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L'IMAGINAIRE ET LA SYMBOLIQUE

DANS LA CHINE ANCIENNE

,
Collection «Recherches Asiatiques », dirigée par Alain Forest
Solange THIERRY, Le Cambodge des contes, 1986.
Jacques POUCHEPADASS,Planteurs et paysans dans l'Inde coloniale, 1986.
Yoshiharu TSUBOI, L'Empire vietnamien face à la Chine et à la France,
1847-1885, 1987.
Stein TONNESSON, 1946: déclenchement de la guerre d'Indochine, 1987.
Paul NESTEROFF,Le développement économique dans le nord-est de l'Inde:
le cas du Nagaland, 1987.
NGO KIM CHUNG, NGUYÊN Duc NGHINH, Propriété privée et propriété col-
lective dans l'ancien Viêt-Nam (traduit et annoté par G. Boudarel, Lydie
Prin et Vu Can), 1987.
Alain FOREST et Yoshiharu TSUBOï (eds), Catholicisme et sociétés asiatiques,
1988.
Brigitte STEINMANN, Les marches tibétaines du Népal. État, chefferie et
société traditionnels à travers le récit d'un notable népalais, 1988.
Jean-Louis MARGOLIN, Singapour 1959-1987. Genèse d'un nouveau pays
industriel, 1989.
Ghislaine LOYRÉ, A la recherche de l'Islam philippin, 1989.
GuilhemFABRE, Genèse du pouvoir et de l'opposition en Chine, le printemps
de:::Yan'an : 1942.
Gérard HEUZÉ, Inde, la grève du siècle, 1989.
Alain FOREST, Eiichi KATO, Léon VANDERMEERSCH(eds), Bouddhismes et
.
sociétés asiatiques, 1990.
Rémi TEISSIER DU CROS, Les Coréens, frères séparés, 1990.
TRINH Van Thao, Vietnam, du confucianisme au communisme, 1991.

Travaux du Centre d'Histoire et Civilisations de la Péninsule


lndochinoise*

(Collectif), Introduction à la connaissance de la Péninsule indochinoise


(épuisé).
J. DEUVE, Le Royaume du Laos, 1949-1965.
(Collectif), Inventaire des archives du Panduranga du fonds de la Société Asia-
tique de Paris (pièces en caractères chinois).
J. DEUVE, Le complot de Chinaimo, 1954-1955.
(Collectif), Actes du Séminaire sur le Campa organisé à l'Université de Copen-
hague.
P.-B. LAFONT et Po DHARMA, Bibliographie. Campa et cam.
(Collectif), Histoire des frontières de la péninsule indochinoise. I. Les fron-
tières du Viêtnam.
C. FOURNIAU,Annam-Tonkin 1885-1896. Lettrés et paysari:s vietnamiens face
à la conquête coloniale.
Le Dai- Viêt et ses voisins, (traduit par Bui Quang Tung et Nguyên Huong
- revu et annoté par Nguyên Thê Anh).
KHING Hoc Dy, Introduction à l'histoire de la littérature Khmère, vol. I,
.
1991.

* C.H.C.P.l., 22, avenue Président-Wilson, 75116 Paris.


Collection Recherches Asiatiques, dirigée par Alain Forest

Maurice, Louis TOURNIER

L'IMAGINAIRE ET LA SYMBOLIQUE
DANS
LA CHINE ANCIENNE

Préface du pr Kristofer SCHIPPER

Éditions L'Harmattan
57, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
@ L'Harmattan, 1991
ISBN: 2-7384-0976-8
« L'esprit du Val ne meurt jamais»
TAO

Pour que Ta mémoire demeure


Remerciements

Je tiens à remercier ici les Personnes qui m'ont aidée à parachever


le travail de mon Mari, mort prématurément, et qui ont bien voulu
m'encourager et me soutenir:

- Monsieur le Professeur Louis Bazin, Orientaliste, Professeur de


Turc, Professeur à l'École des Hautes Études, Membre du CNRS.
- Monsieur le Professeur Kristofer Schipper, Sinologue Éminent,
Grand Spécialiste du Taoïsme, Professeur à l'École des Hautes Étu-
des, Membre du CNRS.
-:'Mademoiselle Elizabeth Rochat de la Vallée, Sinologue, Mem-
bre de l'lnstitut Ricci.
- Madame Andrée Doucet qui m'a indiqué les Éditions L'Har-
mattan.
- Monsieur Alain Forest, Ingénieur au CNRS, Chef du Départe-
ment « Asie» des Éditions L'Harmattan, au soutien duquel je dois
la parution de ce livre.
- Liliane et Jean Thénevin, qui m'ont aidée à préparer les illus-
trations de ce livre, et m'ont soutenue par leur amitié fidèle.
Note sur la romanisation

Les Chinois ont adopté une romanisation officielle de leur langue:


le pin yin. Et cette notation a l'avantage de s'imposer à tous. De plus,
tous les philosophes vous le diront, une romanisation reflète toujours
la langue de celui qui l'a faite. Le pin yin devrait donc être la plus
parfaite de toutes.
Malheureusement, le pin yin a adopté une valeur phonétique de
l'alphabet latin très particulière. Des exemples du même ordre exis-
tent dans toutes les langues: que l'on pense au « th » anglais, à 1'« 0 »
nordique ou à la jota espagnole. Mais ces différences restent limitées
et);.:en prononçant un « th » comme un « Z », un Français se fait com-
prendre à Londres. Le pin yin, lui, ne peut être prononcé, même
approximativement, que si on l'a appris. Il est parfait pour les sino-
logues et désastreux pour ceux qui n'ont pas fait cet effort. Il n'est
que d'avoir entendu un Français prononcer « Guillain» le nom de la
ville de Kouei Lin (en pin yin Gui Lin) pour le savoir. Un non-
sinologue parlant à un Chinois de « Ci Xi » a peu de chance de lui
faire comprendre qu'il s'agit de Ts'eu Hi, impératrice douairière de
triste renom. Qu'il ne s'avise pas de vouloir parler du « Cao Ian zi »,
prison pourtant sinistrement célèbre; c'est Ts'ao Ian tseu qu'il fau-
drait dire. La télévision fait un large usage de ces appellations incom-
préhensibles. ..
Aussi, dans notre travail, avons-nous pris le parti d'utiliser, dans
notre ouvrage, la romanisation «française» de l'École française
d'Extrême-Orient, moins créatrice de bizarreries inintelligibles. Toute-
fois, pour parler des fouilles récentes, nous avons utilisé le pin yin.
Ces indications intéressent modérément les non-spécialistes de la lan-
gue chinoise.

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PRÉFACE

L'imaginaire de la Chine nous est à la fois inconnu et familier.


Depuis longtemps, il est présent dans tout ce qui nous vient de
l'Extrême-Orient: dans le décor des porcelaines, les motifs des soie-
ries, les images sur les boîtes de thé ou dans la décoration multico-
lore des restaurants chinois. Mais le plus souvent nous en ignorons
la signification, même pour les motifs les plus courants.
"Jusqu'ici, nous ne disposions que de peu de guides pour nous orien-
ter dans ce domaine si foisonnant que sont l'imaginaire et la symboli-
que chinois. Le travail d'Édouard Chavannes: « De l'expression des
vœux dans l'art populaire chinois », date de 1922 et n'est connu que
des spécialistes. Le livre, récemment traduit de l'anglais, de Wolfram
Eberhardt est assez incomplet. Maurice Tournier - et ce n'est pas
le moindre mérite du présent ouvrage - a rendu un grand service au
public français en nous donnant un répertoire si complet. Ce livre per-
mettra à chacun de retrouver le sens des signes, images, emblèmes et
rébus qui figurent sur presque tous les objets, jusqu'aux plus hum-
bles, qui nous viennent de la Chine traditionnelle.
La symbolique chinoise est d'une exceptionnelle richesse. Élaborée
tout au long de l'histoire millénaire de cette grande civilisation, il est
parfois possible de tracer l'évolution d'un élément sur une période de
plus de trois millénaires. Or, mieux que bien d'autres aspects, l'ima-
ginaire nous permet de pénétrer dans ce que la Chine présente de plus
particulier et de plus profond.
Ce qui frappe est la nature profondément humaine et pacifique de .
ce monde fantastique. Rien qui doit faire peur. Le lion joue avec une
balle. Il nourrit ses petits du lait qui sort de ses griffes. Il aime dan-
ser. Le tigre ne pense qu'à protéger les hommes. Il incarne le cou-
rage, la valeur militaire. Il sert de monture au Dieu des Richesses.
Quant au dragon, lui aussi est animé d'un esprit bienfaisant et béné-
fique, puisqu'il fait pleuvoir en temps opportun. Malgré son apparence,
il ne présente aucun danger pour l'homme; tout juste s'il mange une
hirondelle de temps à autre. Il n'a rien en commun avec le monstre
épouvantable ravisseur de vierges de notre mythologie occidentale.
9
La licorne, k'i-ling, incarne au mieux l'esprit chinois. Confucius
fut conçu grâce au fait que sa mère avait marché sur les traces, invi-
sibles, d'un de ces animaux fabuleux. Le Sage, sans doute à cause de
cette paternité merveilleuse, était plus apte que d'autres à reconnaître
les k'i-ling, dont l'apparition présage un ère de paix et de justice. Elles
ont les mœurs les plus douces et la démarche la plus légère. En effet,
elles évitent d'écraser les insectes ou de froisser l'herbe. Confucius en
vit une juste avant sa mort, en guise d'adieu. Par la suite, leur pré-
sence se fit rare, comme d'ailleurs celle des Sages. Aujourd'hui l'his-
toire de la naissance miraèu1eusede Confucius est connue de tous, mais
cette sainte légende n'a pas été travailléepar la scholastique et la casuis-
tique. Elle n'a pas été transformée en dogme. Le k'i-ling n'intervient
aujourd'hui que pour l'expression des vœux: celle d'avoir de beaux
enfants doués ou de réussir aux examens.
Ceci dit, les emblèmes et symboles ne servent pas qu'à véhiculer
les souhaits et désirs. Comme nous venons de le vQir, ils transmettent
aussi un enseignement empreint de morale. Leur message se veut tou-
jours positif, même là où cela paraît difficile. Le serpent par exem-
ple, a:u départ pas très sympathique, bénéficie d'un regard compré-
hensiflui conférant des qualités d'intelligence et de finesse. Cette morale
positive transcende le monde animal pour s'étendre aux choses les plus
simples: les sapèques, parce qu'ils sont ronds avec un trou carré au
milieu, portent chance; les ombrelles protègent non seulement du soleil
mais du mal en général: les miroirs ont une âme pure; le luth symbo-
lise l'harmonie conjugale.
Soigneusement notés et répertoriés depuis que la Chine possède une
littérature, les thèmes de l'imaginaire remplissent des bibliothèques entiè-
res. Maurice Tournier, en sinologue averti et consciencieux, a dépouillé
une masse considérable de documents et nous livre une synthèse pré-
cise et utile, fruit de longues années de travail. Malheureusement il
n'a pas pu voir son œuvre publiée. Ce livre paraît aujourd'hui à titre
posthume, ce qui me fait souhaiter encore plus qu'il puisse connaître
le succès qu'il mérite.

Kristofer SCHIPPER

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PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Nous ne prétendons pas ici aborder de front et dans son ensemble


l'imaginaire traditionnel des Chinois dans ses multiples composantes
mais seulement montrer par des exemples, dans des domaines parti-
culiers, comment il a joué avec les faits.
Le mot imaginaire peut avoir plusieurs sens: il qualifie notamment
« ce qui n'existe que dans l'imagination» ou bien « le domaine dans
leguel joue l'imagination» opposée alors à l'observation de type scien-
tifique (non contingente à l'observateur... si cela est concevable même
dans les sciences dites « exactes »). Quand on prend pour sujet l'ima-
ginaire, c'est, en principe, le second sens que l'on privilégie. Mais, en
pratique, ce domaine est partie prenante de l' ensemble des activités
mentales. Tout ce qui aboutit à une création est de son domaine, créa-
tion intérieure comme un comportement ou une attitude, création exté-
rieure comme la conception et la fabrication d'objets et d'outils. Ces
derniers peuvent être aussi abstraits qu'un modèle scientifique et la
création de concepts abstraits synthétisant des observations ou aussi
concrets que la paire de baguettes pour manger ou l'utilisation de l'élas-
ticité du bambou pour créer le fléau de portage. Dans les deux cas,
le processus de l'imagination a tenu compte de trois contraintes: celle
concernant les possibilités de l'utilisateur, celle de son objectif et celle
des données conceptualisées concernant l'objet ou le phénomène sur
lequel l'utilisateur veut agir.
Bref, à la limite, le domaine 4~ l'imaginaire se confond avec une
encyclopédie généralisée. Et ce ne pouvait être le but du présent tra-
vail. On peut limiter ce champ en n'abordant que des domaines dans
lesquels seul est pris en compte « ce qui n'existe que dans l'imagina-
tion ». Cette restriction a un autre avantage: l'imagination étant tri-
butaire d'une part d'un contexte social et des comportements qu'il
entraîne, d'autre part d'un lot de concepts et de systèmes de référen..
ces communs à un groupe social, on a toutes les chances de voir beau-
coup plus clairement apparaître le type particulier d'imagination d'un
groupe social, s'il en existe un.
En effet, ces concepts et systèmes de références sont, dans toutes
les cultures et à toutes les époques, singulièrement contraignants. Le
Il
Bouddha n'a jamais remis en cause le concept indien de la transmi-
gration des âmes, il a cherché comment s'en affranchir. Le Tao to
King n'a pas « inventé» le tao, il en a donné une autre interpréta-
tion et l'a restitué. Bien qu'elle multiplie les précautions pour éviter
de biaiser l'observation « objective », la science occidentale reste aussi
enfermée dans des « données» péniblement accumulées et, partielle-
ment au moins, imaginées (ne serait-ce que parce que l'on est bien
obligé pour raisonner de remplacer l'ensemble des observations ponc-
tuelles par des données généralisées statistiques affectées d'une proba-
bilité, et c'est pour n'avoir pas dégagé clairement cette technique que
les Chinois sont passés à côté de la science).
Dans le cas de la Chine traditionnelle, ce cadre conceptuel appa-
raît singulièrement contraignant, ou, plus exactement, il nous semble
tel parce qu'il est déroutant. La Chine, en effet, s'était dotée d'une
culture spécifique profondément originale. Non qu'elle ait grandi dans
une isolation totale et qu'elle n'ait pas évolué, tant à la suite d'une
dynamique interne que de l'impact de données importées. Un bel exem-
ple de la présence d'un fond commun est fourni par les idées que la
penséç, chinoise se faisait de la personne vivante et de sa mort: la
personne vivante était une synthèse d'âmes diverses, disons animales
et spirituelles, qui à la mort se séparaient et empruntaient des voies
différentes. Cette conception se retrouve dans diverses cultures sibé-
riennes. Un exemple d'impact sera fourni par le bouddhisme qui modi-
fia, sans toucher au système de références, cet après la mort. Il est
vrai que le bouddhisme, apparu en Chine dès les premiers siècles de
notre ère, eut le temps de s'intégrer au système de référence (alors que
l'Islam eut peu d'impact).
Mais l'originalité même de ce cadre conceptuel le rend particuliè-
rement opaque: en effet, comment l'expliciter dans le cadre concep-
tuel et linguistique, lui aussi spécifique, des cultures occidentales? L'une
des difficultés majeures, que nous laissons bien volontiers aux sinolo-
gues, tient à ce que les conceptions chinoises (système de références
implicite du monde imaginaI chinois) n'ont pas d'équivalences dans
les conceptions occidentales et n'y sont, au mieux, rendues que par
des à-peu-près. On a préféré renoncer à traduire le terme tao, les con-
cepts de yin et de yang, etc. D'autres fois, on perpétue un faux-sens,
par exemple, en utilisant le terme d'« éléments» pour traduire Hing
(xing). Ces « éléments» sont « plutôt cinq puissances dynamiques réa-
gissant l'une sur l'autre» dit M. Fong Yeou-Ian. N'empêche que, tous
les sinisants le sachant, et par la force de l'habitude, on continue à
parler des « cinq éléments », ce qui rend leur rôle incompréhensible
pour des non-initiés. Dans ce travail, on préférera parler des « cinq
potentiels », un des divers à-peu-près proposés. On peut également se
résigner à utiliser une traduction mutilante comme celle de « souffle»
pour K'i, terme que Fong Yeou-Ian commente comme désignant « une
matière première indifférenciée dont toutes les choses sont faites» et

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ce commentaire est restrictif puisqu'il ignore l'aspect dynamique de ces
« souffles». Cela montre qu'il n'existe pas forcément de mot occi-
dental rendant certains concepts fondamentaux utilisés journellement
par les Chinois. Et s'il n'yen a pas, c'est que le concept exprimé par
le mot chinois n'y a pas d'équivalent.
Nul besoin d'insister sur le fait qu'une analyse qui se voudrait glo-
bale et théorique de l'imaginaire chinois, indissolublement liée à cette
terminologie et au système de références qu'elle exprime, paraît alors
vouée à l'échec. Il vaut donc mieux ne pas aborder d'emblée le niveau
de l'analyse et des « idées générales» mais plutôt se replacer dans celui
des manifestations concrètes de l'imagination. Le présent travail, volon-
tairement limité, n'a pas d'autres ambitions. L'examen de collections
de manifestations concrètes, plus ou moins ordonnées, pourra éven-
tuellement permettre de pousser un peu plus avant l'analyse sans pour
autant introduire des biais trop prononcés ou des généralisations trop
hâtives. Mais une telle analyse exigera que parallèlement à la collecte
des faits on présente, d'une manière volontairement schématique, cer-
tains aspects des systèmes de références chinois, comme les systémati-
ques ou les diagrammes par exemple. Cet « environnement» des faits
n'étant là que pour éclairer les faits eux-mêmes, sera présenté sans ten-
tative pour résumer l'évolution du système de références, ni recher-
cher ses origines et dans une terminologie qui n'a rien à voir avec la
terminologie chinoise traditionnelle. En bref, la pensée philosophique
chinoise n'est pas notre préoccupation, même si on doit essayer d'en
présenter, plus ou moins exactement, quelques grandes lignes.
Les domaines sélectionnés dans le présent travail sont, nous l'avons
dit, ceux où règne l'imagination, autrement dit où on néglige totale-
ment l'innovation technique. Non que cette dernière soit inintéressante,
mais, sauf pour les artisanats d'art (y compris la céramique, le bronze
et les textiles), on n'en connaît que les résultats finaux, observés au
cours des deux ou trois derniers siècles. D'autre part, les domaines
de la science et de la technologie sont couverts par la synthèse dirigée
par M.Needham.
Après divers essais, seuls deux domaines ont été retenus: celui de
la symbolique dans l'iconographie et celui du sacré sans lequel on ne
peut expliquer la symbolique iconographique. Et encore a-t-on restreint
considérablement leur champ. Par exemple, dans le domaine de la
symbolique on a presque totalement ignoré la symbolique sexuelle,
pourtant très importante en Chine. Mais ce domaine a été sérieuse-
ment couvert par le « Dictionnaire des symboles chinois» de M. W.
Eberhardt, disponible en français. On y reviendra. De plus, la symbo-
lique étant un domaine très vaste, on n'en a traité ici que l'aspect le
plus accessible au non sinologue, celui qui passe par l'image.
Les deux domaines abordés ont l'intérêt de mettre en évidence l'évo-
lution qui semble s'être produite dans 1'« idée généralement admise»
que l'on s'en faisait (mais on ne peut aller trop loin dans cette voie)

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et d'être à la limite de la pensée savante et de cette même « idée géné-
ralement reçue». La symbolique est toujours largement acceptée au
sein d'un groupe culturel et la perception du sacré est toujours en toile
de fond aussi bien chez les croyants que chez les incroyants rattachés
à cette culture.
Soulignons pour n'y pas revenir que ce travail ne prétend nulle-
ment à l'originalité. Il reste une compilation de matériaux tous con-
nus des spécialistes et déjà exposés dans une langue occidentale. Sa
seule raison d'être est de tenter une remise à jour à partir d'éléments
souvent dispersés dans des publications pas toujours facilement acces-
sibles. Il ne vise qu'à être un outil destiné à des non-spécialistes s'inté-
ressant à l'imaginaire chinois traditionnel et plus généralement au passé
chinois.
Cela posé, essayons de voir quelles idées moins parcellaires suggè-
rent les faits rassemblés dans l'étude proprement dite.

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LA SYMBOLIQUE

Dans « Le Monde Chinois », M. Gernet déclare: « C'est un fait


qu'une des caractéristiques de la Pensée chinoise est de procéder par
manipulation des symboles. » Et ces symboles étaient omniprésents.
Le domaine chinois des symboles a, depuis longtemps, fait l'objet
d'études d'ensemble dans la littérature anglo-saxonne (au moins huit
ont été consultées) et certaines sont constamment rééditées, comme les
« Outlines of chinese symbolism and art motives» de C.A.S. Williams.
Cûrieusement, aucun de ces ouvrages n'a été traduit en français. L'un
des plus récents, celui en allemand de M. W. Eberhardt, le Diction-
naire des symboles chinois l'a été récemment. Mais cet auteur n'a,
volontairement semble-t-il, réalisé qu'une étude complémentaire des
ouvrages disponibles en langue anglaise. Elle étudie particulièrement
trois aspects: la symbolique de l'imagerie populaire, la symbolique
sexuelle et, accessoirement, le rébus. Seul ce dernier point a été repris,
en ne se limitant pas aUx.Jébus cités dans cet ouvrage. Un rappel de
ceux qui sont le plus souvent utilisés figure d'ailleurs en section IV.
Dans la mesure du possible, en plus des études générales, on a uti-
lisé des études ponctuelles souvent dispersées dans des travaux spécia-
lisés. Quoi qu'il en soit, et en dépit de ses imperfections et de ses lacu-
nes, il semble qu'il y ait place pour un travail de ce genre en français.
Le rassemblement des matériaux concernant la symbolique a été
réalisé en quatre chapitres, à savoir:
- le bestiaire symbolique,
- la flore symbolique,
- les pierres et rochers symboliques (seul le jade fait l'objet d'un
paragraphe particulier),
- les objets symboliques, attributs et motifs..:.
En principe, chaque sous-ensemble a été précédé d'une courte note
(et pour le bestiaire de trois notes concernant les animaux à poils, les
animaux à plumes et les autres), mais nous.. reviendrons sur certains
aspects particuliers à ces groupes.
Il semble cependant préférable d'examiner d'abord ce qui caracté-
rise la symbolique chinoise, au moins celle qui apparaît dans l'icono-
graphie, et par quels cheminements cette symbolique s'est imposée. Ces
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cheminements ne sont pas propres à la culture chinoise, mais la manière
dont elle les utilise peut être assez évocateur de ces particularités.

1.1. LES CHEMINEMENTS DE LA SYMBOLIQUE

Comme, pour nous, la symbolique implique des « idées largement


reçues », le signifié devant être compris de tout un chacun, on ne devra
pas s'étonner de trouver ici et là des idées, des explications et des pré-
sentations rejetées par la sinologie moderne. L'explication de tel motif,
figurant sur les bronzes archaïques, par les érudits antiquisants chi-
nois est peut-être fausse, mais elle a été partagée durant des siècles
par l'ensemble des Chinois, y compris les lettrés. Qu'elle soit ou non
une erreur n'a pas tellement d'importance ici, même si les travaux con-
tinuent pour essayer de comprendre la pensée des créateurs du symbole.
Il nous suffira de noter ce détournement de signification et de le signa-
ler à l'occasion.
Le:",:'
symbole est une langue qui permet, sous forme condensée, et
ici figurée, de transmettre certains faits ou certaines pensées. La repré-
sentation de la partie évoque le tout.
Le symbole est un signifiant de substitution. Dire que ce signifiant
est chargé d'une valeur symbolique veut dire que son apparition évo-
que automatiquement, pour un groupe culturel plus ou moins large,
un personnage, un fait, un groupe de faits, voire une pensée abstraite.
Dans ce travail, les signifiants sont tous des sujets ayant une exis-
tence physique et de ce fait représentables (ils ont éventuellement été
créés pour cela, comme le svastika). En pratique, notre domaine se
limite à la symbolique dans les artefacts chinois. Mais le domaine reste
ouvert et, par exemple, on abordera certains domaines limités de la
représentation où l'imaginaire est important. Le point essentiel du
symbole, c'est l'automatisme avec lequel se produit l'évocation, compte
non tenu des raisons qui ont engendré la corrélation (presque toujours
univoque), et sans le recours au raisonnement. Et cet automatisme est
lui étroitement circonscrit au groupe culturel qui a adopté la corréla-
tion. Qu'un instrument de supplice utilisé par les Romains, la croix,
évoque une pensée religieuse née au Moyen-Orient n'est évident que
pour ceux qui connaissent le christianisme. Et l'on pourrait en dire
autant de toute symbolique: elle ne peut être expliquée qu'en fonc-
tion de la culture dont elle est issue. Encore faut-il que cette liaison
culturelle soit datée par rapport à l'évolution de cette culture: pour
un Gaulois de l'époque de Jules César, la croix ne devait évoquer rien
d'autre que le pouvoir romain. Il peut donc être important de déter-
miner la date à laquelle le symbole est devenu opératoire. Par ailleurs,
pour que la mécanique symbolique fonctionne, il est indispensable que

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le lien entre signifiant et signifié s'impose d'une manière quasi auto-
matique à celui à qui l'on montre le symbole. Les symboles qui sont
étudiés ici relèvent de la croyance généralement admise et non de ceux
qui ne touchent qu'un nombre restreint d'initiés. Par exemple, on n'a
pas évoqué la symbolique des sociétés secrètes, toujours nombreuses
en Chine, symbolique qui relevait de légendes et mythes quasi initiati-
ques.
Le rôle fondamental recherché par la création de symboles est de
fournir des images de remplacement, facilement exprimables ou repré-
sentables et suggérant un ensemble complexe difficilement manipula-
ble : les symboles mathématiques en sont de parfaits exemples. Dans
la vie courante, ils relèvent fréquemment de la partie, signifiant, pour
le tout, le signifié. La symbolique des idéogrammes chinois en four-
nit de remarquables exemples: deux pictogrammes « arbre» associés
signifient forêt, lin.
Mais ce mécanisme élémentaire est enrichi par un contexte cultu-
rel et c'est là qu'il devient pour nous intéressant. Les liens signifiant-
signifié prennent toutes sortes de chemins qui sont représentatifs de
cett.~ culture. La tentative pour élucider ces chemins n'est pas simple
et a ses limites.

1.1.1. Nature et limites du lien signifiant-signifié

Le cas le plus simple est celui du mythe ou de la légende. Si un


symbole peut être mis directement en liaison avec un mythe ou avec
une légende connus de tous, le cheminement semble limpide. L'exem-
ple parfait est celui des « huit immortels cachés », symboles très fré-
quents, représentés en lieu et place des Huit Immortels. Mais est-ce
si simple? Le cycle légendaire des Huit Immortels n'a pris sa forme
définitive que sous les Song, et, par exemple, l'éventail à réveiller les
morts, emblème de l'immortel Tchong Li-K'iuan, est parfaitement expli-
qué par sa légende. Certes, mais selon le Livre des Rites, l'éventail
faisait partie du trousseau mortuaire dès l'époque Tcheou, quelques
mille ans plus tôt et l'on ignore bien pourquoi. L'un ne serait-il pas
une conséquence lointaine de l'autre, mais cette résurgence resterait
inexpliquée? D'autre part, la légende ou le mythe ont-ils été créés pour
expliquer ex post la symbolique (ce qui est fréquem:ment leur rôle) ou
l'inverse?
Tout ce que l'on peut dire en général, c'est qu'à partir de telle
date et dans tel contexte socio-culturel tel animal, plante ou objet est
devenu symbolique de ceci ou de cela. Il existe des types de chemine-
ment, et nous y reviendrons ci-après, mais les liaisons ne sont jamais
formellement et définitivement établies, sauf cas d'espèce (par exem-
ple la croix et le christianisme).

17
Parfois, le signifiant prend une forme particulière qui permet d'aller
un peu plus loin. La représentation symbolique peut être un substitut
héraldique, ou emblématique, ou un attribut. Le dragon est un ani-
mal héraldique de l'empereur et longtemps sa figuration suggéra un
objet destiné au pouvoir central et à son entourage. Le svastika, pro-
bablement connu en Chine dès l'Antiquité, n'est devenu un symbole
important qu'après l'introduction du bouddhisme car il est un des attri-
buts iconographiques du Bouddha. Il est donc important de noter les
manifestations anciennes du symbole et, si possible, de situer dans le
temps son apparition. Mais c'est rarement possible et cela peut tou-
jours être remis en cause.
Même lorsqu'on le peut, cela ne fournit pas pour autant l'explica-
tion du lien. On sait que le tigre blanc est le symbole de l'orient céleste
ouest depuis environ vingt-cinq siècles. Mais cela ne nous renseigne
ni sur le lien tigre et ouest, ni sur celui de blanc et ouest. Tout ce
que l'on peut dire c'est qu'en - 433 déjà l'image stylisée d'un tigre
associée à la représentation d'une voûte céleste était corrélée avec
l'ouest, dans l'esprit aussi bien de l'artisan qui laqua le coffre que
de SQ,nutilisateur. Cette corrélation faisait donc déjà partie du système
de côrrespondances culturel collectif.
De même, deux plantes, parmi d'autres, sont des démonifuges, et
cela depuis des temps immémoriaux: le saule et l'armoise. Le saule
est lié au renouveau printanier: ses bourgeons sont parmi les premiers
à le manifester. A ce titre, on sait qu'il était, encore après l'époque
Han, lié aux fêtes de renouvellement de l'année, lorsque l'on expul-
sait l'année vieillie et ses influences nocives pour accueillir les forces
rajeunies et bénéfiques de l'an neuf (fête du Nu er d'où est sorti le
Nouvel An chinois). Mais sa symbolique était alors déjà très ancienne
et surtout présente dans les fêtes populaires et paysannes. On ignore
tout sur l'origine des vertus de l'armoise, plante pourtant si impor-
tante que sa feuille figure parmi les « Huit précieux », collection symbo-
lique très connue, les Papao. On sait que l'armoise figurait dans la
Haute Antiquité parmi les plantes sacrificielles, et c'est bien tout.
On pourrait en dire autant du pêcher, pourtant la plante démoni-
fuge par excellence.
En bref, on peut dans des cas déterminés mettre en évidence un
lien entre légende ou usage rituel et sens symbolique, mais on ne peut
pour autant prétendre avoir résolu la genèse de ce lien car la liaison
est parfaitement biunivoque.

1.1.2. La liaison légende plus attribut et le symbolique

La légende est surtout corrélée aux symboles par le biais des attri-
buts.

18
Mais dans le domaine religieux chinois, il faut distinguer le pan-
théon bouddhiste et le panthéon chinois, qualifié à tort ou à raison
de taoïste (il s'agit d'un panthéon populaire récupéré et réinterprété
par le taoïsme religieux). Le panthéon bouddhiste a été importé tota-
lement constitué et structuré avec un stock légendaire symbolique impor-
tant.Le monde des légendes a été (on en trouvera de nombreux exem-
ples dans le paragraphe consacré à ce panthéon) fortement sinisé et
parfois même totalement remplacé. Par contre, le monde des symbo-
les, représenté par des attributs, est resté peu touché par la sinisation.
Il faut donc assez souvent se référer à l'original indien pour en com-
prendre le sens. Mais, si l'on ignore cette légende, ils peuvent être bien
difficiles à comprendre. Qui irait soupçonner que la coiffure bouclée
de certains Bouddhas (ils devraient avoir la tête rasée des moines boud-
dhistes) représente des escargots? De plus, ce ne sont pas seulement
des légendes et les symboles correspondants qui ont été importés mais
de véritables lexiques iconographiques (on en connaît d'époque T'ang).
Et ces lexiques, très contraignants, ont toujours été respectés, ce qui
permettait au croyant de reconnaître, sans doute possible, la divinité
de son choix. Cette nécessité de reconnaisance était d'autant plus forte
quê la pratique de la méditation et la recherche de l'extase utilisaient
aussi beaucoup ces images comme support de méditation. Le lexique
iconographique était nécessaire non pas seulement au commun des fidè-
les mais à ceux qui visaient à la perfection.
Ce code iconographique ne laissait rien dans l'ombre, ni les gestes
ou mudra, ni les attitudes, ni les vêtements, ni les couleurs, etc.
Le panthéon chinois se présentait bien différemment. Non qu'il
manquât de mythes et de légendes, mais ceux-ci n'étaient pas structu-
rés et n'étaient pas centraux du point de vue des croyances. Ce qui
importait c'était la fonction. Il se pourrait même que mythes et légendes
n'aient été introduits que par commodité. Une tradition voulait, par
exemple, que le mythe cosmogonique de P'an Kou n'ait été vulgarisé
en Chine (on ignore son origine, mais peut-être venait-il des « con-
fins minoritaires» et en cours de sinisation à l'époque Han) que par
un ascète taoïste qui trouvait trop difficile pour le commun des fidè-
les la version cosmogonique taoïste. De fait, les divinités chinoises,
qui durent avoir dans l'Antiquité des formes fantastiques souvent ter-
rifiantes, semblent avoir été profondément remaniées au cours de la
synthèse du début de l'Empire. Elles furent plus ou moins toutes évhé-
mérisées, reçurent une vie légendaire ou une légende dorée (avec
d'innombrables variantes) et finalement prirent l'aspect de hauts fonc-
tionnaires. Le Seigneur d'en Haut devient l'Auguste de Jade, la Si wang
Mou perdit ses crocs, et ses oiseaux nourriciers devinrent ses messa-
gers. Il exista bien des lexiques iconographiques, mais ceux-ci, bien
que respectés, n'ont pas une particulière importance. Une divinité chi-
noise est dans la plupart des cas un mandarin civil ou militaire et l'on
a beaucoup de chance si un attribut permet de se passer de la titula-
ture pour arriver à une identification.
19
Curieusement, ce sont les divinités restées les plus à l'écart du culte
taoïste officiel, et les moins évhémérisées, qui ont gardé le plus d'attri-
buts significatifs. Le Dieu du tonnerre reste porteur d'une batterie de
tambours et d'un maillet, le Maître de la pluie porte une jatte ou un
bol (plus récemment un arrosoir), le Dieu des sauterelles garde son
aspect fantastique et sa gourde, la Protectrice des vers à soie sa peau
de cheval (qui peut lui servir de masque), et la Dame des maladies
oculaires enfantines son œil (soit en cyclope, soit sur un plateau). Il
y a tout lieu de penser qu'il s'agit de vestiges archaïques, comme d'ail-
leurs l'ornement de tête de la Si-wang Mou. Mais ces divinités fossi-
les n'ont que des légendes très sommaires. Peut-être en avaient-elles
qui ont disparu du souvenir de leurs fidèles, qui voyaient dans ces divi-
nités l'incarnation d'une fonction et non les représentants d'un pan-
théon structuré.
Il se pourrait également que, dans les pratiques archaïques dont
ils sont issus, on ne représentait que le symbole en lieu et place de
la divinité. Les études sur les premières églises taoïstes (celle des Maî-
tres Célestes notamment) montrent bien que l'aire sacrée, bien anté-
rieure:: au temple, contenait surtout, ou exclusivement, des symboles
renvoyant à une exégèse savante et non des « idoles ».
On doit noter également que, bien que largement imités du boud-
dhisme, les lexiques iconographiques taoïstes n'attachent aucune impor-
tance symbolique aux gestes et aux attitudes. Ces gestes et attitudes
existaient et ils étaient des gestes rituels obligatoires utilisés dans la
pratique religieuse, mais ils restaient dans ce domaine magique non
lié à l'iconographie: il n'y a pas de danseur cosmique taoïste et P'an
Kou se contente de tenir un marteau et un burin.
Par contre, les personnages du folklore historique ont plus fréquem-
ment des attributs les identifiant. Fouhi, le premier démiurge est fré-
quemment représenté en empereur portant le diagramme du T'ai Ki.
Mais sur les bas-reliefs Han, outre qu'il est montré en monstre poly-
morphe (corps de serpent), il tient un compas de charpentier, et un
porteur de T'ai Ki peut fort bien être quelqu'un d'autre. Chavannes,
dans ses Missions archéologiques, met bien en évidence ce changement
profond qui survint au temps des premières dynasties impériales. Donc,
ici encore, la présence d'un attribut n'est bien souvent qu'un indice.
En pratique, lorsqu'une divinité ou un personnage du folklore est
identifiable par un attribut, on doit toujours se demander s'il s'agit
d'une divinité archaïque mal évhémérisée ou d'une divinité bouddhiste
totalement sinisée. Des exemples comme les roues de feu et le..torque
de Natch'a et la tour pagode de son père Li Portetour sont fréquents.
En bref, la symbolique chinoise ancienne des attributs a beaucoup souf-
fert de l'usure du temps et évolué.
Par contre, les attributs décernés, disons après l'époque Han, ont
été beaucoup mieux respectés, et cela qu'il s'agisse d'attributs légen-
daires ou de contes vaguement historiques. Les «Huit immortels

20
cachés », symbole des Huit Immortels sont parfaitement fixés, bien
que parfois très ambigus. Ho Sien Kou portait autrefois, dit-on, une
louche, tout le monde désormais la reconnaît à son ombelle de grai-
nes de lotus. Tchang Kouolao est porteur d'un tube en bambou qui
continue d'intriguer. Mais personne ne doute qu'un lettré accompa-
gné d'oies ne soit le génial calligraphe Wang Hi-tche, et un lettré un
peu débraillé en train de contempler la lune a toutes chances d'être
Li T'aipo... surtout s'il a la coupe en main.
Il n'en reste pas moins que le domaine des attributs est vaste dans
la symbolique chinoise et qu'il valait la peine de confronter dans la
mesure du possible attributs et légendes tout en soulignant les limites
de ce rapprochement.
Toutefois, ce rapprochement n'est pas toujours possible et l'on peut
citer un cas où, semble-t-il, le mythe a totalement disparu alors que
l'attribut a subsisté. Ce cas est celui du cerf. Cet animal est étroite-
ment corrélé avec la longévité ou l'immortalité. Aucune légende ne
l'explique. Aucun rébus non plus, car alors le cerf Lou devrait être
lié à la richesse Lou, et il l'est parfois mais secondairement. Or, il
semblerait, d'après des études récentes, que le pictogramme archaïque
poûr longévité soit très proche de représentations très stylisées du cerf
attestées dans des cultures paléo-sibériennes (de Mongolie notamment).
Et, dans ces cultures, le cerf était lié dès le néolithique, et peut-être
avant, au culte de la Grande Déesse de la vie et de la mort. Si cela
est confirmé, on voit que le processus conduisant à la symbolique peut
s'appuyer sur des croyances n'ayant laissé aucune trace dans la mytho-
10gie .

1.1.3. Les objets rituels

Ces objets forment un sous-ensemble non négligeable parmi les


représentations symboliques, sans être forcément des attributs. Faut-il
en conclure qu'ils ont eu un rôle à jouer dans un mythe oublié? C'est
peu probable. Il semble plutôt qu'ils évoquent la cérémonie dont ils
sont le partenaire obligé et que l'importance de ce rite était suffisante
pour leur donner force d'image. Il semblerait donc que ce soit plutôt
un cas particulier du mécanisme symbolique basé sur la substitution
et sur le transfert de la partie vers le tout. Ces objets rituels devenus
symboliques ont par contre l'intérêt de fournir des dates post quem
sur la genèse du symbole: à telle époque, tel animal sacrificiel, telle
plante ou tel objet étaient utilisés dans les rites concernant tel ou tel
culte. Mais cela ne renseigne pas sur la genèse du lien ni sur sa nature.
L'exemple du jade est particulièrement troublant. Le jade (ou les jades)
est pour les Chinois, depuis l'aube de la proto-histoire et peut-être dès
le néolithique, la pierre des pierres, non comme pierre brute mais
21
comme matériau travaillé. Mais la symbolique du jade, même comme
objet rituel, reste opaque. Certes, il est lié à la mort et à l'ouest (à
la fois l'endroit où le soleil se couche et son lieu de provenance dans
la Haute Antiquité) mais cela n'explique pas tous ses usages rituels,
notamment ceux non directement liés à sa pérennité. Et, ce qui
n'arrange rien, c'est qu'il semble n'avoir jamais existé en Chine même
de gisement de jade, même épuisé. La pierre des pierres des Chinois
serait un produit importé de fort loin (c'est aussi le cas de l'ambre
en occident mais jamais l'ambre n'a eu l'importance du jade).
D'ailleurs l'emploi rituel peut être ambigu. Le chapelet bouddhi-
que est-il un symbole parce qu'objet lié aux pratiques religieuses ou
parce que simple image évoquant les religieux? L'épingle de tête, ornée
de la perle flamboyante, est-elle évocatrice des grands maîtres des églises
taoïstes à cause des symboles qu'elle porte ou parce que cette coif-
fure, disparue par ailleurs, rappelait le dignitaire?
On notera aussi que le mode de sélection des intrants du diction-
naire iconographique pourrait bien être représentatif de certains modes
de pensée. Il est par exemple manifeste que la symbolique des armes
est pauvre. Et pourtant des rateliers d'armes d'hast figuraient dans
tous les temples. En pratique, seule la double hache est un symbole
largement utilisé mais elle figure dans les douze insignes impériaux:
dans la Haute Antiquité, dit le Livre des Rites, remettre une hache
signifiait déléguer un droit de justice pouvant aller jusqu'à la condam-
nation à mort. Les armes figurent uniquement dans les mains des divi-
nités bouddhiques ou comme uniforme d'un guerrier divinisé. De même,
les montures n'ont pas un rôle majeur dans la symbolique chinoise.
Par contre, les divinités sont presque toujours entourées de suites nom-
breuses. Assistants domestiques et pages peuvent soit porter les attri-
buts çle la divinité, soit incarner chacun des domaines de son pouvoir...
au point de devenir eux-mêmes des divinités subalternes. Par exem-
ple, la Princesse des Nuages irisés a huit à dix assistants démultipliant
ses attributions. La Si Wang Mou a ses filles de jade et même Kouan
Yin ne saurait se passer de l'adolescent d'or et de la fille de jade (ces
derniers n'ont toutefois jamais acquis de réelle autonomie).

1.1.4. La partie pour le tout: les symboles sociaux

Le sous-ensemble symbolique le plus fourni en Chine semblait être


celui qui permettait d'évoquer la classe sociale. On pourrait parler
d'attributs sociaux ou d'objets emblématiques des groupes sociaux.
Dès la plus Haute Antiquité, les Chinois semblent avoir attaché
une particulière importance aux insignes de rang et aux insignes de
fonction. La société chinoise semble avoir été très fortement hiérar-
chisée dès ses origines ou du moins dès l'âge du bronze et c'est avec

22
un soin maniaque que sont .codifiés les symboles de cette hiérarchie
à la fois complexe et très riche (insignes d'investitures, insignes de fonc-
tion, insignes de rang social, etc.). On peut parler d'attributs sociaux.
L'évolution de la société, notamment la montée en puissance de
la classe des riches marchands, n'a pas fait disparaître ces attributs
sociaux bien que, semble-t-il, de nombreux interdits aient dû être assou-
plis. Un riche marchand pouvait à la fin de l'Empire, se faire cons-
truire une maison où les consoles du toit n'étaient plus limitées par
son rang théorique dans la société. Par contre, il faut ~ouligner
l'extraordinaire vitalité d'insignes, pluri-millénaires dans un pays dont
l'histoire a été plutôt agitée: il se pourrait que la masse même de la
Chine l'ait préservée depuis l'époque Han d'une totale remise en cause
de ses coutumes. Après cette époque ily eut apports et fusions mais
non disparitions totales et réapparitions. En bref, la Chine n'a rien
connu d'équivalent aux mutations engendrées par l'effondrement du
monde romain sous le choc des invasions ou par les bouleversements
de la Renaissance.
.Sauf pour certains des plus anciens (comme les sceptres) la symbo-
lique de ces insignes reste lisible à travers des textes comme les rituels.
On éprouve quelques difficultés à interpréter certains des douze insi-
gnes impériaux, déjà cités comme antiques dans le Livre des Rites,
car deux ou trois restent très énigmatiques. De même, les Huit Pré-
cieux n'ont pas livré tous leurs secrets (le losange par exemple). Mais
c'est plutôt la permanence de certains symboles qui doit être souli-
gnée. Que les insignes des hauts grades de la hiérarchie aient toujours
été des blasons animaliers à l'époque mandchoue (des oiseaux pour
les civils et des bêtes féroces pour les militaires) reste étonnant. D'autant
plus que cette coutume remonterait, si l'on en croit la tradition, à la
plus Haute Antiquité. Si on ne la croit pas, il faut admettre qu'elle
existait au moins au premier millénaire avant notre ère, à l'époque
Tcheou. Reste que la symbolique aviaire des hauts fonctionnaires civils
est moins limpide que nos feuilles de chêne, d'olivier ou de laurier.
A côté de ces attributs codifiés, on trouve les objets symboliques
d'une profession et, en premier lieu, ceux de la classe des lettrés. Cette
classe ayant fourni pendant deux millénaires, ou plus, l'encadrement
et la classe dirigeante de la Chine, donc la classe riche, on ne saurait
s'en étonner. L'accès à cette classe était l'ambition suprême. Les objets
fabriqués pour son usage ou ses loisirs se devaient<d'être les plus par-
faits et les plus artistiques donc ceux qui survécurent le mieux. D'autre
part, la possession de ces objets était manifestement honorifique donc
recherchée par les membres d'autres cl'J.sses sociales. Les cadeaux, qui
sont toujours l'expression d'un vœu, se devaient de faire allusion à elle.
Nous n'avons pas traité des enseignes qui donnaient lieu à un réper-
toire complexe mais qui a plus ou moins disparu. Par contre, on a
essayé de mentionner les objets religieux.
23
Il est important de noter que les symboles constitués par des attri-
buts sont fréquemment regroupés en collections telles que les huit tré-
sors bouddhistes, les huit précieux, les huit immortels cachés ou les
sept apparitions, plus un ensemble flou, celui des Cent antiques, qui
contient tout ce que l'on veut. Ces collections qui ont des origines
variées engendrent des motifs associés mais traités avec une relative
Iiberté .

1.1.5. L'image de substitution et les rébus

La dernière, mais non la moindre source décelable de la symboli-


que est constituée par les images de substitution. Ici, ce n'est que secon-
dairement que la partie suggère le tout. Le lien est beaucoup plus com-
plexe.
L'image de substitution peut être simplement évocatrice. C'est par
exemple, le cas des fleurs évoquant les saisons ou les mois. Vu l'impor-
tance};magico-religieuse du calendrier, il fallait exprimer visuellement
l'idée"';des saisons. Le « choix» s'est porté sur des fleurs ou des plan-
tes. Peut-être est-ce uniquement des considérations d'esthétique qui ont
conduit à ce choix mais rien n'est certain. Le Calendrier des Hia expri-
mait son calendrier avec des notations animales et les dictons des vingt-
quatre périodes solaires ne font pas une place exceptionnelle à la flore.
Il est remarquable que le lien fleurs-saisons (ou mois) n'ait jamais été
réellement codifié: aucun lexique ne fixe cette symbolique. Ceci expli-
que les variantes que le fabricant d'images utilise, surtout pour les fleurs
des mois d'ailleurs (variantes régionales et variantes tenant au déca-
lage des lunaisons par rapport aux saisons).
Pour les images de substitution évocatrices où intervient le monde
animal on peut souvent, mais pas toujours, reconstituer un chemine-
ment. Prenons l'exemple des animaux symboles des Orients célestes.
Les saisons semblent avoir été liées aux Orients par le biais de l'orien-
tation de la queue de la constellation du Boisseau du Nord (Grande
Ourse). Au printemps, elle pointe vers l'est, en été vers le sud, etc.
Le dragon, probablement un symbole des pluies fertilisantes du prin-
temps, devenait logiquement le symbole de l'est. Les calendriers anti-
ques faisant un grand usage des oiseaux pour désigner la belle saison
fournissent peut-être un lien pour l'oiseau rouge. PIli'S vraisemblable-
ment ce pourrait être un rappel du cycle mythique du soleil, notam-
ment des neuf soleils: dans diverses variantes ces neuf soleils appa-
raissent sous forme d'oiseaux, par ailleurs, le soleil perchait dans un
arbre ou, comme la chouette, logeait dans un mûrier creux. Il s'agi-
rait donc d'une mythologie antique tombée dans l'oubli. Le lien du
tigre avec l'ouest et l'automne reste énigmatique et celui de la tortue
enserrée par un serpent (tous deux êtres souterrains mais le serpent

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est yang) et de l'hiver avec le nord n'est pas plus évident. Quoi qu'il
en soit la symbolique animalière est généralement plus complexe que
la symbolique florale. Faisons un vœu pour que le dieu de la chance
des archéologues leur suggère quelque chose.
Enfin, certaines images évocatrices peuvent être aussi abstraites que
ce qu'elles symbolisent. L'exemple évident en est le T'ai Ki qui ren-
voie à toute une conception du monde. Dans ce cas extrême les deux
termes du cheminement sont abstraits.
Dans une autre série d'images de substitution, l'évocation est d'un
tout autre ordre, elle relève des sons. C'est un genre tout particulière-
ment apprécié des Chinois: celui des rébus. La langue chinoise s'y
prête admirablement car, étant monosyllabique, les homophones y sont
nombreux. La tentation a donc de tout temps dû être très grande de
substituer une image concrète pour exprimer un concept abstrait. La
formation des caractères de la langue écrite montre que cette tendance
était très ancienne et très utilisée. L'exemple fourni par le mot «paix »,
ngan (an) exprimé par une femme sous un toit est cité par tous les
manuels élémentaires. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un rébus mais
d'u;.ne simple image évocatrice. Mais. la partie phonétique du caractère
montre l'usage du rébus homophone. Toutefois, en matière de langue
écrite, seuls les. spécialistes des graphies les plus anciennes (celles sur
os divinatoires) sont à même de décider s'il y a bien soit image évo-
catrice, soit homophonie, soit simple évolution des graphies (qui a tou-
jours été dans le sens de la simplification) voire erreur graphique pas-
sée dans l'usage. Et les éthymologistes anciens (dont ceux du ChOllO
wen - Shuowen -) semblent avoir été un peu vite en besogne. Et
certaines de leurs conclusions aventurées ont été suivies pendant des
millénaires.
Quoi qu'il en soit le rébus devait paraître aux Chinois un mode
d'expression beaucoup plus courant que dans d'autres groupes cultu-
rels. Et ils ont très largement utilisé ce mode de création de symbo-
les. Voulant représenter le Bonheur, Fou, quoi de plus simple que de
représenter une chauve-souris, Fou, d'autant plus que les deux carac-
tères ne diffèrent que par leur radical (la partie « phonétique» est la
même).
Toutefois, il se pourrait que l'homophonie ne soit pas suffisante
pour justifier la généralisation d'un rébus, autrement dit de le faire
passer dans l'usage courant :un simple coup d'œil sur les homopho-
nes dans un dictionnaire montre que le choix était ouvert. Le méca-
nisme de la sélection n'apparaît pas clairement. S'agit-il de parentés
graphiques? Pas forcément. S'agit-il de liens plus subtils et qui nous
échappent? Seuls des Chinois pourraient nous renseigner là-dessus. Il
se pourrait également que des problèmes esthétiques aient joué: le bon
rébus, très souvent utilisé sur un objet cadeau, devait permettre une
iconographie plaisante et de bon augure. Le très grand nombre de fleurs
servant d'images de substitution pour des rébus suggère que cette rai-

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