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Repères biographiques
• 1er septembre 1887 à La Chaux-de-Fonds
• Milieu bourgeois et protestant
• Père : Georges Sauser, plusieurs métiers : fabricant d’horlogerie, marchand de cigares.
• Mère : Marie-Louise Dorner, famille protestante, originaire de Zurich.
• Déménagements familiaux : Italie entre 1894 et 1896 puis Bâle et Neuchâtel
• Élève peu assidu. Part en Russie en 1904 : apprentissage chez un horloger-bijoutier suisse.
• Études inachevées en médecine puis en Lettres à l’université de Berne.
• 1911 : deuxième séjour en Russie puis New-York.
Débuts / Poésie
• À New-York, vit reclus. Compose une série de portraits sinistres « Hic, Haec, Hoc » signé
« Blaise Cendrart » Pseudonyme en référence à l’art. Puis Cendrars (conseil de son frère) en
lien avec le verbe « ardere » Þ brûler.
• 1912 : poème « Les pâques à New-York » Þ vie dégradée de la ville et passion du christ
• Retour à Paris, publication des Pâques aux Éditions des Hommes Nouveaux. Remarqué par
Apollinaire.
• Entre dans le cercle des avant-gardes : rencontre des Delaunay.
• Collaboration avec Sonia Delaunay / texte et image / « Prose du Transsibérien et de la Petite
Jeanne de France ». Poème lyrique, 1913
• 1914 / légion étrangère / un an au front. 28 septembre 1915 : combat pour s’emparer du bois
de la Crête. Perte du bras droit. Souffrance à vie de cette « main fantôme » mais n’évoque
jamais sa blessure dans ses textes sur la guerre. (« La guerre du Luxembourg » 1916 : combats
sous forme de comptine) ou (« J’ai tué », poème violent en 1918)
• 1917 à Méréville / rencontre Raymone Duchâteau, comédienne troupe de Louis Jouvet, muse
du poète pendant 40 ans.
• Distance avec les groupes d’écrivains en vogue. Posture de marginal. Participe au premier
numéro de la revue Dada puis s’en éloigne. Comme pour les surréalistes. Trouve ces groupes
trop autoritaires dans leur rapport à l’art. Veut rester libre et indépendant et « vivre sa
poésie ». Refus du déni de la guerre comme certains artistes.
• Directeur littéraire des Éditions de la Sirène fondées par Paul Laffitte. Apollinaire, Max Jacob,
Cocteau ou Raymond Radiguet / Cendrars publie également (« Panama », « Les aventures de
mes sept oncles. »
• 1919 : « Dix-neuf poèmes élastiques »
• 1921 : « Anthologie nègre », compilation de contes africains. Afrique comme une
échappatoire face à la guerre, face à l’Europe vue comme dégradée. « Plus qu’un livre, c’est
un acte » Michel Leiris. Le recueil ne se vend pas. Départ Brésil en 1924.
Le romancier
• Rencontre les artistes du modernisme brésilien (Oswaldo de Andrade, Mario de Andrade et
Tarsila Do Amaral) Þ « Feuilles de route », chronique de voyage à Rio (publication complète
en 1944 dans Poésies complètes.)
• Correction des épreuves du recueil Kodak (documentaire), montage collage d’un ouvrage de
Gustave Le Rouge (Le mystérieux docteur Cornélius)
• Projet de roman depuis plus de 10 ans abandonné momentanément (Moravagine). Sortira en
1926, après « L’Or ». récit protéiforme, personnage fou et sanguinaire. Sorte de double
démoniaque dans une époque en folie.
• « L’Or » rédigé en six semaines : les aventures du général Suter, un suisse parti en Californie
lors de la ruée vers l’or. Succès, traduit en 25 langues.
• 1927-1929 : retour en France, Marseille, à La Redonne. Publication de deux romans : « Le plan
de l’aiguille » et « Les confessions de Dan Yack » (réuni en un seul en 1946 : « Dan Yack ») Puis
d’autres romans (« John Paul Jones ou l’ambition », « L’argent : histoire mirobolante de Jim
Fisk »)
• 1930 : commande de Lucien Vogel pour le magazine Vu. « Rhum : L’aventure de Jean Galmot.
(homme d’affaire devenu député en Guyanne) Réécriture Þ roman qui oscille entre roman et
reportage.
Le mémorialiste
• 1930 : demande de Sven Stelling-Michaud, éditeur chez Payot à Lausanne de la
collection Les cahiers romands, à Cendrars d’écrire ses souvenirs de jeunesse à
Neuchâtel. Paru en 1932 « Vol à voile. Prochronie » Þ période d’adolescence, fuite du
cercle familial, voyage en Russie.
• Doute autour du « je », brouille les pistes du récit rétrospectif : « à présent, nous
voyons les choses comme dans un miroir, en énigmes » (préface de l’œuvre)
• 1945 à 1949 : 4 œuvres dont « L’Homme foudroyé » / « La main coupée », sorte
d’hommage aux soldats disparus, valeur exutoire pour l’auteur, œuvre réparatrice, la
guerre vécue comme un crime organisé.
• « Bourlinguer » : appel au large / 11 chapitres = 11 ports, étapes de vie, rencontres,
anecdotes. Péripéties de l’aventurier en parallèle avec l’aventure de l’écriture.
• « Le lotissement du ciel » renoue avec le principe rhapsodique. Retour sur soi, récit
mystique, exploration de l’inconscient. « Le voyage continue mais sur les voies du
monde intérieur. C’était urgent. » (préface). Lien entre Saint joseph de Copertino aux
expériences d’extase des saints pour aboutir aux ravissements de l’amour.
Un travail de greffe
• Projet remonte à fin 1942
• Jean Vigneau demande à Cendrars un texte sur les gitans pour accompagner un album photos.
Sans succès.
• Cendrars le fera pour Peisson : « J’ai terminé la nouvelle pour Peisson, des souvenirs de l’autre
guerre. C’était pour me faire la main. Et c’est très bien venu. » Lettre à Raymone. 1944
• Jean Vigneau 1944, nouvelle commande : « Le vieux port », René Rouveret, ancien marin,
illustrera les photographies.
• Motivation de Cendrars qui reprend alors le projet des gitans. Album : « Rhapsodie gitane ».
Lithographies d’Yves Brayer à la place des photographies. Rajoutera deux autres morceaux
d’où le pluriel de la rhapsodie ensuite.
• Même période, projet de « l’homme foudroyé », promis à l’éditeur Robert Denoël.
• Genèse difficile. Projet en parallèle qui complique l’écriture avec « La carissima », un livre sur
Marie-Madeleine, dédié à Raymone. Cèdera la place à Saint-Lazare.
L’image du bourlingueur
• Accueil favorable de l’œuvre à sa sortie.
• Paul Prist, la France Libérale : « Faute d’avoir pu, comme il l’eût désiré peut-être, poursuivre
son errance sur les chemins de l’avenir, le voici qui reprend la route d’hier, la longue et
tortueuse route de ses anciennes pérégrinations. »
• Raymond Guérin / narration non linéaire « morceaux en apparence disparates » ; « écrite à la
va-vite dans un emportement prodigieux »
• Henri Thomas / piques à Picasso, Gide ou Jules romains « mufleries éparses » ; « homme
foudroyé par l’alcool »
• Robert Kemp / véracité des faits « Cendrars est trop artiste pour ne pas améliorer un peu la
vérité. » comme Marcel Hervieu « Mémoires et confidences ou bien inventions et
impostures ? »
• Mais c’est surtout l’image du voyageur qui inspire les critiques. Longtemps lu comme un récit
d’aventures. Figure du bourlingueur au détriment de celle de l’écrivain. Dimension poétique
mal perçue, freinée par les questions de véracité du récit. Malraux en 1959 : « Cendrars a été
distraitement reconnu », laissé en marge du champ littéraire français. Henri Miller le voyait
comme l’écrivain du siècle : « une masse poétique étincelante dédiée à l’archipel de
l’insomnie »
Un « romans » pluriel
Composition d’ensemble de l’œuvre, trois parties, longueurs inégales, couvrant la 1ère guerre jusqu’en
1943, rédaction du premier texte de Mémoire :
Þ Dans le silence de la nuit (p.10 à 52)
Þ Le vieux-Port (p.53 à 224)
Þ Rhapsodies gitanes (4 épisodes)
® Le fouet (p.229 à 286)
® Les ours (p.287 à 363)
® La grand-route (p.365 à 436)
® Les couteaux (p.437 à 518)
Hétérogénéité de l’œuvre, fait de « morceaux en apparence disparates »
« (…) ce que l’on a pris pour désordre, confusion, facilité, manque de composition, laisser-aller alors
que c’est peut-être la plus grande nouveauté du XXème siècle (…) » Cendrars dans Bourlinguer p.164
Le principe rhapsodique : L’œuvre L’Homme foudroyé se démarque des « Histoires vraies » publiées
entre 1937 et 1940 qui étaient pensées comme un recueil de nouvelles sur le thème du voyage, mais
sans l’idée d’un livre.
Ici, on conserve « l’unité d’évasion » mais avec une forme d’écriture singulière : Cendrars emploie le
mot « Rhapsodie » : « incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamboyer des
associations d’images. » (p.14)
• Liszt, Rhapsodie et improvisation du philosophe Vladimir Jankélévitch : histoire de la rhapsodie
Þ deux vies :
• Grèce antique : chanteur (rhapsode) qui va de ville en ville pour interpréter des poèmes
épiques, notamment de L’Iliade et l’Odyssée. Il brode à partir de thèmes juxtaposés (il
« rapetasse »). Évoque les taches disparates du manteau d’Arlequin. « L’orateur développe, le
rhapsode recoud et juxtapose » (p.55, Jankélévitch, « La rhapsodie et l’état de verve » revue
philosophique)
Étymologie : du grec : coudre, attacher et chant Þ le rhapsode coud ensemble des morceaux
de chant. Il raconte plutôt qu’il créé et perpétue la mémoire de son peuple, associé à la
tradition orale populaire.
Figure de Jacques Doucet, couturier et mécène : Cendrars lui écrit « L’Eubage aux antipodes
de l’unité » (titre évocateur de l’éclatement)
• XXème siècle : terme réinvesti dans le domaine musical, Frantz Liszt, Rhapsodies hongroises
et tziganes. Þ Contestation de la sonate selon Jankélévitch dans la rhapsodie romantique,
esthétique du désordre, de l’impulsion, « du pluralisme contre l’hégémonie totalitaire » (ibid
p.57), contre les formes fixes de l’académisme. C’est une « invitation au voyage » (mouvement
et fluidité). D’où la fascination de l’artiste romantique pour les Tziganes, Bohémiens ou Gitanes
Þ opposition contre la sédentarité des formes et du mode de vie. Prendre deux fois le « parti
pris nomade » selon Claude Leroy (p.305).
Thème de la rhapsodie Þ toute l’œuvre de Cendrars « ces textes-là sont un peu écrits comme
de la musique » Cendrars, dans « Cendrars vous parle… » p.55 / composition, forme,
contrepoints. Parallèle implicite entre Liszt et la figure de l’écrivain. Dans Bourlinguer p.375
« Il improvisa une czardas endiablée de son pays, fermant les yeux, laissant couler ses doigts,
plaquant les accords, changeant de rythmes, déroutant, contrariant la brillante société de
snobs de Paris. » Þ Déranger les valeurs bourgeoises / atypie du récit comme une force
contestataire de l’écriture chez Cendrars.
La rhapsodie également dans le jazz, Rhapsodie in blue de Gerschwin. // La tétée dans La peau
de l’ours « c’était alors une scène de succion avide sur un accompagnement de musique
syncopée » P.338 Þ conception nietzschéenne de l’art : pulsion de vie et non convention //
Jankélévitch : importance du corps dans la musique / filiation de la rhapsodie romantique. Þ
Cendrars : conception vitaliste de l’art, privilégie le corps à l’intellectuel.
Cendrars : double acception de la rhapsodie en lien avec sa pratique d’écriture : poète qui glane et
suture les choses vues, entendues, vécues et les fragments d’épopées antérieures. Conteur anonyme
/ compositeur romantique / défenseur de la diversité des formes. Mémoires = fragments.
Le Rhapsode et l’oralité
« Rhapsodie » comme discontinuité compositionnelle et tradition orale.
Poétique de l’oralité
• La performance : oralité primaire (sans contact avec l’écriture) et oralité feinte (dans un texte)
/ travaux de Paul Zumthor « Oralité » dans Intermédialités p.169-202 Þ certaine absence
d’unité du texte oral / multiple, cumulatif, bariolé, contradictoire / intégration de matériaux
de réemploi Þ composition par collage.
Rapport à la performance : « l’action complexe par laquelle un message poétique est
simultanément transmis et perçu dans l’ici et maintenant » Zumthor dans « Introduction à la
poésie orale » p.32
// avec les scénographies de Cendrars : description des veillées par Sawo « C’est ainsi que nous
sommes et que nous faisons quand nous nous racontons les histoires de la tribu, le soir, à la
veillée, et que nous restons bien souvent toute la nuit assis autour du feu à fixer par des paroles
les faits et gestes de nos prédécesseurs. » (p.515) Le feu et la nuit comme performance de
cette « poésie orale » et ici aussi fonction mémorielle.
// lettre à Peisson « Ce matin, tu m’as raconté… » (p.11) Þ verbe « raconter » trois fois d’où
l’importance de l’oralité et du récit qui se transmet. Représentation d’une parole fluide qui
doit circuler // transmission des Gitanes dont les messages voyagent de bouche en bouche.
L’œuvre comme fiction de l’oralité avec toutes les petites histoires racontées provoquant une
forme de conversation avec le lecteur.
• Principe de cumulation : impression de bric-à-brac Þ inachèvement narratif (selon Zumthor,
les éléments du discours ont tendance à se juxtaposer plutôt qu’à se subordonner) /
Nombreuses énumérations et accumulations chez Cendrars dans ses descriptions (ville de
Marseille, château de Paquita…), mais aussi des listes (la description des gitanes : « Les gitanes
sont : / belluaires / dompteurs / toréadors (comme le père de Paquita) / châtreurs / voleurs
de bestiaux / dresseurs de chevaux / maquignons / vétérinaires / rebouteux / guérisseurs /
jeteurs de sorts… »)
Principe de cumulation constitutif du discours oral / Cf. Sawo à propos de la tradition de
l’oralité chez les Gitanes « un courrier qui vous apporte un message se l’est raconté tout le long
de la route et quand il vous le récite il y ajoute des détails de son cru, selon sa faculté d’élocution
et son émotion… » (p.515) / Ainsi la phrase cendrarsienne est extensive. Cendrars aimait lire
le dictionnaire et a établi un vocabulaire pour l’Homme foudroyé « une liste de 3000 mots
établi d’avance » dans Cendrars vous parle… p.17
Très structuré cependant : usage précis et prononcé de la ponctuation.
• La voix et le souffle : poésie orale : importance de l’aspect phonique et rythmique comme
procédé stylistique (ponctuation, répétitions, figures de style…). « Quelque part, au-dessus de
ma tête, la goutte ne finissait pas de s’égoutter, sans cesse une autre, toujours la même :
goutte… goutte… gougoutte… goutte… goutte… Je ne bougeai pas de mon lit. » (p.377,
Cendrars chez Paquita) Puis le mot « goutte » est vidé de son sens et conduit à la mort
(association) : « La mort. / Comment Paquita pouvait vivre là ?... / Encore une pensée et tout
craque. / … / La terre tourne sur elle-même. / Seule. / Dans la boue. / Comme une toupie sur le
flanc. / Je n’ai pas la Foi. / La mort… / … gou-goutte… goutte… goutte… » (p.377) Þ phrases
courtes, hachées, rythmées… construction par association / le langage témoigne d’une
conscience hallucinée / proche de la poésie : vers / forme / anaphore / construction…
Peut-être aussi association goutte / mort Þ mémoire / vie dans les tranchées / l’attente et la
mort.