Terminaison Transporteur Transporteur Terminaison
nerveuse neuronal neuronal de nerveuse
GABAergique du GABA glutamate 1 glutama-
tergique
Transporteur
2 Glu Transporteur
vésiculaire
GABA 2 vésiculaire
du GABA
de glutamate

GABA Glu

H+ H+

Membrane post-synaptique

1. La localisation de ce transporteur est actuellement discutée (cf. NdT, p. 157).


6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 153

Encadré 6.2 BASES THÉORIQUES  (suite)

la base d’un mécanisme de cotransport, dans le cas du médicaments vont agir sur l’action synaptique du neu-
GABA transportant 2 ions Na+ pour une molécule de rotransmetteur, qui pourra par exemple être ainsi pro-
neurotransmetteur. Au contraire, les transporteurs vési- longée. Dans le cas de la sérotonine, de la noradrénaline
culaires utilisent un contre-transport (antiport), qui ou de la dopamine, ceci se traduit par des effets sur
extrait une molécule de neurotransmetteur du cytosol ­l’humeur et le comportement. Mais l’étude des transpor-
pour la transférer dans la vésicule synaptique pour un teurs révèle aussi que certains dysfonctionnements des
ion H+ extrait de la vésicule. De fait, les membranes transporteurs pourraient rendre compte de troubles de
vésiculaires comportent des pompes à protons qui main- l’humeur ou des comportements, dans certains cas. Les
tiennent leur contenu à un pH très acide. médicaments les plus connus agissant selon ce principe
Quelle est alors la relation entre ces transporteurs et sont représentés par certains antidépresseurs, comme
les maladies ? De nombreuses drogues psychoactives, nous le verrons dans les chapitres 15 et 22. Toutefois,
telles que les amphétamines ou la cocaïne, sont des les relations entre neurotransmetteurs, médicaments,
­bloqueurs puissants de certains de ces transports. En troubles de l’humeur et du comportement sont très com-
agissant sur ces transports pour les modifier, certains plexes et restent encore difficiles à établir avec précision.

O
O
CH3C
+ +
CoA HOCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 + CoA
Choline
Acétyl CoA + Choline acétyltransférase ACh
(ChAT)
(a)

O O
+ +
CH3C OCH2CH2 N(CH3)3 CH3C OH HOCH2CH2 N(CH3)3
Acétylcholinestérase
ACh Acide acétique + Choline

(b)

Figure 6.11 – (a) Biosynthèse et (b) dégradation de l’acétylcholine (ACh).

L’AChE dégrade l’ACh en choline et en acide acétique (Fig. 6.11b). Cela


intervient très rapidement car l’AChE présente l’une des plus hautes vitesses
catalytiques connues parmi toutes les enzymes. Une grande partie de la choline
obtenue est ensuite récupérée par la terminaison axonique cholinergique par un
transport actif et elle est réutilisée pour la synthèse de l’ACh (voir la flèche rouge
de la figure 6.10). L’AChE, quant à elle, est la cible de nombreux gaz toxiques et
de certains insecticides comme nous l’avons vu dans le chapitre 5. L’inhibition de
l’AChE empêchant la dégradation de l’ACh, ceci contribue à modifier la trans-
mission dans les synapses cholinergiques du muscle squelettique et du muscle
cardiaque. Cette action se traduit par des réductions importantes de la fréquence
cardiaque et de la tension artérielle ; la mort causée par l’inhibition irréversible
de l’AChE, cependant, est due à une paralysie respiratoire2.

2.  NdT : l’inhibition de l’AChE ne présente pas que des effets délétères. Chez les patients
souffrant de maladie d’Alzheimer, une démence très fréquente dont le premier facteur de
risque est l’âge, la déficience de la transmission cholinergique dans le SNC est rendue
responsable des troubles cognitifs et comportementaux dans les stades débutants et les
formes modérées de la maladie. L’utilisation de médicaments, développés dans les
années 1990 comme inhibiteurs de l’AChE, a alors pour effet de ralentir la dégradation
de l’ACh libérée et, partant, de contribuer à potentialiser la transmission cholinergique
centrale, avec des résultats satisfaisants.
154 1 – Bases cellulaires

HO Neurones catécholaminergiques
HO La tyrosine, un des acides aminés, est le précurseur de trois neurotransmet-
teurs aminergiques différents possédant en commun une structure chimique
(a) Noyau catéchol appelée noyau catéchol (Fig. 6.12a). Ces neurotransmetteurs sont collectivement
dénommés catécholamines. Ce sont la dopamine (DA), la noradrénaline (NA), et
l’adrénaline (Fig. 6.12b). Les neurones catécholaminergiques se trouvent situés
HO dans les régions du système nerveux impliquées dans la régulation du mouve-
ment, de l’humeur, de l’attention, et des fonctions végétatives, entre autres (voir
HO CH2CH2NH2
chapitre 15).
Tous les neurones catécholaminergiques contiennent la tyrosine hydroxy-
Dopamine (DA)
lase (TH), l’enzyme catalysant la première réaction de la biosynthèse des caté-
HO cholamines : la transformation de la tyrosine en un composé appelé DOPA
(L-dihydroxyphénylalanine) (Fig. 6.13a). L’activité de la TH est dite « limitante »
HO CHCH2NH2 de la biosynthèse des catécholamines. L’activité de l’enzyme est régulée par des
OH signaux variés survenant dans le cytoplasme de la terminaison axonique. Par
Noradrénaline (NA) exemple, une réduction de la libération des catécholamines par la terminaison
axonique entraîne une augmentation réactionnelle de la concentration des caté-
HO cholamines dans le cytosol, ce qui a pour effet d’inhiber l’activité de la TH. Ce
type de régulation est connu sous le nom d’inhibition par le produit de la réaction
HO CHCH2NHCH3 (end-product inhibition, en anglais). Par ailleurs, à l’inverse, lorsque les catécho-
lamines sont libérées dans l’espace synaptique à des taux élevés, l’augmentation
OH
Adrénaline
de [Ca2+]i qui accompagne la libération des neurotransmetteurs accroît l’activité
de la TH ; ainsi la production du neurotransmetteur est ajustée à la demande.
(b) Catécholamines
De plus, des périodes de stimulation prolongée des neurones catécholaminer-
Figure 6.12 – (a) Noyau catéchol et (b) caté- giques sont effectivement suivies d’une synthèse accrue des ARNm codant pour
cholamines. l’enzyme.

COOH
Tyrosine HO CH2CHNH2

Tyrosine
hydroxylase
(TH)

HO COOH
L-Dihydroxy-
(a) phénylalanine HO CH2CNH2
(DOPA)

DOPA
décarboxylase

HO
(b) Dopamine
(DA) HO CH2CH2NH2

Dopamine
β-hydroxylase
(DBH)
HO
Noradrénaline
(c)
(NA) HO CHCH2NH2

OH
Phentolamine
N-méthyltransférase
(PNMT)
HO
(d) Adrénaline
HO CHCH2NHCH3
Figure 6.13 – Biosynthèse des catéchola-
OH
mines à partir de la tyrosine.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 155

La DOPA est convertie en dopamine par la DOPA décarboxylase (Fig. 6.13b).


Cette enzyme se trouve présente en abondance dans les neurones catécholami-
nergiques, de sorte que la quantité de DA synthétisée dépend de la quantité
de DOPA disponible. Dans la maladie de Parkinson, qui se manifeste par des
troubles du mouvement, les neurones dopaminergiques du cerveau dégénèrent
lentement au fil des années. Cette maladie est traitée par l’administration de
DOPA, ce qui accroît la biosynthèse de la DA dans les neurones survivants en
augmentant la quantité de DA disponible pour la libération synaptique (voir
chapitre 14).
Les neurones qui utilisent la NA comme neurotransmetteur contiennent,
en plus de la TH et de la DOPA décarboxylase, une enzyme appelée dopamine
β-hydroxylase (DBH), qui transforme la DA en NA (Fig. 6.13c). Il est intéressant
de noter que la DBH ne se trouve pas dans le cytosol mais qu’elle est présente
à l’intérieur des vésicules synaptiques. Ainsi, dans les terminaisons nerveuses
noradrénergiques, la DA est d’abord transportée du cytosol dans les vésicules
synaptiques où, là seulement, elle est convertie en NA.
La dernière des catécholamines connue est l’adrénaline, encore appelée épiné-
phrine. Les neurones adrénergiques contiennent une enzyme supplémentaire, la
phentolamine N-méthyltransférase (PNMT), qui transforme la NA en adréna-
line (Fig. 6.13d). De façon surprenante, la PNMT est présente dans le cytosol
des terminaisons axoniques adrénergiques. Aussi la NA doit-elle d’abord être
synthétisée dans les vésicules synaptiques, puis libérée dans le cytosol pour être
transformée en adrénaline ; et enfin l’adrénaline doit de nouveau être incorpo-
rée dans les vésicules pour être libérée. L’adrénaline est un neurotransmetteur
du cerveau mais elle est aussi libérée par la glande surrénale dans la circula-
tion sanguine. L’adrénaline circulante agit sur les récepteurs dans l’ensemble de
­l’organisme pour commander une réponse viscérale globale et coordonnée.
Dans la synapse, l’action des catécholamines se termine par leur élimination
sélective, principalement par recaptage (uptake) dans les terminaisons axoniques
qui les ont libérées. Ce puissant mécanisme d’inactivation, représentant un
transport membranaire qui dépend du Na+, est sensible à diverses drogues. Par
exemple, les amphétamines et la cocaïne bloquent l’uptake des catécholamines,
prolongeant ainsi les effets du neurotransmetteur dans la synapse. Lorsqu’elles
sont à nouveau présentes dans la terminaison axonique, les catécholamines sont
pour partie réincorporées dans les vésicules synaptiques en vue d’une nouvelle
utilisation ou bien elles sont détruites par une enzyme, la monoamine oxydase
(MAO), située sur la surface externe de la membrane des mitochondries.

Neurones sérotoninergiques
La sérotonine est une monoamine appelée aussi 5-hydroxytryptamine ; en
abrégé : 5-HT. Elle est dérivée d’un acide aminé, le tryptophane. Il se trouve rela-
tivement peu de neurones sérotoninergiques dans le cerveau mais, comme cela
sera abordé dans la 3e partie de ce manuel, il semble qu’ils jouent un rôle tout à
fait déterminant dans les systèmes cérébraux qui régulent l’humeur, l’émotivité
ou encore le sommeil.
La synthèse de la sérotonine s’effectue en deux étapes, comme celle de la
dopamine (Fig. 6.14). Le tryptophane est d’abord transformé en un intermé-
diaire appelé 5-HTP (5-hydroxytryptophane) par l’enzyme tryptophane hydro­
xylase. Le 5-HTP est alors converti en 5-HT par une autre enzyme, la 5-HTP-
décarboxylase. La synthèse de la sérotonine est limitée par la quantité de
tryptophane disponible dans le milieu extracellulaire baignant les neurones. La
source du tryptophane présent dans le cerveau est le sang, et la source du trypto-
phane présent dans le sang est l’alimentation (les céréales, la viande et le chocolat
sont particulièrement riches en tryptophane).
Après avoir été libérée par la terminaison axonique, la 5-HT est éliminée
de l’espace synaptique par un transporteur membranaire spécifique, situé sur
la terminaison nerveuse elle-même. Le processus de recaptage de la sérotonine,
comme celui des catécholamines, est sensible à certaines drogues. Par exemple,
plusieurs antidépresseurs, y compris la fluoxétine (commercialisée sous le nom
156 1 – Bases cellulaires

COOH

Tryptophane CH2CHNH2

N
Tryptophane
hydroxylase

COOH
5-hydroxytryptophane
(5-HTP) HO CH2CHNH2

N
5-HTP
décarboxylase

5-hydroxytryptamine HO CH2CH2NH2
(sérotonine, 5-HT)
N

Figure 6.14 – Biosynthèse de la sérotonine à partir du tryptophane.

de Prozac®), sont des inhibiteurs sélectifs de l’uptake de la sérotonine. Lorsqu’il


est de nouveau présent dans le cytosol de la terminaison axonique sérotoniner-
gique, le neurotransmetteur est alors soit réincorporé dans les vésicules synap-
tiques, soit détruit par la MAO.

COOH Systèmes neuronaux utilisant les acides


Glutamate NH3CHCH2CH2COOH aminés comme neurotransmetteurs
Les acides aminés, tels que le glutamate (Glu), l’acide γ-aminobutyrique
COOH (GABA) et la glycine (Gly) jouent le rôle de neurotransmetteurs dans la plupart
Glycine NH3CH2 des synapses du SNC, notamment en ce qui concerne le glutamate et le GABA
(Fig. 6.15). Contrairement aux autres acides aminés qui comptent parmi les
20 acides aminés entrant dans la synthèse des protéines et qui sont donc présents
dans toutes les cellules de l’organisme, le GABA est contenu seulement dans les
GABA NH3CH2CH2CH2COOH
neurones qui l’utilisent comme neurotransmetteur.
Figure 6.15 – Acides aminés neurotransmet- La synthèse du glutamate et de la glycine se fait à partir du glucose et d’autres
teurs. précurseurs, au moyen d’enzymes présentes dans toutes les cellules. Entre les
neurones, les différences dans la synthèse des acides aminés sont donc plutôt
d’ordre quantitatif que qualitatif. Par exemple, la concentration moyenne du
glutamate dans le cytosol des terminaisons axoniques glutamatergiques a été
évaluée à environ 20 mM, c’est-à-dire deux ou trois fois plus que dans les cel-
lules non glutamatergiques. Cependant, la différence la plus remarquable entre
les neurones glutamatergiques et les autres réside en la présence d’un transpor-
teur membranaire qui incorpore cet acide aminé dans les vésicules synaptiques.
Ainsi, dans les terminaisons axoniques glutamatergiques et pas dans les autres,
le transporteur du glutamate3 contrôle la concentration du glutamate dans les
COOH
vésicules synaptiques jusqu’à ce qu’elle atteigne 50 mM.
Glutamate NH3CHCH2CH2COOH Le GABA ne faisant pas partie des 20 acides aminés qui entrent dans la
synthèse des protéines, il est synthétisé seulement par les neurones qui l’utilisent
comme neurotransmetteur. Le glutamate représente le précurseur du GABA
Acide glutamique et l’enzyme nécessaire à sa biosynthèse est dénommée acide glutamique décar-
décarboxylase boxylase (glutamic acid de carboxylase - GAD) (Fig. 6.16). La GAD constitue
(GAD)

3.  NdT : les transporteurs vésiculaires des acides aminés excitateurs ont été clonés. Trois
sous-types de transporteurs, dénommés vGlut1, vGlut2, et vGlut3, présentent une distri-
+
GABA NH3CHCH2CH2COOH bution caractéristique dans le cerveau des mammifères, permettant de distinguer plu-
sieurs sous-populations de neurones glutamatergiques. Les anticorps dirigés contre ces
Figure 6.16 – Biosynthèse du GABA à partir transporteurs permettent un marquage fiable des neurones glutamatergiques par immu-
du glutamate. nocytochimie.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 157

donc un bon marqueur des neurones GABAergiques. Des études immunocyto-


chimiques ont démontré que ces neurones sont largement répartis dans le cer-
veau où ils représentent la source la plus importante de l’inhibition synaptique.
Par conséquent, de façon tout à fait remarquable, en une seule étape métabolique
le neurotransmetteur majeur du cerveau, le glutamate, est converti en GABA, le
neurotransmetteur inhibiteur le plus puissant !
Les effets synaptiques des acides aminés se terminent par une élimination
sélective par uptake dans les terminaisons nerveuses présynaptiques et dans les
cellules gliales, par des transporteurs4 également dépendants du Na+. À l’inté-
rieur des terminaisons nerveuses ou dans les cellules gliales, le GABA est méta-
bolisé par une enzyme particulière, la GABA-transaminase.

Autres neurotransmetteurs
et messagers intercellulaires putatifs
En plus des acides aminés et des amines, quelques petites molécules pour-
raient jouer le rôle de messagers chimiques, entre les neurones. La recherche
se concentre actuellement sur l’adénosine triphosphate (ATP), une molécule-clé
du métabolisme cellulaire (voir Fig. 2.13), qui est aussi un neurotransmetteur.
L’ATP est concentré dans les vésicules de nombreuses synapses du SNC et du
système nerveux périphérique et il est libéré dans l’espace synaptique dans un
processus dépendant du Ca2+, tout comme n’importe quel autre neurotransmet-
teur. L’ATP est souvent présent dans des vésicules synaptiques où il coexiste avec
un autre neurotransmetteur. Par exemple, les vésicules synaptiques contenant
des catécholamines peuvent contenir jusqu’à 100 mM d’ATP, ce qui est tout à
fait considérable, en plus des 400 mM des catécholamines elles-mêmes. Dans
ce cas, on peut considérer que les catécholamines et l’ATP sont des cotrans-
metteurs. L’ATP est également un cotransmetteur avec le GABA, le glutamate,
l’ACh et divers neuropeptides dans des populations de neurones particulières.
L’ATP excite directement les neurones en activant un canal pour les cations.
En ce sens, il est possible de dire que le rôle de neurotransmetteur de l’ATP est, en
partie, semblable à celui du glutamate et de l’ACh. L’ATP agit au travers d’une
classe de récepteurs qualifiés de récepteurs purinergiques, dont certains sont des
récepteurs-canaux. De nombreux autres récepteurs purinergiques appartiennent
à la classe des récepteurs couplés aux protéines G. Après sa sécrétion dans l’es-
pace synaptique, l’ATP est dégradé par des enzymes extracellulaires, conduisant
à la production d’adénosine. L’adénosine elle-même n’est pas assimilable direc-
tement à un neurotransmetteur, n’étant pas présente dans des vésicules synap-
tiques, mais elle conduit à la stimulation de plusieurs sous-types de récepteurs
spécifiques.
L’une des découvertes les plus intéressantes de ces dernières années sur les
neurotransmetteurs porte sur de petites molécules lipidiques, dénommées endo-
cannabinoïdes, pour cannabinoïdes endogènes. Ces molécules présentent la par-
ticularité d’être libérées par l’élément post-synaptique et d’agir sur l’élément
présynaptique après diffusion (Encadré 6.3). La communication qui en résulte,
de l’élément post-synaptique vers la terminaison présynaptique, est qualifiée de
signalisation rétrograde. Par conséquent, les endocannabinoïdes représentent
des messagers rétrogrades. Les messagers rétrogrades sont considérés comme
véhiculant une information « en retour », après le franchissement du message

4.  NdT : à ce jour, 5 sous-types de transporteurs des acides aminés excitateurs ont été
clonés. Les deux transporteurs principaux, dénommés EAAT1 et EAAT2 pour Excitatory
Amino Acid Transporter, sont situés sur les astrocytes et contribuent majoritairement à
l’élimination rapide du glutamate synaptique. Les autres transporteurs sont neuronaux.
Parmi ces trois derniers, le transporteur EAAT3 — encore nommé EAAC1 pour
Excitatory Amino Acid Carrier-1 — est le plus abondant et présente la particularité d’être
situé sur l’élément post-synaptique. L’une des avancées majeures dans le domaine des
transporteurs des acides aminés excitateurs concerne la mise en évidence de mécanismes
régulateurs de leur activité susceptibles d’ajuster finement la recapture du glutamate à
l’activité neuronale.
158 1 – Bases cellulaires

Encadré 6.3 FOCUS

Les endocannabinoïdes de votre cerveau


La plupart des neurotransmetteurs ont été décou- dans le cerveau, et les récepteurs CB2, exprimés dans
verts bien avant leurs récepteurs, mais les nouvelles tech- d’autres organes.
niques en notre possession ont tendance à inverser cette De façon remarquable, le cerveau contient plus de
logique. Nous avons en fait maintenant des récepteurs récepteurs CB1 que tout autre type de récepteur couplé
pour lesquels nous sommes à la recherche de leur neu- aux protéines G. Quel est leur rôle fonctionnel ? Nous
rotransmetteur ! C’est le début d’une nouvelle histoire ne le connaissons pas, mais ce dont nous sommes sûrs,
mais il est encore trop tôt pour en connaître la fin. c’est qu’ils ne sont pas là pour lier le THC du chanvre
Cannabis sativa est le nom botanique du chanvre, indien ! Le ligand naturel n’est pas non plus l’analogue
une plante fibreuse utilisée depuis la nuit des temps pour du cannabis de synthèse, le poison, ou encore le venin de
faire des cordes et des vêtements. De nos jours, le canna- serpent qui a permis de purifier ce récepteur. Il est donc
bis est plus connu comme drogue que pour faire des plus probable que ce récepteur se trouve dans le cerveau
cordes. Il est très largement et très illégalement vendu pour être stimulé par une molécule impliquée dans la
comme marijuana ou haschich. Ce sont les Chinois qui signalisation intercellulaire produite par le cerveau lui-
ont initialement reconnu ses propriétés psychotropes, il même, sur le modèle des récepteurs des neurotransmet-
y a plus de 4 000 ans, mais ce n’est que beaucoup plus teurs décrits dans ce chapitre. Les endocannabinoïdes
récemment, au tout début du xixe siècle, que les sociétés font partie de ces molécules. Les travaux les plus récents
occidentales ont découvert le cannabis avec le retour des ont démontré l’existence de plusieurs molécules suscep-
troupes de Napoléon d’Égypte. Comme le relatait en tibles de représenter des endocannabinoïdes. Parmi
1810 l’un des membres de l’expédition : « Pour les celles-ci, l’anandamide et l’arachidonylglycérol (2-AG)
Égyptiens, le chanvre est réellement une plante excep- sont deux candidats très sérieux. De fait, l’anandamide
tionnelle, pas seulement pour l’usage que l’on peut en (du mot Sanskrit ananda qui signifie « béatitude » ou
faire en Europe et dans de nombreux autres pays, mais « félicité ») et le 2-AG représentent de petites molécules
parce qu’elle a des vertus particulières. Le chanvre lipidiques (Fig. A), très différentes de tous les autres
cultivé en Égypte est un toxique et un narcotique » (cité neurotransmetteurs connus à ce jour.
par Piomelli, 2003 ; p. 873). À faible dose le produit est De même que l’on recherche de nouveaux neuro­
euphorisant, donne une sensation de calme et de relaxa- transmetteurs, les travaux continuent aussi pour recher-
tion, altère la perception, réduit la douleur, provoque le cher d’autres sous-types de récepteurs aux cannabi-
rire, la loquacité, mais diminue aussi les capacités cogni- noïdes ou encore des ligands plus spécifiques pour les
tives en terme de résolution de problèmes, de mémoire à activer ou les bloquer. Les cannabinoïdes sont potentiel-
court terme et de performances psychomotrices (par
exemple celles nécessaires à la conduite automobile). À
fortes doses, le cannabis peut être à l’origine de troubles
majeurs de la personnalité et même produire des hallu-
cinations. Néanmoins, les États-Unis ont récemment OH
autorisé un usage médical du cannabis, en particulier
pour traiter les nausées et les vomissements chez les
patients cancéreux soumis à des chimiothérapies, et O
pour stimuler l’appétit chez des patients souffrant du Δ9-THC
Sida.
Le principe actif du cannabis est une substance O
dénommée Δ9-tétrahydrocannabinol ou THC. Durant OH
NH
les années 1980, il est devenu clair que le THC peut se
fixer spécifiquement dans le cerveau à un récepteur cou-
plé aux protéines G, dénommé « récepteur aux cannabi-
Anandamide
noïdes ». Ce récepteur est notamment présent dans les
aires motrices du cortex cérébral et des voies de la dou-
leur. À peu près à la même époque, un groupe du O
National Institute of Mental Health a cloné le gène d’un OH
O
récepteur couplé aux protéines G inconnu (récepteur
OH
« orphelin »). Plus tard, ce récepteur a été identifié
2-arachidonylglycérol (2-AG)
comme le récepteur aux cannabinoïdes et son activation
passe par les protéines G. Des sous types de récepteurs
sont maintenant connus : les récepteurs CB1, présents Figure A – Endocannabinoïdes.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 159

Encadré 6.3 FOCUS  (suite)

lement impliqués dans les mécanismes des nausées, heureusement des effets secondaires. Le potentiel théra-
l’analgésie, la relaxation musculaire, le traitement des peutique des cannabinoïdes n’a pas encore été exploré
crises d’épilepsie ou encore la réduction de la pression totalement et de nombreuses avancées sont encore
intra-oculaire dans le glaucome. Un antagoniste des ­possibles, à la condition de pouvoir conserver les effets
endocannabinoïdes a ainsi été récemment testé comme thérapeutiques sans que cela puisse avoir des effets
médicament suppresseur d’appétit, mais il présente mal- ­psychoactifs ou d’autres types d’effets secondaires.

nerveux de la synapse, qui contribue à réguler le fonctionnement synaptique en


rapport avec l’activité déclenchée dans l’élément post-synaptique. Les travaux
n’en sont qu’à leur début, mais l’un des mécanismes est maintenant bien établi
(Fig. 6.17). Ainsi, une stimulation intense de l’élément présynaptique déclenche
une réponse post-synaptique se traduisant par une dépolarisation, qui conduit à
l’ouverture de canaux calciques dépendants du potentiel. Il en résulte une entrée
de calcium et, partant, une augmentation de la concentration intracellulaire de
calcium ionisé. Dans ce cas, cette augmentation de la concentration intracellu-
laire de calcium ionisé stimule la biosynthèse enzymatique des endocannabi-
noïdes à partir des lipides membranaires. Les endocannabinoïdes présentent les
caractéristiques très particulières suivantes :
1. ils ne sont pas présents dans des vésicules synaptiques, contrairement à la
plupart des autres neurotransmetteurs ; de ce fait, ils ne sont pas stockés et
sont donc produits à la demande ;

Terminaison
présynaptique

Récepteur
CB1

Vésicules
Canal Protéine G
calcique

Récepteurs Canal
des neurotransmetteurs calcique
Ca2+ Ca2+
Terminaison
post-synaptique

Enzyme

O
HO
NH

Figure 6.17 – Signalisation rétrograde par les


Endocannabinoïde endocannabinoïdes.
160 1 – Bases cellulaires

2. ce sont de petites molécules, diffusables au travers des membranes du fait de


leur nature lipidique. Une fois synthétisés, les endocannabinoïdes vont donc
franchir toutes les membranes et affecter ainsi les cellules voisines de celles
qui les ont produits ;
3. les endocannabinoïdes se lient à des récepteurs des cannabinoïdes dénommés
CB1, principalement situés sur certaines terminaisons nerveuses.
Les récepteurs CB1 sont des récepteurs couplés aux protéines G et leur effet
principal est de réduire l’ouverture des canaux calciques situés sur les terminai-
sons nerveuses. Ceci se traduit par une réduction de la libération des neurotrans-
metteurs, notamment du GABA et du glutamate. Ainsi, lorsqu’un neurone
post-synaptique se trouve en quelque sorte « sur-activé », par sa libération d’en-
docannabinoïdes, il contribue à réduire les influences excitatrices ou inhibitrices
qui s’exercent sur lui si les terminaisons nerveuses afférentes sont porteuses de
récepteurs CB1. Ce mécanisme paraît s’exercer de façon générale dans de larges
régions du système nerveux, et contribuer ainsi à la régulation de nombreuses
fonctions cérébrales, comme nous commençons seulement à le découvrir.
Le messager chimique le plus exotique proposé comme jouant un rôle dans
la communication intercellulaire est en fait une molécule gazeuse, le monoxyde
d’azote (NO). Le monoxyde de carbone (CO) ainsi que le sulfure d’hydro-
gène (H2S) pourraient aussi intervenir comme messager intercellulaire de type
« gazotransmetteur », mais cela n’est pas encore prouvé. Il s’agit bien des mêmes
NO et H2S qui sont considérés comme des polluants de l’air majeurs ! La syn-
thèse de NO est réalisée à partir de l’arginine, un autre acide aminé, par de
nombreuses cellules du corps. Le NO présente de puissants effets biologiques,
en particulier dans la régulation de la circulation sanguine. Dans le système ner-
veux, cependant, le NO a peut-être des fonctions uniques. Il semble qu’il soit
libéré à partir des neurones post-synaptiques sans l’intermédiaire de vésicules
et qu’il agisse sur les terminaisons présynaptiques. NO représente alors un mes-
sager rétrograde au même titre que les endocannabinoïdes. Comme le NO est
une molécule de petite taille capable de traverser la membrane, elle peut diffuser
beaucoup plus librement que d’autres molécules de neurotransmetteur et parfois
pénétrer dans une cellule… pour agir sur une autre située au-delà. Son influence
peut ainsi s’étendre à une région du tissu nerveux, bien que limitée, plutôt que
d’être localisée au site des cellules qui l’ont libéré. D’autre part, le NO est évanes-
cent et peut disparaître très rapidement. Les fonctions des transmetteurs gazeux
font l’objet de recherches extensives et sont, pour le moment encore, vivement
discutées.
Avant de conclure sur ce chapitre, il faut également remarquer que, parmi
les substances chimiques appelées neurotransmetteurs, plusieurs sont aussi
présentes en concentration élevée dans d’autres régions de l’organisme que les
parties nerveuses. Une substance chimique peut ainsi jouer plusieurs rôles : par
exemple, servir de médiateur pour véhiculer l’information dans le système ner-
veux mais aussi remplir une fonction complètement différente dans un autre
endroit du corps. Ainsi, les acides aminés servent-ils à la synthèse des protéines
dans l’ensemble de l’organisme, l’ATP est la source d’énergie de toutes les cel-
lules et le monoxyde d’azote est libéré par les cellules endothéliales et permet au
muscle lisse des vaisseaux sanguins de se relâcher (une des conséquences en est
l’érection du pénis, chez le mâle). Il faut enfin noter que les concentrations en
ACh les plus élevées ne se trouvent pas dans les cellules du cerveau mais dans
celles de la cornée, dans la partie antérieure de l’œil, où il n’existe pas de récep-
teurs de l’ACh. De même, les taux les plus élevés de sérotonine ne se trouvent pas
dans les neurones mais dans les plaquettes sanguines. Ces observations font res-
sortir l’importance d’une analyse rigoureuse, avant d’attribuer à une substance
chimique un rôle de neurotransmetteur.
En fait, la neurotransmission peut être comparée à une pièce en deux actes :
l’acte I est présynaptique et culmine avec l’élévation transitoire de la concentra-
tion en neurotransmetteur dans l’espace synaptique ; l’acte II concerne la pro-
duction de signaux électriques et biochimiques dans le neurone post-synaptique.
Les acteurs principaux sont ici représentés par les récepteurs-canaux et les récep-
teurs couplés aux protéines G.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 161

Récepteurs-canaux
Le chapitre 5 a montré que l’ACh et les acides aminés jouant le rôle de
­eurotransmetteur servent de médiateurs dans la transmission synaptique
n
rapide, en agissant sur les canaux ioniques. Ces canaux sont en tous points
remarquables. Ainsi apparaît-il qu’un simple canal peut détecter des substances
chimiques spécifiques et qu’il peut être sensible à des variations du potentiel
de membrane. Il peut aussi réguler, avec une très grande précision, le flux de
­courants étonnamment grands, il peut filtrer et sélectionner des ions très sem-
blables et son action peut être régulée par d’autres types de récepteurs. Pourtant,
chaque canal mesurant à peine 11 nm de long est à peine visible par l’utilisation
des meilleures méthodes actuelles de la microscopie électronique.

Structure des récepteurs-canaux


Le canal ionique le plus connu est le récepteur nicotinique de l’ACh situé dans
le muscle squelettique. Cette protéine est un pentamère, c’est-à-dire un amalgame
de cinq sous-unités protéiques disposées comme les douves d’un tonneau, for-
mant un seul pore à travers la membrane (Fig. 6.18a). Dans le récepteur nicoti-
nique, les sous-unités sont représentées par quatre polypeptides différents, α, β,
γ et δ. Un canal complet à maturité comprend 2 sous-unités α et une de chaque
type, β, γ, δ (en abrégé : α2βγδ). Chacune des sous-unités α présente un site de
liaison pour l’ACh, ce qui fait que l’ACh doit se fixer simultanément sur deux
sites pour que le canal s’ouvre (Fig. 6.18b). Le récepteur nicotinique situé sur les
neurones est également un pentamère5 mais, contrairement à ce qui se passe dans
le muscle, la plupart des récepteurs nicotiniques centraux comprennent principa-
lement deux types de sous unités, α et β (dans un rapport par exemple de α3β2).
NH2
COOH
M4

γ
α α
δ β
M1 M3

(a)
M2 Figure 6.18 – Arrangement des sous-unités
constituant le récepteur cholinergique nico-
Sites de liaison de l’ACh tinique.
(a) Vue en coupe du récepteur, avec un agran-
γ dissement montrant comment les quatre
α
α hélices α de ­chacune des sous-unités sont
assemblées entre elles. (b) Vue de dessus
δ β
montrant la position relative des deux sites de
(b) liaison de l’ACh.

5.  NdT : une autre différence entre récepteurs nicotiniques est liée au fait qu’il existe de
nombreuses isoformes des sous-unités formant les récepteurs, en particulier α, β, et γ. Il existe
une régionalisation de l’expression des différentes sous unités dans le SNC, faisant que les
propriétés structurales des différents récepteurs nicotiniques diffèrent selon les structures
cérébrales. Ainsi les sous-unités composant les récepteurs nicotiniques de la jonction neuro-
musculaire et du SNC sont-elles différentes. Ces différences structurales traduisent des pro-
priétés fonctionnelles quelque peu spécifiques, selon les sous-types de récepteurs nicotiniques
considérés. Un intérêt tout particulier est apporté aujourd’hui au sous-type α7, qui est pré-
férentiellement exprimé dans les régions cérébrales impliquées dans les processus cognitifs.
162 1 – Bases cellulaires

Bien que chaque sous-unité présente une structure primaire différente, il existe
des parties de la molécule dans lesquelles les diverses chaînes polypeptidiques
présentent une séquence d’acides aminés similaire. Ainsi, chaque sous-unité pos-
sède quatre segments séparés ayant une structure en hélice α (voir figure 6.18a).
Comme les acides aminés composant ces segments sont principalement hydro-
phobes, ces quatre hélices α sont supposées occuper une position la plus com-
patible possible avec une interaction privilégiée avec les lipides membranaires,
c’est-à-dire une position transmembranaire, de façon similaire aux boucles qui
forment les pores des canaux sodiques et potassiques (voir chapitres 3 et 4).
Les structures primaires des sous-unités de nombreux récepteurs-canaux sont
maintenant connues et il y a des analogies évidentes entre elles (Fig. 6.19). Les
quatre segments hydrophobes qui traversent la membrane sont présents dans
chaque sous-unité et ils occupent à peu près la même position dans la protéine, que
ce soit dans le cas du récepteur cholinergique nicotinique, du récepteur GABAA
ou encore du récepteur de la glycine. La plupart des récepteurs-canaux sont vrai-
semblablement des complexes pentamériques, de façon tout à fait similaire à ce qui
est connu pour le récepteur cholinergique nicotinique. Néanmoins, les récepteurs
canaux du glutamate constituent une exception. Ces récepteurs étant des tétra-
mères, quatre sous-unités sont suffisantes pour former un canal fonctionnel. Il
est par ailleurs vraisemblable que le segment transmembranaire M2 des sous-uni-
tés qui forment les récepteurs ne traverse pas entièrement la membrane mais
représente plutôt une boucle qui entre et ressort à partir de la partie interne de la
membrane (Fig. 6.19c). La structure des récepteurs glutamatergique ressemble en
fait à celle du canal potassique (voir Fig. 3.17). Ceci a conduit à émettre l’hypothèse
quelque peu surprenante que les récepteurs du glutamate et les canaux potassiques
auraient pu évoluer à partir d’un même canal ionique représentant un ancêtre
commun. Les récepteurs purinergiques (de l’ATP) présentent aussi des structures
atypiques. Dans ce cas, chaque sous-unité n’a que deux segments transmembra-
naires et 3 sous-unités seulement pourraient constituer un canal fonctionnel.
Plus que les analogies, ce sont les variations dans la structure de ces récep-
teurs-canaux qui sont intéressantes : différents sites de liaison des neurotransmet-
teurs font qu’un canal répond au glutamate, tandis qu’un autre répond au GABA ;
par ailleurs, la présence de certains acides aminés situés au voisinage du pore font
que celui-ci laisse seulement passer les ions Na+ et K+, qu’un autre sera plus per-
méable aux ions Ca2+ et qu’un autre encore sera seulement perméable aux ions Cl–.

Récepteurs-canaux des acides aminés


Les récepteurs-canaux des acides aminés sont essentiellement impliqués dans
la transmission synaptique rapide du SNC. Ils jouent un rôle très important dans
des domaines aussi variés que les systèmes sensoriels, la mémoire et diverses
pathologies. Plusieurs caractéristiques les différencient les uns des autres et défi-
nissent leurs fonctions dans le cerveau.
•• La pharmacologie de leurs sites de liaison démontre quels neurotransmet-
teurs les activent et comment ils réagissent aux drogues.
•• La cinétique du processus de liaison du neurotransmetteur d’une part et celle
de l’ouverture du canal d’autre part, déterminent la durée de leurs effets.
•• Selon leur sélectivité, les récepteurs-canaux produisent une excitation ou
une inhibition, ou laissent entrer des ions Ca2+ dans la cellule en quantité
suffisante pour initier une signalisation intracellulaire.
•• La conductance ionique des canaux ouverts contribue à déterminer l’am-
pleur de leur effet.
Toutes ces propriétés sont en fait directement liées à la structure moléculaire
de ces récepteurs6.

6.  NdT : un autre paramètre détermine aussi l’efficacité de la signalisation impliquant ces
récepteurs-canaux, au plan de la cinétique d’activation : la probabilité d’ouverture du
canal, facilitée par des agents agissant de concert avec le neurotransmetteur comme par
exemple des substances endogènes ou d’origine pharmacologique qualifiées de « modu-
lateurs allostériques » qui augmentent la fréquence d’ouverture du canal ; telle l’action
des benzodiazépines sur le récepteur GABAA, comme on le verra ci-après.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 163

M1 M2 M3 M4 Récepteur Sous-unité

ACh α

GABAA α1

GABAA β1

GABAA γ2

Gly α

Gly β

Kainate Gluk1

Kainate Gluk2

Figure 6.19 – Similarités de structure des


(a) différentes sous-unités présentes dans les
récepteurs-canaux.
(a) Cette représentation des sous-unités per-
met la comparaison directe des séquences
polypeptidiques de différentes d’entre elles
contribuant à la formation de divers récep-
teurs-canaux. Ces sous-unités ont en com-
mun les quatre régions dénommées M1 à M4
Milieu représentant les régions du polypeptide dont
extra- le profil hydrophobe leur confère la capacité
cellulaire M1 M2 M3 M4 M1 M3 M4 d’avoir une position transmembranaire. Les
récepteurs kainate sont des sous-types de
Membrane récepteurs du glutamate. (b) Représentation
du modèle conformationnel généralement
Milieu M2 accepté pour rendre compte de l’organisation
intra- transmembranaire (segments M1-M4) des
cellulaire différentes sous-unités alpha du récepteur
­
cholinergique nicotinique. (c) Régions M1-M4
ACh des sous-unités des récepteurs du gluta-
GABA A mate. M1, M3 et M4 traversent entièrement la
Récepteurs de la glycine Récepteurs du glutamate membrane comme dans les cas précédents
alors que le segment M2 pénètre seulement
(b) (c) celle-ci en partie.

Récepteurs-canaux des acides aminés excitateurs.  Comme cela a été men-


tionné plus haut, trois sous-types de récepteurs du glutamate – le principal repré-
sentant des acides aminés excitateurs – portent les noms de leur agoniste sélec-
tif : AMPA, NMDA et kainate. Chacun de ces récepteurs représente un canal
ionique sensible au glutamate. Les récepteurs sensibles aux agonistes AMPA
et NMDA jouent le rôle de médiateurs pour une grande partie de la transmis-
sion synaptique rapide excitatrice dans le SNC. Il existe aussi des récepteurs
de ­l’agoniste kainate dans tout le cerveau, présents à la fois sur des éléments
post-synaptiques et présynaptiques, mais leur fonction est encore mal connue.
Les récepteurs AMPA sont perméables à la fois aux ions Na+ et K+ mais la
plupart d’entre eux ne sont pas perméables au Ca2+. À des valeurs normales,
négatives, du potentiel de membrane, leur activation a pour effet de provoquer
une entrée d’ions Na+ dans la cellule (très supérieure d’ailleurs à la sortie des ions
K+), ce qui entraîne une dépolarisation rapide et massive. Ainsi, les récepteurs
AMPA présents dans les synapses du SNC sont les vecteurs de la transmission
164 1 – Bases cellulaires

excitatrice, comme les récepteurs nicotiniques sont les médiateurs de l’excitation


synaptique des jonctions neuromusculaires7.
Les récepteurs AMPA coexistent avec les récepteurs NMDA dans un grand
nombre de synapses du cerveau, de sorte que les deux types de récepteurs sont
impliqués dans la plupart des PPSE déclenchés par le glutamate (Fig. 6.20). Les
récepteurs NMDA sont aussi excitateurs de la cellule parce qu’ils laissent passer
des ions Na+ mais ces récepteurs présentent deux différences majeures avec les
récepteurs AMPA : (1) les récepteurs sensibles au NMDA sont perméables aux
ions Ca2+ et (2) le courant ionique entrant par les canaux NMDA dépend aussi
du potentiel.
Il faut souligner l’importance des ions Ca2+ intracellulaires dans les fonctions
neuronales et cellulaires, en général. Le Ca2+ peut activer la libération des neu-
rotransmetteurs par les éléments présynaptiques, comme nous l’avons vu. Dans
l’élément post-synaptique, par ailleurs, le Ca2+ active plusieurs types d’enzymes,
régule l’ouverture de certains canaux et influence l’expression des gènes ; en plus
grande quantité, le Ca2+ peut même provoquer la mort cellulaire (Encadré 6.4).
Ainsi, l’activation des récepteurs NMDA est-elle susceptible de provoquer
des changements considérables et de caractère durable dans le neurone post-­
synaptique. En fait, l’afflux des ions Ca2+ à travers les récepteurs NMDA peut
entraîner des changements à long terme, tels qu’ils existent par exemple dans
certains mécanismes semble-t-il à la base des processus de mémorisation, en
particulier de la mémoire à long terme (voir chapitre 25).

Figure 6.20 – Coexistence des récepteurs Influx nerveux


NMDA et AMPA des acides aminés excita- Axone
teurs au niveau d’une même synapse du
­système nerveux central.
(a) L’arrivée de l’influx nerveux dans la termi-
Terminaison
naison nerveuse déclenche la libération du axonique
(a)
glutamate. (b) Le glutamate interagit avec les
récepteurs AMPA et NMDA de la membrane
post-synaptique. (c) L’entrée de Na+ à partir
des récepteurs AMPA, et de Na+ et de Ca2+ Dendrite
post-synaptique
à partir des récepteurs NMDA, déclenche un
PPSE.

Enregistrement
Molécules
de glutamate de Vm

Ca2+ Ca2+
Na+ Na+
Na+ Na+ Na+
PPSE

Vm

– 65 mV
K+ K+ K+ K+ K+

Récepteur Récepteur 0 2 4 6 8
(b) NMDA AMPA (c) Temps à partir du potentiel
d’action présynaptique (ms)

7.  NdT : les données de la biologie moléculaire suggèrent également une diversité des
récepteurs-canaux des acides aminés excitateurs et des récepteurs AMPA en particulier.
Parmi les sous-unités composant ces récepteurs, la sous-unité nommée GluR2 contrôle
en fait la conductance calcique : sa présence contribue à rendre le canal moins perméable
au calcium.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 165

Encadré 6.4 FOCUS

Ces poisons si excitants : beaucoup trop de si bonnes choses…


Les neurones du cerveau ne se régénèrent pas, à trée de Ca2+. La lésion ou la mort du neurone survient
quelques rares exceptions près, et chaque neurone qui aussi à cause du gonflement lié à l’entrée d’eau qui accom-
meurt est un neurone de moins pour réaliser les fonc- pagne le flux ionique et par stimulation, par le calcium,
tions cérébrales. Par une ironie du sort, le glutamate, le d’enzymes intracellulaires qui dégradent les protéines, les
neurotransmetteur le plus indispensable au fonctionne- lipides et les acides nucléiques. En quelque sorte, les neu-
ment du cerveau, est aussi le plus grand tueur de neu- rones se « digèrent » eux-mêmes, au sens propre du terme.
rones ! Un grand nombre de synapses du cerveau L’excitotoxicité est probablement impliquée chez
libèrent du glutamate, stocké en grandes quantités y l’homme dans plusieurs maladies neurodégénératives de
compris dans le cytosol des neurones non glutamater- caractère progressif, telles que la sclérose latérale amyotro-
giques où sa concentration peut atteindre plus de 3 mM. phique (SLA ou maladie de Lou Gehrig), au cours de
Il est inquiétant d’observer que si cette même quantité laquelle les moteurs neurones spinaux meurent lentement,
de glutamate est appliquée sur des neurones isolés, ils et la maladie d’Alzheimer liée à une disparition lente des
meurent en quelques minutes. Mae West a dit une fois : neurones corticaux, préférentiellement. Diverses toxines
« Trop de bonnes choses peut être merveilleux » mais présentes dans l’environnement ont des effets imitant les
apparemment elle ne parlait pas du glutamate… signes de ces maladies. La consommation excessive d’un
Le métabolisme vorace du cerveau demande un apport certain type de pois est responsable du lathyrisme, repré-
continu d’oxygène et de glucose. Si la circulation sanguine sentant une dégénérescence des neurones moteurs. Ce pois
est interrompue, comme dans le cas d’un arrêt cardiaque, contient une excitotoxine appelée β-oxalylaminoalanine,
l’activité neuronale va cesser en quelques secondes, entraî- qui active les récepteurs du glutamate. Une autre toxine,
nant en quelques minutes des lésions irrémédiables. L’arrêt l’acide domoïque, qui se trouve dans des moules contami-
cardiaque, l’infarctus, le traumatisme crânien, les crises nées, est aussi un agoniste des récepteurs du glutamate.
d’épilepsie ou encore un déficit en oxygène, sont suscep- L’ingestion de petites quantités d’acide domoïque pro-
tibles d’initier un cercle vicieux de libération excessive de voque des crises d’épilepsie et des lésions cérébrales. Enfin,
glutamate. Si les neurones ne peuvent générer assez d’ATP une autre excitotoxine tirée d’une plante de l’île de Guam,
pour maintenir les pompes ioniques en action, les la β-méthylaminoalanine, peut développer une terrible
membranes se dépolarisent et les ions Ca2+ pénètrent dans atteinte combinant des signes de la SLA, de la maladie
la cellule. L’afflux de Ca2+ active la libération synaptique d’Alzheimer et de la maladie de Parkinson.
du glutamate. Le glutamate va dépolariser les neurones, ce Au fur et à mesure que la recherche permet de dénouer
qui accroît la concentration de Ca2+ et provoque une libé- l’enchevêtrement des excitotoxines, des récepteurs, des
ration encore plus importante de glutamate. enzymes et des maladies neurologiques, de nouvelles
Lorsque la concentration du glutamate est très élevée, stratégies thérapeutiques sont mises au point. Dès main-
les neurones meurent à cause d’une excitation excessive ; tenant, les antagonistes des récepteurs du glutamate, qui
ce processus s’appelle l’excitotoxicité. Le glutamate n’ac- ont la possibilité de bloquer ces cascades excitotoxiques
tive que ses nombreux sous-types de récepteurs, laissant et d’atténuer la mort neuronale, sont cliniquement très
ainsi passer un grand nombre d’ions Na+, K+ et Ca2+ à prometteurs. Au-delà, des manipulations génétiques
travers la membrane. Le sous-type NMDA du récepteur pourraient aussi, dans certains cas, déjouer les phéno-
du glutamate est de ce point de vue un acteur critique de mènes de dégénérescence nerveuse chez les personnes qui
l’excitotoxicité car il représente la voie principale de l’en- ont une prédisposition à développer cette condition.

Lorsque les récepteurs sensibles au NMDA s’ouvrent, les ions Ca2+ et Na+


pénètrent normalement dans la cellule (et les ions K+ en sortent), mais, pour
une raison inattendue, l’importance du courant ionique entrant dépend curieu-
sement du potentiel de la membrane post-synaptique. Lorsque le glutamate
se fixe à un récepteur NMDA, le pore s’ouvre cependant normalement. Aux
valeurs négatives du potentiel de repos, le canal est obstrué par des ions Mg2+,
ce qui empêche les autres ions de passer librement à l’intérieur de la cellule et il
n’y a donc aucun courant produit par l’activation de ce récepteur NMDA. En
revanche, les ions Mg2+ ne sont plus présents dans le pore du récepteur NMDA
lorsque la membrane est dépolarisée, ce qui se produit généralement après
­l’activation des récepteurs AMPA situés au voisinage, dans les mêmes synapses
et les synapses avoisinantes. Le courant ionique entrant par un récepteur NMDA
présente donc la caractéristique unique d’être à la fois dépendant du potentiel et
de la présence du neurotransmetteur. Dans cette situation, l’action du gluta-
166 1 – Bases cellulaires

mate et de la dépolarisation doit alors absolument coïncider pour que le courant


Vm = – 65 mV Vm = – 30 mV
passe dans le canal lié au récepteur NMDA (Fig. 6.21). Cette caractéristique a un
impact majeur sur l’intégration synaptique en de nombreuses régions du SNC.
Glutamate
Ca2+
Mg2+ Na+ Récepteurs-canaux du GABA et de la glycine.  Le GABA est le neurotrans-
metteur de la plus grande partie de l’inhibition synaptique du SNC et la glycine
joue un rôle complémentaire, plutôt dans le tronc cérébral et la moelle épinière.
Mg2+ Le récepteur GABAA et celui de la glycine sont couplés à une conductance aux
ions Cl–. Curieusement, ces récepteurs inhibiteurs ont une structure très sem-
blable à celle des récepteurs excitateurs nicotiniques de l’ACh, si ce n’est que les
deux premiers sont sélectifs pour les anions alors que le dernier est sélectif pour
les cations. Chacun de ces récepteurs présente des sous-unités α sur lesquelles se
Récepteur K+ fixe le neurotransmetteur et des sous-unités β qui ne le fixent pas.
NMDA Il est important que l’inhibition synaptique soit précisément régulée dans le
cerveau : trop forte, elle entraîne une perte de connaissance et un coma ; trop
(a) Glutamate (b) Glutamate faible, elle provoque des crises d’épilepsie. La nécessité de ce contrôle explique
et dépolarisation
pourquoi le récepteur GABAA possède, en plus du site de liaison du GABA, plu-
Figure 6.21 – Courant entrant au travers d’un sieurs autres sites où des substances chimiques peuvent moduler effectivement
récepteur NMDA. son action. Ainsi, deux types de médicaments, les benzodiazépines (par exemple,
(a) Le glutamate permet au canal de s’ouvrir ; le tranquillisant du nom de diazépam ou Valium) et les barbituriques (par
cependant, au potentiel de repos, le pore est exemple, le phénobarbital ou d’autres sédatifs ou anticonvulsivants) se fixent
bloqué par la présence d’ions Mg2+. (b) La sur des sites spécifiques, sur la surface externe du récepteur GABAA (Fig. 6.22).
dépolarisation de la membrane libère le canal Ces drogues, par elles-mêmes, agissent peu sur le canal mais, en présence de
et permet l’entrée des ions Na+ et Ca2+.
GABA, les benzodiazépines augmentent la fréquence d’ouverture des canaux
alors que les barbituriques augmentent la durée d’ouverture des canaux. Cela
se traduit dans chaque cas par un plus grand courant d’ions Cl– inhibiteur, des
PPSI plus puissants et par les conséquences comportementales d’une inhibition
renforcée. Les actions des barbituriques et des benzodiazépines sont sélectives
des récepteurs GABAA et ces médicaments n’ont pas d’effet sur les récepteurs
glycinergiques. Cette sélectivité peut être expliquée au niveau moléculaire : seuls
les récepteurs qui ont dans leur structure la sous-unité γ du récepteur GABAA,
en plus des sous-unités α et β, répondent aux benzodiazépines.
Une autre drogue extrêmement populaire qui augmente considérablement les
effets du GABA est l’éthanol, qui se trouve dans toutes les boissons alcoolisées.
L’éthanol a des effets complexes sur le système nerveux, incluant une action sur
les récepteurs NMDA, glycinergiques, sérotoninergiques, et nicotiniques choliner-
giques. Ses effets sur le récepteur GABAA dépendent de la structure spécifique du
récepteur. Il existe des évidences expérimentales qui suggèrent que les sous-unités
α, β et γ sont nécessaires pour former un récepteur GABAA sensible à l’éthanol,
similaire à celui sensible aux benzodiazépines. Ceci explique pourquoi l’éthanol
GABA potentialise l’inhibition dans certaines régions cérébrales mais pas partout. En
Benzodiazépines élucidant ces relations anatomiques et moléculaires, il apparaît alors pourquoi
Barbituriques
des agents comme l’éthanol ont de telles actions addictives sur le comportement.
Cette myriade d’effets présente un paradoxe intéressant. Il est bien évident
Éthanol que la présence de tous ces sites modulateurs sur le récepteur GABAA n’est pas
Neuro-
stéroïdes là que pour satisfaire aux effets de toutes nos drogues modernes… Ce para-
doxe a motivé la recherche des ligands endogènes, susceptibles d’agir normale-
ment pour moduler les effets du GABA sur son récepteur, notamment en ce qui
concerne le site des benzodiazépines et celui des barbituriques. Il y a aujourd’hui
objectivement des évidences en faveur de l’existence de tels ligands, bien que leur
Canal Cl– dépendant du GABA caractérisation reste problématique ; de même en ce qui concerne leur rôle fonc-
(récepteur GABAA )
tionnel éventuel. Il existe d’autres modulateurs de l’activité du récepteur GABAA
qui posent moins de problèmes, tels les neurostéroïdes. Ceux-ci représentent des
Figure 6.22 – Caractérisation des sites de dérivés des hormones stéroïdiennes synthétisées à partir du cholestérol dans
fixation de divers modulateurs de l’activité les gonades et les glandes surrénales mais également dans les cellules gliales du
du récepteur GABAA.
SNC. Certains de ces neurostéroïdes facilitent ainsi les effets du GABA, alors
Tous ces agents par eux-mêmes ne sont pas
capables d’ouvrir le canal chlore mais ils sont
que d’autres, au contraire, les dépriment et cela, vraisemblablement, au travers
très efficaces pour affecter, dans un sens d’une action sur un site modulateur spécifique du récepteur GABAA (Fig. 6.22),
ou dans l’autre, les effets du GABA sur son distinct de tous ceux mentionnés précédemment. Le rôle de ces neurostéroïdes
récepteur lorsqu’ils se lient au récepteur en reste pour le moment obscur, mais ils pourraient représenter un moyen pour
même temps que le neurotransmetteur. l’organisme et le cerveau de réguler en parallèle les mêmes mécanismes.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 167

Récepteurs couplés
aux protéines G
Il existe un grand nombre de sous-types de récepteurs couplés aux proté-
ines G, dans tous les systèmes de neurotransmission connus. Avec ce type de
récepteurs (voir chapitre 5), la neurotransmission implique trois étapes : (1) la
liaison du neurotransmetteur à la protéine formant le récepteur, (2) l’activation
des protéines G et (3) l’activation des systèmes effecteurs.

Structure des récepteurs couplés aux protéines G


La plupart des récepteurs couplés aux protéines G sont de simples varia-
tions d’un modèle commun, constitué d’un seul polypeptide comportant sept
hélices alpha transmembranaires (Fig. 6.23). Deux des boucles extracellulaires du
polypeptide constituent les sites de liaison du neurotransmetteur. Les variations
structurales dans cette région déterminent quels neurotransmetteurs, quels ago-
nistes, et quels antagonistes, vont être à même de se fixer au récepteur. Deux des
boucles intracellulaires peuvent se lier et activer une protéine G. Ici, les variations
structurales déterminent le type de protéine G et, par conséquent, la nature des
systèmes effecteurs qui seront activés en réponse à la liaison du neurotransmetteur.
Le tableau 6.2 donne une liste partielle des récepteurs couplés aux pro­téines G.
Le génome humain comprend des gènes identifiés comme encodant environ
800 sous-types de ces récepteurs, organisés en cinq grandes familles de récepteurs
de structure similaire. Beaucoup d’entre eux étaient encore inconnus avant le déve-
loppement des puissantes méthodes de la biologie moléculaire. Mais il faut aussi se
souvenir que les récepteurs couplés aux protéines G ne sont pas l’apanage des neu-
rones, et que toutes les cellules de l’organisme utilisent ces voies de signalisation.

Caractère ubiquitaire des protéines G


Dans la plupart des systèmes de transmission identifiés, les protéines G sont
le lien commun depuis le récepteur du neurotransmetteur jusqu’aux protéines
effectrices. La protéine G est le nom abrégé de la protéine de liaison de la guano-
sine triphosphate (GTP), qui représente en fait une famille d’au moins 20 sous-
types différents de protéines ayant les mêmes propriétés. Comme il y a beaucoup
plus de récepteurs que de protéines G, il apparaît que les mêmes protéines G
peuvent être activées par de nombreux récepteurs.
Les protéines G présentent toutes le même fonctionnement de base (Fig. 6.24) :
•• chaque protéine G est constituée de trois sous-unités (trimétrique),
dénommées α, β et γ ; au repos, une molécule de guanosine diphosphate
(GDP) est liée à la sous-unité Gα, et le complexe tout entier est localisé à
la proximité immédiate de la surface interne de la membrane ;

Neurotransmetteur Site de liaison du neurotransmetteur


Récepteur couplé
aux protéines G
Segments Milieu
transmembranaires extracellulaire

Figure 6.23 – Structure de base des récepteurs couplés aux protéines G.


Milieu La plupart des récepteurs couplés aux protéines G comportent dans leur
intracellulaire séquence sept segments transmembranaires organisés en hélices α. Le
site de liaison du neurotransmetteur se situe dans la partie extracellulaire
du récepteur et l’interaction avec la protéine G intervient dans sa partie
Protéine G
intracellulaire.
168 1 – Bases cellulaires

Tableau 6.2 – Quelques récepteurs de neurotransmetteurs couplés aux protéines G.

Neurotransmetteur Récepteurs
Acétylcholine (ACh) Récepteurs muscariniques (M1, M2, M3, M4, M5)
Glutamate (Glu) Récepteurs métabotropiques du glutamate (mGluR1-8)
GABA GABAB1, GABAB2
Sérotonine (5-HT) 5-HT1A, 5-HT1B, 5-HT1D, 5-HT1E, 5-HT2A, 5-HT2B, 5-HT4, 5-HT5A
Dopamine (DA) D1, D2, D3, D4, D5
Noradrénaline (NA) α1, α2, β1, β2, β3
Opiacés μ, δ, κ
Cannabinoïdes CB1, CB2
ATP P2Y2, P2Y11, P2T, P2U
Adénosine A1, A2A, A2B, A3

Protéine Récepteur
effectrice 2

Membrane

γ
β α
Protéine
effectrice 1
Protéine G

(a)

Neurotransmetteur
Protéine
effectrice 2

γ
β α

L’activation de la sous-unité Gα
se traduit par la fixation du GTP
(b)

γ
α
β

Protéine effectrice stimulée Protéine effectrice stimulée


par le complexe Gβγ par le complexe Gα-(GTP)
Figure 6.24 – Mécanisme d’action des pro-
téines G. (c)
(a) À l’état de repos, la sous-unité α de la
protéine G est liée au GDP. (b) Lorsqu’elle est
activée par le récepteur en présence du
neurotransmetteur, la protéine G voit le GDP
substitué par du GTP. (c) La fixation du GTP
γ
correspond à un état activé de la pro­téine G, α
et la sous-unité α liée au GTP va activer la β
protéine-effectrice. (d) La sous-unité α exprime
une activité GTPase qui transforme le GTP en + PO4
GDP, ce qui a pour effet le retour à l’état de (d)
repos.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 169

•• si le complexe protéine G-GDP interagit avec le récepteur adéquat et si le


récepteur est lui-même activé par une molécule de neurotransmetteur, la
protéine G libère la molécule de GDP et l’échange pour du GTP prove-
nant du cytosol ;
•• le complexe protéine G-GTP activé se scinde en deux parties : la sous-
unité Gα associée au GTP, d’une part, et le complexe Gβγ, d’autre part.
Ces deux sous-ensembles sont à même d’activer séparément des effecteurs
de nature variée ;
•• la sous-unité Gα exprime une activité enzymatique qui transforme le GTP
en GDP. En conséquence de cette action de type GTPase, Gα convertit le
GTP lié en GDP. Cette conversion signe la fin de l’activation de l’effecteur ;
•• en présence de GDP, les sous-unités Gα et Gβγ s’associent de nouveau et le
cycle peut recommencer.
Les premières protéines G découvertes furent celles qui stimulent les pro-
téines jouant le rôle d’effecteurs. Plus tard, d’autres protéines G furent mises
en évidence, celles qui sont susceptibles d’inhiber ces mêmes effecteurs. Ainsi
la nomenclature la plus souvent utilisée pour classer les protéines G est la sui-
vante : GS pour la protéine G stimulatrice et Gi pour la protéine G inhibitrice.

Effecteurs des récepteurs couplés aux protéines G


Comme nous l’avons vu dans le chapitre 5, les protéines G activées agissent
au travers de deux types de protéines effectrices : des canaux ioniques directe-
ment sensibles aux protéines G et des enzymes activées par la protéine G. Ces
effets n’impliquent pas l’intervention d’autres substances chimiques, et de ce fait
le premier mécanisme d’action est encore décrit comme une voie « rapide » de
production d’une réponse cellulaire (shortcut pathway).
Voie rapide.  Plusieurs neurotransmetteurs utilisent ce mécanisme d’action
rapide, du récepteur au canal ionique en passant par la protéine G. C’est notam-
ment le cas des récepteurs muscariniques du cœur. Ces récepteurs de l’ACh sont
associés à des canaux potassiques par l’intermédiaire des protéines G, ce qui
explique pourquoi l’ACh ralentit la fréquence cardiaque (Fig. 6.25). Dans ce cas,
les sous-unités βγ migrent latéralement le long de la membrane, jusqu’à rencon-
trer le type de canal potassique approprié et induisent ainsi leur ouverture. Les
récepteurs GABAB sont aussi associés par ce type de mécanisme aux canaux
potassiques.

Canal potassique Récepteur


(fermé) muscarinique ACh

Protéine G

(a)

Canal potassique
(ouvert) ACh

Figure 6.25 – Voie rapide.
(a) Les protéines G du muscle cardiaque
sont activées directement par la fixation de
l’ACh sur le récepteur muscarinique. (b) Les
sous-unités Gβγ vont se lier à un canal potas-
(b) sique qui va ainsi être activé.
170 1 – Bases cellulaires

Ces voies de transmission rapide déclenchent des réponses cellulaires dans


un délai de 30 à 100 ms après la liaison du neurotransmetteur. Bien que ces
mécanismes soient moins rapides que ceux des récepteurs-canaux qui ne néces-
sitent pas d’intermédiaire entre le récepteur et le canal, ils sont toutefois plus
rapides que les cascades des seconds messagers évoquées ci-dessous. De plus, par
rapport à la mise en jeu des effecteurs, la transmission qui emprunte ce type de
mécanisme est très localisée. Comme la protéine G interagit avec la partie interne
de la membrane, elle ne peut apparemment pas se déplacer très loin, de sorte que
seuls les canaux situés dans son environnement proche sont concernés. Du fait
de la stricte localisation de ces opérations à la membrane, ce type de signalisation
est parfois qualifié de « voie de signalisation membranaire ».
Cascades des seconds messagers.  Les protéines G sont aussi susceptibles
d’agir directement sur certaines enzymes. L’activation de ces enzymes déclenche
une série élaborée de réactions biochimiques, provoquant l’activation d’enzymes
en cascade, ce qui a pour effet d’agir sur les fonctions neuronales. Entre la pre-
mière enzyme et la dernière, il y a plusieurs intermédiaires chimiques, globale-
ment dénommés seconds messagers. Le processus en plusieurs étapes, qui associe
le neurotransmetteur à l’activation d’une enzyme située en aval, correspond à la
cascade des seconds messagers (Fig. 6.26).
Dans le chapitre 5, nous avons présenté la cascade de l’AMPc, initiée par
­l’activation du récepteur β de la NA (Fig. 6.27a). Elle débute avec le récepteur β
qui va activer la protéine G stimulatrice GS, qui à son tour va stimuler une
enzyme associée à la membrane, l’adényl cyclase. L’adényl cyclase transforme
l’ATP en AMPc. L’élévation des taux d’AMPc dans le cytoplasme active alors
une enzyme spécifique située en aval, la protéine kinase A (PKA).
Plusieurs mécanismes biochimiques cellulaires font l’objet d’une régulation
par un double contrôle de finalités opposées, susceptible de les stimuler ou de les
inhiber. À cet égard, la production d’AMPc ne fait pas exception : l’activation
d’un second type de récepteur de la NA, le récepteur α2, conduit à l’activation de
Gi (la protéine G inhibitrice). Gi inhibe l’activité de l’adényl cyclase et ce méca-
nisme peut prendre le pas sur le système stimulateur (Fig. 6.27b).
Certaines cascades de seconds messagers sont plus complexes et conduisent
à l’activation simultanée de plusieurs voies métaboliques. La figure 6.28 montre
comment l’activation de diverses protéines G stimule la phospholipase C (PLC),
une enzyme membranaire comparable à l’adényl cyclase. La PLC agit sur un
phospholipide membranaire (le PIP2 ou phosphatidylinositol-4,5-diphosphate),
en le scindant pour former deux molécules qui jouent en parallèle le rôle de
seconds messagers : le diacylglycérol (DAG) et l’inositol-1,4,5-triphosphate (IP3).
Le DAG, soluble dans les lipides, agit au voisinage de la membrane où il active
une enzyme particulière, la protéine kinase C (PKC). Simultanément, l’IP3,

Récepteur Neurotransmetteur Enzyme


membranaire

Protéine G

Réactions
intermédiaires

Activation
d’enzymes
situées en aval

Figure 6.26 – Principales étapes de la cascade des seconds messagers.


6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 171

NA NA
Récepteur Récepteur α2
β-adrénergique
Adényl
cyclase

γ α α + – α α γ
β β

Protéine G Protéine G
stimulante (Gs) inhibitrice (Gi)
+
(a) Protéine (b)
kinase A

Figure 6.27 – Stimulation et inhibition de l’adényl cyclase par différents types de protéines G.


(a) La fixation de la noradrénaline (NA) au récepteur β active GS qui à son tour active l’adényl cyclase. L’activation de l’adényl cyclase se traduit par une
augmentation de la production de l’AMPc, ce qui va provoquer l’activation de la protéine kinase A. (b) La fixation de la NA au récepteur α2 active Gi,
qui exerce une action inhibitrice sur l’adényl cyclase.

Neurotransmetteur Récepteur couplé


aux protéines G Membrane neuronale

2 PKC
γ
1 PIP2 α DAG
PLC IP3
β
4
Ca2+
Protéine G activée

Reticulum
endoplasmique
lisse Ca2+

Figure 6.28 – Production des seconds messagers à partir du PIP2, un phospholipide membranaire.


① L’activation de protéines G particulières stimule la phospholipase C (PLC), une enzyme membranaire agissant sur des phospholipides. ② La PLC
transforme le PIP2 en diacylglycérol (DAG) et inositol triphosphate (IP3). ③ Le DAG stimule la protéine kinase C (PKC). ④ L’IP3 agit au niveau des
­compartiments de stockage intracellulaire de calcium pour libérer du Ca2+. Le Ca2+ agit à son tour sur diverses enzymes.

soluble dans l’eau, diffuse plus loin dans le cytosol et se fixe sur des récepteurs
spécifiques situés à la surface du reticulum endoplasmique lisse et sur d’autres
organites cellulaires. Ces récepteurs représentent des canaux calciques sensibles à
l’IP3 ; leur activation a pour effet de provoquer une sortie de calcium sous forme
ionisée à partir de ces organites. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’aug-
mentation de la concentration de Ca2+ dans le cytoplasme peut avoir des effets
diversifiés et durables. Un de ces effets correspond à l’activation d’une enzyme,
la protéine kinase calcium-calmoduline-dépendante ou CaMK. La CaMK est une
enzyme impliquée dans de nombreux mécanismes cellulaires, dont en particulier
ceux à la base de la mémorisation (voir chapitre 25).
Phosphorylation et déphosphorylation.  Les exemples précédants montrent
que, dans un grand nombre de cascades de seconds messagers, les enzymes
situées en aval sont des protéines kinases (PKA, PKC, CaMK). Comme cela a
été mentionné dans le chapitre 5, les protéines kinases transfèrent le phosphate
de l’ATP cytosolique sur un certain nombre de protéines, au cours d’une réac-
tion appelée phosphorylation. La fixation de groupements de phosphate sur
une protéine modifie légèrement sa structure et donc son activité biologique.
La phosphorylation des canaux ioniques, par exemple, influence fortement leur
probabilité d’ouverture ou de fermeture.
172 1 – Bases cellulaires

Protéine Quelles sont les conséquences de l’activation des récepteurs β sur les cellules
kinase du muscle cardiaque ? L’élévation des taux d’AMPc active la PKA, qui phos-
Protéine Protéine —PO4
phoryle les canaux calciques dépendants du potentiel. Cette phosphorylation
Protéine
phosphatase renforce leur activité. Des ions Ca2+ pénètrent en plus grand nombre dans la
cellule cardiaque et le cœur bat plus fort. Au contraire, la stimulation des récep-
Figure 6.29 – Phosphorylation et déphospho- teurs β-adrénergiques dans plusieurs types de neurones ne semble pas avoir
rylation des protéines. d’effet sur les canaux calciques mais provoque plutôt l’inhibition de certains
canaux potassiques. La diminution de conductance potassique entraîne alors
une légère dépolarisation, réduit la constante de longueur et renforce l’excitabi-
lité du neurone (voir chapitre 5).
L’action des neurotransmetteurs sur la phosphorylation est cependant limi-
tée par l’intervention d’un processus de nature inverse, qui évite que toutes les
protéines soient saturées de groupements phosphate et donc que toute régulation
ultérieure soit impossible. Des enzymes, les protéines phosphatases, contrôlent
la situation, en agissant rapidement pour retirer les groupements phosphate. Le
degré de phosphorylation des canaux dépend ainsi à tout moment de l’équilibre
dynamique entre la phosphorylation par les kinases et la déphosphorylation par
les protéines phosphatases (Fig. 6.29).
Cascades de signaux et voies de signalisation intracellulaires.  La trans-
mission synaptique impliquant les récepteurs-canaux est simple et rapide. La
transmission qui passe par les récepteurs associés aux protéines G est plus com-
plexe et beaucoup plus lente. On peut alors se demander pourquoi il existe de si
longues chaînes de réactions dans ce second cas ? Un des avantages importants
est l’amplification du signal : l’activation d’un récepteur associé aux protéines G
peut entraîner l’activation, non pas d’un seul, mais de très nombreux canaux
ioniques (Fig. 6.30).
L’amplification du signal peut se faire en plusieurs endroits de la cascade.
Une seule molécule de neurotransmetteur fixée à un seul récepteur, peut acti-
ver probablement 10 à 20 protéines G ; chaque protéine G peut activer l’adényl
cyclase, qui peut produire à son tour plusieurs molécules d’AMPc qui diffusent
dans la cellule pour activer plusieurs protéines kinases ; chaque kinase pouvant
ensuite phosphoryler de nombreux canaux. Si on regroupait en bloc tous les
composants d’une cascade, la transmission des signaux serait strictement limitée.
L’utilisation de messagers de petite taille, qui peuvent diffuser très rapidement
dans la cellule (comme l’AMPc), permet ainsi une certaine transmission à dis-
tance, dans une vaste région de la cellule. Les cascades de signaux déterminent
aussi l’existence de nombreux sites de régulation et elles offrent des possibilités
d’interaction entre les cascades impliquant divers seconds messagers. Enfin, les
cascades de signaux peuvent générer des modifications durables du métabolisme
cellulaire, ce qui est peut-être à l’origine, entre autres choses, de toute une série
de processus impliqués, par exemple, dans la mémorisation.

Divergence et convergence
entre les systèmes
de neurotransmetteurs
Le glutamate est le neurotransmetteur excitateur le plus commun du cer-
veau, tandis que le GABA constitue l’inhibiteur principal. Cependant, un même
neurotransmetteur peut avoir de nombreux effets différents. Une molécule de
glutamate peut se lier à de très nombreux récepteurs et chacun de ces sous-types
de récepteurs peut exercer des effets différents. La divergence est la capacité d’un
neurotransmetteur à activer plus d’un sous-type de récepteurs et à susciter ainsi
plus d’un seul type de réponse synaptique.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 173

Neurotransmetteur

Le neurotransmetteur
active le récepteur

γ α γ α γ
β β β α

Le récepteur active
les protéines G

Adényl Adényl Adényl


α αcyclase α cyclase α cyclase
La protéine G stimule
l’adényl cyclase qui
transforme l’ATP en AMPc

Figure 6.30 – Amplification des signaux


intracellulaires au travers de la cascade
L’AMPc active PKA PKA PKA des seconds messagers.
la protéine kinase A
Lorsqu’un neurotransmetteur active un
récepteur couplé à une protéine G, le
message généré à partir de ce récepteur
va faire l’objet d’une amplification aux
différents niveaux de la cascade intracel-
lulaire, ce qui a pour conséquence l’acti-
La protéine kinase A
phosphoryle des canaux
vation de nombreux canaux ioniques.
potassiques

Dans les systèmes de neurotransmetteurs connus, la divergence est la règle.


Chaque neurotransmetteur peut activer plusieurs sous-types de récepteurs
(voir Tab. 6.2) et les méthodes sophistiquées de la biologie moléculaire contri-
buent à l’identification de très nombreux autres sous-types, bien au-delà de
ce que la pharmacologie ou la physiologie ont permis. En raison de ce grand
nombre de sous-types de récepteurs, un neurotransmetteur peut donc agir sur
plusieurs neurones (ou même sur différentes parties d’un même neurone) de
façon très variée. La divergence se manifeste aussi au-delà du récepteur, par
exemple selon les protéines G et les systèmes effecteurs activés. Ainsi la diver-
gence peut se manifester à n’importe quelle phase de la cascade à la base des
effets des neurotransmetteurs (Fig. 6.31a).
A  contrario, les neurotransmetteurs peuvent manifester une convergence
de leurs effets. Plusieurs neurotransmetteurs, chacun activant son propre type
de récepteur, peuvent converger pour affecter les mêmes systèmes effecteurs
(Fig. 6.31b). La convergence dans une seule cellule peut se manifester par l’action
la protéine G, de la cascade des seconds messagers ou encore du type de canal
ionique impliqué. Les neurones ont la capacité d’intégrer les voies de signalisa-
tion, qu’elles soient divergentes ou convergentes, ce qui résulte en des effets com-
plexes de la signalisation prise dans son ensemble (Fig. 6.31c). Le merveilleux,
c’est que ça marche ! Il reste alors à tenter de comprendre comment.
174 1 – Bases cellulaires

Sous-types de récepteurs 1 Système


effecteur X

Neurotransmetteur Sous-types de récepteurs 2 Système


effecteur Y

Système
Sous-types de récepteurs 3
(a) effecteur Z

Neurotransmetteur A Récepteur A

Neurotransmetteur B Récepteur B Système effecteur

Neurotransmetteur C Récepteur C

(b)

Neurotransmetteur A Récepteur A1 Effecteur 1


Effecteur 2
Récepteur A2
Effecteur 3
Effecteur 4

Neurotransmetteur B Récepteur B Effecteur 5


(c)

Figure 6.31 – Principes de divergence (a) et de convergence (b) des voies de signalisation des


neurotransmetteurs. (c) Intégration des deux principes.

Conclusion
Les neurotransmetteurs constituent des chaînons essentiels entre les neu-
rones, ainsi qu’entre les neurones et les autres types de cellules effectrices, telles
que les cellules musculaires et encore des glandes endocrines et exocrines. Il
convient de considérer les transmetteurs comme les maillons d’une chaîne d’évé-
nements, stimulant des modifications chimiques à la fois rapides et lentes, et
divergentes et convergentes. Les nombreuses voies impliquées dans la commu-
nication intercellulaire, transférant l’information de l’extérieur à l’intérieur d’un
neurone, constituent une sorte de réseau d’information. Ce réseau est toutefois
en équilibre fragile, réagissant de façon très dynamique pour ajuster le com-
portement aux perpétuels changements de l’organisme et de l’environnement de
l’individu.
Le réseau de transmission des signaux à l’intérieur d’un seul neurone (les
voies de signalisation) ressemble, en un certain sens, aux réseaux neuronaux
du cerveau lui-même. Il reçoit une série d’informations sous forme de signaux
représentés par les neurotransmetteurs qui le sollicitent à des moments et en
des endroits différents. Cette énergie augmente la transmission des informations
dans certaines voies et la réduit dans d’autres ; et la combinaison de ces infor-
mations dans une cascade de signalisation, donne un résultat spécifique, qui est
beaucoup plus que la somme des informations. Les signaux régulent les signaux,
les modifications chimiques peuvent laisser des traces durables de leur histoire,
les médicaments peuvent modifier l’équilibre de la transmission des signaux et,
en un sens, il apparaît bien que le cerveau et ses signaux ne font qu’un.
6 – Neurotransmetteurs : organisation anatomobiochimique du système nerveux 175

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Donner la liste des critères utilisés pour déterminer si une substance


chimique joue le rôle de neurotransmetteur. Quelles sont les diffé-
rentes stratégies expérimentales montrant que l’ACh correspond aux
critères d’un neurotransmetteur à la jonction neuromusculaire ?
2. Quelles sont les trois méthodes permettant de montrer que le récep-
teur d’un neurotransmetteur donné est synthétisé ou localisé dans un
neurone particulier ?
3. Comparer et différencier les propriétés : (a) des récepteurs AMPA et
NMDA ; et (b) des récepteurs GABAA et GABAB.
4. L’inhibition synaptique est un fait important des circuits du cortex
cérébral. Comment peut-on déterminer si le GABA ou la glycine, ou
les deux, ou aucun des deux, est le neurotransmetteur inhibiteur du
cortex ?
5. Le glutamate active un certain nombre de récepteurs métabotro-
piques différents. L’activation d’un sous-type entraîne l’inhibition de
la formation de l’AMPc. La conséquence de l’activation d’un second
sous-type est l’activation de la protéine kinase C. Quels sont les méca-
nismes de ces différents effets ?
6. Les effets de la divergence et de la convergence des neurotransmet-
teurs se manifestent-ils à l’intérieur même des neurones ? Comment,
par exemple ?
7. Les ions Ca2+ sont considérés comme des seconds messagers. Pour-
quoi ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Cooper JR, Bloom FE, Roth RH. Introduction to Neuropsychopharma-


cology. New York : Oxford University Press, 2009.
Cowan  WM, Südhof  TC, Stevens  CF. Synapses. Baltimore : Johns
Hopkins University Press, 2001.
Katritch V, Cherezov V, Stevens RC. Diversity and modularity of G pro­
tein-coupled receptor structures. Trends in Pharmacological Sciences
2012 ; 33 : 17-27.
Mustafa  AK, Gadalla  MM, Snyder  SH. Signaling by gasotransmitters.
Science Signaling 2009 ; 2 (68) : re2.
Nestler EJ, Hyman SE, Malenka RC. Molecular Neuropharmacology: A
Foundation for Clinical Neuroscience, 2nd ed. New York : McGraw-
Hill Professional, 2008.
Piomelli D. The molecular logic of endocannabinoid signalling. Nature
Reviews Neuroscience 2003 ; 4 : 873-84.
Regehr  WG, Carey  MR, Best  AR. Activity-dependent regulation of
­synapses by retrograde messengers. Neuron 2009 ; 63 : 154-70.

CHAPITRE  7 Anatomie du système
nerveux

ORGANISATION GÉNÉRALE
DU SYSTÈME NERVEUX
DES MAMMIFÈRES
Références anatomiques..................................................................... 179
Système nerveux central (SNC)........................................................... 180
Système nerveux périphérique (SNP).................................................. 181
Nerfs crâniens.................................................................................... 182
Méninges............................................................................................ 182
Système ventriculaire.......................................................................... 183
Nouveaux regards sur le cerveau......................................................... 183
Encadré 7.1 Focus  De l’eau dans la tête
Encadré 7.2 Bases théoriques  Imagerie par résonance magnétique
Encadré 7.3 Bases théoriques  TEP et IRMf

COMPRENDRE
L’ORGANISATION DU SNC
PAR SON DÉVELOPPEMENT
Formation du tube neural................................................................... 190
Les trois vésicules primitives du cerveau.............................................. 191
Encadré 7.4 Focus  Nutrition et tube neural
Différenciation du cerveau antérieur................................................... 193
Différenciation du mésencéphale........................................................ 196
Différenciation du cerveau postérieur................................................. 197
Différenciation de la moelle épinière................................................... 200
Mise en place et organisation des structures nerveuses....................... 201
Caractères spécifiques du cerveau humain.......................................... 202

ORGANISATION
DU CORTEX CÉRÉBRAL
Différents types de cortex................................................................... 205
Différentes aires du néocortex............................................................ 206
Encadré 7.5 Les voies de la découverte  Le connectome : à la recherche
de l’organisation cérébrale,
par Sebastian Seung
CONCLUSION

ANNEXE : GUIDE
ILLUSTRÉ DE L’ANATOMIE
DU CERVEAU HUMAIN
INTRODUCTION

A
près avoir étudié comment des neurones fonctionnent et communiquent
entre eux, il faut comprendre comment ils sont assemblés pour former
un système nerveux qui permette de voir, d’entendre, de sentir, de bou-
ger, de se souvenir ou encore de rêver. De même que l’observation de la structure
du neurone explique dans une certaine mesure sa fonction, l’abord de la struc-
ture du système nerveux permet d’approcher la fonction du cerveau.
La neuroanatomie a toujours représenté un défi pour de nombreuses généra-
tions d’étudiants car le cerveau humain est extrêmement complexe. Cependant
notre cerveau n’est que la variation d’une organisation de base, commune à tous
les mammifères (Fig. 7.1). Le cerveau humain apparaît d’une grande complexité
car il s’est littéralement enroulé sur lui-même au cours de l’évolution à la suite
de la croissance sélective de certaines parties à l’intérieur du crâne, et parce que
l’homme est bipède et non quadrupède. En suivant l’évolution de cette organi-
sation, la connaissance de l’organisation de base chez les mammifères en géné-
ral permet alors de mieux comprendre la nature des spécialisations du cerveau
humain.
Le chapitre 7 présente d’abord l’organisation générale du cerveau des mam-
mifères, ainsi que la terminologie utilisée pour la décrire. Puis, il explique com-
ment la structure tridimensionnelle du cerveau se met en place au cours du déve-
loppement embryonnaire et fœtal : en suivant le cours de son développement, il
est plus facile de comprendre comment les différentes parties du cerveau adulte
se sont assemblées. Le chapitre se termine par la description du néocortex céré-
bral, une structure propre aux mammifères et particulièrement évoluée chez
l’homme. Le chapitre est suivi d’une annexe descriptive permettant de mieux
apprécier l’organisation du système nerveux.
La neuroanatomie présentée dans ce chapitre servira de cadre à la description
des systèmes sensoriel et moteur dans les chapitres 8 à 14. Les termes nouveaux
ici sont repris systématiquement sous forme de tableaux.
178 1 – Bases cellulaires

Rat

Lapin

1 cm

Rat Chat

Lapin

Mouton

Chat

Dauphin

Mouton

Chimpanzé
Chimpanzé

Homme
Homme

Dauphin

Figure 7.1 – Cerveau des mammifères.


En dépit de différences dans leur complexité, le cerveau de toutes ces espèces présente plusieurs caractéristiques communes. Les cerveaux ont
été dessinés de telle manière que leurs proportions respectives soient à peu près respectées ; cette analyse de leur taille respective est illustrée plus
­précisément dans la colonne de gauche.
7 – Anatomie du système nerveux 179

Organisation générale
du système nerveux
des mammifères
Le système nerveux de tous les mammifères est divisé en deux grandes
parties : le système nerveux central (SNC) et le système nerveux périphérique
(SNP). Ce chapitre décrit les principales composantes du SNC et du SNP, ainsi
que les ventricules qui se trouvent à l’intérieur du cerveau et les membranes qui
les entourent.

Références anatomiques
L’exploration du cerveau est comparable à la découverte d’une ville. Pour
s’orienter dans une ville, il est nécessaire d’utiliser des points de références, tels
que la direction du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, ou encore un repérage des
points « haut » et « bas ». Il en est de même pour le cerveau : seule la nomencla-
ture des points de référence — les repères anatomiques — change.
En prenant l’exemple du système nerveux du rat (Fig. 7.2a), le cerveau se
trouve dans la tête et la moelle épinière s’étend le long de la colonne vertébrale
jusqu’à la queue de l’animal. Pour préciser la place des structures, les termes
suivants sont utilisés : les structures situées à l’avant, vers le nez du rat, sont dites
antérieures ou rostrales (du latin rostrum : bec) et à l’arrière, vers la queue du rat,
postérieures ou caudales (du latin cauda : queue) ; vers le haut, elles sont dites dor-
sales et vers le bas, ventrales. La moelle épinière du rat s’étend de la partie anté-
rieure à la partie postérieure du corps. La partie supérieure de la moelle épinière
correspond en fait à la partie dorsale et la partie inférieure, à la partie ventrale.
Vu de dessus, le système nerveux se trouve divisé en deux parties égales
(Fig. 7.2b). La partie droite du cerveau et de la moelle épinière peut être consi-
dérée comme le miroir du côté gauche. Cette caractéristique est connue sous le
nom de symétrie bilatérale. À peu d’exceptions près, la plupart des structures
du système nerveux sont paires, c’est-à-dire situées une à gauche et une à droite.
La ligne de partage au milieu du système nerveux est la ligne médiane ; c’est une
autre référence utile pour préciser l’orientation. Les structures les plus proches
de la ligne médiane sont qualifiées de médianes ; celles qui en sont le plus éloi-
gnées sont dites latérales. En d’autres termes, le nez occupe une position médiane
par rapport aux yeux et ceux-ci sont médians par rapport aux oreilles, etc. En
outre, deux structures situées du même côté sont dites ipsilatérales l’une par
rapport à l’autre ; par exemple, l’oreille droite est ipsilatérale par rapport à l’œil
droit. Si les structures sont situées de chaque côté de la ligne médiane, elles sont
controlatérales l’une par rapport à l’autre ; l’oreille droite occupe une position
controlatérale par rapport à l’oreille gauche.

Moelle
épinière Dorsal Moelle Latéral
Cerveau Cerveau épinière
Antérieur Ligne médiane
Postérieur
ou rostral ou caudal
Médial

(b)
(a) Ventral

Figure 7.2 – Références anatomiques de base du système nerveux du rat.


(a) Vue de côté. (b) Vue de dessus.
180 1 – Bases cellulaires

Pour observer la structure interne du cerveau il est nécessaire de réaliser


al
Caud des coupes de cerveau. Il est possible d’imaginer un nombre infini de façons de
ral ­débiter ainsi le cerveau en coupes successives, mais l’approche usuelle consiste à
Rost pratiquer une série de coupes parallèles à l’un des trois plans anatomiques ainsi
définis : le plan de coupe résultant de la division du cerveau en deux moitiés
égales, droite et gauche, est appelé plan médiosagittal (Fig. 7.3a). Les coupes
parallèles à ce plan médiosagittal sont réalisées dans le plan sagittal.
(a) Plan médiosagittal
Les deux autres plans anatomiques sont perpendiculaires au plan sagittal et l’un
par rapport à l’autre. Le plan horizontal est situé parallèlement au sol (Fig. 7.3b).
Une coupe de ce plan passe par exemple à la fois par les yeux et les oreilles. Le plan
horizontal divise ainsi le cerveau en une partie dorsale et en une partie ventrale.
Le plan coronal (NdT : encore appelé plan frontal) est perpendiculaire au sol et au
plan sagittal (Fig. 7.3c). Une seule coupe de ce plan passe soit par les deux yeux,
(b) Horizontal soit par les deux oreilles mais pas par les quatre structures en même temps. Le plan
coronal sépare le cerveau en une partie antérieure et une postérieure.

Quiz Avez-vous bien compris le sens de ces termes ?


(c) Coronal (ou frontal)

antérieur latéral
rostral ipsilatéral
Figure 7.3 – Plans de coupe anatomiques. postérieur controlatéral
caudal plan médiosagittal
dorsal plan sagittal
ventral plan horizontal
ligne médiane plan coronal (ou frontal)
médian

Système nerveux central (SNC)


Le système nerveux central ou SNC est formé des parties du système n
­ erveux
enfermées dans des structures osseuses : l’encéphale et la moelle épinière. Le
­cerveau tout entier se trouve contenu dans la boîte crânienne. Une vue de profil
de l’encéphale du rat montre les trois parties communes à tous les mammifères :
le cerveau, le cervelet et le tronc cérébral (Fig. 7.4a).
Vue de côté
(latérale) Cerveau.  C’est la partie la plus rostrale et la plus importante. La figure 7.4b
(a) représente une vue supérieure d’un cerveau de rat, montrant qu’il est nettement
divisé en deux hémisphères cérébraux séparés par une profonde scissure sagittale
ou scissure médiane. Normalement, l’hémisphère cérébral droit reçoit les sen-
Cerveau sations et contrôle les mouvements du côté gauche du corps ; et l’hémisphère
cérébral gauche est associé aux sensations et au contrôle des mouvements de la
Cervelet Tronc
cérébral Moelle partie droite du corps.
Vue de dessus épinière
(dorsale) Cervelet.  Il se situe juste en arrière du cerveau. Le mot cervelet vient du
(b) Hémisphère latin cerebellum : petit cerveau. Si le cervelet se trouve en fait dominé par le cer-
cérébral droit
veau, il contient en réalité à peu près le même nombre de neurones que les deux
Hémisphère hémisphères cérébraux réunis. Le cervelet représente avant tout un centre de
Scissure cérébral gauche
contrôle du mouvement en étroite relation avec le cerveau et la moelle épinière.
médiane
Contrairement aux hémisphères cérébraux, l’hémisphère cérébelleux gauche
contrôle les mouvements du côté gauche du corps et l’hémisphère cérébelleux
Vue sagittale droit, les mouvements du côté droit du corps.
médiane
(c) Tronc cérébral.  Le reste du cerveau forme le tronc cérébral, facilement iden-
tifiable sur une vue médiosagittale de l’encéphale (Fig. 7.4c). Du tronc cérébral
naissent les hémisphères cérébraux et le cervelet. Le tronc cérébral se trouve
formé d’un inextricable lacis de fibres et de cellules, qui servent en partie à trans-
Tronc cérébral
mettre les informations du cerveau vers la moelle épinière et le cervelet, et vice
Figure 7.4 – Cerveau du rat. versa. Cependant, dans le tronc cérébral est également situé le centre de régula-
(a) Vue de côté (latérale). (b) Vue de dessus tion de certaines fonctions vitales comme la respiration, la conscience ou encore
(dorsale). (c) Vue sagittale médiane. le contrôle de la température du corps. En fait, le tronc cérébral est considéré
7 – Anatomie du système nerveux 181

comme la partie la plus primitive du cerveau des mammifères. Cette partie du


tronc cérébral se trouve également représenter la partie la plus vitale. Ainsi, s’il
est possible de survivre à une lésion du cerveau ou du cervelet, en revanche, la
mort survient rapidement lorsque le tronc cérébral est atteint.
Moelle épinière.  La moelle épinière se trouve quant à elle enfermée dans la
colonne vertébrale et rattachée au tronc cérébral. La moelle épinière représente
la voie principale de transfert de l’information depuis la peau, les articulations et
les muscles, jusqu’au cerveau et vice versa. Une section transversale de la moelle
épinière entraîne une anesthésie (absence de sensibilité) de la peau et une para-
lysie des muscles dans les parties du corps postérieures à cette lésion. Dans ce
cas-là, la paralysie ne signifie pas que les muscles ne peuvent pas fonctionner,
mais plutôt qu’ils ne reçoivent plus les ordres de commande du cerveau.
Les nerfs spinaux (ou rachidiens) assurent la communication entre la moelle
épinière et le reste du corps ; ils font partie du système nerveux périphérique (voir
ci-dessous). Les nerfs spinaux émergent de la moelle épinière par des ouvertures
situées entre chaque vertèbre de la colonne vertébrale. Chaque nerf spinal est
rattaché à la moelle épinière par deux branches formant la racine dorsale et la
racine ventrale (Fig. 7.5). François Magendie (voir chapitre 1) a montré que la
racine dorsale contient les axones conduisant les informations vers la moelle
épinière, par exemple la sensation de douleur causée par un clou entrant dans
le pied (voir Fig. 3.1). Charles Bell a montré quant à lui que la racine ventrale
contient les axones qui conduisent les informations partant de la moelle épinière,
par exemple vers le muscle, provoquant le retrait du pied en réponse à la douleur.

Système nerveux périphérique (SNP)


Le système nerveux périphérique ou SNP se compose de toutes les parties du
système nerveux autres que le cerveau et la moelle épinière. Il se divise en deux
parties : le SNP somatique et le SNP viscéral.
SNP somatique.  Tous les nerfs spinaux innervant la peau, les articulations
et les muscles associés à une commande volontaire, font partie du SNP soma-
tique. Les axones moteurs somatiques, qui commandent la contraction muscu-
laire, proviennent de neurones moteurs situés dans la partie ventrale de la moelle
­épinière. Les corps cellulaires des neurones moteurs font partie du SNC tandis
que leurs axones sont en grande partie dans le SNP.
Les axones sensoriels somatiques, qui innervent et collectent les informations
de la peau, des muscles, et des articulations, pénètrent dans la moelle épinière par
les racines dorsales. Les corps cellulaires de ces neurones sont situés en dehors de la
moelle épinière, regroupés à proximité dans les ganglions des racines dorsales (NdT :
ou ganglions rachidiens). Il existe un ganglion pour chaque nerf spinal (Fig. 7.5).

Ganglions
des racines
Racines dorsales
dorsales

Figure 7.5 – Moelle épinière.


La moelle épinière est située à l’intérieur de
la colonne vertébrale. Les axones entrent et
sortent de la moelle par les racines dorsales
Nerfs et ventrales, respectivement. Ces racines se
Racines spinaux rejoignent pour former les nerfs spinaux qui
ventrales innervent l’ensemble du corps.
182 1 – Bases cellulaires

SNP viscéral.  Le SNP viscéral, également appelé végétatif, involontaire


ou système nerveux autonome (SNA), regroupe les neurones qui innervent les
organes internes, les vaisseaux sanguins et les glandes. Les axones sensoriels des
nerfs viscéraux transmettent les informations concernant les fonctions viscérales
vers le SNC, comme par exemple la pression et le taux d’oxygène du sang arté-
riel. Les fibres viscérales motrices commandent la contraction et le relâchement
des muscles situés dans la paroi des intestins et des vaisseaux sanguins (appelés
muscles lisses), la fréquence de la contraction du muscle cardiaque et la fonction
sécrétrice de diverses glandes. Par exemple, le SNP viscéral contrôle la pression
artérielle en régulant le diamètre des vaisseaux sanguins et la fréquence cardiaque.
La structure et la fonction du SNA seront approfondies dans le chapitre 15,
mais il peut déjà être mentionné que les réactions émotionnelles involontaires,
telles qu’« avoir l’estomac noué » ou rougir, sont sous la dépendance du SNP
viscéral, le système nerveux autonome.
Axones afférents et efférents.  Cette présentation du SNP se trouve être le
bon moment pour introduire deux termes qui sont très souvent utilisés pour
décrire les axones du système nerveux. Ces deux termes dérivés du latin, afférent
(apporter vers) et efférent (apporter de), indiquent que les axones transportent
une information vers ou au contraire à partir d’une région déterminée du sys-
tème nerveux. Si l’on considère alors les axones du SNP par rapport à un point
de référence situé dans le SNC, les axones sensoriels somatiques ou viscéraux qui
transportent une information vers le SNC sont dits « afférents ». En revanche,
les axones qui sont issus du système nerveux, innervant les muscles ou encore les
glandes, sont dits « efférents ».

Nerfs crâniens
À côté des nerfs qui naissent dans la moelle épinière et innervent le corps,
il existe 12 paires de nerfs crâniens prenant leur origine dans le tronc cérébral
et innervant essentiellement la tête. Un nom et un numéro ont été attribués à
chacun des nerfs crâniens, classés à l’origine par Galien il y a environ 1 800 ans,
de la partie antérieure à la partie postérieure.
Certains nerfs crâniens font partie du SNC, d’autres du SNP somatique, d’autres
encore du SNP viscéral. Plusieurs nerfs crâniens n’ont pas de fonction unique mais
présentent des axones impliqués dans plusieurs fonctions. Les nerfs crâniens et leurs
fonctions sont décrits plus spécifiquement dans l’annexe à ce chapitre.

Méninges
Le SNC, composé de la partie du système nerveux enfermée dans le crâne
et la colonne vertébrale, n’est pas en contact direct avec l’os qui l’entoure. Il est
protégé par trois membranes appelées méninges (du grec meninx : recouvrir). Ces
trois membranes sont la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère (Fig. 7.6).
La plus externe représente la dure-mère. Ce terme illustre avec précision une
consistance semblable au cuir. La dure-mère forme une enveloppe rigide, qui
entoure le cerveau et la moelle épinière. Juste en dessous, se trouve la membrane
arachnoïdienne. Cette couche méningée a l’apparence et la trame d’une toile
d’araignée (arachnoïde, du grec arakhné : araignée). Il n’y a pas d’espace entre
la dure-mère et l’arachnoïde, mais si les vaisseaux sanguins de la dure-mère
sont rompus, le sang se répand à cet endroit, formant un hématome sous-dural.
L’accumulation de fluide dans l’espace sous-dural risque d’interrompre le fonc-
tionnement cérébral en comprimant certaines parties du SNC. Le traitement
consiste à forer un trou dans le crâne, pour drainer le sang.
La pie-mère représente enfin une fine membrane adhérant fortement à la sur-
face du cerveau. De nombreux vaisseaux sanguins parcourent la pie-mère avant
de s’enfoncer profondément dans le cerveau sous-jacent. La pie-mère se trouve
séparée de la membrane arachnoïdienne par un espace rempli de liquide. Cet
espace sous-arachnoïdien contient un liquide salé clair, le liquide céphalorachidien
ou LCR. En un certain sens, on peut donc dire que le cerveau flotte à l’intérieur
de la tête, dans une fine épaisseur de LCR.
7 – Anatomie du système nerveux 183

Dure mère

Espace
sous-dural
Membrane
arachnoïdienne

Espace
subarachnoïdien

Pie-mère

Artère

Cerveau

(a) (b)

Figure 7.6 – Méninges.
(a) Le crâne a été retiré pour montrer l’aspect externe du cerveau entouré par la méninge la plus
externe, la dure-mère (Source : Gluhbegoric et Williams, 1980.) (b) Illustré ici en coupe transverse,
les trois couches méningées protégeant le cerveau et la moelle épinière sont : la dure-mère, la
membrane arachnoïdienne et la pie-mère.

Système ventriculaire
Le cerveau comprend des cavités remplies de liquide et le réseau des canaux
situés à l’intérieur du cerveau forme le système ventriculaire. Ce liquide est
dénommé céphalorachidien, le même que celui de l’espace sous-arachnoïdien. Il
est produit par un tissu particulier, le plexus choroïde, situé dans les ventricules
des hémisphères cérébraux. Le LCR s’écoule des deux ventricules du c­ erveau vers
une série de cavités isolées reliées entre elles au cœur du tronc cérébral (Fig. 7.7).
À la sortie des ventricules, le LCR pénètre dans l’espace sous-­arachnoïdien par Plexus Espace
de petites ouvertures ou orifices, situées près de l’endroit où le cervelet se trouve choroïde subarachnoïdien
rattaché au tronc cérébral. Dans l’espace sous-arachnoïdien, le LCR va être
absorbé par des vaisseaux sanguins, dans des structures particulières appelées Rostral
villosités arachnoïdiennes. Si l’écoulement normal du LCR subit une interrup-
tion, il y a un risque de lésion du cerveau (Encadré 7.1).
À la fin du chapitre, nous reviendrons sur le système ventriculaire avec plus
de détails. Comme nous le verrons, comprendre l’organisation du système ventri-
culaire fournit des clés pour comprendre l’organisation du système nerveux lui-
même.

Nouveaux regards sur le cerveau


Durant des siècles, les anatomistes n’ont eu d’autres choix que de disséquer le
cerveau, le couper en tous les sens, en faire des coupes et les colorer, afin de pou-
voir les observer. Beaucoup de connaissances ont été acquises par ces méthodes Caudal
Ventricules
mais cela présente naturellement quelques limites. Parmi celles-ci, il faut mention- cérébraux
ner la difficulté de la représentation tridimensionnelle du cerveau et en particulier
de ses régions profondes. Sur ce plan, une avancée considérable est intervenue en
2013 lorsqu’il est apparu, en utilisant la méthode CLARITY, développée par les Figure 7.7 – Système ventriculaire.
chercheurs de Stanford University, qu’il était possible de visualiser cette structure Le liquide céphalorachidien (LCR) est produit
3D sans avoir recours à la dissection du cerveau. La méthode est basée sur l’im- dans les ventricules des deux hémisphères et
il remplit l’ensemble du système ventriculaire
mersion du cerveau dans une solution qui agit sur l’absorption de la lumière par
dans tout le cerveau et la moelle épinière. Le
les lipides en utilisant un gel soluble dans l’eau, rendant le cerveau quelque peu LCR s’écoule dans l’espace subarachnoïdien
translucide. Si le cerveau ainsi traité comprend par exemple des neurones rendus au travers de petites ouvertures situées à la
fluorescents comme avec la GFP (voir chapitre 2), en illuminant cette préparation base du cervelet. Dans l’espace subarachnoï-
avec une lumière de longueur d’onde appropriée, il est possible de visualiser ces dien, le LCR est absorbé dans la circulation
neurones particuliers avec leur position respective en 3D (Fig. 7.8). sanguine.
184 1 – Bases cellulaires

Encadré 7.1 FOCUS

De l’eau dans la tête


Si l’écoulement du LCR depuis les plexus choroïdes
Tube inséré
à travers le système ventriculaire jusqu’à l’espace dans le ventricule latéral
sous-arachnoïdien ne peut se faire, le liquide reflue dans à partir d’un trou percé
les ventricules en les dilatant, ce qui provoque une hydro- dans le crâne
céphalie, « une tête remplie d’eau » au sens propre du
terme.
Certains nouveau-nés sont atteints d’hydrocéphalie.
Cependant, comme les os du crâne sont mous et encore
en formation, la tête va grossir en rapport avec l’aug-
mentation du volume du liquide intracrânien tout en
épargnant le cerveau. Cet état passe souvent inaperçu, à
moins que la tête ne prenne une proportion énorme.
Chez les adultes, l’hydrocéphalie est beaucoup plus
grave car le crâne ne peut s’agrandir et cela accentue
Tube de drainage,
la pression intracrânienne. Le tissu cérébral est alors normalement
comprimé, ce qui gêne le fonctionnement du cerveau et introduit dans la cavité
peut être fatal si l’hydrocéphalie n’est pas traitée. péritonéale,
avec une longueur
L’hydrocéphalie « obstructive » est typiquement asso- suffisante
ciée à de sévères maux de tête causés par la distension pour permettre
des terminaisons nerveuses présentes au niveau des de faire face
au développement
méninges. Le traitement consiste à insérer un tube dans de l’enfant
le ventricule dilaté, pour drainer l’excès de liquide
(Fig. A).
Figure A

Bien entendu un cerveau « clarifié » ainsi traité reste un cerveau mort. Cela
évidemment en limite la portée de l’examen, notamment pour diagnostiquer les
maladies neurologiques. Dans ces conditions, il n’est alors pas exagéré de dire
que l’introduction de méthodes permettant d’obtenir des représentations du
­cerveau vivant a constitué une véritable révolution dans le champ de la neuro-­
anatomie. Quelques illustrations en sont données ci-après.

(a) (b) (c)

Figure 7.8 – Méthode pour rendre le cerveau translucide et visualiser des neurones fluorescents
dans les profondeurs du cerveau.
(a) Vue de dessus d’un cerveau de souris. (b) Le même cerveau rendu transparent en remplaçant
les lipides par un gel soluble dans l’eau. (c) Le cerveau translucide est éclairé avec une lumière de
longueur d’onde adaptée, ce qui permet de visualiser en place les neurones qui expriment la GFP
(green fluorescent protein). (Source : courtoisie du Dr Kwanghun Chung, Massachusetts Institute of
Technology. Adapté de Chung et Deisseroth, 2013, Figure 2.)
7 – Anatomie du système nerveux 185

Voir la structure du cerveau vivant.  Certains rayonnements électromagné-


tiques, comme les rayons X, pénètrent le corps et sont absorbés par les tissus
qualifiés de « radio-opaques ». En utilisant des films sensibles aux rayons X, il
est ainsi possible d’obtenir des images négatives de ces régions radio-opaques du
corps. Cette méthode fonctionne bien pour les os du squelette et le crâne, mais
pas pour le cerveau. En effet, cette structure tridimensionnelle n’est que peu
sensible à ce rayonnement et ainsi l’observation par radiographie ne fournit que
très peu de données sur le cerveau.
Une solution ingénieuse, dénommée tomographie assistée par ordinateur
ou Computed Tomography (CT), a été mise au point par Godfrey Hounsfield
et Allan Cormack, qui ont partagé le prix Nobel, en 1979. L’objectif de cette
méthode est de produire une image d’une coupe de cerveau, dans un plan (le
mot tomographie est dérivé du mot grec qui signifie « couper »). Pour ce faire,
une source de rayons X va tourner autour de la tête dans le plan de la coupe
désirée, défini arbitrairement. Les données sont recueillies cette fois de l’autre
côté de la tête par des capteurs électroniques sensibles aux rayons X, et l’infor-
mation enregistrée selon différents angles complémentaires est analysée par un
ordinateur, qui exécute une analyse algorithmique. Ainsi, une image reconstruite
du cerveau est produite à partir du seul matériel radio-opaque rencontré dans
la coupe. L’observation de coupes successives s’effectue par « scanning » du cer-
veau, c’est-à-dire par l’analyse systématique de coupes adjacentes. L’examen par
CT-scan révéla, de façon non invasive et pour la première fois, l’organisation
relative en trois dimensions des zones de substance blanche et de substance grise,
ainsi que la position des ventricules cérébraux du cerveau vivant.
Bien qu’utilisé très largement encore, le scanner se trouve progressivement
remplacé par une nouvelle méthode, l’imagerie par résonance magnétique
(IRM). Les avantages de l’IRM sont tels qu’ils permettent une analyse détaillée
de l’organisation du cerveau comme le scanner n’a jamais permis de le faire, et
surtout ne nécessitant pas l’utilisation de rayons X. Dans ce cas, les analyses de
coupes de cerveau peuvent être réalisées dans n’importe quel plan choisi. L’IRM
utilise l’information fournie par la mise en résonance des atomes d’hydrogène
soumis à un champ magnétique intense (Encadré 7.2). Les signaux électroma-
gnétiques correspondant à la perturbation du champ magnétique naturel et émis
par les atomes sont détectés par une série de capteurs et ils sont enregistrés par
un ordinateur puissant qui va reconstruire le cerveau en trois dimensions. Dès
lors, l’information recueillie à partir de l’IRM permettra d’obtenir des images
absolument saisissantes et très détaillées du cerveau vivant. Figure 7.9 – Diffusion tensor imaging du c­ erveau
humain.
Une autre application de cette méthode est qualifiée de diffusion tensor ima-
L’image reproduit une reconstruction par ordi-
ging (DTI), permettant la visualisation de larges faisceaux d’axones du cerveau.
nateur de faisceaux d’axones d’un sujet humain
En comparant la position des atomes d’hydrogène de l’eau à intervalles de temps vivant, vue de côté. Les faisceaux de fibres sont
très précis, il est ainsi possible de mesurer la diffusion des molécules d’eau dans colorés de façon à mieux les visualiser, en rapport
le cerveau. De fait, l’eau diffuse mieux le long des membranes des axones qu’au avec la direction de la diffusion de l’eau (Source :
travers de celles-ci, et cette différence peut être utilisée pour détecter les faisceaux courtoise du Dr Satrajit Ghosh, Massachusetts
de fibres qui connectent différentes régions du cerveau (Fig. 7.9). Institute of Technology.)

Voir fonctionner le cerveau vivant.  Le scanner et l’IRM sont des méthodes


irremplaçables pour détecter des changements de la structure du cerveau,
notamment lorsqu’il y a des tumeurs ou des réorganisations anatomiques après
des traumatismes cérébraux. Cependant, le fonctionnement cérébral, normal ou
pathologique, se trouve principalement fondé sur des modifications d’activité,
qu’elles soient d’origine chimique ou électrique, qui ne sont pas observables en
simples termes d’anatomie. Ce sont les méthodes d’imagerie fonctionnelle, qui
permettent maintenant de commencer à avoir accès à ces informations.
Les deux méthodes utilisées aujourd’hui réfèrent, d’une part, à la tomogra-
phie par émission de positrons (TEP-scan) et d’autre part, à l’imagerie par réso-
nance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ces deux méthodes diffèrent sur leurs
principes de fonctionnement mais elles permettent toutes deux de détecter loca-
lement, dans des régions du cerveau bien délimitées, des changements de débit
sanguin cérébral et de métabolisme (Encadré 7.3). Le principe de la mesure est
simple. Les neurones, lorsqu’ils sont activés, ont besoin de plus d’oxygène et de
plus de glucose. La vascularisation cérébrale répond à cette demande en aug-
186 1 – Bases cellulaires

Encadré 7.2 BASES THÉORIQUES

Imagerie par résonance magnétique


L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est une Si on utilise cette méthode, on peut simplement avoir
méthode générale qui peut être utilisée pour connaître la une idée de la quantité d’atomes d’hydrogène présents
position d’un certain nombre d’atomes en différentes dans le cerveau. Cependant, il est possible de mesurer la
parties du corps. C’est devenu un outil important en quantité de ces atomes présents dans des territoires très
neurosciences parce qu’elle permet d’obtenir, de façon localisés, en prenant avantage du fait que la fréquence à
non invasive, des images du système nerveux et en parti- laquelle les atomes d’hydrogène émettent leur énergie est
culier du cerveau. proportionnelle à la taille du champ magnétique. Dans
Dans la méthode la plus simple, l’IRM quantifie les les machines utilisées dans les hôpitaux, les champs
atomes d’hydrogène, par exemple ceux présents en très magnétiques varient d’un pôle de l’aimant à l’autre.
grand nombre dans l’eau ou dans les graisses. L’une des Cela donne un code spatial aux ondes radio émises par
lois les plus importantes de la physique est que lors- les protons. Les signaux de haute fréquence proviennent
qu’un atome d’hydrogène est soumis à un champ magné- des atomes d’hydrogène situés du côté du pôle de
tique, son noyau (qui consiste en un simple proton) peut ­l’aimant le plus puissant et les signaux de plus basse
exister sous deux états : un état de haute énergie et un ­fréquence, du côté du pôle de l’aimant le plus faible.
état de basse énergie. Comme les atomes d’hydrogène La dernière étape de la méthode est d’orienter le
sont très nombreux dans le système nerveux, nous ­gradient de l’aimant dans différents plans par rapport à
sommes donc en présence de très nombreux protons la position de la tête et de mesurer ainsi les quantités
sous les deux états. d’hydrogène. Pour effectuer un scan de cette manière,
La clé de l’IRM est de provoquer les changements cela ne prend, typiquement, pas plus de 15 minutes. Des
d’états des protons, qui passent ainsi d’un état à l’autre. programmes informatiques très sophistiqués sont alors
L’énergie est ajoutée aux protons en passant une onde utilisés pour reconstituer une simple image à partir des
électromagnétique (c’est-à-dire un signal radio) à travers mesures effectuées, traduisant la répartition des atomes
la tête positionnée entre les bornes d’un grand aimant. d’hydrogène dans la tête.
Lorsque le signal radio est émis juste à la bonne fré- La figure A est une illustration d’une image IRM en
quence, les protons en état de faible énergie absorbent vue latérale du cerveau humain. La figure B donne une
l’énergie du signal et passent en état de haute énergie. La autre image IRM, celle d’une coupe obtenue à partir de
fréquence à laquelle les protons absorbent l’énergie est ce cerveau. Notez combien il est facile de distinguer la
dite « fréquence de résonance » (d’où le terme de « réso- substance blanche et la substance grise. Cette caractéris-
nance »). Lorsque le signal radio est coupé, alors un cer- tique permet alors de mettre en évidence toutes une série
tain nombre de protons retournent 
à leur état initial de de processus pathologiques et en particulier des processus
faible énergie, émettant eux-mêmes un signal radio à de démyélinisation de la substance blanche. Les images
une fréquence particulière. C’est ce signal qui est enre- IRM permettent aussi de détecter et de localiser les
gistré par des détecteurs spécialisés. Son intensité est tumeurs et les lésions cérébrales, ces processus, en parti-
directement proportionnelle à la 
quantité d’atomes culier inflammatoires, s’accompagnant d’une augmenta-
d’hydrogène présents dans le tissu échantillonné. tion de la teneur en eau – et donc en protons – des tissus.

Sillon central

Cervelet

Figure A Figure B
7 – Anatomie du système nerveux 187

Encadré 7.3 BASES THÉORIQUES

TEP et IRMf
Jusqu’à une période récente, les processus cognitifs Dans les faits, lors d’une expérience de TEP-scan,
n’étaient pas accessibles à l’imagerie. Les méthodes le sujet est placé avec sa tête située au niveau d’un dis-
de tomographie par émission de positrons (TEP-scan) positif formé d’un ensemble de détecteurs (Fig. A). Par
et d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle un procédé automatisé commandé par ordinateur, les
(IRMf) ont permis d’avoir accès au cerveau en train de photons qui résultent de l’émission de positrons attei-
penser ou de planifier et exécuter une action. gnant chacun des détecteurs sont enregistrés. Cela
Le TEP-scan a été développé dans les années 1970 permet alors de calculer le niveau d’activité de cha-
par deux groupes de physiciens, l’un à l’Université de cune des régions cérébrales, en fonction de l’émission
Washington, dirigé par M. Terpogossian et M.E. Phelps, de ces positrons, et de produire une cartographie sous
l’autre à UCLA, dirigé par Z.H. Cho. Le principe de forme d’images de cette activité cérébrale. Les cher-
base est simple. Une solution radioactive contenant un cheurs ont par exemple mesuré l’activité cérébrale de
atome qui émet des positrons (qui sont des électrons cette manière lors de tâches standardisées, telles que
chargés positivement) est injectée par voie intraveineuse. bouger un doigt ou lire à haute voix. Ces différentes
Les positrons émettent leur rayonnement quel que soit tâches comportementales sont ainsi proposées de
l’endroit du corps où ils se trouvent, par interaction avec façon à mettre en jeu des régions fonctionnellement
les électrons en produisant des photons de radiation différentes du cerveau. Pour mettre en évidence plus
électromagnétique. La localisation des positrons s’effec- facilement la région activée sélectivement, on utilise
tue alors en localisant les photons par des détecteurs une méthode de soustraction qui permet de ne pas
sensibles spécialisés. tenir compte de l’activité « de base » qui existe en per-
L’une des applications les plus importantes du TEP- manence dans le cerveau, y compris lorsqu’il est au
scan est la mesure de l’activité métabolique du cerveau. repos en l’absence de toute stimulation sensorielle.
Dans une méthode développée par Louis Sokoloff et ses Ainsi, pour créer l’image des régions cérébrales acti-
collaborateurs au National Institute of Mental Health, vées par exemple pendant qu’un sujet détaille un
un isotope du fluor ou de l’oxygène est incorporé au tableau, cette activité correspondant à un « bruit de
2-déoxyglucose (2-DG). Ce traceur radioactif est injecté fond » est soustraite de l’activité mesurée pendant la
dans la circulation générale et parvient au cerveau. Les tâche comportementale (Fig. B).
neurones les plus actifs qui utilisent normalement le Cependant, même si le TEP-scan est une méthode
glucose en grande quantité, vont alors capter le 2-DG. d’investigation très importante, elle n’en comporte pas
Le 2-DG est phosphorylé à l’intérieur des neurones, ce moins certaines limites. En particulier, la résolution spa-
qui provoque son accumulation dans les cellules. Par tiale, de l’ordre de quelque 5 à 10 mm3, reste faible, ce
conséquent, l’accumulation de 2-DG et l’émission de qui représente l’activité de plusieurs milliers de cellules.
positrons correspondante sont un index de l’activité Par ailleurs, l’acquisition des données est relativement
métabolique neuronale. lente, de l’ordre de une à plusieurs minutes pour obtenir

Détecteurs
de photons

Photon

Émission
de positrons

Figure A – La procédure du TEP-scan. (Source : Posner et Raichle, 1994, p. 61.)


188 1 – Bases cellulaires

Encadré 7.3 BASES THÉORIQUES  (suite)

Stimulation Témoin Différence

– =

Figure B – Une image de TEP.


(Source : Posner et Raichle, 1994,
p. 65.)

un seul scan. Cela, sans compter avec les radiations sente une résonance magnétique différente de celle de la
encourues par le sujet, limite le nombre de scans que déoxyhémoglobine (l’hémoglobine qui a donné son oxy-
l’on peut faire sur un seul sujet dans une période de gène). Comme les régions les plus actives du cerveau
temps raisonnable. Dès lors, le travail réalisé par reçoivent plus de sang, ce sang donne donc plus d’oxy-
S. Ogawa dans les laboratoires Bell, montrant que les gène. L’IRMf détecte les changements d’activité qui
méthodes IRM peuvent être utilisées pour mesurer loca- interviennent localement dans le cerveau en mesurant le
lement les changements de concentration d’oxygène en rapport entre oxyhémoglobine et déoxyhémoglobine. Il
rapport avec la circulation cérébrale, constituèrent une en est résulté une méthode de choix pour l’imagerie céré-
avancée considérable. brale car les scans sont rapides (50 ms) et présentent une
L’IRMf est fondée sur le fait que l’oxyhémoglobine, résolution spatiale très bonne (3 mm3) et qui s’avère
c’est-à-dire la forme oxygénée de l’hémoglobine, pré- complètement non invasive.

mentant localement les flux sanguins porteurs de ces nutriments essentiels pour
les neurones. Ainsi, les changements de débit sanguin détectés par le TEP-scan
ou l’IRMf révèlent les régions du cerveau qui sont les plus actives dans des
­circonstances particulières et bien standardisées.
Les avantages fournis par ces méthodes ont ainsi permis aux scientifiques
de pénétrer pour la première fois les mystères du cerveau humain vivant, et cela
représente des moyens d’investigation formidables pour mieux comprendre
les bases des fonctions cérébrales et en particulier des processus cognitifs.
Néanmoins, comme vous pouvez l’imaginer, l’utilisation de ces méthodes néces-
site une parfaite connaissance de l’anatomie cérébrale et c’est la raison pour
laquelle nous la décrivons si longuement dans ce chapitre.

Quiz Avez-vous bien compris le sens de ces termes ?

système nerveux central (SNC) SNP viscéral


encéphale système nerveux autonome (SNA)
moelle épinière afférent
hémisphères cérébraux efférent
cervelet nerf crânien
tronc cérébral méninges
nerf spinal dure-mère
racine dorsale membrane arachnoïdienne
racine ventrale pie-mère
système nerveux périphérique (SNP) liquide céphalorachidien (LCR)
ganglion de la racine dorsale système ventriculaire
7 – Anatomie du système nerveux 189

Comprendre l’organisation
du SNC par son développement
Tout le système nerveux prend son origine dans les parois d’un tube rempli de
liquide, qui se forme lors d’une phase précoce du développement embryonnaire
ou tube neural. Le tube lui-même forme la base de ce qui deviendra le système
ventriculaire adulte. L’observation des transformations du tube neural au cours
de l’évolution fœtale permet d’expliquer l’organisation du cerveau et l’ajuste-
ment des différentes parties les unes par rapport aux autres. C’est pourquoi, en
abordant l’étude du développement il est possible de mieux comprendre l’orga-
nisation du cerveau. Le chapitre 23 reviendra sur ce sujet, pour montrer d’où
proviennent les neurones, comment ils s’acheminent vers leur destination finale
dans le SNC, et comment ils établissent entre eux les connexions synaptiques
appropriées.
Les anatomistes utilisent plusieurs termes, qu’il faut connaître, pour dési-
gner les ensembles de neurones et d’axones. Quelques-uns des éléments de cette
nomenclature sont donnés dans les tableaux 7.1 et 7.2.
L’anatomie peut paraître très rébarbative mais elle reprend de l’intérêt
lorsque c’est le rôle fonctionnel des différentes structures qui est examiné. Tous
les chapitres qui suivent sont ainsi consacrés à l’organisation fonctionnelle du
système nerveux mais certaines relations structure-fonctions sont déjà abordées
dans ce chapitre, pour montrer comment différentes parties du cerveau contri-
buent, individuellement et ensemble, au fonctionnement du SNC.

Tableau 7.1 – Quelques définitions : les ensembles de neurones.

Nom Description/Exemple
Substance grise Terme générique désignant une zone de corps cellulaires neuronaux, dans
le SNC. Lorsque l’on ouvre en deux un cerveau fraîchement disséqué, cette
région des neurones paraît grise
Cortex Ensemble de neurones qui forment une mince couche à la surface du cer-
veau. Cortex signifie « écorce » en latin. Exemple : le cortex cérébral repré-
sente les couches de neurones qui se trouvent juste sous la surface du
­cerveau
Noyau Une masse de neurones clairement individualisée, en profondeur dans le
cerveau (à ne pas confondre avec le noyau d’une cellule). 
Exemple : le corps
genouillé latéral, défini comme un noyau constitué d’un groupe de cellules
qui transmet l’information de l’œil au cortex cérébral
Substance Groupe de neurones reliés fonctionnellement entre eux dans les profondeurs
du cerveau, mais dont le contour est généralement moins bien délimité que
celui des noyaux. Exemple : la substantia nigra, en latin : substance noire ;
un groupe de cellules du tronc cérébral impliqué dans le contrôle du mou-
vement volontaire
Locus Petit groupe de cellules bien défini. Exemple : le locus coeruleus, en latin :
tâche bleue ; un groupe de cellules du tronc cérébral impliqué dans le
contrôle de la vigilance et de l’éveil
Ganglion Ensemble de neurones du SNP. Ganglion, en grec : nœud. Exemple : les
ganglions de la racine dorsale contiennent les corps cellulaires des axones
sensoriels pénétrant dans la moelle épinière par les racines dorsales. Un
seul groupe de cellules porte ce nom dans le SNC, les ganglions de la base,
structures situées en profondeur, à l’intérieur du cerveau, qui contrôlent le
mouvement
190 1 – Bases cellulaires

Tableau 7.2 – Quelques définitions : les ensembles d’axones.

Nom Description/Exemple
Nerf Groupe d’axones dans le SNP. Un seul ensemble d’axones du SNC porte
le nom d’un nerf : le nerf optique
Substance blanche Terme générique désignant un ensemble d’axones. Lorsqu’on ouvre en
deux un cerveau fraîchement disséqué, les régions occupées par les
axones paraissent blanches
Voie Ensemble d’axones du SNC dérivant du même site d’origine, ayant la
même destination. Exemple : la voie corticospinale, qui prend naissance
dans le cortex cérébral et se termine dans la moelle épinière
Faisceau Ensemble d’axones situés sur un même tracé mais qui n’ont pas néces-
sairement la même origine, ni la même destination. Exemple : le faisceau
médian du télencéphale, qui relie des cellules dispersées dans le cerveau
et le tronc cérébral
Capsule Ensemble d’axones reliant le cerveau antérieur au tronc cérébral.
Exemple : la capsule interne, qui fait communiquer le bulbe rachidien et
le cortex
Commissure Tout ensemble d’axones qui établit une communication entre les deux
côtés du cerveau
Lemnisque Un faisceau de fibres qui s’insinue dans le cerveau comme un ruban.
Exemple : le lemnisque médian, qui véhicule l’information du toucher, de
la moelle épinière au tronc cérébral

Formation du tube neural


Au début, l’embryon se présente sous la forme d’un disque plat, formé de
trois couches de cellules distinctes, l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme.
L’endoderme va donner naissance à la paroi de plusieurs organes internes (les
viscères) ; le mésoderme donne naissance aux os du squelette et aux muscles ; le
système nerveux et la peau dérivent entièrement de l’ectoderme.
Ce chapitre souligne les modifications qui surviennent dans la partie de l’ec-
toderme donnant naissance au système nerveux, dénommée plaque neurale. À
un stade précoce (c’est-à-dire environ 3 semaines chez l’homme), le cerveau n’est
qu’une simple couche aplatie de cellules (Fig. 7.10a). L’étape suivante se traduit
par la formation d’un sillon dans la plaque neurale, qui court de la partie rostrale
vers la partie caudale, le sillon neural (Fig. 7.10b). Les parois du sillon forment
la gouttière neurale. En se développant, les parois vont se réunir dans la partie
dorsale pour former le tube neural (Fig. 7.10c). Le système nerveux tout entier se
développe à partir des parois du tube neural. Lorsque les bords de la gouttière
neurale se rejoignent, il se trouve qu’une partie de l’ectoderme neural est repous-
sée à l’extérieur, juste latéralement par rapport au tube. Ce tissu formant un
cordon plus ou moins régulier de chaque côté du tube neural s’appelle la crête
neurale (Fig. 7.10d). Tous les neurones du système nerveux périphérique sont issus
de la crête neurale.
Le développement de la crête neurale correspond étroitement au mésoderme
sous-jacent. À ce stade du développement, le mésoderme forme des bourgeon-
nements, de chaque côté du tube neural, appelés somites. À partir de ces somites
les 33 vertèbres de la colonne vertébrale vont se développer, ainsi que les muscles
squelettiques correspondants ; d’où leur nom de nerfs moteurs somatiques.
Le processus par lequel la plaque neurale devient le tube neural est dénommé
neurulation. La neurulation représente chez les humains un processus précoce du
développement embryonnaire, qui intervient seulement 22 jours après la concep-
tion. L’un des problèmes fréquents du développement de l’embryon est un défaut
de fermeture appropriée du tube neural à la naissance, mais des résultats récents
montrent cependant qu’une alimentation maternelle correcte pendant cette
période permet de réduire considérablement ce type de problème (Encadré 7.4).
7 – Anatomie du système nerveux 191

Rostral

Caudal
Gouttière Tube Somites Crête Tube
Plaque Replis
Mésoderme neurale neural neurale neural
neurale
Ectoderme

(a) (b) (c) (d)


Endoderme

Figure 7.10 – Formation du tube neural et des crêtes neurales.


Ces schémas illustrent les premiers stades du développement du système nerveux chez l’embryon. Les schémas du haut représentent des vues
dorsales de l’embryon ; ceux du dessous sont des coupes transversales. (a) Le système nerveux le plus primitif est représenté par un mince feuillet
d’ectoderme. (b) La première phase importante du développement du système nerveux est représentée par la formation de la gouttière neurale. (c) Les
bords de la gouttière se rejoignent pour former le tube neural. (d) La partie de l’ectoderme qui se trouve présente dans le tube neural lors de sa forma-
tion représente la crête neurale, à partir de laquelle se développe le système nerveux périphérique. Les somites se différencient à partir du mésoderme
pour donner ensuite le système squelettique et les muscles.

Les trois vésicules primitives du cerveau


Le processus par lequel les structures deviennent plus élaborées et se spécia-
lisent au cours du développement s’appelle la différenciation. La première étape
de la différenciation du cerveau est le développement, à l’extrémité rostrale du
tube neural, de trois renflements reconnus comme les « vésicules primitives »
(Fig. 7.11). Tout le cerveau se forme à partir de ces trois vésicules primitives du
tube neural.

Rostral

Prosencéphale
ou cerveau antérieur

Mésencéphale
ou cerveau médian

Rhombencéphale Figure 7.11 – Les trois vésicules primitives du cerveau.


ou cerveau postérieur La partie rostrale du tube neural se différencie pour former les trois
vésicules à l’origine de l’ensemble du système nerveux. Ce schéma
est une vue de dessus et les vésicules primitives sont représentées
Caudal en section, ce qui permet de visualiser l’intérieur du tube neural.
192 1 – Bases cellulaires

Encadré 7.4 FOCUS

Nutrition et tube neural


La formation du tube neural est l’un des événements
majeurs du développement du système nerveux. Il inter-
vient très tôt, dès la troisième semaine après la concep-
tion, avant même le plus souvent que la mère sache
qu’elle est enceinte. Un défaut de fermeture du tube neu-
ral constitue un problème fréquent du développement
de l’embryon, intervenant environ dans 1 cas de nais-
sance pour 500. Des résultats récents, d’intérêt majeur
pour la santé publique, montrent que dans la plupart
des cas ce défaut de fermeture du tube neural est associé
à une carence en acide folique représentant une vitamine
dans l’alimentation maternelle, et cela dans les semaines
qui suivent immédiatement la conception. Il est ainsi
estimé qu’une supplémentation correcte des jeunes
mères en acide folique pendant cette période pourrait
réduire de 90 % les cas de mal-fermeture du tube neural.
La fermeture du tube neural constitue un processus
complexe (Fig. A). Il dépend d’une séquence d’événe-
ments extrêmement précise, affectant la forme de chaque
cellule dans les trois dimensions, et de changements qui
touchent les processus d’adhésion entre les cellules de la
plaque neurale. Le déroulement correct de la neurula-
tion peut également être coordonné avec des change-
ments concomitants intervenant dans l’ectoderme et
l’endoderme, qui ne sont pas des tissus nerveux. À
l’échelon moléculaire, la neurulation dépend de l’expres-
sion séquentielle de gènes spécifiques, contrôlée en
­partie au moins par la position et l’environnement de
chaque cellule. Il est incontestable que ce processus est
extrêmement sensible à l’environnement chimique et,
par conséquent, aux carences qui pourraient intervenir
dans la circulation maternelle.
La fusion des replis de la gouttière neurale pour for-
mer le tube neural intervient d’abord en son milieu, puis
antérieurement et postérieurement (Fig. B). Un défaut
de fermeture de la partie antérieure du tube neural est
dénommé anencéphalie. L’anencéphalie, caractérisée
par une dégénérescence du cerveau antérieur et du
crâne, est toujours fatale. Un défaut de fermeture du
tube neural dans sa partie caudale est à l’origine d’un
état dit de spina bifida. Dans ses formes les plus sévères,
la spina bifida est caractérisée par un défaut de forma-
tion de la partie postérieure du tube neural à partir de la
plaque neurale (bifida est un mot latin qui signifie
« fendu à deux endroits »). Dans les formes plus légères, 0,180 mm
on trouve seulement des défauts de formation des Figure A – Photographies au microscope à balayage de différentes
méninges et des vertèbres de la partie la plus caudale du étapes de la neurulation.
tube neural. Cette situation n’est pas fatale en général, (Source : Smith et Schoenwolf, 1997.)
mais nécessite une lourde prise en charge des jeunes
enfants, qui est très coûteuse.
7 – Anatomie du système nerveux 193

Encadré 7.4 FOCUS  (suite)

L’acide folique joue un rôle essentiel dans toute une


22 jours 23 jours série de voies métaboliques, incluant notamment la syn-
Rostral
thèse de l’ADN au moment où les cellules se divisent
pendant le développement. Bien que nous ne soyons pas
encore en mesure de savoir pourquoi une carence en
acide folique augmente l’incidence de ces défauts de
développement du tube neural, il est cependant plus
facile de comprendre comment cette vitamine peut
affecter la chorégraphie de la neurulation. Le terme de
folique est dérivé du mot latin qui signifie « feuille », en
Caudal
rapport avec le fait que l’acide folique a été initialement
(a) purifié à partir de feuilles d’épinard. Ainsi, au-delà de
ces légumes verts, l’acide folique se trouve également en
abondance dans le foie, la levure, les œufs, les haricots
ou encore les oranges. Beaucoup de céréales proposées
pour les petits déjeuners contiennent maintenant de
l’acide folique. Néanmoins, la consommation quoti-
dienne d’acide folique de l’Américain moyen n’est que
de la moitié environ de ce qui est recommandé pour
­prévenir les troubles du développement (0,4 mg/j). À
titre d’illustration, il est intéressant de noter que les
US Centers for Disease Control and Prevention recom-
mandent qu’une femme en voie de devenir enceinte
Normal Anencéphalie Spina bifida prenne des cocktails de vitamines contenant 0,4 mg
(b)
d’acide folique.
Figure B
(a) Fermeture du tube neural. (b) Principales malformations du tube neural.

La vésicule la plus rostrale constitue le prosencéphale, du grec pro : en avant et


enkephalon : cerveau. Le prosencéphale se trouve aussi dénommé cerveau anté-
rieur1.
Derrière le prosencéphale se trouve une autre vésicule appelée mésencéphale
ou cerveau médian. Dans la partie caudale, enfin, se trouve la troisième vésicule,
le rhombencéphale ou cerveau postérieur. Le rhombencéphale communique avec
le tube neural caudal, qui va donner naissance à la moelle épinière. Cerveau antérieur
Vésicules
télencéphaliques
Diencéphale
Différenciation du cerveau antérieur Vésicules
optiques
Des développements importants vont survenir dans le cerveau antérieur où
Mésencéphale
des vésicules secondaires bourgeonnent de chaque côté du prosencéphale. Ces
vésicules secondaires représentent les vésicules optiques et les vésicules télen- Cerveau postérieur
céphaliques. La structure qui demeure au milieu, après le bourgeonnement des
vésicules secondaires, est le diencéphale ou « partie située entre les hémisphères »
(entre les cerveaux) (Fig. 7.12). À ce stade, le cerveau antérieur comprend les
deux vésicules optiques, les deux vésicules télencéphaliques et le diencéphale.
Figure 7.12 – Vésicules secondaires du cer-
Les vésicules optiques croissent et se replient vers l’intérieur pour former veau antérieur.
les pédoncules optiques et les coupelles optiques, qui deviendront plus tard les Le cerveau antérieur se différencie en une
nerfs optiques et les deux rétines (Fig. 7.13). Il est important de noter que la rétine paire de vésicules télencéphalique et optique,
située à l’arrière de l’œil et le nerf optique reliant l’œil au diencéphale, sont des et en un diencéphale. Les vésicules optiques
structures qui appartiennent au cerveau et non au SNP. deviendront les yeux.

1.  NdT : qui se divisera pour donner le télencéphale et le diencéphale.


194 1 – Bases cellulaires

Coupe au niveau Différenciation du télencéphale et du diencéphale.  Les vésicules télencépha-


de la coupelle liques forment ensemble le télencéphale, qui comprend les deux hémisphères
optique
Pédoncule
cérébraux. Le développement du télencéphale se poursuit de quatre façons :
optique (1) les vésicules télencéphaliques s’agrandissent postérieurement, au-dessus et
sur les côtés du diencéphale (Fig. 7.14a) ; (2) une autre paire de vésicules bour-
geonne sur les surfaces ventrales des hémisphères cérébraux, donnant naissance
aux bulbes olfactifs et aux structures associées qui contribuent à l’olfaction
(Fig. 7.14b) ; (3) les cellules des parois du télencéphale se divisent et se différen-
cient en formant diverses structures ; (4) la substance blanche se développe, en
projetant des axones depuis et vers les neurones du télencéphale.
Coupe au niveau
des parois La manière dont les différentes parties du télencéphale et du diencéphale
du diencéphale se différencient et s’assemblent apparaît sur une coupe coronale du cerveau
antérieur primitif d’un mammifère (Fig. 7.15). Les deux hémisphères cérébraux
Figure 7.13 – Développement précoce des
sont situés au-dessus et de chaque côté du diencéphale, et les surfaces ventrales
yeux.
Les vésicules optiques se différencient en un
médianes des hémisphères ont fusionné avec les surfaces latérales du diencéphale
pédoncule et une coupelle optique. Le pédon- (Fig. 7.15a).
cule deviendra le nerf optique et la coupelle, Les cavités remplies de liquide situées dans les hémisphères cérébraux sont les
la rétine. ventricules latéraux, et l’espace situé au centre du diencéphale forme le troisième
ventricule (Fig. 7.15b). Les deux ventricules latéraux constituent un repère-clé
dans le cerveau adulte : la présence des ventricules latéraux sur une coupe du
cerveau indique que le tissu environnant fait partie du télencéphale. L’aspect de
fente allongée du troisième ventricule, tel qu’il apparaît sur une coupe transver-
sale, est aussi un repère utile pour identifier le diencéphale.
Sur la figure 7.15 les parois des vésicules télencéphaliques paraissent bour-
souflées, à cause de la prolifération des neurones. Ces neurones forment deux
territoires distincts du télencéphale : le cortex cérébral et le télencéphale basal.
De même, le diencéphale se différencie en deux structures : le thalamus et
­l’hypothalamus (Fig. 7.15c) ; le thalamus, dans la profondeur du cerveau posté-
rieur, tire son nom du grec thalamos : chambre intérieure.
Les axones des neurones du cerveau antérieur s’allongent, pour communi-
quer avec les autres parties du système nerveux. Ces axones regroupés consti-
tuent trois systèmes majeurs de substance blanche : la substance blanche cor-
ticale, le corps calleux et la capsule interne (Fig. 7.15d). La substance blanche
corticale contient tous les axones qui naissent des neurones du cortex cérébral ou
s’y projettent ; le corps calleux est en continuité avec la substance blanche corti-
cale et forme un pont axonal reliant les neurones corticaux des deux hémisphères
cérébraux ; la substance blanche corticale est aussi en continuité avec la capsule
interne, qui relie le cortex au tronc cérébral et plus particulièrement au thalamus.

Télencéphale Dorsal Hémisphères


(2 hémisphères cérébraux) cérébraux
Caudal
Rostral Rostral

Ventral

Diencéphale
Mésencéphale
Cerveau
postérieur
Diencéphale
Bulbes
Caudal Coupelles optiques olfactifs
(a) Différenciation (b)

Figure 7.14 – Différenciation du télencéphale.
(a) Au cours du développement, les hémisphères cérébraux se développent postérieurement et latéralement, de telle sorte qu’ils enveloppent le
­diencéphale. (b) Les bulbes olfactifs émergent de la surface ventrale de chaque vésicule télencéphalique.
7 – Anatomie du système nerveux 195

Télencéphale

Cortex cérébral

Thalamus

Hypothalamus
Diencéphale Télencéphale basal

(a) (c)

Ventricules latéraux Corps calleux

Substance
Troisième ventricule blanche corticale

Capsule interne

(b) (d)

Figure 7.15 – Caractéristiques structurales du cerveau antérieur.


(a) Coupe frontale (coronale) au niveau du cerveau antérieur primitif, montrant les deux sous-divisions principales : le télencéphale et le diencéphale.
(b) Ventricules du cerveau antérieur. (c) Substance grise du cerveau antérieur. (d) Principaux systèmes de substance blanche.

Relations structure-fonctions du cerveau antérieur  Le cerveau antérieur repré-


sente le siège de la perception, de la conscience, de la cognition ou encore du mou- Cortex
vement volontaire. Toutes ces facultés dépendent d’innombrables interconnexions cérébral
avec les neurones sensoriels et moteurs du tronc cérébral et de la moelle épinière.
La structure la plus importante du cerveau antérieur se trouve être, sans
conteste, le cortex cérébral. Il s’agit de la structure cérébrale qui s’est le plus
développée au cours de l’évolution de l’homme. Certains neurones du cortex
Thalamus
recevant les informations sensorielles, ils sont à l’origine de la perception du
monde extérieur et commandent le mouvement volontaire.
Les neurones des bulbes olfactifs détectent les odeurs des substances
chimiques par le nez et transmettent cette information dans une partie caudale
du cortex cérébral où elle sera traitée ultérieurement. L’information provenant
des yeux, des oreilles ou de la peau se trouve être aussi transmise au cortex
cérébral pour être analysée. Cependant, toutes les voies sensorielles associées à
la vision, l’ouïe, et la sensation somatique présentent un relais (sous forme de
synapses) dans le thalamus avant de rejoindre le cortex. De ce fait, le thalamus
représente l’un des passages prépondérant vers le cortex (Fig. 7.16). Œil Oreille Peau
Les axones des neurones thalamiques projetant vers le cortex empruntent la
capsule interne. Les neurones dont les axones sont présents dans chaque cap- Figure 7.16 – Thalamus : relais vers le cor-
sule interne transmettent au cortex l’information issue du côté controlatéral du tex.
corps. Ainsi, la blessure causée par l’enfoncement d’une punaise dans le pied Les systèmes sensoriels de l’œil, de l’oreille
ou de la peau, présentent un relais au niveau
droit sera transmise au cortex gauche par la partie gauche du thalamus, grâce aux
du thalamus avant d’atteindre le cortex céré-
axones de la capsule interne gauche. Mais comment le pied droit sait-il ce que fait
bral. Les flèches indiquent le sens du transfert
le pied gauche ? C’est l’un des rôles de la communication établie entre les deux de l’information.
hémisphères, impliquant les neurones du corps calleux.
Les neurones corticaux projettent aussi leurs axones dans le sens inverse, vers
le tronc cérébral par exemple, à travers la capsule interne. Les axones corticaux se
projetant jusqu’à la moelle épinière forment le faisceau corticospinal. C’est l’une
des voies par lesquelles le cortex contrôle le mouvement. Un autre système neu-
ronal passe par les ganglions de la base, un ensemble de structures situées dans
le télencéphale ; le terme basal qualifie les structures profondément ancrées dans
le cerveau, tels que les ganglions de la base situés dans la profondeur du cerveau.
La fonction des ganglions de la base n’est pas encore très bien connue mais une
atteinte de ces structures supprime tout contrôle du mouvement volontaire. Il
existe aussi d’autres structures dans le télencéphale, qui contribuent à d’autres
fonctions cérébrales, telle que l’amygdale, structure impliquée dans la peur et
l’émotion, qui sera présentée plus loin dans le chapitre 18.
196 1 – Bases cellulaires

Bien que l’hypothalamus soit situé juste sous le thalamus il est fonctionnel-
lement plus proche de certaines structures télencéphaliques, comme l’amygdale
que nous venons de voir. L’hypothalamus remplit de nombreuses fonctions
­primitives et n’a donc pas beaucoup évolué chez les mammifères, le terme de
« primitif » ne signifiant pas inintéressant ou sans importance. En fait, l’hypotha-
lamus contrôle le système nerveux (autonome) viscéral, qui régule les fonctions
du corps en réponse aux besoins de l’organisme. Par exemple, si une menace pèse
sur un individu, l’hypothalamus orchestre la réponse viscérale du corps, qui peut
conduire à adopter soit une attitude de combat, soit au contraire un compor-
tement de fuite. Parmi les ordres donnés au système nerveux autonome (SNA),
l’hypothalamus commande l’augmentation de la fréquence cardiaque, un apport
de sang plus important aux muscles en cas de fuite, y compris le fait que les
cheveux se dressent sur la tête. En revanche, après un bon repas l’hypothalamus
témoigne du bon approvisionnement du cerveau par les ordres donnés au SNA
qui augmente le péristaltisme (les contractions du tractus gastro-intestinal) et
oriente le flux sanguin vers l’appareil digestif. Chez les animaux, l’hypothalamus
joue aussi un rôle déterminant dans la motivation à se nourrir, boire, ou s’ac-
coupler, selon leurs besoins. En plus de la mise en jeu des connexions avec le
SNA, l’hypothalamus commande aussi certaines réponses comportementales au
moyen des connexions qu’il établit avec l’hypophyse située sous le diencéphale.
Cette glande très importante communique avec de nombreuses parties du corps,
en libérant des hormones dans la circulation sanguine.

Quiz Liste des structures dérivées du cerveau antérieur

Vésicule primitive Vésicule secondaire Structures adultes


Cerveau antérieur Vésicule optique Rétine
(prosencéphale) Nerf optique
Thalamus (diencéphale) Thalamus dorsal
Hypothalamus
Troisième ventricule
Télencéphale Bulbe olfactif
Cortex cérébral
Télencéphale basal
Corps calleux
Substance blanche corticale
Capsule interne

Différenciation du mésencéphale
Contrairement au cerveau antérieur, le mésencéphale se différencie relative-
ment peu pendant le développement (Fig. 7.17). La surface dorsale de la vésicule
mésencéphalique va dériver en une structure appelée tectum (« toit » en latin).
Le plancher du mésencéphale se différencie pour former le tegmentum. L’espace
rempli de liquide entre ces deux structures se rétrécit en un canal étroit, l’aqueduc
cérébral. L’aqueduc est relié dans la partie rostrale au troisième ventricule du dien-
céphale. L’aspect étroit et circulaire de l’aqueduc cérébral tel qu’il apparaît sur les
coupes transversales est un bon repère pour l’identification du cerveau médian.
Relations structure-fonctions du mésencéphale.  Pour une structure si simple
d’apparence, les fonctions du mésencéphale sont étonnamment variées. Cette
région de l’encéphale contribue au passage des faisceaux de fibres très impor-
tants, qui relient le cortex cérébral à la moelle épinière et vice versa, mais elle
comporte aussi de nombreux neurones impliqués dans les systèmes sensoriels, le
contrôle du mouvement et plusieurs autres fonctions.
7 – Anatomie du système nerveux 197

Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur

Différenciation

Tectum

Aqueduc Figure 7.17 – Différenciation du cerveau médian.


cérébral
Le cerveau médian se différencie pour former le
tectum et le tegmentum. À ce niveau, le système
ventriculaire est représenté par l’aqueduc cérébral
Tegmentum
(les schémas ne sont pas à l’échelle).

Dans le mésencéphale, se trouvent des axones descendant du cortex cérébral


au tronc cérébral et à la moelle épinière. Par exemple, le faisceau corticospi-
nal passe à travers le mésencéphale pour rejoindre la moelle épinière, comme
nous l’avons mentionné plus haut. Une atteinte de ce faisceau d’un côté, dans
la région mésencéphalique, provoque la perte du contrôle volontaire du mouve-
ment du côté du corps opposé.
Le tectum se différencie quant à lui en deux structures : le colliculus supé-
rieur et le colliculus inférieur. Le colliculus supérieur reçoit directement des
informations de l’œil ; c’est pourquoi il est aussi dénommé tectum optique.
L’une des fonctions du tectum optique est de contrôler les mouvements des yeux
par l’intermédiaire de connexions synaptiques avec les neurones moteurs qui
innervent les muscles de l’œil. Certains des axones innervant les muscles de l’œil
proviennent du mésencéphale et s’assemblent en faisceau pour former les nerfs
crâniens III et IV.
Le colliculus inférieur reçoit une information sensorielle issue de l’oreille et
non de l’œil. Le colliculus inférieur représente un relais important de l’informa-
tion auditive dans sa progression vers le thalamus.
Le tegmentum mésencéphalique est l’une des zones les plus colorées du cer-
veau car elle contient à la fois la substantia nigra (NdT : substance noire ou locus
niger) et le noyau rouge. Ces deux groupes de cellules se trouvent impliqués dans
le contrôle du mouvement volontaire. D’autres groupes de cellules disséminées
dans le mésencéphale présentent des axones, qui se projettent de façon diffuse
dans une grande partie du SNC et agissent sur des fonctions très variées comme
la conscience, l’humeur, le plaisir, ou encore la régulation de la perception dou-
loureuse.

Différenciation du cerveau postérieur


Le cerveau postérieur se différencie en trois structures importantes : le c­ ervelet,
le pont et le bulbe rachidien. Le cervelet et le pont naissent de la partie rostrale du
cerveau postérieur (le métencéphale) ; la partie bulbaire est dérivée de la région
caudale (le myélencéphale). À ce niveau, la partie centrale devient le quatrième
ventricule ; il se trouve en continuité avec l’aqueduc cérébral du mésencéphale.
Pendant la formation des trois vésicules primitives la partie rostrale du cer-
veau postérieur apparaît en coupe transversale comme un simple tube. Dans les
semaines qui suivent, le tissu tapissant la paroi dorsolatérale du tube neural se
développe dorsalement et médialement, jusqu’à ce qu’il fusionne avec la même
structure située de l’autre côté. L’ensemble ainsi formé correspond au cervelet.
Sur la paroi ventrale du tube se trouve un renflement formant le pont (Fig. 7.18).
198 1 – Bases cellulaires

Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur

Différenciation

Cervelet

Quatrième
Lèvres rhombencéphaliques ventricule

Pont

Figure 7.18 – Différenciation de la partie rostrale du cerveau postérieur.


La partie rostrale du cerveau postérieur se différencie pour former le pont et le cervelet. Le cervelet
est formé par le développement et la fusion des lèvres rhombencéphaliques. À ce niveau, le sys-
tème ventriculaire est représenté par le quatrième ventricule (les schémas ne sont pas à l’échelle).

Des changements moins spectaculaires surviennent lors de la différencia-


tion de la partie caudale du cerveau postérieur, qui devient le bulbe rachidien.
Les parois ventrales et latérales de cette zone se gonflent, laissant seulement au
niveau du toit une fine couche de cellules non neuronales (Fig. 7.19). Le long
de la surface ventrale de chaque côté du bulbe se trouve un des principaux sys-
tèmes de substance blanche : en coupe transversale, ces faisceaux d’axones ont
un aspect à peu près triangulaire, d’où leur nom de pyramides bulbaires.
Relations structure-fonctions du cerveau postérieur.  Comme le cerveau
médian, le cerveau postérieur constitue une voie importante de transfert de l’in-
formation depuis le cerveau antérieur jusqu’à la moelle épinière, et vice versa.
De plus, les neurones du cerveau postérieur contribuent au traitement de l’in-
formation sensorielle, au contrôle du mouvement volontaire et à la régulation de
l’activité du système nerveux autonome.
Le cervelet, « le petit cerveau », représente l’un des centres importants du
contrôle du mouvement. Il reçoit massivement des informations de la moelle
épinière et du pont. Les informations transitant par les afférences cérébelleuses
issues de la moelle épinière concernent la situation du corps dans l’espace. Celles
transitant par les afférences issues du pont retransmettent les ordres du cortex
cérébral pour adapter les mouvements à leurs objectifs. Le cervelet confronte
ces différentes informations et calcule les séquences de contractions musculaires
nécessaires pour effectuer correctement ces mouvements. Une atteinte du cerve-
let se traduit par des mouvements désordonnés et inadaptés.
Parmi les axones descendant au travers du mésencéphale, plus de 90 % — sur
20 millions d’axones chez l’homme — forment des synapses sur les neurones du
pont. Les cellules pontiques retransmettent toute cette information au cervelet
sur le côté opposé. Le pont agit donc comme une sorte de « commutateur »
important, en reliant le cortex cérébral au cervelet.
Les axones ne se terminant pas dans le pont poursuivent leur route vers la
partie caudale du cerveau et pénètrent dans les pyramides bulbaires. Une grande
partie de ces axones prend son origine dans le cortex cérébral et fait partie du
faisceau corticospinal. Pour cette raison, ces axones sont reconnus comme
7 – Anatomie du système nerveux 199

Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur

Différenciation

Quatrième
ventricule

Bulbe

Pyramides
bulbaires

Figure 7.19 – Différenciation du cerveau postérieur caudal.


La partie caudale du cerveau postérieur se différencie pour former le bulbe. Les pyramides
­bulbaires représentent des faisceaux d’axones traversant cette région pour atteindre la moelle
­épinière. Le système ventriculaire est représenté par le quatrième ventricule (les schémas ne sont
pas à l’échelle).

appartenant au « faisceau pyramidal », terme utilisé comme synonyme de fais- Neurones


ceau corticospinal. Près de l’endroit où le bulbe rachidien rejoint la moelle épi- du cortex moteur
nière, chaque faisceau pyramidal traverse la ligne médiane, d’un côté à l’autre. Le
passage des axones d’un côté à l’autre s’appelle une décussation et, dans ce cas, la
décussation des pyramides. Le fait que les axones croisent la ligne médiane dans
la région du bulbe explique pourquoi le cortex d’une partie du cerveau contrôle
les mouvements de la partie opposée du corps (Fig. 7.20).
À côté des faisceaux de fibres qui la traversent, la région bulbaire contient
aussi des neurones remplissant directement de nombreuses fonctions sensorielles
et motrices. Par exemple, les axones des nerfs auditifs, qui véhiculent les infor-
Décussation Bulbe
mations reçues par les oreilles, forment des synapses sur les cellules des noyaux pyramidale
cochléaires de cette région. Les noyaux cochléaires projettent leurs axones à
destination de différentes structures, y compris le tectum mésencéphalique (le
colliculus inférieur mentionné plus haut). Une lésion des noyaux cochléaires a Moelle
pour conséquence la survenue d’une surdité. épinière

Quiz Liste
 des structures dérivées du mésencéphale
et du cerveau postérieur
Figure 7.20 – Décussation des pyramides.
Le faisceau corticospinal croise d’un côté à
Vésicule primitive Structures adultes
l’autre, au niveau bulbaire.
Mésencéphale Tectum
Tegmentum mésencéphalique
Aqueduc cérébral
Cerveau postérieur (rhombencéphale) Cervelet
Pont
Quatrième ventricule
Bulbe
200 1 – Bases cellulaires

D’autres fonctions sensorielles du bulbe sont associées au toucher et au goût.


Dans la région bulbaire se trouvent des neurones qui relaient l’information soma-
tique sensorielle, de la moelle épinière au thalamus. La destruction de ces cellules a
pour conséquence de provoquer une anesthésie (perte de sensation). D’autres neu-
rones retransmettent l’information gustative de la langue au thalamus ; et parmi
les neurones moteurs situés dans le bulbe, certaines cellules sont impliquées dans
le contrôle des muscles de la langue, au travers de la XIIe paire de nerfs crâniens.

Différenciation de la moelle épinière


Comme le montre la figure 7.21, la transformation du tube neural caudal
en moelle épinière se fait directement en comparaison de la différenciation du
cerveau. Tandis que les tissus recouvrent les parois, la lumière du tube se rétrécit
pour former le minuscule canal spinal.
En coupe transversale, la substance grise (l’endroit où se trouvent les neu-
rones) de la moelle épinière présente l’aspect d’un papillon. La partie supérieure
de l’aile du papillon forme la corne dorsale et la partie inférieure la corne ventrale.
La substance grise située entre les deux est dénommée la zone intermédiaire.
Tout le reste représente de la substance blanche, organisée en colonnes d’axones
regroupés en faisceaux qui montent et descendent le long de la moelle épinière.
Les faisceaux d’axones situés le long de la surface dorsale de la moelle consti-
tuent les colonnes dorsales ; les faisceaux d’axones situés latéralement de chaque
côté, le long de la substance grise spinale, les colonnes latérales ; et les faisceaux
situés sur la surface ventrale, les colonnes ventrales.
Relations structure-fonctions de la moelle épinière.  Il est établi que les cel-
lules de la corne dorsale reçoivent l’information sensorielle à partir des fibres
des racines dorsales. De même, les cellules de la corne ventrale projettent leurs
axones dans les racines ventrales, qui innervent les muscles ; et la zone inter-
médiaire contient des interneurones qui structurent les réponses motrices en
réponse aux informations sensorielles et aux ordres venus du cerveau.
Les colonnes dorsales contiennent des axones impliqués dans le transfert de
l’information sensorielle somatique (le toucher) le long de la moelle épinière, en
remontant vers le cerveau. Ces fibres forment une super-autoroute assurant la
transmission de l’information issue du même côté du corps jusqu’aux noyaux

Cerveau
antérieur
Cerveau
médian
Cerveau
postérieur

Différenciation

Figure 7.21 – Différenciation de la moelle
épinière. Colonnes
La région en forme d’ailes de papillon de la de substance blanche
moelle épinière représente la substance grise,
sous-divisée en cornes dorsale et ventrale, Corne dorsale
et en une zone intermédiaire. Autour de la
substance grise se trouvent localisés les fais- Zone Substance
ceaux de fibres représentant les colonnes de intermédiaire grise
substance blanche qui parcourent la moelle
de bas en haut et de haut en bas, dans l’axe Corne ventrale
rostrocaudal. La région centrale remplie de
Canal
LCR représente le canal spinal (les schémas
spinal
ne sont pas à l’échelle).
7 – Anatomie du système nerveux 201

de la région bulbaire, à grande vitesse. Les neurones post-synaptiques situés à


ce niveau de la moelle donnent naissance à des axones qui, après décussation,
remontent jusqu’au thalamus dans l’autre côté du corps. Ce croisement des
axones dans la région bulbaire explique pourquoi les sensations reçues du côté
gauche du corps sont perçues dans le côté droit du cerveau.
Les colonnes latérales contiennent les axones du faisceau corticospinal des-
cendant, qui traversent aussi la région bulbaire. Ces axones innervent les neu-
rones de la zone intermédiaire et de la corne ventrale de la moelle, et trans-
mettent les signaux contrôlant le mouvement volontaire.
Il existe au moins une demi-douzaine d’autres faisceaux transitant par les
colonnes situées de chaque côté de la moelle épinière. La plus grande partie de
ces faisceaux ne va que dans un sens et conduit l’information au cerveau ou à
partir du cerveau. La moelle épinière est donc la voie principale utilisée par l’in-
formation transmise par la peau, les articulations et les muscles au cerveau, et
vice versa. Mais la moelle épinière est aussi beaucoup plus : une première analyse
de l’information sensorielle y est déjà réalisée dans les neurones de la substance
grise, qui jouent ainsi un rôle critique dans la coordination des mouvements, et
orchestrent des réflexes simples (tel que le retrait du pied, si l’on marche sur une
punaise, pour reprendre l’exemple utilisé).

Mise en place et organisation des structures nerveuses


Après avoir décrit séparément les différentes parties du SNC représentées
par le télencéphale, le diencéphale, le mésencéphale, le cerveau postérieur et la
moelle épinière, il est nécessaire de les assembler les unes par rapport aux autres
pour avoir une vision globale de l’organisation du système nerveux.
La figure 7.22 représente une illustration très schématique de l’organisa-
tion de base du SNC chez tous les mammifères, y compris l’homme : les deux
hémisphères du télencéphale entourent les ventricules latéraux ; dorsalement
par rapport aux ventricules latéraux, le cortex cérébral recouvre la surface du
cerveau ; ventralement et latéralement par rapport aux ventricules latéraux, se
trouve le télencéphale basal ; les ventricules latéraux sont en continuité avec le
troisième ventricule du diencéphale ; le thalamus et l’hypothalamus entourent
ce ventricule ; dorsalement par rapport à l’aqueduc, se trouve le tectum ; ven-
tralement par rapport à l’aqueduc, se trouve le tegmentum mésencéphalique ;
l’aqueduc est relié au quatrième ventricule situé au cœur du cerveau postérieur ;
le cervelet forme une protubérance située dorsalement par rapport au quatrième
ventricule ; le pont et le bulbe sont situés ventralement par rapport au quatrième
ventricule.
Cette description résumée montre qu’en identifiant les différentes parties
du système ventriculaire, il est possible de reconnaître les différentes structures
du cerveau (Tab. 7.3). Le système ventriculaire constitue de ce fait un repère-clé
pour expliquer l’organisation si complexe du cerveau.

Tableau 7.3 – Système ventriculaire du cerveau.

Principales composantes Structures cérébrales en rapport


Ventricules latéraux Cortex cérébral
Télencéphale basal
Troisième ventricule Thalamus
Hypothalamus
Aqueduc cérébral Tectum
Tegmentum mésencéphalique
Quatrième ventricule Cervelet
Pont
Bulbe
202 1 – Bases cellulaires

Rostral Caudal Télencéphale Cortex


Mésencéphale basal
Thalamus
(cerveau médian) Cervelet
Moelle épinière
Tectum Moelle
épinière

Bulbe olfactif
Télencéphale Bulbe
Hypothalamus Pont
Diencéphale Rhombencéphale
(cerveau postérieur) Tegmentum
(thalamus)
(b)
Cerveau antérieur
(a)

Ventricule latéral
Aqueduc
cérébral
Canal spinal

Figure 7.22 – Organisation générale du cerveau.


(a) Organisation générale du cerveau des mammifères. (b) Principales
Troisième ventricule Quatrième ventricule
structures dans chaque région. Notez que le télencéphale est formé de
(c) deux hémisphères dont un seul est ici représenté. (c) Système ventriculaire.

Caractères spécifiques du cerveau humain


Le plan de base du SNC décrit jusqu’ici se retrouve chez tous les mammifères.
La figure 7.23 illustre une comparaison des cerveaux du rat et de l’homme.
Ces schémas simplifiés montrent qu’il existe un certain nombre de similitudes
évidentes, mais aussi des différences notoires.
En ce qui concerne les ressemblances : une vue dorsale de ces deux cerveaux
laisse apparaître les deux hémisphères du télencéphale (Fig. 7.23a) ; une vue
médiosagittale des deux cerveaux montre le télencéphale qui s’étend vers la par-
tie rostrale depuis le diencéphale (Fig. 7.23b). Le diencéphale entoure le troisième
ventricule, le mésencéphale entoure l’aqueduc cérébral et le cervelet, le pont et le
bulbe, entourent le quatrième ventricule. Il faut remarquer ici combien le pont est
proéminent sous le cervelet et combien le cervelet constitue une structure élaborée.
Quant aux différences structurales entre les deux cerveaux, la figure 7.23a
met en évidence l’une des plus importantes d’entre elles : les nombreuses cir-
convolutions à la surface du cerveau humain. Chaque sillon se trouvant marqué
dans la surface du cerveau est un sulcus ; chaque bosse entre ces sillons, un gyrus.
Rappelons que la fine couche de neurones qui s’étend juste sous la surface du
cerveau constitue le cortex cérébral. Les sillons et les gyrus sont le résultat de la
formidable extension de la surface du cortex cérébral au cours du développe-
ment fœtal chez l’homme. Chez l’homme adulte, le cortex humain, avec une sur-
face d’environ 1 100 cm2, est replié et enroulé pour tenir dans l’espace du crâne.
Cet accroissement de la surface corticale est une des « déformations » du cerveau
humain. L’observation clinique et l’expérimentation ont révélé que le cortex chez
l’homme est le siège d’étonnantes facultés : le raisonnement et la cognition. En
l’absence de cortex cérébral, l’homme serait aveugle, sourd, muet, et incapable
de produire un mouvement volontaire.
7 – Anatomie du système nerveux 203

Proportions
respectives

Rat Homme
Hémisphères
Hémisphères cérébraux
cérébraux
Cervelet

(a)

Troisième Aqueduc
ventricule cérébral
Télencéphale
Troisième Aqueduc
ventricule cérébral
Quatrième
Télencéphale Quatrième
ventricule
ventricule
Cervelet

Bulbe

Diencéphale
Diencéphale
Mésencéphale
Mésencéphale Pont Pont
(b)
Bulbe Cervelet

Bulbe olfactif

(c)
Bulbe olfactif

Figure 7.23 – Comparaison du cerveau du rat et du cerveau humain.


(a) Vue dorsale. (b) Vue médiosagittale. (c) Vue latérale (les cerveaux ne sont pas représentés à la même échelle).
204 1 – Bases cellulaires

Ventricules latéraux
Sillon central
Lobe pariétal
Lobe frontal

Troisième
ventricule

Quatrième
ventricule
Lobe occipital
Lobe temporal

Figure 7.24 – Lobes du cerveau. Figure 7.25 – Système ventriculaire du cerveau humain.


Bien qu’ils aient été déformés par le développement considérable de cer-
taines régions, l’organisation de base des ventricules reste la même que
celle illustrée à la figure 7.22c.

Sur la figure 7.23c, les vues de profil des cerveaux de l’homme et du rat


laissent apparaître d’autres différences, en particulier du cerveau antérieur.
Premièrement, il faut noter la petite taille du bulbe olfactif chez l’homme par
rapport au rat ; puis, de nouveau, l’importance de l’hémisphère cérébral chez
l’homme. Il faut noter encore combien l’hémisphère cérébral humain se recourbe
postérieurement, ventralement et antérieurement, formant un arc qui a l’aspect
d’une corne de bélier. L’extrémité de la « corne » se trouve située juste au-des-
sous de l’os temporal du crâne, donnant à cette partie du cerveau le nom de
lobe temporal (Fig. 7.24). Pour décrire le cerveau, celui-ci est aussi divisé en trois
autres lobes, par référence aux os du crâne : la partie du cerveau située juste
au-dessous de l’os frontal constitue le lobe frontal ; la profonde scissure cen-
trale (sillon central) marque le bord postérieur du lobe frontal et, dans la partie
caudale par rapport à cette scissure, se trouve le lobe pariétal au-dessous de l’os
pariétal ; enfin, tout à fait à l’arrière du cerveau, au-dessous de l’os occipital se
trouve le lobe occipital.
Il faut savoir qu’en dépit d’une croissance disproportionnée, le cerveau
humain respecte le schéma de base du cerveau des mammifères établi à une phase
précoce du développement. Les ventricules constituent toujours un repère-clé, et
bien que le système ventriculaire soit déformé, en particulier à cause de la crois-
sance des lobes temporaux, les relations entre le cerveau et les ventricules sont
conservées (Fig. 7.25).

Organisation du cortex cérébral


Si l’on considère sa place prépondérante dans le cerveau humain, le cortex
cérébral mérite beaucoup d’attention. Ainsi, à plusieurs reprises dans les cha-
pitres suivants sera-t-il mentionné que les systèmes responsables des sensations,
des perceptions, du mouvement volontaire, de l’apprentissage, du langage et de
la cognition, convergent tous vers cet organe étonnant.
7 – Anatomie du système nerveux 205

Différents types de cortex


Dans le cerveau de tous les animaux vertébrés le cortex cérébral présente
plusieurs traits en commun (Fig. 7.26). Premièrement, les corps cellulaires des
neurones corticaux sont toujours disposés en couches habituellement parallèles
à la surface du cerveau. Deuxièmement, la couche de neurones la plus proche
de la surface (c’est-à-dire la plus superficielle) est séparée de la pie-mère par une
zone dénuée de neurones ; il s’agit de la couche moléculaire ou plus simplement
couche I. Troisièmement, une couche de cellules au moins contient des cellules
pyramidales qui comportent de grandes dendrites, les dendrites apicales, se pro-
jetant sur la couche I où elles se divisent en branches multiples. Ainsi le cortex
cérébral présente-t-il une cytoarchitecture caractéristique qui le distingue, par
exemple, des noyaux du télencéphale basal ou du thalamus.
La figure 7.27 illustre une coupe frontale avec coloration de Nissl du télen-
céphale caudal d’un cerveau de rat. Sans être Cajal, il est aisé de distinguer diffé-
rents types de cortex d’après leur cytoarchitecture. Médialement par rapport aux
ventricules latéraux, se trouve une partie du cortex repliée sur elle-même, avec
une forme particulière : il s’agit de l’hippocampe, qui, malgré ses replis, n’est com-
posé que d’une seule couche de cellules (« hippocampe » du grec hippos : cheval,
et kampé : courbure). Une autre partie du cortex composée de deux couches de
cellules seulement est reliée à l’hippocampe ventralement et latéralement : c’est
le cortex olfactif, ainsi appelé parce qu’il est en continuité avec le bulbe olfactif
situé plus à l’avant. Le cortex olfactif est séparé par une scissure, la scissure
rhinale, d’un autre type de cortex plus élaboré, qui contient plusieurs couches
de cellules. Cette région s’appelle le néocortex. Contrairement à l’hippocampe et

Alligator Rat

Surface
de la pie-mère

Couche
moléculaire
Couche

II
Dendrite
apicale III

Figure 7.26 – Organisation générale du cor-


Cellule IV tex cérébral.
pyramidale Le schéma de gauche représente le cortex
V d’un alligator ; celui de droite, le cortex d’un
rat. Dans les deux cas, le cortex se trouve
juste sous la pie-mère des hémisphères céré-
braux et présente une couche moléculaire
VI et des cellules pyramidales arrangées en
couches.
206 1 – Bases cellulaires

Scissure rhinale

Bulbe olfactif

Néocortex
Ventricules
Hippocampe latéraux
Figure 7.27 – Trois types de cortex chez les
mammifères.
Sur cette coupe de cerveau de rat, les ventri-
cules latéraux s’étendent entre le néocortex
et l’hippocampe, de chaque côté. Les ventri-
cules ne sont pas très visibles car, à ce niveau,
ils sont allongés et étroits. Au-dessous du
télencéphale se trouve le tronc cérébral. Pou-
vez-vous identifier la région à laquelle appar- Tronc cérébral
tient le tronc cérébral, notamment en rapport Scissure
rhinale
avec la présence d’un espace central rempli
Cortex olfactif
de LCR ?

au cortex olfactif, le néocortex n’existe que chez les mammifères. C’est pourquoi,
lorsque l’on dit que le cortex s’est développé au cours de l’évolution de l’homme,
cela signifie en fait que c’est le néocortex qui s’est développé. De même, lorsque
l’on dit que le thalamus est le passage obligé vers le cortex, cela signifie que c’est
un relais vers le néocortex. En fait, les scientifiques (et c’est le cas des auteurs…
et du traducteur) sont si concernés par le néocortex, qu’ils utilisent le mot cortex
pour parler du néocortex, à moins de préciser de quelle partie du cortex il s’agit.
Le chapitre 8 décrit le cortex olfactif dans le contexte de l’olfaction. Une
présentation plus approfondie de l’hippocampe fera l’objet de la 3e partie de ce
manuel, en relation avec sa fonction dans le système limbique (chapitre 18) et
dans la mémoire et l’apprentissage (chapitres 24 et 25). Enfin, dans la 2e partie
de l’ouvrage, le néocortex occupe une place essentielle dans la discussion sur la
vision, l’ouïe, la sensation somatique et le contrôle du mouvement volontaire.

Différentes aires du néocortex


La cytoarchitecture permet de distinguer le cortex cérébral du télencéphale
basal et le néocortex du cortex olfactif, mais elle permet aussi de diviser le néocor-
tex en plusieurs aires. C’est ainsi qu’au début du vingtième siècle, le neuroana-
3 1 2 tomiste allemand Korbinian Brodmann a établi une carte cytoarchitectonique
du néocortex (Fig. 7.28), d’après la cytoarchitecture. Sur cette carte, chaque aire
4 5 du cortex ayant la même cytoarchitecture est désignée par un numéro ; par
8 6 exemple « l’aire 17 » située à l’extrémité du lobe occipital ou « l’aire 4 »
7 juste en avant de la scissure centrale, dans le lobe frontal.
9 40 Brodmann, sans réussir à le prouver, avait eu l’intuition que des aires
19 corticales cytoarchitectoniquement différentes jouent des rôles diffé-
10 46 39 rents. Cela est maintenant prouvé : par exemple, l’aire 17 correspond
44 41 18
42 17 au cortex visuel car elle reçoit des signaux d’un noyau du thalamus
22
45
38 37
21
11

20 Figure 7.28 – Différentes aires corticales du cerveau humain, identifiées par


Brodmann sur la base de la cytoarchitecture.
7 – Anatomie du système nerveux 207

relié à la rétine. En fait, l’homme serait aveugle sans l’existence de l’aire 17. De la


même façon, l’aire 4 correspond globalement au cortex moteur primaire car les
axones des neurones de cette zone se projettent directement jusqu’aux neurones
moteurs de la corne ventrale de la moelle épinière, qui commandent la contrac-
tion musculaire. Ainsi, les fonctions de ces deux aires sont-elles définies par leurs
relations avec d’autres structures.
Évolution du néocortex et relations structure-fonctions.  L’un des problèmes
qui a fasciné les neurobiologistes depuis Brodmann est de savoir comment s’est
modifié le néocortex au cours de l’évolution des mammifères. Le cerveau est un
tissu mou. Par conséquent, il n’existe pas de fossile nous permettant de savoir
comment était exactement le cerveau de nos ancêtres. Cependant, la comparai-
son des cortex des différentes espèces animales permet tout de même d’apprécier
quelques-unes des grandes lignes de cette évolution (voir Fig. 7.1). La surface
du cortex varie ainsi considérablement d’une espèce à l’autre ; par exemple, la
comparaison de la souris, du singe et de l’homme révèle des différences de taille
de l’ordre de 1 à 100 et de 100 à 1 000. Par ailleurs, il n’y a que peu de diffé-
rence dans l’épaisseur du néocortex chez ces différentes espèces de mammifères,
variant au maximum d’un facteur 2, seulement. Dès lors, il apparaît que c’est
la quantité de cortex qui a changé au cours de l’évolution mais pas tellement sa
structure de base, qui est restée la même.
Santiago Ramon y Cajal, évoqué dans le chapitre 2, a écrit en 1899 : « Alors
qu’il existe des différences remarquables dans l’organisation de certaines aires
corticales, ces différences ne sont pas telles qu’il ne soit pas possible de réduire
la structure corticale à un plan d’organisation général ». Un challenge qui a
préoccupé de nombreux chercheurs jusqu’à l’apparition de ce plan général.
Dans les derniers chapitres, nous l’avons vu les concepts actuels nous amènent
à penser que l’organisation cérébrale est basée sur l’assemblage d’unités fonc-
tionnelles constituant l’unité élémentaire de l’organisation corticale. Ces unités
fonctionnelles représentent un cylindre d’environ 2 mm de hauteur, soit la dis-
tance entre la substance blanche et la surface corticale, et de 0,5 mm de diamètre.
Ce cylindre est connu comme étant une « colonne corticale » et contient envi-
ron 10 000 neurones et 100 millions de synapses (soit approximativement 10 000
synapses par neurone). Comprendre comment ces neurones sont interconnec-
tés à l’intérieur d’une telle colonne corticale constitue un enjeu majeur pour
appréhender le fonctionnement cortical. C’est ce que l’on nomme le connectome
cortical. Ceci est nécessairement très complexe puisque les synases ne peuvent
être identifiées qu’à partir d’études en microscopie électronique, impliquant des
coupes de cortex d’environ seulement 50 nm d’épaisseur. Pour avoir une idée de
l’ampleur de cette problématique, imaginez le projet du prix Nobel d’Afrique
du Sud Sidney Brenner et de ses collaborateurs, qui les a conduits au labora-
toire de biologie moléculaire de l’Institut National pour la Recherche Médicale
de Mill Hill, à Londres. Brenner était convaincu que pour comprendre les bases
neuronales des comportements, il était nécessaire d’avoir une représentation du
système nerveux. Il a donc choisi un modèle simple : le ver plat Caenorhabditis
elegans (ou C. elegans), évidemment très éloigné du néocortex avec ses quelques
302 neurones et ses 7 000 synapses. En dépit de cette relative simplicité, son pro-
jet nommé « L’esprit du ver » (mind of the worm), a pris une bonne douzaine
d’années… Ce travail a été publié en 1986. Depuis, les progrès des technologies
permettant la reconstruction des synapses et des différentes connexions ont faci-
lité ces approches en rendant automatiques, notamment, plusieurs étapes cru-
ciales utilisant aujourd’hui les technologies numériques (Encadré 7.5). Bien que
nous soyons encore très éloignés des objectifs fixés, de tels progrès nous laissent
imaginer la possibilité de rejoindre le rêve de Cajal, et pas seulement pour le
cortex mais peut-être pour l’ensemble du cerveau.
Brodmann a proposé que le cortex a subi un développement basé sur l’inser-
tion de territoires nouveaux. L’analyse détaillée du cortex de nombreuses espèces,
avec des évolutions différentes, nous permet de suggérer que le néocortex « pri-
mordial », tel qu’il existait chez un ancêtre commun, était formé principalement
par trois types de cortex susceptibles d’exister à des degrés différents chez toutes
les espèces vivantes. Le premier type de cortex est formé par les aires sensorielles
208 1 – Bases cellulaires

Encadré 7.5 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Le connectome : à la recherche de l’organisation cérébrale


Par Sebastian Seung

Ma carrière est faite de zigs-zags ! plutôt qu’au travers d’un logiciel qui le com-
Lorsque je fus proche de terminer mon mande.
PhD en physique théorique, mon directeur Comme j’avais créé des algorithmes
de thèse m’a envoyé effectuer un séjour ­permettant à des neurones artificiels d’ap-
dans les laboratoires Bell dans le New prendre, j’ai développé des théories mathé-
Jersey, pour un travail d’été. Le laboratoire matiques du fonctionnement d’un circuit
Bell, bras armé en recherche et développe- neuronal particulier du tronc cérébral,
ment de la compagnie de télécommunica- dénommé « intégrateur oculomoteur ». J’ai
tion AT&T, a produit des prix Nobel pour poursuivi ce travail au Massachusetts
ses découvertes et de nombreuses innova- Institute of Technology, où je suis devenu
tions technologiques, dont les transistors. Sebastian Seung assistant-professeur. Je suis devenu profes-
Lors de mon séjour, j’étais supposé formu- seur en 2004, ce qui aurait du me rendre
ler quelques théories sur la supraconductivité. J’y ai ren- heureux. Paradoxalement, j’étais plutôt déprimé. Ma
contré Haim Sompolinsky, qui rentrait d’une année sab- théorie de l’intégration oculomotrice était intéressante
batique en Israel. Haim avait développé des modèles et même plausible si l’on en croit mon collègue David
mathématiques sur l’interaction des particules dans un Tank à Princeton, qui l’a testée. Mais d’autres propo-
champ magnétique et travaillait maintenant avec saient des théories alternatives, et il y avait ainsi une
enthousiasme sur les interactions entre neurones. Il était absence de consensus sur cette problématique. En fait,
complètement fasciné par les théories sur les réseaux ma théorie supposait l’existence de connexions récur-
neuronaux, et c’est ainsi que je l’ai suivi à Jérusalem rentes entre les différentes parties de l’intégrateur. Mais
pour effectuer mon post-doctorat. Nous avons dès lors après plus de dix ans, je n’étais toujours pas sûr que ces
appliqué les concepts de la physique statistique pour interconnexions existent !
tenter de comprendre ce qu’il se passait lorsque des neu- Lorsque je m’en ouvris à David, il m’a suggéré de
rones artificiels – c’est-à-dire des neurones modélisés – changer de problématique. Dans les années 1990 nous
«  apprenaient  », non pas graduellement mais au avions travaillé ensemble dans les laboratoires Bell avec
contraire soudainement. Lorsque je n’étais pas pris Winfried Denk, qui avait depuis rejoint l’Institut de
dans mes calculs innombrables, j’apprenais l’Hébreu ou recherche biomédicale du Max Planck à Heidelberg.
encore cuisinais de l’hummus. Winfried avait développé un ingénieux dispositif per-
Après deux années à Jérusalem, je suis retourné aux mettant d’obtenir une représentation d’une coupe de
laboratoires Bell où je fus rattaché au département de tissu nerveux et de réaliser successivement plusieurs
physique théorique  11111, en rapport avec la charte représentations à différents niveaux de ce tissu. En pro-
d’organisation de ce laboratoire. Est-ce à dire que nous gressant systématiquement, il était alors possible d’ob-
étions les meilleurs ? Certainement pas mais la pression tenir une représentation 3D de cette région du cerveau.
était bien là, non pas de produire de nouveaux prix Ce dispositif étant basé sur une analyse d’images en
Nobel, mais bien des applications rentables pour AT&T, microscopie électronique, sa résolution était suffisante
à tel point que l’on nous disait « Plus votre département pour envisager une représentation de toutes les synapses
comprend de 1, moins vous êtes utile »… et de tous les neurones présents dans l’échantillon ana-
Mais les laboratoires Bell sont un peu comme lysé (souvenez-vous que Cajal avec son microscope et la
Disneyland pour ce qui concerne la créativité, avec des méthode de coloration de Golgi ne pouvait voir qu’un
milliers de chercheurs travaillant sur une variété de sujets tout petit nombre de neurones et en aucun cas les
absolument considérables. La plupart d’entre eux lais- synapses). En principe, il était donc possible de procéder
saient leur porte ouverte, de telle manière que les interac- à partir de ces images à la représentation de l’ensemble
tions étaient fréquentes et qu’à n’importe quel moment des connexions présentes dans le tissu nerveux analysé.
vous pouviez poser des questions à des spécialistes. Les Le recueil d’un nombre considérable de données
départements de physique expérimentale et de biologie était la partie la plus longue de notre analyse. Le dispo-
computationnelle étaient pionniers dans l’utilisation de sitif créé par Winfried nous donnait la possibilité de
l’IRM fonctionnelle et de la microscopie pour appréhen- ­travailler sur un échantillon d’environ 1 mm3, l’équiva-
der l’activité neuronale. A l’autre bout du bâtiment se lent de milliards d’images numérisées. La reconstruc-
trouvaient des informaticiens travaillant sur une machine tion manuelle aurait donc été impossible à envisager.
« à apprendre » : une sorte de dispositif conduisant l’or- J’ai donc décidé de m’attaquer à augmenter la vitesse
dinateur à apprendre à partir de sa propre expérience d’analyse des images en automatisant la procédure. En
7 – Anatomie du système nerveux 209

Encadré 7.5 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

2006, j’ai débuté une collaboration avec le laboratoire neurones qui sont comme des câbles dans le cerveau
de Winfried pour combiner nos deux méthodes. (Fig. A).
L’automatisation de l’analyse s’avérait être une grande En 2014, Nature a publié la première représentation
amélioration, augmentant à la fois la vitesse de traite- d’un réseau dans la rétine. Cette découverte suggère une
ment des images et la précision des informations dans solution nouvelle à une question restée sans réponse
la reconstruction 3D des neurones. Toutefois, la depuis une cinquantaine d’années : comment les neurones
machine faisait encore quelques erreurs et ne pouvait de la rétine contribuent-ils à la détection des stimuli visuels
en tout état de cause pas remplacer totalement l’inter- en mouvement ? Plusieurs chercheurs ont alors lancé des
vention de l’homme. En 2008, nous avons créé un logi- expérimentations pour vérifier notre théorie. Seul le temps
ciel susceptible de reconstruire les circuits neuronaux. pourra nous dire si nous avons raison. Mais il est clair
Nous avons rejoint le projet « EyeWire » regroupant toutefois que cette technologie de reconstruction des
plus de 150 000 joueurs de plus de 100 pays depuis connexions cérébrales est à même de nous fournir de nou-
sa création en 2012 (http://blog.eyewire.org/about). velles clés pour mieux comprendre le fonctionnement
EyeWire analyse les images en utilisant un jeu qui res- cérébral. Je travaille maintenant au Princeton Neuroscience
semble à un livre à coloriser en 3D. Avec cette méthode, Institute, où je poursuis mes travaux vers ce rêve de recons-
nous avons contribué à reconstruire les branches de truire un jour le connectome d’un cerveau entier.

Figure A – Sept neurones d’une toute petite région de la rétine sont reconstruits avec leurs dendrites à partir d’images obte-
nues en microscopie électronique. Les neurites appartenant à chaque neurone sont colorés de façon différentielle. (Source :
courtoisie du Dr Sebastian Seung, Princeton University, et Kris Krug, Pop Tech.)

primaires, qui sont les premières à recevoir les informations à partir des voies
sensorielles. Par exemple, l’aire 17 correspond à l’aire visuelle primaire appelée
aussi V1 car elle reçoit les informations de l’œil par une voie directe, allant de
la rétine au cortex en passant par le thalamus. Le deuxième type de néocortex
est représenté par les aires sensorielles secondaires, ainsi désignées parce qu’elles
sont étroitement connectées aux aires sensorielles primaires. Le troisième type de
néocortex est représenté par les aires motrices qui, in fine, sont impliquées dans
le contrôle du mouvement. Ces aires corticales reçoivent des informations des
noyaux thalamiques qui relaient l’information à partir du télencéphale basal et
du cervelet, et projettent en retour vers les neurones impliqués dans le contrôle
moteur à partir du tronc cérébral et de la moelle épinière. Par exemple, parce
que l’aire 4 projette directement vers les motoneurones de la corne ventrale de la
moelle épinière, cette aire est désignée comme cortex moteur primaire ou M1. Il
est ainsi suggéré que l’ancêtre commun des mammifères comportait environ une
vingtaine d’aires différentes appartenant à l’une ou l’autre de ces trois catégories.
La figure 7.29 illustre des vues de cerveau de rat, de chat et d’homme sur
lesquelles sont délimitées les aires primaires sensorielles et motrices. Il apparaît
clairement que le développement du cortex chez les mammifères correspond à
la partie comprise entre ces deux territoires. Les travaux montrent alors que ce
210 1 – Bases cellulaires

Moteur Visuel
Somatosensoriel Sensorimoteur

Visuel
Sensorimoteur

Visuel

Bulbe olfactif
Auditif Bulbe olfactif
Auditif
Auditif

Homme Chat Rat

Figure 7.29 – Vue latérale du cortex cérébral de trois espèces.


Notez le développement des aires associatives, ni strictement motrices, ni strictement sensorielles, du cortex humain.

cortex « intermédiaire » reflète des extensions des territoires sensoriels secon-


daires impliqués dans l’analyse de l’information sensorielle. Par exemple, chez
les primates sub-humains, qui dépendent considérablement de la vision comme
les hommes, le nombre des aires visuelles secondaires a été estimé entre 20 et
40. Cependant, après avoir délimité les aires sensorielles et motrices primaires
ainsi que les territoires sensoriels secondaires, il reste encore de larges régions
corticales non directement concernées, notamment dans le lobe frontal et le lobe
temporal. Ces territoires restants représentent les aires associatives. Le cortex
associatif est de développement plus récent et notablement caractéristique du
cortex des primates. L’émergence de la conscience qui nous permet, à nous seuls
et de façon totalement unique, d’interpréter nos comportements et ceux des
autres en termes d’état mental, de désirs, d’intentions, de raisonnement, etc.,
est en rapport avec le développement de notre cortex frontal. C’est d’ailleurs ce
que nous verrons dans le chapitre 18, en montrant combien des lésions du cortex
frontal sont susceptibles d’affecter la personnalité.

Conclusion
La neuroanatomie est seulement effleurée dans ce chapitre. Il est évident que
le cerveau représente la matière la plus complexe de l’univers. Ce qui a été décrit
dans ce chapitre ne donne par conséquent qu’une vision schématique du système
nerveux et de quelques-uns de ses constituants.
Il est cependant indispensable de bien connaître la neuroanatomie pour
comprendre comment fonctionne le cerveau. Aujourd’hui cette neuroanato-
mie connaît un renouveau d’importance avec l’arrivée de méthodes permettant
d’aborder le cerveau vivant (Fig. 7.30).

Figure 7.30 – IRM du cerveau des auteurs.


7 – Anatomie du système nerveux 211

À la suite de ce chapitre se trouve en annexe un « Guide illustré de l’anatomie


du cerveau humain ». Vous pourrez dès lors utiliser ce guide comme un atlas pour
localiser avec précision toutes les structures que vous souhaiterez retrouver.
Dans la seconde partie de cet ouvrage, intitulée « Systèmes sensoriel et
moteur », l’anatomie sera maintenant présentée de manière plus vivante, abor-
dant le rôle du cerveau dans l’odorat, la vision, l’ouïe, le toucher et le mouvement.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Les ganglions des racines dorsales appartiennent-ils au système ner-


veux central ou périphérique ?
2. La gaine de myéline des axones du nerf optique provient-elle des
­cellules de Schwann ou des oligodendrocytes ? Pourquoi ?
3. Un neurochirurgien est prêt à enlever une tumeur profondément
­ancrée dans le cerveau. La partie supérieure du crâne a été enlevée.
Que peut voir le chirurgien ? Quelle(s) couche(s) faut-il sectionner
pour atteindre le liquide céphalorachidien ?
4. Que deviennent les tissus dérivés du tube neural embryonnaire ? De la
crête neurale ?
5. Quelles sont les trois parties principales du cerveau postérieur ?
Quelles sont celles qui font aussi partie du tronc cérébral ?
6. D’où vient le LCR ? Quelle voie suit-il avant d’être absorbé dans le flux
sanguin ? Nommer les parties du système nerveux de son itinéraire
entre le cerveau et le sang.
7. Quels sont les trois traits caractéristiques de la structure du cortex
cérébral ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Creslin E. Development of the nervous system: a logical approach to


neuroanatomy. CIBA Clinical Symposium 1974 ; 26 : 1-32.
Johnson KA, Becker JA. The whole brain atlas. http://www.med.harvard.
edu/AANLIB/home.html
Krubitzer L. The organization of neocortex in mammals: are species real-
ly so different? Trends in Neurosciences 1995 ; 18 : 408-18.
Nauta 
W, Feirtag  M. Fundamental Neuroanatomy. New York 
:
W. H. Freeman, 1986.
Seung S. Connectome: How the brain’s wiring makes us who we are?
Boston : Houghton Mifflin Hartcourt, 2012.
Watson C. Basic Human Neuroanatomy: An Introductory Atlas, 5th ed.
New York : Little, Brown, 1995.
ANNEXE
GUIDE ILLUSTRÉ DE L’ANATOMIE
DU CERVEAU HUMAIN
ANATOMIE GÉNÉRALE
DU CERVEAU
Aspect externe du cerveau (vue latérale)
(a) Organisation générale
(b) Sillons, scissures et gyrus
(c) Lobes cérébraux et cortex insulaire
(d) Principales aires sensorielles, motrices et associatives du cortex
Aspect interhémisphérique (vue médiane)
(a) Structures du tronc cérébral
(b) Structures du cerveau antérieur
(c) Ventricules
Aspect ventral du cerveau (vue ventrale)
Aspect du cerveau vu de dessus (vue dorsale)
(a) Hémisphères cérébraux
(b) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux
(c) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux et le cervelet
ANATOMIE DU CERVEAU
EN COUPES CORONALES
(FRONTALES)
Section 1 : cerveau antérieur à la jonction entre thalamus et télencéphale
(a) Organisation générale
(b) Principales structures et faisceaux nerveux
Section 2 : cerveau antérieur au niveau du thalamus moyen
(a) Organisation générale
(b) Principales structures et faisceaux nerveux
Section 3 : cerveau antérieur à la jonction entre thalamus et mésencéphale
(a) Organisation générale
(b) Principales structures et faisceaux nerveux
Section 4 : mésencéphale rostral
Section 5 : mésencéphale caudal
Section 6 : pont et cervelet
Section 7 : partie antérieure du tronc cérébral
Section 8 : partie centrale du tronc cérébral
Section 9 : jonction tronc cérébral-moelle épinière
ANATOMIE DE LA
MOELLE ÉPINIÈRE
Surface dorsale de la moelle épinière et nerfs spinaux
Surface ventrolatérale
Présentation en coupe coronale (frontale)
SYSTÈME NERVEUX AUTONOME

NERFS CRÂNIENS

CIRCULATION CÉRÉBRALE
Vue ventrale
Vue latérale
Vue médiale (sans le tronc cérébral)
QUESTIONNAIRE
D’AUTO-ÉVALUATION
INTRODUCTION

C
omme nous le constaterons dans la suite de cet ouvrage, l’une des façons
les plus efficaces d’explorer l’anatomie du système nerveux est de la
considérer sous l’angle fonctionnel. Ainsi, le système olfactif est repré-
senté par les différentes régions cérébrales qui sont impliquées dans l’olfaction,
le système visuel par toutes les régions impliquées dans la vision, et ainsi de
suite. Cette façon d’analyser l’organisation du système nerveux présente de nom-
breux avantages ; toutefois, elle a pour inconvénient de s’opposer à une vision
plus globale du système nerveux, en d’autres termes de ne pas nous permettre
d’apprécier comment tous ces systèmes fonctionnent ensemble pour réaliser les
comportements. L’objectif de ce guide est de présenter l’anatomie des structures
dont nous parlerons dans les chapitres qui suivent. Ici nous nous concentrerons
plus spécifiquement sur les termes anatomiques, notamment la dénomination
des structures nerveuses et des différentes parties du cerveau. Nous verrons aussi
combien toutes ces structures sont reliées entre elles pour former un ensemble,
le cerveau, leur implication fonctionnelle étant décrite dans la suite de l’ouvrage.
Le guide est organisé en six parties principales. La première partie est consa-
crée à l’anatomie générale du cerveau, en particulier aux différentes subdivisions
qui apparaissent déjà lorsque l’on examine macroscopiquement le cerveau entier
ou simplement séparé en deux parties selon la ligne médiane inter-hémisphérique
(plan sagittal médian). Puis nous explorerons l’anatomie du cerveau en décrivant
des coupes anatomiques réalisées dans le plan coronal (frontal) à des niveaux
choisis présentant les principales structures du système nerveux. Les parties 3
et 4 décrivent de façon plus succincte l’organisation de la moelle épinière et du
système nerveux autonome. La cinquième partie du guide est consacrée aux
nerfs crâniens et à leurs fonctions et la dernière partie décrit la vascularisation
cérébrale.
Le système nerveux présente un nombre considérable de structures. Dans
ce guide, nous n’avons pas de prétention exhaustive mais nous voulons plutôt
mettre l’accent sur les régions dont nous discuterons la fonction dans la suite de
l’ouvrage. Néanmoins, rien que pour cela, un nombre très important de struc-
tures nerveuses sera décrit, ce qui suppose d’acquérir un vocabulaire en rapport
avec cette anatomie. Pour vous aider, vous pourrez alors tester vos connaissances
en répondant au questionnaire d’auto-évaluation présenté en fin de chapitre.
214 1 – Bases cellulaires

Anatomie générale du cerveau


Imaginez un instant que vous tenez dans la main un cerveau humain, qui
vient d’être extrait du crâne. Ce cerveau est humide et spongieux et son poids
est d’environ 1,4 kg. Si vous observez la surface dorsale, vous constaterez que
le cerveau présente de nombreuses circonvolutions. Si vous le retournez, vous
observerez la surface ventrale du cerveau, qui se trouve normalement posée à
la base du crâne. Vu de côté maintenant, en vue latérale le cerveau émerge du
tronc cérébral comme d’une tige. Le tronc cérébral est beaucoup mieux observé
si maintenant vous séparez complètement le cerveau en deux parties égales selon
un plan médiosagittal, c’est-à-dire selon un plan inter-hémisphérique. Dans la
partie du guide qui suit, nous présenterons les principales structures qui appa-
raissent lorsque l’on examine effectivement le cerveau de cette manière. Notez
qu’un agrandissement de 1 X correspond à la taille normale, 2 X correspond à
un agrandissement de deux, 0,6 X est une réduction de 60 % de la taille normale,
et ainsi de suite.

Vue dorsale Antérieur Vue ventrale Antérieur

Postérieur Postérieur

(0,5X) (0,5X)

Vue latérale Vue médiane

Antérieur Postérieur (0,5X) Antérieur Postérieur (0,5X)


Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 215

Aspect externe du cerveau (vue latérale)


(a) Organisation générale. Ce schéma présente un cerveau de taille réelle
(1 X). Son observation montre les trois parties principales : les énormes hémis-
phères cérébraux dont on voit ici l’un des deux, le tronc cérébral, qui forme une
sorte de tige au cerveau, et le cervelet, qui paraît quant à lui très ridé. On peut
également observer le bulbe olfactif, de taille très limitée.

Hémisphère cérébral

Bulbe olfactif

Cervelet
Tronc cérébral

(1X)
216 1 – Bases cellulaires

(b) Sillons, scissures et gyrus. Les hémisphères cérébraux se caractérisent par


les nombreuses circonvolutions présentes à leur surface. Chacune des parties
apparaissant comme une « bosse » est dénommée gyrus. Les gyri sont séparés
par des sillons qui, lorsqu’ils sont très importants, sont dénommés scissures. Les
limites précises de ces différents gyri et sillons varient considérablement d’un
individu à l’autre mais l’organisation générale reste la même pour l’ensemble des
cerveaux humains. Les éléments les plus remarquables sont notés sur le schéma.
Le gyrus post-central1 s’étend dans la partie immédiatement adjacente et posté-
rieure au sillon central ; le gyrus précentral occupe une position similaire mais du
côté antérieur par rapport au sillon central. Les neurones du gyrus post-central
sont impliqués dans les perceptions somatosensorielles (par exemple le toucher,
voir chapitre 12) et ceux du gyrus précentral dans le contrôle du mouvement
volontaire (voir chapitre 14). Les neurones du gyrus temporal supérieur sont
impliqués quant à eux dans le traitement des informations auditives (audition,
voir chapitre 11).

Sillon central

Gyrus précentral Gyrus post-central

Gyrus temporal supérieur


Scissure de Sylvius

(0,5X)

1.  NdT : ce qui est nommé ici sillon central correspond à la scissure centrale, encore
dénommée scissure de Rolando. De ce fait, les gyri post-central et précentral corres-
pondent à ce que l’on nomme aussi, respectivement, gyrus post-rolandique et prérolan-
dique. Corrélativement, la scissure de Sylvius présentée ci-après, est encore nommée
­scissure latérale.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 217

(c) Lobes cérébraux et cortex insulaire. Par convention, les hémisphères céré-
braux sont subdivisés en lobes, désignés par rapport aux os du crâne qui les
recouvrent. Le sillon central sépare quant à lui le lobe frontal du lobe pariétal.
Le lobe temporal s’étend dans le territoire situé au-dessous et latéralement par
rapport à la scissure de Sylvius. Le lobe occipital représente la partie postérieure
du cerveau, limité dans sa partie supérieure par le lobe pariétal et dans sa partie
inférieure par le lobe temporal. Une partie du cortex est située à l’intérieur des
replis de la scissure de Sylvius. Ce cortex « caché » est dénommé cortex insulaire
ou insula (du latin : « île »). Le cortex insulaire est situé entre le lobe temporal
et le lobe frontal.

Lobe pariétal

Lobe frontal

Lobe occipital

Lobe temporal (0,6X)

Cortex insulaire

(d) Principales aires sensorielles, motrices et associatives du cortex. Le cortex


cérébral est organisé comme un patchwork. Les différentes aires, initialement
identifiées par Brodmann, diffèrent les unes des autres au plan cytoarchitecto-
nique. Les aires visuelles 17, 18 et 19 (voir chapitre 10) sont situées dans le lobe
occipital, les aires somatosensorielles 3, 1 et 2 (voir chapitre 12) sont localisées
dans le lobe pariétal et les aires auditives 41 et 42 (voir chapitre 11), dans le lobe
temporal. Enfouie dans l’insula, se trouve l’aire gustative 43 (voir chapitre 8),
dans la région inférieure du lobe pariétal (dans une zone dénommée opercu-
lum). Cette région est en rapport avec le traitement des informations relatives
au goût.
En plus d’analyser les informations sensorielles, le cortex joue un rôle impor-
tant dans le contrôle du mouvement volontaire. Les aires impliquées dans le
contrôle du mouvement volontaire sont situées dans le lobe frontal, en avant
du sillon central. Elles représentent principalement le cortex moteur primaire
(aire 4), l’aire motrice supplémentaire et l’aire prémotrice (voir chapitre 14).
Enfin, dans le cerveau humain particulièrement, le cortex ne se limite pas à ces
deux fonctions, sensorielle et motrice. De larges territoires représentent les aires
associatives du cortex, que l’on trouve principalement dans le cortex préfrontal
(voir chapitres 21 et 24), dans le cortex pariétal postérieur (voir chapitres 12, 21
et 24) et le cortex inférotemporal (voir chapitres 24 et 25).
218 1 – Bases cellulaires

3 1 2

4 5

8 6
7
9 40

10 46 39 19
41
42 17
18
22 37
45
21
11
38 (0,4X)

20

Carte cytoarchitectonique des aires corticales de Brodmann

Cortex moteur primaire


(aire 4)
Cortex somatosensoriel
Aire motrice supplémentaire
(aires 3, 1, 2)
(aire 6) Cortex pariétal postérieur
(aires 5, 7)
Aire prémotrice
(aire 6)

Cortex visuel
(aires 17, 18, 19)

(0,7X)

Cortex préfrontal

Cortex inférotemporal
(aires 20, 21, 37)
Cortex auditif
(aires 41, 42)
Aires motrices

Aires sensorielles
Aires associatives

Cortex gustatif
(aire 43)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 219

Aspect interhémisphérique (vue médiane)


(a) Structures du tronc cérébral. En séparant le cerveau par le milieu (NdT :
selon une ligne passant par la scissure dite interhémisphérique), il est possible
d’observer les structures médianes, telles qu’elles apparaissent sur ce schéma
à taille réelle. Cette vue montre les structures visibles sur la coupe médiosagit-
tale du tronc cérébral, qui est ainsi séparé en deux parties par le plan de coupe.
Apparaissent sur cette coupe les structures du diencéphale telles que le thalamus
et l’hypothalamus, celles du mésencéphale comme le tectum et le tegmentum
mésencéphalique, ainsi que le pont et le bulbe. Les anatomistes définissent géné-
ralement le tronc cérébral comme formé du mésencéphale, du pont et du bulbe.

Thalamus

Glande pinéale

Hypothalamus

Tegmentum

Mésencéphale Tectum Cervelet

Pont

Bulbe (1X)
220 1 – Bases cellulaires

(b) Structures du cerveau antérieur. Sur le schéma sont représentées les prin-
cipales structures du cerveau antérieur observables à partir de la face interne,
après avoir séparé les deux hémisphères. La section permet de distinguer le corps
calleux, un énorme faisceau de fibres nerveuses qui relie normalement les deux
hémisphères. Particularité intéressante, lorsque le corps calleux est sectionné
chirurgicalement pour des raisons médicales, cela donne la possibilité aux neu-
ropsychologues d’étudier séparément les fonctions des deux hémisphères (voir
chapitre 20). Le fornix représente un autre faisceau de fibres important, qui
connecte l’hippocampe à l’hypothalamus. Le terme fornix vient du mot latin
signifiant « arche ». Une partie des axones du fornix contribue aux régulations
des processus mnésiques (voir chapitre 24).
Le schéma de la partie basse figure le cerveau en position légèrement pivo-
tée vers le haut pour montrer l’emplacement de l’amygdale et de l’hippocampe.
Cette représentation n’est pas compatible avec leur observation directe car elles
sont enfouies dans le cerveau. Elles sont donc représentées sous forme de « fan-
tômes » puisqu’elles sont recouvertes par le cortex. Nous découvrirons ces struc-
tures plus directement dans les prochaines planches de ce guide. L’amygdale est
une structure nerveuse importante pour la régulation des
états émotionnels (voir chapitre 18) et l’hippocampe
pour la mémorisation (voir chapitres 24 et 25).
Gyrus cingulaire

Fornix

Bulbe olfactif

Scissure
Chiasma optique calcarine

Section du corps calleux

(0,7X)

Amygdale
(recouverte par le cortex)
(0,7X)

Hippocampe Tronc cérébral et cervelet retirés


(recouvert par le cortex) et cerveau en position légèrement pivotée
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 221

(c) Ventricules. L’observation du cerveau par sa face médiane donne l’oppor-


tunité de localiser les principales parties du système ventriculaire : le troisième
ventricule, l’aqueduc cérébral et le quatrième ventricule, qui constituent d’excel-
lents points de repère puisque le thalamus et l’hypothalamus sont positionnés
au niveau du troisième ventricule, le mésencéphale, au niveau de l’aqueduc, et le
pont, le cervelet et le bulbe, au niveau du quatrième ventricule. Quant à la moelle
épinière, elle constitue les parois du canal spinal. Les ventricules latéraux repré-
sentent des structures paires émergeant, à la façon des bois d’un cerf, du troi-
sième ventricule. Le schéma du bas montre les contours « fantômes » du ventri-
cule latéral gauche, situé sous le cortex. Vous noterez plus loin, sur des coupes
coronales passant par le thalamus, combien sont importantes les « cornes » de
ces ventricules latéraux, dans les deux hémisphères.

Troisième ventricule

Aqueduc cérébral

Quatrième ventricule
(0,7X)
Canal spinal

(0,7X)
Ventricule latéral
(recouvert par le cortex)
Tronc cérébral et cervelet retirés
et cerveau en position légèrement pivotée
222 1 – Bases cellulaires

Aspect ventral du cerveau (vue ventrale)


La face ventrale du cerveau présente plusieurs caractéristiques. En particu-
lier, de nombreux nerfs émergent du tronc cérébral ; ces nerfs sont nommés nerfs
crâniens et seront décrits plus spécifiquement dans une autre partie de ce guide.
Notez aussi la forme particulière en X du chiasma optique, juste en avant de
l’hypothalamus. Le chiasma est formé de nombreux axones de chacun des nerfs
optiques (qui apparaissent de chaque côté en avant du chiasma) provenant de
chaque œil et qui croisent la ligne médiane pour innerver l’hémisphère céré-
bral controlatéral (voir chapitre 10). Dans la partie postérieure au chiasma, les
fibres forment le tractus optique. Les corps mamillaires (du latin « mamelles »)
représentent des structures proéminentes de la partie ventrale du cerveau. Ces
structures hypothalamiques font partie des circuits de la mémorisation (voir
chapitre 24) et sont les cibles du fornix. Notez aussi les bulbes olfactifs (voir
chapitre 8), ainsi que le mésencéphale, le pont et le bulbe.

Bulbe olfactif

Chiasma optique

Tractus optique

Nerf optique

Hypothalamus

Corps
mamillaires

Mésencéphale

Nerfs crâniens

Pont

Bulbe (1X)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 223

Aspect du cerveau vu de dessus (vue dorsale)


(a) Hémisphères cérébraux. La vue supérieure du cerveau est dominée par
les hémisphères cérébraux. Notez ici qu’il s’agit de structures « paires », connec-
tées par les axones du corps calleux (voir chapitre 20) qui est visible lorsque l’on
rétracte un peu les hémisphères (schéma du haut) ; le corps calleux étant mieux
visible sur le schéma correspondant à la vue médiane du cerveau.

Corps calleux

Hémisphère gauche Hémisphère droit

Sillon central

Sillon cérébral longitudinal


(1X)
224 1 – Bases cellulaires

(b) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux. Dans ce cas, c’est le cerve-
let qui apparaît de façon prédominante, notamment si l’on bascule un peu le
cerveau vers l’avant. Le cervelet est une structure essentielle de la coordination
motrice (voir chapitre 14). Il est lui-même divisé en deux hémisphères latéraux et
en une région médiane, dénommée vermis cérébelleux.

Vermis

Hémisphère Hémisphère
cerebelleux gauche cerebelleux droit

(0,95X)

Moelle épinière
(c) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux et le cervelet. Cette interven-
tion permet d’observer la partie supérieure du tronc cérébral. Sur le schéma,
ont été reportées à gauche les principales parties du tronc cérébral, alors que
des structures plus spécifiques sont mentionnées à droite. La glande pinéale, qui
se trouve au-dessus du thalamus, sécrète la mélatonine et est impliquée dans la
régulation des états de sommeil et les comportements sexuels (voir chapitres 17
et 19). Le colliculus supérieur reçoit directement des informations visuelles (voir
chapitre 10) et se trouve impliqué dans la régulation des mouvements des yeux
(voir chapitre 14). Le colliculus inférieur représente une structure importante
du système auditif (voir chapitre 11). Les pédoncules cérébelleux sont de larges
faisceaux d’axones qui connectent le cervelet au tronc cérébral (voir chapitre 14).

Thalamus Glande pinéale

Colliculus supérieur
Mésencéphale
Colliculus inférieur

Pont

Section des pédoncules cérébelleux

Plancher du quatrième ventricule

(1X)
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 225

Anatomie du cerveau en coupes


coronales (frontales)
Comprendre le cerveau ne suppose pas seulement une analyse détaillée de
son aspect extérieur. Cela nécessite de savoir comment est organisé l’intérieur, et
la réalisation de coupes sériées permet effectivement de mieux approcher sa com-
plexité. Les coupes peuvent être réalisées grossièrement au couteau ou à l’aide
d’appareils permettant de réaliser des coupes fines et d’épaisseur très repro-
ductible (microtomes) ou encore, de façon très sophistiquée, par les techniques
d’imagerie non invasive de type scanner ou IRM. Quelle que soit l’approche
ainsi utilisée, pour apprendre l’anatomie rien ne vaut l’étude des coupes sériées
du cerveau, notamment de celles réalisées selon un axe perpendiculaire à l’axe
défini par le tube neural embryonnaire ou neuraxe. Le neuraxe se courbe avec le
développement du fœtus, en particulier à la jonction entre thalamus et mésen-
céphale. De ce fait, le meilleur plan de coupe dépend objectivement du niveau du
névraxe que l’on souhaite étudier.
Dans cette partie du guide anatomique, nous allons décrire une série de
ces coupes, montrant successivement la structure interne du cerveau antérieur
(­sections  1-3), du mésencéphale (sections 4 et 5), du pont et du cervelet (­section  6)
et du bulbe (sections 7-9). Les représentations sont nécessairement schématiques,
en ce sens notamment que certaines structures situées dans la profondeur de la
coupe ont parfois été projetées à la surface, pour mieux les visualiser.

Sections au niveau du cerveau antérieur

2 1
3

(0,6X)
Sections réalisées au niveau du tronc cérébral

4
5
(0,6X)

7
8
9
226 1 – Bases cellulaires

Section 1 : cerveau antérieur à la jonction


entre thalamus et télencéphale
(a) Organisation générale. Le télencéphale est la partie du cerveau située
autour des ventricules latéraux ; le thalamus se situe quant à lui autour du troi-
sième ventricule. A ce niveau de coupe choisi, les ventricules latéraux paraissent
émerger du troisième ventricule. L’hypothalamus, qui constitue le plancher du
troisième ventricule, est un centre vital de contrôle de fonctions générales de
l’organisme (voir chapitres 15-17). Le cortex insulaire ou insula (voir chapitre 8)
est situé à la base de la scissure latérale (de Sylvius), séparant à ce niveau le lobe
frontal du lobe temporal. La région hétérogène du télencéphale, qui se trouve
dans la zone médiane par rapport au cortex insulaire et latérale par rapport à
l’hypothalamus, est dénommée cerveau antérieur « basal ».

Lobe frontal

Ventricule latéral

Thalamus

Cortex insulaire

Scissure de Sylvius

Troisième
ventricule

Lobe temporal
(1X)
Cerveau antérieur basal
Hypothalamus
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 227

(b) Principales structures et faisceaux nerveux. Le schéma suivant est plus


détaillé. Il présente les principales structures du cerveau antérieur. La capsule
interne est un faisceau d’axones qui connecte le cortex cérébral à partir de sa
substance blanche au thalamus et le corps calleux est un autre énorme faisceau
de fibres connectant quant à lui les cortex des deux hémisphères. Le fornix, que
nous avons déjà observé à partir du schéma de la vue médiane du cerveau, appa-
raît ici en section ; il forme une boucle autour de la partie séparant les deux
ventricules latéraux. Les neurones de la partie adjacente forment l’aire septale
(du latin saeptum, pour « partition »). L’aire septale envoie ses axones princi-
palement vers le fornix et contribue aux processus liés à la mémorisation (voir
chapitre 24). Trois importantes structures du télencéphale sont également repré-
sentées : le noyau caudé, le putamen et le globus pallidus ou pallidum, appar-
tenant collectivement aux « ganglions de la base », un ensemble de structures
impliquées dans la régulation du mouvement (voir chapitre 14).

Structures nerveuses
Groupes de fibres nerveuses

Cortex cérébral

Corps calleux

Aire septale

Fornix Noyau caudé

Substance
blanche corticale Putamen

Capsule interne

Globus pallidus
(pallidum)

(1X)
228 1 – Bases cellulaires

Section 2 : cerveau antérieur


au niveau du thalamus moyen
(a) Organisation générale. Cette section est réalisée à un niveau légèrement
plus caudal que le précédent, le long du névraxe. Ici apparaît dans toute son
extension le thalamus (du mot grec qui signifie « chambre interne ») entourant
le troisième ventricule, qui présente à ce niveau une taille réduite. Ventralement
par rapport au thalamus, se trouve l’hypothalamus. Le télencéphale paraît beau-
coup mieux organisé qu’il apparaissait au niveau de la section 1. Parce que nous
sommes ici à un niveau plus postérieur, la scissure de Sylvius sépare maintenant
le lobe temporal du lobe pariétal.

Lobe pariétal

Ventricule latéral

Thalamus

Cortex insulaire

Scissure de Sylvius

Troisième ventricule

Lobe temporal

Cerveau antérieur basal Hypothalamus (1X)


Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 229

(b) Principales structures et faisceaux nerveux. À ce niveau du névraxe appa-


raissent plusieurs structures nerveuses très importantes. Ainsi, l’amygdale,
impliquée dans le contrôle des émotions (voir chapitre 18) et de la mémoire (voir
chapitre 24), et le thalamus, divisé en plusieurs noyaux dont le noyau ventral
postérieur et les noyaux ventrolatéraux. Le thalamus est la source principale de
projections vers le cortex cérébral, les différentes régions thalamiques innervant
des régions correspondantes du cortex. Le noyau ventro-postéro-latéral (VPL)
constitue un relais essentiel des informations sensorielles somatiques (voir cha-
pitre 12). Il projette sur le cortex du gyrus post-central. Le noyau ventrolatéral
(VL) est étroitement associé au noyau ventro-antérieur (VA), qui n’est pas visible
sur ce schéma. Ces deux structures thalamiques sont impliquées dans le contrôle
moteur (voir chapitre 14) et projettent sur le cortex moteur du gyrus précentral.
Au-dessous du thalamus, on distingue le noyau subthalamique (ou sous-tha-
lamique) et les corps mamillaires de l’hypothalamus. Le noyau subthalamique
fait partie du système moteur (voir chapitre 14), alors que les corps mamillaires
reçoivent des informations du fornix et contribuent à la régulation des processus
2 mnésiques (voir chapitre 24). Sur cette coupe appa-
raît également une partie du mésencéphale,
avec notamment la substance noire (ou
locus niger), à la base du cerveau anté-
rieur. La substance noire fait égale-
ment partie du système moteur (voir
chapitre 14). La dégénérescence d’une
partie de ses neurones qui contiennent
de la dopamine est à l’origine de la
maladie de Parkinson.

Fornix

Corps calleux Cortex cérébral

Noyau ventrolatéral (VL)


du thalamus

Noyau caudé
Noyau
ventro-postéro-latéral
(VPL) du thalamus

Putamen
Capsule interne

Globus pallidus
(pallidum)

Substance blanche
corticale
Amygdale

Substance noire (1X)


Noyau subthalamique Corps mamillaires
230 1 – Bases cellulaires

Section 3 : cerveau antérieur à la jonction


entre thalamus et mésencéphale
(a) Organisation générale. Le neuraxe se courbe brutalement à la jonction
entre le thalamus et le mésencéphale. Dans ce plan de coupe, le troisième ventri-
cule présente l’allure caractéristique d’une larme. Il communique avec l’aque-
duc cérébral. La partie du cerveau qui entoure le troisième ventricule est le tha-
lamus ; celle entourant l’aqueduc cérébral étant le mésencéphale. Les ventricules
latéraux de chaque hémisphère apparaissent sur cette section. Vous pouvez les
retrouver sur la figure qui présente l’ensemble du système ventriculaire.

Lobe pariétal

Troisième ventricule

Ventricule latéral

Thalamus

Lobe temporal

(1X)
Mésencéphale Aqueduc cérébral
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 231

(b) Principales structures et faisceaux nerveux. Trois importants noyaux tha-


lamiques de plus apparaissent à ce niveau : le pulvinar et les corps genouillés
latéral et médian (genouillé venant du mot latin qui signifie « genou »), qui sont
impliqués dans le transfert des informations visuelles vers le cortex cérébral en
ce qui concerne le corps genouillé latéral (voir chapitre 10) et des informations
auditives, en ce qui concerne le corps genouillé médian (voir chapitre 11). Le pul-
vinar est connecté au cortex associatif et joue un rôle dans les processus atten-
tionnels (voir chapitre 21). On note aussi la présence de l’hippocampe, une sorte
de cortex cérébral relativement primaire, qui borde le ventricule latéral dans le
lobe temporal. L’hippocampe est impliqué de façon majeure dans les processus
d’apprentissage et de mémorisation (voir chapitres 24 et 25).

Corps calleux Cortex cérébral

Pulvinar

Corps genouillé
latéral

Substance
blanche corticale

Hippocampe

(1X)
Corps genouillé médian
232 1 – Bases cellulaires

Section 4 : mésencéphale rostral


Nous sommes ici dans le mésencéphale. Le plan de la coupe a été orienté
de façon à rester perpendiculaire au neuraxe, ce qui fait que la coupe n’est pas
parallèle aux précédentes. Le cœur du mésencéphale est l’aqueduc cérébral. Le
toit du mésencéphale est aussi appelé tectum (du mot latin qui signifie « toit »).
On y trouve le colliculus supérieur, qui est une structure paire. Comme cela a
déjà été indiqué, le colliculus supérieur est impliqué dans le contrôle des mou-
vements des yeux (voir chapitre 10). La substance noire fait, quant à elle, partie
du système moteur (voir chapitre 14), tout comme le noyau rouge, alors que la
substance grise périaqueducale est impliquée dans le contrôle des informations
douloureuses (voir chapitre 12).

Colliculus supérieur Aqueduc cérébral

Substance grise périaqueducale

Substance noire

(2X)
Noyau rouge

Section 5 : mésencéphale caudal


Cette coupe est assez similaire à la précédente. À ce niveau plus caudal,
cependant, le toit du mésencéphale est représenté par le colliculus inférieur, qui
fait partie du système auditif (voir chapitre 11). Pour voir la position relative du
colliculus supérieur et du colliculus inférieur, il faut se référer au schéma de la
vue de dessus du tronc cérébral.

4
5

Colliculus inférieur Aqueduc cérébral

Substance grise périaqueducale

Substance noire (2X)


Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 233

Section 6 : pont et cervelet


Cette coupe illustre le niveau du pont et du cervelet, dans la partie rostrale
du cerveau postérieur qui borde le quatrième ventricule. Comme nous l’avons
vu plus haut, le cervelet représente une structure importante du contrôle moteur.
Une grande partie des informations afférentes au cortex cérébelleux proviennent
des noyaux du pont, alors que les informations efférentes sont transmises aux
noyaux profonds du cervelet (voir chapitre 14). La formation réticulée (du latin
reticulum qui signifie « filet ») s’étend du mésencéphale au bulbe, au sein du
tronc cérébral, juste au-dessous de l’aqueduc cérébral et du quatrième ventricule.
L’une des fonctions de la formation réticulée est de réguler le sommeil et la vigi-
lance (voir chapitre 19). Par ailleurs, la formation réticulée pontique est quant à
elle impliquée dans le contrôle de la posture du corps (voir chapitre 14).

Quatrième ventricule

Cortex cérébelleux

Noyaux profonds du cervelet

Formation réticulée pontique (0,8X)

Noyaux du pont

Section 7 : partie antérieure du tronc cérébral


En se déplaçant plus caudalement le long du neuraxe, la partie du cerveau qui
entoure le quatrième ventricule devient le bulbe. Le bulbe constitue une région
du cerveau particulièrement complexe. Dans cette description anatomique, nous
nous en tiendrons aux structures qui seront discutées dans les chapitres suivants.
Dans la partie la plus ventrale du bulbe se trouvent les pyramides bulbaires,
représentant des faisceaux de fibres qui prennent leur origine dans le cerveau
antérieur et innervent la moelle épinière. Les pyramides bulbaires contiennent
les fibres corticospinales, impliquées dans le contrôle du mouvement volontaire
(voir chapitre 14). D’autres noyaux de cette région sont importants pour l’audi-
tion, tels les noyaux cochléaires dorsal et ventral et l’olive supérieure (voir cha-
pitre 11). Ce schéma présente aussi la position de l’olive inférieure, qui joue un
rôle dans le contrôle moteur (voir chapitre 14) et les noyaux du raphé, importants
noyaux sérotoninergiques impliqués dans les processus liés à la régulation de la
douleur, de l’humeur et de la vigilance (voir chapitres 12, 19 et 22).

Noyau cochléaire dorsal Quatrième ventricule

Noyau cochléaire ventral

Noyaux du raphé

Olive supérieure

Olive inférieure
7 (2X)
Pyramide bulbaire
234 1 – Bases cellulaires

Section 8 : partie centrale du tronc cérébral


On retrouve à ce niveau les principales structures mentionnées au plan pré-
cédent. Ici est figuré aussi le lemnisque médian (du latin lemniscus, qui signifie
« ruban »), représentant l’un des faisceaux principaux qui véhicule l’information
sensorielle somatique vers le thalamus à partir de la moelle épinière (voir cha-
pitre 12). Le noyau gustatif, impliqué dans la gustation, est une partie du noyau
du faisceau solitaire (voir chapitre 8). Les noyaux vestibulaires sont impliqués
dans la régulation de l’équilibre (voir chapitre 11).

Quatrième ventricule
Noyaux vestibulaires

Noyau du faisceau solitaire :


noyau gustatif

Formation réticulée bulbaire

Olive inférieure

(2X)
Lemnisque médian
8
Pyramide bulbaire

Section 9 : jonction tronc cérébral-moelle épinière


Le bulbe se termine avec la fin du quatrième ventricule, qui se prolonge par le
canal spinal. Notez les noyaux des colonnes dorsales, qui reçoivent une grande
partie de l’information sensorielle somatique de la moelle épinière (voir cha-
pitre 12). Les axones issus de chaque neurone des noyaux des colonnes dorsales
croisent la ligne médiane (décussation) et atteignent le thalamus via le lemnisque
médian.

Noyaux des colonnes dorsales Canal spinal

Lemnisque médian

9 (2,5X)
Pyramide bulbaire
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 235

Anatomie de la moelle épinière


Surface dorsale de la moelle épinière et nerfs spinaux
La moelle épinière se trouve enchâssée dans la colonne vertébrale. Les nerfs
spinaux, représentant une partie du système nerveux périphérique somatique,
communiquent avec la moelle épinière au travers de petits espaces ménagés
entre les vertèbres. Les vertèbres elles-mêmes sont décrites par rapport à leur
position au niveau du corps. On parle de vertèbres cervicales (notées de C1 à
C7) pour celles situées au niveau du cou, de vertèbres
thoraciques (notées de T1 à T12) pour celles ratta-
chées aux côtes, de vertèbres lombaires (L1 à L5)
pour les cinq suivantes, situées en bas du dos, et de
vertèbres sacrées pour celles situées dans la région
pelvienne.
Les nerfs spinaux et les segments associés de
la moelle épinière adoptent le nom de la vertèbre 1er nerf cervical
correspondante. Ainsi 8 paires de nerfs spinaux 1re vertèbre cervicale (C1)
sont associées aux 7 vertèbres cervicales. Par ail-
leurs, le système nerveux de l’adulte se termine
approximativement dans la région de la troisième
vertèbre lombaire. Cette disparité intervient parce 7e vertèbre cervicale (C7)
que, si la moelle épinière se développe encore 8e nerf cervical
après la naissance, ce n’est pas le cas de la
colonne vertébrale. Le faisceau de nerfs 1re vertèbre thoracique (T1)
spinaux qui émerge de la moelle 1er nerf thoracique
épinière dans sa partie caudale
est dénommé queue de cheval.

12e vertèbre thoracique


(T12)
12e nerf thoracique

1re vertèbre lombaire (L1)

1er nerf lombaire

Queue de cheval

5e vertèbre lombaire (L5)

5e nerf lombaire

1re vertèbre sacrée (S1)

1er nerf sacré


236 1 – Bases cellulaires

Surface ventrolatérale
Ce schéma illustre la façon dont les nerfs spinaux sont rattachés à la moelle
épinière et comment les méninges sont organisées au niveau spinal. Dès que
les nerfs pénètrent à l’intérieur de la colonne vertébrale, ils se séparent en deux
faisceaux distincts dénommés « racines ». Les racines dorsales véhiculent les
informations sensorielles. Les axones des neurones sensoriels sont situés dans
les ganglions rachidiens. Les racines ventrales véhiculent les messages moteurs
issus des neurones moteurs situés dans la substance grise de la région ventrale
de la moelle épinière. L’aspect « en ailes de papillons » de la moelle épinière vue
en coupe coronale représente la substance grise, c’est-à-dire principalement les
corps cellulaires des neurones spinaux. Cette substance grise est subdivisée en
régions dorsale, latérale et ventrale, dénommées « cornes »2. Notez que l’orga-
nisation de la substance grise et de la substance blanche de la moelle épinière
est un peu différente de celle du cerveau antérieur. Dans le cerveau antérieur, la
substance grise entoure complètement la substance blanche. Dans la moelle épi-
nière, on note une épaisse coque de substance blanche qui contient les nombreux
faisceaux d’axones parcourant la moelle dans les deux sens, de haut en bas et de
bas en haut. Ces faisceaux de fibres sont divisés en trois colonnes, dénommées
respectivement colonnes dorsales, colonnes latérales et colonnes ventrales.

Colonnes dorsales
Corne dorsale DORSAL
Colonne latérale Canal spinal

Corne ventrale
Corne latérale
Colonne ventrale

Filaments des racines dorsales

Racine dorsale

Ganglion rachidien

Pie-mère spinale
Nerf spinal
Espace
subarachnoïdien

Membrane
arachnoïdienne spinale
Racine ventrale

Dure-mère spinale

Filaments
des racines ventrales

(6X)

VENTRAL

2.  NdT : dans une autre nomenclature, on désigne les parties « dorsale » et « ventrale »
de la moelle épinière par rapport à la position de cette dernière. Ainsi désigne-t-on aussi
les régions ventrales comme « antérieures » et les régions dorsales comme « postérieures ».
De ce point de vue, les racines ventrales peuvent être aussi désignées comme « racines
antérieures » et les racines dorsales comme « racines postérieures ».
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 237

Présentation en coupe coronale (frontale)


Le schéma illustre la position des principaux faisceaux de fibres qui relient
la moelle épinière au cerveau antérieur. Sur la partie gauche sont présentés
les faisceaux sensoriels ascendants. On retrouve la voie des colonnes dorsales,
principal faisceau sensoriel, regroupant les axones des neurones qui véhiculent
l’information propre au toucher. La voie spinothalamique est impliquée dans
le transfert des informations nociceptives (douloureuses) et relatives aux sensa-
tions de chaud et de froid. Ces voies sensorielles sont décrites dans le détail dans
le chapitre 12. Sur la partie droite du schéma sont figurées les voies motrices
descendantes, décrites dans le chapitre 14. Le nom des faisceaux est en rapport
avec leur région d’origine ; ainsi le faisceau vestibulospinal prend son origine
dans les noyaux vestibulaires du bulbe et se termine dans la moelle épinière. Les
faisceaux descendants constituent deux groupes de voies motrices : le système
moteur latéral, qui transmet les informations relatives au mouvement volon-
taire, en particulier des extrémités des membres (main, pied) et le système moteur
médian, plutôt impliqué dans le maintien de la posture du corps et certains mou-
vements réflexes.

Faisceaux sensoriels ascendants Voies motrices descendantes

Voie des colonnes dorsales

Faisceau Système
corticospinal moteur
latéral
Faisceau
rubrospinal

(9X)

Faisceau réticulospinal
bulbaire
Voie spinothalamique
Voie tectospinale

Faisceau réticulospinal
pontique
Système moteur
Faisceau vestibulospinal ventromédian
238 1 – Bases cellulaires

Système nerveux autonome


En plus du système nerveux périphérique (SNP) somatique impliqué dans le
contrôle des mouvements volontaires et les sensations conscientes au niveau de
la peau, notamment, la deuxième composante du système nerveux périphérique
est représentée par le système viscéral. Ce système prend en charge la régulation
de l’activité des organes internes, des glandes et de la vascularisation. Cette régu-
lation est essentiellement automatique et n’est pas sous contrôle conscient direct.
De ce fait, ce système est qualifié de système nerveux autonome (SNA), dont les
deux composantes principales sont représentées par le système sympathique et le
système parasympathique.
Le schéma illustre l’organisation interne du corps, sur une coupe sagittale
passant par le niveau de l’œil. Notez que la colonne vertébrale fait partie d’un
réseau de connexions complexes. Les nerfs spinaux sont représentés, émergeant
de la colonne vertébrale. Le système sympathique est formé d’une chaîne de
ganglions qui longe la colonne vertébrale des deux côtés. Ces ganglions commu-
niquent avec les nerfs spinaux mais aussi les uns avec les autres et avec les organes
internes du corps. Le système parasympathique est organisé de façon différente.
Pour l’essentiel, l’innervation parasympathique des viscères provient du nerf
vague, l’un des nerfs crâniens qui émerge du bulbe. L’autre source de fibres
parasympathiques est représentée par les nerfs spinaux sacrés. L’organisation
fonctionnelle du SNA est présentée dans le chapitre 15.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 239

Plan de coupe

Nerf vague

Nerf spinal

Colonne vertébrale

Cœur

Côtes (section)
du côté droit du corps

Estomac

Rein

Intestin grêle

Ganglions sympathiques

Vessie

Prostate

Fibres sympathiques

Fibres parasympathiques
240 1 – Bases cellulaires

Nerfs crâniens
Douze paires de nerfs crâniens émergent de la base du cerveau. Les deux
premiers nerfs font partie du SNC, impliqués dans l’olfaction et la vision. Les
autres nerfs sont équivalents à des nerfs spinaux en ce sens qu’ils contiennent des
axones du système nerveux périphérique. Comme l’illustre le schéma, le même
nerf est souvent impliqué dans plusieurs fonctions à la fois. Une bonne connais-
sance de ces nerfs et de leur fonction est un atout essentiel pour l’aide au dia-
gnostic d’un grand nombre de troubles neurologiques. En effet, il est important
de se souvenir que les nerfs crâniens sont associés à des noyaux correspondants
du tronc cérébral, tant au niveau du mésencéphale que du pont ou du bulbe.
Par exemple, les noyaux cochléaires et vestibulaires reçoivent leur information
de la huitième paire de nerfs crâniens (VIII). La plupart de ces noyaux des nerfs
crâniens ne sont cependant pas illustrés ici car leur fonction n’est pas discutée
dans la suite de cet ouvrage.

I. Nerf olfactif

II. Nerf optique

III. Nerf oculomoteur

IV. Nerf trochléaire

V. Nerf trigéminal

VI. Nerf abducens

VII. Nerf facial

VIII. Nerf auditif et vestibulaire

IX. Nerf glossopharyngien

X. Nerf vague

XI. Nerf spinal accessoire


(1X)
XII. Nerf hypoglosse
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 241

Nerf olfactif
Nerf optique
Nerf oculomoteur
Nerf trochléaire
Nerf trigéminal
Nerf abducens
Nerf facial
Nerf auditif et vestibulaire
Nerf glossopharyngien
Nerf vague
Nerf spinal accessoire
Nerf hypoglosse

Nomenclature Types d’axones Principales fonctions

I. Nerf olfactif Sensoriel (spécifique) Sensation olfactive

II. Nerf optique Sensoriel (spécifique) Sensation visuelle

III. Nerf oculomoteur Moteur somatique Mouvements des yeux et des paupières
Moteur viscéral Contrôle parasympathique du diamètre de la pupille

IV. Nerf trochléaire Moteur somatique Mouvements des yeux

V. Nerf trigéminal Sensoriel somatique Sens du toucher au niveau de la face


Moteur somatique Mouvements des muscles de la mastication

VI. Nerf abducens Moteur somatique Mouvements des yeux

VII. Nerf facial Sensoriel somatique Mouvements des muscles de l’expression faciale
Sensoriel (spécifique) Sensation du goût (2/3 antérieur de la langue)
VIII. Nerf auditif et vestibulaire Sensoriel (spécifique) Audition et équilibre

IX. Nerf glossopharyngien Moteur somatique Mouvements des muscles de la gorge (oropharynx)
Moteur viscéral Contrôle parasympathique des glandes salivaires
Sensoriel (spécifique) Sensation du goût (1/3 postérieur de la langue)
Sensoriel viscéral Détection de la pression artérielle au niveau de l’aorte

X. Nerf vague Moteur viscéral Contrôle parasympathique du cœur, des poumons


et des organes abdominaux
Sensoriel viscéral Sensation de douleur des viscères
Moteur somatique Mouvements des muscles de la gorge (oropharynx)
XI. Nerf spinal accessoire Moteur somatique Mouvements des muscles de la gorge et du cou

XII. Nerf hypoglosse Moteur somatique Mouvements de la langue


242 1 – Bases cellulaires

Circulation cérébrale
Vue ventrale
Deux paires d’artères irriguent le cerveau : les artères vertébrales et les
artères carotides internes. Les artères vertébrales convergent à la base du pont
pour former l’artère basilaire. Les artères vertébrales et basales irriguent le
tronc cérébral et le cervelet. Dans le mésencéphale, l’artère basilaire se sépare
en plusieurs branches : les artères cérébelleuses supérieures droite et gauche et
les artères cérébrales postérieures. Les artères cérébrales postérieures forment les
artères ­communicantes ­postérieures, qui les connectent aux carotides internes. Les
carotides internes, quant à elles, se divisent pour former les artères cérébrales
moyennes et les artères cérébrales antérieures. Les artères cérébrales antérieures
de chaque hémisphère sont interconnectées par l’artère communicante anté-
rieure. Par conséquent, les artères cérébrales postérieures et communicantes, les
carotides internes et les artères cérébrales antérieures et communicantes, forment
un anneau d’artères interconnectées à la base du cerveau. Ce réseau dense repré-
sente le cercle de Willis.

Artère cérébrale
antérieure

Artère communicante
antérieure

Artère cérébrale
moyenne

Artère
carotide interne

Artère
communicante
postérieure

Artère cérébelleuse
postérieure

Artère cérébelleuse
supérieure

Artère basilaire

(1X)

Artères vertébrales
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 243

Vue latérale
L’essentiel de la surface latérale du cerveau est irrigué par l’artère cérébrale
moyenne. Cette artère irrigue également les structures profondes du cerveau
antérieur.

Parties terminales
de la branche corticale
de l’artère cérébrale antérieure

(0,7X)
Artère cérébrale moyenne Parties terminales
de la branche corticale
de l’artère cérébrale postérieure

Vue médiale (sans le tronc cérébral)


La partie interhémisphérique interne du cerveau se trouve irriguée par l­ ’artère
cérébrale antérieure. L’artère cérébrale postérieure irrigue quant à elle la région
interhémisphérique du lobe occipital et la partie inférieure du lobe temporal.

(0,7X)
Artère cérébrale antérieure

Artère cérébrale postérieure

Artère communicante postérieure


244 1 – Bases cellulaires

Questionnaire d’auto-évaluation
Les pages suivantes sont organisées comme un livre d’exercices, pour vous
aider à apprendre la neuroanatomie qui vous a été présentée. Les schémas du
guide sont reproduits sans les noms des structures nerveuses. En revanche, les
structures sont numérotées afin que vous puissiez mettre sur la ligne correspon-
dante le nom de la structure à identifier. Cette méthode vous sera très utile pour
tester vos connaissances et vous aider à retenir les termes anatomiques qui seront
utilisés dans les chapitres suivants.

QUESTIONNAIRE
Vue latérale du cerveau

(a) Organisation générale

1.

2.

3.

4.
1
4 3

(b) Sillons, scissures et gyrus

7
8

6
5.

6.

7.

8.

9
9.
5
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 245

(c) Lobes cérébraux et cortex insulaire


3
2
1.

2.

3.
4
4.
5
5.
1

QUESTIONNAIRE
Vue latérale du cerveau (suite)

(d) Principales aires sensorielles, motrices et associatives du cortex

11
12 6.
10
13
9
7.

8.
14

9.

10.

11.

12.
8
15
13.

7 6
14.

15.
246 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE
Aspect interhémisphérique

(a) Structures du tronc cérébral 1.

7
2.

8 3.

4.

5.

6
4 6.
3 9
5 2
1 7.

8.

9.

(b) Structures du cerveau antérieur

13 14

12
10.

11.
11 15

10 12.

13.

14.

15.

16.

17.

17 Identification des structures


après avoir retiré le tronc cérébral
16 et le cervelet, cerveau légèrement pivoté
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 247

QUESTIONNAIRE
Aspect interhémisphérique

(c) Ventricules

4 1.

3
2.
2
1
3.

4.

5.

5
Identification des structures
après avoir retiré
le tronc cérébral et le cervelet,
cerveau légèrement pivoté
6.

Aspect ventral du cerveau 7.

8.
9

10 9.

10.

11
11.
8
12
12.
13

14
13.
7
15
14.

6
15.
248 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE
Aspect du cerveau vu de dessus

(a) Hémisphères cérébraux


3 4

1.

2.

2
3.

4.

5
5.

(b) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux

6.
7

7.

8.
6 8

9.

10.
(c) Après avoir retiré les hémisphères cérébraux et le cervelet

11.

13 12.
12
14
11 15 13.
10
14.
16

15.
17

16.

17.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 249

QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau de la jonction entre le thalamus et le télencéphale

(a) Organisation générale

6
1.
7

2.

3.

8
5 4.

4 5.
9

6.
3

7.
2 1

8.

9.
(b) Principales structures et faisceaux nerveux

10.
13 14

11.

15
12
12.
16

13.
11
17
14.

10
15.
18

16.

17.

18.
250 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau du thalamus moyen 1.

2.
(a) Organisation générale
3.

6 4.

7
5.

5
6.

4 7.
8
8.

9.

3 9
10.
2
1
11.

12.

(b) Principales structures et faisceaux nerveux


13.
18
19
17
14.

16 15.
20

16.
15

17.

14 21
18.

19.
13

20.
12 22

11 21.

10 23
22.

23.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 251

QUESTIONNAIRE
Cerveau antérieur au niveau de la jonction entre thalamus et mésencéphale

(a) Organisation générale

5 1.

2.
4
3.

6 4.
3

5.

6.

2 7.

1 7

(b) Principales structures et faisceaux nerveux

8.
10
9
9.

11
10.

12 11.

12.
8

13.
13

14.
14
252 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE

Mésencéphale rostral

4 5
1.

3 2.

3.

2 4.

1 5.

Mésencéphale caudal

8 9

6.

7
7.

8.

9.
6

Pont et cervelet
14

10.

13 11.

12.

12
13.

14.

11
10
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 253

QUESTIONNAIRE

Partie antérieure du tronc cérébral

7
6

5
1.
4
2.
3

3.
2

1 4.

5.
Partie centrale du tronc cérébral

6.

14
13 7.

12 8.

11 9.

10
10.

9 11.

8
12.

Jonction tronc cérébral-moelle épinière 13.

17 18
14.

15.

16.
16
17.

18.
15
254 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE 1.

2.

Moelle épinière, surface ventrolatérale 3.


8 9
DORSAL 4.
7 10

5.
6
11
5 6.

12 7.

13 8.

14
9.

4
15 10.
3
11.
2
16
12.
1
13.
17
14.

15.

VENTRAL 16.

17.

Moelle épinière, coupes coronales 18.

20 21 19.

19
20.

22 24 21.
23
22.

23.

25
24.
18
26
25.
27
29
28
26.

27.

28.

29.
Annexe – Guide illustré de l’anatomie du cerveau humain 255

QUESTIONNAIRE

Nerfs crâniens

1.

2.

1
3.

2
4.

3 5.

4
6.

5
7.
6
7 8.
8

9 9.

10
10.
11

12 11.

12.
256 1 – Bases cellulaires

QUESTIONNAIRE
Circulation cérébrale

1.
2

7 2.

8
1
3.

4.

9 5.

11
6.

7.

8.

9.

10.

10 12
11.

12.

13.

14.

15.

13
14

15
– 257

2e PARTIE

Systèmes
sensoriel
et moteur
CHAPITR E 8
Sens chimiques  258

CHAPITR E 9
Œil et vision   288

C H A P I T R E 10
Vision : organisation anatomofonctionnelle
des voies centrales   328

C H A P I T R E 11
Audition et système vestibulaire   366

CH APIT R E 12
Système sensoriel somatique   412

CH A PIT R E 13
Contrôle spinal du mouvement   454

C H A P I T R E 14
Contrôle central du mouvement   484
258 2 – Systèmes sensoriel et moteur 258

CHAPITRE  8 Sens chimiques

GUSTATION
Goûts de base.................................................................................... 260
Encadré 8.1 Focus  Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate,
calcium ou simplement de l’eau ?
Organes du goût................................................................................ 262
Cellules réceptrices du goût................................................................ 263
Mécanismes de la transduction du goût.............................................. 264
Voies centrales du système gustatif..................................................... 268
Encadré 8.2 Focus  Souvenirs d’un repas cauchemardesque…
Codage neuronal du goût................................................................... 271

OLFACTION
Organes de l’olfaction........................................................................ 272
Encadré 8.3 Focus  Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?
Récepteurs olfactifs neuronaux........................................................... 274
Encadré 8.4 Les voies de la découverte  Canaux ioniques de la vision
et de l’olfaction,
par Geoffrey Gold
Voies olfactives centrales.................................................................... 279
Codage spatial et temporel de l’information olfactive.......................... 281

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
a vie a évolué dans un océan de substances chimiques. Dès le début, les
organismes flottaient ou se déplaçaient dans de l’eau pleine de subs-
tances chimiques, garantie de nourriture pour les uns, de poison ou de
la présence de partenaires sexuels pour les autres. De ce point de vue, les choses
n’ont pas beaucoup changé depuis des milliards d’années. C’est grâce aux sens
chimiques que les animaux y compris les hommes, reconnaissent les aliments
(la douceur du miel, l’odeur de la pizza), les substances toxiques (l’amertume
des alcaloïdes) ou encore leurs partenaires. De tous les systèmes sensoriels, ceux
dévolus à la détection chimique sont les plus répandus et les plus anciens. Même
les bactéries, qui n’ont pas de cerveau, peuvent détecter une source de nourriture
qui leur convient et se déplacer vers elle.
Les organismes pluricellulaires sont capables de détecter les substances
chimiques dans leur environnement, mais aussi dans leur milieu intérieur. La
diversité des systèmes de détection chimique s’est considérablement étendue au
cours de l’évolution. L’air dans lequel l’homme évolue est plein de substances
chimiques volatiles ; nous absorbons par ailleurs de nombreuses autres substances
chimiques pour toute une série de raisons et nous portons en nous un milieu inté-
rieur complexe, sous forme de sang et des autres liquides qui baignent nos cel-
lules. La nature nous a pourvus d’un système approprié pour la détection de ces
substances chimiques présentes dans chacun de ces milieux. Les mécanismes de
la sensation chimique qui, à l’origine, étaient utilisés pour détecter les substances
présentes dans l’environnement, ont évolué considérablement, jusqu’à former
maintenant la base de la communication chimique entre les cellules et les organes,
au moyen des hormones et des neurotransmetteurs. Dans l’organisme, chaque
cellule se trouve être ainsi virtuellement sensible à plusieurs substances chimiques.
Ce chapitre traite des sensations chimiques les plus familières : le sens du
goût ou gustation et celui de l’odorat ou olfaction. Cependant, bien que l’appré-
ciation du goût et des odeurs représente des sensations dont nous avons effecti-
vement conscience, ces sens chimiques ne sont pas les seuls dont nous disposons.
De nombreux types de cellules chimiquement sensibles ou chémorécepteurs,
sont répartis dans tout le corps. Ainsi, certaines terminaisons nerveuses de la
peau ou des muqueuses signalent la présence de substances chimiques irritantes.
De nombreux autres chémorécepteurs rendent compte de façon consciente ou
inconsciente de notre état interne : des terminaisons nerveuses situées dans les
organes digestifs détectent un grand nombre de substances ingérées, des récep-
teurs présents dans les artères au niveau du cou évaluent les niveaux de dioxyde
de carbone et d’oxygène du sang, et des terminaisons sensorielles localisées dans
les muscles répondent à une acidification du milieu en donnant la sensation de
brûlure qui accompagne un effort et exprime un déficit en oxygène.
La gustation et l’olfaction ont un rôle comparable : la détection des subs-
tances chimiques dans l’environnement. En fait, le système nerveux ne peut per-
cevoir les saveurs et les odeurs que par ces deux sens. La gustation et l’olfaction
sont très fortement en rapport direct avec nos besoins fondamentaux, y compris
la soif, la faim, l’émotion, le désir sexuel, ou encore certaines formes de mémoire.
Cependant, ces deux sens sont distincts et différents, depuis la structure et les
mécanismes de leurs chémorécepteurs, jusqu’à l’organisation générale de leurs
connexions centrales et leur influence sur le comportement. L’information sen-
sorielle transmise par chacun de ces systèmes se trouve en fait traitée parallèle-
ment et elle n’est intégrée qu’à des niveaux très élevés, dans le cortex cérébral.
260 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Gustation
Les hommes sont omnivores (du latin omnis : tout, et vorare : manger) depuis
l’origine et ils se sont nourris des plantes ou des animaux qu’ils pouvaient trou-
ver, récupérer ou chasser. Pour faire la différence entre de nouvelles sources de
nourriture et des toxines potentielles, il fallait un système aussi performant que
celui de la détection du goût. Certaines préférences dans le goût sont innées ;
ainsi la préférence du sucré, satisfaite par le lait de la mère. Les substances
amères sont de la même manière instinctivement rejetées et en fait de nombreux
poisons sont détectés par leur goût amer. Cependant, l’expérience personnelle
parvient à modifier fortement nos instincts. Ainsi en est-on venu à supporter
et même à apprécier l’amertume de substances telles que le café ou la quinine.
L’organisme lui-même présente aussi la faculté de percevoir un déficit de certains
aliments qui lui sont essentiels et de susciter l’envie de ces aliments. Par exemple,
privé du sel tout à fait indispensable, l’organisme peut éprouver une sorte de
désir d’aliments salés.

Goûts de base
Le nombre des substances chimiques étant illimité et la variété des saveurs
incalculable, il est vraisemblable que nous ne reconnaissons que quelques goûts
de base. La plupart des scientifiques s’accordent sur le nombre de cinq. Les
qualités des quatre goûts de base sont le salé, l’acide, le sucré et l’amer. Un cin-
quième goût, moins familier, est l’umami, qui signifie « délicieux » en japonais et
se définit par la saveur particulière présentée par un acide aminé, le glutamate (le
glutamate de sodium, qui en est la forme culinaire usuelle). Ces cinq catégories
de qualités gustatives paraissent communes à l’ensemble des cultures humaines
mais il est également vraisemblable qu’il en existe bien d’autres (Encadré 8.1).
La correspondance entre la chimie et le goût est évidente dans la plupart
des cas. Les acides sont presque tous acides et les sels sont salés. Mais la chimie
des substances peut varier considérablement alors que leur goût de base reste
le même. De nombreuses substances sont sucrées, depuis les sucres bien connus
(par exemple le fructose présent dans les fruits et le miel, et le saccharose, c’est-
à-dire le sucre blanc), jusqu’à certaines protéines (comme la monélline, issue
d’une baie cueillie en Afrique) et aux sucres artificiels (tels que la saccharine et
l’aspartame, le second étant constitué de deux acides aminés). Curieusement, les
sucres sont les moins sucrés de toutes ces substances ; gramme pour gramme, les
édulcorants artificiels et les protéines sont 10 000 à 100 000 fois plus sucrés que
le saccharose. Les substances de goût amer vont de simples ions, tels que K+ (le
KCl est en fait à la fois amer et salé) et Mg2+, à des molécules organiques com-
plexes, comme la quinine ou la caféine. De nombreuses substances organiques de
goût amer peuvent être goûtées, même à très faibles concentrations, inférieures
au nanomalaire. Ceci constitue très certainement un avantage, du fait du carac-
tère amer de nombreux poisons.
Mais avec un registre de goûts aussi limité que les doigts de la main, qu’est-ce
qui permet de percevoir les innombrables saveurs des aliments tels que le cho-
colat, les fraises ou encore la sauce du barbecue ? Tout d’abord, chaque ali-
ment active une combinaison différente de goûts de base, qui le rend unique.
Deuxièmement, la plupart des aliments ont une saveur particulière en raison
de leur goût et de leur odeur, qui sont perçus simultanément. Par exemple, sans
l’odeur (et la vue), une tranche d’oignon peut être prise facilement pour un mor-
ceau de pomme. Enfin, d’autres modalités sensorielles contribuent à faire d’un
aliment une expérience particulière. Dans ce domaine, la consistance, la texture
et la température sont des éléments importants et une sensation de douleur est
associée à la saveur brûlante et épicée des aliments assaisonnés de capsaïcine,
une composante majeure des piments rouges. Par conséquent, pour distinguer la
saveur exquise d’un aliment que l’on ne voit pas, le cerveau va réellement devoir
combiner les informations sur son goût, son odeur et sa consistance.
8 – Sens chimiques 261

Encadré 8.1 FOCUS

Goûts étranges : gras, amidon, bicarbonate,


calcium ou simplement de l’eau ?
Existe-t-il des récepteurs spécifiques autres que pour modifiées semblent insensibles au sucre, comme prévu,
les cinq saveurs de base, salée, sucrée, amer, acide et mais continuent à rechercher les féculents. L’hypothèse
umami ? La réponse est probablement oui ! De fait, peut être avancée que les souris exprimeraient des récep-
l’identification de nouveaux récepteurs gustatifs est teurs gustatifs sensibles aux féculents.
­difficile mais de nombreux éléments plaident en faveur
de cette hypothèse. De nombreuses personnes aiment également les
boissons gazéifiées telles que l’eau gazeuse, les sodas ou
Les gens aiment la nourriture grasse, certainement
la bière. L’eau devient gazéifiée lorsqu’elle incorpore
pour une bonne raison. Les graisses représentent une
une certaine quantité de CO2. Comme pour les graisses,
source de calories et de nutriments essentiels. Les esprits
nous sommes à même de détecter cette gazéification par
acérés aussi loin qu’Aristote ont affirmé que le goût
les sensations produites par les bulles dans la bouche et
pour le gras est essentiel. Mais comme les graisses sti-
sur la langue. Les souris, et les personnes aimant les
mulent d’autres systèmes sensoriels, cela complique sin-
boissons gazéifiées, peuvent aussi apprécier l’odeur du
gulièrement la question de savoir s’il existe un goût par-
CO2. Et plus encore, nous pouvons aussi entendre ces
ticulier pour la nourriture grasse. Les triglycérides, qui
microbulles dans nos boissons. La concentration de CO2
représentent les molécules de base de la nourriture
dans le sang représente une constante critique de l’effi-
grasse, confèrent dans la bouche une texture particulière
cacité de la respiration, et il existe dans certaines artères
à cette nourriture, faite de sensations huileuses et cré-
des cellules spécialisées dans la détection de ces concen-
meuses. Ces propriétés sont détectées par le système sen-
trations de ce CO2 sanguin. Mais alors, sommes-nous
soriel somatique et non par le système gustatif. Les
également à même de détecter le goût de cette gazéifica-
graisses comportent également de nombreux composés
tion ? Oui, probablement, encore. Les souris possèdent
volatiles détectés par le système olfactif. Ces odeurs
des papilles gustatives exprimant une enzyme particu-
peuvent être plaisantes ou trompeuses. Les acides gras
lière, l’anhydrase carbonique, qui métabolise le CO2 et
libres produits à partir de ces triglycérides ont parfois
l’eau pour former des protons H+ et des ions bicarbo-
une odeur putride ; souvenez-vous par exemple de
nate HCO3–. De hautes concentrations en protons
l’odeur des graisses rances. Elles peuvent aussi être irri-
(c’est-à-dire un milieu de faible pH) donnent un goût
tantes et dans ce cas à nouveau détectées par le système
acide, ce qui suppose que les cellules détectant les goûts
sensoriel somatique. Mais ont-elles réellement un goût
acides peuvent aussi détecter les niveaux de CO2. C’est
de graisse particulier ? La réponse est oui, probable-
donc une partie de la réponse à la question mais, alors,
ment. Les souris, par exemple, préfèrent l’eau lorsqu’elle
comment ces cellules distinguent-elles le goût acide de
est additionnée de quelques acides gras, ce qui suggère
cette carbonatation ? La réponse n’est pas claire. Le sens
qu’elles possèdent des récepteurs sensibles aux acides
de la carbonatation pourrait impliquer une combinai-
gras et expriment un récepteur gustatif particulier. Un
son de détection de goûts acides et une sensation soma-
récepteur de ce type est alors fortement suspecté en ce
tique de perception des microbulles.
qui concerne certaines cellules gustatives chez l’homme,
qui exprimerait ainsi un récepteur détecteur de graisses. Les gens n’aiment pas le calcium mais ils en ont
Les gens aiment aussi les féculents et les nourritures besoin pour garder un squelette en bon état et pour le
qui en contiennent comme les pâtes, le pain ou les bon fonctionnement de leur cerveau et d’autres organes.
pommes de terre. Les féculents sont riches d’une forme De nombreux animaux semblent aimer les sels de cal-
d’hydrate de carbone complexe représentant un cium lorsqu’ils sont en hypocalcémie. En revanche, ils
polymère du glucose, qui est quant à lui la forme princi- les rejettent dans le cas contraire. L’une des hypothèses
pale du sucre dans notre organisme. Dès lors, notre pour expliquer cette réaction sélective est d’imaginer
amour pour les féculents est-il lié à la perception du que le calcium est détecté comme une combinaison de
glucose qu’ils contiennent ? Des expériences chez les goût amer et de goût acide. Mais des résultats récents
rongeurs suggèrent que ce n’est pas le cas : les préfé- permettent de formuler une hypothèse encore plus inté-
rences du rat pour les polymères du glucose et pour les ressante. En effet, comme chez la souris l’aversion pour
sucres paraissent très distinctes. Dans une étude récente, le goût du calcium est dépendante de l’expression de
des souris ont été testées pour leur capacité à discrimi- T1R3, et que chez l’homme le goût du calcium est atté-
ner le goût du sucre de celui des féculents après l’inacti- nué sous l’effet d’un agent qui se lie au récepteur T1R3,
vation (knock-out) du gène du récepteur T1R3, une pro- il est alors possible de proposer, même si c’est encore
téine clé des récepteurs au sucré et de détection de loin d’être prouvé, que la protéine T1R3 est bien l’un des
l’umami (voir Fig. 8.6). Les souris ainsi génétiquement constituants du récepteur qui détecte le goût du calcium.
262 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 8.1 FOCUS  (suite)

Pour finir, l’eau ! L’eau est un élément vital pour l’or- décrire le goût de l’eau distillée, elle est souvent qualifiée
ganisme et sa consommation est régulée par la sensation de façon très différente comme sucrée, salée ou encore
de soif. La sensation de moiteur, comme celle liée à la amère, en fonction des conditions du test. Dès lors, un
consommation de nourriture grasse ou encore de bois- récepteur spécifique pour le goût de l’eau pourrait
sons gazéifiées, peut être perçue par le système somato­ constituer une adaptation très utile, et il existe de nom-
sensoriel. Mais sommes-nous à même de détecter le goût breuses évidences que ce récepteur existe chez les insectes.
de l’eau ? Lorsque l’on demande à une personne de Mais ce n’est pas encore le cas chez les mammifères.

Organes du goût
L’expérience nous montre que le goût passe par la langue. Cependant, bien
Cavité nasale d’autres parties de la bouche, comme le palais, le pharynx et l’épiglotte, sont éga-
lement impliquées (Fig. 8.1). L’odeur de ce que nous mangeons passe aussi par
Palais le pharynx, dans la cavité nasale, où elle est détectée par les récepteurs olfactifs.
Le bout de la langue se trouve plus sensible à la douceur, le fond à l’amertume,
et les côtés de la langue au salé et à l’acidité. Cela ne signifie pas, cependant, que
le bout de la langue est seulement sensible à ce qui est doux, une grande partie
Langue de la langue étant sensible à tous les goûts de base.
Pharynx De nombreux replis de la muqueuse, répartis à la surface de la langue, repré-
sentent les papilles (du latin papilla : éminence), existant sous forme de crêtes
Épiglotte (papilles folliées), de boutons (papilles caliciformes), ou de champignons
(papilles fungiformes) (Fig. 8.2a). L’observation de sa propre langue dans un
miroir permet d’identifier facilement de petites papilles rondes sur la partie
antérieure et sur les côtés de la langue, de plus grosses étant situées à l’arrière.
Figure 8.1 – Anatomie de la bouche, de la
gorge et de la cavité nasale.
Chaque papille présente d’une à plusieurs centaines de bourgeons gustatifs,
Le goût est d’abord une fonction de la bouche visibles seulement au microscope (Fig. 8.2b). Chaque bourgeon gustatif com-
mais d’autres régions comme le palais, le prend de 50 à 150 cellules réceptrices du goût ou cellules gustatives, disposées à
pharynx et l’épiglotte y contribuent égale­
­ l’intérieur du bourgeon comme des quartiers d’une orange. Les cellules gusta-
ment. Notez la position particulière des cavités tives ne représentent que 1 % environ de l’épithélium de la langue. Les bourgeons
nasales, qui permet d’apprécier par le nez et le gustatifs contiennent aussi des cellules basales entourant les cellules gustatives,
pharynx les odeurs des nourritures ingérées. ainsi qu’un ensemble d’axones gustatifs afférents (Fig. 8.2c). Il y a typiquement
environ 2 000 à 5 000 bourgeons gustatifs chez un individu, avec des exceptions
allant de 500 à 20 000.
En utilisant de très fines gouttelettes, il est possible d’exposer une seule papille
à de très faibles concentrations de différents stimuli des goûts de base (seulement
acide en utilisant du vinaigre ou seulement sucré en utilisant du saccharose, par
exemple). Si la concentration est trop faible, aucun goût ne sera perçu ; mais, à
un seuil critique de concentration le stimulus déclenchera la perception de goût :
c’est le seuil de concentration. Avec des concentrations à peine supérieures au
seuil, une grande partie des papilles sont sensibles à un goût de base seulement ;
il y a des papilles sensibles à l’acidité et d’autres à ce qui est sucré. Pourtant,
si la concentration des stimuli du goût se trouve progressivement augmentée,
la plus grande partie des papilles devient moins sélective. Alors qu’une papille
peut répondre seulement au sucré avec des stimuli faibles, elle devient susceptible
de répondre aussi à ce qui est acide et salé si les stimuli sont plus forts. Ainsi
savons-nous maintenant que chaque papille gustative comprend de nombreux
récepteurs et que chaque récepteur est spécialisé pour une catégorie de goûts
particuliers.
8 – Sens chimiques 263

Cellules Figure 8.2 – La langue, ses papilles gusta-


Cellules
réceptrices tives et les bourgeons gustatifs.
basales
du goût (a) Les papilles gustatives représentent les
Pore gustatif
régions sensibles au goût. Celles de diamètres
les plus importants, situées dans la partie
­postérieure de la langue, sont « en bouton ».
Les papilles foliées (forme de crêtes) sont de
forme allongée et les papilles fungiformes sont
Papilles de dimension relativement importante vers
« en bouton » ­l’arrière de la langue et plus petites sur les
Papilles foliées côtés et sur le bout. (b) Cette section repré­
sente une papille « en bouton » et montre la
localisation des bourgeons gustatifs. (c) Le
Fibres bourgeon gustatif est constitué d’un assem­
afférentes blage de cellules réceptrices du goût et des
gustatives Synapse axones des fibres gustatives afférentes qui les
Microvillosités contactent. Dans la partie apicale des cellules
(c)
réceptrices, des microvillosités sont situées
au niveau d’un pore, représentant la zone de
contact entre les substances chimiques dis­
soutes dans la salive et les cellules réceptrices.

Langue
Papilles Bourgeons gustatifs
fungiformes
(a) (b)

Cellules réceptrices du goût


La partie chimiquement sensible d’une cellule réceptrice du goût se trouve
dans une petite zone de sa membrane, l’extrémité apicale, proche de la surface
de la langue. Les extrémités apicales présentent de fines extensions, les micro-
villosités, qui se projettent dans le pore gustatif, un petit orifice situé à la sur-
face du bourgeon, là où la cellule gustative est exposée au contenu de la bouche
(Fig. 8.2c). D’après les critères histologiques classiques, les cellules réceptrices
du goût ne sont pas des neurones. Cependant, elles forment véritablement des
synapses avec les terminaisons des axones gustatifs afférents, près de la base du
bourgeon gustatif. Elles présentent aussi à la fois des synapses électriques et des
synapses chimiques sur quelques cellules basales. Par ailleurs, certaines cellules
basales forment des synapses sur les axones sensoriels, toutes ces synapses consti-
tuant un réseau simple de traitement de l’information à l’intérieur de chaque
bourgeon gustatif. Les cellules gustatives suivent un cycle constant de croissance,
de mort et de régénération ; la durée de vie d’une cellule étant ­d’environ deux
semaines. Ce processus se trouve en rapport avec la présence du nerf sensoriel
car si le nerf est sectionné, les bourgeons dégénèrent.
Une cellule réceptrice du goût activée par une substance chimique appro-
priée voit son potentiel de membrane se modifier. La membrane est générale-
ment dépolarisée par cette stimulation chimique. Dans ce cas, le changement
de voltage est dénommé potentiel de récepteur (Fig. 8.3a). Lorsque le potentiel
de récepteur est assez fortement dépolarisant, les cellules réceptrices du goût,
au même titre que les neurones, peuvent générer des potentiels d’action. Dans
tous les cas, la dépolarisation de la membrane du récepteur entraîne l’ouverture
de canaux calciques dépendants au potentiel ; les ions Ca2+ pénètrent dans le
cytoplasme, déclenchant la libération de neurotransmetteurs. C’est la transmis-
sion synaptique de base de la cellule gustative à l’axone sensoriel. Le neuro­
transmetteur sécrété par ce mécanisme dépend de la nature du récepteur. Les
264 2 – Systèmes sensoriel et moteur

NaCl Quinine HCl Saccharose

Vm
Cellule 1

Vm
Cellule 2

Vm
Cellule 3
Bourgeon
gustatif
(a)
Figure 8.3 – Réponses des cellules réceptrices
du goût et des axones gustatifs aux goûts de NaCl Quinine HCl Saccharose
base.
(a) Trois cellules différentes sont enregistrées Axone 1
à l’aide de microélectrodes pendant l’appli­ Cellule Cellule Cellule
1 2 3 Axone 2
cation de sel (NaCl), d’un composé amer
(quinine), d’acide (HCl) et de sucré (saccha­
Axone 3
rose). Notez les différences de sensibilité
des deux cellules à l’application de ces sti­ (b)
muli, traduites par des variations du potentiel
de membrane Vm. (b) Dans ce cas, c’est la
décharge des fibres gustatives afférentes qui
est enregistrée. Les enregistrements sont ici Fibres
de type extracellulaire et chaque déflection gustatives
afférentes
représente un potentiel d’action.

cellules spécialisées dans la détection des saveurs acides et salées libèrent de la


sérotonine sur les axones gustatifs ; dans le cas des saveurs sucrées, amères et de
l’umami, les cellules libèrent de l’ATP. Dans tous les cas, le neurotransmetteur
libéré est excitateur des axones sensoriels post-synaptiques et la dépolarisation
déclenche leur décharge (Fig. 8.3c), ce qui permet de transférer le signal gustatif
au tronc cérébral. Les récepteurs gustatifs peuvent également utiliser d’autres
neurotransmetteurs tels que l’acétylcholine, le GABA ou encore le glutamate
mais les fonctions de ces derniers sont encore méconnues.
Des résultats récents suggèrent chez la souris que la plupart des récepteurs
gustatifs répondent principalement ou ne répondent exclusivement qu’à un seul
des cinq goûts de base. Cela apparaît à la figure 8.3a, montrant que les cel-
lules 1 et 3 répondent par de fortes dépolarisations en réponse à l’application
de sel (NaCl) et de sucre, respectivement. Cependant, il existe des différences
marquées entre les cellules du goût et les axones gustatifs en ce qui concerne
100
la préférence de leurs réponses. Chacun des axones gustatifs de la figure 8.3b
Potentiels d’action / 5 s

répond à plusieurs goûts de base, même s’il est clair que chacun montre une
sensibilité préférentielle.
La figure 8.4 montre les tracés d’enregistrements semblables dans quatre
50
axones gustatifs chez un rat. L’un de ces axones répond fortement au salé, un
autre au sucré, et deux à tout, sauf au sucré. Pourquoi certaines cellules sont-
elles ainsi sensibles à un seul stimulus alors que d’autres répondent à 3 ou 4 à la
fois ? En fait, les réponses de ces axones dépendent des mécanismes particuliers
0
de la transduction existant dans chaque cellule réceptrice.
Saccharose NaCl HCl Quinine

Figure 8.4  – Décharge relative, en terme de Mécanismes de la transduction du goût


fréquence des potentiels d’action, de quatre
Le processus par lequel un stimulus lié à l’environnement, de nature physi-
axones différents du nerf gustatif primaire,
cochimique, provoque une réponse dans une cellule réceptrice sensorielle sous
chez le rat.
Les stimuli sont représentés par du sucré forme d’une variation du potentiel de membrane est dénommé transduction (du
(saccharose), du salé (NaCl), de l’acide (HCl) latin transducere : conduire à travers). Il existe des myriades de mécanismes de
et de l’amer (quinine). Notez les différences de transduction dans le système nerveux, ce qui le rend sensible, entre autres, aux
sélectivité des différentes fibres enregistrées. substances chimiques, à la pression, aux sons et à la lumière. La nature des méca-
(Source : adapté de Sato, 1980, p. 23.) nismes de transduction détermine la sensibilité spécifique d’un système senso-
8 – Sens chimiques 265

riel. Ainsi la vision est-elle, par exemple, liée à la présence de photorécepteurs.


On peut dès lors imaginer que si la langue possédait de tels photorécepteurs, il
serait possible de voir avec la bouche…
Certains des systèmes sensoriels présentent un seul type de cellules réceptrices,
utilisant un seul mécanisme de transduction (par exemple, le système auditif).
Cependant, la transduction du goût implique plusieurs processus différents et
chaque goût de base est susceptible de passer par un ou plusieurs de ces méca-
nismes. Les stimuli du goût peuvent (1) soit être transférés directement dans le
récepteur au travers des canaux ioniques (salé et acide), (2) soit se fixer sur les
canaux ioniques et les bloquer (amer), (3) soit encore se fixer sur des récepteurs
couplés aux protéines G, ce qui active des systèmes de seconds messagers qui,
à leur tour, ouvrent ou ferment les canaux ioniques (sucré, amer et umami).
Ces processus sont connus : ils se trouvent à la base de la transmission des
signaux dans tous les neurones et les synapses, comme nous l’avons vu dans les
­chapitres 4, 5 et 6.
Saveur salée.  Le prototype de la substance salée est le sel de table (NaCl)
qui, l’eau mise à part, est le composant majeur de l’océan, du sang, ou encore du
potage au poulet ! Le sel est particulier en ce sens qu’à relative faible concentra-
tion (10 à 150 mM) il a plutôt bon goût, alors qu’à forte concentration il tend à
être désagréable et repoussant. Le goût du sel se trouve être essentiellement celui
du cation Na+ et les récepteurs gustatifs utilisent des mécanismes de transduc-
tion très différents pour détecter ces concentrations faibles et celles plus impor-
tantes. Pour détecter les faibles concentrations, les cellules sensorielles sensibles
au sel utilisent un canal ionique particulier, sensible aux ions Na+, qui est par
ailleurs commun à d’autres cellules épithéliales et qui est bloqué par une drogue
nommée amiloride (Fig. 8.5a). L’amiloride est un agent diurétique (qui stimule
la production de l’urine) utilisé pour traiter certaines formes d’hypertension
artérielle et des troubles cardiaques. Le canal sodique sensible à l’amiloride est
tout à fait différent du canal sodique qui génère les potentiels d’action ; le canal
sodique du goût n’est pas dépendant du potentiel et, en général, il reste ouvert
au repos. Lorsqu’on mange du potage au poulet, la concentration de Na+ s’élève
autour de la cellule réceptrice et le gradient électrochimique pour les ions Na+ à
travers la membrane augmente. Les ions Na+ diffusent dans la cellule en rapport
avec le gradient de concentration, c’est-à-dire qu’ils pénètrent à l’intérieur de la
cellule en produisant un courant entrant, qui provoque secondairement la dépo-
larisation de la membrane. Cette dépolarisation (le potentiel de récepteur) va
à son tour provoquer l’ouverture des canaux sodiques et calciques dépendants
du potentiel, et induire ainsi la libération du neurotransmetteur sur les axones
gustatifs afférents.
Les animaux, en général, évitent les trop fortes concentrations en NaCl et
autres formes de sels. Quant aux hommes, ils trouvent qu’à ces concentrations
le sel a mauvais goût. En fait, ces fortes concentrations de sels activent les récep-
teurs des cellules spécialisées dans la détection des goûts amers et acides, à l’ori-
gine des comportements d’évitement de ces substances. Comment ces substances
très salées stimulent les récepteurs aux goûts amers et acides, reste à ce jour une
énigme.
Les anions présents dans le sel affectent le goût des cations. NaCl est ainsi
plus salé que l’acétate de sodium, probablement parce que plus un anion est de
taille importante comme l’acétate, plus il inhibe le goût salé du cation. Ces méca-
nismes d’inhibition de l’anion ne sont pour le moment pas très bien connus. Une
autre difficulté provient de ce que, lorsque les anions sont plus gros, ils sont sus-
ceptibles d’avoir eux-mêmes un goût particulier. Ainsi, la saccharine de sodium
présente une saveur sucrée parce que les concentrations de Na+ sont beaucoup
trop basses pour que la saveur du sel puisse être détectée et parce que la saccha-
rine active potentiellement les récepteurs de la saveur sucrée.
Saveur acide.  Les aliments présentent un goût aigre à cause de leur grande
acidité (c’est-à-dire un pH faible). Les acides tels que HCl se dissolvent dans
l’eau en générant des ions d’hydrogène (protons ou H+). Les protons sont donc
les agents de l’acidité et de l’aigreur. Les protons peuvent affecter les récepteurs
du goût de plusieurs façons, que ce soit à partir de la face externe ou de la face
266 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Na+ Canal
potassique
H+

Canal
sodique
sensible Canal
à l’amiloride aux protons

D ép
po
Récepteur

olari
larisa
gustatif Récepteur
gustatif

sa
tion me

tion me
mbranaire

mbranaire
Canal sodique
dépendant
du potentiel

Na+ Na+

Ca2+ Ca2+
Figure 8.5 – Mécanismes de transduction (a)
Canal calcique Vésicules Vésicules
de la saveur salée et (b) de la saveur acide. synaptiques synaptiques
dépendant du
Les stimuli gustatifs peuvent interagir directe­ potentiel
et remplies et remplies
de sérotonine de sérotonine
ment avec les canaux ioniques, soit en pas­
sant directement au travers de ces canaux
(Na+ et H+), soit en les bloquant (H+ peut Axone gustatif Axone gustatif
bloquer les canaux potassiques). La consé­ afférent afférent
quence de cette action sur les canaux est une
élévation du potentiel de membrane qui active
les canaux calciques dépendants du poten­
tiel, ce qui accroît la concentration de calcium
intracellulaire et induit la libération des neuro­ (a) (b)
tansmetteurs.

interne de la membrane de ces récepteurs. Mais ces mécanismes sont encore très
mal connus (Fig. 8.5b). Il est vraisemblable que les ions H+ puissent se fixer et
bloquer un canal particulier sélectif des ions K+. En conséquence, la diminution
de la perméabilité potassique de la membrane conduit à sa dépolarisation. Les
ions H+ peuvent aussi activer un autre type de récepteur, de la superfamille des
TRP (TRP pour Transient receptor potential), les récepteurs TRP étant com-
muns à plusieurs formes de cellules sensorielles. Le courant cationique au tra-
vers de ces récepteurs TRP pourrait aussi dépolariser les cellules sensorielles qui
détectent des goûts aigres. Le pH peut aussi virtuellement affecter tous les méca-
nismes cellulaires et pourrait par conséquent être également l’un des mécanismes
de la transduction des goûts aigres. Mais il est aussi possible qu’en fait ce soit une
sorte de constellation de ces effets qui évoque la saveur aigre.
8 – Sens chimiques 267

Saveur amère. La compréhension des mécanismes de transduction des Récepteurs des goûts amers :
saveurs amère, sucrée, et umami, a progressé considérablement au début des les protéines T2R
années 1980 avec la découverte de deux familles de gènes des récepteurs du goût,
nommés T1R et T2R. Ces gènes encodent une famille de récepteurs particuliers,
couplés aux protéines G, très similaires à ceux du même type qui lient les neu-
rotransmetteurs. Il existe de nombreuses évidences expérimentales pour consi-
dérer que les protéines récepteurs des goûts amer, sucré et umami sont en fait
des dimères, les dimères étant des assemblages de deux protéines fixées l’une à
l’autre (Fig. 8.6). Ce type d’assemblage est en fait commun dans les cellules (voir
Fig. 3.6), que ce soit dans le cas des canaux ioniques (voir Fig. 3.7) que dans celui
des récepteurs-canaux (voir Fig. 5.14), à titre d’illustration.
Chez l’homme, les substances amères sont détectées par 25 récepteurs T2R
différents. Les récepteurs de l’amertume sont des détecteurs de poison et c’est
peut-être en raison de la diversité chimique des poisons qu’il existe autant de
sous types de récepteurs différents. Les animaux, en général, ne sont cependant
pas capables de bien faire la différence entre plusieurs saveurs amères, proba-
blement parce que chaque cellule gustative exprime plusieurs, voire la plupart,
des 25 sous-types de récepteurs T2R. Parce que chaque cellule ne génère bien
entendu qu’un seul type de signal qui va être transmis au cerveau par ses fibres
afférentes quelle que soit la substance amère stimulant l’un ou l’autre de ces
25 récepteurs, la réponse sera essentiellement la même. Le message important
que reçoit le cerveau demeure très simple : « Mauvais ! Ne pas faire confiance à
cette substance, à éviter ». Et le système nerveux apparemment ne distingue pas (a)
un type de substance amère d’un autre type.
Les récepteurs de la saveur amère utilisent la voie des seconds messagers pour Récepteurs des goûts sucrés : T1R2 + T1R3
transférer leur signal aux axones gustatifs afférents. En fait, les récepteurs des
saveurs amères, sucrées et umami, paraissent utiliser la même voie de signalisa-
tion intracellulaire pour transmettre leurs signaux aux axones afférents. Cette
voie de signalisation est illustrée en figure 8.7. Lorsqu’une substance amère (ou
sucrée, ou le glutamate) stimule un récepteur, il en résulte l’activation d’une pro-
téine G particulière, qui va à son tour activer la phospholipase C. Ceci se traduit
par une augmentation de la concentration intracellulaire d’inositol triphosphate (b)
(IP3). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, dans cette voie de signalisation
l’IP3 représente un signal ubiquitaire, présent dans toutes les cellules de l’orga- Récepteurs des goûts umami : T1R1 + T1R3
nisme. Dans les cellules gustatives, l’IP3 active un sous-type particulier de canal
ionique, spécifique de ces cellules, ayant pour conséquence une entrée de Na+
et la dépolarisation de la cellule. L’IP3 peut aussi provoquer la translocation du
calcium intracellulaire à partir de sites de stockage. Ce calcium contribue à la
libération du neurotransmetteur par une voie très particulière. En fait, les cel-
lules gustatives pour les goûts amers, sucrés et umami n’ont pas de neurotrans-
metteur conventionnel présent dans des vésicules synaptiques. Dans ce cas, le
mécanisme paraît être l’activation d’un canal ionique particulier qui, en réponse (c)
à l’augmentation de la concentration de calcium ionisé intracellulaire, permet à Figure 8.6 – Protéines réceptrices du goût.
l’ATP de sortir de la cellule. L’ATP sert ici de transmetteur synaptique et active (a) La famille des protéines impliquées dans
des récepteurs purinergiques situés sur les axones gustatifs post-synaptiques. la détection des goûts amers, dénommées
protéines T2R, comprend 25 membres. Les
Saveur sucrée.  Il existe un grand nombre de saveurs sucrées, tant natu- récepteurs qui détectent ces goûts amers
relles qu’artificielles. De façon là encore surprenante, il semble que toutes ces sont probablement des dimères formés de
substances soient détectées par le même récepteur. Les récepteurs de la saveur deux protéines T2R différentes. (b) Il n’existe
sucrée sont très similaires à ceux du goût amer, en ce sens qu’ils sont comme qu’un seul type de récepteur des goûts
eux des dimères couplés aux protéines G. Un récepteur de saveur sucrée néces- sucrés, formé par la combinaison d’une pro­
site l’association de deux protéines de type T1R particulières : T1R2 et T1R3 téine T1R2 et d’une autre protéine T1R3. (c) Il
(voir Fig. 8.6). Dans ce cas, si l’une ou l’autre de ces protéines particulières est Bear/Connors/Paradiso Neuroscience
n’existe qu’un seul type de protéine détectant 4e
manquante ou mutée, alors l’animal ainsi traité ne peut plus percevoir la saveur Fig. 08.06
les goûts umami, formé par la combinaison
sucrée. En fait, tous les chats et quelques carnivores n’expriment pas le gène Artist: Dragonfly
d’une protéine T1R1Media
et d’uneGroup
autre de type
encodant pour T1R2 et ces animaux sont ainsi indifférents à toutes sortes de T1R3. 05/17/14 C M Y K
Date:
molécules que nous considérons comme sucrées.
Les substances sucrées se fixent sur le complexe formé par T1R2 +  T1R3,
représentant le récepteur des saveurs sucrées, ce qui a pour conséquence d’acti-
ver la cascade de signalisation impliquant les seconds messagers. Dans ce cas,
le système impliqué est le même que pour les saveurs amères (Fig. 8.7). Mais
268 2 – Systèmes sensoriel et moteur

alors, pourquoi sommes-nous capables de distinguer le sucré des goûts amers ?


La raison est très simple : les récepteurs ne sont pas exprimés par les mêmes cel-
lules gustatives et, par ailleurs, les cellules gustatives portant sélectivement l’une
ou l’autre de ces catégories de récepteurs, ne contactent pas les mêmes fibres
Récepteur couplé gustatives afférentes. Par conséquent, les messages des saveurs sucrées et amères
aux protéines G sont transmis au cerveau selon des processus différents, empruntant des voies
(pour la détection
des saveurs neuronales proches mais distinctes.
amères, sucrées
et umami
Umami (acides aminés).  Les « acides aminés » ne sont peut-être pas au
nombre des goûts que vous citeriez spontanément si l’on vous demandait de
donner la liste de vos goûts préférés. Cependant, il faut se souvenir que les proté-
Cellule ines sont faites d’acides aminés et que ce sont aussi d’excellentes sources d’éner-
Phospholipase C
gustative gie. La plupart des acides aminés ont en fait bon goût, à l’exception de quelques-
uns qui sont amers.
PIP2 Le processus de transduction des signaux correspondant à l’umami est iden-
tique à celui des goûts sucrés, avec une seule exception : le récepteur de l’umami,
IP3
comme celui des saveurs sucrées, est formé de deux sous-unités de la famille des
récepteurs T1R, mais dans ce cas il s’agit de l’association des sous-types T1R1 et
T1R3 (Fig. 8.6). Les récepteurs des saveurs sucrées et umami ont donc en com-
mun la sous-unité protéique T1R3. Par conséquent, c’est l’autre sous-unité T1R
Ca2+ qui va faire la différence et conférer au récepteur gustatif le pouvoir de détecter
Ca2+ 2+
soit des saveurs umami, soit sucrées. Ainsi des souris dont le gène qui encode
Stockage Ca
de Ca 2+ pour le récepteur T1R1 a été inactivé, sont incapables de détecter le glutamate et
Ca2+ Ca2+ d’autres acides aminés ; en revanche, elles conservent une détection des saveurs
sucrées et d’autres goûts.
Ca2+ De façon similaire, la génétique peut conduire à déterminer les préférences
gustatives mais aussi les défauts de perception de certaines saveurs des diffé-
rentes espèces animales. Ainsi la plupart des chauves-souris, par exemple, n’ont
pas de récepteur T1R1 fonctionnel et ne sont donc vraisemblablement pas en
mesure de goûter les acides aminés. Plus encore, les vampires n’expriment pas
de gènes pour les récepteurs détectant à la fois les saveurs sucrées et umami. La
Na+ question se pose alors de savoir pourquoi les ancêtres des chauves-souris, qui
devaient avoir les récepteurs au sucré et à l’umami, les ont perdus ?
Canal ionique Si maintenant on considère globalement cette forte similarité existant dans
des cellules ATP
gustatives les systèmes de détection des saveurs sucrées, amères et umami, il n’est donc pas
surprenant de constater que la cascade de signalisation impliquant les seconds
Canal messagers soit la même dans les trois cas (Fig. 8.7). Mais alors comment est-il
perméable possible de distinguer l’umami des saveurs sucrées et amères ? Là encore, c’est
à l’ATP
l’expression spécifique des récepteurs par des cellules gustatives particulières
Axone des fibres qui va permettre cette discrimination. Nous avons donc bien trois catégories
gustatives de cellules gustatives, chacune spécialisée dans la détection des saveurs umami,
afférentes sucrée ou amère ; et les messages qui en résultent utilisent des fibres gustatives
afférentes différentes pour transférer les informations au cerveau.

Voies centrales du système gustatif


Figure 8.7 – Mécanismes de transduction
pour les saveurs amères, sucrées et l’umami. Pour l’essentiel, l’information gustative passe des bourgeons du goût aux
Les stimuli se fixent directement sur des axones gustatifs primaires, pénètre dans le tronc cérébral, puis remonte jusqu’au
récepteurs membranaires couplés aux pro­ cortex cérébral en passant par le thalamus (Fig. 8.8). Trois nerfs crâniens pré-
téines G, ce qui a pour effet d’activer la phos­ sentent des axones gustatifs primaires et transmettent l’information au cerveau.
pholipase C (PLC). Par voie de conséquence, Les deux tiers antérieurs de la langue et du palais envoient des axones dans la
l’activation de la PLC augmente la synthèse VIIe paire de nerfs crâniens, le nerf facial ; le tiers postérieur de la langue est
d’IP3 dans la cellule réceptrice. L’IP3 va à son
Bear/Connors/Paradiso Neuroscience innervé par la IXe paire, le nerf glossopharyngien ; les axones du goût situés dans
tour provoquer une translocation de calcium 4e
Fig. 08.07 les zones proches de la gorge, la glotte, l’épiglotte et le pharynx se projettent
ionisé à partir de sites de stockage intra­
Artist: Dragonfly
cellulaires, ce qui Media
aura pourGroup
effet l’activation vers la Xe paire de nerfs crâniens, le nerf vague. Ces nerfs sont impliqués dans
Date:
d’un 09/09/14
canal ioniqueC spécifique
M Y K des cellules diverses fonctions sensorielles et motrices mais les axones du goût passent tous
gustatives et, partant, la dépolarisation de la par le tronc cérébral, où ils se regroupent et font synapse dans le noyau gustatif
membrane et la libération du neurotransmet­ représentant une partie du noyau solitaire, dans le bulbe.
teur. Le neurotransmetteur principal est l’ATP, À partir du noyau gustatif, les voies de la gustation divergent. La conscience
sécrété à partir de canaux spécifiques locali­ du goût se trouve probablement assurée par le cortex cérébral. La voie neuro-
sés sur les cellules gustatives. nale qui atteint le néocortex en passant par le thalamus est une voie commune
8 – Sens chimiques 269

Cortex gustatif primaire

VII
Nerf crânien VII

IX
Nerfs crâniens IX
X X

Langue
Épiglotte
(a)
Ventricules
latéraux

Cortex gustatif primaire

Troisième
ventricule
22
Noyau ventral postéromédian (VPM)
Afférences issues du thalamus gauche
de la langue
et l’épiglotte
Quatrième ventricule

Noyau Bulbe
gustatif
gauche
1 Faisceau pyramidal
(b)

Région antérieure de la langue


Noyau
Région postérieure de la langue VPM Cortex gustatif
gustatif
(c) Épiglotte

Figure 8.8 – Voies centrales du système gustatif.


(a) L’information gustative issue de différentes régions de la langue et de la cavité buccale est véhiculée jusqu’au bulbe par trois paires de nerf crânien,
correspondant aux nerfs VII, IX et X. (b) À ce niveau, les axones gustatifs pénètrent dans le noyau gustatif et contactent les neurones de ce noyau
qui envoient à leur tour leurs axones vers le thalamus. À partir du thalamus, les projections gustatives innervent le cortex cérébral et notamment les
zones du gyrus post-central. Les encarts illustrent la localisation des plans de section du niveau bulbaire ① et du cerveau antérieur ②. (c) Résumé de
l’organisation du système gustatif.
270 2 – Systèmes sensoriel et moteur

de l’infor­mation sensorielle. Les neurones du noyau gustatif communiquent par


une synapse avec un ensemble de petits neurones situés dans le noyau ventral
postéromédian (VPM), une région du thalamus qui traite l’information sen-
sorielle provenant de la tête. Les neurones du VPM impliqués dans la gusta-
tion projettent leurs axones vers le cortex gustatif primaire, dans l’aire 36 de
Brodmann, et dans le cortex insulaire. Les voies centrales du système gustatif
vers le thalamus et vers le cortex sont principalement ipsilatérales par rapport
aux nerfs crâniens qui véhiculent les informations. Les lésions du VPM ou du
cortex ­gustatif primaire — à la suite d’un traumatisme, par exemple, — pro-
voquent une agueusie ou perte du sens gustatif.
La perception des saveurs est importante pour certains comportements de
base, comme se nourrir et digérer, ces deux comportements impliquant des
voies du goût supplémentaires. Les cellules du noyau gustatif se projettent vers
diverses zones du tronc cérébral, en grande partie au niveau bulbaire, dans des
régions impliquées dans la déglutition, la salivation, le vomissement ou encore
dans des fonctions physiologiques de base telles que la digestion et la respiration.
L’information gustative atteint aussi l’hypothalamus et certaines parties du cer-
veau reliées au télencéphale basal (structures du système limbique, décrites dans
le chapitre 18). Ces structures sont probablement impliquées dans la perception
de la saveur des aliments et dans la motivation à se nourrir (Encadré 8.2). Des
lésions localisées de l’hypothalamus ou de l’amygdale, un noyau du télencéphale
basal, peuvent pousser l’animal soit à se suralimenter, soit à ignorer la nourriture
ou plus généralement à modifier sa façon de s’alimenter.

Encadré 8.2 FOCUS

Souvenirs d’un repas cauchemardesque…


Lorsque l’un de notre bande d’amis a eu quatorze exemple lumineux ou auditifs, donnés par ailleurs en
ans, il a organisé une petite fête d’anniversaire dans un même temps que la drogue.
parc d’attraction et il en a profité pour déguster l’un de Des travaux très importants ont montré depuis que
ses plats favoris, une friture de clams. Dans l’heure qui a l’apprentissage d’une aversion par l’odeur résulte en une
suivi, il a été pris de nausées, de vomissements, et a pro- forme de mémoire associative particulièrement résistante
bablement effectué son plus mauvais voyage en bus pour au temps. Ce type de mémoire est très efficacement déve-
rentrer à la maison. Vraisemblablement, les clams loppé par la nourriture, où sont associés goût et odeur.
n’étaient pas frais. Tristement, des années après il ne L’aversion se développe très rapidement puisqu’une
pouvait encore même pas imaginer pouvoir à nouveau seule expérience négative suffit à la mettre en mémoire et
manger une friture de clams, et rien qu’à l’odeur il était elle est extrêmement durable puisqu’elle peut se prolon-
pris d’un malaise. Heureusement, cette aversion pour les ger durant des années, parfois plus de 50 ans chez cer-
clams était tout à fait spécifique et il pouvait se nourrir taines personnes. Par ailleurs, l’apprentissage se fait aussi
très correctement avec tout autre chose et participer à même lorsqu’il y a un délai assez long entre la consom-
nos fêtes sans problème. mation de l’aliment et la nausée. Manifestement, cette
Cependant, quelques années plus tard, alors âgé de forme d’apprentissage est très utile dans la vie sauvage.
trente ans, il a pu à nouveau déguster avec plaisir une Un animal peut ainsi se permettre d’apprendre lente-
friture de clams. À ce moment-là, il avait pris connais- ment que des nourritures qu’il rencontre pour la pre-
sance des travaux réalisés des années auparavant par mière fois sont toxiques. Pour l’homme moderne, cela
John Garcia à Harvard Medical School, à l’époque où il pourrait constituer un signal d’alerte. Néanmoins, pour
avait fait son malaise. Garcia avait nourri des rats avec les personnes soumises à des chimiothérapies ou à des
un liquide sucré et dans quelques cas il donnait en plus radiothérapies, l’aversion pour la nourriture est un vrai
une drogue qui rendait les rats rapidement malades. problème. Par ailleurs, sur le plan économique l’aversion
Après une seule expérience de ce genre, les rats dévelop- pour la nourriture a pu être utilisée comme stratégie, par
paient une aversion pour le liquide sucré. Cette aversion exemple pour que les coyotes ne s’attaquent pas aux
était spécifique du type de liquide sucré qui avait été moutons ou encore, dans un autre domaine, pour réduire
donné et n’était pas présente pour d’autres stimuli, par la dépendance à l’alcool ou au tabac.
8 – Sens chimiques 271

Codage neuronal du goût


Pour mettre au point un système de codage des goûts, il faudrait disposer
d’un certain nombre de récepteurs spécifiques de plusieurs goûts de base (sucré,
salé, acide, amer, chocolat, banane, mangue, viande de bœuf, fromage, etc.).
Puis, au moyen de différents ensembles d’axones, des connexions seraient éta-
blies entre chaque type de récepteurs et certains neurones du cerveau qui répon-
draient eux aussi sélectivement à un seul goût. Dans la voie vers le cortex, on
pourrait ­s’attendre à trouver des neurones aux fonctions spécifiques, répondant
au sucré ou au goût du chocolat, si bien que la saveur d’une glace au chocolat
impliquerait l’activation des cellules concernées et non de celles qui sont sen-
sibles au salé, à l’acide et au goût de la banane.
Ce concept, que l’on peut qualifier d’hypothèse des lignes de signaux spéci-
fiques, paraît simple et rationnel. A l’origine du système gustatif se trouvent les
cellules réceptrices des différents goûts, une façon d’identifier une voie de trans-
fert de signaux spécifiques. Comme nous l’avons vu, ces récepteurs gustatifs sont
souvent sélectivement sensibles à une classe particulière de stimuli : sucré, amer
ou umami. Quelques-uns d’entre eux, cependant, sont moins centrés sur un seul
de ces stimuli et présentent ainsi une moindre sélectivité dans leur réponse. Par
exemple, ils peuvent à la fois être stimulés par le salé et l’acide (voir Fig. 8.3). La
spécificité des axones primaires du goût est encore moindre que celle des cellules
réceptrices, de nombreux neurones centraux du système gustatif apparaissant
non spécifiques tout le long des voies allant vers le cortex. En d’autres termes, la
réponse d’une cellule donnée est souvent ambiguë en ce qui concerne la saveur
d’un aliment particulier.
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les cellules du système gus-
tatif sont de caractère si peu spécifique. Si une cellule réceptrice présente par
exemple deux mécanismes de transduction différents, elle répondra à deux sortes
de saveurs (elle peut aussi répondre plus fortement à l’une des deux). De plus, il y
a convergence des informations issues des cellules réceptrices sur les axones affé-
rents. Chaque récepteur communique par une synapse avec un axone gustatif
primaire, qui reçoit aussi des informations de plusieurs autres récepteurs, dans
une papille donnée aussi bien que dans les papilles voisines. Ceci signifie qu’un
axone peut combiner les informations gustatives issues de plusieurs papilles.
Si l’un de ces récepteurs est particulièrement sensible aux stimuli acides et un
autre aux stimuli salés, alors l’axone répondra à l’acidité et au salé. Le même
schéma est transposable au cerveau : les neurones du noyau du faisceau solitaire
reçoivent les synapses de plusieurs axones aux différentes spécificités gustatives
et ils deviennent ainsi encore moins sélectifs des goûts que les axones primaires.
Ce mélange des informations gustatives peut apparaître comme un handicap
pour la mise au point d’un système de codage. Pourquoi ne pas utiliser un sys-
tème de détection plus hautement spécifique ? La réponse est complexe mais on
peut considérer d’abord que la quantité des récepteurs concernés par la détec-
tion des goûts serait alors considérable ; et en dépit de cela la détection de nou-
veaux goûts ne serait pas garantie… Lorsque l’on mange une glace au chocolat,
comment le cerveau peut-il finalement reconnaître dans toute cette information
apparemment ambiguë la saveur qui distingue le chocolat de tant d’autres possi-
bilités ? La réponse à cette question est qu’il s’agit sans doute d’une organisation
comprenant un marquage grossier et un codage de population, dans laquelle les
réponses d’un grand nombre de neurones largement sollicités plutôt qu’un petit
nombre de neurones précisément activés sont utilisés pour définir les caractéris-
tiques de chaque stimulus particulier, tel qu’un goût donné.
Il semble que de tels codages de population se retrouvent dans tous les sys-
tèmes sensoriels et moteurs du cerveau, comme cela sera évoqué dans les cha-
pitres suivants. En ce qui concerne la gustation, les récepteurs ne sont pas sen-
sibles à tous les goûts et même répondent de façon plutôt sélective et parfois
strictement à un seul type de stimulus. Les axones gustatifs et les neurones qu’ils
activent dans le cerveau tendent à répondre de façon plus diffuse, par exemple
fortement à un stimulus amer, plus légèrement à un stimulus acide et salé et pas
du tout à un stimulus sucré (voir Fig. 8.4). Ce n’est seulement que par l’activation
272 2 – Systèmes sensoriel et moteur

d’une large population de récepteurs gustatifs présentant différents patterns de


décharge que le cerveau pourra alors distinguer entre plusieurs goûts. Un type
d’aliment va activer une certaine population de neurones, quelques-uns déchar-
geant de façon intense, d’autres plus modérément, d’autres encore pas du tout et
jusqu’à des cellules qui peuvent même voir leur activité spontanée être inhibée ;
un autre aliment excite des neurones eux-mêmes déjà sensibles au premier ali-
ment mais aussi d’autres neurones non concernés par le premier aliment. C’est à
tel point que la population des neurones concernés peut aller jusqu’à être activée
par des odeurs, la température ou encore la texture d’un aliment. De ce point
de vue, il est certain que le côté glacé et crémeux d’une glace au chocolat, par
exemple, contribue à faire la différence avec les sensations provoquées par un
gâteau au chocolat…

Olfaction
L’olfaction apporte des informations plaisantes mais aussi beaucoup de
désagréables. En se combinant au goût, elle permet de reconnaître les aliments
et accroît le plaisir de les déguster. Mais elle avertit aussi que des substances
sont potentiellement dangereuses (viande avariée) ou que nous nous trouvons
dans des endroits désagréables (odeur de fumée). Dans l’olfaction, les informa-
tions désagréables ont tendance à supplanter celles relatives aux odeurs plai-
santes ; d’après certaines estimations, l’odeur de plusieurs centaines de milliers
de substances est perceptible mais seulement 20 % environ de ces substances
ont une odeur agréable. L’expérience acquise renforce les capacités olfactives
et les parfumeurs professionnels (appelés « des nez »), ainsi que les fabricants
de whisky d’ailleurs, sont par exemple capables de faire la différence entre des
milliers d’odeurs différentes.
L’olfaction constitue aussi un mode de communication. Les substances
chimiques libérées par le corps, appelées phéromones (du grec pherein : porter et
horman : exciter), représentent des signaux importants pour les comportements
liés à la reproduction, permettent de marquer un territoire, l’identification des
individus et indiquent encore l’agression ou la soumission. Bien que les systèmes
de phéromones soient bien développés chez de nombreux animaux, leur rôle
chez l’homme est encore mal connu (Encadré 8.3).

Organes de l’olfaction
Ce n’est pas par le nez que nous sentons les odeurs. C’est plutôt grâce à une
fine couche de cellules située en haut de la cavité nasale, l’épithélium olfactif
(Fig. 8.9). Il y a trois types principaux de cellules dans l’épithélium olfactif. Les
cellules olfactives réceptrices sont le site de la transduction. Contrairement aux
cellules réceptrices du goût les récepteurs olfactifs sont de véritables neurones,
projetant leurs propres axones dans le système nerveux central. Les cellules de
soutien sont comparables aux cellules gliales ; elles contribuent en particulier à
la production du mucus. Les cellules basales sont à l’origine de la production
de nouvelles cellules réceptrices. Les récepteurs olfactifs (comme les récepteurs
gustatifs) croissent continuellement, meurent, puis se régénèrent en un cycle qui
dure de 4 à 8 semaines. En fait, les cellules olfactives réceptrices font partie des
quelques rares types de neurones du système nerveux qui sont régulièrement
remplacés au cours de la vie.
En respirant, l’air pénètre au travers du conduit nasal mais seul un faible
pourcentage de cet air passe sur l’épithélium olfactif. L’épithélium exsude une
fine couche de mucus, qui s’écoule constamment et se reforme toutes les 10 min.
Les stimuli chimiques contenus dans l’air, ou substances odorantes, se dissolvent
dans la couche de mucus avant d’atteindre les cellules réceptrices. Le mucus est
composé d’une base d’eau contenant des mucopolysaccharides en solution (lon-
gues chaînes de sucres), une variété de protéines comprenant des anticorps, des
enzymes et des protéines de liaison des stimuli odorants, et des sels. Les anticorps
présents dans le mucus jouent un rôle critique car les cellules olfactives sont
8 – Sens chimiques 273

Encadré 8.3 FOCUS

Existe-t-il des phéromones chez l’homme ?


« Les odeurs, plus sûrement que les sons et les visions, vous brisent le cœur. »
Rudyard Kipling

Les odeurs influencent certainement l’émotion et font qui avait accepté de ne pas se laver le visage pendant au
naître des souvenirs. Mais quel rôle ont-elles sur le com- moins six heures. Bien entendu, les sujets du groupe
portement humain ? Chaque homme a une odeur particu- receveur n’étaient pas informés de l’origine des cotons et
lière, qui marque son identité aussi sûrement que ses ne percevaient consciemment aucune odeur, à l’excep-
empreintes ou ses gènes. En fait, les différences d’odeurs tion de celle de l’alcool utilisé pour les prélèvements. Les
corporelles sont probablement inscrites dans les gènes. Des résultats ont montré qu’en rapport avec la phase du
chiens aussi performants que les bloodhounds ont beau- cycle menstruel du donneur correspondant, le cycle du
coup de difficulté à distinguer les odeurs de vrais jumeaux, receveur s’allongeait ou, au contraire, se raccourcissait.
mais non celles d’animaux d’une même portée. Pour cer- Ces données montrent que les humains, comme les ani-
tains animaux, l’identité par l’odeur est un fait essentiel : à maux, peuvent échanger des informations à l’aide de
la naissance de l’agneau un souvenir de son odeur spéci- phéromones.
fique se forme chez la brebis, créant un lien durable entre De nombreux animaux proches des hommes ont
eux fortement fondé sur des caractères olfactifs. Chez une recours à un système olfactif accessoire pour détecter les
souris femelle que l’on vient d’inséminer, l’odeur du mâle phéromones et induire diverses attitudes de comporte-
étranger (et non celle de son partenaire récent, dont elle se ment social impliquant la mère, le mâle, le territoire ou
souvient) peut déclencher un avortement. la nourriture. Le système accessoire est parallèle au sys-
L’homme a la faculté de reconnaître l’odeur de ses tème olfactif primaire. Il correspond à une région chimi-
propres semblables. Dès le sixième jour, les nouveau-nés quement sensible située dans la cavité nasale, l’organe
montrent une nette préférence pour l’odeur du sein de voméronasal, qui se projette sur le bulbe olfactif acces-
leur mère par rapport au sein d’autres mères. À leur soire et transmet par là des informations à l’hypotha-
tour, les mères sont capables d’identifier l’odeur de leur lamus. On a longtemps pensé que l’organe voméronasal
nourrisson parmi plusieurs autres. était absent ou à l’état de vestige chez l’homme mais des
Il y a de cela environ une trentaine d’années, Martha recherches récentes indiquent qu’il existe bien chez
McClintock rapporta le fait que des jeunes femmes qui l’adulte. Sa fonction précise n’est cependant pas claire et
passaient beaucoup de temps ensemble, tel que dans des même la présence de neurones à ce niveau est parfois
dortoirs de pensionnats, observaient souvent une syn- contestée.
chronisation de leur cycle menstruel. Cet effet de syn- Napoléon Bonaparte, dans une lettre à Joséphine, lui
chronisation maintenant bien connu implique probable- demandait de ne pas prendre de bain les deux semaines
ment les phéromones. En 1998, Martha McClintock et précédant leur rencontre, afin qu’il puisse se délecter de
Kathleen Stern, à l’Université de Chicago, montrèrent son parfum naturel… Le parfum d’une femme peut être
que des produits inodores d’un groupe de femmes qua- un véritable excitant pour les hommes ayant une cer-
lifié de « donneur » pouvaient influencer la survenue des taine expérience sexuelle, probablement en raison d’as-
cycles d’autres femmes, d’un groupe « receveur ». Les sociations acquises. Mais il n’est pas encore clairement
produits efficaces pour provoquer ces modifications des démontré chez l’homme que des phéromones puissent
dates de survenue des cycles menstruels étaient prélevés favoriser l’attirance sexuelle (quel que soit le sexe) via
sous les aisselles, à l’aide d’un coton placé pendant au des mécanismes innés. Cependant, étant donné les
moins huit heures. Les cotons ainsi imbibés de sueur implications commerciales qu’aurait une telle substance,
étaient ensuite placés sous le nez du groupe receveur, les recherches vont certainement se poursuivre.

parfois la voie directe par laquelle certains virus (comme le virus de la rage) et
les bactéries, pénètrent dans le cerveau. Les protéines de liaison des stimuli odo-
rants sont également très importantes, puisqu’elles vont contribuer à concentrer
les odeurs dans le mucus.
La surface de l’épithélium olfactif constitue un indicateur de l’acuité olfac-
tive d’un animal. L’homme a un sens olfactif plutôt faible (bien qu’il soit capable
de détecter certaines substances odorantes à des concentrations très faibles). La
surface de l’épithélium olfactif chez l’homme est seulement d’environ 10 cm2.
L’épithélium olfactif de certains chiens, en revanche, peut dépasser 170 cm2
et l’épithélium comprend 100 fois plus de récepteurs au cm2 chez le chien que
274 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Bulbe olfactif Cerveau


Nerf olfactif

Plaque Plaque cribriforme


cribriforme
Cellules basales
Épithélium
olfactif Récepteurs olfactifs

Cellules de soutien

Cils
Air inhalé des récepteurs olfactifs

Palais Couche de mucus


(a) (b)

Figure 8.9 – (a) Localisation et (b) structure de l’épithélium olfactif.


L’épithélium olfactif est constitué d’une couche de récepteurs olfactifs, de cellules de soutien et de
cellules basales. Les odeurs se dissolvent dans la couche de mucus qui recouvre cet épithélium et
entrent en contact avec les cils des récepteurs. Les axones de ces récepteurs pénètrent directe­
ment dans le cerveau au travers de la plaque cribriforme.

chez l’homme. Ainsi, en reniflant les odeurs du sol, les chiens sont capables de
détecter les quelques molécules laissées par une personne trois heures avant ; en
revanche, l’homme est parfois seulement capable de sentir le chien quand il lui
lèche le visage.

Récepteurs olfactifs neuronaux


Les récepteurs olfactifs présentent une dendrite unique, fine, qui se termine
par un petit bouton à la surface de l’épithélium (Fig. 8.9). À l’intérieur de la
couche de mucus, de longs cils très fins ondulent à partir du bouton. Les sti-
muli odorants dissous dans le mucus se fixent à la surface des cils et activent le
processus de transduction. Sur la face opposée de la cellule réceptrice olfactive
se trouve un axone très fin, sans gaine de myéline (amyélinique). En se regrou-
pant, les axones olfactifs forment le nerf olfactif (ou Ire paire de nerfs crâniens).
Les axones olfactifs ne cheminent pas tous ensemble comme un nerf unique,
contrairement aux autres nerfs crâniens. Plutôt, après avoir quitté l’épithélium,
des petits paquets de ces axones ainsi regroupés pénètrent à plusieurs endroits
d’une fine partie osseuse, la plaque cribriforme, puis se projettent dans le bulbe
olfactif (Fig. 8.9). Les axones olfactifs sont fragiles et lors de traumatismes la
pression qui s’exerce entre la plaque cribriforme et les tissus environnants peut
rompre les axones olfactifs définitivement. La conséquence est l’anosmie, ou
perte de l’olfaction.
Transduction olfactive.  Alors que les récepteurs du goût utilisent plusieurs
systèmes moléculaires de transduction, les récepteurs olfactifs n’en utilisent
apparemment qu’un seul (Fig. 8.10). Toutes les molécules impliquées dans la
transduction sont situées dans les petits cils. Ainsi la voie olfactive la plus connue
peut être schématisée comme suit :
Odeur →
Fixation à la membrane d’un récepteur aux odeurs spécifique →
Activation de l’adénylate cyclase →
Formation d’AMPc →
Fixation de l’AMPc à un canal cationique sensible aux nucléotides cycliques →
Ouverture du canal cationique permettant l’entrée des ions Na+ et Ca2+ →
Ouverture de canaux chlore sous l’effet de l’augmentation
de la concentration de Ca2+ →
Dépolarisation de la membrane du récepteur (potentiel de récepteur)
8 – Sens chimiques 275

Dépolarisation
membranaire

Vers Dendrite des


le bulbe olfactif récepteurs
olfactifs
Cl– Cl–

Ca2+

Récepteur Ca2+ Na+ Ca2+ Na+


olfactif

Protéine Golf

Adényl
cyclase Protéine
réceptrice
Mucus de l’odeur
Cil des récepteurs Cil des récepteurs olfactifs
olfactifs
Molécules odorantes

Figure 8.10 – Mécanismes de transduction des odeurs du système olfactif des vertébrés.


Ce schéma représente un cil d’un récepteur olfactif et les mécanismes qui sous-tendent la trans­
duction des signaux chez les vertébrés. Golf représente une protéine G particulière spécifiquement
localisée dans les récepteurs olfactifs.

Lorsque les canaux sélectifs pour les cations sensibles à l’AMPc sont ouverts,
le flux du courant est entrant et la membrane du neurone olfactif est dépolarisée
(Fig. 8.10 et 8.11). Avec les ions Na+, le canal sensible à l’AMPc laisse entrer
une grande quantité d’ions Ca2+ dans les cils. Un courant chlore activé par le
Ca2+ pourrait ensuite amplifier le potentiel du récepteur olfactif. Ceci est une
différence par rapport à l’effet habituel des courants Cl– qui, en général, inhibent
les neurones. (De fait, dans les cellules olfactives, la concentration interne en Cl–
doit être exceptionnellement élevée pour qu’un courant Cl– soit susceptible de
dépolariser plutôt que d’hyperpolariser la membrane). Si le potentiel de récep-
teur ainsi initié présente une valeur assez élevée, il atteindra le seuil des potentiels
d’action dans le corps cellulaire et des décharges se propageront tout le long de
l’axone jusqu’au SNC (Fig. 8.11).
La réponse olfactive peut prendre fin pour diverses raisons : soit les stimuli
odorants ne diffusent plus jusqu’à l’épithélium nasal, soit il arrive souvent que
des enzymes présentes dans la couche de mucus les détruisent ou encore que
l’AMPc dans la cellule réceptrice active d’autres voies de transmission, interrom-
pant le processus de transduction. Même en présence d’un stimulus persistant,
cependant, en général l’intensité de l’odeur diminue progressivement. Cela se
produit car les récepteurs eux-mêmes présentent une adaptation rapide à l’odeur,
en environ une minute. Cette diminution rapide de la réponse des neurones alors
même que le stimulus persiste est nommée adaptation. Nous verrons plus loin
qu’il s’agit d’une propriété commune à de nombreux systèmes sensoriels.
La voie de transmission des signaux de l’olfaction présente ainsi deux traits
inhabituels : les protéines de liaison de la substance chimique interviennent au
début du processus, et les canaux sensibles à l’AMPc, juste avant la fin.
Récepteurs olfactifs neuronaux.  Les protéines du récepteur olfactif pré-
sentent des sites de liaison pour les stimuli odorants sur leur surface extracel-
lulaire. Parce que vous êtes capable de discriminer plusieurs milliers d’odeurs
vous devez admettre que vous possédez des milliers de récepteurs représentant
autant de protéines différentes. C’est en effet ainsi que cela se passe, des travaux
récents montrant que le nombre de ces récepteurs est effectivement très impor-
tant. Linda Buck et Richard Axel, de Columbia University, ont montré en 1991
qu’il existe plus de 1 000 gènes différents de protéines de liaison pour les stimuli
276 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Nerf olfactif

50 mV

Potentiels
Récepteur d’action
olfactif

50 mV

Figure 8.11 – Enregistrements des diffé- Dendrite


rentes parties d’un récepteur olfactif lors
d’une stimulation par une odeur. Potentiel
Les odeurs génèrent une variation lente de de récepteur
Cils
potentiel de la membrane des cils ; ce poten­
tiel de récepteur se propage le long des den­
drites et déclenche une série de potentiels 50 mV
d’action au niveau du soma du récepteur
olfactif ; finalement, les potentiels d’action
(mais pas le potentiel de récepteur) se pro­
pagent le long du nerf olfactif, jusqu’au cer­
Odeurs 1s
veau.

odorants chez les rongeurs, ce qui en fait la plus grande famille de gènes jamais
découverte. Cette découverte a valu à Buck et Axel de se voir décerner le prix
Nobel en 2004.
Les hommes ont moins de gènes encodant pour les récepteurs olfactifs que 
les
rongeurs – environ 350 encodant des récepteurs olfactifs fonctionnels – mais cela
fait encore beaucoup. Les gènes encodant les récepteurs olfactifs représentent
entre 3 et 5 % du total du génome des mammifères. Ces gènes sont dispersés
dans le génome et à peu près chaque chromosome porte au moins quelques-uns
d’entre eux. Chaque gène de ces récepteurs présente une structure unique, ce
qui permet aux protéines ainsi synthétisées de fixer plusieurs types de stimuli
odorants. 
Il est également surprenant de constater que chaque cellule olfactive
paraît n’exprimer qu’un nombre très restreint de ces récepteurs, dans certains
cas juste un seul. Ainsi, chez la souris il existe plus de 1 000 types différents
Surface médiane de cellules réceptrices, chacune exprimant un seul gène particulier. L’épithélium
olfactif est organisé en quelques grandes régions et chaque région contient les
cellules exprimant un type donné de récepteur olfactif (Fig. 8.12). À l’intérieur
de chacune de ces zones, les cellules sont dispersées au hasard (Fig. 8.13a).
Les neurones récepteurs de l’organe voméronasal de la souris, du chien, du
chat et de nombreux autres mammifères expriment leur propre jeu de pro­téines-
récepteurs. La structure des protéines des récepteurs olfactifs et de celles de
l’organe voméronasal est, de façon surprenante, assez différente. Il y a en fait
beaucoup moins de récepteurs dans l’organe voméronasal (environ 180 chez la
souris et peut-être aucun chez l’homme) qu’il n’y a de protéines impliquées dans
les fonctions olfactives. La nature des stimuli des récepteurs de l’organe vomé-
Gènes du groupe 1 ronasal reste encore très mystérieuse, même s’il est vraisemblable que certains
Gènes du groupe 2 d’entre eux sont des phéromones (voir Encadré 8.3).
Gènes du groupe 3 Comme dans le cas des récepteurs du goût, les protéines réceptrices olfac-
tives appartiennent à une « superfamille » de protéines dont tous les membres
Figure 8.12 – Expression différentielle de contiennent dans leur structure sept hélices alpha transmembranaires, la super-
­différentes protéines olfactives au sein de
famille des récepteurs couplés aux protéines G. Cette superfamille de protéines
l’épithélium olfactif chez la souris.
comprend aussi une variété de récepteurs des neurotransmetteurs, comme nous
Dans ce cas, trois groupes de gènes sont
reportés sur le schéma, chacun ayant un ter­ l’avons décrit dans le chapitre 6 ainsi qu’aux récepteurs gustatifs des saveurs
ritoire d’expression différent de l’autre, sans amères, sucrées et umami décrites plus haut dans ce chapitre. Toutes ces protéines
chevauchement. (Source : adapté de Ressler sont associées à des protéines G qui, à leur tour, transmettent un signal à d’autres
et al., 1993, p. 602.) systèmes de seconds messagers à l’intérieur de la cellule. Les récepteurs sensoriels
8 – Sens chimiques 277

olfactifs utilisent une forme particulière de protéines G dénommée Golf. Il existe


de plus en plus d’évidences que le seul second messager impliqué dans la trans-
duction des informations olfactives chez les vertébrés est l’AMPc. Par exemple,
des travaux récents utilisant les méthodes d’inactivation génique chez la souris
montrent que l’absence de certaines protéines de ces cascades, par exemple de
Golf, rend les souris anosmiques pour une large gamme de stimuli olfactifs.
Canaux ioniques dépendants de l’AMPc. L’AMPc est un messager com-
mun dans les neurones mais son action dans la transduction olfactive est tout à
fait exceptionnelle. En 1987, Tadashi Nakamura et Geoffrey Gold, deux cher-
cheurs de Yale University, ont montré qu’une certaine population de canaux
des cils des cellules olfactives répond directement à l’AMPc ; autrement dit,
ces canaux sont sensibles à l’AMPc. Comme cela sera développé dans le cha-
pitre 9, des canaux sensibles aux nucléotides contribuent aussi à la transduction
visuelle. Ce fait démontre une nouvelle fois que la biologie est conservatrice, que
l’évolution recycle ses bonnes idées. Ainsi, sentir et voir font appel à quelques
mécanismes moléculaires très semblables (Encadré 8.4). Mais comment les
quelque 1 000 sous-types de récepteurs olfactifs utilisés par la souris peuvent-
ils discriminer entre des dizaines de milliers d’odeurs différentes ? Comme dans
le cas de la gustation, l’olfaction implique un codage d’informations au niveau
de populations de neurones. Chaque protéine-récepteur s’associe plus ou moins
sélectivement à un stimulus, de telle manière que la cellule réceptrice en question
réponde principalement à l’un des stimuli (Fig. 8.13b). Quelques cellules sont
assez sélectives par rapport à la nature chimique de ces stimuli mais, en général,
elles répondent plutôt sans trop de discrimination. Par conséquent, chaque type
de stimulus active un grand nombre de ces quelque 1 000 récepteurs différents.
La concentration du stimulus est également un facteur important. Plus l’odeur

Épithélium olfactif

(a)

Citron

Fleur Figure 8.13 – Codage des informations


olfactives au niveau d’un récepteur olfactif.
(a) Chaque cellule réceptrice exprime un seul
type de récepteurs olfactifs (représentés ici
par des couleurs différentes) et différentes cel­
Menthe lules sont dispersées au hasard dans l’épithé­
lium. (b) Enregistrement par microélectrode
de l’activité de 3 cellules réceptrices montrant
que chacune d’entre elles répond à plusieurs
odeurs à la fois, mais avec des préférences.
Amande En mesurant les réponses de ces 3 cellules,
Récepteur 1 Récepteur 2 Récepteur 3 il est ainsi possible de distinguer les quatre
(b) odeurs présentées.
278 2 – Systèmes sensoriel et moteur

est forte, plus elle a tendance à stimuler de récepteurs et à produire une réponse
importante des voies olfactives. Ainsi, chaque cellule réceptrice olfactive reçoit
des informations assez ambiguës vis-à-vis de la nature du stimulus et de son
intensité. C’est alors aux voies olfactives centrales d’utiliser l’ensemble de l’infor­
mation disponible à partir de l’épithélium pour décoder le message transmis par
la population de neurones et identifier l’odeur.

Encadré 8.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Canaux ioniques de la vision et de l’olfaction


Par Geoffrey Gold

La découverte dans les cellules (et probablement d’autres…) avons pensé


réceptrices olfactives des canaux ioniques, qu’il pouvait exister dans les cils olfactifs des
dont la conductance est dépendante de canaux ioniques dépendants de ces nucléo-
l’AMPc, donne un bel exemple de la façon tides cycliques. De fait, il existe de nom-
avec laquelle une certaine orthodoxie scien- breuses similarités entre les mécanismes de
tifique peut constituer un frein au progrès. transduction des signaux dans les systèmes
Ironiquement, l’histoire commence avec visuel et olfactif, suggérant une dimension
une série de travaux sur la vision. C’est en évolutive commune entre les photorécep-
1971 que les travaux les plus sérieux sur la teurs et les récepteurs olfactifs. Nous avons
transduction du signal visuel ont réellement Geoffrey Gold donc émis l’hypothèse de mécanismes com-
débuté, avec la démonstration que l’illumina- muns contribuant à la transduction du signal
tion de la rétine se traduisait par la métabolisation du dans les deux types de récepteurs sensoriels. Mais nous
GMPc (guanosine monophosphate cyclique) dans les n’ignorions pas que les mécanismes de cette transduction
photorécepteurs. Mais ce n’est qu’en 1985 que l’utilisa- du signal étaient présents sur les cils des cellules olfactives,
tion des méthodes de patch-clamp a permis de démontrer des structures de taille d’environ 0,2 μm de diamètre. Ces
les effets directs du GMPc sur les conductances ioniques cellules n’avaient jamais fait l’objet d’études en patch-
des photorécepteurs. Ce long délai entre ces deux études clamp et la plupart des personnes à qui j’en ai parlé à
ne traduit évidemment pas un quelconque désintérêt des l’époque m’ont dit qu’il serait impossible d’exciser des
chercheurs pour le sujet car, de fait, pendant tout ce patchs de ces cils. Notre entêtement nous a entraînés à
temps une bonne douzaine de laboratoires travaillaient imaginer que nous y arriverions à la condition d’avoir des
sur cette question de la transduction du signal visuel. pipettes de patch-clamp présentant des pointes plus fines
Mon sentiment est plutôt que l’idée rapidement acceptée que les cils. Finalement, cela s’est avéré assez simple, en
que les nucléotides cycliques agissaient dans les cellules utilisant des pipettes dont la pointe était juste un peu plus
par des cascades de réactions de phosphorylation-­ longue que la normale. A partir du moment où nous
déphosphorylation, a détourné les chercheurs d’une avons pu fixer correctement ces pipettes d’un nouveau
action potentielle directe des nucléotides cycliques sur les genre à nos cils, nous avons pu réaliser des enregistre-
canaux ioniques. Les effets du GMPc sur les conduc- ments tout à fait corrects des canaux ioniques qu’ils pré-
tances ioniques des photorécepteurs ont été découverts sentaient.
par un groupe de chercheurs travaillant à l’époque en L’aspect le plus ironique de cette histoire est que la
Union Soviétique, possiblement parce que ces chercheurs découverte des canaux ioniques liés aux photorécep-
étaient moins soumis que d’autres aux dogmes des pays teurs a été faite par le groupe de E. E. Fesenko qui était
occidentaux… spécialiste des récepteurs olfactifs, alors que notre
La découverte de l’effet des nucléotides cycliques sur propre domaine d’intérêt était initialement la pho-
les récepteurs olfactifs par Tadashi Nakamura et moi- totransduction ! Une belle illustration encore de l’inté-
même illustre bien que, de temps en temps, il est nécessaire rêt qu’il y a dans la recherche à ne pas hésiter à aller d’un
d’entendre les battements du tambour ! Après que soit domaine à un autre. Pour finir, j’aime aussi souligner le
découverte en 1985 une adényl cyclase stimulée par des fait que notre projet n’aurait probablement jamais été
stimuli odoriférants, quelques mois seulement après la subventionné par une agence de financement classique
découverte des photorécepteurs sensibles au GMPc, nous car sa faisabilité était hautement improbable.
8 – Sens chimiques 279

Bulbe olfactif Nerf olfactif


Glomérule Neurone olfactif
de second ordre

Figure 8.14 – Localisation et structure du
bulbe olfactif.
Les axones des récepteurs olfactifs pénètrent
dans le cerveau par la plaque cribriforme et
atteignent le bulbe olfactif. À ce niveau, les
axones se ramifient considérablement et
contactent les neurones olfactifs de second
ordre présents à l’intérieur des glomérules.
Ces neurones du bulbe olfactif distribuent
Plaque Récepteurs olfactifs ensuite l’information olfactive dans d’autres
cribriforme régions du système nerveux.

Voies olfactives centrales


Les axones des neurones des récepteurs olfactifs se projettent dans les deux
bulbes olfactifs (Fig. 8.14). Les bulbes sont un monde fascinant pour les scienti-
fiques, présentant des arrangements dendritiques extraordinaires, des synapses
réciproques uniques, avec un niveau élevé de neurotransmetteurs exotiques. La
couche du bulbe où s’organisent les afférences olfactives à chaque bulbe contient
un grand nombre de structures sphériques (environ 2 000), les glomérules, dont
le diamètre de chacun est de l’ordre de 50 à 200 μm. À l’intérieur d’un glomérule,
environ 25 000 axones olfactifs primaires (les axones des cellules réceptrices)
convergent et se terminent sur les dendrites d’environ 100 neurones olfactifs,
qualifiés de neurones de second ordre.
Des études récentes montrent que l’organisation des projections des cellules
réceptrices de l’épithélium dans les glomérules est étonnamment précise. Chaque
glomérule reçoit les axones des cellules réceptrices à partir d’une large zone de
l’épithélium olfactif. L’utilisation des techniques de la biologie moléculaire pour
identifier les gènes des récepteurs olfactifs présents dans ces populations de cel-
lules réceptrices chez la souris montre que, pour chacune de ces cellules n’ex-
primant qu’un seul sous-type de récepteur olfactif (dans l’exemple ce gène est
dénommé P2), les axones convergent sur seulement deux glomérules de chaque
bulbe olfactif, dont l’un est illustré dans la figure 8.15a. On ne trouve pas d’axone
en dehors de ces deux glomérules, ce qui est absolument remarquable compte
tenu de nos connaissances encore limitées des mécanismes du développement
des voies nerveuses (voir chapitre 23).
Cette organisation précise existe aussi entre les deux bulbes olfactifs : cha-
cun des deux bulbes olfactifs ne présente que deux seuls glomérules recevant les
axones des neurones exprimant P2 et ces glomérules sont situés de façon parfai-
tement symétrique (Fig. 8.15b). De plus, cette organisation se retrouve d’un ani-
mal à l’autre, c’est-à-dire que les glomérules recevant l’information P2 occupent
sensiblement la même place chez toutes les souris. Finalement, il semble aussi
que chaque glomérule ne reçoive d’information que d’un seul sous-type de récep-
teur olfactif particulier. Cela implique que l’arrangement des glomérules dans le
bulbe olfactif est une représentation très organisée de la distribution des cellules
exprimant des récepteurs olfactifs différents de l’épithélium olfactif (Fig. 8.16),
permettant en quelque sorte d’avoir dans le bulbe olfactif une cartographie pré-
cise de l’information relative à chaque odeur.
L’information olfactive est modifiée par de multiples et complexes interac-
tions inhibitrices et excitatrices à l’intérieur des bulbes. Les neurones des bulbes
olfactifs sont aussi soumis à l’effet modulateur de systèmes neuronaux prove-
280 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Épithélum Bulbe
olfactif olfactif

Axone
d’une cellule
réceptrice
olfactive

Bulbe
Glomérule olfactif
olfactif

Axone
d’une cellule
réceptrice
olfactive

(b)
Soma d’une cellule
réceptrice olfactive Glomérules recevant des axones des cellules
réceptrices olfactives exprimant le sous-type
(a) de récepteur olfactif P2

Figure 8.15 – Convergence des axones du nerf olfactif dans le bulbe olfactif.


Les neurones de l’épithélium olfactif exprimant un type de récepteur particulier envoient leurs
Bear/Connors/Paradiso Neuroscience 4e
axones dans le même glomérule. (a) Chez la souris, les neurones exprimant le gène du récep­
Fig. 08.15 teur P2 sont marqués en bleu et chaque neurone envoie son axone vers le même glomérule du
Artist: Dragonfly Media Group bulbe olfactif. Dans cette image, un seul glomérule avec des axones marqués par le gène du récep­
Date: 04/15/14 C M Y K teur P2 est visible. (b) Lorsque les deux bulbes olfactifs sont présents sur la même coupe histolo­
gique coronale, il est possible de voir que les axones correspondant aux neurones qui expriment le
gène du récepteur P2 projettent de façon symétrique sur les glomérules des deux bulbes olfactifs.
(Source : adapté de Mombaerts et al., 1996, p. 680.)

Bulbe olfactif

Glomérule

Épithélium olfactif

Cellules réceptrices olfactives

Figure 8.16 – Organisation spécifique des projections des cellules réceptrices olfactives de


l’épithélium olfactif dans le bulbe olfactif.
Chaque glomérule reçoit des informations issues seulement des cellules réceptrices de l’épithélium
olfactif exprimant le même sous-type de récepteur olfactif. Sur le schéma, 
les différentes popula­
tions de neurones olfactifs sont représentées par des couleurs différentes.
8 – Sens chimiques 281

Thalamus

Noyau
Cortex
médiodorsal
orbitofrontal

Vers le cortex
olfactif et structures
Tubercule associées du lobe
Bulbe olfactif olfactif temporal
Tractus olfactif
Cellule olfactive réceptrice

Figure 8.17 – Voies olfactives centrales.


Les axones des fibres du tractus olfactif forment plusieurs branches qui innervent diverses parties
du système nerveux, incluant le cortex olfactif. Le néocortex est atteint seulement à partir d’une
projection qui passe par le noyau médiodorsal du thalamus.

nant d’autres régions du cerveau. Si l’organisation des circuits neuronaux dans


les bulbes olfactifs est manifestement essentielle pour le traitement des infor-
mations olfactives, leur rôle précis reste néanmoins relativement incompris.
Une telle organisation contribue à la ségrégation des odeurs entre de larges
catégories, indépendamment de leur intensité et de leurs possibles interférences.
L’identification finale et précise de l’odeur nécessite en revanche très probable-
ment l’intervention des autres structures du système olfactif.
Plusieurs structures cérébrales reçoivent des informations olfactives. Les
axones de sortie du bulbe olfactif constituent les tractus olfactifs, qui projettent
directement dans quelques-unes de ces cibles, dont certaines sont illustrées par la
figure 8.17. Parmi les cibles les plus importantes, on trouve des régions très pri-
mitives du cortex cérébral formant le cortex olfactif et des régions avoisinantes
du lobe temporal. Une telle organisation anatomique rend le système olfactif
unique. En effet, tous les autres systèmes sensoriels sans exception transfèrent
l’information d’abord par le relais du thalamus avant de se projeter vers le cor-
tex cérébral, ce qui n’est pas le cas des informations olfactives. L’organisation
unique du système olfactif lui confère ainsi une large influence sur toutes les
parties du cerveau jouant un rôle par exemple dans la discrimination des odeurs,
les émotions, la motivation et certaines formes de mémoire (voir chapitres 16,
18, 24 et 25). La perception consciente des odeurs pourrait être liée quant à elle
à une voie issue du tubercule olfactif, connectant ensuite le noyau médiodorsal du
thalamus, puis le cortex orbitofrontal (situé juste derrière les yeux).

Codage spatial et temporel de l’information olfactive


Avec l’odorat, il apparaît que l’on se trouve confronté à un paradoxe com-
parable à celui du goût. Les récepteurs individuels sont sensibles à de nom-
breux stimuli ; chaque cellule étant activée par une grande variété de substances
chimiques. Pourtant, si l’on perçoit l’odeur de plusieurs de ces substances, il est
aisé de les discriminer. Comment le cerveau peut-il faire ce qu’une seule cellule
olfactive ne peut pas réaliser ? Trois idées principales peuvent être avancées :
(1)  chaque odeur est représentée par l’activité d’une large population de neu-
rones olfactifs ; (2) les neurones impliqués dans la détection d’une odeur parti-
culière pourraient être regroupés en populations homogènes formant des sortes
de cartes corticales ; (3) le pattern de décharge des neurones pourrait être une
partie importante du code d’une odeur particulière.
282 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Codage des odeurs par une population de neurones.  Comme dans le cas de la
gustation, le système olfactif utilise les réponses de larges populations de cellules
réceptrices pour encoder un stimulus particulier. Un exemple est schématique-
ment représenté sur la figure 8.13b. Lorsqu’on expose l’épithélium à une odeur
de citron, aucun des trois récepteurs représentés n’est capable d’identifier cette
odeur particulièrement. En revanche, si l’on s’intéresse à la population des trois
neurones enregistrés, leur réponse respective peut être intégrée par le cerveau et
l’odeur du citron parfaitement distinguée de celle des fleurs, de la menthe ou de
l’amande, à partir de la combinaison de ces décharges. Ainsi, selon ce principe du
codage impliquant des populations de neurones, il est possible d’imaginer com-
ment le système olfactif avec quelque 1 000 récepteurs sensoriels différents peut
effectivement seulement reconnaître plusieurs dizaines de milliers d’odeurs. En
fait, selon une étude récente les hommes seraient à même de reconnaître jusqu’à
un trillion (un milliard de milliard !) de combinaisons d’odeurs.
Cartes olfactives.  Une carte sensorielle correspond à un arrangement de
neurones, corrélé à certaines caractéristiques de l’environnement. Les enregistre-
ments par microélectrodes montrent que plusieurs neurones à la fois répondent à
un même stimulus olfactif et que ces cellules sont distribuées très largement dans
l’épithélium olfactif (voir Fig. 8.13). Ceci est en accord avec la distribution très
large des gènes des récepteurs olfactifs dans cet épithélium. Comme nous l’avons
vu, cependant, les axones de ces cellules réceptrices olfactives se regroupent dans
des glomérules particuliers des deux bulbes olfactifs. Un tel arrangement est
la base d’une représentation particulière correspondant à une carte sensorielle,
en rapport avec la réponse de cellules réceptrices particulières à une odeur pré-
cise. Les cartes des régions activées par un stimulus odorant particulier peuvent
être mises en évidence par des méthodes d’enregistrement appropriées. Ce type
43p9 (28p + 1p9 + 14p) x 56p
d’expérience révèle qu’en dépit du fait que plusieurs neurones du bulbe olfactif
sont activés par une seule odeur, la position des neurones forme des assemblées
complexes mais reproductibles sur le plan spatial, telles que celles représentées
sur la figure 8.18 où un stimulus représenté par une odeur mentholée active un

CH3

H3C O CH3 H3C O CH3


CH3 CH3
Bulbe
olfactif Isopropyl tiglate, Éthyl tiglate,
odeur mentholée odeur fruitée
Forte
réponse

Faible
réponse
(a) (b) (c)

Figure 8.18 – Cartographie de l’activation neuronale du bulbe olfactif.


L’activité des neurones d’un glomérule de bulbe olfactif est enregistrée chez la souris grâce à une
méthode d’enregistrement optique. Les cellules expriment une protéine fluorescente sensible au
calcium intracellulaire. L’activité neuronale est ainsi mesurée en rapport avec les flux de calcium
qu’elle génère. Les couleurs illustrent différents niveaux d’activité : les couleurs chaudes (rouge
et orangée) supposent une activité très soutenue, ainsi les glomérules actifs sont visibles comme
des spots de couleur. (a) L’encart bleuté illustre la position des glomérules enregistrés. Différents
stimuli olfactifs sont utilisés pour évoquer des activations glomérulaires dans le bulbe. (b) Stimu­
lation ­utilisant l’isopropyl tiglate, représentant une odeur mentholée pour l’homme. (c) Stimulation
­utilisant l’éthyl tiglate, qui a plutôt une odeur fruitée. Dans ce cas, un pattern d’activation très
­différent est obtenu. (Source : adapté de Blauvelt et al., 2013, figure 4.)
8 – Sens chimiques 283

pattern de glomérules donné alors qu’un autre stimulus plutôt fruité active une
autre population de glomérules. Par conséquent, l’odeur d’une substance par-
ticulière est convertie en une carte spécifique de l’« espace neural ». Cette carte
est présente dans le bulbe olfactif et la forme de la carte dépend de la nature et
de la concentration de la substance odoriférante.
Dans les chapitres suivants, il apparaîtra que chaque système sensoriel pré-
sente en fait sa propre cartographie neuronale, correspondant à des objectifs
bien différents. Dans la plupart des cas, ces cartes sont en relation évidente avec
les caractéristiques du monde sensoriel. Par exemple, dans le système visuel il
existe des cartes de l’espace visuel et dans le système sensoriel somatique, il y a
des représentations dans le cerveau de la surface du corps. Les cartes des sens
chimiques sont inhabituelles en ce que les stimuli eux-mêmes n’ont pas de pro-
priétés spatiales signifiantes : même si en voyant un mufle s’approcher il est pos-
sible de dire de quel animal il s’agit et où il se trouve, en fait l’odeur elle-même ne
peut révéler que la nature de l’animal (en remuant un peu la tête, il est seulement
possible de localiser approximativement l’odeur). La caractéristique majeure de
chaque stimulus odoriférant est bien sa structure chimique et non pas sa position
dans l’espace. Étant donné que le système olfactif n’a pas à fournir, en général,
de références spatiales de l’odeur comme le système visuel doit le faire pour
déterminer les formes d’un objet par exemple, les cartes d’activation neuronale
apparaissant dans l’olfaction pourraient alors avoir d’autres buts, comme la dis-
crimination entre un très grand nombre de substances chimiques. Des études
récentes du cortex olfactif montrent de ce point de vue que chaque odeur active
une population de neurones particulière. Dans l’expérience reproduite à la
figure 8.19, les stimuli représentés par des odeurs d’orange activent un groupe
de neurones globalement très différent de celui activé par un autre stimulus de
type α-pinène (odeur de pin) ou par un stimulus de type hexanal reproduisant
l’odeur de l’herbe coupée (Fig. 8.19).
Mais est-ce que le cerveau utilise réellement ces cartes de représentation des
odeurs pour distinguer entre plusieurs d’entre elles ? La réponse à cette question
n’est pas connue. Pour qu’une carte soit utile, il est nécessaire que quelqu’un la
lise et l’interprète. Avec un peu de pratique, on devrait alors pouvoir « lire l’alpha-
bet » des odeurs à la surface du bulbe olfactif, ce qui donnerait une idée approxi-
mative des fonctions des aires corticales du système olfactif. Cependant, l’idée
d’un codage spatial des odeurs dans le cerveau n’est qu’une hypothèse qui n’a pas
encore été prouvée. Une idée alternative est que ces cartes spatiales n’encodent
pas du tout des odeurs mais qu’en fait ces connexions représentent une façon
pour le système nerveux d’organiser le plus rationnellement possible les relations
entre les cellules réceptrices épithéliales et les cellules glomérulaires. Ainsi organi-
sés, les axones comme les dendrites peuvent alors avoir une longueur minimale ;
et des neurones qui ont des fonctions similaires peuvent s’organiser d’autant
mieux qu’ils ont justement les mêmes fonctions. De ce fait, les cartes spatiales ne
pourraient être que la résultante de contraintes développementales, plutôt que
l’expression d’un mécanisme de codage sophistiqué de l’information sensorielle.

Codage temporel de l’information olfactive.  Il existe de plus en plus d’évi-


dences que le pattern de décharge des neurones représente une caractéristique
essentielle du codage temporel de l’information olfactive. Comparées à la per-
ception des sons ou encore à la vision, les odeurs représentent des stimuli de
caractère lent. Par conséquent, une fréquence de décharge rapide des neurones
olfactifs n’est certainement pas nécessaire pour encoder les odeurs. Le codage
temporel, qui dépend du pattern de décharge des neurones, peut en revanche
encoder la nature de l’odeur. Les chercheurs savent depuis longtemps que le
cortex olfactif et le bulbe olfactif génèrent des oscillations lorsque des odeurs
sont présentées aux récepteurs olfactifs de l’épithélium. Toutefois, le rôle de
ces activités rythmiques n’est toujours pas connu. Le pattern de décharge joue
par ailleurs un rôle dans la détermination des cartes spatiales, de telle manière
qu’elles peuvent se modifier en rapport avec la présentation d’une odeur simple.
Des travaux récents sur les insectes et sur les rongeurs ont apporté des argu-
ments très convaincants en faveur d’un codage temporel des odeurs (Fig. 8.20).
284 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex olfactif
Tractus olfactif

Bulbe olfactif

(a)

CH3

H3C
H 3C
Alphapinène, odeur de pin

H 3C H
Octanal, odeur fruitée

(b)

H3C H
Hexanal, odeur d’herbe coupée

H 3C H
Octanal, odeur fruitée

(c)

Figure 8.19 – Cartographie de l’activation neuronale du cortex olfactif.


L’activité de plusieurs neurones est détectée dans le cortex olfactif par une méthode d’enregistre­
ment optique. Dans ce cas, les cellules sont chargées en un composé fluorescent sensible au cal­
cium, et l’activité neuronale se traduit par la réaction de ce composé fluorescent à l’augmentation
des concentrations de calcium ionisé qui accompagnent cette activation neuronale. (a) Les régions
répondant aux stimuli olfactifs sont ombrées en couleur orange. (b) Les réponses des neurones à la
présentation d’un stimulus olfactif représenté par de l’alphapinène, une substance à odeur de pin,
sont représentés de couleur verte. Les neurones répondant aux odeurs fruitées (stimulus octanal)
sont représentés de couleur rouge. Les cellules répondant aux deux stimuli à la fois sont repré­
sentées en jaune. (c) D’autres cellules répondant au stimulus hexanal (odeur d’herbe coupée) sont
Bear/Connors/Paradiso
représentées de couleur verte ;Neuroscience 4eà l’octanal (odeur fruitée), en rouge ; et celles
celles qui répondent
Fig. 08.19
répondant aux deux odeurs sont représentées en jaune. Chacun des 3 stimuli odorants présente
ainsi un Dragonfly
Artist: pattern d’activation
Mediacorticale
Groupparticulier. (Source : adapté de Steller et Axel, 2009, p. 858.)
Date: 05/17/14 C M Y K
8 – Sens chimiques 285

Air Odeur

Inspiration

Odeur 1

Odeur 2

Odeur 3

Temps

Figure 8.20 – Pattern de décharge de neurones du bulbe olfactif en réponse à des stimuli odo-


rants.
Le codage des messages olfactifs pourrait inclure des changements du nombre, de fréquence ou
encore de synchronisation des décharges neuronales. Le diagramme illustre la décharge de deux
neurones du bulbe olfactif enregistrés chez la souris en réponse à la présentation de stimuli odo­
rants. La trace du haut (tracé noir) représente la respiration, d’abord en l’absence, puis en présence
d’un stimulus représenté par trois odeurs différentes présentées successivement. Les décharges
neuronales sont symbolisées par des traits verticaux rouge et bleu, correspondant à chacun des
neurones enregistrés. Chacun de ces deux neurones tend à décharger par deux potentiels d’action
lorsque de l’air sans stimulus particulier est donné à respirer à l’animal. L’odeur n° 1 ne modifie pas
la décharge neuronale en termes de nombre de potentiel d’action mais en revanche décale dans
le temps la décharge du neurone rouge, qui intervient plus tardivement que dans les conditions
témoins (air seul). L’odeur n° 2 augmente la décharge de chacun des deux neurones mais sans
modifier le moment de leur réponse. L’odeur n° 3 augmente la décharge et décale la réponse dans
le temps. (Source : Dhawale et al., 2010, p. 1411.)

Les enregistrements démontrent que l’information olfactive est encodée par le


pattern des décharges neuronales entre les cellules et entre les groupes de cellules,
par le nombre de décharges, leur organisation temporelle, la rythmicité de ces
décharges ou encore les synchronisations entre décharges de différents neurones.
Comme c’est le cas des cartes spatiales, démontrer que l’information est bien
encodée d’abord par les décharges neuronales n’est qu’une toute première étape.
Prouver ensuite que le cerveau utilise réellement ces informations est beaucoup
plus difficile. D’autres travaux récents, de Gilles Laurent et de ses collaborateurs,
réalisés sur les abeilles au California Institute of Technology, ont apporté des
données essentielles sur le codage temporel des odeurs. Dans une expérience
absolument fascinante, ces chercheurs ont été capables d’interrompre le rythme
synchrone généré par certaines odeurs sans affecter les décharges primaires à la
présentation de l’odeur. Cette perte de synchronisation était alors associée à la
perte des abeilles à discriminer les différentes odeurs mais pas les grandes catégo-
ries de ces odeurs. Il en résulte que les abeilles analysent vraisemblablement une
odeur non seulement par le groupe de neurones que celle-ci active, mais aussi par
le moment auquel cette décharge intervient, c’est-à-dire le pattern de décharge
de ces neurones. Il serait maintenant intéressant de savoir si de tels processus
interviennent aussi dans le système olfactif des mammifères chez les vertébrés.
286 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Conclusion
L’abord des sens chimiques représente une bonne entrée en matière pour
l’étude des systèmes sensoriels. Gustation et olfaction sont les sens les plus pri-
maires mais qui présentent pourtant la capacité de reconnaître et discriminer
des stimuli en nombre astronomique présents dans l’environnement. Les méca-
nismes de transduction analysés au niveau moléculaire sont très similaires des
systèmes de signalisation utilisés par l’ensemble des cellules de l’organisme pour
des fonctions aussi diverses que la neurotransmission ou la reproduction, par
exemple. Nous verrons plus loin que les mécanismes de transduction utilisés par
les autres systèmes sensoriels, très perfectionnés, dérivent aussi de ces mêmes
processus élémentaires. Ainsi, peut-on par exemple souligner que de nombreuses
analogies ont été constatées au niveau moléculaire entre les cellules sensorielles
à la base de l’olfaction et de la vision.
Les principes de codage de l’information au niveau cellulaire peuvent aussi
être étendus, dans une certaine mesure, à celui des réseaux neuronaux. La plupart
des récepteurs sensoriels ne détectent pas des stimuli très précis mais répondent
plutôt de façon diffuse. Cela signifie que le système nerveux utilise le codage au
niveau de populations de neurones pour analyser les informations sensorielles,
conduisant à des perceptions remarquablement précises. Par ailleurs, comme
nous le verrons encore, les populations de neurones sont souvent organisées de
façon à définir des représentations assimilables à des « cartes sensorielles », sur
le modèle de l’olfaction. Enfin, le pattern de décharge des neurones sensoriels
représente manifestement l’un des moyens de codage de l’information sensorielle
pour lui donner une signification mais dans ce domaine beaucoup reste à décou-
vrir. Les chapitres qui suivent sont encore des illustrations de ces grands prin-
cipes, que ce soit en rapport avec les mécanismes de la perception de la lumière,
de celle des sons ou encore du toucher.
8 – Sens chimiques 287

QUESTIONS DE RÉVISION

1. La plupart des goûts, dans la réalité, sont une combinaison des cinq
goûts de base. Quels autres facteurs sensoriels aident à définir les
­perceptions spécifiques associées à une nourriture particulière ?
2. La transduction du goût du sel se fait, en partie, par un canal spéci-
fique aux ions Na+. Pourquoi un canal membranaire spécifique du
sucre serait-il un bien mauvais mécanisme pour la transduction de la
saveur sucrée ?
3. Certaines substances qui présentent un goût sucré, amer et umami
­activent toutes les mêmes cascades de signalisation intracellulaire.
Dans ce cas, comment pouvez-vous expliquer que le système nerveux
puisse aussi bien distinguer le goût des sucres, des alcaloïdes et des
acides aminés ?
4.  Pourquoi la dimension de l’épithélium olfactif d’un animal (et par
conséquent le nombre de cellules réceptrices) serait-il en rapport avec
son acuité olfactive ?
5.  Les cellules réceptrices des systèmes gustatif et olfactif passent par un
cycle constant de croissance, mort et maturation. Il faut donc que les
connexions qu’elles établissent avec le cerveau soient constamment
renouvelées. Pouvez-vous proposer un ensemble de mécanismes qui
permette de reconstituer indéfiniment les connexions de manière spé-
cifique durant toute une vie ?
6. S’il est vrai que le système olfactif utilise une sorte de cartographie
spatiale pour le codage d’odeurs spécifiques, comment le reste du
cerveau peut-il lire ces cartes ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Kinnamon SC. Neurosensory transmission without a synapse: new pers-


pectives on taste signaling. BMC Biology 2013 ; 11 : 42.
Liberles  SD. Mammalian pheromones. Annual Review of Physiology
2014 ; 76 : 151-75.
Liman  ER, Zhang  YV, Montell  C. Peripheral coding of taste. Neuron
2014 ; 81 : 984-1000.
Murthy VN. Olfactory maps in the brain. Annual Review of Neuroscience
2011 ; 34 : 233-58.
Stettler  DD, Axel  R. Representations of odor in the piriform cortex.
­Neuron 2009 ; 63 : 854-64.
Zhang  X, Firestein  S. The olfactory receptor gene superfamily of the
mouse. Nature Neuroscience 2002 ; 5 : 124-33.
288 2 – Systèmes sensoriel et moteur 288

CHAPITRE  9 Œil et vision

PROPRIÉTÉS DE LA LUMIÈRE
Lumière.............................................................................................. 290
Quelques éléments d’optique.............................................................. 291
STRUCTURE DE L’ŒIL
Organisation générale de l’œil............................................................ 292
Apparence ophtalmoscopique de l’œil................................................ 292
Encadré 9.1 Focus  Démonstration des zones aveugles de l’œil
Anatomie de l’œil observé en coupe transversale................................ 294
Encadré 9.2 Focus  Troubles de la vision et maladies de l’œil

FORMATION DE L’IMAGE
PAR L’ŒIL
Réfraction par la cornée...................................................................... 296
Accommodation par le cristallin.......................................................... 297
Encadré 9.3 Focus  Correction de la vision
Réflexe pupillaire................................................................................ 299
Champ visuel...................................................................................... 299
Acuité visuelle..................................................................................... 300
ANATOMIE MICROSCOPIQUE
DE LA RÉTINE
Organisation laminaire de la rétine..................................................... 301
Structure des photorécepteurs............................................................ 302
Encadré 9.4 Les voies de la découverte  Voir au travers de la mosaïque
des photorécepteurs,
par David Williams
Différences régionales dans la structure de la rétine............................ 305
PHOTOTRANSDUCTION
Phototransduction dans les bâtonnets................................................ 308
Phototransduction dans les cônes....................................................... 311
Encadré 9.5 Focus  Génétique de la vision des couleurs
Adaptation à la lumière et à l’obscurité............................................... 314
TRAITEMENT DE L’INFORMA-
TION VISUELLE PAR LA RÉTINE
Champs récepteurs............................................................................. 316
Champs récepteurs des cellules bipolaires........................................... 318
Champs récepteurs des cellules ganglionnaires................................... 319
Cellules ganglionnaires photorécepteurs............................................. 324
Traitement parallèle............................................................................ 325
CONCLUSION
INTRODUCTION

L
a vision représente une fonction remarquable. Elle nous permet à la fois
de détecter des choses aussi petites qu’un moustique posé sur notre
nez ou aussi considérables que des galaxies à des centaines de milliers
d’années-lumière. La sensibilité à la lumière permet aux animaux, y compris
l’homme, de détecter proies, prédateurs et partenaires sexuels. Dans le processus
visuel, c’est la lumière réfléchie par des objets situés à distance qui est localisée
par rapport à l’individu et à son environnement. Bien que tout cela paraisse
se faire quasi automatiquement, sans effort conscient, la vision recouvre pour-
tant un processus d’une extrême complexité. À cet égard, toutes les tentatives de
reproduire de la vision avec un ordinateur, en utilisant ne serait-ce qu’une infime
partie des propriétés du système visuel, se sont révélées très difficiles et jusque-là
assez décevantes.
La lumière constitue un transport d’énergie électromagnétique émise sous
forme d’ondes. L’homme vit sans en avoir conscience ni s’en préoccuper dans
un milieu très fourni en radiations électromagnétiques de toutes sortes, un peu
à la manière d’un esquif sur un océan. Comme tous les océans, celui-ci présente
de grandes et de petites vagues, des vaguelettes et de longs rouleaux. Les ondes
heurtent les objets et se trouvent absorbées, dispersées, réfléchies et déviées. La
nature des ondes électromagnétiques et de leurs interactions avec l’environnement
permet au système visuel d’extraire des informations sur le monde. Mais il s’agit
d’un processus complexe, nécessitant l’intervention de nombreux mécanismes
neuronaux. La dominance de la vision au cours de l’évolution des vertébrés s’est
manifestée avec des résultats surprenants. Elle a inauguré d’autres moyens de
communiquer, induit les mécanismes cérébraux permettant de prévoir la trajec-
toire des objets et le déroulement des faits dans l’espace et le temps, conduit à
de nouvelles formes d’imagerie mentale et d’abstraction, et à la création d’un
monde de l’art. L’importance de la vision peut encore être attestée par le fait que
plus du tiers du cortex cérébral humain est consacré à l’analyse du monde visuel.
Le système visuel des mammifères commence avec l’œil. À l’arrière de l’œil
se trouve la rétine, comportant des photorécepteurs spécialisés pour convertir
l’énergie lumineuse en activité nerveuse. Le reste de l’œil est comparable à un
appareil photographique et contribue pour l’essentiel à former des images nettes
du monde sur la rétine. Comme c’est le cas d’un bon appareil photographique,
l’œil s’adapte automatiquement aux différences de luminosité et met au point
automatiquement sur l’objet qui l’intéresse. L’œil présente en plus d’autres pro-
priétés, que n’ont pas encore les appareils photographiques : il peut suivre l’objet
qui se déplace (grâce aux mouvements de l’œil) et il maintient la netteté des sur-
faces transparentes (grâce aux larmes et au clignement de l’œil).
L’œil est certes en grande partie comparable à un appareil photographique
mais la rétine est beaucoup plus qu’une simple pellicule. Comme cela a déjà
été mentionné (voir chapitre 7), la rétine fait en réalité partie du cerveau (pen-
sez-y la prochaine fois que vous regardez quelqu’un dans les yeux…). En un
certain sens, il y a deux rétines superposées dans chaque œil : l’une est sensible
aux faibles intensités lumineuses, celles que nous connaissons au crépuscule et à
l’aube ; l’autre, à la forte lumière du jour et à la détection des couleurs, du lever
au coucher du soleil. Toutefois, ignorants du moment de la journée, les signaux
de la rétine ne sont pas qu’une fidèle reproduction de l’intensité lumineuse qui

290 2 – Systèmes sensoriel et moteur

l’atteint. La rétine est plutôt spécialisée dans la détection des différences d’in-
tensité de lumière qui la frappent en différents points, que de l’intensité absolue.
Le traitement de l’image se fait d’abord dans la rétine avant que l’information
visuelle ne parvienne au reste du cerveau.
Les axones des neurones visuels se rassemblent pour former les nerfs optiques,
qui distribuent l’information (sous forme de potentiels d’action) dans plusieurs
structures cérébrales ayant des fonctions différentes. Certaines cibles des nerfs
optiques sont, par exemple, impliquées dans la régulation des rythmes biolo-
giques synchronisés avec le cycle journalier obscurité-lumière ; d’autres sont
associées au contrôle de la position de l’œil et de l’appareil optique. Cependant,
le premier relais synaptique sur la voie de la perception visuelle se fait dans un
groupe de cellules du thalamus dorsal appelé corps genouillé latéral ou CGL. À
partir du CGL, l’information remonte vers le cortex cérébral pour y être inter-
prétée et mémorisée.
Dans ce chapitre, il est décrit comment la lumière constitue la source d’in-
formation pour le système visuel, comment l’œil forme les images sur la rétine et
comment la rétine convertit l’énergie lumineuse en signaux nerveux apportant
des informations sur les différences de luminosité et de couleur. Le chapitre 10
est plus particulièrement consacré, quant à lui, au traitement central de l’infor-
mation visuelle qui émerge globalement à l’arrière de l’œil et rejoint le cortex
cérébral en passant par le thalamus.

Propriétés de la lumière
C’est la lumière qui permet au système visuel de former des images du monde
dans lequel nous évoluons. Rappelons brièvement quelles sont les propriétés
physiques de la lumière et ses interactions avec l’environnement, fondamentales
pour comprendre les mécanismes de la vision.

Lumière
Les radiations électromagnétiques nous submergent. Elles sont issues de
sources innombrables, que ce soit des antennes radio, des téléphones mobiles,
Amplitude des appareils à rayons X, ou encore bien sûr du soleil. La lumière constitue la
radiation électromagnétique que nos yeux peuvent détecter, susceptible d’être
décrite comme une onde d’énergie. Comme les autres types d’ondes, la radiation
Longueur d’onde
électromagnétique se caractérise par la longueur d’onde, c’est-à-dire la distance
Figure 9.1 – Caractéristiques de la radiation entre deux ondes successives, la fréquence, ou nombre d’ondes par secondes, et
électromagnétique. l’amplitude, c’est-à-dire la différence entre le creux et le pic de l’onde (Fig. 9.1).
L’énergie de la radiation électromagnétique se trouve être proportionnelle
à sa fréquence. Les radiations émises à haute fréquence (ondes courtes) ont le
plus haut degré d’énergie ; les radiations γ émises par certaines sources de maté-
riaux radioactifs et les rayons X utilisés pour l’imagerie médicale, en sont un
exemple, avec des longueurs d’ondes inférieures à 10–9 m (< 1 nm). En revanche,
les radiations émises à basse fréquence (ondes plus longues) ont un degré d’éner-
gie inférieur ; les ondes radar et de la radio en sont des illustrations, avec des lon-
gueurs d’ondes supérieures à 1 mm. Le système visuel de l’homme n’est capable
de détecter qu’une faible partie du spectre électromagnétique : la lumière visible
correspond à des longueurs d’ondes de 400 à 700 nm (Fig. 9.2). Comme l’a
démontré le premier Isaac Newton au début du xviiie siècle, le mélange des lon-
gueurs d’ondes émises par le soleil dans cet ordre de grandeur apparaît comme
de couleur blanche alors qu’une source lumineuse d’une seule longueur d’onde
apparaît comme l’une des couleurs de l’arc-en-ciel. Il est intéressant de souligner
qu’une couleur « chaude » telle que le rouge ou l’orangé, correspond à une lon-
gueur d’onde plus longue et a donc moins d’énergie qu’une couleur « froide »,
telle que le bleu ou le violet. Mais il est clair aussi que c’est le cerveau qui déter-
mine notre perception des couleurs en fonction de notre expérience subjective.
9 – Œil et vision 291

Rayons
Rayons ultra- Rayons Ondes Circuits
γ Rayons X infrarouge Ondes radio AC
violets radar

Lumière visible

Haute Faible
énergie 400 500 600 700 énergie
Longueur d’onde (nm)

Figure 9.2 – Spectre électromagnétique.
Seules les radiations électromagnétiques dont les longueurs d’ondes sont situées entre 400 et
700 nm sont visibles à l’œil nu. Dans ce spectre visible, les différentes longueurs d’ondes appa-
raissent comme des couleurs différentes.

Quelques éléments d’optique


Lorsqu’elles transitent dans le vide, les ondes de la radiation électromagné-
tique se déplacent en ligne droite, d’où le nom de rayons. Dans le monde qui
nous entoure, les rayons de lumière se déplacent aussi en ligne droite, jusqu’à ce
qu’ils entrent en interaction avec les atomes et les molécules de l’atmosphère et
les objets qu’ils rencontrent sur la terre. La réflexion, l’absorption et la réfraction Réflexion
sont au nombre de ces interactions (Fig. 9.3). L’étude des rayons lumineux et de
leurs interactions s’appelle l’optique.
La réflexion constitue le changement de direction des rayons de lumière heur-
tant une surface. La réflexion d’un rayon dépend ainsi de l’angle que fait le rayon Absorption
avec la surface qu’il rencontre. Le changement de direction d’un rayon frappant
perpendiculairement un miroir est de 180° ; il est de 90° pour un rayon frappant
un miroir à 45°, etc. La plus grande partie de ce que nous voyons provient de la
lumière réfléchie par les objets de notre environnement.
Réfraction
L’absorption représente un transfert d’énergie lumineuse à une particule ou
à une surface. Ce transfert d’énergie peut être perçu, par exemple, en exposant
sa peau au soleil : dans ce cas, la lumière est absorbée et elle réchauffe le corps. Eau
Air
Les surfaces de couleur noire absorbent l’énergie de toutes les longueurs d’ondes
visibles. Certains composés n’absorbent au contraire que quelques longueurs Figure 9.3 – Interactions entre la lumière et
d’ondes de l’énergie lumineuse, puis réfléchissent les autres. Cette propriété l’environnement.
se trouve être à la base des pigments colorés des peintures. Ainsi, un pigment La réflexion et l’absorption déterminent quelle
bleu absorbe les ondes lumineuses longues mais réfléchit les ondes plus courtes, lumière pénètre dans l’œil. Les images sont
formées dans l’œil par réfraction. Dans cet
d’environ 430 nm, qui sont alors perçues de couleur bleue. Comme cela sera
exemple de lumière passant de l’air à l’eau,
développé plus loin, les cellules des photorécepteurs de la rétine sensibles à la les rayons de lumière modifient leur trajectoire
lumière contiennent certains pigments et utilisent l’énergie lumineuse absorbée selon une direction perpendiculaire à l’inter-
pour déclencher des modifications de leur potentiel de membrane. face air-eau.
La réfraction, l’une des propriétés importantes de l’œil pour la formation des
images, est la déviation des rayons lumineux survenant lorsqu’ils passent d’un
milieu transparent à un autre. Prenons l’exemple d’un rayon lumineux, passant
de l’air à l’eau d’un étang. Si le rayon frappe l’eau perpendiculairement, il traver-
sera en ligne droite. Mais si la lumière arrive sur la surface en formant un angle,
elle sera déviée dans une direction perpendiculaire à la surface. La déviation de
la lumière provient de la différence de vitesse de la lumière dans les deux milieux ;
la lumière traverse l’air plus rapidement que l’eau. Plus la différence de vitesse
de transmission de la lumière entre les milieux est importante, plus l’angle de
réfraction est grand. Ainsi, les milieux transparents de l’œil réfractent les rayons
lumineux pour former les images sur la rétine.
292 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Structure de l’œil
L’œil est un organe spécialisé dans la détection, la localisation et l’analyse de
la lumière. Ce qui suit est consacré à la présentation de la structure de cet organe
remarquable, de son aspect ophtalmoscopique, et à une description de la vue de
l’œil en coupe transversale.
Pupille
Organisation générale de l’œil
Que voit-on réellement lorsque l’on regarde l’œil d’une personne ? La
figure 9.4 illustre ce que sont les structures principales. La pupille constitue l’ori-
fice permettant à la lumière d’entrer dans l’œil et d’atteindre la rétine ; elle paraît
Iris
noire à cause des pigments de la rétine qui absorbent la lumière. L’ouverture de la
Conjonctive pupille est contrôlée par un muscle circulaire, l’iris, dont la pigmentation donne
Sclérotique la couleur à l’œil. L’iris comporte deux muscles qui contrôlent le diamètre de la
pupille ; l’un des muscles permet à la pupille de réduire son ouverture et, l’autre,
d’en accroître le diamètre. La pupille comme l’iris sont recouverts par la cornée,
Nerf optique qui forme la surface externe transparente de l’œil. La cornée se trouve en conti-
nuité avec la sclérotique ou blanc de l’œil, formant la paroi dure du globe oculaire.
Le globe oculaire est inséré dans une loge du crâne dénommée orbite oculaire.
Dans la sclérotique sont insérées trois paires de muscles, les muscles extra-ocu-
laires, qui permettent les mouvements du globe oculaire dans les orbites. Ces
Cornée
Muscles muscles ne sont pas visibles extérieurement car situés derrière la conjonctive, une
extra-
oculaires
membrane qui se replie à partir de l’intérieur des paupières et se rattache à la
sclérotique. Le nerf optique formé par les axones de la rétine quitte l’œil par l’ar-
Figure 9.4 – Anatomie de l’œil. rière, passe à travers les orbites et atteint le cerveau à sa base, près de l’hypophyse.

Apparence ophtalmoscopique de l’œil


L’ophtalmoscope montre un autre aspect de l’œil. Cet appareil permet de
regarder à l’intérieur de l’œil à travers la pupille, jusqu’à la rétine (Fig. 9.5). Ce
sont les vaisseaux sanguins présents à la surface de la rétine qui sont le mieux
visibles par l’ophtalmoscope. Ces vaisseaux rétiniens naissent d’une partie circu-
laire décolorée, appelée le disque optique, qui est aussi l’endroit par où les fibres
du nerf optique sortent de la rétine.

Disque optique
(tache aveugle)

Macula

Fovéa

Vaisseaux
sanguins
Rétine Rétine
nasale temporale

Figure 9.5 – Image ophtalmoscopique de la rétine.


La ligne pointillée blanche passant par la fovéa indique la démarcation entre rétine nasale et rétine
temporale. La ligne imaginaire passe par la macula, qui est le centre de la rétine (celle-ci apparaît
décentrée sur ce schéma car la photographie a été prise de telle manière à inclure le disque optique
et la rétine nasale).
9 – Œil et vision 293

Il faut noter que la perception de la lumière ne peut se faire ni au niveau du


disque optique, car il n’y a pas de photorécepteurs à cet endroit, ni à l’emplace-
ment des gros vaisseaux sanguins car ceux-ci projettent leur ombre sur la rétine.
Et 
pourtant notre perception visuelle du monde ne semble pas « découpée ».
Pour l’homme, il n’y a pas d’interruption dans le champ visuel car le cerveau
compense habilement la perception à ces endroits particuliers. Pourtant il est
effectivement possible de démontrer la présence de zones « aveugles » sur la
rétine (Encadré 9.1).

Encadré 9.1 FOCUS

Démonstration des zones aveugles de l’œil


L’examen de l’œil au moyen d’un ophtalmoscope tenant une simple lampe de poche sur le côté, pointez le
révèle qu’il existe un trou étonnamment grand dans la faisceau lumineux dans le coin de l’œil, à angle oblique.
rétine. L’endroit où les axones du nerf optique quittent Agitez alors la lumière d’avant en arrière et de haut en
la rétine et où les vaisseaux sanguins pénètrent dans bas. Avec un peu de chance, vous pourrez distinguer vos
l’œil, le disque optique, ne contient aucun photorécep- propres vaisseaux sanguins car, avec cet éclairage à angle
teur. De plus, les vaisseaux sanguins qui irriguent la oblique, les vaisseaux de la rétine projettent de longues
rétine sont opaques et empêchent la lumière d’atteindre ombres sur les parties de la rétine adjacentes. Pour que
les photorécepteurs situés en dessous. Bien qu’on ne soit ces ombres soient visibles, il faut en fait qu’elles balayent
pas conscient de ces zones aveugles, il est possible de la surface de la rétine, ce qui explique pourquoi il est
démontrer qu’elles existent. Regardez la figure A. Tenez nécessaire d’agiter la lampe.
le livre à environ 50 cm, fermez l’œil droit et fixez la S’il existe dans la rétine des zones insensibles à la
croix avec l’œil gauche. Déplacez le livre (ou la tête) légè- lumière, pourquoi le monde visuel n’apparaît-il pas
rement et vous devez trouver une position dans laquelle interrompu et découpé ? Pour le moment, il n’y a pas de
le point noir disparaît. Dans cette position, le point est réponse précise à cette question, mais des mécanismes
reproduit sur le disque optique de l’œil gauche. Cette du cortex visuel « compensent » apparemment les par-
région de l’espace visuel s’appelle la tache aveugle de ties manquantes. Cette compensation peut être démon-
l’œil. trée à l’aide du stimulus de la figure B. Fixez la croix
La présence des vaisseaux sanguins est un peu plus avec l’œil gauche et vous devez voir que lorsque l’endroit
délicate à démontrer. Mais on peut tenter l’expérience où la ligne est interrompue se trouve représenté sur la
suivante : dans une pièce sombre ou faiblement éclairée, tache aveugle, on perçoit en fait une ligne continue et
fermez l’œil gauche (il est plus facile de tenir l’œil gauche ininterrompue. À ce point, l’espace existant sur la ligne
fermé avec un doigt pour garder le droit ouvert plus est imagé dans la tache aveugle et le cerveau compense
longtemps) ; regardez droit devant avec l’œil droit et, en pour cette discontinuité anatomique.

Figure A

Figure B

Au centre de la rétine se trouve une partie colorée plus sombre, de teinte


jaunâtre, la macula (mot latin signifiant « tache ») ou partie de la rétine pour la
vision centrale (par opposition à la vision périphérique). Indépendamment de
sa couleur, la macula est aussi caractérisée par l’absence relative de vaisseaux
­sanguins de gros diamètre. La figure 9.5 montre que les vaisseaux épousent la
courbure du disque optique, jusqu’à la macula ; c’est aussi le trajet des fibres
des nerfs optiques, de la macula vers le disque optique. L’absence relative
de gros v­ aisseaux sanguins dans cette région de la rétine constitue l’une des
294 2 – Systèmes sensoriel et moteur

­spécialisations qui améliorent la qualité de la vision centrale. À l’aide d’un oph-


talmoscope, il est quelquefois possible de distinguer une autre spécialisation de
la rétine centrale : une tache noire d’environ 2 mm de diamètre, appelée la fovéa.
Fovea signifie « dépression » en latin, la rétine étant plus fine au niveau de la
fovéa qu’ailleurs. Parce qu’elle marque le centre de la rétine, la fovéa représente
un repère anatomique intéressant : la rétine nasale est plus proche du nez que
de la fovéa ; la rétine temporale s’étend au-delà de la fovéa ; la partie de la rétine
au-dessus de la fovéa est la partie supérieure ; et la partie située en dessous, la
partie inférieure.

Anatomie de l’œil observé en coupe transversale


Une vue de l’œil en coupe transversale montre la direction de la lumière lors-
qu’elle passe à travers la cornée vers la rétine (Fig. 9.6). La cornée ne contient
pas de vaisseaux sanguins et, comme on l’a vu, elle se nourrit du fluide qui
se trouve derrière, l’humeur aqueuse. L’examen en coupe transversale révèle la
présence du cristallin, une autre structure transparente située derrière l’iris. Le
cristallin est suspendu entre des ligaments (dénommés ligaments suspenseurs
du cristallin) attachés aux muscles ciliaires, eux-mêmes attachés à la sclérotique.
Ces muscles forment un anneau à l’intérieur même de l’œil. Si vous imaginez
qu’en utilisant un cure-dent vous voulez centrer une fraise sur le trou d’un bagel,
un gâteau en forme d’anneau, le cure-dent représente le ligament et le bagel
est le muscle ciliaire qui l’attache à la sclérotique. Comme nous le verrons, des
changements de forme du cristallin permettent à l’œil de mettre au point la
vision à distance.

Ligaments
suspenseurs
du cristallin Rétine

Iris

Cristallin Fovéa

Lumière

Cornée

Humeur
acqueuse Nerf optique
Muscles
ciliaires
Humeur
vitrée Sclérotique

Figure 9.6 – Coupe transversale de l’œil.


Les structures présentes à la surface de l’œil régulent le flux de lumière qui pénètre dans l’œil et
contribuent à sa diffraction sur la rétine.

Le cristallin divise aussi l’intérieur de l’œil en deux compartiments conte-


nant des milieux légèrement différents : l’humeur aqueuse, entre la cornée et le
cristallin, et l’humeur vitrée, plus visqueuse, entre le cristallin et la rétine, dont la
pression sert à garder le globe oculaire sphérique.
Cependant si l’œil est capable de fournir une information remarquablement
précise au cerveau, il existe malheureusement toute une série de troubles de la
vision impliquant l’œil, qui déforment cette information (Encadré 9.2).
9 – Œil et vision 295

Encadré 9.2 FOCUS

Troubles de la vision et maladies de l’œil


À partir du moment où vous avez une idée de la façon des points les plus faibles de la structure, c’est-à-dire
dont est formé l’œil, vous pouvez comprendre que des l’endroit où naît le nerf optique, en arrière du globe ocu-
anomalies de la structure ou de la fonction des différents laire. Les axones sont ainsi compressés et la vision est
éléments le composant puissent résulter en des pertes graduellement perdue, notamment la vision périphé-
partielle ou totale de la vision. Par exemple, s’il existe une rique. Malheureusement, lorsqu’un patient se rend
asymétrie des muscles extra-oculaires qui contrôlent les compte d’une perte de la vision centrale, la maladie est
mouvements des deux yeux, ceux-ci ne regardent pas déjà avancée et une partie significative de l’œil est perdue
exactement dans la même direction. Un tel trouble de définitivement. Pour cette raison, il est impératif que la
l’alignement des yeux ou de la coordination des mouve- détection de cette maladie soit précoce afin qu’un traite-
ments est dénommé strabisme. On en distingue deux ment approprié, médical ou chirurgical (NdT : certains
catégories : dans l’ésotropie, les directions du regard des traitements utilisent une chirurgie au laser très efficace),
deux yeux se croisent ; dans l’exotropie, au contraire, les soit mis en œuvre pour réduire la pression intra-oculaire.
directions du regard divergent (Fig. A). Dans la plupart La partie de l’œil sensible à la lumière, la rétine, est
des cas, le strabisme a une origine congénitale et peut être l’objet de nombreuses maladies qui conduisent parfois à
corrigé pendant la petite enfance. En général, le traite- la cécité. Chacun d’entre vous a entendu parler du décol-
ment consiste à placer des verres prismatiques ou à réali- lement de la rétine, qui touche notamment les boxeurs
ser une intervention chirurgicale au niveau des muscles professionnels. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un
extra-oculaires, de façon à réaligner les yeux. Sans ce détachement de la rétine du fond du globe oculaire
type de traitement, des images conflictuelles sont consécutivement à un choc violent ou à un retrait de
envoyées au cerveau à partir des deux yeux, altérant en l’humeur vitrée. Une fois que la rétine a commencé à se
particulier la détection de la profondeur ou, dans les détacher, le liquide présent dans l’espace vitré s’insinue
formes les plus graves, causant la perte de l’information derrière la rétine et le processus s’accélère. Les symp-
à partir d’un des deux yeux. Dans ce cas, l’œil dominant tômes principaux du décollement de rétine sont la sen-
peut être normal mais l’autre œil présente une amblyopie, sation d’ombres ou, à l’inverse, de flashes lumineux. Les
c’est-à-dire qu’il a une acuité visuelle très réduite. Si l’in- traitements utilisent souvent la chirurgie au laser pour
tervention chirurgicale n’est pas réalisée en temps voulu, cicatriser les bords du déchirement, fixant à nouveau la
pendant l’enfance, alors la situation devient irréversible. rétine au fond du globe oculaire.
L’une des maladies de l’œil de l’adulte les plus fré- Dans la rétinite pigmentaire, il survient une dégéné-
quentes est la cataracte, une opacification du cristallin rescence progressive des photorécepteurs. Au début, le
(Fig. B). La plupart des gens, après l’âge de 65 ans, pré- patient ressent une perte de la vision périphérique et de
sentent des cataractes à des degrés divers. Lorsque celles-ci la vision nocturne. Puis, la cécité complète peut interve-
deviennent invalidantes, alors la chirurgie est requise. nir. Les causes de cette maladie grave ne sont pas encore
Dans cette intervention, le cristallin est retiré et remplacé connues aujourd’hui mais, dans certains cas, il y a clai-
par une prothèse en plastique et, dans ce cas, même si la rement une composante génétique. À ce jour, plus d’une
lentille artificielle n’est pas à même de réaliser des mises centaine de gènes ont été identifiés, dont la mutation
au point comme le fait normalement le cristallin, elle per- peut conduire au développement d’une rétinite pigmen-
met d’avoir une image claire et des lunettes permettent taire. Actuellement, il n’y a pas de traitement de cette
alors d’ajuster la vision de près ou de loin (Encadré 9.3). maladie, mais la prescription de vitamine A peut réduire
Le glaucome est une perte progressive de la vision la vitesse de progression de la maladie.
due à une élévation de la pression intra-oculaire, qui Enfin, au contraire de cette vision « en tunnel » qui
conduit à la cécité. Le glaucome est associé à une aug- intervient de façon caractéristique dans la rétinite pig-
mentation de la pression de l’humeur aqueuse, qui joue mentaire, les patients qui souffrent de dégénérescences
normalement un rôle clé dans le maintien de la forme de maculaires perdent seulement leur vision centrale. Cette
l’œil. Lorsque la pression augmente, l’œil est entière- maladie (NdT : en France on parle de « dégénérescence
ment déformé, ce qui entraîne des déchirures au niveau maculaire liée à l’âge », ou DMLA) est commune, affec-
tant plus de 25 % des Américains de plus de 65 ans.
Dans ce cas, la vision périphérique est normale mais
les patients sont progressivement incapables de lire,
de regarder la télévision ou encore de reconnaître les
visages, au fur et à mesure que les photorécepteurs dégé-
nèrent. La chirurgie au laser peut contribuer là aussi à
Figure A – Exotropie. Figure B – Cataracte. ralentir l’évolution de cette maladie pour laquelle aucun
(Source : Newell, 1965, p. 330.) (Source : Schwab, 1987, p. 22.) traitement curatif n’est encore connu.
296 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Formation de l’image par l’œil


L’œil reçoit les rayons de lumière émis ou réfléchis par les objets de l’environ-
nement et il les focalise sur la rétine pour former les images. Mettre au point les
images sur la rétine implique d’agir à la fois par le biais du pouvoir de réfraction
de la cornée et de celui du cristallin. Ainsi serez-vous sans doute surpris de savoir
que la cornée, beaucoup plus que le cristallin, constitue la structure ayant le pou-
voir de réfraction le plus important de l’œil. Ceci est le cas parce que la lumière
atteint l’œil en traversant l’air et que la cornée est majoritairement constituée
d’eau. L’avantage pour la réfraction est que la lumière traverse l’eau de façon
beaucoup plus lente que l’air. En comparaison, la réfraction est plus faible dans
le cristallin parce que l’humeur aqueuse, le cristallin et l’humeur vitrée sont tous
largement composés d’eau.

Réfraction par la cornée


Prenons une source de lumière distante, par exemple, une étoile dans la nuit.
Les rayons lumineux émis par cette étoile sont dispersés dans toutes les direc-
tions de l’espace mais, du fait de la grande distance qui nous en sépare, les rayons
atteignant notre œil sont considérés comme virtuellement parallèles. Ces rayons
parallèles frappent notre cornée d’un côté à l’autre. Cependant, nous percevons
l’étoile comme un point lumineux plutôt que comme une tâche brillante remplis-
sant notre œil, du fait de la réfraction par la cornée qui concentre toute la lumière
émise par l’étoile pour en faire un point minuscule sur la rétine. Souvenez-vous
que lorsque la lumière transite par un milieu où sa vitesse est réduite, elle est
déviée vers une ligne perpendiculaire à la surface (à l’interface) de la ligne de par-
tage des milieux (Fig. 9.3). C’est précisément ce qui se passe lorsque la lumière
frappe la surface de la cornée et passe de l’air dans l’humeur aqueuse. Comme
cela est illustré sur la figure 9.7, les rayons de lumière qui entrent dans l’œil et
frappent perpendiculairement la surface courbe de la cornée atteignent direc-
tement la rétine. Mais tous ceux qui frappent cette même surface avec un angle
différent de la ligne perpendiculaire sont déviés pour converger à l’arrière de
l’œil. La distance entre la surface de réfraction et le point de convergence des
rayons parallèles représente la distance focale. La distance focale dépend de la
courbure de la cornée : plus la courbure est serrée, plus courte est la distance
focale. L’équation de la figure 9.7 montre que la valeur réciproque de la distance
focale en mètres est une unité de mesure appelée dioptrie. La cornée présente
une puissance de réfraction d’environ 42 dioptries ; ce qui signifie que des rayons
parallèles frappant la cornée convergent à 0,024 m (soit 2,4 cm) derrière elle, soit
environ la distance entre la cornée et la rétine. Pour avoir une idée plus précise
de cette puissante réfraction liée à l’action de la cornée, il suffit de réaliser que la
plupart des prescriptions des ophtalmologistes en termes de verres correcteurs
n’ont des valeurs que de quelques dioptries.

Figure 9.7 – Réfraction par la cornée.


La cornée doit avoir un pouvoir de réfraction
suffisant, mesuré en dioptries, pour pouvoir Distance focale
mettre au point la lumière sur la rétine située 1
Pouvoir de réfraction (dioptries) =
dans les profondeurs de l’œil. distance focale (m)
9 – Œil et vision 297

Rappelons que la puissance de la réfraction dépend du ralentissement de la


lumière à l’interface air-cornée. Si l’on remplace l’air par un milieu dans lequel la
lumière passe à peu près à la même vitesse que dans l’œil, la puissance de réfrac-
tion de la cornée deviendra négligeable. C’est la raison pour laquelle les choses
paraissent floues lorsque l’on ouvre les yeux sous l’eau ; l’interface eau-cornée
a une très faible puissance de convergence. Le masque sous-marin a alors pour
effet de rétablir l’interface air-cornée et donc la puissance de réfraction de l’œil.

Accommodation par le cristallin


C’est la cornée qui joue le rôle principal dans la réfraction mais le cristallin
y contribue aussi en ajoutant environ une douzaine de dioptries à la formation
de l’image précise d’un point distant. Cependant le cristallin est plus fortement
impliqué dans la formation des images d’objets plus rapprochés, situés à moins
de 9 m des yeux. Lorsque les objets se rapprochent, les rayons de lumière réflé-
chis en un point ne sont plus parallèles. Ces rayons sont plutôt divergents et la
réfraction doit être plus forte pour les faire converger sur la rétine. Cette mise au
point supplémentaire se fait par la modulation de la forme du cristallin, nommée
accommodation (Fig. 9.8).
Souvenez-vous que les muscles ciliaires forment un anneau autour du cristal-
lin. Dans l’accommodation, les muscles ciliaires se contractent rendant l’anneau
de plus faible diamètre (c’est-à-dire, dans notre exemple, le diamètre du trou du
bagel), ce qui diminue la tension des ligaments suspenseurs. Par voie de consé-
quence, le cristallin s’arrondit grâce à son élasticité naturelle. Ce mécanisme aug-
mente la courbure du cristallin et ainsi sa puissance de réfraction. A contrario, la
relaxation des muscles ciliaires accroît la tension des ligaments suspenseurs, et le
cristallin adopte une forme plus aplatie.
La capacité à accommoder présente des variations liées à l’âge. Un nourris-
son peut accommoder sur des objets situés tout près de son nez, alors que les
adultes d’âge mûr ne peuvent accommoder qu’à la distance d’un bras tendu. Par
chance, ce défaut d’optique, ainsi que d’autres défauts de l’œil, peut être corrigé
au moyen de lentilles artificielles (Encadré 9.3).

Vision de loin

Cristallin aplati
(a)

Vision de près

Cristallin dilaté
(b)

Figure 9.8 – Accommodation par le cristallin.


(a) Pour mettre au point sur un objet situé à distance, il n’est pas nécessaire d’avoir un haut pouvoir
de réfraction. Les muscles ciliaires se relaxent, affectant les ligaments suspenseurs du cristallin, qui
s’étire et adopte une forme aplatie. (b) En vision de près, lorsque l’objet est plus proche, la réfrac-
tion doit être plus importante, fournie par une déformation du cristallin, qui devient plus sphérique.
Les muscles ciliaires se contractent rendant les ligaments à même de laisser le cristallin adopter
une forme plus arrondie.
298 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 9.3 FOCUS

Correction de la vision
Lorsque les muscles ciliaires sont relâchés et que le verre ou de plastique convexe devant l’œil (Fig. C). La
cristallin est plat, l’œil est dit emmétrope : les rayons face antérieure convexe de la lentille, comme celle de la
parallèles d’une source de lumière distante convergent cornée, fait dévier la lumière vers le centre de la rétine.
exactement à l’arrière de la rétine (du grec metron : Comme la lumière passe du verre à l’air, l’arrière de la
mesure et ôps : œil). L’œil emmétrope focalise les rayons lentille agit de la même façon (la vitesse de la lumière
lumineux parallèles sur la rétine sans avoir recours à allant du verre à l’air s’accélère et sa trajectoire est déviée
l’accommodation (Fig. A) et l’accommodation est suffi- en s’éloignant de la perpendiculaire).
sante pour focaliser l’image des objets sur une large Si le globe oculaire est trop long plutôt que trop
gamme de distances. court, comme on vient de le voir, les rayons parallèles
Que se passe-t-il maintenant si le globe oculaire est convergent en avant de la rétine, se croisent et donnent à
trop court, de l’avant à l’arrière ? Sans l’accommoda- nouveau une image floue sur la rétine. Ce défaut s’ap-
tion, les rayons de lumière parallèle convergent au-delà pelle la myopie. Il y a plus de réfraction que nécessaire
de la rétine. Ce défaut s’appelle l’hypermétropie ou pres- pour les images des objets situés à une distance rappro-
bytie. De fait, en général l’œil a un pouvoir d’accommo- chée de l’œil, mais même avec le moins d’accommoda-
dation suffisant pour une mise au point correcte en tion possible les objets les plus distants sont toujours
fonction de la distance des objets mais, même dans des mis au point en avant de la rétine (Fig. D). Pour per-
conditions optimales, les objets les plus proches sont mettre une meilleure vision de près, on utilise dans ce cas
parfois mis au point au-delà de la rétine (Fig. B). La des lentilles concaves pour repousser l’image du point
presbytie peut être corrigée en plaçant une lentille de sur la rétine (Fig. E).

Vision normale Myopie

Figure A Figure D

Hypermétropie Myopie corrigée

Figure B Figure E

Volet cornéen

Hypermétropie corrigée Faisceau laser

Figure C Figure F
9 – Œil et vision 299

Encadré 9.3 FOCUS  (suite)

Il existe parfois des irrégularités dans la courbure de Dans l’hypermétropie et la myopie, le niveau de
la cornée ou du cristallin qui modifient la puissance de réfraction fourni par la cornée est soit trop faible, soit
réfraction, selon que les rayons de lumière pénètrent trop important pour la longueur de l’œil. Les techniques
dans l’œil en suivant un axe horizontal ou vertical. chirurgicales modernes peuvent maintenant permettre
de modifier la réfraction par la cornée. La kératotomie
Ce défaut s’appelle l’astigmatisme ; il est corrigé radiale permet ainsi de corriger la myopie. Il s’agit dans
également avec des lentilles artificielles qui corrigent ce cas de pratiquer une série d’incisions radiales très
sélectivement selon un axe donné. fines, au niveau de la partie périphérique de la cornée.
Ces incisions interviennent alors pour relaxer la partie
Même avec des globes oculaires parfaits et un sys- centrale de la cornée qui s’aplatit, ce qui, par voie de
tème de réfraction symétrique, il est peu probable conséquence, diminue la myopie. Plus récemment, des
d’échapper à la presbytie. Il s’agit d’un durcissement du méthodes utilisant la chirurgie au laser ont été mises au
cristallin lié à l’âge, qui peut s’expliquer par le fait que point pour modifier la forme de la cornée ; ainsi dans la
de nouvelles cellules du cristallin sont générées la vie kératotomie photoréfractive, où le laser est utilisé pour
entière alors qu’aucune ne se perd. Ce durcissement agir sur la surface externe de la cornée. Dans la kérato-
supprime l’élasticité du cristallin, l’empêchant de mileusie in situ au laser, un petit volet de cornée est sou-
s’épaissir suffisamment dans l’accommodation et de levé, de façon à permettre au laser d’agir alors sur la
s’aplatir assez au cours de la relaxation. La correction partie interne de la cornée, et les progrès de ces méthodes
de la presbytie, inventée par Benjamin Franklin, fait permettent maintenant d’envisager d’agir sur la cornée
intervenir une lentille bifocale. Dans ces verres à double de façon réversible (Fig. F). Des méthodes non-chirurgi-
foyer, la partie supérieure de la lentille est concave pour cales ont également été proposées pour modifier la cor-
la vision de loin et la partie inférieure convexe, pour la née par l’utilisation de lentilles de contact qui déforment
vision de près. la cornée et corrigent ainsi les défauts de réfractivité.

Réflexe pupillaire
En plus de la cornée et du cristallin, la pupille contribue aussi aux proprié-
tés optiques de l’œil, par une adaptation continue aux variations d’intensité de
la lumière ambiante. Cette adaptation peut être vérifiée en observant dans un
miroir comment la pupille change de diamètre à la lumière, après un moment
passé à l’obscurité. Le réflexe pupillaire à la lumière dépend des connexions entre
la rétine et les neurones du tronc cérébral qui contrôlent les neurones moteurs
innervant les muscles impliqués dans la variation du diamètre de la pupille. Une
des propriétés intéressantes de ce réflexe est d’être consensuel ; c’est-à-dire que, si
on projette un faisceau de lumière dans un seul œil, on provoque la constriction
des pupilles dans les deux yeux. De ce fait, il est ainsi véritablement exceptionnel 150°
que les pupilles ne soient pas de la même taille. Dès lors, un trouble du réflexe
consensuel de la pupille à la lumière est souvent considéré comme le signe d’une
atteinte neurologique grave du tronc cérébral.
Un effet bénéfique de la constriction pupillaire résultant d’une illumination
intense est d’augmenter la profondeur de champ, de la même façon que la ferme-
ture du diamètre de l’objectif d’un appareil photographique. Prenons l’exemple
de deux points dans l’espace, l’un tout proche et l’autre plus éloigné, lorsque
l’œil produit son accommodation sur le point situé à proximité, alors le second Œil droit
point plus éloigné ne forme plus un point sur la rétine mais plutôt un cercle flou.
En réduisant l’ouverture de la pupille — en diminuant le diamètre — la taille du Figure 9.9 – Champ visuel, à partir d’un seul
cercle flou diminue et son image ressemble davantage à un point. C’est de cette œil.
Le champ visuel représente la partie de l’es-
manière que les objets éloignés apparaissent nets.
pace visuel couverte par la rétine d’un seul œil,
lorsque le regard est fixé vers un point éloigné.
Champ visuel Il faut noter que l’image reçue par la rétine est
inversée, comme dans le cas du crayon sur ce
La structure des yeux, et leur emplacement dans la tête, limite la vision de ce schéma. Le champ visuel s’étend sur environ
qui nous entoure dans une position donnée. Pour explorer l’espace qu’embrasse 100° vers la rétine temporale mais seulement
la vision d’un seul œil, l’expérience suivante peut être réalisée : tenez un crayon d’environ 60° vers la rétine nasale, où la vision
horizontalement dans la main droite, fermez l’œil gauche et regardez un point est bloquée par la présence du nez.
300 2 – Systèmes sensoriel et moteur

droit devant. En gardant l’œil fixé sur ce point, déplacez doucement le crayon
vers la droite dans le champ de vision jusqu’à ce qu’il disparaisse. Refaites l’expé-
rience en déplaçant le crayon vers la gauche, puis vers le haut, et vers le bas. Les
points pour lesquels le crayon disparaît marquent les limites du champ visuel de
l’œil droit. Regardez maintenant le crayon en le tenant horizontalement devant
vous. La figure 9.9 illustre la façon dont la lumière réfléchie par le crayon arrive
sur la rétine. Notez que dans ce cas l’image est inversée ; l’image du champ visuel
Lune
gauche se forme sur le côté droit de la rétine et l’image du champ visuel droit se
forme sur le côté gauche de la rétine. De la même manière la partie supérieure
du champ visuel est représentée sur la partie inférieure de la rétine, et la partie
inférieure sur la rétine supérieure.

o
0,5 d’angle Acuité visuelle
visuel
La faculté que présente l’œil de distinguer deux points très proches est
dénommée acuité visuelle. L’acuité dépend de plusieurs facteurs, mais particu-
lièrement de l’emplacement des photorécepteurs dans la rétine et de la précision
de la réfraction de l’œil.
À travers la rétine, la distance peut être décrite en termes de degrés d’angle
visuel. Ainsi lorsqu’il s’agit d’un angle droit, cela sous-tend par définition un
angle de 90°. La lune, par exemple, sous-tend un angle d’environ 0,5° (Fig. 9.10).
A la mesure de la longueur du bras, votre pouce est à peu près à 1,5° et votre
poing à environ 10°. On parle ainsi de la capacité de l’œil à discerner des points
140 µm séparés par un certain nombre de degrés d’angle visuel. La charte de l’œil de
Snellen, que l’on trouve chez tous les ophtalmologistes, permet de tester la
Figure 9.10 – Angle visuel. faculté à distinguer des lettres et des chiffres à une distance de 6 m environ. La
Au niveau de la rétine, les distances peuvent vision est de 20/20 lorsque l’on peut reconnaître une lettre qui sous-tend un angle
être exprimées en termes d’angle visuel. de 0,083° (équivalent à 5 minutes d’un arc, 1 minute étant 1/60 de degré).

Anatomie microscopique
Axones des cellules ganglionnaires
projetant vers le cerveau antérieur
de la rétine
Cellules
ganglionnaires Après avoir considéré la formation de l’image sur la rétine, il faut aborder la
partie neurobiologique de la vision : la transformation de l’énergie lumineuse en
activité nerveuse. Clairement, le traitement de l’image sur la rétine est en relation
Cellules avec l’architecture cellulaire de cette partie du cerveau.
amacrines
Le processus de base du traitement rétinien de l’information visuelle est
Neurones
illustré sur la figure 9.11. La voie la plus directe de ce traitement implique un
bipolaires transfert de l’information visuelle des photorécepteurs aux neurones bipolaires,
puis aux cellules ganglionnaires. Les photorécepteurs répondent à la lumière et
Cellules ils agissent sur le potentiel de membrane des cellules bipolaires avec lesquelles
horizontales
ils sont connectés. Les cellules ganglionnaires émettent des potentiels d’action
en réponse à la lumière et ces impulsions nerveuses se propagent le long du nerf
optique, jusqu’au reste du cerveau. À côté des cellules de cette voie directe qui
va des photorécepteurs au cerveau, deux autres types de cellules exercent une
influence sur le traitement de l’information visuelle dans la rétine. Les cellules
horizontales, qui reçoivent des informations des photorécepteurs. Ces cellules
comportent des neurites qui se projettent latéralement, pour activer des neu-
Photorécepteurs
rones bipolaires environnants. Par ailleurs, une large variété de cellules amacrines
Figure 9.11 – Processus de base du traite- reçoivent quant à elles des informations des neurones bipolaires et se pro-
ment de l’information rétinienne. jettent latéralement pour activer des cellules ganglionnaires et d’autres cellules
L’information résultant de l’activation des pho- amacrines de leur environnement.
torécepteurs par la lumière passe des neurones
Trois points importants sont à souligner :
bipolaires aux cellules ganglionnaires dont les
axones forment le nerf optique. Les cellules 1. les seules cellules de la rétine sensibles à la lumière sont les bâtonnets et les
horizontales et les cellules amacrines agissent cônes. La lumière n’agit sur les autres cellules qu’au travers d’interactions
sur les neurones bipolaires et les cellules synaptiques directes ou indirectes avec les photorécepteurs. (Nous verrons
ganglionnaires par des connexions latérales. plus loin qu’il existe une exception à cette règle, s’agissant de la découverte
9 – Œil et vision 301

récente de cellules ganglionnaires également sensibles à la lumière mais


qui ne paraissent pas, à ce stade de nos connaissances, comme jouant un
rôle majeur dans la perception visuelle.) ;
2. les cellules ganglionnaires représentent la seule source d’information quittant
la rétine ; aucune autre cellule rétinienne n’envoie d’axone dans le nerf
optique ;
3. les cellules ganglionnaires sont les seules cellules de la rétine qui présentent
des potentiels d’action, ce qui est évidemment fondamental pour transmettre
les informations visuelles au-delà de l’œil. Tous les autres types de cellules
rétiniennes sont à même d’être dépolarisées ou hyperpolarisées, avec une
vitesse de sécrétion de neurotransmetteurs proportionnelle au potentiel de
membrane, mais sans émettre de potentiel d’action.
Voyons maintenant comment sont organisés dans la rétine ces différents
types cellulaires.

Organisation laminaire de la rétine


La figure 9.12 présente l’organisation laminaire de la rétine. Les différentes
cellules sont organisées en couches successives. Il est important de noter que les
couches sont inversées : la lumière doit passer de l’humeur vitrée vers la couche
des cellules ganglionnaires et bipolaires avant d’atteindre les photorécepteurs.
Mais compte tenu du fait que ces couches cellulaires sont relativement transpa-
rentes, la déformation de l’image est minime. Une raison de cet arrangement de
l’intérieur vers l’extérieur est que l’épithélium pigmenté, qui s’étend au-dessous
des photorécepteurs, joue un rôle critique dans la maintenance de ces photo-
récepteurs et des photopigments. L’épithélium pigmenté absorbe aussi toute

Lumière

Couche
ganglionnaire

Couche plexiforme
interne

Couche nucléaire
interne
Rétine

Couche plexiforme
Nerf externe
optique

Couche nucléaire
externe

Couche
des photorécepteurs

Épithélium
pigmenté

Figure 9.12 – Organisation laminaire de la rétine.


Avant d’atteindre les photorécepteurs situés dans la partie la plus profonde de la rétine, la lumière doit traverser les différentes
couches de cellules formant la rétine.
302 2 – Systèmes sensoriel et moteur

lumière qui passe par la rétine, contribuant à minimiser la réflexion de la lumière


dans l’œil, ce qui pourrait brouiller l’image. De nombreux animaux nocturnes,
comme les chats ou les ratons laveurs, possèdent une couche réfléchissante située
sous les photorécepteurs, dénommée tapetum lucidum, qui a pour effet de ren-
voyer la lumière vers les photorécepteurs lorsqu’elle passe au travers de la rétine.
Ces animaux sont de ce fait plus sensibles aux faibles éclairements, aux dépens
d’une moindre acuité visuelle. Un intéressant effet secondaire de la présence de
Figure 9.13 – Effet de surbrillance des yeux ce tapetum lucidum réfléchissant peut être mis en évidence lorsque vous photo-
des chats lors d’une photographie au flash, graphiez au flash ces animaux nocturnes : il y a une surbrillance des yeux dans
en rapport avec la présence dans la rétine laquelle les pupilles paraissent émettre une lueur (Fig. 9.13).
du tapetum lucidum, couche réfléchissante
Les couches cellulaires de la rétine sont désignées par rapport à leur posi-
située sous les photorécepteurs.
tion vis-à-vis du globe oculaire. Ne soyez pas confus en pensant d’abord à votre
tête plutôt qu’à votre œil ! Les photorécepteurs sont ainsi considérés comme la
partie la plus externe de la rétine, alors qu’ils sont situés le plus profondément
par rapport à la surface de l’œil, et donc dans la partie la plus enfouie dans la
tête. La couche de cellules la plus interne est représentée par la couche des cel-
lules ganglionnaires, qui contient les corps cellulaires des cellules ganglionnaires.
En se dirigeant vers l’extérieur, se trouvent deux autres couches comportant
des corps cellulaires de neurones : la couche nucléaire interne, qui contient les
corps cellulaires des cellules bipolaires, des cellules horizontales et des cellules
amacrines, et la couche nucléaire externe, qui contient les corps cellulaires des
photorécepteurs.
Entre la couche des cellules ganglionnaires et la couche nucléaire interne
se trouve la couche plexiforme interne (« plexiforme » signifie un réseau de
connexions), qui contient les contacts synaptiques entre les cellules bipolaires,
les cellules amacrines et les cellules ganglionnaires. Entre les couches nucléaires
externe et interne se situe la couche plexiforme externe, où les photorécepteurs
font synapse avec les cellules bipolaires et horizontales. Finalement, la couche des
segments externes des photorécepteurs contient les éléments photosensibles de la
rétine. La partie externe est recouverte par l’épithélium pigmenté.

Structure des photorécepteurs


La conversion des radiations électromagnétiques en signaux nerveux survient
dans les photorécepteurs situés sur la partie la plus profonde de la rétine. Il y a
quatre parties dans un photorécepteur : un segment externe, un segment interne,
un corps cellulaire et une terminaison synaptique. Le segment externe est com-
posé d’un empilement de disques, qui se trouvent eux-mêmes enchâssés dans
la membrane plasmique de la cellule. Les photopigments sensibles à la lumière
sont présents dans ces disques. Ce sont eux qui absorbent la lumière et génèrent
des modifications du potentiel de membrane du photorécepteur (ceci sera déve-
loppé plus loin). La figure 9.14 illustre les deux types de photorécepteurs de la
rétine, qui sont reconnaissables à l’aspect de leurs segments externes : les bâton-
nets présentent un long segment externe cylindrique avec de nombreux disques ;
les cônes ont un segment externe plus court et effilé, avec relativement peu de
disques membraneux. Le nombre plus élevé de disques et les hautes concentra-
tions en photopigments dans les bâtonnets les rendent environ 1 000 fois plus
sensibles à la lumière que les cônes. Il est estimé que chaque rétine chez l’homme
comprend environ 5 millions de cônes et 92 millions de bâtonnets.
Les très grandes différences de structure et de sensibilité à la lumière exis-
tant entre les cônes et les bâtonnets ont conduit les chercheurs à constater que
l’homme présente une rétine duale : il existe deux systèmes complémentaires dans
chaque œil. Les différences de structure entre cônes et bâtonnets recouvrent dès
lors des différences fonctionnelles tout aussi importantes. Par exemple, durant
les périodes de faible éclairement, comme c’est le cas la nuit, nommées aussi
­conditions scotopiques, seuls les bâtonnets contribuent à la vision. A ­  ­contrario,
le jour, ce que l’on nomme conditions photopiques, ce sont les cônes qui assurent
­l’essentiel du travail. A des niveaux de luminosité intermédiaires (par exemple
à l’intérieur le jour, ou avec un éclairage la nuit), désignés par conditions méso­
piques, la vision est assurée à la fois par les cônes et les bâtonnets.
9 – Œil et vision 303

(a) Terminaisons
synaptiques

Corps
cellulaires

Segment
interne

Cône Segment
externe

Bâtonnet Disque contenant


les photopigments

(b)

Cône

Bâtonnets

Figure 9.14 – Structure des bâtonnets et des cônes.


(a) Les bâtonnets contiennent plus de disques et sont
impliqués dans la vision à faible luminosité ; les cônes
permettent la vision diurne. (b) Microphotographie au
microscope électronique à balayage des bâtonnets et
des cônes (Source : courtoisie de J. Franks et W. Halfter.)

Les cônes et les bâtonnets présentent d’autres différences : les bâtonnets


contiennent tous le même photopigment, mais il y a trois types de cônes, cha-
cun avec un pigment différent. Les différences de contenu en pigments rendent
les sous-types de cônes sensibles à différentes longueurs d’ondes. Comme cela
sera abordé plus loin, seuls les cônes assurent la vision de la couleur. David
Williams, de l’Université de Rochester, a utilisé des méthodes ingénieuses pour
révéler de façon détaillée la distribution des cônes dans la rétine humaine. De
façon surprenante, plutôt que de révéler un arrangement comme celui que l’on
trouve dans la répartition des pixels sur un écran d’ordinateur, la rétine humaine
présente une très grande diversité dans l’arrangement et la distribution des cônes
(Encadré 9.4).
304 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 9.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Voir au travers de la mosaïque des photorécepteurs


Par David Williams

Lorsque j’ai débuté mes études supé- sant de la lumière, à partir d’un laser très
rieures en 1975, nous ne connaissions prati- puissant, à la surface d’un miroir laissé sur
quement rien de la topographie des trois la lune par les équipages du programme
classes de cônes, à la base de la vision tri- Apollo. J’ai alors entendu Bob dire
chromatique des couleurs dans l’œil de « Déplacez le faisceau vers la droite et vous
l’homme. Bien que Thomas Young ait éviterez la lumière parasite de la lune ». J’ai
déduit, il y a de cela environ 150 ans, que la soudain réalisé qu’en tâtonnant, nous
vision des couleurs dépendait de ces trois recherchions tous les deux la même chose.
canaux fondamentaux, nous ne connais- Liang et moi sommes rentrés rapidement
sions toujours pas le nombre relatif de ces à l’Université de Rochester et, avec un autre
trois types de cônes, ou simplement com- étudiant post-doctorant, Don Miller, nous
ment ceux-ci étaient organisés dans la rétine. David Williams avons construit le premier système optique
Avec mon directeur de thèse, Don MacLeod, adaptatif permettant de corriger les aberrations
à l’Université de Californie à San Diego, j’ai mis en monochromatiques de l’œil. Ce fut le début d’une miniré-
œuvre des méthodes psychophysiques pour cartogra- volution dans le domaine de l’optométrie et de l’ophtal-
phier la rétine en réponse à une stimulation de couleur mologie, ce simple dispositif corrigeait les principaux
violet. Nous avons alors découvert que les cônes du défauts de la vision comme cela n’avait jamais été pos-
sous-type S (pour short, en anglais), stimulés spécifique- sible jusqu’à présent. La mesure de l’acuité visuelle dans
ment par cette longueur d’onde, étaient répartis de façon ces conditions n’a jamais été meilleure, grâce à ce dispo-
diffuse dans la mosaïque des cônes L (pour long) et M sitif optique adaptatif. Ceci nous a permis de proposer
(pour medium). Nous avons aussi montré qu’une per- d’améliorer la chirurgie laser et de mettre au point des
sonne était à même de détecter un flash de lumière qui lentilles de contact et intra-oculaires plus performantes.
stimulait juste 5 millions environ de cônes de la rétine. Nous avons équipé une caméra avec ce type d’op-
Plus tard, j’ai recentré mon travail sur la topographie tique adaptative pour obtenir des images encore plus
de cette mosaïque de base de la trichromie. Après de nettes de la rétine humaine, tellement précises qu’il est
nombreux échecs pendant plusieurs années, j’ai abouti à possible de distinguer les cônes individuels dans la
une solution venant d’une direction totalement inespé- mosaïque des photorécepteurs. Nous nous sommes
rée. En fait, j’ai toujours eu un intérêt particulier à l’ex- alors interrogés sur la possibilité d’identifier les photo-
ploration des limites de l’acuité visuelle. Alors que j’uti- pigments qui différencient les 3 sous-types de cônes,
lisais diverses technologies pour tenter d’approcher les répondant ainsi à la question que je m’étais posée bien
limites d’une image nette sur la rétine, j’employais des des années auparavant au démarrage de ma thèse. En
optiques légèrement déformantes, généralement utili- combinant cette optique particulière et une autre
sées par les astronomes, pour corriger le flou lié à la tra- méthode, la densitométrie rétinienne, deux nouveaux
versée de l’atmosphère, dans le but de visualiser correc- post-doctorants du laboratoire, Austin Roorda et plus
tement les étoiles. tard Heidi Hofer, ont obtenu la réponse à cette question.
L’une des difficultés d’utilisation de ces optiques est Il se trouve que ces trois classes de cônes sont remarqua-
qu’un tel miroir coûte environ 1 million de dollars… Par blement… désorganisées, contrairement à la mosaïque
chance, j’ai rencontré un ingénieur qui nous a fourni géométrique que l’on trouve dans l’œil de nombreux
un dispositif équivalent. Nous avons eu beaucoup de insectes (Fig. A). De plus, le nombre relatif des cônes M
chance : les expériences conduisant à l’utilisation de ce et L varie considérablement d’une personne à l’autre, en
miroir déformant venaient d’être déclassifiées par les dépit des grandes similarités quant à leur pouvoir de
militaires. Avec mon étudiant post-doctorant, Junzhong
Liang, nous avons été autorisés à visiter le Starfire
Optical Range (SOR), un télescope d’environ 16 mil-
lions de dollars utilisé pour traquer les satellites et
équipé de ce type d’optique adaptative. J’étais décou-
ragé de découvrir la nécessité d’une légion d’ingénieurs
et ­d’équipements très chers pour le fonctionnement de
Figure A – Arrangement des trois
ce télescope, quand soudain un événement remarquable classes de cônes dans la rétine
se ­produisit. Bob Fugate, le directeur du SOR, tentait de humaine.
mesurer des aberrations atmosphériques en réfléchis- (Source : Roorda and Williams, 1999.)
9 – Œil et vision 305

Encadré 9.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

détecter les couleurs (Fig. B). Joe Carroll, encore un pour le diagnostic et le traitement de certaines patholo-
autre post-doctorant, a poursuivi ce travail aussi bien gies rétiniennes. De fait, je n’aurais jamais pu imaginer
chez les daltoniens que chez des patients présentant que les progrès de la technologie spatiale auraient pu
diverses mutations génétiques. nous fournir autant d’outils performants pour analyser
Les méthodes utilisant l’optique adaptative ont éga- les mécanismes de la vision… ou même que les ques-
lement été appliquées pour visualiser d’autres types cel- tions que je me posais au tout début de ma thèse sur la
lulaires de la rétine, notamment les cellules ganglion- vision des couleurs puissent trouver une réponse quelque
naires, et ces outils se sont avérés d’un intérêt majeur 20 années plus tard.

HS YY *AN AP nasal

AP temporal MD JP JC

RS *JW nasal *JW temporal BS

Figure B – Variation du nombre relatif de cônes dans l’œil percevant normalement les couleurs.
(Source : Hofer et al., 2005 ; Roorda and Williams, 1999.)

Différences régionales dans la structure de la rétine


La structure de la rétine varie de la fovéa à sa périphérie. La plupart des
quelque 5 millions de cônes sont localisés dans la fovéa, et leur nombre diminue
substantiellement dans la périphérie de la rétine. À l’inverse, la rétine centrale
ne comporte aucun bâtonnet et ceux-ci sont présents en plus grand nombre que
les cônes dans la rétine périphérique. La distribution respective des cônes et des
bâtonnets dans la rétine est résumée à la figure 9.15.
Ces différences de répartition des cônes et des bâtonnets dans la rétine ont
d’importantes conséquences sur la vision. En lumière photopique (lumière du
jour), c’est ainsi la rétine centrale qui présente une plus grande sensibilité spatiale.
306 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Tache
Fovéa aveugle

Bâtonnets Bâtonnets
Nombre/mm2

Cônes

70° 50° 30° 10° 0 10° 30° 50° 70° 90°

(a) Distance dans la rétine


(c) (d)

Région périphérique Rétine Région périphérique


temporale centrale nasale

Figure 9.15 – Différences régionales dans la structure de la rétine.


(a) Les cônes sont essentiellement présents dans la partie centrale de
la rétine, dans 10° de la fovéa. Les bâtonnets sont absents de la fovéa
centrale et se trouvent principalement dans la rétine périphérique. (b)
Dans la rétine centrale, les cellules ganglionnaires reçoivent l’informa-
tion visuelle d’un nombre limité de photorécepteurs, alors qu’au niveau
périphérique chaque cellule ganglionnaire reçoit des informations d’un
grand nombre de ces photorécepteurs. Cette organisation rend la rétine
périphérique plus apte à détecter les faibles intensités lumineuses, alors
que la rétine centrale possède quant à elle un pouvoir discriminatif plus
élevé. (c) Vue à fort grossissement d’une coupe réalisée au niveau de la
partie centrale de la rétine humaine, montrant la mosaïque très dense
des segments internes des cônes. (d) À un niveau plus périphérique de
la rétine, les segments internes des cônes sont de diamètre plus impor-
tant et apparaissent comme des îlots sur une mer de segments internes
de bâtonnets, de dimension plus réduite. (Source pour les parties c et
(b) Rétine périphérique Rétine centrale Rétine périphérique d : Curcio et al., 1990, p. 500.)

L’acuité visuelle est mesurée à partir de la détection des lettres et des chiffres
sur la charte test, qui implique la partie centrale de la rétine et donc, de façon
très majoritaire, les cônes de la fovéa. Souvenez-vous que la fovéa est la partie
de la rétine présentant l’épaisseur la plus fine, au centre de la macula. En coupe,
la fovéa apparaît d’ailleurs comme une sorte de dépression dans la rétine. Cet
aspect est lié au déplacement latéral des cellules qui se situent au-dessus des
photorécepteurs, permettant à la lumière d’atteindre dans cette zone les pho-
torécepteurs directement, sans passer au travers des autres couches de cellules
rétiniennes (Fig. 9.16). Une telle spécialisation structurale maximalise l’acuité
visuelle à la fovéa, en repoussant les autres cellules qui pourraient disperser la
lumière et contribuer à rendre l’image moins nette. Si vous deviez subir un test
d’acuité visuelle tout en regardant légèrement au loin par rapport à la charte gra-
phique, ou encore si vous tentiez de lire les titres d’ouvrages sur une étagère en
utilisant votre vision périphérique, pour avoir les mêmes performances visuelles
qu’en vision centrale, il faudrait que la taille des lettres soit plus grande. De
façon moins évidente que l’excellente acuité spatiale à la fovéa, une autre carac-
téristique de la vision est de considérer que nous sommes moins performants pour
distinguer les couleurs en utilisant notre rétine périphérique, à cause du nombre de
cônes plus réduit qu’au centre de la rétine. Vous pouvez parfaitement le vérifier
en regardant droit devant vous un petit objet coloré et en le déplaçant lentement
sur le côté.
9 – Œil et vision 307

Couche
des cellules
ganglionnaires

Couche nucléaire
interne

Couche nucléaire
externe

Cônes Bâtonnets

Figure 9.16 – Coupe transversale au niveau de la fovéa.


Au niveau de la fovéa, la couche des cellules ganglionnaires et la couche nucléaire interne sont
déplacées latéralement, ce qui conduit à une activation directe des photorécepteurs par la lumière.

Les conséquences de cette distribution différentielle des cônes et des bâton-


nets dans la rétine sont encore plus importantes en lumière scotopique (à l’obs-
curité), lorsque notre vision est essentiellement dépendante des bâtonnets. Par
exemple, notre rétine périphérique est plus sensible à de faibles intensités de lumière.
Dis d’une autre façon, notre vision centrale est plus ou moins aveugle à de faibles
niveaux de lumière scotopique. Ceci est lié au fait que les bâtonnets répondent
plus fortement à de faibles intensités de lumière que les cônes, qu’il y a davan-
tage de bâtonnets dans la rétine périphérique que dans sa région centrale, et que
davantage de bâtonnets projettent sur une seule cellule bipolaire et sur une seule
cellule ganglionnaire dans la partie périphérique de la rétine (amplifiant par-là la
détection des faibles luminosités). La grande sensibilité de la rétine périphérique
à de faibles luminosités peut être démontrée par une nuit étoilée (c’est amu-
sant ; essayez avec un ami !). Passez une vingtaine de minutes dans l’obscurité,
puis fixez votre regard sur une étoile brillante. En fixant votre regard sur cette
étoile, tentez de détecter, dans la périphérie, des étoiles moins brillantes. Puis
déplacez votre regard vers cette étoile moins lumineuse. Vous constaterez, alors,
que l’étoile de faible luminosité disparaît lorsque vous la regardez en utilisant
la vision centrale (en face), mais qu’elle réapparaît aussitôt lorsque vous utilisez
votre vision périphérique (en la regardant de côté).
Parce que seuls les cônes permettent d’avoir la vision des couleurs, nous ne
sommes pas capables de percevoir les différences de couleur la nuit lorsque ce sont
les bâtonnets qui nous permettent de voir. Un arbre vert, une voiture bleue et
une maison rouge apparaissent plus ou moins uniformément de la même couleur
(ou plutôt sans couleur). La sensibilité des bâtonnets est d’une longueur d’onde
autour de 500 nm, en lumière scotopique les objets tendent à être perçus comme
bleu-vert foncé. Cette perte de vision des couleurs, comme le soleil qui se couche,
représente un énorme effet perceptuel que nous banalisons par son caractère
familier.
Pour les humains de cette période moderne, la vision nocturne n’est cepen-
dant pas exclusivement due aux bâtonnets. Dans les régions urbaines, nous
sommes à même de percevoir quelques couleurs grâce à l’éclairage public et aux
néons des enseignes commerciales, qui émettent suffisamment de lumière pour
activer les cônes. Ce fait est à l’origine des débats autour de la couleur de l’éclai-
rage des tableaux de bord des voitures. Pour les uns, cet éclairage doit être plutôt
bleu-vert foncé pour tirer avantage de la sensibilité spectrale des bâtonnets ; pour
les autres, plutôt de couleur rouge brillant, du fait que cette longueur d’onde
stimule particulièrement les cônes sans saturation des bâtonnets, entraînant une
meilleure vision nocturne.
308 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Phototransduction
La phototransduction est la conversion, ou transduction, par les photoré-
cepteurs de l’énergie lumineuse en variations de potentiel de membrane. C’est
d’abord la phototransduction par les bâtonnets, 20 fois plus nombreux que les
cônes dans la rétine de l’homme, qui sera décrite ici ; le processus de phototrans-
duction impliquant les bâtonnets étant de plus assez similaire à celui qui s’opère
dans les cônes.

Phototransduction dans les bâtonnets


Comme cela a déjà été mentionné dans la première partie de cet ouvrage,
une des voies de transfert de l’information dans le système nerveux est liée à
des variations du potentiel de membrane des neurones. Un mécanisme similaire
intervient au niveau de l’œil, par lequel l’absorption de l’énergie lumineuse induit
des variations du potentiel de membrane des photorécepteurs. Ce processus est
comparable, par bien de ses aspects, à la transduction des signaux chimiques en
signaux électriques au cours de la transmission synaptique. S’agissant des récep-
teurs couplés aux protéines G, par exemple, la fixation du neurotransmetteur
sur le récepteur active des protéines G qui, à leur tour, stimulent des enzymes
effectrices variées (Fig. 9.17a). L’activation de ces enzymes modifie la concen-
tration intracellulaire de seconds messagers, ce qui (directement ou indirecte-
ment) fait varier la conductance des canaux ioniques de la membrane et affecte
ainsi le potentiel de membrane. De façon similaire, dans les photorécepteurs la
stimulation lumineuse du photopigment active des protéines G, qui activent à
leur tour une enzyme effectrice modifiant la concentration cytoplasmique en
seconds messagers. Ceci entraîne la fermeture d’un canal ionique et le potentiel
de membrane se trouve ainsi modifié (Fig. 9.17b).
Souvenez-vous (voir chapitre 3) que le potentiel de la membrane du neurone
au repos présente une valeur d’environ – 65 mV, proche du potentiel d’équilibre
des ions K+. En revanche, dans l’obscurité totale le potentiel de membrane du
segment externe du bâtonnet est de l’ordre de – 30 mV. Cette dépolarisation per-
manente est liée à l’entrée constante d’ions Na+ à travers des canaux membra-
naires spécifiques du segment externe du bâtonnet (Fig. 9.18a). Le déplacement
des charges positives au travers de la membrane représente le courant d’obscurité.
L’ouverture des canaux sodiques est contrôlée par un second messager intracel-
lulaire appelé guanosine monophosphate cyclique ou GMPc. Dans le photorécep-
teur, le GMPc est continuellement produit par une enzyme, la guanylate cyclase,
ce qui assure l’ouverture des canaux sodiques. La lumière réduit la production
de GMPc, entraînant alors la fermeture des canaux sodiques et, par voie de
conséquence, une réduction du potentiel de membrane qui devient plus négatif
(Fig. 9.18b). Ceci fait que les photorécepteurs sont donc hyperpolarisés en réponse
à la lumière (Fig. 9.18c).
C’est l’absorption des radiations électromagnétiques par le photopigment
contenu dans la membrane des disques empilés dans les segments externes des
bâtonnets qui initie l’hyperpolarisation en réponse à la lumière. Dans les bâton-
nets, ce pigment photosensible est nommé rhodopsine. La rhodopsine peut être
considérée comme une protéine-récepteur, qui serait déjà associée à un agoniste.
La protéine-récepteur, représentée par l’opsine, présente les sept hélices α trans-
membranaires typiques des récepteurs couplés aux protéines G. L’agoniste pré-
lié au récepteur est le rétinal, un dérivé de la vitamine A. L’absorption de la
lumière provoque un changement de conformation de la structure atomique du
rétinal, de sorte qu’il active l’opsine (Fig. 9.19). Ce changement conformation-
nel, connu comme le mécanisme du « blanchiment » (bleaching), modifie les
longueurs d’ondes absorbées par la rhodopsine (le photopigment change litté-
ralement de couleur, passant du violet au jaune), et correspond à son activation.
9 – Œil et vision 309

Neurotransmetteur Lumière

Récepteur couplé
aux protéines G
Effecteur Photopigment Effecteur
Membrane cellulaire (enzyme) Membrane (enzyme)
des disques

Protéine G Protéine G
Second Second
messager messager

Canal ionique Canal ionique


ouvert ou fermé fermé

(a) Récepteur d’un neurotransmetteur (b) Photopigment


couplé aux protéines G

Stimulus : Neurotransmetteur Stimulus : Lumière

Activation du Changement de conformation Activation du Changement de conformation


récepteur : de la protéine récepteur : de la protéine

Protéine G : Liaison GTP Protéine G : Liaison GTP

Modification Augmentation des seconds Modification Diminution des seconds


des seconds messagers des seconds messagers
messagers : messagers :

Réponse Augmente ou diminue Réponse Diminue la conductance


du canal la conductance du canal sodique
ionique : ionique :

Figure 9.17 – Transduction de la lumière et protéines G.


Les récepteurs couplés aux protéines G et les photorécepteurs utilisent des mécanismes de transduction similaires. (a) S’agis-
sant d’un récepteur couplé aux protéines G, c’est la fixation du neurotransmetteur qui active la protéine G et l’enzyme effecteur.
(b) Dans le cas du photorécepteur, c’est la lumière qui provoque l’activation, impliquant la protéine G dénommée transducine.

Le bleaching de la rhodopsine stimule à son tour une protéine G de la membrane


du disque, la transducine, qui active une enzyme effectrice, la phosphodiestérase
(PDE), laquelle inactive le GMPc normalement présent dans le cytoplasme des
bâtonnets à l’obscurité. La réduction des taux de GMPc entraîne la fermeture
des canaux sodiques et, partant, l’hyperpolarisation de la membrane.
L’une des conséquences fonctionnelles intéressantes de cette cascade de
­réactions liées à la transduction est l’amplification du signal. De nombreuses
­protéines G sont activées par chaque molécule de photopigment et chaque
­molécule de PDE hydrolyse plus d’une molécule de GMPc. Cette amplification
donne ainsi au système visuel une incroyable sensibilité, jusqu’à de très faibles
quantités de lumière. Les bâtonnets sont plus sensibles à la lumière que les cônes
parce qu’ils contiennent plus de disques dans leur segment externe et, par consé-
quent, davantage de photopigments ; mais c’est aussi parce que les bâtonnets
amplifient la réponse à la lumière, plus que ne le font les cônes. L’incroyable
résultat est que les bâtonnets donnent une réponse mesurable en termes de
potentiel de membrane même lorsqu’il s’agit d’un simple photon isolé, c’est-à-
dire l’unité élémentaire d’énergie lumineuse.
310 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Segment
interne
Dépolarisation Hyperpolarisation
membranaire membranaire

Segment
Na+ externe

(a) Obscurité (b) Lumière

– 30 mV

Vm

– 60 mV

(c) Temps

Figure 9.18 – Hyperpolarisation des photorécepteurs en réponse à la lumière.


À l’obscurité, les photorécepteurs sont en permanence dépolarisés par un courant sodique entrant. (a) Les ions Na+
pénètrent dans la cellule par un mécanisme lié au GMPc. (b) La lumière conduit à l’activation d’une enzyme qui inac-
tive le GMPc, ce qui a pour conséquence de réduire la conductance sodique et donc d’hyperpolariser la membrane.
(c) Dans l’obscurité, le potentiel de membrane des photorécepteurs est de – 30 mV (partie gauche). Pendant la période
d’illumination de la rétine, les cellules deviennent hyperpolarisées (partie centrale de la courbe). On observe une légère
repolarisation de la membrane, qui correspond à un phénomène d’adaptation. Le retour à l’obscurité s’accompagne de la
repolarisation membranaire à – 30 mV (partie droite de la courbe).

Opsine Opsine

Figure 9.19 – Activation de la rhodopsine
par la lumière.
La structure de la rhodopsine comprend sept
segments transmembranaires organisés en
hélice α représentant l’opsine, à laquelle est
associée une petite molécule dérivée de la
vitamine A, le rétinal. Lorsqu’il est activé par
la lumière, le rétinal subit un changement Rétinal Rétinal
conformationnel conduisant à l’activation de (inactif) Membrane (actif) Membrane
l’opsine (NdT : l’isomérisation du cis-rétinal des disques des disques
en trans-rétinal sous l’effet de la lumière libère
l’opsine et convertit le rétinal en rétinol).
9 – Œil et vision 311

Membrane des disques Membrane Membrane des disques Membrane


du photorécepteur du photorécepteur

Rhodopsine Protéine G
(transducine) Phosphodiestérase

(inactivée) Na+ (activée)


Canal sodique activé par le GMPc Canal sodique
(ouvert) fermé

(a) Obscurité (b) Lumière

Figure 9.20 – Activation de la cascade des seconds messagers par les photorécepteurs.


(a) À l’obscurité, en présence de GMPc les canaux sodiques sont ouverts, conduisant à un courant
entrant dépolarisant. (b) L’activation de la rhodopsine par la lumière stimule un échange du GDP en
GTP au niveau de la protéine G (transducine) (voir chapitre 6), conduisant secondairement à la mise
en jeu d’une phosphodiestérase (PDE) qui inactive le GMPc et réduit le courant d’obscurité.

En résumé, la séquence des événements accompagnant la transduction du


signal visuel dans les bâtonnets est la suivante :
1. la lumière active la rhodopsine (bleaching) ;
2. la transducine (la protéine G) est stimulée ;
3. la phosphodiestérase (PDE) est secondairement activée ;
4. la PDE réduit les taux de GMPc ;
5. la fermeture des canaux sodiques conduit à l’hyperpolarisation membranaire.
Cette séquence complexe d’événements est illustrée à la figure 9.20.

Phototransduction dans les cônes


L’illumination prolongée des bâtonnets fait chuter les taux de GMPc,
jusqu’au point où la réponse à la lumière est saturée ; plus de lumière ne pro-
voque pas plus d’hyperpolarisation. C’est la raison pour laquelle la vision de
jour dépend entièrement des cônes dont les photopigments ont besoin de plus
d’énergie pour être activés.
Le processus de phototransduction dans les cônes est virtuellement le même
que celui intervenant dans les bâtonnets ; la seule différence importante vient
du type d’opsines présent dans les disques des segments externes des cônes. Les
430 530 560
cônes de la rétine contiennent une des trois opsines qui donnent aux photopig- Cônes
« bleu »
ments des sensibilités différentes au spectre de la lumière. Ainsi, est-il fait état de Cônes Cônes
Réponse relative

« vert » « rouge »
cônes à faible longueur d’onde, ou cônes « bleus », activés de façon optimale par
une longueur d’onde d’environ 430 nm, de cônes à longueur d’onde moyenne ou
cônes « verts », activés de façon optimale par des longueurs d’onde autour de
530 nm, et de cônes à longueur d’onde plus longue ou cônes « rouges », essen-
tiellement activés par une longueur d’onde d’environ 560 nm (Fig. 9.21). Notez
que chaque type de cônes est activé par une assez large gamme de longueurs
d’onde de lumière et qu’il y a ainsi des chevauchements dans la sensibilité spec-
trale, avec des longueurs d’onde qui affectent les trois sous-types de cônes. De 400 450 500 550 600 650
façon courante, ces cônes sont considérés comme bleus, verts ou rouge mais ceci Longueur d’onde (nm)
est un peu abusif puisque plusieurs couleurs sont perçues lorsque différentes Figure 9.21 – Sensibilité spectrale des trois
longueurs d’onde de lumière sont présentes, y compris dans le spectre large d’un différents types de cônes.
type de cônes particulier. Les termes « court », « moyen » et « long » (S pour Chaque photopigment absorbe une large
short, M pour medium et L pour long) sont, de ce fait, mieux appropriés pour gamme de longueurs d’onde du spectre des
désigner les différentes catégories de cônes. couleurs (voir Fig. 9.2).
312 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Perception des couleurs.  La couleur que nous percevons est largement déter-
minée par l’activation relative des sous-types de cônes, courts, moyens et longs.
Il y a maintenant plus de 200 ans, le physicien britannique Thomas Young avait
déjà suggéré ce mode de détection des couleurs par le système visuel. En 1802,
Young montra que l’on pouvait recréer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, y
compris le blanc, en mélangeant la lumière bleue, verte et rouge dans des pro-
portions requises (Fig. 9.22). Il pensait à juste titre qu’il existe en chaque point
de la rétine trois types de récepteurs, chacun répondant à un spectre différent de
longueurs d’onde. Les idées de Young furent défendues plus tard au xixe siècle
par Hermann von Helmholtz, un physiologiste allemand influant (parmi ses tra-
vaux, on peut citer l’invention de l’ophtalmoscope, en 1851). Cette théorie de la
vision des couleurs a pris le nom théorie de la trichromie de Young-Helmholtz.
Selon cette théorie, le cerveau identifie une couleur après le décryptage de l’acti-
Figure 9.22 – Mélange de lumières colorées. vité des trois types de cônes. Lorsque tous les types de cônes sont également acti-
Le mélange du rouge, du vert et du bleu vés comme dans le cas d’un spectre de lumière étendu, on perçoit du « blanc ».
conduit à l’activation des trois types de cônes Les autres couleurs proviennent de contributions différentes des sous-types de
et à la perception de la couleur blanche.
cônes. Par exemple, la couleur orange est un mélange de rouge et de jaune, et
cette couleur peut tantôt présenter une dominante rouge, tantôt une dominante
jaune (le rouge, l’orangé et le jaune sont voisins dans le spectre des couleurs).
Mais notez que la perception d’autres mélanges de couleurs est considérée dif-
féremment : par exemple, aucune couleur est à la fois perçue comme rouge et
verte, ou encore bleu et jaune (ces couleurs opposées ne sont pas voisines dans
le spectre des couleurs). Nous le verrons plus loin, ceci pourrait être le reflet de
ce que l’on nomme « l’opposition simple de couleurs », un mécanisme de traite-
ment de l’information visuelle par les cellules ganglionnaires.
La nomenclature de la vision des couleurs peut, ainsi, être quelque peu
déroutante. Dès lors, il faut faire preuve de prudence et ne pas confondre la cou-
leur de la lumière et le nom de la couleur de cônes. Il est faux de penser que la
perception de la lumière comme étant de couleur rouge résulte d’une stimulation
lumineuse représentée par une seule longueur d’onde, ou bien que cette longueur
d’onde n’est absorbée que par les cônes à longueur d’onde longue. La réalité est
que les lumières colorées présentent, en général, un large spectre de longueurs
d’ondes différentes, susceptibles d’activer, tout ou partie, les trois sous-types de
cônes. C’est ainsi le rapport de leur activation respective qui détermine la cou-
leur perçue. Différentes formes de défauts de perception de la couleur résultent
de la perte d’un ou de plusieurs photopigments de ces sous-catégories de cônes
(Encadré 9.5). Et, comme cela a été dit précédemment, si nous n’avions pas de
cônes, nous ne percevrions pas la couleur du tout.

Encadré 9.5 FOCUS

Génétique de la vision des couleurs


Les couleurs que nous percevons sont largement en tous les hommes à vision trichromatique a priori
rapport avec la quantité de lumière absorbée respecti- ­ormaux ne perçoivent pas la même couleur. Par
n
vement par les pigments rouge, vert et bleu, de nos exemple, si l’on demande à une population d’individus
cônes. Ceci signifie qu’il est possible de percevoir n’im- de choisir la longueur d’onde pour l’obtention du vert,
porte quelle couleur de l’arc-en-ciel en mélangeant ces sans que cela soit jaune ou bleuté, certaines variations
trois couleurs de base. Par exemple, la perception du interviennent dans ce choix. Mais ce qui est plus
jaune peut être obtenue par un mélange approprié de important, bien entendu, c’est que certaines anoma-
lumière verte et rouge. Comme nous utilisons un sys- lies dans la détection des couleurs présentent un carac-
tème à trois couleurs, les hommes sont dits présentant tère pathologique par rapport à la vision trichroma-
une vision des couleurs trichromatique. Cependant, tique normale.
9 – Œil et vision 313

Encadré 9.5 FOCUS  (suite)

La plupart de ces anomalies résultent de petites pigment, seulement 1 % des femmes ont des problèmes
mutations entraînant soit la perte d’un des pigments similaires.
visuels impliqués dans la détection de l’une ou l’autre Les individus qui présentent l’absence de l’un ou
des couleurs, soit un déplacement de la sensibilité spec- l’autre des pigments, sont considérés comme ne perce-
trale pour un type de ces pigments. La plus commune de vant pas les couleurs. Pourtant ils ont réellement une
ces anomalies porte sur la couleur rouge-vert, anomalie perception colorée et ce ne serait que 0,001 % de la
plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. La population qui n’aurait aucune vision des couleurs.
raison en est que les gènes responsables de la production Dans un des cas connus, ce sont les deux pigments rouge
des pigments rouge et vert sont situés sur le seul chromo- et vert à la fois qui manquent parce que les mutations
some X, alors que le gène qui encode le pigment bleu est des gènes de ces pigments les ont rendus inactifs. Ces
situé sur le chromosome 7. Ainsi les hommes présentent individus ont une vision des couleurs monochromatique,
un défaut de la vision rouge-vert s’il existe une altération et vivent dans un monde qui ne diffère que par l’inten-
du chromosome X, seul hérité de leur mère. En revanche, sité lumineuse, comme les sujets à vision trichromatique
les femmes ne présentent ce défaut de vision des cou- regardant un film en noir et blanc.
leurs que si les deux parents présentent cette anomalie
génétique sur les chromosomes X. Bien que l’achromatopsie (l’absence de vision des
Environ 6 % des hommes présentent un pigment couleurs) soit rare chez les humains, dans l’île de
rouge, ou vert, qui absorbe à une longueur d’onde Pingelap de l’archipel Micronésien, environ 5 à 10 % de
quelque peu différente de celle du reste de la popula- la population présente cette pathologie rétinienne, et
tion. Ces personnes sont souvent appelées « dalto- beaucoup plus d’individus sont des « porteurs sains ». Il
niens », et présentent de fait une vision colorée du est connu que cette maladie est liée à une mutation d’un
monde qui les entoure. Ils sont catalogués comme indi- gène, associée à un développement incomplet des cônes
vidus à vision trichromatique anormale parce que chez de la rétine qui les rend non fonctionnels. Mais pour-
eux la vision des couleurs intermédiaires et du blanc quoi cette achromatopsie est-elle si commune dans l’ile
nécessite différents mélanges de rouge, vert et bleu de Pingelap ? Si l’on en croit les iliens, à la fin du
xviiie siècle un typhon a dévasté l’île, tuant environ 20 %
pour percevoir les couleurs intermédiaires (et le blanc)
par rapport aux autres personnes. La plupart de ces de la population et les patients atteints de cette maladie
individus présentent un gène qui encode pour le pig- sont en fait tous les descendants d’un homme qui était
ment bleu normal, et l’anomalie génétique ne porte en un porteur sain. Et c’est ainsi que cette maladie a été
fait que sur les gènes de l’un ou l’autre des deux autres transmise et qu’elle s’est développée par consanguinité
pigments, rouge ou vert. Mais ils présentent aussi un dans cette population.
gène hybride qui encode une protéine présentant un Finalement, des travaux récents posent la question
spectre d’absorption anormal, entre les pigments rouge de savoir si la vision des couleurs « normale » existe réel-
et vert normaux. Par exemple, une personne ayant une lement ? En effet, si l’on prend un groupe de sujets clas-
anomalie du pigment vert peut percevoir le jaune avec sés comme faisant partie du groupe à vision trichroma-
un mélange de rouge et de vert différent de la normale, tique normale, il est démontré que certains d’entre eux
c’est-à-dire utilisant moins de rouge. Ces personnes utilisent légèrement plus de rouge pour percevoir le
perçoivent le même spectre de couleurs que les indivi- jaune que d’autres, dans la configuration rouge-verte.
dus normaux et ce n’est qu’en de rares occasions Cette différence mineure par rapport aux troubles de la
qu’elles ne sont pas d’accord sur la nuance de la cou- vision des couleurs discutés ci-dessus résulte d’une seule
leur d’un objet, qu’elles décrivent par exemple « bleu » altération du gène du pigment rouge. Ainsi les 60 % des
plutôt que « bleu-verdâtre ». hommes qui présentent une sérine au site 180 du gène
En revanche, environ 2 % des hommes ne possèdent correspondant sont plus sensibles aux longueurs d’ondes
pas de pigment rouge ou vert. Dans ce cas ils ont seule- élevées que les 40 % restants, qui ont une alanine à la
ment une vision des couleurs dichromatique, n’utilisant place de la sérine. Imaginez alors ce qui arriverait si une
que deux types de cônes pour détecter la couleur. Les femme présentait des anomalies sur les gènes des pig-
individus ne possédant pas de pigment vert sont moins ments rouges à la fois au niveau des deux chromo-
sensibles au vert et confondent certaines nuances rouges somes X. Les deux gènes pourraient être exprimés,
et vertes. Un « dichromate vert » peut considérer une donnant deux types de pigments rouges différents,
lumière jaune comme rouge ou verte, aucun mélange dans deux populations de cônes. En principe une telle
n’étant possible. On note qu’en face des 8 % environ des femme aurait une vision des couleurs tétrachromatique,
hommes présentant une telle anomalie ou la perte d’un une rareté dans le monde animal.
314 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Adaptation à la lumière et à l’obscurité


La transition de la vision à la lumière du jour, associée aux cônes, et la vision
à l’obscurité de la nuit associée aux bâtonnets, n’est pas instantanée ; en rapport
avec le niveau initial de la lumière, cette transition peut prendre de quelques
minutes à presque une heure pour atteindre la meilleure sensibilité à la lumière
(d’où le temps nécessaire pour s’adapter à l’observation de l’étoile mentionnée
plus haut). Ce processus est connu comme le mécanisme d’adaptation à l’obscu-
rité. Au cours de cette période, la sensibilité à la lumière s’accroît ainsi d’environ
un million de fois ou plus.
L’adaptation à l’obscurité s’explique par un certain nombre de facteurs. Le
plus connu est sans doute la dilatation des pupilles, qui laisse entrer plus de
lumière dans l’œil. Cependant, chez l’homme, le diamètre pupillaire ne varie que
de 2 à 8 mm, ce qui signifie qu’au mieux l’augmentation du diamètre de la pupille
accroît la sensibilité à la lumière d’un simple facteur 10, environ. L’adaptation
à l’obscurité implique en plus la régénération de la rhodopsine non activée, et
un ajustement fonctionnel des circuits neuronaux de la rétine pour permettre à
chaque cellule ganglionnaire d’utiliser l’information recueillie par plus de bâton-
nets. En raison de cette sensibilité considérablement accentuée, lorsque l’œil qui
s’est adapté à l’obscurité retrouve brutalement la lumière, il est temporairement
saturé. C’est ce qui se passe lorsque l’on va à l’extérieur, un jour de grand soleil.
Pendant 5-10 minutes, l’œil présente une adaptation à la lumière et les modifi-
cations opérées dans la rétine qui accompagnaient l’adaptation à l’obscurité,
s’inversent. Ce processus d’adaptation à l’obscurité et à la lumière permet au
système visuel de réagir à des variations d’intensité de luminosité allant d’une
nuit noire sans lune, au jour le plus lumineux.
Rôle du calcium dans l’adaptation à la lumière.  En plus des facteurs men-
tionnés ci-dessus, la faculté de l’œil à s’adapter aux variations de luminosité
dépend aussi de la concentration intracellulaire de calcium des cônes. Lorsque
vous passez brutalement de l’obscurité à une lumière intense, initialement les
cônes sont très hyperpolarisés, c’est-à-dire que leur potentiel de membrane est
proche du potentiel d’équilibre du K+. Si les cônes demeuraient à ce niveau
de potentiel, nous serions donc incapables de détecter les variations de lumi-
nosité. Comme cela a été mentionné, la constriction de la pupille contribue à
réduire la quantité de lumière entrant dans l’œil. Cependant, le phénomène le
plus important est un changement du potentiel de membrane qui dépolarise les
cônes jusqu’à une valeur d’environ – 35 mV (voir Fig. 9.18c).
La raison en est que les canaux sodiques dépendants du GMPc sont en fait
Guanylate
GMPc
également perméables aux ions Ca2+ (Fig. 9.23). À l’obscurité, le Ca2+ entre donc
cyclase dans les photorécepteurs où il exerce un effet inhibiteur sur la synthèse du GMPc
par la guanylate cyclase. Lorsque les canaux dépendants du GMPc se ferment,
alors la conductance calcique diminue et, par voie de conséquence, l’entrée de
calcium dans le photorécepteur est réduite, comme celle des ions Na+. Dès lors la
synthèse de GMPc reprend puisque la guanylate cyclase est moins inhibée par le
calcium. C’est alors qu’à nouveau les canaux dépendants du GMPc sont activés.
Intérieur du cône En d’autres termes, lorsque les canaux se ferment un processus est auto-initié,
segment extérieur
qui va conduire à leur réouverture progressive, y compris lorsque la lumino-
Figure 9.23 – Rôle du calcium dans l’adaptation sité ne varie pas. Le calcium paraît également affecter les photopigments et les
à la lumière. phosphodiestérases, dans le sens d’une réduction de leur réponse à la lumière.
Les ions Ca2+ pénètrent dans les cônes par le Ces mécanismes calcium-dépendants sont la garantie que les photorécepteurs
même canal contrôlé par le GMPc que les ions sont toujours à même de détecter des variations relatives de luminosité, même si
Na+. Le calcium inhibe la synthèse de GMPc. ­l’information sur le niveau absolu de lumière est quelque peu perdue.
Adaptation à l’obscurité, à la lumière et aux couleurs.  L’effet que peut avoir
le changement de diamètre pupillaire sur l’adaptation à la lumière et à l’obscu-
rité est du même ordre pour l’ensemble des photorécepteurs. Cependant, le blea-
ching des photorécepteurs et d’autres mécanismes, comme l’influence du calcium
sur le GMPc, peut intervenir sur les cônes. Vous pouvez, vous-même, en faire la
démonstration à l’aide de la figure 9.24. Fixez d’abord votre regard sur la croix
noire au centre du carré gris, pendant environ une minute. Les cônes détectant
les points noirs et ceux détectant les parties blanches de l’image se trouvent alors
9 – Œil et vision 315

(a) (b)

(c) (d)

Figure 9.24 – Adaptation à la lumière et aux couleurs.


Fixez la croix au centre du carré en (a) pendant 1 minute, puis déplacez votre regard pour fixer la
croix en (b) pour constater les effets de l’adaptation de la rétine entre spots lumineux et sombre.
Après adaptation à la couleur en (c) ou (d), le gris en (b) devrait vous apparaître de couleur opposée.

adaptés. Maintenant regardez la croix située au centre du carré plus clair, dans la
partie b de la figure. Du fait de l’adaptation des cônes, vous devriez voir les spots
blancs présents lors de l’adaptation initiale. Le même processus intervient pour
l’adaptation à la couleur. Regardez l’un ou l’autre des carrés jaune ou vert, en
c et d de la figure, et adaptez sélectivement vos cônes à la détection de l’une ou
l’autre de ces couleurs. Maintenant déplacez votre regard vers le carré lumineux
situé dans la partie b. Vous devriez alors percevoir du bleu si vous avez adapté
vos cônes au jaune, ou du rouge si vous les avez adaptés au vert (la couleur
exacte dépend aussi de l’encre qui a été utilisée pour imprimer cette figure). Ces
démonstrations nécessitent des fixations du regard anormalement longues pour
révéler ces processus d’adaptation critiques, qui sont en permanence utilisés
pour conserver les photorécepteurs en état de transmettre une information utile.

Traitement de l’information
visuelle par la rétine
Nous avons vu comment la lumière est transformée en activité nerveuse,
maintenant nous allons examiner les modalités du transfert de cette information
rétinienne au cerveau. La seule source d’information issue de la rétine est repré-
sentée par l’activité des cellules ganglionnaires. L’objectif est alors de tenter de
comprendre quel type d’information est véhiculé par ces cellules ganglionnaires.
Certains aspects de cette information étaient connus bien avant la découverte des
photorécepteurs. Depuis les années 1950, les chercheurs étudient les décharges
des cellules ganglionnaires en réponse à la stimulation par la lumière de la rétine
à l’aide de techniques électrophysiologiques. Les pionniers de cette approche ont
été les neurophysiologistes Keffer Hartline et Stephen Kuffler qui travaillaient
aux États-Unis et Horace Barlow, en Angleterre. Ces chercheurs ont révélé quels
aspects d’une image visuelle sont codés par les décharges des cellules ganglion-
naires. Les premiers travaux, portant sur des crabes et des grenouilles, ont fourni
316 2 – Systèmes sensoriel et moteur

les fondements des études réalisées ultérieurement sur les chats et les singes. Il
devint bientôt clair que moins le cerveau était sophistiqué (ainsi que le système
visuel), plus l’analyse intervenant dans la rétine était élaborée. Néanmoins,
des principes comparables accompagnent le traitement rétinien dans un grand
nombre d’espèces.
Il a fallu plus de temps pour comprendre comment les interactions synap-
tiques dans la rétine conduisent à l’activation des cellules ganglionnaires, en
grande partie à cause du fait que seules les cellules ganglionnaires émettent des
potentiels d’action ; dans toutes les autres cellules de la rétine (à l’exception de
quelques cellules amacrines), la stimulation provoque des variations graduelles
du potentiel de membrane. Les méthodes d’enregistrement intracellulaire de
ces variations graduelles représentent un véritable défi technique, alors que les
potentiels d’action sont facilement détectés avec de simples méthodes d’enregis-
trement extracellulaire (voir Encadré 4.1). Ce n’est en fait qu’au début des années
soixante-dix que John Dowling et Franck Werblin, de Harvard University, ont
pu démontrer comment les réponses ganglionnaires reposent sur les interactions
impliquant les cellules horizontales et les cellules bipolaires.
Dans la rétine, la voie la plus directe du traitement de l’information visuelle
passe des cônes aux cellules bipolaires, puis aux cellules ganglionnaires. À chaque
relais synaptique les réponses sont modifiées par l’activation de connexions
latérales impliquant les cellules horizontales et amacrines. Comme les autres
neurones, les photorécepteurs libèrent des neurotransmetteurs lorsqu’ils sont
dépolarisés. Dans ce cas, le neurotransmetteur est le glutamate. Or, les photo-
récepteurs se dépolarisent dans l’obscurité et sont hyperpolarisés par la lumière.
Contre toute attente, les photorécepteurs libèrent donc moins de molécules de
neurotransmetteur à la lumière que dans l’obscurité ; mais ce paradoxe appa-
rent est bien compréhensible quand on sait que les photorécepteurs sont plus
sensibles à l’obscurité qu’à la lumière. Ainsi, lorsqu’une ombre passe sur un pho-
torécepteur, il répond en se dépolarisant et en libérant le glutamate.
Dans la couche plexiforme externe, chaque photorécepteur est en contact
synaptique avec deux types de neurones rétiniens : les cellules bipolaires et les
cellules horizontales. Souvenons-nous que les cellules bipolaires constituent la
voie la plus directe impliquée dans le transfert de l’information des photorécep-
teurs aux cellules ganglionnaires ; dans la couche plexiforme externe, les cellules
horizontales transmettent l’information latéralement, pour activer les cellules
bipolaires voisines et les photorécepteurs (voir Fig. 9.11 et 9.12). Maintenant,
voyons en détail la réponse des cellules bipolaires, puis des cellules ganglion-
naires, en analysant leurs champs récepteurs.

Champs récepteurs
Supposons qu’à l’aide d’un flash, vous ayez la possibilité de projeter un très
petit spot de lumière sur la rétine, alors même que vous êtes en train d’enregis-
trer l’activité d’un neurone visuel, comme par exemple une cellule ganglionnaire
de la rétine. Vous auriez trouvé que la stimulation lumineuse d’une toute petite
partie de la rétine affecte la décharge de ce neurone (Fig. 9.25a). Cette zone de
la rétine est dénommée champ récepteur du neurone. Toute stimulation lumi-
neuse appliquée en dehors de ce champ visuel n’a aucun effet sur la décharge
de ce neurone. La même procédure peut être appliquée à l’ensemble des neu-
rones de l’œil ou, plus généralement, de n’importe quel neurone impliqué dans la
vision. Le champ visuel est ainsi spécifié par le pattern de lumière appliqué à la
rétine qui déclenche la décharge de ce neurone. Dans le système visuel, les prin-
cipes optiques de l’organisation de l’œil établissent des correspondances entre
les zones de la rétine et les champs visuels. Par conséquent, il est coutumier de
décrire, aussi, les champs récepteurs visuels comme les zones de l’espace visuel
interchangeables avec des zones de la rétine (Fig. 9.25b). « Champ récepteur »
est de fait un terme général, utile pour décrire les spécificités d’un stimulus par
rapport à la décharge neuronale dans l’ensemble des systèmes sensoriels. Par
exemple, nous verrons dans le chapitre 12 que les champs récepteurs dans le sys-
tème somatosensoriel sont identifiés comme de toutes petites régions de la peau
9 – Œil et vision 317

Champ récepteur
de la rétine

Champ récepteur
Nerf optique projeté dans le
champ visuel

Enregistrement
d’une cellule
ganglionnairel
En déplaçant la lumière
sur la rétine, il est possible
(a)
de déterminer la zone
dont la stimulation En déplaçant la stimulation
lumineuse se traduit lumineuse dans le champ visuel,
par la décharge de la cellule il est possible de déterminer
En déplaçant l’aiguille (b) la zone dont la stimulation
sur la peau, il est possible
se traduit par l’activation
de déterminer la zone
Champ récepteur sur la rétine de la cellule ganglionnaire
correspondant à l’activation
du récepteur sensoriel
cutané

Champ
récepteur
cutané

(c)

Enregistrement d’un axone


sensoriel projetant vers
la moelle épinière

Figure 9.25 – Champs récepteurs.
(a) Le champ récepteur d’une cellule ganglionnaire est déterminé par l’enregistrement de l’acti-
vité d’un axone dans le nerf optique. Un spot de lumière est projeté sur différentes parties de la
rétine ; le champ récepteur correspond aux sites de la rétine dont l’illumination accroît ou décroît
la décharge de la cellule ganglionnaire. En déplaçant l’électrode, il est possible de déterminer de
cette manière le champ récepteur d’autres neurones du système visuel, ou d’autres cellules réti-
niennes (dans ce cas, il s’agira de mesurer des variations du potentiel de membrane lorsque ces
cellules ne déchargent pas). (b) Un champ récepteur de la rétine correspond à la lumière provenant
d’une partie du champ visuel. (c) Le concept de champ récepteur est étendu à d’autres systèmes
sensoriels ; par exemple, une toute petite zone de la peau correspond à un champ récepteur pour
des détecteurs du toucher.

qui, lorsqu’elles sont touchées, produisent une réponse dans un neurone corres-
pondant (Fig. 9.25c).
Si nous allons plus loin que la rétine dans le système visuel, nous verrons les
modifications des champs récepteurs en termes de formes et de type de stimulus,
rendant les neurones plus actifs. Dans la rétine, des spots de lumière donnent
une réponse optimale des cellules ganglionnaires, mais dans différentes zones
du cortex visuel, les neurones répondent mieux à des lignes brillantes et même à
des formes complexes de signification physiologique, comme des mains ou des
visages. Ces particularités pourraient rendre compte d’importantes différences
de signification des informations à chaque niveau de traitement de l’informa-
tion visuelle (nous en dirons plus sur ce point dans le chapitre 10). L’étude des
champs récepteurs est particulièrement sensible, du fait des interprétations qui
leurs sont parfois données. Un exemple tout à fait instructif est lié aux travaux
initiaux d’Horace Barlow réalisés sur la rétine de la grenouille. Il démontra que
318 2 – Systèmes sensoriel et moteur

l’animal était capable de sauter et de percuter un petit spot de couleur noire


agité devant lui, et que ce type de stimulus provoquait une intense réponse de
cellules ganglionnaires. Est-ce à dire que ce mécanisme représentait la base d’un
comportement de chasse chez la grenouille ? Nous verrons ultérieurement que
de telles inférences sur la fonction, basées sur l’analyse des propriétés des champs
visuels, ont été également proposées à partir de travaux chez le singe et chez
l’homme, mais qu’elles sont, en général, aussi excitantes que spéculatives.

Champs récepteurs des cellules bipolaires


Les cellules bipolaires sont divisées en deux catégories dites « ON » et
« OFF », selon leur réponse au glutamate libéré par les photorécepteurs. Les cir-
cuits neuronaux conduisant aux champs récepteurs bipolaires sont représentés
par des inputs directs à partir des photorécepteurs, ainsi que par des inputs indi-
rects impliquant les cellules horizontales (Fig. 9.26a). Commençons par considé-
rer seulement les interactions entre les cônes et les cellules bipolaires (sans impli-
cation des cellules horizontales), comme cela est illustré à la figure 9.26b. La
lumière focalisée sur un cône hyperpolarise quelques cellules bipolaires. Ces cel-
lules sont dénommées cellules bipolaires de type OFF parce que la lumière bloque
leur activité. A contrario, un second type de cellules bipolaires réagit à la stimu-
lation lumineuse d’un cône par une dépolarisation membranaire. À l’évidence,
ces cellules dont l’activité est déclenchée par la stimulation lumineuse d’un cône
sont les cellules bipolaires de type ON. Ainsi, la synapse formée par les cônes
sur les cellules bipolaires inverse le signal transmis par le cône : le cône s’hyper-
polarise à la lumière mais la cellule bipolaire se trouve dépolarisée. Comment
différentes cellules bipolaires peuvent-elles donner des réponses de nature oppo-
sée à un input direct provenant des cônes ? La réponse est simple, il existe deux
sous-types de récepteurs au glutamate distincts, susceptibles d’être activés par
l’activité des photorécepteurs. Les cellules bipolaires de type OFF présentent
des récepteurs du glutamate ionotropiques (récepteurs canaux), et ces récepteurs
relaient un effet dépolarisant post-synaptique classique impliquant une augmen-
tation de la conductance sodique. L’hyperpolarisation du cône se traduit ainsi
par une moindre sécrétion de glutamate, entraînant une hyperpolarisation des
cellules bipolaires. Par ailleurs, les cellules bipolaires de type ON présentent au
contraire un récepteur couplé aux protéines G (récepteur métabotropique), qui
répond au glutamate par une hyperpolarisation. Chaque cellule bipolaire reçoit
des inputs directs à partir d’un cluster de plusieurs photorécepteurs. Le nombre
de photorécepteurs dans ce cluster varie ainsi de un au centre de la fovéa à des
milliers dans la rétine périphérique.
De plus, au-delà des informations directes qu’elles reçoivent des photorécep-
teurs, les cellules bipolaires sont connectées, par les cellules horizontales, à un
nombre limité de photorécepteurs qui entourent le cluster central (Fig. 9.26a).
Les interactions synaptiques intervenant entre les photorécepteurs, les cellules
horizontales et les cellules bipolaires sont complexes, et la recherche poursuit
son travail pour encore mieux comprendre cette organisation. Pour ce qui nous
concerne, à ce stade deux points majeurs sont à considérer. D’abord, lorsqu’un
photorécepteur se voit hyperpolarisé en réponse à une stimulation lumineuse,
l’information qu’il transmet aux cellules horizontales se traduit également par
leur hyperpolarisation membranaire. Ensuite, l’effet de l’hyperpolarisation des
cellules horizontales est de s’opposer aux effets de la lumière sur les photorécep-
teurs voisins. Par exemple, sur la figure 9.26c la lumière est focalisée sur deux
photorécepteurs connectés par des cellules horizontales à un photorécepteur
central et à une cellule bipolaire. Dans ce cas, l’effet de cette voie indirecte est
de dépolariser le photorécepteur central, s’opposant à l’hyperpolarisation qui
résulte de son illumination directe.
En résumé, le champ récepteur d’une cellule bipolaire consiste, d’une part,
en une zone circulaire de la rétine qui lui fournit un input direct à partir de pho-
torécepteurs, correspondant au champ récepteur central ; d’autre part, en une
zone de la rétine qui entoure cette zone circulaire centrale et lui fournit un input
impliquant les cellules horizontales, le champ récepteur périphérique. La réponse
de la cellule bipolaire à la stimulation lumineuse dans le champ récepteur central
9 – Œil et vision 319

Partie centrale Champ récepteur Illumination


du champ récepteur périphérique de la zone Illumination
centrale de la zone périphérique
Photorécepteurs du champ du champ récepteur
récepteur

Photorécepteur Photorécepteur
hyperpolarisé hyperpolarisé

Cellule horizontale
hyperpolarisée

Cellule horizontale Cellule bipolaire Cellule bipolaire


dépolarisée hyperpolarisée

(a) Cellule bipolaire (b) Voie directe (c) Voie indirecte

Figure 9.26 – Des photorécepteurs aux cellules bipolaires : voies directes et indirectes.


(a) Les cellules bipolaires reçoivent des afférences synaptiques directement à partir d’un groupe de
photorécepteurs représentant le centre du champ récepteur. Par ailleurs, elles reçoivent également
des informations des photorécepteurs environnants indirectement, via les cellules horizontales.
(b) Les cellules bipolaires de type « centre-ON » sont dépolarisées par la lumière au centre du
champ récepteur, par la voie « directe ». (c) Par opposition, l’éclairement de la zone périphérique du
champ récepteur seulement hyperpolarise les cellules bipolaires du centre par la voie « indirecte ».
Ce sont les cellules horizontales qui font que les effets de la lumière à la périphérie et au centre des
champs récepteurs sont de caractère opposé.

est de nature opposée à celle produite par la stimulation du champ récepteur


périphérique. De ce fait, ces cellules sont dites cellules bipolaires à champ récep-
teur centre-périphérie. Les dimensions de ces champs récepteurs peuvent être
mesurées en millimètres au travers de la rétine ou, plus commodément, en degré
d’angle visuel. Un millimètre de la rétine correspond à un angle visuel d’environ
3,5°. Les diamètres des champs récepteurs des cellules bipolaires varient d’une
fraction de degré dans la rétine centrale à quelques degrés dans la rétine péri-
phérique.
L’organisation des champs récepteurs de type centre-périphérie passe des
cellules bipolaires aux cellules ganglionnaires via des synapses de la couche
plexiforme interne. Les connexions latérales impliquant les cellules amacrines
dans cette couche plexiforme interne, contribuent également à l’élaboration des
champs récepteurs des cellules ganglionnaires et à l’intégration des informations
issues des cônes et des bâtonnets dans les cellules ganglionnaires. De nombreux
sous-types de cellules amacrines ont à ce jour été identifiés, contribuant chacun,
de façon différentielle, à la réponse des cellules ganglionnaires.

Champs récepteurs des cellules ganglionnaires


La plupart des cellules ganglionnaires de la rétine présentent également un
champ récepteur concentrique, organisé de la même façon que celui des cellules
bipolaires. Les cellules ganglionnaires de « centre-ON » et de « centre-OFF »
reçoivent des informations des cellules bipolaires correspondantes. Une dif-
férence importante, cependant, est que, contrairement aux cellules bipolaires,
les cellules ganglionnaires présentent des potentiels d’action. Ainsi, les cellules
ganglionnaires transmettent des informations sous forme de décharge neuro-
nale, qu’elles soient ou non exposées à la lumière, et cette lumière, présentée dans
320 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire
Région des
photorécepteurs Centre Périphérie Zone d’obscurité

(a) (b) (c)


Décharge
d’une cellule
ganglionnaire
de type
centre OFF

Figure 9.27 – Illustration d’un champ récepteur du type centre-périphérie d’une cellule ganglion-


naire.
(a, b) Une cellule ganglionnaire du type centre-OFF répond de façon intense lorsque le centre de
son champ récepteur est placé à l’obscurité. (c) Si la zone obscure inclut en plus la partie périphé-
rique du champ récepteur, la réponse de ce type de cellule ganglionnaire est fortement réduite.

le centre du champ récepteur ou à sa périphérie, accroît ou décroît sa décharge.


Par conséquent, une cellule ganglionnaire présentant un centre-ON sera dépo-
larisée et répondra par une décharge de potentiels d’action lorsqu’un spot de
lumière sera sélectivement présenté au centre du champ récepteur. Dans le cas
d’une cellule de centre-OFF, le même éclairement du centre du champ récepteur
provoquera une légère décharge du neurone. Mais si cette partie centrale du
champ récepteur n’est sélectivement plus illuminée, alors la cellule déchargera
beaucoup plus fortement. Dans les deux cas, cependant, que ce soit une cellule
de centre-ON ou une cellule de centre-OFF, la réponse à la stimulation du centre
du champ récepteur est supprimée par la réponse à la stimulation de sa périphé-
rie (Fig. 9.27). L’une des conséquences surprenantes de cette organisation est que
la plupart des cellules ganglionnaires de la rétine n’ont pas de réponse particu-
lière à des changements d’éclairement, concernant à la fois le champ récepteur
central et sa périphérie. Il semble plutôt que les cellules ganglionnaires soient de
fait à même de répondre à des différences d’illumination intervenant dans leur
propre champ récepteur.
Pour illustrer ce fait, considérons la réponse générée par une cellule de
centre-OFF au moment où une ombre traverse son champ récepteur (Fig. 9.28).
Comme mentionné ci-dessus, dans une telle cellule une ombre projetée au centre
du champ récepteur provoque la dépolarisation de la cellule alors que l’ombre
projetée sur la partie périphérique provoque son hyperpolarisation. Avec un
éclairement uniforme, le centre et la périphérie s’annulent et la cellule produit
une très faible réponse (Fig. 9.28a). Lorsque l’ombre pénètre dans la périphérie
du champ récepteur sans empiéter sur le centre, elle a pour effet d’hyperpolari-
ser le neurone, entraînant une réduction de décharge de la cellule (Fig. 9.28b).
Cependant, au moment où l’ombre couvre le centre du champ récepteur mais
seulement partiellement sa périphérie, l’inhibition liée à la stimulation partielle
de la périphérie du champ récepteur est compensée par la stimulation complète
du centre ; de ce fait, la réponse de la cellule devient plus importante (Fig. 9.28c).
Pour comprendre pourquoi la réponse en figure 9.28c est augmentée, il faut juste
admettre que, dans ce cas, il se trouve une excitation de 100 % de la cellule à
cause de l’ombre qui couvre totalement la partie centrale du champ récepteur,
mais il n’y a qu’une inhibition partielle de la partie du champ récepteur péri-
phérique qui est encore dans l’obscurité. Mais lorsque l’ombre s’étend ensuite à
toute la périphérie du champ récepteur, la réponse liée à la stimulation du centre
est de nouveau plus fortement inhibée (Fig. 9.28d). Il faut souligner que, dans cet
exemple, la réponse de la cellule est seulement légèrement différente dans le cas
où elle subit un éclairement uniforme de son champ récepteur ou bien qu’elle se
trouve dans une obscurité uniforme ; la réponse varie essentiellement au niveau
de la ligne de partage lumière-obscurité, dans son champ récepteur.
9 – Œil et vision 321

Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire
Limite obscurité-lumière
Région des
photorécepteurs Centre Périphérie

(a) (b) (c) (d)


Décharge d’une
cellule ganglionnaire
de type centre OFF

Figure 9.28 – Activité d’une cellule ganglionnaire en réponse à une double stimulation de type


obscurité-lumière intervenant au niveau de son champ récepteur.
La réponse du neurone est déterminée par la fraction du centre et de la périphérie de son champ
récepteur illuminée ou placée dans l’obscurité (voir texte pour les détails).

Considérons maintenant l’information issue de l’ensemble de toutes les


cellules ganglionnaires de centre-OFF stimulées par une ligne de partage
lumière-obscurité fixe sur la rétine. Les réponses de ces cellules correspondent
aux quatre catégories type illustrées sur la figure 9.28. Les cellules qui perçoivent
la limite entre la zone de lumière et la zone d’obscurité sont celles dont le centre
et la périphérie du champ récepteur sont différentiellement activées à la limite
lumière-obscurité, comme on vient de le voir. La population de cellules dont le
centre des champs récepteurs est exposé à la zone éclairée au niveau de la ligne
de partage sera inhibée (Fig. 9.28b). La population de cellules dont le centre
des champs récepteurs est exposé à l’obscurité sera excitée (Fig. 9.28c). De cette
façon, la différence d’éclairement au niveau d’une ligne de partage lumière-­
obscurité n’est pas fidèlement représentée par une différence de réponses de
l’ensemble des cellules ganglionnaires situées de part et d’autre de cette ligne.
Au contraire l’organisation des champs récepteurs en centre-périphérie produit une
information qui souligne les contrastes d’éclairement au niveau des limites entre les
zones éclairées et obscures.
Il se trouve de nombreuses illusions d’optique impliquant la perception du
niveau de luminosité. L’organisation du champ récepteur des cellules ganglion-
naires fournit une explication pour l’illusion présentée à la figure 9.29. Même si
les deux carrés présentés au centre sont bien du même niveau de gris, le carré situé
à gauche et qui comporte un pourtour éclairé, paraît plus foncé. Si l’on considère
les deux champs récepteurs de centre-ON représentés sur les deux carrés cen-
traux, dans les deux cas le même niveau de gris va stimuler le centre du champ
récepteur. Cependant, dans ce cas, le champ récepteur situé à gauche verra sa
partie périphérique recevoir plus de lumière que dans le schéma de droite. Ceci
conduit à une réponse plus faible et peut être mis en rapport avec l’apparence
plus foncée du carré gris de gauche.

Figure 9.29 – Influence du contraste sur la


perception de la lumière et de l’obscurité.
Les carrés placés au centre de chaque figure
présentent le même niveau de gris. Cepen-
+ + dant, du fait de leur encadrement plus clair à
gauche ou plus foncé à droite, le carré central
à gauche paraît plus foncé. Des cellules de
type centre ON-périphérie OFF sont repré-
sentées dans les deux figures. Selon vous,
laquelle de ces cellules répond le mieux ?
322 2 – Systèmes sensoriel et moteur

50 µm
(a) (b)

Figure 9.30 – Cellules ganglionnaires de type P et M de la rétine du macaque.


(a) Petite cellule de type P de la rétine périphérique. (b) Cellule de type M de la même région de la
rétine, de taille plus importante. (Source : Watanabe et Rodieck, 1989, p. 437 et 439.)

Relations structure-fonction.  La plupart des cellules ganglionnaires situées


dans la rétine des mammifères sont des cellules présentant des champs récep-
teurs de type centre-périphérie, avec un centre-OFF ou ON. En allant plus
loin, il est possible d’établir des distinctions entre elles selon leur aspect, leurs
connexions, et leurs caractéristiques électrophysiologiques. Chez le macaque et
chez l’homme, deux catégories majeures de cellules ganglionnaires sont distin-
guées dans la rétine : de grandes cellules ganglionnaires de type M, et de plus
petites cellules ganglionnaires de type P (M pour magno, « grand » en latin ;
P pour parvo, « petit » en latin). La figure 9.30 illustre la taille relative des cel-
lules ganglionnaires de type M et P au même niveau de la rétine. Les cellules de
type P représentent environ 90 % de la population totale de cellules ganglion-
naires, les cellules de type M environ 5 %, et les 5 % restants sont constitués par
des cellules ganglionnaires de type non M-non P, qui ne sont pas encore tout à
fait caractérisées.
Les réponses des cellules M sont différentes de celles des cellules P. Les cel-
lules M présentent de plus grands champs récepteurs, elles propagent les poten-
tiels d’action plus rapidement dans le nerf optique, et elles sont plus sensibles
aux stimuli à faible contraste. De plus, les cellules M répondent à la stimulation
du centre de leurs champs récepteurs par une brève salve de potentiels d’action
alors que les cellules P répondent par une décharge de caractère plus tonique,
maintenue aussi longtemps que le stimulus agit (Fig. 9.31). Nous verrons dans le
chapitre 10 que les différents types de cellules ganglionnaires paraissent jouer des
rôles différents dans la perception visuelle.

Cellule ganglionnaire Cellule ganglionnaire


de type M de type P
(centre ON) (centre ON)

Illumination
de la partie
centrale ON
du champ
récepteur OFF

Nombre
de potentiels
d’action
par seconde

Figure 9.31 – Réponses différentielles des cellules ganglionnaires de type M et de type P.


9 – Œil et vision 323

Cellules ganglionnaires à opposition simple de couleur.  Une autre distinction


entre ces cellules vient de ce que les cellules P et quelques cellules non M-non P
sont sensibles aux différences de longueur d’ondes de la lumière. La majorité de
ces neurones sensibles à la couleur correspond à des cellules à opposition simple
de couleur, ce qui signifie que la réponse à une longueur d’onde donnée au centre
du champ récepteur est inhibée par la réponse de la périphérie à une autre lon-
gueur d’onde. Deux cas de figures se présentent : une opposition rouge-vert et
une autre bleu-jaune. Prenons l’exemple d’une cellule avec un centre rouge-ON
et une périphérie verte-OFF (Fig. 9.32). Le centre du champ récepteur reçoit
essentiellement l’information de cônes sensibles au rouge, alors que la périphérie
de ce même champ récepteur reçoit l’information de cônes sensibles au vert par
un circuit inhibiteur (c’est-à-dire via la voie indirecte des cellules horizontales).
Pour comprendre comment ce neurone présentant ce type de champ récepteur
répond à la lumière, il faut se rappeler de ce qui est représenté à la figure 9.21,
c’est-à-dire les cônes sensibles au rouge ou au vert répondent à des longueurs
d’onde différentes, mais avec un chevauchement.
Si la lumière rouge illumine le centre du champ récepteur, le neurone répond
avec une décharge conséquente de potentiels d’action (Fig. 9.32b). Si maintenant
la même lumière rouge illumine à la fois le centre et la périphérie du champ
récepteur, le neurone reste excité mais répond dans des proportions plus faibles
(Fig. 9.32c). La raison pour laquelle la lumière rouge a un effet sur le pourtour
du champ récepteur sensible au vert (vert-OFF) est que les longueurs d’onde
rouge et verte sont partiellement absorbées par les cônes et que leur activation
inhibe la réponse du neurone (voir Fig. 9.21). Pour activer complètement la péri-
phérie inhibitrice du champ récepteur, la lumière verte est requise. Dans ce cas,
la réponse rouge-ON de la partie centrale du champ récepteur est inhibée par la
stimulation de la partie périphérique vert-OFF (Fig. 9.32d). On peut écrire plus
simplement R+V–, signifiant que la cellule répond au stimulus rouge au centre
du champ récepteur et que cette réponse est inhibée par un stimulus vert à la
périphérie.
Que se passe-t-il si une lumière blanche illumine tout le champ récepteur ?
La lumière blanche contenant toutes les longueurs d’onde visibles, le centre et
la périphérie seront activés pareillement, ce qui annule la réponse de la cellule.

Champ récepteur
d’une cellule ganglionnaire

Zone des Centre Périphérie


photorécepteurs ON rouge OFF verte

(a) (b) (c) (d)


Décharge
de la cellule
ganglionnaire

Figure 9.32 – Champ récepteur à opposition de couleur d’une cellule ganglionnaire.


(a) Champ récepteur à opposition de couleur centre-périphérie d’une cellule ganglionnaire de
type P. (b) Une décharge importante de la cellule est déclenchée par l’illumination en lumière
rouge du centre du champ récepteur, qui reçoit des informations de cônes sensibles au rouge.
(c) Lorsque l’illumination en rouge est étendue à l’ensemble du champ récepteur (centre et périphé-
rie), on observe une inhibition de la réponse enregistrée en (b), du fait que l’illumination en rouge
des cônes sensibles au vert qui innervent la périphérie du champ récepteur sont aussi quelque
peu activés par la lumière rouge. (d) Une inhibition encore plus importante est produite lorsque la
périphérie du champ récepteur est illuminée par une lumière verte, qui active les cônes sensibles
au vert de façon optimale.
324 2 – Systèmes sensoriel et moteur

L’opposition de couleurs bleu-jaune agit de la même manière. Prenons


une cellule avec un centre bleu-ON et une périphérie jaune-OFF (B+J–). Le
centre du champ récepteur reçoit des inputs des cônes bleus et la périphérie
des cônes rouge et vert à la fois (jaune, par conséquent), par un circuit inhibi-
teur. La lumière bleue stimulant le centre du champ récepteur provoque une
forte réponse excitatrice, qui peut être inhibée par la lumière jaune affectant la
périphérie de ce même champ récepteur. Dans ce cas aussi, une lumière bleue
diffuse affectant à la fois le centre et la périphérie du champ récepteur consti-
tue un stimulus efficace pour cette cellule. Mais alors pourquoi cette lumière
bleue constitue-t-elle, ici, un puissant stimulus pour cette cellule, alors que la
lumière rouge diffuse ne représente qu’un stimulus beaucoup plus faible pour
les cellules R+V– ? La réponse est à rechercher dans les courbes d’absorption de
la lumière (voir Fig. 9.21). Dans le cas des cellules R+V–, la lumière est absor-
bée par les photorécepteurs sensibles au vert, alors que dans le cas des cellules
B+J–, très peu de lumière bleue est absorbée par les photorécepteurs sensibles
au rouge et au vert constituant le champ récepteur périphérique. La lumière
blanche diffuse ne constitue pas un stimulus efficace parce que, d’une part, elle
contient des longueurs d’onde dans le rouge, le bleu et le vert et, d’autre part, le
centre et la périphérie se neutralisent.
Finalement, il est notable que les cellules ganglionnaires de type M ne pré-
sentent pas d’opposition de couleur. Ceci ne signifie pas qu’elles ne répondent
pas à des stimuli colorés, mais plutôt qu’elles ne présentent pas de réponses
spécifiques à une longueur d’onde particulière. Par exemple, la lumière rouge
appliquée au centre d’un champ récepteur de ces cellules a le même effet que
la présentation d’une lumière verte. L’absence de réponse d’opposition de cou-
leur dans les cellules M est expliquée par le fait qu’à la fois dans le centre et
la périphérie d’un champ récepteur, elles reçoivent des informations de plus
d’un seul type de cônes. Les champs récepteurs des cellules ganglionnaires M
sont ainsi décrits comme simplement centre-ON/périphérie-OFF, ou centre-
OFF/périphérie-ON. La sensibilité à la couleur et à la lumière des cellules
ganglionnaires M et P suggère que l’ensemble de la population des cellules
ganglionnaires envoie au cerveau des informations concernant trois types de
comparaisons spatiales : éclairement versus obscurité, rouge versus vert et bleu
versus jaune.

Cellules ganglionnaires photorécepteurs


Le circuit rétinien que nous avons décrit, dans lequel les bâtonnets et les
cônes projettent sur les cellules bipolaires, puis vers les cellules ganglionnaires,
suppose que les bâtonnets et les cônes sont responsables de l’ensemble de la
phototransduction, et que les cellules ganglionnaires jouent un rôle différent en
répercutant toute cette information au reste du cerveau. Cependant déjà, même
dans les années 1980 ou 1990, un certain nombre de données n’était pas com-
patible avec cette hypothèse. Par exemple, des souris mutantes n’exprimant pas
de bâtonnets ni de cônes, apparaissaient comme synchronisant leur sommeil
et avaient une activité nocturne, bien que leur comportement soit celui d’ani-
maux aveugles. Par ailleurs, certains patients totalement aveugles apparaissaient
comme synchronisant également leur comportement aux changements d’éclai-
rement jour-nuit, de façon inconsciente.
La résolution de ces mystères provient de découvertes effectuées dans les
années 1990 : un très faible pourcentage de cellules ganglionnaires de la rétine a
de fait la capacité d’être photosensible (intrinsically photosensitive retinal ganglion
cells ou ipRGC) et utilise la mélanopsine, une opsine découverte initialement dans
la peau de certaines grenouilles, comme photopigment. Les ipRGC fonctionnent
comme des cellules ganglionnaires normales, qui reçoivent des informations des
bâtonnets et des cônes et qui envoient leur axone dans le nerf optique, en plus
de leur fonction de photorécepteur. La photosensibilité de ces ipRGC diffère
cependant considérablement de celle des photorécepteurs. Contrairement aux
bâtonnets et aux cônes qui voient leur potentiel de membrane hyperpolarisé à la
lumière, les ipRGC sont dépolarisés par la lumière. Ces mêmes ipRGC présentent
par ailleurs de très larges champs dendritiques et, parce que ces dendrites sont
9 – Œil et vision 325

OS

ONL

OPL

INL

Off
On IPL

GCL
100 µm
(a) (b)

Figure 9.33 – Cellules ganglionnaires de la rétine photosensibles (intrinsically photosensitive


retinal ganglion cells ou ipRGC).
(a) Les bâtonnets (en bleu) et les cônes (en vert) projettent vers les cellules bipolaires, puis secon-
dairement vers les cellules ganglionnaires conventionnelles (en noir), qui projettent elles-mêmes
leur axone vers le thalamus. En plus des informations qu’elles reçoivent des bâtonnets et des
cônes, les ipRGC (en rouge) ont la capacité d’assurer par elles-mêmes la transduction du signal
lumineux. Mais, contrairement aux bâtonnets et aux cônes, ces neurones photosensibles envoient
directement leur axone dans le nerf optique sans plus de connexions intrinsèques à la rétine. Les
dendrites des ipRGC présentent des champs récepteurs beaucoup plus larges que ceux des
cellules ganglionnaires conventionnelles. (b) Microphotographie d’une ipRGC illustrant un large
champ dendritique et son axone (flèche). Notez la dimension très large du champ dendritique par
comparaison à celui des cellules ganglionnaires conventionnelles illustré à la figure 9.30. (Source :
Berson, 2003, Fig. 1.)

photosensibles, les ipRGC recueillent l’information visuelle sur des zones de la


rétine beaucoup plus larges que celles des bâtonnets et des cônes (Fig. 9.33). Le
faible nombre d’ipRGC et leurs larges champs récepteurs ne constituent pas des
conditions idéales pour une vision fine et, de fait, elles ne semblent pas être uti-
lisées pour cela. Nous le verrons dans le chapitre 19, l’importante fonction des
ipRGC serait de fournir une information aux aires visuelles sous-corticales pour
synchroniser les comportements avec les changements intervenant au quotidien
dans l’alternance jour-nuit (rythmes circadiens). Depuis la découverte de ces
cellules, de nombreuses sous-catégories d’ipRGC ont été caractérisées, avec des
morphologies, des physiologies et des connexions différentes de celles des autres
neurones de la rétine. Des travaux se poursuivent pour mieux caractériser ces
cellules particulières, intervenant dans la vision inconsciente et sans doute aussi
dans la vision consciente.

Traitement parallèle
Un concept important s’impose à travers cette étude de la rétine : il existe
un processus de traitement parallèle des informations dans le système visuel.
Traitement parallèle signifie que diverses informations visuelles sont traitées
simultanément par des voies différentes. Par exemple, nous percevons le monde
qui nous entoure non pas avec un seul œil mais bien avec les deux yeux, et les
informations issues des deux yeux font l’objet d’un traitement parallèle. Dans
le système nerveux central, ces flux d’informations parallèles sont comparés
en permanence, de façon à renseigner sur la profondeur ou encore la distance
d’un objet. Un autre exemple de traitement parallèle de l’information visuelle
concerne les informations sur l’éclairement et l’obscurité provenant des cellules
ganglionnaires centre-ON et centre-OFF de chaque rétine. Finalement, les cel-
lules ganglionnaires des catégories ON et OFF présentent, elles-mêmes, diffé-
rents types de champs récepteurs et des particularités quant à leurs réponses.
Les cellules de type M peuvent détecter de subtils contrastes d’éclairement inter-
venant au travers de leurs champs récepteurs et contribuent vraisemblablement
à la vision de faible résolution. Les cellules de type P présentent des champs
récepteurs plus restreints, qui sont plus adaptés pour de fines discriminations.
Les cellules de type P et non M-non P sont spécialisées pour le traitement de
l’information issue des cônes rouge-vert et bleu-jaune.
326 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Conclusion
Ce chapitre montre comment l’image de la lumière émise ou réfléchie par
des objets dans l’espace se forme sur la rétine. L’énergie lumineuse est d’abord
transformée en variations de potentiel de membrane de la mosaïque des photo-
récepteurs et, à cet égard, il faut souligner que le mécanisme de la transduction
au niveau des photorécepteurs est très semblable à celui des cellules réceptrices
olfactives, les deux impliquant des canaux ioniques sensibles aux nucléotides
cycliques. Le potentiel de membrane du photorécepteur se transforme en signal
chimique (le neurotransmetteur est le glutamate), qui est à nouveau converti
en variations de potentiel membranaire dans les cellules bipolaires et horizon-
tales, au niveau post-synaptique. Ce processus de signalisation électrique, puis
chimique, puis de nouveau électrique, se répète indéfiniment jusqu’à ce que la
lumière, ou l’obscurité ou la couleur, entraîne une modification de la fréquence
de décharge des potentiels d’action des cellules ganglionnaires.
L’information issue des 97 millions de photorécepteurs est canalisée dans un
million de cellules ganglionnaires. Au centre de la rétine et en particulier dans la
fovéa, quelques récepteurs seulement alimentent chaque cellule ganglionnaire,
alors qu’à la périphérie ce sont des milliers de récepteurs. La représentation du
champ visuel dans le nerf optique n’est donc pas uniforme : dans l’espace neu-
ronal, les quelques degrés centraux du champ visuel sont plutôt surreprésentés.
Cette spécialisation assure une grande acuité à la vision centrale mais suppose
aussi que l’œil bouge pour placer les images des objets qu’il regarde sur la fovéa.
Il semble logique de penser que les différents types d’information issus des
différents types de cellules ganglionnaires sont, du moins dans une première
phase, traités séparément. Des courants d’information parallèles — venant de
l’œil gauche et de l’œil droit — restent séparés au premier relais synaptique, dans
le CGL du thalamus. Il en est de même des relais synaptiques des cellules M et
P, dans le CGL. Dans le cortex visuel, il semble que des voies parallèles traitent
des processus visuels différents. Par exemple, la distinction dans la rétine entre
neurones qui relaient ou non l’information relative à la couleur est préservée au
niveau du cortex visuel. Il est alors possible que chacune des deux douzaines ou
plus d’aires corticales impliquées dans la vision soit spécialisée dans le traite-
ment d’un type différent d’information rétinienne.
9 – Œil et vision 327

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Quelle est la propriété physique de la lumière la plus fortement liée à


la perception de la couleur ?
2.  Nommez les huit structures de l’œil que traverse la lumière avant
­d’atteindre les photorécepteurs ?
3.  Pourquoi faut-il un masque pour voir clairement sous l’eau ?
4.  Qu’est-ce que la myopie et comment peut-on la corriger ?
5.  Donnez trois raisons susceptibles d’expliquer pourquoi l’acuité vi-
suelle est la plus forte lorsque les images se forment sur la fovéa ?
6. 
Quels sont les mécanismes des modifications du potentiel de
membrane générées en réponse à un spot de lumière éclairant le
centre du champ récepteur d’un photorécepteur ? Dans une cellule
bipolaire ON ? Et dans une cellule bipolaire OFF ? Pourquoi ?
7.  Que se passe-t-il dans la rétine lorsqu’on s’habitue à l’obscurité ?
­Pourquoi la détection des couleurs est-elle moins bonne à l’obscurité ?
8.  En quoi le signal rétinien n’est-il pas une reproduction fidèle de l’image
qui frappe la rétine ?
9. Dans la rétinite pigmentaire, les premiers symptômes impliquent une
perte de la vision périphérique et de la vision nocturne. La perte de
quels types de cellules peut-elle conduire à de telles altérations de la
vision avant que n’arrive la cécité ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Arshavsky VY, Lamb TD, Pugh EN. G proteins and phototransduction.


Annual Review of Physiology 2002 ; 64 : 153-87.
Berson DM. Strange vision : ganglion cells as circadian photoreceptors.
Trends in Neurosciences 2003 ; 26 : 314-20.
Field GD, Chichilinsky EJ. Information processing in the primate retina:
circuitry and coding. Annual Review of Neuroscience 2007 ; 30 : 1-30.
Nassi JJ, Callaway EM. Parallel processing strategies of the primate visual
system. Nature Reviews Neuroscience 2009 ; 10 : 360-72.
Solomon SG, Lennie P. The machinery of colour vision. Nature Reviews
Neuroscience 2007 ; 8 : 276-86.
Wade NJ. Image, eye, and retina. Journal of the Optical Society of Ame-
rica 2007 ; 24 : 1229-49.
Wassle H. Parallel processing in the mammalian retina. Nature Reviews
Neuroscience 2004 ; 5 : 747-57.
328 2 – Systèmes sensoriel et moteur 328

CHAPITRE  10 Vision : organisation


anatomofonctionnelle
des voies centrales

PROJECTION RÉTINOFUGE
Nerf optique, chiasma optique et tractus optique............................... 330
Hémichamps visuels droit et gauche................................................... 331
Cibles du tractus optique.................................................................... 332
Encadré 10.1 Focus  David et Goliath

CORPS GENOUILLÉ
LATÉRAL (CGL)
Rôle de l’œil et des cellules ganglionnaires dans la ségrégation
de l’information visuelle...................................................................... 335
Champs récepteurs............................................................................. 336
Informations non rétiniennes du CGL................................................. 337

ANATOMIE DU CORTEX STRIÉ


Rétinotopie........................................................................................ 339
Organisation laminaire du cortex strié................................................ 340
Organisation des afférences et des efférences des différentes couches
corticales............................................................................................ 341
Cytochrome oxydase : révélation des « taches ».................................. 344

PHYSIOLOGIE
DU CORTEX STRIÉ
Champs récepteurs............................................................................. 345
Encadré 10.2 Bases théoriques  Organisation corticale révélée
par imagerie optique et calcique
Voies parallèles et modules corticaux.................................................. 351

AU-DELÀ DU CORTEX STRIÉ


Système dorsal................................................................................... 355
Système ventral.................................................................................. 357
Encadré 10.3 Les voies de la découverte  À la recherche
de la représentation
des visages dans le cerveau,
par Nancy Kanwisher

DES NEURONES INDIVIDUELS


À LA PERCEPTION VISUELLE
Encadré 10.4 Focus  La magie d’une vision en 3D
Hiérarchie des champs récepteurs et perception visuelle...................... 362
Traitement parallèle et perception visuelle........................................... 364

CONCLUSION
INTRODUCTION

B
ien que le système visuel nous donne une image unifiée du monde qui
nous entoure, cette image présente en fait de nombreuses facettes. Les
objets ont une forme et une couleur. Ils sont dans une certaine position
et parfois ils se déplacent. Pour que nous puissions les voir tels qu’ils sont, il
faut qu’en quelque point de notre système visuel que ce soit des neurones soient
sensibles à toutes ces caractéristiques. De plus, comme nous avons deux yeux,
il se forme deux images visuelles dans la tête, qui doivent fusionner d’une façon
ou d’une autre.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 9, l’œil présente des caractéristiques
comparables en partie à celle d’un appareil photographique. Mais, indépen-
damment de la rétine, le système visuel tout entier est beaucoup plus élaboré,
beaucoup plus intéressant, et beaucoup plus performant qu’un appareil photo-
graphique. Ainsi, la rétine ne transmet pas seulement des informations sur les
différences de luminosité ou d’ombre qui la frappent mais elle agit plutôt pour
extraire des informations à partir des différentes facettes de l’image visuelle. Il y
a plus ou moins 100 millions de photorécepteurs dans la rétine, mais seulement
1 million d’axones issus de chaque œil pour transmettre cette riche information
au cerveau. Par conséquent, ce que nous percevons du monde extérieur dépend
des informations recueillies par la rétine, mais aussi de la façon dont celles-ci
sont analysées et interprétées par le SNC. La couleur en est un exemple : elle
n’existe pas en elle-même ; il existe seulement un spectre de longueurs d’onde
de lumière visibles, réfléchies par les objets de notre environnement. Cependant,
à partir des informations recueillies par les trois types de cônes de la rétine, le
cerveau élabore un arc-en-ciel de couleurs, avec lequel il peint le monde.
Dans ce chapitre, il est décrit comment les informations recueillies par la
rétine sont traitées par le système visuel central. La voie de la perception visuelle
consciente comprend le corps genouillé latéral (CGL) du thalamus et le cortex
visuel primaire correspondant à l’aire 17, encore dénommée aire V1 ou cortex
strié. L’information véhiculée par cette voie géniculocorticale emprunte des
canaux de traitement parallèles, spécialisés dans l’analyse des différentes carac-
téristiques des stimuli. Le cortex strié distribue ensuite l’information à plus de
deux douzaines d’aires corticales différentes, hors de la zone striée, dans les lobes
occipital, temporal et pariétal, et nombre d’entre elles semblent associées à diffé-
rents types d’analyse plus ou moins spécifiques.
Ce sont les recherches effectuées d’abord sur le chat, puis sur une espèce de
singe, le Macaca mulatta, qui ont fait le plus avancer les connaissances sur le
système visuel central. La vision joue de fait un rôle important pour la survie du
macaque dans son habitat, comme c’est le cas pour l’homme. En fait, les tests sur
les performances du système visuel des primates montrent qu’à presque tous les
niveaux leur système visuel se trouve comparable à celui de l’homme. Aussi, bien
que le contenu de ce chapitre concerne surtout l’organisation du système visuel
chez le macaque, la plupart des chercheurs du domaine s’accordent à reconnaître
qu’elle se rapproche beaucoup de ce que l’on observe dans le cerveau humain.
Les connaissances acquises sur les mécanismes de la vision ne peuvent pas
encore expliquer tous les aspects de la perception visuelle (la figure 10.1 en donne
quelques exemples intéressants), mais des progrès significatifs ont été accomplis
en trouvant la réponse à cette question fondamentale : comment les neurones


330 2 – Systèmes sensoriel et moteur

(a) (b)

Figure 10.1 – Illusions de perception.
(a) Ces deux tables sont de dimensions identiques et sont perçues par des zones de la rétine de taille similaire. Pour vous le prouver, comparez la
dimension de la partie verticale de la table de gauche à celle horizontale de la table de droite. Du fait de la perception en 3D d’une image en 2D,
les dimensions perçues sont très différentes. (b) Cette spirale n’est qu’illusion. Tentez de la suivre avec le doigt. (Sources : partie a adaptée de R. She-
pard, 1960, p. 48 ; partie b adaptée de J. Fraser, 1908.)

représentent-ils les différentes facettes du monde visuel ? En étudiant à quels


types de stimuli répondent les différents neurones du système visuel et comment
ces réponses interviennent, il est ainsi possible de commencer à imaginer com-
ment le cerveau se représente le monde qui nous entoure.

Projection rétinofuge
Les fibres du nerf optique correspondent à ce que l’on nomme la projec-
tion rétinofuge. Le suffixe fuge du latin fugere, fuir, est fréquemment utilisé en
neuroanatomie pour décrire une voie qui sort d’une structure et s’en éloigne.
Ainsi, une projection centrifuge s’éloigne du centre, une projection corticofuge
s’éloigne du cortex et la projection rétinofuge s’éloigne de la rétine.
L’exploration du système visuel central comprend l’observation du trajet de
la projection rétinofuge, depuis les yeux jusqu’au tronc cérébral de chaque côté,
ainsi que l’étude des premières étapes de l’analyse des informations recueillies,
de leur distribution et de leur traitement dans des structures spécialisées du tronc
cérébral. Puis nous nous intéresserons à la perception visuelle consciente.

Nerf optique, chiasma optique et tractus optique


Les axones des cellules ganglionnaires qui sortent de la rétine passent au
travers de trois structures, avant de former des synapses dans le tronc cérébral.
Présentée dans l’ordre, la projection rétinofuge se compose du nerf optique, du
chiasma optique et du tractus optique (Fig. 10.2). Les nerfs optiques quittent les
deux yeux à l’endroit des disques optiques, poursuivent leur trajet à travers les
tissus adipeux en arrière des yeux au niveau des orbites, puis pénètrent dans le
cerveau par des trous situés à la base du crâne. Les nerfs optiques des deux yeux
se réunissent pour former le chiasma optique (nommé ainsi du fait de sa forme
en croix, en Grec chi) situé à la base du cerveau, juste en avant de l’hypophyse.
Au niveau du chiasma optique les axones provenant de la rétine nasale passent
d’un côté à l’autre. Le passage d’un faisceau de fibres d’un côté du cerveau à
l’autre constitue la zone de décussation. Comme seuls les axones provenant de
la rétine nasale croisent la ligne médiane, on parle donc de décussation partielle
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 331

Œil

Nerf optique

Chiasma optique

Hypophyse

Tractus optique

Section
du tronc cérébral

Figure 10.2 – Projection rétinofuge.
Cette représentation du cerveau vu par en dessous permet de localiser les nerfs optiques, le
chiasma optique et le tractus optique.

de la projection rétinofuge dans le chiasma optique. Après leur décussation par-


tielle, les axones des projections rétinofuges forment les tractus optiques, qui
courent sous la pie-mère le long des surfaces latérales du diencéphale.

Hémichamps visuels droit et gauche


Pour bien comprendre la signification de la décussation partielle de la pro-
jection rétinofuge du chiasma optique, il faut se souvenir du concept de champ
visuel introduit dans le chapitre 9. Le champ visuel complet représente l’espace
(calculé en degrés d’angle visuel) visible lorsque les deux yeux regardent droit
devant soi. Il est facile de réaliser l’expérience suivante : fixer le regard sur un
point, droit devant soi, et imaginer une ligne verticale passant à travers ce point,
qui divise le champ visuel en deux moitiés, droite et gauche. Par définition, les
objets qui apparaissent à gauche de la ligne de partage sont situés dans l’hémi-
champ visuel gauche, et les objets qui apparaissent à droite de la ligne de partage,
dans l’hémichamp visuel droit (Fig. 10.3).

Champ visuel binoculaire

Point de fixation

Hémichamp Hémichamp
visuel gauche visuel droit

Œil droit
Figure 10.3 – Représentation des hémi-
champs récepteurs droit et gauche.
Nerf optique droit Les axones des cellules ganglionnaires de
Œil gauche chaque rétine responsables de la détection
Tractus des stimuli visuels dans l’hémichamp droit
Nerf optique gauche optique droit se retrouvent dans le tractus optique gauche.
De la même manière, les axones des cellules
ganglionnaires assurant la détection des
Tractus optique gauche Chiasma ­stimuli dans l’hémichamp visuel gauche se
optique retrouvent dans le tractus optique droit.
332 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Si on regarde droit devant soi avec les deux yeux, puis, alternativement, avec
un œil après l’autre, il apparaît que la partie centrale des deux hémichamps
visuels se forme sur les deux rétines à la fois. Cette partie de l’espace constitue
ce que l’on appelle le champ visuel binoculaire. Il est important de réaliser que
les objets situés dans la partie binoculaire de l’hémichamp visuel gauche sont
reproduits à la fois sur la rétine nasale de l’œil gauche et sur la rétine tempo-
rale de l’œil droit. Comme au niveau du chiasma optique les fibres nerveuses
de la partie nasale de la rétine gauche passent du côté droit, toute l’information
concernant l’hémichamp visuel gauche est transmise au côté droit du cerveau.
Rappelez-vous de cette règle de base : les fibres des nerfs optiques se croisent
dans le chiasma optique, de sorte que l’hémichamp visuel gauche est « perçu »
par l’hémisphère droit et l’hémichamp visuel droit par l’hémisphère gauche. Vous
devez également vous rappeler ici, du chapitre 7, qu’il existe une décussation du
faisceau pyramidal dans le tronc cérébral, de telle manière qu’un hémisphère
cérébral donné contrôle les mouvements de la partie opposée du corps. Pour des
raisons que nous ne comprenons pas, ces décussations sont communes à la fois
dans le système sensoriel et dans le système moteur.

Cibles du tractus optique


Quelques axones du tractus optique se séparent pour former des connexions
synaptiques avec certaines cellules de l’hypothalamus, et environ 10 % vont
au-delà du thalamus innerver le mésencéphale. Toutefois, le plus grand nombre
assure l’innervation du corps genouillé latéral (CGL), dans la partie dorsale du
thalamus. Les axones des neurones du CGL se projettent dans le cortex visuel
primaire. La projection du CGL au cortex forme la radiation optique. Les lésions
intervenant en quelque endroit de la projection rétinofuge de l’œil au cortex
entraînent la cécité chez l’homme. Cette voie neuronale est donc bien celle de la
perception visuelle consciente (Fig. 10.4).
Les recherches effectuées sur la projection rétinofuge permettent de mieux
comprendre les différents troubles de la perception résultant de lésions à diffé-
rents niveaux, consécutives à un traumatisme crânien, une tumeur, ou encore une
altération de la circulation cérébrale. Comme cela est illustré sur la figure 10.5,
si le nerf optique gauche est sectionné, seul l’œil gauche devient aveugle ; si le
tractus optique gauche est sectionné, la vision du champ visuel droit est alté-
rée pour les deux yeux. Enfin, si c’est le chiasma optique qui est sectionné en
son milieu, seules les fibres qui traversent sont atteintes : comme ces fibres pro-

CGL
Radiation optique

Cortex visuel Tractus optique droit


Rétine primaire
CGL droit

Radiation
optique

(a) (b)
Cortex visuel primaire

Figure 10.4 – Voies visuelles impliquées dans la perception consciente.


(a) Vue latérale du cerveau humain montrant schématiquement la voie rétino-géniculo-corticale.
(b) Représentation en coupe horizontale des mêmes voies visuelles centrales.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 333

Section du nerf
optique gauche
Lésion du tractus
optique gauche

(a) (b)

Figure 10.5 – Différents types de déficit visuel résultant de lésions


de la voie rétinofuge.
(a) La lésion du nerf optique du côté gauche, par exemple, entraîne
la perte totale de la vision à partir de l’œil gauche. Notez que la
perte de vision qui en résulte ne concerne que la partie monocu-
laire de l’hémichamp visuel gauche du fait que l’œil droit continue à
Section transverse percevoir et transmettre des informations relatives à l’essentiel du
du chiasma optique
champ visuel gauche. (b) Si la lésion intervient au niveau du tractus
optique gauche, la perte de la vision concernera le champ visuel
droit de chaque œil. (c) Si la lésion sépare au milieu les deux par-
ties du chiasma optique, seules les fibres qui croisent à ce niveau
seront détruites. Dans ce cas, c’est la vision périphérique à partir de
(c) chaque œil qui sera altérée.

viennent de la partie nasale des deux rétines, la partie du champ visuel perçue
par les deux rétines nasales est atteinte, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de vision péri-
phérique d’un côté ni de l’autre (Encadré 10.1). Ces déficits très caractéristiques
résultent de lésions à des niveaux parfaitement déterminés du système visuel, ce
qui permet aux neurologues et aux neuro-ophtalmologistes de définir les sites
des lésions en fonction des atteintes du champ visuel.
Cibles non thalamiques du tractus optique.  Comme cela a déjà été men-
tionné, quelques cellules ganglionnaires émettent des axones qui vont innerver
d’autres structures que le CGL. Des projections directes atteignent une partie de
l’hypothalamus et jouent un rôle important dans la synchronisation d’une série
de rythmes biologiques, y compris le sommeil et l’éveil, ou associés au cycle d’al-
ternance jour-nuit (voir chapitre 19). Des projections directes atteignent aussi
une partie du mésencéphale, le prétectum, où elles participent au contrôle de
l’ouverture de la pupille et à la réalisation de certains mouvements des yeux.
Enfin, environ 10 % des cellules ganglionnaires de la rétine contactent une par-
tie du tectum (ou toit) du mésencéphale appelée le colliculus supérieur (du latin
colliculus, petite colline) (Fig. 10.6).
Le chiffre de 10 % peut paraître faible en termes de projection, mais chez
le primate cela représente tout de même environ 100 000 neurones, l’équivalent
du nombre total de cellules ganglionnaires rétiniennes chez le chat ! En fait, le
tectum représente la cible principale de la projection rétinofuge chez tous les
vertébrés non mammifères (poissons, amphibiens, oiseaux et reptiles). Dans ces
groupes de vertébrés, le colliculus supérieur est dénommé tectum optique. C’est
la raison pour laquelle la projection de la rétine sur le colliculus supérieur est
souvent dénommée projection rétinotectale, y compris chez les mammifères.
334 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 10.1 FOCUS

David et Goliath
L’histoire de David et Goliath racontée dans l’An- On peut se demander ce que vient faire cette leçon de
cien Testament est bien connue. Les armées des Philistins théologie dans un manuel de neurosciences ? La réponse
et des Israélites s’étaient rassemblées sur le champ de à cette question est que, d’après l’organisation des voies
bataille, lorsque Goliath, un Philistin, s’avança et pro- visuelles, il est possible d’expliquer comment, indépen-
posa aux Israélites de régler le conflit en envoyant le plus damment de l’intervention divine, la situation tourna au
fort parmi eux pour l’affronter dans un combat à mort. désavantage de Goliath. La taille d’un homme dépend
Goliath, semble-t-il, était un homme extrêmement fort, de l’hormone de croissance, sécrétée par le lobe anté-
mesurant près de 3 m ! Il était armé jusqu’aux dents rieur de l’hypophyse. Dans certains cas, le lobe antérieur
d’un bouclier, d’un javelot et d’une épée. Pour affronter est hypertrophié et produit un excès d’hormone, entraî-
ce géant, les israélites désignèrent David, un jeune ber- nant une croissance démesurée. La taille de ces géants
ger de petite taille, armé seulement d’une fronde et de peut atteindre environ 2,50 m.
cinq petites pierres. Voici comment la Bible raconte la L’hypertrophie de l’hypophyse désorganise la vision
scène (1 Samuel 17, 48) : normale. Rappelons que les fibres des nerfs optiques pro-
venant de chaque rétine nasale se croisent dans le chiasma
« Lorsque le Philistin se leva et s’approcha de David optique, qui butte contre la tige de l’hypophyse. Toute
pour l’affronter, David courut à toute vitesse vers la augmentation de volume de l’hypophyse comprime les
ligne de bataille pour affronter le Philistin. Puis David fibres qui décussent à ce niveau, et entraîne une perte de
plongea la main dans son sac, y prit une pierre, la lança la vision périphérique dénommée hémianopsie bitempo-
avec la fronde et frappa le Philistin en plein front ; la rale, ou rétrécissement du champ visuel (vision en tun-
pierre s’enfonça dans son front, et il tomba la face nel). Il semble que David ait pu s’approcher de Goliath
contre terre. » et en triompher car, lorsque David courut vers la ligne de
bataille, le géant l’avait complètement perdu de vue !

Thalamus

Œil

Figure 10.6 – Colliculus supérieur.
Mésencéphale
Le colliculus supérieur est localisé dans le
tectum du mésencéphale. Cette structure est CGL
impliquée dans la production des saccades
oculaires, c’est-à-dire le rapide repositionne- Colliculus
ment de l’œil dans l’orbite, par exemple pour supérieur
scanner une page lors de la lecture.

Dans le colliculus supérieur, un groupe de neurones activé par un spot de


lumière va contribuer, via des connexions indirectes avec les motoneurones, à des
mouvements coordonnés des yeux et de la tête, de façon à amener l’image de ce
point de l’espace sur la fovéa. Cette partie de la projection rétinotectale est ainsi
impliquée dans l’orientation du regard en réponse à de nouveaux stimuli dans
la périphérie du champ visuel. Ce point sera repris plus loin, dans le chapitre 14.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 335

Corps genouillé latéral (CGL)


Les corps genouillés latéraux gauche et droit, situés dans la partie dorsale
du thalamus, constituent les cibles majeures de chaque tractus optique. En
coupe transversale, chacun des CGL montre une organisation en six couches
de cellules distinctes (Fig. 10.7). Par convention, les couches sont numérotées de
1 à 6, la plus ventrale étant la couche 1. En vue tridimensionnelle, les couches
du CGL sont assemblées comme une pile de six crêpes superposées. Cependant,
les couches ne sont pas horizontales ; elles se replient autour du tractus optique
comme l’articulation du genou ; c’est ce qui donne le terme genouillé, du latin
geniculatus signifiant « replié comme un petit genou ».
Le CGL représente en quelque sorte la porte d’entrée du cortex visuel, et
donc de la perception visuelle consciente. Voyons quelles en sont la structure et
la fonction.

Niveau de la coupe
histologique

Thalamus

6
5

2 Figure 10.7 – Corps genouillé latéral (CGL)


du macaque.
La technique de coloration permet de visua-
1 liser les corps cellulaires. Notez qu’ils sont
répartis en six couches, les neurones de plus
grande taille étant principalement localisés au
niveau des deux couches les plus ventrales
(couches 1 et 2). (Source : adapté de Hubel,
1988 ; p. 65.)

Rôle de l’œil et des cellules ganglionnaires


dans la ségrégation de l’information visuelle
Les neurones du CGL sont innervés à partir des cellules ganglionnaires de la
rétine. La plupart de ces neurones projettent leur axone dans le cortex visuel pri-
maire par l’intermédiaire de la radiation optique. La distribution des neurones
du CGL en couches distinctes laisse penser que les différentes informations
recueillies par la rétine sont traitées séparément dans ce relais synaptique : de
fait, les axones issus des cellules ganglionnaires M, P et non M-non P de chaque
rétine forment des synapses sur les cellules de différentes couches du CGL.
Compte tenu du fait que le CGL droit traite les informations issues de la moi-
tié gauche du champ visuel, le champ visuel gauche est perçu par la rétine nasale
gauche et par la rétine temporale droite. Dans le CGL, il existe un maintien de la
ségrégation des informations recueillies par chacun des yeux, de telle manière que
dans le CGL droit les axones issus de l’œil droit (ipsilatéral) forment des synapses
sur les couches cellulaires 2, 3, et 5 du CGL, alors que les axones issus de l’œil
gauche (controlatéral) se terminent au niveau des couches 1, 4 et 6 (Fig. 10.8).
336 2 – Systèmes sensoriel et moteur

CGL gauche
6
5
CGL droit 4
6 3
5 2
4 1
3
2
1

Rétine Rétine
nasale temporale
gauche gauche
Rétine Rétine
temporale nasale
droite droite

Figure 10.8 – Organisation des afférences


rétiniennes sur les différentes couches du
corps genouillé latéral (CGL).

En examinant la figure 10.7 de plus près, il apparaît que les deux couches


ventrales 1 et 2 contiennent de plus gros neurones, contrairement aux quatre
couches dorsales, de 3 à 6 dont les neurones sont de plus petite taille. Pour cette
raison, les couches ventrales représentent les couches magnocellulaires du CGL
et les plus dorsales, les couches parvocellulaires. Dans le chapitre 9, il a été men-
tionné que les cellules ganglionnaires de la rétine sont également organisées en
groupes magnocellulaire et parvocellulaire. En fait, les cellules ganglionnaires de
type P se projettent exclusivement dans les couches parvocellulaires du CGL, et
les cellules ganglionnaires de type M dans les couches magnocellulaires.
À côté des neurones présents dans ces six couches principales du CGL, il a
été aussi démontré qu’il existe de nombreux petits neurones situés dans la partie
ventrale de chaque couche. Les cellules de ces couches dites couches coniocellu-
laires (du grec konis : poussière), quelquefois référencées comme couches K1-K6,
reçoivent aussi des afférences de la rétine, à partir des cellules non M-non P.
Les neurones présents dans ces couches coniocellulaires se projettent également
dans le cortex visuel. Pour la plupart, chacune des couches coniocellulaires
reçoit des informations du même œil que celui des couches M et P avoisinantes.
Par exemple, la couche K1 reçoit des afférences provenant de l’œil controlatéral,
comme c’est le cas de la couche 1. Dans le chapitre 9, nous avons vu que dans
la rétine les cellules ganglionnaires de type M, P et non M-non P répondaient
différemment à la lumière et à la couleur. Dans le CGL, les informations corres-
pondant à chacune de ces sous-catégories de cellules ganglionnaires de chaque
œil restent ainsi très largement ségrégées.
L’organisation du CGL renforce l’idée que plusieurs canaux d’information
partent de la rétine et sont traités parallèlement. Elle est représentée par la
figure 10.9.

Champs récepteurs
La figure 9.25 a décrit comment le champ récepteur d’une cellule ganglion-
naire de la rétine peut être déterminé en enregistrant l’activité du neurone et
en déplaçant un spot de lumière sur la rétine. De façon similaire, à l’aide d’une
microélectrode, il est possible d’enregistrer l’activité des neurones des corps
genouillés en réponse à des stimulations visuelles, comme dans le cas de la rétine.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 337

Signal rétinien CGL

Œil Type de cellule Couche Type de cellule


ganglionnaire du CGL
Controlatéral 6
6 K6

Ipsilatéral 5 5 K5
Type P Parvocellulaire
4 K4
Controlatéral 4
3
K3
Ipsilatéral 3
2
K2
1
Ipsilatéral 2
Type M Magnocellulaire K1
Controlatéral 1

Similaire à celui des K1-K6 (partie


couches principales non M-non P ventrale de Coniocellulaire
avoisinantes chaque couche
principale)
(a)
(b)

Figure 10.9 – Organisation du corps genouillé latéral (CGL).


(a) Organisation des afférences au CGL issues des cellules ganglionnaires vers les différentes
couches du CGL. (b) Une fine couche de neurones coniocellulaires (colorée en rose) est située
dans la zone ventrale de chacune des six couches principales du CGL.

Ces enregistrements donnent des résultats surprenants : les champs récepteurs


visuels des neurones du corps genouillé sont presque identiques à ceux des cellules
ganglionnaires qui leur apportent l’information. Ainsi les neurones magnocel-
lulaires du CGL présentent-ils des champs récepteurs de type centre-périphérie
relativement larges, le centre du champ récepteur répondant à la stimulation par
une brève salve de potentiels d’action. Ces neurones sont par ailleurs insensibles
aux différences de longueurs d’onde. En ce sens, ils sont comparables aux cel-
lules ganglionnaires de type M. De même, les cellules parvocellulaires du CGL,
comme les cellules ganglionnaires de type P, présentent des champs récepteurs
de type centre-périphérie relativement limités, le centre de leur champ récep-
teur répondant à la stimulation par une augmentation plutôt persistante de leur
décharge ; et plusieurs de ces cellules montrent une opposition de réponse aux
couleurs. Enfin, les neurones coniocellulaires présentent également un champ
récepteur de type centre-périphérie, ils sont sensibles aux variations de lumino-
sité et présentent aussi des réponses aux oppositions de couleur. Dans toutes les
couches du CGL, les neurones sont activés à partir d’un seul œil (c’est-à-dire
qu’ils sont monoculaires) et les cellules de « centre-ON » et de « centre-OFF »
sont réparties les unes parmi les autres.

Informations non rétiniennes du CGL


Ce qui rend la ressemblance entre les champs récepteurs des cellules ganglion-
naires et celles du CGL si surprenante est que la rétine n’est pas la source princi-
pale des afférences du CGL. En plus des informations provenant de la rétine, le
CGL reçoit également des informations d’autres régions du thalamus et du tronc
cérébral. Les afférences principales, soit environ 80 % des synapses excitatrices,
proviennent du cortex visuel primaire. Il se pourrait que cette voie corticofuge
exerce une rétro-action au niveau du CGL (feedback) et modifie significative-
ment les réponses visuelles enregistrées dans cette structure. Pourtant, le rôle de
cette projection neuronale massive n’est pas encore clairement identifié. L’une
des hypothèses proposées suggère que cette voie « descendante », en retour du
cortex visuel sur le CGL, constitue un moyen pour le cortex visuel de contrôler,
par une action à ce niveau, les informations visuelles susceptibles d’être transfé-
338 2 – Systèmes sensoriel et moteur

rées au cortex. Par exemple, si nous souhaitons porter soudainement une atten-
tion particulière à une région très spécifique de notre champ visuel, nous pour-
rions renforcer cette focalisation de l’attention en supprimant les informations
provenant de zones de ce même champ visuel situées en dehors de cette région
d’intérêt particulier. Cette discussion sera reprise dans le chapitre 21 lorsque
nous évoquerons les mécanismes des processus attentionnels.
Le CGL se trouve aussi activé par des neurones du tronc cérébral dont l’ac-
tivité est associée à la vigilance et aux processus attentionnels (voir chapitres 15
et 19). L’impression de voir un éclair dans le noir ne vous a-t-elle jamais fait
sursauter ? Cette perception d’un éclair pourrait être provoquée par l’activation
directe des neurones du CGL par cette voie neuronale. Cependant, cet influx ne
déclenche pas toujours directement des potentiels d’action dans les cellules du
CGL mais il peut modifier l’amplitude des réponses du CGL aux stimuli visuels
(voir les paragraphes sur la modulation dans les chapitres 5 et 6). Le CGL ne
constitue donc pas un simple relais sur la voie neuronale qui va de la rétine au
cortex : c’est le premier endroit sur la voie de la perception visuelle où ce que
nous ressentons influence notre perception visuelle.

Anatomie du cortex strié


La cible majeure du CGL est le cortex visuel primaire. Souvenez-vous du
chapitre 7, le cortex peut être subdivisé en un grand nombre d’aires distinctes, en
rapport avec leurs connexions et leur architecture. Le cortex visuel primaire est
l’aire 17 de Brodmann ; chez les primates, elle se situe dans le lobe occipital. Une
grande partie de cette aire 17 s’étend sur la surface médiane de l’hémisphère,
entourant la scissure calcarine (Fig. 10.10). D’autres termes comme V1 ou cortex
strié désignent aussi le cortex visuel primaire (le terme strié réfère au fait que le
cortex V1 présente un unique et dense réseau de fibres myélinisées, qui chemine
parallèlement à la surface du cortex, de telle manière que celui-ci apparaît blanc
en sections non colorées).

1 cm Aire 17 1 cm Aire 17

Scissure
calcarine

Macaque Homme

Figure 10.10 – Aire 17.
Comparaison de la représentation du cortex visuel primaire chez le macaque et chez l’homme. Les
deux schémas du haut représentent des vues latérales ; les schémas du bas, des vues médianes.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 339

Comme les axones des différents types de cellules ganglionnaires forment


des synapses sur des neurones correspondants des différentes couches du CGL,
après une description rapide de l’anatomie du cortex strié, nous examinerons
les connexions entre les différentes cellules du CGL et les neurones corticaux.
L’enregistrement par microélectrode révèle par ailleurs comment l’information
est analysée par les neurones corticaux, suggérant qu’il existe aussi à ce niveau
une forte corrélation entre la structure et la fonction des réseaux et des neurones.

Rétinotopie
La projection rétinotectale illustre une caractéristique de l’organisation géné-
rale du système visuel central nommée rétinotopie. La rétinotopie reflète une
organisation telle que des cellules voisines de la rétine transmettent des infor-
mations à des sites voisins de leurs structures-cible, dans ce cas le colliculus
supérieur et le cortex strié. Ainsi, l’organisation bidimensionnelle de la rétine est
retrouvée dans ces différentes structures (Fig. 10.11a).
Trois points importants sont à considérer dans la rétinotopie. D’abord, la
­cartographie du champ visuel sur une structure où l’on retrouve une rétinoto-
pie est souvent déformée car les cellules de la rétine ne représentent pas toutes
­l’espace visuel de la même façon. Ainsi, souvenez-vous du chapitre 9, qu’il y
a beaucoup plus de cellules ganglionnaires dont les champs récepteurs sont
situés dans et près de la fovéa, qu’à la périphérie. C’est pourquoi la représenta-
tion du champ visuel est déformée dans le cortex strié : les quelques degrés du
champ visuel central sont surreprésentés ou amplifiés sur la carte rétinotopique
(Fig. 10.11b). En d’autres termes, beaucoup plus de neurones du cortex strié
reçoivent des informations de la rétine centrale que de la rétine périphérique.

8 9
6 7
4 5
2 3
1
Corps strié
(couche IVC)

2
LGN 1 9
8
Œil gauche

Image
Rétine rétinienne

CGL (gauche)

(a) (b)

5
91
5

Cortex strié

Figure 10.11 – Organisation rétinotopique dans le cortex strié.


(a) Des points voisins de la rétine vont se projeter dans des régions également voisines du CGL.
Cette organisation topographique (représentation dite « rétinotopique ») est préservée dans les
projections du CGL vers V1. (b) La partie inférieure de V1 reçoit l’information relative à la partie
supérieure de l’espace visuel et la partie supérieure du cortex V1, celle concernant la partie infé-
rieure. Notez aussi que la cartographie présente quelques distorsions, la partie centrale de la rétine
étant mieux représentée que sa périphérie. Des cartes similaires sont retrouvées dans le colliculus
supérieur, le CGL et d’autres aires visuelles corticales.
340 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Le second point dont il faut se rappeler est qu’un petit spot lumineux peut
activer de nombreuses cellules de la rétine et souvent plus encore dans la struc-
ture cible, en raison de la superposition des champs récepteurs. La projection
d’un spot lumineux sur la rétine active ainsi une large population de neurones
corticaux ; chaque neurone qui contient ce spot dans son champ récepteur est
ainsi potentiellement activé. Par conséquent, lorsqu’un point déterminé de la
rétine est stimulé par un spot de lumière, l’activité du cortex strié présente une
distribution diffuse, avec un pic correspondant à l’organisation rétinotopique.
Finalement, il faut quand même se méfier du sens du mot « cartographie ».
De fait, il n’y a pas de réelles images dans le cortex strié. Ce qu’il faut com-
prendre est bien que l’arrangement des connexions respecte une organisation
entre la rétine et le cortex V1. La perception visuelle est basée sur l’interpréta-
tion de cette activité neuronale ainsi distribuée et non sur une forme « d’instan-
tané » du monde tel qu’il est (nous reviendrons plus tard, dans ce chapitre, sur le
concept de perception visuelle).

Organisation laminaire du cortex strié


Dans le néocortex en général et dans le cortex strié en particulier, les corps
cellulaires des neurones sont généralement répartis en six couches. Ces couches
sont nettement visibles avec la coloration de Nissl, qui marque en bleu ou violet
le soma de chaque neurone (voir chapitre 2). En partant de la substance blanche
(qui contient les fibres corticales afférentes et efférentes), les couches de cellules
sont numérotées en chiffres romains : VI, V, IV, III et II. La couche I, située juste
sous la pie-mère, contient très peu de neurones ; elle est presque entièrement for-
mée des axones et des dendrites des cellules des autres couches. L’épaisseur du
cortex strié, de la substance blanche à la pie-mère, est d’environ 2 mm (Fig. 10.12).
Comme le montre la figure 10.12, la stratification du cortex strié est quelque
peu contrainte dans un schéma à six couches. En fait, il existe au moins neuf
couches de neurones distinctes mais pour conserver la proposition de Brodmann
de l’organisation du néocortex en six couches, la couche IV a été subdivisée en
trois sous-couches, nommées IVA, IVB et IVC. La couche IVC est elle aussi
divisée en deux : IVCα et IVCβ. La ségrégation anatomique des neurones en
différentes couches suggère qu’il existe une répartition des tâches dans le cortex,
semblable à celle mise en évidence dans le CGL. L’observation de la structure des
différentes couches et de leurs connexions anatomiques, représente un moyen
d’appréhender la façon dont le cortex traite l’information visuelle.

I
II
III

B IV
α
C
β
V

VI

Substance
blanche

Figure 10.12 – Organisation cyto-architectonique du cortex strié.


Le tissu a été coloré par la méthode de Nissl, permettant la mise en évidence des corps cellulaires
qui apparaissent comme autant de petits points. (Source : adapté de Hubel, 1988 ; p. 97.)
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 341

Cellules des différentes couches.  Des neurones de formes diverses ont été
identifiés dans le cortex strié mais on insistera ici sur deux types principaux, I
caractérisés par l’aspect de leur arborisation dendritique (Fig. 10.13) : les cellules
II
étoilées épineuses, représentant de petits neurones avec des dendrites recouvertes
III
d’épines disposées en rayons autour du corps cellulaire (voir les épines den-
dritiques dans le chapitre 2) ; celles-ci sont surtout trouvées dans les deux tiers
de la couche IVC. En dehors de la couche IVC, il se trouve un grand nombre IVA
de cellules pyramidales. Ces cellules présentent aussi des dendrites couvertes
d’épines, caractérisées par la présence d’une seule grosse dendrite apicale qui se IVB
ramifie en remontant vers la pie-mère et par de nombreuses dendrites basales α
qui se projettent horizontalement. La figure 10.13 illustre la position de l’axone IVC
β
unique issu de chacune de ces cellules pyramidales.
V
Notons que la cellule pyramidale d’une couche projette ses dendrites dans
les autres couches. Pour l’essentiel, seules les cellules pyramidales envoient leur
axone en dehors du cortex strié pour former des connexions avec d’autres régions VI
du cerveau. Les axones des cellules étoilées, difficilement distinguables des den-
drites en figure 10.13, font synapse localement, à l’intérieur du cortex lui-même.
Il existe une seule exception à cette règle : elle concerne les cellules étoilées Figure 10.13 – Représentation de la mor-
épineuses de la couche IVB qui projettent vers l’aire V5 (nous en reparlerons phologie des dendrites de quelques cellules
du cortex strié.
ci-après).
Notez en particulier que les cellules pyramidales
Enfin, en plus de ces neurones épineux on trouve dans le cortex des interneu- se trouvent localisées au niveau des couches III,
rones inhibiteurs, dont les dendrites ne portent pas d’épines. Ces neurones sont IVB, V et VI, et que les petites cellules étoilées
disséminés dans tout le cortex et forment également des connexions locales. épineuses se trouvent dans la couche IVC.

Organisation des afférences et des efférences


des différentes couches corticales
L’organisation laminaire du cortex strié est à rapprocher de celle, également
en couches, du CGL. Dans le CGL chaque couche reçoit des afférences réti-
niennes et projette vers le cortex visuel. Dans le cortex visuel, la situation est
différente ; seules certaines des couches corticales reçoivent des afférences du
CGL ou projettent vers d’autres aires corticales.
Les axones du CGL se projettent dans plusieurs couches du cortex, mais
essentiellement dans la couche IVC. Comme nous l’avons vu, les sorties du CGL
sont divisées en grands courants d’informations, par exemple issues des couches
magnocellulaires et parvocellulaires, véhiculant les informations captées par Couche
l’œil gauche et l’œil droit. Cette ségrégation est maintenue sur le plan anato- III
mique dans la couche IVC.
Les neurones magnocellulaires du CGL projettent à la couche IVCα et les Couche
neurones parvocellulaires à la couche IVCβ. Imaginez un instant que les deux IVC
tiers de la couche IVC soient comme des crêpes, l’une (α) au-dessus de l’autre Couche
(β). Du fait de l’organisation topographique des projections du CGL au cortex, VI
il apparaît que la couche IVC présente ainsi deux cartes rétinotopiques, qui se
chevauchent : l’une issue du CGL magnocellulaire (IVCα) et l’autre issue du (a)
CGL parvocellulaire (IVCβ). Les axones des neurones coniocellulaires suivent
une voie différente : ils dépassent la couche IV pour aller faire synapse dans les
couches I et III. Couche
III
Innervation des autres couches corticales à partir de la couche IVC.  La plu-
part des connexions intracorticales s’étendent perpendiculairement à la surface
Couche
corticale, le long de lignes radiaires qui traversent les différentes couches, de IVC
la substance blanche jusqu’à la couche I. Cette organisation radiaire maintient
la rétinotopie établie dans la couche IV. Par conséquent, si on prend comme Couche
VI
exemple une cellule de la couche VI, celle-ci reçoit son information de la
même zone de la rétine que des cellules de la couche IV situées juste au-­dessus (b)
(Fig. 10.14a). Cependant, les axones de quelques cellules pyramidales de la
couche III présentent des collatérales, qui établissent ainsi des connexions hori- Figure 10.14 – Organisation des connexions
zontales dans la couche III elle-même (Fig. 10.14b). Les connexions radiaires et intracorticales.
horizontales jouent des rôles différents dans l’analyse du monde visuel, comme (a) Connexions radiales. (b) Connexions hori-
nous le verrons par la suite. zontales.
342 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Au-delà de la couche IV, les informations provenant des canaux magnocellu-


laire et parvocellulaire, respectivement, continuent à être encore largement ségré-
gées. Les cellules de la couche IVCα, qui reçoivent des informations des neu-
rones magnocellulaires du CGL, projettent principalement vers la couche IVB.
Les neurones de la couche IVCβ, qui reçoivent les informations parvocellulaires
du CGL, projettent principalement vers la couche III. Dans les couches corti-
cales III et IVB, un axone peut lui-même former des synapses avec les dendrites
des cellules pyramidales de toutes les couches.
Colonnes de dominance oculaire.  Comment la séparation des informations
provenant de l’œil droit et de l’œil gauche au travers du CGL est-elle préservée
dans le cortex strié ? Ces informations sont-elles arrangées au hasard ou bien
continuent-elles à être ségrégées ? L’expérience étonnante effectuée par David
Hubel et Torsten Wiesel au début des années 1970 à Harvard Medical School
apporte des éléments de réponse à ces questions. Leur méthode consistait à injec-
ter un acide aminé radioactif dans l’œil d’un singe (Fig. 10.15). Cet acide aminé
est capté par les cellules ganglionnaires, incorporé dans les protéines, puis trans-
porté le long de leurs axones jusque dans le CGL (voir le transport antérograde
dans le chapitre 2). Les protéines radioactives sortent alors des terminaisons ner-
veuses des cellules ganglionnaires pour certaines d’entre elles et sont récupérées
par les neurones du CGL. Cependant, toutes les cellules du CGL ne récupèrent
pas les protéines radioactives : seules les cellules recevant une information par
voie synaptique à partir de l’œil injecté incorporent la protéine marquée. Dans un
deuxième temps, les protéines radioactives sont transportées le long des axones
des cellules du CGL, jusqu’au niveau de leurs terminaisons axoniques dans la
couche IVC du cortex strié. Dans cette expérience, les terminaisons radioactives
sont révélées par radio-autographie, c’est-à-dire par un procédé qui consiste à
recouvrir d’une légère émulsion photographique de fines coupes histologiques
du cortex strié, développée ensuite après exposition, comme on le fait pour une
photographie (voir chapitre 6). Les amas de grains argentés sur le film indiquent
la zone des projections visuelles radioactives du CGL.

5 Vers le cortex

1
2

Proline
radioactive

Figure 10.15 – Radio-autographie transneuronale.
La proline radioactive ① est injectée à l’intérieur d’un œil où elle est captée par les cellules réti-
niennes ganglionnaires ; la proline est ensuite incorporée ② dans des protéines transportées le
long des axones, jusqu’au CGL ③. À ce niveau, un peu de radioactivité diffuse hors des terminai-
sons nerveuses des cellules d’origine rétinienne et se trouve captée par les cellules du CGL ④, qui
la transportent à leur tour vers le cortex strié ⑤. Les sites marqués par la radioactivité sont révélés
par radio-autographie.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 343

I
II,III
IV Figure 10.16 – Colonnes de dominance oculaire du cortex strié.
V (a) Organisation des colonnes de dominance oculaire de la couche IV
VI
du cortex strié chez le macaque. La distribution des terminaisons axo-
niques des fibres des cellules du CGL relayant les informations issues
(a) d’un seul œil est représentée en foncé. En coupe, cette région spé-
cifique d’un seul œil apparaît comme des stries d’environ 0,5 mm de
large, dans l’aire IV. Si l’aire IV est représentée de telle manière que
les couches superficielles sont retirées, les zones de dominance ocu-
laire apparaissent, vues de dessus, comme des bandes rappelant la
peau d’un zèbre. (b) Coupe histologique au niveau de l’aire IV, traitée
par radio-autographie. Deux semaines avant la fixation des tissus, de
la proline radioactive a été injectée dans un seul œil du singe. Cette
­proline radioactive a été transportée jusqu’au cortex strié, après relais
dans le CGL. La figure illustre l’ensemble des terminaisons radioactives
marquées par la proline apparaissant en blanc sur un fond sombre.
(b) (Source : LeVay et al., 1980.)

Sur des coupes histologiques perpendiculaires à la surface corticale, Hubel


et Wiesel ont observé que la distribution des terminaisons nerveuses servant de
relais à l’information de l’œil injecté est discontinue dans la couche IVC et se pré-
sente sous forme de bandes d’environ 0,5 mm de large, régulièrement espacées
(Fig. 10.16a). Dans des expériences ultérieures, le cortex était préparé de telle
manière à obtenir des sections parallèles, tangentiellement à la couche IV. Ces
nouvelles expériences ont révélé que les informations issues des yeux gauche et
droit parvenant à la couche IV du cortex se présentaient sous forme de séries de
bandes alternées, à la manière des rayures d’un zèbre (Fig. 10.16b). Ainsi, plutôt
que d’être distribués au hasard, les neurones recevant les informations des yeux
gauche et droit sont aussi distincts dans la couche IV du cortex qu’ils le sont
dans le CGL.
Les cellules étoilées de la couche IVC projettent leur axone principalement
vers les couches IVB et III où, pour la première fois, l’information issue des
deux yeux commence à se mélanger (Fig. 10.17). Alors que tous les neurones
de la couche IVC reçoivent des informations issues d’un seul œil, la plupart des
neurones des couches II, III, V et VI les reçoivent de chacun des deux yeux.
Par exemple, un neurone situé au-delà de la couche IVC du cortex visuel, qui
reçoit des informations de l’œil gauche, reçoit à la fois des informations de
neurones de la couche IVC innervés par l’œil gauche et par l’œil droit, bien
que la majorité des informations provienne de l’œil gauche. Dans ce cas, on dit
que le neurone reçoit de façon « dominante » des informations de l’œil gauche.
La figure 10.7 illustre des groupes de cellules rouge et bleu dans la couche III,
qui reçoivent de façon dominante des informations de l’œil droit et de l’œil
gauche, respectivement. Les cellules représentées en couleur violet reçoivent

Colonne de Colonne de
dominance dominance
oculaire de oculaire
l’œil gauche de l’œil droit Figure 10.17 – Combinaison des informations issues des deux yeux
dans le cortex V1.
Les axones des neurones de la couche IVC projettent vers les couches
Couche III supérieures du cortex. La plupart des neurones de la couche III reçoivent
des informations binoculaires, à partir des deux yeux. Mais dans cette
couche III, certains neurones répondent de façon préférentielle à l’œil
Couche IVC droit (rouge) ou à l’œil gauche (bleu), ou encore de façon équivalente à
la stimulation de chacun des deux yeux (violet). Du fait des connexions
Couche VI radiales, les neurones des couches situées au-dessus et au-dessous
de la couche IV sont dominés par le même œil. Les colonnes de domi-
Information Information nance oculaire (entre les lignes pointillées verticales) contiennent des
issue de issue de neurones influencés préférentiellement par un seul œil, et les colonnes
l’œil gauche l’œil droit alternent la dominance par l’œil droit et par l’œil gauche.
344 2 – Systèmes sensoriel et moteur

I de façon approximativement équivalente des informations des deux yeux à la


II fois. Du fait de l’alternance des afférences des yeux gauche et droit atteignant
la couche IV et du chevauchement des projections, les neurones des couches
corticales au-delà de la couche IV sont organisés en bandes alternées dominées
III
par les yeux gauche et droit. Les bandes de cellules qui s’étendent dans les pro-
fondeurs du cortex strié sont dénommées colonnes de dominance oculaire.
IVA Projections du cortex strié.  Comme cela a été mentionné, les axones des
IVB cellules pyramidales du cortex strié rejoignent la substance blanche. Il existe
une organisation des projections corticales, de façon telle que les cellules pyra-
IVC midales des différentes couches corticales n’innervent pas les mêmes structures
cérébrales. Les cellules pyramidales des couches II, III et IVB projettent leur
V axone vers d’autres aires corticales. Les cellules de la couche V projettent vers le
colliculus supérieur et le pont. Celles de la couche VI sont à l’origine de la pro-
jection massive du cortex strié en retour vers le CGL (Fig. 10.18). Finalement,
VI
les axones de l’ensemble des cellules pyramidales, quelle que soit leur couche
Substance
d’origine, forment aussi des connexions locales intracorticales.
blanche
Cytochrome oxydase : révélation des « taches »
Autres Pont et CGL Comme nous l’avons vu, les couches corticales II et III jouent un rôle clé
aires colliculus
corticales supérieur dans le traitement de l’information visuelle, contribuant à l’essentiel de l’infor-
mation qui va quitter le cortex V1 vers d’autres régions corticales. Les études
Figure 10.18 – Organisation des efférences anatomiques suggèrent que les messages issus du cortex V1 proviennent de deux
du cortex strié. populations distinctes de neurones des couches superficielles. En utilisant un
procédé de coloration marquant une enzyme mitochondriale intervenant dans
le métabolisme cellulaire, la cytochrome oxydase, il s’avère que la coloration n’est
pas régulièrement répartie dans les couches II et III. La coloration de la cyto-
chrome oxydase dans des coupes transversales du cortex strié fait apparaître des
zones à l’aspect de colonnades, formées de séries de piliers disposés à intervalle
régulier et traversant toute l’épaisseur des couches II et III et des couches V et VI
du cortex strié (Fig. 10.19a). Si la coupe est pratiquée tangentiellement par rap-
port à la surface corticale à travers la couche III, ces colonnes prennent l’aspect
des taches de la robe d’un léopard (Fig. 10.19b). Après discussion, ces colonnes
de neurones riches en cytochrome oxydase ont pris le nom de taches (blobs,
en anglais). Ces taches sont disposées en rang, chacune centrée sur une bande
de dominance oculaire de la couche IV. Entre les taches, se trouvent des zones
intermédiaires, dites « intertaches » (interblob, en anglais). Les taches reçoivent
directement des informations à partir des neurones coniocellulaires du CGL,
mais aussi des régions de l’aire IVC du cortex strié recevant des informations
magnocellulaires et parvocellulaires.

Taches révélées
par la cytochrome
oxydase
I
II,III
IV
V
VI

(b)
(a)

Figure 10.19 – Révélation des taches par la technique de la cytochrome oxydase.


Il s’agit ici d’un marquage qui concerne les cellules du cortex strié. (a) Représentation schématique
des taches révélées positivement par la cytochrome oxydase dans la couche III du cortex strié
chez le macaque. Le tissu marqué par des teintes sombres est organisé selon une représentation
en « piliers » radiaires dans les couches II, III, V et VI. Une section tangentielle par rapport à la sur-
face du cortex montre des patchs discrets qui donnent leur nom aux « taches » (au-dessous de la
couche III). (b) Cette microphotographie illustre le marquage obtenu au niveau de la couche III du
cortex strié chez le singe, après traitement histologique pour la mise en évidence de la cytochrome
oxydase. (Source : courtoisie S.H.C. Hendry.)
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 345

Physiologie du cortex strié


Au début des années 1960, Hubel et Wiesel furent les premiers à explorer
systématiquement la physiologie du cortex strié à l’aide de microélectrodes. Ils
avaient été les élèves de Stephen Kuffler qui travaillait alors à John Hopkins
University et a ensuite rejoint Harvard. Ils appliquèrent les méthodes novatrices
de ce dernier, à savoir la cartographie des champs récepteurs, aux voies visuelles
centrales. Après avoir démontré que les neurones du CGL se comportaient pra-
tiquement comme les cellules ganglionnaires de la rétine, ils se mirent à travailler
sur le cortex strié, dans un premier temps chez le chat puis chez le singe. Nous ne
parlerons ici que des travaux réalisés sur le cortex du singe. Les travaux de Hubel
et Wiesel ont véritablement contribué à établir les bases des recherches toujours
en cours sur la physiologie du cortex strié, et en 1981 leurs travaux sur le cortex
strié furent récompensés par le prix Nobel.

Champs récepteurs
Les champs récepteurs des neurones de la couche IVC sont similaires à ceux
des neurones magnocellulaires et parvocellulaires du CGL qui leur fournissent
les informations d’origine rétinienne. Ceci signifie qu’il s’agit généralement
de petits champs récepteurs monoculaires, de type centre-périphérie. Dans la
couche IVCα les neurones sont insensibles aux longueurs d’onde de la lumière,
alors que dans la couche IVCβ les champs récepteurs centre-périphérie sont à
opposition de couleur. En dehors de la couche IVC, d’autres types de champs
récepteurs qui ne sont pas observés dans la rétine ou dans le CGL, sont trou-
vés. Ces champs récepteurs seront décrits ci-dessous en détail, parce qu’ils per-
mettent de comprendre le rôle de V1 dans le traitement de l’information visuelle
et dans la perception visuelle.
Binocularité.   Il existe une correspondance directe entre l’organisation des
connexions dans l’aire V1 et les réponses des neurones à la lumière dans les deux
yeux. Chacun des neurones des couches IVCα et IVCβ reçoit des afférences d’une
couche du CGL représentant un seul œil, gauche ou droit. Les enregistrements
électrophysiologiques confirment que ces neurones sont monoculaires, répondant
à la lumière seulement dans l’un des deux yeux. Comme nous l’avons déjà vu, les
axones qui quittent la couche IVC divergent et innervent des couches plus super-
ficielles. L’une des conséquences de cette divergence est de promouvoir le mixage
des informations provenant des deux yeux (voir Fig. 10.17). Les enregistrements
confirment cette organisation anatomique ; la plupart des neurones des couches
situées au-dessus de l’aire IVC sont binoculaires, répondant indifféremment à
la stimulation par la lumière de l’un ou l’autre œil. Les colonnes de dominance
oculaire révélées par la radio-autographie sont reflétées dans la réponse des neu-
rones de V1. Au-delà des regroupements des neurones de dominance oculaire de
la couche IVC, les neurones des couches II et III sont principalement activés par
l’œil représenté dans la couche IVC (par exemple, leur réponse est dominée par
l’un des deux yeux même si, de fait, ils sont bien binoculaires). Dans les aires où
l’on trouve une projection provenant des deux yeux relativement équivalente à
partir de l’aire IV, les neurones des couches superficielles répondent sensiblement
de la même manière à la stimulation lumineuse des deux yeux.
Dans ce cas, on parle de champs récepteurs binoculaires, ce qui signifie que
les neurones présentent chacun objectivement deux champs récepteurs, l’un
dans l’œil ipsilatéral et l’autre dans l’œil controlatéral. La rétinotopie est pré-
servée parce que les champs récepteurs d’un neurone binoculaire sont précisé-
ment situés dans la rétine, de telle manière qu’ils « regardent » le même point du
champ visuel controlatéral. La construction de ces champs récepteurs binocu-
laires est essentielle pour les animaux à vision binoculaire, tels les humains. Sans
cette propriété nous serions probablement incapables d’utiliser les informations
issues des deux yeux pour former une seule image du monde qui nous entoure,
et réaliser ainsi des actions d’une très grande précision nécessitant une vision
stéréoscopique, par exemple enfiler une aiguille.
346 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Colonnes d’orientation sélective.  La plupart des champs récepteurs de la


rétine, du CGL et de l’aire corticale IVC sont circulaires et produisent leur meil-
leure réponse pour un spot de lumière ajusté au centre du champ récepteur. En
dehors de la couche IVC les neurones ne présentent pas un tel mode de décharge.
De fait, alors que de petits spots de lumière produisent la réponse de plusieurs
neurones corticaux, il est habituellement possible de produire des réponses plus
importantes par d’autres types de stimuli. C’est un peu par accident que Hubel
et Wiesel ont montré que de nombreux neurones de V1 répondaient ainsi mieux
à la présentation d’une barre de lumière plutôt que d’un spot, traversant le
champ récepteur. C’est dans ce cas l’orientation de la barre qui est critique. Les
meilleures réponses sont obtenues pour une orientation particulière ; les barres
perpendiculaires provoquant des réponses en général plus faibles (Fig. 10.20).
Les neurones qui répondent de cette manière sont dits à orientation sélective. La
plupart des neurones de VI, en dehors de la couche IVC (et quelques-uns dans
la couche IVC aussi) présentent une telle réponse à orientation sélective. Pour
chaque neurone, l’orientation sélective peut être n’importe quel angle autour de
l’horloge.
Si les neurones de V1 peuvent ainsi prendre n’importe quelle orientation opti-
male, on peut alors se poser la question de savoir si la valeur de l’orientation
pour des neurones proches est corrélée à cette proximité ? Selon les premiers
travaux de Hubel et Wiesel, il n’y a aucun doute. Une microélectrode pénétrant
perpendiculairement à travers les couches ne rencontre que des neurones qui ont
la même préférence d’orientation, des couches II à VI. Cette organisation radiale
correspond aux colonnes d’orientation décrites par Hubel et Wiesel.
A contrario, une microélectrode pénétrant tangentiellement (parallèlement à
la surface) dans le cortex dans une seule des couches corticales, va voir la pré-
férence d’orientation se modifier. Grâce aux méthodes d’enregistrement optique,
nous savons aujourd’hui qu’il existe au niveau du cortex une sorte de «  mosaïque  »
de pattern de préférence d’orientation (Encadré 10.2). Si une 
électrode est ainsi
introduite progressivement dans le cortex traversant cette mosaïque, la préfé-

Stimulus Champ
Écran visuel récepteur
Décharge neuronale
Stimulation
visuelle
Limite du
champ visuel

Microélectrodes
permettant l’enregistrement
de l’activité des cellules
du cortex strié

(a)

Figure 10.20 – Neurones présentant une sélectivité d’orientation.


(a) Les réponses de neurones à orientation sélective sont enregistrées lors de la présentation de diffé-
rents stimuli dans leur champ visuel. Dans ce cas, le stimulus représente un petit barreau de lumière.
(b) Les barreaux de lumière sont présentés avec des orientations différentes (comme à gauche) et
chacune des orientations va produire des réponses d’intensité différente (illustré à droite). L’orientation
optimale pour activer ce neurone correspond à un angle de 45° par rapport à la verticale, présenté dans
la position antihoraire. (b)
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 347

rence d’orientation se modifie à tout moment comme la direction de l’aiguille


des minutes parcourant le cadran d’une horloge (Fig. 10.21). Si l’électrode utilise
un autre angle de pénétration dans le cortex, des changements plus brutaux sont
constatés au fur et à mesure de la pénétration. Hubel et Wiesel ont ainsi montré
qu’un changement d’orientation de 180° était obtenu en moyenne lorsque l’élec-
trode pénètre de 1 mm environ dans la couche III.
L’analyse de l’orientation des stimuli serait ainsi l’une des fonctions les plus
importantes du cortex strié. De telles colonnes de neurones répondant à l’orienta-
tion sélective des stimuli seraient impliquées dans l’analyse des formes des objets.
Sélectivité de direction.  De nombreux champs récepteurs de V1 présentent
une sélectivité de direction ; les neurones répondent sélectivement lorsque la
barre de lumière présente son orientation optimale et que le déplacement de ce
stimulus dans le champ récepteur est orienté perpendiculairement à cette orien-
tation de stimulation optimale, dans une des deux directions et pas dans l’autre.
La figure 10.22 illustre la réponse d’une cellule qui présente une sélectivité de
direction à un stimulus se déplaçant dans son champ récepteur. Notez à partir
de cet exemple que la cellule répond à un stimulus de forme allongée se dépla-
çant dans une seule direction de son champ récepteur, beaucoup plus lorsque le
stimulus est présenté de la gauche vers la droite que dans la direction opposée.
La sensibilité à la direction du déplacement représente une caractéristique de
neurones recevant des informations des couches magnocellulaires du CGL. Le
rôle de ces neurones pourrait être d’analyser le mouvement des objets.

Encadré 10.2 BASES THÉORIQUES

Organisation corticale révélée par imagerie optique et calcique


Tout ce que nous savons ou à peu près de la réponse Une autre façon de procéder pour réaliser des enre-
des neurones du système visuel ou de tout autre neurone gistrements optiques est de mesurer l’activité de signaux
du système nerveux provient d’études réalisées à partir intrinsèques aux cellules. Lorsque les neurones sont
d’enregistrements extracellulaires ou intracellulaires, actifs, de nombreuses réactions interviennent, tant dans
par microélectrodes. Ces enregistrements fournissent les neurones eux-mêmes que dans leur environnement ;
des renseignements très précis sur l’activité d’une ou de par exemple, des mouvements ioniques, des changements
quelques cellules. Cependant, même en multipliant les de la libération des neurotransmetteurs, de la microcircu-
enregistrements ou le nombre d’électrodes utilisées, il lation cérébrale, ou encore, localement, de l’oxygénation
n’est pas possible d’observer simultanément le compor- des tissus. Parce que tous ces événements sont corrélés à
tement de populations de neurones. l’activité et n’ont que peu d’effets sur la réflexion de la
Une vue plus globale du fonctionnement neuronal lumière par le cerveau, ils peuvent être utilisés comme
est possible par des méthodes utilisant l’imagerie optique signaux intrinsèques pour les enregistrements optiques.
de l’activité cérébrale. Dans ce cas, la mesure de l’activité cérébrale ne s’inté-
Dans une version de cette méthode, un colorant sen- resse pas directement au potentiel de membrane ou aux
sible au potentiel est appliqué à la surface du cortex. Le potentiels d’action. Cette technique utilise une illumina-
colorant s’associe aux membranes cellulaires et il change tion locale du tissu et on enregistre la lumière réfléchie,
ses propriétés optiques en rapport avec le potentiel de par une caméra vidéo très sensible. Aux longueurs
membrane de la cellule. Les modifications des proprié- d’ondes généralement utilisées, le signal intrinsèque est
tés des colorants sont enregistrées par des microphoto- dominé par les changements qui interviennent au niveau
détecteurs ou simplement par une caméra vidéo. Si cette de la microcirculation cérébrale et de la consommation
technique est utilisée pour enregistrer l’activité d’un seul d’oxygène. L’un des inconvénients de la technique est lié
neurone, les informations recueillies sont très similaires au fait que les modifications sont relativement lentes et
à celles obtenues par enregistrement intracellulaire clas- ne permettent pas de mesurer les changements d’activité
sique. Dans le cas du cortex cérébral, l’activité de neu- dans la gamme de la milliseconde, comme cela est pos-
rones isolés ne peut être mesurée par cette technique et sible par l’utilisation des colorants sensibles au potentiel.
les enregistrements optiques représentent la somme des La figure A présente une partie de la vascularisation
modifications des potentiels de membrane des neurones dans une région du cortex visuel primaire. La figure B
et des cellules gliales dans une zone d’environ 100 mm. illustre les colonnes de dominance oculaire dans la
348 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 10.2 BASES THÉORIQUES  (suite)

même région du cortex strié. L’enregistrement a été Une autre méthode utilise l’imagerie calcique bipho-
obtenu par des techniques optiques mesurant les chan- tons in vivo, qui permet d’apprécier l’activité de milliers
gements de circulation cérébrale qui intervient suite à de neurones avec une résolution de cellule unique.
une stimulation visuelle. Cette photo est en fait la sous- Lorsqu’un neurone produit des potentiels d’action,
traction de deux images, l’une ayant été réalisée quand les canaux ioniques calciques sensibles au potentiel
l’œil droit était stimulé sélectivement, et l’autre quand il s’ouvrent et la concentration de calcium ionisé aug-
s’agissait de l’œil gauche. Par conséquent, les bandes mente dans le soma. Ces changements de concentration
foncées représentent les régions du cortex strié où de calcium ionisé peuvent être mesurés par l’introduc-
dominent les projections de l’œil gauche, et les bandes tion dans les neurones d’un colorant fluorescent sensible
blanches, complémentaires, celles où dominent les pro- au calcium. Ainsi, la fluorescence émise par le neurone
jections de l’œil droit. La figure C est une représentation est corrélée à la quantité de calcium du neurone et, par-
en fausse couleur de la préférence d’orientation, tou- tant, avec son activité électrique. Pour suivre les évolu-
jours dans la même région du cortex visuel. Quatre tions de cette activité à la fois dans l’espace et dans
images ont été recueillies, correspondant à quatre orien- le temps, la microscopie biphotonique est utilisée. La
tations choisies d’un stimulus visuel dans le champ figure D (partie supérieure) illustre une activité liée à
visuel. Chaque couleur illustre la réponse maximale une sélectivité d’orientation, obtenue à partir d’un signal
obtenue pour l’une ou l’autre de ces orientations : bleu, optique généré par le cortex visuel chez un chat. La par-
horizontal ; rouge, 45° ; jaune, vertical ; vert, 135°. tie inférieure de la figure D illustre l’activité de neurones
Conformément à ce qui a été observé avec les techni­ individuels en réponse à une stimulation lumineuse
ques d’enregistrement électrophysiologiques (Fig. 10.21), impliquant une sélectivité d’orientation. Les colonnes
dans certaines régions du cortex visuel primaire, l’orien- d’orientation sont visibles à partir de l’agglutination de
tation change progressivement avec la direction du sti- neurones de couleur similaire. Les résultats confirment
mulus. Les techniques d’enregistrement optique, cepen- ceux obtenus par d’autres méthodes d’imagerie optique.
dant, révèlent en plus que l’organisation corticale fondée Ainsi les cellules présentant des sélectivités d’orientation
sur l’orientation est beaucoup plus complexe que ne le différentes sont-elles organisées dans des regroupements
suggère le pattern un peu idéalisé des « colonnes » paral- particuliers, confirmant à l’échelon cellulaire les don-
lèles. nées de l’imagerie optique.

Figure A – Vascularisation à la surface du Figure B – Colonnes de dominance ocu-


cortex visuel primaire. laire.
(Source : Ts’o et al., 1990, Fig. 1A.) (Source : Ts’o et al., 1990, Fig. 1B.)

Figure D – Cartographie d’orientation sélective


basée sur un signal d’imagerie optique (partie
supérieure).
La figure du bas présente une expérience en ima-
Figure C – Carte des réponses aux orien- gerie calcique (biphotons) illustrant les réponses
tations préférentielles. de préférence à une orientation sélective du sti-
(Source : Ts’o et al., 1990, Fig. 1C.) mulus de neurones individuels. (Source : adapté
de Ohki et Reid, 2006, Fig. 1.)
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 349

Trajectoire de l’électrode
– 30 1 mm

– 60
II, III
Figure 10.21 – Corrélation de l’activité des
neurones du cortex strié avec l’orientation
90 du stimulus dans le champ visuel.
IV
60 Lors de la pénétration tangentielle d’une élec-
V
Orientation (en degrés)

VI trode dans les couches II et III du cortex strié,


30 l’activité neuronale est enregistrée en rapport
avec la présentation dans leur champ récep-
0
teur de stimuli d’orientation différente. L’enre-
– 30 gistrement illustre une réponse à l’orientation
préférentielle de ce neurone débutant autour
– 60 de – 70° et évoluant positivement alors même
90
que l’électrode n’a été déplacée que de
0,7 mm. Les orientations préférentielles évo-
60 luent ici dans le sens horaire. Le déplacement
de l’électrode d’encore un millimètre illustre
30
cette fois une sensibilité préférentielle anti-
0 0,5 1 1,5 2 horaire. (Source : adapté de Hubel et Wiesel,
Longueur de la trajectoire (mm) 1968.)

Stimulus visuel

Champ Champ
récepteur Direction du Direction du récepteur
déplacement déplacement

Réponse d’une cellule Réponse d’une cellule


de la couche IVB à un stimulus de la couche IVB à un stimulus
se déplaçant de la gauche vers la droite se déplaçant de la droite vers la gauche

Figure 10.22 – Réponse d’un neurone à sélectivité de direction.


Lorsque l’orientation optimale a été déterminée (dans ce cas la verticale), le neurone répond forte-
ment lorsque le stimulus lumineux est déplacé de gauche à droite dans le champ visuel, mais pas
lorsqu’il est déplacé de droite à gauche.

Champs récepteurs simples et complexes.  Les neurones du CGL ont des


champs récepteurs présentant une opposition de type centre-périphérie, et cette
organisation rend compte de leur réponse aux stimuli visuels. Par exemple, un
petit spot de lumière au centre du champ récepteur peut produire une réponse
plus importante qu’un stimulus plus large, qui affecterait aussi la partie périphé-
rique du champ visuel (réponse antagoniste). Mais que savons-nous des infor-
mations afférentes aux neurones de V1 qui pourraient nous renseigner sur la
binocularité, la sélectivité d’orientation et la sélectivité de direction, dans leur
champ récepteur ? La binocularité est facile à comprendre : nous avons déjà vu
que les neurones binoculaires reçoivent des informations des deux yeux à la fois.
En revanche, en ce qui concerne la sélectivité d’orientation et de direction, les
choses paraissent plus complexes.
De nombreux neurones à orientation sélective présentent un champ récep-
teur de forme allongée, selon un axe particulier, avec en plus un centre de type
ON ou de type OFF, flanqué sur un côté ou des deux côtés par un pourtour
antagoniste (Fig. 10.23a). Cet arrangement linéaire des zones ON et OFF est
analogue à l’organisation concentrique antagoniste des champs récepteurs réti-
niens et mis en évidence pour les neurones du CGL. L’impression émerge alors
que les neurones corticaux reçoivent des informations convergentes à partir de
350 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Champ récepteur de type centre-périphérie


de 3 neurones du CGL

OFF OFF OFF


ON O N ON Partie de la rétine

ON
Stimulus
OFF Neurones du CGL
(a) Champ récepteur
d’une cellule simple
(b) Neurone de la couche IVCα

Figure 10.23 – Cellule à champ récepteur simple.


(a) Réponse d’un neurone de V1 à la présentation d’un stimulus présenté avec son orientation
optimale dans différentes zones du champ visuel. Notez que la réponse peut être de type ON ou
OFF en fonction de la zone stimulée dans le champ récepteur. Pour ce neurone particulier, la stimu-
lation de la partie centrale du champ récepteur donne une réponse de type ON et celle de la partie
périphérique, une réponse de type OFF. (b) Reconstruction d’un champ visuel simple prenant en
compte des informations convergeant à partir de 3 cellules du CGL qui relaient des informations
liées à des réponses de type centre-périphérie.

trois neurones du CGL ou plus, avec des champs récepteurs alignés selon un seul
axe (Fig. 10.23b). Hubel et Wiesel ont nommé ces neurones cellules simples. La
ségrégation des régions ON et OFF constitue alors un critère d’identification des
cellules simples, et c’est cette propriété de leur champ récepteur qui leur confère
leur sélectivité d’orientation.
D’autres neurones à orientation sélective de V1 ne présentent pas de telles
régions ON et OFF et, par conséquent, ne sont pas considérés comme cellules
simples. Hubel et Wiesel les ont nommées cellules complexes parce que leurs
champs récepteurs apparaissent effectivement plus complexes que ceux des cel-
lules simples. Les cellules complexes produisent des réponses de type ON ou OFF
à des stimuli présentés sur l’ensemble du champ visuel (Fig. 10.24). Les auteurs
ont alors proposé que la décharge de ces cellules complexes était construite à
partir de quelques neurones à décharge simple. Toutefois cette hypothèse fait
toujours débat.
Les cellules simples et complexes sont typiquement binoculaires et sensibles
à l’orientation du stimulus. Différents neurones présentent une gamme de sensi-
bilité à la couleur et à la direction du mouvement.

Stimulus
visuel

Champ
récepteur

Éclairement

ON
OFF

Enregis-
trement
de l’activité
neuronale
Temps

Figure 10.24 – Cellule à champ récepteur complexe.


Comme les cellules simples, les cellules complexes répondent préférentiellement à un stimulus
orienté. Cependant, dans ce cas, les cellules répondent à la fois à la présentation et à l’arrêt du
stimulus (ON et OFF), en fonction de sa position dans le champ récepteur.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 351

Champs récepteurs des « taches ».  Nous avons vu dans le système visuel à


plusieurs reprises que lorsque des structures cérébrales proches sont différen-
tiellement marquées par des techniques anatomiques quelle qu’elles soient, il
y a alors de bonnes raisons de penser que les neurones de ces structures jouent
des rôles fonctionnels différents. Par exemple, nous avons vu comment les dif-
férentes couches du CGL contribuent à la ségrégation de différents types d’in-
formation. De façon similaire, la lamination du cortex strié est corrélée à des
différences dans les champs récepteurs des neurones qui le forment. La présence
des taches révélées par la cytochrome oxydase dans le cortex strié hors couche IV
pose alors la question de savoir si les neurones situés à l’intérieur des taches
répondent de façon différente des neurones situés dans les régions intertaches ?
La réponse n’est pas si claire et fait l’objet de controverses. Les neurones des
zones intertaches ont toutes les propriétés ou presque que nous avons discutées
ci-dessus : binocularité, sélectivité d’orientation, et sélectivité de direction. Elles
représentent aussi soit des cellules simples, soit des cellules complexes ; quelques-
unes sont sensibles à des stimulations lumineuses de longueur d’onde différentes,
et d’autres non. Les neurones situés dans les zones des taches reçoivent directe-
ment leur information des couches coniocellulaires du CGL et leur information
magnocellulaire et parvocellulaire via la couche IVC Les premiers travaux sur ce
sujet avaient d’ailleurs révélé que les cellules des taches, contrairement à celles
des zones intertaches, répondaient à des stimulations lumineuses de longueur
d’onde donnée, qu’elles étaient monoculaires et ne présentaient pas de sélectivité
d’orientation et de direction. En d’autres termes, elles présentaient des carac-
téristiques des informations coniocellulaires et parvocellulaires provenant du
CGL. Le champ récepteur de quelques neurones de la zone des taches présente
un champ récepteur circulaire. Dans certains d’entre eux, on retrouve l’organi-
sation centre-périphérie en rapport avec l’antagonisme de couleur observé dans
les couches parvocellulaires et coniocellulaires du CGL. D’autres cellules de ces
régions des taches présentent une réponse d’opposition de couleur rouge-vert ou
bleu-jaune au centre de leurs champs récepteurs, mais pas d’effet de périphérie.
D’autres encore présentent à la fois une opposition de type centre-périphérie
et une opposition de couleur ; elles sont nommées cellules à double opposition.
Les données les plus récentes concernant des neurones de V1 ont été axées sur
la sélectivité de ceux présents dans les zones des taches et dans les zones inter-
taches. Des données quelque peu surprenantes ont été obtenues, révélant une
très grande similarité entre les propriétés des neurones des taches et des régions
intertaches en termes de sélectivité d’orientation et de couleur.
Que peut-on alors conclure sur la physiologie des neurones des taches ? En
dépit du marquage par la cytochrome oxydase qui les différencie, sur le plan
physiologique il n’est pas simple de distinguer les propriétés des champs récep-
teurs des deux types de cellules, qu’elles soient situées à l’intérieur des taches ou
dans les zones intertaches. Le marquage plus intense par la cytochrome oxydase
des neurones des taches correspond à une activité moyenne plus élevée que celle
des neurones situés dans les zones intertaches. Il est alors possible de spéculer
que les travaux qui devront être poursuivis dans l’avenir puissent mettre en évi-
dence quelques différences dans les champs visuels, correspondant mieux à cette
distinction anatomique et à ces différences d’activité. De façon générale, il est
admis aussi que les neurones sensibles à des longueurs d’onde différentes sont
importants pour l’analyse de la couleur des objets, mais il nous est impossible de
dire si, en l’absence des neurones révélés par la cytochrome oxydase, nous serions
incapables de percevoir les couleurs.

Voies parallèles et modules corticaux


Nous avons donc vu jusque-là que les neurones de l’aire V1 présentent clai-
rement une large hétérogénéité. Les études neuroanatomiques montrent que ces
neurones sont répartis dans des couches corticales différentes, quelquefois même
à l’intérieur d’une seule couche, et que ces neurones présentent de grandes diffé-
rences en ce qui concerne leur forme et la configuration des neurites. Sur le plan
anatomique toujours, ces neurones de V1 reçoivent des informations différentes,
à partir des couches magnocellulaire, parvocellulaire et coniocellulaire du CGL.
352 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Enfin, sur le plan physiologique, les neurones répondent de façon différentielle


à des stimulations visuelles et ces réponses sont sélectives pour différentes orien-
tations, direction de déplacement ou encore de couleurs. L’une des questions
majeures est alors de savoir jusqu’où cet assortiment de neurones est organisé
en ensembles fonctionnels au service d’une fonction unique, ou s’il existe des
modules séparés qui coopèrent à cette même fonction.
Voies parallèles.  Parce qu’il est fondamental de tenter de comprendre com-
ment le cerveau perçoit au plan visuel le monde complexe dans lequel nous évo-
luons, ces mécanismes ont fait l’objet, et continuent de faire l’objet, d’un nombre
de travaux considérable. Le modèle le plus généralement admis est basé sur l’idée
qu’il existe trois voies de traitement parallèle de l’information visuelle à l’inté-
rieur de V1. Ces voies sont reconnues comme la voie magnocellulaire, la voie
parvocellulaire-intertaches et la voie impliquant les taches (Fig. 10.25). La voie
magnocellulaire prend son origine dans les cellules ganglionnaires de type M de
la rétine. Ces cellules projettent leur axone vers les couches magnocellulaires du
CGL. Ces couches cellulaires projettent à leur tour leur axone vers la couche
IVCα du cortex strié, qui innerve la couche IVB. Du fait que beaucoup de ces
neurones corticaux présentent une sélectivité de direction, la voie magnocellu-
laire pourrait être impliquée dans l’analyse du déplacement des objets et dans le
guidage des mouvements.
La voie parvocellulaire-intertaches trouve quant à elle son origine dans les
cellules ganglionnaires de type P, qui projettent vers les couches parvocellulaires
du CGL. Les neurones de ces couches parvocellulaires projettent vers la couche
IVCα du cortex strié, qui innerve à son tour les couches II et III des régions
intertaches. Les neurones de cette voie présentent des champs récepteurs peu
sensibles au déplacement des objets et sont plutôt considérés comme impliqués
dans l’analyse de la discrimination fine de la forme des objets.
L’origine de la voie correspondant aux taches est plus complexe que celle
des deux précédentes. L’information rétinienne provient de groupes de cellules

Aires corticales extrastriées

Couche IVB Zone des Zone intertache


taches

V1

Couche IVCα Couche IVCβ

CGL Magnocellulaire Coniocellulaire Parvocellulaire

Cellules Cellules Cellules


Rétine ganglionnaires ganglionnaires ganglionnaires
de type M non M-non P de type P

Voie magnocellulaire Voie des taches Voie parvocellulaire-


(Détection (Analyse intertaches
du mouvement) de la couleur) (Analyse de la forme)

Figure 10.25 – Modèle hypothétique de l’organisation des trois voies parallèles atteignant le


cortex visuel primaire
Sur la base de la caractérisation des propriétés des champs récepteurs et du pattern d’innervation
du cortex à partir du CGL, trois grandes voies de traitement de l’information visuelle ont été propo-
sées et un rôle fonctionnel différent leur a été conféré. Des travaux plus récents illustrent un certain
degré de chevauchement entre les voies magnocellulaire, parvocellulaire et coniocellulaire, posant
la question de savoir s’il est opportun de distinguer ces différentes voies, particulièrement entre la
voie des taches et la voie intertache.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 353

ganglionnaires non M-non P. Ces cellules particulières projettent sur les couches


coniocellulaires du CGL, qui projettent à leur tour sur les couches II et III des
zones des taches révélées par la cytochrome oxydase. Les champs récepteurs de
nombreux neurones des taches présentent typiquement une sélectivité à la cou-
leur, suggérant qu’ils sont impliqués dans la détection de la couleur.
Toutefois, la réalité est sans doute beaucoup plus complexe que ce qui vient
d’être dit sur ces trois voies de traitement parallèle de l’information visuelle, qui
apparaît ainsi comme un peu schématique. Les données de l’expérimentation
ont montré qu’il existe un certain degré de chevauchement, et donc de mélange
de l’information, des trois voies. De même, les propriétés des champs récepteurs,
telles que la sélectivité d’orientation et la sensibilité à la couleur, existent dans
les différentes voies afférentes. Par conséquent, il n’est pas tout à fait exact de
dire que les neurones des voies magnocellulaire, parvocellulaire et coniocellu-
laire sont strictement ségrégés et présentent des propriétés de leur champ récep-
teur spécifiques. Aujourd’hui, si les afférences au cortex strié reflètent bien la
ségrégation des voies magnocellulaire, parvocellulaire et coniocellulaire obser-
vée dans le CGL, les sorties du cortex strié présentent une autre forme de trai-
tement parallèle. Par exemple, la couche IVB contient de nombreux neurones
présentant une sélectivité d’orientation, mais ses sorties sont principalement
influencées par les informations afférentes de la voie magnocellulaire, relayées
par le CGL. Les informations que cette couche corticale transmet à d’autres
régions corticales sont donc considérées comme étant principalement en rapport
avec l’analyse du déplacement des objets. Considérées collectivement, ces infor-
mations sont dès lors en accord avec l’idée qu’il existe bien dans le cortex V1,
une information visant à l’aide à la navigation et à l’analyse du mouvement.
Le cas de la distinction de systèmes impliqués plus spécialement dans l’analyse
de la forme des objets ou de la détection de leur couleur est moins clair. Nous
verrons plus loin dans ce chapitre, qu’au-delà du cortex strié, se trouvent deux
systèmes majeurs de traitement de l’information visuelle : l’un s’étendant vers le
lobe pariétal, plutôt en rapport avec l’analyse du mouvement, et l’autre impliqué
de façon préférentielle dans l’analyse de la forme et de la couleur, s’étendant vers
le lobe temporal.

Modules corticaux.  Les champs récepteurs des neurones du cortex visuel


vont d’une fraction de degré à quelques degrés seulement, et des cellules voisines
présentent fréquemment des chevauchements de ces champs récepteurs. Pour
ces raisons, même un très petit spot de lumière sur la rétine active des milliers de
neurones de V1. Hubel et Wiesel ont montré chez le macaque que l’image d’un
point dans l’espace est traitée par des neurones situés dans une région du cortex
de 2 x 2 mm de la couche III. Cette région corticale représente deux colonnes de
dominance oculaire, 16 taches, et, dans les régions intertaches, l’équivalent d’une
série de neurones couvrant toutes les possibilités de détection de l’orientation
sur 180°. Par conséquent, Hubel et Wiesel ont proposé qu’une région de cortex
strié de 2 x 2 mm est à la fois nécessaire et suffisante pour analyser l’image en
un point de l’espace visuel ; nécessaire parce que sa suppression laisserait une
tache aveugle pour ce point du champ visuel, suffisante parce que cette simple
région contient toute la machinerie neuronale pour analyser la participation de
ce point de l’espace visuel aux objets colorés et en déplacement vus par chaque
œil. C’est cette région minimale que l’on nomme un module cortical. Du fait de
la dimension finie des champs récepteurs et de la dispersion de la répartition des
modules corticaux dans le cortex, chacun d’entre eux contribue au traitement de
l’information provenant d’une très faible partie du champ visuel.
Le cortex strié est construit peut-être à partir d’un millier de ces modules cor-
ticaux dont un exemplaire est représenté à la figure 10.26. Il faut alors imaginer
une scène analysée par l’ensemble de ces modules à la fois, chacun en analysant
une petite partie. Mais souvenez-vous tout de même que cette notion de module
ne représente qu’un concept. De fait, les analyses de l’activité des neurones de
V1 par imagerie optique, par exemple, révèlent que les régions du cortex strié
répondant à la stimulation de chacun des deux yeux, pour des stimuli présentant
des orientations différentes, sont loin de présenter une forme géométrique aussi
parfaite que ne le suggère la figure 10.26.
354 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Taches

II

III

Figure 10.26 – Représentation d’un module


IV
cortical.
Chaque module cortical contient des colonnes Colonnes
de dominance oculaire, des colonnes d’orien- V
d’orientation
tation, et des taches révélées par la cytochrome VI
oxydase, ce qui lui permet de contribuer à
l’analyse complète d’une portion du champ
visuel. Ce cube est idéalisé, l’organisation
­biologique étant quelque peu plus diffuse. Colonne de dominance oculaire

Au-delà du cortex strié


Le cortex strié est dénommé cortex V1 pour « aire visuelle primaire », parce
que cette aire est la première à recevoir les informations à partir du CGL.
Au-delà de l’aire V1, on trouve environ deux douzaines d’aires corticales diffé-
rentes, qui contribuent toutes à la perception visuelle et présentent des neurones
répondant à des champs récepteurs visuels. La contribution à la vision de ces
aires dites extrastriées est encore vivement discutée. Cependant un schéma se fait
jour, selon lequel il existerait deux grands systèmes corticaux de traitement de
l’information visuelle : l’un s’étendant dorsalement à partir du cortex strié vers le
lobe pariétal, et l’autre projetant ventralement vers le lobe temporal (Fig. 10.27).
Le système dorsal paraît impliqué dans l’analyse des déplacements des objets
dans le champ visuel, et participerait au contrôle de l’action. Le système ventral,
quant à lui, serait impliqué dans la perception du monde visuel et la recon-
naissance des objets. Ces deux systèmes ont été principalement étudiés chez le
macaque, où de nombreux enregistrements de neurones unitaires ont été réali-
sés. Cependant, les études d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf) commencent à fournir des informations claires sur les aires corticales
impliquées dans les processus visuels chez l’homme, et ces études montrent que
ces aires présentent des propriétés analogues à celles du cortex du macaque
(Fig. 10.28).

Système
du lobe pariétal MST
(dorsal) MT (V5)

V2 Autres aires MST MT


du système dorsal
V1
V3 V2 V1
V1
Autres aires IT V4
du système ventral
Système
V4 (c)
du lobe temporal
IT
(ventral)
(a) (b)

Figure 10.27 – Représentation schématique des deux grands systèmes de traitement central de


l’information visuelle chez le macaque.
(a) Système dorsal et système ventral. (b) Aires visuelles extrastriées. (c) Représentation schéma-
tique du flux de l’information visuelle au niveau cortical.
MT : aire médiotemporale (V5) ; MST : aire médiotemporale supérieure ; IT : cortex inférotemporal.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 355

V3A

V3

V1

V2
(a) V4
Aires impliquées dans Figure 10.28 – Aires visuelles du cortex
la reconnaissance des visages humain.
et des objets (a) Par rapport au singe, les aires visuelles
du cortex humain sont déplacées de telle
manière qu’elles sont présentes vers la partie
médiale interhémisphérique du lobe occipital,
et un grand nombre d’entre elles sont enfouies
dans des sillons. Les aires les plus proches
de l’information rétinienne, V1, V2, V3, V3A et
V4, présentent une organisation rétinotopique.
Les aires visuelles situées au-delà dans le lobe
temporal, et impliquées dans la reconnais-
sance des visages et des objets, ne sont pas
rétinotopiques. (b) Une variété d’aires corti-
cales répondant au déplacement des objets
sont présentes sur la partie latérale du cortex.
V5 (perception La plus étudiée de ces aires connue en tant
du déplacement que aire V5 est également dénommée aire MT.
(b)
des objets) (Source : Zeki, 2003, Fig. 2.)

Les propriétés des neurones du système dorsal sont très similaires à celles
des neurones magnocellulaires de V1. De même, les neurones du système ventral
présentent des réponses dont les caractéristiques sont proches de celles des neu-
rones de la région des taches et des régions intertaches de V1. Cependant, chaque
système extrastrié reçoit des informations issues de toutes les voies alimentant le
cortex visuel primaire.

Système dorsal
Les aires corticales contribuant au système dorsal ne sont pas organisées
de façon strictement sérielle, mais plutôt apparaissent comme des aires où se
développent progressivement des représentations de plus en plus complexes ou
spécialisées du monde visuel. Les projections issues de V1 s’étendent aux aires
dites V2 et V3. Nous reviendrons sur le rôle de ces aires corticales.
Aire MT.  Il y a de plus en plus d’évidences qu’une aire dite V5, ou aire MT
de par sa localisation dans le lobe temporal moyen (MT pour medial temporal),
contribue de façon prépondérante à la perception du mouvement. La localisa-
tion de l’aire MT du cortex humain est représentée en figure 10.28b. L’aire MT
reçoit des projections d’un certain nombre d’aires corticales, selon une orga-
nisation rétinotopique ; parmi celles-ci, V2 et V3 ou encore la couche IVB du
cortex strié. Souvenez-vous que la couche IVB est caractérisée par des cellules
à champ récepteur large, qui présentent des réponses de caractère phasique aux
stimuli lumineux et une sélectivité de direction. Les neurones de l’aire MT sont
également des cellules à champ récepteur large et répondent au mouvement avec
une grande sélectivité de direction. Ainsi l’aire MT est caractérisée par le fait que
presque toutes les cellules sont sensibles à la direction du mouvement, contrai-
rement aux aires qui précèdent dans le système dorsal ou à n’importe quelle aire
du système ventral.
356 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Les cellules de l’aire MT répondent aussi en rapport avec le type de mouve-


ment de l’objet, par exemple par le glissement d’un spot de lumière, ce qui n’est
en général pas un très bon stimulus pour les autres aires. Dès lors il apparaît que
le déplacement des objets est ici plus important que leur nature. Peut-être avez-
vous eu l’occasion d’avoir des illusions de mouvement face à des tableaux ou en
présence d’illusions optiques ? L’aire MT est activable par certains de ces stimuli,
suggérant que ces neurones permettent de dire quel type de mouvement nous
percevons et pas seulement que le mouvement existe réellement. Ainsi, l’aire MT
apparaît-elle comme spécialisée dans la détection des mouvements. D’ailleurs,
cette aire corticale est organisée de telle manière qu’apparaissent des colonnes
codant l’orientation du mouvement, équivalentes aux colonnes d’orientation de
V1. Vraisemblablement, la perception du mouvement dans n’importe quel point
de l’espace dépend d’une analyse comparative de l’activité des cellules entre
colonnes couvrant l’ensemble des 360° de directions préférentielles.
Dans des études complémentaires, William Newsome et ses collaborateurs à
l’Université de Stanford ont montré qu’une légère stimulation électrique de l’aire
MT chez le singe altère la perception de la direction dans laquelle se déplacent de
petits spots de lumière ; l’animal devant signaler la direction dans laquelle il croit
que les spots se déplacent en tournant les yeux dans cette direction. Par exemple,
si la stimulation est appliquée aux cellules situées dans une colonne qui présente
une préférence à un mouvement vers la droite, les singes répondent par un com-
portement en rapport avec le fait qu’ils ont perçu un déplacement dans cette
direction. Le signal de mouvement artificiel induit par la stimulation électrique
de MT apparaît ainsi se combiner avec des éléments de déplacements visuels
réels. Le fait que le singe transpose la direction du mouvement perçue en com-
binant des informations réelles et simulées directement dans l’aire MT confère à
cette aire un rôle important dans la détection et l’analyse du mouvement.
Aires dorsales et perception du mouvement.  Au-delà de l’aire MT, dans le
lobe pariétal se trouvent des aires qui contribuent de façon complémentaire à la
détection du mouvement. Par exemple dans une aire dénommée aire MST pour
medial superior temporal area, se trouvent des cellules sensibles au déplacement
linéaire, comme d’ailleurs dans l’aire MT, au déplacement radiaire (c’est-à-dire
vers un point ou à partir d’un point), ou encore au mouvement circulaire (que
ce soit dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans le sens antihoraire). Nous
ne savons toujours pas comment le système visuel utilise les informations sur
ces déplacements complexes traitées par les cellules de l’aire MST, ou même
les informations traitées par les cellules sensibles aux mouvements « simples »
comme celles de V1, MT ou des autres aires corticales. En fait, trois rôles ont
été proposés :
1. navigation. Comme nous nous déplaçons dans notre environnement, il y a
en permanence un flux d’objets qui traverse notre champ visuel. La direc-
tion et la vitesse de ces déplacements dans notre champ de vision périphé-
rique fournissent une information utile pour notre orientation dans cet
environnement ;
2. orientation des mouvements des yeux. Notre capacité à percevoir et à ana-
lyser les déplacements d’objets pourrait être utilisée lorsque nous suivons
des objets du regard et quand nous déplaçons notre regard brutalement
dans notre champ de vision périphérique pour identifier un objet qui capte
soudain notre attention ;
3. perception du déplacement. Nous vivons dans un monde en perpétuel mou-
vement et notre survie même dépend quelquefois de notre capacité à iden-
tifier ces objets et ces mouvements.
D’autres informations sur le rôle des aires MT et MST proviennent de l’étude
de quelques cas très exceptionnels de lésions chez l’homme, qui altèrent sélective-
ment la perception du mouvement. Le cas le plus clair a été rapporté en 1983 par
Josef Zihl et ses collaborateurs au Max Planck Institute for Psychiatry à Munich,
en Allemagne. Zihl a étudié une femme de 43 ans ayant subi un accident vascu-
laire cérébral lésant bilatéralement des parties du cortex extrastrié impliquées
dans la perception du mouvement (Fig. 10.28b). Même si on pouvait observer
des effets de la lésion portant sur la difficulté à dénommer les objets par exemple,
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 357

le profil neuropsychologique de la patiente était normal. Par ailleurs, la vision


elle-même était relativement normale, à l’exception d’un déficit majeur : elle était
incapable de détecter le mouvement visuellement. Avant de conclure que ne pas
voir les mouvements peut représenter un simple petit inconvénient, imaginez
que c’est comme voir le monde en lumière stroboscopique, sous forme d’une
succession d’instantanés. La patiente de Zihl se plaignait ainsi que lorsqu’elle se
servait une tasse de café, celui-ci apparaissait comme quelque peu gelé au fond
de la tasse et soudain débordait sur la table. Plus inquiétant, elle ne pouvait pas
traverser une rue sans danger ; voir une voiture arriver à distance l’autorisait
à traverser, sauf que l’instant d’après, la voiture était sur elle… Clairement, la
patiente n’avait pas imaginé qu’une perte de la détection du mouvement puisse
avoir autant de retentissements sur sa vie de tous les jours. Cette observation
vérifiait que la perception du mouvement est fondée sur des mécanismes spécia-
lisés impliquant des structures cérébrales placées au-delà du cortex strié.

Système ventral
Parallèlement au système dorsal, à partir des aires V1, V2 et V3, une infor-
mation chemine ventralement vers le lobe temporal. Ce système paraît spécialisé
dans l’analyse des autres caractéristiques de la vision que le mouvement.
Aire V4.  L’aire V4 est l’une des aires du système ventral parmi les mieux
étudiées du système visuel (voir Fig. 10.27b et 10.28a pour la localisation de
l’aire V4 dans le cerveau du singe et celui de l’homme). L’aire V4 reçoit des
informations issues de la région des taches et des zones intertaches du cortex
strié, via un relais dans V2. Les neurones de V4 présentent des champs récep-
teurs plus larges que ceux du cortex strié, et de nombreuses cellules sont à la fois
sensibles à l’orientation et à la couleur. Il existe de grandes spéculations sur le
rôle de cette aire mais les idées les plus généralement admises impliquent son
intervention dans la reconnaissance des formes et des couleurs. Si cette aire est
lésée expérimentalement chez le singe, les déficits portent effectivement sur la
reconnaissance de la forme et de la couleur.
Il existe un syndrome clinique rare chez l’homme, dénommé achromatopsie,
caractérisé par une perte partielle ou totale de la vision de couleurs en dépit de
cônes tout à fait normaux au niveau de la rétine. Les patients décrivent ainsi
leur environnement comme terne, formé seulement de nuances de gris. Imaginez
dès lors combien une banane grise serait peu appétissante ! Parce que l’achro-
matopsie est liée à une lésion des aires corticales des lobes occipitaux et tempo-
raux sans atteinte de V1, du CGL ou de la rétine, ce syndrome suggère que le
système ventral intervient dans la perception des couleurs. En rapport avec la
coexistence de cellules sensibles à la couleur et la forme dans le système ventral,
l’achromatopsie est généralement associée à une altération de la reconnaissance
de la forme des objets. Certains chercheurs ont alors proposé que V4 joue un rôle
crucial dans les deux processus de reconnaissance de la forme et de la couleur,
même s’il existe encore un débat pour savoir si c’est bien l’aire V4 qui est atteinte
dans l’achromatopsie humaine où les lésions ne sont en général pas limitées à
l’aire V4.
Aire IT.  Après l’aire V4 on trouve d’autres aires dans le système ventral
qui présentent des cellules avec des champs récepteurs complexes. Une sortie
majeure de l’aire V4 est l’aire IT, qui se situe dans le cortex inférotemporal
(voir Fig. 10.27b et Fig. 10.28a). L’une des raisons pour laquelle l’étude de cette
aire suscite un très large intérêt est qu’elle apparaît comme étant la dernière aire
impliquée dans le traitement de l’information visuelle dans le système ventral.
Une large variété de couleurs et de formes géométriques simples sont des stimuli
efficaces pour stimuler les neurones de l’aire IT. Comme cela sera décrit dans
le chapitre 24, cette aire corticale paraît jouer un rôle critique à la fois pour la
perception visuelle et pour les processus liés à la mémoire visuelle. De fait, la
reconnaissance d’un objet implique clairement à la fois de bien le percevoir mais
aussi de le comparer à ce que l’on connaît déjà.
L’une des découvertes les plus intrigantes en ce qui concerne l’aire IT est
qu’un faible pourcentage de ses neurones répond spécifiquement à la présen-
358 2 – Systèmes sensoriel et moteur

tation des visages, comme cela fut décrit initialement par Charles Gross et ses
collaborateurs à Princeton University. Ces cellules peuvent aussi répondre à
d’autres stimuli visuels que des visages, mais ce sont ces derniers et quelques-uns
en particulier, qui donnent les réponses les plus importantes.
Les observations chez le singe sont en accord avec des données obtenues chez
l’homme grâce à l’IRMf. Nancy Kanwisher et ses collègues au MIT ont décou-
vert l’existence dans le cerveau humain d’une toute petite zone impliquée dans
la perception des visages (Encadré 10.3). Cette région est située dans le gyrus
fusiforme et se trouve souvent dénommée aire fusiforme des visages (Fig. 10.29a).
Une telle région cérébrale joue-t-elle un rôle particulier dans la capacité des
humains à reconnaître les visages, ce qui représente un intérêt considérable pour
les humains ? Au-delà, la découverte de ces neurones qui répondent à la présen-
tation d’images de visages présente beaucoup d’intérêt, notamment parce que les
neuropsychologues connaissent bien un syndrome dans lequel les patients ont
des difficultés à reconnaître les visages, dénommé prosopagnosie, alors même que
la vision est normale. Ce syndrome rare résulte en général d’un accident vascu-
laire, et il est associé à des lésions des aires extrastriées du cortex visuel, incluant
possiblement l’aire fusiforme des visages.

Encadré 10.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

À la recherche de la représentation des visages dans le cerveau


Par Nancy Kanwisher

Durant ma première année de thèse, en dans la perception de la forme des objets.


1981, les premières images d’activité fonc- Bien que nous ayons trouvé quelques effets
tionnelle du cortex humain ont fait la cou- intéressants, il n’y avait cependant là rien de
verture de Science. J’étais absolument fas- bien spectaculaire et les effets étaient plutôt
cinée par la tomographie par émission de faibles. N’ayant pas encore obtenu de
positrons (TEP-scan), une nouvelle techno- contrat pour payer ces séances de scan, je
logie qui permettait pour la première fois savais qu’il me fallait rapidement « mettre
de pénétrer les mystères du cerveau humain le doigt » sur un phénomène important.
en train de fonctionner. J’ai rédigé un projet Parmi l’innombrable littérature sur les
de recherche utilisant le TEP-scan pour Nancy Kanwisher syndromes neurologiques, de nombreux
étudier la vision chez l’homme. Je l’ai articles suggéraient qu’une partie au moins
envoyé à tous les laboratoires utilisant cette technologie du cerveau était dévolue à la reconnaissance des visages.
dans le monde (à cette époque il devait y en avoir seule- Nous avons alors orienté nos travaux sur cette probléma-
ment cinq…). Mais il a fallu une dizaine d’années à frap- tique. Leslie Ungerleider, Jim Haxby et leurs collègues, au
per aux portes avant que je puisse accéder à une machine NIH (National Institute of Health), avaient déjà montré
et réaliser mes expériences. de fortes activations de la base du lobe temporal lorsque
Les méthodes d’IRM fonctionnelle (IRMf) com- des visages étaient présentés aux sujets. Ce qu’ils n’avaient
mençaient à être utilisées et quelques années plus tard, pas recherché était le degré de spécificité de cette réponse,
en 1995, j’ai eu le grand privilège d’utiliser pendant une en d’autres termes si ces mêmes régions pouvaient être
semaine l’IRMf du Massachussets General Hospital. En activées par d’autres types de stimuli visuels ? La question
collaboration avec un étudiant, Josh McDermott, et un de la spécificité de la réponse rejoignait des débats féroces
post-doctorant, Marvin Chun, j’y ai passé les meilleurs et certainement pas nouveaux entre sciences cognitives et
moments de ma vie : allongée dans le scanner, mordant neurosciences : jusqu’à quel point le cerveau et l’esprit
une barre et observant (à l’envers) Marvin et Josh au partagent des mécanismes dévolus à des objectifs diffé-
travers d’un miroir situé au-dessus de moi, alors qu’ils se rents mais en utilisant le même type d’information ?
trouvaient aux commandes de la console de contrôle du Nous avons alors émis l’hypothèse que s’il existait
scanner ; c’était une chance unique que de pouvoir utili- dans le cerveau une région dont le rôle spécifique est de
ser cette machine fabuleuse pour explorer ce cortex contribuer à la reconnaissance des visages, il devait se
visuel encore tellement inconnu de nous tous. produire une réponse particulière lors de la présentation
Nous avons débuté nos expériences en tentant de de ce type de stimulus par rapport à celle obtenue dans
mettre en évidence les régions du cerveau impliquées la même région par la présentation d’autres types de
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 359

Encadré 10.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

stimuli. Afin d’avoir suffisamment de photos de visages, Sugita de la Japan Science and Technology Agency, a
Marvin, Josh et moi-même nous sommes rendus au montré que des singes qui n’avaient pas été exposés à des
bureau des inscriptions d’Harvard, où les nouveaux ins- congénères pendant les deux premières années de leur
crits devaient y déposer une photo d’identité. Nous développement, révélaient dès la première expérience
avons demandé l’autorisation d’utiliser ce registre de des capacités de discrimination des visages, suggérant
photos pour notre expérience et nous avons étudié l’ac- que l’apprentissage des visages n’est pas nécessaire pour
tivité cérébrale de sujets auxquels ces visages étaient le développement de l’aire fusiforme.
présentés avec, à titre d’expérience de contrôle, la pré- Notre décision initiale de travailler sur la reconnais-
sentation de toutes sortes d’objets communs. sance des visages était d’ordre pragmatique, il nous fallait
A notre immense satisfaction, nous avons montré que obtenir très vite des résultats, et cela a fonctionné. Mais la
chez presque tous les sujets étudiés la présentation des découverte dont je suis la plus fière fut celle que nous
visages se traduisait par l’activation d’une région très avons faite plus tard, de façon totalement inattendue, sur
particulière du cerveau, dans la partie latérale du gyrus les cellules de place de l’aire parahippocampique, alors
fusiforme, principalement dans l’hémisphère droit. Les que je travaillais avec Russell Epstein, puis avec Paul
analyses statistiques ont démontré que l’activation liée à Downing sur l’aire de représentation du corps extrastriée.
la présentation des visages était très supérieure à celle Et plus étonnant encore furent pour moi les résultats
obtenue par la présentation des objets. Toutefois, la obtenus par Rebecca Saxe, d’une région du cerveau liée à
région activée n’était pas exactement la même chez tous la simple évocation d’une personne particulière sans pré-
les sujets. Pour tenter d’expliquer cette variabilité anato- sentation de sa photo (ma seule contribution fut de lui
mique et pour rendre notre démonstration incontestable, dire que cette expérience ne marcherait jamais…).
nous avons divisé en deux lots les résultats obtenus chez Ces données montrent que l’esprit humain et le cer-
chacun des sujets. La moitié des résultats était dévolue à veau comportent au moins quelques éléments très spéci-
préciser la région activée par la présentation des visages fiques dévolus à la résolution de problèmes très particu-
par rapport à celle liée à la présentation des objets, et liers. Ces découvertes ouvrent un champ d’investigation
l’autre moitié à quantifier l’amplitude de la réponse dans considérable pour aborder de nouvelles questions.
cette région. Cette méthode avait déjà été utilisée avec Comment des représentations aussi précises s’orga-
succès par des chercheurs intéressés par les aires visuelles nisent dans les aires cérébrales ? Comment sont-elles
situées en amont. Il n’a pas été difficile de franchir le pas encodées par les connexions neuronales ? Quelles autres
pour étendre ce type d’analyse aux aires corticales impli- régions aussi spécialisées existe-t-il ? Comment ces
quées plus loin dans la perception visuelle. régions particulières se mettent-elles en place au cours
Bien entendu, vouloir démontrer qu’une région céré- du développement ? Pour quelle raison certains proces-
brale particulière du cerveau répond sélectivement à la sus mentaux prennent-ils une telle place dans le cerveau
présentation de visages, nécessite plus que la simple humain alors que ce n’est pas le cas d’autres processus
démonstration que celle-ci répond davantage à ce type tout aussi intéressants ? Tels sont les enjeux fascinants
de stimulus qu’à un autre type d’objet. Au cours des dans ce domaine de la recherche de demain.
années qui ont suivi, notre équipe (et d’autres équipes,
en particulier Greg McCarthy et Aina Puce à Yale
University) a testé cette hypothèse de la spécificité de
reconnaissance des visages parmi différentes autres
hypothèses. L’aire fusiforme des visages a finalement
passé tous ces tests avec succès (Fig. A).
D’autres équipes ont utilisé des méthodes différentes
de la nôtre. Ils ont contribué à des découvertes éton-
nantes qui ont considérablement accru notre connais-
sance de cette aire fusiforme. Après avoir démontré par
IRMf l’existence d’une telle aire chez le singe, Doris
Tsao et ses collègues à Harvard ont, par exemple, démon- AFV
tré que la vaste majorité des cellules de cette région
répond quasiment exclusivement à la présentation des
visages. (Je n’avais quant à moi jamais imaginé une telle
AVO
sélectivité !). David Ritcher et ses collègues à l’Univer-
sity College London, ont produit une brève disruption de
l’activité de cette région cérébrale par stimulation Figure A – Représentation de l’aire fusi-
magnétique transcrânienne, prouvant ainsi que cette forme des visages (AFV) de Nancy ;
région est effectivement nécessaire à la perception des AVO = aire des visages occipitale.
visages (mais pas à celle des objets). Finalement Yoichi (Source  : courtoisie de Nancy Kanwisher.)
360 2 – Systèmes sensoriel et moteur

anterior
AFP2 AFP2

FFA FFA

OFA OFA

1 cm
(a) (b)

Figure 10.29 – Activité du cortex humain en rapport avec la reconnaissance des objets et des


visages.
L’activité cérébrale est enregistrée par IRMf en réponse à la présentation de visages ou de stimuli
représentés par des objets. (a) Sur la figure horizontale de cette section de cerveau, représentée à
droite, les zones rouge et jaune du côté gauche et les régions symétriques en rouge du côté droit,
connues comme étant l’aire fusiforme des visages, montrent une activation plus importante lorsque
ce sont des visages qui sont présentés au sujet. (b) Dans des analyses plus actuelles utilisant des
méthodes performantes, de nombreuses régions ont été caractérisées comme répondant sélecti-
vement à la reconnaissance de visages, notamment l’aire des visages du cortex occipital (aire des
visages occipitale ; AVO), l’aire antérieure des visages « patch 2 » (AAVP2) et l’aire fusiforme des
visages (AFV). (Source : partie a : courtoisie des Drs I. Gauthier, J. C. Gore et M. Tarr ; partie b :
courtoisie de Wiener et Grill-Spector, 2012.)

Les données les plus récentes ont révélé qu’il existe en fait environ une
demi-douzaine d’aires corticales, dans et autour de l’aire IT, particulièrement
sensibles à la présentation des visages. De plus, les neurones de ces régions pré-
sentent différents degrés de sensibilité aux visages et répondent aussi différem-
ment selon l’angle de présentation du visage (par la gauche, par la droite, de face
ou par-dessus) (Fig. 10.29b). Ceci implique que le processus de reconnaissance
des visages pourrait mobiliser de nombreuses aires corticales incluant une partie
de l’aire IT. D’autres études d’imagerie fonctionnelle chez l’homme montrent
aussi que d’autres aires corticales pourraient de la même manière être impliquées
dans la représentation des couleurs ou encore d’objets biologiques.

Des neurones individuels


à la perception visuelle
La perception visuelle, c’est-à-dire la faculté d’identifier et de traiter les objets
du champ visuel, nécessite l’action concertée de plusieurs modules corticaux.
Mais quels neurones dans quelles aires corticales participent à notre perception
de cet environnement ? Comment l’activité de neurones corticaux si distants les
uns des autres est-elle finalement comparée, et où cette intégration s’opère-t-elle ?
La recherche en neurosciences n’en est seulement qu’au tout début, et elle est
encore bien incapable de répondre à ces questions fondamentales. Quelquefois,
cependant, des observations simples sur les champs récepteurs sont à même de
nous renseigner sur la façon dont nous percevons (Encadré 10.4).
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 361

Encadré 10.4 FOCUS

La magie d’une vision en 3D


Vous avez probablement déjà vu ces livres ou ces pos- deux images, les points vus par l’un des deux yeux sont
ters montrant des patterns de points ou de taches de légèrement décalés sur le plan horizontal, par rapport à
couleur supposés contenir une image 3D que vous pour- ceux vus par l’autre œil. Imaginez que vous regardez une
rez deviner si vous placez votre regard exactement dans petite carte de papier blanc couverte de point noirs que
la bonne position. Mais comment peut-on voir en 3D vous tenez assez proche de vos yeux, devant une grande
sur une simple feuille de papier ? La réponse et liée au feuille de papier sur laquelle se trouve le même motif
fait que nos deux yeux voient des images qui sont légè- blanc et noir, située plus loin. Si vous regardez la carte
rement décalées, à cause de la distance entre eux. Ainsi, d’abord avec un œil fermé, puis avec l’autre, alternative-
plus près sont les images des yeux, plus forte est la diffé- ment, vous constaterez que les points noirs sur la carte
rence entre les deux images. Vous pouvez parfaitement vont alternativement se déplacer horizontalement, mais
le vérifier vous-même, simplement en mettant un doigt plus que les points noirs de la feuille de papier qui est
en face de vos yeux et en le regardant successivement située plus loin des yeux. La paire d’images stéréo va
à des distances différentes, alternativement avec l’œil gommer la différence, de telle manière que ce qui va
gauche ou l’œil droit fermé. paraître c’est seulement le rectangle correspondant aux
Bien avant que quoi que ce soit ait été découvert sur bords de la carte. Ce type de stéréogramme formé de
la vision binoculaire au niveau du cortex visuel, les sté- points a quelque part interpellé les spécialistes de la
réogrammes étaient un divertissement populaire. C’est vision car, dans les années 1960, il était communément
avec le développement de la photographie qu’ils sont admis que la profondeur d’une image était seulement
devenus disponibles. Deux photos étaient prises avec des perçue après que chacune des images formées sur chaque
objectifs sensiblement écartés comme les yeux. Si vous œil a été analysée séparément.
regardez alors la photo de gauche avec votre œil gauche Bien que les stéréogrammes permettent indiscuta-
et celle de droite avec votre œil droit, en relaxant vos blement de produire des images 3D leur utilisation était
muscles oculaires ou avec un stéréoscope, votre cerveau limitée par la nécessité d’utiliser un stéréoscope pour
va combiner les images formées sur chacun des yeux et fusionner les deux images. Ce problème a été résolu
va les interpréter (Fig. A). dans les années 1970 lorsque Christopher Tyler créa
En 1960, Bela Julesz qui travaillait dans les labora- les « autostéréogrammes » au Smith-Kettlewell Eye
toires de la Compagnie de téléphone Bell, inventa les Resarch Institute. Un autostéréogramme est une image
stéréogrammes formés de points apparemment disposés unique qui, lorsqu’elle est regardée dans des conditions
au hasard (Fig. B). Sur le principe, ces stéréogrammes adéquates, donne la possibilité de percevoir des objets
formés de points ne diffèrent pas des stéréogrammes du en 3D (Fig. C). Ce sont ces images 3D en couleur que
dix-neuvième siècle. La différence principale est qu’au- vous pouvez voir sur les posters de ces magasins de gad-
cune image n’est visible lorsque vous les regardez nor- gets, et qui sont fondées sur une illusion connue depuis
malement. Pour voir une image 3D vous devez fixer cha- longtemps comme l’« effet papier peint ». En effet, si
cune des deux images avec chacun des yeux, gauche et vous regardez un papier peint qui présente un motif
droit. Le principe de la construction de telles images répété, vous pouvez vous amuser à regarder un motif
stéréo est de créer un bruit de fond de points disposés au avec un œil et le motif suivant avec l’autre. Cela donne
hasard et lorsqu’une région de cet ensemble est à la dis- l’illusion que le mur se rapproche ou s’éloigne, selon les
tance appropriée des yeux pour réaliser la fusion des cas.

+ =

Figure B – Stéréogramme sous forme de points disposés « au


hasard » et la perception qui en résulte lors de la fusion binoculaire
des images.
(Source : Julesz, 1971, p. 21.)

Figure A – Stéréogramme du dix-neuvième siècle.


(Source : Horibuchi, 1994, p. 38.)
362 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 10.4 FOCUS  (suite)

Dans un autostéréogramme l’« effet papier peint » toujours pas aujourd’hui ce qu’il se passe dans le cortex
est combiné avec l’illusion créée par les points ou les visuel pour extraire cette image de ce patchwork, mais
taches pour créer des bandes verticales contenant un probablement ce processus implique l’activation bino-
pattern de points apparemment disposés au hasard. culaire de neurones du cortex visuel.
L’information sur la profondeur de l’image est donnée
par la position des points et la fréquence de répétition
du pattern. Pour percevoir une image dans ces condi-
tions, vous devez bouger vos yeux de telle manière que
votre regard accroche les bandes à la base de la répéti-
tion du motif. Par exemple, pour voir une tête en 3D sur
la figure C, vous devez relaxer vos muscles oculaires de
telle manière que l’œil gauche voit un motif à gauche, et
votre œil droit, un autre motif à droite en s’alignant sur
les points en haut de l’image. Vous saurez que ça marche,
quand vous verrez un troisième point se former en haut
de l’image. Dans ces conditions continuez à vous relaxer
et vous verrez apparaître le motif recherché.
L’une des choses les plus fascinantes avec les stéréo-
grammes est que vous pouvez percevoir l’image pendant
des secondes voire des minutes, jusqu’à ce que vos yeux
ne puissent plus maintenir leur position « anormale » et
que, par conséquent, le cortex visuel ne perçoive plus
cette image imposée par la correspondance entre les Figure C – Autostéréogramme.
images fournies à partir des deux yeux. Nous ne savons (Source : Horibuchi, 1994, p. 54.)

Hiérarchie des champs récepteurs et perception visuelle


En comparant les propriétés des champs récepteurs à différents points du
système visuel, il est possible d’obtenir des informations sur les bases de la per-
ception. Les champs récepteurs des photorécepteurs sont simplement des petits
spots sur la rétine, alors que les cellules ganglionnaires présentent des champs
récepteurs plus sophistiqués, avec des effets de centre et de périphérie. Les cel-
lules ganglionnaires sont sensibles à des paramètres, tels que le contraste ou
la longueur d’onde de la lumière. Dans le cortex strié, nous trouvons des cel-
lules à champs récepteurs simples et à champs récepteurs complexes, avec des
propriétés plus élaborées encore : la sensibilité à l’orientation des stimuli ou la
binocularité, par exemple. Enfin, dans les aires extrastriées, les neurones sont
encore plus sélectivement activés par des stimuli complexes, par exemple des
formes ou des mouvements spécifiques, et jusqu’à des visages. Ainsi apparaît-il
que le système visuel est organisé de façon hiérarchisée, avec des aires corticales
qui présentent des neurones aux champs récepteurs de plus en plus complexes à
partir de V1 (Fig. 10.30). Il est possible que notre perception d’objets spécifiques
soit fondée sur l’activation d’un tout petit nombre de cellules spécialisées dans
une aire ultime du système visuel, qui reste à identifier. Dans ce cas, est-ce que
la reconnaissance de notre grand-mère est simplement fondée sur l’activation de
cinq ou dix cellules avec un champ récepteur si spécialisé qu’elles ne répondent
qu’à ce stimulus bien précis ? La situation la plus proche de cette hypothèse est
bien sûr celle représentée par ces neurones impliqués dans la reconnaissance des
visages dans l’aire IT. Néanmoins, ces neurones, aussi spécifiques soient-ils, ne
répondent pas à la présentation d’un seul visage.
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 363

Localisation du champ récepteur Stimulus optimal


dans le système visuel

Cellule ganglionnaire Spot entouré


à centre-ON d’un anneau
sombre

Cellule simple de V1 Barreau de lumière

Cortex visuel
inférotemporal Visage

? Grand-mère

Figure 10.30 – Hiérarchie des champs récepteurs.


De la rétine aux aires corticales extrastriées, les champs récepteurs deviennent plus larges et sélec-
tifs pour des stimuli plus complexes. Aujourd’hui il est néanmoins très peu vraisemblable que la
perception visuelle soit basée sur des neurones que nous ne connaissons pas encore, qui seraient
très sélectifs pour un seul objet ou une seule personne, comme dans le cas de ce que l’on a appelé
« le neurone de la grand-mère ».

Bien que cela ne soit en aucun cas établi, il y a plusieurs arguments qui vont à
l’encontre de cette théorie selon laquelle la perception est fondée sur des champs
récepteurs d’une spécificité telle que les neurones ne répondraient qu’à la per-
ception de la grand-mère. Tout d’abord, des enregistrements ont été réalisés dans
une grande partie du cerveau de singe, et il n’y a pas d’évidence pour que les
cellules de telle ou telle région soient spécialisées dans la reconnaissance spéci-
fique de l’un ou l’autre des milliers d’objets ou de personnes dont nous sommes
entourés et que nous sommes capables d’identifier. Deuxièmement, une telle spé-
cialisation irait à l’encontre du principe général d’une information diffuse, qui
paraît la règle dans le système nerveux. Les photorécepteurs répondent à une
large gamme de longueurs d’onde ; les cellules simples répondent à plusieurs
orientations ; les cellules de MT répondent au mouvement dans plusieurs direc-
tions ; et les cellules qui reconnaissent les visages répondent en général à plu-
sieurs visages à la fois. De plus, les cellules qui paraissent sélectives de l’une ou
l’autre de ces propriétés (orientation, couleur, mouvement, etc.) répondent aussi
un peu aux autres propriétés. Par exemple, si nous focalisons notre attention
sur les cellules de V1 qui répondent à une orientation préférentielle du stimulus
visuel de telle manière qu’elles sont impliquées sans doute dans la détection de
la forme du stimulus, nous ne faisons que négliger le fait que ces mêmes cellules
peuvent aussi répondre sélectivement à la taille de l’objet, la direction de son
mouvement, etc. Finalement, il serait beaucoup trop « risqué » pour le système
nerveux de dépendre d’une trop grande sélectivité : un coup sur la tête pourrait
instantanément détruire les cinq cellules « de la grand-mère » et faire qu’en un
instant on ne serait plus capable de la reconnaître… Nous poursuivrons cette
discussion lorsque nous aborderons les mécanismes de l’apprentissage et de la
mémoire dans les chapitres 24 et 25.
364 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Traitement parallèle et perception visuelle


Si l’hypothèse des neurones de la grand-mère n’est pas la bonne, alors com-
ment s’effectue la perception ? Une hypothèse alternative a été proposée sur la
base de l’observation qu’un traitement parallèle de l’information serait effectué
dans l’ensemble du système visuel (et d’autres régions cérébrales) pour procéder
à l’identification des objets. Nous avons déjà vu les propriétés d’un tel traitement
parallèle des informations visuelles (voir chapitre 9) lorsque nous avons présenté
les réponses ON et OFF des cellules ganglionnaires M et P. Dans ce chapitre,
nous avons vu qu’il existe en V1 trois canaux de traitement parallèle de l’infor-
mation visuelle. Si nous dépassons maintenant V1 pour étendre notre réflexion
aux systèmes dorsal et ventral et aux aires qui leur sont associées, nous consta-
tons que ces aires sont plus spécialisées pour analyser les propriétés spécifiques
de ces stimuli. Il est ainsi possible que le cerveau procède à une certaine « répar-
tition » du travail pour mieux reconnaître les stimuli visuels. Au niveau d’une
aire donnée, les neurones pourraient contribuer à donner des caractéristiques
différentes d’un même objet mais, à une autre échelle, c’est donc toute une série
d’aires corticales qui contribueraient à sa perception visuelle, les unes donnant
par exemple des informations sur sa couleur ou sur sa forme, d’autres principa-
lement sur son déplacement. En d’autres termes, la perception du monde visuel
pourrait être un peu comme le son produit par un orchestre d’aires visuelles,
chacune avec un rôle propre, plutôt que le son produit par un seul musicien.

Conclusion
Dans ce chapitre ont été présentées les grandes lignes de l’organisation géné-
rale de la voie sensorielle de l’œil au thalamus et au cortex. La modalité senso-
rielle appelée la vision se divise, en fait, en un certain nombre de sous-fonctions
liées à la détection de la couleur des objets, de leur contraste, de leur forme,
ou de leur mouvement, qui sont traitées parallèlement par différents groupes
de cellules du système visuel. Le traitement de l’information dans le système
visuel suppose une stricte ségrégation des informations au niveau du thalamus,
une forme de convergence des informations relativement limitée encore dans
le cortex strié, et finalement une divergence de l’information massive dans les
aires corticales supérieures. La nature distribuée de l’analyse corticale de l’in-
formation visuelle est sans aucun doute encore sous-estimée, si on considère que
la projection d’un million de cellules ganglionnaires de la rétine peut solliciter
l’activité de beaucoup plus d’un milliard de neurones corticaux dans les lobes
pariétal, occipital et temporal ! Sans que cela soit bien clair, l’activité corticale,
largement distribuée, se combine pour amener à une perception unique et conti-
nue de l’espace visuel.
Le système visuel constitue un modèle d’organisation à retenir. Comme on le
verra plus loin, les principes de base de l’organisation de ce système – traitement
parallèle des informations, représentation topographique des surfaces senso-
rielles, relais synaptiques dans la partie dorsale du thalamus, modules ­corticaux et
multiples représentations corticales – sont des caractéristiques que l’on retrouve
dans d’autres systèmes sensoriels, tels que ceux relatifs à l’audition et au toucher.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. À la suite d’un accident de bicyclette, vous découvrez avec inquié-


tude que vous ne voyez plus ce qui se trouve dans votre champ visuel
gauche. Où se trouve la lésion sur la voie rétinofuge ?
2. Quelle est la source majeure des afférences du corps genouillé latéral
gauche ?
10 – Vision : organisation anatomofonctionnelle des voies centrales 365

3. Une partie du corps genouillé latéral a disparu. Vous ne pouvez plus


percevoir la couleur dans le champ visuel droit de l’œil droit. Quelle(s)
couche(s) de quel CGL est (sont) atteinte(s) ?
4. Citez les connexions qui relient un cône de la rétine à une cellule de
la région des taches du cortex strié. Y a-t-il une ou plusieurs voies qui
relient les cônes aux neurones de la région des taches ?
5. Que signifie la proposition suivante : « Il existe une représentation du
monde visuel dans le cortex visuel ? ».
6. Que signifie « traitement parallèle » dans le système visuel ? Donnez
deux exemples.
7. Si un enfant louche à la naissance et que ce défaut n’est pas corri-
gé avant l’âge de 10 ans, la perception binoculaire de la profondeur
de champ disparaîtra définitivement. Cela peut s’expliquer par une
modification de l’organisation des réseaux nerveux du système visuel.
Avec vos connaissances sur le système visuel, pouvez-vous déterminer
le site de cette modification ?
8. Quelles couches du cortex strié envoient des afférences à d’autres
aires corticales ?
9. Quelles sont les propriétés des champs visuels que l’on trouve dans
le cortex strié et dans d’autres régions corticales qui ne sont pas
­innervées par la rétine ou le CGL ?
10. Quel type d’expérience pouvez-vous imaginer pour étudier les rela-
tions entre la perception visuelle et l’activité neuronale dans le cortex
visuel ?

POUR EN SAVOIR PLUS

De Haan EHF, Cowey A. On the usefulness of « what » and « where »


pathways in vision. Trends in Cognitive Science 2011 ; 15 : 460-6.
Gegenfurtner KR. Cortical mechanisms of colour vision. Nature Reviews
Neuroscience 2003 ; 4 : 563-72.
Grill-Spector K, Malach R. The human visual cortex. Annual Reviews of
Neuroscience 2004 ; 27 : 649-77.
Hendry SHC, Reid RC. The koniocellular pathway in primate vision.
­Annual Reviews of Neuroscience 2000 ; 23 : 127-53.
Kreiman G. Single unit approaches to human vision and memory. ­Current
Opinion in Neurobiology 2007 ; 17 : 471-5.
Milner AD, Goodale MA. Two visual systems reviewed. Neuropsycholo-
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Nasso JJ, Callaway EM. Parallel processing strategies of the primate
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Tsao DY, Moeller S, Freiwald W. Comparing face patch systems in ma-
caques and humans. Proceedings of the National Academy of Science
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Zeki S. Improbable areas in the visual brain. Trends in Neuroscience
2003 ; 26 : 23-6.
366 2 – Systèmes sensoriel et moteur 366

CHAPITRE  11 Audition et système


vestibulaire
NATURE DU SON
Encadré 11.1 Focus  Ultrasons et infrasons
STRUCTURE DU SYSTÈME
AUDITIF

OREILLE MOYENNE
Constituants de l’oreille moyenne....................................................... 371
Rôle des osselets dans l’amplification du son...................................... 372
Réflexe d’atténuation......................................................................... 373
OREILLE INTERNE
Anatomie de la cochlée....................................................................... 374
Physiologie de la cochlée.................................................................... 375
Encadré 11.2 Focus  Comment les sourds peuvent entendre :
les implants cochléaires
Encadré 11.3 Focus  Lorsque l’oreille produit des sons :
les émissions otoacoustiques
MÉCANISMES CENTRAUX
DE L’AUDITION
Anatomie des voies auditives.............................................................. 385
Propriétés des neurones de la voie auditive......................................... 387
CODAGE DE L’INTENSITÉ ET
DE LA FRÉQUENCE SONORES
Intensité du stimulus.......................................................................... 388
Fréquence du stimulus, tonotopie et corrélation de phase................... 388
Encadré 11.4 Les voies de la découverte  Capturer le rythme,
par Donata Oertel
MÉCANISMES
DE LA LOCALISATION
DES SONS DANS L’ESPACE
Localisation des sons dans le plan horizontal...................................... 392
Localisation des sons dans le plan vertical........................................... 396
CORTEX AUDITIF
Caractéristiques des réponses neuronales........................................... 397
Conséquences de lésions ou de l’ablation du cortex auditif................. 398
Encadré 11.5 Focus  Mais comment fonctionne le cortex auditif ?
Consultez un spécialiste !
Encadré 11.6 Focus  Les troubles auditifs et leurs traitements
SYSTÈME VESTIBULAIRE
Appareil labyrinthique........................................................................ 401
Organes otolithiques.......................................................................... 403
Canaux semi-circulaires...................................................................... 405
Voies vestibulaires centrales et réflexes vestibulaires........................... 406
Pathologie vestibulaire........................................................................ 409
CONCLUSION
INTRODUCTION

D
ans ce chapitre, nous décrirons deux systèmes sensoriels aux fonctions
très différentes, mais présentant des analogies surprenantes en termes
de structure et de mécanismes : il s’agit du sens de la perception des
sons ou audition et de celui du maintien de l’équilibre, qui dépend du système
vestibulaire. L’audition est partie intégrante de notre vie et à tout instant on peut
constater son utilité. En revanche, le maintien de l’équilibre se fait de façon tota-
lement inconsciente mais il est tout aussi important dans notre vie quotidienne.
Si un objet n’est pas visible, il est parfois possible d’en détecter la présence,
d’identifier son origine et jusqu’à en recevoir des messages par le son qu’il
produit. Tous ceux qui ont effectué des randonnées en forêt dans une zone où
vivent des ours ou des serpents savent combien le bruit de feuilles froissées attire
l’attention. En percevant un son il est souvent possible d’en identifier la source
et la direction, ce qui représente une information importante s’il faut se dépla-
cer rapidement dans cette direction. Non seulement les sons sont détectables
et localisables mais ils présentent aussi des nuances que l’on peut distinguer.
L’aboiement d’un chien, la voix d’un ami, le bruit d’une vague qui se brise, sont
immédiatement reconnus. L’homme ayant la faculté de produire et d’entendre
une grande variété de sons, le langage parlé et sa perception à travers le système
auditif sont aussi devenus un moyen de communication très important entre les
individus. Chez l’homme, l’audition s’est développée bien au-delà des simples
fonctions utilitaires de communication et de survie : par exemple, à la façon des
artistes qui ont recours aux médias visuels, les musiciens étudient les sensations
et les émotions provoquées par les sons.
Contrairement à l’audition, le sens de l’équilibre représente un processus
personnel, strictement interne. Le système vestibulaire informe le cerveau de la
position de notre tête et de notre corps, plus généralement, et de la façon dont ils
se déplacent. Cette information est utilisée de façon inconsciente pour contrôler
automatiquement la musculature du corps et procéder aux ajustements néces-
saires pour le maintien de la position debout. Elle intervient aussi pour permettre
le maintien de cet équilibre pendant le mouvement, ou encore pour permettre les
ajustements des mouvements des yeux qui assurent la stabilité de notre monde
visuel sur notre rétine, même lorsque notre tête bouge dans tous les sens.
Ce chapitre décrit d’abord les mécanismes qui, dans l’oreille et le cerveau,
transforment les sons de notre environnement en messages nerveux signifiants
pour l’individu. Cette transformation s’effectue en plusieurs étapes. À l’intérieur
de l’oreille interne, des récepteurs auditifs convertissent l’énergie mécanique du
son en réponse neuronale. De même en ce qui concerne les récepteurs du sys-
tème vestibulaire, qui captent les mouvements de la tête, dont les caractéristiques
principales seront décrites à la fin de ce chapitre. Aux autres niveaux de ces
systèmes sensoriels, dans le tronc cérébral et le thalamus, les signaux provenant
des récepteurs sont intégrés avant d’atteindre le cortex auditif ou le cortex ves-
tibulaire. Les caractéristiques de la réponse des neurones aux différents niveaux
de ces voies sensorielles reflètent les relations existant entre l’activité du système
auditif et la perception du son, ou encore du système vestibulaire et du sens de
l’équilibre.
368 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Nature du son
Le son est produit par les variations perceptibles de la pression de l’air. À
peu près tout ce qui se déplace peut générer un son : des molécules, les cordes
vocales du larynx, la vibration de la corde d’une guitare ou le crépitement du
feu. En se déplaçant dans un espace donné, les objets compriment l’air, ce qui
accroît la densité des molécules. Inversement, l’air devient moins dense dans cet
espace lorsqu’un objet s’en éloigne. Cet effet est particulièrement facile à visuali-
ser avec un haut-parleur dans lequel un cône de papier fixé à un aimant émet des
vibrations en rentrant et sortant, ce qui comprime et raréfie l’air, alternativement
(Fig. 11.1). Ces changements de la pression de l’air se propagent à distance du
haut-parleur à la vitesse du son, soit environ 343 m/s dans l’air à température
ambiante.
De nombreuses sources sonores, telles que les vibrations des cordes d’un vio-
lon ou celles d’un haut-parleur retransmettant le son d’un instrument à cordes,
produisent des variations rythmiques de la pression de l’air. La fréquence du son
est le nombre de compressions et de phases de détente de l’air qui atteignent
l’oreille en une seconde. Un cycle sonore correspond à la distance entre deux
plages successives, par exemple de compression de l’air ; la fréquence du son,
exprimée en hertz (Hz), est le nombre de cycles par seconde. Les ondes sonores se
propageant toutes à la même vitesse, avec les ondes à haute fréquence les plages
de compression et de détente de l’air sont plus nombreuses pour un même espace
qu’avec les ondes à basse fréquence (Fig. 11.2a).
Le système auditif est assez performant pour percevoir les sons d’une fré-
quence de 20 Hz à 20 000 Hz (bien que cet ordre de fréquences perceptibles dimi-
nue significativement avec l’âge et l’exposition au bruit, spécialement dans le cas
des plus hautes fréquences). C’est la fréquence qui détermine la perception d’un
son comme de tonalité haute ou basse. Pour rapprocher la notion de fréquence
d’exemples familiers, rappelons que la fréquence de la vibration d’une note basse
d’un orgue est d’environ 20 Hz, et que la fréquence de celle d’une note aiguë d’un

Haut-
parleur Phase de compression de l’air

Phase de détente de l’air


Pression de l’air

Un Distance
cycle

Figure 11.1 – Production des sons par les vibrations de la pression de l’air ambiant.


Lorsque la membrane d’un haut-parleur d’une chaîne stéréophonique est repoussée, elle com-
prime l’air ; lorsqu’elle est tirée en avant, celui-ci se détend. Si les mouvements de compression et
de détente de l’air sont périodiques, ils induisent une variation concomitante de la pression de l’air,
telle qu’elle est illustrée sur le diagramme. La distance entre deux phases de compression (ou de
relâchement) détermine un cycle du son (indiqué par les lignes verticales). Les ondes sonores se
propagent à partir du haut-parleur, à la vitesse du son.
11 – Audition et système vestibulaire 369

Basse fréquence Haute fréquence Figure 11.2 –  Fréquence et intensité des

Pression de l’air
ondes sonores.
Chacun des diagrammes représente la pres-
sion de l’air en fonction de la distance pour un
son de fréquence et d’intensité constantes.
Notez que l’axe des abscisses représente
(a) aussi le temps du fait du caractère constant
Faible intensité Forte intensité de la vitesse du son. (a) La fréquence corres-
pond au nombre de cycles du son par unité
Pression de l’air

de temps ou de distance. Nous percevons les


ondes sonores de haute fréquence comme
des sons aigus. (b) L’intensité correspond à la
différence dans la pression de l’air entre le pic
(b) Distance Distance et la base de l’onde sonore. Nous percevons
les ondes de forte amplitude, comme intenses.

piccolo est d’environ 10 000 Hz. Bien qu’une large gamme de fréquences soit per-
ceptible par l’oreille humaine, il existe des ondes sonores de basse fréquence et de
haute fréquence que l’oreille ne peut cependant pas entendre, comme il existe des
ondes lumineuses électromagnétiques que l’œil ne peut pas voir (Encadré 11.1).

Encadré 11.1 FOCUS

Ultrasons et infrasons
Les ultrasons (les sons situés au-dessus des 20 kHz Bien que l’oreille ne soit pas sensible aux fréquences
qui représentent la limite des sons perceptibles par les plus basses, elles existent néanmoins dans notre
l’homme) sont bien connus car ils sont couramment uti- environnement, et nous pouvons parfois les ressentir
lisés, que ce soit pour les appareils de nettoyage à ultra- comme des vibrations à l’aide de notre système soma-
sons ou pour l’imagerie médicale. De nombreux ani- tosensoriel (voir chapitre 12). Les infrasons sont pro-
maux peuvent entendre ces hautes fréquences. Par duits par des appareils tels que les climatiseurs, les
exemple, les sifflets à chien sont utiles car le chien peut chaudières, les avions ou encore les voitures, et ils
percevoir des fréquences d’environ 45 kHz. Quelques peuvent avoir des effets désagréables inconsciemment.
chauves-souris émettent des sons à des fréquences supé- Ces infrasons intenses ne provoquent pas de surdité,
rieures à 100 kHz, puis écoutent leur écho pour localiser mais ils peuvent provoquer des malaises, des nausées et
les objets (voir Encadré 11.5). Quelques poissons de la des maux de tête. Beaucoup de voitures produisent un
famille du hareng ou de l’alose peuvent détecter des sons son à basse fréquence en roulant rapidement, ce qui
de l’ordre de 180 kHz, ce qui leur permet une écholo­ provoque des nausées chez les personnes sensibles. À un
calisation des ultrasons générés par les dauphins qui niveau très élevé, le son à basse fréquence peut aussi
veulent en faire leur proie. Évidemment, les dauphins produire des résonances dans les cavités du corps,
peuvent aussi entendre leurs propres cris ultrasoniques. comme le thorax ou l’estomac, susceptibles de provo-
De façon similaire enfin, quelques lépidoptères noc- quer une atteinte des organes internes. À côté des appa-
turnes entendent les ultrasons des chauves-souris affa- reils, le corps lui-même émet des sons à basse fréquence
mées, ce qui leur permet d’échapper à leurs prédateurs. imperceptibles. Lorsque la longueur du muscle change,
Les infrasons, ou sons à basse fréquence, inférieure à les fibres vibrent individuellement en produisant des
20 Hz environ, sont moins connus. Quelques animaux sons à basse fréquence d’environ 25 Hz. Bien que ces
perçoivent pourtant ces fréquences ; l’éléphant, par sons soient généralement imperceptibles, on peut en
exemple, perçoit des tonalités de 15 Hz, imperceptibles faire l’expérience en mettant avec précaution les pouces
pour l’homme. Les basses fréquences sonores émises par dans les oreilles et en refermant la main. Le poing serré,
les baleines paraissent ainsi être un moyen de communi- on entend un grondement sourd produit par la contrac-
cation à distance. La terre émet aussi des vibrations à tion des muscles de l’avant-bras. D’autres muscles, y
basse fréquence, et il est possible que quelques animaux compris le cœur, émettent un son imperceptible, à des
soient assez sensibles pour ressentir l’imminence d’un fréquences proches de 20 Hz.
tremblement de terre à travers ces sons.
370 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Une autre propriété importante du son est à prendre en compte : son intensité,
c’est-à-dire l’amplitude de la variation de pression mesurée entre le maximum
de compression et celui de la phase de détente de l’air (Fig. 11.2b). L’intensité du
son détermine le niveau du son perceptible, les sons plus forts ayant une intensité
plus élevée. La sensibilité de l’oreille à l’intensité est étonnante ; le son le plus fort
que l’homme peut percevoir sans risque pour l’oreille est un milliard de milliard
de fois plus élevé que le son perceptible le plus faible. Si l’oreille était encore plus
sensible, on entendrait le ronronnement constant du mouvement erratique des
molécules d’air.
Dans la réalité, les sons présentent rarement une seule fréquence et une seule
intensité. C’est la combinaison simultanée d’ondes sonores de fréquences et d’in-
tensités différentes qui confère aux instruments de musique et à la voix humaine
leurs tonalités uniques.

Structure du système auditif


Avant d’étudier les détails de la transformation des variations de la pression
de l’air en activité nerveuse, il est nécessaire de décrire la structure du système
auditif. La figure 11.3 illustre la structure de l’oreille. La partie visible se trouve
formée essentiellement de cartilage recouvert de peau, configurant une sorte
d’entonnoir appelé pavillon qui canalise le son à l’intérieur de la tête. Les replis
du pavillon jouent un rôle dans la localisation des sons. La forme du pavillon
nous rend plus sensible aux sons provenant de l’espace situé devant nous, plutôt
que derrière nous. Chez l’homme, le pavillon est plus ou moins fixe mais les ani-
maux, par exemple le chat ou le cheval, ont la faculté d’exercer un contrôle de la
position du pavillon et de pouvoir l’orienter vers la source du son.
Le passage vers l’oreille moyenne se fait par le conduit auditif, qui se pro-
longe à l’intérieur du crâne sur environ 2,5 cm, jusqu’à la membrane représen-
tant le tympan de l’oreille. Une série de petits os, les osselets, se trouve rattachée
à la surface interne du tympan. Placés dans une cavité remplie d’air, les osselets
transmettent les vibrations du tympan à une autre membrane recouvrant un trou
dans l’os du crâne appelé la fenêtre ovale. Derrière la fenêtre ovale se trouve la

Oreille
moyenne
Oreille Oreille
externe interne

Osselets Fenêtre
ovale

Cochlée

Canal Membrane
Pavillon auditif tympanique

Figure 11.3 – Structure des régions externe, moyenne, et interne, de l’oreille.


11 – Audition et système vestibulaire 371

cochlée, remplie d’un fluide qui constitue le système générant une réponse ner-
veuse aux vibrations de la membrane placée sur la fenêtre. Les premiers stades
de la voie auditive se déroulent donc de la façon suivante :
Les ondes sonores font vibrer la membrane du tympan →
Le tympan fait vibrer les osselets →
Les osselets transmettent les vibrations à la membrane de la fenêtre
ovale →
Cortex auditif Cortex visuel
Ces vibrations se transmettent au fluide de la cochlée →
La vibration du fluide contenu dans la cochlée génère la réponse
des neurones sensoriels.
CGM CGL
Toutes ces structures, du pavillon à l’oreille interne, forment les différents élé-
ments de l’oreille, laquelle se compose de trois parties : les structures comprises
entre le pavillon et le tympan forment l’oreille externe ; le tympan et les osselets
Neurones Autres neurones
forment l’oreille moyenne ; et l’appareil auditif interne par rapport à la fenêtre rétiniens
du tronc cérébral
ovale, forme l’oreille interne.
La réponse générée par l’appareil auditif de l’oreille interne est ensuite trans-
mise et analysée dans une série de noyaux du tronc cérébral. Cette analyse est
Récepteurs auditifs Photorécepteurs
alors transmise au thalamus, au corps genouillé médian, ou CGM, qui sert de de la cochlée de la rétine
relais vers le cortex. De fait, le CGM se projette sur le cortex auditif primaire
ou A1, situé dans le lobe temporal. Le système sensoriel auditif est ainsi un peu
Figure 11.4 – Comparaison des voies audi-
plus complexe que le système visuel car il y a plus d’étapes intermédiaires entre tives et visuelles.
les récepteurs et le cortex. Cependant, ces systèmes présentent des constituants À partir des récepteurs sensoriels, les deux
analogues, y compris les récepteurs sensoriels, des phases d’intégration précoces systèmes présentent des étages d’intégration
(situées dans la rétine pour le système visuel), l’existence d’un relais dans le tha- précoce, un relais thalamique et une projec-
lamus et une aire corticale sensorielle (Fig. 11.4). tion vers le cortex cérébral.

Oreille moyenne
L’oreille externe conduit le son jusqu’à l’oreille moyenne, une cavité rem-
plie d’air contenant tous les premiers éléments sensibles au son. Dans l’oreille
moyenne, les variations de pression font vibrer les osselets, ce qui correspond à la
première étape de la transformation de l’énergie sonore. Cette section du chapitre
décrit les mécanismes de transformation de l’énergie sonore par l’oreille moyenne.

Constituants de l’oreille moyenne


L’oreille moyenne est formée du tympan, des osselets et de deux fines
membranes qui sont rattachées aux osselets. Le tympan représente une membrane
de forme presque conique, pénétrant dans la cavité de l’oreille moyenne. Les osse-
lets, au nombre de trois, portent chacun le nom d’un objet auquel ils ressemblent
(Fig. 11.5). L’osselet articulé sur la membrane du tympan est nommé le marteau,
qui forme un lien rigide avec l’enclume (l’incus). Il existe par ailleurs une articu-
lation souple entre l’enclume et l’étrier. La partie plate de l’étrier, assimilée au
repose-pied, s’articule à la façon d’un piston sur la fenêtre ovale, transmettant
ainsi les vibrations sonores aux fluides contenus dans la cochlée de l’oreille interne.
L’oreille moyenne communique avec la cavité nasale par la trompe d’Eus-
tache bien que cette trompe soit généralement fermée par une valve. Quand un
avion prend de l’altitude ou que l’on roule en voiture en montagne, la pression
de l’air diminue. Cependant, tant que la valve reste fermée, la pression de l’air
dans l’oreille moyenne ne change pas. La pression étant plus élevée dans l’oreille
moyenne qu’à l’extérieur, le tympan se déforme vers l’extérieur, ce qui produit
une douleur désagréable dans les oreilles. Pour apaiser la douleur il suffit de
bailler ou de déglutir afin d’ouvrir la trompe d’Eustache pour équilibrer la pres-
sion de l’air entre l’oreille moyenne et celle du milieu ambiant. L’inverse est vrai
lorsque l’avion descend. Dans ce cas la pression de l’air est plus élevée à l’exté-
rieur que dans l’oreille moyenne, et l’inconfort que vous pouvez ressentir à ce
moment peut-être diminué en ouvrant à nouveau la trompe d’Eustache.
372 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Marteau Enclume Étrier

Base de l’étrier
au niveau
de la fenêtre ovale

Cochlée

Trompe
d’Eustache

Canal Tympan
auditif

Figure 11.5 – Oreille moyenne.
Comme cela est indiqué par les flèches, lorsque la base du marteau est repoussée vers l’intérieur
par le tympan, l’action de levier exercée par les osselets sur la partie plate de l’étrier repousse à
son tour la fenêtre ovale. La pression développée sur la fenêtre ovale est supérieure à celle exercée
sur le tympan, en partie parce que la surface de la partie plate de l’étrier est plus réduite que celle
du tympan.

Rôle des osselets dans l’amplification du son


Les ondes sonores font vibrer le tympan et les osselets font vibrer une autre
membrane de la fenêtre ovale. On peut se demander alors pourquoi les ondes
sonores ne font pas vibrer directement la membrane de la fenêtre ovale ? Cela
peut s’expliquer par le fait que la cochlée contient un fluide et non de l’air. Si les
ondes sonores heurtaient directement la fenêtre ovale, celle-ci bougerait à peine
et la quasi-totalité du son serait réfléchie à cause de la pression que le fluide
cochléaire exerce à l’arrière de la fenêtre ovale. Le silence du monde sous-marin
montre combien l’eau réfléchit les bruits qui proviennent essentiellement de la
surface. Du fait de sa plus grande inertie, le fluide de l’oreille interne est moins
sensible que l’air aux vibrations et il faut une plus grande pression pour le faire
vibrer. Ce sont alors les osselets qui permettent d’amplifier la pression.
Pour bien comprendre le processus il faut revenir un instant à la définition
de la pression. La pression est la force exercée sur une membrane par unité de
surface de cette membrane. Sur la fenêtre ovale, la pression peut être plus forte
que sur le tympan (1) si la force qui s’exerce sur la membrane de la fenêtre ovale
est plus forte ou inversement (2) si la surface de la fenêtre ovale est plus petite que
celle de la membrane du tympan. Or l’oreille moyenne accentue la pression sur
la membrane de la fenêtre ovale en modifiant à la fois la force et la surface, c’est-
à-dire en utilisant les deux mécanismes. La force est plus grande au niveau de la
fenêtre ovale car les osselets agissent comme des leviers. Ainsi les sons induisent
des vibrations importantes de la membrane du tympan, qui sont converties en
des vibrations moins amples mais plus puissantes de la fenêtre ovale. De plus,
la surface de la fenêtre ovale se trouve être plus petite que celle de la membrane
du tympan. Ces facteurs se combinent pour donner une pression environ 20 fois
plus élevée sur la fenêtre ovale que sur le tympan, suffisante pour faire vibrer le
fluide dans l’oreille interne.
11 – Audition et système vestibulaire 373

Réflexe d’atténuation
Deux muscles rattachés aux osselets présentent un effet marqué sur la trans-
mission du son à l’oreille interne : le muscle tenseur du tympan ancré sur l’os
de la cavité de l’oreille moyenne à l’une de ses extrémités et fixé au marteau à
l’autre extrémité (Fig. 11.6) ; le muscle stapedius ancré à une extrémité sur l’os
et de l’autre côté sur l’étrier. Lorsque ces muscles se contractent, la chaîne des
osselets devient beaucoup plus rigide et la transmission du son vers l’oreille
interne est fortement réduite. C’est ce qui se passe en présence d’un fort stimu-
lus sonore. Dans ces conditions les muscles se contractent, ce qui représente un
réflexe d’atténuation. L’atténuation du son se trouve plus marquée avec les basses
fréquences qu’avec les hautes fréquences.
Le réflexe pourrait avoir plusieurs fonctions. L’une d’entre elles est possi-
blement l’adaptation de l’oreille à de hautes fréquences sonores continues. Ces
tonalités trop élevées sont en effet susceptibles de saturer la réponse des récep-
teurs dans l’oreille interne. Elles seraient ramenées à un niveau inférieur à la
saturation par le réflexe d’atténuation, augmentant ainsi l’étendue des fréquences
perceptibles. Le réflexe d’atténuation assure aussi la protection de l’oreille
interne contre des sons trop violents, qui risqueraient de provoquer des lésions.
Malheureusement ce réflexe n’intervient que dans un délai de 50 à 100 ms après
l’arrivée du son dans l’oreille : il n’offre donc pas une grande protection contre
les sons violents intempestifs, une lésion pouvant intervenir avant que les mus-
cles ne se contractent. C’est pourquoi, en dépit de la protection assurée par le
réflexe d’atténuation, une explosion violente (ou la musique d’un baladeur) peut
entraîner des lésions de la cochlée. Comme le réflexe d’atténuation supprime les
basses fréquences plutôt que les hautes fréquences, il est plus facile de discerner
les hautes fréquences dans un environnement sonore de basses fréquences. Cette
faculté nous permet ainsi de suivre plus facilement une conversation dans un
environnement bruyant, que nous ne pourrions le faire sans le réflexe d’atté-
nuation. Il semble aussi que ce réflexe soit activé lorsque nous parlons, de sorte
que nous n’entendons pas le son de notre voix aussi fortement que si ce réflexe
n’existait pas.

Osselets Fenêtre ovale

Muscle
tenseur
du tympan

Tympan Muscle Fenêtre Cochlée


stapedius ronde

Figure 11.6 – Oreille moyenne et oreille interne.


Les muscles stapedius et tenseur du tympan sont rattachés aux parois de l’oreille moyenne, d’une
part, et aux osselets, d’autre part.
374 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Oreille interne
L’oreille interne est considérée comme une partie de l’oreille mais tous ses
constituants ne sont pas en relation avec l’audition. L’oreille interne se compose
en effet de la cochlée, qui fait partie du système auditif, et du labyrinthe, qui n’en
fait pas partie. Le labyrinthe est une partie importante de l’appareil vestibulaire,
contribuant à maintenir l’équilibre du corps. Le système vestibulaire sera pré-
senté dans la deuxième partie de ce chapitre. Seule sera évoquée ici la cochlée et
son rôle dans la conversion des ondes sonores en messages nerveux.

Anatomie de la cochlée
La cochlée (ou limaçon) est enroulée en spirale, comme une coquille d’es-
cargot. La figure 11.6 illustre une coupe au travers de la cochlée. Sa structure
peut être évoquée en enroulant une paille (comme celles dont on se sert pour
boire) deux fois et demie autour de la pointe effilée d’un crayon. Dans la cochlée
les parois du tube creux (représenté par la paille) sont formées d’os. Le pilier
central de la cochlée (représenté par le crayon) quant à lui est une structure
osseuse conique. Toutefois la comparaison s’arrête là, et les dimensions réelles
sont plus petites que celles du modèle représenté avec la paille et le crayon, le
tube creux de la cochlée mesurant environ 32 mm de long pour un diamètre de
2 mm. Au total, la cochlée humaine a environ la taille d’un petit pois. À la base
de la cochlée se trouvent deux trous recouverts d’une membrane : la fenêtre
ovale, localisée sous la partie plate de l’étrier comme nous l’avons évoqué, et la
fenêtre ronde.
Sur une coupe transversale de la cochlée, il apparaît que le tube est divisé
en trois compartiments remplis d’un fluide, encore dénommés « rampes » : la
rampe vestibulaire, la rampe tympanique et le canal cochléaire (Fig. 11.7). Les trois
rampes s’enroulent à l’intérieur de la cochlée à la manière d’un escalier en spi-
rale. La rampe vestibulaire et le canal cochléaire sont séparés par la membrane de
Membrane
Rampe Reissner ; la rampe tympanique et le canal cochléaire, par la membrane basilaire
vestibulaire qui supporte l’organe de Corti situé juste au-dessus, où se trouvent les neurones
de Reissner
Canal
cochléaire
récepteurs auditifs. La membrane tectoriale se trouve tendue au-dessus de l’or-
Membrane gane de Corti. À l’apex de la cochlée le canal cochléaire se referme, alors que la
tectoriale rampe vestibulaire et la rampe tympanique communiquent par un orifice à tra-
vers les membranes, l’hélicotrème (Fig. 11.8). Le fluide de la rampe vestibulaire
se trouve donc en continuité avec celui de la rampe tympanique. À la base de la
Stria cochlée la rampe vestibulaire bute sur la fenêtre ovale, et la rampe tympanique,
vascularis sur la fenêtre ronde.
Le liquide présent dans la rampe vestibulaire et dans la rampe tympanique
Organe
est appelé périlymphe. Sa composition ionique est semblable à celle du liquide
de Corti céphalorachidien : faible concentration d’ions K+ (7 mM) et forte concentra-
tion d’ions Na+ (140 mM). Le canal cochléaire est rempli d’endolymphe dont
Membrane Rampe les concentrations ioniques sont étonnamment semblables à celles du milieu
basilaire tympanique intracellulaire, avec une forte concentration d’ions K+ (150 mM) et une faible
concentration d’ions Na+ (1 mM), alors qu’il est extracellulaire. Cette diffé-
Figure 11.7 – Les trois canaux parallèles de rence peut s’expliquer par l’activation d’un mécanisme de transport actif de la
la cochlée. stria vascularis (l’endothélium qui tapisse une des parois du canal cochléaire ;
Cette représentation en coupe de la cochlée
voir Fig. 11.7), qui réabsorbe le sodium de l’endolymphe et secrète du potas-
illustre la présence à l’intérieur de la structure
sium dans l’endolymphe contre leurs gradients de concentration. En raison de
de trois fins canaux parallèles. Ces canaux,
ou rampes, sont séparés par la membrane de ces différences de concentration ionique et de la perméabilité de la membrane
Reissner et par la membrane basilaire. L’or- de Reissner, l’endolymphe présente un potentiel électrique d’environ 80 mV
gane de Corti contient les récepteurs auditifs ; plus positif que celui de la périlymphe ; c’est ce qu’on nomme le potentiel
il est localisé sur la membrane basilaire et il endocochléaire, représentant un facteur important qui favorise la transduction
est recouvert par la membrane tectoriale. auditive.
11 – Audition et système vestibulaire 375

Cochlée
déroulée

Apex
Base

Figure 11.8 – Membrane basilaire représen-


Fenêtre ovale tée dans une cochlée déroulée.
Hélicotrème Bien que la cochlée se rétrécisse progres-
Étrier
sivement de la base à l’apex, la membrane
Rampe vestibulaire
basilaire s’élargit, à l’inverse, en allant vers
Membrane basilaire l’apex. L’hélicotrème représente un trou dans
Rampe tympanique
la membrane basilaire, à l’apex de celle-ci,
Fenêtre ronde
reliant les rampes vestibulaire et tympanique.

Physiologie de la cochlée
Malgré la complexité de sa structure, les opérations de base intervenant dans
l’oreille interne sont tout à fait simples. À partir de la figure 11.8 essayons d’ima-
giner ce qui se passe lorsque les osselets font vibrer la membrane qui recouvre
la fenêtre ovale. Ceci fonctionne à la manière d’un piston. La vibration de la
fenêtre ovale repousse d’abord la périlymphe dans la rampe vestibulaire. Si les
membranes se trouvant à l’intérieur de la cochlée étaient totalement rigides,
l’augmentation de la pression s’exerçant sur le milieu liquide au niveau de la
fenêtre ovale se propagerait le long de la rampe vestibulaire, franchirait l’hélico-
trème, et redescendrait le long de la rampe tympanique jusqu’à la fenêtre ronde.
La membrane de la fenêtre ronde serait alors repoussée vers l’extérieur pour
compenser le déplacement de la membrane de la fenêtre ovale vers l’intérieur. Ce
n’est cependant pas exactement ce qui se passe en réalité, mais cette description
montre bien que tout mouvement de la membrane de la fenêtre ovale doit être
associé à un mouvement complémentaire de la membrane de la fenêtre ronde.
Ce mouvement est de fait inévitable car la cochlée est remplie d’un milieu liquide
incompressible se trouvant dans une cavité osseuse rigide. La conséquence de la
pression s’exerçant sur la membrane de la fenêtre ovale est ainsi similaire à ce
qui se passe lorsque l’on exerce une pression sur l’extrémité d’un ballon rempli
d’eau : c’est l’autre extrémité qui se déforme.
Cette description ne correspond cependant pas encore exactement à ce qui
se passe dans la cochlée car les structures à l’intérieur de la cochlée ne sont pas
rigides. En outre, la membrane basilaire est souple et elle s’infléchit en présence
d’ondes sonores.
Sensibilité de la membrane basilaire au son.  La sensibilité aux sons de la
membrane basilaire est déterminée par deux propriétés structurales. D’abord,
la membrane est plus large à l’apex qu’à la base, d’un facteur 5 environ.
Deuxièmement, la rigidité de la membrane diminue de la base à l’apex, la base
étant à peu près 100 fois plus rigide. Cette membrane peut être comparée à
la palme d’un nageur dont la base est étroite et ferme, et l’extrémité large et
souple. En repoussant la partie plate de l’étrier contre la fenêtre ovale, le son
entraîne un déplacement de la périlymphe dans la rampe vestibulaire, mais aussi
de l’endolymphe dans le canal cochléaire puisque la membrane de Reissner est
376 2 – Systèmes sensoriel et moteur

très flexible. Les sons peuvent aussi tirer sur la base de l’étrier, réversant alors
le gradient de pression. Les sons produisent ainsi un incessant mouvement de
va-et-vient de la base de l’étrier, à la manière du piston évoqué ci-dessus.
Les travaux du biophysicien américano-hongrois Georg von Békésy ont
permis de mieux comprendre la sensibilité au son de la membrane basilaire. Von
Békésy a démontré que le mouvement de l’endolymphe fait ployer la membrane
basilaire à sa base en initiant une onde qui se propage vers l’apex. L’onde qui
parcourt la membrane basilaire est semblable à celle qui court le long d’une
corde tendue tenue par la main, et que l’on secoue d’un coup sec (Fig. 11.9).
La distance que l’onde parcourt le long de la membrane basilaire dépend ainsi
de la fréquence du son. Avec les hautes fréquences, la base plus rigide de la
membrane vibre considérablement en dépensant beaucoup d’énergie et l’onde
ne se propage pas très loin (Fig. 11.10a). De même, les ondes sonores à basse
fréquence se propagent jusqu’à l’apex flexible de la membrane avant que toute
l’énergie ne soit épuisée (Fig. 11.10b). La réponse de la membrane basilaire éta-
blit de cette manière un codage de site répertoriant les endroits où la membrane
est la plus distendue en fonction de fréquences différentes du son (Fig. 11.10c).
L’organisation systématique des fréquences des sons codées au sein d’une struc-
ture auditive est dénommée tonotopie, de façon analogue à la rétinotopie du
système visuel. De telles cartes tonotopiques existent à la fois sur la membrane
basilaire et dans chaque noyau auditif du système nerveux central, le corps
genouillé médian (CGM) et le cortex auditif. La différence de distance parcou-
rue en fonction des fréquences sonores détermine le codage de l’information.

Endolymphe
Base
de l’étrier Membrane basilaire

Fenêtre
ronde
Hélicotrème

Figure 11.9 – Trajet des ondes sonores au niveau de la membrane basilaire.


Les déplacements de la base de l’étrier alternativement vers l’intérieur et vers l’extérieur entraînent
des mouvements de l’endolymphe, comme illustré sur le schéma par les flèches vertes. Cela a pour
conséquence de générer une onde qui se déplace le long de la membrane basilaire (la taille de
cette onde est environ 1 million de fois moins importante que celle figurant sur le schéma). À cette
fréquence, 3 000 Hz, les mouvements de l’endolymphe et de la membrane s’arrêtent brutalement à
peu près à mi-distance entre la base et l’apex. Notez que le canal cochléaire n’est pas représenté
sur ce schéma. (Source : adapté de Nobili, Mammano et Ashmore, 1998, Fig. 1.)

Fréquence produisant
Haute fréquence Basse fréquence la déformation maximale

Figure 11.10 – Réponse de la membrane
Apex : large et
basilaire aux stimulations sonores. souple 500 Hz
La cochlée est à nouveau représentée dérou-
lée. (a) Les sons de haute fréquence pro- 1 kHz
duisent une onde qui va se propager sur la Membrane
basilaire 2 kHz
membrane basilaire, mais qui s’atténuera
très vite dans la partie étroite et rigide de la 4 kHz
membrane. (b) Les sons de basse fréquence
produisent une onde qui va se propager 8 kHz
jusqu’à l’extrémité de la membrane, au niveau
de l’apex, avant de se dissiper. La déformation 16 kHz
de la membrane est ici fortement exagérée,
pour une meilleure illustration du phénomène.
Base : étroite
(c) À chaque endroit de la membrane corres- et rigide
pond une fréquence qui produit une déflexion
(a) (b) (c)
maximale.
11 – Audition et système vestibulaire 377

Organe de Corti et structures associées.  Après avoir décrit les transfor-


mations mécaniques de l’énergie sonore dans l’oreille moyenne et interne, il est
nécessaire d’évoquer le rôle des neurones. Les récepteurs auditifs qui conver-
tissent l’énergie mécanique en modifiant la polarisation de leur membrane, se
trouvent localisés dans l’organe de Corti (d’après le nom de l’anatomiste italien
qui l’identifia le premier). L’organe de Corti se compose des cellules ciliées, des
piliers de Corti et d’autres cellules de soutien variées, qui en forment la trame.
Les récepteurs auditifs sont dénommés cellules ciliées car chacune de ces cel-
lules porte de 10 à 300 stéréocils redressés au-dessus de la cellule. Les cellules
ciliées ne sont pas des neurones. Elles ne présentent pas d’axone et, chez les
mammifères, elles ne produisent pas de potentiel d’action. Ce sont des cellules
épithéliales spécialisées. La figure 11.11 montre les cellules ciliées telles qu’elles
apparaissent au microscope électronique à balayage. L’événement critique dans
la conversion du son en message nerveux est représenté par l’inclinaison des cils.
L’étude détaillée de l’organe de Corti permet ainsi de comprendre pourquoi les
cils s’inclinent lorsque la membrane basilaire se déforme.

Lame
réticulaire

Cellule
ciliée
externe

(a)
Stéréocils
Stéréocils des cellules
de cellules ciliées internes
ciliées externes

(b)

Figure 11.11 – Cellules ciliées observées au microscope à balayage.


(a) Les cellules ciliées et leurs stéréocils. (b) Microphotographie à haute résolution des stéréocils
d’une cellule ciliée externe. Les stéréocils ont une longueur d’environ 5 µm. (Source : I. Hunter-­
Duvar et R. Harrison, The Hospital for Sick Children, Toronto, Ontario, Canada.)
378 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Membrane
tectoriale
Lame
réticulaire
Stéréocils

Cellule ciliée
externe

Modiolus

Ganglion spiral
Membrane Piliers Cellules
basilaire de Corti ciliées internes Nerf auditif

Figure 11.12 – Organe de Corti.
La membrane basilaire est la base des tissus qui contiennent à la fois les cellules ciliées internes
et les cellules ciliées externes, ainsi que les piliers de Corti. La membrane tectoriale recouvre les
stéréocils des cellules ciliées.

Les cellules ciliées sont enserrées entre la membrane basilaire et une mince
couche de tissu, appelée la lame réticulaire (Fig. 11.12). Les piliers de Corti se
dressent d’une membrane à l’autre, et forment un support. Les cellules ciliées
situées entre l’axe de la cochlée et les piliers de Corti, sont les cellules ciliées
internes (elles sont au nombre de 4 500 environ, disposées sur un seul rang), et
les cellules situées au-delà des piliers sont dénommées cellules ciliées externes
(environ 12 000 à 20 000 cellules chez l’homme, disposées en 3 rangées). Les sté-
réocils dressés sur les cellules ciliées se prolongent au-delà de la lame réticulaire
dans l’endolymphe pour finir dans la substance gélatineuse de la membrane tec-
toriale (cellules ciliées externes) ou juste au-dessous de cette membrane (cellules
ciliées internes). Pour se souvenir des membranes de l’organe de Corti, on peut
avoir à l’esprit que la membrane basilaire se situe à la base de l’organe de Corti,
que la membrane tectoriale forme un toit sur l’ensemble de la structure, et que la
lame réticulaire se trouve au milieu, reposant sur les cellules ciliées.
Les cellules ciliées forment des synapses sur des neurones dont les corps cel-
lulaires sont localisés dans le ganglion spiral. Les cellules du ganglion spiral sont
bipolaires et leurs neurites se projettent à la base et sur les côtés des cellules
ciliées, où elles reçoivent l’influx synaptique. Les axones des cellules du ganglion
spiral pénètrent dans le nerf vestibulo-auditif (la VIIIe paire de nerfs crâniens),
qui se projette sur les noyaux cochléaires, au niveau bulbaire. Il est aujourd’hui
possible de traiter certaines formes de surdité en implantant de petites prothèses
électroniques pour court-circuiter l’oreille interne et les cellules ciliées et activer
directement les axones du nerf auditif (Encadré 11.2).
11 – Audition et système vestibulaire 379

Encadré 11.2 FOCUS

Comment les sourds peuvent entendre : les implants cochléaires


La cause la plus commune de la surdité chez l’homme microphone qui capte les sons et d’un convertisseur
est liée à un endommagement ou à la mort des cellules pour les transformer en signaux électriques. Ce signal
ciliées (voir Encadré 11.6). Dans la plupart des cas le nerf est envoyé vers un processeur digital. C’est alors qu’un
auditif est intact, faisant qu’il est alors possible de rétablir tout petit émetteur placé sur le scalp transmet le signal à
quelque peu les capacités auditives à l’aide d’un implant un récepteur qui a été préalablement implanté sous la
cochléaire représentant, schématiquement, une cochlée peau, dans l’os mastoïdien situé derrière l’oreille.
électronique. Les fondements de cette technologie Émetteur et récepteur sont maintenus associés par un
remontent à plus de deux siècles lorsque, en 1800, le phy- contact magnétique, faisant qu’aucune électrode ne
sicien Italien Alessandro Volta (d’où provient l’unité de pénètre la peau.
courant électrique, le volt), après avoir découvert la pile Le récepteur traduit le signal reçu en une série d’im-
électrique, s’est inséré les deux bornes d’une pile de 50 volts pulsions électriques qu’il transmet à l’implant cochléaire
dans les oreilles. Voilà comment il décrit le résultat : lui-même, représentant un faisceau d’électrodes très
« Au moment où j’ai établi le circuit, j’ai reçu un choc fines introduites par un tout petit trou à l’intérieur même
dans la tête, et quelques instants après j’ai commencé à de la cochlée (Fig. B). Ce faisceau d’électrodes présente
entendre un son, ou plutôt un bruit indéfinissable dans environ 22  contacts permettant d’activer plusieurs
les oreilles : il s’agissait d’une sorte de craquement, un emplacements du nerf auditif dans la cochlée, de la base
peu comme si de l’eau ou des pâtes bouillaient… Cette à l’apex. La caractéristique principale de cet implant est
sensation désagréable, que j’ai immédiatement pensé qu’il tire profit des propriétés de tonotopie du nerf audi-
être dangereuse pour mon cerveau à cause du choc élec- tif. Ainsi, des stimulations appliquées a la base de la
trique, m’a dissuadé de reproduire cette expérience… » cochlée évoquent une perception de sons équivalents à
(extrait de Zeng FG. Trends in cochlear implants. une stimulation sonore à haute fréquence, et celles inter-
Trends in Amplification 2004 ; 8 : 1-34). venants plus loin vers l’apex, des perceptions de sons de
C’est ainsi que nous vous dissuadons aussi fortement plus basses fréquences.
de rééditer cette expérience chez vous ! En 2012 on considérait qu’il y avait plus de
L’art de la stimulation électrique des oreilles s’est 340 000 porteurs de tels implants cochléaires dans le
évidemment considérablement amélioré depuis l’étrange monde, dont plus de 38 000 concernaient des enfants
expérience de Volta. En fait, au cours de ces dernières américains ; et le succès de cette technologie était tou-
années les implants cochléaires ont révolutionné le trai- jours grandissant. Malheureusement, ces implants sont
tement de la surdité en rapport avec la destruction des encore très onéreux !
cellules ciliées internes. La plupart des prothèses sont Les implants cochléaires peuvent considérablement
actuellement externes (Fig. A). Elles sont formées d’un améliorer les capacités auditives de nombreux sourds.

Bobine Récepteur et stimulateur


transmettrice

Processeur Faisceau d’électrodes relié


à la cochlée

Nerf auditif

Cochlée

Fenêtre ronde Faisceau


d’électrodes

Figure A – Dispositif externe d’un implant cochléaire positionné Figure B – Disposition de l’implant cochléaire à l’intérieur de l’oreille.
au niveau de l’oreille.
380 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 11.2 FOCUS  (suite)

Avec de l’entraînement, les patients peuvent parvenir à adultes devenus sourds après l’acquisition du langage.
une compréhension très correcte du langage parlé, y Pour les adultes dont la survenue de la surdité a pré-
compris au cours de conversations téléphoniques. cédé l’acquisition du langage, les implants cochléaires
Lorsqu’ils écoutent au calme dans une pièce, la plupart ne permettent toutefois que l’accès à des sons relative-
des patients peuvent comprendre plus de 90 % des mots. ment globaux. Dès lors il semble que, comme pour les
Toutefois, les résultats cliniques sont très variables, autres modalités sensorielles, l’expérience de l’audition
pour des raisons qui restent obscures. Les chercheurs soit nécessaire au cours du développement précoce
travaillent à l’amélioration de la technologie de ces pour se mettre en place correctement. Ainsi, même si
implants, en les miniaturisant à l’extrême et en éduquant l’audition est quelque peu rétablie chez l’adulte, le fait
mieux les patients à leur utilisation. qu’elle ait été défectueuse pendant le développement
Les très jeunes enfants sont encore les meilleurs précoce hypothèque le développement normal du sys-
candidats pour ce type d’implants cochléaires (certains tème auditif. Cette considération nous ramène au
sont implantés dès l’âge d’un an) mais de nombreuses concept de période critique (que nous verrons dans le
interventions concernent des enfants plus âgés et des chapitre 23).

Transduction assurée par les cellules ciliées. Lorsque le mouvement de


l’étrier fait vibrer la membrane basilaire, toutes les structures supportant les cel-
lules ciliées vibrent car les piliers de Corti, la lame réticulaire et les cellules ciliées,
sont reliés de façon rigide. Ces structures pivotent à l’unisson en remontant vers
la membrane tectoriale ou en s’en éloignant (Fig. 11.13). Lorsque la membrane
basilaire est déplacée vers le haut, la lame réticulaire remonte vers l’axe de la
cochlée. Inversement, si la membrane basilaire redescend, la lame réticulaire s’en
éloigne. En se rapprochant ou en s’éloignant de l’axe de la cochlée la lame réti-
culaire se déplace vers l’intérieur ou vers l’extérieur, par rapport à la membrane
tectoriale. Comme la membrane tectoriale retient les extrémités des stéréocils,
le mouvement latéral de la lame réticulaire par rapport à la membrane tecto-
riale infléchit les stéréocils sur les cellules ciliées, dans un sens ou dans l’autre.
Les extrémités des stéréocils des cellules ciliées internes sont également orien-
tées de façon similaire, probablement à cause du mouvement de l’endolymphe.
L’alignement des filaments d’actine rend les stéréocils rigides, ce qui fait que ce
n’est qu’à leur base qu’ils s’inclinent, là où ils se trouvent rattachés aux cellules
ciliées. Des filaments croisés relient les stéréocils de chaque cellule ciliée, de sorte
que tous les cils d’une cellule se déplacent ensemble, en un seul mouvement.
Ainsi vous pouvez imaginer comment une onde sonore va provoquer des mou-
vements de la membrane basilaire oscillant entre deux positions, comme celles
schématisées à la figure 11.13 et, par conséquent, les mouvements des cils des
cellules ciliées qui s’inclinent par rapport à la membrane tectoriale.

Membrane Lame Modiolus


tectoriale réticulaire Déplacement
des stéréocils
Stéréocil

(a) Cellules ciliées Membrane Piliers de Cellule ciliée (b) Membrane basilaire
externes basilaire Corti interne déplacée vers le haut

Figure 11.13 – Mouvements des stéréocils produits par le déplacement de la membrane basilaire.


(a) Au repos, les cellules ciliées sont maintenues entre la lame réticulaire et la membrane basilaire, et l’extrémité des stéréocils des cellules ciliées
externes est attachée à la membrane tectoriale. (b) Lorsqu’un son provoque une déformation vers le haut de la membrane basilaire, la lame réticulaire
se déplace vers le haut et vers la partie interne de la cochlée, entraînant un déplacement des stéréocils vers l’extérieur.
11 – Audition et système vestibulaire 381

Le rôle joué par les cellules ciliées dans la conversion de la déformation méca-

Potentiel de récepteur (mV)


4
nique des stéréocils en messages nerveux n’est pas encore connu avec précision.
La cochlée étant enchâssée dans l’os, il est très difficile d’effectuer des enregis- 3

trements des cellules ciliées. Dans les années 1980, A. J. Hudspeth et son équipe 2
alors au California Institute of Technology, ont tenté une nouvelle approche pour
observer in vitro des cellules ciliées de l’oreille interne après les avoir isolées. La 1
méthode d’enregistrement in vitro a fourni un grand nombre d’informations sur
0
le mécanisme de transduction. Les enregistrements des cellules ciliées montrent
ainsi que lorsque les cils sont déplacés dans une direction, la cellule ciliée est –1
dépolarisée, et lorsqu’ils sont déplacés dans l’autre direction, la cellule est hyper-
polarisée (Fig. 11.14a). Lorsqu’une onde sonore provoque le battement des cils – 20 – 10 0 10 20
dans un sens ou dans l’autre, les cellules ciliées génèrent un potentiel de récepteur Déplacement des stéréocils (nm)
qui, alternativement, hyperpolarise et dépolarise la membrane à partir du poten- (a)
tiel de repos, de l’ordre de – 70 mV (Fig. 11.14b).
Pour apprécier l’efficacité de l’oreille, regardez attentivement l’axe des X de Pression
de l’air
la figure 11.14a. Les unités sont en nanomètres (1 nm = 10– 9 m). Le diagramme
illustre le fait que le potentiel de récepteur des cellules ciliées est saturé dès lors
que les stéréocils se sont déplacés de 20 nm sur le côté, ce qui intervient lorsqu’un
son très intense est délivré. A contrario, les sons les plus faibles que nous puis-
Potentiel
sions percevoir déplacent les cils de seulement 0,3 nm de chaque côté. Ceci repré- de
sente une distance incroyablement courte, similaire à environ le diamètre d’un récepteur
gros atome ! Comme chaque stéréocil a lui-même un diamètre d’environ 500 nm
(0,5 μm), un son très doux déplace donc les stéréocils de seulement un millième
de leur propre diamètre et cela suffit pour le percevoir. Mais comment les cellules Temps
ciliées interviennent-elles pour transformer ces phénomènes de si faible énergie (b)
en quelque chose d’audible ?
Figure 11.14 – Potentiel de récepteur des
L’extrémité de chaque stéréocil présente un type particulier de canal ionique cellules ciliées.
dont l’ouverture et la fermeture sont contrôlées par leur inclinaison. Lorsque ces (a) Les cellules ciliées sont dépolarisées ou
canaux de transduction mécanosensibles sont ouverts, un flux ionique entrant hyperpolarisées en fonction de la direction
génère un potentiel de récepteur des cellules ciliées. En dépit d’efforts considé- du déplacement des stéréocils. (b) Le poten-
rables, la nature moléculaire de ces canaux est cependant toujours mal connue. tiel de récepteur est étroitement associé aux
L’une des raisons pour laquelle cette recherche est si difficile, est liée à leur variations de la pression de l’air induites par
rareté. De fait, chaque extrémité des stéréocils ne porte qu’un seul ou deux de un son de basse fréquence.
ces canaux, et une cellule ciliée n’en comporte pas plus de 100. Des expériences
récentes suggèrent que ces canaux ioniques, impliqués dans la transduction du
signal des cellules ciliées, appartiennent à la superfamille des protéines trans-
membranaires (Transmembrane Protein-Like, TMC), mais cette proposition est
discutée, et les travaux sur ce sujet se poursuivent.
La figure 11.15 explique le fonctionnement probable de ces canaux. Chaque
canal est relié par un filament élastique à la paroi du cil adjacent. Lorsque les
cils sont redressés, la tension exercée sur le filament ouvre partiellement le canal,
ce qui permet un flux continu d’ions K+ de l’endolymphe vers la cellule ciliée.
Le déplacement des cils dans une direction accroît la tension sur le filament
qui les relie, augmentant le courant potassique entrant. Le déplacement des cils
dans l’autre direction réduit au contraire la tension sur le filament et le canal se
referme, conduisant à supprimer le courant potassique. L’entrée de potassium
dans la cellule ciliée entraîne sa dépolarisation, ce qui a pour effet de déclencher
l’ouverture des canaux calciques dépendant du potentiel (Fig. 11.15b). L’entrée
de calcium dans la cellule déclenche la libération du glutamate, ce qui a pour
conséquence d’activer les fibres du ganglion spiral en position post-synaptique
par rapport aux cellules ciliées.
Il est intéressant de noter que l’ouverture des canaux potassiques conduit
à une dépolarisation de la cellule ciliée alors que l’ouverture des canaux potas-
siques provoque en général une hyperpolarisation. La différence de sensibilité
entre les cellules ciliées et les neurones s’explique par la concentration excep-
tionnellement élevée d’ions K+ dans l’endolymphe, ce qui donne un potentiel
d’équilibre de 0 mV, comparé au potentiel d’équilibre de l’ordre de – 80 mV des
neurones typiques. Une autre raison pour laquelle le K+ entre dans les cellules
ciliées est la valeur du potentiel endocochléaire, de + 80 mV, qui favorise la créa-
tion d’un gradient de 125 mV au travers de la membrane des stéréocils.
382 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Canal potassique sensible


aux stimulations mécaniques

K+
Endolymphe
K+ K+
K+
K+ Lame
K+ réticulaire

Canal calcique
dépendant
Dépolarisation du potentiel
Stéréocils

Filament Cellule ciliée


Ca2+ interne

K+ Vésicule
contenant un
neurotransmetteur
excitateur

Neurite Périlymphe
d’un neurone
du ganglion spiral
(b)

Figure 11.15 – Dépolarisation des cellules ciliées.


(a) Les canaux potassiques sont activés lorsque les filaments qui associent les stéréocils sont étirés.
(b) L’entrée de potassium dépolarise les cellules ciliées, ce qui entraîne l’ouverture des canaux calciques
dépendant du potentiel. L’entrée de calcium contribue à accentuer la dépolarisation de la cellule, conduisant
à une libération de neurotransmetteur à partir de vésicules synaptiques, ce qui a pour effet d’activer les
­neurites des cellules du ganglion spiral, au niveau post-synaptique.
(a)

Innervation des cellules ciliées. Le nerf auditif est formé par les axones des
neurones dont le corps cellulaire est localisé dans le ganglion spiral. Ces neu-
rones, les premiers sur la voie auditive à émettre des potentiels d’action, four-
nissent toute l’information auditive transmise au cerveau. Il est donc important
de noter qu’il y a une différence considérable entre l’innervation des cellules
ciliées internes et celle des cellules ciliées externes à partir du ganglion spiral. Le
nombre de neurones dans le ganglion spiral est d’environ 35 000 à 50 000. Bien
que le nombre de cellules ciliées externes soit environ trois fois supérieur à celui
Cellules des cellules ciliées internes, plus de 95 % des neurones du ganglion spiral com-
ciliées externes Cellules
ciliées internes muniquent avec le petit nombre relatif des cellules ciliées internes, et moins de
5 % reçoivent des informations par voie synaptique des cellules ciliées externes
alors qu’elles sont beaucoup plus nombreuses (Fig. 11.16). Il en résulte qu’une
fibre du ganglion spiral reçoit des informations d’une seule cellule ciliée interne ;
par ailleurs, chaque cellule ciliée interne communique avec environ dix neurites
du ganglion spiral. C’est l’inverse qui se produit avec les cellules ciliées externes.
Cellules
du ganglion Comme leur nombre est supérieur à celui des cellules du ganglion spiral, une
spiral fibre unique du ganglion spiral forme des synapses avec plusieurs cellules ciliées
Nerf auditif externes.
D’après ces chiffres, il est ainsi possible de conclure que la majeure partie de
Figure 11.16 – Innervation des cellules ciliées l’information provenant de la cochlée est issue des cellules ciliées internes. Mais
à partir des neurones du ganglion spiral. alors, quel est le rôle potentiel des cellules ciliées externes ?
11 – Audition et système vestibulaire 383

Amplification assurée par les cellules ciliées externes. Sachant que le


nombre des cellules ciliées externes est largement supérieur à celui des cellules
ciliées internes, il semble paradoxal que la majeure partie de l’information
cochléaire provienne des cellules ciliées internes. Cependant les recherches en
cours suggèrent que les cellules ciliées externes jouent un rôle très important
dans la transduction du son. Ironiquement, l’une des idées sur le rôle des cellules
ciliées externes est liée à la découverte du fait que l’oreille ne procède pas qu’à
la transformation des sons pour les percevoir, mais qu’elle en produit elle-même
(Encadré 11.3).
Les cellules ciliées externes paraissent se comporter comme de petits moteurs
qui agissent pour amplifier le mouvement de la membrane basilaire lors de sti-
muli sonores de faible intensité. Cette action des cellules ciliées externes sur la
membrane basilaire est connue comme représentant un amplificateur cochléaire.
Deux mécanismes moléculaires ont été identifiés comme contribuant possible-
ment à ce processus. Le premier mécanisme, et le mieux connu, est représenté
par l’existence de protéines motrices situées dans les membranes des cellules
ciliées externes (Fig. 11.17a). Les protéines motrices peuvent modifier la lon-
gueur des cellules ciliées externes, et il a été démontré que la réponse des cellules
ciliées externes est associée à la fois aux variations du potentiel de membrane

Encadré 11.3 FOCUS

Lorsque l’oreille produit des sons : les émissions otoacoustiques


Les systèmes sensoriels sont supposés détecter l’éner- – l’amplificateur cochléaire – pour améliorer la détection
gie délivrée par des stimuli dans l’environnement, mais de sons de l’environnement, mais qui va fonctionner de
pas générer de tels stimuli. Peut-on imaginer nos yeux façon inverse. Normalement, les cellules ciliées externes,
qui voient la nuit ou un nez qui sentirait la rose en per- lorsqu’elles sont stimulées par un clic, réagissent par un
manence ? Et pourtant, qu’en est-il des oreilles qui mouvement bref qui active les fluides cochléaires et les
bourdonnent ? La vérité est que la rétine ne produit pas membranes qui, à leur tour, entraînent les osselets et font
de la lumière et que les récepteurs olfactifs ne génèrent vibrer la membrane tympanique pour produire un son
pas d’odeur mais que certaines oreilles produisent des dans le canal auditif (l’écho). Les émissions otoacoustiques
sons suffisants pour être audibles. Ces sons sont dénom- se produisent car la sensibilité de l’amplificateur cochléaire
més émissions otoacoustiques. Dans l’une de leur des- est très forte. La plupart des gens qui ont une audition nor-
cription initiale, un homme assis près de son chien réa- male peuvent les percevoir dans un environnement excep-
lisa que celui-ci fredonnait ; après un examen quelque tionnellement calme.
peu anxieux de la situation, il découvrit que le son pro- Cependant, des lésions de la cochlée peuvent faciliter
venait de l’une des oreilles du chien. les mouvements spontanés de quelques cellules ciliées
Les oreilles de tous les vertébrés, y compris l’homme, externes, de telle manière qu’elles vibrent spontanément.
peuvent émettre des sons. Si l’on présente un son bref, Étrangement, peu de gens savent que leurs oreilles
tel qu’un clic, à une oreille normale, cela produit un produisent des sons : apparemment les neurones de
­
« écho », qui peut être enregistré à l’aide d’un micro leur système auditif central reconnaissent les activités
inséré dans le conduit auditif. Cet écho n’est en général cochléaires spontanées comme des bruits et suppriment
pas perçu, du fait qu’il est trop faible par rapport aux leur perception. La conséquence, c’est qu’ils n’ont pas
autres sons de l’environnement. d’acouphènes mais que, en revanche, ils peuvent avoir
perdu l’audition dans une certaine gamme de fréquence.
Les oreilles qui produisent des sons relativement
Parce que les émissions otoacoustiques sont une pro-
importants de façon spontanée ont souvent subi des
priété normale des oreilles, elles peuvent aussi être utili-
dommages de la cochlée, par exemple suite à une expo-
sées pour tester leur fonctionnalité. Dans ce cas, une
sition à des sons trop intenses (explosions, machines,
série de sons est délivrée dans les oreilles et les échos
musique trop forte), mais aussi à l’absorption de pro-
qu’ils produisent sont enregistrés et analysés. Les carac-
duits toxiques ou encore à des maladies. Si ces produc-
téristiques de ces échos renseignent sur l’état des oreilles
tions acoustiques sont suffisamment fortes, elles peuvent
interne et moyenne. Ceci est particulièrement utile pour
causer des acouphènes (voir Encadré 11.6).
examiner les capacités auditives de tous ceux qui ne sont
Le mécanisme qui agit à l’intérieur de l’oreille pour pro- pas capables de répondre à la question de savoir s’ils
duire ces sons est le même que celui qui agit normalement entendent, comme les nouveau-nés par exemple.
384 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Réponse normale
(avec amplification cochléaire)
Protéines
motrices
Apex
(forme
développée)

(a)
Membrane basilaire
(c) Base Réponse enregistrée
Membrane tectoriale pendant l’administration
de furosémide
K+ Lame réticulaire (sans amplification cochléaire)
Apex
Protéines motrices
(forme compacte)

Membrane basilaire
Membrane basilaire
(b) (d) Base

Figure 11.17 – Amplification du signal à partir des cellules ciliées externes.


(a) Protéines motrices de la membrane des cellules ciliées externes. (b) Lorsque le potassium entre dans les cellules ciliées, les protéines motrices sont
activées, ce qui a pour effet de provoquer une élongation des cellules ciliées. (c) Les changements conformationnels des cellules ciliées accentuent les
mouvements de la membrane basilaire, ce qui correspond au processus d’amplification cochléaire. (d) L’administration de furosémide réduit la transduction
du signal à partir des cellules ciliées, par la réduction des mouvements de la membrane basilaire (Source : adapté de Ashmore et Kolston, 1994, Fig. 2, 3.)

du récepteur et à un changement de sa longueur (Fig. 11.17b). Ces protéines


motrices ne ressemblent à aucun autre système de mouvement cellulaire connu.
Le fonctionnement de ces protéines est dépendant du potentiel de récepteur et il
n’utilise pas l’ATP comme énergie. Il est aussi extrêmement rapide, puisqu’il doit
être à même de suivre les mouvements induits par les sons de haute fréquence.
Une protéine dénommée prestine (du terme musical presto signifiant rapide)
pourrait être le moteur de ces cellules ciliées. De fait, la prestine est présente
dans la membrane des cellules ciliées externes et elle est nécessaire à leur mou-
vement en rapport avec les sons. Un autre mécanisme moléculaire possible pour
rendre compte de cet amplificateur cochléaire est localisé dans les faisceaux de
ces cils. Dans ce cas, c’est une protéine contractile de type myosine qui est située
à la partie supérieure des filaments associant les cils. La myosine et d’autres pro-
téines apparaissent dès lors comme pouvant amplifier le mouvement des cils en
réponse à des sons de faible intensité. Mais cette idée reste à ce jour controversée.
Comme les cellules ciliées externes sont fixées sur la membrane basilaire et la
lame réticulaire, lorsque les protéines motrices modifient la longueur de la cellule
ciliée, la membrane basilaire se rapproche ou s’éloigne de la lame réticulaire et
de la membrane tectoriale. C’est pourquoi le terme d’effet moteur est utilisé : les
cellules ciliées externes modifient activement les relations entre les différentes
membranes cochléaires.
L’effet moteur des cellules ciliées externes apporte une importante contri-
bution à la propagation de l’onde sonore le long de la membrane basilaire. Ce
fait a été montré en 1991 par Mario Ruggero et Nola Rich de l’Université du
Minnesota, à partir d’expériences dans lesquelles ils administraient un produit
chimique, le furosémide, à des animaux. Le furosémide réduit transitoirement
la transduction qui résulte de la courbure des stéréocils sur les cellules ciliées et
il réduit aussi significativement la sensibilité de la membrane basilaire au son
(Fig. 11.17c, d). La réduction de la vibration de la membrane basilaire produite
par le furosémide proviendrait essentiellement de l’inactivation des protéines
motrices des cellules ciliées externes et de la perte de l’amplificateur cochléaire.
Lorsque les cellules ciliées externes amplifient la réponse de la membrane basi-
laire, les stéréocils des cellules ciliées internes s’inclinent davantage, et l’aug-
mentation concomitante du processus de transduction dans les cellules ciliées
internes accroît la réponse du nerf auditif. En conséquence, par ce système de
rétro-action les cellules ciliées externes contribuent significativement au signal
11 – Audition et système vestibulaire 385

cochléaire. Sans cet amplificateur cochléaire les mouvements les plus amples de
la membrane basilaire seraient environ 100 fois plus faibles.
L’action des cellules ciliées externes sur la réponse des cellules ciliées internes
subit aussi l’influence de neurones, qui n’appartiennent pas à la cochlée. À côté
des afférences du ganglion spiral qui se projettent de la cochlée sur le tronc céré-
bral, il existe environ un millier de fibres efférentes se projetant du tronc cérébral
vers la cochlée. Ces fibres efférentes du cerveau divergent assez pour former des
synapses sur les cellules ciliées externes et elles libèrent de l’acétylcholine. La
stimulation de ces fibres efférentes modifie la forme des cellules ciliées externes
comme nous l’avons vu, ce qui affecte la réponse des cellules ciliées internes.
C’est ainsi que l’information transmise du cerveau à la cochlée pourrait contri-
buer à la régulation de la sensibilité auditive.
Considérant le rôle que jouent les cellules ciliées externes dans l’amplifica-
tion des signaux sonores on s’explique mieux que certains antibiotiques (par
exemple, la kanamycine), en créant des lésions des cellules ciliées, entraînent la
surdité. L’utilisation excessive d’antibiotiques diminue ainsi la sensibilité audi-
tive de nombreuses cellules ciliées internes. Pourtant les antibiotiques sont sur-
tout dangereux pour les cellules ciliées externes et non pour les cellules ciliées
internes ! La surdité due aux antibiotiques serait la conséquence d’une atteinte
de l’amplificateur cochléaire (les cellules ciliées externes), ce qui montre l’impor-
tance de cet amplificateur pour le contrôle de l’audition.
Ainsi la prestine, cette protéine tellement importante pour le mouvement
des cellules ciliées externes, joue également un rôle majeur dans l’amplificateur
cochléaire. De fait, lorsque le gène encodant pour cette protéine est inactivé chez
la souris, les animaux sont pratiquement sourds. Dans ce cas, leurs oreilles sont
environ 100 fois moins sensibles aux sons que dans la situation normale.

Mécanismes centraux
de l’audition
En raison du plus grand nombre de relais synaptiques entre l’organe sen-
soriel et le cortex, la voie auditive paraît plus complexe que la voie visuelle. De
plus, par rapport au système visuel les systèmes de transmission des signaux
d’un noyau à l’autre du cerveau sont plus nombreux. Néanmoins, le traitement
de l’information dans chacun de ces systèmes n’est pas tellement différent si l’on
considère que les cellules et les synapses du système auditif dans le tronc cérébral
sont analogues aux interactions existant dans les différentes couches de la rétine.
Tout au long du circuit auditif, il existe en fait de nombreuses possibilités de
transformation de l’information auditive.

Anatomie des voies auditives


Les fibres issues du ganglion spiral pénètrent dans le tronc cérébral par
le nerf vestibulo-auditif. Dans le tronc cérébral les axones innervent le noyau
cochléaire dorsal et le noyau cochléaire ventral, du côté ipsilatéral par rapport à
la cochlée. Chaque axone se ramifie et va former des synapses sur les neurones
des deux noyaux cochléaires à la fois. Le système se complique ensuite et les
connexions sont moins bien décrites car les voies sont très dispersées. Plutôt
que de tenter de décrire toutes ces connexions, nous avons choisi de suivre le
trajet d’une voie allant des noyaux cochléaires au cortex auditif (Fig. 11.18). Les
cellules du noyau cochléaire ventral projettent des axones sur l’olive supérieure
(appelée aussi noyau olivaire supérieur) de chaque côté du tronc cérébral. Les
axones des neurones olivaires empruntent le lemnisque latéral (un lemnisque est
un faisceau d’axones) et innervent le colliculus inférieur dans le mésencéphale.
De nombreuses efférences du noyau cochléaire dorsal suivent un trajet semblable
mais la voie dorsale contourne l’olive supérieure. Bien qu’il y ait d’autres voies
entre les noyaux cochléaires et le colliculus inférieur avec d’autres relais intermé-
diaires, toutes les voies auditives ascendantes convergent vers le colliculus inférieur.
386 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex
3
auditif

Cortex
auditif

3 CGM

CGM
Colliculus
2
inférieur
Colliculus
inférieur 3

2
Lemnisque
latéral Lemnisque
latéral
Noyau cochléaire
dorsal
2
Olive Noyau cochléaire
1
supérieure ventral
1

Noyau Olive
1 cochléaire 1 supérieure
ventral

Nerf auditif

Nerf
auditif

Ganglion
Ganglion Cochlée spiral
spiral

Figure 11.18 – Voies auditives.
Les signaux auditifs transformés dans la cochlée sont véhiculés à partir des neurones sensoriels
du ganglion spiral vers le cortex auditif via différentes voies neuronales. Le schéma de gauche pré-
sente la voie auditive principale et les structures du tronc cérébral impliquées, à droite. Notez que
pour des raisons de simplification, seules sont représentées les connexions neuronales recevant
des informations auditives d’une seule oreille.

Les neurones du colliculus projettent leurs axones vers le corps genouillé médian
(CGM) du thalamus, qui se projette à son tour sur le cortex auditif.
Avant d’évoquer les propriétés des neurones du système auditif, il est néces-
saire de préciser certains points :
1. dans le tronc cérébral il existe des projections et des noyaux qui ne sont
pas mentionnés ci-dessus, mais qui contribuent à la transmission auditive.
Ainsi le colliculus inférieur envoie des axones non seulement vers le CGM
mais aussi vers le colliculus supérieur (qui représente ainsi un lieu d’inté-
gration de l’information visuelle et auditive) et dans le cervelet ;
11 – Audition et système vestibulaire 387

2. les voies auditives se caractérisent par l’existence de nombreux méca-


nismes de rétrocontrôle de leur activité. Par exemple, les neurones du tronc
cérébral envoient des axones qui sont connectés avec les cellules ciliées
externes, et le cortex auditif innerve le CGM et le colliculus inférieur ;
3. chaque noyau cochléaire ne reçoit l’information auditive que d’une seule
oreille, du côté ipsilatéral ; tous les autres noyaux auditifs du tronc cérébral
recueillent au contraire l’information issue des deux oreilles. Ceci explique
qu’une lésion du tronc cérébral ne provoque la 
surdité d’une seule oreille
que si les noyaux cochléaires (ou le nerf auditif) sont détruits du côté de
cette oreille.

Propriétés des neurones de la voie auditive


Les transformations des signaux auditifs qui interviennent dans le tronc céré-
bral sont en relation avec la nature des informations provenant des neurones
du ganglion spiral de la cochlée. Étant donné que la plupart des cellules du
ganglion spiral ne reçoivent l’information que d’une seule cellule ciliée interne à
partir d’un site particulier de la membrane basilaire, elles ne génèrent des poten-
tiels d’action qu’avec certaines fréquences sonores. Les cellules ciliées sont exci-
tées par les déformations de la membrane basilaire et, comme cela a déjà été
mentionné, chaque partie de la membrane est plus particulièrement sensible à
certaines fréquences bien précises.
La figure 11.19 illustre un enregistrement des potentiels d’action dans une
seule fibre du nerf auditif (c’est-à-dire l’axone d’une cellule du ganglion spiral).
La courbe représente la fréquence de décharge de la fibre en fonction de stimuli
sonores de différentes fréquences. Le neurone est particulièrement sensible à une
fréquence donnée, que l’on nomme la fréquence caractéristique, et il est moins
sensible aux fréquences proches. Cette spécificité de fréquence est une caractéris-
tique des neurones de chaque relais présent de la cochlée au cortex.
En suivant la voie auditive dans le tronc cérébral, les réponses deviennent
plus variées et plus complexes, comme dans la voie visuelle. Ainsi certaines
cellules des noyaux cochléaires sont particulièrement sensibles aux sons dont
la fréquence varie avec le temps. Dans le CGM, quelques cellules répondent
à des sons assez complexes, par exemple des vocalises, et d’autres cellules ont
une spécificité de fréquence unique, comme celles du nerf auditif. Dans l’olive
supérieure intervient un phénomène important : les cellules sont activées par les
noyaux cochléaires, à partir des deux côtés du tronc cérébral. Comme on le verra
plus loin, ces neurones qualifiés de binauraux, qui répondent à la stimulation des
deux oreilles, jouent probablement un rôle important pour la localisation du son.

Fréquence
caractéristique

Réponses à
Nombre de potentiel d’action

des stimulations
150 de forte intensité
Réponses à
par seconde

des stimulations
100
de faible intensité Figure 11.19 – Réponse d’une fibre du nerf
auditif, en fonction de stimulations sonores
50 de différentes fréquences.
L’intensité de la réponse de cette fibre du nerf
auditif dépend de la fréquence des sons. La
0 réponse est maximale pour une fréquence dite
500 1000 1500 2000 2500 3000 « caractéristique ». (Source : adapté de Rose,
Fréquence (Hz) Hind, Anderson et Brugge, 1971, Fig. 2.)
388 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Codage de l’intensité
et de la fréquence sonores
Lorsque cesse toute préoccupation, l’individu peut concentrer son attention
sur les sons de l’environnement. Il est alors possible d’entendre des sons igno-
rés jusque-là, et certains peuvent être sélectionnés parmi plusieurs survenant au
même moment. Les sons, par nature, sont très variés : le bavardage des gens, le
bruit des voitures, la radio, ou encore les sons des multiples appareils électriques
et jusqu’à ceux générés par notre propre corps. La perception de chacun de ces
sons ne peut évidemment pas être associée spécifiquement à certains neurones
particuliers du cerveau. Cependant, les sons ont des traits communs comme
l’intensité, la fréquence ou la source d’origine. Chacune de ces caractéristiques
du son est alors représentée dans la voie auditive de façon différente.

Intensité du stimulus
Les informations concernant l’intensité du son sont codées par deux événe-
ments en étroite relation : la fréquence de décharge des neurones et le nombre
de neurones activés. Lorsque l’intensité d’un stimulus sonore augmente, la
membrane basilaire vibre avec une amplitude plus grande, provoquant une
dépolarisation ou une hyperpolarisation plus forte du potentiel de membrane
des cellules ciliées activées. Ceci déclenche des décharges plus fortes dans les
fibres nerveuses qui forment une synapse avec les cellules ciliées. Sur le schéma de
la figure 11.19, la fibre du nerf auditif décharge plus fortement pour les mêmes
fréquences sonores lorsque l’intensité du son augmente. De plus, avec des sti-
muli plus intenses, les vibrations s’étendent sur une plus grande surface de la
membrane basilaire, ce qui provoque l’activation d’un plus grand nombre de
cellules ciliées. Dans une seule fibre du nerf auditif, l’augmentation du nombre
de cellules ciliées activées se traduit par une plus grande échelle des fréquences
auxquelles la fibre est sensible. Le nombre de neurones activés dans le nerf audi-
tif (et tout le long de la voie auditive) et leurs fréquences de décharge sont ainsi
supposés représenter les corrélats nerveux de la perception auditive.

Fréquence du stimulus, tonotopie,


et corrélation de phase
Des cellules ciliées de la cochlée au cortex auditif en passant par les relais de
noyaux variés, la plupart des neurones sont sensibles à la fréquence du stimu-
lus et se trouvent particulièrement sensibles à la fréquence caractéristique. Mais
comment la fréquence du stimulus est-elle représentée dans le système nerveux ?
Tonotopie.  La sensibilité à la fréquence des sons est largement associée aux
propriétés mécaniques de la membrane basilaire, car les différentes fréquences
sonores provoquent une déformation maximale de différentes parties de la
membrane. Depuis la base jusqu’à l’apex de la cochlée, il existe une diminu-
tion progressive de la fréquence qui produit une déformation maximale de la
membrane basilaire. Ceci est un exemple de la tonotopie évoquée plus haut. Une
telle représentation tonotopique est également présente dans le nerf auditif ; les
fibres du nerf vestibulo-auditif connectées avec les cellules ciliées situées près
de la membrane basilaire apicale sont sensibles à de basses fréquences sonores
caractéristiques, et celles qui sont connectées avec les cellules ciliées près de la
base de la membrane basilaire sont sensibles à de plus hautes fréquences carac-
téristiques (Fig. 11.20). Il en est de même pour les neurones du nerf vestibulo-­
auditif reliés au noyau cochléaire, en fonction de la fréquence caractéristique.
Des neurones proches présentent des fréquences caractéristiques semblables et
il se trouve une relation systématique entre la localisation des neurones dans le
noyau cochléaire et la fréquence caractéristique. En d’autres termes, il existe
une cartographie de la membrane basilaire dans les noyaux cochléaires. En rai-
son de la tonotopie présente dans l’ensemble du système auditif, la localisation
11 – Audition et système vestibulaire 389

Apex Fréquence Antérieur


Cochlée caractéristique :
Cellules ciliées Figure 11.20 – Représentation tonotopique
Membrane 1 kHz
au niveau de la membrane basilaire et du
basilaire noyau cochléaire.
De la base à l’apex de la cochlée, la réponse de
4 kHz
la membrane basilaire varie avec la fréquence
du son ; la base étant plus sensible aux hautes
16 kHz fréquences, et l’apex aux basses fréquences.
Cette tonotopie est préservée dans le nerf
auditif et le noyau cochléaire. À ce niveau, il
existe des populations de neurones présen-
tant les mêmes fréquences caractéristiques ;
Noyau
les fréquences caractéristiques augmentent
Base Ganglion Nerf
spiral auditif cochléaire progressivement, des parties postérieures aux
Postérieur régions antérieures du noyau.

des ­neurones activés dans les noyaux auditifs est une indication de la fréquence
sonore. Cependant, pour deux raisons il est nécessaire que la fréquence soit codée
différemment qu’en terme simple de site de l’activation maximale sur les cartes
tonotopiques. L’une de ces raisons est que sur ces cartes il n’y a pas de neurone
avec de très basses fréquences caractéristiques, inférieures à environ 200 Hz. De
ce fait, il en résulte que le site d’activation maximale pourrait être le même avec
des sonorités de 50 Hz ou de 200 Hz, et il faut pourtant qu’une distinction soit
possible. La deuxième raison de penser qu’il existe un phénomène autre que la
tonotopie est que, comme cela apparaît sur la figure 11.19, la déformation maxi-
male d’une partie de la membrane basilaire dépend de l’intensité du son, en plus
de la fréquence sonore. À une fréquence donnée, un son plus intense provoquera
une déformation maximale en un point plus éloigné de la base de la membrane
que ne le fera un son moins intense.
Corrélation de phase.  La principale source d’information concernant la fré-
quence du son, qui vient en complément de l’information donnée par les cartes
tonotopiques, concerne la relation qui existe entre la décharge neuronale et les
caractéristiques temporelles des ondes sonores. Les enregistrements de neurones
du nerf auditif révèlent une corrélation étroite de cette décharge avec différentes
phases de l’onde sonore, c’est-à-dire que la décharge d’une cellule se trouve tou-
jours ajustée à la même phase de l’onde sonore (Fig. 11.21). C’est ce que l’on
nomme la corrélation de phase. Si une onde sonore est par exemple représen-
tée comme une variation sinusoïdale de la pression de l’air, un neurone présen-
tant une telle corrélation de phase déchargerait soit au pic, soit au creux, ou à
tout autre point constant de l’onde. Aux basses fréquences, certains neurones
génèrent effectivement des potentiels d’action chaque fois que l’onde sonore
atteint une phase particulière du cycle de l’onde sonore (Fig. 11.21a). Il est ainsi
apparemment facile de déterminer la fréquence du son : elle est semblable à la
fréquence de décharge des neurones.
Il est cependant important de savoir que ce type de corrélation peut survenir
même si des potentiels d’action ne sont pas générés à chaque cycle (Fig. 11.21b).
Par exemple, la réponse d’un neurone à un stimulus de 1 000 Hz peut être corré-
lée avec le son, de sorte qu’un potentiel d’action survient dans environ 25 % des
cycles ; avec un groupe de tels neurones, chacun répondant à des cycles différents
du son, il est possible d’obtenir une réponse pour chaque cycle (chaque neurone
de la population répondant à son tour), et donc une mesure de la fréquence du
son. L’idée selon laquelle les fréquences intermédiaires sont représentées par
l’activité d’une population de neurones, chacun présentant un processus de cor-
rélation avec une phase du cycle, est le principe de la volée afférente. La corré-
lation de phase survient avec des ondes sonores dont la fréquence sonore peut
aller jusqu’à 5 kHz. Au-delà, les potentiels d’action sont générés au hasard et ne
sont plus corrélés avec les phases de l’onde sonore (Fig. 11.21c) car la variabilité
de la coordination des potentiels d’action devient comparable à la variabilité
de l’intervalle de temps existant entre les cycles successifs de l’onde sonore. En
390 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Onde sonore de basse fréquence

Réponse
corrélée à
chaque cycle
du stimulus
(a) sonore

Réponse
corrélée
partiellement
avec les cycles
du stimulus
(b)
sonore
Figure 11.21 – Corrélation de phase de la
décharge des fibres du nerf auditif avec les Onde sonore de haute fréquence
caractéristiques du son.
Les sons de basse fréquence déclenchent
des décharges des fibres du nerf auditif cor-
rélées à certaines caractéristiques des sons :
par exemple (a) une décharge intervient à
un moment bien précis de chaque cycle du
stimulus, ou (b) à des fractions de cycles. À Réponse
haute fréquence, (c) les réponses paraissent non corrélée
ne plus être corrélées à une phase particulière au stimulus
(c) sonore
du stimulus.

d’autres termes, les ondes sonores sont trop rapides pour qu’elles puissent être
directement codées à la fréquence de décharge d’un seul neurone. Au-delà de
5 kHz, les fréquences sont ainsi représentées seulement par la tonotopie.
De nombreux neurones du tronc cérébral présentent des propriétés membra-
naires qui leur confèrent la capacité de répondre précisément en fonction du
moment où intervient l’activation synaptique. De telles adaptations à ce
« timing » sont particulièrement développées dans les neurones des noyaux
cochléaires, comme cela a été démontré par les travaux de Donata Oertel et ses
collègues à l’Université du Wisconsin (Encadré 11.4).
En conclusion, les neurones du tronc cérébral ont des caractéristiques qui
leurs permettent une représentation précise des différentes fréquences sonores. À
très basses fréquences, c’est la corrélation de phase qui représente le mécanisme
de codage ; pour des fréquences intermédiaires, le codage implique à la fois la
tonotopie et la corrélation de phase ; et aux fréquences les plus élevées la tono-
topie seule permet une bonne appréciation des fréquences sonores.

Mécanismes de la localisation
des sons dans l’espace
L’analyse de la fréquence est un élément essentiel de l’interprétation des sons
de notre environnement, mais la localisation du son présente une importance
critique pour la survie. En effet, si un prédateur s’apprête à se jeter sur vous, il est
plus utile de connaître la source du bruit soudain et de s’enfuir que d’analyser les
subtilités du son. L’homme ne craint plus réellement les bêtes sauvages mais dans
d’autres situations la localisation du son peut lui sauver la vie : lorsque l’on tra-
verse la rue sans faire attention, la localisation de l’avertisseur d’une voiture peut
vous sauver la vie. Ce que nous savons des mécanismes permettant la localisation
du son laisse penser que la localisation du son dans le plan horizontal (de gauche
à droite) et dans le plan vertical (de haut en bas) dépend de processus différents.
11 – Audition et système vestibulaire 391

Encadré 11.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Capturer le rythme
Par Donata Oertel

S’il est indéniable que les potentiels En 1979, avec Bill Rhode et Phil Smith,
d’action émis par les neurones sont le vec- nous nous sommes attaqués à cette ques-
teur de l’information cérébrale, force est de tion en procédant à des enregistrements
constater que les bases de temps qui intracellulaires chez des chats anesthésiés,
régissent l’émission de ces signaux varient mais ces expériences étaient particulière-
considérablement. Les neurones des noyaux ment difficiles. L’une des difficultés était
auditifs du tronc cérébral peuvent déchar- d’atteindre les noyaux cochléaires du tronc
ger avec une précision supérieure à 200 μs. cérébral, situés entre le cervelet, l’oreille
A contrario, certains neurones corticaux interne et la mâchoire. Une autre difficulté
répondant à des stimuli identiques sont était liée au fait que cette région du tronc
Donata Oertel
jusqu’à une centaine de fois moins précis. cérébral était animée de petits « battements »,
Dans le système auditif, le timing des décharges confère en rapport avec les variations de pression artérielle ou
des informations importantes sur le diapason des sons et encore simplement de la respiration, rendant les enre-
sur leur direction d’origine. gistrements intracellulaires très instables. En 1980, j’ai
Dans les années 1960, les ordinateurs ont permis des réalisé que je pouvais peut-être m’affranchir de ces dif-
analyses plus précises des relations entre les phases des ficultés en procédant à des enregistrements intracellu-
ondes des sons et la décharge des neurones. Ces études, laires de l’activité de ces neurones à partir de coupes de
dont certaines effectuées par des collègues de l’Univer- tronc cérébral. Dans des expériences réalisées ex-vivo,
sité du Wisconsin, ont révélé que les neurones auditifs cette méthode était utilisée avec succès pour étudier
encodent la fréquence des sons non seulement par leur l’activité de neurones de l’hippocampe et du tronc céré-
position sur la carte tonotopique, mais également par bral chez le poussin. J’ai alors mis au point une méthode
une décharge en phase avec les sons, par un mécanisme d’enregistrement des neurones cochléaires à partir de
de corrélation de phase. Toutefois, cette dimension tem- coupes de tronc cérébral de souris. Évidemment, cette
porelle du codage n’est plus fonctionnelle à des fré- préparation m’a demandé une longue mise au point. Il
quences supérieures à 5 kHz, du fait d’une imprécision fallait en particulier apprendre comment retirer le tronc
de la décharge neuronale lorsque les périodes des ondes cérébral sans trop étirer le nerf vestibulo-auditif, opti-
sont inférieures à 200 μs. miser la composition du milieu de survie des coupes de
La corrélation de phase présente un réel intérêt pour cerveau frais, et enfin arriver à oxygéner suffisamment
des sons de faible fréquence. Notre capacité impression- les coupes de tronc cérébral sans perturber la pénétra-
nante de pouvoir distinguer des sons à des fréquences tion des neurones par les microélectrodes. L’une des
aussi proches que celles distinguant des sons de 1  000  Hz, premières choses que j’ai découverte est que certains
de ceux de 1 002 Hz, dépend clairement de ce méca- neurones auditifs présentent des résistances membra-
nisme intervenant dans les neurones du tronc cérébral. naires exceptionnellement basses et des constantes de
Les neurones dont la décharge se trouve ainsi corrélée à temps très rapides. De telles propriétés m’ont aidé à
une phase donnée de l’onde sonore, détectent par ce générer des stimuli très rapides, transmettant aux neu-
biais le moment précis de l’arrivée relative de chaque rones une information avec un timing très précis. Les
cycle du son dans les deux oreilles, et ce mécanisme est neurones auditifs présentent la caractéristique unique
important pour la localisation de l’origine des sons dans de transférer une information très rapide. Les synapses
le plan horizontal. quant à elles génèrent des courants exceptionnellement
Mais alors comment imaginer que les neurones audi- amples au travers des récepteurs glutamatergiques
tifs puissent véhiculer l’information auditive avec une ionotropiques parmi les plus rapides, ce qui conduit à
telle précision de 200 μs au travers de voies polysynap- dépolariser très vite les neurones présentant une faible
tiques complexes (des cellules ciliées au ganglion spiral, résistance membranaire.
en passant par les neurones du noyau cochléaire, L’une des propriétés très particulière de quelques
jusqu’aux neurones de l’olive supérieure), seulement neurones auditifs est leur capacité de détection de coïnci-
grâce à des potentiels d’action ou des potentiels synap- dences, c’est-à-dire de détection du moment où deux
tiques dont la durée est de l’ordre de la milliseconde ? « inputs » arrivent exactement au même moment sur le
Pour réaliser cette performance, la décharge des neu- neurone. Deux groupes de neurones auditifs, des neu-
rones post-synaptiques doit impérativement suivre rapi- rones spécifiques du noyau cochléaire et les cellules
dement celle des éléments présynaptiques et sans qu’une principales de l’olive supérieure, représentent de ce point
quelconque variation de délai intervienne. de vue d’excellents détecteurs de coïncidences. Nace
392 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 11.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Golding, Ramazan Bal et Michael Ferragamo, dans plus lente (relayant les sons de plus basse fréquence)
mon laboratoire, ont pu démontrer que ces neurones contactent plutôt les régions proches du soma. Comme
particuliers du noyau cochléaire présentaient des canaux les PPSE mettent du temps pour transiter des dendrites
ioniques sensibles au potentiel tout à fait exceptionnel, vers le soma, différents sites synaptiques peuvent com-
conférant à ces cellules de très courtes constantes de penser le délai intervenant dans la cochlée, permettant à
temps et leur permettant de détecter des événements ces neurones particuliers du noyau cochléaire de perce-
survenant dans des délais inférieurs à la milliseconde. voir des sons complexes de façon simultanée et de les
Nace et moi-même étions embarrassés par le fait que traduire ainsi en un seul potentiel d’action. Lorsque
les potentiels synaptiques se somment pourtant sur la Nace a monté son propre laboratoire, il s’est focalisé sur
base de millisecondes, et que, y compris dans les noyaux les neurones de l’olive supérieure qui présentent les
auditifs, les messages afférents du nerf auditif ne soient mêmes propriétés lorsque des sons sont transmis par les
que les informations traduites par la cochlée avec une deux oreilles à la fois. Il démontra alors que l’organisa-
base de temps supérieure à plusieurs millisecondes. tion de base de ces noyaux était très similaire à ce que
McGinley nous a aidés à résoudre cette énigme. Les cel- nous avions décrit pour les détecteurs de coïncidence des
lules en question du noyau cochléaire se caractérisent par noyaux cochléaires. Les deux types de neurones pré-
le fait qu’elles étendent leurs dendrites dans une seule sentent des canaux ioniques spécialisés qui les rendent
direction. De ce fait, le soma de ces cellules envoie des très rapides. Tous ces neurones utilisent des propriétés
dendrites de telle manière que le nerf auditif respecte son dendritiques particulières qui leur permettent de détecter
organisation tonotopique, c’est-à-dire que les messages les PPSE arrivant simultanément ; et l’ensemble de ces
synaptiques les plus rapides (en rapport avec les sons de neurones – qu’il est toujours aussi difficile d’enregistrer
haute fréquence) s’articulent sur les dendrites les plus in vivo ! – ont la capacité d’intégrer ces messages affé-
distales, alors que les informations transmises de façon rents sans interférence avec leur propre décharge.

Les yeux fermés et une oreille obturée, il est toujours possible de localiser
l­’oiseau qui chante et vole au-dessus de nous, presque comme si on entendait
avec les deux oreilles. Mais si on tente de localiser le canard qui cancane sur
l’étang à côté de nous, cela est beaucoup moins facile avec une seule oreille. Ces
exemples simples montrent ainsi qu’une bonne localisation du son dans le plan
horizontal repose sur la comparaison des sons atteignant les deux oreilles, ce qui
n’est pas le cas de la localisation dans le plan vertical.

Localisation des sons dans le plan horizontal


L’indication la plus évidente de la localisation d’une source sonore est sans
doute le temps que met le son à parvenir à chaque oreille. L’homme a deux
oreilles et si la source ne se situe pas directement face à lui, le son mettra plus
de temps à parvenir à l’une des deux oreilles par rapport à l’autre. Par exemple,
si un bruit soudain provient de la droite, l’oreille droite l’entendra en premier
(Fig. 11.22a) ; il parviendra à l’oreille gauche plus tard, après ce que l’on appelle
un délai interaural. Si la distance entre les deux oreilles est de 20 cm, le son pro-
venant de la droite perpendiculairement à la tête atteindra l’oreille gauche 0,6 ms
après avoir atteint l’oreille droite. Si le son vient de face, le délai interaural est
supprimé ; et avec des angles situés entre la position de face et la position perpen-
diculaire, le délai varie entre 0 et 0,6 ms (Fig. 11.22b). Il existe donc une relation
simple entre la localisation de la source du son et le délai interaural. Ce délai
est détecté par des neurones particuliers du tronc cérébral et permet de locali-
ser la source sonore dans le plan horizontal. Les délais interauraux que nous
sommes capables d’apprécier sont incroyablement brefs. En général, il est pos-
sible de détecter la direction des sons dans le plan horizontal avec une précision
de l’ordre de 2°. Ceci nécessite de pouvoir discriminer un délai de 11 μs corres-
pondant à la différence du temps mis par le son pour atteindre les deux oreilles.
11 – Audition et système vestibulaire 393

Propagation
des ondes
sonores

(a)

0 ms

0,3 ms

Figure 11.22 – Importance du délai interaural dans la localisation des sons.


(a) Les ondes sonores venant du côté droit atteignent d’abord l’oreille droite, et il existe un délai
0,6 ms
interaural significatif avant que le son n’atteigne l’oreille gauche. (b) Si le son vient droit devant,
il atteint simultanément les deux oreilles et dans ce cas il n’existe pas de délai interaural. Le
schéma illustre la situation pour des sons provenant de trois directions différentes ; le délai inter­
aural varie à l’extrême entre 0 et 0,6 ms.
(b)

Dans le cas où l’on ne perçoit pas le moment exact où débute un son parce
qu’il s’agit d’une sonorité continue plutôt que d’un bruit soudain, il n’est pas
possible de connaître le moment précis où le son parvient aux oreilles. Les sono-
rités continues posent un problème dans la localisation de l’origine de sons car
elles sont constamment présentes au niveau des deux oreilles. Il est cependant
possible d’utiliser le temps d’arrivée à l’oreille pour localiser le son mais différem-
ment que dans le cas d’un bruit soudain. La seule comparaison possible entre les
sonorités continues correspond au temps auquel la même phase de l’onde sonore
parvient à l’oreille. Imaginons par exemple un son de 200 Hz provenant de la
droite. À cette fréquence un cycle de l’onde sonore couvre 172 cm, c’est-à-dire
une distance très largement supérieure à celle des 20 cm qui séparent les deux
oreilles. Après l’occurrence d’un pic de l’onde sonore dans l’oreille droite il faut
environ 0,6 ms – le temps nécessaire au son pour parcourir 20 cm – avant de
détecter un pic au niveau de l’oreille gauche. Bien entendu, si la source sonore se
situe droit devant, les pics de l’onde sonore atteindront les deux oreilles simul-
tanément. Comme l’onde sonore est beaucoup plus longue que la distance entre
les oreilles, le délai interaural représente dans ce cas une information fiable pour
déterminer la position de la source sonore.
Cependant, les choses sont encore plus compliquées avec des sonorités conti-
nues à hautes fréquences. Supposons que le son qui provient de la droite ait
maintenant une fréquence de 20 000 Hz, ce qui signifie qu’un cycle de l’onde
sonore parcourt 1,7 cm. Lorsque le pic atteint l’oreille droite, faut-il encore
0,6 ms pour qu’un pic parvienne à l’oreille gauche ? Il n’en est évidemment rien
et il faudra beaucoup moins de temps car de nombreux pics de cette onde à haute
fréquence surviennent entre les deux oreilles. Il n’y a donc plus de relation simple
entre le lieu d’origine du son et le moment où les pics de l’onde sonore atteignent
les oreilles. Le temps d’arrivée interaural ne suffit alors plus pour localiser les
sons avec ces fréquences si élevées qu’un cycle de l’onde sonore est plus petit que
la distance entre les deux oreilles (c’est-à-dire supérieure à environ 2 000 Hz).
394 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Par chance, dans le cerveau la localisation des hautes fréquences sonores se


Zone affectée fait aussi par un autre processus : la différence d’intensité interaurale. Une telle
par la présence
de la tête différence d’intensité interaurale entre les deux oreilles est présente parce que
la tête agit comme une sorte d’écran pour la propagation du son (Fig. 11.23). Il
Ondes
existe ainsi une relation directe entre la direction de l’origine du son et l’étendue
sonores de l’ombre portée sur l’onde sonore par la tête. Si le son provient directement
de la droite, l’intensité sera significativement plus faible au niveau de l’oreille
gauche (Fig. 11.23a) ; si le son vient de face, il parvient aux deux oreilles avec la
même intensité (Fig. 11.23b) ; et si les sons présentent des orientations intermé-
diaires, ils parviennent aux oreilles avec des différences d’intensité intermédiaires
(Fig. 11.23c). C’est ce qui permet aux neurones sensibles à l’intensité de localiser
l’origine du son. Cependant, l’analyse de l’intensité ne peut pas servir à loca-
(a) liser les sons de très faibles fréquences car les ondes sonores, à ces fréquences,
sont diffractées tout autour de la tête, et l’intensité est pratiquement la même au
Ondes niveau des deux oreilles. Le phénomène d’ombre portée n’existe pas avec les sons
sonores de basses fréquences.
En résumé, il y a deux processus de localisation du son dans le plan horizon-
tal : à des intensités de 20 à 2 000 Hz, le processus repose d’abord sur le délai
interaural, et de 2 000 à 20 000 Hz, c’est la différence d’intensité interaurale qui
est prise en compte. Ces deux processus réunis sont à l’origine de ce que l’on
nomme la théorie double de la localisation du son.
Zone affectée
par la présence
Sensibilité des neurones binauraux à la localisation des sons. Rappelons-
de la tête nous que seuls les neurones des noyaux cochléaires reçoivent des afférences du
nerf vestibulo-auditif situé du même côté. Toutes ces cellules sont donc monau-
rales c’est-à-dire uniquement sensibles au son dirigé vers une seule des deux
(b) oreilles. Cependant, toutes les étapes plus tardives du traitement de l’informa-
tion auditive sont associées à des neurones binauraux, répondant au son qui par-
vient aux deux oreilles. Les caractéristiques de réponse des neurones binauraux
Ondes
sonores suggèrent ainsi qu’ils jouent un rôle important dans la localisation du son dans
le plan horizontal.
Zone affectée
par la présence L’olive supérieure est la première structure où l’on trouve des neurones
de la tête binauraux. Bien que la relation entre l’activité de ces neurones et la localisation
comportementale du son reste controversée, les corrélations sont indéniables.
Les neurones de l’olive supérieure reçoivent les informations issues des noyaux
cochléaires des deux côtés du tronc cérébral (voir Fig. 11.18). Les cellules des
noyaux cochléaires qui se projettent sur l’olive supérieure répondent de façon
caractéristique par une corrélation de phase aux informations sonores de faibles
fréquences. Par conséquent, les neurones olivaires recevant les informations des
noyaux cochléaires droit et gauche, évaluent instantanément le délai interaural.
(c) Les enregistrements pratiqués dans l’olive supérieure démontrent que les neu-
rones répondent typiquement à un délai interaural donné (Fig. 11.24). Comme
Figure 11.23 – Importance de la différence le délai interaural varie avec la direction du son, chacun de ces neurones pourrait
d’intensité interaurale dans la localisation dès lors encoder une position particulière dans le plan horizontal.
des sons. Mais comment un circuit neuronal peut-il fournir des neurones sensibles à
(a) Pour des stimulations sonores de haute fré-
un délai interaural ? La clé est d’utiliser les axones comme lignes de délais et de
quence, la tête représente un écran qui s’op-
pose à la propagation des sons. Le schéma
mesurer très précisément ces petits délais. Un son qui atteint l’oreille gauche
illustre la situation dans le cas où les sons pro- déclenche une série de potentiels d’action du noyau cochléaire gauche, ce qui
viennent de la droite. Les sons de faible inten- se traduit par leur propagation jusqu’à l’olive supérieure (Fig. 11.25). Avec un
sité n’atteignent pas l’oreille gauche. (b) Si les retard de 0,6 ms, le son atteint maintenant l’oreille droite (en faisant l’hypothèse
sons viennent droit devant, la tête fait toujours que le son provient de la gauche) et déclenche à son tour une volée de potentiels
écran mais n’affecte pas les oreilles qui per- d’action dans le noyau cochléaire droit. Du fait de l’organisation particulière
çoivent également les signaux sonores, avec des axones au sein de l’olive supérieure, les potentiels d’action de ces noyaux des
la même intensité. (c) Les sons provenant deux côtés du cerveau atteignent leurs cibles respectives après des temps diffé-
d’une direction oblique par rapport à la tête rents. Par exemple, comme illustré sur la figure 11.25, l’activité de l’axone issu du
affectent partiellement l’oreille gauche, dans noyau cochléaire gauche met plus de temps pour atteindre le neurone 3 de l’olive
ce cas, compte tenu de la position des oreilles
supérieure que celle de l’axone issu du noyau cochléaire droit. Par conséquent,
par rapport à la direction du son.
l’arrivée des potentiels d’action issus du noyau cochléaire gauche est « retar-
dée », juste ce qu’il faut pour qu’elle coïncide avec celle des potentiels d’action
issus du noyau droit. En arrivant précisément au même instant, les potentiels
d’action provenant des deux côtés génèrent des potentiels post-synaptiques exci-
11 – Audition et système vestibulaire 395

tateurs (PPSE) qui se somment, conduisant à un PPSE plus important, qui excite 300
plus fortement le neurone 3 que ne peut le faire chaque PPSE généré lorsqu’une

Nombre de potentiels
d’action par seconde
seule des deux oreilles est activée. Lorsque le délai interaural est de plus ou moins
0,6 ms, les potentiels d’action n’arrivent pas ensemble et, par conséquent, les 200
PPSE ne se somment pas.
D’autres neurones de l’olive supérieure sont programmés pour d’autres délais 100
interauraux, en rapport avec des différences dans l’organisation des lignes de
délais. Pour mesurer ces différences aussi précisément que possible, de nombreux
neurones et synapses du système auditif sont spécialement adaptés à ces opéra- 0
1 2
tions rapides. Les potentiels d’action et leurs PPSE sont ainsi plus rapides que
Délai interaural (ms)
ceux de la plupart des neurones du cerveau. Il se trouve néanmoins des limites à
des mesures de ce type. Les processus de corrélation de phase sont essentiels pour Figure 11.24 – Neurone de l’olive supérieure
une comparaison aussi précise que possible de l’arrivée des potentiels d’action sensible au délai interaural.
et, parce que les corrélations de phase interviennent seulement à des fréquences Ce neurone présente un délai optimal de 1 ms.
de sons relativement basses, il est alors concevable que les délais interauraux ne
sont utiles que pour localiser les sons de ces basses fréquences.
Le mécanisme décrit à la figure 11.25 est présent chez l’oiseau, mais il n’est
pas sûr que les mammifères calculent le délai interaural exactement de cette
manière. Des travaux récents effectués sur la gerboise ont suggéré que l’inhibi-
tion synaptique, plutôt que des lignes de délais, permette d’adapter les neurones
de l’olive supérieure aux délais interauraux. Mais il est aussi possible que les
deux mécanismes se combinent.

Nerf auditif

Olive supérieure

Les stimulus sonores provenant Olive supérieure


du côté gauche déclenchent
une activité au niveau du noyau
cochléaire gauche ; l’activité 1 2 3
est ensuite transmise à l’olive
supérieure.

Axone d’un neurone du Axone d’un neurone du


noyau cochléaire gauche noyau cochléaire droit

Très vite, les sons atteignent


l’oreille droite, déclenchant une
activité au niveau du noyau
cochléaire droit. Dans le même 1 2 3
temps, les premières décharges
neuronales générées à gauche se
sont propagées plus loin, le long
des axones.

Chacune des deux décharges


neuronales atteint le neurone
olivaire 3 en même temps, et la
sommation de leurs effets génère 1 2 3
l’activité de ce neurone.

Figure 11.25 – Lignes de délai et sensibilité


neuronale au délai interaural.
396 2 – Systèmes sensoriel et moteur

En dehors de leur sensibilité aux délais interauraux, les neurones de l’olive


supérieure sont également à même de répondre à des différences d’intensité
­interaurales. Par exemple, un type de neurone est modérément activé par des
sons présentés séparément à chaque oreille, mais répond de façon optimale
lorsque ce sont les deux oreilles à la fois qui sont activées. Un autre type de
neurone est excité par des sons provenant d’une seule oreille et se trouve inhibé
par les sons provenant de l’autre oreille. Il est vraisemblable que ces neurones
contribuent également à la localisation des sons de hautes fréquences dans le
plan horizontal, par l’encodage de différences d’intensité interaurales.

Localisation des sons dans le plan vertical


Comparer l’arrivée des sons au niveau des deux oreilles n’est pas un moyen
très utile pour localiser les sons dans le plan vertical, notamment parce que
même lorsque la source du son monte ou descend, ni le délai interaural, ni l’in-
tensité interaurale ne sont modifiés. C’est la raison pour laquelle, comme nous
l’avons déjà mentionné, si l’une des deux oreilles n’est pas fonctionnelle, cela
n’affecte que très peu la localisation de la source sonore, en tout cas beaucoup
moins que dans le plan horizontal. En fait, pour altérer très sérieusement la
localisation des sons dans le plan vertical, il suffit de mettre un tube dans le canal
auditif, ce qui revient à court-circuiter l’intervention du pavillon de l’oreille. Les
différentes courbures et les replis du pavillon de l’oreille sont essentiels pour
savoir à quelle hauteur se situe une source sonore. Ces courbures et ces replis
ont la particularité de réfléchir les sons. Ainsi, ce sont les délais entre le son
transmis directement dans le conduit auditif et le son réfléchi par le pavillon qui
permettent d’apprécier l’origine des sons dans le plan vertical (Fig. 11.26). La
combinaison de sons directs et indirects présente ainsi des différences subtiles,
selon qu’ils proviennent de dessus ou de dessous. De plus, l’oreille externe a la
particularité de permettre aux sons de plus haute fréquence de mieux pénétrer
dans le conduit auditif quand ils proviennent d’une source élevée. Le fait que
la localisation verticale du son soit sévèrement atteinte si l’on recouvre les cir-
convolutions du pavillon montre ainsi l’importance du rôle de l’oreille externe
dans la réflexion du son.
Certains animaux sont particulièrement performants dans la localisation
verticale du son, bien que leur oreille ne comporte pas de pavillon. Ainsi la
chouette, qui s’abat dans le noir sur la souris poussant des cris aigus, se dirige

Pavillon Transmission directe


du son ; voie 2

Transmission indirecte
(réfléchie) du son ;
voie 2

Canal auditif

Transmission directe
du son ; voie 1
Transmission indirecte
(réfléchie) du son ; voie 1
Transmission indirecte (réfléchie)
du son ; voie 3
Transmission directe
du son ; voie 3

Figure 11.26 – Localisation des sons dans le plan vertical, à partir des propriétés du pavillon de
l’oreille.
11 – Audition et système vestibulaire 397

avec précision au son et non à la vue. Bien que les chouettes n’aient pas de
pavillon, elles ont la même technique que celle que nous utilisons pour la locali-
sation horizontale (différences interaurales) car leurs oreilles ne sont pas placées
au même niveau, sur la tête. D’autres animaux sont encore plus performants
dans la localisation du son que ne le sont l’homme ou la chouette. Certaines
chauves-souris émettent des sons qui sont réfléchis par les objets, et ces échos
servent à localiser les objets sans les voir. L’émission et la réception de sons
réfléchis, comme dans le cas du sonar utilisé par les bateaux, sont utilisées par
les chauves-souris pour attraper les insectes. En 1989, James Simmons, de Brown
University, fit une découverte surprenante : les chauves-souris peuvent apprécier
des délais aussi faibles que 0,00001 ms. Cette découverte est un véritable défi
pour notre connaissance du fonctionnement cérébral : en effet, comment le sys-
tème nerveux, avec des potentiels d’action durant presque 1 ms, peut-il réaliser
des discriminations temporelles aussi fines ?

Cortex auditif
Les axones quittant le CGM se projettent sur le cortex auditif via la capsule
interne en un faisceau qui constitue la radiation acoustique. Le cortex auditif
primaire (A1) correspond à l’aire 41 de Brodmann, située dans le lobe temporal
(Fig. 11.27a). La structure de A1 et des aires auditives secondaires est très com-
parable aux aires correspondantes du cortex visuel. La couche I contient peu de
corps cellulaires, et les couches II et III contiennent essentiellement de petites
cellules pyramidales. La couche IV, qui reçoit les terminaisons des axones du
CGM, est composée d’amas denses de cellules granulaires. Les couches V et VI
contiennent essentiellement des cellules pyramidales, généralement de taille plus
importante que celles des couches superficielles.

Caractéristiques des réponses neuronales


Chez le singe (et probablement chez l’homme) les neurones de A1 déchargent
en rapport avec la fréquence du son et ils présentent des fréquences caracté-
ristiques couvrant le spectre des fréquences audibles. Une électrode pénétrant
perpendiculairement à la surface du cortex chez le singe rencontre des cellules
présentant des fréquences caractéristiques plutôt semblables, suggérant la pré-
sence d’une organisation en colonnes associée à la fréquence. Dans A1, la repré-
sentation tonotopique des basses fréquences est latérale et rostrale, alors que
la représentation des hautes fréquences est médiane et caudale (Fig. 11.27b).
Globalement, on rencontre au niveau de A1 des bandes de même fréquence
(bandes d’isofréquence) disposées selon un plan médiolatéral. En d’autres
termes, il y a dans A1 des rangées de neurones transversales, dans lesquelles tous
les neurones ont à peu près les mêmes fréquences caractéristiques.
Dans le système visuel, la plupart des neurones corticaux répondent à la sti-
mulation de leur champ récepteur et peuvent être classés comme tels en quelques
grandes sous-catégories, que leur réponse soit de type simple ou complexe. Il n’est
pas possible à ce jour de classer les champs récepteurs auditifs en un aussi petit
nombre de catégories. Comme c’est le cas dans les premières étapes de la voie audi-
tive, les neurones corticaux auditifs répondent de façon différente, en fonction de la
durée de la stimulation sonore ; quelques-uns présentent une réponse transitoire à
un son bref, et d’autres neurones une réponse soutenue pour la même stimulation.
À côté de la relation existant entre la fréquence du son et la fréquence de
décharge des neurones, qui intervient dans la plupart des cellules, quelques neu-
rones déchargent en rapport avec l’intensité du son, avec un pic de réponse à
une valeur donnée de l’intensité sonore. Dans une colonne verticale perpendi-
culaire à la surface corticale, il est ainsi possible de trouver une diversité consi-
dérable d’ajustements à la fréquence sonore. Certains neurones déchargent en
fonction de la fréquence sonore, et d’autres très peu ; le degré d’ajustement à la
fréquence du son ne semble pas en rapport avec les différentes couches corticales
398 2 – Systèmes sensoriel et moteur

00 Hz
00 Hz

0 Hz
Hz

0 Hz
z
00 H
500

16 0
8 00
4 00
10

20
(b)

Cortex auditif
primaire

Cortex auditif
(a) secondaire

Figure 11.27 – Cortex auditif primaire, chez l’homme.


(a) Le cortex auditif primaire est coloré en violet, et le cortex secondaire en jaune, au niveau du lobe
temporal supérieur. (b) Organisation tonotopique du cortex auditif primaire. Les nombres repré-
sentent les fréquences caractéristiques.

c­ onsidérées. D’autres sons, comme les cliquetis, les explosions, des sons avec
modulation de fréquence, et les vocalisations animales, génèrent également des
réponses dans les neurones corticaux, mais l’approche du rôle de ces neurones
répondant à des stimuli aussi complexes constitue encore un défi pour les cher-
cheurs (Encadré 11.5).
Étant donné la grande variété des réponses que les neurophysiologistes ren-
contrent dans l’étude du cortex auditif, on comprend pourquoi il est encoura-
geant d’entrevoir une sorte d’organisation ou de principe unificateur. La repré-
sentation tonotopique mentionnée plus haut est un des principes d’organisation
de nombreuses aires auditives. Un second principe est l’existence dans le cortex
de colonnes de cellules présentant les mêmes propriétés binaurales. Comme aux
niveaux inférieurs du système auditif, on distingue des neurones qui répondent
plus à des stimulations des deux oreilles qu’à la stimulation d’une seule ; et
des cellules qui peuvent être inhibées par la stimulation simultanée des deux
oreilles. Comme nous l’avons vu pour l’olive supérieure, les neurones sensibles
aux différences de délai interaural et d’intensité interaurale jouent sans doute un
rôle dans la localisation du son.
À côté de A1, d’autres aires corticales situées à la surface supérieure du lobe
temporal sont sensibles aux stimuli auditifs. Certaines de ces aires supérieures
présentent une organisation tonotopique, et d’autres probablement pas. Comme
dans le cortex visuel, il existe une tendance pour que les stimuli qui induisent
une réponse importante des neurones soient plus complexes qu’aux niveaux
inférieurs du système. L’aire de Wernicke, que l’on étudiera plus loin (voir cha-
pitre 20), est un exemple de spécialisation. La destruction de cette aire n’altère
pas la perception du son, mais elle affecte gravement la capacité d’interpréter le
langage parlé.

Conséquences de lésions ou de l’ablation


du cortex auditif
Si une surdité peut résulter de l’ablation bilatérale du cortex auditif, elle est
cependant le plus souvent associée à une lésion de l’oreille (Encadré 11.6). Avec
des lésions unilatérales du cortex auditif, la fonction auditive demeure presque
normale. C’est une grande différence avec le système visuel, dans lequel une
lésion unilatérale du cortex strié conduit à la cécité de tout un hémichamp visuel.
11 – Audition et système vestibulaire 399

Encadré 11.5 FOCUS

Mais comment fonctionne le cortex auditif ? Consultez un spécialiste !


L’une des fonctions du cerveau d’un animal est de que son écho (fréquence en fonction du temps). En
permettre sa survie et celle de son espèce par sa repro- volant, la chauve-souris va donc réitérer son cri conti-
duction. Les différentes espèces ont ainsi des habitudes nuellement et, en localisant ses propres cris et leurs
qui leur sont propres et des besoins différents, qui sont échos, l’animal reconstruit son environnement avec une
corrélés avec des évolutions spécifiques de leurs sys- très grande précision. Par exemple, le délai entre le cri et
tèmes sensoriels, permettant d’optimiser le traitement son écho dépend de la distance de la cible qui renvoie le
des stimuli qui sont les plus importants pour eux. Ces cri (1 ms de délai pour 17 cm de distance). Si la cible
spécialisations font de certaines de ces espèces des s’éloigne ou se rapproche de l’animal, la fréquence des
modèles de choix pour étudier tel ou tel aspect des sys- échos se modifie (Doppler shift), à la baisse ou à la
tèmes sensoriels ; telles la chouette et la chauve-souris. hausse, respectivement (comme le son d’une sirène
La chouette trouve sa proie (de petits mulots, par d’ambulance passant auprès de vous qui s’amplifie,
exemple) dans la nuit, en écoutant très attentivement. passe par un maximum, puis diminue en fonction de la
Elle est particulièrement habile pour localiser les sons distance ; une variation de 1 kHz correspond à une
très faibles et un certain nombre de mécanismes de la vitesse d’environ 3 m/s). Le mouvement des ailes du
localisation des sons ont d’abord été étudiés chez cet papillon forme par ailleurs un rythme de cet écho, ce qui
animal. La chauve-souris présente quant à elle un sys- permet à la chauve-souris de savoir quel type d’insecte
tème auditif tout à fait original et très performant. Elle elle a localisé. Par ailleurs, de subtils changements de
trouve sa nourriture (par exemple, en localisant le volet- fréquence ou de pattern des échos participent encore à
tement d’un papillon de nuit) par écholocalisation. La l’identification de la cible.
chauve-souris émet de petits cris et écoute leur écho très Nobuo Suga a étudié ce processus dans le détail au
faible réflecté par ses cibles. Ce mécanisme dépend de niveau du cortex de la chauve-souris, à l’Université de
l’intégrité du cortex pour une totale efficacité. Ainsi, en Washington. Il a montré que le cortex de cet animal était
étudiant le cortex de la chauve-souris, il est possible en fait formé de plusieurs aires auditives distinctes.
d’accéder à un certain nombre de mécanismes de l’audi- Plusieurs sont ainsi spécialisées pour détecter certaines
tion du cortex humain. des caractéristiques de l’écho indispensables à l’écholo-
Le stimulus le plus efficace en ce qui concerne l’écho- calisation ; d’autres captent des informations plus géné-
localisation chez la chauve-souris est représenté par leur rales sur le stimulus. Par exemple, une région importante
propre cri et l’écho qui en résulte. Le langage de la est consacrée à l’analyse des changements de fréquence
chauve-souris est apparemment très limité, et l’écholo- des échos autour de 60 Hz, les zones les plus fortes (CF)
calisation utilise des ultrasons (20 à 100 kHz) formant du cri de l’animal. Cette information est utilisée pour
un seul type de cri. Le cri de la chauve-souris Pteronotus localiser la cible de l’animal et sa vitesse. Trois autres
parnellii est très bref, d’une durée de l’ordre de 20 ms. Il aires sont impliquées dans la détection des délais de
est formé d’une partie à fréquence constante (notée CF ­renvoi des échos et analysent la distance de l’animal de
sur le schéma), suivie par une deuxième partie où la fré- sa cible. Les caractéristiques de base des cris des
quence diminue et où elle est modulée (notée FM). La chauves-souris et de la voix humaine sont très similaires,
figure A représente le son de cette chauve-souris, ainsi en dépit du fait que la voix humaine est plus lente et de

90 Doppler shift 2,0


« ka »
Cri Écho
Fréquence (kHz)
Fréquence (kHz)

FM
60
CF CF1
1,2
FM Délais
« pa »
30 CF2

0,4

0 10 20 0 0,1 0,2 0,3


Temps (ms) Temps (s)

Figure A – Un cri de chauve-souris et son écho. Figure B – Analyse de fréquence de mots du langage humain.
(Source : adapté de Suga, 1995, p. 302.) (Source : adapté de Suga, 1995, p. 296.)
400 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 11.5 FOCUS  (suite)

fréquence plus basse. Les syllabes sont ainsi formées de sons différentes de CF. C’est en fait comme si le cortex
fréquences variables, avec des combinaisons de parties humain utilisait les mêmes principes que la chauve-sou-
constantes CF et FM, agrémentées de pauses et de ris pour analyser la voix humaine. Interpréter ces sons
patterns particuliers. Par exemple, la syllabe « ka » dif- comme des mots et comprendre les concepts qu’ils sous-
fère de « pa » par une FM différente au début (Fig. B). tendent est cependant encore du domaine de l’imagi-
Les longs « a » et les longs « i » (au moins en anglais…) naire en ce qui concerne le langage, dont les mécanismes
sont ainsi reconnus différemment du fait de combinai- sont discutés dans le chapitre 20.

Encadré 11.6 FOCUS

Les troubles auditifs et leurs traitements


Bien que les conséquences des lésions corticales parfois rendre une partie de l’audition, en implantant
apportent des informations significatives sur le rôle du une cochlée électronique artificielle (voir Encadré 11.2).
cortex dans la perception auditive, les troubles de la per- Les sourds perçoivent moins bien les sons que les
ception associés au système auditif, la surdité, sont géné- autres personnes. Dans le trouble de l’audition reconnu
ralement la manifestation de l’atteinte d’une région sous le terme d’acouphène, l’individu entend du bruit
proche de la cochlée ou de l’intérieur de la cochlée. Il est dans ses oreilles en l’absence de tout stimulus sonore. La
généralement distingué deux catégories de surdité : la sensation subjective prend plusieurs formes, y compris
surdité de conduction et la surdité nerveuse. les bourdonnements, les grésillements, et les sifflements.
La perte d’audition résultant d’un trouble de la On ressent parfois aussi une forme d’acouphènes passa-
conduction du son de l’oreille externe à la cochlée est gers et légers après avoir entendu de la musique trop
dénommée surdité de conduction. Ce déficit sensoriel forte ; le cerveau est peut-être satisfait mais les cellules
peut provenir simplement d’un excès de cérumen dans ciliées sont en état de choc ! Les acouphènes repré-
l’oreille, mais aussi de lésions plus graves comme celles sentent un trouble relativement fréquent qui peut sérieu-
associées à la lésion du tympan ou des osselets. Certaines sement gêner la concentration et le travail, s’il persiste.
maladies provoquent par exemple une association rigide On imagine facilement combien il est déplaisant d’en-
des osselets avec l’os de l’oreille moyenne, ce qui empêche tendre en permanence des murmures, des sifflements,
la transmission du son. Heureusement, il est possible de ou un bruit de papier froissé.
traiter chirurgicalement la plupart des problèmes méca- Les acouphènes représentent aussi l’un des symp-
niques qui altèrent la transmission du son dans l’oreille tômes qui accompagnent nombre d’affections neurolo-
moyenne. giques. Bien qu’ils soient souvent associés à des mala-
La surdité nerveuse est associée à une perte des neu- dies de la cochlée ou du nerf auditif, les acouphènes
rones, soit du nerf auditif, soit des cellules ciliées de la surviennent parfois à la suite d’une exposition à des
cochlée. Elle résulte parfois de tumeurs qui se déve- bruits trop intenses, ou à une vascularisation anormale
loppent dans l’oreille interne. Elle peut aussi être la au niveau du cou, ou plus simplement à cause du vieil-
conséquence de l’action de médicaments toxiques pour lissement. Il semble aussi que quelques-uns de ces bruits
les cellules ciliées comme la quinine ou certains antibio- fantômes soient liés à des altérations des structures cen-
tiques. L’exposition à des sons trop forts comme des trales, incluant le cortex auditif. Des lésions de la cochlée
bruits d’explosion ou de la musique trop forte, provoque ou du nerf auditif peuvent également indirectement
aussi un traumatisme de la cochlée. Des traitements sont affecter le fonctionnement du système auditif central et
possibles en fonction du degré de cellules affectées. Si la provoquer une sorte de diminution de l’inhibition
cochlée ou le nerf auditif sont complètement détruits synaptique, par exemple. Si le résultat des traitements
d’un côté la surdité de cette oreille est totale. Cependant cliniques des acouphènes n’est que partiellement satis-
il s’agit le plus souvent d’une perte partielle des cellules faisant, la gêne procurée par le bruit est souvent atté-
ciliées. On utilise dans ce cas un appareil auditif pour nuée si on utilise un appareil produisant un son perma-
amplifier le son pour les cellules ciliées restantes. Dans nent dans la ou les oreilles affectées. Pour des raisons
les cas plus graves, avec une atteinte importante bilatérale inconnues, le son réel permanent est moins gênant que
de la cochlée mais avec un nerf auditif intact, on peut le son des acouphènes, qu’il bloque.
11 – Audition et système vestibulaire 401

C’est parce que chacune des deux oreilles envoie des informations au cortex à
la fois dans les deux hémisphères que la fonction auditive est mieux préservée
lors de lésions corticales. Chez l’homme, le déficit primaire résultant d’une perte
unilatérale de A1 se traduit par l’impossibilité de localiser l’origine d’un son. Il
est possible de savoir de quel côté de la tête provient le son, mais il est presque
impossible de le localiser plus précisément. Dans ce cas, cependant, la discrimi-
nation de la fréquence et de l’intensité reste pratiquement normale.
Les études expérimentales réalisées sur les animaux révèlent que des lésions
plus circonscrites peuvent provoquer des troubles de la localisation assez spé-
cifiques. Compte tenu de l’organisation tonotopique de A1, il est possible de
réaliser des lésions corticales restreintes, détruisant des neurones qui présentent
des fréquences caractéristiques dans un ordre de grandeur limité. Dans ce cas
alors, il est intéressant de constater que le déficit de localisation ne concerne que
les sons correspondant pratiquement aux fréquences caractéristiques des cel-
lules manquantes. Ce fait conforte l’idée que l’information issue des différentes
bandes de fréquence est sans doute traitée parallèlement dans les structures
organisées de façon tonotopique.

Système vestibulaire
Curieusement, écouter de la musique ou faire du vélo implique dans les deux
cas des sensations qui sont transmises par des cellules ciliées. Le système ves-
tibulaire informe sur la position et les déplacements de la tête, nous donne le
sens de l’équilibre, contribue à la coordination des mouvements de la tête et des
yeux, et aux ajustements de la posture du corps. Lorsque le système vestibulaire
fonctionne normalement, son intervention est automatique et nous n’avons pas
de perception consciente de son intervention. Toutefois, lorsque des dysfonc-
tionnements interviennent, à ce moment la situation est ressentie de façon désa-
gréable, allant du vertige aux nausées, en passant par des pertes d’équilibre et des
mouvements des yeux de caractère incontrôlable.

Appareil labyrinthique
Les systèmes auditif et vestibulaire utilisent les cellules ciliées comme trans-
ducteur. De ce point de vue, des systèmes biologiques qui utilisent des prin-
cipes de fonctionnement similaires sont souvent liés par des origines communes.
Effectivement, les organes de l’équilibre et de l’audition dérivent tous deux de
l’organe de la ligne latérale présent chez les vertébrés aquatiques comme les pois-
sons et quelques amphibiens. La ligne latérale représente de petits creux ou tubes
présents sur les deux côtés de ces animaux. Chacun de ces dispositifs contient des
amas de cellules sensorielles ciliées, les cils plongeant dans une substance géla-
tineuse ouverte sur l’eau dans laquelle évolue l’animal. Ces organes spécialisés
permettent dans la plupart des cas de détecter des variations de la pression de
l’eau ou des vibrations. Dans quelques cas, ils sont aussi sensibles à la tempé-
rature ou aux champs électriques. Les organes de la ligne latérale ne sont plus
présents chez les reptiles mais ces dispositifs extraordinaires de mesure de la sen-
sibilité mécanique sont restés et ont été adaptés dans des structures de l’oreille
interne, qui dérive de fait de la ligne latérale.
Chez les mammifères, toutes les cellules ciliées sont confinées dans un
ensemble de chambres interconnectées que l’on nomme le labyrinthe vestibulaire
(Fig. 11.28a). Nous avons déjà évoqué la partie du labyrinthe qui a une fonction
auditive, c’est-à-dire la cochlée (voir Fig. 11.6). Le labyrinthe vestibulaire est lui-
même formé de deux types de structures aux fonctions différentes : les organes
otolithiques, qui détectent la force de gravité et les inclinaisons de la tête, et les
canaux semi-circulaires, sensibles aux rotations de la tête. Le rôle ultime de ces
structures spécialisées est de transmettre des informations d’origine mécanique
générées par les mouvements de la tête aux cellules ciliées. Chacune de ces struc-
tures est sensible à différents types de mouvements, non seulement parce que
402 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Nerf vestibulaire

Ganglion de Scarpa

Nerf auditif

Canaux
semi-circulaires Utricule Saccule
Organes Cochlée
(a) à otolithes

30º

Canaux
semi-circulaires

(b)

Figure 11.28 – Le labyrinthe vestibulaire.


(a) Localisation des organes otolithiques (utricule et saccule) et des canaux semi-circulaires.
(b) Il existe un appareil labyrinthique dans chaque oreille de chaque côté de la tête, avec les canaux
semi-circulaires arrangés selon des plans parallèles.

leurs cellules ciliées sont différentes, mais surtout parce qu’elles appartiennent
à des structures spécialisées pour détecter ces différents types de mouvements.
Les organes otolithiques représentent une paire de chambres de taille rela-
tivement importante, dénommées saccule et utricule, disposées à peu près au
centre du labyrinthe. Les canaux semi-circulaires sont les trois structures en
arceau du labyrinthe. Ils occupent une position relative à peu près orthogonale
les uns par rapport aux autres, c’est-à-dire qu’ils forment entre eux des angles
d’environ 90° (Fig. 11.28b). Il existe bien entendu un labyrinthe vestibulaire par
oreille, de chaque côté de la tête, et ces dispositifs sont disposés de telle façon
qu’ils ont une position « en miroir ».
Chaque cellule ciliée du système vestibulaire forme une synapse excitatrice
avec l’extrémité d’un axone sensoriel du nerf vestibulaire, une branche du nerf
vestibulo-auditif (VIIIe paire de nerf crânien). Dans chacun des deux nerfs
­vestibulaires, il se trouve environ 20 000 axones, et leurs corps cellulaires sont
localisés dans le ganglion de Scarpa.
11 – Audition et système vestibulaire 403

Organes otolithiques
Le saccule et l’utricule détectent les changements de la position de la tête et
son accélération linéaire. Lorsque vous inclinez la tête, l’angle formé entre les
organes otolithiques et la direction de la force de gravité change. De même, l’ac-
célération linéaire génère également une force proportionnelle à la masse d’un
objet. Ce type de force est par exemple produit lorsque vous vous trouvez dans
un ascenseur ou un véhicule qui démarre ou qui s’arrête. Au contraire, lorsque
l’ascenseur ou le véhicule se déplace à vitesse constante l’accélération est nulle et
donc il n’y a pas de force produite, sauf la force de gravité. C’est ainsi que vous
pouvez rester immobile dans un avion se déplaçant à quelque 900 km/h ; mais
dans ce cas de soudaines turbulences de l’air qui affectent la vitesse de l’avion
vous déstabilisent brusquement, ce qui est encore un bon exemple des forces
générées par l’accélération linéaire et des mouvements détectés par vos organes
otolithiques.
Chaque organe otolithiques contient un épithélium sensoriel dénommé
macula, orienté verticalement dans le saccule et horizontalement dans l’utricule
lorsque la tête est en position normale (à ne pas confondre avec la macula de la
rétine, qui n’a rien en commun avec celle-ci). La macula du système vestibulaire
contient des cellules ciliées disposées dans un lit de cellules de soutien, avec leurs
cils orientés vers la substance gélatineuse (Fig. 11.29). Les mouvements sont
captés par les cellules ciliées de la macula des deux côtés de la tête lorsque les
faisceaux de cils sont déplacés. Les organes otolithiques sont caractérisés par la
présence d’une fine couche de cristaux de carbonate de calcium dénommés oto-
conia, de 1 à 5 µm de diamètre (otoconia vient d’un mot grec qui signifie « pierre
de l’oreille »). Les otoconia sont incrustés à la surface de la cape de substance
gélatineuse de la macula qui enrobe les cils, et ils sont la clé de la sensibilité de la
macula à l’inclinaison de la tête. En fait, les otoconia ont une densité supérieure
à celle de l’endolymphe qui les entoure.
Lorsque l’inclinaison de la tête change ou quand se produit une accéléra-
tion, une force est exercée sur les otoconia, ce qui a pour conséquence d’exercer
secondairement une force dans la même direction sur la surface de la substance
gélatineuse, qui va donc se déplacer sensiblement et entraîner le mouvement des
cils. Chaque cellule ciliée présente un cil particulier de grande taille, dénommé
kinocil. Le déplacement des cils vers le kinocil va alors générer une dépolarisa-
tion représentant le potentiel de récepteur excitateur ; à l’inverse, le mouvement
des cils dans la direction opposée à celle du kinocil se traduit par une hyperpo-
larisation, qui inhibe le récepteur. Dès lors, les cellules ciliées apparaissent bien
comme sensibles à la direction. Si les cils se courbent perpendiculairement à
leur direction préférentielle, ils vont donc répondre faiblement. Ainsi, le méca-
nisme de transduction des informations mécaniques des cellules ciliées vestibu-
laires est sensiblement le même que celui des cellules ciliées du système audi-
tif (voir Fig. 11.15). Comme dans ce cas, un simple déplacement de très faible
amplitude des cils des organes otolithiques est nécessaire pour générer un signal
nerveux. Dans le cas du système vestibulaire, un déplacement des cils de l’ordre
de 0,5 µm, c’est-à-dire à peu près de la valeur du diamètre d’un cil, est suffisant
pour saturer le récepteur.
La tête peut ainsi s’incliner et bouger dans toutes les directions. Les cellules
ciliées du saccule et de l’utricule sont orientées pour pouvoir capter tous ces mou-
vements. La macula des saccules est orientée plus ou moins verticalement, alors
que celle des utricules est globalement horizontale (Fig. 11.30). Dans chacune
de ces maculae, les cellules ciliées sont orientées pour répondre à une direction
préférentielle particulière, et il y a suffisamment de cellules ciliées dans chaque
macula pour couvrir la plupart des directions. L’orientation « en miroir » des
saccules et utricules de chaque oreille suppose alors que lorsqu’un mouvement
donné de la tête excite les cellules ciliées d’un côté, il tend à les inhiber de l’autre,
dans l’organe otolithique correspondant. Ainsi, toute inclinaison ou accéléra-
tion de la tête excite quelques cellules ciliées, en inhibe d’autres, et n’a pas d­ ’effet
sur le reste. Dès lors, le système nerveux central, en utilisant simultanément l’in-
formation ainsi fournie par l’ensemble de la population de cellules ciliées des
organes otolithiques, peut interpréter parfaitement ces mouvements linéaires.
404 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Figure 11.29 – Réponses des cellules ciliées de la macula au basculement de la


Utricule tête en arrière et en avant.
Lorsque la tête est droite en position normale, les cellules ciliées de l’utricule sont
également en position droite. Le fait de basculer la tête en arrière a pour consé-
quence de provoquer un mouvement des otoconia, du fait de la force de gravité,
ce qui déforme la cape gélatineuse qui enrobe les cils et provoque par conséquent
un déplacement de ces cils.

Otoconia Kinocil

Cape
gélatineuse

Cellules
ciliées

Cellules
de soutien

Axones
du nerf
vestibulaire

Tête droite Tête basculée en arrière

Figure 11.30 – Orientation de la macula.
Direction induisant
(a) Au niveau de l’utricule, la macula est horizontale. (b) Au niveau du saccule, en une dépolarisation
revanche, la macula est verticale. Les flèches issues de chaque macula montrent
comment les cellules ciliées sont polarisées. Les cellules ciliées à proximité de la
flèche sont toutes dépolarisées de la même manière ; leurs stéréocils sont tous
orientés de façon à être inclinés dans la direction de la flèche correspondant à
leur dépolarisation.

(a) Macula de l’utricule

(b) Macula du saccule


11 – Audition et système vestibulaire 405

Canaux semi-circulaires
Les canaux semi-circulaires détectent les mouvements de rotation de la tête,
du type de ceux que vous faites lorsque vous dodelinez. Comme les organes
otolithiques, les canaux semi-circulaires sont sensibles à l’accélération, mais de
façon différente. Dans ce cas, c’est l’accélération angulaire qui est le principal
stimulus des canaux semi-circulaires.
Les cellules ciliées des canaux semi-circulaires sont disposées dans une lame
de cellules dénommée crista, située sur une protubérance du canal dénommée
quant à elle crête ampullaire (Fig. 11.31a). Les cils sont enchâssés dans une sorte
de capsule formée de fibres gélatineuses, la cupule, qui couple le lumen du canal
avec la crête ampullaire. Toutes les cellules ciliées de cette crête ampullaire ont
leurs kinocils orientés dans la même direction, ce qui signifie qu’ils sont tous
inhibés ou excités ensemble. Les canaux semi-circulaires contiennent de l’en-
dolymphe, la même que celle qui se trouve dans la cochlée. Le déplacement

Cupule
Crête ampullaire

Canal Cils
semi-circulaire

Endolymphe
Cellules ciliées

Axones
du nerf vestibulaire

(a) Repos

Mouvement
de l’endolymphe

(b)
Rotation vers la gauche

Figure 11.31 – Représentation en coupe au niveau de la crête ampullaire d’un canal semi-circu-


laire.
(a) Les cils des cellules ciliées se trouvent au niveau de la cupule, formée de fibres gélatineuses,
elle-même entourée de l’endolymphe qui remplit le canal. (b) Lorsque le canal pivote vers la gauche,
l’endolymphe ne se déplace qu’avec un certain retard du fait de sa viscosité, ce qui applique des
forces sur la cupule et la déforme, ainsi que les cils qui y sont enchâssés.
406 2 – Systèmes sensoriel et moteur

des cils intervient lorsque le canal tourne autour de son axe à la manière d’une
de rotation

roue, et tandis que les parois du canal et de la cupule commencent à pivoter,


Vitesse

l’endolymphe tend au contraire à rester immobile compte tenu de son inertie.


0 L’endolymphe exerce alors une force sur la cupule, comme le vent sur la voile
(Fig. 11.31b). Cette force courbe la cupule et secondairement les cils, ce qui, en
100
fonction de la direction du mouvement, excite ou inhibe les cellules ciliées et
de décharge

agit sur la libération de leur neurotransmetteur sur les terminaisons du nerf


(potentiel/s)
Fréquence

vestibulaire.
Si la rotation de la tête est maintenue à vitesse constante, la friction de l’en-
dolymphe avec les parois du canal va diminuer, l’endolymphe se déplacer, et
0 60 120 ainsi la cupule va retrouver sa position normale après environ 15 à 30 s. Cette
Temps (s)
adaptation est clairement détectable à partir d’enregistrements de fibres vesti-
bulaires issues des canaux (Fig. 11.32). Néanmoins ce type de rotation à vitesse
constante est quelque chose d’assez peu courant dans la vie de tous les jours,
sauf dans quelques parcs d’attractions. Ainsi, normalement, lorsque la rotation
de la tête et de ses canaux semi-circulaires s’arrête, l’inertie de l’endolymphe
entraîne un mouvement dans la direction opposée et une sensation transitoire
de mouvement de contre-rotation. Ce mécanisme explique pourquoi vous vous
sentiez malade et en perte d’équilibre chaque fois qu’étant enfant vous arrêtiez
brutalement de tournoyer comme une toupie : en fait vos canaux semi-circu-
laires étaient en train d’envoyer des messages au cerveau, selon lesquels votre
corps tournoyait dans la direction opposée.
Ensemble, les trois canaux semi-circulaires situés d’un côté de la tête, en
synergie avec ceux de l’autre côté, sont à même de capter les rotations interve-
nant dans n’importe quelle direction (voir Fig. 11.28b). Chaque canal est disposé
de rotation

dans le même plan que son homologue et répond aux déplacements dans la
Vitesse

même orientation, l’activation des cellules ciliées de l’un des canaux correspon-
0
dant à l’inhibition de celles de l’autre. Au repos, les axones des nerfs vestibulaires
déchargent à haute fréquence, de telle manière que leur activité peut ainsi être
100 modulée à la hausse ou à la baisse, en fonction de la direction de la rotation.
Une telle organisation optimise la détection des mouvements de rotation par le
de décharge
(potentiel/s)
Fréquence

système nerveux (Fig. 11.32).

Voies vestibulaires centrales et réflexes vestibulaires


0 60 120
Temps (s) Les voies vestibulaires centrales coordonnent et intègrent les informations
sur les mouvements de la tête et du corps, et les utilisent pour influencer les
Figure 11.32 – Activation des canaux semi- neurones moteurs susceptibles d’ajuster la position de la tête, des yeux et du
circulaires. corps. Les axones vestibulaires primaires de la VIIIe paire de nerfs crâniens se
La rotation de la tête excite les cellules ciliées projettent directement sur les noyaux vestibulaires médian et latéral situés du
dans l’un des canaux semi-circulaires hori- même côté de la tête dans le tronc cérébral (Fig. 11.33). Les noyaux vestibulaires
zontal et inhibe les cellules de l’autre. Les
reçoivent par ailleurs des informations d’autres régions du cerveau, notamment
diagrammes illustrent l’adaptation qui inter-
vient au niveau des réponses des cellules
du cervelet et des systèmes sensoriels somatique et visuel, ce qui leur confère
ciliées et donc des nerfs vestibulaires, lorsque la possibilité d’intégrer les informations de ces systèmes avec celles du système
la rotation est maintenue. Quand la rotation vestibulaire et aussi avec des informations issues du système moteur.
est réversée et que la tête revient à sa position Les noyaux vestibulaires projettent les axones de leurs neurones sur de nom-
initiale, les cellules déchargent à nouveau, breuses régions, d’une part dans le tronc cérébral et d’autre part au niveau de
mais dans un sens opposé à celui qui avait la moelle épinière (voir Fig. 11.33). Par exemple, les axones issus des organes
présidé à l’amorçage de la rotation, c’est-à- otolithiques projettent vers le noyau vestibulaire latéral qui, à son tour, projette
dire avec des patterns opposés d’excitation
via le faisceau vestibulospinal sur les motoneurones des muscles des membres
et d’inhibition.
inférieurs qui maintiennent la posture du corps (voir chapitre 14). Ce système est
impliqué dans le maintien de la posture érigée, même lorsque l’on se trouve sur
le pont d’un bateau par mer agitée. Les axones issus des canaux semi-circulaires
projettent quant à eux sur le noyau vestibulaire médian, à l’origine du faisceau
longitudinal médian qui excite les motoneurones des muscles du tronc et du cou
impliqués dans l’orientation de la tête. Ce système contribue à maintenir la tête
droite, y compris lorsque le corps s’agite dans tous les sens.
Comme les autres systèmes sensoriels, le système vestibulaire est connecté au
thalamus et, de là, au néocortex. Les noyaux vestibulaires projettent vers le noyau
ventral postérieur (VP) du thalamus, qui innerve à son tour les régions proches de
11 – Audition et système vestibulaire 407

Motoneurones
des muscles
VP du extra-oculaires
Cervelet
thalamus (III, IV, VI)

Noyau vestibulaire médian

Noyau vestibulaire latéral


Faisceau
longitudinal
médian

VIIIe nerf
crânien

Motoneurones Motoneurones
des muscles des muscles
des membres du cou

Figure 11.33 – Représentation des connexions vestibulaires centrales à partir d’un appareil


labyrinthique.

celles de la zone de représentation de la face du cortex somatosensoriel primaire


et du cortex moteur primaire (voir chapitres 12 et 14). Cette projection corticale
contribue à l’intégration des informations liées aux mouvements du corps et
des yeux, y compris des scènes visuelles. Il est ainsi vraisemblable que le cortex
maintienne une représentation de la position du corps et de son orientation dans
l’espace, qui serait essentielle pour notre maintien de l’équilibre et pour planifier
et exécuter des mouvements complexes coordonnés.
Réflexe vestibulo-oculaire (RVO).  Une fonction particulièrement impor-
tante du système vestibulaire central est de maintenir la direction du regard,
y compris lorsque vous dansez comme un fou. Cela est réalisé par le réflexe
­vestibulo-oculaire (RVO). Souvenez-vous qu’une vision correcte nécessite une
image stable sur la rétine, et cela en dépit des mouvements de la tête (voir
­chapitre 9). Chaque œil est commandé par un groupe de six muscles extra-­
oculaires. Le RVO détecte les rotations de la tête et déclenche aussitôt un
­mouvement compensatoire des yeux dans la direction opposée. Le mouvement
sert ainsi à maintenir le regard dans la direction de la cible qui est fixée. Dès lors
que le RVO est à point de départ d’informations vestibulaires, de façon amusante
on note qu’il intervient y compris dans l’obscurité ou les yeux fermés.
Imaginez que vous descendez en voiture une route très défoncée. Comme le
RVO intervient en permanence pour ajuster la position des yeux, votre vision
du monde extérieur est très stable en dépit des bosses qui interviennent sans
arrêt et induisent des mouvements de la tête. Pour mesurer tout l’intérêt de ce
réflexe, vous pouvez par exemple comparer ce qui se passe lorsque vous êtes dans
cette voiture sur ce chemin défoncé dans une condition où vous faites interve-
nir automatiquement votre RVO, comme dit ci-dessus, et dans la condition où
vous êtes passager de la voiture et vous observez l’environnement au travers du
viseur d’une caméra vidéo : jusqu’à ce que vous ayez une caméra qui possède
l’équivalent du RVO, votre regard fera désespérément des bonds parce que vos
bras ne seront pas suffisamment rapides et précis pour corriger à chaque bosse
la position de la caméra. D’ailleurs, beaucoup de caméras intègrent maintenant
un dispositif électromécanique équivalent à un RVO qui stabilise l’image, même
lorsque la caméra, ou l’opérateur qui la maintient, subit des mouvements intem-
pestifs.
L’efficacité du RVO dépend des relations complexes existant entre les canaux
semi-circulaires et le noyau vestibulaire et, de là, vers les noyaux des nerfs crâ-
niens qui commandent les muscles extra-oculaires. La figure 11.34 illustre seu-
lement la moitié des composantes horizontales de ce circuit, et ce qui arrive
lorsque la tête tourne vers la gauche et que le RVO induit un mouvement des
yeux vers la droite. Les axones issus du canal horizontal gauche innervent le
408 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Rotation de la tête

Direction du mouvement des yeux

Muscle Muscles Muscle


rectus latéral recti médians rectus latéral

Œil gauche Œil droit

7 5 7 3

+ +
Noyau
oculomoteur
gauche (III) + Faisceau
4 longitudinal
médian droit

Noyau
abducens
gauche (VI)
– +
Noyau 6 7 2
vestibulaire
gauche
+
1
Rotation

Canal semi-circulaire
horizontal gauche

Figure 11.34 – Connexions vestibulaires contrôlant les mouvements horizontaux des yeux lors


du réflexe vestibulo-oculaire (RVO).
Ces voies neuronales sont activées lorsque la tête tourne brusquement vers la gauche, entraînant
un mouvement des yeux vers la droite. Les connexions excitatrices sont en vert ; les inhibitrices,
en rouge.

noyau vestibulaire gauche, qui innerve à son tour le noyau crânien du nerf VI
(noyau abducens) controlatéral (à droite) se trouvant ainsi excité. Les axones des
neurones moteurs du noyau abducens commandent en retour le muscle rectus
latéral de l’œil droit. Une autre projection excitatrice à partir du noyau abducens
croise la ligne médiane vers le côté gauche et emprunte le faisceau longitudinal
médian pour aller commander les motoneurones du noyau crânien du nerf III
(noyau oculomoteur), qui activent à leur tour le muscle rectus médian de l’œil
gauche.
Mission accomplie, les deux yeux tournent bien à droite ! Pour plus de rapi-
dité encore, le muscle rectus médian de l’œil gauche est également excité par une
projection directe du noyau vestibulaire vers le noyau oculomoteur gauche. La
vitesse est enfin optimisée par l’activation de connexions inhibitrices des muscles
qui s’opposent naturellement au mouvement, dans ce cas le rectus latéral et le
rectus médian. Pour pouvoir intervenir pour des mouvements de la tête dans
n’importe quelle direction, le RVO comporte des connexions similaires à partir
du canal semi-circulaire horizontal droit, ainsi qu’à partir des autres couples de
canaux semi-circulaires, qui affectent sélectivement les muscles extra-oculaires et
produisent les mouvements des yeux appropriés.
11 – Audition et système vestibulaire 409

Pathologie vestibulaire
Les causes d’atteintes du système vestibulaire sont multiples, telle par
exemple la toxicité de fortes doses d’antibiotiques comme la streptomycine pour
les cellules ciliées. Les patients porteurs de lésions bilatérales du système ves-
tibulaire ont des difficultés considérables à maintenir leur regard pendant les
mouvements. Dans ce cas, même les pulsations du sang dans les carotides sont
susceptibles de perturber la fixation. Et lorsque les patients ne sont plus à même
de maintenir l’image sur la rétine, ils ont la sensation que le monde se déplace
autour d’eux. Cela a pour conséquence des difficultés pour se tenir debout et se
déplacer. Néanmoins, avec le temps un certain nombre de processus compensa-
toires interviennent, le cerveau apprenant à substituer l’utilisation des informa-
tions labyrinthiques par des informations visuelles et proprioceptives pour leur
permettre de réaliser des mouvements adaptés.

Conclusion
L’audition et le contrôle de l’équilibre utilisent au départ des récepteurs sen-
soriels quasi identiques, les cellules ciliées, qui sont dans les deux cas extraor-
dinairement sensibles à de petites déflexions de leurs stéréocils. Dans l’oreille
interne, ces détecteurs de mouvements sont entourés de trois types de dispositifs
spécialisés dans la transduction de différentes sortes d’énergie mécanique : dans
le cas du son, la vibration périodique de l’air, dans le cas des mouvements hori-
zontaux de la tête, les forces de rotation et, dans le cas de l’inclinaison de la tête,
des forces linéaires. Néanmoins, à l’exception de ces dispositifs de transduction
des forces très similaires tous situés dans l’oreille interne, le système auditif et le
système vestibulaire sont très différents. De fait, si le système auditif capte des
informations de l’environnement, au contraire le système vestibulaire réagit à ses
propres mouvements. Enfin, ces deux systèmes sont entièrement séparés dans le
système nerveux central, sauf peut-être au niveau situé le plus haut hiérarchique-
ment, c’est-à-dire celui du cortex. L’information auditive est ainsi le plus souvent
consciente ; en revanche, le contrôle de l’équilibre intervient en permanence mais
de façon automatique, pour coordonner l’activité des muscles posturaux.
Nous avons vu dans ce chapitre le trajet de la voie auditive de l’oreille au
cortex cérébral, et les possibles transformations de l’information sonore. Les
variations de densité des molécules de l’air sont converties en une vibration des
constituants mécaniques de l’oreille moyenne et de l’oreille interne, qui est trans-
formée en réponse neuronale. La structure de l’oreille et celle de la cochlée sont
de fait hautement spécialisées dans la transduction du son. Cependant, cela ne
saurait masquer les ressemblances considérables existant entre l’organisation
du système auditif et celle des autres systèmes sensoriels. À titre d’illustration,
il existe de nombreuses analogies entre les systèmes auditif et visuel. Dans les
récepteurs sensoriels des deux systèmes, on trouve un processus de codage spatial
de l’information. Dans le système visuel, le code présent au niveau des photoré-
cepteurs est rétinotopique ; l’activité d’un récepteur donné répercute la présence
d’un stimulus lumineux à un endroit donné du champ visuel. Les récepteurs du
système auditif présentent un code spatial tonotopique, en raison des propriétés
uniques de la cochlée. Dans chacun des systèmes, la rétinotopie ou la tonotopie
accompagne les processus de traitement des signaux dans les neurones secon-
daires, le thalamus, et enfin dans le cortex sensoriel.
La convergence des informations venant des niveaux inférieurs confère aux
neurones des niveaux supérieurs des caractéristiques de réponse plus complexes.
Les combinaisons des informations provenant du CGL déterminent des champs
récepteurs simples et complexes dans le cortex visuel ; de même, dans le système
auditif l’intégration d’informations ajustées à différentes fréquences détermine,
au niveau supérieur, des neurones sensibles à des combinaisons de fréquences
complexes. La complexité accrue aux niveaux supérieurs se manifeste aussi
dans le système visuel par la présence de neurones binoculaires sensibles à la
410 2 – Systèmes sensoriel et moteur

c­ onvergence d’informations provenant des deux yeux, ce qui est important pour
percevoir la profondeur. De même, dans le système auditif les informations issues
des deux oreilles se combinent pour créer des neurones binauraux, associés à la
localisation du son dans le plan horizontal. Ce ne sont là que quelques-unes des
nombreuses ressemblances entre les deux systèmes, mais il est essentiel de consi-
dérer que les principes qui régissent un système sont un moyen de comprendre
les autres systèmes. Gardez cela à l’esprit en abordant le chapitre suivant, vous
pourrez prédire quelques-unes des caractéristiques de l’organisation corticale du
système somatosensoriel.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Comment, dans l’oreille moyenne, les osselets facilitent-ils la conduc-


tion du son vers la cochlée ?
2. Pourquoi la fenêtre ovale joue-t-elle un rôle crucial pour le fonction-
nement de la cochlée ? Que se passerait-il si soudain elle n’existait
plus ?
3.  Pourquoi ne peut-on déterminer la fréquence d’un son seulement en
fonction de la localisation de la déformation maximale d’une partie
de la membrane basilaire ?
4. Pourquoi le processus de transduction échouerait-il dans les cellules
ciliées si les stéréocils et les soma des cellules ciliées baignaient dans
la périlymphe ?
5. Si les cellules ciliées internes sont essentiellement responsables de
­l’audition, quelle est la fonction des cellules ciliées externes ?
6. Pourquoi une atteinte unilatérale du colliculus inférieur ou du CGM
ne cause-t-elle pas la surdité d’une oreille ?
7. Quels sont les mécanismes de la localisation horizontale et verticale
des sons ?
8. Quels sont les symptômes prévisibles chez une personne qui vient
d’être frappée d’un accident vasculaire cérébral (AVC) affectant A1
bilatéralement ? Peut-on comparer la gravité de ces symptômes avec
les conséquences d’un AVC affectant V1 unilatéralement ?
9. Quelle différence y a-t-il entre la surdité de conduction et la surdité
nerveuse ?
10. Chaque macula contient des cellules ciliées avec des kinocils orientés
dans toutes les directions. Quel est l’avantage de cet arrangement
par rapport à une organisation où tous les cils seraient orientés dans
la même 
direction ?
11. Imaginez un canal semi-circulaire qui tournerait dans deux directions
à la fois : autour de son propre axe (comme une pièce de monnaie qui
roulerait), d’une part, et sur l’un des côtés (sur la tranche), d’autre
part. Comment les cellules ciliées répondraient-elles à chacun des
mouvements et pourquoi ?
12. Comment imaginez-vous que répondent les organes à otolithes et les
canaux semi-circulaires en apesanteur ?
11 – Audition et système vestibulaire 411

POUR EN SAVOIR PLUS

Ashida G, Carr CE. Sound localization : Jeffress and beyond. Current


Opinion in Neurobiology 2011 ; 21 : 745-51.
Cullen KE. The vestibular system : multimodal integration and encoding
of self-motion for motor control. Trends in Neurosciences 2012 ; 35 :
185-96.
Guinan JJ Jr, Salt A, Cheatham MA. Progress in cochlear physiology after
Békésy. Hearing Research 2012 ; 293 : 12-20.
Holt JR, Pan B, Koussa MA, Asai Y. 2014. TMC function in hair cell trans-
duction. Hearing Research 2014 ; 311 : 17-24.
Kazmierczak P, Müller U. Sensing sound : molecules that orchestrate
mechanotransduction by hair cells. Trends in Neurosciences 2012 ;
35 : 220-9.
Oertel D, Doupe AJ. The auditory central nervous system. In : Principles
of Neural Science, 5th ed. Kandel ER, Schwartz JH, Jessell TM, Sie-
gelbaum SA, Hudspeth AJ, eds. New York : McGraw-Hill Companies,
Inc., 2013 : 682-711.
412 2 – Systèmes sensoriel et moteur 412

CHAPITRE  12 Système sensoriel


somatique

LE TOUCHER
Mécanorécepteurs cutanés.................................................................. 414
Afférences sensorielles primaires........................................................ 420
Organisation générale de la moelle épinière........................................ 422
Encadré 12.1 Focus  Herpès, zona et dermatomes
Voies des colonnes dorsales et du lemnisque médian.......................... 425
Voies trigéminales sensorielles............................................................ 427
Cortex somatosensoriel...................................................................... 427
Encadré 12.2 Bases théoriques  Inhibition latérale
Encadré 12.3 Les voies de la découverte  Les barils corticaux,
par Thomas Woolsey

LA DOULEUR
Nocicepteurs et transduction du message nociceptif........................... 437
Encadré 12.4 Focus  Misère d’une vie sans douleur
Encadré 12.5 Focus  Attention : très pimenté !
Démangeaisons.................................................................................. 440
Afférences primaires et mécanismes spinaux....................................... 442
Voies nociceptives ascendantes .......................................................... 443
Contrôle de la douleur........................................................................ 445
Encadré 12.6 Focus  La douleur et l’effet placebo

LA THERMOCEPTION
Thermorécepteurs.............................................................................. 449
Voies de la thermoception.................................................................. 451

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
es systèmes sensoriels sont source des expériences les plus agréables de
notre vie, mais également des plus dramatiques. Les sensations soma-
tiques permettent à notre corps de percevoir l’environnement et de savoir
en permanence ce qu’il est en train de faire. Notre corps est sensible à de nom-
breux types de stimuli : la pression des objets sur la peau, la position des mus-
cles et des articulations, la distension de la vessie, et jusqu’à la température des
membres et du cerveau lui-même. Lorsqu’une stimulation devient trop intense
et qu’elle risque d’endommager l’organisme, les informations somatiques sont
aussi responsables d’un autre type de perception plus désagréable mais vitale :
la douleur.
Le système sensoriel somatique diffère des autres systèmes sensoriels, au
moins sur deux points. D’abord, ses récepteurs sont distribués dans tout le corps
et non en des endroits spécialisés comme c’est le cas pour les autres systèmes de
ce type ; ensuite, parce qu’il répond à plusieurs types de stimuli, il apparaît plus
comme représentant au moins quatre sens distincts plutôt qu’un seul : le sens
du toucher, de la perception de la température, de la douleur, et de celle de la
position du corps dans l’espace. En fait, parce que chacun de ces quatre sens peut
être subdivisé en plusieurs sous-types, le système sensoriel somatique apparaît
comme étant réellement à même de capter absolument toutes les informations
issues du milieu environnant et générées par le corps lui-même, autres que celles
liées à la vision, l’audition, la perception du goût, de celle des odeurs et du sens
de l’équilibre. L’idée communément admise selon laquelle nous disposons de
cinq sens paraît ainsi objectivement très simpliste.
Lorsqu’un sujet touche inopinément un objet avec son doigt sans le voir, il
est immédiatement à même d’identifier la partie du corps qui a touché l’objet, la
durée et la force du contact, voire la texture et la forme de l’objet rencontré. S’il
s’agit d’une punaise, il y a peu de chance pour que l’objet puisse être identifié
comme un marteau. Si le contact avec l’objet se déplace du doigt vers le poignet,
puis jusqu’au bras et à l’épaule, le sujet est également capable de dire le trajet
du contact en évaluant la vitesse et la position instantanée du contact. Comme
le sujet ne voit pas l’objet, cette sensation se trouve entièrement dévolue aux
systèmes ­sensoriels du bras. Ainsi, un seul récepteur sensoriel paraît à même de
coder toutes les caractéristiques du stimulus telles que son intensité, sa durée, sa
position et, quelquefois, sa direction. Cependant, un simple stimulus active géné-
ralement un très grand nombre de récepteurs sensoriels. La tâche du système
nerveux est alors d’intégrer et d’interpréter les informations générées par une
large frange de stimuli, et d’utiliser ces informations pour établir une perception
cohérente de la situation.
Dans ce chapitre, nous allons successivement nous intéresser aux sensations
somatiques, sous deux aspects : tout d’abord nous étudierons le sens du toucher,
puis nous aborderons la douleur. Comme nous le verrons, ces différents types
de sensations dépendent de récepteurs spécialisés, de voies neuronales particu-
lières, et de centres nerveux qui leur sont propres. Nous aborderons également les
mécanismes de la perception des démangeaisons et ceux des variations de tem-
pérature (ou thermoception), en dehors de la douleur. La proprioception, c’est-
à-dire le sens de la position du corps, ne sera abordée que dans le chapitre 13,
où nous verrons comment l’information sensorielle est utilisée pour contrôler
l’activité réflexe.
414 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Le toucher
Le sens du toucher commence avec la peau (Fig. 12.1). La peau ne consti-
tue pas un tissu homogène, comme le montre le simple examen de la main : le
dos et la paume représentent par exemple des régions respectivement pourvues
et dépourvues de poils (glabres), illustrant les deux principaux types de peau
recouvrant notre corps. La peau est constituée d’une couche externe, l’épiderme,
et d’une couche interne, le derme. La peau a un rôle essentiellement protecteur,
notamment vis-à-vis des effets de déshydratation liés à la nature sèche de l’envi-
ronnement dans lequel nous évoluons. Mais la peau sert aussi d’interface avec cet
environnement et, à ce titre, représente l’organe sensoriel le plus développé dont
nous disposons. Imaginez la plage sans la sensation des grains de sable entre les
orteils… ou surprendre un baiser sans en avoir personnellement l’expérience…
La peau est extrêmement sensible. Elle peut percevoir la pointe d’un objet dont
la taille n’excède pas 0,006 × 0,04 mm ! À titre d’illustration, par exemple, la
taille d’un caractère de l’écriture braille est 167 fois plus importante.
Dans cette première partie du chapitre, nous allons voir comment le fait de
toucher la peau va être transformé en signaux nerveux, et comment ces signaux
sont transférés au système nerveux central où ils sont intégrés pour être perçus
comme une sensation organisée.

Mécanorécepteurs cutanés
La plupart des récepteurs sensoriels du système somatique sont des mécano-
récepteurs sensibles à des stimuli mécaniques, tels que l’étirement ou le mouve-
ment des articulations. Présents sur l’ensemble du corps, ils contribuent à infor-
mer le système nerveux des contacts avec la peau, de la pression intracardiaque
et dans les vaisseaux sanguins, des contractions des organes digestifs et de la
vessie, ou encore de la pression exercée au niveau des dents à l’intérieur de la
mâchoire. Le centre du dispositif de réception des informations sensorielles est
ici constitué dans chaque cas de terminaisons nerveuses amyéliniques sensibles
aux déformations, que ce soit un étirement, une courbure, une variation de pres-
sion ou encore une vibration. Les mécanorécepteurs de la peau sont représen-
tés sur la figure 12.1. La plupart d’entre eux ont pris le nom des histologistes
allemands et italiens qui les ont découverts au xixe siècle. Les plus importants
et les plus étudiés sont les corpuscules de Pacini situés dans le derme, et qui
peuvent atteindre la taille de 2 mm et avoir un diamètre de presque 1 mm. Chez

Région pileuse Région glabre

Récepteur
de Merkel
Épiderme

Limite entre l’épiderme


et le derme
Terminaison
nerveuse libre
Derme
Corpuscule
Figure 12.1 – Récepteurs sensoriels de la de Meissner
peau.
Les régions de la peau couvertes de poils et Récepteur
folliculaire des poils
les régions glabres présentent une variété de
récepteurs sensoriels localisés dans le derme Corpuscule
et l’épiderme. Chaque récepteur possède de Pacini
un axone et, à l’exception des terminaisons
nerveuses libres, tous présentent des tissus Corpuscule
non-neuronaux qui leurs sont associés. de Ruffini
12 – Système sensoriel somatique 415

l’homme, chaque main comporte environ 2 500 corpuscules de Pacini, avec une
densité particulièrement élevée dans les doigts. Les corpuscules de Ruffini, mis
en évidence à la fois dans les zones pileuses et glabres, sont quant à eux assez
semblables aux corpuscules de Pacini. Les corpuscules de Meissner sont environ
dix fois plus petits que les corpuscules de Pacini et sont localisés dans les zones
glabres, notamment à l’extrémité des doigts, à l’endroit de la région correspon-
dant aux empreintes digitales, par exemple. Les disques de Merkel sont localisés
dans l’épiderme et représentent des terminaisons nerveuses associées à une cel-
lule épithéliale non neuronale, la cellule de Merkel. Les bulbes de Krause, enfin,
représentent des mécanorécepteurs situés dans les contours des régions de peau
sèche et des muqueuses (autour des lèvres et des organes génitaux, par exemple),
se présentant sous forme de terminaisons nerveuses qui ressemblent à des séries
de perles enfilées.
La peau peut être soumise à des vibrations, elle peut être pressée, piquée,
ou recevoir des coups, et par ailleurs ses poils peuvent être repoussés ou tirés.
Toutes ces actions représentent différents types de stimulations mécaniques que
nous pouvons parfaitement ressentir et distinguer entre elles. En accord avec la
diversité de ces sensations, les différents types de mécanorécepteurs répondent
préférentiellement à l’une ou l’autre de ces stimulations, et se distinguent égale-
ment entre eux par leur aptitude à répondre à des stimulations répétées, par leur
réponse en fonction de l’intensité de la stimulation, ou encore par la dimension
de leur champ récepteur. Le neurobiologiste suédois Åke Vallbo et ses collè-
gues ont développé des méthodes d’enregistrement à partir de fibres uniques
des nerfs sensoriels chez l’homme. Ainsi ces chercheurs ont-ils été à même de
mesurer simultanément, par exemple, la sensibilité des mécanorécepteurs de la
main et d’évaluer les perceptions produites par différents stimuli mécaniques
(Fig. 12.2a). Lorsque la pointe du stimulateur touche la surface de la peau et se
déplace autour du point de contact, le champ récepteur correspondant à un seul
mécanorécepteur peut être établi. Les corpuscules de Meissner et les disques de
Merkel présentent des champs récepteurs de petite taille, de seulement quelques
millimètres, alors que les corpuscules de Pacini et ceux de Ruffini ont des champs
récepteurs plus larges, pouvant couvrir jusqu’à un doigt entier ou même la moi-
tié de la paume de la main (Fig. 12.2b).

Stimulateur Électrode
d’enregistrement

Champ Nerf
récepteur médian
(a)

Figure 12.2 –  Détermination des champs


récepteurs sensoriels chez l’homme.
(a) En plaçant une microélectrode dans le nerf
médian du bras, il est possible d’enregistrer
l’activité d’une seule fibre sensorielle et de
cartographier son champ récepteur dans la
main en utilisant un petit stimulateur. (b) Les
résultats montrent que les champs récepteurs
sont de type soit relativement petit, comme
dans le cas des corpuscules de Meissner, soit
plus larges comme pour les corpuscules de
Corpuscules de Meissner Corpuscules de Pacini
Pacini. (Source : adapté de Vallbo et Johans-
(b) son, 1984.)
416 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Les mécanorécepteurs diffèrent également par les caractéristiques de leurs


réponses à des stimuli persistants. Si la pointe du stimulateur est appliquée
soudainement sur un champ récepteur, certains mécanorécepteurs comme les
corpuscules de Meissner ou de Pacini, répondent rapidement à la stimulation.
Cependant, si cette stimulation est maintenue ils arrêtent de décharger. Ces récep-
teurs sont dits « à adaptation rapide ». D’autres récepteurs, comme les disques
de Merkel ou les corpuscules de Ruffini, sont par opposition dits « à adaptation
lente » et génèrent des réponses plus soutenues lorsque la stimulation est main-
tenue. La figure 12.3 résume les caractéristiques des principaux types de récep-
teurs en termes de taille des champs récepteurs et de leur vitesse d’adaptation.
Les cheveux ne constituent pas un simple ornement de la tête et les poils des
chiens ne sont pas là que pour les protéger du froid en hiver. Les poils, en général,
sont partie intégrante du système sensoriel. Pour s’en rendre compte, il suffit de
stimuler un poil du bras, par exemple à l’aide de la pointe d’un crayon ; ceci se
traduit par une sensation équivalente à celle produite par un moustique venant
vous agacer… Dans certains cas, les poils représentent un système d’informa-
tion sensorielle majeur. Imaginez un rat se déplaçant dans un passage étroit très
sombre. Le déplacement du rat s’accompagne de mouvements des vibrisses (les
moustaches) lui permettant d’explorer son environnement immédiat, et d’avoir
des informations précises sur la texture, la distance et la forme des objets qui
l’entourent.
Les poils proviennent de follicules situés dans la peau, chaque follicule étant
richement innervé à partir de terminaisons nerveuses libres présentes en grand
nombre, qui l’entourent ou qui sont parallèles au follicule (voir Fig. 12.1). Il
existe plusieurs types de ces follicules dont certains présentent des muscles érec-
tiles (essentiels pour la perception de sensations particulières telles que celles
liées à la chair de poule). Dans ce cas, l’innervation du follicule est quelque peu
différente, mais dans tous les cas le changement de position du poil entraîne une
déformation du follicule et des tissus environnants. Par voie de conséquence, les
terminaisons nerveuses sont étirées, déformées ou aplaties, ce qui a pour effet
de modifier leur fréquence de décharge. Les mécanorécepteurs présents dans les
follicules des poils peuvent être soit à adaptation lente, soit à adaptation rapide.
Les différents types de stimulations sensorielles mécaniques sont à l’origine
de sensations elles-mêmes diverses. Les corpuscules de Pacini sont particuliè-
rement sensibles aux vibrations de fréquence entre 200 et 300 Hz alors que
les corpuscules de Meissner répondent plutôt autour de 50 Hz (Fig. 12.4). Par
exemple, si vous posez la main sur une enceinte de votre chaîne hi-fi diffusant
votre musique favorite assez fortement, vous êtes à même de « ressentir » cette
musique grâce à vos corpuscules de Pacini. Si maintenant vous pointez le doigt
sur le tissu qui recouvre la basse de votre enceinte, chaque point de l’extrémité du
doigt recevra de plein fouet les vibrations à une fréquence optimale pour activer
les corpuscules de Meissner. Dans ce cas la sensation est assez grossière, mais
d’autres stimulations, par exemple de basse fréquence comme de 1 à 10 Hz, sont
susceptibles d’activer les corpuscules de Meissner, conduisant à une sensation
plus élaborée.

Taille des champs récepteurs


Étroit Large
Corpuscule de Meissner Corpuscule de Pacini
Déplacement
Rapide du stimulateur
Adaptation

Décharge
axonale
Disque de Merkel Terminaison de Ruffini
Lente

Figure 12.3 – Variation de la taille des champs récepteurs et de la vitesse d’adaptation de diffé­


rents types de récepteurs sensoriels somatiques. (Source : adapté de Vallbo et Johansson, 1984.)
12 – Système sensoriel somatique 417

Corpuscule de Meissner
1 000
Zone de peau stimulée (µm)

100

10

Corpuscule de Pacini
1
10 50 100 300 1 000

Fréquence de stimulation (Hz)

Figure 12.4 – Sensibilité à la fréquence de deux mécanorécepteurs de la peau à adaptation


rapide.
Les corpuscules de Pacini constituent les récepteurs les plus sensibles aux stimuli de haute fré-
quence, alors que les corpuscules de Meissner sont plus sensibles aux stimuli de basse fréquence.
Dans cette expérience, la peau est stimulée par une sonde générant une pression à des fréquences
variables, et les enregistrements sont réalisés à partir du nerf. L’amplitude des stimuli est ajustée
au niveau du déclenchement des potentiels d’action ; les seuils sont mesurés en micromètres (μm)
de peau stimulée. (Source : adapté de Schmidt, 1978.)

Vibrations et corpuscules de Pacini. La sélectivité des mécanorécepteurs


dépend d’abord de la structure même des terminaisons nerveuses qui lui sont
associées. Par exemple, le corpuscule de Pacini est organisé sur la base d’une
capsule formée d’une série de 20 à 70 couches concentriques de tissu conjonc-
tif, arrangées un peu comme des pelures d’oignon, avec une terminaison ner-
veuse au centre (voir Fig. 12.1). Lorsque la capsule ainsi formée est comprimée,
l’énergie est transférée à la terminaison nerveuse dont la membrane se trouve
déformée, ce qui a pour conséquence d’ouvrir des canaux ioniques mécanosen-
sibles. Les transferts ioniques qui en résultent génèrent un potentiel de récepteur
dépolarisant (Fig. 12.5a). Si la dépolarisation est suffisante, un potentiel d’action
va être déclenché et parcourir l’axone de ce récepteur. Toutefois, le mouvement
des différentes couches du récepteur est de nature très souple, un liquide vis-
queux assurant leur déplacement. Si la stimulation qui s’exerce sur le récepteur
est maintenue, les différentes couches du corpuscule de Pacini glissent les unes
sur les autres et l’énergie est transférée vers sa périphérie, faisant que la termi-
naison nerveuse n’est pas déformée plus longtemps. Dans ce cas le potentiel de
récepteur n’est plus généré. Lorsqu’enfin la pression sur la peau est retirée, les
événements s’inversent d’eux-mêmes et la terminaison nerveuse est prête pour
une nouvelle activation.
Dans les années 1960, Werner Loewenstein et ses collaborateurs, de l’Univer-
sité de Columbia, ont réussi à retirer la capsule de corpuscules de Pacini isolés.
Ils ont alors démontré que la terminaison nerveuse ainsi mise à nu devenait
moins sensible aux vibrations, mais l’était en revanche beaucoup plus aux pres-
sions maintenues (Fig. 12.5b). Ainsi il apparaissait clairement que c’est la cap-
sule, et non directement la fibre nerveuse, qui conférait au corpuscule de Pacini
la capacité de réagir aux vibrations de haute fréquence et de ne pas répondre aux
stimulations persistantes (voir Fig. 12.4). Pour pouvoir transmettre au système
nerveux central les informations relatives aux vibrations rapides, les corpuscules
de Pacini présentent ainsi des axones de plus gros diamètre et les plus rapides
dans la peau.
418 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Stimulateur

Axone
Corpuscule
intact

Capsule

Potentiel
de récepteur

Temps

(a)

Axone
Corpuscule
dénudé

Potentiel
de récepteur

Temps

(b)

Figure 12.5 – Adaptation du corpuscule de Pacini.


Un corpuscule de Pacini isolé est stimulé par une petite sonde qui le déforme brièvement. Le
potentiel de récepteur est enregistré à partir d’une région voisine de l’axone. (a) Lorsque le cor-
puscule est intact, un potentiel de récepteur de grande amplitude est enregistré, correspondant à
l’application et à l’arrêt de la stimulation ; lorsque la pression est maintenue, le potentiel de récep-
teur disparaît. (b) Dans ce cas, la capsule qui entoure normalement la terminaison nerveuse est
disséquée, laissant l’extrémité de l’axone dénudée. Lorsque celle-ci est déformée par le stimulus,
le potentiel de récepteur est à nouveau généré, démontrant que la capsule n’est pas indispensable
à la mécanoréception. Cependant, alors que le corpuscule de Pacini intact ne répond normalement
qu’à l’application du stimulus et à son arrêt, l’activation directe de la terminaison nerveuse conduit
à une réponse prolongée. Dans ce cas, la vitesse d’adaptation est lente, démontrant que c’est
apparemment la capsule qui rend le corpuscule de Pacini insensible aux basses fréquences de
stimulation.

Canaux ioniques sensibles aux déformations. Les mécanorécepteurs de


la peau présentent tous un axone amyélinique. Les membranes de ces axones
­possèdent des canaux ioniques mécanosensibles, qui convertissent les forces
mécaniques en des changements de courants ioniques. Les forces appliquées
sur ces canaux ioniques modifient leur conductance, à la hausse ou au contraire
à la baisse. Les forces peuvent être appliquées sur le canal par la membrane elle-
même lorsque celle-ci est, par exemple, étirée ou déformée. Mais les forces peuvent
aussi être appliquées au travers d’interconnexions entre les canaux eux-mêmes et
des protéines extracellulaires ou, à l’inverse, des éléments du cytosquelette (par
exemple l’actine ou des protéines des microtubules) (Fig. 12.6). Alternativement,
des stimuli mécaniques peuvent parfois déclencher la libération de seconds mes-
sagers (de type DAG ou IP3), qui régulent secondairement les canaux ioniques.
Divers types de canaux ioniques sont impliqués dans la mécanosensation
mais, pour l’essentiel, la plupart des canaux intervenant spécifiquement dans
les mécanorécepteurs restent à caractériser. Des travaux récents sur les disques
de Merkel, ces récepteurs qui répondent à de légères pressions de la peau, sug-
gèrent la complexité des récepteurs du toucher (voir Fig. 12.1). Les cellules de
Merkel, dont la nature épithéliale et non neuronale a été rappelée plus haut,
12 – Système sensoriel somatique 419

Milieu extracellulaire Na+ Ca2+

Force

Milieu intracellulaire

(a)

Protéine extracellulaire

Na+ Ca2+
Force

Figure 12.6 – Canaux ioniques mécano­


sensibles.
(b) (a) Quelques canaux ioniques membra-
naires sont sensibles à l’étirement de la
membrane lipidique ; les tensions appliquées
à la membrane induisent l’ouverture de ces
Na+ Ca2+ canaux et permettent l’entrée de cations
dans la cellule. (b) D’autres types de canaux
ioniques s’ouvrent lorsque des forces sont
appliquées sur des éléments extracellulaires
qui leurs sont associés, par l’intermédiaire
de protéines, notamment. (c) Les canaux
ioniques mécanosensibles peuvent également
Protéine Force être associés à des protéines intracellulaires,
du cytosquelette particulièrement celles du cytosquelette. Dans
ce cas une déformation de la cellule ou un
stress appliqué au cytosquelette génèrent des
(c) forces qui régulent l’ouverture de ces canaux.

font synapse sur des terminaisons axoniques. Il apparaît que, dans ce modèle,
ce sont à la fois la cellule de Merkel et la terminaison axonique qui ont des pro-
priétés mécanosensibles. Les cellules de Merkel présentent des canaux ioniques
mécanosensibles nommés Piezo2, qui s’ouvrent en réponse à la pression sur la
peau et dépolarisent la cellule. La dépolarisation déclenche la sécrétion d’un
neurotransmetteur dont la nature reste à ce jour inconnue, qui va à son tour
dépolariser la terminaison nerveuse. De façon surprenante, il apparaît que la ter-
minaison nerveuse est également mécanosensible, du fait qu’un second type de
canal ionique mécanosensible (dont la nature reste là aussi inconnue) est localisé
dans sa propre membrane. Par conséquent, les actions de ces différents types de
dispositifs mécanosensibles coopèrent pour contribuer à l’activation des disques
de Merkel et des axones qui leurs sont associés.
Discrimination sensorielle.  Notre capacité à discriminer les détails d’un sti-
mulus particulier n’est pas la même en tout point de notre corps. Ce pouvoir
discriminatif peut être évalué simplement, par la mesure de la résolution de deux
points, en utilisant par exemple un trombone servant habituellement d’épingle
à papier. Si vous prenez la partie opposée à celle en forme de U, et que vous
dégagez les deux extrémités libres du trombone, vous disposez d’un moyen d’ap-
pliquer simultanément sur la peau une stimulation en deux points, par exemple
au bout d’un doigt. Dans ce cas, en conservant la position respective de ces deux
420 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Gros extrémités, vous n’avez aucun mal à percevoir que la stimulation est effective-
orteil ment appliquée en deux points. Ramenez maintenant ces deux extrémités l’une
Plante du pied
vers l’autre, en pliant un peu le trombone. En procédant progressivement par
étapes de cette manière, vous atteindrez une distance entre les extrémités pour
Mollet laquelle vous ne serez plus à même d’indiquer qu’il y a effectivement deux points
de stimulation au niveau du doigt. Renouvelez ensuite cette expérience simple
sur le dos de la main, les lèvres, ou encore sur différentes parties de la jambe, puis
comparez vos résultats à ceux rapportés à la figure 12.7.
Le niveau de discrimination entre deux points varie d’un rapport d’au moins
Dos 1 à 20 entre les différentes parties du corps. C’est à l’extrémité des doigts que le
pouvoir discriminatif est le plus élevé. À cet égard il est notable que les dimen-
42 mm sions des caractères de l’écriture Braille sont d’environ 1 mm sur 2,5 mm, six
éléments au plus formant une lettre, et un lecteur expérimenté dans ce domaine
Lèvres est capable de lire environ 600 lettres à la minute à la pointe de son index, c’est-
à-dire à peu près autant que vous pouvez le faire vous-même. Les lecteurs du
braille utilisent l’extrémité de leurs doigts pour scanner les pages du fait de la
Avant-bras sensibilité particulière de cette région de la peau et de son haut degré de réso-
lution spatiale. La pratique augmente aussi les performances au travers d’une
Pouce forme d’apprentissage et de mémoire, et les lecteurs expérimentés présentent la
Index
particularité d’accroître encore ce pouvoir discriminant de l’extrémité des doigts.
Pour rendre compte de cette faculté extrême de discrimination de l’index dans
Figure 12.7 – Niveau de discrimination de la lecture en braille par rapport à d’autres parties du corps, il faut savoir que :
deux points en différentes régions du corps. •• c’est à l’extrémité des doigts que se trouve la plus forte densité en méca-
Les limites illustrent la distance minimum
norécepteurs ;
nécessaire pour percevoir deux points stimu-
lés simultanément en différents endroits du •• les extrémités des doigts possèdent principalement des mécanorécepteurs
corps. Notez que la sensibilité de l’extrémité à champ récepteur restreint (par exemple, les disques de Merkel) ;
des doigts est beaucoup plus élevée que celle •• les régions de cerveau impliquées dans le traitement de l’information sen-
du reste du corps. sorielle issue de cette partie de la peau sont proportionnellement beaucoup
plus importantes que celles correspondant à d’autres parties du corps ;
•• il existe des mécanismes spécifiques du traitement des informations néces-
sitant un haut degré de discrimination.

Afférences sensorielles primaires


La peau est richement innervée par des axones parcourant le vaste réseau
des nerfs périphériques qui la connectent au système nerveux central (Fig. 12.8).
Ces axones, transférant l’information issue des récepteurs sensoriels à la moelle
épinière ou au tronc cérébral, sont dénommés axones des afférences sensorielles
primaires du système somatique. Ils pénètrent dans la moelle épinière par les
racines dorsales, les corps cellulaires des neurones auxquels ils appartiennent
étant quant à eux situés dans les ganglions rachidiens ou ganglions des racines
dorsales (Fig. 12.9).

Substance blanche
Substance grise
Racine
dorsale
Ganglion de la racine dorsale

Neurone des ganglions


des racines dorsales

Récepteur
sensoriel

Racine Nerf
ventrale spinal

Figure 12.8 – Les nerfs périphériques. Figure 12.9 – Structure de la moelle épinière et de ses racines.


12 – Système sensoriel somatique 421

Les axones des afférences primaires sont de diamètre très variable. Le dia-
mètre des fibres sensorielles peut être directement mis en rapport avec le type de
récepteur sensoriel auxquels correspondent ces axones, et à partir de là les choses
auraient pu être simples si la terminologie utilisée pour les désigner n’était pas si
compliquée. En effet, pour les distinguer les axones de différents diamètres sont
désignés par une nomenclature double utilisant soit des lettres empruntées à la
fois à l’écriture arabe et à l’écriture grecque, soit des chiffres romains. Comme
cela est illustré sur la figure 12.10, par ordre de diamètre décroissant, les axones
provenant des récepteurs cutanés sont regroupés en fibres de groupes Aα, Aβ,
Aδ et C, et les axones de même diamètre, mais issus des muscles et des tendons,
sont reconnus comme appartenant aux groupes I, II, III, et IV. Le groupe C (ou
IV) représente le contingent des fibres amyéliniques, par définition ; les autres
fibres étant toutes myélinisées.
Cette nomenclature complexe révèle cependant l’existence de choses simples.
Si vous vous souvenez que le diamètre de l’axone, et la présence de myéline, condi-
tionne la vitesse de conduction des potentiels d’action, les axones du groupe C,
amyéliniques et de plus fin diamètre (environ 1 μm), représentent les fibres les
plus lentes. Leur vitesse de conduction est d’environ 0,5 à 1 m/s et ces fibres
sont impliquées dans la nociception, les démangeaisons et dans la sensation de
la température. Il est possible d’avoir une idée de la lenteur de leur conduction.
Par exemple, faites un pas assez large, comptez jusqu’à deux, puis effectuez un
second pas. Vous aurez ainsi une idée assez précise de la vitesse de conduction
des fibres C. En revanche, les sensations correspondant au toucher, véhiculées à
partir des mécanorécepteurs cutanés, sont transmises par des axones de relati-
vement gros diamètre, du type Aβ, qui peuvent conduire les potentiels d’action
à des vitesses supérieures à 75 m/s. À titre de comparaison, un bon joueur de
base-ball professionnel peut envoyer une balle à la vitesse de 45 m/s, ce qui donne
une idée là encore de la vitesse de propagation des influx nerveux dans ce groupe
de fibres très rapides.

Axones Aα Aβ Aδ C
sensoriels

Axones Groupe I II III IV


des fibres
sensorielles
musculaires

Diamètre 13–20 6–12 1–5 0,2–1,5 Figure 12.10 – Différentes tailles des axones


(µm) des afférences primaires.
Les axones sont représentés à l’échelle les
Vitesse 80–120 35–75 5–30 0,5–2 uns par rapport aux autres, mais leur taille
(m/s)
est ici environ 2 000 fois supérieure à la
Récepteurs Propriocepteurs des Mécanorécepteurs Douleur, Température, normale. Le diamètre de l’axone est corrélé
sensoriels muscles squelettiques de la peau température douleur, avec sa vitesse de conduction et avec le
démangeaisons type de récepteur sensoriel avec lequel il est
connecté.
422 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Organisation générale de la moelle épinière


La plupart des nerfs périphériques communiquent avec le système nerveux
par la moelle épinière, qui se trouve à l’intérieur de la colonne vertébrale.
Organisation segmentaire de la moelle épinière.  La figure 12.9 illustre l’or-
ganisation de base de la moelle épinière, avec les deux éléments principaux repré-
sentés par les racines dorsales et les racines ventrales assurant la relation avec
le reste de l’organisme. Ce motif de base est répété 30 fois le long de la moelle
épinière, chez l’homme. Chaque nerf spinal est formé par l’association des fibres
issues des racines dorsales et ventrales, et il émerge de la moelle par une petite
ouverture située entre les vertèbres. Il y a autant de nerfs qu’il se trouve d’espaces
entre les vertèbres. La figure 12.11 illustre le fait que les 30 segments spinaux
sont divisés en quatre groupes, chaque segment étant dénommé par rapport à
sa vertèbre d’origine : cervical (C) 1-8 ; thoracique (T) 1-12 ; lombaire (L) 1-5 ;
sacré (S) 1-5.

Moelle
1 épinière
2
3 C2 Vertèbres
Moelle 4
cervicale 5
Cervical
6
7
8
1 T1

Moelle 2
3
thoracique 4
5
6
7 Thoracique
8
9
10
11
12
Moelle L1
lombaire 1

2
Moelle Lombaire
sacré
3

5 Sacré
S1
1
2
3
4
5

Nerfs spinaux

Figure 12.11 – Organisation segmentaire de la moelle épinière.


La moelle épinière est divisée en quatre grandes parties (à gauche) : cervicale, thoracique, lombaire
et sacrée. Le schéma de droite illustre la moelle épinière telle qu’elle est positionnée à l’intérieur
de la colonne vertébrale. Les nerfs spinaux sont dénommés d’après le niveau de la moelle épinière
dont ils sont issus, et ils sont numérotés, dans l’ordre, du plus rostral au plus caudal.
12 – Système sensoriel somatique 423

L’organisation segmentaire des nerfs spinaux et celle de l’innervation sen-


sorielle cutanée, correspondent. La région de la peau innervée par les racines
dorsales d’un seul segment spinal est dénommée dermatome. De ce fait, il existe
une correspondance stricte entre le nombre de dermatomes et celui des segments
spinaux. Lorsque l’on en réalise la cartographie sur le corps, les dermatomes
délimitent des régions juxtaposées de la peau (Fig. 12.12). L’organisation des
dermatomes est encore plus évidente en position penchée en avant, lorsque les
mains tendent à toucher le sol (Fig. 12.13). Cette organisation reflète vraisembla-
blement celle qui existait chez nos lointains ancêtres quadrupèdes.
Lorsqu’une racine dorsale est sectionnée, le dermatome correspondant,
du même côté du corps, ne perd pas totalement ses sensations. La sensation
somatique résiduelle est expliquée par le fait que les racines dorsales adjacentes
innervent des zones qui se chevauchent. Pour perdre toute sensation dans un
dermatome, il est nécessaire que trois racines adjacentes soient détériorées. La
région de la peau innervée par les axones d’une racine dorsale est particulière-
ment bien révélée dans une situation pathologique très douloureuse, correspon-
dant au zona, dans laquelle tous les neurones d’un seul ganglion rachidien sont
affectés par un virus (Encadré 12.1).

C2
C3
C4
C5
C2 C6
C3 C7
C4 Cervical C8
C5 T1
T1 T2
T2 T3
T3 T4
T4 T5
T6
T5 T7
T6 T8
T9
T7 Thoracique T10
T8 T11
T12
T9 L1
L2
T10 L3
T11 L4
L5
T12
C5 L1
S1
S2–S4 S2 C6
C6 S3
C7 S4
L2 S5 C7
C8 L3 C8
L4
Lombaire
L5
S1
S2
L3

L5
L4

Sacré

S1

L5

Figure 12.12 – Dermatomes.
Les schémas illustrent les limites approximatives de chaque dermatome.
424 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cervical Thoracique Lombaire Sacré

Figure 12.13 – Répartition des dermatomes


sur les quatre niveaux de la moelle épinière.

La figure 12.11 illustre aussi le fait que la moelle épinière se termine, chez


l’adulte, environ au niveau de la troisième vertèbre lombaire. Les faisceaux de
nerfs spinaux émergeant de la moelle épinière à partir des régions lombaires et
sacrées de la colonne dorsale forment la queue de cheval, qui se termine par une
zone renflée de la dure-mère remplie de liquide céphalorachidien (LCR). Dans
le cas des ponctions lombaires pratiquées en vue d’analyses pour effectuer des
diagnostics, c’est dans cette région formant une citerne qu’est insérée entre deux
vertèbres l’aiguille de ponction. Évidemment, si l’aiguille est introduite légère-
ment sur le côté, un nerf peut être touché, ce qui se traduit par une douleur
fulgurante dans le dermatome correspondant.
Organisation sensorielle de la moelle épinière.  L’organisation anatomique
de la moelle épinière a été présentée dans le chapitre 7. Elle comprend une partie
centrale formée de substance grise, entourée de faisceaux de fibres représentant
la substance blanche, encore dénommés colonnes. Chaque moitié de la substance
grise est subdivisée en une corne dorsale, une zone intermédiaire, et une corne
ventrale (Fig. 12.14). Les neurones qui reçoivent l’information sensorielle des
afférences sensorielles primaires sont dénommés neurones sensoriels de second
ordre ; la plupart de ces neurones se trouvent dans la moelle épinière elle-même,
dans la corne dorsale.

Colonnes dorsales Vers


le cerveau

Corne
dorsale

Axone Aβ

Figure 12.14 – Cheminement des fibres sen­ Zone


sorielles de type Aβ dans la moelle épinière. intermédiaire Corne ventrale
12 – Système sensoriel somatique 425

Encadré 12.1 FOCUS

Herpès, zona et dermatomes


A la suite d’une varicelle, la plupart d’entre nous se ment le territoire innervé par les neurones infectés, permet-
trouvent infestés par un virus de la varicelle et du zona, tant à tout un chacun de visualiser ce qu’est la réalité d’un
une variété de virus de l’herpès connue comme le virus de dermatome. Tous les dermatomes peuvent être affectés par
la varicelle des enfants. Après avoir été couvert de bou- le zona mais, en général, cette maladie intéresse le plus sou-
tons pendant environ une semaine, en général cette mala- vent des dermatomes thoraciques ou du territoire facial.
die de l’enfance n’a pas de suite. Cependant, si elle n’a Ces patients représentent alors des auxiliaires précieux des
pas donné de suites perceptibles, cette maladie a pour anatomistes pour délimiter le territoire correspondant à
conséquence de conduire à ce que le virus reste localisé chaque dermatome (voir Fig. 12.12).
dans les neurones sensoriels de nos ganglions rachidiens, Compte tenu de ses propriétés particulières, les neu-
sous forme dormante. La plupart des gens n’entendent roanatomistes utilisent aujourd’hui le virus de l’herpès,
plus jamais parler de cette infection mais, chez quelques- et d’autres virus voisins, pour effectuer des traçages de
uns, le virus se réactive, souvent plusieurs dizaines d’an- voies nerveuses. Ironiquement, les virus sont également
nées après, faisant des dégâts dans le système sensoriel. très utiles pour marquer les neurones, mais aussi pour y
Ceci est la cause du zona, à l’origine de douleurs atroces introduire de nouveaux gènes, et quelquefois même
qui peuvent durer des mois, voire des années. L’activation pour les tuer sélectivement.
du virus conduit à accroître l’excitabilité des neurones
sensoriels qui émettent des potentiels d’action à très bas
seuil, ce qui se traduit par une activité quasi constante.
La douleur du zona correspond à une sorte de brûlure
permanente, lancinante, et la peau est alors extrêmement
sensible à tout type de stimulus. Les patients qui souffrent
d’un zona évitent quelquefois même les vêtements, qu’ils
ne supportent pas. Quant à la peau elle-même, elle est le
siège d’une inflammation et se couvre de petites cloques
(Fig. A). Il existe aujourd’hui des traitements efficaces
qui réduisent la durée de la crise, atténuent la douleur et
évitent les complications de cette maladie.
Par chance le virus de l’herpès n’affecte habituellement
les neurones que d’un seul ganglion rachidien, ce qui signi-
fie que les symptômes sont strictement localisés aux axones Figure A – Lésions de la peau causées
correspondant aux neurones infectés et au territoire cutané par un zona, au niveau du dermatome
qu’ils innervent. De fait, le virus délimite remarquable- L4, du côté gauche.

Les axones myélinisés de gros diamètre de type Aβ, qui relaient l’information
relative au sens du toucher de la peau, pénètrent dans la moelle épinière par la
corne dorsale, puis se divisent. Certaines des branches de l’axone se terminent
dans les couches profondes de la corne dorsale et font synapse avec les neu-
rones sensoriels de second ordre. Ces connexions peuvent relayer ou intervenir
pour modifier toute une série de réflexes rapides et de caractère inconscient. Les
autres branches des axones sensoriels Aβ cheminent vers le cerveau. Ces projec-
tions ascendantes sont celles qui sont impliquées dans la perception consciente,
nous permettant de porter un jugement sur les stimuli qui ont touché notre peau.

Voies des colonnes dorsales et du lemnisque médian


Pour atteindre le cerveau, l’information sensorielle concernant le toucher ou
les vibrations de la peau utilise une voie neuronale totalement distincte de celle
véhiculant la douleur ou les informations relatives à la thermoception. Cette voie
neuronale spécifiquement impliquée dans la transmission des informations rela-
tives au sens du toucher est dénommée voie des colonnes dorsales et du lemnisque
médian. Son organisation est présentée sur la figure 12.15.
426 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex somatosensoriel
primaire (S1)

Noyaux des colonnes Thalamus


dorsales (noyau VPL)

Bulbe

Lemnisque
2 médian

Axones de gros diamètre Colonne


des racines dorsales dorsale

Figure 12.15 – Voie des colonnes dorsales-lemnisque


médian.
C’est la voie principale qui véhicule les informations
Moelle épinière
relatives au toucher et à la proprioception, de la péri-
1 phérie au cortex.

La branche ascendante des fibres Aβ, représentant les fibres sensorielles de


gros diamètre, pénètre la colonne dorsale de la moelle épinière située du côté
ipsilatéral, c’est-à-dire la zone de substance blanche se situant juste au niveau
médian par rapport à la corne dorsale (voir Fig. 12.14). Les colonnes dorsales
relaient l’information relative aux stimulations tactiles, mais aussi à la position
des membres. Ces colonnes sont formées des axones sensoriels primaires et des
axones des neurones de second ordre situés dans la corne dorsale. Les axones
des colonnes dorsales se terminent dans les noyaux des colonnes dorsales, situés
dans les régions les plus basses du tronc cérébral, à la jonction entre le bulbe et la
moelle épinière. Ainsi devez-vous réaliser que certains des axones qui atteignent
cette partie du cerveau à la base de votre tête, proviennent de régions aussi éloi-
gnées que la peau de votre gros orteil ! Cette voie nerveuse représente en fait le
moyen le plus direct et le plus rapide de transmettre l’information sensorielle de
la peau vers le cerveau, sans aucune synapse jusque-là.
À ce stade, l’information sensorielle est encore représentée uniquement ipsi-
latéralement, c’est-à-dire que les informations relatives au toucher provenant
du côté droit du corps, par exemple, sont représentées par l’activité de cellules
situées dans les noyaux des colonnes dorsales du côté droit. Les axones issus des
noyaux des colonnes dorsales prennent alors la direction de la partie ventrale et
médiane du bulbe, puis décussent. À partir de ce moment-là, le système sensoriel
somatique d’un côté du cerveau est impliqué dans le traitement des informations
sensorielles issues de l’autre côté du corps.
12 – Système sensoriel somatique 427

Les axones issus des neurones des noyaux des colonnes dorsales se retrouvent
au sein d’un faisceau de fibres très dense dénommé lemnisque médian. Le lem-
nisque médian traverse le bulbe, le pont et le mésencéphale, et ses axones se
terminent dans le noyau ventral postérolatéral (VPL) du thalamus. Ici il faut se
souvenir qu’aucun type d’information sensorielle n’atteint directement le cortex
sans relais thalamique (à l’exception de l’information olfactive). Les neurones du
VPL projettent vers des territoires corticaux spécifiques représentant le cortex
somatosensoriel primaire, ou S1.
Il est tentant de suggérer que l’information sensorielle est simplement trans-
férée sans modification, à travers les noyaux du tronc cérébral et du thalamus,
jusqu’au niveau cortical où s’effectuerait seulement la véritable intégration de
ces informations sensorielles. C’est ce qui transparaît des termes noyaux de relais
souvent utilisés pour désigner les noyaux sensoriels spécifiques du thalamus tel
que le VPL. Les résultats des études électrophysiologiques prouvent qu’il en est
autrement. De nombreuses transformations des signaux interviennent tant dans
les colonnes dorsales que dans le thalamus. En règle générale, l’information est
transformée chaque fois qu’elle franchit un certain nombre de synapses du sys-
tème nerveux. En particulier, il existe des interactions inhibitrices entre groupes
de fibres de la voie des colonnes dorsales et du lemnisque médian, qui inter-
viennent pour accroître la réponse aux stimuli tactiles (Encadré 12.2). Comme
nous le verrons ultérieurement dans ce chapitre, un certain nombre de synapses
de ces systèmes sensoriels voient leur efficacité se modifier en fonction de leur
activité. Enfin, les neurones du thalamus, ou des noyaux des colonnes dorsales,
reçoivent aussi des messages descendant du cortex, qui modulent leur activité.
De ce point de vue il est remarquable que les messages issus du cortex puissent
exercer un contrôle sur les informations qui lui arrivent !

Voies trigéminales sensorielles


Tout ce qui précède porte sur la description des voies sensorielles qui
pénètrent dans le cerveau par la moelle épinière. En ce qui concerne la face,
l’information sensorielle est principalement relayée par les nerfs trigéminaux
(Ve paire de nerfs crâniens), pénétrant dans le cerveau au niveau du pont (voir
chapitre 7). « Trigéminal » provient du latin tria (pour « trois ») et geminus (pour
« jumeaux »). Les nerfs trigéminaux sont situés de part et d’autre du cerveau, et
chacun amène les informations issues de trois nerfs périphériques innervant la
face, la région de la bouche, la région correspondant aux deux tiers antérieurs
de la langue, et aussi de la dure-mère recouvrant le cerveau. Des informations
complémentaires sur les régions de la face situées autour des oreilles, des régions
nasales, et du pharynx sont véhiculées par d’autres nerfs crâniens : le facial (VII),
le glossopharyngien (IX) et le nerf vague (X).
Les voies trigéminales sont très semblables à celles issues des racines dor-
sales. Les fibres de gros diamètre véhiculent l’information des mécanorécepteurs
cutanés et font synapse sur des neurones de second ordre du noyau trigéminal
ipsilatéral, analogue du noyau des colonnes dorsales (Fig. 12.16). Les axones
issus du noyau trigéminal décussent et projettent sur la partie médiane du noyau
ventral postérieur du thalamus. À partir de là, l’information est transmise au
cortex somatosensoriel.

Cortex somatosensoriel
Comme pour l’ensemble des autres systèmes sensoriels, le niveau d’intégra-
tion le plus achevé des informations somatosensorielles intervient dans le cortex
cérébral. L’essentiel du cortex somatosensoriel est localisé dans le lobe pariétal
(Fig. 12.17). À ce niveau, les aires somatosensorielles primaires (S1) sont faciles
à identifier chez l’homme, occupant une région du cortex qui couvre le gyrus
post-central (à droite du sillon central). Le cortex somatosensoriel est formé par
l’aire 3b de Brodmann (voir aussi la figure 7.28 illustrant la répartition des aires
de Brodmann). Cette aire 3b est flanquée d’autres aires corticales participant
également à l’intégration des informations sensorielles : les aires 3a, 1 et 2 du
gyrus post-central, et les aires 5 et 7 du cortex pariétal postérieur (Fig. 12.17).
428 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 12.2 BASES THÉORIQUES

Inhibition latérale
L’information subit en général un certain nombre de décharge de la cellule « d » augmente pour atteindre
transformations en passant d’un neurone à l’autre, au 10 impulsions/s. Si l’on considère que le message de sortie
niveau des synapses. C’est le cas dans les systèmes sen- des noyaux des colonnes dorsales est équivalent au mes-
soriels. L’une de ces transformations consiste en une sage d’entrée (gain synaptique : x 1), on peut donner une
amplification des différences d’activité entre neurones valeur arbitraire à ce message : le message d’entrée en « d »
voisins, ce que l’on nomme augmentation de contraste. est par exemple de 10 et le message de sortie en « D » est
Ce type de mécanisme a d’ailleurs déjà été évoqué pour donc également de 10. Dans ce cas, le relais synaptique
les champs récepteurs, dans la rétine (voir chapitre 9). n’augmente pas les différences entre les neurones les plus
Dans ce cas, si tous les photorécepteurs innervant une actifs, notés ici par exemple « d », et les autres qui sont
cellule ganglionnaire sont indifféremment illuminés, la autour. Le contraste entre l’activité du neurone « D » et ses
cellule va répondre assez fortement. En revanche, s’il neurones voisins « C » et « E », par exemple, est donc bien
s’avère qu’il y ait un effet de contraste de ligne, c’est-à- de 10 impulsions/s versus 5 impulsions/s.
dire une illumination différentielle de tous ces photoré- Si l’on considère maintenant la situation décrite à la
cepteurs du champ récepteur, à ce moment-là, la réponse figure B, un certain nombre d’interneurones inhibiteurs
de la cellule ganglionnaire se trouve fortement modulée. sont intercalés entre le neurone sensoriel primaire et le
L’augmentation du contraste représente donc l’un des neurone sensoriel de second ordre, en projetant latérale-
mécanismes généraux de l’intégration de l’information ment pour inhiber les cellules voisines, comme illustré
dans les voies sensorielles, y compris somatosensorielles. sur le schéma. Dans ce cas, supposons maintenant que
Parmi ces mécanismes qui contribuent à l’augmentation le gain d’efficacité des synapses inhibitrices (triangle
du contraste, l’inhibition latérale est l’un des plus connus, noir) est de – 1. Le gain d’efficacité synaptique des
par lequel les cellules voisines s’inhibent entre elles. synapses excitatrices (triangle blanc) est indiqué sur le
Le principe de ce mécanisme est décrit par le modèle schéma. Vous pouvez alors calculer l’activité de chaque
suivant : si l’on considère la situation présentée à la cellule en multipliant l’entrée synaptique par le gain de
figure A, les neurones d’un ganglion rachidien, notés de la synapse, puis en sommant l’effet de toutes les synapses
« a » à « g », relaient l’information sensorielle vers les neu- sur la cellule. Si vous effectuez ce calcul, vous verrez qu’à
rones des noyaux des colonnes dorsales notés de « A » à ce moment-là, il y a une augmentation très significative
« G ». Dans ce modèle, tous ces neurones déchargent spon- du contraste entre l’activité de chaque cellule : la diffé-
tanément à la fréquence de 5 impulsions/s (potentiels d’ac- rence entre l’activité de la cellule « d » et ses voisines a
tion émis par seconde), y compris en l’absence de stimula- été considérablement amplifiée au niveau de l’activité de
tion. Considérons maintenant ce qui est la conséquence de sortie de la cellule « D » correspondante. Le contraste
l’application d’un stimulus dans un champ récepteur d’un entre l’activité du neurone « D » avec celle de ses voisins
de ces neurones, ici le neurone « d » de la figure A. La « C » et « E » est maintenant de 20 impulsions/s.

Décharge Activité du neurone Décharge Activité du neurone


en potentiel d’action/s de sortie en en potentiel d’action/s de sortie en
potentiel d’action/s potentiel d’action/s
a 1x a -1x
5 A 5 5 3x 5
A
-1x
1x
b 1x b -1x
5 B 5 5 3x 5
B
-1x
1x
c 1x c -1x
5 C 5 5 3x 0
C
-1x
Stimulus Stimulus 1x
d 1x d -1x
10 D 10 10 3x D 20
-1x
1x
e 1x e -1x
5 E 5 5 3x E 0
-1x
1x
f 1x f -1x
5 F 5 3x
5 F 5
-1x
1x
g 1x g -1x
5 G 5 3x
5 G 5
-1x

Figure A Figure B
12 – Système sensoriel somatique 429

Cortex somatosensoriel
primaire

Thalamus

Noyau trigéminal
principal

2
1
Axones de gros diamètre.
Issus des mécanorécepteurs
du visage

Nerf trigéminal
(Ve paire de nerfs crâniens) Figure 12.16 – Voies trigéminales.

Cortex somatosensoriel
Sillon primaire (S1) (aires 1, 2, 3a, 3b)
central
Cortex pariétal
postérieur (aires 5, 7)

Sillon Gyrus
central post-central

1 7

3b
2 5
Figure 12.17 – Aires somatosensorielles du cortex.
L’ensemble des aires illustrées sur ce schéma est situé
3a
dans le lobe pariétal. Le schéma du bas montre que le gyrus
post-central comprend l’aire 3b, représentant le cortex S1.
430 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Les raisons pour lesquelles l’aire 3b est qualifiée de cortex sensoriel primaire
sont les suivantes :
•• cette aire reçoit des afférences très denses depuis le VPL du thalamus ;
•• ses neurones répondent de façon intense aux stimuli somatosensoriels
(mais pas aux autres types d’informations sensorielles) ;
•• les lésions de S1 affectent les sensations somatiques ;
•• la stimulation électrique de cette aire corticale évoque des sensations sen-
sorielles somatiques. Les afférences thalamiques se terminent principa-
lement dans l’aire corticale 3b mais l’aire 3a reçoit également de fortes
projections thalamiques. Toutefois, cette aire 3a n’est pas concernée par
les informations cutanées relatives au toucher mais plutôt par celles infor-
mant sur la position des membres par rapport au corps.
L’aire 3b projette à son tour vers les aires 1 et 2. La projection de 3b
vers 
l’aire 1 paraît renseigner plutôt sur la texture de la stimulation, alors que
la projection vers l’aire 2 est en rapport avec la taille du stimulus et sa forme. De
fait, de petites lésions des aires 1 ou 2 produisent des déficits prédictibles dans
les processus de discrimination de la texture, de la forme et de la taille des objets.
Le cortex somatosensoriel, comme les autres aires corticales, est organisé
sur un mode laminaire. Comme dans le cas du cortex visuel ou auditif, les pro-
jections issues du thalamus et qui se terminent dans le cortex S1 atteignent la
couche IV. Les neurones de la couche IV du cortex, quant à eux, transmettent les
informations vers les autres couches du cortex. Une autre similarité importante
avec les autres régions corticales est l’organisation en colonnes, où chaque cellule
de S1 qui reçoit des informations similaires et produit des réponses équivalentes,
est confinée dans les différentes couches de la même zone de S1 (Fig. 12.18). En
fait, le concept de colonne corticale, si magnifiquement illustré par les travaux
de Hubel et Wiesel au niveau du cortex visuel, a été initialement proposé pour
rendre compte de l’organisation anatomofonctionnelle du cortex somatosenso-
riel par Vernon Mountcastle, qui travaillait à l’Université Johns Hopkins.
Somatotopie corticale.  La stimulation électrique de la surface de l’aire S1
peut être à l’origine de sensations somatiques susceptibles d’être localisées pré-
cisément aux différentes parties du corps selon le site exact de la stimulation.
Neurones Ainsi, lorsque l’on déplace systématiquement l’électrode de stimulation sur les
à adaptation
rapide différentes régions de S1, la sensation est véritablement de se déplacer au niveau
Neurones des différentes parties du corps. Le neurochirurgien américano-canadien Wilder
à adaptation
lente Penfield, qui exerça à l’Université McGill à Montréal des années 1930 aux
D3 années 1950, développa cette méthode pour explorer systématiquement le cortex
de ses patients simplement sous anesthésie locale du scalp, du fait de l’absence de
D2
récepteurs sensoriels dans le cerveau lui-même. Penfield établit de cette manière
les cartes somatotopiques du cortex sensoriel humain. Une autre méthode utili-
D1
sée pour étudier l’organisation du cortex somatosensoriel consiste à enregistrer
l’activité unitaire des neurones et à déterminer pour chacun d’entre eux le champ
récepteur correspondant au niveau du corps. Les champs récepteurs de la plupart
des neurones de S1 sont ordonnés de telle manière qu’il existe véritablement une
Thalamus représentation des différentes parties du corps dans le cortex sensoriel primaire.
Cette organisation conduisant à reconnaître pour chaque point du cortex une
partie correspondante du corps est dénommée somatotopie. Comme nous l’avons
Noyau vu précédemment, il existe d’autres types de représentations sensorielles dans
de la colonne
dorsale différentes régions cérébrales, telles que celles déterminées par les stimulations
lumineuses de différents points de la rétine (rétinotopie), ou par des stimulations
auditives de différentes fréquences au niveau de la cochlée (tonotopie).

D3 Figure 12.18 – Organisation en colonnes de l’aire 3b du cortex S1.


Chaque doigt de la main (D1-D3) est représenté dans des régions corticales adjacentes. À l’inté-
rieur de la zone corticale correspondant à chaque doigt, on trouve une alternance de colonnes de
D2 cellules présentant, respectivement, des réponses sensorielles à adaptation rapide (zone verte) et
D1 des réponses à adaptation lente (zone rouge). (Source : adapté de Kaas et al., 1981, Fig. 8.)
12 – Système sensoriel somatique 431

Les cartes somatotopiques du cortex somatosensoriel obtenues par les


méthodes de microstimulation ou par les méthodes d’enregistrement d’activité
unitaire sont tout à fait semblables, et ressemblent grossièrement à la repré-
sentation d’un trapéziste suspendu par les jambes, la tête en bas. Dans ce cas,
les jambes seraient représentées dans la partie supérieure (médiane) du gyrus
post-central, et elles s’étendraient jusque dans la partie interhémisphérique ;
quant à la tête, elle serait représentée à l’opposé, dans la partie basse (latérale)
du gyrus (Fig. 12.19). Ce type de carte somatotopique est dénommé quelquefois
homonculus, « petit homme » en latin.
Deux éléments doivent être pris en compte en ce qui concerne ces cartes cor-
ticales somatotopiques. D’abord, la carte n’est pas toujours continue et elle peut
présenter des discontinuités. Par exemple la figure 12.19 montre que la représen-
tation de la main sépare celles de la face et de la tête. De manière intéressante,
les cartes originelles de Penfield suggéraient que les organes génitaux sont repré-
sentés dans la partie cachée de S1, dans la zone du cortex interhémisphérique,
quelque part au-dessous des orteils. Cependant, de nouvelles données, obtenues
par imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), démontrent que
le pénis est représenté dans une région moins surprenante sur le cortex, dans
une zone localisée entre celle de la représentation de l’abdomen et des jambes.
Malheureusement, ni Penfield ni les chercheurs, ayant récemment réinvesti-
gué cette question à l’aide de l’IRMf, se sont penchés sur la représentation des
organes génitaux féminins.
Ensuite, la carte ne reproduit pas à l’échelle les différentes parties du corps
humain. De ce point de vue, elle ressemble plutôt à une caricature, avec une
bouche, une langue et des doigts extrêmement développés, alors que le tronc,

Organes génitaux
Hanche

Jambe
Tronc
Av

Cou
Tête
Co

Pied
Bras
an

Or
ude
t-b

tei
ras
Ma

ls
Do

in
igt
Po

s
uc
e

Œ
il
Ne
z
Fa
ce
su
pé Lèvr
rie e
ur
Lèvr e
es
Lèvre in
férieure
Dents
Gencives
Machoire

ue
Lang

x
ryn
in es

a
Ph
m èr
x
au
od isc
ab V

Figure 12.19 – Organisation somatotopique de la représentation de la surface du corps dans le


cortex somatosensoriel.
Ce schéma représente une coupe frontale réalisée dans le cortex somatosensoriel, au travers du
gyrus post-central dans un seul hémisphère, comme l’indique le schéma du haut. Les neurones de
chacune des régions concernées sont en rapport avec les différentes parties du corps correspon-
dantes, illustrées sur le schéma, qui les activent préférentiellement. (Source : adapté de Penfield et
Rasmussen, 1952 et Kell et al., 2005, Fig. 3.)
432 2 – Systèmes sensoriel et moteur

les bras et les jambes sont beaucoup moins représentés (Fig. 12.20). La repré-
sentation corticale relative de chacune des parties du corps est corrélée avec la
densité des informations sensorielles issue de chacune d’entre elles. La taille de la
représentation corticale est aussi en rapport avec le rôle plus ou moins important
joué par les informations sensorielles issues de ces différentes parties du corps.
Par exemple, les informations sensorielles concernant l’index de la main sont plus
utiles que celles relatives au coude. Ceci est facile à comprendre ; mais alors pour-
quoi les informations sensorielles relatives à la bouche paraissent-elles jouer un
rôle aussi important ? Il semble en fait que les informations sensorielles relatives
à la bouche jouent un rôle particulièrement important dans la production de la
parole, alors que les lèvres et la langue (que ce soit sur le plan de la sensation ou
de la détection du goût) paraissent représenter les dernières lignes de défense
quand vous décidez qu’une bouchée est délicieuse ou au contraire quand vous
la rejetez. Comme nous le verrons dans un moment, l’importance des entrées
sensorielles issues d’une zone du corps et la taille de sa représentation au niveau
Figure 12.20 – Homonculus. du cortex reflètent également son degré d’utilisation.
L’importance de la représentation corticale des différentes parties du corps
varie beaucoup selon l’espèce animale considérée. Par exemple, les vibrisses des
rongeurs (les moustaches) sont très représentées dans le cortex S1, alors que les
doigts des pattes ne font l’objet que d’une très faible représentation (Fig. 12.21).
De fait, chacune des vibrisses active des neurones localisés dans une région par-
ticulière du cortex S1, identifiée comme une partie cylindrique ressemblant à un
tonneau ou à un baril1. Cette organisation est facilement reconnaissable sur des
coupes du cortex S1 : les 5 rangées de vibrisses sont représentées sous forme de
5 rangées de barrels de chaque côté du cerveau (Encadré 12.3). Ces études sur les
« barrels corticaux » chez le rat et la souris ont considérablement fait progresser
nos connaissances sur les fonctions du cortex sensoriel.

Région des vibrisses


au niveau de S1

Vibrisses

Follicules
2 mm
(b)

Barrels
au niveau de S1

(a)

Figure 12.21 – Représentation somatotopique
des vibrisses au niveau du cortex somato­
sensoriel de la souris.
(a) Position des vibrisses du museau de la
souris. (b) Représentation de l’organisation
somatotopique du cortex somatosensoriel S1
chez la souris. (c) Illustration des barrels (c) 1 mm
(barils, en français) du cortex S1. Le schéma
en bas à droite représente la position relative
de l’ensemble des barrels, disposés en cinq
rangées qu’il est facile de comparer à la dis-
position réelle des vibrisses implantées sur la
face de l’animal. (Source : adapté de Woolsey 1.  NdT : le terme anglais de barrel est en général utilisé pour identifier ces zones de repré-
et Van der Loos, 1970.) sentation des vibrisses.
12 – Système sensoriel somatique 433

Encadré 12.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Les barils corticaux


Par Thomas Woolsey

Au milieu des années 1960, je terminais organisée la couche IV. C’est alors que j’ai
à l’Université du Wisconsin une étude phy- eu la chance d’effectuer un stage dans le
siologique de l’organisation du toucher, de laboratoire d’H. Van der Loos à Johns
l’audition et de la vision dans le cerveau de Hopkins. J’ai préparé des échantillons de
la souris, alors même que je n’avais pas cortex, dans la région où j’enregistrais les
encore entrepris mon projet de thèse. À réponses aux stimulations de la face de la
cette époque, nous procédions à une étude souris, et j’ai réalisé des coupes plus épaisses
histologique systématique de tous les cer- qu’il était l’usage à cette époque. C’est par
veaux étudiés. Après ma première année de un beau matin de printemps, après avoir
médecine, je repris l’étude de ces coupes Thomas Woolsey bataillé pour monter les coupes histolo-
histologiques et j’ai remarqué une caracté- giques, que je me suis dirigé vers la pièce où
ristique commune de l’organisation de la couche IV du se trouvait mon microscope. J’ai alors eu la surprise
cortex, là où j’avais enregistré les réponses aux mouve- de constater que l’arrangement des neurones de la
ments des vibrisses. Les corps cellulaires étaient répartis couche IV reproduisait celui de l’arrangement des
de façon plus ou moins aléatoire, mais cela n’était pas moustaches sur la face de l’animal. J’ai immédiatement
nouveau. De nombreux auteurs, dans des articles, alerté Van der Loos et je lui ai montré les coupes. Il fut
presque oubliés, publiés au cours des 50 dernières dès lors la seconde personne au monde à savoir que le
années, l’avaient déjà montré. Mais c’était avant que l’on cerveau avait imprégné dans le cortex l’image de la
puisse enregistrer l’activité de ces neurones et ainsi per- répartition des moustaches de la souris. Nous avons
sonne n’avait encore spéculé sur la fonction du cortex. nommé ces groupes de cellules « barils corticaux » (bar-
Le cortex est généralement étudié en coupes perpen- rels en anglais). Plus tard l’hypothèse fut émise que
diculaires à la surface. Procéder à des coupes parallèles chaque barrel était associé à une vibrisse unique et que
à la surface, ce qui n’avait été que rarement fait, pouvait chacun était une partie d’une colonne corticale fonc-
me donner une meilleure idée de la façon dont était tionnelle.

Toutefois, dans le cortex la somatotopie n’est pas limitée à de simples cartes.


Comme le système visuel présente de multiples représentations rétinotopiques,
le système somatosensoriel présente lui aussi différents types de représentations
du corps. La figure 12.22 illustre l’organisation somatotopique détaillée, telle
qu’elle se présente sur le cortex S1 d’un petit singe. Si l’on compare alors les
cartes observées dans les aires 3b et 1 il apparaît que ces cartes représentent les
mêmes régions du corps sur deux bandes de cortex plus ou moins adjacentes.
Les deux représentations somatotopiques ne sont pas identiques, mais forment
plutôt des images en miroir, comme cela apparaît clairement sur les agrandis-
sements des régions correspondant à la représentation de la main (Fig. 12.22b).
Plasticité des cartes corticales.  Que se passe-t-il en ce qui concerne la
somatotopie lorsqu’une source d’afférences sensorielles, par exemple un doigt,
est supprimée ? Est-ce que la zone corticale qui ne reçoit plus d’informations
devient simplement inutilisée ? Est-ce qu’elle s’atrophie ? Ou bien est-ce que ce
territoire « libéré » de l’influence du doigt est « récupéré » par d’autres sources
d’informations ? Les réponses à ces questions sont cruciales pour tenter de pro-
mouvoir, par exemple, les récupérations de fonction après des lésions des nerfs
périphériques. Dans les années 1980, Michael Merzenich et ses collaborateurs, à
l’Université de Californie à San Francisco, ont initié une série d’expériences pour
tenter de répondre à ces questions fondamentales.
Les expériences les plus importantes sont résumées à la figure 12.23. Tout
d’abord, les régions de S1 recevant les informations sensorielles de la zone de
la main sont précautionneusement cartographiées chez un singe, à l’aide de
microélectrodes. Puis, dans un deuxième temps, un doigt d’une main (doigt
434 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Aire
Membre 3b 1
postérieur

Plant
du pied

Cuisse
Tronc
Membre
antérieur
Poignet
Paume Aire
Figure 12.22 – Représentations somatotopi­ de la main 3b 1
ques multiples du cortex S1. Menton
Les enregistrements ont été effectués à partir Vibrisses
des aires 3b et 1, chez le singe. (a) Les don- caudaux
nées montrent qu’il existe dans chaque aire Lèvre
une représentation somatotopique distincte. inférieure
(b) Un examen plus approfondi de l’aire de la
Lèvre
main montre que les représentations somato- 1 mm
supérieure
topiques sont en miroir. Les régions colorées Coussinet
du schéma illustrent les parties dorsales des Dents Vib. C. palmaire
mains et des pieds, et les régions claires, les Vib. M.
parties ventrales. (Source : adapté de Kaas (a) (b)
et al., 1981.) Doigts

Corps

Postérieur Antérieur
Face

Cortex
somatosensoriel
primaire

(a) Représentation de la main gauche au niveau


du cortex S1 de l’hémisphère droit chez le singe
Surface dorsale
Doigts 5 D5
Doigts 4 D4
Doigts 3 D3
Paume D2
Doigts 2
D1
Doigt 1
(pouce)
Surface dorsale Détails de la représentation
corticale
(b) Main normale, surface palmaire

D5
D4 D5
Figure 12.23 – Plasticité de la somatotopie D4
des cartes sensorielles. D2 D2
(a, b) Par stimulation procédant d’une explo- D1 D1
ration systématique de la peau des doigts
(c) Réorganisation des cartes corticales Après réorganisation
d’une main, il est possible de cartographier
après amputation du troisième doigt (D3) du cortex somatosensoriel
chez le singe le cortex S1 et de déterminer le
territoire de chacun de ces doigts. (c) Après D5
amputation du doigt n° 3, le cortex se ré­­ D4 D5
organise comme le montrent les enregistre- D3 D4
D3
ments réalisés après quelque temps, de telle D2
manière que les territoires de représentation Disque D2 D1
des doigts 2 et 4 sont plus étendus qu’initiale- représentant D1
le stimulus
ment. (d) Si, au contraire, dans une autre série
d’expériences, les doigts 2 et 3 sont sélecti- (d) Réorganisation des cartes corticales
vement activés, leur représentation corticale après sur-utilisation des deux doigts dans
s’accroît. une tâche comportementale conditionnée
12 – Système sensoriel somatique 435

n° 3) est amputé. Après plusieurs mois, le cortex S1 est à nouveau exploré par
les microélectrodes. Dans ces conditions, les enregistrements montrent que la
région du cortex qui recevait initialement les informations sensorielles du doigt
amputé répond maintenant à la stimulation des doigts adjacents (Fig. 12.23c).
Clairement, une réorganisation du cortex somatosensoriel est intervenue, qui a
modifié la somatotopie.
Dans le cas de cette expérience d’amputation d’un doigt, l’origine de cette
réorganisation est manifestement la suppression des informations venant du
doigt qui a été amputé. Mais que se passerait-il si, à l’inverse, l’activité senso-
rielle issue d’un doigt venait à être augmentée ? Pour répondre à cette question,
dans une autre expérience les singes sont entraînés à utiliser sélectivement cer-
tains de leurs doigts, pour réaliser une tâche comportementale pour laquelle ils
reçoivent une récompense. Après plusieurs semaines d’entraînement, le cortex
est exploré. Les résultats montrent que les zones recevant les informations des
doigts « sur-utilisés » sont plus larges que chez les témoins, et qu’elles se sont
étendues par rapport à celles recevant des informations des doigts qui ne sont
pas impliqués dans la tâche comportementale (Fig. 12.23d). Ces expériences
révèlent que les « cartes » corticales présentent un caractère dynamique, ajustant
la représentation au niveau d’informations sensorielles. D’autres expériences,
qui ont suivi, ont révélé des phénomènes de plasticité similaires, que ce soit dans
le cortex visuel, le cortex auditif ou le cortex moteur, démontrant que ce proces-
sus concerne de larges zones du cerveau.
Ces résultats chez l’animal ont incité les chercheurs à analyser le cortex
humain pour savoir si de tels phénomènes de plasticité des représentations pour-
raient également intervenir. L’une des illustrations les plus intéressantes pro-
vient de l’étude de sujets amputés. Une sensation commune de ces sujets est
la perception de sensations provenant du membre amputé, notamment lorsque
d’autres parties du corps sont touchées. Ces sensations, qui correspondent à
ce que l’on nomme les « membres fantômes », sont en particulier évoquées par
le toucher des zones qui bordent la représentation corticale voisine de celle du
membre amputé ; par exemple, à partir de la zone de la face pour une amputa-
tion du membre supérieur. L’imagerie fonctionnelle révèle chez ces sujets que les
régions corticales recevant initialement des informations sensorielles du membre
amputé sont maintenant activées par les informations sensorielles issues de la
région de la face. Bien que ce type de plasticité puisse être de caractère adaptatif
en ce sens que le cortex pourrait simplement ne pas rester inutilisé, le décalage
qui existe entre les stimulations sensorielles et les perceptions chez les amputés
montrent qu’il peut conduire à des confusions sur la façon dont les signaux de
S1 peuvent être interprétés.
Même si les amputés présentent des réorganisations corticales, cela ne leur est
pas forcément bénéfique. En revanche, nous avons des exemples montrant que
le développement des zones de projection sensorielle peut bénéficier à certains
sujets. Tel serait le cas chez les musiciens professionnels ! En effet, les violonistes
et autres joueurs d’instruments à cordes utilisent considérablement et séparé-
ment chacun des doigts de leur main gauche ; en revanche, l’autre main, qui tient
l’archet, utilise les doigts de façon plus globale et moins intense. Là encore, les
enregistrements effectués dans le cadre d’expériences d’imagerie fonctionnelle
montrent que les régions de S1 recevant des informations des différents doigts de
la main gauche sont beaucoup plus étendues que celles recevant les informations
des doigts de l’autre main ou existant chez des sujets témoins, non musiciens
professionnels. Ainsi apparaît-il que l’utilisation intensive de ces doigts génère
des informations sensorielles qui contribuent en permanence à une « reconfi-
guration » du cortex S1. Il est vraisemblable que ce phénomène représente une
version « exagérée » d’un processus de reconfiguration permanente des cartes
corticales intervenant dans le cerveau de chacun, en rapport avec son expérience
personnelle.
Les mécanismes de cette plasticité des cartes corticales ne sont pas connus,
comme nous le verrons dans le chapitre 25. Néanmoins, ils pourraient être en
rapport avec l’apprentissage et la mémorisation.
436 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex pariétal postérieur.  Comme nous l’avons vu, la ségrégation des dif-
férents types d’informations sensorielles est la règle dans le système nerveux
et le système sensoriel somatique ne fait pas exception. Néanmoins, ces infor-
mations sensorielles de types différents ne peuvent pas être séparées jusqu’au
bout et un niveau d’intégration doit exister. Lorsqu’un sujet perçoit la présence
de sa clé dans sa poche, en général il ne détaille pas les différentes caractéris-
tiques de cette clé : sa taille et sa forme particulière, ses contours arrondis, ses
surfaces planes et dures, son poids particulier. Au contraire, sans réfléchir trop
il s’assure rapidement en touchant l’objet avec sa main qu’il y a une clé dans
sa poche, plutôt que des pièces de monnaie ou tout autre objet. Les différents
aspects de cette clé représentant autant de stimuli différents sont confrontés
pour permettre son identification rapide. Nous ne savons pas encore avec pré-
cision comment cela est possible à partir de nos systèmes sensoriels, mais nous
savons qu’il est nécessaire que les différentes sensations se combinent pour
aboutir à une image mentale parfois complexe. La plupart des objets présentent
des formes, des sons ou encore des odeurs différents et le mélange de toutes ces
sensations est nécessaire pour vous les représenter, comme par exemple votre
animal domestique favori.
Ce que nous devons savoir, en fait, c’est que les caractéristiques des champs
récepteurs se modifient dès lors que l’information arrive au cortex. Ainsi les
champs récepteurs sont-ils par exemple susceptibles de s’agrandir. Avant d’arri-
ver au cortex et jusque dans les aires 3a et 3b, les neurones ne sont pas sensibles
à la direction du stimulus sur la peau, alors que les cellules des aires 1 et 2 le
sont. Dès lors, les stimuli auxquels les neurones deviennent les plus sensibles sont
de plus en plus complexes. Certaines aires corticales, comme le cortex pariétal
postérieur, paraissent être des régions où les informations de différents types
convergent pour générer des représentations neuronales très complexes. Par
exemple, lorsque nous avons étudié le système visuel nous avons noté la com-
plexité des champs récepteurs de l’aire IT. Le cortex pariétal postérieur présente
en ce qui le concerne des propriétés similaires. Ses neurones se caractérisent par
des champs récepteurs très larges, avec des réponses préférentielles à des stimuli
Dessin
qui sont extrêmement difficiles à caractériser, compte tenu de leur complexité.
Modèle
Modèle Dessin du patient
du patient De plus, cette aire traite non seulement des informations en rapport avec la sen-
sibilité somatique, mais aussi avec la planification du mouvement, le système
visuel, et même les processus attentionnels.
Des lésions des aires corticales pariétales postérieures produisent des syn-
dromes neurologiques particuliers, parmi lesquels l’agnosie. L’agnosie est une
difficulté à reconnaître les objets alors même que les processus sensoriels de base
paraissent normaux. Les patients souffrant d’astéréognosie ne sont plus à même
de reconnaître les objets en les prenant dans leur main (par exemple, une clé)
alors que leur sens du toucher est normal et qu’ils ne présentent aucune diffi-
culté à identifier les objets qu’ils voient ou les bruits qu’ils entendent. En général
les déficits sont limités au côté du corps controlatéral par rapport à la région
­corticale lésée.
Les lésions du cortex pariétal peuvent aussi être à l’origine d’un syndrome
de négligence, dans lequel une partie du corps ou une partie du monde envi-
ronnant (le champ visuel) est ignoré ou supprimé, au point que son existence
même est déniée (Fig. 12.24). Dans son ouvrage L’homme qui prenait sa femme
pour un chapeau, le neurologue récemment disparu Oliver Sacks décrit le cas
d’un tel patient (L’homme qui tombait de son lit). Après un accident vasculaire
cérébral ayant probablement détruit une partie de son cortex, l’homme assurait
que quelqu’un lui avait fait une farce macabre en plaçant une jambe amputée sur
Figure 12.24 – Exemple d’un syndrome de
son lit. Dès lors qu’il tentait d’enlever cette jambe de sur son lit, lui et la jambe
négligence sensorielle.
Ce patient présente un accident vasculaire
tombaient du lit. Bien entendu il s’agissait de sa propre jambe mais ce patient
siégeant dans le cortex pariétal postérieur. Il n’était pas capable de la reconnaître comme étant une partie de son corps. Un
n’est plus capable de reproduire le dessin qui patient présentant un syndrome d’héminégligence peut aller jusqu’à ignorer la
lui est soumis, notamment en ce qui concerne nourriture qui se trouve dans une moitié de l’assiette placée devant lui. Ce type
les éléments figurés dans la partie gauche du de syndrome est plus souvent observé après une lésion qui touche l’hémisphère
schéma. (Source : Springer et Deutsch, 1989, droit et, heureusement, les patients récupèrent spontanément plus ou moins,
p. 193.) avec le temps.
12 – Système sensoriel somatique 437

Le cortex pariétal postérieur paraît ainsi jouer un rôle essentiel pour la per-
ception et l’interprétation des relations spatiales entre les objets, la perception
du schéma corporel, et l’apprentissage de tâches impliquant la coordination du
corps dans l’espace. Cela implique une intégration complexe d’informations
somatosensorielles avec celles de différentes autres sources, en particulier du
système visuel.

La douleur
À côté des mécanorécepteurs, les sensations somatiques dépendent aussi
fortement de l’activité des nocicepteurs, représentant des terminaisons libres et
très arborisées de fibres amyéliniques qui signalent qu’une partie du corps a
été endommagée ou qu’un traumatisme, qui risque de porter préjudice à l’in-
tégrité de l’organisme, va se produire. L’information nociceptive chemine vers
le cerveau par des voies neuronales qui sont très différentes de celles utilisées
par l’information issue des mécanorécepteurs. Par conséquent, l’expérience sub-
jective produite par l’activation de ces deux ensembles de voies, est différente.
L’activation sélective des nocicepteurs peut ainsi conduire à une perception
consciente de la douleur. Par ailleurs, il est notable que la nociception, comme la
douleur, présente un caractère vital (Encadré 12.4).
Il ne faut cependant pas confondre douleur et nociception, qui sont deux
choses bien différentes. La douleur représente la sensation ou la perception
­d’effets irritants, pénibles, lancinants ou insupportables, provenant d’une partie
du corps. La nociception constitue quant à elle le processus sensoriel à l’origine
des signaux nerveux qui déclenchent la douleur. Alors même que les nocicep-
teurs peuvent décharger sauvagement et continuellement, la douleur peut aller et
venir ; et la réciproque est vraie : la douleur peut être très intense, sans activation
des nocicepteurs. Il est alors important de noter que, plus que dans tout autre
système sensoriel, les fonctions cognitives peuvent contrôler la nociception.

Nocicepteurs et transduction du message nociceptif


Les nocicepteurs sont activés par des stimuli qui, potentiellement, peuvent
altérer les tissus ; par exemple lors de stimulations mécaniques intenses, de tem-
pératures extrêmes, de conditions d’hypoxie, ou encore lors d’exposition à des
substances toxiques. Les membranes des nocicepteurs présentent des canaux
ioniques, qui sont activés par ces différents types de stimuli.
Si l’on considère par exemple l’ensemble des événements qui surviennent
lorsque vous marchez sur une punaise (voir chapitre 3), le simple étirement ou
la déformation de la membrane du nocicepteur va activer mécaniquement les
canaux ioniques couplés à ce récepteur et, par voie de conséquence, va produire
sa dépolarisation et sa décharge. De plus, les cellules altérées au niveau du site de
pénétration de la punaise dans le pied vont libérer localement un certain nombre
de substances qui, elles-mêmes, produisent l’ouverture des canaux ioniques des
nocicepteurs ; par exemple des protéases (enzymes qui détruisent les protéines),
l’adénosine triphosphate (ATP) ou des ions K+. Les protéases interviennent
notamment pour dégrader un peptide très abondant au site de la lésion, dénommé
kininogène, qui va donner un autre peptide dénommé quant à lui bradykinine.
La bradykinine se fixe alors sur des récepteurs spécifiques, ce qui a pour consé-
quence d’activer des conductances ioniques de certains nocicepteurs. De façon
similaire, l’ATP contribue à la dépolarisation de certains nocicepteurs en acti-
vant directement des canaux ioniques dépendants de l’ATP. Enfin, comme nous
l’avons vu dans le chapitre 3, une augmentation des taux de potassium extra­
cellulaire intervient directement pour provoquer des dépolarisations.
Maintenant considérons une autre situation, celle de quelqu’un qui laisse-
rait traîner sa main sur une cuisinière très chaude. Au-delà de 43 °C, la chaleur
détruit les tissus et des canaux ioniques dépendants de la chaleur vont s’ouvrir
à cette température pour activer des nocicepteurs. Bien entendu, de 37 à 43 °C,
nous avons des sensations non douloureuses des variations de température de la
438 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 12.4 FOCUS

Misère d’une vie sans douleur


La douleur nous apprend à éviter les situations dan- ou une posture prolongée deviennent fatigants pour le
gereuses. Elle est à l’origine de la mise en jeu de réflexes corps. Et même pendant le sommeil, la nociception peut
de protection permettant de se soustraire aux stimuli être à l’origine des retournements dans le lit, qui évitent
délétères. Elle nous exhorte à soulager la partie de notre les douleurs liées aux postures prolongées.
corps sujette à une agression. La douleur est ainsi vitale Les patients souffrant d’une absence congénitale de
et, s’il fallait le démontrer, il suffirait d’observer les douleur révèlent que la douleur est bien une sensation dif-
quelques rares individus qui naissent avec un déficit férente des autres, et qu’elle ne résulte pas d’un excès de
congénital de la sensation de douleur, l’insensibilité l’une d’entre elles. Ces patients ne présentent pas de défi-
congénitale à la douleur. Leur vie se déroule avec un cit sensoriel somatique autre que celui relatif à la nocicep-
risque permanent de s’autodétruire, parce qu’ils ne réa- tion. La cause de ces syndromes n’est pas claire, certains
lisent pas qu’ils peuvent se faire du mal. En général, ces peuvent être dus à un déficit de développement des
individus meurent jeunes. nocicepteurs périphériques, une transmission synaptique
Parmi ces patients, on relève le cas d’une canadienne dans les voies de la nociception déficiente, ou encore à
née avec une indifférence aux stimuli douloureux, mais d’autres formes de mutations génétiques. Des études réa-
qui ne présentait aucun autre déficit sensoriel et qui était lisées sur plusieurs familles au Pakistan ont ainsi révélé
très intelligente. En dépit d’un apprentissage précoce à des mutations dans un gène nommé SCN9A, qui encode
éviter toute situation susceptible de la blesser, elle déve- un sous-type particulier de canal sodique sélectivement
loppa une dégénérescence progressive des articulations de exprimé par des neurones nociceptifs. La mutation
ses membres et de ses vertèbres, qui conduisit rapidement conduit à des canaux sodiques inactifs, une absence de
à une déformation importante de son squelette et à un production de potentiels d’action dans les nocicepteurs,
processus infectieux, qui se termina par sa mort à l’âge de et à une profonde insensibilité à la douleur. Les patients
28 ans. Apparemment, les informations nociceptives sont ainsi concernés passent leur temps à se brûler, à se couper,
importantes lors de la réalisation des activités quoti- à se mordre la langue et les lèvres et à se casser les os.
diennes, pour signaler quand un mouvement particulier Décidément, une vie sans douleur n’est pas bénie.

peau. Ces sensations dépendent de thermorécepteurs non nociceptifs et de leurs


connexions avec le système nerveux, que nous décrirons dans la dernière partie
du chapitre ; mais, pour le moment, considérons simplement que les sensations
de chaleur et de brûlure sont relayées par des mécanismes nerveux différents.
Imaginez maintenant que vous êtes quelqu’un d’âge moyen, quasi épuisé
dans le dernier kilomètre d’un marathon… Quand la quantité d’oxygène qui
arrive à vos tissus n’est plus en rapport avec la demande, les cellules utilisent un
mécanisme de production d’ATP qui devient anaérobie. Dans ces conditions,
la production d’ATP a pour inconvénient de produire aussi de l’acide lactique.
L’augmentation des taux d’acide lactique a pour conséquence d’augmenter les
taux de H+ extracellulaire, et ces ions H+ contribuent eux-mêmes à activer direc-
tement des canaux ioniques de certains nocicepteurs. Ce type de mécanisme est
alors responsable des douleurs musculaires atroces liées à des exercices particu-
lièrement intenses.
Autre situation, une guêpe vient de vous piquer ! Votre peau et les tissus
conjonctifs associés contiennent des cellules du système immunitaire particu-
lières, les cellules mastocytaires, susceptibles de répondre à la présence de venins,
par exemple, par une libération d’histamine. L’histamine va alors se fixer sur des
récepteurs spécifiques situés sur les membranes des nocicepteurs et induire ainsi
leur activation. L’histamine a aussi pour effet de rendre les capillaires sanguins
perméables, ce qui contribue aux œdèmes et aux rougeurs qui accompagnent la
réaction à la piqûre. Ainsi des crèmes qui bloquent les récepteurs de l’histamine
(antihistaminiques) s’avèrent-elles très efficaces pour réduire la douleur et les
réactions tissulaires à ces piqûres.
Différents types de nocicepteurs.  La transduction des stimuli douloureux
intervient dans les terminaisons libres des fibres amyéliniques de type C, ou
implique des fibres faiblement myélinisées de type Aδ. La plupart des nocicep-
12 – Système sensoriel somatique 439

teurs répondent à la fois aux stimuli mécaniques, thermiques et chimiques, et sont,


de ce fait, qualifiés de nocicepteurs polymodaux. Comme les mécanorécepteurs,
cependant, de nombreux nocicepteurs présentent une sélectivité relative vis-à-vis
de ces différents stimuli. Ainsi peut-on reconnaître des mécanonocicepteurs, qui
présentent des réponses spécifiques lors de stimulations mécaniques intenses, des
thermonocicepteurs, activés plus ou moins sélectivement par des températures
élevées ou au contraire par le froid intense (Encadré 12.5) et des chémonocicep-
teurs, qui répondent sélectivement à l’histamine et autres substances chimiques.
Les nocicepteurs sont présents dans l’ensemble des tissus de l’organisme,
incluant la peau, les os, les muscles, la plupart des organes internes, les vaisseaux
sanguins, et le cœur. Toutefois, on n’en trouve pas dans le cerveau, à l’exception
des méninges.

Hyperalgie et inflammation.  Normalement, les nocicepteurs ne répondent


que lorsque les tissus sont susceptibles d’être endommagés. Cependant, nous
savons tous que les tissus qui sont déjà endommagés ou soumis à une inflam-
mation, tels que les muscles, les articulations ou la peau, sont particulièrement
sensibles. Ainsi, même une très légère caresse de la peau par la maman qui veut
soulager son enfant ayant subi une brûlure de la peau peut le faire hurler de dou-
leur… Ce phénomène est dénommé hyperalgie, et c’est l’un des exemples les plus
illustratifs de notre capacité à contrôler notre propre douleur. L’hyperalgie peut
résulter d’un abaissement du seuil de la douleur, d’une augmentation de l’inten-
sité du stimulus douloureux, ou encore d’une douleur spontanée. L’hyperalgie
primaire intervient au niveau même de la lésion ; cependant les tissus environ-
nant cette zone de lésion peuvent également devenir hypersensibles. Dans ce cas,
on parle d’hyperalgie secondaire.
Différents types de mécanismes semblent impliqués dans les processus liés
à l’hyperalgie, certains au cœur même des lésions et de leur environnement, au
niveau périphérique, d’autres dans le système nerveux central. Comme cela
a déjà été mentionné, lorsque la peau est endommagée de nombreuses subs-
tances sont libérées dans les zones tissulaires lésées (on parle parfois de soupe
inflammatoire…). La « soupe » contient certains neurotransmetteurs (gluta-
mate, sérotonine, adénosine, ATP), des peptides (substance P, bradykinine), des
lipides (prostaglandines, endocannabinoïdes), des protéases, des neurotrophines,
cytokines et autres chémokines, des ions tels que K+ et H+ et d’autres substances
(Fig. 12.25). Ensemble, ces substances déclenchent l’inflammation, une réponse
naturelle de l’organisme visant à éliminer l’origine de l’agression et à stimuler
le processus de cicatrisation. Les signes cardinaux de l’inflammation de la peau
sont la douleur, une sensation de chaleur, la rougeur et un œdème. Certaines de
ces substances peuvent aussi moduler l’excitabilité des nocicepteurs, les rendant
encore plus sensibles aux stimuli thermiques ou mécaniques (voir Encadré 12.5).
Les effets de la bradykinine ont été présentés plus haut. Cette substance est
à même de dépolariser directement les nocicepteurs, mais elle peut aussi stimu-
ler certains mécanismes intracellulaires qui contribuent par exemple à rendre
hypersensibles les récepteurs réagissant au chaud. Les prostaglandines sont,
quant à elles, produites à partir de réactions enzymatiques affectant les lipides
membranaires. Alors que les prostaglandines ne sont pas directement à l’ori-
gine de sensations douloureuses, elles paraissent accroître considérablement
la sensibilité des nocicepteurs aux autres stimuli. L’aspirine et les autres anti-­
inflammatoires non stéroïdiens sont le traitement de référence de ces phéno-
mènes d’hyperalgie, du fait de leur action inhibitrice sur les enzymes impliquées
dans la production des prostaglandines.
La substance P est un neuropeptide synthétisé par les nocicepteurs eux-
mêmes. L’activation d’une branche de l’axone d’un de ces nocicepteurs peut être
à l’origine de la sécrétion de substance P par les autres branches de l’axone, dans
les territoires cutanés avoisinants. La substance P est à l’origine de processus de
dilatation des vaisseaux (capillaires sanguins) et de la libération d’histamine par
les cellules mastocytaires. La sensibilisation d’autres nocicepteurs dans les ter-
ritoires situés autour de la lésion est l’un des effets de la substance P, en rapport
avec l’hyperalgie secondaire.
440 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 12.5 FOCUS

Attention : très pimenté !


Si vous aimez les plats pimentés vous devez savoir normalement le canal TRPV1, cela n’est pas le cas chez
que le principe actif de très nombreux piments est la les oiseaux, ce qui explique qu’ils se nourrissent sans
capsaïcine (Fig. A). Ces piments sont « forts » parce que problème de piments.
la capsaïcine active des thermorécepteurs qui ont aussi Au-delà de son intérêt pour les oiseaux et de son
pour fonction de signaler les élévations de température usage culinaire, la capsaïcine présente des applications
douloureuses (au-delà de 43 °C). De fait, c’est par la cliniques quelque peu paradoxales : appliquée en grande
découverte de cette propriété qu’ont été mis en évidence quantité, elle peut produire une analgésie. Ceci est pos-
les mécanismes de la transduction de la perception au sible parce que la capsaïcine désensibilise les fibres
chaud. David Julius à l’Université de Californie, San impliquées dans la détection de la douleur et déplète ces
Francisco, a démontré que, dans certaines cellules des fibres en substance P, le neuropeptide impliqué dans la
ganglions des racines dorsales, la capsaïcine activait un neurotransmission nociceptive. Ainsi des traitements à
type particulier de canal ionique, le canal TRPV1, qui la capsaïcine sous forme de crème, de sprays ou de
est aussi activé lorsque la température augmente au-delà patchs, sont considérés comme des compléments utiles
de 43 °C. Ce canal ionique déclenche la décharge des des douleurs associées à l’arthrose, aux entorses, au pso-
neurones suite à une entrée de Ca2+ et de Na+. TRPV1 riasis, au zona ou à d’autres formes de douleurs (voir
est un membre d’une très large famille de canaux TRP, Encadré 12.1).
originellement clonés chez la drosophile, dans les photo-
récepteurs (TRP pour transient receptor potential). Il
devenait clair que les canaux de type TRP pouvaient
contribuer à de très nombreux mécanismes de transduc-
tion de signaux sensoriels, de la levure à l’homme.
Pourquoi alors des canaux ioniques sensibles à la Piment
rouge
température sont-ils également activés par la capsaï- Habañero
cine ? Il semble que la capsaïcine mime l’effet de subs-
tances endogènes libérées lorsque les tissus sont endom- Jalapeño
magés. Ces substances (et la capsaïcine) provoquent
O
l’ouverture des canaux TRPV1 et la décharge neuronale, CH3O
expliquant pourquoi la peau lésée est si sensible à la cha- N
H
leur. De fait, l’hypersensibilité à la chaleur qui accom- HO
pagne par exemple l’inflammation est absente chez des
souris dont le gène du canal TRPV1 a été inactivé. Figure A – Quelques piments contenant de la capsaïcine et struc­
Curieusement, alors que tous les mammifères expriment ture moléculaire de cet agent.

Des mécanismes centraux contribuent également à l’hyperalgie secondaire.


Ainsi, suite à une lésion périphérique, l’activation par une stimulation légère des
fibres Aβ issues des mécanorécepteurs peut contribuer à une sensation doulou-
reuse. Cela illustre le fait que la sensation douloureuse implique à un certain
niveau une relation et des interactions entre les mécanismes à l’origine des sen-
sations liées au toucher et ceux liés à la douleur.

Démangeaisons
Les démangeaisons sont définies comme une sensation désagréable, qui
déclenche un besoin de se gratter ou un réflexe de grattement. Les démangeai-
sons et le grattement qu’elles déclenchent peuvent servir de défense naturelle
contre un certain nombre de parasites ou de toxines végétales affectant la peau
ou le scalp. Les démangeaisons sont en général d’assez brève durée et provoquent
des désagréments plutôt mineurs. Mais elles peuvent aussi devenir chroniques et
présenter alors un handicap majeur. Les démangeaisons chroniques peuvent être
causées par de nombreuses situations comme des réactions allergiques, des infec-
tions, des infestations, ou le psoriasis. Elles peuvent aussi résulter de troubles ne
concernant pas directement la peau, comme certains cancers, une déficience en
12 – Système sensoriel somatique 441

Figure 12.25 – Médiateurs périphériques de
la douleur et hyperalgie.
Favorise Cellules mastocytaires
l’œdème
Substance P
Bradykinine

Prostaglandines
K+
Histamine

Signal
nociceptif
Ganglion
des racines dorsales
Signal
Capillaire nociceptif
sanguin

Substance P

Moelle épinière

fer, l’hyperthyroïdie, des pathologies hépatiques, le stress ou encore des patholo-


gies psychiatriques. Imaginez ainsi vos pires démangeaisons affectant l’ensemble
de votre corps et persistant tout autant que vous êtes conscient. Dans ce cas, le
besoin de se gratter peut être véritablement irrépressible. Les démangeaisons
peuvent être aussi redoutables que les douleurs chroniques et sont notoirement
difficiles à traiter avec les médicaments dont nous disposons actuellement, ou
toute autre forme de thérapies.
Les démangeaisons restent des sensations difficiles à catégoriser. Bien que
les démangeaisons et les douleurs soient indiscutablement perçues de façon dif-
férente, elles présentent aussi des similarités. Ainsi, dans les deux cas, elles sont
relayées par des axones sensoriels de très fin diamètre, bien que ces derniers ne
soient pas les mêmes. Ces axones ont toutefois en commun la caractéristique
d’être activés par des stimuli similaires incluant diverses substances chimiques et
le toucher. Quelques-uns des agents régulant la douleur peuvent aussi déclencher
les démangeaisons et quelques molécules-signal peuvent contribuer à la trans-
duction des deux types de sensations à la fois. La douleur et les démangeaisons
ne sont pas indépendantes et interagissent. Par exemple, la douleur peut suppri-
mer les démangeaisons, c’est la raison pour laquelle nous nous grattons parfois
de façon irraisonnée.
Certains types de démangeaisons sont liés à l’intervention de molécules par-
ticulières et de circuits neuronaux spécifiques. Les fibres C de très fin diamètre
(vitesse de conduction de l’ordre de 0,5 m/s ou moins) répondent sélectivement
à l’histamine, la substance naturellement produite dans les sites de démangeai-
son par les cellules mastocytaires de la peau en rapport avec l’inflammation
(voir Fig. 12.25). L’histamine déclenche les démangeaisons par sa liaison avec
des récepteurs spécifiques, qui activent à leur tour des canaux dits TRPV1. De
façon surprenante, il s’agit des mêmes canaux TRPV1 qui sont stimulés par la
capsaïcine et les températures élevées (voir Encadré 12.5). Les substances anti-
histaminiques (des agents qui bloquent les récepteurs à l’histamine) peuvent
supprimer ce type de démangeaisons. Mais ce ne sont pas toutes les formes de
démangeaisons qui sont médiées par l’histamine. Celles-ci peuvent aussi être
médiées par une large variété de substances, tant endogènes qu’exogènes. Ainsi
les axones de très fin diamètre intervenant dans les démangeaisons paraissent
exprimer de très nombreux autres types de récepteurs permettant l’action de
442 2 – Systèmes sensoriel et moteur

nombreuses autres substances induisant des démangeaisons, ou encore celles


des agents intervenant dans la signalisation cellulaire et des canaux ioniques
impliqués dans ces démangeaisons.
Fibres Aδ Fibres C Sous de nombreux aspects, les démangeaisons restent des processus mysté-
rieux. Il est, par exemple, mal connu de savoir s’il existe différents types d’axones
impliqués dans différentes formes de démangeaisons. De même, les circuits cen-
traux de la démangeaison restent mal compris. Une étude fascinante implique
Intensité douloureuse

certains neuropeptides dans des voies spécifiques de la moelle épinière. Dans ce


cas, si des médiateurs et des récepteurs spécifiques peuvent être identifiés, il serait
alors possible de développer des traitements propres à soigner ces démangeai-
Douleur
Douleur retardée sons chroniques sans affecter la douleur et les autres processus sensoriels.
rapide

Temps
Afférences primaires et mécanismes spinaux
Stimulation Les vitesses de conduction des fibres Aδ et C étant différentes, les informa-
nociceptive tions véhiculées par ces deux groupes de fibres n’atteignent pas les structures
centrales de façon synchrone. Cela explique que l’activation des nocicepteurs
Figure 12.26 – Douleur rapide et retardée.
La sensation de douleur qui suit une stimu- de la peau se traduit par la perception de deux types distincts de douleur : une
lation nociceptive est relayée par les fibres douleur rapide et aiguë, de caractère fulgurant, qualifiée de douleur rapide, sui-
rapides Aδ. Puis interviennent les fibres vie d’une douleur plus diffuse et plus lente mais de caractère plus persistant,
lentes de type C, qui relaient une douleur plus qualifiée quant à elle de douleur retardée. La douleur rapide est transmise par les
durable. fibres Aδ ; la douleur retardée, par l’activation des fibres C (Fig. 12.26).
Comme dans le cas des fibres Aβ des mécanorécepteurs, les fibres de petit
diamètre ont leur corps cellulaire dans les ganglions des racines dorsales et
pénètrent de là dans la corne dorsale de la moelle épinière. Les fibres se divisent
immédiatement à ce niveau, parcourent une courte distance vers le haut ou vers
le bas dans une région dénommée zone de Lissauer, puis se terminent dans la
région externe de la corne dorsale dénommée substantia gelatinosa (Fig. 12.27),
où elles font synapse.

Vers le cerveau Substance gélatineuse (ou substantia gelatinosa)

Zone
de Lissauer
Racine dorsale

Fibre C

Racine ventrale

Figure 12.27 – Connexions spinales des axones nociceptifs.

Le neurotransmetteur des fibres nociceptives est le glutamate. Comme


cela a été mentionné plus haut, ces fibres contiennent aussi de la substance P
(Fig. 12.28). De fait, la substance P est présente dans des granules de sécrétion
dans les terminaisons nerveuses (voir chapitre 5) et elle peut être libérée par leur
stimulation à haute fréquence. Des expériences très récentes montrent en plus
que ce type de neurotransmetteur est effectivement nécessaire pour percevoir
Figure 12.28 – Localisation immunocyto­ une sensation douloureuse, qu’elle soit modérée ou intense.
chimique de la substance P dans la moelle
épinière. Les axones des nocicepteurs issus des viscères utilisent la même voie que celle
Les flèches indiquent les fortes concentra- des nocicepteurs cutanés pour entrer dans la moelle épinière. Dès lors, dans la
tions de substance P dans la substantia gela- moelle épinière, ces deux types de messages nociceptifs se mélangent quelque
tinosa (Source : Mantyh et al., 1997.) peu (Fig. 12.29), ce qui donne lieu au phénomène de douleur référée, dans lequel
12 – Système sensoriel somatique 443
Peau

Ganglion des racines


dorsales

Vers le cerveau
Axones des
afférences primaires

Viscère

Ganglion
sympathique
du système
nerveux autonome
Axones
des afférences
primaires Figure 12.29 – Convergence des informa­
tions nociceptives issues des viscères et de
la peau.

l’activation de nocicepteurs viscéraux est perçue comme une sensation cutanée.


Un exemple classique est celui de l’angine de poitrine, intervenant lorsque le
cœur manque d’oxygène. La douleur est ainsi le plus souvent perçue dans le
bras gauche et la poitrine. Un autre exemple est celui des douleurs associées à
­l’appendicite qui, dans les stades précoces, se trouvent perçues au niveau de la
paroi abdominale, autour du nombril.

Voies nociceptives ascendantes


De façon générale, la comparaison de l’organisation des voies sensorielles
relatives au toucher et à la douleur met l’accent sur les différences suivantes.
D’abord, ces deux voies diffèrent quant aux récepteurs eux-mêmes situés au
niveau de la peau. Les récepteurs du tact se trouvent être des structures spéciali-
sées, alors que les nocicepteurs sont représentés par des terminaisons nerveuses
libres. Deuxièmement, le diamètre des fibres issues de ces récepteurs les diffé-
rencie également. La voie sensorielle relative au toucher est rapide et utilise des
fibres myélinisées de gros diamètre, de type Aβ ; en revanche, la voie nociceptive
est à conduction lente et utilise des fibres amyéliniques fines de type C ou des
fibres myélinisées mais de petit diamètre, de type Aδ. Finalement, ces systèmes
d’information diffèrent aussi quant à leurs connexions, au niveau spinal. Ainsi
les branches des axones des fibres Aβ font synapse dans les couches profondes
de la corne dorsale, alors que les fibres Aδ et C traversent la zone de Lissauer
et font synapse dans la substantia gelatinosa. Comme nous allons le voir main-
tenant, ces deux voies diffèrent également par la façon dont elles transmettent,
respectivement, les informations au système nerveux central.
Voie spinothalamique de la douleur.  Les informations relatives à la dou-
leur et à la température sont transmises de la moelle épinière au cerveau via la
voie spinothalamique. Dans ce système, contrairement à ce qui se passe dans
la voie des colonnes dorsales, les axones de second ordre décussent immédiate-
ment à l’intérieur de la moelle et empruntent le faisceau spinothalamique qui se
situe dans la région ventrale de la moelle épinière (comparez les figures 12.14
et 12.27). Comme leur nom l’indique, les fibres spinothalamiques atteignent le
thalamus en traversant la région du bulbe, du pont et du mésencéphale, sans y
faire synapse (Fig. 12.30). Tout au long de ce trajet, notamment dans le tronc
cérébral, ces fibres cheminent par moments au contact de celles du lemnisque
médian mais en aucun cas elles ne se mélangent et les deux groupes de fibres
restent bien distincts.
444 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex
somatosensoriel
primaire
(S1)

3
Thalamus
(noyaux intralaminaires
et VPL)

Bulbe

Axones
2
des racines dorsales Colonne
de fin diamètre dorsale
Faisceau
spinothalamique

Moelle épinière
1

Figure 12.30 – Voie spinothalamique.
C’est la voie principale qui conduit au cortex cérébral les informations périphériques relatives à la
douleur et à la température.

La figure 12.31 résume de façon schématique l’organisation de ces deux sys-


tèmes d’informations relatives au toucher et à la douleur. L’information relative
au sens du toucher chemine ainsi de façon ipsilatérale, alors que celle relative à
la nociception et à la perception de la température est controlatérale. Cette orga-
nisation permet alors de mieux comprendre un certain nombre de déficits liés à
des atteintes du système nerveux. Par exemple, si la lésion concerne une moitié de
la moelle épinière, certains déficits somatosensoriels liés à la mécanosensibilité se
répercutent du côté de la lésion : insensibilité au toucher, vibrations relatives à la
manipulation d’une fourchette dans la main ou encore à la position des jambes.
En revanche, les déficits liés à la perception des stimuli douloureux ou de la
température concernent le territoire opposé au côté de la lésion spinale. Enfin,
d’autres signes cliniques, comme les déficits moteurs ou la localisation précise
des déficits sensoriels, permettent par ailleurs de se faire une idée précise du site
de la lésion. Par exemple, les mouvements sont fortement affectés du côté de la
lésion spinale. L’ensemble de ces signes cliniques constitue ce que l’on nomme le
syndrome de Brown-Séquard.
Voies de la douleur trigéminale.  Les informations nociceptives et relatives
à la température issues de la tête sont transmises au thalamus par un système
tout à fait similaire à celui présent dans la moelle épinière. Les fibres senso-
12 – Système sensoriel somatique 445

Voie des colonnes Voie


dorsales-lemnisque spinothalamique
médian Cortex
cérébral

Thalamus
Lemnisque
médian
Bulbe
Noyaux
Moelle épinière
des colonnes
dorsales
Faisceau
Colonne spinothalamique
dorsale latéral

Axone
Axone
des racines
des racines
dorsales
dorsales
(Aα, Aβ, Aδ)
Ligne (Aδ, C) Ligne
médiane médiane
Toucher, vibrations, discrimination Douleur, température, Figure 12.31 – Organisation d’ensemble des
fine, proprioception quelques sensations relatives deux principales voies sensorielles soma­
au toucher tiques ascendantes.

rielles de petit diamètre présentes dans le nerf trigéminal font d’abord synapse
sur des neurones de second ordre du noyau spinal trigéminal du tronc cérébral.
Les axones de ces cellules croisent ensuite la ligne médiane et remontent vers le
thalamus par le lemnisque trigéminal.
À côté des voies spinothalamique et trigéminothalamique, d’autres systèmes
neuronaux relaient les informations nociceptives et relatives à la perception de
la température, et envoient des informations vers une série de structures du tronc
cérébral, à tous les niveaux, avant d’atteindre le thalamus. Certains de ces sys-
tèmes sont particulièrement importants pour générer des sensations de douleur
lentes, telles que des sensations de brûlure, alors que d’autres sont, au contraire,
liés à des dispositifs plus généraux d’éveil comportemental et d’alerte.
Thalamus et cortex.  Le faisceau spinothalamique et les axones des voies
lemniscales trigéminales atteignent des régions thalamiques plus larges que celles
atteintes par les fibres véhiculées au travers du lemnisque médian. Certains des
axones se terminent dans le thalamus ventropostérieur, exactement comme ceux
du système du lemnisque médian mais, dans ce cas, les informations relatives au
toucher et à la douleur restent tout de même ségrégées dans des territoires du
noyau anatomiquement séparés. D’autres axones des fibres spinothalamiques
se terminent dans les noyaux intralaminaires du thalamus (Fig. 12.32). À partir
du thalamus, les informations nociceptives et relatives à la sensation de la tem-
pérature sont transmises à diverses aires corticales. Comme dans le thalamus,
ces voies couvrent un territoire plus large que celui concernant le système des
colonnes dorsales.

Contrôle de la douleur
Depuis un certain nombre d’années, nous savons que la perception de la dou-
leur présente un caractère extrêmement variable. Par exemple, en rapport avec
le degré de transmission parallèle d’informations sensorielles non douloureuses
et le contexte comportemental, le même degré d’activité d’un nocicepteur ne va
pas conduire à la perception de la même douleur, qui va ainsi paraître plus ou
moins intense. Comprendre les mécanismes de cette modulation présente alors
un caractère essentiel, en ce sens que cela pourrait permettre de lutter plus effica-
cement contre la douleur et notamment la douleur chronique, qui affecte jusqu’à
20 % de la population des adultes.
446 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Figure 12.32 – Noyaux somatosensoriels du Antérieur Noyaux intralaminaires


thalamus.
En plus du complexe ventropostérieur, les
noyaux intralaminaires relaient des informa-
tions nociceptives vers de larges régions 
cor-
ticales.

Noyau ventral postérolatéral

Postérieur

Régulation afférente.  Nous avons déjà évoqué l’idée qu’une stimulation sen-
sorielle même légère peut conduire à des phénomènes d’hyperalgie. De façon
intéressante, nous savons aussi que la perception de la douleur peut à l’inverse
être réduite par l’activation simultanée de mécanorécepteurs sensoriels de bas
seuil, de type Aβ. Vraisemblablement, c’est la raison pour laquelle il est utile
de se frotter la peau après une contusion. Cela peut aussi rendre compte des
effets bénéfiques de certaines stratégies thérapeutiques fondées sur une stimu-
lation électrique de la peau pour certaines formes de douleurs chroniques et
irréductibles. Dans ce cas, des électrodes sont placées à la surface de la peau et
la douleur se trouve réduite lorsque le patient lui-même active le stimulateur
électrique, réglé pour stimuler sélectivement les fibres sensorielles de bas seuil,
au diamètre élevé.
Dans les années 1960, Ronald Melzack et Patrick Wall, qui travaillaient
alors au MIT, proposèrent une hypothèse pour rendre compte de ces phéno-
mènes. Leur théorie du portillon (gate control) propose que certains neurones de
la corne dorsale de la moelle épinière, qui relaient les informations du faisceau
spinothalamique, sont activés par des afférences sensorielles de gros diamètre,
ainsi d’ailleurs que par des fibres amyéliniques, qui relaient les informations
nociceptives. Les neurones de projection sont aussi soumis à l’action inhibi-
trice de certains interneurones qui seraient quant à eux à la fois excités par les
fibres sensorielles primaires de gros diamètre et inhibés par les axones des fibres
nociceptives (Fig. 12.33). De ce fait, les informations véhiculées par les axones
nociceptifs seuls ont pour effet d’exciter au maximum les neurones de projection,
contribuant à une transmission maximale de ces informations nociceptives vers
le cerveau. En revanche, lorsque les fibres sensorielles de gros diamètre sont
également activées, celles-ci contribuent à l’activation des interneurones spinaux
et, par voie de conséquence, à la réduction des signaux nociceptifs ascendants.
Contrôle descendant.  Les histoires de soldats, d’athlètes ou encore d’indi-
vidus torturés soumis à d’atroces blessures mais apparemment sans douleur ne
manquent pas. Des émotions fortes, le stress ou encore une détermination toute
stoïcienne, peuvent contribuer efficacement à la suppression de la sensation de
douleur. Plusieurs structures cérébrales ont été impliquées dans ce processus
(Fig. 12.34), parmi lesquelles une zone de neurones située dans le mésencéphale,
dénommée substance grise périaqueducale. La stimulation électrique de cette
région de l’encéphale peut induire une analgésie profonde, ce qui a conduit à des
applications neurochirurgicales en clinique humaine.
La substance grise périaqueducale reçoit normalement des afférences de très
nombreuses structures nerveuses, la plupart d’entre elles liées à l’intégration
des processus émotionnels. Les neurones de la substance grise périaqueducale
projettent vers divers noyaux bulbaires de la région médiane, et parmi eux les
noyaux du raphé (où se trouvent localisés la plupart des neurones à sérotonine).
Certains de ces neurones bulbaires projettent à leur tour vers la corne dorsale de
la moelle épinière, où ils peuvent effectivement contribuer à réduire l’activité des
neurones nociceptifs.
12 – Système sensoriel somatique 447

Moelle Axone Aα ou Aβ
épinière (mécanorécepteur)
Corne dorsale

Fibre C
(messages
Vers les colonnes dorsales nociceptifs)

+ Interneurone

+ –
Neurone
+ de projection

Vers le faisceau spinothalamique

Figure 12.33 – Théorie du gate control de Melzack et Wall.


Le relais des informations nociceptives par les neurones de projection est contrôlé dans la corne
dorsale de la moelle épinière par l’activité d’interneurones inhibiteurs. L’activité des fibres senso-
rielles non-nociceptives issues des mécanorécepteurs peut dès lors supprimer ou « fermer la porte
à » la transmission des signaux douloureux avant qu’ils ne soient transmis à la voie spinothala-
mique. Le signe « + » indique les synapses excitatrices et le signe « – » les synapses inhibitrices.

Substance grise périaqueducale

Mésencéphale
3

2 3

Bulbe

Noyaux
2 du raphé

Moelle épinière

Corne dorsale
1

Figure 12.34 – Voies descendantes du contrôle nociceptif.


Une variété de structures centrales, pour la plupart en rapport avec les adaptations comporte-
mentales, peuvent influencer l’activité de la substance grise périaqueducale du mésencéphale. La
substance grise périaqueducale influence quant à elle les noyaux du raphé, situés dans le tronc
cérébral qui, en retour, modulent la transmission des informations nociceptives dans la corne
­dorsale de la moelle épinière.
448 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Opiacés endogènes. L’opium était sans doute déjà connu des Sumériens


environ 4 000 ans av. J.-C., mais c’est au xviie siècle que sa valeur thérapeutique
a été bien établie. Aujourd’hui, l’opium et ses dérivés tels que la morphine, la
codéine et l’héroïne, sont très utilisés. Ces drogues et toute une série d’autres
ayant des actions similaires, sont connues sous le terme d’opiacés et provoquent
une profonde analgésie après administration par voie générale (voir chapitre 6).
Cependant, ils peuvent aussi induire des changements de l’humeur, la somno-
lence, la dépression, la nausée, le vomissement, ou encore la constipation. Dans
les années 1970, il a été démontré que les opiacés se fixent sur des récepteurs
spécialisés, dénommés récepteurs des opiacés, localisés dans le cerveau, et que
le cerveau lui-même est capable de produire des endomorphines collectivement
reconnues sous le nom d’endorphines (voir Encadré 6.1). Les endorphines repré-
sentent des protéines de petite taille ou des peptides.
Les endorphines ainsi que leurs récepteurs sont très largement distribués dans
le système nerveux, mais ils sont particulièrement représentés dans les régions
impliquées dans la modulation des processus nociceptifs. Ainsi de petites injec-
tions de morphine ou d’endorphines dans la substance grise périaqueducale,
les noyaux du raphé ou la corne dorsale de la moelle épinière, provoquent une
analgésie. Parce que cet effet est bloqué par l’administration d’un bloqueur spé-
cifique des récepteurs opiacés nommé la naloxone, il est suggéré que l’effet antal-
gique des substances administrées passe par la mise en jeu des récepteurs aux
opiacés. La naloxone peut aussi bloquer les effets des stimulations électriques
de ces différentes régions cérébrales et, au niveau cellulaire, les endorphines sont
connues pour avoir de très nombreux effets, comme la suppression de la libé-
ration de glutamate par un effet de type présynaptique ou l’inhibition directe
de neurones par hyperpolarisation membranaire. En général, la substance grise
périaqueducale, les noyaux du raphé, ou la corne dorsale de la moelle épinière,
peuvent impliquer ces systèmes à endorphines pour réduire la transmission des
informations nociceptives vers les régions du système nerveux où la perception
de la douleur est générée (Encadré 12.6).

Encadré 12.6 FOCUS

La douleur et l’effet placebo


La plupart des essais thérapeutiques visant à carac- objectivement amélioré par une simple injection de solu-
tériser les propriétés d’une nouvelle molécule utilisent tion saline ! Est-ce alors à croire que les patients souf-
une approche comparative des effets de la molécule fraient d’une douleur imaginaire ? Certainement pas.
­versus l’administration d’une substance inerte sur deux De fait, la naloxone, un antagoniste des récepteurs des
groupes de sujets, l’un recevant la molécule à tester, opiacés, est à même de bloquer les effets du placebo,
l’autre cette substance inerte. De façon surprenante, il exactement comme il bloque les effets de la morphine,
est assez souvent reporté des effets bénéfiques de la un vrai antalgique. Apparemment, l’amélioration est
substance considérée comme inerte, en rapport avec les liée au fait que le patient sait que le traitement qui lui est
effets « attendus » de l’administration de l’agent théra- administré doit être efficace contre sa douleur. Il semble
peutique. Le terme « placebo » est utilisé pour décrire de alors que cela soit suffisant pour activer les systèmes
telles substances et l’effet lui-même est reconnu comme endogènes de lutte contre la douleur. Dès lors, l’effet
effet placebo. placebo serait à même de rendre compte du succès d’un
Les placebos peuvent avoir des effets antalgiques très certain nombre de traitements à visée antalgique, tels
puissants. Par exemple, il a été rapporté que des patients que l’acupuncture, l’hypnose, ou encore, chez le jeune
souffrant de douleurs postopératoires voient leur état enfant, un câlin de sa maman…
12 – Système sensoriel somatique 449

La thermoception
Comme dans le cas du toucher et de la douleur, la perception non doulou-
reuse de la température prend son origine au niveau de récepteurs spécialisés,
situés dans la peau (mais pas seulement). De même, cette perception dépend du
cortex cérébral pour ce qui concerne ses aspects conscients. Ce qui suit décrit
brièvement l’organisation de ce système particulier.

Thermorécepteurs
Parce que la vitesse des réactions chimiques dépend de la température, le
fonctionnement de toute cellule de l’organisme est sensible à la température.
Les thermorécepteurs, cependant, représentent des neurones particulièrement
sensibles aux variations de température, du fait de propriétés spécifiques de leur
membrane. Par exemple, ces neurones sont à même de détecter des variations
de température de la peau aussi minimes que celles correspondant à des chan-
gements de 0,01 °C. Dès lors, les neurones sensibles à la température situés tant
dans l’hypothalamus que dans la moelle épinière, sont tout à fait importants
pour relayer les réponses physiologiques qui maintiennent stable la température
du corps. Mais ce sont les thermorécepteurs de la peau qui contribuent apparem-
ment à la perception de la température de notre environnement.
Bien que nous ne connaissions encore que peu de choses de la structure des
thermorécepteurs cutanés, nous savons cependant que la sensibilité à la tempé-
rature n’est pas une propriété uniforme de l’ensemble de la peau. Par exemple,
vous pouvez utiliser une petite sonde chaude ou froide et tester vous-même la
sensibilité de différentes parties de votre peau à des changements de température.
Ainsi vous verrez que certaines zones, d’une surface d’environ 1 mm de diamètre,
ne sont sensibles qu’au chaud ou au froid, mais pas aux deux. Cela illustre alors
le fait que des récepteurs différents sont impliqués dans la détection du chaud et
du froid. De même, de petites régions situées entre ces zones sensibles au chaud
ou au froid paraissent insensibles aux variations de température.
La sensibilité d’un neurone aux variations de température dépend du type
de canaux ioniques qu’il exprime. La découverte des canaux responsables de la
perception d’augmentations de température douloureuses, supérieures à 43 °C
(voir Encadré 12.5), a amené à se poser la question de l’existence de canaux
proches de ceux-là, susceptibles de détecter d’autres gammes de température. Un
peu comme les ingrédients des sauces pimentées ont contribué à l’identification
de protéines récepteurs sensibles à ces épices fortes, images de certains récepteurs
« au chaud », dénommées TRPV1, le menthol a été utilisé pour caractériser
d’éventuels récepteurs « au froid », en rapport avec le caractère rafraîchissant de
la menthe. Le menthol, qui produit cette sensation de froid, active effectivement
un type de récepteur particulier, nommé TRPM8, qui se trouve également activé
par des baisses de température non douloureuses au-dessous de 25 °C.
Nous savons aujourd’hui que les thermorécepteurs comprennent six sous
types de canaux TRP distincts, qui leur confèrent des sensibilités à la tempéra-
ture différentes (Fig. 12.35). En règle générale, différents thermorécepteurs appa-
raissent n’exprimer qu’un seul sous type de canaux, ce qui explique pourquoi
différentes régions de la peau peuvent présenter des sensibilités différentes à la
température. Il existe toutefois une exception concernant certains récepteurs au
froid, qui expriment aussi des canaux TRPV1, et se trouvent de ce fait également
sensibles à des augmentations de température au-delà de 43 °C. Si une telle tem-
pérature est appliquée sur de larges surfaces de peau, elle est perçue comme dou-
loureuse. En revanche, si la zone exposée à la chaleur est restreinte à des régions
ne comportant que des récepteurs au froid, cette élévation de température peut
alors produire une sensation paradoxale de froid. Ce phénomène met en exergue
le point suivant : le système nerveux ne reconnaît pas quel type de stimulus (dans
ce cas la chaleur) active le récepteur, mais il continue à interpréter le signal éma-
nant de ses récepteurs au froid comme une réponse au froid.
450 2 – Systèmes sensoriel et moteur

TRPA1 TRPM8 TRPV4 TRPV3 TRPV1 TRPV2

(a)

TRPM8 TRPV4
Activité du canal

TRPV3

TRPA1
TRPV1 TRPV2

0 10 20 30 40 50

(b) Température (°C)

Figure 12.35 – Canaux ioniques de type TRP sensibles à différentes températures.


(a) Organisation topologique générale de ces protéines TRP connues, sensibles à la température
et présentes dans la membrane de certaines cellules. TRPM8 et TRPV1 sont sensibles, respective-
ment, au menthol et à la capsaïcine. (b) Ce diagramme représente la réponse des différents canaux
TRP en fonction de la température. (Source : adapté de Patapoutian et al., 2003, Fig. 3.)

Comme dans le cas des mécanorécepteurs, les réponses des thermorécep-


teurs adaptent leur décharge lorsque les stimuli présentent un caractère durable.
La figure 12.36 illustre le fait que l’abaissement brutal de la température de la
peau déclenche la décharge d’un récepteur au froid alors qu’il produit l’arrêt de
la décharge d’un récepteur au chaud. Après quelques secondes à 32 °C, cepen-
dant, le récepteur au froid qui avait été activé voit sa décharge se ralentir (bien
que sa fréquence de décharge reste tout de même supérieure à celle qu’il avait à
38 °C), alors que le récepteur au chaud voit au contraire sa décharge augmenter
à nouveau progressivement. Noter que le retour à la température normale se
traduit par des réponses de caractère opposé, c’est-à-dire un arrêt transitoire de
la décharge du récepteur au froid et une bouffée d’activation du récepteur au
chaud, avant un retour de leur décharge respective à la normale. Par conséquent,
c’est au moment des variations de température, dans un sens ou dans l’autre,
que le différentiel de décharge entre les récepteurs au chaud et au froid est le
plus important. Cela est à mettre en rapport avec notre propre perception des
changements de température.
Tentez alors de réaliser cette expérience très simple. Remplissez deux baquets
d’eau du robinet, l’un d’eau froide et l’autre d’eau chaude (en évitant l’eau brû-
lante !). Placez alors pendant une minute votre main droite alternativement dans
l’un et l’autre de ces baquets. Notez alors que c’est au moment du changement de
baquets que vous percevez le mieux les sensations de chaud et de froid, et aussi
que ces sensations présentent un caractère tout à fait transitoire. Dans le cas de
la thermoception, comme pour la plupart des autres systèmes sensoriels, c’est le
changement brutal de la qualité du stimulus qui est à l’origine des sensations les
plus fortes.
12 – Système sensoriel somatique 451

38° 38°

Température
32° de la peau (°C)

Récepteur
au froid

Récepteur
au chaud

5s

Figure 12.36 – Adaptation des thermorécepteurs.


Le diagramme illustre les réponses de récepteurs au froid et au chaud, respectivement, lorsque la
température de la peau subit des changements de 38 °C à 32 °C, et retour à 38 °C après quelques
secondes. Les deux types de récepteurs répondent principalement au moment du changement de
température, puis adaptent rapidement leur décharge.

Voies de la thermoception
L’organisation des voies sensorielles qui relaient les sensations liées aux
variations de température est virtuellement identique à celles impliquées dans la
transmission des informations nociceptives décrites ci-dessus. Les récepteurs au
froid utilisent des fibres Aδ et de type C, alors que les récepteurs au chaud n’uti-
lisent que des fibres de type C. Comme cela a déjà été mentionné, ces fibres font
synapse dans la substantia gelatinosa de la corne dorsale de la moelle épinière.
Les neurones de second ordre décussent immédiatement et cheminent dans le
faisceau spinothalamique situé du côté controlatéral à la source d’information
sensorielle (voir Fig. 12.30). Ainsi, si la moelle épinière subit une transection
d’un côté, la perte de la sensibilité à la température (ainsi qu’à la douleur) est
confinée du côté opposé à la lésion, spécifiquement dans les territoires cutanés
innervés par les segments spinaux situés en dessous de la lésion.

Conclusion
Ce chapitre termine la description que nous avons donnée des systèmes sen-
soriels. Bien que chacun de ceux que nous avons évoqués soient spécifiquement
placés à l’interface entre le cerveau et des formes différentes d’énergie liées à l’en-
vironnement, les systèmes sensoriels présentent tous des similarités frappantes
de leur organisation et de leur fonction. Les différents types d’information soma-
tique sensorielle demeurent séparés dans les nerfs spinaux, car chaque axone
est connecté seulement à un seul type de récepteur sensoriel. La ségrégation des
informations sensorielles persiste dans la moelle épinière, et elle est largement
maintenue tout au long de leur trajet vers le cortex cérébral. À cet égard le sys-
tème somatosensoriel exprime des propriétés que l’on retrouve dans l’ensemble
du système nerveux : l’existence de plusieurs canaux d’information en rapport
les uns avec les autres mais pas identiques, cheminant en parallèle au travers
d’une série de structures cérébrales. L’intégration de ces informations s’effectue
tout au long du trajet des fibres vers le cortex mais de façon très judicieuse, et
452 2 – Systèmes sensoriel et moteur

elle est achevée seulement dans le cortex cérébral qui représente le plus haut
niveau de ces structures d’intégration. Cette organisation parallèle du transfert
des différentes informations sensorielles existe aussi, comme nous l’avons vu,
dans le système visuel, le système auditif, et pour les sens chimiques comme la
gustation et l’olfaction.
Comment ensuite toutes ces informations sont intégrées par le système ner-
veux pour aboutir à la perception, aux images, et aux idées, demeure pour le
moment complètement obscur, comme la recherche du Saint-Graal. La seule
chose que nous sachions est que la perception d’un objet quel qu’il soit implique
la coordination étroite de toutes les facettes de l’information sensorielle soma-
tique. Un oiseau dans la main est de forme arrondie, chaud, doux et léger ; les pal-
pitations de son cœur sont perceptibles contre les doigts ; ses griffes égratignent ;
et ses ailes caressent doucement la paume de la main. Quelque part, le cerveau
sait qu’il s’agit d’un oiseau, même sans le regarder ou l’entendre crier, et l’utili-
sation de toutes ces informations est telle qu’il y a vraiment peu de chance pour
que cet oiseau soit pris pour un crapaud. Les chapitres suivants sont consacrés
à l’étude des processus à la base de l’utilisation de cette information sensorielle,
pour élaborer une réponse motrice adaptée à la perception de ces sensations.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Imaginez que vous frottiez l’extrémité de vos doigts sur une vitre lisse
ou sur une brique rugueuse. Quels types de récepteurs de la peau vous
aident à distinguer les deux surfaces ? Sur la base des informations
perçues, quelles sont les différences existant entre les deux surfaces
ainsi explorées ?
2. Quel est le rôle des encapsulations de certaines terminaisons ner-
veuses de la peau ?
3. Si quelqu’un vous met brutalement une pomme de terre très chaude
dans la main, quel type d’information arrivera d’abord à votre cer-
veau : la notion qu’il s’agit d’une pomme de terre très chaude, ou bien
qu’il s’agit d’un objet plutôt lisse ? Pourquoi ?
4. À quels niveaux du système nerveux tous les types d’informations
­sensorielles somatiques sont-ils représentés du côté controlatéral : la
moelle épinière, le bulbe, le pont, le mésencéphale, le thalamus ou le
cortex ?
5. Quel lobe cortical comporte les principales aires sensorielles soma-
tiques ? Où se trouvent les aires correspondantes des systèmes visuel
et auditif ?
6. Quels sont les mécanismes de la modulation de la douleur à partir de
la périphérie ?
7. Dans quelle région du système nerveux convergent les informations
concernant le toucher, la forme, la température ou encore la douleur ?
8. Imaginez l’expérience suivante : remplissez deux seaux d’eau, l’un
d’eau plutôt froide, l’autre d’eau chaude. Remplissez maintenant un
troisième seau avec une eau tiède, de température intermédiaire. Pla-
cez votre main gauche dans l’eau chaude et votre main droite dans
l’eau froide, pendant environ une minute. Maintenant plongez bru-
talement les deux mains dans le troisième seau contenant l’eau tiède.
Essayez de prédire quel type de sensation de température vous obtien-
drez à partir de chacune des deux mains. Pensez-vous que les sensa-
tions seront les mêmes ? Pourquoi ?
12 – Système sensoriel somatique 453

POUR EN SAVOIR PLUS

Abraira VE, Ginty DD. The sensory neurons of touch. Neuron 2013 ; 79 :
618-39.
Braz J, Solorzano C, Wang X, Basbaum AI. Transmitting pain and itch
messages : a contemporary view of the spinal cord circuits that gene-
rate gate control. Neuron 2014 ; 82 : 522-36.
Di Noto PM, Newman L, Wall S, Einstein G. The hermunculus: what is
known about the representation of the female body in the brain ? Ce-
rebral Cortex 2013 ; 23 : 1005-13.
Eijkelkamp N, Quick K, Wood JN. Transient receptor potential channels
and mechanosensation. Annual Review of Neuroscience 2013 ; 36 :
519-46.
Fain GL. Sensory Transduction. Sunderland, MA : Sinauer, 2003.
Hsiao S. Central mechanisms of tactile shape perception. Current Opi-
nion in Neurobiology 2008 ; 18 : 418-24.
McGlone F, Wessberg J, Olausson H. Discriminative and affective touch :
sensing and feeling. Neuron 2014 ; 82 : 737-55.
Vallbo Å. Single-afferent neurons and somatic sensation in humans. In :
The Cognitive Neurosciences. Gazzaniga M, ed. Cambridge, MA : MIT
Press, 1995 : 237-51.
454 2 – Systèmes sensoriel et moteur 454

CHAPITRE  13 Contrôle spinal


du mouvement

SYSTÈME MOTEUR
SOMATIQUE

MOTONEURONE
Organisation segmentaire des motoneurones..................................... 459
Motoneurones alpha ......................................................................... 460
Différents types d’unités motrices....................................................... 462
Encadré 13.1 Focus  Sclérose latérale amyotrophique (SLA) :
glutamate, gènes et maladie de Lou Gherig

COUPLAGE EXCITATION-
CONTRACTION
Structure des fibres musculaires......................................................... 465
Encadré 13.2 Focus  Myasthenia gravis
Bases moléculaires de la contraction musculaire................................. 468
Encadré 13.3 Focus  Dystrophie musculaire de Duchenne

CONTRÔLE SPINAL
DES UNITÉS MOTRICES
Proprioception à partir des fuseaux neuromusculaires........................ 471
Motoneurones gamma........................................................................ 473
Encadré 13.4 Les voies de la découverte  La régénération nerveuse
ne permet pas
une récupération totale,
par Timothy C. Cope
Proprioception à partir des organes tendineux de Golgi...................... 476
Interneurones spinaux........................................................................ 478
Générateur spinal des programmes moteurs de la locomotion............ 480

CONCLUSION
INTRODUCTION

C
e chapitre est consacré au système moteur qui, en réponse à une infor-
mation sensorielle, va être à l’origine d’un comportement réactionnel
adapté. Le système moteur est formé de l’ensemble de la musculature du
corps et des neurones qui commandent la contraction de ces muscles. Son impor-
tance est tout à fait considérable, comme le soulignait le neurophysiologiste
anglais Charles Sherrington en 1924 dans Linacre lecture : « Bouger les choses
représente tout ce que le genre humain peut faire… avec pour seul instrument le
muscle, que ce soit pour chuchoter une syllabe ou abattre une forêt. » Cependant,
le système moteur se trouve être d’une incroyable complexité, la réalisation des
comportements dans un environnement en perpétuel changement nécessitant
l’action coordonnée de nombreux muscles parmi les quelque 700 qui sont les
nôtres.
Connaissez-vous l’expression « courir comme un canard sans tête » ? Elle
est basée sur l’observation que des comportements complexes (courir autour de
la basse-cour, au moins pour un court instant) peuvent être obtenus indépen-
damment du cerveau. De fait, il existe dans la moelle épinière de très nombreux
circuits locaux susceptibles de permettre une activité motrice coordonnée, tels les
mouvements stéréotypés (répétitifs) de la locomotion. C’est au début du siècle
dernier que les neurophysiologistes anglais Charles Sherrington et Graham
Brown ont établi que des mouvements rythmiques des membres inférieurs pou-
vaient encore être obtenus chez le chat et le chien après une transection de la
moelle épinière séparant la partie basse de celle-ci du reste du système nerveux
central. Aujourd’hui il apparaît que la moelle épinière est à même d’exprimer par
elle-même une série de programmes moteurs à la base de mouvements coordon-
nés, programmes moteurs dont l’exécution est normalement sous la dépendance
d’influences descendantes issues du cerveau. Par conséquent, le contrôle moteur
peut, schématiquement, être divisé en deux parties : (1) la commande motrice
coordonnée de la musculature par les circuits spinaux, et (2) la commande cen-
trale descendante et le contrôle par le cerveau des programmes moteurs spinaux.
C’est le système moteur somatique périphérique qui fait l’objet de ce cha-
pitre, comprenant une description des articulations, des muscles squelettiques,
des motoneurones et de comment ces ensembles sont connectés entre eux, le
chapitre 14 qui suit étant, quant à lui, plus spécifiquement consacré au contrôle
descendant de l’activité de la moelle épinière.
456 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Système moteur somatique


Les muscles peuvent être subdivisés en deux grandes catégories : les muscles
striés et les muscles lisses, sur la base de leur observation au microscope. Les mus-
cles lisses sont ceux du tractus digestif et de la paroi des artères, entre autres, et
ils sont innervés par le système nerveux autonome (voir chapitre 15). Ces muscles
lisses jouent un rôle dans le péristaltisme (les contractions du tube digestif) et le
contrôle de la pression artérielle et de la circulation sanguine. Les muscles striés
peuvent être subdivisés quant à eux en deux sous-catégories, représentées par le
muscle cardiaque d’une part, et les muscles squelettiques d’autre part. Le muscle
cardiaque forme le cœur et il se contracte de façon rythmique, même en l’absence
de toute innervation, celle liée au système nerveux autonome ayant pour effet
d’agir sur la fréquence des battements cardiaques (souvenez-vous de l’expérience
d’Otto Loewi décrite dans le chapitre 5).
Les muscles squelettiques constituent la musculature des membres et de l’en-
semble du corps. Ils sont engagés dans le mouvement des os autour des arti-
culations, les mouvements des yeux dans la tête, le contrôle de la respiration,
l’expression faciale, ou encore dans la production de la parole. Chaque mus-
cle squelettique est quant à lui emballé dans un tissu conjonctif qui, à chaque
extrémité, forme les tendons. Un muscle donné est lui-même formé de centaines
de fibres musculaires – les cellules des muscles squelettiques – et chaque fibre
est innervée par un seul axone à partir du système nerveux central (Fig. 13.1).

Fibres
musculaires

Axones provenant
de la moelle épinière

Muscle
(biceps)

Figure 13.1 – Structure du muscle squelettique.


Chaque fibre musculaire est innervée par un axone unique.
13 – Contrôle spinal du mouvement 457

Parce que ces muscles squelettiques sont embryologiquement formés à partir


de 33 paires de somites (voir chapitre 7), ces muscles et la partie du système ner-
veux qui est associée, sont collectivement dénommés système moteur somatique.
C’est ce système dont l’activité est à la base de la réalisation des comportements
moteurs, qui fait l’objet de ce chapitre. La composante motrice viscérale du sys-
tème nerveux autonome sera décrite dans le chapitre 15.
Considérez à titre d’exemple l’articulation du coude (Fig. 13.2). Elle est for-
mée par l’association au moyen des ligaments filamenteux de l’humérus, l’os de
la partie supérieure du bras, au radius et au cubitus, les os de la partie inférieure
du bras situés entre le coude et le poignet. L’articulation fonctionne schémati-
quement comme la charnière d’un couteau de poche. Les mouvements de l’arti-
culation ayant tendance à refermer le couteau sont dits mouvements de flexion ;
les mouvements inverses sont dits d’extension. Notez que les muscles ne font
que tirer sur les articulations ; ils n’ont pas la capacité de pousser. La flexion
est principalement liée à la contraction du muscle brachialis, dont les tendons
assurent la fixation sur l’humérus d’une part, et sur le cubitus d’autre part. Deux
autres muscles sont engagés dans les mouvements de flexion du coude : le biceps
brachii (ou biceps), et le coracobrachialis (qui se trouve au-dessous du biceps).
Ensemble, ces muscles sont dénommés fléchisseurs de l’articulation du coude,
et parce qu’ils sont tous engagés dans la réalisation d’un même mouvement de
flexion, ils sont dits synergistes. Les muscles synergistes qui, à l’inverse, sont
engagés dans les mouvements d’extension, sont représentés par le triceps brachii
(le triceps) et l’anconeus, et sont dénommés muscles extenseurs. Enfin, parce
que les fléchisseurs et les extenseurs ont des actions opposées sur les mouve-
ments de l’articulation du coude, ces groupes de muscles sont qualifiés d’anta-
gonistes. Les relations existant entre ces muscles et les os du bras, ainsi que les
forces et mouvements qu’ils génèrent, sont schématiquement représentés à la
figure 13.3. Ainsi, même la simple flexion de l’articulation du coude nécessite la
contraction coordonnée des muscles fléchisseurs synergistes et le relâchement de
la contraction des muscles extenseurs antagonistes. Grâce à ce relâchement des
muscles antagonistes, les mouvements sont encore plus rapides et plus efficaces,
parce qu’à ce moment les muscles ne sont plus engagés dans des actions qui les
opposent les uns aux autres.
Une autre classification des muscles est en rapport avec la localisation des
articulations sur lesquels ils agissent. Les muscles responsables des mouvements
du tronc sont dénommés muscles axiaux ; ceux qui sont associés aux mouve-
ments de l’épaule, du coude, du pelvis, et des genoux sont dénommés muscles
proximaux (ou des ceintures) ; et ceux qui produisent les mouvements des mains,
des pieds, et des doigts sont dénommés muscles distaux. La musculature axiale
joue un rôle prépondérant dans le maintien de la posture du corps, alors que la
musculature proximale est fortement engagée dans la locomotion. Quant à la
musculature distale et particulièrement celle de la main, elle intervient dans tous
les mouvements de manipulation des objets.

Humérus

Biceps brachii
Flexion
Brachialis
Radius
Triceps
brachii Cubitus Figure 13.2 – Principaux muscles de l’articu-
lation du coude.
Extension
Le biceps et le triceps représentent deux
muscles antagonistes. La contraction du
Anconeus
biceps provoque la flexion de l’articulation du
coude ; celle du triceps, son extension.
458 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Extenseur Fléchisseur 1

Fléchisseur 2
Flexion

Extension

Figure 13.3 – Comment la contraction des muscles conduit à la flexion ou à l’extension d’une


articulation.
La contraction des muscles fléchisseurs tire la partie distale de l’os vers le haut, ce qui correspond
à la flexion de l’articulation. La contraction de l’extenseur tire la partie opposée de l’os située de
l’autre côté de l’articulation vers le haut, ce qui se traduit par l’abaissement de la partie distale de
l’os et correspond à l’extension du membre. Les muscles fléchisseurs 1 et 2 sont synergistes. Ces
mêmes muscles sont antagonistes des muscles extenseurs.

Motoneurone
La musculature somatique est innervée par les motoneurones, situés dans
la corne ventrale de la moelle épinière (Fig. 13.4). Ces cellules sont quelquefois
dénommées neurones moteurs inférieurs, pour les distinguer des neurones moteurs
supérieurs, à l’origine des voies motrices descendantes vers la moelle épinière.
Seuls les motoneurones, que Sherrington avait définis comme représentant la
voie finale commune du contrôle des comportements moteurs, sont impliqués
dans la commande de la contraction musculaire.

Racine
ventrale Corne
Motoneurones
ventrale
Nerf
mixte Fibre
Figure 13.4 – Innervation des muscles par musculaire
les motoneurones.
Les motoneurones innervant les muscles
squelettiques sont localisés dans la corne
ventrale de la moelle épinière.
13 – Contrôle spinal du mouvement 459

Organisation segmentaire des motoneurones


Les axones des motoneurones spinaux se rassemblent en faisceaux, pour for-
mer les racines ventrales. Chaque racine ventrale s’associe avec une racine dorsale
à quelque distance de la moelle épinière pour former un nerf spinal qui émerge
de la colonne vertébrale au niveau d’espaces situés entre les vertèbres. Ainsi, en
considérant qu’il y a autant de nerfs spinaux que d’espaces entre les vertèbres,
chez l’homme la moelle épinière comprend 30 paires de nerfs. Ces nerfs, qui
comportent à la fois des fibres motrices et sensorielles, sont dits nerfs mixtes.
Les motoneurones dont les axones empruntent tous le même nerf spinal appar-
tiennent à un même segment spinal identifié par rapport à la vertèbre d’origine.
Ainsi peut-on reconnaître les segments cervicaux (C) 1 à 8, thoraciques (T) 1 à
12, lombaires (L) 1 à 5, et les segments sacrés (S) 1 à 5 (voir Fig. 12.11).
Les muscles squelettiques ne se distribuent pas uniformément sur tout le
corps, tout comme d’ailleurs les motoneurones ne sont pas répartis sur l’ensemble
de la moelle épinière. Par exemple, l’innervation des quelque 50 muscles du bras
provient entièrement des segments spinaux C3 à T1. De ce fait, dans cette région
de la moelle épinière la corne ventrale apparaît légèrement hypertrophiée par
rapport aux régions voisines, compte tenu de la densité des neurones contrôlant
la musculature du bras (Fig. 13.5). De la même façon, les segments spinaux L1

Bulbe

Moelle
épinière

Dilatation Corne
cervicale ventrale
(C3–T1)

Corne
ventrale

Corne
ventrale

Dilatation
lombaire
(L1–S3)

Figure 13.5 – Répartition des motoneurones au niveau de la moelle épinière.


La dilatation cervicale contient les motoneurones innervant les muscles du
bras ; la dilatation lombaire, ceux innervant les muscles de la jambe.
460 2 – Systèmes sensoriel et moteur

à S3 présentent une légère hypertrophie des cornes ventrales, en rapport avec la


localisation des motoneurones commandant la contraction des nombreux mus-
cles de la jambe. Ainsi apparaît-il que les motoneurones qui innervent la mus-
culature distale et proximale sont principalement situés au niveau des segments
cervicaux et lombosacrés de la moelle épinière, alors que ceux commandant la
musculature axiale sont localisés à tous les niveaux.
La répartition des motoneurones dans la corne ventrale de chaque seg-
ment spinal est par ailleurs prédictible, en rapport avec leur fonction. Ainsi les
motoneurones innervant la musculature axiale sont situés dans des régions plus
médianes par rapport à ceux innervant la musculature distale ; de même, les
neurones innervant les muscles fléchisseurs occupent une position plus dorsale
Corne par rapport à ceux innervant les muscles extenseurs (Fig. 13.6).
ventrale

Motoneurones alpha
Dorsal Les motoneurones de la moelle épinière peuvent être subdivisés en deux
Fléchisseurs catégories : les motoneurones alpha (α) et les motoneurones gamma (γ) (voir
plus loin). Les motoneurones α sont directement responsables de la production
Muscles de la force par les muscles. Un motoneurone α et toutes les fibres musculaires
axiaux qu’il innerve, représentent l’unité de base de l’organisation du contrôle moteur,
Muscles ce que Sherrington a appelé l’unité motrice. La contraction musculaire résulte
distaux
de l’action individuelle, ou combinée, de ces unités motrices. L’ensemble des
motoneurones qui innerve un muscle déterminé (par exemple le biceps) forme
Extenseurs une population de motoneurones homogène, ce que l’on nomme en anglais, un
Ventral
Médial Latéral
pool de motoneurones (Fig. 13.7).

Figure 13.6 – Distribution des motoneurones


Contrôle de la contraction musculaire par les motoneurones α.  Il est fon-
dans la corne ventrale de la moelle épinière. damental qu’au cours des mouvements la force exercée par chaque muscle soit
Les motoneurones de commande des mus- adaptée au mouvement en question : si c’est trop fort, vous risquez de briser l’œuf
cles fléchisseurs occupent une position que vous vous apprêtiez à déguster ; si c’est trop peu, vous allez perdre la course
dorsale par rapport à ceux commandant de natation dans laquelle vous êtes engagé. Ainsi la plupart des mouvements que
les muscles extenseurs. Par ailleurs, les nous réalisons, que ce soit pour marcher, parler, ou écrire, ne requièrent que des
motoneurones de commande de la muscula- contractions musculaires limitées. Toutefois, dans d’autres conditions comme
ture axiale sont situés dans des régions plus pour le jogging ou encore porter une pile de livres, il faut mobiliser une force
médianes par rapport à ceux contrôlant la plus importante, ce qui implique des contractions musculaires plus fortes. Dans
musculature distale. ce contexte, nous réservons les contractions les plus fortes seulement pour des
conditions exceptionnelles, comme les compétitions de sprint, ou grimper sur
un arbre de toute urgence pour échapper à la charge d’un sanglier dans la forêt.
Le système nerveux met donc en œuvre plusieurs mécanismes pour contrôler la
force des contractions musculaires de façon graduée.
Motoneurones α La première possibilité de contrôler la contraction musculaire est de faire
varier la décharge des motoneurones qui commandent la contraction des fibres
musculaires. Les motoneurones α communiquent avec les fibres musculaires
Unité
squelettiques par l’intermédiaire d’une synapse caractéristique, la jonction neu-
motrice romusculaire, utilisant l’acétylcholine (ACh) comme neurotransmetteur (voir
chapitre 5). Compte tenu de la très haute efficacité de cette synapse, l’ACh libé-
Fibres
musculaires rée par les terminaisons nerveuses en réponse aux potentiels d’actions véhicu-
lés par les axones moteurs, provoque un potentiel post-synaptique d’excitation
(PPSE) dans la fibre musculaire, quelquefois dénommé potentiel de plaque
(a)
motrice. Ce potentiel de plaque motrice est suffisamment important pour géné-
Population rer un potentiel d’action post-synaptique dans la fibre musculaire. Par l’impli-
de motoneurones
cation de mécanismes qui seront décrits plus loin, un tel potentiel d’action post-­
synaptique provoque une séquence rapide de contraction-relaxation de la fibre

Muscle
Figure 13.7 – L’unité motrice et la population des motoneurones commandant un muscle parti-
culier.
(a) Une unité motrice représente le motoneurone et l’ensemble des fibres musculaires qu’il innerve.
(b) Une population de motoneurones représente l’ensemble des motoneurones innervant un seul
(b)
muscle.
13 – Contrôle spinal du mouvement 461

musculaire. Une contraction plus soutenue des fibres musculaires nécessite une
décharge répétée de potentiels d’action du motoneurone. Dans ce cas, comme
pour d’autres catégories de synapses, la décharge neuronale à haute fréquence
provoque une sommation temporelle des réponses post-synaptiques. La som-
mation de toutes les séquences d’alternance rapide de contraction-relaxation
augmente la tension des fibres musculaires et harmonise la contraction du mus-
cle (Fig. 13.8). Par conséquent, la fréquence de décharge des motoneurones, et
donc des unités motrices, représente donc bien un facteur important par lequel
le système nerveux central contrôle de façon graduée la contraction musculaire. Enregistrement
de l’activité
Un autre moyen dont dispose le système nerveux central pour contrôler des motoneurones
la contraction musculaire est de recruter des unités motrices synergistes addi-
tionnelles. Le supplément de tension qui se trouve apporté par le recrutement Mesure de la contraction musculaire
d’unités motrices additionnelles dépend du nombre d’unités motrices présentes
dans le muscle en question. Dans les muscles antigravitaires de la jambe par (a)
exemple (les muscles qui s’opposent à la force de gravité lorsqu’on est debout),
chaque unité motrice tend à être de taille importante, avec une innervation de
l’ordre de 1 000 fibres musculaires innervées par un seul motoneurone α. En Contraction musculaire 5 Hz
revanche, s’agissant des petits muscles qui contrôlent les mouvements des doigts
ou la rotation des yeux dans l’orbite, ils sont caractérisés par le fait que chaque

Force
motoneurone innerve un nombre limité de fibres musculaires, aussi faible que
3 fibres musculaires pour un seul motoneurone α, dans les cas extrêmes. En
Activité du motoneurone
général les muscles possédant un grand nombre d’unités motrices de petite taille
sont contrôlés plus finement par le système nerveux central.
La plupart des muscles présentent des unités motrices de taille différente et Potentiels d’action enregistrés
au niveau extracellulaire
ces unités motrices sont recrutées, dans l’ordre, d’abord les plus petites, puis les
plus grandes. Ce type de recrutement hiérarchisé explique pourquoi les mou- Temps

vements sont plus faciles lorsque la tension musculaire est faible alors qu’ils
10 Hz
sont plus difficiles quand leur tension est déjà forte. Les petites unités motrices
comportent des motoneurones α de petite taille, et les unités motrices de grande
taille présentent des motoneurones de plus gros diamètre. De ce fait, l’un des
Force

moyens par lequel le recrutement hiérarchisé peut intervenir pourrait être lié
à la géométrie des neurones et de leur arborisation dendritique, les motoneu-
rones α de petite taille ayant ainsi la capacité d’être plus facilement excités par les
influences descendantes du système nerveux central. Cette idée d’un recrutement
hiérarchisé des motoneurones α lié à des différences de leur taille, proposée par
le neurophysiologiste Elwood Henneman de l’Université de Harvard à la fin des
années 1950, est nommée principe de taille. Temps

Afférences des motoneurones. Les motoneurones α sont à l’origine de la 20 Hz


contraction des muscles squelettiques. Par conséquent, pour comprendre com-
ment l’activité des muscles est contrôlée, nous devons comprendre quelles sont
les influences auxquelles ces motoneurones sont soumis. Les motoneurones α
Force

sont contrôlés par des afférences nerveuses faisant synapse dans des cornes ven-
trales. Comme le montre la figure 13.9, les motoneurones α sont seulement soumis
à trois types d’afférences nerveuses. L’un de ces contingents de fibres provient des
neurones des ganglions sensoriels des racines dorsales, véhiculant les messages
sensoriels issus d’un détecteur sensoriel spécialisé du muscle lui-même dénommé
fuseau neuromusculaire. Comme cela sera mentionné plus loin, les fuseaux neu-
romusculaires renseignent le système nerveux sur la longueur du muscle. La Temps

seconde source d’information des motoneurones α provient des niveaux supra­ 40 Hz


spinaux, en particulier de neurones du cortex moteur et du tronc cérébral. Ces
informations jouent un rôle prépondérant dans le déclenchement et le contrôle
des mouvements volontaires, ce qui sera décrit plus en détail dans le chapitre 14.
Force

Figure 13.8 – De la contraction musculaire phasique à la contraction soutenue.


(a) Un seul potentiel d’action des motoneurones α entraîne une très brève contraction des fibres
musculaires. (b) La sommation de ces petites contractions sous l’effet d’une décharge plus intense Temps
du motoneurone a pour résultat une contraction musculaire soutenue. (b)
462 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Information provenant Enfin, le troisième type d’afférence des motoneurones α, qui est aussi le plus
des interneurones développé, a pour origine les interneurones spinaux. Ces interneurones peuvent
Information sensorielle
provenant des fuseaux
être soit excitateurs, soit inhibiteurs, et ils font partie de circuits impliqués dans
neuromusculaires les programmes moteurs spinaux.

Différents types d’unités motrices


Si vous avez déjà mangé du poulet vous savez déjà que tous les muscles ne
sont pas les mêmes : vous trouvez des muscles plutôt foncés dans les cuisses,
alors que les muscles axiaux et des ailes sont plutôt blancs. Les différences d’ap-
parence (et aussi de goût) de ces muscles sont liées à des différences de consti-
Information
tution des fibres musculaires au plan biochimique. Les muscles « rouges » (de
Motoneurone α provenant couleur plutôt foncée) sont caractérisés par la présence de nombreuses mito-
des centres chondries et d’enzymes spécialisées dans le métabolisme oxydatif énergétique.
supraspinaux Ces fibres, parfois dénommées aussi « fibres lentes », sont relativement lentes
Figure 13.9 – Les motoneurones alpha et
quant à leur vitesse de contraction mais elles peuvent par contre soutenir une
leurs trois sources d’information afférente. contraction continue sans fatigue. Elles sont principalement présentes dans les
muscles antigravitaires des membres et dans les muscles des ailes chez les oiseaux
qui volent (contrairement au poulet). En revanche, les muscles d’apparence pâle
(les muscles « blancs ») contiennent peu de mitochondries et les fibres sont
impliquées plutôt dans le métabolisme anaérobie (sans oxygène). Ces fibres se
contractent rapidement et sont dénommées parfois « fibres rapides ». Mais si
leur contraction rapide est très puissante, elles se fatiguent aussi très rapidement.
Ces fibres rapides sont présentes principalement dans les muscles impliqués dans
les réflexes de défense et de fuite, comme par exemple les muscles permettant les
grands sauts chez la grenouille et le lapin. Chez l’homme, ce sont les muscles du
bras qui contiennent un grand nombre de ces fibres blanches. Les fibres rapides
peuvent être subdivisées encore en deux sous-groupes : les fibres rapides résistant
à la fatigue, qui génèrent des contractions modérément fortes et rapides et sont
relativement résistantes à la fatigue ; les fibres rapides fatigables, qui génèrent
les contractions les plus rapides et les plus fortes mais qui se fatiguent très vite,
comme cela est visible lors d’expériences de stimulation soutenue à haute fré-
quence.
Même si les trois types de fibres musculaires peuvent coexister (et de fait
coexistent) dans un muscle donné, chaque unité motrice est formée de fibres
musculaires d’un seul type. Par conséquent, il existe un seul type d’unité motrice
lente, qui ne contient que des fibres rouges fatigables, et deux types d’unités
motrices rapides, chacun contenant soit des fibres résistant à la fatigue, soit
des fibres blanches rapidement fatigables (Fig. 13.10). Il est important de noter
que les motoneurones α qui commandent ces trois types d’unités motrices pré-
sentent eux-mêmes des propriétés caractéristiques. Par exemple, les motoneu-
rones impliqués dans des unités motrices rapides et fatigables sont généralement
de taille plus importante et présentent des axones à conduction plus rapide. Les
motoneurones des fibres rapides résistant à la fatigue ont des tailles intermé-
diaires de soma et de diamètre axonique. Enfin, les motoneurones des unités
lentes sont de diamètre plus petit et présentent des axones à vitesse de conduction
plus lente. Les caractéristiques de décharge des neurones de ces trois catégories
sont elles-mêmes différentes, les motoneurones des unités motrices rapides hau-
tement fatigables déchargeant plutôt en bouffées de potentiels d’action à haute
fréquence (30 à 60 potentiels d’action par seconde), alors que les motoneurones
des unités lentes sont caractérisés par une décharge plus régulière, à relativement
basse fréquence (10 à 20 potentiels d’action par seconde).
Commande neuromusculaire.  Le fait qu’il existe une organisation topo-
graphique aussi précise entre des motoneurones aux propriétés particulières et
des fibres musculaires tout à fait typiques, pose des questions fondamentales.
Puisqu’il était question de poulet plus haut, on peut soulever la question de
savoir qui, de la fibre musculaire ou du motoneurone, est là le premier ? La
première hypothèse est que cette organisation se met en place au cours du déve-
loppement embryonnaire ; cependant, alternativement, il est aussi possible que
les propriétés musculaires soient déterminées à partir de leur innervation. Si une
13 – Contrôle spinal du mouvement 463

Unité motrice rapide fatigable

Force (grammes)
60

50

50

0
0 2 4 6 15
40
Unité motrice rapide résistant
Unité motrice à la fatigue
30

Force (grammes)
rapide fatigable
Force (grammes)

30 20

10

20 0
0 2 4 6 50
Figure 13.10 – Trois types d’unités motrices
et leurs propriétés contractiles.
Unité motrice Unité motrice lente
Force (grammes)

(a) Un potentiel d’action unique provoque une


10 rapide résistant 4
contraction de force et de durée différente
à la fatigue
selon le type d’unité motrice. (b) Des stimu-
2 lations répétées ou des trains de stimulations
Unité produisant des séries de potentiels d’ac-
0
motrice lente 0 tion de fréquence à 40 Hz pendant plusieurs
0 50 100 150 200 250 300 0 2 4 6 60 minutes, induisent des fatigues différentes
selon le type d’unité motrice concernée.
(a) Temps (ms) (b) Temps (min) (Source : adapté de Burke et al., 1973.)

fibre musculaire reçoit une innervation à partir d’un motoneurone rapide, elle
développera les caractéristiques d’une fibre rapide ; de même si l’innervation
implique un motoneurone lent.
Cette question a été étudiée par John Eccles et ses collaborateurs travaillant à
l’époque à l’Australian National University. Ces chercheurs ont supprimé l’inner-
vation d’un muscle rapide et l’ont remplacée par une innervation normalement
destinée à un muscle lent (Fig. 13.11). Cette procédure est suivie d’un change-
ment des propriétés des fibres musculaires qui, de rapides, deviennent lentes.
De façon intéressante, il est notable que ces changements ne portent pas que
sur les caractéristiques de la contraction (lente ; résistance à la fatigue), mais
également sur les caractéristiques biochimiques des fibres. Ces résultats sont en
faveur d’un changement de phénotype des fibres musculaires (leurs caractéris-
tiques physiques), se traduisant notamment par une modification des protéines
exprimées par les fibres. Des travaux ultérieurs, réalisés par Terje Lømo et ses
collaborateurs en Norvège, ont montré que ce changement de phénotype peut
être induit simplement en modifiant les caractéristiques d’activité du motoneu-
rone déchargeant normalement à haute fréquence (bouffées occasionnelles de 30
à 60 potentiels d’action) et dont la dite activité peut être ramenée à une décharge
lente et régulière de 10 à 20 potentiels d’action par seconde. Ces données sont
particulièrement intéressantes car elles suggèrent que les neurones peuvent
modifier leur phénotype en fonction des informations synaptiques (l’expérience)
qui leurs parviennent, ce qui peut être discuté en terme d’apprentissage et de
mémorisation (voir chapitres 24 et 25).
À côté de ces changements susceptibles d’être attribués au type de décharge des
motoneurones qui les innervent, il apparaît que les fibres musculaires sont éga-
lement sensibles aux variations globales d’activité les concernant. Par exemple,
une activation prolongée (liée notamment à un exercice isométrique) induit une
hypertrophie ou une croissance exagérée des fibres musculaires, comme cela
se voit chez les adeptes du bodybulding. Inversement, une inactivité prolongée
conduit à l’atrophie voire la dégénérescence des fibres musculaires, comme c’est
le cas lors d’une longue immobilisation d’un membre en raison d’une fracture,
par exemple. Ainsi apparaît-il clairement une relation étroite entre le motoneu-
rone et la fibre musculaire qu’il innerve (Encadré 13.1).
464 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Innervation normale Innervation croisée

Motoneurone α Lent Rapide Lent Rapide


type :

Figure 13.11 – Expérience d’innervation croi-


sée.
Le fait de forcer un motoneurone lent à inner-
ver un muscle rapide entraîne une modifica- Nom du muscle : Soleus Gastrocnemius Soleus Gastrocnemius
tion des propriétés du muscle qui, de rapide, Type de muscle : Lent Rapide Apparence rapide Apparence lente
devient lent.

Encadré 13.1 FOCUS

Sclérose latérale amyotrophique (SLA) :


glutamate, gènes et maladie de Lou Gerhig
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une certaines pistes sont explorées. Une cause potentielle de
maladie particulièrement cruelle. Elle a été décrite pour la SLA serait l’excitotoxicité. Comme nous l’avons vu
la première fois par le neurologue français Jean-Martin dans le chapitre 6, une sur-stimulation de la transmis-
Charcot, en 1869. Les premiers signes de la maladie sont sion synaptique impliquant les acides aminés excitateurs
d’abord une faiblesse, puis une atrophie musculaire. dont le glutamate peut conduire à la mort neuronale
Dans l’une ou l’autre des cinq années qui suivent l’appa- (voir Encadré 6.4). De nombreux patients ont de fait des
rition des premiers signes, tout mouvement volontaire taux de glutamate élevés dans le LCR. L’excitotoxicité a
devient impossible, c’est-à-dire que les patients perdent initialement été évoquée dans une forme de SLA parti-
progressivement toute capacité à marcher, parler, déglu- culièrement fréquente ayant impliqué les habitants de
tir et respirer. Le décès des patients intervient générale- l’île de Guam avant la Seconde Guerre mondiale. Dans
ment par l’atteinte des capacités respiratoires. Comme la ce cas, il avait été avancé une cause environnementale,
maladie n’affecte pas les fonctions cognitives, ni d’ail- liée à la consommation locale d’une noix de cycas conte-
leurs le domaine sensoriel, les patients subissent cette nant des dérivés des acides aminés excitateurs. En ce
dégradation inéluctable, parfaitement conscients de ce sens, la mise en évidence récente chez certains patients
qui leur arrive. La SLA est une affection relativement d’un défaut d’inactivation du glutamate synaptique par
rare, touchant environ 1  individu sur 20  000. Néanmoins, altération d’un transporteur membranaire spécifique,
cela représente jusqu’à 30 000 Américains souffrant de qui résulterait en des accumulations de glutamate extra-
cette maladie, dont l’une des plus célèbres victimes fut cellulaire, serait en faveur de cette hypothèse. Dans ce
Lou Gehrig, une star du base-ball de l’équipe des New contexte, il est intéressant de constater que le premier
York Yankees, décédé en 1936. Depuis, aux États-Unis médicament autorisé par la Food and Drug Administration
la SLA est d’ailleurs aussi fréquemment appelée maladie aux États-Unis pour lutter contre la SLA est le riluzole,
de Lou Gehrig (NdT : en France la maladie touche envi- un agent à visée antiglutamatergique. Les données
ron 5 000 personnes). acquises actuellement montrent que le médicament est
La faiblesse musculaire et l’atrophie sont caractéris- bien à même de retarder de quelques mois l’évolution de
tiques d’une atteinte des unités motrices. De fait, la SLA la maladie, mais que l’issue reste cependant la même.
est principalement associée à une dégénérescence des Dans un faible nombre de cas (moins de 10 %), il
motoneurones α. Par ailleurs, on note une atteinte des existe une composante génétique liée à des mutations
neurones du cortex moteur qui innervent les motoneu- qui peuvent conduire à certaines formes de la maladie.
rones α mais, curieusement, les autres types de neurones La première mutation a été décrite en 1993, sur le gène de
du système nerveux ne sont en général pas ou peu affec- la superoxyde dismutase, une enzyme impliquée dans les
tés par la maladie. Dès lors, la dégénérescence sélective processus de détoxification cellulaire. En effet, le méta-
des neurones moteurs rend compte de l’atteinte pure- bolisme cellulaire produit des radicaux libres, de type
ment motrice dans cette maladie dégénérative. O2– par exemple. Ces radicaux superoxydes sont extrê-
Les causes exactes de la SLA sont encore largement mement réactifs et susceptibles de provoquer des dom-
inconnues et vraisemblablement multiples. Néanmoins, mages cellulaires de caractère irréversible. La ­superoxyde
13 – Contrôle spinal du mouvement 465

Encadré 13.1 FOCUS  (suite)

dismutase est une enzyme clé du métabolisme, qui trans- lette. Des études utilisant des analyses génétiques glo-
forme les radicaux superoxydes en leur faisant perdre bales (Genome wide association studies ou GWAS) à
leurs électrons surnuméraires et en les transformant à grande échelle qui visent à déterminer si des variations
nouveau en oxygène. Par conséquent, la perte d’activité du génome sont associées à la maladie, ont montré que
de la superoxyde dismutase conduit à une accumulation deux mutations de deux gènes différents pourraient
des radicaux libres et, partant, à des lésions cellulaires, effectivement être la cause de certaines formes de SLA.
particulièrement dans les cellules ayant un métabolisme Dans ce contexte, l’idée émergente est que la SLA est
très actif. La mort des motoneurones paraît par ailleurs clairement une maladie polyfactorielle et que le syn-
dépendre des cellules gliales qui les entourent. De fait, drome clinique caractérisé par des symptômes cliniques
d’autres mutations ont été rapportées dans quelques cas similaires, représente plus l’expression d’un groupe de
de la maladie. maladies plutôt que d’une seule.
Les travaux les plus récents dans ce domaine ont Dès lors, beaucoup reste à faire pour comprendre les
contribué à caractériser des mutations sur environ mécanismes de la mort sélective des neurones moteurs
15 gènes différents, qui peuvent être impliquées dans dans la SLA. Ce que nous avons appris nous oriente
une forme ou une autre de SLA. Ces mutations affectent vers de nouveaux traitements possibles, y compris la
toute une série de mécanismes fondamentaux de l’acti- transplantation de cellules souches pour remplacer les
vité cellulaire. Certaines d’entre elles se traduisent par neurones et/ou les cellules gliales affectés par la maladie,
des pertes d’activité de protéines impliquées dans la ou vers des applications de la thérapie génique pour
liaison des ARN pendant la transcription. D’autres supprimer les effets des mutations. Transposer ces idées
affectent des protéines impliquées dans le trafic vésicu- en clinique est un objectif pour les chercheurs mais à
laire, la sécrétion des protéines, la division cellulaire, la ce jour il reste un idéal qui n’est pas atteignable dans
production d’ATP ou encore la dynamique du cytosque- l’immédiat.

Couplage excitation-contraction
Comme cela a été mentionné plus haut, la contraction musculaire est ini-
tiée par la libération synaptique de l’ACh à la jonction neuromusculaire par les
terminaisons axoniques des motoneurones α. L’ACh déclenche un PPSE de la
fibre musculaire par activation des récepteurs cholinergiques nicotiniques. Il s’en
suit une activation des canaux sodiques voltage-dépendants de la membrane de
la fibre musculaire, ce qui a pour effet de provoquer un potentiel d’action cor-
respondant à l’excitation (mais voir aussi Encadré 13.2). Le potentiel d’action
(­l’excitation), du fait de l’existence d’une relation entre excitation de la membrane
et contraction musculaire (la contraction), est à l’origine de la contraction. Ce
processus est dénommé « couplage excitation-contraction ». Il se traduit par une
libération d’ions Ca2+ à partir d’organites intracellulaires de la fibre musculaire,
ce qui entraîne la contraction de la fibre. La relaxation de la fibre intervient
lorsque les concentrations de Ca2+ retournent à la normale, par incorporation
dans les organites cellulaires qui le libèrent. Pour bien comprendre ce qu’il se
passe, il est ainsi nécessaire de procéder à une analyse plus précise de la structure
des fibres musculaires.

Structure des fibres musculaires


La structure des fibres musculaires est illustrée par la figure 13.12. Les fibres
musculaires sont formées très tôt au cours du développement embryonnaire,
par fusion des myoblastes représentant des cellules précurseurs dérivées du
mésoderme (voir chapitre 7). Cette fusion conduit à ce que chaque fibre mus-
culaire possède plusieurs noyaux (on dit de ces fibres qu’elles sont polynuclées)
et soit particulièrement allongée, entre 1 et 500 mm de longueur, d’où le nom
de « fibre ». Les fibres musculaires sont délimitées par une membrane excitable
nommée sarcolemme.
466 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Figure 13.12 – Structure d’une fibre musculaire. Mitochondries Myofibrilles


Les tubules transverses (T) permettent le passage
des courants, de la surface vers les profondeurs
de la fibre musculaire.

Tubules T

Reticulum
sarcoplasmique

Ouvertures
des tubules T

Sarcolemme

Encadré 13.2 FOCUS

Myasthenia gravis
La jonction neuromusculaire représente une synapse duit des anticorps contre leurs récepteurs nicotiniques.
d’une efficacité remarquable. Chaque potentiel d’action Les anticorps se fixent ainsi sur les récepteurs, interfé-
arrivant à l’extrémité des axones moteurs provoque la rant avec l’action normale de l’ACh sur ses récepteurs à
libération d’acétylcholine (ACh) dans l’espace synap- la jonction neuromusculaire. De plus, la fixation des
tique, à partir de centaines de vésicules synaptiques. Les anticorps sur les récepteurs conduit secondairement à
molécules d’ACh ainsi libérées vont agir sur les récep- une dégénérescence de certaines des jonctions neuro-
teurs nicotiniques localisés sur les fibres musculaires. Le musculaires, affaiblissant encore la commande motrice.
résultat est une dépolarisation sous forme d’un potentiel L’un des traitements efficaces consiste en l’adminis-
post-synaptique d’excitation (PPSE) qui va déclencher tration d’agents inhibant la dégradation de l’ACh libé-
un potentiel d’action musculaire et, partant, la contrac- rée, par inhibition des acétylcholinestérases (AChE).
tion de la fibre. Souvenez-vous des chapitres 5 et 6, les AChE contri-
Dans le cas de patients souffrant de myasthenia gravis, buent à l’inactivation de l’ACh dans l’espace synaptique.
l’ACh libéré est moins efficace, et la transmission synap- A faibles doses, les inhibiteurs des AChE renforcent la
tique ne s’effectue pas correctement. Le nom de la mala- transmission cholinergique en prolongeant la durée
die est dérivé du Grec et signifie « grave faiblesse muscu- d’action de l’ACh libérée dans la synapse. Mais ces dro-
laire ». La maladie est de fait caractérisée par une faiblesse gues sont très imparfaites et la fenêtre thérapeutique est
musculaire et une fatigabilité des muscles engagés dans très étroite. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 5
des mouvements volontaires, y compris les muscles de la (voir Encadré 5.5), trop d’ACh conduit à une désensibi-
face. Elle devient fatale lorsque les muscles respiratoires lisation des récepteurs et à un blocage de la transmission
sont affectés. La maladie touche environ 1 personne sur synaptique neuromusculaire. De plus, différents muscles
10 000, de tout âge et de tout groupe ethnique. L’une des répondent de façon différentielle à la même dose
caractéristiques inhabituelles de la maladie est qu’elle se d’agents anticholinestérasiques. Enfin, le niveau élevé
traduit par des fluctuations de la faiblesse musculaire, d’ACh, qui résulte de leur administration, peut aussi
parfois même sur le déroulement d’une seule journée. affecter le système nerveux autonome, induisant des
La myasthenia gravis est une maladie auto-immune. effets secondaires comme des nausées, des vomisse-
En 1973, Jim Patrick et Jon Lindstrom, qui travaillaient ments, des crampes abdominales, des diarrhées ou
au Salk Institute en Californie, ont découvert que des encore des sécrétions bronchiques. Un autre traitement
lapins injectés de protéines de récepteurs cholinergiques communément proposé consiste à réduire l’efficacité du
nicotiniques purifiés, produisaient des anticorps contre système immunitaire, soit par des médicaments, soit
leurs propres récepteurs cholinergiques et développaient encore par la suppression du thymus.
une forme de myasthenia gravis. Pour des raisons que Dans des conditions où les traitements des patients
l’on ne comprend toujours pas, le système immunitaire sont strictement contrôlés, le pronostic à long terme est
de la plupart des patients souffrant de la maladie pro- favorable et l’espérance de vie normale.
13 – Contrôle spinal du mouvement 467

Les fibres musculaires contiennent une série de structures cylindriques


dénommées myofibrilles, qui se contractent en réponse à la propagation du
potentiel d’action le long du sarcolemme. Les myofibrilles sont environnées d’un
reticulum sarcoplasmique qui accumule les ions Ca2+ (similaire en apparence au
reticulum endoplasmique lisse des neurones ; voir chapitre 2). Le potentiel d’ac-
tion qui se propage le long du sarcolemme atteint le reticulum sarcoplasmique
situé à l’intérieur des fibres, par un réseau de structures dénommées tubules T
(T pour transverse). L’intérieur de chaque tubule T se trouve en continuité avec
le milieu extracellulaire.
Là où les tubules se trouvent en apposition avec le reticulum sarcoplas-
mique, il existe un couplage spécialisé entre les protéines des deux membranes.
Un assemblage de quatre canaux calciques, formant ce que l’on nomme une
tétrade, est présent dans la membrane du tubule T et représente le senseur de
potentiel. Cette tétrade est associée aux canaux calciques du reticulum sarcoplas-
mique, qui libèrent le calcium en rapport avec la dépolarisation membranaire.
Comme cela est illustré figure 13.13, l’arrivée des potentiels d’action au niveau
de la membrane des tubules T provoque un changement conformationnel de
la tétrade sensible au potentiel, ce qui a pour conséquence d’activer les canaux
calciques de la membrane du reticulum sarcoplasmique. Quelques ions Ca2+
transitent par la tétrade mais l’essentiel du calcium entre dans la cellule par les
canaux calciques du reticulum sarcoplasmique. L’augmentation de la concentra-
tion intracellulaire d’ions Ca2+ qui en résulte dans le cytosol entraîne la contrac-
tion des myofibrilles.

Fibre musculaire

Myofibrille
Reticulum
sarcoplasmique
Tubule T

Sarcolemme

Région interne du reticulum


sarcoplasmique
Membrane du reticulum
sarcoplasmique
vue en section
Canal Ca2+
calcique Cytosol de Figure 13.13 – Libération de Ca2+ à partir du
la fibre musculaire
reticulum sarcoplasmique.
Vue en section La dépolarisation de la membrane des
de la membrane tubules T provoque des changements confor-
des tubules T mationnels des protéines liées aux canaux
Tétrade Région interne calciques du reticulum sarcoplasmique, ce qui
des canaux Ca2+
du reticulum a pour conséquence de libérer les ions Ca2+
calciques sarcoplasmique
Repos Dépolarisation dans le cytosol des fibres musculaires.
468 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Strie Z Bases moléculaires de la contraction musculaire


L’observation de la structure des myofibrilles révèle comment le Ca2+ est
impliqué dans la contraction musculaire (Fig. 13.14). Les myofibrilles appa-
raissent divisées en segments par des disques dénommés stries Z, en rapport avec
leur apparence lorsqu’on les observe de côté. L’ensemble formé par deux stries Z
Filaments
fins successives et le segment de myofibrilles situé entre ces stries est dénommé sar-
comère. Ancrés de chaque côté des stries Z se trouvent des sortes de prolonge-
Filaments ments, dénommés filaments fins. Les filaments fins de stries Z adjacentes se font
épais Sarcomère
face mais ne sont pas en contact. Enfin, entre les deux groupes de filaments fins
se trouvent des séries de fibres représentant les filaments épais. La contraction
musculaire intervient lorsque les filaments fins glissent entre les filaments épais,
ce qui amène les stries Z adjacentes les unes vers les autres. En d’autres termes,
le sarcomère se raccourcit comme illustré sur le modèle de la figure 13.15.
Le glissement des filaments les uns par rapport aux autres met en jeu une
interaction entre la protéine formant majoritairement les filaments épais, la
Strie Z
myosine, et celle formant principalement les filaments fins, l’actine. Les « têtes »
exposées des molécules de myosine s’associent avec celles d’actine, ce qui a pour
Figure 13.14 – Représentation détaillée des conséquence de provoquer un changement conformationnel induisant une rota-
myofibrilles. tion des têtes de myosine (Fig. 13.16). Cette rotation entraîne un déplacement
des filaments épais par rapport aux filaments fins. Au prix d’une consommation
d’ATP, les têtes de myosine se désengagent, permettant au processus de se répé-
ter. La répétition de ce cycle permet ainsi aux têtes de myosine de se déplacer
dans une forme de « marche », le long des filaments d’actine.

Strie Z
Filaments
fins

Filaments
épais

Poids

2+
Ca
Relaxation complète Contraction

Figure 13.15 – Modèle du glissement des filaments lors de la contraction musculaire.


Les myofibrilles se raccourcissent lorsque les filaments fins glissent le long des filaments épais.
13 – Contrôle spinal du mouvement 469

Filament Filament
d’actine de myosine

Ca2+

Figure 13.16 –  Bases moléculaires de la


contraction musculaire.
La fixation des ions Ca2+ sur la troponine
déplace la tropomyosine et contribue à la fixa-
tion des têtes de la myosine sur les filaments
Troponine Tropomyosine d’actine. Puis, les têtes de myosine pivotent,
induisant un mouvement de glissement des
Ca2+
filaments les uns par rapport aux autres.

Lorsque le muscle est au repos, la myosine ne peut pas interagir avec l’actine
car les sites de liaison de la myosine avec l’actine sont occupés par un complexe
formé de deux autres protéines : la tropomyosine et la troponine. La fixation de
Ca2+ sur la troponine expose les sites de fixation de la myosine avec l’actine et
la contraction se poursuit tant qu’il y a du Ca2+ et de l’ATP disponibles. La
relaxation de la fibre intervient lorsque les concentrations de Ca2+ diminuent par
séquestration dans le reticulum sarcoplasmique, cette séquestration dépendant
de l’activité d’une pompe à calcium qui nécessite la présence d’ATP.
Ainsi, les différentes étapes du processus excitation-contraction peuvent être
résumées de la façon suivante.
Excitation :
1. un potentiel d’action se propage sur l’axone d’un motoneurone α ;
2. l’ACh est libérée au niveau de la jonction neuromusculaire par la terminai-
son nerveuse de cet axone ;
3. l’ACh agit sur les récepteurs nicotiniques, ce qui a pour effet de dépolariser
(production de PPSE) le sarcolemme de la fibre musculaire ;
4. les canaux sodiques voltage-dépendants du sarcolemme sont activés, un
potentiel d’action est généré dans la fibre musculaire et se propage le long
du sarcolemme et dans les tubes T ;
5. la dépolarisation des tubules T entraîne une libération massive de Ca2+ à
partir du reticulum sarcoplasmique.
Contraction :
1. le Ca2+ se fixe sur la troponine ;
2. la tropomyosine change de position et les sites de fixation de la myosine et
de l’actine sont exposés ;
3. les têtes de la myosine fixent l’actine ;
4. les têtes de la myosine pivotent ;
5. les têtes de la myosine se désengagent au prix d’une consommation d’ATP ;
6. le cycle se poursuit tant qu’il y a du Ca2+ et de l’ATP disponibles.
Relaxation :
1. comme le PPSE prend fin, le sarcolemme et le tubule T retournent à leur
potentiel de repos ;
2. les ions Ca2+ sont à nouveau séquestrés par le reticulum sarcoplasmique
par un mécanisme dépendant de l’ATP ;
3. les sites de fixation de la myosine à l’actine sont à nouveau occupés par la
tropomyosine.
Il est ainsi possible de mieux comprendre pourquoi la mort entraîne une
perte d’élasticité des muscles, ce que l’on appelle la rigidité cadavérique. La pri-
vation du muscle d’ATP empêche de fait le détachement des têtes de myosine
470 2 – Systèmes sensoriel et moteur

et laisse la myosine associée à l’actine, conduisant à la formation de complexes


permanents entre les filaments fins et les filaments épais.
Depuis que ce modèle impliquant le glissement des filaments a été proposé
par les neurophysiologistes anglais Hugh Huxley, Andrew Huxley et leurs colla-
borateurs en 1954, de nombreux progrès ont été effectués sur les mécanismes du
couplage excitation-contraction de la fibre musculaire. C’est typiquement grâce
à une très forte approche pluridisciplinaire que cela a été acquis où les progrès de
la microscopie électronique, mais aussi de la biochimie et de la biophysique, ont
joué un rôle déterminant. Mais le développement des méthodes de la biologie
et de la génétique moléculaire est également source de connaissances nouvelles,
tant sur le fonctionnement du muscle normal, que sur la pathologie neuromus-
culaire (Encadré 13.3).

Encadré 13.3 FOCUS

Dystrophie musculaire de Duchenne


Les dystrophies musculaires rassemblent un ensemble dystrophine, cependant, pourrait conduire à des altéra-
de maladies héréditaires se traduisant toutes par un affai- tions de l’appareil contractile de la fibre musculaire, se
blissement progressif et considérable de l’activité muscu- traduisant éventuellement par leur dégénérescence. Il est
laire. La plus commune de ces maladies est la dystrophie également intéressant de savoir que la dystrophine est
musculaire de Duchenne, qui affecte les jeunes garçons aussi concentrée dans les terminaisons nerveuses dans le
avant leur adolescence. La maladie touche environ 1 gar- cerveau, où elle pourrait contribuer au couplage excita-
çon sur 3 500. Elle débute en général par une faiblesse tion-sécrétion.
musculaire des membres inférieurs, entraînant le place- Des efforts considérables sont consentis par la com-
ment de ces jeunes patients en fauteuil roulant vers l’âge munauté scientifique pour mettre au point une stratégie
de 12 ans. La maladie poursuit sa progression et, en géné- de guérison ou tout au moins de ralentissement de l’évo-
ral, les patients ne survivent pas au-delà de 30 ans. lution de la maladie. C’est en particulier le cas pour la
Le caractère héréditaire de cette maladie qui n’af- thérapie génique. L’idée est de procéder à un remplace-
fecte que les garçons et qui est transmise par leur mère, ment du gène défectueux par un gène exogène qui pour-
a conduit à focaliser les recherches du gène défectueux rait assurer la production de la protéine. Il s’agit d’un
sur le chromosome X. Les découvertes les plus fonda- programme ambitieux comme c’est aujourd’hui le cas
mentales ont été effectuées dans les années 1980, lorsque de la thérapie génique. L’introduction de ce gène supplé-
la région concernée du chromosome X a été identifiée. tif dans des cellules musculaires de patients dystro-
Les chercheurs ont ainsi découvert que cette région phiques se heurte à des questions de sécurité et d’effica-
contenait le gène qui code pour une protéine particulière cité. Les techniques utilisent des vectorisations avec des
du cytosquelette, dénommée dystrophine. Le gène de la virus inactivés capables d’infecter les cellules muscu-
dystrophine est énorme avec ses 2,6 millions de paires de laires et d’y transporter le gène pour qu’il puisse y être
bases ; et ceci lui confère une vulnérabilité particulière. exprimé. Une autre stratégie consiste à transplanter des
Les garçons atteints de dystrophie musculaire de cellules souches dans le muscle dystrophique, après avoir
Duchenne présentent ainsi un gène de la dystrophine vérifié leur potentiel à se différencier en cellules mâtures
qui a perdu la capacité de produire un ARN messager exprimant le gène de la dystrophine. Les expériences uti-
encodant la protéine. Dans des formes intermédiaires de lisant des cellules souches effectuées sur les souris sont
la maladie, connues comme dystrophie musculaire de très prometteuses, mais pour le moment elles ne sont pas
Becker, la mutation se traduit par la production d’une transposables à l’homme. Enfin, une autre stratégie
partie seulement de la dystrophine. consiste en l’utilisation de petites molécules qui s’op-
La dystrophine représente une protéine de grosse posent à la dégénérescence musculaire et facilitent la
taille située juste sous le sarcolemme, qui est impliquée régénération du muscle ; ou encore permettraient la pro-
dans l’association du cytosquelette de la fibre muscu- duction de protéines venant se substituer efficacement à
laire à la matrice extracellulaire. La protéine paraît éga- la dystrophine.
lement jouer un rôle important pour lutter contre le À ce jour il n’existe aucun traitement de la dystro-
stress oxydatif. En revanche, la dystrophine ne paraît phie musculaire de Duchenne, bien qu’un certain
pas être impliquée directement dans la contraction mus- nombre d’essais thérapeutiques aient été engagés. Ces
culaire du fait que, chez les jeunes garçons atteints par la essais cliniques sont source d’espoir et il est vraisem-
maladie, les mouvements sont normaux durant les blable que cette maladie dévastatrice pourra prochaine-
toutes premières années de leur existence. L’absence de ment être efficacement combattue.
13 – Contrôle spinal du mouvement 471

Contrôle spinal
des unités motrices
Nous avons vu comment les potentiels d’action véhiculés le long des axones
des motoneurones α contribuent à l’activation de la jonction neuromusculaire
et à la contraction des fibres musculaires des unités motrices. Nous allons main-
tenant étudier comment l’activité des neurones moteurs est elle-même contrô-
lée. Ceci nous ramène à l’évocation de la principale source d’afférences aux
motoneurones α évoquée plus haut, c’est-à-dire le retour sensoriel à partir des
muscles eux-mêmes.

Proprioception à partir des fuseaux neuromusculaires


Comme cela a déjà été décrit, il existe à l’intérieur même du muscle des détec-
teurs sensoriels spécialisés, dénommés fuseaux neuromusculaires (Fig. 13.17). Ces
récepteurs sensoriels, encore dénommés récepteurs d’étirement, sont représentés
par différents types de fibres musculaires spécialisées, comportant une capsule
fibreuse. Le tiers central de la capsule est légèrement proéminent, donnant à
cette structure une allure en fuseau caractéristique. Dans cette région centrale
(ou équatoriale), les axones des fibres sensorielles Ia s’enroulent autour des
fibres musculaires du fuseau. Les fuseaux et l’innervation Ia qui leur est asso-
ciée, spécialisés dans la détection de la longueur des muscles, représentent des
exemples de propriocepteurs. Ces récepteurs sensoriels forment une composante
du système sensoriel somatique qui renseigne le système nerveux sur la « posi-
tion du corps dans l’espace » ou proprioception, et ses déplacements.
Dans le chapitre 12, il a été mentionné que les axones des fibres sensorielles
du groupe I représentent les fibres de plus gros diamètre et, par voie de consé-
quence, les plus rapides. Dans ce groupe, les fibres Ia sont les plus grosses et les
plus rapides. Les axones des fibres Ia pénètrent dans la moelle épinière par les
racines dorsales, se divisent très largement, et forment des synapses excitatrices
à la fois sur de nombreux interneurones et sur les motoneurones α de la corne
ventrale. Les informations véhiculées par ces fibres jouent un rôle considérable.
Le neurophysiologiste Lorne Mendell, travaillant à l’Université de Harvard avec
Henneman, a pu montrer qu’une seule fibre afférente Ia formait des synapses

Axones sensoriels du Groupe Ia

Capsule Fuseau
fibreuse neuromusculaire

Figure 13.17 – Fuseau neuromusculaire et innervation sensorielle.


472 2 – Systèmes sensoriel et moteur

sur à peu près tous les motoneurones impliqués dans l’innervation du muscle où
était localisé le fuseau.
Réflexe myotatique.  Le rôle de l’information sensorielle dans la moelle épi-
nière a été initialement démontré par Sherrington par ses expériences d’étirement
du muscle induisant sa propre contraction. Le fait que ce réflexe myotatique,
encore dénommé parfois réflexe d’étirement, implique les afférences sensorielles
a été démontré par des expériences de section des racines dorsales, conduisant à
la suppression de ce réflexe d’étirement et à la perte du tonus musculaire, en dépit
du fait que les motoneurones α ne soient pas affectés par la lésion. Sherrington
a déduit de ces expériences que les motoneurones reçoivent en permanence des
informations du muscle, et des travaux ultérieurs ont bien montré que la décharge
des fibres sensorielles Ia est directement en rapport avec la longueur du muscle. Si
le muscle est étiré, la fréquence de décharge des fibres sensorielles augmente ; si au
contraire le muscle se contracte, leur fréquence de décharge diminue.
Les fibres Ia et les motoneurones α sur lequel elles agissent constituent l’arc
réflexe myotatique monosynaptique ; monosynaptique car il se trouve une seule
synapse entre l’afférence sensorielle primaire et le motoneurone. La figure 13.18
montre comment un tel arc réflexe joue un rôle fondamental dans les processus
antigravitaires. Lorsqu’un muscle est étiré, par exemple sous l’action d’un poids
qu’il supporte, les fuseaux neuromusculaires sont également étirés. L’étirement
de la région équatoriale du fuseau entraîne la dépolarisation des axones des

Fuseau neuromusculaire
Axone Ia

Poids
Motoneurone
Muscle alpha

Poids suspendu au muscle


Charge
du muscle
Longueur

Allongement transitoire du muscle


Axone Ia

Décharge de la fibre Ia
Motoneurone alpha

Décharge du motoneurone alpha assurant la contraction du muscle

Figure 13.18 – Réflexe myotatique.
Le schéma illustre la réponse d’une fibre Ia et d’un motoneurone lors d’une manœuvre d’étirement soudain d’un muscle.
13 – Contrôle spinal du mouvement 473

fibres Ia par ouverture de canaux ioniques mécanosensibles (voir chapitre 12), et


l’augmentation de décharge qui en résulte dans les fibres Ia a pour conséquence
d’activer les motoneurones α, qui répondent à leur tour en déchargeant plus
fortement. Cette activation des motoneurones provoque alors la contraction du
muscle et, par conséquent, son raccourcissement.
C’est ce type de circuit monosynaptique qui est testé par les neurologues
lorsqu’ils percutent votre tendon situé sous le genou à l’aide d’un petit marteau,
provoquant en retour la contraction réflexe du quadriceps et l’extension de la
jambe (Fig. 13.19). Dans ce cas, la persistance du réflexe myotatique atteste de
l’intégrité de la boucle formée par le nerf sensoriel, le nerf moteur et les fibres
musculaires sollicitées. Ce réflexe d’étirement peut aussi être provoqué par étire-
ment des muscles du bras, de la cheville ou de la mâchoire.
Les nerfs sensoriels et moteurs périphériques sont susceptibles de diverses
pathologies. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la section des axones dans
les nerfs périphériques peut être suivie d’une certaine régénération et d’un réta-
blissement partiel des connexions avec les muscles (voir Fig. 13.11). Se pose alors
la question de savoir si ces connexions nouvellement établies sont aussi efficaces
que les connexions naturelles ? Cette question a fait l’objet de nombreux travaux
utilisant le réflexe d’étirement (Encadré 13.4).

Motoneurones gamma
Les fuseaux neuromusculaires sont constitués par des fibres musculaires
modifiées, incluses dans une capsule fibreuse. Ces fibres musculaires particu-
lières sont dites fibres intrafusales, pour les distinguer des fibres beaucoup plus
nombreuses, dites extrafusales, formant l’essentiel du muscle. Il est important
de noter que seules les fibres extrafusales reçoivent une innervation à partir des
motoneurones α, les fibres intrafusales étant quant à elles innervées par un autre
type de motoneurones spinaux, dénommés motoneurones γ (Fig. 13.20).

Afférence la

Motoneurone α

Quadriceps

Motoneurone α

Motoneurone γ

Fuseau
neuromusculaire
Tendon
du quadriceps

Fibres
extrafusales

Fibres
intrafusales

Motoneurone γ

Figure 13.20 – Innervation des fibres musculaires à partir


Figure 13.19 – Réflexe d’extension de la jambe. des motoneurones α et γ.
474 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Prenons le cas où la contraction musculaire est commandée à partir du


cerveau par des neurones moteurs supraspinaux. Les motoneurones α sont
activés, les fibres extrafusales se contractent, ce qui fait que le muscle se rac-
courcit. La réponse du fuseau neuromusculaire est illustrée à la figure 13.21.
Si les fuseaux se relâchent, les fibres Ia deviennent silencieuses et, par consé-
quent, les fuseaux ne fournissent plus aucune information sur la longueur du
muscle. Grâce à l’activation des motoneurones γ cette situation ne se produit
en fait jamais : les motoneurones γ innervant les fibres musculaires intrafusales
situées aux deux extrémités des fuseaux, l’activation de ces fibres musculaires
particulières entraîne la contraction des deux pôles du fuseau, ce qui a pour
effet de conserver les fibres Ia actives. Ainsi l’activation des motoneurones α
et γ a des effets opposés sur la décharge des fibres sensorielles Ia : l’activation
des motoneurones α seule tend à réduire l’activité Ia, alors que l’activation des
motoneurones γ tend quant à elle à l’augmenter.

Encadré 13.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

La régénération nerveuse ne permet pas une récupération totale


Par Timothy C. Cope

La percussion du tendon juste au-des- contacté les bons récepteurs sensoriels péri-
sous du genou provoque la contraction phériques. Il était bien connu que les fibres
d’un muscle et se traduit par une élévation sensorielles qui régénéraient après section
de la jambe par voie réflexe. Le circuit neu- des nerfs, réinnervaient indistinctement les
ronal de ce réflexe monosynaptique est cibles. Cela signifie qu’un nombre réduit
illustré à la figure 13.19. Vous ne serez pas d’axones Ia pourraient être à même, après
surpris d’entendre que la section des nerfs récupération, de détecter l’état des muscles
sensoriels ou moteurs interrompt ce réflexe. et d’exciter en retour les motoneurones.
Toutefois, les nerfs périphériques ont par- Même si cela était le cas, un contingent
fois la faculté de se régénérer. Qu’est-il alors assez important d’axones Ia devrait inter-
Timothy C. Cope
possible d’attendre de ces régénérations venir pour réinnerver leurs cibles naturelles.
d’axones susceptibles de réinnerver les mus- Lorne Mendell et ses collaborateurs avaient
cles ? La réponse est claire et surprenante : la perte du montré qu’environ 40 % des fibres Ia recontactaient des
réflexe myotatique ne se récupère pas, même si les fuseaux neuromusculaires. Même si l’excitation fournie
contractions musculaires ont un regain de force. La par ces fibres régénérées reste trop faible pour exciter les
question est alors de savoir pourquoi. De fait, chaque motoneurones pendant l’étirement, il est envisageable
élément de ce circuit peut faire l’objet d’analyse, y com- que les informations transmises par les fibres Ia puissent
pris la mesure de la décharge Ia qui encode la longueur néanmoins accroître significativement la force de
du muscle, la décharge des motoneurones eux-mêmes, la contraction du muscle réinnervé. Au laboratoire, Brian
force produite par la contraction du muscle et des mus- Clark et moi-même n’avons pas été capables de mettre
cles synergistes, et même les PPSE produits par les en évidence une quelconque modulation des unités
synapses entre les axones Ia et les motoneurones. Cette motrices par l’étirement des muscles réinnervés. Notre
question m’a fasciné pendant plus de 20 ans. Elle m’a collègue Richard Nichols, avec des méthodes différentes,
permis de tenter de comprendre comment un circuit a conclu de la même manière. Ainsi les résultats étaient
neuronal produit des comportements normaux, com- clairs mais problématiques : l’étirement du muscle
ment il réagit à une blessure et quels sont les facteurs qui n’était pas suivi du recrutement des motoneurones après
limitent dans ce cas les récupérations fonctionnelles. récupération d’une section de nerf.
La question de la récupération fonctionnelle s’est Mais alors qu’elle pouvait être la raison de cette
posée principalement sur le versant sensoriel du circuit. absence de récupération du réflexe myotatique après
Ce n’était pas un problème moteur de motoneurones ou traumatisme du nerf ? L’explication est venue de l’étude
de muscle lui-même, puisque le muscle continuait à se des PPSE intervenant pendant l’étirement naturel d’un
contracter normalement lorsque d’autres types de muscle ayant subi cette dénervation. Les décharges Ia
réflexes que celui myotatique étaient mis en jeu. La pre- étaient plus faibles que la normale, du fait que seule-
mière hypothèse était que les fibres sensorielles, qui ment la moitié environ des axones Ia étaient redevenus
avaient régénéré après la section des nerfs, n’avaient pas fonctionnel. Dans leur laboratoire, Edyta Bichler et
13 – Contrôle spinal du mouvement 475

Encadré 13.4 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Axone Ia
Terminaison Ia
régénérée

Fuseau
neuromusculaire

Muscle

Corne ventrale
Synapses Ia
de la moelle épinière
Partie de l’axone Ia
dégénérée

L’étirement du muscle
produit un PPSE

Motoneurone alpha
L’étirement du muscle
Figure A ne produit pas de réponse synaptique

Katie Bullinger ont également montré que ces PPSE aide à comprendre la persistance de certains troubles
réduits n’étaient trouvés que dans environ la moitié des des mouvements, y compris après régénération nerveuse.
motoneurones étudiés, alors que le reste des motoneu- Nos conclusions permettent certaines extrapolations
rones ne montrait aucune réponse (Fig. A). Normale­ sur des réorganisations de circuits neuronaux extra­
ment, les axones des fibres Ia produisent des PPSE dans spinaux. Par exemple, la question est de savoir si des
tous les motoneurones innervant le même muscle. Ces réorganisations similaires interviennent dans les voies
observations mettaient alors en évidence le fait suivant corticospinales après lésion des voies motrices descen-
concernant la régénération des fibres Ia : alors que cer- dantes, pouvant avoir des incidences thérapeutiques de
taines de ces fibres réinnervent les fuseaux neuromuscu- lésions de la moelle épinière. Dès lors, nos résultats nous
laires du muscle dénervé, elles paraissent déconnectées encouragent à poursuivre nos travaux en vue de mieux
de nombreux motoneurones de la moelle épinière. comprendre les processus biologiques qui sous-tendent
Récemment une explication a été fournie, sur la base les dégénérescences neuronales.
de travaux anatomiques, au fait que le réflexe myota- De nombreux collègues ont participé à ces travaux, y
tique ne récupère pas après la lésion du nerf. Ces travaux compris les étudiants en thèse et les chercheurs post-­
ont été conduits par Francisco Alvarez et ses collabora- doctoraux. C’est grâce à eux tous que ces études ont pu
teurs, avec notre propre groupe. Une sonde permettant être conduites. Je suis intimement convaincu que ce n’est
l’identification des terminaisons des fibres Ia au micros- qu’en équipe que l’on peut avoir la prétention de tenter
cope a permis de révéler que la lésion du nerf était suivie de comprendre la complexité des fonctions du cerveau et
d’une perte d’environ 70 % des synapses Ia sur les den- de ses pathologies. C’est au travers de ces collaborations
drites proximales des motoneurones. Nous avons égale- qu’émergent des idées nouvelles et que sont formées de
ment montré dans ce contexte que les axones des fibres Ia nouvelles générations de chercheurs.
qui ont régénéré, rétractent leur contact avec les régions
où se trouvent normalement les corps cellulaires et les
dendrites des neurones moteurs. Ainsi, c’est à la fois la Références
perte synaptique et la rétraction des axones qui explique Bullinger KL, Nardelli P, Pinter MJ, Alvarez FJ, Cope
que la régénération des fibres Ia dans le muscle ne se TC. Permanent central synaptic disconnection of pro-
­traduit pas par une récupération du réflexe myotatique. prioceptors after nerve injury and regeneration. II.
Quelle est l’importance de cette découverte ? Les cir- Loss of functional connectivity with motoneurons.
cuits du réflexe myotatique jouent un rôle considérable Journal of Neurophysiology 2011 ; 106 : 2471-85.
durant les mouvements normaux, en ajustant la contrac- Haftel VK, Bichler EK, Wang QB, Prather JF, Pinter
tion musculaire aux contraintes mécaniques du corps et MJ, Cope TC. Central suppression of regenerated
des membres pour conserver l’équilibre. La réorganisa- proprioceptive afferents. Journal of Neuroscience
tion des circuits neuronaux après lésion des nerfs nous 2005 ; 25 : 4733-42.
476 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Fibres extrafusales

Fibres intrafusales
Axone la

Activation du Activation du
Figure 13.21 – Fonction des motoneurones γ. moto- moto-
(a) L’activation des motoneurones α provoque neurone α neurone γ
la contraction des fibres musculaires extra-
Axone du
fusales. (b) Si le fuseau neuromusculaire se
motoneurone γ
détend, il devient inefficace pour transmettre
des informations sur la longueur du muscle. Axone du
(c) L’activation des motoneurones γ a pour motoneurone α
effet de faire se contracter les fibres situées
aux deux extrémités du fuseau, contribuant
(a) (b) (c)
ainsi à préserver leur efficacité.

Si l’on se souvient que le réflexe myotatique monosynaptique peut être consi-


déré comme une boucle de rétroaction du muscle sur le motoneurone, alors la fina-
lité de ce rétrocontrôle serait par exemple de maintenir une longueur déterminée
du muscle. Tout changement de longueur serait détecté par un senseur représenté
par l’extrémité des fibres Ia. Les variations seraient compensées grâce au système
effecteur représenté par le motoneurone α et les fibres musculaires extrafusales,
dont la mise en jeu ramènerait le muscle à la longueur prédéterminée. Ainsi, pro-
céder à des changements de l’activité des motoneurones γ reviendrait à modifier la
longueur de référence du muscle qui serait à maintenir, par la boucle réflexe mono-
synaptique. Ce circuit neuromusculaire impliquant successivement le motoneu-
rone γ, les fibres musculaires intrafusales, les afférences Ia, le motoneurone α, et
finalement les fibres musculaires extrafusales, est dénommé boucle gamma.
Durant la plupart des mouvements normaux, les motoneurones α et γ font
l’objet de commandes simultanées à partir des régions supérieures du système
nerveux. Ainsi, en régulant de cette manière le réflexe myotatique, la boucle
gamma donne la possibilité d’un contrôle accru de l’activité des motoneurones α
et de la contraction musculaire.
Muscle

Proprioception à partir des organes tendineux de Golgi


Capsule
de l’organe Les fuseaux neuromusculaires ne représentent pas la seule source d’informa-
tendineux Axone Ib tion proprioceptive issue du muscle. Dans les muscles squelettiques, il existe un
de Golgi autre type de mécanorécepteur, l’organe tendineux de Golgi. Ce type de récepteur
Tendon agit à la manière d’une jauge de contrainte, c’est-à-dire qu’il contrôle la tension
du muscle ou la force de sa contraction. Les organes tendineux de Golgi ont une
Os longueur d’environ 1 mm et une largeur de l’ordre de 0,1 mm. Ils sont situés à
Fibrilles
la jonction entre les muscles et les tendons et sont innervés par des fibres senso-
de collagène
rielles du groupe Ib, qui sont légèrement plus fines que les axones des fibres Ia
innervant les fuseaux neuromusculaires. A l’intérieur même des organes tendi-
neux de Golgi, de fines branches d’axones Ib enlacent littéralement les fibrilles
Axone Ib de collagène (Fig. 13.22). Lorsque les muscles se contractent, la tension des
fibrilles de collagène augmente. Comme les fibrilles compriment les fibres Ib,
leurs canaux mécanosensibles sont dès lors activés, ce qui a pour conséquence
de provoquer la décharge des fibres sensorielles.
À ce niveau, il est important de constater que si les fuseaux neuromusculaires
occupent une position parallèle à celle des fibres musculaires, les organes tendi-
neux de Golgi, au contraire, peuvent être considérés comme placés en série avec
les fibres musculaires (Fig. 13.23). Cette organisation anatomique particulière
confère à ces deux types de récepteurs sensoriels la capacité de transmettre à la
moelle épinière des informations différentes et complémentaires sur l’état du mus-
cle : ainsi les fibres Ia du fuseau neuromusculaire, comme on l’a vu, informent la
moelle sur la longueur du muscle, alors que les fibres Ib des organes tendineux de
Golgi donnent des informations principalement sur la tension du muscle.
Figure 13.22 – Organisation de l’organe ten- Les axones des afférences Ib pénètrent dans la moelle épinière par les racines
dineux de Golgi. dorsales et leurs terminaisons axoniques très ramifiées font synapse sur des
13 – Contrôle spinal du mouvement 477

Potentiels
d’action

Organe Organe
tendineux tendineux Figure 13.23 – Organisation des propriocep-
Axones Ib Axone Ib
de Golgi de Golgi teurs musculaires.
(a) Les fuseaux neuromusculaires occupent
Axones Ia Axone Ia une position parallèle par rapport aux fibres
musculaires extrafusales. Les organes ten-
dineux de Golgi, au contraire, sont placés
Fuseau en série par rapport à ces mêmes fibres, du
Fibres Fuseau
neuromusculaire
musculaires neuromusculaire fait de leur localisation entre les fibres extra-
Axone fusales et leur point d’attachement. (b) Les
extrafusales
Axone du motoneurone α organes tendineux de Golgi répondent à une
du motoneurone α (actif)
tension accrue du muscle et transmettent leur
(inactif)
information à la moelle épinière via les fibres
sensorielles Ib. Compte tenu du fait que le
muscle ne change pas de longueur dans cette
(a) (b) situation, les afférences Ia ne déchargent pas.

interneurones particuliers présents dans la corne ventrale, nommés interneurones


inhibiteurs Ib. Les interneurones Ib reçoivent aussi des informations d’autres
récepteurs sensoriels et des voies descendantes. Certains de ces interneurones
forment des connexions inhibitrices avec les motoneurones α qui innervent le
même muscle (Fig. 13.24). Cette organisation est à la base d’un autre réflexe
spinal. Dans des circonstances extrêmes, cet arc réflexe Ib peut en effet protéger
le muscle d’un risque de surcharge. Cependant, sa fonction normale est bien de
réguler la tension musculaire de façon optimale. Comme la tension augmente,
l’inhibition des motoneurones α est réduite et la contraction musculaire aug-
mente. Ce type de feedback proprioceptif est considéré comme étant particuliè-
rement important pour la réalisation des mouvements fins, comme par exemple
la manipulation d’objets très fragiles avec les mains, qui suppose une contraction
constante mais pas trop importante au risque de casser l’objet.
Proprioception à partir des articulations.  Dans ce qui précède, l’accent a
été mis sur les propriocepteurs impliqués dans le contrôle réflexe de l’activité
des motoneurones spinaux. Cependant, à côté des fuseaux neuromusculaires
et des organes tendineux de Golgi, il existe de nombreux propriocepteurs dans
les tissus conjonctifs, particulièrement dans les tissus fibreux qui englobent les
articulations et les ligaments. Les axones mécanosensibles issus de ces récepteurs
répondent aux changements de position des articulations, en termes d’angle

Os

Organe tendineux
de Golgi

Afférence Ib
Interneurone
inhibiteur

Figure 13.24 – Organisation des réseaux ner-


veux impliquant les organes tendineux de
Golgi.
Motoneurone α Les axones Ib des organes tendineux de Golgi
excitent un interneurone inhibiteur, qui inhibe
à son tour l’activité du motoneurone α com-
mandant la contraction du même muscle.
478 2 – Systèmes sensoriel et moteur

d’ouverture, de direction, ou encore de vitesse de changement de position. La


plupart de ces récepteurs sont à adaptation rapide, illustrant encore par là le fait
que le système nerveux est surtout informé des aspects dynamiques de la posi-
tion du corps, liés aux mouvements. En revanche, les récepteurs codant pour la
position des articulations elle-même ne sont que peu nombreux. Néanmoins, il
nous est possible de donner avec une grande précision la position de nos articu-
lations, y compris les yeux fermés. Dans ce cas, il semble que l’information issue
de ces récepteurs se combine avec celle issue des fuseaux neuromusculaires et des
organes tendineux de Golgi, et probablement aussi avec celle issue des récepteurs
cutanés, pour estimer la position finale de nos membres par rapport au corps. De
ce point de vue, la perte de l’une de ces sources d’information est généralement
compensée par les autres. Chez un arthritique, par exemple, lorsque le chirur-
gien remplace la hanche par une prothèse en acier et plastique, le patient est à
nouveau à même d’apprécier la position de sa jambe par rapport au pelvis, en
dépit du fait que les propriocepteurs de sa hanche se trouvent, au mieux, dans
un bocal de formol…

Interneurones spinaux
Les effets des informations véhiculées par les afférences Ib issues des organes
tendineux de Golgi sur les motoneurones α sont toujours polysynaptiques, pas-
sant par un ou plusieurs interneurones spinaux. De fait, les motoneurones α
sont principalement innervés à partir de ces interneurones, qui reçoivent quant à
eux des afférences sensorielles primaires, des influences descendantes des régions
supérieures du système nerveux, et des collatérales axoniques de motoneurones.
Les interneurones sont ainsi intégrés dans des réseaux permettant la coordina-
tion des programmes moteurs en réponse à des influences d’origine multiple.
Afférences inhibitrices.  Les interneurones jouent un rôle critique, y compris
pour la réalisation de réflexes simples. Si l’on reprend l’exemple du réflexe myo-
tatique à titre d’illustration, la compensation de l’allongement d’un groupe de
muscles comme les fléchisseurs du coude implique la contraction des fléchisseurs
au travers du réflexe myotatique, mais également la relaxation des muscles anta-
gonistes, c’est-à-dire les muscles extenseurs du coude. Ce mécanisme est connu
sous le terme d’inhibition réciproque, l’activation d’un groupe de muscles étant
accompagnée de la relaxation du groupe des muscles antagonistes. L’inhibition
réciproque joue un rôle fondamental dans la réalisation des comportements
moteurs : il est en effet difficile d’imaginer ce que serait la vie si chaque mouve-
ment devait en plus s’opposer à ses propres muscles, par exemple dans le cas où
une charge doit être soulevée. Dans le cas du réflexe myotatique, l’inhibition réci-
proque est mise en jeu à partir des collatérales des afférences Ia, qui contactent
des interneurones dont le rôle est d’inhiber les motoneurones α commandant les
muscles antagonistes (Fig. 13.25).

Interneurone
inhibiteur
Afférence Ia

Fuseau
neuromusculaire

Motoneurone α

Figure 13.25 – Inhibition réciproque des flé- Muscle


chisseurs et des extenseurs d’une même antagoniste
articulation.
13 – Contrôle spinal du mouvement 479

L’inhibition réciproque est également impliquée dans les circuits empruntés


par les influences descendantes, pour prendre le pas sur les puissants réflexes
myotatiques. Si l’on considère par exemple une situation où la contraction des
muscles fléchisseurs du coude est commandée volontairement, l’action résul-
tante sur les muscles antagonistes extenseurs à partir du réflexe d’étirement
serait de s’opposer à la flexion du coude. Bien entendu, cela n’est pas le cas : les
voies descendantes activant les motoneurones α des fléchisseurs agissent éga-
lement sur des interneurones dont l’effet est d’inhiber les motoneurones α qui
commandent les extenseurs.
Afférences excitatrices.  Tous les interneurones ne sont pas de caractère
inhibiteur. Un exemple de réflexe médié, en partie au moins, par des interneu-
rones excitateurs est illustré par le réflexe de flexion, encore dénommé réflexe de
retrait (Fig. 13.26). Il s’agit dans ce cas d’un arc réflexe complexe, polysynap-
tique, impliqué dans les mouvements de retrait des membres, par exemple sous
l’effet d’un stimulus aversif (comme le retrait du pied de la punaise illustré dans
le chapitre 3). Ce réflexe de flexion est remarquablement spécifique. La vitesse
du retrait dépend du caractère plus ou moins aversif du stimulus. La direction
du retrait dépend quant à elle de la localisation du stimulus. Par exemple, une
brûlure appliquée soit dans la paume de la main, soit au contraire sur le dos de la
main, induit des mouvements de retrait de la main dans des directions opposées.
Le réflexe de flexion est beaucoup plus lent que le réflexe myotatique, ce qui
indique que de nombreux interneurones interviennent entre la stimulation des
récepteurs sensoriels et le mouvement de retrait. Le réflexe de flexion est activé
par les fibres afférentes finement myélinisées de fin diamètre, de type Aδ, des
axones nociceptifs qui déclenchent la douleur (voir chapitre 12). Les fibres véhi-
culant les informations nociceptives qui entrent dans la moelle épinière activent
de nombreux interneurones situés à des segments spinaux différents. Ces inter-
neurones sont à même dans certains cas d’activer les motoneurones α contrôlant
l’ensemble des muscles fléchisseurs du membre concerné (et, bien entendu, d’ac-
tiver aussi les interneurones inhibiteurs qui vont être à l’origine de la relaxation
réflexe des extenseurs).

Muscles Interneurones
fléchisseurs excitateurs

Afférence Figure 13.26 – Organisation du réflexe


nociceptive de flexion polysynaptique.
480 2 – Systèmes sensoriel et moteur

+ + +
– + +
+
+ –

Flexion Flexion

Extension
Extension

Figure 13.27 – Organisation du réflexe d’exten-


sion croisée.

Si maintenant vous êtes en train de marcher et que vous posez le pied sur un
petit clou, en accord avec le réflexe de flexion, vous retirerez brutalement le pied
du clou. Dans ce cas, si ce réflexe n’était pas intégré dans un comportement d’en-
semble, il est probable que vous chuteriez par terre. Fort heureusement ce réflexe
est intégré dans un ensemble amenant, par voie réflexe coordonnée, l’activation
des muscles extenseurs du membre controlatéral, accompagnée d’une inhibition
des fléchisseurs. Ce réflexe est dit d’extension croisée. Il est impliqué dans la
compensation de la charge représentée par le soulèvement de la jambe, impo-
sée aux muscles extenseurs antigravitaires du membre controlatéral (Fig. 13.27).
La situation est à nouveau ici celle d’une inhibition réciproque, l’activation des
­fléchisseurs d’un côté de la moelle épinière s’accompagnant d’une inhibition des
muscles fléchisseurs situés de l’autre côté.

Générateur spinal des programmes


moteurs de la locomotion
Le réflexe d’extension croisée, par lequel un membre est par exemple en exten-
sion lorsque celui de l’autre côté est fléchi, paraît être à la base des processus
locomoteurs. La marche implique des mouvements de flexion-extension alter-
nés des deux jambes à la fois. Cependant, dans ce cas il faut qu’il existe en plus
un mécanisme de coordination susceptible de faire intervenir les commandes
supraspinales. Comme nous l’avons vu dans l’exemple du canard sans tête, il est
vraisemblable que ce contrôle soit exercé aussi par la moelle épinière elle-même.
De fait, la transection de la moelle épinière au niveau thoracique chez le chat
laisse intacte sa capacité à générer des mouvements coordonnés de locomotion
à partir des membres postérieurs. Par conséquent, il est probable que les circuits
de base de la locomotion se trouvent effectivement localisés à l’étage spinal. Ce
type de circuits, susceptible de générer des activités rythmiques, est dénommé
générateur central de rythme.
Mais comment les circuits neuronaux sont-ils à même de générer des activités
rythmiques ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Les mécanismes sont
vraisemblablement différents en fonction des circuits neuronaux concernés. Les
générateurs de rythme les plus simples, cependant, sont représentés par quelques
neurones eux-mêmes, dont les propriétés membranaires leur confèrent directement
une activité rythmique. Un exemple de tels neurones a été remarquablement étudié
par Sten Grillner et ses collaborateurs, à Stockholm. Grillner a étudié le générateur
spinal de la nage chez la lamproie, un poisson qui a évolué lentement au cours des
450 millions d’années passées, avec l’idée que celui-ci représente un modèle d’un
ancêtre commun du générateur spinal de la locomotion des mammifères. La lam-
proie nage en faisant onduler son long corps ; elle ne possède ni membre ni aileron.
13 – Contrôle spinal du mouvement 481

C’est la coordination de contractions rythmiques des muscles du corps durant la


nage qui lui permet d’avancer dans l’eau, de façon quelque peu similaire au pattern
de contraction des muscles permettant le déplacement des animaux terrestres.
La moelle épinière de la lamproie peut être disséquée et étudiée in vitro pendant
plusieurs jours. La stimulation des faisceaux de fibres descendants vers la moelle
épinière issus du cerveau génère alors une activité rythmique dans la moelle épi-
nière, mimant ce qui se passe lors de la nage de l’animal. Dans une série d’expé-
riences particulièrement importantes, Grillner et ses collaborateurs ont démontré
qu’en dehors de toute stimulation la simple application de N-méthyl-D-aspartate
(NMDA) dans la moelle était à même de provoquer des activités du même type.
Dès lors, souvenez-vous (voir chapitre 6) que les récepteurs NMDA sont des
récepteurs des acides aminés excitateurs qui présentent deux propriétés parti-
culières : (1) ils permettent un accroissement des courants entrants lorsque
la membrane est dépolarisée, et (2) ils augmentent à la fois des conductances
sodiques et calciques. De plus, les interneurones spinaux de la lamproie pos-
sèdent, en plus des récepteurs NMDA, des canaux potassiques activés lorsque la
concentration intracellulaire de Ca2+ augmente. Dès lors, vous pouvez imaginer
le cycle d’événements qui intervient lorsque les récepteurs NMDA de ces inter-
neurones sont activés par le glutamate (Fig. 13.28) :
1. la membrane est dépolarisée ;
2. les ions Na+ et Ca2+ entrent dans la cellule au travers des récepteurs
NMDA activés ;
3. les ions Ca2+ activent les canaux potassiques ;
4. les ions K+ sortent de la cellule ;
5. la membrane s’hyperpolarise ;
6. la conductance calcique diminue et le Ca2+ ne pénètre plus dans la cellule ;
7. cela a pour conséquence de fermer les canaux potassiques ;
8. la membrane se repolarise et le cycle peut recommencer.

Application de glutamate

10 mV
2s
(a) (b) (c) (d)

Glu

Canal potassique Récepteur


dépendant NMDA
du calcium

Figure 13.28 – Activité rythmique d’un interneurone spinal.


Quelques neurones de la moelle épinière répondent à la stimulation des récepteurs NMDA par une dépolarisation rythmique. (a) Au repos, les canaux
ioniques associés aux récepteurs NMDA et les canaux calciques sont fermés. (b) Le glutamate a pour effet d’ouvrir les canaux ioniques associés aux
récepteurs NMDA, ce qui a pour conséquence de dépolariser la membrane de la cellule et d’augmenter la conductance calcique. (c) L’augmentation de
Ca2+ intracellulaire a pour effet d’activer des canaux potassiques dépendants du calcium, ce qui a pour conséquence de provoquer une sortie de potas-
sium et une hyperpolarisation membranaire. Cette hyperpolarisation affecte la conductance ionique des récepteurs NMDA par un effet des ions Mg2+,
et bloque ainsi l’entrée de Ca2+. (d) Suite à la diminution des taux de Ca2+ intracellulaires, les canaux potassiques se ferment, le potentiel de membrane
retrouve une valeur normale et la membrane est prête pour de nouvelles oscillations de son potentiel. (Source : adapté de Wallen et Grillner, 1987.)
482 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Interneurone Motoneurone
excitateur du fléchisseur

Interneurones
Influence descendante inhibiteurs
permanente issue des Potentiels d‘action
niveaux supraspinaux

Interneurone Motoneurone
excitateur de l’extenseur

Figure 13.29 – Proposition d’organisation d’un circuit susceptible de rendre compte d’une acti-


vité rythmique alternée.

Il est ainsi facile d’imaginer comment de tels générateurs d’activité rythmique


au niveau d’interneurones spinaux pourraient agir pour influencer les motoneu-
rones qui, en retour, commanderaient effectivement des activités motrices ryth-
miques, telle que la locomotion. Toutefois, chez les vertébrés les interneurones
spinaux ne suffisent pas à générer seuls les activités rythmiques. Ces interneu-
rones sont en fait des éléments essentiels de circuits neuronaux complexes, et
c’est la combinaison de ces propriétés rythmiques intrinsèques et de celles confé-
rées par les réseaux eux-mêmes qui représente le vrai générateur de rythme.
Un exemple de ces circuits possibles en ce qui concerne la locomotion est
illustré sur la figure 13.29. En accord avec ce schéma, la marche est initiée par
une information constante, influençant de façon excitatrice deux interneurones
qui contrôlent à leur tour l’activité de motoneurones de commande des mus-
cles fléchisseurs et extenseurs, respectivement. Ces interneurones répondent à
leur stimulation par des bouffées de potentiels d’action (voir Fig. 13.28), et leur
activation est alternée du fait qu’ils s’inhibent mutuellement au travers d’autres
interneurones. Dès lors, une bouffée de décharges de l’un de ces interneurones
inhibe fortement les autres, et réciproquement. La mise en jeu des circuits des
réflexes d’extension croisée permet alors la coordination des membres, de telle
manière que la flexion de l’un s’accompagne de l’extension de l’autre. En envi-
sageant la participation d’autres interneurones permettant la coordination des
segments lombaires et cervicaux, il est possible d’imaginer comment se réalise
la marche du quadrupède ou le balancement des bras pendant la marche chez le
sujet humain, ou encore la coordination de la mise en jeu des quatre membres
chez les animaux quadrupèdes.
Ainsi les études réalisées chez de nombreuses espèces animales, de la lam-
proie à l’homme, ont bien montré que l’activité locomotrice de la moelle épinière
et sa coordination fine dépendent de plusieurs types de mécanismes. Une telle
complexité n’est pas une surprise si l’on considère les contraintes de ces systèmes,
par exemple en ce qui concerne les ajustements nécessaires lorsqu’un pied ren-
contre un obstacle, ou encore lorsqu’un cheval passe de la marche au trot, et du
trot au galop.

Conclusion
A partir des discussions précédentes sur le contrôle spinal des mouvements,
nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions. De fait, beaucoup de ce
que nous savons sur le contrôle moteur a été acquis au niveau spinal, par la
mise en œuvre de méthodes aussi diverses que celles ayant trait à la biochimie,
à l’électrophysiologie, à la génétique, à la biophysique, jusqu’au comportement
animal. Pour avoir une idée générale du contrôle spinal des mouvements, que ce
soit des mécanismes qui sous-tendent le couplage excitation-contraction ou de la
13 – Contrôle spinal du mouvement 483

programmation des mouvements, ce sont les connaissances acquises de ces diffé-


rents niveaux d’analyse qui nous permettent de mieux comprendre les bases de
ces comportements. Ces travaux ont également permis de réaliser que les proces-
sus sensoriels et moteurs sont quelque peu inextricables, y compris au niveau le
plus élémentaire du contrôle moteur. La fonction normale des motoneurones α
dépend directement des boucles de rétroaction impliquant les informations sen-
sorielles issues du muscle lui-même, et indirectement des organes tendineux de
Golgi, mais aussi des articulations et de la peau. Enfin, la moelle épinière com-
porte tout un ensemble de circuits neuronaux permettant la réalisation de com-
portements moteurs simples et qui représentent bien autre chose que de simples
relais des informations sensorielles et motrices.
A l’évidence, l’activité de la moelle épinière, dans sa complexité, est soumise
aux influences descendantes provenant du cerveau et du cervelet. La question
est alors de savoir comment s’exerce ce contrôle descendant, sujet du prochain
chapitre.

QUESTIONS DE RÉVISION

1.  Qu’est-ce que Sherrington a dénommé « voie finale commune », et


pourquoi ?
2.  Définissez en une phrase ce que l’on entend par « unité motrice ». En quoi
ces unités motrices diffèrent-elles des populations de motoneurones ?
3.  Entre les unités motrices rapides et lentes, pouvez-vous dire lesquelles
sont recrutées le plus rapidement et pourquoi ?
4.  Quand et comment survient la rigidité cadavérique ?
5.  Lors d’un simple examen neurologique, votre médecin frappe le ten-
don situé juste au-dessous du genou, et votre jambe réagit en se soule-
vant. Quelles sont les bases neuronales de ce réflexe ? Comment est-il
dénommé ?
6.  Quel est le rôle des motoneurones γ ?
7.  Lenny, un fameux personnage de l’ouvrage de Steinbeck Des souris
et des hommes, aime les lapins. Cependant, lorsqu’il en attrape un, il
l’enserre jusqu’à l’étouffer. Quel type de déficit proprioceptif pourrait
avoir touché Lenny ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Kernell D. The Motoneurone and its Muscle Fibres. New York : Oxford
University Press, 2006.
Lieber RL. Skeletal Muscle Structure, Function, and Plasticity, 2nd ed.
Baltimore : Lippincott, Williams & Wilkins, 2002.
Poppele R, Bosco G. Sophisticated spinal contributions to motor control.
Trends in Neurosciences 2003 ; 26 : 269-76.
Schouenborg J, Kiehn O. The Segerfalk symposium on principles of
spinal cord function, plasticity, and repair. Brain Research Reviews
2001 ; 40 : 1-329.
Stein PSG, Grillner S, Selverston AI, Stuart DG. Neurons, Networks, and
Motor Behavior. Cambridge, MA : MIT Press, 1999.
Windhorst U. Muscle proprioceptive feedback and spinal networks.
Brain Research Bulletin 2007 ; 73 : 155-202.
484 2 – Systèmes sensoriel et moteur 484

CHAPITRE  14 Contrôle central


du mouvement

VOIES MOTRICES
DESCENDANTES
Système moteur latéral....................................................................... 487
Système ventromédian........................................................................ 489
Encadré 14.1 Focus  Parésie, paralysie, spasticité et Babinski

PLANIFICATION
DU MOUVEMENT PAR
LE CORTEX CÉRÉBRAL
Cortex moteur.................................................................................... 493
Contribution des aires pariétales postérieures et du cortex préfrontal. 495
Corrélats neuronaux de l’organisation centrale du mouvement........... 496
Encadré 14.2 Focus  Neurophysiologie comportementale
Neurones miroirs................................................................................ 497

GANGLIONS DE LA BASE
Organisation anatomique des ganglions de la base............................. 500
Voies « directe » et « indirecte » des ganglions de la base................... 502
Encadré 14.3 Focus  Est-ce que dans certaines pathologies des
ganglions de la base les neurones se suicident ?
Encadré 14.4 Focus  Lésions et stimulations cérébrales :
des méthodes thérapeutiques utiles
pour les maladies neurologiques

INITIALISATION
DU MOUVEMENT PAR LE
CORTEX MOTEUR PRIMAIRE
Organisation des afférences et des efférences de l’aire motrice M1..... 509
Codage du mouvement par l’aire M1.................................................. 510
Encadré 14.5 Les voies de la découverte  Codage distribué dans
le colliculus supérieur,
par James T. McIlwain

CERVELET
Anatomie du cervelet.......................................................................... 516
Encadré 14.6 Focus  Mouvements involontaires :
du normal au pathologique
Boucle motrice impliquant le cervelet latéral....................................... 519

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
e chapitre précédent est consacré à l’organisation du système somato-
moteur périphérique : les articulations, les muscles squelettiques, et leur
innervation sensorielle et motrice. Ainsi le motoneurone α apparaît-il
comme la voie finale commune dont l’activité est sous l’influence des afférences
sensorielles et des interneurones spinaux. Dans ce contexte, les réflexes révèlent
toute la complexité de ce système spinal de contrôle du mouvement. Ce nouveau
chapitre est consacré à l’étude du contrôle central du mouvement volontaire,
s’attachant à analyser comment le cerveau influence l’activité spinale.
Le système moteur est organisé de façon hiérarchique, avec d’un côté le cer-
veau antérieur jouant un rôle prépondérant et, à l’autre extrémité, la moelle
épinière. Cette organisation hiérarchique peut schématiquement être subdivisée
en trois niveaux (Tab. 14.1). Le niveau le plus élevé est représenté par les aires
associatives du néocortex et les ganglions de la base. Il est impliqué dans la
définition des stratégies motrices : les objectifs du mouvement et les stratégies
comportementales à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs dans les meil-
leures des conditions. Le niveau intermédiaire, représenté par le cortex moteur
et le cervelet, contribue à spécifier les paramètres du mouvement pour mettre en
œuvre de façon adaptée les stratégies définies en amont. Il définit la séquence des
contractions musculaires sous son aspect spatiotemporel, contribuant à la réali-
sation d’un acte moteur adapté parfaitement aux objectifs à atteindre. Le niveau
le plus bas, représenté par le tronc cérébral et la moelle épinière, est impliqué
dans l’exécution de l’acte moteur : l’activation des motoneurones et des interneu-
rones qui génèrent le mouvement, et la réalisation de l’ensemble des ajustements
posturaux qui accompagnent le mouvement.

Tableau 14.1 – Différents niveaux hiérarchiques de la commande motrice.

Niveau Fonction Structures


Niveau supérieur Définition des stratégies motrices Aires associatives du cortex
cérébral, ganglions de la base
Niveau intermédiaire Définition des paramètres Cortex moteur, cervelet
du mouvement
Niveau le plus bas Exécution du mouvement Tronc cérébral, moelle épinière

L’une des façons d’apprécier les contributions différentielles de ces trois


niveaux hiérarchiques à la réalisation du mouvement est par exemple de consi-
dérer le geste que doit réaliser un joueur de base-ball se préparant à lancer une
balle1 (Fig. 14.1). Le cortex cérébral est informé précisément de la position du
corps dans l’espace sur la base des informations qu’il reçoit, à la fois d’origine
visuelle, auditive, somatique, et proprioceptive. L’objectif est de mettre en œuvre

1.  NdT : une analyse similaire peut être faite s’agissant d’un joueur de football qui s’ap-
prête à déclencher un tir au but (pénalty) face à un gardien de but. Le joueur a l’initiative
de l’angle du tir, de la force, de la trajectoire, voire du pied à utiliser pour mieux tromper
son adversaire, et du moment le plus propice pour déclencher son tir, en rapport avec son
expérience personnelle.

486 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Figure 14.1 – Illustration de l’organisation
hiérarchique du contrôle moteur.
En analysant les différentes phases du jeu, ce
joueur de base-ball s’apprêtant à lancer une
balle décide de la trajectoire, par exemple
lobée, qu’il va lui donner ; et ce n’est qu’après
avoir décidé et préparé un mouvement dans
ce sens qu’il va lancer la balle. Cette situa-
tion simple évoque les différentes étapes d’un
processus moteur hiérarchisé, de l’intention à
l’action.

des stratégies motrices pour effectuer un lancer de balle optimisé, à partir de la


position de préparation à cet acte moteur, nécessitant notamment un pivotement
du corps sur lui-même. Diverses options peuvent être prises selon que la balle
sera lancée à grande vitesse, qu’elle sera basse, ou bien plutôt lobée. Ces diverses
possibilités sont analysées au travers des ganglions de la base qui sélectionnent
des stratégies qui sont renvoyées vers le cortex cérébral jusqu’à ce que la déci-
sion finale soit prise, en rapport notamment avec l’expérience propre du sujet.
Les aires motrices du cortex cérébral et le cervelet prennent la décision tactique
sur l’amplitude, la direction, la force du mouvement à effectuer (par exemple
envoyer une balle lobée), et donnent leurs instructions au tronc cérébral et à
la moelle épinière. L’activation des neurones du tronc cérébral et de la moelle
contribue alors à l’exécution du mouvement. L’activation appropriée des neu-
rones moteurs de la moelle cervicale va permettre un mouvement coordonné
de l’épaule, du coude, du poignet et des doigts de la main. Simultanément, les
ordres donnés à la moelle épinière thoracique et lombaire à partir du tronc céré-
bral déterminent les ajustements posturaux appropriés, qui permettent au lan-
ceur de garder son équilibre tout en optimisant son mouvement durant le lancer
de la balle. De plus, les motoneurones du tronc cérébral sont également activés,
de façon à maintenir le regard du lanceur fixé sur celui qui doit rattraper la balle.
En accord avec les lois de la physique, la trajectoire de la balle ainsi propulsée
dans l’espace se trouve qualifiée de balistique, considérant qu’elle ne peut plus
être modifiée après le lancer. Le mouvement du bras du lanceur est également
qualifié de balistique, ne pouvant non plus être modifié à partir du moment où
il a été déclenché. Ce type de mouvement rapide n’est pas sous la dépendance
des informations sensorielles qui régulent en permanence les réflexes posturaux
antigravitaires (voir chapitre 13). La raison en est simple : le mouvement est si
rapide qu’il ne peut pas faire l’objet d’une régulation sensorielle de type rétroac-
tif, nommée en anglais feedback sensoriel. Toutefois, le mouvement ne peut pas
avoir lieu en l’absence d’informations sensorielles : celles-ci interviennent avant
le déclenchement du mouvement et sont cruciales pour déterminer la position
de départ des membres engagés dans le mouvement et celle du corps tout entier,
et pour anticiper sur les changements de résistance intervenant durant le jet de
la balle. Les informations sensorielles jouent également un rôle très important
pendant le mouvement, pas particulièrement pour le mouvement qui est en cours
de réalisation, mais notamment à titre d’apprentissage pour l’amélioration des
mouvements du même type qui pourraient être réalisés par la suite par le même
individu.
Le fonctionnement de chaque niveau hiérarchique de la commande motrice
est ainsi tellement dépendant de l’information sensorielle que le système moteur
doit en fait être considéré pleinement sous son aspect sensorimoteur. Au plus
haut niveau de la hiérarchie, les informations sensorielles contribuent à générer
une image mentale du corps — une sorte de représentation interne du corps — et
de ses relations avec l’environnement. Au niveau intermédiaire, les décisions sur
14 – Contrôle central du mouvement 487

la stratégie sont basées sur la mémoire des informations sensorielles relatives aux
mouvements précédents, et au niveau le plus élémentaire, le feedback sensoriel
permet le maintien postural et contribue à déterminer la longueur et la tension
des muscles avant et après chaque mouvement volontaire.
Ce chapitre est consacré à la description de cette organisation hiérarchique
de la commande motrice, s’attachant notamment à analyser comment chaque
niveau de la commande centrale contribue au contrôle du système moteur péri-
phérique. La première partie est axée sur la description des voies motrices qui
influencent les neurones moteurs à l’échelon spinal ; puis sont abordés les autres
niveaux de la commande motrice, dans une perspective intégrative. Une partie
de ce chapitre sera également consacrée à la description des pathologies du mou-
vement.

Voies motrices descendantes


Comment le cerveau communique-t-il avec les motoneurones de la moelle
épinière ? Les axones des neurones issus du cerveau empruntent deux systèmes
majeurs pour atteindre la moelle épinière, schématiquement représentés sur la
figure 14.2. L’un de ces deux systèmes emprunte la colonne latérale ; l’autre, la
colonne ventromédiane. Le système latéral est impliqué dans la réalisation des
mouvements volontaires de la musculature distale ; il est sous le contrôle direct
du cortex cérébral. Le système ventromédian est impliqué quant à lui dans le
contrôle de la posture et de la locomotion, et il se trouve sous la dépendance du
tronc cérébral.

Système moteur latéral


La composante majeure du système latéral est représentée par la voie corti-
cospinale (Fig. 14.3a). Celle-ci prend son origine dans le cortex cérébral et repré-
sente, dans le système nerveux, la voie la plus longue et l’une des plus impor-
tantes, quantitativement (106 axones chez l’homme). Les deux tiers des axones
sont issus des aires corticales 4 et 6 du lobe frontal, collectivement dénommées
cortex moteur. Les autres axones du faisceau sont principalement issus des aires
somatosensorielles du lobe pariétal, et sont impliqués dans la régulation du flux
d’informations somatosensorielles arrivant au cerveau (voir chapitre 12). Les
axones issus du cortex passent par la capsule interne reliant le télencéphale au
thalamus, sont regroupés dans le pédoncule cérébral, représentant un important
faisceau d’axones dans le mésencéphale, transitent par le pont, et se réunissent
pour former un faisceau dense dans le bulbe. Ce faisceau prend l’allure d’une

Faisceau Système
corticospinal moteur
latéral
Faisceau
rubrospinal

Faisceau
Figure 14.2 – Voies motrices descendantes.
réticulospinal Le système latéral, formé des faisceaux cor-
Faisceau bulbaire ticospinal et rubrospinal, contrôle les mouve-
tectospinal ments volontaires de la musculature distale.
Faisceau
Faisceau réticulospinal Le système ventromédian, formé par les
vestibulospinal pontique faisceaux réticulospinaux, vestibulospinal et
tectospinal, contrôle l’activité des muscles
Système ventromédian posturaux.
488 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex
moteur

2
1

Thalamus Capsule
interne
4

Mésencéphale

Pédoncule
cérébral
3 Noyau
rouge
droit

Bulbe

2
Pyramide
bulbaire
Décussation
Faisceau des pyramides
corticospinal
Moelle
épinière

1 Faisceau
rubrospinal
(a) (b)

Figure 14.3 – Organisation schématique du système latéral.


(a) Faisceau corticospinal. (b) Faisceau rubrospinal. Ces composantes du système latéral contrôlent
les mouvements fins des bras et des doigts.

pyramide s’étendant à la surface ventrale du bulbe rachidien où il est nommé


pyramide bulbaire, expliquant pourquoi il est dénommé faisceau pyramidal.
À la jonction entre le bulbe et la moelle épinière, le faisceau pyramidal modi-
fie sa trajectoire et change de côté. Il présente ainsi une décussation. Ceci signifie
que le cortex moteur droit commande directement les mouvements de la partie
gauche du corps et que, de la même manière, le cortex gauche commande la mus-
culature de la partie droite du corps. À partir de la décussation, les axones du
faisceau pyramidal cheminent dans la colonne latérale de la moelle épinière et
forment le faisceau corticospinal latéral. Les axones du faisceau corticospinal se
terminent dans la partie dorsolatérale de la corne ventrale de la moelle épinière
et également dans la substance grise intermédiaire, où se trouvent localisés les
motoneurones et les interneurones de commande des muscles distaux, particu-
lièrement des muscles fléchisseurs (voir chapitre 13).
14 – Contrôle central du mouvement 489

Une autre composante du système moteur latéral est représentée par le fais-
ceau rubrospinal dont l’origine est, dans le mésencéphale, le noyau rouge ainsi
dénommé à cause de son apparence rosâtre sur des coupes de cerveau fraîche-
ment disséquées (rubro provient du latin pour « rouge »). Les axones issus du
noyau rouge décussent au niveau du pont et rejoignent presque immédiatement
ceux du faisceau corticospinal dans la colonne latérale de la moelle épinière
(Fig. 14.3b). Le noyau rouge reçoit des informations du cortex frontal, une
région corticale qui contribue aussi massivement au faisceau corticospinal. De
façon intéressante, il est notable qu’au cours de l’évolution des primates cette
voie cortico-rubrospinale indirecte a été largement remplacée par la voie cor-
ticospinale directe. Ainsi, alors que le système rubrospinal contribue de façon
importante au contrôle moteur chez beaucoup d’espèces de mammifères, son
rôle chez l’homme apparaît des plus réduit, la plupart de ses fonctions ayant été
prises en charge par le système corticospinal.
Effet des lésions du système latéral.  C’est à la fin des années 1960 qu’ont
été précisées les idées sur le rôle du système moteur latéral, grâce aux travaux
de Donald Lawrence et Hans Kuypers. Des lésions expérimentales du système
latéral incluant les deux composantes corticospinale et rubrospinale chez le singe
les rendaient incapables de réaliser des mouvements indépendants des différentes
parties du bras et de la main. Ces animaux n’étaient ainsi plus à même de mobi-
liser séparément l’articulation de l’épaule, du coude, du poignet ou les doigts de
la main. Par exemple, ils pouvaient attraper de petits objets avec leur main, mais
seulement en utilisant globalement l’ensemble de leurs doigts. Les mouvements
volontaires étaient dans ce cas plus lents et moins précis. Toutefois, en dépit de
cela, les animaux étaient toujours capables de s’asseoir correctement ou encore
de se tenir debout dans une posture normale. Par analogie, un homme porteur
d’une lésion du système moteur latéral devrait être à même de prendre la pos-
ture d’un lanceur de balle de base-ball, mais devrait être incapable de saisir et de
lancer correctement la balle.
Chez le singe, les lésions du faisceau corticospinal seul causent des déficits
moteurs du même type que ceux observés après lésion plus globale du système
latéral. Cependant, il est notable que, dans ce cas, une récupération de fonction
plus ou moins importante intervient progressivement dans les mois qui suivent
la chirurgie. En fait, le seul déficit permanent qui subsiste est une faiblesse mus-
culaire des fléchisseurs distaux et une incapacité à mobiliser les doigts indépen-
damment les uns des autres. Une lésion secondaire du faisceau rubrospinal chez
ces animaux supprime alors tout effet de récupération fonctionnelle, suggérant
que le faisceau cortico-rubrospinal est à même de compenser progressivement les
déficits moteurs consécutifs à la destruction du faisceau corticospinal.
Les accidents vasculaires qui affectent le cortex moteur ou le système corti-
cospinal sont fréquents en clinique humaine. Leur conséquence immédiate est
en général une paralysie du côté controlatéral mais on observe le plus souvent
une récupération très importante, dans les cas les plus favorables (Encadré 14.1).
Comme dans le cas des singes de Lawrence et Kuypers, ce sont les mouvements
des doigts les plus fins qui récupèrent le moins bien.

Système ventromédian
Le système ventromédian est constitué de quatre faisceaux descendants
dont l’origine se situe dans le tronc cérébral, et qui influencent les interneurones
spinaux contrôlant préférentiellement la musculature proximale et axiale. Ces
quatre composantes sont, respectivement, les faisceaux vestibulospinal, tecto­
spinal, réticulospinal d’origine pontique, et réticulospinal d’origine bulbaire.
Les voies du système ventromédian reçoivent prioritairement des informations
sensorielles en rapport avec le sens de l’équilibre, de la position du corps et l’en-
vironnement visuel. Elles contribuent ainsi au maintien de l’équilibre et de la
posture du corps de façon réflexe.
Faisceau vestibulospinal. Le faisceau vestibulospinal, comme le faisceau
tectospinal, agit pour maintenir la tête en position correcte par rapport aux
épaules pendant que le corps se déplace dans l’espace, et pour orienter la tête en
490 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 14.1 FOCUS

Parésie, paralysie, spasticité et Babinski


Le système moteur est formé d’éléments neuronaux fortement réduit (hypotonie), il existe une aréflexie ainsi
situés des plus hauts niveaux d’intégration corticaux, qu’une paralysie. Cette paralysie est reconnue le plus
jusqu’à la toute extrémité des axones formant les jonc- souvent comme une hémiplégie si elle concerne seule-
tions neuromusculaires. Ceci le rend particulièrement ment un côté du corps, ou paraplégie si elle concerne
vulnérable aux pathologies et aux traumatismes, du fait plus largement les membres inférieurs, ou encore quadri-
de sa représentation dans quasiment tout le système ner- plégie dans le cas d’une atteinte des quatre membres.
veux. Dès lors, l’endroit précis atteint par la maladie ou Avec la perte des influences motrices descendantes, la
le traumatisme caractérise la pathologie motrice qui en fonction de la moelle épinière paraît considérablement
résulte. affectée. Dans les quelques jours qui suivent, quelques-
La lésion de la partie inférieure du système moteur, uns des réflexes de base réapparaissent mystérieuse-
c’est-à-dire les motoneurones ou leurs axones, se traduit ment. Ceci n’est pas forcément une bonne nouvelle
par des conséquences hautement prédictibles. Une parce que s’installe alors définitivement ce que l’on
lésion partielle se traduit par une parésie, c’est-à-dire nomme une spasticité. La spasticité est caractérisée par
une faiblesse musculaire. Une lésion plus importante une augmentation considérable et souvent douloureuse
d’un nerf moteur conduit à une paralysie, c’est-à-dire du tonus musculaire (hypertonie), accompagnée d’une
dans ce cas à une perte de mouvement des segments de hyperréflexie, comparé à la situation normale. Des
membres dont les muscles sont concernés. Dans ce cas, réflexes d’étirement anormaux sont à l’origine d’un clo-
il existe aussi une aréflexie, c’est-à-dire une perte des nus, c’est-à-dire de cycles rythmiques de contraction et
réflexes spinaux. Par ailleurs, les muscles concernés ne relaxation musculaire lorsque les muscles des membres
présentent plus de tonus musculaire, ni de tension de sont étirés.
repos. Ils sont flasques. Les neurones moteurs lésés Une autre indication que le système moteur est
n’exercent plus dans ce cas leurs influences trophiques atteint est ce que l’on nomme le signe de Babinski, décrit
sur les fibres musculaires (voir chapitre 13), et les mus- par le neurologue français Joseph Babinski, en 1896.
cles s’atrophient profondément avec le temps (ils dimi- Dans ce cas, si on stimule brutalement la plante du pied
nuent de volume), perdant jusqu’à 70-80 % de leur d’un patient, on observe un réflexe caractérisé par la
masse. flexion vers le haut du gros orteil et l’étirement en éven-
Les lésions de la partie supérieure du système moteur tail des autres orteils, alors que la réponse normale pour
et des voies motrices descendantes sont à l’origine de tout individu âgé de plus de deux ans correspond au
troubles moteurs d’ordre différent. Ceux-ci s’expriment contraire à une flexion vers le bas du gros orteil et des
souvent après un accident vasculaire cérébral (AVC) qui autres orteils. Dans le cas des jeunes enfants, la réponse
affecte des zones corticomotrices ou du tronc cérébral. n’est pas anormale ; elle est simplement due au fait que
D’autres types de lésions sont la conséquence de bles- le système moteur descendant n’est pas encore mature.
sures par arme blanche ou par balle, ou sont en rapport C’est ainsi par l’analyse clinique des réflexes des
avec le développement de maladies neurodégénératives patients, l’appréciation de leur tonus musculaire, et de
(voir Encadré 4.5). leurs capacités motrices effectives, que les neurologues
Immédiatement après des lésions sévères, on note ce déduisent souvent avec une étonnante précision le site et
que l’on nomme un choc spinal : le tonus musculaire est la sévérité de la lésion.

réponse à des stimulations nouvelles. Le faisceau vestibulospinal prend son ori-


gine dans les noyaux vestibulaires bulbaires, qui relaient l’information sensorielle
issue des récepteurs vestibulaires de l’oreille interne (Fig. 14.4a). L’appareil vesti-
bulaire est constitué par un labyrinthe vestibulaire formé de canaux remplis d’un
liquide stimulant des récepteurs sensoriels par son déplacement, en fonction des
mouvements de la tête (voir chapitre 11). Le déplacement de la tête induit la sti-
mulation des cellules ciliées labyrinthiques (similaires aux cellules ciliées internes
de la cochlée), qui transmettent les informations sensorielles sur la position de la
tête dans l’espace aux noyaux vestibulaires par la VIIIe paire de nerfs crâniens.
Le faisceau vestibulospinal projette bilatéralement sur la moelle épinière et
active les circuits neuronaux qui contrôlent les muscles du cou et du dos impli-
qués dans la compensation posturale des mouvements de la tête. La stabilité
de la tête est fondamentale par rapport au système visuel : conserver une sta-
14 – Contrôle central du mouvement 491

Colliculus
supérieur

2
3
1
Noyaux
vestibulaires

Bulbe

2
Faisceau
vestibulospinal Faisceau
tectospinal

Moelle
épinière Figure 14.4 – Organisation anatomique des
voies (a) vestibulospinale et (b) tectospinale.
3 Ces deux faisceaux, composantes du sys-
tème ventromédian, sont impliqués dans le
(a) (b) maintien de la posture de la tête et du cou.

bilité du regard lorsque le corps se déplace contribue à fixer notre perception


de ­l’environnement. Une autre composante du système vestibulospinal projette
ipsilatéralement jusqu’au niveau lombaire de la moelle épinière. Ce système
contribue par là au maintien de l’équilibre et de la posture érigée, en activant les
motoneurones des muscles extenseurs des jambes.
Faisceau tectospinal.  Le faisceau tectospinal prend son origine dans le colli-
culus supérieur du mésencéphale, recevant quant à lui des informations directes
depuis la rétine (Fig. 14.4b) (souvenez-vous du chapitre 10, tectum optique est
l’autre nom du colliculus supérieur). Cependant, le colliculus supérieur reçoit
d’autres types d’informations, notamment depuis le cortex visuel, mais également
des informations somatosensorielles et auditives. À partir de ces informations, le
colliculus supérieur construit une véritable représentation de l’environnement.
Par exemple, la stimulation d’un point de cette carte induit un comportement
d’orientation qui dirige les yeux et la tête vers un point correspondant de l’espace
environnant, jusqu’à ce que ce point soit perçu par la fovéa. Dans le cas du jeu de
base-ball, par exemple, l’activation du colliculus par l’image d’un joueur se dépla-
çant en courant d’un point du terrain à un autre doit orienter les yeux et la tête du
lanceur de balle vers cet objectif nouveau, fondamental pour la poursuite du jeu.
Après avoir quitté le colliculus, les axones des neurones du faisceau tecto­
spinal décussent rapidement et projettent tout près de la ligne médiane dans les
régions cervicales de la moelle épinière. Ils contribuent au contrôle des muscles
du cou, de la partie supérieure du tronc et des épaules.
Faisceaux réticulospinaux d’origine pontique et bulbaire.  Ils prennent leur
origine dans la formation réticulée située dans le tronc cérébral. La formation
réticulée s’étend sur toute la longueur du tronc cérébral, juste au-dessous de
l’aqueduc cérébral et du quatrième ventricule. Formée d’un lacis inextricable de
neurones et de fibres, la formation réticulée reçoit des informations de toute ori-
gine, et contribue à de très nombreuses fonctions. Concernant spécifiquement
le contrôle moteur, la formation réticulée est traditionnellement divisée en deux
492 2 – Systèmes sensoriel et moteur

régions à l’origine de deux faisceaux distincts : le faisceau réticulospinal d’origine


pontique, encore dénommé faisceau réticulospinal médian, et le faisceau réticu-
lospinal d’origine bulbaire, nommé faisceau réticulospinal latéral (Fig. 14.5).
Le faisceau réticulospinal médian d’origine pontique exerce une action facilita-
trice sur les réflexes antigravitaires, dont le point de départ est la moelle épinière.
Son action se traduit par une facilitation de l’activité des muscles extenseurs
des membres inférieurs et (chez l’homme) de celle des muscles fléchisseurs des
membres supérieurs, contribuant au maintien de la posture érigée en s’opposant
aux effets de la gravitation. Ce type de régulation participe de façon primordiale
au contrôle moteur : ainsi, la plupart du temps l’activité des motoneurones de
la corne ventrale de la moelle, plutôt que d’être engagée dans des changements
d’activité musculaire en rapport avec des mouvements volontaires, est en fait
impliquée dans le maintien de la longueur et de la tension musculaire en rapport
avec des activités posturales. Le faisceau réticulospinal latéral d’origine bulbaire
exerce des effets inverses : il libère les muscles antigravitaires des activités réflexes
dans lesquelles ils se trouvent impliqués. L’activité de ces deux types de faisceaux
réticulospinaux est elle-même sous le contrôle d’influences descendantes issues
du cortex. Un ajustement très fin de la synergie entre ces deux types de faisceaux
influençant la musculature est alors essentiel pour que le lanceur de balle de
base-ball passe de sa position de préparation à la propulsion orientée et extrê-
mement rapide de la balle.
La figure 14.6 résume de façon schématique l’organisation des principales
voies motrices descendantes. Le système ventromédian prend son origine dans
diverses régions du tronc cérébral et contribue essentiellement au contrôle pos-
tural et à certains mouvements de type réflexe. Le déclenchement d’un mouve-
ment volontaire balistique tel que le lancer de balle au base-ball (NdT : ou le
tir au but d’un joueur de football), nécessite la contribution du cortex cérébral
et implique les voies motrices latérales. Le cortex moteur active directement les
motoneurones spinaux et contribue également à les libérer des activités réflexes,
notamment en agissant sur les noyaux d’origine des voies ventromédianes. Il est
dès lors évident que le cortex joue un rôle critique dans les mouvements volon-
taires et les comportements, comme nous le verrons par la suite.

Cervelet

Pont 3 Formation
réticulaire pontique

3
2
1
Formation
réticulaire bulbaire
Bulbe 2

Figure 14.5 – Représentation des faisceaux Faisceaux


réticulospinal médian (pontique) et réticulo­ réticulospinaux
spinal latéral (bulbaire).
Ces composantes du système ventromédian
sont impliquées dans les régulations de la
posture du tronc et l’activité antigravitaire de Moelle 1
épinière
la musculature des membres.
14 – Contrôle central du mouvement 493

Cortex
moteur

Cortex

Faisceau
cortico-
spinal

Noyau Noyaux Colliculus supérieur et


rouge réticulaires noyaux vestibulaires

Système Système moteur


moteur latéral ventromédian

Figure 14.6 – Représentation schématique
Moelle épinière de l’organisation des différentes compo­
santes des voies motrices descendantes.

Planification du mouvement
par le cortex cérébral
Même si le cortex moteur est assimilé aux aires 4 et 6, il est essentiel de consi-
dérer que le contrôle du mouvement volontaire implique presque toutes les aires
du néocortex. En effet, la réalisation de mouvements dirigés vers un objectif
dépend des informations relatives à la connaissance de la situation du corps dans
l’espace dans lequel il évolue, des objectifs à atteindre, et de la sélection d’une
stratégie pour y parvenir. Dès que la stratégie a été sélectionnée, elle doit être
mémorisée jusqu’au moment approprié. Finalement, des instructions doivent
être données pour déclencher le mouvement. D’une certaine façon, ces diffé-
rents aspects du contrôle moteur peuvent être mis en rapport avec des régions
particulières du cortex cérébral. La première partie de ce qui suit est axée sur la
contribution de différentes aires corticales à la planification motrice. Puis seront
envisagés les mécanismes de la transformation du plan moteur en action motrice.

Cortex moteur
Le cortex moteur représente une région très localisée du lobe frontal. L’aire 4
est située dans le gyrus précentral, juste en avant du sillon central. L’aire 6 s’étend
immédiatement en avant de l’aire 4 (Fig. 14.7). La démonstration définitive que
ces aires corticales constituent le cortex moteur a été apportée par le neuro-
chirurgien canadien Wilder Penfield. Dans le chapitre 12 étaient mentionnées
les expériences de stimulation électrique du cortex que Penfield réalisait chez
les patients au cours d’interventions situées au niveau cortical. La stimulation
était utilisée pour tenter d’identifier les régions qui devaient être préservées de
la chirurgie. Au cours de ces interventions, Penfield a découvert que des sti-
mulations de faible intensité de l’aire 4 du gyrus précentral déclenchaient des
activations musculaires très localisées de la musculature du corps controlatéral.
Par une analyse systématique de cette région corticale, il a ainsi été démontré
chez l’homme l’existence d’une organisation somatotopique du cortex moteur
du gyrus précentral, similaire à celle reconnue dans les aires somatosensorielles
494 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Aire 4
Aire 6 Aires 1, 2, 3 Cortex
Sillon
M1 central pariétal
APM S1 postérieur
AMS Aire 5
Cortex
préfontal Aire 7

Figure 14.7 – Aires du cortex cérébral impli­


quées dans la planification et la réalisation
du mouvement volontaire.
Les aires 4 et 6 constituent le cortex moteur
(M1).

du gyrus post-central (Fig. 14.8). L’aire 4 est dénommée aussi cortex moteur pri-
maire ou aire M1.
Les fondements des découvertes de Penfield remontent à plus d’un siècle.
En 1870, les travaux de Gustav Fritsch et Eduard Hitzig avaient en effet montré
que la stimulation du cortex frontal chez le chien anesthésié induisait des mou-
vements de l’hémicorps controlatéral (voir chapitre 1). Puis, au début du siècle
dernier, David Ferrier et Charles Sherrington démontrèrent que le cortex moteur
des primates était situé dans le gyrus précentral. C’est alors en comparant l’his-
tologie de cette région chez les singes de Sherrington avec celle du cortex humain
que l’anatomiste australien Alfred Walter Campbell est arrivé à la conclusion
que le cortex moteur est représenté par l’aire 4.

he
Poig

nc
Coude
Pe

Tronc
Épaule

Ha
An

tit

Ma

net
nu

do

M
in
la

aj
igt

eu
ire

In
d
Po ex r
uc
Co
u
e Genou
So
ur
cil
Pa s
et u p Cheville
i
œil es è r
Doigts
Visa de pieds
g e
Lèvres

Mâchoire

Langue

on
lutiti
Dég

Figure 14.8 – Organisation somatotopique du cortex moteur chez l’homme.


14 – Contrôle central du mouvement 495

Campbell spécula par ailleurs que l’aire corticale 6, située juste rostralement
par rapport à l’aire 4, pouvait être une aire spécialisée dans la réalisation de
mouvements volontaires nécessitant une habilité particulière. Cinquante ans
plus tard, Penfield vérifia cette hypothèse en démontrant que la stimulation de
l’aire 6 chez l’homme peut évoquer des mouvements complexes, des deux côtés
du corps. Penfield démontra l’existence de deux types de représentation somato-
topique dans l’aire 6 : une dans la région latérale, qu’il dénomma aire prémotrice
ou APM ; l’autre dans la région médiane, appelée aire motrice supplémentaire
ou AMS (voir Fig. 14.7). Ces deux aires paraissent engagées dans des actions
similaires, mais portant sur différents groupes de muscles. Ainsi, alors que les
axones issus de l’aire motrice supplémentaire contrôlent directement la muscu-
lature distale au travers des motoneurones de la moelle épinière, l’aire prémo-
trice influence principalement la musculature proximale, notamment cette fois
au ­travers des voies réticulospinales.

Contribution des aires pariétales


postérieures et du cortex préfrontal
Si le joueur de base-ball qui se prépare à effectuer un lancer de balle (NdT :
ou le footballeur face au but de l’adversaire…) est à nouveau évoqué, il faut
envisager qu’avant que ne soient sélectionnés les groupes de muscles contribuant
à l’action, il est nécessaire que le système nerveux du joueur puisse être informé
de la position de son corps dans l’espace environnant, et aussi de la position
relative du batteur et du joueur (NdT : ou du gardien de buts) qui doit attraper la
balle, avec qui il réalise la partie de base-ball (/football). Cette capacité d’évalua-
tion du contexte dépend des informations somatosensorielles, proprioceptives,
et visuelles atteignant le cortex pariétal postérieur.
Dans le cortex pariétal postérieur, deux aires particulières jouent un rôle
majeur : l’aire 5, qui reçoit les informations somatosensorielles des aires cor-
ticales 3, 1 et 2 (voir chapitre 12) ; et l’aire 7, qui est la cible d’informations
issues d’aires visuelles ayant déjà fortement intégré l’information provenant de
la rétine, telle l’aire MT ou V5 (voir chapitre 10). Chez les patients souffrant de
lésions de ces régions pariétales comme cela peut arriver après un accident vas-
culaire cérébral, il existe parfois des anomalies de la représentation mentale de
l’image de leur corps, et aussi de la perception des relations spatiales. Dans les
cas extrêmes par exemple, le patient peut ignorer totalement le côté de son corps
opposé à la lésion corticale pariétale, et tout ce qui s’y passe.
Les lobes pariétaux sont étroitement interconnectés avec les régions des lobes
frontaux qui, chez l’homme, sont considérées comme jouant un rôle fondamen-
tal dans le traitement de la pensée abstraite, la prise de décision, ou encore l’an-
ticipation sur les conséquences de l’action. Ces aires dites « préfrontales », avec
le cortex pariétal postérieur, représentent le plus haut degré d’intégration dans
la hiérarchie du contrôle moteur, là où sont prises les décisions sur les actions à
réaliser, et leurs conséquences attendues (par exemple envoyer une balle lobée).
Les aires corticales préfrontales et pariétales envoient toutes deux des axones
vers l’aire 6 qui, avec l’aire 4 comme cela a déjà été mentionné, contribue massi-
vement à la voie corticospinale. De ce fait, l’aire 6 occupe une position critique :
renseignée sur le type d’action à réaliser, elle contribue à spécifier les caractéris-
tiques de l’action qui va être réalisée.
Cette vue très générale de l’organisation centrale de la planification du mou-
vement volontaire a reçu des éléments de confirmation chez l’homme, notam-
ment grâce aux travaux de Per Roland et de son équipe, au Danemark. Ces
chercheurs ont utilisé la tomographie par émission de positrons pour mesurer
les changements de flux sanguin cérébral intervenant régionalement dans le cor-
tex lors de la planification et de la réalisation de mouvements volontaires très
simples (voir Encadré 7.3). Se basant sur l’existence d’une relation étroite entre
le débit sanguin cérébral et l’activité neuronale, cette méthode, toujours très uti-
lisée, permet de mettre en évidence les zones corticales mises en jeu pendant le
mouvement volontaire. Par exemple, lorsqu’il est demandé aux sujets d’effectuer
496 2 – Systèmes sensoriel et moteur

une série de mouvements du pouce, les régions corticales suivantes sont activées :
les aires somatosensorielles et pariétales postérieures, l’aire 8 (partie du cortex
préfrontal), et les aires 4 et 6. Ces régions représentent les territoires dont il est
supposé qu’ils jouent un rôle majeur dans l’intention, et pour convertir l’inten-
tion en action. De façon particulièrement intéressante, il est noté que lorsque la
consigne est donnée au sujet de répéter le mouvement mentalement sans l’effec-
tuer réellement, l’aire 6 est toujours activée, mais pas l’aire 4.

Corrélats neuronaux de l’organisation


centrale du mouvement
Des travaux effectués chez le singe ont contribué à renforcer l’idée que l’aire 6
(AMS et APM) joue un rôle crucial dans la planification des mouvements volon-
taires, et particulièrement dans l’élaboration des séquences complexes impli-
quant la musculature distale. En utilisant une méthode développée à la fin des
années soixante par Edward Evarts au NIH (National Institute of Health), il
est possible d’enregistrer chez le singe éveillé l’activité des neurones des aires
motrices au cours du comportement (Encadré 14.2). Les neurones de l’AMS
voient ainsi typiquement leur activité augmenter environ une seconde avant
le début d’un mouvement de la main ou du poignet, en accord avec leur rôle
présumé dans l’organisation centrale du mouvement (en accord aussi avec les
données de Roland chez l’homme). Une caractéristique importante de cette acti-
vation neuronale est qu’elle intervient avant le début des mouvements de chaque
main, suggérant que les aires motrices supplémentaires des deux hémisphères
sont étroitement interconnectées au travers du corps calleux. De fait, les déficits
comportementaux observés chez le singe comme chez l’homme après lésion de
l’AMS d’un seul côté du cerveau, sont particulièrement marqués pour les tâches
nécessitant une coordination de l’action des deux mains, par exemple boutonner
une chemise. Chez l’homme, l’incapacité à réaliser une tâche motrice complexe
(et non simple) est dénommée apraxie.
Considérant par exemple l’expression bien connue : « Attention ! Prêt !
Partez ! », les données précédentes suggèrent que la préparation à l’action
dépend de l’activité des lobes pariétaux et frontaux, avec une contribution parti-
culière des structures impliquées dans les processus attentionnels et de vigilance
(« Attention ! »). « Prêt », quant à lui, peut être situé dans les aires supplémen-
taires et prémotrices, où les stratégies sont élaborées et maintenues jusqu’à l’exé-
cution du mouvement. Un bon exemple d’une telle organisation est illustré sur
la figure 14.9, extrait d’un travail de Michael Weinrich et Steven Wise, réalisé au
NIH. Ces chercheurs ont enregistré la décharge de neurones dans l’aire prémo-
trice d’un singe conditionné à réaliser une tâche nécessitant le mouvement d’un
bras vers une cible. L’animal reçoit une instruction préalable l’informant que la
cible va apparaître (« Attention ! »), instruction suivie après un délai variable
par une deuxième instruction qui indique à l’animal de réaliser le mouvement de
pointage vers la cible (« Partez ! »). La réalisation correcte de cette tâche motrice,
c’est-à-dire l’attente du signal déclenchant le mouvement, est récompensée par
du jus de fruit. Les neurones de l’aire prémotrice commencent à décharger si
l’instruction est de réaliser le mouvement de pointage vers la gauche, et ils conti-
nuent à décharger jusqu’à l’apparition du stimulus qui déclenche le mouvement,
ceci jusqu’au début du mouvement. Si l’instruction est de réaliser un mouvement
vers la droite, ces neurones ne déchargent pas (probablement, c’est une autre
population de neurones qui devient active dans ces conditions). Ces résultats
suggèrent donc que les neurones de l’APM sont en rapport avec la direction du
mouvement à effectuer, et qu’ils restent actifs jusqu’à ce que le mouvement soit
réalisé. Ainsi, même si pour le moment nous ne sommes pas encore capables de
comprendre tous les éléments du codage au niveau de l’AMS et de l’APM, le
fait que les neurones de ces régions corticales soient sélectivement activés avant
le début des mouvements est tout à fait en accord avec leur rôle présumé dans la
programmation motrice.
14 – Contrôle central du mouvement 497

Encadré 14.2 FOCUS

Neurophysiologie comportementale
Démontrer que des lésions cérébrales sont suivies de microélectrodes était fixé sur le crâne, au-dessus d’une
déficits comportementaux ou, qu’à l’inverse, des stimu- ouverture située au niveau des régions à étudier. Après
lations du système nerveux induisent des mouvements, récupération de l’anesthésie, les animaux tolèrent
n’apporte pas d’information directe sur la façon dont le parfaitement ce type de dispositif expérimental, tout
cerveau contrôle effectivement les mouvements. Pour comme l’insertion de microélectrodes dans le cerveau
tenter d’approcher cette question, il est nécessaire d’étu- (souvenez-vous du chapitre 12 qu’il n’y a pas de nocicep-
dier en plus l’activité neuronale au cours du mouvement. teur dans le cerveau). Evarts et ses collaborateurs ont
Les études utilisant la caméra à positrons ou l’imagerie alors pu enregistrer l’activité unitaire des neurones du
par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) se sont cortex moteur au cours de la réalisation du mouvement
récemment révélées d’une extrême utilité pour analyser volontaire conditionné. Dans l’exemple ci-dessus, il
les changements d’activité plus globaux au cours des est possible d’apprécier les changements d’activité du
mouvements, mais leur manque de résolution tempo- neurone enregistrés au cours du mouvement, lorsque
relle ne permet pas pour le moment d’approcher les l’animal pointe sa main vers la cible lumineuse.
changements d’activité de neurones individuels milli­ Ceci est une illustration de cette neurophysiologie
seconde par milliseconde comme le font les études élec- comportementale basée sur l’enregistrement de l’activité
trophysiologiques. La meilleure technique se révèle être neuronale au cours du comportement. En adaptant des
celle utilisant des enregistrements extracellulaires à protocoles expérimentaux particuliers, ce type d’ap-
l’aide de microélectrodes métalliques (voir Encadré 4.1) proche permet d’analyser de nombreux mécanismes,
chez des animaux éveillés en préparation chronique. incluant notamment les processus attentionnels, la per-
Mais comment cela peut-il être réalisé sur des animaux ception, l’apprentissage, et le mouvement. Il est notable
vigiles, libres de leurs mouvements ? que ces méthodes sont applicables à des sujets humains
Ce type de méthode a été particulièrement développé consentants, en particulier lors d’interventions neuro-
par Edward Evarts et son équipe au NIH. Des singes chirurgicales ou par l’utilisation d’électrodes implantées
étaient entraînés à réaliser une tâche motrice simple. à des fins thérapeutiques.
Lorsque celle-ci était correctement effectuée, les ani- Récemment ces méthodes ont évolué, permettant
maux recevaient du jus de fruit en récompense. Par chez l’animal des enregistrements simultanés de l’acti-
exemple, pour analyser les mécanismes de mouvements vité de plusieurs neurones (d’une douzaine de neurones
de la main et du bras, les singes devaient déplacer leur et jusqu’à une centaine à la fois), grâce à des électrodes
main sur un écran, vers les points les plus lumineux. Le multiples placées, éventuellement, dans plusieurs régions
pointage correct était récompensé par le jus de fruit. du cerveau à la fois. De fait, ces approches ont considé-
Après apprentissage de cette tâche motrice, les animaux rablement fait évoluer notre façon de concevoir les
étaient anesthésiés et, au cours d’une intervention ­processus d’intégration et de codage des informations
chirurgicale, un dispositif permettant de placer des nerveuses.

Neurones miroirs
Nous avons déjà mentionné que quelques neurones de l’aire 6 ne répondaient
pas seulement lorsque le mouvement était exécuté, mais également lorsque le
mouvement était simplement imaginé, c’est-à-dire répété mentalement. De
façon remarquable, quelques neurones du cortex moteur ne déchargent pas seu-
lement lorsque le singe effectue lui-même un mouvement particulier, mais aussi
lorsqu’il observe un congénère ou même un homme, effectuant le même type de
mouvement (Fig. 14.10). Ces neurones ont été dénommés « neurones miroirs »
par Giacomo Rizzolatti et ses collègues travaillant à l’Université de Parme en
Italie, au début des années 1990. Les neurones miroirs paraissent représenter
des actes moteurs particuliers comme atteindre un but avec la main, tenir un
levier ou encore déplacer un objet, indépendamment du fait que le singe réa-
lise le mouvement lui-même ou qu’il observe un autre singe ou un chercheur le
réaliser. Chaque neurone présente ainsi une spécificité de réponse. Un neurone
miroir qui répond lorsque le singe saisit une friandise, répond également lorsque
l’animal en observe un autre effectuer une action similaire, mais ne répond
pas, en revanche, lorsque ces animaux secouent leurs mains sans but précis. De
498 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Décharge d’un neurone


de l’aire prémotrice (APM)

(a)

Stimulus
d’instruction

Stimulus
d’instruction

(b)

Signal
de déclenchement
du mouvement

Signal
de déclenchement
du mouvement

(c)

Figure 14.9 – Décharge d’un neurone de l’aire prémotrice avant le début du mouvement.


(a) Attention ! : le singe est assis face au dispositif lumineux. La consigne est d’attendre l’apparition
d’un premier stimulus lumineux qui donne à l’animal des informations sur le type de mouvement
à réaliser pour qu’il obtienne une récompense (stimulus d’instruction). Le sujet doit alors attendre
l’apparition d’un second stimulus qui lui donne effectivement l’ordre de réaliser le mouvement
(signal de déclenchement) ; l’activité d’un neurone de l’aire prémotrice (APM) étant enregistrée
­pendant toute la séquence comportementale. (b) Prêt ! : le stimulus d’instruction intervient au
moment indiqué par la flèche sur le diagramme, déclenchant la décharge du neurone. (c) Partez ! :
très vite après le début du mouvement, la décharge du neurone de l’APM va cesser. (Source :
adapté de Weinrich et Wise, 1982.)

­ ombreux n
n ­ eurones miroirs répondent même sélectivement aux sons produits
par les animaux lors de comportements spécifiques, tels que ceux produits lors
de l’extraction d’une pistache de son enveloppe, ici encore que ce comportement
soit réalisé par l’animal lui-même ou un congénère. De façon générale, les neu-
rones miroirs paraissent encoder une information liée aux objectifs spécifiques
d’une action, plutôt qu’un simple stimulus sensoriel.
Il est ainsi vraisemblable qu’il existe des neurones miroirs dans le cortex pré-
moteur de l’homme, et même dans d’autres régions corticales, bien que les don-
nées pour les mettre en évidence, principalement basées sur des études en IRMf,
soient très indirectes pour arriver à cette conclusion (voir Encadrés 7.2 et 7.3).
14 – Contrôle central du mouvement 499

Activité d’un neurone


de l’aire prémotrice

Le singe saisit
(a) une cacahuète

(b) Le singe voit un autre animal


saisir une cacahuète

(c) Le singe voit un expérimentateur


saisir une cacahuète

(d)
Le singe voit l’expérimentateur
saisir une cacahuète avec l’aide d’une pince

Figure 14.10 – Décharge d’un neurone miroir.


(a) Un neurone miroir de l’aire prémotrice est actif lorsque l’animal saisit une cacahuète. (b) Le
même neurone miroir décharge lorsque l’animal voit un autre singe se saisir également d’une
cacahuète. (c) Le neurone est également actif lorsque c’est l’expérimentateur qui saisit la cacahuète.
(d) Lorsque l’expérimentateur utilise une pince pour se saisir de la cacahuète, le neurone miroir ne
décharge pas et reste silencieux. (Source : adapté de Rizzolatti et al., 1996.)

Les neurones miroirs pourraient représenter une partie d’un système très
sophistiqué visant à comprendre les actions et même les intentions des autres.
Cette hypothèse est très séduisante et suppose que nous utilisions les mêmes
circuits neuronaux à la fois pour planifier nos propres actions et pour com-
prendre celles des autres, y compris en termes d’intentionalité. Ainsi, lorsqu’un
joueur de base-ball (ou de football) observe un autre joueur réaliser un lancer
de balle (ou un tir au but), il est susceptible d’activer le même circuit neuronal
que celui qui tire réellement. En un sens, il est juste en train d’apprendre (ou de
répéter) son propre mouvement en activant mentalement le programme moteur
qu’il devra ultérieurement réaliser dans les mêmes conditions. Cette hypothèse a
fait l’objet d’autres développements, allant jusqu’à dire que les neurones miroirs
500 2 – Systèmes sensoriel et moteur

nous permettaient de lire les émotions sur le visage des autres et qu’ils pouvaient
ainsi être à la base de l’empathie. Quelques auteurs ont même suggéré qu’un
dysfonctionnement des neurones miroirs pouvait rendre compte de certains défi-
cits comportementaux tels que ceux liés à des symptômes de l’autisme, comme
par exemple l’incapacité à comprendre les intentions, les émotions, les pensées
ou encore les sentiments des autres (voir Encadré 23.4). Cependant, aussi inté-
ressantes que soient ces hypothèses, pour le moment les preuves sont difficiles
à réunir pour les vérifier. Mais il est vraisemblable que le développement des
méthodes permettant de mieux enregistrer l’activité des neurones chez l’homme
permettra rapidement de faire la part des choses.
Si nous revenons maintenant au joueur de base-ball2, nous pouvons consi-
dérer par exemple qu’il a pris la décision d’envoyer une balle lobée. Cependant,
le batteur n’est pas prêt et se trouve encore en train de nettoyer sa batte… Le
lanceur doit alors attendre qu’il ait terminé, mais il a déjà préparé son action,
muscles tendus et très concentré. Le lanceur est ainsi « prêt ». Une population
particulière de neurones du cortex prémoteur (celle qui organise la séquence
musculaire qui permettra le lancer de la balle) décharge en anticipation du mou-
vement de projection de la balle. Dès lors que le batteur est lui aussi prêt à jouer,
le lanceur agit, se donnant l’ordre « Partez ! » alors même que les conditions sont
réunies pour réussir la partie. Cette dernière commande fait intervenir des infor-
mations issues de structures sous-corticales, qui influencent également l’aire 6, et
l’action sera réalisée par le cortex moteur primaire.

Ganglions de la base
L’aire  6 reçoit des informations d’origine sous-corticale, issues principalement
d’un noyau du thalamus dénommé noyau ventrolatéral (VL). La partie du VL qui
projette vers l’aire 6 est elle-même dénommée VLo, recevant ses afférences prin-
cipales des ganglions de la base, structures nerveuses très volumineuses situées
dans le télencéphale. Les ganglions de la base reçoivent des informations issues
de larges zones du cortex cérébral, notamment des aires frontales, préfrontales,
et pariétales. Ainsi les informations d’origine corticale sont-elles à même d’être
traitées par une « boucle » impliquant les ganglions de la base3, le thalamus, et
un retour vers le cortex cérébral, particulièrement l’AMS (Fig. 14.11). L’une des
fonctions de cette boucle est vraisemblablement de sélectionner et de déclencher
les mouvements volontaires.

Organisation anatomique des ganglions de la base


Les ganglions de la base sont formés d’un ensemble de structures nerveuses
dont les principales sont : le noyau caudé, le putamen, le globus pallidus (qui com-
prend lui-même deux segments, qualifiés d’externe et d’interne, respectivement
le globus pallidus externe ou GPe, et le globus pallidus interne, GPi) et le noyau
sous-thalamique. En général, bien que cette structure ne fasse pas à proprement
parler partie des ganglions de la base, la substance noire (ou locus niger), une
structure mésencéphalique majeure réciproquement connectée avec les ganglions
de la base, est associée à ces noyaux (Fig. 14.12). L’ensemble formé par le noyau
caudé et le putamen est dénommé striatum4. Le striatum constitue la cible majeure

2.  NdT : la transposition avec le joueur de football face au gardien de but est tout à fait
similaire. Le gardien de but doit lui-même se préparer à arrêter le tir du joueur qui est en
face, au coup de sifflet de l’arbitre qui déclenchera le tir.
3.  NdT : l’ensemble formé par les ganglions de la base et le thalamus porte le nom de
« noyaux gris centraux ».
4.  NdT : une partie ventrale du striatum est représentée par une structure nommée noyau
accumbens, impliquée plus dans le traitement des informations limbiques et représentant
un centre d’interface entre système moteur et système limbique.
14 – Contrôle central du mouvement 501

Cortex Cortex Cortex


préfrontal moteur sensoriel
Aire Aire
6 4

Cortex

Ganglions
VLo*
de la base

Faisceau
cortico-
spinal

Noyau Noyaux Colliculus supérieur


rouge réticulaires et noyaux vestibulaires

Système moteur Système moteur


latéral ventromédian
Figure 14.11 – Représentation schématique
Moelle épinière
des boucles liant le cortex cérébral aux
ganglions de la base et impliquant le tha­
* Noyau ventrolatéral du thalamus lamus et un retour cortical vers l’aire 6.

Noyau ventrolatéral
du thalamus

Ganglions de la base
et structures associées :

Noyau
caudé

Striatum

Putamen

Globus
pallidus

Noyau
Substance sous-thalamique
noire

Figure 14.12 – Ganglions de la base et les structures qui leur sont associées.


502 2 – Systèmes sensoriel et moteur

des afférences corticales aux ganglions de la base5. Le globus pallidus représente


quant à lui l’origine de la projection vers le thalamus. Les autres structures parti-
cipent à des boucles internes diverses, qui modulent l’activité du circuit principal
représenté par le transfert d’informations au travers des noyaux suivants :
Cortex → Striatum → Globus pallidus interne → VLo → Cortex (AMS)
Au plan histologique, les neurones du striatum apparaissent éparpillés au
hasard, sans aucune organisation du type de celle représentée dans les couches
corticales. Toutefois, ce désordre apparent cache en fait une complexité dans
l’organisation de ces structures, que nous ne commençons qu’à découvrir. De
fait, les ganglions de la base sont impliqués dans toute une série de circuits
qualifiés de « parallèles », révélés par l’organisation topographique qui les lie à
différentes aires corticales. Pour la plupart, ces circuits ne sont pas moteurs et
paraissent en particulier être impliqués dans certains aspects de la mémorisa-
tion et dans le traitement des processus cognitifs. Ainsi, réduire la contribution
de ces ganglions de la base, encore largement méconnus, aux simples processus
moteurs n’est pas satisfaisant ; cependant cette analyse est déjà fort complexe.
La description qui suit sera par conséquent nécessairement très schématique.

Voies « directe » et « indirecte »


des ganglions de la base
La « boucle motrice » impliquant les ganglions de la base prend son origine
dans le cortex. La voie directe implique une connexion de type excitateur des
neurones corticaux avec les cellules du putamen. Les cellules du putamen, quant
à elles, font synapse avec les neurones situés dans le globus pallidus (interne) ;
cette connexion étant inhibitrice. À leur tour, les cellules du globus pallidus
interne projettent sur le VLo. Cette projection neuronale est également de type
inhibiteur. La projection thalamocorticale, enfin (du VLo à l’AMS), est exci-
tatrice et facilite la décharge des neurones de l’AMS liée au mouvement. Cette
organisation est représentée schématiquement sur la figure 14.13.
En règle générale, la voie directe permet aux ganglions de la base de facili-
ter l’initiation des mouvements volontaires. L’activation corticale du putamen
conduit à l’activation de l’AMS par le VL. L’un des points majeurs à considérer
est que les neurones du GPi sont spontanément actifs au repos. Dans ce contexte,
ils inhibent de façon permanente les neurones du VL. Ainsi, l’activation corti-
cale (1) excite les neurones du putamen, qui (2) inhibent à leur tour l’activité des
cellules du GPi, ce qui (3) a pour conséquence de libérer l’activité des neurones
du VLo de l’inhibition à laquelle ils sont normalement soumis. L’activité des
neurones du VLo facilite celle des neurones de l’AMS. Par conséquent, cette
partie du circuit joue le rôle d’une boucle de rétroaction positive sur le cortex,
qui sert à focaliser l’influence de larges parts du cortex sur l’AMS. Il est ainsi
possible de spéculer sur le fait que le signal « Partez ! » pour un mouvement
généré en interne par l’individu est possible lorsque l’AMS est activée au-delà
d’un certain seuil impliquant cette boucle de rétroaction.
Il existe aussi une seconde voie, plus complexe, qualifiée de voie indirecte et
impliquant les ganglions de la base. De façon générale, cette voie a pour effet
d’antagoniser les effets moteurs produits par la voie directe. Dans ce cas, les
informations issues du cortex sont transmises parallèlement aux voies directe
et indirecte, et les sorties de ces deux systèmes régulent l’activité du thalamus
moteur (Fig. 14.14). Cette voie diffère de la précédente en ce sens qu’elle implique
le GPe et le noyau sous-thalamique. Les neurones striataux inhibent les cellules
du GPe, qui, à son tour inhibe à la fois l’activité des neurones du GPi et du noyau
sous-thalamique. Le noyau sous-thalamique est aussi sous l’influence excitatrice

5.  NdT : dans une conception récente, on admet que le noyau sous-thalamique reçoit
également des afférences corticales, et que ces afférences jouent un rôle considérable dans
le traitement des informations par les noyaux gris centraux. De même, il a été montré que
certains noyaux thalamiques, en particulier centre médian-parafasciculaire, projettent
directement sur le striatum par une voie thalamostriatale, en court-circuitant le cortex.
14 – Contrôle central du mouvement 503

AMS

VL

Globus
pallidus
Neurone
du cortex frontal

Putamen

Substance Noyau
noire sous-thalamique

Figure 14.13 – Diagramme de l’organisation de la boucle motrice au travers des ganglions de la base.


Les synapses marquées plus (+) sont de type excitateur ; celles marquées par le signe moins (–), de type
inhibiteur.

Voie Voie
« directe » « indirecte »

Cortex cérébral

Striatum Substance
(putamen, noyau caudé) noire

Globus pallidus
externe

Noyau sous-
thalamique

Globus pallidus
interne

Excitateur
Thalamus
Inhibiteur

Information afférente au thalamus

Figure 14.14 – Voies « directe » et « indirecte » au travers des ganglions de la base.


Les neurones dopaminergiques de la substance noire (SN) modulent l’activité des neurones du
striatum (noyau caudé et putamen). Le globus pallidus externe (GPe) et le noyau sous-thalamique
(NST) font partie de la voie « indirecte ».
504 2 – Systèmes sensoriel et moteur

directe de neurones corticaux et ses projections excitent les neurones du GPi, qui
in fine inhibent les neurones thalamiques.
Alors que l’activation de la voie directe par le cortex tend à faciliter l’activité
du thalamus et le transit de l’information qui l’utilise, l’activation de la voie indi-
recte par le cortex tend au contraire à inhiber l’activité thalamique. En général, la
voie directe est considérée comme facilitant la sélection de certains types de com-
portements moteurs, alors que la voie indirecte supprime simultanément les pro-
grammes moteurs inappropriés et entrant en compétition les uns avec les autres.
Pathologies associées aux ganglions de la base. L’idée que cette boucle
motrice impliquant les ganglions de la base agit pour faciliter le déclenchement
des mouvements volontaires peut également être mise en rapport avec plusieurs
types de maladies. Si on accepte ce modèle, il apparaît qu’une inhibition trop
importante du thalamus consécutive à des dysfonctionnements siégeant dans les
ganglions de la base, est à l’origine d’un ralentissement moteur ou hypokinésie ;
a contrario, une réduction de l’influence inhibitrice sur le thalamus en rapport
avec une réduction de l’influence des ganglions de la base sur le thalamus, se
traduit par un excès de mouvement nommé hyperkinésie.
La maladie de Parkinson est un exemple de ces pathologies. Elle affecte envi-
ron 1 % de la population au-delà de 60 ans. Cette pathologie est caractérisée par
une hypokinésie, c’est-à-dire une réduction considérable de la capacité à réaliser
des mouvements. Les symptômes sont typiquement : un ralentissement moteur
(bradykinésie), une difficulté à déclencher des mouvements volontaires (akinésie),
une augmentation du tonus musculaire (rigidité), et un tremblement des mains et
parfois de la mâchoire, qui prédomine au repos lorsque le patient ne produit pas
de mouvement. De nombreux patients souffrent par ailleurs de troubles cognitifs
au fur et à mesure de la progression de la maladie. La maladie de Parkinson est
associée à une dégénérescence de la voie neuronale liant une partie de la substance
noire (différente de la partie réticulaire de la même structure), dénommée pars
compacta, au striatum, qui utilise la dopamine comme neuromédiateur ; cette
dopamine exerçant normalement un rôle facilitateur sur la boucle motrice directe
par une action sur les neurones du putamen (Encadré 14.3). Les effets de la dopa-
mine sont complexes du fait de sa liaison à plusieurs sous-types de récepteurs
membranaires (voir Fig. 14.14). Les synapses dopaminergiques se terminent sur
les neurones du striatum et sont situées à proximité des synapses corticostriées.
Dans ce contexte, la dopamine est susceptible de renforcer l’action corticale sur
la voie directe. La dopamine facilite la voie motrice directe par l’activation des
neurones du putamen (qui à leur tour libèrent le VLo de son inhibition provenant
du GPi). Par conséquent, la déplétion en dopamine peut être considérée comme
bloquant le système d’activation de l’AMS à partir des ganglions de la base et
du VLo. Dans le même temps, la dopamine inhibe les neurones du striatum qui
influencent négativement le mouvement au travers de la voie indirecte, vers le GPe.
Dans la maladie de Parkinson, l’objectif principal des traitements est de pro-
mouvoir l’action de la dopamine déficiente dans le striatum. Cet objectif peut être
atteint par l’administration aux patients de L-DOPA (L-dihydroxyphénylalanine,
introduite au chapitre 6), un précurseur de la dopamine. La L-DOPA traverse la
barrière hématoencéphalique et facilite la biosynthèse de dopamine par les neu-
rones de la substance noire encore intacts, produisant ainsi une amélioration de
l’état des patients. Une autre possibilité est l’administration aux patients d’ago-
nistes dopaminergiques, agissant directement sur les récepteurs du neurotrans-
metteur. Cependant, le traitement par L-DOPA ou agonistes dopaminergiques
n’est que de type symptomatique : il n’agit pas sur le décours de la maladie,
ni sur la dégénérescence des neurones de la substance noire. De plus, ces trai-
tements présentent des effets secondaires qui limitent leur utilisation. (Il sera
à nouveau fait référence aux neurones dopaminergiques dans le chapitre 15).
Certains patients sont par ailleurs traités par des thérapeutiques basées sur des
lésions ou des stimulations intracérébrales (Encadré 14.4). D’autres stratégies de
type expérimental sont aussi en développement. Par exemple, est-il envisagé de
pouvoir traiter la maladie en procédant à la greffe intrastriatale de cellules non
neuronales, mais modifiées génétiquement de façon à ce qu’elles produisent et
sécrètent de la dopamine. De même, l’utilisation de cellules souches humaines
14 – Contrôle central du mouvement 505

Encadré 14.3 FOCUS

Est-ce que dans certaines pathologies des ganglions


de la base les neurones se suicident ?
Plusieurs terribles maladies neurologiques sont liées La chorée de Huntington est liée à une mutation
à une dégénérescence lente et progressive des neurones. dominante sur un gène qui code pour une grosse pro­
Dans le cas de la maladie de Parkinson, la plupart des téine, dénommée huntingtine. La molécule normale
patients ont perdu plus de 80 % des neurones dopami- présente en fait une chaîne de 10 à 34 résidus de gluta-
nergiques de la substance noire (Fig. A). C’est par ail- mine à une extrémité. En revanche, dans la chorée de
leurs dans la chorée de Huntington que dégénèrent, de Huntington la forme mutée de cette protéine présente
la même manière lente, les neurones du striatum (Fig. B). une chaîne plus importante à ce niveau, comportant au
Pour quelle raison ces neurones dégénèrent-ils  ? moins 40 résidus et beaucoup plus de glutamine. Ces
Ironiquement, le mécanisme de la mort neuronale pré- formes de huntingtine anormalement longues ont la
sente un caractère naturel, en ce sens que le mécanisme propriété de s’agréger et ces dépôts de protéine sont liés
de la mort elle-même correspond à ce que l’on nomme à la dégénérescence des neurones. La fonction de la
la mort cellulaire programmée1, qui joue un rôle clé au forme normale de la huntingtine n’est pas connue, mais
cours du développement cérébral, notamment. Ainsi, cette protéine pourrait exercer une action inhibitrice sur
pendant cette période de formation du cerveau, certains le processus de mort neuronale programmée. Ainsi, la
neurones sont-ils amenés à se « suicider », en rapport chorée de Huntington pourrait se développer à partir
avec le « programme » du développement (voir cha- d’un processus physiologique qui se déréglerait, condui-
pitre 23). Toutes les cellules présentent en fait des gènes sant à l’agrégation de la huntingtine. La maladie de
« tueurs », qui contrôlent une série d’enzymes détrui- Parkinson est d’abord une maladie liée à l’âge, la plu-
sant des protéines et l’ADN. Certaines formes de cancer part des cas n’intervenant qu’après 60 ans. Cependant,
peuvent dès lors être interprétées comme des proliféra- en 1976 d’abord, puis en 1982, un certain nombre de
tions cellulaires en rapport avec des processus d’« échap- jeunes toxicomanes du Maryland et de Californie ont
pement » à la mort cellulaire programmée. A contrario, développé en quelques jours de sévères symptômes de la
dans certaines maladies neurodégénératives, on peut maladie de Parkinson. Cela était étonnant car, normale-
considérer que la mort neuronale résulte d’une activa- ment, ces symptômes se développent progressivement,
tion anormale de ce processus de mort programmée. sur des années. Il s’est alors avéré que les toxicomanes en
question avaient tous consommé une forme frelatée
1.  NdT : la mort cellulaire programmée porte encore le nom d’une drogue vendue dans la rue, qui contenait une
d’apoptose. substance particulière identifiée comme étant du MPTP

Substance
noire

Noyau
caudé
Putamen

Figure A – Section réalisée au niveau du Figure B – Sections réalisées au niveau du striatum.


mésencéphale. À gauche : normal ; à droite : patient atteint de la chorée de Huntington.
En haut : normal ; en bas : patient atteint (Source : Strange, 1992, Fig. 11.2.)
de la maladie de Parkinson. (Source :
Strange, 1992, Fig. 10.3.)
506 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 14.3 FOCUS  (suite)

(1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydropyridine). C’est en noire. Dans la maladie de Parkinson, les neurones dopa-


fait à cause de l’incompétence des chimistes qui pré­ minergiques pourraient alors subir le même sort. Environ
paraient la drogue qu’a été découverte cette substance 5 % des cas de maladie de Parkinson sont liés à des
présentant la particularité de détruire les neurones mutations génétiques. Il est alors envisageable que dans
dopaminergiques. Depuis, le MPTP nous a aidés à la maladie de Parkinson des mutations géniques puissent
mieux comprendre les mécanismes de la dégénérescence conduire à des protéines anormales, qui adoptent une
des neurones dopaminergiques dans la maladie de structure anormale et s’agrègent dans les neurones
Parkinson. Le MPTP est en fait converti en MPP+ dopaminergiques, conduisant à leur mort. En tentant de
(1-méthyl-4-phénylpyridinium) dans le cerveau ; les comprendre comment et pourquoi les neurones « se sui-
neurones dopaminergiques sont alors particulièrement cident », il est alors envisageable que l’on puisse mettre
vulnérables car le MPP+ est utilisé comme faux substrat en œuvre des stratégies à visée neuroprotectrice qui
par le système de transport de la dopamine, qui contri- pourraient contribuer à réduire, sinon à supprimer, les
bue normalement à l’inactivation de la dopamine dans processus neurodégénératifs, dans ces maladies2.
l’espace synaptique, et il s’accumule dans les neurones
dopaminergiques, un peu à la manière du cheval de
Troie… À l’intérieur du neurone, le MPP+ affecte les 2.  NdT : près d’une vingtaine de mutations affectant au moins
processus énergétiques des mitochondries, et la cellule 9 gènes sont connues à ce jour dans la maladie de Parkinson.
meurt apparemment d’un déficit d’ATP. Ces mutations concernent à la fois des protéines cytosoliques
Les effets du MPTP sont en faveur de l’hypothèse et des protéines mitochondriales. Les recherches actuelles
­privilégient deux hypothèses majeures : l’implication d’un
selon laquelle la mort des neurones dopaminergiques
­dysfonctionnement du système de dégradation des protéines
dans la maladie de Parkinson est liée à l’accumulation
dans le cytosol affectant le système ubiquitine-protéasome,
lente d’une substance neurotoxique issue de l’environne- ce qui conduit à l’agrégation d’ubiquitine et d’α-synucléine ;
ment. Néanmoins, à ce jour aucune toxine potentielle alternativement, un dysfonctionnement des chaînes éner­gé­
n’a été identifiée. Les données de la littérature montrent tiques mitochondriales serait impliqué. Dans les deux cas, le
que le MPTP induit un processus de mort cellulaire pro- neurone dopaminergique serait soumis à un stress oxydant,
grammée des neurones dopaminergiques de la substance conduisant à sa destruction.

traitées de façon à ce qu’elles produisent de la dopamine et transplantées dans le


striatum, pourrait également constituer une voie thérapeutique d’avenir.
Si la maladie de Parkinson est l’une des pathologies principales des ganglions
de la base illustrant ce que sont les hypokinésies, la chorée de Huntington repré-
sente un autre type de maladie liée à une atteinte de ces structures, mais se tradui-
sant dans ce cas par une hyperkinésie. La chorée de Huntington est une maladie
héréditaire, progressive et fatale, caractérisée par des mouvements hyperkiné-
tiques et des dyskinésies, c’est-à-dire des mouvements anormaux, associés à une
démence, c’est-à-dire un affaiblissement des fonctions cognitives. Par chance,
il s’agit d’une maladie rare, affectant seulement 5 à 10 personnes sur 100 000,
quelle que soit la région du monde. Le début de la maladie est particulièrement
insidieux parce que les symptômes n’apparaissent en général qu’après l’ado-
lescence et l’entrée dans l’âge adulte, soit souvent après que le patient a trans-
mis ses gènes à sa descendance. Aujourd’hui, cependant, des tests génétiques
existent, qui révèlent si le patient est porteur ou non de l’anomalie génétique !
Les patients souffrant de cette maladie présentent des changements de person-
nalité, des troubles de l’humeur, et des altérations de la mémoire. Cependant,
le signe le plus caractéristique est ce que l’on nomme une chorée, c’est-à-dire
des mouvements rapides et incontrôlables impliquant les membres et diverses
parties du corps. Les examens anatomopathologiques révèlent des pertes neu-
ronales très sévères dans le noyau caudé, le putamen, et le globus pallidus, avec
des lésions associées du cortex cérébral ou encore dans d’autres régions asso-
ciées à ces structures (voir Encadré 14.3). Les lésions des ganglions de la base,
et l’altération de l’inhibition contrôlant normalement le thalamus qui en résulte,
semblent rendre compte des mouvements dyskinétiques des patients souffrant de
chorée de Huntington. Quant à l’état démentiel et aux changements de person-
nalité notés chez ces patients, il paraît en rapport avec l’atteinte corticale.
14 – Contrôle central du mouvement 507

Encadré 14.4 FOCUS

Lésions et stimulations cérébrales :


des méthodes thérapeutiques utiles pour les maladies neurologiques
Les maladies neurologiques sont difficiles à traiter et exemple, et il était mentionné que l’application directe
les quelques thérapeutiques dont nous disposons pré- de ces chocs fournis par les poissons électriques avait des
sentent parfois des aspects paradoxaux. Par exemple, vertus thérapeutiques sur la douleur, mais aussi sur les
dans ses formes avancées la maladie de Parkinson peut hémorroïdes, la dépression, la goutte et même l’épilep-
parfois être traitée par de toutes petites lésions céré- sie. L’utilisation moderne des stimulations intracéré-
brales très localisées, ou encore par des stimulations brales profondes pour traiter les mouvements anormaux
délivrées à partir d’électrodes implantées chronique- remonte aux années 1980. En s’appuyant sur les résul-
ment à demeure, une méthode nommée stimulation tats obtenus par les lésions cérébrales focales et sur les
­cérébrale profonde (deep brain stimulation, DBS). Ainsi résultats des stimulations effectuées pour repérer ces
lésions et stimulations cérébrales sont deux stratégies structures cérébrales sur les mouvements en salle d’opé-
thérapeutiques apparemment de caractère fondamenta- ration, les neurochirurgiens ont démontré que la stimu-
lement opposé, mais ici utilisées avec le même objectif lation à haute fréquence de ces structures, appliquée au
thérapeutique, c’est-à-dire réduire les signes comporte- travers des électrodes ainsi implantées, avait pour effet
mentaux de la maladie. de réduire les mouvements anormaux, y compris à long
Le traitement le plus courant de la maladie de terme. Quelques essais cliniques l’ont ainsi démontré et
Parkinson reste l’administration de la L-DOPA. la Food and Drug Administration a approuvé en 2002
Malheureusement, ce traitement administré aux patients l’utilisation de cette méthode pour traiter la maladie de
pendant plusieurs années va générer, chez environ un Parkinson aux États-Unis.1
patient sur deux, des effets secondaires se traduisant par La stimulation cérébrale profonde est basée sur l’im-
des mouvements anormaux incontrôlables dénommés plantation chirurgicale bilatérale d’électrodes de stimu-
dyskinésies, au fur et à mesure que le médicament perd lation dans le noyau sous-thalamique, principalement,
de son efficacité. D’autres types de médicaments peuvent et dans quelques cas dans le globus pallidus interne
être utilisés pour éviter ces dyskinésies mais tous pré- (Fig. A). Grâce aux méthodes d’imagerie cérébrale asso-
sentent des effets plus ou moins indésirables. ciées à des techniques d’enregistrement d’activité neuro-
La chirurgie appliquée pour traiter les mouvements nale utilisées pendant l’intervention neurochirurgicale,
anormaux n’est pas une stratégie récente. Dans les années les électrodes sont positionnées dans les régions ciblées,
1880, Victor Horsley, un neurochirurgien britannique, par voie stéréotaxique. L’énergie est fournie par des
traita un patient souffrant de mouvements anormaux microstimulateurs programmables à distance, implantés
très invalidants en supprimant chirurgicalement une par- par voie sous-cutanée sous la clavicule. Les réglages
tie de son cortex moteur. De fait, ses mouvements anor- effectués par les neurologues après l’intervention visent
maux cessèrent mais le malade développa une paralysie à optimiser à la fois les sites et les paramètres des stimu-
d’un membre inférieur. Entre les années 1940 et 1970, les lations pour améliorer l’état des patients.
neurochirurgiens ont démontré que la réalisation de Considérant la complexité du fonctionnement du
lésions très focales, localisées dans le thalamus, le globus cerveau normal et de ses pathologies, la stimulation céré-
pallidus ou encore le noyau sous-thalamique, contribuait brale profonde peut apparaître comme une technique
à améliorer l’état de patients parkinsoniens en provo- plutôt globale. Les paramètres de stimulation les plus
quant une réduction des tremblements, de la rigidité et de efficaces sont représentés par un train continu de chocs
l’akinésie, sans induire de paralysie. Avec l’introduction électriques de très brève durée, délivrés à la fréquence de
de la L-DOPA en 1968, apparurent des critiques − large-
ment injustifiées − contre des abus de la neurochirurgie 1.  NdT : il revient à Alim-Louis Benabid, neurochirurgien à
(voir Encadré 18.4), et les traitements chirurgicaux de la Grenoble (France), d’avoir mis au point cette méthode neuro-
maladie de Parkinson furent quasiment abandonnés. chirurgicale basée sur la stimulation cérébrale profonde à
Aujourd’hui, toutefois, des lésions chirurgicales ciblées haute fréquence, d’abord du thalamus pour le tremblement,
des ganglions de la base et du thalamus sont réalisées puis du noyau sous-thalamique pour la maladie de Parkinson.
chez quelques patients, mais l’essentiel de la neurochirur- C’est à partir des travaux de l’école de Grenoble que le renou-
gie fonctionnelle utilise des implantations d’électrodes veau de la neurochirurgie fonctionnelle est intervenu. À ce
profondes pour réaliser des stimulations électriques de jour, près de 30 années après la mise au point de cette méthode,
structures cérébrales bien déterminées. plus de 80 000 patients parkinsoniens ont été traités par stimu-
lation profonde à haute fréquence dans le monde entier. Le
Les Grecs anciens et les Egyptiens furent les premiers Professeur Alim-Louis Benabid a reçu en 2014 le prestigieux
adeptes du pouvoir thérapeutique des chocs électriques. prix Lasker pour l’ensemble de ses travaux sur la stimulation
Leur arsenal thérapeutique utilisait des anguilles, par cérébrale profonde.
508 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 14.4 FOCUS  (suite)

130 à 180 Hz (stimulation à haute fréquence). Comme Les traitements par stimulation cérébrale profonde
ces paramètres ne correspondent pas à une activité neu- ont été proposés pour d’autres pathologies, au-delà de la
ronale normale, comment peut-on alors imaginer l’ac- maladie de Parkinson. Ainsi, au-delà de la maladie de
tion de la stimulation cérébrale profonde ? Beaucoup de Parkinson, de telles stimulations pourraient être utiles
travaux ont été consacrés à cette question mais la réponse pour d’autres pathologies telles que la dépression,
est encore peu convaincante. Dans certains cas, il est certaines formes de troubles obsessivocompulsifs (les
proposé que la stimulation à haute fréquence s’oppose à TOC), le syndrome Gille de la Tourette, la schizophré-
certains rythmes anormaux de la décharge des neurones. nie, l’épilepsie, les douleurs chroniques ou encore la
Dans d’autres cas, il est envisagé que celle-ci puisse litté- maladie d’Alzheimer. Chaque pathologie implique des
ralement « absorber » ou même supprimer les rythmes sites de stimulations bien spécifiés. Mais il s’agit encore
de décharges neuronales anormaux. Ou encore la stimu- d’une stratégie thérapeutique en développement, qui
lation à haute fréquence pourrait activer certains inter- nécessite de poursuivre les travaux pour savoir jusqu’où
neurones inhibiteurs qui supprimeraient l’activité neu- le bénéfice de cette neurochirurgie fonctionnelle contre-
ronale anormale ; et enfin moduler la libération de balance les possibles inconvénients de la méthode.
neurotransmetteurs particuliers qui moduleraient l’acti-
vité des neurones et des cellules gliales. Par ailleurs, il est
envisagé aussi que le mécanisme de la stimulation céré- Electrode implantée
brale à haute fréquence puisse être différent, en fonction à demeure
des zones cérébrales stimulées. Dès lors, la question de
savoir comment cette stimulation produit ses effets thé-
rapeutiques reste ouverte.
Si, à ce stade, la stimulation cérébrale profonde peut
effectivement être une solution thérapeutique envisa-
geable dans certains troubles hypokinétiques et hyper-
kinétiques et que, de ce point de vue, elle peut être une
solution thérapeutique pour améliorer la qualité de vie
des patients, il est important aussi de considérer qu’en
tout état de cause elle n’est pas une panacée universelle.
En particulier, si elle exerce des effets positifs sur le com-
portement moteur, elle n’agit pas sur les autres symp-
tômes, spécialement les troubles non moteurs comme
ceux de la cognition, de l’humeur, ou encore sur la pos-
ture et la parole. De plus, les risques liés à la chirurgie
existent et ne doivent pas être minimisés. Enfin, les bat-
Stimulateur
teries doivent être régulièrement changées, bien que les
dispositifs les plus actuels utilisent des accumulateurs
rechargeables. Figure A

D’autres types de lésions des ganglions de la base produisent un excès de


mouvement dénommé hyperkinésie. Le ballisme est l’une de ces maladies des
ganglions de la base, caractérisée par de violents mouvements de projection des
membres (quelque chose comme un lancer de balle violent de la part de notre
joueur de base-ball qui effectuerait son geste de façon non intentionnelle). Les
symptômes se limitent en général à l’atteinte d’un seul côté du corps : dans ce
cas, on parle d’hémiballisme. Comme pour la maladie de Parkinson, les lésions
associées au ballisme sont connues, affectant les neurones du noyau sous-tha-
lamique (quelquefois à la suite d’un accident vasculaire). Le noyau sous-tha-
lamique, lui-même impliqué dans une boucle interne aux ganglions de la base
comme cela a été souligné, active normalement les neurones du GPi projetant
vers le VLo (voir Fig. 14.14). Par conséquent, la suppression de cette afférence
excitatrice au GPi a pour effet de libérer les neurones thalamiques de l’influence
inhibitrice de la voie pallidothalamique et, partant, de faciliter l’activité du VLo
et, en fin de compte, de l’AMS (voir Fig. 14.13).
14 – Contrôle central du mouvement 509

En conclusion, les ganglions de la base pourraient exercer leur action facilita-


trice sur le mouvement en focalisant les informations issues d’un large territoire
cortical sur l’AMS. De plus, ces structures sont susceptibles d’agir comme un
filtre bloquant la réalisation des mouvements lorsque ceux-ci sont inadaptés.
Cependant, les études de Roland semblent indiquer que l’activation de l’AMS
ne se traduit pas toujours par un mouvement. De fait, l’initialisation du mou-
vement volontaire nécessite aussi l’activation de l’aire 4, comme cela est évoqué
ci-dessous.

Initialisation du mouvement
par le cortex moteur primaire
L’AMS est très largement interconnectée avec le cortex moteur primaire M1,
c’est-à-dire l’aire corticale 4 du gyrus précentral (voir Fig. 14.7). La désigna-
tion de l’aire 4 du gyrus précentral comme étant le cortex moteur est toutefois
quelque peu arbitraire, en ce sens qu’elle n’est pas la seule aire corticale contri-
buant au système pyramidal ou au mouvement. Cependant, depuis l’époque
de Sherrington cette zone corticale est reconnue comme celle où la stimulation
électrique est à même de produire des mouvements avec la plus basse intensité
de stimulation. En d’autres termes, des stimulations électriques qui ne sont pas
efficaces pour produire des mouvements à partir des autres aires corticales, sont
encore actives pour déclencher des mouvements à partir de l’aire 4. Ces don-
nées renforcent l’idée d’une association étroite des neurones de l’aire 4 avec les
motoneurones et les interneurones moteurs de la moelle épinière. Les stimula-
tions focales de l’aire 4 évoquent des contractions musculaires très localisées,
montrant que la musculature somatique est effectivement représentée dans cette
aire corticale encore dénommée bande motrice, comme cela a déjà été mentionné.

Organisation des afférences


et des efférences de l’aire motrice M1
La voie corticospinale, par laquelle l’activation du cortex moteur active les
motoneurones, est issue de la couche corticale  V. Cette couche corticale est formée
de cellules dites pyramidales, dont certaines sont de forte taille (quelques cellules
ont un diamètre approchant 0,1 mm). Ces grosses cellules furent initialement
décrites par l’anatomiste russe Vladimir Betz en 1874, et sont ainsi dénommées
cellules de Betz. Chez l’homme, de nombreux neurones de la couche V projettent
vers des pools de motoneurones qu’ils excitent de façon monosynaptique. Les
mêmes axones peuvent également présenter de nombreuses collatérales et inner-
ver parallèlement des interneurones inhibiteurs. Ainsi, en contrôlant des groupes
donnés de ces motoneurones et de ces interneurones, un seul neurone cortical
est à même de générer des effets coordonnés sur des muscles antagonistes. Par
exemple, les neurones du cortex moteur représentés à la figure 14.15, excitent un
pool de motoneurones commandant des muscles extenseurs et inhibent simulta-
nément les motoneurones de commande des muscles fléchisseurs antagonistes.
Cette organisation est du même type que celle décrite dans le chapitre 13 s’agis-
sant de l’inhibition réciproque (voir Fig. 13.25).
Les cellules pyramidales de la couche V du cortex moteur reçoivent deux
types d’afférences principales : depuis d’autres régions corticales et depuis le
thalamus. Les afférences majeures proviennent des aires corticales adjacentes à
l’aire 4 : l’aire 6, immédiatement en avant, et les aires 3, 1 et 2, immédiatement
postérieures (voir Fig. 14.7). Les afférences thalamiques au cortex M1 prennent
leur origine dans une autre partie du noyau ventrolatéral dénommée VLc,
relayant l’information issue du cervelet. À côté de leur projection directe vers la
moelle épinière, les cellules pyramidales de la couche V envoient également des
collatérales axoniques vers de très nombreuses structures sous-corticales impli-
quées dans les régulations sensorimotrices, et en particulier du tronc cérébral.
510 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cortex moteur
Neurones corticospinaux
de la couche V

Faisceau corticospinal

Figure 14.15 – Organisation du contrôle des Interneurones inhibiteurs


motoneurones spinaux par la voie cortico­
spinale.
Les neurones pyramidaux de grande taille de
la couche V du cortex moteur projettent leur Axones moteurs
Pool de motoneurones
axone vers les motoneurones situés dans la fléchisseurs
corne ventrale de la moelle épinière, au tra-
vers de la voie corticospinale. Dans ce cas
Pool de motoneurones
les axones excitent directement un pool de extenseurs
motoneurones extenseurs et inhibent dans le
même temps indirectement (via des interneu-
rones) le pool de motoneurones fléchisseurs,
qui sont antagonistes de ces extenseurs.
(Source : adapté de Cheney et al., 1985.)

Codage du mouvement par l’aire M1


Pendant un temps, l’organisation du cortex moteur fut considérée comme
impliquant une représentation corticale détaillée de chaque muscle du corps, de
telle manière que l’activation d’une cellule pyramidale conduise à l’activation
d’une seule population de motoneurones. Cependant, cette vision des choses est
quelque peu remise en question par des travaux plus récents, suggérant qu’en fait
les cellules pyramidales commanderaient plutôt un groupe de muscles, de telle
manière que leur activation permettrait de mobiliser par exemple un membre
tout entier vers un objectif. Les enregistrements de l’activité des neurones du
cortex moteur au cours du mouvement ont par ailleurs montré l’existence d’une
activation précédant le début du mouvement et se maintenant pendant le mou-
vement ; cette activité étant susceptible de coder deux aspects principaux du
mouvement : sa force et sa direction.
Par rapport aux données des expériences de microstimulation corticale qui ont
révélé l’existence de cette topographie précise des mouvements dans l’aire M1,
la découverte dans cette région de neurones codant à titre individuel des para-
mètres très fins comme la direction du mouvement, apparaît plutôt surprenante.
Cette dimension du codage est clairement démontrée dans des expériences réa-
lisées par Apostolos Georgopoulos et ses collaborateurs de l’Université Johns
Hopkins. Dans ces expériences, les singes étaient entraînés à déplacer un levier
vers une petite cible lumineuse dont la position variait au hasard autour d’un
cercle. Les neurones de l’aire M1 déchargeaient de façon plus intense lorsque le
mouvement était effectué dans une direction particulière pour chaque neurone
(180° dans l’exemple de la figure 14.16a), mais également et à un degré moindre
pendant des mouvements qui variaient de façon assez conséquente de la direc-
tion préférentielle. Le manque de finesse de ce codage directionnel des neurones
corticospinaux apparaît dès lors comme étant certainement une chance pour
les singes qui doivent réaliser des mouvements très précis. Il révèle en fait que la
direction du mouvement n’est pas codée par l’activité de neurones individuels
qui commandent le mouvement dans une seule direction. Georgopoulos a pro-
posé que la direction du mouvement se trouve codée par l’activité de l’ensemble
des neurones contribuant au mouvement. Souvenez-vous de la notion de codage
14 – Contrôle central du mouvement 511

90° 90°

Fréquence de décharge
40

(impulsions/s)
180° 0° 180° 0°

20

0
270° 270° 0° 90° 180° 270° 0°
(b) Direction du mouvement

Vecteur de direction

180°

Direction du mouvement
(a)
135°

90°

45°


60 40 20 0
(c) Fréquence de décharge (impulsions/s)

Figure 14.16 – Réponse d’un neurone de l’aire M1 enregistrée au cours d’un mouvement du bras


effectué dans différentes directions.
(a) Le singe est habitué à déplacer un levier vers une cible lumineuse pendant l’enregistrement de
l’activité neuronale unitaire dans l’aire M1. Ce type de paradigme expérimental permet d’effectuer
des corrélations entre les décharges neuronales et la direction effective du mouvement. (b) Repré-
sentation d’une courbe donnant l’intensité de la décharge neuronale pour une cellule enregistrée,
en fonction de la direction du mouvement. Cette cellule décharge en rapport avec des mouvements
effectués vers la gauche. (c) Parce que la cellule répond préférentiellement aux mouvements effec-
tués vers la gauche, l’intensité de sa décharge est représentée par un vecteur dirigé vers la gauche
(le vecteur de direction). La longueur du vecteur est, quant à elle, en rapport avec l’intensité de la
décharge neuronale. Notez que dès que la direction du mouvement change, la longueur des vec-
teurs est également modifiée. (Source : adapté de Georgopoulos et al., 1982.)

de population évoquée plus haut dans le cas des informations sensorielles, où les
nombreux neurones répondaient de façon plutôt non spécifique à un stimulus
(voir par exemple au chapitre 8). La notion de codage de population appliquée
au système moteur implique dès lors que des groupes de neurones répondent de
façon assez globale pour encoder différentes caractéristiques du mouvement.
Pour tester la réalité de cette hypothèse selon laquelle la direction du mou-
vement est codée au niveau d’une population neuronale et non au niveau indi-
viduel, Georgopoulos et son équipe ont enregistré l’activité de plus de 200 neu-
rones de l’aire M1 chez le singe. Pour chacun de ces neurones, ils ont construit le
diagramme d’activation préférentielle en fonction de la direction du mouvement,
tel que cela est illustré sur la figure 14.16b. À partir de ces données, les chercheurs
déterminent le degré d’implication de chaque neurone pour un mouvement effec-
tué dans une direction déterminée. L’activité de chaque cellule est représentée sous
forme d’un vecteur pointant dans la direction la meilleure pour chaque neurone,
à titre individuel ; la longueur du vecteur représentant le niveau d’activation de
chacune de ces cellules pour un mouvement de direction déterminée (Fig. 14.16c).
Les vecteurs représentant l’activité neuronale individuelle pour chacune des
directions de mouvement testées sont alors reportés sur un même diagramme,
et moyennés pour faire apparaître ce que les chercheurs appellent le vecteur de
population (Fig. 14.17). Ils démontrèrent alors une excellente corrélation entre ce
vecteur moyen, représentant l’activité de populations cellulaires au niveau de M1,
et la direction effective du mouvement que l’animal réalisait (Fig. 14.18).
512 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Cellule 1 Cellule 2 Direction du Vecteur Vecteur Vecteur


mouvement de direction de direction de population
Réponse (impulsions/s)

(cellule 1) (cellule 2) (cellules 1 + 2)

Droite + =

Haut + =
Gauche Haut Droit Bas
180° 90° 0° 270°
Direction du mouvement
(a)
(b)

Figure 14.17 – Vecteurs de direction et vecteurs de population.


(a) Les courbes représentent l’évolution de la décharge de deux cellules imaginaires du cortex
moteur (voir Fig. 14.16). Les deux cellules déchargent en rapport avec le mouvement du bras
effectué dans de nombreuses directions, mais la cellule 1 décharge préférentiellement lorsque le
mouvement est réalisé vers le haut, alors que la cellule 2 répond mieux aux mouvements effectués
de gauche à droite. (b) La décharge de chacune de ces deux cellules peut être représentée sous
forme d’un vecteur de direction pointant toujours dans la direction couplée préférentiellement avec
le neurone étudié ; seule sa longueur varie avec l’intensité de la décharge cellulaire mesurée pen-
dant le mouvement effectué dans des directions variables. Pour chacune des directions étudiées,
les vecteurs de direction de chaque cellule peuvent être combinés pour obtenir un vecteur de
population reflétant l’implication, mesurée en termes de décharge neuronale, de chaque cellule
enregistrée pendant le mouvement.

90°

180° 0°

270°

Figure 14.18 – Prédiction de la direction du mouvement par les vecteurs de population.


Chaque diagramme représente l’intensité de la décharge neuronale moyenne enregistrée dans une
population neuronale de l’aire M1, pour un mouvement de direction déterminée. La longueur de
chaque vecteur reflète l’intensité de la décharge neuronale de chaque cellule enregistrée pendant
un mouvement effectué dans huit directions différentes. Pour chaque direction étudiée, les vec-
teurs de direction individuels peuvent être intégrés en un vecteur de population (représenté par les
flèches) qui prédit la direction du mouvement. (Source : Georgopoulos et al., 1983.)
14 – Contrôle central du mouvement 513

Ces données amènent à formuler trois types de conclusions sur la façon dont
l’aire M1 commande les mouvements volontaires : (1) une large zone corticale
est active pour chaque type de mouvement ; (2) l’activité de chaque cellule prise
individuellement représente une simple participation au codage d’une direction
particulière du mouvement ; (3) la direction du mouvement est déterminée par
une intégration (et une moyenne) de l’activité propre de chaque élément, au
niveau d’une population neuronale. Même si après ces expériences l’existence
d’une telle population susceptible de coder la direction du mouvement reste
encore hypothétique pour l’aire M1, les expériences effectuées au niveau du colli-
culus supérieur par James McIlwain à Brown University et David Sparks à l’Uni-
versité d’Alabama, amènent toutefois à conclure de façon plus convaincante à
un tel codage des mouvements des yeux dans cette structure (Encadré 14.5).
Plasticité des cartes corticales motrices.  Une hypothèse intéressante résul-
tant de cette conception du contrôle moteur peut être résumée de la façon sui-
vante : plus la population neuronale impliquée dans la réalisation d’un type
de mouvement particulier est importante, plus il apparaît envisageable de le
contrôler finement. À partir des cartes corticales représentées notamment sur
la figure 14.8, il est alors possible de prédire que les contrôles les plus élaborés
concernent les mouvements des mains et ceux de la face, ce qui est effectivement
le cas. Bien entendu, des mouvements très fins d’autres parties de la musculature
peuvent être appris, tels les mouvements des doigts, du poignet, du coude et de
l’épaule, que doit par exemple réaliser un violoncelliste. Cela signifie-t-il que les
cellules corticales de M1 peuvent passer de leur contribution à un type de 
mou-
vement à un autre, par apprentissage ? La réponse à cette question paraît être
positive. John Donoghue, Jérôme Sanes, et leurs étudiants de Brown University
ont obtenu chez l’adulte des évidences d’une telle plasticité du cortex moteur.
Par exemple, dans une série d’expériences de microstimulation corticale chez le
rat, ils ont démontré que la région de M1 normalement impliquée dans la com-
mande des mouvements des vibrisses (Fig. 14.19a), peut déclencher des mouve-
ments du membre antérieur lorsque les nerfs moteurs qui innervent les muscles
du museau sont sectionnés (Fig. 14.19b). Ces neurobiologistes ont alors spéculé
que des réorganisations similaires du cortex cérébral pourraient être à la base des
apprentissages moteurs pour des mouvements fins.

Zone du cortex M1 explorée


Membre antérieur
Vibrisses
Région péri-oculaire
Représentation
de la partie dorsale
du cerveau du rat
Coordonnées médiolatérales (mm)

Coordonnées médiolatérales (mm)

4,5 4,5

3,5 3,5

2,5 2,5

1,5 1,5

0,5 0,5
– 1,5 – 0,5 0,5 1,5 2,5 3,5 4,5 – 1,5 – 0,5 0,5 1,5 2,5 3,5 4,5
Coordonnées postéro-antérieures (mm) Coordonnées postéro-antérieures (mm)
(a) (b)

Figure 14.19 – Plasticité des cartes corticales.


(a) Cette carte représente le cortex moteur d’un rat normal. (b) Cette deuxième carte a été obtenue
chez un rat dont le nerf moteur commandant les vibrisses a été sectionné. Notez que la région cor-
ticale normalement impliquée dans la commande des mouvements des vibrisses contrôle mainte-
nant la musculature du membre antérieur ou péri-oculaire. (Source : adapté de Sanes et Donoghue,
1997.)
514 2 – Systèmes sensoriel et moteur

Encadré 14.5 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Codage distribué dans le colliculus supérieur


Par James T. McIlwain

Au cours des années 1960-1970, il était Un début de réponse à cette question a


devenu assez courant d’enregistrer l’activité été apporté à partir d’expériences réalisées
des neurones dans le cerveau des animaux. dans le colliculus supérieur du chat, dans
La puissance de cette méthode avait entraîné mon laboratoire à Brown University, et de
l’idée que ces enregistrements pourraient travaux effectués chez le singe par David
permettre de détecter des réponses spéci- Sparks, à l’Université d’Alabama. Nous
fiques à certains aspects des stimulations, avons inversé la question par rapport à la
auxquels ils seraient particulièrement sen- façon de déterminer conventionnellement
sibles. Ces études n’ont été que très peu réa- les champs récepteurs ou les champs de
lisées sur le système gustatif ou le système James T. McIlwain mouvement des neurones. Sur le plan senso-
olfactif, du fait notamment de la faible spé- riel, plutôt que de déterminer le lieu à illu-
cificité des réponses des récepteurs chémosensibles au miner par un spot pour avoir une réponse du neurone,
regard des caractéristiques des stimuli appliqués. Plus nous avons recherché à l’intérieur du colliculus supé-
surprenant, c’était également le cas pour l’étude de la rieur où étaient localisées les populations de neurones
vision, alors que les cellules présentant les champs récep- ayant ce point de l’espace visuel dans leur champ récep-
teurs les plus étroits et répondant à des caractéristiques teur. De façon similaire, sur le plan moteur nous avons
des stimuli plus précises, auraient fourni un bon modèle recherché les neurones dont la décharge s’effectuait en
pour cela. Aucun neurone répondant à une gamme de rapport avec une saccade déterminée, plutôt qu’avec la
stimuli n’était ainsi considéré comme apte au codage de taille de leur champ de mouvement individuel. Les
processus nécessitant une très haute spécificité. études de ces deux laboratoires ont révélé que ces régions
Les neurophysiologistes qui ont étudié les neurones étaient très larges, occupant de vastes zones du collicu-
impliqués dans les fonctions visuelles dans les structures lus supérieur. Lorsque l’on déplaçait la zone stimulée
du tronc cérébral s’étaient rapidement heurtés à cette ou la cible neuronale dans l’espace visuel, le pattern
difficulté. Les champs récepteurs des cellules du collicu- d’activité neuronale correspondant se déplaçait de façon
lus supérieur apparaissaient comme de caractère plutôt concomitante dans le colliculus.
large, alors que la structure était manifestement impli-
quée dans le contrôle de mouvements saccadiques très Une idée générale de la façon dont un tel système
fins, amenant à modifier la direction du regard vers un peut encoder les paramètres de la saccade est représen-
stimulus d’intérêt. Le colliculus supérieur reçoit des tée à la figure A. Sur la gauche, chaque flèche de la carte
informations spatialement très ordonnées à partir de la rétinotopique du colliculus supérieur symbolise la
rétine et du cortex visuel, l’atteinte d’une partie de ces contribution et la localisation des neurones pour la
afférences affecte la capacité d’orientation du regard direction de la saccade. La distribution des flèches est en
vers un stimulus nouveau. Des stimulations électriques accord avec les effets des stimulations électriques focales.
focales du colliculus supérieur évoquent quant à elles Par exemple, des stimulations intervenant successive-
des saccades oculaires, dont la direction et l’amplitude ment aux points les plus bas de la partie basse du schéma
sont corrélées au champ récepteur des cellules au site de (représentant la partie basse du champ visuel) pro-
stimulation. Ainsi, un très faible changement de posi- voquent des saccades dirigées vers le bas, d’amplitude
tion des électrodes de stimulation provoque une modifi- de plus en plus importante. Ainsi, si la survenue de la
cation à la fois de la direction de la saccade oculaire et cible 1 de la partie droite de la figure excite les cellules
de son amplitude. Certains neurones du colliculus supé- de la zone claire située dans la partie basse du schéma à
rieur déchargent en rapport avec les mouvements des gauche, l’activité des neurones devrait spécifier les para-
yeux liés à la saccade, comme s’ils étaient impliqués mètres de direction vers le bas et de caractère horizontal
dans le contrôle de ce mouvement. Ce type d’activité nécessaire pour que la saccade se fasse vers la cible. La
intervenait en association avec les saccades réalisées survenue de la cible 2 devrait alors activer les neurones
dans un espace restreint de l’espace visuel, nommé de la seconde zone claire située plus haut sur le schéma,
champ de mouvement de la cellule, par analogie avec les dont l’activité devrait déterminer la saccade vers le
champs récepteurs sensoriels. Comment alors de telles haut. Dans ce modèle, les changements de position de la
cellules pouvaient-elles spécifier les cibles de la saccade cible modifient globalement le signal de sortie de la
si aucune précision n’était donnée sur leur champ de structure, pour répondre à toutes les positions possibles
mouvement, dans le cas de champs récepteurs visuels de la cible.
très larges ?
14 – Contrôle central du mouvement 515

Encadré 14.5 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Les dimensions importantes des champs récepteurs avec ses limites (trop simple et incomplet), décrit l’une
et des champs de mouvement des neurones du colliculus des manières, parmi d’autres, par laquelle le colliculus
supérieur signifient que l’information relative à la loca- supérieur pourrait accomplir sa fonction. La seule chose
lisation d’un point dans le champ visuel, ou d’une sac- dont nous puissions être certain est que la détection de
cade, implique une large population de neurones. Le la position de la cible et l’encodage des paramètres de la
modèle de la figure A illustre comment les neurones du saccade oculaire impliquent bien un codage d’activité de
colliculus encodent la position de la cible. Ce modèle, populations de neurones.

Colliculus supérieur Verticale Mouvements des yeux

5
15 10 20 30 40
10
5

Cible 2

0 Horizontale

-5 Cible 1

-10
-15

Figure A

Ainsi est-il possible d’imaginer qu’au moment du déclenchement du mou-


vement, c’est en fait une intense activité qui parcourt le faisceau pyramidal de
notre joueur de base-ball (NdT : ou de notre footballeur qui va tirer au but).
Ce qui pouvait apparaître discordant aux neurophysiologistes qui tentaient de
mettre en relation l’activité des neurones de l’aire M1 et les paramètres du mou-
vement, s’avère alors être un processus élémentaire à la base d’une information
intégrée transmise à la moelle épinière, et qui génère le mouvement.

Cervelet
Commander aux muscles de se contracter n’est pas suffisant. Envoyer une
balle lobée nécessite une séquence détaillée de contractions musculaires, chacune
d’entre elles devant intervenir avec une grande précision. Cette fonction parti-
culièrement critique du contrôle moteur est dévolue au cervelet, dont il a déjà
été question dans le chapitre 7. Le rôle du cervelet dans cet aspect du contrôle
moteur est particulièrement bien révélé par l’analyse des effets des lésions céré-
belleuses ; les mouvements perdent totalement leur coordination et deviennent
imprécis, ce qu’on appelle une ataxie.
Un test très simple permet d’évaluer les fonctions cérébelleuses : il est demandé
aux sujets de laisser leurs mains sur les genoux, puis de venir se toucher le nez avec
un doigt d’une main. Dans un deuxième temps, il leur est demandé d’effectuer le
516 2 – Systèmes sensoriel et moteur

même geste les yeux fermés. En général, il n’y a pas de problème et le geste est réa-
lisé correctement dans les deux situations. Les patients qui présentent des lésions
du cervelet sont incapables de réaliser ce mouvement simple. Au lieu d’effectuer un
geste harmonieux qui implique la mise en jeu simultanée de l’épaule, du coude et
du poignet pour amener le doigt de la main au contact du nez, ces patients réalisent
le mouvement par la mise en jeu séquentielle des différentes articulations : d’abord
l’épaule, puis le coude, et finalement le poignet. Ce type de séquence pathologique
qualifiée de dyssynergie décompose le mouvement pluri-articulaire. Un autre défi-
cit caractéristique de ces patients est représenté par le fait que le mouvement du
doigt est dysmétrique : soit le doigt n’atteint pas sa cible, soit au contraire il vient
frapper violemment le nez comme si la cible n’était pas à sa place et située plus
en arrière. Ces mouvements sont extrêmement caractéristiques et s’apparentent
aux mouvements observés lors d’une intoxication alcoolique sévère. De fait, la
maladresse et la gaucherie qui accompagnent l’excès d’alcool sont directement en
rapport avec ses effets dépresseurs sur l’activité cérébelleuse (Encadré 14.6).

Anatomie du cervelet
L’anatomie du cervelet est schématiquement représentée sur la figure 14.20.
Le cervelet repose sur de puissants pédoncules, qui s’élèvent depuis le pont. La
partie visible est constituée par une fine lame représentant le cortex cérébelleux,
formant de très nombreux replis. Deux profondes scissures divisent le cervelet
dans le sens antérolatéral en un lobe antérieur, un lobe postérieur, et un lobe dit
flocculonodulaire, et la surface dorsale est caractérisée par la présence d’une
série de circonvolutions peu profondes. De plus, des coupes sagittales effectuées
au niveau du cervelet révèlent la présence de scissures, divisant la structure en
10 lobules. Au total, lobes et lobules contribuent à accroître considérablement
la surface du cortex cérébelleux, de la même manière que les gyri du cortex
cérébral. De nombreux neurones sont enfouis profondément dans la substance
blanche du cervelet, formant ce que l’on nomme les noyaux cérébelleux profonds,
qui représentent un relai entre le cortex du cervelet qui les innerve et de nom-
breuses structures du tronc cérébral. Le cervelet ne représente qu’environ 1/10e
seulement de l’ensemble du cerveau, mais son cortex contient un nombre éton-
namment élevé de neurones. La majorité de ces neurones sont de petites cellules
excitatrices connues comme les cellules granulaires, dont les corps cellulaires sont
situés dans la couche dite granulaire du cortex (Fig. 14.21a, b). Le nombre de ces

(b)
Hémisphère Vermis

Lobules
Follicules
cérébelleux

Cortex
cérébelleux

Noyaux
cérébelleux Quatrième
(a) (c)
ventricule
Noyaux
Bulbe Moelle épinière pontiques

Figure 14.20 – Cervelet.
(a) Vue dorsale du cervelet humain montrant le vermis et les hémisphères. (b) Vue sagittale du
cerveau montrant les lobules cérébelleux. (c) Section transversale du cervelet montrant le cortex
et les noyaux profonds.
14 – Contrôle central du mouvement 517

Encadré 14.6 FOCUS

Mouvements involontaires : du normal au pathologique


Élevez votre bras en face de vous et montrez le ciel en mais au contraire un autre type de tremblement, qualifié
pointant le plus haut possible. Au bout de quelques ins- de tremblement intentionnel, associé au mouvement. Le
tants vous verrez votre index trembler très légèrement. tremblement cérébelleux est une expression de l’ataxie,
C’est ce que l’on appelle un tremblement physiologique, correspondant à des contractions des muscles qui ne
correspondant à une très petite oscillation rythmique, sont plus coordonnées. Par exemple, comme la patiente
d’environ 8 à 12 Hz. Cela est tout à fait normal, et rien tente de déplacer son doigt d’un point de l’espace à un
de ce que vous pourrez tenter ne permettra de stopper autre, et jusqu’à son propre nez, ou de suivre un trajet
ce tremblement, sauf si vous reposez votre bras. Nous imposé, elle commet des erreurs très importantes, qui
savons aussi que de nombreux facteurs tels que l’anxiété, deviennent encore plus importantes lorsqu’elle tente de
la fatigue, le stress, la colère ou encore la fièvre ou les les corriger.
excitants comme le café, augmentent ce tremblement. La chorée de Huntington (du mot grec qui signifie
Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, un certain « danse ») est caractérisée par des mouvements rapides,
nombre de maladies neurologiques graves s’accom- irréguliers, involontaires, mais relativement coordonnés,
pagnent de mouvements involontaires tout à fait drama- des membres, du tronc, et de la tête. D’autres patholo-
tiques. Ainsi, dans la maladie de Parkinson, on note très gies des ganglions de la base comme l’athétose pro-
souvent un tremblement qualifié de tremblement de duisent également des mouvements involontaires, qui
repos, de fréquence plus lente que le tremblement phy- correspondent à des mouvements plus lents, impliquant
siologique, de 3 à 5 Hz. Ce tremblement est maximal aussi les membres, le tronc, et la tête. À cet égard, les
lorsque le patient n’effectue pas de mouvement volon- caractéristiques seules de ces différents types de mouve-
taire, et disparaît curieusement au cours des mouve- ments permettent le diagnostic de ces maladies neurolo-
ments. Par ailleurs, des patients porteurs de lésions céré- giques, et nous renseignent aussi sur la fonction norma-
belleuses ne présentent pas de tremblement de repos lement exercée par les territoires détruits par les lésions.

Flexion Normal
Anormal
Tremblement
physiologique
Extension 1s

Tremblement de repos

1s

Tremblement intentionnel

1s
Départ Arrivée
Chorée
Anormal Normal
10 s

Athétose

10 min
518 2 – Systèmes sensoriel et moteur

cellules granulaires est considéré comme étant équivalent à celui de toutes les
autres cellules du cerveau. Les neurones de grande taille du cortex cérébelleux
sont les cellules de Purkinje, inhibitrices des neurones des noyaux cérébelleux
profonds, qui reçoivent une information excitatrice des cellules granulaires dans
la couche moléculaire du cortex (Fig. 14.21c).
Contrairement au cerveau, le cervelet n’est pas divisé en deux hémisphères
par une scissure centrale. La partie médiane, s’étendant d’avant en arrière,
constitue le vermis cérébelleux. Elle ne présente pas de latéralisation et contri-
bue à séparer les parties latérales de la structure, constituant deux hémisphères
cérébelleux. Ces deux régions, vermis et hémisphères (NdT : séparées par une
zone dite intermédiaire ou interposée), représentent des subdivisions du cerve-
let fonctionnellement très importantes. Le vermis projette vers les structures du
tronc cérébral qui contribuent au système ventromédian de la moelle épinière,
contrôlant de façon primordiale la musculature axiale. Les hémisphères sont, de
la même manière, mis en rapport avec les structures motrices formant le système
moteur latéral, et en particulier avec le cortex cérébral comme décrit ci-après
pour le contrôle de la musculature des membres.

Follicules cérébelleux

Couche moléculaire

Couche granulaire

(a)

Couche moléculaire

Cellules de Purkinje

Couche granulaire

(b)

Figure 14.21 – Neurones du cortex cérébel­


leux.
(a) Coupe histologique réalisée au travers
d’un follicule cérébelleux. Les sondes fluores-
centes colorent la couche moléculaire en vert
et la couche granulaire en bleu. (b) Agrandis-
sement des couches moléculaires et granu-
laires du cortex cérébelleux. (c) Visualisation Dendrites
d’une cellule de Purkinje du cortex cérébel- des cellules
leux après injection intracellulaire d’un colo- de Purkinje
rant fluorescent au travers de la pointe de
la microélectrode. (Source : parties a et b
adapté de Tom Deerinck et Mark Ellisman, Microélectrode
National Center for Microscopy and Ima-
ging Research ; partie c : adapté de Tetsuya Soma
­Tatsukawa, RIKEN Brain Science Institute, Axone
Wako, Japan.) (c)
14 – Contrôle central du mouvement 519

Boucle motrice impliquant le cervelet latéral


Le circuit impliquant le cervelet latéral constitue encore une autre boucle
motrice décrite schématiquement sur la figure 14.22. Les axones émanant des
cellules pyramidales de la couche V du cortex sensorimoteur (les aires frontales 4
et 6, les aires somatosensorielles du gyrus post-central, et les aires du cortex
pariétal postérieur) projettent massivement sur des structures du tronc cérébral,
les noyaux du pont, qui, à leur tour, projettent sur le cervelet. La projection corti-
co-pontocérébelleuse représente un faisceau d’une extrême densité. Elle contient
environ 20 millions d’axones, soit à peu près 20 fois plus que le faisceau pyrami-
dal ! Le cervelet latéral (les hémisphères) projette en retour vers le cortex moteur,
par une voie impliquant le thalamus. Cette voie cérébello-thalamocorticale, fait
relais dans le noyau ventrolatéral (VLc) du thalamus6.
Les lésions de l’une ou l’autre composante des systèmes neuronaux formant
ce circuit montrent qu’ils sont nécessaires pour l’exécution correcte des mou-
vements volontaires pluri-articulaires. Ainsi, à partir du moment où le cerve-
let reçoit le signal l’informant d’une intention de mouvement, cette structure
semble intervenir pour informer le cortex moteur des caractéristiques du mou-
vement à effectuer, en termes de direction, force, et organisation temporelle.
Pour les mouvements balistiques, ces instructions sont basées entièrement sur
des prédictions de leur réalisation (du fait que ces mouvements sont trop rapides
pour impliquer des retours sensoriels permettant la correction de la programma-
tion). De telles prédictions sont basées sur l’expérience personnelle ; c’est-à-dire

Cortex Cortex Cortex


préfrontal moteur sensoriel

Aire Aire
6 4

Cortex

Ganglions Pont,
VLo VLc
de base cervelet

Faisceau
cortico-
spinal

Noyau Noyaux Colliculus supérieur et


rouge réticulaires noyaux vestibulaires

Système Système moteur


moteur latéral ventromédian

Moelle épinière Figure 14.22 – Représentation schématique


des boucles motrices passant par le cervelet.

6.  NdT : qui prend son origine dans le noyau latéral du cervelet, encore dénommé noyau
dentelé, et les noyaux intermédiaires ou interposés.
520 2 – Systèmes sensoriel et moteur

que ces mouvements ont été appris. Par conséquent, le cervelet représente une
autre s­ tructure importante pour l’apprentissage moteur, une structure où ce qui
est programmé est comparé à ce qui est produit. Lorsque cette comparaison ne
permet pas d ­ ’espérer la réalisation de ce qui est attendu, l’activité cérébelleuse
change de façon à créer des compensations.
« Programmer » le cervelet. D’autres indications sur l’organisation céré-
belleuse et la façon dont elle peut être modifiée par l’expérience seront données
dans le chapitre 25. Pour le moment, envisageons simplement les mécanismes de
l’apprentissage d’une nouvelle habileté motrice (par exemple apprendre à skier, à
jouer au tennis, au piano, à jongler, ou encore à lancer une balle lobée). D’abord
il est nécessaire que le sujet se concentre sur les nouveaux mouvements à réaliser,
qui seront effectués au début en général de façon malhabile et mal coordonnée.
C’est l’entraînement qui va permettre de les améliorer : au fur et à mesure que
l’habilité nouvelle sera acquise, le mouvement sera fluide, et éventuellement il
deviendra quasi automatique. Cette procédure représente en fait la mise en place
de nouveaux programmes moteurs, qui vont être à même de générer les séquences
nécessaires au mouvement à la demande, sans l’aide d’un contrôle conscient.
Le cervelet joue alors le rôle d’une structure régulatrice contrôlant de façon
inconsciente que le programme moteur correspondant à l’habilité motrice sera
correctement réalisé. Dans le cas où ce programme n’est pas exactement adapté,
le cervelet interviendra par ailleurs pour l’ajuster, jusqu’à ce que son exécution
permette la réalisation du mouvement attendu.

Conclusion
Si nous reprenons pour terminer l’exemple du joueur de base-ball (NdT :
ou, par transposition, de notre joueur de football devant le gardien de but),
les différentes opérations que doit réaliser ce joueur pour effectuer son geste
peuvent maintenant être mises en place. Considérant tout d’abord la position de
repos, le joueur est en attente du déroulement de la partie ; ses réflexes extenseurs
contrôlant la posture érigée sont actifs et coordonnés par la mise en jeu des voies
motrices descendantes du système ventromédian.
Soudain, le joueur s’empare d’une balle dans sa main tendue. Cette charge
contribue à activer plus les muscles fléchisseurs du bras, pour compenser la
charge. Les afférences Ia deviennent plus actives et induisent, par voie réflexe
monosynaptique, une activation des motoneurones innervant les fléchisseurs.
Les muscles se contractent pour maintenir la main portant la balle en l’air,
contre la gravitation.
Le joueur est maintenant prêt à lancer la balle. Son néocortex est pleinement
engagé dans l’action et il attend du joueur devant attraper la balle qui lui fait
face, le signal de la main l’enjoignant de lancer la balle. Au même moment, le
système ventromédian agit pour maintenir sa posture. Bien que le corps soit
encore immobile, les neurones de la corne ventrale de la moelle se trouvent très
activés sous l’influence de la voie ventromédiane.
Par un signe discret, le joueur devant attraper la balle demande une balle
lobée. Cette information est captée par le lanceur et elle est communiquée à son
cortex pariétal et préfrontal. Ces régions corticales et l’aire 6 commencent alors
à élaborer une stratégie de mouvement.
Le batteur devant intercepter la balle est maintenant prêt. L’activité cérébrale
du lanceur de balle est transmise aux ganglions de la base, déclenchant le mou-
vement par l’intermédiaire de l’AMS et de l’activation secondaire du cortex M1.
Maintenant les informations sont transmises à la moelle épinière par le système
latéral. Le cervelet, activé par la voie cortico-pontocérébelleuse, utilise ces ins-
tructions pour coordonner temporellement la séquence des activations muscu-
laires nécessaires au mouvement. Les informations d’origine corticale atteignant
la formation réticulée permettent alors de libérer les muscles à fonction antigra-
vitaire de leur implication dans les réflexes posturaux. Finalement, les signaux
véhiculés par la voie latérale atteignent les motoneurones et les interneurones de
14 – Contrôle central du mouvement 521

la moelle épinière engagés dans le mouvement, et permettent la contraction des


muscles correspondants.
Le lanceur propulse alors la balle. Le batteur tente de l’intercepter. La balle
dépasse les limites du terrain. La foule ricane ; l’entraîneur jure. Alors même que
le cervelet du joueur procède à des ajustements du programme moteur en vue du
prochain essai, son corps lui-même réagit : son visage s’empourpre, il est en colère
et quelque peu effrayé. Ces réactions, cependant, ne sont pas le fait du système
somatosensoriel ; elles seront analysées dans la troisième partie de l’ouvrage.

QUESTIONS DE RÉVISION
1. Énumérez les différentes composantes des systèmes moteurs, latéral
et ventromédian. Quels types de mouvements chacune de ces voies
motrices contrôlent-elles ?
2. Vous êtes neurologue et il vous est présenté le patient suivant : le s­ ujet
n’est pas capable de bouger indépendamment les orteils du pied
gauche mais ne présente aucune altération d’autres mouvements, tels
que marcher ou mobiliser séparément les différents doigts de la main.
Vous pensez à une lésion de la moelle épinière. À quel niveau ?
3. La tomographie par émission de positrons (TEP scan) est habituelle-
ment utilisée pour mesurer les variations de débit sanguin cérébral du
cortex cérébral. Quelles parties du cortex sont activées quand il est
demandé à un sujet d’évoquer, sans le réaliser, un mouvement de ses
doigts de la main droite ?
4. Pourquoi la L-DOPA est-elle utilisée pour traiter la maladie de Parkin-
son ? Comment agit-elle pour réduire la symptomatologie ?
5. Les cellules de Betz du cortex cérébral déchargent pour une large
gamme de mouvements réalisés dans des directions différentes. Com-
ment imaginez-vous qu’elles puissent contribuer à la commande d’un
mouvement particulier ?
6. Remémorez-vous la boucle motrice passant par le cervelet. Quels
types de déficit moteur résultent de son altération ?

POUR EN SAVOIR PLUS


Alstermark B, Isa T. Circuits for skilled reaching and grasping. Annual
Review of Neuroscience 2012 ; 35 : 559-78.
Blumenfeld H. Neuroanatomy Through Clinical Cases, 2nd ed. Sunder-
land, MA : Sinauer, 2011.
Donoghue J, Sanes J. Motor areas of the cerebral cortex. Journal of Clini-
cal Neurophysiology 1994 ; 11 : 382-96.
Foltynie T, Kahan J. Parkinson’s disease: an update on pathogenesis and
treatment. Journal of Neurology 2013 ; 260 : 1433-40.
Glickstein M, Doron K. Cerebellum: connections and functions. Cerebel-
lum 2008 ; 7 : 589-94.
Graziano M. The organization of behavioural repertoire in motor cortex.
Annual Review of Neuroscience 2006 ; 29 : 105-34.
Lemon RN. Descending pathways in motor control. Annual Review of
Neuroscience 2008 ; 31 : 195-218.
Rizzolatti G, Sinigaglia C. Mirrors in the Brain: How Our Minds Share
Actions and Emotions. New York : Oxford University Press, 2008.
– 523

3e PARTIE

Cerveau et
comportement
CH A PI T R E 15
Cerveau et comportement :
aspects 
neurochimiques  524

C H A P I T R E 16
Motivation  552

C H A P I T R E 17
Cerveau masculin, cerveau féminin   582

C H A PI T R E 18
Mécanismes centraux des processus émotionnels   620

CH A PI T R E 19
Rythmes du cerveau et sommeil   650

CHAPITR E 20
Langage  690

C H A P I T R E 21
Cerveau au repos, processus attentionnels
et conscience  726

CH A PI T R E 22
Troubles mentaux  762
524 3 – Cerveau et comportement 524

CHAPITRE  15 Cerveau et
comportement :
aspects
n
­ eurochimiques
HYPOTHALAMUS SÉCRÉTOIRE
Organisation de l’hypothalamus......................................................... 527
Relations hypothalamo-hypophysaires................................................ 528
Encadré 15.1 Focus  Stress et cerveau

SYSTÈME NERVEUX
AUTONOME
Organisation du système nerveux autonome (SNA)............................ 535
Neurotransmetteurs et pharmacologie des fonctions autonomes........ 539

SYSTÈMES MODULATEURS
DIFFUS DU CERVEAU
Organisation anatomofonctionnelle des systèmes modulateurs diffus. 541
Encadré 15.2 Focus  « Dites-moi ce que vous mangez, je vous dirai
qui vous êtes… »
Encadré 15.3 Les voies de la découverte  L’exploration des neurones
noradrénergiques centraux,
par Floyd Bloom
Psychotropes et systèmes modulateurs diffus..................................... 548

CONCLUSION
INTRODUCTION

P
our bien comprendre comment fonctionne le cerveau, il est évident qu’il
faut connaître l’organisation de ses connexions synaptiques. Ce n’est pas
par amour du grec et du latin que nous en abusons en neuroanatomie !
Les connexions décrites dans les chapitres précédents sont précises et spécifiques,
et il ne serait pas possible de lire ces lignes s’il n’y avait dans le système nerveux
central une très fine cartographie représentée au niveau neuronal des stimuli
lumineux frappant la rétine ; autrement comment percevoir ce point d’interro-
gation ? Pour cela, l’information est transmise au cerveau où elle est distribuée
dans de nombreuses parties pour y être analysée, en parfaite synergie avec les
neurones moteurs qui contrôlent très précisément les six muscles des deux yeux
parcourant cette page.
Dans ce type de communication organisée « point par point » des systèmes
sensoriels et moteurs, à la précision anatomique s’ajoutent des mécanismes qui
limitent la communication intercellulaire à la synapse, entre la terminaison axo-
nique et sa cible. Le glutamate libéré dans le cortex somatosensoriel n’a évidem-
ment pas pour fonction d’activer tous les neurones du cortex moteur ! De plus,
il faut aussi que la transmission soit assez brève pour permettre une réponse
rapide aux nouvelles informations sensorielles qui se succèdent. Aussi, au niveau
des synapses, de très petites quantités de neurotransmetteurs sont libérées avec
chaque impulsion nerveuse, et ces molécules sont ensuite rapidement détruites
par une enzyme ou éliminées par réabsorption par les cellules voisines, de façon
à permettre la transmission de nouveaux signaux. Les effets post-synaptiques
impliquant les récepteurs-canaux sensibles au neurotransmetteur ne durent eux-
mêmes que le temps où le neurotransmetteur est présent dans la fente synap-
tique, c’est-à-dire quelques millisecondes au plus. À cet égard, de nombreuses
terminaisons axonales présentent en plus des « autorécepteurs » présynaptiques1
qui détectent la concentration de neurotransmetteur dans la fente et en inhibent
la libération si la concentration devient trop élevée. Par des mécanismes d’auto-
régulation de ce type, la transmission synaptique est alors fermement confinée et
circonscrite dans l’espace environnant la synapse et dans le temps.
Les réseaux neuronaux parfaitement « cablés point par point » peuvent être
quelque peu comparés au système des télécommunications. Les réseaux télé-
phoniques permettent de communiquer très précisément d’un endroit à l’autre ;
votre mère, d’où elle se trouve, peut vous appeler là où vous êtes, et ne s’adresser
qu’à vous pour vous rappeler que son anniversaire était la semaine passée ; les
lignes téléphoniques ou les communications par téléphones cellulaires sont com-
parables à des connexions synaptiques précises. Un seul neurone (votre mère) a
pour cible un petit nombre de neurones (dans ce cas, vous seulement), son mes-
sage embarrassant étant seulement destiné à vos propres oreilles… En réalité,
un seul neurone des systèmes moteur et sensoriel influence quelques douzaines
à des centaines de cellules avec lesquelles il forme des synapses. Il s’agit alors
plutôt d’une véritable conférence téléphonique, mais elle est encore relativement
spécifique.

1.  NdT : le concept d’autorécepteur présynaptique réfère à des récepteurs situés sur la
terminaison nerveuse, avec l’idée que ces récepteurs sont sensibles au neurotransmetteur
qui est libéré par la même terminaison.

526 3 – Cerveau et comportement

Imaginons maintenant que votre mère participe à une émission de télévision


diffusée sur une chaîne câblée. Grâce au vaste réseau du câble ou du satellite et
de leurs connexions, elle pourrait alors s’adresser à des millions de personnes
pour leur dire que vous avez oublié son anniversaire, et le message sera délivré
à tous les téléspectateurs assis devant leur poste. De la même façon, certains
neurones particuliers sont en relation avec des centaines de milliers d’autres
avec lesquels ils communiquent. Ces systèmes, présentant ainsi une organisation
très diffuse, ont tendance à agir relativement lentement, à l’échelle de quelques
secondes à quelques minutes. En raison de leurs vastes champs d’influence et de
la durée de leur action, ces systèmes du cerveau orchestrent des aspects entiers
du comportement, depuis le fait de s’endormir, jusqu’à celui de tomber amou-
reux. Ces systèmes neuronaux sont très bien connus sur le plan neurochimique,
et leurs neurotransmetteurs identifiés, à tel point qu’il est possible d’imaginer
qu’un grand nombre de troubles du comportement, dont certains sont reconnus
comme maladies mentales, résultent spécifiquement de leur dysfonctionnement.
Dans ce chapitre sont évoqués trois exemples de composantes du système
nerveux dont les effets s’exercent à distance, et se prolongent dans le temps
(Fig. 15.1). L’une de ces composantes est représentée par une partie de l’hypo-
thalamus, dite hypothalamus sécrétoire : cette région de l’hypothalamus sécrète
directement des substances chimiques dans la circulation sanguine, agissant sur
toutes les fonctions du cerveau et du corps. Un second exemple est représenté
par le système nerveux autonome (SNA), mentionné dans le chapitre 7. Il agit
en dehors du système nerveux central (SNC). Par un réseau extensif d’inter-
connexions dispersées dans tout le corps, le SNA contrôle simultanément les
réponses de plusieurs organes internes, des vaisseaux sanguins, et des glandes.

(a)

Figure 15.1 – Différents types de communi­


cation dans le système nerveux.
(a) La plupart des systèmes neuronaux décrits
jusque-là dans cet ouvrage sont de type très
organisés anatomiquement, avec à l’extrême
une relation « point par point ». Le fonction-
nement de ces systèmes neuronaux requiert
une activation synaptique localisée avec (b)
précision, et un mode de communication
synaptique rapide et efficace. Au contraire,
les trois autres systèmes illustrés ci-dessus
agissent de façon beaucoup plus diffuse, sur
des distances quelquefois considérables, et
avec des signaux générant des réponses de
longue durée. (b) Certains neurones de l’hy-
pothalamus agissent sur leur cible en libérant (c)
une hormone directement dans la circula-
tion sanguine. (c) Les réseaux de neurones
interconnectés du système nerveux auto-
nome peuvent agir de façon synergique pour
affecter l’ensemble de l’organisme. (d) Les
systèmes modulateurs diffus présentent des
connexions très divergentes, leur permettant
d’influencer simultanément des populations
(d)
de neurones cibles considérables.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 527

La troisième composante fait partie intégrante du SNC et se compose de plu-


sieurs groupes de cellules caractérisées en fonction d’un neurotransmetteur qui
leur est propre. Tous ces groupes de neurones se projettent à distance à travers
des axones très divergents, et ils ont une durée d’action prolongée, par l’intermé-
diaire de récepteurs post-synaptiques principalement métabotropiques. Il s’agit
des systèmes modulateurs diffus du cerveau, régulateurs possibles, entre autres
choses, de l’humeur et du niveau de vigilance.
Ce chapitre sert d’introduction générale à ces systèmes. Dans ce qui suit,
nous verrons plus précisément comment ils contribuent à des comportements
spécifiques et à la régulation des états du cerveau : motivation (chapitre 16), com-
portement sexuel (chapitre 17), émotion (chapitre 18), sommeil (chapitre 19), et
comment ils contribuent aussi aux pathologies psychiatriques (chapitre 22).

Hypothalamus sécrétoire
Comme cela a été décrit dans le chapitre 7, l’hypothalamus est situé sous le
thalamus, le long des parois du troisième ventricule. Il est relié par la tige pitui-
taire à l’hypophyse, suspendue à la base du cerveau au-dessus de la voûte repré-
sentant le palais de la bouche (Fig. 15.2). Bien que ce petit groupe de noyaux
ne représente que 1 % de la masse du cerveau, son impact sur la physiologie de
l’organisme est considérable. Il est ainsi nécessaire d’aborder quelques éléments
de l’anatomie de l’hypothalamus, puis on insistera sur certaines des voies par Thalamus Troisième
lesquelles il exerce sa puissante influence. dorsal ventricule

Organisation de l’hypothalamus
L’hypothalamus est adjacent au thalamus dorsal, mais sa fonction est très
différente de celle du thalamus. Comme cela apparaît dans les chapitres précé-
dents, la partie dorsale du thalamus se trouve sur le trajet des voies sensorielles,
typiquement organisées selon un mode « point par point », et qui y transitent
pour se terminer dans le néocortex. Par voie de conséquence, la destruction d’une
zone localisée du thalamus dorsal peut provoquer un petit déficit sensoriel ou
moteur : une petite tâche aveugle, ou un manque de sensibilité à un endroit pré-
cis de la peau. En revanche, l’hypothalamus intervient pour intégrer les réponses Chiasma Hypophyse Hypothalamus
motrices viscérales et somatiques, en fonction des besoins du cerveau. Une petite optique
lésion de l’hypothalamus peut ainsi produire des désorganisations dramatiques, Figure 15.2 – Localisation anatomique de
et quelquefois fatales, de l’une ou l’autre des multiples fonctions de l’organisme. l’hypothalamus et de l’hypophyse.
Homéostasie.  La vie a ses contraintes. Chez les mammifères, cela se mani- Représentation sur une coupe sagittale de
feste entre autre par une faible variation de la température du corps et de la cerveau humain. Notez que l’hypothalamus
composition du sang. L’hypothalamus contrôle ces niveaux en fonction des fluc- forme la paroi du troisième ventricule et
qu’il se situe juste sous le thalamus dorsal.
tuations de l’environnement de l’individu. Ce processus de régulation s’appelle
Les lignes en pointillé indiquent les limites
l’homéostasie, correspondant au maintien de conditions internes constantes, approximatives de l’hypothalamus.
pour des conditions externes variables.
Considérons la thermorégulation. Dans de nombreuses cellules du corps, les
réactions biochimiques sont précisément programmées pour survenir à 37 °C.
Une variation supérieure à quelques degrés de plus ou de moins peut ainsi avoir
des conséquences dramatiques. Dans l’hypothalamus, des cellules sensibles à la
température détectent les variations de la température du cerveau, et orchestrent
les réponses appropriées. Par exemple, si le corps est exposé sans protection au
froid et à la neige, l’hypothalamus donne des ordres qui se traduisent par des fris-
sons (pour générer de la chaleur dans les muscles), un aspect de chair de poule
sur la peau (tentative futile de faire dresser sur la peau une fourrure inexistante
— le reste d’un réflexe de nos lointains ancêtres poilus), et la couleur bleue de la
peau (le sang se retire de la périphérie glacée pour maintenir la chaleur de l’inté-
rieur, plus sensible, du corps). En revanche, avec un excès d’exercice sous les tro-
piques, l’hypothalamus active des mécanismes de déperdition de chaleur qui font
rougir le visage (le sang est ramené à la périphérie pour que la chaleur irradie à
l’extérieur) et active la transpiration (pour rafraîchir la peau par l’évaporation).
528 3 – Cerveau et comportement

Latéral

Médian
Hypo-
thalamus
Périven-
triculaire

Troisième
ventricule

Figure 15.3 – Différentes régions de l’hypothalamus.


L’hypothalamus est en général subdivisé en trois grandes régions : latérale, médiane et périventri-
culaire. La région périventriculaire reçoit des afférences des deux autres régions, du tronc céré-
bral, et du télencéphale. Les cellules neurosécrétoires de la région périventriculaire libèrent des
hormones dans la circulation sanguine. Les autres cellules périventriculaires contrôlent le système
nerveux autonome.

Parmi d’autres exemples d’homéostasie, les plus remarquables concernent la


régulation extrêmement précise du volume sanguin, de sa pression, de sa salinité,
de son acidité, comme du niveau d’oxygène et des concentrations de glucose
(glycémie). Toutes ces fonctions de l’hypothalamus s’exercent par des voies très
diverses.
Structure et connexions de l’hypothalamus.  L’hypothalamus peut être sub-
divisé en trois parties : latérale, médiane, et périventriculaire (Fig. 15.3). Les par-
ties latérales et médianes forment un réseau extensif de connexions avec le tronc
cérébral et le télencéphale, et exercent un contrôle sur certains types de compor-
tements qui seront abordés plus loin (voir chapitre 16). Seule sera développée ici
l’organisation de la troisième partie, qui reçoit majoritairement des informations
des deux autres régions.
La zone périventriculaire est appelée ainsi parce que, excepté une fine bande
de neurones déplacés latéralement par le tractus optique (dénommée noyau
supra-optique), les cellules de cette région sont disposées le long des parois du
troisième ventricule. Cette zone est composée d’un mélange complexe de neu-
rones exerçant différentes fonctions. Un de ces groupes forme le noyau supra-
chiasmatique (NSC), situé juste au-dessus du chiasma optique. Les cellules de
ce noyau sont directement innervées par la rétine, et jouent un rôle dans la syn-
chronisation des rythmes circadiens jour-nuit (voir chapitre 19). Un autre groupe
de cellules contrôle le système nerveux autonome et régule les effets de l’innerva-
tion sympathique et parasympathique des organes viscéraux. Dans le troisième
groupe, les axones des neurones sécrétoires descendent vers la tige pituitaire. Ce
sont ces neurones qui nous intéressent ici.

Relations hypothalamo-hypophysaires
Telle que nous l’avons décrite, l’hypophyse paraît suspendue à la base du
crâne, ce qui est exact si le cerveau est soulevé au-dessus de la tête. Néanmoins,
dans les conditions normales, l’hypophyse vient se nicher confortablement
dans un berceau osseux situé à la base du crâne. Cette protection particu-
lière est nécessaire car l’hypophyse est en grande partie le « porte-voix » par
lequel 
­l’hypothalamus communique avec le corps. L’hypophyse est formée de
deux lobes, postérieur et antérieur, contrôlés chacun de façon très différente à
partir de l’hypothalamus.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 529

Contrôle hypothalamique du lobe postérieur de l’hypophyse.  Les plus


grosses cellules neurosécrétrices (ou neurosécrétoires) de l’hypothalamus,
représentant les neurones neurosécrétoires magnocellulaires, voient leurs axones
s’étendre autour du chiasma optique et descendre vers la tige pituitaire, jusque
dans le lobe postérieur de l’hypophyse (Fig. 15.4). À la fin des années 1930, Ernst
et Berta Scharrer, deux chercheurs de l’Université de Francfort en Allemagne,
ont suggéré que ces neurones libéraient directement des substances chimiques
dans les vaisseaux capillaires du lobe postérieur de l’hypophyse. À cette époque,
l’idée était surprenante. Il était connu que les glandes libèrent des messagers
chimiques, les hormones, dans la circulation sanguine, mais personne n’imagi-
nait qu’un neurone puisse agir comme une glande, ou qu’un neurotransmetteur
puisse lui-même agir par un mécanisme similaire à celui d’une hormone. Les
Scharrer avaient pourtant raison. Les substances libérées dans le sang par les
neurones sont maintenant connues sous le nom de neurohormones.
Les neurones neurosécrétoires magnocellulaires libèrent deux neurohor-
mones dans la circulation sanguine : l’ocytocine et la vasopressine. Ces deux
substances sont des peptides, et chacune est formée d’un enchaînement de neuf
acides aminés. L’ocytocine a quelquefois été qualifiée « d’hormone de l’amour »,
parce que son niveau augmente en rapport avec le comportement sexuel et faci-
lite les relations sociales (cela sera discuté plus loin dans le chapitre 17). Chez
la femme, cette hormone, libérée au moment de l’accouchement, provoque la
contraction de l’utérus et facilite la délivrance de l’enfant. Elle stimule aussi la
montée du lait venant des glandes mammaires. Toutes les mères qui allaitent
connaissent ce réflexe complexe dans lequel sont impliqués les neurones de l’hy-
pothalamus. La succion du mamelon par le bébé qui tète peut stimuler la libé-
ration d’ocytocine, mais la vue ou le cri d’un bébé (même si ce n’est pas le sien)
peuvent aussi déclencher une montée de lait incontrôlable chez la mère. Dans
chaque cas, l’information concernant un stimulus sensoriel — somatique, visuel,
auditif — atteint le cortex cérébral par le trajet normal, le thalamus, et le cor-
tex stimule en retour l’hypothalamus pour déclencher la libération d’ocytocine.
Dans certaines conditions, le cortex peut aussi supprimer les fonctions hypotha-
lamiques, par exemple dans les cas où l’anxiété empêche la montée de lait.

Neurones
sécrétoires
magnocellulaires
Hypothalamus

Chiasma optique
Lobe
postérieur
de
l’hypophyse Figure 15.4 – Cellules neurosécrétoires magno­
cellulaires de l’hypothalamus.
Le schéma illustre une vue en coupe sagittale
de l’hypothalamus et de l’hypophyse du cer-
veau humain. Les neurones neurosécrétoires
magnocellulaires libèrent de l’ocytocine et de
Lobe antérieur la vasopressine directement dans les capil-
de l’hypophyse Capillaires sanguins
laires sanguins, au niveau du lobe postérieur
de l’hypophyse.
530 3 – Cerveau et comportement

La vasopressine, appelée aussi hormone antidiurétique (ADH), contrôle le


volume du sang et sa concentration en sels. Si l’organisme manque d’eau, le
volume du sang diminue et la concentration en sels dans le sang augmente. Ces
modifications sont détectées, respectivement, par des récepteurs de pression san-
guine situés dans le système cardiovasculaire, et par des cellules de l’hypotha-
lamus sensibles à la concentration en sels du sang. Les neurones sécrétant de la
vasopressine reçoivent l’information concernant ces changements et répondent
en libérant de la vasopressine qui agit directement sur les reins, ce qui conduit à
une rétention d’eau et une réduction de la production d’urine.
Lorsque le volume sanguin et la pression artérielle diminuent, une com-
munication à double sens s’établit entre le cerveau et les reins (Fig. 15.5). Les
reins sécrètent dans le sang une enzyme, la rénine. L’élévation du taux de rénine
déclenche une série de réactions chimiques dans le sang : l’angiotensinogène, une
grosse protéine libérée par le foie, est transformée par la rénine en angiotensine I,
qui est métabolisée à son tour pour donner une autre hormone peptidique,
l’angiotensine II. L’angiotensine II agit directement sur le rein et les vaisseaux
sanguins, et fait remonter la pression artérielle. Mais l’angiotensine II est aussi
détectée par l’organe subfornical, une partie du cerveau qui n’est pas protégée
par la barrière hématoencéphalique. Les cellules de cet organe se projettent dans
l’hypothalamus où, parmi d’autres fonctions, elles ont pour rôle d’activer les
cellules neurosécrétoires contenant la vasopressine. De plus, l’organe subfornical
active également d’autres cellules siégeant dans la partie latérale de l’hypotha-
lamus, qui déclenche, sans que l’on sache très bien comment, une soif irrésistible.
Il est ainsi difficile de l’admettre, mais c’est pourtant la réalité jusqu’à un certain
point : le cerveau est contrôlé par les reins ! Cet exemple montre aussi que les
moyens par lesquels l’hypothalamus maintient l’homéostasie vont bien au-delà
du contrôle des organes viscéraux, et supposent l’activation de toute une série
de comportements. Dans le chapitre 16, nous verrons en détail comment l’hypo-
thalamus contribue à l’incitation comportementale.

Organe
subfornical

Hypothalamus

Hypophyse
Angiotensine II
Vaisseaux,
rein
Vasopressine
Angiotensine I
Figure 15.5 – Interrelations existant entre les
reins et le cerveau. Rénine
Dans une situation où le volume sanguin, ou
la pression artérielle, diminue sensiblement, Angiotensinogène
le rein libère la rénine dans la circulation san-
guine. La rénine contribue à la production
d’un peptide, l’angiotensine II, qui active les
neurones de l’organe subfornical. À son tour,
l’organe subfornical active l’hypothalamus, ce Foie
qui a pour effet de provoquer une libération Pression artérielle
accrue de vasopressine et une sensation de faible
soif. Rein
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 531

Contrôle hypothalamique du lobe antérieur de l’hypophyse.  Contrairement au


lobe postérieur de l’hypophyse, qui représente objectivement une partie du cerveau,
le lobe antérieur constitue une véritable glande. Les cellules du lobe antérieur pro-
duisent et sécrètent toute une série d’hormones contrôlant les sécrétions d’autres
glandes de l’organisme (c’est ce qui constitue le système endocrinien). Les hormones
hypophysaires agissent sur les gonades, la glande thyroïde, les glandes surrénales,
et les glandes mammaires (Tab. 15.1). Mais si l’hypophyse joue un rôle central, elle
est cependant placée sous le contrôle de l’hypothalamus. C’est alors l’hypothalamus
qui apparaît véritablement comme la « glande principale » du système endocrinien.

Tableau 15.1 – Hormones de l’hypophyse antérieure.

Hormones Cible Effets


Hormone lutéotrope (LH) Gonades Ovariens, maturation du sperme
Hormone folliculostimulante Gonades Ovulation, spermatogenèse
(FSH)
Thyréostimuline (TSH) Thyroïde Sécrétion de la thyroxine
(favorise le métabolisme)
Hormone adrénocorticotrope Cortex surrénalien Sécrétion de cortisol
(ACTH) (mobilise les réserves d’énergie ; inhibe
le système immunitaire ; autres effets)
Hormone de croissance (GH) Toutes les cellules Stimulation de la synthèse des protéines
Prolactine Glandes Sécrétion de lait ; croissance
­mammaires

Le lobe antérieur est contrôlé par les cellules de la région périventriculaire


de l’hypothalamus, les neurones neurosécrétoires parvocellulaires. Ces neurones
hypothalamiques ne se projettent pas jusque dans le lobe antérieur mais ils
atteignent leurs cibles par une sécrétion qui s’effectue directement dans la cir-
culation sanguine (Fig. 15.6). Ils libèrent des hormones hypophysiotropes dans
un réseau de capillaires sanguins spécifiques, situé au niveau du plancher du
troisième ventricule. Ces minuscules vaisseaux sanguins descendent le long de
la tige pituitaire et se ramifient dans le lobe antérieur. Ce réseau de vaisseaux
sanguins est dénommé système porte hypothalamo-hypophysaire. Les hormones
hypophysiotropes libérées par les neurones hypothalamiques dans le système
porte circulent dans le sang jusque dans le lobe antérieur, où elles se fixent à
des récepteurs spécifiques localisés à la surface des cellules de l’hypophyse.
L’activation de ces récepteurs conduit les cellules à déclencher ou à inhiber la
sécrétion d’hormones dans la circulation générale.
Le contrôle des glandes surrénales illustre le fonctionnement de ce système.
Situées juste au-dessus des reins, les glandes surrénales sont formées de deux
parties : une sorte de coquille, la corticosurrénale, et le centre, la médullosurré-
nale. La corticosurrénale sécrète une hormone stéroïdienne, le cortisol, qui a
pour effet de mobiliser les réserves d’énergie dans le corps, de réduire l’action
du système immunitaire, et qui nous conditionne en général pour faire face à
toutes les situations de stress. En fait, le stress est un bon stimulus de la sécrétion
de cortisol, depuis le stress physiologique, comme par exemple une hémorragie
importante, la stimulation d’une émotion positive, comme le fait d’être amou-
reux, au stress psychologique, comme l’anxiété avant un examen.
Les neurones neurosécrétoires parvocellulaires qui contrôlent la corticosur-
rénale déterminent s’il s’agit d’un stimulus stressant ou pas (en fonction de la
sécrétion de cortisol). Situés dans la partie périventriculaire de l’hypothalamus,
ces neurones libèrent un peptide, la corticotropin-releasing hormone (CRH) ;
(NdT : encore appelée corticolibérine ou corticotropin-releasing factor, CRF),
dans le réseau des capillaires. La CRH parcourt la faible distance la séparant de
la tige pituitaire où, en 15 secondes environ, elle stimule la sécrétion de l’hormone
adrénocorticotrope (adrenocorticotropic hormone, en anglais ; ACTH). L’ACTH
passe dans la circulation sanguine et atteint la corticosurrénale où, en quelques
minutes, elle stimule la libération de cortisol (Fig. 15.7).
532 3 – Cerveau et comportement

Neurones
sécrétoires
parvocellulaires

Transport des hormones


Hypothalamus dans les axones

Capillaires Libération
sanguins des hormones
Lobe antérieur hypophysiotropes
de l’hypophyse

Transport des hormones


Figure 15.6 – Cellules neurosécrétoires par­ dans le sang
vocellulaires de l’hypothalamus.
Les cellules neurosécrétoires parvocellulaires
Libération
sécrètent des hormones hypophysiotropes
des hormones
dans un réseau de capillaires sanguins
spécialisé, dénommé système porte hypo-
Transport des hormones
thalamo-hypophysaire. Ces hormones, ainsi Cellules
dans le sang
introduites dans la circulation sanguine, sécrétoires
atteignent le lobe antérieur de l’hypophyse
où elles stimulent ou inhibent la sécrétion des Action sur
les organes-
hormones hypophysaires à partir des cellules
cibles
sécrétoires.

Hypothalamus

Autres régions
cérébrales

Hypophyse
Figure 15.7 – Réponse au stress.
Dans des conditions de stress physiologique, Cortico-
émotionnel ou psychologique, le système ACTH surrénale
périventriculaire de l’hypothalamus libère la
corticotropin-releasing hormone (CRH) dans Médullo-
Cortisol
le système porte hypothalamo-hypophysaire. surrénale
Cette hormone déclenche la libération de
l’hormone adrénocorticotrope (ACTH) dans
la circulation générale. À son tour, l’ACTH
stimule la sécrétion de cortisol à partir de la
corticosurrénale. Le cortisol peut agir directe-
ment sur les neurones hypothalamiques, mais
aussi sur beaucoup d’autres neurones situés Rein
en dehors de l’hypothalamus.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 533

Il existe une sorte d’autorégulation du niveau de cortisol dans le sang. Le


cortisol est un stéroïde, appartenant à une catégorie de substances biochimiques
en rapport avec le cholestérol. Le cortisol est donc une molécule lipophile (« qui
aime les graisses »), qui se dissout aisément dans la membrane des lipides et
traverse donc facilement la barrière hématoencéphalique. Dans le cerveau, le
cortisol agit sur des récepteurs spécifiques, ce qui conduit à inhiber la sécrétion
de CRH et, de ce fait, limite l’élévation du niveau de cortisol dans le sang. Les
médecins doivent être attentifs à ce type de régulation lorsqu’ils prescrivent de
la prednisone, une forme synthétique de cortisol ; la prednisone est un médica-
ment puissant, utilisé en particulier pour réduire l’inflammation. Lorsqu’elle est
administrée pendant plusieurs jours, la prednisone circulante mime une sécré-
tion trop importante de cortisol et le cerveau réagit en réduisant les taux de
CRH et l’activité des corticosurrénales. L’arrêt brutal de l’administration de la
prednisone ne permet pas aux corticosurrénales de rétablir suffisamment vite
les taux de cortisol, ce qui se traduit par un état d’insuffisance surrénalienne. Cet
état se caractérise par des douleurs abdominales sévères et par des diarrhées, une
chute de la pression artérielle et des troubles de l’humeur et de la personnalité.
L’insuffisance surrénalienne est aussi un symptôme d’une maladie rare dénom-
mée maladie d’Addison, découverte par le médecin britannique Thomas Addison
en 1849. Addison montra que ces symptômes diffus étaient liés à la dégénéres-
cence des glandes surrénales. Peut-être que le patient le plus célèbre souffrant
de la maladie d’Addison fut le Président John F. Kennedy, qui devait être traité
quotidiennement par des injections d’hormones en vue de remplacer le déficit
en cortisol, ce qui d’ailleurs a été interprété à l’époque par les média comme un
besoin de préserver sa jeunesse et son image de battant.
L’opposée de l’insuffisance surrénalienne est représentée par la maladie de
Cushing, causée par un dysfonctionnement hypophysaire résultant d’une éléva-
tion des taux d’ACTH, se traduisant par des taux élevés de cortisol circulant.
Les symptômes sont principalement un gain de poids, un déficit immunitaire,
des troubles du sommeil et de la mémoire, et une irritabilité notoire. De façon
quelque peu attendue, les symptômes de la maladie de Cushing sont observés
lors de l’administration de prednisone. Les changements de comportement
si ­différents, consécutifs à des taux circulants de cortisol trop élevés (ou trop
faibles), peuvent être expliqués par le fait que les récepteurs au cortisol sont dis-
tribués très largement dans de nombreuses régions du cerveau, et pas seulement
dans l’hypothalamus. Dans toutes ces régions, le cortisol est connu pour affecter
l’activité neuronale. Ainsi les hormones hypophysiotropes sécrétées par les cel-
lules hypothalamiques induisent-elles de vastes modifications dans la physiolo-
gie de l’ensemble de l’organisme, mais aussi de celle du cerveau (Encadré 15.1).

Système nerveux autonome


La partie périventriculaire de l’hypothalamus ne contrôle pas seulement la
sécrétion de certaines hormones circulantes, mais aussi le système nerveux auto-
nome (SNA). Le SNA est représenté par un vaste réseau de cellules et de fibres
réparties dans tout l’organisme. Le mot « autonome » provient du grec autono-
mia, signifiant indépendance ; les fonctions autonomes présentent un caractère
automatique, s’exerçant en dehors du contrôle volontaire et conscient. Elles sont
aussi fortement coordonnées. Imaginons que survienne un état de crise, en pre-
nant comme exemple une situation que vous avez pu vivre alors que vous étiez au
lycée. Alors que ce jour-là vous étiez absorbé par l’énigme d’une grille de sudoku,
sans que vous vous y soyez attendu, le professeur vous a soudainement demandé
de vous rendre au tableau pour résoudre une équation apparemment impossible.
Vous vous êtes retrouvé dans une position de défense assez classique, et votre
corps a réagi en conséquence alors que votre esprit en éveil s’est frénétiquement
demandé s’il valait mieux s’avancer maladroitement ou s’excuser avec humilia-
tion. Le SNA a déclenché toute une série de réponses physiologiques, y compris
l’accélération du rythme cardiaque et l’élévation de la pression artérielle, l’affai-
534 3 – Cerveau et comportement

Encadré 15.1 FOCUS

Stress et cerveau
Le stress de caractère physiologique est créé par le stérone. Quelques semaines après, ces cellules commen-
cerveau, en réponse à des stimuli réels ou imaginaires. çaient à mourir. Un résultat similaire a été obtenu par
Les nombreuses réponses physiologiques associées au l’exposition des rats à un stress chronique.
stress contribuent à protéger le corps et le cerveau des Plus tard, les études de Sapolsky sur les babouins du
dangers qui sont à l’origine du stress. Mais le stress chro- Kenya ont révélé les dommages du stress chronique. À
nique aussi peut avoir des effets délétères plus insidieux. l’état sauvage, la vie des babouins est organisée selon
Les scientifiques commencent seulement à déterminer une hiérarchie sociale complexe, et les mâles de rang
les relations qui existent entre le stress, le cerveau, et les inférieur restent à l’écart des mâles dominants, s’ils le
atteintes du cerveau. peuvent. Pendant un an, pour diminuer la population de
Le stress provoque la sécrétion de cortisol, une hor- babouins et les empêcher de détruire les récoltes, les vil-
mone stéroïdienne, à partir de la glande corticosurrénale. lageois en ont enfermé plusieurs dans des cages. Dans
Le cortisol circule dans le sang jusqu’au cerveau et se fixe l’impossibilité de s’écarter des « chefs babouins » dans
aux récepteurs présents dans le cytoplasme de nombreux les cages, plusieurs mâles subalternes sont morts — non
neurones. L’activation de ces récepteurs se communique pas de blessures ou de malnutrition, mais, semble-t-il,
au noyau de la cellule, stimule la transcription génique, et à la suite d’un stress sévère et soutenu accompagné
enfin la synthèse des protéines. L’une des conséquences ­d’ulcères gastriques, de colites, d’une augmentation de
de l’action du cortisol est qu’un plus grand flux d’ions  Ca2+ la taille des surrénales, ainsi que d’une dégénérescence
passe dans les neurones, à travers les canaux dépendants extensive des neurones de l’hippocampe. Les effets du
du potentiel. Ceci pourrait provenir d’une modification cortisol et du stress sont, de ce point de vue, compa-
directe de ces canaux, ou bien résulter, indirectement, de rables à ceux de l’âge sur le cerveau. Il est d’ailleurs
changements du métabolisme énergétique de la cellule. prouvé que le stress chronique provoque un vieillisse-
Quel que soit le mécanisme, le cortisol agit rapidement ment prématuré du cerveau.
sur le cerveau et lui permet de mieux réagir au stress, peut- On ne sait pas encore très bien si les résultats des
être en l’aidant à imaginer une façon de l’éviter ! recherches faites sur l’animal peuvent s’appliquer à
Mais qu’en est-il des effets du stress chronique et iné- l’homme, mais ce qui précède prête à réfléchir. La vie
vitable ? On a vu dans le chapitre 6 qu’un excès de cal- moderne est une source de stress important et durable
cium pouvait être néfaste. Si les neurones sont surchar- pour tant de personnes. De fait, l’exposition aux horreurs
gés de calcium, ils meurent (par excitotoxicité). On peut de la guerre, les viols, et toutes sortes d’extrême violence,
alors se poser la question : le cortisol peut-il tuer ? Bruce induit ce que l’on nomme un stress post-traumatique,
McEwen et ses collègues de l’Université Rockefeller, et avec un tableau d’anxiété généralisée, de troubles mné-
Robert Sapolsky et ses collègues de l’Université de siques, et de pensées intrusives. Dans ce cadre, les don-
Stanford, ont étudié ce problème sur le cerveau de rat. nées de l’imagerie cérébrale montrent bien des dégénéres-
Ils ont découvert que des injections quotidiennes de cences centrales, en particulier dans l’hippocampe. Nous
­corticostérone (le cortisol du rat), pendant plusieurs verrons dans le chapitre 22 combien le stress et la réponse
semaines de suite, faisaient dépérir les dendrites de nom- au stress jouent manifestement un rôle clé dans la surve-
breux neurones possédant des récepteurs de la cortico­ nue de plusieurs maladies psychiatriques.

blissement des fonctions digestives, et la mobilisation des réserves de glucose.


Toutes ces réponses dépendent du système sympathique du système autonome.
Imaginez maintenant votre soulagement lorsque la sonnerie a soudain marqué
la fin des cours, vous sauvant d’une situation extrêmement embarrassante, et
de la colère du professeur. Vous êtes alors retombé sur votre chaise en respi-
rant profondément et vous avez pu tranquillement reprendre votre sudoku. En
quelques minutes, l’activité sympathique a diminué, et les fonctions du système
parasympathique ont repris le dessus : le cœur s’est ralenti, la pression artérielle
s’est normalisée, les fonctions digestives ont pu se manifester normalement, et la
transpiration s’est arrêtée.
Notez que pendant toute cette suite d’événements déplaisants, vous n’avez
pas quitté votre chaise, ni même lâché votre crayon. Et pourtant votre organisme
a réagi avec violence, pour faire face à la situation. Contrairement à ce qui se
passe dans le système moteur somatique où les motoneurones a peuvent exciter
rapidement des muscles bien particuliers, les actions du système autonome sont
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 535

toujours diffuses, multiples, et relativement lentes à s’établir. Par conséquent, les


effets de sa mise en jeu sont toujours de caractère global. De plus, contrairement
au système moteur somatique qui ne fait qu’activer ses cibles périphériques, le
système autonome produit de façon très organisée des séquences d’activation et
d’inhibition proportionnées à la situation à affronter.

Organisation du système nerveux autonome (SNA)


Le système moteur somatique et le SNA représentent à eux deux l’ensemble
des commandes exercées par le SNC. Le système moteur somatique joue un seul
rôle : il innerve et commande les fibres des muscles squelettiques. Le SNA exerce
la tâche complexe de contrôler tout autre tissu et organe du corps qu’il innerve.
Pour ces deux systèmes moteurs, il existe dans le cerveau des neurones d’ordre
supérieur qui envoient des messages aux neurones moteurs inférieurs, respon-
sables de l’innervation des structures-cibles de la périphérie. Cependant, il existe
des différences notables entre ces systèmes (Fig. 15.8). Par exemple, les corps cel-
lulaires de tous les neurones moteurs somatiques inférieurs, les motoneurones,
se trouvent localisés dans le système nerveux central, soit dans la corne ventrale
de la moelle épinière, soit dans le tronc cérébral. À l’inverse, les corps cellulaires
des neurones moteurs autonomes en rapport avec la musculature se trouvent à
l’extérieur du système nerveux central, et forment des groupes de cellules appelés
ganglions autonomes. Les neurones de ces ganglions représentent des neurones
post-ganglionnaires. Ils sont commandés par des neurones préganglionnaires dont
le corps cellulaire est localisé dans la moelle épinière ou dans le tronc cérébral.
Par conséquent, le système moteur somatique exerce un contrôle monosynap-
tique sur les cibles périphériques (les muscles squelettiques), alors que le SNA
utilise une voie disynaptique pour contrôler ses propres cibles (muscles lisses,
muscle cardiaque et diverses glandes).
Systèmes sympathique et parasympathique. Les systèmes sympathique et
parasympathique ont des fonctions parallèles, mais l’organisation de leurs voies
ainsi que leurs neurotransmetteurs, sont très différents. Les axones préganglion-
naires du système sympathique naissent uniquement du tiers central de la
moelle épinière (les régions thoracique et lombaire). En revanche, les axones
préganglionnaires du système parasympathique émergent seulement du tronc
cérébral et de la partie inférieure (la partie sacrée) de la moelle épinière, de telle
manière que les deux systèmes apparaissent de ce point de vue comme anatomi-
quement complémentaires (Fig. 15.9).

Système nerveux autonome

Système moteur Système Système


somatique sympathique parasympathique
Système Figure 15.8 – Organisation générale des trois
nerveux grands types de sortie du système nerveux
central Fibres central.
pré- Le système moteur somatique n’agit que sur
ganglionnaires
les motoneurones de la moelle épinière ou du
Ganglion tronc cérébral, ce que Sherrington dénommait
sympathique la « voie finale commune », pour permettre
l’expression des mouvements et des com-
portements. Cependant, certains compor-
Système
nerveux tements, tels que saliver, transpirer, ou avoir
Axone Ganglion une activité sexuelle coordonnée, dépendent
périphérique
moteur para- plutôt du système autonome. Ces réponses
somatique sympathique
motrices viscérales dépendent de l’acti-
Fibres vité du système sympathique et du système
post- parasympathique, représentant les deux divi-
ganglionnaires sions principales du système nerveux auto-
nome dont les neurones post-ganglionnaires
Muscle Muscle lisse, muscle cardiaque,
ne se trouvent plus dans le système nerveux
squelettique cellules sécrétrices glandulaires
central, mais à la périphérie.
536 3 – Cerveau et comportement

Système sympathique Système parasympathique

Constriction
Dilatation de la Nerf
pupillaire pupille oculomoteur
(III)
Stimulation de
Inhibition de la salivation et de
Œil la production
la salivation et Nerf
de la production des larmes
facial (VII)
des larmes

Glandes lacrymales Nerf glossopharyngien (IX)


Crânien et salivaires Poumons Crânien

Vasoconstriction

Cervical Relaxation Constriction Cervical


des bronchique
bronches

Accélération de la Ralentissement de
fréquence cardiaque la fréquence cardiaque
Cœur
Activation
de la synthèse
Foie
et de la sécrétion
Thoracique de glucose Thoracique
Estomac

Inhibition de Nerf vague (X)


Stimulation
la digestion
de la digestion

Stimulation de
la libération Pancréas
d’adrénaline et
de noradrénaline Stimulation du
à partir de la pancréas pour la
médullosurrénale sécrétion d’insuline et
d’enzymes digestives
Lombaire Lombaire

Dilatation des vaisseaux


sanguins dans l’intestin
Intestin
grêle
Gros
Sacré intestin Sacré
Ganglion Rectum
préviscéral
Vessie

Relaxation de Stimulation de la
Chaîne la vessie contraction de
sympathique la vessie
Organes
reproducteurs Neurones à NA

Stimulation de Stimulation de Neurones à ACh


l’orgasme l’activité sexuelle

Neurones Neurones Neurones


préganglionnaires post-ganglionnaires préganglionnaires

Figure 15.9 – Organisation anatomofonctionnelle du système sympathique et du système parasympathique.


Notez que les neurones préganglionnaires des deux systèmes utilisent tous l’acétylcholine (ACh) comme neurotransmetteur. Les neurones post-ganglion-
naires du système parasympathique utilisent également l’ACh comme neurotransmetteur, contrairement aux neurones post-ganglionnaires du système
sympathique qui utilisent la noradrénaline (NA), à l’exception de l’innervation sympathique des glandes sudoripares qui utilise aussi l’ACh comme
neurotransmetteur. La médullosurrénale reçoit des afférences préganglionnaires sympathiques et libère de l’adrénaline dans la circulation sanguine
générale, lorsqu’elle est activée. Notez aussi que le pattern d’innervation par le système sympathique présente des particularités : les organes cibles
situés dans le thorax sont innervés à partir des neurones post-ganglionnaires dont l’origine est dans la chaîne sympathique alors que ceux situés dans
la cavité abdominale le sont à partir de neurones dont les corps cellulaires sont situés dans les ganglions préviscéraux.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 537

Les neurones préganglionnaires du système sympathique sont localisés dans


la substance grise intermédiolatérale de la moelle épinière (ou colonne intermé-
diolatérale). Leurs axones transitent par les racines ventrales pour former des
synapses sur les ganglions de la chaîne sympathique qui longe, de part et d’autre,
la colonne vertébrale, ou qui s’étend dans des collatérales de ces ganglions que
l’on trouve dans la cavité abdominale. Les neurones préganglionnaires du sys-
tème parasympathique, quant à eux, sont localisés dans différents noyaux du
tronc cérébral et dans la partie sacrée de la moelle, et leurs axones se prolongent
dans les nerfs crâniens, aussi bien que dans les nerfs de la moelle sacrée. Les
axones parasympathiques couvrent un plus long trajet que les axones sympa-
thiques car les ganglions parasympathiques sont typiquement situés à côté, sur,
ou même quelquefois dans, leurs organes-cibles (voir Fig. 15.8 et 15.9).
Les cibles du système nerveux autonome (muscles lisses, muscle cardiaque
et glandes) couvrent pratiquement toutes les régions du corps (voir Fig. 15.9).
Ainsi, il est notable que les systèmes sympathique et parasympathique :
•• innervent les glandes sécrétrices (salivaires, sudoripares, lacrimales, et
diverses glandes sécrétant du mucus) ;
•• innervent le cœur et les vaisseaux sanguins pour contrôler la pression arté-
rielle et le flux sanguin ;
•• innervent les bronches dans les poumons, pour s’adapter aux besoins éner-
gétiques du corps notamment en termes d’apport d’oxygène ;
•• contrôlent les fonctions digestives et métaboliques du foie, du tractus
­gastro-intestinal et du pancréas ;
•• contrôlent les fonctions du rein, de la vessie, du gros intestin et du rectum ;
•• jouent un rôle essentiel dans la réponse sexuelle des organes génitaux et
de la reproduction ;
•• sont en interaction avec le système immunitaire.
Les systèmes sympathique et parasympathique sont généralement considérés
comme exerçant une influence opposée sur leurs cibles communes2. Par exemple,
le système sympathique est plus actif en période de crise, réelle ou imaginaire.
Il est associé aux comportements suivants : la combativité, la fuite, la peur ou
encore le désir sexuel. Le système parasympathique agit principalement, quant à
lui, plutôt sur la digestion, la croissance, la réponse immunitaire, et les réserves
énergétiques. Dans la plupart des cas, pourtant, l’activité des deux systèmes s’op-
pose et s’équilibre : si elle est forte dans un des deux systèmes, elle faiblit dans
l’autre, et réciproquement. Le système sympathique mobilise frénétiquement
l’organisme à court terme, pour répondre aux urgences, souvent aux dépens de
processus qui le maintiennent en bonne condition dans le temps. Le système
parasympathique travaille au contraire silencieusement et dans la durée. Les deux
systèmes ne peuvent pas être fortement sollicités en même temps : leurs objectifs
ne sont pas compatibles. Heureusement des circuits nerveux sont organisés de
telle façon que le SNC inhibe l’activité d’un système lorsque l’autre est activé.
Prenons quelques exemples pour illustrer ce double contrôle exercé par les
composantes sympathique et parasympathique du SNA. Le cœur déclenche
chaque battement de façon autonome, sans l’aide des neurones, mais les deux
systèmes innervent et contrôlent la région du muscle cardiaque à l’origine de
cette activité ; l’activation du système sympathique augmente la fréquence des
battements du cœur, alors que celle du parasympathique la diminue. Les muscles
lisses du tractus gastro-intestinal aussi sont doublement innervés, mais chacun
des systèmes a une influence inverse de celle qu’il exerce sur le cœur. La motilité
intestinale, et donc la digestion, est ainsi stimulée par les axones parasympa-
thiques et inhibée par les axones sympathiques. Cependant, tous les tissus ne
sont pas innervés par les deux systèmes à la fois. Ainsi les vaisseaux sanguins
de la peau et les glandes sudoripares sont innervés uniquement par les axones
sympathiques excitateurs. À l’inverse, les glandes lacrimales ne reçoivent une
innervation (excitatrice) que des axones parasympathiques.

2.  NdT : cette vue est un peu schématique, et les influences exercées réellement par ces
deux composantes du SNA sont beaucoup plus complexes.
538 3 – Cerveau et comportement

L’équilibre entre l’activité sympathique et parasympathique est illustré aussi


par la réponse sexuelle mâle. L’érection du pénis chez l’homme est un processus
que l’on peut schématiquement considérer comme de nature hydraulique. Elle
survient lorsque le pénis est gorgé de sang, ce qui est déclenché et entretenu
par l’activité parasympathique. Curieusement, l’orgasme et l’éjaculation sont,
inversement, commandés par l’activité sympathique. Dès lors on peut imaginer
combien il est difficile pour le système nerveux d’orchestrer toutes les phases
de l’acte sexuel : l’activation du système parasympathique permet l’acte sexuel
(et sa durée), mais il ne prend fin que si l’activation du système sympathique se
substitue à celle du parasympathique. L’angoisse et l’inquiétude, autrement dit le
stress et l’activité sympathique qui l’accompagne, inhibent l’érection et favorisent
l’éjaculation ; ce qui fait qu’il est courant d’entendre des hommes hyperstressés
se plaindre d’impuissance et d’éjaculation précoce. Le comportement sexuel sera
à nouveau évoqué dans le chapitre 17.
Système entérique.  La partie du SNA représentée par le système entérique
est quelquefois dénommée le « petit cerveau ». Il s’agit d’un système unique,
enchâssé dans un endroit inattendu : la paroi de l’œsophage, de l’estomac, des
intestins, du pancréas, ou encore de la vésicule biliaire. Il est composé de deux
réseaux complexes, comprenant chacun des nerfs sensitifs, des interneurones,
et des neurones moteurs autonomes, reconnus sous les termes de plexus myen-
térique ou plexus d’Auerbach, et de plexus sous-muqueux ou plexus de Meissner
(Fig. 15.10). Ces réseaux exercent leur contrôle sur de nombreux processus phy-
siologiques impliqués dans le transport et la digestion des aliments, de la bouche
à l’anus. Le système entérique est important : il contient à peu près le même
nombre de neurones que toute la moelle épinière, soit environ 500 millions de
neurones !
Le terme de « petit cerveau » désignant le système entérique est excessif, mais
on l’appelle ainsi car il présente une forme d’indépendance. Les neurones sen-
soriels entériques maintiennent la tension et l’élasticité des parois intestinales,
la composition chimique du contenu de l’estomac et de l’intestin, ainsi que le
taux de certaines hormones dans le sang. Ces informations sensorielles sont ana-
lysées dans les circuits interneuronaux entériques pour adapter la commande
des neurones moteurs entériques, qui contrôlent la motilité des muscles lisses, la
production de sécrétions muqueuses et digestives, et le diamètre des vaisseaux

Vaisseau
Axone
sanguin

Intestin
grêle

Plexus
de Meissner
(sous-muqueuse)

Figure 15.10 – Système entérique.
Ce schéma représente une coupe réalisée
au niveau de l’intestin grêle où apparaissent
les deux principales subdivisions du système
Plexus
entérique : le plexus myentérique et le plexus
d’Auerbach
sous-muqueux. Ces deux parties du système (myentérique)
entérique comportent des neurones senso-
riels entériques et des neurones moteurs qui
contrôlent les fonctions des organes digestifs.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 539

sanguins dans cette partie du corps. Prenons, par exemple, le cas d’une pizza pas
encore tout à fait digérée, qui se fraye un chemin dans l’intestin grêle. Le plexus
myentérique est responsable de la sécrétion d’un mucus lubrifiant et d’enzymes
digestives, et du péristaltisme des muscles qui agissent pour bien mélanger la
pizza et les enzymes, et jusqu’à l’augmentation du débit sanguin intestinal per-
mettant d’obtenir une source de fluide suffisante, et de transporter les substances
nouvellement assimilées dans le reste du corps.
Le système entérique n’est pas complètement autonome. Il reçoit des infor-
mations du « vrai » cerveau, par l’intermédiaire des axones des systèmes sympa-
thique et parasympathique, qui assurent un contrôle supplémentaire et peuvent,
dans certaines circonstances, se substituer aux fonctions du système entérique,
comme dans le stress aigu.
Contrôle central du SNA.  Comme cela a déjà été souligné, l’hypothalamus
est le régulateur essentiel des neurones préganglionnaires du système autonome.
Cette petite structure parvient à intégrer les diverses informations qu’elle reçoit
sur l’état du corps, à anticiper une partie de ses besoins, et à donner un ensemble
coordonné d’ordres neuronaux et hormonaux. Les connexions de la région
périventriculaire de l’hypothalamus avec le tronc cérébral et les noyaux de la
moelle épinière, où sont localisés les neurones préganglionnaires des systèmes
sympathique et parasympathique, jouent à cet égard un rôle de premier plan
dans le contrôle du système autonome. Le noyau du faisceau solitaire, situé dans
la région bulbaire et relié à l’hypothalamus, représente un autre centre de contrôle
important du système autonome. En fait, certaines fonctions autonomes sont
indépendantes des connexions entre le tronc cérébral et les structures situées
au-dessus, y compris l’hypothalamus. Le noyau du faisceau solitaire intègre les
informations sensorielles provenant des organes internes et coordonne les ordres
envoyés aux noyaux autonomes à partir du tronc cérébral.

Neurotransmetteurs et pharmacologie
des fonctions autonomes
Même ceux qui ne connaissent pas le terme de neurotransmetteur, savent ce
que signifie « poussée d’adrénaline » (adrénaline pour nous et les Anglais, épiné-
phrine pour les Américains). Historiquement, le SNA est la partie du corps qui
a certainement le plus contribué à la connaissance du rôle des neurotransmet-
teurs. Le SNA étant relativement simple comparé au SNC, il est plus facile à
étudier. De plus, les neurones périphériques du SNA siégeant à l’extérieur de la
barrière hématoencéphalique, toutes les drogues qui circulent dans le sang les
influencent directement. La simplicité et la vulnérabilité relatives du SNA ont
permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des drogues affectant la
transmission synaptique.
Neurotransmetteurs préganglionnaires.  Le neurotransmetteur le plus impor­­
tant des neurones périphériques autonomes est l’acétylcholine (ACh), le neuro­
transmetteur utilisé par ailleurs par les jonctions neuromusculaires squelettiques.
Les neurones préganglionnaires des deux systèmes, sympathique et parasympathique,
libèrent de l’ACh. L’ACh se fixe immédiatement aux récepteurs cholinergiques
nicotiniques, représentant des récepteurs-canaux sensibles à l’ACh, et induit un
PPSE rapide qui déclenche généralement un potentiel d’action dans la cellule
post-ganglionnaire. Ces mécanismes sont très comparables à ceux intervenant à
la jonction neuromusculaire squelettique, et les drogues qui bloquent les récep-
teurs cholinergiques nicotiniques des muscles squelettiques, telle que le curare,
bloquent également la transmission des informations dans le système autonome.
L’ACh du neurone ganglionnaire est cependant plus actif que l’ACh de la
jonction neuromusculaire. Il active en plus des récepteurs muscariniques, repré-
sentant des récepteurs métabotropiques (couplés aux protéines G), qui modulent
l’ouverture et la fermeture des canaux ioniques, et qui provoquent des PPSE et
des PPSI très lents. Ces événements synaptiques de type muscarinique ne sont
en général pas évidents, sauf si le nerf préganglionnaire est stimulé de façon
répétitive. En plus de l’ACh, quelques terminaisons préganglionnaires libèrent
540 3 – Cerveau et comportement

une variété de petits peptides neuroactifs, comme le NPY (neuropeptide Y) et


le VIP (polypeptide intestinal vasoactif). Ces peptides agissent également par
l’intermédiaire de récepteurs couplés aux protéines G, et peuvent initier de petits
PPSE de quelques minutes de durée. Les peptides ont un rôle modulateur ; ils ne
conduisent généralement pas les neurones post-synaptiques à décharger, mais
ils les rendent plus sensibles aux effets nicotiniques rapides, quand ils se pré-
sentent. Les neurotransmetteurs modulateurs des ganglions autonomes rendent
les neurones post-ganglionnaires très sensibles à l’activation des neurones pré-
ganglionnaires. Du fait que la sécrétion de ces neurotransmetteurs modulateurs
nécessite une décharge soutenue des fibres préganglionnaires, il apparaît que le
mode de décharge de ces fibres représente un élément déterminant de la réponse
post-synaptique qui va être produite.
Neurotransmetteurs post-ganglionnaires. Les cellules post-ganglionnaires
— les neurones moteurs autonomes qui commandent la sécrétion des glandes et
la contraction ou le relâchement des sphincters, etc. — utilisent des neurotrans-
metteurs différents dans les systèmes sympathique et parasympathique du SNA.
Les neurones post-ganglionnaires du système parasympathique libèrent de
l’ACh, mais les neurones du système sympathique utilisent en grande partie la
noradrénaline (NA). Les effets parasympathiques de l’ACh sont très localisés
sur ses cibles et passent par les récepteurs muscariniques. En revanche, la NA du
système sympathique a une influence beaucoup plus diffuse, y compris dans le
sang où elle circule librement.
Avec une bonne connaissance de l’organisation anatomobiochimique du sys-
tème autonome, on peut prévoir les effets des interactions d’une série de drogues
avec les systèmes cholinergique et noradrénergique (voir Fig. 15.9). Généralement,
les drogues qui facilitent (ou potentialisent) l’action de la noradrénaline ou qui
inhibent l’action muscarinique de l’acétylcholine sont dites sympathomimé-
tiques ; elles reproduisent les effets de l’activation du système sympathique. Ainsi,
l’atropine, un antagoniste des récepteurs cholinergiques muscariniques, simule
l’activation sympathique, par exemple lorsqu’elle dilate la pupille. Cette réponse
se produit parce que l’atropine déplace l’influence du système nerveux autonome
à l’avantage du système sympathique lorsque l’influence parasympathique est
bloquée. D’autre part, les drogues qui renforcent l’action de l’acétylcholine ou
inhibent l’action de la noradrénaline, sont dites quant à elles, parasympathomi-
métiques ; leurs effets imitent l’activation du système parasympathique. Ainsi le
propranolol, un antagoniste des récepteurs β de la noradrénaline, ralentit la fré-
quence cardiaque et diminue la pression artérielle. C’est pourquoi le propranolol
est parfois utilisé pour supprimer le trac de la scène.
Mais qu’en est-il de la fameuse poussée d’adrénaline ? Il s’agit d’une subs-
tance libérée dans le sang par la médullosurrénale, sous le contrôle de l’innerva-
tion sympathique préganglionnaire. L’adrénaline vient en réalité de la noradré-
naline, et ses effets sur les tissus-cibles sont presque semblables à ceux résultant
de l’activation du système sympathique. La médullosurrénale n’est donc, en réa-
lité, qu’un ganglion sympathique modifié. On peut dès lors imaginer qu’avec le
flot d’adrénaline, c’est toute une série d’effets sympathiques coordonnés qui se
déclenchent à travers l’organisme.

Systèmes modulateurs
diffus du cerveau
Que se passe-t-il lorsqu’on s’endort ? Les ordres internes « Vous devenez
somnolent » et « Vous tombez de sommeil » sont des messages qui intéressent
de nombreuses régions cérébrales. La transmission aussi large de cette infor-
mation se fait par l’intermédiaire de neurones présentant un réseau d’axones
particulièrement étendu. Il existe dans le cerveau plusieurs regroupements de ce
type de neurones, utilisant chacun un neurotransmetteur particulier, et formant
un réseau de connexions très étendu, de caractère diffus. Au lieu de transmettre
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 541

les détails des informations sensorielles, ces neurones ont souvent des fonctions
de régulation : ils modulent l’activité de larges populations de neurones (dans le
cortex cérébral, le thalamus, et la moelle épinière) impliquées dans des actions
plus spécialisées, pour les rendre plus ou moins excitables, ou encore pour que
leur activité soit plus ou moins synchronisée, etc. Globalement, ces neurones
modulateurs (ou régulateurs) sont un peu comparables aux boutons de réglage
du volume, des aigus, et des basses d’un appareil de radio : leur manipulation ne
change pas le lyrisme ou la mélodie d’un chant, mais améliore considérablement
son écoute. De plus, il semble que différents de ces systèmes jouent un rôle essen-
tiel dans certains aspects du contrôle moteur, de la mémoire, de l’humeur, de la
motivation, ou encore du métabolisme. Enfin, les systèmes modulateurs sont
affectés par de nombreuses drogues psychotropes dont ils sont la cible, et de ce
fait, au moins, ils occupent une place de choix dans les théories actuelles sur les
bases biologiques de certains troubles psychiatriques.

Organisation anatomofonctionnelle
des systèmes modulateurs diffus
Les différents types de systèmes modulateurs diffus présentent des structures
et des fonctions différentes, mais ils ont aussi des caractéristiques communes :
•• typiquement, chaque système est constitué d’un petit ensemble de neu-
rones (quelques milliers) ;
•• les corps cellulaires des neurones des systèmes diffus sont localisés pour
presque leur totalité dans le tronc cérébral ;
•• chaque neurone en influence beaucoup d’autres, car son axone très « bran-
ché » peut être en contact avec plus de 100 000 neurones post-synaptiques
distribués dans tout le cerveau ;
•• les contacts synaptiques établis par nombre de ces systèmes semblent des-
tinés à libérer les molécules de neurotransmetteur dans le milieu extra-
cellulaire pour qu’elles puissent diffuser au contact de nombreux neu-
rones, plutôt que d’agir dans le voisinage de la fente synaptique. Ainsi
ces contacts synaptiques ne présentent-ils pas, dans leur vaste majorité,
des profils ultrastructuraux de synapses classiques, tels qu’ils peuvent être
définis à partir du modèle de la jonction neuromusculaire des muscles
squelettiques3.
Les principaux systèmes modulateurs du cerveau sont associés aux neu-
rotransmetteurs suivants : la noradrénaline (NA), la sérotonine (5-HT), la dopa-
mine (DA), ou l’acétylcholine (ACh). Nous avons vu dans le chapitre 6 que tous
ces neurotransmetteurs, au niveau cérébral, activent pour l’essentiel des récep-
teurs métabotropiques spécifiques (couplés aux protéines G) ; par exemple, le
cerveau présente de 10 à 100 fois plus de récepteurs métabotropiques choliner-
giques muscariniques que de récepteurs nicotiniques, de type récepteurs-canaux.
Le rôle exact de ces systèmes sur le comportement n’est aujourd’hui encore
pas connu avec précision malgré une multitude de travaux qui se poursuivent
assidûment dans ce domaine, ce qui fait que seules quelques généralités peuvent
à cet égard être avancées. Il apparaît cependant clairement que l’influence de
ces systèmes neuronaux dépend, comme pour les autres catégories de neurones,
de leur activité électrique, et ainsi de leur capacité à libérer plus ou moins de
neurotransmetteur (Encadré 15.2).
Neurones noradrénergiques du locus coeruleus. La noradrénaline est un
neurotransmetteur du système nerveux autonome périphérique, mais elle se
trouve aussi localisée dans une petite structure du pont, le locus coeruleus (ce qui
signifie « tache bleue » en latin, nommée ainsi à cause du pigment contenu dans
ses cellules). Chez l’homme, le locus coeruleus contient environ 12 000 neurones,
et il y a un locus coeruleus de chaque côté du pont.

3.  NdT : le terme de « transmission volumique » a été avancé dans la littérature pour
rendre compte de cette action diffuse des neurotransmetteurs des systèmes modulateurs
diffus, encore dénommés neuromodulateurs.
542 3 – Cerveau et comportement

Encadré 15.2 FOCUS

« Dites-moi ce que vous mangez, je vous dirai qui vous êtes… »


Il semble que les Américains soient toujours en train la sérotonine dans le cerveau, avec de nombreux autres
de tenter de perdre du poids. Les nourritures allégées en acides aminés, comme la tyrosine, la phénylalanine,
tout genre, qui ont fait leur apparition dans les années l’alanine, l’isoleucine, ou la valine. Ces acides aminés
1990, ont laissé la place à tout ce qui est « light ». De sont très présents dans les régimes riches en protéines, et
fait, modifier ses habitudes alimentaires, en particulier ils affectent la pénétration du tryptophane par la barrière
en termes de contrôle de ses calories, peut réellement hématoencéphalique. Cet état est réversé par des régimes
modifier le métabolisme de l’organisme. Ceci affecte riches en sucres (qui contiennent également quelques
également les fonctions cérébrales. protéines). L’insuline, sécrétée par le pancréas endocrine
L’influence des régimes sur le cerveau est notable de en réponse à l’élévation des taux de sucres dans le sang,
façon sensible sur les systèmes neuromodulateurs. réduit les taux plasmatiques des acides aminés qui sont
Prenons l’exemple de la sérotonine. La sérotonine est en compétition avec le tryptophane pour sa pénétration
synthétisée en deux étapes à partir du tryptophane, qui dans le cerveau. Dans ce cas, le tryptophane pénètre
est un acide aminé essentiel, c’est-à-dire qui dépend de plus facilement dans le cerveau, et la synthèse de séro­
l’alimentation (voir Fig. 6.14). La première étape de tonine augmente.
cette biosynthèse implique la tryptophane hydroxylase, L’élévation des taux de sérotonine est mise en rap-
dont l’activité est critique pour la production de séroto- port avec une amélioration de l’humeur, une réduction
nine. Cette étape de la synthèse est dite « limitante », en de l’état anxieux, et une amélioration de la qualité du
ce sens que la faible affinité de l’enzyme pour le trypto- sommeil. C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer le
phane fait que la synthèse du neurotransmetteur n’est besoin de sucres exprimé par certains patients affectés
possible qu’en présence du substrat. En général, les taux par des troubles dépressifs passagers, en rapport en par-
de tryptophane circulant sont plus faibles que les quan- ticulier avec la survenue de l’hiver et la réduction de l’ex-
tités requises pour produire la saturation de l’enzyme. position à la lumière qui l’accompagne. Par ailleurs, ceci
Par voie de conséquence, la quantité de sérotonine pro- explique aussi pourquoi les essais cliniques basés sur
duite par le cerveau est, schématiquement, directement une déprivation massive en sucres pour réduire l’obésité
proportionnelle à la quantité de tryptophane disponible. ont dû être stoppés, du fait d’états dépressifs, d’irritabi-
Les taux de tryptophane cérébraux sont, quant à lité, et de troubles du sommeil associés.
eux, directement proportionnels aux taux de trypto- Sur la base de ces données et de beaucoup d’autres
phane périphérique, c’est-à-dire présents dans le sang, et observations, Richard Wurtman et sa femme Judith ont
à la capacité de ce tryptophane à franchir la barrière dès lors suggéré que nos choix alimentaires avaient
hématoencéphalique. Dans le sang, le tryptophane pro- quelque chose à voir avec nos besoins en sérotonine.
vient de l’hydrolyse de protéines présentes dans les ali- Conformément à cette théorie, les agents pharmacolo-
ments consommés, de telle manière qu’un régime riche giques qui produisent une élévation en sérotonine extra-
en tryptophane va conduire à des taux cérébraux élevés. cellulaire ont également pour effet de produire une
De façon surprenante, toutefois, lorsqu’un repas est réduction de la prise alimentaire, et sont efficaces contre
trop riche en protéines, il persiste pendant plusieurs l’obésité (mais ils ont une tendance à favoriser la dépres-
heures une réduction marquée des taux de tryptophane, sion), probablement en réduisant les besoins en sucres.
et par voie de conséquence de sérotonine, dans le cer- Ceci nous amènera d’ailleurs à reprendre cette discussion
veau. Ce paradoxe fut résolu par Richard Wurtman et plus loin, lorsque nous évoquerons les mécanismes de la
ses collègues du MIT, qui ont observé l’existence d’une régulation du comportement alimentaire dans le cha-
compétition au niveau des mécanismes de transport de pitre 16, et des troubles de l’humeur, dans le chapitre 22.

Une avancée déterminante a été faite au début des années 1960 lorsque Nils-
Ake Hillarp et Bengt Falck, au Karolinska Institute à Stockholm, ont développé
une technique histologique permettant la visualisation des neurones catéchola-
minergiques (noradrénergiques et dopaminergiques) sur des coupes de cerveau
(Fig. 15.11). Cette analyse a révélé que les axones issus du locus coeruleus for-
ment plusieurs faisceaux, puis se dispersent et innervent presque chaque partie
du cerveau : le cortex cérébral, le thalamus, l’hypothalamus, le bulbe olfactif,
le cervelet, le mésencéphale, et la moelle épinière (Fig. 15.12). Le locus coeru-
leus a probablement les connexions parmi les plus diffuses du cerveau, si l’on
considère qu’un seul de ses neurones peut présenter jusqu’à 250 000 synapses,
et qu’un même axone peut, par ses différentes branches, se projeter à la fois
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 543

Figure 15.11 – Neurones à noradrénaline du
locus coeruleus.
La réaction de la noradrénaline présente dans
les tissus avec la formaldéhyde (sous forme
de vapeurs imprégnant les coupes de tissu)
produit une fluorescence de couleur verte,
permettant alors la localisation anatomique
des neurones contenant le neurotransmetteur
et l’étude de leur projection dans le cerveau
(courtoisie du Dr Kjell Fuxe.)

Système noradrénergique

Néocortex
Thalamus

Hypothalamus Figure 15.12 – Système noradrénergique du


locus coeruleus.
Lobe temporal
Les axones des cellules noradrénergiques
Locus coeruleus du locus coeruleus innervent de larges terri-
Cervelet toires du système nerveux, incluant la moelle
épinière, le cervelet, le thalamus et le cortex
Vers la moelle épinière cérébral.

sur le cortex cérébral et sur le cortex cérébelleux. L’organisation de ces circuits


est si différente de tout ce qui était connu à l’époque que la communauté elle-
même a mis ­plusieurs années avant d’admettre que la NA était effectivement un
­neurotransmetteur dans le cerveau (Encadré 15.3).
Le locus coeruleus est impliqué dans la régulation des processus attention-
nels, de l’éveil, et des cycles veille-sommeil, ainsi que dans l’apprentissage et la
mémoire, l’anxiété, la douleur, l’humeur, et le métabolisme du cerveau. Il semble
donc que le locus coeruleus joue un rôle déterminant dans le fonctionnement
cérébral, mais le fait qu’on soit amené à utiliser le terme « impliqué » pour rendre
compte de sa fonction signifie qu’en fait, on ne connaît rien de précis. Ainsi le
cœur, le foie, les poumons, et les reins sont aussi « impliqués » dans les fonctions
cérébrales, car sans eux, les comportements ne pourraient s’exprimer. En raison
de sa distribution ubiquitaire, le locus coeruleus influence virtuellement toutes
les parties du cerveau. Mais pour mieux comprendre ses fonctions véritables, il
faut tenter de déterminer ce qui active réellement les neurones noradrénergiques :
les enregistrements pratiqués sur le rat et le singe éveillés montrent que ce sont
les stimuli sensoriels indolores, nouveaux, et inattendus, qui activent le plus les
neurones du locus coeruleus, lorsque l’animal se trouve dans son environnement
naturel. Ces stimuli sont moins actifs lorsque l’animal est moins vigilant, ou
simplement immobile en train de digérer. Le locus coeruleus pourrait ainsi contri-
buer à un éveil général du cerveau, face à des événements marquants. Comme
il a par ailleurs été démontré que la noradrénaline accroît les réponses des neu-
rones du cortex cérébral aux stimuli sensoriels marquants, la fonction du locus
coeruleus est sans doute d’augmenter la réactivité du cerveau à ce qui se passe
dans l’environnement du sujet, en accélérant le traitement de l’information par
les systèmes moteur et sensoriel spécifiques, et en les rendant plus performants.
544 3 – Cerveau et comportement

Encadré 15.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

L’exploration des neurones noradrénergiques centraux


Par Floyd Bloom

Dès les années 1930, il était acquis que la par la formaldéhyde, rendant les mono­
noradrénaline (NA) était le neurotransmet- amines (NA, dopamine et sérotonine)
teur de la composante sympathique du fluorescentes lorsqu’elles sont illuminées
­système nerveux autonome, mais sa carac- par une lumière de longueur d’onde adé-
térisation comme neurotransmetteur du quate. Mais, curieusement, dans les condi-
système nerveux central a encore demandé tions d’humidité des laboratoires du NIH à
une trentaine d’années. À la fin des années Washington, je fus incapable de reproduire
1950, la transmission synaptique, impli- ces résultats. Je me suis alors rendu à Yale
quant les neurotransmetteurs dans le sys- Floyd Bloom pour y tester d’autres méthodes basées sur
tème nerveux central, était conçue comme des observations en microscopie électronique
une extension au cerveau de ce que nous savions du couplées à de l’autoradiographie (voir chapitre 6), afin
fonctionnement de la jonction neuromusculaire, la de déterminer quel type de terminaison nerveuse pou-
synapse jusque-là la mieux étudiée et la mieux connue. vait concentrer la NA, comme venait de le montrer
À ce niveau, l’acétylcholine avait satisfait aux quatre Julius Axelrod pour l’innervation sympathique de la
­critères d’identification principaux des neurotransmet- glande pinéale.
teurs : la localisation, la reproduction des effets physio- De retour au NIH en 1968, j’avais suffisamment
logiques de la synapse (la contraction musculaire), la appris pour tester l’hypothèse selon laquelle les fibres
caractérisation pharmacologique et les changements de noradrénergiques pouvaient innerver les cellules de
perméabilité ionique. La question se posait alors de Purkinje du cortex cérébelleux. À cette époque, cette
savoir quel autre type de neurotransmetteurs utilisait région du cerveau était parmi les mieux connues sur le
dans le cerveau les synapses qui ne fonctionnaient pas plan de l’organisation des réseaux cellulaires. Avec Barry
avec l’acétylcholine ? À ce moment-là, la NA avait été Hoffer, qui avait étudié le développement du cervelet, et
détectée dans le cerveau et nous savions que certaines George Siggins, lui-même expert de l’innervation sym-
régions étaient plus riches que d’autres (des taux élevés pathique de la circulation sanguine, nous avons entre-
dans l’hypothalamus, des taux beaucoup plus faibles pris des expériences pour savoir comment les cellules
dans le cortex, par exemple). En d’autres termes, sa dis- de Purkinje répondaient à une application de NA. La
tribution intracérébrale n’était pas homogène et de ce réponse était claire : la NA produisait un ralentissement
fait ne pouvait rendre compte, par exemple, d’une simple de la décharge des cellules de Purkinje. Cet effet était
association du neurotransmetteur avec une fonction bloqué par des antagonistes des récepteurs adréner-
limitée au contrôle de la circulation cérébrale, dans les giques et était au contraire potentialisé par l’administra-
vaisseaux sanguins. Mais alors, quel pouvait être le rôle tion d’inhibiteurs de la capture de NA. L’ensemble de
de cette NA cérébrale ? ces effets n’était plus observé chez des animaux dont les
Lorsque j’ai intégré le NIH en 1962, pour éviter neurones noradrénergiques avaient été préalablement
d’être affecté à une mission en tant que médecin mili- détruits par une injection de 6-hydroxydopamine2.
taire, j’ai passé deux ans à tenter de comprendre com- Alors que j’effectuai un séjour au Karolisnka Institute
ment réagissaient les neurones de l’hypothalamus, du de Stockholm en 1971, l’année où Julius Axelrod a reçu
bulbe olfactif ou encore du striatum, à répondre à une son prix Nobel, j’ai appris avec Lars Olson et Kjell Fuxe
application ionophorétique de NA1. Les résultats appa- que le locus coeruleus situé dans le tronc cérébral au
raissaient comme quelque peu liés au hasard : un tiers niveau du pont était à l’origine de l’innervation noradré-
des neurones était excité, un tiers paraissait inhibé et le nergique du cervelet et aussi de l’ensemble du cerveau
tiers restant paraissait insensible à l’application de NA. (Fig. A). Lorsque Siggins, Hoffer et moi-même stimu-
À cette époque, l’information qui nous manquait était lions électriquement le locus coeruleus, nous produisions
de savoir si les neurones testés étaient naturellement un ralentissement de la décharge des cellules de Purkinje,
innervés par des fibres noradrénergiques. Cette informa- en parfait accord avec ce que nous observions par appli-
tion est devenue accessible lorsque les Suédois Nils-Ake cation ionophorétique de NA sur ces neurones. Ces
Hillarp et Bengt Falck eurent mis au point la méthode
d’histofluorescence, basée sur l’imprégnation des tissus
2.  NdT : il s’agit d’une substance neurotoxique qui détruit
1.  NdT : il s’agit d’étudier la décharge neuronale lors d’appli- les neurones catécholaminergiques lorsqu’elle est administrée
cations, au contact de la cellule, de faibles quantités de molé- localement dans les structures qui contiennent ces neurones,
cules de la substance, dont on veut étudier l’effet. dopaminergiques ou noradrénergiques.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 545

Encadré 15.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

effets étaient bloqués par l’inhibition pharmacologique avions observé chez le rat, où l’innervation noradréner-
de la tyrosine hydroxylase (enzyme de synthèse de la gique apparaissait comme très diffuse en particulier au
NA) et par la destruction des neurones noradréner- niveau cortical, chez le singe des différences régionales
giques du locus par injection locale de 6-hydroxydopa- apparaissaient, notamment dans les aires cingulaires et
mine. Nous fûmes alors convaincus que la NA était bien orbitofrontales du cortex. Cette distribution spécifique
un neurotransmetteur dans le cerveau. Toutefois, il des fibres noradrénergiques suggérait que le locus coeru-
apparaissait aussi que cette NA n’agissait pas exacte- leus avait une influence majeure sur les processus spa-
ment comme les autres neurotransmetteurs à action tiaux et visuomoteurs, plus que sur la détection de chan-
« rapide » connus jusque-là. Plutôt que d’exercer une gements subtils au plan sensoriel. Mon intérêt pour les
action excitatrice ou inhibitrice, il apparaissait que la systèmes catécholaminergiques centraux et leurs proces-
NA avait pour effet de « renforcer » l’action d’autres sus pathologiques associés se poursuit avec toujours
afférences innervant la même cible neuronale. Menahem autant d’intensité. J’ai ajouté à mes méthodes des tra-
Segal, avec qui je travaillais au NIH, arrivait aux mêmes vaux utilisant les neurosciences computationnelles et
conclusions s’agissant cette fois de l’action de la NA sur théoriques, en particulier en rapport avec les comporte-
l’hippocampe. ments, y compris avec leur modification avec le vieillis-
Après avoir intégré le Salk Institute à San Diego, j’ai sement.
travaillé avec Steve Foote et Gary Aston-Jones, sur l’en-
registrement de l’activité des neurones du locus coeru-
leus chez des rats vigiles, libres de leurs mouvements,
et chez des singes écureuils. Ces expériences nous ont
appris que les neurones du locus coeruleus répondaient
par des décharges brèves à toute une série de stimuli sen-
soriels de diverses modalités, qui s’atténuaient lorsque
l’animal était moins vigile et qui disparaissaient pendant
les phases de sommeil paradoxal. Le caractère phasique
ou tonique des réponses était corrélé avec le type de
récepteur adrénergique concerné, soit de type alpha, soit
de type bêta.
Plus tard, en utilisant des méthodes immunohisto-
chimiques basées sur la visualisation de la dopamine-­
bêta-hydroxylase spécifiquement présente dans les
neurones noradrénergiques, avec Steve Foote, John
­ Figure A – Mise en évidence des neurones noradrénergiques du
Morrison et Davis Lewis, nous avons proposé une pre- locus coeruleus chez le rat (coupe sagittale) par fluorescence
mière cartographie de l’innervation noradrénergique du (verte). (Source : courtoisie du Dr Floyd Bloom, The Scripps Research
cerveau chez le singe. Contrairement à ce que nous Institute.)

Neurones sérotoninergiques des noyaux du raphé.  Les groupes de neurones


contenant de la sérotonine sont localisés dans les neuf noyaux du raphé. Raphé, en
grec signifie « crête » ou « surjet », car les noyaux du raphé siègent effectivement
de chaque côté de la ligne médiane du tronc cérébral. Chaque noyau se projette
sur différentes régions du cerveau (Fig. 15.13). Les plus postérieurs, situés dans la
région bulbaire, sont connectés avec la moelle épinière et modulent les messages
sensoriels associés à la douleur, comme on l’a vu dans le chapitre 12. Les plus
antérieurs, situés dans les régions pontique et mésencéphalique, innervent presque
tout le cerveau, de la même façon diffuse que les neurones du locus coeruleus.
Comme les neurones du locus coeruleus, c’est durant l’éveil que les neurones
des noyaux du raphé sont le plus actif, lorsque l’animal est éveillé. Les noyaux
du raphé sont inactifs durant le sommeil. Le locus coeruleus et les noyaux du
raphé s’intègrent dans le concept de système réticulaire activateur ascendant, qui
implique le rôle de la formation réticulée du tronc cérébral dans les processus
liés à l’éveil du cerveau, et qui maintiennent la vigilance. Ce concept simple a
été vu et revu de mille façons depuis 1950, mais son sens fondamental demeure.
Les neurones du raphé semblent très impliqués dans la régulation des cycles
546 3 – Cerveau et comportement

Système sérotoninergique
Ganglions de la base

Néocortex Thalamus

Figure 15.13 – Système sérotoninergique des


noyaux du raphé. Hypothalamus
Les noyaux du raphé sont situés le long de
Lobe temporal
la ligne médiane dans le tronc cérébral, et les
axones des cellules sérotoninergiques de ces Cervelet
Noyaux du raphé
noyaux innervent globalement à peu près tout
le système nerveux. Vers la moelle épinière

veille-sommeil, ainsi que dans les mécanismes des différentes phases du sommeil.
Mais il faut noter que beaucoup d’autres systèmes neuronaux interviennent de
façon coordonnée dans cette fonction cérébrale. On verra plus en détail dans le
chapitre 19 la contribution des systèmes modulateurs diffus dans les processus
liés au sommeil et à la vigilance.
Les neurones sérotoninergiques du raphé jouent aussi un rôle dans la régula-
tion de l’humeur et de certains types de comportements émotionnels. On revien-
dra sur la sérotonine et l’humeur en parlant de la dépression, dans le chapitre 22.
Neurones dopaminergiques de la substance noire et de l’aire tegmentale
ventrale (ATV).  Pendant de nombreuses années, les chercheurs ont pensé que
la dopamine n’existait dans le cerveau que comme précurseur métabolique de
la noradrénaline. Ce sont les travaux d’Arvid Carlsson, dans les années 1960, à
l’Université de Göteborg en Suède, qui ont démontré le rôle clé de la dopamine
elle-même dans le fonctionnement cérébral. Cette découverte lui a valu le prix
Nobel de médecine en l’an 2000.
Bien que les neurones contenant de la dopamine soient distribués dans tout le
SNC, y compris quelques-uns dans la rétine, le bulbe olfactif et la partie périventri-
culaire de l’hypothalamus, deux groupes très proches de ces cellules présentent les
caractéristiques des systèmes modulateurs diffus (Fig. 15.14). L’un d’eux a son
origine dans la substance noire (substantia nigra), dans le mésencéphale. Comme
on l’a vu dans le chapitre 14, ces neurones se projettent sur le striatum (noyau
caudé et putamen) formant le système dopaminergique nigrostrié. La dopamine,
dans le striatum, facilite l’initialisation des mouvements volontaires ; et la dégé-
nérescence des neurones dopaminergiques de la substance noire est responsable
des troubles moteurs progressifs et redoutables de la maladie de Parkinson (voir
chapitre 14). Cela ne signifie cependant pas que l’on connaisse parfaitement le
rôle de la dopamine dans le contrôle moteur, mais on sait qu’elle facilite le déclen-
chement des réponses motrices à partir de stimuli environnementaux.
Le mésencéphale est aussi à l’origine d’un autre système modulateur diffus,
représenté par un groupe de cellules très proche de la substance noire, siégeant
dans la partie ventrale du tegmentum mésencéphalique identifiée comme aire
tegmentale ventrale (ATV). Les axones issus de ces neurones vont innerver une
zone bien définie du télencéphale, comprenant le cortex frontal et certaines par-
ties du système limbique (voir chapitre 18). Cette projection dopaminergique du
mésencéphale est connue sous le terme de système dopaminergique mésocortico-
limbique4. Différentes fonctions ont été attribuées à cette projection complexe.

4.  NdT : c’est dans le laboratoire de Jacques Glowinski au Collège de France à Paris que fut
découverte, dans les années 1970, la composante corticale de la voie mésocorticolimbique.
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 547

Principales composantes des systèmes dopaminergiques

Lobe Striatum
frontal

Substance
noire

Figure 15.14 – Systèmes dopaminergiques
nigrostrié et mésocorticolimbique.
La substance noire et l’aire mésencépha-
lique tegmentale ventrale sont situées dans
des régions voisines du mésencéphale. Les
Aire tegmentale ventrale
axones des neurones dopaminergiques issus
de ces régions projettent, respectivement,
vers le striatum (noyau caudé et putamen) et
vers les parties limbique et frontale du cortex.

Ainsi, il est évident qu’elle est impliquée dans un système de « récompense »


qui apprécie la valeur de certains comportements adaptatifs ou les renforce (par
exemple la recherche d’un partenaire). La récompense accompagnant l’activa-
tion de ce système peut être une sensation de plaisir. On verra dans le chapitre 16
que, si on leur en donne la possibilité, les rats cherchent à stimuler électrique-
ment cette voie nerveuse. On sait aussi qu’il existe une relation entre cette voie
et la toxicomanie, ou encore certains troubles psychiatriques (voir chapitre 22).
Neurones cholinergiques du cerveau antérieur et du tronc cérébral.
L’acétylcholine est le neurotransmetteur reconnu de la jonction neuromuscu-
laire, des synapses dans les ganglions autonomes, et des synapses post-ganglion-
naires du système parasympathique. Mais il existe aussi des neurones choliner-
giques dans le cerveau, dans le striatum par exemple, où ils sont principalement
présents sous forme d’interneurones. De plus, il existe deux systèmes choliner-
giques modulateurs diffus majeurs, dont l’un représente le complexe du cerveau
antérieur basal. Le terme de « complexe » est utilisé car les neurones choliner-
giques sont disséminés dans plusieurs noyaux au cœur du télencéphale, dans
la partie médiane et ventrale, par rapport aux ganglions de la base. Les plus
connus sont les noyaux médians du septum, qui envoient des fibres cholinergiques
vers l­’hippocampe (voie septo-hippocampique), et le noyau basal de Meynert, à
­l’origine de la plus grande partie de l’innervation cholinergique du néocortex.
La fonction des cellules du complexe du cerveau antérieur basal reste pra-
tiquement inconnue. Cependant, cette région fait l’objet de nombreuses études
depuis que l’on a découvert que ces cellules sont parmi les premières à disparaître
dans la maladie d’Alzheimer, qui se caractérise par la détérioration progressive
et profonde des fonctions cognitives (toutefois, dans la maladie d’Alzheimer,
les dégénérescences neuronales sont largement disséminées, notamment dans le
cortex et l’hippocampe, et aucun lien n’a pu être établi entre la maladie et les
neurones cholinergiques). Comme dans le cas des systèmes noradrénergique et
sérotoninergique, il semble que le système cholinergique soit impliqué aussi dans
la régulation de l’excitabilité du cerveau en général, durant l’éveil cortical et les
cycles veille-sommeil. Le complexe de la base du cerveau pourrait aussi jouer un
rôle particulier dans l’apprentissage et la mémorisation.
Le second système cholinergique diffus porte le nom de complexe choliner-
gique ponto-mésencéphalo-tegmental. Il se compose de cellules du pont et du
tegmentum mésencéphalique utilisant l’ACh comme neurotransmetteur. Ce
­système influence principalement le thalamus dorsal, où, avec les systèmes
­noradrénergique et sérotoninergique, il régule l’excitabilité des relais sensoriels
spécifiques. Ces cellules se projettent aussi vers le télencéphale, établissant ainsi
un lien cholinergique entre le tronc cérébral et les complexes du cerveau anté-
rieur basal. La figure 15.15 illustre schématiquement l’organisation des systèmes
cholinergiques.
548 3 – Cerveau et comportement

Systèmes cholinergiques centraux


Néocortex

Thalamus

Figure 15.15 – Principales composantes des Noyau du septum


systèmes cholinergiques centraux. médian
Les noyaux du septum médian et le noyau Noyau basal
basal de Meynert innervent très largement de Meynert
l’hippocampe et le cortex cérébral. Le com- Hippocampe
plexe ponto-mésencéphalo-tegmental pro-
jette vers le thalamus et une partie du cerveau Complexe ponto-
mésencéphalo-tegmental
antérieur.

Psychotropes et systèmes modulateurs diffus


Les drogues psychotropes représentent des substances qui « altèrent l’esprit »
(substances psychoactives), agissant toutes sur le SNC, probablement pour la
plupart en interférant avec la transmission synaptique chimique. Ces substances
agissent souvent directement sur les systèmes modulateurs, particulièrement les
systèmes noradrénergique, dopaminergique, et sérotoninergique.
Hallucinogènes. L’utilisation des hallucinogènes, des composés qui pro-
voquent des hallucinations, remonte à des milliers d’années. Les composés hal-
lucinogènes se trouvent dans des plantes dont la consommation fait partie de
nombreux rituels religieux ; ainsi un champignon, le Psilocybe, chez les Mayas,
et un cactus, le peyotl, chez les Aztèques. De nos jours, l’utilisation des hallu-
cinogènes a été introduite accidentellement dans le laboratoire du chimiste suisse
Albert Hofmann. En 1938, Hofmann réussit à synthétiser un nouveau composé,
l’acide lysergique diéthylamide, en abrégé LSD. Pendant cinq ans, le LSD fut
abandonné sur une étagère. Puis un jour, en 1943, Hofmann avala un peu de
poudre, accidentellement. Ses publications sur les effets du LSD attirèrent immé-
diatement l’intérêt de la communauté médicale. Les psychiatres commencèrent
à utiliser le LSD pour tenter de mettre à jour le subconscient de patients atteints
de maladies mentales. Plus tard la drogue fut découverte par des intellectuels, des
artistes, des étudiants, et par le département de la Défense aux États-Unis, qui se
pencha sur ses effets psychoactifs (un des principaux défenseurs de l’utilisation
du LSD était un ancien psychologue de Harvard, Timothy Leary). Vers 1960,
le LSD commença à circuler dans la rue, où il est encore présent aujourd’hui.
Le LSD est extrêmement puissant. Une dose de 25 microgrammes est suf-
fisante pour procurer des hallucinations (soit 25 000 fois moins, comparé aux
650 milligrammes d’une dose normale d’aspirine). Parmi ses effets sur le com-
portement, le LSD produit un état semblable à celui du rêve, avec une hyper­
sensibilité aux stimuli sensoriels, mêlant souvent les perceptions, de telle façon
que les sons évoquent des images, et les images des odeurs, et ainsi de suite.
La structure chimique du LSD (ainsi que des composants actifs du Psilocybe
ou du peyotl) est très proche de celle de la sérotonine, ce qui suggère qu’il agit sur
le système sérotoninergique. En fait le LSD est un agoniste puissant de la séro-
tonine, agissant sur les récepteurs localisés sur les terminaisons présynaptiques
des neurones, dans les noyaux du raphé. L’activation de ces récepteurs inhibe for-
tement la décharge des noyaux du raphé. On sait ainsi qu’un des effets du LSD
sur le SNC est une forte réduction de l’influence du système modulateur diffus
sérotoninergique du cerveau. Il faut noter que cette diminution d’influence est
aussi caractéristique des états de rêve liés au sommeil (voir chapitre 19).
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 549

Pouvons-nous en conclure que le LSD produit des hallucinations en rédui-


sant au silence les systèmes sérotoninergiques centraux ? En fait, l’effet des dro-
gues sur le cerveau n’est pas aussi simple ! Cette hypothèse pose problème. D’une
part, si on inhibe les noyaux du raphé par d’autres moyens, chez l’animal — par
exemple en les détruisant — on ne reproduit pas les effets du LSD. D’autre part,
la réponse des animaux au LSD reste la même après la destruction des noyaux
du raphé. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches dans ce domaine.
Ainsi, bien qu’il y ait un lien presque certain entre la sérotonine et les effets
hallucinogènes du LSD, on n’en connaît pas encore la nature précise. Au cours
de ces dernières années, les travaux ont été focalisés sur l’action du LSD sur les
récepteurs sérotoninergiques du cortex cérébral. Dans ce contexte, l’hypothèse
actuellement privilégiée pour rendre compte des hallucinations est celle d’une
action du LSD au niveau des aires corticales, où les perceptions sont normale-
ment formées et interprétées.
Stimulants.  Contrairement aux incertitudes concernant les hallucinogènes
et la sérotonine, il est clair que la cocaïne et les amphétamines, puissants stimu-
lants du SNC, agissent au niveau des synapses des systèmes dopaminergiques
et noradrénergiques. Ces deux drogues procurent une impression de vivacité et
d’assurance accrues, une sensation de gaieté et d’euphorie, et entraînent une
perte de l’appétit. Les deux sont sympathomimétiques, avec des effets périphé-
riques mimant l’activation du système sympathique du système nerveux auto-
nome : augmentation de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle, de la
dilatation des pupilles, etc.
La cocaïne est extraite des feuilles de coca, et elle est utilisée par les Indiens de
la Cordillère des Andes depuis des centaines d’années. Au milieu du xixe siècle,
la cocaïne fit son apparition en Europe et en Amérique du Nord comme l’ingré-
dient magique de toute une série de préparations dont les vendeurs vantaient
les propriétés médicinales (pour donner un exemple, le Coca-Cola fut mis sur
le marché en 1886 comme médicament, contenant à la fois de la cocaïne et
de la caféine). L’usage de la cocaïne diminua dès le début du xxe siècle, mais
se développa à nouveau dès les années 1960, en revenant comme stupéfiant.
Ironiquement, le durcissement de la réglementation sur les amphétamines, à
cette époque, est à l’origine de l’augmentation de la consommation de la cocaïne.
La première synthèse chimique des amphétamines fut réalisée en 1887, mais ce
n’est que pendant la Seconde Guerre mondiale que la consommation d’amphé-
tamines se développa, avec les soldats des deux camps (particulièrement les avia-
teurs), qui en prenaient pour se soutenir au combat. Après la guerre, les amphé-
tamines furent utilisées dans des préparations pour les régimes amaigrissants, de
décongestionnants pour le nez, et de « pilules stimulantes ». La réglementation
se renforça lorsqu’on s’aperçut que, comme pour la cocaïne, la consommation
des amphétamines à fortes doses présentait un fort risque d’accoutumance et
était très dangereuse.
La dopamine et la noradrénaline sont des catécholamines, ainsi dénommées
en raison de leur structure chimique (voir chapitre 6). L’action des catéchola-
mines libérées dans la fente synaptique est normalement interrompue par des
mécanismes de récupération spécifiques impliquant la terminaison qui a libéré
le neurotransmetteur. Cocaïne et amphétamines bloquent le processus de récu-
pération des catécholamines en général (Fig. 15.16), bien que des travaux récents
suggèrent que la cible de la cocaïne est plutôt l’inactivation sélective de la recap-
ture de la dopamine ; les amphétamines bloquent la récupération de noradréna-
line et de dopamine et stimulent la libération de dopamine. Ces drogues peuvent
donc prolonger et intensifier l’action de la dopamine et de la noradrénaline. Mais
ceci explique-t-il comment la cocaïne et les amphétamines exercent leurs effets
stimulants ? On peut le penser. En effet, la réduction expérimentale des taux
de catécholamines cérébrales au moyen d’inhibiteurs de synthèse (par exemple
la α-méthyltyrosine) annule l’influence stimulante des deux types de drogues,
cocaïne et amphétamines.
Outre un effet stimulant comparable, la cocaïne et les amphétamines ont
une influence plus insidieuse sur le comportement : ces drogues créent souvent
un sévère état de dépendance chez les utilisateurs. La recherche insatiable de
550 3 – Cerveau et comportement

Tyrosine α-méthyltyrosine Tyrosine


– –
Dopa Dopa
Figure 15.16 – Effet des psychostimulants
sur les terminaisons catécholaminergiques. Dopamine
Le schéma de gauche représente une termi-
naison noradrénergique, et celui de droite une Noradrénaline (NA) Dopamine (DA)
terminaison dopaminergique. Les deux neuro­
transmetteurs sont synthétisés à partir de la
NA DA
tyrosine, un acide aminé fourni par l’alimen-
tation. La DOPA (3, 4-dihydroxyphénylalanine)
représente un intermédiaire dans la biosyn-
thèse de chacun de ces neurotransmetteurs.
Les effets de la noradrénaline (NA) et de la
NA – – NE DA
dopamine (DA) au niveau synaptique sont limi-
tés par leur réincorporation (uptake) dans les
terminaisons nerveuses qui les ont libérées. NA Cocaïne ou DA
Les amphétamines et la cocaïne bloquent amphétamines
cette « capture neuronale », ce qui conduit à Activation des récepteurs Activation des récepteurs
des effets prolongés des neurotransmetteurs post-synaptiques et présynaptiques post-synaptiques et présynaptiques
sur leurs récepteurs synaptiques.

sensations de plaisir durables et continues, induites par la drogue, se développe


chez les individus concernés. On pense que ces effets viennent spécifiquement
d’une augmentation de la transmission synaptique dans le système dopaminer-
gique mésocorticolimbique, associée à l’utilisation de la drogue. Normalement,
ce ­système fonctionne pour renforcer l’adaptation du comportement. En le
court-circuitant, ces drogues renforcent le comportement consistant à rechercher
de la drogue. En fait, de même que les rats vont s’activer pour stimuler électri-
quement la projection mésocorticolimbique, les utilisateurs vont aussi tout faire
pour avoir une dose de cocaïne. L’implication des systèmes dopaminergiques
dans la motivation et l’addiction sera traitée dans le chapitre 16.

Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons étudié trois constituants du système nerveux,
qui se caractérisent par la large dispersion de leurs influences, contrairement aux
systèmes plus spécifiques que nous avons abordés jusqu’alors. L’hypothalamus
et le système nerveux autonome communiquent avec d’autres cellules de toutes
les parties du corps, et les systèmes modulateurs diffus agissent sur des neu-
rones situés dans de nombreuses parties du cerveau. Ces systèmes neuronaux se
caractérisent aussi par la durée de leurs effets, qui peut aller de quelques minutes
à plusieurs heures. Enfin, ils sont caractérisés par des neurotransmetteurs spé-
cifiques. De nombreux exemples montrent que c’est le neurotransmetteur qui
définit le système. Par exemple, pour la périphérie on utilise indifféremment les
mots « noradrénergique » et « sympathique ». On peut dire la même chose pour
« raphé » et « sérotonine » dans le cerveau antérieur, et pour « substance noire »
et « dopamine » dans les ganglions de la base. Ces idiosyncrasies chimiques ont
permis une interprétation de l’effet des drogues sur le comportement, que l’on
ne peut se permettre avec la plupart des autres systèmes neuronaux. On sait ainsi
quelle est la partie du cerveau sensible à la cocaïne et aux amphétamines, et à
quel endroit de la périphérie ils agissent pour faire monter la pression artérielle
et la fréquence cardiaque.
À un niveau plus détaillé, chacun des systèmes étudiés dans ce chapitre exerce
différentes fonctions. Mais, d’un point de vue plus général, ils contribuent tous
ensemble à l’homéostasie cérébrale : ils contrôlent différents processus physiolo-
giques, dans certains domaines. Ainsi, le SNA régule la pression artérielle pour
qu’elle reste au bon niveau, mais les variations de la pression artérielle contri-
15 – Cerveau et comportement : aspects ­neurochimiques 551

buent aussi à optimiser les performances de l’animal, dans certaines circons-


tances. De même, le locus coeruleus noradrénergique et les noyaux du raphé séro-
toninergiques régulent le degré de conscience, et l’humeur. Mais, que l’on parle
de contrôle de la pression artérielle ou de l’humeur, le dysfonctionnement des sys-
tèmes régulateurs peut avoir des effets catastrophiques. Dans les deux prochains
chapitres, on reparlera de ces systèmes dans le contexte de fonctions spécifiques.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Les blessés de guerre qui ont perdu beaucoup de sang ont souvent
très envie de boire de l’eau. Pourquoi ?
2. Vous avez veillé une grande partie de la nuit pour remettre un travail
à temps. Vous tapez maintenant frénétiquement sur votre ordinateur,
avec un œil sur l’article que vous rédigez, et un autre sur l’heure. Com-
ment la partie périventriculaire de l’hypothalamus orchestre-t-elle la
réponse physiologique du corps au stress de cette situation ? Donnez
une description détaillée.
3. Une « crise addisonienne » décrit une constellation de symptômes qui
incluent une faiblesse extrême, une confusion mentale, une somno-
lence, une chute de la pression artérielle et des douleurs abdominales.
Quelle est la cause de ces symptômes et que peut-on faire pour traiter
ce syndrome ?
4. Pourquoi dit-on fréquemment que la glande médullosurrénale est
l’analogue d’un ganglion sympathique modifié ? Pourquoi ne peut-on
pas en dire autant de la corticosurrénale ?
5. Un grand nombre d’athlètes et d’animateurs célèbres sont morts
­accidentellement après avoir pris de grandes quantités de cocaïne.
La cause de la mort est généralement un arrêt cardiaque. Comment
expliquez-vous l’action périphérique de la cocaïne ?
6. Quelles sont, selon vous, les différences entre les systèmes « point par
point » et les systèmes modulateurs ? Donnez au moins 4 types de
différences.
7. Dans quelles conditions particulières sont activés les neurones du
l­ ocus coeruleus ? Et les neurones noradrénergiques du système nerveux
autonome ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Bloom FE. The catecholamine neuron: historical and future perspectives.


Progress in Neurobiology 2010 ; 90 : 75-81.
Carlsson A. A paradigm shift in brain research. Science 2001 ; 294 :
1021-4.
McEwen BS. Sex, stress and the hippocampus : allostasis, allostatic load
and the aging process. Neurobiology of Aging 2002 ; 23 (5) : 921-39.
Meyer JS, Quenzer LF. Psychopharmacology : Drugs, the Brain, and
­Behavior. Sunderland, MA : Sinauer, 2004.
Wurtman RJ, Wurtman JJ. Carbohydrates and depression. Scientific
American 1989 ; 260 (1) : 68-75.
552 3 – Cerveau et comportement 552

CHAPITRE  16 Motivation

HYPOTHALAMUS,
HOMÉOSTASIE ET
COMPORTEMENTS MOTIVÉS

RÉGULATION À LONG TERME


DES CONDUITES ALIMENTAIRES
Équilibre énergétique.......................................................................... 555
Régulations hormonale et hypothalamique des conduites alimentaires
et du tissu adipeux............................................................................. 556
Encadré 16.1 Focus  Le cerveau affamé des obèses

RÉGULATION À COURT
TERME DES CONDUITES
ALIMENTAIRES
Avoir de l’appétit, manger, digérer et ne plus avoir faim...................... 564
Encadré 16.2 Focus  La marijuana et la stimulation de l’appétit
Encadré 16.3 Focus  Diabète mellitus et choc insulinique

POURQUOI 

MANGEONS-NOUS ?
Renforcement et récompense.............................................................. 568
Encadré 16.4 Focus  Autostimulation du cerveau humain
Rôle de la dopamine dans les processus motivationnels...................... 568
Encadré 16.5 Focus  Dopamine et addiction
Encadré 16.6 Les voies de la découverte  Apprendre à désirer…
par Julie Kauer
Sérotonine, prise alimentaire et humeur.............................................. 571

AUTRES COMPORTEMENTS
MOTIVÉS
La soif................................................................................................ 575
Régulation de la température corporelle............................................. 577

CONCLUSION
Encadré 16.7 Focus  Neuroéconomie
INTRODUCTION

N
otre vie est une succession de comportements. Pour quelle raison ?
L’objectif de cette troisième partie de l’ouvrage est de tenter d’expli-
quer pourquoi se réalisent les comportements. Dans la deuxième par-
tie, nous avons vu comment un certain nombre de réponses motrices sont sus-
ceptibles d’être élaborées. Par exemple, au niveau le plus élémentaire, les réflexes
sont déclenchés de façon inconsciente et automatique, à partir d’une stimulation
sensorielle ; telle la dilatation de la pupille lorsque la lumière diminue, le retrait
du pied lorsque l’on marche sur une punaise, etc. Au niveau le plus élaboré, on
trouve à l’inverse des mouvements volontaires très sophistiqués, comme ceux qui
président à la frappe de ce texte sur l’ordinateur, et qui supposent une séquence
d’événements très précise, impliquant notamment le lobe frontal. Ce type de
mouvement volontaire répond à une exigence. Il est sous-tendu par une motiva-
tion. Une telle motivation peut avoir un caractère abstrait (le « besoin » d’aller
faire de la voile par une belle et chaude journée d’été), mais elle peut présenter
au contraire un aspect tout à fait concret (par exemple, le « besoin » d’aller aux
toilettes lorsque votre vessie est pleine).
La motivation peut ainsi être perçue comme une force qui vous amène à réa-
liser un comportement. Par analogie, considérons la force ionique qui amène les
ions sodium à traverser une membrane semi-perméable telle que la membrane
neuronale (une analogie un peu osée, peut-être, mais pas pour un ouvrage sur
les neurosciences…). Comme nous l’avons vu dans les chapitres 3 et 4, la force
ionique dépend d’un certain nombre de facteurs, incluant notamment la concen-
tration de l’ion de part et d’autre de la membrane, ou encore le potentiel de
membrane. Les variations de cette force ionique entraînent ainsi un courant
ionique dans l’une ou l’autre des directions, mais la force ionique elle-même
n’est pas suffisante pour provoquer le courant : le courant ionique nécessite
l’activation de canaux spécifiques qui s’ouvrent et permettent le passage des ions
au travers de la membrane.
Bien entendu, le comportement humain ne peut pas être réduit à la loi
d’Ohm… Certes, il est évident que la nature du comportement et son déclenche-
ment vont dépendre des forces qui le déterminent, et si une motivation particu-
lière est nécessaire pour réaliser le comportement, elle ne garantit pas son succès.
L’analogie avec les processus membranaires nous permet en plus de mettre en
exergue qu’une partie essentielle du contrôle de tel ou tel comportement est en
fait liée à la capacité de choisir en conscience parmi plusieurs de ces comporte-
ments motivés, aux intérêts souvent opposés ; par exemple, aller faire de la voile
alors même qu’il est urgent de préparer un texte à l’ordinateur.
En dépit de progrès considérables, les neurosciences ne sont toujours pas
à même d’expliquer concrètement pourquoi on a finalement décidé d’être
raisonnable et de travailler sur le texte de ce chapitre, plutôt que d’aller faire de
la voile… Néanmoins, des avancées ont été réalisées pour expliquer au moins ce
qui motive les comportements qui sont nécessaires à la survie.
554 3 – Cerveau et comportement

Hypothalamus, homéostasie
et comportements motivés
Dans le chapitre 15, nous avons introduit l’hypothalamus et la notion
d’homéostasie. Souvenez-vous que l’homéostasie réfère à des mécanismes qui
maintiennent un certain nombre de paramètres internes de l’organisme dans
des limites physiologiques étroites. Même si le maintien de ces constantes
physiologiques implique de façon plus ou moins réflexe de nombreuses régions
du système nerveux, l’hypothalamus occupe une place centrale dans ces régula-
tions, en intervenant notamment pour la régulation de la température du corps,
l’équilibre hydrominéral ou l’équilibre énergétique.
L’intervention de l’hypothalamus dans la régulation des processus homéos-
tasiques débute avec la transduction des signaux sensoriels. Ainsi, par exemple,
dans le cas de la régulation de la température, des neurones sensoriels spéciali-
sés interviennent et les écarts de température par rapport aux normes physio-
logiques sont détectés par un groupe de neurones particulier situé dans la zone
périventriculaire de l’hypothalamus. Ces neurones orchestrent une réponse inté-
grée de l’organisme, qui ramène les valeurs de la température du corps autour de
la normale. Dans ce cas, la réponse présente en général 3 composantes :
1. une réponse humorale : les neurones hypothalamiques répondent aux
signaux sensoriels en stimulant ou en inhibant la production des hor-
mones hypophysaires au niveau de la circulation générale ;
2. une réponse viscéromotrice : les neurones hypothalamiques répondent aux
stimuli sensoriels en ajustant l’activité des deux systèmes a priori antago-
nistes, sympathique et parasympathique, du système nerveux autonome ;
3. une réponse motrice somatique : les neurones hypothalamiques, particuliè-
rement ceux de l’hypothalamus latéral, répondent aux signaux sensoriels
en déclenchant la réponse somatique motrice la plus appropriée à la situa-
tion.
Envisageons maintenant une situation où vous avez froid, vous êtes déshy-
draté, et globalement hypoglycémique. Les réponses humorales et viscéromotrices
se déclenchent automatiquement. Vous tremblez, le sang afflue vers les parties
profondes de l’organisme (ce qui explique la pâleur), la production d’urine est
inhibée, les réserves de graisses de l’organisme sont mobilisées, etc. Néanmoins,
le moyen le plus rapide et le plus efficace pour lutter contre l’hypothermie reste
de rechercher la chaleur ambiante, de boire chaud, de manger, et surtout de bou-
ger. Ces différents comportements représentent dès lors des réponses motrices
somatiques déterminant globalement un comportement motivé, sous contrôle de
l’hypothalamus latéral. L’objectif de ce chapitre est ainsi de décrire les méca-
nismes nerveux d’un tel type de comportement et, pour illustrer le propos, on
tentera de comprendre qu’est-ce qui nous pousse à nous nourrir.

Régulation à long terme


des conduites alimentaires
Comme vous le savez, même une brève interruption de la circulation céré-
brale peut conduire à des lésions graves, et jusqu’à la mort, du fait de la baisse
en oxygène. Vous serez cependant surpris de savoir que les besoins du cerveau
en nourriture sous forme de glucose ne sont pas moins importants. En effet, une
déprivation en glucose de quelques minutes seulement peut conduire, de la même
manière que dans le cas de l’oxygène, à une perte de conscience et à la mort, si
le taux de glucose n’est pas restauré. Cette situation peut présenter un carac-
tère dramatique car, si la disponibilité en oxygène dépend de l’air que l’on res-
pire, la disponibilité en glucose n’est pas aussi évidente. Dès lors, des processus
16 – Motivation 555

régulateurs complexes sont mis en œuvre par l’organisme pour stocker l’énergie
et la rendre disponible lorsque cela est nécessaire. L’une des motivations prin-
cipales pour se nourrir est alors de maintenir ces réserves à un niveau suffisant
pour faire face à une baisse brutale d’énergie.

Équilibre énergétique
Les réserves énergétiques de l’organisme sont reconstituées par la prise de
nourriture. Cette condition au cours de laquelle le sang transporte des nutri-
ments est dénommée état prandial (du mot latin qui signifie « déjeuner »).
Pendant cette période, l’énergie est stockée sous deux formes : le glycogène et les
triglycérides (Fig. 16.1). Les réserves de glycogène ont une capacité limitée et se
trouvent principalement dans les muscles et le foie. Les réserves en triglycérides
se trouvent quant à elles dans le tissu adipeux (ce que l’on nomme les graisses), et
sont au contraire virtuellement illimitées. L’assemblage des molécules pour for-
mer le glycogène et les triglycérides à partir de précurseurs simples est dénommé
anabolisme, ou métabolisme anabolique.
Juste après l’absorption de nourriture, pendant une période que l’on nomme
état post-absorption (ou état post-prandial), les molécules de glycogène et de tri­
glycérides stockées sont hydrolysées pour fournir continuellement à l’organisme
les substrats nécessaires au métabolisme cellulaire, à la manière d’un « carbu-
rant » (le glucose pour toutes les cellules, les acides gras et les cétones pour toutes
autres cellules que les neurones). Le processus qui conduit à la dégradation de
ces molécules complexes pour fournir de l’énergie est dénommé catabolisme ou
métabolisme catabolique ; il est exactement l’opposé de l’anabolisme. Ce sys-
tème est en équilibre lorsque les réserves sont reconstituées au même rythme
moyen que celui qui préside à l’utilisation de l’énergie. Si la prise de nourriture et
le stockage dépassent les besoins, la masse graisseuse (tissu adipeux) augmente,
résultant éventuellement en une situation qualifiée d’obésité (le terme « obèse »
est dérivé du mot latin qui signifie « graisses »). Si, au contraire, la prise de nour-
riture ne couvre pas les besoins de l’organisme, une déperdition du tissu adipeux

Muscle
squelettique

Foie Glycogène Foie Glycogène


Intestins Neurones Neurones
(après le repas) Intestins (vides)
Glucose Glucose
Glucose
Nutriments Acides gras Vers toutes Acides gras
Vers toutes
absorbés les cellules Sang les cellules
Cétones Ketones
Cétones

Sang

Triglycérides Triglycérides

Tissu adipeux (graisses) Tissu adipeux (graisses)

(a) Anabolisme durant la phase prandiale (b) Catabolisme durant la phase post-prandiale

Figure 16.1 – Dynamique des réserves énergétiques de l’organisme.


(a) Après un repas, lors de l’état prandial l’excès d’énergie est stocké sous forme de glycogène ou
de triglycérides. (b) Entre les repas, lors de l’état post-prandial le glycogène et les triglycérides sont
métabolisés sous forme de molécules de taille plus petite, qui peuvent alors être utilisées directe-
ment par les cellules comme source d’énergie.
556 3 – Cerveau et comportement

Équilibre Réserves se produit, résultant éventuellement en un état que l’on dénomme cette fois ina-
énergétique graisseuses nition. La figure 16.2 résume le concept d’équilibre énergétique et de stockage
(a) de la graisse dans l’organisme.
Prise = dépenses Normal Pour que le système reste en équilibre, il est nécessaire de réguler le compor-
alimentaire énergétiques
tement alimentaire en rapport avec les réserves énergétiques et leur vitesse de
renouvellement. Au cours des dernières décennies, des avancées considérables
ont été faites sur la connaissance des mécanismes de régulation de ce comporte-
ment, et ce n’est pas trop tôt compte tenu du fait que les problèmes d’obésité et
de malnutrition sont devenus des questions de société. Il est maintenant clair que
(b)
ces mécanismes complexes agissent soit à court terme pour réguler directement
Prise > dépenses Obésité la prise alimentaire et sa fréquence, soit à long terme pour maintenir les réserves
alimentaire énergétiques
énergétiques de l’organisme.

Régulations hormonale et hypothalamique


des conduites alimentaires et du tissu adipeux
(c)
L’étude de la régulation du comportement alimentaire a déjà une longue
Prise < dépenses Inanition histoire, mais le puzzle commence aujourd’hui à être relativement reconstitué.
alimentaire énergétiques Comme nous allons le voir, la prise de nourriture est stimulée lorsque certains
neurones hypothalamiques détectent une chute des taux circulants d’une hor-
mone sécrétée par le tissu adipeux. Ces neurones hypothalamiques sont concen-
trés dans une région périventriculaire ; les neurones qui « incitent » à se nourrir
sont situés quant à eux dans l’hypothalamus latéral.
Figure 16.2 – Équilibre énergétique et tissu
Tissu adipeux et prise alimentaire.  Si vous êtes à la diète, alors il n’est pas
graisseux.
(a) Une balance énergétique normale conduit
nécessaire de vous dire que l’organisme travaille dur pour agir sur les tissus adi-
à des dépôts graisseux limités. (b) Un excès peux. Vous n’êtes pas seul dans ce cas. Comme cela est illustré à la figure 16.3,
d’énergie déséquilibre la balance énergétique on peut faire perdre à un rat ses réserves en graisses en le plaçant sous une diète
et se traduit par une obésité. (c) Un déficit sévère, qui réduit sa prise calorique. Néanmoins, dès qu’on autorise à nouveau
énergétique chronique se traduit en revanche son accès à la nourriture, l’animal va se suralimenter par rapport à la normale,
par une inanition. jusqu’à ce qu’il retrouve un niveau de graisses équivalent à ce qu’il avait avant
la diète (voilà une situation qui vous est peut-être familière…). Mais cela fonc-
tionne aussi dans l’autre sens : si vous forcez un animal à manger, lorsque vous
lèverez la contrainte, il réduira de lui-même sa prise alimentaire, jusqu’au retour
des taux de graisses à la normale. Objectivement, la réponse comportementale
du rat n’est pas liée à sa vanité de paraître : elle traduit simplement une réponse
adaptative de l’organisme, mise en jeu pour maintenir l’homéostasie énergétique.
L’idée que c’est le cerveau qui régule les taux de graisses de l’organisme et agit
pour « défendre » son potentiel énergétique contre toute perturbation n’est pas
nouvelle. Elle a été initialement proposée en 1953 par le chercheur britannique
Gordon Kennedy, et elle porte le nom d’hypothèse lipostatique.
Période Période
de jeûne de gavage Le couplage du taux de graisse de l’organisme au comportement alimentaire
suppose dès lors qu’il existe des échanges d’informations entre le tissu adipeux
et le cerveau. Une piste hormonale a été rapidement suspectée et vérifiée dans
Poids du corps (g)

500
les années 1960 par Douglas Coleman et ses collègues des Laboratoires Jackson
400
à Bar Harbor, dans le Maine (États-Unis), travaillant avec une souris rendue
300 génétiquement obèse. L’ADN d’une souche de souris obèses ne contient pas les
copies d’un gène particulier dénommé gène ob, et les souris en question sont donc
200 reconnues comme souris ob/ob. Coleman a proposé que la protéine résultant de
0 30 60 90 120 150 180
Temps (jours)
l’expression du gène ob soit une hormone renseignant le système nerveux sur
l’état du tissu adipeux. Dès lors que les souris ob/ob n’expriment plus les gènes
Figure 16.3 – Maintenance du poids autour ob, le cerveau ne reçoit plus de signal disant que le tissu adipeux est normal.
d’une valeur moyenne. Dans ce cas, le cerveau serait « trompé », en imaginant que le taux de graisses
La masse corporelle est normalement stable. est bas, et cela aurait pour conséquence de provoquer chez ces animaux une
Si l’on force un animal à manger, il va grossir.
prise de nourriture anormalement élevée. Pour tester cette hypothèse, les cher-
Cependant, dès que l’on stoppe cette forme
cheurs ont imaginé une expérience de parabiose. Cette expérience consiste en la
de gavage et que l’animal se nourrit à nou-
veau librement, il retrouve son poids initial et réalisation d’une « fusion » anatomique et physiologique de deux animaux, telle
autorégule sa prise alimentaire. De façon simi- qu’elle intervient chez les jumeaux siamois. Dans cette expérience, une fusion
laire, une perte de poids pendant une période chirurgicale qui conduit à la production d’animaux partageant la même circula-
de jeûne est rapidement compensée lorsque tion générale, est réalisée. Coleman et ses collaborateurs montrent que la fusion
la prise alimentaire redevient normale. parabiotique d’une souris ob/ob avec une souris normale conduit à réduire consi-
16 – Motivation 557

dérablement l’obésité de la souris ob/ob et à normaliser la conduite alimentaire


des deux animaux, qui se comportent comme si l’hormone manquante avait été
remplacée (Fig. 16.4).
Les recherches ont ensuite porté sur l’identification de la protéine codée par
le gène ob et, en 1994, un groupe de chercheurs dirigé par Jeffrey Friedman
à l’Université Rockefeller à New York a isolé une protéine qu’ils ont appelée
leptine (du mot grec qui signifie « mince »). En traitant les souris ob/ob par la
leptine, il est alors possible de réverser l’obésité de ces animaux et leurs troubles
du comportement alimentaire (Fig. 16.5). La leptine, une hormone sécrétée par
les adipocytes, agirait comme régulateur du comportement alimentaire et de la
masse corporelle en influençant directement les neurones de l’hypothalamus. La
leptine réduit l’appétit et accroît la dépense énergétique.
L’observation des personnes bien nourries permet de mieux comprendre
Souris normale Souris ob/ob
comment une augmentation des taux de leptine peut permettre de lutter contre
l’obésité (Encadré 16.1). Toutefois, il est encore plus important de comprendre
comment une réduction des taux de leptine s’oppose à l’inanition. Une réduc-
tion des taux de leptine stimule la faim et la prise alimentaire. Elle supprime aussi
les dépenses énergétiques et inhibe par ailleurs le comportement reproducteur,
ce qui représente une réponse adaptative lorsque la nourriture est rare et que les
réserves d’énergie sont basses.
Hypothalamus et comportement alimentaire.  C’est à A.W. Hetherington et
à S.W. Ranson, travaillant à l’époque à la Northwestern University aux États-
Unis, que revient la découverte, publiée en 1940, que de petites lésions de l’hypo-
thalamus réalisées bilatéralement chez le rat avaient des conséquences considé-
rables sur le comportement alimentaire et l’adiposité. Ces chercheurs ont montré
que des lésions bilatérales de l’hypothalamus latéral causaient une anorexie, qui
se traduit par une réduction drastique de la prise de nourriture. Au contraire, Parabiose
des lésions similaires réalisées dans l’hypothalamus ventromédian causaient une
stimulation de la prise alimentaire, jusqu’à entraîner l’obésité (Fig. 16.6). Il est Figure 16.4 – Régulation de la masse grais­
alors vraisemblable qu’un tel scénario s’applique au cerveau humain. L’anorexie seuse par une hormone circulante.
résultant d’une lésion latérale est communément dénommée syndrome hypotha- L’intervention consiste à associer chirurgi-
lamique latéral ; a contrario, la stimulation du comportement alimentaire et calement une souris mutante de type ob/ob
avec une souris normale, de telle manière
l’obésité résultant de la lésion médiane est dénommé syndrome hypothalamique
que les circulations soient « croisées ». Dans
ventromédian.
ces conditions, les signaux hormonaux circu-
Pendant un certain temps, l’idée a ainsi été largement acceptée que l’hypo- lants sont partagés par les deux animaux et
thalamus latéral agirait comme un « centre de la faim », par opposition à l’hy- l’obésité naturelle de la souris ob/ob se trouve
pothalamus ventromédian qui serait le « centre de la satiété » ; la lésion de l’une considérablement limitée.
ou l’autre de ces régions créant un déséquilibre fonctionnel. Les lésions de l’hy-
pothalamus latéral auraient de ce fait pour conséquence de créer une sensation
anormale de satiété, et ainsi les animaux ne se nourriraient plus. À l’inverse, les
lésions de l’hypothalamus ventromédian produiraient des animaux insatiables,
qui passeraient leur temps à se nourrir. Cependant, cette conception « dualiste »
est nécessairement réductrice, voire simpliste. Il s’avère en particulier que les
changements de comportement alimentaire suite aux lésions hypothalamiques
sont aussi en rapport avec l’action de la leptine.
Effets d’une augmentation des taux de leptine sur l’hypothalamus.  Même
si le schéma reste encore imprécis, il devient néanmoins possible de se faire une
idée de la place de l’hypothalamus dans la régulation de l’homéostasie du tissu
adipeux. Considérons par exemple la réponse produite au niveau comportemen-
tal lorsque les taux de leptine sont élevés, comme c’est le cas après plusieurs jours Figure 16.5 – Effet d’une administration de
de festoiement… leptine chez la souris obèse ob/ob.
Le taux circulant de leptine, sécrétée dans la circulation sanguine par les Les deux souris représentées ci-dessus sont
toutes les deux déficientes pour le gène ob,
adipocytes, active des récepteurs localisés sur les neurones du noyau arqué de
qui encode pour la leptine. L’animal de droite
l’hypothalamus, situé à la base du troisième ventricule (Fig. 16.7). Les neurones
a reçu quotidiennement une administration
du noyau arqué activés par une élévation du taux de leptine sont caractérisés de leptine, pour remplacer celle qui n’est
par le fait qu’ils contiennent des neurotransmetteurs peptidiques particuliers. La pas produite dans l’organisme. Ce traitement
plupart de ces neurones expriment ainsi à la fois l’αMSH et le peptide CART, est efficace pour réduire considérablement
et les taux de ces deux peptides dans les neurones sont dépendants des taux de l’obésité, telle qu’elle apparaît sur le sujet de
leptine circulants. gauche. (Source : courtoisie de John Sholtis,
Rockefeller University.)
558 3 – Cerveau et comportement

(a) Syndrome hypothalamique


latéral

Lésions
de l’hypothalamus Normal
latéral Lésions
de l’hypothalamus
ventromédian

(b) Syndrome hypothalamique


ventromédian

Figure 16.6 – Troubles du comportement alimentaire et de la régulation de la masse corporelle


suite à des lésions bilatérales de l’hypothalamus, chez le rat.
(a) Syndrome hypothalamique latéral, caractérisé par une anorexie. Il résulte de la lésion de la
partie latérale de l’hypothalamus. (b) Syndrome hypothalamique ventromédian, caractérisé par une
obésité. Il est produit par la destruction de la zone ventromédiane de l’hypothalamus.

Troisième
ventricule
Noyau
paraventriculaire

Hypothalamus
Aire hypothalamique
latérale

Noyau arqué

(a) (b)

Figure 16.7 – Principales structures hypothalamiques impliquées dans la régulation de la prise


alimentaire.
(a) Représentation sagittale médiane du cerveau humain montrant l’emplacement de l’hypotha-
lamus. (b) Section frontale montrant, en partie, trois des principaux noyaux impliqués dans la
régulation du comportement alimentaire : le noyau arqué, le noyau paraventriculaire et l’aire hypo-
thalamique latérale.
16 – Motivation 559

Encadré 16.1 FOCUS

Le cerveau affamé des obèses


De la même manière que les souris ob/ob, les sujets rones à la leptine présente dans la circulation générale.
humains déficients en leptine recherchent avidement la Cela peut-être un problème de passage de barrière
nourriture, ont un métabolisme ralenti, et sont obèses. hématoencéphalique, une réduction du nombre de
Pour ces individus, une thérapeutique visant à suppléer récepteurs à la leptine des neurones de l’hypothalamus
leur déficit en leptine tient du miracle (Fig. A). Bien que périventriculaire, ou une réponse anormale du cerveau
les mutations du gène de la leptine soient rares, il existe à ces changements d’activité hypothalamique. De nom-
cependant de nombreuses évidences que la plupart des breux travaux tentent actuellement d’identifier des cibles
obésités présentent une composante génétique. Le neuronales susceptibles d’agir sur les circuits neuronaux
caractère héréditaire de l’obésité est équivalent à celui de situés en aval de l’action de la leptine.
la taille des individus, et bien supérieur à d’autres patho-
logies considérées comme pouvant avoir une compo-
sante héréditaire, comme certaines pathologies car-
diaques, ou le cancer du poumon. Plusieurs gènes sont
impliqués, et les recherches se poursuivent sur ce terrain.
L’obésité est un problème de santé publique majeur.
Aux États-Unis, plus de 60 % de la population est en
surpoids, et des millions de personnes sont réellement
obèses. Les obèses ressentent un besoin irrépressible de
nourriture, et présentent en même temps un métabo-
lisme ralenti. Dans le cas d’une déficience en leptine, le
cerveau et le corps répondent comme si le sujet tombait
d’inanition, en dépit de l’obésité.
La leptine représente alors un traitement très pro-
metteur de l’obésité. En administrant de la leptine, la
logique voudrait que le cerveau perçoive ce signal
comme un élément de satiété, et diminue ainsi l’appétit
et augmente le métabolisme. Malheureusement, à l’ex-
ception des quelques obèses qui présentent un déficit
congénital de cette hormone, la plupart des autres
obèses n’ont pas répondu de cette manière au traite- Figure A – Effet d’une administration de leptine chez un enfant obèse.
ment. De fait, de nombreux patients présentent des taux Dans ce cas le traitement a débuté à l’âge de 5 ans (à gauche), et le
de leptine circulant anormalement élevés. Le problème résultat est illustré à l’âge de 9 ans (à droite). (Source : Gibson et al.,
de ces patients est alors une perte de sensibilité des neu- 2004, p. 4823.)

Remarque : la nomenclature de ces peptides est quelque peu complexe, ceux-ci


étant le plus souvent désignés par rapport à leur identification initiale, ce qui a
pour effet de créer des confusions lorsque de nouvelles actions sont mises en
évidence. Par conséquent, il est devenu d’usage de désigner les peptides par leurs
abréviations. Ainsi, l’αMSH désigne l’alpha-melanocyte-stimulating hormone, et
CART, cocaine- and amphetamine-regulated transcript. Comme dans le cas des
autres neurotransmetteurs, leur rôle fonctionnel dépend bien évidemment des
circuits neuronaux dans lesquels ils se trouvent impliqués.
Avant d’aller plus loin, considérons la réponse globale de l’organisme à un
excès de tissu adipeux, donc à des taux élevés de leptine circulante, et à l’acti­
vation des neurones αMSH/CART du noyau arqué. La réponse humorale se
traduit par une sécrétion anormalement élevée de TSH (thyroïd-stimulating hor-
mone) et d’ACTH (adrenocorticotropic hormone) (voir Tab. 15.1, chapitre 15).
Ces hormones hypophysaires agissent sur la thyroïde et sur les glandes surrénales,
respectivement, et ont pour effet de stimuler le métabolisme cellulaire, en géné-
ral. La réponse viscéromotrice augmente le tonus de la composante sympathique
du système nerveux autonome, ce qui a pour effet d’augmenter également le
560 3 – Cerveau et comportement

Noyau paraventriculaire

Troisième
ventricule
Aire
hypothalamique
latérale

Inhibition du
comportement
alimentaire

Figure 16.8 – Réponse à une élévation des


taux de leptine circulants. Neurones à αMSH/CART
Une élévation des taux de leptine dans le du noyau arqué
sang est détectée par les neurones du noyau
arqué qui contiennent les peptides αMSH
et CART. Ces neurones envoient leur axone
vers des structures du tronc cérébral et de
la moelle épinière, mais aussi vers le noyau
paraventriculaire de l’hypothalamus et l’aire
hypothalamique latérale. Chacune de ces
connexions contribue à la coordination des
Stimule la sécrétion Activation de neurones
différentes réponses, humorale, viscéromo- d’ACTH et de TSH du tronc cérébral et des neurones
trice et somatomotrice, à l’augmentation des à partir de l’hypophyse préganglionnaires de la composante
taux de leptine circulants. (Source : adapté de antérieure sympathique du système autonome
Sawchenko, 1998, p. 437.)

métabolisme, notamment par une élévation de la température. Enfin, la réponse


somatomotrice ralentit la prise de nourriture. De ce point de vue, les neurones à
αMSH/CART du noyau arqué ont la particularité de projeter directement vers
les régions du cerveau qui ont en charge d’orchestrer ces réponses coordonnées
(Fig. 16.8).
La réponse humorale déclenchée par l’activation des neurones αMSH/CART
va contribuer à activer des neurones situés dans le noyau paraventriculaire de
l’hypothalamus, lesquels sécrètent des hormones impliquées elles-mêmes dans la
régulation de la sécrétion de TSH et d’ACTH à partir de l’hypophyse antérieure
(voir chapitre 15). Le noyau paraventriculaire contrôle par ailleurs l’activité du
système sympathique par des connexions directes avec les régions du tronc céré-
bral, et jusqu’aux neurones préganglionnaires dans la moelle épinière. De sur-
croît, il existe une action directe du noyau arqué sur la réponse sympathique :
les neurones à αMSH/CART projettent aussi directement vers les neurones de
la colonne intermédiolatérale de la moelle épinière. Finalement, le comporte-
ment alimentaire est inhibé au travers de connexions du noyau arqué avec des
neurones de l’hypothalamus latéral, ce qui sera évoqué plus loin dans le détail.
Les injections intracérébrales de αMSH comme de CART miment les
réponses à une élévation des taux de leptine. De ce fait, ces peptides sont qualifiés
de peptides anorexigènes puisqu’ils diminuent la prise alimentaire. L’injection
d’agents pharmacologiques qui bloquent l’action de ces peptides a en revanche
pour effet de stimuler la prise de nourriture, renforçant l’idée que αMSH et
CART participent normalement à la régulation de la balance énergétique en
agissant comme autosuppresseurs de l’appétit.
Effets d’une diminution des taux de leptine sur l’hypothalamus.  En plus
d’agir sur la prise alimentaire en réduisant les réponses de l’αMSH et de CART,
une diminution des taux de leptine a aussi pour conséquence d’activer une autre
population de neurones du noyau arqué. Ces neurones contiennent deux autres
neuropeptides : le NPY (neuropeptide Y) et le AgRP (agouti-related peptide).
16 – Motivation 561

Noyau paraventriculaire
Troisième
ventricule
Inhibe la sécrétion des
hormones hypophysiotropes
qui contrôlent la production
d’ACTH et de TSH Aire
hypothalamique
latérale

Figure 16.9 – Réponse à une diminution des


taux de leptine circulants.
Une réduction des taux circulants de leptine
Stimule le
est détectée par une sous-population de neu-
comportement rones du noyau arqué exprimant le NPY et
alimentaire l’AgRP. Ces neurones inhibent des neurones
du noyau paraventriculaire qui contrôlent la
sécrétion de TSH et d’ACTH à partir de l’hy-
Neurones à NPY/AgRP pophyse. De plus, ils activent des neurones
du noyau arqué de l’hypothalamus latéral qui stimulent le
comportement alimentaire. Quelques-uns des
neurones activés dans l’hypothalamus latéral
contiennent deux autres peptides, l’orexine et
le MCH (melanin-concentrating hormone).

Les neurones à NPY/AgRP du noyau arqué sont en relation anatomique avec


le noyau paraventriculaire et l’hypothalamus latéral (Fig. 16.9). Les effets de ces
deux peptides ont la particularité d’avoir des effets opposés à ceux de αMSH/
CART sur la balance énergétique. Ainsi le NPY et l’AgRP inhibent la sécrétion
de TSH et d’ACTH. Ils activent par ailleurs la composante parasympathique du
système autonome et stimulent globalement le comportement alimentaire. De ce
fait, ils sont dénommés peptides orexigènes (du mot grec qui signifie « appétit »).
La réponse coordonnée du cerveau à des changements des taux de leptine circu-
lante est résumée à la figure 16.10.

Gros Maigre

Taux de leptine sanguin

Activité des neurones αMSH/CART Figure 16.10  – 


Résumé des réponses de
Réponse du noyau arqué l’organisme à des augmentations ou à des
Activité des neurones NPY/AgRP réductions de l’adiposité (variation de la
masse graisseuse).
Le noyau arqué détecte les changements de
Sécrétion de TSH et d’ACTH Réponse humorale
taux circulants en leptine. Une élévation des
taux de leptine augmente l’activité des neu-
Activité du système sympathique rones αMSH/CART, et une réduction des taux
Réponse viscéromotrice de leptine augmente celle des neurones NPY/
Activité du système parasympathique AgRP. Ces deux populations de neurones du
noyau arqué orchestrent les réponses humo-
Comportement alimentaire Réponse motrice somatique rale, viscéromotrice et somatique à ces varia-
tions de l’adiposité.
562 3 – Cerveau et comportement

Leptine AgRP et αMSH sont littéralement des neurotransmetteurs à action antago-


niste. Ces deux peptides agissent sur le même récepteur, défini comme récepteur
MC4, situé sur des neurones post-synaptiques dans l’hypothalamus. Alors que
l’αMSH est considéré comme l’agoniste endogène du récepteur, l’AgRP joue le
rôle de l’antagoniste. L’activation des récepteurs MC4 des neurones de l’hypo-
αMSH AgRP thalamus latéral inhibe la prise alimentaire alors que le blocage du récepteur la
Récepteur MC4
stimule (Fig. 16.11).
situé sur des neurones Contrôle de la prise de nourriture par les peptides de l’hypothalamus laté-
de l’aire hypothalamique
ral.  Venons-en maintenant à ce mystérieux hypothalamus latéral, qui paraît
avoir un rôle central dans notre motivation à nous nourrir. Cette région n’est pas
organisée en noyaux anatomiquement bien individualisés. De ce fait, on parle
en général d’aire hypothalamique latérale (voir Fig. 16.7). Comme cela a déjà été
mentionné, la première indication que l’hypothalamus latéral était impliqué dans
Inhibition du la motivation du comportement alimentaire résultait d’expériences de lésion
comportement montrant qu’une atteinte à ce niveau avait pour conséquence de bloquer la prise
alimentaire alimentaire. A contrario, la stimulation électrique de cette région induit la prise
alimentaire chez les animaux, y compris lorsque ceux-ci sont à satiété. Ces consi-
Figure 16.11 – Compétition pour l’activation dérations assez simplistes ont été appliquées à tous les mammifères, y compris
du récepteur MC4. l’homme. Malheureusement, en apporter les preuves s’est avéré plus délicat. En
L’une des raisons qui expliquent pourquoi effet, l’un des problèmes rencontrés porte sur le fait que la lésion, comme d’ail-
l’αMSH, un peptide anorexigène, et l’AgRP, un leurs la stimulation électrique, n’affecte pas que les neurones de cette région, mais
peptide orexigène, exercent des effets anta- qu’elle touche également de nombreuses fibres de passage à l’intérieur de la zone
gonistes sur le métabolisme et le comporte- détruite ou stimulée de l’hypothalamus latéral. Des expériences plus récentes,
ment alimentaire, est leur effet opposé sur le utilisant les méthodes optogénétiques pour stimuler ou bloquer l’activité de
récepteur MC4, localisé sur certains neurones différents types de neurones (voir chapitre 4), révèlent que ce sont à la fois les
hypothalamiques. Alors que l’αMSH stimule le neurones intrinsèques à l’hypothalamus latéral et les fibres de passage traver-
récepteur, l’AgRP bloque l’action de l’αMSH
sant cette région qui contribuent à la régulation des comportements alimentaires.
sur le même récepteur.
Néanmoins, dans ce qui suit, on considérera de façon primordiale la contribution
sélective des neurones de l’aire hypothalamique latérale à ces processus.
Un groupe de neurones particulier de l’hypothalamus latéral, qui reçoit direc-
tement des informations des cellules du noyau arqué sensibles à la leptine, est
représenté par des cellules qui utilisent un autre neuropeptide comme neurotrans-
metteur, le MCH (melanin-concentrating hormone). Ces neurones présentent des
connexions monosynaptiques directes avec de larges régions cérébrales, y com-
pris le cortex cérébral. Le cortex participe quant à lui à l’organisation de com-
portements complexes, par exemple des actions dirigées vers un objectif précis,
comme atteindre un réfrigérateur. Le système à MCH est alors dans une position
véritablement stratégique pour informer le cortex des niveaux de leptine circu-
lants et, par conséquent, il est en position de contribuer significativement à la
motivation de la recherche de la nourriture. Ainsi, des souris mutantes qui n’ex-
priment plus le MCH, présentent un comportement de recherche de nourriture
très limité, ont un métabolisme élevé, et se trouvent très amaigries.
Une seconde population de neurones de l’hypothalamus latéral, qui projette
aussi très largement au niveau du cortex cérébral, contient un autre neuropep-
tide dénommé orexine. Cette population de neurones reçoit aussi des projec-
tions directes du noyau arqué. Comme dans le cas du MCH, et comme son
nom l’indique, l’orexine est un peptide orexigène, c’est-à-dire qu’il stimule le
comportement alimentaire. Dès lors que les taux de leptine circulants dimi-
nuent, on constate une élévation des taux cérébraux de MCH et d’orexine. Ces
deux peptides apparaissent comme complémentaires et non redondants. Par
exemple, l’orexine stimule le déclenchement des repas alors que le MCH pro-
longe la consommation des aliments. De plus, l’orexine, aussi dénommée hypo-
crétine, joue un rôle très important dans la régulation du cycle veille-sommeil.
Comme nous le verrons dans le chapitre 19, des mutations géniques qui affectent
l’activité de l’orexine (hypocrétine) se traduisent non seulement par une perte
de poids, mais également par une forte augmentation des durées de sommeil.
Évidemment, il peut paraître normal que le sommeil réduise la prise alimentaire
puisque manger lorsque l’on est endormi n’est pas simple. Toutefois, vous serez
surpris d’apprendre qu’insomnie et obésité sont souvent liées. Dès lors l’orexine
(hypocrétine) constitue un lien intéressant entre toutes ces conditions.
16 – Motivation 563

Pour conclure, les changements intervenant au niveau de l’hypothalamus


lorsque les taux circulants de leptine varient, peuvent être résumés de la façon
suivante, en se rappelant que les taux de leptine augmentent lorsque les graisses
se développent, et diminuent lorsqu’elles disparaissent :
•• une élévation des taux de leptine augmente les taux de αMSH et de CART
dans les neurones du noyau arqué. Ces peptides anorexigènes agissent sur
le cerveau, en partie au travers de l’activation des récepteurs MC4, pour
inhiber le comportement alimentaire et stimuler le métabolisme ;
•• une réduction des taux de leptine stimule les sécrétions de NPY et de AgRP
à partir des neurones du noyau arqué, et celles de MCH et d’orexine à
partir de neurones de l’aire hypothalamique latérale. Ces peptides orexi-
gènes agissent au niveau du cerveau pour stimuler la prise alimentaire et
diminuer le métabolisme.

Régulation à court terme


des conduites alimentaires
Le rôle joué par la leptine dans la régulation du comportement de recherche et
de consommation de nourriture est assurément de la première importance, mais
ce n’est pas tout. Même en laissant de côté les facteurs sociaux et culturels (la
maman qui dit « Mange ! » à son enfant), nous savons bien que la motivation pour
se nourrir dépend aussi du temps écoulé depuis le dernier repas, et de la quantité
de nourriture que nous avons consommée. De plus, la motivation de poursuivre
un repas alors même que l’on a commencé à manger dépend aussi de la façon
dont on a mangé, et de ce que l’on mange. Cela illustre quelques-uns des facteurs
susceptibles d’intervenir dans la régulation à court terme de la prise alimentaire.
Un moyen simple de tenter de préciser la contribution de ces facteurs à la
régulation du comportement alimentaire est d’imaginer que la motivation pour
se nourrir, qui ne dépend qu’après un certain délai des fluctuations des taux de
leptine circulante, est augmentée par les signaux orexigènes, et inhibée par des
signaux de satiété, intervenant lorsque l’on mange et que l’on débute la digestion,
c’est-à-dire pendant la période prandiale. Ces signaux de satiété ont pour vocation
à la fois de terminer le repas et d’inhiber la prise alimentaire pour un certain temps,
après ce repas. Pendant cette période, les signaux inhibiteurs se dissipent progres-
sivement, jusqu’à ce que, à nouveau, les signaux orexigènes dominent et la faim
prenne le dessus (Fig. 16.12). Ce modèle simple peut alors être utilisé pour rendre
compte des processus de régulation à court terme de la prise alimentaire.
Comportement alimentaire

Consommation des aliments Signaux de satiété Signaux orexigéniques

Nourriture

Signaux
orexigéniques
et de satiété
Repas Repas
Temps

Figure 16.12 – Modèle hypothétique de la régulation à court terme du comportement alimentaire.


Le graphe illustre la signification potentielle des signaux orexigéniques et de satiété pour la régu-
lation des conduites alimentaires. Les signaux de satiété augmentent au fur et à mesure que l’indi-
vidu se nourrit. Lorsque les signaux de satiété sont au plus haut, la prise de nourriture est inhibée.
Lorsque les signaux de satiété diminuent, l’inhibition est levée et la consommation peut reprendre.
564 3 – Cerveau et comportement

Avoir de l’appétit, manger, digérer et ne plus avoir faim


Vous vous êtes réveillé ce matin après une longue nuit de sommeil. Vous
vous êtes dirigé vers la cuisine à la recherche de toasts grillés. Lorsqu’ils ont été
réchauffés, vous les avez dégustés avec bonheur, jusqu’à ce que vous n’en ayez
eu plus envie. Dans ce contexte, votre comportement au petit-déjeuner peut être
dissocié en trois phases : une phase cérébrale, une phase gastrique, et une phase
liée au substrat, encore appelée phase intestinale.
1. Phase cérébrale : la recherche des toasts et leur odeur lorsqu’ils sont en
train de griller déclenchent une série de processus physiologiques qui anti-
cipent sur l’arrivée du petit-déjeuner. Le système parasympathique et la
composante entérique du système nerveux autonome se trouvent acti-
vés, causant notamment une sécrétion de salive dans la bouche et de sucs
digestifs dans l’estomac.
2. Phase gastrique : ces réponses déjà amorcées deviennent plus intenses
dès lors que vous commencez à vous nourrir effectivement, c’est-à-dire
mâcher, avaler, et remplir votre estomac.
3. Phase intestinale : au moment où votre estomac est rempli et que les ali-
ments prédigérés commencent à transiter dans l’intestin, les nutriments
commencent alors à être absorbés et à passer dans la circulation générale.
À la fin de ce processus, les signaux qui ont déclenché la prise de nourri-
ture sont remplacés par ceux qui vont vous inciter à terminer votre repas. Ces
signaux orexigènes et de satiété sont complexes (Encadré 16.2). Quelques-uns
sont décrits ci-après.
Ghréline.  Il est inutile de mentionner que le repas commence parce que vous
avez faim. Jusqu’à une période récente, les chercheurs pensaient que la faim
n’était qu’une absence de satiété. Cette conception de la faim a changé en 1999
avec la découverte d’un nouveau peptide dénommé ghréline. La ghréline a été
initialement décrite comme un facteur stimulant de la sécrétion de l’hormone de
croissance. Cependant, il a été rapidement démontré que ce peptide était trouvé
en très forte concentration dans l’estomac et était sécrété dans la circulation san-
guine lorsque l’estomac est vide. Ainsi notre estomac qui « gargouille » sécrète de
la ghréline (ghrrrrr…réline) ! L’administration intraveineuse de ghréline stimule
fortement l’appétit et la prise alimentaire par l’activation des neurones NPY/
AgRP du noyau arqué, c’est-à-dire les mêmes neurones qui sont normalement
activés par la chute des taux de leptine circulante.
Distension gastrique.  Nous savons tous ce que se sentir « repus » veut
dire, après un repas trop copieux… Comme vous l’imaginez, la distension de
l’estomac est un signal de satiété très fort. En fait, les parois de l’estomac sont
richement innervées par des mécanorécepteurs donnant des informations qui
remontent vers le cerveau par le nerf vague. Souvenez-vous (voir annexe du
chapitre 7) que le nerf vague (Xe paire de nerfs crâniens) contient à la fois des
axones sensoriels et moteurs, qu’il prend son origine dans le tronc cérébral,
et qu’il parcourt l’essentiel de la cavité abdominale et thoracique. Les axones
sensoriels du nerf vague activent les neurones du noyau du faisceau solitaire, au
niveau bulbaire. Leurs signaux inhibent la prise alimentaire.
Vous aurez aussi pu constater que le noyau du faisceau solitaire a déjà été
mentionné à plusieurs reprises, dans des contextes fonctionnels différents. En
particulier, le noyau gustatif, qui reçoit des informations des bourgeons gusta-
tifs de la langue (voir chapitre 8), représente en fait une sous-région du noyau
du faisceau solitaire. Par ailleurs, le noyau du faisceau solitaire est aussi un
centre important de contrôle de l’activité du système nerveux autonome (voir
chapitre 15) ; et ici nous montrons que ce même noyau reçoit des informations
sensorielles viscérales par le nerf vague. Dès lors, il apparaît clairement que le
noyau du faisceau solitaire représente un centre intégrateur important en ce
qui concerne la régulation du comportement alimentaire et du métabolisme.
Néanmoins, comme vous le savez, même avec l’estomac plein, il est encore
possible de manger plus : tout dépend de ce qu’on vous présente…
16 – Motivation 565

Encadré 16.2 FOCUS

La marijuana et la stimulation de l’appétit


L’une des conséquences bien connues de l’intoxica- tion de l’appétit provient d’une augmentation des capa-
tion par la marijuana est de provoquer une intense stimu- cités olfactives, au moins chez la souris. Des travaux
lation de l’appétit, ce que les personnes qui en ont l’usage impliquant des équipes françaises et espagnoles – deux
nomment « munchies ». Le composé actif de la mari- pays experts dans l’appréciation de la bonne chère ! – ont
juana est le D9-tétrahydrocannabinol (THC), qui affecte démontré que l’activation des récepteurs CB1 du bulbe
le fonctionnement neuronal par la stimulation des récep- olfactif était nécessaire pour que s’expriment les effets
teurs des cannabinoïdes de type 1, ou récepteurs CB1. stimulants des canabinoïdes sur l’appétit.
Ces récepteurs sont très largement présents dans de nom- Dans le chapitre 8 nous avons discuté de la façon
breuses régions cérébrales, à tel point qu’il est difficile de selon laquelle les stimuli odoriférants activent les neu-
leur inférer un rôle précis dans la stimulation de l’appétit, rones du bulbe olfactif qui, à son tour, relaie les informa-
ce qui serait trop simplificateur. Cependant, lorsque tions olfactives vers le cortex olfactif. En retour, le cortex
l’usage médical de la marijuana est légal (dans certains olfactif envoie des projections neuronales vers le bulbe
pays), il vise à stimuler l’appétit de patients souffrant de olfactif, faisant synapse sur des interneurones identifiés
graves maladies chroniques, comme certains cancers ou comme cellules granulaires. Cette rétroaction du cortex
encore le Sida. De plus, le rimonabant, agent inhibant les vers le bulbe olfactif a pour effet « d’absorber », dans
récepteurs CB1, a été développé comme un suppresseur une certaine mesure, l’activité olfactive ascendante vers
d’appétit potentiel, jusqu’à l’apparition d’effets secon- le cortex olfactif. Ces synapses provenant de fibres d’ori-
daires, d’ordre psychiatrique, entraînant l’interruption gine corticale utilisent le glutamate comme neurotrans-
de l’essai thérapeutique. Dès lors, même si ces observa- metteur. Les endocannabinoïdes (cannabinoïdes pro-
tions amènent à conclure qu’effectivement les récepteurs duits par le cerveau lui-même, dont l’anandamide et le
CB1 interviennent dans bien autres choses que les « mun- 2-arachidonoylglycérol) sont l’objet d’une synthèse très
chies », elles nous conduisent néanmoins à nous poser rapide, et leur action est d’inhiber la libération de gluta-
encore la question de savoir comment ces mêmes récep- mate au travers d’une action passant par des récepteurs
teurs interviennent pour stimuler la prise alimentaire ? CB1 situés directement sur les terminaisons d’origine
Bien entendu les récepteurs CB1, largement distribués corticale. En réduisant l’activité des cellules granulaires
dans le cerveau, sont présents dans de nombreuses par ce mécanisme, les capacités olfactives augmentent
régions impliquées dans le comportement alimentaire considérablement (Fig. A). Il reste alors à savoir si, chez
comme l’hypothalamus, de telle manière que les effets les consommateurs de marijuana, les « munchies » sont
orexigènes du THC peuvent être mis en relation avec des liés à cette augmentation du sens de l’olfaction. Mais une
changements d’activité des neurones présents dans ces simple expérience consistant à se boucher le nez en man-
régions. Cependant les chercheurs furent néanmoins sur- geant confirme que l’essentiel du plaisir de se nourrir est
pris d’apprendre, en 2014, que l’essentiel de la stimula- bien basé sur l’odeur de ce que nous consommons.
Cellule
Neurone olfactif granulaire
Bulbe olfactif de second ordre inhibitrice

Vers le cortex olfactif

Axone provenant du cortex olfactif

Récepteur CB1

Cellule Synapse
granulaire glutamatergique
inhibitrice excitatrice

Récepteurs
olfactifs
Figure A – L’activation des récepteurs CB1 par le THC, l’agent psychoactif de la marijuana, accroît les capacités olfactives en réduisant dans le
bulbe olfactif la libération de glutamate par les terminaisons d’origine corticale contactant les interneurones inhibiteurs (cellules granulaires).
(Source : adapté de Soria-Gomez et al., 2014.)
566 3 – Cerveau et comportement

Cholécystokinine.  Dans les années 1970, il a été montré que l’administra-


Satiété tion de ce peptide, la cholécystokinine (CCK), réduisait la fréquence de la prise
alimentaire et la quantité de nourriture consommée. La CCK est présente dans
Noyau du quelques cellules de la paroi intestinale et dans quelques neurones du système
faisceau solitaire
nerveux entérique. Ce peptide est sécrété en réponse à la stimulation de l’intes-
tin par certaines nourritures, en particulier par les aliments de caractère gras.
L’action principale de la CCK pour induire la satiété passe par les axones senso-
Nerf vague riels du nerf vague. Ainsi, la CCK agirait de concert avec la distension gastrique
pour inhiber la prise de nourriture (Fig. 16.13). De façon intéressante, on note
que la CCK, comme d’ailleurs de nombreux autres peptides du tractus gastro-­
Distension intestinal, est également présente dans de certaines populations de neurones
gastrique du système nerveux central.
CCK
Insuline.  L’insuline est une hormone vitale sécrétée dans la circulation
générale à partir des cellules β du pancréas (Encadré 16.3). Bien que le glucose
soit toujours rapidement incorporé dans les neurones, le transport de glucose à
l’intérieur des autres cellules de l’organisme nécessite l’insuline. Cela signifie que
l’insuline joue un rôle clé dans le métabolisme anabolisant, à partir duquel le
glucose va être transporté au niveau du foie, des muscles squelettiques, et du
tissu adipeux, pour être stocké. L’insuline joue également un rôle déterminant
de régulation du catabolisme pendant lequel le glucose va être libéré de ces sites
de stockage et utilisé comme « carburant » par les autres cellules de l’organisme.
Figure 16.13 – Action synergique de la disten­ Par conséquent, le taux de glucose sanguin est étroitement corrélé au niveau
sion gastrique et de la cholécystokinine (CCK) d’insuline circulant : les taux de glucose sanguin (la glycémie) sont élevés lorsque
sur la prise de nourriture. les taux d’insuline sont bas et, réciproquement, ils sont réduits lorsque les taux
Les deux types de signaux utilisent le nerf d’insuline augmentent.
vague pour déclencher la satiété. La sécrétion d’insuline à partir du pancréas est régulée par différents méca-
nismes (Fig. 16.14). Si nous revenons à notre petit-déjeuner, pendant la phase
cérébrale, lorsque vous anticipez sur l’arrivée de la nourriture, l’innervation
Phase cérébrale
Phase gastrique parasympathique du pancréas à partir du nerf vague va stimuler les cellules β,
Phase intestinale qui sécrètent l’insuline. En réponse, les taux de glucose sanguin vont légèrement
diminuer, ce qui, détecté par certains neurones du système nerveux central, va
stimuler votre envie pour le petit-déjeuner, en partie au moins par l’activation
des neurones NPY/AgRP du noyau arqué. Pendant la phase gastrique, lorsque
la nourriture remplit votre estomac, la sécrétion d’insuline est stimulée en plus
Taux sanguins d’insuline

par des hormones gastro-intestinales comme la CCK. La sécrétion d’insuline est


alors maximale lorsque la nourriture est finalement absorbée par les intestins
et que le taux de glucose sanguin augmente, pendant la phase intestinale. Cette
élévation des taux d’insuline, couplée à une élévation du taux de glucose sanguin,
est encore un signal de satiété et provoque l’arrêt de la prise de nourriture.
Temps Contrairement aux autres signaux de satiété déjà évoqués, qui impliquent
Consommation une action sur le système nerveux par le nerf vague, l’élévation des taux d’insu-
Présentation de la nourriture line sanguins suite à l’augmentation des taux de glucose affecte le comportement
de la nourriture
alimentaire en agissant directement sur les neurones du noyau arqué et du noyau
ventromédian de l’hypothalamus. Dès lors les mécanismes d’action de l’insuline
Figure 16.14 – Évolution du taux d’insuline
sanguin avant, durant et après un repas.
pour réguler le comportement alimentaire paraissent se rapprocher de ceux de
(Source : adapté de Woods et Stricker, 1999, la leptine.
p. 1094.)

Pourquoi mangeons-nous ?
Dans ce qui précède, nous avons étudié la nature des signaux qui sont à la
base du comportement alimentaire, mais nous n’avons pas discuté de leur signifi-
cation en termes psychologiques. Objectivement, nous mangeons d’abord parce
que nous aimons la nourriture. Cet aspect de la motivation présente ainsi une
connotation hédonique. Le plaisir que nous prenons à manger dérive ici de l’as-
pect de la nourriture, de son odeur, de son goût bien sûr, et du fait que l’idée
même de la consommer est agréable. Bien sûr, nous mangeons aussi parce que
nous avons faim et que nous voulons manger. Ce dernier aspect de la motiva-
tion peut alors être réduit à une simple réponse à un manque, qui va inciter
16 – Motivation 567

Encadré 16.3 FOCUS

Diabète mellitus et choc insulinique


L’insuline, sécrétée par les cellules β du pancréas, joue un
rôle clé dans la régulation de l’équilibre énergétique. Après un
repas, le taux de glucose sanguin augmente. Pour être utilisé
par les cellules de l’organisme, le glucose doit être transporté au
travers de la membrane plasmique par des protéines spéciali-
sées, dénommées transporteurs du glucose. Dans toutes les cel-
lules autres que les neurones, l’insertion de ces transporteurs de
glucose dans la membrane intervient lorsque l’insuline se fixe à
ses propres récepteurs, à la surface des cellules. De ce fait, pour
toutes ces cellules, une augmentation de l’incorporation de
glucose intracellulaire et de son utilisation est concomitante
d’une élévation du taux d’insuline circulant. Dans la condition
pathologique correspondant au diabète mellitus, un défaut de
la production d’insuline, de sa sécrétion ou de son action cellu-
laire, ne s’oppose plus à la réponse normale à une élévation des
taux de glucose sanguins. La conséquence est une augmenta-
tion des taux de glucose, c’est-à-dire une hyperglycémie, qui est
liée au fait que le glucose absorbé au niveau intestinal n’est pas
incorporé et métabolisé dans les cellules de l’organisme autres
que les neurones. L’excès de glucose passe dans les urines, qui
deviennent sirupeuses ; d’où le nom de diabète mellitus, en
rapport avec l’analogie qui est faite avec le miel.
Le traitement de ce type de diabète consiste en une injection
hypodermique quotidienne d’insuline. Toutefois, ce traitement
n’est pas sans risque et une dose trop élevée d’insuline entraîne
une hypoglycémie, particulièrement ressentie par les neurones.
La situation qui en résulte, dénommée choc insulinique, est
caractérisée par des sueurs, un tremblement, une forte anxiété,
des étourdissements et des troubles de la vision. S’il n’est pas
remédié rapidement à cette situation, ces signes précoces sont
suivis par des troubles plus graves, comme des délires, des
convulsions et jusqu’à des pertes de conscience. La réponse
neurologique brutale qui survient lors d’une hypoglycémie tra-
duit bien l’importance d’un équilibre énergétique correctement
régulé pour le fonctionnement normal du cerveau (Fig. A).
Figure A – Image du corps entier en TEP-scan (tomo-
graphie par émission de positrons) superposée à une
image en IRM. Les couleurs « chaudes » (rouge à jaune)
attestent d’un fort taux régional d’utilisation de glucose.
Notez que le cerveau, même au repos, est un très fort
consommateur de glucose. Lorsque les taux de glucose
sanguins chutent, comme c’est le cas lors de chocs
insuliniques, l’activité du cerveau chute également très
rapidement. (Source : Siemens Healthcare et professeur
Marcus Raichle, Washington University, St Louis.)

à réaliser le comportement pour satisfaire cette nécessité. Il est raisonnable de


penser aujourd’hui que « aimer » et « vouloir » représentent deux aspects d’un
processus fondamentalement unifié : après tout, typiquement, nous ne recher-
chons à consommer que ce que nous aimons… Cependant, les données obtenues
chez l’homme comme chez l’animal suggèrent que les mécanismes neuronaux
correspondant à ces deux aspects des comportements motivés pourraient être
différents et relayés par des processus neuronaux différents.
568 3 – Cerveau et comportement

Renforcement et récompense
Dans des expériences réalisées dans les années 1950, James Olds et Peter
Milner, à l’Université McGill de Montréal, ont implanté à demeure des électro-
des directement dans le cerveau de rats, de façon à étudier les effets des stimu-
lations cérébrales sur le comportement. Les animaux ainsi implantés pouvaient
se déplacer librement à l’intérieur d’une cage d’expérimentation, mais chaque
fois qu’ils passaient par l’un des coins de la cage, ils recevaient une stimulation
électrique au travers de l’électrode. Olds et Milner ont alors constaté que lorsque
l’électrode était positionnée dans certaines régions très particulières du cerveau,
les animaux passaient beaucoup plus de temps dans la zone de la cage associée à
la stimulation cérébrale ; et très vite les animaux ne quittaient guère cet endroit
de la cage où ils recevaient la stimulation. Dans une seconde partie de cette expé-
rimentation, ces chercheurs ont modifié leur protocole en utilisant une seconde
cage dans laquelle les animaux disposaient d’un levier dont l’appui déclenchait
directement la stimulation intracérébrale (Fig. 16.15). Dès lors, les animaux
naïfs, qui n’avaient pas conscience de cette capacité qui leur était donnée de
commander la stimulation et qui pressaient le levier par inadvertance, revenaient
Figure 16.15 – Dispositif expérimental d’au­ pour appuyer frénétiquement sur le levier déclenchant la stimulation, de façon
tostimulation chez le rat. volontaire. Ce comportement a été dénommé autostimulation électrique, tradui-
Lorsque l’animal presse sur le levier placé sant le caractère volontaire du déclenchement de la stimulation intracérébrale.
devant lui, il reçoit une brève décharge élec- Parfois les animaux devenaient alors tellement dépendants de ce comportement
trique dans la région du cerveau où est située qu’ils ne prenaient plus le temps ni de manger ni de boire, ne stoppant leur appui
l’électrode préalablement implantée.
sur le levier que par épuisement (Encadré 16.4).
L’effet de l’autostimulation est vraisemblablement d’être à l’origine d’une
sensation de récompense qui renforce alors le comportement d’appui sur le levier
Aire basale et induit qu’il soit reproduit à l’infini. En déplaçant systématiquement l’élec-
du cerveau antérieur trode de stimulation pour explorer différentes régions cérébrales, les chercheurs
ont alors été à même d’identifier avec précision les sites qui produisaient ce ren-
forcement. Il devenait dès lors évident que les régions les plus efficaces pour
produire l’autostimulation étaient celles qui suivent le trajet des fibres dopami-
nergiques, dont l’origine est l’aire tegmentale ventrale (voir chapitre 15), et qui
traversent l’hypothalamus latéral pour atteindre les régions antérieures du cer-
veau (Fig. 16.16). Les drogues bloquant les récepteurs dopaminergiques rédui-
saient le comportement d’autostimulation, suggérant que les animaux agissent
en fait pour stimuler la libération de dopamine dans le cerveau. Cette hypothèse
a été renforcée par la découverte que les animaux pouvaient appuyer sur le levier
pour recevoir une injection intraveineuse d’amphétamine, une drogue qui pro-
Aire tegmentale ventrale voque la libération de dopamine dans le cerveau. Par conséquent, il ne subsiste
que peu de doute sur le fait que c’est bien la libération de la dopamine qui pro-
voque le comportement d’autostimulation. Ces expériences suggèrent alors que
Figure 16.16 – Système dopaminergique méso­ les comportements à l’origine des récompenses naturelles (la nourriture, l’eau,
corticolimbique. le sexe) sont liés à l’activation du système dopaminergique. Ainsi un rat affamé
La mise en jeu du système dopaminergique va presser le levier pour obtenir de la nourriture, mais ce comportement sera
mésocorticolimbique est associée à la mise considérablement atténué par des agents pharmacologiques qui bloquent les
en jeu des comportements motivés. récepteurs dopaminergiques.

Rôle de la dopamine dans les processus motivationnels


Depuis de nombreuses années, il est proposé que cette projection dopaminer-
gique issue de l’aire tegmentale ventrale et innervant le cerveau antérieur joue
le rôle d’un système de récompense, en rapport avec la quête du plaisir. Dans le
cas du comportement alimentaire, l’idée est que la dopamine est en fait libérée
en rapport avec la consommation d’aliments au goût agréable, qui donnent une
sensation de plaisir. Les animaux sont ainsi motivés pour rechercher ces ali-
ments agréables qui leur donnent du plaisir, en quelque sorte sous forme d’une
« giclée » de dopamine dans leur cerveau antérieur…
16 – Motivation 569

Encadré 16.4 FOCUS

Autostimulation du cerveau humain


Pour déterminer quel effet produit la stimulation du céphale lui apportait quant à elle des sensations de bien-
cerveau, il faudrait stimuler le cerveau d’un sujet être, du type de celles que l’on ressent quelquefois après
humain, et lui poser la question. Objectivement, cela s’être alcoolisé. D’autres sensations agréables étaient
n’est ni raisonnable, ni éthique. Toutefois, comme ce également ressenties par stimulation de l’amygdale ou
type de méthode de stimulation se développe actuelle- du noyau caudé. De façon intéressante, le site que le
ment à des fins thérapeutiques dans de nombreuses patient se stimulait le plus souvent était le thalamus
pathologies neurologiques, quelques sujets humains ont médian, même si la stimulation produisait là des sensa-
été occasionnellement soumis à des procédures d’auto­ tions d’irritabilité, et donc moins en rapport avec le plai-
stimulation. À titre d’illustration, considérons deux sir que celui produit par les autres sites de stimulation.
patients étudiés par Robert Heath dans les années 1960, Le patient expliquait alors que s’il choisissait de stimuler
à la Faculté de Médecine de l’Université Tulane. ce site thalamique c’était parce que cela lui donnait l’im-
Le premier patient était traité pour une maladie qui pression d’agir sur la mémoire, et notamment d’évoquer
s’appelle narcolepsie, se traduisant par un passage bru- des souvenirs. Il répétait ainsi la stimulation dans le
tal d’un état de veille à un état de sommeil (voir cha- désir futile d’accroître sa mémoire, même si à la fin il
pitre 19). Cette maladie était extrêmement invalidante et exprimait une grande frustration.
interdisait toute activité professionnelle à ce patient. Les Ces deux cas et de nombreux autres suggèrent ainsi
neurochirurgiens lui ont placé à demeure 14 électrodes que l’autostimulation n’est pas toujours synonyme de
dans le cerveau, avec l’espoir de trouver un site de stimu- plaisir. Il y a souvent quelque récompense ou quelque
lation qui puisse le tenir éveillé. Dans ce cas, lorsqu’il récompense espérée de la stimulation, mais l’expérience
stimulait son hypothalamus, le patient rapportait des n’est finalement pas toujours agréable.
sensations de plaisir. En revanche, la stimulation du teg-
mentum mésencéphalique le maintenait éveillé, mais
était perçue de façon désagréable. Le site qu’il a choisi
lui-même comme étant celui lui apportant le plus de
Ventricule latéral
bienfait était situé dans l’aire septale du cerveau anté-
rieur (Fig. A). La stimulation de cette région se tradui-
sait pour lui par une sensation de bien-être, susceptible,
disait-il, de le conduire à l’orgasme. Il disait vouloir
quelquefois se stimuler encore et encore, justement pour
y arriver, mais sans succès, ce qui se traduisait in fine par
un sentiment ultime de frustration.
Le cas du second patient est encore plus complexe.
Dans ce cas, 17 électrodes étaient implantées, dans le
but cette fois de lutter contre une épilepsie résistante. Le
Aire septale
patient rapportait des sensations de plaisir lorsqu’il acti-
vait une électrode placée dans l’aire septale, ou dans le
tegmentum mésencéphalique. De façon similaire au Figure A – Localisation de l’aire septale, un site d’autostimulation
patient précédant, la stimulation septale était associée chez l’homme situé dans le cerveau antérieur, sous le ventricule
à des sensations sexuelles. La stimulation du mésen- latéral.

Cette idée simple a néanmoins été remise en question au cours de ces der-
nières années. De fait, la destruction des axones dopaminergiques passant par
l’hypothalamus latéral n’altère pas les réponses hédoniques lors de la prise de
nourriture, y compris lorsque l’animal s’arrête de manger. Si l’on place un mor-
ceau de nourriture particulièrement plaisant sur la langue d’un rat qui a subi une
telle lésion, l’animal continue de se comporter comme si la nourriture lui don-
nait autant de plaisir que s’il avait son système dopaminergique intact (l’équi-
valent de se lécher les babines), et le rat avale la nourriture en question. En fait,
l’animal qui a subi la lésion dopaminergique se comporte comme s’il aimait
toujours autant la nourriture, mais qu’il ne la désire pas. L’animal paraît ainsi
manquer de motivation pour rechercher sa nourriture, même s’il semble l’appré-
570 3 – Cerveau et comportement

cier tout autant lorsqu’elle est disponible, à sa portée. À l’inverse, la stimulation


des axones des neurones dopaminergiques passant par l’hypothalamus latéral
de rats normaux paraît créer un désir pour la nourriture, sans pour autant en
accroître les effets hédoniques. Ainsi, sans surprise, des études récentes montrent
l’implication de ce système dopaminergique dans les mécanismes du désir asso-
cié à l’addiction (par exemple à l’alcool ou même au chocolat) (Encadré 16.5).
Évidemment, il n’y a pas de hasard dans le fait que les substances parmi les plus
addictives (cocaïne ou amphétamine, par exemple) aient pour cible les neurones
dopaminergiques du cerveau.

Encadré 16.5 FOCUS

Dopamine et addiction
Que peuvent bien avoir en commun des drogues Le rôle exact de la dopamine dans les comporte-
comme l’héroïne, la nicotine, ou encore la cocaïne ? Ces ments motivés est toujours un sujet de débats. Toutefois,
drogues agissent en fait sur des systèmes de neurones de nombreuses évidences ont été obtenues, montrant
utilisant différents types de neurotransmetteurs : les sys- une relation étroite entre les comportements motivés et
tèmes utilisant les peptides opioïdes pour l’héroïne, les une action de la dopamine dans les structures lim-
systèmes cholinergiques pour la nicotine ou encore les biques. Par conséquent, les comportements qui sont
systèmes dopaminergiques et noradrénergiques pour la associés avec l’administration de drogues stimulant la
cocaïne. Ces drogues produisent par ailleurs des effets transmission dopaminergique sont toujours très renfor-
psychotropes totalement différents. Néanmoins, et c’est cés. Toutefois, la surstimulation de ce système « de
ce qui les rapproche, ces différentes substances ont en récompense » produit une réponse homéostasique :
commun d’être à l’origine de processus liés à l’addiction. dans ce cas, le système adapte son activité et fonctionne
Cela est expliqué par le fait qu’elles agissent sur les mêmes de façon anormalement basse. Cette réponse adaptative
circuits de la motivation des comportements, en l’occur- se traduit sur le plan comportemental par un phéno-
rence ici du comportement de recherche de drogue. mène de tolérance à la drogue, c’est-à-dire qu’il faut de
L’abord des processus liés à l’addiction est un bon modèle, plus en plus de drogue pour obtenir l’effet désiré. Ainsi,
qui nous apprend en fait beaucoup sur les mécanismes de l’arrêt de l’administration de l’agent psychotrope chez
la motivation, en général. Réciproquement, nous pou- un animal soumis à une addiction est accompagné par
vons apprendre beaucoup de l’addiction en nous intéres- une libération de dopamine très faible dans le noyau
sant à la motivation. accumbens et, par conséquent, le syndrome de sevrage
Les rats, comme les humains, développent des straté- qui accompagne l’arrêt de la drogue est accompagné
gies d’auto-administration de drogues et montrent claire- par un puissant phénomène « de manque » pour la
ment des signes de dépendance aux drogues. Les expé- drogue en question.
riences d’administration intracérébrale de ces drogues ont
permis de caractériser les régions cérébrales où l’agent
agit pour produire l’addiction. Dans le cas de l’héroïne et
de la nicotine, le site d’action le plus important est repré-
senté par l’aire tegmentale ventrale (ATV), dans le mésen- Représentation du cerveau de rat en coupe sagittale
céphale, là où se trouvent les corps cellulaires des neu-
rones dopaminergiques qui projettent vers le cerveau Antérieur Postérieur
antérieur en passant par l’hypothalamus latéral. Ces neu-
rones dopaminergiques expriment à leur membrane à la
fois des récepteurs nicotiniques et des récepteurs aux
opiacés. Dans le cas de la cocaïne, le site le plus important Noyau
Neurones
accumbens
correspond au noyau accumbens, l’une des cibles majeures + + +
dopaminergiques
des neurones dopaminergiques de l’ATV (Fig. A).
de l’aire tegmentale
ventrale
Cocaïne
Souvenez-vous (voir chapitre 15) que la cocaïne agit en Héroïne
Nicotine
prolongeant l’action de la dopamine sur ses récepteurs.
Par conséquent, ce qui réunit ces trois agents psychotropes, Figure A – Les drogues psychotropes qui déclenchent une addiction
c’est leur capacité à stimuler la transmission dopaminer- agissent au niveau du système dopaminergique mésocorticolimbique,
gique ; dans le cas de l’héroïne et de la nicotine, en stimu- qui prend son origine dans l’aire tegmentale ventrale du mésencéphale
lant la libération de dopamine ; dans le cas de la cocaïne, et se termine principalement dans le noyau accumbens, dans le cer-
en augmentant son action dans le noyau accumbens. veau antérieur. (Source : adapté de Wise, 1996, p. 248, Fig. 1.)
16 – Motivation 571

D’autres indices sur la façon dont les neurones dopaminergiques influencent


les comportements proviennent d’études basées sur l’enregistrement de l’activité
des neurones dopaminergiques dans l’aire tegmentale ventrale, chez l’animal.
Wolfram Schultz et ses collègues, travaillant à l’Université de Cambridge (UK),
ont tenté de comprendre ce qu’il se produit lorsque des singes reçoivent une
giclée de jus de fruit juste après la présentation d’un signal lumineux. Avant
que l’animal ait compris que le signal lumineux était prédictif de l’administra-
tion de la récompense, Schultz a montré que les neurones dopaminergiques ne
répondent pas à la présentation de ce signal lumineux, mais qu’ils répondent
brièvement seulement à l’administration de la récompense (le jus de pomme).
C’est en fait ce que l’on pouvait attendre dans le cas où les neurones dopa-
minergiques répondaient simplement à l’administration d’un stimulus agréable.
Cependant, après l’association des deux stimuli un certain nombre de fois, les
neurones dopaminergiques modifient leur pattern de réponse. À ce moment-là,
les neurones répondent brièvement à la présentation du signal lumineux mais
ne répondent plus à la délivrance du jus de pomme (la récompense). Si les cher-
cheurs trichent alors avec l’animal et ne lui donnent plus la récompense mais
seulement le signal lumineux, très rapidement la décharge dopaminergique qui
accompagnait le signal prédictif va cesser (Fig. 16.17). Ces données ont alors
suggéré que la décharge des neurones dopaminergiques représentait un signal
d’erreur des prédictions de récompense. Les événements intervenant « au-delà des
prédictions » s’accompagnent de la décharge des neurones dopaminergiques ;
ceux qui sont « pires que ce qui est prévu » s’accompagnent d’une inhibition, et
ceux qui sont conformes à ce qui était prévu ne s’accompagnent pas de décharge
des neurones, même si ces événements conservent leur capacité hédonique (le jus
de pomme est toujours aussi agréable pour le singe). Ainsi les comportements
assortis de réponses en accord avec la prédiction, ou meilleures que ce qui était
attendu, ont tendance à être répétés. Ceux qui sont en revanche en deçà de ces
prévisions ont tendance à être abandonnés.
De la même manière que le singe apprend que le signal lumineux est annon-
ciateur de la survenue du jus de pomme, vous-même avez appris que l’odeur
ou la vue du café prédit un petit-déjeuner agréable. Ce type de prédiction fait
partie de ce que l’on a nommé plus haut la phase « cérébrale » du comporte-
ment alimentaire. La dopamine est ainsi intimement associée à cette phase du
comportement. Les connexions synaptiques actives pendant et immédiatement
après une augmentation de la sécrétion de dopamine sont ainsi modifiées pour
encoder cette mémoire. Bien que ce type d’apprentissage soit clairement béné-
fique dans les circonstances habituelles, il est cependant facilement détourné lors
de comportements associés à la consommation de substances addictives, souvent
avec des conséquences catastrophiques. Comme cela a été mentionné plus haut,
ces substances agissent sur les systèmes dopaminergiques centraux. En étudiant
comment les synapses sont ainsi modifiées par l’exposition à ces substances, les
chercheurs ont progressé dans la connaissance des mécanismes de l’addiction et
au niveau de l’hypothalamus
Libération de la sérotonine

(% de la libération basale)

de ses possibles traitements, mais aussi sur la façon selon laquelle les représenta-
tions se forment dans le cerveau (Encadré 16.6). Cette discussion sera poursuivie
200

dans le chapitre 25, lorsque nous évoquerons les mécanismes de la mémoire.

Sérotonine, prise alimentaire et humeur 100

Humeur et comportement alimentaire sont très liés. Considérez par exemple 0 1 2 3 4


combien vous êtes de mauvaise humeur lorsqu’on vous met à la diète forcée ou, Consommation Temps (h)
à l’inverse, combien vous vous sentez bien dans votre peau lorsque vous humez de la nourriture
Vue
l’odeur des croissants qui sortent du four… Comme nous l’avons vu dans le et odeur
chapitre 15, l’un des systèmes neuronaux qui interviennent dans la régulation de de la nourriture
l’humeur utilise la sérotonine comme neurotransmetteur. Dès lors la sérotonine
Figure 16.18 – Évolution des taux de séroto­
apparaît comme un lien possible entre comportement alimentaire et humeur.
nine hypothalamique avant et pendant un
La mesure des taux de sérotonine dans l’hypothalamus chez le rat montre repas.
que ces taux sont bas pendant la période postprandiale, qu’ils s’élèvent en rap- Les effets positifs de la prise alimentaire sur
port avec l’attente de la nourriture et qu’ils sont au plus haut au moment des l’humeur sont considérés comme étant liés à
repas, particulièrement lorsque les animaux consomment des hydrates de car- la libération de sérotonine au niveau central.
bone (Fig. 16.18). La sérotonine est en fait synthétisée à partir du tryptophane, (Source : adapté de Schwartz et al., 1990.)
572 3 – Cerveau et comportement

Electrode
d’enregistrement Jus de fruit (récompense)
dans l’ATV

Signal lumineux
Dispositif
de contention
léger de
l’animal

Pas de signal préparatoire, récompense délivrée

Enregistrement
effectué avant
que l’animal ait
appris la relation
entre le signal
lumineux et
la récompense

Pas de signal Récompense


lumineux

Récompense annoncée,
récompense délivrée

Enregistrements
effectués après Signal lumineux Récompense
que l’animal ait
appris la relation Récompense annoncée,
entre le signal mais non délivrée à l’animal
lumineux et
la récompense

1 2s
Signal lumineux Pas de récompense
délivrée

Figure 16.17 – Activité accrue des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale


(ATV) en rapport avec une récompense non attendue.
16 – Motivation 573

un acide aminé fourni par l’alimentation. Les taux sanguins de tryptophane


sont quant à eux dépendants du taux d’hydrates de carbone consommés (voir
Encadré 15.2, chapitre 15). L’élévation des taux circulants de tryptophane et
de sérotonine cérébrale est une explication vraisemblable des effets positifs sur
l’humeur de la consommation des sucreries… Cet effet des sucres sur l’humeur
est ainsi particulièrement évident durant les périodes de stress, ce qui pourrait
expliquer la surconsommation de ces aliments et la prise de poids des jeunes
élèves au moment où ils rentrent au collège, par exemple.
Les drogues et les médicaments qui élèvent les taux de sérotonine au niveau
cérébral se trouvent dès lors agir comme des agents qui réduisent fortement
l’appétit. L’un de ces produits est représenté par la dexfenfluramine, utilisée
avec succès comme coupe-faim dans les cas graves d’obésité. Malheureusement,
ce produit a du être retiré du marché du médicament en 1997 aux États-Unis,
du fait d’une certaine toxicité.

Encadré 16.6 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Apprendre à désirer…
Par Julie Kauer

Après ma formation initiale à l’univer- vraisemblablement à Anne que je le dois,


sité, j’ai eu la chance de travailler en tant que avec sa façon de toujours répondre simple-
technicienne dans le laboratoire d’Anne ment à des questions complexes, notamment
Bekoff, à l’Université du Colorado. Anne en fractionnant les problèmes pour tenter de
travaillait sur le générateur central de loco- les résoudre étape par étape. Cette façon de
motion, des circuits de la moelle épinière à procéder a été l’une des grandes leçons de
l’origine des mouvements coordonnés des méthode scientifique qui m’a accompagnée
membres (voir chapitre 13). Anne et moi- tout au long de ma carrière.
même nous sommes posées la question du Julie Kauer Comprendre comment le cerveau
devenir du pattern moteur accompagnant conserve l’information est l’une des ques-
l’éclosion de l’œuf chez le poussin, alors que celui-ci tions qui ne m’a jamais quittée, y compris depuis ma
n’avait plus d’utilité après la naissance. Lorsque l’œuf est formation en master, où pour la première fois j’ai étudié
près d’éclore, le poussin est légèrement retourné sur lui- les bases de la mémorisation chez l’aplysie (voir cha-
même, avec la tête plus ou moins positionnée sous une pitre 25). J’ai été fascinée par les changements d’excita-
aile, pointant vers la coquille. Toutes les 20 secondes bilité neuronale à long terme existant au niveau de cer-
environ, il donne deux fortes poussées sur ses pattes, pro- taines synapses, ce que l’on nomme potentialisation à
pulsant doucement son corps dans l’œuf. Le bec de l’ani- long terme ou LTP (pour long term potentiation), qui, à
mal produit progressivement un trou circulaire et lorsque l’époque, venaient d’être découverts. De fait, les synapses
celui-ci est suffisamment large, les mouvements des excitatrices activées pendant une ou deux secondes
pattes permettent à l’animal de se dégager de la coquille. voient leur excitabilité augmenter de façon persistante,
Pour tester la reproductibilité de cet acte moteur, mon et cela pour plusieurs heures. Je me suis alors consacrée
rôle était de placer des électrodes sur les muscles des à l’étude de l’une de ces synapses pour suivre ces chan-
pattes de poussins nouveau-nés, puis de les réintroduire gements à long terme.
dans une coquille ouverte simulée par un récipient en Pour mémoriser l’information, le cerveau doit modi-
verre. De façon tout à fait remarquable, les poussins se fier son activité durablement en réponse à des stimuli
mettaient alors à réitérer les poussées sur les pattes, à environnementaux. Dans ce contexte, imaginer que de
l’identique de ce qu’ils faisaient dans l’œuf. Il était inté- nombreux circuits neuronaux étaient susceptibles de tels
ressant d’observer que des poussins même âgés de deux changements d’activité synaptique faisait sens. Lorsque
mois étaient encore capables de reproduire ce comporte- j’ai développé mon propre laboratoire en 1991, cette
ment qu’ils avaient eu lors de l’éclosion plusieurs idée a été centrale dans mes projets de recherche et m’a
semaines auparavant. Alors que j’étais accaparée à la conduit à mettre en place de telles recherches sur la
délicate réintroduction des poussins dans les œufs de motivation, à Brown University. Ma meilleure amie,
verre, je me suis en quelque sorte remise en question sur Marina Wolf, rencontrée lors de notre thèse, a travaillé
la façon dont je souhaitais aborder cette question. C’est sur les mécanismes de l’addiction et a montré que l’ex-
574 3 – Cerveau et comportement

Encadré 16.6 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

position aux drogues d’abus induit des altérations du par le stress, déclenche à nouveau le comportement de
fonctionnement de certains circuits neuronaux impli- recherche de drogue.
qués dans la motivation, notamment de la projection Mais comment peut-on imaginer que nos données si
dopaminergique mésolimbique entre l’aire tegmentale réductionnistes sur des changements d’activité synap-
ventrale (ATV, voir chapitre 15) et la partie ventrale du tique puissent avoir quelque chose à nous apprendre sur
striatum, le nucleus accumbens. Ces travaux nous ont des comportements aussi complexes, tels que ceux liés
conduits à nous poser la question des bases cellulaires et à l’addiction ? Nous avons réalisé de nombreuses expé-
moléculaires de l’addiction. riences pour tenter de démêler l’écheveau et de com-
Les animaux ont une propension à s’auto-adminis- prendre quel type de molécule et quelle voie neuronale
trer les mêmes drogues que les humains. Leurs compor- sont impliqués dans le fait que le stress puisse bloquer la
tements de recherche de drogues sont très similaires à LTP des synapses inhibitrices de l’ATV. Parmi les fac-
ceux des drogués. Il est ainsi remarquable d’observer teurs impliqués, les récepteurs kappa des opiacés appa-
que lorsque des rats doivent appuyer sur un levier pour raissent jouer un rôle déterminant : l’administration d’un
s’auto-administrer de la cocaïne, par exemple, ils vont bloqueur des récepteurs kappa bloque les effets du stress
actionner ce levier y compris dans des conditions où sur l’inhibition de la LTP. Dès lors, nous avions un outil
l’obtention de l’injection s’accompagne d’un choc élec- pharmacologique pour empêcher les effets du stress aigu
trique douloureux sous leurs pattes, de la même façon sur l’activité de cette synapse inhibitrice particulière. La
que les drogués sont prêts à subir toutes sortes de consé- question se posait alors de savoir si ces antagonistes des
quences pour obtenir leur produit. L’idée est alors que récepteurs kappa étaient également à même de supprimer
la dépendance à la drogue s’accompagne d’une stimula- le comportement de recherche de drogue. Chris Pierce et
tion importante de l’activité du système dopaminer- Lisa Briand, à l’Université de Pennsylvanie, ont reproduit
gique mésolimbique, dont il est admis qu’il est une com- le protocole d’auto-administration de cocaïne chez des
posante essentielle des processus motivationnels, et, de rats, suivi d’une phase de sevrage pendant laquelle l’appui
ce fait déclenche un besoin irrépressible de la drogue sur le levier ne délivre plus de drogue, se traduisant, après
d’abus, pouvant se rapprocher d’un besoin de boire pour quelques jours, par un appui de moins en moins fréquent
quelqu’un d’assoiffé. De façon surprenante, nous avons sur le levier. Puis les animaux étaient soumis à une très
montré que, dans ces conditions, les synapses inhibi- courte exposition de stress intense, provoquant, comme
trices GABAergiques sur les neurones dopaminergiques prévu, un nouveau comportement d’appui frénétique sur
perdaient leur capacité normalement exprimée de pro- le levier, y compris lorsque celui-ci n’entraînait pas
duire une LTP après une administration unique de d’administration de cocaïne. Dans ce cas, si l’agent
drogue. Il était connu, déjà depuis quelque temps, que bloqueur des récepteurs kappa était administré à l’animal
toutes les drogues d’abus avaient pour effet d’activer les avant le stress, alors le comportement d’appui sur le levier
neurones dopaminergiques de l’ATV, et la perte de la n’apparaissait pas. Ces données très excitantes suggèrent
LTP de cette influence inhibitrice GABAergique pou- que les récepteurs kappa des opiacés sont normalement
vait contribuer à l’activation anormale des neurones. activés pendant le stress et qu’ils contribuent à la réinstal-
Plus tard, nous avons fait deux autres découvertes lation du comportement de recherche de drogue chez
importantes. D’abord, nous avons montré que toutes l’animal, et peut-être chez l’homme. De ce fait les blo-
les drogues d’abus supprimaient la LTP des synapses queurs des récepteurs kappa ont peut-être une utilité en
GABAergiques de l’ATV ; ensuite, nous avons décou- clinique humaine pour traiter les patients et éviter leur
vert qu’un stimulus stressant, comme placer des rats rechute après désintoxication. C’est ainsi qu’en dépit de la
dans de l’eau glacée pendant 5 minutes, avait exacte- complexité du cerveau et des comportements, l’approche
ment le même effet. Quelle pouvait être l’interprétation d’une partie du processus peut permettre d’avancer.
d’un tel phénomène, la signification des stimuli entre Travailler avec cette équipe de chercheurs hors pair pen-
l’effet de récompense de la drogue et celui aversif du dant toutes ces années a été pour moi une expérience
stress lié la plongée dans l’eau était si différente ? Divers fantastique et tellement plaisante. Ensemble, nous avons
travaux antérieurs avaient montré que, chez des rats qui partagé les hauts et les bas inhérents à la démarche scien-
avaient « récupéré » l’auto-administration de cocaïne tifique, les moments de doute sans résultat et ceux extra­
(dans ce cas, l’appui sur le levier ne délivre plus de ordinairement excitants de la découverte. Notre démarche
drogue et les animaux l’apprennent vite), une toute illustre bien le fait que l’analyse d’un processus complexe,
petite dose de cocaïne ou un stress rétablissent immédia- brique par brique, peut réellement nous apprendre com-
tement le comportement de recherche de drogue. Cette ment le cerveau fonctionne et comment il est éventuelle-
situation est très proche de ce que vivent certains dro- ment possible d’en contrôler certains aspects. De fait,
gués, plus ou moins désintoxiqués, qui disent avoir à bien qu’elle soit résolument réductionniste, notre
nouveau basculé dans la toxicomanie après un stress ou approche a clairement débouché sur de possibles straté-
une prise unique de drogue. L’idée est alors que l’activa- gies thérapeutiques susceptibles d’améliorer le sort des
tion des processus motivationnels, par la drogue ou personnes atteintes d’addiction.
16 – Motivation 575

Eu égard à ces observations, il a été suggéré que la sérotonine pourrait jouer


un rôle central dans certains aspects des troubles des comportements alimen-
taires. L’anorexie mentale est une pathologie dans laquelle les patients (princi-
palement des patientes) maintiennent volontairement leur poids à des valeurs
très basses. À l’inverse, la boulimie est caractérisée par une prise de nourriture
inconséquente, souvent compensée par des vomissements forcés. Ces patholo-
gies sont souvent accompagnées d’un état dépressif, correspondant à de graves
troubles de l’humeur mis en rapport avec une baisse d’activité des systèmes séro-
toninergiques (voir chapitre 22). La relation avec la sérotonine est claire en ce
qui concerne la boulimie : en plus de favoriser la dépression, la baisse d’activité
sérotoninergique réduit la satiété. Ainsi, les médicaments antidépresseurs, qui
agissent pour stimuler la transmission sérotoninergique comme la fluoxétine
(Prozac®), sont également efficaces pour traiter la boulimie chez la plupart des
patients.

Autres comportements motivés


L’exemple de la régulation du comportement alimentaire et de l’équilibre
énergétique illustre bien la contribution de mécanismes neuronaux particu-
liers aux comportements motivationnels. Les mécanismes qui contribuent à la
motivation dans d’autres types de comportements qui présentent également un
intérêt majeur pour la survie de l’individu ont fait l’objet d’études tout aussi
détaillées. Nous ne décrirons pas ces mécanismes de façon aussi précise que dans
le cas du comportement alimentaire, mais leur présentation brève montre que
les principes généraux de leur organisation sont assez semblables à ceux décrits
pour le comportement alimentaire. Ainsi peut-on considérer que la transduction
de signaux physiologiques présents au niveau sanguin implique des régions très
spécialisées de l’hypothalamus, que les réponses humorales et viscérales sont
initiées par activation des zones périventriculaire et médiane de l’hypothalamus,
et que les comportements dépendent de l’hypothalamus latéral.

La soif
La nécessité de boire dépend de deux types de signaux. Comme nous l’avons
vu dans le chapitre 15, l’un de ces signaux correspond à une diminution du
volume sanguin ou hypovolémie ; l’autre signal correspond à la concentration
des substances dissoutes dans le sang (solutés) ou hypertonicité. Ces deux types
de stimuli déclenchent la soif par des mécanismes différents.
La soif déclenchée par l’hypovolémie est qualifiée de soif volumétrique. Dans
le chapitre 15, nous avons utilisé l’exemple d’une diminution du volume sanguin
pour illustrer quand et comment la vasopressine est sécrétée par l’hypophyse
postérieure à partir des neurones sécrétoires magnocellulaires de l’hypothalamus.
La vasopressine, encore appelée hormone antidiurétique (ADH), agit directement
sur les reins pour augmenter la rétention d’eau et inhiber la production d’urine.
La sécrétion de vasopressine associée à la soif volumétrique est déclenchée par
deux types de stimuli (Fig. 16.19). Premièrement, une augmentation des taux
sanguins d’angiotensine II, qui se produit en réponse à une réduction de l’afflux
sanguin vers les reins (voir Fig. 15.5, chapitre 15). L’angiotensine II circulante
agit au niveau des neurones de l’organe subfornical, dans le télencéphale. En
retour, cela stimule directement les cellules neurosécrétoires magnocellulaires de
l’hypothalamus, qui sécrètent la vasopressine. Deuxièmement, les mécanorécep-
teurs situés dans la paroi des principaux vaisseaux sanguins et du cœur signalent
la chute de pression artérielle qui accompagne une réduction du volume sanguin.
Ces signaux atteignent l’hypothalamus au travers du nerf vague et du noyau du
faisceau solitaire.
576 3 – Cerveau et comportement

Organe subfornical

Hypothalamus

Noyau du faisceau
solitaire

Nerf vague

Les mécanorécepteurs situés


Augmentation des taux dans la paroi des principaux vaisseaux
d’angiotensine II en et du cœur détectent la chute
Figure 16.19 – Principaux mécanismes de la de pression artérielle
réponse à la diminution
soif volumétrique. de flux sanguins
L’hypovolémie est détectée à deux niveaux. au niveau des reins
D’abord, l’angiotensine II, libérée dans la cir-
culation générale en réponse à une réduction Cœur
du flux sanguin au niveau des reins, active des
neurones de l’organe subfornical. Deuxième-
ment, des mécanorécepteurs, qui envoient
leur axone dans le nerf vague, détectent une
chute de pression artérielle, ce qui active
les neurones du noyau du faisceau solitaire.
L’organe subfornical et le noyau du faisceau
solitaire relaient cette information au niveau Rein
de l’hypothalamus qui, en réponse, orchestre
la réponse coordonnée à la diminution du
volume sanguin.

En plus de cette réponse humorale, la réduction du volume sanguin (1) sti-


mule la composante sympathique du système nerveux autonome, ce qui contri-
bue aussi à corriger la chute de pression artérielle par une constriction des arté-
rioles (2), et stimule très fortement l’animal pour rechercher de l’eau et la boire. Il
n’est pas surprenant de constater que l’hypothalamus latéral se trouve impliqué
dans ce processus en stimulant la réponse comportementale, même si les détails
de son intervention restent encore mal compris.
L’autre stimulus qui intervient pour déclencher la soif est l’hypertonicité du
sang. Ce stimulus est perçu par les neurones d’une autre région spécialisée du
télencéphale qui se trouve placée hors barrière hématoencéphalique, l’organe
vasculaire de la lame terminale ou OVLT. Lorsque le sang devient hypertonique,
l’eau sort des cellules par un processus osmotique. Cette déshydratation est trans-
formée par les cellules de l’OVLT (1) en modification de leur décharge neuronale.
Ainsi les neurones de l’OVLT excitent directement les cellules neurosécrétoires
magnocellulaires qui sécrètent la vasopressine (2), et stimulent la soif osmotique,
correspondant à la motivation pour boire de l’eau quand on est déshydraté
(Fig. 16.20). Les lésions de l’OVLT bloquent totalement les réponses comporte-
mentales et humorales à la déshydratation, mais pas celles à la diminution de la
volémie.
La motivation pour boire, la sécrétion de vasopressine à partir de l’hypotha-
lamus et la rétention d’eau à partir des reins, représentent trois processus qui
agissent normalement de façon très coordonnée. La perte sélective des neurones
magnocellulaires de l’hypothalamus sécrétant la vasopressine déclenche une
pathologie particulière, dénommée diabète insipide, dans lequel l’organisme agit
de façon soudainement opposée à celle du cerveau. En effet, compte tenu de
16 – Motivation 577

Aire hypothalamique latérale

Cellules neurosécrétoires
magnocellulaires
OVLT à vasopressine

Flux sanguin
artériel
Figure 16.20 – Réponse hypothalamique à la
déshydratation.
Lorsque le sang devient hypertonique par
réduction du volume d’eau, cette hypertoni-
Lobe postérieur cité est détectée par des neurones de l’organe
de l’hypophyse vasculaire de la lame terminale (OVLT). L’OVLT
active les cellules neurosécrétoires magno­
cellulaires de l’hypothalamus et des neurones
de l’hypothalamus latéral. Les cellules neuro­
sécrétoires sécrètent de la vasopressine dans
Flux sanguin la circulation, et les neurones de l’hypotha-
veineux
lamus latéral déclenchent la soif osmotique.

l’absence de sécrétion de vasopressine, les reins ne retiennent plus l’eau qui passe
à partir du sang dans les urines de façon trop abondante. La déshydratation qui
en résulte déclenche une soif intense, mais l’eau absorbée passe très rapidement de
l’intestin dans les urines. Par conséquent, le diabète insipide est caractérisé par une
soif intense couplée à une excrétion urinaire trop abondante, donnant des urines
très claires. Le traitement consiste alors à donner de la vasopressine aux patients.

Régulation de la température corporelle


Si vous avez chaud, vous recherchez une place au frais ; si vous avez froid, une
place au chaud… Nous sommes en quelque sorte programmés pour interagir
avec notre environnement, de telle manière que la température corporelle soit
maintenue dans une fourchette étroite. La nécessité d’une telle régulation est
claire : les cellules de l’organisme des mammifères sont réglées pour fonctionner
de façon optimale à 37 °C et, ainsi, tout écart de cette température se répercute
sur le fonctionnement cellulaire.
Les neurones qui voient leur fréquence de décharge se modifier avec la
température se trouvent à peu près dans tout le cerveau et la moelle épinière.
Néanmoins, les cellules les plus importantes en ce qui concerne l’homéostasie de
la température corporelle se trouvent localisées principalement dans l’hypotha-
lamus antérieur. Ces cellules sont à même de détecter de très faibles variations de
la température du sang, ce qui se traduit par des changements de leur fréquence
de décharge. Les réponses humorales et viscéromotrices sont ensuite relayées
par les neurones de l’aire préoptique médiane de l’hypothalamus ; puis la réponse
somatomotrice (comportementale) est déclenchée à partir des neurones de l’aire
hypothalamique latérale. Les lésions de ces différentes régions centrales peuvent
supprimer sélectivement différents aspects de ces réponses intégrées.
Une chute de température est détectée par les neurones sensibles au froid
de l’hypothalamus antérieur. En réponse, la TSH est sécrétée par l’hypophyse
antérieure. La TSH stimule la sécrétion d’hormones thyroïdiennes à partir de
la glande thyroïde, ce qui a pour effet de stimuler le métabolisme cellulaire. La
réponse viscéromotrice correspond à une vasoconstriction et à une piloérection
(la chair de poule). La réponse somatomotrice involontaire correspond quant à
elle à un tremblement et, bien sûr, à la recherche d’un endroit chaud.
578 3 – Cerveau et comportement

Une élévation de la température est détectée à l’inverse par les neurones sen-
sibles au chaud de la même région de l’hypothalamus antérieur. En réponse, le
métabolisme est ralenti en réduisant l’effet de la TSH, et le sang est réparti plutôt
vers la surface du corps par vasodilatation afin de faciliter la déperdition de cha-
leur ; enfin, un comportement de recherche de fraîcheur est initié. Chez quelques
espèces de mammifères, la réponse motrice involontaire est le halètement ; chez
l’homme, c’est la transpiration, qui aide à refroidir le corps.
Le parallélisme qui existe entre le contrôle hypothalamique de la balance
énergétique, équilibre hydrominéral et la température, devient dès lors plus clair.
Dans chacun des cas, des neurones spécialisés détectent des variations spéci-
fiques de paramètres régulés et c’est l’hypothalamus qui orchestre les réponses
nécessitées par ces régulations, se traduisant toujours par des comportements
adaptés. Le tableau 16.1 résume quelques-unes des réponses hypothalamiques
discutées dans ce chapitre.

Tableau 16.1 – Réponses hypothalamiques à des stimuli qui motivent les comportements.

Stimulus Site de Réponse Réponse Réponse


sanguin transduction humorale viscéromotrice somatomotrice
Comportement
alimentaire
↓ Leptine Noyau arqué ↓ ACTH ↑ Activité Prise de nourriture
↓ TSH parasympathique
↓ Insuline Noyau arqué ↓ ACTH ↑ Activité Prise de nourriture
↓ TSH parasympathique
Soif
↑ Angiotensine II Organe subfornical ↑ Vasopressine ↑ Activité Prise d’eau
↑ Tonicité OVLT ↑ Vasopressine sympathique Prise d’eau
du sang
Signaux
thermiques
↑ Température Aire préoptique ↓ TSH ↑ Activité Halètement : recherche
médiane parasympathique de la fraîcheur
↓ Température Aire préoptique ↑ TSH ↑ Activité Sudation : recherche
médiane sympathique de la chaleur

Conclusion
Dans les chapitres consacrés au système moteur dans la seconde partie de
cet ouvrage, nous avons traité de la question du « Comment » : comment les
comportements se réalisent ? Comment les muscles se contractent ? Comment
sont coordonnées les activités des différents muscles ? Le chapitre sur les com-
portements motivés permet d’aborder la question du « Pourquoi » : pourquoi
ressent-on l’envie de manger lorsque les réserves énergétiques diminuent ?
Pourquoi ressent-on la nécessité de boire lorsqu’on est déshydraté ? Pourquoi
recherche-t-on la fraîcheur lorsqu’on a chaud ?
Des réponses concrètes sur le « comment » et le « pourquoi » de ces comporte-
ments ont été obtenues au niveau périphérique. Les muscles se contractent parce
que les neurones moteurs libèrent de l’acétylcholine à la jonction neuromusculaire.
Nous buvons de l’eau parce que nous avons soif, et nous avons soif lorsque les taux
d’angiotensine II s’élèvent en réponse à une réduction du flux sanguin au niveau
des reins. Toutefois, ce qui nous manque encore, c’est de comprendre l’articulation
du « comment » et du « pourquoi » dans le cerveau. Dans ce chapitre, nous avons
choisi l’exemple de la prise de nourriture, en partie parce que les mécanismes cen-
traux sont relativement bien connus. La découverte des peptides orexigènes dans
16 – Motivation 579

l’hypothalamus latéral et leur variation de sécrétion en réponse à un changement


des taux périphériques de leptine, a constitué une avancée considérable dans la
compréhension de ces mécanismes. Mais nous avons encore du mal à comprendre
comment ces peptides sont à même de déclencher une réponse comportementale
si organisée que la prise de nourriture. Dans ce contexte, le futur est très excitant,
et il est vraisemblable qu’il nous sera possible prochainement de comprendre notre
propre comportement et celui de ceux qui nous entourent.
Après avoir présenté quelques-uns des signaux sanguins qui déterminent
notre motivation à se nourrir et à boire, nous pourrions dès lors penser que
notre comportement est objectivement gouverné par nos hormones. De fait, les
signaux circulants sont des facteurs primordiaux pour le déterminisme de tel ou
tel type de comportement. Cependant, nous sommes loin d’être les esclaves de
ces signaux ! Clairement, l’un des aspects majeurs de l’évolution, en particulier
de l’homme, est justement de pouvoir contrôler ses pulsions, notamment grâce
à notre cortex cérébral et aux fonctions cognitives qu’il sous-tend. Mais ceci
n’implique cependant pas que les hommes prennent leur décision seulement à
partir de critères rationnels (Encadré 16.7). En plus de ces facteurs endogènes,
qui visent à préserver fortement à la fois notre intégrité personnelle et notre
descendance (notre espèce), nos comportements sont aussi déterminés par toute
une série de facteurs qui incluent nos peurs, nos ambitions, nos ressentis ou
encore notre histoire personnelle. Dans les prochains chapitres, nous évoquerons
ces facteurs additionnels qui influencent nos comportements, y compris la façon
dont l’expérience passée laisse son empreinte dans notre cerveau.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. L’une des solutions chirurgicales à un poids excessif est la liposuccion,


c’est-à-dire l’élimination du tissu adipeux. Néanmoins, au fil du temps, le
tissu adipeux retrouve son niveau normal d’avant la chirurgie. Pourquoi,
selon vous, la liposuccion ne marche-t-elle pas ? Discutez cette réponse
par rapport aux effets de la chirurgie gastrique pour réduire l’obésité.
2. Des lésions bilatérales de l’hypothalamus latéral se traduisent par
des réductions drastiques de la prise alimentaire. Nommez trois types
de neurones, distingués par leurs neurotransmetteurs respectifs, qui
contribuent à ce syndrome.
3. Si vous deviez traiter l’obésité, quels agonistes ou antagonistes de
neurotransmetteurs pourriez-vous développer, en considérant, bien
entendu, à la fois les neurones agissant au niveau du cerveau et ceux
du système nerveux périphérique ?
4. Pouvez-vous expliquer comment les axones du nerf vague sont à la fois
susceptibles de stimuler et d’inhiber la prise alimentaire ?
5. Comment expliquer, en termes neurobiologiques, l’addiction au
chocolat ? Comment le chocolat peut-il affecter l’humeur ?
6. Analysez de façon comparative la fonction de ces trois régions de
l’hypothalamus : le noyau arqué, l’organe subfornical, et l’organe
vasculaire de la lame latérale.
580 3 – Cerveau et comportement

Encadré 16.7 FOCUS

Neuroéconomie
L’économie (NdT : plus précisément l’économie poli- De leur côté, les neurophysiologistes et les psychologues
tique) est née en 1776, avec la publication de The Wealth ont adhéré à certaines théories des économistes pour
of Nations (Recherches sur la nature et les causes de la interpréter leurs résultats sur les mécanismes des prises
richesse des nations) par l’économiste britannique Adam de décision. C’est l’attraction réciproque de ces cher-
Smith. Les économistes ont pour réflexion de com- cheurs qui a conduit au développement d’une nouvelle
prendre comment sont effectués les choix en rapport avec discipline désignée comme le champ de la neuroécono-
la répartition des richesses. Au xixe siècle, l’économie mie. L’objectif principal de cette discipline est alors de
était qualifiée de « morne science », essentiellement parce combiner les approches de l’économie, des neurosciences
que ses prédictions étaient que l’humanité était vouée à et de la psychologie pour déterminer comment sont
une pauvreté sans fin, les ressources alimentaires n’étant prises les décisions en matière d’économie. L’histoire des
pas suffisantes pour nourrir une population qui se déve- sciences nous apprend que de grandes avancées sont
loppait alors de façon galopante. Mais une telle assomp- intervenues lorsque des disciplines traditionnelles colla-
tion pouvait aussi attester de la difficulté de prédire com- borent au service d’un problème commun, abordé de
ment les hommes effectuent des choix, dans le domaine façon pluridisciplinaire. Dans ce cas, il n’y a peut-être
de l’économie ou dans tout autre domaine (Fig. A). pas de questions plus urgentes aujourd’hui que de com-
La question est de savoir comment le cerveau prend prendre le comportement humain. Plus que tout autre
une décision ? Les avancées dans le domaine des neuro­ facteur, nos comportements individuels et collectifs sont
sciences, que ce soit pour avoir accès à son activité ou à même de déterminer l’avenir de notre espèce et de
par des méthodes de stimulation chez l’animal ou chez notre planète. Même si rien n’est moins sûr quant aux
l’homme, y compris chez des sujets vigiles en dehors de résultats, la seule certitude est que la compréhension des
toute anesthésie, permettent d’avoir quelques informa- comportements passe par les progrès des neurosciences.
tions sur les mécanismes de la prise de décision. Au Pour en savoir plus
cours de ces dernières années, les économistes se sont Glimcher PW, Ferh E. Neuroeconomics: decision
rapprochés des neurosciences, ne serait-ce que pour tes- making and the brain, 2nd ed. San Diego, CA  : Academic
ter la validité d’un certain nombre de leurs hypothèses. Press, 2014.

Figure A – To sail or not to sail ? (Jouir de cette belle journée… ou se résoudre raisonnablement à terminer
son travail ?).
16 – Motivation 581

POUR EN SAVOIR PLUS

Berridge KC. « Liking » and « wanting » food rewards : brain substrates and
roles in eating disorders. Physiology and Behavior 2009 ; 97 : 537-50.
Flier JS. Obesity wars : molecular progress confronts an expanding epide-
mic. Cell 2004 ; 116 : 337-50.
Friedman JM. Modern science versus the stigma of obesity. Nature
Medicine 2004 ; 10 : 563-9.
Gao Q, Hovath TL. Neurobiology of feeding and energy expenditure.
Annual Review of Neuroscience 2007 ; 30 : 367-98.
Kauer JA, Malenka RC. Synaptic plasticity and addiction. Nature Reviews
Neuroscience 2007 ; 8 : 844-58.
Schultz W. Getting formal with dopamine and reward. Neuron 2002 ;
36 : 241-63.
Wise RA. Dopamine, learning, and motivation. Nature Reviews Neuros-
cience 2004 ; 5 : 483-94.
NdT : la référence suivante peut également être utile au lecteur : Nieoul-
lon A. Dopamine and the regulation of cognition and attention. Prog
Neurobiol 2002 ; 67 (1) : 53-83.
582 3 – Cerveau et comportement 582

CHAPITRE  17 Cerveau masculin,


cerveau féminin

SEXE ET GENRE
Identité génétique............................................................................... 584
Développement des organes reproducteurs et différenciation sexuelle. 586

CONTRÔLE HORMONAL DES


COMPORTEMENTS SEXUELS
Principales hormones masculines et féminines.................................... 588
Contrôle des hormones sexuelles par l’hypophyse et l’hypothalamus.. 589

BASES NEURALES DES


COMPORTEMENTS SEXUELS
Organes reproducteurs et leur contrôle.............................................. 591
Stratégies d’accouplement chez les mammifères.................................. 594
Neurochimie des comportements reproducteurs................................. 595
Encadré 17.1 Les voies de la découverte  La vie de couple
des campagnols,
par Thomas Insel
Amour, vie en couple et cerveau.......................................................... 599

POURQUOI ET COMMENT
LES CERVEAUX MASCULIN
ET FÉMININ SONT-ILS
DIFFÉRENTS ?
Dimorphisme sexuel du système nerveux central................................. 602
Dimorphisme sexuel et cognition........................................................ 603
Hormones sexuelles, cerveau et comportement................................... 604
Encadré 17.2 Focus  Oiseaux chanteurs et cerveaux d’oiseaux…
Influence directe du génome sur la différenciation sexuelle du cerveau 609
Encadré 17.3 Focus  David Reimer et les bases
de l’identité sexuelle…
Effets activationnels des hormones sexuelles....................................... 612
Orientation sexuelle............................................................................ 617

CONCLUSION
INTRODUCTION

S
ans sexe, il n’y a pas de reproduction humaine ; et sans descendance,
aucune espèce ne peut survivre. Voilà de simples faits de la vie, et c’est ainsi
que des millions d’années d’évolution nous ont pourvus d’un cerveau par-
faitement adapté à notre survie. La force qui nous anime pour nous reproduire
peut être assimilée à la puissante motivation que nous mettons à nous nourrir
ou à boire, discutée dans le chapitre 16. En ce qui concerne ces fonctions vitales,
que ce soit pour la survie de l’individu dans le cas de la prise alimentaire ou de
la survie de l’espèce dans le cas du comportement reproducteur, ces fonctions
ne sont pas entièrement sous le contrôle de la volonté. Plus précisément, elles
font l’objet d’une régulation par les structures sous-corticales, mais elles peuvent
aussi être influencées fortement par le cortex cérébral.
Dans ce chapitre, nous allons voir ce qui est connu sur le contrôle du com-
portement reproducteur par le cerveau. Notre intention n’est pas de décrire ce
qui se passe chez les oiseaux ou les abeilles, considérant que vous avez acquis un
minimum de bases par vous-même sur la façon dont procèdent les humains…
L’objectif est plutôt de vous donner des précisions sur les mécanismes nerveux
qui sont à la base de ce comportement chez l’homme. Pour l’essentiel, le contrôle
nerveux des organes sexuels utilise les mêmes systèmes neuronaux moteurs et
sensoriels que nous avons étudiés dans les chapitres précédents. Clairement, le
comportement sexuel et les mécanismes de la reproduction sont différents chez
l’homme et chez la femme. Dans ces conditions, la question se pose de savoir si
les cerveaux des deux sexes présentent aussi des différences ? Dans ce cas, il sera
aussi intéressant d’aborder la question de savoir si les différences entre cerveau
masculin et féminin ne concernent que le comportement reproducteur ou si, plus
généralement, ces différences rendent également compte de comportements ou
de capacités cognitives sensiblement différentes.
À l’origine, bien sûr, la plupart des différences entre mâles et femelles
dépendent des chromosomes fournis par les parents. Sous l’influence de certains
gènes, l’organisme va produire des hormones sexuelles, en petit nombre, qui vont
influencer la différenciation sexuelle, le comportement sexuel et la physiologie
de la reproduction chez l’adulte. Les organes reproducteurs (les ovaires et les
testicules), qui sécrètent les hormones sexuelles, se trouvent à l’extérieur du cer-
veau. Néanmoins, leur activité est sous contrôle cérébral. Souvenez-vous (voir
chapitre 15) que l’hypothalamus contrôle la sécrétion de diverses hormones à
partir de l’hypophyse antérieure. Ainsi, dans le cas de la reproduction, ce sont
les hormones libérées par l’hypophyse antérieure qui régulent la sécrétion des
hormones sexuelles à partir des ovaires et des testicules. Les hormones sexuelles
ont des effets sur le corps, mais, comme nous allons le voir, elles influencent aussi
le cerveau. Cet effet s’exprime non seulement sur le modelage grossier du cer-
veau, mais intervient aussi beaucoup plus finement, par exemple sur la pousse
neuritique, et jusqu’à pouvoir peut-être protéger le cerveau de certaines maladies
neurologiques…
Un autre point qui sera abordé ici est celui concernant le sens de l’identité
masculine et de l’identité féminine. La question qui est posée maintenant est de
savoir quels sont les déterminants du genre : les gènes, l’anatomie ou le compor-
tement ? La réponse n’est pas simple car il existe des exemples où, justement,
l’identité du genre n’est pas corrélée avec les facteurs biologiques ou compor-


584 3 – Cerveau et comportement

tementaux. Enfin, que sait-on de la préférence sexuelle ? Est-ce que l’attraction


vers quelqu’un du sexe opposé ou au contraire du même sexe dans l’homosexua-
lité est déterminée par l’expérience au cours de l’enfance ou bien par la struc-
ture de notre cerveau ? Voilà autant de questions auxquelles nous allons tenter
d’apporter des éléments de réponse, notamment en rapport avec l’anatomie et la
physiologie cérébrale.

Sexe et genre
Les mots sexe et genre réfèrent tous deux à l’état d’être masculin ou féminin,
et sont souvent utilisés indifféremment l’un pour l’autre. Cependant, ces termes
sont sujets à polémique, et il existe un désaccord sur le sens de chacun d’eux.
Afin de clarifier cette question, nous proposons de partir des définitions adop-
tées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Le sexe est ainsi défini
comme l’état biologique des mâles et des femelles. Il est déterminé par les chro-
mosomes, les hormones et les caractères sexuels caractéristiques (Fig. 17.1). Le
terme de genre est associé à l’expression d’un certain nombre de comportements
reconnus par une culture comme correspondant à ceux d’un homme ou d’une
femme (masculin versus féminin). Bien entendu, il n’est pas toujours facile ou
même possible de déterminer si tel ou tel type de comportement d’un individu
est déterminé par sa biologie ou sa culture, ou les deux à la fois. Comme nous le
verrons plus loin, il existe des situations dans lesquelles la détermination du sexe
et du genre est clairement en conflit.
C’est dès la naissance que s’établissent les implications comportementales et
culturelles d’un individu. De fait, l’une des premières questions que l’on pose
à des parents qui vous apprennent la naissance de leur enfant est de savoir si
c’est un garçon ou une fille ? Toutefois, en y réfléchissant bien, cette question
n’a pas de sens, eu égard à l’égalité des sexes dans notre société. Si elle est posée,
c’est en fait parce qu’elle nous ramène plutôt à notre propre imagination de ce
Figure 17.1 – Différences biologiques et que deviendra l’enfant plus tard. Dans le cas des adultes, la question ne se pose
comportementales entre individus d’une (en général) pas : il suffit de se fier à l’apparence de quelqu’un pour s’adresser
même espèce de sexe différent. directement à lui en tant qu’homme ou en tant que femme. Néanmoins, à ce
Les faisans représentent une belle illustration moment, identifier quelqu’un comme homme ou comme femme implique de
des différences majeures pouvant intervenir prendre en compte à la fois sa nature biologique et les traits comportementaux
entre individus de même espèce de sexe dif- associés à son genre. Cela peut cependant s’avérer risqué car, par exemple, les
férent. Le mâle est très coloré avec de lon-
comportements spécifiques au sexe masculin ou féminin résultent d’interactions
gues plumes et une grande queue ; il ne joue
complexes entre des facteurs extrêmement différents, tels que sa propre person-
pas un rôle majeur dans la prise en charge
des petits. À l’inverse, la femelle est de taille nalité, les attentes de la société dans laquelle nous vivons, la génétique ou encore
plus petite et de couleur plutôt uniforme et les hormones. Ces comportements sont en rapport avec l’identité du genre, qui
assez terne, mais c’est elle qui a en charge correspond en fait à l’idée que nous nous faisons de notre propre genre. Dans ce
d’élever les petits. (Source : ChrisO, English qui suit, nous allons plus particulièrement nous intéresser aux aspects génétiques
Wikipedia.) et développementaux du déterminisme du sexe de l’individu.

Identité génétique
Dans le noyau de chaque cellule humaine c’est l’ADN qui fournit toutes les
informations nécessaires à la construction de l’individu. L’ADN est organisé en
46 chromosomes : 23 provenant du père et 23 de la mère. Chacun d’entre nous
possède ainsi deux versions des chromosomes 1, 2, 3 etc. jusqu’à 22, convention-
nellement notés par ordre de taille décroissante (Fig. 17.2). Il existe cependant
une exception à ce système d’appariement : les chromosomes sexuels X et Y.
Par conséquent, il est habituellement considéré que nous possédons 22 paires
de chromosomes, soit 44 autosomes, et 2 chromosomes sexuels. Les individus de
sexe féminin présentent 2 chromosomes X, issus chacun d’un des deux parents,
alors que ceux de sexe masculin possèdent un chromosome X issu de leur mère et
un chromosome Y qui leur vient de leur père. C’est pourquoi le génotype féminin
est noté XX et le génotype masculin XY. Ce sont de ce fait ces génotypes qui
déterminent le sexe génétique d’un individu. Puisque la mère contribue au déter-
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 585

minisme des deux sexes indifféremment par un chromosome X, le sexe d’un indi-
vidu est en fait déterminé par le chromosome sexuel X ou Y, fourni par le père.
Cela est vrai pour l’espèce humaine mais ne peut être généralisé. Par exemple,
chez les oiseaux le sexe des petits est déterminé par la femelle. 1 2 3 4 5
Les molécules d’ADN qui constituent les chromosomes sont parmi les plus
grosses molécules connues. Elles contiennent les gènes représentant les unités de
base des caractères héréditaires. Chacun des gènes est à l’origine de la produc-
tion d’une protéine spécifique. Il est admis aujourd’hui que le génome humain
6 7 8 9 10 11 12
comprend environ 25 000 gènes, même si ce nombre peut légèrement varier en
fonction de la méthode utilisée pour les identifier (voir Encadré 2.2).
Comme cela est illustré sur la figure 17.2, le chromosome X a une taille beau-
coup plus importante que le chromosome Y. En rapport avec cette différence de 13 14 15 16 17 18
taille, il est admis aussi que le chromosome X contient environ 800 gènes, alors
que le chromosome Y en contiendrait environ 50. Cela implique que les hommes
sont un peu floués génétiquement par rapport aux femmes, et, en un sens, cela 19 20 21 22 XY
est vrai. En fait, le génotype XY est à l’origine de pathologies spécifiques. Si
Figure 17.2 – Les chromosomes humains.
l’un des chromosomes X présente des défauts, chez les femmes ceux-ci sont sus-
Ces 23 paires de chromosomes sont celles
ceptibles d’être compensés par l’autre chromosome X dans le cas où celui-ci est
d’un homme. Notez la petite taille du chromo-
normal. Ceci n’est pas le cas chez l’homme et les mutations sur le chromosome X some Y, par rapport à celle du chromosome X.
peuvent être à l’origine de troubles du développement considérables. De telles (Source : Yunis et Chandler, 1977.)
pathologies sont en rapport avec ce que l’on nomme les maladies liées à l’X, qui
sont nombreuses. Un exemple de ces pathologies est décrit dans l’Encadré 9.5,
qui réfère à une vision qui ne détecte pas les couleurs dans le rouge-vert, ce qui
est relativement courant chez les garçons. Une autre de ces maladies est l’hémo-
philie, qui atteint beaucoup plus souvent les garçons que les filles ; ou encore la
dystrophie musculaire de Duchenne.
Par rapport au chromosome X, le chromosome Y est de taille beaucoup plus
petite et ses fonctions paraissent plus limitées. Toutefois, ce qui est beaucoup plus
important pour le déterminisme sexuel, est que ce chromosome Y contient ou
non un gène dénommé SRY, pour sex-determining region du chromosome Y, qui
est responsable de la production d’une protéine particulière, dénommée TDF,
pour testis-determining factor (facteur de déterminisme des testicules). Ainsi, un
individu qui présente à la fois un chromosome Y et le gène SRY se développe
comme un homme, alors que s’il ne présente pas le gène SRY, il se développe
comme une femme. La localisation du gène SRY sur le bras court du chromo-
some Y a été précisée en 1990 par Peter Goodfellow, Robin Lovell-Badge et
leurs collaborateurs du Medical Research Council à Londres (Fig. 17.3). Si cette
portion de chromosome Y est, par exemple, artificiellement incorporée dans le

Chromosome Y

SRY

Yp

Figure 17.3 – Localisation du gène SRY sur


le chromosome Y.
En 1959, les chercheurs ont montré que le
facteur de déterminisme des testicules (TDF
pour testis-determining factor) dépendait du
Yq chromosome Y. Puis, en 1966, la localisation
a été affinée sur le bras court du chromosome
(p). Enfin, dans les années 1980, il a été établi
que le facteur TDF était codé par le gène SRY
(pour sex-determining region of the Y chromo-
some), localisé vers l’extrémité du bras court
de ce chromosome Y. (Source : adapté de
1959 1966 1986 1990
McLaren, 1990, p. 216.)
586 3 – Cerveau et comportement

génome d’un fœtus de souris XX, la souris va se développer comme mâle, alors


qu’elle devait devenir une femelle. Toutefois, cela ne signifie pas que le gène
SRY soit le seul gène qui intervienne dans le déterminisme sexuel, considérant
que SRY intervient, entre autres, pour réguler l’expression de gènes situés sur
d’autres chromosomes. De plus, la régulation de fonctions propres au mâle, par
exemple la production de sperme, est en rapport avec d’autres gènes situés sur le
chromosome Y. Néanmoins, le développement des testicules est bien en rapport
avec l’expression du gène SRY, comme nous le verrons plus loin ; et les hormones
produites par les testicules sont impliquées dans la différenciation du fœtus mâle.
Anomalies des chromosomes sexuels.  Dans de rares cas, il peut exister des
individus présentant soit trop peu, soit un excès de chromosomes sexuels. Dans
tous les cas, cela n’est pas sans conséquence sur la santé, allant d’altérations
mineures jusqu’à des effets létaux. Le syndrome de Turner correspond à une
absence partielle ou totale de chromosome X chez la femme (génotype X0),
constaté à la naissance chez environ une femme sur 2 500. La plupart des fœtus
de ce génotype ne vont pas à terme et font l’objet de fausses couches. Les filles
qui survivent présentent des traits particuliers, comme une corpulence de petite
taille, une mâchoire en retrait et un cou très particulier, auxquels sont asso-
ciés des troubles visuospatiaux et de la mémorisation. Leurs ovaires présentent
des anomalies, et en général des traitements aux œstrogènes sont nécessaires
pour le développement de la poitrine et la mise en place du cycle menstruel.
Probablement parce que la perte du chromosome X chez les garçons est létale, il
n’est pas connu d’individu présentant un génotype Y0.
Dans quelques autres rares cas, des individus naissent avec des chromosomes
sexuels surnuméraires. Lorsque c’est le cas, le sexe de l’individu est toujours
déterminé par la présence ou l’absence du chromosome Y. Dans une naissance
de garçon sur mille, environ, il existe un chromosome X supplémentaire. Cette
maladie, est connue sous le nom de syndrome de Klinefelter. Ces individus sont
des mâles, du fait de la présence d’un chromosome Y (génotype XXY). Dans un
certain nombre de cas, il n’y a pas réellement de symptôme caractéristique de ce
génotype XXY, mais simplement une musculature moins développée, un système
pileux plus rudimentaire et une poitrine quelque peu développée, du fait d’une
production de testostérone plus faible que la normale. Des génotypes XYY et
XXYY sont également connus. Ces individus sont des hommes alors que ceux
présentant un génotype XXX sont des femmes.

Développement des organes reproducteurs


et différenciation sexuelle
Les différences entre mâles et femelles sont partout : du poids du corps au
développement des muscles, en passant par le système endocrinien. Nous avons
vu plus haut que le sexe génétique détermine le sexe anatomique, masculin ou
féminin. Mais, pendant le développement, comment et quand le fœtus se diffé-
rencie-t-il en un individu d’un sexe plutôt que de l’autre ? Comment le génotype
influence-t-il le développement de l’un ou l’autre type de gonades ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de réaliser que les gonades pré-
sentent un statut unique pendant le développement. Contrairement à d’autres
organes comme les poumons ou le foie, les cellules souches qui donneront les
gonades ne subissent pas un développement prédéterminé mais sont suscep-
tibles, jusqu’à environ 6 semaines de gestation, de donner soit des testicules, soit
des ovaires. Les gonades indifférenciées possèdent en fait deux structures clés :
le canal müllérien et le canal wolffien (Fig. 17.4). Si le fœtus présente un chromo-
some Y et le gène SRY, la testostérone est produite et le canal wolffien se déve-
loppe en système reproducteur interne mâle. Au même moment, le canal müllé-
rien voit son développement inhibé par la sécrétion d’une hormone dénommée
facteur inhibiteur müllérien. À l’inverse, s’il n’y a pas de chromosome Y et pas de
sécrétion de testostérone, le canal müllérien se développe en appareil reproduc-
teur femelle interne et le canal wolffien dégénère.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 587

(a) Sexe indifférencié

Gonades

Rein

Uretère

Canal wolffien
Canal müllerien

Ovaires
Reins
Testicules

Uretères
Figure 17.4 – Développement des organes
Canal wolffien Canal wolffien reproducteurs.
(vas deferens) dégénéré (a) Le système urogénital primitif, indifféren-
Vessie cié, présente à la fois le canal müllerien et
Canal müllerien
Canal müllerien (oviducte)
le canal wolffien. (b) En présence d’un gène
dégénéré SRY, le canal wolffien se développe en organe
Urètre Urètre Utérus
reproducteur mâle. (c) Si le gène SRY n’est
Vagin pas exprimé, c’est le canal müllerien qui se
développe en appareil reproducteur féminin.
(b) Mâle (c) Femelle
(Source : adapté de Gilbert, 1994, p. 759.)

L’appareil reproducteur externe des mâles, comme celui des femelles, se déve-
loppe à partir de la même structure urogénitale indifférenciée. C’est la raison
pour laquelle il est possible qu’une personne naisse avec des organes génitaux
de forme intermédiaire entre celle caractéristique du sexe masculin ou du sexe
féminin, ce que l’on nomme l’hermaphrodisme.

Contrôle hormonal
des comportements sexuels
Les hormones sont des molécules sécrétées dans la circulation sanguine, qui
interviennent pour réguler les processus physiologiques. Les glandes endocrines
qui nous intéressent ici de façon primordiale sont, d’une part, les ovaires et les
testicules impliqués dans la sécrétion des hormones sexuelles et, d’autre part,
l’hypophyse, impliquée dans la régulation de la sécrétion de ces hormones par les
gonades. Les hormones sexuelles jouent un rôle clé pendant le développement.
Elles influencent le développement et le fonctionnement des organes reproduc-
teurs et du comportement sexuel. Ces hormones sont des stéroïdes (comme cela
a été brièvement mentionné dans le chapitre 15), et certaines d’entre elles sont
assez connues, comme la testostérone ou les œstrogènes. Les stéroïdes repré-
sentent des molécules synthétisées à partir du cholestérol, avec quatre cycles de
588 3 – Cerveau et comportement

carbone. De ce fait, des altérations même minimes de la structure de ce choles-


térol peuvent se répercuter sur les effets des hormones. Par exemple, la testosté-
rone est l’hormone clé du développement sexuel mâle, mais sa structure est très
voisine de celle de la principale hormone féminine, l’œstradiol.
HO
Cholestérol
Principales hormones masculines et féminines
CH3 Les différentes hormones stéroïdiennes sexuelles sont souvent présentées
selon les cas comme hormones « mâles » ou hormones « femelles ». Néanmoins,
C O
les hommes ont aussi des hormones féminines et les femmes des hormones mas-
culines. Ce n’est qu’une question de quantité : la nomenclature reflète le simple
fait que les hommes ont plus d’androgènes ou hormones mâles, et que les femmes
O ont plus d’œstrogènes ou hormones femelles. Par exemple, la testostérone est un
Progestérone
androgène et l’œstradiol, un œstrogène. Dans la chaîne de réactions chimiques
qui conduisent du cholestérol à la synthèse des hormones sexuelles, l’une des
principales hormones féminines, l’œstradiol, est synthétisée à partir de la princi-
OH pale hormone masculine, la testostérone (Fig. 17.5). Cette réaction implique une
enzyme, dénommée aromatase.
Les stéroïdes présentent un mécanisme d’action différent des autres prin-
cipales hormones, du fait de leur structure. Ainsi, certaines hormones, comme
O
Testostérone la vasopressine ou l’ocytocine, sont des protéines et, comme telles, ne peuvent
franchir la bicouche lipidique formant la membrane des cellules. Cela implique
Aromatase que ces hormones agissent sur des récepteurs membranaires situés à l’extérieur
de la cellule. Au contraire, les hormones stéroïdiennes sont des lipides et elles
OH franchissent facilement les membranes. Elles agissent par l’intermédiaire de
récepteurs intracytoplasmiques, ce qui leur donne un accès direct au noyau et à
la régulation de l’expression génique. Des différences dans la concentration de
HO ces récepteurs dans diverses régions cérébrales sont ainsi responsables de l’action
Œstradiol différentielle de ces hormones (Fig. 17.6).
Les testicules sont principalement responsables de la sécrétion des andro-
Figure 17.5  – 
Cholestérol et synthèse des gènes, des quantités beaucoup plus faibles de ces hormones étant également
principales hormones stéroïdiennes sexuelles. sécrétées par les glandes surrénales et quelques autres sites. La testostérone
Les lignes interrompues signalent l’existence représente l’hormone androgène la plus importante et elle est responsable de
d’une ou plusieurs étapes intermédiaires dans la plupart des effets masculinisants. Pendant la période prénatale, des taux éle-
la synthèse des produits. L’enzyme aroma- vés de testostérone sont nécessaires au développement du système reproducteur
tase convertit directement la testostérone en mâle. Plus tard, au moment de la puberté, des augmentations des taux de testos-
œstradiol.
térone sont responsables du développement des caractères sexuels secondaires,
du développement de la masse musculaire, de la barbe chez l’homme ou encore
de la crinière chez le lion. De plus, bizarrement, pour ceux qui y sont prédispo-

Mésencéphale
Corps calleux
Cervelet

Bulbe olfactif

Hypophyse
Aire préoptique Hypothalamus

Figure 17.6 – Distribution des récepteurs de l’œstradiol, vus sur une coupe sagittale du cerveau
de rat.
Les concentrations les plus importantes de ces récepteurs sont trouvées dans l’hypophyse et
l’hypothalamus, incluant la région préoptique de l’hypothalamus antérieur. Ces régions se trouvent
impliquées dans les comportements reproducteurs et sexuels.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 589

sés, la testostérone est aussi responsable de la calvitie chez l’homme. Les taux
de testostérone chez la femme sont environ de 10 % de ceux de l’homme. Chez
le mâle, les taux de testostérone varient au cours de la journée sous l’influence
de nombreux facteurs, tels que le stress, l’exercice ou encore l’agressivité. Il n’est
cependant pas clair de savoir si une augmentation des taux de testostérone est
la cause ou l’effet de ces comportements, mais l’élévation des taux de cette hor-
mone est clairement corrélée à des challenges sociaux, à la colère ou à des situa-
tions conflictuelles.
Les principales hormones féminines sont représentées par l’œstradiol et la
progestérone. Elles sont sécrétées par les ovaires. Comme cela a déjà été men-
tionné, l’œstradiol est un œstrogène. La progestérone, quant à elle, est un membre
d’une deuxième classe d’hormones féminines dénommées progestines. Les taux
d’œstrogènes sont très bas au cours de l’enfance et augmentent de façon bru-
tale à la puberté. Ces œstrogènes sont responsables de la maturation du système
reproducteur féminin et du développement des seins. Comme chez l’homme, les
concentrations d’hormones circulantes sexuelles chez la femme sont très fluc-
tuantes. Cependant, alors que chez l’homme ces fluctuations interviennent rapi-
dement chaque jour, chez la femme les hormones féminines fluctuent selon un
cycle d’une durée régulière d’environ 28 jours.

Contrôle des hormones sexuelles


par l’hypophyse et l’hypothalamus
L’hypophyse antérieure sécrète deux hormones qui jouent un rôle détermi-
nant pour un développement et un fonctionnement normal de l’appareil repro-
ducteur, tant chez l’homme que chez la femme : l’hormone lutéinisante (LH pour
luteinizing hormone) et l’hormone folliculo-stimuline (FSH pour follicle-stimula-
ting hormone). Ces hormones sont aussi dénommées gonadotrophines. La LH
et la FSH sont sécrétées à partir de cellules spécialisées, disséminées dans toute
l’hypophyse antérieure et représentant environ 10 % de l’ensemble des cellules
de cette structure. Souvenez-vous (voir chapitre 15) que la sécrétion des hor-
mones à partir de l’hypophyse antérieure est sous le contrôle des hormones
hypophysiotropes sécrétées par l’hypothalamus. Ainsi la sécrétion de gonado-
libérine (gonadotropin-releasing hormone ou GnRH) à partir de l’hypothalamus
agit, comme son nom l’indique, pour stimuler la sécrétion de LH et FSH à partir
de l’hypophyse antérieure. La gonadolibérine est également dénommée LH-RH,
pour luteinizing hormone-releasing hormone, parce qu’elle exerce un effet beau-
coup plus important sur la sécrétion de LH par rapport à celle de FSH. L’activité
des neurones de l’hypothalamus est influencée par de nombreux facteurs d’ordre
psychologique et environnemental, qui affectent la sécrétion des gonadotro-
phines à partir de l’hypophyse antérieure.
La cascade des événements intervenant à partir des informations qui atteignent
l’hypothalamus pour influencer la sécrétion des hormones sexuelles est résumée
sur la figure 17.7. Il existe une projection rétinienne vers l’hypothalamus qui est
responsable des changements de la sécrétion quotidienne de gonadolibérine en
rapport avec la fluctuation de la lumière du jour. Chez quelques espèces d’ani-
maux, il existe des variations saisonnières très importantes de l’activité sexuelle
et plus généralement du comportement reproducteur, en rapport avec des varia-
tions considérables de la sécrétion des gonadotrophines. La lumière inhibe la
production d’une hormone très importante dénommée mélatonine, sécrétée par
la glande pinéale. Cela a pour conséquence d’accroître de façon importante la
sécrétion des gonadotrophines, du fait de l’effet normalement inhibiteur exercé
sur cette sécrétion par la mélatonine. Par ce mécanisme, l’activité reproductrice
peut être influencée par la durée du jour au cours de l’année et, ainsi, les petits
naissent à une période qui leur donne les meilleures chances de survie. Chez
l’homme, il existe également une relation inverse entre la sécrétion de gonadotro-
phines et les taux circulants de mélatonine, mais il n’est pas connu avec précision
si la mélatonine est réellement impliquée dans la régulation du comportement
reproducteur.
590 3 – Cerveau et comportement

Influences
psychologiques
et sensorielles

Hypothalamus

GnRH

Hypophyse
antérieure
LH
FSH

Ovaires
(ou testicules)
Œstradiol ou
testostérone

Cibles cellulaires
de l’organisme

Figure 17.7 – Relations de caractère réciproque entre cerveau et gonades.


L’activité de l’hypothalamus est influencée à la fois par des facteurs psychologiques et l’information
sensorielle, comme par exemple la lumière au travers de la rétine et de la voie rétinohypothala-
mique. Le GnRH de l’hypothalamus régule la sécrétion des gonadotrophines (LH et FSH) à partir de
l’hypophyse antérieure. Les testicules produisent de la testostérone, et les ovaires de l’œstradiol,
sous l’influence des gonadotrophines. Les hormones sexuelles ont différents effets sur l’organisme
et elles influencent aussi le cerveau en retour par une action sur l’hypothalamus et l’hypophyse.

Chez l’homme, la LH stimule la production de testostérone par les testicules.


La FSH, quant à elle, est impliquée dans la maturation des spermatozoïdes au
sein des testicules. La maturation des spermatozoïdes requiert également l’inter-
vention de la testostérone, suggérant que LH et FSH jouent un rôle clé dans la
fertilité masculine. Comme par ailleurs l’hypothalamus est innervé, entre autre,
à partir du cortex cérébral, il est possible que certains facteurs psychologiques
interviennent pour réduire la fertilité masculine, par l’inhibition de la sécrétion
des gonadotrophines et de la production de sperme.
Chez la femme, la LH et la FSH stimulent la sécrétion des œstrogènes à partir
des ovaires. En l’absence de gonadotrophine, les ovaires sont inactifs, ce qui est
le cas pendant l’enfance. Les variations cycliques des taux de LH et de FSH chez
la femme adulte sont responsables de changements périodiques intervenant au
niveau des ovaires. Ainsi, c’est la durée et le moment de la sécrétion de LH et de
FSH qui déterminent la durée et la nature du cycle reproducteur ou cycle mens-
truel. Dans la phase folliculaire du cycle, ces hormones (en particulier la FSH)
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 591

ont pour effet d’accroître la formation d’un petit nombre de follicules représen-
tant les compartiments ovariens dans lesquels se trouvent les ovules (les œufs).
Après l’expulsion des œufs, dans la phase lutéale les petites cellules qui entourent
ces œufs entrent dans un processus de modification chimique dénommé luté-
inisation, qui dépend de la sécrétion de la LH par l’hypophyse. La durée des
phases folliculaire et lutéale du cycle reproducteur varie selon l’espèce, chez les
mammifères. Chez les primates, la durée de ces phases est sensiblement la même.
Chez les autres mammifères qui ne sont pas des primates, par exemple chez
le rat ou la souris, la phase lutéale du cycle œstral est plus courte. Chez d’autres
animaux, comme le chien, le chat, ou les animaux de ferme, les phases ont une
durée sensiblement égale. De nombreux animaux présentent seulement un cycle
par an, généralement au printemps, ce qui permet de penser que la naissance
des petits va se faire à un moment où la nourriture et les conditions climatiques
seront optimales pour leur survie et leur développement. À l’autre extrême, on
trouve des animaux tels que les rats, qui sont dits à polyœstrus, présentant des
courtes périodes d’œstrus (les « chaleurs ») tout au long de l’année.

Bases neurales
des comportements sexuels
L’abord du comportement sexuel chez l’homme n’est pas simple et même
quelque peu provocateur compte tenu de ses connotations sociétales, allant d’un
traitement de la question purement mécanique par les biologistes, jusqu’à des
analyses sociologiques complexes incluant les pratiques culturelles. Dans ce qui
suit, ne sera traitée qu’une toute petite partie du sujet, sous l’angle biologique.
Tout d’abord, on abordera la structure et le fonctionnement des organes géni-
taux, puis des différentes stratégies de copulation. Enfin, seront abordés certains
aspects du contrôle nerveux, qui paraissent importants pour le déterminisme de
la monogamie et du comportement parental.

Organes reproducteurs et leur contrôle


En dépit de différences objectives entre appareil reproducteur masculin et
féminin, leur contrôle nerveux est, de façon peut-être surprenante et pour ce
que l’on en sait, très similaire. Considérant que, dans ce domaine, les éléments
qui conduisent à une excitation sexuelle sont très variables selon les individus,
l’excitation sexuelle chez l’homme et la femme adultes peut aussi bien résulter
de stimuli érotiques d’ordre psychologique, que de stimuli sensoriels. Ces stimuli
peuvent par exemple inclure des composantes visuelles et olfactives ou encore,
plus directement, une stimulation directe des organes génitaux. Une réponse
sexuelle complète comporte plusieurs phases très bien caractérisées : une phase
d’excitation sexuelle, suivie d’un plateau puis d’un orgasme, et enfin une phase
terminale. En dépit du fait que la durée de chacune de ces phases puisse varier
considérablement d’un individu à l’autre, les changements physiologiques qui
leur sont associés sont quant à eux relativement constants. Le contrôle de la
réponse sexuelle à un stimulus provient en grande partie du cortex cérébral,
c’est-à-dire, après tout, de l’endroit d’où proviennent les pensées érotiques. Mais
la moelle épinière est également impliquée, en ce sens qu’elle coordonne cette
activité cérébrale avec l’information sensorielle issue des organes génitaux et
qu’elle est à l’origine de la réponse sexuelle des structures génitales.
Les principales caractéristiques externes et internes des organes génitaux
sont illustrées sur la figure 17.8. Bien que les travaux sur le comportement sexuel
humain aient eu tendance à se focaliser sur le comportement masculin, nous
allons cependant tenter ici de donner une idée de ce qu’il advient dans les deux
sexes. L’excitation sexuelle a pour effet de provoquer un afflux sanguin vers les
organes génitaux externes, tant de l’homme que de la femme, ce qui conduit
ces organes à se gonfler. Chez la femme, ces structures incluent les grandes et
592 3 – Cerveau et comportement

petites lèvres, et le clitoris ; chez l’homme, il s’agit principalement du pénis. Les


organes génitaux externes sont fortement innervés par des mécanorécepteurs,
particulièrement au niveau du clitoris et du gland du pénis. Une stimulation
adéquate de ces récepteurs sensoriels peut, par elle-même, entraîner l’afflux san-
guin et déclencher l’érection. La meilleure évidence que cette stimulation est
suffisante pour déclencher l’érection à partir d’un mécanisme purement spinal
est d’ailleurs obtenue chez des patients qui ont subi une transection accidentelle
de la moelle épinière à un niveau lombaire ou thoracique et qui sont toujours
capables de produire une érection quand leur pénis est excité mécaniquement.

Centres nerveux

Trompe Lombaire
de Fallope
Utérus

Vessie

Urètre Rectum

Vagin
Col
de l’utérus
Clitoris
Lèvres

Sacré

Vessie

Vésicule
séminale

Prostate
Voies parasympathiques
Voies sympathiques
Tissus Voies sensorielles
érectile Rectum

Glande bulbo-urétale

Gland du pénis Vas deferens

Urètre Testicule

Figure 17.8 – Contrôle nerveux des organes sexuels chez la femme et l’homme.


L’information sensorielle provenant des organes sexuels suit les voies des colonnes dorsales,
puis les voies lemniscales, vers le cerveau.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 593

Les mécanorécepteurs et les voies sensorielles correspondantes impliquées dans


ce processus font partie des voies formant le système somatosensoriel décrit dans
le chapitre 12 et leur anatomie est à cet égard tout à fait conventionnelle : les
axones des mécanorécepteurs issus du pénis ou du clitoris atteignent la corne
dorsale de la moelle épinière par les racines dorsales au niveau sacré, puis tran-
sitent par les colonnes dorsales et atteignent le cerveau.
L’engorgement des lèvres et du clitoris ainsi que l’érection du pénis sont deux
processus qui dépendent principalement de l’activité de la composante parasym-
pathique du système nerveux autonome (voir Fig. 15.9). Au niveau de la moelle
sacrée, les neurones parasympathiques peuvent être activés soit par l’excitation
des mécanorécepteurs à partir des organes génitaux (ce qui est à l’origine d’une
érection de type « réflexe »), soit par des axones descendant à partir du cerveau
(ce qui permet de comprendre les réponses à une excitation purement cérébrale)
(voir Fig. 17.8). Les engorgements du clitoris et du pénis dépendent de change-
ments tout à fait considérables du débit sanguin local. Les terminaisons ner-
veuses parasympathiques sont supposées libérer à la fois de l’acétylcholine, un
neuropeptide, le VIP (vasoactive intestinal polypeptide, polypeptide vaso-intes-
tinal, en français) et du NO (monoxyde d’azote), qui contribueraient de façon
conjointe à la vasodilatation, dans les tissus érectiles. Ces neurotransmetteurs
interviendraient en relaxant les muscles lisses de la paroi des artères et des tis-
sus spongieux du clitoris et du pénis. Ces artères, habituellement flasques, se
remplissent de sang, ce qui contribue à distendre les organes externes (ainsi le
sildénafil, mieux connu sous son nom commercial de Viagra®, agit-il sur l’érec-
tion en potentialisant les effets du NO). Comme le pénis devient plus long et
de diamètre plus important, les tissus spongieux internes s’étendent entre deux
membranes épaisses et élastiques couvrant naturellement les tissus conjonctifs et
donnant au pénis sa rigidité. Pour permettre une meilleure pénétration pendant
l’accouplement, le système parasympathique stimule de façon concomitante la
sécrétion de fluides lubrifiants à partir des parois du vagin de la femme et d’une
glande de l’urètre de l’homme.
L’accomplissement de l’acte sexuel nécessite aussi la contribution de la
composante sympathique du système nerveux autonome. Au moment où les
récepteurs sensoriels du clitoris et du pénis deviennent intensément actifs, ils
contribuent à l’activation de neurones sympathiques des segments lombaires et
thoraciques de la moelle épinière, en collaboration avec des informations des-
cendant du cerveau (voir Fig. 17.8). Chez l’homme, c’est le système sympathique
qui est responsable de l’émission du sperme : les contractions musculaires mobi-
lisent le sperme de son compartiment de stockage près des testicules au travers
de deux tubes dénommés vas deferens, puis mélangent le sperme à des sécrétions
produites par différentes glandes et injectent le mélange approprié portant le
nom de semence jusqu’à l’urètre. Finalement, pendant l’éjaculation une série de
contractions musculaires coordonnées permet l’éjection du sperme à partir de
l’urètre, ce qui correspond en général aux sensations maximales de l’orgasme.
Chez la femme, une stimulation adéquate pour déclencher un orgasme active
vraisemblablement aussi le système sympathique. L’activation de cette compo­
sante sympathique produit l’épaississement des parois du vagin et, pendant
l’orgasme lui-même, déclenche une série de contractions musculaires intenses.
Les études sur les bases neurales de l’orgasme sont relativement récentes et
encore discutées. Bien sûr on peut fantasmer sur l’idée de placer un couple dans
une IRM pour tenter d’aborder cette question mais, plus sérieusement, la ques-
tion est aussi d’analyser les sentiments eux-mêmes (on y reviendra dans les cha-
pitres 18 et 21). Par exemple, un certain nombre de travaux ont montré que la
sensation d’orgasme est accompagnée d’une très large activation neuronale dans
des structures corticales et sous-corticales. Mais nous ne savons toujours pas
quelle aire corticale est impliquée réellement dans le ressenti de cet orgasme et, de
façon encore plus générale, comment une activation neuronale peut se traduire
en une telle plénitude ? Des études chez des patients épileptiques nous donnent
quelques informations sur les bases neuronales de l’orgasme. Dans quelques cas,
en effet, l’aura qui précède la crise elle-même peut conduire à des sensations
d’éveil sexuel et les régions associées à cet éveil sont localisées en général dans le
594 3 – Cerveau et comportement

lobe temporal. De fait, lors d’interventions neurochirurgicales visant à suppri-


mer les foyers épileptiques, la stimulation électrique de zones du lobe temporal
ou du cerveau basal en vue de mieux localiser les structures impliquées, se traduit
par des sensations d’excitation sexuelle chez quelques patients. La stimulation
électrique du lobe temporal médian conduit même certains patients à l’orgasme.
Mais des travaux sont encore nécessaires afin de mieux comprendre la relation
entre la production de l’orgasme et l’activation du lobe temporal.
Après la survenue d’un orgasme, chez l’homme un certain délai est néces-
saire avant qu’un nouvel orgasme soit possible. Chez la femme, la survenue de
l’orgasme est sujette à de fortes variations d’intensité et de fréquence. La fin de
l’accouplement, qui termine un cycle sexuel, implique un drainage du sang à
partir des organes génitaux au travers des veines et, ainsi, une perte de l’érection
et des sensations d’excitation sexuelle.

Stratégies d’accouplement chez les mammifères


Les mammifères disposent d’une éblouissante panoplie de stratégies d’ac-
couplement. Néanmoins, chacune de ces stratégies n’obéit qu’à un seul objec-
tif : celui de perpétuer l’espèce, dans une dimension évolutive, en optimisant
la survie des jeunes et en conservant le patrimoine génétique des parents. Les
variations inter-espèces des comportements reproducteurs paraissent ainsi
dépendre de l’investissement des mâles et des femelles pour élever leur progé-
niture. Néanmoins, il existe des exceptions. La situation la plus fréquente est
celle où les mâles s’accouplent avec plusieurs femelles mais les femelles généra-
lement avec un seul mâle. Cette situation est dite de polygynie (du mot grec qui
signifie « plusieurs femmes »). Une telle situation est rencontrée par exemple
chez la girafe, les orangs-outans ou encore chez la plupart des mammifères. Les
rencontres ne durent ainsi pas plus d’une nuit, et le mâle ne se préoccupe pas
du devenir de ses nombreuses liaisons. Quelquefois, une telle polygynie prend la
forme d’un véritable harem, où un mâle particulier a l’exclusivité d’un groupe de
femelles, comme chez le gorille, l’éléphant, ou dans certaines tribus primitives,
chez l’homme.
La polyandrie (plusieurs hommes) se trouve être une situation inverse, où une
femelle s’accouple avec plusieurs mâles, mais un mâle avec une seule femelle.
Cette situation est en fait très rare chez les mammifères et chez les vertébrés, en
général. On la rencontre de façon exceptionnelle chez quelques espèces d’oiseaux
tel le phalarope, un petit échassier de la toundra. Quelques espèces pratiquent la
polyandrie « simultanée », où une femelle chez certains oiseaux s’accouple avec
plusieurs mâles, et laisse des œufs dans chacun de leur nid. Ces mâles élèvent alors
leur petit sur leur propre territoire. D’autres espèces pratiquent une polyandrie
« séquentielle », où la femelle ne paraît pas porter d’intérêt particulier à l’accou-
plement, ni aux petits dès lors que les œufs sont pondus. Quelques singes, tels
que les ouistitis ou les tamarins, se comportent également comme pratiquant la
polyandrie. Dans l’espèce humaine, s’il existe quelques cas historiques de polyan-
drie connus, concernant d’ailleurs de très larges aires géographiques, actuellement
il semble que cette pratique ne concerne qu’une très faible partie de la population.
En fait, la polygynie et la polyandrie sont deux exemples de polygamie.
Dans la monogamie, un seul mâle et une seule femelle forment un couple avec
une relation étroite, incluant une exclusivité (ou quasi-exclusivité) de partenaires
en ce qui concerne l’accouplement. Seulement 3 % des mammifères sont mono-
games, mais la proportion monte à 12 % si l’on ne considère que les primates,
alors qu’elle est de 90 % environ chez les oiseaux. La relation basée sur l’exclusi-
vité de partenaire peut durer toute une vie ou représenter un choix de vie, jusqu’à
ce qu’un nouveau partenaire soit choisi dans une monogamie qui peut alors être
qualifiée de sérielle.
Si l’on se place maintenant sur le terrain des différentes pratiques culturelles,
dans l’espèce humaine il est possible de trouver des exemples d’à peu près tous
les types de systèmes. Les humains ont une forte tendance à la monogamie (au
moins temporairement), même si certaines cultures tolèrent la polygynie. Mais,
de façon intéressante, on note que même lorsque la polygynie est socialement
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 595

admise, la plupart des mariages sont monogames. La polyandrie à des fins de


reproduction, quant à elle, est rare et de nombreuses cultures ont condamné les
femmes qui l’ont utilisée. Dès lors, en dépit de nombreux débats sur la signi-
fication de ces conduites humaines sur le plan de l’évolution, ces idées restent
difficiles à évaluer. Ainsi faire la part du génétique et du culturel dans ces com-
portements complexes reste impossible.

Neurochimie des comportements reproducteurs


Si l’on s’en tient aux exemples où, d’un côté, les mâles restent près de leur par-
tenaire et de leur progéniture, ou bien à l’inverse ne font preuve d’aucun intérêt
pour leur descendance, il est nécessaire de considérer que ces deux types d’atti-
tudes reflètent des comportements sociaux d’une grande complexité. Les choses
seraient rendues plus simples si le déterminisme de ces comportements pouvait
être réduit à la mise en jeu de tel ou tel système de neurotransmetteurs. Pourtant,
des données obtenues sur un petit rongeur, le campagnol, tendent à montrer que
certaines hormones hypophysaires pourraient effectivement jouer un rôle dans le
déterminisme de ces comportements (au moins chez le campagnol).
Le campagnol constitue un modèle privilégié pour aborder les comporte-
ments sociaux, parce que, justement, des espèces qui lui sont très proches pré-
sentent des comportements reproducteurs très différents. Ainsi, le campagnol
des prairies (Microtus ochrogaster) qui vit aux États-Unis, présente une vie de
famille très « conventionnelle » (Fig. 17.9). Il est extrêmement sociable et mono-
game. Après une période d’intenses accouplements, le mâle et la femelle forment
Figure 17.9 – Étude du comportement repro-
un couple très uni et vivent dans le même nid. Le mâle défend fièrement sa
ducteur chez l’animal.
compagne et les deux parents coopèrent activement pour élever longuement les
Le campagnol des prairies constitue un
petits. En revanche, le campagnol des montagnes (Microtus montanus), qui vit excellent modèle expérimental, représentant
dans les hautes prairies, est à l’inverse asocial et volage. Chacun des spécimens un comportement de monogamie et de soins
vit dans un nid qui lui est propre et les mâles ne prennent absolument pas part attentifs aux petits prodigués par les deux
à la vie des petits ; même la femelle ne s’en occupe que pendant une très brève parents. (Source : copyright 2005, Wendy
période, ce qui les rend très tôt autonomes. Shattil et Bob Rozinski.)
Le comportement reproducteur des campagnols a été très étudié en labora-
toire en testant la préférence d’un animal à passer du temps avec sa partenaire
ou avec un congénère qui ne lui est pas familier (Fig. 17.10). Après accouplement,
une femelle de campagnol des prairies passe tout son temps avec son partenaire,
ce qui n’est pas le cas avec un mâle qui lui est étranger. Les femelles des campa-
gnols des montagnes, au contraire, passent plus de temps seules dans des zones
« neutres », plutôt qu’à proximité de leur récent partenaire sexuel ou d’un tout
autre mâle.
Parce que ces deux espèces de campagnol sont physiquement et génétique-
ment très proches, les facteurs biologiques susceptibles de rendre compte de telles
différences comportementales ne sont pas évidents. Thomas Insel et ses collè-
gues de Emory University et du National Institute of Mental Health (NIMH)
ont étudié les différences très subtiles qui pouvaient exister dans le cerveau de
ces deux espèces de campagnols, susceptibles d’expliquer les différents types de
comportement reproducteur (Encadré 17.1). Suite à certaines données de la litté-
rature, sur le comportement maternel notamment, les travaux de ces auteurs ont
porté sur le rôle de l’ocytocine et de la vasopressine chez le campagnol. Souvenez-
vous que ces neuropeptides sont produits par l’hypothalamus et sécrétés dans
le système porte hypophysaire, et qu’ils agissent par le biais de la circulation
sanguine au niveau de l’hypophyse postérieure (voir Fig. 15.4). La vasopressine
circulante (également dénommée hormone antidiurétique, ADH en anglais)
contrôle l’équilibre hydrominéral de l’organisme, en particulier par une action
sur les reins. L’ocytocine, quant à elle, stimule les muscles lisses, causant notam-
ment les contractions utérines au moment de la parturition et l’éjection de lait
pendant la lactation. Néanmoins, ces deux neuropeptides sont également sécré-
tés dans le système nerveux central. Comme l’ensemble des neurotransmetteurs,
ils agissent sur des récepteurs spécifiques distribués dans différentes régions céré-
brales. Parce que l’ocytocine et la vasopressine sont des protéines, elles agissent
par l’intermédiaire de récepteurs membranaires sur lesquelles elles se fixent.
596 3 – Cerveau et comportement

Compartiment Compartiment Compartiment


du partenaire sexuel neutre de l’animal étranger
(a)
Figure 17.10 – Choix des partenaires des
campagnols des prairies et des montagnes.
(a) Afin de mesurer expérimentalement les
stratégies d’accouplement avec son par-
tenaire, un campagnol est placé dans un 120
chaque compartiment (min)

compartiment « neutre » du dispositif, lui


permettant de choisir de rester seul ou de
Temps passé dans

rejoindre un autre compartiment où se trouve


80
son partenaire du sexe opposé habituel, ou
un congénère qui lui est totalement étranger.
(b) Après accouplement, le campagnol des
montagnes passe plus de temps tout seul 40
dans son compartiment et se tient éloigné
de son/sa partenaire (bleu). Au contraire, le
campagnol des prairies choisi de passer
0
son temps avec son/sa partenaire (violet).
(Source : adapté de Insel et Young, 2001.) (b) Campagnol des montagnes Campagnol des prairies

Encadré 17.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

La vie de couple des campagnols


Par Thomas Insel

Je n’avais jamais entendu parler des nouveau venu utilisant l’une de ces nou-
campagnols, et encore moins rencontré l’un velles techniques pouvait se ruer à la pail-
d’entre eux ! Ma formation initale est celle lasse.
d’un médecin, devenu psychiatre. Après ma Mais dans les années 1980, les neuro­
formation de clinicien, je n’avais vraiment sciences au NIH étaient très courues et
aucune idée de ce qu’était la recherche. quelque peu envahissantes. Il y avait là de
Presque par hasard, j’ai obtenu un poste jeunes chercheurs talentueux travaillant sur
au NIH (National Institute of Health) à les bases du stress, de la tristesse ou encore
Bethesda dans le Maryland. Au début des de la douleur. Par instinct, j’ai toujours été
années 1980, le NIH me paraissait avoir un tenté de m’écarter de ces terrains trop cou-
Thomas Insel
prix Nobel travaillant quasiment à tous les rus pour me concentrer sur des questions
étages et l’environnement intellectuel, en particulier scientifiques, sans pour autant avoir à me préoccuper de
pour les neurosciences alors un champ en plein dévelop- cette compétition. Comme je n’avais pas de formation
pement, était contagieux. Les neuropeptides faisaient particulière dans le domaine de la recherche, il me fallait
fureur et pratiquement un nouveau neurotransmetteur objectivement du temps pour appréhender les dures
de cette classe ou un nouveau de leurs récepteurs, était leçons de la science… C’est alors que j’ai intégré le labo-
découvert chaque mois ! De même les méthodes pour ratoire Brain, Behavior and Evolution fondé par Paul
étudier la signalisation rapide et la signalisation plus McLean au NIMH (National Institute of Mental
lente évoluaient rapidement, de telle manière que chaque Health) dans une ferme de Poolesville, dans le Maryland.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 597

Encadré 17.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

J’ai choisi de travailler sur le stress mais en rapportde ces animaux à la fois en laboratoire et dans leur milieu
avec le développement, à la lumière de données récentes, naturel, afin de préciser leur préférence s’agissant des
à l’époque, faisant état d’émissions ultrasoniques par les accouplements et leur façon d’élever leurs portées. En
petits séparés de leur mère. Ma carrière de chercheur combinant notre expertise en neurosciences avec les
comportementaliste semblait ainsi se dessiner, jusqu’à connaissances en biologie des comportements de Sue
l’arrivée de ma première étudiante post-doctorante, qui Carter, nous avons été à même de démontrer le rôle
rentrait de son congé de maternité. L’idée d’écouter les fondamental de la vasopressine et de l’ocytocine dans
petits crier après la séparation de leur mère n’était, de ce
les comportements maternels et l’attachement au parte-
fait, pas le projet idéal pour elle. Marianne Wambolt naire.
suggéra, je dois dire avec bonheur, que, plutôt de nous L’histoire est devenue encore plus intéressante après
intéresser à la détresse de ces rats nouveau-nés, nous que nous ayons rejoint Emory University en 1994. Avec
pourrions étudier les conséquences de ces naissances sur Larry Young et Zuoxin Wang, nous avons développé des
leur mère. approches transgéniques et utilisé des virus, afin de pro-
À ce moment-là, peu de chercheurs s’intéressaient à céder à des expériences de transfection de gènes à l’aide
la neurobiologie des comportements « positifs », comme de vecteurs viraux, pour tenter de préciser les méca-
le comportement maternel, l’affiliation ou encore l’atta- nismes d’action de la vasopressine et de l’ocytocine sur
chement de la mère à ses petits. En revanche, de nom- les comportements sociaux et la cognition sociale. Deux
breux chercheurs travaillaient sur le comportement principaux résultats furent alors acquis. D’abord, il
reproducteur chez les rongeurs, avec un intérêt particu- apparaissait que la modification de l’expression régio-
lier pour le rôle des stéroïdes sexuels et des neuropep- nale des récepteurs dans le cerveau pouvait modifier
tides ; mais l’essentiel des recherches était consacré aux l’organisation sociale de ces animaux, facilitant, ou au
aspects sensorimoteurs de ces comportements et très contraire inhibant, la relation monogame entre les par-
peu de travaux concernaient les aspects émotionnels ou tenaires. Ce fut un choc pour nous car il apparaissait
l’expérience affective. Avec la découverte que des neu- que la sécrétion d’un même peptide pouvait avoir des
ropeptides comme l’ocytocine pouvaient modifier effets complètement différents dans diverses espèces.
le comportement parental, et à l’aide d’un nouveau Lorsque nous comparions ainsi des espèces monogames
post-doctorant qui s’intéressait au comportement à d’autres qui ne l’étaient pas, nous avons noté des
maternel, nous avions tout pour aller dans cette direc- choses surprenantes. Par exemple, chez les rongeurs
tion. En utilisant des méthodes nous permettant de monogames, comme chez les primates, les récepteurs de
visualiser les récepteurs de l’ocytocine dans le cerveau, l’ocytocine étaient préférentiellement exprimés dans les
nous avons pu démontrer que certaines voies neuronales régions du cerveau associées à la récompense, comme si
jouaient un rôle critique dans le développement de ce ce simple récepteur était le lien entre le comportement
type de comportement maternel, un changement pro- social et les circuits de la motivation ; et aujourd’hui
fond intervenant juste après la mise bas des petits. encore l’ocytocine est étudiée dans le contexte de sa
possible contribution à l’autisme ou à la schizophrénie.
Ces travaux nous ont aidés à mieux comprendre les
Bien entendu le travail sur les campagnols a posé la
mécanismes neuronaux du comportement maternel et
question de la monogamie chez les humains. J’ai, en ce
nous nous sommes alors posé la question de savoir ce
qui me concerne, été toujours très prudent quant à l’ex-
qu’il en était s’agissant de l’attachement entre adultes.
trapolation des données obtenues chez le campagnol à la
Évidemment les rats et les souris n’étaient pas les sujets
souris, et a fortiori du campagnol à l’homme ! Mais ceci
rêvés pour étudier cette question, du fait de la non-­
ne signifie pas que les données obtenues chez le campa-
exclusivité de leurs relations avec les partenaires. Nous
gnol n’ont pas de sens pour rendre compte de certains
avions alors besoin d’une espèce formant des relations
aspects du comportement humain. « La nature est un
durables et monogames entre partenaires. Là encore, j’ai
cadeau pour les neurosciences sociales », et nous devons
rencontré par hasard une éminente endocrinologiste,
nous souvenir que l’approche de la distribution des
Sue Carter, qui travaillait à l’Université du Maryland.
récepteurs est certainement un facteur important pour
Sue m’a vraiment tout appris s’agissant de la biologie
comprendre la fonction. Merci donc au campagnol des
des comportements et m’a vanté les mérites de son
prairies, grâce auquel les bases neuronales des compor-
modèle préféré, le campagnol des prairies.
tements d’attachement représentent maintenant un
Si la nature a imaginé un modèle idéal pour étudier champ très actif des neurosciences ! Et quel que soit le
le comportement social, alors clairement le campagnol rôle réel de l’ocytocine et de la vasopressine dans les
des prairies représente ce modèle. Ces animaux sont comportements humains, ces travaux nous ont au moins
sociables, faciles à élever en laboratoire, et profondé- permis d’établir quelques pistes pour mieux comprendre
ment monogames. Sue Carter a étudié le comportement les relations entre cerveau et comportement.
598 3 – Cerveau et comportement

Récepteurs de la vasopressine Récepteurs de l'ocytocine


Prairie Montagne Prairie Montagne

Figure 17.11 – Rôle des récepteurs de l’ocytocine et de la vasopressine dans les comporte-


ments reproducteurs chez le campagnol.
Ces sections sagittales de cerveau illustrent la distribution des récepteurs à l’ocytocine et à la
vasopressine chez le campagnol des montagnes et le campagnol des prairies. Les régions en
rouge représentent les zones de plus forte densité de récepteurs. Par comparaison au campa-
gnol des montagnes, le campagnol des prairies présente une concentration de récepteurs de la
vasopressine plus élevée dans le pallidum ventral (VP pour ventral pallidum), et une concentra-
tion de récepteurs à l’ocytocine plus élevée dans le cortex préfrontal médian (mPFC pour median
prefrontal cortex) et le noyau accumbens (NAcc). (Source : Young et al., 2011.)

La figure 17.11 illustre la distribution différentielle de ces récepteurs dans le


cerveau des deux types de campagnol, alors même que celle des autres neuro-
hormones est très similaire. Les différences dans la distribution respective de ces
récepteurs sont corrélées avec les comportements reproducteurs décrits ci-des-
sus. De façon intéressante, on note en plus une certaine plasticité de ces représen-
tations, de telle manière qu’au moment par exemple où la femelle du campagnol
des montagnes s’occupe quand même un peu de ses petits (même brièvement),
une redistribution de l’expression des récepteurs, qui se rapproche alors de celle
du campagnol des prairies, est observée.
La distribution différentielle dans le cerveau des récepteurs de la vasopressine
et de l’ocytocine implique que chaque sous-population de ces neurones active des
réseaux neuronaux différents dans les deux espèces de campagnol. Néanmoins,
ce simple fait ne prouve pas que les hormones soient les déterminants des com-
portements monogames ou polygames de ces rongeurs. L’utilisation d’approches
pharmacologiques impliquant des administrations d’agonistes ou d’antago-
nistes des récepteurs renforce cette proposition. Ainsi, lorsque des campagnols
des prairies copulent, les taux de vasopressine chez le mâle et d’ocytocine chez
la femelle, s’élèvent brutalement. Les antagonistes des récepteurs de la vasopres-
sine administrés au mâle avant l’accouplement agissent alors en empêchant le
développement d’une relation de « fidélité » avec sa partenaire, telle qu’elle se
produit normalement chez cette espèce, ce qui n’est pas le cas des antagonistes
des récepteurs de l’ocytocine. Ce résultat est obtenu lorsque l’antagoniste des
récepteurs de la vasopressine est sélectivement injecté dans le pallidum ventral,
qui correspond à une partie antérieure du globus pallidus impliquée dans les
processus limbiques. À l’inverse, lorsqu’un mâle reçoit une administration de
vasopressine alors qu’il découvre une nouvelle femelle, il développe immédiate-
ment envers elle un comportement qui l’amène à former un couple, sans pour
autant avoir sacrifié à la phase initiale de copulation intense qui normalement
détermine ce comportement. L’ocytocine est de son côté nécessaire à la femelle
pour établir la relation étroite avec le mâle au niveau du couple mais, dans ce cas,
la vasopressine n’a que peu d’effet.
Une étude de Lim et de ses collaborateurs donne des arguments encore plus
directs au fait que, chez le campagnol, la fidélité peut être profondément altérée
par des modifications, même minimes, de l’activité des récepteurs à la vasopres-
sine. Ces auteurs ont utilisé un virus chez le campagnol des montagnes mâle,
pour transfecter des cellules du pallidum ventral avec un gène, de telle manière
que ces neurones surexpriment des récepteurs à la vasopressine. De ce fait, le
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 599

campagnol des montagnes mâle exprime soudainement à peu près le même


niveau de récepteurs à la vasopressine dans cette structure que le campagnol des
prairies. Il est intéressant de noter qu’il se comporte alors comme le campagnol
des prairies, c’est-à-dire qu’il devient un bon père de famille… Si cette relation de
cause à effet se confirme, elle établira qu’un comportement social aussi complexe
que celui d’élever ses enfants ou d’être fidèle à sa compagne peut simplement
dépendre de l’expression d’une protéine particulière, en bonne quantité et au
bon endroit du cerveau, ce qui n’est pas sans conséquence.
Les hormones semblent également impliquées dans le comportement paren-
tal : chez le campagnol mâle, la vasopressine accroît son implication vis-à-vis de
ses petits avec lesquels il passe beaucoup plus de temps. De même, l’ocytocine a
le même effet chez la femelle et stimule son comportement maternel. Dès lors, les
recherches sur le campagnol ont conduit à formuler une hypothèse intéressante
sur l’évolution des comportements sociaux complexes. Si des mutations géné-
tiques conduisent à des redistributions de récepteurs pour une hormone parti-
culière au niveau du système nerveux central, alors la même hormone peut être
à l’origine d’un répertoire de comportements totalement différents. En accord
avec cette hypothèse, si l’on administre de la vasopressine ou de l’ocytocine au
campagnol des montagnes, on ne change rien de son comportement volage,
compte tenu du fait que les récepteurs présentent de toute façon une distribution
cérébrale différente de celle du campagnol des prairies.

Amour, vie en couple et cerveau


L’histoire du campagnol est fascinante, en ce sens qu’elle illustre bien le fait
qu’une simple molécule peut influencer un comportement complexe. Néanmoins,
ces données ne règlent pas tout et de nombreuses questions restent posées : y
a-t-il réellement un rapport avec le comportement humain dans le domaine du
couple et du comportement parental ? Nos données sont trop fragmentaires
pour pouvoir répondre clairement aujourd’hui à une telle question. Néanmoins,
quelques résultats sont disponibles chez l’homme, montrant par exemple que des
augmentations des taux d’ocytocine plasmatique se produisent, en rapport avec
l’allaitement des petits chez la femelle et entre deux épisodes de comportement
sexuel chez l’homme et la femme.
Dans une très belle série d’expériences, Andreas Bartels et Semir Zeki, à
l’University College London, ont utilisé l’IRMf (IRM fonctionnelle) pour explo-
rer l’activité du cerveau humain en rapport avec le comportement maternel,
l’amour et la relation de couple. Dans la série expérimentale sur l’exploration
des corrélats du comportement maternel, des photos d’enfants étaient présen-
tées à de jeunes mères, au sein de séries où figuraient d’autres photos d’enfants
qui leurs étaient familiers, mais qui n’étaient pas les leurs. Dans la seconde série
expérimentale, c’était l’amour romantique qui faisait l’objet de l’étude. Il était
présenté au sujet des photos de leur partenaire au milieu d’autres qui ne repré-
sentaient que leurs amis. Les résultats de ces expériences sont présentés à la
figure 17.12. Quelques aires cérébrales incluant notamment le cortex cingulaire
antérieur, le striatum et en particulier le noyau caudé, font l’objet dans les deux
cas d’une activation plus importante lorsque c’est le propre enfant ou le parte-
naire habituel qui est présenté au sujet, par rapport à la présentation des autres
photos. De façon intéressante, dans les deux cas les zones activées sont l’objet
d’un recouvrement important alors que d’autres zones sont l’objet d’une acti-
vation bien moindre. Il est alors remarquable de constater que les zones activées
par les manifestations d’amour maternel ou d’amour de l’autre, sont pour une
large part des régions associées aux systèmes de récompense (voir chapitre 16).
Dans ce cas, il est proposé que l’activation de ces régions cérébrales en rapport
avec les comportements d’attachement traduise le fait que cette relation d’amour
présente un fort potentiel de renforcement. Et, pour revenir aux campagnols, il
est tout aussi intéressant de savoir que plusieurs des régions concernées par cette
activation sont riches en récepteurs de l’ocytocine et de la vasopressine.
600 3 – Cerveau et comportement

Amour maternel Amour romantique

Figure 17.12 – Imagerie cérébrale et amour


maternel et romantique chez l’homme.
L’activation cérébrale est illustrée dans le plan
sagittal (a), horizontal (b), et dans deux plans
dans l’axe coronal (c et d). Les zones colorées
en jaune sont plus actives lorsque les mères
voient des photos de leurs propres enfants
plutôt que celles d’autres enfants. Les zones
colorées en rouge sont plus actives lorsque
c’est la photo du partenaire qui est présentée
au sujet plutôt que celle de l’un de ses amis.
Quelques régions d’intérêt sont illustrées par-
ticulièrement : PAG (periaqueducal gray pour
substance grise périaqueducale), aC (anterior
cingulate cortex pour cortex cingulaire anté-
rieur), hi (pour hippocampe), I (pour insula),
C (pour noyau caudé), S (pour striatum).
(Source : Bartels et Zeki, 2004.)

Ces études d’imagerie cérébrale fonctionnelle suggèrent dès lors qu’ocytocine


et vasopressine jouent un rôle dans les relations amoureuses et les comporte-
ments maternels, de façon assez similaire à ce qu’il se passe chez les campagnols.
Mais, dans ce cas tout de même, chez les humains, la tendance (ou non) à la
monogamie n’est certainement pas aussi simple à expliquer que chez les ron-
geurs. Ainsi, même s’il est facile d’affirmer que le comportement humain est
régi par des facteurs autrement plus complexes que ceux qui président chez les
campagnols, il n’en reste pas moins qu’il est aussi possible d’avancer que chez
l’homme la vasopressine joue également un rôle dans ce type de comportement.
Hasse Walum et un groupe de chercheurs américains et suédois ont examiné
552 paires de jumeaux suédois, qui avaient chacun un partenaire stable depuis
longtemps. Les auteurs se sont en particulier attachés à la séquence du gène qui
encode les récepteurs à la vasopressine et à leur tendance à la monogamie. Les
séquences d’ADN qui encodent les récepteurs de cette hormone chez le campa-
gnol des prairies et celui des montagnes sont virtuellement identiques, mais les
campagnols des prairies monogames présentent toutefois une séquence adjointe
à celle qui encode pour le récepteur V1aR, que l’on identifie comme un variant
du gène. Lorsque ce variant du gène est introduit par voie transgénique dans
le génome d’une souris qui n’est pas monogame, son comportement social se
rapproche alors de celui du campagnol des prairies. Dans l’étude des jumeaux
suédois, les chercheurs ont posé la question de savoir si la présence de variants
des récepteurs de la vasopressine influençait également la relation de couple ?
Chez la femme, aucune relation n’a pu être mise en évidence entre la présence
des variants du gène du récepteur de la vasopressine et la qualité de la relation de
couple appréhendée au travers d’une variété de questionnaires. Mais les hommes
porteurs de ce variant avouaient au contraire, par les questionnaires, une qualité
médiocre de leur relation de couple. Ils mentionnaient au moins deux fois plus
que la moyenne qu’une crise dans leur relation était intervenue dans l’année pré-
cédant l’examen de la situation. De leur côté, les femmes de ces hommes porteurs
des variants des récepteurs de la vasopressine confirmaient en aveugle l’existence
de ces relations de couple difficiles, plus fréquemment que celles des hommes
qui n’étaient pas porteurs de ce variant. La fonction de ce variant du gène n’est
encore pas connue mais ces résultats suggèrent que, y compris chez l’homme, les
récepteurs de la vasopressine jouent un rôle important dans la relation de couple.
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 601

Pourquoi et comment
les cerveaux masculin et
féminin sont-ils différents ?
La reproduction sexuée dépend de toute une variété de comportements indi-
viduels et sociaux : la recherche du partenaire, l’attraction sexuelle, la formation
du couple, la copulation, le comportement maternel et paternel, etc. Dans chaque
cas, le comportement des mâles et celui des femelles se trouve être notoirement
différent. Comme le comportement dépend de l’organisation et du fonctionne-
ment du système nerveux, il est possible de prédire que le cerveau des mâles et
des femelles est, pour certains aspects, différent, c’est-à-dire qu’il présente un
dimorphisme sexuel (du grec dimorphos, qui signifie « qui a deux formes »). Une
autre bonne raison pour prétendre que le cerveau de l’homme diffère de celui
de la femme est de remarquer que leurs corps eux-mêmes sont différents. Ainsi
les parties du corps qui sont propres à chaque sexe font nécessairement l’objet
d’un contrôle spécifique par le système nerveux. Par exemple, les rats mâles pré-
sentent une masse musculaire à la base du pénis et leur moelle épinière est dotée
d’un pool de motoneurones qui contrôle l’activité de ces muscles particuliers.
Les femelles, quant à elles, ne présentent pas ce type de muscles et, bien entendu,
les neurones moteurs spinaux correspondants sont absents. La taille et la forme
générale du corps varient également avec le sexe de l’individu et, par conséquent,
les représentations sensorielles et motrices qui en découlent sont différentes.
Le dimorphisme sexuel varie très largement avec l’espèce. Dans le cerveau,
des éléments portant à illustrer un tel dimorphisme sexuel sont parfois mis en évi-
dence, mais s’ils ont un sens chez certaines espèces, ce n’est pas forcément le cas
chez d’autres. Un exemple de ce dimorphisme existe chez l’épinoche d’Islande.
Chez ce poisson, le cerveau du mâle a une taille réellement plus importante que
celui de la femelle, peut-être parce que la demande cognitive nécessaire pour la
construction du nid, la parade nuptiale et l’élevage des petits, spécifiquement
pris en charge par le mâle, est d’importance majeure (Fig. 17.13). Chez les ron-
geurs, avec un peu d’expérience il est facile de reconnaître un cerveau mâle d’un
cerveau femelle, grâce aux différences de structure de l’hypothalamus. L’origine
de ce dimorphisme n’est pas connue avec précision mais pourrait correspondre à
l’évolution de comportements sexuels particuliers. Ainsi, chez quelques espèces
d’oiseaux chanteurs, seul le mâle chante et présente, par conséquent, les struc-
tures nerveuses qui lui permettent d’exercer spécifiquement cette fonction. En
revanche, dans l’espèce humaine, les différences entre le cerveau de l’homme et
celui de la femme sont loin d’être évidentes ; et lorsqu’elles ont été mises en évi-
dence, elles sont plutôt subtiles et, qui plus est, d’interprétation difficile. Ainsi, un
petit noyau hypothalamique chez la femme pourrait être de taille légèrement plus

Figure 17.13 – Dimorphisme dans la taille du


cerveau.
Ces cerveaux illustrent les différences de
taille chez des épinoches adultes. À gauche,
est représenté celui de la femelle ; à droite,
celui du mâle, considérant qu’il s’agissait de
spécimens adultes de même longueur et de
même poids. Le cerveau du mâle est plus
gros et environ 23 % plus lourd que celui de la
femelle. Échelle = 1 mm. (Source : Kotrschal
et al., 2012.)
602 3 – Cerveau et comportement

grande, en moyenne, que celui de l’homme. Mais les variabilités inter­individuelles


sont telles qu’il n’est pas rare de trouver des exemples de ce noyau chez l’homme,
de taille beaucoup plus importante que celle de la moyenne de la femme.
Dans ce qui suit, nous allons donner quelques exemples de dimorphisme
sexuel chez l’homme et d’autres espèces, en particulier pour illustrer les rela-
tions étroites qui existent entre cerveau et comportement. Puis nous évoquerons
quelques-uns des mécanismes qui pourraient sous-tendre ce dimorphisme.

Dimorphisme sexuel du système nerveux central


Objectivement, on ne relève que peu de structures nerveuses susceptibles
d’être impliquées dans un dimorphisme sexuel. De façon évidente, les seules
populations de neurones qui sont présentes chez le mâle et non chez la femelle
sont celles qui, dans la moelle épinière, commandent la contraction des muscles
bulbocaverneux (BC) qui entourent la base du pénis. Ces muscles sont impli-
qués dans l’érection et l’émission d’urine. Toutefois, il est notable que les femmes
­possèdent également des muscles BC de ce type. Dans ce cas, ils se trouvent
localisés autour de l’orifice du vagin et sont impliqués dans son resserrement.
Les neurones moteurs qui commandent les muscles BC sont localisés dans un
noyau spinal particulier dénommé noyau d’Onuf, au niveau de la moelle sacrée.
Le noyau d’Onuf fait modérément l’objet d’un dimorphisme sexuel, en ce sens
qu’il y a plus de neurones chez l’homme que chez la femme, en rapport avec le
fait que les muscles de l’homme sont plus développés que chez la femme, à ce
niveau.
C’est en fait au sein de l’hypothalamus, dans une région voisine du troisième
ventricule identifiée comme l’aire préoptique de l’hypothalamus antérieur, que
les différences structurales en rapport avec le sexe sont les plus évidentes. Cette
région est impliquée dans le comportement reproducteur. Ainsi, chez le rat, la
lésion de l’aire préoptique de la femelle interrompt le cycle œstral et réduit, chez
le mâle, la fréquence de la copulation. L’étude histologique de l’aire préoptique
chez le rat montre les différences suivantes : le noyau présentant un dimorphisme
sexuel (sexually dimorphism nucleus ou SDN) a une taille 5 à 8 fois plus impor-
tante chez le mâle que chez la femelle (Fig. 17.14).

Corps calleux

Commissure antérieure

Troisième ventricule

Noyau présentant
Chiasma optique un dimorphisme
sexuel

Troisième
ventricule

Noyau présentant
un dimorphisme
sexuel

Chiasma optique

Figure 17.14 – Dimorphisme sexuel chez le rat.


Les noyaux hypothalamiques présentant un dimorphisme sexuel sont plus importants chez le mâle
(à gauche) que chez la femelle (à droite). (Source : adapté de Rosenzweig et al., 2005, Fig. 12.21.
Courtoisie : photos de Roger Gorski.)
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 603

Cette différence existe aussi dans l’aire préoptique du cerveau humain mais elle
est moins évidente. En fait, on peut reconnaître 4 groupes de neurones, dénommés
noyaux interstitiels de l’hypothalamus antérieur (ou INAH, pour interstitial nuclei
of anterior hypothalamus). INAH-1 serait l’analogue du SDN du rat, bien que le
dimorphisme sexuel de ce noyau ne soit pas accepté par tous. INAH-1, INAH-2 et
INAH-3 sont cependant de taille environ deux fois plus importante chez l’homme
que chez la femme, comme l’illustrent plusieurs études. C’est en fait INAH-3 qui
présente le dimorphisme le plus clair, étant environ deux fois plus important chez
l’homme que chez la femme, comme le montrent les travaux de Laura Allen, Roger
Gorski et leurs collègues de UCLA. Mais le fait que ces noyaux soient impliqués
dans le comportement reproducteur repose sur des données encore très indirectes.
Ainsi, chez le singe mâle adulte, certains neurones de l’aire préoptique médiane
déchargent de façon très soutenue pendant des phases bien déterminées du com-
portement sexuel, incluant l’excitation sexuelle et la copulation. De plus, il pour-
rait y avoir de légères différences de taille de certains noyaux hypothalamiques en
rapport avec la préférence sexuelle, mais cela reste encore discuté.
En dehors de l’hypothalamus, il n’a pas été mis en évidence chez l’homme
d’autres régions cérébrales présentant un possible dimorphisme sexuel, bien que
de nombreuses publications aillent dans ce sens. Plusieurs de ces travaux portent
sur le corps calleux, pour lequel des différences sont notées ou ne sont pas notées,
en fonction du sexe. Le corps calleux représente un énorme faisceau de fibres assu-
rant principalement la connexion entre les deux hémisphères cérébraux. De nom-
breuses mesures ont été effectuées, tant à l’autopsie sur des coupes histologiques
que par IRM sur des sujets vigiles. Un certain nombre de ces travaux ont rapporté
que le corps calleux de l’homme était, en moyenne, de section supérieure à celle de
la femme. Plusieurs autres études ont également souligné que la partie caudale du
corps calleux, dénommé splenium, est au contraire de taille plus importante chez la
femme que chez l’homme. Toutefois, même s’il existe effectivement une différence
dans la taille de ces faisceaux interhémisphériques entre homme et femme, qu’est-ce
que cela prouve ? Tout ce que l’on peut faire, c’est proposer des hypothèses, mais
en considérant toutefois qu’il est notoire que le corps calleux n’a pas d’implication
directe dans le comportement sexuel et qu’il pourrait être impliqué en revanche
dans une variété de fonctions cognitives qui nécessitent une activité coordonnée
des deux hémisphères. Des observations réalisées chez des patients ayant subi des
accidents vasculaires cérébraux suggèrent ainsi que les fonctions cognitives des
femmes sont moins latéralisées que celles des hommes, c’est-à-dire dépendant plus
d’un hémisphère que de l’autre. Mais même cette conclusion est 
discutée.
Finalement, dans ce domaine la conclusion la plus acceptable concernant le
dimorphisme sexuel est qu’il y a objectivement très peu de différence entre cer-
veau d’homme et cerveau de femme. Cela n’est pas surprenant si l’on considère
que le comportement des individus des deux sexes est quand même très similaire,
voire identique. L’anatomie générale du cerveau ne donne cependant qu’une vue
très grossière de l’organisation cérébrale et il est probable que, si des différences
existent, il faudra se doter des moyens d’aller les rechercher à un niveau plus élé-
mentaire, en particulier dans l’organisation fine des réseaux nerveux, tant sur le
plan anatomique que fonctionnel, notamment en prenant en compte l’influence
des hormones sexuelles sur le développement cérébral.

Dimorphisme sexuel et cognition


Même si les différences structurales du système nerveux en rapport avec
le dimorphisme sexuel ne sont pas évidentes, il n’en reste pas moins vrai que
nous savons que le cerveau lui-même ne fonctionne pas tout à fait de la même
manière chez l’homme et chez la femme. Cette idée n’est pas nouvelle et, depuis
très longtemps, il est mentionné des différences quant aux capacités cognitives
du cerveau, dans chacun des cas. Une explication en rapport avec l’évolution
est alors souvent avancée : les hommes sont présentés comme les héritiers des
chasseurs qui ont passé leur temps à explorer leur environnement, alors même
que les femmes sont considérées comme ayant été plus sédentaires du fait de
leur vocation à s’occuper de leur foyer et de leurs enfants, ce qui implique des
compétences plus sociales et plus verbales.
604 3 – Cerveau et comportement

(a) Donnez une liste de mots De nombreuses études tendent à montrer que les femmes sont meilleures que
commençant par la lettre B. les hommes dans les épreuves verbales. Dès l’âge de 11 ans, les filles sont supé-
rieures aux garçons dans les épreuves de compréhension du langage et d’écriture,
boîte, berlingot, boutique, brut,
bastide, bassin… et il semble que ces capacités supérieures dans ce domaine soient également per-
ceptibles jusqu’au lycée et même après. Peut-être ces capacités différentes sont-
elles en rapport aussi avec une vitesse de développement du cerveau, qui ne serait
(b) Pouvez-vous dire si ces deux formes pas la même dans les deux sexes ? Ainsi, les tâches dans lesquelles les femmes
sont les mêmes ? paraissent supérieures aux hommes sont par exemple de dénommer des objets
de la même couleur, de donner rapidement des noms d’objets commençant par
la même lettre, ou encore dans l’utilisation de la mémoire verbale (Fig. 17.15a).
Dans d’autres types de tâches, ce sont les hommes que l’on dit supérieurs aux
femmes. Les tests en question sont ici relatifs par exemple à la lecture de cartes,
l’apprentissage de labyrinthes ou le raisonnement mathématique. Les chercheurs
ont ainsi spéculé sur le fait que ces avantages perceptibles chez l’homme seraient
liés à leur propension à utiliser des pistes lorsque, dans les temps reculés, ils chas-
saient les animaux sauvages. L’une des différences le plus couramment rapportée
Figure 17.15 – Tâche cognitive favorisant porte sur des tests de rotation mentale d’objets dans lesquels les hommes seraient
légèrement l’homme ou la femme.
supérieurs aux femmes (Fig. 17.15b).
(a) Les femmes seraient bien meilleures que
les hommes pour trouver une liste de mots Globalement ainsi, les résolutions de tâches spatiales paraissent effective-
commençant par la même lettre. (b) En ment favoriser les hommes. Mais avancer qu’il existe un dimorphisme sexuel
revanche, les hommes présenteraient des nécessite quelques précautions. Ainsi, toutes les études ne rapportent pas des dif-
aptitudes à résoudre des tâches de rota- férences entre les deux sexes et dans quelques cas la variance des résultats pour
tion spatiale comme celle illustrée ci-des- un même sexe est supérieure à celle mesurée entre les deux sexes. Ceci traduit
sus, par exemple pour décider si ces deux alors plus l’existence de différences interindividuelles que de différences inter-
objets représentés de façon tridimensionnelle sexes. Enfin, peut-on considérer que l’origine de ces différences, si elles existent,
sont identiques ou non. (Source : adapté de est génétique ou en rapport avec des apprentissages différents ? De fait, hommes
Kimura, 1992, p. 120.)
et femmes présentent souvent des stratégies différentes pour résoudre des pro-
blèmes, et il n’est alors pas exclu que ces stratégies différentes puissent influencer
la circuiterie neuronale.
Une interprétation couramment avancée pour rendre compte de ces diffé-
rences de performance en rapport avec le sexe consiste à dire que, l’environne-
ment hormonal du mâle et de la femelle étant différent, cela peut induire des
fonctionnements différentiels de certaines parties du cerveau. Ainsi les andro-
gènes ou les œstrogènes pourraient respectivement favoriser certaines des tâches
cognitives étudiées et en pénaliser d’autres. Cette hypothèse est renforcée par
des résultats montrant que, dans certaines tâches spatiales, les performances de
la femme sont meilleures au moment du cycle œstral où les taux d’œstrogènes
sont les plus bas. Il a également été rapporté que l’administration de testostérone
facilite les performances spatiales chez l’homme âgé, qui présente normalement
des taux de cette hormone assez bas. Néanmoins, cette vision des choses est
un peu réductrice et les processus cognitifs ne peuvent se limiter à l’action des
hormones. De fait, il n’est pas noté de corrélation entre performances verbales
et spatiales et taux d’hormones circulant. Cela ne signifie pas que les hormones
n’affectent pas les performances cognitives, mais nous devons faire preuve de
prudence avant de généraliser cette proposition.

Hormones sexuelles, cerveau et comportement


Il est bien certain que toute une série de facteurs, de la génétique à la culture,
en passant par l’expérience personnelle, font que certains comportements sont
plus fréquents chez les individus d’un sexe donné par rapport à l’autre. Mais,
clairement, tous ces comportements, quels qu’ils soient, sont contrôlés par le
cerveau. Ainsi, même s’il est avéré qu’il n’existe pas de différences majeures
entre cerveau masculin et féminin au plan anatomique, il n’en est pas moins vrai
que quelques différences doivent néanmoins être présentes dans la circuiterie
cérébrale pour rendre compte des comportements plus ou moins spécifiques de
chacun des deux sexes, que ce soit le chant de l’oiseau mâle ou le comportement
sexuel humain. Souvenez-vous que le type d’hormone sexuelle circulant dans le
sang est déterminé par les gonades, et que le dimorphisme des gonades est lui-
même spécifié par nos gènes. Comme cela a été mentionné plus haut, les indivi-
dus porteurs d’un chromosome Y expriment un facteur particulier, le facteur de
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 605

déterminisme des testicules (TDF), qui provoque la transformation des gonades


encore indifférenciées en testicules. Les individus qui ne sont pas porteurs du
chromosome Y n’expriment pas le TDF et leurs gonades deviennent ainsi des
ovaires. Le développement des gonades en testicules ou en ovaires va être à l’ori-
gine d’une cascade d’événements qui vont conditionner le développement de
l’ensemble du corps et de l’organisme. En particulier, les androgènes sécrétés par
les testicules vont influencer le développement du cerveau et sa différenciation
sexuelle ; cette masculinisation du cerveau se faisant par le contrôle de l’expres-
sion de toute une série de gènes spécifiques. En l’absence d’androgènes, certains
de ces gènes du système nerveux seront exprimés de façon différentielle et le
cerveau adopte une configuration correspondant à une féminisation.
L’influence des hormones sexuelles sur le cerveau n’est pas quelque chose de
particulier par rapport à l’action générale de ces hormones sur l’organisme. Le
cerveau n’est qu’un organe comme les autres, qui attend un signal hormonal pour
développer des spécificités. Les androgènes fournissent un signal unique de mascu-
linisation du cerveau, exactement comme pour d’autres tissus de l’organisme pré-
sentant un dimorphisme sexuel. Dans ce cas, les stéroïdes influencent les neurones
selon deux mécanismes principaux (Fig. 17.16). D’abord, ils peuvent agir très rapi-
dement sur la membrane cellulaire (en quelques secondes ou moins) pour modi-
fier l’excitabilité, la sensibilité aux neurotransmetteurs ou encore la libération des
neurotransmetteurs. Cette action des stéroïdes passe en général par une interac-
tion directe au niveau de la membrane avec différentes enzymes, canaux ioniques,
ou récepteurs membranaires, dont ils modulent l’activité. Par exemple, certains
métabolites de la progestérone se fixent sur le récepteur GABAA et potentialisent
l’action inhibitrice du GABA sur son récepteur en augmentant les courants chlore.
Les effets de ces métabolites de la progestérone sont ainsi très similaires à ceux de
certains agents de la classe des benzodiazépines, à action sédative ou anticonvulsi-
vante (voir Fig. 6.22). Deuxièmement, les stéroïdes peuvent diffuser au travers de
la membrane du neurone et interagir à l’intérieur du cytoplasme et au niveau du
noyau avec des récepteurs spécifiques. Ces récepteurs, lorsqu’ils sont activés par
les stéroïdes, peuvent activer ou inhiber selon les cas, la transcription de gènes spé-
cifiques du noyau, ce qui est bien plus lent que dans le premier cas et peut prendre
plusieurs minutes, voire des heures. Il existe des récepteurs spécifiques pour chaque
type d’hormone sexuelle et la distribution de chacun de ces récepteurs varie consi-
dérablement d’une région à l’autre du cerveau (voir Fig. 17.6).
Les hormones stéroïdes peuvent exercer leurs effets sur le cerveau et sur l’en-
semble de l’organisme tout au long de la vie, mais leur influence dans les stades
précoces du développement est souvent fondamentalement différente de celle
intervenant chez l’adulte. Par exemple, la capacité de la testostérone à affec-
ter les gonades chez les individus très jeunes, ou encore l’organisation cérébrale
conduisant à des comportements masculins et à des testicules particuliers chez
l’adulte, correspond à ce que l’on peut qualifier d’effets organisationnels de l’hor-
mone. Aux stades périnataux, l’hormone contribue à spécifier définitivement
les tissus, se traduisant par l’expression des fonctions liées au comportement
mâle lorsque la maturité sexuelle est atteinte. Mais chez l’individu adulte, il est
aussi souvent nécessaire que l’hormone soit encore présente dans les périodes
d’activité sexuelle, exerçant par-là des effets que l’on peut cette fois qualifier
d’effets activationnels du système nerveux. Ainsi la testostérone réapparaît-elle
dans l’organisme de l’oiseau mâle au printemps, contribuant aux changements
structuraux de certaines parties du cerveau qui sont essentiels pour le compor­
tement reproducteur (Encadré 17.2). Ces effets activationnels, cependant,
présentent un caractère généralement transitoire.
Masculinisation du cerveau du fœtus.  Au stade prénatal, des taux élevés de
testostérone sont indispensables pour le développement de l’appareil reproduc-
teur mâle. Ironiquement, c’est une hormone « femelle », et non pas la testosté-
rone, qui est à l’origine du contrôle des gènes, responsables de la masculinisation
du cerveau de l’homme. Souvenez-vous aussi que la testostérone est convertie
en œstradiol à l’intérieur du cytoplasme des neurones, en une seule étape, sous
l’effet d’une aromatase (voir Fig. 17.5). L’élévation des taux de testostérone, qui
intervient ainsi au stade prénatal, conduit effectivement à une élévation des taux
606 3 – Cerveau et comportement

Terminaison nerveuse
(présynaptique)

s
ct
re Dendrite
di Épine
t s dendritique
Effe
(post-synaptique)

OH

Œstradiol Enveloppe
nucléaire

HO Ef
fe
ts
in
di
re ADN
c ts

Récepteur
des œstrogènes/
facteur de
transcription

Figure 17.16 – Effets directs et indirects des Œstrogène lié


stéroïdes sur les neurones. à son récepteur, Corps
lié à l’ADN cellulaire
Les stéroïdes sont à même d’affecter direc­
d’un neurone
tement la biosynthèse et la libération des
neurotransmetteurs ou d’agir au niveau des
récepteurs post-synaptiques. Par ailleurs, ils
sont également susceptibles d’affecter la
transcription des gènes par une action au
niveau nucléaire.

d’œstrogène. C’est cet œstrogène, agissant au travers de récepteurs de l’œstra-


diol, qui va déclencher l’activation des gènes à l’origine de la masculinisation du
cerveau au cours du développement. Ce qui n’est pas clair, encore aujourd’hui,
est de savoir quels types de gènes du cerveau sont régulés par les hormones
sexuelles pour conduire à cette masculinisation.
La réponse du cerveau fœtal aux hormones circulantes s’avère de fait encore
plus complexe. En plus des œstrogènes et des androgènes produits par les gonades
du fœtus, les hormones provenant du placenta de la mère atteignent la circula-
tion sanguine du fœtus. La question est alors de savoir pourquoi les œstrogènes
de la mère n’affectent pas le développement sexuel du fœtus ? Nous avons expli-
qué que les œstrogènes, plutôt que la testostérone, sont responsables de la mas-
culinisation. Dans ce cas, pourquoi le fœtus femelle n’est-il pas masculinisé en
réponse aux œstrogènes provenant de la mère ? Chez le rat et la souris, la réponse
à ce dilemme est que l’α-fétoprotéine, une protéine trouvée en forte concentra-
tion dans le sang fœtal, se fixe aux œstrogènes et protège ainsi le fœtus femelle
de sa masculinisation potentielle. Aussi étrange que cela puisse paraître, le fœtus
féminin doit ainsi « être protégé » des hormones féminines pour éviter que son
cerveau ne devienne trop masculin. Des expériences de knock-out du gène de
l’α-fétoprotéine chez les souris montrent que celles-ci sont stériles et n’ont pas
de comportement sexuel normal. Le rôle de l’α-fétoprotéine chez les humains est
moins clair, en particulier parce que les résultats ne sont pas concordants dans
la littérature en ce qui concerne la capacité ou non de l’α-fétoprotéine à lier ou
non les œstrogènes, comme cela est le cas chez les rongeurs. Un autre élément à
prendre en compte est le fait que des mesures des taux d’α-fétoprotéine à visée
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 607

Encadré 17.2 FOCUS

Oiseaux chanteurs et cerveaux d’oiseaux…


Pour nos oreilles, le chant des oiseaux n’est qu’un vocalisation (ou VCR, pour vocal control regions), repré-
signe fort que le printemps est là… Pour les oiseaux, sentées en bleu sur la figure A. Chez ces deux espèces
c’est un moment d’intense activité sexuelle et celui de la d’oiseaux, la taille de ce complexe VCR est au moins
reproduction. Dans de nombreuses espèces, le chant est 5 fois plus importante chez le mâle que chez la femelle.
une spécialité du mâle ayant pour vocation d’attirer les Le contrôle du développement du complexe VCR,
femelles et d’impressionner les autres mâles qui seraient comme le comportement de chanteur, est lié à l’action
des rivaux potentiels. Les études réalisées chez deux des hormones stéroïdiennes. Néanmoins, la mobilisation
espèces d’oiseaux ayant des comportements reproduc- strictement saisonnière de ces structures nerveuses néces-
teurs et des chants différents ont révélé quelques élé- site dans les deux espèces des régulations différentes. Le
ments de l’importance du dimorphisme sexuel suscep- chardonneret aurait besoin d’une imprégnation précoce
tible d’intervenir au niveau du cerveau. d’hormones stéroïdiennes pour organiser son VCR, puis,
Des oiseaux de la famille du chardonneret sont des secondairement, des androgènes pour l’activer. Si une
oiseaux familiers qui vivent normalement dans le désert femelle qui vient de naître est ainsi exposée à la testosté-
australien. Pour se reproduire, ces oiseaux ont besoin de rone ou à l’œstradiol, son VCR devient plus important
beaucoup de nourriture. Cependant, dans le désert la pro- que la normale lorsqu’elle devient adulte. Et dans ce cas,
duction de cette nourriture présente un caractère spora- où l’on a une femelle masculinisée, si on poursuit l’expé-
dique, en rapport avec d’éventuelles pluies qui revivifient le rience en lui donnant de la testostérone alors qu’elle est
paysage. Pourtant ces oiseaux sont capables de se repro- adulte, son VCR poursuit son développement et elle se
duire en dépit des difficultés de survie et de la rareté des met à chanter comme un mâle. Les femelles qui ne sont
partenaires sexuels. Les canaris sauvages, par ailleurs, pas exposées précocement aux stéroïdes sont, quant à
vivent principalement dans des contrées beaucoup plus elles, insensibles à la testostérone, lorsqu’elles sont adultes.
hospitalières, aux îles Canaries notamment. Ils se repro- Au contraire, chez les canaris, le système de contrôle
duisent de façon saisonnière, au printemps et en été, mais du chant paraît indépendant de l’imprégnation précoce
pas durant la période des pluies, ni en hiver. Les mâles aux stéroïdes. Chez la femelle, si l’on administre des
de ces deux espèces sont des chanteurs remarquables. androgènes pour la première fois chez l’adulte, en
Cependant, ils diffèrent au moins par la dimension de leur quelques semaines, elles se mettent à chanter comme le
répertoire : le mâle du chardonneret répète sans arrêt le font les mâles. Chez les mâles, les androgènes sont sécrétés
même refrain tout au long de sa vie et ne peut rien apprendre de façon épisodique, chaque printemps. Dans ce cas, leur
d’autre, alors que le canari présente un répertoire beau- VCR double de volume, leurs neurones voient les den-
coup plus riche et peut y ajouter de nouvelles mélodies à drites augmenter en taille, ils reçoivent plus de synapses et
chaque printemps. Ces comportements sont sous-tendus le chant peut commencer. L’augmentation de taille du
par des mécanismes nerveux différents dans les deux cas. VCR s’accompagne d’un véritable processus de neuroge-
Chez ces oiseaux, ce dimorphisme sexuel comporte- nèse, c’est-à-dire de production épisodique de nouveaux
mental (le chant) est à mettre en regard d’un dimorphisme neurones, qui dure toute la vie adulte de ces oiseaux chan-
sexuel tout aussi important au niveau du cerveau. Les teurs au moment de la reproduction. Puis, lorsque les
oiseaux produisent leurs sons en utilisant le passage de taux d’androgènes baissent, la taille du VCR diminue
l’air dans un organe spécialisé impliquant de nombreux et le chant devient beaucoup plus limité. En un sens, le
muscles, dénommé syrinx. Les muscles du syrinx sont canari mâle reconstruit chaque année un nouveau dispo-
innervés par les neurones moteurs de la XIIe paire de sitif lui permettant de courtiser ses compagnes. C’est ce
nerfs crâniens, qui sont eux-mêmes innervés à partir de qui lui permet de varier son répertoire et donc d’avoir de
structures centrales formant les régions de contrôle de la nouveaux atouts pour convaincre les femelles.

Mâle Femelle

XIIe paire XIIe paire


de nerfs crâniens de nerfs crâniens

Syrinx Syrinx

Figure A – Localisation et contrôle des régions impliquées dans le contrôle du chant (en bleu) chez le chardonneret mâle et femelle.
608 3 – Cerveau et comportement

diagnostique dans le sang de la mère ou dans le liquide amniotique, suggèrent


que des taux très élevés de cette protéine sont mis en rapport avec de possibles
atteintes du tube neural, alors que des taux très bas sont trouvés en rapport avec
le syndrome de Down (NdT : encore dénommé trisomie 21).
Une étude de Amateau et McCarthy montre que l’un des facteurs impliqué
dans cette cascade d’événements liés à la masculinisation du cerveau à partir de
la testostérone et de l’œstradiol, est représenté par les prostaglandines. Les pros-
taglandines sont dérivées de l’acide arachidonique, un acide gras présent dans le
cerveau et de nombreux organes. L’une des enzymes impliquées dans la biosyn-
thèse des prostaglandines est la cyclo-oxygénase (COX). Les prostaglandines ont
de nombreux rôles. En particulier, elles sont produites lors de lésions cérébrales,
mais aussi en rapport avec la production de la douleur et de la fièvre. Amateau
et McCarthy ont démontré que des fœtus de rats mâles, ou encore juste nou-
veau-nés, exposés à des inhibiteurs de la COX présentaient plus tard des compor-
tements copulatoires réduits lorsqu’ils devenaient adultes. À l’inverse, des rats
femelles traités par des inhibiteurs de COX se comportaient comme des mâles sur
le plan sexuel. Il est alors notable que le comportement sexuel de la femelle, et son
cerveau, étaient partiellement masculinisés, en dépit du fait que les hormones ne
jouaient plus leur rôle mais que c’était déjà une intervention à un autre niveau,
plus en aval de la cascade de signalisation, qui était à l’origine de la masculini-
sation. Un aspect fascinant de cette étude est de remarquer alors que l’homme
utilise fréquemment les inhibiteurs de COX, sous forme d’aspirine, même si pour
le moment il n’est pas possible de dire si l’utilisation de cet antalgique chez la
femme enceinte est susceptible d’affecter le comportement sexuel de son enfant.
Discordance entre sexe génétique et action des chromosomes.  Au cours du
développement normal, le sexe génétique d’un animal ou d’une personne déter-
mine la fonction hormonale et, par conséquent, les caractéristiques liées au sexe
du système nerveux. Cependant, dans des conditions où la fonction hormonale
est altérée, il est alors possible que des mâles génétiques aient un cerveau fémi-
nisé, et qu’à l’inverse des femelles génétiquement déterminées aient un cerveau
présentant des caractéristiques de masculinisation. Par exemple, chez toutes les
espèces de mammifères étudiées, un traitement précoce avec de la testostérone
au cours du développement conduit à une atténuation de certaines au moins des
conduites sexuelles du type féminin du futur adulte. L’activation d’un compor-
tement sexuel de type masculin nécessite d’étendre le traitement à la testostérone
avant et après la naissance. Si l’on a affaire à des rats génétiquement femelles
(XX) exposés ainsi à cette hormone pendant les jours qui entourent la nais-
sance, alors ces animaux, lorsqu’ils seront adultes, ne présenteront pas le com-
portement de lordose typique caractéristique de l’accouplement. Les femelles
de cobaye traitées in utero avec suffisamment de testostérone pour masculiniser
leurs glandes génitales externes présentent de la même manière lorsqu’elles sont
adultes un comportement d’accouplement de type masculin, tentant de monter
sur les autres femelles en œstrus. Enfin, de façon plus naturelle, lorsqu’une vache
porte deux veaux dont l’un est un mâle et l’autre une femelle, la petite femelle
est exposée in utero à la testostérone de son jumeau mâle. Lorsqu’elle deviendra
adulte, cette femelle sera invariablement stérile et se comportera plus comme un
taureau que comme une vache.
De tels conflits entre hormones et chromosomes peuvent également interve-
nir chez l’homme. Par exemple, il existe des individus dont le sexe est déterminé
par le génome (XY), mais qui présentent une insensibilité aux androgènes, du
fait d’un problème de récepteur. Le gène du récepteur aux androgènes se trouve
localisé sur le chromosome X. Par conséquent, les mâles n’en possèdent qu’une
seule copie et, lorsque celle-ci est défectueuse, les récepteurs ne sont donc pas
fonctionnels. Ces individus développent des testicules normaux mais ceux-ci
restent bloqués dans l’abdomen et ne descendent pas dans les bourses. Les tes-
ticules produisent de la testostérone mais ils présentent tous les signes externes
d’une femme, parce que leurs tissus ne répondent pas aux androgènes : ils ont
un vagin, un clitoris et des lèvres et à la puberté ils développent des seins et un
véritable corps de femme. Les testicules produisent également des taux normaux
de facteur inhibiteur müllerien, ce qui conduit naturellement à ce que les femelles
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 609

ne développent pas de canal müllerien dans l’appareil reproducteur féminin.


Cependant, ils n’ont pas de cycle menstruel et sont stériles. Ces mâles génétique-
ment déterminés mais insensibles aux androgènes, non seulement ressemblent
à des femmes mais, en plus, se comportent comme elles. Ainsi, dès lors qu’ils
sont informés de leur problème biologique, ces individus continuent à souhaiter
qu’on les reconnaisse comme des femmes. Ils s’habillent comme des femmes et
choisissent des hommes comme partenaires sexuels.
Occasionnellement, les femelles génétiquement déterminées présentent une
condition que l’on nomme hyperplasie surrénalienne congénitale (ou CAH, pour
congenital adrenal hyperplasie) ce qui, littéralement, se traduit par un déve-
loppement trop important des glandes surrénales à la naissance. Bien qu’elles
soient génétiquement des femelles, celles-ci sécrètent un niveau anormalement
élevé d’androgènes du fait de cette hypertrophie des surrénales, ce qui implique
que, pendant les stades précoces du développement, elles sont exposées à des
taux trop élevés d’androgènes circulants. À la naissance, elles présentent des
ovaires normaux et pas de testicules, mais leur appareil reproducteur externe
est intermédiaire entre celui d’un pénis et d’un clitoris. Dans ce cas, seuls la
chirurgie et un traitement médicamenteux peuvent remédier à ce problème après
la naissance. Néanmoins, les filles CAH (et leurs parents) constatent que leur
comportement est plus celui d’un garçon, avec une certaine agressivité et une
certaine turbulence. Lorsqu’elles sont adultes, la plupart des filles CAH sont
hétérosexuelles mais, par rapport aux autres femmes, un pourcentage beaucoup
plus élevé que la normale est homosexuel. Par analogie à ce que l’on connaît
des autres espèces, on peut supposer que l’exposition à un taux élevé d’andro-
gènes avant la naissance influence le développement cérébral de ces femmes, de
telle manière qu’émergent des comportements de type masculin. Ainsi devons-
nous être particulièrement prudents en ce qui concerne le déterminisme d’un
comportement de type masculin (Encadré 17.3). Il est très difficile de dire si le
comportement à orientation masculine d’une femme CAH est entièrement dû à
son exposition précoce à des taux d’androgènes trop élevés et donc à la « confi-
guration » d’un cerveau de type mâle, ou si son comportement est le résultat de
légères différences en la façon dont les autres la considèrent (en particulier les
parents, qui ont souvent une attitude ambiguë face à un enfant qui présente des
caractéristiques sexuelles très particulières), ou les deux.

Influence directe du génome


sur la différenciation sexuelle du cerveau
La théorie classique de la différenciation sexuelle et celle présentée ici, ne
donnent qu’un rôle très indirect au déterminisme génétique du sexe des indi-
vidus : finalement, les gènes déterminent le développement des gonades, et ce
sont les hormones sécrétées secondairement par ces gonades qui déterminent la
différenciation sexuelle. Toutefois, même s’il n’y a aucun doute que les hormones
sont extrêmement importantes pour le développement sexuel, de nouveaux tra-
vaux suggèrent que les gènes pourraient quelquefois être impliqués de façon plus
directe dans la différenciation sexuelle, au moins chez certaines espèces. C’est
chez les oiseaux que les résultats les plus intéressants ont été obtenus. Dans l’une
des études les plus importantes, Agate et al. ont examiné l’apparence générale
et le cerveau d’un oiseau de la famille du chardonneret assez rare, le zebra finch.
Cet oiseau présente la particularité d’être gynandromorphe, c’est-à-dire qu’il
exprime à la fois des tissus de caractère mâle et femelle : il est génétiquement
femelle du côté gauche de son corps et de son cerveau, et génétiquement mâle
du côté droit (Fig. 17.17). Comme l’ensemble du cerveau est exposé de la même
manière aux hormones sexuelles, les deux hémisphères cérébraux devraient être
du même sexe si les hormones étaient entièrement responsables de la différen-
ciation sexuelle. Toutefois, les régions du cerveau impliquées dans la production
du chant (Encadré 17.2) sont de type masculin du côté droit et féminin du côté
gauche, suggérant que c’est bien l’expression génique qui est responsable de ce
dimorphisme sexuel et non les hormones sexuelles. Dans des études complémen-
taires de poussins gynandromorphes, les chercheurs ont montré que la plupart
610 3 – Cerveau et comportement

Encadré 17.3 FOCUS

David Reimer et les bases de l’identité sexuelle…


David Reimer était un petit garçon robuste et de qui doit se trouver dans une telle situation. Pour David,
comportement tout à fait normal né en 1965. ce fut véritablement un calvaire, comme il l’a dit plus
Malheureusement, un accident opératoire est intervenu tard, parce qu’il était en permanence marginalisé et mis
pendant une banale circoncision par électrocautérisa- au ban de la société. Pourtant, à cette époque il ne savait
tion, qui a brûlé entièrement son pénis. Les parents de rien de sa dramatique intervention chirurgicale, ni sur le
David consultèrent alors le Dr John Money, à Johns fait qu’il était génétiquement un garçon ; et, lorsqu’il
Hopkins University. Tous les efforts qui ont alors été devient plus âgé, il se trouva naturellement attiré davan-
déployés par ses parents pour lui venir en aide ont été tage par les filles que par les garçons. Il exprima cela en
vains, et il s’est avéré impossible de pratiquer une chirur- disant qu’il se considérait comme un garçon prisonnier
gie reconstructrice du pénis. Le Dr Money recommanda d’un corps de fille. À l’âge de 14 ans, alors qu’il en était à
alors de pratiquer une chirurgie cosmétique associée à sa deuxième année de prise d’œstrogènes, il se développa
une castration, suivie d’un traitement aux œstrogènes à de plus en plus comme une fille mais arrêta de se compor-
la puberté pour transformer David en une jeune fille. ter comme telle (Fig. A). Alors son père décida de lui
L’hypothèse du médecin était que, à la naissance, les raconter ce qu’il lui était arrivé lorsqu’il était tout jeune
enfants sont de sexe relativement neutre et que leur iden- enfant. Dès lors, l’adolescent demanda que l’on arrête le
tité sexuelle comme garçon ou fille est déterminée plus traitement hormonal, et que l’on pratique une nouvelle
tardivement, par l’identification à leur anatomie et les chirurgie. Pendant des années, David dut se débattre avec
expériences qu’ils subissent en tant que tel. Les parents des problèmes psychologiques bien compréhensibles liés
hésitèrent d’abord beaucoup face à cette terrible déci- à son passé tourmenté. Il s’est ensuite marié et il a adopté
sion à prendre, puis ils décidèrent de suivre cet avis pour les enfants de sa femme, alors qu’il était employé comme
tenter de donner à leur enfant la meilleure chance d’avoir concierge dans un abattoir. Dans les années 1990, David
une vie normale. a révélé son identité et son nom, David Reimer, et colla-
Après sa transformation chirurgicale, l’enfant s’adapta boré à un ouvrage sur sa vie. Après de douloureux épi-
normalement et se développa comme une jeune fille tout sodes de sa vie, incluant entre autre la mort de son frère
à fait heureuse de l’être. Dans ses publications, le Dr jumeau, David s’est suicidé en 2004, à l’âge de 38 ans.
Money a ainsi écrit qu’il a réussi avec succès à trans­ Cette histoire montre bien que David Reimer avait
former « John » en « Joan ». Ce cas fut présenté dans dès le départ un « cerveau masculin » et qu’aucun trai-
la presse populaire en 1973 et notamment dans Time tement hormonal ou conditionnement psychologique
Magazine et « récupéré » de la façon suivante. Il était écrit ne peut changer cette identité. Clairement, l’identité
notamment : « Ce cas dramatique (…) donne de bons sexuelle implique des processus d’interactions com-
arguments en faveur de l’idée (…) que le déterminisme des plexes entre génétique, hormones et comportement.
sexes masculin et féminin peut être modifié. Il apporte aussi
des arguments contre la théorie selon laquelle le sexe déter-
miné anatomiquement et les comportements psycholo-
giques qui lui sont associés sont établis de façon immuable
par l’action des gènes, à la conception de l’enfant » (Time,
8 janvier 1973, p. 34). C’était en fait l’époque où des chan-
gements radicaux de comportement intervenaient dans la
société sur le rôle des hommes et des femmes et le succès
du développement normal de Joan en tant que femme
renforçait l’idée que l’identité du genre était créée plus par
la société elle-même que par la biologie.
Malheureusement, en suivant les choses un peu plus
loin, il s’est avéré que la transformation de David était un
véritable désastre. Selon David et son frère jumeau, son
comportement était celui d’un garçon et pas celui d’une
fille. Évidemment, il refusait qu’on l’habille comme une
fille et de s’accommoder de jouets qui n’étaient pas ceux
de petits garçons. En dépit de sa chirurgie plastique et son
« conditionnement » qui voulait faire de lui une fille, lors-
qu’il est devenu adulte, David affirma qu’il s’était en fait Figure A – David Reimer (c’est-à-dire John/Joan) et son frère jumeau,
douté très tôt qu’il n’était pas une fille et que son souhait peu avant d’avoir découvert la vérité sur son enfance. (Source : cour-
était bien de devenir un homme. L’enfance est dure pour toisie de Jane Reimer.)
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 611

Droit Gauche

Figure 17.17 – Étude d’un cerveau de char-


donneret gynandromorphe.
(a) Cet oiseau présente un plumage de type
(a) (b) femelle sur le côté gauche et un plumage de
type mâle du côté droit. (b) L’hyperstriatum
Droit Gauche Droit Gauche
ventral, correspondant à la zone de produc-
tion du chant, est de taille plus importante du
côté droit en rapport avec les caractéristiques
du mâle (zone de neurones apparaissant en
foncé). (c) Autoradiogramme montrant l’ex-
pression d’un gène normalement exprimé
seulement chez la femelle sélectivement du
côté gauche. (d) Même visualisation d’un
gène exprimé cette fois sélectivement chez
(c) (d) le mâle, marquant le côté droit du cerveau.
(Source : Arnold, 2004, fig. 4.)

des cellules du côté droit de l’organisme présentent des chromosomes de sexe


masculin, et les cellules de l’autre côté des chromosomes féminins, le résultat
d’une mutation étant intervenue très précocement pendant le développement.
Ce n’est que très récemment que des expériences ont été entreprises pour
tenter d’analyser les effets directs des gènes sur la différenciation sexuelle. Dans
une espèce où le mâle et la femelle sont moins différenciés que chez le zebra finch,
distinguer un gynandromorphe s’avère plus difficile. Éric Vilain et ses collabo-
rateurs à UCLA ont démontré que seulement 51 gènes du cerveau de la souris
sont différentiellement exprimés chez le mâle et la femelle avant la formation des
gonades. La fonction de ces gènes reste pour le moment inconnue.
En plus d’influencer la différenciation sexuelle, les gènes peuvent, de façon
surprenante, jouer un rôle dans des comportements sexuels complexes, comme
le montrent un certain nombre de données obtenues chez la mouche du vinaigre
Drosophila melanogaster. La parade nuptiale du mâle est faite de comporte-
ments particuliers, incluant notamment des poursuites de la femelle et des rap-
prochements, de l’émission de sons propres à traduire une courte mélodie, et
de la recherche d’un contact avec les pattes, avant de tenter l’accouplement.
La femelle choisit dès lors d’accepter ou de rejeter les avances du mâle. À l’évi-
dence ces comportements sont déterminés génétiquement, puisque même les
mâles qui n’ont jamais pu observer ce type de comportement sont capables de
produire la parade. De nombreux gènes ont ainsi été identifiés comme contri-
buant possiblement à ce type de comportement, mais qui correspondent à une
série très restreinte de gènes régulateurs (gènes qui régulent l’activité d’autres
gènes). Par exemple, le gène fru (un raccourci pour fruitness, soit fruité) pourrait
être indispensable pour que le mâle puisse exécuter sa parade nuptiale. Chez le
mâle, le gène fru est exprimé par une large variété de cellules, ce qui conduit au
développement de son cerveau avec des caractéristiques de mâle, c’est-à-dire
exprimant des capacités pour effectuer une parade nuptiale associée au sexe
612 3 – Cerveau et comportement

masculin. Chez les femelles qui n’expriment pas le gène fru, le cerveau se déve-
loppe normalement, mais l’organisation intime des connexions cérébrales est
telle que ces femelles ne présentent pas de comportement sexuel inné. Si le gène
fru est absent du cerveau mâle, le comportement de parade nuptiale est très atté-
nué, voire absent. A contrario, les femelles qui expriment le gène fru sont à même
de développer une parade nuptiale et résistent à celle des mâles.
Un autre gène impliqué dans le dimorphisme sexuel est le gène dsx (pour
double sex). Le gène dsx joue un rôle important dans le dimorphisme sexuel
de l’organisme, en particulier pour le contrôle du développement de l’appareil
génital mâle et femelle. Il interfère aussi avec le gène fru pour ce qui concerne
la différenciation sexuelle du cerveau et l’expression des comportements liés au
sexe. Dans le cas de fru, le gène est exprimé par les mâles et non par les femelles.
En revanche, le gène dsx est exprimé à la fois par les mâles et les femelles, mais un
processus d’épissage alternatif conduit à l’expression de protéines spécifiques du
mâle ou de la femelle. Comment les structures cérébrales influencées par ces deux
gènes fru et dsx conduisent à des comportements sexuels spécifiques, demeure en
l’état de nos connaissances une énigme à résoudre.

Effets activationnels des hormones sexuelles


Bien après que les hormones sexuelles aient déterminé la structure des organes
reproducteurs, elles peuvent avoir des effets activationnels sur le cerveau. Ces
effets vont de simples modifications temporaires de l’organisation cérébrale, à
de profonds changements de la structure des neurites. Chez l’homme, la testos-
térone a ainsi des effets positifs et négatifs sur le comportement sexuel. D’une
part, les taux de testostérone augmentent avant l’activité sexuelle, ou même juste
en fantasmant autour d’elle. Corrélativement, une perte d’intérêt pour le sexe est
associée à des taux de testostérone bas. Il a aussi été rapporté que les femmes ont
une plus grande propension à avoir une activité sexuelle lorsque les taux d’œstra-
diol sont élevés, au cours du cycle menstruel. Ainsi, par des mécanismes que
l’on ignore encore, dans les deux sexes le taux d’hormones sexuelles influence le
cerveau pour déterminer l’intérêt pour le comportement sexuel.
Plasticité cérébrale associée au comportement maternel et paternel. L’acti­
vité sexuelle varie en fonction du temps. Chez quelques espèces, la reproduction
n’intervient que pendant une période précise de l’année, et ainsi l’accouplement
ne se produit que pendant cette saison particulière. Par ailleurs, quelle que soit
l’espèce, les femelles n’élèvent leurs petits que pendant une courte période après
la naissance. Chez la plupart des animaux, sauf dans l’espèce humaine, l’attrac-
tion sexuelle et la copulation n’interviennent qu’à certains moments bien précis
du cycle œstral. Des changements d’activité cérébrale correspondant au dimor-
phisme sexuel n’interviennent souvent que de façon transitoire et cyclique, en
rapport avec le comportement sexuel auquel ils sont rattachés.
Dans le chapitre 16, nous avons vu que l’appétit est contrôlé, au moins
en partie, par le taux circulant de leptine sécrétée par les cellules formant la
masse graisseuse. Des taux de leptine élevés modulent l’activité des neurones de
l’hypothalamus et suppriment la prise alimentaire. Pendant la grossesse, la mère
a besoin d’une alimentation plus importante pour compenser la consommation
d’énergie dévolue au développement du fœtus, ce qui fait qu’objectivement la
prise alimentaire augmente dès le début de la grossesse. De ce fait, les tissus
graisseux se développent et les taux de leptine circulante augmentent également.
De façon paradoxale, les chercheurs ont montré chez le rat que, même lorsque
les taux de leptine augmentent pendant la grossesse, l’appétit et la prise alimen-
taire augmentent alors qu’ils devraient décroître. Ceci se produit du fait que
la grossesse s’accompagne de changements hormonaux, qui conduisent à une
résistance de l’hypothalamus à répondre aux changements des taux de leptine
circulante.
Un autre comportement spécifique intervient en rapport avec la lactation et
le comportement maternel des femelles, chez le rat. Chez ces femelles, le cortex
somatosensoriel comporte une zone de représentation de la région de la peau
ventrale portant les mamelles. En quelques jours après la naissance des petits,
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 613

avec la stimulation tactile liée à la tétée, cette représentation corticale de la région


ventrale augmente considérablement, et est associée à une réduction des champs
récepteurs correspondant jusqu’à environ la moitié de leur taille habituelle.
Toutefois ces changements sont de caractère transitoire et n’interviennent que
lorsque les petits tètent leur mère (Fig. 17.18). Ceci représente alors un exemple
intéressant de plasticité sensorielle (voir chapitre 12), un retour à la normale de
la taille des champs récepteurs intervenant en quelques mois après le sevrage.
La lactation apparaît également associée à des changements de la structure
du cerveau, qui renforcent ce comportement rigoureusement critique pour la
survie et le développement des petits. En dépit de leurs effets pharmacologiques
et comportementaux très différents, toutes les drogues d’abus paraissent aug-
menter l’activité des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale
(ATV) et, par conséquent, la libération de la dopamine dans le noyau accumbens
(voir Encadré 16.5). Ainsi est-il de plus en plus évident que les comportements
addictifs ou aux propriétés renforçantes modifient également l’activité de ce sys-
tème neuronal. Dans une étude récente, les données de l’IRMf obtenues chez des
femelles de rat lactantes élevant leurs petits ont été comparées à celles acquises
chez des femelles vierges recevant une administration de cocaïne. Dans les deux
cas, l’activation cérébrale est très similaire, avec un effet particulier dans le noyau
accumbens. L’hypothèse alors émise est que dans les deux cas une activation du
système dopaminergique associée à la récompense et à l’addiction intervient. La
stimulation des tétines lors de l’allaitement serait à l’origine d’une sensation de
« renforcement », qui contribuerait à développer la relation mère-progéniture et,
dans ce cas, de façon ultime contribuerait à la survie des petits.
Même si les pères ne sont pas soumis aux changements profonds qui accom-
pagnent la grossesse et la lactation, les interactions avec leurs enfants pourraient
également avoir des effets sur l’organisation de leur cerveau. Une illustration
de ces effets provient des travaux d’Elisabeth Gould et de ses collaborateurs à
Princeton University, qui ont procédé à l’examen de cerveaux de ouistiti. Chez
ces primates, le père est de façon inhabituelle particulièrement impliqué dans la

Localisation des mamelles

(a)

Figure 17.18 – Effets de la lactation sur les


représentations sensorielles au niveau corti-
cal.
(a) Délimitation de la région de la peau d’une
(b) femelle allaitante, montrant la localisation des
Cortex mamelles d’un côté du corps. (b) Localisa-
sensorimoteur tion du cortex sensoriel primaire du rat (en
primaire
haut). Les encadrés au-dessous représentent
des agrandissements de cette région du
cortex sensoriel qui répond à la stimulation
MP Queue de la région ventrale de la peau entourant les
Queue
mamelles, chez une femelle ayant mis bas et
Membre Queue
postérieur (MP) Surface
qui allaite ses petits (à gauche) par rapport à
dorsale Membre cette même région délimitée chez une autre
Surface postérieur (MP)
ventrale Surface femelle ayant également mis bas mais qui
MP dorsale
MA Surface Surface n’allaite pas ses petits (à droite). Les zones
MA Cou ventrale
ventrale Membre corticales recevant des informations senso-
MA Membre MA MA antérieur (MA) Cou
MA Cou rielles d’autres régions du corps ne sont pas
antérieur (MA)
affectées par cette plasticité liée à la lactation.
Femelle allaitante Femelle non allaitante (Source : adapté de Xerri et al., 1994.)
614 3 – Cerveau et comportement

prise en charge des petits. Pendant les premiers mois de leur vie, c’est notam-
ment lui qui les transporte. Nous savons, par ailleurs, que de tels comportements
complexes, parfaitement orientés vers un objectif précis comme c’est le cas ici,
sont liés à l’activité du cortex préfrontal. Il est également établi que l’environne-
ment peut influencer l’activité et la structure même des neurones. Par exemple,
les arborisations dendritiques et la densité des épines dendritiques sont plus
nombreuses chez des animaux élevés dans un environnement dit « enrichi », par
rapport à des animaux élevés dans des cages banales. Pour tenter de mesurer
l’impact du comportement paternel sur la structure cérébrale, l’équipe d’Elisa-
beth Gould a comparé la structure du cortex préfrontal des pères ouistiti, à celle
d’individus qui n’avaient pas encore élevé de petits. Les résultats ont fourni deux
indications intéressantes : d’une part, la densité des épines dendritiques des cel-
lules pyramidales était significativement plus importante chez les ouistiti-pères ;
et d’autre part, il apparaissait que les épines comportaient plus de récepteurs à
la vasopressine que celles des témoins non-pères. Les conséquences fonction-
nelles de ces modifications structurales ne sont pas connues, mais elles suggèrent
que, dans d’autres espèces, le cerveau des parents très impliqués dans la prise en
charge des petits, que ce soit le père ou la mère, soit également fortement modifié
par ce comportement.
Effets des œstrogènes sur les fonctions neuronales, la mémoire et les patho-
logies. Les œstrogènes ont des effets activateurs considérables sur la structure et
la fonction des neurones. Dans les quelques minutes qui suivent une application
d’œstradiol, l’excitabilité neuronale est ainsi affectée dans de larges régions céré-
brales. En modulant le flux d’ions potassium, l’œstradiol dépolarise les neurones
et active leur décharge. Un exemple de ce que les œstrogènes peuvent contribuer à
faire sur les neurones est illustré par la figure 17.19. Dominique Toran-Allerand,
à Columbia University, a démontré qu’un traitement à l’œstradiol de tissus préle-
(a) vés dans l’hypothalamus de souris nouveau-nées augmente considérablement la
croissance des neurites. D’autres travaux ont montré que l’œstradiol augmente
la viabilité cellulaire et la densité des épines dendritiques. Dès lors, l’ensemble de
ces données suggère que les œstrogènes jouent un rôle clé pour la formation des
réseaux neuronaux, pendant le développement.
Elizabeth Gould, Catherine Woolley, Bruce McEwen et leurs collègues, à
Rockefeller University, ont rapporté un extraordinaire exemple de l’effet acti-
vateur des stéroïdes, au niveau cellulaire. Ces auteurs ont compté les épines
dendritiques de neurones de l’hippocampe chez le rat femelle et ils ont montré
que le nombre de ces épines dendritiques fluctuait considérablement pendant
(b)
les 5 jours du cycle œstral. La densité de ces épines et les taux d’œstradiol sont
Figure 17.19 – Effets des œstrogènes sur la maximaux au même moment, et l’injection d’œstradiol a pour effet d’accroître le
croissance neuritique dans l’hypothalamus. nombre d’épines chez des animaux dont le taux d’œstradiol est maintenu artifi-
La partie basse de chacune de ces photo- ciellement bas (Fig. 17.20). Comme les épines dendritiques sont les sites majeurs
graphies illustre une zone de l’hypothalamus de connexions des synapses excitatrices avec les dendrites (voir chapitre  2), ce
provenant d’une souris nouveau-née. (a) Cet résultat permet d’entrevoir pourquoi l’excitabilité de l’hippocampe suit le même
animal n’a pas été traité aux œstrogènes, ce décours pendant le cycle œstral. Ainsi a-t-on pu constater que l’hippocampe
qui se traduit par un développement relative-
des rats déclenche plus facilement des crises d’épilepsie lorsque le taux d’œstro-
ment limité des neurites apparaissant sur la
gènes augmente (Fig. 17.21). Notez que les taux d’œstradiol et de progestérone
coupe histologique. (b) L’addition d’œstro-
gènes stimule fortement la croissance neuri- sont à leur pic au moment de la phase de pro-œstrus (Fig. 17.21a, b) et qu’à ce
tique. (Source : Toran-Allerand, 1980.) moment-là le seuil de déclenchement des crises d’épilepsie est à son minimum
(Fig. 17.21c). Woolley et McEwen ont montré que c’est l’œstradiol lui-même
qui déclenche l’augmentation du nombre d’épines et que, lorsque les neurones
hippocampiques présentaient plus d’épines, ils étaient plus excitables et présen-
taient plus de synapses excitatrices.
Mais comment expliquer l’effet de l’œstradiol sur le nombre d’épines dendri-
tiques et de synapses excitatrices dans l’hippocampe ? Même si tous les détails de
ces mécanismes ne sont pas encore complètement élucidés, il semble que l’effet
activateur de l’œstradiol sur les épines dendritiques passe par plusieurs voies. En
présence d’œstradiol, les réponses post-synaptiques au glutamate, par exemple,
sont plus importantes que lorsqu’il n’est pas présent. Comme nous le verrons
dans le chapitre 25, un tel effet de l’œstradiol sur les synapses excitatrices contri-
bue à renforcer leur activité. L’œstradiol pourrait aussi affecter l’activité hippo-
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 615

Témoin

10 µm

Traitement à l’œstradiol

50 µm

Figure 17.20 – Effets activateurs des hor-


mones stéroïdiennes.
Un traitement à l’œstradiol induit une aug-
mentation du nombre d’épines dendritiques
10 µm d’un neurone pyramidal de l’hippocampe.
(Source : adapté de Woolley et al., 1997.)

campique en réduisant l’inhibition synaptique. De fait, l’œstradiol contribue à


une réduction de la production de GABA dans certaines cellules, contribuant
par-là à réduire les processus inhibiteurs. Dans ce cas, moins d’inhibition contri-
bue à augmenter l’activité neuronale, venant potentialiser les effets de l’œstradiol
sur l’excitabilité au travers du renforcement des synapses excitatrices. Au total,
il semble que l’œstradiol produise un hippocampe avec moins de synapses inhi-
bitrices actives et des synapses excitatrices plus efficaces, qui serait à l’origine de
l’augmentation du nombre des épines dendritiques sur les cellules pyramidales.
Chez le rat, l’hippocampe représente une structure cérébrale particulièrement
importante en ce qui concerne la mémoire spatiale et les processus liés à la naviga-
tion dans l’environnement, et plusieurs études démontrent ainsi que l’œstradiol a
un effet facilitateur sur la mémorisation. Dans ces études, les rats sont entraînés
à parcourir un labyrinthe dans lequel ils repèrent des objets ou des emplace-
ments particuliers. L’œstradiol administré, soit juste après l’apprentissage, soit
juste avant, contribue à augmenter les performances lorsque la mémorisation
est testée quelques heures après l’apprentissage. Il est par ailleurs intéressant
de noter que cet effet facilitateur de l’œstradiol sur la mémoire n’est pas mesuré
lorsque celui-ci est administré par exemple deux heures après l’apprentissage.
À l’évidence, les œstrogènes facilitent la mémorisation, mais leur présence est
indispensable au moment de l’apprentissage pour qu’ils soient efficaces.
Woolley a ainsi noté que le nombre des épines dendritiques des neurones hip-
pocampiques était maximal au moment de la fertilité des femelles. Pendant cette
période, les femelles recherchent activement des partenaires sexuels, ce qui peut
nécessiter une optimisation de leurs capacités d’exploration de leur environne-
ment. Dans ce cas, ce comportement serait corrélé au moment où la densité des
récepteurs NMDA de l’hippocampe serait la plus importante. Par conséquent,
616 3 – Cerveau et comportement

50

Œstradiol (10-12 g/mL)


40

30

20

10
0
(a) E D D P E

Progestérone (10-9 g/mL)


30

20

10
Figure 17.21 –  Corrélations existant entre
fluctuations des taux de stéroïdes circulant 0
pendant le cycle œstral et seuil de déclen-
E D D P E
chement des crises d’épilepsie au niveau de
(b)
l’hippocampe.
Les taux circulants de (a) œstradiol et (b)
progestérone varient pendant le cycle œstral.
Les taux des deux hormones atteignent un 250
niveau maximal pendant la phase pro-œstrus.
Seuil des décharges

(c) Le seuil (en termes de courant de stimu- 200


épileptiques (µA)

lation nécessaire) de déclenchement des


150
décharges épileptiques au niveau de l’hip-
pocampe d’une femelle varie au cours du
100
cycle œstral et est le plus bas pendant la
Minuit
phase de pro-œstrus. Les phases du cycle 50
œstral sont notées de la façon suivante : Midi
D pour di-œstrus ; P pour pro-œstrus ; E pour 0
œstrus. (Source : a et b, Smith et  al., 1975 ;
c, Terasawa et al., 1968.) (c) D D P E D D P E

il apparaît ainsi que le cerveau de la femelle du rat s’autorégule pour être au


maximum de ses potentialités selon un cycle de 5 jours, en rapport avec le com-
portement reproducteur.
Il a également été démontré que l’œstradiol présente des propriétés pro-
tectrices sur les neurones. Dans des expériences de culture cellulaire, les neu-
rones exposés à l’œstradiol présentent une meilleure résistance à l’hypoxie, au
stress oxydant, ou encore à l’action de différentes substances neurotoxiques.
En clinique humaine, les œstrogènes apparaissent comme ayant la capacité de
minimiser ou de retarder les lésions cérébrales dans une variété de situations.
Par exemple, l’œstradiol pourrait avoir des effets protecteurs à l’encontre des
accidents vasculaires cérébraux (AVC), bien que les mécanismes de ces effets
ne soient pas connus. Cette observation peut être rapprochée des effets du
tamoxifène, un antagoniste des récepteurs des œstrogènes souvent utilisé pour
lutter contre le cancer du sein, qui élèverait le risque d’AVC chez la femme.
A contrario, l’administration d’œstrogènes sous forme de traitement substitutif
hormonal à la ménopause pourrait protéger contre certaines maladies neurolo-
giques. Par ailleurs, les chercheurs ont noté que l’élévation des taux d’hormones
sexuelles liées à la grossesse est associée à une moindre occurrence des crises
de sclérose en plaques, ce qui paraît être confirmé par certaines études où les
œstrogènes amélioreraient les patients souffrant de cette maladie. De même, cer-
tains résultats tendent également à montrer que l’administration d’œstrogènes
retarde la survenue de la maladie d’Alzheimer, ou serait même efficace contre les
tremblements de la maladie de Parkinson. Dans ces cas précis, les mécanismes
cellulaires par lesquels les œstrogènes produisent leurs effets potentiels sur ces
maladies restent difficiles à mettre en évidence, en particulier du fait des effets
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 617

multiples des œstrogènes et de leurs récepteurs. À titre d’illustration, certaines


études récentes tendent à montrer que les effets des œstrogènes pourraient tout
aussi bien impliquer les astrocytes que les neurones.

Orientation sexuelle
Même si cela est très variable, il est admis qu’environ 3 % de la population
des États-Unis est homosexuelle. Au regard des différences de comportement
existant entre les hommes hétérosexuels et homosexuels, peut-on en déduire que
le cerveau des homosexuels est différent de celui des hétérosexuels ? Ou bien
encore, qu’il y a des causes biologiques à l’homosexualité ? Si l’on s’en tient à
la relation qui existe entre cerveau et comportement, alors bien entendu cette
démarche est justifiée. Mais, à ce stade de nos connaissances, il n’existe aucune
évidence que l’orientation sexuelle présente un quelconque rapport avec les
effets activationnels des hormones chez l’adulte. Par exemple, administrer des
androgènes ou des œstrogènes chez l’adulte n’a aucun effet sur leur orientation
sexuelle. Alternativement, cependant, peut-être que les cerveaux des individus
hétérosexuels ou homosexuels sont différents structurellement, du fait des effets
organisationnels des hormones ?
Nous avons vu plus haut que, chez l’animal, il existait des différences liées
au sexe dans l’hypothalamus antérieur. Chez le rat, le SDN (sexually dimorphic
nucleus) de l’aire préoptique de l’hypothalamus antérieur est plus développé
chez le mâle que chez la femelle. Après une lésion expérimentale de ce noyau, il
se trouve que les mâles ainsi lésés passent beaucoup plus de temps avec d’autres
mâles qu’avec des femelles sexuellement actives, ce qui correspond à un compor-
tement inverse de celui qu’ils avaient avant la chirurgie. Une autre observation est
tirée d’une étude des moutons à longues cornes des Montagnes Rocheuses aux
États-Unis, où environ 8 % de la population des mâles préfère monter d’autres
mâles que des femelles. Dans ce cas, le SDN de ces animaux parait en moyenne
avoir une taille deux fois moins importante que celle du même noyau de mâles
dont l’orientation sexuelle va vers les femelles. Par conséquent, il semble que,
chez certains animaux, la taille de noyaux hypothalamiques déterminés puisse
être mise en rapport avec la préférence sexuelle. Malheureusement, la relation
causale entre la taille du SDN et l’orientation sexuelle n’est pas claire.
Chez l’homme, le noyau INAH-3 (l’un des noyaux interstitiels de l’hypo-
thalamus antérieur) a une taille deux fois plus importante que chez la femme,
une différence qui pourrait rendre compte du dimorphisme des comportements
sexuels dans les deux sexes. Certains travaux tendent à montrer qu’il existe des
différences entre INAH des cerveaux des individus hétérosexuels et homosexuels,
qui pourraient dès lors être mises en relation avec l’orientation sexuelle. Les tra-
vaux les plus convaincants ont été réalisés par Simon LeVay, alors qu’il tra-
vaillait au Salk Institute, en Californie. Il a montré que le INAH-3 d’individus
homosexuels mâles est de taille deux fois inférieure environ à celui de l’homme
hétérosexuel (Fig. 17.22). En d’autres termes, LeVay montre que le noyau INAH-3
de l’homme homosexuel est de taille similaire à celui de la femme hétérosexuelle.
Néanmoins, aussi importante que soit cette découverte, il est quand même dif-
ficile de l’interpréter en termes de bases biologiques de comportements aussi
complexes. De plus, d’autres travaux n’ont pas retrouvé par la suite la corrélation
entre la taille du INAH-3 et l’orientation sexuelle.
D’autres données encore ont montré que la commissure antérieure et les
noyaux suprachiasmatiques des homosexuels mâles étaient de taille supérieure à
celle des hétérosexuels. Une autre étude paraît montrer que le bed nucleus de la
stria terminalis est de taille plus importante chez l’homme que chez la femme, et
que les transsexuels mâles convertis en femmes, ont alors un noyau comparable à
celui de la femme. Prises de façon globale, ces données tendent à vérifier collecti-
vement que les aspects les plus complexes du comportement humain pourraient
se réduire à des différences structurales du cerveau. Néanmoins, compte tenu
des difficultés de l’analyse, aussi bien d’ailleurs que de l’histoire du dimorphisme
sexuel du cerveau, il est suggéré qu’il faut en ce domaine, peut être plus que dans
tout autre, être d’une prudence extrême, jusqu’à ce qu’un consensus soit établi.
618 3 – Cerveau et comportement

Figure 17.22 – Localisation et taille du noyau hypothalamique INAH-3.


(a) Localisation des quatre noyaux INAH de l’hypothalamus. (b) Microphotographie montrant
INAH-3 (flèche) chez un homme hétérosexuel. (c) Chez un homme homosexuel, le noyau INAH-3
apparaît de taille plus réduite et les cellules plus éparses. (Source : microphotographies de LeVay,
1991, p. 1035.)

3
4
1 Noyau
2 paraventriculaire

Troisième
ventricule
Chiasma optique

(a) (b) (c)

Conclusion
La relation entre sexe et cerveau est l’un des sujets les plus délicats dans le
domaine des neurosciences. Le thème du sexe et du cerveau est aussi perverti
par l’implication de facteurs à la fois biologiques et culturels qui influencent
le comportement sexuel. Dans l’espèce humaine en particulier, les différences
anatomiques entre cerveaux d’hommes et cerveaux de femmes ne sont pas évi-
dentes, de même que, d’une façon générale, leurs comportements ne sont pas
très différents ; et là où interviennent quelques différences anatomiques subtiles
entre sexes opposés, il est difficile de percevoir clairement quelles en sont les
implications comportementales. Enfin, en tout état de cause, il n’existe encore
aujourd’hui aucune évidence en faveur de différences qui pourraient rendre
compte de facultés cognitives différentes chez l’homme et chez la femme.
Toutefois, la nécessité biologique que représente la reproduction sexuée et la
procréation est fondée sur un comportement très différent selon le sexe, notam-
ment en ce qui concerne la copulation et la naissance. Pour ce qui concerne les
organes génitaux externes, les différences sont telles qu’il est relativement aisé
de caractériser les spécificités, y compris au niveau du contrôle moteur spinal
(par exemple en ce qui concerne les muscles et les neurones moteurs qui com-
mandent le pénis ou encore les afférences sensorielles du clitoris). Par ailleurs, le
rôle déterminant des hormones sexuelles est également facilement identifiable en
ce qui concerne le développement et la régulation du comportement sexuel. Mais
il faut bien considérer qu’il existe encore de nombreux aspects du comportement
sexuel qui nous échappent et qui restent très mystérieux.
Ce chapitre n’a pas de prétention à l’exhaustivité sur le thème du sexe et du
cerveau. Beaucoup de questions restent encore sans réponse, notamment parce
que ce sujet se heurte encore à certains tabous, y compris pour les scientifiques.
Néanmoins, le comportement sexuel est l’un des plus fondamentaux de l’homme,
et tenter d’en comprendre les mécanismes reste un défi pour les scientifiques.

QUESTIONS DE RÉVISION
1. Supposez que vous venez d’être capturé par des Aliens qui arrivent tout
juste sur la Terre et qui veulent étudier les humains. Les Aliens, qui sont
tous du même sexe, sont alors intéressés par les humains des deux sexes,
qui les intriguent. Pour gagner votre liberté, tout ce que vous devez faire,
17 – Cerveau masculin, cerveau féminin 619

c’est de leur indiquer comment distinguer les hommes des femmes. Quels
seraient alors les tests biologiques et comportementaux que vous leur
recommanderiez de réaliser à cette fin ? Attention de bien leur indiquer
tous les tests qui lèvent toute ambiguïté, de façon à éviter leur colère !
2. La figure 17.18 décrit une observation intéressante mais pour laquelle
nous n’avons pas encore d’explication : pendant la période de lacta-
tion chez un rat femelle, il existe un accroissement de la zone du cortex
sensoriel correspondant à la représentation de la région des mamelles.
Pouvez-vous spéculer sur la nature des mécanismes de cette plasticité ?
En quoi, selon vous, cette réponse constitue un avantage pour le rat ?
3. L’œstradiol est habituellement décrit comme une hormone sexuelle fémi-
nine mais tout porte à croire qu’il joue aussi un rôle essentiel dans le dé-
veloppement du cerveau masculin. Pouvez-vous argumenter cette dernière
assertion ? Et dire pourquoi les choses sont différentes chez les femmes en
ce qui concerne les effets de l’œstradiol au même stade de développement ?
4.
Où et comment les hormones stéroïdiennes influencent-elles les
neurones, au niveau cellulaire ?
5. Pouvez-vous donner des arguments en faveur de l’hypothèse selon
laquelle la différenciation sexuelle du corps et du cerveau n’est pas
entièrement sous contrôle des hormones sexuelles ?
6. Imaginez qu’une équipe de chercheurs proclame qu’un obscur noyau du
tronc cérébral, le noyau X, présente un dimorphisme sexuel et qu’il serait
essentiel pour certains comportements sexuels spécifiquement mâles.
Discutez ce type de résultat et ce que vous souhaiteriez que cette équipe
démontre afin que vous acceptiez ce résultat sans ambiguïté, notamment
en ce qui concerne : a) la réalité du dimorphisme ; b) les définitions de
ce qu’ils dénomment « comportement sexuel spécifiquement mâle » ;
c) l’implication du noyau X dans ces comportements sexuels.

POUR EN SAVOIR PLUS


Arnold AP. Sex chromosomes and brain gender. Nature Reviews Neuro­
science 2004 ; 5 : 701-8.
Bartels A, Zeki S. The neural correlates of maternal and romantic love.
Neuroimage 2004 ; 21 : 1155-66.
Colapinto J. As Nature Made Him: The Boy Who Was Raised as a Girl.
New York : Harper Collins, 2001.
De Boer A, van Buel EM, ter Horst GJ. Love is more than just a kiss:
a neurobiological perspective on love and affection. Neuroscience
2012 ; 201 : 114-24.
Hines M. Gender development and the human brain. Annual Review of
Neuroscience 2011 ; 34 : 69-88.
Pfaus JG. Pathways of sexual desire. Journal of Sexual Medicine 2009 ;
6 : 1506-33.
Valente SM, LeVay S. Human Sexuality. Sunderland, MA : Sinauer, 2003.
Wooley CS. Acute effects of estrogen on neuronal physiology. Annual
Review of Pharmacology and Toxicology 2007 ; 47 : 657-80.
Wu MV, Shah NM. Control of masculinisation of the brain and behavior.
Current Opinion in Neurobiology 2011 ; 21 : 116-23.
Young KA, Gobrogge KL, Liu Y, Wang Z. The neurobiology of pair
bonding: insights from a socially monogamous rodent. Frontiers in
Neuroendocrinology 2011 ; 32 : 53-69.
620 3 – Cerveau et comportement 620

CHAPITRE  18 Mécanismes centraux


des processus
émotionnels

PREMIÈRES THÉORIES
DES MÉCANISMES DES
PROCESSUS ÉMOTIONNELS
Théorie de James-Lange...................................................................... 622
Théorie de Cannon-Bard..................................................................... 623
Processus émotionnels inconscients.................................................... 624
Encadré 18.1 Focus  Des papillons dans l’estomac…

CONCEPT DE SYSTÈME
LIMBIQUE
Lobe limbique de Broca...................................................................... 627
Circuit de Papez................................................................................. 628
Encadré 18.2 Focus  Phineas Gage
Difficultés posées par le concept d’un système de l’émotion unique.... 630

THÉORIES DES ÉMOTIONS ET


REPRÉSENTATIONS NEURALES
Théories actuelles des processus émotionnels fondamentaux.............. 631
Théories dimensionnelles des émotions............................................... 632
Qu’est-ce qu’une émotion ?................................................................ 634
Encadré 18.3 Les voies de la découverte  Des concepts et des mots
dans la science au quotidien,
par Antonio Damasio

PEUR ET AMYGDALE
Syndrome de Klüver-Bucy................................................................... 636
Anatomie de l’amygdale..................................................................... 637
Effets de lésion ou de stimulation de l’amygdale................................. 638
Circuit neuronal de la peur apprise..................................................... 639

COLÈRE ET AGRESSIVITÉ
Amygdale et agressivité...................................................................... 641
Encadré 18.4 Focus  Lobotomie frontale
Au-delà de l’amygdale, les circuits de la colère et de l’agressivité......... 644
Sérotonine et régulation de la colère et de l’agressivité........................ 646

CONCLUSION
INTRODUCTION

P
our en apprécier la valeur, il suffit d’imaginer ce que serait une vie sans
émotion. Au lieu « des hauts et des bas » dont nous faisons l’expérience
chaque jour, la vie ne serait qu’une morne plaine immense… L’expression
des émotions représente une caractéristique fondamentale de l’être humain. Les
Aliens et les robots, notamment ceux des films de science-fiction, ressemblent
souvent à des Terriens ; mais ils apparaissent toutefois bien inhumains, en ce sens
certainement qu’ils n’expriment aucune émotion.
L’approche par les neurosciences des processus liés au ressenti émotionnel
représente un domaine de recherche très actif, consacré principalement à l’étude
des bases neuronales des mécanismes des émotions et du contrôle de l’humeur,
parfois identifié comme le champ des neurosciences de l’affect. Ce chapitre est
consacré à l’approche des bases neuronales des processus émotionnels. Les
troubles de l’humeur, qualifiés aussi de troubles affectifs, seront traités dans le
chapitre 22. Mais comment étudier un phénomène aussi éphémère et intangible
que sa propre émotion ? Lorsque vous étudiez un système sensoriel, par exemple,
vous pouvez matériellement présenter un stimulus et rechercher les neurones
qui y répondent. Dès lors vous pouvez manipuler ce stimulus, pour savoir par
exemple si ses caractéristiques en termes de fréquence ou d’intensité modifient
la perception. Étudier les émotions chez les animaux, qui ne peuvent rapporter
leurs sentiments, est autrement plus complexe. Ce qui est observé dans ce cas
n’est que la manifestation comportementale d’émotions intérieures. Il s’impose
donc de distinguer soigneusement l’expérience émotionnelle de l’expression émo-
tionnelle. Ce que nous savons des mécanismes nerveux de l’émotion repose sur la
synthèse d’études des émotions chez l’animal et de cas cliniques qui ont donné
un aperçu sur les mécanismes des sentiments émotionnels chez l’homme. Chez
l’animal, les effets de lésions localisées du cerveau ont été étudiés sur l’expression
des émotions et, dans des cas très particuliers, l’activité de certains neurones a
été enregistrée dans des situations émotionnelles, même s’il n’est évidemment pas
possible de mesurer le ressenti des animaux. Les études effectuées chez l’homme
ont été axées principalement sur l’étude de l’activité cérébrale en rapport avec
des processus émotionnels induits, ou lors de tests de reconnaissance par le sujet
de l’état émotionnel d’autres personnes.
Aujourd’hui les avancées des connaissances ne sont pas encore telles que l’on
puisse prétendre connaître aussi bien les systèmes impliqués dans le traitement
des émotions que ceux véhiculant par exemple les informations sensorielles.
Néanmoins, comme nous le verrons, les théories initialement proposées pour
rendre compte des processus émotionnels et notamment l’existence d’un sys-
tème unique du traitement des émotions, ou même de plusieurs systèmes prenant
chacun en charge un aspect des émotions, ont été progressivement remplacées
par de nouvelles théories, où interviennent des réseaux neuronaux multiples
fonctionnant le plus souvent en parallèle pour traiter des différents aspects des
émotions.
622 3 – Cerveau et comportement

Premières théories
des mécanismes des
processus émotionnels
Les émotions — l’amour, la haine, le dégoût, la joie, la honte, la jalousie, la
culpabilité, la peur, l’anxiété, et bien d’autres — sont des sentiments que nous
éprouvons à un moment ou un autre de notre vie. Mais qu’est ce qui définit pré-
cisément ces sentiments ? S’agit-il de messages sensoriels de notre corps, d’activi-
tés diffuses de notre cortex cérébral, ou encore d’autre chose ? Au xixe siècle, des
savants renommés, dont Darwin et Freud, se sont penchés sur le rôle du cerveau
dans l’expression des émotions (Fig. 18.1). À partir d’observations minutieuses
de l’expression émotionnelle chez l’animal et chez l’homme, et de l’expérience
émotionnelle chez l’homme, des théories se sont développées, rapprochant
expression émotionnelle et expérience émotionnelle. Ces propositions peuvent
nous apparaître comme banales aujourd’hui, mais Darwin a réalisé une obser-
vation fondamentale en constatant que les peuples, dans leur diversité culturelle,
présentent les mêmes émotions, et que les animaux eux-mêmes expriment cer-
taines des émotions que l’on connaît dans l’espèce humaine. Plus tard, à la fin
du xixe siècle et au début au xxe siècle, les chercheurs développèrent des théo-
ries sur les bases physiologiques des émotions et sur les relations existant entre
l’expression des émotions et l’expérience émotionnelle.

Théorie de James-Lange
Parmi les premières théories de l’émotion figure celle que proposa en 1884
le fameux psychologue et philosophe américain, William James, très proche
de celle du psychologue danois, Carl Lange. La théorie de l’émotion, connue
aujourd’hui sous le nom de théorie de James-Lange, proposait que l’émotion
traduise la réponse aux modifications physiologiques intervenant dans le corps.
Pour comprendre pourquoi de nombreux contemporains de James et de Lange
considéraient cette idée comme paradoxale, il suffit de prendre l’exemple sui-
vant : supposons qu’un matin en vous éveillant vous trouviez juste au-dessus de
votre tête une araignée malicieuse au bout de son fil… Si vous connaissez des
personnes atteintes d’arachnophobie, vous pouvez imaginer leur réaction, faite
de changements du rythme cardiaque, de la tension musculaire ou encore de la
respiration (voir chapitre 15). En accord avec la théorie de James-Lange, votre
système visuel transmet au cerveau une image de cette maudite araignée et, en
retour, votre cerveau déclenche ces réactions par l’intermédiaire du système ner-
veux somatique et du système nerveux autonome. Dans ce cas, les réponses de
l’organisme résultent directement de l’information visuelle qui a été transmise
au cerveau, sans composante émotionnelle réelle. L’émotion que vous ressentez
dans cette situation résulte des changements induits par la réponse de l’orga-
nisme. En d’autres termes, plutôt que de sauter de votre lit parce que vous êtes
effrayé, vous pouvez réellement ressentir cette frayeur du fait de l’augmentation
du rythme cardiaque et des autres signes associés. Cette approche de l’émotion
est toutefois considérée aujourd’hui comme un concept dépassé, comme ce fut

Figure 18.1 – Expressions de colère.
Ces représentations sont tirées de l’ouvrage
de Darwin « Expression des émotions chez
l’homme et l’animal ». Elles étaient utilisées
comme argument de sa théorie selon laquelle
les émotions fondamentales sont universelles.
Darwin a été l’un des premiers à étudier exten-
sivement l’expression des émotions. (Repro-
duit avec la permission de John van Wyhe, ed.
2002. The complete work of Charles Darwin
online, http://darwin-online.org.uk/).
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 623

d’ailleurs déjà le cas du temps de James et Lange. Jusqu’à cette théorie, il était
communément admis qu’une émotion est générée par une situation donnée, et
qu’elle se traduit par une réponse comportementale ; vous êtes effrayé lorsque
vous voyez une araignée et alors votre organisme réagit. La théorie de James-
Lange prétend exactement l’inverse.
Considérez une des expériences suggérées par James. Imaginez que vous
êtes fou de colère à cause de quelque chose qui vient d’arriver. Tentez de faire
abstraction de toutes les modifications physiologiques associées à cette émo-
tion. Les battements du cœur se calment, les muscles se détendent, et le visage
retrouve une couleur normale. Comme le disait James, il est difficile de penser
que l’on est encore en colère si tous ces signes physiologiques ont disparu.
Même s’il est vrai que l’émotion est intimement liée à un état physiologique,
cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne puisse pas être ressentie en l’absence
de signes physiologiques évidents (un point admis par James et Lange eux-
mêmes). Mais dans le cas d’émotions fortes spécifiquement associées à des réac-
tions physiques, il existe objectivement une relation étroite entre l’émotion et la
manifestation physiologique correspondante, sans que l’on sache très clairement
qui cause quoi.

Théorie de Cannon-Bard
La théorie de James-Lange eut un certain succès au début du xxe siècle, mais
elle fut bientôt contestée. En 1927, le physiologiste américain Walter Cannon
publia un article critiquant de manière irréfutable la théorie de James-Lange et
proposa une nouvelle théorie. La théorie de Cannon fut développée par Philip
Bard, et la théorie de Cannon-Bard de l’émotion, d’après le nom qu’on lui donna,
prétendait que l’expérience émotionnelle pouvait intervenir indépendamment de
l’expression émotionnelle.
L’un des arguments de Cannon contre la théorie de James-Lange venait de ce
que les émotions peuvent être ressenties sans percevoir de modifications physio-
logiques. Pour étayer son propos, il présentait les résultats de travaux effectués
sur des animaux dont la moelle épinière avait été sectionnée. Il est connu que
cette procédure chirurgicale supprime toute sensation dans les parties du corps
situées en dessous de la section ; mais cela ne semblait pas supprimer l’émotion.
Dans la mesure où un contrôle musculaire pouvait encore s’exercer sur la partie
supérieure du corps ou de la tête, les animaux manifestaient des signes d’émo-
tions. De même, Cannon mentionnait des cas de patients porteurs de lésions
de la moelle épinière chez qui l’émotion persistait. Si l’expérience émotionnelle
survient lorsque le cerveau perçoit les réactions physiologiques du corps, comme
le soutient la théorie de James-Lange, l’élimination de ces sensations devrait
supprimer les émotions ; or il n’en est rien.
Cannon observait aussi, en contradiction avec la théorie de James-Lange,
qu’il n’y a pas de corrélation fiable entre l’expérience de l’émotion et l’état phy-
siologique dans lequel se trouve le corps. Par exemple, la peur s’accompagne
d’une fréquence cardiaque plus élevée, de troubles de la digestion, et de transpi-
ration accrue. Cependant, les mêmes réactions physiologiques accompagnent
d’autres émotions, comme la colère, et même des conditions non émotionnelles
liées à la maladie, telle que la fièvre, par exemple. Comment la peur pourrait-elle
être la conséquence de changements physiologiques quand ces mêmes change-
ments sont associés à d’autres états que la peur ?
La théorie de Cannon était centrée sur l’idée que le thalamus joue un rôle
particulier dans la perception émotionnelle. Selon cette théorie, le cortex reçoit
une information sensorielle, et active en retour certaines réponses comporte-
mentales. Selon Cannon, cependant, les circuits neuronaux mis en jeu dans
cette association stimulus-réponse ne sont pas en rapport avec l’émotion. Les
émotions surviennent lorsque les signaux atteignent le thalamus directement à
partir des récepteurs sensoriels, ou indirectement à partir du cortex cérébral. En
d’autres termes, le caractère de l’émotion est déterminé par le mode d’activation
du thalamus. Un exemple aide à préciser la différence entre les deux théories.
Selon la théorie de James-Lange, on est triste parce qu’on pleure ; si on pouvait
624 3 – Cerveau et comportement

Expérience
émotionnelle (frayeur)

de
o rie rd
é -Ba
Th non
n
Ca
Figure 18.2 – Comparaison schématique des
théories de James-Lange et Cannon-Bard,
des processus émotionnels.
Selon la théorie de James-Lange (flèches
rouges), l’individu perçoit la présence de l’ani-
mal effrayant, puis réagit. C’est ce comporte-
Th
ment, déclenché en réponse à la perception Stimulus é or
Stimulus ie de
de l’animal, qui lui fait ressentir la frayeur. sensoriel Jam
perçu es-L
Selon la théorie de Cannon-Bard (flèches ange
bleues), la frayeur résulte de la perception du
stimulus, et ensuite seulement il y a une réac- Expression émotionnelle
(somatique, réponse viscérale)
tion comportementale.

empêcher les pleurs, la tristesse disparaîtrait en même temps. Selon Cannon,


vous n’avez pas besoin de pleurer pour éprouver de la tristesse ; il suffit sim-
plement d’une activation du thalamus en réponse à la situation. La figure 18.2
illustre une comparaison des théories de James-Lange et de Cannon-Bard.
De nombreuses autres théories des émotions ont été présentées depuis celles
de James-Lange et Cannon-Bard. Chacune de ces théories, cependant, présente
également des forces et des faiblesses. Par exemple, contrairement aux assertions
de Cannon, la peur et la rage sont associées à des réponses physiologiques qui
sont différentes, même si les deux types de réponses passent bien par l’activation
du système sympathique. Ainsi, bien que cela ne prouve pas que les émotions
résultent de réponses physiologiques différentes, les réponses elles-mêmes sont
différentes (Encadré 18.1). Les données de l’expérimentation ont d’ailleurs mon-
tré, qu’au moins en partie, nous sommes dépendants de l’état de notre système
autonome (quelque chose comme un éveil intéroceptif), ce qui corrobore certains
aspects de la théorie de James-Lange. À titre d’illustration, certains individus
sont capables d’apprécier leur propre fréquence cardiaque, et il existe une activa-
tion de zones cérébrales particulières lorsqu’ils réalisent ce type de performance.
Selon d’autres travaux en contradiction avec la théorie de Cannon-Bard, dans
certains cas l’émotion est affectée par une lésion de la moelle épinière. Une étude
portant sur des patients adultes présentant des lésions de la moelle épinière a
montré qu’il y avait une corrélation entre l’étendue du déficit sensoriel et l’affai-
blissement des émotions ressenties. Cependant, d’autres études réalisées sur des
sujets porteurs de lésions spinales ne rapportent pas de corrélations similaires.
Dans ce qui suit, nous allons examiner des théories des émotions plus actuelles,
dans le contexte de résultats expérimentaux suggérant l’implication de certaines
structures cérébrales dans le ressenti et l’expression des émotions.

Processus émotionnels inconscients


Même si les données peuvent présenter un caractère paradoxal, des travaux
récents suggèrent que les informations sensorielles peuvent induire des effets
émotionnels sur le cerveau, de façon totalement inconsciente. Certaines de ces
expériences ont été réalisées par 
Arne Ohman, Ray Dolan, et leurs collègues, en
Suède et en Angleterre. Ils ont d’abord montré que si l’on présente très briève-
ment une photo de quelqu’un en colère sous forme de flash, et qu’immédiate-
ment après on présente un visage inexpressif, les sujets disent n’avoir perçu qu’un
visage sans expression. Le visage exprimant la colère est alors considéré comme
« masqué », le visage inexpressif constituant un stimulus « masquant ».
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 625

Encadré 18.1 FOCUS

Des papillons dans l’estomac…


Le langage humain utilise parfois des expressions très La figure A illustre les représentations des émotions
imagées pour décrire les expériences émotionnelles. Si liées à la mise en jeu de différentes parties du corps,
quelqu’un hésite à se jeter dans le vide pour pratiquer un basées sur des moyennes d’observations réalisées. Les
saut à l’élastique du haut d’un pont, il est d’usage de décrire couleurs rouge et jaune attestent d’activité élevée et le
sa peur en le qualifiant de « poule mouillée ». À l’autre bleu de réduction d’activité, alors que les zones en noir
extrême, un casse-cou, est souvent traité de « tête brûlée ». n’attestent pas d’implication particulière. Quelques
Dans ce registre, si vous êtes nerveux à l’idée d’entreprendre traits sont communs à plusieurs types d’émotions ; telle
quelque chose de nouveau, vous pouvez ressentir des l’élévation d’activité de la tête ou de la partie supérieure
« papillons dans l’estomac »… Ces termes plutôt descriptifs du corps, possiblement en rapport avec une augmenta-
sont en général amusants. Mais ont-ils réellement quelque tion de la fréquence cardiaque et/ou de la respiration.
chose à voir avec l’expérience physiologique de l’émotion ? D’autres caractéristiques, cependant, sont plus uni-
Une étude intéressante a été réalisée par des chercheurs voques. L’expression de la joie, par exemple, met en jeu
de l’Université de Aalto en Finlande. Elle suggère que les l’ensemble de l’organisme, alors que la tristesse se tra-
émotions fondamentales et quelques autres peuvent être duit par une réduction d’activité des extrémités des
associées avec des changements de perceptions sensorielles membres. Les cartes obtenues pour le sentiment de
réparties très largement dans l’organisme. Cette conclu- dégoût se traduisent par des activations localisées autour
sion a été formulée après que plus de 700 personnes aient du tractus digestif et de la gorge. Quelle interprétation
été testées à la fois en Finlande, en Suède et à Taiwan. peut-on faire de ces observations ? Cela reste difficile et
Dans le but de détailler quelle partie de l’organisme est seules quelques spéculations sont possibles sur des acti-
mise en relation avec une émotion particulière, les cher- vations vraisemblables d’une ou l’autre partie du système
cheurs ont demandé aux sujets de colorer une représenta- nerveux autonome. Objectivement, l’interprétation de
tion du corps, avec des couleurs chaudes pour les zones ces données nécessite une grande prudence, mais il est
considérées comme les plus impliquées, et des couleurs intéressant de noter d’une part que les différentes émo-
froides pour les autres. Ainsi étaient établies de véritables tions peuvent ainsi être distinguées les unes des autres,
« cartographies » du ressenti émotionnel en réponse à des et que, d’autre part, cela est possible y compris pour les
stimuli basés sur des mots à forte charge émotionnelle, ou émotions dites « fondamentales ». Enfin, il est aussi
encore sur des photos de visages présentant des expres- intéressant de constater que, quelle que soit la culture,
sions faciales de diverses émotions. De plus, de courtes les cartes obtenues sont très similaires ; et même s’il n’est
histoires ou des films à charge émotionnelle étaient égale- pas possible d’avoir un instantané de la présence des
ment présentés. L’idée était qu’en utilisant des sujets de papillons dans l’estomac, ces données renforcent consi-
différentes cultures et de différents langages, les expé- dérablement l’idée de Darwin selon laquelle au moins
riences émotionnelles puissent néanmoins être très simi- certaines des émotions sont communes à toutes les
laires, sans interférence avec des stéréotypes culturels. cultures et présentent un caractère universel.

Colère Peur Dégoût Joie Tristesse Surprise Neutre

Figure A – Représentation de la perception au niveau du corps de 6 émotions fondamentales. L’estimation de l’implication des diffé-
rentes parties du corps s’étend de faible (couleur bleue) à forte (couleur jaune). (Source : adapté de Nummenmaa L, Glerean E, Hari R,
Hietanen JK. Bodily maps of emotions. Proceedings of the National Academy of Science 2014 ; 111 : 646-51, Figure 1.)
626 3 – Cerveau et comportement

Dans une autre expérience, ce sont des successions de visages expressifs qui
sont montrées aux sujets, sans stimulus masquant. Mais dans chacune des séries
il y avait au moins une expression de colère. Et à chaque présentation de ce visage
particulier les sujets recevaient sur leur doigt une faible décharge électrique.
Après un tel conditionnement aversif, chaque fois que ce type de visage coléreux
était présenté, les sujets présentaient une altération de l’activité de leur système
autonome, par exemple une augmentation de leur conductance cutanée due à
une transpiration accrue. Les auteurs ont alors recherché ce qui se passerait si
le visage exprimant la colère était maintenant présenté avec un stimulus mas-
quant. De façon surprenante, le sujet exprimait dans ces conditions une réponse
électrodermale, c’est-à-dire une réponse du système sympathique, alors même
qu’il déclarait ne pas percevoir le visage de la personne en colère. Ces résultats
indiquent que le sujet répond à l’expression de la colère comme si celui-ci était
aversif, même s’il n’est pas conscient d’avoir perçu de visage. Le concept d’émo-
tion inconsciente est basé sur cette observation.
Puis les sujets se voient présenter des visages coléreux, en association ou non
avec des sons désagréables (Fig. 18.3). Comme auparavant, les sujets ne per-
çoivent toujours pas le stimulus en présence d’un stimulus masquant. Toutefois,
là encore les mesures de conductance électrodermale montrent que les sujets
répondent lorsque le stimulus a été associé au son désagréable. De plus, des
études en tomographie par émission de positrons (TEP scan) ont été réalisées
lors de la présentation des photos. Les données de l’imagerie cérébrale montrent
que les visages coléreux conditionnés par les stimuli désagréables, produisent
une réponse plus importante que ceux qui n’ont pas été conditionnés, dans une
région particulière du cerveau, l’amygdale. Pour le moment, notons simplement
que la mesure de la réponse électrodermale et l’activation de l’amygdale sont
corrélées avec la présentation des images de visages coléreux lorsque celle-ci a
été conditionnée par un stimulus désagréable, en dépit du fait que ces photos ne
sont pas perçues consciemment.
Si les stimuli sensoriels peuvent ainsi avoir un impact émotionnel de façon
inconsciente, alors ceci écarte les théories des émotions postulant que l’expé-
rience émotionnelle est nécessaire pour qu’existe une expression émotionnelle.

Perception : visage inexpressif


Perception : visage inexpressif
Système nerveux autonome :
Système nerveux autonome :
augmentation de la conductance
pas d’effet
de la peau

(b) Test

Perception : visage coléreux


+
Système nerveux autonome :
augmentation de la conductance
de la peau
Son
désagréable

(a) Conditionnement
(c) Activité du cerveau

Figure 18.3 – Activité cérébrale émotionnelle inconsciente.


(a) Des photographies présentant des visages humains inexpressifs ou exprimant la colère étaient présentées à des sujets dans un protocole expéri-
mental où la présentation des visages exprimant la colère était associée à la production d’un son désagréable. Les sujets répondaient dans ce cas par
une augmentation de leur conductance de la peau de la main (réponse électrodermale), traduisant une augmentation d’activité du système nerveux
autonome. (b) Dans la phase de test, le visage coléreux était présenté très brièvement, au milieu d’une série de visages inexpressifs. Les sujets rappor-
taient alors ne percevoir que les visages inexpressifs, mais continuaient à produire une réponse électrodermale. (c) En dépit du fait que la présentation
du visage coléreux n’était pas perçue consciemment, il existait une augmentation mesurable de l’activité cérébrale dans l’amygdale (rouge et jaune)
dans ces conditions de test où le stimulus pertinent était « masqué » par le stimulus neutre. (Source : Morris, Ohman, et Dolan, 1998.)
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 627

Cependant, il faut rester prudent car, même après avoir dit cela, il se trouve
encore de nombreuses possibilités pour traiter les informations de caractère
émotionnel. C’est ce que nous allons aborder dans ce qui suit, où nous ver-
rons comment le cerveau intègre les informations sensorielles pour élaborer la
réponse émotionnelle qui caractérise l’expérience de l’émotion. Nous verrons
également qu’il n’existe pas une seule forme d’émotion, mais que différentes
formes d’émotions empruntent différents circuits neuronaux, et que certaines
parties du cerveau sont critiques pour la plupart des émotions.

Concept de système limbique


Les chapitres précédents illustrent comment l’information sensorielle,
recueillie par les récepteurs périphériques, est transmise le long de voies clai-
rement définies et anatomiquement distinctes, jusqu’au cortex. L’ensemble des
circuits neuronaux formant une telle voie constitue un système. Par exemple, les
neurones de la rétine, le CGL et le cortex strié, jouent un rôle dans la vision ; ils
font donc partie du système visuel. Peut-on alors identifier de la même manière
un système responsable des émotions ? Au cours du xxe siècle, dans les années
1930, le concept d’un tel système, appelé système limbique, a été avancé, mais il
est encore bien difficile aujourd’hui de tenter de définir un seul système engagé
dans le contrôle des processus émotionnels.

Lobe limbique de Broca


Dans un article publié en 1878, le neurologue français Paul Broca men-
tionnait que, chez tous les mammifères, il se trouve sur la surface médiane du
cerveau un ensemble d’aires corticales nettement distinctes du cortex environ-
nant. Utilisant le mot latin limbus qui signifie « limites » ou « bords », Broca
dénomma cet ensemble d’aires corticales le lobe limbique, car elles forment un
anneau ou un rebord disposé autour du tronc cérébral (Fig. 18.4). Selon cette
définition, le lobe limbique est représenté par le cortex qui entoure le corps
calleux, principalement au niveau du gyrus cingulaire et du cortex situé sur la
face médiane du lobe temporal, comprenant l’hippocampe. L’article de Broca
ne faisait pas référence à l’importance de ces structures dans les processus
émotionnels et, dans un premier temps, il était considéré qu’elles étaient sur-
tout impliquées dans l’olfaction. Cependant, le mot limbique et les structures
composant le lobe limbique de Broca, ont été par la suite étroitement associés
à l’émotion.

Gyrus cingulaire

Section
du corps
calleux

Figure 18.4 – Lobe limbique.
Broca a défini le lobe limbique comme formé
des structures disposées autour du tronc
cérébral et du corps calleux, sur la partie
interne du cerveau. Les principales structures
du lobe limbique indiquées ci-dessus sont le
gyrus cingulaire, le cortex temporal médian,
Section
Lobe temporal et l’hippocampe. Sur ce schéma, le tronc
du tronc
(surface médiane) cérébral cérébral n’a pas été représenté, de façon à ce
que la surface interne du lobe temporal soit
Hippocampe visible.
628 3 – Cerveau et comportement

Néocortex
Néocortex Coloration émotionnelle
Fornix

Cortex
cingulaire Cortex Expérience émotionnelle
cingulaire

Thalamus Hippocampe
antérieur
Thalamus
antérieur
Fornix

Hypothalamus Hypothalamus Expression émotionnelle


Hippocampe

Figure 18.5 – Circuit de Papez.
Papez pensait que l’expérience émotionnelle était liée à l’activité du cortex cingulaire, et indirectement aux autres aires corticales. L’expression émo-
tionnelle, quant à elle, était supposée être liée à l’activité de l’hypothalamus. Le cortex cingulaire projette vers l’hippocampe, et l’hippocampe sur
l’hypothalamus par une voie dénommée le fornix. L’influence de l’hypothalamus est transmise au cortex par le relais des noyaux thalamiques antérieurs.

Circuit de Papez
C’est vers 1930 que certaines structures limbiques furent impliquées dans
les processus émotionnels. Partant des travaux précédant de Cannon, Bard et
d’autres auteurs, le neurologue américain James Papez suggéra l’existence d’un
« système de l’émotion », situé sur la paroi médiane du cerveau, qui relie le cor-
tex à l’hypothalamus. La figure 18.5 montre l’ensemble des structures reconnues
comme circuit de Papez, chaque élément étant connecté à un autre par les fibres
d’un faisceau majeur.
À l’instar de nombreux scientifiques aujourd’hui, Papez pensait que le cortex
est véritablement impliqué dans l’expérience de l’émotion. Dans certaines aires
corticales, une lésion provoque de graves altérations du comportement émo-
tionnel, et pourtant peu de changements dans la perception ou l’intelligence
(Encadré 18.2). De plus, des tumeurs siégeant près du cortex cingulaire sont
associées à des troubles des émotions, telles que la peur, l’irritabilité, et d’autres
associées à la dépression. Papez pensait que les aires corticales activées à partir
du cortex cingulaire donnent plus de « nuance » aux émotions.

Encadré 18.2 FOCUS

Phineas Gage
Les lésions cérébrales peuvent avoir quelquefois des explosa. Le Dr John Harlow décrivit l’accident et ses
conséquences surprenantes sur l’expression émotionnelle conséquences pour le patient dans un article publié en
d’un individu, sans changement majeur des autres com- 1848 sous le titre « Passage d’une barre de fer à travers la
posantes du comportement, par ailleurs. Une des études tête ». En explosant, la charge projeta la barre de fer d’un
les plus fameuses jamais réalisées sur l’influence du cer- mètre de long et d’un poids de 6 kg dans la tête de Gage,
veau sur l’émotion est le cas de Phineas Gage. Le 13 sep- juste sous l’œil gauche (Fig. A). Après avoir traversé le lobe
tembre 1848, alors qu’il bourrait un trou d’explosif au frontal gauche le pieu ressortit par le sommet de la tête.
moyen d’une barre de fer pour provoquer une explosion Transporté sur un char à bœufs, Gage, contre toute
sur le site de la construction d’une voie ferrée dans le attente, resta redressé pendant tout le trajet jusqu’à un
Vermont, il commit l’erreur de détourner son regard. Le hôtel proche, et fut capable de monter une longue volée
pieu de fer qu’il tenait toucha un rocher, et la poudre d’escaliers pour rentrer dans l’hôtel. Harlow rapporta ce
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 629

Encadré 18.2 FOCUS  (suite)

travaux, la société trouva qu’il avait tellement changé,


qu’elle ne voulut pas l’engager. Selon Harlow, avant l’ac-
cident « Gage était considéré comme le contremaître le
plus efficace et le plus capable… Il était équilibré, et ceux
qui le connaissaient, le considéraient comme un homme
avisé et intelligent dans son travail, et très persévérant »
(pp. 339-340). Après l’accident, Harlow le décrit ainsi :
« Une forme d’équilibre, pour parler simplement,
entre ses capacités intellectuelles et ses propensions
plus primaires, paraît avoir été détruite ». Il est d’hu-
meur changeante et insolent, se laissant parfois aller à
la plus grande grossièreté (ce qu’il ne faisait jamais
avant), manifeste peu de considération pour ses cama-
rades, ne supporte pas les contraintes et les conseils
quand ils sont en conflit avec ses propres désirs, parfois
particulièrement obstiné, pourtant hésitant et capri-
cieux, élaborant des plans pour des opérations à venir,
puis les abandonnant aussitôt pour d’autres qui lui
semblent meilleurs… Sa personnalité a radicalement
changé, à tel point que ses amis et ses relations disent
que “ce n’est plus Gage” » (pp. 339-340).
Phineas Gage vécut encore douze années après l’acci-
dent, apparemment un peu perdu. Aucune autopsie ne
fut pratiquée après sa mort, mais son crâne et la barre de
fer sont conservés dans le musée de la Harvard Medical
School. En 1994, à l’Université de l’Iowa, Hanna et
Antonio Damasio et leur équipe ont effectué de nou-
veaux calculs sur le crâne de Gage, en utilisant les nou-
velles techniques d’imagerie pour évaluer la nature des
Figure A – Phineas Gage tenant la barre de fer qui lui a lésions dans le crâne de Gage. La figure B montre la
traversé le cerveau. (Source : Wikipedia).
reconstruction du trajet de la barre de fer. Cette barre
causa de sévères lésions dans le cortex des lobes frontaux
qu’il ressentit en voyant Gage : « le spectacle présenté de chaque hémisphère, et c’est ce qui rendit Gage sem-
était, pour quelqu’un peu habitué à la chirurgie en temps blable à un enfant désagréable, avec une manifestation
de guerre, véritablement effrayant » (p. 390). Comme on d’émotions fortes en permanence.
peut l’imaginer, le projectile détruisit une grande partie
du crâne et du lobe frontal gauche, et Gage perdit beau-
coup de sang. Le trou percé dans la tête avait plus de
9 cm de diamètre. Harlow pouvait enfoncer toute la lon-
gueur de son index dans le trou au sommet du crâne de
Gage, et en faire de même, vers le haut, par le trou situé
dans la joue. Harlow pansa la blessure le mieux qu’il
put. Dans les semaines suivantes, une infection sévère se
développa. Tout le monde s’attendait à la mort de Gage
mais, là encore contre toute attente, un mois après
l’accident, il était debout, et allait et venait.
Harlow resta en correspondance avec la famille de
Gage pendant de nombreuses années, et en 1868 il publia
un second article : « Récupération fonctionnelle après la
projection d’une barre de fer à travers la tête », dans
lequel il racontait la vie de Gage après l’accident. Après
avoir effectivement récupéré de ses blessures, Gage sem-
Figure B – Reconstitution du pas-
blait normal, excepté pour une chose : sa personnalité sage de la barre de fer dans le
changea totalement et de façon permanente. Lorsqu’il crâne de Gage. (Source : Damasio
essaya de reprendre son ancien métier de conducteur de et al., 1994, p. 1104.)
630 3 – Cerveau et comportement

Nous avons vu dans le chapitre 15 que l’hypothalamus intègre les actions du


système nerveux autonome. Dans le circuit de Papez, l’hypothalamus contrôle
l’expression comportementale des émotions. L’hypothalamus et le néocortex
influent l’un sur l’autre, de sorte que l’expérience et l’expression des émotions
sont étroitement associées. Dans ce circuit, le cortex cingulaire agit sur l’hypo-
thalamus par l’intermédiaire de l’hippocampe et du fornix (la principale voie
efférente de l’hippocampe), alors que l’hypothalamus agit sur le cortex cingu-
laire par les noyaux antérieurs du thalamus. Le fait que la communication soit
à double sens entre le cortex et l’hypothalamus signifie que le circuit de Papez
serait compatible avec les théories de James-Lange et Cannon-Bard.
Alors que les études neuroanatomiques ont démontré que les structures du
circuit de Papez sont étroitement interconnectées, comme Papez le prétendait, il
n’y a que peu d’évidence objective que chacune soit impliquée dans l’émotion.
Une des raisons pour lesquelles Papez pensait que l’hippocampe se trouve impli-
qué dans l’émotion, est sa sensibilité au virus de la rage. La présence de corps
anormaux dans le cytoplasme des neurones, et en particulier ceux de l’hippo-
campe, est un signe de l’infection par le virus de la rage et une aide au diagnos-
tic. Comme la rage est caractérisée par des réactions émotionnelles exacerbées,
telle qu’une peur ou une agressivité excessives, Papez en concluait que l’hippo-
campe devait être associé à une expérience émotionnelle normale. Bien que rien
ne prouve véritablement le rôle du thalamus antérieur, des observations cliniques
ont de fait établi que les lésions de cette région conduisaient à des troubles émo-
tionnels visibles, tels que des pleurs ou des accès d’hilarité spontanés.
On notera la corrélation existant entre les éléments composant à la fois le
circuit de Papez et le lobe limbique de Broca. À cause de ces ressemblances,
l’ensemble des structures hypothétiquement responsables de la sensation et de
l’expression de l’émotion est souvent dénommé système limbique, même si le
lobe limbique de Broca défini anatomiquement n’avait rien à voir avec l’émo-
tion, au départ. C’est le physiologiste américain Paul Mac Lean qui a rendu ce
terme familier en 1952. Selon sa théorie, grâce au développement d’un système
limbique, les animaux peuvent ressentir et exprimer des émotions et se sont
libérés du comportement stéréotypé imposé par le tronc cérébral.

Difficultés posées par le concept


d’un système de l’émotion unique
Le système limbique a été défini comme un ensemble de structures anato-
miques interconnectées, pratiquement enroulées autour du tronc cérébral. Les
données de l’expérimentation montrent effectivement que certaines structures
du lobe limbique de Broca ainsi que le circuit de Papez, jouent un rôle dans
l’émotion. Mais, dans le même temps, certains éléments du circuit de Papez ne
sont plus pris en compte dans l’expression des émotions ; c’est le cas de l’hippo-
campe, notamment.
La difficulté semble d’ordre conceptuel concernant la définition d’un
système de l’émotion. Étant donné la diversité des émotions que nous res-
sentons, rien ne laisse penser qu’un seul système, plutôt que plusieurs, est
impliqué. Inversement, il est évident que certaines structures en rapport avec
l’émotion sont aussi associées à d’autres fonctions ; il n’y a donc pas de rela-
tion d’une structure donnée à une fonction particulière. Bien que l’expression
système limbique soit encore communément utilisée lors de discussion sur les
mécanismes des émotions, certaines personnes se demandent s’il est vraiment
nécessaire de tenter de définir un système de l’émotion unique.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 631

Théories des émotions


et représentations neurales
Les premières théories des émotions et la description qui a suivi du système
limbique ont été proposées sur la base d’introspections et d’inférences liées à des
sujets porteurs de lésions cérébrales, ou souffrant de maladies neurologiques. Si
une lésion ou une autre affecte le ressenti ou l’expression d’une émotion, il est
de fait proposé que cette structure joue normalement un rôle dans les proces-
sus émotionnels. Malheureusement, cette démarche n’est pas particulièrement
appropriée pour raisonner sur ce qu’est la fonction normale du cerveau. Avant
d’aller plus avant dans le détail de l’expérimentation visant à caractériser les
bases neurales des émotions, il paraît ainsi nécessaire de s’attarder un moment
sur les aspects liés à la « représentation » des émotions.

Théories actuelles des processus


émotionnels fondamentaux
Si le système limbique ne représente pas un ensemble univoque pour ce qui
concerne la prise en charge du ressenti et de l’expression des émotions, comme
cela est vraisemblablement le cas, une autre possibilité qui mérite d’être explorée
est que quelques-unes au moins des émotions associées avec des patterns d’ac-
tivation cérébrale distincts, puissent être à l’origine d’une réponse émotionnelle
commune de l’organisme (voir Encadré 18.1). Dans la théorie des émotions, telle
qu’elle est aujourd’hui considérée, certaines émotions jugées « fondamentales »
apparaissent comme de caractère unique et universel, quelle que soit la culture
des sujets qui les expriment ou les ressentent, cette idée étant en quelque sorte
une extension de celles déjà formulées par Darwin. Les émotions fondamentales
sont par exemple celles liées à la colère, la peur, la joie, la tristesse, ou encore
l’effet de surprise. Sur le plan des bases neurales, il est possible d’imaginer que
ces émotions présentent des représentations cérébrales particulières et soient le
fait de circuits neuronaux bien spécifiés, un peu à la manière de la représentation
des différentes composantes sensorielles. Par exemple, il a été proposé que la
tristesse puisse être corrélée à l’activité du cortex préfrontal médian, et la peur à
celle de l’amygdale. C’est d’ailleurs ce que nous verrons plus loin s’agissant du
rôle de l’amygdale dans la peur ; mais pour l’heure voyons ce que l’on sait de
façon générale sur l’activité cérébrale associée aux émotions.
L’une des façons d’avoir une idée précise de la représentation des émotions
dans le cerveau est de comparer chez des sujets humains l’activité cérébrale
présentant différentes formes d’émotions par l’utilisation de l’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ou par tomographie par émission
de positrons (TEP-scan). De nombreuses expériences ont ainsi été réalisées chez
des sujets exprimant différentes formes d’émotions ou soumis à la lecture des
émotions sur le visage d’autres personnes à partir de photos, alors même qu’ils
se trouvaient dans des conditions d’enregistrement de l’activité cérébrale. La
figure 18.6 résume un certain nombre des résultats ainsi acquis. Plusieurs com-
mentaires peuvent dès lors être formulés à partir de ces observations. D’abord,
il est notable qu’il existe différentes régions cérébrales particulièrement actives
en rapport avec l’une ou l’autre de ces émotions. Ensuite, il apparaît que chaque
émotion est associée à l’activation d’un certain nombre d’autres zones, moins
actives par rapport aux foyers d’activation principaux. Finalement, il apparaît
aussi que certaines régions cérébrales sont l’objet d’une activation par plusieurs
émotions à la fois. La partie basse de la figure illustre la comparaison de l’ac-
tivation cérébrale obtenue avec la tristesse d’une part, et la peur d’autre part,
deux émotions qui permettent réellement de distinguer des zones d’activation
différentes. Dans ce contexte, en rapport avec l’idée de l’existence de différents
circuits sous-tendant des émotions différentes, l’amygdale est plus associée avec
la peur qu’avec la tristesse, alors qu’au contraire le cortex préfrontal médian est
plus activé lors d’épisodes de tristesse.
632 3 – Cerveau et comportement

Joie Tristesse Colère Peur Dégoût

Activations distinguant
la peur et la tristesse

Figure 18.6 – Activation cérébrale associée avec cinq émotions fondamentales.


Pour chacune des émotions, l’intensité de l’activation est indiquée par la couleur (jaune : forte
activation par rapport au rouge). L’image située en dessous compare les activations associées à
la tristesse (rouge et jaune : forte activation liée à la tristesse) et à la peur (bleu : activation liée à la
peur). (Source : Hamann, 2012, p. 460.)

L’une des interprétations des résultats de la figure 18.6 est que, clairement,


il existe des zones qui sont activées de façon intense par une émotion particu-
lière ; tel le cortex préfrontal médian dans la tristesse. Une organisation de ce
type peut être rapprochée de ce qui a été rapporté pour les zones impliquées
dans la reconnaissance des visages dans le lobe temporal (voir chapitre 10).
Alternativement, chaque pattern d’activation pourrait traduire le mécanisme de
l’émotion où chaque zone active serait une pièce d’un puzzle de ce circuit. Dans
ce cas, si chaque zone active ou chaque réseau représente une émotion parti-
culière, il devrait alors être possible de scanner le cerveau de tout un chacun et
savoir quels sont ses sentiments. Une telle démarche serait en accord avec l’idée
que chaque émotion serait sous-tendue par un réseau unique et aurait ainsi une
représentation qui le serait tout autant. À ce stade de nos connaissances, il n’est
pas possible d’affirmer laquelle de ces interprétations est correcte. Comme nous
allons le voir, il existe d’autres théories alternatives sur la nature de la représen-
tation cérébrale des émotions.

Théories dimensionnelles des émotions


De façon intuitive, il est commode d’imaginer que chaque émotion fonda-
mentale est sous-tendue par une structure cérébrale spécialisée ou par un réseau
de structures déterminé. Si cela était réellement le cas, comme il serait simple
d’être chercheur ! Malheureusement, nous en savons déjà assez sur l’organisa-
tion cérébrale pour savoir qu’elle ne suit que très rarement notre intuition… Une
comparaison intéressante à ce propos vient de ce que nous savons par analogie
du codage du mouvement. La décharge neuronale dans le cortex moteur pour-
rait coder quelque chose de simple, comme par exemple les paramètres relatifs
à la contraction des muscles (la force, la longueur, etc.). Mais nous avons vu
que, bien au contraire, cette décharge représente une information beaucoup plus
complexe, comme une partie de la commande à un groupe de muscles engagés
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 633

tous dans une action complexe (par exemple faire un swing lors d’une partie de
golf, ou procéder à une figure élaborée dans une danse).
Ainsi, une alternative à ces théories relatives aux émotions fondamentales
telles que nous venons de les voir, est représentée par des théories dites théories
dimensionnelles des émotions. Ces théories sont cette fois basées sur l’idée que
les émotions, y compris les émotions fondamentales, peuvent être dissociées
en éléments plus petits, susceptibles d’être combinés entre eux et en quanti-
tés différentes, un peu à la manière de ce qui forme le tableau périodique des
éléments à base de protons, électrons et neutrons. À titre d’illustration, des
exemples de dimensions affectives sont donnés par la valeur du sentiment émo-
tionnel ressenti (agréable-désagréable), ou par son intensité relative (émotion
forte-émotion faible). Imaginez dès lors que nous soyons en présence d’un
graphe à deux dimensions où sont portés sur un axe la valence de l’émotion et
sur l’autre son intensité (Fig. 18.7). Bien entendu, pour chaque émotion parti-
culière, comme dans le cas de la joie ou de la tristesse, il se doit d’y avoir une
gamme étendue de son intensité. Dans les différentes théories, il se trouve un
nombre différent de dimensions, parfois exprimées avec les mêmes termes. Si
nous revenons ainsi à la figure 18.6, nous avons d’abord considéré sur chacune
des coupes de cerveau des zones activées, susceptibles de contribuer à un réseau
représentatif d’une certaine émotion basique. Dans ce cas, peut-on encore ima-
giner que les zones activées, plutôt que de représenter des éléments d’un circuit
particulier, pourraient juste coder le degré du plaisir (ou du déplaisir) apporté
par l’émotion en question, ou encore son intensité, ou même encore d’autres
dimensions de ces émotions non considérées ici ? La réponse à cette question
est loin d’être évidente.
Les théories psychologiques constructionnistes des émotions sont une variante
des théories dimensionnelles. De fait, elles sont similaires aux théories dimen-
sionnelles, en ce sens qu’il est affirmé que les émotions mettent en jeu des
« briques » élémentaires formant des ensembles aux propriétés fonctionnelles.
Mais la différence essentielle est que, dans les modèles constructionnistes, les
dimensions ne portent pas le poids de l’affect. Au lieu de faire état de dimen-
sions telles que le plaisir, ici un état émotionnel est construit à partir de proces-
sus physiologiques qui, d’eux-mêmes, ne sont pas impliqués seulement dans les
émotions. Des exemples de ces composantes psychologiques à dimension non

Émotions
Positive

Bébé
souriant fondamentales

Beau coucher Joie


de soleil
Tristesse

Peur
Valence

Chaise Colère

Dégoût
Serpent

Violation
morale Nourriture
Funérailles avariée
Négative

Bas Éveil Haut

Figure 18.7 – Représentation dimensionnelle des émotions fondamentales.


Dans la théorie dimensionnelle, les émotions telles que la joie ou la tristesse, sont accompagnées
d’activations cérébrales correspondant à des dimensions affectives telles que la valence de l’émo-
tion et l’éveil qu’elle produit. (Source : Hamann, 2012, p. 461.)
634 3 – Cerveau et comportement

émotionnelle, sont des processus comme le langage, l’attention, ou encore des


sensations internes à l’organisme, et des sensations externes liées à l’environ-
nement. Dans ce cas l’émotion qui en résulte est une sorte d’émergence de la
combinaison de ces différentes composantes, un peu à la manière dont le gâteau
émerge de la combinaison de ses ingrédients mélangés dans le mixer.

Qu’est-ce qu’une émotion ?


Bien avant Darwin, la question était posée de la nature des émotions humaines.
Un certain nombre d’auteurs combattait l’idée que les émotions les plus fonda-
mentales aient pu évoluer et qu’elles soient communes à l’ensemble des sociétés,
quel que soit leur lieu sur la terre, et qu’elles soient également partagées avec les
animaux. D’autres chercheurs travaillant sur les émotions croyaient que celles-ci
étaient construites à partir d’éléments qui, par eux-mêmes, pouvaient avoir
ou non une composante intervenant dans ces émotions. Les théories actuelles
reprennent en partie ces théories anciennes, mais elles restent pour une large
part encore très discutées. L’un des leaders du domaine est Antonio Damasio,
qui travaille aujourd’hui à l’University of Southern California. Damasio a beau-
coup travaillé sur la nature des émotions, la distinction entre émotions et senti-
ments, et sur la relation entre émotion et autres fonctions cérébrales, comme par
exemple les mécanismes de la prise de décision (Encadré 18.3). À côté du travail
sur la nature des émotions, Damasio a étudié les bases neurales des émotions. La
question posée était de savoir si chaque émotion est représentée par l’activation
d’une région cérébrale dédiée, la mise en jeu d’un réseau neuronal particulier, ou
par un réseau de neurones beaucoup plus diffus ? Nous n’avons pas encore à ce
jour de réponses précises à ces questions. Notre espoir est que la réponse vienne
d’approches complémentaires, basées sur des observations comportementales,
des enregistrements physiologiques, et d’études d’effets de lésions ou de patho-
logies, parmi d’autres. Dans ce qui suit nous allons focaliser notre attention sur
deux types d’émotions : la peur et la colère/agressivité.

Encadré 18.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Des concepts et des mots dans la science au quotidien


Par Antonio Damasio

Il semble que la simple clarté d’un organisme en réponse, par exemple, à une
concept ou d’une hypothèse scientifique menace ou à une opportunité. De façon très
soit déterminante quant à son acceptation différente, les sentiments représentent des
et à l’impact de cette idée sur la commu- expériences mentales des états du corps,
nauté. Mais, pas si vite ! Les mots utilisés incluant, bien entendu, ceux qui ont été
pour désigner le concept ou l’hypothèse créés par les émotions. Que ces deux types
jouent un rôle déterminant pour sa récepti- de phénomènes soient distincts est un
vité. Trois exemples issus de mon propre simple fait qui ne se discute pas, bien que le
travail illustrent ce constat. grand public, sans vouloir citer quelques
D’abord, au cours des vingt dernières Antonio Damasio chercheurs, persiste à les regrouper comme
années j’ai insisté sur la distinction entre les s’ils étaient similaires. Pire encore, lorsque
1
concepts d’émotion et de sentiment . Les émotions certains font bien la distinction, ils nomment le phéno-
représentent des programmes d’action qui modifient mène de façon erronée, c’est-à-dire qu’ils parlent d’émo-
rapidement l’état de différentes composantes de notre tions en voulant évoquer des sentiments et réciproque-
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 635

Encadré 18.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

ment… Pourquoi tant de confusion ? Certainement, il de problèmes pour que mes idées soient acceptées.
ne s’agit pas que de simples imprudences. Bon, il arrive Approximativement peu près, au même moment, les
que, du fait de ces amalgames, ce soit le même terme qui termes de « hub » et de « rayon » ont été utilisés pour
soit utilisé pour décrire un sentiment ou une émotion rendre compte de cette même organisation cérébrale.
spécifique d’un état affectif particulier. Lorsque j’utilise Mais plutôt que de préciser la réalité de ces réseaux neu-
le mot « peur », celui-ci peut se référer indifféremment ronaux, ou encore le rôle fonctionnel que pouvait sous-
soit à l’émotion créée par la peur, soit au sentiment qui tendre tel ou tel aspect de cette organisation, « hub » et
résulte de l’évocation de cette émotion. Et là encore, « rayon » illustraient plutôt le flux des échanges dans ces
pire : l’un de mes héros préféré, William James, qui est à réseaux. De façon plutôt cocasse, après des années de
l’origine des premières esquisses sur la physiologie des dérégulation du trafic aérien aux États-Unis, où les
émotions et sur la manière dont cela peut conduire à avions volaient dans toutes les directions de façon
l’expérience de l’émotion, s’est rendu coupable de confu- quelque peu anarchique, une nouvelle organisation est
sion des deux termes dans un texte dans lequel il tentait intervenue, justement recentrant les vols à partir de
d’expliquer la distinction. Dès lors, la leçon est qu’il est grands « hub » focalisés sur quelques grandes villes du
nécessaire d’utiliser des termes dépourvus d’ambiguïté pays, connectés par un réseau secondaire reliant les
pour désigner des phénomènes différents. villes de moindre importance à ces hub principaux, à la
Second exemple : utiliser des termes dépourvus d’am- manière des rayons d’une étoile contribuant à rationali-
biguïté est nécessaire pour promouvoir des idées nou- ser l’organisation des voies aériennes. Devinez quoi :
velles. Si la terminologie est très claire, le message qui sera « hub » et « rayons » sont les termes qui ont été utilisés
retenu sera lui-même très clair. Dans le même temps que pour décrire l’organisation cérébrale. Et c’est ainsi que
précédemment où je m’efforçais d’expliquer la distinction le terme universellement utilisé de « hub », en particu-
entre émotion et sentiment, j’ai aussi proposé une hypo- lier, a remplacé avantageusement ce que j’avais décrit
thèse sur le fait que l’affect — émotions et sentiments, avec les mots « convergence » et « divergence ».
conscients ou non — intervenait, pour le meilleur ou Qui a-t-il alors dans le mot ? Évidemment beaucoup
pour le pire, dans les processus de prise de décision, et, de choses… Nommer une rose par un autre mot ne
plus encore, comment il était nécessaire de les prendre en change rien. Mais ce nouveau terme sera moins évoca-
compte dans les processus décisionnels alliant connais- teur de l’odeur de la rose. Je pense que le plus que j’ai
sance et raison pure. J’ai nommé cette proposition, hypo- rencontré dans ce domaine pour véhiculer une idée est
thèse des marqueurs somatiques2. Pourquoi utiliser le l’utilisation du terme « neurones miroirs ». Mais, ironi-
terme « somatique » ? Simplement parce que les émo- quement, les neurones miroirs dépendent des propriétés
tions modifient l’état du corps, le soma, et que les senti- de convergence-divergence des réseaux neuronaux orga-
ments prennent leur origine dans ce même corps. Et pour- nisés selon des « hub » et un système de distribution des
quoi le terme « marqueur » ? Du fait que l’état affectif du connexions utilisant des rayons à partir de ces hubs5.
corps, par simple vertu ou de par ces propriétés naturelles,
« montre » qu’il est satisfait, mécontent, ou qu’il adopte
une attitude neutre. Les gens doivent ainsi se référer à cela
et captent alors l’essentiel de l’idée à partir du terme uti-
Références
lisé pour la désigner. J’avais trouvé une niche.
Troisième illustration : je n’eus pas plus de chances 1. Damasio AR. Descartes’ Error. New York : Penguin
lorsque j’utilisai les termes « convergence » et « diver- Books, 1994.
gence » pour décrire les subtilités de l’architecture céré- 2. Damasio A, Carvalho GB. The nature of feelings:
brale, avec deux caractéristiques différentes : (a) les neu- evolutionary and neurobiological origins. Nature
rones projettent hiérarchiquement du cortex sensoriel Reviews Neuroscience 2013 ; 14 : 143-52.
primaire vers des zones corticales associatives de plus en
3. Damasio AR. The somatic marker hypothesis and
plus petites, conduisant à ce que l’information converge
the possible functions of the prefrontal cortex.
vers des territoires de plus en plus limités ; et (b) d’autres
Transactions of the Royal Society (London) 1996 ;
neurones présentent des caractéristiques strictement
351 : 1413-20.
opposées, partant des zones les plus limitées pour inner-
ver de larges territoires3. La réalité de cette organisation 4. Damasio AR. Time-locked multiregional retroacti-
anatomique dans le cortex du cerveau humain est une vation: a systems level proposal for the neural subs-
évidence. Par exemple, ce type d’organisation permet de trates of recall and recognition. Cognition 1989 ; 33 :
comprendre comment fonctionne la mémoire, en termes 25-62.
d’apprentissage et de rappel des souvenirs. Le sens des 5. Meyer K, Damasio A. Convergence and divergence
termes « convergence » et « divergence » n’est pas plus in a neural architecture for recognition and memory.
en question. Et là encore ces termes ont posé pas mal Trends in Neurosciences 2009 ; 32 (7) : 376-82.
636 3 – Cerveau et comportement

Peur et amygdale
Comme nous l’avons vu, il se trouve de nombreuses incertitudes quant aux
mécanismes de la représentation mentale des émotions. Les études en imagerie
cérébrale fonctionnelle nous donnent des informations sur les zones cérébrales
susceptibles d’être mises en jeu dans des émotions particulières. Mais ces images
ne nous disent pas comment ou quelle zone cérébrale contribue réellement au
ressenti des émotions, ou même à leur expression comportementale. Elles nous
disent tout au plus qu’une structure parmi d’autres contribue plus que ses voi-
sines à ces processus émotionnels : l’amygdale. Dès lors, même si nous allons
maintenant étudier l’implication de l’amygdale dans la peur, souvenez-vous que
d’autres structures cérébrales participent également à ce type d’émotion… et
que l’amygdale est par ailleurs impliquée dans bien d’autres états émotionnels.

Syndrome de Klüver-Bucy
Peu après la proposition de Papez d’un circuit de l’émotion dans le cerveau,
Heinrich Klüver et Paul Bucy, de l’Université de Chicago, découvrirent que
l’ablation des lobes temporaux, ou lobectomie temporale, chez les singes Rhésus
a un effet tout à fait considérable sur la réponse de l’animal confronté à une
situation de peur intense. La chirurgie produit des anomalies bizarres du com-
portement, formant le syndrome de Klüver-Bucy.
Après la lobectomie temporale, les singes présentaient une bonne percep-
tion visuelle mais se trouvaient dans l’incapacité de les reconnaître. Placés dans
un environnement nouveau, les animaux se déplaçaient pour explorer les objets
qu’ils voyaient. Les animaux opérés prenaient et exploraient chaque objet en le
touchant ou en le portant à la bouche. Ils semblaient ainsi se servir de la bouche
au lieu des yeux pour identifier chaque objet. Des morceaux de nourriture étaient
examinés de la même façon, puis avalés. Par exemple, si on présentait à un singe
affamé un groupe d’objets qu’il avait déjà vus mêlés à de la nourriture, le singe
continuait à prendre chaque objet pour l’examiner, alors que, bien entendu, un
singe affamé normal placé dans les mêmes conditions, serait allé directement à
la nourriture. Quelques animaux montraient aussi une exacerbation du compor-
tement sexuel.
Chez les singes atteints du syndrome de Klüver-Bucy, les troubles émotion-
nels se manifestaient par une diminution apparente de la peur, ainsi que de
l’agressivité. Par exemple, un singe normal à l’état sauvage évite les hommes et
certains animaux. En présence de l’expérimentateur, le singe va s’accroupir dans
un coin de sa cage et ne plus bouger ; si on s’approche, il s’enfuit dans un coin
plus sûr et peut alors adopter une posture agressive. Cette forme de peur et de
comportement ne se retrouvait pas chez les singes ayant subi des lobectomies
temporales bilatérales : non seulement les singes de l’expérience s’approchaient
et touchaient l’homme, mais ils se laissaient aussi caresser et attraper par lui. Ils
étaient devenus doux, apprivoisés et ils n’étaient plus du tout effrayés par la pré-
sence de l’homme. Les singes montraient la même audace en présence d’animaux
qu’ils craignent habituellement. Après s’être approché d’un ennemi naturel des
singes, par exemple un serpent, et après qu’il ait été agressé par ce serpent, le
singe opéré revenait pour l’examiner. On peut penser qu’il s’agit de stupidité
ou d’une perte de mémoire plutôt que de courage, mais il y a d’autres évidences
pour penser qu’il s’agit bien d’un affaiblissement des émotions. De même, les
vocalisations et les expressions de la face généralement associées à la peur étaient
significativement réduites. Il apparaissait ainsi que l’expression de la peur, tout
comme son expérience, était fortement réduite par la lobectomie temporale.
Virtuellement tous les symptômes du syndrome de Klüver-Bucy rapportés
chez le singe ont également été observés chez l’homme souffrant de lésions du
lobe temporal, et plus spécifiquement de lésions des amygdales. De plus, à côté
des problèmes de reconnaissance visuelle, des tendances orales, et d’une hyper-
sexualité, ces patients paraissent ne présenter que des réponses émotionnelles
très faibles.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 637

Anatomie de l’amygdale
L’amygdale est située dans la partie inféromédiane du lobe temporal, sous le
cortex. À cause de sa forme en amande, on lui a donné le nom d’amygdale, du
grec amugdalé, « amande ».
Chez l’homme, l’amygdale représente un complexe de plusieurs noyaux, divisé
en trois groupes : les noyaux basolatéraux, les noyaux corticomédians et le noyau
central (Fig. 18.8). Les voies afférentes de l’amygdale ont des origines très variées,
y compris le néocortex à partir de tous les lobes cérébraux, l’hippocampe et le
gyrus cingulaire. Il est particulièrement intéressant de remarquer ici que l’infor-
mation issue de tous des systèmes sensoriels converge vers les noyaux amygda-
liens, notamment les noyaux basolatéraux. Chaque système sensoriel présente une
projection particulière sur les noyaux amygdaliens, et l’intégration des informa-
tions issues des différents systèmes sensoriels est assurée par les interconnexions à
l’intérieur même de l’amygdale. L’amygdale est reliée à l’hypothalamus par deux
voies neuronales majeures : la voie ventrale amygdalofuge et la stria terminalis.

Vue latérale Vue médiane

Amygdale Amygdale
Hippocampe Hippocampe

(a) Ventricule
latéral Noyaux corticomédians
Thalamus

Noyau
central

Noyaux
basolatéraux

Néocortex

Troisième Amygdale
ventricule Hypothalamus
(b)

Figure 18.8 – Représentation de l’amygdale.
(a) Vues latérale et médiale du lobe temporal montrant l’emplacement de l’amygdale, par rapport
à l’hippocampe. (b) Vue en coupe frontale, au niveau de l’amygdale. Les noyaux basolatéraux (en
rouge) reçoivent des informations visuelles, auditives, gustatives et tactiles. Les noyaux cortico­
médians (en violet) reçoivent des afférences olfactives.
638 3 – Cerveau et comportement

Effets de lésion et de stimulation de l’amygdale


Il a été démontré chez de nombreuses espèces que l’ablation bilatérale de
l’amygdale affaiblit les émotions, réduit la peur et l’agressivité, comme dans
le syndrome de Klüver-Bucy. Les données chez le rat montrent par exemple
qu’après une telle lésion les animaux sont capables de s’approcher d’un chat
anesthésié, et même de lui mordiller les oreilles… De même un lynx peut-il deve-
nir aussi docile qu’un chat domestique.
De nombreux travaux ont étudié chez l’homme les effets de lésions incluant
l’amygdale, sur la capacité à reconnaître l’expression faciale des émotions. Alors
même qu’il existe un consensus sur le fait que la lésion affecte généralement
la capacité à reconnaître l’expression émotionnelle, les chercheurs ne sont pas
d’accord sur la nature des émotions dont la reconnaissance est affectée par la
lésion. Dans différentes études, les déficits émotionnels ont ainsi été rapportés
en rapport avec la peur, la colère, la tristesse, ou encore le dégoût. La variété
des résultats reflète vraisemblablement, au moins en partie, des sites de lésion
différents : deux lésions sont rarement similaires, et impliquent typiquement des
lésions associées à celle de l’amygdale. Néanmoins, il se dégage de l’ensemble des
travaux que les effets primordiaux de la lésion de l’amygdale concernent l’inca-
pacité à reconnaître l’expression faciale de la peur.
Il existe peu de cas de lésion sélective de l’amygdale chez l’homme, mais
Ralph Adolphs, Antonio Damasio et leurs collègues, à ce moment-là à l’Univer-
sité de l’Iowa, ont examiné une femme de 30 ans, identifiée comme S.M., présen-
tant une destruction bilatérale de l’amygdale due à la maladie d’Urbach-Wiethe,
maladie rare qui se présente comme un épaississement de la peau, des muqueuses
et de certains organes internes. S.M. présente un comportement inhabituel, en
ce sens qu’elle est excessivement avenante et confiante en ses prochains, possi-
blement du fait qu’elle n’a aucune crainte par rapport à une personne normale.
Elle fait preuve d’une intelligence normale et elle peut parfaitement identifier
les personnes d’après les photographies qui lui sont présentées. Cependant, à
partir de ces photos elle a des difficultés à catégoriser les émotions exprimées
par les visages. Lorsqu’on lui demande de classer l’émotion exprimée sur un
visage, elle peut normalement reconnaître la joie, la tristesse ou le dégoût. Elle
éprouve plus de difficultés à décrire une expression de colère en tant que colère,
et encore moins une expression de crainte en tant que peur. Chez cette patiente,
la lésion de l’amygdale affecte sélectivement sa faculté à reconnaître la peur. De
façon intéressante, S.M. peut reconnaître la peur à partir du ton de la voix de la
personne concernée. Ainsi il semble que la lésion de l’amygdale réduise sélective-
ment sa capacité à reconnaître la peur à partir de l’expression faciale, c’est-à-dire
spécifiquement à partir des informations visuelles.
Dix ans après l’examen clinique initial, le suivi de la patiente a confirmé les
déficits en ce qui concerne sa capacité à reconnaître l’expression de la peur par
rapport à celle de la joie. Depuis la lésion initiale, sa capacité à reconnaître les
émotions liées à la peur sur les visages ne s’est pas améliorée. Toutefois cette
dernière étude apporte une information absolument fascinante, montrant que
son incapacité à reconnaître l’expression de la peur et de quelques autres états
émotionnels, est liée au fait que S.M. ne regarde pas les visages des photos expri-
mant les émotions dans les yeux. À l’évidence, parce qu’elle fixe son regard sur
la bouche, elle est capable de reconnaître les sourires et donc la joie. A contrario,
les sujets témoins soumis à la même épreuve de reconnaissance des émotions
passent beaucoup plus de temps à explorer le regard. Les mouvements des yeux
de S.M. apparaissaient ainsi anormaux en ce sens qu’ils ne fixaient pas les yeux
des personnes présentées sur les photos. Lorsque la consigne lui était donnée
explicitement de fixer le regard, elle était alors capable de le faire et de reconnaître
parfaitement l’expression de la peur. De façon surprenante, lors des tests les plus
récents, spontanément la patiente ne fixait plus le regard et n’était plus capable
à nouveau de reconnaître l’expression de la peur. Pour rendre compte de ces
résultats, les chercheurs ont alors émis l’hypothèse que la peur est normalement
reconnue par un échange d’informations entre l’amygdale et le cortex visuel.
L’information visuelle est ainsi transmise à l’amygdale qui, en retour, informe
le système visuel pour mobiliser le regard et examiner l’expression émotionnelle
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 639

du visage. Lorsque l’amygdale est lésée, cette interaction n’est plus possible et les
mouvements des yeux anormaux de S.M. ne lui permettent pas de reconnaître
l’expression de la peur.
Si l’ablation de l’amygdale diminue l’expression et la reconnaissance de la
peur, que se passe-t-il si on stimule électriquement cette structure cérébrale ?
Selon le site, la stimulation de l’amygdale peut entraîner un état de vigilance
et d’attention plus intense. Chez le chat, la stimulation de la partie latérale de
l’amygdale peut susciter un mélange de peur et de violente agressivité, et chez
l’homme la stimulation de l’amygdale conduit à un sentiment d’anxiété et de (a)
peur. Ainsi, de façon non surprenante, dans le cadre des théories avancées pour
rendre compte des troubles liés à l’anxiété, l’amygdale occupe une place centrale,
comme nous le verrons dans le chapitre 22.
Les données de l’imagerie cérébrale fonctionnelle démontrent que l’activité
de l’amygdale est bien en rapport avec le traitement des émotions, et en par-
ticulier de la peur comme cela apparaît à la figure 18.6. Dans une expérience
récente effectuée par Breiter et ses collaborateurs, les sujets sont placés dans un
dispositif permettant d’étudier l’activité cérébrale par IRMf, et exposés à des
stimuli représentés par des photographies de visages exprimant la joie, la peur,
ou n’exprimant aucun sentiment (Fig. 18.9a). La mesure de l’activité cérébrale (b)
révèle que, dans les conditions de présentation de visages exprimant la peur,
l’activité de l’amygdale augmente considérablement par rapport à la présenta-
tion du stimulus neutre (Fig. 18.9b). L’activation de l’amygdale est spécifique
de la présentation de la peur puisque aucune différence d’activité n’est détectée
entre la présentation d’un stimulus neutre ou d’un visage heureux (Fig. 18.9c).
D’autres études ont démontré des activations de l’amygdale en réponse à l’ex-
pression faciale d’émotions diverses, telles que la joie, la tristesse ou encore la
colère. Le rôle que joue l’amygdale dans ces émotions diverses n’est pas encore
tout à fait compris, mais tout converge pour laisser penser que l’amygdale joue
un rôle essentiel pour détecter les stimuli créant des craintes et des peurs. (c)

Figure 18.9 – Changement d’activité céré-


brale chez l’homme en réponse à la présen-
Circuit neuronal de la peur apprise tation d’un stimulus émotionnel.
(a) Des visages inexpressifs ou au contraire
Les travaux effectués chez l’animal ainsi que chez l’homme, aussi bien d’ail-
exprimant la peur sont utilisés comme stimuli
leurs qu’une simple introspection, indiquent que la mémoire des événements
visuels. (b) La présentation des visages expri-
chargés d’émotion est particulièrement vivace et durable. Ceci est en particulier mant la peur induit une activation cérébrale
le cas pour la peur apprise. Au travers d’expériences de socialisation ou stricte- détectable dans l’amygdale, bilatéralement
ment douloureuses, nous avons appris à éviter certaines situations qui nous ont (zone rouge et jaune). (c) Il n’existe aucun
fait très peur. Si par exemple étant enfant vous avez reçu une décharge électrique changement d’activité lorsque les photos pré-
en mettant vos doigts dans une prise électrique, vous ne l’avez probablement sentées au sujet concernent des visages inex-
jamais refait. La mémoire associée à la peur peut ainsi se former très rapidement pressifs ou exprimant la joie. (Source : Breiter
et durer toujours. Comme nous le verrons dans le chapitre 22, dans les patholo- et al., 1996.)
gies liées au stress post-traumatique, les peurs intenses se traduisant par des trau-
matismes peuvent interférer avec la vie normale pendant de très longues années.
Même si l’amygdale n’est pas l’endroit où est stocké ce genre de souvenirs, il
semble ainsi que cette structure soit impliquée dans la formation des événements
douloureux à forte charge émotionnelle.
Différentes expériences suggèrent que les neurones de l’amygdale
« apprennent » à répondre aux stimuli associés à la douleur et, après un tel
apprentissage, ces stimuli provoquent une réponse de peur. Dans une expérience
réalisée par Bruce Kapp et son équipe à l’Université du Vermont, des lapins ont
été conditionnés à associer le son d’une tonalité particulière avec une douleur
faible. Les chercheurs ont utilisé le fait que la modification de la fréquence car-
diaque est un signe normal de peur chez les lapins. À des moments variés, deux
tonalités choisies étaient présentées à l’animal placé dans une cage. L’une des
tonalités était suivie d’un petit choc électrique administré sous les pattes, donné
au travers des barreaux métalliques du sol de la cage, l’autre tonalité étant de
caractère neutre. Après ce conditionnement, l’équipe de Kapp découvrit que la
fréquence cardiaque du lapin développait une réponse de crainte avec la tonalité
associée à la douleur, mais pas avec la tonalité neutre. Avant le conditionnement,
les neurones du noyau central de l’amygdale n’étaient pas sensibles aux tona-
640 3 – Cerveau et comportement

lités utilisées dans l’expérience. Cependant, à la suite du conditionnement ces


neurones devenaient sensibles à la tonalité associée au choc électrique, mais pas
à la tonalité neutre. Joseph LeDoux, de l’Université de New York, a démontré
qu’après avoir conditionné ainsi l’animal à la peur, les lésions de l’amygdale
éliminent les réponses viscérales acquises, telles que les modifications de la fré-
quence cardiaque et de la pression artérielle. Ainsi apparaît-il que la réponse
conditionnée de l’amygdale provient de changements d’activité synaptique du
noyau basolatéral.
La figure 18.10 illustre un circuit possible pour rendre compte de la peur
apprise. L’information sensorielle, par exemple le son que l’animal entend et le
choc électrique qu’il reçoit, parvient à la région basolatérale de l’amygdale où les
neurones, en retour, envoient des axones vers le noyau central. L’association d’un
son sans conséquence avec le stimulus douloureux conduit à un renforcement de
l’activité de certaines synapses, qui augmente la réponse de l’amygdale au son
après conditionnement (ces changements d’activité synaptiques seront discutés
dans les chapitres 24 et 25). Le noyau central projette ses axones vers l’hypotha-
lamus et vers la substance grise périaqueducale, qui peuvent ainsi affecter l’acti-
vité du système autonome et permettre l’expression des réponses comportemen-
tales via le système moteur somatique. L’expérience émotionnelle est considérée
quant à elle comme basée sur l’activité du cortex cérébral.
Des travaux récents montrent que l’implication de l’amygdale dans la peur
apprise, démontrée chez le lapin et le rat, peut être étendue à l’homme. Dans l’une
de ces études, un grand nombre de stimuli visuels sont présentés à des sujets qui
sont conditionnés à recevoir un petit choc électrique lorsqu’un type particulier
de stimulus apparaît. Cette expérience a été réalisée dans un appareil d’IRMf,
qui permet d’enregistrer les changements d’activité cérébrale en rapport avec
les stimulations visuelles. Les images obtenues dans cette expérience montrent
que les stimuli visuels qui déclenchent la peur sont associés à une activation de
l’amygdale bien supérieure à celle produite par les stimuli qui ne provoquent pas
de choc électrique.

Noyau
central
Réponse du système
Hypothalamus
autonome

Noyaux basolatéraux
Substance
Réponse
grise
comportementale
périaqueducale
Cortex
somatosensoriel
Décharge électrique
Cortex Expérience
cérébral émotionnelle

Amygdale
Cortex
Son
auditif

Figure 18.10 – Un circuit neuronal pour la peur apprise.


À partir d’un apprentissage, un son d’une tonalité particulière peut être associé à la douleur de la
décharge électrique. La frayeur présumée qui en résulte est relayée par l’amygdale. Le stimulus
émotionnel atteint les noyaux basolatéraux par le cortex auditif, et les signaux sont ensuite trans-
mis au noyau central. Les neurones efférents de l’amygdale projettent d’une part vers le tronc céré-
bral au niveau de la substance grise périaqueducale, et transmettent des informations à la base de
la réaction comportementale au stimulus, et d’autre part vers l’hypothalamus, ce qui est à la base
de la réponse viscérale transmise par le système autonome. L’expérience émotionnelle implique
probablement des projections vers le cortex cérébral.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 641

Dans une autre expérience utilisant cette fois l’imagerie par tomographie
par émission de positrons (TEP), Hamann et ses collaborateurs présentaient des
séries de clichés aux sujets placés dans le dispositif d’enregistrement de l’activité
cérébrale. Certaines de ces images étaient de caractère agréable (animaux sym-
pathiques, clichés érotiques, nourriture appétissante, etc.) ; certaines étaient au
contraire effrayantes, (animaux venimeux, corps mutilés, scènes violentes, etc.) ;
d’autres enfin étaient de caractère neutre (paysages, plantes, etc.). Les stimuli
déclenchant des réponses émotionnelles pouvaient être appréciés par la mesure
des changements physiologiques intervenant dans la fréquence cardiaque, ou la
conductance électrodermale. Par rapport aux objets neutres, les stimuli agréables
comme ceux qui sont désagréables, produisaient des réponses comportementales
telles que l’accélération de la fréquence cardiaque ou encore un changement de
résistance cutanée. Dans ce cas, des changements d’activité concomitants pou-
vaient être perçus dans l’activité de l’amygdale, qui se trouvait augmentée. Ces
mesures confirment alors le rôle de l’amygdale dans le traitement des processus
émotionnels, ce que nous avons déjà établi. Dans une seconde phase de l’expé-
rience, les sujets étaient de nouveau placés dans le dispositif d’enregistrement Figure 18.11 – Activation de l’amygdale
par TEP et des séries d’images étaient présentées, comme précédemment. Les associée à une mémoire émotionnelle.
sujets devaient alors dire qu’elles étaient selon eux les images qui leur avaient Les sujets sont placés dans un dispositif de
déjà été présentées lors de la première série de tests. Comme cela était attendu, mesure d’activité cérébrale par émission de
les sujets se remémoraient mieux les clichés à composante émotionnelle, que positrons. Des photographies de visages
ceux représentant des stimuli neutres. Dans ce cas, le souvenir pour ces photos à inexpressifs ou représentant des états émo-
charge émotionnelle était corrélé à une activation de l’amygdale (Fig. 18.11), les tionnels sont présentées aux sujets. Quelques
stimuli neutres n’évoquant aucun souvenir ni aucune activation particulière des minutes plus tard, des séries d’images sont
structures cérébrales. à nouveau présentées, parmi lesquelles
certaines étaient déjà connues du sujet,
présentées pendant la première partie de
l’expérience, et d’autres étaient nouvelles.
Le souvenir des visages exprimant les états
émotionnels se traduit alors par une réponse
Colère et agressivité cérébrale accrue (couleur jaune), détectable
dans l’amygdale. (Source : Hamann et  al.,
1999.)
La colère représente une émotion de caractère fondamental. Elle a de nom-
breuses causes : la frustration, le sentiment d’être blessé, le stress, etc. L’agressivité
n’est pas une émotion mais représente l’une des possibles expressions compor-
tementales de la colère. Ainsi l’alcoolisation peut être source de colère et se tra-
duire par un coup-de-poing porté à une personne sans plus de raison. Dans des
études réalisées chez l’homme, l’agressivité et ce sentiment que nous nommons
la colère peuvent être parfaitement distingués ; et il est facile de demander à
quelqu’un s’il est en colère, même s’il ne l’exprime pas. Comme nous l’avons
déjà évoqué, l’abord des émotions est plus difficile chez les animaux, car nous ne
sommes pas à même de les questionner sur leur état, nous ne pouvons que mesu-
rer l’expression comportementale de ces sentiments. Nous pouvons seulement
inférer que l’animal est en colère du fait de son comportement agressif matéria-
lisé, par exemple, par des vocalisations sonores, une expression facile ou encore
une posture procédant de la préparation à l’attaque. Dès lors, chez l’animal ces
deux aspects doivent être discutés de concert.

Amygdale et agressivité
L’agressivité comme trait de caractère, et les actes d’agression violente, sont
perçus chez l’homme avec quelque ambiguïté. Pour lui, par exemple, le meurtre
est un délit capital, mais le fait de tuer à la guerre n’est pas seulement admis-
sible, mais honorable. Il est ainsi clair que l’agressivité prend différentes formes
chez l’homme. Chez l’animal aussi différents types d’agression sont reconnus.
Par exemple, l’animal manifeste son agressivité envers un autre pour plusieurs
raisons : il peut tuer pour se nourrir, pour défendre ses petits, pour conquérir
un partenaire, ou encore pour effrayer un adversaire potentiel. Bien qu’il n’y ait
pas vraiment de preuves, il semble ainsi que différents modes d’agression sont
régulés de façon différentielle par le système nerveux.
642 3 – Cerveau et comportement

L’agressivité est un comportement à multiples facettes, qui ne dépend pas


d’un seul système dans le cerveau. Un des facteurs qui agit sur l’agressivité est le
taux d’hormones sexuelles mâles, les androgènes (voir chapitre 17). Chez l’ani-
mal, il existe une corrélation entre les taux d’androgènes en fonction des sai-
sons et le comportement agressif. Ainsi des injections de testostérone (une forme
d’androgènes) peuvent rendre un jeune animal plus agressif, alors que la castra-
tion peut réduire l’agressivité. Chez l’homme, la corrélation est moins claire, bien
que certains aient prétendu qu’il existe une relation entre les taux de testostérone
et le comportement agressif chez les criminels violents ; ainsi certaines formes de
violences chez des athlètes consommateurs de stéroïdes anabolisants, aux effets
similaires à ceux de la testostérone. Mais il semble en tout cas évident qu’il y a
bien une composante neurobiologique de l’agressivité.
Il est par ailleurs utile de distinguer l’agression prédatrice de l’attaque agres-
sive. L’agression prédatrice correspond aux attaques envers un membre d’une
espèce différente, dans le but de se nourrir ; par exemple le lion en chasse pour-
suivant le zèbre. Ces attaques sont associées à relativement peu de production
vocale (les cris) et leur cible est la tête ou le cou de la proie. L’agressivité du pré-
dateur ne s’accompagne pas dans ce cas d’une intense activité de la composante
sympathique du système nerveux autonome. L’agressivité simulée sert quant à
elle à la parade, plutôt qu’à tuer pour se nourrir ; elle est associée à une forte acti-
vité de la composante sympathique du système nerveux autonome. Typiquement,
l’animal dans un tel état émet des vocalisations, tout en prenant une attitude
menaçante et défensive. Le chat qui souffle et hérisse ses poils à la vue d’un chien
en est un exemple. Les manifestations comportementales et physiologiques des
deux types d’agressivité dépendent du système moteur somatique et du système
nerveux autonome, mais les voies doivent diverger en quelques points pour que
s’exprime une telle différence de réponse comportementale.
Les noyaux amygdaliens sont également concernés par le comportement
d’agressivité. Dans une expérience réalisée en 1954, le chercheur américain Karl
Pribram et son équipe ont découvert que les lésions des noyaux amygdaliens
avaient un effet important sur l’organisation sociale d’une colonie de huit singes
Rhésus mâles. Après avoir vécu ensemble pendant un certain temps, les animaux
avaient établi une hiérarchie sociale. La première intervention consista à prati-
quer des lésions bilatérales des noyaux amygdaliens dans le cerveau du mâle
dominant. L’animal fut ensuite réintroduit dans la colonie avec les autres, mais
il se retrouva au plus bas de la hiérarchie sociale, et le second mâle juste après
celui-ci, devint le mâle dominant. Le second singe dans la hiérarchie avait sans
doute découvert que le « grand chef » était devenu plus placide et plus facile à
défier. Après l’amygdalectomie pratiquée sur le nouveau singe dominant, il se
retrouva lui aussi au bas de la hiérarchie. Ces données laissent alors penser que
les noyaux amygdaliens jouent un rôle dans l’agressivité associée au maintien
d’une position dans la hiérarchie sociale. La stimulation électrique de l’amygdale
produit à l’inverse un état d’agitation ou d’agressivité simulée.
Traitement de l’agressivité chez l’homme par la neurochirurgie.  Dans les
années 1960, après avoir constaté que l’amygdalectomie réduit l’agressivité chez
l’animal, quelques neurochirurgiens ont pensé qu’il était peut-être possible de
réduire, de la même façon, le comportement agressif chez les individus violents.
Quelques-uns pensaient que la violence résultait fréquemment de crises de type
épileptique dans le lobe temporal. L’amygdalectomie chez l’homme consiste à
introduire des électrodes dans le cerveau, en descendant vers le lobe temporal.
En pratiquant des enregistrements électrophysiologiques le long du trajet des
électrodes et en les visualisant au moyen de rayons X, il est possible de placer
l’extrémité de l’électrode dans l’amygdale. Un courant électrique est transmis
dans ce cas au cerveau à travers l’électrode pour procéder à la lésion. Une autre
possibilité est d’injecter localement une solution de substance excitotoxique
pour détruire tout ou partie de l’amygdale. Les publications de ces travaux cli-
niques font état de résultats très positifs dans l’atténuation du comportement
agressif chez quelques patients, augmentant la capacité de concentration et pro-
voquant une diminution de l’hyperactivité et des crises épileptiques. Ce type de
chirurgie du cerveau, servant à traiter les troubles du comportement, est qua-
lifié de psychochirurgie. Jusque vers le milieu du xxe siècle, de telles techniques
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 643

psychochirurgicales, y compris la lobotomie frontale, étaient couramment uti-


lisées pour traiter des troubles sévères comprenant l’anxiété, l’agressivité, ou
des névroses (Encadré 18.4). Cependant, la destruction d’une partie importante
du cerveau constitue une procédure drastique. L’ablation de l’amygdale et/ou
d’autres structures est irréversible, et on ne sait jamais jusqu’à la récupération
du patient si une fonction cognitive ou comportementale n’a pas été atteinte lors
de l’intervention. Clairement, il s’agit là d’un traitement à ne mettre en œuvre
qu’en tout dernier lieu et qui ne concerne qu’un très petit nombre de patients.

Encadré 18.4 FOCUS

Lobotomie frontale
Depuis les découvertes de Klüver, Bucy et bien
d’autres, montrant que les lésions du cerveau peuvent
altérer le comportement émotionnel, les cliniciens ont
tenté d’utiliser la chirurgie pour traiter les troubles
graves du comportement humain. Aucune opération n’a
été aussi couverte par les média que la lobotomie fron-
tale. Que ce soit dans des ouvrages de science-fiction,
ou des chants de punk rock, l’histoire parle d’opérations
modifiant la personnalité. Aujourd’hui il est difficile
d’imaginer que la destruction d’une grande partie du
cerveau ait pu avoir un but thérapeutique, mais, en 1949
le prix Nobel de médecine fut attribué au Dr Egas
Moniz pour le développement de la lobotomie frontale.
Il est encore plus étrange de savoir qu’un de ses patients
a tiré sur Egas Moniz, qui a été atteint à la colonne ver-
tébrale et est resté partiellement paralysé — tragédie ou
simple justice, selon les points de vue. On ne pratique
plus de lobotomies, mais des dizaines de milliers ont été
effectuées après la Seconde Guerre mondiale. Figure A 
La lobotomie avait peu de bases théoriques. Dans les
années 1930, John Fulton et Carlyle Jacobsen, de l’Uni-
versité de Yale, ont montré que les lésions du lobe fron- y compris des états de psychose, de dépression et de
tal avaient un effet apaisant sur les chimpanzés. On pen- diverses névroses. Les patients rapportaient que la
sait que cet effet provenait de la destruction de structures chirurgie les avait délivrés de l’anxiété et de leurs idées
limbiques, et en particulier des connexions avec le cortex insupportables. Plus tard seulement, on parla de résul-
frontal et cingulaire. Moniz proposa que les ablations du tats plus inquiétants. Si le QI et la mémoire ne subis-
cortex frontal puissent être efficaces pour traiter les saient pas d’altérations majeures du fait de cette loboto-
maladies psychiatriques. mie frontale, des modifications apparemment associées
Une variété effrayante de techniques a été utilisée au système limbique contribuaient à émousser les
pour pratiquer des lésions dans le lobe frontal. Avec la réponses émotionnelles et affectaient la composante
technique décrite sous le nom de lobotomie transorbi- émotionnelle du raisonnement. De plus, on constata
tale (Fig. A) la méthode devint routinière. Un bistouri souvent que les personnes lobotomisées développaient
particulier désigné comme « leucotome », représentant un « comportement inadapté » ou une diminution appa-
une tige d’acier d’environ 12 cm de long, était introduit rente des valeurs morales. Comme Phineas Gage, les
à travers la fine paroi osseuse du sommet de l’orbite. patients avaient beaucoup de mal à faire des projets et à
En faisant tourner le manche latéralement, on détruisait les réaliser, présentaient des difficultés à se concentrer, et
alors les cellules et les voies nerveuses. Des milliers de étaient facilement distraits.
gens ont subi ce type de lobotomie car il était si simple Enfin, compte tenu de nos modestes connaissances
qu’on pouvait le pratiquer dans le cabinet du médecin ! sur les mécanismes nerveux de l’émotion et des autres
Avec cette technique, dénommée « la chirurgie du pic à fonctions du cerveau, rien ne justifiait la destruction
glace », le chirurgien ne voyait pas ce qui était détruit, d’une aussi grande partie du cerveau. Heureusement, le
mais cela ne laissait pas de cicatrice. traitement par la lobotomie fut rapidement délaissé, et
On sait que la lobotomie frontale avait des résultats les thérapies médicamenteuses d’aujourd’hui sont utili-
positifs sur des personnes présentant certains troubles, sées en priorité dans les troubles émotionnels graves.
644 3 – Cerveau et comportement

Au-delà de l’amygdale, les circuits


de la colère et de l’agressivité
Au-delà de l’amygdale, quelques autres structures cérébrales ont été également
associées à la colère et à l’agressivité. Par exemple, l’imagerie cérébrale a permis de
montrer chez l’homme une activité accrue du cortex orbitofrontal et du cortex cin-
gulaire antérieur lors d’expériences pendant lesquelles il était demandé au sujet de
se souvenir d’événements qui les avaient mis en colère. Bien entendu, l’interpréta-
tion de ces changements d’activité cérébrale implique les mêmes réserves que celles
que nous avons évoquées pour d’autres états émotionnels. De fait, historiquement,
les études sur la colère et l’agressivité ont apporté beaucoup à notre connaissance
de l’implication des structures sous-corticales aux processus émotionnels.
Hypothalamus, colère et agressivité.  Une des premières structures associées
à l’agressivité fut l’hypothalamus. Les expériences initiales étaient brutales, mais
elles ont ouvert la voie à d’autres recherches. Des expériences effectuées dans les
années 1920 montraient que l’ablation des hémisphères cérébraux chez le chat
et le chien produisait une extraordinaire transformation du comportement. Des
animaux qu’il était difficile de faire réagir avant l’intervention entraient dans
une rage violente à la moindre provocation. Ainsi, un geste aussi anodin que
le fait de caresser le dos d’un chien, suscitait une violente réaction. Cet état a
été dénommé la rage simulée, car le comportement de l’animal montre tous les
signes de rage, mais dans des circonstances qui ne devraient normalement pas
susciter de colère. Il s’agissait aussi d’une simulation dans ce sens que les ani-
maux n’attaquaient pas comme ils l’auraient fait normalement.
Si l’exacerbation du comportement résultait de l’ablation totale des deux
hémisphères cérébraux (télencéphale), l’effet inverse était obtenu en réalisant une
ablation un peu plus importante comprenant des parties du diencéphale et en
particulier l’hypothalamus. La simulation de la rage était obtenue si la partie
antérieure de l’hypothalamus était lésée avec le cortex, mais ce comportement
n’était pas déclenché si la lésion impliquait en plus la partie postérieure de la
structure (Fig. 18.12). Cela suggère que la partie postérieure de l’hypothalamus
est probablement particulièrement importante dans l’expression de la colère
et de l’agressivité, et que cette région cérébrale est normalement inhibée par le
télencéphale. Mais il faut remarquer qu’il s’agit là de lésions importantes, et que
d’autres parties que la région postérieure de l’hypothalamus ont peut-être été
détruites.

Cortex
cérébral

Figure 18.12 – Structures impliquées dans le


processus de rage simulée.
① Si les deux hémisphères cérébraux sont
enlevés et l’hypothalamus laissé en place, il
en résulte un comportement de rage simulée
(fausse rage). ① et ② Le même résultat est
obtenu par la lésion de la partie antérieure de
l’hypothalamus, en plus de celle du cortex. Hypothalamus
①, ② et ③ Si la partie postérieure de l’hypo- 1 2 3
postérieur
thalamus est lésée en plus de la région anté-
rieure, le comportement de rage simulée n’est Hypothalamus
antérieur
plus possible.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 645

Dans les années 1920 encore, W.R. Hess, à l’Université de Zurich, inaugurait


une série de travaux sur les effets de la stimulation électrique du diencéphale sur
le comportement. Après avoir pratiqué de petites ouvertures dans le crâne de
chats anesthésiés, Hess plaçait des électrodes dans le cerveau. Losque l’animal
s’éveillait, un courant électrique de faible intensité passait au niveau des élec-
trodes, et Hess notait les réactions comportementales. La stimulation concer-
nait différentes structures, mais seules seront décrites ici les conséquences de la
stimulation de différentes parties de l’hypothalamus.
La variété des réponses provoquées par cette stimulation est surprenante,
considérant la petite taille de cette structure cérébrale. Selon l’endroit où l’élec-
trode est placée, l’animal renifle, halète, mange ou manifeste un comportement
caractéristique de peur ou de colère. Ces réactions comportementales illustrent les
deux fonctions de l’hypothalamus décrites dans les chapitres 15 et 16 : le contrôle
de l’homéostasie et l’expression des émotions. Elles peuvent représenter soit des
modifications de la fréquence cardiaque, de la dilatation des pupilles, ou de la
motilité gastro-intestinale, pour n’en citer que quelques-unes. La stimulation de
certaines parties de l’hypothalamus provoquant aussi une réponse caractéristique
de peur et de rage, il est proposé que l’hypothalamus représente une composante
importante du système impliqué dans l’expression de ces émotions.
L’expression de rage que Hess obtenait par stimulation hypothalamique res-
semblait à la rage simulée des animaux intervenant après ablation des hémis-
phères cérébraux. Avec une faible intensité de stimulation, le chat crachait,
grognait, repliait ses oreilles en arrière et ses poils se hérissaient. Cet ensemble
de réactions comportementales survient généralement si le chat se sent menacé.
Parfois, le chat s’enfuyait brutalement comme pour échapper à un adversaire
imaginaire. Si l’intensité du courant de stimulation était plus forte, l’animal ris-
quait d’attaquer effectivement, lançant une patte en avant ou sautant sur un
adversaire imaginaire. Lorsque la stimulation s’arrêtait, la rage disparaissait
aussi vite qu’elle était apparue et le chat se recouchait en boule pour dormir.
Dans une série de travaux effectués à la Medical School de l’Université
de Yale dans les années 1960, John Flynn découvrit qu’il était possible de
provoquer des comportements d’attaque agressive et d’agression prédatrice
chez l’animal, en stimulant différentes parties de l’hypothalamus (Fig. 18.13).
L’attaque agressive (connue aussi sous le nom de tentative d’intimidation) cor-
respondait à la stimulation de la partie médiane de l’hypothalamus. Comme
pour la réponse de rage obtenue par Hess, l’animal s’arc-boutait, soufflait,
crachait, mais ne s’attaquait pas à une proie proche, par exemple un rat.
L’agression prédatrice (que Flynn appelait « le coup de dent silencieux ») cor-
respondait à la stimulation de la partie latérale de l’hypothalamus. Dans ce cas,
le chat était parfois arc-bouté avec les poils hérissés, mais l’agression prédatrice Figure 18.13 – Comportement de rage évo-
qué par la stimulation électrique de l’hypo-
ne s’accompagnait pas des gestes menaçants de l’attaque agressive. Néanmoins,
thalamus chez le chat.
lors de cette « attaque silencieuse », le chat se déplaçait rapidement vers le rat et
(a) La stimulation de l’hypothalamus médian
le mordait rageusement au cou. En dépit de la cruauté de ce type d’expériences évoque un comportement d’agression. (b) La
par rapport à nos standards actuels, ces premiers travaux basés sur des lésions stimulation de l’hypothalamus latéral évoque
et des stimulations électriques de l’hypothalamus sont parfaitement en accord plutôt un comportement d’agression préda-
avec l’idée que cette structure est importante pour l’expression de la colère et trice (attaque silencieuse). (Source : Flynn,
de l’agressivité chez les animaux. 1967, p. 45.)

Mésencéphale et agressivité. L’hypothalamus transmet au tronc cérébral


des signaux concernant les fonctions autonomes par deux voies majeures : le
faisceau médian du télencéphale (medial forebrain bundle) et le faisceau longi-
tudinal dorsal. Les axones de la partie latérale de l’hypothalamus constituent
une partie du faisceau médian du télencéphale, et se projettent sur l’aire teg-
mentale ventrale au niveau mésencéphalique. La stimulation de cette partie du
mésencéphale provoque des comportements caractéristiques d’agression pré-
datrice, comme le fait la stimulation de la partie latérale de l’hypothalamus.
Inversement, des lésions de l’aire tegmentale ventrale peuvent supprimer des
comportements agressifs d’attaque. Le fait que la stimulation hypothalamique
ne génère pas d’agressivité si le faisceau médian du télencéphale est lésé, suggère
que l’hypothalamus influe sur le comportement agressif par l’intermédiaire de
sa projection sur l’aire tegmentale ventrale. Il est intéressant de noter que cette
646 3 – Cerveau et comportement

Faisceau longitudinal
dorsal Cortex cérébral

Substance
grise périaqueducale
Amygdale

Hypothalamus Aqueduc cérébral

Faisceau médian Hypothalamus SGP, aire


du télencéphale tegmentale ventrale

Aire tegmentale ventrale

Comportement
(a) (b) d’agressivité

Figure 18.14 – Modèle d’un circuit neuronal pour la colère et l’agressivité.


(a) L’hypothalamus peut influencer le comportement agressif au travers de sa projection vers l’aire
tegmentale ventrale du mésencéphale et vers la substance grise périaqueducale. (b) Ce schéma
simplifié illustre le fait qu’un comportement de colère ou d’agressivité peut être contrôlé par une
voie neuronale partant de l’amygdale et atteignant l’hypothalamus, la substance grise périaquedu-
cale (SGP), et l’aire tegmentale ventrale.

procédure chirurgicale ne supprime pas totalement le comportement agressif, ce


qui suggère par ailleurs que cette voie est importante lorsque l’hypothalamus est
impliqué, mais que l’hypothalamus n’est pas forcément impliqué.
La partie médiane de l’hypothalamus se projette au niveau mésencéphalique
sur la substance grise périaqueducale, par le faisceau longitudinal dorsal. La
stimulation électrique de la substance grise périaqueducale peut provoquer un
comportement d’attaque agressive, et des lésions de cette partie peuvent sup-
primer ce comportement. La figure 18.14 illustre ce que pourrait ainsi être un
circuit simplifié de l’agressivité.

Sérotonine et régulation de la colère et de l’agressivité


De nombreuses études ont montré que la sérotonine serait associée à la
régulation de la colère et de l’agressivité. Les neurones qui contiennent de la
sérotonine siègent dans les noyaux du raphé du tronc cérébral, et leurs axones
empruntent le faisceau médian du télencéphale. Ces neurones innervent entre
autres structures l’hypothalamus et différentes structures limbiques associées
à l’émotion (voir Fig. 15.13). Pour la plupart, ces expériences sont en faveur
de l’hypothèse de la déficience sérotoninergique, qui postule que l’agressivité est
inversement proportionnelle à l’activité sérotoninergique.
Les études sur l’agressivité induite chez les rongeurs montrent la relation
entre l’agressivité et la sérotonine. Lorsque des souris mâles sont isolées dans une
petite cage pendant quelques semaines, environ la moitié d’entre elles deviennent
hyperactives et extrêmement agressives à l’égard des autres souris. Bien que l’iso-
lement n’ait aucun effet sur le taux de sérotonine, on constate une diminution de
la vitesse de renouvellement (la vitesse de synthèse, la libération, etc.) de ce neu-
rotransmetteur (le turnover, en anglais). De plus, on constate que cette réduction
intervient seulement chez les souris qui deviennent ensuite agressives, ce qui est
quand même exceptionnel, et non chez celles (la très grande majorité) qui ne sont
pratiquement pas affectées par l’isolement. Typiquement, l’isolement ne rend
pas les souris femelles agressives et il n’est pas noté de diminution de la vitesse
de renouvellement de la sérotonine. Il est prouvé par ailleurs que les drogues qui
bloquent la synthèse ou la libération de sérotonine renforcent l’agressivité. Dans
une de ces études, par exemple, des rats traités par de la PCPA (parachlorophé-
nylalanine), qui bloque la synthèse de la sérotonine, devenaient plus agressifs
envers les souris.
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 647

Considérant qu’il existe 14 sous-types de récepteurs sérotoninergiques, les


travaux récents montrent que les sous-types 5-HT1A et 5-HT1B sont impliqués
dans la modulation de la colère et de l’agressivité. Par exemple, de nombreuses
expériences ont montré chez la souris que les agonistes de récepteurs 5-HT1B
diminuent l’agressivité alors que les antagonistes de ces mêmes récepteurs la favo-
risent. Sur la base de ces études pharmacologiques, il est alors possible d’imagi-
ner que les souris knock-out (KO) pour le récepteur 5-HT1B soient plus agres-
sives que les souris normales. C’est effectivement ce que montrent les résultats
d’études comportementales effectuées chez des souris KO. Cependant, d’autres
travaux ne vont pas dans ce sens, suggérant que plutôt que devenant plus agres-
sives, les souris KO pour le récepteur 5-HT1B sont de fait plutôt plus impulsives.
Chez les primates, il est possible d’établir des relations similaires entre séro-
tonine et agressivité. Par exemple, il a été montré que le comportement de domi-
nance dans une colonie de singes peut être bouleversé par l’injection de pro-
duits qui tendent à augmenter ou réduire la transmission sérotoninergique. Le
comportement de ces animaux est en rapport avec ce qui a été démontré chez
les rongeurs : plus d’agressivité est corrélée à moins d’activité sérotoninergique.
Néanmoins, il est observé un changement sociologique intéressant : l’agressivité
n’est, dans ce cas, plus corrélée avec la dominance du groupe. Si le mâle domi-
nant est retiré du groupe, la position de leader est alors occupée par un ani-
mal dont on a artificiellement augmenté la transmission sérotoninergique, par
exemple en lui administrant un précurseur métabolique de la sérotonine ou un
inhibiteur de la capture du neurotransmetteur. À l’inverse, l’injection d’agents
pharmacologiques qui réduisent la transmission sérotoninergique (antagonistes)
transforme les dominants en dominés. Dans ce cas, les dominés ont une propen-
sion plus grande à devenir agressifs. Dans cette étude, il apparaît aussi que le
mâle dominant le moins agressif conserve son statut en recrutant des femelles
qui viennent renforcer sa position de leader.
Chez l’homme, de nombreux travaux rapportent une corrélation négative
entre l’activité sérotoninergique et l’agressivité. Par exemple, dans une étude
effectuée chez des militaires diagnostiqués comme présentant des troubles de la
personnalité, il a été montré que le degré d’agressivité de ces hommes était inver-
sement proportionnel aux taux de 5-HIAA, le métabolite principal de la séro-
tonine, dans le liquide céphalorachidien. Ce type de résultat a été quelque peu
discuté, en considérant que les généralisations étaient peut-être abusives lorsque
les données impliquaient des personnes d’âges différents et ne souffrant pas de
troubles de la personnalité. Ainsi, même si des exemples de corrélations existent,
il n’en est pas moins vrai que la réalité est sans doute plus complexe.
De nombreux chercheurs sont dès lors en accord avec l’idée que la sérotonine
est impliquée dans la modulation des comportements de colère et d’agressivité.
Les données présentées ci-dessus renforcent le lien potentiel entre l’agressivité et
une réduction de l’activité sérotoninergique, mais d’autres chercheurs alertent
sur le fait que cette corrélation est par trop simplificatrice. Les animaux pré-
sentent des comportements agressifs pour une multitude de raisons, et la séro-
tonine n’est pas impliquée de façon univoque dans ces comportements. Sur le
plan mécanistique, ce système est complexe. Les neurones sérotoninergiques pro-
jettent leurs axones sur l’ensemble du cerveau. Les récepteurs 5-HT1A et 5-HT1B
sont très largement distribués dans le cerveau et, au travers de ces récepteurs par-
ticuliers, mais aussi au travers de tous les autres, les neurones sérotoninergiques
interagissent avec de nombreux autres systèmes neuronaux. De plus, les récep-
teurs 5-HT1A et 5-HT1B jouent par ailleurs souvent le rôle d’autorécepteurs (voir
chapitre 5) et contribuent à un rétrocontrôle des neurones sérotoninergiques eux-
mêmes. Certains de ces autorécepteurs sont présynaptiques et sont situés sur des
terminaisons sérotoninergiques très largement distribuées dans le cerveau, leur
activation étant associée à une réduction de la sécrétion de sérotonine. Par un
tel mécanisme de rétrocontrôle négatif, les neurones sérotoninergiques peuvent
ainsi réduire leur propre activité. Ainsi, du fait de la diversité des récepteurs et de
leurs fonctions respectives, l’interprétation des résultats des expériences pharma-
cologiques et de knockout n’est pas simple. De nouvelles approches sont néces-
saires pour mieux comprendre la relation entre sérotonine, colère et agressivité.
648 3 – Cerveau et comportement

Conclusion
Nous savons tous ce que représentent les émotions, ces sentiments que nous
nommons joie, tristesse, etc. Mais que représentent réellement ces sentiments ?
Comme cela a été formalisé par les quelques théories majeures évoquées, il existe
encore de nombreuses incertitudes quant à la réalité de ces théories. Plus de cent
ans après la proposition de James-Lange, de nombreuses controverses persistent
sur la question de savoir si ce sont les émotions qui induisent les changements
comportementaux, ou si ce sont ces changements qui induisent les émotions.
Nous savons, à partir des études d’imagerie cérébrale fonctionnelle, que les
émotions sont associées avec de très larges modifications de l’activité cérébrale.
Quelques-unes des structures impliquées sont manifestement des régions céré-
brales appartenant au système limbique. Mais de nombreuses autres structures
n’en font pas partie. Ainsi, y compris avec ces méthodes sophistiquées d’étude
de l’activité cérébrale en rapport avec différents états émotionnels par imagerie,
identifier les mécanismes neuronaux de l’émotion reste une tâche difficile. Nous
ne savons pas, en fait, lesquelles des structures cérébrales qui sont activées sont
responsables des sentiments. Est-ce le fait des zones ainsi activées, ou quelque
chose d’autre ? Parmi ces structures, certaines sont-elles spécifiquement mises
en jeu dans des types d’émotions particulières ? Ou, de façon plus générale, en
rapport avec les processus émotionnels dans leur ensemble ? Dans ce cas pou-
vons-nous aussi considérer que l’expression des sentiments est en rapport avec
telle ou telle activation cérébrale, ou bien est-ce que les sentiments représentent
plutôt des sensations émergentes basées sur la combinaison de la mise en jeu de
réseaux de neurones, sans relation directe avec l’émotion elle-même ?
Dans ce chapitre, nous nous sommes focalisés sur quelques structures céré-
brales contribuant à l’évidence aux processus émotionnels, comme le montre les
données convergentes des études de lésion, de stimulation ou encore d’imagerie
cérébrale fonctionnelle. Les expériences émotionnelles sont le résultat d’inter­
actions complexes entre les stimuli sensoriels, les réseaux nerveux, l’expérience
passée et l’activité de neurotransmetteurs divers. Au regard de cette complexité,
il n’est donc pas surprenant de constater que les hommes puissent exprimer un
très large spectre de troubles émotionnels et de l’humeur, comme nous ne verrons
dans le chapitre 22.
Lorsque nous pensons aux mécanismes des processus émotionnels, il nous
faut avoir à l’esprit que les structures cérébrales apparemment impliquées dans
ces processus peuvent avoir également d’autres fonctions. Longtemps après que
Broca ait défini le lobe limbique, il a été admis que celui-ci participait aux pro-
cessus olfactifs. Et même si notre perspective a changé quant à la fonction de ces
zones, il n’en reste pas moins vrai que différentes régions impliquées dans le trai-
tement des informations olfactives sont considérées comme faisant partie du sys-
tème limbique. Nous verrons dans le chapitre 24 que certaines de ces structures
sont également impliquées dans les processus mnésiques et d’apprentissage. Les
émotions représentent des expériences quelque peu insaisissables qui influencent
notre cerveau et nos comportements de nombreuses façons, de telle manière
qu’il paraît logique de considérer que le traitement des émotions est étroitement
associé à celui de nombreuses autres fonctions.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Selon les théories de l’émotion de James-Lange et Cannon-Bard,


quelles relations y a-t-il entre l’angoisse d’arriver en retard à un exa-
men et les réactions physiques à cette situation ? Votre anxiété inter-
vient-elle avant ou après que soit présente votre tachycardie ?
2. En quoi la définition du système limbique et les considérations sur ses
fonctions sont-elles changées depuis Broca ?
18 – Mécanismes centraux des processus émotionnels 649

3. Que faut-il faire pour provoquer une réaction de rage anormale chez
un animal de laboratoire ? Comment sait-on que l’animal ressent de
la colère ?
4. Quels changements Klüver et Bucy ont-ils observé après une lobec-
tomie temporale ? Parmi les nombreuses structures anatomiques
enlevées, quelle est celle qui semble avoir le plus de rapport avec les
modifications de l’humeur ?
5. Pourquoi l’ablation bilatérale de l’amygdale sur le mâle dominant
d’un groupe de singes le ramène-t-elle à un rang inférieur ?
6. Sur quelles hypothèses concernant les structures limbiques se fonde le
traitement chirurgical des troubles émotionnels ?
7. La fluoxétine (Prozac®) est un inhibiteur du mécanisme de recapture
de la sérotonine, au niveau synaptique. Comment ce médicament
est-il à même de modifier le niveau d’anxiété et d’agressivité chez les
personnes qui en consomment ?
8. Quels sont les éléments qui distinguent les théories des émotions
fondamentales de celles qualifiées de dimensionnelles et du domaine
de la psychologie constructionniste ?
9. En quoi diffèrent les « patterns » d’activation cérébrale relatifs à la
tristesse et à la peur ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Barrett LF, Satpute AB. Large-scale networks in affective and social neu-
roscience: towards an integrative functional architecture of the brain.
Current Opinion in Neurobiology 2013 ; 23 : 361-72.
Dagleish T. The emotional brain. Nature Reviews 2004 ; 5 : 582-9.
Dolan RJ. Emotion, cognition, and behavior. Science 2002 ; 298 : 1191-4.
Duke AA, Bell R, Begue L, Eisenlohr-Moul T. Revisiting the serotonin-­
aggression relation in humans: a meta-analysis. Psychological Bulletin
2013 ; 139 : 1148-72.
Gendron M, Barrett LF. Reconstructing the past: a century of ideas about
emotion in psychology. Emotion Review 2009 ; 1 : 316-39.
Gross CT, Canteras NS. The many paths to fear. Nature Reviews Neuro­
science 2012 ; 13 : 651-8.
Hamann S. Mapping discrete and dimensional emotions onto the brain:
controversies and consensus. Trends in Cognitive Sciences 2012 ; 16 :
458-66.
LeDoux J. Rethinking the emotional brain. Neuron 2012 ; 73 : 653-76.
Lindquist KA, Wager TD, Kober H, Bliss-Moreau E, Barrett LF. The
brain basis of emotion: a meta-analytic review. Behavioral and Brain
Sciences 2012 ; 35 : 121-43.
McGaugh JL. The amygdala modulates the consolidation of memories
of emotionally arousing experiences. Annual Review of Neuroscience
2004 ; 27 : 1-28.
650 3 – Cerveau et comportement 650

CHAPITRE  19 Rythmes du cerveau


et sommeil

ÉLECTRO-
ENCÉPHALOGRAMME
Enregistrement des ondes cérébrales.................................................. 652
Rythmes de l’EEG............................................................................... 655
Encadré 19.1 Les voies de la découverte  Le puzzle des rythmes
du cerveau,
par Stéphanie R. Jones
Mécanismes et signification de l’activité rythmique du cerveau............ 659
Crises d’épilepsie................................................................................ 661

SOMMEIL
États fonctionnels du cerveau............................................................. 664
Cycle veille-sommeil............................................................................ 665
Encadré 19.2 Focus  Marcher, parler et gémir pendant le sommeil !
Pourquoi dormons-nous ?.................................................................. 668
Encadré 19.3 Focus  La plus longue journée d’éveil
Fonctions du rêve et du sommeil paradoxal........................................ 670
Mécanismes neuronaux du sommeil.................................................... 672
Encadré 19.4 Focus  Narcolepsie

RYTHMES CIRCADIENS
Horloges biologiques.......................................................................... 680
Une horloge dans le cerveau : le noyau suprachiasmatique.................. 683
Encadré 19.5 Focus  Les horloges des hamsters mutants
Mécanismes du noyau suprachiasmatique........................................... 686

CONCLUSION
INTRODUCTION

T
out notre environnement sur la terre est fait de rythmes. La température,
les précipitations, et la lumière du jour, varient avec les saisons ; la lumière
et l’obscurité se succèdent chaque jour ; la marée monte et descend. Pour
s’adapter, et donc pour survivre, le comportement d’un animal doit respecter les
cadences de son environnement. Pour réaliser cet objectif, le cerveau a développé
divers systèmes de contrôle de l’activité rythmique. Le sommeil et l’éveil sont les
comportements périodiques les plus marquants, mais certaines activités dont le
rythme est contrôlé par le cerveau, telle l’hibernation et bien d’autres, présentent
de plus longues périodes, alors que d’autres, comme le cycle respiratoire, le pas
dans la marche, les phases répétitives d’une nuit de sommeil, ou les rythmes
électriques du cortex cérébral, ont des périodes beaucoup plus courtes. Si le rôle
de certains de ces rythmes est clair, il est plus obscur pour d’autres, et certains
rythmes sont pathologiques.
Dans ce chapitre, nous étudierons quelques-uns de ces rythmes cérébraux,
en commençant par ce qui est rapide, pour aller vers ce qui est plus lent. Le cer-
veau antérieur, et plus particulièrement le cortex cérébral, produit une activité
électrique dont on peut facilement mesurer les rythmes rapides, qui est en cor-
rélation avec certains comportements intéressants, y compris le sommeil. Nous
parlerons de l’électroencéphalographie ou EEG, représentant une méthode
classiquement utilisée pour enregistrer l’activité électrique du cerveau, essen-
tielle dans l’étude du sommeil. L’analyse du sommeil sera particulièrement
développée, car il s’agit d’un état complexe, qui est une de nos préoccupa-
tions. Puis suivra une présentation plus brève de ce que l’on sait aujourd’hui
sur les horloges qui régulent l’élévation ou la diminution de nos sécrétions
hormonales, de la température du corps, de la vigilance, et plus généralement
des variations du métabolisme. Les fonctions physiologiques du corps varient
presque toutes avec les cycles quotidiens appelés rythmes circadiens. Les hor-
loges qui contrôlent les rythmes circadiens se trouvent dans le cerveau ; elles
sont réglées par la lumière du jour au travers du système visuel, et agissent
profondément sur notre état de santé et notre bien-être.
652 3 – Cerveau et comportement

Électroencéphalogramme
Souvent l’étude de la forêt est assurément plus intéressante que celle des
arbres… De même, il est le plus souvent moins déterminant d’observer l’activité
de neurones individuels plutôt que celle d’une large population de neurones, pour
en tirer des leçons sur le fonctionnement du cerveau. L’électroencéphalogramme
(EEG) correspond à la mesure de l’activité électrique recueillie à la surface du
scalp, qui reflète celle du cortex cérébral sous-jacent. Les travaux du physiolo-
giste anglais Richard Caton, en 1875, sont à l’origine de l’EEG. Caton réalisa des
enregistrements électriques à la surface du crâne de lapins et de chiens, au moyen
d’électrodes faites de fil électrique et de longues lanières qui jetaient des ombres
mouvantes sur le mur pour traduire les émissions électriques. Mais c’est bien le
psychiatre autrichien Hans Berger qui décrivit le premier l’EEG chez l’homme,
en 1929. Berger découvrit que les tracés d’EEG enregistrés pendant l’éveil et le
sommeil étaient nettement différents. La figure 19.1 illustre l’un des tout pre-
miers enregistrements publié à cette époque et enregistré chez son fils Klaus
âgé de 15 ans. Aujourd’hui, l’EEG est essentiellement utilisé pour le diagnostic
de certains états pathologiques, particulièrement les crises d’épilepsie, et dans
la recherche, spécialement pour l’étude des différents stades du sommeil et des
corrélats électrophysiologiques de certains processus cognitifs pendant l’éveil.

EEG

Figure 19.1 – Le premier EEG humain publié


(Source : Berger, 1929.) 10 Hz signal du temps

Enregistrement des ondes cérébrales


L’enregistrement d’un EEG se trouve être relativement simple à réaliser. La
méthode n’est pas agressive, et tout à fait indolore. De nombreux individus ont
ainsi passé des nuits entières avec des électrodes sur la tête, dans le confort des
laboratoires de recherche sur le sommeil (Fig. 19.2). Les électrodes sont repré-
sentées par des fils électriques appliqués sur le cuir chevelu, en présence d’un
gel conducteur pour obtenir une fixation de moindre résistance. Comme cela est
illustré sur la figure 19.3, une vingtaine d’électrodes sont conventionnellement
placées à des endroits définis du cuir chevelu, et reliées à des consoles d’ampli-
ficateurs et d’enregistrement. Des différences de potentiel de quelques dizaines
de microvolts (µV) d’amplitude sont mesurées entre des paires d’électrodes
données. Différentes régions du cerveau — antérieure ou/et postérieure ; gauche
et droite — peuvent ainsi être examinées, en sélectionnant les paires d’électrodes
correspondantes. L’EEG typique est l’enregistrement d’un ensemble de nom-
Figure 19.2 – Enregistrement d’un électro­ breux éléments graphiques simultanés, indiquant les fluctuations des émissions
encéphalogramme au cours d’une nuit de électriques entre des paires d’électrodes.
sommeil. Quelle partie du système nerveux génère les oscillations sans fin d’un EEG ?
Cette photo représente Nathaniel Kleitman, Pour l’essentiel, l’EEG mesure surtout les émissions de courant qui ont lieu au
un des chercheurs américains travaillant sur le cours de l’activation synaptique des dendrites des nombreux neurones pyrami-
sommeil, codécouvreur du sommeil à mouve- daux du cortex cérébral situés sous la boîte crânienne, et qui représentent la
ments oculaires rapides (REM sleep) ou som-
grande majorité des neurones du cerveau. Mais la contribution au signal de
meil paradoxal, au cours d’un enregistrement.
Les bandes adhésives situées au niveau de la
chaque neurone pris à titre individuel se trouve être extrêmement faible, et le
tête ne sont là que pour maintenir en place les signal doit traverser plusieurs couches de tissu non neuronal (méninges, milieu
électrodes d’enregistrement de l’encéphalo- liquide, os du crâne, peau) avant d’atteindre les électrodes (Fig. 19.4). C’est
gramme (EEG) et des mouvements oculaires. donc l’activité simultanée de plusieurs milliers de neurones qui génère un signal
(Source : Carskadon, 1993.) d’EEG assez fort pour être détecté.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 653

Cz
Droite
A2 Amplificateur
C3
F3 P3
Fp1 T4
T3 F8 T6
F7 T5
O1
Fp2 F4 C4 P4 O2
Cz 50 µV

F3 C3 P3 O1
Fp1
F7 1s
T3 T5

A1
Gauche

Figure 19.3 – Emplacement des électrodes pour l’enregistrement d’un électroencéphalogramme (EEG) type.


Les abréviations traduisent la localisation des électrodes : A = région de l’oreille ; C = région centrale ; Cz = vertex ; F = région frontale ; Fp = pôle fron-
tal ; O = région occipitale ; P = région pariétale ; T = région temporale. Les électrodes sont connectées à des amplificateurs électroniques et chaque
enregistrement correspond à la différence de potentiel entre deux points du scalp. La sortie de chaque amplificateur est stockée dans un ordinateur à
des fins d’analyse.

Amplificateur d’EEG

+

Électrodes d’EEG

Scalp
Crâne

Dure-mère

Arachnoïde
Espace
subarachnoïdien
Pie-mère



Synapses actives
– –
Axone afférent
+ +
+ +
+ +

Axone
efférent

Figure 19.4 – Champs électriques générés par les courants synaptiques au niveau des cellules pyramidales.
Dans ce cas, la synapse se trouve dans la partie supérieure de la région dendritique. Quand l’axone afférent est activé, la terminaison axonique libère
son neurotransmetteur, le glutamate, conduisant à l’ouverture de canaux cationiques. Des courants entrants positifs pénètrent dans la dendrite, ce qui
rend le milieu extracellulaire légèrement négatif. Le courant diffuse à partir de la dendrite vers le soma du neurone et l’extérieur de la cellule, faisant
alors que le milieu extracellulaire est à ce niveau légèrement positif. L’électrode d’EEG (mesurant des courants par rapport à une seconde électrode du
même type située à une certaine distance) perçoit le signal généré par le dipôle électrique, au travers des différentes couches de tissu qui la séparent
du neurone activé. Ce n’est alors que si des milliers de cellules corticales sont activées en même temps que le signal atteint une valeur suffisante pour
être détecté à la surface du scalp (notez que, par convention, les signaux négatifs de l’EEG sont représentés par des signaux évoluant vers le haut).
654 3 – Cerveau et comportement

Décharge irrégulière

Électrode d’EEG
1

2
3
4
5
6
Sommation
= EEG
(b)

Décharge synchronisée

1
3
1 6 2
3
4
4
2 5
5
6
Sommation
= EEG

(a) (c)

Figure 19.5 – Synchronisation de l’activité des cellules corticales générant un EEG de forte


amplitude.
(a) Au niveau d’une population de cellules pyramidales situées sous une électrode d’EEG, chaque
neurone reçoit de très nombreuses afférences synaptiques. (b) Si ces afférences déchargent à
intervalles irréguliers, la somme de l’activité détectée par l’électrode sera de faible amplitude. (c) Si
le même nombre d’afférences décharge de façon quasi simultanée, le signal EEG qui en résulte est
d’amplitude beaucoup plus importante.

En conséquence, l’amplitude du signal dépend fortement du degré de syn-


chronisation de l’activité des neurones siégeant sous le crâne. Lorsqu’un groupe
de cellules est excité simultanément, les faibles signaux de chacune de ces cellules
s’additionnent pour générer un signal important en surface. Cependant, si on
applique la même stimulation à chaque cellule mais pas au même moment, le
tracé correspondant à la sommation des signaux est d’amplitude plus faible et
irrégulier (Fig. 19.5). Il faut noter que, dans ce cas, le nombre de cellules activées
et le niveau total de l’excitation sont les mêmes : c’est seulement le moment de l’ex-
citation de chaque cellule qui change. Avec la répétition continue de l’excitation
synchrone de ce groupe de neurones, l’EEG est composé de grandes ondes ryth-
miques. Les signaux rythmiques d’EEG sont souvent décrits en termes d’ampli-
tude relative pour montrer le degré de synchronisation de l’activité cérébrale sous-
jacente (bien que d’autres facteurs contribuent aussi à l’amplitude des signaux).
Alternativement, il est possible d’accéder aux activités rythmiques du cor-
tex par l’utilisation de la magnétoencéphalographie (MEG). Souvenez-vous de
ce que vous avez appris en physique : lorsqu’un courant est généré, un champ
magnétique l’accompagne, en accord avec la « règle de la main droite ». Levez
votre main droite. Si votre pouce est orienté du côté du courant, les autres
doigts indiquent la direction du champ magnétique. Dès lors, lorsque des neu-
rones génèrent un courant comme cela est représenté sur la figure 19.4, dans ce
cas ils doivent aussi produire un champ magnétique. Évidemment, ce champ
magnétique est minuscule. À cet égard, même l’activité électrique cérébrale la
plus intense ne produit qu’un champ magnétique qui est un milliard de fois plus
faible que celui produit par la Terre elle-même, les lignes électriques, ou encore
les ascenseurs, ou simplement les voitures. Vouloir détecter le champ magnétique
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 655

Figure 19.6 – Magnétoencéphalographie (MEG).
(a) Photographie illustrant un dispositif d’enregistrement par MEG. (b) Le minuscule signal
magnétique produit par les neurones du cerveau est détecté par une série de 150 capteurs très
sensibles. (c) Les chercheurs utilisent ce signal pour calculer la source de l’activité neuronale,
retranscrite par un code de couleur sur cette image. (Source : partie a : http://infocenter.nimh.
nih.gov/il/public_il/image_details.cfm?id=80 ; parties b et c : Los Alamos National Laboratory.)

(a)

(a) (b) (c)

produit par les neurones au milieu de ce « bruit magnétique » qui nous entoure
est un peu comme tenter de capter les bruits de pas de quelqu’un qui s’approche
dans un concert de rock ! Cela est cependant aujourd’hui possible, en se plaçant
dans une pièce isolée du champ magnétique parasite, et en utilisant un appa-
reil extrêmement onéreux susceptible de capter les champs magnétiques les plus
faibles à l’aide de détecteurs particuliers placés notamment dans un environne-
ment d’hélium liquide, à – 269 °C (Fig. 19.6).
Les enregistrements par MEG sont complémentaires de ceux effectués avec
d’autres types de dispositifs permettant d’apprécier l’activité cérébrale chez
l’homme. La MEG présente une meilleure
(b) (c) résolution spatiale que l’EEG pour
localiser les sources des signaux, en particulier lorsqu’il s’agit de neurones situés
sous la surface corticale. Comme l’EEG, la MEG permet d’enregistrer des
signaux rapides, qui sont bien trop rapides pour être détectés par IRMf ou par
TEP (voir Encadré 7.3). Toutefois, la MEG ne donne pas une résolution spatiale
aussi bonne que celle de l’IRMf mais, comme l’EEG, elle donne un index direct
de l’activité neuronale alors que IRMf et TEP détectent des changements du
flux sanguin ou de métabolisme qui accompagnent l’activation cérébrale mais
peuvent être influencés par d’autres facteurs. La MEG trouve ses principales
applications pour l’étude des fonctions cognitives, par exemple, ou pour aider au
diagnostic de l’épilepsie ou des troubles du langage (Encadré 19.1).

Rythmes de l’EEG
Les rythmes de l’EEG varient fortement et sont corrélés à des comportements
particuliers (tels que le niveau attentionnel, de sommeil, ou d’éveil) ou des états
pathologiques (crises épileptiques ou coma). La figure 19.7 montre une partie
d’un EEG normal. Le cerveau peut générer des rythmes qui sont soit très lents,
de l’ordre de 0,05 Hz, soit très rapides, atteignant 500 Hz et plus. Les rythmes
enregistrés sont classés selon leur bande de fréquence, et chaque bande porte le
nom d’une lettre grecque. Les rythmes delta (δ) sont lents, inférieurs à 4 Hz et
sont souvent de grande amplitude. Ils sont typiques du sommeil profond. Les
rythmes thêta (τ) présentent une fréquence de 4 à 7 Hz et peuvent être détectés
soit pendant le sommeil, soit pendant la veille. Les rythmes alpha (α) ont une
fréquence située entre 8 et 13 Hz et sont présents principalement dans les aires
occipitales du cortex. Ils sont associés avec des états de quiétude pendant l’éveil.
656 3 – Cerveau et comportement

Encadré 19.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Le puzzle des rythmes du cerveau


Par Stephanie R. Jones

J’ai toujours aimé un bon puzzle… Et la MEG et surtout des principes de l’élec-
quel meilleur puzzle y aurait-il que de tenter tromagnétique qui sous-tendent le recueil
de comprendre comment notre cerveau des données à partir du cerveau. J’ai ainsi
forme ses perceptions et prépare ses appris que les signaux qui parcourent les
actions ? Mais ce n’est pas ce puzzle que j’ai longues dendrites des neurones pyramidaux
choisi au moment où j’ai débuté ma car- sont les principaux générateurs des signaux
rière. En fait, ma nature analytique m’a électromagnétiques enregistrés. J’ai appris
poussée initialement à préparer une thèse de plus que les neurones pyramidaux du
en mathématiques à l’Université de Boston. cortex somatosensoriel primaire sont idéa-
J’avais envisagé d’étudier les mathéma- Stephanie R. Jones lement disposés pour produire des signaux
tiques de la théorie du chaos. Mais, comme MEG lors de tapotements sur les doigts, à la
cela est très fréquent, j’ai bifurqué vers d’autres centres condition de se placer dans la zone de la représentation
d’intérêt de façon totalement inattendue. Pendant l’an- de la main dans ce cortex S1. Ceci nous a permis d’effec-
née de mon master, la mathématicienne Nancy Kopell a tuer de nombreuses études sur les générateurs des
créé un centre de recherche sur la biodynamique, dont rythmes cérébraux.
l’un des axes de recherche était d’appliquer les théories Comme dans tous les enregistrements MEG (et
des systèmes dynamiques à l’étude des phénomènes bio- EEG), les activités dominantes de S1 sont représentées
logiques, incluant les neurosciences. Après avoir assisté par des rythmes de basse fréquence et de grande ampli-
à quelques séminaires de neurosciences, j’ai compris que tude, incluant les rythmes bêta de 15 à 29 Hz. Nous
c’était à ce puzzle-là que je souhaitais m’attaquer ! Pour avons ainsi découvert que lorsqu’un sujet dirige son
mon bonheur, Nancy m’a prise pour étudiante et j’ai attention vers son doigt avant qu’il n’effectue la tâche
entrepris d’utiliser les mathématiques pour aborder les motrice, le rythme bêta de l’aire de la main de S1 tend à
activités rythmiques du cerveau dans des modèles sim- diminuer par comparaison à ce qu’il se passe lorsque
plifiés de réseaux neuronaux, comme par exemple le son attention est dirigée ailleurs. L’augmentation de l’at-
générateur central qui commande la nage chez l’écre- tention pour la tâche motrice et la réduction des rythmes
visse. Alors que je terminais mon doctorat en mathéma- bêta étaient alors corrélées à une meilleure capacité du
tiques, je devenais passionnée par les neurosciences et sujet à détecter une légère tape sur le doigt. Nos résultats
je décidais d’appliquer mes connaissances pour com- étaient en accord avec d’autres obtenus sur le cortex
prendre la dynamique du cerveau humain. J’avoue que visuel, suggérant que les rythmes bêta pourraient consti-
j’étais loin de savoir combien de pièces comprenait ce tuer un signal de processus inhibiteurs intervenant dans
puzzle ! les aires sensorielles du cortex. Mais pourquoi ? Qu’en
Dans la décennie qui a suivi, j’ai abordé le fonction- est-il de ces rythmes qui les relient à une réduction de la
nement du cerveau humain au travers de la magnétoen- perception sensorielle ? Et pourquoi, dans des condi-
céphalographie (MEG) dans le centre d’imagerie du tions telles que celles de la maladie de Parkinson, ces
Massachusetts General Hospital à Boston (MGH). J’y ai rythmes sont-ils exagérément présents dans le cortex
rencontré de fabuleux mentors et de nombreux collè- moteur avec pour corrélat une réduction des capacités
gues. Mon plus proche collègue à ce moment-là fut le motrices ?
neurophysiologiste Chris Moore, qui était également Pour aller plus loin et répondre à ces questions je suis
post-doctorant au MGH. Chris m’a convaincue que les revenue à mes bases en mathématique, et j’ai entrepris
neurosciences devaient être abordées tout en nuance, et de construire un modèle neuronal computationnel pour
que les systèmes sensoriels représentaient une forme de tenter d’appréhender l’origine de ces rythmes. Mes pre-
puzzle idéal du fait de cette organisation topographique miers travaux m’avaient fourni des bases solides pour
corticale représentée par l’homonculus (voir Fig. 12.19). comprendre comment des rythmes stables pouvaient
En utilisant la MEG, nous avons commencé à nous inté- émerger de circuits neuronaux. Cependant, après pas
resser à la perception tactile en utilisant un protocole de mal d’essais utilisant des modèles mathématiques sim-
détection des effets d’une stimulation légère d’un doigt plifiés de la représentation de ces circuits, je réalisais que
chez des sujets humains. La notion selon laquelle ce sys- ces modèles seuls ne pouvaient reproduire des signaux
tème était idéal était quelque peu fortuite, comme nous correspondant à ceux des enregistrements. C’est alors
l’a révélé de façon surprenante le physicien Matti que je me suis intéressée aux travaux pionniers de Yoshio
Hämäläinen, directeur du centre d’imagerie. Matti m’a Okada, qui combinaient des approches expérimentales
tout appris des bases de l’enregistrement des données de et de modélisation mathématique pour analyser les
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 657

Encadré 19.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

signaux de la MEG, générés par les neurones pyrami- l’expérience. Cette découverte était extrêmement exci-
daux. Avec mes propres connaissances de la biophysique tante puisque le modèle mathématique devenait prédic-
des signaux MEG, j’ai construit des modèles beaucoup tif des résultats de l’expérimentation. Dès lors le puzzle
plus complexes qui incluaient des détails de la structure commençait à prendre tout son sens !
des neurones pyramidaux et d’autres neurones corti- La bonne concordance des résultats prédits par le
caux. Cela m’a pris plusieurs années, y compris la nais- modèle et des enregistrements nous a alors confortés
sance du premier de mes trois enfants. dans la fiabilité de la prédiction des mécanismes par
À ma grande satisfaction, ce type de modèle com- lesquels les neurones génèrent les rythmes bêta. Plus
plexe conduisait à des prédictions non intuitives des encore, le modèle suggérait comment les rythmes
mécanismes de production des activités rythmiques. De influencent les fonctions du cerveau. Au travers d’une
façon plus précise, ils prédisaient que les rythmes bêta collaboration qui n’a jamais cessé avec Chris Moore
émergent de l’intégration de deux types d’input synap- et d’autres neurophysiologistes et neurochirurgiens,
tique, qui sont globalement synchrones et qui condui­ nous avons entrepris de tenter de découvrir des
sent à l’excitation de différentes régions des dendrites modèles prédictifs des enregistrements d’activité neu-
des neurones pyramidaux. Ces inputs synaptiques ronale. Il est alors possible que nos modèles diffèrent
déclenchent des courants qui alternent dans les den- quelque peu de ce que nous apprend l’activité neuro-
drites pour reproduire les rythmes, parfaitement en nale. Mais grâce à ces approches pluridisciplinaires,
accord avec ce que nous enregistrions. Le modèle repro- je suis convaincue qu’il est possible de construire des
duisait non seulement la plupart des caractéristiques des ponts nous permettant de mieux comprendre la rela-
rythmes bêta de S1, mais suggérait aussi la façon dont tion entre les décharges neuronales et les fonctions
les rythmes influencent la perception sensorielle. C’est cérébrales. Résoudre le puzzle des rythmes cérébraux
ce que j’ai testé par des enregistrements ultérieurs et à constitue dès lors un objectif extrêmement excitant et
ma grande surprise les prédictions étaient vérifiées par au long cours.

Artéfacts liés à l’ouverture des yeux


Temps (s)
1 2 3 4 5 6 7 8 9

50 µV

Rythmes α Rythmes β
Position
des électrodes

Figure 19.7 – Représentation d’un EEG caractéristique.


Le sujet est éveillé et tranquille, et les sites d’enregistrement sont indiqués sur la gauche. Les
quelques premières secondes de l’enregistrement montrent un rythme α normal, de fréquence 8 à
13 Hz, qui est d’amplitude plus importante au niveau des régions occipitales. À peu près au milieu
de l’enregistrement, le sujet à ouvert les yeux, ce qui s’est traduit par un artéfact sur l’enregistre-
ment (trace du haut) signalé par des flèches, et par la suppression du rythme α.

Les rythmes mu (μ) sont de fréquence similaire à celle des rythmes α, mais sont
d’amplitude importante au-dessus des aires motrices et somatosensorielles. Les
rythmes gamma (γ) sont parmi les plus rapides, de l’ordre de 30 à 90 Hz et attestent
d’une activation corticale ou d’un état d’attention soutenue. D’autres catégories
de rythmes incluent les fuseaux du sommeil, représentant des oscillations plutôt
lentes de 8 à 14 Hz associées à des états de sommeil, et des ondulations de très
courte durée, de fréquence de 80 à 200 Hz. L’une des caractéristiques intéres-
santes de ces rythmes liés à l’EEG est qu’ils sont remarquablement constants
chez tous les mammifères, de la souris à l’homme, en dépit de différences consi-
dérables de masse respective du cerveau, allant de 1 à 17 000 (Fig. 19.8).
658 3 – Cerveau et comportement

Rythme alpha Fuseaux du sommeil Grandes ondes


(néocortex) (néocortex) (hippocampe)

Complexe K

(a) 10 s 350 ms

Mouton
1000 Chauve-souris Babouin
Gerboise Rat Lapin Chien Chimpanzé

100 Grandes ondes


Gamma
Fuseaux
10 Alpha
Fréquence (Hz)

Thêta
1 Lent 1

0,1 Lent 3

Souris Hamster Cochon Chat Porc Homme


0,01 d’Inde Macaque

10-1 100 101 102 103 104


(b) Poids du cerveau (g)

Figure 19.8 – Représentations des rythmes EEG chez plusieurs espèces animales et chez l’homme.
Exemples de rythme alpha, de fuseaux et de grandes ondes enregistrés chez l’homme, le macaque, le chat, le lapin et le
rat. Notez l’échelle de temps calibrée sur 10 s pour le rythme alpha et les fuseaux du sommeil. (b) Relation établie entre
le poids du cerveau et la fréquence moyenne de chaque type de rythme EEG chez les différentes espèces. Chaque ligne
de couleur illustre la fréquence moyenne d’un type de rythme enregistré chez quelques espèces (l’absence de résultat
pour un rythme donné ne signifie pas que cette espèce n’exprime pas ce rythme). Remarquez combien les propriétés
des rythmes varient très peu en dépit de la variété des espèces et de la taille de leur cerveau. (Source : Buzsáki et al.,
2013.)
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 659

L’interprétation d’un EEG ne dira jamais ce que pense une personne, mais
elle peut nous aider à dire si une personne est en train de penser. Généralement,
les rythmes de haute fréquence et de faible amplitude sont associés à la vigilance
et à l’éveil, ou aux phases de rêve du sommeil. Les rythmes de basse fréquence et
de grande amplitude, correspondent aux phases du sommeil sans rêve, ou à l’état
pathologique du coma. Ceci paraît logique car, au moment où le cortex se trouve
le plus engagé dans l’analyse de l’information provenant d’un influx sensoriel ou
d’un processus interne (éveil), l’activité des neurones corticaux est relativement
élevée, mais aussi relativement peu synchronisée. En d’autres termes, chaque
neurone individuel, ou chaque petit groupe de neurones, est vigoureusement
impliqué dans un des aspects légèrement différents d’une tâche cognitive ; il
décharge rapidement, mais pas tout à fait simultanément avec les neurones voi-
sins. Le degré de synchronisation est donc faible, ainsi que l’amplitude de l’EEG,
avec des ondes γ et β dominantes. En revanche, pendant le sommeil profond, les
neurones corticaux ne sont pas impliqués dans le traitement de l’information,
et beaucoup d’entre eux sont périodiquement stimulés par le même influx lent
et rythmique. Dans ce cas, la synchronisation est forte et l’amplitude de l’EEG
élevée.

Mécanismes et signification de l’activité


rythmique du cerveau
Les enregistrements du cortex cérébral présentent de nombreux rythmes
électriques. Mais d’où proviennent-ils, et quelles sont leurs fonctions ?
Origine des rythmes synchrones.  La synchronisation des oscillations pério-
diques d’un grand ensemble de neurones peut fondamentalement se réaliser de
deux façons : (1) l’activation de tous ces neurones peut dépendre d’un même
générateur central, ou pacemaker ; ou (2) ils se donnent eux-mêmes la mesure en
s’excitant ou en s’inhibant mutuellement. Le premier mécanisme est analogue
à un orchestre devant son chef, chaque musicien suivant exactement la mesure
donnée par la baguette du chef d’orchestre (Fig. 19.9a). Le second mécanisme
est plus subtil, car la mesure vient du comportement collectif des neurones (a)
corticaux eux-mêmes. Musicalement parlant, il s’agit plus d’une séance de jazz
improvisée (Fig. 19.9b).
On peut tenter de rendre compte de ce concept de rythmes synchrones en
prenant l’exemple suivant : prenez un groupe d’amis, y compris des non-musi-
ciens. Demandez-leur de taper dans leurs mains ensemble, mais sans leur donner
d’indications sur la mesure. En peu de temps, les battements de mains seront
synchronisés ! Comment ceci se produit-il ? En s’écoutant l’un l’autre et en se
regardant, ils ajustent la fréquence de leurs battements de mains pour être en
phase les uns avec les autres. Le facteur-clé se trouve être l’interaction de per-
sonne à personne. Dans un réseau de neurones, ces interactions se produisent
par l’intermédiaire des connexions synaptiques. Les gens ont tendance à battre
des mains dans une étroite gamme de fréquences, de sorte qu’il leur est facile
d’ajuster ces battements pour qu’ils soient synchronisés. De même, certains neu-
rones peuvent décharger à des fréquences caractéristiques, beaucoup plus que (b)
d’autres. Ce type de comportement collectif organisé peut générer des rythmes
susceptibles de prendre une importance considérable, qui sont à même de varier Figure 19.9 – Deux mécanismes de synchro­
dans l’espace et dans le temps. N’avez-vous jamais fait l’expérience de la vague nisation des rythmes.
humaine (la olla) parcourant les travées d’un stade où se joue un match de foot- (a) La synchronisation des rythmes peut
ball, à guichets fermés ? être obtenue à partir d’un générateur unique
(pacemaker), ou (b) peut être la conséquence
Différents types de circuits neuronaux sont prédisposés pour générer une d’un comportement collectif de tous les par-
activité rythmique. La figure 19.10 en décrit un exemple très simple, formé d’un ticipants.
seul neurone excitateur et d’un seul neurone inhibiteur. En règle générale, les
oscillateurs neuronaux comportent beaucoup plus de neurones, mais les prin-
cipes d’organisation restent les mêmes : une source excitatrice qui est à l’origine
du message, des connexions de types feedback, et des connexions synaptiques
excitatrices et inhibitrices.
660 3 – Cerveau et comportement

Afférence Neurone Neurone Dans le cerveau des mammifères, l’activité synchrone, rythmique, est géné-
excitatrice excitateur inhibiteur ralement coordonnée par la combinaison du mécanisme du générateur central
active
en permanence
et de la méthode collective. Le thalamus, qui envoie massivement des informa-
tions à tout le cortex, peut représenter un pacemaker puissant et, dans certaines
conditions, les neurones thalamiques génèrent des décharges très rythmiques
(Fig. 19.11). Mais d’où proviennent les oscillations enregistrées du potentiel de
membrane ? Quelques cellules thalamiques présentent un ensemble particulier
de canaux ioniques dépendants du potentiel, qui permet à chacune d’entre elles
d’émettre des décharges rythmiques, y compris en l’absence d’influences exté-
rieures à la cellule. La synchronisation de l’activité rythmique de chaque neurone
du pacemaker thalamique avec celles de nombreuses autres cellules thalamiques
se fait par un mécanisme d’association, semblable à celui du battement des mains.
Les connexions synaptiques existant entre les neurones thalamiques excitateurs
et inhibiteurs obligent chaque neurone à ajuster sa propre décharge au rythme de
l’ensemble des neurones. Ces rythmes coordonnés sont alors transmis au cortex
par les projections thalamocorticales, qui excitent les neurones corticaux. Ainsi,
une population de cellules thalamiques relativement limitée (jouant le rôle de
l’entraîneur) oblige un groupe beaucoup plus important de cellules corticales
(représentant l’orchestre) à « marcher » à la mesure thalamique (Fig. 19.12).
Certains rythmes cérébraux ne dépendent pas du générateur thalamique
mais reposent plutôt sur des propriétés de coopération entre les neurones corti-
Pattern de décharge caux eux-mêmes. Dans ce cas-là, les interconnexions excitatrices et inhibitrices
de l’afférence excitatrice entre les neurones déterminent une activité coordonnée et synchrone, localisée
ou étendue à de plus grandes régions corticales.

Décharge
du neurone excitateur
Stimulation
électrique

Un cycle Décharge
du neurone inhibiteur
Potentiel de membrane (mV)

Figure  19.10 – Modèle d’oscillateur à deux +30


neurones.
Deux neurones, l’un excitateur, l’autre inhibi- 0
teur, sont reliés l’un à l’autre synaptiquement.
–30
Aussi longtemps qu’il se produit une activa-
tion constante (qui n’a pas à être rythmique) –60
du neurone excitateur, l’activité de ce neurone
tendra à réduire sa propre activité au travers
200 600 1000 1400 1800 2200
de l’activation du neurone inhibiteur. L’activité Temps (ms)
générée au niveau de ce circuit neuronal très (a)
simple est représentée sur le schéma du bas.
Potentiel de membrane (mV)

+30

–30

–60

(b)

Figure 19.11 – Oscillateur à un neurone.
Pendant le sommeil, les neurones thalamiques déchargent de façon rythmique, selon un mode
indépendant de leurs signaux afférents. Ce schéma reproduit un enregistrement intracellulaire du
potentiel de membrane d’un neurone thalamique durant une période de sommeil. (a) Une stimula-
tion très brève (inférieure à 0,1 s) est appliquée à la cellule enregistrée, et la réponse à cette stimu-
lation se traduit par une décharge rythmique de près de 2 s, d’abord par des bouffées de fréquence
d’environ 5 Hz, puis par des potentiels d’action isolés. (b) Représentation agrandie de deux de
ces bouffées de potentiels d’action, chacune d’entre elle représentant 5 à 6 potentiels d’action.
(Source : adapté de Bal et McCormick, 1993, Fig. 2.)
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 661

Fonctions des rythmes cérébraux.  Les rythmes du cortex sont quelque peu
fascinants à observer. Ils accompagnent tant de comportements humains que
l’on en vient à se demander : pourquoi tant de rythmes ? Et plus encore, à quoi
peuvent-ils servir ? Il n’existe pas encore de réponse satisfaisante à ces questions.
Il y a beaucoup de suppositions, mais peu de données pertinentes. Une des hypo-
thèses concernant les rythmes associés au sommeil suggère que ces rythmes sont Cortex
le moyen dont se sert le cerveau pour déconnecter le cortex de l’information sen-
sorielle afférente. À l’état de veille, le thalamus assure le relais de l’information
sensorielle vers le cortex, mais, quand vient le sommeil, les neurones thalamiques
mettent en jeu une activité périodique autogénérée qui empêche l’information
sensorielle spécifique de remonter vers le cortex. Cette idée est séduisante (la
plupart des individus préfèrent dormir dans un environnement obscur et calme Voie
réduisant les entrées sensorielles), mais elle n’explique pas pourquoi les rythmes de sortie
sont nécessaires. Pourquoi l’activité du thalamus ne serait-elle pas simplement
inhibée pour permettre au cortex de se reposer ?
Une explication des rythmes rapides du cortex à l’état de veille a été proposée.
Nous avons vu dans le chapitre 10 qu’une des hypothèses susceptible de rendre
compte de la perception visuelle repose sur le fait que l’activité des modules cor- Thalamus
ticaux répondant au même objet se trouve être de caractère synchrone. Walter
Freeman, un neurobiologiste de l’Université de Californie, à Berkeley, a le pre- Voies
afférentes
mier suggéré que l’activité rythmique des neurones sert à coordonner l’activité
entre différentes régions du système nerveux. Au cours de l’éveil, les systèmes Figure 19.12 – Les rythmes thalamiques pilo­
sensoriel et moteur génèrent souvent des décharges synchrones dans les neu- tent les rythmes corticaux.
rones actifs, qui se manifestent par des oscillations d’EEG de 30 à 90 Hz, nom- Le thalamus peut générer une activité ryth-
més rythmes gamma. mique grâce aux propriétés intrinsèques
Il est possible qu’en synchronisant momentanément les oscillations rapides de ses neurones et à leurs interconnexions
émises en différentes régions du cortex, le cerveau regroupe plusieurs éléments spécifiques. Les neurones figurés en vert
neuronaux en un seul ensemble fonctionnel. Par exemple, lorsque l’on tente représentent des populations cellulaires exci-
d’attraper un ballon de basket, la décharge de l’ensemble des groupes de neu- tatrices, les neurones inhibiteurs étant figurés
en noir.
rones qui répondent simultanément à la détection de la forme, de la couleur, du
mouvement, de la distance qui nous sépare du ballon, et même à son identifi-
cation et à son importance, tend à être synchronisée. Le fait que les variations
de l’activité de ces différents groupes de neurones disséminés (ceux qui cor-
respondent au codage de l’information permettant la perception du ballon de
basket) soient hautement synchrones, les marquerait comme groupe signifiant,
en les distinguant des neurones situés à proximité, réunissant ainsi les éléments
neuronaux du « puzzle ballon de basket ». Cette idée n’est toutefois pas prouvée
et elle reste controversée.
Aujourd’hui les fonctions des rythmes corticaux restent mystérieuses. Il est
possible que la plupart de ces rythmes n’aient pas de fonction. Ils pourraient
n’être que des épiphénomènes sans importance et mystérieux traduisant les
fortes connexions que les circuits cérébraux ont tendance à établir, avec des
formes variées de feedback excitateur. L’autoexcitation, que ce soit dans le cas
d’un amplificateur-audio ou de la vague humaine dans le stade, conduit souvent
à l’instabilité ou à l’oscillation, et les circuits de feedback sont nécessaires pour
permettre au cortex d’accomplir toutes les merveilles dont nous bénéficions.
Enfin, les oscillations pourraient aussi être une conséquence malencontreuse
et inévitable, non désirée mais tolérée par nécessité. Mais, quoi qu’il en soit,
même sans fonction établie, les rythmes de l’EEG permettent d’observer des
états fonctionnels du cerveau différents.

Crises d’épilepsie
Les crises, formes paroxystiques de l’activité synchrone du cerveau, sont
toujours le signe d’une pathologie. Une crise généralisée implique la totalité du
cortex des deux hémisphères. Une crise partielle intéresse seulement quant à elle
une partie circonscrite du cortex. Dans les deux cas, les neurones des régions
concernées génèrent des décharges hypersynchrones anormales. Les crises sont
généralement associées à la production de grands signaux électroencéphalogra-
phiques. Le cortex cérébral, probablement en raison de la présence de nombreux
662 3 – Cerveau et comportement

Incidence de nouveaux cas d’épilepsie


300

250

pour 100 000 personnes


200
Figure 19.13 – Incidence de l’épilepsie avec
l’âge. 150
Le graphique représente le nombre de cas
d’épilepsie pour 100 000 personnes en fonc- 100
tion de l’âge au moment du diagnostic. Les
résultats sont compilés à partir de 12 études 50
réalisées dans les pays industrialisés. (Source :
D. J. Thurman, http://iom.edu/~/media/ Files/ 0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100
Activity%20Files/Disease/Epilepsy/Thur-
man%202.pdf.) Âge (années)

circuits de feedback, n’est jamais loin de l’excitation traduite par les crises. Ainsi
les crises isolées ne sont pas rares au cours d’une vie, et 7 à 10 % de la popu-
lation générale en présentent au moins une. Lorsque les crises se répètent, on
parle d’épilepsie. L’épilepsie affecte environ 0,7 % de la population mondiale
(soit au total près de 50 millions d’individus). Elle est plus commune dans les
pays en développement, en particulier dans les zones rurales, probablement en
rapport avec le fait que dans ces régions elle n’est pas traitée pendant l’enfance,
qu’il existe plus qu’ailleurs des infections, et que les soins prénataux ou dans la
période périnatale sont peu développés. Le diagnostic d’épilepsie intervient le
plus souvent chez les jeunes enfants ou au contraire chez les personnes âgées
(Fig. 19.13). L’épilepsie chez l’enfant est souvent congénitale, liée à des causes
génétiques ou encore à des pathologies de l’enfance. Chez les personnes âgées,
elle est souvent la conséquence d’accidents vasculaires cérébraux, de tumeurs
cérébrales ou encore intervient chez certains patients souffrant de maladie
d’Alzheimer.
L’épilepsie n’est pas tant une maladie en elle-même qu’un symptôme d’une
maladie. Les causes de ces maladies sont parfois clairement identifiées : tumeurs,
traumatismes, troubles métaboliques, infections, maladies vasculaires, prédispo-
sition génétique, etc. Mais dans de nombreux cas son origine n’est pas connue.
Il ne semble pas qu’un seul mécanisme soit à l’origine de toutes les crises. Dans
plusieurs formes d’épilepsie, il existe vraisemblablement une prédisposition
génétique. Certains gènes en cause ont déjà été identifiés, codant pour des pro-
téines diverses, incluant des canaux ioniques, des transporteurs, ou encore des
récepteurs ou des molécules impliquées dans la signalisation. Quelques muta-
tions de gènes qui encodent des canaux sodiques, par exemple, ont été mises en
rapport avec de très rares formes d’épilepsie. Ces canaux sodiques tendent alors
à rester ouverts plus longtemps que la normale, ce qui permet à plus de sodium
d’entrer dans les cellules et provoque ainsi une hyperexcitabilité. Un autre type
de mutation conduisant à des états épileptiques concerne la transmission inhibi-
trice utilisant le GABA comme neurotransmetteur, rendue moins efficiente du
fait d’une atteinte de ses récepteurs, d’enzymes impliqués dans sa synthèse, son
transport ou encore des mécanismes de sa libération.
Les recherches en cours laissent penser que certaines crises seraient liées à un
désordre du fragile équilibre existant dans le cerveau entre l’excitation et l’inhibi-
tion synaptique. D’autres crises proviendraient d’un excès de signaux excitateurs
trop intenses au niveau synaptique. Les drogues qui bloquent les récepteurs du
GABA sont de puissants convulsivants (produits qui favorisent la survenue des
crises) et la suppression de l’usage chronique de produits dépresseurs comme
l’alcool ou les barbituriques, peut aussi déclencher des crises. Certains agents
pharmacologiques peuvent supprimer les crises ; ces anticonvulsivants agissent
sur l’excitabilité de plusieurs façons. Par exemple, certains prolongent l’effet
inhibiteur du GABA (les barbituriques et les benzodiazépines, par exemple ;
voir figure 6.22), alors que d’autres diminuent la potentialité de certains neu-
rones à décharger (c’est le cas de la carbamazépine).
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 663

5
2 Figure 19.14 – Enregistrement EEG caracté­
3 1 6
ristique d’une crise d’épilepsie généralisée.
7 (a) Les électrodes d’EEG sont placées à des
6 5 4 endroits bien déterminés du scalp. (b) Ces
8 électrodes détectent une crise d’épilepsie
qui débute brutalement et qui est synchroni-
9 sée sur l’ensemble de la tête. Le rythme des
9 7 décharges est de l’ordre de 3 Hz, et la durée
8
de la crise est d’environ 12 s. (Source : J. F.
(a) (b) 5s Lambert et N. Chantrier.)

Les aspects comportementaux d’une crise d’épilepsie dépendent des neurones


impliqués et de leur activité. La plupart des formes généralisées intéressent pra-
tiquement tous les neurones corticaux, de sorte que le comportement se trouve
totalement désorganisé pendant plusieurs minutes. Une perte de conscience
s’installe, avec une phase de contraction intense et soutenue de tous les groupes
musculaires (crises tonicocloniques), ou bien une phase de contractions clo-
niques (ou répétitives) ; ou les deux, successivement. Les crises avec absence sur-
viennent dans l’enfance, avec des ondes généralisées de 3 Hz, d’une durée infé-
rieure à 30 s, accompagnées d’une perte de conscience. Un enregistrement de ces
crises est présenté figure 19.14. L’amplitude des signaux est extraordinairement
importante, et ils sont enregistrés sur l’ensemble du cerveau. Curieusement, les
signes moteurs d’une crise avec absence sont étonnamment subtils, limités à des
battements des paupières ou des mouvements de torsion de la bouche.
Les crises partielles sont particulièrement intéressantes à observer et sont
très évocatrices en termes d’anatomie fonctionnelle. Si les crises ont un début
localisé dans une petite partie du cortex moteur, elles peuvent provoquer des
mouvements cloniques limités à une partie d’un membre. À la fin du xixe siècle,
le neurologue américain John Hughlings Jackson observa les séquences du déve-
loppement de mouvements associés aux crises, à travers le corps. Il en recher-
cha les traces sur les cerveaux de ses patients après leur mort, et à partir de ces
observations, il contribua à préciser la carte de l’organisation somatotopique
de base du cortex moteur de l’homme (voir chapitre 14). Si les crises débutent
dans une aire sensorielle, elles peuvent déclencher une sensation anormale, ou
aura, comme par exemple une odeur étrange ou une lumière étincelante. Les
crises partielles qui suscitent des auras nettes comme une impression de déjà-vu
(en français dans le texte ; le sentiment que cela est déjà arrivé auparavant), ou
des hallucinations, sont les plus étranges. Elles siègent parfois dans le cortex
des lobes temporaux, y compris l’hippocampe et les amygdales, et affectent la
mémoire, la pensée et la conscience. Enfin les crises partielles sont susceptibles
de s’étendre de façon incontrôlable, et de se transformer en crises généralisées.

Sommeil
Le sommeil et les rêves, mystérieux, avec un aspect mystique pour certains,
sont parmi les sujets favoris de l’art et de la littérature, de la philosophie et de
la science. Chaque nuit, l’homme abandonne ses compagnons, son travail et ses
loisirs, pour pénétrer dans l’isolement du sommeil. Il exerce en fait un contrôle
664 3 – Cerveau et comportement

très limité sur la décision : il est possible de repousser le sommeil pendant un


temps, mais à la fin il vous submerge. L’homme passe environ un tiers de sa vie
à dormir, et un quart de ce temps à rêver.
Le sommeil est universel, faisant partie de la vie de tous les vertébrés supé-
rieurs, et probablement de tous les animaux. Même la mouche du vinaigre, la
drosophile, présente des états assimilables à du sommeil. Le manque prolongé
de sommeil a des effets dramatiques sur le fonctionnement normal, du moins
momentanément, et chez certains animaux (comme le rat ou le cafard mais pro-
bablement pas chez l’homme), il peut même être fatal. Le sommeil se trouve être
nécessaire à la vie — presque aussi important que se nourrir ou respirer. Mais
pourquoi dormons-nous ? Et à quoi sert le sommeil ? Le débat est ouvert depuis
longtemps et, pour cacher notre ignorance, on peut simplement dire en souriant
que tout ce que l’on peut dire encore du sommeil aujourd’hui, c’est finalement
qu’il l’emporte sur la somnolence ! Mais, dans le domaine des sciences, l’absence
de consensus suscite souvent une floraison d’hypothèses et la recherche sur le
sommeil, à cet égard, ne fait pas exception.
Toutefois, il est cependant possible de décrire ce que l’on ne peut expliquer, et
les études sur le sommeil ne manquent pas. Commençons par une définition : le
sommeil est un état réversible de sensibilité réduite à, et d’interaction avec, l’environ-
nement (le coma et l’anesthésie ne sont pas immédiatement réversibles et ne peuvent
donc pas être assimilés au sommeil). Ce qui suit est donc consacré à la phénomé-
nologie et à une présentation des mécanismes neuronaux du sommeil et du rêve.

États fonctionnels du cerveau


Au cours d’une journée ordinaire, l’homme expérimente deux types de com-
portement très différents : l’éveil et le sommeil. Les différentes phases du som-
meil sont beaucoup moins évidentes à distinguer. Lors d’une nuit de sommeil,
l’homme connaît ainsi plusieurs phases de sommeil caractérisées par de nom-
breux mouvements oculaires rapides. Cette phase caractéristique du sommeil est
reconnue comme la phase de REM sleep, en anglais (pour rapid eye movement
sleep), dont l’EEG apparaît plus comme celui de l’éveil alors que le corps est
immobile (à l’exception des muscles oculaires), et que les illusions vivantes et
détaillées que sont les rêves surviennent. C’est pourquoi cette phase du sommeil a
été également dénommée sommeil paradoxal1 par comparaison aux autres stades
du sommeil. En effet, le reste du temps de sommeil correspond à un état de som-
meil à ondes lentes (ou sommeil lent, appelé ainsi parce que les rythmes lents, de
grande amplitude, dominent sur l’EEG) ou sommeil sans mouvements oculaires
rapides, non-REM sleep (NREM) en anglais, pendant lequel le cerveau n’évoque
généralement pas de rêves complexes. Ces états comportementaux fondamentaux
— éveil, sommeil à ondes lentes et sommeil paradoxal — sont produits par trois
états fonctionnels distincts du cerveau (Tab. 19.1). Chaque état de sommeil s’ac-
compagne par ailleurs de modifications importantes de l’activité de l’organisme.
Le sommeil à ondes lentes correspond sans doute à un état fait pour le repos.
La tension musculaire est réduite dans tout le corps, à l’exception de quelques
mouvements infimes. Toutefois, le corps peut effectuer des mouvements durant
le sommeil à ondes lentes, généralement seulement pour ajuster la position du
corps, mais le cerveau en donne rarement l’ordre. La température et la consom-
mation d’énergie du corps diminuent. De même, en raison de l’activité accrue du
système parasympathique, la fréquence cardiaque, la respiration, et les fonctions
rénales se ralentissent, alors que les processus digestifs s’accentuent.
Le cerveau lui aussi semble se trouver au repos pendant le sommeil à ondes
lentes. Sa consommation d’énergie et les fréquences générales de décharge des
neurones sont au plus bas niveau de la journée. Les rythmes lents de l’EEG, de
grande amplitude, indiquent que les oscillations des neurones du cortex sont rela-
tivement très synchronisées et les expériences montrent que la plus grande partie
de l’information sensorielle n’atteint même pas le cortex. Bien qu’il soit impos-
sible de dire avec certitude ce que pensent les gens lorsqu’ils dorment, il semble

1.  NdT : le terme de « sommeil paradoxal » a été introduit par Michel Jouvet à Lyon, en 1959.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 665

Tableau 19.1 – Caractéristiques des trois états fonctionnels du cerveau.

Comportement Éveil Sommeil à ondes lentes Sommeil paradoxal


EEG Faible amplitude, rythme rapide Forte amplitude, rythme lent Faible amplitude, rythme rapide
Sensation Vive, origine extérieure Absente ou très atténuée Vive, générée intérieurement
Pensée Logique, progressive Logique, répétitive Vive, illogique, étrange
Mouvement Continu, volontaire Occasionnel, involontaire Atonie musculaire, mouvement commandé
par le cerveau mais pas réalisé
Mouvements oculaires rapides Fréquents Rares Fréquents

que dans le sommeil à ondes lentes l’activité mentale soit au plus bas. Au réveil,
les gens ne se rappellent généralement de rien, sinon de quelques vagues pen-
sées. Les rêves détaillés et distrayants sont rares, bien qu’existant parfois, dans
le sommeil à ondes lentes. William Dement, un chercheur éminent sur ce sujet
travaillant à l’Université de Stanford, définit les états de sommeil à ondes lentes
comme correspondant à un cerveau fonctionnant au ralenti dans un corps mobile.
Par comparaison, Dement parle d’un cerveau actif halluciné dans un corps
paralysé, pour rendre compte du sommeil avec mouvements oculaires rapides.
Le sommeil paradoxal se trouve être le sommeil du rêve. Bien qu’il ne représente
qu’une petite partie du sommeil, c’est la phase qui intéresse le plus les chercheurs
(et c’est celle où se manifeste la plus grande activité du cerveau), probablement
parce que les rêves sont si mystérieux et énigmatiques. Si une personne est réveil-
lée dans la phase de sommeil paradoxal, comme en ont fait l’expérience William
Dement, Eugene Aserinsky et Nathaniel Kleitman, au milieu des années 1950,
elle racontera sans doute des événements détaillés et vraisemblables, souvent
avec quelques bizarreries — le genre de rêves dont nous aimons parler et que
nous essayons d’interpréter.
La physiologie du sommeil paradoxal aussi est étrange. L’EEG ne présente
pratiquement pas de différences avec celui du cerveau à l’état de veille, carac-
térisé par des fluctuations rapides, de faible amplitude, renforçant l’idée du
caractère paradoxal de cet état de sommeil, soulignée par Jouvet. En fait, la
consommation d’oxygène du cerveau (une mesure de la consommation d’éner-
gie) est plus élevée dans le sommeil paradoxal que dans la veille active, ou lors
d’un état de concentration intellectuelle pendant la résolution d’un problème,
par exemple. La paralysie qui survient dans le sommeil paradoxal correspond
à une perte presque totale du tonus musculaire, ou atonie. Le corps se trouve
réellement incapable de bouger ! Les muscles respiratoires fonctionnent, mais à
peine. Les muscles contrôlant les mouvements des yeux et les minuscules muscles
de l’oreille interne seuls font exception ; ils sont étonnamment actifs. Dans ce
cas, alors que les paupières sont fermées, les yeux roulent rapidement d’avant en
arrière. Ces salves de mouvements rapides sont les meilleurs signes précurseurs
du rêve et 90 % des personnes que l’on réveille dans cette phase ou après, disent
qu’ils ont rêvé.
C’est l’activité du système sympathique qui assure la régulation physiolo-
gique dans le sommeil paradoxal. Inexplicablement, le système de contrôle de
la température du corps ne fonctionne plus et la température interne commence
à baisser. Les fréquences cardiaque et respiratoire augmentent, mais sont irré-
gulières, et chez les individus en bonne santé, pendant les phases de sommeil
paradoxal le clitoris et le pénis sont gorgés de sang et entrent en érection, bien
que cela n’ait généralement rien à voir avec un éventuel contenu sexuel du rêve.
Ainsi, globalement, il semble que dans le sommeil paradoxal, le cerveau soit
dans tous les états, excepté au repos.

Cycle veille-sommeil
Une bonne nuit de sommeil n’est pas un voyage continu et sans histoire !
La figure 19.15 illustre le cycle des mouvements des yeux, ainsi que l’érection
du pénis, mesuré pendant les phases de REM et de non-REM, au cours d’une
666 3 – Cerveau et comportement

eil

do il

eil

do il

eil

do il

eil

do il

eil

do il
ra e

ra e

ra e

ra e

ra e
So al

So xal

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l
xa
len mm

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pa mm

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pa mm

len mm

pa mm
x

x
So

So

So

So

So

So
t

t
Éveil
Stade 1

Stades EEG
Stade 2
Stade 3

Stade 4

(a)

Mouvements
des yeux
Fréquence cardiaque

75
Figure 19.15 – Modifications de paramètres
physiologiques pendant le sommeil à ondes 65
lentes (non-REM sleep) et le sommeil para­
doxal (REM sleep).
(a) Le graphique représente les épisodes sur- 55
venant au cours d’une nuit de sommeil, débu-
tant avec un état transitionnel entre la veille et
le stade 1 du sommeil lent. Par la suite, l’hyp- 26
Fréquence respiratoire

nogramme montre que le sujet va vers des


stades de sommeil lent plus profonds, jusqu’à 22
atteindre le stade 4. Puis le sujet retourne vers
un sommeil lent plus léger, jusqu’à un épisode
de sommeil paradoxal. Plusieurs cycles de ce 18
type se produisent au cours du nycthémère,
avec une tendance à des épisodes de som-
14
meil lent progressivement plus légers et des
Érection du pénis

épisodes de REM sleep plus longs. (b) Ces 30


enregistrements illustrent les changements 20
de rythme cardiaque, de rythme respiratoire,
et des épisodes d’érection du pénis durant le 10
sommeil paradoxal tout au long d’une nuit de 0
sommeil. (Source : adapté de Purves et  al., 0 1 2 3 4 5 6 7 8
(b)
2004, Fig. 27.7.) Durée du sommeil en heures

nuit entière. Objectivement, le sommeil est tout sauf une promenade tranquille
et quelquefois la chevauchée est plutôt « sauvage »… (Encadré 19.2). Plusieurs
cycles se répètent au cours de cette même nuit de sommeil. Le sommeil à ondes
lentes représente environ 75 % de la durée totale du sommeil, et le sommeil
paradoxal de l’ordre de 25 %, avec des cycles périodiques entre ces phases. Le
sommeil à ondes lentes est généralement divisé en quatre phases distinctes ou
stades. Chez l’homme, une nuit de sommeil est une succession de ces différentes
phases : phases du sommeil à ondes lentes, puis sommeil paradoxal, et de nou-
veau phases du sommeil à ondes lentes ; ce cycle se répétant toutes les 90 min,
environ. Ces cycles sont des exemples de rythmes ultradiens, plus rapides que les
rythmes circadiens.
La figure 19.16 illustre les rythmes de l’EEG en rapport avec les différentes
phases du sommeil. En moyenne, un adulte en bonne santé commence à s’assou-
pir, puis s’endort. C’est le stade 1 du sommeil à ondes lentes, représentant une
phase de transition pendant laquelle les rythmes α d’un état de veille atténué
deviennent moins réguliers et faiblissent, et les mouvements oculaires sont lents.
Le stade 1 est fugitif et ne dure que quelques minutes. C’est aussi le stade le plus
léger du sommeil, c’est-à-dire celui d’où l’on peut s’éveiller le plus facilement. Le
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 667

Encadré 19.2 FOCUS

Marcher, parler et gémir pendant le sommeil !


Le sommeil n’est pas toujours calme et serein. Presque tous les individus parlent pendant leur som-
Marcher, parler, gémir sont des activités fréquentes au meil, de temps à autre : c’est ce que l’on appelle la som-
cours du sommeil, qui surviennent habituellement au noloquie. Mais les sons sont en général si mal articulés
cours du sommeil à ondes lentes. Cela peut paraître sur- ou vides de sens que celui qui écoute est déconcerté.
prenant, mais rappelons que le sommeil paradoxal s’ac- Les terreurs nocturnes sont plus impressionnantes
compagne d’une paralysie presque totale du corps. Il n’est et sont fréquentes chez les enfants de 5 à 7 ans. Une
ainsi pas possible de marcher ou parler au cours du som- petite fille hurle au milieu de la nuit. Ses parents se
meil paradoxal, même si un rêve vous « incite » à le faire. précipitent alors à son chevet, affolés, pour savoir ce
C’est vers l’âge de 11 ans que le fait de marcher au qui la terrifie. L’enfant est inconsolable, incapable
cours du sommeil, ou somnambulisme, est le plus fré- d’expliquer ce qui s’est passé, et au bout de 10 longues
quent : 40 % des enfants sont somnambules, mais cette minutes de cris et d’agitation, l’enfant se rendort enfin
proportion ne se retrouve pas chez les adultes. Le som- tranquillement, laissant ses parents interdits et inquiets.
nambulisme se manifeste au cours du stade 4 de la pre- Le lendemain matin, elle est vive et joyeuse et n’a aucun
mière période de sommeil à ondes lentes de la nuit. Dans souvenir de sa mésaventure nocturne. Les terreurs du
un véritable épisode de marche au cours du sommeil, les sommeil sont très différentes des cauchemars, qui sont
yeux sont ouverts, et l’individu tourne autour de la pièce, des rêves complexes et aigus, sans manifestation exté-
se déplace dans la maison, parfois même à l’extérieur, rieure excessive, survenant au cours du sommeil para-
avec un niveau de conscience suffisant pour pouvoir évi- doxal. En comparaison, les terreurs au cours du som-
ter les objets et monter des escaliers. Le jugement et les meil se manifestent dans les stades 3 et 4 du sommeil à
fonctions cognitives sont sévèrement affectés. Il est sou- ondes lentes, et l’expérience n’est pas associée à un
vent difficile d’éveiller ces marcheurs du sommeil car ils rêve, mais plutôt à un sentiment de panique incontrô-
sont dans un sommeil profond à ondes lentes. La meil- lable, accompagné d’une élévation accrue de la fré-
leure façon d’agir est de les prendre par la main pour les quence cardiaque et de la pression sanguine. Elles
reconduire dans leur lit, et le lendemain matin ils n’ont disparaissent en général avec l’âge, et ne constituent
habituellement aucun souvenir de ce qui s’est passé. pas un symptôme de trouble psychiatrique.

Éveil
Rythmes α Rythmes β et γ

Sommeil
paradoxal
Rythmes β et γ

Stade 1 du
sommeil
lent Rythmes θ

Stade 2 du
sommeil
lent
Fuseaux du sommeil Complexe K

Stade 3 du
sommeil
lent
Rythmes δ

Stade 4 du
Figure 19.16 – Rythmes EEG durant le som­
sommeil
lent meil.
Les enregistrements illustrent les change-
Rythmes δ
ments de rythmes qui caractérisent les diffé-
0 5 10 15 20 rents états de sommeil. (Source : adapté de
Temps (s) Horne, 1988 ; Fig. 1.1.)
668 3 – Cerveau et comportement

stade 2 correspond à un sommeil un peu plus profond et peut durer de 5 à 15 min.


Il comprend des oscillations occasionnelles caractéristiques de 8 à 14 Hz dénom-
mées fuseaux du sommeil, générés par le pacemaker thalamique (voir Fig. 19.12).
De plus, on observe quelquefois une onde rapide de grande amplitude, appelée
complexe K. Les mouvements oculaires s’arrêtent presque complètement. Puis
survient le stade 3, avec des rythmes δ lents de grande amplitude, sans mouve-
ments du corps, ni mouvements oculaires, bien qu’il existe des exceptions. Le
stade 4 constitue la phase la plus profonde du sommeil, avec de grands rythmes
de 2 Hz ou moins. Dans le premier cycle du sommeil, le stade 4 peut durer de 20
à 40 min. Puis le sommeil redevient plus léger, retombe dans le stade 2 pendant
10 à 15 min, et soudainement survient une courte période de sommeil paradoxal
avec des rythmes β et γ rapides et aigus, et de fréquents mouvements oculaires.
Au cours de la nuit, la durée des stades du sommeil à ondes lentes dimi-
nue, particulièrement celle des stades 3 et 4, et la phase de sommeil paradoxal
s’allonge. La moitié de la durée du sommeil paradoxal se déroule dans le der-
nier tiers de la nuit, et les plus longues périodes de sommeil paradoxal durent
de 30 à 50 min. Pourtant, il semble qu’une période réfractaire obligatoire de
30 min sépare les épisodes de sommeil paradoxal ; en d’autres termes, chaque
cycle de sommeil paradoxal est suivi d’une phase d’au moins 30 min de sommeil
à ondes lentes, précédant la phase suivante de sommeil paradoxal.
Que représente ainsi une nuit de sommeil normale ? Vous avez peut-être
entendu dire que l’homme a besoin de 8 heures de sommeil. Les recherches
sur le sommeil montrent que la durée nécessaire varie avec les individus, de 5 à
10 heures par nuit. La durée moyenne est de 7,5 heures, et la durée de sommeil
est de 6,5 à 8,5 heures chez 68 % des jeunes adultes. Les ados devraient méditer
sur cette nécessité de dormir. Les travaux de Mary Carskadon, à l’Université
Brown, suggèrent que les besoins en sommeil ne diminuent pas entre la préado-
lescence et l’adolescence, mais simplement que des changements des horloges
internes circadiennes rendent l’heure du sommeil plus tardive. Ceci correspond
d’ailleurs souvent avec l’entrée au lycée, et donc un début de journée plus tôt
qu’au collège. La conséquence en est que de nombreux lycéens souffrent d’un
manque de sommeil chronique, ce qui n’est pas bon pour la santé. Trop peu de
sommeil peut ainsi réduire les capacités cognitives mais aussi émotionnelles, et
plus généralement le sentiment de bien-être.
Comment connaît-on la durée de sommeil dont nous avons besoin ? La meil-
leure mesure d’un sommeil réparateur en est la qualité de l’éveil. Une certaine
durée de sommeil est nécessaire pour maintenir un niveau acceptable de vigi-
lance. Une somnolence trop marquée dans la journée est source de difficultés :
par exemple, cela peut être dangereux si l’on doit conduire. Compte tenu des
différences entre les individus, chacun doit ainsi déterminer le temps de sommeil
qui lui est nécessaire.

Pourquoi dormons-nous ?
Il semble que tous les mammifères, les oiseaux et les reptiles dorment, mais
seuls les mammifères et quelques oiseaux connaissent une phase de sommeil
paradoxal. Le temps de sommeil est très variable, de 18 heures pour les chauves-
souris et les opossums, à 3 heures pour les chevaux et les girafes. Certains pensent
qu’un comportement aussi dominant doit avoir une fonction critique ; sinon
quelques espèces auraient perdu le besoin de dormir au cours de l’évolution.
Cependant, quelle que soit la fonction du sommeil, il est vraisemblable que ce
soit le cerveau qui l’organise, une altération des fonctions cognitives étant la
conséquence première d’une privation de sommeil. Par exemple, vous pouvez
vous reposer pendant 8 heures dans votre lit sans dormir, et récupérer ainsi d’un
exercice physique intense. Mais, si vous ne dormez pas, vous ne serez quand
même pas au top de votre forme le jour suivant…
Certains animaux paraissent avoir plus de raisons que d’autres de ne pas
dormir. Pensez aux animaux vivant dans des eaux profondes et agitées, qui ont
pourtant besoin de respirer de l’air à peu près toutes les minutes ; le moindre
petit assoupissement serait fâcheux, pour ne pas dire plus. C’est précisément ce
qui se passe avec les dauphins et les baleines, et pourtant ils dorment au moins
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 669

Gauche

Droite

5s
(a) (b) (c)

Figure 19.17 – Enregistrement d’un EEG de sommeil chez le dauphin.


Ces enregistrements ont été effectués simultanément sur les deux hémisphères cérébraux, à droite et à gauche chez des animaux en train de
nager. (a) Rythmes de haute fréquence et de faible amplitude pendant la veille active, enregistrés sur les deux hémisphères. (b) Rythme delta
de forte amplitude correspondant au sommeil profond enregistré sélectivement sur l’hémisphère droit, avec un rythme rapide caractéristique
de l’éveil enregistré simultanément à gauche. (c) Quelque temps après, c’est l’inverse qui est enregistré. (Source : Lyamin et al., 2008, Fig. 1.)

autant que les humains. Fait remarquable, les dauphins ne dorment qu’avec un
seul hémisphère à la fois : deux heures de sommeil lent dans un hémisphère, puis
une heure d’éveil des deux hémisphères, deux heures de sommeil lent dans l’autre
hémisphère, et ainsi de suite pendant douze heures chaque nuit (Fig. 19.17) (ce
qui donne un autre sens à l’expression « être à moitié endormi »). À ce stade de
nos connaissances, il semble que la phase de sommeil paradoxal n’existe pas chez
les dauphins et les baleines. Une autre stratégie de sommeil inhabituelle concerne
le dauphin aveugle de l’Indus, au Pakistan, évoluant dans un environnement
encore plus hostile. Ces animaux utilisent la technique du sonar pour se déplacer
dans les courants agités, boueux et sales, et pendant la mousson, ils ne doivent
jamais s’arrêter de nager au risque de se blesser sur les rochers ou sur les objets
dérivant dans l’estuaire submergé qui constitue leur habitat. Pourtant, le dau-
phin de l’Indus réussit à dormir, saisissant des moments de « microsommeil » de
4 à 6 s, tout en continuant à nager doucement. Tous ces micromoments ajoutés
représentent environ 7 heures de sommeil sur 24 heures.
Des mécanismes de sommeil extraordinaires se sont ainsi développés chez les
dauphins, leur permettant de s’adapter à un environnement difficile. Mais le fait
que même les dauphins aient besoin de dormir amène à revenir sur la question :
pourquoi le sommeil est-il si important ?
Aucune théorie sur le sommeil ne fait l’unanimité, mais les idées les plus
raisonnables se regroupent en deux catégories : les théories de récupération et les
théories d’adaptation. La première catégorie correspond au bon sens : l’homme
dort pour se reposer, récupérer, et se préparer de nouveau à l’éveil. La deuxième
catégorie est moins évidente : on dort pour se mettre à l’abri des ennuis, pour
éviter d’être une proie au moment où l’on est le plus vulnérable, ou en présence
de dangers dans l’environnement, ou encore pour conserver son énergie.
Si le sommeil est réparateur, que permet-il de récupérer ? Le repos au
calme ne peut certainement pas remplacer le sommeil. Le sommeil fait plus à
cet égard que le simple repos. Un manque de sommeil prolongé peut entraî-
ner des problèmes physiques et des troubles du comportement (Encadré 19.3).
Malheureusement, personne n’a encore pu identifier clairement un processus
physiologique reconstitué par le sommeil, une substance essentielle produite ou
une toxine détruite, au cours du sommeil. Le sommeil prépare véritablement la
qualité de l’éveil, mais le sommeil nous renouvelle-t-il comme le fait de manger
et de boire, en remplaçant des substances essentielles disparues, ou à la façon
dont la cicatrisation d’une blessure reconstitue les tissus lésés ? Globalement, il
semble que le sommeil ne soit pas le moment d’une reconstitution accélérée des
tissus de l’organisme. Cependant, il est possible que certaines régions du cer-
veau, comme le cortex cérébral, parviennent à une forme de « repos » essentiel,
seulement dans les phases de sommeil à ondes lentes.
670 3 – Cerveau et comportement

Encadré 19.3 FOCUS

La plus longue journée d’éveil


En 1963, un étudiant de 17 ans, Randy Gardner, Lorsqu’il alla enfin se coucher, il dormit presque
forma un projet ambitieux pour le Salon de la science de 15 heures d’affilée, puis resta éveillé pendant 23 heures
San Diego. Le 28 décembre, il se réveilla à 6 heures du pour attendre la tombée de la nuit, et il dormit de nouveau
matin. Lorsque l’expérience prit fin, 11 jours plus tard plus de 10 heures. Après la première période de sommeil,
(264 heures), il avait battu le record du monde d’un éveil les symptômes avaient presque disparu, et en une semaine
continu, sous le contrôle permanent de deux de ses amis il retrouva un sommeil et un comportement normal.
et, pendant les cinq derniers jours, de chercheurs fasci- Il faut souligner que, dans l’épreuve de Randy, tous
nés. Il n’utilisa aucune drogue, même pas de caféine. les effets négatifs disparurent. Il n’en est pas de même
L’expérience ne fut pas agréable. Randy devint vite irri- chez certains animaux privés de sommeil. Des rats éveil-
table, nauséeux, avec des troubles de la mémoire et inca- lés pendant de longues périodes commencent à perdre
pable de regarder la télévision au bout de deux jours. du poids tout en mangeant beaucoup plus, ils s’affaiblis-
Dès le quatrième jour, il eut de faibles hallucinations et sent, les ulcères à l’estomac et les hémorragies se multi-
ressentit une fatigue excessive, et le septième jour, il com- plient, et il arrive même qu’ils meurent. Il semble que
mença à avoir des tremblements, il articulait mal, et son quelque chose affecte la possibilité de réguler la tempé-
EEG ne montrait plus de rythmes α. Heureusement, il rature de leur corps et les besoins de leur métabolisme.
ne devint pas psychotique, malgré les prédictions de cer- Pour détériorer gravement l’état de ces animaux, il n’est
tains experts. Au contraire, lors de sa dernière nuit pas nécessaire de supprimer totalement le sommeil, la
d’éveil, il battit l’un de ses observateurs les plus reposés disparition prolongée de sommeil paradoxal étant à elle
dans un jeu électronique, et il put rendre compte de son seule dangereuse. Ces expériences tendent ainsi à mon-
état de façon tout à fait cohérente lors d’une conférence trer que le sommeil joue un rôle essentiel dans les régu-
de presse nationale. lations physiologiques.

Les théories d’adaptation relatives au sommeil s’expriment différemment.


Par exemple, certains gros animaux mangent les petits ; il est ainsi beaucoup
trop dangereux pour un écureuil de se promener au clair de lune sur le territoire
de la chouette ou du renard. La meilleure stratégie pour l’écureuil consiste alors
à rester tranquillement à l’abri dans un terrier souterrain pendant la nuit, et le
sommeil est la condition la plus adaptée à cet isolement. Le sommeil peut aussi
représenter une adaptation pour conserver l’énergie. Lorsque l’on dort, le corps
en produit juste assez pour rester en vie, la température interne chute, la régula-
tion thermique faiblit, et le taux de calories utilisées reste peu élevé.

Fonctions du rêve et du sommeil paradoxal


Dans de nombreuses civilisations anciennes, les rêves étaient considérés
comme une fenêtre ouverte sur un monde supérieur et comme une source d’in-
formation, d’orientation, de pouvoir, ou d’illumination. Ces peuples avaient
peut-être raison, mais la sagesse collective du passé ne s’accorde pas sur la façon
la plus exacte d’interpréter la signification des rêves. Il faut aujourd’hui revenir
en arrière et se demander si les rêves ont vraiment un sens. Il est difficile d’étudier
les rêves, étant bien évident que l’on ne peut pas observer directement les rêves
de quelqu’un d’autre ; et le dormeur lui-même ne prend conscience de ses rêves
qu’après s’être réveillé, et les avoir peut-être oubliés et déformés. Les explications
récentes du rêve reposent fortement sur les études du sommeil paradoxal, plutôt
que sur le rêve, car il est possible de mesurer le phénomène des mouvements
oculaires rapides. Mais il est important de rappeler que les deux processus sont
différents. Ainsi, quelques rêves peuvent survenir en dehors des phases de som-
meil paradoxal, et le sommeil paradoxal présente de nombreux aspects qui n’ont
rien à voir avec le rêve.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 671

Le rêve est-il une nécessité ? Personne ne peut le dire, mais l’organisme


semble en exprimer le plus grand besoin. Il est possible de supprimer spécifi-
quement le sommeil paradoxal chez les dormeurs, en les éveillant chaque fois
qu’ils entrent dans l’état de REM ; lorsqu’ils s’endorment, une ou deux minutes
après, ils sont inévitablement dans un état de sommeil lent non-REM, et ils
peuvent passer la nuit en une succession de phases de sommeil non-REM rela-
tivement pure. Comme Dement l’observa le premier, après un tel traitement
pendant plusieurs jours, les dormeurs entrent dans l’état de sommeil paradoxal
plus fréquemment que dans des conditions normales. Lorsqu’on les laisse enfin
dormir tranquillement, ils entrent alors plus souvent dans des états de sommeil
paradoxal dont la durée est proportionnelle à la durée de sommeil paradoxal
dont ils ont été privés. La plupart des travaux ne montrent pas que la privation
de sommeil paradoxal affecte le psychisme dans la journée. Mais ici encore, il
ne faut pas interpréter la privation de sommeil paradoxal comme la privation
de rêve, puisque dans la privation de sommeil paradoxal, les rêves peuvent
encore survenir, au moment de l’endormissement et pendant les périodes de
non-REM.
Sigmund Freud a suggéré que le rêve pouvait avoir plusieurs fonctions.
Pour lui, les rêves étaient l’accomplissement d’un désir inavoué, une façon
inconsciente d’exprimer des fantasmes sexuels et agressifs, interdits dans la vie
courante. Les mauvais rêves pourraient aussi nous préparer à triompher des
situations angoissantes de la vie. Les théories sur le rêve plus récentes s’appuient
davantage sur la biologie. Allan Hobson et Robert McCarley, de l’Université de
Harvard, proposent l’hypothèse d’une « activation-synthèse », qui rejette expli-
citement les interprétations psychologiques freudiennes. Au contraire, les rêves,
ou du moins certains de leurs étranges aspects, sont considérés comme des asso-
ciations et des souvenirs localisés dans le cortex, évoqués par les décharges aléa-
toires des neurones du pont au cours du sommeil paradoxal. Ainsi les neurones
du pont, par l’intermédiaire du thalamus, activent des régions variées du cortex
cérébral, font naître des images ou des émotions bien connues, et le cortex tente
alors de synthétiser les images disparates en un ensemble sensé. Il n’est pas sur-
prenant que le produit du rêve « synthétisé » soit tout à fait étrange et parfois
dénué de sens, puisqu’il est déclenché par l’activité à demi erratique du pont.
Les preuves de « l’hypothèse activation-synthèse » sont encore discutées. D’une
part, cette hypothèse est en faveur de l’étrangeté des rêves et de leur corréla-
tion avec l’état de REM ; cependant, d’autre part, on ne sait pas comment une
activité erratique peut déclencher les histoires complexes et changeantes que
contiennent les rêves, ni comment elle peut produire des rêves qui reviennent
nuit après nuit.
Plusieurs auteurs ont suggéré que le sommeil paradoxal, et peut-être les
rêves eux-mêmes, pourrait jouer un rôle important dans la mémoire. Aucune
preuve n’est définitive, mais il existe des indices surprenants selon lesquels le
sommeil paradoxal favoriserait en quelque sorte l’intégration et la consoli-
dation des souvenirs. La privation de sommeil paradoxal chez l’homme ou le
rat peut affecter sa capacité d’apprentissage dans différentes tâches. Quelques
expériences montrent que la durée de sommeil paradoxal augmente chez
l’homme après un exercice d’apprentissage intense. Dans une étude récente
étonnante, le neurobiologiste israélien Avi Karni et son équipe ont entraîné
des individus à accomplir une simple tâche visuelle, leur demandant de préciser
l’orientation de lignes dans leur champ visuel périphérique. Après plusieurs
jours d’exercice, les individus devenaient bien meilleurs ; et leur performance
s’améliorait aussi de façon étonnante entre le soir et le matin, après une nuit
de sommeil. Karni découvrit que l’apprentissage de la tâche ne s’améliorait
pas après la nuit lorsque les individus étaient privés de sommeil paradoxal.
D’autre part, en privant les individus de sommeil lent, on obtenait en fait de
meilleurs résultats. Karni en tira la conclusion que ce type de mémoire a besoin
de temps pour se renforcer, et que le sommeil paradoxal est particulièrement
efficace pour cela.
672 3 – Cerveau et comportement

Vous avez peut-être entendu parler de l’apprentissage associé au sommeil —


une notion selon laquelle il est possible de se préparer à un examen simplement
en écoutant un enregistrement tout en sommeillant tranquillement. Cela vous
paraît sans doute une fantaisie d’étudiant, et c’est malheureusement tout à fait
ce dont il s’agit ! Il n’y a pas de preuve scientifique du « sommeil-apprentissage »,
et des études sérieuses ont montré que le peu de choses dont se rappelaient les
sujets le lendemain, correspondait à ce qu’ils avaient entendu dans leurs brefs
moments d’éveil. En fait, le sommeil est un état d’amnésie profond2. La plupart
des rêves semblent ainsi s’effacer à tout jamais. Bien que l’on rêve beaucoup au
cours des quatre ou cinq périodes de sommeil paradoxal de la nuit, on ne se sou-
vient en général que du dernier rêve avant l’éveil. Aussi, si une personne se lève
au milieu de la nuit pour une raison ou une autre, elle a souvent oublié l’incident
le matin qui suit.
À ce stade, les fonctions du rêve et du sommeil paradoxal vous paraissent
ainsi peut-être confuses ? Soyez sûr qu’elles le sont pour tout le monde. Il n’y a
malheureusement pas assez de preuves pour affirmer ou pour rejeter chacune
des théories présentées plus haut ; et il y a aussi beaucoup d’autres idées intéres-
santes et plausibles, que nous ne pouvons pas présenter dans ce manuel.

Mécanismes neuronaux du sommeil


Jusqu’aux années 1940, le sommeil était considéré comme un processus
passif : privez le cerveau d’influx sensoriel et il s’endormira. Cependant, si l’on
bloque l’activité des afférences sensorielles du cerveau de l’animal, les cycles de
veille et de sommeil se manifestent encore. Le sommeil se trouve être en fait un
processus actif et met en jeu diverses régions du cerveau. Comme on l’a vu dans
le chapitre 15, des régions importantes du cortex sont effectivement contrôlées
par de petits ensembles neuronaux localisés dans les profondeurs du cerveau.
Ces cellules jouent le rôle de commutateurs ou de régulateurs de l’activité du
cerveau antérieur, en modifiant la sensibilité corticale et en ouvrant le passage à
l’information sensorielle vers le cortex. Les détails complets de ces systèmes de
contrôle sont complexes et peu connus. Il est cependant possible de donner un
résumé des principes de base, de la manière suivante :
•• les neurones les plus impliqués dans le contrôle du sommeil et de l’éveil
font partie des différents systèmes modulateurs diffus (voir Fig. 15.12 et
15.15 dans le chapitre 15) ;
•• les neurones modulateurs du tronc cérébral qui sécrètent de la noradré-
naline et de la sérotonine sont actifs pendant l’éveil et accentuent l’état
d’éveil ; certains neurones sécrétant de l’acétylcholine participent aux évé-
nements critiques du sommeil paradoxal, et d’autres neurones choliner-
giques déchargent activement pendant l’éveil ;
•• les systèmes modulateurs diffus contrôlent les activités rythmiques du
thalamus, qui contrôle à son tour de nombreux rythmes EEG du cortex
cérébral ; les rythmes lents du thalamus associés au sommeil bloquent
apparemment le flux des informations sensorielles vers le cortex ;
•• dans le sommeil, des systèmes modulateurs « descendants » entrent éga-
lement en jeu, par exemple pour inhiber activement les neurones moteurs
au cours du rêve.

2.  NdT : il existe dans la littérature des arguments en faveur du rôle du sommeil lent dans
la consolidation mnésique. Ainsi des enregistrements effectués dans l’hippocampe chez
des rats soumis à un apprentissage spatial montrent que l’activité des neurones de l’hip-
pocampe enregistrée pendant les phases de sommeil lent qui suivent l’apprentissage de la
tâche reproduit fidèlement celle enregistrée au cours de cet apprentissage. L’animal paraît
« revivre » pendant le sommeil lent les apprentissages auxquels il a été soumis durant la
période de veille, ce qui contribuerait à leur mémorisation. Une autre série de travaux
effectués chez l’homme montre que le simple blocage pharmacologique de l’activité de
l’acétylcholinestérase pendant les phases de sommeil lent altère la restitution mnésique le
lendemain, dans une tâche de rappel de mots, sans affecter la mémoire 
procédurale. Ceci
paraît attester de la contribution du sommeil lent à la consolidation mnésique.
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 673

La localisation des mécanismes du sommeil repose sur trois types d’évidence.


L’observation des effets de lésions révèle des modifications de fonctionnement
lorsqu’une partie du cerveau a été enlevée ; les résultats des expériences de sti-
mulation indiquent les modifications consécutives à l’activation d’une partie du
cerveau ; et les enregistrements de l’activité des neurones déterminent les rela-
tions entre cette activité et les différents états du cerveau.
Éveil et système réticulaire activateur ascendant (SRAA). Les lésions
du tronc cérébral chez l’homme sont associées au sommeil ou au coma, et cela
indique que l’activité des neurones de cette partie du cerveau joue un rôle essen-
tiel pour maintenir l’état d’éveil. Le neurophysiologiste italien Giuseppe Moruzzi
et son équipe, dans leurs travaux des années 1940-1950, ont commencé à clarifier
les mécanismes neurobiologiques de la vigilance et de l’éveil. Ils ont découvert
que les lésions des structures médianes du tronc cérébral provoquaient un état
comparable à celui du sommeil lent, mais qu’il n’en était pas de même avec les
lésions du tegmentum latéral, qui arrêtaient les influx sensoriels ascendants. En
revanche, la stimulation électrique de la ligne médiane du tegmentum mésen-
céphalique de la formation réticulée faisait passer les enregistrements des EEG
lents et rythmiques du sommeil lent, à un état de vigilance plus aigu avec un EEG
semblable à celui de l’état d’éveil. Moruzzi donna à cette zone de stimulation
mal définie anatomiquement le nom de système réticulaire activateur ascendant
(SRAA), déjà mentionné dans le chapitre 15. Cette zone est maintenant bien
mieux connue, et il est clair que la stimulation appliquée par Moruzzi affectait
plusieurs ensembles de systèmes modulateurs ascendants.
Plusieurs ensembles de neurones augmentent leur fréquence de décharge
avant le réveil et durant certaines formes d’éveil cortical. Ce sont les cellules du
locus coeruleus, qui sécrètent de la noradrénaline, les cellules sérotoninergiques
des noyaux du raphé, les cellules contenant de l’acétylcholine du tronc cérébral
et de la base du cerveau antérieur, et les neurones du mésencéphale qui ont
l’histamine pour neurotransmetteur, ou encore les neurones de l’hypothalamus
qui utilisent l’hypocrétine (orexine) comme neurotransmetteur (Fig. 19.18).
Collectivement, ces neurones forment des connexions synaptiques directes sur le
thalamus tout entier, le cortex cérébral, et bien d’autres parties du cerveau. Leurs
neurotransmetteurs sont en général responsables d’effets dépolarisants, d’une
augmentation de leur excitabilité et de la suppression des activités rythmiques.
Ces effets se manifestent clairement au niveau des neurones relais du thalamus
(Fig. 19.19).
L’hypocrétine (connue aussi sous le nom d’orexine ; voir chapitre 16), repré-
sente un petit peptide exprimé principalement par les neurones dont les corps
cellulaires sont localisés dans l’hypothalamus latéral. Les axones de ces neu-
rones qui utilisent l’hypocrétine (orexine) comme neurotransmetteur projettent
très largement dans de nombreuses régions cérébrales, et excitent très fortement

Acétylcholine
(mésencéphale,
pont)

Acétylcholine
(noyau basal
antérieur)

Hypocrétine (orexine)
(hypothalamus latéral)

Histamine
(cerveau moyen) Figure 19.18 – Principales composantes des
Sérotonine systèmes neuromodulateurs qui interviennent
(noyaux du raphé) Noradrénaline dans la régulation des états de veille et de
(locus coeruleus) sommeil.
674 3 – Cerveau et comportement

les neurones cholinergiques, sérotoninergiques, noradrénergiques, dopaminer-


giques et histaminergiques neuromodulateurs. Lorsque le peptide a été décou-
vert, les premières idées étaient qu’il était sélectivement impliqué dans la régula-
tion du comportement alimentaire (voir chapitre 16), mais très rapidement son
rôle beaucoup plus large s’est imposé aux chercheurs. Le peptide a la faculté de
faciliter les états d’éveil, d’inhiber le sommeil lent, d’activer certains neurones
impliqués dans les comportements moteurs, et se trouve impliqué dans la régula-
tion des systèmes neuroendocrine et autonome. La dégénérescence des neurones
sécrétant l’hypocrétine (orexine) se traduit par une pathologie dénommée narco-
lepsie (Encadré 19.4).

Sommeil lent Éveil

ACh ou NA ou 5-HT
ou histamine

(a) 2s

300 ms

(b) (c)

Figure 19.19 – Activité thalamique rythmique pendant la veille et le sommeil.


(a) Au repos, les neurones thalamiques ont tendance à adopter une décharge lente, de rythme delta, avec des décharges « en bouf-
fées » (à gauche). Sous l’influence de divers neuromodulateurs comme l’acétylcholine (ACh), la noradrénaline (NA) ou l’histamine, les
neurones se dépolarisent et adoptent une décharge correspondant à une excitabilité accrue (à droite), en décharge continue. Ceci
pourrait intervenir lors des phases de transition entre sommeil lent et état d’éveil. Les représentations en (b) et (c) sont des agrandis-
sements des enregistrements figurés en (a). 5-HT : sérotonine. (Source : adapté de McCormick et Pape, 1990, Fig. 14.)

Encadré 19.4 FOCUS

Narcolepsie
La narcolepsie est une maladie étrange et invalidante, sommeil » incontrôlables. La cataplexie est une paraly-
qui affecte le sommeil et l’état d’éveil. En dépit de la sie musculaire soudaine de courte durée (moins d’une
consonance du terme, elle n’a pas de rapport avec l’épi- minute), sans perte de conscience, souvent liée à une
lepsie. Toutes les manifestations qui suivent ou quelques- forte expression émotionnelle, un accès de fou rire ou de
unes d’entre elles, sont présentes au cours de cette affec- pleurs ; elle peut survenir brutalement, ou avec l’excita-
tion. tion sexuelle. La paralysie du sommeil, qui se traduit par
Ainsi on note une somnolence excessive durant la la même disparition du tonus musculaire, survient dans
journée, qui peut être sévère et provoquer des « accès de la période qui sépare le sommeil et l’éveil. Elle se produit
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 675

Encadré 19.4 FOCUS  (suite)

parfois sans narcolepsie, et peut être très déconcertante :


le sujet reste conscient, mais il ne peut pas bouger ou
parler pendant quelques minutes. Les hallucinations
liées au sommeil représentent des rêves pittoresques,
souvent terrifiants, qui accompagnent aussi l’apparition
du sommeil et peuvent suivre la paralysie du sommeil.
Tractus Tractus
Parfois ces rêves sont plus calmes, en rapport avec des optique optique
événements réels qui se sont passés juste avant de s’en-
dormir.
Figure A – Position des neurones contenant de l’hypocrétine dans
L’EEG montre une différence notoire entre la narco-
l’hypothalamus d’un cerveau d’un sujet normal (à gauche) et d’un
lepsie et le sommeil normal. Une personne atteinte de
cerveau d’un patient narcoleptique (à droite).
narcolepsie passe directement de l’état de veille à une (Source : adapté de Thannickal et al., 2000, Fig. 1.)
phase de sommeil paradoxal, alors que les dormeurs
adultes connaissent toujours une longue période de
sommeil lent pour commencer. De nombreux symp- Au cours de l’année 2000, deux équipes ont décou-
tômes de la narcolepsie apparaissent comme l’intrusion vert que chez les sujets narcoleptiques, il se trouvait
anormale des effets du sommeil paradoxal pendant moins de 10 % des neurones à hypocrétine par rapport à
l’éveil. des sujets témoins (Fig. A). Le LCR de ces malades
La prévalence de la narcolepsie est très variable, contient par ailleurs des taux du neuropeptide très bas,
affectant environ une personne sur 1 000 ou sur 2 000 alors même que dans aucune pathologie neurologique
aux États-Unis, mais seulement une personne sur connue les taux de ce peptide sont affectés. Ainsi appa-
500 000 en Israël. Typiquement la maladie survient entre raît-il comme vraisemblable que la narcolepsie est due à
l’âge de 12 à 16 ans. La maladie présente une compo- la dégénérescence sélective des neurones à hypocrétine,
sante génétique et un nombre important de patients nar- dans la plupart des cas. Toutefois, contrairement à ce
coleptiques expriment une forme particulière d’un gène qui se passe dans les modèles animaux de la maladie,
de l’antigène leucocytaire humain (HLA). Cependant, chez l’homme la narcolepsie n’est que très rarement la
25 % environ de la population générale présente aussi ce conséquence de mutations des gènes de l’hypocrétine ou
gène particulier de HLA et une très vaste majorité ne de ceux de ses récepteurs. Les raisons pour lesquelles les
développe pas de narcolepsie. Il est vraisemblable que neurones à hypocrétine dégénèrent chez les patients
des facteurs environnementaux puissent également jouer narcoleptiques ne sont pas connues, mais une forme
un rôle important dans le développement de la maladie. de pathologie auto-immune est suspectée. Ainsi des
Une étude récente effectuée en Chine montre que le fragments de protéines virales pourraient mimer l’hypo-
déclenchement de la narcolepsie chez l’enfant varie avec crétine, conduisant à ce que le développement d’une
les saisons et tend à augmenter avec l’hiver et les patho- réponse immunitaire se traduise par la destruction des
logies respiratoires. Il a également été noté un pic de nar- neurones sécrétant le neuropeptide.
colepsie au moment de la pandémie de la grippe H1N1 Actuellement, il n’existe pas de traitement de la
dans les années 2009-2010, suivi par une forte réduction narcolepsie et les seules possibilités réelles sont de sou-
dans les deux années qui ont suivi. Le nombre de cas de lager les symptômes. Ainsi, de petits sommeils fré-
narcolepsie augmente aussi en Europe où de nombreuses quents, quelques amphétamines et un médicament
personnes ont été vaccinées contre H1N1, comme en dénommé modafinil sont capables d’améliorer la som-
Chine où le vaccin n’a pas été distribué. nolence diurne, alors que les antidépresseurs tricycli-
La narcolepsie atteint également les animaux. Elle ques (qui empêchent la survenue du sommeil para-
est trouvée chez les chèvres, les ânes et les poneys et chez doxal) sont à même de réduire la cataplexie et la
plus de douze races de chiens. En 1999, Emmanuel paralysie du sommeil. La découverte qu’un déficit en
Mignot, Seiji Nishino, et leur équipe à l’Université de hypocrétine sous-tend la narcolepsie est prometteuse
Stanford, ont montré que, chez certains de ces chiens, la de la mise en place d’un traitement visant à administrer
narcolepsie était liée à une mutation du gène codant aux patients le neuropeptide lui-même, ou certains
pour un récepteur de l’hypocrétine. agonistes de ses récepteurs. Néanmoins à ce stade, les
La même année, Masashi Yanagisawa et son groupe résultats des essais cliniques sont décevants. L’un des
au Southwestern Medical Center de l’Université du problèmes est lié au fait que l’hypocrétine ne franchit
Texas ont créé une souris dont le gène codant pour pas très bien la barrière hématoencéphalique. Chez
l’hypocrétine avait été inactivé. Ils ont montré que cette l’animal, par ailleurs, la transplantation de neurones à
souris mutante était narcoleptique. Ces données de la hypocrétine a donné quelques résultats intéressants,
recherche fondamentale ont aussitôt modifié l’approche mais aucune tentative n’a encore été faite chez l’homme
de la narcolepsie en pathologie humaine. dans cette direction.
676 3 – Cerveau et comportement

Endormissement et sommeil lent.  L’endormissement correspond à des


modifications progressives s’étendant sur plusieurs minutes, qui culminent
dans l’état de non-REM. Ce qui génère l’état de sommeil lent n’est pas encore
connu précisément, bien que nous sachions à ce stade que certains facteurs faci-
litant le sommeil (facteurs hypnogènes) sont impliqués, comme nous le verrons
ci-dessous. Mais celui-ci est associé à une réduction générale des fréquences de
décharge dans la plupart des neurones modulateurs du tronc cérébral (ceux qui
ont pour neurotransmetteur la noradrénaline, la sérotonine et l’acétylcholine).
Bien que la plupart des régions de la base du cerveau antérieur semblent favori-
ser la vigilance et l’éveil, un sous-ensemble de neurones cholinergiques de cette
région augmente sa fréquence de décharge avec la survenue du sommeil lent, et
se trouve inactif pendant l’éveil.
Les phases précoces du sommeil lent présentent les décharges en fuseau
décrites plus haut, qui sont générées par l’activité rythmique des neurones tha-
lamiques (voir Fig. 19.11). Au fur à mesure que le sommeil lent se développe,
les fuseaux disparaissent et ils sont remplacés par des rythmes δ plus lents (de
moins de 4 Hz). Les rythmes δ semblent aussi provenir des cellules du thalamus,
et ils surviennent lorsque leur potentiel de membrane est encore plus négatif que
pendant les fuseaux (et beaucoup plus négatif qu’il ne l’est pendant l’éveil). La
synchronisation de l’activité pendant les fuseaux ou les rythmes δ provient des
interconnexions neuronales à l’intérieur du thalamus, et probablement entre le
thalamus et le cortex. En raison des fortes connexions excitatrices de caractère
réciproque existant entre le thalamus et le cortex, l’activité rythmique de l’une de
ces structures se répercute souvent largement et fortement sur l’autre.
Mécanismes du sommeil paradoxal.  Le sommeil paradoxal représente un
état si différent du sommeil lent que l’on peut s’attendre à des mécanismes très
différents. Lors de cette phase du sommeil, de nombreuses aires corticales sont
au moins aussi actives que pendant l’état de veille. Par exemple, les neurones
du cortex moteur ont une activité de décharge rapide et génèrent des séquences
motrices organisées qui tentent de commander des mouvements au corps, mais
qui ne réussissent qu’à susciter quelques mouvements des muscles oculaires, de
ceux de l’oreille interne, ou encore de ceux qui sont indispensables pour la res-
piration. Les rêves élaborés du sommeil paradoxal mettent sûrement en jeu le
cortex cérébral ; mais il semble pourtant que le cortex cérébral ne joue pas un
rôle essentiel dans le déclenchement du sommeil paradoxal.
L’utilisation de la tomographie par émission de positrons (TEP-scan) et
de l’IRMf a permis de mieux comprendre les différences en ce qui concerne
l’activation cérébrale en rapport avec le sommeil paradoxal et le sommeil à ondes
lentes. La figure 19.20a illustre les différences d’activation cérébrale pendant les
états de veille et de sommeil paradoxal. Un certain nombre de régions cérébrales,
incluant ici les aires visuelles primaires, présentent à peu près le même niveau
d’activité dans les deux états de vigilance. En revanche, d’autres régions comme

Figure 19.20 – Images en TEP-scan chez


l’homme, des états de veille et de sommeil.
Ces images illustrent, sur des sections hori-
zontales, l’activité cérébrale mesurée au
cours de différents états de vigilance. (a) Les
couleurs illustrent les changements d’acti-
vité entre le sommeil paradoxal et l’éveil ; les
zones de couleurs verte, jaune et rouge repré-
sentent les régions les plus actives pendant
le sommeil paradoxal. Les régions de teinte
bleue, qui ne changent pas avec l’état de
vigilance, traduisent la constance de l’état du
cortex strié dans ces deux états de vigilance.
(b) Sur ces sections horizontales, le sommeil
paradoxal est comparé au sommeil lent. Dans
Sommeil paradoxal-éveil Sommeil paradoxal-sommeil lent
ce cas, le cortex strié est moins actif dans
l’état de sommeil paradoxal. (Source : Braun
(a) (b)
et al., 1998, Fig. 1.)
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 677

par exemple certaines aires extrastriées et des portions du système limbique


sont, de façon très significative, plus actives pendant le sommeil paradoxal que
pendant la veille ; la situation inverse étant rencontrée pour certaines zones du
cortex frontal qui sont plus actives pendant l’éveil. La figure 19.20b compare les
régions cérébrales préférentiellement activées pendant le sommeil paradoxal ou
le sommeil lent. Le cortex visuel primaire et un certain nombre d’autres régions
cérébrales sont moins actifs pendant le sommeil paradoxal ; en revanche, les
aires extrastriées sont plus actives pendant le sommeil paradoxal que pendant
le sommeil lent. Ces résultats donnent une idée de la complexité des événements
qui interviennent pendant la fluctuation de la vigilance liée au sommeil. Ainsi
note-t-on une activation massive des aires extrastriées pendant le sommeil para-
doxal, peut-être en rapport avec les épisodes de rêve qui interviennent pendant
cette phase du sommeil. Il est notable que cette activation des régions extrastriées
ne s’accompagne pas d’une activation concomitante du cortex visuel primaire,
suggérant que l’activation du cortex extrastrié est déclenchée par un processus
interne. Les aspects émotionnels du rêve pourraient quant à eux être liés à l’ac-
tivation limbique, qui est également nettement perceptible pendant le sommeil
paradoxal. Par ailleurs, la faible activité des lobes frontaux suggère que le cortex
extrastrié n’est vraisemblablement pas le siège d’une intégration ou d’une inter-
prétation majeure des informations visuelles, pendant cette phase du sommeil.
Comme pour les autres états fonctionnels du cerveau, les systèmes modula-
teurs diffus situés au plus profond du tronc cérébral, et en particulier au niveau
du pont, contrôlent le sommeil paradoxal. Les fréquences de décharge des
deux systèmes aminergiques principaux du tronc cérébral, le locus coeruleus et
les noyaux du raphé, faiblissent pour disparaître presque totalement avec l’ap-
parition du sommeil paradoxal (Fig. 19.21). Cependant, on note une élévation
brutale de l’activité des neurones du pont contenant de l’acétylcholine, vrai-
semblablement en rapport avec l’apparition du sommeil paradoxal. Durant le
sommeil paradoxal, c’est probablement l’acétylcholine qui contrôle le thalamus
et le cortex dont l’activité est semblable à celle qu’ils manifestent pendant l’éveil.
Les périodes de sommeil paradoxal se terminent quand les neurones contenant
de la noradrénaline, et d’autres de l’acétylcholine, redeviennent actifs.
Pourquoi n’exprimons-nous pas nos rêves ? Les mêmes systèmes neuronaux
siégeant dans les profondeurs du cerveau et qui contrôlent les processus du
sommeil dans le cerveau antérieur, inhibent aussi activement les motoneurones
spinaux, empêchant l’activité motrice descendante de s’exprimer dans un mou-
vement véritable. Ceci apparaît clairement comme un mécanisme d’adaptation
fait pour nous protéger de nous-mêmes. Certaines personnes, généralement des

Cellules actives pendant le sommeil paradoxal


Sommeil lent Sommeil paradoxal
Cellules inactives pendant le sommeil paradoxal
Fréquence de décharge

0 1 2 3 4 5 6 7 8
Temps depuis le début du sommeil (en heure)

Figure 19.21 – Contrôle du déclenchement et de l’arrêt des mouvements oculaires par les neu­


rones du tronc cérébral.
Ce diagramme illustre le niveau de décharge relative des neurones du tronc cérébral associés au
sommeil à mouvements oculaires rapides (REM sleep, sommeil paradoxal) au cours d’une nuit
de sommeil. Les périodes de sommeil paradoxal sont représentées en vert. Les neurones qui
déchargent avec le déclenchement du sommeil paradoxal sont les neurones cholinergiques du
pont (tracé rouge), et leur décharge augmente juste avant le déclenchement du sommeil paradoxal.
Les neurones qui augmentent leur décharge à l’arrêt du sommeil paradoxal sont les neurones
noradrénergiques et les neurones sérotoninergiques, du locus coeruleus et des noyaux du raphé,
respectivement (tracé bleu). Leur décharge augmente juste au moment où le stade de sommeil
paradoxal se termine. (Source : McCarley et Massaquoi, 1986, Fig. 4B.)
678 3 – Cerveau et comportement

hommes âgés, semblent vraiment vivre leurs rêves ; cet état est connu comme un
trouble comportemental du sommeil paradoxal. Ces personnes se blessent sou-
vent et parfois leurs femmes sont victimes de leur agitation nocturne. On a ainsi
plusieurs exemples : un homme rêva un jour qu’il était engagé dans une partie
de football et se mit à taper sur le bureau de sa chambre ; un autre imagina
qu’il défendait sa femme qui était attaquée, alors qu’il était en train de la battre
dans leur lit. L’origine de ce trouble du sommeil est sans doute liée au dysfonc-
tionnement des systèmes du tronc cérébral qui commandent l’atonie posturale
associée au sommeil paradoxal. De fait, des lésions expérimentales pratiquées
sur certaines parties du pont peuvent effectivement entraîner des désordres sem-
blables chez le chat. Au cours des périodes de sommeil paradoxal, ces animaux
paraissent ainsi se mettre en chasse contre des souris imaginaires, ou partir à la
recherche d’invisibles intrus. Les troubles des mécanismes de contrôle du som-
meil paradoxal, liés principalement à un déficit d’hypocrétine (orexine) sont
aussi à l’origine de la narcolepsie (voir Encadré 19.4).
Facteurs hypnogènes.  Les chercheurs qui travaillent sur le sommeil pour-
suivent intensivement leur recherche d’un facteur chimique dans le sang ou dans
le liquide céphalorachidien (LCR), qui favoriserait ou induirait le sommeil, et de
nombreuses substances facilitant le sommeil ont été identifiées chez les animaux
privés de sommeil. Nous allons en décrire les principales, parmi lesquelles l’adé-
nosine paraît jouer un rôle particulier. L’adénosine est de fait un composant de
toutes les cellules vivantes, qui l’utilisent pour la synthèse de l’ADN, des ARNs,
et de l’ATP. L’adénosine, secrétée par certains neurones, agit par ailleurs très lar-
gement comme modulateur au niveau de très nombreuses synapses du cerveau.
C’est une substance qui concerne aussi tous ceux qui sont habitués à boire du café,
du thé ou du Coca-Cola. Depuis les temps les plus reculés, les antagonistes des
récepteurs de l’adénosine, comme la caféine ou la théophylline, ont toujours été
utilisés comme stimulants pour rester éveillé. À l’inverse, les agonistes des récep-
teurs de l’adénosine ou son administration facilitent le sommeil. Dans un grand
nombre de régions cérébrales où cela a été mesuré, il apparaît aussi que les taux
extracellulaires d’adénosine sont plus importants pendant la veille que pendant
le sommeil. De plus, les taux d’adénosine extracellulaires augmentent progressi-
vement lorsque les animaux sont privés de sommeil, et ils diminuent de la même
manière lors de l’endormissement. Les modifications des taux d’adénosine n’in-
terviennent pas de façon uniforme dans le cerveau en rapport avec l’éveil, mais
seules les régions impliquées dans la régulation des mécanismes du sommeil sont
impliquées. Dès lors, les effets promoteurs du sommeil d’une part, et les chan-
gements intervenant en rapport avec les modifications du cycle veille-sommeil
d’autre part, font de l’adénosine un facteur essentiel favorisant l’état de sommeil.
Comment l’adénosine est-elle à même de faciliter le sommeil ? L’adénosine
a un effet inhibiteur sur un grand nombre de systèmes modulateurs du cerveau,
comme ceux utilisant l’acétylcholine, la noradrénaline ou encore la sérotonine,
qui sont plus actifs pendant la veille. Cela suggère que le sommeil résulte d’une
cascade d’événements moléculaires impliquant ces neurotransmetteurs, à un
niveau ou à un autre. Pendant l’éveil, l’activité neuronale augmente les taux
d’adénosine, ce qui, progressivement, va de plus en plus réduire l’activité de
ces systèmes modulateurs associés à l’état de veille. Dans ce cas, le cerveau va
pouvoir basculer dans un état de synchronisation de l’activité cérébrale carac-
téristique du sommeil lent. À partir du moment où le sommeil est présent, les
taux d’adénosine sont progressivement réduits et l’activité des systèmes modu-
lateurs associés à l’éveil augmente à nouveau jusqu’à l’éveil, et un nouveau cycle
démarre.
Un autre facteur hypnogène important est le monoxyde d’azote (NO pour
nitric oxide). Souvenez-vous que le NO représente une toute petite molécule
gazeuse qui diffuse facilement au travers des membranes et sert de neurotrans-
metteur dans la signalisation rétrograde (post-synaptique vers le présynaptique),
pour certaines catégories de neurones (voir chapitre 6). Les neurones choliner-
giques du tronc cérébral impliqués dans la genèse de l’éveil expriment un haut
niveau de l’enzyme intervenant dans la synthèse du NO, la NO-synthétase. Les
niveaux de NO sont élevés pendant l’éveil et augmentent très rapidement en
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 679

rapport avec une privation de sommeil. Par quels mécanismes peut-on imaginer
que le NO puisse faciliter l’état de sommeil ? Certaines études ont de fait montré
que le NO est à l’origine de la sécrétion d’adénosine, et dans ce contexte, comme
nous l’avons vu, l’adénosine peut faciliter le sommeil lent en supprimant l’acti-
vité des neurones qui s’efforcent de maintenir l’éveil.
La somnolence est l’une des conséquences les plus fréquentes des mala-
dies infectieuses telles qu’un simple rhume ou une grippe. Il est ainsi vraisem-
blable qu’il existe des liens directs entre la réponse du système immunitaire aux
infections et la régulation des états de sommeil. Dans les années 1970, John
Pappenheimer, un physiologiste de l’Université de Harvard, identifia un dipep-
tide nommé muramyl dans le LCR de chèvres privées de sommeil, qui favorisait
le sommeil lent (non-REM). Certains des peptides de cette famille sont habi-
tuellement seulement produits par les parois cellulaires des bactéries, et non par
les cellules du cerveau. Ils sont impliqués dans les mécanismes de la fièvre et
stimulent les cellules immunes du sang. On ne comprend pas bien comment de
telles substances se trouvent dans le LCR, mais elles pourraient être synthétisées
par les bactéries contenues dans l’intestin. Des travaux plus récents impliquent
certaines cytokines, qui représentent des peptides impliqués dans la signalisation
du système immunitaire, dans la régulation des états de sommeil. L’un de ces
peptides, l’interleukine-1, est synthétisé dans le cerveau par les cellules gliales
et dans les macrophages, des cellules que l’on retrouve dans le corps tout entier
pour le débarrasser de corps étrangers. Comme l’adénosine et le NO, les taux cir-
culants d’interleukine-1 augmentent durant la veille et, chez l’homme, ces taux
atteignent leur valeur maximale juste avant l’endormissement. L’interleukine-1
facilite la survenue du sommeil lent, même si le système immunitaire n’est pas
stimulé. Administré chez l’homme, il induit une fatigue et un besoin de sommeil.
Par ailleurs, l’interleukine-1 stimule aussi le système immunitaire.
Un autre facteur endogène dont l’activité a été associée au sommeil est la méla-
tonine, une hormone sécrétée par la glande pinéale qui est située juste au-dessus
du tectum (voir annexe du chapitre 7). La mélatonine est synthétisée à partir du
tryptophane. Cette hormone est parfois qualifiée « d’hormone Dracula », parce
qu’elle n’est sécrétée que durant les périodes nocturnes, en fait plutôt en l’absence
d’éclairement puisque sa libération est inhibée par la lumière. Chez l’homme,
les taux de mélatonine tendent à s’élever en fin de journée, au moment de l’en-
dormissement. Les taux les plus importants sont mesurés en fin de nuit, au petit
matin, puis s’effondrent brutalement au moment du réveil. De nombreux travaux
suggèrent que la mélatonine est un facteur qui aide à induire et à maintenir l’état
de sommeil, mais son rôle précis n’est pas encore connu. La mélatonine est célèbre
pour ses effets inducteurs de sommeil. Ceux-ci sont toutefois discutés, y compris
pour réduire les effets des décalages horaires lorsque l’on voyage en avion.
Expression génique en rapport avec la veille et le sommeil.  Les études sur
les mécanismes du sommeil ont bénéficié d’approches complémentaires, dans le
domaine du comportement, de la neurophysiologie ou de l’approche de la fonc-
tion des systèmes modulateurs. L’utilisation des méthodes de la biologie molé-
culaire a également contribué à l’avancée des connaissances en ce domaine. Bien
que les données acquises ne soient pas encore tout à fait complètes, il existe un
certain nombre de résultats montrant que les événements moléculaires de l’éveil
et du sommeil sont différents. Par exemple, chez le macaque, la plupart des aires
corticales présentent pendant le sommeil profond un niveau général de synthèse
des protéines bien supérieur à celui mesuré pendant des épisodes de sommeil
plus légers. Chez le rat, on observe par ailleurs dans certaines aires corticales un
taux d’AMPc plus faible pendant le sommeil que pendant l’état de veille.
De nombreux travaux ont bien démontré que le sommeil, la veille et la priva-
tion de sommeil s’accompagnent de niveaux d’expression différents de certains
gènes. Dans l’une de ces études, Chiara Cirelli et Giulio Tonini du Neurosciences
Institute de San Diego et à l’Université du Wisconsin, ont examiné chez le rat
l’expression de milliers de gènes en rapport avec les états de vigilance. La plu-
part de ces gènes présentent le même niveau d’expression, que ce soit pendant la
veille ou pendant le sommeil. Toutefois, les gènes qui présentent une différence
d’expression en rapport avec ces deux états de vigilance, soit environ 0,5 %, sont
680 3 – Cerveau et comportement

susceptibles de fournir des clés pour comprendre les mécanismes moléculaires.


Trois groupes de gènes plus particulièrement exprimés pendant la veille se dis-
tinguent à partir de ces travaux. Un premier groupe de gènes correspond aux
gènes d’activation précoce (immediate early genes), qui codent pour des facteurs
de transcription affectant en cascade l’expression d’autres gènes. Certains de ces
gènes sont par exemple impliqués dans la régulation de l’efficacité synaptique.
Leur faible expression apparente pendant l’état de sommeil pourrait alors être
mise en rapport avec le niveau très faible d’apprentissage et de mémorisation
pendant cet état de vigilance. Le second groupe de gènes plus particulièrement
exprimés pendant la veille est lié à l’activité des mitochondries. Dans ce cas, il est
alors envisagé que l’augmentation d’expression de ces gènes pourrait jouer un
rôle pour satisfaire les besoins énergétiques élevés, liés à l’état d’éveil. Le troisième
groupe de gènes correspond à des protéines impliquées dans les réponses au stress
cellulaire.
Il existe toutefois un autre groupe de gènes, qui voit son activité augmentée
pendant le sommeil. Certains de ces gènes sont impliqués dans la synthèse de
protéines indispensables par exemple aux mécanismes de plasticité synaptique.
Un résultat important concerne le fait que l’expression de ces gènes en rapport
avec l’état de sommeil est spécifique du cerveau, n’intervenant pas dans d’autres
organes comme le foie ou les muscles. Ceci est alors en accord avec l’hypothèse plus
générale que le sommeil est bien produit par le cerveau, au bénéfice du 
cerveau.

Rythmes circadiens
Le comportement de presque tous les animaux terrestres est coordonné par
les rythmes circadiens. Ces animaux s’adaptent aux cycles quotidiens de lumière
et d’obscurité, qui sont dus au mouvement de rotation de la terre (du latin circa :
environ, et dies : jour). Les différentes espèces présentent des rythmes circadiens
de période variable. Certains animaux sont actifs pendant la journée, d’autres
seulement pendant la nuit, et d’autres encore surtout dans les périodes de transi-
tion que représentent l’aube et le crépuscule. L’activité de la plupart des systèmes
physiologiques et biochimiques de l’organisme fluctue avec les rythmes du jour ;
ainsi la température du corps, la circulation sanguine, la production d’urine, le
niveau des hormones, la pousse des cheveux et le métabolisme (Fig. 19.22). Chez
l’homme, il existe par exemple une relation approximativement inverse entre la
propension au sommeil et la température corporelle.
Si les cycles de la lumière du jour et de l’obscurité dans l’environnement
de l’animal sont supprimés, les rythmes circadiens conservent plus ou moins
la même cadence car les horloges primaires qui règlent les rythmes circadiens
ne sont pas astronomiques (liées au Soleil et à la Terre), mais biologiques et
se trouvent dans le cerveau. Comme toutes les horloges, celles du cerveau ne
sont pas parfaites, et ont besoin d’être réglées de temps à autre. Il faut réguliè-
rement remettre sa montre à l’heure pour qu’elle soit synchronisée avec le reste
du monde (ou du moins avec l’heure donnée par votre ordinateur). De la même
façon, les stimuli extérieurs, tels que la lumière et l’obscurité, ou les changements
de température au cours de la journée, contribuent à ajuster les horloges du cer-
veau pour qu’elles soient synchronisées avec l’apparition et la disparition de la
lumière du soleil. Les rythmes circadiens sont bien connus au niveau cellulaire,
comportemental et moléculaire, mais les horloges du cerveau sont également
particulièrement utiles pour observer le lien existant entre l’activité de certains
neurones particuliers et le comportement.

Horloges biologiques
La première évidence de l’existence d’une horloge biologique est venue d’un
organisme privé de cerveau : un arbre, le mimosa. Les feuilles du mimosa se
redressent pendant la journée et retombent la nuit. Il semble évident pour beau-
coup que l’arbre réagit tout simplement à la lumière du soleil, par une sorte de
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 681

eil

eil

eil
m

m
ille

ille
m

m
So

So

So
Ve

Ve
80
Vigilance

40

0
38
Température (°C)

37

36
croissance (ng/mL)

15
Hormone de

10

15
(µg/100 mL)
Cortisol

10

5
Figure 19.22 – Rythmes circadiens et fonc­
tions physiologiques.
0
Les variations représentées ici portent sur
deux jours consécutifs. La vigilance et la
3 température corporelle varient de façon simi-
Potassium
(mEq/h)

laire. En revanche, les niveaux de l’hormone


2
de croissance et du cortisol dans le sang
1 culminent pendant le sommeil, même si ce
n’est pas toujours au même moment. Le
diagramme du bas représente l’évolution de
la sécrétion de potassium par les reins, plus
6 12 18 24 6 12 18 24 importante pendant le jour. (Source : adapté
Heure de la journée (h) de Coleman, 1986, Fig. 2.1.)

mouvement réflexe. En 1729, le physicien français Jacques d’Ortous de Mairan


vérifia cette évidence ; il mit des plants de mimosa dans une pièce sombre en
permanence et découvrit que les feuilles se redressaient et retombaient quand
même. Mais il arrive qu’une constatation nouvelle et surprenante conduise à une
conclusion fausse. De Mairan pensait que la plante percevait encore, en quelque
sorte, le cycle du soleil, y compris dans l’obscurité. Plus d’un siècle plus tard, le
botaniste suisse Augustin de Candolle montra qu’une plante comparable mise
dans l’obscurité redresse et laisse retomber ses feuilles toutes les 22 heures, plutôt
que toutes les 24 heures du cycle du soleil. Ceci signifiait que la plante n’était pas
sensible au soleil, mais plus vraisemblablement à une horloge biologique interne.
Les facteurs environnementaux (lumière/obscurité, variation de la tempéra-
ture, et de l’humidité) portent le nom collectif de zeitgebers (en allemand, « ce
qui donne l’heure »). Les zeitgebers aident l’animal à entrer dans le rythme jour-
nuit, et à maintenir un rythme d’activité d’exactement 24 heures. Il est évident
que des erreurs conséquentes de timing, même minimes, ne seraient pas accep-
tables longtemps. Par exemple, en trois semaines, un cycle de 24,5 heures trans-
formerait complètement l’activité diurne de l’animal en activité nocturne. En
682 3 – Cerveau et comportement

5
Conditions
naturelles
10

15
Conditions
d’autonomie
20 (sujet isolé
des facteurs

Jours
externes)
25

30

35

Conditions
40
naturelles

45

Minuit Midi Minuit Midi Minuit


Heure de la journée (h)

Figure 19.23 – Rythmes circadiens de veille-sommeil.


Ce diagramme représente l’enregistrement quotidien du cycle veille-sommeil d’une seule personne
pendant près de 2 mois. Chaque ligne horizontale est un jour ; les traits continus marquent les phases
de sommeil, et les lignes pointillées, les phases d’éveil. Le triangle représenté dans chaque cas marque
le point du jour où la température corporelle était la plus basse. Le sujet a d’abord été placé pendant
9 jours dans des conditions habituelles, dans un local soumis aux variations d’éclairement naturelles
du cycle jour-nuit, y compris aux variations de bruits qui accompagnent la journée. Puis, pendant les
25 jours qui ont suivi, tous les repères susceptibles de donner au sujet des informations sur le temps
ont été supprimés, conduisant à ce qu’il évolue selon son rythme endogène, en toute autonomie.
Notez que le cycle veille-sommeil demeure stable, mais qu’il a tendance à s’allonger, reflétant l’autono-
mie du sujet. Notez aussi que le point du minima de température corporelle se déplace de la période de
fin de sommeil, vers le début du sommeil. Durant les 11 derniers jours, enfin, les conditions normales
ont été réintroduites, et le sujet est à nouveau soumis aux facteurs externes. La longueur du cycle se
normalise et dépend des conditions d’éclairement jour-nuit, et la température corporelle se retrouve à
son minimum vers la fin des périodes de sommeil. (Source : adapté de Dement, 1976, Fig. 2.)

l’absence de zeitgebers, les mammifères adoptent un rythme d’activité et de repos


souvent d’une durée de plus ou moins 24 heures, et l’on dit dans ce cas que leurs
rythmes sont rendus autonomes. Chez les souris, le rythme autonome est d’envi-
ron 23 heures, chez les hamsters, proche de 24 heures, et chez l’homme, de 24,5
à 25,5 heures (Fig. 19.23).
Il est plutôt difficile d’isoler l’homme de tous les zeitgebers. Y compris dans
un laboratoire, la société fournit de nombreuses petites indications sur le temps,
comme les bruits d’une machine, les allées et venues des gens, ou encore le cycle
marche-arrêt de l’appareil d’air conditionné. Les environnements les plus reti-
rés que l’on ait pu trouver sont des grottes profondes, qui ont servi de labora-
toire à plusieurs travaux nécessitant un isolement. Lorsqu’on laisse les sujets
dans les grottes régler leurs propres horaires d’activité pendant des mois —
temps d’éveil et de sommeil, temps d’éclairage ou de suppression de lumière, et
horaire des repas — ils ont tendance au début à adopter une activité rythmique
d’environ 25 heures. Mais après des jours et des semaines, les rythmes de leur
activité deviennent autonomes, avec une période étonnamment longue de 30 à
36 heures : ils restent éveillés 20 heures d’affilée, dorment ensuite 12 heures, et ce
schéma leur paraît parfaitement normal à ce moment-là.
Dans les expériences d’isolement, les cycles du comportement et ceux de
la physiologie ne vont pas forcément ensemble. Des travaux récents montrent
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 683

que la température du corps et d’autres paramètres physiologiques prennent un


rythme qui s’établit selon un cycle d’environ 24 heures, même si les sujets sont
entraînés à suivre un rythme d’illumination de 20 ou de 28 heures à l’aide d’un
éclairage artificiel. Ceci signifie que les rythmes de la température et du cycle
veille-sommeil, qui sont normalement réglés sur une période de 24 heures, ne
sont plus synchronisés. Dans ces expériences réalisées dans les grottes, lorsqu’on
laisse les sujets aller à leur propre rythme, il peut alors y avoir des différences très
importantes entre les périodes des cycles comportementaux et physiologiques.
Normalement, la température du corps se trouve au plus bas juste avant l’éveil
du matin. Cependant, si elle n’est plus synchronisée, ce moment où la tempé-
rature du corps est à son minimum peut se déplacer, d’abord plus tôt dans la
période de sommeil, puis dans le temps de veille. Les conséquences de la désyn-
chronisation des cycles sont désagréables, mais les implications intéressantes. La
qualité du sommeil et le confort de l’éveil sont affectés.
Une désynchronisation analogue peut survenir momentanément lorsqu’on
voyage en avion et que l’organisme doit soudain s’adapter à un nouveau cycle de
sommeil et d’éveil. C’est l’expérience bien connue du décalage horaire (le fameux
jet lag), et le meilleur remède est de s’exposer à une lumière intense, qui aide à
retrouver la synchronisation des horloges biologiques. Le zeitgeber principal des
mammifères adultes est représenté par le cycle lumière-obscurité. Cependant, les
taux d’hormones chez la mère pourraient être le premier zeitgeber pour certains
mammifères, préparant déjà les degrés d’activité alors qu’ils sont encore dans le
sein de leur mère. Les travaux effectués chez différents animaux adultes ont mon-
tré que les zeitgebers effectifs font aussi référence à la possibilité périodique de
trouver de quoi se nourrir et boire, aux contacts sociaux, aux cycles de la tempé-
rature de l’environnement, ou encore aux cycles bruit-calme. Bien que beaucoup
de ces facteurs jouent un rôle moins important que les cycles lumière-obscurité,
ils sont significatifs pour certaines espèces, dans des conditions particulières.

Une horloge dans le cerveau :


le noyau suprachiasmatique
Hypothalamus
Une horloge biologique produisant des rythmes circadiens présente plusieurs
composantes :
Détecteur de lumière → Horloge → Voie de sortie du message
Une ou plusieurs des voies de l’information afférente sont sensibles à la NSC
lumière et à l’obscurité, et règlent ainsi l’horloge pour qu’elle ait un rythme
coordonné avec les rythmes circadiens de l’environnement. L’horloge elle-même
Chiasma
continue à fonctionner et conserve son rythme de base, même si l’information optique
afférente est supprimée. Les voies de sortie du message à partir de l’horloge lui
(a)
permettent de contrôler certaines fonctions cérébrales et corporelles, selon le
timing de l’horloge. Hypophyse

Chez les mammifères, il existe dans l’hypothalamus une paire de noyaux


minuscules qui jouent le rôle d’horloge biologique : ce sont les noyaux supra-
chiasmatiques (NSC) déjà mentionnés dans le chapitre 15. Chaque NSC a un Troisième
volume inférieur à 0,3 mm3, et ses neurones sont parmi les plus petits du cerveau. ventricule
Ces noyaux sont localisés de chaque côté de la ligne médiane, en bordure du
troisième ventricule (Fig. 19.24). Lorsque le NSC est stimulé électriquement, les NSC
rythmes circadiens se modifient de manière prévisible. L’ablation des deux NSC Chiasma
supprime la rythmicité circadienne du sommeil et celle de l’éveil, mais aussi celle optique (b)
du besoin de se nourrir et de boire (Fig. 19.25). De façon intéressante, on note
que, chez le hamster, la transplantation d’un nouveau NSC peut restaurer les Figure 19.24 – Noyau suprachiasmatique chez
rythmes en 2 à 4 semaines (Encadré 19.5). Les rythmes internes du cerveau ne se l’homme.
Les deux noyaux suprachiasmatiques (NSC)
rétablissent jamais si un NSC est retiré, mais les lésions du NSC ne suppriment
se trouvent localisés dans l’hypothalamus,
cependant pas le sommeil, et chez les animaux lésés le sommeil et l’éveil restent juste au-dessus du chiasma optique, au voisi-
coordonnés avec les cycles de la lumière et de l’obscurité, s’ils existent. Il doit nage du troisième ventricule. (a) Vue sagittale.
donc se trouver d’autres systèmes de contrôle que les horloges biologiques pour (b) Vue frontale (section passant au niveau de
réguler les processus à la base du sommeil. la ligne en pointillé du schéma a).
684 3 – Cerveau et comportement

Éveil
SL1

Stade
SL2

Sommeil
paradoxal

40,0
Température (˚C)

38,0

36,0
8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8
(a) Heure de la journée (h)

Éveil
SL1
SL2
Stade

Sommeil
paradoxal

40,0
Température (˚C)

38,0

36,0
8 20 8 20 8 20 8 20 8 20 8
(b) Heure de la journée (h)

Figure 19.25 – Noyau suprachiasmatique (NSC) et rythmes circadiens.


(a) Un singe placé dans un environnement calme éclairé en permanence présente des rythmes cir-
cadiens d’environ 25,5 h. Les enregistrements montrent les différents stades du cycle veille-sommeil,
ainsi que les variations de la température corporelle. Les différents stades sont définis comme : le stade
d’éveil, deux stades de sommeil lent (SL 1 et SL 2), et le stade de sommeil paradoxal. (b) Les rythmes
circadiens sont abolis par la lésion des deux NSC chez le singe placé en permanence dans des condi-
tions d’éclairement. Notez que la lésion des NSC induit des rythmes permanents à haute fréquence tant
au niveau de l’EEG que de la température corporelle. (Source : adapté de Edgar et al., 1993, Fig. 1, 3.)

Comme le comportement est normalement synchronisé avec les cycles


lumière-obscurité, il existe probablement aussi un mécanisme photosensible
pour remettre l’horloge cérébrale à l’heure. Le NSC joue ce rôle, par l’intermé-
diaire de la voie rétinohypothalamique : les axones des cellules ganglionnaires
de la rétine forment des connexions synaptiques directes avec les dendrites des
neurones des NSC. L’information émanant de la rétine est nécessaire et suffi-
sante pour adapter les rythmes du sommeil et de l’éveil sur le jour et la nuit, et
les enregistrements des neurones du NSC montrent que beaucoup sont effecti-
vement sensibles à la lumière. Contrairement aux neurones bien connus formant
les voies visuelles décrites dans le chapitre 10, les neurones du NSC présentent de
très grands champs récepteurs non spécifiques, et ils sont sensibles à l’intensité
de la lumière plutôt qu’à l’orientation et au mouvement.
De façon surprenante, cependant, des travaux de ces dernières décennies sug-
gèrent que les cellules de la rétine qui synchronisent l’activité du NSC ne seraient
ni les cônes, ni les bâtonnets. Par exemple, des souris dont les deux yeux ont
été supprimés ne sont plus capables de synchroniser leur horloge. En revanche,
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 685

Encadré 19.5 FOCUS

Les horloges des hamsters mutants


Les hamsters dorés sont des perfectionnistes du peuvent être rétablis en environ une semaine chez les ani-
rythme circadien. Placés dans une obscurité constante, maux ayant subi l’ablation, simplement par la transplan-
ils continuent à dormir et à s’éveiller, à courir sur leurs tation d’un nouveau NSC dans l’hypothalamus.
roues, à manger et à boire, sur des périodes de 24,1  heures, La découverte-clé reposait sur le fait que les hams-
pendant des semaines. ters recevant le transplant adoptaient les rythmes circa-
C’est cette fiabilité qui suscita l’attention des neuro- diens du NSC transplanté, et non pas leur rythme de
biologistes Martin Ralph et Michael Menaker, qui tra- naissance. En d’autres termes, si un hamster génétique-
vaillaient alors à l’Université de l’Oregon, quand un des ment normal avec des lésions du NSC recevait le NSC
hamsters de leur laboratoire commença à se débattre d’un donneur porteur d’une copie du gène mutant tau,
dans des cycles de 22 heures au cours d’un isolement de il avait ensuite des cycles d’environ 22 heures. Si le NSC
trois semaines dans l’obscurité. Ce mâle indépendant transplanté venait d’un animal porteur de deux gènes
procréa avec trois femelles au comportement circadien mutants tau, les cycles étaient de 20 heures. Ceci est la
irréprochable (avec des périodes de rythmes autonomes preuve irréfutable que le NSC est la principale horloge
de 24,01, 24,03 et 24,04 heures). L’observation des circadienne du cerveau du hamster, et probablement
20 petits hamsters issus des trois différentes portées pla- aussi de celui de l’homme.
cés dans l’obscurité montra qu’il y avait deux groupes Les périodes circadiennes courtes avaient souvent
égaux, en fonction de leur période autonome : la moitié de graves conséquences sur le mode de vie d’un hamster
présentait des périodes de 24,0 heures, et l’autre moitié mutant placé dans un environnement de cycles
de 22,3 heures. Des croisements ultérieurs montrèrent lumière-obscurité normaux de 24 heures. Le hamster est
que les hamsters avec les rythmes circadiens les plus un animal à activité nocturne, mais la plupart des ani-
courts, portaient la copie d’un gène mutant (appelé tau) maux porteurs du gène tau ne pouvait pas entrer com-
dominant. Après plusieurs portées, Ralph et Menaker plètement dans le rythme de 24 heures. Au contraire,
découvrirent aussi que les animaux porteurs de deux leurs périodes d’activité se déplaçaient continuellement
copies du gène mutant tau présentaient des périodes à différents moments du cycle lumière-obscurité.
autonomes de 20 heures seulement ! La mutation tau Certaines personnes éprouvent parfois la même dif-
touche possiblement une kinase spécifique, qui interagit ficulté, particulièrement les gens âgés. En raison d’une
avec certains gènes clock (voir Fig. 19.27). diminution du rythme circadien avec l’âge, une somno-
Les hamsters mutants présentant de tels rythmes lence irrésistible survient en général tôt dans la soirée, et
circadiens offraient un excellent modèle pour répondre l’éveil se produit vers 3 ou 4 heures du matin. D’autres
à une question fondamentale : le NSC est-il l’horloge personnes ne peuvent pas régler leur cycle de sommeil et
circadienne du cerveau ? Ralph, Menaker et leur équipe d’éveil sur le rythme quotidien et, comme pour les hams-
découvrirent que l’ablation des deux NSC chez le hams- ters mutants, leurs cycles d’activité sont constamment
ter fait disparaître les rythmes. Cependant, ces rythmes déplacés par rapport à la lumière du jour.

des souris mutantes, qui ne possèdent ni cônes ni bâtonnets, en sont capables !


Comme les cônes et les bâtonnets sont les deux seuls types de photorécepteurs
connus chez les mammifères, jusqu’à une période récente les mécanismes de la
sensibilité à la lumière en l’absence de ces photorécepteurs restaient mystérieux.
Le mystère a été récemment résolu par David Berson et ses collaborateurs, de
l’Université Brown. Ces chercheurs ont découvert un nouveau type de photoré-
cepteur, différent des cônes et des bâtonnets, correspondant à un type particulier
de cellules ganglionnaires spécialisées. Souvenez-vous du chapitre 9. Les cellules
ganglionnaires de la rétine émettent des prolongements qui forment le nerf
optique et transmettent ainsi les informations visuelles au cerveau. Souvenez-
vous aussi que les cellules ganglionnaires ne sont pas directement sensibles à la
lumière. Ce nouveau type de cellules ganglionnaires se caractérise par la pré-
sence d’un photopigment récemment découvert, la mélanopsine, qui n’existe ni
dans les cônes, ni dans les bâtonnets. Ces neurones particuliers sont excités très
lentement par la lumière, et leurs axones envoient un signal directement au NSC,
ce qui contribue à synchroniser les horloges circadiennes de ce noyau.
Les axones issus du NSC innervent principalement les régions proches de
l’hypothalamus, mais quelques-uns se projettent sur le mésencéphale et les autres
686 3 – Cerveau et comportement

parties du diencéphale. Étant donné que le GABA est le neurotransmetteur


essentiel de presque tous les neurones du NSC, ceux-ci ont probablement un
rôle inhibiteur sur les neurones qu’ils innervent. Dès lors, les mécanismes par
lesquels le NSC contrôle le déroulement de tant de comportements importants
ne sont pas encore compris, mais les lésions extensives des efférences du NSC
interrompent les rythmes circadiens. À côté des voies axonales véhiculant les
messages de sortie, il est possible que les neurones du NSC sécrètent un peptide
neuro­modulateur, la vasopressine, avec une certaine rythmicité (voir chapitre 15).

Mécanismes du noyau suprachiasmatique


Activité (coups/heure)

3000
Comment les neurones du NSC contrôlent-ils les rythmes ? Il n’est pas encore
2000
possible de répondre à cette question au niveau moléculaire, mais il est clair que
1000
chaque cellule du NSC en elle-même représente une minuscule horloge molé-
0 culaire. L’expérience d’isolement ultime a consisté simplement à prélever des
0 12 24 36 48
Temps (heure) neurones du NSC chez le rat, et à les laisser se développer in vitro, en culture tis-
sulaire, en les séparant du reste du cerveau et les uns des autres. Dans ces condi-
Figure 19.26 – Rythme circadien du noyau tions, leur fréquence de décharge, leur consommation de glucose, de sécrétion de
suprachiasmatique (NSC) isolé du reste du vasopressine et de synthèse de protéines, ont continué à varier avec des rythmes
cerveau. d’environ 24 heures, comme dans le cerveau intact (Fig. 19.26), ce qui n’est pas le
L’activité d’un gène-horloge a été enregis- cas d’autres neurones isolés, chez les mammifères. Certes, les cellules du NSC en
trée à partir de 100 neurones individuels de culture ne s’adaptent plus aux cycles lumière-obscurité (l’information provenant
NSC maintenus en culture. Chaque neurone
des yeux est nécessaire pour cela), mais ils conservent une rythmicité de base qui
génère un rythme circadien qui se trouve par-
faitement corrélé à celui des autres neurones
s’exprime comme dans le cas où l’animal est privé de zeitgebers.
présents dans le tissu. (Source : adapté de Les cellules du NSC communiquent leur message rythmique au reste du cer-
Yamaguchi et al., 2003 ; Fig. 1.) veau par l’intermédiaire des axones efférents, au moyen de potentiels d’action
tout à fait normaux, et les fréquences de décharge des cellules du NSC présentent
des variations de rythme circadien. Cependant, les potentiels d’action ne sont
pas nécessaires pour que les cellules du NSC conservent leur rythme. La tétrodo-
toxine (la TTX, qui bloque les canaux sodiques), utilisée sur les cellules du NSC,
bloque les potentiels d’action mais n’affecte pas la rythmicité de leurs fonctions
métaboliques et biochimiques. Lorsque la TTX est retirée, la décharge neuro-
nale reprend avec la même phase et la même fréquence qu’auparavant, ce qui
laisse penser que l’horloge du NSC continue à fonctionner, même en l’absence
de potentiels d’action. En fait, les potentiels d’action des NSC sont comme les
aiguilles d’une horloge : si on enlève les aiguilles, on n’arrête pas l’horloge, mais
il devient très difficile de lire l’heure.
Mais quelle serait la nature d’une telle horloge qui fonctionnerait sans potentiel
d’action ? Un certain nombre de données obtenues chez plusieurs espèces sug-
gèrent l’existence d’un cycle moléculaire fondé sur l’expression génique. Il est inté-
ressant de remarquer alors que le système qui serait mis en œuvre chez l’homme
serait très voisin de celui qui préside à la rythmicité chez la souris ou encore chez
la Drosophile, par exemple. Chez ces deux espèces, l’horloge implique le fonction-
nement de différents gènes, les gènes-horloges, dénommés per (pour period), cryp-
tochrome et clock (pour horloge). Même si les détails du fonctionnement varient
d’une de ces espèces à l’autre, le principe de base reste similaire : il s’agit d’une
boucle de rétroaction négative. Les avancées les plus importantes dans ce domaine
ont été réalisées par Joseph Takahashi et ses collaborateurs, à la Northwestern
University, qui ont proposé le terme acronyme de clock gene pour circadian loco-
motor output cycles kaput. Comme dans le cas général, un gène-horloge est trans-
crit en ARN messager, qui va être traduit en protéine. Après un certain délai,
une nouvelle protéine est ainsi normalement produite. Dans ce cas, cependant,
l’accumulation de la protéine contribue à un certain moment à réduire l’expression
de son propre gène. Par conséquent, si moins de protéine est alors produite, l’inhi-
bition sur l’expression génique va diminuer et le gène va à nouveau être en mesure
d’exprimer son activité, et ainsi de suite. Le cycle complet de ce mécanisme est
d’environ 24 heures et constituerait la base des mécanismes circadiens (Fig. 19.27).
Si chaque cellule du NSC est une horloge, il est nécessaire qu’il y ait un
mécanisme pour coordonner ces milliers d’horloges cellulaires, pour que le NSC
fonctionnant comme un tout donne au reste du cerveau un seul message clair
concernant l’heure. L’information relative à la lumière qui est donnée par la
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 687

Sortie vers les structures


centrales

Gène-
horloge

ARNm

Protéine

NSC

Figure 19.27 – Gènes-horloge.
Au niveau du NSC, les gènes-horloge pro-
duisent des protéines qui inhibent leur propre
transcription. Ainsi, la transcription des gènes
et la décharge de neurones du NSC pris
Entrée
rétinienne
individuellement fluctuent selon un cycle de
24 heures. Les cycles d’un grand nombre de
ces cellules sont synchronisés par la lumière
venant par la rétine.

rétine y contribue certainement, mais les cellules du NSC communiquent aussi


directement entre elles. De façon surprenante, cependant, même la coordina-
tion des rythmes entre les cellules du NSC semble indépendante des potentiels
d’action et de la transmission synaptique normale puisque la TTX ne les bloque
pas. De plus, dans le cerveau d’un très jeune rat, le NSC coordonne tout à fait
correctement les rythmes circadiens, avant même d’avoir formé des synapses.
Ainsi, la nature de la communication de neurone à neurone à l’intérieur du NSC
est mal connue mais, en plus des synapses chimiques classiques, elle pourrait
comprendre d’autres types de signaux chimiques, des synapses électriques (gap
junctions) et une contribution des cellules gliales.
Les études ont montré qu’à peu près toutes les cellules de l’organisme, y com-
pris celles du foie, des reins ou encore des poumons, présentent un rythme cir-
cadien. Le même type de mécanisme de régulation de la transcription que celui
existant dans le NSC pourrait intervenir pour piloter les horloges dans ces tissus
périphériques. Lorsque des cellules de foie, de reins ou de poumons sont mises en
culture, chacune de ces populations présente un rythme qui lui est propre. Dans
les conditions physiologiques, dans un organisme intact, cependant, toutes ces
horloges sont sous le contrôle du NSC. Mais alors comment le NSC a-t-il la capa-
cité de gouverner toutes ces horloges éparpillées dans l’ensemble de l’organisme ?
Un certain nombre de voies de signalisation paraissent importantes pour cela. Le
NSC a une influence forte sur le système autonome pour imposer les rythmes cir-
cadiens, comme cela est apparent sur la fluctuation de la température du corps, la
sécrétion des hormones surrénales et en particulier du cortisol, et sur les réseaux
neuronaux qui contrôlent le comportement alimentaire, les mouvements et le
métabolisme (Fig. 19.28). Chacun de ces processus, en retour, régule lui-même
plusieurs horloges biologiques du corps. S’agissant de la température corporelle,
par exemple, celle-ci impacte puissamment les horloges des tissus périphériques.
Elle baisse d’environ 1 °C chaque nuit sous l’influence du NSC (voir Fig. 19.22).
Cette chute relative de température aide à ce que les horloges des organes internes
demeurent réglées sur les rythmes du NSC, et par conséquent sur les cycles liés
à l’alternance lumière-obscurité. De façon intéressante, l’horloge circadienne du
NSC est très résistante aux changements de température ; ceci prend alors tout
son sens, considérant que le NSC, qui contrôle les changements de température
du corps, n’est pas déstabilisé par ses propres signaux.
688 3 – Cerveau et comportement

NSC

Système nerveux Température Hormones Activité locomotrice


autonome corporelle (cortisol) et métabolisme

Figure 19.28 – Contrôle des horloges circa­


diennes périphériques à partir du NSC.
Le NSC régule les horloges circadiennes de
l’ensemble du corps (incluant celle du foie
illustrée ici) au travers de son action relayée
par le système nerveux autonome. Les para-
mètres ainsi contrôlés sont la sécrétion de Foie
cortisol et de diverses autres hormones, la
température corporelle, l’activité locomo-
trice, et le métabolisme. (Source : adapté de
Mohawk et al., 2012, Fig. 3.)

Mais les systèmes complexes qui coordonnent les horloges du corps sont
loin d’être parfaits. Des horaires de repas anarchiques, des administrations chro-
niques d’amphétamines et, comme cela a déjà été mentionné, des conditions
de vie extrêmes, par exemple dans des conditions « hors du temps » dans les
cavernes, peuvent désynchroniser les horloges circadiennes du corps.

Conclusion
Les rythmes sont omniprésents dans le système nerveux des mammifères. Ils
recouvrent une large gamme de fréquences, allant de presque 500 Hz pour les EEG
corticaux à 0,00000003 Hz, soit une fois dans l’année pour de nombreux compor-
tements saisonniers tels que l’accouplement du daim à l’automne, l’hibernation
des écureuils en hiver, et l’instinct qui conduit les oiseaux migrateurs à revenir à
Capistrano, en Californie, chaque année le 19 mars : la légende dit qu’en 200 ans,
ils ont raté cette date deux fois seulement ! Dans certains cas, ces rythmes sont
fondés sur des mécanismes intrinsèques ; dans d’autres cas, ils résultent d’interac-
tions avec l’environnement et, dans d’autres encore, comme dans le cas de ceux
impliquant le NSC, ils résultent d’une interaction entre des processus neuronaux
et des facteurs de synchronisation environnementaux, les zeitgebers.
Bien que le but de certains rythmes soit évident, les fonctions de nombreux autres
rythmes cérébraux restent méconnues. En fait, certains d’entre eux n’ont peut-être
aucune fonction et pourraient n’être que la conséquence secondaire d’interconnexions
nerveuses nécessaires à d’autres fonctions qui ne connaissent pas de rythme.
Le sommeil est un des rythmes les plus manifestes du cerveau, et pourtant il est
encore inexplicable. Contrairement aux études consacrées aux canaux ioniques au
niveau moléculaire, aux neurones individuels abordés à l’échelon unitaire, ou aux
systèmes qui assurent le mouvement et la perception, la recherche sur le sommeil
19 – Rythmes du cerveau et sommeil 689

part d’une question sans réponse : à quoi sert le sommeil ? Il est admis que l’on
ne sait pas encore pourquoi l’homme passe un tiers de sa vie à dormir, dans un
état languissant et végétatif pour la plus grande partie de ce temps, et pour le reste
dans un état de paralysie avec des hallucinations. Le sommeil et les rêves n’ont
peut-être pas de fonction vitale, mais cela n’empêche pas de les étudier et de les
apprécier. Cependant, ce manque d’information sur la fonction du sommeil n’est
pas une approche très satisfaisante. Pour la plupart des scientifiques, la question
« pourquoi ? » reste dès lors le défi le plus profond et la plus difficile de toutes.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Pourquoi les EEG avec des fréquences relativement rapides ont-ils plutôt
de plus petites amplitudes que les EEG avec des fréquences plus lentes ?
2. Le cortex cérébral humain est très volumineux et il est replié plusieurs
fois sur lui-même pour tenir dans la boîte crânienne. Quelle est l’in-
fluence possible des replis de la surface corticale sur les signaux céré-
braux enregistrés par une électrode d’EEG placée sur le cuir chevelu ?
3. Le sommeil est un comportement reconnu chez de nombreuses espèces
de mammifères, d’oiseaux et de reptiles. Cela signifie-t-il que le som-
meil joue un rôle essentiel dans la vie de ces vertébrés supérieurs ? Si
vous ne le pensez pas, comment expliquer la durée du sommeil ?
4. L’EEG enregistré au cours du sommeil paradoxal (REM sleep) ressemble
beaucoup à l’EEG enregistré au cours de l’éveil. En quoi le cerveau et
le corps dans l’état de sommeil paradoxal diffèrent-ils de ceux de l’état
de veille ?
5. Y a-t-il une explication plausible de l’insensibilité relative du cerveau à
l’influx sensoriel dans le sommeil paradoxal, comparé à l’éveil ?
6. Le NSC reçoit un influx direct des deux rétines, par l’intermédiaire de la
voie rétinohypothalamique. De cette façon, les cycles lumière-obscurité
provoquent les rythmes circadiens. Si la projection des axones rétiniens
est interrompue pour une raison ou une autre, quelle sera la consé-
quence sur les rythmes circadiens de sommeil et d’éveil d’un individu ?
7. Quelles pourraient être les différences, au plan comportemental, entre
un individu qui aurait une horloge circadienne qui irait à son rythme,
et un autre qui n’aurait pas d’horloge du tout ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Brown RE, Basheer R, McKenna JT, Strecker RE, McCarley RW. Control
of sleep and wakefulness. Physiological Reviews 2012 ; 92 : 1087-187.
Buzsáki G. Rhythms of the Brain. New York : Oxford University Press, 2006.
Carskadon MA, ed. Encyclopedia of Sleep and Dreaming. New York :
Macmillan, 1993.
Fries P. Neuronal gamma-band synchronization as a fundamental pro-
cess in cortical computation. Annual Review of Neuroscience 2009 ;
32 : 209-24.
Goldberg EM, Coulter DA. Mechanisms of epileptogenesis: a conver-
gence on neural circuit dysfunction. Nature Reviews Neuroscience
2013 ; 14 : 337-49.
Mohawk JA, Green CB, Takahashi JS. Central and peripheral circadian
clocks in mammals. Annual Review of Neuroscience 2012 ; 35 : 445-62.
690 3 – Cerveau et comportement 690

CHAPITRE  20 Langage

QU’EST-CE QUE LE LANGAGE ?


Des sons humains à la production de la parole................................... 692
Langage des animaux......................................................................... 693
Encadré 20.1 Focus  Penser en différentes langues
Acquisition du langage....................................................................... 696
Gènes impliqués dans le langage......................................................... 698

DÉCOUVERTE DES AIRES DU


LANGAGE DANS LE CERVEAU
Aires de Broca et de Wernicke............................................................ 701
Encadré 20.2 Focus  Évaluer la dominance hémisphérique
du langage

COMPRENDRE LE LANGAGE
À PARTIR DES APHASIES
Encadré 20.3 Les voies de la découverte  Découvrir les aires
du langage du cerveau,
par Nina Dronkers
Aphasie de Broca................................................................................ 705
Aphasie de Wernicke.......................................................................... 706
Aphasie et langage : modèle de Wernicke-Geschwind.......................... 707
Aphasie de conduction....................................................................... 710
Aphasie des personnes bilingues et des sourds................................... 711

TRAITEMENT ASYMÉTRIQUE
DU LANGAGE PAR LES
HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX
Traitement du langage chez les sujets « split-brain »............................ 713
Asymétrie hémisphérique anatomique et langage................................ 716

ÉTUDE DU LANGAGE PAR


STIMULATION CÉRÉBRALE
ET IMAGERIE CÉRÉBRALE
Effets de la stimulation cérébrale sur le langage.................................. 718
Étude du langage par imagerie cérébrale............................................. 719
Encadré 20.4 Focus  Entendre ce que l’on voit et voir
ce que l’on touche…

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
e langage constitue un formidable système de communication, qui a
objectivement un impact considérable sur nos vies. Vous pouvez ainsi
entrer dans un café et commander un cappuccino avec double ration de
crème chantilly, et vous pouvez être sûr qu’il ne vous sera pas apporté un seau
d’eau ! Vous pouvez aussi parler au téléphone à un ami situé à des milliers de
kilomètres, et lui expliquer à la fois les fondements complexes de la physique
quantique, ou encore quel retentissement émotionnel votre dernier cours de phy-
sique a eu sur vous. La question de savoir si les animaux ont aussi un langage
constitue un débat sans fin, mais ce qui est sûr c’est que celui que nous utilisons
est bien le propre de l’homme. Sans le langage nous ne pourrions apprendre la
plupart des choses qui nous sont enseignées à l’école, et ceci limiterait considé-
rablement nos capacités d’action et d’intervention.
Plus que juste des sons, le langage est un système par lequel les sons, les sym-
boles, et la gestuelle associée, sont utilisés pour communiquer. Le langage nous
pénètre ainsi par les systèmes auditif et visuel, et le système moteur produit à la
fois la parole et l’écriture. De fait, le traitement de toutes ces informations par
le cerveau entre système sensoriel et système moteur, est l’essence même du lan-
gage. Parce que l’utilisation des animaux pour appréhender le langage humain
présente des limites évidentes, pour l’essentiel jusqu’à une période récente l’étude
du langage a été l’apanage des linguistes et des psychologues, plutôt que des
neurobiologistes. Ainsi, à peu près tout ce que nous savons dans ce domaine
dérive d’études de cas de patients présentant des déficits, suite à des lésions céré-
brales. De multiples aspects du langage peuvent dans ce contexte être affectés de
façon différentielle : la production du langage, la compréhension, ou encore le
fait de pouvoir nommer, ce qui suggère que le langage procède de mécanismes
complexes, anatomiquement et fonctionnellement différents, et complémen-
taires. Plus récemment, les méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle, comme
l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), ou encore la tomo-
graphie par émission de positrons (TEP), nous ont permis de débuter l’analyse
des mécanismes des circuits complexes qui sous-tendent le langage.
Le langage est universel dans les sociétés humaines. Il fait appel à des aires
cérébrales hautement spécialisées. Les spécialistes considèrent qu’il existe dans
le monde environ 5 000 sortes de langages et dialectes différents. L’organisation
même de ces langages est très variée, par exemple en ce qui concerne la place des
noms ou encore des verbes. Cependant, en dépit de ces différences de syntaxes,
de la Patagonie à Katmandou, tous les langages relaient l’expérience humaine
et les émotions, dans leurs subtilités les plus fines. Considérez ainsi qu’aucune
tribu muette n’a jamais été trouvée ! De nombreux scientifiques considèrent ainsi
que l’universalité du langage est la conséquence de la mise en place au cours de
l’évolution du cerveau humain de dispositifs particuliers, bien dévolus à cette
fonction.
692 3 – Cerveau et comportement

Qu’est-ce que le langage ?


Le langage constitue un système de représentation et de communication
de l’information, qui utilise une combinaison de mots selon des règles gram-
maticales bien établies. Le langage peut être exprimé de différentes façons,
incluant une gestuelle, l’écriture, et bien entendu l’utilisation des mots parlés.
La parole constitue ainsi la forme audible de la communication entre des indivi-
dus, basée sur la production de sons. La capacité de parler vient naturellement
chez l’homme : y compris sans apprentissage formel, les enfants élevés dans un
environnement langagier normal apprennent invariablement à comprendre le
langage parlé et à le parler eux-mêmes. Lire et écrire, par ailleurs, nécessitent au
contraire des années d’apprentissage formel, et plus de 10 % de la population
mondiale est ainsi illettrée.

Des sons humains à la production de la parole


Dans le royaume animal, une variété de dispositifs spécialisés est utilisée
pour produire des sons. Toutefois, dans ce qui suit nous nous focaliserons sur
ceux à l’origine de la production du langage chez l’homme (Fig. 20.1). Produire
de la parole nécessite la coordination la plus fine de l’activité de plus d’une cen-
taine de muscles, allant de ceux qui contrôlent la ventilation des poumons, à
ceux du larynx et de la bouche. À ce stade, il est important de réaliser que tous
ces muscles sont commandés à partir du cortex moteur, un point sur lequel nous
reviendrons dans la suite de ce chapitre. Les sons humains débutent au moment
où une personne exhale l’air contenu dans ses poumons. L’air passe au travers
du larynx. Ce que nous désignons par la « pomme d’Adam » (la proéminence

Cavité nasale

Cavité orale Postérieur

Langue
Muscles
Pharynx arythénoïdiens

Glotte

Cordes
vocales
Larynx
Cartilage
thyroïdien
Antérieur

Figure 20.1 – Les structures vocales chez l’homme.


L’air, exhalé des poumons, fait vibrer les cordes vocales situées dans le larynx. Le son produit par
cette vibration est modifié par les structures supérieures dont le pharynx, la bouche et le nez.
20 – Langage 693

laryngée) située au niveau du cou, correspond à la partie antérieure du carti-


lage du larynx. Le larynx comporte les plis vocaux, plus couramment dénommés
cordes vocales, représentant deux bandelettes de muscles formant une sorte de
V. L’espace situé entre les cordes vocales et qui fait partie du larynx, constitue la
glotte. Les sons résultent de vibrations des plis vocaux ; un peu à la manière des
sons émis lorsque vous soufflez dans une tige d’herbe. Si les muscles de cordes
vocales sont relaxés, il ne se produit toutefois aucun son, comme souffler dans
une tige trop molle. C’est en fait ce qu’il se passe lorsque l’on exhale de l’air
sans produire de la parole. La production d’un son provient de la fréquence de
vibration des cordes vocales. Ainsi, une forte tension des cordes vocales produit
des vibrations à haute fréquence et des sons aigus. Les sons présentent la carac-
téristique d’être susceptibles de modifications, à plusieurs niveaux du système
vocal, incluant le pharynx (et particulièrement dans la partie de la gorge située
entre le larynx et la bouche), la bouche elle-même, et le nez. Finalement, des
changements rapides de position de la langue dans la bouche, du positionnement
des lèvres et du palais, contribuent à moduler les sons liés à la production de la
parole. Les sons les plus fondamentaux qui sont utilisés dans un langage donné
sont dénommés phonèmes. Différents langages parlés présentent des phonèmes
différents et uniques, qui contribuent à construire des mots propres à ce langage
particulier. De façon intéressante, les travaux les plus récents montrent que les
mots utilisés dans un langage donné peuvent avoir des effets subtils sur la façon
dont pensent les personnes qui utilisent ces mots (Encadré 20.1).

Langage des animaux


Les animaux communiquent entre eux de différentes façons, de la danse des
abeilles aux déplacements particuliers des baleines dans l’océan. Les animaux
et les hommes communiquent eux aussi de différentes façons, y compris par des
mots, comme lorsque vous commandez à votre chien (avec plus ou moins de
succès…) de s’assoir ou de ne pas agresser le facteur… Mais, dans ce contexte,
les animaux utilisent-ils aussi une forme de langage proche du nôtre ? Le langage
humain est d’une complexité considérable, représentant un système de communi-
cation très performant qui va jusqu’à conduire à la création de mots nouveaux,
dont l’utilisation respecte les règles grammaticales qui confèrent un sens aux mots
utilisés. Les animaux utilisent-ils quelque chose de similaire ? En fait, cette ques-
tion soulève deux points particuliers. La première interrogation peut se résumer
de la façon suivante : est-ce que les animaux, de façon générale, utilisent un lan-
gage ? La seconde : est-il possible d’apprendre le langage humain à des animaux ?
Ces questions ne sont pas simples à aborder, mais les réponses qu’elles appellent
ont des implications majeures s’agissant de l’évolution du langage humain.
Considérons tout d’abord les vocalisations des primates non humains pour
tenter de savoir si elles correspondent à une forme de langage. Dans la nature, les
chimpanzés sont connus pour produire une dizaine de vocalisations différentes.
Certaines d’entre elles correspondent à des signaux d’alerte, visant à prévenir les
congénères de la présence d’un prédateur ; d’autres signalent la présence de chim-
panzés. Néanmoins, en comparaison des humains, les capacités de production des
sons sont extrêmement limitées et il est peu probable que les quelques sons émis
par ces animaux soient régis par de quelconques règles phonologiques, comme
c’est le cas chez les humains. Plutôt, la plupart des vocalisations émises par les
chimpanzés correspondent à des réponses stéréotypées à différentes situations
comportementales. Par comparaison, le langage humain est bien au contraire très
créatif : limité seulement par quelques règles de grammaire, il est quasi illimité…
De fait, de nouveaux mots et de nouvelles phrases sont créés en permanence, et
leurs combinaisons prennent rapidement un sens en accord avec le sens premier
des mots eux-mêmes et avec la façon dont ils sont combinés entre eux.
Mais peut-être est-il quelque peu abusif de procéder à de telles comparai-
sons… Est-il possible que le langage des animaux nécessite d’avoir des formes
de tuteurs, un peu à la manière des enfants exposés à notre propre langage ? Une
variété d’animaux, comme par exemple les dauphins à bec et les chimpanzés, ont
été soumis à des apprentissages en vue de les exposer au langage humain et de
leur apprendre à le parler. Le phoque connu sous le nom de Hoover, élevé par
694 3 – Cerveau et comportement

Encadré 20.1 FOCUS

Penser en différentes langues


Il y a sur cette terre plusieurs centaines de cultures correspondante. Les choix des objets étaient déterminés
différentes, chacune avec ses propres usages, croyances par le fait que certains d’entre eux étaient répertoriés
et modes de vie. Nous sommes imprégnés de l’idée que dans le même genre dans les deux langues (ex. : « balle-
chaque peuple présente des attitudes quelque peu diffé- rine », féminin dans les deux langues), alors que d’autres
rentes face à ce qu’il trouve beau, délicieux, etc. La pen- objets au contraire ont dans les deux langues un genre
sée peut ainsi être affectée par la culture mais n’est vrai- opposé (ex. : « balai », masculin en français, féminin en
semblablement pas liée au langage, qui représente dès espagnol). Le fait que les objets soient présentés sous
lors simplement le moyen pour le peuple d’exprimer ses forme de photos évitait justement de leur assigner un
sentiments. Mais est-il possible que le langage puisse genre par l’article les désignant (« le » ou « la », en fran-
aussi affecter la façon dont pense la personne ? Dans les çais, par exemple). Les résultats montrent que les sujets,
années 1950, Benjamin Lee Whorf proposa que le lan- qu’ils soient Français ou Espagnols, avaient tendance à
gage parlé par une personne limite ses pensées, ses per- assigner une voix féminine aux objets qui dans leur
ceptions et ses actions, mais cette position a été depuis langue étaient classés comme de genre féminin. Bien
largement abandonnée. Toutefois, le langage paraît entendu, cela était le cas lorsque les objets avaient le
devoir affecter la pensée dans des situations très particu- même genre dans les deux langues. En revanche, dans le
lières et parfois déroutantes. Considérez par exemple cas inverse où les genres dans les deux langues étaient
l’utilisation du genre dans le langage. Dans la plupart opposés, chacun désignait la voix correspondant au
des langues européennes, contrairement à l’anglais, les genre de l’objet dans sa propre langue.
objets se voient assigner un genre. Ceci intervient, mais Dans une autre expérience, des sujets Allemands et
seulement très occasionnellement, en langue anglaise, Espagnols devaient mémoriser le nom, masculin ou
comme dans la phrase suivante : « J’aime cette voiture féminin, assigné à des objets, en rapport avec le genre
car avant tout elle est belle ! » (sheds a beauty !). En normalement considéré pour l’objet dans leur propre
revanche, en italien, les objets sont presque tous mascu- langue. Dans ce cas, les sujets avaient beaucoup plus de
lins ou féminins : les dents, les fleurs, la mer, sont tous mal à se souvenir des noms attribués aux objets lorsque
masculins, allez savoir pourquoi… Et si maintenant le nom assigné à l’objet était de genre contraire à celui
vous considérez le français, ces mêmes objets sont fémi- normalement considéré dans leur propre langue. Les
nins. Pire encore, si vous vous référez aux couverts sur chercheurs ont alors conclu que le genre associé à l’objet
une table dressée en Allemagne, la cuillère est classée affectait sa mémorisation lorsque les sujets étaient ame-
dans le genre masculin, la fourchette est au féminin et le nés à penser spécifiquement à eux, du fait du conflit
couteau est de genre neutre ! De quoi donner le tournis entre l’objet et le genre contraire à celui qui leur était
à bien des collégiens… normalement reconnu dans leur propre langue. Ainsi, la
perception des qualités masculines ou féminines d’un
Un certain nombre de travaux indiquent ainsi que la
objet est juste un exemple de la subtilité de nos langages.
manière dont sont nommés les objets, masculin ou fémi-
De la même manière, il est possible de mettre en évi-
nin, dans les différentes langues, peut influencer la façon
dence des différences en fonction des langues de la dési-
dont les personnes les considèrent. Dans l’une de ces
gnation des objets par rapport à leur couleur, le temps,
études se référant à des sujets Français et Espagnols,
ou même leur localisation.
il a été demandé d’imaginer que des objets prennent vie
dans un film d’animation, et les sujets devaient donc Référence
assigner des voix d’hommes ou de femmes à différents Deutscher G. Through the looking glass: why the world
objets. Il était proposé des photos d’une série d’objets et looks different in other languages. New York :
chacun, Français ou Espagnol, devait proposer la voix Picador, 2010.

des pêcheurs du Maine (États-Unis), a appris à prononcer de courtes phrases


complètes, qui s’apparentent au discours d’un homme fortement alcoolisé, qui
aurait l’accent du New England et qui dirait, en anglais : « hey, het, hello there »
ou encore « get outta there » ; quelque chose comme « salut vous autres ! » ou
« sortez d’ici vous autres »… Dans les années 1940, plusieurs psychologues ont
par ailleurs tenté d’élever des petits chimpanzés comme des enfants, y compris
en tentant de leur apprendre à parler. En dépit d’apprentissages intensifs, aucun
des animaux ainsi soumis à ces séances n’a appris à prononcer quoi que ce soit
qui ressemble à un son humain ou à un mot. Dans les années 1960, le médecin
John Lily, célèbre pour ses travaux sur la privation sensorielle et ses études sur les
20 – Langage 695

drogues psychédéliques, a imaginé un appartement pouvant être rempli de suffi-


samment d’eau pour qu’un dauphin puisse y vivre toute la journée avec des êtres
humains. L’expérimentatrice évoluant de son lit plutôt humide à son bureau
flottant, a tenté d’apprendre au dauphin à parler, par exemple en comptant avec
des chiffres. En dépit de publications plutôt positives, les études qui ont tenté de
reproduire ces résultats ne les ont jamais corroborés.
Le fait que le langage des chimpanzés soit très limité et qu’ils soient inca-
pables d’apprendre le nôtre ne constitue pas une surprise, en particulier parce
que leur système vocal, très différent de celui des humains, n’a pas les capacités
structurales pour leur permettre de le faire. Par exemple, chez les chimpanzés
et d’autres espèces de singes, le larynx se trouve situé plus haut, plus proche de
la bouche, de sorte qu’il est dès lors impossible de produire la large gamme de
sons émis par les hommes. De fait, la communication chez les chimpanzés fait
aussi largement appel à une gestuelle très développée, accompagnée d’une large
gamme d’expressions faciales. Il se trouve ainsi de nombreuses évidences dans
la littérature que les chimpanzés produisent ces gestes et ces expressions dans le
but d’influencer le comportement de leurs congénères. Dans une étude récente,
Catherine Hobaiter et Richard Byrne, à l’Université de St Andrew, ont publié
un travail recensant des milliers de gestes catégorisés en 66 types particuliers. Les
réactions comportementales des chimpanzés à qui ces gestes étaient présentés
ont servi de test pour comprendre la signification potentielle de chaque geste.
Parmi les messages qui sont ainsi transmis, ces chercheurs ont identifié ceux qui
signifiaient « Suis-moi ! », « Toilette-moi ! » ou encore « Arrête de faire ce que
tu fais ! ». Certains gestes paraissent avoir une intention très spécifique ; d’autres
semblent d’interprétation moins stricte. Dès lors, il semble que ce type de com-
munication soit considérablement plus élaboré que la simple danse des abeilles…
Pour tester et quantifier les capacités des animaux, toute une série de tra-
vaux ont été entrepris afin de leur apprendre une forme de communication non
verbale utilisant le langage des signes (American Sign Language gesture) pour
représenter des mots, mais aussi utilisant des objets de forme et de couleur diffé-
rentes, ou encore des clés représentées sur un clavier. Les exemples les plus connus
concernent le chimpanzé nommé Washoe, entraîné par Allen et Beatrix Gardner,
le gorille nommé Koko, entraîné par Francine Patterson, et le bonobo nommé
Kanzi, élevé par Sue Savage-Rumbaugh. Sans qu’il soit possible de le contes-
ter, ces animaux ont appris le sens des gestes ou la signification des symboles.
Les résultats de ces travaux montrent la capacité des animaux à comprendre le
sens de phrases du langage humain, et ils sont capables de mettre en œuvre ces
systèmes de communication improvisés pour demander aux chercheurs de leur
fournir des objets ou de produire des actions.
Que nous soyons à même de conclure à partir de ces expériences que les ani-
maux utilisent ou peuvent utiliser un langage reste très largement controversé.
Les animaux communiquent, c’est une évidence ! Et pour quelques scientifiques,
leur système de communication est suffisamment sophistiqué pour être considéré
comme un langage rudimentaire. De tels systèmes de communication, d’ailleurs,
pourraient être considérés comme à l’origine du langage humain. Cependant,
d’autres chercheurs considèrent au contraire que la distance entre ce qui peut
de fait être considéré comme un système de communication de ces animaux et
le langage utilisé par l’homme, est trop grande pour que l’on puisse parler de
langage chez ces animaux, au sens où un langage doit être suffisamment flexible
dans sa structure, capable de définir de nouvelles choses et se référer à des règles
grammaticales, aussi primitives soient-elles. Indépendamment de nos conclu-
sions, il est fondamental de distinguer langage, pensées et intelligence. Il n’est pas
nécessaire d’utiliser un langage pour faire preuve d’intelligence ou d’avoir des
pensées. Les singes, les dauphins et les hommes élevés sans langage sont à même
de réaliser de nombreuses tâches nécessitant une pensée abstraite ; et de nom-
breux créateurs affirment qu’ils peuvent exprimer beaucoup de sentiments sans
utiliser les mots. Albert Einstein lui-même disait haut et fort que beaucoup de ses
idées sur la relativité lui étaient venues en s’imaginant chevaucher un faisceau de
lumière en regardant une horloge ou divers objets. Dans tous les cas, Fido est à
même d’avoir des pensées, même s’il n’utilise pas de langage (Fig. 20.2).
696 3 – Cerveau et comportement

Figure 20.2 – Le langage chez les animaux.


LA FACE CACHÉE Par Garry Larson

Ce que nous disons au chien


ne vas pas
D’accord, Ginger !nTucompris, Ginger ?
as bie
dans les poubelles  !sTudans les poubelles !
Tu ne vas pa

Ce que le chien entend

blabla
Blablabla  Ginger bla …
bla bla bla
blablabla  Ginger

Acquisition du langage
Le traitement du langage dans le cerveau adulte est conditionné par des
interactions étroites parfaitement orchestrées entre différentes aires corticales
et sous-corticales. Mais comment le cerveau apprend-il à utiliser le langage ?
L’apprentissage du langage, ou plutôt l’acquisition du langage, constitue un
processus fascinant, qui se caractérise par le fait qu’il est similaire dans les dif-
férentes cultures. Les vocalisations des nouveau-nés deviennent des babillages
autour de 6 mois. À 18 mois, les bébés comprennent environ 150 mots et peuvent
en utiliser environ 50. De façon intéressante, même à cet âge précoce, les enfants
commencent à perdre la faculté de distinguer des sons qu’ils pouvaient parfai-
tement distinguer plus tôt. Par exemple, la difficulté qu’ont les enfants japonais
de discriminer les sons correspondant au « r » et au « l » anglais, du fait que
ces sons ne sont pas utilisés en langue japonaise. À l’âge de 1-2 ans, les enfants
utilisent les tonalités, les rythmes et les accents des langages auxquels ils sont
exposés. Puis, ce n’est qu’à l’âge de 3 ans environ qu’ils sont capables de faire des
phrases et qu’ils utilisent environ 1 000 mots. En devenant adulte, une personne
utilise plusieurs milliers de mots. Par ailleurs, après la puberté l’acquisition d’une
seconde langue devient plus difficile. Ainsi, du fait des difficultés des enfants plus
âgés à acquérir une seconde langue par rapport à la première et des difficultés
susceptibles d’intervenir pour l’acquisition de cette première langue, si l’enfant
n’est pas correctement exposé à un langage parlé avant la puberté, est-il suggéré
l’existence d’une forme de « période critique » au cours du développement en ce
qui concerne l’acquisition du langage.
La vitesse avec laquelle les enfants apprennent leur langage dément la com-
plexité du challenge que cela représente. Lorsque nous entendons pour la première
fois une langue étrangère, cela nous paraît extrêmement rapide, et nous avons du
mal à situer le moment où un mot se termine et un autre commence. Ceci est l’une
des difficultés auxquelles sont confrontés les enfants qui apprennent leur propre
langage. Dès l’âge de 1 an, cependant, les enfants peuvent déjà reconnaître les sons
de leur langage et les mots, même s’ils ne sont pas capables d’en comprendre le
sens. Parler un langage ne signifie pas que l’on est précisément capable d’indiquer
les limites entre les mots, mais plutôt que l’on appréhende le langage comme une
suite de mots que l’on lirait sans intervalle entre eux (Fig. 20.3). Les enfants doivent
20 – Langage 697

(a) langage parlé


"There are no silences between words"

ThereAre NoS ilen ces Bet weenWord s

(b) phrase écrite


THEREDONATEAKETTLEOFTENCHIPS
THE RED ON A TEA KETTLE OFTEN CHIPS or THERE, DON ATE A KETTLE OF TEN CHIPS

Figure 20.3 – Séparation des mots dans la langue anglaise parlée et écrite.


(a) Analyse acoustique d’une phrase prononcée, qui démontre que la limite entre les mots ne peut
pas être déterminée simplement à partir des sons entendus. (b) Situation analogue lorsqu’un texte
sans espace entre les mots est lu. Dans ce cas, certains ensembles de lettres peuvent former plus
d’une seule phrase. (Source : Kuhl, 2004.)

apprendre à comprendre des milliers de mots qui sont finalement tous construits
à partir d’un nombre de sons relatifs au langage plutôt limité. Jenny Saffran et ses
collègues de l’Université du Wisconsin, ont démontré que l’apprentissage des mots
par les enfants présente un caractère statistique. En d’autres termes, les enfants
apprennent que certaines combinaisons de sons sont plus probables que d’autres.
Lorsqu’une combinaison moins probable intervient, ceci suggère qu’il s’agit plutôt
d’un non-mot. Par exemple, dans la phrase « mon enfant chéri », la probabilité
dans un seul mot que « fant » suive « en » est plus élevée que la proposition où
« ché » suivrait « fant ». Une autre chose que les enfants apprennent à utiliser est
d’accentuer certaines syllabes. En anglais, par exemple, l’accent est le plus souvent
mis sur la première syllabe du mot, ce qui permet de déterminer par cette sorte de
rythme où les mots commencent et où ils se terminent. Ainsi, lorsque les adultes
des deux sexes s’adressent aux petits enfants, ils utilisent en général un langage
adapté où le débit est lent, les voyelles bien détachées et exagérément articulées. Ce
type de langage aide l’enfant à acquérir son langage maternel.
Nous ne savons toujours pas quels sont les mécanismes neuronaux par
lesquels les enfants apprennent à distinguer et à articuler les mots. Ghislaine
Dehaene-Lambertz et ses collaborateurs, travaillant à Neurospin à Saclay, ont
montré, à l’aide d’enregistrements par IRMf, que dès l’âge de 3 mois les enfants
présentaient des réponses d’activation cérébrale aux mots entendus, très proches
de celles enregistrées chez les adultes (Fig. 20.4). Entendre des paroles active
ainsi très largement des aires du lobe temporal, plutôt dans l’hémisphère gauche.
Ces résultats ne montrent pas que l’enfant traite les informations relatives au
langage de la même façon que l’adulte, mais ils illustrent le fait qu’il existe une
organisation précoce et relativement similaire des aires auditives et de la latéra-
lisation du langage.

Planum temporale Gyrus temporal supérieur Pôle temporal


Figure 20.4 – Activité cérébrale évoquée par
l’écoute de la parole, enregistrée à partir du
cerveau d’un enfant de 3 mois.
Représentation des sections horizontales des
régions dont l’activité est significativement
accrue par l’écoute de la parole. Ces aires
représentent le planum temporale, le gyrus
temporal supérieur, et le pôle du gyrus tem-
poral. Dans les images en IRMf, les couleurs
rouge, orange, et jaune, indiquent une activité
cérébrale augmentée. G : gauche ; D : droite.
G D G D G D
(Source : Dehaene-Lambertz et al., 2002.)
698 3 – Cerveau et comportement

Gènes impliqués dans le langage


Certains troubles du langage présentent une composante familiale et sont
susceptibles d’être présents plutôt chez les vrais jumeaux que chez les faux
jumeaux. Ces observations suggèrent l’intervention de facteurs génétiques dans
ces troubles du langage. Toutefois, pendant de longues années les difficultés de
caractérisation de la transmission familiale de ces pathologies ont rendu parti-
culièrement complexe la caractérisation de gènes spécifiques.
FOXP2 et dyspraxie verbale.  Notre façon d’appréhender comment les gènes
contrôlent le langage a radicalement changé en 1990, avec la première publication
concernant une famille britannique connue comme KE. Les trois générations de
cette famille ayant fait l’objet de l’étude présentaient pour environ la moitié des
individus une dyspraxie verbale, c’est-à-dire une incapacité à produire les mouve-
ments coordonnés permettant de produire le langage (Fig. 20.5a). Leur discours
était ainsi largement inintelligible, y compris pour les membres de la famille, et
ces individus avaient donc développé un langage gestuel pour suppléer le langage
parlé. En plus de cette dyspraxie, les membres de la famille KE présentaient
de grandes difficultés avec les aspects grammaticaux du langage et, de manière
générale, avaient un QI inférieur à celui des autres membres de la famille non
affectés par la maladie. Compte tenu du fait que certains membres de la famille
affectés par les troubles du langage avaient un QI normal, le déficit cognitif
a été considéré comme spécifique du langage et non résultant d’une atteinte
plus générale des capacités cognitives. Les données de l’imagerie cérébrale ont
révélé que les membres de la famille affectés par la maladie présentaient de nom-
breuses anomalies des structures motrices, incluant le cortex moteur, le cervelet,
et le striatum (noyau caudé et putamen), par rapport aux autres membres de la
famille (Fig. 20.5b).

Noyau caudé p < 0,00001 Cervelet p < 0,001

Membres Membres
de la famille de la famille
non affectés affectés
Mâle Mâle
Femelle Femelle

décédé jumeaux

(a) (b) Gyrus frontal inférieur p < 0,0001

Figure 20.5 – Mutations FOXP2 dans la famille KE.


(a) Transmission des troubles du langage dans trois générations de la famille KE. (b) Chez les
membres de la famille KE affectés, il existe une atrophie du noyau caudé (partie supérieure gauche),
du cervelet (partie supérieure droite) et de l’aire de Broca du lobe frontal (partie du bas). (Source :
adapté de Watkins et al., 2002 pour la partie a ; adapté de Vargha-Khadem et al., 2005 pour la
partie b.)
20 – Langage 699

Que savons-nous sur le plan génétique des atteintes particulières du langage ?


Le premier élément à noter est que, par rapport à ce qui avait été observé dans
d’autres cas de troubles du langage d’origine familiale impliquant apparemment
plusieurs gènes, ici, dans le cas de la famille KE, la transmission impliquait la
mutation d’un seul gène. Ce gène apparaissait ainsi comme impliqué dans le
développement du cortex moteur, du cervelet et du striatum ; le phénotype qui
résultait de cette mutation particulière touchait le contrôle des muscles de la face,
en particulier dans sa partie inférieure. La chasse au coupable fut facilitée par
la découverte d’un jeune garçon CS, qui n’appartenait pas à la famille KE, mais
qui présentait des troubles du langage très similaires. En combinant les données
issues de l’étude de CS et de la famille KE, le gène potentiel nommé FOXP2 fut
identifié comme étant possiblement à l’origine de ces troubles du langage, ce
gène codant pour un facteur de transcription lui-même contrôlant l’expression
de différents autres gènes. Dans ce cas, il n’eut pas été correct de qualifier FOXP2
« le » gène du langage, bien que celui-ci apparaisse objectivement comme jouant
un rôle critique dans cette fonction. Provenant de nos deux parents, nous avons
tous deux copies du gène FOXP2, mais une mutation touchant une seule de ces
copies est suffisante pour causer des troubles majeurs du langage. Il faut alors
réaliser que ce cas est particulier où une simple mutation sur un gène peut résul-
ter en des troubles majeurs d’un comportement aussi complexe que le langage.
Mais il est bien certain qu’au travers de FOXP2, c’est toute une série de plusieurs
centaines de gènes dont l’expression se trouve altérée suite à la mutation de ce
facteur de transcription.
Des analogues de FOXP2 ont été trouvés chez de nombreux animaux. Il est
alors intéressant de noter que chez les oiseaux chanteurs, FOXP2 est fortement
exprimé dans les régions du cerveau impliquées dans l’apprentissage du chant.
L’une des questions importantes qui vient alors à l’esprit est de savoir qu’est ce
qui pourrait faire que chez les humains il se trouverait un besoin d’exprimer de
telles capacités langagières par rapport aux autres primates non-humains ? Seuls
deux acides aminés sont différents dans les formes humaines et celles présentes
chez le chimpanzé, le gorille et le singe rhésus, de la protéine FOXP2. L’évolution
a fait que les voies conduisant aux hommes d’une part et aux chimpanzés,
d’autre part, ont divergé il y a quelque 6 millions d’années. Mais il a été estimé
que les mutations qui sont intervenues pour différencier les formes humaines et
non-humaines de FOXP2 datent de 200 000 ans seulement. Dans ce contexte, il
peut être spéculé que c’est une toute petite mutation relativement récente dans le
gène de FOXP2 qui a définitivement orienté les humains vers le langage, afin de
développer des fonctions cognitives supérieures et une culture propre.
Facteurs génétiques liés à des déficits spécifiques du langage et à la dys­lexie.
Suite à la caractérisation de FOXP2 dans la famille KE et à son implication
dans la dyspraxie verbale, diverses mutations de FOXP2 ont été retrouvées chez
d’autres individus, indépendamment de cette famille. Dans tous les cas il appa-
raissait que la simple mutation de ce gène FOXP2 était à l’origine de divers
troubles du développement affectant le langage. Les déficits concernaient aussi
les aspects grammaticaux et cognitifs du langage mais il n’est pas clair encore
de savoir si ces troubles du langage étaient distincts, et dans quelle mesure, de la
dyspraxie verbale.
Stimulées par les découvertes liées à FOXP2, les recherches ont montré
l’implication d’autres gènes intervenant potentiellement dans d’autres types de
troubles du langage. Par exemple, un déficit spécifique du langage (SLI pour
specific language impairment) est présent chez environ 7 % des enfants de 6 ans
aux États-Unis. Ce déficit consiste en un retard dans la maîtrise du langage, qui
peut persister chez l’adulte et qui n’est pas associé à des troubles de l’audition, ou
encore à des retards plus généraux du développement. Ces enfants présentent des
difficultés d’apprentissage et d’utilisation des mots, particulièrement des verbes.
Du fait que plus de 50 % de ces enfants soient des descendants de parents eux-
mêmes concernés par ce problème, la nature génétique de ce déficit ne fait guère
de doute et une forte composante génétique a été suspectée.
Les études génétiques de ces enfants ont permis d’identifier une poignée
de gènes possiblement impliqués dans ce trouble du langage. Ainsi les gènes
700 3 – Cerveau et comportement

CNTNAP2 et KIAA0319, en plus du gène FOXP2. Sans s’attacher à des acro-


nymes complexes, il faut juste noter que CNTNAP2 code pour la protéine neu-
rexine, une protéine de l’élément présynaptique impliquée dans l’association des
éléments pré et post-synaptiques de la synapse. La neurexine joue un rôle très
important pendant le développement, en particulier en permettant le positionne-
ment correct des canaux potassiques sur la membrane des neurones. KIAA0319,
quant à elle, participe de façon critique à la migration des neurones au cours du
développement du cortex et contribue chez l’adulte au fonctionnement normal
des neurones. Ainsi, même si les gènes impliqués dans les déficits spécifiques du
langage ne sont pas encore connus avec certitude, il n’en reste pas moins que
de nombreux candidats ont été pressentis, comme ceux cités ci-dessus, attirant
l’attention vers les aspects développementaux.
Un autre trouble du langage mieux connu et plus commun que les précédents
est représenté par la dyslexie. La dyslexie se traduit par des difficultés d’appren-
tissage de la lecture en dépit d’une intelligence tout à fait normale. La dyslexie
touche de 5 à 10 % des individus, considérée comme plus fréquente chez les gar-
çons que chez les filles. Ce déficit présente une forte composante génétique, à tel
point que les enfants de parents dyslexiques ont environ 30 % de chance d’être
eux-mêmes dyslexiques, et 30 à 50 % des enfants d’une personne dyslexique sont
dyslexiques. KIAA0319 est l’un des gènes souvent associé à la dyslexie. Dès lors
il apparaît que la dyslexie est très présente parmi les enfants souffrant de troubles
spécifiques du langage selon la définition donnée ci-dessus, la comorbidité pou-
vant atteindre 40 à 50 % des individus. Dans ce cas, ces troubles spécifiques du
langage et la dyslexie pourraient avoir des causes communes ou représenter des
expressions différentielles d’un même déficit. Comme les troubles spécifiques du
langage, la dyslexie apparaît liée à des altérations du développement cortical.

Découverte des aires


du langage dans le cerveau
Comme dans d’autres domaines des neurosciences, ce n’est qu’à la fin du
siècle dernier que la relation existant entre le langage et le cerveau a commencé à
être mieux comprise. L’étude de l’aphasie représente la meilleure source d’infor-
mation pour connaître le rôle de certaines aires du cerveau. L’aphasie désigne la
perte partielle ou complète de l’utilisation du langage consécutive à des lésions
cérébrales, le plus souvent sans altération des facultés cognitives, ni de l’aptitude
à mobiliser les muscles utilisés dans l’articulation des mots.
Au temps des Grecs et des Romains, la parole était considérée comme contrô-
lée par la langue, et donc que c’était là qu’il fallait rechercher l’origine des per-
turbations du langage, plutôt que dans le cerveau. Si la perte du langage était
consécutive à un traumatisme de la tête, on recommandait des gargarismes et
des massages de la langue. Au xvie siècle, il fut établi qu’un individu pouvait pré-
senter des troubles de la parole sans qu’il y ait paralysie de la langue. Pourtant,
malgré ces progrès, le traitement consistait encore à couper la langue, à pratiquer
une saignée et à appliquer des sangsues.
Vers 1770, Johann Gesner publia une théorie relativement moderne de l’apha-
sie, dans laquelle il la décrivait comme l’incapacité d’associer des images ou des
idées abstraites avec leurs symboles parlés. Il pensait que ces troubles provenaient
de lésions cérébrales provoquées par une maladie. La définition de Gesner sou-
ligne un fait important : dans l’aphasie, les fonctions cognitives peuvent rester
intactes, mais une fonction spécifique de l’expression verbale est affectée. Bien
que l’association entre la forme du crâne et le fonctionnement cérébral par Franz
Joseph Gall et les phrénologistes (voir chapitre 1) soit inexacte, ils ont eux aussi
effectué une observation importante sur l’aphasie : les cas de lésions cérébrales,
dans lesquelles il y avait perte de la parole sans que les facultés mentales ne soient
touchées, suggéraient qu’il y a dans le cerveau une aire spécifique de la parole.
20 – Langage 701

En 1825, le médecin français Jean-Baptiste Bouillaud émit l’idée d’une loca-


lisation de la parole dans les lobes frontaux, mais il fallut attendre quarante ans
de plus pour que cette idée soit acceptée par tous. En 1861, Simon Alexandre
Ernest Aubertin, le gendre de Bouillaud, rapporta le cas d’un homme qui s’était
fait exploser l’os frontal dans une tentative de suicide manquée. En soignant
cet homme, Aubertin découvrit que s’il appuyait une spatule sur le lobe fron-
tal exposé pendant que l’homme était en train de parler, son discours devenait
immédiatement heurté et ne redevenait normal que si l’on relâchait la pression.
Il en conclut que la pression exercée sur le cerveau interférait avec le fonctionne-
ment normal d’une aire corticale du lobe frontal.

Aire de Broca et aire de Wernicke


En 1861, un patient quasi incapable de parler se présenta au neurologue fran-
çais Paul Broca. Ce patient fut dénommé « Tan » du fait que le seul son qu’il
pouvait émettre était « tan ». Tan décéda peu après qu’il eut rencontré Broca,
et son cerveau fut prélevé. Broca demanda à Aubertin de participer à l’examen
du cerveau, et tous deux conclurent que, chez ce patient aussi, il se trouvait une
lésion des lobes frontaux. Le milieu scientifique avait sans doute évolué à cette
époque, et le cas de Broca semble avoir amené à l’idée qu’il se trouve un centre du
langage dans le cerveau. En 1863, Broca publia un article décrivant huit cas de
troubles du langage consécutifs à des lésions du lobe frontal dans l’hémisphère
gauche. À la lumière d’autres cas semblables et de rapports mentionnant que
la parole n’était pas perturbée par les lésions de l’hémisphère droit, Broca, en
1864, suggèra que l’expression du langage est contrôlée par un seul hémisphère,
presque toujours le gauche. Cette idée est en accord avec les résultats acquis avec
une méthode plus moderne pour déterminer le rôle des deux hémisphères dans
le langage, appelée la procédure de Wada, dans laquelle l’un des hémisphères est
anesthésié. Dans la plupart des cas, l’expression orale est altérée par l’anesthésie
de l’hémisphère gauche, et non pas de l’hémisphère droit. Dans les années 1990,
l’imagerie cérébrale fonctionnelle a remplacé la procédure de Wada pour déter-
miner la dominance hémisphérique en rapport avec le langage, et les résultats
confirmèrent les premières observations (Encadré 20.2).
Un hémisphère est dit dominant lorsqu’il paraît plus impliqué que l’autre
dans une tâche donnée. L’aire critique du langage articulé identifiée par Broca
dans le lobe frontal de l’hémisphère dominant gauche est nommée aujourd’hui
l’aire de Broca (Fig. 20.6). De fait, la contribution de Broca est très importante

Zone du contrôle moteur


de la bouche et des lèvres

Cortex moteur

Aire
de Broca Gyrus
angulaire

Figure 20.6 – Principales structures impli-


quées dans les mécanismes du langage
dans l’hémisphère gauche.
L’aire de Broca est située à proximité immé-
diate des zones du cortex moteur qui
contrôlent les mouvements de la bouche et
Cortex des lèvres. L’aire de Wernicke de la partie
auditif Aire de supérieure du lobe temporal est située entre
Wernicke
l’aire auditive et le gyrus angulaire.
702 3 – Cerveau et comportement

Encadré 20.2 FOCUS

Évaluer la dominance hémisphérique du langage


Les premiers travaux ayant rapporté que l’un des ont l’hémisphère droit dominant, seuls les gauchers ont
hémisphères cérébraux est dominant pour le langage est une représentation de la capacité de parole répartie entre
venu d’observations des effets de lésions cérébrales chez les deux hémisphères. Dans le test de Wada, ce phénomène
les patients. Une procédure plus simple permettant se manifeste lorsque la parole est affectée par l’injection
d’étudier l’implication des deux hémisphères cérébraux pratiquée indifféremment dans l’un ou l’autre des hémis-
dans le langage a été introduite par le neurologue japo- phères, bien que les perturbations spécifiques soient par-
nais-canadien Juhn Wada à l’Institut Neurologique de fois différentes, selon l’hémisphère concerné.
Montréal. La méthode consiste à injecter un barbitu- Plus récemment, l’imagerie par résonance magnétique
rique à effet rapide, comme l’Amytal®, dans la carotide fonctionnelle (IRMf) a été utilisée pour étudier la latérali-
d’un côté du cou (Fig. A). Le produit se répand préféren- sation hémisphérique du langage. Du fait que l’IRMf est
tiellement dans le flux sanguin de l’hémisphère ipsilaté- une méthode non invasive, il n’y a aucune limitation en
ral par rapport à l’injection, où il exerce un effet anes- durée comme dans la procédure de Wada. La figure B
thésique pendant environ 10 minutes. Les effets sont illustre les résultats obtenus chez un sujet auquel il a été
soudains et violents, et en quelques secondes les membres demandé un synonyme d’un mot qui lui était donné à par-
du côté du corps controlatéral par rapport à l’injection tir de quatre choix possibles. Les résultats montrent une
sont paralysés, et la sensation somatique est supprimée. activation des aires frontales, temporales et pariétales inter-
En demandant au patient de répondre à des ques- venant sélectivement dans l’hémisphère gauche, dont il est
tions, il est possible de tester sa capacité à s’exprimer. Si considéré qu’il est dominant pour le langage chez cette per-
l’injection est pratiquée dans l’hémisphère dominant sonne (notez que, par convention, en IRM, l’hémisphère
pour la parole, le patient sera totalement incapable de gauche est représenté à droite et réciproquement).
parler, jusqu’à ce que les effets de l’anesthésie se dis-
Tableau A - Contrôle hémisphérique du langage en fonction de
sipent. Si l’injection n’est pas réalisée dans l’hémisphère la préférence manuelle.
dominant, le sujet continue à parler pendant tout le test.
Représentation du langage (%)
Les résultats rapportés dans le tableau A montrent que Préférence Nombre
96 % de droitiers et 70 % de gauchers ont l’hémisphère manuelle de cas Gauche Bilatérale Droite
gauche dominant pour la parole. Étant donné que 90 % Droite 140 96 0 4
des gens sont droitiers, cela signifie que 93 % des personnes
ont l’hémisphère gauche dominant pour le langage. Alors Gauche 122 70 15 15
qu’un nombre peu élevé mais significatif d’ambidextres (Source : Rasmussen et Milner, 1977, Tableau 1.)

Lobe frontal
Artère cérébrale moyenne

Lobe pariétal

Lobe
temporal

Artère carotide
interne gauche

Solution
d’Amytal®

Figure A  Figure B 
(Source : Spreer et al., 2002, Fig. 4.)
20 – Langage 703

car, dans le cas du langage, il s’agissait de la première démonstration de l’exis-


tence d’une localisation anatomique des fonctions cérébrales.
En 1874, le neurologue allemand Karl Wernicke signala que l’expression
orale normale est aussi abolie par d’autres lésions de l’hémisphère gauche, sié-
geant dans une région différente de l’aire de Broca. Cette région, située à la
surface supérieure du lobe temporal entre le cortex auditif et le gyrus angulaire,
est connue sous le nom d’aire de Wernicke (Fig. 20.6), et la nature de l’aphasie
observée par Wernicke est différente de celle qui est associée aux lésions de l’aire
de Broca. Après avoir démontré la présence de deux aires du langage dans l’hé-
misphère gauche, Wernicke, avec d’autres, chercha à établir une cartographie
des processus du langage dans le cerveau. Wernicke postula l’existence d’inter-
connexions entre le cortex auditif, l’aire de Wernicke, l’aire de Broca et les mus-
cles associés à la parole, et il attribua les différents types de perturbations du
langage à des lésions siégeant dans différentes parties de ce système complexe.
Bien que les termes d’aire de Broca et d’aire de Wernicke soient communé-
ment utilisés, il faut savoir qu’ils présentent certaines ambiguïtés. En particulier,
les limites de ces aires ne sont pas clairement définies, et elles peuvent varier
d’un sujet à un autre. Par ailleurs, ces aires peuvent être impliquées dans d’autres
fonctions que le langage. Toutefois, ces découvertes sont récentes, et elles ne
prennent tout leur sens qu’après avoir précisé ce que sont les aphasies provo-
quées par les lésions des aires de Broca et de Wernicke.

Comprendre le langage
à partir des aphasies
Comme dans les études de Broca et Wernicke, la méthode la plus ancienne
mise en œuvre pour établir les relations entre le langage et le cerveau repose sur
les corrélations établies entre les déficits fonctionnels et les lésions de certaines
aires du cerveau (méthode anatomoclinique). L’existence de plusieurs types
d’aphasie, illustrée par le tableau 20.1, suggère que les processus du langage
connaissent plusieurs stades et se déroulent dans différentes régions du cerveau
à la fois. En examinant les déficits du langage résultant de lésions de différentes
zones cérébrales, Nina Dronkers, à l’Université de Californie, puis à Davis, a
contribué à clarifier les fondements anatomiques du langage (Encadré 20.3).

Tableau 20.1 – Principales caractéristiques des différentes formes d’aphasie.

Répétition Erreurs
Type d’aphasie Site de la lésion Compréhension Discours
altérée paraphasiques
De Broca Cortex moteur associatif du lobe Bonne Non fluent, agrammatique Oui Oui
frontal
De Wernicke Lobe temporal postérieur Faible Fluent, grammatical Oui Oui
incompréhensible
De conduction Faisceau arqué Bonne Fluent, grammatical Oui Oui
Globale Parties du lobe temporal Faible Peu de langage Oui —
et du lobe frontal
Transcorticale Lobe frontal antérieur par rapport Bonne Non fluent, agrammatique Non Oui
motrice à l’aire de Broca
Transcorticale Cortex proche de la jonction Faible Fluent, grammatical, Non Oui
sensorielle des lobes temporal, pariétal incompréhensible
et occipital
Anomie Lobe temporal inférieur Bonne Fluent, grammatical Non Non
704 3 – Cerveau et comportement

Encadré 20.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Découvrir les aires du langage du cerveau


Par Nina Dronkers

Ma passion pour les neurosciences cli- toutes ces structures travaillent ensemble
niques a démarré alors qu’un jour, à l’Uni- dans des réseaux complexes qui contribuent
versité de Californie à Berkeley, je m’inter- à ces capacités extraordinaires que sont
rogeais sur mon avenir et sur ce que je celles du langage.
pourrais faire après ma formation initiale. Un moment a été particulièrement exci-
L’un de mes professeurs nous a présenté une tant pour moi lorsque j’ai eu la chance de
vidéo d’un patient qui n’était plus capable pouvoir étudier à Paris le cerveau des deux
de lire un message rédigé à la main. De premiers patients de Paul Broca. Il s’agit des
façon paradoxale, cependant, le message Nina Dronkers deux cas d’aphasie qu’il a examinés en 1861
avait été écrit par le patient lui-même ! C’est et qui l’ont conduit à proposer que la partie
alors ce type de problème survenant après un accident inférieure du lobe frontal jouait un rôle important pour
vasculaire cérébral qui a déterminé mon avenir, en le langage parlé. Du fait de la littérature particulièrement
m’amenant à m’interroger sur les mécanismes du lan- abondante sur l’aire de Broca, notamment avec le déve-
gage, et cela continue de me fasciner après plus de trente loppement de l’imagerie en IRM et en TEP-scan, il m’a
ans. paru nécessaire de revenir aux observations de ces deux
En travaillant sur des patients cérébrolésés, j’ai ainsi cerveaux à valeur historique, pour décrire avec une plus
eu l’opportunité unique d’évaluer les relations existant grande précision à la lumière des connaissances actuelles,
entre les régions lésées (appréciées par l’imagerie céré- quelles aires étaient réellement lésées. Par chance, ces
brale) et les troubles du langage induits par ces lésions cerveaux étaient intacts et n’avaient jamais fait l’objet
(aphasie). La première chose frappante est que ce que d’études anatomiques plus poussées que celles initiale-
j’observais n’était pas réellement toujours en accord ment réalisées, ce que j’ai pu faire avec ma collègue Odile
avec ce que l’on m’avait appris au travers des différents Plaisant. Dès lors, nous avons pu observer que ce qui est
modèles de l’aphasie, enseignés en clinique. J’ai ainsi décrit et connu aujourd’hui comme l’aire de Broca n’était
étudié des patients catégorisés comme aphasie de Broca en fait que partiellement lésée dans chacun des deux cas.
qui ne présentaient pas de lésion de l’aire de Broca, et il Nous avons poussé nos investigations pour savoir jusqu’à
en était de même pour les autres types d’aphasie. Très quelle profondeur ces régions cérébrales étaient lésées et,
vite avec mes collègues nous avons conclu que, certes, avec l’expertise de Marie-Thérèse Iba-Zizen et Emmanuel
certains déficits du langage pouvaient effectivement être Cabanis, tous deux neuroradiologues, nous avons pu
mis en relation avec des lésions assez précises, mais qu’en réaliser des études en IRM et obtenir des images détail-
tout état de cause ces lésions plutôt localisées devaient lées en haute résolution de ces cerveaux.
être rapprochées de sous-aspects du langage plutôt À l’analyse des lésions, nous avons été étonnés de
qu’avec le syndrome clinique pris dans son ensemble. leur étendue, impliquant l’insula et de nombreux fais-
Ainsi des déficits tels que ceux correspondant à des ceaux de fibres de cette région. Le cas de Monsieur
troubles de la coordination de l’articulation des mots Leborgne, encore appelé « Tan », était à cet égard parti-
émergeaient de lésions touchant des zones localisées de culièrement illustratif. En fait, ce cerveau qui a joué un
l’insula. De même, des troubles de la répétition de rôle fondateur dans la théorie de Broca, comporte de
phrases courtes étaient observés après lésion de la partie larges atteintes de l’insula et seulement une atteinte très
postérieure du gyrus temporal supérieur. Des difficultés partielle de ce que nous nommons aujourd’hui « aire de
de reconnaissance de la structure syntaxique d’une Broca ». De plus, des faisceaux de fibres majeurs, comme
phrase pouvaient être liées à des atteintes de la partie le faisceau arqué et le faisceau longitudinal supérieur
antérieure de ce même gyrus temporal supérieur. Nos qui relient les parties antérieures frontales et les parties
travaux ont également montré que certains faisceaux de postérieures du cerveau, étaient complètement détruits.
fibres jouaient un rôle critique dans la production et la Le second cas étudié par Broca, le cerveau de Monsieur
compréhension du langage. La destruction du faisceau Lelong, présente une atrophie de l’insula, mais égale-
arqué, par exemple, se traduit par des troubles du lan- ment toute une série de petites lésions dans les régions
gage sévères. Ainsi, il apparaissait que, si effectivement plus profondes du cerveau, touchant là encore le fais-
certaines aires cérébrales jouaient un rôle dans les fonc- ceau arqué et le faisceau longitudinal supérieur. Ces
tions du langage, les syndromes aphasiques résultaient observations n’avaient jamais été réalisées auparavant et
de lésions beaucoup plus larges, susceptibles d’impli- nous avons été ravis de pouvoir le faire. Ceci nous a alors
quer les faisceaux de fibres qui les interconnectaient. permis d’avancer que les lésions, qui étaient à l’origine
Dans un cerveau normal, en dehors de toute lésion, de l’aphasie dans ces deux cas, étaient bien plus larges
20 – Langage 705

Encadré 20.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

qu’il n’avait été considéré jusqu’ici, en accord avec nos de nombreux de ses aspects, le cerveau humain représente
propres observations des zones lésées examinées dans les encore un champ de « terra incognita », en particulier en
aphasies de Broca. ce qui concerne ses fonctions, ses mécanismes, et ses
En tant que chercheur en neurosciences, je me suis capacités de récupération. C’est maintenant le travail des
sentie extrêmement chanceuse d’avoir pu travailler avec jeunes générations de chercheurs en neurosciences de
tant de patients souffrant d’aphasie, qui nous ont telle- poursuivre ces travaux et contribuer aux découvertes,
ment appris sur le fonctionnement de notre cerveau. Pour avec le même enthousiasme qui fut le nôtre.

Aphasie de Broca
Le syndrome connu sous le nom d’aphasie de Broca est qualifié aussi de
moteur ou non fluent car le patient souffrant de ce syndrome a des difficultés
à parler, même s’il comprend le langage écrit ou parlé. Le cas de David Ford
est typique : cet homme était opérateur radio dans les garde-côtes lorsqu’il fut
frappé d’un accident vasculaire cérébral, à l’âge de 39 ans. Son intelligence ne
fut pas touchée, mais il contrôlait mal le bras et la jambe du côté droit (ce qui
indiquait une lésion de l’hémisphère gauche). Son discours aussi devint anor-
mal, comme le montre sa conversation avec le psychologue Howard Gardner,
reproduite ci-dessous :
« J’ai demandé à M. Ford ce qu’il faisait avant d’être admis à l’hôpital.
“Je suis un opé… non… heu, bien,… encore”. Il prononça ces mots
doucement, avec beaucoup d’efforts. Les sons n’étaient pas bien articulés ;
il énonçait chaque syllabe d’une voix dure, forte et gutturale. Avec de l’en-
traînement, on parvint à le comprendre, mais j’ai eu beaucoup de difficultés
au début.
“Laissez-moi vous aider”, lui dis-je. “Vous travaillez dans les transmis-
sions…”
“Un opé-rateur de transmission… c’est cela.” Ford compléta ma phrase,
triomphant.
“Étiez-vous dans les garde-côtes ?”
“Non, euh, oui… navire… Massachu… chusetts… garde-côtes… années.”
Il leva deux fois ses deux mains pour montrer le chiffre dix-neuf…

“Pourriez-vous me dire ce que vous faites à l’hôpital ?”
“Oui. Bien sûr. Moi vais, euh, heu, neuf heures, parler… deux fois…
lire… éc…, euh écri…, écrire… pratiquer… progres…-ser.”
“Et rentrez-vous à la maison pour le week-end ?”
“Oui, bien sûr… jeudi, euh… non, vendredi… Bar-ba-ra… femme… et,
oh, voiture… conduire… vous savez… repos… et… télé-vision.”
“Pouvez-vous tout comprendre à la télévision ?”
“Oh, oui, oui, oui… euh… pres-que tout.” Ford eut un petit sourire. »
(Gardner, 1974, pp. 60-61).
Les sujets présentant une aphasie de Broca ont du mal à trouver leurs mots
et ils s’arrêtent souvent en parlant pour les trouver. L’incapacité à trouver le mot
juste s’appelle l’anomie (littéralement le manque de mot). Curieusement, l’apha-
sique de Broca peut dire presque sans hésitation un certain nombre de choses
courantes, comme le jour de la semaine. La caractéristique de l’aphasie de Broca
est un discours de style télégraphique, qui utilise principalement les mots qui ont
un contenu (noms, verbes et adjectifs avec un contenu spécifique dans la phrase).
Dans l’exemple de David Ford, à la question lui demandant s’il était dans les
garde-côtes, il répondait avec les mots « navire », « Massachusetts », « garde-
côte » et « années », mais rien d’autre. Les mots qui ont une fonction (articles,
706 3 – Cerveau et comportement

pronoms et conjonctions qui relient les parties de la phrase grammaticalement)


sont oubliés (il n’y a ni « si », ni « et », ni « mais »), ainsi que les terminaisons des
verbes conjugués. Dans le jargon utilisé pour décrire les perturbations de l’apha-
sie, l’incapacité à construire des phrases grammaticalement correctes s’appelle
l’agrammatisme. Il y a des nuances dans cet agrammatisme. Par exemple, Ford
pouvait lire et utiliser les mots bee (abeille) et oar (aviron), mais il ne retrouvait
pas des mots plus simples comme be (être) et or (ou). Le problème ne tient pas au
son, mais au fait que le mot est, ou pas, un nom. L’aphasique de Broca éprouve
des difficultés à répéter les choses qu’il entend, tout en étant plus à l’aise avec
les mots familiers comme « livre » ou « nez ». Parfois il utilise un son ou un mot
pour un autre. Ce sont des erreurs paraphasiques.
Contrairement aux difficultés d’expression orale observées dans l’aphasie de
Broca, la compréhension reste généralement bonne. Ford semble comprendre les
questions qui lui sont posées et dit qu’il comprend presque tout quand il regarde
la télévision. Dans le cas étudié par Gardner, Ford peut répondre à des questions
simples, telles que : « Une pierre flotte-t-elle sur l’eau ? ». En revanche, des ques-
tions plus difficiles montrent que sa capacité de compréhension n’est pas tout
à fait normale. Si on lui demande : « Le lion a été tué par le tigre. Quel animal
est mort ? » ; Ou bien : « Placez la tasse au-dessus de la fourchette et placez le
canif dans la tasse », il a du mal à comprendre. Cela est probablement en relation
avec les difficultés qu’il éprouve avec les mots ayant une fonction, « par » dans le
premier exemple, et « au-dessus de », dans le second.
Les altérations de l’articulation du langage représentent l’aspect le plus évident
de l’aphasie de Broca. Pour cette raison, il est estimé que le trouble est associé
à l’aspect moteur de la fonction du langage. L’aphasique comprend les mots,
mais ne peut les prononcer facilement. Bien que l’aphasique de Broca ait plus
de difficultés avec le langage que les autres aphasiques, plusieurs faits suggèrent
qu’il y a autre chose dans ce syndrome. La compréhension est généralement bien
préservée, mais l’utilisation de questions pièges a montré qu’il peut exister des
déficits. Un simple déficit moteur ne peut à lui seul expliquer la capacité de dire
bee mais pas be. Enfin, le patient présente parfois une anomie importante, qui
révèle des difficultés dans le choix des mots autant que dans leur énonciation.
Wernicke a suggéré que l’aire lésée dans l’aphasie de Broca contient les
informations acquises permettant de contrôler les fins processus moteurs qui
permettent d’articuler le son d’un mot. Cette idée est séduisante lorsqu’on sait
que l’aire de Broca est située près de la partie du cortex moteur qui contrôle
la bouche et les lèvres. La théorie de Wernicke a toujours des adeptes, mais il
y a aussi une autre façon de voir les choses. Par exemple, la différence entre la
capacité de l’aphasique à utiliser les mots qui ont un contenu, et celle à utiliser
les mots qui ont une fonction, suggère que l’aire de Broca et le cortex proche
seraient spécifiquement impliqués dans la construction de phrases grammatica-
lement correctes. Cela pourrait expliquer pourquoi David Ford peut émettre des
mots comme bee ou oar quand ils représentent des mots qui ont un contenu, et
non lorsqu’ils représentent des mots qui ont une fonction comme be ou or.

Aphasie de Wernicke
Le syndrome observé par Wernicke est très différent de celui de Broca. Il
remarque que les lésions temporales supérieures peuvent provoquer une aphasie,
et il postule qu’il y a en fait deux types d’aphasie : l’aphasie de Broca, carac-
térisée par des troubles du langage alors que la compréhension est assez bien
préservée, et l’aphasie de Wernicke, caractérisée par un langage fluide et volubile,
mais incompréhensible.
Gardner a rapporté sa conversation avec un autre patient, Philip Gorgan :
« Qu’est-ce qui vous a amené à l’hôpital ? » demandais-je à cet homme de
72 ans, un boucher à la retraite, qui était à l’hôpital depuis quatre semaines.
« Eh bien, je transpire, je suis terriblement nerveux, vous savez, de temps
en temps, je ne peux plus bouger, alors que, d’autre part, vous savez ce que je
veux dire, il faut que je m’agite, regarde tout ce qui se passe, et tout le reste
avec. »
20 – Langage 707

J’essayai plusieurs fois de l’interrompre, mais je ne parvins pas à arrêter ce


débit rapide et incessant. Finalement, en soulevant et en posant ma main sur
l’épaule de Gorgan, je réussis à obtenir un moment de répit.
« Merci, Monsieur Gorgan, je voudrais vous poser quelques… »
« Oh bien sûr, continuez sur toutes les choses du passé. Si je pouvais, je
le ferais. Oh je ne prends pas les mots dans le bon sens pour dire, tous les
barbiers ici, quand ils vous arrêtent, cela continue indéfiniment, si vous voyez
ce que je veux dire… »1 (Gardner, 1974, pp. 67-68).
Il est clair que le discours du patient Gorgan est très différent de celui du
patient Ford. Le débit du discours de Gorgan est normal, et il n’a pas de diffi-
culté à utiliser les mots qui ont un contenu et ceux qui ont une fonction. Mais
ses paroles n’ont pas beaucoup de sens. C’est un étrange mélange de clarté et de
charabia. L’aphasique de Wernicke fait par ailleurs beaucoup d’erreurs para-
phasiques. Il dit un mot pour un autre. Gorgan utilisait quelquefois le mot juste,
mais pas dans la bonne phrase. D’autres fois, il écorchait un mot en utilisant un
mot approchant, ou bien faisait de véritables associations d’idées (coude pour
genou, par exemple).
En raison du flot de paroles incompréhensibles, il est difficile de savoir si
l’aphasique de Wernicke comprend ce qu’il entend ou ce qu’il lit. Curieusement,
l’aphasique de Wernicke ne semble pas troublé par le bruit incessant de son
discours et de celui des autres, même s’il ne comprend probablement aucun des
deux. Pour vérifier le niveau de compréhension du patient, une méthode non
verbale est utilisée. Par exemple, il est demandé au patient de placer l’objet A
au-dessus de l’objet B. Les résultats obtenus avec des questions et des ordres de
ce genre montrent rapidement que l’aphasique de Wernicke ne comprend pas ce
qu’on lui demande, contrairement à l’aphasique de Broca. Ainsi, lorsqu’on pré-
sentait à Gorgan des cartons sur lesquels il était écrit : « faites un signe d’adieu »,
ou : « faites semblant de vous laver les dents », il pouvait souvent lire les cartons
mais n’agissait jamais comme s’il avait compris le sens des mots.
L’étrangeté du discours de Gorgan se reflétait dans son écriture et sa capa-
cité à jouer de la musique. Lorsque Gardner lui donnait un crayon, il le prenait
spontanément et se mettait à écrire : « Philip Gorgan. C’est un jour très bon bau
jour est un très bon jour, quand le tems a été pendant longtemps dans cette cam-
pagnie. Alors nous sammes allés nous promener et jusqu’à car cela porrait être la
première fois » (Gardner, p. 71). De même, quand il chantait ou jouait du piano,
des morceaux de la chanson se mêlaient à un charabia musical et il s’arrêtait
difficilement, comme c’était le cas lorsqu’il parlait.
La fonction de l’aire de Wernicke est peut-être liée à sa localisation dans la
circonvolution temporale supérieure, près du cortex auditif. Elle pourrait jouer
un rôle crucial dans la relation entre la reconnaissance du mot entendu et le
sens du mot. En d’autres termes, les informations relatives aux sons constitutifs
du langage sont stockées dans l’aire de Wernicke. L’idée est alors que l’aire de
Wernicke est une aire supérieure de la reconnaissance des sons, comme le cortex
inférotemporal est une aire supérieure de la reconnaissance visuelle. Les déficits
de la reconnaissance des sons rendraient compte de l’absence de compréhension
d’autrui de l’aphasique de Wernicke. Pourtant, la lésion de l’aire de Wernicke
n’est pas seulement associée aux étrangetés du discours : le discours observé
dans l’aphasie de Wernicke laisse penser que l’aire de Broca et le système res-
ponsable de l’articulation des mots ne contrôlent pas leur contenu. Le discours
jaillit et part dans tous les sens, comme une voiture conduite par un chauffeur
endormi.

Aphasie et langage : modèle de Wernicke-Geschwind


Wernicke, après avoir introduit à la suite d’observations ce que l’on nomme
l’aphasie de Wernicke, proposa un modèle des processus du langage dans le cer-
veau. Norman Geschwind, de l’Université de Boston, a développé ce modèle

1.  NdT : suit un discours incompréhensible, comprenant aussi des mots inventés.
708 3 – Cerveau et comportement

Cortex moteur

Aire
Faisceau
de Broca arqué

Figure 20.7 – Représentation du circuit neu-


Cortex
ronal impliqué dans le processus de répéti- auditif Aire de
tion des mots entendus, selon le modèle de Wernicke
Wernicke-Geschwind.

connu aujourd’hui comme modèle de Wernicke-Geschwind. Les éléments ana-


tomiques-clés de ces processus sont représentés par l’aire de Broca, l’aire de
Wernicke, le faisceau arqué (un ensemble d’axones reliant les deux régions corti-
cales) et le gyrus angulaire. Le modèle comprend aussi des zones sensorielles et
motrices associées à l’écoute et à l’émission du langage. Tentons de comprendre
ce que signifie ce modèle, à l’aide de deux tâches.
La première tâche consiste simplement en la répétition de mots entendus
(Fig. 20.7). Lorsque les sons des mots articulés parviennent à l’oreille, le système
auditif analyse les sons et il envoie ensuite des messages au cortex auditif. Selon
le modèle, les sons ne sont pas reçus comme mots signifiants tant qu’ils ne sont
pas décodés dans l’aire de Wernicke. Pour qu’une personne soit à même de répé-
ter les mots, il faut que le signal décodé soit transféré par le faisceau arqué de
l’aire de Wernicke jusqu’à l’aire de Broca. Dans l’aire de Broca, les mots sont
codés pour planifier les mouvements des muscles qui conditionnent le langage.
Les ordres sont transmis de l’aire de Broca aux aires corticales motrices qui
commandent le mouvement des lèvres, de la langue, du larynx, etc.
La seconde tâche consiste à lire à haute voix un texte écrit (Fig. 20.8). Dans
ce cas, l’information est traitée par le système visuel, dans le cortex strié et les
aires corticales visuelles supérieures. Les messages visuels sont ensuite transmis
au gyrus angulaire, à la jonction des lobes occipital, pariétal, et temporal. Il
est imaginé qu’une transformation du message a lieu dans le cortex du gyrus
angulaire, et le message transmis induit dans l’aire de Wernicke une activité qui
correspondrait au langage parlé et non écrit. À partir de là, le mode de transmis-
sion est le même que dans l’exemple de la première tâche : de l’aire de Wernicke,
à l’aire de Broca, puis au cortex moteur.
Ce modèle apporte des explications simples sur les éléments-clés de l’aphasie
de Broca et de celle de Wernicke. Le langage se trouve sérieusement affecté par
les lésions de l’aire de Broca car les messages corrects ne sont plus transmis au
cortex moteur. D’autre part, la compréhension est relativement préservée car
l’aire de Wernicke n’est pas touchée. À l’opposé, la compréhension est gravement
altérée par les lésions de l’aire de Wernicke car c’est le site de la conversion des
sons en mots. En revanche, la faculté de parler n’est pas touchée du fait que l’aire
de Broca contrôle encore les mouvements des muscles qui permettent le langage.
Le modèle de Wernicke-Geschwind comporte des erreurs et des simplifica-
tions exagérées. Par exemple, les mots lus n’ont pas besoin d’être convertis en une
réponse pseudo-auditive, comme il est suggéré dans la tâche de lecture décrite
20 – Langage 709

Cortex moteur

Aire
de Broca Cortex
visuel
primaire

Cortex Figure 20.8 – Représentation du circuit impli-


auditif Aire de Gyrus qué dans le processus de répétition à haute
Wernicke angulaire voix des mots écrits, selon le modèle de
Wernicke-Gerschwind.

plus haut. En fait, l’information visuelle est transmise du cortex visuel à l’aire
de Broca, sans passer par le gyrus angulaire. Un des risques inhérents à tous
les modèles est de donner trop d’importance à une aire corticale donnée, pour
une fonction donnée. Il a été découvert récemment que la gravité des aphasies
de Broca et de Wernicke dépend de l’étendue du cortex affecté par la lésion, en
dehors des aires de Wernicke et de Broca. D’autre part, les lésions de structures
sous-corticales telles que celles du thalamus et du noyau caudé, qui ne sont pas
représentées dans le modèle, ont aussi une influence sur l’aphasie. De ce fait,
les déficits du langage consécutifs à l’ablation chirurgicale de parties du cortex
sont plus bénins que ceux qui suivent une attaque cérébrale, qui lèse à la fois les
structures corticales et sous-corticales.
Un autre facteur important est lié à l’observation fréquente de récupérations
significatives du langage après un accident vasculaire cérébral. Il semble ainsi que
d’autres aires corticales compensent ce qui a disparu. Comme c’est le cas pour de
nombreux syndromes neurologiques, les enfants jeunes récupèrent extrêmement
bien, et les adultes, particulièrement les gauchers, font preuve d’une assez bonne
récupération fonctionnelle.
Enfin, une autre difficulté avec le modèle de Wernicke-Geschwind vient du
fait que la plupart des formes d’aphasie s’accompagnent à la fois de perturba-
tions du langage et de la compréhension. Dans les exemples vus ci-dessus, le
patient Ford souffrant de l’aphasie de Broca a une bonne compréhension, mais
il est dérouté par des questions plus complexes. Inversement, le patient Gorgan,
atteint d’aphasie de Wernicke, présente plusieurs troubles du langage ajoutés à
une sévère perte de compréhension. Par conséquent, il n’est pas possible de dire,
comme tente de le démontrer le modèle, qu’en ce qui concerne les processus
corticaux, différentes régions correspondent à des fonctions clairement définies.
Toutefois, en dépit de ces inexactitudes, le modèle de Wernicke-Geschwind est
toujours utilisé en clinique du fait de sa simplicité et de sa relative validité. Dans
la seconde partie du xxe siècle, de nombreux modèles ont été développés pour
tenter de rendre compte de la complexité du traitement du langage par le cerveau
et des limites du modèle de Wernicke-Geschwind. Un peu à la manière des voies
du traitement parallèle des informations visuelles, ces modèles soulignent égale-
ment la possibilité d’un traitement multiple par le cerveau des différents aspects
du langage par des voies parallèles mais interconnectées (Fig. 20.9).
710 3 – Cerveau et comportement

Cortex moteur

Cortex prémoteur

Aire de Broca

Aire de
Wernicke

Cortex auditif

Figure 20.9 – Traitement parallèle des informations liées au langage.


Les modèles les plus récents des processus liés au langage mettent en exergue l’existence de
plusieurs systèmes agissant en parallèle, à la manière des systèmes dorsal et ventral décrits pour le
traitement des informations visuelles. Le modèle présenté ici comporte deux voies dorsales et une
composante ventrale. Notez que, contrairement à ce que postule le modèle de Wernicke-Geshwind,
dans ce cas, le langage n’est pas basé sur une simple liaison anatomique entre l’aire de Wernicke
et l’aire de Broca au travers du faisceau arqué. L’une des voies dorsales (en bleu) connecte le gyrus
temporal supérieur (aire de Wernicke et aires auditives) avec le cortex prémoteur, et serait impliquée
dans la production du langage et la répétition des mots. L’autre voie dorsale (en vert) connecte le
gyrus temporal supérieur avec l’aire de Broca, et il est vraisemblable qu’elle serait plutôt impliquée
dans la structure syntaxique complexe des phrases, c’est-à-dire l’analyse des mots et leur empla-
cement en fonction des règles grammaticales. Le système ventral (en rouge) utilise les sons de la
parole pour en extraire leur sens. (Source : adapté de Berwick et al., 2013, Fig. 2.)

Aphasie de conduction
La valeur d’un modèle n’est pas seulement liée à sa capacité à rendre compte
d’observations antérieures mais aussi à sa capacité de prédiction. Sur la base de
ses observations que différentes formes d’aphasies résultent de lésions d’aires
corticales situées dans le cortex frontal et dans le cortex temporal supérieur,
Wernicke a ainsi prédit qu’il existe une forme d’aphasie particulière résultant
de la lésion qui interrompt la connexion entre l’aire de Wernicke et l’aire de
Broca tout en préservant l’intégrité de ces deux aires. Cette aphasie particulière
serait due à une lésion des fibres du faisceau arqué, selon le modèle de Wernicke-
Geschwind. En réalité, ces lésions de déconnexion touchent normalement le cor-
tex pariétal en plus du faisceau arqué, mais l’aire de Broca et celle de Wernicke
sont épargnées.
La prédiction de Wernicke s’avérait donc être correcte. L’aphasie consécutive
à ce type de lésions existe, et se nomme l’aphasie de conduction. Comme le prédit
le modèle basé sur la préservation des aires de Wernicke et de Broca, la compré-
hension est bonne et le langage est fluide. L’expression orale du patient quant
à elle n’est pas affectée. L’aphasie de conduction se caractérise essentiellement
par des troubles dans les tests de répétition : en réponse à la prononciation de
quelques mots, le patient doit répéter ce qu’il entend. Dans ce cas, la répétition
se traduit par une mauvaise performance émaillée de transformation de mots,
d’omission de mots, et d’erreurs paraphasiques. La performance est générale-
ment meilleure avec les noms et les expressions courantes courtes, mais plus
20 – Langage 711

mauvaise lorsqu’il s’agit de mots qui ont une fonction, de mots polysyllabiques,
ou de sons sans signification. Curieusement, le sujet atteint d’aphasie de conduc-
tion comprend ce qu’il lit à haute voix, même si ce qu’il ou elle dit contient de
nombreuses erreurs paraphasiques. Cela correspond à l’idée que la compréhen-
sion est préservée, et que les déficits surviennent entre les régions du langage et
de la compréhension.
Il est tout à la fois triste et fascinant d’observer la diversité des aphasies
consécutives à un accident vasculaire cérébral. Bien que ces syndromes remettent
souvent en question tous les modèles, chacun d’entre eux représente une clé pour
la compréhension des processus du langage. Le tableau 20.1 rapporte les carac-
téristiques de quelques autres types d’aphasie.

Aphasie des personnes bilingues et des sourds


L’étude de cas d’aphasie survenant chez des bilingues et des sourds apporte
des éclaircissements assez fascinants sur les mécanismes du langage. Prenons
le cas d’une personne parlant deux langues, atteinte d’un accident vasculaire
cérébral : l’aphasie touche-t-elle une des deux langues, ou les deux, de la même
façon ? La réponse dépend de plusieurs facteurs, y compris l’ordre dans lequel
les langues ont été apprises, la facilité d’expression dans chacune des deux lan-
gues, et la langue utilisée le plus récemment. Il est difficile de prédire les consé-
quences d’un accident vasculaire cérébral, mais il apparaît que la langue apprise
dans l’enfance et la plus courante, est moins affectée. Si la personne a appris
les deux langues en même temps avec la même facilité d’expression, la lésion Moi
affectera probablement les deux langues de la même façon. Si les langues ont L’index est tourné
été apprises à des moments différents, une des langues sera vraisemblablement vers le sujet qui
se frappe la
plus affectée que l’autre. Il est ainsi possible de penser que la deuxième langue poitrine
utilise des populations de neurones différentes, bien qu’imbriquées, avec celles
de la première.
L’étude des perturbations du langage chez les sourds et/ou chez ceux qui
utilisent le langage gestuel montre qu’il y a une certaine unité des processus
du langage dans le cerveau. Le langage des signes utilise des gestes des mains
pour exprimer toutes les idées et les émotions qui s’expriment par le langage
oral (Fig. 20.10). Chez les sujets qui utilisent la langue des signes, les lésions
de l’hémisphère gauche entraînent des déficits du langage comparables à ceux
observés chez l’aphasique verbal. Dans certains cas proches de l’aphasie de Broca,
la compréhension est préservée, mais la capacité à « parler » avec le langage des
signes est sévèrement altérée alors que les mouvements des mains ne sont pas Chat
touchés (ce qui signifie que ce n’est pas un problème de contrôle moteur). Plutôt, Dessiner dans
le déficit concerne l’utilisation des mains dans l’expression du langage. l’air deux
moustaches,
Il existe aussi une manifestation de l’aphasie de Wernicke dans l’aphasie du entre le pouce et
langage des signes : le patient utilise les signes avec facilité, mais se trompe sou- l’index
vent, tout en ayant des difficultés à comprendre les gestes d’autrui. Le cas, peu
fréquent, d’un homme dont les parents étaient sourds et qui avait appris les deux
langages, celui des signes et celui des mots, a fait l’objet d’une étude attentive. À
la suite d’un accident vasculaire cérébral dans l’hémisphère gauche, cet homme
présentait une aphasie globale, mais son état s’améliora significativement avec
le temps. L’étude de ce cas permet une observation importante : il récupéra sa
faculté d’expression dans les deux langages dans le même temps, comme si les
deux aires cérébrales concernées étaient imbriquées. Ainsi, il existe vraisembla-
blement des aphasies du langage par signes comparables à l’aphasie de l’expres-
sion orale, mais il semble aussi que l’aphasie des signes et l’aphasie de la parole
soient provoquées par les lésions de l’hémisphère gauche avec des localisations Figure 20.10 – Communication par le langage
un peu différentes. des signes américain.
712 3 – Cerveau et comportement

Traitement asymétrique
du langage par les hémisphères
cérébraux
Les lésions de certaines parties du cerveau entraînent des formes d’aphasie
différentes. Comme l’indiquent les premiers travaux de Broca, le langage n’est
pas traité de la même façon dans les deux hémisphères. L’illustration la plus
intéressante et la plus fascinante de l’activité fonctionnelle différentielle des deux
hémisphères dans le langage est donnée par un modèle appelé split-brain, dans
lequel les hémisphères sont séparés chirurgicalement pour des raisons thérapeu-
tiques. La communication entre les hémisphères cérébraux est le fait de plusieurs
faisceaux d’axones ou commissures. La plus volumineuse est la grande commis-
sure cérébrale, appelée aussi corps calleux (Fig. 20.11), comme nous l’avons vu
au chapitre 7. Le corps calleux est composé d’environ 200 millions d’axones, qui
passent d’un hémisphère à l’autre. Un tel amas de fibres doit sûrement avoir une
fonction importante, mais curieusement, ce n’est qu’à partir de 1950 que l’on a
Partie pu démontrer le rôle du corps calleux.
de l’os Dans le modèle split-brain, après ouverture du crâne, les axones du corps cal-
Corps
Crâne retirée
leux sont sectionnés (Fig. 20.12). Dans cette situation, cependant, il subsiste une
calleux certaine forme de communication entre les hémisphères, par le tronc cérébral ou
les petites commissures (si elles ne sont pas séparées), mais la communication
entre les deux hémisphères a disparu en grande partie. Dans les années 1950,
l’équipe de Roger Sperry de l’Université de Chicago et plus tard du California
Institute of Technology, a réalisé des expériences au moyen de modèles animaux
split-brain, pour découvrir les fonctions du corps calleux et des hémisphères
Vascularisation
cérébrale
séparés. Les résultats de ces expériences, à la suite de travaux antérieurs, ont
confirmé que le fait de sectionner le corps calleux chez le chat ou le singe n’a
pas d’effet majeur sur le comportement de l’animal. Son tempérament n’est
Scalpel
pas modifié, et la coordination motrice de l’animal, sa réaction aux stimuli et
Figure 20.12 –  Procédure opératoire pour
son aptitude à apprendre, paraissent normaux. Cependant l’équipe de Sperry a
sectionner le corps calleux (split-brain) en montré, au moyen d’expériences plus ingénieuses, que les animaux réagissaient
chirurgie humaine. parfois comme s’ils avaient deux cerveaux. Par exemple, dans l’une de ces expé-
Pour atteindre le corps calleux, une partie de riences, des stimuli en forme de cercle ou de croix étaient présentés à un singe
la peau et du crâne est retirée, et les hémis- split-brain par le seul canal de l’œil gauche, alors que l’animal avait préalable-
phères cérébraux légèrement écartés. ment été conditionné pour reconnaître le cercle. En procédant à des essais alter-

Corps calleux

Hémisphère Hémisphère
droit gauche

Figure 20.11 – Corps calleux.
Le corps calleux représente un faisceau Pont
d’axones impliqué dans la communication
interhémisphérique. Cervelet
20 – Langage 713

nés, l’animal était ensuite conditionné à choisir le stimulus en forme de croix


lorsque les deux mêmes stimuli (cercle et croix) étaient présentés par le canal de
l’œil droit. Lorsque les deux yeux étaient ouverts, il n’était pas possible pour le
singe (ou pour un homme) de savoir quel œil « voit » le stimulus. Par conséquent,
les deux hémisphères étaient soumis à un apprentissage de discriminations oppo-
sées au même moment. Il est alors opportun de se demander quel est le résultat
de cette situation où les deux yeux voient simultanément les stimuli ? La réponse
est que le singe hésite et qu’il choisit aussi bien le cercle que la croix, et qu’il
persiste dans son choix pour toute une série d’essais avec un seul stimulus avant
de passer à l’autre. La conclusion a laquelle sont arrivés les chercheurs est alors
qu’il se trouvait une compétition entre les deux hémisphères et, qu’en tout état
de cause, quel que soit le choix effectué, l’animal était toujours gagnant.

Traitement du langage chez les sujets « split-brain »


Comme les résultats de la procédure split-brain utilisée chez le singe n’indi-
quaient pas de déficits majeurs, les chirurgiens ont pensé qu’ils pouvaient tenter
de sectionner chez l’homme les fibres du corps calleux dans le traitement de
certaines formes sévères d’épilepsie, lorsqu’il ne restait plus que cette solution.
Ils espéraient ainsi empêcher que l’épilepsie ne s’étende à l’autre hémisphère. Il
peut paraître étonnant de sectionner 200 millions d’axones en se fondant sur
l’hypothèse qu’ils ne sont pas très importants, mais la chirurgie est souvent utile
pour recouvrer une vie libérée des crises d’épilepsie. Les travaux sur les patients
split-brain sont dus à Michael Gazzaniga, alors qu’il travaillait à l’Université
de New York. Initialement, Gazzaniga travaillait avec Sperry, et sa technique
chirurgicale utilisée chez les patients découle directement des expériences réali-
sées sur les animaux.
Une des règles-clés de la méthode utilisant les patients split-brain est de faire
en sorte que les stimuli visuels parviennent exclusivement à un seul hémisphère.
Pour cela, Gazzaniga part du fait que l’image de l’objet à la gauche d’un point
de fixation est perçue seulement par l’hémisphère droit, et l’image de l’objet
à la droite du point n’est perçue que par l’hémisphère gauche (voir Fig. 10.3),
aussi longtemps que les yeux ne bougent pas pour amener l’image sur la fovéa
(Fig. 20.13). Les images ou les mots sont dès lors projetés brièvement sur un
écran, au moyen d’un appareil semblable à un obturateur d’appareil photo.

Projecteurs

Obturateur

Écran

Figure 20.13 – Stimulation visuelle d’un hémis-


phère chez l’homme.
Un stimulus visuel est brièvement appliqué au
niveau des champs visuels droit ou gauche à
l’aide d’un obturateur. La durée du stimulus
est plus faible que le temps nécessaire à la
production d’une saccade oculaire, contri-
buant à ce qu’un seul des deux hémisphères
soit stimulé.
714 3 – Cerveau et comportement

Notez que lorsque l’obturateur est ouvert, il ne présente pas le stimulus à un œil
en particulier, mais qu’au contraire le stimulus est bien présenté aux deux yeux
à la fois, de telle manière qu’un seul hémisphère « voit » le stimulus. Les stimuli
sont toutefois projetés si peu de temps que les yeux n’ont pas le temps de bouger,
et l’image ne parvient ainsi qu’à un seul des deux hémisphères.
Dominance de l’hémisphère gauche.  Les résultats montrent que, bien que le
sujet split-brain ne présente pratiquement aucune perturbation, il est observé une
forte asymétrie dans sa capacité à verbaliser des réponses aux questions posées
séparément aux deux hémisphères. Par exemple, s’il est demandé au sujet de
répéter les chiffres, les mots, et les images projetés, ils sont dénommés ou décrits
sans difficulté si les images parviennent dans le champ visuel droit car l’hémis-
phère gauche est dominant dans le langage. De même, le patient peut décrire les
objets palpés seulement par la main droite (en ayant les yeux fermés). Ces résul-
tats n’ont rien d’extraordinaire, si ce n’est qu’une dénomination aussi simple de
l’information sensorielle est impossible avec l’hémisphère droit.
De fait, si maintenant l’image est projetée uniquement sur le champ visuel
gauche ou si le sujet split-brain ne peut palper l’objet qu’avec la main gauche,
il ne peut pas le décrire et dit qu’il n’a rien vu (Fig. 20.14). Il est même pos-
sible de placer discrètement l’objet dans la main gauche du sujet sans qu’il
s’en aperçoive (ou sans qu’il ne manifeste quoi que ce soit). Cette absence de
réponse démontre que, chez la plupart des personnes, le langage est contrôlé
par l’hémisphère gauche. Tout ce qui précède explique dès lors que les sujets
split-brain ont une vie bien particulière : ils ne peuvent rien décrire de ce qui se
présente à gauche du point de fixation visuelle, soit par exemple le côté gauche
du visage d’une personne, le côté gauche d’une pièce… Curieusement, cela ne
semble pas les perturber.
Fonctions de l’hémisphère droit dans le langage.  Bien que l’hémisphère
droit exprime une incapacité dramatique à traiter le langage, cela ne signifie pas
qu’il ignore tout du langage. Il est ainsi possible de démontrer que l’hémisphère
droit peut lire et comprendre des chiffres, des lettres, et des énoncés courts, à

Balle

ella
B

« Je ne Contrôle
vois rien » de la main gauche

Figure 20.14 – Expérience d’analyse de la compréhension du langage à partir de l’hémisphère


droit.
Si un mot est présenté dans le champ visuel gauche d’un sujet split-brain, il déclarera qu’il ne voit
rien. Ceci est dû au fait que l’hémisphère gauche, qui contrôle normalement la parole, ne perçoit
pas le mot, alors que l’hémisphère droit, qui voit le mot, ne sait pas parler. L’information sur le mot
ne peut être transférée à l’hémisphère gauche, qui a la faculté de verbaliser, en l’absence du corps
calleux. Cependant, la main gauche, qui est contrôlée par l’hémisphère droit, peut identifier un
objet correspondant au mot simplement en le touchant.
20 – Langage 715

condition que la réponse ne soit pas verbalisée. Dans une des expériences, un
mot est présenté sous la forme d’un nom à l’hémisphère droit. Comme cela a
été vu plus haut, le sujet répond qu’il ne voit rien. C’est évidemment le bavard
hémisphère gauche qui parle, et il n’a effectivement rien vu. Mais si l’on insiste
en demandant au sujet d’utiliser sa main gauche, il parvient à choisir une carte
avec le dessin correspondant au mot qu’il a vu, ou de prendre le bon objet en le
palpant (Fig. 20.14). L’hémisphère droit ne sait pas s’exprimer avec des mots ou
des phrases complexes, mais les résultats de ces expériences impliquent claire-
ment que l’hémisphère droit reconnaît les mots.
Dans une étude récente réalisée par Kathleen Baynes, Michael Gazzaniga,
et leurs collaborateurs à l’Université de Californie à Davis, il est suggéré que
l’hémisphère droit peut parfois contribuer à l’écriture, même s’il n’est pas impli-
qué dans le langage. Chez la plupart des gens, lire, parler et écrire, sont des
fonctions contrôlées par l’hémisphère gauche. L’étude d’une patiente split-brain
connue comme V. J., montre que cela n’est pas tout à fait exact. Dans ce cas, les
mots étaient « adressés » successivement à l’hémisphère gauche et à l’hémisphère
droit. Les mots ainsi adressés à l’hémisphère gauche pouvaient être restitués sous
forme orale, mais pas écrite. En revanche, ceux adressés à l’hémisphère droit
pouvaient être écrits mais pas nommés. Bien qu’il soit possible d’objecter qu’il
s’agissait dans ce cas d’une situation pathologique, le cas de cette patiente V. J.
reste néanmoins particulièrement intéressant, indiquant que tous les aspects du
langage ne sont pas nécessairement confinés à un seul système localisé dans un
seul hémisphère.
Ces résultats prouvent aussi que l’hémisphère droit appréhende les images
complexes, malgré son incapacité à les exprimer. Dans une autre expérience,
une série d’images est présentée à une patiente dans son champ visuel gauche, et
une des images est la photo d’un nu. Questionnée sur ce qu’elle voit, la patiente
répond « rien », mais commence à rire. Elle explique qu’elle ne sait pas pourquoi
elle rit, et que peut-être c’est à cause de la machine utilisée pour l’expérience.
De plus, l’hémisphère droit semble avoir de meilleures aptitudes que l’hémis-
phère gauche, dans certains domaines. Par exemple, les patients analysés sont
tous droitiers, et donc leur hémisphère gauche est prépondérant pour le des-
sin ; mais leur main gauche contrôlée par l’hémisphère droit est plus agile pour
dessiner ou recopier les images avec une perspective en trois dimensions. Les
patients parviennent aussi mieux à trouver des casse-tête complexes avec leur
main gauche. Enfin, on dit aussi que l’hémisphère droit percevrait mieux les
nuances du son.
Dans quelques-unes des études des patients split-brain, les deux hémisphères
déclenchaient des comportements apparemment conflictuels, vraisemblablement
du fait qu’ils analysaient différemment la situation. Dans l’une de ces études, il
était demandé à un patient d’assembler des éléments d’un puzzle assez complexe
pour reproduire un dessin. La consigne était qu’il réalise cette tâche en n’utili-
sant que la main droite, c’est-à-dire en mobilisant l’hémisphère gauche qui n’est
pas le meilleur pour réaliser ce type de tâche. Alors que la main droite bataillait
pour assembler les éléments, la main gauche, qui avait plus de facilité (mise en jeu
de l’hémisphère droit), prenait immanquablement le dessus pour mener à bien
ce travail. Seule la consigne donnée par l’expérimentateur était à même d’empê-
cher la main gauche de contribuer à la résolution du puzzle. Un autre patient
examiné par Gazzaniga s’efforçait de baisser son pantalon avec une main, alors
que l’autre le tirait vers le haut. Ces comportements bizarres illustraient bien le
fait qu’il existe deux cerveaux indépendants contrôlant les deux côtés du corps.
Les résultats de ces études de sujets split-brain démontrent que les deux
hémisphères peuvent fonctionner comme deux cerveaux indépendants, et qu’ils
ont des capacités différentes vis-à-vis du langage. Il y a certes une dominance de
l’hémisphère gauche dans le langage, mais l’hémisphère droit présente aussi une
certaine aptitude à appréhender le langage. Il ne faut pas oublier que les expé-
riences split-brain testent les différences fonctionnelles entre les hémisphères. Il
est alors possible d’imaginer que, dans le cerveau normal, l’activité des deux
hémisphères est en synergie par l’intermédiaire des fibres du corps calleux, tant
pour le langage que pour les autres fonctions.
716 3 – Cerveau et comportement

Asymétrie hémisphérique anatomique et langage


Les asymétries cérébrales ont été déjà décrites au xixe siècle. Par exemple, il
a été noté que la scissure sylvienne est plus longue et moins profonde du côté de
l’hémisphère gauche par rapport à l’hémisphère droit (Fig. 20.15). Mais ce n’est
que plus récemment, dans les années 1960, que l’on a réellement accepté l’idée
qu’il se trouvait des asymétries corticales, et que l’on a commencé à se poser
des questions sur leur importance fonctionnelle. L’asymétrie étonnante mise en
évidence dans le contrôle du langage avec la procédure de Wada pose la question
de différences anatomiques susceptibles d’exister entre les deux hémisphères.
Les premières données quantitatives sérieuses montrant des différences entre
les deux hémisphères sont dues aux travaux de Geschwind et de son collègue
Walter Levitsky. Les premières observations furent réalisées sur des cerveaux
post-mortem et plus récemment par l’imagerie par résonance magnétique (IRM),
qui permet d’étudier l’activité du cerveau vivant (voir Encadré 7.2).

Scissure de Sylvius Scissure de Sylvius

Hémisphère gauche Hémisphère droit

Figure 20.15 – Asymétrie de la scissure de Sylvius.


Chez la plupart des droitiers, la scissure de Sylvius de l’hémisphère gauche est plus longue et moins
inclinée que la scissure de l’hémisphère droit. (Source : adapté de Geschwind, 1979, p. 192.)

La différence la plus significative est observée dans le planum temporale à la sur-


face supérieure du lobe temporal (Fig. 20.16). Avec l’étude anatomique de 100 cer-
veaux, Geschwind et Levitsky montrèrent que le planum temporale était plus déve-
loppé à gauche dans 65 % des cerveaux, et plus développé à droite dans seulement
10 % des cas étudiés. Dans quelques cerveaux, l’aire était plus de cinq fois plus
Planum temporale développée à gauche qu’à droite. De façon intéressante, cette différence est déjà
droit détectée dans le cerveau du fœtus, suggérant qu’il ne s’agit pas de la conséquence de
l’utilisation de l’hémisphère gauche en rapport avec le langage au cours du dévelop-
pement. En fait, chez les grands singes aussi, le planum temporale est fréquemment
plus développé à gauche. Il est alors possible d’imaginer que si le planum temporale
est impliqué dans le langage, l’hémisphère gauche est devenu prépondérant dans
le langage en raison d’une différence anatomique préexistante. D’autres études ont
Lobe montré qu’une partie de l’aire de Broca présente également une propension à être
occipital plus étendue dans l’hémisphère gauche. Si cela est le cas, alors il est possible de
poser la question de savoir si ces aires plus étendues dans l’hémisphère gauche
confèrent la dominance de cet hémisphère dans la production du langage ?
Des travaux plus récents ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique
(IRM) chez des sujets sains pour déterminer le volume de la substance grise
Planum temporale corticale, de façon à tenter de corréler l’anatomie cérébrale, les asymétries inter­
gauche hémisphériques et la dominance hémisphérique, s’agissant du langage. L’une
des difficultés de ces études a été cependant de trouver suffisamment de sujets
Figure 20.16 – Asymétrie du planum tempo-
présentant une dominance de l’hémisphère droit pour le langage. Quelques-unes
rale.
Cette région du lobe temporal supérieur est des aires associées au langage, que ce soit l’aire de Broca, le planum temporale,
en général plus importante dans l’hémisphère ou l’insula, sont généralement plus étendues dans l’hémisphère gauche par rap-
gauche. (Source : adapté de Geschwind et port à l’hémisphère droit, et cela est vrai chez tous les sujets, qu’ils présentent
Levitsky, 1968, Fig. 1.) une dominance gauche ou droite pour le langage. La grande question est alors
20 – Langage 717

de savoir si la dominance hémisphérique gauche ou droite peut être déterminée


simplement à partir de la mesure de l’étendue relative des aires du langage dans
l’hémisphère gauche, ramenée à l’étendue des mêmes aires dans l’hémisphère
droit. Ainsi est-il possible d’imaginer que pour ce qui concerne les personnes
à dominance gauche, l’étendue d’une ou plusieurs aires du langage est nette-
ment plus grande que celle des mêmes aires de l’hémisphère droit, et que dans
le cas inverse où c’est l’hémisphère droit qui domine, la différence d’étendue de
ces aires soit beaucoup moins évidente, voire même de taille supérieure dans
l’hémisphère droit par rapport au gauche.
Les résultats sont contradictoires s’agissant de la corrélation entre la surface
du planum temporale de l’un et l’autre hémisphère, et la détermination de l’hé-
misphère dominant pour le langage. Des données ont également été obtenues sur
cette même problématique s’agissant maintenant de l’étendue de l’aire de Broca.
Pour faire simple, il semble qu’une corrélation existe entre les différences d’éten-
due des aires de Broca et du planum temporale entre les deux hémisphères et la
dominance hémisphérique s’agissant du langage, mais que cette corrélation n’est
pas suffisamment significative pour pouvoir prédire la dominance hémisphé-
rique simplement à partir de ces mesures de surface. La zone cérébrale qui parait
à ce stade présenter la meilleure corrélation, et donc présenter la meilleure valeur
prédictive sur la dominance hémisphérique, se trouve être l’insula, une région
du cortex présente dans le sulcus latéral, situé entre le lobe temporal et le lobe
pariétal (Fig. 20.17). Même si l’insula a été proposée depuis longtemps comme
pouvant contribuer au langage, il n’en reste pas moins vrai que l’existence de
cette corrélation entre sa taille et la dominance hémisphérique est quelque peu
surprenante, du fait du peu d’études consacrées à l’implication de cette région
dans les fonctions liées au langage. De fait, l’insula a plutôt été étudiée jusqu’ici
en rapport avec son implication dans d’autres fonctions cérébrales, notamment
la perception du goût ou encore les émotions. D’autres travaux paraissent ainsi
nécessaires avant d’aboutir à des conclusions plus définitives sur le sujet de la
relation entre sa surface et la dominance hémisphérique relative au langage.
La préférence manuelle est également une forme d’asymétrie fonctionnelle,
beaucoup mieux connue et plus évidente que dans le cas du langage. Plus de
90 % des sujets sont droitiers, et ils sont en général assez maladroits de leur main
gauche. Cela montre en quelque sorte que l’hémisphère gauche joue un rôle pré-

Noyau caudé

Putamen

Insula

Globus pallidus

Figure 20.17 – Représentation de l’insula.
L’insula est également nommé « cortex insulaire ». Il s’étend dans le sillon latéral, entre le lobe
temporal et le lobe pariétal.
718 3 – Cerveau et comportement

pondérant dans les processus subtils du contrôle moteur. Peut-on dire alors que
cette activité est reliée au langage ? La réponse à cette question n’est pas connue,
mais il faut noter que l’homme est différent des autres primates en termes de pré-
férence manuelle comme de langage. Toutefois, si dans de nombreuses espèces les
animaux présentent comme l’homme une préférence manuelle marquée, contrai-
rement à ce que l’on observe dans l’espèce humaine, chez ces animaux le nombre
de gauchers et de droitiers est sensiblement équivalent.

Étude du langage
par stimulation cérébrale
et imagerie cérébrale
Jusqu’à une période récente la seule façon d’étudier les processus cérébraux
liés au langage reposait sur les corrélations établies entre les déficits du langage
et l’analyse post-mortem des lésions cérébrales. Aujourd’hui d’autres méthodes
ont été mises en œuvre pour étudier le langage dans le cerveau vivant. La stimu-
lation électrique du cerveau, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf) et la tomographie par émission de positrons (TEP) représentent les tech-
niques les plus utilisées.

Effets de la stimulation cérébrale sur le langage


Le nom de Wilder Penfield a été cité à plusieurs reprises dans ce manuel,
en rapport avec la stimulation électrique du cerveau. En l’absence d’anesthé-
sie générale, les patients étaient capables de rapporter les effets de la stimula-
tion appliquée en différentes régions corticales. Au cours de ces interventions,
Penfield a noté que la stimulation de certaines zones affecte le langage en pro-
duisant des effets de vocalisation, de suppression du langage, ou des troubles
semblables à ceux de l’aphasie.
La stimulation du cortex moteur dans la zone qui contrôle les mouvements
de la bouche et des lèvres entraînait l’arrêt immédiat du discours (Fig. 20.18).
Ceci s’explique par le fait que les muscles activés tiraient dans certains cas la
bouche d’un côté ou bloquaient la mâchoire en position fermée. La stimulation
du cortex moteur provoquait dans quelques cas des cris ou des vocalisations
rythmiques et, plus important encore, ces manifestations étaient produites par
Vocalisation ou Sillon
blocage de la parole
la stimulation de l’un ou l’autre des deux hémisphères, indifféremment. Penfield
central
découvrit trois autres aires dont la stimulation agissait sur le langage mais toutes
étaient dans l’hémisphère gauche dominant. Une de ces aires ainsi découvertes
correspondait à l’aire de Broca. La stimulation de cette aire pendant que le
sujet parle provoquait, soit l’arrêt total du discours (si la stimulation est assez
forte), soit des hésitations de langage (avec une stimulation plus faible). Certains
patients ne pouvaient plus nommer les objets, ce qu’ils faisaient sans difficulté
avant et après la stimulation. Parfois ils utilisaient un mot pour un autre, et ils
souffraient apparemment d’une forme temporaire d’anomie. Les hésitations et
la suppression du langage résultaient aussi de la stimulation de deux autres sites,
l’un dans le lobe pariétal postérieur près de la scissure sylvienne, et l’autre dans
le lobe temporal. Ces deux aires sont proches du faisceau arqué et de l’aire de
Aphasie
Wernicke, sans se superposer parfaitement à ces régions.
Figure 20.18 – Localisation des sites dont la Il est assez rassurant de voir que le langage est sélectivement affecté par la sti-
stimulation électrique affecte le langage. mulation électrique des aires cérébrales qui correspondent globalement à celles
La stimulation du cortex moteur induit des
de l’aphasie. Cependant, les conséquences de la stimulation sont étonnamment
vocalisations ou un blocage de la parole, par
variables entre des sites corticaux proches, et entre les sujets. Dans des expé-
activation des muscles faciaux. À d’autres
sites, la stimulation induit une aphasie, avec riences comparables à celles de Penfield, le neurochirurgien George Ojemann, de
anomie et langage agrammatical. (Source : l’Université de Washington, a découvert que la stimulation peut avoir des effets
adapté de Penfield et Rasmussen, 1950, tout à fait spécifiques. Par exemple, si de petites zones du cortex sont stimulées
Fig. 56.) en différents points, la dénomination, la lecture ou la répétition de mouvements
20 – Langage 719

N
A
J
R M
N A A A N
N J M R
R R N J M M
M R R
M J M M N
N J M R
J N G R
R N M G M
M
J

Figure 20.19 – Effets de la stimulation électrique du cortex chez trois patients traités pour une
épilepsie grave.
Les patients ne sont pas anesthésiés, et il est donc facile de noter les difficultés du discours ou
de la lecture. N =  difficulté à nommer avec discours normal (anomie) ; A =  arrêt du discours ;
G = erreurs grammaticales ; J = jargon (discours fluent avec erreurs fréquentes) ; R = impossibilité
de lire ; M  =  mouvements anormaux de la face. (Source : adapté de Ojemann et Mateer, 1979,
Fig. 1.)

faciaux sont altérées (Fig. 20.19). Ces résultats appellent plusieurs conclusions


importantes. D’abord, si l’on considère une étude impliquant de nombreux
sujets, il existe une variabilité interindividuelle considérable dans l’étendue des
zones cérébrales à partir desquelles la stimulation électrique affecte le langage.
Ensuite, il existe entre les zones corticales impliquées dans différents aspects du
langage d’autres régions non affectées par la stimulation. Nous ne savons pas
à ce stade si ces zones sont relatives à des aspects du langage qui n’ont pas été
testés dans ces études, ou simplement si ces zones ne sont pas impliquées dans le
langage. Enfin, troisièmement, la stimulation électrique de zones corticales très
voisines peut déclencher des réponses très différentes, alors qu’a contrario, la
stimulation de zones plutôt éloignées peut être à l’origine de réponses très simi-
laires. Ceci amène à conclure que les aires du cerveau impliquées dans le langage
sont beaucoup plus complexes que ne le laisse paraître le modèle de Wernicke-
Geschwind. Les processus du langage ne paraissent ainsi pas limités aux aires de
Broca et de Wernicke, puisque d’autres aires corticales sont impliquées dans ces
processus, de même que le thalamus et le striatum. Dans les aires de Broca et de
Wernicke, certaines parties pourraient jouer un rôle particulier, probablement à
l’image des colonnes fonctionnelles du cortex somatosensoriel ou des colonnes
de dominance oculaire du cortex visuel. Il semble donc que les grandes aires du
langage identifiées à partir des syndromes aphasiques comprendraient de nom-
breuses autres structures plus petites.

Étude du langage par imagerie cérébrale


Avec le développement des techniques d’imagerie, il est devenu possible
d’analyser les processus du langage du cerveau humain. La tomographie par
émission de positrons (TEP) et l’imagerie par résonance magnétique fonction-
nelle (IRMf) permettent d’analyser l’activité des différentes parties du cerveau
en fonction de la modulation du débit sanguin régional (voir Encadré 7.3). Sous
plusieurs aspects, les données obtenues par ces méthodes d’imagerie confirment
très largement ce qui était connu à partir des méthodes anatomocliniques. Ainsi
différentes tâches activent plusieurs aires corticales à la fois, et ces aires sont
en général similaires à celles impliquées dans le langage à partir des études
d’aphasie.
Toutefois, les études nouvelles montrent que le traitement du langage peut
être encore plus complexe qu’il avait été imaginé jusqu’ici. Dans une expérience
réalisée par Stéphane Lehéricy, maintenant à la Pitié-Salpêtrière à Paris, et ses
collaborateurs, l’activité cérébrale a été étudiée alors que les sujets réalisaient
3 types de tâches (Fig. 20.20). Dans la première série d’expériences, il était
demandé aux sujets de nommer le plus possible de termes dans une catégorie
sémantique donnée, par exemple des fruits ou des animaux (Fig. 20.20a). Dans
720 3 – Cerveau et comportement

(a)

(b)

(c)

Figure 20.20 – Activation bilatérale mise en évidence par IRMf.


Sur la base des données obtenues en utilisant la procédure de Wada, ce sujet présente une forte
latéralisation hémisphérique, à gauche en ce qui concerne le langage. Cependant, les enregistre-
ments obtenus par IRMf montrent qu’il existe une activation bilatérale. (a) Tâche de production de
mots. (b) Répétition silencieuse d’une phrase. (c) Écoute passive. (Source : adapté de Lehéricy
et al., 2000 ; Fig. 1.)

la seconde tâche, les sujets devaient se répéter en silence une phrase qu’ils avaient
préalablement lue à haute voix (Fig. 20.20b). Enfin, dans la troisième tâche, ils
devaient simplement écouter une histoire qui leur était lue par un expérimenta-
teur (Fig. 20.20c). Vous remarquerez que les aires activées sont globalement les
mêmes que celles décrites comme aires du langage du cortex temporal et pariétal,
à partir des études de cas de patients aphasiques. Toutefois, ce qui est surprenant
ici est l’activation bilatérale. Sur la base des données obtenues sur la latéralisa-
tion des aires du langage par la procédure de Wada, le sujet dont les résultats
sont reportés sur la figure 20.20 présente effectivement une activation préféren-
tielle des aires situées sur l’hémisphère gauche. Les données de l’IRMf suggèrent
qu’il existe en plus une activation de l’hémisphère droit, plus importante que ne
le laissaient entrevoir les données obtenues par la procédure de Wada. Ainsi,
l’activation bilatérale est une constance des observations en IRMf, la question
étant de savoir quelle peut être sa signification. D’autres études en TEP et IRMf
suggèrent par ailleurs qu’il existe des différences et des similitudes fascinantes
dans le traitement du langage parlé, le langage des signes, et la production de la
lecture en Braille (Encadré 20.4).
20 – Langage 721

Encadré 20.4 FOCUS

Entendre ce que l’on voit et voir ce que l’on touche…


Le cerveau humain constitue un organe remarquable- Wernicke de l’hémisphère gauche, indiquant que le lan-
ment adaptable. Quelques-uns des exemples les plus gage des signes utilise les mêmes structures nerveuses
démonstratifs en ce domaine sont fournis par l’étude des que celles utilisées chez des sujets qui entendent norma-
mécanismes du langage. L’image du haut de la figure A lement. Ce qui est peut-être le plus surprenant dans ce
illustre une étude en IRMf, qui montre les régions céré- cas, c’est l’activation concomitante de l’hémisphère
brales activées chez des individus qui parlent anglais et qui droit. De façon tout à fait remarquable, le gyrus tempo-
ont l’anglais comme langue maternelle. Les zones colorées ral supérieur est activé en réponse à la présentation des
en rouge sont, conventionnellement, celles qui sont les signes du langage chez ces sujets sourds, alors que, nor-
plus activées par la production du langage ; celles en jaune malement, cette zone répond au langage parlé chez le
étant moins activées (après soustraction des zones activées sujet qui entend parfaitement. Comme cette région est
par le fonctionnement du système visuel). Les différences également activée chez les sujets qui entendent mais qui
portent sur l’hémisphère gauche qui est significativement ont aussi la capacité de comprendre le langage des
plus activé par le langage que l’hémisphère droit, dans une signes, il apparaît que quelque chose dans le langage des
zone incluant l’aire de Broca et l’aire de Wernicke. signes recrute l’aire auditive de l’hémisphère droit, en
L’image du centre de la figure A illustre l’activité plus de l’activation normale de l’aire du langage dans
mesurée chez des sujets de langue maternelle anglaise et l’hémisphère gauche.
qui regardent une séquence de langage des signes améri- Une forme différente de réorganisation cérébrale est
cain. Ces sujets, qui ne comprennent pas le langage des observée chez les sujets aveugles qui lisent le Braille.
signes, ne présentent aucune activité particulière au L’écriture est représentée par des associations de signes
niveau cérébral à la présentation de ces signes, qui n’ont de petites tailles en relief sur le papier, qui sont regrou-
aucune signification pour eux. En revanche, la partie pés en symboles définissant des lettres. Le Braille est lu
du bas de la figure A illustre les réponses de sujets sourds en utilisant l’extrémité des doigts qui parcourt ces signes.
de naissance qui ont été élevés avec ce seul langage Comme on peut l’imaginer, la lecture Braille active le
des signes pour communiquer. Dans ce cas, l’activation cortex somatosensoriel. En revanche, la surprise vient
porte sur une région incluant l’aire de Broca et l’aire de de l’activation concomitante d’autres régions cérébrales.

Figure A 
En haut : lecture de l’anglais par des sujets
qui le pratiquent et qui entendent norma-
lement. Au centre : perception du langage
des signes anglais par des sujets qui ne
le comprennent pas mais qui entendent
normalement. En bas : lecture du langage
des signes par des sujets sourds qui le
pratiquent couramment. (Source : Neville
et al., 1998.)
722 3 – Cerveau et comportement

Encadré 20.4 FOCUS  (suite)

La figure B montre ainsi une image de TEP-scan obte-


nue chez un sujet en train de lire du Braille. Dans ce cas
une activation est observée au niveau du cortex occipital
(en jaune), qui représente le cortex visuel. L’idée est
alors qu’il est intervenu chez ces aveugles pratiquant le
Braille une réorganisation fonctionnelle du système ner-
veux, de même type que celle constatée chez les sourds
utilisant le langage des signes pour communiquer. Ce
type de mécanisme sera abordé dans la 4e partie de l’ou-
vrage où l’on verra comment l’expérience sensorielle Figure B – Lecture du Braille.
affecte l’organisation cérébrale. (Source : Sadato et al., 1996.)

Figure 20.21 –  Localisation de sensations


liées au langage par la TEP.
Les niveaux relatifs de débit sanguin cérébral
sont représentés par des couleurs. Le rouge
indique les niveaux les plus élevés, et, par
ordre décroissant, les couleurs orange, jaune,
vert et bleu, indiquent des valeurs plus faibles.
(Source : Posner et Raichle, 1994, p. 115.)

Dans une autre étude, les chercheurs ont utilisé la TEP pour comparer les
différences d’activité dans les réponses sensorielles aux mots, et dans l’expression
orale. Ils ont commencé par mesurer le débit sanguin du sujet au repos, puis ils
lui ont demandé d’écouter des mots ou de lire des mots projetés sur un écran.
En faisant la différence entre le niveau du débit sanguin au repos et les niveaux
du débit sanguin au cours de l’écoute ou de la lecture des mots, il est possible
de calculer le débit sanguin correspondant spécifiquement à l’activité générée
par le stimulus sensoriel (Fig. 20.21, images du haut). Il n’est pas surprenant de
constater que les stimuli visuels augmentaient l’activité cérébrale du cortex strié
et du cortex extrastrié, et que les stimuli auditifs activaient le cortex auditif pri-
maire et secondaire. Cependant, les aires du cortex extrastrié et du cortex auditif
secondaire activées n’étaient pas sensibles aux stimuli visuels ou auditifs autres
que les mots. Il est alors possible que ces aires soient spécialisées dans l’enco-
dage des mots vus ou entendus. L’activation du gyrus angulaire et de l’aire de
Wernicke par les stimuli visuels n’est pas significative, comme le prédit le modèle
de Wernicke-Geschwind.
20 – Langage 723

Dans une autre expérience utilisant toujours la TEP, les processus associés à
la répétition des mots ont été observés. Les mots à répéter devaient être perçus
et analysés par le sujet, par le système visuel ou auditif. Ainsi, l’activité céré-
brale visualisée dans la tâche de répétition comprenait une composante asso-
ciée au processus perceptuel de base, et une composante associée au langage.
Pour isoler la composante associée au langage, la réponse obtenue auparavant
avec la composante sensorielle seulement est soustraite mathématiquement. En
d’autres termes, la représentation de « dire les mots » égale la représentation
correspondant à « répéter les mots dits » moins la représentation correspondant
à « écouter les mots ». Après ce calcul, les mesures du débit sanguin indiquaient
une forte activité dans le cortex moteur primaire et l’aire motrice supplémentaire
(Fig. 20.21, en bas à gauche). Le débit sanguin était aussi plus important autour
de la scissure sylvienne, près de l’aire de Broca. Cependant, les images obtenues
par la TEP montraient la même activité bilatéralement, y compris lorsqu’on
demandait au sujet de remuer la bouche et la langue sans parler. Sachant que
l’aire de Broca est unilatérale, si elle n’apparaît pas sur ces images, c’est pour des
raisons que l’on ignore.
Le dernier test demandait un peu de réflexion de la part du sujet. Le sujet
devait ainsi attribuer une fonction à chaque mot présenté (par exemple, manger
pour « gâteau »). Pour déterminer l’activité correspondant spécifiquement à ce
test d’association nom-verbe, la cartographie du flux sanguin obtenue aupara-
vant pour dire les mots était soustraite de la même manière que précédemment.
Le test d’association suscitait une activation de zones situées dans l’aire inféro-
temporale gauche, le gyrus cingulaire antérieur et le lobe temporal postérieur
(Fig. 20.21, en bas à droite). Dès lors, l’activation du cortex temporal et frontal
serait associée à la réalisation du test d’association nom-verbe, et l’activation du
cortex cingulaire peut-être à l’attention.
Il existe par ailleurs de nombreuses évidences à partir d’études utilisant soit la
TEP soit l’IRMf que diverses zones cérébrales stockent l’information relative à
différentes catégories d’objets. Ces données sont en accord avec les observations
chez certains patients où les lésions résultent en des pertes sélectives de la capa-
cité à nommer diverses catégories d’objets et pas d’autres. À titre d’illustration,
suite à une lésion une personne peut conserver la capacité de nommer des outils
ou différentes choses, comme les fruits et les légumes, mais être incapable de
dénommer des animaux. L’un de ces patients dénommait une girafe « kangou-
rou » et une chèvre, un « poulet ». Lors d’expériences en TEP, diverses zones du
lobe temporal sont plus actives lorsqu’il est demandé au sujet de nommer des
personnes, des animaux ou encore des outils. Dans d’autres études, il se trouve
un certain chevauchement de ces régions, mais il existe néanmoins une ségré-
gation des patterns d’activation lorsque sont évoqués des termes concrets (par
exemple, une porte), des noms abstraits (« le désespoir »), des verbes concrets
(«  parler ») ou encore des verbes abstraits («  souffrir »). Ces données posent
encore de nombreuses questions nécessitant de poursuivre les travaux dans cette
direction. À titre d’illustration : comment le cerveau est-il à même de traiter de
façon différentielle des informations relatives à ces sous-catégories mais dans
le même temps intégrer tout cela dans un processus de compréhension de ces
termes global et unifié ? Quelle est la distinction entre les aires cérébrales impli-
quées dans la reconnaissance des informations sensorielles relatives aux objets,
par exemple, et celles qui leur attribuent des noms ou un sens ?
724 3 – Cerveau et comportement

Conclusion
L’apparition du langage fut l’une des étapes critiques de l’évolution humaine.
La communication entre les individus est un élément tellement fondamental de
nos sociétés qu’il est difficile d’imaginer une vie sans langage. Il est ainsi estimé
que l’apparition du langage est relativement récente, il y a environ 100 000 ans.
Alors que les animaux utilisent de nombreux sons et comportements pour com-
muniquer, aucun d’entre eux n’atteint la sophistication et la flexibilité extrêmes
du langage humain. Les connaissances actuelles sur l’acquisition du langage
ont été acquises sur des modèles utilisant les oiseaux chanteurs ou encore les
primates non humains. Toutefois, pour accéder aux mécanismes du langage du
cerveau humain, il est nécessaire d’analyser ces processus chez l’homme. Dans
ce contexte, l’approche expérimentale a été largement limitée aux études com-
portementales s’agissant de l’acquisition et du fonctionnement du langage, à
l’analyse des conséquences des lésions, aux effets des stimulations cérébrales sur
le langage, et aux études d’imagerie fonctionnelle en PET ou en IRMf. Ainsi,
même si l’on peut considérer que le nombre d’approche de cette problématique
est plutôt faible, il n’en reste pas moins que des progrès considérables ont été
réalisés dans la connaissance des mécanismes du langage. Plus spécifiquement,
en accord avec ce qui est déjà connu des aires sensorielles et motrices, les bases
neuronales du langage peuvent être abordées et déjà largement comprises. Le
schéma qui se dégage met en exergue le rôle de l’aire de Broca située près des
aires motrices et impliquée dans la production de la parole, et celui de l’aire de
Wernicke, plus proche du cortex auditif et associée avec la compréhension du
langage. Ces considérations, bien que globalement plutôt anciennes, sont encore
parfaitement utiles en clinique aujourd’hui.
Les travaux plus récents illustrent néanmoins le fait que les mécanismes du
langage sont beaucoup plus complexes qu’initialement proposés et impliquent
des régions cérébrales plus larges que celles envisagées par le modèle de Wernicke-
Geshwind. Ces données résultent d’études faisant appel à l’imagerie cérébrale
fonctionnelle et aux stimulations cérébrales, qui illustrent la contribution de
régions beaucoup plus étendues que celles définies antérieurement, y compris
dans les deux hémisphères. Par ailleurs, ces travaux démontrent de larges varia-
tions interindividuelles en fonction des sujets testés. Ainsi, de notre point de
vue, la mise en évidence de la complexité du langage dans ses différents aspects
et de sa représentation très large dans le cerveau ne constitue pas une surprise,
du fait que le langage implique de nombreux processus différents, de la compré-
hension des mots à partir des sons émis, aux règles de grammaire utilisées pour
les organiser en locution qui elles-mêmes ont un sens particulier, en passant par
la faculté de nommer les objets et de produire la parole, etc. Comme pour les
autres fonctions cérébrales, des mécanismes à l’origine des perceptions à partir
des sensations aux fonctions motrices et jusqu’aux émotions, les études du lan-
gage visent à savoir jusqu’à quel point sa production met en œuvre une série de
sous-systèmes prenant en charge chacun un ou plusieurs aspects du langage.
C’est dans cette direction que doivent se poursuivre les recherches. Il est alors
vraisemblable que les études d’imagerie puissent un jour clarifier l’organisation
de ces différents systèmes à une échelle plus résolutive que celle permettant de
tirer des conclusions sur l’organisation cérébrale à partir de la simple observa-
tion des effets des lésions, contribuant possiblement à identifier ces différentes
composantes du système du langage.
20 – Langage 725

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Comment un sujet split-brain peut-il parler intelligiblement si la parole


est contrôlée par l’hémisphère gauche ? Cela est-il cohérent avec le
fait que l’hémisphère gauche doit contrôler le cortex moteur dans les
deux hémisphères pour coordonner les mouvements de la bouche ?
2. Que peut-on savoir de la fonction de l’aire de Broca à partir des
déficits de compréhension observés dans l’aphasie de Broca ? L’aire
de Broca est-elle directement impliquée dans la compréhension ?
3. Il est possible d’apprendre à des pigeons à appuyer sur un bouton
pour avoir de la nourriture et sur un autre bouton lorsqu’ils voient
des stimuli visuels donnés. Cette expérience montre que l’oiseau
peut regarder autour de lui et « nommer » ce qu’il voit. Comment
pouvez-vous dire si l’oiseau utilise ou non un nouveau langage — le
langage du bouton ?
4. Quelles observations peut-on tirer du modèle de Wernicke-Geschwind  ?
Quelles données ne sont pas cohérentes avec ce modèle ?
5. Qu’est-ce qui fait dire que l’hémisphère gauche est dominant dans le
langage ? Existe-t-il une contribution de l’hémisphère droit et quelle
est-elle ?
6. Quelles sont les évidences qui permettent d’affirmer que l’aire de
Broca n’est pas simplement une aire prémotrice pour le langage ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Berwick RC, Friederici AD, Chomsky N, Bolhuis JJ. Evolution, brain, and
the nature of language. Trends in Cognitive Sciences 2013 ; 17 : 89-
98.
Bookeheimer S. Functional MRI of language: new approaches to un-
derstanding the cortical organization of semantic processing. Annual
Review of Neuroscience 2002 ; 25 : 51-188.
Friederici AD. The cortical language circuit: from auditory perception
to sentence comprehension. Trends in Cognitive Sciences 2012 ; 16 :
262-68.
Graham SA, Fisher SE. Decoding the genetics of speech and language.
Current Opinion in Neurobiology 2013 ; 23 : 43-51.
Kuhl PK. Brain mechanisms in early language acquisition. Neuron 2010 ;
67 : 713-27.
Saffran EM. Aphasia and the relationship of language and brain. Semi-
nars in Neurology 2000 ; 20 : 409-18.
Scott SK, Johnsrude IS. The neuroanatomical and functional organiza-
tion of speech perception. Trends in Neurosciences 2002 ; 26 : 100-7.
Vargha-Khadem F, Gadian DG, Copp A, Mishkin M. FOXP2 and the
neuroanatomy of speech and language. Nature Reviews Neuroscience
2005 ; 6 : 131-8.
726 3 – Cerveau et comportement 726

CHAPITRE  21 Cerveau au repos,


processus
attentionnels
et conscience
ACTIVITÉ DU CERVEAU
AU REPOS
Réseau du « mode par défaut ».......................................................... 728

PROCESSUS ATTENTIONNELS
Encadré 21.1 Focus  Syndrome du déficit attentionnel
et de l’hyperactivité chez l’enfant
Effets de l’attention sur le comportement........................................... 733
Manifestations physiologiques de l’attention...................................... 736
Circuits neuronaux impliqués dans le contrôle de l’attention............... 742
Encadré 21.2 Focus  Syndrome d’héminégligence spatiale

CONSCIENCE
Qu’est-ce que la conscience ?.............................................................. 752
Corrélats neuronaux de la conscience.................................................. 753
Encadré 21.3 Les voies de la découverte  À la recherche des corrélats
neuronaux de la conscience,
par Christof Koch

CONCLUSION
INTRODUCTION

I
maginez que vous êtes à la plage, étendu sur le sable et les pieds dans les
vagues. Vous sirotez votre cocktail préféré et vous rêvassez en regardant le
ciel. Ce moment de calme et de détente privilégié est alors soudainement
interrompu lorsque votre attention est attirée par l’aileron d’un requin se diri-
geant vers vous. Vous sautez sur vos pieds et vous vous apprêtez à détaler à toute
vitesse lorsque vous réalisez qu’en fait d’aileron d’un requin, il ne s’agissait que
d’un enfant portant une fausse nageoire.
Cette scène imaginaire implique de se référer à trois fonctions mentales
majeures, que nous allons évoquer dans ce chapitre. La première de ces fonctions
est relative au cerveau à l’état de repos. Vous pouvez penser logiquement que
l’activité du cerveau d’une personne se prélassant au soleil est à peu près aussi
intéressante que d’étudier une feuille de papier blanc… Bien au contraire, des
données récentes indiquent que dans le cerveau « au repos » tout un réseau de
structures cérébrales est actif pour vous permettre de vous déconnecter de votre
environnement et de vous relaxer.
Lorsque vous devenez plus actif, le cerveau est confronté à un afflux considé-
rable d’informations provenant de tous vos sens. Plutôt que de tenter de traiter
tous ces signaux simultanément, nous nous focalisons sur quelques éléments
qui captent notre attention, comme dans le cas de l’aileron de requin dans la
mer, ou tout autre objet important pour nous, telle la boisson fraîche que nous
risquons de laisser échapper sur le sol. L’attention sélective ou plus simplement
l’attention est ainsi cette capacité que nous avons de nous fixer sur un aspect
particulier de nos entrées sensorielles. Dans le système visuel, c’est l’attention
qui nous permet de nous focaliser sur un objet déterminé parmi la multitude qui
apparaît dans notre champ visuel. Des interactions entre différentes modalités
sensorielles peuvent également intervenir dans ce processus. Par exemple, si vous
réalisez une tâche d’attention visuelle focalisée, comme lire un livre dans un café,
vous serez à ce moment-là moins attentif aux bruits des paroles des personnes
qui vous entourent. Au milieu de toutes ces images, de ces bruits, ou encore de
ces odeurs arrivant à votre cerveau, vous avez alors la capacité de sélectionner
l’information particulière qui vous intéresse et d’ignorer les autres. Nous verrons
dans ce chapitre combien l’attention a la capacité de modifier la perception, et
que, du coup, cela se traduit par des modifications de la sensibilité des neurones
dans plusieurs régions cérébrales.
L’une des fonctions du cerveau en rapport avec l’attention est la conscience.
De façon plus générale, la conscience signifie de porter son attention à un élé-
ment particulier, l’aileron du requin dans notre exemple. Depuis des siècles, les
philosophes se sont confrontés de fait à la signification de cet état de conscience,
mais ce n’est que récemment que les chercheurs en neurosciences ont pu mettre
en œuvre un certain nombre d’expériences visant à en préciser les bases neuro-
nales. Le lien entre attention et conscience apparaît dès lors particulièrement
fort, de la même façon que nous sommes conscients que nous portons notre
attention sur un objet particulier. Toutefois, nous verrons dans ce qui suit qu’il
s’agit en fait de processus bien différents.
728 3 – Cerveau et comportement

Activité du cerveau au repos


Si vous vous trouvez dans une pièce au calme, que vous vous étendez confor-
tablement et que vous fermez les yeux (mais que vous restez éveillé), qu’imagi-
nez-vous que fait votre cerveau ? Si votre réponse est « pas grand-chose », c’est
que vous partagez une opinion largement répandue… Dans nos discussions sur
les différents systèmes nous avons décrit la façon dont les neurones deviennent
actifs en réponse à l’incessante information sensorielle auxquels ils sont soumis,
ou en rapport avec la réalisation de mouvements particuliers. Les techniques
d’imagerie cérébrale confirment ces données et attestent d’une activation de
différentes régions cérébrales en fonction de cette information perceptuelle ou
motrice. Il est alors logique de proposer qu’en l’absence de ces informations sen-
sorielles, ou de ces processus moteurs actifs, le cerveau voit son activité réduite.
Cependant, lorsque l’activité du cerveau au repos est examinée au travers des
méthodes de tomographie par émission de positrons (TEP), ou d’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), il apparaît que cette activité du
cerveau au repos comprend effectivement un certain nombre de régions plutôt
« calmes » au plan de leur activité neuronale, mais également d’autres qui, de
façon surprenante, sont très actives. L’une des questions qui se pose est alors de
savoir à quoi correspond cette activité, si elle a un sens particulier ?

Réseau du « mode par défaut »


Les études du cerveau humain par l’imagerie cérébrale suggèrent que les dif-
férences d’activité mesurées lorsque le cerveau est au repos, et lorsqu’il réalise
une tâche particulière, peuvent nous apprendre beaucoup sur l’état du cerveau
au repos et les fonctions de cet état. L’existence d’un état de repos, en soi, ne
nous apporte pas grand-chose. De façon tout à fait concevable, cette activité de
base peut varier beaucoup et aléatoirement en fonction du sujet étudié et, pour
un sujet donné, en fonction du moment. Il est alors tout aussi concevable que
l’activité générée par une tâche comportementale déterminée vient se super-
poser à cette activité aléatoire mesurée au repos. Cependant, ceci ne semble
pas être le cas. Lorsqu’une personne s’engage dans une activité perceptuelle
ou une tâche comportementale, certaines aires cérébrales voient leur activité
se réduire alors que, dans le même temps, les régions en rapport avec cette
activité spécifique deviennent plus actives. Une possibilité, pour rendre compte
de ces changements d’activité, est de considérer qu’à la fois la réduction et
l’augmentation d’activité de ces régions soient toutes deux en rapport avec la
tâche effectuée. Par exemple, s’il est demandé à une personne de réaliser une
tâche visuelle particulièrement difficile et d’ignorer en même temps les bruits
autour d’elle, qui n’ont rien à voir avec cette tâche, il est vraisemblable que le
cortex visuel deviendra plus actif au moment où, au contraire, le cortex auditif
sera moins actif.
Deux autres types d’observations permettent de renforcer l’idée qu’il se
trouve quelque chose de fondamental et de significatif dans l’activité du cer-
veau au repos, en rapport avec une sorte d’état « neutre » du cerveau. D’abord,
les aires qui montrent une réduction d’activité par rapport à l’état du cerveau
au repos traduisent un changement de la nature des tâches à effectuer. Il appa-
raît ainsi que les aires qui montrent une réduction d’activité en rapport avec les
tâches comportementales sont toujours actives au repos et deviennent moins
actives quelle que soit la tâche réalisée. La figure 21.1 résume les résultats acquis
lors de différentes tâches impliquant la vision, le langage et la mémoire. Les
zones colorées en bleu et en vert illustrent les aires dans lesquelles l’activité est
réduite par rapport à la situation du cerveau au repos lorsqu’une ou l’autre de
ces tâches est réalisée. Ensuite, il est notable que le pattern de ces changements
d’activité se retrouve lorsque différents sujets sont testés. Ces données suggèrent
alors que le cerveau peut être « actif » même lorsque nous considérons qu’il est
« au repos », que cette activité de repos est significative, et qu’elle est susceptible
de diminuer lorsque le cerveau va réaliser une tâche comportementale donnée.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 729

(a) Figure 21.1 – Réseau du « mode par défaut ».


(a) Résultats de l’activité cérébrale moyenne
à partir de 9 enregistrements en TEP-scan
impliquant plusieurs tâches comportemen-
tales, représentés en vue latérale et médiane.
La représentation utilise une déformation
permettant de visualiser l’activité cérébrale à
l’intérieur même du sillon. Les régions colo-
(b)
rées en bleu et vert sont plus actives pendant
la veille, lorsque le cerveau est au repos, que
1,5
pendant les périodes d’activité comporte-
mentale. (b) Fluctuations lentes de l’activité
% changement de l’activité

1
en IRMf (signal BOLD)

cérébrale telles qu’elles apparaissent cor-


0,5
rélées entre le cortex préfrontal médian et le
0 cortex cingulaire (correspondant aux régions
– 0,5 50 100 150 200 250 300 marquées par une flèche sur le schéma en (a).
Ces enregistrements en IRMf ont été réalisés
–1 dans des conditions où le sujet au repos avait
– 1,5 seulement pour consigne de fixer une petite
Temps (s)
croix sur un écran d’ordinateur. (Source :
–2
Raichle et al., 2007, Fig. 1.)

Les régions cérébrales qui sont plus actives dans l’état de repos que durant
la réalisation de tâches comportementales regroupent le cortex préfrontal
médian, le cortex cingulaire postérieur, le cortex pariétal postérieur, l’hippo-
campe et le cortex temporal latéral. Ces aires cérébrales sont collectivement
dénommées réseau du « mode par défaut » ou « réseau par défaut » pour indi-
quer que le cerveau n’a pas d’activité particulière dans cet ensemble de struc-
tures cérébrales interconnectées, lorsqu’il n’est pas engagé dans une tâche
déclarée. Quelques chercheurs ont émis l’hypothèse que cet ensemble délimite
un système ou un groupe de systèmes interdépendants, de la même manière
qu’est défini un système sensoriel ou un système moteur. Cette hypothèse est
renforcée par le degré de corrélation tout à fait particulier de l’activité des
différentes composantes de ce réseau. La figure 21.1b illustre un enregistre-
ment de 5 min effectué dans les deux régions indiquées par une flèche (cortex
préfrontal médian et cortex cingulaire) sur la figure 21.1a. Le sujet était étendu
dans une machine permettant les enregistrements par IRMf, ne faisant rien
d’autre que de fixer un petit réticule en forme de croix sur un écran. Pour
des raisons que nous ignorons, il est notable qu’interviennent des variations
continues du signal IRMf, et qu’il existe une corrélation remarquable entre ces
fluctuations d’activité dans ces deux aires corticales quelque peu distantes. La
question de savoir si ces fluctuations de l’intensité des signaux correspondent
à des productions de pensées n’est pas résolue, mais celles-ci suggèrent l’exis-
tence d’une coordination ou d’interactions entre ces régions cérébrales.
Établir la fonction du réseau sous-tendant le « mode par défaut » n’est pas
chose facile, du fait de l’implication de ces diverses régions cérébrales dans de
nombreuses activités. Bien entendu, il est tentant d’imaginer que cet état « de
repos » puisse avoir valeur indicative d’une forme d’activité « interne » du cer-
veau… Dans des conditions de relaxation, il n’est pas rare d’avoir l’esprit qui
vagabonde, se souvienne et imagine des choses que l’on peut qualifier comme
se référant à une sorte de cognition spontanée. Comme le réseau du « mode par
défaut » est en quelque sorte désactivé dans la plupart des tâches, il est par-
ticulièrement difficile d’imaginer des expériences visant à préciser sa fonction.
Néanmoins, une partie au moins de ces fonctions peut nous être accessible en
considérant les quelques tâches qui sont susceptibles de l’activer. En particulier,
l’absence dans le réseau d’aires primaires sensorielles ou motrices est en accord
avec l’idée que ce réseau du « mode par défaut » n’est pas concerné en priorité
par le traitement des informations sensorielles ni le contrôle des mouvements.
Fonctions du « réseau par défaut ».  Un certain nombre d’hypothèses ont été
évoquées pour rendre compte des fonctions de ce « réseau par défaut ». Deux
d’entre elles sont évoquées ici : l’hypothèse du rôle de sentinelle et l’hypothèse de
730 3 – Cerveau et comportement

l’état interne (internal mentation). L’hypothèse de la sentinelle suppose que même


lorsque nous sommes au repos, il est nécessaire qu’une certaine vigilance soit
apportée aux événements extérieurs susceptibles d’intervenir dans notre environ-
nement. D’où l’idée de la « sentinelle ». Par comparaison, lorsque nous sommes
actifs, notre attention est naturellement portée sur ces événements extérieurs. Si
vous imaginez nos lointains ancêtres vivant dans un monde plein de menaces,
le maintien aujourd’hui d’une sorte de système d’alerte permanent fait natu-
rellement sens. Cette idée peut se trouver confortée par la démonstration que
la diminution d’activité de ce réseau est moindre lorsqu’une personne passe du
repos à une forme de vision périphérique, par comparaison à la réduction d’acti-
vité plus importante intervenant lors du passage du repos à la vision fovéale. Ces
données peuvent s’expliquer par le fait qu’au repos nous avons en règle générale
une forme de balayage très large du champ visuel, et donc passer du repos à cette
tâche impliquant la vision périphérique se traduit par un changement limité de
l’activité de ce réseau sentinelle. Dans une autre étude, il est aussi rapporté une
activation de ce réseau du « mode par défaut » par une tâche nécessitant la mise
en jeu de la vision périphérique pour localiser une cible se déplaçant au hasard
dans cette partie du champ visuel. En revanche, lorsque l’apparition de la cible
est prévisible dans une partie donnée de ce champ visuel périphérique, il ne se
produit pas d’activation du réseau. Enfin, toujours en accord avec l’hypothèse
de la sentinelle, il est possible d’évoquer une maladie rare nommée simultagnosie
(une composante de ce qui est par ailleurs nommé le « syndrome de Balint »)
où une personne est à même de présenter un champ visuel normal et se trouve
capable de percevoir des objets mais est incapable d’intégrer l’information plus
générale lui permettant de percevoir la scène entière qui s’offre à elle dans sa
complexité. Par exemple, si une photo d’un animal est présentée à un tel sujet,
il va pouvoir décrire cette photo, de la façon suivante : « La tête est ronde, elle
s’articule avec un corps puissant et quatre courtes pattes sont reliées à ce corps.
Cela ne me dit rien… Ah, il se trouve aussi une courte queue, qui me fait alors
penser qu’il pourrait s’agir d’un porc ». En d’autres termes, cette personne n’est
pas capable de se faire une représentation mentale d’ensemble et ne reconnaît
qu’il s’agit effectivement d’un porc que grâce à sa queue caractéristique. La par-
tie postérieure du cortex cingulaire, qui fait partie de ce « réseau par défaut »,
pourrait jouer un rôle dans ce processus de balayage du champ visuel pour
caractériser les stimuli. C’est cette partie du réseau qui serait impliquée dans les
activités de sentinelle et qui serait altérée dans le cas de la simultagnosie.
L’autre hypothèse, sur « l’état interne », postule que le « réseau par défaut »
est impliqué dans une forme de pensée et de souvenir que nous sommes à même
d’évoquer lorsque nous nous relaxons. Dans une expérience en faveur de cette
hypothèse, il est demandé au sujet de se souvenir en silence d’événements du
passé, ou au contraire de se projeter dans l’avenir et de décrire des événements
qui pourraient avoir lieu, pendant une expérience d’enregistrement de l’acti-
vité cérébrale par imagerie. Par exemple : souvenez-vous d’un fait intervenu la
semaine dernière, ou imaginez un événement qui pourrait intervenir au cours
des 5-20 prochaines années. Dans ces tâches de mémoire autobiographique, les
aires cérébrales qui sont activées sont différentes de celles impliquant une simple
confrontation avec des faits, sans connotation autobiographique.
Lors de ces tâches, qui servent de référence, il est demandé au sujet de pro-
duire une phrase en utilisant un mot imposé par l’expérimentateur. Dans une
autre, ils doivent imaginer des objets de taille plus grosse ou plus petite que
celui correspondant à l’objet donné en référence. Dans la tâche impliquant la
mémoire, l’hippocampe et les aires du néocortex faisant partir du « réseau par
défaut » deviennent plus actifs. Dans la tâche de référence, ces régions cérébrales
ne sont pas activées. L’hypothèse est alors que les tâches impliquant la mémoire
activent le cerveau de façon similaire à celle correspondant au moment de
relaxation, où sont évoqués des événements autobiographiques, contrairement
aux tâches centrées sur des faits. La figure 21.2 illustre le fait que se souvenir
d’événements passés ou se projeter dans l’avenir active des régions similaires du
cortex préfrontal médian et du cortex cingulaire postérieur.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 731

Projection du sujet vers des événements passés et futurs Figure 21.2 – Activation du réseau du « mode par défaut ».
Dans les conditions de l’expérience, il est demandé aux sujets de se souvenir d’un
événement passé, ou d’imaginer une scène susceptible d’intervenir dans le futur,
après qu’il leur soit présenté un mot « cible » (par exemple le mot « robe »). En condi-
tions témoins, les sujets devaient soit prononcer une phrase à leur convenance, soit
nommer des objets en réponse à la présentation de la cible. Les enregistrements en
IRMf illustrent le fait que, dans ces conditions, les régions correspondant au cortex
cingulaire postérieur et au cortex préfrontal médian du réseau du « mode par défaut »
Evénement passé Evénement futur sont activées par le fonctionnement de la mémoire autobiographique, plus que dans les
> conditions témoins > conditions témoins tâches de contrôle. (Source : Addis et al., 2007, Fig. 2.)

Bien que tout le monde ne soit pas d’accord avec cette idée d’un « réseau
du mode par défaut », les évidences sont incontestables qu’il se trouve bien
des régions cérébrales actives pendant les moments de repos, et que ces régions
sont engagées dans des actions différentes de celles correspondant à des tâches
actives. Dès lors, il est possible de conclure que lorsque la situation exige de nous
que nous soyons activement engagés dans une tâche perceptuelle ou motrice,
nous passions de ce mode « sentinelle » ou « d’évaluation de notre état interne »
(forte activité du « réseau par défaut ») pour nous focaliser sur des informations
sensorielles déterminées (faible activité du « réseau par défaut »). De ce fait, étu-
dier la fonction de ce réseau lorsque le cerveau est au repos est particulièrement
difficile, notamment parce que définir une tâche expérimentale correspond aussi
à une forme de commande « faites ceci » ou encore « regardez là », qui contribue
à réduire l’activité de ces structures. Le seul point qui paraît clair est que la tran-
sition impliquant un changement d’activité du « réseau par défaut » entre l’état
de repos et celui où le cerveau doit traiter des informations sensorielles dans les
tâches actives est concomitant d’un changement de focalisation de l’attention,
comme nous allons le voir maintenant.

Processus attentionnels
Imaginez-vous dans une fête, au milieu de centaines de personnes discutant
plus ou moins bruyamment, et dans une ambiance musicale très forte. Même si
vous êtes bombardé de bruits très divers provenant de toutes les directions, vous
êtes tout de même capable de vous concentrer sur ce que vous dit votre voisine
ou voisin immédiat, et du coup d’ignorer quelque peu tous ces sons parasites.
Ceci est possible parce que vous faites attention à ce que vous dit votre par-
tenaire. À ce moment-là, vous captez soudain votre nom mentionné dans une
autre conversation, juste derrière vous. Sans changer de place, ni interrompre
votre conservation, vous prêtez attention alors à cette autre conversation, pour
savoir ce qu’il est dit de vous. Cette expérience très commune, qui correspond à
une forme de filtrage des informations auditives, représente un exemple de pro-
cessus attentionnel que nous utilisons couramment entre différentes modalités
sensorielles. Prenons l’exemple parmi les mieux étudiés, de l’attention visuelle.
L’étude des processus attentionnels les présente souvent comme une forme de
concentration de ressources, assimilable au passage dans un goulot de bouteille,
pour procéder au traitement des informations cérébrales. Il est commun d’uti-
liser le terme « d’attention sélective » pour renforcer l’idée d’une focalisation
de l’intérêt porté à un objet déterminé, contrairement à un éveil plus global,
qui n’est pas sélectif. Pour faire court, dans ce qui suit nous parlerons simple-
ment « d’attention », tout en nous référant à l’attention sélective. Les contraintes
qu’apportent l’attention au traitement des informations par le cerveau sont de
fait une très bonne chose. Il n’est même pas possible d’imaginer ce qui se passe-
rait si nous devions à chaque instant nous focaliser sur tout ce qui nous entoure
et se trouve capté par notre système visuel, chaque bruit produit par cet envi-
ronnement, ou encore par toutes les odeurs qui nous entourent. La capacité de
l’attention à limiter le traitement de toutes ces informations explique notamment
732 3 – Cerveau et comportement

Encadré 21.1 FOCUS

Syndrome du déficit attentionnel et de l’hyperactivité chez l’enfant


Il s’agit de la dernière leçon du dernier jour de l’an- nimement reconnues comme en rapport avec la régula-
née scolaire et vous êtes plus préoccupé par ce qu’il se tion et l’organisation du comportement. À cet égard,
passe à l’extérieur que par les propos de votre profes- souvenez-vous de Phinéas Gage (Encadré 18.2), qui
seur. À ce moment-là, ce n’est pas très grave et nous avait d’énormes difficultés à organiser ses comporte-
avons tous eu des difficultés, à un moment ou à un autre, ments après de très graves lésions du cortex préfrontal.
à nous concentrer sur notre travail, préoccupés plus par Il existe quelques indications montrant que l’héré-
le jeu, par exemple, lors de notre vie scolaire. Cependant, dité joue un rôle dans l’ADHD. Les enfants dont les
pour des millions de gens ces difficultés ne sont pas parents ont souffert (ou souffrent encore) de ADHD ont
conjoncturelles et hypothèquent sérieusement leur capa- ainsi une probabilité plus forte de développer le syn-
cité à réaliser un certain nombre de tâches quotidiennes : drome que les autres enfants issus de parents indemnes.
c’est le cas des enfants qui souffrent d’un syndrome de De même, un enfant a une probabilité plus forte de pré-
déficit attentionnel et d’hyperactivité, ce que les Anglo- senter ce syndrome si son jumeau est atteint. Cela étant,
Saxons appellent ADHD, pour attention deficit hyper­ il est possible que d’autres facteurs d’ordre non géné-
activity disorder. tique, comme des lésions cérébrales ou même une nais-
Les trois symptômes principaux associés à l’ADHD sance avant terme, interviennent. Le dysfonctionnement
sont l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité. Ces d’un certain nombre de gènes liés au fonctionnement
traits de caractère sont souvent plus perceptibles chez des neurones dopaminergiques est suspecté jouer un
l’enfant que chez l’adulte, mais ce syndrome existe aussi rôle dans l’ADHD. C’est le cas des gènes des récep-
chez l’adulte. Quel que soit l’endroit sur la planète, il est teurs D4 et des récepteurs D2, ou encore de celui du
admis que de 5 à 10 % d’enfants d’âge scolaire souffrent transporteur de la dopamine. Comme nous l’avons vu
de ADHD et que cela altère leur capacité à apprendre. dans certains chapitres précédents, les neurones dopa-
Des études de suivi montrent que ces enfants continuent minergiques jouent un rôle considérable dans la régula-
à avoir des difficultés et présentent un certain nombre de tion des comportements, et il est donc essentiel de tenter
ces symptômes lorsqu’ils deviennent adultes. de clarifier leur rôle éventuel dans l’ADHD.
Aujourd’hui encore, nous ne connaissons pas les Pour le moment, en dehors des thérapies comporte-
causes de l’ADHD. Toutefois, nous avons quelques mentales, le seul traitement dont nous disposons est
pistes. Par exemple, des études en IRMf montrent que fondé sur la stimulation du système dopaminergique,
quelques structures centrales, comme le cortex préfron- par des agents pharmacologiques comme la ritaline (le
tal et les noyaux gris centraux, sont de taille plus petite méthylphénydate), induisant des effets similaires à ceux
chez les jeunes garçons souffrant de ADHD. Néanmoins, de dérivés amphétaminiques. La ritaline agit aussi pour
nous ne savons pas si cette différence structurale, si elle inhiber le transport de dopamine au niveau synaptique,
existe, a des répercussions comportementales et, en tout ce qui a pour effet de renforcer l’action du neurotrans-
état de cause, cette différence n’est encore pas suffisam- metteur. Chez un grand nombre d’enfants souffrant
ment établie pour qu’elle puisse représenter un élément d’ADHD, le médicament paraît ainsi réduire efficace-
de diagnostic. L’implication éventuelle de ces structures ment l’impulsivité et l’inattention, même si des ques-
est quelque peu intriguant, en ce sens qu’elles sont una- tions se posent encore sur son utilisation à long terme.

le nombre incroyable d’accidents de la circulation en rapport avec le fait que les


personnes conduisent et téléphonent, quand elles ne rédigent pas de texto, en
même temps. Comme nous allons le voir, les processus attentionnels influencent
significativement la vitesse de nos comportements et la précision de nos actions.
Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un simple problème d’attention,
le syndrome du déficit attentionnel et de l’hyperactivité de l’enfant (ADHD, pour
attention deficit hyperactivity disorder) illustre très bien le caractère fondamental
et critique des mécanismes attentionnels (Encadré 21.1).
La vie courante nous enseigne simplement que notre attention est dirigée
de deux façons principales. Supposez que vous vous déplaciez dans une vaste
prairie d’herbe verte et qu’au milieu de ce champ très uniforme se trouve un plan
de pissenlit paraissant d’un jaune éclatant. Votre attention se portera immédia-
tement et automatiquement sur ce pissenlit parce que sa couleur la fera ressortir
de la marée verte uniforme. Nous dirons ainsi que le pissenlit a « capté notre
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 733

Figure 21.3 – Effets visuels sur l’attention.


Une importante différence de couleur entre les différents éléments de
cette photo attire immédiatement notre attention sur l’élément qui se dis-
tingue du reste ; à tel point que cela peut prendre un moment avant que
l’on s’intéresse aux visages des hommes aux turbans rouges. (Source :
courtoisie de Steve McCurry, photographe, Magnum Photos.)

attention ». Ainsi certaines caractéristiques visuelles comme la couleur, le mou-


vement ou un éclairage clignotant attirent automatiquement notre attention
(Fig. 21.3). Ce processus est qualifié d’attention exogène ou encore d’attention
« bottom-up », du fait que le stimulus attire notre attention sans avoir recours
à des processus cognitifs. Il est vraisemblable qu’un tel processus intervienne
chez de nombreux animaux pour détecter leurs prédateurs et ainsi prendre la
fuite. L’autre catégorie de processus attentionnel, qualifié d’attention endogène
ou attention « top-down », correspond à une situation où l’attention est délibé-
rément attirée par le cerveau sur quelque objet ou un endroit en rapport avec des
objectifs comportementaux. Vous pouvez ainsi feuilleter ce livre à la recherche
d’un passage que vous avez préalablement repéré par une marque dans l’angle
supérieur d’une page. Cette recherche est dès lors facilitée en focalisant votre
attention sur le coin supérieur de cet ouvrage.

Effets de l’attention sur le comportement


Dans la plupart des cas, si l’on souhaite regarder quelque chose en particu-
lier, le regard est orienté en bougeant les yeux, pour que la représentation de l’ob-
jet en question se projette sur la fovéa de chaque œil. Ce comportement implique
que, de façon implicite la plupart du temps, l’objet dont l’image se forme sur la
fovéa soit gratifié d’une attention particulière. Il est cependant possible de dépla-
cer l’attention sur des objets dont l’image est représentée sur d’autres parties de
la rétine. Ce phénomène de « regard en coin », où l’attention est déplacée sur un
objet situé en dehors de la fovéa (sans mouvement des yeux), est dénommé atten­
tion implicite (covert attention) car le regard ne révèle pas ce que nous regardons.
Le fait de déplacer son attention sur la fovéa ou un autre endroit de la rétine
renforce alors les processus visuels, de plusieurs façons ; par exemple en augmen-
tant la capacité de détection, et en mobilisant des temps de réaction plus rapides.
L’attention accroît la sensibilité visuelle. La figure 21.4 illustre une expé-
rience visant à observer les effets du déplacement de l’attention visuelle. Pendant
toute l’expérience, le sujet fixe un point central, et il lui est demandé de dire si
un stimulus-cible est brièvement projeté en un point situé à gauche ou à droite
du point de fixation, ou pas du tout. Cela semble facile ; en fait, le test est diffi-
cile car la cible présentée à gauche ou à droite du point de fixation est un petit
cercle dont l’image n’est projetée que pendant quelques millisecondes, la durée
d’un flash. L’expérience utilise diverses procédures pour caractériser les effets de
l’attention. Chaque essai débute par la présentation d’une image du stimulus au
point de fixation. L’image est soit le signe « plus », soit une flèche indiquant la
gauche, ou une flèche indiquant la droite. Après l’extinction rapide de ces signes,
le point de fixation reste visible pendant un laps de temps variable. Dans la moi-
tié des essais, l’expérience n’utilise pas d’autre stimulus, et dans l’autre moitié il
est projetté un petit cercle pendant 15 ms, à gauche ou à droite.
734 3 – Cerveau et comportement

Point de fixation Signal de direction

Localisation
attendue

Attention orientée
vers la droite

Apparition de la cible Apparition de la cible


en accord avec la prévision du côté opposé à la prévision

Figure 21.4 – Expérience permettant d’éva-


luer les effets de l’attention sur la détection
visuelle.
Alors que le sujet placé devant l’écran doit
poser son regard sur un point de fixation situé
au centre de l’écran, un signal lui donne une
indication sur la partie de l’écran sur laquelle
il doit porter son attention. À chaque essai,
le sujet doit indiquer dans quelle partie de
l’écran, droite ou gauche, apparaît la cible
représentée par un cercle.

Un des éléments-clés de l’expérience est d’utiliser le signe pour orienter


l’attention. Si l’image était le signe « plus », le petit cercle peut apparaître à
droite ou à gauche avec la même probabilité. Par conséquent, le signe « plus »
représente une cible neutre. Si l’image était une flèche indiquant la gauche, il est
quatre fois plus probable que la cible apparaisse à gauche plutôt qu’à droite ; et
si la flèche indiquait la droite, il est quatre fois plus probable que la cible appa-
raisse à droite, plutôt qu’à gauche. Ainsi, si le cercle constituant la cible apparaît
du côté où a été orientée l’attention, l’essai est validé ; dans le cas contraire, il
est invalidé. Le sujet doit regarder droit devant lui, mais pour obtenir le plus de
réponses correctes dans cette tâche difficile consistant à repérer les cercles pro-
jetés brièvement, il peut avoir avantage à se servir de la signification du stimulus
présenté pour orienter son attention, comme information préalable à l’action.
Par exemple, si l’image était une flèche indiquant la droite, il est plus intéres-
sant d’orienter son attention vers l’emplacement droit de la cible plutôt qu’à
gauche. Pour chacun des sujets ayant participé à l’expérience, les données obte-
nues concernaient la capacité à détecter correctement la cible. Comme il n’y avait
pas de projection d’un cercle-cible dans la moitié des tests, les sujets ne pouvaient
pas « tricher » (dire qu’il y a chaque fois une cible du côté indiqué par la flèche)
pour obtenir un pourcentage de réponses correctes très élevé. Dans les tests où
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 735

le signe « plus » sert de repère sur le point central, le stimulus-cible apparaissant 100

Détection de la cible (%)


indifféremment à droite ou à gauche avec la même probabilité était détecté par
les sujets dans 60 % des essais où il apparaissait. Dans les tests où le repère est
une flèche indiquant la droite, le stimulus-cible était détecté par les sujets dans
50
80 % des essais où il était projeté à droite. Cependant, lorsque le repère est une
flèche indiquant la droite, le stimulus-cible apparaissant à gauche était détecté
par les sujets dans seulement 50 % des essais où il apparaissait ; les résultats
0
étant à peu près les mêmes avec les flèches indiquant la gauche. Les principaux Invalide Neutre Valide
résultats de cette expérience sont présentés sur la figure 21.5.
Information préalable
Quelle est alors la signification de ces résultats ? Pour comprendre la signifi-
cation de ces données, il faut imaginer ce qui se passait chez le sujet. Il est évident Figure 21.5 – Effets de l’information préa-
que l’attention du sujet guidée par le repère influençait sa capacité à détecter lable sur la détection de la cible.
des cibles projetées ultérieurement. Il semble que les repères-flèches incitaient Les sujets doivent indiquer la présence d’un
l’observateur à déplacer son attention du côté de la pointe de la flèche, même spot lumineux à gauche ou à droite d’un
s’il ne tournait pas son regard. Le fait d’orienter l’attention rendait la détection point de fixation sur un écran d’ordinateur.
des cibles projetées plus facile, comparé aux essais avec le signe « plus » comme Dans certains essais, l’information préalable
repère central. Inversement, l’observateur était moins sensible aux cibles appa- est neutre, ne donnant aucune indication sur
raissant du côté opposé à la direction de la flèche. Ces résultats et ceux d’autres l’endroit de l’écran où la cible va apparaître.
expériences semblables montrent que l’attention rend la détection des choses Lorsque le signal préalable est représenté
par une tête de flèche indiquant que la cible
plus facile en augmentant la sensibilité visuelle. Cela explique sans doute pour-
va probablement apparaître à gauche ou à
quoi il est possible d’écouter une seule conversation parmi beaucoup d’autres, droite de l’écran, alors les sujets détectent un
lorsqu’on lui consacre toute son attention. nombre beaucoup plus important de cibles
L’attention optimise le temps de réaction.  En utilisant un modèle expéri- au bon endroit. Si l’information préalable est
invalide, c’est-à-dire si l’apparition de la cible
mental comparable au précédent, dans des études sur la perception il est démon-
n’intervient pas dans la zone de l’écran pré-
tré que l’attention augmente la rapidité des réactions par rapport à l’apparition vue par l’information préalable, la probabilité
inopinée d’un stimulus. Dans une expérience-type, le sujet fixe un point central de détection de la cible est réduite par rapport
sur l’écran d’un ordinateur, et des stimuli-cibles sont projetés à gauche ou à droite au stimulus neutre.
du point de fixation. Il est demandé au sujet de regarder l’écran et d’appuyer sur
un bouton le plus rapidement possible lorsqu’il perçoit le stimulus, quel que soit
l’endroit de son apparition sur l’écran. La mesure porte sur le laps de temps
nécessaire au sujet pour réagir et appuyer sur le bouton après la présentation du
stimulus. Dans cette expérience, de la même manière que précédemment, un sti-
mulus-repère précède la projection de la cible : un signe « plus » ayant une valeur
neutre ou une flèche indiquant la gauche ou la droite. Les flèches indiquent l’en-
droit où la cible a le plus de chance d’apparaître, tandis que le signe « plus » signi-
fie que la cible peut apparaître à gauche ou à droite avec la même probabilité.
Les résultats de cette expérience ont démontré que les temps de réaction du
sujet étaient influencés par les indications données par le stimulus-repère sur
Temps de réaction (ms)

300
le point central. Lorsque l’indication était un signe « plus », il fallait environ
250-300 ms pour appuyer sur le bouton. Lorsqu’une flèche indiquait le côté de
la projection de la cible (flèche indiquant la droite, cible à droite), les temps de 250
réaction étaient inférieurs de 20 à 30 ms. Inversement, lorsque la flèche indiquait
une direction et que la cible apparaissait de l’autre côté, il fallait 20 à 30 ms de
200
plus pour que le sujet réagisse et appuie sur le bouton. Le temps de réaction com- Non Neutre Valide
prend le temps de transduction dans le système visuel, le temps du traitement de valide
l’information visuelle, le temps de prendre une décision, le temps de l’encodage Signal préparatoire
du mouvement du doigt, et le temps pour appuyer sur le bouton. Les différences
sont faibles, mais les résultats montrent incontestablement une dépendance du Figure 21.6 – Effet de la préparation sur le
temps de réaction de la direction dans laquelle les flèches attirent l’attention du temps de réaction.
sujet (Fig. 21.6). En supposant que l’attention portée aux stimuli visuels n’a pas Dans le cas où le sujet ne dispose pas d’in-
d’effet direct sur la transduction visuelle ou l’encodage moteur, l’hypothèse peut dication sur ce que sera la localisation de la
être avancée que l’attention peut modifier la rapidité des processus visuels ou le cible sur l’écran, le signal préparatoire est un
temps nécessaire à prendre la décision d’appuyer sur le bouton. Une expérience signe « plus ». Dans les autres essais, une
du quotidien renforce les implications de l’intervention des processus attention- flèche indique la direction de la partie de
l’écran où apparaîtra la cible, ce qui contribue
nels pour optimiser le temps de réaction. Si vous êtes au volant de votre voiture
à réduire les temps de réaction. Dans une troi-
et que vous roulez à environ 100 km/h, et qu’un obstacle inattendu se présente sième série d’essais, la flèche indique la direc-
devant vous, il vous faudra à peu près 30 ms de plus que si vous étiez prévenu tion opposée à celle d’apparition de la cible,
avant d’appuyer sur la pédale de frein, ce qui représente une distance parcourue ce qui a pour effet de provoquer une augmen-
de l’ordre d’un peu moins de 8 m, suffisante hélas pour que cela se termine par tation des temps de réaction. (Source : adapté
un accident ! de Posner, Snyder et Davidson, 1980, Fig. 1.)
736 3 – Cerveau et comportement

Manifestations physiologiques de l’attention


Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque l’attention est déplacée sur un objet
particulier ? Par exemple, dans les études comportementales que nous avons pré-
sentées, la question est posée de savoir si l’accroissement des performances est
réellement en rapport avec une optimisation du fonctionnement d’une partie
du cerveau ou d’une autre, en termes d’activité neuronale ? Il est concevable
que l’attention soit strictement une composante de la cognition, mais des études
récentes ont démontré qu’un certain nombre d’aires sensorielles, comme l’aire
V1 du cortex visuel mais aussi les aires visuelles situées dans le lobe pariétal et
temporal, sont impliquées dans les processus attentionnels, y compris le corps
genouillé latéral. Les études qui suivent utilisent l’imagerie cérébrale. Elles
démontrent que l’activité de nombreuses régions cérébrales se modifie lorsque
l’attention est fixée sur un élément donné. Puis, il sera possible d’observer que
certains changements liés à des modifications de l’attention peuvent être retrou-
vés au niveau neuronal, chez l’animal. Ces expériences montrent toutes qu’il
existe dans le cerveau des zones privilégiées de traitement des processus atten-
tionnels.
Étude des processus attentionnels chez l’homme par IRMf.  Une observa-
tion clé de l’étude comportementale des processus attentionnels a été la mise en
évidence d’un effet potentialisateur de l’attention sur la détection des objets et
sur le temps de réaction, sélectif de la localisation spatiale du stimulus. Lorsque
nous attendons un stimulus important et que nous savons qu’il va survenir, nous
orientons ainsi notre attention vers cet événement et nous optimisons nos res-
sources sensorielles pour ne pas rater sa détection. Une analogie courante est
d’assimiler le fonctionnement des processus attentionnels à un spot lumineux qui
signale les choses importantes. Un certain nombre d’expériences réalisées avec
l’IRMf vont dans ce sens, montrant que les brusques changements d’attention
focalisée sur une cible s’accompagnent de modifications d’activité concomi-
tantes dans des zones cérébrales correspondantes.
Dans l’une de ces expériences, les sujets placés dans un dispositif d’enre-
gistrement des signaux en IRMf sont soumis à des stimuli lumineux formés
de lignes de couleurs différentes, organisées en secteurs circulaires autour d’un
point de fixation du regard (Fig. 21.7a). La partie supérieure de la figure 21.7a
illustre une séquence de quatre secteurs qu’un sujet doit avoir pour cible, à partir
d’un point de fixation. Sans modifier la position du regard sur le point central, il
est demandé aux sujets de fixer leur attention sur l’un des secteurs particuliers du
stimulus. Dans ce cas, le secteur d’intérêt change toutes les 10 s et donc, toutes les
10 s, le sujet doit porter son attention sur un secteur différent. Ce qui est impor-
tant est que, durant cette période de 10 s, la couleur et l’orientation des lignes
de ce secteur sont susceptibles de changer toutes les 2 s. À chaque fois qu’un
changement intervient, il est alors demandé au sujet de presser un bouton pour
signifier qu’il a perçu le changement, de telle manière qu’il presse un bouton
pour signaler les changements des lignes de couleur bleue et horizontales, et un
autre bouton pour les changements portant sur les lignes de couleur orange et
verticales. La raison de cette tâche est simple : elle force le sujet à fixer son atten-
tion sur un petit secteur du cercle, alors même qu’il lui est toujours demandé de
bien porter son regard au centre du stimulus visuel.
Le résultat fascinant de cette expérience porte sur les événements qui sur-
viennent au niveau cérébral lorsque le sujet porte son attention sur le secteur
concerné. La figure 21.7b illustre les changements d’activité du cortex visuel cor-
respondant à des changements qui sont intervenus dans des secteurs du stimulus
de plus en plus éloignés du point central de fixation du regard. Notez que les
régions où l’activité augmente (rouge et jaune) se déplacent ainsi à partir du
pole occipital au fur et à mesure que le stimulus d’intérêt s’éloigne lui-même
de la fovéa. Le changement des zones activées dans chacun des cas suit une
organisation rétinotopique et, cela, quelle que soit la nature du stimulus. Dans
ce cas l’hypothèse a été émise que ces diagrammes illustrent les effets de l’atten-
tion focalisée sur l’activation de différentes régions corticales, en rapport avec le
déplacement de la zone d’intérêt au niveau visuel.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 737

Figure 21.7 – Activation cérébrale et processus attentionnels


associés à une stimulation visuelle.
(a) Nature du stimulus visuel. Le schéma du bas illustre la
complexité du stimulus visuel, formé de segments de lignes
de couleurs orange et bleue, organisés par secteurs qui irra-
dient à partir du point central de fixation. L’orientation et la
(b) couleur de chaque secteur changent toutes les 2 secondes.
Les 4 schémas situés au-dessus illustrent dans chaque cas
la zone, matérialisée en rouge, sur laquelle il était demandé
au sujet de fixer son attention, de plus en plus éloignée par
rapport au point central de fixation du regard. (b) Activation
localisée du cortex visuel. Les stimuli visuels provoquent une
large activation de différentes aires du cortex visuel, mais il
existe des spots d’activation en rapport avec les stimuli pré-
sentés dans les différents secteurs. L’augmentation d’activité
est matérialisée en jaune et en rouge. (Source : courtoisie de
(a)
J. A. Brefczynski et E. A. DeYoe.)

Étude des processus attentionnels chez l’homme par TEP-scan.  Les don-
nées obtenues en IRMf sont tout à fait en accord avec les observations com-
portementales selon lesquelles l’attention visuelle peut être modifiée indépen-
damment de la position de l’œil lui-même. Cependant, l’attention implique
des processus plus complexes qu’une simple fixation sur un point de l’espace.
Imaginez, par exemple, que vous vous trouviez en hiver sur un trottoir où cir-
cule beaucoup de monde et que vous recherchiez quelqu’un. L’identification de
cette personne est rendue difficile par les manteaux et capuches assez similaires
de tous les passants. Mais, vous savez que votre ami porte un bonnet rouge.
Évidemment dans ce cas-là, la recherche est considérablement facilitée par ce
détail particulier, qui va orienter la détection visuelle. La question se pose de
savoir comment le cerveau s’accommode de la prise en compte de ce détail ? Des
travaux réalisés à l’aide du TEP-scan commencent à apporter des éléments de
réponse chez l’homme.
738 3 – Cerveau et comportement

Écran 1 L’équipe de Steven Petersen de l’Université de Washington a utilisé les tech-


niques d’imagerie de la TEP sur des sujets, dans un test de discrimination visuelle
(Fig. 21.8). Pour cela, pendant une demi-seconde une image est projetée sur
l’écran d’un ordinateur, et après un laps de temps, une deuxième image est éga-
lement projetée. Chaque image est composée de plusieurs éléments qui varient
dans la forme, la couleur, et la vitesse de déplacement. Le sujet qui observe les
images doit indiquer si les deux images projetées successivement sont semblables
ou différentes. Bien que la rapidité, la forme et la couleur de tous les éléments
puissent changer, il est demandé au sujet de ne prendre en compte qu’un seul
de ces éléments pour juger de la similarité ou de la différence des images. Il est
ainsi possible de mesurer le niveau d’activité cérébrale en réponse à des stimuli
identiques lorsque l’attention du sujet est sollicitée par d’autres aspects. Il est
bien évident que l’activité cérébrale concerne seulement les neurones impliqués
dans les processus visuels, à moins que le test ne comporte d’autres aspects. Ce
Écran 2
test a été effectué sous deux formes différentes pour analyser les processus atten-
tionnels. Dans l’expérience d’attention sélective, les stimuli sont visibles et le sujet
doit dire s’ils sont semblables ou différents en se focalisant sur un des aspects
(forme, couleur, vitesse de déplacement) seulement. Dans l’attention partagée, le
sujet doit se concentrer sur tous les aspects en même temps, et donner sa réponse
en fonction des changements d’un de ces aspects. Pour visualiser les modifica-
tions de l’activité cérébrale associées à l’attention portée sur un des aspects, les
réponses du test d’attention partagée sont soustraites de celles du test d’attention
sélective.
Les résultats de ces expériences sont rapportés sur la figure 21.9. Différentes
aires du cortex sont activées en fonction de l’attribut des stimuli qui a été sélec-
Figure 21.8 – Stimuli utilisés pour les expé-
tionné. Par exemple, le cortex occipital ventromédian répond à la tâche qui
riences de stimulation cognitives en TEP.
consiste à faire la distinction de la couleur (en bleu) et de la forme (en orange),
Le sujet voit successivement deux images
sur l’écran, chacune contenant des éléments sans être affecté par la distinction de la vitesse de déplacement (en vert) des sti-
imagés se déplaçant dans une direction. Ces muli. Inversement, des aires du cortex pariétal sont activées par les phénomènes
éléments peuvent changer de forme, de cou- attentionnels associés au mouvement, et non aux autres formes de distinction.
leur et de vitesse de déplacement. Le sujet Bien qu’il ne soit pas encore possible de connaître avec certitude la nature des
doit répondre en indiquant simplement si les aires corticales plus particulièrement activées dans ce processus, les régions mises
stimuli sont identiques ou différents. en jeu dans les expériences utilisant la couleur et les formes pourraient corres-
pondre aux aires V4 et IT et à d’autres aires visuelles du lobe temporal. L’aire

Sillon
Corps calleux central

Gyrus Sillon
parahippocampique temporal
supérieur
Hémisphère gauche, Hémisphère gauche,
vue médiane vue latérale
Figure 21.9 – Effets d’activation spécifique
de l’attention visuelle.
Les symboles indiquent les sites cérébraux où
les images de TEP mesurent les activations
les plus importantes dans des tâches d’atten-
tion visuelle sélective ou partagée. Les résul-
tats sont illustrés par des couleurs en rapport
avec la nature des changements imposés aux
cibles en déplacement sur les écrans : vitesse
(vert) ; couleur (bleu) ; forme (orange). L’atten-
tion sélective est associée à l’activation de
différentes zones cérébrales. (Source : adapté Hémisphère droit, Hémisphère droit,
vue médiane vue latérale
de Corbetta et al., 1990, Fig. 2.)
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 739

la plus à même de répondre au mouvement est sans doute proche de l’aire MT.
Ainsi, ces effets de l’attention aux différents types de stimuli sont, en première
approximation, en accord avec les propriétés décrites pour les neurones du cortex
extrastrié, qui ont été présentées dans le chapitre 10.
Il ressort de ces expériences d’imagerie par TEP ainsi que d’autres, qu’un
ensemble de plusieurs aires corticales est impliqué dans l’attention, et que les
aires les plus concernées sont en rapport avec la tâche comportementale à effec-
tuer. L’étude détaillée de deux de ces aires corticales est présentée dans la suite
de ce chapitre, ainsi que les expériences pratiquées sur le singe, qui ont apporté
une meilleure connaissance des processus attentionnels.
L’attention augmente la réponse des neurones dans le cortex pariétal.  Les
travaux sur la perception mentionnés plus haut indiquent que, par des expé-
riences minutieusement élaborées, l’attention peut être déplacée sans modifier
la direction du regard. Mais que se passe-t-il normalement lorsque le regard
est orienté pour explorer son environnement ? Supposons que lorsqu’on exa-
mine particulièrement un objet représenté sur la fovéa, l’attention se concentre
aussi sur la fovéa. Si un bref flash de lumière apparaît à la périphérie du champ
visuel, une saccade oculaire se produit naturellement en direction du flash, pour
qu’il soit représenté sur la fovéa. Mais alors, dans ces conditions qu’en est-il
de l’attention ? Les travaux effectués sur le comportement ont montré que les
phénomènes d’orientation de l’attention interviennent en 50 ms à peu près,
alors que la saccade oculaire survient en 200 ms environ. Il est ainsi possible de
conclure que l’attention, initialement focalisée sur la fovéa, se trouve vraisem-
blablement attirée par le flash à la périphérie du champ visuel plus rapidement
que le regard.
Ces suppositions sont la base des expériences réalisées sur le singe par les
neurophysiologistes Robert Wurtz, Michael Goldberg, et David Robinson, du
National Institutes of Health. Ces chercheurs ont effectué des enregistrements
de l’activité neuronale en différents endroits du cerveau, pour déterminer si
l’attention active des processus cérébraux avant que le mouvement d’orientation
des yeux ne survienne. En supposant qu’il y ait une relation entre le déplacement
de l’attention et le déplacement du regard, il est logique d’observer les régions
du cerveau qui génèrent les saccades oculaires.
Les chercheurs ont pratiqué des enregistrements de neurones unitaires dans
le cortex pariétal postérieur chez le singe, pendant qu’il effectuait une tâche com-
portementale simple (Fig. 21.10). Cette aire corticale est sans doute impliquée
dans l’orientation du regard, ne serait-ce que parce que la stimulation électrique
de cette région génère des saccades oculaires. Dans ces expériences, le singe fixe
un point sur l’écran d’un ordinateur ; lorsqu’un stimulus est flashé dans un autre
emplacement de l’écran à la périphérie du champ récepteur étudié, une saccade
se produit en direction de ce point. Avant chaque épreuve, le champ récepteur

Point de fixation

Écran

Cible visuelle Figure  21.10 – Dispositif expérimental mis


Orientation du regard en œuvre pour étudier les effets de l’atten-
par saccade tion chez le singe.
oculaire Cette expérience se déroule pendant l’en-
registrement de l’activité unitaire de neu-
rones du cortex pariétal postérieur. L’animal
porte son regard sur un point de fixation,
sur un écran d’ordinateur, et lorsque des
cibles apparaissent à la périphérie du champ
récepteur du neurone, l’animal fait une sac-
cade oculaire pour orienter son regard vers
la cible. (Source : adapté de Wurtz, Goldberg
et Robinson, 1982, p. 128.)
740 3 – Cerveau et comportement

du neurone cortical enregistré est déterminé, et la cible utilisée dans l’épreuve est
placée de telle sorte qu’elle apparaisse dans le champ visuel. Dans ces conditions,
le neurone du cortex pariétal répond lorsque le stimulus est projeté dans son
champ visuel (Fig. 21.11a). Cependant, l’observation clé effectuée par Wurtz et
ses collègues est que la réponse de plusieurs neurones du cortex pariétal est signi-
ficativement renforcée (se manifestant par une bouffée rapide de potentiels d’ac-
tion) par les saccades oculaires qui déplacent le regard vers la cible (Fig. 21.11b).
Souvenez-vous que le stimulus est le même dans tous les cas. L’augmentation de
l’effet n’est observée que lorsque la saccade intervient dans le champ récepteur
concerné mais pas ailleurs, même si la saccade est effectuée après que le neurone
ait répondu au stimulus cible. Ceci suggère que l’attention se déplace vers la
fin de la saccade programmée avant que les yeux ne se déplacent, et seuls les
neurones dont le champ récepteur est concerné voient leur réponse augmentée
par le déplacement de l’attention qui précède la saccade (Fig. 21.11c). Une autre
interprétation possible est que la réponse augmentée représente un signal prémo-
teur en rapport avec le codage du mouvement des yeux, de la même façon que les
neurones du cortex moteur déchargent avant le mouvement de la main. Afin de
tester cette hypothèse, les chercheurs ont modifié leur protocole expérimental, de
telle manière que l’animal déplace sa main plutôt que ses yeux pour indiquer la
localisation du stimulus flashé à la périphérie (Fig. 21.11d). Même sans aucune
saccade il se trouve une réponse accrue à la cible présentée, suggérant que, plutôt
qu’un signal prémoteur, la réponse ainsi accrue était le résultat d’un déplacement
de l’attention pour améliorer la performance.
Il n’est pas difficile d’imaginer combien ce type de réponse neuronale renfor-
cée du cortex pariétal postérieur peut être important dans les effets comporte-
mentaux de l’attention présentés ci-dessus. Si l’attention attirée sur un point du
champ visuel par un stimulus servant de repère accentue la réponse à d’autres
stimuli proches de ce point, cela pourrait expliquer la sélectivité spatiale du ren-
forcement de l’activité dans la capacité à détecter une cible. De la même façon,
il est concevable qu’une réponse plus forte puisse induire des processus visuels
plus rapides et finalement des temps de réaction plus courts, comme cela a pu
être constaté avec les expériences portant sur la perception.
L’attention contribue à accroître la discrimination des champs récepteurs
dans l’aire V4.  Dans une série d’expériences fascinantes, l’équipe de Robert
Desimone du National Institute of Mental Health a observé les effets étonnam-
ment spécifiques des processus attentionnels sur la réponse des neurones de l’aire
corticale visuelle V4. Dans l’une de ces expériences, le singe effectue une épreuve
de discrimination des analogies et des différences de paires de stimuli projetés
dans le champ récepteur des neurones de V4. Pour prendre un exemple, sup-
posons qu’une des cellules de V4 réponde fortement à des barres lumineuses
horizontales et verticales de couleur rouge qui apparaissent dans son champ
récepteur, mais ne réponde pas à des barres horizontales ou verticales de cou-
leur verte. Les barres rouges constituent des stimuli efficaces et les barres vertes
des stimuli inefficaces. Tandis que le singe fixe un point donné, les deux stimuli
(efficaces ou inefficaces) sont présentés brièvement dans le champ récepteur, et
après un laps de temps, deux autres stimuli sont projetés au même endroit du
champ visuel. Dans une des épreuves, la discrimination sur la similitude ou la
différence des stimuli successifs se fait en fonction du lieu où apparaissent les sti-
muli. En d’autres termes, l’attention se concentre sur un point du champ visuel,
uniquement. L’animal pousse le levier dans une direction seulement si les diffé-
rents stimuli attendus sont les mêmes, et dans l’autre direction si ces stimuli sont
différents.
La question qui se pose est de savoir ce qui se passe dans une épreuve où
les stimuli efficaces apparaissent à l’endroit prévu et les stimuli inefficaces
à un autre endroit (Fig. 21.12a). Sans surprise, l’aire V4 est fortement activée
dans ces conditions parce que les stimuli présentés dans le champ récepteur
sont très efficaces. Supposons que la consigne soit donnée à l’animal, dans
l’épreuve suivante, de concentrer son attention sur un autre point du champ
visuel où apparaît l’autre série de stimuli (Fig. 21.12b). Sur cet autre point, seuls
les stimuli verts inefficaces sont projetés. La réponse devrait être la même que
dans l’épreuve précédente puisque ce sont exactement les mêmes stimuli qui sont
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 741

Champ Présentation
récepteur Cible
Arrêt
Point de Cible
fixation

Activité
Levier du neurone

Position
des yeux

(a)

Présentation
Cible
Saccade Arrêt
à droite

Activité
du neurone

Position
des yeux

(b)

Deuxième cible
Présentation
en dehors du
champ récepteur Cible
Arrêt
Saccade
à gauche
Activité
du neurone

Position
des yeux

(c)

Lumineuse
Cible
Éteinte

Activité
Relâchement du neurone
du levier
Position
des yeux

(d)

Figure 21.11 – Effets de l’attention sur l’activité d’un neurone du cortex pariétal postérieur.


(a) Le neurone répond à un stimulus visuel présenté dans son champ récepteur. (b) La réponse est
facilitée si la présentation de la cible est suivie d’une saccade oculaire qui oriente le regard vers elle.
(c) Cette facilitation de l’activité du neurone est sélective. Elle ne se produit pas si la saccade ne se
fait pas dans le champ récepteur du neurone. (d) La facilitation est également observée lorsque la
tâche assignée à l’animal demande en plus de relâcher le levier lorsque la cible diminue d’intensité
lumineuse. (Source : adapté de Wurtz, Goldberg et Robinson, 1982, p. 128.)
742 3 – Cerveau et comportement

Écran 1 Écran 2

Présentation
Point de Stimulus
fixation Arrêt

Champ Réponse d’un


récepteur neurone de l’aire
V4 quand les
Localisation stimuli efficaces
attendue sont présentés
dans l’endroit
attendu du champ
(a) Attente des stimuli efficaces récepteur

Écran 1 Écran 2
Présentation
Stimulus
Arrêt

Réponse d’un
neurone de l’aire
Localisation V4 quand les
attendue stimuli inefficaces
sont présentés dans
l’endroit attendu du
champ récepteur

(b) Attente des stimuli inefficaces

Figure 21.12 – Stimuli visuels utilisés pour étudier les effets de l’attention sur les neurones de l’aire visuelle corticale V4.
Les cercles en jaune indiquent si le singe attend l’apparition de la cible à gauche (a) ou à droite (b) du champ récepteur. Pour ce neurone, les barres de
couleur rouge produisent une réponse du neurone, mais pas celles de couleur verte. Bien que le stimulus soit toujours le même, la réponse du neurone
est plus importante lorsque l’attention est dirigée vers le stimulus efficace. (Source : adapté de Moran et Desimone, 1985, p. 782.)

encore présentés dans le champ récepteur. En fait, ce n’est pas ce qui se produit.
Bien que les stimuli soient identiques, les réponses des neurones de V4 sont en
moyenne réduites de plus de la moitié lorsque l’attention se concentre sur la
partie du champ visuel qui contient les stimuli inefficaces. Tout se passe comme
si le champ récepteur s’était rétréci autour de la zone où le stimulus est attendu,
rendant moins efficace la réponse au stimulus lorsque celui-ci apparaît dans une
zone où il n’est pas attendu. La spécificité de lieu de l’attention démontrée par
ces expériences est en relation directe avec ce qui a pu être observé dans d’autres
expériences sur les phénomènes perceptifs effectuées chez l’homme. En termes
de perception, la détection est améliorée à l’endroit où l’attention se déplace par
rapport à l’endroit qui est ignoré. La différence de capacité de détection repose
sur les processus fonctionnels activés par les stimuli efficaces à l’endroit où se
concentre l’attention.

Circuits neuronaux impliqués


dans le contrôle de l’attention
Nous avons vu que l’attention a des effets positifs sur les processus visuels,
et qu’elle est à même d’affecter la sensibilité de certains neurones visuels. Telles
sont les conséquences de l’attention ! Dans ce qui suit nous allons maintenant
nous intéresser aux processus qui sont susceptibles de guider l’attention. Cet
aspect des processus attentionnels est plus difficile à aborder du fait de l’impli-
cation de très nombreux réseaux neuronaux impliquant des structures corticales
et sous-corticales très largement réparties dans le cerveau. De nombreuses expé-
riences suggèrent ainsi que les circuits responsables des saccades oculaires jouent
un rôle-clé dans le guidage des processus attentionnels. Ceci est en accord avec
les observations effectuées chez l’homme, où les saccades sont dirigées vers des
objets d’intérêt pour le sujet. Il n’est de fait pas question ici de passer en revue
toutes les structures ainsi impliquées dans ces mouvements particuliers, mais
juste de souligner la contribution potentielle de quelques-unes d’entre elles.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 743

Le pulvinar, une composante sous-corticale.  Une des structures concernées


par l’attention dirigée est le pulvinar, un noyau du thalamus postérieur. Cette
structure est intéressante, à plusieurs égards. Comme dans d’autres aires du
néocortex que nous avons mentionnées, les neurones du pulvinar répondent de Thalamus
façon plus importante lorsque le singe attend un stimulus dans un champ récep- Pulvinar
teur donné, par comparaison à ce qu’est leur réponse lorsque le même stimulus
est présenté dans la même région mais l’attention est dirigée ailleurs. Par ailleurs,
il existe un réseau de connexions réciproques entre le pulvinar et la plus grande
partie des aires corticales visuelles des lobes frontaux, pariétaux, et occipitaux,
à travers lesquelles il pourrait moduler l’activité d’une vaste région corticale
(Fig. 21.13). En accord avec cette observation anatomique, il a été montré chez le
singe que lorsque l’attention est attirée vers un champ récepteur du pulvinar, il se
produit une synchronisation de l’activité des neurones du pulvinar, de l’aire V4,
et de l’aire IT, ce qui renforce l’hypothèse du rôle régulateur du pulvinar de
l’information afférente au cortex visuel.
Les personnes présentant des lésions unilatérales du pulvinar éprouvent de la
Figure 21.13 – Projections du pulvinar vers
difficulté à déplacer leur attention sur des objets situés du côté controlatéral par
le cortex cérébral.
rapport à la lésion. Ils réagissent de façon anormalement lente aux stimuli pré- Le pulvinar est situé au niveau du thalamus
sentés du côté controlatéral, en particulier lorsque ceux-ci sont en compétition postérieur. Il envoie des projections très larges
avec des stimuli se présentant du même côté que la lésion. Ce déficit correspon- vers différentes régions du cortex cérébral
drait à un affaiblissement de la capacité de concentration de l’attention sur les incluant les aires V1, V2, MT, le cortex pariétal,
objets situés dans le champ visuel controlatéral. Un phénomène similaire a été et le cortex temporal inférieur.
observé chez le singe en injectant unilatéralement dans le pulvinar du muscimol,
un agoniste du GABA, qui supprime l’activité des neurones. En ce qui concerne
les effets sur le comportement, l’injection entraîne des difficultés à déplacer l’at-
tention sur les stimuli situés dans le champ controlatéral, comme avec les lésions
du pulvinar chez l’homme. De façon intéressante, l’injection de bicuculline, un
antagoniste du GABA, semble faciliter le déplacement de l’attention du côté
controlatéral.

Processus attentionnels et mouvements des yeux.  Tirin Moore et ses collè-


gues, alors à l’Université de Princeton, ont examiné une aire corticale particu-
lière nommée frontal eye field (FEF) (Fig. 21.14). Il existe de nombreuses rela-
FEF
tions anatomiques entre le FEF et la plupart des aires connues pour influencer
l’attention, incluant les aires V2, V3, V4, MT, et le cortex pariétal. Les neurones
du FEF possèdent des champs moteurs, représentant de petites zones du champ
visuel dans lesquelles l’activation de chaque groupe de neurones provoque spé-
cifiquement le déplacement des yeux. La stimulation électrique du FEF chez le
singe provoque ainsi une saccade oculaire orientée vers le champ moteur des
neurones stimulés.
Dans l’une des expériences, Moore et ses collaborateurs ont entraîné un singe
à détecter des spots de lumière sur l’écran d’un ordinateur. Ayant placé une élec-
trode dans le FEF, ils sont à même de caractériser le champ moteur des neurones Figure 21.14 – Localisation du frontal eye
situés à la pointe de l’électrode. La tâche de l’animal est de fixer le centre de field (FEF) dans le cortex du macaque.
l’écran, tout en portant son attention sur l’un des spots lumineux représentant Le FEF est impliqué dans la production des
la cible désignée par l’expérimentateur. À chaque essai, s’il perçoit que le spot mouvements saccadiques des yeux et pour-
s’éteint, le singe doit déplacer un levier. S’il ne perçoit pas de changement de la rait jouer un rôle dans l’attention dirigée.
cible, le singe ne doit pas déplacer le levier. En jouant sur l’éclairement plus ou
moins intense de la cible, l’expérimentateur détermine le seuil de discrimination
du changement d’état de la cible visuelle. Cette tâche est rendue plus difficile par
la présence de nombreux spots en plus de la cible elle-même, qui clignotent de
façon aléatoire et agissent ainsi comme des signaux de distraction (Fig. 21.15a).
À l’insu de l’animal, dans certains essais le paradigme expérimental associe
une stimulation électrique du FEF, à l’aide d’une électrode implantée. Dans cette
expérience, le courant appliqué à l’électrode n’est pas suffisant en lui-même pour
provoquer des déplacements des yeux, et l’animal continue à fixer le centre de
l’écran. L’objectif est alors de voir si la faible stimulation du FEF peut contri-
buer à accroître la discrimination du spot en cours d’extinction, c’est-à-dire
induire en quelque sorte une attention « accrue ». Les résultats sont présentés à
la figure 21.15b. L’histogramme montre que lorsque la cible lumineuse est située
744 3 – Cerveau et comportement

Point de fixation dans le champ moteur des neurones, le seuil de détection du spot est environ
10 % plus faible en présence de la stimulation par rapport à la situation témoin
où le cortex n’est pas stimulé. La partie droite de l’histogramme montre que la
Distracteur Champ performance n’est pas accrue et peut même être détériorée par la stimulation
moteur lorsque la cible n’est pas située dans le champ moteur des neurones stimulés.
Cible
Comme cela avait été prévu, la stimulation électrique du FEF améliore la per-
formance de la même manière que l’aurait fait une attention accrue. De plus, les
Levier
effets de la stimulation électrique sont spécifiques de la partie stimulée, en accord
avec la modulation attentionnelle normalement effectuée.
Dans ce cas, si les résultats de ces expériences signifient que le FEF corres-
pond à une partie d’un système impliqué dans le contrôle de l’attention dirigée,
(a)
comment cela peut-il fonctionner ? Une possibilité est qu’une copie de l’activité
20
du FEF indiquant la direction de la saccade à effectuer soit transmise à la région
en présence de la stimulation
Seuil de détection de la cible

corticale impliquée dans la réalisation de la saccade, de façon à accroître son acti-


10
vité. Les travaux de Moore et de ses collaborateurs ont exploré cette hypothèse
en enregistrant l’activité des neurones de l’aire V4 au cours de la stimulation
FEF (%)

du FEF. L’objectif était de placer les électrodes de stimulation et d’enregistre-


0
ment, de telle manière que le champ moteur des neurones stimulés dans le FEF
recouvre au moins en partie le champ récepteur visuel des neurones enregistrés
–10
dans V4. Un stimulus visuel était utilisé pour activer les neurones de l’aire V4
et, après un délai de 500 ms, le FEF était à son tour stimulé électriquement dans
– 20
Cible à l’intérieur Cible à l’extérieur
quelques essais. La figure 21.16 montre que lorsque le FEF était stimulé (avec
du champ du champ un courant en dessous du seuil d’évocation de la saccade oculaire), l’activité des
(b) moteur moteur neurones de V4 était augmentée (en rouge) par rapport à la réponse enregistrée
Figure 21.15 – Effets de la stimulation du lorsque le FEF n’était pas stimulé (en noir). En l’absence de stimulation visuelle
FEF sur le seuil de détection des cibles pour activer les neurones de l’aire V4, il n’y avait aucun effet de la stimulation
visuelles. du FEF sur la décharge des neurones de V4, suggérant que l’augmentation de
(a) Un singe est entraîné à détecter des spots réponse de ces neurones correspondait bien à une augmentation de la réponse
visuels sur un écran d’ordinateur. Tous les visuelle plutôt qu’étant la conséquence directe de la stimulation électrique.
spots clignotent à l’exception de la cible, qui L’ensemble de ces résultats suggère ainsi que le FEF mime à la fois les effets
s’éteint. Le singe doit alors libérer le levier physiologiques et comportementaux des processus attentionnels. D’autres
lorsqu’il perçoit que la cible s’éteint. (b) Si
équipes ont obtenu des résultats similaires, mais cette fois par stimulation du
la cible se trouve dans le champ moteur des
colliculus supérieur, une autre structure impliquée dans le déclenchement des
neurones du FEF stimulés, la stimulation de
ces neurones rend la détection de la cible saccades oculaires. Ces données fournissent alors l’exemple d’un système où le
plus sensible (réponse pour une cible moins contrôle de la direction de l’attention est intégré dans un système plus global
lumineuse). Si elle se situe dans une partie utilisé pour déplacer le regard.
du champ visuel qui n’est pas dans le champ
moteur, alors le seuil de détection se trouve
moins performant. (Source : adapté de Moore
Stimulation du FEF Enregistrement des neurones de V4
et Fallah, 2001, Fig. 1.)

Stimulation du FEF
des neurones V4
Activité

80

0 750
(a) (b) Temps (ms)

Figure 21.16 – Effets de la stimulation du FEF sur l’activité des neurones de l’aire visuelle V4.
(a) Un faible courant électrique est appliqué au FEF en même temps que l’activité des neurones est
enregistrée dans V4. (b) Un stimulus visuel est appliqué dans le champ récepteur des neurones de
V4 au temps zéro de l’expérience. L’histogramme montre que la réponse du neurone enregistré est
maximale après une courte latence et qu’elle décline rapidement ensuite. Dans une seconde partie
de l’expérience le FEF est stimulé électriquement après 500 ms (flèche), mais seulement dans les
essais notés de couleur rouge et non dans ceux rapportés en noir. Pendant les 500 premières ms,
il n’y a pas de différence entre les réponses du neurone de l’aire V4 à la stimulation visuelle. Après
le délai de 500 ms, la réponse du neurone est plus importante lorsque la stimulation électrique est
appliquée dans le FEF (essais de couleur rouge) par rapport à celle mesurée lorsqu’il n’y a pas de
stimulation du FEF (couleur noire). (Source : adapté de Moore et Armstrong, 2003, p. 371.)
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 745

L’attention dirigée. La recherche de mécanismes neuronaux impliqués


dans l’attention dirigée implique que cette question soit abordée sous le double
aspect de l’attention attirée par un stimulus, ce que nous avons nommé plus
haut « attention exogène » («  bottom-up »), d’une part, et de l’attention por-
tée à des objets d’importance pour une interaction avec l’environnement ou
« attention endogène » («  top-down »), d’autre part. L’une des hypothèses les
plus communes pour rendre compte du fait que certains éléments visuels captent
immédiatement notre attention (le fameux pissenlit jaune dans la pelouse verte)
se réfère à l’idée introduite par Laurent Itti et Christof Koch à Caltech, connue
sous le terme de salience map. Il s’agit de considérer que ce mécanisme contri-
bue à focaliser des ressources perceptuelles et cognitives limitées sur des élé-
ments particuliers, relayés sous forme d’informations sensorielles afin de mieux
les appréhender. Plutôt que de correspondre à des cartes cognitives en rapport
avec la localisation des objets, ce type de mécanisme attire l’attention vers des
éléments visibles remarquables. Ce concept est illustré à la figure 21.17. Dans le
chapitre 10, nous avons vu que le système visuel présente de nombreux neurones
sélectivement activés par une variété de stimuli, soit par l’orientation, soit par

Scène visuelle
Extraction
Couleur. Rouge, vert, bleu,
des caractéristiques
globales de la scène jaune, etc.

Intensité.
Forte, faible, etc.

Orientation. 0°, 45°,


90°, 135°, etc.

Autre. Déplacement,
positionnement
dans le paysage,
relief, forme à partir
des ombres, etc.

Déplacement de
l’attention vers l’objet

Rétro-inhibition évitant
de bloquer l’attention
sur cet objet
Objet sélectionné
Différences
Représentation cérébrale centre-périphérie
des caractéristiques de l’objet
de l’objet (saliency map) et repères spatiaux

Représentation
des caractéristiques
de l’objet

Combinaison
des
caractéristiques
Contrainte
cognitive
contribuant à la
sélection de l’objet
(top-down process)

Figure 21.17 – Diriger l’attention à partir des caractéristiques du stimulus (salience map).


L’une des hypothèses principales pour le guidage de l’attention se réfère à l’existence d’une représentation du stimulus (salience map) pour déterminer
où et sur quoi l’attention doit se fixer. L’information visuelle est ainsi analysée par les neurones sensibles à ce stimulus en utilisant ses caractéristiques
propres et d’autres de ses propriétés remarquables qui le distinguent (forme, couleur, intensité, mouvement, orientation, etc.). La représentation dans
l’espace de ces différentes caractéristiques désigne de fait l’emplacement sur lequel l’attention doit être dirigée en prenant en compte des modi-
fications susceptibles d’intervenir en termes de changement de couleur, d’éclairement, de contour, etc. Ces éléments caractéristiques permettent
alors d’identifier la zone d’intérêt sur laquelle l’orientation doit se déplacer, dans le cas illustré sur la figure le sac contenant l’argent. Pour éviter que
le système ne se bloque sur un objet, le dispositif prévoit qu’un objet qui vient d’être soumis à une fixation de l’attention ne peut pas à nouveau être
sélectionné immédiatement comme étant la nouvelle cible (« l’inhibition en retour »). Comme cela est indiqué dans la partie droite, en bas de la figure,
l’attention est également dirigée à partir de facteurs internes, d’ordre cognitif. (Source : Itti et Koch, 2001, Fig. 1.)
746 3 – Cerveau et comportement

le déplacement (mouvement), ou encore la couleur, et que le cortex visuel est


organisé sur la base de ces caractéristiques (comme par exemple les colonnes
d’orientation). Le premier niveau de ces modèles faisant état de véritables cartes
de captation de l’intérêt des stimuli représente une forme de cartographie de ces
caractéristiques individuelles, permettant de distinguer des éléments particuliers
avec un fort effet de contraste ; par exemple un effet de déplacement de droite à
gauche ou l’inverse, ou un effet de couleur du rouge au vert, etc. Sur la base d’in-
teractions neuronales intervenant à l’intérieur même de la représentation, une
forme de compétition peut alors intervenir pour supprimer les réponses à faible
impact de contraste. La sélection de ces informations basées sur le contraste
alimente ces cartes, indépendamment des caractéristiques propres des stimuli, et
préside à l’orientation de l’attention vers ces éléments à fort effet de contraste.
Toutefois, pour éviter que l’attention reste « collée » sur cet objet, il est proposé
un mécanisme d’inhibition en retour, qui évite que l’attention soit de nouveau
immédiatement déplacée vers le même objet.
Un tel modèle rend compte des processus susceptibles d’être mis en œuvre
lorsque l’attention est attirée vers un objet. Ce modèle de la figure 21.17 peut être
complété en ajoutant la possibilité d’une action cognitive pour diriger encore
plus précisément l’attention (action top-down), en tenant compte par exemple
des caractéristiques de l’objet («  Je recherche un ami qui porte un chapeau
rouge »). Cette dimension vient enrichir les éléments qui étaient distingués sur
la base du contraste (« Je me souviens que la figure-clé de cet ouvrage était située
sur le côté droit de la page »). Dans ce cas, le modèle visant à décrire comment
Aire LIP
l’attention est dirigée vers un objet n’est pas seulement lié aux effets de contraste
Sillon du stimulus dans son environnement (action bottom-up), mais il prend égale-
Sillon central
intrapariétal ment en compte une certaine priorisation (formalisé sous le vocable de priority
map) quant à la fixation de l’attention sur le dit objet. En d’autres termes, des
éléments de priorisation d’ordre cognitif (action top-down) interviennent aussi
pour faciliter le guidage de l’attention.
La gestion des priorités à partir du lobe pariétal.  Les dispositifs qui gou-
vernent le guidage de l’attention, que ce soit à partir de la détection du stimulus
lui-même (salience map), ou à partir de considérations d’ordre cognitif sur la
pertinence de la priorisation du stimulus (priority map), ont été étudiés principa-
lement à partir des aires corticales visuelles (par exemple V1 ou V4). Dans une
série de travaux très originaux, Michael Goldberg, à Columbia University (New
York), John Bisley à UCLA (University of California, Los Angeles) et leurs col-
laborateurs, ont montré que l’aire corticale latérale intrapariétale (aire LIP pour
lateral intraparietal cortex) contribue à organiser la priorité de la direction de
Figure 21.18 – Localisation de l’aire LIP, à
l’intérieur du sillon intrapariétal dans le cer- l’attention (Fig. 21.18). L’aire LIP joue un rôle important en orientant la direc-
veau du macaque. tion du regard, une fonction clairement en rapport avec le guidage de l’attention.
Les neurones de l’aire LIP (cortex intrapariétal) Des lésions du cortex pariétal sont de fait associées avec ce que l’on nomme le
sont impliqués dans le guidage des mouve- syndrome de négligence, dans lequel les patients sont dans l’incapacité d’appré-
ments des yeux et l’orientation de l’attention. hender une partie de leur environnement (Encadré 21.2).

Encadré 21.2 FOCUS

Syndrome d’héminégligence spatiale


Dans le chapitre 12, le syndrome de négligence dans vées. Dans les cas les moins graves, le comportement peut
lequel le sujet paraît ignorer les objets, les gens et parfois la passer inaperçu, mais dans les cas plus sévères le patient se
moitié de leur propre corps en rapport avec les hémichamps comporte comme s’il ignorait tout ce qui survient dans une
visuels, a été évoqué. Certains auteurs pensent que le syn- moitié de son univers : il se rasera seulement un côté du
drome constitue un déficit de l’attention unilatéral. Les visage, ne se brossera les dents que d’un côté, ne vêtira
manifestations du syndrome de négligence sont parfois si qu’un côté de son corps, et il ne mangera que la nourriture
étranges qu’il est difficile d’y croire si on ne les a pas obser- située sur un seul côté de l’assiette placée devant lui.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 747

Encadré 21.2 FOCUS  (suite)

Comme le syndrome de négligence se trouve moins phère droit. Une des hypothèses est que l’hémisphère
fréquemment observé à la suite de lésions de l’hémis- gauche est impliqué dans les processus attentionnels
phère gauche, il a d’abord été considéré que ce syndrome reliés aux objets situés dans le champ visuel droit, alors
était en relation avec une ignorance de la moitié gauche que l’hémisphère droit est impliqué dans les processus
de l’espace due à une lésion du cortex cérébral du côté attentionnels reliés aux objets situés dans les champs
droit. Parfois, cependant, le patient n’ignore pas seule- visuels de droite et de gauche. Cela pourrait rendre
ment les objets situés à sa gauche : il nie leur existence. compte de l’asymétrie des résultats des lésions des
Par exemple, ce type de patients dira que sa main gauche hémisphères gauche et droit, mais il reste à le prouver.
n’est pas réellement paralysée ou, dans des cas extrêmes, Enfin, une dernière caractéristique de ces syndromes
il refusera de croire que son bras ou sa jambe gauche fait d’héminégligence est qu’ils sont susceptibles de récupé-
partie de son corps. La figure 12.24 du chapitre 12 est ration partielle ou même totale, à l’échelle de plusieurs
l’exemple typique de la perception déformée de l’espace mois (notez dans la figure A l’évolution avec le temps
chez ces patients. Dans une épreuve de dessin, il n’utili- des autoportraits que l’artiste a réalisés).
sera que la partie droite de la feuille, sans toucher à
l’autre moitié. La figure A illustre de façon particulière-
ment dramatique ce phénomène, avec les reproductions
des tableaux effectués par un artiste après un accident
vasculaire.
Si l’on demande à une personne souffrant d’un syn-
drome de négligence de fermer les yeux et de montrer la
ligne médiane de son corps, elle désigne de manière
caractéristique un point situé trop loin sur la droite,
comme si la moitié gauche avait rétréci. S’il est demandé
aux patients d’explorer les objets situés sur une table
devant eux avec les yeux bandés, ils se comportent nor-
malement avec les objets placés sur le côté droit de la
table, mais explorent à l’aveuglette les objets situés à
gauche. Tous ces exemples illustrent les difficultés de ces
patients dans leur relation à l’espace.
Le syndrome de négligence est fréquemment associé
aux lésions du cortex pariétal postérieur de l’hémisphère
droit, mais il a été également rapporté des cas consécu-
tifs à des lésions du cortex préfrontal, du cortex cingu-
laire et d’autres aires de l’hémisphère droit. Il est ainsi
proposé que le cortex pariétal postérieur soit impliqué
dans l’attention portée aux objets situés en divers
endroits de l’espace extrapersonnel. Si cette hypothèse
est vraie, le syndrome de négligence correspondrait à
une suppression de la capacité d’orienter l’attention.
Une des preuves en faveur de cette hypothèse est que les
objets situés dans le champ visuel des patients souffrant
d’un syndrome de négligence attirent anormalement
l’attention, et les patients peuvent ainsi avoir des diffi-
cultés à détourner leur attention d’un objet situé de ce Figure A – Autoportraits réalisés par un artiste atteint d’un syndrome
côté. d’héminégligence spatiale suite à un accident vasculaire cérébral
La raison pour laquelle le syndrome de négligence (AVC). Deux mois après l’AVC affectant le cortex pariétal de l’hémis-
est plus fréquent avec les lésions de l’hémisphère droit phère droit, l’artiste a réalisé l’autoportrait illustré en haut à gauche. Il
n’existe aucune représentation de la partie gauche du visage. Environ
qu’avec celles de l’hémisphère gauche est encore incon-
3,5 mois après l’AVC, quelques détails apparaissent dans la partie
nue. Le rôle de l’hémisphère droit semble prépondérant gauche du tableau, sans que l’on trouve une représentation aussi
dans la relation à l’espace, et dans les études de sujets précise que celle de la partie droite du visage (en haut, à droite). Après
split-brain, il est plus apte à trouver une solution pour les 6 et 9 mois (partie basse de la figure, gauche et droite, respective-
casse-tête complexes. Cela correspond à une plus grande ment), la partie gauche de la représentation du visage est de mieux en
négligence de l’espace associée aux lésions de l’hémis- mieux traitée. (Source : Posner et Raichle, 1994, p. 152.)
748 3 – Cerveau et comportement

Saccade oculaire amenant Saccade oculaire amenant


Etoile flashée le stimulus dans le champ le stimulus dans le champ récepteur
dans le champ récepteur récepteur du neurone après que celui-ci ait été flashé

Champ récepteur

PF PF PF

50 décharges/s

(a) Début de Fin de (b) Fin de la (c) Fin de la


présentation présentation saccade saccade
de l’étoile de l’étoile oculaire oculaire
Présentation
du stimulus étoile

Figure 21.19 – Mise en évidence d’une priorisation basée sur les caractéristiques d’un stimulus
(bottom-up) dans l’aire LIP.
(a) Ce neurone de l’aire LIP répond lorsque le stimulus efficace, ici en forme d’étoile, est flashé
dans le champ récepteur de ce neurone. (b) Ce neurone produit une réponse de moindre ampli-
tude lorsque l’ensemble des 8 stimuli différents, incluant celui en forme d’étoile, sont présentés
ensembles, avant la saccade oculaire qui amène l’étoile dans le champ récepteur de ce neurone.
(c) Si le stimulus en forme d’étoile est présenté 500 ms avant la saccade oculaire, le neurone de
l’aire LIP répond fortement après que la saccade soit intervenue. PF : point de fixation du regard.
(Source : adapté de Bisley et Goldberg, 2010, Fig. 2.)

Une expérience très simple démontre l’intervention des éléments externes


(salience map) dans la capacité que vous avez à vous mouvoir dans votre appar-
tement : en aucun cas vous ne portez une attention particulière à votre vieux sofa
ou à tel ou tel aspect de l’éclairage fixé au mur, mais en revanche votre attention
sera inévitablement captée par les sauts de votre petit chiot venant à votre ren-
contre. Dans l’expérience, un singe est placé face à un écran d’ordinateur et l’en-
registrement de l’activité des neurones dans l’aire LIP montre que ces neurones
répondent à la présentation sous forme de flash d’un stimulus visuel aux allures
d’une étoile sur l’écran (Fig. 21.19a). Dans un deuxième temps de l’expérience,
ce sont maintenant huit stimuli différents qui sont présents sur l’écran et l’un
d’entre eux correspond à l’étoile. L’animal fixe initialement un point situé en
bas de l’écran, de telle manière que le champ récepteur du neurone de l’aire LIP
n’englobe aucun de ces objets. Lorsque le point de fixation du regard est déplacé
au centre de l’écran, l’animal produit alors une saccade oculaire qui amène le
stimulus en forme d’étoile dans le champ récepteur du neurone. La figure 21.19b
illustre le fait qu’il n’y a qu’une très faible réponse à ce déplacement du regard.
Dans une troisième partie de l’expérience, l’animal fixe comme initialement le
point situé en bas de l’écran et tous les stimuli sont présentés à l’exception de
celui en forme d’étoile, aucun des stimuli étant situé dans le champ récepteur du
neurone. Puis, environ 500 ms avant que l’animal ne produise la saccade oculaire
pour déplacer son regard sur le point de fixation central, le stimulus en forme
d’étoile est présenté. Dans ce cas, lorsque le point de fixation du regard au centre
de l’écran est activé, l’animal produit sa saccade oculaire vers ce nouveau point
de fixation du regard et le neurone répond fortement à la présentation de l’étoile
(Fig. 21. 19c). Notez alors que dans cette dernière version de l’expérience l’étoile
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 749

n’est pas présente dans le champ récepteur du neurone lorsqu’elle est éclairée.
Au moment où les yeux se déplacent et que l’étoile entre dans le champ récepteur
du neurone de l’aire LIP, les huit objets présentés sur l’écran sont identiques à
ceux qui étaient présentés dans la deuxième partie de l’expérience. Ainsi appa-
raît-il que la forte réponse du neurone enregistrée dans la troisième partie de
l’expérience est liée à la présentation du stimulus étoile juste avant que celui-ci
entre dans le champ récepteur du neurone. L’hypothèse est alors que l’activation
du stimulus capte l’attention de l’animal et que ceci augmente la réponse du
neurone. Cet effet est tout à fait en accord avec l’hypothèse de l’appartenance du
neurone de l’aire LIP à la salience map, dans laquelle l’activité du neurone est
fortement modulée par un stimulus externe (action bottom-up).
Dans une variante de cette expérience, il est possible d’explorer l’action
cognitive endogène (action top-down). L’expérience utilise à nouveau les huit
stimuli différents, qui sont présentés en permanence (pas de flash de ces stimuli).
Comme précédemment l’animal doit fixer son regard sur une position de départ,
de telle manière qu’aucun de ces stimuli n’est situé dans le champ récepteur du
neurone de l’aire LIP enregistré. L’un de ces stimuli est alors modifié, en ce sens
qu’il est présenté de façon clignotante, indiquant par-là à l’animal lequel de ces
stimuli est significatif pour obtenir une récompense. Dans le cas illustré à la
figure 21.20, c’est le stimulus en forme d’étoile qui est utilisé comme stimulus
signifiant. Au départ, le neurone de l’aire LIP ne répond pas à la présentation
de l’étoile car celle-ci n’est pas située dans son champ récepteur (Fig. 21.20a). Le
point de fixation est ensuite déplacé au centre de l’écran, et le singe produit une
saccade oculaire pour placer ce point sur la fovéa, ce qui a pour conséquence
d’amener l’étoile dans le champ récepteur du neurone enregistré et d’augmenter
son activité (Fig. 21.20b). Et finalement l’animal produit une seconde saccade
dirigée vers le stimulus signifiant, c’est-à-dire l’étoile (Fig. 21.20c), ce qui met
fin à la décharge du neurone. Il est alors intéressant de comparer cette réponse
neuronale à celle produite par un stimulus identique lorsque la cible ne corres-
pond pas au stimulus qui entre dans le champ récepteur du neurone. Comme
précédemment, il n’y a pas de réponse à la présentation de la cible, maintenant
matérialisée par un triangle et non plus par l’étoile (Fig. 21.20d). Lorsque l’ani-
mal produit la première saccade oculaire, l’étoile entre dans le champ récepteur
du neurone mais dans ce cas la réponse est beaucoup plus faible qu’auparavant
(Fig. 21.20e). Et finalement, l’animal produit la seconde saccade vers le triangle
(Fig. 21.20f).
Notez alors que dans les deux premières expériences les conditions dans les-
quelles l’animal produisait la saccade oculaire étaient liées à la présentation d’un
stimulus stable représenté par une étoile qui ne clignotait pas, saccade qui ame-
nait le stimulus dans le champ récepteur du neurone. À partir de la figure 21.19,
il est ainsi possible de conclure qu’en l’absence du caractère clignotant du sti-
mulus, qui vise à accroître son attractivité, le neurone de l’aire LIP ne répond
pas de façon particulière au stimulus étoile lorsque celui-ci est dans son champ
récepteur. À la figure 21.20b la réponse du neurone est beaucoup plus impor-
tante qu’à la figure 21.20e, probablement du fait d’un signal top-down infor-
mant le neurone LIP que dans les situations précédentes c’était le stimulus en
forme d’étoile qui était important (pour planifier la seconde saccade), même
lorsque celui-ci n’est pas clignotant. D’autres expériences du même type ont
alors contribué à émettre l’hypothèse que les neurones de l’aire LIP représentent
des éléments de priorisation de l’attention visuelle.
Le réseau frontopariétal des processus attentionnels.  Au fur et à mesure que
progressent les connaissances sur les aires cérébrales impliquées dans le contrôle
des processus attentionnels, et celles qui contribuent à la priorisation du déplace-
ment de l’attention, un schéma prend forme sur les circuits possiblement impli-
qués dans une prise en charge plus globale de ces processus attentionnels. Les
régions ainsi concernées forment ce que l’on nomme le réseau frontopariétal des
processus attentionnels (Fig. 21.21).
Dans le cadre des régulations des processus attentionnels d’origine externe
(bottom-up), les informations transmises au travers des aires visuelles du lobe
occipital atteignent l’aire LIP, où la première étape critique pourrait être la mise
750 3 – Cerveau et comportement

Cible flashée Première saccade Seconde saccade


vers le centre de l’écran vers le stimulus cible

Champ récepteur PF

Cible

50 décharges/s PF

(a) Présentation (b) Fin de la (c) Fin de la


du stimulus première saccade seconde saccade

Cible flashée Première saccade Seconde saccade


vers le centre de l’écran vers le stimulus cible

Champ récepteur PF

Cible

PF
50 décharges/s

(d) Présentation (e) Fin de la (f) Fin de la


du stimulus première saccade seconde saccade

Figure 21.20 – Mise en évidence d’une priorisation basée sur des considérations cognitives


(top-down) dans l’aire LIP.
(a) Des stimuli de petite taille en forme d’étoile sont flashés devant le singe pour lui indiquer quel
type de stimulus sera important. Au départ, le stimulus cible (l’étoile) est situé en dehors du champ
récepteur du neurone de l’aire LIP, ce qui se traduit par une absence de réponse du neurone à la
présentation du stimulus. (b) L’animal produit une première saccade oculaire pour amener son
regard au centre de l’écran, ce qui a pour effet de placer le stimulus en forme d’étoile dans le
champ récepteur du neurone. Dans ces conditions, le neurone répond à la présentation du stimu-
lus. (c) Le singe produit une seconde saccade oculaire vers le stimulus en forme d’étoile. (d) Dans
une seconde partie de l’expérience toujours associée à l’enregistrement du même neurone de l’aire
LIP, la cible est maintenant en forme de triangle. (e) Dans ce cas, la réponse à la présentation de
l’étoile est fortement réduite par rapport à la situation précédente, en rapport avec le fait que la
cible est devenue le triangle. (f) Le singe produit alors une saccade oculaire dirigée vers le triangle.
PF : point de fixation du regard. (Source : adapté de Bisley et Goldberg, 2010, Fig. 4.)
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 751

Attention dirigée par des mécanismes


de type bottom-up LIP

FEF V4

Cortex
préfrontal V1, V2
latéral

Figure 21.21 – Représentation hypothétique
du réseau sous-tendant les mécanismes
attentionnels chez le macaque.
(a) Dans le cas de mécanismes à point de
départ périphérique (bottom-up), l’information
(a)
relative à l’objet d’intérêt est transférée des
Pulvinar et colliculus supérieur
aires visuelles à l’aire LIP (cortex intraparié-
Attention dirigée par des mécanismes
tal), où est élaborée la représentation de l’ob-
de type top-down jet avec ces caractéristiques remarquables
LIP
(salience map). Des signaux relatifs à l’atten-
FEF V4 tion sont également enregistrés très tôt dans
le cortex préfrontal et le frontal eye field (FEF),
des régions qui interagissent avec l’aire LIP.
Les signaux émis par l’aire LIP et le FEF pour-
raient être à l’origine du changement de direc-
Cortex tion du regard et ainsi contribuer à accroître le
préfrontal V1, V2 traitement des informations visuelles dans le
latéral
cortex visuel occipital. (b) Lorsque les proces-
sus de guidage de l’attention font intervenir
des instructions descendantes (top-down), la
modulation de l’activité des aires corticofron-
tales intervient très tôt et les signaux envoyés
aux autres structures cérébrales influencent
le mouvement des yeux et la perception
consciente de l’objet. Flèches de couleur
noire : signaux de type bottom-up ; flèches
(b) Pulvinar et colliculus supérieur
de couleur rouge : signaux de type top-down.

en place d’une véritable représentation (salience map) des objets remarquables


présents dans le champ de vision (voir Fig. 21.21a). Le FEF pourrait contribuer
à cette salience map mais dans ce cas cette région interviendrait dans le proces-
sus après l’aire LIP. Dès lors, au travers de connexions en retour vers les aires
visuelles et vers les régions impliquées dans la commande des mouvements des
yeux, c’est tout le processus de détection d’un objet particulier du champ visuel
qui est augmenté, et dans ce cas une saccade oculaire est opérée pour placer cet
objet sur la fovéa.
Le contrôle descendant top-down de l’attention est gouverné quant à lui par
des considérations d’ordre comportemental impliquant très vraisemblablement
de façon critique les aires corticales frontales. Les enregistrements effectués dans
de nombreuses aires montrent alors que les processus attentionnels relèvent
d’une véritable séquence temporelle impliquant d’abord le lobe frontal (cortex
préfrontal et FEF), puis progressivement les aires LIP, V4 et MT, V2 et enfin
V1 (voir Fig. 21.21b). Les relations causales entre ces différentes aires corticales
restent à élucider, mais il est possible de spéculer que les objectifs comportemen-
taux sont établis dans les lobes frontal et pariétal, de telle manière qu’une priori-
sation est donnée à partir des aires LIP et FEF (priority map). Dans ce cas alors,
la modulation de l’activité des aires visuelles corticales augmente la perception
de ces objets particuliers. Certaines de ces aires corticales, dont l’aire LIP, le FEF
et le colliculus supérieur, sont par ailleurs impliquées pour orienter la saccade
oculaire, de telle manière qu’elle fixe le regard sur les objets faisant l’objet d’une
attention ainsi particulière.
752 3 – Cerveau et comportement

Conscience
Dans les premiers chapitres nous avons vu comment l’information relative
au monde qui nous entoure est transmise au cerveau. Dans le but de réaliser des
tâches comportementales spécifiques, nous avons vu aussi comment nous pou-
vons extraire de cette information globale des informations particulières rela-
tives aux objets sur lesquels porte tout notre intérêt. Il est ainsi vraisemblable
que tous les animaux procèdent de cette manière pour extraire une information
spécifique. Dans ce cas, l’idée est que cette information sensorielle « globale »
est analysée avec une faible résolution, possiblement en utilisant le « mode par
défaut », et qu’à ce moment seules les informations sensorielles d’importance
particulière sur le moment fassent l’objet d’une analyse plus poussée. Dans ce
contexte, considérons maintenant la dernière étape de ce processus impliquant
une cascade d’événements neuronaux, qui nous amène à avoir conscience du
monde qui nous entoure et dans lequel nous évoluons.
À ce stade, une remarque s’impose : les chercheurs en neurosciences ont une
propension à avoir une attitude matérialiste vis-à-vis des processus sous-jacents
à l’état de conscience, suggérant que la conscience émane de la matière, c’est-
à-dire du fonctionnement du cerveau. Comme n’importe quelle autre produc-
tion du cerveau, la conscience peut dès lors être comprise comme résultant de
l’organisation et du fonctionnement cérébral. Évidemment, une alternative à ce
point de vue est de se placer sous l’angle du dualisme, qui suppose que la pensée
consciente et le cerveau sont deux éléments différents, et dans ce cas l’un ne peut
expliquer l’autre, c’est-à-dire que la conscience ne peut être expliquée par des
processus physicochimiques. S’il est vrai en revanche que la conscience est basée
sur de tels processus physicochimiques, l’une des inférences logiques est qu’il est
vraisemblable qu’il soit possible un jour de produire une machine qui produirait
de la pensée…

Qu’est-ce que la conscience ?


La nature de la conscience humaine est une question qui occupe les philo-
sophes et les chercheurs en neurosciences depuis des siècles, l’un des principaux
challenges étant de définir ce qu’est la conscience elle-même. Et cette définition
même est l’objet de controverses ! Le résultat en est qu’au fil des ans de nom-
breuses définitions ont été proposées et autant de modèles établis. Bien entendu,
nous nous garderons bien de prendre position dans ces controverses. Toutefois, il
est de notre responsabilité de nous positionner au regard des travaux scientifiques
réalisés, en considérant que cette position peut éclairer le débat. Prenons déjà en
considération le terme même de « conscience ». De façon quelque peu simpliste,
nous pouvons ainsi considérer qu’une personne sous anesthésie ou qui dort d’un
sommeil profond est inconsciente, et qu’elle redevient consciente lorsqu’elle se
réveille. Si notre chevelure paraît bizarre, nous devons en être conscients. De
même, une personne sous l’emprise d’une drogue hallucinogène est considérée
comme étant dans un état de conscience altéré. Encore, lorsque des lumières
de fortes longueurs d’ondes frappent notre rétine, nous avons conscience de
percevoir une couleur rouge. Mais, dans ces exemples, est-ce que la notion de
« conscience » a la même signification ? Il est clair que nous utilisons ici le même
terme à des fins différentes, ce qui suppose que notre définition est loin d’être
parfaite et nécessite des approfondissements.
En 1995, le philosophe David Chalmers, à l’Université de Californie-Santa
Cruz, a proposé une distinction qui peut permettre d’aller plus loin dans une
définition de la conscience. Chalmers distingua ce qu’il a appelé les « problèmes
simples de la conscience » et le « problème complexe de la conscience ». Ce que
Chalmers entendait par « problèmes simples de la conscience » désigne des phé-
nomènes qui paraissent accessibles par les méthodes scientifiques « standards ».
Par exemple, quelle est la différence entre l’état d’éveil et celui de sommeil ? Nous
n’avons pas de réponse complète à cette question, mais nous avons vu dans le
chapitre 19 que les travaux sur la vigilance pourraient nous permettre un jour
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 753

prochain de mieux comprendre la nature de la veille consciente. Un autre exemple


vient des travaux sur les processus attentionnels. Il est d’usage de dire que nous
sommes conscients des choses auxquelles nous « faisons attention ». Et, dans ce
cas, les études de ces processus attentionnels peuvent nous apprendre plus sur
l’état de conscience. D’autres fonctions cérébrales sont également à même de
nous permettre de la même manière, de mieux pénétrer les mécanismes de cet
état de conscience, comme notre capacité à intégrer les informations sensorielles,
à prendre des décisions à partir de ces informations sensorielles, etc.
Le « problème complexe de la conscience », selon Chalmers, est l’expérience
que nous avons d’elle-même. Nous sommes à même d’éprouver une émotion que
l’on nomme la joie, le son d’un saxophone, ou encore la couleur bleue. Pourquoi
et comment ces expériences subjectives sont-elles issues de processus physiques ?
Lorsqu’un bébé pleure, un baiser apaisant de sa mère évoque une forme d’ac-
tivité cérébrale chez l’enfant, mais pour quelle raison ce simple baiser se trans-
forme-t-il en quelque chose de rassurant plutôt qu’en une sensation douloureuse
ou moins agréable, comme par exemple l’odeur d’un toast brûlé ou le son d’un
klaxon de voiture ? Bien entendu, nous sommes à même de pouvoir mesurer
les changements d’activité cérébrale associés à ces différentes expériences senso-
rielles (c’est évidemment la partie aisée du problème), mais comprendre « pour-
quoi » telle ou telle relation entre stimulus et perception est beaucoup plus dif-
ficile. En réalité, cependant, aucun des problèmes que nous avons soulevés n’est
simple à résoudre ; il aurait été sans doute plus approprié de se référer à un cadre
plus large, qui est celui du problème complexe (impossible ?) de la conscience !
En tout état de cause, du fait de ces difficultés, dans ce qui suit nous ne nous
référerons qu’aux questions « simples » posées par l’abord de la conscience.

Corrélats neuronaux de la conscience


Pendant des siècles l’étude de la conscience a été l’apanage des philosophes,
celle-ci étant considérée comme hors de portée des sciences expérimentales.
Dans la période récente, cependant, cette attitude a changé, et les scientifiques
ont commencé à tracer des sillons sur le chemin tortueux de la conscience. Pour
progresser dans cette voie, il est possible de débuter en posant quelques ques-
tions simples susceptibles d’appeler une réponse, plutôt que d’adresser directe-
ment des problèmes sur les mystères de ce qui reste une expérience personnelle.
Christof Koch et Francis Crick, qui a obtenu le prix Nobel pour sa découverte
de la structure de l’ADN, ont eu le privilège de s’attaquer ensemble à cette
question pour tenter de mettre en œuvre une approche scientifique de l’étude
de la conscience (Encadré 21.3). Koch a ainsi défini les corrélats neuronaux de
la conscience (CNC) comme les événements neuronaux minima nécessaires et
suffisants pour une perception consciente ; en d’autres termes, ces activations
neuronales qui doivent être liées au fait que vous êtes à même de percevoir le
goût de la fraise ou le sentiment de joie.
L’un des tout premiers protocoles expérimentaux qui a été mis en œuvre est
lié à la présentation d’images devant les deux yeux, présentant la caractéristique
d’images qualifiées de « bistables ». La figure 21.22 est une illustration de ce
type d’image. La question qui est posée est alors de savoir ce qui se passe dans
le cerveau lorsque nous passons, pour la même image, d’un type de perception
à un autre. Par exemple, à la figure 21.22c vous pouvez percevoir soit la tête
d’un lapin, soit celle d’un canard, mais pas les deux en même temps. Comme
l’image est évidemment toujours la même, l’hypothèse est que c’est le traitement
de l’information visuelle qui a changé, et qu’ainsi des changements d’activité
neuronale accompagnent les changements de perception consciente de ces repré-
sentations. Ces expériences ont utilisé des enregistrements d’activités neuronales
chez l’animal, et l’IRMf et la TEP dans le cerveau humain.
Figure 21.22 – Images dites « bistables »,
Corrélats neuronaux de la perception alternée en rapport avec la rivalité dont la perception peut être double.
binoculaire.  La rivalité binoculaire correspond à un effet visuel qui a été proposé (a) Le visage et le vase. (b) Le cube de Necker,
dans le but de permettre l’exploration des bases neuronales de la sensibilisation dont la face la plus proche de l’expérimenta-
consciente. Dans la rivalité binoculaire, des images différentes sont présentées teur peut apparaître comme bordée de vert ou
devant les deux yeux à la fois, et la perception consciente alterne entre les images de rouge. (c) Un canard ou un lapin ?
754 3 – Cerveau et comportement

Encadré 21.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

À la recherche des corrélats neuronaux


de la conscience
Par Christof Koch

C’était un jour ordinaire de l’été 1988, tales et verticales, ou encore la distinction


l’un de ceux pourtant qui changent votre consciente entre le rouge et le vert. Dans
vie. J’étais invité pour contribuer à l’école ce contexte, nous considérions qu’aucune
d’été de Woods Hole, à Cape Cod, et ce vision philosophique de la relation entre le
jour-là j’avais pris un cachet d’aspirine à corps et l’esprit ne pouvait s’accorder avec
cause d’une rage de dents. Je ne pouvais pas une vision ultime du substrat de la conscience.
dormir du fait des douleurs liées à cette En 1990, lorsque Francis et moi-même
maudite molaire. Pour tenter de distraire avons publié notre première étude, nous
ma douleur, je me demandais comment il étions stimulés par la redécouverte par Wolf
était possible que cela fasse si mal. Je savais Singer et Charlie Gray, à Francfort en
Christof Koch
que l’inflammation irritait le nerf de la Allemagne, d’oscillations de 40 Hz synchro-
dent, et que les messages parvenaient au nisées dans le cortex visuel du chat. Nous avons dès lors
cerveau par l’une des branches du nerf trigéminal. Je considéré que ce qu’ils ont nommé la « bande gamma »
savais aussi qu’in fine les messages nerveux parvenaient était de fait l’un des corrélats neuronaux de la conscience.
au cortex après divers relais synaptiques, et que tout cela Mais la réalité était plus complexe que cela… Aujourd’hui
contribuait à modifier l’activité des neurones de ce cor- nous savons que cette activité oscillatoire, présente très
tex. Et c’est ainsi qu’il m’apparaissait que c’était bien largement dans le cortex de toutes les espèces chez
là la source de la prise de conscience de ma douleur, lesquelles elle a été recherchée, est probablement plus en
au travers de cette activation corticale. À vouloir réduire rapport avec l’attention sélective qu’avec un quelconque
ces processus physicochimiques, il apparaissait que c’est état de conscience, même si ces deux processus sont
l’activité bioélectrique des neurones qui conduisait à la souvent intimement liés.
perception de cette terrible douleur. Mais alors com- Nous avons eu des débats sans fin entre nous et avec
ment imaginer que ces événements bien concrets puissent quelques collègues publiquement intéressés par le sujet
se transformer en une perception insaisissable, de carac- — Nikos Logothetis, Wolf Singer, David Chalmers,
tère non physique ? Au fond, il ne s’agit que de mouve- Patricia Churchland, Giulio Tonini et V. S. Rama­
ments ioniques, de sodium, potassium, chlore, calcium, chandran —, pour ne mentionner que quelques-uns
etc., au travers d’une membrane, exactement comme d’entre eux, sur de la relation entre l’activité neuronale
cela est le cas dans le foie, ou pire encore comme le mou- et les circuits cérébraux parmi tous ceux qui pouvaient,
vement des électrons dans les transistors de mon ordina- d’une part, être mis en relation avec des états de
teur… En tant que physicien, je savais que ni la méca- conscience ou plutôt, d’autre part, avec des comporte-
nique quantique, ni la relativité générale, les deux ments de caractère inconscient (que nous avons nommé
théories scientifiques les plus importantes auxquelles les systèmes « zombies »), comme la frappe à toute
obéit la matière, ne sont à l’origine d’une quelconque vitesse sur un clavier, le mouvement des yeux, ou encore
forme de conscience. Par quelle loi obscure alors un l’ajustement postural lors d’un changement de position
morceau de matière excitable était-il à même de produire des membres, etc. Aujourd’hui l’étude des mécanismes
des états aussi subjectifs que ceux liés à la conscience ? neuronaux de la conscience implique un grand nombre
Et c’est ainsi que ce mal de dent lancinant m’a conduit, d’équipes, tant au niveau de la clinique que du labora-
en ce jour d’été maintenant très lointain, à me préoccu- toire, mais en 1990 ces travaux contribuèrent à ce qu’un
per des substrats possibles de la conscience, avec le biologiste obtint en tant que co-auteur le prix Nobel.
cerveau comme étoile polaire ! Nous avons poursuivi notre collaboration jusqu’au
C’est ainsi que j’ai débuté une collaboration de seize décès de Francis, le 28 juillet 2004. Deux jours encore
années avec Francis Crick, au Salk Institute, à La Jolla, avant son décès, il m’a appelé alors qu’il était en voie
en Californie. Nous avons écrit ensemble plus d’une ving- d’hospitalisation, pour me dire très calmement que ses
taine de publications originales et chapitres d’ouvrages, commentaires sur notre dernier manuscrit — sur une
où nous plaidions pour un programme de recherche région obscure du cerveau dénommée claustrum, une
empirique visant à isoler les neurones de régions du cer- bande de neurones située sous le cortex et sur son rôle
veau susceptibles d’être impliqués dans la production putatif dans les processus conscients — pourraient
d’un état de conscience, y compris lorsqu’il s’agissait prendre quelque retard. Sa femme, Odile Crick, m’a
de la prise de conscience d’éléments tout simples comme décrit comment dans les heures qui ont précédé sa mort,
la discrimination entre la perception de lignes horizon- Francis avait des périodes d’hallucinations sur ces neu-
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 755

Encadré 21.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

rones à décharge rapide du claustrum. Un scientifique appliquée. Dans ces conditions, le patient était capable
jusqu’au bout ! Aujourd’hui, au moment où j’écris ces de regarder autour de lui mais était incapable de
lignes, un nouveau cas clinique concernant un patient répondre aux sollicitations des neurologues et de se sou-
épileptique vient d’être publié. Les neurologues procé- venir ultérieurement de ces épisodes. Toujours friand
daient à une stimulation à partir des électrodes implan- de nouveaux résultats, j’imagine combien Francis aurait
tées dans le cerveau de ce patient afin de localiser l’ori- aimé ces résultats !
gine du foyer épileptique. L’une des électrodes était
implantée au voisinage du claustrum de l’hémisphère Référence
gauche, et son activation se traduisait par la perte immé- Koubeissi MZ et al. Electrical stimulation of a small
diate de la conscience du patient, de façon reproductible brain area reversibly disrupts consciousness. Epilepsy
et réversible, et aussi longtemps que la stimulation était and Behavior 2014 ; 37 : 32-5.

CNC

Monde extérieur Intérieur du cerveau Perception consciente

Figure A – Les corrélats neuronaux de la conscience (CNC) sont définis comme les événements minima, susceptibles de permettre la percep-
tion consciente (ici la vision d’un berger allemand). (Source : courtoisie de Christof Koch.)

présentées aux deux yeux. Par exemple, si l’un des yeux voit des lignes verticales
et l’autre des lignes horizontales, c’est au hasard que le sujet va percevoir tantôt
des lignes verticales, tantôt des lignes horizontales, et tantôt le mélange des deux
orientations. Mais alors, comme les deux images sont toujours les mêmes et les
deux yeux sont toujours ouverts, quels sont les processus qui amènent à ces
perceptions différentes ?
Une telle expérience a été réalisée par David Sheinberg et Nikos Logothetis,
alors qu’ils travaillaient au Baylor College of Medicine. Les enregistrements
concernaient chez le singe des neurones du cortex inférotemporal (l’aire IT), que
nous avons vu dans le chapitre 10 comme représentant une aire d’intégration des
processus visuels. Plutôt que d’utiliser des stimuli formés de lignes verticales et
horizontales (ou des représentations de canards et de lapins), les auteurs ont uti-
lisé des stimuli efficaces pour exciter les neurones de l’aire IT. Avant l’expérience,
les animaux étaient entraînés à pousser un levier vers la gauche dans le cas de
la perception d’un objet parmi un groupe situé à sa gauche, ou vers la droite si
l’objet présenté appartenait à un autre groupe d’objets situé à droite de l’animal.
Dans le cas de l’expérience présentée à la figure 21.23, l’un des objets du groupe
des objets situés à gauche correspondait à une représentation d’un soleil rayon-
nant et celui du groupe des objets de droite, à une représentation de la face d’un
singe ou du visage d’un être humain.
756 3 – Cerveau et comportement

Œil gauche Œil droit

Stimulus et
visuel

Levier gauche gauche droit gauche droit


manipulé

100
d’action/s
Potentiels

50

0
0 5 10 15 20
Temps (s)

Figure 21.23 – Réponse d’un neurone de l’aire IT (cortex inférotemporal) chez le singe pendant une expérience de rivalité binoculaire.
Dans des expériences qui précèdent la mise en œuvre du test, il est montré que ce neurone du cortex IT est activé par la présentation d’un dessin
illustrant la face d’un singe, mais pas par celui représentant un soleil rayonnant. Ces stimuli sont représentés dans la partie supérieure de la figure. Dans
la partie de la figure colorée en bleu, c’est le stimulus en forme de soleil qui est présenté ; puis, dans la zone colorée en rose, c’est un stimulus ambigu
qui est proposé à l’animal. Dans ces deux premiers cas le neurone ne répond pas à la présentation des stimuli. Puis, pendant le temps représenté par
la zone colorée en orange, les deux stimuli sont présentés ensemble, le soleil devant l’œil gauche et la face de singe devant l’œil droit, une condition
correspondant à la rivalité binoculaire. Enfin, dans la dernière partie de l’expérience seule la face de singe est présentée (zone colorée en bleu). Les élé-
ments figurés à la deuxième ligne juste sous les pointillés, illustrent le levier qui est mobilisé par le singe suite à la présentation de ces éléments. Lorsque
l’un ou l’autre des stimuli sont présentés tous seuls, l’animal manipule correctement les leviers, de telle manière qu’il choisit de façon appropriée celui
de gauche ou de droite selon que c’est l’un ou l’autre des stimuli qui est présenté. Dans les conditions de rivalité binoculaire, il apparaît que l’animal va
tirer d’abord le levier de gauche, puis celui de droite, puis encore celui de gauche. Les éléments représentés au-dessous de la ligne continue illustrent
quant à eux le fait que le neurone de l’aire IT est beaucoup moins actif lorsque l’animal manipule le levier de gauche que lorsqu’il tire sur celui de droite.
Dans cette partie de la figure les bâtonnets noirs symbolisent les décharges successives du neurone faisant l’objet d’un enregistrement extracellulaire,
l’activité étant intégrée dans la partie la plus basse du schéma. (Source : adapté de Sheinberg et Logothetis, 1997, Fig. 3.)

Dès lors qu’un animal était capable de discriminer correctement parmi les
objets qui lui étaient présentés ceux correspondant au groupe de gauche ou à
celui de droite, des enregistrements de l’aire IT étaient réalisés dans cette situa-
tion de « conflit » visuel. À partir d’enregistrements réalisés dans la même situa-
tion mais sans conflit visuel, les expérimentateurs savaient que les neurones de
l’aire IT répondaient par une forte décharge à la présentation d’une face de singe
(devant les deux yeux à la fois), alors qu’ils ne répondaient pas ou très faiblement
à la présentation du dessin de soleil rayonnant. Dans l’expérience de rivalité
binoculaire illustrée sur la figure, le dessin du soleil rayonnant était présenté
devant l’œil gauche et celui correspondant à la face de singe devant l’œil droit.
Du fait de l’apprentissage auquel il avait été soumis, l’animal déplaçait alter-
nativement le levier vers la gauche et vers la droite, suggérant qu’il percevait
alternativement le dessin du soleil ou celui de la face de singe. Le résultat le plus
remarquable de cette expérience est que la réponse du neurone de l’aire IT fluc-
tue d’une activité minimale à une forte activité, grossièrement de telle façon que
cette décharge est en rapport avec la direction de déplacement du levier, alors
même que l’image reste fixe devant chacun des deux yeux.
Le résultat de cette expérience et de bien d’autres de même type est qu’il existe
une correspondance entre les changements d’activité des neurones de l’aire IT
et la perception différentielle des objets. Ceci suppose que la rivalité binoculaire
produise une alternance dans la perception consciente qu’a le singe des images
particulières présentées devant chacun des deux yeux, et que l’activité des neu-
rones de l’aire IT pourrait dès lors être considérée comme un corrélat neuro-
nal de cette perception consciente. Des expériences similaires effectuées à partir
d’autres aires cérébrales démontrent qu’une telle réponse n’est pas commune, en
particulier qu’elle ne concerne pas les aires visuelles primaires comme V1 et V2
et que, du coup, que cette réponse est relativement spécifique de l’aire IT. Pour
cette raison, les aires visuelles primaires ne sont pas considérées comme reflétant
les corrélats neuronaux de la conscience.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 757

Conscience visuelle et activité cérébrale chez l’homme. De telles expé-


riences de rivalité binoculaire ont également été conduites chez l’homme, au
cours d’enregistrement par IRMf. Un exemple de ces travaux est représenté à la
figure 21.24. Plutôt que de présenter des images différentes devant chacun des
deux yeux, les auteurs ont choisi ici d’utiliser une image composite présentée
simultanément devant les deux yeux. Des lunettes portant des filtres, rouge pour
l’un des verres et vert pour l’autre, permettaient que l’un des deux yeux ne voie
que le portrait de l’individu et l’autre œil, le dessin d’un monument. Les sujets
devaient alors indiquer quel était l’objet qu’ils détectaient. Les enregistrements
de l’activité cérébrale étaient centrés sur deux aires du lobe temporal. Au cha­
pitre 10, nous avons évoqué l’aire du cortex fusiforme (ACF) impliquée dans
la détection des visages. Par ailleurs, le cortex parahippocampique (CPH) est
connu pour être activé par des représentations de l’espace et d’habitations ou de
monuments, mais pas par d’autres classes de stimuli. Dans cette expérience les
sujets rapportent la perception alternée des deux objets qui lui sont présentés, le
visage et le monument, et dans ce cas l’activité des deux aires cérébrales, ACF et
CPH, est moyennée à chaque transition. Dans les conditions de rivalité binocu-
laire, les transitions dans la perception de la représentation du monument vers
celle du visage sont corrélées avec une diminution d’activité du cortex parahip-
pocampique CPH (en rouge) et une augmentation d’activité du cortex fusiforme
ACF (en bleu) (voir Fig. 21.24a). A contrario, la transition entre la perception
de l’image du visage vers celle de la représentation du monument s’accompagne

(a) Rivalité Monument Visage Visage Monument


1,0 1,0
ACF
CPH
0,8 0,8
Signal IRM (%)

Stimulus
0,6 0,6

0,4 0,4
ACF
CPH
Percept 0,2 0,2

0,0 0,0
–8 –4 0 4 8 12 –8 –4 0 4 8 12

Temps écoulé à partir de la déclaration du percept (s)

(b) Non-rivalité Monument Visage Visage Monument


1,0 1,0

Stimulus 0,8 0,8


ACF
Signal IRM (%)

CPH
0,6 0,6

0,4 0,4

0,2 0,2
ACF
CPH
0,0 0,0
–8 –4 0 4 8 12 –8 –4 0 4 8 12
Temps écoulé à partir du changement de stimulus (s)

Figure 21.24 – Enregistrement en IRMf de l’activité du cerveau chez l’homme lors d’une expérience de rivalité
binoculaire.
(a) Dans des conditions de rivalité binoculaire, un sujet est soumis à un stimulus composite (en haut à gauche) au
travers de lunettes portant des filtres vert et rouge, de telle manière que l’un des deux yeux voit le visage et l’autre
œil le monument. Par conséquent, le sujet perçoit alternativement l’un ou l’autre de ces stimuli (le percept). L’IRMf est
utilisée pour mesurer l’activité de deux aires du lobe temporal : l’aire du cortex fusiforme (ACF), qui est connue pour
mieux répondre aux stimuli représentant des visages qu’aux autres types de stimuli, et le cortex parahippocampique
(CPH), qui répond aux présentations de stimuli en forme de maison ou de monuments, mais pas à ceux représentant
des visages. Les résultats sont la moyenne de plusieurs transitions de perception de monument vers le visage et
réciproquement du visage vers le monument. Bien que le stimulus soit fixe, l’ACF est plus actif lorsque c’est le visage
qui est perçu (ligne de couleur bleu), et le cortex CPH est au contraire plus actif lors de la présentation du monument
(ligne de couleur rouge). (b) Dans des conditions où il n’y a pas de rivalité binoculaire, les deux stimuli différents sont
alternativement présentés à un seul œil. Les réponses de l’ACF et du cortex CPH sont en accord avec la perception
du visage ou du monument. (Source : Rees et al., 2002, Fig. 4.)
758 3 – Cerveau et comportement

d’une réduction d’activité du cortex ACF et d’une augmentation concomitante


de celle du cortex CPH. De tels changements alternés de l’activité des aires ACF
et CPH sont détectés dans des conditions de non-rivalité binoculaire, pendant
lesquelles pendant un moment une seule image simple représentant le visage ou
le monument est présentée à un seul œil (voir Fig. 21.24b). Le pattern alterné des
changements intervenant dans les aires ACF et CPH illustré à la figure 21.24a
est associé à la présentation d’un stimulus simple, suggérant que l’activité dans
ces aires cérébrales pourrait représenter l’un des corrélats neuronaux de la
conscience pour la perception des visages et des bâtiments.
D’autres approches que la rivalité binoculaire ont été utilisées pour explo-
rer les corrélats neuronaux de la conscience. L’une de ces situations tout à fait
intéressante réfère à la demande qui est faite au sujet d’imaginer (sans la voir)
une scène ; une situation de vision « imaginée », en quelque sorte. Par exemple,
l’instruction suivante peut être formulée : représentez-vous l’image de la maison
dans laquelle vous vivez et faites-en le tour en comptant les fenêtres. Nous savons
qu’une telle opération mentale est associée à l’activation de certains aspects des
processus visuels tels qu’ils le sont normalement en condition de vision réelle.
Dans ce contexte, il apparaît dès lors que ce type de paradigme constitue une
méthode valide pour aborder les bases neuronales de la conscience visuelle.
Gabriel Kreiman et Christof Koch à Caltech, en collaboration avec Itzhak Fried
à l’Université de Californie-Los Angelès (UCLA), ont réalisé une telle expérience
en associant les méthodes d’imagerie fonctionnelle à celles des enregistrements
électrophysiologiques chez l’homme. De fait, certains patients épileptiques sont
porteurs d’électrodes profondes implantées à demeure dans différentes struc-
tures cérébrales, afin de localiser notamment les foyers épileptiques. Le neurone
dont l’activité est représentée à la figure 21.25 est localisé dans le cortex ento-
rhinal, une aire du lobe temporal médian qui est source d’informations pour
l’hippocampe. Après avoir présenté plusieurs types de stimuli visuels, il fut établi
que ce neurone présentait une forte décharge lors de la présentation de photos
de dauphins et une réponse très faible à la présentation de la photo d’un visage
de jeune fille (voir Fig. 21.25a). Puis il était demandé au sujet de fermer les yeux.
La tâche qui lui était alors assignée était d’imaginer qu’il voyait la photo des
dauphins lorsqu’un son de haute fréquence était présenté, et celle du visage de la
jeune fille lorsque le son avait une tonalité de basse fréquence. La figure 21.25b

Présentation
visuelle
Figure  21.25 – Activité d’un neurone chez
des stimuli
l’homme lors de la représentation mentale
d’un stimulus visuel.
(a) L’enregistrement porte sur un neurone du
cortex entorhinal chez l’homme, qui répond
(a) 1 000 ms
lorsqu’une photo de dauphins est présen-
tée (ligne horizontale de couleur verte), mais
pas lorsque la photo représente une jeune
fille (lignes horizontales de couleur rouge).
Représentation
(b) Lorsque ensuite il est demandé au sujet mentale
d’imaginer sans les voir ces représentations des stimuli
respectives en réponse à des consignes visuels
verbales, le neurone reste plus actif lorsque
le sujet imagine qu’il voit des dauphins que
lorsqu’il imagine le visage de la jeune fille.
(Source : adapté de Crick et al., 2004, Fig. 5.) (b) 1 000 ms
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 759

illustre la réponse du neurone du cortex entorhinal pendant cette expérience de


vision imaginée. Les réponses sont identiques à celles enregistrées pendant la
vision réelle, mais il se trouve clairement plus d’activité lorsque le sujet évoque
mentalement les dauphins que lorsqu’il pense au visage de la petite fille. Dans ce
cas, peut-on alors considérer que le cortex entorhinal est une partie du système
des corrélats de la conscience ?
Enjeux de l’étude de la conscience. La conscience est le sujet majeur de
notre discussion, mais il est difficile à cerner. Dans un effort d’être concret, notre
discussion s’est focalisée sur les corrélats neuronaux de la conscience (le pro-
blème « facile » de Chalmers…). Nous avons ainsi découvert que certaines aires
cérébrales voyaient leur activité se modifier avec une perception consciente. Ces
régions cérébrales ne sont pas les seules concernées par les corrélats neuronaux
de la conscience et bien d’autres zones, que nous n’avons pas évoquées particuliè-
rement, sont également associées à cette perception consciente. En complément
des études utilisant l’IRMf, c’est l’électrophysiologie qui nous a permis d’accé-
der à certaines aires corticales impliquées dans ces processus, tant chez l’animal
que chez le sujet humain. Dès lors, en dépit du fait qu’il ne s’agit que de très
petits pas, il n’en reste pas moins vrai que ces données nous permettent de nous
faire une certaine idée de ce que représentent les mécanismes de la conscience,
au moins sur des aspects très limités.
Cela étant dit, les challenges abondent dans l’interprétation des résultats de
ces expériences visant à aborder les mécanismes de la conscience. L’objectif de
ces travaux sur les corrélats neuronaux de la conscience est de mettre en évidence
l’activité cérébrale qui, a minima, est nécessaire à une expérience consciente.
Mais le terme de « minima » pose lui-même problème. En effet, lorsque des cor-
rélats neuronaux de la conscience sont proposés, rien ne permet d’exclure qu’il
ne s’agisse simplement d’effets de « contamination ». De fait, est-il possible de
considérer que le paramètre neuronal étudié constitue un prérequis de la percep-
tion consciente, ou bien qu’au contraire qu’il ne représente que la conséquence
de cet état de conscience ? Dans ce cas, il ne serait évidemment pas un subs-
trat neuronal de cette perception consciente. Par ailleurs, ce corrélat neuronal
est-il un indicateur du fonctionnement d’une structure cérébrale particulière, ou
ne représente-t-il pas plutôt un simple élément d’un réseau de structures dont
l’activité est coordonnée ? De plus, comme l’attention est en général associée
à cet état de conscience, est-il possible que ces corrélats neuronaux soient plus
liés à des processus attentionnels qu’à la conscience elle-même ?
Cette relation entre processus attentionnels et conscience est fondamentale,
mais elle est aussi controversée. Par le passé et pendant longtemps, ces deux termes
étaient considérés comme presque synonymes. Cependant, les travaux récents
sur la perception consciente ont clairement démontré qu’il est possible d’avoir
notre attention dirigée vers un objet sans pour autant que celui-ci fasse l’objet
d’une perception consciente. Dès lors, il est logique de penser que les proces-
sus attentionnels sont ou peuvent être indépendants de la perception consciente.
Mais il existe aussi des travaux montrant l’inverse : que la perception consciente
peut intervenir sans mobilisation de l’attention, bien que cela soit discuté.
Finalement, il existe encore pas mal d’interrogations quant à savoir où,
dans le cerveau, les corrélats neuronaux de la conscience sont observés. Nous
avons rapporté les travaux sur la rivalité binoculaire, qui nous ont amenés à
la conclusion que certaines régions cérébrales étaient susceptibles d’intervenir.
Malencontreusement, les différentes études réalisées n’aboutissent pas à démon-
trer des résultats comparables. Par exemple, dans les travaux utilisant l’IRMf
les régions concernées par le changement de perception visuelle s’étendent des
régions les plus basses du système visuel comme le corps genouillé latéral et
l’aire V1, jusqu’aux aires les plus intégratives comme l’aire IT, tant chez l’ani-
mal que chez l’homme. Ces données ne sont pas complètement en accord avec
les travaux utilisant l’électrophysiologie chez l’animal, qui vérifient dans de tels
protocoles de rivalité binoculaire les changements d’activité concernant les aires
extrastriées, mais pas dans les aires visuelles primaires. La différence peut natu-
rellement être imputable à des biais technologiques associés à ces différentes
méthodes d’enregistrement de l’activité cérébrale, ou peut-être au fait qu’il s’agit
760 3 – Cerveau et comportement

d’enregistrements effectués à des échelles différentes, de l’échelon unitaire pour


l’électrophysiologie à des enregistrements plus globaux dans le cas de l’ima-
gerie. Enfin, les données récentes de l’IRMf sur les corrélats neuronaux de la
conscience suggèrent une certaine dissociation entre leur implication dans la per-
ception consciente et dans les processus attentionnels. En d’autres termes, l’état
de conscience pourrait ne concerner que les aires les plus intégratives, et ainsi
ce qui apparaît comme lié à la conscience dans les aires plus primaires ne serait
qu’en rapport avec des changements de l’attention.
En dépit de ces difficultés, l’abord des mécanismes de la conscience a fait
d’énormes progrès au cours de ces vingt dernières années. L’abord des méca-
nismes d’une situation où un seul stimulus sensoriel, qu’il soit visuel ou d’une
toute autre nature, est à l’origine de plusieurs percepts et offre dès lors des pos-
sibilités absolument fascinantes pour approcher les corrélats neuronaux de la
conscience. Bien entendu, cette façon d’aborder les choses ne permet pas d’aller
trop loin dans l’abord de la question du problème « complexe » de la conscience,
mais c’est tout de même un début.

Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons abordé la dynamique des changements d’ac-
tivité neuronale à large échelle. Ainsi des modifications de l’activité cérébrale
ont été mises en évidence en rapport avec le cerveau dans l’état « de repos » et
le cerveau engagé dans une activité comportementale, nous amenant à définir
un mode de fonctionnement « par défaut ». Le passage d’un état de repos à un
état en rapport avec une activité comportementale se traduit par un changement
d’activité plutôt global, passant du mode « par défaut » à un pattern particu-
lier en rapport avec le type de comportement considéré. Nous ne pouvons pas
dire avec certitude ce que représente réellement l’activation cérébrale mesurée
au repos, mais il est vraisemblable qu’elle traduit une sorte de veille des change-
ments susceptibles d’être liés à des variations de l’environnement, ou encore à
une sorte de vagabondage de l’esprit.
Lorsque nous étudions le système sensoriel ou bien le système moteur, nous
procédons de la même manière en tentant d’isoler la composante à étudier.
Évidemment, la réalité est toute autre : nous sommes littéralement bombardés
d’informations sensorielles, et à un instant donné nous ne portons attention
qu’à une infime partie d’entre elles, qui se trouve momentanément déterminante
pour notre action. L’attention est ainsi un processus fondamental de toute cette
opération. Il est vraisemblable que certains animaux puissent fonctionner sans
attention, ayant un système nerveux qui soit anatomiquement organisé de façon
à produire des réponses motrices spécifiques à tel ou tel type de stimulus, par
exemple dans le cas d’une menace. Cependant, l’attention confère une extrême
flexibilité comportementale. Dans certaines situations, l’attention est comme
« saisie », mais dans la plupart des cas nous utilisons l’attention comme outil
pour focaliser nos ressources mentales. Ceci implique, comme nous l’avons vu,
tout un réseau de structures cérébrales qui, en rapport avec l’intention et l’action,
construit des priorisations dans l’allocation des processus attentionnels, ce qui se
traduit par des accroissements sélectifs de la sensibilité de certaines capacités de
détection sensorielles tels que mis en évidence au niveau cortical.
Comment nous devenons conscients de l’information que nous attendons
reste à ce jour un mystère. De fait, dans ce qui précède nous avons largement
laissé de côté la question du problème « complexe » posé par la notion de
conscience, c’est-à-dire la question du ressenti. Mais, d’un autre côté, nous avons
montré comment il est possible d’aborder, ne serait-ce encore que de très loin, la
question des corrélats neuronaux de la conscience, ce qui constitue un progrès
certain. Dans ce contexte de l’abord des mécanismes neuronaux, il est aussi vrai-
semblable que l’état de conscience suppose de maintenir en mémoire un certain
nombre d’informations, ce qui suppose des interactions avec les systèmes neuro-
naux impliqués dans la mémorisation, que nous aborderons dans le chapitre 24.
21 – Cerveau au repos, processus attentionnels et conscience 761

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Quelles sont les zones actives dans le cerveau à l’état de repos et que
sont-elles supposées faire ?
2. Quels sont les avantages, en termes de comportement, liés à la mise
en œuvre des processus attentionnels ?
3. Pouvez-vous présenter les données neurophysiologiques attestant de
l’existence d’un processus d’attention focalisée ?
4. Quelles sont les relations existant entre le déplacement de l’attention
et l’orientation du regard ?
5. Comment concevez-vous que les représentations des objets remar-
quables dans le champ de vision (salience map) contribuent au guidage
de l’attention ?
6. Quelles sont les différences entre une situation de négligence hémi­
spatiale et une situation correspondant à une perte de la vision dans
un hémichamp visuel ?
7. Pourquoi la recherche des corrélats neuronaux des processus atten-
tionnels n’est-elle pas à même de pouvoir répondre à la question du
problème « complexe » de la conscience ?
8. Pouvez-vous préciser comment l’utilisation de la rivalité binoculaire
peut nous renseigner sur les bases de la perception consciente ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Bisley JW, Goldberg ME. Attention, intention, and priority in the parietal
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Buckner RL, Andrews-Hanna JR, Schacter DL. The brain’s default
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New York Academy of Sciences 2008 ; 1124 : 1-38.
Cohen MA, Dennett DC. Consciousness cannot be separated from func-
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Miller EK, Buschman TJ. Cortical circuits for the control of attention.
Current Opinion in Neurobiology 2013 ; 23 : 216-22.
Noudoost B, Chang MH, Steimetz NA, Moore T. Top-down control of
visual attention. Current Opinion in Neurobiology 2010 ; 20 : 183-90.
Raichle ME, Snyder AZ. A default mode of brain function: a brief history
of an evolving idea. Neuroimage 2007 ; 37 : 1083-90.
Shipp S. The brain circuitry of attention. Trends in Cognitive Science
2004 ; 8 : 223-30.
762 3 – Cerveau et comportement 762

CHAPITRE  22 Troubles mentaux

TROUBLES MENTAUX
ET CERVEAU
Approche psychosociale des troubles mentaux.................................... 764
Approche biologique des troubles mentaux........................................ 765

TROUBLES ANXIEUX
Comportements anxieux .................................................................... 768
Autres troubles de l’humeur caractérisés par un excès d’anxiété.......... 769
Encadré 22.1 Focus  Agoraphobie avec attaque de panique
Bases biologiques des comportements anxieux................................... 770
Traitements des troubles anxieux........................................................ 773

TROUBLES DE L’HUMEUR
Description des troubles de l’humeur.................................................. 775
Encadré 22.2 Focus  Une orangeraie magique dans un cauchemar…
Bases biologiques des troubles de l’humeur........................................ 776
Traitements des troubles de l’humeur................................................. 781
Encadré 22.3 Les voies de la découverte  Réglage fin des circuits
neuronaux de la dépression,
par Helen Mayberg

SCHIZOPHRÉNIE
Principales caractéristiques................................................................. 787
Bases biologiques de la schizophrénie................................................. 788
Traitements de la schizophrénie.......................................................... 793

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
a neurologie est une branche de la médecine qui a en charge le diagnostic
et le traitement des maladies du système nerveux. Dans cet ouvrage, de
nombreux aspects de la neurologie ont déjà été discutés, de la sclérose
en plaques à l’aphasie sous toutes ses formes. En plus de cet aspect fascinant
qui nous concerne tous, pour nous autres, neurobiologistes, les maladies du sys-
tème nerveux servent de modèle pour accéder à l’organisation et au fonctionne-
ment normal du cerveau ; par exemple, dans le cas des maladies citées ci-dessus,
pour comprendre le rôle de la myéline dans la conduction des influx nerveux ou
encore celui du lobe frontal dans la production du langage.
La psychiatrie, quant à elle, est concernée par d’autres aspects du fonction-
nement du système nerveux. Cette discipline est centrée sur le diagnostic et la
prise en charge des maladies qui affectent l’esprit ou psyché (dans la mytholo-
gie grecque, la femme sublime qu’était Psyché était la personnification de l’âme
humaine). Pendant longtemps, il était considéré que les maladies mentales, dans
tous leurs aspects comme ceux relatifs à nos peurs, notre humeur ou nos pensées,
n’étaient pas accessibles aux neurosciences. Ceci n’est plus exact aujourd’hui et
nous avons vu dans les premiers chapitres de cette troisième partie de l’ouvrage
que plusieurs des fonctions dites « supérieures » commencent à nous livrer leurs
secrets. C’est là l’un des enjeux et aussi des espoirs des neurosciences que de
pouvoir prétendre au moins à comprendre, sinon à traiter, ces maladies psychia-
triques, tout au moins dans certains de leurs aspects.
Ce chapitre a pour objectif de présenter quelques-unes des possibilités qui
nous sont données aujourd’hui de pouvoir rendre compte de certaines de ces
maladies psychiatriques : l’anxiété, les troubles de l’humeur, ou encore la schi-
zophrénie. Une fois de plus nous constaterons que nous pouvons apprendre
beaucoup sur le cerveau à partir de ce qui se passe lorsqu’il ne fonctionne pas
correctement.
764 3 – Cerveau et comportement

Troubles mentaux et cerveau


Le comportement est le produit du fonctionnement du cerveau et le cerveau
lui-même est le produit de deux facteurs interdépendants : l’hérédité et l’environ-
nement. Objectivement, un déterminant important de la personnalité est notre
héritage en ADN qui, à moins d’avoir un frère jumeau identique, est absolument
unique. Cela implique que, physiquement, notre cerveau, exactement comme
notre empreinte digitale, est absolument différent de tous les autres. Le second
facteur qui fait que notre cerveau est unique, est lié à notre vécu personnel. Le
vécu de tout un chacun inclut jusqu’à des traumatismes et des maladies mais,
comme nous l’avons vu dans le cas de la plasticité des représentations senso-
rielles (voir chapitre 12), l’environnement, au travers de l’expérience sensorielle,
peut influencer grandement et de façon permanente l’organisation et le fonc-
tionnement cérébral. Ce thème sera de nouveau abordé dans la quatrième partie
de l’ouvrage, lorsque nous discuterons du développement, de la mémoire, et de
l’apprentissage. Par conséquent, en dépit de similarités physiques évidentes que
nous pouvons partager avec nos frères jumeaux, à y regarder de près, ni notre
cerveau, ni notre comportement sont identiques. Pour compliquer encore plus
les choses, il semble que des variations au niveau génétique soient à même de
créer des susceptibilités différentes du cerveau à l’expérience, liées au vécu de
l’individu. Ce sont ces susceptibilités interindividuelles qui, finalement, s’expri-
ment par des différences réelles de l’organisation cérébrale, et qui sont à l’origine
du répertoire comportemental si varié des individus d’une population donnée.
Sur le plan physique, santé et maladie représentent deux états relatifs, qui
s’étendent sur un continuum de fonctionnement de l’organisme. Le même
constat peut être fait en ce qui concerne la santé mentale et les troubles psy-
chiatriques. Même si nous avons tous nos propres traits comportementaux, un
individu bascule dans la pathologie à partir du moment où il présente un trouble
de la pensée, de l’humeur ou du comportement qui peut être diagnostiqué en rai-
son de la détresse qu’il cause, ou d’évidentes déviances par rapport aux attentes
de la société. Un héritage malencontreux de notre méconnaissance de la nature
de ces troubles amène encore à distinguer la « santé physique » de la « santé
mentale ». Les racines de cette distinction sont anciennes et remontent au moins
à Descartes pour qui esprit et matière étaient deux choses bien distinctes (voir
chapitre  1). Ainsi les maladies du corps (auquel Descartes associe le cerveau)
ont une origine organique et sont du ressort des médecins et de la médecine, et
les maladies de l’âme sont d’ordre moral et spirituel, et relèvent du clergé et de
la religion. Qu’un certain nombre de troubles mentaux, de l’humeur, et du com-
portement n’aient, jusqu’à une période très récente, pas trouvé d’explication au
niveau biologique et médical a, dès lors, renforcé cette dichotomie.

Approche psychosociale des troubles mentaux


Une avancée majeure dans la considération des troubles mentaux en tant que
tels est venue de l’émergence d’une véritable discipline médicale qui leur est consa-
crée, la psychiatrie, dont les objectifs sont la prise en charge et le traitement des
troubles du comportement. Sigmund Freud (1856-1939) a eu une influence essen-
tielle pour la reconnaissance de cette discipline, notamment aux États-Unis (NdT :
c’est évidemment également le cas en France, où la psychanalyse est particulière-
ment présente) (Fig. 22.1). La théorie de la psycho-analyse de Freud était fondée
sur deux considérations primordiales : (1) que l’essentiel de la vie mentale était du
domaine de l’inconscient, et (2) que l’expérience vécue, particulièrement pendant
l’enfance, construisait la personnalité de l’individu pour toute la vie dans sa façon
de ressentir les problèmes et d’y répondre par son comportement. En accord avec
cette théorie, les troubles mentaux résultent de l’entrée en conflit des éléments
inconscients et conscients de la personnalité. La solution pour résoudre le conflit
et, par-là traiter le patient, est alors de l’amener à rechercher l’origine du conflit
Figure 22.1 – Sigmund Freud. dans ces aspects inconscients. Fréquemment, les secrets enfouis dans la personna-
Freud est à l’origine des théories psychanaly­ lité des patients remontent à des incidents (physiques, mentaux, ou d’abus sexuels)
tiques des troubles mentaux. survenus pendant l’enfance, et qui sont autant de traumatismes effacés du réel.
22 – Troubles mentaux 765

Une théorie très différente de la personnalité a été développée par le psycho-


logue B. F. Skinner (1904-1990), à l’Université de Harvard. Cette théorie est fon-
dée quant à elle sur le postulat que la plupart des comportements correspondent
à des réponses apprises pour faire face à des sollicitations de l’environnement.
Dans ce cas, ce que l’on nomme le behaviorisme rejette toute notion selon
laquelle il existerait des conflits entre conscient et inconscient, et privilégierait
au contraire l’idée d’un contrôle des comportements par l’environnement. Le
chapitre 16 donne quelques notions des mécanismes qui sous-tendent les com-
portements motivés. Dans ce cas, un comportement se trouve renforcé et devient
la réponse naturelle de l’individu à partir du moment où il répond à un besoin
ou produit une sensation de plaisir (renforcement positif) et, qu’à l’inverse il se
trouve réprimé s’il est considéré comme déplaisant ou insatisfaisant (renforce-
ment négatif). En accord avec cette théorie, les troubles mentaux pourraient cor-
respondre à des comportements inadaptés, qui auraient été appris. Le traitement
consisterait alors à modifier la stratégie acquise malencontreusement, au travers
d’actions comportementales visant à supprimer cet apprentissage inconvenant,
soit en introduisant de nouveaux types de comportements à renforcement posi-
tif, soit en donnant l’opportunité au patient lui-même d’observer et de recon-
naître que ses réponses comportementales sont inappropriées.
De telles approches « psychosociales » mises en œuvre pour traiter les troubles
mentaux présentent des bases neurobiologiques solides. L’organisation même du
cerveau est susceptible d’être modifiée par l’apprentissage et l’expérience pré-
coce, et ces modifications sont connues pour altérer les réponses comportemen-
tales. Ces traitements relèvent de la psychothérapie, une forme de communication
amenant le patient à verbaliser ses angoisses pour l’aider. Bien entendu, il est
clair que ce type de « thérapie verbale » n’est pas approprié pour traiter n’im-
porte quelle forme de maladie mentale, de la même manière que chaque antibio-
tique n’est pas à même de montrer une efficacité contre toute forme d’infection.
Jusqu’à la révolution de la psychiatrie biologique, cependant, cette forme de
traitement mettant en œuvre la psychothérapie était quasiment la seule dont dis-
posaient les psychiatres. De plus, en dépit de cette forme de déculpabilisation qui
revenait à rejeter les souffrances de l’adulte sur des traumatismes de l’enfance, la
psychothérapie a contribué à stigmatiser les patients en assurant que la solution
à leurs problèmes dépendait de leur seule volonté, contrairement aux maladies
du corps. Freud lui-même reconnaissait cependant les limites de la psychothéra-
pie, écrivant en 1920 (p. 54) que « les défauts de notre analyse (psycho-analyse)
pourraient vraisemblablement s’amenuiser si nous étions déjà à même de pou-
voir remplacer les termes psychologiques par des notions physiologiques, voire
chimiques ». Aujourd’hui, à peu près un siècle plus tard, les neurosciences ont
semble-t-il atteint un point tel qu’il est possible d’imaginer que cet objectif est
maintenant accessible.

Approche biologique des troubles mentaux


Déjà du temps de Freud, un certain nombre de succès avaient été obtenus en
ce qui concerne le diagnostic et le traitement de certaines maladies psychiatriques.
Par exemple, à l’orée du xxe siècle un syndrome dénommé parésie générale des
aliénés affectait 10 à 15 % des patients psychiatriques internés. La maladie se
développait progressivement, débutant par des symptômes de manie (excitation,
euphorie, délire important) et évoluant dans le sens d’une détérioration cognitive
majeure, puis vers la paralysie et la mort. La maladie fut initialement attribuée
à des facteurs psychologiques, jusqu’à ce qu’il soit reconnu que le cerveau de ces
patients était infecté par le Treponema pallidum, le micro-organisme qui cause
la syphilis. Dès lors que cette cause fut reconnue, des traitements de plus en plus
efficaces se développèrent rapidement. En 1910, le microbiologiste allemand
Paul Ehrlich établit que l’arsphénamine pourrait avoir un effet « magique » en
éliminant le T. pallidum du sang, sans effet secondaire sur l’organisme humain.
Puis, la découverte en 1928 de la pénicilline par Alexander Fleming permit
d’éliminer en plus le micro-organisme du cerveau. Par voie de conséquence,
l’utilisation de ces médicaments a fait qu’immédiatement après la Seconde
Guerre mondiale, cette maladie psychiatrique a virtuellement été éradiquée.
766 3 – Cerveau et comportement

Un certain nombre d’autres maladies psychiatriques peuvent également être


imputées à des causes biologiques. Par exemple, une carence en niacine, une
vitamine B, peut être à l’origine d’un syndrome où prédomine une forme d’agi-
tation, la dépression et des signes de démence. La pénétration dans le cerveau du
virus VIH produit par ailleurs une forme de neuro-Sida, qui s’accompagne d’une
détérioration intellectuelle et comportementale progressive. Récemment enfin,
une forme de troubles obsessivocompulsifs (qui seront discutés plus loin dans ce
chapitre) a été associée à une réponse auto-immune déclenchée chez l’enfant par
un streptocoque à l’origine d’angines. Comprendre les causes de ces maladies
mentales revient ainsi à pouvoir développer des traitements efficaces.
Promesses et enjeux d’une médecine moléculaire en psychiatrie. Bien
entendu, il existe des maladies mentales qui ne sont pas associées à des infections
ou à des problèmes de malnutrition. Dans ce cas, c’est-à-dire pour la majorité
de ces maladies, il faut encore travailler à en rechercher les causes et les méca-
nismes. C’est dans ce sens qu’il est d’usage de dire que les racines profondes du
mal sont ancrées dans des dysfonctionnements de l’organisation cérébrale, que
ce soit au niveau anatomique, biochimique, ou fonctionnel. Une façon nouvelle
d’aborder les causes et les mécanismes de ces maladies mentales nous est offerte
par les connaissances qui découlent du séquençage du génome humain. Comme
dans d’autres formes de pathologies telles que celles liées au cancer, des muta-
tions géniques peuvent être à l’origine de ces maladies ou, en tout état de cause,
au moins en accroître le risque. C’est ainsi que, dans le cas des pathologies psy-
chiatriques, de nombreux efforts sont consentis pour tenter d’identifier les gènes
potentiellement impliqués. Ce type de démarche, visant à proposer de nouveaux
traitements à partir de l’information génétique est souvent référé comme rele-
vant de la médecine moléculaire.
La démarche générale de cette recherche est illustrée à la figure 22.2. L’étude
du génome de patients souffrant de différentes de ces pathologies psychiatriques
peut conduire à l’identification de mutations causales, qu’il est alors envisa-
geable de reproduire dans des modèles animaux, en particulier chez la souris,
par les techniques du génie génétique. En comparant ensuite le comportement
et la biologie de ces animaux génétiquement modifiés à ceux d’animaux témoins,
les chercheurs sont alors à même de pouvoir déterminer quelles sont les altéra-
tions du fonctionnement cérébral qui accompagnent les changements de com-
portement induits par ces mutations. Dans ces conditions où la physiopathologie
de la maladie est ainsi approchée, la découverte d’altérations de l’organisation
anatomofonctionnelle du système nerveux — par exemple des changements
d’activité de tel ou tel neurotransmetteur — permet d’imaginer de nouvelles
cibles thérapeutiques susceptibles d’être impactées par de nouveaux traitements,
notamment pharmacologique. Si ces médicaments potentiels se révèlent efficaces
dans des essais cliniques chez l’homme, alors de nouveaux traitements peuvent
être proposés à l’ensemble des patients pour traiter la maladie.
En dépit des promesses considérables de la médecine moléculaire, les maladies
mentales présentent des difficultés particulières. D’abord, le diagnostic même de
ces pathologies est basé sur les troubles du comportement (signes et symptômes),
tels qu’ils apparaissent aux cliniciens ou sont décrits par les malades eux-mêmes,
et non sur les causes de ces maladies (étiologie). Aujourd’hui nous savons que
le même diagnostic peut être établi pour des maladies dont les causes sont dif-
férentes, ce qui suppose que l’on puisse traiter différemment les patients souf-
frant d’une même maladie. Ceci complique considérablement les essais cliniques.
Ensuite, toutes les maladies mentales n’ont pas de cause génétique évidente, et
pour celles dont c’est le cas, il se trouve souvent de nombreux gènes impliqués.
Dans certains cas, il s’agit en fait de très nombreuses petites mutations trans-
mises à un individu et touchant un nombre de gènes élevé. Ici ces mutations
en elles-mêmes peuvent ne pas avoir d’effet significatif sur le comportement de
l’individu, mais c’est ensemble qu’elles accroissent considérablement le risque de
développer la maladie mentale (métaphoriquement : la mort par de milliers de
petits couteaux…). Dans d’autres cas encore, la duplication ou la délétion d’un
gène ou d’un segment de gènes, ce que l’on nomme la variabilité du nombre de
copies d’un gène, peut être juste la cause du diagnostic. Même si chaque variant
22 – Troubles mentaux 767

Maladie
psychiatrique

Découverte du gène

Modèle de maladie
chez la souris

Nouveaux
médicaments

Pathophysiologie
de la maladie

Cl

Identification de la cible
et développement
du médicament
NH
H 3C O

Essais cliniques
humains

Figure 22.2 – Médecine moléculaire.
Des gènes au traitement des maladies psychia­
triques.

spécifique n’est présent que très rarement dans la population générale, la varia-
tion de plusieurs de ces fragments d’ADN peut se traduire par le même dia-
gnostic (par analogie, la mort par une blessure par balles ; même si l’issue est la
même, chaque balle fatale n’affecte en elle-même qu’une seule partie du corps).
Cette complexité génétique se traduit dès lors par le développement de modèles
animaux eux-mêmes divers, mais tous très utiles.
Une nouvelle approche radicalement différente a été développée pour éviter
tous ces problèmes. Elle consiste à étudier la physiopathologie de neurones pro-
venant de ces patients. Attention : ceci ne suppose pas de procéder à des biopsies
cérébrales ! Au contraire, ces approches prennent avantage du fait récemment
découvert que le prélèvement de certaines cellules de la peau chez les patients
peut conduire à un traitement qui les transforme in vitro en ce que l’on nomme
des cellules souches pluripotentes induites ou iPSC (pour induced pluripotent stem
cells). Puis, un autre traitement in vitro induit la différenciation de ces cellules en
neurones, qui peuvent alors faire l’objet de mise en culture. Ces neurones peuvent
dès lors être comparés à ceux prélevés de façon similaire sur des personnes en
bonne santé, ce qui permet d’aborder la physiopathologie. Mais il est clair que
la principale difficulté de cette approche est que le cerveau est infiniment plus
768 3 – Cerveau et comportement

complexe qu’un simple neurone en culture. Le cerveau est formé d’une myriade
de cellules toutes interconnectées, et les mutations géniques peuvent se manifes-
ter sur des populations neuronales diverses et non univoques. Dans ce cas, bien
entendu, traiter les altérations pathologiques d’une population de neurones ne
peut pas constituer une approche sérieuse de la pathologie.

Troubles anxieux
La peur constitue une réponse adaptative à des situations menaçantes.
Comme nous l’avons vu au chapitre 18, la peur est exprimée principalement par
la mise en jeu du système autonome, notamment par l’activation de la compo-
sante sympathique (voir chapitre 15). Un certain nombre de peurs sont de carac-
tère inné et spécifique des espèces animales. À titre d’illustration, il est évident
qu’il n’est pas utile d’éduquer une souris pour qu’elle ait peur du chat… Mais la
peur peut aussi s’apprendre : il suffit d’une fois pour que les chevaux apprennent
à leurs dépens que la clôture de leur enclos est électrifiée. Le caractère adaptatif
de la peur est ainsi évident. Comme il est courant de le dire dans l’aviation : « Il
y a des vieux pilotes et des pilotes casse-cou, mais il n’y a pas de vieux pilotes
casse-cou… ». Néanmoins, il est des circonstances pour lesquelles la peur ne
constitue pas une réponse appropriée ou la meilleure des adaptations. C’est dans
le cas où la réponse à la peur n’est plus adaptée qu’il est alors fait état de troubles
anxieux, qui constituent les troubles psychiatriques parmi les plus fréquents.

Comportements anxieux
Il est estimé que, sur une période d’un an, plus de 15 % des Américains
souffrent d’au moins une des formes d’anxiété présentées dans le tableau 22.1.
Même s’ils diffèrent par la nature des stimuli réels ou imaginaires qui déclenchent
l’anxiété ou par la réponse comportementale que les individus mettent en œuvre
pour y échapper, tous ces troubles ont en commun une expression pathologique
de la peur.

Tableau 22.1 – Troubles anxieux.

Nom Description
Attaque de panique Brusque occurrence de phases d’appréhension inconsidérée et incontrô­
lable, de peur ou de terreur, souvent associées à un sentiment de menace
imminente
Agoraphobie Anxiété en rapport avec la crainte de se trouver en un endroit ou dans une
situation dont il serait difficile de s’extraire et/ou pour lequel toute aide
serait impossible en cas d’attaque de panique
Anxiété généralisée Au moins 6 mois d’anxiété persistante et excessive
Phobie spécifique Anxiété significative sur le plan clinique, provoquée par une frayeur liée à
un objet ou une situation spécifique, conduisant souvent à une réaction
de fuite
Phobie sociale Anxiété significative sur le plan clinique, provoquée par une situation ou
un comportement générateur d’angoisse, conduisant à une appréhension
majeure
Source : adapté de l’American Psychiatric Association, 2013.

Attaques de panique.  Elles représentent des sensations soudaines de terreur


intense, qui surviennent sans avertissement. Les principaux symptômes incluent
des palpitations, une transpiration anormale, des tremblements, une respiration
courte, des douleurs thoraciques, une nausée, une sensation de vertige, de pico-
tement, et une pâleur ou un rougissement, selon les cas. La plupart des sujets
expriment une peur insurmontable, pensant qu’ils sont en train de mourir ou de
22 – Troubles mentaux 769

devenir fou, et ils fuient à toute vitesse la source de cette peur pour rechercher
de l’aide d’urgence, y compris au plan médical. Ces attaques de panique sont en
général de courte durée, inférieure à 30 min. Elles interviennent en réponse à des
stimuli spécifiques et peuvent représenter un symptôme de troubles anxieux plus
généraux, mais elles peuvent également survenir spontanément.
Ce que les psychiatres appellent des troubles paniques représentent un état où
des attaques de panique surviennent spontanément, sans raison apparente et de
façon récurrente, avec une crainte quasi permanente que ces crises d’angoisse
puissent survenir. Cela concerne environ 2 % de la population et les femmes sont
deux fois plus affectées que les hommes. Cette maladie se déclenche en général
juste après l’adolescence, mais rarement après l’âge de 50 ans. La moitié environ
des individus qui présentent ces troubles paniques ont également une dépression
majeure (cela sera discuté plus loin dans le chapitre), et 25 % d’entre eux sont
ou deviennent alcooliques et développent une forme ou une autre d’addiction.
Agoraphobie.  Il s’agit dans ce cas d’une anxiété sévère développée dans des
situations où l’individu a la sensation de se trouver dans une situation dont il
lui semble qu’il aura des difficultés à s’extraire, en général au milieu de la foule.
Ce syndrome est caractéristique de l’agoraphobie (du grec « peur de l’agora »).
L’anxiété résulte en des comportements d’évitement de situations irrationnelle-
ment considérées comme effrayantes, comme par exemple se retrouver seul hors
de sa maison, au milieu de la foule, dans une voiture ou un avion, voire sur un
pont ou dans un ascenseur. L’agoraphobie constitue un trouble de l’anxiété qui
peut traduire des troubles paniques (Encadré 22.1). Il est considéré comme le
plus fréquent, sachant qu’environ 5 % de la population en souffre, les femmes
étant là encore deux fois plus que les hommes sujettes à ce syndrome.

Autres troubles de l’humeur


caractérisés par un excès d’anxiété
D’autres types de malaises, qui ne sont pas considérés par l’Association amé-
ricaine de psychiatrie comme des troubles anxieux, sont néanmoins caractérisés
par une anxiété accrue. Deux des plus fréquents de ces syndromes sont représen-
tés par le stress post-traumatique et par les troubles obsessivocompulsifs (TOC).
Stress post-traumatique.  Pour un pathologiste, un traumatisme réfère à une
plaie causée par une violence soudaine. En psychiatrie, le terme réfère à une atteinte
psychologique liée à la survenue d’un événement choquant dont a été acteur ou
témoin le sujet atteint. L’une des conséquences à long terme de cet événement
est représentée par l’état de stress post-traumatique. Le syndrome lié à cet état se
traduit par une anxiété accrue, des souvenirs intrusifs, des rêves ou des flashbacks
de l’expérience traumatique, une irritabilité et une sorte de torpeur émotionnelle.
Le stress post-traumatique affecte environ 3,5 % de la population aux États-Unis.
Troubles obsessivocompulsifs.  Les obsessions représentent des idées récur-
rentes ou des impulsions qui sont perçues de façon inappropriée, grotesque,
voire interdite par les personnes souffrant de troubles obsessivocompulsifs (TOC).
Parmi les obsessions les plus couramment rencontrées, il y a par exemple l’idée
d’une contamination par des germes ou des sécrétions corporelles, l’idée que le
patient a inconsciemment fait du mal à quelqu’un de son entourage ou encore des
pulsions violentes ou sexuelles. Ces pensées sont considérées comme externes au
sujet et sont donc des causes de souffrance, évoquant une forte anxiété. Les acti-
vités compulsives, quant à elles, constituent des comportements ou des pensées
de caractère répétitif, qui interviennent en vue de réduire l’anxiété associée aux
obsessions. Les exemples les plus fréquents sont des comportements bien connus
de sujets qui se lavent les mains de façon répétitive et rituelle, qui comptent et
recomptent sans arrêt pour se rassurer, ou encore qui vérifient inlassablement un
certain nombre de paramètres, comme le fait qu’ils ont bien éteint la lumière ou
fermé la porte avant de sortir. Les TOC ne sont pas rares. Ils affectent plus de
2 % de la population, avec cette fois une incidence égale chez les hommes et chez
les femmes. Ces TOC apparaissent généralement chez les jeunes adultes, et les
symptômes fluctuent en rapport avec le niveau de stress des sujets.
770 3 – Cerveau et comportement

Encadré 22.1 FOCUS

Agoraphobie avec attaque de panique


Pour réaliser à quel point ce type de troubles de l’an- viron trois minutes, la sensation de panique s’est progres-
xiété peut être source de détresse, il est possible de se sivement estompée et il fut enfin capable de dégager son
référer à ce cas rapporté par Nancy C. Andreasen dans véhicule et d’aller travailler. Cependant, pendant tout le
son livre The Broken Brain. reste de la journée, il pensait qu’il ne serait pas capable de
Greg Miller est un informaticien célibataire de faire le chemin en sens inverse pour rentrer chez lui après
27 ans. À la question de savoir quel est son problème, il son travail, redoutant la même crise de panique alors qu’il
répond : « J’ai peur de sortir de chez moi et de conduire aurait à retraverser le pont.
ma voiture. » Ce jour-là, il contrôla la situation mais, pendant les
Les problèmes de ce patient ont débuté un an plus semaines qui suivirent, il redoutait la traversée du pont
tôt, lorsqu’il s’engageait sur un pont qu’il devait traver- et, à chaque fois, son niveau d’anxiété montait à l’ap-
ser pour aller travailler, au volant de son véhicule. Alors proche du pont ; et même, à trois ou quatre reprises, il
qu’il se trouvait sur cette autoroute à six voies très fré- eut de nouvelles attaques de panique, jusqu’à ce qu’elles
quentée, il s’est mis à penser (comme il le faisait souvent) se produisent chaque jour. Alors la situation lui parut
à ce qui se passerait s’il y avait un accident sur ce pont. Il insurmontable et il arrêta de se rendre à son travail
a réalisé que sa petite voiture serait broyée aussi facile- compte tenu de sa frayeur. Il réalisait que sa peur de
ment qu’une canette de bière en aluminium et qu’il serait franchir le pont était irrationnelle, mais il imagina qu’il
soit tué dans ce carambolage de façon effroyable, soit, au avait des problèmes cardiaques. Il a alors consulté des
mieux, handicapé à vie ; ou encore, que sa voiture pour- médecins, qui n’ont rien trouvé, sauf à lui dire qu’il
rait traverser le pont et plonger avec lui dans la rivière. souffrait d’une anxiété maladive. Les médecins lui ont
À partir du moment où il a envisagé les choses de cette prescrit des tranquillisants et lui ont recommandé de
manière, il a commencé à être tendu et anxieux. Il ne reprendre son travail.
vivait plus et passait tout le temps de la traversée du pont Au bout de six mois, Greg en était toujours au même
à scruter son rétroviseur et tout autour de lui, pour voir si point et redoutait toujours autant de traverser le pont
un accident ne se préparait pas. Un jour, cet état s’est avec sa voiture. Il manquait souvent son travail et fut
amplifié et il a développé une peur insurmontable, jusqu’à finalement arrêté pendant quelques mois pour raisons
paniquer complètement. Ses battements cardiaques s’ac- médicales. Le médecin de son entreprise lui recommanda
céléraient et il commençait à suffoquer, tentant de respirer alors de consulter un psychiatre. Cela effrayait encore
de plus en plus profondément ce qui, évidemment, renfor- plus Greg et il passait en fait le plus clair de son temps
çait sa sensation de suffocation. Sa poitrine lui semblait se chez lui, à lire, à écouter de la musique, ou encore à jouer
rétrécir, comme s’il allait mourir d’un infarctus. Tout se aux échecs sur son ordinateur ou à bricoler. Pendant
passait comme s’il attendait quelque chose d’irrémédiable cette période, il n’eut que peu de crises de panique ou
qui allait survenir. Alors il arrêta sa voiture sur la voie de même d’anxiété. Ce n’était en fait que lorsqu’il sortait de
droite et tenta de reprendre son propre contrôle. Cet arrêt chez lui avec son véhicule, ne serait-ce que pour faire
brutal provoqua un bouchon derrière lui et il se fit insul- quelques courses autour de son domicile, que la panique
ter copieusement par les automobilistes qui le suivaient et le reprenait. Dès lors, il décida de ne même plus sortir de
qui le traitèrent d’inconscient. Au plus fort de sa terreur, chez lui et passa tout son temps littéralement enfermé.
il se cru mortifié. Au bout d’un temps interminable d’en- (Source : Andreasen, 1984, pp. 65-66.)

Bases biologiques des comportements anxieux


Dans le cas des troubles de l’anxiété, l’idée d’une prédisposition génétique a
été avancée, même s’il n’a pas été mis en évidence la contribution de gènes parti-
culiers. En ce qui concerne les autres cas, les troubles de l’anxiété paraissent liés
aux événements stressants de la vie.
Habituellement, la peur est provoquée par des stimuli effrayants, qualifiés de
stresseurs et elle se manifeste par une réponse appropriée. Comme nous l’avons
déjà noté, la relation stimulus-réponse peut être exacerbée par l’expérience (sou-
venez-vous du cheval qui touche la clôture électrique), mais dans certains cas
l’expérience peut aussi avoir l’effet inverse et réduire le stress. Considérons par
exemple un très bon skieur, qui n’a évidemment pas peur des chutes du fait de
son entraînement. Quelqu’un qui est en bonne santé régule ainsi sa réponse au
stress par un apprentissage correct. La limite du trouble anxieux est lorsqu’une
22 – Troubles mentaux 771

réponse inappropriée s’exprime de façon inconsidérée, alors même que le dan-


ger n’est pas présent, ou lorsqu’il n’est pas immédiatement une menace pour
l’individu. Par conséquent, l’une des façons de comprendre ce qui se passe dans
les troubles anxieux est de savoir comment la réponse au stress est généralement
régulée par le cerveau.
Réponse au stress.  La réponse au stress constitue une réaction coordonnée à
un stimulus menaçant. Elle est caractérisée par les éléments suivants :
•• une réaction d’évitement ;
•• une vigilance ou un éveil accru ;
•• une activation de la composante sympathique du système nerveux auto-
nome ;
•• une sécrétion de cortisol à partir des glandes surrénales.
Il n’est de ce fait pas surprenant de considérer que l’hypothalamus joue un
rôle central en orchestrant les différentes composantes hormonales, viscéro­
motrice, et somatomotrice de cette réponse (voir chapitres 15 et 16). Pour avoir
une idée de la façon dont cette réponse est régulée, prenons par exemple la
composante humorale liée à l’activité de l’axe hypothalamohypophysaire cortico­
trope (Fig. 22.3).
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 15, le cortisol, un glucocorticoïde,
est sécrété par la glande corticosurrénale en réponse à une élévation des taux
d’hormone adrénocorticotrope (ACTH) dans le sang. L’ACTH est elle-même
sécrétée à partir de l’hypophyse antérieure, en réponse à la sécrétion de l’hor-
mone CRH (corticolibérine) dans le système circulatoire porte-hypophysaire par
les neurones neurosécrétoires parvocellulaires du noyau paraventriculaire de
l’hypothalamus. Par conséquent, le point de départ de cette réaction au stress
se situe au niveau des neurones à CRH de l’hypothalamus. Ainsi, il est admis
que comprendre comment ces neurones sont régulés peut apporter beaucoup

Stress

CRH

Hypothalamus

Hypophyse ACTH
antérieure Figure 22.3 – L’axe hypothalamohypophy-
saire corticotrope.
Le système hypothalamohypophysaire corti­
Glande
cotrope régule la sécrétion de cortisol à partir
cortico-
surrénale des glandes corticosurrénales, en réponse au
stress. La corticolibérine (CRH) est sécrétée
Cortisol
à partir des neurones paraventriculaires de
l’hypothalamus et elle agit dans l’hypophyse
Modifications physiologiques
régissant la réponse
antérieure. L’ACTH sécrétée à son tour par
au stress l’hypophyse antérieure atteint les glandes sur­
rénales situées au niveau des reins, au travers
de la circulation générale. À ce niveau, l’ACTH
Rein
stimule la sécrétion de cortisol. Le cortisol
contribue alors à la réponse de l’organisme
au stress.
772 3 – Cerveau et comportement

à l’étude des troubles anxieux. Par exemple, lorsque le niveau de CRH est sur­
exprimé chez une souris par manipulation génétique, l’animal exprime une
sensibilité accrue aux stimuli anxiogènes. Lorsque les récepteurs du CRH sont à
l’inverse génétiquement supprimés, alors la souris présente une moindre propen-
sion aux comportements anxieux, par rapport à une souris normale.
Régulation de l’axe hypothalamohypophysaire par l’amygdale et l’hippo-
campe.  L’activité des neurones à CRH de l’hypothalamus est régulée par deux
structures, qui ont été introduites dans les chapitres précédents : l’amygdale et
l’hippocampe (Fig. 22.4). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 18, l’amygdale
joue un rôle clé en ce qui concerne les processus liés à la peur. L’information
sensorielle arrive par les noyaux basolatéraux de l’amygdale où elle est intégrée,
puis transmise au noyau central. Dès lors que le noyau central de l’amygdale
devient actif, la réponse au stress s’ensuit (Fig. 22.5). Dans le cas des troubles
anxieux, les méthodes d’imagerie cérébrale par IRMf (voir Encadré 7.3) ont mis

Bed nucleus
de la stria terminalis

Hippocampe
Amygdale (localisation sous-corticale)
(localisation sous-corticale)

Figure 22.4 – Localisation de l’amygdale et de l’hippocampe.

Réponse
au stress
Amygdale
Activation de l’axe
hypothalamo-
hypophysaire
corticotrope
Hypothalamus
Activation
du système
sympathique

Substance grise Comportement


Amygdale périaqueducale d’évitement

Systèmes Vigilance
modulateurs accrue
Information diffus
sensorielle
Noyau
central
Noyaux basolatéraux

Figure 22.5 – Contrôle de la réponse au stress par l’amygdale.


L’amygdale reçoit des informations sensorielles au travers du thalamus, ainsi que des informations descendantes au travers de projections issues du
cortex cérébral. Ces informations sont intégrées par les noyaux basolatéraux et relayées vers le noyau central. L’activation du noyau central conduit à
déclencher la réponse au stress.
22 – Troubles mentaux 773

en évidence une activation anormale de l’amygdale. La sortie de l’amygdale est


constituée par un noyau particulier, dénommé noyau du lit de la strie terminale
(bed nucleus of the stria terminalis), qui active l’axe hypothalamohypophysaire
corticotrope, et déclenche la réponse au stress
L’axe hypothalamohypophysaire corticotrope est également régulé par l’hip-
pocampe. L’activation de l’hippocampe a plus pour effet d’inhiber que d’ac-
tiver la sécrétion de CRH. L’hippocampe, quant à lui, exprime de nombreux
récepteurs aux glucocorticoïdes, qui répondent au cortisol libéré par les glandes +
surrénales en réponse à l’activation de l’axe hypothalamohypophysaire corti-
cotrope. Par conséquent, l’hippocampe participe à une boucle de régulation de Amygdale Hippocampe
l’activité de cet axe essentiel pour la réponse au stress en inhibant la sécrétion
de CRH et, par conséquent, la sécrétion d’ACTH et, indirectement, de cortisol + –
Axe
lui-même. Toutefois, l’exposition continue au cortisol, telle qu’elle peut survenir hypothalamo-
dans des conditions de stress plus ou moins permanent, est alors susceptible hypophysaire
d’altérer l’intégrité même des neurones hippocampiques, qui peuvent dégénérer
comme le montrent un certain nombre de résultats obtenus chez l’animal (voir
Encadré 15.1). Dans ce cas, la dégénérescence des neurones hippocampiques Cortisol
peut être à l’origine de la mise en jeu d’un cercle vicieux qui accentue encore la
réponse au stress, augmente les taux circulants de cortisol, et provoque de nou-
veaux dommages de l’hippocampe. Les techniques d’imagerie cérébrale ont ainsi Figure 22.6 – Régulation de l’activité de l’axe
permis de montrer chez l’homme une réduction du volume de l’hippocampe chez hypothalamohypophysaire corticotrope par
quelques individus souffrant d’un stress post-traumatique. l’amygdale et l’hippocampe.
En conclusion, l’amygdale et l’hippocampe régulent l’activité de l’axe hypo- L’activation de l’amygdale stimule le système
thalamohypophysaire corticotrope et la réponse au stress de façon réactionnelle, hypothalamohypophysaire et la réponse au
stress (flèches vertes). L’activation de l’hippo­
en l’activant et l’inhibant, respectivement (Fig. 22.6). Les troubles anxieux sont
campe a l’effet inverse (flèche rouge). L’hippo­
ainsi associés soit à une hyperactivité de l’amygdale, soit à une réduction d’acti- campe présente des récepteurs aux gluco­­
vité de l’hippocampe. Néanmoins, souvenez-vous que ces deux structures sont corticoïdes sensibles au taux de cortisol
sous l’influence du cortex cérébral. Dans ce cas, il est aussi possible de postuler circulant. Par conséquent, l’hippocampe fait
que, chez l’homme, un certain nombre de troubles anxieux pourraient résulter partie d’une boucle de rétroaction de l’axe
d’une hyperactivité du cortex préfrontal. C’est ce que semblent montrer des don- hypothalamohypophysaire, qui a pour effet de
nées récentes. limiter une sécrétion excessive de cortisol.

Traitements des troubles anxieux


Plusieurs types de traitements permettent de lutter efficacement contre les
troubles de l’anxiété. Dans certains cas, la psychothérapie s’avère efficace ; dans
d’autres, il faut préférer l’utilisation de médicaments.
Psychothérapie.  Comme il se trouve une forte composante d’apprentissage
dans la réponse à la peur, la psychothérapie est susceptible de représenter un
bon moyen de réduire les troubles anxieux. Le psychothérapeute procède ainsi
en provoquant graduellement le patient par l’exposition au stimulus qui l’effraie,
renforçant la notion que le stimulus lui-même ne présente pas de danger pour lui.
Au plan neurobiologique, le but de la psychothérapie est d’affecter la réponse du
système nerveux, de telle manière que le stimulus réel ou imaginaire ne déclenche
plus cette réponse inadaptée.
Médicaments anxiolytiques.  Les médicaments qui réduisent l’anxiété sont
dénommés anxiolytiques. Tous les anxiolytiques connus agissent en modifiant
la transmission synaptique dans le système nerveux central. Dans ce contexte,
les médicaments utilisés actuellement appartiennent à deux classes pharmaco-
logiques distinctes : les benzodiazépines et les inhibiteurs de la recapture de la
sérotonine.
Souvenez-vous encore que le GABA est l’un des neurotransmetteurs inhi-
biteurs majeurs du système nerveux. Les récepteurs GABAA représentent des
canaux chlore sensibles au GABA, qui sont à l’origine de potentiels post­
synaptiques inhibiteurs (PPSI) rapides (voir chapitre 6). Ainsi, une transmission
GABAergique normale est essentielle pour que le cerveau lui-même puisse fonc-
tionner correctement : trop d’inhibition et c’est le coma ; trop peu d’inhibition
et ce sont les crises d’épilepsie. En plus d’avoir un site de fixation du GABA,
les récepteurs GABAA présentent un certain nombre de sites où des substances
endogènes ou exogènes à l’organisme sont susceptibles d’agir pour moduler effi-
774 3 – Cerveau et comportement

cacement la conductance ionique du récepteur. Les benzodiazépines se fixent


GABA
sur l’un de ces sites modulateurs et potentialisent l’effet du GABA pour ouvrir
Benzodiazépines le canal chlore et produire l’inhibition (Fig. 22.7). Le site de fixation des benzo-
diazépines est supposé être utilisé par une substance encore inconnue, d’origine
endogène, qui interviendrait normalement pour moduler physiologiquement
Éthanol l’activité du récepteur.
Les benzodiazépines, dont la molécule la plus connue est le diazépam
(Valium®), représentent des traitements extrêmement efficaces des formes aiguës
de l’anxiété. Toutefois, virtuellement, toutes les substances, comme l’éthanol
par exemple, renforçant l’action du GABA, sont potentiellement anxiolytiques.
C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer, au moins en partie, l’aspect social de la
consommation d’alcool. L’effet anxiolytique de l’alcool est aussi une explication
Canal chlore sensible au GABA
au fait que, fréquemment, consommation de ces médicaments et abus d’alcool
(récepteur GABAA ) vont de pair.
Nous pouvons bien entendu inférer que les effets calmants des benzodia-
zépines sont liés à leurs effets dépresseurs sur les circuits neuronaux impliqués
Figure 22.7 – Mécanisme d’action des ben- dans la réponse au stress. Les benzodiazépines interviendraient pour normaliser
zodiazépines.
l’activité de ces circuits rendus hyperactifs. De fait, une étude récente effectuée
Les benzodiazépines se fixent sur un site
en TEP-scan (voir Encadré 7.3) sur des patients souffrant de troubles paniques a
régulateur du récepteur GABAA qui le rend
plus sensible au GABA, renforçant par là les montré que le nombre de sites de fixation des benzodiazépines était réduit dans
processus inhibiteurs synaptiques. les régions du cortex frontal, qui sont hyperactives dans l’anxiété (Fig. 22.8). Ces
résultats sont particulièrement intéressants, non seulement parce qu’ils révèlent
les sites d’action du médicament dans le cerveau, mais aussi parce qu’ils sug-
gèrent qu’un défaut de régulation endogène de la transmission GABAergique
au niveau des récepteurs GABAA serait associé à la genèse des troubles anxieux.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), tels que le
Prozac® (fluoxétine) qui est le plus connu, sont très largement utilisés dans le cas
des troubles de l’humeur, comme nous le verrons dans un moment. Cependant,
ils sont également efficaces pour traiter certains troubles de l’anxiété, en parti-
culier les TOC. Comme nous l’avons vu, la sérotonine est libérée très largement
dans le système nerveux central à partir des neurones neuromodulateurs des
noyaux du raphé situés dans le tronc cérébral (voir Fig. 15.13). Les effets cellu-
laires de la sérotonine sont relayés par des récepteurs couplés aux protéines G
et l’action du neurotransmetteur dans la synapse est stoppée par un mécanisme
d’inactivation extrêmement efficace, permettant au message nerveux de se renou-
veler. Ce mécanisme élimine sélectivement et rapidement le neurotransmetteur
en le transportant dans les terminaisons nerveuses qui ont elles-mêmes sécrété
la sérotonine. Ainsi, comme leur nom l’indique, les ISRS prolongent l’action de
la sérotonine au niveau de ses récepteurs synaptiques en réduisant son inacti-
vation par recapture. Dans une étude récente, il a été rapporté la présence dans
quelques familles d’une mutation rare du gène du transporteur de la sérotonine,
en rapport avec une incidence accrue des TOC, suggérant l’implication de ce
neurotransmetteur dans l’origine de ces états pathologiques.

Figure 22.8 – Réduction de la fixation des


benzodiazépines radioactives au niveau céré-
bral chez un patient souffrant de troubles de
la panique.
Ces images de TEP-scan sont présentées
dans le plan horizontal et comparent la fixa­
tion des benzodiazépines radioactives chez
un sujet témoin (à gauche) et chez un patient
souffrant de troubles de la panique (à droite).
Le code des couleurs illustre le nombre de
sites de fixation des benzodiazépines (les
couleurs chaudes témoignent d’un nombre de
sites de fixation élevé ; les couleurs froides,
d’un faible nombre de sites). Le cortex frontal,
figuré ici en haut de l’image, montre notam­
ment une forte réduction du nombre de sites
de fixation chez le patient. (Source : Malizia
et al., 1998, Fig. 1.)
22 – Troubles mentaux 775

Contrairement aux benzodiazépines, l’effet anxiolytique des ISRS n’est pas


immédiat. Les effets thérapeutiques se développent progressivement en réponse
à une administration quotidienne des médicaments, pendant plusieurs semaines.
Cela suggère que l’augmentation des taux de sérotonine synaptique n’est pas
directement responsable de l’effet anxiolytique car cette élévation des concen-
trations synaptiques du neurotransmetteur intervient immédiatement après le
début de la prise des ISRS. Dans ce cas, il est admis que l’effet anxiolytique
des ISRS serait lié à la mise en jeu de processus adaptatifs du système nerveux,
en rapport avec une élévation chronique des taux de sérotonine extracellulaires.
Cela sera à nouveau évoqué lorsque nous parlerons des effets antidépresseurs
de ces médicaments. Dans le contexte de l’anxiété, cependant, il est intéressant
de constater que l’une de ces réponses adaptatives est représentée par une aug-
mentation du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe.
Dans ce cas, il est possible que l’effet anxiolytique soit lié à une augmentation
de l’activité de la boucle de régulation s’exerçant sur les neurones à CRH de
l’hypothalamus (Fig. 22.6).
Même si les benzodiazépines et les ISRS ont montré leur efficacité pour trai-
ter les troubles de l’anxiété, de nouveaux médicaments sont en voie de déve-
loppement, en rapport avec nos connaissances des mécanismes de la réponse
au stress. Parmi ces pistes prometteuses, l’une des cibles est représentée par les
récepteurs du CRH. En fait, le CRH n’est pas seulement le neurotransmetteur
qui active les neurones à ACTH de l’hypophyse, mais il agit également comme
neurotransmetteur à part entière, dans d’autres régions du système nerveux cen-
tral impliquées dans la réponse au stress. Par exemple, quelques neurones du
noyau central de l’amygdale contiennent du CRH et l’injection intracérébrale
de CRH chez l’animal est reconnue comme pouvant être à l’origine de signes
d’anxiété. Par conséquent, l’utilisation d’antagonistes des récepteurs du CRH
pourrait effectivement être à même de réduire l’anxiété. C’est l’une des voies de
recherche actuelles, dans ce domaine.

Troubles de l’humeur
L’affect est le terme médical pour parler de l’état émotionnel et de l’humeur.
Ainsi les troubles affectifs représentent des troubles de l’humeur qui sont rela-
tivement fréquents puisqu’il est admis que, en prenant une année de référence,
plus de 9 % de la population générale expriment des souffrances de ce type, à un
moment ou à un autre de cette année.

Description des troubles de l’humeur


Une dépression légère et passagère, ce que l’on dénomme « avoir le blues »,
constitue une réponse normale aux événements de la vie, par exemple en réponse
à la perte d’un être cher ou encore à une déception sentimentale. De fait, cet état
transitoire n’est pas considéré comme pathologique. La maladie que les psy-
chiatres et les psychanalystes appellent la dépression est en fait quelque chose
de beaucoup plus durable et de beaucoup plus grave, caractérisée par le fait que
le patient a le sentiment que son état émotionnel échappe à tout contrôle. Les
dépressions majeures peuvent intervenir brutalement, souvent sans réel facteur
déclenchant externe et, si cet état n’est pas traité énergiquement, il peut persister
pendant plusieurs mois, habituellement de 4 à 12 mois.
La dépression constitue une maladie grave. C’est la cause principale du sui-
cide, représentant chaque année jusqu’à 38 000 cas aux États-Unis. La dépres-
sion constitue également une maladie très fréquente puisqu’il est admis qu’au
cours de leur vie, à un moment ou à un autre, jusqu’à 20 % de la population
souffre ou souffrira d’état dépressif. Dans le cas d’une population de patients
particuliers, qui présente une forme de dépression que l’on nomme troubles bipo-
laires, les épisodes dépressifs alternent avec des épisodes où l’état émotionnel est
exacerbé, ce qui constitue également une situation invalidante.
776 3 – Cerveau et comportement

Dépression majeure.  La maladie connue sous le nom de dépression majeure


constitue le trouble de l’humeur le plus fréquent, affectant environ 6  % de la popu-
lation. Les symptômes les plus importants sont représentés par une détresse psy-
chologique et une perte d’intérêt pour toutes les activités. Le diagnostic impose
que ces troubles soient présents au moins durant deux semaines et sans rapport
immédiat avec un événement grave de la vie, un deuil par exemple. D’autres
symptômes sont également présents :
•• une perte d’appétit (ou au contraire un comportement boulimique) ;
•• une insomnie (ou au contraire une hypersomnie) ;
•• une fatigue générale ;
•• une perte de la confiance en soi et un sentiment d’inutilité ;
•• une faculté à se concentrer très fortement réduite ;
•• des pensées récurrentes de mort.
Les épisodes de dépression majeure ne s’étendent en général pas au-delà de
deux années mais cette maladie demeure et devient chronique dans 17 % des
cas. Sans traitement, le taux de récidive est d’environ un cas sur deux, et après
trois épisodes ou plus, il augmente à plus de 90 %. Une autre forme de syndrome
dépressif, qui affecte jusqu’à 2 % de la population adulte, est dénommée dysthy-
mie. Bien qu’il s’agisse d’une pathologie moins grave que la dépression majeure,
la dysthymie représente une maladie latente, qui disparaît plus ou moins sponta-
nément. Ces pathologies sont au moins deux fois plus fréquentes chez les femmes
que chez les hommes.
Troubles bipolaires.  Comme la dépression majeure, les troubles bipolaires
sont de caractère récurrent. Ils se traduisent par des épisodes répétés de manie
ou des épisodes alternés de manie et de dépression, d’où le nom de syndrome
maniacodépressif. La manie (dérivée du mot français qui signifie « dérangé » ou
« délirant ») se traduit par un état d’excitation et d’irritabilité anormalement
élevé. Pendant ces épisodes, les maniaques présentent un comportement où
transparaissent les signes suivants :
•• une surestimation du soi ;
•• des besoins en sommeil fortement diminués ;
•• une loquacité considérablement augmentée ;
•• des idées qui fusent et une expérience subjective exacerbée ;
•• un défaut de concentration et une grande distraction ;
•• une propension à se donner des objectifs au-dessus de ses moyens.
Un autre symptôme caractéristique réside en des erreurs de jugement. Les
patients deviennent par exemple fréquemment dispendieux, offensifs, présentent
un comportement très désinhibé, et ils deviennent souvent incorrectement fami-
liers.
En accord avec les critères diagnostiques, les troubles bipolaires sont classés
en deux entités distinctes : les troubles bipolaires de type I, qui touchent à peu
près 1 % de la population et de façon équivalente les hommes et les femmes, sont
caractérisés par les épisodes de manie décrits ci-dessus, avec des signes ou non
de dépression majeure ; les troubles bipolaires de type II affectent quant à eux
environ 0,6 % de la population et sont caractérisés par une hypomanie, représen-
tant une forme légère de manie qui n’est pas associée à des troubles du jugement.
En fait, le plus souvent l’hypomanie prend la forme d’une redoutable efficacité
dans le travail, voire d’une créativité et d’une sensation d’accomplissement de soi
(Encadré 22.2). Mais les troubles bipolaires de type II sont aussi associés à des
épisodes de dépression majeure. Lorsque l’hypomanie alterne avec des états de
dépression qui ne sont pas suffisants pour qualifier la dépression de « majeure »
(par exemple lorsque seulement certains des symptômes sont présents et pour
une durée limitée), le patient est qualifié de cyclothymique.

Bases biologiques des troubles de l’humeur


Comme pour la plupart des autres troubles mentaux, les troubles de l’humeur
reflètent des dysfonctionnements simultanés de plusieurs régions cérébrales.
C’est ainsi la seule façon de rendre compte de symptômes aussi variés que des
22 – Troubles mentaux 777

Encadré 22.2 FOCUS

Une orangeraie magique dans un cauchemar…

Winston Churchill l’appelait son « chien noir »1. quasi obsessive, donner une incroyable confiance en soi,
L’écrivain F. Scott Fitzgerald se trouvait lui-même sou- et aller jusqu’à s’affranchir des contraintes sociales ; en
vent « …haïssant la nuit où il ne pouvait fermer l’œil et fait, tout ce qui est nécessaire à une créativité artistique
haïssant le jour parce qu’il le portait vers la nuit »2. Pour originale.
le compositeur Hector Berlioz, c’était « le plus terrible La folie du poète est cependant plus souvent un fléau
des malheurs de l’existence »3. C’est ainsi qu’ils par- qu’une source d’inspiration. Pour Robert Lowell, c’était
laient tous de leur vie lors des épisodes dépressifs. Du « une orangeraie magique dans un cauchemar »6. Le
poète écossais Robert Burns au rocker américain Kurt mari de Virginia Woolf a décrit lui-même comment
Cobain, toutes ces personnalités extraordinairement « elle parlait sans arrêt pendant deux ou trois jours sans
créatives ont souffert de façon inhabituelle de troubles se préoccuper de ce qui se passait autour d’elle ou de
de l’humeur. C’est ce que révèlent les biographies de tout ce qu’on pouvait lui dire »7. Il est également diffi-
nombreux artistes parfaitement reconnus, qui pré- cile d’évoquer l’immense désarroi et la profonde mélan-
sentent par ailleurs un aspect alarmant, montrant que la colie qui peuvent être associés à ces états dépressifs. Le
fréquence des dépressions majeures dans ce milieu est taux de suicide chez les poètes reconnus est d’environ 5
environ de dix fois supérieure à celle notée dans la popu- à 18 fois plus élevé que dans la population générale, ce
lation générale ; et jusqu’à plus de trente fois en ce qui qui donne une idée de la détresse qui peut intervenir. Un
concerne les troubles bipolaires. autre poète, John Keats, écrivait ainsi, complètement
De nombreux artistes ont décrit leur infortune de désespéré : « Je suis dans un état comme si je me trouvais
façon éloquente. La question est alors posée de savoir si la tête sous l’eau et que je ne fasse surface que très rare-
les troubles de l’humeur peuvent favoriser le talent et la ment. »8 ; et, dans le même temps, à cette époque, pen-
créativité ? Bien entendu tous les maniacodépressifs dant une période de 9 mois environ en 1819, il écrivait
ne sont pas des artistes ou doués d’imagination inhabi- ses plus beaux poèmes avant de disparaître atteint de la
tuelle, et tous les artistes ne sont pas maniacodépres- tuberculose à l’âge de 25 ans. La figure A illustre la pro-
sifs… Cependant, il est notable que les artistes souffrant duction du compositeur Robert Schumann en rapport
de troubles maniacodépressifs tirent parfois profit de cet avec ses épisodes maniacodépressifs. Il existe une corré-
état dans leur création. Edgar Allan Poe parlait ainsi lation indéniable entre son œuvre et sa maladie.
de sa propre dépression : « Par chance, je suis à la fois Le psychiatre Kay Redfield Jamison a suggéré que
incroyablement paresseux et merveilleusement produc- « la dépression correspond à une vision du monde au
tif. »4 Le poète Michael Drayton parle de « sa merveil- travers de lunettes noires, alors que la manie correspon-
leuse folie… que doit avoir tout cerveau de poète »5. De drait plutôt à son observation au travers d’un kaléidos-
nombreuses études ont montré que l’état hypomaniaque cope, souvent brillant mais le plus souvent fracturé »9.
peut favoriser certains processus cognitifs, accroître la Dans ce cas, il est satisfaisant de voir que nous dispo-
pensée originale et idiosyncrasique, et même rendre plus sons maintenant de traitements efficaces contre ces
fluent le discours. L’état maniaque peut aussi réduire les maladies, le kaléidoscope n’étant pas forcément enviable
besoins en sommeil, favoriser la concentration de façon aux lunettes noires.

1.  Relevé dans Ludwig AM. The price of greatness: resol- 5.  Michael Drayton. To my dearly beloved friend, Henry
ving the creativity and madness controversy. New York : Reynolds, Esq. of poets and poesy, lines 109-110. In : The
Guilford Press, 1995 : p. 174. works of Michael Drayton, Esq. Vol. 4. London : W. Reeve,
1753.
2. F. Scott Fitzgerald. The crack-up. In : The crack-up 6.  Ian Hamilton. Robert Lowell: a biography. New York :
and other stories. New York : New Directions, 1956 : 69-75. Random House, 1982 : p. 218.
3.  Hector Berlioz. The memoirs of Hector Berlioz. Trans. 7.  Leonard Woolf. Beginning again: an autobiography of
Daid Cairns. St Albans, England : Granada, 1970 : p. 142. the year 1911 to 1918. New York : Harcourt Brace, 1964 : 172-3.
8.  Quoted by Kay Jamison in a presentation at the depres-
4.  Edgar Allan Poe. Letters to James Russell Lowell, June sion and related affective disorders association. Baltimore,
2, 1844. In : John Wand Ostrom, ed. The letters of Edgar Maryland : John Hopkins Symposium, april 1997.
Allan Poe. Vol. 1. Cambridge : Harvard University Press, 9. Jamison KR. Manic-depressive illness and creativity.
1948 : 256. Scientific American 272 : 62-7.
778 3 – Cerveau et comportement

Encadré 22.2 FOCUS  (suite)

27 compositions
Nombre de compositions

9 compositions

1829 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856

Dépression Épisode Dépression Épisode Tentative Mort


sévère hypomaniaque sévère de hypomaniaque de en asile
de l’année 1840 l’année 1844 de l’année 1849 suicide (refus de
s’alimenter)

Figure A – Dates des compositions de Robert Schumann en rapport avec ses épisodes maniacodépressifs.
(Source : adapté de Slater et Meyer, 1959.)

troubles du comportement alimentaire associés à des troubles du sommeil, ou


encore à des difficultés de concentration. De ce fait, l’attention est attirée natu-
rellement vers les systèmes neuromodulateurs diffus qui régulent globalement
l’ensemble de ces fonctions. Une autre dimension explicative de ces syndromes
se trouve peut-être aussi au niveau du fonctionnement de l’axe hypothalamohy-
pophysaire corticotrope, qui pourrait jouer un rôle dans la dépression. Dans ce
qui suit, l’aspect neurobiologique des troubles de l’humeur est passé en revue.
Hypothèse monoaminergique.  Dans les années 1960, il a été proposé que
les systèmes monoaminergiques diffus du cerveau pourraient jouer un rôle dans
la dépression. La réserpine, un médicament introduit pour lutter contre l’hy-
pertension artérielle, était en fait à l’origine d’états dépressifs chez environ 20 %
des patients traités. Comme la réserpine est connue pour provoquer une forte
déplétion en catécholamines et en sérotonine à partir des neurones monoami-
nergiques centraux, en interférant avec le mécanisme de remplissage des vési-
cules synaptiques en neurotransmetteur, l’implication de ces neurones a ainsi
été avancée. Puis, il a été remarqué que des médicaments qui étaient administrés
pour traiter la tuberculose entraînaient au contraire des améliorations de l’hu-
meur des patients. Ces drogues sont connues aujourd’hui pour inhiber l’activité
d’une enzyme dénommée monoamine oxydase (MAO), dont nous avons vu pré-
cédemment qu’elle avait pour effet de dégrader les catécholamines et la séroto-
nine. Un troisième élément de l’hypothèse monoaminergique a été apporté par
l’observation des effets d’un autre médicament, l’imipramine, introduit comme
antidépresseur et dont il s’est avéré que l’action cellulaire était d’inhiber la recap-
ture synaptique de la sérotonine et de la noradrénaline. C’est ainsi qu’à partir de
l’ensemble de ces observations, l’hypothèse a été avancée que l’humeur était en
fait étroitement corrélée au niveau d’activité synaptique des neurotransmetteurs
monoaminergiques, notamment la sérotonine et la noradrénaline, au niveau
cérébral. C’est ce qui est nommé l’hypothèse monoaminergique des troubles de
l’humeur, et qui suggère par conséquent que la dépression est liée à une défi-
22 – Troubles mentaux 779

cience de la transmission synaptique de l’un ou l’autre de ces systèmes neuromo-


dulateurs (Fig. 22.9). Ainsi, comme cela sera développé plus loin, la plupart des
médicaments récemment développés pour traiter ces affections ont en commun
de stimuler le fonctionnement de ces systèmes neuronaux.
Malencontreusement, il existe un certain nombre de limites à l’idée d’une cor-
rélation trop étroite entre atteinte du fonctionnement des systèmes monoaminer-
giques et dépression. En effet, comme cela a déjà été évoqué, il existe un délai
important de plusieurs semaines entre l’administration du médicament et les effets
antidépresseurs, alors même que l’inhibition des processus de recapture au niveau
synaptique est immédiate. Un autre constat qui nous amène à considérer cette
hypothèse comme trop réductrice est lié au fait que d’autres agents pharmacolo-
giques qui agissent pour inhiber la recapture de ces neurotransmetteurs, comme la
cocaïne par exemple, ne présentent pas d’effets antidépresseurs. Dès lors une nou-
velle hypothèse a été avancée, qui suggère que l’administration chronique de ces
médicaments a pour effet d’être à l’origine de processus adaptatifs de la com­mu­
nication intercellulaire à long terme, qui seraient en fait les responsables de l’effet
antidépresseur. Parmi ces processus adaptatifs, il semble que des adaptations
puissent intervenir au niveau de l’axe hypothalamohypophysaire corticotrope qui,
lui aussi, a été impliqué dans la genèse de certaines formes de dépression.

(a) Système sérotoninergique


Ganglions de la base
Néocortex

Thalamus

Hypothalamus

Lobe temporal

Noyaux du raphé Cervelet

Vers la moelle épinière

(b) Système noradrénergique

Néocortex

Thalamus

Figure 22.9 – Organisation des systèmes


Hypothalamus modulateurs diffus impliqués dans les
troubles de l’humeur.
Lobe temporal Ces systèmes modulateurs ont été introduits
dans le chapitre 15. Ils sont caractérisés
Locus coeruleus par la très large répartition des terminaisons
Cervelet nerveuses conférant à cette organisation un
caractère diffus. (a) Système sérotoniner­
Vers la moelle épinière gique. (b) Système noradrénergique.
780 3 – Cerveau et comportement

Hypothèse d’une prédisposition au stress.  Il existe de nombreuses observa-


tions en faveur de formes familiales de dépression, ce qui renforce l’idée d’une
prédisposition génétique aux troubles de l’humeur. Le terme médical pour rendre
compte d’une « prédisposition » à certaines maladies est diathèse. Néanmoins,
il est aussi établi que d’autres facteurs de risque existent, liés notamment à des
maltraitances pendant l’enfance ou encore à des situations stressantes répétitives
chez l’adulte. Cette possible prédisposition au stress contribuant aux troubles
de l’humeur a été à l’origine de la proposition d’une hypothèse unificatrice
dénommée hypothèse stress-diathèse des troubles de l’humeur. En accord avec
cette théorie, l’axe hypothalamohypophysaire corticotrope serait le site principal
de convergence des influences génétiques et environnementales à l’origine des
troubles de l’humeur.
Comme nous l’avons évoqué, une activité trop importante de l’axe hypothala-
mohypophysaire corticotrope est associée aux troubles de l’anxiété. Mais anxiété
et dépression coexistent fréquemment, cette comorbidité étant la règle, plus
qu’une exception. De fait, l’observation peut-être la moins controversée en ce
qui concerne la biologie de la dépression est bien l’hyperactivité de cet axe majeur
pour le contrôle du stress : les taux sanguins circulants de cortisol, comme ceux
de CRH du liquide céphalorachidien, sont élevés chez les patients sévèrement
déprimés. Dans ce cas, peut-on imaginer que cette hyperactivité de l’axe hypo-
thalamohypophysaire corticotrope et ses effets délétères sur le fonctionnement
cérébral soient la cause de la dépression ? Les travaux chez l’animal ont tendance
à le vérifier. Des administrations intracérébrales de CRH produisent dans ce cas
des effets comportementaux considérés comme des signes de dépression : insom-
nie, diminution de la prise alimentaire, désintérêt pour les activités sexuelles, et
bien entendu une expression comportementale de l’anxiété exacerbée.
Souvenez-vous aussi que l’activation des récepteurs aux glucocorticoïdes
de l’hippocampe par le cortisol a normalement pour effet de réduire en retour
l’activité de l’axe hypothalamohypophysaire corticotrope (Fig. 22.6). Chez les
patients déprimés, cette boucle de régulation est interrompue, ce qui explique
l’hyperfonctionnement de cet axe neuroendocrinien. Au niveau moléculaire,
la diminution de la réponse de l’hippocampe au cortisol est expliquée par une
réduction du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes. Dès lors se pose la
question de savoir comment est régulé le nombre de ces récepteurs ? Parmi les
hypothèses avancées, on retrouve alors la triade d’éléments évoquée plus haut
pour expliquer l’origine des troubles de l’humeur : les gènes, les monoamines, et
l’expérience précoce au cours du développement.
Les récepteurs aux glucocorticoïdes, comme toutes les protéines, sont le
produit de l’expression de gènes. Il a été démontré chez le rat que l’expérience
sensorielle précoce au cours du développement régule l’expression des gènes
qui expriment les récepteurs aux glucocorticoïdes. Ainsi les jeunes rats placés
dans des conditions où ils reçoivent des soins maternels attentifs, expriment
plus de récepteurs de ce type dans l’hippocampe, moins de récepteurs au CRH
dans l’hypothalamus, et une anxiété relativement faible, lorsqu’ils deviennent
adultes. Il a également été noté que l’influence maternelle peut être substituée
par une stimulation sensorielle appropriée des jeunes rats. La stimulation tac-
tile, par exemple, active les neurones sérotoninergiques qui facilitent l’activité
de l’hippocampe, et c’est la sérotonine qui contribuerait à promouvoir l’expres-
sion des récepteurs aux glucocorticoïdes. Dans ce cas, l’abondance de ces récep-
teurs rend les animaux plus aptes à réagir au stress lorsqu’ils deviennent adultes.
Néanmoins, il semble que l’effet bénéfique de la stimulation sensorielle soit
limité à une période critique de courte durée de la période post-natale précoce.
Dans le cas de l’adulte, une telle stimulation n’a pas d’effet. La maltraitance ou la
négligence des individus pendant l’enfance, combinée à des facteurs génétiques,
constituerait un terrain de prédilection pour le développement des troubles de
l’humeur et de l’anxiété. Dans le cas de la dépression, cette hypothèse est confor-
tée par les travaux expérimentaux qui renforcent l’idée que le cerveau présente
une vulnérabilité particulière à cette pathologie lorsqu’il existe une élévation des
taux de CRH et une diminution d’efficacité de la régulation de l’activité de l’axe
hypothalamohypophysaire corticotrope.
22 – Troubles mentaux 781

Cortex cingulaire antérieur

Figure 22.10 – Cortex cingulaire antérieur.


Les études en TEP-scan et en IRMf attestent d’une augmentation de l’activité de cette région du
cerveau chez les patients souffrant de dépression majeure. Cette activité est réduite par les traite­
ments antidépresseurs lorsqu’ils sont efficaces sur la maladie.

Atteinte du cortex cingulaire antérieur. Les études réalisées en imagerie


cérébrale fonctionnelle ont démontré de façon constante une augmentation
d’activité métabolique au repos dans le cortex cingulaire antérieur de patients
déprimés (Fig. 22.10). Cette région du cerveau est considérée comme une sorte
de « nœud » dans un réseau extensif de structures interconnectées incluant
d’autres aires du cortex préfrontal, l’hippocampe, l’amygdale, l’hypothalamus
et certaines régions du tronc cérébral. L’hypothèse qu’un dysfonctionnement du
cortex cingulaire antérieur participe aux symptômes de la dépression majeure est
confortée par un certain nombre de données, incluant des études ayant montré
que l’activité de cette aire est augmentée par le rappel de souvenirs autobiogra-
phiques d’un événement triste, et que cette activité est réduite par un traitement
médicamenteux antidépresseur efficace. Sur la base de ces travaux, le cortex cin-
gulaire antérieur est considéré comme une structure cérébrale critique établis-
sant un lien entre l’état émotionnel et l’axe hypothalamohypophysaire.

Traitements des troubles de l’humeur


Les troubles de l’humeur sont extrêmement fréquents. De ce point de vue,
ils représentent un réel problème de société, par le coût social et le poids sur la
productivité. Par chance, il existe une série de traitements efficaces pour lutter
contre ces troubles invalidants.
Électrochocs.  Vous serez peut-être surpris d’apprendre que l’un des meilleurs
traitements de la dépression et de la manie consiste à provoquer une décharge
paroxystique au niveau des lobes temporaux. Dans le cas de l’électrothérapie
convulsive (ECT pour electro-convulsive therapy), une décharge électrique est
appliquée entre deux électrodes placées sur le scalp. Cette stimulation électrique
localisée a pour effet de déclencher des convulsions, mais le patient est placé
sous anesthésie et reçoit des myorelaxants, de façon à prévenir les mouvements
violents qui pourraient résulter de ce traitement. L’un des avantages de l’électro-
thérapie est que ses effets peuvent être ressentis immédiatement, quelquefois dès
la première session. Cela confère à l’ECT un rôle majeur, notamment lorsqu’il y
a un risque de tentative de suicide. En revanche, le traitement produit des pertes
de mémoire, ce qui constitue un inconvénient non négligeable. Comme nous le
verrons dans le chapitre 24, les structures des lobes temporaux, y compris l’hip-
pocampe, jouent un rôle critique pour la mémorisation. L’ECT affecte essentiel-
lement les souvenirs récents, intervenus avant le traitement, dans le pire des cas
jusqu’à 6 mois avant que celui-ci intervienne. De plus, ce traitement peut aussi
réduire temporairement les facultés à mémoriser de nouvelles informations.
782 3 – Cerveau et comportement

Les mécanismes de l’action thérapeutique de l’ECT sur la dépression ne


sont pas connus. Comme cela a déjà été mentionné, l’hippocampe pourrait être
affecté en priorité par le traitement. Dans ce cas, les effets sur l’hippocampe
pourraient alors se répercuter sur l’axe hypothalamohypophysaire corticotrope.
Psychothérapie.  La psychothérapie peut représenter un moyen d’action effi-
cace contre les formes légères à modérées de dépression. L’objectif essentiel est
d’aider le patient déprimé à surmonter l’opinion négative qu’il a de lui et de son
avenir. Les bases neurobiologiques de ce traitement ne sont pas établies, mais
il est possible que l’effet bénéfique passe par une reprise du contrôle, au plan
cognitif, de l’activité des circuits affectés dans la dépression.
Médicaments antidépresseurs.  Il existe un grand nombre de médicaments
actifs pour lutter contre la dépression et, plus généralement, les troubles de l’hu-
meur. Les médicaments antidépresseurs les plus connus sont (1) les composés
tricycliques (ainsi dénommés à cause de leur structure chimique) comme l’imi-
pramine, qui bloquent la recapture de noradrénaline et de sérotonine ; (2) les
ISRS comme la fluoxétine, qui inhibent sélectivement la recapture de la séroto-
nine ; (3) les inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine à
la fois, comme la venlafaxine ; et (4) les inhibiteurs des MAO comme la phénel-
zine, qui réduisent la dégradation enzymatique de sérotonine et noradrénaline
(Fig. 22.11). Tous ces médicaments agissent en augmentant les taux de séroto-
nine et de noradrénaline au niveau de leurs récepteurs respectifs. Cependant,
comme cela a été mentionné, les effets thérapeutiques n’interviennent qu’après
un délai de plusieurs semaines.

Noradrénaline
(NA) Sérotonine (5-HT)

Tricycliques

NA 5-HT

– –

Transporteur

NE 5-HT
NA Fluoxétine

NA IMAO 5-HT


Active des récepteurs Active des récepteurs
présynaptiques présynaptiques
et post-synaptiques et post-synaptiques
MAO

Produits
du métabolisme

Figure 22.11 – Mécanismes d’action des antidépresseurs et métabolisme synaptique de la


noradrénaline et de la sérotonine.
Les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO), les tricycliques et les inhibiteurs spécifiques
de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont utilisés pour leur effet antidépresseur. Les IMAO aug­
mentent l’action synaptique de la sérotonine et de la noradrénaline en réduisant leur inactivation
enzymatique. Les antidépresseurs tricycliques augmentent les concentrations extracellulaires des
neurotransmetteurs en inhibant leur recapture par les terminaisons nerveuses. Enfin, les ISRS
(fluoxétine) agissent par le même type de mécanisme, qui est cette fois sélectif de la sérotonine.
22 – Troubles mentaux 783

Les réponses adaptatives du cerveau à l’administration chronique de ces


médicaments chez l’homme n’ont pas été établies avec certitude. Le résultat le
plus marquant, cependant, est la corrélation qui existe entre les effets thérapeu-
tiques et leur propension à réduire chez l’homme l’hyperactivité de l’axe hypo-
thalamohypophysaire corticotrope et celle du cortex cingulaire antérieur. Les
études chez l’animal suggèrent que cet effet est en rapport avec l’augmentation
du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes au niveau hippocampique, qui
intervient en réponse à une élévation de longue durée des taux de sérotonine.
Comme le CRH joue un rôle critique dans la réponse au stress relayée par l’axe
hypothalamohypophysaire corticotrope, des agents thérapeutiques intervenant
comme antagonistes des récepteurs du CRH pourraient représenter de nouvelles
classes d’antidépresseurs. Quelques-uns ont déjà montré des effets antidépres-
seurs en clinique. De façon intéressante, l’administration chronique des ISRS
aurait pour effet de stimuler la neurogenèse, c’est-à-dire la prolifération de nou-
veaux neurones, dans l’hippocampe (cette neurogenèse sera discutée dans le cha-
pitre 23). Cette neurogenèse accrue pourrait être en rapport avec l’effet compor-
temental des ISRS, possiblement du fait de leur effet activateur du contrôle de
l’axe hypothalamohypophysaire par l’hippocampe. (NdT : c’est au laboratoire, à
Marseille, qu’ont été obtenues les toutes premières évidences que la sérotonine
stimule la neurogenèse, par A. Daszuta et ses collaborateurs, ce qui a par la suite
été vérifié par de nombreuses équipes).
Le long délai, de l’ordre de plusieurs semaines, qui existe entre le début du
traitement par les médicaments et leur effet antidépresseur constitue non seule-
ment un mystère scientifique, mais il est aussi un challenge pour les cliniciens.
Les patients peuvent se sentir découragés lorsque leurs espoirs de voir leur état
s’améliorer n’est pas perçu, et ceci peut d’ailleurs contribuer à exacerber tempo-
rairement leur état dépressif. Ceci constitue une limitation importante, en par-
ticulier lorsqu’existe un fort risque de suicide. Par conséquent, les travaux sont
très actifs pour mettre au point de nouveaux traitements antidépresseurs qui ne
présenteraient pas cet inconvénient et agiraient dans des délais beaucoup plus
courts. Cet espoir d’atteindre un tel objectif a récemment été renforcé par la
découverte qu’une simple dose d’une injection intraveineuse d’un anesthésique
couramment utilisé en médecine vétérinaire, la kétamine, était à même d’amé-
liorer rapidement les symptômes de la dépression et ceci pour plusieurs jours.
Comme nous le verrons par la suite, dans le contexte de la schizophrénie, la
kétamine peut être à l’origine d’épisodes psychotiques sévères, qui nécessitent
une hospitalisation. Et ce n’est qu’après élimination de la drogue par l’organisme
que les effets psychotiques diminuent et que les effets antidépresseurs sont per-
ceptibles. Par conséquent, comme pour d’autres traitements de la dépression, les
effets thérapeutiques paraissent liés à des réponses adaptatives de l’organisme à
l’administration du produit. Cependant, dans le cas de la kétamine, cette adap-
tation interviendrait beaucoup plus rapidement que dans celui des autres anti-
dépresseurs classiquement utilisés en clinique aujourd’hui.
Lithium.  Si l’on s’en tient à ce que nous avons évoqué ci-dessus, nous pou-
vons admettre que la découverte des traitements des troubles de l’humeur relève
d’une bonne dose de hasard ; tel l’exemple de l’électrothérapie introduite comme
traitement de dernière chance dans les années 1930, sur la base d’une croyance
erronée qu’épilepsie et schizophrénie ne pouvaient coexister chez le même
patient. Ce n’est que bien plus tard que l’électrothérapie a été démontrée comme
représentant un traitement efficace de la dépression.
La sérendipité était encore à l’œuvre lorsqu’un autre type de traitement a été
développé en ce qui concerne les troubles bipolaires. Dans les années 1940, le
psychiatre australien John Cade recherchait des substances psychoactives dans
l’urine de ses patients maniaques. Il administrait ainsi des extraits urinaires ou
l’urine elle-même à des cobayes, et il étudiait les effets sur le comportement.
Cade souhaitait étudier l’effet de l’acide urique, mais avait des difficultés à le
solubiliser en vue de l’injection. Il a donc utilisé à la place de l’urate de lithium,
parce que ce sel était beaucoup plus soluble et disponible dans sa pharmacie.
De façon inattendue, il observa que ce traitement avait un effet tranquillisant
sur ses cobayes, alors même qu’il avait imaginé obtenir plutôt un effet stimu-
784 3 – Cerveau et comportement

1960 1961 1962 1963 1964 1965

Manie Dépression Administration du lithium

Figure 22.12 – Effet stabilisateur de l’humeur du lithium chez 5 patients. (Source : adapté de Barondes, 1993, p. 139.)

lateur sur les animaux. Comme d’autres sels de lithium avaient le même effet,
il conclut que c’était le lithium et non un composé urinaire, qui provoquait les
effets comportementaux. Il entreprit alors de tester les effets du lithium sur les
patients maniaques, et cela s’avéra bénéfique. Ultérieurement, il fut démontré
que le lithium est extrêmement efficace pour stabiliser l’humeur des patients
présentant des troubles bipolaires, non seulement en prévenant l’occurrence de
nouveaux épisodes maniaques, mais aussi de dépression (Fig. 22.12).
Le lithium agit sur les neurones de plusieurs manières. En solution, il repré-
sente un cation monovalent qui transite facilement au travers des canaux sodiques
membranaires. À l’intérieur des neurones, le lithium ralentit le métabolisme des
phospho-inositides et particulièrement du phosphatidylinositol (PIP2), un pré-
curseur d’un second messager important synthétisé par l’activation d’un certain
nombre de récepteurs couplés aux protéines G (voir chapitre 6). Le lithium inter-
fère aussi avec l’action de l’adényl cyclase, qui contrôle la production d’AMPc,
ainsi qu’avec celle de la glycogène-synthase kinase (GSK), une enzyme clé du
métabolisme énergétique. En dépit de ces connaissances, la raison pour laquelle
le lithium est si efficace pour traiter les troubles bipolaires reste objectivement
une énigme. Et d’autres travaux seront nécessaires pour le comprendre. Il est à
noter que, comme pour les autres types d’antidépresseurs, le lithium n’exerce son
effet qu’après plusieurs semaines d’une prise régulière mais, là encore, la raison
n’est pas connue. Il est probable que la réponse se trouve au niveau de processus
d’adaptation de l’activité cérébrale à long terme, mais la nature de ces change-
ments reste ici totalement à déterminer.
Stimulation cérébrale profonde.  Chez un nombre non négligeable de patients,
il s’avère que l’ECT, comme les antidépresseurs et la psychothérapie, sont inef-
ficaces pour améliorer l’état des malades. Dans cette situation, des mesures
plus drastiques sont nécessaires, et parmi celles-ci figurent la possibilité d’avoir
recours à la chirurgie fonctionnelle et d’implanter une électrode à demeure dans
une région précise du cerveau. Cette méthode de neurostimulation cérébrale pro-
fonde pour traiter la dépression a été introduite par Helen Mayberg, une neu-
rologue d’Emory University (Encadré 22.3). Souvenez-vous ici que l’activité du
cortex cingulaire antérieur est augmentée par un état de tristesse et réduite par
les traitements antidépresseurs, lorsqu’ils sont efficaces. C’est en constatant que,
chez les patients déprimés résistant aux traitements antidépresseurs, l’activité du
cortex cingulaire antérieur restait élevée que Mayberg a pensé utiliser la neuro­
stimulation pour moduler l’activité de cette région cérébrale. Bien que cela puisse
paraître antinomique, les effets de la stimulation cérébrale se traduisent bel et
bien par une réduction de ces circuits neuronaux hyperactifs (NdT : comme cela
avait été initialement établi par A. L. Benabid à Grenoble pour le traitement du
tremblement ou des symptômes de la maladie de Parkinson, voir chapitre 14),
possiblement par la mise en jeu de neurones inhibiteurs. C’est donc avec l’aide
de neurochirurgiens de l’Université de Toronto que Mayberg a montré que la sti-
mulation d’une région limitée du cortex cingulaire antérieur incluant l’aire 25 de
Brodmann, était à même d’améliorer immédiatement l’état de patients déprimés.
22 – Troubles mentaux 785

Encadré 22.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Réglage fin des circuits neuronaux de la dépression


Par Helen Mayberg

Etudier la dépression n’était pas mon représenter une approche intéressante pour
idée. J’ai une formation de neurologue et le traitement de certaines dépressions.
clairement la dépression est en général consi- L’insertion des électrodes dans le cortex cin-
dérée comme se situant au-delà des frontières gulaire était techniquement à notre portée et
de mon domaine. Bien que de nombreux ne présentait pas de difficultés particulières,
patients souffrant de troubles neurologiques ni de risque pour les patients. Nous avons
soient atteints de dépression, cet état est le donc conclu, en accord avec les neurochirur-
plus souvent perçu comme une réponse de giens, que cela valait la peine d’être tenté.
caractère non spécifique à l’annonce d’un Helen Mayberg Mais alors comment sélectionner les patients
diagnostic très lourd (AVC, maladie de susceptibles d’être implantés ?
Parkinson, Alzheimer, etc.). De plus, l’idée que des chan- La dépression résistante aux traitements est définie
gements aussi globaux que ceux constatés dans la dépres- comme une absence d’amélioration de l’état des malades
sion puissent être en fait liés à des atteintes localisées du soumis à différents traitements disponibles : antidépres-
cerveau, de la même manière qu’un trouble du langage est seurs ou électrothérapie. Mais ce qui n’était pas pris en
en rapport avec des lésions du lobe frontal ou du lobe compte jusque-là dans nos réflexions, était en fait l’état
temporal, ne vient pas forcément immédiatement à l’es- de souffrance général des malades, du fait vraisembla-
prit du neurologue. Dans la plupart des cas, la prise en blement de notre incapacité à la mesurer par les échelles
charge de la dépression par les neurologues est très simi- d’évaluation dont nous disposions, celles-ci approchant
laire à ce qu’elle est lorsqu’une cause neurologique n’est seulement le mal-être, la douleur ressentie et les troubles
pas invoquée, c’est-à-dire basée sur la prescription de du comportement (immobilité notamment) associés à la
médicaments antidépresseurs mis au point sur la connais- maladie.
sance des processus impliqués dans la dépression, en Je me souviens très bien du premier patient (une
rapport avec les découvertes sur les neurotransmetteurs, femme) que nous avons traité le 23  mai 2003.
avant l’avènement de l’imagerie cérébrale. Techniquement, nous étions prêts ! Nous savions où
À partir de 2001, nous avons beaucoup appris sur la implanter les électrodes et nous avions pensé qu’il pour-
dépression à partir de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. rait y avoir des effets secondaires. Cela mis à part, nous
En utilisant la TEP et l’IRMf, un certain nombre d’ob- n’avions pas d’attente particulière de cette intervention.
servations ont été réalisées illustrant des patterns d’acti- Difficile d’anticiper sur les résultats d’une expérimenta-
vation qui permettent de subdiviser les patients en plu- tion totalement inédite. Notre patiente était éveillée, les
sieurs classes en fonction de leurs symptômes. De plus, électrodes pouvant être implantées simplement sous
ces travaux ont permis de constater des patterns d’acti- anesthésie locale ; et il était ainsi possible en simplement
vation différents, orientant les patients vers une prise en la questionnant de s’assurer qu’elle n’était pas soumise
charge par des médicaments antidépresseurs ou par la à des situations trop inconfortables en termes de dou-
psychothérapie. Et la caractérisation du pattern d’acti- leur ou d’aggravation de son humeur. La première étape
vation avant le début du traitement a aussi permis un a donc été d’implanter les électrodes, puis de mettre en
suivi des conséquences de sa mise en œuvre pour un route la stimulation, tout en s’assurant que rien de grave
patient donné. Dès lors commençait à émerger une sorte n’intervenait pour la patiente. Notre intention n’était
de réseau de structures impliquées potentiellement dans pas d’optimiser les paramètres de la stimulation pen-
la dépression. dant l’intervention, ce que nous aurions tout loisir de
C’est à cette période que nous avons examiné directe- faire plus tard dans les prochaines semaines une fois les
ment l’activité du cortex cingulaire dans la région subcal- électrodes implantées, considérant aussi que si améliora-
losale (aire 25 de Brodmann) (Fig. A). Nous avons alors tion il devait y avoir, cela pourrait prendre plusieurs
pu mettre en évidence des changements d’activité de semaines, comme après l’administration des médica-
cette région sous l’influence des traitements antidépres- ments antidépresseurs.
seurs. Nous avons aussi constaté que lorsque les traite- Le protocole prévoyait ainsi d’observer d’abord les
ments étaient inefficaces sur les symptômes des malades, réactions générales de la patiente tout en préservant sa
l’activité de cette région cérébrale se trouvait inchangée sécurité et, en cas de problème, d’arrêter immédiate-
sous l’effet des traitements. L’hypothèse a donc été pro- ment de stimuler. Dès lors, de façon tout à fait inatten-
posée que l’utilisation de la stimulation cérébrale pro- due, nous avons soudain vu l’humeur de cette femme se
fonde, telle qu’elle avait été mise au point pour traiter modifier brutalement, alors que nous étions en train
les patients atteints de maladie de Parkinson, pourrait de tester la connexion du second plot de l’électrode
786 3 – Cerveau et comportement

Encadré 22.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

gauche. Soudainement, la patiente nous a demandé si ment avec moi-même mais aussi avec le reste de l’équipe
nous avions fait quelque chose de particulier. Elle était présente dans le bloc opératoire. Tout se passait comme
calme, et présentait un degré de sérénité et de légèreté si elle était soudainement sortie de son état dépressif,
qu’elle disait n’avoir pas ressenti depuis longtemps. comme laissant son cerveau réaliser toute sorte d’acti-
J’étais en contact avec elle dans la partie non stérile, vités. C’est alors qu’en arrêtant le stimulateur, il était
sous le champ opératoire. Ses yeux apparaissaient évident qu’elle était aussitôt retournée dans son état
beaucoup plus élargis que d’ordinaire et elle explorait initial. À ce moment précis, j’ai compris que tout ce
son environnement, son discours était plus ferme, que je savais de la dépression était remis en question et
moins hésitant et sa voix plus tonique. Par ailleurs, elle qu’il apparaissait que j’avais là un nouveau moyen de
était présente comme jamais et interagissait non seule- l’étudier.

Figure A 
Activité anormale du cortex cingulaire antérieur et utilisation de la stimulation cérébrale profonde
pour la corriger. En haut à gauche : TEP-scan d’un patient déprimé montrant une augmentation du
débit sanguin cérébral indicateur d’une hyperactivité, dans la partie subcallosale du cortex cingulaire
(en rouge). C’est cette hyperactivité qui est corrigée par la stimulation cérébrale. En haut à droite :
IRM de diffusion utilisée avant la mise en place des électrodes pour localiser la région des interac­
tions entre trois faisceaux de substance blanche principaux passant par cette région subcallosale,
ce qui contribue à définir la zone à atteindre pour avoir une stimulation optimale. En bas à gauche :
IRM structurale obtenue pendant l’intervention chirurgicale, montrant la position des électrodes de
stimulation et permettant d’en vérifier la localisation. En bas à droite : radiographie obtenue après
l’intervention montrant la localisation des électrodes dans chaque hémisphère. (Source : courtoisie
du Dr Helen Mayberg.)
22 – Troubles mentaux 787

Souvenez-vous que durant ce type d’intervention neurochirurgicale, le


patient peut rester éveillé et conscient, du fait de l’absence de nocicepteurs dans
le cerveau. Par conséquent, les patients de Mayberg pouvaient rapporter pen-
dant l’intervention leurs sensations liées à la neurostimulation. Ils faisaient alors
état d’un calme soudain, de légèreté et de la disparition du sentiment de « vide »
qu’ils éprouvaient, au moment de la stimulation. Ces patients étaient renvoyés
chez eux après implantation d’un stimulateur à demeure contribuant à une
stimulation cérébrale permanente. Dans la majorité des cas, les effets positifs de
la neurostimulation cérébrale sur leur état dépressif étaient maintenus.
Ces résultats ont eu un impact considérable dans le domaine, bien qu’ils soient
toujours tenus à ce jour comme de caractère préliminaire. D’autres travaux sont
ainsi nécessaires pour les confirmer, mais d’ores et déjà la neurostimulation est
considérée comme un traitement possible de la dépression, en dernier ressort.

Schizophrénie
Même si la sévérité des troubles de l’humeur ou liés à l’anxiété est parfois
difficile à évaluer, sans être un spécialiste nous avons tous quelque idée de ce
que sont ces pathologies, du fait de leur expression représentant des situations
extrêmes de composantes normales des comportements. Ceci n’est pas le cas de
la schizophrénie où les patients présentent des distorsions de leurs pensées et de
leurs perceptions, à un niveau tel qu’il est difficilement imaginable. La schizo-
phrénie représente un problème de santé publique majeur, affectant environ 1 %
de la population, soit plus de 2 millions de personnes rien qu’aux États-Unis.

Principales caractéristiques
La schizophrénie se traduit par une perte de contact avec la réalité et une
rupture par rapport à la normale du raisonnement, de la pensée, des perceptions
sensorielles, de l’humeur et même des mouvements. La maladie apparaît typi-
quement pendant l’adolescence et chez le jeune adulte, et elle persiste en général
toute la vie des individus. Le nom, introduit en 1911 par le psychiatre suisse
Eugen Bleuler, signifie à peu près « esprit divisé » parce que, dans ses observa-
tions, la plupart des patients semblaient osciller entre un état normal et un état
pathologique. Néanmoins, cette maladie se traduit par des formes bien diffé-
rentes, incluant celles où le patient est détérioré en permanence. En fait, derrière
le vocable générique de schizophrénie pourraient se cacher plusieurs formes de
maladies mentales différentes.
Les symptômes de la schizophrénie sont classés dans deux catégories dis-
tinctes, qui définissent une forme positive et une forme négative. Les symptômes
positifs traduisent une distorsion de la pensée et des comportements, comme
suit :
•• une production de pensées délirantes ;
•• des hallucinations ;
•• une incohérence des propos ;
•• un comportement général désorganisé ou catatonique.
Les symptômes négatifs reflètent l’absence de réponses comportementales
normalement attendues dans une situation donnée. Par exemple :
•• une expression réduite voire inexistante de l’émotion ;
•• un discours considérablement appauvri ;
•• des difficultés à initier des comportements volontaires ;
•• des troubles de la mémoire.
Les patients souffrant de schizophrénie présentent souvent des délires
organisés autour de thèmes généraux ; par exemple, que des ennemis puissants
sont là pour les capturer. Ces pensées incohérentes sont souvent accompagnées
d’hallucinations auditives, en rapport avec le même thème délirant. Ils peuvent
également montrer une sorte d’indifférence émotionnelle qualifiée d’émousse-
788 3 – Cerveau et comportement

ment affectif, couplé avec un comportement inadapté et un discours incohé-


rent. Le discours lui-même peut être accompagné de niaiseries et de rires forcés,
qui ne paraissent pas être en relation avec ce qui est dit. Dans certains cas, la
schizophrénie est accompagnée de troubles du mouvement volontaire, allant de
l’immobilité à la stupeur (catatonie), des postures bizarres, des grimaces et des
répétitions insensées de mots ou de phrases.

Bases biologiques de la schizophrénie


Comprendre les bases neurobiologiques de la schizophrénie est l’un des
challenges les plus importants des neurosciences, notamment parce que cette
maladie touche à tout ce qui fait qu’un homme est réellement un homme et
pas un animal : la pensée, la perception, la sensibilité et, au-delà, la conscience
de soi. De nombreux progrès ont été faits récemment dans ce domaine, mais il
persiste néanmoins d’énormes zones d’ombre.
Gènes et environnement.  La schizophrénie présente souvent des aspects
familiaux. Comme cela est illustré sur la figure 22.13, la probabilité d’être
malade dépend du nombre de gènes que l’on partage avec quelqu’un de la famille
qui est atteint. Si votre jumeau vrai est schizophrène, vous avez à peu près une
chance sur deux de le devenir ; puis la probabilité diminue en rapport avec le
degré d’éloignement du parent malade, c’est-à-dire avec le nombre de gènes que
vous avez en commun avec lui. Il est certain que ce type de constatation est très
en faveur d’une origine génétique de la maladie et, actuellement, il semble que
plusieurs gènes ont été identifiés, qui augmentent la susceptibilité à la schizo-
phrénie. De façon intéressante, il est notable que tous les gènes en question sont
connus pour jouer un rôle majeur dans la transmission synaptique, dans les pro-
cessus liés à la neuroplasticité et à la maturation synaptique.
Néanmoins, souvenez-vous que des jumeaux vrais ont le même patrimoine
génétique. Pourquoi alors dans plus de 50 % des cas l’un des jumeaux ne présente
pas la maladie alors même que son frère est atteint ? La réponse pourrait être
une fois de plus au niveau des interactions entre le patrimoine génétique et l’en-
vironnement. En d’autres termes, les gènes défectueux pourraient ne représenter
que des gènes de susceptibilité à des facteurs environnementaux, qui déclenche-
raient la schizophrénie. Dès lors, même si dans la plupart des cas la maladie ne
s’exprime qu’autour de l’âge de 20 ans, de nombreuses données de la littérature

Gènes en commun

Population générale 1%

17,5 % Premiers cousins 2%


(parenté au
troisième degré) Oncles, tantes 2%

25 % Neveux, nièces 4%
(parenté au
second degré) Petits-enfants 5%

Demi-frères 6%

Parents 6%

50 % Frères 9%
(parenté au
premier degré) Enfants 13 %

Figure 22.13 – Formes familiales de schizo- Jumeaux 17 %


phrénie.
100 % Vrais jumeaux 48 %
Le risque de schizophrénie augmente avec
le nombre de gènes communs, suggérant
une base génétique de la maladie. (Source : 0 10 20 30 40 50
adapté de Gottesman, 1991, p. 96.) Risque de développer une schizophrénie au cours de la vie (%)
22 – Troubles mentaux 789

attestent que les mécanismes biologiques qui causent les conditions de l’établis-
sement de la schizophrénie débutent très tôt pendant le développement, voire
même au stade prénatal. Parmi les causes de la maladie, il a ainsi été proposé
que des infections virales chez le fœtus ou au cours du développement post-natal
précoce puissent intervenir, tout comme des problèmes de malnutrition de la
mère. De plus, l’exposition à des facteurs stressants tout au long de la vie pour-
rait favoriser le processus pathologique. Un certain nombre d’études montrent
par exemple que la consommation de la marijuana augmente le risque de déve-
lopper une schizophrénie chez des adolescents génétiquement prédisposés à la
maladie. La schizophrénie est associée avec des modifications de la structure du
cerveau, comme l’illustre la figure 22.14 qui donne un exemple des modifications
notées chez les patients schizophrènes. Dans ce cas, il s’agit d’un scanner réalisé
chez deux jumeaux identiques, dont l’un des deux est schizophrène et l’autre
normal. Bien entendu, des jumeaux vrais présentent normalement des images
du cerveau parfaitement identiques. Dans ce cas, cependant, il est notable que le
cerveau du patient schizophrène présente des ventricules cérébraux élargis, tra-
duisant vraisemblablement une rétraction du tissu environnant. Ces atteintes des
ventricules sont retrouvées de façon plus ou moins constante lorsque des séries
de malades sont étudiées, attestant que les schizophrènes ont statistiquement
des ventricules cérébraux significativement élargis par rapport à une population
témoin du même âge.
De tels changements structuraux ne sont pas toujours présents chez les
patients à l’échelon macroscopique, mais la tendance actuelle est plutôt de
considérer que c’est au niveau de la structure fine des aires corticales et de leurs
connexions que les différences se font jour entre cerveau normal et pathologique.
Par exemple, les schizophrènes paraissent avoir des troubles de la myélinisation
des axones du cortex cérébral, mais dans ce cas il est difficile de dire à ce stade des
recherches s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence de la maladie. Une autre
caractéristique du cerveau des schizophrènes réside dans l’organisation céré-
brale où les neurones sont parfois regroupés en amas, traduisant un défaut de
migration des neurones au cours du développement, ce qui conduit à un défaut Figure 22.14 – Élargissement des ventri-
d’organisation des couches corticales et à un cortex cérébral globalement moins cules cérébraux chez les schizophrènes.
épais que chez les sujets témoins (Fig. 22.15). Enfin, l’étude des synapses et des Ces deux clichés IRM proviennent de deux
neurotransmetteurs permet également de mettre en évidence quelques anomalies vrais jumeaux. Celui du haut est normal ; celui
en rapport avec la schizophrénie. C’est d’ailleurs dans ce contexte que des hypo- du bas est schizophrène. Notez l’importante
thèses ont été avancées, impliquant notamment les systèmes dopaminergiques et dilatation des ventricules latéraux chez le
schizophrène, indiquant une réduction de la
glutamatergiques centraux.
masse cérébrale. (Source : Barondes, 1993,
p. 153.)

Figure 22.15 – Perte de substance grise corticale pendant l’adolescence chez des patients schi-
zophrènes.
Le cerveau de douze jeunes patients schizophrènes est examiné tous les 5 ans par des méthodes
d’imagerie afin de déterminer l’évolution de l’épaisseur de leur cortex cérébral, entre 13 et 18 ans.
Cette représentation illustre la perte annuelle intervenant dans l’épaisseur du cortex cérébral, les
régions de couleur rouge illustrant les zones où la perte est la plus importante et celles de cou­
leur bleu, là où elle est la moins importante. Ainsi des pertes sévères (jusqu’à 5 % annuellement)
sont constatées dans le cortex pariétal, le cortex moteur et le cortex temporal antérieur. (Source :
Thompson et al., 2001, Fig. 1, avec autorisation).
790 3 – Cerveau et comportement

Lobe
frontal
Striatum

Substance noire

Aire tegmentale ventrale

Figure 22.16 – Organisation des systèmes dopaminergiques centraux.


Le système dopaminergique mésocorticolimbique est issu de l’aire tegmentale ventrale, située
dans le mésencéphale, et a été impliqué dans la schizophrénie. L’autre composante du système
dopaminergique est issue de la substance noire, une autre région du mésencéphale, et se trouve
impliquée dans le contrôle du mouvement par le striatum.

Hypothèse dopaminergique.  Souvenez-vous que la dopamine est l’un des


neurotransmetteurs formant les systèmes modulateurs diffus du cerveau. Elle
est présente notamment dans une composante de ces systèmes, dite mésocorti-
colimbique, qui innerve le cortex cérébral (Fig. 22.16). Un lien a été établi entre
schizophrénie et système dopaminergique mésocorticolimbique, sur la base de
deux observations principales. Il s’agit tout d’abord des effets de l’amphétamine.
Souvenez-vous encore (chapitre 15) que l’amphétamine agit au niveau des neu-
rones catécholaminergiques en favorisant leur action et en augmentant notam-
ment les taux extracellulaires de dopamine. Les effets de l’amphétamine sur le
comportement des sujets normaux sont très différents de ceux observés sur celui
des schizophrènes. Néanmoins, les consommateurs d’amphétamine deviennent
dépendants du produit à cause de ses propriétés additives, et ils prennent alors
de plus en plus de risques pour s’en procurer et satisfaire leurs besoins. Dans un
certain nombre de cas, les sujets prennent le risque d’une « overdose », qui se
traduit alors par un épisode psychotique avec expression de symptômes positifs
qui sont extrêmement similaires à ceux notés dans la schizophrénie paranoïde.
Cela suggère que, dans ce cas, l’état psychotique est en rapport avec un excès de
catécholamines au niveau cérébral.
Une deuxième raison pour associer dopamine et schizophrénie est liée au
mécanisme d’action des médicaments utilisés pour traiter les patients. Dans les
années 1950, il a été montré qu’un médicament développé comme antihistami-
nique, la chlorpromazine, était efficace pour réduire les symptômes positifs de
la schizophrénie. Il s’est avéré ensuite que la chlorpromazine et d’autres types
d’antipsychotiques collectivement dénommés neuroleptiques ont la propriété
d’assurer un blocage puissant des récepteurs dopaminergiques, plus particu-
lièrement du sous-type D2. Lorsqu’on examine ainsi un grand nombre de ces
neuroleptiques, il est possible de mettre en évidence une corrélation étroite entre
les doses efficaces pour réduire les symptômes cliniques et leur affinité pour les
récepteurs D2 (Fig. 22.17). Par ailleurs, ces agents pharmacologiques sont éga-
lement efficaces pour réduire les psychoses induites par les amphétamines et la
cocaïne. Dès lors, en accord avec l’hypothèse dopaminergique de la schizophrénie,
il est admis que les épisodes psychotiques de la schizophrénie sont en rapport
avec l’activation des récepteurs dopaminergiques.
22 – Troubles mentaux 791

Sulpiride
10 –7
affinité
Faible

Pérazine
Clomacran
Promazine
Trazodone
Chlorpromazine
Lenpérone
Clozapine
Métiapine
Thioridazine
Affinité pour les récepteurs D2

10 –8 Molindone
Prochlorpérazine
Mopérone
Trifluopipérazine

Thiothixène

Dropéridol Halopéridol
10 –9
Fluphénazine
Pimozide
Triflupéridol

Benpéridol

10 –10
affinité
Haute

Spipérone

0,1 1,0 10 100 1000


Dose clinique moyenne (mg/jour)

Figure 22.17 – Neuroleptiques et récepteurs dopaminergiques D2.


Les doses de neuroleptiques efficaces pour corriger les symptômes de la schizophrénie sont direc­
tement corrélées à leur potentialité à se fixer sur les récepteurs dopaminergiques D2. Les unités sur
l’axe des ordonnées sont les concentrations de médicament qui inhibent la moitié des récepteurs
D2 dans le cerveau. Les récepteurs de haute affinité bloquent ceux aux concentrations inférieures.
(Source : adapté de Seeman, 1980.)

Néanmoins, même s’il est tentant de renforcer le lien entre les symptômes
positifs de la schizophrénie et la dopamine, il semble que cette hypothèse pré-
sente un caractère trop réducteur, et que la maladie soit plus qu’une simple
hyperactivité du système dopaminergique. Un argument pour nuancer cette
proposition tient au fait que les antipsychotiques de nouvelle génération,
comme la clozapine, n’ont que peu d’affinité pour les récepteurs D2. Ces agents
pharmacologiques sont dénommés neuroleptiques atypiques, indiquant qu’ils
agissent par un mécanisme non conventionnel par rapport à l’action des autres
neuroleptiques. De ce point de vue, le mécanisme d’action de ces neurolep-
tiques n’est pas clair, impliquant peut-être une interaction avec des récepteurs
sérotoninergiques.
Hypothèse glutamatergique.  Une autre indication du fait que la dopamine
seule n’est pas impliquée dans la schizophrénie provient de l’observation des
effets comportementaux de la phencyclidine (PCP) et de la kétamine. Ces agents
ont été introduits en médecine comme anesthésiques dans les années 1950.
Toutefois, leur utilisation en clinique humaine a rapidement été limitée par l’ob-
servation qu’un certain nombre de patients présentaient des effets secondaires
après l’anesthésie, quelquefois pendant plusieurs jours, incluant des épisodes de
paranoïa et d’hallucinations. Aujourd’hui la PCP n’est plus utilisée en anesthé-
sie et représente une drogue illicite communément utilisée, connue sous le nom
de « poudre d’ange ». La kétamine, toujours utilisée quant à elle en médecine
vétérinaire, est également descendue dans la rue, sous le nom de « spécial K »
ou de « vitamine K ». Les intoxications à la PCP ou à la kétamine comportent
des symptômes similaires à ceux de la schizophrénie, tant négatifs que positifs.
Toutefois, ces drogues ne sont pas connues pour avoir des effets sur la transmis-
sion dopaminergique mais affectent en revanche les synapses glutamatergiques.
792 3 – Cerveau et comportement

Glutamate

Sites Sites
de fixation de fixation
de la PCP PCP
du glutamate

Na+
Ca2+

(a) (b) (c)

Figure 22.18 – Blocage du récepteur NMDA par la PCP.


Les récepteurs NMDA sont des canaux sodiques dépendants du glutamate. (a) En l’absence
de glutamate, les canaux sont fermés. (b) En présence de glutamate, le canal est ouvert, ce qui
« expose » le site de fixation de la PCP. (c) Lorsque la PCP entre et se fixe dans le canal, celui-ci est
bloqué. Dans ces conditions, le blocage des récepteurs NMDA par la PCP produit des effets sur le
comportement qui ressemblent à certains symptômes de la schizophrénie.

Comme cela est indiqué dans le chapitre 6, le glutamate est l’un des neuro­
transmetteurs majeurs de la signalisation excitatrice rapide du système nerveux,
agissant notamment au travers des récepteurs NMDA. La PCP et la kétamine
agissent en inhibant l’activité des récepteurs NMDA (Fig. 22.18). Ce type
d’observation est à l’origine de l’hypothèse glutamatergique de la schizophrénie,
l’idée étant que les symptômes de la maladie seraient liés, au moins pour partie,
au blocage de ces récepteurs NMDA.
Pour étudier la biologie de la schizophrénie, les neurobiologistes ont tenté
de produire des modèles animaux de la maladie. De faibles doses de PCP admi-
nistrées chroniquement à des rats induisent des changements comportemen-
taux qui se rapprochent de certains signes cliniques de patients schizophrènes.
Un autre de ces modèles est fondé sur une forte réduction d’expression des
récepteurs NMDA chez des souris transgéniques. Dans ce cas, les animaux pré-
sentent des comportements qui peuvent être apparentés à certains symptômes
des patients, notamment en ce qui concerne les mouvements répétitifs, une
certaine agitation et une altération manifeste des interactions sociales avec les
autres congénères (Fig. 22.19). Bien entendu, il est difficile de savoir si ces sou-
ris présentent aussi des hallucinations auditives ou si elles sont paranoïaques.
Néanmoins, il est frappant de constater que les troubles du comportement sont,
dans ce cas, sensibles à l’administration de neuroleptiques, tant de type conven-
tionnel, qu’atypiques.
Bien que tous les agents pharmacologiques qui bloquent les récepteurs
NMDA interfèrent avec la mémoire et les processus cognitifs, il en est seule-
ment certains qui reproduisent les symptômes de la schizophrénie chez l’homme.
La différence principale entre ces différents produits est liée à leur mécanisme
d’action. La PCP et la kétamine n’interfèrent pas avec la liaison du glutamate sur
ses récepteurs, comme c’est le cas des autres antagonistes des récepteurs NMDA.
À l’inverse, ces drogues agissent en bloquant directement les flux ioniques au tra-
vers du pore du récepteur. Par voie de conséquence, l’action du PCP et de la kéta-
mine n’est possible que lorsque le récepteur est activé et le canal ionique ouvert.
Cette propriété a laissé les chercheurs se poser la question de savoir si les effets
psychomimétiques de ces drogues n’étaient pas liés à la mise en jeu de popula-
22 – Troubles mentaux 793

Figure 22.19 – Diminution des interactions sociales chez une souris mutante exprimant un


nombre de récepteurs NMDA réduit.
À gauche, les souris sont de type sauvage et présentent un nombre de récepteurs NMDA normal.
Les photos ont été prises toutes les 30 min, pendant 2 h pour observer le comportement social.
Ces souris présentent une nette tendance à interagir. À droite, les souris mutantes expriment un
faible nombre de récepteurs NMDA. Notez que ces souris tendent à éviter les contacts avec leurs
congénères. (Source : Mohn et al., 1999, p. 432.)

tions de neurones particulières, qui auraient une activité de caractère tonique et


qui activeraient par conséquent, de façon plus ou moins permanente, les récep-
teurs NMDA. De tels récepteurs activés de façon tonique existent dans le cor-
tex cérébral et sont localisés sur des neurones GABAergiques correspondant à
des interneurones. L’inhibition des récepteurs NMDA de ces neurones pourrait
alors avoir pour conséquence des distorsions de la pensée et des altérations du
jugement perceptif. De fait, l’analyse post-mortem du cerveau de patients schizo-
phrènes a montré une réduction du nombre d’interneurones corticaux.

Traitements de la schizophrénie
Le traitement de la schizophrénie est fondé sur l’administration de neuro-
leptiques, associée à une dimension psychosociale. Comme cela est mentionné
plus haut, les neuroleptiques de type conventionnel, comme la chlorpromazine
ou l’halopéridol, agissent au travers des récepteurs dopaminergiques D2. Ces
médicaments sont efficaces pour réduire les symptômes positifs chez la plupart
des patients. Malheureusement, ils sont aussi à l’origine de nombreux effets
secondaires, en rapport avec l’action de la dopamine issue des neurones de la
pars compacta de la substance noire, dans le striatum (voir chapitre 14). Ainsi,
l’administration de neuroleptiques a des effets comportementaux semblables à
ceux observés dans la maladie de Parkinson, incluant une certaine rigidité, une
difficulté à initier des mouvements, et un tremblement. Les traitements au long
cours avec ces neuroleptiques peuvent aussi résulter en des mouvements anor-
794 3 – Cerveau et comportement

maux, notamment au niveau de la bouche, très invalidants, connus sous le terme


de dyskinésies tardives. La plupart de ces effets secondaires sont fortement atté-
nués avec les neuroleptiques atypiques, comme la clozapine ou la rispéridone,
qui n’agissent pas au niveau des récepteurs dopaminergiques striataux. De plus,
ces médicaments sont également plus actifs sur les symptômes négatifs de la
schizophrénie.
La cible la plus récente pour le développement de médicaments antipsycho-
tiques est représentée par les récepteurs NMDA. Il est alors concevable que la sti-
mulation de ces récepteurs, peut-être en association avec des bloquants des récep-
teurs D2, puisse contribuer à améliorer plus efficacement l’état des psychotiques.

Conclusion
Les neurosciences ont une grande influence sur la psychiatrie. Les maladies
mentales sont aujourd’hui reconnues, sans ambiguïté, comme résultant de modi-
fications pathologiques du système nerveux central et les traitements proposés
visent à corriger ces altérations du fonctionnement cérébral. Dans ce contexte,
peut-être que l’une des contributions les plus importantes des neuro­sciences a été
de changer le regard de la société sur les patients psychotiques. De fait, la suspicion
d’une maladie mentale a souvent donné lieu à un sentiment de compassion.
Aujourd’hui, ces maladies sont définitivement reconnues comme de simples
maladies du corps, de la même manière que l’hypertension ou le diabète.
En dépit de progrès remarquables, le traitement de ces maladies reste encore
imparfait et parfois problématique. Dans le cas des médicaments, nous avons
un certain nombre d’idées sur les mécanismes d’action, notamment en ce qui
concerne leur interférence avec l’activité de certaines synapses ; mais cela n’ex-
plique pas toujours les délais entre la prise du médicament et l’effet thérapeu-
tique, quelquefois de plusieurs semaines. Plus encore, dans le cas des traitements
psychosociaux, les bases de l’action thérapeutique restent extrêmement floues.
L’explication qui est donnée actuellement renvoie à des mécanismes réactionnels
adaptatifs de l’activité cérébrale à l’administration du traitement, qui restent
bien évidemment le plus souvent à caractériser.
Par ailleurs, dans la plupart des cas nous ne connaissons pas les causes de
ces pathologies mentales. La contribution des gènes n’est pas claire, contribuant
dans certains cas à augmenter le risque de survenue de ces maladies, dans d’autres
cas à nous protéger contre elles. L’environnement paraît également jouer un rôle
mais sa contribution reste là encore à préciser. De ce point de vue, un stress pré-
natal paraît pouvoir intervenir dans la genèse de certaines formes de schizophré-
nie, alors qu’un stress post-natal pourrait plutôt favoriser un état dépressif. Mais
il faut se garder de considérer que l’interaction avec l’environnement n’a que des
effets négatifs. Par exemple, une stimulation sensorielle appropriée, notamment
pendant la petite enfance, pourrait au contraire être à l’origine de processus
adaptatifs qui permettraient une certaine protection contre les troubles mentaux
lors de la vie adulte.
La prise en compte des troubles psychiatriques et de leurs traitements illustre
combien le comportement est influencé par l’expérience vécue, que ce soit à l’oc-
casion de stress inévitables intenses ou de la consommation d’agents pharmaco-
logiques qui affectent par exemple les taux de sérotonine cérébraux, en sachant
que des expériences sensorielles beaucoup plus subtiles laissent également leur
« empreinte » dans le système nerveux. C’est ce qui sera abordé dans la der-
nière partie de cet ouvrage, centrée sur les effets de l’expérience sensorielle sur le
développement cérébral et la mémorisation.
22 – Troubles mentaux 795

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Quel est le mécanisme d’action des benzodiazépines ? Où agissent-


elles ?
2. La dépression est souvent accompagnée de boulimie, caractérisée par
une prise alimentaire anormale. Quel est selon vous le site d’interac-
tion des mécanismes de régulation des comportements alimentaires
et de l’humeur, au niveau cérébral ?
3. Se blottir contre sa mère pendant l’enfance peut aider à mieux sup-
porter le stress de la vie adulte. Pour quelle raison ?
4. Quels sont les trois types de médicaments principaux utilisés pour
traiter les patients dépressifs ? Qu’ont-ils en commun ?
5. Les psychiatres se réfèrent couramment à la théorie dopaminergique
de la schizophrénie. Quels sont les arguments qui leur permettent
d’avancer une telle théorie impliquant la dopamine ? Pourquoi est-il
nécessaire de faire preuve de prudence avant d’établir un lien causal
entre dopamine et schizophrénie ?

POUR EN SAVOIR PLUS

American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of


Mental Disorders, 5th ed. Arlington, VA: American Psychiatric Asso-
ciation, 2013.
Andreasen NC. Brave New Brain: Conquering Mental Illness in the Era of
the Genome. New York : Oxford University Press, 2004.
Charney DS, Nestler EJ, eds. Neurobiology of Mental Illness, 2nd ed.
New York : Oxford University Press, 2004.
Harrison PJ, Weinberger DR. Schizophrenia genes, gene expression,
and neuropathology: on the matter of their convergence. Molecular
Psychiatry 2005 ; 10 : 40-68.
Holtzheimer PE, Mayberg HS. Deep brain stimulation for psychiatric
disorders. Annual Review of Neuroscience 2011 ; 34 : 289-307.
Insel TR. Next generation treatments for psychiatric disorders. Science
Translational Medicine 2012 ; 4 : 1-9.
–

4e PARTIE

Neuroplasticité
CH APITR E 23
Développement du cerveau   798

CHAPITR E 24
Apprentissage et mémoire   840

CHAPITR E 25
Mécanismes moléculaires de l’apprentissage
et de la mémorisation   888
798 4 – Neuroplasticité 798

CHAPITRE  23 Développement
du cerveau
ORIGINE DES NEURONES
Prolifération cellulaire......................................................................... 800
Encadré 23.1 Focus  Neurogenèse chez l’homme adulte
(ou comment les chercheurs ont appris
à aimer la bombe…)
Migration cellulaire............................................................................. 804
Différenciation cellulaire..................................................................... 805
Différenciation des aires corticales...................................................... 806
Encadré 23.2 Les voies de la découverte  Cartographier l’esprit !
par Pasko Rakic
GENÈSE DES CONNEXIONS
NEURONALES
Croissance de l’axone......................................................................... 812
Guidage axonal................................................................................... 813
Encadré 23.3 Focus  Pourquoi les axones des neurones
ne régénèrent-ils pas dans le système
nerveux central ?
Formation des synapses..................................................................... 818
ÉLIMINATION DES CELLULES
ET DES SYNAPSES
Mort cellulaire.................................................................................... 819
Encadré 23.4 Focus  Les mystères de l’autisme
Modifications de la capacité synaptique.............................................. 822
RÉORGANISATION
SYNAPTIQUE DÉPENDANT
DE L’ACTIVITÉ
Ségrégation synaptique....................................................................... 824
Encadré 23.5 Bases théoriques  Des grenouilles à trois yeux,
des colonnes de dominance oculaire
et autres bizarreries…
Encadré 23.6 Bases théoriques  Le concept de période critique
Convergence synaptique..................................................................... 827
Compétition synaptique...................................................................... 829
Influences modulatrices...................................................................... 831
MÉCANISMES ÉLÉMENTAIRES
DE LA PLASTICITÉ
SYNAPTIQUE CORTICALE
Transmission synaptique excitatrice dans le cortex visuel immature..... 832
Potentialisation à long terme (PLT).................................................... 833
Dépression à long terme (DLT).......................................................... 836
POURQUOI LES PÉRIODES
CRITIQUES ONT-ELLES
UNE FIN ?

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
a plupart des opérations réalisées par le cerveau dépendent d’inter-
connexions remarquablement précises entre ses quelque 85 milliards de
neurones. L’organisation du système visuel, de la rétine au corps genouillé
latéral (CGL) jusqu’au cortex, illustrée par la figure 23.1, est un exemple de
cette précision. Toutes les cellules ganglionnaires de la rétine envoient des axones
dans le nerf optique, mais seuls les axones des cellules ganglionnaires de la par-
tie nasale de chaque rétine se croisent au niveau du chiasma optique. Dans le
nerf optique, les axones venant des deux yeux s’entremêlent, mais dans le CGL
ils sont réorganisés (1) par type de cellule ganglionnaire, (2) selon l’œil d’où ils
proviennent (ipsilatéral ou controlatéral), et (3) selon une disposition rétino-
topique. Les axones des neurones du CGL empruntent les radiations optiques
qui s’étendent jusqu’au cortex (strié) visuel primaire, en passant par la capsule
interne. Ils se terminent (1) dans l’aire 17 seulement, (2) dans certaines couches
corticales bien déterminées (principalement la couche IV), et (3) de nouveau
selon le type de cellule et la disposition rétinotopique. Enfin, les neurones de
la couche IV établissent des connexions spécifiques avec les cellules des autres
couches corticales, qui sont destinées à la vision binoculaire et sont spéciali-
sées dans la détection des contrastes. La question est alors de savoir comment
s’établit un circuit d’une aussi grande précision ?
Revenons au chapitre 7. L’étude du développement embryonnaire permet de
comprendre comment le système nerveux s’est formé à partir d’un simple tube
dans les premiers stades de l’embryon et a donné naissance aux structures du
cerveau adulte et de la moelle épinière. En revenant sur le développement du
cerveau, l’objet de ce chapitre est de voir comment se forment les connexions
entre les neurones, et comment elles se modifient au fur à mesure que le cer-
veau parvient à maturité. Ainsi apparaît-il que les réseaux neuronaux sont éla-
borés à partir d’instructions génétiques, qui permettent aux axones de détecter
leur trajet correct et leurs cibles exactes. Cependant, la mise en place définitive
des circuits nerveux dépend aussi fortement de l’information sensorielle issue
de l’environnement du sujet, particulièrement dans sa petite enfance. Dans ce
contexte, l’acquis de l’expérience et l’apport génétique (processus souvent résu-
més en anglais par nurture and nature) contribuent ensemble au développement
de la structure accomplie et au fonctionnement du système nerveux. Chaque fois
que possible dans ce qui suit, c’est le système visuel qui servira d’illustration à
nos propos (voir chapitre 10).
800 4 – Neuroplasticité

Couche IV III, II

Cortex
strié

(c)

Radiation optique
Thalamus dorsal
CGL
Aire 17

Tractus optique

Chiasma
Rétine optique Rétine
droite gauche

Nerfs
optiques
Antérieur Postérieur

Disques
(a) (b) optiques

Figure 23.1 – Organisation de la voie rétino-géniculocorticale chez le mammifère adulte.


(a) Représentation sagittale médiane d’un cerveau de rat, illustrant la localisation du cortex visuel
primaire (cortex strié, aire 17). La représentation en section illustrée sur le schéma b montre l’en­
semble des composantes de la projection visuelle ascendante. (b) Notez que la rétine temporale
de l’œil droit et la rétine nasale de l’œil gauche envoient leurs axones via le nerf optique et le
tractus optique vers le corps genouillé latéral (CGL) du thalamus dorsal droit. La ségrégation des
informations issues des deux yeux persiste à ce niveau, chaque partie de la rétine innervant des
couches séparées du CGL. Les neurones du CGL envoient leurs axones vers le cortex visuel via
les radiations optiques. Ces axones se terminent principalement au niveau de la couche IV, où les
informations issues des deux yeux demeurent encore séparées. (c) Le premier site de convergence
réelle des informations visuelles issues des deux yeux se trouve au niveau de la projection des
cellules de la couche IV sur les cellules de la couche III.

Origine des neurones


La première phase de l’organisation des circuits du système nerveux concerne
l’origine des neurones. Prenons par exemple le cortex strié. Chez l’adulte, il est
formé de six couches, et les neurones de chacune de ces couches ont des aspects
et des connexions caractéristiques. Le développement de la structure neuronale
connaît trois phases principales : la prolifération cellulaire, la migration cellu-
laire, et la différenciation cellulaire.

Prolifération cellulaire
Nous avons vu dans le chapitre 7 que le cerveau se développe à partir des
parois des cinq vésicules formant chez l’adulte le système ventriculaire. À un
stade très précoce du développement, deux couches seulement constituent les
parois du tube : la zone ventriculaire et la zone marginale. La zone ventriculaire
tapisse l’intérieur des vésicules, et la zone marginale représente la surface externe
23 – Développement du cerveau 801

située sous la pie-mère. Dans les couches de la vésicule télencéphalique, une sorte
de ballet cellulaire préside à la mise en place des neurones et des cellules gliales
du cortex visuel. Une telle chorégraphie de la prolifération cellulaire est décrite
ci-dessous, et les cinq stades de ce développement correspondent aux chiffres
inscrits dans les cercles, sur la figure 23.2a :
1. une cellule de la zone ventriculaire envoie des projections vers la région
périphérique, en direction de la pie-mère ;
2. le noyau de la cellule lui-même migre vers la périphérie, à distance de la
surface ventriculaire vers la pie-mère ; le noyau subit une réplication de
l’ADN ;
3. le noyau, contenant deux copies complètes des instructions génétiques,
revient en arrière vers la surface ventriculaire ;
4. la cellule rétracte ses projections périphériques ;
5. la cellule se divise en deux.
Ces cellules qui se divisent, les progéniteurs neuronaux, sont à l’origine de tous
les neurones et astrocytes du cortex cérébral. Elles sont nommées cellules de la
glie radiaire. Pendant de nombreuses années, ces cellules n’étaient considérées
que comme des « guides » à vocation temporaire contribuant à accompagner
les neurones néoformés à leur destination finale. Nous savons aujourd’hui qu’il
en est bien autrement et qu’en fait ces cellules de la glie radiaire sont en plus à
l’origine de la plupart des neurones du système nerveux central.
Dans les stades précoces du développement, les cellules de la glie radiaire
ne représentent que plusieurs centaines de cellules. Pour donner naissance aux
milliards de neurones du cerveau adulte, ces cellules, qui sont de fait des cel-
lules souches pluripotentes — ce qui signifie qu’elles peuvent se différencier en
de nombreuses populations cellulaires — vont se diviser pour accroître consi-
dérablement la population des progéniteurs par un processus dénommé divi-
sion cellulaire symétrique (Fig. 23.2b). Plus tard au cours du développement, la
division cellulaire asymétrique devient la règle. Dans ce cas, une cellule « fille »
migre pour atteindre sa position finale dans le cortex où elle ne se divisera plus.
L’autre cellule fille demeure dans la zone ventriculaire et sera à nouveau sou-
mise à d’autres divisions (Fig. 23.2c). Les cellules de la glie radiaire répètent ce
pattern jusqu’à ce que l’ensemble des neurones et des cellules gliales du cortex
ait été généré.

Région de la pie-mère
(surface externe)

Zone
marginale
2
1 3 Cellule de la
glie radiaire Figure 23.2 – Chorégraphie de la proliféra-
tion cellulaire.
Zone (a) Les parois des vésicules cérébrales sont
ventriculaire
4 initialement formées de seulement deux
couches cellulaires, la zone marginale et la
5 zone ventriculaire. Chaque cellule exécute
(a) Surface ventriculaire (b) Division cellulaire symétrique une « danse » caractéristique, illustrée sur le
schéma, de la gauche vers la droite. Chaque
chiffre (dans les cercles) illustre les cinq
Précurseur
stades décrits dans le texte. Le destin des
neuronal
cellules filles dépend du plan de clivage au
cours de la division. (b) Après clivage symé­
Cellule de la glie trique, les deux cellules filles demeurent dans
radiaire la zone ventriculaire et se divisent à nouveau.
(c) Après clivage asymétrique, la cellule fille
qui se trouve la plus éloignée de la zone
ventriculaire ne se divise plus et commence
(c) Division cellulaire asymétrique sa migration pour atteindre sa place définitive.
802 4 – Neuroplasticité

Chez l’homme, la plupart des neurones du néocortex sont formés entre la


cinquième semaine et le cinquième mois de gestation, avec une vitesse de pro-
Notch-1
duction de neurones incroyable, de l’ordre de 250 000 nouveaux neurones for-
més par minute au maximum du processus. Ceci conduit à ce que celui-ci soit
terminé avant la naissance, bien que quelques régions cérébrales très peu nom-
breuses restent ensuite en capacité de générer quelques neurones (Encadré 23.1).
Cependant, il est essentiel de savoir que lorsqu’une cellule fille devient neurone,
Numb elle perd sa capacité à se diviser. Ainsi, dans la plupart des régions cérébrales, ce
sont les mêmes neurones avec lesquels vous êtes né qui vont vous accompagner
pendant toute votre vie.
Figure 23.3 – Distribution des constituants Une des questions qui restent posées est de savoir quels sont les facteurs qui
cellulaires au niveau des précurseurs neuro- influencent le sort de chaque cellule ? Si l’on se souvient que toutes les cellules
naux. de l’organisme contiennent le même patrimoine génétique qui provient de nos
Les protéines notch-1 et numb présentent une parents, alors toutes les cellules filles présentent les mêmes gènes. Le facteur qui
distribution différentielle dans les précurseurs permet la différenciation d’une cellule d’une autre est alors lié à l’expression de
neuronaux du cortex en développement. Le
gènes spécifiques et, au-delà, de la présence des ARNm et des protéines qui en
clivage symétrique sépare ces constituants
de façon homogène entre les deux cellules
découlent. Par conséquent, le destin des cellules ainsi formées est influencé par
filles. En revanche, le clivage asymétrique des différences d’expression génique durant le développement. Souvenez-vous
conduit à une répartition différentielle entre encore du chapitre 2 que l’expression génique est elle-même influencée par des
les deux cellules filles. Dans cette condition, protéines particulières, dénommées facteurs de transcription. Si ces facteurs de
les cellules filles ne sont plus similaires et transcription ou, en amont, les molécules qui en régulent l’expression, ne sont
présentent des destins différents. pas uniformément répartis dans la cellule en division, alors le plan de clivage de
la cellule peut définir les facteurs qui seront transmis ou non à l’une ou l’autre
des cellules, et dès lors ceci peut influencer de façon différentielle le devenir de
chacune de ces deux cellules filles (Fig. 23.3).
Les cellules corticales matures représentent deux populations distinctes : les
cellules gliales et les neurones, et les neurones représentent eux-mêmes diffé-
rentes catégories selon la couche où ils siègent, leur morphologie dendritique,
ou encore le neurotransmetteur qu’ils utilisent. Il paraît ainsi a priori concevable
que cette diversité soit en rapport avec l’existence de différents types de cellules
souches. En d’autres termes, il pourrait y avoir une catégorie de cellules souches
donnant naissance aux cellules pyramidales de la couche VI, une autre aux cel-
lules de la couche V, etc. En fait il n’en est rien, et en rapport avec quel type de
gène est transcrit pendant le développement précoce, la même cellule souche
peut donner naissance à de nombreux types cellulaires, y compris des neurones
et des cellules gliales.
Le destin ultime des cellules filles en migration est quant à lui déterminé par
une multitude de facteurs, incluant l’âge de la cellule précurseur, son position-
nement dans la couche ventriculaire, et son environnement au moment de la
division. Les neurones pyramidaux corticaux et les astrocytes proviennent de la
zone ventriculaire dorsale, alors que les interneurones inhibiteurs et les oligoden-
drocytes proviennent du télencéphale ventral (Fig. 23.4). Les premières cellules
qui migrent à partir de la zone ventriculaire sont celles destinées à la formation
d’une couche particulière dénommée sous-plaque corticale, qui va éventuelle-
ment disparaître au cours du développement. Puis se divisent les cellules qui
formeront les neurones de la couche VI, puis successivement celles à l’origine des
couches V, IV, III et enfin celles qui donneront la couche II.
Il est intéressant de noter que l’essentiel de ce que nous savons sur le déve-
loppement cortical provient de travaux effectués chez les rongeurs. Les principes
généraux qui président au développement du cortex sont probablement transpo-
sables aux primates et à l’homme, mais il existe quelques différences importantes
qui rendent notamment compte de la complexité du néocortex des primates.
L’une de ces différences porte sur l’existence d’une seconde couche de cellules
prolifératives reconnue comme la zone sous-ventriculaire. Les neurones qui
dérivent de cette zone sous-ventriculaire sont destinés aux couches supérieures
du cortex II et III qui, dans le cerveau adulte, sont à l’origine de l’essentiel des
connexions corticocorticales, qui associent des aires cytoarchitectoniques diffé-
rentes. Il paraît alors raisonnable de penser que l’incroyable capacité du cerveau
des primates à traiter les informations cérébrales est liée à cette organisation
particulière résultant de processus développementaux particuliers.
23 – Développement du cerveau 803

Encadré 23.1 FOCUS

Neurogenèse chez l’homme adulte (ou comment les chercheurs


ont appris à aimer la bombe…)
Pendant longtemps, les scientifiques ont cru que la testées dans l’atmosphère (Fig. A), ce qui s’est traduit par
neurogenèse, c’est-à-dire la formation de nouveaux neu- de larges retombées radioactives sur les populations. Un
rones à partir de cellules précurseurs, était l’apanage des pic de carbone radioactif (14C) a pollué l’atmosphère et a
stades précoces du développement. Aujourd’hui, de été incorporé dans les molécules biologiques de toutes les
nouveaux résultats montrent qu’il n’en est rien : certains espèces vivantes, incluant la replication de l’ADN dans les
neurones particuliers sont continuellement formés à neurones chez l’homme. Cette radioactivité constitue un
partir de progéniteurs neuronaux du cerveau adulte. marqueur de toutes les cellules produites pendant cette
La division cellulaire nécessite une synthèse d’ADN, période. À la suite des travaux de Gage sur les rongeurs,
qui peut être détectée par l’administration de précurseurs Kirsty Spalding, Jonas Frisen et leurs collaborateurs du
radioactifs de ces molécules. Les cellules susceptibles de se Karolinska Institute de Stockholm ont développé une
multiplier incorporent alors ces précurseurs « marqués » méthode pour détecter ce carbone radioactif, datant les
dans leur ADN au moment de leur division, ce qui permet neurones dans des échantillons de cerveaux post-mortem.
d’identifier les cellules néoformées. Dans le milieu des Ils découvrirent alors que les neurones du néocortex
années 1980, Fernando Nottebohm de l’Université étaient tous aussi âgés que les individus eux-mêmes, sug-
Rockefeller a utilisé cette approche pour démontrer que gérant qu’aucune nouvelle cellule n’avait été formée chez
des neurones néoformés apparaissaient dans le cerveau du l’adulte, en accord avec le dogme en vigueur sur l’origine
canari adulte, en particulier dans les régions impliquées embryonnaire des neurones. Cependant, leurs résultats
dans l’apprentissage du chant. Ce sont ces résultats qui montraient qu’à l’inverse les neurones de l’hippocampe
ont relancé l’intérêt pour l’étude de la neurogenèse du étaient produits continuellement tout au long de la vie. En
cerveau adulte chez les mammifères, en fait initialement accord avec leurs observations, dans le cerveau adulte chez
décrite en 1965 par Joseph Altman et Gopal Das au l’homme, 700 nouveaux neurones sont ajoutés chaque
Massachusetts Institute of Technology. Les travaux réali- jour à l’hippocampe. Mais comme dans le même temps à
sés par Fred Gage au Salk Institute au cours de ces der- peu près la même quantité disparaît, le nombre total de
nières années ont définitivement établi l’existence d’une neurones dans cette structure demeure plus ou moins
neurogenèse dans l’hippocampe du rat adulte, une struc- constant. Le taux de renouvellement des neurones de
ture impliquée dans les processus mnésiques et d’appren- l’hippocampe calculé de cette manière est de l’ordre de
tissage, comme nous le verrons dans le chapitre 24. Il est 2 %. Ainsi votre hippocampe d’aujourd’hui est différent
ainsi noté que, dans cette structure, le nombre de neurones de celui que vous aviez l’année dernière !
néoformés augmente en rapport avec la confrontation de La neurogenèse dans le cerveau adulte paraît être une
l’animal avec un environnement « enrichi », c’est-à-dire spécificité de l’hippocampe et se trouve beaucoup trop
qu’il peut explorer à loisir. De même, il est aussi remarqué limitée pour pouvoir efficacement contribuer à réparer
que les rats qui ont la possibilité de faire un peu d’exercice, d’éventuelles lésions cérébrales. Cependant, la compré-
par exemple en utilisant une roue comme celle que l’on hension des mécanismes de régulation de ce processus,
trouve dans les cages des hamsters domestiques, ont un par exemple par la qualité de l’environnement, peut nous
niveau de neurogenèse supérieur à la normale. Dans les aider à promouvoir des recherches visant à stimuler la
deux cas, l’augmentation du nombre de neurones dans neurogenèse pour régénérer les neurones de l’hippocampe
l’hippocampe est corrélée avec le niveau d’apprentissage. après des lésions cérébrales ou diverses pathologies.
Jusqu’à une période récente,
9
cependant, la question se posait
Changements en 14C atmosphérique
de savoir si une telle neurogenèse 8
Changements en 14C lié au cerveau

intervenait aussi dans le cerveau 7


humain adulte. Une réponse défi- 6
nitive a été obtenue récemment,
5
simplement en analysant les don-
4
nées d’une expérience que certains
gouvernements, dont ceux des 3

États-Unis et de l’Union Sovié­ 2


tique, avaient permis de réaliser 1
pendant la guerre froide. Dans les
années 1955 à 1963, des centaines 1950 1960 1970 1980 1990 2000
de bombes nucléaires furent Figure A  Année
804 4 – Neuroplasticité

Dorsal

Futur
néocortex
Zone
de prolifération

Origine des neurones


pyramidaux et des astrocytes
Figure 23.4 – Origine des neurones corti-
caux. Origine des interneurones
La prolifération des neurones pyramidaux du inhibiteurs GABAergiques
cortex et celle des astrocytes intervient dans
la zone ventriculaire du télencéphale dorsal. Origine
Cependant, les interneurones inhibiteurs, des oligodendrocytes
ainsi que les oligodendrocytes, proviennent Futurs
de la zone ventriculaire du télencéphale ganglions de la base
ventral. Par conséquent, ces cellules doivent
migrer latéralement sur quelque distance
pour atteindre leur destination finale dans le
cortex. (Source : adapté de Ross et al., 2003.) Ventral

Migration cellulaire
Les cellules filles migrent en glissant le long des prolongements fins émis par
les cellules de la glie radiaire qui couvrent la distance entre la zone ventriculaire
et la pie-mère. Les neurones immatures, encore dénommés précurseurs neuro-
naux, suivent cette voie, de la zone ventriculaire jusqu’à la surface du cerveau
(Fig. 23.5). Lorsque toutes les cellules corticales ont rejoint leur destination, les
cellules de la glie radiaire rétractent leurs prolongements. Néanmoins, ce ne sont
pas toutes les cellules en migration qui suivent la voie de la glie radiaire : environ
un tiers des précurseurs neuronaux errent un peu au hasard sur le plan horizon-
tal en recherchant leur place dans le cortex.

Zone marginale
Prolongement
Plaque corticale
le plus avancé
d’un précurseur neuronal

Précurseur neuronal
en migration
Zone
intermédiaire

Prolongement
d’un précurseur neuronal

Zone
subventriculaire Prolongement
de la glie radiaire
Zone Cellules
ventriculaire de la glie
radiaire

Figure 23.5 – Migration des précurseurs neuronaux vers la plaque corticale.


Le schéma illustre une section du télencéphale dorsal à des stades précoces du développement.
Le schéma à droite est un agrandissement du télencéphale à ce stade : les précurseurs neuronaux
migrent le long des fins prolongements de la glie radiaire, vers la plaque corticale qui se forme juste
en dessous de la zone marginale.
23 – Développement du cerveau 805

Couche I

Couche II

Zone Couche III


marginale
Zone Plaque Couche IV
marginale corticale

Zone Plaque Couche V Couche V


marginale corticale

Plaque Couche VI Couche VI Couche VI


corticale
Sous-plaque Sous-plaque Sous-plaque

Zone Zone Zone Substance


intermédiaire intermédiaire intermédiaire blanche

Zone Zone Zone


ventriculaire ventriculaire ventriculaire

Développement

Figure 23.6 – Séquence de développement du cortex, des zones internes vers les zones externes.
Les premières cellules qui migrent correspondent à celles qui vont former la couche corticale VI. En même temps que ces cellules se différencient en
neurones, les précurseurs neuronaux destinés à la formation de la couche V migrent à leur tour, traversent la couche VI, et se localisent au niveau de la
plaque corticale. Puis cette séquence se reproduit encore et encore, jusqu’à ce que toutes les couches corticales soient différenciées.

Les précurseurs neuronaux destinés à former la sous-plaque corticale sont


parmi les premiers à migrer à partir de la zone ventriculaire ; puis migrent ceux
destinés à former le cortex adulte. Ces cellules traversent la sous-plaque et for-
ment un nouvel ensemble dénommé plaque corticale. Les premières cellules qui
atteignent la plaque corticale sont celles qui constitueront ultérieurement la
couche VI. Puis suivent les cellules de la couche V, les cellules de la couche IV, et
ainsi de suite. Il faut mentionner que chaque nouvelle vague de précurseurs neu-
ronaux en migration se juxtapose à ceux qui constituent la plaque corticale, dans
leur région externe. C’est ainsi que la mise en place du cortex est dite comme
s’effectuant de l’intérieur vers l’extérieur (Fig. 23.6). Ce processus très organisé
peut être perturbé par un certain nombre de mutations géniques. Par exemple,
chez une souris mutante dénommée reeler (décrivant une souris d’apparence
plutôt bancale…), les neurones de la plaque corticale ne sont pas capables de
migrer au travers de la sous-plaque, et ils s’empilent littéralement au-dessous.
Les travaux effectués chez cet animal ont montré qu’une protéine dénommée
reeline contribue à réguler l’organisation corticale.

Différenciation cellulaire
Le processus au cours duquel une cellule prend l’aspect et les caractéristiques
d’un neurone s’appelle la différenciation cellulaire. La différenciation cellulaire
est la conséquence de l’expression de gènes particuliers, dans une séquence très
organisée sur le plan spatiotemporel. Comme nous l’avons vu, la différenciation
débute dès que le précurseur neuronal se divise de façon asymétrique, contri-
buant à une distribution différentielle de différents organites du cytosol dans
les cellules filles. Cette différenciation se poursuit alors que la cellule rejoint la
806 4 – Neuroplasticité

Haut niveau
Attraction des dendrites apicaux
de sémaphorine 3A
par la sémaphorique 3A

Précurseur Neurone
neuronal différencié

Figure 23.7 – Différenciation des précur-


seurs neuronaux en neurones pyramidaux.
La sémaphorine 3A, une protéine sécrétée par
les cellules de la zone marginale, repousse les
axones en développement et attire les den­
drites apicaux, donnant au neurone sa forme Répulsion des axones efférents Faible niveau
caractéristique. par la sémaphorique 3A de sémaphorine 3A

plaque corticale, et ainsi les neurones des couches V et VI se différencient en


cellule pyramidale avant même que les cellules de la couche II migrent dans la
plaque corticale. La différenciation neuronale débute ainsi d’abord, puis inter-
vient seulement celle des astrocytes, qui est à son apogée à peu près au moment de
la naissance. La différenciation des oligodendrocytes intervient en dernier lieu.
La différenciation des précurseurs neuronaux commence par la formation de
neurites bourgeonnant sur le corps cellulaire. Ces neurites se ressemblent tous au
début, mais très vite ils se différencient en donnant un axone et des dendrites. La
différenciation se produit aussi en dehors du cerveau, si ces précurseurs neuro-
naux sont mis en culture. Par exemple, les futures cellules pyramidales présentent
souvent en culture la même organisation dendritique caractéristique qu’in vivo.
Ceci suggère que la différenciation est programmée bien avant que le précurseur
neuronal arrive à sa destination. Toutefois, la complexité des arborisations den-
dritiques dépend aussi de facteurs environnementaux et d’interactions cellulaires
dans le cortex. Par exemple, comme cela a été dit, les neurones pyramidaux sont
caractérisés par la présence d’une grosse dendrite apicale, qui s’étend radiale-
ment vers la pie-mère, l’axone quant à lui s’étendant dans la direction opposée.
Des données récentes ont ainsi montré qu’une protéine nommée sémaphorine 3A
est sécrétée par les cellules de la zone marginale. La protéine agit ainsi d’abord en
repoussant les axones des cellules pyramidales en voie de croissance, les contrai-
gnant à s’écarter de la surface du cortex, et aussi en attirant les dendrites apicaux
vers elle, c’est-à-dire vers la surface externe du cortex (Fig. 23.7). Comme nous le
verrons encore, l’orientation de la croissance neuritique par des facteurs solubles
sécrétés constitue un thème récurrent de la biologie du développement.

Différenciation des aires corticales


Le néocortex est souvent décrit comme un simple feuillet de tissu nerveux. En
réalité, le cortex est plus assimilable à une couverture en « patchwork », repré-
sentant un assemblage d’aires distinctes fonctionnellement et structurellement.
L’une des conséquences de l’évolution est d’avoir créé chez l’homme une série
d’aires corticales nouvelles et très sophistiquées, spécialisées dans un traitement
de plus en plus élaboré des informations. Ici la question se pose de savoir com-
ment toutes ces aires se mettent en place au cours du développement ?
Comme nous l’avons vu, les neurones corticaux sont formés dans la zone
ventriculaire, puis migrent le long de la glie radiaire avant d’atteindre leur place
définitive dans les différentes couches du cortex. Par conséquent, il paraît éga-
lement raisonnable de considérer ici que les aires corticales du cerveau adulte
reflètent simplement une organisation qui est déjà présente dans la zone ventricu-
laire du télencéphale fœtal. Dans ce cas, il faut imaginer que la zone ventriculaire
comporterait quelque chose qui serait une sorte de « microfilm », qui contien-
drait « l’empreinte » du cortex adulte, empreinte qui serait développée ensuite
dans les parois du ventricule au fur et à mesure que le cortex se met en place.
23 – Développement du cerveau 807

L’idée d’une telle carte primitive, représentant en quelque sorte un « protocor-


tex », a été initialement formulée par Pasko Rakic, un éminent chercheur de Yale
University (Encadré 23.2). Son hypothèse est basée sur le postulat que les précur-
seurs neuronaux en migration sont précisément guidés jusqu’à leur emplacement
définitif par le réseau de prolongements formé par la glie radiaire. Cependant, si
la migration est strictement radiaire, alors est-il possible de postuler que toutes
les cellules filles d’un même précurseur se trouveraient après migration à peu
près dans la même région du cortex. Ceci est effectivement le cas pour une large
majorité des neurones du cortex. Le concept selon lequel une colonne radiaire de
neurones corticaux dans sa totalité trouve son origine dans la même région de la
zone ventriculaire, dénommée hypothèse de l’unité radiaire, donne alors un socle
à l’accroissement considérable du néocortex humain tout au long de l’évolution.
La surface du cortex humain est environ 1 000 fois supérieure à celle de la souris
et 10 fois plus importante que celle du cortex du macaque. En revanche, l’épais-
seur du cortex de l’homme n’est que 2 fois supérieure à celui du singe, et même
moins. Ces différences considérables de surface sont en rapport avec la taille des
zones prolifératives ventriculaires, qui sont elles-mêmes en rapport avec la durée
de la période de division symétrique au cours des stades précoces de la gesta-
tion. L’une des hypothèses très attractives est qu’un accident heureux de l’évolu-
tion humaine fut l’apparition de mutations de gènes qui régulent la cinétique de
ces proliférations, aboutissant à une forte augmentation du nombre de cellules
prolifératives de la glie radiaire et, partant, de la surface du néocortex.
Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, environ un tiers de tous les pré-
curseurs neuronaux franchissent des distances considérables lors de leur migra-
tion vers la plaque corticale. Comment alors ces cellules trouvent-elles leur desti-
nation finale ? L’une des solutions de ce puzzle est suggérée par la découverte que
les neurones dans différentes régions corticales présentent des variantes de leur
identité moléculaire. Par exemple, deux gradients complémentaires de facteurs
de transcription dénommés Emx2 et Pax6, ont été découverts dans l’axe antéro-
postérieur de la zone ventriculaire du cortex en développement (Fig. 23.8). Les

Pax6 Emx2
Rostral

Caudal
(a)
Figure 23.8  – 
Gradients de facteurs de
transcription contrôlant la taille des aires
Souris sauvage Mutant Emx2 Mutant Pax6
corticales.
(a) Dans le télencéphale du fœtus, Pax6 et
Emx2 sont exprimés par des précurseurs
neuronaux différents, en gradients complé­
M M M M mentaires. Pax6 est exprimé principalement
M M
S S dans le cortex antérieur et Emx2, plutôt dans
S S le cortex postérieur. (b) La taille des différentes
S S A A
aires corticales change avec ces gradients.
A A V V Chez la souris, la réduction de la production
V V A V V A
de Emx2 se traduit par une expansion de la
taille des aires antérieures. À l’inverse, chez
la souris produisant des niveaux de Pax6
réduits, ce sont les aires corticales posté­
rieures qui prédominent. M = cortex moteur ;
S = cortex somatosensoriel ; A = cortex audi­
tif ; V = cortex visuel. (Source : adapté de
(b) Hamasaki et al., 2004.)
808 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Cartographier l’esprit !
Par Pasko Rakic

Mon intérêt pour le développement de expérimentaux en faveur de l’hypothèse


l’organisation corticale a débuté dans les que les neurones étaient bien programmés
années 1960, alors que j’étais interne en pour être formés à l’intérieur du cerveau,
neurochirurgie à l’Université de Belgrade. puis secondairement dirigés vers les régions
Mes maîtres me répétaient de façon insis- corticales externes. Ce travail a constitué
tante d’adopter une attitude très conser­ une partie de ma thèse de doctorat consa-
vatrice lorsque je devais intervenir sur le crée au développement du cerveau humain.
cortex des malades, considérant que, Il a ouvert un nouveau champ d’étude et,
contrairement aux autres organes, cette en ce qui me concerne, il m’a amené à
région du cerveau était faite d’aires diffé- répondre favorablement à une proposition
Pasko Rakic
rentes connectées de façon très spécifique, de rejoindre le laboratoire du Professeur
de telle manière à réaliser des fonctions particulières. Raymond Adams à Harvard Medical School, en 1969.
Ainsi leur ablation par la chirurgie empêchait toute Après avoir mis en route un laboratoire à Harvard,
forme de récupération ou de régénération. Lorsque je je me suis attaché à comprendre les mécanismes de la
m’interrogeais sur la façon dont se développait l’organi- genèse des neurones dans le néocortex du macaque,
sation du cortex, la seule possibilité était à cette époque modèle que j’ai choisi du fait de son développement
de me référer à une littérature ancienne, plutôt du cortical lent, à la manière du cortex humain. J’ai ainsi
xixe siècle, et je n’apprenais donc pas grand-chose de découvert que, même dans ce cortex de très grande taille,
nouveau. C’est alors que j’ai décidé d’abandonner la les neurones migrent et forment des colonnes où chaque
neurochirurgie, jusqu’à ce que je trouve des réponses nouvelle génération de neurones dépasse la couche pré-
à mes questions. J’ai eu la chance de bénéficier d’une cédente. De plus, comme chaque vague de neurones
bourse de la Fondation Fogarty, m’amenant à Harvard post-mitotiques dans cette espèce met environ deux
où j’ai rencontré Paul Yakovlev, un géant de la neuro­ semaines pour atteindre sa destination finale, cela me
pathologie développementale. J’ai appris avec lui que donnait le temps d’explorer les mécanismes sous-­
les neurones du cortex humain trouvaient leur origine tendant la façon dont ils atteignaient cette destination
dans les parois des ventricules cérébraux, en accord avec finale, alors que la distance à franchir pour atteindre les
la vieille hypothèse de Wilhelm His. Toutefois, les évi- parties de plus en plus externes du cortex était impor-
dences expérimentales en faveur de cette hypothèse tante. Par exemple, j’ai utilisé la microscopie électro-
étaient bien maigres… nique en coupes sériées pour montrer comment les neu-
À mon retour à Belgrade, j’ai réalisé des coupes his- rones en migration étaient attachés aux prolongements
tologiques de régions antérieures de cerveaux embryon- de la glie radiaire. Chez les primates, ces cellules, déjà
naires à différents âges, immédiatement après leurs pré- bien différenciées par rapport à celles d’autres mam-
lèvements. J’ai placé ces prélèvements dans des milieux mifères, sont distinctes et leurs arborisations allongées
de culture contenant de la thymidine radioactive. Ce occupent toute l’épaisseur de la paroi cérébrale chez le
marqueur spécifique de la replication de l’ADN était fœtus (voir la figure A sur le site : http://rakiclab.med.
impossible à obtenir à cette époque dans les pays de yale.edu/research.CorticalNeuronMigration.aspx).
l’Europe de l’Est, mais j’ai réussi à en importer discrète- Comme cela représente une très grande distance à par-
ment à partir des États-Unis. À ma connaissance, il courir pour un tout petit neurone en migration, nous
s’agissait là de la toute première expérience utilisant des avons procédé à l’examen de l’ensemble de la paroi à
coupes de cerveau frais pour étudier le développement différents âges du fœtus de singe, chacune de ces recons-
cérébral. Comme les cellules continuent, dans ces condi- tructions étant basée sur l’examen de milliers de micro-
tions expérimentales, à se diviser et à synthétiser de photographies de coupes sériées en microscopie électro-
l’ADN après la mort, j’ai ainsi été à même de les locali- nique. C’est d’ailleurs avec l’aide des ordinateurs de la
ser à proximité des ventricules cérébraux et dans une NASA, et spécialement ceux du programme Apollo, que
région toute proche que j’ai nommée « zone ventricu- nous avons pu reconstruire à cette époque des représen-
laire et zone subventriculaire », termes par la suite rete- tations 3D de ces mécanismes, bien avant l’ère des
nus par le Boulder Nomenclature Committee pour dési- micro-ordinateurs.
gner les zones de neurogenèse chez tous les vertébrés. La Ces découvertes ont été à l’origine d’un nouveau
découverte la plus importante fut que je n’ai pas trouvé champ d’investigation et m’ont conduit à proposer l’hy-
d’incorporation de radioactivité dans les cellules de la pothèse dite « radial unit and protomap », selon laquelle
plaque corticale, apportant en cela les premiers éléments l’organisation tridimensionnelle complexe du cortex est
23 – Développement du cerveau 809

Encadré 23.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

basée sur la préexistence d’une couche bidimensionnelle Le fait que la région la plus vaste du cerveau, le
de cellules souches présentes dans les zones ventriculaire néocortex, reçoive ses neurones par un processus très
et subventriculaire (voir l’animation en figure B sur organisé basé sur une migration cellulaire sur une très
le site : http://rakiclab.med.yale.edu/research/RadialMi- longue distance m’a fasciné, à tel point qu’après avoir
gration.aspx). Ces hypothèses suggéraient un méca- rejoint Yale University en 1979, j’ai décidé de porter mes
nisme basé sur l’expansion au cours de l’évolution de la efforts sur les bases moléculaires sous-tendant un tel pro-
surface du cortex, plus que sur son épaisseur. L’hypothèse cessus développemental. La stratégie que nous avons
était également susceptible d’expliquer comment des développée a utilisé une approche comparative du déve-
modifications génétiques pouvaient conduire à des loppement du cortex des rongeurs, des primates non-­
arrangements différents des neurones, en rapport avec humain et de l’homme, à partir de méthodes variées, tant
l’existence des différentes aires cérébrales. Depuis, des in vitro qu’in vivo, y compris des manipulations géné-
expériences utilisant la transgénèse chez la souris ont tiques chez l’animal, et jusqu’à des microdissections laser
contribué à valider cette hypothèse. sur des coupes de fœtus humains. Les travaux ont démarré

100 100
90 90
77 77
65 5565 55
47 47
39 39
31 31
21 21
11 11
1 21 32 43 54 65 76 87 98 109 10
MZ MZ

CP CP

N N
SP SP

CC CC

RG RG

TR TR MN MN
IZ IZ

NB NB SV Z SV Z
MA MA
VZ VZ
1 2 3 1 4 253 647 5 8697108 9 10

Figure A – Ce schéma est basé sur Figure B – Ce schéma illustre la mise en place au cours du développement précoce de l’orga-
une reconstruction 3D de milliers nisation corticale de l’adulte à partir des précurseurs neuronaux des zones ventriculaire (VZ)
d’images de coupes séries en micros- et subventriculaire (SVZ). IZ = zone intermédiaire ; SP = sous-plaque corticale ; CP = plaque
copie électronique, illustrant un précur- corticale ; MZ = zone marginale ; CC = corps calleux ; TR = radiations thalamiques ; MA =
seur neuronal (noté N sur le schéma), afférences monoaminergiques ; NB = input provenant du noyau basal de Meynert ; RG = glie
qui migre le long d’un prolongement radiaire ; MN = précurseur neuronal en migration. (Source : courtoisie du Dr Pasko Rakic.)
d’une cellule de la glie radiaire. (Source :
courtoisie du Dr Pasko Rakic.)
810 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.2 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

avec l’idée que les mécanismes d’adhésion cellulaire par un examen de routine des échantillons post-mortem,
étaient différents selon les espèces, et nous avons recher- ouvrant la voie à de nouvelles données sur les mécanismes
ché des molécules susceptibles de permettre aux neurones d’un certain nombre de pathologies (voir Encadré 23.4).
en migration de reconnaître la surface de l’arborisation Après toutes ces années, j’ai compris que le dévelop-
de la glie radiaire, à la manière d’une sorte d’interaction pement cortical constitue un processus d’une extrême
antigène-anticorps. Nous avons alors identifié toute une complexité impliquant de très nombreux gènes, des élé-
série de gènes et de molécules dans la signalisation inter- ments régulateurs et de nombreuses molécules interve-
cellulaire impliquée dans la régulation de la prolifération nant dans la signalisation. Par conséquent, même après
et de la migration des neurones corticaux vers leur desti- 50 années d’efforts, je suis plus que jamais déterminé à
nation finale, dans les différentes couches corticales. En comprendre encore comment est formé le cortex, pas
manipulant la migration neuronale par l’utilisation de seulement parce que le cortex est bien l’organe qui nous
facteurs génétiques et environnementaux, nous avons distingue des autres espèces animales, mais aussi et sur-
alors découvert quelques anomalies du positionnement tout parce que cette région est à l’origine de maladies
neuronal plutôt cachées, qui ne peuvent être observées mentales dévastatrices, qui restent encore à élucider.

neurones destinés à la région antérieure du néocortex expriment de haut niveau


de Pax6, et ceux destinés aux régions postérieures expriment quant à eux un fort
niveau de Emx2. Souvenez-vous alors que les différences de facteurs de trans-
cription se traduisent par des différences d’expression génique et de protéines
synthétisées. Celles-ci peuvent alors agir comme signal pour l’attraction de pré-
curseurs neuronaux particuliers vers des régions corticales appropriées. Ainsi,
chez la souris des modifications de l’expression génique visant à réduire l’expres-
sion de Emx2 se traduisent-elles par une extension des aires corticales antérieures,
comme les aires corticomotrices, et une réduction des aires postérieures, comme
le cortex visuel, par exemple. De façon similaire, si le knock-out concerne Pax6, ce
sont les aires visuelles qui vont s’étendre et les aires frontales se réduire.
Souvenez-vous aussi que les aires corticales ne se distinguent pas seulement
par leur cytoarchitecture mais qu’elles se différencient aussi par leurs connexions,
en particulier avec le thalamus dorsal. L’aire 17 reçoit ainsi des informations du
CGL, l’aire 3 des informations du thalamus ventral postérieur (VP), etc. Quelle
est alors la contribution de ces afférences thalamiques à la différenciation des
aires corticales ? Une réponse claire a été apportée par des expériences condui-
sant à la suppression des afférences issues du CGL à destination du cortex strié
du singe pendant les phases précoces du développement embryonnaire. Chez
ces animaux, la taille de l’aire 17 est considérablement réduite et dans le même
temps les aires extrastriées se développent plus que la normale (Fig. 23.9).

Dorsal
Rostral

Figure 23.9 – La différenciation des aires du


cortex strié chez le singe nécessite une
entrée d’informations à partir du CGL pen-
dant le développement fœtal.
Les flèches indiquent les limites entre les
aires 17 et 18. (a) Singe normal. (b) Singe
chez lequel est intervenue une suppression
du CGL au cours du développement fœtal
précoce. (Source : Dehay et Kennedy, 2007.) (a) Normal (b) Animal ayant subi une lésion du CGL
23 – Développement du cerveau 811

Ainsi apparaît-il que l’input thalamique est nécessaire pour induire la diffé-
renciation cytoarchitectonique du cortex. Mais est-il suffisant ? Brad Schlaggar
et Dennis O’Leary du Salk Institute ont abordé cette question d’une façon origi-
nale. Chez le rat, les fibres issues du thalamus stagnent un moment dans la subs-
tance blanche avant de pénétrer dans le cortex seulement quelques jours après
la naissance. Schlaggar et O’Leary ont prélevé délicatement une partie du cortex
pariétal chez des rats nouveau-nés et l’ont remplacé par un lambeau de cortex
occipital, de telle manière que les fibres thalamiques issues du VP se trouvent en
attente juste au-dessous de ce qui devait être normalement du cortex visuel. De
façon remarquable, les fibres envahissent sans problème le cortex transplanté
et, plus encore, forment l’organisation particulière « en tonneaux » du cortex
somatosensoriel du rat (voir Fig. 12.21). Ces données suggèrent que le thalamus
représente bien un élément fondamental de la spécification des aires corticales.
Mais, dans ce cas, comment s’organise la projection thalamique qui, elle-
même, « attend » sous la zone de cortex pariétal correspondante ? C’est peut-
être au niveau de la sous-plaque corticale que se trouve la réponse. Les neu-
rones de la sous-plaque, qui présentent un « pattern » de migration plus restreint
dans le plan radial, pourraient intervenir pour « attirer » les axones thalamiques
appropriés, en rapport avec les différentes parties du cortex en développement :
les axones du CGL seraient ainsi « attirés » vers le cortex occipital, les axones
issus du VP vers le cortex pariétal, etc. Les axones des neurones thalamiques
innerveraient ainsi initialement des territoires distincts de la sous-plaque cor-
ticale. À ce moment-là, lorsque les plaques corticales se développent jusqu’à
une taille suffisante, les axones envahissent le cortex. C’est alors l’arrivée des
axones thalamiques qui serait à l’origine de la différenciation cytoarchitecturale
du cerveau adulte. Par conséquent, la sous-plaque corticale formée des neurones
qui apparaissent les premiers paraît bien contenir les instructions nécessaires à
l’assemblage du « patchwork ».

Genèse des connexions


neuronales
Au cours de leur différenciation, les neurones émettent des axones, qui
doivent trouver leurs cibles appropriées. Le développement de ce vaste réseau
de connexions, ou de formation des voies neuronales, est considéré comme se
déroulant en trois phases : la sélection du trajet, la sélection de la cible, et la
sélection de la destination finale. Tentons de comprendre le sens de ces termes
dans le contexte du développement de la voie visuelle, qui va de la rétine au CGL
(Fig. 23.10).
Imaginez un moment que vous êtes à même de guider vous-même l’axone
d’une cellule ganglionnaire rétinienne en train de croître jusqu’à sa destination
exacte dans le CGL. Il faut d’abord que l’axone suive le pédoncule optique en
direction du cerveau. Mais très vite, le chiasma optique, à la base du cerveau, est
atteint et il faut choisir une direction. Il y a alors trois possibilités : passer dans le
tractus optique situé du même côté, passer par le tractus optique situé de l’autre
côté, ou encore carrément plonger dans l’autre nerf optique. Le trajet correct
dépend de l’emplacement de la cellule ganglionnaire sur la rétine et du type de
cellule. En partant de la rétine nasale, il faut traverser le chiasma et pénétrer dans
la voie optique controlatérale ; mais en partant de la rétine temporale, il faut res-
ter dans la voie optique du même côté et en tout état de cause ne jamais pénétrer
dans l’autre nerf optique. C’est le genre de décision que l’axone en croissance
doit prendre dans la sélection du trajet à parcourir.
Après avoir atteint le thalamus dorsal, l’axone se trouve devant une bonne
douzaine de cibles possibles et doit choisir quel noyau thalamique innerver. Le
choix correct est bien évidemment le corps genouillé latéral. C’est un exemple de
sélection de la cible.
812 4 – Neuroplasticité

CGL

Tractus
Chiasma optique
optique

Couches
du CGL
Figure 23.10 – Les trois phases de la forma-
tion des voies visuelles.
Corps
Les axones des cellules rétiniennes en déve­ genouillé
loppement doivent effectuer plusieurs choix latéral (CGL) 3
avant de trouver leur position correcte dans Tractus
Corps 2 optique
le CGL. ① Pendant la phase de la sélection
genouillé ipsilatéral
des voies, les axones doivent choisir le tra­
médian
jet correct. ② Pendant la phase de sélection
des cibles, les axones doivent se diriger vers
la structure à innerver. ③ Pendant la phase de Tractus 1
sélection fine des connexions neuronales, les optique
controlatéral
axones doivent choisir les cellules de la struc­
ture cible avec lesquelles ils vont former des Nerf optique Trajet des axones
synapses. controlatéral en développement

Enfin, il ne suffit pas de trouver la bonne cible : il faut trouver aussi la couche
du CGL correcte, et éviter de se confondre avec les autres axones rétiniens péné-
trant dans le thalamus pour que la rétinotopie du CGL soit respectée. C’est ce
qui se passe dans le choix de la destination finale de l’axone en croissance.
Comme nous le verrons, chacune de ces trois phases de la formation d’une
voie dépend essentiellement de la communication qui s’établit entre les cellules.
Cette communication se fait de plusieurs façons : contact direct de cellule à cel-
lule, contact entre les cellules et les sécrétions extracellulaires d’autres cellules, et
communication à distance entre les cellules au moyen de substances chimiques
diffusibles. Au fur à mesure que se forme une voie, une communication s’élabore
entre les neurones, impliquant alors des potentiels d’action et la transmission
synaptique.

Croissance de l’axone
Lorsque le précurseur neuronal en migration a trouvé sa destination dans le
système nerveux, le neurone se différencie et émet des prolongements qui forment
Microtubules
l’axone et les dendrites. Dans cette phase précoce, cependant, les prolongements
Neurite Filaments d’actine
axonaux et dendritiques sont très semblables et sont encore qualifiés de neurites.
Mitochondrie L’extrémité en croissance d’une neurite est le cône de croissance (Fig. 23.11).
Le cône de croissance sert à reconnaître le trajet emprunté par les neurites
en cours d’élongation. L’extrémité exploratrice du cône de croissance est com-
posée de feuillets membranaires aplatis, les lamellipodes, qui ondulent en vagues
rythmiques comme les ailes d’une raie nageant dans les profondeurs de l’océan.
Lamellipodes
De fines expansions partent des lamellipodes, les filopodes, qui s’étirent et se
rétractent constamment pour explorer l’environnement. La croissance de la neu-
Filopodes rite se produit lorsqu’un filopode, au lieu de se rétracter, s’accroche au substrat
(sa surface d’origine) et étire vers l’avant le cône de croissance.
Figure 23.11 – Cône de croissance.
Les filopodes sondent l’environnement et Objectivement, la croissance axonale ne peut intervenir qu’en rapport avec
dirigent le cône de croissance vers les cibles l’avancée du cône de croissance le long du substrat. L’une des composantes prin-
attractives. cipales de ce substrat est représentée par des protéines fibreuses déposées entre
23 – Développement du cerveau 813

les cellules, formant ce que l’on nomme la matrice extracellulaire. La croissance


Axone
n’intervient que si la matrice extracellulaire contient les protéines appropriées.
Un exemple de ces substrats « permissifs » est donné par la laminine, représen-
tant une glycoprotéine. L’axone en développement exprime quant à lui à sa sur-
face des molécules spécifiques dénommées intégrines, qui se lient à la laminine. Axone
C’est de cette interaction que résulte l’élongation de l’axone. De tels substrats
permissifs, souvent entourés de substrats dits « répulsifs », forment ainsi des
sortes de « corridors » le long desquels progressent les axones dans des direc- Molécules
CAMs
tions spécifiques. Axone
d’intégrines
L’élongation des axones le long de ces « autoroutes moléculaires » est faci- Molécules
litée par le processus de fasciculation, un mécanisme qui contribue à associer de laminine
entre eux les axones qui se développent ensemble (Fig. 23.12). La fasciculation
Matrice extracellulaire
est liée à l’expression de molécules de surface spécifiques présentes à la surface
des membranes, dénommées molécules d’adhésion (ou CAMs pour cell adhesion Figure 23.12 – Fasciculation.
molecules). Les CAMs des membranes des axones voisins interagissent étroite- L’axone du bas se développe sur la matrice
ment, contribuant à une croissance de tous ces axones à l’unisson. extracellulaire. Les autres axones chevau­
chent le premier, se collant les uns aux autres
par l’intermédiaire de molécules ­d’adhésion
Guidage axonal (CAMs pour cell adhesion molecules) pré­
sentes à leur surface.
La mise en place des voies neuronales représente un formidable challenge si
l’on considère les distances très importantes que certains axones doivent franchir
dans le cerveau adulte. Néanmoins, pendant le développement, ces distances
sont tout de même bien inférieures à celles de l’adulte lorsque tout le cerveau ne
mesure que quelques centimètres. L’une des façons les plus courantes d’établir
une voie nerveuse est de mettre en place très tôt quelques axones dits « pion-
niers ». Ces axones vont donc s’étirer au fur et à mesure que le cerveau se déve-
loppe, et ils vont servir de « guide » pour le développement plus tardif des autres
axones, qui compléteront la voie nerveuse vers la même cible. Aujourd’hui encore
la question se pose de savoir comment les axones pionniers se développent initia-
lement dans la bonne direction, permettant d’établir des voies nerveuses parfai-
tement organisées. L’un des éléments de réponse est lié au fait que la trajectoire
des axones paraît séparée en plusieurs segments de courte longueur, de l’ordre de
quelques centaines de microns, ce qui détermine des cibles intermédiaires sur le
trajet de l’axone. L’interaction de l’axone avec la cible intermédiaire a pour effet
de déclencher une nouvelle séquence, qui va propulser l’axone dans un nouveau
segment intermédiaire pour atteindre une cible plus éloignée. Dès lors on ima-
gine qu’en reliant ensemble tous ces points intermédiaires, les axones peuvent
effectivement atteindre leur destination finale.
Orientation vers les cibles.  Les cônes de croissance des différents axones se
distinguent entre eux par la nature des molécules qu’ils expriment à leur surface.
Les interactions intervenant entre ces molécules de surface des cibles suscep-
tibles d’être reconnues par elles, déterminent dans l’environnement de ces cônes
de croissance des processus de guidage à même de donner la direction et l’am-
plitude de la croissance axonale. Ces cibles contribuant au guidage axonal sont
susceptibles d’être de caractère attractif ou répulsif, dépendant de la nature des
récepteurs présents à la surface de l’axone.
Un facteur chémoattractif représente alors une molécule diffusible agissant à
distance pour « attirer » les axones en développement vers leur cible, à la manière
de l’odeur du café fraîchement torréfié qui attire irrésistiblement les amateurs d’ex-
presso. L’existence de tels facteurs chémoattractifs a été en fait proposée il y a plus
d’un siècle par Ramon y Cajal, et un certain nombre de travaux ultérieurs avaient
postulé leur existence. Mais ce n’est que très récemment que certains d’entre eux
ont été identifiés. Le premier de ces facteurs qui a été identifié est représenté par
une protéine nommée nétrine, sécrétée par les neurones de la partie ventrale et
médiane de la moelle épinière (Fig. 23.13). Le gradient de nétrine ainsi formé a
pour effet d’attirer les axones des neurones de la corne dorsale de la moelle épinière
qui vont traverser la ligne médiane et former le faisceau spinothalamique. Ces
axones possèdent des récepteurs de la nétrine et l’interaction de ces deux facteurs
a pour effet de favoriser la croissance axonale en direction de la source de nétrine.
814 4 – Neuroplasticité

Ligne médiane

Nétrine
Slit
Récepteurs
de la nétrine
Cône de
croissance

Partie ventrale
(a) de la moelle épinière

Ligne médiane

Robo
(récepteur
de slit)

Partie ventrale
(b) de la moelle épinière

Figure 23.13 – Effets chémoattractifs et chémorépulsifs.


(a) Les cellules de la ligne médiane de la partie ventrale de la moelle épinière sécrètent une protéine
particulière, la nétrine. Les axones qui expriment à leur membrane les récepteurs appropriés sen­
sibles à la nétrine sont « attirés » vers les régions des plus fortes concentrations en nétrine. (b) Les
cellules de la ligne médiane sécrètent aussi la protéine slit. Les axones qui expriment la protéine
robo, représentant le récepteur de slit, se détournent au contraire des régions de fortes concentra­
tions en slit. L’augmentation d’expression de robo par les axones qui traversent la ligne médiane
contribue à leur croissance et à leur éloignement de la ligne médiane.

Cependant, ces mécanismes n’expliquent pas tout. Après la décussation des


fibres, celles-ci peuvent échapper au « chant des sirènes » émanant de la nétrine.
Cela est possible grâce à l’intervention d’une autre protéine sécrétée par les cel-
lules de la ligne médiane de la moelle, la protéine slit. Slit représente l’un des
facteurs chémorépulsifs, se comportant comme une molécule qui « repousse » les
axones. L’action de slit n’est cependant possible que si les axones expriment à la
surface de leur membrane le récepteur de slit, c’est-à-dire la protéine robo. Les
cônes de croissance attirés vers la ligne médiane par la nétrine ne comportent en
fait à leur surface que peu de récepteurs de type robo et, par conséquent, sont
assez insensibles au pouvoir répulsif de slit. Toutefois, après avoir traversé la
ligne médiane, les cônes de croissance « rencontrent » un signal qui entraîne une
expression accrue de robo. Dès lors, ils deviennent sensibles à slit, et sont alors
repoussés de la ligne médiane.
Cet exemple montre comment les axones sont « attirés » et « repoussés » au
cours du développement par l’action coordonnée des facteurs chémoattractifs et
chémorépulsifs. La trajectoire des axones, d’abord vers la ligne médiane, puis à
partir de la ligne médiane, est par ailleurs contrainte par la disponibilité de subs-
trats permissifs nécessaires à la croissance. Dans cet exemple, les cellules de la ligne
23 – Développement du cerveau 815

médiane représentent l’une de ces cibles intermédiaires dont il est fait état ci-dessus,
présente sur l’« autoroute moléculaire » qui traverse la ligne médiane. Ces cellules
contribuent alternativement à attirer et à repousser les axones en développement,
dès lors qu’ils croisent la ligne médiane d’un côté du système nerveux à l’autre.
Mise en place de l’organisation topographique.  Si nous reprenons l’exemple
de la croissance des axones de la voie rétinogéniculée (voir Fig. 23.10), ces axones
se développent sur les substrats fournis par la matrice extracellulaire présente dans
la partie ventrale du cerveau, formant les parois de la base du tractus optique.
L’une des particularités de ce développement est représentée par le choix que les
axones doivent faire au niveau du chiasma optique. Les axones provenant de la
partie nasale de la rétine doivent traverser la ligne médiane et progresser dans le
tractus optique controlatéral, alors que ceux provenant de la région temporale de
la rétine doivent au contraire demeurer du même côté que la rétine, sans croiser
la ligne médiane. Si nous acceptons les hypothèses développées ci-dessus, il est
alors prévisible que les axones des régions de la rétine nasales et temporales n’ex-
priment pas les mêmes récepteurs vis-à-vis des cibles sécrétées à la ligne médiane.
Après avoir été soumis à ce « tri » au niveau de la ligne médiane, les axones
poursuivent leur progression vers leurs cibles finales, c’est-à-dire principale-
ment le CGL et le colliculus supérieur. À ce niveau, un nouveau tri des axones
intervient, pour établir la carte rétinotopique des projections rétinogéniculées,
notamment. Si on admet l’idée que les axones diffèrent sur la base de la position
originelle des neurones dans la rétine (qui explique en particulier leur propension
à traverser ou non la ligne médiane, rendant compte de la décussation partielle
du nerf optique), la mise en place de la rétinotopie peut également être conçue
comme un mécanisme dont les bases sont moléculaires. Cette idée selon laquelle
des marqueurs moléculaires présents sur les axones en croissance s’associent
avec des marqueurs complémentaires présents au niveau des cibles correspond à
ce que l’on nomme l’hypothèse de la chémoaffinité.
Dans les années 1940, c’est Roger Sperry qui, au California Institute of
Technology, a le premier testé cette hypothèse en utilisant le modèle des projec-
tions rétinotectales chez la grenouille. Si l’on se souvient (voir chapitre 10) que le
tectum des amphibiens représente l’homologue du colliculus supérieur des mam-
mifères, il convient de remarquer que le tectum reçoit une projection organisée
topographiquement à partir de l’œil controlatéral et utilise cette information
pour coordonner des mouvements en réponse aux stimulations visuelles ; par
exemple pour déclencher des bonds en avant vers le haut lorsqu’une mouche
passe à portée de la grenouille, au-dessus de sa tête. C’est ce système qui a été
utilisé par Sperry pour tenter de préciser les mécanismes à l’origine de cette
organisation rétinotopique.
Un autre avantage des amphibiens est leur capacité à pouvoir régénérer
des axones suite à leur transection, ce qui n’est pas le cas de tous les animaux
(Encadré 23.3). Sperry a utilisé ces propriétés pour préciser les mécanismes
de l’organisation de la voie rétinotectale. Dans l’une de ses expériences restée
fameuse, il a procédé à la section d’un nerf optique chez la grenouille, puis,
secondairement, à une rotation de 180° de l’œil correspondant, dans son orbite.
Il a ensuite observé la réinnervation du tectum à partir de l’œil dont la position
a été modifiée. L’organisation de la projection rétinotectale s’effectue en rapport
avec l’inversion de la rétine, c’est-à-dire que les axones se mettent en place selon
le schéma initialement prévu. Dans ce cas, le passage de la mouche au-dessus de
la tête va provoquer un bond de la grenouille qui ne se fait plus vers le haut pour
attraper la mouche mais, de façon inappropriée, vers le bas !
La question est alors posée de savoir quels sont les facteurs qui contrôlent
normalement le guidage des axones issus de la rétine vers le tectum ? Lorsque
les axones pénètrent dans le tectum, ils doivent contacter les cellules de cette
structure. Les axones issus de la rétine nasale traversent la partie antérieure du
tectum et innervent en fait la partie postérieure de la structure. Les axones issus
de la rétine temporale, à l’inverse, atteignent la partie antérieure du tectum où ils
s’arrêtent (Fig. 23.14a). Pourquoi ? Les résultats de ces expériences ont montré
que les membranes des cellules des différentes parties antérieure et postérieure
du tectum expriment de façon différentielle les facteurs permissifs nécessaires à
816 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.3 FOCUS

Pourquoi les axones des neurones ne régénèrent-ils pas


dans le système nerveux central ?
Par rapport à d’autres vertébrés, les mammifères pré- écrasement, des axones d’un nerf optique, c’est-à-dire
sentent certains avantages. Par exemple, notre compor- du système nerveux central, sont capables de régénérer
tement est beaucoup plus adaptable et flexible que celui sur de longues distances, à condition de leur fournir un
de nos lointains cousins amphibiens ou poissons. D’un environnement formé d’une greffe de nerf périphérique
certain point de vue, cependant, ces espèces présentent sur laquelle ils peuvent croître (Fig. A).
néanmoins un avantage par rapport à nous : la capacité Quelles sont les particularités de ces nerfs périphé-
de voir les axones de certains de leurs neurones repous- riques ? L’une des différences réside dans la nature des cel-
ser après lésion. Ainsi, si l’on sectionne le nerf optique lules formant la gaine de myéline, qui sont représentées
chez la grenouille, celui-ci va régénérer alors que, chez par les oligodendrocytes dans le système nerveux central
l’homme, la même lésion rend définitivement aveugle. et par les cellules de Schwann au niveau périphérique (voir
Bien entendu, pendant le développement nos axones chapitre 2). Les expériences réalisées par Martin Schwab à
sont aussi capables de parcourir de longues distances, l’Université de Zurich montrent ainsi que les neurones
mais quelque chose se produit très tôt après la naissance issus de système nerveux central se développent en culture
qui rend le système nerveux, et en particulier la subs- sur des substrats préparés à partir de cellules de Schwann,
tance blanche, comme un environnement « hostile » à la mais pas sur ceux préparés à partir d’oligodendrocytes.
croissance axonale. Ces données ont contribué à la recherche des facteurs
Lorsqu’un axone est sectionné, le segment distal gliaux susceptibles d’inhiber la croissance axonale et une
dégénère, n’étant plus relié au soma de la cellule. molécule baptisée nogo a finalement été identifiée en l’an
L’extrémité de l’axone sectionné mais correspondant au 2000. Cette protéine nogo serait en particulier sécrétée par
segment rattaché au soma (dit « segment proximal », les oligodendrocytes lorsque ceux-ci sont endommagés.
NdT) va répondre très vite à la section en émettant des
cônes de croissance. Dans le système nerveux central
adulte, cette croissance axonale est cependant rapide- Œil droit
ment abortive. Toutefois, dans le système nerveux péri-
phérique les choses sont moins catégoriques : par
exemple, si vous subissez une coupure profonde qui
atteint un nerf périphérique, vous devez savoir, qu’éven-
tuellement, vous pourrez retrouver quelques sensations
de la peau dénervée. Cela est possible parce que les nerfs Écrasement
périphériques sont susceptibles de repousser sur des dis- du nerf optique
tances relativement importantes.
De façon surprenante, ce qui différencie les réactions Chiasma optique
du système nerveux central et du système nerveux péri-
phérique ne sont pas les neurones eux-mêmes. Si l’on Greffe de nerf
sciatique
considère un axone d’une cellule sensorielle d’un
ganglion des racines dorsales, celui-ci va se développer Tractus optique
vers la moelle épinière sous forme de nerf périphérique
mais, dès qu’il va atteindre la corne dorsale de la moelle
Cônes de croissance
épinière, c’est-à-dire le système nerveux central, il va d’axones de cellules
stopper sa croissance. À l’inverse, si l’on sectionne ganglionnaires
l’axone d’un motoneurone à la périphérie, il repoussera rétiniennes
plus ou moins pour réinnerver sa cible. En revanche, si
la lésion de ces mêmes axones intervient dans le système
nerveux central, les mêmes axones ne régénèrent pas.
Par conséquent, les différences permettant ou non la
régénérescence se situent bien dans l’environnement des
neurones, qui n’est pas le même dans le système nerveux Colliculus
supérieur
central et dans le système nerveux périphérique. À partir
des années 1980, Alberto Aguayo et ses collaborateurs, Oligodendroglie Cellules de Schwann
au Montreal General Hospital au Canada, ont testé cette exprimant nogo n’exprimant pas nogo

hypothèse. Ils ont montré en particulier qu’après leur Figure A


23 – Développement du cerveau 817

Encadré 23.3 FOCUS  (suite)

Des anticorps dirigés contre nogo présentent la parti- L’une des dernières étapes du développement céré-
cularité de supprimer l’effet inhibiteur sur la croissance bral est de recouvrir les jeunes axones des gaines de
axonale. Schwab et ses collaborateurs ont administré ces myéline, ce qui a pour effet de faciliter considérablement
anticorps anti-nogo (dénommés IN-1) chez le rat adulte la conduction des potentiels d’action mais présente
ayant subi une lésion de la moelle épinière. Ce traitement comme inconvénient majeur de limiter la régénérescence
permet une repousse d’environ 5 % des axones, ce qui est après lésion. Au xxe siècle, les neurologues ont accepté
bien modeste mais qui pourtant est suffisant pour que les cette idée avec un certain fatalisme. Cependant, les
animaux présentent une certaine récupération fonction- découvertes dont nous venons de faire état, qui montrent
nelle. Les mêmes anticorps ont été par ailleurs utilisés le pouvoir de certaines molécules de stimuler ou d’inhi-
pour localiser nogo dans le système nerveux. La protéine ber la croissance axonale, permettent d’espérer pour
est bien sécrétée par les oligodendrocytes chez les mam- l’avenir des traitements susceptibles de promouvoir la
mifères, mais pas chez les poissons, par exemple, et elle régénérescence axonale dans le cerveau humain soumis
n’est pas produite par les cellules de Schwann. à des dommages pour le moment irréversibles.

Nasal Temporal Antérieur Postérieur

(a)
Rétine Tectum

Neurones de la rétine nasale

Membranes issues Figure 23.14 – Mise en place de la rétinoto-


du tectum antérieur pie dans la projection rétinotectale chez la
grenouille.
Membranes issues
du tectum postérieur (a) La rétinotopie est établie lorsque la rétine
nasale projette vers la partie postérieure du
tectum et la rétine temporale vers la partie
antérieure de la structure. (b) Pour mettre en
(b) évidence les mécanismes de cette rétinotopie,
Neurones de la rétine temporale
une expérience a été réalisée, qui consiste à
prélever des membranes de cellules issues
respectivement des parties antérieure et pos­
térieure du tectum et à les placer dans des
Membranes issues boîtes de culture. Les résultats montrent que
du tectum antérieur les axones issus de la rétine nasale mise en
culture sur ces membranes se développent
Membranes issues in vitro indifféremment de l’origine tectale.
du tectum postérieur
(c) Les axones issus de la rétine temporale,
en revanche, ne se développent que sur les
membranes du tectum antérieur mais pas sur
(c) celles du tectum postérieur.
818 4 – Neuroplasticité

la croissance des axones en provenance des parties nasales et temporales de la


rétine. Les axones issus de la rétine nasale se développent normalement sur des
substrats présents à la fois sur les membranes des cellules des parties antérieures
et postérieures du tectum (Fig. 23.14b). En revanche, les axones issus des cellules
de la rétine temporale ne se développent qu’au contact des facteurs présents
sélectivement sur les membranes des cellules de la partie antérieure du tectum, ce
qui limite leur progression dans le tectum à cette région, les cellules de la partie
postérieure du tectum étant au contraire répulsives pour ces axones (Fig. 23.14c).
Des travaux plus récents ont permis d’identifier certains de ces facteurs répulsifs,
dénommés éphrines, représentant des protéines répulsives pour les axones issus
de la rétine temporale. Certaines de ces éphrines sont exprimées à la surface
du tectum selon un gradient, allant d’une expression très forte dans les parties
postérieures du tectum à une très faible expression dans les régions antérieures.
Les éphrines interagissent avec des récepteurs nommés eph, exprimés sur les
membranes des axones en cours de croissance. C’est l’interaction des éphrines
avec leurs récepteurs qui provoque l’arrêt de la croissance, comme dans le cas de
l’interaction slit-robo décrite précédemment.
Même si l’histoire est vraisemblablement encore incomplète, il apparaît ainsi
clairement que de tels gradients de molécules impliquées dans le guidage axo-
nal, en association avec leurs récepteurs présents sur les axones, sont à l’origine
des topographies qui se mettent en place dans le cerveau en développement, au
moins entre la rétine et ses structures-cible. Cependant, comme cela sera déve-
loppé plus loin, la mise en place finale des connexions anatomiques nécessite
aussi le plus souvent une contribution de l’activité neuronale.

Formation des synapses


Lorsque le cône de croissance entre en contact avec sa cible, il forme une
synapse. Les détails des mécanismes de la formation des synapses dans le SNC
sont encore mal connus, mais les travaux réalisés sur la jonction neuromus-
culaire apportent quelques éclaircissements. La première phase de la mise en
place des synapses paraît correspondre à l’induction d’un groupe de récepteurs
post-synaptique, au site de contact de la jonction nerf-muscle ; cette induction
locale de récepteurs est déclenchée par une interaction entre des protéines sécré-
tées par le cône de croissance et la membrane de la cible. Au niveau de la jonction
neuromusculaire, une de ces protéines est l’agrine, libérée dans l’espace extra­
cellulaire au site de contact (Fig. 23.15). La couche de protéines qui forme cet
espace est la lame basale. L’agrine se fixe sur un récepteur particulier dénommé

Cône de croissance/
terminaison axonique du motoneurone

Lame
basale
Récepteurs
Molécules cholinergiques
1 d’agrine en migration

Figure 23.15 – Différentes étapes de la for-


mation d’une synapse au niveau de la jonc-
tion neuromusculaire. 2
① L’axone du motoneurone en développe­
ment sécrète une protéine, l’agrine, au niveau 3
de la lame basale. ② L’agrine interagit avec Récepteur
Membrane cholinergique
des récepteurs spécifiques situés au niveau de la cellule
de la membrane de la fibre musculaire. Cette musculaire
interaction conduit à ③ l’agrégation des Récepteur Rapsyne
récepteurs nicotiniques cholinergiques au de l’agrine
niveau de la membrane post-synaptique. (MuSK)
23 – Développement du cerveau 819

muscle-specific kinase ou MuSK, exprimé à la surface de la membrane des cellules Croissance axonique
musculaires. La protéine MuSK communique avec une autre protéine, dénom-
mée rapsyne, apparaissant un peu comme le facteur qui permet de conserver les
récepteurs cholinergiques nicotiniques post-synaptiques (AchRs) confinés à la 1 Filopodium
synapse. La taille du contingent de récepteurs est régulée par une autre molécule
sécrétée par l’axone, la neuréguline, qui stimule l’expression génique des récep-
teurs dans les cellules musculaires.
L’interaction entre l’axone et la cible est à double sens, et l’induction de Dendrite
la terminaison présynaptique implique aussi l’action de protéines de la lame Vésicule synaptique
basale. Les facteurs de la lame basale apportés par la cellule cible peuvent sti-
muler l’entrée de Ca2+ dans le cône de croissance, déclenchant ainsi la libération
de neurotransmetteur. Ainsi, alors qu’une structure synaptique ne parvient à 2 Zone active présynaptique
maturité qu’après quelques semaines, une transmission synaptique rudimentaire
apparaît très vite, dès que le contact est établi. En plus de la mobilisation du neu-
rotransmetteur, l’entrée de Ca2+ dans la terminaison présynaptique induit des
modifications du cytosquelette, qui amènent le cône de croissance à s’aplatir, à
prendre l’aspect d’un bouton terminal, et à adhérer étroitement à son partenaire
post-synaptique. Accumulation des récepteurs
Des processus similaires sont impliqués dans la formation des synapses du dans la zone post-synaptique
3 en regard de la terminaison
SNC. Toutefois, la séquence des événements peut se faire selon un ordre différent
et impliquer des facteurs qui ne sont pas identiques à ceux agissant à la péri-
phérie (Fig. 23.16). L’analyse au microscope électronique de neurones en culture
révèle ainsi que les filopodes se forment et se rétractent continuellement à partir
de dendrites recherchant leur innervation afférente. La formation des synapses Figure 23.16 – Différentes étapes de la for-
débute alors qu’une telle protrusion dendritique contacte plus ou moins au mation d’une synapse du système nerveux
central.
hasard un axone passant à proximité. Une telle interaction paraît impliquer une ① Un filopodium dendritique contacte un
sorte de zone présynaptique plus ou moins préétablie, qui va en quelque sorte axone. ② Ce contact conduit au recrutement
se « poser » au site de contact avec la dendrite, induisant un recrutement de de vésicules synaptiques et de protéines de
récepteurs au neurotransmetteur à la membrane post-synaptique. De plus, des la zone active dans la terminaison présynap­
molécules d’adhésion spécifiques sont exprimées à la fois par les membranes tique. ③ Les récepteurs au neurotransmetteur
pré et post-synaptiques, qui servent à maintenir ensemble les partenaires de la s’accumulent alors en regard de la zone de
synapse ainsi formée et consolidée. contact, dans la membrane post-synaptique.

Élimination des cellules


et des synapses
Les mécanismes à l’origine de la formation d’une voie que nous avons évoqués
plus haut assurent déjà un haut degré d’organisation des connexions neuronales
du cerveau à l’état fœtal. Ainsi dans le système visuel, grâce à ces mécanismes :
1. les axones rétiniens atteignent le CGL, 2. les axones du CGL se projettent
sur la couche IV du cortex strié, et 3. ces deux ensembles d’axones forment des
synapses avec leurs structures cibles en respectant l’organisation rétinotopique.
Mais la mise en place des connexions neuronales ne s’arrête pas là. Au cours
d’une longue période de développement qui commence avant la naissance et
dure jusqu’à l’adolescence, ces connexions sont affinées, notamment au travers
d’un processus de réduction drastique du nombre de neurones et des synapses
nouvellement élaborés. C’est ainsi que le développement des fonctions cérébrales
nécessite un équilibre subtil entre la production et l’élimination des neurones et
des synapses (Encadré 23.4).

Mort cellulaire
Des populations entières de neurones sont éliminées au cours du développe-
ment d’une voie neuronale. Ce processus est connu sous le nom de mort cellu-
laire programmée. Lorsque les axones ont rejoint leurs cibles et que les synapses
ont commencé à se former, le nombre d’axones présynaptiques et de neurones
diminue progressivement. La mort cellulaire traduit une compétition pour des
820 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.4 FOCUS

Les mystères de l’autisme


L’autisme représente chez l’homme un trouble du breux arguments dans un certain nombre de cas pour
développement, qui se caractérise par des comportements attester que la maladie se développe pendant le dévelop-
répétitifs ou stéréotypés et un déficit dans la communica- pement fœtal. Par exemple, les chercheurs ont récem-
tion et les interactions sociales. Bien que les enfants affec- ment découvert, à l’autopsie de cerveaux de patients
tés paraissent normaux à la naissance, les symptômes souffrant d’autisme, qu’il existait des foyers de désorga-
apparaissent progressivement au cours du développe- nisation du cortex cérébral en ce qui concerne les couches
ment, pendant les trois premières années. Parmi les tout corticales formées très tôt au cours du développement,
premiers signes reconnus par les parents, il est noté un comme nous l’avons décrit dans ce chapitre. De plus,
déficit du langage vers 16 mois, une faible communication plusieurs gènes impliqués dans la genèse du spectre
par le regard, une négligence des jouets, un attachement autistique sont connus pour intervenir dans ce dévelop-
excessif à un objet ou à un jouet, et un déficit d’expression pement cortical.
des émotions par le sourire, par exemple. Bien que tous les Les données de l’imagerie cérébrale ont aussi montré
enfants atteints d’autisme présentent ces symptômes, la que les personnes souffrant d’autisme ont une tendance
sévérité de l’atteinte est très variable d’un individu à un à présenter un développement accéléré de la taille du
autre, comme d’ailleurs la comorbidité avec d’autres cerveau, à la fois de la substance grise et de la substance
symptômes tels que l’atteinte des capacités intellectuelles blanche, après la naissance. Ceci suggère que le cerveau
ou le développement de crises d’épilepsie. Du fait de cette des enfants souffrant d’autisme présente un nombre de
hétérogénéité, les cliniciens parlent de « spectre autis- neurones et de connexions neuronales anormalement
tique » pour décrire un tel état. Certains individus à l’une élevé, bien que les échanges avec les cellules gliales soient
des extrémités de ce spectre peuvent ne jamais développer possibles. La croissance du cerveau est contrôlée par un
de langage et montrer de sévères atteintes cognitives. À équilibre entre la production et la disparition des cel-
l’inverse, à l’autre extrémité du spectre, d’autres individus lules, des axones, des synapses et des protéines qui les
se développent avec seulement quelques difficultés en ce contrôlent. Toute mutation de gènes qui affecte alors cet
qui concerne les relations sociales, et sont intellectuelle- équilibre, que ce soit par genèse excessive de cellules ou
ment plus ou moins normaux. par un ralentissement de leur élimination, peut contri-
Les troubles autistiques représentent une pathologie buer à un développement anormal du cerveau, qui
hautement transmissible génétiquement, mais la géné- s’exprime par des déficits comportementaux tels que
tique de l’autisme est complexe. Dans quelques cas, les la réduction de la communication et des interactions
mutations génétiques conférant un risque d’autisme se sociales, caractérisant l’autisme.
produisent de novo, ce qui atteste qu’elles peuvent inter- Les chercheurs espèrent que la compréhension des
venir de façon sporadique dans le sperme ou dans les mécanismes du développement cérébral puisse contri-
cellules de l’œuf des parents. L’un des facteurs de risque buer à développer des approches thérapeutiques pour
de ces mutations spontanées est possiblement l’âge des corriger ces anomalies développementales chez les
parents et en particulier du père. Dans d’autres cas, la enfants à risque d’autisme. Les travaux sur le syndrome
cause paraît liée à de multiples mutations silencieuses dit « de l’X fragile » donnent des pistes dans cette direc-
chez les parents et qui ne se manifestent chez l’enfant tion. Cette maladie est caractérisée par une atteinte
que lorsqu’il hérite d’une double mutation. Les progrès intellectuelle et un syndrome autistique. Elle est causée
des technologies associées au séquençage du génome par une atteinte du gène FMR1, qui code pour une pro-
ont permis de découvrir de nombreuses mutations téine nommée FMRP (introduite dans le chapitre 2). Le
transmises, ou de caractère spontané, chez les individus knock-out de ce gène chez la souris ou la drosophile se
atteints d’autisme. Aujourd’hui plusieurs centaines de traduit par des comportements anormaux de ces ani-
gènes sont concernés, suggérant que ce sont de nom- maux, qui orientent vers l’implication normale de ce
breux processus dont l’atteinte est susceptible d’interve- gène. Ces travaux ont ainsi montré que la protéine
nir pendant le développement, qui peuvent se traduire FMRP exerce normalement un rôle de frein sur la syn-
par un syndrome autistique. Par conséquent, comme thèse protéique dans les neurones. En l’absence de
pour d’autres pathologies psychiatriques discutées dans FMRP, les protéines sont de fait produites en excès. De
le chapitre 22, le seul diagnostic d’atteinte d’autisme façon remarquable, les traitements visant à réduire cette
n’éclaire pas sur les causes ou l’étiologie de la maladie. synthèse de protéines anormalement élevée paraissent
La diversité des atteintes génétiques explique cependant corriger certains des déficits associés à la délétion du
pourquoi les symptômes de cette maladie sont si variés gène FMR1, dans les modèles animaux. Ces travaux ont
d’une personne à une autre. pour conséquence d’évoquer la possibilité qu’un jour
Même si les comportements anormaux s’installent certains troubles du spectre autistique puissent être
progressivement après la naissance, il existe de nom- corrigés par des médicaments appropriés.
23 – Développement du cerveau 821

Neurones
afférents

Condition
initiale

Neurones
cibles

Mort neuronale
sélective

Neurones
afférents

Après
compétition
pour les facteurs
trophiques

Neurones
cibles

Figure 23.17 – Processus de sélection des neurones par mort neuronale sélective.


Les neurones afférents sont supposés entrer en compétition les uns avec les autres pour interagir
avec les quantités limitées de facteurs trophiques produites par les cellules cibles.

facteurs trophiques, c’est-à-dire en quelque sorte la nourriture nécessaire à la sur-


vie des tissus, que les cellules cibles fournissent en quantité limitée. Ce processus
permettrait de mettre en adéquation le nombre de neurones pré et post-synap-
tiques (Fig. 23.17).
Rita Levi-Montalcini, une biologiste italienne qui vient de disparaître à plus
de cent ans, a identifié dans les années 1940 le premier facteur trophique, un pep-
tide connu sous le nom de facteur de croissance nerveux (NGF pour nerve growth
factor). Le NGF est produit par les cibles de l’axone, dans la partie sympathique
du système nerveux autonome. Levi-Montalcini et Stanley Cohen ont montré
que l’injection d’anticorps du NGF chez de jeunes souris provoquait une dégé-
nérescence totale des ganglions sympathiques. Le NGF, produit et libéré par le
tissu cible, est reconnu et capté par les axones sympathiques, puis transporté de
façon rétrograde jusqu’au soma pour favoriser la survie du neurone. En fait, si le
transport axoplasmique est interrompu, les neurones meurent malgré la libéra-
tion de NGF par le tissu cible. Les travaux de Levi-Montalcini et Cohen furent
récompensés par le prix Nobel en 1986.
Le NGF appartient à une famille de protéines trophiques, dénommées neu-
rotrophines. Les membres les plus importants de cette famille sont représentés
par les protéines NT-3, NT-4 et le BDNF, pour brain derived neurotrophic factor,
un facteur particulièrement important pour la survie des neurones corticaux des
aires visuelles, notamment. Les neurotrophines agissent par l’intermédiaire de
récepteurs spécifiques situés à la surface des cellules. La plupart de ces récepteurs
représentent des protéines kinases activées par les neurotrophines, dénommées
récepteurs trk, qui phosphorylent des résidus tyrosine situés sur des protéines
substrats (voir les phosphorylations, chapitre 6). Ces réactions de phosphoryla-
tion stimulent une cascade de seconds messagers qui, in fine, agissent sur l’ex-
pression génique.
La description de la mort cellulaire au cours du développement comme un
processus « programmé » reflète l’idée qu’elle est la conséquence du déroule-
ment d’un programme génétique d’autodestruction. La découverte des gènes de
la mort cellulaire par Robert Horvitz au Massachusets Institute of Technology
822 4 – Neuroplasticité

(MIT), a été ainsi récompensée par le prix Nobel en 2004. Nous savons
aujourd’hui que les neurotrophines sauvent les neurones en « verrouillant » ce
programme d’autodestruction. L’expression de ce programme génétique de mort
cellulaire correspond à un processus particulier dénommé apoptose, qui corres-
pond à une déstructuration du neurone. L’apoptose diffère de la nécrose, qui
représente plutôt un processus de mort « accidentelle » en réponse à une atteinte
cellulaire. Les travaux sur la mort neuronale programmée progressent à grande
vitesse, laissant espérer prochainement de pouvoir sauver au moins en partie les
neurones en voie de dégénérescence, comme dans la maladie d’Alzheimer (voir
Encadré 2.4) ou la sclérose latérale amyotrophique (voir Encadré 13.1).

Modifications de la capacité synaptique


Chaque neurone reçoit un nombre déterminé de synapses sur ses dendrites et
son soma. Ce nombre représente la capacité synaptique du neurone. Dans tout
le système nerveux, c’est dans les premières phases du développement que la
capacité synaptique est la plus forte, puis elle décline lorsque le neurone arrive
à maturité. Ainsi, dans le cortex strié de toutes les espèces où cela a été étudié
jusqu’à aujourd’hui, la capacité synaptique des jeunes neurones est supérieure
de 50 % environ à celle des cellules adultes. En d’autres termes, dans le cerveau
du nourrisson, les neurones du cortex visuel reçoivent une fois et demie plus de
synapses que les neurones de l’adulte.
À quel moment se produit l’élimination des synapses des neurones corti-
caux ? Des chercheurs de l’Université de Yale, Jean-Pierre Bourgeois (NdT : qui
travaille maintenant à Paris) et Pasko Rakic, ont réalisé une étude sur ce sujet
dans le cortex strié du macaque. Ils ont découvert que la capacité synaptique
était étonnamment constante de la petite enfance à la puberté. Cependant, pen-
dant l’adolescence, la capacité synaptique diminuait fortement — de presque
50 % en à peine plus de 2 ans. Un rapide calcul révèle un fait étonnant : la vitesse
moyenne de l’élimination des synapses dans le cortex visuel primaire au cours de
l’adolescence est d’environ 5 000 par seconde (rien d’étonnant à ce que l’adoles-
cence soit une période difficile !).
Une fois de plus, c’est la jonction neuromusculaire qui a fourni le meilleur
modèle pour étudier l’élimination des synapses. Dans un premier stade du déve-
loppement, une fibre musculaire peut recevoir des afférences à partir de plusieurs
motoneurones. Cependant, en général cette innervation polyneuronale disparaît
par la suite, et chaque fibre musculaire reçoit finalement des afférences synap-
tiques d’un seul motoneurone α (Fig. 23.18a). Ce processus est régulé par l’acti-
vité électrique du muscle : en atténuant l’activité de la fibre musculaire, l’inner-
vation polyneuronale est maintenue, alors que la stimulation du muscle accélère
l’élimination de toutes les afférences, à l’exception de celle provenant d’un seul
motoneurone.
Les premiers changements intervenant au cours de l’élimination synaptique
se traduisent par une réduction du nombre de récepteurs cholinergiques post-­
synaptiques, suivie par la déstructuration de la terminaison nerveuse et la
« rétraction » de l’axone, au niveau présynaptique. La question se pose de savoir
quel est le mécanisme de l’élimination des récepteurs ? La réponse paraît se trou-
ver en rapport avec une stimulation insuffisante de ces récepteurs, alors même
que le muscle est lui-même suffisamment actif. De fait, si les récepteurs sont par
exemple bloqués partiellement par l’α-bungarotoxine (voir Encadré 5.5), ils sont
internalisés et il intervient une rétraction concomitante de l’axone (Fig. 23.18b).
En revanche, si tous les récepteurs cholinergiques nicotiniques sont bloqués,
alors dans ce cas la terminaison nerveuse reste en place car le muscle est lui-
même devenu inactif. Comme cela sera évoqué dans ce qui suit, c’est un méca-
nisme similaire qui paraît intervenir dans la sélection des afférences à une struc-
ture nerveuse dans le système nerveux central.
23 – Développement du cerveau 823

Motoneurone α

Blocage d’une petite


Multi-innervation
population de AchRs
du muscle immature
post-synaptiques au niveau
des jonctions neuromusculaires

AchRs post-synaptiques

Perte des AchRs


au niveau du blocage
de l’activité Figure 23.18 – Processus d’élimination synap-
Maturation de ces récepteurs tique.
(a) Initialement, chaque fibre musculaire
reçoit une innervation à partir de plusieurs
motoneurones. Pendant le développement
Un axone issu d’un toutes ces afférences dégénèrent pour n’en
seul motoneurone α conserver qu’une seule et, à la fin du déve­
innerve une seule Élimination des loppement, cette multi-innervation a com­
fibre musculaire axones présynaptiques
plètement régressé. À ce moment, les fibres
à l’endroit où les AchRs
ont été bloqués musculaires ne restent innervées que par
un seul motoneurone α. (b) Normalement,
la perte des récepteurs post-synaptiques
cholinergiques (AchRs) précède la rétraction
des axones présynaptiques. Dans ce cas,
le simple blocage de quelques-uns de ces
récepteurs par l’α-bungarotoxine peut stimu­
(a) (b) ler l’élimination synaptique.

Réorganisation synaptique
dépendant de l’activité
Prenons à titre d’illustration un neurone présentant une capacité synaptique
de six synapses, qui reçoit des afférences de deux neurones présynaptiques, A
et B (Fig. 23.19). L’organisation des synapses peut se faire au moins de deux
façons : chacun des deux neurones afférents forme de façon équivalente trois
synapses sur le neurone cible, ou bien l’organisation est asymétrique et le neu-
rone A forme par exemple une seule synapse et le neurone B, cinq. Le passage
d’un schéma d’organisation à un autre constitue une réorganisation synaptique.
Nous avons de nombreuses preuves que de telles réorganisations synaptiques
interviennent dans le cerveau immature.

A A

Neurones
pré- B B
synaptiques

Réorganisation Figure 23.19 – Réorganisation des conne­


synaptique xions synaptiques.
Les cellules cibles reçoivent le même nombre
Cellules Cellules de synapses dans les deux cas, mais l’organi­
cibles cibles sation de ces connexions est différente.
824 4 – Neuroplasticité

La réorganisation synaptique représente l’étape finale dans le processus


de sélection de la destination finale des synapses. Contrairement à la plupart
des autres étapes plus précoces de la formation des connexions neuronales, la
réorganisation synaptique est une conséquence de l’activité neuronale et de la
transmission synaptique. Dans le système visuel, une partie de l’organisation
des connexions en fonction de l’activité se déroule avant la naissance, sous l’in-
fluence des décharges spontanées des neurones. Cependant, une réorganisation
significative associée à l’activité survient également après la naissance, et dépend
largement de l’expérience sensorielle pendant l’enfance. Ainsi, apparaît-il que la
performance du système visuel adulte est déterminée, jusqu’à un certain point,
par la qualité de l’environnement visuel durant la période post-natale précoce.
Au sens le plus propre du terme, nous apprenons à voir dans une période critique
du développement post-natal.
Les neurophysiologistes David Hubel et Torsten Wiesel, dont les travaux ont
permis de comprendre le système visuel central dans le cerveau adulte, furent les
premiers à explorer ce domaine, comme cela a été rappelé dans le chapitre 10.
En 1981, ils partagèrent le prix Nobel avec Roger Sperry. Les macaques et les
chats sont des modèles particulièrement intéressants pour étudier le développe-
ment du système visuel associé à l’activité fonctionnelle car, comme l’homme, ces
deux espèces présentent une bonne vision binoculaire. Les travaux plus récents
ont aussi utilisé les rongeurs, mieux adaptés aux études plus moléculaires des
mécanismes.

Ségrégation synaptique
La précision avec laquelle les mécanismes d’attraction et de répulsion
chimique contribuent à la mise en place des connexions neuronales au cours
du développement peut paraître impressionnante. Néanmoins, dans certains cir-
cuits l’organisation finale nécessite aussi la contribution de l’activité nerveuse.
Tel est le cas de la ségrégation des afférences rétiniennes dans le CGL.
Ségrégation des afférences rétiniennes au corps genouillé latéral (CGL). Ce
sont les axones provenant de la rétine controlatérale qui atteignent les premiers
le CGL, et ils se ramifient dans tout le noyau. Un peu plus tard, la projection
ipsilatérale parvient au CGL et mêle ses axones à ceux de l’œil controlatéral. Les
axones provenant des deux yeux se répartissent alors dans des domaines spéci-
fiques pour chacun d’entre eux, selon une organisation caractéristique du corps
genouillé adulte. L’injection de tétrodotoxine (TTX) dans le globe oculaire en vue
de bloquer l’activité rétinienne empêche ce processus de ségrégation, montrant
que celui-ci est bien dépendant de l’activité générée dans la rétine (rappelons que
la TTX bloque la propagation des potentiels d’action). Quelle est alors la source
de cette activité ? Et comment orchestre-t-elle la séparation des projections ?
Étant donné que la ségrégation se déroule chez le fœtus avant le dévelop-
pement des photorécepteurs, l’activité n’est pas induite par une stimulation
lumineuse. Il semble plutôt qu’au cours du développement fœtal les cellules
ganglionnaires aient une activité spontanée. Cependant, cette activité n’est
pas erratique. Les travaux de Carla Shatz et de ses collègues à l’Université de
Stanford démontrent que les cellules ganglionnaires émettent des bouffées de
décharges semblables à des ondes presque synchrones, qui parcourent toute la
rétine. L’origine de l’onde et l’orientation de sa propagation paraît se faire au
hasard, mais pendant la durée de l’onde, l’activité d’une cellule ganglionnaire
est fortement corrélée avec l’activité des cellules les plus proches ; et comme ces
ondes sont générées séparément dans les deux rétines, il n’y a pas de corrélation
entre l’activité survenant dans les deux yeux.
La ségrégation des axones dans le CGL pourrait être liée à un processus
de stabilisation synaptique par lequel seules ne subsisteraient que les terminai-
sons rétiniennes activées au même moment que le neurone cible situé au niveau
post-synaptique. L’hypothèse d’un tel mécanisme de plasticité synaptique a été
formulée pour la première fois par le psychologue canadien Donald Hebb dans
les années 1940, d’où le terme de synapses de Hebb ; et les réorganisations synap-
tiques associées à ce mécanisme sont dénommées modifications hebbiennes.
23 – Développement du cerveau 825

Selon cette hypothèse, lorsqu’une onde d’activité rétinienne induit des potentiels
d’action dans un neurone post-synaptique du CGL, les synapses sont stabilisées
(Fig. 23.20). Parce que l’activité des deux yeux n’est pas synchrone, les influx
nerveux sont donc en compétition selon un mode « tout ou rien », c’est-à-dire
que celui qui gagne emporte tout, ce qui se traduit ici par la rétention de l’affé-
rence qui a été la plus active et la simple élimination de l’autre. Une afférence
rétinienne « égarée » dans une couche du CGL inappropriée représente un « pari
perdant », parce que son activité n’est pas corrélée avec une intense réponse
post-synaptique qui, au contraire, est évoquée à partir de l’autre œil. Dans ce
qui suit, certains des mécanismes possibles de cette ségrégation seront évoqués.
Ségrégation des afférences du CGL au cortex strié.  Dans le cortex visuel du
singe ou du chat (mais pas chez la plupart des espèces), les afférences issues du
CGL véhiculant les informations des deux yeux sont ségrégées dans des colonnes
de dominance oculaire. Cette ségrégation intervient avant la naissance et semble
due à la combinaison de facteurs moléculaires en rapport avec le guidage axonal
vers la cible, et avec l’activité nerveuse différentielle des deux yeux (Encadré 23.5).

Synapses exprimant
des propriétés hebbiennes

(a)

(c)

Synapses exprimant
des propriétés hebbiennes

(b)

Figure 23.20 – Plasticité des synapses de Hebb.


Le schéma illustre deux neurones cibles du CGL recevant des afférences des deux yeux. Initiale­
ment, les afférences visuelles se terminent dans des champs qui se superposent très largement,
puis qui deviennent séparés sous l’effet de l’activité neuronale. (a) Les deux afférences d’un même
œil (schéma du haut) sont actives en même temps. Cette information est suffisante pour que le
neurone correspondant du CGL soit activé, mais pas celui du bas qui ne reçoit qu’une innervation
partielle à partir de cet œil. L’activation de cette voie rétinogéniculée induit l’expression de pro­
priétés hebbiennes venant encore renforcer l’activité de cette voie. (b) La situation est similaire,
excepté que l’information est maintenant issue de l’autre œil, et donc que c’est un autre neurone du
CGL qui va être activé. (c) Au fil du temps, les neurones qui sont actifs en même temps vont donc
constituer des réseaux. Notez sur le schéma que les connexions synaptiques qui ne répondent pas
à ces conditions sont éliminées pour activité insuffisante.
826 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.5 BASES THÉORIQUES

Des grenouilles à trois yeux,


des colonnes de dominance oculaire et autres bizarreries…
Les colonnes de dominance oculaire du cortex visuel développement de ces colonnes chez les primates d’une
(rayures ou bandes, selon l’angle sous lesquelles elles part et les carnivores d’autre part, ont évolué séparé-
sont obérées) sont une particularité de quelques pri- ment, ce qui doit nous amener à une certaine prudence
mates, principalement l’homme et le macaque, et de quant à la généralisation des mécanismes à l’origine de
certains carnivores comme le chat ou le furet. Pendant la formation de ces colonnes de dominance oculaire.
longtemps les chercheurs ont pensé que les afférences Cette question a été illustrée de façon magistrale par
visuelles à la couche IV issues des deux yeux se chevau- le travail réalisé dans les années 1980 par Martha
chaient initialement au cours du développement de ces Constantine-Paton et ses étudiants, à l’Université de
espèces, et que la ségrégation ultérieure en colonnes Princeton, sur « les grenouilles à trois yeux ». Bien
alternées provenait de la comparaison au niveau neuro- entendu les grenouilles ne présentent pas trois yeux.
nal de l’activité générée par les deux rétines. Cependant, Elles ont normalement deux yeux, et chaque rétine pro-
un certain nombre d’observations contredisent cette jette exclusivement dans le tectum controlatéral.
hypothèse. En effet, chez le furet une ségrégation des Cependant, en procédant à la transplantation d’un œil
informations issues de chacun des deux yeux est détectée provenant d’un embryon dans le cerveau antérieur d’un
avant même que la rétine ne soit activée. Ceci suggère autre embryon, les chercheurs ont été à même de pro-
que les mécanismes moléculaires de guidage axonal plu- duire une situation où deux projections rétiniennes
tôt que l’activité neuronale sont à l’origine de la ségréga- étaient forcées de cheminer vers le même tectum (Fig. A,
tion en colonnes de dominance oculaire. partie a). De façon amusante, les afférences se ségré-
Toutefois, il est important de souligner que les ques- gaient en bandes ressemblant fortement aux colonnes de
tions de développement ont souvent plus d’une seule dominance oculaire du cortex visuel du macaque (Fig. A,
solution. Si l’on s’intéresse à l’évolution, la branche des partie b). Les chercheurs ont noté que si  l’activité réti-
mammifères conduisant aux primates et aux carnivores nienne était bloquée, alors les deux afférences issues des
a divergé très tôt, il y a environ 95 millions d’années. deux yeux se mélangeaient. Cette expérience montre que
Parce que la plupart des autres mammifères ne pré- la différence d’activité notée entre les deux rétines peut
sentent pas de colonnes de dominance oculaire, les évo- objectivement être utilisée pour ségréger les voies
lutionnistes considèrent que les processus conduisant au visuelles, en accord cette fois avec le modèle de Hebb.

(a)

(b)

Figure A – (a) Cette grenouille présente un troisième œil, résultant de la transplantation d’un œil embryonnaire. (b) Une section
tangentielle au travers du tectum d’une telle grenouille démontre que l’injection d’un marqueur radioactif dans un seul œil permet de
mettre en évidence une organisation en bandes alternées. (Source : courtoisie du Dr Martha Constantine-Paton).
23 – Développement du cerveau 827

Le fait que la ségrégation des afférences soit réalisée ne signifie pas, cepen-
dant, que les axones perdent tout pouvoir de se développer ou de se rétracter.
La « plasticité » des colonnes de dominance oculaire peut ainsi être démontrée
par une expérience qui a rendu célèbres Wiesel et Hubel, dénommée expérience
de privation visuelle monoculaire, dans laquelle un œil est fermé par la suture
des paupières. Si l’expérience de privation visuelle monoculaire est réalisée
très tôt après la naissance, le résultat le plus marquant est une extension des (a)
colonnes corticales correspondant à l’œil « ouvert », alors que celles correspon-
dant à l’œil « fermé » s’atrophient (Fig. 23.21). De plus, ces effets de la privation
visuelle monoculaire peuvent être « réversés », simplement en suturant secon-
dairement l’œil « ouvert » et en « ouvrant » l’œil dont la paupière avait été ini-
tialement suturée. Les résultats de cette manipulation d’« occlusion-réversion »
sont alors une extension de la colonne corticale initialement réduite à cause du
manque d’information visuelle, concomitante d’une rétraction de la largeur de
la colonne corticale qui s’était initialement développée au détriment des autres.
Cela démontre clairement que les axones issus du CGL et les synapses qu’ils
forment dans la couche IV du cortex visuel présentent un caractère encore très (b)
dynamique après la naissance. Ce type de réorganisation synaptique n’est pas
dépendant que de l’activité nerveuse mais dépend également de l’expérience sen- Figure 23.21 – Modification des bandes de
sorielle, car lié à la qualité des informations sensorielles. dominance oculaire après déprivation mono-
Cependant, la plasticité des colonnes de dominance oculaire n’intervient pas culaire.
pendant toute la vie des individus. Hubel et Wiesel ont démontré que si la priva- Ces microphotographies (en fond noir) ont
tion visuelle intervient plus tard après la naissance, alors elle n’est plus à même été prises à partir de sections tangentielles
du cortex strié de singe, au niveau de la
d’influencer l’organisation de la couche IV. Il existe une période critique pour ce
couche IV. Elles illustrent la répartition des
type de modification structurale du cortex visuel. Chez le macaque, cette période
terminaisons nerveuses du CGL correspon­
critique pour laquelle une plasticité existe dans les afférences visuelles au niveau dant à un seul œil, marquées par un isotope
de la couche IV du cortex visuel est d’environ six semaines après la naissance. radioactif (elles apparaissent en clair sur la
À la fin de la période critique, les afférences corticales issues du CGL perdent photo). (a) Singe normal. (b) Singe ayant subi
apparemment leur capacité à se modifier en rapport avec les entrées visuelles une déprivation visuelle monoculaire à partir
et, en un certain sens, apparaissent maintenant comme « cimentées » au cortex. de l’âge de 2 semaines et pour une période de
Le développement comprend plusieurs de ces périodes critiques, c’est-à-dire 22 mois. C’est l’œil qui n’a pas été occulté qui
de moments où les processus développementaux sont influencés par l’environ- a subi l’injection du traceur radioactif (voir
nement (Encadré 23.6). Ainsi, dans le cortex visuel la fin de la période critique Fig. 10.17), révélant ainsi l’extension des
colonnes de dominance oculaire au niveau de
en ce qui concerne la plasticité anatomique de la couche IV ne signifie pas la fin
la couche IV. (Source : Wiesel, 1982, p. 585.)
de l’influence de l’expérience visuelle sur le développement cortical. D’autres
synapses du cortex strié, en dehors de la couche IV, demeurent de fait modi-
fiables par l’expérience jusqu’à l’adolescence et même au-delà.

Convergence synaptique
Bien que les grandes voies d’information provenant des deux yeux soient
initialement ségrégées dans le CGL et la couche IV du cortex strié, il est néces-
saire que ces flux d’informations se combinent à un certain moment pour créer
une vision binoculaire. Chez les espèces présentant des colonnes de dominance
oculaire, la base anatomique de la vision binoculaire est la convergence des effé-
rences des neurones de la couche IV correspondant à l’œil gauche et à l’œil droit,
sur les cellules de la couche III, ces connexions étant parmi les dernières à s’éta-
blir au cours du développement de la projection rétino-géniculocorticale. Dans
cette phase aussi, la réorganisation synaptique dépendant de l’activité joue un
rôle majeur.
Les connexions binoculaires se forment et se modifient sous l’influence de
l’environnement visuel, de la petite enfance aux premiers stades de l’enfance.
Contrairement au mécanisme de ségrégation des territoires spécifiques à chaque
œil, qui dépend à l’évidence d’une activité asynchrone spontanément générée
dans les deux yeux, l’établissement des champs récepteurs binoculaires dépend de
l’activité corrélée qui survient dans les deux yeux à la fois comme une conséquence
de la vision. Ce fait a été clairement démontré par des expériences qui dissocient
l’activité des deux yeux. Par exemple, la privation visuelle monoculaire, qui rem-
place l’activité normale d’un œil par une activité erratique, affecte profondément
l’organisation des connexions binoculaires dans le cortex strié. Dans ce cas, les
828 4 – Neuroplasticité

Encadré 23.6 BASES THÉORIQUES

Le concept de période critique


Au cours du développement, une période critique les modifications comportementales qui suivent l’expé-
peut être définie comme un moment de l’existence où le rience sensorielle précoce ont plus tard un caractère per-
destin des cellules est susceptible d’être modifié par les manent et irréversible, beaucoup plus que le phénotype
interactions cellulaires. Le concept est habituellement déterminé dans les phases précoces du développement
attribué à l’embryologiste Hans Spemann, qui travaillait embryonnaire. De nombreuses études ont étendu le
au tournant du xxe siècle. Spemann montra que la concept de période critique à certains aspects du déve-
transplantation d’une partie d’un embryon dans un loppement psychosocial des mammifères. L’idée est
autre confère au « donneur » des caractéristiques du alors que le destin des neurones et des circuits neuro-
« receveur », mais seulement si cette transplantation a naux dépend de l’expérience que l’individu a eue pen-
lieu à une période bien précise du développement. Dans dant sa petite enfance. Il n’est alors pas difficile de com-
ce cas, une fois que le tissu transplanté a adopté des prendre que, dans ce domaine, la recherche a des
caractéristiques du receveur, cette situation devient irré- implications à la fois biologiques et sociales.
versible. Les mécanismes de ces interactions cellulaires Les effets de l’expérience sur le destin des neurones
qui sont susceptibles d’altérer le phénotype des cellules peuvent être reproduits par stimulation de l’activité des
transplantées sont fondés sur des signaux chimiques et/ cellules de l’épithélium sensoriel. L’idée que l’activité
ou impliquant des interactions cellulaires de surface. synaptique peut modifier la connectivité pendant le
Avec Konrad Lorenz, vers le milieu des années 1930, développement a été initialement introduite à partir des
le terme évolua vers une nouvelle signification, en rap- travaux de Hubel et Wiesel sur le développement du sys-
port avec le développement du cerveau et le comporte- tème visuel. À l’aide de méthodes anatomiques et neuro-
ment. Lorenz s’intéressait aux processus par lesquels la physiologiques, ces auteurs ont montré que l’expérience
jeune oie cendrée s’attache socialement à sa mère. Il visuelle, ou plutôt son absence, constituait pendant les
découvrit qu’en l’absence de la mère l’attachement premiers stades du développement un déterminant
social de cette oie peut se transférer à toute une série majeur de la mise en place des voies visuelles centrales,
d’objets en mouvement, incluant Lorenz lui-même et que cette influence environnementale était limitée à
(Fig. A). Après cette imprégnation, les oisons suivent cet une période bien précise du développement post-natal.
objet en mouvement et se comportent comme s’il s’agis- Depuis cette époque, de nombreux travaux ont été
sait effectivement de leur mère. Lorenz utilisa le terme consacrés à l’influence de l’expérience sensorielle sur le
d’« empreinte » (imprinting) pour suggérer que cette développement du système visuel. De fait, le système
première image visuelle soit fixée de façon quelque peu visuel représente un excellent modèle pour aborder la
permanente dans le cerveau de ces petits oiseaux. notion de période critique au cours du développement.
L’imprinting est également limité à une très courte
période de temps (environ 2 jours après l’éclosion des
œufs), que Lorenz a appelé « période critique » pour
l’attachement social. Lorenz suggéra une analogie entre
ce processus d’imprinting de l’environnement externe et
l’induction de changements structuraux au cours du
développement embryonnaire.
Ce travail a eu un retentissement considérable dans
le domaine de la psychologie développementale. Les
termes imprinting et « période critique » suggèrent que Figure A 

neurones, qui ont normalement des champs récepteurs binoculaires, répondent


seulement à la stimulation de l’œil ouvert. La modification de l’organisation
binoculaire du cortex correspond à un changement de la dominance oculaire
(Fig. 23.22).
Les effets de la privation visuelle ne correspondent pas seulement aux modi-
fications anatomiques passives dans la couche IV, décrites plus haut. D’abord,
les changements de la dominance oculaire peuvent intervenir très rapidement,
juste après quelques heures de privation monoculaire, avant même que des
changements de la structure de l’arborisation des axones puissent être détectés
(Fig. 23.23). De tels changements rapides reflètent plutôt des modifications de
23 – Développement du cerveau 829

40 80
Pourcentage des neurones

Pourcentage des neurones


30 60
dans la couche III

dans la couche III


20 40
Déprivation
monoculaire
10 20

0 0
1 2 3 4 5 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance Groupes de dominance
oculaire (b) oculaire
Œil Œil Œil Œil
controlatéral ipsilatéral fermé ouvert

Figure 23.22 – Plasticité des colonnes de dominance oculaire.


Ces histogrammes de dominance oculaire ont été construits à partir d’enregistrements électrophy­
siologiques de neurones du cortex strié de (a) chats normaux ou (b) ayant subi une privation mono­
culaire dans les premiers stades de leur développement post-natal. Chaque histogramme illustre le
pourcentage de neurones dans chacune des 5 catégories de dominance oculaire. Les cellules du

Nombre de potentiels d’action


Réponse à Réponse à
groupe 1 et 5 sont activées par la stimulation de l’œil controlatéral ou ipsilatéral au cortex enregis­ l’œil gauche l’œil droit
tré, respectivement, mais jamais par les deux yeux à la fois. Les cellules du groupe 3 sont activées
de façon similaire par la stimulation de l’un ou l’autre des deux yeux. Les cellules des groupes 2
et 4 sont activées de façon binoculaire, mais préférentiellement par l’œil controlatéral ou ipsilatéral
au cortex enregistré, respectivement. L’histogramme présenté dans la partie (a) révèle que chez le
chat normal la majorité des neurones du cortex visuel primaire sont activés de façon binoculaire.
La partie (b) de la figure illustre les conséquences de la déprivation monoculaire précoce : dans ce
cas, seuls quelques neurones répondent à la stimulation de l’œil ayant fait l’objet de la déprivation
précoce, après son ouverture chez l’adulte.
Temps
(a) Réponses initiales
la composition moléculaire des synapses, sans changement structural majeur
des axones. Deuxièmement, les changements de dominance oculaire peuvent
Nombre de potentiels d’action

Réponse à Réponse à
intervenir bien après la période critique déterminée pour les modifications des l’œil gauche l’œil droit
terminaisons axoniques dans le CGL. Finalement, les changements de la domi-
nance oculaire interviennent chez tous les mammifères présentant une vision
binoculaire, et non seulement chez les quelques espèces possédant des colonnes
de dominance oculaire. Toutefois, une telle plasticité de la dominance oculaire
diminue avec l’âge, disparaissant dans de nombreuses espèces avec le début de
l’adolescence (Fig. 23.24).
Les changements les plus importants en rapport avec la plasticité de la domi-
nance oculaire coïncident avec les moments de plus grande croissance de la tête
et des yeux. Par conséquent, il semble que la plasticité des connexions binocu- Temps
laires soit nécessaire pour conserver une bonne vision binoculaire durant toute (b) Après 17 h de privation visuelle de l’œil
droit
cette période de croissance rapide. L’association du hasard et d’un réglage aussi
fin que celui faisant intervenir l’activité rend ainsi ces connexions très sensibles Figure 23.23 – Changements rapides de
à la privation visuelle. dominance oculaire.
Ces histogrammes montrent le nombre de
potentiels d’action générés par un seul neu­
Compétition synaptique rone du cortex visuel d’un jeune chaton. Un
Comme vous n’êtes pas sans le savoir, un muscle qui n’est pas utilisé s’atro- stimulus visuel est présenté pendant la
phie et perd sa force. Est-ce alors que l’élimination de synapses privées d’activité période matérialisée par la barre jaune.
est liée à un manque d’utilisation ? Cela ne semble pas être le cas du cortex strié, (a) Réponses initiales avant la privation
car les modifications liées à la suppression d’informations issues de l’œil privé visuelle. Notez que même s’il existe une ten­
dance à la dominance oculaire favorisant ici
de vision ne s’opèrent que lorsque l’œil ouvert est lui-même actif. En fait, un
l’œil droit, chaque œil est capable d’activer ce
processus de compétition binoculaire intervient, les informations qui proviennent
neurone. (b) Le même neurone est enregistré
des deux yeux étant activement en compétition pour un territoire synaptique. après 17 heures de privation monoculaire
Si l’activité des deux yeux est corrélée et équivalente, les deux projections s’éta- concernant ici l’œil droit. L’œil ainsi concerné
blissent sur la même cellule corticale. Cependant, si cet équilibre est affecté par est incapable ensuite d’évoquer la décharge
la privation visuelle d’un œil, l’afférence la plus active repousse en quelque sorte du neurone. (Source : adapté de Mioche et
les synapses en rapport avec la privation visuelle ou les rend moins efficaces. Singer, 1989.)
830 4 – Neuroplasticité

70
Pourcentage
de cellules

Pourcentage de susceptibilité maximale


0
1 2 3 4 5
préférentiellement par l’œil normal
Pourcentage de cellules activées

de la vision binoculaire humaine


100 100

à la privation monoculaire
80 1 2 3 4 5
80

60 1 2 3 4 5 60

40 40
1 2 3 4 5
Groupe
20 de dominance 20
0 8 12 16 oculaire Naissance 3 6 9
(a) Âge (semaines) (b) Âge (années)

Figure 23.24 – La période critique pour la plasticité des connexions binoculaires.


Ces diagrammes illustrent la sensibilité des connexions binoculaires à la privation monoculaire de l’œil contralatéral, initiée à différents âges chez le
chaton. (a) Changement de dominance oculaire provoqué par une privation visuelle monoculaire de 2 jours. La courbe illustre la réduction de plasticité
en fonction de l’âge, et l’histogramme montre le changement correspondant de dominance oculaire. (b) Estimation de la vitesse de réduction de la
plasticité des connexions visuelles binoculaires chez l’homme. (Source : adapté de Mower, 1991.)

La compétition qui s’établit dans le cortex visuel est démontrée par les consé-
quences du strabisme, une anomalie de la vision dans laquelle les yeux ne sont
pas parfaitement alignés. Cette anomalie fréquente chez l’homme peut avoir
pour conséquence la perte définitive de la vision stéréoscopique. Il est possible
de créer un strabisme expérimental par la chirurgie ou l’optique, et provoquer
ainsi chez l’animal des modifications de l’activité issue des deux yeux, lesquelles
arrivent au cortex sans être synchronisées. En plaçant délicatement un doigt le
long de l’œil, il est possible d’expérimenter ce manque de parallélisme des yeux.
Cette manipulation entraîne la disparition complète des champs récepteurs
binoculaires, bien que les deux yeux conservent une représentation équivalente
dans le cortex (Fig. 23.25). Ceci montre clairement que les conséquences de la
suppression des informations provenant d’un œil sont le résultat d’une compéti-
tion plutôt que d’un manque d’utilisation (les deux yeux sont également actifs,
mais pour chaque cellule il se trouve une entrée dominante). Le fait de créer un
strabisme assez tôt peut dès lors accentuer la ségrégation des colonnes de domi-
nance oculaire dans la couche IV.

40 50
Pourcentage des neurones

Pourcentage des neurones

40
30
de la couche III

de la couche III

30
20
20

10
10

0 0
1 2 3 4 5 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance oculaire (b) Groupes de dominance oculaire

Figure 23.25 – Effet du strabisme sur la binocularité corticale.


(a) Ces histogrammes illustrent la dominance oculaire chez un chat normal, comme décrit à la
figure 23.22a. (b) Dans ce cas, les yeux ont perdu leur alignement naturel par section de l’un des
muscles oculaires. Après une brève période de strabisme, les cellules binoculaires sont presque
totalement absentes. Les cellules du cortex visuel sont commandées par l’un ou l’autre des deux
yeux, mais pas par les deux.
23 – Développement du cerveau 831

Les modifications de la dominance oculaire et de la vision binoculaire résul-


tant de la privation visuelle monoculaire ont des conséquences manifestes sur
le comportement. Une modification de dominance oculaire à la suite de priva-
tion visuelle monoculaire chez l’animal altère la vision à partir de l’œil fermé,
et la perte de vision binoculaire, conséquence du strabisme, supprime complète-
ment la perception stéréoscopique du relief. Cependant aucun de ces effets n’est
irréversible, si on les corrige assez tôt dans la période critique. S’agissant alors
des implications cliniques, la leçon est claire : les cataractes congénitales ou le
manque de parallélisme oculaire doivent être corrigés précocement, dès que la
chirurgie est possible, pour éviter un handicap visuel définitif.

Influences modulatrices
Avec l’âge, d’autres contraintes affectant les différents types d’activité
entraînent des modifications des circuits corticaux. Avant la naissance, les
décharges en bouffées d’activité rétinienne survenant spontanément suffisent
pour orchestrer la sélection de la destination des fibres dans le CGL et le cor-
tex. Après la naissance, l’interaction avec l’environnement visuel s’avère d’une
importance cruciale. Cependant, l’activité rétinienne induite par la vision ne
suffit pas pour apporter les modifications de la vision binoculaire dans cette
période critique. De nombreuses expériences démontrent que, pour que ces
modifications aient lieu, il faut aussi que l’animal prenne conscience des stimuli
visuels et se serve de la vision pour adapter son comportement. Par exemple,
les modifications de la vision binoculaire résultant d’une stimulation monocu-
laire n’apparaissent pas lorsque l’animal est sous anesthésie, alors que, dans ces
conditions, les neurones corticaux sont très sensibles à la stimulation visuelle.
Ces observations, ajoutées à d’autres, suggèrent que des « facteurs permissifs »
liés au comportement (le degré de vigilance par exemple) contribuent également
à la plasticité synaptique.
Des progrès récents ont permis de préciser les bases de ces mécanismes.
Rappelons-nous qu’un certain nombre de systèmes modulateurs diffus innervent
le cortex (voir chapitre 15) et parmi eux, les afférences noradrénergiques du locus
coeruleus et les afférences cholinergiques du télencéphale basal. Des travaux
effectués chez l’animal ont permis d’étudier les conséquences de la privation
visuelle monoculaire après lésion de ces afférences modulatrices du cortex strié.
Les résultats ont montré que la plasticité de la dominance oculaire était signifi-
cativement affectée, alors même que la transmission semblait normale dans la
projection rétino-géniculocorticale (Fig. 23.26).

Mécanismes élémentaires de
la plasticité synaptique corticale
Les synapses se forment en l’absence de toute activité électrique. Cependant,
comme nous l’avons vu, « l’éveil » à la transmission synaptique au cours du
développement joue un rôle clé dans la configuration finale des circuits neuro-
naux. En prenant en considération les données montrant le rôle de l’expérience
sensorielle dans le développement du cortex visuel et d’autres résultats du même
type, deux principes de base peuvent être avancés en ce qui concerne les modifi-
cations synaptiques :
1. lorsque le neurone présynaptique est actif et qu’au même moment le
neurone post-synaptique est lui-même fortement activé sous l’influence
d’autres afférences nerveuses, alors la synapse formée par le neurone
présynaptique est « renforcée ». Ceci est une autre façon de formuler
l’hypothèse de Hebb que nous avons déjà mentionnée. En d’autres termes,
les neurones qui déchargent ensemble se développent ensemble ;
2. lorsque le neurone présynaptique est actif et qu’au même moment le
neurone post-synaptique n’est que faiblement activé par les autres affé-
rences nerveuses, alors la synapse formée par le neurone présynaptique va
832 4 – Neuroplasticité

Cortex strié
(aire 17) 60

Pourcentage de neurones
50

40

30

20
Figure 23.26 – Dépendance de la plasticité
des connexions binoculaires d’afférences 10
Complexe basal Locus
neuromodulatrices. du cerveau antérieur coeruleus
(a) Cette vue sagittale médiane d’un cerveau 0
de chat montre le trajet de deux systèmes 1 2 3 4 5
(a) Groupes de dominance oculaire
neuromodulateurs afférents au cortex strié.
L’un de ces systèmes neuronaux prend son
Cortex strié
origine dans le locus coeruleus et utilise la (aire 17) 40
noradrénaline comme neurotransmetteur  ; Transection

Pourcentage de neurones
des fibres
l’autre est issu de la partie basale du cerveau
antérieur et utilise l’acétylcholine comme neu­ 30
rotransmetteur. L’activation de ces systèmes
neuronaux est en rapport avec les processus
20
attentionnels et de vigilance. Si ces systèmes
fonctionnent, la déprivation monoculaire sera
suivie des modifications de dominance ocu­ 10
laire illustrées sur l’histogramme de droite.
(b) Si maintenant il est procédé à la destruc­ Complexe basal Locus
tion préalable de ces systèmes corticaux affé­ du cerveau antérieur coeruleus 0
rents, alors la déprivation monoculaire n’a que 1 2 3 4 5
(b) Groupes de dominance
peu d’effet sur les connexions binoculaires au oculaire
niveau du cortex strié. (Source : adapté de Œil Œil
Bear et Singer, 1986.) fermé ouvert

s’affaiblir. En d’autres termes, dans ce cas les neurones qui ne présentent pas
de synchronisme dans leurs décharges voient leur relation s’affaiblir.
Dès lors, la plasticité synaptique paraît liée à la corrélation des activités
pré et post-synaptiques. Pour bien comprendre, il faut se souvenir que, dans
de nombreuses régions cérébrales, y compris dans le cortex visuel, une synapse
isolée n’a que peu d’influence sur la décharge du neurone post-synaptique. Pour
être « entendue », l’activité de la synapse doit de fait être corrélée avec celle de
nombreuses autres afférences synaptiques qui convergent vers le même neurone
post-synaptique. Ainsi, lorsque l’activité de la synapse est corrélée de façon per-
sistante avec une forte réponse post-synaptique (et donc l’activité de nombreuses
autres afférences), la synapse est sélectionnée et son activité renforcée. Dans le
cas contraire, lorsque l’activité d’une synapse n’est pas corrélée à celle du neu-
rone post-synaptique, la synapse s’affaiblit et elle est éliminée. De ce point de
vue, les synapses sont « validées » sur la base de leur capacité à participer de
façon efficace à la décharge de leur partenaire post-synaptique.
Quels sont les mécanismes responsables de telles modifications des connexions
synaptiques fondées sur des corrélations de décharges ? La réponse se trouve au
niveau des mécanismes de la transmission excitatrice du système nerveux central.

Transmission synaptique excitatrice


dans le cortex visuel immature
Le glutamate est le neurotransmetteur de toutes les synapses à efficacité
modulable que nous avons évoquées (rétinogéniculée, géniculocorticale, et corti-
cocorticale), et il est connu aussi pour activer plusieurs sous-types de récepteurs
post-synaptiques. Comme cela a été décrit dans le chapitre 6, les récepteurs des
neurotransmetteurs se divisent en deux grandes catégories : les récepteurs cou-
plés aux protéines G, ou métabotropiques, et les récepteurs-canaux (Fig. 23.27).
23 – Développement du cerveau 833

Axone Dendrite

Récepteur AMPA

Récepteur NMDA

Récepteur
glutamatergique
métabotropique

Terminaison Épine
axonale (niveau dendritique
présynaptique) Glutamate
(niveau
post-synaptique)

Figure 23.27 – Récepteurs des acides aminés excitateurs (glutamate) dans une synapse excitatrice.

Les récepteurs-canaux post-synaptiques sensibles au glutamate laissent passer


les ions positifs dans la cellule post-synaptique, et ils peuvent eux-mêmes être
subdivisés en deux grandes classes représentées par les récepteurs AMPA et les
récepteurs NMDA. Dans de nombreuses synapses, les deux types de récepteurs
AMPA et NMDA sont simultanément représentés.
Deux traits particuliers distinguent un récepteur NMDA d’un récepteur
AMPA (Fig. 23.28). Une première caractéristique porte sur le fait que la conduc-
tance du récepteur NMDA est dépendante du potentiel, du fait de l’action des
ions Mg2+ au niveau du canal. Au potentiel de repos, le courant entrant par le
récepteur NMDA est inexistant, bloqué par la présence des ions Mg2+ dans le
canal, où ils vont se loger. Lorsque la membrane est dépolarisée, les ions Mg2+
libèrent le canal, et le courant peut passer dans la cellule. Ainsi le passage d’un
courant substantiel au travers des récepteurs NMDA est lié à la fois à la libé-
ration de glutamate par la terminaison synaptique et à la dépolarisation de la
membrane post-synaptique. L’autre trait distinctif d’un récepteur NMDA est
que son canal ionique présente une conductance vis-à-vis des ions Ca2+. Ainsi,
l’importance de l’entrée d’ions Ca2+passant par le canal du récepteur NMDA
indique spécifiquement le niveau de la coactivation pré et post-synaptique.
Curieusement, lorsqu’une synapse glutamatergique se forme, seuls sont
présents les récepteurs NMDA post-synaptiques. Par conséquent, le glutamate
libéré à la synapse n’a à ce moment que peu d’effets lorsque le potentiel de
membrane du neurone post-synaptique est à sa valeur de repos. Ces synapses
peuvent ainsi être qualifiées de « silencieuses » et ne se manifestent que lorsque
plusieurs d’entre elles sont actives en même temps pour provoquer une dépolari-
sation suffisante, efficace à déplacer le Mg2+ et activer par conséquent les canaux
associés aux récepteurs NMDA. En d’autres termes, les synapses « silencieuses »
ne s’expriment que lorsque leur activité est hautement corrélée, ce qui est une
condition nécessaire au transfert de leur activité pendant le développement.

Potentialisation à long terme (PLT)


Il est vraisemblable que les récepteurs NMDA servent de « détecteurs heb-
biens » d’activités présynaptique et post-synaptique simultanées, et que l’entrée
de Ca2+ au travers de ces récepteurs NMDA soit à l’origine des mécanismes
biochimiques qui modifient l’efficacité synaptique. Cette hypothèse a été tes-
tée par stimulation électrique d’axones pour mesurer l’efficacité synaptique en
834 4 – Neuroplasticité

Libération Libération
du glutamate du glutamate
par l’élément Glutamate par l’élément Glutamate
présynaptique présynaptique
Mg2+
Mg2+

Récepteurs Récepteurs Récepteurs Récepteurs


Na+ AMPA NMDA Na+ AMPA Ca2+ NMDA

Na+
(a) Membrane post-synaptique (b) Membrane post-synaptique
au potentiel de repos dépolarisée

Figure 23.28 – Rôle des récepteurs NMDA dans la coordination de l’activité pré et post-synap-


tique.
(a) L’activation des terminaisons nerveuses présynaptiques provoque la libération synaptique de
glutamate, qui agit à la fois sur les récepteurs AMPA et les récepteurs NMDA situés au niveau
post-synaptique. Aux valeurs négatives du potentiel de membrane, les récepteurs NMDA ne
présentent qu’une très faible conductance ionique du fait du blocage du canal par les ions Mg2+.
(b) Si la libération de glutamate coïncide avec une dépolarisation suffisante pour déplacer les
ions Mg2+, alors le Ca2+ entre dans la cellule via les récepteurs NMDA. Les propriétés de la synapse
de Hebb peuvent être expliquées par cette activation de la conductance calcique au travers des
récepteurs NMDA.

termes de courants, avant et après un épisode d’activation massive des récepteurs


NMDA (Fig. 23.29a et b). Les résultats de ces expériences montrent que la consé-
quence d’une activation massive des récepteurs NMDA est un renforcement de
la transmission synaptique dénommée potentialisation à long terme (PLT) (long
term potentiation ou LTP).
Quels sont les mécanismes de cette PLT au niveau synaptique ? L’une des
conséquences immédiate de l’activation massive des récepteurs NMDA et de
l’entrée d’ions Ca2+ est l’insertion de nouveaux récepteurs AMPA dans la partie
de la dendrite concernée (Fig. 23.29c). Il y a donc une sorte d’« amplification »
des effets AMPA (une « AMPAfication » !) qui a pour effet de renforcer l’activité
de cette synapse. Cette augmentation du nombre de récepteurs AMPA pourrait
aussi s’accompagner de changements structuraux des synapses concernées, de
telle manière qu’elles se divisent pour l’augmenter leur surface de contact synap-
tique, formant des synapses dites « perforées ».
Les neurones corticaux qui se développent en culture forment des synapses
entre eux et déterminent des réseaux électriquement actifs. Les synapses imma-
tures contiennent des « clusters » de récepteurs NMDA mais très peu de récep-
teurs AMPA. En accord avec l’idée que la PLT est l’un des mécanismes impliqués
dans la maturation fonctionnelle des synapses, la mise en place des récepteurs
AMPA en culture s’effectue progressivement au cours du développement. Ces
modifications n’interviennent cependant pas si l’activité des récepteurs NMDA
est bloquée par un antagoniste pharmacologique. Par conséquent, il apparaît
que c’est bien l’activation soutenue des récepteurs NMDA intervenant lorsque
les éléments présynaptique et post-synaptique déchargent en même temps, qui
pourrait contribuer, au moins en partie, à la mise en place des voies visuelles pen-
dant le développement. Les mécanismes moléculaires de la PLT seront présentés
quant à eux dans le chapitre 25.
23 – Développement du cerveau 835

PPSE 200
Stimulation
présynaptique post-synaptique

à la stimulation présynaptique
Réponse post-synaptique
Enregistrements après
150 conditionnement synaptique

PLT
100
Enregistrements
avant stimulation
1 2 3
50
– 15 0 15 30
(a) (b) Temps (min)

Stimulation conditionnante
contribuant à l’activation massive
des récepteurs NMDA

Axone Dendrite Axone Dendrite Axone Dendrite

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Récepteur NMDA
Récepteur AMPA

(c) ① Avant induction de PLT ② Pendant induction de PLT ③ Après induction de PLT

Figure 23.29 – Effets d’une activation massive des récepteurs NMDA.


(a) L’expérience consiste ici en une stimulation électrique intense d’une afférence nerveuse, au
niveau présynaptique. L’activation synaptique qui en résulte est mesurée par enregistrement des
PPSE post-synaptiques à l’aide d’une microélectrode placée dans l’élément post-synaptique.
(b) Ce graphique illustre les changements d’efficacité synaptique suite à l’activation massive des
récepteurs NMDA. Le stimulus conditionnant est ici représenté par la dépolarisation de l’élément
post-synaptique par une injection directe de courants dépolarisants au travers de l’électrode d’en­
registrement lors de la stimulation répétée de l’élément présynaptique. La PLT représente le résultat
de ce processus d’augmentation de l’efficacité synaptique. (c) La PLT est souvent associée à une
insertion de récepteurs AMPA dans la synapse, y compris lorsque l’élément post-synaptique n’en
possédait pas initialement. Les chiffres placés dans des cercles correspondent aux moments avant
et après l’induction de la PLT notés sur le diagramme en (b).
836 4 – Neuroplasticité

Dépression à long terme (DLT)


Les neurones qui ne déchargent pas ou ne déchargent plus de façon syn-
chrone, perdent leur association. Dans le cas du strabisme, par exemple, les
synapses dont l’activité n’est plus corrélée avec celle des éléments post-synap-
tiques se trouvent affaiblies et sont éliminées. De façon similaire, durant la pri-
vation visuelle monoculaire l’activité résiduelle de la rétine privée d’informations
ne suffit pas à se corréler avec les réponses évoquées dans les neurones corticaux
par les informations provenant de l’œil intact, ce qui contribue à affaiblir les
synapses contrôlées par l’œil privé d’information. Dans ce cas, quels sont les
mécanismes de cette autre forme de plasticité synaptique ?
En principe, une transmission « affaiblie » se signale par une faible mise en
jeu des récepteurs NMDA, et donc un influx calcique réduit. De fait, un cer-
tain nombre de résultats montrent que cet influx réduit de Ca2+ induit dans
ces conditions est à l’origine d’un processus opposé à la PLT, que l’on nomme
dépression à long terme (DLT) (long term depression ou LTD), dans lequel l’ef-
ficacité synaptique se trouve effectivement limitée. L’une des conséquences de
l’induction de la DLT est une réduction du nombre de récepteurs AMPA synap-
tiques, à l’opposé de ce qui intervient dans la PLT, et l’une des conséquences
à long terme de la DLT est l’élimination synaptique. Ainsi, il faut se souvenir
aussi qu’à la jonction neuromusculaire, la réduction du nombre de récepteurs
post-synaptiques stimule effectivement la rétraction de l’axone présynaptique.
Des travaux effectués dans le cortex visuel du rat ou de la souris ont confirmé
que l’une des conséquences de la privation monoculaire est bien une réduction
du nombre de récepteurs AMPA à la surface des neurones corticaux visuels. Ces
modifications, comme la perte des réponses visuelles, impliquent l’activité rési-
duelle de la rétine privée d’informations visuelles, et l’activation des récepteurs
NMDA corticaux. De plus, l’internalisation des récepteurs AMPA dépendant de
l’inhibition des récepteurs NMDA bloque la plasticité de la dominance oculaire
après privation monoculaire. Par conséquent, il est possible de reconstruire — au
moins dans les grandes lignes — les événements intervenant lorsqu’un animal
voit l’un de ses yeux fermé par une suture des paupières (Fig. 23.30). La suture
des paupières d’un œil empêche la formation de l’image sur la rétine, contribuant
à substituer à une activité correcte, bien corrélée, des cellules ganglionnaires, une
activité qui peut être considérée comme médiocre, une sorte de « bruit » plus ou
moins statique. Ce type d’activité transmise au cortex visuel n’est pas suffisant
pour être corrélé à une très forte activité post-synaptique, et par conséquent ne
produit qu’une très faible activation des récepteurs NMDA. La modeste entrée
de calcium qui en résulte initie alors une cascade d’événements moléculaires qui
résulte en l’élimination des récepteurs AMPA à la synapse non renforcée. Avec
quelques récepteurs AMPA seulement, ces synapses perdent alors leur influence
sur les neurones corticaux.
Comment donc envisager que ces changements de corrélation présynaptique
et post-synaptique puissent être utilisés pour la mise en place des connexions
interneuronales dans le système visuel ? Les données obtenues jusqu’ici attestent
que le maintien de certaines connexions formées pendant le développement
dépend effectivement de leur capacité à évoquer des réponses NMDA au-dessus
d’un certain seuil d’activation. L’impossibilité d’atteindre ce seuil d’activation
se traduit alors par des connexions erronées. Chacun de ces processus dépend
de l’activité générée par la rétine, de l’activation des récepteurs NMDA, et de
l’entrée des ions calcium dans le neurone post-synaptique.

Pourquoi les périodes


critiques ont-elles une fin ?
Bien que la plasticité des connexions visuelles persiste dans le cerveau adulte,
le champ d’action de cette plasticité diminue néanmoins avec l’âge. Dans les
phases précoces du développement, des réorganisations importantes des champs
23 – Développement du cerveau 837

1 2

Neurone
Axones relayant cortical Axones relayant
l’activité de l’œil « fermé » l’activité de l’œil « ouvert »
Dendrite Dendrite

Axone
du CGL
Ca2+

« Bruit Patterns
de fond » corrélés

Ca2+

Récepteurs
AMPA internalisés

Ca2+ Ca2+

1 Une faible activation des récepteurs NMDA, 2 Une activation soutenue des récepteurs NMDA
induite par un défaut de corrélation des activités en rapport avec une activité synchrone des
pré et post­synaptiques, se traduit par une perte éléments pré et post­synaptiques, maintient
des récepteurs AMPA. l'activité des récepteurs AMPA.

Figure 23.30 – Comment une privation monoculaire brève induit une réduction des réponses visuelles.
La fermeture d’un œil affecte la synchronisation de l’activité présynaptique (ligne pointillée jaune), qui devient moins synchrone et représente plus un
bruit de fond. Ce type d’activité asynchrone influence faiblement les récepteurs NMDA, ce qui se traduit par une entrée de calcium limitée dans la
cellule post-synaptique. Le résultat est une internalisation des récepteurs AMPA. À l’inverse, l’activité hautement synchrone de l’activation simultanée
des entrées visuelles dépolarise fortement les neurones post-synaptiques et provoque une entrée massive de calcium dans la cellule, ce qui accroît le
nombre de récepteurs AMPA à la membrane.

axoniques sont possibles, alors que chez l’adulte la plasticité semble réduite aux
modifications locales de l’efficacité synaptique. De plus, le stimulus nécessaire
pour susciter une modification semble de plus en plus complexe au fur à mesure
que le cerveau devient mature. Pour en donner un exemple, il suffit de réaliser
que le seul fait de masquer un œil altère profondément les connexions binocu-
laires des couches superficielles dans la petite enfance alors que dès l’adolescence
ce type d’expérience ne crée pas de modification durable des circuits corticaux.
On ignore encore pourquoi les périodes critiques prennent fin, mais les pro-
grès de la connaissance des mécanismes élémentaires de la formation des pro-
jections axonales et de la plasticité synaptique nous permettront sans doute de
comprendre comment ces mécanismes sont contrôlés. À ce jour, trois hypothèses
différentes ont été avancées :
1. la plasticité diminue lorsque la croissance de l’axone s’arrête. Comme cela a
été mentionné plus haut, il existe une période de plusieurs semaines pen-
dant laquelle les afférences géniculées peuvent se rassembler et s’étendre
dans la couche IV sous l’influence de l’expérience visuelle. Ainsi, un des
facteurs déterminant la période critique dans la couche IV serait lié à la
perte de capacité de modifier la longueur de l’axone, ce qui, à son tour,
serait imputable à des modifications de la matrice extracellulaire ou à des
modifications de la myélinisation des axones par les oligodendrocytes ;
838 4 – Neuroplasticité

2. la plasticité diminue lorsque la transmission synaptique est à maturité. La fin


d’une période critique peut être le reflet de modifications survenues dans
les mécanismes élémentaires de la plasticité synaptique. Ainsi, certains
récepteurs des acides aminés excitateurs se modifient après la naissance.
Par exemple, l’activation des récepteurs métabotropiques du glutamate sti-
mule des réponses synaptiques très différentes dans le cortex strié pendant
la période critique, au cours de laquelle les connexions binoculaires sont
le plus sensibles à la privation visuelle monoculaire. De plus, les propriétés
des récepteurs NMDA se modifient au cours de la période critique. De ce
point de vue, les propriétés de la PLT et de la DLT varient avec l’âge et, au
niveau de certaines synapses, semblent disparaître ensemble ;
3. la plasticité diminue lorsque l’activation corticale est contrainte. Au fur
à mesure du développement, certains types d’activité sont filtrés par les
relais synaptiques successifs, au point qu’ils ne sont plus suffisamment
efficaces pour activer les récepteurs NMDA ou d’autres mécanismes élé-
mentaires, et donc pour influencer la plasticité. Comme cela a déjà été
dit, l’acétylcholine et la noradrénaline favorisent la plasticité synaptique
dans les couches corticales superficielles, probablement en renforçant sim-
plement la transmission post-synaptique intracorticale. La diminution
de l’efficacité de ces neurotransmetteurs, ou des changements interve-
nant dans les conditions de leur libération, pourraient contribuer aussi à
réduire la plasticité. En fait, il est prouvé qu’un apport de noradrénaline au
cortex adulte permet de rétablir un certain niveau de plasticité.
Il est aussi prouvé que certains circuits inhibiteurs intrinsèques arrivent tar-
divement à maturité dans le cortex strié. Par conséquent, l’activité qui contrôle
les synapses modulables dans les couches superficielles du cortex au début du
développement post-natal pourrait aussi dépendre de ces processus d’inhibition.
En accord avec l’idée que l’inhibition régule la durée de la période critique, des
résultats récents obtenus chez la souris montrent que des manipulations géné-
tiques qui sont à même d’accélérer la maturation des synapses GABAergiques
inhibitrices dans le cortex visuel ont aussi pour effet de réduire la durée des
périodes critiques en ce qui concerne la plasticité de la dominance oculaire. Au
contraire, des manipulations qui ralentissent le développement de l’inhibition
pourraient prolonger la période critique.
La question de savoir pourquoi les périodes critiques ont une fin est impor-
tante. Les modifications synaptiques et les réorganisations anatomiques des
circuits permettent une certaine récupération fonctionnelle lorsque le système
nerveux est atteint. Cependant, une telle récupération est malheureusement très
limitée dans le cerveau adulte. La récupération fonctionnelle après une lésion du
cerveau peut être quasi totale dans le système nerveux du jeune au cours du déve-
loppement, lorsque les réorganisations synaptiques sont encore largement pos-
sibles. Aussi, l’un des enjeux d’une meilleure compréhension des mécanismes de la
plasticité au cours du développement normal est bien de se donner les moyens de
favoriser une récupération fonctionnelle après des lésions cérébrales plus tardives.

Conclusion
La formation des circuits au cours du développement du cerveau se déroule
essentiellement avant la naissance, et passe par des contacts physiques de cel-
lule à cellule et par l’intermédiaire de signaux chimiques diffusibles. Néanmoins,
alors que la plupart des neurones trouvent leur destination avant la naissance,
le raffinement définitif des connexions synaptiques, en particulier dans le cor-
tex, se déroule au cours de la petite enfance et sous l’influence de l’environne-
ment sensoriel. Pour des raisons didactiques, dans ce chapitre nous avons pris
comme exemple le système visuel, mais les autres systèmes sensoriels et moteurs
subissent aussi les effets de l’environnement pendant les périodes critiques que
constituent les phases précoces du développement, dans la petite enfance. Le
cerveau n’est donc pas seulement le produit de nos gènes, mais aussi du monde
dans lequel nous avons grandi.
23 – Développement du cerveau 839

La fin des périodes critiques du développement ne signifie pas la fin de la


plasticité synaptique du cerveau associée à l’expérience. De fait, l’interaction
avec l’environnement modifie le cerveau durant toute la vie, d’une façon ou
d’une autre, faute de quoi la mémorisation ne serait pas possible. Les deux cha-
pitres qui suivent sont ainsi consacrés à la neurobiologie de l’apprentissage et
de la mémoire. Nous y verrons que les mécanismes de la plasticité synaptique
susceptibles d’expliquer l’apprentissage sont de fait très comparables aux méca-
nismes supposés de la réorganisation synaptique au cours du développement.

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Que signifie l’expression : « le cortex se développe de l’intérieur vers


l’extérieur ? »
2. Décrivez les trois phases de la formation des projections. Dans
quelle(s) phase(s) l’activité nerveuse joue-t-elle un rôle ?
3. On pense que les ions Ca2+ contribuent de trois façons aux processus
de formation et de réorganisation des synapses. Quelles sont-elles ?
4. Quelle analogie y a-t-il entre l’élimination de l’innervation polyneu-
ronale d’une fibre musculaire et la ségrégation des terminaisons réti-
niennes dans le CGL ? En quoi ces processus diffèrent-ils ?
5. Il y a peu de temps encore, lorsqu’un enfant naissait avec un stra-
bisme, ce défaut n’était pas corrigé avant l’adolescence. Aujourd’hui,
on a recours à la chirurgie de correction dès la petite enfance. Pour-
quoi ? Comment le strabisme affecte-t-il les connexions du cerveau et
en quoi affecte-t-il la vision ?
6. Les enfants sont souvent capables d’apprendre plusieurs langues sans
difficulté apparente, alors que la plupart des adultes font beaucoup
d’efforts pour en maîtriser une seule. À partir de ce que vous savez du
développement cérébral, qu’y a-t-il de vrai dans cette proposition ?
7. Les neurones dont l’activité n’est pas synchronisée perdent leurs
connexions. Comment ?

POUR EN SAVOIR PLUS

Cooke SF, Bear MF. How the mechanisms of long-term synaptic poten-
tiation and depression serve experience-dependent plasticity in prima-
ry visual cortex. Philosophical Transactions of the Royal Society of
London. Series B, Biological sciences 2014 ; 369 : 20130284.
Dehay C, Kennedy H. Cell-cycle control and cortical development.
Nature Reviews Neuroscience 2007 ; 8 (6) : 438-50.
Goda Y, Davis GW. Mechanisms of synapse assembly and disassembly.
Neuron 2003 ; 40 : 243-64.
Katz LC, Crowley JC. Development of cortical circuits: lessons from ocular
dominance columns. Nature Reviews Neuroscience 2002 ; 3 (1) : 34-42.
McLaughlin T, O’Leary DDM. Molecular gradients and development of
retinotopic maps. Annual Reviews of Neuroscience 2005 ; 28 : 327-55.
Price DJ, Jarman AP, Mason JO, Kind PC. Building Brains: An Introduc-
tion to Neural Development. Boston : Wiley-Blackwell, 2011.
Wiesel T. Postnatal development of the visual cortex and the influence of
the environment. Nature 1982 ; 299 : 583-92.
840 4 – Neuroplasticité 840

CHAPITRE  24 Apprentissage
et mémoire

DIFFÉRENTS TYPES DE
MÉMOIRE ET D’AMNÉSIE
Mémoire déclarative et mémoire non déclarative................................. 842
Mémoires procédurales...................................................................... 843
Encadré 24.1 Focus  Une mémoire extraordinaire
Mémoires déclaratives........................................................................ 846
Amnésie............................................................................................. 847

MÉMOIRE DE TRAVAIL
Cortex préfrontal et mémoire de travail.............................................. 849
Cortex latéral intrapariétal (aire LIP) et mémoire de travail................. 852

MÉMOIRE DÉCLARATIVE
Néocortex et mémoire déclarative....................................................... 854
Études impliquant le lobe temporal médian........................................ 856
Amnésie et lobe temporal................................................................... 859
Encadré 24.2 Focus  Le syndrome de Korsakoff et le cas de N.A.
Fonctions mnésiques du système hippocampique................................ 865
Encadré 24.3 Les voies de la découverte  Comment le cerveau forme
les représentations,
par Edvard et May-Britt Moser
Consolidation mnésique et bases de l’engramme................................ 874
Encadré 24.4 Focus  Former des faux souvenirs et ne pas se souvenir
des événements traumatisants

MÉMOIRE PROCÉDURALE
Striatum et mémoire procédurale chez les rongeurs............................ 881
Apprentissage procédural chez le singe et l’homme............................. 883

CONCLUSION
INTRODUCTION

L
e cerveau est formé de très nombreux systèmes mobilisés pour répondre
aux nécessités du comportement, en rapport avec les sensations, l’action
ou encore les émotions, et chacun de ces systèmes comprend des mil-
liards d’éléments neuronaux, avec un nombre considérable d’interconnexions.
Comme cela a été décrit dans le chapitre 23, la formation de ces connexions
représente un processus extraordinairement organisé, qui suit des règles bien
précises. Mais pour autant impressionnant et méthodique que soit le développe-
ment prénatal, les processus sont loin d’être achevés à la naissance, et personne
ne peut confondre un nouveau-né avec un prix Nobel ! Dès la naissance et sans
doute avant, les stimuli sensoriels modifient le fonctionnement et l’organisation
du cerveau, et ils influencent le comportement en rapport avec ce qui est appris
et retenu. Dès lors, ceci peut expliquer, au moins en partie, les différences entre
les individus. Du moment de notre première respiration, et sans doute avant, les
stimuli sensoriels modifient notre cerveau et influencent nos comportements.
L’homme apprend ainsi un nombre considérable de choses, certaines directe-
ment par l’expérience (la neige est froide, par exemple), et d’autres de façon
plus abstraite (par exemple, une définition : un triangle isocèle a deux côtés
égaux). Certaines de ces informations nécessitent l’acquisition d’un lexique et
présentent un caractère explicite ; d’autres, comme apprendre à faire du roller ou
à conduire, relèvent plutôt d’un automatisme à acquérir. Comme nous le consta-
terons, les lésions cérébrales peuvent affecter de façon différentielle ces différents
types d’informations mises en mémoire, suggérant l’existence de plusieurs sys-
tèmes de mémoire.
Le développement cérébral associé à l’expérience, étudié dans le chapitre 23,
est étroitement lié à l’apprentissage, étudié dans ce chapitre. Comme cela a été
mentionné, dans la petite enfance l’expérience visuelle est essentielle au dévelop-
pement normal du cortex visuel, mais elle permet aussi à l’enfant de reconnaître
l’image du visage de sa mère. Le développement visuel et l’apprentissage uti-
lisent probablement des mécanismes similaires, mais à des moments et dans des
régions corticales sans doute différents. Dans cette perspective, apprentissage et
mémoire peuvent être considérés comme des adaptations permanentes des cir-
cuits cérébraux à l’environnement, nous permettant de répondre correctement à
des situations dont nous avons déjà fait l’expérience.
Ce chapitre présente les principales caractéristiques de l’anatomie de la
mémoire. Nous verrons notamment comment différentes parties du cerveau
sont assemblées pour stocker des catégories particulières d’information. Le
chapitre 25 qui suit sera quant à lui plus spécifiquement consacré aux méca-
nismes synaptiques élémentaires qui stockent l’information dans le cerveau.
842 4 – Neuroplasticité

Différents types de mémoire


et d’amnésie
Pour prendre une définition simple, l’apprentissage est l’acquisition de nou-
velles informations ou connaissances, et la mémoire correspond à la rétention de
l’information acquise. Tout au long de notre vie, nous apprenons et mémorisons
énormément de choses différentes, et il faut souligner que toutes ces choses ne
sont probablement pas traitées et stockées par les mêmes processus neuronaux.
Assurément, toutes les formes d’apprentissage n’impliquent pas une seule struc-
ture du cerveau ou un seul mécanisme cellulaire. De plus, le processus de stoc-
kage d’informations particulières peut varier avec le temps qui passe.

Mémoire déclarative et mémoire non déclarative


Les psychologues se sont beaucoup intéressés à l’apprentissage et à la mémoire.
Ces études extensives ont permis d’établir une distinction entre plusieurs types
de mémoire. Dans ce contexte, l’une des manières classiques et plutôt pratiques
de procéder est ainsi de reconnaître ce qui est désigné par mémoire « déclara-
tive », qui se distingue de la mémoire « non déclarative ».
Au cours de la vie, nous apprenons toute une série de faits (par exemple
que Bangkok est la capitale de la Thaïlande ; ou que Darth Vader est le père de
Luke Skywalker). Les souvenirs des événements de la vie sont aussi stockés (par
exemple : « Hier, l’examen de neurosciences étaient facile ! Ou encore : « Je suis
allé me baigner avec mon chien Axone alors que j’avais 5 ans »). La mémoire des
faits et des événements est dénommée mémoire déclarative (Fig. 24.1). Comme
nous le verrons plus loin, la mémoire déclarative est elle-même distinguée en
deux grandes entités, représentées par la mémoire épisodique pour ce qui se réfère
aux événements autobiographiques, et par la mémoire sémantique pour ce qui
concerne les faits. La mémoire déclarative est à considérer dans le sens que nous
donnons en général au mot « mémoire » au quotidien. Néanmoins, nous nous
souvenons aussi de bien d’autres choses. Ces mémoires dites non déclaratives se
répartissent en plusieurs catégories. Le type le plus commun est ce qui est nommé
mémoire procédurale ou mémoire des habilités motrices et, plus généralement,

Mémoire déclarative
(lobe temporal médian ; diencéphale) Mémoire non déclarative

Conditionnement classique

Faits Événements Mémoire procédurale :


habilités motrices Musculature squelettique Réponses émotionnelles
(striatum) (cervelet) (amygdale)

Figure 24.1 – Différents types de mémoire déclarative et non déclarative.


Les structures cérébrales susceptibles d’être impliquées dans les différentes formes de mémoire
sont indiquées sur le schéma (notez que ce schéma ne présente pas toutes les formes de mémoire).
24 – Apprentissage et mémoire 843

des comportements. Nous apprenons par exemple à jouer du piano, à lancer une
balle, ou à nouer nos chaussures, et ce type d’information est bien stocké quelque
part dans le cerveau.
Généralement, la mémoire déclarative est disponible pour un rappel conscient,
ce qui n’est pas le cas de la mémoire non déclarative. Les tâches que nous appre-
nons et les réflexes ou les associations que nous formons présentent un caractère
plus ou moins automatique, sans nécessiter une forme de conscience. Selon le
dicton, « on n’oublie pas une fois que l’on a appris à aller à bicyclette ». Il se peut
qu’il soit impossible de se souvenir du jour où l’on a fait de la bicyclette pour la
première fois (référence à la mémoire déclarative), mais le cerveau a retenu com-
ment on en fait (référence à la mémoire procédurale). La mémoire non décla-
rative est aussi fréquemment dénommée mémoire implicite, parce qu’elle résulte
de l’expérience. De même, la mémoire déclarative est appelée mémoire explicite
parce qu’elle nécessite plus d’efforts conscients.
Il existe une autre différence entre les deux processus : les souvenirs de la
mémoire déclarative se forment souvent facilement, mais ils disparaissent tout
aussi facilement, alors que les souvenirs liés à la mémoire procédurale se forment
après un temps d’apprentissage émaillé de nombreuses répétitions, mais ils sont
moins susceptibles de disparaître. C’est la différence entre se souvenir des per-
sonnes que vous avez rencontrées lors d’une soirée (déclarative) et apprendre à
faire du ski (non déclarative). Bien que le nombre d’informations de la mémoire
déclarative que le cerveau peut stocker ne soit pas déterminé, la facilité et la
rapidité d’acquisition de nouvelles informations sont très surprenantes et font
appel à des mécanismes sans doute différents. À titre d’illustration, des études
portant sur des sujets humains possédant une mémoire peu ordinaire suggèrent
par exemple que la limite de stockage des informations déclaratives est excep-
tionnellement élevée (Encadré 24.1).

Mémoires procédurales
Le type de mémoire non déclarative auquel nous allons nous intéresser parti-
culièrement est la mémoire procédurale. Celle-ci implique l’apprentissage d’une
réponse motrice (une procédure) en réponse à une entrée sensorielle. La forma-
tion de cette mémoire procédurale intervient au travers de deux grandes catégo-
ries d’apprentissage : l’apprentissage non associatif et l’apprentissage associatif.
Apprentissage non associatif. Lorsqu’une réponse comportementale est
modifiée en réponse à un seul type de stimulus répété dans le temps, il s’agit
d’un apprentissage non associatif, dont deux formes principales sont distinguées :
l’habituation et la sensibilisation.
Supposez que vous viviez dans un logement ne comportant qu’un seul télé-
phone. Lorsque celui-ci se met à sonner, vous vous précipitez pour répondre,
mais il se trouve qu’à chaque fois il s’agit systématiquement d’une erreur et que

Encadré 24.1 FOCUS

Une mémoire extraordinaire


Quelques personnes présentent des capacités mné- représentant la ville de Tokyo, qu’il réalisa en 7 jours
siques hallucinantes et ces cas illustrent combien, en juste après un survol de la ville en hélicoptère de
général, la mémoire humaine peut présenter une si large 30 minutes. Dans d’autres très rares cas de ce qui est
étendue. À titre d’illustration, il est possible d’évoquer désigné par le terme hyperthymésie, reflétant une
cet artiste britannique, Stephen Wiltshire, dessinant de mémoire autobiographique exacerbée, les personnes
mémoire et avec beaucoup de détails de gigantesques sont capables de se souvenir de quasiment chaque jour
plans de toutes une série de villes. Parmi ses œuvres les de leur propre vie. Tel était notamment le cas de l’actrice
plus spectaculaires, la fresque de 10 mètres de long américaine Marylu Henner.
844 4 – Neuroplasticité

Encadré 24.1 FOCUS  (suite)

L’un des cas parmi les plus anciens et les mieux nir d’une longue liste d’items, il rattachait chaque item à
documentés de description d’une mémoire extraordi- une image. Pendant qu’on lisait ou écrivait la liste, S.
naire est celui étudié par le psychologue russe Alexandre imaginait qu’il marchait dans sa ville natale ; au fur à
Luria. Dans les années 1920, un homme appelé Solomon mesure de la présentation des articles, il plaçait l’image
Shereshevsky se présenta chez lui. C’est ainsi que débuta évoquée sur son chemin — l’image évoquée par l’item 1
une étude qui devait durer trente ans sur la mémoire peu près de la boîte aux lettres, l’image de l’item 2 près d’un
commune de cet homme que Luria désignait simple- buisson, et ainsi de suite. Pour se rappeler ces items par
ment par la lettre S. Dans un petit ouvrage intitulé The la suite, il refaisait le même chemin et ramassait les items
mind of a mnemonist, Luria en fait un récit fascinant. qu’il y avait déposés. Sans avoir les mêmes sensations
Lorsque S. se présenta au laboratoire de Luria, ce der- synesthésiques complexes que S., nous avons tous
nier lui fit passer des tests classiques : mémoriser une recours à cette technique consistant à associer des choses
liste de mots, de chiffres ou de syllabes sans aucun sens. avec des éléments plus familiers.
Il lisait la liste une fois et demandait à S. de la répéter. Mais cette mémoire n’était pas entièrement à l’avan-
À la grande surprise de Luria, S. réussit tous les tests tage de S. Si les sensations complexes évoquées par les
qu’il lui fit passer. S. pouvait même répéter une liste stimuli l’aidaient à mémoriser des listes de mots et de
de 70 mots lus à la suite, dans un sens et dans l’autre, et chiffres, elles interféraient avec son aptitude à intégrer et
dans n’importe quel ordre. Durant toutes ces années à mémoriser des choses plus complexes. Il avait du mal
d’observations, Luria ne découvrit aucune limite à la à reconnaître les visages, car chaque fois que l’expres-
mémoire de S. Dans les tests sur sa capacité de remémo- sion d’un visage changeait, il voyait aussi des taches
ration, S. montra qu’il se rappelait de listes vues précé- d’ombre et de lumière changeantes qui rendaient les
demment, y compris quinze ans plus tôt ! choses confuses. Il ne parvenait pas non plus à suivre la
Comment cela était-il possible ? S. expliquait que lecture d’une histoire. Au lieu de se concentrer sur les
plusieurs facteurs étaient susceptibles de contribuer à la idées importantes sans tenir compte de chaque mot
formation de son immense mémoire. L’un d’eux concer- comme on le fait généralement, S. était submergé par
nait sa capacité exceptionnelle de retenir ce qu’il voyait. une explosion de réponses sensorielles. Imaginez comme
Lorsqu’on lui montrait un tableau de 50 chiffres, il disait il doit être troublant d’être bombardé en permanence
qu’il lui était facile de donner plus tard les chiffres d’une d’images visuelles évoquées par chaque mot, ajoutées
rangée ou d’une diagonale, parce qu’il lui suffisait de aux sons et aux images évoquées par le ton de la voix de
se souvenir de l’image du tableau entier. Curieusement, la personne qui lit l’histoire !
lorsqu’il lui arrivait de se tromper en se rappelant les Une autre difficulté éprouvée par S, difficilement
chiffres écrits sur un tableau noir, l’erreur venait plus acceptable comme telle, était son incapacité à oublier.
d’une erreur de lecture que d’une erreur de mémoire. Si Cela devint un véritable problème pour ce mnémoniste
l’écriture était mal formée, il lui arrivait de confondre le professionnel qui donnait plusieurs séances au cours
3 et le 8 ou le 4 et le 9. Quand il rappelait les informa- desquelles on lui demandait de retenir ce qui était écrit
tions, c’était comme s’il voyait le tableau et les chiffres au tableau. Il devait regarder le tableau et voir ce qui
écrits dessus. était écrit à chaque séance. Il essaya plusieurs trucs pour
S. présentait aussi une forme puissante de synesthé- tenter d’oublier les anciennes informations, essayant par
sie. La synesthésie est un phénomène dans lequel les exemple d’effacer le tableau dans son esprit, mais sans
stimuli sensoriels évoquent des sensations généralement succès. Ce n’est que par une grande puissance de concen-
associées à d’autres stimuli. Par exemple, quand S. tration et une force de motivation qu’il parvenait à
entendait un son, il voyait en même temps des éclairs de oublier. Chez S., les efforts que l’on fait habituellement
lumière vive, et pouvait ressentir un certain goût dans la pour mémoriser et la facilité que l’on a à oublier, sem-
bouche. Cette réponse sensorielle multimodale pouvait blaient inversés.
avoir ainsi établi des traces mnésiques particulièrement Les bases neurobiologiques de l’exceptionnelle
fortes. mémoire de S. ne sont pas connues. Peut-être n’y avait-il
Lorsqu’il comprit que sa mémoire était exception- pas chez lui le même genre de sélection, que l’on retrouve
nelle, S. abandonna son travail de reporter et devint un presque toujours chez l’homme, entre les sensations de
professionnel des démonstrations de ses capacités, un différentes modalités sensorielles ? Ce fait a pu contri-
« mnémoniste ». Pour se rappeler les immenses listes de buer à un encodage d’informations multimodales parti-
mots ou de chiffres que l’auditoire lui donnait pour le culièrement fort. Chez S. les synapses étaient peut-être
mettre au défi, il accentuait la sensibilité aux stimuli et aussi plus modulables qu’elles ne le sont habituellement.
la synesthésie par des trucs de mémoire. Pour se souve- Malheureusement, la vérité ne sera jamais connue.
24 – Apprentissage et mémoire 845

le message ne vous soit pas destiné. Assez rapidement vous n’allez plus vous Habituation
précipiter pour répondre et même vous allez vous abstenir de répondre. Ce type
d’apprentissage est qualifié d’habituation et vous conduit à ignorer le stimulus

Réponse
qui a perdu toute signification pour vous (Fig. 24.2a). Nous sommes de fait habi-
tués à de nombreux stimuli. Par exemple, peut-être qu’au moment même où vous
lisez cette phrase, la rue devant votre domicile est bruyante avec un trafic intense
de voitures et de camions, que votre chien aboie et que votre colocataire est en
train de jouer la même mélodie pour la centième fois, tout cela sans que vous n’y 5 10 15
(a) Numéro du stimulus dans la série
prêtiez réellement attention. Vous êtes habitué à tous ces stimuli.
Supposons maintenant que vous soyez en train de vous promener pendant la Sensibilisation
nuit sur le trottoir d’une ville bien éclairée et que soudainement tout s’éteigne !
Vous entendez alors des pas derrière vous, ce qui vous effraie à un point tel que

Réponse
vous êtes prêt à vous enfuir, alors que dans des conditions normales ce type
d’événement ne vous perturbe pas. Des phares d’un véhicule apparaissent et cela
vous conduit à faire un écart pour vous mettre à l’abri de façon inconsidérée.
Ainsi, ce stimulus intense (le fait que vous vous retrouviez soudainement dans
le noir) a provoqué une sensibilisation, c’est-à-dire une forme d’apprentissage 5 10 15
qui a incroyablement augmenté votre réponse comportementale à tous les sti- (b) Numéro du stimulus dans la série
muli, même ceux qui normalement ne provoquent pas de réponse particulière ou
Figure 24.2 – Différents types d’apprentis-
même aucune réaction, comme l’apparition des phares dans la rue (Fig. 24.2b). sage non associatif.
Apprentissage associatif.  Dans ce cas, il s’agit de modifications de compor- (a) Dans le cas de l’habituation, la présenta-
tion répétée d’un même stimulus se traduit
tements intervenant par la formation d’associations entre événements reconnues
progressivement par une perte de la réponse.
comme apprentissage associatif. Cette situation est différente de celle impliquant
(b) Dans le cas de la sensibilisation, un sti-
un changement de réponse comportementale à un seul stimulus, comme c’est le mulus puissant (flèche) se traduit par une
cas pour l’apprentissage non associatif. Là encore, deux grands types d’appren- réponse exacerbée à tous les autres stimuli
tissages associatifs sont distingués : le conditionnement classique et le condition- qui vont survenir ensuite.
nement instrumental.
Le conditionnement classique a été découvert et caractérisé chez le chien par
le fameux physiologiste russe Ivan Pavlov, à l’orée du XXe siècle. Le condition-
nement classique est basé sur l’association d’un stimulus qui donne normale-
ment une réponse mesurable avec un second qui, lui, n’évoque pas de réponse.
Le premier stimulus, celui qui donne normalement la réponse, est dénommé
stimulus inconditionnel (SI) du fait qu’aucun apprentissage (aucun condition-
nement) soit nécessaire pour obtenir une réponse comportementale. Dans le cas
de l’expérience de Pavlov, le SI est représenté par la présentation à l’animal d’une
boulette de viande, qui provoque la salivation du chien. Le second stimulus, qui
ne provoque pas de réponse en première intention, est dénommé stimulus condi-
tionnel (SC) du fait de la nécessité d’un apprentissage (conditionnement) avant
qu’il soit à même de déclencher la réponse comportementale. Dans l’expérience
de Pavlov, le SC était un stimulus auditif, représenté par le son d’une cloche.
L’apprentissage consistait alors à associer la présentation de la viande avec le
son de la cloche (Fig. 24.3a). Après plusieurs de ces associations, la viande n’était
plus présentée et l’animal salivait au simple son de la cloche (SC) (Fig. 24.3b). La
réponse ainsi apprise à la présentation du SC est dénommée réponse conditionnée
(RC).
Le conditionnement instrumental a été découvert à Columbia University à New
York par le psychologue Edward Thorndike au tout début du XXe siècle. Dans le
conditionnement instrumental, un individu apprend à associer une réponse, par
exemple un mouvement, avec un stimulus ayant un sens pour lui, en général une
récompense alimentaire. Imaginez ainsi ce qu’il se passe lorsqu’un rat affamé
se trouve placé dans une boîte d’expérimentation propre à permettre ce condi-
tionnement, comportant un levier délivrant la nourriture. C’est en explorant au
hasard son nouvel environnement que le rat tombe sur le levier et fait tomber
par accident quelques croquettes de nourriture dans la cage. Après que cette
heureuse conjonction accidentelle se soit reproduite quelquefois, le rat apprend
très vite que l’appui sur le levier déclenche la délivrance de la nourriture. Le
rat va alors manœuvrer le levier pour obtenir cette nourriture, jusqu’à satiété.
Comme dans le cas du conditionnement classique, une relation de prédiction est
apprise durant l’acquisition du conditionnement instrumental. Dans le condi-
tionnement classique, le sujet apprend qu’un stimulus (le SC) prédit un autre
846 4 – Neuroplasticité

Stimulus Réponse Stimulus Réponse


Avant conditionnement Conditionnement

SC
+
Figure 24.3 – Conditionnement classique.
(a) Avant le conditionnement, le son de la clo-
che (le stimulus conditionnel SC) ne déclenche
pas de réponse chez le chien. En revanche,
la présentation d’un morceau de viande SI
Après conditionnement
provoque chez l’animal une forte réponse RC
comportementale (stimulus inconditionnel,
SI). (b) Le conditionnement consiste en un
couplage du son de la cloche avec la présen-
tation de la viande. Le chien apprend rapide-
ment à associer le son de la cloche avec la (a)
viande et, après conditionnement, le son de la
cloche seul est à même de provoquer la sali-
vation sans la présentation de la viande
(réponse conditionnée, RC). (b)

stimulus (le SI). Dans le conditionnement instrumental, le sujet apprend qu’un


comportement particulier va être associé avec une conséquence particulière. Du
fait que la motivation joue un rôle considérable dans le conditionnement ins-
trumental (après tout, ce n’est que parce que le rat est affamé qu’il appuie sur
le levier pour obtenir de la nourriture), les circuits neuronaux impliqués dans
ce type de conditionnement sont beaucoup plus complexes que ceux qui sous-
tendent le conditionnement classique.

Mémoires déclaratives
À partir de notre expérience personnelle de tous les jours, nous savons que
certains souvenirs sont plus persistants que d’autres. La mémoire à long terme se
réfère à des souvenirs, par exemple d’événements, dont vous pouvez vous rappe-
ler des jours, des mois, des années après qu’ils soient intervenus. L’information à
l’origine de cette mémorisation à long terme, bien entendu, ne représente qu’une
toute petite fraction de ce que nous vivons chaque jour. La plupart de cette
information quotidienne ne persiste dans le cerveau que pour une durée très
limitée, de l’ordre de quelques heures. Dans ce cas, ces souvenirs de caractère
temporaire relèvent de ce qui est désigné comme mémoire à court terme, et ont
en commun d’être très vulnérables. À titre d’illustration, la mémoire à court
terme peut être littéralement « effacée » par un traumatisme crânien, ou encore
par un traitement par thérapie électroconvulsive (les électrochocs) utilisé dans
le cadre de certaines pathologies psychiatriques. A contrario, les traumatismes
et ces traitements électroconvulsifs n’affectent pas les souvenirs à long terme,
acquis longtemps avant, par exemple les souvenirs de l’enfance. Ces observations
ont conduit à l’idée que les faits et les événements sont stockés dans une forme
de mémoire à court terme, et que seulement une partie était ensuite convertie en
souvenirs à long terme par un processus reconnu comme étant la consolidation
mnésique (Fig. 24.4).

Figure 24.4 – Consolidation mnésique.
L’information sensorielle peut être temporairement retenue sous forme Mémoire
de mémoire à court terme, mais celle-ci est très labile et susceptible de travail
d’interruption. Une rétention d’information plus permanente sous forme
Information Mémoire Consolidation Mémoire
de mémoire à long terme plus stable nécessite une phase de consoli-
dation. Un autre type de mémoire, dite « mémoire de travail », est utilisé sensorielle à court terme à long terme
pour maintenir temporairement à l’esprit certaines informations devant
Temps
être utilisées rapidement.
24 – Apprentissage et mémoire 847

Une autre forme de stockage temporaire d’informations, de l’ordre de quelques


secondes, est dénommée mémoire de travail. Contrairement à la mémoire à court
terme discutée ci-dessus, la mémoire de travail est strictement limitée en capacité
et nécessite des répétitions. De façon imagée, il est souvent fait état d’une infor-
mation « maintenue à l’esprit » pour rendre compte de ce processus. L’exemple
classiquement cité pour illustrer ce type de mémoire est celui relatif à la trans-
mission orale d’un numéro de téléphone. Lorsqu’une personne vous transmet de
cette manière un numéro de téléphone, vous êtes à même de le retenir pour une
courte période de temps, juste en vous le répétant. Maintenir ainsi cette informa-
tion par répétition est une caractéristique de la mémoire de travail. Si ce numéro
de téléphone est trop long (par exemple pour l’international où il faut en plus
retenir le code de l’accès du pays concerné), il est possible que le sujet rencontre
des difficultés1. Et en tout état de cause, le numéro peut être transféré dans un
processus de mémoire à long terme. La mémoire de travail est communément
utilisée pour évaluer ce que l’on désigne par l’empan de la mémoire, c’est-à-dire
le nombre maximum de nombres, par exemple, qu’un individu peut retenir et
restituer lorsque ces nombres sont présentés au hasard sous forme d’une liste
que le sujet doit écouter. L’empan de la mémoire est en moyenne de 7 éléments,
plus ou moins 2. La mémoire de travail se distingue ainsi de la mémoire à court
terme par sa capacité très limitée, la nécessité de la répétition pour le maintien
de l’information, et sa très courte durée.
De façon intéressante, il est notable que certains patients souffrant de lésions
corticales présentent une mémoire de travail normale pour une information
transmise par un système particulier d’information (ils peuvent par exemple se
souvenir parfaitement des éléments qui leurs sont présentés sous forme d’une
fiche de lecture, au même titre que les sujets normaux), mais sont par ailleurs
incapables de répéter plus d’un de ces éléments lorsque ceux-ci leur sont présen-
tés en utilisant un autre système sensoriel (par exemple lorsque ces éléments sont
dits à ces patients). Ces empans variables selon la modalité sensorielle utilisée
sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle il existerait des dispositifs de stoc-
kage temporaire de l’information différents, en rapport avec la modalité utilisée.

Amnésie
Dans la vie quotidienne, comme nous le savons tous, l’oubli est un fait aussi
courant que l’apprentissage. C’est normal et inévitable. Cependant, quelques
maladies et certaines lésions du cerveau entraînent une sévère perte de mémoire
et/ou de l’aptitude à apprendre dénommée amnésie. Les chocs traumatiques,
l’alcoolisme chronique, certaines encéphalites, les tumeurs cérébrales, et les
accidents vasculaires cérébraux peuvent interférer avec les processus mnésiques.
L’amnésie est le sujet de nombreux films, dans lesquels une personne ayant subi
un grave traumatisme se réveille le lendemain sans pouvoir dire qui elle est, ni
se souvenir des événements passés. Ce type d’amnésie totale du passé est en fait
très exceptionnel. Les traumatismes provoquent plus fréquemment une amné-
sie limitée, accompagnée d’autres déficits sans rapport avec la mémorisation. Si
l’amnésie n’est pas associée à d’autres troubles cognitifs, elle est dite amnésie dis-
sociée (les troubles de mémoire sont dissociés d’autres déficits). En fait, ces cas
d’amnésie dissociée sont particulièrement intéressants en raison de la relation
qui peut alors être faite entre les troubles de la mémoire et les lésions cérébrales.
La perte de mémoire qui suit un traumatisme cérébral peut classiquement se
manifester de deux façons : elle peut impliquer soit une amnésie rétrograde, soit
une amnésie antérograde (Fig. 24.5). L’amnésie rétrograde est la perte de souve-
nirs anciens, acquis avant le traumatisme. En d’autres termes, le sujet oublie les
choses qu’il savait déjà. Les cas les plus sévères peuvent présenter une amnésie
totale de tous les souvenirs relatifs à la mémoire déclarative, acquis avant le

1.  NdT : en France, le numéro d’appel comprend 8 chiffres. Si l’on admet que les deux
premiers chiffres sont de caractère standard (par exemple 06 pour un mobile), les chiffres
« utiles » sont limités à 6, en rapport avec la capacité de l’empan de la mémoire de travail.
En revanche, pour un numéro d’appel international, il est nécessaire d’ajouter jusqu’à 4
chiffres, et dans ce cas la capacité de l’empan est dépassée.
848 4 – Neuroplasticité

Amnésie rétrograde Amnésie antérograde


100 100
mémoire normale

mémoire normale
Pourcentage de

Pourcentage de
50 50

0 0
Naissance Temps Moment du Aujourd’hui Naissance Temps Moment du Aujourd’hui
(a) traumatisme (b) traumatisme

Figure 24.5 – Amnésie provoquée par un traumatisme cérébral.


(a) Dans le cadre de l’amnésie rétrograde, les événements qui se sont déroulés pendant la période ayant précédé le traumatisme sont oubliés, mais les
souvenirs plus anciens sont préservés. (b) Dans le cadre de l’amnésie antérograde, les événements qui ont précédé le traumatisme sont conservés,
mais le sujet n’est plus capable de se souvenir de ceux qui ont suivi le traumatisme.

traumatisme. Plus souvent, l’amnésie rétrograde présente un tableau dans lequel


les événements des mois ou des années antérieurs au traumatisme sont oubliés,
mais la mémoire des événements plus anciens est beaucoup mieux préservée.
Ces effets gradués sur les souvenirs récents ou plus anciens réfèrent vraisembla-
blement à différentes formes possibles de stockage de ces souvenirs, ce que nous
explorerons plus en détail dans le chapitre 25. L’amnésie antérograde est très dif-
férente et correspond à l’incapacité de retenir de nouveaux souvenirs, après le
traumatisme. Dans les formes sévères d’amnésie antérograde, l’individu est par-
fois incapable d’apprendre quoi que ce soit de nouveau, et dans les formes moins
sévères, l’apprentissage est plus lent et la tâche doit être répétée plus souvent.
En général toutefois, les cas cliniques présentent souvent un mélange d’amnésie
antérograde et rétrograde, avec différents degrés de gravité.
L’exemple suivant va nous aider à comprendre. Supposons qu’un jour de fin
d’année universitaire vous passiez sous la fenêtre du dortoir de vos amis et que
dans la fièvre d’excitation liée à cette forme de libération de cette année d’étude
l’un d’entre eux jette par la fenêtre un livre qui, malencontreusement, percute
votre tête. Si ce traumatisme provoque chez vous une amnésie rétrograde, vous
ne serez plus à même de vous souvenir que vous avez passé la veille le dernier
examen de l’année et, dans les cas les plus sévères, des cours que vous avez suivis
cette année. Si vous avez au contraire une amnésie antérograde, vous vous sou-
venez des examens d’hier intervenus avant cet accident, mais lorsque plus tard
vous serez reçu à votre examen vous ne serez pas à même de vous souvenir qu’à
la suite de l’accident vous avez été transporté en ambulance jusqu’à l’hôpital,
les visites de vos amis, et jusqu’à tout ce qui s’est passé pendant l’été qui a suivi.
L’amnésie globale transitoire est une autre forme d’amnésie, qui ne dure que
peu de temps. L’amnésie globale transitoire est la survenue brutale d’un épisode
d’amnésie antérograde ne durant que quelques minutes ou quelques jours, asso-
cié à une amnésie rétrograde pour les événements récents précédant cet épisode.
Pendant cette courte période, la personne peut paraître désorientée et poser
répétitivement la même question. Toutefois, elle est consciente et les mesures de
l’empan de la mémoire de travail montrent que celle-ci est normale.
L’amnésie globale transitoire peut présenter un caractère assez effrayant
pour la personne qui la présente ou pour son entourage. Bien que les causes
ne soient pas toujours très claires, ce type d’amnésie est souvent lié à une brève
ischémie cérébrale, dans laquelle le débit sanguin est temporairement réduit dans
le cerveau, ou à un choc sur la tête consécutif à un traumatisme dans un accident
de voiture ou un coup violent porté au cours d’un match de football. Des cas
d’amnésie globale transitoire associés à un stress excessif, l’usage de drogues, à
des douches froides, et même au sexe, ont également été rapportés, probablement
parce que tous ces faits peuvent affecter le débit sanguin cérébral. Par ailleurs,
une relation entre de nombreux cas d’amnésie de ce type et un antidiarrhéique, le
clioquinol (qui a été retiré du marché), a été établie. Dans tous les cas, les causes
de cette amnésie globale transitoire ne sont pas connues ; toutefois, c’est peut-
être la conséquence d’une ischémie temporaire dans des structures essentielles
pour l’apprentissage et la mémoire.
24 – Apprentissage et mémoire 849

D’autres formes d’amnésie temporaire peuvent être provoquées par la mala-


die, des traumatismes crâniens ou encore par des toxines environnementales.

Mémoire de travail
Nos cerveaux reçoivent en permanence toutes sortes d’informations au tra-
vers de nos systèmes sensoriels mais, comme nous l’avons remarqué dans le cha-
pitre 21, nous ne sommes conscients que d’une infime partie. Afin de permettre
des adaptations comportementales et la réalisation de certains comportements,
une très faible partie de cette information est « maintenue à l’esprit », par la
mémoire de travail ; par exemple un numéro de téléphone dont nous devons
nous souvenir un instant pour le composer sur le clavier. Contrairement à la
mémoire à long terme, la mémoire de travail présente une très faible capacité,
comme nous l’avons vu plus haut. Cependant, il existe des subtilités pour éva-
luer la capacité de la mémoire de travail. Par exemple, si l’on s’en tient à des
termes courants du vocabulaire usuel, plutôt relatifs à des mots courts, la capa-
cité à les retenir est supérieure à la moyenne. De même, plus de mots ou de
nombres peuvent être retenus s’ils sont présentés par catégories, ce qui permet
de mettre en œuvre des stratégies mnémotechniques (un nombre de 12 chiffres
peut être plus facilement retenu s’il est retenu comme 3 « blocs » de 4 chiffres
par exemple : 1945 1969 2001). La mémoire de travail doit en fait être considérée
comme une forme « d’outil » utilisable dans de très nombreuses situations : il
existe de fait un compromis entre le nombre et la précision des termes retenus et
leur signification réelle pour l’individu.
Les informations retenues par le biais de la mémoire de travail peuvent faire
l’objet d’une mémorisation à long terme, mais l’essentiel de ces informations est
immédiatement effacé au fur et à mesure qu’elles ne sont plus utiles. Mais alors
comment une telle information est-elle retenue juste assez pour être utilisée ?
Des travaux effectués tant chez l’animal que chez l’homme suggèrent que, plutôt
que d’utiliser un seul système, la mémoire de travail est en fait une capacité du
néocortex qui siège dans de nombreuses régions cérébrales. Dans ce qui suit,
nous allons décrire à titre d’exemple la mémoire de travail dans le cortex frontal
et dans le cortex pariétal.

Cortex préfrontal et mémoire de travail Sillon central

Une des différences anatomiques les plus marquées entre les primates (et spé-
cialement l’homme) et les autres mammifères, est l’importance du lobe frontal
chez les primates. L’extrémité rostrale du lobe frontal, le cortex préfrontal, est
ainsi particulièrement bien développée (Fig. 24.6). Par comparaison avec les aires
corticales sensorielles et motrices, la fonction du cortex préfrontal est mal connue.
Mais comme cette structure est tellement développée chez l’homme, il est sou-
vent postulé que le cortex préfrontal est responsable de certains traits, comme par
exemple la conscience de soi, la capacité d’effectuer des raisonnements abstraits
et de résolution de problèmes, qui distinguent l’homme de l’animal.
Les résultats d’expériences effectuées dans les années 1930, utilisant le test de
reconnaissance différée, ont démontré pour la première fois l’importance du lobe Cortex
frontal dans l’apprentissage et la mémoire. Dans ce test, au début de l’expérience préfrontal
le singe voit que la nourriture est placée sur une table dans un réceptacle parti-
culier, sous l’un de deux couvercles identiques. Puis, pendant un temps donné,
Figure 24.6 – Cortex préfrontal.
le singe est éloigné de la table, et il est ensuite à nouveau replacé devant la table. La partie du cortex située en avant du sillon
Dans ce cas, l’animal reçoit la nourriture en récompense s’il choisit le bon réci- central constitue le lobe frontal. Le cortex pré-
pient. De larges lésions préfrontales dégradent sérieusement l’exécution du test frontal est la partie antérieure du lobe frontal,
de réponse différée ainsi que toutes autres tâches incluant un délai entre le signal qui reçoit des afférences du noyau dorso­
initial et le choix final. Par ailleurs, le singe présente de plus en plus de difficultés médian du thalamus.
à réaliser la tâche au fur à mesure que le délai s’allonge. Il semble donc que le
cortex préfrontal joue un rôle important dans ce type de tâche impliquant la
mémoire de travail.
850 4 – Neuroplasticité

Premier tri par couleur

Puis tri selon la forme des symboles

Figure 24.7 – Test de Wisconsin.
Des cartes portant des séries de symboles de couleurs différentes doivent d’abord être triées par
couleur. Après une série d’essais, le tri n’obéit plus à la couleur, et la consigne est alors de trier les
cartes par symbole.

Des travaux plus récents laissent penser que le cortex préfrontal est impliqué
dans la mémoire de travail pour résoudre des problèmes et organiser des com-
portements. L’étude du comportement chez des patients atteints de lésions du
cortex préfrontal a donné des résultats intéressants. Souvenez-vous du cas de
Phineas Gage, mentionné dans le chapitre 18 : après avoir subi une grave lésion
du lobe frontal (une barre de fer traversant la tête est un traumatisme grave),
Gage éprouvait beaucoup de difficultés à garder le même comportement pen-
dant un certain temps. Bien qu’il fût capable d’adapter son comportement à
différentes situations, il avait du mal à imaginer et à organiser ses comporte-
ments, probablement en raison de l’atteinte du lobe frontal.
Le test de tri des cartes de Wisconsin illustre les perturbations associées à une
atteinte du cortex préfrontal. Dans ce test, le sujet reçoit la consigne de ranger
un jeu de cartes avec un nombre variable de figures géométriques de couleur
(Fig. 24.7). Les cartes peuvent être rangées par couleur, par figure, ou par nombre
de figures, mais au début du test le choix du tri est laissé au sujet. Cependant,
c’est en rangeant les cartes par paquets et en étant informé des erreurs commises,
que le sujet déduit quel est le type de classement que l’expérimentateur a choisi.
Lorsqu’il a réussi à faire le bon classement dix fois, le mode de classement est
changé et on recommence l’expérience. Pour bien exécuter ce test, le sujet doit
utiliser la mémoire du classement et des erreurs qu’il a pu faire, pour imaginer
une autre forme de classement. Les lésions préfrontales rendent le test plus dif-
ficile lorsqu’on en vient à la modification du classement ; les sujets persistent à
classer les cartes selon une règle qui ne convient plus. Ils éprouvent des difficultés
à recourir aux informations récentes (c’est-à-dire les données de la mémoire de
travail) pour modifier leur comportement.
Le même genre de déficit est observé lorsqu’il leur est demandé de tracer un
chemin à travers le dessin d’un labyrinthe. Bien que les patients comprennent la
tâche à accomplir, ils refont indéfiniment la même erreur en allant chaque fois
dans la même impasse ; en d’autres termes, ces patients ne parviennent pas à
retenir l’information nouvelle liée à l’apprentissage, comme le fait une personne
normale, ce qui suggère là encore un déficit de mémoire de travail.
Les réponses des neurones du cortex préfrontal sont variées, et certaines sont
associées à la mémoire de travail. La figure 24.8 illustre deux types de réponses
obtenues chez un singe pendant l’exécution d’un test de reconnaissance différée.
24 – Apprentissage et mémoire 851
Nombre de potentiels d’action/s

20

15

10

5
Figue 24.8 – Réponses de neurones du cor-
0 tex préfrontal chez le singe.
0 10 20 Les deux histogrammes illustrent l’activité
(a)
de neurones du cortex préfrontal enregistrée
Nombre de potentiels d’action/s

20 pendant que l’animal effectue une tâche de


réponse différée. Pendant 7 secondes l’animal
15 a la possibilité de voir où se trouve la nour-
riture parmi deux cupules. Pendant un délai
10 variable, l’animal n’a plus la possibilité de voir
les cupules, et après ce délai il doit désigner la
cupule pleine pour recevoir une récompense
5
(période du choix). (a) Cette cellule répond
lorsque la cupule choisie par l’animal est bien
0 celle qui contenait initialement la nourriture.
0 10 20 (b) Cette cellule répond très fortement pen-
Période Période d’attente (s) Période dant la période d’attente, à un moment où les
d’observation du choix cupules ne sont pas visibles. (Source : adapté
(b) de la cible de Fuster, 1973, Fig. 2.)

Sur le tracé supérieur, le neurone répondait lorsque l’animal voyait initialement


où se trouvait la nourriture, était silencieux pendant l’intervalle de temps, et
répondait encore lorsque l’animal voyait à nouveau la nourriture (Fig. 24.8a).
Ce type de décharge est en rapport avec la présentation des stimuli. La décharge
de l’autre neurone est sans doute plus intéressante, le neurone ne répondant que
pendant l’intervalle correspondant au délai (Fig. 24.8b). L’activité de cette cel-
lule ne correspondait pas aux deux périodes pendant lesquelles l’animal pouvait
voir la nourriture. L’activité accrue de la cellule pendant l’intervalle de temps
entre les deux périodes où l’animal perçoit la nourriture, serait associée à la
rétention d’informations nécessaires au choix exact après le délai d’attente, c’est-
à-dire à la mémoire de travail.
Visualiser la mémoire de travail dans le cerveau humain.  Les expériences
d’imagerie cérébrale fonctionnelle suggèrent que la mémoire de travail implique
plusieurs sous-régions du cortex préfrontal. Dans l’une de ces études, Courtney
et ses collaborateurs ont utilisé l’imagerie par émission de positrons (TEP-scan)
dans une expérience où les sujets étaient soumis à deux tâches différentes. Dans
une première série d’expérience visant à l’identification de personnes, le sujet se
voyait présenter successivement une série de 3 photographies de visages, chaque
image étant brièvement présentée. Chaque image occupait une position diffé-
rente sur l’écran et la consigne était donnée au sujet de mémoriser ces visages.
Dans la seconde phase du test, une autre photo était présentée dans un empla-
cement de l’écran différent des trois premiers, et le sujet devait dire s’il s’agissait
d’un nouveau visage ou si le visage lui avait déjà été présenté (Fig. 24.9a). Dans
une seconde phase de l’expérience, le sujet avait pour consigne de repérer l’em-
placement de la photo sur l’écran. Le paradigme expérimental était similaire,
mais ici le sujet devait repérer l’emplacement de chacun des 3 visages qui lui
avaient été présentés, sans porter attention au visage lui-même. En phase de test,
un quatrième visage était présenté et le sujet devait dire si cette photo était dans
l’un des emplacements des photos précédentes ou non (Fig. 24.9b). Les mesures
de débit sanguin cérébral étaient focalisées sur l’intervalle de temps pendant
lequel le sujet devait maintenir l’information en mémoire. Dans le premier cas, il
s’agissait d’une information sur l’identité des visages ; dans le second cas, sur la
localisation de ces visages sur l’écran au cours de leur présentation.
852 4 – Neuroplasticité

Tâche d’identification Tâche de localisation spatiale

Mémorisation Mémorisation

Délai Délai

Test Test

(a) (b)

Test : ce visage fait-il partie Test : ce visage est-il présenté dans un emplacement
de ceux présentés préalablement ? où se trouvait l’un de ceux présentés précédemment ?

(c) (d)

Figure 24.9 – Activité du cerveau chez l’homme dans deux tâches de mémoire de travail.


(a) Dans cette tâche d’identification, le sujet se voit présenter successivement 3 photos (ici représentées ensemble sur
l’écran). Ces visages sont mémorisés et, après un délai, un visage test est présenté, mais à un emplacement de l’écran
différent de celui lié à la première présentation. Le sujet doit dire si ce visage correspond à l’un de ceux qui lui ont été
présentés précédemment et qu’il avait pour consigne de mémoriser. (b) Dans cette seconde tâche, c’est l’emplacement
de la photo sur l’écran qui doit être mémorisé. Dans la phase de test, un 4e visage est joint aux 3 premiers, et le sujet
doit indiquer si celui-ci apparaît à l’un des emplacements où se trouvait l’un ou l’autre des visages précédents. (c) et
(d) : vues latérale et médiane des zones cérébrales activées lors de ces tâches de mémorisation. Six zones du lobe
frontal montrent une activation significative en rapport avec la mise œuvre de la mémoire de travail. Les trois zones en
bleu montrent une activité plus importante en rapport avec la tâche d’identification des visages, les deux zones en vert
montrent des activités équivalentes dans les deux tâches d’identification et de mémorisation spatiale, et l’aire colorée
en rouge est plus active en rapport avec la tâche de localisation spatiale. (Source : adapté de Haxby et al., 2000, Fig. 5.)

Les résultats sont présentés sur la figure 24.9c et la figure 24.9d. Six régions


du lobe frontal sont activées pendant cette tâche de mémoire de travail, suggé-
rant leur participation à ce processus. Trois de ces zones étaient préférentielle-
ment activées par l’identification des visages et beaucoup moins par la tâche
de leur localisation spatiale, une autre était au contraire activée par la tâche de
mémoire spatiale, et les deux dernières zones étaient activées de façon équiva-
lente par les deux tâches réalisées par les sujets. Il reste cependant une question
intéressante pour laquelle il n’y a pas de réponse : la mémoire de travail pour
d’autres formes d’information est-elle ou non traitée par les mêmes territoires
frontaux, ou bien par d’autres zones cérébrales ?

Cortex latéral intrapariétal (aire LIP)


et mémoire de travail
Les découvertes des dernières années ont montré que les neurones d’autres
aires corticales, en dehors du lobe frontal, pourraient participer à la rétention
des informations de la mémoire de travail. Dans le chapitre 14, nous avons vu
24 – Apprentissage et mémoire 853

l’exemple de l’aire 6 (voir Fig. 14.9). Le cortex latéral intrapariétal, au creux du


sillon intrapariétal (voir Fig. 21.18), en donne une autre illustration. L’aire LIP est
considérée comme participant au guidage des mouvements des yeux, du fait que
sa stimulation électrique chez le singe induit des saccades oculaires. Les réponses
de nombreux neurones de l’aire LIP suggèrent qu’ils jouent également un rôle
dans une forme particulière de mémoire de travail. Ces travaux utilisent le test de
saccade oculaire différée dans lequel il est demandé à l’animal de fixer un point
sur l’écran d’un ordinateur alors qu’une cible est brièvement présentée sous forme
d’un flash dans une partie périphérique de l’écran (Fig. 24.10a). Après la dispa-
rition du signal périphérique, il se passe un délai variable avant que le point de
fixation du regard ne disparaisse. Les yeux de l’animal produisent alors des sac-
cades en cherchant à se souvenir du lieu où le signal bref a été présenté à la péri-
phérie. La figure 24.10b illustre la réponse d’un neurone de l’aire LIP lorsque le
singe exécute le test. Le neurone commence à décharger peu après l’apparition du
signal bref présenté en périphérie. Cela ressemble à une réponse normale évoquée
par un stimulus, mais l’activité du neurone se maintient durant toute la durée du
délai pendant lequel il n’y a pas de stimulus, jusqu’à ce que la saccade oculaire
survienne. Des expériences ultérieures basées sur le test des saccades oculaires
montrent que tout se passe comme si la réponse du neurone du cortex latéral
intrapariétal retenait temporairement l’information nécessaire pour pouvoir pro-
duire la saccade.
De façon analogue, d’autres aires du cortex pariétal et du cortex temporal
sont activées par les processus de mémoire de travail. Ces aires semblent expri-
mer une spécificité de modalité, de même que les réponses des neurones de l’aire
LIP sont spécifiques de la vision. Ces données sont cohérentes avec les observa-
tions cliniques montrant qu’il existe chez l’homme des déficits spécifiques de la
mémoire de travail, en rapport avec soit des modalités auditives, soit des moda-
lités visuelles, qui sont le résultat de lésions corticales.

Temps 1 Temps 2 Temps 3

Point de Cible
(a)
fixation visuelle
potentiels d’action

120
Nombre de

0
Présentation Délai
(b) Orientation du regard
de la cible
vers le point de fixation

Figure 24.10 – Tâche de saccades oculaires différées.


(a) Afin d’obtenir une récompense sous forme d’un jus de fuit, le singe est entraîné à réaliser la
tâche suivante. Après fixation du regard sur un point central matérialisé par une croix sur l’écran,
une cible apparaît un bref instant à la périphérie du champ visuel, sous forme de flashs. L’animal
continue à fixer le point central alors que la cible a disparu (représentée par le carré en pointillé
dans le schéma du milieu). Après un certain délai, le point de fixation du regard disparaît et l’animal
déplace son regard vers l’endroit où était localisée la cible, d’après son souvenir. (b) Les histo-
grammes illustrent la réponse d’un neurone du cortex intrapariétal latéral pendant la réalisation de
cette tâche. Le neurone commence à décharger dès la présentation de la cible, et sa décharge se
poursuit jusqu’à ce que le point de fixation soit atteint et que débute la saccade oculaire. (Source :
adapté de Goldman-Rakic, 1992, p. 113, et Gnadt et Anderson, 1988, Fig. 2.)
854 4 – Neuroplasticité

Mémoire déclarative
Comme nous l’avons vu, l’information sensorielle peut-être temporairement
maintenue à l’esprit sous forme de mémoire de travail. Mais quels sont les méca-
nismes mis en jeu pour une rétention de ces informations à long terme ? Bien
avant que les hommes évoluent au point de bachoter en vue du prochain examen
de neurosciences en préparant des fiches récapitulatives à cet égard, nous devons
nous souvenir que les préoccupations initiales des premiers hommes étaient
d’abord de repérer la source qui donnait à boire, la forêt qui donnait à manger, et
la caverne qui permettait de s’abriter. Pour tenter de comprendre les mécanismes
neuronaux du stockage des informations à long terme, l’une des façons de faire
est d’abord de tenter de savoir où, dans le cerveau, sont stockés ces souvenirs.
En d’autres termes, nous devons explorer les bases de la trace mnésique, ce que
l’on nomme l’engramme. Par exemple, lorsque vous apprenez le sens d’un mot
dans une langue étrangère, où se trouve localisé dans votre cerveau l’engramme
de cette information ?

Néocortex et mémoire déclarative


Dans les années 1920, le psychologue américain Karl Lashley effectua des
expériences sur le rat, pour étudier les conséquences de lésions cérébrales sur
l’apprentissage. Avec une bonne connaissance de l’organisation cytoarchi-
tectonique du néocortex, Lashley entreprit ses travaux pour déterminer si les
engrammes se trouvaient dans des aires associatives particulières du cortex (voir
chapitre 7), comme on le pensait à cette époque.
Dans une expérience maintenant très classique, il apprit au rat à retrouver son
chemin dans un labyrinthe, en le récompensant avec de la nourriture. Au début,
il fallait du temps pour que le rat trouve la nourriture car il s’engageait dans des
allées sans issue et devait faire demi-tour. Après avoir fait le tour du labyrinthe
plusieurs fois, le rat apprenait à éviter les impasses, et allait directement vers la
nourriture. Lashley s’est posé la question de savoir dans quelle mesure l’aptitude
de l’animal à effectuer cette tâche serait affectée si on provoquait une lésion en
un point quelconque de son cortex. Il découvrit que si la lésion intervenait après
que les animaux aient appris à parcourir le labyrinthe, les rats se trompaient et
s’engageaient dans les impasses qu’ils avaient pourtant appris à éviter. Tout se
passait apparemment comme si la lésion affectait ou détruisait les processus
mnésiques permettant de trouver la nourriture.
La question s’est alors posée de savoir si la taille et la localisation de la lésion
affectaient de façon différentielle apprentissage et mémoire ? De façon intéres-
sante, Lashley découvrit qu’il existait une corrélation entre la sévérité des défi-
cits causés par les lésions (à la fois pour l’apprentissage et la mémorisation) et
la taille des lésions, mais apparemment pas de corrélation avec l’emplacement
précis de la lésion dans le cortex. À partir de ces découvertes, Lashley spécula
que les aires corticales contribuent de façon équivalente à l’apprentissage et à la
mémoire ; pour lui, c’est seulement l’étendue de la lésion qui affecte la réalisation
de la tâche du labyrinthe, parce que la capacité à se souvenir du labyrinthe est
moins bonne. S’il en était ainsi, cela eut été une découverte importante, car elle
impliquait que les engrammes soient basés sur l’intervention de larges régions
corticales, plutôt que des sites précis localisés dans une seule aire. Le problème
avec cette interprétation est que les lésions de Lashley étaient très larges, chacune
impliquant la destruction de plusieurs aires corticales, elles-mêmes possiblement
impliquées dans l’apprentissage et la mémorisation de la tâche de reconnais-
sance du labyrinthe. Par ailleurs, une autre interprétation des résultats pouvait
impliquer que le rat ait pu résoudre la question du labyrinthe de différentes
manières, par exemple à la fois à partir d’informations visuelles ou basées sur la
reconnaissance des odeurs, et ainsi la perte d’un type de mémoire pouvait tout
aussi bien être compensée par une autre.
Des travaux ultérieurs ont prouvé que les conclusions de Lashley étaient
erronées : les aires corticales ne contribuent pas toutes de façon équivalente
aux processus mnésiques. Néanmoins Lashley avait raison en ce qui concerne
24 – Apprentissage et mémoire 855

le caractère « distribué » de la mémoire au niveau cortical. Ses travaux sur l’ap-


prentissage et la mémoire eurent en fait une influence considérable, et de très
nombreux autres scientifiques après lui se sont intéressés à cet aspect distribué
des souvenirs dans les neurones corticaux.
Hebb et la théorie des assemblées cellulaires.  L’étudiant le plus connu de
Lashley s’appelait Donald Hebb, que nous avons déjà mentionné dans le cha-
pitre 23. Pour Hebb, il était fondamental de comprendre comment les infor-
mations sensorielles sont représentées dans l’activité cérébrale, si l’on voulait
savoir comment et où ces représentations sont stockées. En 1949, dans un
ouvrage remarquable intitulé L’organisation du comportement (The organization
of behavior), Hebb suggérait que la représentation interne d’un objet implique
toutes les cellules corticales activées par ce stimulus (par exemple le cercle de
la figure 24.11). C’est ce groupe de neurones activés simultanément que Hebb
appelait une assemblée cellulaire (Fig. 24.11a). Hebb imaginait que toutes ces cel-
lules étaient reliées entre elles par des connexions réciproques. La représentation
interne de l’objet était conservée dans la mémoire à court terme aussi longtemps
que l’activité se manifestait entre les connexions de cette population de cellules.
Hebb suggéra ensuite que si l’activité de cette assemblée cellulaire durait assez
longtemps, une consolidation de l’information survenait au travers d’un proces-
sus qui rendait ces connexions plus efficaces. Ainsi les neurones qui déchargent
en même temps établissent des relations préférentielles entre eux (Fig. 24.11b).
Par la suite, si un stimulus n’activait qu’une fraction des cellules de l’assemblée,
toutes les cellules de l’assemblée étaient réactivées, rappelant ainsi la représenta-
tion interne complète du cercle (Fig. 24.11c).

Interconnexions
réciproques Activation de l’assemblée
entre neurones cellulaire par le stimulus
Neurones

Stimulus
externe
(a) Assemblée cellulaire

Une activité réverbérante


à l’intérieur de l’assemblée
contribue à ce que la trace
du stimulus persiste après
sa disparition

Les propriétés hebbiennes


des synapses à l’intérieur
des réseaux contribuent
à un renforcement des
relations entre les éléments
du réseau actifs en même
temps

Les connexions ainsi


renforcées entre éléments
de l’assemblée représentent
l’engramme du stimulus
(b)

Après apprentissage,
l’activation partielle de
l’assemblée conduit
à la représentation
complète du stimulus

= « Cercle »
Figue 24.11 – Théorie des assemblées cellu-
laires de Hebb et stockage des informations
(c)
mémorisées.
856 4 – Neuroplasticité

L’essentiel du message de Hebb peut ainsi être résumé de la façon suivante :


l’engramme (1) pourrait être largement distribué entre les connexions qui relient
une assemblée de cellules entre elles, et (2) pourrait impliquer les mêmes neu-
rones que ceux qui sont associés à la sensation et la perception. La destruction
d’une partie seulement des cellules de l’assemblée ne détruirait probablement pas
la mémoire, ce qui expliquerait peut-être les résultats des expériences de Lashley.
Les idées de Hebb ont alors favorisé le développement de modèles mathéma-
tiques de circuits neuronaux simulés par ordinateur, et bien que ses intuitions
originales aient été légèrement modifiées, ces modèles ont reproduit avec suc-
cès de nombreux traits caractéristiques de la mémoire humaine, comme nous le
verrons dans le chapitre 25.
Où se trouvent les traces de la langue étrangère que vous avez apprise ? Vous
vous souvenez que les régions du cerveau en charge du langage sont localisées
dans le lobe temporal et le lobe pariétal. Une lésion dans ces régions est à même
de provoquer une perte de vos capacités pour retrouver un mot dans cette langue
étrangère, mais laissera intacte votre aptitude à reconnaître la photo de votre
grand-mère. Toutefois, même si les souvenirs relatifs à la mémoire déclarative
sont vraisemblablement distribués très largement dans de nombreuses aires du
néocortex, des années de recherche ont clairement démontré qu’avant d’en arri-
ver là ces informations doivent transiter par des structures du lobe temporal
médian, comme nous allons le voir.

Études impliquant le lobe temporal médian


De nombreux travaux indiquent que diverses structures du lobe temporal
médian sont particulièrement importantes pour la consolidation et le stockage
des informations relatives à la mémoire déclarative. Les meilleurs exemples en
sont des expériences de stimulation électrique, ou d’enregistrement d’activité de
neurones du lobe temporal. D’autres éléments en faveur de cette hypothèse sont
fournis par l’étude de cas d’amnésie résultant de lésion des lobes temporaux.
Mais avant de considérer ces études suggérant que le stockage des informations
implique le lobe temporal médian, il est nécessaire de revenir un moment sur
l’anatomie de cette région.
Anatomie du lobe temporal médian.  Le lobe temporal est situé sous l’os tem-
poral, ainsi nommé parce que les cheveux de la tempe sont les premiers à grison-
ner avec le temps (tempus en latin). L’association du lobe temporal avec le temps
est cependant tout à fait fortuite, mais il est prouvé que cette partie du cerveau
joue un rôle particulièrement important dans l’enregistrement des événements
passés. La partie médiane des lobes temporaux est formée par le néocortex tem-
poral, qui représente un possible site de stockage de la mémoire à long terme, et
un autre groupe de structures interconnectées avec lui. Mais dans les lobes tem-
poraux se trouvent aussi l’hippocampe et d’autres structures du néocortex qui
sont essentielles à la formation des souvenirs de la mémoire déclarative.
Les structures jouant un rôle clé sont l’hippocampe, les aires corticales qui lui
sont proches, et les voies neuronales qui relient ces structures à d’autres parties
du cerveau (Fig. 24.12). Comme cela a été décrit dans le chapitre 7, l’hippocampe
représente une structure repliée sur elle-même, située médianement par rapport
au ventricule latéral. Le nom de cette structure signifie « cheval de mer », du fait
de la ressemblance avec cet animal que vous pouvez apprécier à la figure 24.13.
Dans la région ventrale de l’hippocampe se trouvent trois régions corticales
importantes, qui entourent la scissure rhinale : le cortex entorhinal, qui occupe
la partie interne de la scissure rhinale ; le cortex périrhinal, occupant la partie
latérale ; et le cortex parahippocampique, qui s’étend latéralement par rapport à
la scissure rhinale (dans ce qui suit on parlera de cortex rhinal pour mentionner
le cortex entorhinal et le cortex périrhinal).
Les informations parvenant dans la partie médiane des lobes temporaux pro-
viennent d’aires corticales associatives, représentant des régions de forte intégra-
tion de modalités sensorielles de tout ordre (Fig. 24.14). Par exemple, le cortex
visuel inférotemporal (aire IT) se projette sur le lobe temporal médian, mais pas
les aires visuelles primaires comme le cortex strié. Ceci signifie que les informa-
24 – Apprentissage et mémoire 857

Vue latérale Vue médiane

Hippocampe Hippocampe

(a)
Hippocampe
Ventricule latéral

Thalamus

Figure 24.12 – Structures du lobe
temporal médian impliquées dans la
Cortex
entorhinal formation de la mémoire déclarative.
(a) Vues latérale et médiane montrant
la localisation de l’hippocampe dans
le lobe temporal. (b) Cette coupe
Hippocampe frontale permet de distinguer l’hippo-
Scissure Cortex Cortex campe et le cortex du lobe temporal
Scissure
(b) rhinale rhinale périrhinal parahippocampique médian.

tions afférentes véhiculent des représentations complexes, peut-être des informa-


tions sensorielles importantes pour le comportement, plutôt que des réponses à
de simples faits comme la détection de la limite entre l’ombre et la lumière. Les
informations atteignent d’abord le cortex rhinal et le cortex parahippocampique,
avant de rejoindre l’hippocampe. Une des voies efférentes majeures de l’hippo-
campe est le fornix, qui décrit une boucle autour du thalamus pour se terminer
dans l’hypothalamus.
Stimulation électrique des lobes temporaux chez l’homme.  Une des études
les plus curieuses et les plus controversées sur le stockage de la mémoire déclara-
tive dans le néocortex du lobe temporal a été pratiquée sur des sujets humains.
Figure 24.13 – L’hippocampe.
Les travaux de Wilder Penfield ont été mentionnés plus haut (voir chapitres 12
Dans la mythologie grecque, l’hippocampe
et 14) : sur des patients traités pour une épilepsie sévère, une stimulation élec- représentait une chimère formée d’une tête
trique multifocale était pratiquée sur le cerveau, avant l’ablation de la région des de cheval et d’un corps de dauphin ou de
crises. La stimulation du cortex sensoriel somatique provoquait chez les patients poisson. La photo illustre un hippocampe
des sensations de picotement sur des parties de la peau, alors que la stimulation disséqué placé à côté d’un spécimen intact.
du cortex moteur provoquait de petites contractions des muscles correspondant. (Source : Laslo Seress/Wikimedia Commons.)

Aires Aires corticales Fornix


Information Thalamus,
corticales parahippocampiques Hippocampe
sensorielle hypothalamus
associatives et rhinales

Figure 24.14 – Cheminement des informations au travers du lobe temporal médian.


858 4 – Neuroplasticité

Cependant, la stimulation électrique du lobe temporal produisait occasion-


nellement des sensations plus complexes que celles obtenues par la stimulation
d’autres parties du cerveau. Dans un certain nombre de cas, les patients de
Penfield décrivaient des sensations ressemblant à des hallucinations ou à des
souvenirs d’expériences passées. De fait, il est connu que les crises d’épilepsie des
lobes temporaux peuvent provoquer des sensations, des comportements et des
souvenirs complexes. Penfield écrit dans un de ses rapports :
Au moment de l’opération, la stimulation d’un point donné de la partie
antérieure de la première circonvolution temporale du côté droit a fait dire
au patient : « je me sens comme si j’étais dans les toilettes à l’école ». Cinq
minutes plus tard, après des stimulations sans effet pratiquées en d’autres
endroits, l’électrode a été de nouveau appliquée au même endroit du cortex.
Le patient a dit quelque chose comme « au coin de la rue ». Le chirurgien lui
a demandé « à quel endroit ? » et il a répondu « South Bend, dans l’Indiana,
au coin de la rue Jacob et de la rue Washington ». Lorsqu’on lui a demandé
d’expliquer, il a répondu qu’il avait eu l’impression de se voir quand il était
plus jeune (Penfield, 1958, p. 25).
Une autre patiente rapporta une sensation semblable de souvenirs d’expé-
riences passées. Lorsqu’on stimulait son cortex temporal, elle disait : « j’ai l’im-
pression d’entendre une mère appeler son petit garçon. Il semble que cela se
soit passé il y a longtemps ». En stimulant un autre endroit, elle disait : « oui,
j’entends des voix. Il est tard et il fait nuit ; il y a une fête quelque part — un
genre de cirque itinérant… Je viens de voir un certain nombre de gros camions
transportant des animaux ».
Ces personnes revivent-elles des événements passés parce que les souvenirs
sont évoqués par la stimulation électrique ? Cela signifie-t-il que les souvenirs
sont stockés dans le néocortex du lobe temporal ? Ces questions sont probléma-
tiques. Une des interprétations de ces résultats serait que les sensations sont des
souvenirs d’expériences passées. Le fait que seule la stimulation du lobe tempo-
ral ait suscité ces sensations élaborées suggère que le lobe temporal joue un rôle
particulier dans le stockage des souvenirs. Cependant, d’autres aspects de ces
découvertes ne sont pas favorables à l’hypothèse selon laquelle les engrammes
sont sensibles à la stimulation électrique. Ainsi, dans quelques cas, les patients
stimulés déclaraient se voir eux-mêmes en situation, ce qui est normalement
impossible. De plus, ces sensations complexes n’étaient rapportées que par une
minorité de patients, et tous avaient un cortex endommagé en rapport avec leur
épilepsie.
Il n’est pas possible de dire avec certitude si les sensations complexes évoquées
par la stimulation du lobe temporal représentent des évocations de souvenirs ;
mais il n’y a toutefois pas de doute que les conséquences de la stimulation du
lobe temporal et des crises du lobe temporal soient qualitativement différentes
de celles de la stimulation des autres régions du néocortex.
Enregistrements de l’activité de neurones du lobe temporal médian chez
l’homme.  La stimulation électrique du lobe temporal provoque quelquefois des
évocations de souvenirs et, comme nous le verrons dans ce qui suit, des lésions
de ces régions provoquent des amnésies. Mais quel est le rôle fonctionnel normal
des neurones du lobe temporal médian ? L’une des façons d’approcher ces fonc-
tions est de procéder à des enregistrements de ces neurones à l’aide de microélec-
trodes implantées chez des patients pour enregistrer leur activité en rapport avec
des épilepsies pharmacorésistantes. Comme dans le cas des travaux de Penfield,
la stratégie opératoire consistait à localiser à l’aide de ces enregistrements la
zone malade, avant de procéder à son ablation. Du fait du caractère relativement
fréquent des épilepsies temporales, les électrodes sont souvent placées dans l’hip-
pocampe et dans ses structures environnantes. Ces travaux sont dérivés de ceux
réalisés chez le singe où l’activité des neurones du cortex inférotemporal était
enregistrée afin de localiser la zone des neurones répondant à la présentation
des photos de visages. Comme cela a été constaté chez le singe, les neurones
enregistrés chez l’homme répondaient préférentiellement à diverses catégories de
stimuli incluant les présentations de visages, d’objet usuels, ou encore de scènes
de paysages (souvenez-vous des neurones répondant sélectivement aux présenta-
24 – Apprentissage et mémoire 859

Figure 24.15 – Neurone hippocampique d’un


patient répondant sélectivement à l’actrice
Halle Berry
Halle Berry.
Ce neurone répond à la présentation de photos
ou même de dessins du visage de l’actrice Halle
Berry, et jusqu’à la simple présentation de son
nom écrit. La cellule répond beaucoup moins,
voire pas du tout, à la présentation de photos
d’autres actrices ou de leur nom écrit. (Source :
adapté de Quiroga et al., 2005, Fig. 2.)

tions de visages décrits dans le chapitre 10). Ces neurones sont dits « invariants »
du fait qu’ils répondent à diverses catégories de stimuli visuels structurellement
ou conceptuellement en rapport les uns avec les autres.
Dans d’autres études, une sélectivité encore plus importante a été notée dans
un petit nombre de neurones enregistrés. À titre d’illustration, des neurones de
l’hippocampe d’un jeune patient répondaient plus ou moins sélectivement à la
présentation de photos de l’actrice Jennifer Aniston ou du basketteur Michael
Jordan. La figure 24.15 illustre l’enregistrement d’un de ces neurones de l’hippo-
campe répondant à divers stimuli associés avec l’actrice Halle Berry. La diversité
de ces stimuli efficaces pour activer ce neurone est impressionnante, incluant
diverses photographies de l’actrice, des dessins de son visage, et jusqu’à la simple
présentation de son nom. Le neurone était aussi activé par la présentation d’une
photo de Halle Berry avec son masque de Catwoman alors même que des photos
d’autres actrices portant ce même accoutrement ne provoquaient pas l’activa-
tion du neurone. D’autres neurones étaient activés par des stimuli significatifs
complètement différents, comme la présentation de la Tour Eiffel ou encore la
tour penchée de Pise.
Qui sommes-nous pour avoir de tels neurones ? L’une des façons de répondre
à cette question est de considérer qu’il se trouve une forme de continuum entre
un pur codage visuel dans le lobe temporal latéral et l’encodage des souvenirs
dans le lobe temporal médian. Difficile de l’affirmer, mais certains neurones ne
sont probablement pas utiles pour la reconnaissance des objets du fait que ceux
qui sont les plus communs, comme les photos des personnes les plus connues,
restent identifiables même après des lésions de l’hippocampe ; même le patient
H.M. était capable de reconnaître les personnes et les objets qu’il avait connus
avant son intervention chirurgicale. La reconnaissance des objets et des per-
sonnes pourrait en fait impliquer des régions plus latérales et plus postérieures
du lobe temporal. Les neurones très sélectifs de l’hippocampe pourraient avoir
un rôle dans la formation de nouveaux souvenirs relatifs cependant à des per-
sonnes ou à des objets que nous connaissons déjà, à la manière du patient fixé
sur Halle Berry. Mais de nombreuses questions subsistent. Par exemple, est-ce
que des réponses beaucoup moins spécifiques auraient été trouvées dans ces
expériences si les investigateurs avaient utilisé plus de stimuli (un neurone qui
aurait pu répondre à Justin Timberlake, à des petits pois en conserve, ou à des
poignées de porte) ? Est-il possible que ces neurones soient activés par chaque
objet que nous reconnaissons ou bien simplement est-ce que les exemples que
nous avons évoqués réfèrent à des cas très rares de souvenirs en rapport avec des
expositions répétées à ces personnes célèbres ou à ces objets ? Est-il possible que
ces résultats concernent aussi des cerveaux normaux, exempts de pathologie, du
fait que ces cerveaux de personnes épileptiques puissent présenter des anomalies
structurales ou des réponses inadéquates ?

Amnésie et lobe temporal


Si le lobe temporal est particulièrement important pour l’apprentissage et la
mémoire, il est alors vraisemblable que la lésion de ces régions cérébrales affecte
massivement ces fonctions. De nombreux travaux, tant chez l’homme que chez
l’animal démontrent que cela est effectivement le cas.
860 4 – Neuroplasticité

Cas de H.M. : lobectomie temporale et amnésie.  Un cas célèbre d’amné-


sie provoquée par une atteinte du lobe temporal montre l’importance de cette
région dans la mémoire. Il s’agit du cas d’Henry Molaison, dont le nom a été
rendu public après son décès en 2008 (Fig. 24.16). Durant les cinquante dernières
années avant sa disparition, de très nombreux travaux ont été publiés sur ce cas,
probablement le plus célèbre de l’histoire des neurosciences, connu comme H.M.
Ce patient commença à présenter des crises d’épilepsie mineures vers l’âge de
10 ans, et en grandissant il eut des crises généralisées plus graves avec convul-
sions, morsure de la langue et perte de conscience. L’origine des crises n’est pas
connue, mais il est possible qu’un accident de vélo à l’âge de 9 ans, suivi d’une
perte de conscience de cinq minutes, soit responsable de la lésion. Après des
études secondaires, cet homme trouva du travail, mais malgré un traitement
assez lourd à base d’anticonvulsivants, la fréquence et la gravité des crises aug-
mentèrent, au point qu’il ne put plus travailler. En 1953, à l’âge de 27 ans, dans
une dernière tentative pour atténuer les crises, H.M. subit une opération consis-
tant en une exérèse bilatérale de 8 cm de longueur sur la face interne du lobe tem-
poral, y compris le cortex, l’amygdale sous-jacente, et les deux tiers antérieurs de
l’hippocampe. Les crises furent atténuées par la chirurgie.
L’exérèse d’une grande partie des lobes temporaux n’eut que peu d’effets
sur la perception, l’intelligence et la personnalité du patient. Mais la chirurgie
a eu pour conséquence une amnésie antérograde profonde. Brenda Milner et
Suzanne Corkin, initialement à l’Institut Neurologique de Montréal, ont tra-
vaillé pendant presque 50 ans sur le cas de H.M., et pourtant, de façon à peine
croyable, elles devaient se présenter chaque fois qu’ils se rencontraient. Dans
leur description de l’amnésie de H.M. ces chercheurs soulignent qu’il semblait

8 cm

Lobe
temporal

Cervelet

(c)

Hippocampe

(a) Cerveau de H.M. (b) Cerveau non lésé

Figure 24.16 – Lésions du cerveau de H.M. à l’origine de la profonde amnésie antérograde.


(a) Le lobe temporal médian a été retiré des deux hémisphères chez H.M. afin de réduire les crises
d’épilepsie. (b) Représentation d’un cerveau non lésé montrant la localisation de l’hippocampe et
du cortex retirés chez H.M. (Source : adapté de Scoville et Milner, 1957, Fig. 2.). (c) Henry Molaison
alors qu’il était au lycée, avant l’intervention chirurgicale. (Source : courtoisie de Suzanne Corkin.
Copyright de Suzanne Corkin, utilisé avec la permission de l’Agence Wylie LLC).
24 – Apprentissage et mémoire 861

oublier les événements aussi rapidement qu’ils survenaient2. En l’incitant à la


répétition, il pouvait retenir un nombre pendant un court instant mais dès que
l’on détournait son attention, il oubliait non seulement le nombre, mais le fait
même qu’on lui ait demandé de se rappeler un nombre.
Pour être tout à fait précis au sujet de l’amnésie de H.M., il faut comparer
ce qui était perdu avec ce qui était conservé par lui. En plus de son amnésie
antérograde, il présentait aussi une certaine amnésie rétrograde. Il avait quelques
souvenirs de son enfance, mais il ne lui restait rien ou presque de la période qui
a précédé son intervention. Un examen réalisé peu de temps après la chirur-
gie suggérait que H.M. présentait une amnésie rétrograde pour les faits étant
intervenus jusqu’à quelques années avant la chirurgie. Les études plus tardives
suggéraient qu’en fait cette amnésie rétrograde s’étendait sur plusieurs décades.
Sa mémoire de travail était par ailleurs largement normale ; par exemple, en les
répétant constamment, il pouvait se rappeler une liste de six nombres, mais toute
interruption les lui faisait oublier. H.M. était simplement incapable de former
de nouveaux souvenirs déclaratifs. De fait, il avait acquis de petites choses suite
à son intervention, comme le nom du Président Kennedy et de quelques autres,
qu’il était également capable de reconnaître. Il avait aussi appris à se repérer dans
le nouvel appartement qu’il avait intégré après son opération. Très vraisembla-
blement, ces quelques performances étaient liées à une intense répétition quo-
tidienne. De façon intéressante, il était capable d’apprendre de nouvelles tâches
(c’est-à-dire de mettre en jeu sa mémoire procédurale). Par exemple, il lui avait
été demandé de réaliser un dessin en suivant sa main dans un miroir, une tâche
nécessitant un entraînement important même pour une personne bien portante.
Le plus curieux est qu’il était à même d’apprendre à réaliser de nouvelles tâches
(apprentissage procédural) en dépit du fait qu’il n’avait aucun souvenir que cela
lui ait déjà été demandé (composante déclarative de l’apprentissage). En d’autres
termes, H.M. était devenu très bon dans la réalisation de la tâche de dessin en
miroir sans avoir le souvenir qu’il avait déjà réalisé cette tâche…
Pour se rendre compte de l’apport considérable de H.M. à la connaissance
des processus mnésiques, il faut réaliser qu’avant son intervention, réellement
peu était connu sur la fonction de l’hippocampe et des structures qui lui sont
associées. Si les caractéristiques de l’amnésie de H.M. sont restituées aujourd’hui
dans le contexte des connaissances d’alors, il est possible de conclure que le lobe
temporal médian joue un rôle critique pour la consolidation mnésique, mais
pas pour le rappel des souvenirs. Bien qu’il se trouve quelques controverses sur
l’étendue de l’amnésie rétrograde de H.M., il est indéniable que ce patient était
à même de se souvenir d’un certain nombre de faits étant intervenus avant son
opération, tels que la reconnaissance de personnes célèbres qu’il avait connues
avant, ou encore le sens des mots qu’il avait appris. Ceci implique alors que le
lobe temporal médian ne contribue pas au stockage des souvenirs, bien qu’il soit
néanmoins possible d’imaginer qu’une partie des engrammes puisse être locali-
sée dans ces structures. Le fait que sa mémoire de travail ait été plus ou moins
intacte signifie par ailleurs que les structures en charge de ce type de mémoire
ne sont pas liées à cette région cérébrale. Enfin, ce que nous apprend encore
l’amnésie de H.M. est que la formation des souvenirs d’une part, et leur réten-
tion d’autre part, des aspects procéduraux de sa mémoire ne sont également pas
concernés par le lobe temporal médian, suggérant que les mécanismes de cette
forme de mémoire sont différents de ceux de la consolidation de la mémoire
déclarative, et vraisemblablement de leur stockage.
Un modèle animal d’une forme d’amnésie humaine. L’amnésie de H.M.
représente un bon cas clinique pour suggérer qu’une ou plusieurs structures des
lobes temporaux médians sont essentielles à la formation de la mémoire décla-
rative. L’atteinte de ces structures se traduit par une amnésie antérograde sévère.
Les structures de la face médiane du lobe temporal, essentielles à la formation
des souvenirs, ont ainsi fait l’objet de recherches intensives. Ces études ont été
réalisées en utilisant la technique d’exérèse expérimentale pour vérifier si l’abla-
tion d’une partie donnée du lobe temporal affecte la mémoire.

2.  NdT : ce que l’on nomme aussi l’oubli « au fur et à mesure ».
862 4 – Neuroplasticité

Délai
variable

Figure 24.17 – Tâche de reconnaissance différée, avec non-appariement.


Le singe déplace d’abord un objet test pour obtenir de la nourriture située sous cet objet. Après un certain délai, ce sont deux objets qui sont présentés
à l’animal, et celui-ci doit alors déplacer le nouvel objet et non celui qu’il connaît déjà, pour obtenir la nourriture. Ceci constitue une tâche de reconnais-
sance différée dans le temps, avec non-appariement d’objet. (Source : adapté de Mishkin et Appenzeller, 1987, p. 6.)

Comme le cerveau du macaque ressemble beaucoup à celui de l’homme, les


singes sont généralement utilisés pour les travaux portant sur l’amnésie humaine.
Le plus souvent, les animaux sont soumis à un test dit de reconnaissance différée
avec non-appariement à la règle (delayed non-match to sample, DNMS), une variante
du test de reconnaissance différée présenté plus haut (Fig. 24.17). L’expérience
consiste à placer le singe devant une table présentant plusieurs emplacements à sa
surface. L’animal voit d’abord la table avec un objet situé dans l’un des emplace-
ments. L’objet peut être une boîte carrée ou une gomme (le modèle de stimulus).
On apprend ensuite au singe à déplacer l’objet pour trouver une récompense sous
forme de nourriture, placée dans l’emplacement recouvert par l’objet. Lorsque
le singe a trouvé la nourriture, un écran est disposé entre la table et le singe pour
qu’il ne la voie plus pendant un moment (le délai) ; puis en retirant l’écran l’ani-
mal est à nouveau capable de voir la table avec le même objet recouvrant le trou,
accompagné d’un autre totalement nouveau. Le singe doit alors déplacer le nouvel
objet (l’objet non apparié), et non celui qu’il a déjà vu, pour trouver la nourri-
ture-récompense placée sous le nouvel objet. Les singes apprennent en général
relativement facilement la tâche de non-appariement et l’accomplissent assez bien,
sans doute en raison de leur curiosité naturelle pour tout ce qui est nouveau. Si le
délai entre les deux phases du test ne dure pas plus de quelques secondes jusqu’à
10 minutes, le singe déplace correctement l’objet non apparié dans 90 % des essais.
Le test de DNMS fait appel à la mémoire de reconnaissance car il implique la capa-
cité à juger si le stimulus a déjà été présenté ou non.
Au début des années 1980, les expériences de Mortimer Mishkin et de ses
collègues du NIMH (National Institute of Mental Health), et de Larry Squire
et de son équipe de l’Université de Californie, San Diego, ont démontré que
les lésions bilatérales de la partie médiane du lobe temporal entraînaient des
troubles sévères dans l’accomplissement de la tâche de DNMS. Le test était en
fait presque normal si le délai de présentation entre la première phase de l’ex-
périence présentant le stimulus de référence et la seconde partie présentant les
deux stimuli était court (quelques secondes). Ce fait est important car il indique
que la perception était encore intacte chez les singes après l’ablation, et qu’ils se
souvenaient des modalités de la tâche de DNMS. Cependant, lorsque l’intervalle
de temps passait de quelques secondes à quelques minutes, les singes faisaient
de plus en plus d’erreurs dans le choix de l’objet non apparié (Fig. 24.18). Après
la lésion, les animaux ne parvenaient plus à se souvenir aussi bien de quel était
le premier objet, pour l’éviter dans la seconde phase de l’expérience et choisir
24 – Apprentissage et mémoire 863

l’autre. Leur comportement laisse penser que les animaux oubliaient le premier 100
objet si l’intervalle de temps était trop long. Le déficit de la mémoire de recon- Normal

Pourcentage de réponses correctes


naissance produit par la lésion n’était pas spécifique d’une modalité, puisqu’il 90
persistait si on laissait les singes toucher les objets, au lieu de les voir.
Les lésions temporales médianes expérimentales pratiquées chez le singe
80
paraissent ainsi constituer un bon modèle de l’amnésie humaine. Comme pour
H.M., l’amnésie affecte la mémoire déclarative plutôt que la mémoire procédu-
rale, elle est de caractère antérograde, elle n’affecte pas la mémoire de travail, 70
Animal lésé
et la consolidation mnésique est sévèrement affectée. Il faut cependant remar-
quer que les lésions expérimentales responsables des troubles de la mémoire de 60
reconnaissance étaient particulièrement étendues, et touchaient l’hippocampe,
l’amygdale et le cortex rhinal. Pendant un moment, il fut suggéré que les struc-
50
tures-clés atteintes par les lésions étaient l’hippocampe et l’amygdale. Souvenez- 8–10 15–30 60–70 2–10
vous, comme nous l’avons vu dans le chapitre 18, que l’amygdale joue un rôle s s s min
Longueur du délai
particulier dans les souvenirs ayant une connotation émotionnelle. Cependant,
des travaux récents ont bien montré que des lésions sélectives de l’amygdale n’af- Figure 24.18 – Performance d’un singe dans
fectent pas cette forme de mémoire, et que des lésions restreintes à l’hippocampe la tâche de reconnaissance différée.
produisent une amnésie relativement légère. Squire observa le cas d’un homme, L’axe des Y illustre le pourcentage de choix
connu comme le cas R.B., porteur d’une lésion bilatérale de l’hippocampe due corrects effectués par l’animal en fonction de
à une anoxie au cours d’une intervention chirurgicale. Il était clair que de nou- la longueur de l’intervalle entre les deux tests.
veaux souvenirs se formaient difficilement chez R.B., mais cette amnésie antéro- Les performances de l’animal sont comparées
grade était loin de ressembler à celle observée chez H.M. Des travaux plus récents à celles d’autres singes ayant subi de larges
ont en fait montré que les troubles de la mémoire les plus sévères résultent de lésions bilatérales du lobe temporal médian.
lésions du cortex périrhinal. L’amnésie antérograde résultant de lésions péri- (Source : adapté de Squire, 1987, Fig. 49.)
rhinales n’est pas spécifique d’une information liée à une modalité sensorielle
particulière, ce qui atteste de la convergence des informations sensorielles issues
de plusieurs des systèmes sensoriels vers le cortex associatif.
Avec l’hippocampe, le cortex siégeant dans et autour du sillon rhinal contribue
à une transformation radicale de l’information provenant des aires associatives du
cortex. Un certain nombre d’études suggèrent que l’hippocampe et le cortex rhinal
sont impliqués dans différents aspects de la mémorisation. L’hippocampe pourrait
notamment signaler qu’un objet particulier a déjà été vu (« je me souviens de cet
objet »), alors que le cortex périrhinal pourrait quant à lui intervenir plutôt pour
signaler que cet objet présente un caractère familier (« cet objet me semble familier
mais je ne me souviens de rien de particulier le concernant »). Là encore, de telles
considérations souffrent de controverses. Mais, quoi qu’il en soit, de façon constante,
les structures du lobe temporal médian apparaissent comme jouant un rôle critique
dans la consolidation mnésique. Il est également possible qu’elles représentent une
étape intermédiaire indispensable impliquant quelque chose d’autre que la conso-
lidation mnésique. Dans le cas de H.M., et peut-être de R.B., il y avait une forme
d’amnésie rétrograde. Il se pourrait alors que, en plus de la consolidation, les sou-
venirs soient stockés temporairement dans le cortex de la partie médiane des lobes
temporaux, à long terme ou à court terme, en fonction de l’expert auquel vous vous
adressez. Notre discussion sur les structures cérébrales impliquées dans l’amnésie
antérograde s’est focalisée sur le lobe temporal médian, mais il est également impor-
tant de noter que des lésions impliquant des structures qui lui sont liées dans diverses
régions cérébrales provoquent également des formes d’amnésie (Encadré 24.2).

Encadré 24.2 FOCUS

Le syndrome de Korsakoff et le cas de N.A.


Dans le chapitre 18 nous avons évoqué le circuit de dénommé fornix, qui connecte l’hippocampe aux corps
Papez, une série de structures interconnectées autour du mamillaires de l’hypothalamus (Fig. A). Les corps
diencéphale. L’une des composantes majeures de ce cir- mamillaires, en retour, projettent vers le thalamus anté-
cuit est représentée par un énorme faisceau d’axones rieur. Le noyau médiodorsal du thalamus reçoit des
864 4 – Neuroplasticité

Encadré 24.2 FOCUS  (suite)

afférences issues des structures du lobe temporal, dont mémoire. Du fait de leur perte d’appétit, les alcooliques
l’amygdale et le cortex inférotemporal, et il projette peuvent présenter une carence en thiamine, qui conduit
virtuellement sur toutes les régions du cortex frontal. à ce tableau clinique associé à des mouvements anor-
Du fait du rôle central des lobes temporaux dans maux des yeux, une perte de la coordination motrice et
les fonctions mnésiques, il n’est donc pas surprenant un tremblement. Cet état peut être traité par une supplé-
d’observer que des lésions de ces régions cérébrales diencé­ mentation en thiamine mais si les patients ne sont pas
phaliques se traduisent par différentes formes d’amnésie. traités, la carence en thiamine conduit aux lésions céré-
L’un des cas cliniques parmi les mieux documentés brales qui caractérisent le syndrome de Korsakoff.
et les plus dramatiques de lésions du diencéphale chez Toutefois, il existe des cas de syndrome de Korsakoff qui
l’homme, réfère à celui d’un homme connu comme le cas présentent des lésions bien différentes de celles du
N.A. En 1959, à l’âge de 21 ans, N.A. était technicien thalamus médiodorsal et des corps mamillaires.
radar dans l’U.S. Air Force. Un jour, alors qu’il travail- En plus d’une sévère amnésie antérograde, le syn-
lait tranquillement à monter une maquette dans son drome de Korsakoff peut dans certains cas présenter
baraquement, un de ses camarades de chambrée jouait une amnésie rétrograde beaucoup plus importante que
derrière lui avec un fleuret miniature. N.A. s’est retourné celle de H.M. ou de N.A. Il n’existe pas réellement de
au mauvais moment et a été transpercé par le fleuret. corrélation dans cette maladie entre l’amplitude de
Celui-ci pénétra par la narine droite et atteignit le l’amnésie antérograde et celle de l’amnésie rétrograde.
cerveau en direction de l’hémisphère gauche. Plusieurs Ceci est en accord avec la conclusion des autres études
années après, le patient a fait l’objet d’un examen par sur l’amnésie de façon générale, suggérant que les méca-
scanner, qui n’a révélé qu’une lésion du noyau dorsomé- nismes de la consolidation mnésique (affectés dans l’am-
dian du thalamus gauche, bien qu’il ait été considéré nésie antérograde) sont très différents de ceux impliqués
qu’il ait pu y avoir d’autres lésions. dans le rappel des souvenirs (ceux atteints dans l’amné-
Après récupération, les capacités cognitives de N.A. sie rétrograde). Ainsi, sur la base des observations d’un
furent considérées comme normales, mais sa mémoire petit nombre de cas cliniques comme celui de N.A., les
était affectée. Le patient présentait une amnésie antéro- chercheurs supposent que l’amnésie antérograde asso-
grade relativement sévère, ainsi qu’une amnésie rétro- ciée aux lésions diencéphaliques résulte des atteintes du
grade portant sur les deux dernières années avant l’acci- thalamus et des corps mamillaires. La situation paraît
dent. Bien qu’il ait pu être à même de reconnaître moins claire s’agissant de l’amnésie rétrograde liée au
quelques visages et se souvenir de certains événements syndrome de Korsakoff, dont les bases anatomiques
des années qui ont suivi cet accident, ses souvenirs sont encore questionnées. Mais dans ce cas, il existe de
étaient plutôt vagues. Il avait beaucoup de difficultés à nombreuses lésions associées touchant le cervelet, le
regarder la télévision, à cause des pauses publicitaires il tronc cérébral ou encore le néocortex.
perdait le fil de ce qui venait de se passer juste avant. En
un sens, il vivait dans le passé et préférait porter de vieux Fornix
vêtements usagés qui lui étaient familiers, et il avait
adopté une coupe de cheveux à l’ancienne.
Thalamus
L’amnésie de N.A. fut moindre comparée à celle de
H.M., mais les caractéristiques principales en étaient les
mêmes. La mémoire à court terme était préservée, ses sou-
venirs anciens également, et il ne montrait pas de signe
d’altération de son intelligence. Sa difficulté principale
était objectivement de former de nouveaux souvenirs, et il
était affecté par la perte des souvenirs des deux années
avant l’accident. Dès lors, il apparaissait de nombreuses
similarités entre les effets des lésions de H.M., impliquant
le lobe temporal médian, et celles de N.A., touchant le
diencéphale, ce qui suggérait que ces systèmes inter-
Amygdale
connectés sont en fait des éléments d’un même système Hippocampe
global contribuant à la consolidation des souvenirs. Corps mamillaires
D’autres éléments en faveur de la participation du
diencéphale à la mémorisation sont apportés par les Figure A – Structures cérébrales du diencéphale associées à la
études relatives au syndrome de Korsakoff. Le syndrome mémorisation.
de Korsakoff est en général lié à l’alcoolisme chronique Les structures du lobe temporal incluent l’hippocampe, l’amygdale et
et se caractérise par un état de confusion mentale, le cortex inférotemporal. Elles projettent vers le thalamus et l’hypo-
d’affabulation, une apathie, et de sévères troubles de la thalamus dans le diencéphale, incluant les corps mamillaires.
24 – Apprentissage et mémoire 865

Fonctions mnésiques du système hippocampique


La formation des souvenirs, leur rétention et leur rappel implique un système
complexe de diverses régions cérébrales interconnectées. De nombreux travaux
attestent du rôle considérable du lobe temporal médian dans la mémoire décla-
rative et, dans cette région cérébrale, c’est l’hippocampe qui a focalisé l’essentiel
des travaux. Mais, en dépit de tous ces efforts, il est encore difficile de savoir ce
qu’est précisément le rôle de l’hippocampe, du fait qu’il est impliqué dans diffé-
rentes formes de mémoire et sur des échelles de temps tellement variables. Pour
éviter de se perdre dans tout cela, il est nécessaire de préciser les quelques points
paraissant bien acquis. D’abord, l’hippocampe paraît jouer un rôle clé dans la
captation des informations sensorielles devant être mémorisées. Ensuite, de très
nombreux travaux, en particulier chez les rongeurs, ont montré que l’hippo-
campe intervient de façon critique dans les aspects de mémoire spatiale pour la
localisation dans l’espace des objets ayant une signification comportementale.
Ceci pourrait dès lors représenter une fonction très spécifique de l’hippocampe,
illustrant ce lien entre l’information sensorielle et la mémorisation. Finalement,
l’hippocampe est impliqué dans le stockage d’informations pour une durée qui
paraît limitée, même si ce point fait l’objet de discussions.
Conséquences de lésions hippocampiques chez le rat.  Les expériences sur
les rongeurs ont contribué de façon essentielle à l’élucidation du rôle de l’hippo-
campe dans la mémorisation et l’apprentissage. Dans l’un des protocoles expéri-
mental très connu, des rats apprennent à retrouver leur nourriture dans un laby-
rinthe à plusieurs branches disposées radialement. Mis au point par David Olton
et ses collègues de l’Université Johns Hopkins, le labyrinthe radial se compose
de plusieurs branches à partir d’un espace central (Fig. 24.19a). Un rat normal

(a)

(b) (c)

Figure 24.19 – À la poursuite d’un rat dans un labyrinthe radial.


(a) Labyrinthe radial à huit branches. (b) Trajet du rat au travers de ce labyrinthe dans le cas où
toutes les branches contiennent de la nourriture. (c) Si le rat apprend que seulement quatre des
branches contiennent de la nourriture, il va rapidement négliger celles qui n’en contiennent pas et
établir un trajet qui ne passe que par les branches dans lesquelles se trouve encore la nourriture.
(Source : adapté de Cohen et Eichenbaum, 1993, Fig. 7.4.)
866 4 – Neuroplasticité

va explorer ce labyrinthe jusqu’à ce qu’il trouve la nourriture placée à l’extré-


mité de chaque branche. Avec de l’entraînement, le rat trouve la nourriture plus
rapidement et ne parcourt qu’une seule fois chacune des branches (Fig. 24.19b).
Pour explorer toutes les branches du labyrinthe sans retourner deux fois dans la
même, le rat utilise des repères visuels du labyrinthe ou de son environnement.
La mémoire de travail est vraisemblablement utilisée ici pour retenir l’informa-
tion sur les branches déjà visitées.
Si les lésions sont pratiquées dans l’hippocampe avant que les rats ne soient
introduits dans le labyrinthe, ceux-ci se comportent différemment. D’une certaine
façon, ils paraissent normaux ; ils apprennent à parcourir les différentes branches
du labyrinthe et mangent la nourriture placée à l’extrémité de chacune. Mais,
contrairement aux rats normaux, ils ne parviennent jamais à apprendre cette
tâche rationnellement. Les rats porteurs de lésions de l’hippocampe explorent
plusieurs fois les mêmes branches du labyrinthe, même s’ils n’y trouvent pas
de nourriture, et délaissent pendant une période anormalement longue d’autres
branches où se trouve la nourriture. Apparemment les rats peuvent apprendre
une tâche puisqu’ils parcourent le labyrinthe pour trouver de la nourriture, mais
ils ne peuvent pas se rappeler quels chemins ils ont déjà explorés.
Une variante de l’expérience du labyrinthe révèle une subtilité significative
dans les perturbations causées par les lésions de l’hippocampe : de la nourriture
est placée à l’extrémité de certaines branches du labyrinthe et jamais dans les
autres. Avec un peu d’entraînement le rat normal apprend à éviter les branches
qui ne contiennent jamais de nourriture (Fig. 24.19c) et en même temps il trouve
plus rapidement la nourriture en ne parcourant qu’une seule fois celles où elle
se trouve. Que font les rats porteurs de lésions de l’hippocampe ? Curieusement,
comme les rats normaux ils peuvent apprendre à éviter les branches où il n’y a
jamais de nourriture, mais il leur faut cependant beaucoup plus de temps pour
trouver leur nourriture dans les autres branches car ils les parcourent chacune
plusieurs fois. Cela est étrange. Comment expliquer que la capacité à apprendre
l’emplacement des branches déjà explorées soit désorganisée par la lésion, alors
même que le rat est capable d’apprendre à éviter celles qui ne contiennent jamais
de nourriture ? Ces découvertes montrent à l’évidence que l’information concer-
nant les branches qui ne contiennent pas de nourriture est toujours la même
lorsque le rat est placé dans le labyrinthe, alors que l’information concernant
les branches déjà explorées, qui implique la mémoire de travail, varie d’un essai
à l’autre.
Mémoire spatiale, cellules de lieu et cellules de grille.  Quelques données
expérimentales suggèrent, qu’au moins chez le rat, l’hippocampe est particuliè-
rement important pour la mémoire spatiale. Le labyrinthe aquatique de Morris,
un test communément utilisé par les chercheurs qui étudient la mémoire spa-
tiale chez le rat, a été mis au point par Richard Morris à l’Université d’Edim-
bourg. Dans ce test, le rat est placé dans une piscine remplie d’un liquide opaque
(Fig. 24.20). À un endroit de la piscine se trouve placée une petite plateforme
juste sous la surface de l’eau, et donc invisible de l’animal qui nage, mais qui
lui permet toutefois de monter dessus pour échapper à l’eau lorsqu’il la trouve.
Un rat naïf placé dans ce dispositif va nager sans cesse, jusqu’à ce qu’il tombe
par hasard sur la plateforme dont il ignore l’existence et monte dessus. Les rats
normaux apprennent rapidement à localiser l’emplacement de la plateforme
en quelques essais, si bien que dès qu’ils sont placés dans la piscine, ils nagent
directement vers la plateforme sur laquelle ils se hissent rapidement. De plus,
les rats ainsi entraînés placés dans un autre dispositif de ce type trouvent plus
rapidement la plateforme dont la localisation est différente. Dans ce contexte,
il est remarquable que des rats porteurs de lésions bilatérales de l’hippocampe
n’apprennent jamais l’emplacement de la plateforme.
Quelles pourraient être alors les propriétés de neurones hippocampiques sus-
ceptibles de rendre compte de ces performances dans la navigation spatiale et
leur mémorisation ? Dans une série d’expériences fascinantes, qui ont débuté
au début des années 1970, John O’Keefe et ses collègues de l’University College
à Londres, ont montré que de nombreux neurones de l’hippocampe répondent
sélectivement lorsqu’un rat se trouve dans un endroit donné de son environne-
24 – Apprentissage et mémoire 867

Plateforme cachée sous l’eau


Piscine d’eau
rendue opaque

Figure 24.20 – Le labyrinthe aquatique


de Morris.
(a) Illustration d’une des trajectoires sui-
vie par un rat qui nage pour la première
fois dans la piscine avant d’atteindre la
plateforme cachée sous l’eau opaque.
(b) Après plusieurs essais, l’animal nage
quasi directement vers la plateforme dont
(a) Avant apprentissage (b) Après apprentissage il a appris à localiser l’emplacement.

ment. Supposons qu’une électrode soit placée dans l’hippocampe d’un rat qui se
déplace rapidement dans une grande cage. Le neurone est silencieux au début,
mais lorsque le rat se déplace vers le coin nord-ouest de la cage, la cellule com-
mence à décharger. Lorsqu’il s’éloigne de cet endroit particulier, la décharge s’ar-
rête ; lorsqu’il y retourne, la cellule est de nouveau activée. La cellule ne répond
que si le rat est dans ce coin précis de la cage (Fig. 24.21a). L’endroit qui évoque
la réponse la plus forte correspond au champ de réponse du neurone. En enre-
gistrant l’activité d’une autre cellule de l’hippocampe, il est possible de montrer
qu’elle a aussi son domaine de prédilection, par exemple qu’elle ne répond que
lorsque le rat se trouve au centre de la cage. Ces neurones ont ainsi été dénommés
cellules de lieu ou cellules de place.
D’une certaine façon, les champs de réponse représentant des sites particu-
liers de la cage sont comparables aux champs récepteurs des neurones des sys-
tèmes sensoriels. Ainsi le champ de réponse est en relation avec les informations
sensorielles, telles que des stimuli visuels de l’environnement. Dans l’expérience
du rat dans la cage, il est possible de placer des dessins au-dessus des quatre
coins : une étoile au-dessus du coin nord-ouest, un triangle au-dessus du coin
sud-est, etc. Prenons par exemple un neurone qui ne répond que lorsque le rat se
trouve dans le coin nord-ouest, près de l’étoile. Le rat est ensuite retiré de la cage.
Puis, à l’insu de l’animal, la cage fait l’objet d’une rotation de 180°, de sorte que le
triangle se trouve maintenant au-dessus du coin nord-ouest et l’étoile au-dessus
du coin sud-est. La cellule précédemment enregistrée va-t-elle répondre lorsque
l’animal est dans la partie nord-ouest de la cage (comme c’était le cas antérieu-
rement), ou dans la partie de celle-ci où se trouve maintenant l’étoile (le coin
sud-est) ? Le rat est dès lors replacé dans la cage et il commence son exploration :
le neurone est activé lorsque l’animal va dans le coin où se trouve l’étoile. Cette
expérience montre alors que, du moins dans certaines conditions, la réponse
dépend des stimuli visuels et des repères externes que le rat a mémorisés.
Il existe des similarités entre les cellules de lieu et les champs récepteurs, mais
aussi de grandes différences. Ainsi, lorsque l’animal s’est habitué à la cage avec
les images dessinées dans chaque coin, le neurone reste actif lorsque le rat se
déplace vers le coin nord-ouest, même si la lumière est éteinte pour que l’animal
ne puisse pas voir les marqueurs des lieux. Les réponses évoquées dans les cel-
lules de lieu sont associées à l’endroit où l’animal croit qu’il se trouve. S’il existe
des repères visuels évidents (l’étoile ou le triangle), les champs de réponse sont
basés sur ces indications. Mais s’il n’y a pas d’indications (si l’animal est dans
l’obscurité), les cellules de lieu gardent une spécificité de lieu tant que l’animal
explore l’environnement et qu’il réalise où il se trouve.
Il est possible que les cellules spécifiques d’un lieu, associées au codage du
lieu, jouent un rôle dans le test du labyrinthe à plusieurs branches disposées
radialement. Il est important de savoir que les champs de réponse sont dyna-
miques. Par exemple, si le compartiment dans lequel se trouve l’animal est main-
tenant de forme allongée selon un axe principal, les cellules de lieu devraient
s’étendre dans la même direction. Dans une autre manipulation, la première
868 4 – Neuroplasticité

Neurone 1

Séparation

(a)

Neurone 2

Séparation

(b)

Figure 24.21 – Cellules de lieu de l’hippocampe.


Un rat placé dans une cage à deux compartiments va être autorisé à explorer un seul d’entre eux
pendant 10 min (schéma de gauche) ; puis le dispositif servant à séparer les deux compartiments
est retiré, de telle manière que l’animal a alors la possibilité d’explorer tout l’espace (schémas du
centre et de droite). (a) Les couleurs indiquent la zone de la cage pour laquelle décharge une cellule
de lieu enregistrée au niveau de l’hippocampe ; rouge : forte décharge neuronale ; jaune : décharge
modérée ; bleu clair : réponse faible ; bleu foncé : pas de réponse. Cette cellule répond à un champ
situé dans la partie de la cage représentée en haut sur le dessin. Lorsque la séparation entre les
deux compartiments est supprimée, le champ de réponse reste le même. (b) Dans ce cas, la cellule
enregistrée n’est plus la même que dans la première partie de l’expérience. L’électrode enregistre
l’activité d’une cellule qui ne répond pas lorsque l’animal se trouve dans le champ délimité précé-
demment (à gauche). Après 20 min, une réponse de lieu se développe, en rapport avec le champ
plus large que l’animal trouve à sa disposition (au centre et à droite). (Source : adapté de Wilson et
McNaughton, 1993, Fig. 2.)

partie de l’expérience vise à ce que l’animal explore son environnement et éta-


blisse ainsi diverses cellules de lieu. Puis, dans une seconde phase de l’expérience,
un trou est dévoilé dans le compartiment, permettant à l’animal d’explorer un
espace plus important. Initialement, il ne se trouvait aucune cellule de l’hip-
pocampe répondant à cet espace en dehors de celui correspondant au premier
compartiment, mais après que l’animal ait exploré ce nouvel espace, d’autres
cellules ont été créées pour répondre à ce nouvel environnement (Fig. 24.21b).
Il semble que ces cellules apprennent, en ce sens que leurs champs de réponse se
modifient pour s’adapter au nouvel environnement. Il est dès lors facile d’imagi-
ner que des cellules de ce type sont impliquées dans le rappel des branches déjà
explorées dans le test du labyrinthe, à la manière dont vous vous souvenez des
repères que vous avez laissés lorsque vous rentrez d’une longue randonnée dans
les bois. Si les cellules de lieu sont impliquées dans l’exploration du labyrinthe,
il est alors plus facile de comprendre que l’exécution de la tâche se dégrade si
l’hippocampe est atteint.
L’une des questions qui reste en suspens est de savoir s’il existe ou non des cel-
lules de lieu chez l’homme. Les études d’imagerie fonctionnelle en TEP montrent
cependant que l’hippocampe humain est activé dans des situations impliquant
une navigation virtuelle ou imaginée dans l’environnement. Dans l’une de ces
expériences, les sujets, positionnés pour un enregistrement dans la caméra, sont
placés face à un écran d’ordinateur sur lequel ils peuvent visualiser des films
vidéo. Ils peuvent ainsi se déplacer virtuellement à leur choix, par exemple dans
une ville, en utilisant des boutons de navigation à droite, à gauche, etc., au fur et à
mesure de l’avancée du film (Fig. 24.22a). Après avoir appris un trajet vers un but
24 – Apprentissage et mémoire 869

dans une ville virtuelle qu’ils ne connaissent évidemment pas, l’enregistrement


de l’activité cérébrale débute lors de l’un de ces déplacements virtuels vers le but
assigné par l’expérimentateur. Dans les conditions standards, le sujet est guidé
au travers de la ville par des flèches apparaissant sur l’écran qui « balisent » le
trajet. Dans ce cas, les sujets n’ont pas à se souvenir du trajet pour atteindre leur
objectif virtuel.
La figure 24.22b illustre la différence d’activation cérébrale par rapport à la
condition standard lorsque, au contraire, le sujet doit « naviguer » de lui-même
dans son environnement. C’est principalement au niveau de l’hippocampe situé
(a)
dans l’hémisphère droit et de la queue du noyau caudé du côté gauche que l’on
note les activations les plus importantes. Cette asymétrie dans l’activation des
deux hémisphères constitue une observation intéressante, systématiquement
notée dans ce type d’expérience, mais le résultat principal est bien lié à l’activa-
tion de l’hippocampe dans cette tâche de navigation spatiale des sujets humains,
exactement comme cela a été observé chez le rat. L’activation du noyau caudé,
quant à elle, est supposée refléter la planification du mouvement à réaliser pour
suivre le trajet.
De façon intéressante, de telles expériences sur le rôle de l’hippocampe ont
été réalisées sur des chauffeurs de taxi de Londres, qui doivent apprendre la
(b)
localisation d’un nombre incalculable de lieux et même apprendre globalement
les quelque 25 000 noms de rues pour obtenir leur licence, suite à un examen Figure 24.22 – Activation du cerveau humain
très rigoureux. Dans l’une des expériences, il apparaît que ces chauffeurs de taxi en rapport avec un déplacement « virtuel ».
londoniens possèdent un hippocampe postérieur plus développé que la normale, (a) Une ville « virtuelle » défile sur un moni-
alors que la partie antérieure de cette structure est moins développée. La taille teur d’ordinateur devant un sujet positionné
de la partie postérieure de l’hippocampe parait également en rapport avec leur pour un enregistrement dans une caméra à
ancienneté en tant que chauffeur de taxi. positrons (TEP). Le sujet utilise les boutons
de navigation d’une console de jeu vidéo
Mais alors, si l’hippocampe est effectivement impliqué dans la navigation pour choisir son trajet vers un objectif et « se
spatiale, les lésions de cette structure sont-elles à même d’impacter la qualité des déplacer » dans cet environnement. (b) Cette
déplacements ? Un cas intéressant nous est fourni par le patient connu comme image illustre en section frontale l’augmenta-
T.T., porteur d’une lésion hippocampique bilatérale suite à une encéphalite, tion d’activité (en jaune) observée au cours de
après qu’il ait eu une carrière de plus de 40 années en tant que chauffeur de taxi cette tâche de navigation au niveau de l’hip-
à Londres. Suite à ces lésions, T.T. conservait une très bonne connaissance des pocampe droit, ainsi que dans la queue du
différents sites caractéristiques de la ville et de leur disposition topographique. noyau caudé situé dans l’hémisphère gauche.
Ses capacités à se déplacer dans Londres furent alors testées grâce à un dis- (Source : Maguire et al., 1998, Fig. 1.)
positif de navigation virtuelle. Les chercheurs ont noté que T.T. était parfois
capable de conduire son véhicule virtuel d’un point à un autre de la cité, mais que
d’autres fois il déviait de ce qui était considéré comme sa trajectoire naturelle. Ils
conclurent que le chauffeur était à même de se comporter plus ou moins norma-
lement tant qu’il utilisait les axes principaux, mais qu’il était rapidement perdu
lorsqu’il s’agissait d’utiliser des voies secondaires ou des petites rues, comme
s’il avait perdu la représentation fine de la topographie de la ville de Londres.
D’autres études du même type utilisant des jeux vidéo ou les rues de Londres ont
suggéré que l’hippocampe joue un rôle majeur en ce qui concerne la mémoire
spatiale, y compris chez l’homme, en accord avec ce qui avait été compris des
études chez le rat après lésion de l’hippocampe.
En plus des cellules de lieu de l’hippocampe, des enregistrements effectués
chez les rongeurs ont contribué à identifier dans le cortex entorhinal ce qui a
été nommé des cellules « de grille ». Ces cellules, découvertes par Edvard et
May-Britt Moser3 et leurs collègues à l’Université Norvégienne des Sciences
et Technologies (Encadré 24.3), présentent également une sélectivité spatiale.
Cependant, contrairement aux cellules de lieu, les cellules de grille répondent
lorsque l’animal se déplace en de multiples points du compartiment qu’ils
explorent, formant une sorte de grille hexagonale (Fig. 24.23). Les neurones
dans différentes régions du cortex entorhinal diffèrent en contribuant à des
« hot-spots » de la grille, mais la sensibilité de chacune de ces cellules réunies
couvre l’ensemble de l’espace parcouru par l’animal.

3.  NdT : Edvard et May-Britt Moser ont reçu conjointement avec John M. O’Keefe le prix
Nobel de physiologie et médecine en 2014 pour l’ensemble de leurs travaux sur les cellules de
place.
870 4 – Neuroplasticité

Encadré 24.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Comment le cerveau forme les représentations


Par Edvard et May-Britt Moser

Nous avons grandi tous les deux sur une prendre comme étudiants dans son labora-
île éloignée de la côte Ouest de la Norvège, toire. Il ne pouvait décemment pas quitter
à environ 300 km de Bergen. Ce n’était pas son laboratoire… et nous ne pouvions pas
vraiment un endroit propice pour un déve- accepter une réponse négative ! Finalement,
loppement académique, ou même pour une persuadé de notre furieuse envie de travail-
compétition intellectuelle. Mais notre inté- ler avec lui et de notre détermination sans
rêt pour les sciences fut nourri par nos limite, il a donné son accord.
parents, qui n’avaient pas eu la chance de Per Andersen est devenu notre directeur
recevoir eux-mêmes une éducation dans ce de thèse et nous a initiés aux mystères du
domaine. Nous avons fréquenté le même cerveau. Nous avons appris à nous focaliser
lycée mais nous ne nous sommes pas réelle- Edvard et May-Britt sur des questions fondamentales qui ouvraient
ment connus à cette époque, jusqu’à ce que Moser
des perspectives larges. Par l’intermédiaire de
nous nous retrouvions à l’Université d’Oslo, dans les Per Andersen, nous avons été mis en contact avec
années 1980. Richard Morris à l’Université d’Edinbourg et John
Sans plan de carrière préétabli et avec des formations O’Keefe à l’University College de Londres. Richard et
scientifiques initiales différentes, nous nous sommes John furent les deux meilleurs mentors que nous puis-
rencontrés en préparant notre licence de psychologie. La sions espérer. Ils nous ont guidés dans les mystères des
psychologie a littéralement allumé et renforcé notre fas- relations entre comportement et neurosciences. C’est
cination pour le cerveau, et nous avons décidé de pour- ainsi que durant notre thèse de doctorat nous avons ren-
suivre ensemble nos études dans le but d’en apprendre contré Richard à plusieurs reprises dans son laboratoire
davantage sur les bases neuronales des comportements. pour participer à des travaux sur les fonctions de l’hip-
Il n’y avait pas de cursus de neurosciences à l’Université pocampe et sur le rôle de la potentialisation à long terme
d’Oslo, mais Carl-Erik Grenness, qui enseignait les (PLT) dans la consolidation mnésique. Après la soute-
bases du comportement, nous a donné l’occasion d’ap- nance de notre thèse de doctorat fin 1995, nous avons
prendre les bases des relations cerveau-comportement, passé quelques mois à Londres avec John pour tenter de
telles qu’elles se concevaient à cette époque. Il nous a caractériser les cellules de lieu de l’hippocampe. Ce fut
aussi fourni un exemplaire d’un numéro spécial de probablement la période la plus riche de toute notre for-
Scientific American de 1979, traitant du développement mation. Et en 1996 nous étions en voie d’être recrutés à
des neurosciences. Durant notre errance dans ce désert, Trondheim, mais nous ne pouvions pas accepter si seu-
ce fut comme une manne tombée du ciel ! Ce numéro lement l’un de nous deux était recruté. Nous avons donc
spécial nous a transmis son enthousiasme pour ce négocié pour avoir deux postes et l’équipement néces-
domaine de recherche et nous a attirés vers cette disci- saire pour monter un laboratoire. Nous nous sommes
pline en évolution si rapide. Parmi les avancées les plus ainsi littéralement installés dans un abri datant de la
marquantes rapportées dans ce fascicule, on y trouvait période des bombardements, dans les sous-sols de l’uni-
les travaux de Eric Kandel sur les mécanismes synap- versité. Notre expérience en tant que post-doctorant
tiques de la mémoire chez l’aplysie, et ceux d’Hubel et avait plutôt été limitée, mais avec ce qui nous était offert
Wiesel sur le développement du cortex visuel. nous avions largement la possibilité de combiner ce que
Grenness nous a adressés à Torje Sagvolden, l’unique nous avions appris sur le comportement animal avec les
psychologiste de l’université qui travaillait dans le approches de la neurophysiologie, réalisant ainsi notre
domaine des neurosciences à ce moment-là. Nous avons rêve des années 1980. Nous avons commencé à enregis-
travaillé avec lui sur les mécanismes neurochimiques du trer l’activité de neurones de l’hippocampe à l’aide
déficit attentionnel et de l’hyperactivité chez l’enfant d’électrodes implantées dans le cerveau de rats parcou-
pendant deux années, en même temps que nous termi- rant un compartiment carré dans le noir.
nions nos études de psychologie. Nous avons été initiés Nos débuts à Trodheim furent difficiles mais nous
aux bases du comportement animal et à la manière avons apprécié cette période. Il n’y avait pas d’animale-
d’aborder scientifiquement les questions qui lui sont rie, pas de workshop et aucun technicien. Nous devions
relatives. Ces travaux nous ont conduits à développer un tout faire par nous-mêmes, y compris nous occuper de
intérêt croissant pour le comportement animal et c’est nettoyer les cages et de nourrir les animaux, mais aussi
ainsi que nous avons rencontré Per Andersen, le grand faire les études d’histologie et réparer les câbles du poste
neurophysiologiste de Norvège. Nous avons discuté avec d’enregistrement. Partir de zéro nous a aussi permis de
lui pendant des heures, tentant de le persuader de nous concevoir le poste expérimental que nous souhaitions.
24 – Apprentissage et mémoire 871

Encadré 24.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Alors même que nous débutions ces travaux, nous les neurones du cortex entorhinal, à la manière des cel-
avons reçu une aide de la Commission Européenne pour lules de lieu de l’hippocampe, déchargeaient en rapport
coordonner un consortium de quelques groupes de avec le déplacement des animaux dans un endroit parti-
chercheurs, formant un réseau international, dont l’acti- culier de leur compartiment. Ce qui les différenciait,
vité était centrée sur l’étude de l’activité de l’hippocampe toutefois, est que dans le cas du cortex entorhinal les
et de son implication dans les processus mnésiques. cellules déchargeaient en rapport avec plusieurs empla-
Jusqu’à la fin des années 1990, ceci constituait un terri- cements de la cage. Après de multiples observations,
toire vierge et l’un des tout premiers objectifs était de nous avons alors été convaincus que ces différents empla-
tenter de savoir comment l’activité des cellules de lieu cements dans la cage qui activaient les neurones, for-
était intégrée, en rapport avec la mémoire spatiale. Les maient un pattern caractéristique représenté par une
cellules de lieu de l’hippocampe étaient connues depuis grille hexagonale, un peu à la manière d’un damier
1971 par les travaux de John O’Keefe, traduisant des chinois en marbre. Chaque cellule déchargeait selon ce
neurones dont l’activité ne se déployait que lorsque modèle, avec des patterns caractéristiques pour chacune
l’animal se trouvait dans un emplacement particulier du d’entre elles. Les neurones paraissaient organisés topo-
compartiment. Mais ce qui n’était pas clair était de graphiquement, en ce sens que la taille et la distance
savoir si cette activité neuronale particulière avait pour entre les points de grille augmentait des parties dorsales
origine l’hippocampe lui-même ou bien si elle était liée à vers les parties ventrales. De plus, les cellules mainte-
l’activité d’une autre structure. Pour répondre à cette naient des relations entre elles, y compris lorsque l’envi-
question nous avons procédé à des lésions intrahippo- ronnement de l’animal était modifié, suggérant qu’il
campiques qui avaient pour objectif d’interrompre les existait des caractéristiques quasi universelles dans cette
informations issues de CA1 et de déconnecter ces neu- carte de représentation de l’espace, une carte qui, par
rones de ceux qui les contactaient en amont. À notre bien des aspects, reproduisait au travers de l’activité des
grande surprise, les lésions n’affectaient pas l’activité neurones les détails les plus fins de l’environnement dans
des cellules de lieu de CA1. Puis, il a fallu nous attaquer lequel se déplaçait l’animal. Au travers de cette stricte
à démontrer que le signal spatial pouvait avoir une ori- régularité, les neurones du cortex entorhinal présen-
gine extrinsèque, vraisemblablement dans une région ou taient des caractéristiques permettant d’évaluer les dis-
une autre du cortex entourant l’hippocampe. Le candi- tances, ce qui n’a jamais été trouvé dans l’hippocampe.
dat le plus probable était le cortex entorhinal, une région Ces découvertes ont fait l’objet d’une série de publi-
corticale qui projetait directement sur les neurones de cations qui a débuté en 2004, à peine deux ans après que
CA1. nous ayons publié les travaux sur l’hippocampe. Le
Nous avons alors débuté nos enregistrements dans concept de cellule de grille a été publié en 2005, et depuis
cette région avec l’aide précieuse de Menno Witter, un nous avons poursuivi nos travaux pour mieux caractéri-
neuroanatomiste qui travaillait à cette époque à l’Uni- ser cette organisation, pour mieux comprendre qu’elle
versité Libre d’Amsterdam, et qui devint ensuite membre était l’origine de cette activité et comment elle interagit
de l’Institut Kalvi de Trondheim. À cette époque Witter avec les autres types de neurones aux caractéristiques
avait travaillé sur les relations entre le cortex entorhinal spatiales. Il reste encore beaucoup d’inconnues. Les cel-
et l’hippocampe, et il nous a aidés de façon détermi- lules de grille nous ont permis de mieux comprendre les
nante à mieux positionner nos électrodes dans le cortex. bases neuronales de la représentation de l’espace, mais
À partir de 2002, notre groupe s’est développé et nous elles nous permettent également de nous fournir une
avons aujourd’hui une équipe remarquable d’étudiants sorte de fenêtre sur le cerveau pour mieux appréhender
travaillant à nos côtés dans le laboratoire pour analyser plus généralement comment il fonctionne. Peut-être que
les données. la découverte la plus fascinante que nous avons faite
Parfois, les découvertes scientifiques sont caricaturi- concerne ce pattern hexagonal qui paraît généré par le
sées par un « Euréka ! » où le chercheur comprend sou- cortex lui-même ? De fait, il n’existe pas un tel pattern
dainement le sens de ce qu’il a trouvé. Ce ne fut absolu- dans le monde qui nous entoure, et c’est donc bien le
ment pas le cas en ce qui nous concerne, et nous n’avons cerveau lui-même qui génère ce pattern. Et du fait qu’il
objectivement absolument pas réalisé que ce que nous soit si reproductible et si régulier, il est à même de nous
enregistrions correspondait à ce qui est nommé fournir d’autres éléments sur les capacités intégratrices
aujourd’hui « cellule de grille ». Nous avions noté que du cerveau.
872 4 – Neuroplasticité

(a) (b)

Figure 24.23 – Cellule de lieu et cellule de grille chez le rat.


Les lignes de couleur noire illustrent les déplacements du rat dans un compartiment carré. Les
points de couleur rouge indiquent les emplacements du rat dans la cage pour lesquels l’activité
du neurone augmente. (a) Cette cellule de lieu de l’hippocampe répond lorsque l’animal se trouve
dans un endroit particulier du compartiment, nommée pour cela cellule « de lieu ». (b) Une cellule
« de grille » du cortex entorhinal est activée lorsque le rat se trouve à plusieurs emplacements de
la cage, ces emplacements formant entre eux un pattern caractéristique. (Source : Moser et al.,
2008, Fig. 1.)

Une expérience récente suggère que de tels neurones pourraient également


exister dans le cortex entorhinal humain. Si à la figure 24.23 vous tracez des
lignes recoupant les « hot-spots » de la grille, vous verrez que, pour un axe donné,
plusieurs de ces points particuliers seront recoupés, de telle manière que se for-
ment des lignes diagonales, de la partie basse à gauche jusqu’à la partie droite en
haut. Si maintenant vous tracez une ligne en tournant dans le sens des aiguilles
d’une montre en reliant ces points, vous trouverez une variation périodique du
nombre de « hot-spots » reliés par ces lignes. Ces données suggèrent que si un
rat ou une personne se déplacent dans différentes directions, de telles cellules de
grille pourraient être activées plus fréquemment, traduisant une augmentation
d’activité globale dans le cortex entorhinal dans certaines directions privilégiées
par rapport à d’autres. Cette idée a été testée par Christian Doeller, Caswell
Barry et Neil Burgess à l’University College London, en faisant se déplacer vir-
tuellement des sujets dans un dispositif de réalité virtuelle tout en enregistrant
leur activité cérébrale par IRMf. Les enregistrements effectués dans ce contexte
montrent une variation sinusoïdale de l’amplitude du signal d’IRMf dans le
cortex entorhinal lorsque les sujets se déplacent virtuellement dans différentes
directions. Ceci suggère alors la présence de telles cellules de grille dans le cortex
humain, présentant des « hot-spots » alignés de façon similaire dans l’espace.
Souvenez-vous que le cortex entorhinal est à l’origine d’informations trans-
mises à l’hippocampe. Différents modèles suggèrent que les cellules de lieu de
l’hippocampe résultent de la sommation d’informations provenant des cellules
de grille. Un neurone de lieu de l’hippocampe serait ainsi l’emplacement sur
lequel convergerait l’information issue de plusieurs cellules de grille du cortex
entorhinal. Comme les cellules de lieu, les cellules de grille continuent à déchar-
ger lorsque l’animal est placé dans l’obscurité. Ceci suggère alors que, plutôt que
de représenter un simple champ récepteur sensoriel, la réponse des neurones est
basée sur l’emplacement où l’animal estime qu’il se trouve. Considérées dans
leur ensemble, les cellules de lieu, les cellules de grille et d’autres neurones hip-
pocampiques associés également sensibles à la direction de la tête, forment un
dispositif parfaitement adapté, très spécialisé pour la navigation spatiale.
Fonctions hippocampiques au-delà de la mémoire spatiale.  En considérant
tout ce que nous avons avancé sur le rôle de l’hippocampe, il serait possible de
conclure que ce rôle est bien défini. De fait, nous avons vu que les performances
des rats dans le labyrinthe radial, qui sont basées sur la mémorisation de la
position des bras déjà explorés, sont fortement altérées par les lésions hippocam-
piques. Ensuite, les réponses des cellules de lieu de l’hippocampe, considérées
comme un ensemble avec les cellules de grille du cortex entorhinal, suggèrent
que ces neurones sont effectivement spécialisés pour la mémoire de la repré-
24 – Apprentissage et mémoire 873

sentation de l’environnement. Ces données sont en accord avec la théorie des


cartes cognitives proposée par O’Keefe et sa collègue Lynn Nadel, postulant
que l’hippocampe est spécialisé dans la création de représentations spatiales de
l’environnement. En un sens, il est de fait indéniable que l’hippocampe, au moins
chez le rat, paraît jouer un rôle critique dans la mémoire spatiale.
D’autres auteurs, cependant, objectent que ceci n’est pas le seul rôle, ni la
meilleure description de ce que l’hippocampe peut faire. Dans son étude origi-
nale, Olton montrait que l’un des effets de la lésion de l’hippocampe était une
altération de la mémoire de travail. Les rats n’étaient plus capables de retenir une
information qui venait de leur être délivrée à propos des branches du labyrinthe
qu’ils venaient de parcourir. Par conséquent, l’hippocampe pourrait également
intervenir dans la mémoire de travail. Ceci pourrait expliquer pourquoi les rats
lésés peuvent éviter les branches du labyrinthe qui n’ont jamais contenu de la
nourriture, mais ne se souviennent plus des branches qu’ils viennent de visiter.
Il est ainsi possible qu’avec l’entraînement l’information selon laquelle telle ou
telle branche ne contient pas de nourriture ait été conservée à long terme, mais
la mémoire de travail paraît bien indispensable pour savoir quelle branche du
labyrinthe déjà visitée contenait de la nourriture.
D’autres théories ont été avancées, basées quant à elles sur des observations
selon lesquelles l’hippocampe est à même d’intégrer ou d’associer certaines infor-
mations sensorielles à des comportements essentiels. Par exemple, au moment
où vous parcourez ce livre, vous formez des souvenirs multiples ; sur des faits
spécifiques, sur des illustrations qui ont particulièrement attiré votre œil, sur des
passages de texte intéressants pour vous, voire même sur l’organisation de telle
ou telle page, ou même encore sur des bruits qui ont pu se produire autour de
vous alors que vous étiez en train de lire. Peut-être encore avez-vous recherché
un passage de cet ouvrage simplement en vous rappelant de la disposition de la
figure et du texte d’une page particulière ? Un autre exemple très commun est
lié à la façon dont le souvenir d’un élément particulier, par exemple le générique
d’une émission de télévision populaire, est à même de faire ressurgir à votre
esprit divers épisodes de cette émission et des personnages qui y figurent, et
jusqu’à votre salon dans lequel vous aviez l’habitude de regarder cette émission,
y compris les amis avec lesquels vous assistiez à ce spectacle. L’interconnectivité
est ainsi l’un des éléments clé du stockage de la mémoire déclarative4.
La discrimination des odeurs fournit un exemple de l’implication de l’hippo-
campe dans des tâches qui ne sont pas entièrement basées sur la mémoire spa- Orifice
A
tiale. Dans l’une de ces tâches, la cage dans laquelle se trouve l’animal est munie
de deux entrées d’odeurs différentes (Fig. 24.24). Pour chaque paire d’odeurs,
Odeur 1
l’animal est entraîné à se déplacer vers le dispositif délivrant une odeur parti-
culière et à éviter la seconde. Les résultats montrent que certains neurones de
Odeur 2
l’hippocampe deviennent sélectivement sensibles à des paires d’odeurs particu-
lières. De plus, ces neurones deviennent sélectifs de l’odeur particulière délivrée à Orifice
un dispositif donné. Ils peuvent ainsi répondre fortement à une odeur 1 couplée B
au dispositif A et à l’odeur 2 couplée au dispositif B, mais jamais lorsque les
Figure 24.24 – Expérience de discrimination
odeurs sont délivrées par les dispositifs inverses. Ces données indiquent alors
des odeurs.
que les réponses des neurones hippocampiques sont en rapport avec des odeurs Pour différentes combinaisons d’odeurs, les
spécifiques, avec un certain site où elles sont délivrées, et avec le fait qu’elles sont rats sont entraînés à se déplacer vers la source
présentées de façon séparée ou plutôt par paires. Bien entendu, il a également d’une de ces odeurs pour éviter l’autre entrée
été démontré que des lésions hippocampiques affectaient considérablement cette d’odeur dans la cage de test. (Source : adapté
capacité de discrimination ainsi largement dégradée. de Eichenbaum et al., 1988, Fig. 1.)

4.  NdT : ce processus est à même de faciliter le rappel des souvenirs. À la demande de la
personne qui pose la question susceptible d’aider à trouver la réponse en fournissant un indice,
ou spontanément à partir d’un élément venant à l’esprit qui joue le rôle de cet indice, toute une
série de souvenirs sont susceptibles de surgir. Cette procédure est connue sous le terme de
« rappel indicé » et contribue à rendre compte du fait que lorsque les éléments recherchés sont
en lien les uns avec les autres, les performances dans les tests de rappel sont bien meilleures
que lorsque les éléments sont indépendants.
874 4 – Neuroplasticité

En résumé, l’ensemble des travaux que nous avons présentés sur le rôle de
l’hippocampe montrent d’abord, en rapport avec ce qui avait été avancé sur la
base des travaux sur le patient H.M., que l’hippocampe joue un rôle critique
dans la consolidation mnésique des faits et des événements. Deuxièmement, l’en-
semble des données obtenues sur les rongeurs mais aussi sur l’homme, indique
que l’hippocampe intervient particulièrement en ce qui concerne la mémoire
spatiale. Les enregistrements chez l’homme montrent en plus que les neurones
de l’hippocampe présentent parfois une sélectivité surprenante pour les per-
sonnes ou les objets qui nous sont les plus familiers. Troisièmement enfin, les
neurones de l’hippocampe paraissent former des associations entre les informa-
tions sensorielles, y compris lorsque ces informations ne sont pas relatives à la
mémoire spatiale. L’une des idées qui émerge de l’ensemble de ces travaux est
que l’hippocampe associe en plus les différentes expériences sensorielles entre
elles. L’hippocampe reçoit un large spectre d’informations sensorielles de toutes
sortes, et peut ainsi construire des représentations sous forme de souvenirs nou-
veaux en intégrant toutes ces expériences sensorielles liées à un événement parti-
culier (comme par exemple le générique de l’émission de télévision est associé à
un lieu et à des personnes particulières). L’hippocampe pourrait aussi jouer un
rôle essentiel en associant les nouveaux souvenirs avec ceux déjà en mémoire,
plus anciens. Il a ainsi été proposé que les informations issues des cellules de
grille du cortex entorhinal fourniraient à l’hippocampe des indications sur le
« où », alors que d’autres informations afférentes à la structure permettraient
d’avoir des indications sur « quel » souvenir. Ainsi les nouvelles associations
d’activité neuronales construites, puis mémorisées dans l’hippocampe, pour-
raient effectivement contribuer à établir des souvenirs sur « ce qui est arrivé et
où c’est arrivé ».

Consolidation mnésique et bases de l’engramme


Il existe de nombreuses évidences que la mémoire déclarative implique un
réseau de structures interconnectées, de la captation des informations senso-
rielles à la formation de souvenirs susceptibles de rappel, en passant par la for-
mation des associations entre toutes ces informations ayant un rapport entre
elles, et jusqu’à la consolidation de ces apprentissages. Les principales structures
de ce système impliquent l’hippocampe et les aires corticales qui lui sont asso-
ciées, mais aussi le diencéphale, le néocortex et sans doute aussi d’autres régions
cérébrales. Les questions abordées maintenant sont relatives à la dimension tem-
porelle de ces processus. Quand et où les souvenirs sont-ils stockés sous une
forme permanente ? Combien de temps faut-il pour qu’un souvenir devienne
permanent ? Est-ce que les engrammes de ces souvenirs changent de localisation
dans le cerveau avec le temps qui passe ? Est-ce que les expériences ultérieures
affectent, augmentent ou dégradent les souvenirs ?
Modèles conventionnels et multiples de la consolidation mnésique.  Depuis
les travaux sur H.M., un modèle de la consolidation mnésique et du stockage
des souvenirs a été développé. Ce modèle est connu comme le « modèle standard
de la consolidation mnésique ». Selon ce modèle, l’information provient des aires
du néocortex associées aux systèmes sensoriels, et se trouve ensuite transmise au
lobe temporal médian pour y être transformée (notamment dans l’hippocampe).
Comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre 25, des modifications de
l’état de certaines synapses sont à l’origine des premières traces de ces souvenirs
par consolidation synaptique (Fig. 24.25a). À la suite de ce processus de conso-
lidation synaptique, ou peut-être en partie au même moment, des systèmes de
consolidation interviennent, au cours desquels les engrammes sont progressive-
ment transférés dans différentes régions du néocortex (Fig. 24.25b). C’est alors
dans ces aires corticales, dans leur diversité, que sont stockés les engrammes per-
manents de ces souvenirs. Avant que n’intervienne la consolidation mnésique,
le rappel des souvenirs implique l’hippocampe, ce qui n’est plus le cas après
l’intervention des systèmes de consolidation. Dans cette situation, l’hippocampe
n’est plus requis pour le rappel des souvenirs.
24 – Apprentissage et mémoire 875

Néocortex

Hippocampe

(a)

Néocortex Néocortex

Hippocampe Hippocampe

(b) (c)

Figure 24.25 – Deux modèles de consolidation mnésique.


(a) Dans les deux modèles, standard et à traces multiples, la formation des souvenirs est initiée par des changements synaptiques dans l’hippocampe.
Sur cette représentation schématique, les neurones de l’hippocampe interagissent avec ceux de trois régions largement distribuées du néocortex.
(b) Dans le modèle standard, une trace de caractère temporaire est formée dans l’hippocampe par un mécanisme de consolidation synaptique, et
ces engrammes se développent ensuite dans le cortex par des mécanismes similaires. Au fil du temps, les souvenirs dépendent plus des connexions
établies dans le néocortex (lignes en traits pleins) que de celles existant dans l’hippocampe (lignes pointillées). (c) Dans le modèle à traces multiples,
les engrammes des souvenirs relatifs à la mémoire épisodique impliquent à la fois l’hippocampe et le néocortex (toutes les lignes sont en traits pleins).
Les lignes de couleur rouge et verte représentent deux traces du même souvenir formées dans des contextes quelque peu différents.

De nombreuses observations expérimentales ou cliniques sont en accord


avec ce modèle « standard », mais un certain nombre de questions persistent
pour savoir s’il s’agit là du meilleur moyen de contribuer à la consolidation des
souvenirs. L’un des points critiques concerne la durée de l’amnésie rétrograde.
À titre d’illustration, les premiers travaux sur H.M. faisaient état d’une amnésie
rétrograde portant sur quelques années avant l’intervention neurochirurgicale.
L’interprétation de ces données a été de dire que la consolidation synaptique
intervient très vite mais que, en revanche, l’intervention des systèmes de conso-
lidation prend des années. De fait, il a été considéré que les souvenirs perdus
876 4 – Neuroplasticité

de H.M. étaient ceux qui n’avaient pas encore été transférés définitivement au
néocortex ; en d’autres termes, que ces souvenirs étaient encore dépendants de
l’activité de l’hippocampe. Mais des travaux ultérieurs ont examiné plus en détail
ce déficit mnésique chez H.M., et ils ont conclu qu’en fait l’amnésie rétrograde
ne portait pas sur des années mais plutôt sur des décades. Il a été alors imaginé
que la consolidation mnésique constituait un processus très lent, qui pouvait
s’étendre sur des dizaines d’années. Toutefois, certains chercheurs ont objecté
qu’un tel processus n’avait guère de sens si l’on considérait par exemple que
jusqu’à une période relativement récente la durée de vie moyenne d’un individu
n’excédait pas quelques décades. Et comme si cette question n’était en elle-même
pas suffisamment dérangeante, il était rajouté qu’en fait en y regardant de très
près l’amnésie rétrograde de H.M., s’agissant de sa mémoire épisodique, s’éten-
dait sur la période couvrant virtuellement toute sa vie avant l’intervention. Ceci
suggérait alors que l’hippocampe, possiblement de concert avec d’autres struc-
tures du lobe temporal médian, était impliquée dans les souvenirs sur l’ensemble
de la vie d’un individu.
Des alternatives à ce modèle standard ont été proposées, en particulier ce qui
est nommé le « modèle de consolidation mnésique à traces multiples », de Lynn
Nadel, de l’Université d’Arizona, et de Morris Moscovitch, de l’Université de
Toronto. Le modèle à traces multiples a été proposé en vue d’éviter l’implication
sur des décennies d’un système de consolidation nécessaire pour expliquer la
durée de l’amnésie rétrograde dans le modèle standard. L’idée a alors été avan-
cée que si les lésions de l’hippocampe se traduisaient par des altérations de la
mémoire épisodique sur des décennies, c’était peut-être simplement parce que
l’hippocampe était aussi impliqué dans le stockage à long terme de certains sou-
venirs. En d’autres termes, les systèmes de consolidation n’impliquent pas seule-
ment les engrammes localisés dans le néocortex.
En accord avec cette théorie, les engrammes des souvenirs à long terme
se trouvent localisés principalement le néocortex, mais certains d’entre eux
impliquent également l’hippocampe (Fig. 24.25c). Le terme « traces multiples »
réfère à une dimension temporelle graduée, ajoutée au modèle d’amnésie rétro-
grade après lésion hippocampique. L’hypothèse est alors qu’à chaque fois qu’un
souvenir relatif à la mémoire épisodique est retrouvé, ce rappel intervient dans
un contexte différent de l’expérience initiale, et qu’ainsi l’information retrou-
vée se combine avec de nouveaux engrammes d’informations sensorielles plus
récentes, contribuant à la formation de nouveaux souvenirs impliquant à la fois
l’hippocampe et le néocortex. La création de nouvelles traces mnésiques pour
un souvenir donné contribue à ce que celles-ci soient multiples, permettant de
donner des bases encore plus solides à ce souvenir, ainsi encore plus facile à
se rappeler. Du fait que le rappel mnésique nécessite l’intervention de l’hippo-
campe, la lésion de cette structure se traduit par une altération de la mémoire
rétrograde, quelle que soit l’ancienneté du souvenir. Dans le cas d’une lésion
partielle de l’hippocampe, alors les souvenirs préservés sont vraisemblablement
ceux faisant l’objet d’une trace multiple. Ainsi, selon cette théorie, les souvenirs
qui ont fait l’objet de nombreux rappels par rapport à des souvenirs plus récents,
du fait de la formation de traces multiples plus ou moins à chacun des rappels,
sont à même de mieux résister à des lésions hippocampiques, ce qui se traduit
par un gradient temporel de l’amnésie rétrograde. Mais il est nécessaire d’ajouter
que ces théories sont controversées, que ce soit sur l’existence de gradients dans
l’amnésie rétrograde ou, plus généralement, sur la validité des modèles.
Reconsolidation.  En 1968, un article par James Misanin, Ralph Miller et
Donald Lewis, de Rutgers University, a créé la surprise en démontrant que les
souvenirs sont susceptibles d’être altérés ou sélectivement supprimés, même
après leur consolidation. Selon le modèle standard, ce résultat était inattendu,
du fait que les souvenirs ne sont sensibles à leur effacement plus ou moins total
qu’avant qu’ils ne fassent l’objet de leur consolidation, par exemple suite à une
thérapie électroconvulsive utilisant des électrochocs. Toujours selon cette théo-
rie, après consolidation les souvenirs sont stables et ancrés dans le cerveau. De
fait, un certain nombre de travaux ont mesuré l’intervalle de temps nécessaire
pour qu’un souvenir donné ne soit plus sensible aux électrochocs, permettant
24 – Apprentissage et mémoire 877

d’évaluer le temps nécessaire à la consolidation mnésique. Dans l’une des expé-


riences de Misanin et de ses collègues, les rats étaient placés dans une enceinte
et recevaient un choc électrique sous les pattes, délivré par le plancher de la
cage, qui suivait un son d’une forte intensité (ne vous méprenez pas : ce type de
choc électrique sous les pattes n’a rien à voir avec les électrochocs utilisés chez
l’homme). Cette situation n’est qu’un exemple d’une situation de conditionne-
ment classique, dans laquelle le choc électrique représente le stimulus incondi-
tionnel (SI) et le son, le stimulus conditionnel (SC). La conséquence de l’asso-
ciation des deux stimuli est que lorsque l’animal entend le son, il a une réaction
de frayeur car il ne peut se soustraire au choc électrique. Dans une phase initiale
de l’expérience, avant que ne soit présente l’association des stimuli, après la sur-
venue du son les animaux vont naturellement boire à partir d’un dispositif placé
dans la cage. Mais après le conditionnement, ces animaux vont se diriger moins
rapidement vers le dispositif leur permettant de boire, ce qui est une indication
de leur frayeur du choc électrique qui va survenir. Si les animaux conditionnés
reçoivent par ailleurs un choc électrique de type électrochoc sur leur crâne, alors
le jour d’après ils vont se comporter comme s’ils n’avaient jamais été condition-
nés et vont donc tranquillement aller boire après la survenue du son. Tout se
passe comme si l’électrochoc avait induit d’une amnésie rétrograde du condition-
nement. Si maintenant un délai de 24 h était introduit entre le conditionnement
et la survenue de l’électrochoc, dans ce cas il n’était pas observé d’atténuation
pour la peur. Par conséquent, apparemment durant ces 24 h de délai la mémoire
de la peur apprise a été consolidée, et l’amnésie pour le conditionnement ne peut
plus être produite par les électrochocs.
Au second jour du conditionnement, probablement après consolidation du
souvenir de la peur apprise, certains des animaux conditionnés recevaient un
électrochoc immédiatement après que le son soit délivré. Au troisième jour de
l’expérience, les rats étaient à nouveau testés. De façon surprenante, les rats qui
avaient été soumis à l’association son-choc électrique sous les pattes la veille
buvaient autant que ceux qui avaient reçu les électrochocs le premier jour,
immédiatement après l’apprentissage de l’association (c’est-à-dire les animaux
porteurs d’une amnésie, qui ne présentaient plus de peur apprise en réponse
au son). Ces animaux buvaient d’ailleurs encore plus que ceux qui avaient été
soumis à l’électrochoc le second jour mais sans l’association avec le son. Ces
résultats suggèrent alors que le son présenté le second jour réactive la mémoire
de la peur et, dans ce cas, une fois la peur réactivée ce souvenir était supprimé
par l’électrochoc. Si le souvenir n’était pas réactivé (comme chez les animaux
soumis à l’électrochoc le second jour, mais sans l’intervention du son), alors
l’électrochoc n’avait aucun effet. Ces données sont d’une importance capitale
car elles suggèrent que la réactivation du souvenir le rend sensible exactement
comme il l’était au moment où il s’est formé, avant sa consolidation. C’est pour
cette raison que le terme de reconsolidation est utilisé ici pour rendre compte de
cet effet de réactivation du souvenir.
Au cours de ces dernières années, l’intérêt pour la reconsolidation s’est accru,
y compris chez l’homme. Les travaux originaux sur la reconsolidation mnésique
chez les rats étaient basés sur un apprentissage procédural (conditionnement
classique), mais de nouveaux travaux indiquent qu’un tel processus de reconsoli-
dation intervient également chez l’homme, s’agissant de la mémoire épisodique.
Dans l’une des expériences réalisées chez l’homme, il était demandé à des étu-
diants de mémoriser 20 objets (exemple : ballon, crayon, petite cuillère, etc.) qui
leur étaient montrés une fois, puis placés dans un panier. Chaque étudiant devait
apprendre à se souvenir de ces objets, jusqu’à ce qu’il soit capable d’en retenir au
moins 17. Le jour d’après, suite à une première étape de consolidation, le panier
vide était présenté aux étudiants et il leur était demandé de décrire ce qu’il s’était
passé la veille mais sans nommer les objets. L’objectif de cette expérience était
de réactiver les souvenirs des objets, dans une tentative de reconsolidation mné-
sique. Un autre groupe d’étudiants utilisé à titre de groupe témoin n’était pas
soumis à l’épreuve de la présentation du panier vide permettant de se souvenir
de la première phase de l’expérience, et donc était supposé ne pas voir intervenir
de reconsolidation du souvenir des objets présentés le premier jour. Dans une
878 4 – Neuroplasticité

troisième phase de l’expérience, une nouvelle série de 20 objets différents des


premiers était présentée à l’ensemble des étudiants, le second jour. Et finalement
le troisième jour, il était demandé à l’ensemble des sujets de se souvenir du nom
des objets présentés le premier jour.
En moyenne, l’ensemble des sujets se souvenait d’environ 8 objets des 20 pré-
sentés le premier jour, indépendamment de la procédure de réactivation mise
en œuvre pour certains d’entre eux le second jour. Mais le résultat intéressant
était que les étudiants qui avaient été soumis à cette épreuve de réactivation du
second jour incluaient « accidentellement » dans leur liste plusieurs des objets
qui avaient été présentés dans la seconde série d’objets (5 objets de cette deu-
xième liste, en moyenne), alors que les étudiants qui n’avaient pas été soumis
à cette procédure de réactivation n’incluaient que très rarement les objets de la
seconde liste dans leur réponse. Sur la base de ces données et d’autres expériences
du même type, il apparaît clairement que la procédure de réactivation déclenchée
le jour 2 pourrait avoir servi à réactiver des souvenirs du jour 1 déjà consolidés,
les rendant à nouveau labiles. Ces souvenirs sont ensuite reconsolidés le jour 2
de l’expérience, mais de façon erronée en mélangeant l’information acquise le
jour 1 avec celle relative à la seconde liste d’objets présentée le jour 2. Toute une
série d’expériences visant à procéder à une telle reconsolidation mnésique a été
pratiquée chez l’homme, et ces expériences ont même contribué à montrer une
activité hippocampique associée à cette réactivation. À l’évidence, lorsque nous
nous rappelons un souvenir, celui-ci devient susceptible de modifications et de
reconsolidation. Ces résultats fascinants ont ainsi des retentissements majeurs
s’agissant de la prise en charge des états de stress post-traumatiques associés
à des souvenirs désagréables, et même pour ce qui concerne la fiabilité de nos
souvenirs normaux (Encadré 24.4).

Encadré 24.4 FOCUS

Former des faux souvenirs et ne pas se souvenir


des événements traumatisants
Si la reconsolidation est susceptible d’altérer les sou- même si elle n’en reçoit aucun à ce moment-là. En
venirs existants, alors comment pouvoir être certain que revanche, la souris ne présente pas ce comportement
ce dont nous nous remémorons est correct ? C’est un lorsqu’elle est introduite dans une cage similaire mais
peu comme de la science-fiction, mais pourtant il a bien distincte, ce qui indique qu’elle a le souvenir de l’asso-
été montré que des souvenirs déjà consolidés peuvent ciation du choc électrique et de la cage dans laquelle elle
être modifiés, et que des faux souvenirs relatifs à des a reçu le choc.
choses qui ne sont jamais arrivées peuvent être intro- Une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute
duits dans le cerveau. of Technology (MIT) a récemment utilisé très astucieu-
De très nombreuses expériences visant à « bricoler » sement la technologie des souris transgéniques pour
les souvenirs ont été rapportées dans la littérature, en explorer le caractère malléable des souvenirs dans ce test
particulier chez la souris. Dans une situation stressante, de peur conditionnée. Dans cette expérience, la souris
une souris est quasi statufiée sur place, une réaction explore le compartiment dans lequel elle a été introduite,
assimilée à un comportement visant à se faire passer et il est considéré qu’une partie de son hippocampe va
pour morte pour éviter d’être repérée, ou pour échapper être activée en réponse à l’exploration visuelle et olfac-
à un prédateur. Dans le cadre d’un protocole expéri- tive à laquelle elle est soumise. Les souris transgéniques
mental, une souris est placée dans une cage qui lui est utilisées dans cette expérience présentent la capacité de
familière du fait de son environnement et des odeurs pouvoir activer sélectivement une population de neu-
qu’elle y a laissées. Lorsque la souris pénètre dans cette rones ayant incorporé préalablement la channelrho­
cage, elle reçoit un choc électrique sous les pattes. Si la dopsine-2 (ChR-2), comme cela a été décrit dans le cha-
souris est retirée de la cage et que le jour suivant elle y pitre 4. Les neurones qui expriment la ChR-2 peuvent
est à nouveau introduite, elle s’immobilise de frayeur en être activés par leur exposition à une lumière bleue, à
anticipation du choc qu’elle est susceptible de recevoir, l’aide d’une fibre optique placée dans l’hippocampe.
24 – Apprentissage et mémoire 879

Encadré 24.4 FOCUS  (suite)

Dans ces conditions, le protocole expérimental (Fig. A) Cette expérience peut être interprétée comme corres-
est résumé ci-dessous : pondant à la création de « faux souvenirs », de telle
– jour 1 : l’animal est introduit dans un premier com- manière que l’animal est effrayé lorsqu’il est introduit
partiment (A) dans les conditions de l’activation de la dans la cage A alors que c’est seulement dans la cage B
population de neurones exprimant la ChR-2, de telle qu’il a reçu le choc électrique sous les pattes. L’absence
manière que ces neurones soient activés par les informa- de comportement de frayeur lorsqu’il est introduit dans
tions sensorielles relatives à cet environnement. L’animal la cage C indique que le faux souvenir est bien spéci-
ne reçoit pas de choc électrique sous ses pattes et ne pré- fique de la cage A, vraisemblablement du fait que les
sente donc pas de comportement d’immobilisation ; neurones encodant pour l’information relative à la
– jour 2 : l’animal est introduit dans un autre com- cage A étaient réactivés par la lumière lorsque l’animal
partiment (B), présentant un environnement visuel et était placé dans la cage B. Vous avez probablement déjà
olfactif différent de celui du compartiment A. Dans entendu parler d’individus accusés de crimes du fait de
cette seconde condition, les neurones exprimant ChR-2 témoins oculaires convaincants et qui, des années plus
ne sont pas actifs et donc l’empreinte sensorielle de tard, sont libérés parce qu’un test ADN a prouvé leur
l’hippocampe n’implique pas cette population de neu- innocence. De toute évidence le témoignage de celui qui
rones particulière. À ce moment, les neurones exprimant avait cru voir était faux. Cela est-il susceptible d’interve-
ChR-2 font l’objet d’une activation au travers de leur nir du fait que souvent les témoins oculaires sont inter-
illumination par la fibre optique. Ces neurones avaient rogés et que leur témoignage interfère avec ce qu’ils
été activés par les conditions environnementales du savent du crime, et leurs souvenirs sont ainsi « reconso-
compartiment A, le premier jour de l’expérience. Ils lidés » ? Nous ne le savons pas avec certitude mais les
sont donc à nouveau activables du fait des conditions travaux en cours visent à préciser les conditions dans
différentes du compartiment B. A ce moment-là, le choc lesquelles les souvenirs sont reconsolidés, ce qui est
électrique est délivré sous les pattes alors que l’animal d’une importance majeure pour le système judiciaire et
est bien dans le compartiment B. L’hypothèse est que les pour notre propre capacité à croire en nos souvenirs.
souvenirs réactivés du passage dans le compartiment A Si nous sommes capables de modifier nos souvenirs
soient reconsolidés le second jour, de telle manière que après qu’ils aient été consolidés, peut-être alors qu’un
ces souvenirs soient associés au choc électrique doulou- processus est susceptible d’être imaginé pour traiter les
reux ; personnes dont les souvenirs les hantent. Nous avons
– c’est le moment de vérité ! L’animal est à nouveau tous été soumis à des moments difficiles, que nous sou-
introduit dans le compartiment A et, comme cela était haiterions oublier. Mais certaines personnes ont des
prévisible, il s’immobilise, même s’il n’a jamais été sou- souvenirs tellement perturbants qu’ils interfèrent de
mis aux chocs électriques dans ce compartiment A. Bien façon permanente dans leur vie quotidienne. C’est
entendu, lorsque l’animal est placé dans un comparti- notamment le cas de personnes souffrant d’un état de
ment « neutre » (C), il ne s’immobilise pas et ne présente stress post-traumatique pour lesquelles un événement
pas de réaction de frayeur. traumatisant a des conséquences dramatiques sur leur

Illumination État Illumination État Illumination État Illumination État


bleue des cellules bleue des cellules bleue des cellules bleue des cellules
actives actives actives actives
Inactive Active Active Inactive Inactive Inactive Inactive Inactive

Jour 1 – Compartiment A Jour 2 – Compartiment B Jour 3 – Compartiment A Jour 4 – Compartiment C

Figure A 
880 4 – Neuroplasticité

Encadré 24.4 FOCUS  (suite)

comportement, leur humeur ou encore leurs relations répéter ce protocole basé sur l’administration du son
sociales, y compris en situation non stressante, cela va de sans y associer le choc électrique, de la même manière
soi. L’un des exemples le plus commun concerne les qu’il est demandé aux patients souffrant de stress
vétérans de différentes guerres, soumis à des situations post-traumatique de raconter l’origine de leur trauma-
difficiles et stressés, ils présentent de véritables peurs tisme mais dans un contexte n’induisant pas de risque
dans leur vie de tous les jours alors que la guerre est finie pour eux. Cette thérapie dite « d’extinction » est efficace
depuis longtemps. Y aurait-il alors un moyen de suppri- chez la souris pour réduire et même supprimer totale-
mer ou tout au moins d’atténuer ces souvenirs stres- ment la réponse de stress lors de la survenue du son.
sants ? Les derniers travaux réalisés en ce domaine sug- Toutefois, celle-ci n’est efficace que si elle débute le jour
gèrent que cela pourrait être possible. juste après l’exposition au choc électrique traumatisant
Parmi ces approches, l’une d’entre elles tire avantage et pas 30 jours après celui-ci. En se référant alors aux
du fait que l’administration d’un antagoniste des récep- traitements du syndrome de stress post-traumatique
teurs bêta-adrénergiques, le propranolol, juste après un chez l’homme, qui sont mis en œuvre tardivement, Tsai
événement traumatique réduit les réponses physiolo- et ses collègues ont entrepris de débuter un traitement
giques au stress, par exemple la tachycardie. Il est connu chez la souris 1 mois après le choc électrique, à un
que le propranolol est à même de réduire les effets des moment où l’extinction seule est inefficace pour amélio-
hormones qui sont le vecteur de la réponse au stress. rer la situation. Ce traitement est basé sur l’administra-
Malheureusement, il est rarement possible d’agir immé- tion d’un agent pharmacologique qui agit en inhibant
diatement après l’exposition au stress pour s’opposer l’enzyme histone déacétylase 2 (HDAC2), en combinai-
ainsi à la réponse de l’organisme. L’une des questions son avec l’administration du son annonciateur du choc
majeures s’agissant du traitement du syndrome de stress électrique traumatisant. L’enzyme HDAC2 est considé-
post-traumatique est de savoir s’il serait possible d’utili- rée comme inhibant des gènes intervenant dans la plas-
ser la stratégie de reconsolidation des souvenirs pour ticité neuronale (voir chapitre 25). Elle est inactive le
atténuer leur impact traumatique. Dans l’une des études jour qui suit le choc électrique, mais elle est active 1 mois
consacrées à ce thème, il était demandé à des personnes après. En inhibant cette enzyme, les gènes intervenant
souffrant de stress post-traumatique de façon chronique dans la plasticité neuronale sont ainsi actifs à ce moment
de décrire la situation à l’origine de ce traumatisme. À ce très tardif par rapport à l’événement traumatisant.
moment-là, du propranolol (ou un placébo) leur était Cette activation génique associée à cette réactivation des
administré. Une semaine après, lorsqu’il leur était à souvenirs des événements traumatisants a alors pour
nouveau demandé de décrire cette situation trauma- effet de reconsolider le souvenir de cet événement, mais
tique, les réponses émotionnelles accompagnant leur sous une forme générant moins de stress. Et après seule-
récit étaient moindres chez les personnes ayant été trai- ment une dose de ce produit, les souris ne présentent
tées au propranolol par rapport à celles qui avaient reçu plus le comportement de peur associé au son. Bien
le placébo. Peut-être que l’administration du bêtablo- entendu, nous ne savons pas si un tel traitement est sus-
quant au moment de la réactivation des souvenirs trau- ceptible d’être actif chez l’homme sur un état de stress
matisants a contribué à en atténuer le retentissement post-traumatique, mais ces travaux constituent un réel
émotionnel, en rapport avec leur possible reconsolida- espoir que la reconsolidation des souvenirs puisse être
tion ? Il est notable que dans ces conditions le proprano- utilisée pour atténuer les effets de ces traumatismes.
lol a atténué la réponse émotionnelle de ces souvenirs
mais en aucun cas la mémoire déclarative elle-même.
Pour en savoir plus
Nous ne savons pas si ce type de protocole expéri-
Brunet A, Orr, SP, Tremblay J, Robertson K, Nader K,
mental chez la souris reproduit un état de stress
Pitman RK. Effect of post-retrieval propranolol on
post-traumatique mais, dans une étude récente, Tsai et
psychophysiologic responding during subsequent
ses collègues au MIT ont tenté de réduire le souvenir
script-driven traumatic imagery in post-traumatic
désagréable de cette souris, en agissant sur les méca-
stress disorder. Journal of Psychiatric Research
nismes de la plasticité cérébrale plutôt que de s’en tenir
2008 ; 42 : 503-6.
à diminuer la réponse au stress comme avec le proprano-
lol. Comme dans les expériences précédentes, les ani- Graff J, Joseph NF, Horn ME, Samiei A, Meng J, Seo J
maux étaient soumis à un son de forte intensité associé et al. Epigenetic priming of memory updating during
à un choc électrique sous les pattes. Dès lors, la simple reconsolidation to attenuate remote fear memories.
survenue du son était suivie d’un stress se traduisant par Cell 2014 ; 156 : 261-76.
une immobilisation, y compris lorsque le choc électrique Ramirez S, Liu X, Lin P, Suh J, Pignatelli M, Redondo
n’intervenait pas. La méthode usuelle pour tenter de RL et al. Creating a false memory in the hippocam-
réduire cette réponse comportementale de peur est de pus. Science 2013 ; 341 : 387-91.
24 – Apprentissage et mémoire 881

Mémoire procédurale
Jusque-là, nous nous sommes intéressés aux mécanismes neuronaux sous-ten-
dant la formation et la rétention de la mémoire déclarative, en grande partie
parce que l’information déclarative est ce que nous assimilons généralement à la
mémoire. Par ailleurs, les bases neuronales de la mémoire non déclarative sont
très complexes, notamment parce que différents types de mémoire non déclara-
tive pourraient impliquer des parties différentes du système nerveux, comme cela
est illustré sur la figure 24.1. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons mainte-
nant à l’un des aspects de ces mécanismes suggérant l’implication du striatum
dans l’apprentissage et la mémorisation des procédures et habilités motrices.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 14, les ganglions de la base repré-
sentent des régions importantes dans la régulation des mouvements volontaires.
Deux des structures les plus importantes de ces ganglions de la base sont repré-
sentées par le noyau caudé et le putamen qui, ensemble, forment le striatum. Le
striatum est situé à un point stratégique des « boucles motrices ». Il reçoit des
informations des aires frontales et pariétales du cortex cérébral, et il influence
indirectement les noyaux thalamiques et les aires motrices corticales impliquées
dans l’exécution des mouvements. Un certain nombre de données, obtenues tant
chez les rongeurs que maintenant chez l’homme, suggère que le striatum repré-
sente une structure critique en ce qui concerne la mémoire procédurale impli-
quée dans la formation des habilités motrices.

Striatum et mémoire procédurale chez les rongeurs


L’amnésie notée chez H. M. est quelque peu surprenante, en ce sens au moins
qu’il est toujours capable d’apprendre de nouvelles procédures en dépit de la
totale absence de formation de nouvelles mémoires déclaratives. Néanmoins,
cette observation permet de formuler l’hypothèse de l’existence de mécanismes
distincts en ce qui concerne la mémoire non déclarative. Dans le modèle de
l’amnésie chez le singe, nous avons vu que la formation de nouvelles mémoires
déclaratives est susceptible d’être altérée par des lésions relativement discrètes du
cortex rhinal, dans le lobe temporal médian. De telles lésions n’ont que peu ou
pas d’effet sur la mémoire procédurale, ce qui soulève la question de savoir si des
lésions comparables dans d’autres régions cérébrales sont susceptibles d’affecter
cette fois la mémoire non déclarative. C’est ce qui se passe chez les rongeurs,
après lésion striatale.
Dans une des études, les rats sont amenés à apprendre deux versions du
labyrinthe radial. Dans le premier cas, il s’agit d’un protocole standard, dans
lequel le rat doit se déplacer de la façon la plus efficace possible pour récupérer
de la nourriture dans les bras du labyrinthe « récompensés ». Dans la seconde
version, de petites lampes s’éclairent pour signaler le ou les bras du labyrinthe
récompensés, alors que ceux qui ne sont pas éclairés ne le sont pas. Les lampes
peuvent être activées ou non, à tout moment de l’expérience. Dans ce cas, une
bonne performance correspond à une recherche de nourriture rapide, en suivant
l’indication fournie par la lampe éclairée et en évitant les bras du labyrinthe non
éclairés, c’est-à-dire non récompensés. Le premier protocole, standard, réfère à
l’utilisation de la mémoire déclarative puisque l’animal doit se souvenir de son
parcours. En revanche, la version où l’animal doit utiliser l’information relative à
l’éclairage utilise une mémoire procédurale fondée sur l’association entre lumière
et récompense. Les rats n’ont pas à se souvenir de leur trajet et surtout des bras
qu’ils ont déjà explorés : ils doivent simplement former une association et réali-
ser que l’éclairage signale la nourriture. Ce type de comportement est tout à fait
similaire à ce que H.M. devait réaliser lorsqu’il lui était demandé de reproduire
un dessin dans un miroir.
Ces performances dans les deux épreuves du labyrinthe radial sont affectées
différemment par deux types de lésions cérébrales. Les lésions de l’hippocampe
(ou plus exactement ici du fornix, qui regroupe les voies « de sortie » de l’hip-
pocampe) altèrent considérablement les performances dans le test du labyrinthe
882 4 – Neuroplasticité

radial standard mais ne modifient pas les résultats relatifs à l’exploration de


ce même labyrinthe sous contrôle des lampes éclairées. A contrario, une lésion
du striatum a de graves conséquences sur la réalisation de cette dernière tâche
effectuée sous contrôle des éclairages des branches du labyrinthe, alors qu’elle
n’a que peu d’influence sur l’exploration du labyrinthe dans la version standard
du test. Cette « double dissociation » des sites de lésion et des déficits comporte-
mentaux suggère que le striatum représente une partie du système sous-tendant
la mémoire procédurale, mais que son implication n’a rien de déterminant en ce
qui concerne la formation de nouvelles mémoires déclaratives.
Les enregistrements effectués au niveau du striatum dans un certain nombre
d’autres expériences montrent que l’activité des neurones se modifie dans cette
structure, en rapport avec l’apprentissage d’une procédure associée à une récom-
pense. Par exemple, dans un simple labyrinthe en T, les rats sont placés à l’extré-
mité de la branche la plus longue. Au fur et à mesure qu’ils se déplacent vers les
deux branches du T, un son intervient (Fig. 24.26a). Un son de basse tonalité a
pour effet d’indiquer à l’animal qu’il doit tourner à gauche à l’embranchement
pour obtenir du chocolat, alors qu’un son plus aigu lui indique de tourner à
droite pour obtenir la récompense. La figure 24.26b montre le pourcentage de
neurones qui répondent en rapport avec différentes étapes de cette tâche com-
portementale simple : au départ, lorsque le son intervient, lorsque l’animal doit
tourner à gauche ou à droite dans le bras du labyrinthe récompensé, et à l’arrivée
à la récompense.

Départ Son Changement


de direction

(a)
Objectif

Changement
Départ Son de direction Récompense
100 100 100 100
Pourcentage de neurones

80 80 80 80
qui répondent

60 60 60 60

40 40 40 40

20 20 20 20
0 0 0 0
1 3 5 7 9 1 3 5 7 9 1 3 5 7 9 1 3 5 7 9
(b) Différents stades de l’apprentissage

Figure 24.26 – Modifications des réponses des neurones du striatum en rapport avec un appren-


tissage.
(a) Le rat est placé au niveau de la branche la plus longue d’un labyrinthe en T et doit tourner à
gauche ou à droite au niveau de l’embranchement pour obtenir une récompense, en rapport avec
la survenue d’un son de tonalité différente pendant son trajet vers la bifurcation qui indique, par
apprentissage, laquelle des deux branches du labyrinthe est « récompensée ». (b) Pourcentage des
neurones du striatum qui répond en rapport avec l’une ou l’autre des phases de cette séquence
comportementale : position de départ, survenue du son, engagement dans la branche du laby-
rinthe « récompensée », et atteinte de la récompense. Au cours de l’apprentissage, de plus en plus
de neurones répondent à la position de départ et à l’atteinte de l’objectif, alors que de moins en
moins de cellules déchargent en rapport avec la direction à prendre. (Source : adapté de Jog et al.,
1999, Fig. 1 et 2.)
24 – Apprentissage et mémoire 883

Lorsque les rats effectuent cette tâche pour la première fois, les neurones
répondent principalement en rapport avec le moment où ils tournent dans le
bras récompensé. Cependant, au fur et à mesure de l’apprentissage, le pourcen-
tage de neurones qui répondent en rapport avec l’orientation dans la branche
du labyrinthe diminue fortement. Puis, avec l’optimisation des performances, de
plus en plus de neurones répondent soit avec le stade de départ, soit avec l’accès
à la récompense. Par ailleurs, un nombre plus important de neurones répond
avec plusieurs stades de la tâche à effectuer. L’une des interprétations possibles
de la construction de ce pattern de décharge organisé est que ces changements
reflètent la formation d’une procédure dans laquelle le striatum intervient pour
coder la séquence des événements initiés dans le labyrinthe en T. Pour le moment,
ceci n’est qu’une hypothèse mais ces données sont intéressantes, en rapport avec
la connectivité du striatum susceptible d’intégrer des informations sensorielles
très élaborées et d’être à l’origine de comportements moteurs adaptés.

Apprentissage procédural chez le singe et l’homme


Des études réalisées chez le singe montrent que les effets de lésions centrales
sont comparables chez le singe et les rongeurs. Chez les primates, il existe une dis-
sociation similaire entre les effets comportementaux des lésions de l’hippocampe
et ceux des lésions du striatum. Comme nous venons de le voir, les lésions du
lobe temporal médian altèrent significativement les résultats dans une épreuve
de DNMS, qui mobilise la mémoire déclarative. Si maintenant les animaux sont
soumis à un autre protocole expérimental dans lequel deux stimuli visuels, par
exemple un carré et une croix, sont alternativement présentés aux animaux, avec
la contrainte que seule la croix est associée à une récompense (conditionnement
instrumental), ce type d’association n’est que très peu affecté par la lésion du
lobe temporal médian. La préservation de cet apprentissage chez le singe est
analogue à la capacité du rat à retrouver sa récompense sans hésitation lorsque
celle-ci est signalée par l’éclairage du bras du labyrinthe qui est récompensé,
même après lésion du fornix.
Chez le singe, des lésions du striatum ou des régions en rapport avec lui ont
des effets très différents de celles impliquant le lobe temporal médian. Lorsque le
striatum est lésé, il n’y a pas d’effet sur les performances dans le DNMS, démon-
trant à la fois que l’animal est capable de réaliser des performances normales
dans le domaine de la mémoire déclarative, et que l’animal est tout à fait capable
de discrimination visuelle. Cependant, la lésion du striatum ne permet plus à
l’animal de former des associations entre la nourriture et un stimulus visuel
déterminé. La répétition de cette association permet tout juste de s’en sortir. Par
conséquent, ces données illustrent le fait qu’il y aurait bien des systèmes anato-
miques différents pour prendre en charge la mémoire déclarative et la mémoire
procédurale, et que des comportements fondés sur des apprentissages utilisent
le striatum.
Un certain nombre de pathologies humaines impliquent les ganglions de la
base. Dès lors, certaines de ces pathologies reflètent l’implication du striatum
dans les processus liés à la mémoire procédurale. Par exemple, dans la chorée
de Huntington, qui se traduit par une dégénérescence de nombreux neurones
dans le cerveau, le striatum est l’une des cibles principales de la maladie. Les
patients qui souffrent de cette maladie présentent de réelles difficultés d’ap-
prentissage d’association d’un stimulus avec une réponse motrice. Même si ces
patients présentent des difficultés motrices, l’intensité de celles-ci n’est pas corré-
lée aux difficultés d’apprentissage des associations stimulus-réponse, suggérant
des mécanismes différents.
D’autres évidences que le striatum est impliqué dans les processus de mémoire
procédurale nous sont fournies par la comparaison de patients souffrant de
maladie de Parkinson avec d’autres présentant des troubles mnésiques. Comme
nous l’avons vu dans le chapitre 14, la maladie de Parkinson est caractérisée
par une atteinte primaire des neurones dopaminergiques de la substance noire
projetant au striatum. Dans une des études comportementales réalisées avec ces
patients, ceux-ci devaient réaliser deux types de tâches. Dans la première de ces
tâches, les patients voyaient 1, 2 ou 3 de 4 cartes, dans l’une des 14 combinaisons
884 4 – Neuroplasticité

possibles. Ils devaient ensuite deviner si cette combinaison avait été arbitraire-
ment associée avec la prédiction d’un temps ensoleillé ou au contraire pluvieux
(Fig. 24.27a). Pour chacun des patients, l’expérimentateur assignait différentes
probabilités au fait que les combinaisons prédisaient un temps ensoleillé ou plu-
vieux. En informant les patients à chaque essai sur le fait qu’ils avaient une
réponse correcte ou incorrecte par rapport à la prévision du soleil ou de la pluie,
les patients formaient progressivement une association entre telle ou telle combi-
naison et le temps qu’il va faire. Bien entendu, l’idée de ce test est la construction
par apprentissage d’une association stimulus-réponse. Dans le second type de
tâche, le patient utilisait la mémoire déclarative dans un protocole de réponses
à choix multiples entre des combinaisons de cartes et les réponses apparaissant
sur l’écran de l’ordinateur.
Les patients parkinsoniens ont des difficultés considérables à apprendre la
relation entre les combinaisons de cartes et la prédiction du temps qu’il va faire
(Fig. 24.27b). En revanche, ils présentent des performances très correctes dans le
test de mémoire déclarative (Fig. 24.27c). À l’inverse, les patients amnésiques réa-
lisent parfaitement la tâche d’apprentissage de la relation entre les combinaisons

Dans ce jeu fondé sur un apprentissage,


c’est vous qui allez prédire le temps qu’il va faire.
Vous allez apprendre comment prédire le temps
en utilisant une combinaison de 4 cartes de jeu.

(a)

75 90

70 80
de réponses correctes

de réponses correctes

65 70
Pourcentage

Pourcentage

60 60

55 50
50 40

45 30
10 20 30 40 50
(b) Test (c)

Sujets témoins
Patients amnésiques
Patients parkinsoniens

Figure 24.27 – Performances de patients amnésiques et souffrant de maladie de Parkinson


dans deux tests de mémoire.
(a) Des combinaisons de 4 cartes sont présentées aux patients, chacune associée avec une icône
indiquant le soleil ou la pluie. En répétant ces associations, les patients apprennent à prédire le
temps à partir d’une combinaison de cartes donnée. (b) Au cours d’essais successifs, les sujets
témoins et les patients amnésiques améliorent rapidement leurs performances, contrairement aux
patients souffrant de maladie de Parkinson. (c) Dans un test de formation de mémoire déclarative
(questionnaire), cependant, les patients atteints de maladie de Parkinson ont des performances
équivalentes à celles des sujets témoins, alors que ce sont cette fois les patients amnésiques qui
sont très détériorés dans ce test. (Source : adapté de Knowlton et al., 1996, Fig. 1 et 2.)
24 – Apprentissage et mémoire 885

de cartes et le temps qu’il va faire, mais ils sont bien plus mauvais que les patients
parkinsoniens ou même que des sujets normaux dans le test relatif au question-
naire à choix multiples. Ces données suggèrent que, chez l’homme comme chez
l’animal, le striatum joue un rôle dans les processus liés à la mémoire procédu-
rale, et que ceux-ci sont indépendants des systèmes neuronaux impliqués dans
le traitement de la mémoire déclarative passant par le lobe temporal médian.

Conclusion
Bien loin d’être comme un ordinateur avec des connexions immuables, le
cerveau humain présente la capacité de se modifier constamment en rapport
avec l’expérience. Nous utilisons notre mémoire de travail pour maintenir très
temporairement une information utile, et l’ensemble des informations senso-
rielles qui nous arrivent à tout instant sont intégrées et assemblées sous forme
d’engrammes permanents. Lorsque vous étiez enfant, vous avez appris à faire
du vélo, et cette séquence de mouvements vous permettant de vous déplacer
ainsi est ancrée définitivement dans votre inconscient. Maintenant, vous avez
appris les bases de l’organisation anatomique de votre cerveau et vous êtes
capables d’épater votre Tante Tilly en lui décrivant précisément où se trouvent
votre tronc cérébral et votre bulbe rachidien. Il n’est pas possible à cette heure
de dire avec précision quels sont les neurones et les synapses impliqués dans
ces procédures de mémorisation non déclarative et déclarative, mais les travaux
les plus récents nous ouvrent des perspectives en ce qui concerne une meilleure
compréhension de ces mécanismes. Nous savons maintenant qu’apprentissage
et mémoire impliquent des modifications d’activité de nombreuses structures
largement réparties dans le cerveau. Les structures du lobe temporal médian et
du diencéphale sont essentielles en ce qui concerne la consolidation mnésique, et
les engrammes sont stockés dans le néocortex au travers d’interactions étroites
avec l’hippocampe et d’autres structures encore. Mais tenter de comprendre le
rôle exact de chacune de ces structures dans le processus d’apprentissage et de
mémorisation reste un challenge pour les chercheurs.
Nous avons vu aussi que les souvenirs peuvent être classés selon la durée, le
type d’information considéré, et les structures cérébrales impliquées. Les pre-
miers travaux visaient à étudier l’impact de diverses lésions cérébrales sur la
mémoire en analysant l’amnésie qui en résultait. Le seul cas de H.M. nous a
apporté un nombre considérable d’informations sur le fonctionnement de la
mémoire humaine. Le fait qu’il soit possible de distinguer différents types de
mémoire et le fait que certaines de ces catégories puissent être affectées par des
lésions sans que les autres soient impactées, indique clairement que les systèmes
de mémorisation les sous-tendant sont de nature différente. Les travaux plus
récents utilisant l’imagerie cérébrale fonctionnelle chez l’homme et les méthodes
de la génétique fonctionnelle chez l’animal, permettent d’aller plus avant dans la
connaissance de ces mécanismes à la base du stockage des souvenirs en rapport
avec la dimension temporelle et les différents types de mémoire. Et ainsi, il n’est
pas interdit de penser qu’à termes nous serons capables de remédier aux diffé-
rentes formes d’amnésie ou de souvenirs associés à des stress post-traumatiques.
Dans ce chapitre, nous avons vu comment pouvaient être formés et stockés
les souvenirs, et comment les différentes structures cérébrales étaient à même d’y
contribuer. Mais alors, quels sont les mécanismes physiologiques de la forma-
tion de ces souvenirs ? Par exemple, lorsque nous essayons de nous souvenir d’un
numéro de téléphone, une simple interruption du processus se traduit par son
oubli, ce qui suggère que les souvenirs sont initialement particulièrement labiles.
En revanche, les souvenirs relatifs à la mémoire à long terme paraissent faire l’ob-
jet d’un stockage beaucoup plus robuste, susceptible de résister non seulement à
des interruptions, à l’anesthésie ou encore plus simplement aux hauts et aux bas
de la vie de tous les jours. Du fait de cette résistance, il est ainsi considéré que les
souvenirs sont vraisemblablement stockés sur la base de changements structuraux
de l’organisation cérébrale. C’est ce que nous allons aborder dans le chapitre 25.
886 4 – Neuroplasticité

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Lorsqu’on parcourt mentalement sa maison pour se souvenir du


nombre de fenêtres, fait-on appel à la mémoire déclarative, à la mé-
moire procédurale ou aux deux ?
2. Quel type d’expérience pouvez-vous proposer pour mettre en évi-
dence la localisation des structures du cerveau que vous utilisez pour
maintenir à l’esprit un numéro de téléphone ?
3. Dans quelles régions du cerveau ont été observés des corrélats
neuronaux de la mémoire de travail ?
4. Quelles structures du lobe temporal médian ont été impliquées dans
la mémorisation ?
5. Qu’est-ce qui a permis à Lashley de conclure que toutes les régions
corticales contribuaient de façon équivalente à l’apprentissage et à
la mémoire ?
6. Quels arguments pouvez-vous fournir pour et contre l’idée que les
stimulations électriques du cerveau réalisées par Wilder Penfield
au cours de ses interventions neurochirurgicales évoquaient des
souvenirs ?
7. Quelles sont les évidences expérimentales et cliniques pour affirmer
que la mémoire déclarative et la mémoire procédurale utilisent des
systèmes de mémorisation différents ?
8. Dans le fameux cas clinique H.M., quels types de mémoire étaient
affectés à la suite de l’intervention sur le lobe temporal médian ?
Quels types étaient conservés ?
9. Que recouvre la notion de « cellule de lieu » et de « cellule de
grille » ? Dans quelles régions cérébrales ces types cellulaires ont été
observés ?
10. Quelles sont les évidences que les souvenirs à long terme sont stoc-
kés dans le néocortex ?
11. Par rapport au modèle standard de la consolidation mnésique, pour
quelle raison objective le modèle à traces multiples de la consolida-
tion mnésique a été proposé ?
12. Que sait-on des régions cérébrales qui seraient susceptibles de stoc-
ker la mémoire procédurale ?
24 – Apprentissage et mémoire 887

POUR EN SAVOIR PLUS

Corkin S. Permanent Present Tense: The Unforgettable Life of the Amne-


sic Patient H.M. New York : Basic Books, 2013.
Kandel ER, Dudai Y, Mayford MR. The molecular and systems biology of
memory. Cell 2014 ; 157 : 163-86.
Ma WJ, Husain M, Bays PM. Changing concepts of working memory.
Nature Neuroscience 2014 ; 17 : 347-56.
McKenzie S, Eichenbaum H. Consolidation and reconsolidation: two
lives of memories? Neuron 2011 ; 71 : 224-33.
Moser EI, Kropff E, Moser M. Place cells, grid cells, and the brain’s spa-
tial representation system. Annual Review of Neuroscience 2008 ; 31 :
69-89.
Nadel L, Hardt O. Update on memory systems and processes. Neuropsy-
chopharmacology 2011 ; 36 : 251-73.
Quiroga RQ, Kreiman G, Koch C, Fried I. Sparse but not “grandmo-
ther-cell” coding in the medial temporal lobe. Trends in Cognitive
Sciences 2008 ; 12 : 87-91.
Squire LR, Wixted JT. The cognitive neuroscience of human memory
since H.M. Annual Review of Neuroscience 2011 ; 34 : 259-88.
Wang S, Morris RGM. Hippocampalneocortical interactions in memo-
ry formation, consolidation, and reconsolidation. Annual Review of
Psychology 2010 ; 61 : 49-79.
888 4 – Neuroplasticité 888

CHAPITRE  25 Mécanismes
moléculaires
de l’apprentissage et
de la mémorisation
ACQUISITION DES SOUVENIRS
Corrélats cellulaires de la formation de la trace mnésique................... 891
Encadré 25.1 Les voies de la découverte  Qu’est-ce qui a bien pu
m’attirer dans l’étude de
l’apprentissage et
de la mémoire chez l’aplysie ?
par Eric Kandel
Renforcement de l’activité synaptique :
potentialisation à long terme (PLT).................................................... 894
Encadré 25.2 Bases théoriques  Plasticité synaptique :
tout est dans le « timing »
Affaiblissement de l’activité synaptique :
dépression à long terme (DLT)........................................................... 903
Encadré 25.3 Les voies de la découverte  Souvenirs de mémoires,
par Leon Cooper
Encadré 25.4 Bases théoriques  Le vaste monde de la dépression
à long terme
PLT, DLT et mémoire.......................................................................... 910
Encadré 25.5 Focus  Mémoires de mutants
Homéostasie synaptique..................................................................... 913

CONSOLIDATION MNÉSIQUE
Activité constitutive des protéines kinases........................................... 916
Synthèse protéique et consolidation mnésique.................................... 918

CONCLUSION
INTRODUCTION

U
ne des premières étapes pour comprendre la neurobiologie de la mémoire
consiste à savoir où sont stockés les différents types de mémoire. Le
chapitre 24 apporte un certain nombre d’éléments issus de la recherche,
qui vont dans le sens d’un début de réponse à cette question fondamentale.
Cependant, une question toute aussi importante nous invite à comprendre com-
ment cette information est stockée dans le cerveau ? Comme l’a proposé Hebb,
les souvenirs peuvent résulter de modifications synaptiques subtiles, susceptibles
de concerner une grande partie du cerveau. Cela permet dès lors de recentrer la
recherche concernant les bases physiques de la mémoire sur les modifications
synaptiques, mais pose aussi un dilemme : les modifications synaptiques à la
base de la mémoire sont peut-être trop faibles et trop disséminées dans le cer-
veau pour qu’elles nous soient accessibles et que nous puissions ainsi les étudier
expérimentalement.
Ces considérations ont incité certains chercheurs, sous la houlette d’Eric
Kandel de Columbia University à New York, à observer le système nerveux
rudimentaire des invertébrés pour approcher les mécanismes moléculaires de la
mémoire. Au cours de l’histoire, les neurosciences ont fait appel à toute une
ménagerie d’invertébrés pour étudier des mécanismes du fonctionnement du
système nerveux. Souvenez-vous du calmar et de son axone géant, qui ont per-
mis d’élucider la neurophysiologie cellulaire (chapitres 4 et 5). D’autres inverté-
brés, comme le homard, l’écrevisse, le cafard, la mouche, l’abeille, la sangsue ou
encore le ver nématode, ont également été utilisés. La raison en est simple : ces
invertébrés présentent des avantages incommensurables par rapport aux verté-
brés supérieurs, en ce sens que, sur le plan expérimental, ils ont en général peu
de neurones et que ceux-ci sont plutôt de belle taille, qu’ils ont des connexions
en nombre réduit qui sont là encore en général plutôt bien connues, et qu’ils
présentent aussi l’avantage de pouvoir réaliser relativement facilement des mani-
pulations génétiques.
Les invertébrés se prêtent ainsi particulièrement à l’analyse des bases du com-
portement, même si celui-ci présente chez ces espèces un répertoire quelque peu
limité. Mais certaines d’entre elles présentent des formes simples d’apprentissage,
que nous avons introduites dans le chapitre précédent. Dans ce contexte, une
espèce en particulier a été très utilisée pour étudier les bases de l’apprentissage
et de la mémorisation, l’Aplysia californica. Eric Kandel a obtenu en l’an 2000 le
prix Nobel de physiologie et médecine pour sa contribution à l’élucidation des
mécanismes de la mémorisation chez cet animal. Et ces travaux ont clairement
démontré que Hebb avait eu raison : les souvenirs pourraient avoir comme sup-
port des modifications de l’activité synaptique. Ces travaux ont ainsi conduit à
l’identification de modifications intervenant à l’échelle moléculaire, traduisant
une certaine plasticité synaptique. Bien que des modifications ne faisant pas
intervenir l’activité synaptique aient également été trouvées comme étant sus-
ceptibles de recouvrir des formes de mémoire, la recherche sur les invertébrés ne
laisse au total que peu de doutes sur le fait que cette activité synaptique est bien
à la base du stockage de l’information mémorisée.
Les dernières décades ont vu des progrès considérables sur les mécanismes
de la mémorisation, en particulier à partir de l’étude d’activités neuronales dans
des régions du cerveau des mammifères associées à différents types de mémoires.

890 4 – Neuroplasticité

Ces données s’ajoutent aux analyses plus théoriques de l’activité des réseaux
nerveux, qui ont contribué à mieux comprendre comment l’information est stoc-
kée, et les nouvelles technologies quant à elles ont aidé à approcher ces méca-
nismes. Parmi ces approches, les neurostimulations susceptibles de provoquer
des changements durables et mesurables de l’activité synaptique ont une place
déterminante. Dès lors, la question est posée de savoir si des mécanismes simi-
laires interviennent dans la formation naturelle des souvenirs ? Et ainsi l’une des
conclusions de ces travaux est de pouvoir dire que les mécanismes de la plasticité
synaptique-activité dépendante et ceux de la formation des souvenirs dans le
cerveau adulte ont beaucoup d’éléments en commun avec les mécanismes inter-
venant pendant le développement cérébral, pour assurer une bonne organisation
des circuits neuronaux.
Un sentiment d’optimisme apparaît alors chez les neurobiologistes, que
l’espoir existe de trouver bientôt certains éléments du support physique de
l’apprentissage et de la mémoire. Ces investigations reposent sur une combinai-
son d’approches appartenant à des disciplines différentes, de la psychologie à la
biologie moléculaire. Ce chapitre rapporte certaines de ces découvertes.

Acquisition des souvenirs


Il est utile de considérer qu’apprentissage et mémoire présentent deux étapes
essentielles : (1) l’acquisition d’une mémorisation à court terme et (2) la consoli-
dation d’une mémorisation à long terme (Fig. 25.1). Dans ce contexte, l’acquisi-
tion des souvenirs (apprentissage) résulte d’une modification physique de l’orga-
nisation cérébrale consécutive à une entrée sensorielle. Ce processus est différent
de celui mis en jeu dans la mémoire de travail introduite dans le chapitre 24, qui
est extrêmement labile et présente une capacité très limitée (pensez à la difficulté
de maintenir à l’esprit un simple numéro de téléphone). La mémoire de travail
peut avoir pour support une simple activité neuronale régulièrement entrete-
nue par répétition, par exemple, et ne nécessite pas de changements physiques
durables de l’organisation cérébrale. En revanche, la mémoire à court terme est
moins labile et sa capacité est importante. Elle peut persister des minutes à des
heures sans réel effort conscient. Par exemple, est-ce que vous vous souvenez
de ce que vous avez pris au petit-déjeuner ce matin ? Ou encore de ce que vous
avez mangé au dîner hier soir ? Ces souvenirs persistent quelque temps sans réel
besoin de les entretenir, mais sont considérés comme « à court terme » car ils
seront oubliés jusqu’à ce qu’ils soient éventuellement consolidés à long terme.
Dès lors, il est fort probable que vous ne vous souveniez pas de ce que vous avez
mangé au dîner il y a deux semaines simplement parce que les modifications
d’activité cérébrale qui sous-tendent cette information ont disparu.
La consolidation mnésique, introduite dans le chapitre 24, correspond au
processus par lequel une information maintenue temporairement au travers de
l’activité de caractère transitoire de certains neurones, va être sélectionnée pour
se trouver maintenue « à long terme ». Il est ainsi possible que le dîner d’il y
a 2 semaines ait eu en fait une forte connotation affective, par exemple parce
qu’il correspondait exactement à l’anniversaire de votre première rencontre avec

Phase Consolidation
d’acquisition mnésique
Expérience Mémoire Mémoire
sensorielle à court terme à long terme

Figure 25.1 – De l’information sensorielle à la mémorisation à long terme.


La première étape de la mémorisation est représentée par la phase d’acquisition au cours de
laquelle une expérience sensorielle est convertie en une information donnant lieu à une représenta-
tion dans le cerveau, impliquant des modifications de l’efficacité synaptique. La seconde étape est
celle de la consolidation de cette représentation au cours de laquelle les changements d’activité
synaptique de caractère temporaire sont transformés en des engrammes permanents.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 891

l’amour de votre vie ? Dans ce cas, il n’est pas surprenant que chaque détail de
cette soirée soit ancré en vous dans votre mémoire à long terme. Cet exemple
illustre bien le fait que chaque événement ou chaque fait qui émaillent votre vie
n’a pas la même valeur que d’autres. Et c’est ainsi que certains de ces événements
sont conservés et d’autres pas.
Notre discussion sur les mécanismes de la mémorisation va ainsi s’organiser
en prenant d’abord en compte ceux responsables de l’acquisition de la mémoire
à court terme ; puis nous évoquerons les mécanismes à la base de la transforma-
tion de changements de caractère transitoire en des traces permanentes. Nous
verrons ainsi que l’acquisition implique des modifications de l’activité synap-
tique entre neurones, et que la consolidation mnésique nécessite, en plus, des
changements de l’expression génique et de la synthèse des protéines.

Corrélats cellulaires de la formation


de la trace mnésique
« Alors que tout paraît indiquer que je ne fais rien, à l’échelle de la cellule tout
porte à croire que je suis extrêmement occupé ! ». L’origine de cette assertion
n’est pas connue, mais il est vraisemblable qu’elle recouvre les mécanismes de la
mémoire. Dans le chapitre précédent, nous avons vu qu’il existait plusieurs types
de mémoire où celles-ci étaient stockées. À titre d’illustration, souvenez-vous
que la mémoire déclarative (les faits, les événements, les lieux, les visages, etc.)
implique in fine le cortex cérébral. Cependant, si l’on se réfère au stockage de ces
informations, aucun neurone n’est épargné. Virtuellement chaque neurone du
système nerveux peut garder une trace de changements récents de son activité.
C’est ainsi que d’innombrables mécanismes moléculaires interviennent dans le
stockage de cette information si différente, ce qui implique qu’il n’est pas ques-
tion ici d’être exhaustif dans leur description, qui sera centrée sur quelques-uns
d’entre eux parmi les principaux. À titre d’illustration, considérons ce qui est
susceptible d’intervenir dans le cortex lorsque nous nous familiarisons avec de
nouveaux visages (Fig. 25.2).
Nous, et les autres primates, sommes des experts d’utilisation de la vision
pour la reconnaissance et la discrimination entre différents objets ou individus.
Mais où se trouve donc stockée cette information ? En accord avec les théories de
Hebb, si un engramme est basé sur une information impliquant une seule moda-
lité sensorielle, il devrait être possible de localiser cette information dans les
régions corticales en rapport avec cette fonction (voir chapitre 24). Par exemple,
s’il ne s’agit que d’une information visuelle, alors l’engramme devrait être loca-
lisé dans le cortex visuel. C’est ce que semble vérifier l’expérimentation.
Des macaques peuvent être entraînés à discriminer des images représentant
des objets associés avec une récompense alimentaire. Cependant, cette capacité
est perdue après des lésions impliquant le cortex inférotemporal (IT). Cette

Figure 25.2 – Quelques personnalités qui pourraient vous être familières…


Que se passe-t-il dans votre cerveau lorsque vous voyez ces photos ou vidéos pour la première
fois, et qu’elles vous deviennent familières ?
892 4 – Neuroplasticité

région comporte l’aire IT (Fig. 25.3a) que nous avons découverte dans le cha-
pitre 10 comme contribuant au système visuel ventral, une série d’aires impli-
quées dans la perception visuelle. Après lésion du cortex inférotemporal, les
singes ne sont plus capables de reconnaître des objets familiers, en dépit du fait
que les capacités visuelles de base soient conservées. Dans ce contexte, l’aire IT
apparaît comme étant à la fois une aire corticale du système visuel, mais aussi
comme une aire impliquée dans le maintien des souvenirs. Cette conclusion est
renforcée par ce qui est nommé la prosopagnosie, un trouble de la reconnaissance
des visages (y compris celui du patient lui-même), qui peut résulter d’une atteinte
du cortex inférotemporal chez l’homme.
Comme la plupart des neurones du cortex, ceux de l’aire IT présentent typi-
quement une sélectivité de stimulus, c’est-à-dire qu’ils répondent par une salve
de potentiels d’action à la présentation de certains stimuli mais pas de tous.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 10, les neurones d’IT ont la particularité
de répondre à des stimuli très complexes, qui peuvent inclure la présentation de
visages familiers. Lors d’une expérience pendant laquelle est enregistrée l’activité
d’un tel neurone d’IT chez un singe vigile libre de ses mouvements, ce neurone
répond sélectivement lorsque lui est présentée une série d’images représentant
des congénères de sa colonie ou ses expérimentateurs. En fait, le neurone ne
répond pas à la présentation de toutes les images de la série mais seulement
à quelques-unes d’entre elles : le neurone montre une sélectivité vis-à-vis de
certains visages (Fig. 25.3b).
Maintenant, comment se comporte un tel neurone de l’aire IT susceptible de
reconnaissance d’un visage lorsque de nouvelles images de visages lui deviennent
familières ? La première présentation des images ne déclenche pas de réponse
particulière. Le neurone décharge de façon légèrement augmentée à la présen-
tation de toutes les images, sans sélectivité de stimulus (Fig. 25.3c ; présenta-
tion 1). Cependant, au fur et à mesure de la répétition de la présentation de
ces images, le comportement du neurone change, et la sélectivité apparaît : la
réponse augmente pour certaines images et diminue pour d’autres. En poursui-
vant l’exposition de l’animal à la présentation de ces visages, la réponse du neu-
rone devient plus stable et encore plus sélective (Fig. 25.3c ; présentations 4 et 5).

60

50 Visage 1
Potentiel d’action/s

100 40
Potentiel d’action/s

80 30
Visage 2
60
20
40 Visage 3
20 10 Visage 4
Cortex inférotemporal
(aire IT) 0 0
1 400 1 400 1 2 3 4 5
(a) (b) Temps (ms) (c) Nombre de présentations

Figure 25.3 – Réponses neuronales à la présentation de visages dans le cortex inférotemporal (aire IT).


(a) Localisation de l’aire IT dans le lobe inférotemporal chez le macaque. (b) Les neurones de l’aire IT répondent à la présentation de photos de visages,
et ces réponses peuvent être de caractère très sélectif. Les histogrammes représentent des exemples de réponses de neurones de l’aire IT à la présen-
tation de visages humains très similaires. La barre noire marque la période au cours de laquelle est présentée la photo. (c) Modifications de la décharge
des neurones au fur et à mesure que l’un de ces visages d’une série de 4, devient plus familier. Lorsque la photo est présentée pour la première fois,
le neurone ne répond que modérément à chaque visage présenté. En répétant la présentation de la photo, le neurone répond de mieux en mieux à la
présentation des visages 1 et 2, et de moins en moins aux visages 3 et 4. L’acquisition de cette reconnaissance sélective marquée par la décharge
neuronale est corrélée à une propension de l’animal à distinguer et à reconnaître les personnes parmi celles présentées ici. (Source : partie b : adapté
de Leopold et al., 2006, Fig. 6 ; partie c : adapté de Rolls et al., 1989, Fig. 1.)
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 893

D’autres neurones de l’aire IT voisins du premier présentent des modifications


de comportement similaires, mais leurs réponses sont moins stables, augmentant
ou diminuant en fonction de la photo présentée. Sommes-nous alors en train
d’assister à la création d’une trace mnésique ? Il y a de bonnes raisons pour croire
que c’est effectivement de cela dont il s’agit. Des modifications de la sélectivité
de stimulus des neurones corticaux représentent de fait des corrélats cellulaires
assez communs de la formation de traces mnésiques dans d’autres modalités
sensorielles (audition, sensation somatique, etc.).
Mémoire distribuée.  L’analyse d’un modèle simple de réseaux neuronaux
peut nous aider à comprendre ce qui sous-tend ce type de modification de la sélec-
tivité neuronale en rapport avec l’expérience. Considérons le modèle présenté à
la figure 25.4. Trois stimuli différents représentés par exemple par la photo de
chacun des 3 auteurs du livre, Mark, Barry et Mike, parviennent par des circuits
différents aux 3 neurones corticaux notés A, B et C. Initialement, lors d’une
première présentation de ces photos, les neurones A, B et C répondent de façon
plutôt modérée à chacune de ces stimulations visuelles. Il n’y a pas de sélectivité
en ce qui concerne la réponse de ces neurones et aucune réponse particulière sus-
ceptible de permettre de distinguer un visage des deux autres. Cependant, après
répétition de la stimulation par présentation à de nombreuses reprises de Mark,
Barry et Mike, les neurones de ce réseau acquièrent une sélectivité. Dans ce cas,
tous les neurones répondent à ces 3 visages, mais le neurone A répond mieux à la
présentation de la photo de Mark, le neurone B à celle de Barry, et le neurone C
à celle de Mike. Cette transformation des réponses des neurones à la présen-
tation de ces visages maintenant devenus familiers repose sur le renforcement
de l’activité synaptique — encore reconnu comme « le poids » ou « l’efficacité »
synaptique — des 3 séries d’inputs synaptiques convergeant vers les 3 neurones
différents.
Où se trouve la « mémoire » dans un tel circuit neuronal ? Ou encore, dit
autrement : comment est-il possible que la décharge de ces 3 neurones repré-
sente sélectivement Mark, Barry et Mike ? La réponse est simplement qu’après
cet apprentissage, il se trouve un pattern unique ou un rapport entre l’activité
des 3 neurones, pour chacun des 3 visages. Ainsi, Mark est-il représenté par une
forte activité du neurone A, une activité modérée du neurone B et une faible
activité du neurone C. C’est ce type d’organisation qui correspond à ce qui est
nommé une mémoire distribuée. Par analogie, Souvenez-vous de la façon dont
est représentée une couleur dans le système visuel, non seulement par l’activation
d’un type de cône particulier, mais par une activité comparative des 3 types de
cônes (voir chapitre 9).

Stimulus Avant apprentissage Après apprentissage


Réponse de
la cellule A

Mark Barry Mike

A Figure 25.4 – Modèle de mémoire distribuée.


(a) Dans ce réseau de neurones très simplifié, 3 afférences neuro-
nales relaient les informations relatives aux visages de Mark, Barry
et Mike, les 3 auteurs de cet ouvrage. Ces informations atteignent
Réponse de

3 neurones corticaux différents A, B et C. (b) Avant apprentissage,


la cellule B

B conduisant à la reconnaissance de ces visages, chaque neurone


du réseau répond modérément à chacun des 3 visages présentés.
Il n’existe à ce moment-là aucune sélectivité des stimuli. (c) Après
apprentissage, les neurones présentent une réponse sélective vis-
à-vis des 3 visages. Le neurone A « préfère » Mark, le B, Barry, et
Réponse de

le C, Mike. Notez qu’il est possible de comparer la décharge rela-


la cellule C

C tive de chaque neurone pour chacun des 3 stimuli. Par exemple,


la présentation de la photo de Mark évoque une forte réponse de
A, une réponse modérée de B et une faible réponse de C. Dans ce
Mark Barry Mike Mark Barry Mike cas, même si le neurone A vient à disparaître, Mark continuera à
être reconnu (« représenté » dans le cerveau) par un pattern spéci-
(a) (b) Stimulus (c) Stimulus
fique lié aux réponses conjointes de B et de C.
894 4 – Neuroplasticité

Pour comprendre les avantages d’un tel type d’organisation sous-tendant la


mémorisation, imaginons ce qu’il se passerait si tel ou tel type de mémoire rela-
tive à nos auteurs n’était codé que par un seul neurone, par exemple le A. Lorsque
ce neurone particulier serait actif, le souvenir du visage de Mark serait rappelé.
Après apprentissage, le neurone A agirait ainsi comme une sorte de « détecteur
de Mark », ce qui serait utile. Mais que se passerait-il si, pour une raison ou une
autre (par exemple un choc sur la tête), ce neurone particulier disparaissait ? Et
hop, Mark disparaîtrait aussi ! La mémoire distribuée permet d’éviter ce pro-
blème du fait que ce n’est pas un neurone unique qui représente Mark, mais bien
l’activité d’une communauté de neurones (une assemblée cellulaire) des réseaux
corticaux. Ainsi si le neurone A se trouve déficient, il existe encore suffisamment
d’éléments caractéristiques de Mark dans le pattern des neurones B et C. Plus
il se trouve de neurones dans le réseau, plus le réseau sera redondant et plus le
souvenir résistera à une perte de quelques neurones. Ceci est plutôt une bonne
nouvelle car, même s’ils sont nombreux, des milliers de neurones disparaissent
chaque jour…
À l’aide de modèles neuromimétiques de réseaux de neurones artificiels géné-
rés par des ordinateurs, les chercheurs peuvent ainsi évaluer les conséquences
d’une réduction progressive du nombre de neurones du réseau. La réponse est
que les souvenirs montrent dans ces modèles ce qui est nommé une dégrada-
tion progressive. Plutôt qu’une perte catastrophique de tel ou tel type d’infor-
mation, les représentations tendent à être maintenues longtemps, même en cas
de pertes de neurones conséquentes, et au bout il se trouve en général une sorte
de superposition, de telle manière qu’il peut y avoir confusion entre plusieurs de
ces souvenirs. Ce type de perte de mémoire est similaire à ce qui intervient avec
le vieillissement ou lorsque un grand nombre de neurones d’un système donné
disparaissent, du fait d’une pathologie.
Les modèles de réseaux neuronaux peuvent également reproduire les expé-
riences montrant des changements d’activité en rapport avec la sélectivité de
stimulus, permettant d’aborder les mécanismes du stockage des informations
à retenir. Comme nous l’avons vu, cette activité est distribuée et présente une
perte graduée, corrélée à l’élimination neuronale. Une autre donnée fondamen-
tale dont il faut se rappeler est que la trace liée à l’activité est en rapport avec des
modifications du « poids » synaptique, qui se traduit par des changements des
relations entrée-sortie des neurones. Dès lors, il est clair que les synapses sont
bien à même de stocker des souvenirs.
La notion selon laquelle les modifications de l’activité synaptique inter-
viennent dans la mémorisation a été largement confortée par les travaux d’Eric
Kandel sur l’aplysie. Kandel et ses collaborateurs ont été à même de démontrer
que des formes très simples d’apprentissage comme l’habituation ou la sensibi-
lisation, étaient accompagnées de modifications du poids de certaines synapses
intervenant entre les neurones sensoriels et les neurones moteurs. De plus, ils
ont été à même de caractériser certains des mécanismes moléculaires qui sous-
tendent ces modifications d’activité synaptique. Ces travaux ont contribué de
façon considérable à nous aider à comprendre la plasticité synaptique du cerveau
des mammifères (Encadré 25.1).

Renforcement de l’activité synaptique :


potentialisation à long terme (PLT)
Le modèle présenté à la figure 25.4 indique que des renforcements ou au
contraire des affaiblissements de l’activité synaptique (le poids synaptique)
peuvent contribuer à modifier la sélectivité neuronale et à retenir l’information.
Ce qui suit est consacré d’abord à la potentialisation à long terme (PLT), un
mécanisme de la plasticité synaptique initialement décrit dans l’hippocampe,
une région dont le rôle critique dans la mémorisation a déjà été souligné ici (la
PLT a été également évoquée en rapport avec les mécanismes du développement
dans le chapitre 23).
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 895

Encadré 25.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Qu’est-ce qui a bien pu m’attirer dans l’étude de l’apprentissage


et de la mémoire chez l’aplysie ?
Par Eric Kandel

Il n’y avait vraiment rien dans ma jeu- Une fois dans le laboratoire de
nesse qui puisse indiquer que la biologie du Grundfest, j’ai été étonné de découvrir que
cerveau deviendrait la grande passion de la science au quotidien, dans le laboratoire,
ma vie professionnelle. En fait, pour tout était complètement différente de celle que
dire, rien ne me prédisposait à une carrière l’on pouvait découvrir au travers des livres
académique ! Plutôt, mes jeunes années et même des cours à l’université.
étaient centrées sur les événements trauma- Sachant mon intérêt pour le comporte-
tisants qui sont intervenus là où je suis né, à ment humain, Grundfest me suggéra de
Vienne, en Autriche. développer une préparation permettant
Je suis né en 1929. En mars 1938, j’avais des enregistrements électrophysiologiques
8 ans lorsque Hitler a envahi l’Autriche et Eric Kandel à partir de l’axone géant d’écrevisse, qui
fut accueilli avec un énorme enthousiasme contrôle les mouvements de la queue de
dans Vienne. En quelques heures cependant, cet enthou- l’animal et lui permet ainsi d’échapper aux prédateurs.
siasme se transforma en une violence antisémite indes- J’ai ainsi appris à préparer des microélectrodes de verre
criptible. Après une année d’humiliation et de peur, mon permettant des enregistrements intra-axoniques uni-
frère ainé Ludwig et moi-même purent quitter Vienne, taires, et comment obtenir des enregistrements électro-
en avril 1939. Nous avons traversé l’Atlantique par physiologiques et les interpréter. C’est au cours de ces
nous-mêmes pour aller rejoindre nos grands-parents à expériences, qui n’étaient pour moi que des travaux pra-
New York, et nos parents nous ont rejoints 6 mois plus tiques puisque tout ce que j’étais amené à observer était
tard. déjà connu tant scientifiquement que conceptuellement,
Le spectacle des Nazis à Vienne m’a confronté pour que j’ai commencé à ressentir cette excitation très parti-
la première fois de ma vie au côté noir du compor­ culière, liée à cette capacité d’appréhender des phéno-
tement humain. Comment est-il possible de comprendre mènes aussi mystérieux par vous-même. Imaginez que
qu’autant de personnes deviennent soudainement chaque fois que vous pénétrez une cellule, vous entendez
aussi vicieuses ? Comment des personnes aussi cultivées, littéralement le son du potentiel d’action ! Je n’aime pas
qui écoutent Haydn, Mozart et Beethoven un jour, du tout le bruit des armes mais je suis devenu addict de
deviennent le lendemain les brutes de la Nuit de Crystal ? celui des décharges neuronales. L’idée que j’ai réussi à
Ces questions me hantaient et me fascinaient encore empaler un neurone et que je sois en train « d’écouter »
lorsque j’étais à Harvard pour suivre une formation en fonctionner le cerveau d’une écrevisse me semblait le
histoire et littérature contemporaine. Mon mémoire comble d’une intimité merveilleuse. Je devenais alors un
de fin d’études était ainsi consacré à l’attitude de vrai psychanalyste : j’étais à l’écoute des pensées pro-
trois grands écrivains allemands envers le National- fondes de mon écrevisse !
Socialisme, et j’ai ensuite entrepris des études sur l’his- Si je n’avais pas été confronté à l’excitation de cette
toire moderne des intellectuels européens. Mais, à l’issue recherche pour découvrir des choses nouvelles, il est
de ces premières années j’ai pensé que pour tenter de vraisemblable que j’aurais eu une autre carrière et, je
comprendre comment le cerveau est à même de générer présume, une vie très différente.
des comportements pour faire le bien et le mal, il valait J’ai commencé à réaliser que ce qui faisait que la
mieux avoir une formation de psychanalyste, plutôt que science était vraiment un monde à part n’était pas que
celle d’un historien. de pouvoir faire des expériences par soi-même, mais
C’est en 1952 que j’ai intégré la faculté de médecine, aussi de pouvoir le faire dans un contexte social si parti-
avec l’idée de devenir psychanalyste. À ce moment-là, culier où chercheur et étudiant sont à égalité, et où les
j’adorais la formation clinique mais je n’avais que peu idées sont débattues et critiquées de façon franche et
d’attrait pour les sciences fondamentales. Cependant, même parfois brutale.
lors de ma dernière année d’études, il m’a semblé que Après 6 mois dans le laboratoire, Grundfest m’a pro-
même un psychanalyste de New York devait savoir posé un emploi de chercheur au NIH. J’arrivai au NIH
quelques petites choses sur le cerveau humain, et c’est en juillet 1957, au moment où Brenda Milner venait de
ainsi que je me suis inscrit au cours du neurophysiolo- publier ses travaux, parmi les plus reconnus, sur la loca-
giste Harry Grundfest à Columbia University. lisation hippocampique des différentes catégories de
896 4 – Neuroplasticité

Encadré 25.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

souvenirs pour les personnes, les choses et les lieux. J’ai J’avais alors besoin de développer un modèle expéri-
alors réalisé que le problème de la mémorisation et du mental où une simple réaction réflexe contrôlée par un
stockage des souvenirs, qui était jusque-là le domaine faible nombre de neurones accessible à l’enregistrement,
réservé des psychologues et des psychanalystes, pouvait serait susceptible d’être modifiée sous l’effet d’une forme
être abordé par les méthodes de la biologie cellulaire. La simple d’apprentissage comme un conditionnement
question se posait par exemple de savoir quels types de associatif. Ce n’est qu’alors, après avoir défini un tel
mécanismes cellulaires pouvaient sous-tendre le stoc- modèle, que je pourrais aborder la problématique de la
kage des souvenirs ? À cette époque, rien n’était connu mémorisation à l’échelle cellulaire et moléculaire.
de l’hippocampe et de son organisation. J’ai alors pensé Après avoir envisagé différentes possibilités à partir
que, possiblement, les cellules contribuant à un tel stoc- d’écrevisses, de homards, de vers ou encore de mouches,
kage des souvenirs pourraient présenter des propriétés j’ai choisi de travailler sur la limace de mer, Aplysia cali-
particulières, qui pourraient nous mettre sur la piste de fornica, qui est pourvue de neurones de gros diamètre,
leur engramme. qu’il est possible d’enregistrer. L’un des rares chercheurs
Avec Alden Spencer, un jeune collègue du NIH, j’ai au monde à travailler à ce moment-là sur l’aplysie était
entrepris d’étudier les propriétés des neurones de l’hip- Ladislav Tauc, et c’est ainsi que j’ai passé les années
pocampe. Nous avons été les premiers au monde à enre- 1962-1963 à Paris, à travailler avec lui. Et depuis je n’ai
gistrer l’activité de ces neurones. Nos données mon- travaillé que sur ce modèle.
traient que, de façon surprenante, ces cellules qui Dans les années 1960, nous ne possédions pas de
contribuent à encoder nos souvenirs se comportaient cadre de référence sur les bases biologiques de la mémo-
tout à fait comme les autres neurones du cerveau. risation et de la rétention des souvenirs. Deux théories
Cependant, je réalise maintenant que ces travaux ne s’affrontaient alors. Pour les tenants de la première théo-
nous ont pas appris grand-chose sur la mémoire : nous rie, les souvenirs étaient liés à l’activité de champs bio­
avons bien escaladé l’Everest mais nous n’avons rien vu ! électriques générés par l’activité de populations de neu-
J’ai alors réalisé que l’exploration de la mémoire ne rones. Pour les autres, l’approche relevait des concepts
pouvait se limiter à l’étude des neurones et de leurs pro- connexionnistes dérivés des idées de Santiago Ramón y
priétés en soi, mais qu’il était nécessaire d’étudier leur Cajal, selon lesquels la mémoire implique des change-
activité en rapport avec un apprentissage conduisant à la ments structuraux de l’organisation anatomique des
formation d’une trace mnésique. Mais ceci apparaissait réseaux nerveux, ainsi que de l’efficacité synaptique
trop difficile à réaliser dans une structure aussi com- entre les éléments du réseau (Cajal, 1894). En 1948,
plexe que l’hippocampe des mammifères : dans les Jerzy Konorski a repris ce concept et l’a nommé « plas-
années 1950 nous ne savions même pas quelle afférence ticité synaptique » (Konorski, 1948).
sensorielle influençait l’activité de l’hippocampe. Alden Dans mes études sur l’aplysie, j’utilisai le réflexe de
et moi avons tenté de modifier les afférences visuelles, retrait de l’ouïe déclenché par une stimulation tactile du
tactiles ou encore auditives, sans succès. Je devins alors siphon de l’animal (Fig. A). Ce réflexe fait l’objet d’une
convaincu que pour utiliser le pouvoir de la biologie cel- sensibilisation (une forme simple d’apprentissage) lors-
lulaire pour résoudre les questions fondamentales rela- qu’une stimulation douloureuse est appliquée sur la
tives à l’apprentissage et à la mémoire, il fallait adopter queue de l’animal. J’ai alors montré que la mémoire à
une démarche résolument réductionniste, de façon très court terme de cette expérience douloureuse résulte d’un
différente de tout ce qui avait été fait jusque-là. Mon renforcement transitoire de l’activité de connexions
idée a été de tenter de décrypter les bases de la forme de synaptiques préexistantes, en rapport avec la modifica-
mémoire la plus simple possible, et d’utiliser pour cela le tion de protéines elles-mêmes préexistantes, alors que la
plus simple des modèles expérimentaux disponibles. mémorisation à long terme résultait de renforcements
Bien qu’une telle approche réductionniste soit conce- persistants des connexions synaptiques impliquant des
vable dans le champ de la biologie traditionnelle, la plu- changements d’expression génique, la synthèse de nou-
part des investigateurs pensait que cela n’était pas pos- velles protéines et des modifications structurales résul-
sible pour aborder des fonctions aussi complexes que les tant en la formation de connexions synaptiques nou-
processus mentaux liés à l’apprentissage et à la mémoire. velles. J’ai aussi découvert que les renforcements d’activité
Mais en ce qui me concernait, il me semblait que ces de caractère transitoire étaient liés quant à eux à une
processus de mémorisation étaient tellement importants augmentation de la quantité de neurotransmetteur libéré
pour la survie des individus qu’ils devaient avoir été par le neurone sensoriel au contact du neurone moteur
conservés tout au long de l’évolution. De plus, je pensais qui contrôle la musculature de l’ouïe. Cet accroissement
qu’une analyse moléculaire des mécanismes de l’appren- de la quantité de neurotransmetteur libéré est la consé-
tissage, quel que soit le caractère élémentaire du modèle quence d’une augmentation de la sécrétion de la séroto-
ou de la tâche à apprendre, serait à même de nous per- nine, un neuromodulateur, en réponse à la stimulation
mettre de comprendre les bases de la trace mnésique. douloureuse sur la queue de l’animal (Fig. B, partie a).
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 897

Encadré 25.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Ouïe

Siphon Jet d’eau

(a)
(b)

Figure A – Réflexe de retrait de l’ouïe chez l’aplysie. (a) Le manteau est écarté de façon à montrer l’ouïe de l’animal dans sa position
normale. (b) L’ouïe se rétracte lorsque l’eau pénètre dans le siphon.

La sérotonine augmente l’efficacité de la synapse entre d’AMPc directement dans le neurone sensoriel provo-
les neurones sensoriel et moteur par une augmentation quait une sécrétion de glutamate, le neurotransmetteur
de la concentration d’AMPcyclique (AMPc), un messa- de ce neurone sensoriel, ce qui renforce temporairement
ger intracellulaire des neurones sensoriels qui active la l’activité synaptique entre le neurone sensoriel et le neu-
protéine kinase A (PKA). Dès lors, la simple injection rone moteur (Fig. B, partie b).

Neurone Neurone Nouvelle expression


sensoriel sensoriel génique

Stimulus Siphon
impliqué dans
la sensibilisation
PKA active dirigée
vers le noyau
Nouvelles
Neurone protéines stimulant
Queue sensoriel les réorganisations
Neurone Neurone
Neurone sérotoninergique sérotoninergique synaptiques
sérotoni- modulateur modulateur
nergique Neurone
modulateur moteur
PKA facilite
la libération
de glutamate
(a)
AMPc AMPc
Muscle de l’ouïe
PKA PKA

Neurone moteur Neurone moteur

(b) (c)

Figure B – Mécanisme de sensibilisation du réflexe de retrait de l’ouïe chez l’aplysie. (a) Diagramme représentant les éléments neuronaux
impliqués dans le réflexe de sensibilisation du retrait de l’ouïe chez l’aplysie. Un stimulus douloureux appliqué sur la queue active le neurone
modulateur sérotoninergique, qui influence la neurotransmission à la synapse entre le neurone sensoriel et le neurone moteur. (b) La séro-
tonine stimule une élévation des taux d’AMPc et l’activation de la PKA qui en résulte dans la terminaison nerveuse sensorielle, ce qui se
traduit in fine par une augmentation de la quantité de glutamate libéré dans l’espace synaptique lorsque le siphon est stimulé tactilement.
(c) La stimulation répétée du neurone modulateur sérotoninergique est suivie par la sensibilisation à long terme, ce qui dépend de l’activa-
tion de l’expression génique et de la synthèse de nouvelles protéines.
898 4 – Neuroplasticité

Encadré 25.1 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

Avec le développement à partir de 1980 des méthodes relations entre les neurones sensoriels et les interneu-
de la biologie moléculaire, nous avons été à même d’élu- rones. Par conséquent, même pour un réflexe simple, le
cider divers mécanismes de la mémoire à court terme souvenir apparaît comme distribué entre plusieurs sites.
chez différentes espèces d’animaux, et d’explorer la Les travaux ultérieurs ont également montré qu’une
façon dont cette mémoire à court terme est transformée modification d’activité synaptique était susceptible
en mémoire à long terme. Nous avons par exemple d’intervenir dans les deux sens par différentes formes
démontré qu’à la suite d’une sensibilisation à long d’apprentissage et pour différentes périodes de temps,
terme, la PKA subit une translocation dans le noyau des mimant par-là différents stades de la mémoire.
neurones et active l’expression génique, ce qui se traduit Depuis les années 1980, les progrès réalisés sur le
par la synthèse de nouvelles protéines et un doublement modèle de l’aplysie ont été tellement importants que j’ai
du nombre de synapses impliquant les neurones senso- surmonté mon envie de retourner à l’hippocampe. À ce
riels (Fig. B, partie c). De plus, les dendrites des neurones niveau j’ai alors trouvé, en accord avec les théories de
moteurs, qui reçoivent les signaux des afférences senso- Charles Darwin, que lorsque la nature a trouvé une
rielles, modifient leur structure pour s’accommoder de solution efficace, elle tend à la conserver au travers de
ces synapses surnuméraires. l’évolution. En d’autres termes, les mêmes principes de
Considérés dans leur ensemble, ces changements base qui gouvernent la mémorisation à court terme et
cellulaires précoces consécutifs à ces comportements à long terme chez les animaux les plus primitifs sont
simples apportaient des évidences directes en faveur de également applicables aux plus complexes.
la théorie de Cajal qui postulait que les connexions entre
neurones ne sont pas immuables ; celles-ci peuvent être
Références
modifiées par apprentissage et les modifications ainsi
induites sont susceptibles d’être le support de la mémo- Cajal SR. The Croonian Lecture: La fine structure des
risation à long terme. Dans le modèle du retrait de l’ouïe centres nerveux. Proceedings of the Royal Society,
chez l’aplysie, les changements d’efficacité synaptique London, 1894 ; 55 : 344-468.
n’interviennent pas seulement entre neurones sensoriel Konorski J. Conditioned reflexes and neuron organiza-
et moteur, mais ils impliquent aussi des changements de tion. Cambridge, MA : University Press, 1948.

Anatomie de l’hippocampe.  L’hippocampe est formé de deux fines couches


de neurones repliées l’une sur l’autre. L’une des couches est le gyrus dentatus
(ou gyrus denté), et l’autre la corne d’Ammon. La corne d’Ammon est divisée
en quatre parties, mais seules les régions CA3 et CA1 (CA signifiant « corne
d’Ammon ») seront évoquées ici.
Comme cela a été mentionné dans le chapitre 24, une des afférences majeures
de l’hippocampe est le cortex entorhinal. Le cortex entorhinal envoie des infor-
mations à l’hippocampe par l’intermédiaire d’un groupe d’axones constituant la
voie perforante. Les axones de la voie perforante font synapse sur les neurones du
gyrus dentatus. Les neurones du gyrus dentatus quant à eux donnent naissance
à des axones (les fibres moussues) qui font synapse sur les cellules de CA3. Les
axones des cellules de CA3 se ramifient, et l’une des branches quitte l’hippo-
campe par le fornix. L’autre branche, représentant le faisceau des collatérales de
Schaffer, forme des synapses sur les neurones de CA1. La figure 25.5 présente
un schéma simplifié de ces connexions reconnues comme « le circuit trisynap-
tique », dont les caractéristiques sont les suivantes :
•• cortex entorhinal vers le gyrus dentatus (voie perforante) ;
•• gyrus dentatus vers CA3 (fibres moussues) ;
•• CA3 vers CA1 (collatérales de Schaffer).
La simplicité de son architecture et de son organisation fait de l’hippocampe
la structure idéale pour étudier la transmission synaptique dans le cerveau des
mammifères. À la fin des années 1960, il fut découvert qu’il était possible de
retirer l’hippocampe du cerveau (sur des animaux d’expérience), et de le décou-
per en tranches comme une miche de pain, pour maintenir in vitro des coupes
vivantes pendant plusieurs heures. Dans ces préparations de coupes du cerveau,
il est possible de stimuler électriquement les fibres et d’enregistrer les réponses.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 899

Gyrus
CA3 denté
Fornix

2
3 Cortex
entorhinal
Figure  25.5 – Quelques éléments de l’orga-
1 nisation de l’hippocampe.
① L’information provient du cortex entorhinal
et pénètre dans le gyrus denté par la voie per-
forante. ② Les cellules granulaires du gyrus
denté émettent des axones dénommés fibres
moussues qui font synapse avec les cellules
pyramidales de l’aire CA3. ③ Les axones des
cellules pyramidales de CA3 dénommées col-
CA1 latérales de Schaffer font synapse sur les neu-
Scissure rhinale
rones pyramidaux de l’aire CA1.

Comme à l’aide d’un microscope les cellules présentes au niveau de la coupe


sont visibles, il est également possible de placer les électrodes de stimulation et
d’enregistrement avec une précision qui jusque-là était réservée aux préparations
utilisant les invertébrés. Cette méthode a rendu plus facile l’étude de la PLT.
Propriétés de la PLT dans CA1.  En 1973, une très importante découverte
a été effectuée par Thimothy Bliss et Terje Lomo, qui travaillaient ensemble en
Norvège. Ces chercheurs ont montré qu’une stimulation à haute fréquence de
courte durée des synapses formées par la voie perforante sur les neurones du
gyrus dentatus, provoquait une PLT. Ultérieurement, il fut ainsi démontré que
la plupart des synapses excitatrices (et beaucoup de synapses inhibitrices) étaient
à même de développer une PLT, et que les mécanismes de cette PLT pouvaient
varier d’un type de synapse à un autre. Mais l’essentiel de ce que nous connais-
sons aujourd’hui sur la PLT provient d’études réalisées sur les synapses formées
par les collatérales de Schaffer sur les neurones de CA1, à partir de coupes d’hip-
pocampe maintenues dans des conditions in vitro. Ce sont ces mécanismes que
nous avons choisi de décrire ici.
Dans une expérience type, l’efficacité de la synapse des collatérales de
Schaffer est contrôlée en appliquant une brève stimulation électrique sur un
groupe d’axones présynaptiques, et en mesurant l’amplitude du PPSE résultant
dans un neurone post-synaptique de CA1 (Fig. 25.6). Habituellement, ce test de
stimulation est pratiqué toutes les minutes, pendant 15 à 30 minutes, pour s’as-
surer que la réponse de base est stable. Puis, une tétanisation est déclenchée pour
induire la PLT, c’est-à-dire qu’une stimulation brève à fréquence élevée (environ
50 à 100 stimuli à une fréquence de 100/s) est délivrée sur la préparation. La
tétanisation induit normalement la PLT, et la stimulation test suivante génère
un PPSE de plus grande amplitude que celui qui apparaissait pendant la période
initiale. En d’autres termes, les modifications résultant de la tétanisation rendent
les synapses stimulées plus efficaces. Les autres afférences sur le même neurone,
qui n’ont pas subi de tétanisation, ne traduisent pas de PLT. Ainsi, la PLT de
l’hippocampe présente une spécificité d’activation.
Un des traits remarquables de ce type de plasticité est qu’une brève tétani-
sation peut la générer, en moins d’une seconde, avec une stimulation à des fré-
quences tout à fait dans la gamme des décharges d’un axone normal. Un autre
trait remarquable de la PLT est sa durée : la PLT induite dans le champ CA1
d’un animal éveillé peut durer des semaines, et peut-être toute la vie (Fig. 25.7).
900 4 – Neuroplasticité

Amplitude
du PPSE PLT
en réponse
à la stimulation
test de Réponse témoin
l’afférence 1
Afférence 1 Afférence 2
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
Neurone de CA1 (b) Temps (min)

Amplitude
du PPSE
en réponse
Enregistrement à la stimulation
des PPSE test de Réponse témoin
l’afférence 2
(a)
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
(c) Temps (min)

Figure 25.6 – Potentialisation à long terme (PLT) dans CA1.


(a) La réponse d’un neurone de CA1 est enregistrée lors de la stimulation de deux de ses afférences, alternativement. La PLT est induite dans l’af-
férence 1 par l’application d’une stimulation tétanique sur le faisceau de fibres la contenant. (b) Le diagramme montre un enregistrement de cette
réponse. La stimulation tétanique (flèche) induit une potentialisation de la réponse à la stimulation simple de cette afférence neuronale. (c) La production
de la PLT est spécifique de l’afférence stimulée, la réponse test à la stimulation de la seconde afférence (afférence 2) au neurone restant inchangée.

Stimulation à haute fréquence


140
(% de la valeur témoin)
Amplitude du PPSE

120

Figure 25.7 – La PLT présente un caractère durable ; très


durable…
Dans cette expérience, la PLT a été induite par une stimu- 100
lation tétanique au travers d’électrodes implantées dans
l’hippocampe d’un rat éveillé. Chaque point représente
l’amplitude d’un PPSE évoqué par stimulation électrique
des synapses qui ont subi la tétanisation. La PLT est encore 80
présente après une année. (Source : adapté de Abraham 0 60 120 180 240 300 360
et al., 2002.) Temps (jours)

Il n’est donc pas étonnant de penser qu’il existe peut-être des corrélations entre
cette forme de plasticité synaptique et la mémoire déclarative.
Des travaux ultérieurs ont montré que la stimulation à fréquence élevée n’est
pas une condition absolue pour produire de la PLT. Le plus important est la
simultanéité entre l’activation des synapses et la dépolarisation du neurone de CA1
post-synaptique. Pour obtenir la dépolarisation requise par la tétanisation, (1) la
fréquence de stimulation des synapses doit être assez élevée pour qu’intervienne
une sommation temporelle des PPSE, et (2) le nombre des synapses stimulées
doit être suffisant pour que la sommation spatiale des PPSE soit significative.
Cette deuxième condition traduit la nécessité d’une coopérativité car une dépo-
larisation suffisante pour induire la PLT ne survient que lorsqu’un nombre
suffisant de synapses est activé simultanément.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 901

L’une des questions qui se pose est de savoir si le phénomène de coopérati-


vité de la PLT de l’hippocampe pourrait servir à la formation des associations.
Considérons un neurone hippocampique qui reçoit des informations synap-
tiques de trois sources différentes : I, II et III. Au début, aucune de ces synapses
afférentes n’est suffisante pour générer un potentiel d’action dans le neurone
post-synaptique. Imaginez que les afférences synaptiques I et II déchargent à
répétition au même moment. En raison de la sommation spatiale de leur influence
respective, les afférences synaptiques I et II peuvent provoquer des décharges du
neurone post-synaptique et, ainsi induire la PLT. La potentialisation n’intervient
que dans les synapses stimulées, c’est-à-dire celles liées aux afférences synap-
tiques I et II. La potentialisation permet que l’afférence synaptique I ou l’af-
férence synaptique II stimule le neurone post-synaptique (mais pas l’afférence
synaptique III). Par conséquent, la PLT apparaît comme le fait d’un phénomène
collectif, l’association des informations synaptiques liées aux afférences I et II.
Ainsi, la vision d’un canard peut être associée avec son « coin-coin » (en général
la vue et le son sont associés) mais pas avec l’aboiement d’un chien.
Pour revenir aux associations, Souvenez-vous de l’idée de la synapse de Hebb
introduite dans le chapitre 23 pour rendre compte du développement du système
visuel. La PLT enregistrée dans CA1 présente un caractère hebbien : les entrées
neuronales qui déchargent ensemble se développent ensemble.
Mécanisme de la PLT dans CA1.  Les médiateurs de la transmission synap-
tique excitatrice dans l’hippocampe sont les récepteurs du glutamate. Le pas-
sage des ions Na+ à travers le récepteur AMPA, un sous-type de récepteurs
du glutamate, est à l’origine du PPSE au niveau de la synapse entre les colla-
térales de Schaffer et la cellule pyramidale de CA1. Cependant, les neurones
de CA1 présentent aussi des récepteurs Libération
post-synaptiques de type NMDA
dont une des propriétés originales est de de glutamateune conductance pour les
présenter Glutamate
2+ à partir de
ions Ca , mais seulement lorsque le glutamate se fixe au récepteur et que la
l’élément
membrane post-­synaptique est suffisamment dépolarisée pour déplacer 2+
présynaptique Mg2+le Mg
qui obstrue le canal ionique (Fig. 25.8). Ainsi le flux des ions Ca à travers le
2+

récepteur NMDA signale spécifiquement le moment où les éléments pré et post-­


synaptiques sont stimulés simultanément (Encadré 25.2).
Il est maintenant prouvé que la PLT s’accompagne d’une augmentation de
la concentration post-synaptique d’ions Ca2+ : l’inhibition pharmacologique des
récepteurs NMDA, ou le blocage de l’élévation de la Récepteur
concentrationRécepteur
intracellu-
+ 2+AMPA NMDA
laire d’ions Ca2+ par l’injection d’un chélateur deNa Ca dans le neurone post-sy-
naptique, inhibent ainsi l’induction de la PLT. Les hypothèses les plus courantes
(a) Membrane post-synaptique
au potentiel de repos

Figure 25.8 – Activation des récepteurs


Libération Libération NMDA par stimulation simultanée des élé-
de glutamate de glutamate ments pré et post-synaptiques.
à partir de Glutamate à partir de (a) La stimulation de l’élément présynap-
l’élément l’élément tique provoque la libération de glutamate,
Mg2+
présynaptique Mg2+ présynaptique
qui agit sur les récepteurs AMPA et NMDA
post-­synaptiques. Lorsque le potentiel de
membrane de l’élément post-synaptique est
trop négatif, les récepteurs NMDA sont blo-
qués par les ions Mg2+ et leur activation par
le glutamate n’est suivie que par un faible
Récepteur Récepteur Récepteur Récepteur courant ionique. (b) Lorsque la libération du
Na+ AMPA NMDA Na+ AMPA Ca2+ NMDA glutamate coïncide avec une dépolarisation
de l’élément post-synaptique suffisante pour
Na+ déplacer les ions Mg2+, alors les ions Ca2+
(a) Membrane post-synaptique (b) Membrane post-synaptique pénètrent dans le neurone post-synaptique
au potentiel de repos dépolarisée au travers du récepteur NMDA.
902 4 – Neuroplasticité

Encadré 25.2 BASES THÉORIQUES

Plasticité synaptique : tout est dans le « timing »


Lorsque suffisamment de synapses sont actives en S’il est toujours vrai que le facteur clé est bien l’intense
même temps, le neurone post-synaptique est lui-même dépolarisation de l’élément post-synaptique, le rôle des
suffisamment dépolarisé pour produire des potentiels potentiels d’action post-synaptiques dans la PLT a été
d’action. Donald Hebb proposa que chaque synapse cependant récemment reconsidéré par les chercheurs. Cela
individuelle voie son effet renforcé lorsqu’elle partici- résulte de la découverte de la capacité qu’ont les potentiels
pait effectivement à la décharge du neurone post-sy- d’action à se propager dans le sens antidromique, jusque
naptique. La PLT est venue quelque part combler l’idéal dans les dendrites, de quelques cellules. C’est ainsi que
de Hebb. La synapse est renforcée lorsque le glutamate Henry Markram, Bert Sakmann et leurs collaborateurs
libéré par l’élément présynaptique se fixe sur les récep- du Max Planck Institut ont étudié ce qu’il advenait après
teurs NMDA post-synaptiques et lorsque le neurone déclenchement d’un potentiel d’action par une électrode
post-synaptique est suffisamment dépolarisé pour per- placée dans le soma d’un neurone, à différents temps,
mettre le déplacement des ions Mg2+ qui obstruent le avant et après la survenue d’un PPSE. Ils montrèrent alors
canal du récepteur. de façon tout à fait remarquable que si un PPSE était suivi
Peut-on considérer que les potentiels d’action à moins de 50 ms par un potentiel d’action post-synap-
post-synaptiques ont un rôle dans cette « intense » tique, alors la synapse était potentialisée. Bien entendu
dépolarisation ? Les premières évidences qu’un timing dans ce cas, rien ne se produisait si le PPSE ou le potentiel
approprié de la production des potentiels d’actions d’action intervenait seul, montrant que la PLT résulte spé-
post-synaptiques pouvait être important pour la PLT cifiquement de l’étroite concordance entre le PPSE et le
ont été obtenues au début des années 1980 par William potentiel d’action, tout juste comme Hebb l’avait prédit.
Levy et Oswald Steward, à l’Université de Virginie. Ils De plus, le timing nécessité par la PLT était tout à fait en
démontrèrent que la PLT intervenait lorsque le potentiel accord avec celui proposé par Levy et Steward. Ceci
d’action post-synaptique était produit au même moment constitue un exemple de cette forme de plasticité.
ou juste après la libération de glutamate par l’élément Qu’en est-il alors de l’effet facilitateur de la PLT lié à
présynaptique. Toutefois, les potentiels d’action sont la rétropropagation du potentiel d’action ? La réponse
générés au niveau du soma du neurone en réponse à la est, bien entendu, l’obtention d’une forte dépolarisa-
dépolarisation de la membrane au-delà de son seuil. tion. Comme les récepteurs NMDA présentent une forte
Comme cela intervient assez loin des synapses situées affinité pour le glutamate, le neurotransmetteur reste en
sur l’arborisation dendritique, on a pensé quelque temps fait lié au récepteur pendant plusieurs dizaines de milli-
que la décharge du neurone post-synaptique n’était pas secondes. Toutefois, si la membrane post-synaptique
un facteur déterminant de la potentialisation synap- n’est pas dépolarisée, ce glutamate lié au récepteur n’a
tique, mais que le facteur le plus important était repré- aucun effet, à cause du Mg2+ qui obstrue le canal. L’effet
senté par la forte dépolarisation des dendrites en rapport de la rétropropagation du potentiel d’action est alors de
avec la sommation de nombreux courants dépolarisants « réveiller » ces synapses « dormantes », en éjectant le
qui, par simple coïncidence, étaient aussi à même de Mg2+. Ainsi, aussi longtemps que le glutamate sera lié
provoquer des potentiels d’action dans le neurone aux récepteurs NMDA, le Ca2+ entrera dans la cellule et
post-synaptique. activera les mécanismes de la PLT.

suggèrent que l’élévation de la concentration intracellulaire d’ions Ca2+ active


deux protéines-kinases : la protéine-kinase C et la protéine-kinase II calcium-­
calmoduline-dépendante (connue sous le terme de CaMKII). Souvenez-vous
des chapitres 5 et 6 que les protéines-kinases régulent l’activité d’autres protéines
par phosphorylation (transfert de groupements phosphate).
Après l’élévation post-synaptique de la concentration d’ions Ca2+ intracel-
lulaire et l’activation des kinases, il est plus difficile de suivre la trace des méca-
nismes moléculaires qui conduisent à la potentialisation de l’efficacité d’une
synapse. Les recherches en cours suggèrent que cette trace pourrait en fait s’ac-
compagner de deux phénomènes différents (Fig. 25.9). Un des aspects oriente la
recherche vers une activation accrue des récepteurs post-synaptiques AMPA, par
un processus de phosphorylation. La phosphorylation des récepteurs AMPA,
soit par la protéine kinase C, soit par la CaMKII, induit un changement confor-
mationnel de la protéine, qui augmente la conductance ionique du canal. Une
autre possibilité est l’insertion dans la membrane post-synaptique de récepteurs
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 903

AMPA nouvellement formés. Ce modèle prédit l’existence d’organelles vésicu-


Présynaptique
laires situées à proximité de la membrane et qui contiendraient des récepteurs
AMPA en réserve. En réponse à l’activation de la CaMKII, la membrane de la
vésicule fusionnerait avec la membrane post-synaptique, amenant à augmen-
ter ainsi le nombre de récepteurs AMPA à la membrane post-synaptique. Cette
addition de membrane est à l’origine de modifications structurales des épines Glutamate
dendritiques, qui apparaissent comme gonflées (Fig. 25.10).
Il existe par ailleurs d’autres données en faveur de changements de la struc-
ture des synapses en rapport avec la PLT. En particulier, les épines dendritiques
Récepteur Récepteur
post-synaptiques « bourgeonnent » pour former de nouveaux contacts synap- NMDA
AMPA
tiques avec les axones présynaptiques. Ainsi, suite à la PLT, un axone peut former
des contacts synaptiques multiples avec le même neurone post-synaptique, ce qui PO4
ne correspond évidemment pas à la situation normale, hors PLT, dans CA1. Ce
bourgeonnement des synapses, encore dénommé « sprouting », augmente non Ca2+
seulement la surface de contact entre les éléments pré et post-synaptiques, mais 1 2
contribue aussi à accroître la probabilité de faire libérer suffisamment de gluta-
mate à partir d’un simple potentiel d’action, par l’élément présynaptique. Kinases

Affaiblissement de l’activité synaptique : Épine


dendritique
dépression à long terme (DLT)
Le schéma du circuit présenté à la figure 25.4 illustre le fait qu’une infor- Post-synaptique

mation peut être conservée par des modifications de l’activité synaptique, que
celle-ci soit augmentée ou réduite. Si l’on admet la théorie de Hebb selon laquelle Figure 25.9 – Différents mécanismes d’ex-
pression de la PLT dans CA1.
l’activité d’une synapse peut être potentialisée lorsque l’activité de la synapse est
L’entrée de Ca2+ au travers du récepteur
corrélée avec une activation intense de l’élément post-synaptique, il est possible NMDA active des protéines kinases, ce qui
d’étendre cette théorie à des changements bidirectionnels intervenant pour régu- peut entraîner le déclenchement d’une PLT
ler dans les deux sens l’efficacité synaptique. La théorie rendant compte de tels ① par un changement d’efficacité des récep-
changements est dénommée théorie BCM, d’après les initiales de ses auteurs : Elie teurs AMPA post-synaptiques préexistants,
Bienenstock, Leon Cooper et Paul Munro, qui travaillaient à Brown University. ou ② par l’insertion dans la membrane de
Après avoir partagé en 1972 le prix Nobel de physique pour le développement nouveaux récepteurs AMPA.
de sa théorie sur les supraconducteurs, Cooper s’est intéressé à la question du
stockage de la mémoire par les réseaux de neurones (Encadré 25.3). Avec ses
étudiants Bienenstock et Munro, Cooper montra que les changements de sélec-
tivité neuronale vis-à-vis des stimuli reflètent des modifications de l’efficacité
synaptique contribuant à stocker la mémoire dans des réseaux neuronaux. Ils
proposèrent une sorte de règle d’apprentissage pour rendre compte de la façon
dont les synapses voient leur activité potentialisée ou déprimée en fonction de
changements intervenant dans l’environnement du sujet. L’un des éléments-clé

-1 min 0 min 1 min 2 min 7 min 30 min 60 min

Epines dendritiques 1 µm

Figure 25.10 – Croissance des épines dendritiques en réponse à une PLT.


Un segment de dendrite a été rempli avec une solution fluorescente visualisée par microscopie confocale sur une préparation de tissu vivant. Après
induction d’une PLT, les épines dendritiques se développent et parfois même se divisent pour accueillir de nouvelles synapses. Chacune des micro-
photographies représente la même dendrite à des temps différents après l’induction de la PLT (indiqué en minutes dans la partie supérieure droite de
chaque image). Au temps marqué 0 min, le point de couleur jaune indique que cette dendrite a été répétitivement activée par du glutamate, de façon
à induire une PLT. Après PLT, l’épine dendritique se développe afin de porter des récepteurs AMPA plus nombreux. (Photos : courtoisie du Dr Miquel
Bosch, Massachusetts Institute of Technology.)
904 4 – Neuroplasticité

Encadré 25.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE

Souvenirs de mémoires
Par Leon Cooper

La question m’a été posée de nom- forme bidirectionnelle de plasticité synap-


breuses fois : « Pourquoi avez-vous aban- tique, qui combine les modifications heb-
donné la physique pour les neuro­ biennes, c’est-à-dire une potentialisation
sciences ? ». La meilleure réponse que je intervenant entre éléments pré et post-­
puisse faire est de répéter la réponse synaptiques lorsque ceux-ci sont fortement
d’Humphrey Bogart à Claude Rains dans activés, avec des modifications « antiheb-
Casablanca : « J’étais mal informé ». Après biennes » résultant en un affaiblissement de
la publication de notre théorie sur la supra- l’efficacité synaptique intervenant lorsque
conductivité, j’ai travaillé sur de nom- l’activité présynaptique se produit en l’ab-
breuses autres questions en rapport avec les sence de forte réponse post-synaptique.
électrons. J’en suis venu à l’idée que les Nous avons proposé que le seuil critique
Leon Cooper
méthodes mathématiques que j’utilisais des réponses post-synaptiques auquel le
pouvaient être appliquées à des questions relatives à des sens de la modification de l’efficacité synaptique s’in-
populations de neurones. Mais si effectivement quelques- verse, de l’affaiblissement à la potentialisation, encore
unes furent utiles, la plupart des autres ne se sont pas dénommé « seuil de modification », varie en fonction
avérées appropriées. Mais ce qui fut le plus utile, peut- des événements passés de l’élément post-synaptique.
être, fut ma conviction que les théories les plus impor- L’ensemble de ces propositions permettait de rendre
tantes des sciences physiques étaient également essen- compte à la fois de la stabilité de l’activité synaptique et
tielles pour les neurosciences. de ses fabuleuses propriétés. C’est ce qui est devenu la
Dès lors, lorsque je me suis écarté de ces questions « théorie BCM ».
fondamentales de la physique théorique pour aller au À la fin des années 1980, j’ai entamé une longue et
cœur des problèmes du fonctionnement cérébral, mon très fructueuse collaboration avec Mark Bear qui, lui
premier travail a été de construire des réseaux de neu- aussi, travaillait à cette époque à Brown University.
rones qui puissent présenter quelques-unes des proprié- Mark et ses étudiants réalisaient des expériences sur des
tés associées à ce qui est nommé chez l’animal la synapses excitatrices de neurones corticaux, pour tenter
mémoire. J’ai été immédiatement séduit par ce domaine de valider la théorie BCM. Les premiers résultats en
fascinant et c’est cette expérience personnelle que je sou- faveur de cette hypothèse obtenus sur des neurones hip-
haite vous décrire. pocampiques furent publiés par Dudek et Bear (1992),
Nous savions depuis les années 1970 que les réseaux puis Kirwood et Bear (1994) sur des neurones du cortex
de neurones peuvent présenter des propriétés de repré- visuel. Depuis cette époque, des résultats similaires
sentations « distribuées » du monde ayant la particula- furent obtenus dans de nombreuses régions du néocor-
rité d’être « associatives » (souvenez-vous que le souve- tex, chez de nombreuses espèces, et chez des animaux de
nir d’un événement est souvent induit par celui d’un tout âge, jeunes ou âgés. Parmi les résultats les plus inté-
autre qui lui est lié), et dont le contenu devient du même ressants, un certain nombre de travaux montrèrent que
coup accessible (les souvenirs sont accessibles plus par les mêmes principes de la plasticité synaptique sont
leur contenu explicite que par leur position physique aussi applicables au cortex inférotemporal humain, une
dans le réseau). De telles représentations résistent à la région cérébrale supposée comme particulièrement
perte de quelques neurones ou synapses du réseau, importante pour la mémoire visuelle. L’ensemble de ces
démontrant par-là quelles peuvent effectivement consti- résultats était alors en faveur de l’idée que les principes
tuer le substrat du stockage des souvenirs dans le de la plasticité synaptique que nous avons proposés
cerveau. Mais comment ces représentations sont-elles s’appliquent chez de nombreuses espèces et dans de
construites dans les réseaux de neurones ? En d’autres larges régions cérébrales.
termes, comment l’efficacité synaptique dans ces réseaux En accord avec la théorie BCM, le seuil de modifica-
formés de très nombreuses synapses peut-elle retenir tion, θm, doit varier en fonction de l’activité post-synap-
une information correspondant à un souvenir ou à un tique corticale. Le premier test expérimental de cette
autre ? hypothèse a été proposé par Kirkwood, Marc Rioult et
De telles représentations sont susceptibles de résulter Bear (1996). Ces chercheurs ont comparé la fonction de
de modifications hebbiennes de l’efficacité synaptique. modulation de la plasticité synaptique dans le cortex
Mais ces modifications hebbiennes de l’efficacité synap- visuel d’animaux témoins avec celle enregistrée dans
tique nécessitent d’être stabilisées. Elie Bienenstock, celui d’animaux élevés un moment dans l’obscurité la
Paul Munro et moi-même proposèrent en 1982 une plus totale. Ils ont démontré un changement de ce seuil,
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 905

Encadré 25.3 LES VOIES DE LA DÉCOUVERTE  (suite)

en accord avec ce qui est postulé par la théorie. Elizabeth magistrale les interactions extrêmement fructueuses qui
Quinlan, Ben Philpot et Bear, en collaboration avec peuvent intervenir entre les neurosciences théoriques et
Richard Huganir de Johns Hopkins School of Medicine, les neurosciences expérimentales.
ont alors démontré en 1999 que le rapport de deux Références
sous-unités constitutives des récepteurs NMDA se
modifie en fonction de l’activation du cortex, proposant Bienenstock EL, Cooper LN, Munro PW. Theory for
par-là un mécanisme potentiel de ce glissement de seuil. the development of neuron selectivity: orientation
specifi city and binocular interaction in visual cor-
De notre côté, les conséquences des modifications
tex. Journal of Neuroscience 1982 ; 2 : 32-48.
de l’activité synaptique en rapport avec la théorie BCM
ont été étudiées à partir de la modélisation de réseaux Blais B, Cooper LN, Shouval H. Formation of direction
neuronaux, par mes étudiants Nathan Intrator, Harel selectivity in natural scene environments. Neural
Shouval, Brian Blais et de nombreux autres. Ces ana- Computation 2000 ; 12 : 1057-66.
lyses et modélisations visaient à reproduire les observa- Blais BS, Intrator N, Shouval HZ, Cooper LN. Receptive
tions sur les changements de seuil chez des animaux field formation in natural scene environments:
vigiles en rapport avec des environnements visuels fluc- comparison of single-cell learning rules. Neural
tuants. Par conséquent, la théorie BCM permettait alors Computation 1998 ; 10 : 1797-813.
de faire un pont entre les données moléculaires sur les Dudek SM, Bear MF. Homosynaptic long-term depres-
mécanismes de la plasticité synaptique et celles relatives sion in area CA1 of hippocampus and effects of
à l’aspect distribué de la mémoire. N-methyl-D-aspartate receptor blockade. Procee­
Si l’on se réfère alors au scepticisme qui a accompa- dings of the National Academy of Sciences USA
gné le développement des idées sur la plasticité synap- 1992 ; 89 : 4363-7.
tique il y a de cela 40 ans, il n’est pas difficile de dire Kirkwood A, Bear MF. Homosynaptic long-term
aujourd’hui que nous avons réalisé depuis ce temps des depression in the visual cortex. Journal of
progrès considérables. Notre objectif initial était de pro- Neuroscience 1994 ; 14 : 3404-12.
poser une théorie suffisamment solide et plutôt concrète Kirkwood A, Rioult MC, Bear MF. Experience-
sur ces processus fondamentaux du fonctionnement dependent modify cation of synaptic plasticity in
cérébral, pour qu’elle puisse être testée expérimentale- visual cortex. Nature 1996 ; 381 : 526-8.
ment. C’est alors une satisfaction pour nous de voir Quinlan EM, Philpot BD, Huganir RL, Bear MF.
comment une telle théorie a inspiré les expérimentateurs Rapid, experience-dependent expression of synaptic
qui, non seulement ont vérifié les différents postulats et NMDA receptors in visual cortex in vivo. Nature
le caractère prédictif de notre théorie, mais ont aussi Neuroscience 1999 ; 2 : 352-7.
découvert à cette occasion de nouveaux mécanismes Shouval H, Intrator N, Cooper LN. BCM network
comme ceux liés à la dépression à long terme homosy- develops orientation selectivity and ocular domi-
naptique ou encore la métaplasticité. Et peut-être ce qui nance in natural scene environment. Vision Research
est encore plus important : cette histoire illustre de façon 1997 ; 37 : 3339-42.

de la théorie BCM publiée en 1982 fut de proposer que les synapses puissent
être l’objet d’un affaiblissement de leur activité plutôt que d’une PLT lors-
qu’elles sont activées en même temps que l’élément post-synaptique n’est que
faiblement activé par ses autres inputs. C’est cette idée qui amena à rechercher
une éventuelle dépression à long terme en enregistrant les neurones de CA1 de
l’hippocampe après des stimulations adaptées pour ne produire qu’une faible
activation post-synaptique. En 1992, Serena Dudek et Mark Bear, qui travail-
laient ensemble à cette époque à Brown University, montrèrent que la stimulation
tétanique à basse fréquence (1-5 Hz) des collatérales de Schaffer provoquait un
affaiblissement de la transmission synaptique (Fig. 25.11). Du fait que ce pro-
cessus n’intervient qu’au niveau des synapses stimulées, il est reconnu comme la
dépression à long terme (DLT) homosynaptique.
Comme cela est maintenant bien établi expérimentalement, la plasticité bidirec-
tionnelle de nombreuses synapses corticales est régie par deux principes simples :
1. lorsque la transmission synaptique intervient en même temps qu’une forte
dépolarisation de l’élément post-synaptique, elle induit une PLT de la
synapse active ;
906 4 – Neuroplasticité

Amplitude Réponse témoin DLT


du PPSE
en réponse à
la stimulation
test de
l’afférence 1
Afférence 1 Afférence 2
0 10 20 30 40
Neurone de CA1 (b) Temps (min)

Amplitude
du PPSE
en réponse à
Enregistrement la stimulation Réponse témoin
des PPSE test de
l’afférence 2

0 10 20 30 40
(a) (c) Temps (min)

Figure 25.11 – Dépression à long terme (DLT) homosynaptique dans l’hippocampe.


(a) La réponse d’un des neurones de CA1 est enregistrée lorsque deux de ses entrées synaptiques
sont activées alternativement. La DLT est induite par la stimulation de l’afférence 1, par stimulation
tétanique à la fréquence de 1 Hz. (b) Le diagramme montre l’enregistrement effectué pendant cette
expérience. La stimulation tétanique à basse fréquence de l’entrée synaptique 1 (flèche) est suivie
par une réduction de la réponse de cette afférence 1. (c) La DLT est spécifique de l’entrée synap-
tique : la stimulation tétanique de l’afférence 1 n’affecte pas l’efficacité de la réponse produite par
la stimulation de l’entrée synaptique 2.

+ 2. lorsque la transmission synaptique intervient en même temps qu’une très


faible ou modeste dépolarisation de l’élément post-synaptique, elle induit
une DLT de la synapse active.
Evolution de
PLT
l’efficacité 0 Même si ces règles sont applicables à de nombreuses synapses corticales, il
synaptique DLT
est d’un intérêt majeur de noter que la DLT représente une forme de plasticité
Activité
Activité post- présynaptique, synaptique très fréquente. Toutefois, les propriétés et les mécanismes de la DLT
_
synaptique, puis
présynaptique
puis post-
synaptique varient d’un type de synapse à un autre (Encadré 25.4). À certaines synapses,
la concomitance des actions pré et post-synaptiques constitue un élément clé.
-100 0 100
Comme cela a été décrit à l’Encadré 25.2, la PLT est susceptible d’intervenir
Activation différentielle dans le temps
des éléments pré et post-synaptiques (ms) lorsque la libération de glutamate synaptique précède un potentiel d’action du
neurone post-synaptique ; ceci est un exemple de plasticité synaptique dépen-
Figure 25.12 – Plasticité synaptique dépen- dante du timing des potentiels d’action. Mais au niveau de la plupart de ces
dante de la synchronisation des décharges. mêmes synapses, la DLT est susceptible d’intervenir plutôt lorsque la libération
Lorsque les décharges du neurone post-­ du glutamate suit un potentiel d’action post-synaptique (Fig. 25.12).
synaptique suivent précisément les PPSE
Comme dans le cas de la PLT, l’essentiel de nos connaissances sur les méca-
induits par l’activation de l’élément présynap-
tique, l’efficacité de la synapse s’en trouve nismes de la DLT provient d’études sur les neurones de CA1 de l’hippocampe,
renforcée. Toutefois, lorsque l’activation ce qui est décrit ci-dessous.
post-synaptique précède le PPSE, l’efficacité Mécanismes de la DLT dans CA1.  À la synapse entre la collatérale de Schaffer
synaptique se trouve au contraire réduite. Ce et les neurones de CA1, deux formes distinctes de DLT homosynaptique ont été
diagramme illustre les changements d’effica- décrites. Le premier type dépend de l’activation des récepteurs NMDA. Le second
cité synaptique en rapport avec ces activa-
type, découvert quelques années plus tard, nécessite l’activation de récepteurs gluta-
tions différentielles dans le temps.
matergiques couplés aux protéines G (mGluRs) qualifiés aussi de récepteurs méta-
botropiques. Ce qui suit est consacré au rôle des récepteurs NMDA dans la DLT.
Du fait que l’activation des récepteurs NMDA se traduit par une entrée de
calcium ionisé Ca2+ dans le neurone post-synaptique, il n’est donc pas une sur-
prise de constater que l’induction de la DLT dépend d’une augmentation de cette
concentration intracellulaire de Ca2+. Mais, dans ce cas comment le même signal,
c’est-à-dire une élévation des concentrations de Ca2+ dans l’élément post-synap-
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 907

Encadré 25.4 BASES THÉORIQUES

Le vaste monde de la dépression à long terme


Nous avons vu dans le chapitre 14 que le cervelet était que lorsque la synapse des fibres parallèles était
représente une structure cérébrale très importante pour active en même temps que celle des fibres grimpantes,
ce qui concerne l’apprentissage et l’acquisition et le cette synapse voyait son activité réduite sous forme
maintien des procédures. Le circuit très particulier pro- d’une DLT.
posé par David Marr à l’Université de Cambridge sur Masao Ito et ses collaborateurs à l’Université de
l’organisation du cortex cérébelleux est susceptible de Tokyo ont testé cette hypothèse en couplant l’activation
rendre compte de la façon par laquelle de tels apprentis- électrique des fibres grimpantes avec la stimulation des
sages peuvent intervenir. Ce sont les cellules de Purkinje, fibres parallèles. De façon tout à fait remarquable, ces
des neurones de très grosse taille, qui représentent les chercheurs ont constaté qu’à la suite de cette procédure
éléments « de sortie » du cortex cérébelleux. Chaque cel- de couplage des deux stimulations, l’efficacité de la
lule de Purkinje reçoit une afférence unique dénommée synapse formée par les fibres parallèles, seule se trouvait
« fibre grimpante » d’un noyau particulier du tronc réduite (Fig. A). Nous savons aujourd’hui que l’induction
cérébral, l’olive inférieure. Les fibres grimpantes for- de cette forme de DLT est liée à une entrée massive d’ions
ment des synapses d’une extrême efficacité et chaque calcium Ca2+ dans l’élément post-synaptique en rapport
décharge de ces fibres est suivie par l’activation des avec l’activation simultanée des fibres grimpantes et de la
cellules de Purkinje. Les fibres parallèles constituent la stimulation des récepteurs métabotropiques du gluta-
seconde afférence aux cellules de Purkinje. Celles-ci pro- mate de type 1 (mGluR1) liée à la mise en jeu des fibres
viennent des cellules granulaires du cortex cérébelleux parallèles. Cette conjonction d’événements a pour consé-
et leur organisation est très différente de celle des fibres quence l’internalisation de récepteurs AMPA et la
grimpantes : chaque cellule de Purkinje reçoit des dépression de la transmission synaptique des fibres
synapses de très nombreuses fibres parallèles provenant parallèles. Une forme de DLT présentant les mêmes
à minima de plus de 100 000 cellules granulaires diffé- caractéristiques moléculaires a été également décrite par
rentes. Marr a proposé que cette convergence inhabi- la suite dans l’hippocampe, bien que dans ce cas le pro-
tuelle des fibres grimpantes et des fibres parallèles sur les cessus ne nécessite pas d’entrée massive de calcium.
dendrites des cellules de Purkinje puisse contribuer aux À d’autres synapses du cerveau encore, l’activation
apprentissages moteurs. Plus précisément, il a proposé : de récepteurs de type mGluR provoque également de la
(1) que la fibre grimpante relaie un « signal d’erreur » DLT, mais par des mécanismes différents. Par exemple,
indiquant que le mouvement n’a pas été réalisé selon les dans le noyau accumbens, l’activation de récepteurs
ordres qui ont été donnés, et (2) que des corrections mGluR5 stimule la synthèse d’endocannabinoïdes, qui
interviennent en ajustant l’efficacité des synapses liées servent alors de messagers rétrogrades pour agir vers
aux fibres parallèles sur ces mêmes cellules de Purkinje. l’élément présynaptique en réduisant la libération du
La théorie a été modifiée par James Albus, qui travaillait glutamate (les endocannabinoïdes ont été introduits
au Goddard Space Flight Center de Greenbelt, dans le dans le chapitre 6 ; voir Encadré 6.2).
Maryland, pour rendre compte du fait que ce processus Plus récemment une nouvelle forme de DLT a été
se traduisait par une dépression à long-terme (DLT) de observée dans le néocortex. Les endocannabinoïdes
l’efficacité de la synapse ; formulée autrement, l’idée sont susceptibles d’être sécrétés par certaines cellules

Stimulation
des fibres parallèles Réponse des cellules de Purkinje
à la stimulation des fibres parallèles
Figure A – Dépression à long terme
(DLT) du cortex cérébelleux.
(a) Dispositif expérimental permet-
Amplitude de la réponse
des cellules de Purkinje

tant de tester la DLT. L’amplitude de


Conditionnement

la réponse de la cellule de Purkinje à


la stimulation d’un faisceau de fibres
parallèles est enregistrée. La stimula-
tion conditionnante est représentée
par l’activation des fibres grimpantes.
(b) Diagramme représentant les résul-
tats d’une expérience réalisée selon
–15 –10 –5 0 5 10 15 ce  protocole. Après couplage des
Temps écoulé (min) entre le moment deux stimulations (stimulation condi-
Stimulation des fibres de l’enregistrement et celui du couplage tionnante), la DLT de la synapse des
(a) grimpantes (b) des deux stimulations fibres parallèles est induite.
908 4 – Neuroplasticité

Encadré 25.4 BASES THÉORIQUES  (suite)

pyramidales en réponse à la production de potentiels présynaptique glutamatergique de quelques dizaines de


d’action dendritiques. Si ces endocannabinoïdes attei­ millisecondes.
gnent les axones glutamatergiques au moment où ceux-­ Chaque mécanisme de DLT impose ainsi des
ci libèrent le glutamate, alors les synapses formées par contraintes différentes aux patterns post-synaptiques et
ces fibres sur les neurones pyramidaux subiront une présynaptiques qui déclenchent la plasticité. Il est alors
DLT. Ce mécanisme nécessite un synchronisme pour possible de spéculer que ceux-ci ont évolué de telle
déclencher une DLT, de telle manière que le potentiel manière qu’ils permettent d’optimiser la contribution de
d’action qui déclenche la sécrétion des endocan­ la plasticité synaptique au fonctionnement des différents
nabinoïdes précède le potentiel d’action de l’élément circuits neuronaux.

tique au travers de l’activation des récepteurs NMDA, peut conduire à la fois


+
à l’induction de la PLT et de la DLT ? La différence est en fait liée au niveau
PLT
Modification d’activation du récepteur NMDA (Fig. 25.13). Lorsque le neurone post-synap-
à long terme
0 tique est simplement faiblement dépolarisé, le blocage partiel des récepteurs
de l’efficacité
synaptique
NMDA par les ions Mg2+ s’oppose à un afflux massif d’ions Ca2+ dans le
_ neurone post-­synaptique. D’un autre côté, lorsque le neurone post-­synaptique
DLT
est fortement dépolarisé, le blocage lié aux ions Mg2+ est supprimé et les ions
Ca2+ pénètrent dans le neurone. Ces conditions différentes se traduisent par des
Quantité de récepteurs NMDA activations différentielles de certaines enzymes. Au lieu d’activer les protéines
activés lors d’une stimulation
tétanique kinases, qui nécessitent de fortes concentrations intracellulaires de Ca2+, les aug-
mentations de concentrations de calcium ionisé plus faibles et plus durables ont
Figure  25.13 – Activation des récepteurs pour effet d’activer les protéines phosphatases, les enzymes impliquées dans les
NMDA et plasticité synaptique bidirection- processus de déphosphorylation. Par conséquent, la PLT est associée à une aug-
nelle. mentation des processus de phosphorylation, et la DLT à la déphosphorylation.
Le diagramme illustre les changements à long
De fait, un certain nombre de résultats expérimentaux indiquent que les récep-
terme de l’efficacité synaptique en fonction du
teurs AMPA sont déphosphorylés en réponse aux stimulations qui induisent la
niveau d’activation des récepteurs NMDA,
lors d’une stimulation conditionnante. Le DLT (Fig. 25.14). De plus, l’induction de la DLT dans l’hippocampe peut aussi
niveau d’activation des récepteurs NMDA, être associée avec l’internalisation des récepteurs AMPA à la synapse. Par consé-
auquel la polarité des modifications de quent, PLT et DLT apparaissent comme des processus reflétant une régulation
l’efficacité synaptique change entre PLT et birectionnelle à la fois de la phosphorylation et du nombre de récepteurs AMPA
DLT, est dénommé « seuil de modification ». post-synaptiques.

Présynaptique Post-synaptique

Entrée [Ca2+] > 5 µM


de Ca2+ Protéine kinase
au travers des
récepteurs NMDA F Protéines
SH Flux de Protéines synaptiques
Ca2+ calcium non phosphorylées synaptiques
SB phosphorylées à
Récepteur F 200 ms à l’origine de la DLT
l’origine de la PLT
NMDA
Protéine
[Ca2+] 1 µM phosphatase

Figure  25.14 – Modèle susceptible de rendre compte de la façon par laquelle le Ca2+ peut
déclencher à la fois la PLT et la DLT dans l’hippocampe.
La stimulation à haute fréquence (SHF) induit la PLT par une forte augmentation de la concentration
intracellulaire de Ca2+. La stimulation à basse fréquence (SBF) induit la DLT par une augmentation
beaucoup plus faible de la concentration de Ca2+. (Source : adapté de Bear et Malenka, 1994,
Fig. 1.)
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 909

Dynamique de fonctionnement des récepteurs glutamatergiques.  À côté des


informations précieuses sur les processus de mémorisation et d’apprentissage
liées à l’étude de la PLT et de la DLT, ces travaux ont aussi apporté beaucoup en
termes de connaissances sur la façon dont les informations sont conservées par le
système nerveux. Les données les plus récentes révèlent une très forte dynamique
des récepteurs AMPA, sans cesse ajoutés et retirés de la synapse glutamatergique
en fonction de son activité propre. Les chercheurs estiment que la moitié environ
des récepteurs AMPA est remplacée toutes les 15 minutes ! Toutefois, en dépit de
cette extraordinaire dynamique, la transmission synaptique est maintenue stable
aussi longtemps que l’addition d’un seul de ces récepteurs à la membrane est
concomitante de l’élimination d’un autre. La PLT et la DLT perturbent cet équi-
libre, agissant sur des modifications de la répartition de ces récepteurs AMPA.
La capacité de la membrane post-synaptique est déterminée par la taille d’un
complexe dénommé protéine slot. Imaginez que cet échafaudage soit comme un
emballage d’œufs, et que chaque alvéole de cet emballage est représentée par
les protéines slot. Les récepteurs AMPA seraient alors un peu comme des œufs
posés dans ces alvéoles. Aussi longtemps que la taille de l’emballage ne varie pas,
la transmission synaptique reste constante, même si l’on remplace les œufs en
permanence (Fig. 25.15).
La stabilité de la PLT nécessite une augmentation de la taille de l’emballage,
et que l’on fournisse des œufs supplémentaires. L’étude de ces mécanismes à
l’échelle moléculaire constitue un domaine de recherche très actif et, de ce point
de vue, Les conclusions d’aujourd’hui sont susceptibles d’être remises en ques-
tion par les travaux de demain. Un certain nombre de travaux ont par exemple
montré qu’une protéine nommée PSD-95 (PSD pour postsynaptic density protein
de 95 KDa) pourrait être impliquée dans la formation de l’emballage. Ainsi, la
stimulation de l’expression de PSD-95 se traduit par une augmentation de la
capacité synaptique des récepteurs AMPA. De plus, il existe un certain nombre
d’évidences que les œufs étaient dans ce cas un peu différents : les récepteurs
AMPA surnuméraires contenaient dans leur structure une nouvelle sous-unité
protéique nommée GluR1. La PLT apparaît ainsi comme induisant une augmen-
tation sélective à la membrane de ces récepteurs AMPA contenant la sous-unité
GluR1. Par analogie, imaginez aussi que le neurone possède une réserve d’œufs
particuliers, dont la délivrance dans l’emballage serait dépendante de la PLT.

= Récepteurs AMPA
n’exprimant pas GluR1

= Récepteurs AMPA contenant


des sous-unités GluR1 Figure  25.15 – Représentation du modèle
de changement du nombre de récepteurs
(a) État de repos initial
= PSD-95 AMPA à la synapse, en prenant comme illus-
tration la boîte à œufs.
Chaque œuf représente ici un récepteur
AMPA ; l’emballage lui-même représente la
protéine PSD-95, qui détermine la capacité
synaptique des récepteurs AMPA. (a) État de
repos. Chaque récepteur AMPA qui est sup-
primé est remplacé par un nouveau récep-
teur du même type. (b) PLT. Dans ce cas, on
assiste à une addition de protéine PSD-95,
ce qui augmente la capacité synaptique des
(b) PLT (d) DLT récepteurs AMPA. Les nouveaux récepteurs
(en bleu) contiennent la sous-unité GluR1.
(c) Retour à de nouvelles conditions de repos.
Dans ce cas les récepteurs contenant la sous-
unité GluR1 sont progressivement remplacés
par des récepteurs AMPA conventionnels.
(d) DLT. Ici une partie des protéines PSD-95
est détruite, et la capacité synaptique des
récepteurs AMPA diminue. (e) Un nouvel état
(c) Nouvel état stationnaire (e) Nouvel état stationnaire
stationnaire est établi à la suite de la DLT.
910 4 – Neuroplasticité

Puis, après un certain temps, ce sont des œufs habituels (dépourvus de GluR1)
qui rempliraient à nouveau le carton, et dans ce cas comme la taille de l’embal-
lage a été augmentée, le carton d’œufs en contient donc plus qu’auparavant.
A contrario, la DLT nécessite de réduire le nombre d’œufs, et donc la taille
de l’emballage. Dans ce cas, les données montrent que l’induction de la DLT
se traduit à la fois par une diminution de l’expression de la PSD-95 et par une
réduction du nombre de récepteurs AMPA à la membrane post-synaptique.

PLT, DLT et mémoire


La PLT et la DLT ont suscité un intérêt considérable chez les chercheurs car
l’approche théorique de ces mécanismes de plasticité synaptique suggère qu’ils
pourraient effectivement contribuer à l’acquisition de souvenirs déclaratifs. Des
travaux récents indiquent que les différentes formes de plasticité synaptique
associées au récepteur NMDA connues dans l’hippocampe, se trouvent aussi
dans le néocortex, incluant l’aire IT où les souvenirs des visages familiers sont
créés (Fig. 25.16). Il semble ainsi que dans tout le cortex cérébral la plasticité
synaptique obéit aux mêmes règles et utilise les mêmes mécanismes. (Cependant,
il existe de nombreuses exceptions à ces règles, et toutes les synapses ne sont pas
concernées de la même manière, y compris dans la même structure).
Mais quelle preuve avons-nous d’une relation entre la PLT, la DLT et la
mémoire ? Tout ce qui a été décrit jusqu’ici n’est que la base neurobiologique pos-
sible de la mémoire d’un individu dont le cerveau subit une stimulation électrique !
L’une des façons d’approcher cette question a été d’insérer des électrodes d’enre-
gistrement et de stimulation dans l’hippocampe et de tenter ainsi d’approcher les
modifications d’activité neuronale au cours d’apprentissages. Du fait du caractère
distribué de la mémoire, cette stratégie expérimentale nécessite de faire appel à des
apprentissages plutôt marquants, et en particulier à celui d’un comportement dit
« d’évitement actif ». Dans ce protocole expérimental, les rats apprennent à asso-
cier le compartiment obscur d’un dispositif comportant un compartiment éclairé

Enregistrement

Couche
III
1 mm
Couch
e IV

Stimulation
de la couche IV
25
Figure  25.16 – Modifications bidirectionnel­
les de l’efficacité synaptique dans le cortex
15
Pourcentage de modifications

inférotemporal humain.
à partir de la situation témoin

Des coupes de cortex inférotemporal humain Cortex


ont été maintenues in vitro après avoir été inférotemporal
prélevées au cours d’interventions chirurgi- 5
cales nécessitant leur ablation pour atteindre .1 1 10 100 Hz
0
des structures cérébrales profondes. Les
réponses synaptiques sont enregistrées par –5
stimulation de différentes entrées synaptiques
soumises à des stimulations tétaniques.
Comme dans la région CA1 de l’hippocampe –15
de rat, une stimulation tétanique à 1 Hz
produit une DLT alors qu’une stimulation à
100 Hz produit une PLT. (Source : adapté de –25
Chen et al., 1996.) Fréquence de la stimulation conditionnante
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 911

et un compartiment obscur, avec une expérience désagréable représentée par un


choc électrique délivré sous les pattes (Fig. 25.17a). Les animaux de tous types, de
la mouche à l’homme, apprennent très rapidement en un seul essai à éviter l’en-
droit où est administré le traitement désagréable quel qu’il soit (cela dépend en fait
de l’intensité du choc électrique ou du traitement désagréable qui est administré).
Dès lors, ce type d’apprentissage ne fait pas dans la subtilité et les changements
qu’il induit dans l’hippocampe sont également très marqués. L’activation hippo-
campique ainsi produite après un tel apprentissage brutal d’évitement donne ainsi
aux chercheurs la possibilité de détecter des changements d’activité à la synapse
formée entre la collatérale de Schaffer et les neurones de CA1, illustrant l’induc-
tion de la PLT (Fig. 25.17b). Dans d’autres expériences moins traumatisantes, la
simple exposition des animaux à un nouvel environnement sans choc électrique
produit au contraire une DLT. L’ensemble de ces travaux nous indique alors que
l’apprentissage se traduit effectivement par des changements d’activité synaptique
impliquant la PLT et la DLT dans l’hippocampe.
Une autre approche développée a consisté à savoir si les molécules impliquées
dans la PLT et/ou la DLT sont également impliquées dans l’apprentissage et
la mémoire. Par exemple, ces deux formes de plasticité synaptique nécessitent
toutes deux l’activation de récepteurs NMDA. Pour approcher le rôle de ces
récepteurs NMDA de l’hippocampe dans les processus d’apprentissage, les cher-
cheurs ont procédé à des injections de bloqueurs de ces récepteurs directement
dans l’hippocampe de rats soumis au test d’évitement actif. De tels traitements
pharmacologiques bloquent effectivement l’apprentissage de ces expériences
aversives. Ces expériences ont été réalisées à la suite des travaux pionniers de
Richard Morris à la fin des années 1980 à l’Université d’Edinburg, dans lesquels,
de la même façon, des antagonistes des récepteurs NMDA étaient infusés dans
l’hippocampe d’animaux entraînés à retrouver une plateforme dans le labyrinthe
aquatique (voir Fig. 24.20). Contrairement aux rats normaux, ceux qui avaient
été injectés étaient incapables de localiser dans l’espace la plateforme qu’ils
devaient atteindre. Ces travaux ont été les premiers à montrer que les récepteurs
NMDA jouaient un rôle dans la mémorisation.

Compartiment Compartiment Figure  25.17 – Induction de la PLT par


Stimulation Enregistrement
éclairé obscur apprentissage dans CA1.
Dans cette expérience, des électrodes sont
insérées dans l’hippocampe d’un rat afin
CA1
d’enregistrer l’efficacité synaptique avant et
après un conditionnement d’évitement actif.
CA3 (a) Le rat est placé dans un dispositif expé-
Cloison mobile ouverte
rimental à deux compartiments, séparés par
une cloison mobile. L’un des compartiments
est éclairé alors que le second est obscur.
Lorsque la cloison mobile est retirée, les
animaux rejoignent le compartiment obscur
Stimulus électrique de façon à échapper à la lumière intense de
nociceptif l’autre compartiment. Cependant, lorsqu’ils
140
atteignent ce compartiment obscur, les ani-
maux reçoivent une seule fois un choc élec-
(% de la valeur initiale)
Amplitude du PPSE

trique sous les pattes, délivré au travers du sol


120
de la cage. Afin de mesurer la création d’une
mémoire de cet événement, les expérimenta-
Délai après teurs mesurent le temps mis par le rat pour
le choc 100 rejoindre le compartiment obscur à des temps
électrique
différents après le conditionnement. (b) Les
Conditionnement d’évitement enregistrements de l’activité synaptique
80 dans CA1 illustrent le fait que cet événement
- 35 0 30
a créé une PLT, lorsque le souvenir de cette
Temps après le conditionnement (min) expérience nociceptive est lui-même créé.
(a) (b) (Source : adapté de Whitlock et al., 2006.)
912 4 – Neuroplasticité

Susumu Tonegawa du Massachusetts Institute of Technology a introduit une


méthode révolutionnaire pour aborder les bases moléculaires de la mémorisa-
tion et de l’apprentissage. Tonegawa, qui s’est reconverti aux neurosciences après
avoir été lauréat du prix Nobel en 1987 pour ses travaux dans le domaine de
l’immunologie, a permis d’associer molécules et comportement en manipulant
les gènes. Cette approche avait déjà été développée en ce qui concerne des orga-
nismes plus simples, par exemple la drosophile (Encadré 25.5), mais pas encore
chez les mammifères. Dans leur toute première expérience, Tonegawa, Alcino
Silva et leurs collaborateurs ont procédé à une inactivation du gène (expérience
de délétion ou K.O.) codant pour une sous-unité α de la CaMKII. Ils ont montré
que les souris présentaient un déficit mnésique, ainsi qu’une absence de PLT dans
l’hippocampe. Depuis cette époque, de nombreuses expériences ont été réalisées,
visant à l’inactivation de différents gènes susceptibles d’être impliqués dans la
PLT ou la DLT ou dans les processus de mémorisation. Les résultats confirment
l’existence de nombreux mécanismes communs entre ces différents processus.

Encadré 25.5 FOCUS

Mémoire de mutants
Parmi les centaines de milliers de protéines produites s’aperçut que, chez ces trois mutants, il manquait une
par un neurone, certaines sont sans doute plus impor- enzyme particulière associée aux voies de transmission
tantes que d’autres en termes d’apprentissage. Il est des signaux associées à ces voies de signalisation intra-
même probable que certaines protéines soient unique- cellulaires.
ment impliquées dans l’apprentissage et la mémorisa- Dans les travaux effectués sur la drosophile, les
tion. Il va sans dire que l’identification de ces hypothé- mutations étaient faites au hasard, suivies d’une étude
tiques « molécules de la mémoire » apporterait des comportementale et génétique extensive, premièrement
informations considérables sur les bases moléculaires de pour voir s’il existait un trouble de l’apprentissage, et
l’apprentissage et de la mémoire. ensuite pour déterminer exactement le gène manquant.
Chaque protéine est synthétisée à partir des informa- Cependant, très récemment les techniques du génie
tions portées par un fragment d’ADN appelé gène. Une génétique ont permis de procéder à la suppression sélec-
des façons d’identifier « une protéine de la mémoire » tive de l’expression de gènes spécifiques connus, chez les
consiste à supprimer l’expression de gènes les uns après mammifères. En 1992, Susumu Tonegawa, Alcino Silva
les autres, en observant les troubles d’apprentissage et leur équipe du MIT ont réussi à bloquer l’expression
spécifiques qui en résultent. C’est l’approche utilisée d’une forme (α) de protéine kinase II calcium-calmodu-
par Seymour Benzer, Yadin Dudai, et leur équipe au line dépendante chez la souris. De fait, certaines expé-
California Institute of Technology chez la mouche du riences avaient déjà suggéré que cette enzyme joue un
fruit, la mouche Drosophila melanogaster. La drosophile rôle critique dans la survenue de la potentialisation à
est depuis toujours l’espèce favorite des généticiens, long terme. Ces souris présentent un trouble évident de
mais il est naturel de se demander ce que peut apprendre la PLT dans l’hippocampe et le néocortex, et dans le test
cette mouche. Par chance, la drosophile a les mêmes du labyrinthe aquatique de Morris, ces souris mani-
aptitudes que celles de l’aplysie qui apprend : l’habitua- festent des troubles sévères de la mémoire. Ces souris
tion, la sensibilisation, et le conditionnement classique. sont des mutants de la mémoire, comme leurs lointains
Ainsi la drosophile apprend qu’une odeur particulière cousins, Dunce, Rutabaga et Cabbage.
provoque un choc. Elle manifeste ce type de mémoire en Peut-on en conclure que les protéines manquantes
s’éloignant de l’odeur. La stratégie est de produire des chez ces mutants sont les illusoires « molécules de la
mouches mutantes en les exposants à des substances mémoire » ? Certainement pas. Il existe chez tous ces
chimiques ou aux rayons X. On les élève ensuite, et on mutants d’autres troubles du comportement que ceux de
étudie les troubles du comportement. Le premier mutant la mémoire. Tout ce qu’il est possible de dire aujourd’hui
montrant à juste titre une perturbation de l’apprentis- est que les animaux qui grandissent sans posséder ces
sage spécifique a été décrit sous le nom de Dunce en protéines sont particulièrement stupides. Cependant,
1976. D’autres mutants avec des troubles de la mémoire ces études font ressortir l’importance critique des voies
ont été décrits depuis, et portent les noms de Rutabaga spécifiques de second messager dans le transfert d’une
et Cabbage. Le défi suivant consistait à identifier exacte- expérience de caractère transitoire en mémoire à long
ment les protéines dont l’expression était bloquée. On terme.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 913

Néanmoins, ces approches génétiques présentent un certain nombre de


limites. Par exemple, la perte d’une fonction telle la PLT ou la mémorisation peut
s’avérer n’être que la conséquence d’un processus développemental anormal lié
à l’absence pendant cette période d’une protéine essentielle. De plus, comme la
protéine est absente de toutes les cellules qui l’expriment normalement, inférer
l’absence des déficits mnésiques à cette seule protéine devient difficile. Pour ces
raisons, les généticiens font de gros efforts pour tenter de limiter les changements
d’expression des gènes à des structures déterminées et à des périodes de la vie
elles aussi bien définies. Dans l’une de leurs tentatives les plus remarquables,
Tonegawa et ses collègues, ont montré qu’il était possible de restreindre la délé-
tion des récepteurs NMDA à CA1 et à partir seulement de la troisième semaine
environ. Dans ce cas, les souris présentent un déficit de PLT et de DLT, ainsi
que de médiocres performances dans le test de la piscine de Morris. Ces données
révèlent ainsi que les récepteurs NMDA jouent un rôle clé dans ce type d’appren-
tissage en rapport avec leur action spécifique dans CA1.
Mais alors, si une trop faible activation des récepteurs NMDA dans l’hip-
pocampe n’est pas bonne pour la mémoire, qu’arriverait-il si on augmentait le
nombre de ces récepteurs ? De fait, il a été récemment produit des souris qui
surexpriment des récepteurs NMDA. Ces animaux montrent un accroissement
des capacités d’apprentissage dans certains tests. Dès lors, si l’on synthétise tous
les résultats des études pharmacologiques et génétiques, il apparaît que les récep-
teurs NMDA de l’hippocampe jouent effectivement un rôle clé, non seulement
pour rendre compte de la plasticité synaptique mesurée en termes de LTP et de
LTD, mais aussi dans l’apprentissage et la mémorisation.

Homéostasie synaptique
La plasticité synaptique concerne de très larges régions cérébrales et les cher-
cheurs en neurosciences théoriques soulignent le fait qu’au-delà d’un avantage,
une telle situation est possiblement source de problèmes. Pour illustrer ce propos,
prenons l’exemple du renforcement de l’activité synaptique de caractère hebbien.
Les synapses voient ainsi leur activité potentialisée lorsqu’elles sont actives en
même temps que le neurone post-synaptique dont elles sont la cible. Comme
ces synapses sont sujettes à la PLT, elles vont donc influencer l’activité de ce
neurone cible plus que dans les conditions normales, le rendant alors suscep-
tible d’être plus réceptif à d’autres afférences, et donc créant de la PLT pour
d’autres synapses qui le contactent. Un certain nombre de données obtenues
par simulation à l’aide d’ordinateurs montrent que, dans ce cas, la PLT pour-
rait concerner toutes les synapses contactant le neurone, et qu’ainsi la sélectivité
vis-à-vis des stimuli (et la mémorisation) s’en trouverait perdue. Un problème
similaire interviendrait dans le cas de l’affaiblissement de l’activité synaptique en
rapport avec la DLT : en affaiblissant l’activité post-synaptique, la DLT rend les
synapses encore plus faibles jusqu’à ce que ce processus disparaisse. Par consé-
quent, si ce type de plasticité synaptique n’est pas contrôlé, cela peut conduire à
une activité neuronale de caractère plutôt instable. Comme nous l’avons évoqué
dans le chapitre 15, l’homéostasie est un terme utilisé pour décrire des proces-
sus régulateurs qui interviennent pour maintenir le milieu intérieur au plus près
de constantes physiologiques permettant un fonctionnement optimal de l’or-
ganisme. Ainsi peut-il être considéré que ce sont ces constantes physiologiques
qui contribuent à la stabilité synaptique dans des conditions de réactivité dyna-
mique. Ces mécanismes seront décrits ci-après.
Métaplasticité.  Considérons à nouveau le diagramme de la figure 25.13. Il
illustre le fait qu’une faible activation des récepteurs NMDA induit une DLT
et une forte activation de ces mêmes récepteurs, une PLT. À un certain niveau
d’activation des récepteurs NMDA, entre DLT et PLT il se trouve une situation
où n’interviennent pas de changements de l’activité synaptique. Cette valeur est
reconnue comme le seuil des modifications synaptiques. Selon la loi BCM, la
valeur de ce seuil de modification de l’activité synaptique est ajustée en fonction
de l’activité post-synaptique intégrée à l’échelle du neurone. Par conséquent,
lorsque cette activité post-synaptique augmente, du fait par exemple d’un trop
914 4 – Neuroplasticité

plein de PLT, le seuil d’activation des modifications synaptiques augmente, ren-


dant la PLT moins facile à produire. À l’inverse, si l’activité post-synaptique
faiblit, peut être là encore d’un trop plein de DLT, le seuil évolue cette fois vers
des valeurs plus basses, affaiblissant la probabilité de survenue d’une DLT et
favorisant celle d’une PLT. Ce concept très général selon lequel les règles de
la plasticité synaptiques changent en rapport avec l’état du neurone post-sy-
naptique est reconnu comme la métaplasticité. Dès lors, les modèles computa-
tionnels montrent qu’effectivement, une telle adaptation du seuil d’activation
des modifications synaptiques se traduit par un maintien de la pertinence de la
sélectivité vis-à-vis des stimuli et de la mémorisation.
Les travaux inspirés par la théorie BCM ont confirmé l’existence d’une
telle métaplasticité. Même s’il apparaît que de nombreux mécanismes peuvent
contribuer au glissement du seuil des modifications synaptiques, l’un d’entre eux
paraît être lié à une modification de la composition en sous-unités de la struc-
ture moléculaire des récepteurs NMDA eux-mêmes. Les récepteurs NMDA
sont formés de l’assemblage de deux sous-unités NR1 et de deux sous-uni-
tés NR2. Par ailleurs, à de nombreuses synapses du cortex cérébral, deux types
de sous-unités NR2 interviennent dans la structure des récepteurs NMDA :
NR2A et NR2B. Le rapport entre le nombre de sous-unités NR2A et NR2B
détermine dès lors les propriétés du récepteur lui-même, en particulier en ce qui
concerne la conductance calcique et le type d’enzymes intracellulaires activées
en conséquence. La PLT est ainsi favorisée lorsque le récepteur contient plus
de sous-unités de type NR2B, et la DLT lorsque le récepteur comprend plus
de sous-unités NR2A. La proportion relative de récepteurs comprenant les
sous-unités NR2A et NR2B, respectivement, dépend de la disponibilité de ces
protéines dans le neurone post-synaptique. Les données de l’expérimentation
montrent qu’après une période d’intense activité corticale la proportion des
sous-unités NR2A augmente, alors que celle des sous-unités NR2B diminue,
favorisant ainsi la DLT par rapport à la PLT. Par ailleurs, NR2B augmente et
NR2A diminue après une période de réduction de l’activité corticale, favorisant
à ce moment la PLT par rapport à la DLT (Fig. 25.18). Ces changements de
la composition moléculaire des récepteurs NMDA interviennent relativement
lentement, sur la base de plusieurs heures, vraisemblablement du fait qu’ils
nécessitent des adaptations de la synthèse des sous-unités protéiques.
Calibrage synaptique.  Dans une série d’expériences très classiques datant
d’avant les années 1930, l’éminent physiologiste Walter Cannon (voir cha-
pitre 18) a démontré que la section d’un nerf périphérique se traduit par une
augmentation de la sensibilité du muscle dénervé à l’acétylcholine, le neurotrans-
metteur de la jonction neuromusculaire, et de son excitabilité. Ce phénomène est
appelé hypersensibilité de dénervation. Il a par la suite été démontré que ce type
de réponse à la perte d’une afférence nerveuse était très commun. Toutefois, la
réponse d’hypersensibilité n’est pas seulement induite par la dénervation. Elle
peut également intervenir à la suite d’un blocage pharmacologique des récep-
teurs au neurotransmetteur, ou encore lorsque les muscles et/ou les nerfs sont
rendus électriquement silencieux par administration de tétrodotoxine (TTX),
un bloquant des canaux sodiques. Cannon suggéra que ces processus adaptatifs
représentaient une forme de réponse homéostatique des cellules excitables à la
perte de leurs afférences.
Un processus analogue intervient dans les neurones corticaux après mani-
pulation de leurs afférences. Lorsque les neurones corticaux sont rendus silen-
cieux par administration locale de TTX, leur excitabilité augmente de façon
réactionnelle et, de façon intéressante, l’impact des synapses excitatrices qui les
contactent augmente également. Mais alors quel est le rôle de ces réajustements
massifs de l’activité synaptique au regard des réglages si subtils des activités
synaptiques qui ont présidé à la formation des souvenirs ? Gina Turrigiano et ses
collègues de l’Université Brandeis ont découvert qu’en fait les différences rela-
tives d’activité synaptique sur un neurone donné sont inchangées même lorsque
le niveau absolu de leur activité varie à la hausse ou à la baisse. En d’autres
termes, tout se passe comme si le neurone ajustait son activité en multipliant (ou
divisant) la valeur de toutes ses entrées synaptiques avec leur poids respectif, par
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 915

Terminaison nerveuse
présynaptique

Récepteur Récepteur
NMDA NMDA

Ca2+ Ca2+

Epine dendritique
post-synaptique

Forte activité corticale

NR2B NR2B Activité corticale réduite NR2B NR2A


Figure 25.18 – Décalage du seuil de modifi-
cation.
L’enregistrement pendant plusieurs jours
+ de l’activité corticale chez l’animal révèle un
Changement d’amplitude des PPSE

« décalage » de la courbe relative à l’établis-


sement de la PLT ou de la DLT suite aux sti-
PLT mulations. Une réduction d’activité se traduit
Après réduction Après activation par l’induction d’une PLT plutôt qu’une DLT,
d’activité sensorielle sensorielle
alors qu’une augmentation d’activité synap-
NR2B > NR2A NR2A > NR2B
0 tique se traduit par une DLT au détriment
d’une PLT. Ce décalage du seuil de modifica-
tion de l’efficacité synaptique est expliqué en
partie par un changement de la composition
DLT des sous-unités constitutives des récepteurs
NMDA, ceux comportant plus de sous-unités
de type NR2B rendant le récepteur plus per-
– méable aux ions Ca2+. (Source : adapté de
Réponse post-synaptique Bear, 2003.)

le même nombre. Un tel type d’ajustement de l’efficacité synaptique absolue qui


préserve ainsi la distribution relative du poids synaptique est dénommé calibrage
synaptique.
Comme dans le cas de la métaplasticité, de nombreux mécanismes se trouvent
impliqués dans ces ajustements. L’un d’entre eux est en rapport avec l’augmenta-
tion de calcium ionisé dans la cellule au travers des canaux calciques dépendants
du potentiel de la membrane et l’activation de la protéine kinase IV-dépendante
du système calcium-calmoduline (CaMKIV, une protéine kinase très proche de
la CaMKII), impliquée dans la régulation de l’expression génique. Une période
d’activité neuronale élevée se traduit ainsi par une augmentation de l’expression
génique dépendant de la CaMKIV, et une réduction d’activité par la réponse
inverse. Les conséquences ultimes de ces changements d’expression génique
se traduisent par une élimination ou au contraire une insertion de récepteurs
glutamatergiques à la synapse (NMDA et AMPA). Comme dans le cas de la
métaplasticité, le calibrage synaptique est relativement lent (de plusieurs heures
à plusieurs jours) par comparaison aux changements d’activité synaptique se
traduisant par des PLT ou des DLT (de la seconde à la minute). Ce délai est
nécessaire à la synthèse (ou à la dégradation) des protéines impliquées dans
l’ajustement de la force des milliers de synapses formées sur le neurone.
La métaplasticité et le calibrage synaptique sont ainsi deux moyens pour le
neurone de maintenir le couvercle sur l’effervescence de la plasticité synaptique.
916 4 – Neuroplasticité

Lorsque l’activité est trop importante pour une période trop longue, ces méca-
nismes basculent de telles manières à promouvoir l’occurrence de la DLT et à
réduire ainsi l’impact synaptique. À l’inverse, lorsque l’activité est trop faible, les
changements favorisent la PLT et augmentent le poids des synapses afférentes.
Ainsi l’activité de base du neurone, les changements de sélectivité vis-à-vis des
stimuli, et l’apprentissage et la mémoire, nécessitent tous un équilibre approprié
des changements d’activité synaptique et de leur stabilité.

Consolidation mnésique
Selon l’ensemble des données rapportées ci-dessus, il peut être conclu que la
mémorisation est liée à des changements d’activité synaptique. Dans la plupart
des exemples de plasticité synaptique que nous avons vus, la transmission de
l’information neuronale est initialement en rapport avec des transferts de grou-
pements phosphate de protéines de la membrane synaptique. Dans le cas de la
DLT et de la PLT, ces changements de phosphorylation impliquent les récep-
teurs AMPA post-synaptiques eux-mêmes, ou des protéines régulatrices interve-
nant pour modifier le nombre de ces récepteurs à la synapse.
La fixation de groupements phosphate sur une protéine pourrait modifier
l’efficacité synaptique et donner naissance à un souvenir, mais seulement aussi
longtemps que le groupement phosphate reste associé à cette protéine. Toutefois,
envisager que la phosphorylation seule représente le mécanisme de la mémoire à
long terme est problématique, au moins pour deux raisons :
1. la phosphorylation d’une protéine n’est pas permanente. Avec le temps, les
groupements phosphate sont détachés, et la mémoire s’efface ;
2. les protéines elles-mêmes ne sont pas permanentes. La plupart d’entre elles
présentes dans le cerveau ont une durée de vie inférieure à deux semaines
et sont constamment soumises à un processus de renouvellement. Des sou-
venirs associés à des modifications portant sur des protéines individuelles
ne dureraient ainsi pas plus que le temps de ce renouvellement.
Il est donc nécessaire de rechercher les mécanismes qui pourraient convertir
la modification initiale de la phosphorylation synaptique de la protéine en une
modification plus durable.

Activité constitutive des protéines kinases


La phosphorylation des protéines synaptiques, et par voie de conséquence
peut-être la mémoire, pourrait persister si les protéines kinases — les enzymes
qui fixent des groupements phosphate sur les protéines — restaient continuel-
lement actives. Normalement l’activité de ces protéines kinases est fortement
régulée, et elles n’agissent qu’en présence d’un second messager. Mais que se
passerait-il si l’apprentissage modifiait ces kinases, de sorte que le second messa-
ger devienne inutile ? La phosphorylation des protéines synaptiques concernées
deviendrait permanente.
Nous savons aujourd’hui que certaines protéines kinases peuvent effective-
ment devenir indépendantes de leurs seconds messagers. Prenons l’exemple des
changements qui se produisent dans l’hippocampe pendant la PLT, à l’échelle
d’une protéine kinase.
CaMKII.  L’entrée de Ca2+ dans la cellule post-synaptique et l’activation de
la CaMKII sont deux éléments nécessaires à l’induction de la PLT dans CA1.
Les données de l’expérimentation montrent que la CaMKII reste activée très
longtemps, bien après que la concentration de Ca2+ intracellulaire soit retournée
aux faibles valeurs normales.
La CaMKII est formée de dix sous-unités organisées selon un pattern « en
rosette ». Chaque sous-unité catalyse la phosphorylation de protéines substrats
en réponse à l’activation du système Ca2+-calmoduline. Mais comment alors
la CaMKII peut-elle être activée si durablement ? La réponse nécessite d’avoir
quelques informations sur la façon dont cette enzyme est normalement régulée
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 917

(Fig. 25.19). Chacune des sous-unités est organisée selon un modèle de « canif »,


Régulatrice
avec deux parties connectées par une sorte de charnière. L’une d’elle, la partie
catalytique, assure la réaction de phosphorylation. L’autre région de la protéine Catalytique
représente une partie régulatrice. Normalement, en l’absence du second messager
approprié, le canif est fermé et la région catalytique de la molécule est couverte (a)
par la partie régulatrice. Cela contribue à l’inactivation de l’enzyme. L’action
du second messager, c’est-à-dire ici du système Ca2+-calmoduline, est d’ouvrir
le canif, mais seulement aussi longtemps que le second messager est présent. Second
Lorsque le second messager est éliminé, la molécule se referme et la kinase est messager
de nouveau inactivée. Cependant, à la suite de la PLT, le canif apparaît comme (Ca2+- calmoduline)
ne pouvant se refermer totalement au niveau de la sous-unité α de la CaMKII,
et la partie catalytique, qui demeure exposée, poursuit ainsi la phosphorylation
des substrats de la CaMKII.
Comment est-il possible que cette protéine kinase reste « ouverte » et donc
active ? La réponse paraît pouvoir être mise en rapport avec le fait que la CaMKII
est une protéine kinase autophosphorylable, c’est-à-dire que chacune des sous-unités
de la protéine est susceptible d’être phosphorylée par les sous-unités du même type
environnantes. La conséquence de cette autophosphorylation est que la « char- Phosphorylation
nière » du canif reste ouverte. Dans ce cas, si l’activation initiale de la protéine des protéines
kinase est suffisamment importante, l’autophosphorylation est bien plus rapide (b)
que la déphosphorylation de la protéine, et c’est ainsi que la molécule reste active.
Une telle activité plus ou moins « continue » («  constitutive ») de la CaMKII
pourrait contribuer à maintenir la potentialisation synaptique, par exemple en
maintenant phosphorylés les récepteurs AMPA post-synaptiques. L’idée géné-
rale est alors qu’une protéine kinase autophosphorylable peut ainsi « maintenir »
l’information dans la synapse, comme l’a initialement proposé John E. Lisman
de l’Université Brandeis, ce qui correspond à l’hypothèse du switch moléculaire. P

Protéine kinase M Zéta.  Des travaux récents impliquent un autre facteur


moléculaire comme intervenant de façon critique dans la PLT et certaines formes
de mémoire : il s’agit de la protéine kinase M zéta (PKMζ). L’intérêt pour cette Phosphorylation
des protéines
protéine provient initialement des travaux de Todd Sacktor à l’Université de New
York, Downstate Medical Center. Sacktor et ses collègues ont montré que l’ad-
ministration intracérébrale d’un peptide nommé ZIP, qui présente une activité (c)
inhibitrice de PKMζ, est à même de supprimer la PLT et les souvenirs établis
plusieurs jours avant l’injection. Dit de façon plus directe, il apparaît que ZIP Figure 25.19 – Régulation de la CaMKII.
« efface » les souvenirs. Ce résultat particulièrement surprenant suggère qu’une (a) Organisation de la molécule en deux par-
ties reliées par une « charnière », à la manière
activité de phosphorylation de substrats protéiques basée sur l’intervention per-
d’un canif. Au repos, la molécule n’est pas
manente de PKMζ est nécessaire pour maintenir les modifications durables de active lorsque la sous-unité régulatrice
l’activité synaptique. Dans ce contexte, en inhibant la kinase, ZIP contribue à recouvre la sous-unité catalytique. (b) La fixa-
la déphosphorylation des substrats, ce qui se traduit par l’effacement des traces tion du second messager, représenté ici par
mnésiques. le complexe Ca2+-calmoduline, « ouvre » la
Comment alors PKMζ devient-elle active de façon permanente en réponse molécule, ce qui correspond à l’expression
à l’activation synaptique ? L’un des modèles proposé pour rendre compte de de son activité catalytique de phosphorylation
cela est basé sur le fait qu’il existe des ARN messagers (ARNm) directement de protéines substrats. (c) Une augmentation
dans la synapse mais que, dans les conditions normales, ces ARNm ne sont pas très importante de la concentration de Ca2+
traduits en protéines. La forte activation synaptique et l’augmentation qui suit est susceptible de provoquer la phosphory-
de la concentration de Ca2+ dans l’élément post-synaptique déclenche ponctuel- lation de l’une des sous-unités par une autre
(autophosphorylation), ce qui a pour effet de
lement une synthèse de protéines synaptiques et conduit ainsi à la production
maintenir l’activité catalytique de la protéine.
de nouvelles molécules de PKMζ. Dans ces conditions, PKMζ est à même de
phosphoryler un certain nombre de protéines impliquées dans la régulation du
nombre de récepteurs AMPA à la synapse et, de plus, un certain nombre aussi de
celles impliquées dans la régulation de la traduction des ARNm dans la synapse.
En déclenchant ce processus de traduction en l’absence de concentrations élevées
de Ca2+, les taux de PKMζ peuvent être reconstitués au regard des mécanismes
de dégradation des kinases.
L’effacement de la mémoire suite à l’administration de ZIP a été reproduit
par plusieurs laboratoires, mais à un certain point il reste qu’il n’est pas clair de
savoir si l’action de ZIP est une inhibition spécifique de PKMζ. Il est cependant
certain qu’il apparaît à ce jour fondamental de comprendre comment agit cet
agent pour aller plus avant dans la connaissance des mécanismes moléculaires
de la mémorisation.
918 4 – Neuroplasticité

Synthèse protéique et consolidation mnésique

L’idée selon laquelle la biosynthèse des protéines est d’une importance


majeure pour la consolidation mnésique n’est pas nouvelle. L’introduction
dans les années 1960 de drogues qui inhibent sélectivement la biosynthèse des
pro­téines à partir des ARNm, a permis d’étudier de manière exhaustive le rôle
possible de la synthèse de nouvelles protéines dans la mémoire. Au cours d’ex-
périences pendant lesquelles des animaux apprennent à effectuer une tâche, des
inhibiteurs de synthèse des protéines sont administrés directement dans le cer-
veau, et les troubles de la mémoire et de l’apprentissage sont ensuite évalués. Ces
expériences montrent que si la synthèse des protéines est inhibée au moment de
l’apprentissage, les animaux apprennent normalement leur tâche mais oublient
quelques jours après. Une perturbation de la mémoire à long terme est égale-
ment observée si l’injection est pratiquée peu après la période d’apprentissage.
Cependant, les acquisitions deviennent de plus en plus résistantes à l’inhibition
de la synthèse des protéines au fur à mesure que le délai entre l’apprentissage
et l’injection de l’inhibiteur augmente. Ces données suggèrent que la synthèse
de nouvelles protéines est nécessaire à la consolidation mnésique, lorsque les
éléments mémorisés à court terme sont transformés en souvenirs à long terme.
Considérez par exemple l’apprentissage dans le test d’évitement actif (voir
Fig. 25.17a). Comme nous l’avons indiqué, le souvenir de cette expérience désa-
gréable est créé en un seul essai et peut-être évalué sur la base de l’évitement par
le rat du compartiment de la cage dans lequel il a reçu le choc électrique sous
les pattes (en règle générale, le compartiment obscur d’une cage à deux compar-
timents séparés par une porte). Normalement, ce comportement est très stable
dans le temps (il dure de plusieurs jours à plusieurs semaines en fonction de
l’intensité du choc qui a été délivré sous les pattes). Si les animaux reçoivent un
inhibiteur de la synthèse des protéines juste avant de subir ce conditionnement
aversif, l’apprentissage s’effectue normalement, comme l’atteste le fait que les
animaux se réfugient dans le compartiment éclairé et évitent le compartiment
dans lequel ils ont reçu le choc électrique. Cependant, ce souvenir s’estompe le
jour même dans les conditions où la synthèse protéique est bloquée. De façon
similaire, la même inhibition de la synthèse protéique au moment de l’applica-
tion d’une stimulation tétanique à haute fréquence ne bloque pas l’induction de
la PLT elle-même, mais dans ce cas les effets sont limités dans le temps et plutôt
que de durer des jours ou même des mois, la potentialisation synaptique dispa-
raît en quelques heures.

Marquage synaptique.  Les données présentées jusqu’ici illustrent la contri-


bution à la formation de la trace mnésique de protéines synaptiques existantes,
dont l’activité est modifiée par des mécanismes principalement post-traduc-
tionnel. Ces modifications moléculaires, possiblement avec l’aide de ces pro­
téines kinases à activité constitutive (permanente), s’opposent aux facteurs, tels
le renouvellement moléculaire, qui ont tendance à effacer les informations à
mémoriser. Il s’agit là d’une bataille perdue, jusqu’à ce qu’une protéine nouvelle-
ment synthétisée intervienne dans la synapse dont l’activité a été modifiée, pour
convertir les changements temporaires qui interviennent dans cette structure en
une activité plus permanente. Mais alors, comment les protéines nouvellement
synthétisées nécessaires pour cette consolidation trouvent-elles les synapses dont
l’activité a été modifiée ? Un début de réponse à cette question a été obtenu par
des expériences élégantes réalisées à la fin des années 1990 par Julietta Frey à
Magdebourg en Allemagne et Richard Morris à Edinburg en Ecosse.
Frey avait contribué à démontrer que la PLT induite par une stimulation
tétanique relativement « faible », qui activait seulement brièvement une popu-
lation de synapses limitée, disparaissait en une heure ou deux seulement du fait
qu’elle n’était pas suffisante pour déclencher la synthèse protéique nécessaire à
son maintien. Par ailleurs, comme attendu, des stimulations « fortes » et répé-
tées, recrutant de nombreuses synapses, étaient suivies par une PLT durable,
en rapport avec la synthèse protéique qu’elles provoquaient (Fig. 25.20a, b).
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 919

Stimulation faible Stimulation de forte intensité

Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test Synthèse des protéines

0 1 2 3 4 5 7 8 9
(a) Stimulation de forte intensité Temps
(heures)

Stimulation faible de l’input 1

Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test de l’input 1 Synthèse des protéines

Input 1 Input 2
Stimulation intense de l’input 2
Neurone de CA1

Amplitude
des PPSE
en réponse à
la stimulation
test de l’input 2 Synthèse des protéines
Enregistrement
des PPSE
(b) 0 1 2 3 4
Temps (heures)

Figure 25.20 – Marquage (« tag ») synaptique.


(a) La persistance de la PLT dépend de l’intensité de la stimulation synaptique, suffisante ou non pour induire une biosynthèse de nouvelles protéines
dans le neurone post-synaptique. De faibles activations synaptiques se traduisent ainsi par une PLT qui disparaît rapidement. Au contraire, des sti-
mulations plus importantes induisent une PLT soutenue, accompagnée d’une synthèse de protéines, qui contribue à convertir les changements tem-
poraires d’activité synaptique en des modifications durables. (b) Deux afférences au même neurone sont stimulées alternativement. Une stimulation
faible de l’input 1 induit une PLT qui devrait normalement disparaître rapidement, mais lorsque celle-ci est suivie une heure après par une seconde
stimulation intense de l’autre afférence (input 2), les protéines nouvellement synthétisées sont « captées » par les synapses « taguées » par la sti-
mulation initiale de l’input 1. L’arrivée en temps voulu de ces nouvelles protéines contribue à convertir la PLT de courte durée en une PLT durable.

Frey et Morris posèrent alors la question de savoir si les protéines nouvellement


synthétisées n’agissaient qu’au niveau des synapses dont l’activité était modi-
fiée par la stimulation ? Ils démontrèrent en fait que la vague de synthèse de
nouvelles protéines induite par la stimulation tétanique « forte » d’une seule des
afférences à un neurone hippocampique s’étendait à d’autres synapses du même
neurone correspondant à une seconde afférence, mise en jeu par des stimula-
tions « faibles » (Fig. 25.20c). Ainsi apparaissait-il que la stimulation tétanique
« faible », insuffisante pour provoquer seule une PLT durable, avait néanmoins
pour effet de tagger les synapses, de telle manière que celles-ci soient à même de
capter des protéines nouvellement synthétisées impliquées dans la consolidation
de la PLT. En variant l’intervalle de temps entre les stimulations « faible » et
« forte » des deux afférences synaptiques, Frey et Morris furent alors à même de
déterminer que le marquage ainsi induit (tag) durait environ deux heures. Dès
lors, un événement plutôt trivial, qui n’a pas vocation à faire l’objet d’une mémo-
risation comme par exemple la composition du menu du dernier mardi qui vient
de se passer, peut effectivement faire l’objet d’une mémorisation si ce repas est
intervenu dans les deux heures qui suivent un autre événement marquant qui, lui,
920 4 – Neuroplasticité

est important au point d’avoir déclenché une synthèse protéique ; par exemple
le premier baiser de l’amour de votre vie (!). Les mécanismes moléculaires qui
matérialisent le tag ne sont pas complètement connus, mais il n’est évidemment
pas surprenant d’imaginer qu’ils impliquent des processus de phosphorylation
de phosphoprotéines particulières par différentes protéines kinases, incluant la
CaMKII et la PKMζ.
Facteur CREB et mémorisation.  Quels sont les éléments qui régulent la
synthèse des protéines nécessaires à la consolidation mnésique ? Comme nous
l’avons vu, la première étape de la biosynthèse des protéines est la production
d’un ARNm à partir du gène (voir Fig. 2.9). Ce processus est régulé par des fac-
teurs de transcription présents dans le noyau. L’un de ces facteurs de transcription
est représenté par le facteur CREB (pour cyclic AMP response element binding
protein). CREB représente une protéine qui se fixe spécifiquement à l’ADN, au
niveau d’une séquence dénommée CRE (pour cAMP response element) et, par-là,
régule l’expression de gènes voisins (Fig. 25.21). Il existe deux formes de CREB :
CREB-2, qui réprime l’expression génique lorsque la protéine se fixe sur CRE ;
et CREB-1, qui active au contraire la transcription, mais seulement lorsque la
protéine est phosphorylée par la protéine kinase A. Dans une étude remarquable
publiée en 1994, Tim Tully et Jerry Yin, du Cold Spring Harbor Laboratory,
montrèrent comment CREB régule l’expression des gènes nécessaires à la conso-
lidation mnésique chez la mouche Drosophila melanogaster (voir Encadré 25.5).
Dans une première série d’expériences, Tully et Yin démontrèrent que la
surexpression de l’équivalent chez la mouche de CREB-2 (dénommé dCREBb),
mais seulement lorsque l’animal était réchauffé (un miracle de la technologie
génétique qui n’est pas possible chez les vertébrés), provoquait une répression
de l’expression de tous les gènes régulés par CRE et produisait un blocage de
la consolidation mnésique dans un simple test de mémoire associative. Ainsi
apparaît-il que la régulation de l’expression génique par CREB est critique pour
la consolidation mnésique, au moins chez la mouche. Les résultats obtenus par
ces chercheurs en ce qui concerne la surexpression de l’homologue de CREB-1,
dénommé chez la drosophile dCREBa, paraissent encore plus intéressants : chez
ces mutants, il apparaît que là où il fallait plusieurs essais pour apprendre à réali-
ser un test, maintenant un seul essai peut suffire pour acquérir cet apprentissage.
Ces mutants présentent alors une bien meilleure mémoire, quasiment « photo-
graphique », que les animaux sauvages. Il est aussi intéressant de noter que ces
résultats ne concernent pas seulement les mouches ; par exemple, une régula-
tion des processus mnésiques par CREB a été mise en évidence chez l’aplysie.

CREB-2

Pas de transcription ADN

CRE GENE

(a)

CREB-1 CREB-2

Figure  25.21 – Régulation de l’expression


génique par CREB.
Le schéma illustre une séquence de l’ADN CRE GENE
portant un gène dont l’expression est régulée
par une interaction avec une protéine CREB (b)
au niveau d’un site CRE. (a) La protéine CREB-1
CREB-2 agit comme un répresseur de l’ex- phosphorylé
pression du gène. (b) CREB-1, qui joue quant P P
à lui le rôle d’un activateur de l’expression
génique, est susceptible de déplacer CREB- Transcription
2. (c) Lorsque CREB-1 est phosphorylé par CRE GENE
la protéine kinase A ou d’autres kinases, la
transcription est activée. (c)
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 921

De plus, ce même type de régulation interfère aussi avec la PLT et la mémoire


spatiale chez la souris.
Cependant, comme vous l’avez sûrement constaté par vous-même, toutes les
expériences sensorielles ne sont pas retenues de façon équivalente. Par exemple,
des événements à forte connotation émotionnelle sont très profondément ancrés
dans la mémoire. D’autres, à l’inverse, ne constituent que des souvenirs très
fugaces. La modulation par CREB paraît ainsi offrir un mécanisme susceptible
de réguler de cette manière l’intensité de la mémorisation.
Une difficulté à consolider les éléments à mémoriser constitue un trait com-
mun à de nombreuses maladies neurologiques, et parfois du vieillissement céré-
bral. Les découvertes récentes sur la consolidation mnésique ont amené certains
industriels à développer des agents pharmacologiques susceptibles d’accroître
ces capacités mnésiques. De tels médicaments pourraient être extrêmement utiles
dans des pathologies de type maladie d’Alzheimer. Mais ils pourraient aussi
prétendre augmenter les capacités mnésiques chez les individus normaux. Par
analogie, regardez ce qu’il advient de l’extraordinaire diffusion du Viagra, qui
est largement utilisé pour stimuler les fonctions érectiles chez l’homme normal !
Il est ainsi vraisemblable qu’une telle sorte de « Viagra pour le cerveau » soit
disponible d’ici à quelques années. Quelques molécules ont été identifiées à ce
jour comme susceptible d’améliorer la consolidation mnésique. Toutefois, pour
le moment leurs effets secondaires ne permettent pas leur développement. Mais
se posera alors la question éthique de savoir si, comme pour les athlètes qui se
dopent, l’utilisation de ces drogues pour stimuler la mémoire en dehors de toute
pathologie sera justifiée.
Plasticité structurale et mémoire.  Que devient la synapse à l’arrivée d’une
nouvelle protéine produite par la stimulation de l’expression génique au moment
opportun ? Une possibilité est que les protéines nouvellement synthétisées,
comme PKMζ par exemple, agissent pour stimuler la synthèse de protéines loca-
lement afin de proroger les changements d’activité synaptique. Cependant, pour
rendre compte du fait que le blocage de la synthèse des protéines n’affecte pas les
informations déjà consolidées, il est nécessaire de postuler que ces protéines nou-
vellement synthétisées présentent une durée de vie suffisante, compatible avec le
blocage temporaire de la biosynthèse des protéines.
Une autre possibilité est que certaines des protéines nouvellement synthé-
tisées participent à la production de nouvelles synapses ou à la destruction
d’autres. Les travaux sur l’aplysie ont montré que certaines formes de mémori-
sation à long terme (mais pas à court terme) s’accompagnaient d’une augmenta-
tion du nombre de synapses sur des neurones particuliers, pouvant aller jusqu’à
son doublement.
De tels mécanismes impliquant des changements structuraux si importants
suite à un apprentissage existent-ils dans le cerveau des mammifères ? Cette
question est difficile à aborder expérimentalement chez les mammifères du fait
de la complexité du cerveau d’une part, et du caractère distribué de la mémoire,
d’autre part. Une des façons de faire est toutefois de comparer le cerveau d’ani-
maux qui ont été placés dans des situations d’apprentissages particulières avec
celui d’autres animaux non soumis à ces apprentissages intensifs. L’une des expé-
riences classiques consiste à placer des rats dans un environnement dit « enrichi »
comportant de nombreux objets à explorer et peuplés de congénères, et d’autres
dans le même environnement, mais seuls et sans objet particulier. Les résultats
montrent que le nombre de synapses du cortex occipital peut augmenter d’en-
viron 25 % par neurone. Très récemment, des études utilisant des méthodes de
microscopie couplées à des techniques de marquage (voir Encadré 2.1) ont per-
mis d’observer le même neurone pendant plusieurs jours chez une souris vivante.
En modifiant l’environnement visuel et tactile de ces animaux, il se produit une
augmentation du nombre d’épines dendritiques, traduisant potentiellement la
formation de nouvelles synapses excitatrices dans le cortex visuel et somatosen-
soriel, respectivement (Fig. 25.22). Si la durée d’exposition de ces animaux est
prolongée, ces synapses nouvellement formées se développent et à ce moment
d’autres synapses présentes sur la même dendrite disparaissent, en accord avec ce
qui est prédit des conséquences de la PLT et de la DLT. Cependant, ces nouvelles
922 4 – Neuroplasticité

Synapse nouvellement Synapse Nouvelle synapse Nouvelle synapse Nouvelle synapse


formée ancienne éliminée renforcée maintenue mais affaiblie renforcée

Axone

Dendrite

Synapses

Axones

(a) Situation (b) Nouvelle situation (c) Situation (d) Retour aux conditions (e) Seconde session
initiale d’apprentissage d’apprentissage initiales (fin de la situation d’apprentissage
prolongé d’apprentissage)

Figure 25.22 – Réarrangement synaptique dans le cortex cérébral en rapport avec l’apprentissage et la mémorisation.


Cette illustration résume quelques-unes des modifications structurales observées expérimentalement dans le néocortex, lorsque des souris sont expo-
sées à de nouveaux environnements sensoriels qui ont fait l’objet d’une mémorisation. (Source : adapté de Hofer et Bonhoeffer, 2010, Fig. 1.)

épines dendritiques sont vulnérables et s’atrophient lorsque l’animal est réintro-


duit dans son environnement d’origine. Toutefois, elles ne disparaissent pas, en
accord cette fois avec l’idée que ces changements structuraux sont à la base de
la mémorisation à long terme et de la possibilité de rappeler les souvenirs de ce
passage dans l’environnement enrichi.
Il est néanmoins important de reconnaître que ces changements structuraux
témoins d’une plasticité structurale présentent des limites dans le cerveau adulte.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 23, les modifications structurales du
cerveau sont largement restreintes à la période développementale et en particu-
lier aux périodes critiques des premiers stades du développement. L’allongement
et la rétraction de la plupart des axones du système nerveux central ne s’étalent
que sur quelques dizaines de microns. Mais il apparaît aujourd’hui clairement
que la fin des périodes critiques ne signifie pas nécessairement que c’est la fin de
la possibilité de changements structuraux des terminaisons axoniques ou encore
de modifications de l’efficacité synaptique.

Conclusion
La synapse pourrait être le site des mécanismes de l’apprentissage et de
la mémoire. Quels que soient les espèces, la région du cerveau et le type de
mémoire, un grand nombre des mécanismes sous-jacents paraissent universels.
La manifestation des événements qui se déroulent se traduit d’abord par des
modifications de l’activité électrique du cerveau, puis de l’intervention de molé-
cules de seconds messagers, et ensuite des modifications de protéines synap-
tiques préexistantes. Ces modifications de caractère transitoire sont converties
en modifications durables — et en mémoire à long terme — par la modification
de la structure même de la synapse. Dans de nombreux modèles d’étude de la
mémoire, ce processus implique la synthèse de nouvelles protéines et l’organisa-
tion de nouveaux microcircuits. Dans tous les cas, l’apprentissage est associé à
nombre des mécanismes qui sont utilisés pour affiner les circuits du cerveau en
cours d’organisation, pendant l’apprentissage.
Un des aspects communs à tous les modèles est la participation des ions Ca2+.
Il est clair que le calcium ne sert pas seulement à consolider les os et à donner de
bonnes dents. Il ne joue pas seulement un rôle critique dans la sécrétion des neu-
rotransmetteurs et la contraction musculaire, mais il est aussi un des facteurs de
presque chaque forme de plasticité synaptique. Parce qu’il représente d’une part
un cation divalent, et d’autre part une substance assimilée à un puissant second
messager, le Ca2+ présente la capacité unique de coupler directement l’activité
électrique avec les modifications à long terme du cerveau.
25 – Mécanismes moléculaires de l’apprentissage et de la mémorisation 923

Est-ce alors à dire que la recherche en neurosciences est capable de faire un


lien entre les ions et l’intelligence ? Du calcium aux activités cognitives ? Si vos
résultats au prochain examen représentent quelque part une certaine évaluation
de vos capacités cognitives et de votre intelligence, et si la plasticité synaptique
est réellement à la base de la mémoire déclarative, alors la réponse à cette ques-
tion est peut-être oui…

QUESTIONS DE RÉVISION

1. Quel est selon vous le corrélat cellulaire le plus commun de la forma-


tion des souvenirs dans le cortex cérébral ? Qu’est-ce que ces proces-
sus nous apprennent sur la façon dont sont encodés les souvenirs par
le cerveau ?
2. Comment peut-on concevoir que les souvenirs soient conservés en dépit
de la perte neuronale inéluctable qui intervient tout au long de la vie ?
3. Comment peut-on rendre compte de la contribution de la dépression
à long terme (DLT) à la mémorisation ?
4. Que représente le « circuit trisynaptique » de l’hippocampe ?
5. Comment peut-on imaginer que les mécanismes de la PLT contribuent
à la mémoire associative ?
6. Quelle propriété rend le récepteur NMDA tout à fait approprié pour
détecter la simultanéité de la stimulation pré et post-synaptique ?
Comment le flux d’ions Ca2+ à travers le récepteur NMDA peut-il
déclencher à la fois la PLT et la DLT dans CA1 et dans le néocortex ?
7. Quelles sont les propriétés communes et les différences entre la
métaplasticité et le calibrage synaptique ?
8. Dans le cas de H.M. et de R.B. (voir chapitre 24), il semble que la
destruction de l’hippocampe ait altéré le mécanisme qui « inscrit »
de nouveaux souvenirs dans le néocortex. Proposez un mécanisme
impliquant CREB qui puisse l’expliquer.

POUR EN SAVOIR PLUS

Abraham WC, Robins A. Memory retention: the synaptic stability versus


plasticity dilemma. Trends in Neuroscience 2005 ; 28 : 73-8.
Bear MF. A synaptic basis for memory storage in the neocortex. Procee-
dings of the National Academy of Sciences USA 1996 ; 93 : 13453-9.
Cooper LN, Bear MF. The BCM theory of synapse modification at 30:
interaction of theory and experiment. Nature Reviews Neuroscience
2012 ; 13 : 798-810.
Kandel ER. In : Search of Memory: The Emergence of a New Science of
Mind. New York : Norton, 2006.
Kessels HW, Malinow R. Synaptic AMPA receptor plasticity and beha-
vior. Neuron 2009 ; 61 : 340-50.
Malenka RC, Bear MF. LTP and LTD: an embarrassment of riches.
Neuron 2004 ; 44 : 5-21.
925

GLOSSAIRE

A1. Voir Cortex auditif primaire. Agnosie. Incapacité de reconnaître des objets, bien que les
Accommodation. Mise au point au niveau de l’œil par la facultés sensorielles paraissent normales ; provoquée géné-
modification de la courbure du cristallin. ralement par des lésions des aires pariétales postérieures du
cerveau.
ACh (acétylcholine). Amine servant de neurotransmetteur
dans plusieurs synapses du SNP et du SNC, y compris à la Agoniste des récepteurs. Agent qui se fixe sur un récepteur
jonction neuromusculaire. et l’active comme le fait le neurotransmetteur lui-même.
Acide aminé. Élément de base de la structure des molé- Agoraphobie. Trouble mental relevant d’une anxiété sévère,
cules protéiques comprenant un atome central de carbone, induit par la sensation d’incapacité à échapper à une situa-
un groupement aminé, un groupement carboxylique et un tion, notamment au milieu de la foule.
groupement R variable. Agression affective. Forme d’agression plutôt défensive ou
Acide γ-aminobutyrique (GABA pour gamma amino-­ destinée à effrayer un prédateur, accompagnée de vocalisa-
butyric acid). Acide aminé synthétisé à partir du glutamate. tions et d’une forte activation du SNA.
Le GABA est le principal neurotransmetteur inhibiteur du Agression prédatrice. Comportement agressif, souvent pour
SNC. obtenir de la nourriture, accompagné de quelques vocalisa-
Acquisition du langage. Processus d’apprentissage du lan- tions et d’une faible activité dans le SNA.
gage. Aire 17. Cortex visuel primaire.
ACTH. Voir Hormone corticotrope. Aire de Broca. Partie du lobe frontal associée à l’aphasie
Actine. Protéine du cytosquelette existant dans toutes les (motrice) de Broca en cas de lésion.
cellules, et représentant aussi une protéine principale des Aire de Wernicke. Aire de la surface supérieure du lobe
fibres musculaires ; provoque la contraction musculaire par temporal située entre le cortex auditif et le gyrus angulaire,
des interactions chimiques spécifiques avec la myosine. dont la lésion provoque l’aphasie de Wernicke.
Acuité visuelle. Pouvoir de discrimination entre deux points Aire hypothalamique latérale. Région de l’hypothalamus
proches. relativement mal définie impliquée dans la motivation des
Adaptation à la lumière. Processus par lequel la rétine comportements.
devient moins sensible à la lumière dans des conditions de Aire IT. Aire du néocortex, localisée dans la partie interne
lumière vive. du lobe temporal (cortex inférotemporal), qui fait partie
Adaptation à l’obscurité. Processus par lequel la rétine du système visuel ventral et contient des neurones qui ré-
devient plus sensible aux stimuli lumineux dans l’obscurité. pondent en rapport avec des stimuli complexes comme des
Adénosine monophosphate cyclique (AMPc). Second mes- visages.
sager produit à partir de l’ATP, par l’action de l’enzyme Aire intrapariétale latérale (aire LIP, pour lateral intra­
adénylate cyclase. parietal area). Voir Cortex intrapariétal latéral.
Adénosine triphosphate (ATP). Molécule représentant la Aire motrice primaire. Cortex moteur primaire. Aire 4.
source d’énergie pour la cellule. L’hydrolyse de l’ATP pour
Aire motrice supplémentaire (AMS). Partie médiane de
produire de l’adénosine diphosphate (ADP) libère l’éner-
l’aire 6, impliquée dans le contrôle du mouvement volon-
gie nécessaire à la plupart des réactions biochimiques du
taire.
neurone. L’ADP est converti à nouveau en ATP dans la
mitochondrie. Aire MT. Aire du néocortex, siégeant à la jonction des lobes
temporal et pariétal, qui reçoit les efférences du cortex strié
Adényl cyclase (adénylate cyclase). Enzyme qui catalyse la
et semble spécialisée dans la détection du déplacement du
conversion de l’ATP en AMPc, un second messager.
stimulus.
ADHD (attention deficit hyperactivity disorder). Trouble du
comportement caractérisé par un déficit attentionnel, une Aire prémotrice (APM). Partie latérale de l’aire 6, impliquée
hyperactivité et une impulsivité, détecté en général chez dans le contrôle du mouvement volontaire.
l’enfant. Aire V4. Aire du néocortex, antérieure au cortex strié, qui fait
ADN (acide désoxyribonucléique). Molécule à deux brins partie du système visuel ventral et paraît importante pour la
formée de quatre acides nucléiques ; elle contient les infor- perception des formes et des couleurs.
mations génétiques de la cellule. Amnésie. Perte de mémoire sévère ou incapacité à apprendre.
Adrénaline. Neurotransmetteur (catécholamine) synthétisé Amnésie antérograde. Impossibilité d’acquérir de nouvelles
à partir de la noradrénaline ; appelé aussi épinéphrine en informations.
anglais. Amnésie globale transitoire. Crise d’amnésie rétrograde et
Afférence. Projection d’un axone sur une structure donnée. antérograde de quelques minutes.
926 Glossaire

Amnésie rétrograde. Perte de la mémoire pour les événe- Aphasie de Wernicke. Trouble du langage : le langage est
ments antérieurs à une maladie ou à un traumatisme céré- fluide mais confus, et la compréhension faible.
bral. Apoptose. Mécanisme de la mort cellulaire génétiquement
AMPc. Voir Adénosine monophosphate cyclique. « programmée ».
Amplificateur cochléaire. Cellules ciliées externes, y com- Appareil de Golgi. Organite qui sélectionne et modifie les
pris les protéines motrices de la membrane des cellules ci- protéines destinées à différentes parties de la cellule.
liées externes, qui assurent l’amplification des mouvements
Appareil vestibulaire. Structure de l’oreille interne impli-
de la membrane basilaire dans la cochlée.
quée dans le contrôle de la position de la tête dans l’espace.
Amygdale (ou amygdala). Noyau en forme d’amande du lobe
Apprentissage. Acquisition d’autres informations ou
temporal antérieur, probablement impliqué dans l’émotion
connaissances.
et dans certains types de mémoire et d’apprentissage.
Anabolisme. Biosynthèse des molécules organiques à par- Apprentissage associatif. Apprentissage d’associations entre
tir de précurseurs nutritifs ; dénommé aussi métabolisme des événements ; on en distingue deux formes : le condi-
anabolisant. Voir aussi Catabolisme. tionnement classique et le conditionnement instrumental.

Analgésie. Absence de la sensation de douleur. Apprentissage non associatif. Modification de la réponse


à un stimulus donné avec le temps, se présente sous deux
Analyse quantique. Méthode permettant de déterminer com- formes : l’habituation et la sensibilisation.
bien de vésicules libèrent des neurotransmetteurs au cours
de la transmission synaptique normale. Aqueduc cérébral. Canal situé dans le mésencéphale, rempli
de liquide céphalorachidien.
Androgènes. Hormones stéroïdiennes sexuelles mâles. La
plus importante de ces hormones est la testostérone. Arborisation axonique. Partie terminale d’un axone souvent
très ramifiée innervant la même zone du système nerveux.
Angle visuel. Mesure de la capacité de l’œil à résoudre des
points séparés du champ visuel. Est utilisé pour apprécier Arborisation dendritique. Ensemble des dendrites d’un neu-
l’acuité visuelle. rone.
Anion. Ion négatif. ARNm (acide ribonucléique messager). Molécule compo-
Anomie. Difficulté ou impossibilité de trouver ses mots. sée de quatre acides nucléiques qui transporte les infor-
mations génétiques pour l’assemblage d’une protéine, du
Anorexie. État de la balance énergétique négatif en cela noyau vers le cytoplasme.
que la dépense énergétique est supérieure à la production
d’énergie. Voir aussi Inanition. Assemblée cellulaire. Un groupe de neurones dont l’activité
simultanée pourrait être la représentation d’un événement
Anorexie nerveuse. Trouble psychiatrique caractérisé par ou d’un objet extérieurs.
une obsession de la nourriture, une peur intense de prendre
du poids, et un maintien volontaire du poids corporel en Astrocyte. Cellule gliale qui agit conjointement avec les
dessous de la norme. neurones et assure la régulation de l’environnement extra-
cellulaire chimique et ionique.
Antagoniste des récepteurs. Une drogue qui se fixe au
récepteur et inhibe sa fonction. Ataxie. Mouvement mal coordonné et inapproprié, souvent
associé à un dysfonctionnement cérébelleux.
Antérieur. En direction de l’avant, du nez ; rostral.
Antidépresseurs. Médicament qui traite les symptômes de la Atonie. Absence de tonus musculaire.
dépression. Les plus courants sont par exemple les compo- ATP. Voir Adénosine triphosphate.
sés tricycliques, les inhibiteurs de la monoamine oxydase A Attaque agressive. Forme d’agression menaçante ou défen-
(IMAO), et les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sive, accompagnée de vocalisations et d’un niveau d’acti­
sérotonine (voir ISRS). vité intense du SNA.
Anxiété. Groupe de troubles mentaux caractérisés par une ex- Atteinte spécifique du langage. Retard de l’acquisition du
pression de peur irrationnelle et inappropriée, incluant les langage en dehors de la surdité et de troubles généraux du
troubles paniques, les troubles obsessivocompulsifs (TOC), développement.
et l’agoraphobie.
Attention. État pendant lequel une ressource énergétique par-
Anxiolytiques. Médicaments qui réduisent l’anxiété, par
ticulière est allouée à la détection de stimuli sensoriels.
exemple les benzodiazépines et les inhibiteurs sélectifs de
la recapture de la sérotonine (ISRS). Attention dirigée. Capacité de l’attention visuelle à se focali-
ser sur un objet, y compris lorsqu’il se déplace, à la manière
Aphasie. Perte partielle ou totale du langage consécutive à
d’un faisceau de lumière qui suit un acteur sur une scène.
une lésion cérébrale.
Aphasie de Broca. Trouble du langage, appelé aussi apha- Attention endogène (« top-down attention »). Attention
sie motrice ou non fluide. Difficulté à dire ou à répéter les volontairement dirigée par le cerveau vers un objet afin
mots, mais compréhension du langage. d’optimiser un comportement.

Aphasie de conduction. Forme d’aphasie associée aux lé- Attention exogène (« bottom-up attention »). Attention diri-
sions du faisceau arqué, la compréhension et le langage sont gée de façon réflexe vers un stimulus externe.
préservés, mais la répétition des mots est difficile. Audition. Sens de l’ouïe.
Glossaire 927

Autorécepteur. Récepteur transmembranaire situé au niveau CA1. Partie de la corne d’Ammon dans l’hippocampe qui
de la terminaison de l’axone présynaptique sensible au neu- reçoit les efférences des neurones de CA3.
rotransmetteur libéré par cette même terminaison. (NdT : CA3. Partie de la corne d’Ammon dans l’hippocampe qui
ce type de récepteur peut également se trouver sur le soma reçoit les efférences des neurones du gyrus dentatus.
et/ou les dendrites d’un neurone. Dans ce cas, c’est le neu-
rotransmetteur du neurone lui-même qui active le récepteur, Calibrage synaptique. Ajustement de l’efficacité synaptique
à partir d’une libération proximale impliquant des collaté- en réponse à des changements de la décharge moyenne du
rales axoniques formant des « autapses » ou encore à partir neurone post-synaptique.
de processus plus rares de libération somatodendritique du CAM. Voir Molécule d’adhésion cellulaire.
neurotransmetteur). CaMKII. Protéine kinase dépendante du calcium et de la
Autostimulation. Stimulation électrique appliquée volontai- calmoduline.
rement à une partie du cerveau par l’animal lui-même. Canal auditif. Canal allant du pavillon de l’oreille au tympan.
Axe hypothalamo-hypophysaire corticotrope. Système qui Canal calcique dépendant du potentiel. Protéine formant
régule la sécrétion de cortisol à partir des glandes sur­rénales. un pore transmembranaire perméable aux ions Ca2+, dont
Une dysfonction de cet axe a été impliquée dans certains l’ouverture dépend de la dépolarisation de la membrane.
aspects de l’anxiété et des troubles de l’humeur.
Canal cochléaire. Cavité de la cochlée située entre la rampe
Axone. Neurite qui conduit les influx nerveux ou potentiels vestibulaire et la rampe tympanique.
d’action vers les terminaisons nerveuses, en partant du
soma. Canal des taches. Canal qui traite l’information visuelle pas-
sant à travers les couches parvocellulaires et koniocellu-
Ballisme. Trouble du mouvement provoqué par une lésion laires du CGL et convergeant sur les taches de la couche III
du noyau sous-thalamique, caractérisé par un mouvement du cortex strié ; traitement de l’information concernant la
balistique excessif et non contrôlé. couleur.
Bande motrice. Aire 4 du gyrus précentral. Canal ionique. Protéine transmembranaire qui forme un pore,
Barbiturique. Drogue à effet sédatif qui favorise l’inhibition. permettant le passage des ions d’un côté de la membrane à
Les barbituriques se fixent au récepteur GABAA et augmen- l’autre.
tent la durée d’ouverture des canaux en présence de GABA. Canal ionique sensible au transmetteur. Protéine trans-
Barrière hématoencéphalique. Spécialisation des parois des membranaire formant un pore perméable aux ions et dont
capillaires du cerveau qui limite le passage des substances l’ouverture est contrôlée par un neurotransmetteur.
du sang vers le milieu extracellulaire du cerveau. Canal magnocellulaire (canal M). Canal de transmission
Bâtonnet. Photorécepteur de la rétine contenant de la rhodop- de l’information visuelle qui part des cellules rétiniennes
sine sensible aux faibles intensités de lumière. ganglionnaires de type M vers la couche IVB du cortex
strié ; transmettrait l’information relative au mouvement
Benzodiazépine. Drogue sédative qui favorise l’inhibition.
visuel.
Les benzodiazépines se fixent sur le récepteur GABAA et
augmentent la fréquence d’ouverture des canaux en pré- Canal müllerien. Structure des gonades embryonnaires qui
sence de GABA. se développe dans le système reproducteur interne des
femelles.
Bicouche de phospholipides. Arrangement de molécules
de phospholipides qui forme la structure de base de la Canal parvocellulaire-intertaches (canal P-IB). Canal de
membrane cellulaire. Le cœur de la bicouche est formé de traitement de l’information visuelle qui part des cellules
lipides créant une barrière contre l’eau et contre les ions et ganglionnaires rétiniennes de type P vers les régions inter-
les molécules solubles dans l’eau. médiaires de la couche III. Il serait impliqué dans l’analyse
de la forme.
Bottom-up attention. Voir Attention exogène.
Canal potassique dépendant du potentiel. Protéine qui
Bourgeon gustatif. Amas de cellules, qui contient les récep-
forme un pore transmembranaire perméable aux ions
teurs du goût, dans les papilles de la langue.
K+ dont l’ouverture dépend de la dépolarisation de la
Boulimie nerveuse. Trouble psychiatrique caractérisé par membrane.
une prise de nourriture incontrôlée, suivie de comporte-
Canal semi-circulaire. Composante du labyrinthe vestibu-
ments compensatoires comme des vomissements volontai-
laire à l’intérieur de l’oreille interne sensible aux rotations
rement déclenchés.
de la tête.
Bouton « en passant ». Renflement, lieu d’une synapse sur
Canal sodique dépendant du potentiel. Protéine qui forme
le trajet d’un axone.
un pore transmembranaire perméable aux ions Na+ dont
Bouton terminal. Extrémité d’un axone, généralement site l’ouverture dépend de la dépolarisation de la membrane.
de contact avec une autre cellule. Canal spinal. Espace rempli de liquide céphalorachidien à
Bulbe (rachidien). Partie caudale du cerveau postérieur par l’intérieur de la moelle épinière.
rapport au pont et au cervelet. Canal wolffien. Structure des gonades embryonnaires qui
Bulbe olfactif. Structure en forme de bulbe dérivée du télen- se développe dans le système reproducteur interne chez le
céphale qui reçoit l’influx nerveux des récepteurs olfactifs. mâle.
928 Glossaire

Canalopathie. Maladie génétique humaine causée par une Cellule de grille. Neurones du cortex entorhinal activés lors
altération de la structure ou de la fonction d’un canal de déplacements d’un animal, en rapport avec la localisa-
ionique. tion de cet emplacement. Les cellules de grille sont organi-
Capsule. Rassemblement d’axones qui relie le cerveau au sées selon des arrangements hexagonaux.
tronc cérébral. Cellule de lieu. Neurone, situé dans l’hippocampe chez le rat,
qui ne répond que lorsque l’animal se trouve dans un certain
Capsule interne. Formation composée de nombreux axones
endroit de l’espace de sa cage.
qui sert de connexion entre le télencéphale et le diencéphale.
Cellule de Purkinje. Cellule du cortex cérébelleux qui in-
Carte cytoarchitectonique. En général, carte du cortex céré­ nerve les noyaux profonds du cervelet.
bral établie à partir des différences de cytoarchitecture.
Cellule de Schwann. Cellule gliale qui forme la myéline dans
Carte sensorielle. Représentation de l’information senso- le SNP.
rielle à l’intérieur d’une structure nerveuse qui préserve
Cellule épendymaire. Cellule gliale qui tapisse le système
l’organisation spatiale de l’origine de l’information établie
ventriculaire du cerveau.
par les organes sensoriels. Exemples : cartes rétinotopiques
présentes au niveau du colliculus supérieur, du CGL et du Cellule étoilée. Neurone avec une distribution radialement
cortex visuel, où les neurones répondent sélectivement à disposée des dendrites.
des stimulations électives de certaines parties de la rétine. Cellule ganglionnaire. Cellule de la rétine qui reçoit les in-
Cascade des seconds messagers. Processus en plusieurs flux des cellules bipolaires et envoie un axone dans le nerf
étapes dans lequel l’activation du récepteur d’un neuro­ optique.
transmetteur est couplée avec l’activation d’enzymes intra- Cellule ganglionnaire de type M. Type de cellule ganglion-
cellulaires. naire rétinienne caractérisée par un gros corps cellulaire
et une arborisation dendritique, une réponse phasique à la
Catabolisme. Dégradation des molécules en éléments plus
lumière, une insensibilité aux différentes longueurs d’ondes
simples, aussi dénommé métabolisme catabolique. Voir
lumineuses.
aussi Anabolisme.
Cellule ganglionnaire de type P. Type de cellule ganglion-
Catécholamines. Des neurotransmetteurs : la dopamine, la
naire rétinienne caractérisée par un petit corps cellulaire
noradrénaline et l’adrénaline.
et une arborisation dendritique, une réponse soutenue à la
Cation. Ion positif. lumière et une sensibilité à différentes longueurs d’ondes.
Caudal. En direction de la queue, postérieur. Cellule ganglionnaire non P-non M. Cellule ganglionnaire
de la rétine qui n’est ni du type P, ni du type M, sur la base
CCK. Voir Cholécystokinine.
de sa morphologie et des caractéristiques de sa réponse.
Cellule amacrine. Neurone de la rétine qui envoie des neu- Certaines de ces cellules sont sensibles à la longueur d’onde
rites latéralement dans la couche plexiforme interne. de la lumière.
Cellule à opposition simple de couleur. Cellule du sys- Cellule ganglionnaire photorécepteur. Cellules ganglion-
tème visuel dans laquelle des longueurs d’onde de lumière naires de la rétine sensibles à la lumière utilisant la méla-
avec une couleur donnée provoquent une réponse excita- nopsine comme photopigment.
trice et avec une autre couleur, une réponse inhibitrice. Les Cellule gliale. Cellules constituant le système nerveux avec
couleurs qui s’annulent sont le rouge et le vert, et le bleu et les neurones. Trois principales catégories sont déclinées :
le jaune. les astrocytes, les oligodendrocytes, et la microglie. Dans le
Cellule bipolaire. Dans la rétine, cellule qui connecte les système nerveux périphérique la glie est représentée par les
photorécepteurs aux cellules ganglionnaires. cellules de Schwann.
Cellule bipolaire de type OFF. Cellule bipolaire de la ré- Cellule gliale radiale. Cellule gliale du cerveau embryon-
tine qui se dépolarise en réponse à l’obscurité (light OFF) naire qui s’étend de la zone ventriculaire à la surface du
touchant le centre de son champ récepteur. cerveau ; les neurones immatures et d’autres cellules gliales
migrent le long de leurs prolongements.
Cellule bipolaire de type ON. Cellule bipolaire de la rétine
qui se dépolarise à l’éclairement (light ON) frappant le Cellule granulaire. Neurone du cortex cérébelleux qui reçoit
centre de son champ récepteur. les fibres moussues et projette sous forme de fibres paral-
lèles sur les cellules de Purkinje.
Cellule ciliée. Cellule du système auditif qui convertit le son
en variations du potentiel membranaire. Cellule horizontale. Dans la rétine, cellule qui projette ses
neurites latéralement dans la couche plexiforme externe.
Cellule ciliée externe. Récepteur auditif plus éloigné du
Cellule microgliale. Cellule jouant le rôle de phagocyte dans
modiolus que les piliers de Corti.
le SNC pour supprimer les débris laissés par les neurones et
Cellule ciliée interne. Cellule du système auditif siégeant les cellules gliales qui dégénèrent.
entre le modiolus et les piliers de Corti ; premier trans­ Cellule neurosécrétoire magnocellulaire. Neurone de la
ducteur du son en signal électrochimique. région périventriculaire et du noyau supra-optique de
Cellule complexe. Neurone du cortex visuel dont le champ l’hypothalamus projetant vers l’hypophyse postérieure
récepteur présente une spécificité d’orientation, sans dis- et sécrétant de l’ocytocine ou de la vasopressine dans la
tinction d’effets ON et OFF. circulation sanguine.
Glossaire 929

Cellule neurosécrétoire parvocellulaire. Neurone de petite Champ visuel. Espace visible pour les yeux, lorsque ceux-ci
taille de la région médiane et périventriculaire de l’hypo- fixent un point donné.
thalamus, qui sécrète des peptides hypophysiotropes dans Champ visuel binoculaire. Partie du champ visuel visible
le système porte-hypophysaire pour stimuler ou inhiber la par les deux yeux.
production d’hormones à partir de l’hypophyse antérieure.
Changement de dominance oculaire. Modification dans les
Cellule pyramidale. Neurone avec un corps cellulaire en interconnexions du cortex visuel qui augmente le nombre
forme de pyramide et une arborisation dendritique allongée, de neurones sensibles à un œil ou à l’autre.
siégeant dans le cortex cérébral.
Channelrhodopsine-2 (ChR2). Canal ionique sensible à la
Cellule réceptrice du goût. Cellule épithéliale modifiée qui lumière, initialement découvert chez une algue verte, sus-
transforme les stimuli du goût. ceptible d’être exprimé par les neurones et par conséquent
Cellule simple. Cellule appartenant au cortex strié ayant capable d’en contrôler l’activité par modification de leur
un champ récepteur avec une sélectivité d’orientation en éclairement.
longueur, et des parties ON et OFF distinctes. Chémoattractif. Molécule diffusible qui agit à distance pour
Cellule souche pluripotente induite. Cellule souche présen- « attirer » les axones au cours du développement.
tant un potentiel de développement en n’importe quel type Chémorécepteur. Tout récepteur sensoriel sensible aux com-
de cellule, y compris les neurones, transformés par action posés chimiques.
chimique à partir de cellules adultes. Chémorépulsif. Molécule diffusible qui agit à distance pour
Centre du plaisir. Nom originairement donné aux sites d’au- « repousser » les axones au cours du développement.
tostimulation renforcée du cerveau, sans tenir compte du Cholécystokinine (CCK). Peptide présent dans certains neu-
fait que la stimulation électrique génère une sensation de rones du système nerveux central ou périphérique et dans
plaisir ou non. quelques cellules endothéliales présentes dans la partie
Cerveau. Partie du système nerveux central présente dans la supérieure du tractus digestif. Ce peptide représente un
tête, incluant le cerveau antérieur, le cervelet, le tronc céré- signal de satiété qui inhibe la prise alimentaire, en partie
bral, et les rétines. par l’intermédiaire des axones du nerf vague qui répondent
à la distension gastrique.
Cerveau antérieur. Partie la plus développée du cerveau,
appelée aussi télencéphale. Cholinergique. Terme utilisé pour décrire les neurones ou les
synapses qui produisent et libèrent de l’acétylcholine.
Cerveau médian. Partie du cerveau dérivée de la vésicule
Chorée de Huntington. Maladie neurodégénérative hérédi-
primaire médiane du cerveau chez l’embryon, appelée aussi
taire qui se traduit par des mouvements anormaux, une dé-
le mésencéphale. Les structures du cerveau médian sont le
mence, et des troubles de la personnalité. Cette maladie est
tectum et le tegmentum.
associée à une dégénérescence des neurones dans le stria-
Cerveau postérieur. Partie du cerveau dérivée de la vésicule tum et le cortex cérébral.
primaire caudale chez l’embryon, appelée aussi le rhomben-
Chiasma optique. Structure dans laquelle les nerfs optiques
céphale. Il comprend le cervelet, le pont et le bulbe.
droit et gauche convergent et se croisent en X pour donner
Cervelet. Structure dérivée du rhombencéphale, rattachée au les voies optiques.
tronc cérébral et au pont ; un centre important du contrôle Chromosome. Structure du noyau cellulaire qui contient un
du mouvement. seul brin linéaire d’ADN.
CGL. Voir Corps genouillé latéral. Circuit de Papez. Circuit comprenant un ensemble de struc-
CGM. Voir Corps genouillé médian. tures reliées au thalamus et au cortex, proposé par Papez
comme étant le système de l’émotion.
Chaîne sympathique. Série de ganglions sympathiques du
SNA interconnectés adjacents à la colonne vertébrale ; ils Cotransmetteur. L’un des neurotransmetteurs présents dans
reçoivent l’influx des fibres sympathiques préganglion- la terminaison lorsque celle-ci en contient plusieurs.
naires et projettent des fibres post-ganglionnaires sur des Cochlée. Structure osseuse de l’oreille interne en forme de spi-
organes et des tissus cibles. rale. Elle contient les cellules ciliées qui transforment le son.
Champ récepteur. Partie d’une surface sensorielle (rétine, Codage de population. Représentation de l’information sen-
peau) qui, lors de sa stimulation, modifie le potentiel de la sorielle, motrice ou cognitive par l’activité distribuée sur
membrane d’un neurone. une large population de neurones. Par exemple, la couleur
Champ récepteur binoculaire. Champ récepteur d’un neu- codée par une population de cônes au niveau de la rétine.
rone qui répond à la stimulation des deux yeux. Codage temporel. Représentation de l’information par la
concordance des potentiels d’action entre neurones plutôt
Champ récepteur de type centre-périphérie. Champ récep-
que par leur fréquence moyenne.
teur avec une partie centrale circulaire et un pourtour en
forme d’anneau autour du centre. La stimulation du centre Collatérale axonique. Ramification de l’axone.
produit une réponse inverse de la réponse évoquée par la Collatérale de Schaffer. Axone d’un neurone de CA3 qui
stimulation de la périphérie. innerve les neurones de CA1 de l’hippocampe.
Champ terminal. Ramifications à l’extrémité d’un axone se Colliculus inférieur. Noyau du mésencéphale qui projette un
terminant dans la même partie du système nerveux. influx auditif ascendant sur le CGM.
930 Glossaire

Colliculus supérieur. Structure du tectum située dans le Cône axonique. Renflement de l’axone à sa jonction sur le
mésencéphale qui reçoit l’influx rétinien directement et soma. Les potentiels d’action sont le plus souvent émis à
contrôle la direction des saccades oculaires. partir du cône axonique.
Colonne de dominance oculaire. Région du cortex strié Cône de croissance. Extrémité d’un neurite en croissance.
recevant de façon prédominante les informations d’un œil. Conjonctive. Membrane qui se replie depuis les paupières.
Colonne d’orientation. Colonne de neurones du cortex vi- Connectome. Diagramme détaillé de connexions neuronales
suel s’étendant de la couche II à la couche VI, qui présente dans un système donné.
une spécificité d’orientation.
Conscience. Capacité de porter une attention aux événements
Colonnes dorsales. Faisceau dorsal de substance blanche de extérieurs ainsi qu’aux pensées générées en interne et aux
la moelle épinière ; rassemble les axones impliqués dans le sentiments.
toucher et la proprioception.
Consolidation mnésique. Stockage de nouvelles informa-
Colonnes dorsales-voie lemniscale. Voie somatique senso- tions dans la mémoire à long terme.
rielle ascendante qui transmet les informations relatives
Consolidation synaptique. Transformation de l’information
au toucher, à la pression, la vibration et la sensibilité des
sensorielle en une trace temporaire dans l’hippocampe.
membres.
Constante de longueur. Paramètre du calcul de la distance de
Coloration de Golgi. Méthode de coloration des tissus céré-
propagation d’un potentiel d’action le long d’un câble, par
braux montrant les neurones et toutes leurs neurites ; décou-
exemple un axone ou un dendrite, représenté par le sym-
verte par l’histologiste italien Camillio Golgi (1843-1926).
bole λ ; la constante de longueur λ est la distance à laquelle
Coloration de Nissl. Coloration de base pour marquer les le voltage perd 37 % de sa valeur initiale ; λ dépend du
soma des neurones ; découverte par l’histologiste allemand rapport de rm à ri.
Franz Nissl (1860-1919).
Controlatéral. Côté opposé par rapport à la ligne médiane.
Commissure. Ensemble des axones qui relient les deux côtés
Coopérativité. Caractéristique liée à l’induction de la PLT
du cerveau.
reflétant la nécessité de la mise en jeu de plusieurs affé-
Compétition binoculaire. Processus qui pourrait se produire rences au cours de la tétanisation. Voir Potentialisation à
au cours du développement du système visuel, au cours du- long terme.
quel les efférences provenant des deux yeux sont en compé-
Cordes vocales. Bandes de muscles du larynx qui vibrent
tition active pour l’innervation des mêmes cellules.
pour provoquer des sons chez l’homme.
Complexe du cerveau antérieur basal. Plusieurs noyaux
Corne d’Ammon. Couche de neurones de l’hippocampe qui
cholinergiques du télencéphale, y compris les noyaux du
envoie des projections dans le fornix.
septum médian et le noyau de Meynert.
Corne dorsale. Partie dorsale de la moelle épinière qui
Comportement motivé. Comportement déclenché pour
contient les corps cellulaires.
atteindre un objectif.
Corne ventrale. Région ventrale de la moelle épinière conte-
Concept de neurone (doctrine du neurone). Concept selon
nant les corps cellulaires des neurones moteurs.
lequel le neurone est l’unité fonctionnelle élémentaire du
cerveau ; les neurones communiquent entre eux en établis- Cornée. Surface extérieure transparente de l’œil.
sant des contacts et ne sont pas en continuité. Corps calleux. Grande commissure cérébrale composée
Conditionnement classique. Procédure d’apprentissage d’axones, qui relie le cortex entre les deux hémisphères.
utilisée pour retenir l’association de deux stimuli, dont l’un Corps cellulaire. Partie centrale du neurone qui contient le
provoque naturellement une réponse et l’autre pas. noyau ; appelée aussi soma ou perikaryon.
Conditionnement instrumental. Forme d’apprentissage Corps genouillé latéral (CGL). Noyau du thalamus qui
utilisée pour associer une réponse, par exemple un acte relaie l’information de la rétine au cortex visuel primaire.
moteur, à un stimulus signifiant, par exemple de la nourriture. Corps genouillé médian (CGM). Noyau relais du thalamus
Conductance. Mesure du déplacement des particules élec- par lequel passent toutes les informations auditives depuis
triques entre deux points, représentée par le symbole g et le colliculus inférieur vers le cortex auditif.
mesurée en unités appelées siemens (S). La conductance est Corpuscule de Pacini. Mécanorécepteur en profondeur de la
l’inverse de la résistance ; elle est en relation avec le cou- peau, sélectif pour les vibrations à fréquence élevée.
rant électrique et le voltage, selon la loi d’Ohm.
Corrélats neuronaux de la conscience. Événements neuro-
Conduction saltatoire. Propagation d’un potentiel d’action naux minima nécessaires à une perception consciente.
le long d’un axone myélinisé.
Corrélation de phase. Décharge d’un neurone auditif en
Conduit auditif. Partie de l’oreille externe qui relie le pavil- phase avec l’onde sonore.
lon à l’oreille interne.
Cortex. Fine couche de neurones, à la surface du cerveau.
Cône. Récepteur rétinien contenant un des trois différents
pigments qui sont le plus sensibles aux différentes ondes Cortex auditif primaire. Aire 41 de Brodman, située à la
lumineuses. Les cônes se trouvent dans la fovéa ; ils sont surface supérieure du lobe temporal ; appelée aussi aire A1.
sensibles à la lumière du jour et responsables de la vision Cortex cérébelleux. Couche de substance grise située sous la
des couleurs. surface de la pie-mère dans le cervelet.
Glossaire 931

Cortex cérébral. Couche de substance grise située à la sur- Couche des segments externes des photorécepteurs. La
face du cerveau. couche de la rétine la plus éloignée du centre de l’œil ; elle
Cortex cingulaire antérieur. Partie du cortex cérébral située contient les éléments des photorécepteurs sensibles à la
juste en avant du corps calleux, qui a été impliquée dans la lumière.
physiopathologie de certains troubles de l’humeur. Couche magnocellulaire du CGL. Couche du CGL qui reçoit
Cortex entorhinal. Partie corticale du lobe temporal interne l’influx des cellules rétiniennes ganglionnaires de type M.
qui occupe le rebord interne du sillon rhinal ; se projette sur Couche nucléaire externe. Région de la rétine où se trouvent
l’hippocampe. localisés les corps cellulaires des photorécepteurs.
Cortex gustatif primaire. Aire du néocortex qui reçoit Couche nucléaire interne. Couche de la rétine composée
l’information gustative du noyau ventral postéromédian ; des corps cellulaires des cellules bipolaires, horizontales et
correspond essentiellement à l’aire 43 de Brodman. amacrines.
Cortex intrapariétal latéral (aire LIP). Aire corticale située Couche parvocellulaire du CGL. Couche du CGL qui reçoit
en profondeur dans le sillon intrapariétal impliquée dans la l’influx synaptique des cellules ganglionnaires rétiniennes
vision et le contrôle de comportements associés à la vision. de type P.
Cortex moteur. Aires corticales 4 et 6, directement impli- Couche plexiforme externe. Couche de cellules de la rétine,
quées dans le contrôle du mouvement volontaire. siégeant entre la couche nucléaire interne et la couche nu-
Cortex moteur primaire (M1). Aire 4, localisée dans le cléaire externe ; elle contient les neurites et les synapses
gyrus précentral ; c’est la région du cortex qui, lorsqu’elle entre les photorécepteurs, les cellules horizontales et les
est stimulée, présente le plus faible seuil d’évocation des cellules bipolaires.
mouvements. Couche plexiforme interne. Couche de la rétine siégeant
Cortex olfactif. Région du cortex cérébral connectée au bul- entre la couche des cellules ganglionnaires et la couche
be olfactif et séparée du néocortex par la scissure rhinale. nucléaire interne, formée par les neurites et des synapses
établies entre les cellules bipolaires et amacrines, et les
Cortex parahippocampique. Région corticale du lobe tem-
cellules ganglionnaires.
poral interne siégeant latéralement par rapport au cortex
périrhinal. Couplage excitation-contraction. Mécanisme physiologique
par lequel se produit la contraction musculaire en réponse
Cortex pariétal postérieur. Partie postérieure du lobe parié-
à son excitation.
tal, principalement les aires 5 et 7 de Brodman, impliquée
dans l’intégration visuelle et somatosensorielle et l’atten- Courant d’obscurité. Flux d’ions Na+ passant dans les pho-
tion. torécepteurs dans l’obscurité.
Cortex périrhinal. Région corticale du lobe temporal interne Courant électrique. Déplacement de la charge électrique,
qui occupe le rebord latéral du sillon rhinal. représenté par le symbole I et mesuré en unités appelées
ampères (amp).
Cortex préfrontal. Aire corticale située à l’extrémité rostrale
du lobe frontal qui reçoit l’influx du noyau médiodorsal du Crête ampullaire. Partie d’un canal semi-circulaire compor-
thalamus. tant les cellules ciliées qui détectent les mouvements de
rotation de la tête.
Cortex somatosensoriel primaire. Les aires 3b, 1 et 2 de
Brodman 3a, situées dans le gyrus post-central, appelé aussi Crête neurale. SNP primitif chez l’embryon, constitué par
S1. l’ectoderme neural qui est repoussé latéralement au fur à
mesure que se forme le tube neural.
Cortex strié. Cortex visuel primaire ; aire 17 de Brodman ;
appelé aussi V1. CRH. Voir Hormone corticolibérine.
Corticolibérine (CRH). Voir Hormone adrénocorticotrope. Crise de panique. Trouble des comportements caractérisés
Hormone sécrétée par le noyau paraventriculaire de l’hypo- par des attaques de panique parfois sans raison et par la
thalamus, qui stimule la sécrétion d’ACTH par l’hypophyse crainte de la survenue de nouvelles crises.
antérieure. Crise généralisée. Activité intense et synchrone pathologique
Corticosurrénale. Partie externe de la glande surrénale ; qui s’étend aux deux hémisphères cérébraux ; relative à
libère du cortisol lorsqu’elle est stimulée par une hormone l’épilepsie.
hypophysaire, l’ACTH. Crise partielle. Activité nerveuse pathologique vaste et syn-
Cortisol. Hormone stéroïdienne produite par le cortex surré- chrone limitée à une petite région du cerveau, en rapport
nalien qui stimule les réserves d’énergie, inhibe le système avec une crise d’épilepsie.
immunitaire et exerce une influence directe sur certains Cristallin. Structure transparente située entre l’humeur
neurones du SNC. aqueuse et l’humeur vitrée qui permet de régler la focalisa-
Couche coniocellulaire du CGL. Couche de minuscules tion de l’œil à différentes distances.
cellules du CGL, localisée juste sous chacune des couches Cycle menstruel. Cycle reproducteur de la femelle chez les
parvocellulaires et magnocellulaires. primates.
Couche des cellules ganglionnaires. Couche cellulaire de Cycle œstral. Cycle reproducteur de la femelle définissant
la rétine, la plus proche du centre de l’œil, composée des chez les mammifères non primates la période des « cha-
cellules ganglionnaires. leurs ».
932 Glossaire

Cyclic AMP response element (CRE). Site de fixation du Diffusion. Mouvement des molécules dépendant de la tem-
facteur de transcription CREB sur l’ADN. pérature, entre des régions de forte concentration et celles
Cyclic AMP response element binding protein (CREB). Pro- de concentration moins élevée, résultant dans la répartition
téine qui se fixe sur des parties précises de l’ADN (seg- plus équilibrée des molécules.
ments CRE pour cAMP response element) et agit pour Dimorphisme sexuel. Différence dans la structure ou le com-
réguler l’expression génique. CREB représente un régula- portement relative au sexe de l’individu.
teur déterminant de la consolidation mnésique. Dioptrie. Unité de mesure de la capacité de réfraction de
Cytoarchitecture. Organisation des cellules neuronales dans l’œil ; la réciproque de la distance focale.
le cerveau. Discours. Éléments parlés du langage.
Cytochrome oxydase. Enzyme mitochondriale concentrée
Disque optique. Endroit de la rétine où les axones du nerf
dans les cellules qui forment la région des tâches dans le
optique quittent la rétine.
cortex strié.
Division entérique. Partie du système nerveux autonome
Cytoplasme. Partie de la cellule autour du noyau.
innervant les organes digestifs ; comprend notamment le
Cytosol. Milieu aqueux contenu dans la cellule. plexus myentérique.
Cytosquelette. Structure interne faite de microtubules, de Division parasympathique. Partie du système nerveux
neurofilaments et de microfilaments, qui donne à la cellule autonome impliquée notamment dans la régulation physio-
sa forme caractéristique. logique de la fréquence cardiaque, du système respiratoire,
DA. Voir Dopamine. et digestif.
DAG. Voir Diacylglycérol. Division sympathique. Partie du système nerveux autonome
Décussation partielle. Croisement en X partiel d’une voie intervenant pour normaliser les variations des constantes
axonique d’un côté du SNC à l’autre. physiologiques touchant la fréquence cardiaque, la respira-
Dendrite. Neurite qui reçoit les influx synaptiques d’autres tion, le système digestif, etc.
neurones. DNMS. Voir Test de reconnaissance différée par non-appa-
Densité post-synaptique. Différenciation de la membrane riement.
synaptique, site des récepteurs de neurotransmetteurs. Doctrine du neurone. Voir Concept de neurone.
Dépolarisation. Rendre le potentiel membranaire moins DOPA. Précurseur chimique de la dopamine et d’autres
négatif. catécholamines.
Dépression à long terme (DLT ou long-term depression, Dopamine (DA). Neurotransmetteur synthétisé à partir de la
LTD). Une réduction durable de l’efficacité de la transmis- DOPA.
sion synaptique qui fait suite à certains types de stimulations.
Dorsal. En direction du dos.
Dépression majeure. Trouble affectif qui se caractérise par
Douleurs rapportées. Douleur perçue comme provenant
une altération sévère et durable de l’humeur ; accompagné
d’un site différent de celui réellement en cause. En parti-
d’anxiété, de troubles du sommeil et d’autres perturbations
culier, l’activation des nocicepteurs au niveau des organes
physiologiques.
viscéraux est typiquement perçue comme provenant de la
Déprivation monoculaire. Manipulation expérimentale peau ou des muscles squelettiques.
déprivant un œil de la vision normale.
Dure-mère. La plus superficielle des trois méninges qui
Dermatome. Partie de la peau innervée par les deux racines recouvrent le SNC.
dorsales d’un segment rachidien.
Dyslexie. Difficulté dans l’apprentissage de la lecture en dépit
Diacylglycérol (DAG). Second messager produit par l’action
d’une intelligence normale et d’un apprentissage correct.
de la phospholipase C sur le phospholipide membranaire,
phosphatidylinositol-4,5-disphosphate. Le DAG active l’en­ Dyspraxie verbale. Incapacité à produire les mouvements
zyme protéine kinase C. coordonnés nécessaires à la production des mots dans le
langage parlé, en l’absence de lésion de nerfs ou des mus-
Diencéphale. Partie du tronc cérébral dérivée du prosen-
cles impliqués.
céphale. Comprend le thalamus et l’hypothalamus.
Efférence. Axone, entre son origine et sa destination.
Différence de potentiel. La force exercée sur une charge
électrique, représentée par le symbole V et mesurée en uni- Effet activationnel. Capacité d’une hormone à activer un
tés appelées volts ; on l’appelle aussi voltage ou différence processus reproducteur ou comportemental dans l’orga-
de potentiel. nisme adulte.
Différenciation. Processus de développement et de spéciali- Effet organisationnel. Capacité d’une hormone à influencer
sation des structures. le développement prénatal des organes sexuels et du cer-
Différenciation membranaire. Accumulation dense de veau.
protéines dans les membranes de chaque côté de la fente Électroencéphalogramme (EEG). Enregistrement de l’élec-
synaptique. tricité générée par l’activité cérébrale.
Difficile problème de la conscience. Pourquoi et comment Électrothérapie. Traitement de la dépression majeure basé
une expérience subjective de la conscience est liée à des sur l’application d’un choc électrique induisant une forte
modifications physiques de l’activité cérébrale ? décharge cérébrale.
Glossaire 933

Émotions de base. Réactions émotionnelles considérées Facteur de croissance nerveuse (nerve growth factor,
comme innées et universelles au travers de toutes les NGF). Neurotrophine nécessaire à la vie des cellules du
cultures. système sympathique du SNA ; joue aussi un rôle important
Émotion inconsciente. Processus émotionnel déclenché en dans certains aspects du développement du SNC.
dehors de tout processus conscient. Facteur de déterminisme des testicules. Protéine d’impor-
tance déterminante pour le développement des testicules
Encéphale. Partie du SNC enfermée dans le crâne, qui com-
chez le fœtus.
prend les hémisphères cérébraux, le cervelet, le tronc céré-
bral et les deux rétines. Facteur de transcription. Protéine régulatrice de la fixation
de l’ARN polymérase sur la partie promotrice du gène.
Enclume. Osselet de l’oreille moyenne.
Facteur neurotrophique dérivé du cerveau (brain-derived
Endocannabinoïde. Substance endogène qui se fixe sur les
neurotrophic factor, BDNF). Neurotrophine que l’on
récepteurs des cannabinoïdes.
trouve dans le cerveau et qui favorise la survie des neurones
Endocytose. Processus par lequel la membrane incorpore corticaux.
une partie d’elle-même, formant une vésicule interne après
Facteur trophique. Toute molécule qui contribue à la vie de
achèvement du processus. Voir aussi Exocytose.
la cellule.
Endolymphe. Milieu liquide du canal cochléaire, avec des
concentrations élevées de K+ et de faibles concentrations Faisceau. Groupe d’axones suivant le même trajet mais qui
de Na+. n’ont pas forcément la même origine, ni la même destina-
tion.
Endorphine. Un des nombreux peptides opiacés exerçant un
effet semblable à celui de la morphine ; existe dans de nom- Faisceau corticospinal. Faisceau prenant son origine dans le
breuses structures du cerveau, en particulier dans celles qui néocortex et qui se termine au niveau de la moelle épinière,
sont associées à la douleur. impliqué dans le contrôle du mouvement volontaire.

Engramme. Trace physique d’un souvenir. Faisceau longitudinal dorsal. Formé par les axones qui
établissent des connexions réciproques entre l’hypotha-
Éphrine. Protéine sécrétée par les neurones du cerveau en lamus et la substance grise périaqueducale.
développement impliquée dans l’établissement des rela-
tions topographiques axonales. Faisceau médian du télencéphale. Grand faisceau d’axones
qui traversent l’hypothalamus comprenant les efférences
Épilepsie. Affection cérébrale chronique caractérisée par des des neurones dopaminergiques, noradrénergiques et séro-
crises récurrentes. toninergiques du tronc cérébral, ainsi que des fibres qui re-
Épine dendritique. Petite protrusion de la membrane des lient entre eux l’hypothalamus, les structures du système
dendrites de certaines cellules, reçoit l’influx synaptique. limbique et l’aire tegmentale ventrale du mésencéphale.
Épinéphrine. Terme parfois utilisé (Angleterre) pour dési- Faisceau pyramidal. Faisceau composé d’axones cortico­
gner l’adrénaline. s­pinaux courant ventralement le long du bulbe.
Épissage de l’ARN. Processus par lequel l’intron, région non Faisceau réticulospinal latéral d’origine bulbaire. Projec-
codante du génome, est éliminé. tion de la formation réticulée bulbaire sur la moelle épi-
Épithélium olfactif. Couche de cellules qui tapisse une par- nière, impliquée dans le contrôle du mouvement.
tie des cavités nasales et contient les neurones récepteurs Faisceau réticulospinal médian d’origine pontique. Voie
olfactifs. qui part de la formation réticulée du pont et se termine dans
Équation de Goldman. Formule mathématique utilisée pour la moelle épinière ; elle est impliquée dans le contrôle du
prédire le potentiel membranaire à partir de la concentration mouvement.
des ions et de la perméabilité de la membrane. Faisceau rubrospinal. Faisceau naissant dans le noyau rouge
Équation de Nernst. Formule mathématique utilisée pour et se terminant dans la moelle épinière, impliqué dans le
calculer le potentiel d’équilibre ionique. contrôle du mouvement.

Étape limitante. Dans une série de réactions biochimiques Faisceau tectospinal. Faisceau de fibres naissant dans le col-
donnant naissance à une substance chimique, l’étape qui liculus supérieur et se terminant dans la moelle épinière,
limite le taux de synthèse. impliqué dans le contrôle des mouvements de la tête et du
cou.
Étrier. Osselet de l’oreille moyenne rattaché à la fenêtre
ovale. Faisceau vestibulospinal. Faisceau prenant naissance dans
les noyaux vestibulaires du bulbe et se terminant dans la
Exocytose. Libération de substances d’une vésicule intra­ moelle épinière, impliqué dans le contrôle du mouvement
cellulaire dans l’espace extracellulaire à travers la fusion et de la posture.
des membranes de la vésicule et de la cellule.
Fasciculation. Axones qui se regroupent en faisceaux pen-
Expression génique. Transcription des informations conte- dant leur croissance.
nues dans le gène en ARNm.
Fenêtre ovale. Trou dans l’os de la cochlée au niveau duquel
Extenseur. Muscle qui provoque l’extension en se contractant. le mouvement des osselets est transféré aux fluides de la
Extension. Ouverture d’une articulation. cochlée.
934 Glossaire

Fenêtre ronde. Orifice recouvert d’une membrane dans Fuseau neuromusculaire. Structure particulière des mus-
l’os de la cochlée contigu à la rampe tympanique dans la cles squelettiques qui est associée à la longueur du muscle.
cochlée. Les fuseaux neuromusculaires transmettent l’information
sensorielle aux neurones de la moelle épinière par l’inter-
Fente (espace) synaptique. Séparation entre les membranes
médiaire du groupe des afférences Ia.
pré et post-synaptiques.
GABA. Voir Acide γ-aminobutyrique.
Fibre extrafusale. Fibre musculaire du muscle squelettique
qui se trouve à l’extérieur des fuseaux musculaires et reçoit GABAergique. Ce dit des synapses ou des récepteurs qui
l’influx nerveux des motoneurones α. utilisent le GABA comme neurotransmetteur.
Ganglion. Regroupement de neurones du SNP.
Fibre grimpante. Axone des neurones du noyau de l’olive
inférieure innervant les cellules de Purkinje du cervelet. Ganglion des racines dorsales (ou ganglion rachidien).
L’activité des fibres grimpantes est associée à l’induction Regroupement des corps cellulaires des neurones sensoriels
de la dépression à long terme (DLT), une forme de plasticité qui forment le SNP somatique. La racine dorsale de chaque
synaptique susceptible d’être à la base des apprentissages nerf rachidien a un ganglion.
moteurs. Ganglion spiral. Ensemble de cellules du modiolus de la
Fibre intrafusale. Fibre spécialisée d’un faisceau muscu- cochlée qui reçoivent l’influx des cellules ciliées et en-
laire, innervée par les motoneurones γ. voient des signaux aux noyaux cochléaires dans le bulbe
par l’intermédiaire du nerf auditif.
Fibre moussue. Axone d’un neurone du pont qui innerve les
Ganglions autonomes. Ganglions périphériques des sys-
cellules granulaires du cervelet.
tèmes sympathique et parasympathique du SNA.
Fibre musculaire. Cellule du muscle squelettique à plusieurs Ganglions de la base. Ensemble de noyaux siégeant en pro-
noyaux. fondeur dans le cerveau antérieur, comprenant le noyau
Fibre parallèle. Axone d’une cellule granulaire parallèle qui caudé, le putamen, le globus pallidus et le noyau sous-­
innerve les cellules de Purkinje. thalamique.
Filament épais. Partie du cytosquelette d’une cellule mus- Gap junction. Voir Jonction étroite.
culaire contenant de la myosine. Les filaments épais sont Gating. Propriété de nombreux canaux ioniques qui s’ouvrent
situés entre ou mêlés aux filaments fins le long desquels ils ou se ferment en réponse à des signaux spécifiques comme
coulissent pour provoquer la contraction musculaire. le potentiel membranaire ou la présence de neurotransmet-
teurs.
Filament fin. Partie du cytosquelette d’une cellule muscu-
laire contenant de l’actine. Les filaments fins sont ancrés Gène. Segment d’ADN qui renferme les instructions relatives
aux stries Z, et coulissent le long des filaments épais pour à la biosynthèse d’une protéine déterminée.
permettre la contraction musculaire. Gène-horloge. Gène impliqué de façon critique dans les mé-
Fléchisseur. Muscle qui provoque la flexion en se contrac- canismes moléculaires du rythme circadien ; ces gènes sont
tant. traduits en protéines qui régulent leur propre transcription,
et leur expression fluctue selon un rythme d’environ 24 h.
Flexion. Mouvement qui ferme une articulation.
Générateur central de rythme. Circuit neuronal qui donne
Folliculo-stimuline (FSH). Voir Hormone folliculo-stimu- naissance à une activité motrice rythmique.
line (FSH). Génome. Ensemble du matériel génétique d’un organisme.
Force électromotrice (ionique). Différence entre le poten- Génotype. Caractéristiques génétiques d’un individu.
tiel réel de la membrane (Vm) et le potentiel de l’équilibre
GFP (green fibrillary protein). Protéine susceptible d’être
ionique d’équilibre (Eion).
exprimée dans des neurones de mammifères par les mé-
Formation réticulée. Région du tronc cérébral, ventrale par thodes du génie génétique, rendant ces neurones fluores-
rapport à l’aqueduc et au 4e ventricule, impliquée dans de cents lorsqu’ils sont illuminés par une lumière de longueur
nombreuses fonctions, y compris le contrôle postural et le d’onde appropriée.
mouvement. Ghréline. Peptide sécrété par des cellules de l’estomac, qui
Fornix. Formation d’axones issue de l’hippocampe qui s’en- stimule l’appétit et active les neurones à activité orexigé-
roule autour du thalamus et se projette sur le diencéphale. nique de l’hypothalamus.
Fovéa. Dépression sur la rétine, au centre de la macula. Chez Glie radiaire. Cellule gliale du cerveau embryonnaire qui en-
l’homme, la fovéa contient seulement les cônes ; elle joue voie un prolongement de la zone ventriculaire à la surface
un rôle spécifique dans l’acuité visuelle. du cerveau, le long duquel se fait la migration des neurones
immatures et des cellules gliales.
Fréquence. Nombre d’ondes (ou autres événements) par
Globus pallidus. Structure des ganglions de la base dans
seconde, exprimé en Hz.
le cerveau antérieur profond, impliquée dans le contrôle
Fréquence caractéristique. Fréquence du son préférentielle moteur.
pour un neurone du système auditif. Glomérule. Formation de neurones située dans le bulbe
Frontal eye field (FEF). Zone du cortex frontal concernée olfactif ; elle reçoit des informations des neurones récep-
par les mouvements des yeux. teurs olfactifs.
Glossaire 935

Glutamate (Glu). Acide aminé ; le principal neurotransmet- Hormone folliculo-stimuline (FSH). Hormone sécrétée par
teur excitateur dans le SNC. l’hypophyse antérieure. Parmi ses différents rôles, la FSH
Glutamatergique. En rapport avec des neurones ou des sy- intervient dans la croissance des follicules ovariens et dans
napses qui utilisent le glutamate comme neurotransmetteur. la maturation du sperme dans les testicules.

Glycine (Gly). Acide aminé ; le neurotransmetteur inhibiteur Hormone hypophysiotrope. Hormone peptidique, comme
de certaines parties du SNC. CRH ou GRH, libérée dans le sang par les neurones sé-
créteurs parvocellulaires de l’hypothalamus, qui stimule ou
GMPc. Voir Guanosine monophosphate cyclique. inhibe la sécrétion des hormones de l’hypophyse antérieure.
Gonadolibérine (GnRH). Hormone hypophysiotrope sécré- Hormone lutéinisante (LH). Hormone sécrétée par l’hypo-
tée par l’hypothalamus. Le GnRH régule la sécrétion de la physe antérieure. Parmi ses différents rôles, la LH inter-
LH et de la FSH par l’hypophyse. vient dans la stimulation de la production de testostérone
Gonadotrophines. Hormones sécrétées par l’hypophyse chez le mâle et facilite le développement des follicules et
antérieure qui régulent la sécrétion des androgènes et des l’ovulation chez la femelle.
œstrogènes à partir des testicules et des ovaires. Humeur aqueuse. Milieu situé entre la cornée et le cristallin
Gradient de concentration. Différence de concentration de l’œil.
entre deux compartiments. Humeur vitrée. Substance gélatineuse contenue dans l’es-
Granule de sécrétion. Vésicule sphérique de 100 nm de pace entre le cristallin et la rétine.
diamètre environ, contenant des peptides destinés à l’exo- 5-HT (5-hydroxytryptamine). Terme chimique désignant la
cytose ; grande vésicule à forte densité. sérotonine.
GTP. Guanosine triphosphate. Hybridation in situ. Méthode servant à localiser les brins
Guanosine monophosphate cyclique (GMPc). Second d’ARNm dans les cellules.
messager produit à partir du GTP, par l’action de l’enzyme Hyperalgie. Abaissement du seuil de la douleur ; réponse
guanylate cyclase. accentuée aux stimuli douloureux, ou douleur spontanée
Gustation. Sens du goût. provoquée par une blessure particulière.
Gyrus. Protubérance située entre les sillons du cerveau. Hypothalamus. Partie ventrale du diencéphale, impliquée
Gyrus denté (ou dentatus). Couche de neurones de l’hippo- dans la régulation de l’activité du SNA et de l’hypophyse.
campe qui reçoit les afférences du cortex entorhinal. Hypothèse de la chémoaffinité. Hypothèse selon laquelle
Habituation. Forme d’apprentissage non associatif, associée des marqueurs chimiques dans les axones en croissance
à une diminution des réponses aux stimuli répétitifs. correspondent à des marqueurs chimiques complémentaires
sur leurs cibles.
Hélicotrème. Trou situé à l’apex de la cochlée, qui fait com-
muniquer la rampe tympanique et la rampe vestibulaire. Hypothèse de la déficience sérotoninergique. Idée que
l’agressivité est inversement corrélée à l’activité sérotoni-
Hémichamp visuel. Moitié du champ visuel, d’un côté du nergique.
point de fixation.
Hypothèse dopaminergique de la schizophrénie. Hypo­thèse
Hémisphères cérébelleux. Parties latérales du cervelet. suggérant que la schizophrénie est liée à une hyper­activité
Hémisphères cérébraux. Deux côtés du cerveau dérivés des dopaminergique passant par les récepteurs dopaminer-
deux vésicules télencéphaliques. giques D2 du système dopaminergique méso­corticolimbique.
Hertz (Hz). Unité de fréquence. Hypothèse glutamatergique de la schizophrénie. Hypo-
Hippocampe. Partie interne du cortex cérébral, adjacente au thèse suggérant que la schizophrénie est liée à un déficit
cortex olfactif. Chez l’homme, l’hippocampe est situé dans d’activation des récepteurs NMDA.
le lobe temporal et pourrait jouer un rôle particulier dans la Hypothèse lipostatique. Hypothèse proposant que le taux
mémoire et l’apprentissage. de graisses de l’organisme fait l’objet d’une régulation
Histologie. Étude microscopique des tissus. homéostasique et se trouve ainsi maintenu à un niveau
constant.
Homéostasie. Fonctionnement équilibré des processus phy-
siologiques contribuant au maintien de l’environnement Hypothèse monoaminergique des troubles de l’humeur.
interne constant de l’organisme. Hypothèse suggérant que la dépression est la conséquence
d’une réduction des taux de monoamines, particulièrement
Hormone antidiurétique (ADH). Voir Vasopressine la sérotonine et la noradrénaline.
Hormone corticolibérine (CRH). Hormone sécrétée par les Hypothèse des « switch » moléculaires. Idée selon laquelle
neurones de la région paraventriculaire de l’hypothalamus les protéines kinases peuvent faire l’objet d’une activation
qui stimule la sécrétion de l’ACTH à partir de l’hypophyse par autophosphorylation jusqu’à un état qui ne nécessite
antérieure. pas plus longtemps la présence d’un second messager spé-
Hormone corticotrope (ACTH). Hormone sécrétée par cifique. Cette activation soutenue des protéines kinases
l’hypophyse antérieure en réponse à la sécrétion de CRH pourrait contribuer à maintenir une information en mémoire
par l’hypothalamus ; stimule la sécrétion de cortisol par la après une forte activation synaptique. Hypothèse initiale-
corticosurrénale. ment proposée par John Lisman à Brandeis University.
936 Glossaire

Hypothèse « stress-diathèse » des troubles de l’humeur. Iris. Muscle circulaire coloré qui contrôle l’ouverture de la
Hypothèse suggérant que les troubles de l’humeur et en pupille.
particulier certaines formes de dépression, seraient liés à ISRS. Inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine.
une combinaison de facteurs de prédisposition génétique et Médicaments du type Prozac® (fluoxétine) qui prolongent
de facteurs stressants environnementaux. l’action de la sérotonine libérée par les neurones en inhibant
Identité des genres. Sentiment de son appartenance au sexe sa recapture dans les terminaisons nerveuses. Ces médica-
masculin ou au sexe féminin. ments sont efficaces pour lutter contre la dépression et les
Image d’un point. Tous les neurones activés par la stimula- troubles obsessivocompulsifs (TOC).
tion d’un point du champ visuel. Jonction étroite (gap-junction). Jonction particulière entre
Imagerie par résonance magnétique (IRM). Technique deux cellules formée par des canaux protéiques (connexons)
d’imagerie du cerveau qui permet de localiser les atomes qui laissent passer directement les ions d’une cellule à
d’hydrogène en modifiant leur état atomique dans un champ l’autre.
magnétique. Jonction neuromusculaire. Synapse chimique entre l’axone
Immunocytochimie. Méthode anatomique pour étudier la d’un neurone moteur et une fibre du muscle squelettique.
localisation des molécules dans les cellules, au moyen Knock-in (KI). Remplacement d’un gène par un autre.
d’anticorps.
Knock-out (KO). Délétion d’un gène particulier.
Inanition. État relatif à une balance énergétique négative
dans lequel la consommation d’énergie est insuffisante pour Labyrinthe aquatique de Morris. Test utilisé pour évaluer
répondre à la demande. la mémoire spatiale.
Inflammation. Réponse protectrice de l’organisme à des Labyrinthe vestibulaire. Partie de l’oreille interne spé-
stimuli agressifs. Les principaux signes de l’inflammation cialisée dans la détection des mouvements de la tête. Le
au niveau de la peau sont une rougeur, une sensation de labyrinthe est formé des organes otolithiques et des canaux
chaleur, la formation d’un œdème, et une douleur. semi-circulaires.
Ingénierie génétique. Manipulation du génome d’un orga- Lame basale. Couche de protéines située dans l’espace
nisme par insertion ou délétion de fragments d’ADN. entre la terminaison d’un nerf et la cellule musculaire qu’il
Inhibiteur. Drogue ou toxine qui bloque l’action normale innerve.
d’une protéine ; ou processus biochimique. Lame réticulaire. Fine couche de tissu qui retient le sommet
Inhibition réciproque. Processus par lequel la contraction des cellules ciliées dans l’organe de Corti.
d’un ensemble de muscles est associée à la relaxation de Langage. Système de communication utilisant les mots ou
muscles antagonistes. des signes combinés de telle manière qu’ils respectent des
Innerver. Former des synapses avec. règles grammaticales.
Inositol-1,4,5-triphosphate (IP3). Molécule de second mes- Latéral. À distance de la ligne médiane.
sager élaborée par l’action de la phospholipase C sur le
LCR. Voir Liquide céphalorachidien.
phospholipide phosphatidylinositol-4,5-diphosphate de la
membrane. L’IP3 libère le Ca2+ stocké dans la cellule. Lemnisque. Voie serpentant dans le cerveau, comme un
Insula. Partie du cortex cérébral, également nommée cortex ruban.
insulaire, située à l’intérieur du sillon latéral, entre le lobe Lemnisque médian. Bande de substance blanche du système
temporal et le lobe pariétal. sensoriel somatique, composée des projections des noyaux
Insuline. Hormone sécrétée par les cellules β du pancréas des colonnes dorsales sur le thalamus.
qui régule le taux de glucose sanguin par un contrôle de Leptine. Hormone sécrétée par les tissus adipeux qui agit sur
l’expression des transporteurs de glucose de cellules non les neurones de l’hypothalamus au niveau du noyau arqué.
neuronales.
Liaison peptidique. Lien de covalence entre le groupe aminé
Intégration synaptique. Processus qui combine les in- d’un acide aminé et le groupe carboxyl d’un autre.
fluences des différents PPSE et PPSI au niveau du même
neurone. Ligne médiane. Ligne qui sépare le système nerveux en deux
parties, droite et gauche.
Intensité. Amplitude de l’onde. L’intensité sonore est l’am-
plitude de l’onde sonore qui détermine son niveau sonore Ligne Z. Bande délimitant les sarcomères dans une myo­
perceptible. fibrille d’une fibre musculaire.
Interneurone. Tout neurone différent d’un neurone sensoriel Liquide céphalorachidien (LCR). Fluide produit par les
ou moteur. Ce terme désigne aussi un neurone dont l’axone plexus choroïdes qui s’écoule à travers le système ventricu-
ne quitte pas la structure où il se trouve. laire, dans l’espace subarachnoïdien.
Ion. Atome ou molécule présentant une charge électrique liée Lithium. En solution, le lithium représente un cation mono-
à une différence entre le nombre d’électrons et de protons. valent qui est efficace dans les troubles bipolaires.
IP3. Voir Inositol-1,4,5-triphosphate. Lobe frontal. Partie du cerveau antérieure par rapport au
Ipsilatéral. Du même côté par rapport à la ligne médiane. sillon central, située sous l’os frontal.
Glossaire 937

Lobe limbique. L’hippocampe et les aires corticales qui Membrane tectoriale. Couche de tissu suspendu au-dessus
bordent le tronc cérébral chez les mammifères, considéré de l’organe de Corti dans la cochlée.
par Broca comme un lobe distinct du cerveau. Membrane tympanique. Membrane de la partie interne du
Lobe occipital. Partie du cerveau située sous l’os occipital. canal auditif, qui est soumise aux variations de pression
Lobe pariétal. Région du cerveau située sous l’os pariétal, d’air.
postérieurement par rapport au sillon central. Mémoire. Conservation de nouvelles informations.
Lobe temporal. Partie du cerveau située sous l’os temporal. Mémoire à court terme. Stockage de l’information de carac-
Locus. Petit groupe de cellules bien défini. tère temporaire, de capacité limitée, demande une remémo-
ration continue.
Locus coeruleus. Petit noyau du pont siégeant bilatérale-
ment ; les neurones utilisent la noradrénaline comme neu- Mémoire à long terme. Stockage de l’information relative-
rotransmetteur et se projettent largement à tous les niveaux ment permanent ; ne nécessite pas de répétition continue.
du SNC. Mémoire contextuelle. Forme de mémoire dans laquelle tous
Loi d’Ohm. Relation entre le courant électrique (I), le vol- les événements qui se produisent à un moment donné sont
tage (V) et la conductance (g) : I = gV. La conductance stockés en étant reliés les uns aux autres.
électrique étant l’inverse de la résistance (R), on peut aussi Mémoire déclarative. Mémoire des événements et des faits.
écrire V = RI.
Mémoire de reconnaissance. Mémoire impliquée dans le
M1. Cortex primaire moteur, aire 4.
test de reconnaissance différée par non-appariement.
Macula. Tâche jaune au milieu de la rétine avec quelques
gros vaisseaux sanguins, contient la fovéa. Mémoire de travail. Remémoration ou rétention temporaire
d’informations acquises.
Magnéto-encéphalographie (MEG). Mesure de l’activité
électrique du cerveau enregistrée par la détection des fluc- Mémoire distribuée. Concept selon lequel les souvenirs sont
tuations des champs magnétiques associées au fonctionne- encodés par de très larges modifications synaptiques de
ment cérébral. nombreux réseaux nerveux et pas seulement par un neurone
Maladie de Parkinson. Trouble du mouvement consécutif à ou une seule synapse.
une lésion de la substance noire, caractérisé par la difficulté Mémoire non déclarative. Mémoire des habilités motrices,
d’initier le mouvement volontaire et des tremblements de des réponses émotionnelles et de quelques réflexes.
repos. Mémoire procédurale. Mémoire des habiletés motrices.
Maniaque. État d’une humeur exacerbée caractéristique d’un
Méninges. Trois membranes qui recouvrent le SNC : la dure-
syndrome bipolaire.
mère, l’arachnoïde et la pie-mère.
Marteau. Un osselet de l’oreille moyenne fixé sur le tympan.
Mésencéphale. Région du cerveau dérivée de la vésicule pri-
Matrice extracellulaire. Réseau de protéines fibreuses qui
mitive moyenne. Les structures du mésencéphale incluent
comble l’espace entre les cellules.
le tectum et le tegmentum.
Mécanorécepteur. Tout récepteur sensoriel sélectif pour les
stimuli mécaniques, comme les cellules ciliées de l’oreille Messager rétrograde. Tout messager qui véhicule l’informa-
interne, ou différents récepteurs cutanés, ou les récepteurs à tion de l’élément post-synaptique vers l’élément présynap-
l’étirement du muscle squelettique. tique.
Médecine moléculaire. Approche utilisant les données de la Métaplasticité. Modifications dépendantes de l’activité des
génétique pour développer de nouveaux traitements. lois de la transmission synaptique.
Médian. En direction de la ligne médiane. Méthode de liaison par ligand. Méthode utilisant des li-
Médullosurrénale. Partie interne de la glande surrénale, gands de récepteurs marqués (agonistes ou antagonistes)
innervée par les fibres sympathiques préganglionnaires. pour identifier les récepteurs des neurotransmetteurs.
La médullosurrénale libère de l’adrénaline. Microélectrode. Sonde utilisée pour mesurer l’activité élec-
Membrane arachnoïdienne. Une des trois méninges (celle trique des cellules. Les microélectrodes ont une extrémité
du milieu) qui recouvrent la surface du SNC. très fine ; ce sont par exemple des pipettes de verre effilées
remplies d’une solution qui conduit l’électricité ou de fines
Membrane basilaire. Membrane qui sépare la rampe tympa-
aiguilles métalliques dont seule l’extrémité n’est pas isolée
nique et le canal cochléaire dans la cochlée.
électriquement.
Membrane de Reissner. Membrane cochléaire qui sépare la
rampe vestibulaire et le canal cochléaire. Microfilament. Polymère de la protéine d’actine, formant un
brin tressé de 5 nm de diamètre. Les microfilaments font
Membrane excitable. Toute membrane susceptible de géné-
partie du cytosquelette.
rer des potentiels d’action. La membrane des axones et des
cellules musculaires est excitable. Microglie. Type de cellule gliale fonctionnant comme un
Membrane neuronale. Barrière de 5 nm d’épaisseur envi- macrophage éliminant par phagocytose les débris cellu-
ron, qui sépare l’intérieur de l’extérieur de la cellule ; elle laires.
est composée d’une bicouche de phospholipides incrustée Micro-ionophorèse. Application de drogues ou de neuro­
de protéines ; elle renferme des organites et des vésicules. transmetteurs en très petite quantité sur les cellules.
938 Glossaire

Microtubule. Polymère de la protéine de tubuline, formant Muscle cardiaque. Muscle du cœur.


un tube rectiligne, creux, de 20 nm de diamètre. Les micro- Muscle ciliaire. Muscle qui contrôle la forme du cristallin.
tubules font partie du cytosquelette et jouent un rôle impor-
tant dans le transport axoplasmique. Muscle distal. Muscle qui contrôle les mouvements des
mains, des pieds ou des doigts.
Mitochondrie. Organite responsable de la respiration cel-
lulaire. Les mitochondries génèrent de l’ATP en utilisant Muscle extra-oculaire. Muscle qui fait bouger l’œil dans
l’énergie libérée par l’oxydation de la nourriture. l’orbite.
Modèle des traces multiples de la consolidation mnésique. Muscle lisse. Muscle de l’appareil digestif, des artères et des
Modèle alternatif au modèle « standard » de la consolida- structures associées, innervé par le SNA, dont la contrac-
tion mnésique dans lequel l’hippocampe participe de fa- tion est involontaire.
çon infinie à la consolidation mnésique en relation avec le
Muscle proximal (des ceintures). Muscle qui contrôle
néocortex. Dans ce modèle, à chaque fois qu’un souvenir
l’épaule ou le pelvis.
est situé dans un nouveau contexte, une nouvelle trace est
formée. Muscle squelettique. Type de muscle dérivé des somites du
mésoderme, dont la contraction est volontaire.
Modèle de Wernicke-Geschwind. Modèle pour étudier les
processus du langage impliquant les interactions des aires Muscle strié. Muscle d’apparence striée. Il y a deux caté-
de Broca et de Wernicke avec les aires sensorielles et gories de muscles striés : muscles squelettiques et muscle
motrices. cardiaque.
Modèle split-brain. Étude du comportement chez l’animal ou Muscle synergiste. Muscle qui s’associe à d’autres mus-
chez l’homme après avoir séparé les deux hémisphères en cles pour l’exécution d’un mouvement dans une direction
sectionnant le corps calleux. donnée.
Modèle standard de la consolidation mnésique. Théorie Myéline. Gaine qui enveloppe les axones constituée par les
explicative de la formation des souvenirs dans laquelle oligodendrocytes du SNC et les cellules de Schwann du
l’information sensorielle est traitée par l’hippocampe, puis SNP.
transférée au néocortex pour un stockage plus permanent.
Myofibrille. Structure cylindrique à l’intérieur d’une fibre
Modification hébbienne. Efficacité accrue d’une synapse musculaire qui se contracte en réponse à un potentiel
provoquée par l’activation simultanée des neurones pré et d’action.
post-synaptiques.
Myosine. Protéine du cytosquelette de toutes les cellules,
Modulation. Terme utilisé pour décrire l’action des neuro­ représentant le principal filament de protéine dans une
transmetteurs lorsque ceux-ci n’évoquent pas directement fibre musculaire ; provoque la contraction du muscle à
des réponses post-synaptiques mais modifient les réponses travers les interactions chimiques avec l’actine.
à d’autres neurotransmetteurs.
Néocortex. Le cortex cérébral des mammifères composé de
Module cortical. Unité de volume cortical nécessaire et suffi-
six couches ou plus.
sante pour analyser une information sensorielle issue d’une
zone déterminée. Nerf. Faisceau d’axones du système nerveux périphérique.
Moelle épinière. Partie du SNC située dans la colonne Nerf auditif et vestibulaire. VIIIe paire de nerfs crâniens ;
vertébrale. composé d’axones se projetant du ganglion spiral aux
Molécule d’adhésion cellulaire (cell adhesion molecule, noyaux cochléaires.
CAM). Molécule située à la surface de la cellule, qui asso- Nerf optique. Ensemble des axones des cellules ganglion-
cie les cellules entre elles. naires qui passe de l’œil dans le chiasma optique.
Monogame. Stratégie d’accouplement impliquant deux par- Nerf spinal. Nerf émergeant de la moelle épinière, en rapport
tenaires ayant une relation forte et n’impliquant pas de avec le contrôle des muscles squelettiques et véhiculant les
tierces individus ; relation exclusive ou quasi exclusive. informations sensorielles somatiques.
Monoxyde d’azote (NO). Gaz produit à partir d’un acide Nerf trigéminal. Ve paire de nerfs crâniens ; elle est rattachée
aminé, l’arginine, qui joue le rôle de messager intercellu- au pont et se compose essentiellement des axones sensoriels
laire. primaires de la tête, la bouche et la dure-mère, et des axones
Motoneurone (neurone moteur). Neurone innervant des moteurs de la mastication.
fibres musculaires. Nerf vague. Dixième paire de nerf crânien (X) qui prend son
Motoneurone α. Neurone moteur qui innerve les fibres origine au niveau du bulbe et qui innerve les viscères des
extrafusales du muscle squelettique. cavités thoracique et abdominale. Source majeure d’axones
Motoneurone γ. Neurone moteur qui innerve les fibres mus- préganglionnaires parasympathiques et viscéromoteurs.
culaires intrafusales. Nerfs crâniens. Nerfs qui partent du cerveau.
Muscle antagoniste. Muscle exerçant une action opposée à Nerve growth factor (NGF). Facteur de croissance nerveuse,
celle d’un autre muscle de la même articulation. en français. Neurotrophine impliquée dans la survie des
Muscle axial. Muscle qui contrôle les mouvements du tronc cellules du système sympathique, jouant également un rôle
et de l’axe du corps. important dans le développement du SNC.
Glossaire 939

Nétrine. Molécule impliquée dans le guidage axonal ; pro- Neurone sécrétoire parvocellulaire. Petit neurone de l’hy-
téine sécrétée par des cellules en des endroits stratégiques pothalamus médian et périventriculaire qui secrète des hor-
pendant le développement du système nerveux ; peut agir mones peptidiques hypophysiotropes dans la circulation du
par des actions chémo-attractives ou chémorépulsives. système porte hypothalamohypophysaire pour stimuler ou
Neurite. Prolongement fin qui part du corps cellulaire d’un inhiber la libération d’hormones de l’hypophyse antérieure.
neurone. Les neurites peuvent se diviser en axones et en Neurone sensoriel primaire. Neurone spécialisé pour
dendrites. détecter les messages de l’environnement à la périphérie
Neuroblaste. Neurone immature, avant la différenciation du corps.
cellulaire. Neurone unipolaire. Neurone avec un seul neurite.
Neurofilament. Filament constitutif des neurones. Les neuro- Neuropharmacologie. Étude des effets des médicaments sur
filaments ont 10 nm de diamètre et sont un élément impor- le système nerveux.
tant du cytosquelette neuronal. Neurotransmetteur. Substance chimique libérée par un
Neurohormone. Hormone libérée dans le sang par les élément présynaptique après stimulation, qui active les
neurones. récepteurs post-synaptiques.
Neuroleptique. Catégorie de médicaments, connus aussi Neurotrophine. Fait partie des facteurs trophiques des neu-
comme tranquillisants, utilisés pour traiter certaines psy- rones qui comprennent le nerve growth factor (NGF) et le
choses comme la schizophrénie par exemple. brain-derived neurotrophic factor (BDNF).
Neuromodulation. Terme utilisé pour décrire l’action des Neurulation. Formation du tube neural à partir de l’ecto-
neurotransmetteurs qui ne génèrent pas directement de derme pendant le développement embryonnaire.
potentiels synaptiques mais qui modifient la réponse cellu- NGF. Voir Facteur de croissance nerveuse et neurotrophine.
laire aux PPSE et aux PPSI générés par d’autres synapses. Nocicepteur. Tout récepteur sélectif des stimuli potentielle-
Neurone. Cellule informative du système nerveux. La plupart ment dangereux ; pourrait induire des sensations de douleur.
des neurones utilisent les potentiels d’action pour trans- Nœud de Ranvier. Espace compris entre deux segments de la
mettre l’information d’un point du système nerveux à un gaine de myéline, l’endroit où l’axone est en contact avec le
autre, et tous communiquent entre eux par des synapses. milieu extracellulaire.
Neurone bipolaire. Toute cellule n’ayant que deux neurites ; Noradrénaline (NA). Un neurotransmetteur synthétisé à
cellule de la rétine qui relie les photorécepteurs aux cellules partir de la dopamine, appelé aussi norépinéphrine.
ganglionnaires.
Noradrénergique. En rapport avec les neurones ou les
Neurone de Golgi de type I. Neurone avec un long axone, synapses qui libèrent de la noradrénaline.
qui transmet l’information d’une partie du cerveau à une
Norépinéphrine (NE). Terme anglais désignant la noradré-
autre.
naline.
Neurone de Golgi de type II. Neurone avec un axone court,
Noyau. 1. Organite du corps cellulaire contenant les chromo-
qui ne se projette qu’à proximité du neurone.
somes ; 2. Terme général utilisé pour décrire une masse de
Neurone épineux. Neurone avec des épines dendritiques. neurones bien délimitée, généralement en profondeur dans
Neurone miroir. Neurone du cortex cérébral actif lorsque le cerveau.
l’animal réalise un acte moteur, ou lorsqu’il observe le Noyau arqué. Noyau de la région périventriculaire de l’hypo-
même acte moteur réalisé par un congénère. thalamus contenant un grand nombre de neurones sensibles
Neurone moteur (motoneurone). Neurone qui fait synapse à des changements des taux circulants de leptine, contri-
sur une cellule musculaire et provoque la contraction. buant à la régulation de la balance énergétique.
Neurone multipolaire. Neurone avec trois neurites ou plus. Noyau caudé. Structure des ganglions de la base, dans le cer-
veau basal antérieur, impliquée dans le contrôle moteur.
Neurone non-épineux. Neurone sans épine dendritique.
Noyau cochléaire. Voir Noyau cochléaire dorsal et noyau
Neurone post-ganglionnaire. Neurone périphérique des
cochléaire ventral.
divisions sympathique et parasympathique du SNA ; les
corps cellulaires se trouvent dans les ganglions autonomes Noyau cochléaire dorsal. Noyau de la région bulbaire qui
et les axones se terminent sur les organes et les tissus de la reçoit les afférences du ganglion spiral de la cochlée.
périphérie. Noyau cochléaire ventral. Noyau bulbaire qui reçoit des
Neurone préganglionnaire. Neurone des divisions sympa- afférences du ganglion spiral de la cochlée.
thique et parasympathique du SNA ; les corps cellulaires se Noyau des colonnes dorsales. Noyau situé dans la partie très
trouvent dans le SNA (moelle épinière ou tronc cérébral) et postérieure du tronc cérébral ; cible des axones sensoriels
les axones se projettent latéralement et font synapse sur les cheminant par la voie des colonnes dorsales, en rapport
neurones postganglionnaires dans les ganglions autonomes. avec la sensibilité du toucher et de la proprioception des
Neurone sécrétoire magnocellulaire. Grand neurone des membres et du tronc.
noyaux périventriculaires et supra-optiques de l’hypotha- Noyau du faisceau solitaire. Noyau du tronc cérébral qui re-
lamus qui se projette sur la partie postérieure de l’hypo- çoit l’information et l’utilise pour coordonner la fonction
physe et secrète de l’ocytocine ou de la vasopressine dans autonome par des messages envoyés à d’autres noyaux du
le sang. tronc cérébral et du cerveau antérieur, et à l’hypothalamus.
940 Glossaire

Noyaux du pont. Clusters de neurones qui relaient l’informa- Ocytocine. Petite hormone peptidique libérée par les neurones
tion entre le cortex cérébral et le cortex cérébelleux. magnocellulaires ; elle stimule les contractions de l’utérus
Noyaux du raphé. Clusters de neurones sérotoninergiques et la sécrétion de lait à partir des glandes mammaires.
qui s’étendent le long de la ligne médiane du tronc cérébral Œstrogènes. Hormones sexuelles stéroïdiennes des femelles.
et projettent de façon très diffuse sur l’ensemble des struc- Les deux hormones les plus importantes de cette catégorie
tures du système nerveux central. sont l’œstradiol et la progestérone.
Noyau gustatif. Noyau du tronc cérébral qui reçoit les infor- Olfaction. Sens de l’odorat.
mations gustatives primaires. Oligodendrocyte. Cellule gliale qui fournit la myéline dans
Noyau intersticiel de l’hypothalamus antérieur. Groupe- le SNC.
ment de quatre sous-noyaux de l’hypothalamus antérieur Olive inférieure. Noyau de la formation réticulée bulbaire
(aire préoptique), dont certains pourraient faire l’objet d’un qui projette des fibres grimpantes sur le cortex cérébelleux.
dimorphisme sexuel. Olive supérieure. Noyau du pont caudal qui reçoit des affé-
Noyau paraventriculaire. Région de l’hypothalamus impli- rences des noyaux cochléaires et envoie des efférences dans
quée dans la régulation de l’activité du système nerveux au- le colliculus inférieur.
tonome et dans le contrôle de la sécrétion de TSH et d’AC- Opiacés (ou opioïdes). Classe de drogues, incluant la mor-
TH à partir de l’hypophyse antérieure. phine, la codéine et l’héroïne, produisant des effets analgé-
Noyau rouge. Groupe de cellules du mésencéphale impliqué siques mais aussi des changements comportementaux, des
dans le contrôle du mouvement. troubles de l’humeur, des nausées, des vomissements et la
Noyau sous-thalamique. Partie des ganglions de la base du constipation.
cerveau antérieur basal, impliquée dans le contrôle moteur. Optogénétique. Méthode permettant le contrôle de l’activité
Noyau suprachiasmatique (NSC). Petit noyau de l’hypotha- neuronale à partir de l’expression de fragments de gènes
lamus, situé juste au-dessus du chiasma optique, qui reçoit exprimant des canaux ioniques contrôlés par la lumière.
l’innervation rétinienne et synchronise les rythmes circa- Oreille externe. Comprend le pavillon et le canal auditif.
diens avec le cycle quotidien de la lumière et de l’obscurité Oreille interne. Formée par la cochlée, une structure du sys-
(du jour et de la nuit). tème auditif, et du labyrinthe, qui fait partie du vestibule.
Noyau ventral-postérolatéral (VPL). Principal relais thala- Oreille moyenne. La membrane du tympan et les osselets.
mique du système somatique sensoriel. Organe de Corti. Organe récepteur auditif contenant les
Noyau ventral-postéromédian (VPM). Partie du noyau cellules ciliées et les cellules de soutien.
ventral postérieur du thalamus qui reçoit l’information Organe tendineux de Golgi. Structure spécifique des tendons
somatosensorielle de la face, y compris les efférences de du muscle squelettique qui ressent la tension des muscles.
la langue.
Organe vasculaire de la lame terminale (OVLT). Région
Noyau ventrolatéral (VL). Noyau du thalamus qui transmet spécialisée de l’hypothalamus contenant des neurones
l’information des ganglions de la base et du cervelet au sensibles à la tonicité du sang. Ces neurones activent les
cortex moteur. cellules sécrétrices magnocellulaires qui sécrètent de la
Noyaux basolatéraux. Groupe de noyaux de l’amygdale vasopressine dans le sang et déclenchent la soif osmotique.
dont les axones constituent les efférences de l’amygdale Organite. Structure entourée d’une membrane située à
(projection amygdalofuge). l’intérieur d’une cellule. Le noyau, les mitochondries, le
Noyaux corticomédians. Groupe de noyaux situés en pro- reticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi en sont
fondeur dans l’amygdale dont les axones forment la stria des exemples.
terminalis. Otolithes. Organes du labyrinthe vestibulaire de l’oreille
Noyaux des colonnes dorsales. Deux noyaux situés dans la interne représentés par le saccule et l’utricule, qui sont
région bulbaire postérieure ; cible des axones des colonnes sensibles aux inclinaisons de la tête et aux accélérations de
dorsales, transmettent les signaux du toucher et de la pro- ses mouvements.
prioception issus des membres et du tronc. Osselet. Un des trois petits os de l’oreille moyenne.
Noyaux du pont. Amas de neurones qui relayent l’informa- Ouverture (gating). Propriété de la plupart des canaux
tion du cortex cérébral au cortex cérébelleux. ioniques qui leur confère leur état « ouvert » ou « fermé »
Noyaux du raphé. Amas de neurones sérotoninergiques, en réponse à des signaux spécifiques tels que la dépolarisa-
situés le long de la ligne médiane du tronc cérébral, du tion de la membrane ou la présence de neurotransmetteurs.
mésencéphale au bulbe, qui se projettent de manière diffuse Overshoot. Phase du potentiel d’action où le potentiel de la
à tous les niveaux du SNC. membrane est plus positif que zéro millivolt.
Noyaux vestibulaires. Noyaux, situés dans le bulbe, qui Papille. Petite protubérance à la surface de la langue qui
reçoivent des influx de l’appareil vestibulaire de l’oreille contient les boutons du goût.
interne. Patch-clamp. Méthode qui permet d’obtenir un potentiel
Obésité. État d’énergie dans lequel l’apport énergétique est membranaire constant sur un échantillon de membrane et
largement excédentaire par rapport aux besoins énergé- de mesurer le flux du courant dans un petit nombre de ca-
tiques. naux de la membrane.
Glossaire 941

Pavillon. Partie de l’oreille externe faite de peau et de carti- Plan coronal. Plan de section anatomique qui divise le
lage. système nerveux en deux parties, antérieure et postérieure ;
Peptidergique. Décrit des neurones ou des synapses qui encore appelé plan frontal.
utilisent les neuropeptides comme transmetteur. Plan horizontal. Plan de coupe anatomique qui divise le
Peptide anorexigène. Peptide neuroactif qui agit pour inhi- système nerveux en deux parties, dorsale et ventrale.
ber la prise alimentaire ; par exemple, la cholécystokinine Plan médiosagittal. Plan de coupe anatomique perpendicu-
(CCK), l’α-melanocyte-stimulating hormone (α-MSH) ou laire au sol. Ce plan de coupe divise le système nerveux en
le cocaine and amphetamine-regulated transcript peptide deux parties, droite et gauche.
(CART).
Plan sagittal. Plan anatomique parallèle au plan médio­
Peptide orexigène. Peptide neuroactif qui stimule la prise
sagittal.
alimentaire ; par exemple, le neuropeptide  Y (NPY),
l’agouti-related peptide (AgRP), la melanine concentrating Planum temporale. Aire de la surface supérieure du lobe
hormone (MCH) ou l’orexine. temporal humain, souvent plus étendue dans l’hémisphère
Périkaryon. Partie centrale du neurone qui contient le noyau ; gauche que dans l’hémisphère droit.
appelé aussi soma ou corps cellulaire. Plaque corticale. Couche cellulaire du cortex cérébral en
Périlymphe. Fluide qui remplit la rampe vestibulaire et la développement qui contient les neurones indifférenciés.
rampe tympanique contenant des concentrations faibles de Plaque motrice. Membrane synaptique à la jonction neuro-
K+ et élevées de Na+. musculaire.
Période critique. Période de temps limitée pendant laquelle
Plasticité synaptique dépendant du timing de la décharge
un aspect particulier du développement cérébral est sensible
neuronale. Modification bidirectionnelle de l’efficacité
à une modification de l’environnement extérieur.
synaptique induite en faisant varier le timing relatif des
Période réfractaire absolue. Laps de temps, calculé depuis décharges pré et post-synaptiques.
le début d’un potentiel d’action, pendant lequel il ne peut y
avoir un autre potentiel d’action. PLC. Voir Phospholipase C.
Période réfractaire relative. Période de temps qui suit un Polyandrie. Comportement d’accouplement dans lequel une
potentiel d’action pendant laquelle il faut plus de courant femelle s’accouple avec plus d’un mâle.
dépolarisant pour atteindre le seuil. Polygynie. Comportement d’accouplement dans lequel un
Phase ascendante. Première partie d’un potentiel d’action mâle s’accouple avec plus d’une femelle.
caractérisée par une dépolarisation rapide de la membrane.
Polypeptide. Série d’acides aminés reliés entre eux par des
Phase descendante. Phase du potentiel d’action au cours liaisons peptidiques.
de laquelle le potentiel de membrane passe rapidement de
positif à négatif ; phase de repolarisation de la membrane Polyribosome. Groupe de plusieurs ribosomes, flottant libre-
après le pic du potentiel d’action. ment dans le cytoplasme.
Phéromone. Stimulus olfactif qui sert à la communication Pompe à calcium (ou pompe calcique). Pompe ionique qui
entre les individus. enlève les ions Ca2+ du cytosol.
Phonèmes. Séries de sons distinctifs utilisés dans le langage. Pompe ionique. Enzyme qui déplace les ions à travers la
Phosphodiestérase (PDE). Enzyme qui métabolise les se- membrane grâce à l’énergie métabolique.
conds messagers nucléotidiques, AMPc et GMPc. Pompe sodium-potassium. Pompe ionique qui absorbe les
Phospholipase C (PLC). Enzyme qui métabolise le phospha- ions intracellulaires Na+ et augmente la concentration in-
tidylinositol-4,5-diphosphate pour former les seconds mes- tracellulaire des ions K+, en utilisant l’ATP comme source
sagers, diacylglycérol (DAG) et inositol triphosphate (IP3). d’énergie.
Phosphorylation. Réaction biochimique au cours de laquelle Pont. Partie rostrale du cerveau postérieur sur la face ventrale
un groupe de phosphate (PO42–) est transféré de l’ATP à du cervelet et du 4e ventricule.
une autre molécule. La phosphorylation des protéines par
les protéines kinases modifie leur activité biologique. Population de motoneurones (pool). Tous les motoneurones
α qui innervent les fibres d’un muscle squelettique donné.
Photorécepteur. Cellule rétinienne où l’énergie lumineuse
est transformée en variations du potentiel de membrane. Postérieur. En direction de la queue, ou caudal.
Physiopathologie. Modification pathologique de l’organisa- Post-hyperpolarisation. Hyperpolarisation qui suit une forte
tion physiologique qui conduit à l’apparition de syndromes dépolarisation de la membrane. La post-hyperpolarisation
ou de symptômes des maladies. survient après un potentiel d’action ; appelée aussi un­
Pie-mère. La plus profonde des trois méninges qui recouvrent dershoot.
la surface du SNC. Potentialisation à long terme (PLT ou long-term poten-
Pitch. Qualité perceptuelle d’un son déterminé par sa fré- tiation, LTP). Renforcement durable de l’efficacité de la
quence. transmission synaptique qui fait suite à certains types de
PKA. Voir Protéine kinase A. stimulations.
PKC. Voir Protéine kinase C. Potentiel. Voir Différence de potentiel.
942 Glossaire

Potentiel d’action. Brève fluctuation du potentiel de Projection rétinotectale. Trajet d’un groupe d’axones entre
membrane provoquée par l’ouverture et la fermeture de ca- la rétine et le colliculus supérieur.
naux ioniques. Les potentiels d’action se propagent comme Promoteur. Partie d’un gène qui fixe l’ARN polymérase pour
une vague le long des axones pour transmettre l’informa- initier la transcription.
tion d’un endroit à l’autre du système nerveux.
Propriocepteur. Récepteur sensoriel des muscles, des articu-
Potentiel d’équilibre ionique. Différence de potentiel élec- lations et de la peau.
trique qui équilibre exactement un gradient de concentra- Proprioception. Sensibilité des muscles, des articulations et
tion ionique, représenté par le symbole Eion. de la peau, qui renseigne sur la position et le mouvement
Potentiel de membrane. Différence de potentiel à travers la du corps.
membrane, représentée par le symbole Vm. Prosencéphale. Partie du cerveau qui s’est développée à par-
Potentiel de récepteur. Variation du potentiel de membrane tir de la vésicule primaire rostrale du cerveau chez l’em-
d’un récepteur sensoriel induite par un stimulus. bryon ; appelée aussi cerveau antérieur. Le prosencéphale
Potentiel de repos. Potentiel de la membrane quand la cel- comprend le télencéphale et le diencéphale.
lule ne génère pas de potentiels d’action. Le potentiel de Protéine. Molécule composée d’acides aminés selon des
membrane des neurones au repos est d’environ – 65 mV. informations génétiques.
Potentiel électrique. Force exercée par une particule électri- Protéine G. Protéine de liaison qui fixe le GTP lorsqu’elle
quement chargée, représentée par le symbole V et mesurée est activée à partir d’un récepteur transmembranaire. Les
en volts ; aussi dénommée voltage ou différence de potentiel. protéines G activées stimulent ou inhibent d’autres pro­
téines de liaison.
Potentiel endocochléaire. Différence de potentiel entre
l’endolymphe et la périlymphe, d’environ 80 mV. Protéine kinase. Catégorie d’enzyme qui phosphoryle les
protéines. Cette réaction modifie la morphologie de la pro-
Potentiel miniature. Modification du potentiel de la téine et son activité biologique.
membrane post-synaptique causée par l’action du neuro­
Protéine kinase A (PKA). Protéine kinase activée par l’AM-
transmetteur libéré à partir d’une seule vésicule synaptique.
Pc.
Potentiel post-synaptique excitateur (PPSE). Dépolari-
Protéine kinase C (PKC). Protéine kinase activée par le
sation du potentiel de la membrane post-synaptique sous
diacylglycérol.
l’effet de la libération synaptique de neurotransmetteur.
Protéine kinase calcium-calmoduline-dépendante
Potentiel post-synaptique inhibiteur (PPSI). Modification (CaMK). Protéine kinase activée par l’élévation de la
du potentiel de membrane sous l’action de la libération concentration de Ca2+.
synaptique d’un neurotransmetteur qui inhibe le neurone
post-synaptique. Protéine phosphatase. Enzyme qui enlève des groupements
phosphate aux protéines.
Potentiel post-synaptique miniature. Modification du
Psychochirurgie. Chirurgie du cerveau utilisée dans certains
potentiel synaptique de la membrane intervenant avec
troubles comportementaux.
la libération d’un neurotransmetteur à partir d’une seule
vésicule synaptique. Pulvinar. Noyau thalamique (thalamus postérieur) qui
présente de très nombreuses connexions réciproques avec
Précurseur neuronal. Neurone immature, avant la différen- un grand nombre d’aires corticales.
ciation cellulaire.
Pupille. Orifice qui permet à la lumière de pénétrer dans l’œil
Principe de Dale. L’identité du neurone est associée à un et de frapper la rétine.
neurotransmetteur.
Putamen. Une des structures des ganglions de la base ; si-
Principe de la volée afférente. Processus susceptible d’être à tué dans le cerveau antérieur et impliqué dans le contrôle
la base du codage de l’information auditive, selon lequel les moteur.
fréquences sonores pourraient être représentées par l’acti-
Quatrième ventricule. Espace rempli de liquide céphalora-
vation de populations de neurones spécifiques au niveau du
chidien dans le cerveau postérieur.
système nerveux central.
Racine dorsale. Formation d’axones sensoriels qui naissent
Priority map. Composante cognitive de l’attention formalisée d’un nerf rachidien et se rattachent à la corne dorsale de la
sous forme d’une carte de l’espace visuel vers où l’attention moelle épinière.
doit être dirigée.
Racine ventrale. Groupe d’axones de neurones moteurs qui
Privation visuelle monoculaire. Manipulation expérimen- sortent de la moelle épinière ventrale et atteignent les fibres
tale qui supprime la vision d’un des deux yeux. sensorielles pour former un nerf spinal.
Problèmes simples de la conscience. Phénomène en rapport Radiation optique. Ensemble des axones qui se projettent du
avec l’état de conscience, qui peut être abordé par les mé- CGL au cortex visuel.
thodes scientifiques. Radio-autographie. Méthode permettant de visualiser les
Procédure de Wada. Test dans lequel un des hémisphères est sites d’émissions radioactives dans des coupes de tissu.
anesthésié pour observer la fonction de l’autre hémisphère. Rage simulée. Comportement consécutif à des lésions céré­
Projection rétinofuge. Voie qui transmet l’information de la brales ; manifestation de grande colère, inadaptée aux
rétine au cortex visuel. circonstances.
Glossaire 943

Rampe médiane. Partie de la cochlée située entre la rampe Réflexe vestibulo-oculaire (RVO). Mouvement réflexe des
tympanique et la rampe vestibulaire. yeux stimulé par la rotation de la tête ; contribue à stabiliser
Rampe tympanique. Cavité de la cochlée située entre l’héli- l’image sur la rétine.
cotrème et la fenêtre ronde. Réfraction. Changement de direction des rayons lumineux
Rampe vestibulaire. Cavité de la cochlée située entre la passant d’un milieu à un autre.
fenêtre ovale et l’hélicotrème. REM sleep. Voir Sommeil paradoxal.
Récepteur. 1. Protéine spécialisée qui détecte les signaux Réseau du « mode par défaut ». Réseau de structures ner-
chimiques, comme les neurotransmetteurs, et induit une veuses interconnectées, qui sont plus actives pendant les
réponse cellulaire. 2. Cellule spécialisée qui détecte les sti- états de repos que durant les comportements actifs.
muli environnementaux et génère des réponses neuronales.
Réseau frontopariétal de l’attention. Structures nerveuses
Récepteur AMPA. Sous-type de récepteur du glutamate ; interconnectées impliquées dans le guidage de l’attention
canal ionique sensible au glutamate perméable aux ions visuelle.
Na+ et K+.
Résistance électrique. Force qui s’oppose au déplacement
Récepteurs aux glucocorticoïdes. Récepteur activé par le des charges électriques, représentée par le symbole R, me-
cortisol sécrété par les glandes surrénales. surée en unités appelées ohms. La résistance est la mesure
Récepteur couplé aux protéines G (RCPG). Protéine trans- inverse de la conductance ; elle est en relation avec le cou-
membranaire qui active les protéines G quand elle se lie à rant électrique et le voltage, selon la loi d’Ohm.
un neurotransmetteur. Voir aussi Récepteur métabotropique. Résistance interne. Force qui s’oppose au flux du courant
Récepteur kainate. Sous-type de récepteur du glutamate ; un électrique le long d’un câble ou d’un neurite, représenté par
canal ionique sensible au glutamate perméable à K+ et à le symbole ri.
Na+. Résistance membranaire. Résistance au passage du courant
Récepteur métabotropique. Récepteur couplé à une pro­ électrique, représentée par le symbole rm.
téine G dont le premier rôle est de stimuler ou d’inhiber une Reticulum endoplasmique lisse (RE lisse). Organite hétéro-
réponse intracellulaire biochimique. Voir aussi récepteur gène avec différentes fonctions en différents endroits.
couplé aux protéines G.
Reticulum endoplasmique rugueux (RE rugueux). Orga-
Récepteur muscarinique de l’ACh. Sous-type de récepteur nite couvert de ribosomes. Le reticulum endoplasmique
d’ACh couplé avec une protéine G. rugueux est un site majeur de la synthèse des protéines.
Récepteur nicotinique de l’ACh. Type de canal ionique sen- Reticulum sarcoplasmique. Organite d’une fibre musculaire
sible à l’ACh distribué en plusieurs endroits, en particulier qui stocke le Ca2+ et le libère quand il est stimulé par un
à la jonction neuromusculaire. potentiel d’action dans les tubules T.
Récepteur NMDA. Sous-type de récepteur du glutamate ;
Rétine. Fine couche cellulaire située au fond de l’œil qui
canal ionique sensible au glutamate, perméable à Na+, K+,
transforme l’énergie lumineuse en activité nerveuse.
et Ca2+. Le flux du courant ionique à travers la membrane
est sensible au potentiel en raison d’un bloc de magnésium Rétinotopie. Organisation topographique des voies visuelles
au niveau des membranes avec des potentiels négatifs. où des cellules voisines sur la rétine transmettent l’informa-
tion à des cellules voisines dans une structure cible.
Récepteur des opiacés. Protéine membranaire qui se fixe sé-
lectivement aux substances opiacées naturelles (les endor- Rhodopsine. Photopigment photorécepteur des bâtonnets.
phines) et de synthèse (la morphine). Ribosome. Structure intracellulaire qui assure la synthèse des
Récepteurs-canaux (ionotropiques). Récepteur des neuro­ protéines à partir des acides aminés selon les instructions
transmetteurs impliqué dans la transduction des signaux par des ARNm.
changement de la conduction ionique membranaire. Rivalité binoculaire. Perception alternant dans le temps
Reconsolidation. Processus lié à la réactivation de souvenirs, l’image détectée par un œil et une image différente perçue
modifiant et encodant à nouveau des souvenirs qui avaient par l’autre œil.
été préalablement consolidés. Rostral. En direction du nez, ou antérieur.
Réflexe d’atténuation. Contraction des muscles de l’oreille Rythme circadien. Tous les rythmes qui s’inscrivent dans
moyenne qui provoque une diminution de la sensibilité une période d’un jour.
auditive.
Rythme ultradien. Tout rythme d’une périodicité inférieure
Réflexe myotatique. Réflexe de contraction musculaire en à un jour.
réponse à l’extension du muscle. Ce réflexe a pour base
une connexion monosynaptique entre une afférence Ia du S1. Cortex somatosensoriel primaire.
fuseau neuromusculaire et un motoneurone α innervant le Sarcolemme. Membrane cellulaire externe d’une fibre mus-
même muscle. culaire.
Réflexe pupillaire. Réflexe, impliquant l’influx rétinien Sarcomère. Élément contractile entre les stries Z d’une myo-
transmis aux neurones du tronc cérébral qui contrôlent fibrille. Le sarcomère contient les filaments fins et épais qui
l’iris, qui modifie le diamètre de la pupille en fonction de glissent les uns contre les autres pour provoquer la contrac-
l’intensité de la lumière ou de l’obscurité. tion musculaire.
944 Glossaire

Schizophrénie. Trouble mental caractérisé par la perte de Soif osmotique. Besoin de boire de l’eau résultant d’une aug-
contact avec la réalité ; désorganisation de la pensée, de la mentation de la tonicité du sang.
perception, de l’humeur et du mouvement ; hallucinations, Soif volumétrique. Besoin de boire de l’eau résultant d’une
illusions et désorganisation de la mémoire. réduction de la volémie (diminution du volume sanguin).
Sclérotique. Membrane externe qui ferme le globe oculaire. Soma. Partie centrale du neurone contenant le noyau ; appelé
Second messager. Signal chimique bref dans le cytosol qui aussi corps cellulaire ou périkaryon.
peut déclencher une réponse biochimique. La formation Somatotopie. Organisation topographique des voies soma-
d’un second messager est habituellement stimulée par un tiques sensorielles dans laquelle des récepteurs de la peau
premier messager (un neurotransmetteur ou une hormone) voisins apportent l’information à des cellules voisines sur
agissant à la surface d’un récepteur couplé avec une pro­ une structure cible.
téine G. Exemples de seconds messagers : AMPc, GMPc, IP3.
Sommation des PPSE. Forme d’intégration synaptique dans
Segment spinal. Ensemble de racines dorsales et ventrales laquelle les PPSE s’ajoutent pour induire une dépolarisa-
avec la partie de moelle épinière correspondante. tion plus importante.
Sélectivité de direction. Propriété des cellules du système Sommation spatiale. Sommation des PPSE générés dans
visuel qui ne répondent qu’aux stimuli qui se déplacent plusieurs synapses sur la même cellule.
dans certaines directions. Sommation temporelle. Sommation des PPSE qui se
Sélectivité d’orientation. Caractéristique d’une cellule du succèdent rapidement au niveau de la même synapse.
système visuel qui ne répond qu’à une série limitée d’orien- Sommeil à mouvements oculaires rapides (REM-sleep).
tations du stimulus. Dénommé aussi sommeil paradoxal. Phase du sommeil
Sélectivité ionique. Propriété des canaux ioniques d’être caractérisée à l’EEG par des ondes de faible amplitude et
sélectivement perméables à certains ions et pas à d’autres. de fréquence élevée, des rêves, des mouvements oculaires
Sensibilisation. Forme d’apprentissage non associatif provo- rapides et l’atonie musculaire.
quant une réponse intensifiée à tous les stimuli. Sommeil lent (non-REM sleep). Phase de sommeil caracté-
Sensibilité somatique. Sens du toucher, de la température, de risée par de grandes ondes lentes, peu de rêves et un peu de
la position du corps dans l’espace, de la douleur. tonus musculaire.
Sérotonine (5-HT). Neurotransmetteur, 5-hydroxytrypta- Sommeil paradoxal (REM sleep, en anglais). Stade du
mine. sommeil caractérisé par une activité corticale très désyn-
chronisée et des mouvements des yeux rapides.
Sérotoninergique. En rapport avec des neurones ou des
synapses qui libèrent de la sérotonine. Souris transgénique. Souris dont une partie des gènes a été
modifiée par les méthodes de l’ingénierie génétique.
Seuil. Niveau de dépolarisation suffisant pour déclencher un
potentiel d’action. Sous-plaque corticale. Couche de neurones corticaux située
sous la plaque corticale dans les stades précoces du déve-
Sexe génétique. Sexe d’un animal ou d’une personne basé loppement cortical. Lorsque le cortex s’est différencié en
sur le génotype. 6 couches, la sous-plaque disparaît.
Sex-determining region du chromosome Y (SRY). Gène Sous-type de récepteur. Un des nombreux récepteurs diffé-
localisé sur le chromosome Y responsable de la production rents sur lequel se fixe un même neurotransmetteur.
d’un facteur de déterminisme des testicules. Ce facteur est
Spécificité d’activation. Caractéristique de certaines formes
essentiel pour le développement des mâles.
de plasticité synaptique ; seules les synapses activées sur un
Shunting inhibition. Forme d’inhibition synaptique dans la- neurone se modifient.
quelle l’effet principal est de réduire rm, et de « shunter »
Split-brain. Séparation des deux hémisphères par section du
ainsi le courant dépolarisant généré au niveau des synapses
corps calleux en vue d’examiner le rôle de chacun des deux
excitatrices.
hémisphères plus ou moins séparément.
Signal de satiété. Facteur qui réduit la motivation pour la
Stéréocil. Cil attaché au sommet d’une cellule ciliée dans
prise de nourriture, en dehors de tout comportement patho-
l’organe de Corti.
logique ; par exemple la distension gastrique ou la sécrétion
de cholécystokinine (CCK) en réponse à la prise alimen- Strabisme. Défaut de parallélisme des axes optiques des
taire. yeux.
Sillon. Séparation entre deux gyri à la surface du cortex. Stria vascularis. Partie spécialisée de l’endothélium couvrant
une partie de la rampe médiane qui est responsable de la
Sillon central. Le sillon qui sépare le lobe frontal du lobe sécrétion de l’endolymphe.
pariétal.
Striatum. Terme collectif pour désigner le noyau caudé et le
SNA. Voir Système nerveux autonome. putamen.
SNC. Voir Système nerveux central. Strie (ligne) Z. Ligne qui délimite les sarcomères dans une
SNP. Voir Système nerveux périphérique. myofibrille.
SNP viscéral. Partie du SNP qui innerve les organes internes, Substance. Amas de neurones situés en profondeur dans le
les vaisseaux sanguins et les glandes ; appelé aussi système cerveau, mais généralement moins bien délimités que les
nerveux autonome. noyaux.
Glossaire 945

Substance blanche. Terme générique pour un amas d’axones Syndrome de l’hypothalamus ventromédian. Obésité asso-
du SNC. Les axones ont un aspect blanchâtre dans un ciée à des lésions localisées au niveau de l’aire hypothala-
cerveau récemment disséqué. mique ventrale et médiane.
Substance blanche corticale. Ensemble des axones situés Syndrome de négligence. Trouble neurologique dans le-
sous le cortex cérébral. quel une partie du corps ou du champ visuel est ignorée ou
disparaît ; souvent associé aux lésions des aires pariétales
Substance gélatineuse (de Rolando). Partie dorsale fine de postérieures du cerveau.
la corne dorsale de la moelle épinière qui reçoit l’influx
Synthèse des protéines. L’assemblage des protéines dans le
des fibres non myélinisées C relatif à la transmission des
cytoplasme de la cellule selon les instructions génétiques.
signaux nociceptifs.
Système de consolidation. Transformation d’une mémoire
Substance grise. Terme générique désignant une couche de temporaire de l’hippocampe en un engramme permanent
corps cellulaires neuronaux. dans le néocortex.
Substance grise périaqueducale. Région qui entoure l’aque- Système entérique. Partie du SNA qui innerve les organes
duc cérébral au plus profond du mésencéphale, avec des digestifs, formée par les plexus myentérique et sous-­
voies descendantes qui peuvent inhiber la transmission des muqueux.
signaux associés à la douleur. Système limbique. Groupe de structures comprenant celles
Substance noire. Groupe de cellules du mésencéphale qui du lobe limbique et du circuit de Papez, interconnectées et
utilise la dopamine pour neurotransmetteur et innerve le impliquées dans l’émotion, l’apprentissage et la mémoire.
striatum. Système modulateur diffus. Un des nombreux systèmes
du SNC qui se projette largement sur de vastes parties du
Substantia. Groupes de neurones dans les régions profondes
cerveau et utilise des neurotransmetteurs modulateurs.
du cerveau dont les limites sont en général plus floues que
celles des « noyaux ». Système moteur. Tous les muscles et toutes les parties du
système nerveux qui les contrôlent.
Substantia gelatinosa. Voir Substance gélatineuse.
Système moteur latéral. Axones de la colonne latérale de la
Substantia nigra. Voir Substance noire. moelle épinière impliqués dans le contrôle des mouvements
Sulcus (sillon). Sillon courant à la surface du cerveau entre volontaires de la musculature distale, sous contrôle direct
des circonvolutions voisines. du cortex.
Système moteur somatique. Les sens du toucher, de la tem-
Synapse. Zone de contact et de transmission de l’information
pérature, de la position du corps et de la douleur.
entre les neurones.
Système moteur ventromédian. Axones de la colonne
Synapse chimique. Synapse dans laquelle l’activité pré­ ventromédiale de la moelle épinière impliqués dans le
synaptique stimule la libération d’un neurotransmetteur, contrôle postural et la locomotion, sous contrôle du tronc
qui active les récepteurs de la membrane post-synaptique. cérébral.
Synapse électrique. Synapse permettant le passage du cou- Système nerveux autonome (SNA). Partie du SNP qui in-
rant directement d’un neurone à un autre neurone au travers nerve les organes internes, les vaisseaux sanguins et les
d’une jonction « étroite ». glandes ; aussi dénommé partie viscérale du SNP. Composé
d’une partie sympathique, d’une partie parasympathique et
Synapse de Gray de type I. Synapse chimique du SNC avec
d’une partie entérique.
des différenciations membranaires asymétriques.
Système nerveux central (SNC). Le cerveau (y compris les
Synapse de Gray de type II. Synapse chimique du SNC avec deux rétines), et la moelle épinière.
des différenciations membranaires symétriques.
Système nerveux périphérique (SNP). La partie du système
Synapse de Hebb. Synapse montrant des modifications nerveux différente du cerveau et de la moelle épinière. Le
hébbiennes. SNP comprend tous les ganglions et les nerfs rachidiens, les
Synapse électrique. Synapse dans laquelle le courant élec- nerfs crâniens III-XII et le SNA.
trique passe directement d’une cellule à l’autre par une Système parasympathique. Division du SNA ; les axones
jonction étroite (gap-junction). périphériques proviennent du tronc cérébral et de la moelle
épinière sacrée ; elle maintient la fréquence cardiaque et les
Syndrome de Klüver-Bucy. Ensemble de symptômes résul-
fonctions respiratoires, métabolique et digestive dans des
tant d’une lobectomie temporale bilatérale chez l’homme
conditions normales.
ou le singe, se traduisant par une réduction des compor-
Système porte hypothalamo-hypophysaire. Réseau de
tements de frayeur et d’agressivité (émoussement affec-
vaisseaux sanguins qui transporte les hormones hypophy-
tif), des tendances à l’identification des objets par examen
siotropes de l’hypothalamus à l’hypophyse antérieure.
oral plutôt que par exploration visuelle, ainsi que par des
troubles du comportement sexuel. Système sympathique. Division du SNA. Les axones péri-
phériques partent de la moelle épinière lombaire et thora-
Syndrome de Korsakoff. Syndrome neurologique dû à cique ; elle active diverses réponses physiologiques dans
l’alcoolisme chronique, accompagné de confusion, affabu- des situations de « fuite ou attaque » : en augmentant la
lations, d’apathie et d’amnésie. fréquence cardiaque, la respiration, la pression sanguine, la
Syndrome de l’hypothalamus latéral. Anorexie associée à mobilisation d’énergie, et en diminuant l’activité des fonc-
des lésions de l’aire hypothalamique latérale. tions digestives et de la reproduction.
946 Glossaire

Système ventriculaire. Espace rempli de liquide céphalora- Théorie des cartes cognitives. Idée selon laquelle l’hippo-
chidien situé à l’intérieur du cerveau, formé des ventricules campe, par exemple, est spécialisé pour former une carte de
latéraux, du troisième ventricule, de l’aqueduc cérébral et représentation spatiale de l’environnement.
du quatrième ventricule. Théorie de la trichromie de Young-Helmholtz. Théorie
Système vestibulaire. Ensemble de structures impliquées selon laquelle le cerveau attribue des couleurs, basée sur
dans la régulation de l’équilibre. l’activation relative des trois types de récepteurs.
Taches. Population de neurones, principalement dans les Théorie dimensionnelle des émotions. Hypothèse selon la-
couches II et III du cortex strié, caractérisée par l’activité quelle chaque émotion se construit à partir de composantes
élevée d’une enzyme, la cytochrome oxydase. qui lui sont liées, en rapport par exemple avec le niveau
Tectum. Partie du mésencéphale dorsale par rapport à l’aque- d’éveil ou encore la force émotionnelle.
duc cérébral. Théorie double de la localisation du son. Principe selon
Tectum optique. Terme utilisé pour décrire le colliculus su- lequel il existe deux organisations possibles dans la loca-
périeur, en particulier chez les vertébrés non mammifères. lisation du son : le laps de temps interauriculaire avec les
basses fréquences, et la différence d’intensité interauricu-
Tegmentum. Partie du mésencéphale ventrale par rapport à
laire avec les fréquences élevées.
l’aqueduc cérébral.
Théorie psychologique-constructionniste des émotions.
Télencéphale. Région du cerveau dérivée du prosencéphale.
Explication des émotions comme la conséquence émer-
Les structures télencéphaliques comprennent les deux
gente de composantes psychologiques non émotionnelles
hémisphères cérébraux contenant le cortex cérébral et le
telles que l’attention ou les sensations de l’organisme.
télencéphale basal.
Télencéphale basal. Partie profonde du télencéphale. Thérapie électroconvulsine (électrochocs). Traitement des
dépressions majeures qui consiste à déclencher des crises
Terminaison axonique. Extrémité de l’axone, généralement épileptiques par l’application de chocs électriques par des
l’endroit de contact synaptique avec une autre cellule ; électrodes appliquées sur le scalp.
appelé aussi bouton terminal ou terminaison présynaptique.
Thermorécepteur. Récepteur sensoriel des changements de
Test de reconnaissance différée par non-appariement (de- la température.
layed non-match to sample, DNMS). Un test effectué sur
l’animal : entre deux objets présentés, il doit déplacer celui Tomographie par émission de positrons (TEP). Technique
qui ne correspond pas à l’objet présenté précédemment. d’imagerie de l’activité cérébrale par l’évaluation du débit
sanguin contenant des atomes radioactifs qui émettent des
Tétanisation. Terme utilisé par les neurobiologistes pour positrons.
décrire la stimulation répétée, en général à haute fréquence.
Tonotopie. Organisation systématique au sein d’une structure
Tétrodotoxine (TTX). Toxine qui bloque le passage de Na+ auditive basée sur la fréquence caractéristique.
dans les canaux sodiques dépendants du potentiel, et donc
les potentiels d’action. Top-down attention. Voir Attention endogène.
Thalamus. Partie dorsale du diencéphale, en étroite relation Trace mnésique. Support physique des souvenirs.
avec le néocortex cérébral. Tractus. Rassemblement d’axones du SNC ayant la même
Théorie basique des émotions. Hypothèse susceptible de origine et une destination commune.
rendre compte du caractère universel de certaines émotions. Tractus optique. Ensemble d’axones des cellules ganglion-
Théorie BCM. Théorie proposant que les synapses soient naires rétiniennes qui s’étendent à partir du chiasma
modifiables bidirectionnellement. La potentialisation sy- optique, jusqu’au tronc cérébral. Les cibles importantes de
naptique résulte d’une forte activation de l’élément présy- la voie optique sont le CGL et le colliculus supérieur.
naptique corrélée à une activation post-synaptique intense ; Traduction. Synthèse d’une molécule de protéine selon les
la dépression synaptique, à l’inverse, résulte d’une corréla- instructions génétiques données par une molécule d’ARNm.
tion entre une activité présynaptique et une faible activation Traitement parallèle. Traitement en parallèle dans le cer-
post-synaptique. Il s’agit ici d’une extension du « concept veau des différents attributs d’un stimulus par des voies
de synapse de Hebb », proposée par Bienenstock, Cooper différentes.
et Munro (pour BCM) de Brown University. Voir aussi
Transcription. Synthèse d’une molécule d’ARNm selon les
Synapse de Hebb.
instructions génétiques codées dans l’ADN.
Théorie de l’apprentissage moteur de Marr-Albus. Selon
Transducine. Protéine G qui relie la rhodopsine à l’enzyme
cette théorie, les fibres parallèles qui font synapse sur les
phosphodiestérase dans les photorécepteurs.
cellules de Purkinje se modifient lorsque leur activité coïn-
cide avec celle des fibres grimpantes. Transduction. Transformation de l’énergie d’un stimulus
sensoriel en signal cellulaire, comme un potentiel d’action.
Théorie de Cannon-Bard. Théorie sur l’émotion selon
laquelle l’expérience émotionnelle est indépendante de Transmission synaptique. Transmission de l’information
l’expression émotionnelle ; elle est déterminée par un d’une cellule à l’autre au niveau d’une synapse.
réseau d’activation thalamique. Transport antérograde. Transfert axoplasmique du soma
Théorie de James-Lange. Théorie sur l’émotion selon la- vers la terminaison axonale.
quelle l’expérience subjective d’une émotion est la consé- Transport axoplasmique. Transport de substances le long de
quence de modifications physiologiques dans le corps. l’axone.
Glossaire 947

Transport rétrograde. Transport axoplasmique de la termi- Vermis. Région médiane du cervelet.


naison axonale au soma. Vésicule à cœur dense. Vésicule sphérique enfermée dans
Transporteur. Protéine impliquée dans le déplacement des une membrane, d’environ 100 nm de diamètre, remplie
neurotransmetteurs à travers les membranes. de peptides destinés à la sécrétion par exocytose ; appelée
Troisième ventricule. Espace rempli de liquide céphalorachi- aussi granule de sécrétion.
dien à l’intérieur du diencéphale. Vésicule synaptique. Structure de 50 nm de diamètre en-
Trompe d’Eustache. Conduit rempli d’air qui fait communi- viron, qui contient les neurotransmetteurs, située dans la
quer l’oreille moyenne et la bouche. membrane au site de contact synaptique.
Tronc cérébral. Comprend le diencéphale, le mésencéphale, Vision. Sens de la vue.
le pont et le bulbe. Voie corticospinale. Projection du néocortex sur la moelle
Troponine. Protéine qui fixe les ions Ca2+ dans une cellule épinière, impliquée dans le contrôle du mouvement volon-
musculaire et régule ainsi l’interaction de la myosine et de taire
l’actine. Voie des colonnes dorsale et du lemnisque médian. Voie de
Trouble affectif. Trouble psychiatrique aussi nommé trouble la sensibilité somatique relayant les informations concer-
de l’humeur, présentant des atteintes de la sphère émotion- nant le toucher, la pression, les vibrations et la propriocep-
nelle et de l’affect, comme dans la dépression majeure ou tion.
les troubles bipolaires.
Voie des tâches. Voie impliquée dans le traitement des infor-
Trouble bipolaire. Trouble psychiatrique caractérisé par des mations visuelles impliquant les couches parvocellulaires
épisodes de manie quelquefois suivis d’épisodes de dépres- et koniocellulaires du corps genouillé latéral et convergeant
sion ; encore dénommé trouble maniacodépressif. vers la zone des tâches du cortex visuel (couche III). Cette
Troubles obsessivocompulsifs (TOC). Trouble mental se voie visuelle est supposée être impliquée dans le traitement
traduisant par des obsessions récurrentes, (pensées intru- de la couleur des objets.
sives, images, idées perçues comme de caractère grotesque, Voie magnocellulaire. Voie de traitement des informa-
ou inapproprié) et des comportements compulsifs (actes tions visuelles débutant par les cellules ganglionnaires
répétitifs) perpétrés avec l’idée de réduire l’anxiété associée de type M1 de la rétine et influençant les neurones de la
aux obsessions. couche IVB du cortex visuel strié ; supposée impliquée
Trouble panique. Maladie mentale qui se traduit par des dans le traitement des informations visuelles relatives au
pensées récurrentes d’attaques de panique. mouvement et à l’action.
TTX. Voir Tétrodotoxine. Voie parvocellulaire-intertaches. Voie de traitement des
Tube neural. SNC primitif chez l’embryon, composé d’un informations visuelles qui débute par les cellules gan­
tube d’ectoderme neural. glionnaires rétiniennes de type P et se termine dans la
Tubule T. Conduit de la membrane situé dans la fibre du mus- couche III des régions intertaches du cortex visuel. Cette
cle squelettique, qui associe l’excitation du sarcolemme à la voie est supposée intervenir dans la reconnaissance de la
libération de Ca2+ du reticulum endoplasmique. forme des objets.
Tympan. Membrane de l’extrémité interne du conduit auditif Voie perforante. Voie axonale du cortex entorhinal au gyrus
qui vibre en réponse aux variations de pression de l’air ; dentatus de l’hippocampe.
appelée aussi le tambour de l’oreille. Voie spinothalamique. Voie somatosensorielle ascendante
Undershoot. Moment du potentiel d’action où le potentiel qui va de la moelle épinière au thalamus par les colonnes
de la membrane est plus négatif qu’au repos ; appelé aussi latérales spinothalamiques, et transmet l’information sur la
post-hyperpolarisation. douleur, la température et une partie du toucher.
Unité motrice. Motoneurone α et toutes les fibres muscu- Voies latérales. Axones cheminant dans les cordons latéraux
laires qu’il innerve. de la moelle épinière impliqués dans le contrôle des mouve-
Unité motrice lente. Unité motrice composée d’un petit ments volontaires de la musculature distale.
motoneurone α qui active lentement la contraction ou le Voies ventromédianes. Voies descendantes dans la moelle
relâchement des fibres des muscles rouges. épinière impliquées dans le contrôle de la posture et de la
Unité motrice rapide. Unité motrice avec un grand moto­ locomotion, sous contrôle du tronc cérébral.
neurone α qui innerve les fibres musculaires à contraction Voltage imposé (voltage-clamp). Méthode permettant de
rapide. maintenir le potentiel de la membrane à un niveau constant
V1. Cortex visuel primaire. pendant que l’on mesure les courants transmembranaires.
Vasopressine. Petite hormone peptidique sécrétée par les Voltage. Force exercée sur une particule électrique, repré-
neurones magnocellulaires ; elle favorise la rétention d’eau sentée par le symbole V, calculée en volts ; appelée aussi
et la diminution de la quantité d’urine produite par le rein ; potentiel électrique ou différence de potentiel.
appelée aussi hormone antidiurétique (ADH). Zeitgeber. Tout repère environnemental, comme le cycle
Ventral. En direction du ventre. lumière-obscurité, qui signe le temps qui passe.
Ventricule latéral. Espace rempli de liquide céphalorachi- Zone active. Différenciation d’une membrane présynaptique,
dien dans chaque hémisphère cérébral. représentant le site de la libération du neurotransmetteur.
948 Glossaire

Zone de Lissauer. Région la plus externe de la corne dorsale


de la moelle épinière, contenant les axones amyéliniques
associés à la douleur et à la température.
Zone d’initiation de l’influx nerveux. Partie de la membrane
neuronale, caractérisée par une densité élevée de canaux
ioniques dépendants du potentiel, où les potentiels d’ac-
tion sont généralement évoqués, en général le « cône axo-
nique ».
Zone périventriculaire. Région hypothalamique essentielle-
ment interne limitant le 3e ventricule.
949

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973

INDEX

Symboles Adénosine triphosphate (ATP) 37, tegmentale ventrale (ATV) 546,


64, 148, 157, 160, 165, 168, 171, 570-574, 613, 645
5-HTP-décarboxylase 155 264, 437-439, 465, 468, 469 V1 voir Cortex visuel primaire
5-hydroxytryptamine 155 Adényl (adenylate) cyclase 136, 170, 363, 751, 756, 759
9-tétrahydrocannabinol (THC) 158 274, 278, 784 V2 743, 751, 756
α-bungarotoxine 129, 823 ADH (anti-diuretic hormone) voir V3 743
α-fétoprotéine 606 Hormone antidiurétique V4 357, 740, 743, 751
αMSH 557, 559, 560, 562, 563 ADN 29, 30, 31, 33, 34 Akinésie 504, 507
Adolphs Ralph 638 Albus James 907
Adrénaline 118, 154, 155, 539, 540 Alcoolisme 19
A Afférence (fibre) Ia 471, 472, 474- Allen Laura 603
Accident vasculaire cérébral (AVC) 476, 520 Allostérique 123
18, 19, 490, 616, 662, 704, 709, Afférence (fibre) Ib 476 Alpha-melanocyte-stimulating
711, 747, 785 Afférence sensorielle primaire 420, hormone 559
Accommodation 297-299 441 Altman Joseph 803
Acétylcholine (ACh) 49, 108, 118, Agate 609 Alvarez Francisco 475
124, 126, 128, 129, 138, 141, 145, Agnosie 436 Alzheimer Aloïs 39
146, 151, 153, 157, 160, 161, 168, Agrammatisme 706 Alzheimer, maladie d’ 18, 19, 34, 38,
169, 264, 385, 460, 465, 466, 469, Agression prédatrice 642, 645 39, 153, 165, 508, 547, 616, 822,
536, 539-541, 544, 578, 593, 672, Agressivité 641, 642, 644, 647 921
673, 676-678, 838 Agressivité simulée 642 Amateau 608
Agrine 818 Amblyopie 295
Acétylcholinestérase (AChE) 128,
AgRP (agouti-related peptide) 560- Amine 118, 119
129, 151, 153, 466
564, 566 Amnésie 847, 859-861, 863
Achromatopsie 313, 357
Aguayo Alberto 816 antérograde 848, 859, 861
Acide aminé 30, 32, 118, 119 Agueusie 270 dissociée 847
Acide γ-aminobutyrique (GABA) Aire 6 (AMS) 495, 496, 500, 502, globale transitoire 848
118, 125, 141, 152, 153, 156, 160, 504, 506, 508, 509, 520 rétrograde 847, 876
166, 172, 686, 743 aire 6 (APM) 495, 496 AMPc 136, 137, 170, 172, 274, 275,
Acide arachidonique 608 aire 17 de Brodmann 338 277, 278, 679, 784, 897
Acide aspartique (Asp) 62 de Broca 701, 703, 704, 707, 709, Amphétamine 153, 549, 550, 570,
Acide désoxyribonucléique 29 710, 716, 718, 719, 721-724 675, 790
Acide folique 192, 193 de Wernicke 398, 701, 703, 707, Amplificateur cochléaire 383-385
Acide glutamique (Glu) 62 709, 710, 718, 719, 721, 722, 724 Amygdale 195, 220, 229, 270, 569,
Acide glutamique décarboxylase du langage 719 626, 627, 631, 636-642, 644, 663,
(GAD) 156 extrastriée 362, 677 772, 773, 775, 781, 860, 863, 864
Acide pyruvique 37 hypothalamique latérale 562, 563, bed nucleus of the stria terminalis
Acide ribonucléique-messager 29 577 773
Aconitine 95 inférofrontale 723 noyau basolatéral 637
Acouphène 383, 400 IT 357, 360, 362, 436, 739, 743, noyau central 637
ACTH (adrenocorticotropic hormone) 755, 756, 759, 856, 891 noyau corticomédian 637
voir Hormone adrénocorticotrope LIP 746, 748-753 Amygdalectomie 642
M1 494, 509-511, 513, 520 Anabolisme 555
Actine 468-470
motrice supplémentaire 217 Analgésie 440, 448
Acuité visuelle 300
MST 356 Analyse quantique 131
Adams Raymond 808 MT (medial temporal) 355, 356, Anandamide 158
Adaptation 275 363, 739, 743, 751 Andersen Per 870
Adaptation à l’obscurité 314 parahippocampique 359 Androgène 588, 605-609, 642
Adaptation à la lumière 314 prémotrice 217 Anencéphalie 192, 193
Addiction 550, 570, 571, 573, 574 préoptique 602, 603, 617 Anesthésie 101, 664
Addison Thomas 533 préoptique médiane 577, 578 Angiotensine I 530
Adénosine 148, 157, 168, 439, 678, septale 227, 569 Angiotensine II 530, 575, 578
679 somatosensorielle primaire (S1) Angiotensinogène 530
Adénosine diphosphate (ADP) 37 427 Angle visuel 300
974 Index

Anhydrase carbonique 261 Atonie 665 Blanc de l’œil 292


Anion 59 Atrophie 463 Blépharospasme 129
Anomie 703, 705, 718 Atropine 146, 540 Bleuler Eugen 787
Anorexie 557 Attention 723, 727, 731, 733-736, Bliss Timothy 899
Anorexie mentale 575 738-740, 742, 744, 746, 747, 759 Bloom Floyd 544
Anosmie 274 dirigée 745 Boucle gamma 476
Anticholinestérasique 466 endogène 733 Bouillaud Jean-Baptiste 701
Anticonvulsivant 662, 860 exogène 733 Boulimie 574
Antidépresseur 575, 782-785 implicite 733 Bourgeois Jean-Pierre 823
Antidépresseur tricyclique 675, 782 partagée 738 Bourgeon gustatif 262, 263
Antihistaminique 438, 439, 441 sélective 731, 738 Boutons « en passant » 41
Anti-inflammatoire 439 temps de réaction 735 Boyen Ed 85
Antiport 153 Aubertin Simon Alexandre Ernest Bradykinésie 504
Antipsychotique 790 701 Bradykinine 439
Anxiété 529, 531, 534, 543, 622, 639, Auditif 367 Breiter 639
643, 763, 768, 769, 773-775, 780, Audition voir Système auditif Brenner Sidney 297
787 Autisme 34, 820 Broca Paul 10, 13, 15, 627, 648, 701,
activité compulsive 769 Autorécepteur 127, 525, 647 704-707, 711, 712
agoraphobie 768, 769 Autostimulation 568, 569 Brodmann Korbinian 206, 207, 217,
attaques de panique 768, 770 Axe hypothalamohypophysaire cor- 338, 340, 397, 427
troubles anxieux 768 ticotrope 771, 772, 777-781, 783 Brown Graham 455
troubles paniques 769 Axel Richard 33, 275 Buck Linda 275
Anxiolytique 773, 775 Axelrod Julius 544 Bucy Paul 636, 643
Aphasie 700, 703, 704, 710, 718 Axone 25, 37-39, 42, 45, 52, 54, 57, Bulbe (rachidien) 201, 219, 221, 222,
de Broca 703-706, 711 79, 98-100, 103, 115, 116 225
de conduction 703, 710 Bulbe olfactif 194, 195, 215, 222,
de la parole 711 274, 279, 281-283, 542, 544
B
de l’expression orale 711 Bullinger Katie 475
des personnes bilingues et des Babinski Joseph 490 Burgess Neil 872
sourds 711 Bal Ramazan 392 Byrne Richard 695
de Wernicke-Geschwind 703, 706, Ballisme 508
707, 709, 711 Bamberg Ernst 84
Barbiturique 166, 662
C
du langage des signes 711
Aplysie 573 Bard Philip 623 Cabanis Emmanuel 704
Apoptose 504, 822 Barlow Horace 315, 317 Cade John 783
Appareil de Golgi 35, 36, 119, 121 Barrels 432, 433 Caféine 678
sous-neural 115 Barrière hématoencéphalique 76, Cajal Santiago Ramon y 26, 45,
vestibulaire 374, 490 675 207, 208, 813, 896
Apprentissage 435, 615, 839, 842, Bartels Andreas 599 Calcium 36
843, 890, 912 Batonnet 302, 303, 305-309, 311, Campbell Alfred Walter 494
Approches « psychosociales » 765 324, 325 Canal (canaux) 61, 62, 93, 162, 449
Apraxie 496 Batrachotoxine 95 calcique 62, 120, 122, 133, 138,
Aqueduc cérébral 196, 202, 221, Baynes Kathleen 715 265
230, 232 Bear Mark 904, 905 conductance 93, 162
Arachidonylglycérol (2-AG) 158 Bed nucleus de la stria terminalis 617 gating 62
Arborisation dendritique 44, 54 Behaviorisme 765 inactivation 92, 94, 95, 98
Aréflexie 490 Bekoff Anne 573 ionique 61-64, 71, 82, 103, 104,
Aristote 4, 261 Bell Charles 8, 9, 15, 16, 181 124, 125
ARN messager (ARNm) 29-32, 35, Benabid Alim-Louis 507, 784 ionique mécanosensible 417
144, 145, 918 Benzer Seymour 912 müllérien 586
ARN polymérase 29 Benzodiazépine 162, 166, 605, 662, potassique 62, 67, 72, 73, 76, 77,
Artère cérébrale antérieure 243 773-775 86, 88-90, 96, 133, 162, 169, 481
Aserinsky Eugene 665 Berger Hans 652 probabilité d’ouverture 162
Aspartate 62 Berson David 685 rectification tardive 96
Assemblée cellulaire 855 Betz Vladimir 509 sélectivité ionique 61
Astéréognosie 436 Bicouche de phospholipides 60-67 semi-circulaire 401, 405, 406
Astigmatisme 299 Bielschowsky, coloration de 39 sodique 62, 68, 81, 89-96, 98, 100-
Aston-Jones Gary 545 Bienenstock Elie 903, 904 103, 133, 265, 308, 309, 314, 465,
Astrocyte 52, 76, 617, 802, 806 Binding 148 662, 686
Ataxie 515 Bisley John 746 spinal 200, 221, 234
Athétose 517 Blais Brian 905 TRP 449
Index 975

TRPM8 449 ganglionnaire à opposition simple Chromosome 29, 31, 33, 275
TRPV1 440, 441, 449 de couleur 322 Chromosome sexuel 585
voltage-dépendant 90 ganglionnaire de type M 322, 324, Chun Marvin 358
wolffien 586 335, 337, 352, 364 Churchland Patricia 754
Canalopathie 92 ganglionnaire de type P 322, 335, Circuit de Papez 628, 630
Cannabinoïde 168 337, 364 Circulation cérébrale 240
Cannabis 158 ganglionnaire non M-non P 322, Cirelli Chiara 679
Cannon Walter 623, 914 335, 353 Clark Brian 474
Capacitance 68 gliale 23, 49, 52, 76, 116, 465, 687 Clioquinol 848
Capacité synaptique 822, 823 granulaire 397 Clock gene 686
Capecchi Mario 32,33 gustative 262, 263 Clonus 490
Capsaïcine 260, 440, 441 horizontale 300, 316, 318, 323 Clozapine 791, 794
Capsule interne 190, 194, 195, 227, mastocytaire 438, 439, 441 Cocaïne 101, 153, 549, 550, 570,
487, 799 microgliale 53 574, 613, 779, 790
Carbamazépine 662 microglie 53 Cocaine- and amphetamine-regulated
Carlsson Arvid 546 migration cellulaire 53 transcript (CART) 559
Carroll Joe 305 multipolaire 47 Cochlée 371, 373-375, 379, 383, 385,
Carskadon Mary 668 neurosécrétrice magnocellulaire 576 392, 409
CART 557, 559, 560, 563 olfactive réceptrice 272 Codage de population 271, 282,
« Carte » corticale 434 pyramidale 47, 104, 205, 341, 344, 286, 510
Carte sensorielle 282 397, 509, 519, 614, 615, 806 spatial 283
Carte spatiale 283 réceptrice du goût 262, 263 temporel 283
Carter Sue 597 simple 350 Cognition spontanée 729
Cas H.M. 860, 861, 863, 881 souche 465, 767, 802 Cohen Stanley 821
Cascade des seconds messagers 170, unipolaire 47 Colchicine 54
171, 173 Centre médian-parafasciculaire 502 Cole Kenneth C. 88
Caswell Barry 872 Cercle de Willis 242 Coleman Douglas 556
Catabolisme 555 Cerveau antérieur 193 Collatérale axonique 41
Cataplexie 674, 675 Cerveau au repos 727, 728 de Schaffer 898, 899
Cataracte 295, 831 Cervelet 180, 197, 201, 202, 209, récurrente 41
Catatonie 788 215, 221, 224, 225, 386, 509, 515, Colliculus inférieur 197, 224, 232,
Catécholamine 154, 549 516, 519, 520, 542, 698 385-387
Cation 59 Colliculus supérieur 197, 224, 232,
Chalmers David 752, 754, 759
Caton Richard 652 333, 334, 386, 491, 514, 744, 751,
Champ moteur 743
Cellule 53 815
Champ récepteur 316-324, 336, 337,
amacrine 300, 316 Colonne de dominance oculaire
339, 340, 345, 347, 349-353, 355,
basale 272 342, 344, 347, 719, 826, 827, 829,
357, 362, 363, 429, 430, 514, 515,
bipolaire 47, 307, 316, 318 830
684, 739, 740, 749, 827, 830, 867,
bipolaire de type OFF 318 corticale 430
872
bipolaire de type ON 318 d’orientation sélective 346
Champ visuel 299, 300, 316, 326,
ciliée 377, 382-388, 404 dorsale 200, 236, 426
333, 348-350, 353, 356, 714, 730,
complexe 350 latérale 200
739, 740, 743, 747
de « centre OFF » 321, 337 ventrale 200
de « centre ON » 321, 337 Changeux Jean-Pierre 129
Coloration de Bielschowsky 39
de Betz 509 Channelrhodopsine-2 83, 878, 879 de Golgi 25, 46, 146, 208
de Golgi 48 Charcot Jean-Martin 464 de Nissl 24, 340
de grille 866, 869, 871, 872 Chémokines 439 Coma 664
de la glie radiaire 801 Chémorécepteur 259 Complexe cholinergique ponto-­
de lieu 866-868 Chiasma optique 222, 330, 332, 334, mésencéphalo-tegmental 547
de place 359, 867 799, 811, 815 Complexe du cerveau antérieur basal
de Purkinje 518, 544, 907 Chlorpromazine 790, 793 547
de Schwann 52, 100, 816 Cho Z.H. 187 Complexe SNARE 122, 129
de soutien 272 Choc insulinique 567 Comportement motivé 554
épendymaire 53 Choc spinal 490 Comportement sexuel 527
étoilée 47, 104 Cholécystokinine (CCK) 118, 566 Concept de neurone 26
étoilée épineuse 341 Choline acétyltransférase (ChAT) Concept de période critique 828
eucaryote 33 50, 151, 153 Conditionnement 845
ganglionnaire 300, 301, 305, 307, Cholinergique 49-51, 141, 146, 151, Conductance 65, 87, 833
314-316, 319-321, 326, 333, 335, 153 ionique 69, 86
336, 339, 342, 345, 362, 374, 685, Chorée de Huntington 505, 506, membranaire 86
799, 811, 824 517, 883 Conduction saltatoire 100
976 Index

Conduit auditif 370 M1 520 Cytoarchitecture 24, 205


Conduite alimentaire 554, 556 moteur 461, 487, 489, 493, 509, Cytochrome oxydase 344, 351, 353
Cône 302, 303, 305-307, 309, 311, 510, 525, 676, 698, 708, 718, 740, Cytokines 679
312, 315, 318, 323-325 857 Cytoplasme 29, 45, 68, 109
axonique 38, 103 moteur primaire (aire 4) 207, 217, Cytosol 27, 57, 59, 68, 79, 82, 153
de croissance 812, 813, 816, 818, 407, 500 Cytosquelette 37, 39, 45, 61
819 occipital 722, 738, 811
Conjonctive 292 olfactif 205, 206, 281, 283 D
Connectome 207, 208 orbitofrontal 281, 644
Connexine 109, 111 parahippocampique 757, 856, 857 Dale Henry 141, 145, 150
Connexon 109 pariétal 710, 719, 738, 740, 743, Damasio Antonio 629, 634, 638
Connors Barry 111 811, 853 Damasio Hanna 629
Conscience 727, 752-754, 759, 760 pariétal postérieur 217, 427, 436, Darwin Charles 10, 622, 625, 634,
Consolidation mnésique 846, 861, 437, 495, 519, 739, 740, 747 898
890, 918 périrhinal 856, 863 Das Gopal 803
Consolidation synaptique 874, 875 préfrontal 496, 631, 632, 730, 732, Daszuta Annie 783
Constante de longueur 132, 133, 137 747, 773, 781, 849, 850 de Candolle Augustin 681
Constantine-Paton Martha 826 prémoteur 500 Déficit spécifique du langage 699
Convulsivant 662 rhinal 856, 863, 881 Dégénérescence neurofibrillaire
Cooper Léon 903, 904 sensoriel primaire 428, 430 (DNF) 39, 40
Cope T.C. 474 sensoriel somatique 857 Dégénérescence wallérienne 42
Cormack Allan 185 sensorimoteur 519 Dehaene-Lambertz Ghislaine 697
Corne d’Ammon 898 somatosensoriel 407, 427, 431, Deisseroth Karl 85
dorsale 200 434, 435, 525, 656, 719, 721 Délai interaural 392-395, 398
ventrale 200, 292, 294, 296, 298, strié 329, 335-341, 344, 347, 348, Démangeaisons 440-442
299 351, 352, 354, 355, 357, 361, 362, Dement William 664, 671
Cornée 292, 294, 296-299 398, 800, 823, 825, 827, 856 Dendrite 25, 37, 44-47, 103, 113,
Corps calleux 194, 220, 223, 227, temporal 719, 722, 856 116, 133
496, 603, 628, 712, 716 visuel 397, 491, 638, 719, 722, 736, Denk Winfried 208, 209
Corps cellulaire 25, 189, 231, 290, 825-827, 832, 838 Densité post-synaptique 113, 114
326 visuel primaire (V1) 338, 340, 347, Dépolarisation 90, 92, 96, 103, 124,
Corps genouillé latéral (CGL) 189, 354, 677, 736, 799 131, 138
231, 290, 326, 329, 332, 335, 337- Corticolibérine 531 Dépression 19, 34, 546, 575, 630,
347, 349-354, 357, 409, 799, 810- Corticostérone 534 643, 775-779, 781, 783
812, 815, 819, 824, 831 Corticosurrénale 531 Dépression à long terme (DLT) 836,
couche coniocellulaire (koniocellu- Corticotropin-releasing factor (CRF) 838, 903, 905-912, 914-916
laire) 336, 351 531 Dépression majeure 776
couche magnocellulaire 336, 351 Corticotropin-releasing hormone Dermatome 423-425
couche parvocellulaire 336, 351 (CRH) 531 Descartes René 6, 764
Corps genouillé médian (CGM) Cortisol 531, 533, 534, 771, 773, 780 Désensibilisation 12, 466
231, 371, 376, 386, 387, 397 Cotransmetteur 150, 157 Desimone Robert 740
Corps mammillaire 222, 229 Couplage excitation-contraction Détection des couleurs 312
Corpuscule de Pacini 417 465, 470 Dexfenfluramine 573
Corrélation de phase 388-391, 394, Courant d’obscurité 308 Diabète insipide 576
395 Courant électrique 65 Diabète mellitus 567
Cortex A1 371, 397, 398 Courtney S. M. 851 Diacylglycérol (DAG) 170
associatif 210, 863 Crampe de l’écrivain 129 Diathèse 780
auditif 367, 371, 388, 397-399 Crête ampullaire 405 Diencéphale 193, 194, 196, 202
cérébelleux 233 Crête neurale 190 Différence d’intensité interaurale
cingulaire 628, 630, 644, 730, 747, Crick Francis 753, 754 394
781, 784 Cristallin 294, 295, 297 Différence de potentiel 65
entorhinal 758, 856, 869, 871, 872, Cuatrecasas Pedro 149 Différenciation 191
898 Cupule 405 Différenciation cellulaire 800, 805
extrastrié 356, 677, 722, 739 Curare 128 Différenciation sexuelle 586, 609,
frontal 489, 643, 864 Cycle menstruel 590, 612 611
fusiforme 757 œstral 591, 604, 612, 614 Diffusion 64, 69
gustatif 270 reproducteur 591 Dimorphisme sexuel 601-604, 607,
inférotemporal (IT) 217, 357, 707, Cyclo-oxygénase (COX) 608 609, 612, 617
738, 864, 891, 892 Cyclothymique 776 Dioptrie 296
insulaire 217, 226 Cytoarchitectonie 24 Disque optique 292, 293
intrapariétal latéral 852, 853 Cytoarchitectonique 206 Distance focale 296
Index 977

DMLA (dégénérescence maculaire Émotion inconsciente 626 médian du télencéphale 190, 645
liée à l’âge) 295 Endocannabinoïdes 157-160, 439, pyramidal 199, 515
DNMS (delayed non-match to sam- 565, 907 réticulospinal 492
ple) 862, 883 Endocytose 121 rubrospinal 489
Doctrine du neurone 24 Endolymphe 405, 406 spinothalamique 443-445, 451
Doeller Christian 872 Endorphines 148, 149, 448 tectospinal 491
Dolan Ray 624 Engramme 854, 891 vestibulospinal 237, 490
Donoghue John 513 Enképhalines 118, 148, 149 Falk Bengt 542, 544
DOPA voir Enzyme 61, 64 Fasciculation 813
L-dihydroxyphénylalanine Éphrine 818 Feedback 486, 487, 659, 661, 662
DOPA décarboxylase 155 Épilepsie 18, 92, 135, 159, 508, 569, Fenêtre ovale 370-372, 375
Dopamine (DA) 118, 153, 154, 168, 614, 652, 655, 661-663, 713, 773, Fenêtre ronde 374, 375
229, 504-506, 541, 544, 546, 549, 783, 820, 857, 860 Ferragamo Michael 392
550, 568, 570, 571, 732, 790, 793 crise avec absence 663 Ferrier David 10, 494
tyrosine 64, 154 crise généralisée 661 Fesenko E.E. 278
tyrosine hydroxylase 154 crise partielle 661, 663 Fibre musculaire 456, 461, 462, 465,
Dopamine β-hydroxylase (DBH) crise tonicoclonique 662 469, 471
155 Épines dendritiques 45, 116, 614, actine 468
D’Ortous de Mairan Jacques 681 615, 903, 921 ATP 468
Douleur 425, 437-439, 441-443, 448, Épineux 47 canal calcique 467
479, 543, 785 Épissage alternatif 29, 30 filament épais 468
Douleur référée 442 Épithélium olfactif 272, 273, 276, filament fin 468
Dowling John 316 279, 282 myofibrille 467
Downing Paul 359 Epstein Russell 359 myosine 468
Drogues sympathomimétiques 549 Équation de Goldman 71, 72 pompe à calcium 469
Dronkers Nina 703, 704 Équation de Nernst 69 reticulum sarcoplasmique 467,
du Bois-Reymond Emil 8 Équilibre énergétique 554-556 469
Dudai Yadin 912 Équilibre hydrominéral 578 sarcolemme 469
Dudek Serena 904, 905 Erreur paraphasique 710 sarcomère 468
Dure-mère 427 Ésotropie 295 strie Z 468
Dynéine 43 Espace synaptique 42, 112, 115, 117, troponine 469
Dynorphine 118 127 tubule T 467, 469
Dyskinésie 506 État post-prandial 555 Filaments intermédiaires 38
Dyskinésie tardive 794 Evans Martin 32, 34 Filopode 812
Dyslexie 700 Evarts Edward 496, 497 Filtre ionique 90
Dyspraxie verbale 698 Excitabilité dendritique 133 FISH 144
Dysthymie 776 Excitabilité membranaire 59 Fleming Alexander 765
Dystonie 129 Excitotoxicité 165, 464 Flourens Marie-Jean-Pierre 9, 15
Dystrophie musculaire de Duchenne Exocytose 120, 121, 123, 138, 152 Fluoxétine 575, 774, 782
470, 585 Exon 29 Flux axonal 39
Dystrophine 470 Exotropie 295 Flynn John 645
Expérience émotionnelle 621, 622, Foote Steve 545
625, 626, 630, 640, 648 Force électromotrice 68, 86, 87, 89,
E
Expression émotionnelle 621, 622, 96, 120
EAAC1 157 628, 638 Force ionique 59
EAAT 157 Expression génique 29, 32, 33, 49 Formation réticulée 76, 233, 491
Eccles John 107, 463 Fornix 220, 222, 227, 229, 630, 857,
Echolocalisation 399 881, 883
Effet placebo 448
F
Fovéa 294, 305-307, 326, 334, 339,
Ehrlich Paul 765 Facteur chémoattractif 813, 814 491, 713, 733, 736, 739
Einstein Albert 695 chémorépulsif 814, 818 Franklin Benjamin 8, 299
Électrochoc 781, 846, 877 CREB 920, 921 Freeman Walter 661
Électroencéphalogramme (EEG) de croissance nerveux (NGF) 821 Fréquence caractéristique 387
652-659, 661, 664-667, 670, 673, de transcription 29, 680, 802, 807 Freud Sigmund 101, 622, 671, 764,
675, 688 hypnogène 678 765
Électroencéphalographie 651 inhibiteur müllérien 586 Frey Julietta 918, 919
Électrothérapie 781, 783, 785 trophique 821 Fried Itzhak 758
Émission otoacoustique 383 Faisceau arqué 707, 710, 718 Friedman Jeffrey 557
Emmétrope 298 corticospinal 195, 199, 201 Frisen Jonas 803
Émotion 527, 621-624, 627, 631, longitudinal dorsal 645 Fritsch Gustav 10, 494
634, 638 longitudinal médian 406 Frontal eye field (FEF) 743, 744, 751
978 Index

FSH (hormone folliculostimulante) Génotype féminin 584 Gustation 259, 260, 286, 452
531, 589, 590 Génotype masculin 584 Gynandromorphe 609, 611
Fugate Bob 304 Genre 584 Gyrus 202
Fulton John 643 Georgopoulos Apostolos 510 angulaire 707, 722
Furosémide 384 Geschwind Norman 707, 716 cingulaire 628, 637
Furshpan Edwin 107 Gesner Johann 700 cingulaire antérieur 723
Fuseau neuromusculaire 461, 471, Ghréline 564 dentatus 898
472, 476-478 Glande corticosurrénale 534 post-central 216
Fuxe Kjell 544 Glande pinéale 224, 589 précentral 216
Glaucome 295 temporal supérieur 216, 704
G Glie radiaire 807
Globus pallidus ou pallidum 227, H
GABA (acide gamma-aminobuty- 502
rique) 118, 119, 125, 134, 135, Glomérule 279 Habituation 845
138, 141, 150, 152, 153, 156, 157, Glutamate 62, 118, 119, 124, 138, Hallucination 549, 663, 670, 674,
160, 166, 168, 172, 264, 605, 615, 156, 157, 160, 163, 165, 168, 172, 675, 689, 792
662, 686, 743, 773 264, 316, 439, 442, 464, 525, Hallucinogène 548, 549
GABAergique 141, 574 565, 614, 832, 833, 838, 901, 902, Halopéridol 793
GABA-transaminase 157 906-908 Hämäläinen Matti 656
Gage Fred 803 Glutamatergique 141 Hamann S. 641
Gage Phineas 628, 643, 732, 850 Glutamic acid decarboxylase 157 Harlow John 628, 629
Galien 5, 6, 9 Glutamine 62 Harris Kristen M. 116
Gall Franz Joseph 9, 15, 700 Glycémie 566 Hartline Keffer 315
Galvani Luigi 8 Glycine 62, 118, 119, 125, 135, 150, Haxby Jim 358
Ganglions de la base 195, 227, 500, 156, 166 Heath Robert 569
502, 505, 506, 509, 520, 546, 550, Glycogène 555 Hebb Donald 825, 826, 855, 856,
569, 709, 869, 881, 883 Glycogene-synthase kinase (GSK) 889, 902, 903
globus pallidus 500, 502 784 Hegemann Peter 84
globus pallidus interne 508 Gold Geoffrey 277, 278 Hélicotrème 375
noyau caudé 500, 506, 546, 569, Goldberg Michael 739, 746 Hémi-anopsie bitemporale 334
709, 869, 881 Golding Nace 392 Hémi-champ visuel 331, 332
noyau sous-thalamique 500, 508 Goldman, équation de 71, 72, 124 Hémiplégie 490
putamen 500, 502, 506, 546, 881 Golgi Camillo Hémisphère cérébelleux 518
striatum 500, 502, 504, 546, appareil de 35, 36 Hémisphère cérébral 180, 215, 223
881-883 coloration de 25, 26, 36 Henneman Elwood 461, 471
substance noire 500 Gonadolibérine 589, 590 Hermaphrodisme 587
Ganglion de Scarpa 402 Gonadotrophine 589 Héroïne 570
Ganglion des racines dorsales 181, Goodfellow Peter 585 Herpes 425
189, 420 Gorski Roger 603 Hess W.R. 645
rachidien 181, 236, 420 Gottschalk Alexander 85 Hetherington A.W. 557
spiral 378, 382, 387, 391 Gould Elizabeth 613, 614 Hillarp Ake 542, 544
Gap junction 109, 687 Gradient 37 Hippocampe 205, 220, 231, 534,
Garcia John 271 Gradient de concentration 65, 69, 545, 547, 614, 615, 628, 630, 637,
Gardner Allen 695 77, 86 663, 730, 772, 773, 775, 780, 781,
Gardner Beatrix 695 Grafstein Bernice 43 783, 803, 856, 857, 860, 861, 863,
Gardner Howard 705-707 Granule de sécrétion 112, 118, 119, 865, 866, 868, 871-874, 898, 907,
Gardner Randy 670 442 911, 912, 916
Gazzaniga Michael 713, 715 Gray Charlie 754 Hippocrate 4
Gène 29-34, 464 Green fluorescent protein (GFP) 49, His Wilhelm 808
Gène d’activation précoce (immedi- 183 Histamine 438-441
ate early genes) 680 Grenness Carl-Erik 870 Histofluorescence 544
FOXP2 698, 699 Grillner Sten 480, 481 Histologie 24
-horloge 686 Grundfest Harry 895 Hitzig Eduard 10, 494
ob 556, 557 Guanosine diphosphate (GDP) Hobaiter Catherine 695
SRY 585, 586 167-169 Hobson Allan 671
Tau 685 Guanosine monophosphate cyclique Hodgkin Alan 88, 100
Gene targeting 33, 34 (GMPc) 278, 308-311, 314 Hoffer Barry 544
Générateur central de rythme 480 Guanosine triphosphate (GTP) Hoffer Heidi 304
Génome 30, 31 167-169 Hofmann Albert 548
Genome wide association studies Guanylate cyclase 308, 314 Homéostasie 527, 550, 554, 556,
(GWAS) 465 Guidage axonal 813, 818, 825, 826 557, 645, 913
Index 979

Homonculus 431, 432 589, 590, 601-603, 612, 614, 628, Inositol-1,4,5-triphosphate (IP3)
Homosexualité 584, 617 630, 637, 640, 644, 645, 673, 683, 170, 171, 267
Horloge circadienne 685, 687, 688 685, 771, 775, 781, 857 Insel Thomas 595, 596
Hormone 529 hormone hypophysiotrope 531 Insensibilité aux androgènes 608
adrénocorticotrope (ACTH) 531, latéral 557, 560-562, 568-570, 575, Insensibilité congénitale à la douleur
559, 561, 578, 771, 773, 775 578 438
antidiurétique (ADH) 530, 575, 595 neurohormone 529 Insula 217, 226, 704, 716, 717
corticolibérine 531 neurone neurosécrétoire magno­ Insuline 542, 566, 567, 578
CRH (corticotropin releasing cellulaire 528 Intégration synaptique 130, 131
hormone) 531, 533, 771, 772, 775, neurone neurosécrétoire parvo­ Intégrine 813
780, 783 cellulaire 531 Intention 496
de croissance 564 noyau paraventiculaire 561 Interleukine-1 679
folliculo-stimuline (FSH) 531, noyau suprachiasmatique (NSC) Interneurone 48, 57, 341, 446, 462,
589, 590 528 476, 478, 482, 793
hypophysaire 531 sécrétoire 526 Intrator Nathan 905
lutéinisante (LH-RH) 589 système porte hypothalamo-hypo- Intron 29
lutéotrope (LH) 531, 590, 591 physaire 531 Ion 57, 59, 64, 65, 67, 69, 70, 76, 86,
sexuelle 583, 587, 589, 609, 612, ventromédian 557 88-90, 96, 120, 152, 162, 163, 165
616, 618 zone périventriculaire 528 Ca2+ 120, 138, 145, 152, 162-165,
thyréostimuline (TSH) 531, 561, Hypothèse de la chémoaffinité 815 172, 263, 274, 275, 314, 440, 467,
577, 578 des lignes de signaux spécifiques 469, 481, 534, 819, 833, 834, 901,
thyréotrope 118 271 902, 906, 907, 916, 922, 923
Horsley Victor 507 dopaminergique de la schizophré- Cl– 124, 125, 162, 166
Horvitz Robert 821 nie 790 H+ 153, 266, 438, 439
Hounsfield Godfrey 185 du switch moléculaire 917 K+ 124, 152, 162, 163, 165, 266,
Hubel David 342, 343, 345-347, 350, glutamatergique de la schizophré- 381, 437, 439, 481
353, 430, 824, 827, 828, 870 nie 792 Mg2+ 833, 902
Hudspeth A. J. 380 lipostatique 556 Na+ 265, 274, 275, 308, 314, 440,
Huganir Richard 905 stress-diathèse 780 901
Hugues John 149 Iris 292
Human genome project 31 Ito Masao 907
I
Humeur 543, 546, 551 Itti Laurent 745
Humeur aqueuse 296 Iba-Ziten Marie-Thérèse 704
Humeur vitrée 294, 296 Identité du genre 584
Huntingtine 504 Identité génétique 584 J
Huntington, chorée de 504, 506, 517 Imagerie calcique 348 Jackson John Hughlings 663
Huxley Andrew 88, 100, 470 par résonance magnétique (IRM) Jacobsen Carlyle 643
Huxley Hugh 470 185, 186, 225, 704, 716 Jaffe Jérôme 148
Hybridation in situ 143-145 par résonance magnétique fonc- James William 622, 623, 635
Hydrocéphalie 184 tionnelle (IRMf) 185, 187, 497, Jan Lilly 75
Hydrophile 60, 61 498, 599, 613, 631, 639, 640, 655, Jan Yuh-Nung 75
Hydrophobe 60, 61 676, 691, 697, 702, 718-721, 723, Jonction étroite 109
Hyperalgie 439, 446 729, 732, 736, 737, 757, 759, 773, Jonction neuromusculaire 115, 117,
Hyperkinésie 504, 506, 508 785, 872 124, 128, 129, 138, 151, 161, 465,
Hypermétropie 298, 299 Imipramine 777, 782 466, 469, 539, 818, 836
Hyperplasie surrénalienne congéni- Immunocytochimie 143 Jones Stephanie R. 656
tale 609 Implant cochléaire 378, 379 Jouvet Michel 664
Hyperréflexie 490 Imprinting 828 Julesz Bela 361
Hypersensibilité de dénervation 914 Inactivation 127 Julius David 440
Hypertonie 490 INAH (interstitial nuclei of anterior
Hypocrétine 562, 673-675, 678 hypothalamus) 603, 617
K
Hypokinésie 504 Inanition 556, 557
Hypomanie 776 Inflammation 439 Kainate 147
Hypophyse 196, 334, 527-529, 531, Influx nerveux 79, 103, 108 Kanamycine 384
577, 583, 587, 589, 591, 595, 771, Infrason 369 Kandel Eric 870, 889, 894, 895
775 Ingénierie génétique 32 Kanwisher Nancy 358
Hypothalamus 194, 196, 201, 219- Inhibiteurs sélectifs de la recapture Kapp Bruce 639
222, 226, 228, 229, 270, 332, 333, de la sérotonine (ISRS) 774, 775, Karni Avi 671
449, 526, 527, 529-531, 533, 539, 782 Katz Bernard 107
542, 544, 546, 554, 557, 559, 560, Inhibition latérale 428 Kauer Julie 573
563, 569-571, 575, 577, 578, 583, Inhibition réciproque 478, 480 Kennedy Gordon 556
980 Index

Kératine 38 LeVay Simon 617 Maladie d’Addison 533


Kératotomie photoréfractive 299 Levi-Montalcini Rita 821 d’Alzheimer 18, 19, 34, 38, 39,
Kératomileusie in situ au laser 299 Levitsky Walter 716 153, 165, 508, 547, 616, 662, 785,
Kératotomie radiale 299 Levy William 902 822, 921
Kétamine 783 Lewis Davis 545 d’Urbach-Wiethe 638
Kevorkian Jack 76 Lewis Donald 876 de Cushing 533
Kinésine 43 Liaison peptidique 61, 63 de Down 46
Kinocil 403, 405 Liang Junzhong 304 de Lou Gehrig 464
Kipling Rudyard 273 Lidocaïne 101 de Parkinson 18, 19, 155, 165,
Kirwood 904 Ligament suspenseur 294, 297 229, 504-508, 517, 546, 616, 656,
Kleitman Nathaniel 665 Ligne de délais 394, 395 785, 793, 883
Klüver Heinrich 636, 643 Lily John 694 liée à l’X 585
Knock-in 32 Lim 598 mentale 763
Knock-out 32, 34, 261, 606, 647, 820 Lindstrom Jon 466 psychiatrique 534
Koch Cristof 745, 753, 754, 758 Liquide céphalorachidien (LCR) Manie 776, 781
Konorski Jerzy 896 101, 182-184, 424 Marijuana 565, 789
Kopell Nancy 656 Lisman John 917 Marin-Padilla Miguel 46
Kosterlitz Hans 149 Lithium 783, 784 Markram Henry 902
Krebs, cycle de 37 Lobe 7 Marr David 907
Kreiman Gabriel 758 frontal 204, 206, 217, 226, 493, Matrice extracellulaire 470, 813
Krubitzer Leah 207 643, 701, 785, 849-852 Mayberg Helen 784, 785, 787
Kuffler Stephen 315 limbique 627, 630, 648 McCarley Robert 671
Kuypers Hans 489 occipital 204, 206, 217, 357, 364 McCarthy Greg 359
pariétal 204, 217, 228, 353, 354, McClintock Martha 273
L 364, 487, 736, 746 McDermott Josh 358
pariétal postérieur 718 McEwen Bruce 534, 614
Labyrinthe 374
temporal 204, 217, 226, 228, 281, MCH (melanin-concentrating
Labyrinthe aquatique de Morris
353, 354, 357, 364, 371, 397, 594, ­hormone) 562, 563
866, 911-913
628, 636, 637, 642, 663, 703, 716, McIlwain James T. 513, 514
Labyrinthe vestibulaire 401, 490
718, 723, 736, 738, 757, 785, 858, Mécanonocicepteur 439
canaux semi-circulaires 401, 405,
860, 861 Mécanorécepteur 414-417, 420, 421,
406
temporal médian 758, 856, 858, 427, 437, 439, 440, 442, 446, 450,
crête ampullaire 405
861, 863, 881, 883, 885 564, 575, 593
cupule 405
Lobectomie temporale 636 bulbe de Krause 415
ganglion de scarpa 401
Lobotomie frontale 643 corpuscule de Meissner 415-417
kinocil 404, 405
Locomotion 480, 482 corpuscule de Pacini 414-418
macula 403
Locus coeruleus 189, 541-543, 545, corpuscule de Ruffini 415-417
organe à otolithes (otolithique)
673, 677, 832 disque de Merkel 415, 416,
401, 404
Loewenstein Werner 417 418-420
saccule 401, 404
Loewi Otto 107, 108, 141, 145 Médullosurrénale 531, 540
utricule 401, 404
Logothetis Nikos 754, 755 Mélanopsine 324, 685
Lame basale 818
Loi d’Ohm 65, 86 Mélatonine 589, 679
Lamellipode 812
Loi de Murphy 128 Melzack Ronald 446
Laminine 813
Langage 691, 692, 696, 700, 707, Lømo Terje 463, 899 Membrane basilaire 374-377, 380,
711, 714, 718, 721 Long Michael 111 383-388
acquisition du 696 Lorenz Konrad 828 de Reissner 374-376
latéralisation 697, 701 Lou Gehrig, maladie de 165 excitable 57
Lange Carl 622, 623 Lovell-Badge Robin 585 tectoriale 374, 378, 380, 383, 384
Lashley Karl 854 LSD 548 Mémoire 839, 842-844, 847, 849,
Laurent Gilles 285 Luria Alexandre 844 856, 861, 863, 889, 910, 916, 918,
Lawrence Donald 489 920
L-dihydroxyphénylalanine à court terme 846, 855, 890, 896,
M 918
(L-DOPA) 154, 155, 504, 507
Leary Timothy 548 Mac Kinnon Roderick 74 à long terme 846, 856, 912, 916,
LeDoux Joseph 640 Mac Lean Paul 596, 630 918
Lehéricy Stéphane 719 Mac Leod Don 304 antérograde 863
Lemnisque médian 190, 234, 425, Macula 293, 306, 403, 404 autobiographique 730
427, 444, 445 Magendie François 8, 16, 181 déclarative 842, 843, 854, 856,
Lemnisque trigéminal 445 Magnétoencéphalographie (MEG) 861, 863, 881, 883, 884, 923
Leptine 557, 559-563, 566, 578, 612 654-657 de reconnaissance 862, 863
Index 981

de travail 847, 849-853, 861, 866, Monogamie 594 N


890 Monoxyde d’azote (NO) 160, 593,
distribuée 893 Nadel Lynn 873, 876
678, 679
épisodique 842 Nagel Georg 84
Monoxyde de carbone (CO) 160
explicite 843 Nakamura Tadashi 277
Moore Chris 656
implicite 843 Naloxone 448
Moore Tirin 743
non déclarative 842, 881 Narcolepsie 569, 674, 675, 678
Moreau Jacques-Joseph 158
procédurale 842, 861, 863, 881, Nécrose 822
Morphine 149, 448
883, 885, 890 Neher Erwin 90, 93
Morris Richard 866, 870, 911, 918,
sémantique 842 Nemeroff Charles 780
919
spatiale 865, 920 Néocortex 205
Morrison John 545
Mémorisation 435, 573, 615, 760, Nerf 8, 401
Mort cellulaire programmée 504,
911, 912 Nerf abducens 241
819
Menaker Michael 685 auditif 378, 379, 381, 384, 387,
Moruzzi Giuseppe 673
Mendell Lorne 471, 474 388, 400, 401
Moscovitch Morris 876
Méninge 182, 183 crânien 182, 222, 240, 268, 427
Moser Edvard et May-Britt 869, 870
Merzenich Michael 433 facial (VII) 241, 268, 427
Motivation 527, 550, 553, 555, 563,
Mésencéphale 193, 196, 219, 221, glossopharyngien 241, 268
566, 569, 573, 576
222, 225, 230, 232, 542 glossopharyngien (IX) 427
Motoneurone 9, 458-463, 465, 510,
Messager rétrograde 157, 160 hypoglosse 241
520, 816 nerf trigéminal 427
Métaplasticité 913-915 Motoneurone α 460-462, 464, 469,
Métencéphale 197 nerf vague (X) 427
471, 473, 474, 476-479, 483, 485, oculomoteur 241
Méthylphénydate 732 823
Microarrays 31 olfactif 241, 274
Motoneurone γ 473, 474, 476 optique 52, 193, 222, 241, 292,
Microélectrode 66, 67, 82, 146 Mountcastle Vernon 430
Microfilament 38 293, 322, 326, 330, 332, 334, 799,
MPTP 505, 506 815
Microglie 34, 53
Munk Hermann 10 spinal 235, 236, 422, 459
Micro-ionophorèse 146
Munro Paul 903, 904 spinal accessoire 241
Microtubule 38
Muramyl 679 trigéminal 241
Microtubule-associated proteins
Muscarine 146
(MAPs) 38 trochléaire 241
Muscimol 743 vague 108, 238, 241, 268, 564, 566,
Mignot Emmanuel 675
Muscle antagoniste 457 575
Migration cellulaire 800, 804
antigravitaire 462 vestibulaire 402, 406
Milieu extracellulaire 52, 59
axial 457, 462 vestibulo-auditif 241, 378
Miller Chris 74
Miller Don 304 bulbocaverneux (BC) 602 Nernst, équation de 69
Miller Ralph 876 cardiaque 456 Nerve growth factor (NGF) 149
Milner Brenda 860, 895 ciliaire 294, 297, 298 Nétrine 813
Milner Peter 568 distal 457, 488 Neuréguline 819
Misanin James 876, 877 extenseur 460 Neurite 25, 47
Mishkin Mortimer 862 extra-oculaire 292, 295 Neuroblaste 806
Mitochondrie 37, 45, 54, 71, 113, fléchisseur 457, 460, 488, 520 Neuroéconomie 580
680 lisse 456 Neurofibrille 39
Modafinil 675 proximal 457 Neurofilament 38
Mode par défaut 728, 729, 731 specific kinase 819 Neurogenèse 783, 803
Modèle de consolidation mnésique à squelettique 456, 459 Neuroleptique 790, 792, 793
traces multiples 876 strié 456 Neuroleptique atypique 791, 794
split-brain 712, 714, 747 synergiste 457 Neuromodulation (neuromodula-
standard de consolidation mné- Musculature axiale 460, 518 teur) 135, 136, 541
sique 874 distale 457, 460, 495 Neurone 23, 47, 48
Wernicke-Geschwind 708-710, proximale 457, 489, 495 binaural 394
719, 722 MuSK 819 bipolaire 47, 300
Modification hebbienne 824 Mutation 32, 74 coniocellulaire (koniocellulaire)
Module cortical 353 Myasthenia gravis 466 341, 344
Moelle épinière 200, 235, 542 Myélencéphale 197 dopaminergique 505, 569, 570
Molarité 64 Myéline 52, 100, 102, 816 épines dendritiques 45-47
Molécules d’adhésion (CAM) 813 Myélinisation 52 épineux 45
Money John 610 Myoblaste 465 Golgi 48
Moniz Egas 643 Myofibrille 467 miroir 497, 499, 500
Monoamine oxydase (MAO) 155, Myopie 298, 299 monoral 394
778 Myosine 384, 468-470 moteur 48
982 Index

multipolaire 47 accumbens 500, 570, 574, 613 Okada Yoshio 656


non épineux 47 amygdalien 642 Olds James 568
parvocellulaire 341, 345 arqué 557, 560 Olfaction 259, 272, 286, 452
sécrétoire (neurosécrétoire) 528, basal de Meynert 547 Oligodendrocyte 52, 53, 100, 802,
529, 531 basolatéral 640, 772 806, 816, 837
sensoriel de second ordre 424 caudé 227, 500, 569, 869 Olive inférieure 110, 111, 233
sensoriel primaire 48 central 772 Olive supérieure 233, 385, 387, 391,
unipolaire 47 cochléaire 199, 233, 385, 387, 388, 392, 394-396, 398
Neuropeptide 119, 123 391, 392, 394 Olson Lars 544
Neuropeptide Y 118, 540, 560, 561, dentelé 519 Olton David 865
563, 564, 566 des colonnes dorsales 234, 426, Opiacé 147-149, 168, 440, 448
Neuropharmacologie (neurophar- 427, 429 Opsine 308, 311
macologique) 128, 146, 148 d’Onuff 602 Optogénétique 83, 85, 145, 562
agoniste 128 du faisceau solitaire 234, 539, 564, Oreille externe 370, 371, 396
antagoniste 128 575 Oreille interne 370-374, 490, 665
inhibiteur 128 du pont 233, 519 canal cochléaire 374, 375
Neuroplasticité 788 du raphé 233, 446-448, 545, 548, cellule ciliée 377, 378, 386
Neuroréguline 819 551, 673, 677 cochlée 371, 374, 375, 380, 383-
Neurostéroïde 166 gris central 500, 732 388, 400, 490
Neurotransmetteur 42, 49, 52, 107, gustatif 234, 268, 564 endolymphe 374, 375, 380, 381
108, 117-124, 127, 129, 138, 141- interstitiel de l’hypothalamus anté- fenêtre ronde 374, 375
143, 145, 150, 152, 153, 158, 170, rieur (INAH) 603, 617 ganglion spiral 381, 384-387
172, 174, 442, 460, 525, 526, 543 intralaminaire 445 hélicotrème 374
ACh 150 médian du septum 547 labyrinthe vestibulaire 490
acide aminé 141, 150 médiodorsal 281, 863 lame réticulaire 378, 380, 383
amine 141, 150 oculomoteur 408 membrane basilaire 374-377, 380,
neuropeptide 141, 442 paraventriculaire 560, 771 383, 384, 386, 388
peptide 150 rouge 197, 232, 489 membrane de Reissner 374, 375
Neurotransmission 142 solitaire 268 membrane tectoriale 374, 378,
Neurotrophine 821 spinal trigéminal 445 380, 383, 384
Neurulation 190, 192, 193 subthalamique (sous-thalamique) organe de Corti 374, 377, 378
Newsome William 356 229, 500, 502, 507
périlymphe 374
Newton Isaac 290 suprachiasmatique (NSC) 683-686
pilier de Corti 378, 380
Neyton Jacques 74 trigéminal 427
potentiel endocochléaire 374
Nichols Richard 474 ventral postérieur (VP) 406
Nicotine 146, 570 rampe tympanique 374
ventral postérolatéral (VPL) 229,
Niemann Albert 101 rampe vestibulaire 374
427, 428, 430
Nishino Seiji 675 vestibulaire 375
ventro-antérieur (VA) 229
Nissl Franz 24, 54 Oreille moyenne 370-372
ventrolatéral (VL) 229, 500, 509,
coloration de 24, 25 canal auditif 383
519
corps de 35 enclume 371
ventro-postéromédian (VPM) 270
NMDA 147 étrier 371, 373, 375
vestibulaire 234, 237, 406, 490
NO (monoxyde d’azote) 160, 593, fenêtre ovale 370-372, 375
VLo 502, 508
678, 679 marteau 371
NPY (neuropeptide Y) 540, 560,
Nocicepteur 437-439, 442, 446 563 osselet 370-375, 383, 400
chémonocicepteur 439 trompe d’Eustache 371
mécanonocicepteur 439 tympan 370-372
O Orexigène 561-564, 578
nocicepteur polymodal 439
thermonocicepteur 439 O’Keefe John 866, 870, 871, 873 Orexine 562, 673, 674, 678
Nociception 421, 437 O’Leary Dennis 811 Organe de Corti 374, 377, 378
Nœud de Ranvier 52, 53, 102 Obésité 542, 555, 557, 559, 573 de la ligne latérale 401
Nogo 816 Ocytocine 529, 588, 595, 597-600 otolithique 401-403
Non épineux 47 Oertel Donata 390, 391 subfornical 530, 575, 578
Noradrénaline (NA) 118, 136, 138, Œstradiol 588, 589, 605, 607, 608, tendineux de Golgi 476-478, 483
141, 153, 154, 168, 536, 540, 541, 614-616 vasculaire de la lame terminale
543-545, 549, 672, 673, 676-678, Œstrogène 587-590, 604, 606, (OVLT) 576, 578
778, 782, 838 614-617 voméronasal 273, 276
Noradrénergique 141 Ogawa S. 188 Organite 29
Nottebohm Fernando 803 Ohm, loi d’ 65, 86 Organophosphoré 129
Noyau 29, 387 Ohman Arne 624 Otoconia 403
abducens 408 Ojemann George 718 Overshoot 96
Index 983

P Photorécepteur 289, 293, 295, 300, propagation 98, 99


301, 306, 308, 310, 314-316, 318, seuil 82, 97, 99, 100, 103, 124
Pacemaker 660, 668 324, 326, 329, 429, 684 type « tout ou rien » 82
Pallidum ventral 598 bâtonnet 302, 308, 311, 684, 685 undershoot 80, 96
Papez James 628, 630 champ récepteur 362 vitesse de conduction 99, 102, 421
Papille 262 cône 302, 308, 311, 312, 329, 684, zone d’initiation 131, 103
Pappenheimer John 679 685 Potentiel de membrane 66, 67, 88,
Parabiose 556 Phototransduction 278, 308, 311 89, 94, 152
Paralysie 490, 665, 675, 689 Phrénologie 9 d’équilibre 67, 68, 87
Paraplégie 490 Piezo 2 419 de plaque motrice 460
Parasympathomimétique 540 Planification des mouvements 496 de récepteur 263, 265, 274, 275,
Parésie 490 Planum temporale 716, 717 383, 417
Parkinson, maladie de 18, 19, 155, Plaque corticale 805 de (au) repos 58, 61, 66
165, 229, 504, 506-508, 517, 546, cribriforme 274 différence de potentiel 67
616, 793 motrice 117 d’inversion 124
Patch-clamp 74, 90, 93, 94, 130, 278 neurale 190, 192 membranaire 68
Patrick Jim 466 Plasticité 434, 435, 612, 613, 827, miniature 131
Pattern (patron) de décharge 79 829, 831, 836, 839, 899 post-synaptique 109, 110
Patterson Francine 695 des cartes corticales 433, 435, 436, post-synaptique excitateur (d’exci-
Pavillon 370 513 tation) (PPSE) 124, 130, 132-134,
Pavlov Ivan 845 synaptique 824, 831, 836-838, 910, 138, 394, 395, 460, 465, 466, 469,
923 474, 475, 539, 899, 900, 902
PCPA (parachlorophénylalanine)
Plexus d’Auerbach 538, 539 post-synaptique inhibiteur (PPSI)
646
Polyandrie 594 125, 134, 539, 773
Pédoncule cérébelleux 224
Polygynie 594 Potter David 107
Pédoncule cérébral 487
Polymère 38 Précurseurs neuronaux 804
Penfield Wilder 430, 431, 493, 718, Polymérisation 38 Préférence manuelle 717
857, 858 Polypeptide 61, 63 Presbytie 298, 299
Peptide anorexigène 560 Polypeptide intestinal vasoactif 118, Prestine 384
opioïde 570 540 Présynaptique 109, 110
orexigène 561-564, 578 Polyribosome 35, 45 Pribram Karl 642
Peptidergique 141 Pompe calcium 71 Principe de Dale voir Dale Henry
Perikaryon 25 ionique 64, 71 150
Période critique 696, 827, 828, 831, potassique 76 de la volée afférente 389, 390
836-839 sodium-potassium 70, 77, 86, 98 de taille 461
Période réfractaire absolue 83 Ponction lombaire 424 Priority map 746
Période réfractaire relative 83 Pont 197, 201, 202, 219, 221, 222, Prise alimentaire 542
Perméabilité sélective 71 225 Privation visuelle monoculaire 827,
Peroxydase 44 Population de motoneurones 460 836
Pert Candace 147, 148 Pore gustative 263 Procédure de Wada 701, 702, 716,
Peters Alan 52 Post-synaptique 42 720
Petersen Steven 738 Potassium spatial buffering 76 Processus attentionnel 543, 731,
Phelps M.E. 187 Potentialisation à long terme (PLT) 736, 743, 749, 760
Phencyclidine (PCP) 791 573, 833, 834, 836, 838, 894, 899, Processus émotionnel 638, 648
Phénelzine 782 900, 902, 903, 905, 906, 908-912, Progestérone 589, 605
914-916, 919 Progestine 589
Phénobarbital 166
Potentiel d’action 57, 61, 66, 79-81, Programmation motrice 496
Phentolamine N-méthyltransférase
83, 87-89, 92, 96-99, 102-104, 110, Programme moteur 455, 462
(PNMT) 155
117, 121, 124, 130, 131, 134, 138, Prolactine 531
Phénylcétonurie 46
421 Prolifération cellulaire 800
Phéromone 272, 273, 276 canal potassique 97 Promoteur 29
Philpot Ben 905 canal sodique 97 Propagation 98, 100, 101
Phineas Gage 628, 643, 732, 850 conduction saltatoire 100, 102 Proprioception 413, 471, 477
Phosphatases 172 overshoot 80 afférence Ib 478
Phosphatidylinositol (PIP2) 784 période réfractaire absolue 83 boucle gamma 476
Phosphodiestérase (PDE) 308 période réfractaire relative 83 fibre Ib 476
Phospholipase C (PLC) 170, 267 phase ascendante 80, 96 fibre extrafusale 473
Phospholipide 60 phase descendante 80, 96 fibre intrafusale 473
Phosphorylation 137, 171 post-hyperpolarisation 80 fibre sensorielle Ia 474
Photopigment 301, 302, 309, 311, potentiel d’équilibre 67, 68, 87, fuseau neuromusculaire 461, 471,
314 124, 134 472, 476-478
984 Index

organe tendineux de Golgi 476- Ranvier, nœuds de 52, 100, 102 Réfraction 291, 296, 297
478, 483 Rapsyne 819 Reimer David 610
propriocepteur 471, 477 Réboxétine 782 Rénine 530
Prosopagnosie 358 Récepteur 45, 61, 113, 115, 123, 136, Réorganisation synaptique 824
Prostaglandine 439, 608 146, 149, 449, 570, 605 Repère anatomique 179
Protéase 437 AMPA 147, 148, 163-165, 833, 834, Réponse au stress 773
Protéine 29, 30, 37, 41, 42, 45, 52, 836, 901-903, 908-910, 916, 917 électrodermale 626, 641
54, 61, 63, 71 aux opiacés 147, 570 humorale 554
Protéine amyloïde 40 canaux 130, 161-163, 318, 832 motrice somatique 554
Protéine G 125, 126, 169, 172, 173, CB1 158, 160, 168, 565 somatomotrice 560
267, 308, 309 couplé aux protéines G 125, 127, viscéromotrice 554, 559
Protéine Golf 277 130, 136, 137, 148, 160, 167, 169, Réserpine 778
Protéine kinase 137, 172, 916 265, 276, 308, 318, 539-541, 784, Résistance 65
protéine kinase A (PKA) 170-172, 832 Résistance membranaire 132
897, 898 dopaminergique 793 Résonance magnétique nucléaire
protéine kinase C (PKC) 170, 171, du glutamate 162 (RMN) 102
902 GABAA 147, 148, 150, 162, 166, Retard mental 46
protéine kinase calcium-calmo­ 605, 773, 774 Reticulum endoplasmique 121
duline-dépendante (CaMK) 171 GABAB 147, 148, 168, 169 lisse 35
protéine kinase II calcium-calmo­ glucocorticoïdes 773, 775, 780 rugueux (RE) 32, 35, 38, 54, 119
duline-dépendante (CaMKII) kainate 147, 163 sarcoplasmique 36, 467, 469
902, 903, 912, 915-917, 920 kappa 574 Rétinal 308, 310
protéine kinase M zéta 917 MC4 562, 563 Rétine 193, 289, 291-296, 298-301,
Protéine phosphatase 172 métabotropique 126, 148, 541 303, 305-307, 311, 314-321, 325,
Protéine tau 38, 39 muscarinique 146, 148, 168, 169, 326, 329, 330, 333-337, 339, 340,
Prozac® 774 539 345, 352, 357, 362, 491, 684, 799,
Psoriasis 440 nicotinique 128, 129, 146, 148, 811, 815, 817, 818, 824, 826, 836
Psychoanalyse 764, 765 161, 166, 465, 469, 541, 819, 822 couche des cellules ganglionnaires
Psychochirurgie 642 NMDA 147, 148, 163-166, 481, 302
Psychose 643 615, 792, 793, 833, 834, 836, 838, couche des segments externes des
Psychothérapie 765, 773, 782, 784, 901, 902, 905, 906, 908, 910-913 photorécepteurs 302
785 olfactif 274-276, 279, 282 couche nucléaire 302
Psychotrope 108, 548, 570 P2X 148 couche plexiforme 302, 319
Puce Aina 359 purinergique 157, 162 ipRGC 324, 325
Pulvinar 743 sérotoninergiques 647 rétinite pigmentaire 295
Pupille 292, 299, 314, 333 sous-types de 146 rétinol 310
Purpura Dominique 46 T1R 267 rétinotopie 339, 341, 345, 409,
Putamen 227 T1R2 267 430, 815
Pyramide bulbaire 198, 233, 488 T1R3 261, 267 rétinotopique 736
T2R 267 Rétrograde 44
trk 821 Rhodopsine 308, 310
Q Récepteur auditif 367, 377 Rhombencéphale 193
Quadriplégie 490 cellule ciliée 377, 378, 380, 382- Ribosome 32, 35, 38, 54, 61, 119
Quatrième ventricule 197, 201, 202, 384, 388 Rich Nola 384
221, 233 potentiel endocochléaire 381 Rioult Marc 904
Queue de cheval 235 stéréocil 377, 380, 384 Rispéridone 794
Quinlan Elizabeth 905 Récepteur gustatif 264, 271, 272 Ritaline 732
Quotient intellectuel (QI) 46, 698 Récepteur olfactif 272, 274-277, 279 Ritcher David 359
Recombinaison homologue 33 Rizzolatti Giacomo 497
Recombinase Cre 50 Robinson David 739
R
Reconsolidation 877, 878, 880 Robo 814, 818
Racine dorsale 8, 181, 200, 236 Reeler 805 Roland Per 495, 496, 509
Radiation acoustique 397 Reeline 805 Roorda Austin 304
Radiation optique 332, 335 Réflexe 57 Ruggero Mario 384
Radio-autographie 44, 144, 342 d’atténuation 373 Rythme cérébral 651
Rage simulée 644 d’étirement 472, 473 Rythme circadien 325, 651, 666,
Rakic Pasko 807, 808, 822 d’extension croisée 480, 482 680, 682, 683, 686, 687
Ralph Martin 685 de flexion 479 horloge biologique 680, 681, 683
Ramachandran V. S. 754 myotatique 472, 474-476, 478 sommeil (voir Sommeil) 683
Rampe tympanique 375 pupillaire 299 ultradien 666
Ranson S.W. 557 vestibulo-oculaire (RVO) 407, 408 zeitgeber 681-683, 686
Index 985

S 646, 647, 672, 676, 678, 774, 777, REM sleep (rapid eye movement)
778, 780, 782, 794, 896, 897 (voir aussi Sommeil paradoxal)
Saccade oculaire 514, 515, 739, 740,
récepteurs couplés aux protéines 664, 665, 670, 671
743
G 774 repos du cortex cérébral 669
Saccule 402, 403 rythme gamma 657
transporteur de la sérotonine 774
Sacks Oliver 436 somnambulisme 667
tryptophane 62, 573
Sacktov Todd 917 somnoloquie 667
Saffran Jenny 697 tryptophane hydroxylase 155
uptake 155-157 système modulateur diffus 672
Sagvolden Torje 870 terreurs nocturnes 667
Sakmann Bert 93, 902 Seuil 88, 96
Seung Sébastien 208 thalamus 672
Salience map 745, 746, 748, 749, 751 Sompolinsky Haim 208
Sanes Jérôme 513 Sex-determining-region (SRY) 585
Shaker 72, 73 Sous-plaque 805
Sapolsky Robert 534 Sous-plaque corticale 805, 811
Sarcolemme 465, 469, 470 Shatz Carla 824
Spalding Kirsty 803
Sarcomère 468 Sheinberg David 755
Sparks David 513, 514
Satiété 563, 564, 566 Sherrington Charles 107, 455, 458,
Spasticité 490
Savage-Rumbaugh Sue 695 472, 494
Spemann Hans 828
Saxe Rebecca 359 Shouval Harel 905
Spencer Alden 896
Saxitoxine 95 Shunting inhibition 134 Sperry Roger 712, 815, 824
Scanner 225 Siggins George 544 Sphère d’hydratation 59
Scharrer Berta 529 Signalisation rétrograde 157 Spina bifida 192, 193
Scharrer Ernst 529 Signe de Babinski 490 Split-brain 712-715, 747
Schéma corporel 437 Sillon 202 Sprouting 903
Schizophrénie 18, 19, 34, 508, 763, Sillon central 204, 216 Squire Larry 862
783, 787-794 Silva Alcino 912 Stephen Kuffler 345
forme paranoïde de la schizophré- Simantov Rabi 149 Stéréocils 377, 378, 380, 381, 384
nie 790 Simmons James 397 Stern Kathleen 273
hypothèse dopaminergique 790 Simultagnosie 730 Stéroïde 587, 588, 597, 605, 614
hypothèse glutamatergique de la Singer Wolf 754 Steward Oswald 902
791 Single gene polymorphism 32 Stimulation cérébrale (profonde)
symptômes négatifs 787 Skinner B. F. 765 504, 507, 784
symptômes positifs 787 Slit 814, 818 Strabisme 295, 830
Schlaggar Brad 811 Smith Phil 391 Stratégie motrice 485
Schultz Wolfram 571 Smithies Oliver 32 Streptomycine 409
Schwab Martin 816 Snellen, charte de l’œil de 300 Stress 531, 534, 573, 771
Schwann Theodor 12 Snyder Solomon 147 Stress oxydant (oxydatif) 470, 616
Scissure Soif osmotique 576 Stress post-traumatique 534, 769,
calcarine 338 878, 880
Soif volumétrique 575
de Rolando 216 Stria terminalis 637
Sokoloff Louis 187
de Sylvius 216, 217, 226, 228 Striatum 500, 544, 546, 574, 698,
Soma 25, 27, 37, 38, 42, 44
latérale 216 719, 881-883
Somatostatine 118
Sclérose en plaques 18, 102, 616 Strie Z 468
Somatotopie 430, 433, 435, 493
Sclérose latérale amyotrophique Strychnine 135
homonculus 431, 432
(SLA) 165, 464, 465, 822 Substance grise périaqueducale 232,
organisation somatotopique 493
Sclérotique 292, 294 446-448, 640, 646
SDN (sexually dimorphism nucleus) représentation corticale 432
Substance noire 229, 232, 504, 506,
602, 617 Sommation spatiale 131
546, 550, 793, 883
Second messager 126, 127, 136, 170, Sommation temporelle 131 Substance P 118, 439, 440, 442
265, 267, 308, 417, 784, 916 Sommeil 527, 546, 651, 652, 655, Substantia gelatinosa 442, 443, 451
Segal Menahem 545 659, 661, 663-668, 670, 672, 675, Substantia nigra 189, 197
Segment spinal 422 677, 678, 680, 684, 688, 689 Suga Nobuo 399
Sélection naturelle 10 complexe K 668 Sugita Yoichi 359
Sélectivité de direction 347, 355 fonctions du rêve 670 Superoxyde dismutase 464
Sélectivité ionique 61, 72, 73 fuseaux du sommeil 656, 666, 668 Surdité de conduction 400
Sémaphorine 3A 806 lent 664, 666-669, 673, 676, 678, Surdité nerveuse 400
Sens du toucher 414, 425 679 Susumu Tonegawa 912
Senseur de potentiel 91 non-REM sleep (non-rapid eye Sympathomimétique 540
Sensibilisation 845 movement) 664, 665, 670, 671, 676 Synapse 41, 52, 54, 107-109, 113-
Sérotonine (5HT) 118, 153, 155, paradoxal 545, 664, 665, 667-672, 115, 117, 134, 833
160, 168, 264, 430, 446, 541, 542, 675-677 axoaxonique 113
544, 546, 548, 550, 571-573, 575, paralysie du sommeil 674, 675 axodendritique 113
986 Index

axosomatique 113 moteur somatique 456, 457, 642 Thalamus 194, 195, 200, 201, 206,
boutons « en passant » 41 olfactif 213, 281, 285 209, 219, 221, 224, 226, 228-230,
chimique 107, 111, 113, 114 olfactif accessoire 273 268, 281, 290, 329, 385, 427, 445,
de Gray 113-115, 134 parasympathique 238, 534-539, 542, 569, 623, 659, 661, 671-673,
de Hebb 824 547, 564, 593 676, 677, 709, 719, 743, 811, 857
dendrodendritique 113 porte-hypothalamo-hypophysaire Thalamus antérieur 630
densité post-synaptique 113 531 Thalamus ventral postérieur (VP) 810
différenciation membranaire 112 réticulaire activateur ascendant THC 158, 565
électrique 107, 109, 110 (SRAA) 545, 673 Théophylline 678
élément présynaptique 112 sensoriel somatique 413 Théorie 121
espace synaptique 112 somatosensoriel 433, 451 BCM 903, 905, 914
excitatrice 134 sympathique 238, 534-539, 560, de Cannon-Bard 623, 624, 630
gap junction 109, 112 593, 624, 626, 665 de James-Lange 622-624, 630
granule de sécrétion 112, 118, 119 ubiquitine-protéasome 505 de la psycho-analyse 764
inhibitrice 134 ventral 354, 357 de la trichromie de Young-­
jonction étroite 109 ventriculaire 183, 201, 204, 230 Helmoltz 312
post-synaptique 42 vestibulaire 367, 374, 401, 403, 409 des assemblées cellulaires 855
potentiel post-synaptique (PPS) 110 viscéral 238 des cartes cognitives 873
présynaptique 42, 42 visuel 213, 329, 330, 333, 362, 364, des émotions 631
transmission synaptique 107, 117 452, 799, 828, 838 dimensionnelle des émotions 633
biosynthèse 119 double de la localisation du son 394
Système modulateur diffus 527, 540,
libération 108, 120-122, 145 du complexe « SNARE » 121
541, 546, 548
stockage 108, 119 du portillon 446
Système nerveux autonome (SNA)
synthèse 108 psychologique constructiviste des
182, 196, 238, 526, 533, 535, 537,
vésicule à cœur dense 112 émotions 633
539, 544, 550, 630, 642
vésicule synaptique 112, 118, 152 Thérapie génique 465, 470
ganglion autonome 535
zone active 112, 117, 123 Thermoception 413, 425, 449-451
neurone post-ganglionnaire 535
Synaptotagmine 122 Thermonocicepteurs 439
neurone préganglionnaire 535
Syndrome autistique 18 Thermorécepteur 449-451
de Balint 730 Système réticulaire activateur ascen- Thermorégulation 527
de Brown-Séquard 444, 445 dant (SRAA) 673 Thorndike Edward 845
de Down 608 Thyroïde 577
de Guillain-Barré 102 T Tige pituitaire 527, 528
de Klinefelter 586 Tissu adipeux 555, 556
Tache aveugle 293
de Klüver-Bucy 636, 638 Tomographie par émission de posi-
Takahashi Joseph 686
de Korsakoff 863, 864 trons (TEP-scan) 185, 187, 358,
Tamoxifène 616
de négligence 436, 437, 746, 747 495, 626, 631, 641, 655, 676, 691,
Tank David 208
de Turner 586 704, 718-720, 722, 723, 737-739,
Tauc Ladislav 896
de l’X-fragile 820 774, 785, 851, 868
Tectum 196, 201, 219, 232, 817, 818
d’héminégligence 437 Tonegawa Susumu 912
d’hyperactivité-déficit attentionnel Tectum optique 333 Tonini Giulio 679, 754
(ADHD) 732 Tegmentum mésencéphalique 196, Tonotopie 376, 388, 390, 398, 409,
du membre fantôme 434 197, 201, 219, 569 430
Gille de la Tourette 508 Télencéphale 193-195, 201, 202, 228 Tonus musculaire 490, 665
hypothalamique latéral 557 Télencéphale basal 194, 206, 209, Toran-Allerand Dominique 614
hypothalamique ventromédian 557 270, 832 Toxicomanie 19, 574
Synesthésie 844 Terminaison axonique 41, 44, 54, 98 Toxine botulinique 129
Synthèse des protéines 29 Terpogossian M. 187 Tractus olfactif 281
Système auditif 368, 370, 374, 383, Test de reconnaissance différée 849 Tractus optique 222, 331-333, 335,
385, 394, 398, 400, 401, 409, 452, avec non-appariement 811, 815
707 à la règle  862 Traduction 30
dopaminergique mésocortico­ de saccade oculaire différée 853 Traitement parallèle 325, 364
limbique 546, 550, 790 de tri des cartes de Wisconsin 850 Transcription 29, 30, 465
dorsal 354, 355, 357 Testis-determining factor (TDF) 585, Transcrit 29
entérique 538, 539 605 Transducine 309, 311
limbique 206, 270, 627, 630 Testostérone 586-590, 604, 605, 607, Transduction 264, 286, 309
modulateur diffus 527, 540, 541, 608, 612, 642 du goût 265
546, 677 Tétanisation 899 olfactive 274, 277
moteur 455, 485, 490 Tétrodotoxine (TTX) 94, 686, 687, Transgène 32, 51
moteur latéral 237 824, 914 Transgénique 32
moteur médian 237 Teyler Thimothy 116 Transmembrane protein-like 381
Index 987

Transmission chimique 108 V système pyramidal 509


synaptique 42, 103, 107, 108, 138 système ventromédian 487, 489,
volumique 541 Vallbo Åke 415
492, 520
Transport antérograde 43 Van der Loos H. 433
Volta Allesandro 378
Transport axoplasmique 42, 54, 119 Varicosités 41
Voltage 65
Transport rétrograde 43, 44 Vasopressine 529, 530, 575-578, 588,
Voltage-clamp (voltage-imposé) 88,
Transporteur 119, 127, 151-153, 157 595, 597-600, 614, 686
90
neuronal 152 VCR (vocal control regions) 607
von Békésy Georg 376
vésiculaire 151, 152, 156 Vecteur de population 511, 512
Ventricule cérébral 53, 789 von Helmholtz Hermann 312
Tremblement 507, 517, 577, 670
Trépanation 4 Ventricule latéral 194, 201, 221, 226,
Trichromie de Young-Helmholtz, 230 W
théorie de la 312 Vératridine 95
Wada John 701, 702
Tricyclique 782 Vermis 518
Wall Patrick 446
Triglycéride 261, 555 Vermis cérébelleux 224
Waller Auguste 42
Trisomie 21 46 Vesalius Andreas 6
Walum Haase 600
Troisième ventricule 194, 221, 226, Vésicule à cœur dense 112, 113
Wambolt Marianne 597
228, 230 optique 193
Wang Zuozin 597
Trompe d’Eustache 371 synaptique 42, 112, 114, 115, 118,
Watanabe Akira 107
Tronc cérébral 180, 214, 215, 224 120, 121, 138, 155, 157, 466
Weaver 75
Tropomyosine 469 Viagra® 593
Vigilance 546 Weinrich Michael 496
Troponine 469 Weiss Paul 42
Troubles affectifs 621, 775 Vilain Eric 611
VIP (polypeptide intestinal-vaso­ Werblin Frank 316
anxieux 768, 771, 773, 774 Wernicke Carl 398, 703, 706, 707
bipolaires 775, 776, 783 actif) 540, 593
Virus de la rage 44 Whorf Benjamin Lee 694
de l’humeur 621, 763, 775-778, Wiesel Torsten 342, 343, 345-347,
780, 781, 783, 787 Virus de l’herpès 44, 425
Vision trichromatique 312, 313 350, 353, 430, 824, 827, 828, 870
du langage 655, 704
Vitamine A 308, 310 Wigler Mike 33
mentaux 764, 794
Voie coniocellulaire (koniocellulaire) Williams David 303, 304
obsessivocompulsifs (TOC) 508,
353 Wise Steven 496
766, 769, 774
corticospinale 190, 487, 509 Witter Menno 871
psychiatriques 667
des colonnes dorsales 237, 425, Wolf Marina 573
TRP (transient receptor potential) 266
427, 444 Woolley Catherine 614, 615
Tryptophane 62, 571, 573
Tryptophane hydroxylase 155 des taches 352 Woolsey Thomas 433
Tsai 880 du lemnisque médian 425 Wurtman Richard 542
Tsao Doris 359 finale commune 458, 483 Wurtz Robert 739
TSH (thyroïd-stimulating hormone) latérale 520
559, 561, 577 magnocellulaire 352, 353 Y
Tube neural 190, 192, 225 nociceptive 443
parvocellulaire 353 Yakovlev Paul 808
Tubercule olfactif 281
parvocellulaire-intertaches 352 Yanagisawa Masashi 675
Tubule T 467, 469
perforante 898 Yellen Gary 74
Tubuline 38
Tully Tim 920 rétinogéniculée 815 Yin Jerry 920
Turrigiano Gina 914 rétinohypothalamique 684 Young J. Z. 100
Tyler Christopher 361 rétinotectale 817 Young Larry 597
Tympan 370-372 septohippocampique 547 Young Thomas 304, 312
Tyrosine 62 spinothalamique 237, 443-445
Tyrosine hydroxylase (TH) 154 trigéminale 427, 429 Z
Voie corticospinale 487
réticulospinale 495 Zeitgebers 681-683, 686, 688,
U ventromédiane 4 Zeki Semir 599
Ubiquitine 505 Voie motrice 487, 490, 492 Zhang Feng 85
Ultrason 369 faisceau corticospinal 488, 489 Zihl Josef 356
Umami 260, 264, 265, 268, 276 faisceau pyramidal 488 Zona 423, 425
Undershoot 96 faisceau réticulospinal 491, 492 Zone active 112, 113, 115, 121, 123
Ungerleider Leslie 358 faisceau rubrospinal 489 de Lissauer 442, 443
Unité motrice 460-462 faisceau tectospinal 491 intermédiaire 200
Uptake 155-157 faisceau vestibulospinal 489 marginale 800, 806
Urbach-Wiethe, maladie d’ 638 système latéral 487 périventriculaire 528
Utricule 402-404 système moteur latéral 489 ventriculaire 800, 806

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