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NOUS, traces d'un Roi Lear

Avertissement au lecteur

Ce texte n'est pas un texte de théâtre au sens "classique" du terme. Mais le résultat d'un travail de
laboratoire mené par un auteur, metteur en scène, une chorégraphe, un marionnettiste, une peintre,
un musicien et un éclairagiste. Il comporte, à ce titre, différents moyens d'expression. Certains
directs comme les dialogues, les monologues et autres formes à dire, d'autres plus "poétiques" qui,
dans notre mise en scène, utilisent le corps, la manipulation de papier, la peinture, la musique ou/et
la lumière pour se raconter. Ce qui se traduit ici, par trois formes d'écritures distinctes : les
didascalies, les textes, sous forme de paragraphes, qui ne sont pas dits sur scène, mais servent de
support d'écriture aux disciplines dites "silencieuses" et les dialogues ou monologues qui sont dits
par les acteurs. Ce texte est un puzzle complexe. Et qui ne prend son sens qu'une fois ses différentes
pièces réunies. Comme notre personnage «Je», qui a besoin de la réunion de toutes ses entités pour
devenir «moi». Et que ses entités, enfin, puissent exister sans lui. Sans «Lui». Être «Nous».

Acceptez de perdre vos repères et laissez-vous emporter par vos images. Et s'il vous plaît, oubliez
cette page. C'est vous et vous seul qui pouvez comprendre ce qui se joue ici.

PERSONNAGES

• Je «Je», Le Roi, La Chauve-Souris, «moi».

• Tu «Tu», la peintre.

• Elle «Elle», Tom.

• Lui «Lui», l'autruche.

• Vous «Vous», le Fou, le perroquet, le magicien.

• On Le grand papier, la mort.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 1-


––––––––– Introduction ––––––––––

Tu dans son atelier

«Tu» dans son Atelier. Elle cherche ses traits. Elle doit déjà être en place quand le public entrera.
La lumière baisse lentement. Le bourdon monte. Ce doit être à la limite du supportable. C'est ce
moment juste avant la naissance d'une oeuvre. Durée 15 minutes.

Tu es là. Et tu portes dans les yeux les noms de ceux qui m'ont accompagné. Tu, ma Nuit. Tu, mon
Ange. Mon Fantôme. Mes Ancêtres. Tu, la mort. Tuée ! Par incompréhension. Par incompétence !
J'aurais voulu être plus grand pour comprendre. Plus grand et plus fort. Et courir ! Courir à ton
chevet. Te sortir de cette chambre froide. Te prendre la main. Que tu puisses t'éteindre dans le plein
de mes yeux d'enfant. Mais Ils n'ont pas voulu m'emmener. Ils. Les jaloux. Ils. Les meurtriers.
Ne t'inquiète pas, Ils ne peuvent plus rien contre nous maintenant. Tu es là. Dans mon ciel.
Immense. A écrire chacun de mes pas dans la paume des immortels. Pour que jamais plus, Ils ne
puissent nous perdre.

ACTE 1

––––––––– scène 1 ––––––––––

La naissance de Je

Apparition. Le grand papier libère «Je», le visage inachevé. Il arrache les dernières peaux qui
l'empêchent de respirer. Il existe. Réveil de «Lui», «Vous» et «Elle». Les corps commencent à
bouger. Ils font écho à la respiration de «Je». Naissance. Durée 5 minutes et 37 secondes.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 2 -


––––––––– scène 2 ––––––––––

Souvenirs d’enfance

«Lui» seul sur scène, un morceau de papier à la bouche en forme de couronne. «Vous» est caché
sous une montagne de papier. «Je» est en avant scène, seul. On devra sentir qu'il se remémore cette
scène d'enfance. Durée 2 minutes et 7 secondes.

VOUS — “C’est le roi gros derrière qui a mis son caca à l’envers
Vous, son fou, lui dit votre majesté
Votre caca vous sort par les trous du nez
C'est vrai, lui dit le roi, je vais l'manger avec les doigts”
JE et LUI — Arrête !
VOUS — Y a pas d’arrêtes dans le poisson, mais y en a dans le bifteck, quéquette!
JE et LUI — Arrête grosse bête !
VOUS — Grosse bête toi-même !
JE et LUI — C’est celui qui dit qui y est !
VOUS — Même pas vrai. C’est celui qui y est qui dit. Qui dit qui Y est. Qui y est qui dit. Kiki,
Caca, Pipi, Cucul. T’as l’cul qui pue, t’as l’cul qui pète, grosse bête!
JE et LUI — Pourquoi tu m’embêtes ?
VOUS — “Pourquoi tu m’embêtes ?” Parce que t’es bête et qu’ton zizi c’est qu'une chaussette.
JE et LUI — Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !
VOUS — “Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !” Oh merci ! Mais ça, moi, je sais que chuis moi !
JE et LUI — C’est pas toi qui commandes, alors ferme ta boîte à lettres !
VOUS — On dit pas boîte à lettres, on dit boîte à camembert, grosse nulle !
JE et LUI — Chuis pas grosse !
VOUS — Si t’es grosse. T’es grosse comme une montgolfière qui pue.
JE et LUI — Si tu continues, j’vais l’dire à mon père et mon père, y va t'faire couper la tête. Couic !
VOUS — Ton père, il a pas intérêt d’abord, parce que sinon, mon père y va venir et alors là...
JE et LUI — Et alors là ?!
VOUS — Alors là !...
JE et LUI — Pffffff ! Il peut rien faire ton père, parce ton père d’abord il est con.
VOUS — Mon père d’abord il est pas con, j’te ferai dire. C’est ton père à toi qu’il est con !
Autruche !
JE et LUI — Répète !
VOUS — Autruche !
JE et LUI — Répètes !
VOUS — “Répètes !”
JE et LUI — T’es même pas cap.
VOUS — Si chuis cap. Chuis Captaine même !
JE et LUI — Ouais, c’est ça ouais !
Et ben moi mon père, tu sais pas ce qu’il leur fait aux capitaines?
VOUS — Non ?
JE et LUI — Et ben il les tue! Comme ça il les tue : couic ! Arghhhh !!!! Voilà ce qu’il va t’faire
mon père !
VOUS — T’as même pas d’père grosse nulle ! T’es rien qu’un menteur qui a même pas de père !
JE — Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaann !!!!!!!!!!!

NOUS, traces d'un Roi Lear - 3-


––––––––– scène 3 ––––––––––

Adolescence

«Je», «Lui», «Vous» se font projeter sur scène. Apparition d'«Elle». Leurs mouvements seront
dictés par la grande prêtresse de l’âge adulte. Ils seront façonnés, ballottés, projetés, transformés.
Défigurés par la violence du passage. Ils résistent. Ils font face. Ils se battent. Ils s'effondrent.
Durée 5 minutes et 9 secondes.

Comment pouvais-je savoir ? Je n'avais que 9 ans, maman. Je me suis assis sur le canapé. J'étais
mal à l'aise. Mais je me suis assis. Pour faire comme lui. Ils sont arrivés. D'un coup. Sans prévenir.
Ils avaient ce sourire crispé et ces yeux noirs qui reflètent l'absence. Je n'ai pas vu leurs dents. Pas
tout de suite. Je ne pouvais pas savoir ! Après, c'était trop tard. Quelque chose s'était déjà infiltré
dans mon sang. Quelque chose qui devait changer à jamais ma façon de nous regarder. Où étais-tu,
maman ? Et pourquoi n'es-tu pas venue me chercher ? Je n'ai pas dormi cette nuit-là. Pas plus que
les nuits suivantes. Parce que désormais vos pas résonnaient faux ! Parce que désormais, j'étais seul.
Alors je frappais les murs. Je résistais pour vous voir venir. Pour ne pas me réveiller comme vous
sans savoir. Je me suis mis à fabriquer des doubles de moi-même avec des armes pour vous faire
face. C'est comme ça que Je est arrivé. Pas l'un d'entre vous, non. Je, le plus dangereux des
vampires. Le seul à pouvoir m'amener jusqu'à Elle.

––––––––– nettoyage plateau 1 ––––––––––

Le Fou et le Roi

«Vous» entre avec un balai. Il nettoie le plateau. Il balaie les « salissures » laissées par leur
passage à l’âge adulte comme si c’était une vulgaire poussière. «Je» et «Lui» sont au sol. Epuisés.
«Elle» continue à danser. Elle devra tenir jusqu'à ce que «Vous» commence à parler. «Tu» est là.
Durée 1 minute et 15 secondes.

VOUS — Sais-tu pourquoi ton nez se dresse au milieu du visage?


TOUS — Non.
VOUS — Eh bien ! C’est pour avoir un oeil de chaque côté du nez, afin que tu puisses voir ce que
tu n’as pas su flairer. («Je» s’approche)
Si tu étais mon fou, je te ferai fesser pour être devenu vieux avant l’âge.
JE — Comment ça ?
VOUS — Tu n’aurais jamais dû devenir vieux avant d’être sage. («Vous» redonne la couronne de
papier à «Je». Derrière est inscrit le texte de «Lui» : 2386 morceaux d'os)

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ACTE 2

––––––––– scène 1 ––––––––––

2386 morceaux d’os

«Je» devant la toile, suit le texte de «Lui» inscrit sur le dos de sa couronne. «Elle» en avant scène
regarde «Vous» sortir. «Lui» se lève d'un bond. C'est comme s'il se réveillait au beau milieu d’un
rêve éveillé. Durée 1 minute et 30 secondes.

LUI — 2386 morceaux d’os enfermés là. 1 coeur, 1 cerveau, 2 poumons, 1 foie, 1 estomac, 1 rate, 1
vessie, 2 reins, 8 kilomètres d’intestins, 622 243 vaisseaux sanguins dont 13 artères principales,
46 000 terminaisons nerveuses, 1 sexe, 2 bourses contenant chacune… («Lui» cherche dans un
amoncellement de papier, la fiche. «Je» lui tend la couronne de papier) 1 000 215 660
spermatozoïdes, ce qui nous fait 2 000 4...
ELLE — Non !
LUI — Non ?!
ELLE — Non pas... pas tant !
LUI — Pas tant de quoi ?!
ELLE — Pas tant de tout ça. Ce n’est pas possible ! Ce ne serait pas... supportable !
LUI — Détrompez-vous. Vous seriez surprise de connaître tout ce qu’il y a encore là-dessous.
ELLE — ...
LUI — Le sang... combien de litres pensez-vous en contenir ? Dites un peu pour voir ?! Allez quoi !
Ne soyez pas timide !
ELLE — Deux... deux ou trois litres selon l’état !
LUI — L’état de quoi ?
ELLE — De tout... selon l’état de mes états... et dans quel état vous vous escrimez à me les mettre !
LUI — De mes états ?! Mais vous n’y êtes pas du tout ! Ca fait longtemps que je m’observe et je
peux vous assurer que quel que soit mon état, je possède 40 l...
ELLE — Je ne veux pas le savoir ! Mais pour qui vous prenez-vous à la fin.
LUI — Pour qui je me prends ?!
En voilà une question intéressante ! Oui, c’est ça !... Pour qui je me prends ?
ELLE — Je ne sais pas moi ! C’est une façon de parler. Et puis, je ne vous connais pas. Ca fait à
peine deux minutes que nous sommes ensemble.
LUI — Oh ! rassurez-vous, je suis ensemble avec moi depuis 31 ans, 252 jours, 21 heures, 8
minutes et 30 secondes et je n’en sais, sur moi, pas plus que vous. («Lui» se tourne vers «Elle»)
Allez, s’il vous plaît ! Soyez chic !
ELLE — Non, mais vous vous êtes regardez, vous ?! On dirait une Autruche. Allez, maintenant,
disparaissez avant que j’appelle la police. Psychopathe !

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––––––––– scène 2 ––––––––––

Je sans Elle

«Je» arrête de lire. «Elle» lui tourne le dos. «Elle» regarde du côté où «Lui» est sorti. Ils ne
devront pas se faire face. Durée 35 secondes.

JE — Elle a toujours été aussi difficile à approcher.


VOUS — Docteur !!!
JE — D'accord, ce n’est pas vrai. A l'époque, Je n’avais pas les mots.
VOUS et ELLE — Combien de temps tout cela va-t-il encore durer ?
JE — Jusqu’à la fin. Elle l'écrit comme ça.
VOUS et ELLE — Est-ce que seulement un jour vous l'avez aimée ?
JE — Dès la première seconde où Je L’ai vue.
VOUS et ELLE — Et pourquoi ne lui avez-vous jamais rien dit ?
JE — Je ne sais pas… J’avais peur.
VOUS et ELLE — Autruche !
JE — Ce n’est plus moi l’autruche. Maintenant c’est Lui. Moi Je suis la Chauve-Souris. Et je ne Te
laisserai pas faire.

––––––––– scène 3 ––––––––––

La danse de la Conception

«Elle» reste seule. Ailleurs. Le grand papier revient du côté où «Je» est sorti. On doit avoir
l'impression que c'est «Je» qui revient. Autrement. «Elle» se penche vers lui. Il s'élève, la recouvre.
Ils font l'amour. Durée 2 minutes et 57 secondes.

Du plus loin que remonte ma mémoire, je la vois. Assise sur un banc. Dans un jardin public.
Sourire. Si belle. Elle. Aux cent mille visages. Aux cent mille voix. Où es-tu ? Comment être sûr
que nous nous retrouverons ? Le monde est tellement grand et j'ai perdu tant d'histoires. Je suis
fatigué. J'ai la voix qui déraille. Mes yeux sont vides. Regarde ce qu'Ils ont fait de moi. Faisons
l'amour, veux-tu ? Laisse-moi te dessiner dans le plein de ma tête. Et d'une feuille de papier, te
fabriquer les yeux. Faisons l'amour, Amour. J'ai la mer qui court sous les pieds. Je te sens. Tu es là
derrière moi. Tu ris. Je sens ton souffle. Je te veux collée à moi. Collée ! Et le ventre rond pour
nous offrir au monde. Que les mots s'arrêtent. Aime-moi ! Qui que tu sois. Aime-moi !

––––––––– scène 4 ––––––––––

La danse du peintre

«Tu» est derrière la toile. On la devine. Le texte devra être dit comme si «Tu» était seule. Durée 2
minutes et 15 secondes.

Tu : Quand Elle était petite, Elle s’ennuyait. Elle détestait les mathématiques. Ses parents voulaient
qu'Elle soit docteur. Mais Elle, Elle griffonnait. Saturait ses cahiers ; de cœurs, de cerveaux,
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poumons, foies, rates, estomacs, vessies, sexes... pleins de sexes... et du SANG ! Des chiffres à
l’envers, des lignes et des lignes de numéros. Noir. (Entrée des garçons. Ils s'arrêtent, immobiles au
milieu de scène. Ils semblent être des pantins.)
Ce temps-là, Elle l'a oublié. Enfermé dans le plus loin de sa mémoire. Depuis, Je continue. Eux sont
toujours là. Ses monstres, ses fourmis écrasées, ses bêtes. Ils s’aiment, se chamaillent, se jalousent,
ils se battent. Ils vieillissent. Leur nez s’allonge, leurs yeux se cernent, leur face se plisse. Ils
deviennent mâtures, ils deviennent matière.

La danse des 5 sens commence. Les garçons avancent vers l'avant scène en faisant, tous 3, les
mêmes mouvements, dictés par la voix du peintre. Durée 1 minute et 22 secondes.

Voyez son ami, comme il est fragile (« Tu » embrasse le papier). Il est sa peau, ne le froissez pas.
Son fidèle, son révélateur, si délicat, si blanc... Vous. Vous qui imprimez ses tourments, Vous vous
laissez recouvrir de couleurs et de ratures. Je Vous salis, Vous ne dites rien.
Vous attendez notre verdict.
Fou!!!
C'est Vous le présent. Moi, je suis vidée. Bientôt, il faudra nous remplir à nouveau, puis nous vider
à nouveau.
Venez à moi mes petits. Là à côté. Restez avec moi. Parlez-moi sans grossièreté, jouez-moi un air,
une valse, une berceuse. Couchons-nous ensemble sous le papier. Mourrons ensemble encore une
fois. Je vous aime...

–––––––– scène 5 ––––––––––

Je, Lui, Vous... dis !

«Elle» sanglote en avant scène. «Tu» sort de derrière la toile. «Je», «Lui» et «Vous» sont là, ils
reprennent conscience. Durée 55 secondes.

TU — Qu’est-ce qui lui arrive ?


LUI — Qu’est ce qui t’arrive ?
ELLE — C’était si émouvant...
LUI — Quoi donc ! Tenez. Un mouchoir. Papier tramé, 125 grammes par feuille. Ce qu’on fait de
mieux sur le marché, vous pouvez me croire. Ca devrait suffire pour vous consoler !
ELLE — J’aimerais prendre le train. Un TGV. Quitter ce monde. Faire mes valises, juste une fois.
C’est tout ce que je demande. Emmène-moi !
LUI — Un TGV ?! Train à grande vitesse ! Coque en acier moulé pour une meilleure accroche
dans les virages. Ailerons latéraux en carbone 14 pour un taux minimum de CX. Vitesse de pointe :
398, 8 Km/heure ! Fonctionne à l’énergie nucléaire. Se déplace avec huit ou seize wagons suivant
l’abondance du trafic. Deux wagons première classe avec sièges en...
ELLE — D’accord ! D’accord ! Vous avez gagné !

«Elle» sort. «Je», «Lui» et «Vous» restent seuls sur scène. Ils ne comprennent pas ce qu'il s'est
passé. Durée 1 minute et 25 secondes.

LUI — ... mais... qu’est-ce que j’ai dit !?


VOUS — Qu’est-ce que vous lui avez dit ? hein ?! Qu’est-ce que tu lui as dit ?!
JE — Non ?! Il lui a encore dit !
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VOUS — Quoi ?
LUI — Quoi quoi ?!
JE — Ne faites pas les innocents !
VOUS — Ne fais pas ton innocent, hein !
LUI — Moi ?! Mais j’ai rien fait !
VOUS — Vous voyez !
JE — Vous ça va !
VOUS — Moi ça va !... Moi ?! Oh merci ! Mais moi je sais que chuis moi et que toi…
LUI — Lui ?!
VOUS — … tais-toi !
LUI — Lui ?!
JE — Mais non, pas Vous ; Lui !
VOUS — Tout ça c’est de ta faute, grosse nulle !
LUI — Je suis pas grosse..
JE — Taisez-Vous ! Vous mériteriez que Je Vous colle ma main sur la figure.
VOUS — C’est drôle ça justement, parce que la mienne a une fâcheuse tendance à s’y coller aussi.
C’est normal, docteur ?
LUI — C’est pas un docteur. C’est mon papa.
JE — Mais Je ne Vous permets pas ! Psychopathe !
VOUS — Psychopathe ?! Lui ?! Mais non, il fait l’autruche !
LUI — Ah oui ? Je fais l’Autruche ?! (Ils continuent à s’entretenir en balançant «Je» d’un côté à
l’autre. Durée 12 secondes.)
JE — ARRÊTEZ !!! S’Il Vous plaît...
VOUS — S’il te plaît...
LUI — Quoi ?
JE — Quoi quoi ?
VOUS — Quoi quoi ?
JE — Vous n’allez pas faire l’autruche, pas Vous !
VOUS — Non, moi je fais le perroquet !
JE — Pardon.
VOUS — Oh, Ce n’est pas grave, j’ai l’habitude, vous savez !
LUI — Hé ! On n’était pas là pour savoir ce que j’ai dit ?
VOUS — C’est vrai ça ! Qu’est ce que vous avez dit ?(en s’adressant à «Je») Ho ! Qu’est-ce que
vous lui avez dit !
JE — Moi ?! Mais rien. Rien du tout !
LUI — Mais non pas vous ! Moi.
VOUS — Mais non pas vous, lui.
JE — Oui Lui ! C’est ce que je me tue à Vous expliquer.
VOUS — Oh, ça va ! Ca arrive à tout le monde de faire des erreurs !
LUI — Oui, c’est vrai ! Ca arrive à tout le monde de faire des erreurs !
VOUS — On peut savoir pourquoi l’autruche se croit obligée de faire le perroquet ?
JE — En tant que Chauve-Souris, Je ne me sens absolument pas concerné...
LUI — J’ai fait le perroquet, moi ?
LUI — oui, tu as fait le perroquet et le perroquet, ici, c’est moi ! Le perroquet, c’est moi ! Le
perroquet, c’est moi ! Le perroquet, c’est moi !
JE — Vous ne devriez pas Vous emporter comme ça. C’est très mauvais pour votre coeur.
VOUS — Vous croyez docteur ?
JE — Non, moi Je suis la Chauve-Souris...(ils sortent)
LUI — Eh ! hé ho ! Me laissez pas comme ca ! Je ne sais toujours pas ce que j’ai dit moi !
VOUS — (passant la tête) psychocentrique !

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––––––––– scène 6 ––––––––––

La danse de la Vie

«Lui» seul sur scène. Il essaie de parler. Le public devra en souffrir. «Elle» rentre avec la musique.
«Lui» se libère. Le temps de la musique. Durée 3 minutes et 15 secondes

Il est là. Seul. Combien de fois a-t-il déjà essayé de lui dire ? Et pourquoi les mots qu'Elle lui
demande n'arrivent-ils pas à sortir ? Je voudrais qu'Elle puisse traverser ce corps pour me voir. Mais
ce n'est pas moi qu'Elle regarde, c'est Lui. Lui. L'impuissant. La façade ! Celui qui a dû oublier pour
porter la douleur d'un cri qu'on doit taire. Un cri ! Un beuglement ! Une nappe de larmes rentrées,
de solitude exacerbée et d'incompréhension. Un cri d'injustice. Un cri rouge vif qui bourdonne à lui
faire éclater la tête. Ce cri, c'est moi ! Lui, il le supporte. Il en suffoque. Je suis Lui et Je jubile de sa
douleur. Je le regarde se recroqueviller. S'étouffer dans son incapacité à dire. Je joue à vous. Je fais
de Lui celui qui ne peut pas comprendre. Parce que je ne veux surtout pas être compris ! Je sais trop
bien qui vous êtes. Riez ! Riez ! C'est Lui qui baisse les yeux. Je l'ai créer pour ça.

. «Vous» fait entrer la rythmique. «Lui» et «Elle» dansent. Transportés. Habités. Ils ne devront, à
aucun moment, se rencontrer. Durée 1 minute et 12 secondes.

Tous sortent. Ne reste sur scène que «Tu». Elle viendra en avant-scène arrêter la musique. Quand
il sera temps. Durée aléatoire.

––––––––– nettoyage plateau 2 ––––––––––

Le Fou et le Roi

«Vous» entre sur scène. Dans le silence. Il chuchotera la première partie du texte, avant d'en hurler
la fin, dans un grand fracas de papier. Il devra traverser la scène dans une diagonale parfaite
partant du fond-scène cour à l'avant-scène jardin. «Je » apparaît derrière lui. Durée 48 secondes.

VOUS — Tous ceux qui suivent leur nez sont menés par leurs yeux, à part les aveugles; et il n’est
pas un nez sur vingt qui puisse sentir quand son homme pue. Lâche prise quand une grand-roue
dévale la colline, ou tu te rompras le cou à vouloir la suivre; mais si la grand-roue monte, alors là,
accroche-toi pour qu’elle te traîne. Si jamais on te donne meilleur conseil, rends-moi le mien.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 9-


ACTE 3

––––––––– scène 1 ––––––––––

Le grand papier revient (traversée de Je et du Fou)

Je s’avance dans la diagonale créée par «Vous». Il hésite. Il s’arrête. Le grand papier revient, se
pose sur ses épaules. On dirait un roi, un vampire. «Je» trouve la force de continuer sa route. De
traverser l'espace. Décidé. «Vous» apparaît derrière lui. Rires. Ils sortent. Le grand papier ne
reviendra plus. Durée 56 secondes.

Je me souviens du noir tout autour. De cette voix étouffée, Votre voix. En attente. Je me suis
avancé face à Vous. Vous, là, face à moi. Ma bouche s'est ouverte. Et le flot de parole qui s'en est
déversé était si facile que je n'ai pu m'empêcher de sourire. Vous, vous m'écoutiez. Jusqu'au bout,
Vous m'avez écouté. Et j'ai pu Vous hurler au visage toute ma fureur. Je jurai vengeance en
crachant aux visages des Dieux. Je brisais les tables de la loi. J'avais le souffle d'emporter l'univers.
Et plus personne ne pouvait m'atteindre. Personne. Juste Vous. Mon témoin. Accroché à ma
bouche. Les yeux dans mes yeux. Et votre silence. Comme si Vous vous étiez déserté pour venir
vous asseoir à l'intérieur de moi. Et m'écouter. Vraiment. Vous, mon complice. Ici. Maintenant.
Tant que je serai là.

––––––––– scène 2 ––––––––––

La perte du coccyx

«Elle» entre sur scène et regarde la toile. Elle caresse le visage de la Chauve-Souris. «Lui» entre à
son tour. Son corps devra danser malgré lui. La même danse qu'«Elle». Il est préoccupé. Durée 3
minutes et 4 secondes.

ELLE — Ah ! C’est vous !


LUI — Je ne sens plus mon coccyx. C’est très embêtant pour mes calculs, vous comprenez ?!
2386 - 1... ca fait combien ?!
ELLE — Je ne sais pas !
LUI — Mais qu’est-ce que je vais devenir ?
ELLE — Je ne sais pas.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 10 -


LUI — Il doit bien être quelque part.... Maudit coccyx ! Tout ça c’est de votre faute. De votre faute,
vous entendez !
ELLE — De ma faute ?! Alors ca c’est trop fort !
LUI — Si seulement vous n’étiez pas venu me perturber dans mes comptes. Quel sot ! Vous avez
dû vous asseoir dessus ou pire, mettre un coup de pied dedans. Allez savoir où il se trouve
maintenant. 2386-1, 2386-1,2386-1...
ELLE — Deux mille trois cent quatre-vingt-cinq !
LUI — Quoi ?
ELLE — Deux mille trois cent quatre-vingt-six moins un, ça fait deux mille trois cent quatre-vingt-
cinq morceaux d’os !
LUI — Mais non, vous n’y êtes pas du tout. J’ai 2386 morceaux d’os. Mais où est passé mon
coccyx ? Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve dans ce souk !
ELLE — Comment est-il ce coccyx ?
LUI — Ben justement, c’est bien ça le problème.... Je ne l’ai jamais vu.
ELLE — Alors comment pouvez-vous être sûr qu’il n’y est plus !
LUI — Comment ?! Mais parce qu’il n’y est plus. Je suis quand même mieux placé que vous pour
le savoir. C’est mon coccyx tout de même !
ELLE — Peut-être qu’il s’est glissé dans un recoin ?
LUI — Que voulez-vous dire ? Que mon coccyx serait là-dessous et que je ne l’aurais même pas
senti?!
ELLE — Oh, ça va ! excusez-moi !
LUI — Non, je ne vous excuse pas. Vous m’avez fait perdre mon coccyx !
ELLE — Peut-être que vous êtes simplement tombé amoureux ?
LUI — Amoureux ?! Moi ?! Vous rigolez ?!
ELLE — Non, pas du tout. Amoureux, vous.
LUI — 2386...
ELLE — Oui... et ensuite !
LUI — Ensuite... ensuite, je ne sais plus.
ELLE — C’est moi qui l’ai votre coccyx !
LUI — Vous l’avez !? Rendez-le moi tout de suite !
ELLE — Venez le chercher.
LUI — Moi ?!
ELLE — Oui, toi ! Allez, viens !
LUI — Pourquoi faire ?
ELLE — Allez, viens ! Viens le chercher !
LUI — Le chercher !?
ELLE — C’est vrai que vous faites très bien l’autruche ! («Elle» part en dansant. Début du tango)
LUI — Oh ! Vous n’allez pas recommencer avec ça ! Mais attendez ! Et mon coccyx ! ! («Elle» le
repousse. Il sort)

––––––––– scène 3 ––––––––––

Tango d’Elle

«Elle» est seule. «Elle» a mal. «Elle» ne comprend pas pourquoi il se refuse. Pourquoi il la refuse.
Ses muscles danseront pour ne pas se raidir. Son corps se mettra en mouvement pour que son sang
continue de circuler. «Elle» dansera sa chute. «Elle» souffre. «Elle» veut effacer l'affront. La
brûlure de la solitude. L’incompréhension de sa fuite. «Elle» est l'orgueil blessé. En route vers la
mort. Durée 3 minutes et 32 secondes.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 11-


Entre «Vous». «Elle» tombe. Inerte. Silence. Durée 1 minute et 6 secondes.

––––––––– scène 4 ––––––––––

«Je crois que je vais mourir, vous savez»

«Vous» seul sur scène. Il cherche de l'aide. Il panique. Une fois «Je» sur scène, «Vous» devra
l'empêcher d'aller toucher «Elle», de faire basculer l'univers. C'est un corps à corps violent,
urgent. Durée 2 minutes et 3 secondes.

VOUS — Docteur ? Docteur ?!


JE — (En courant, il va droit vers «Elle», toujours inanimée) Moi ?
VOUS — Oui, vous !
JE — Moi, Je...
VOUS — Non, pas vous, je ! Vous, là !
JE — Moi ! Là !
VOUS — Oui, vous là! Dites-moi ce que vous voyez, là, maintenant!
JE — Ce que Je vois? Mais de quel côté?!
VOUS — Je m’en doutais... («Elle» ouvre les yeux. Se relève. Sort)
JE — Vous vous doutiez de quoi ?!
VOUS — Ca fait terriblement mal, vous comprenez ?
JE — Si Vous le dites !
VOUS — Oui, justement ! Je n’arrête pas de le dire! Mais les gens sont si...
JE — froids ?!
VOUS — Mais non... heu...
JE — Plats ?!
VOUS — Non !!! Heu...
JE — Chauds !
VOUS — Vous êtes vraiment stupide ! Ou alors, vous le faites exprès ?!
JE — ....
VOUS — Non, ce n’est pas vrai !
JE — Pardon ?!
VOUS — Ce n’est pas vrai, je ne suis pas peureux ! Je souffre ! Mais regardez-moi ! vous n’allez
pas faire l’Autruche, pas vous !
JE — Non ! Moi, Je suis une Chauve-Souris !
VOUS — Oh ! Laissez tomber, vous êtes comme les autres.
JE — Ce n’est pas vrai !
VOUS — Aïe ! C’est en train de me remonter sous les côtes !
JE — Sous les côtes ? Faites voir !
VOUS — Vous ne verrez rien de toute façon !
JE — Mais si ! Là ! Je vois... Je vois...
VOUS — Oui ?! Vous voyez... Qu’est-ce que vous voyez ?!
JE — Non ! Rien ! Je ne vois rien !
VOUS — Vous voyez !
JE — Non ! Je ne vois rien !
VOUS — Je le savais...
JE — Comment vouliez-Vous que Je le sache ?
VOUS — Je me sens tellement seul !

NOUS, traces d'un Roi Lear - 12 -


JE — Pourtant Je suis là.
VOUS — Je le sais que vous êtes là. Tout le monde le sait que vous êtes là et que moi chuis moi et
que toi... t’es quoi ?!
JE — Moi, Je suis la Chauve-Souris.
VOUS — Nous allons tous mourir, vous savez...
JE — Si seulement Vous pouviez dire vrai. («Je» sort)
VOUS — Docteur ? Docteur !? Docteur ?!
(L'absence de «Je» ouvre la brèche. Le cauchemar de Vous tombe sur scène)

––––––––– scène 5 ––––––––––

Vous, le magicien

«Vous» seul sur scène. Changement de lumière. Changement de décor. Théâtre des Champs
Elysées. 27 mai 1962. Ce n'est plus «Vous». Mais «Vous», le magicien. A sa grande époque. Il fait
son célèbre tour du névrosé. Il joue le malade. Le docteur donne la réplique. Un pistolet le
poursuit, le hante. A chaque fois que le docteur tourne la tête, le canon de l’arme apparaît. Le
public est conquis. Mais le tour dégénère. Le coup part. La fumée fait suffoqué Vous qui perd pied
et dévoile sa troisième main. C'est la chute. «Vous», le magicien tombe sous les huées. Est-ce un
cauchemar ? Ou simplement un souvenir ?! Lumière. Il part. «Tu» s'est arrêtée de peindre pour le
regarder. Elle le rattrape, le console. Il sort. Il quitte la scène. C’est le point de basculer. «Vous»
n'est plus là pour maintenir l'espace, les places. Les bruitages du public devront être diffusés des
gradins. La rupture de lumière devra être totale. Durée 5 minutes et 13 secondes.

––––––––– scène 6 ––––––––––

La danse de la Mort

«Elle», «Je» et «Lui». Ils devront bénéficier de l'énergie dans laquelle «Vous» est sorti. C'est le
destin en marche. «Elle» ne peut plus atteindre «Lui». Il est trop tard. «Je» essaye de les aider,
mais on ne peut rien faire contre ce qui est écrit. «Lui» s’échappe. Il est là, mais il est insaisissable.
Il a raté le moment du possible. Et c'est trop tard. «Elle» voudrait aller contre, mais «Elle» ne peut
plus. Ils subissent leur sort. Ils ne peuvent rien faire pour empêcher le drame qui arrive. «Lui» va
disparaître. «Elle» va mourir. Et «Je» devra faire le pas. Prendre le risque d'exister, s'il veut la
sauver. Le temps presse. Plus que quelques pas. Il la saisit au vol. Il prend position. Il ne veut pas
qu'«Elle» se tue pour «Lui». Parce que c'est «Je» qu'elle aime. Il est mieux placé que quiconque
pour le savoir. «Elle» tombe. «Elle» meurt. Dans les bras de «Je». Et «Lui» est sorti. Il ne devra
jamais revenir. Il devra disparaître pour que «Je» puisse prendre la place. Durée 2 minutes et 19
secondes.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 13-


ACTE 4

––––––––– scène 1 ––––––––––

Elle ne dansera plus

«Je» sur scène. Il a «Elle» dans les bras. «Elle» est morte. Il chuchote le texte pour ne pas la
réveiller et s'adressera au public comme s'ils s'étaient moqués de lui. Des infra-basses seront
diffusées sous le gradin pour que le public ressente la violence de cet ébranlement. Durée 2 minute
et 25 secondes.

«Je» s’avance vers le public avec «Elle» dans les bras. Entrée de la mort.

JE — Hurlez, hurlez, hurlez ! Vous êtes des hommes de pierre !


Si J’avais vos langues, si J’avais vos yeux, Je les épuiserais si bien que la voûte du ciel se
disloquerait! Elle est partie pour toujours.
Je sais quand on est mort et Je sais quand on vit : Elle est morte comme cette terre... La peste soit
sur vous, assassins ! Tous des traîtres ! Nous aurions pu la sauver ; maintenant Elle est partie pour
toujours ! Oh ! Reste un peu !...
Je t'emmènerai prendre le train, c'est promis. Un TGV
Oh non, non, plus de vie!
Pourquoi un chien vivrait-il, un cheval, un rat, quand, Elle, n'a plus de souffle ? («Je» la couvre de
son tee-shirt et passe sa robe)
Toi, plonge tes flammes dans ces yeux arrogants. Infecte ma beauté ! («Tu» lui crève les yeux !) Et
vous, ombres qu'aspirent le soleil puissant, ravagez-moi d'ulcères. Je ne mérite plus de vivre. Qu’on
me juge ! Qu’on me condamne ! («Elle» sort avec la mort. Elles devront sortir le plus simplement
possible. Sans rien exprimer) Oh noble Fou…
VOUS — (continuant à déambuler sur le plateau. Défait) moi ?
JE — Oui, Vous.
VOUS — Moi, je...
JE — Mais non ! Pas Vous Je, Vous là !
VOUS — Moi, là ?!
JE — Oui, Vous là, emmenez-moi ! Je dois me faire inculper !

NOUS, traces d'un Roi Lear - 14 -


VOUS — Qu’est-ce qu’il vous arrive, docteur ? Ne restez pas dans cet état de stupeur. Ne voulez-
vous pas vous étendre et dormir.
JE — Ne faisons pas attendre l’honorable assemblée. Suis-je présentable ? Donnez-moi votre bras
et faites-moi paraître maintenant. J'en fais le serment, c’est moi qui l’ai tuée.
VOUS — Vous ?
JE — Oui, moi !
VOUS — Mais non pas Vous, Lui !
L’autre (marionnette) : Mais non pas moi, vous !
VOUS — Moi ?!
L’autre : Oui vous ! C’est ce que je me tue à vous expliquer !
JE — Pourquoi refuser la vérité ? C’est moi qui l’ai tuée.
VOUS — Oh, ça va ! Ca arrive à tout le monde de faire des erreurs.
L’autre : Oui, c’est vrai ! Ca arrive à tout le monde de faire des erreurs.
VOUS — Toi, tais-toi ! («Vous» lui écrase la tête)
L’autre : Oh mais moi, je sais que chuis moi et que toi t’es...(«Vous» le met en boule)
VOUS — Allons, docteur, allongez-vous ici et prenez un peu de repos. («Vous» sort «Je»)
JE — (depuis les coulisses) Mais… Il faut qu’on me dissèque ; qu’on voit ce qui me pousse à la
place du cœur ! Est-ce que cela s’explique par la nature, les coeurs de pierre ? («Je» sombre dans
un profond sommeil)

––––––––– scène 2 ––––––––––

« Tu » prend son service

«Vous» revient. Il est exténué. «Tu» peint. Toujours. Durée 27 secondes.

VOUS — Maraude, tu ferais mieux de prendre mon bonnet.


TU — Pourquoi fou ?
VOUS — Pourquoi ? Parce que tu prends le parti de celui qui est en disgrâce. Oui, si tu ne sais pas
prendre le vent, tu vas bientôt prendre froid. Donc, prends-le, mon bonnet. Moi, je m'en vais.

Il lui met son bonnet et sort. On doit sentir que «Vous» n'a plus envie de jouer. Le changement qui
s'opère le dérange trop.

––––––––– scène 3 ––––––––––

La danse de l’Ombre (LE CUBE)

«Elle» est morte. C'est donc par l'ombre que se fera le passage. Par l'ombre venant d'un espace
clos : la toile devenue cube. Comme une prison. Les mouvements d'«Elle» devront être lents et
fluides. Sans à coups. Aucun. C'est un passage. «Tu» est de l'autre côté du cube et capture des
traces. Il pourra être différent d'une représentation sur l'autre. Durée aléatoire.

NOUS, traces d'un Roi Lear - 15-


––––––––– scène 4 ––––––––––

En allant vers la mort

«Tu» continue à peindre l'ombre. «Je» sort de l'intérieur du cube en déchirant la toile. Le cube se
déploie et retrouve sa fonction. «Elle» apparaîtra à son extrémité cour. Noyée dans la folie de sa
douleur. Durée 2 minutes et 25 secondes.

JE — Va-t’en ! Va-t’en ! Ton soutien ne peut m’être d’aucun secours.


TU — Vous ne pourriez pas voir votre chemin !
JE — Je n’ai pas de chemin : à quoi bon des yeux !
Je trébuchais du temps que J’avais les miens. Trop souvent, les yeux se perdent à contempler nos
moyens, quand c'est nos manques qui Nous sont profitables...
(Entre «Elle» en chantant. «Elle» semble avoir perdue la raison.) Et là qui êtes-vous?
TU — C’est Elle.
ELLE — Le pauvre Tom a froid.
JE — Viens ici.
ELLE — Bénis soient tes doux yeux, ils sont tout sanglants !
JE — Connais-tu la route de Douvres ?
ELLE — Je connais les bornes et les barrières, les pistes cavalières et les sentiers. Le pauvre Tom...
Une grande frayeur lui a ravi ses esprits. O fils d’un homme de bien, le ciel te garde de
l’abominable démon. Il sont cinq diables à s’être mis à la fois dans le pauvre Tom! Sois béni, mon
doux roi.
JE — Prends cette main, toi que les coups du sort plient à tout, humblement. Connais-tu Douvres ?
ELLE — Oui, maître.
JE — Il y a là une falaise, dont la haute tête penchée ouvre un précipice au-dessus de l’abîme.
Conduis-Nous seulement jusqu’à son extrême rebord, et Je réparerai les maux que Nous endurons
par un objet de prix : une fois là, en effet, Nous serons libre !
VOUS — (Il sort sa tête) Vous serez libres ?!
ELLE — Donne-moi ton bras. Le pauvre Tom va être ton guide.

––––––––– scène 5 ––––––––––

La route de Douvres

«Je» et «Elle» cheminent vers "Douvres". «Vous» chante allongé près d’une rivière. Durée 2
minutes et 43 secondes.

JE — Le timbre de cette voix, je m’en souviens. N’êtes-Vous pas le fou !


Vous ; Oui, fou de bout en bout .
JE — Fou, ne me reconnais-tu pas ?
VOUS — Je me rappelle assez bien vos yeux. Louchez-vous vers moi, docteur ? Oh, tu peux
t’escrimer Cupidon aveugle, jamais il n’y aura plus d’amour ici. Lis un peu ce défi. Admire le tour
de plume. Allez lis !
JE — Quoi ! Du creux de mes yeux ?
VOUS — “Oh, oh, êtes-vous là avec moi ?” Pas d’yeux sur la tête ? Vos yeux sont creux et votre
tête est trouée ? Attention de ne pas prendre froid ! Pourtant vous, vous êtes le seul à voir comment
va le monde.
NOUS, traces d'un Roi Lear - 16 -
JE — Non ! Je ne peux que le sentir.
VOUS — Quoi ? Etes-vous fou ? A-t-on besoin de ses yeux pour voir comment va le monde ?
Regardez avec vos oreilles. Voyez ce juge qui gronde ce pauvre grand dadais de voleur. Et écoutez
que je vous dise à l’oreille. Change-les de place et, am-stram-gram, qui sera le juge, et qui le
voleur? Personne n’est coupable. Je vous le dis : personne ! De chacun, je me porte garant. Oui,
docteur, tenez ce conseil de moi, qui ai le pouvoir de fermer la bouche du juge : procurez-vous des
yeux de verre et comme un politicien véreux, faites mine de bien voir quand vous n’y voyez rien !
Si vous voulez pleurer nos infortunes, prenez mes yeux et soyez patient !
JE — Accompagne-Nous seulement jusqu'à Douvres. Une fois là, en effet, Nous serons libres !
VOUS — Bien, docteur !

––––––––– scène 6 ––––––––––

la danse de la falaise

«Je», «Elle» et «Vous». C'est la danse de la falaise. Ils devront faire sentir à «Je» qu'ils montent
sur la colline. Tous les moyens mis en œuvre pour que ces sensations soient réelles sont les
bienvenus. C'est sa sensation et non l'expression visuelle de cette dernière qui devra primer. Durée
aléatoire.

––––––––– scène 7 ––––––––––

La falaise

«Je», «Elle» et «Vous». C'est le même espace. «Elle» devra apporter un soin particulier à son texte
pour faire ressentir la falaise à «Je». «Vous» pourra faire des bruitages : le vent, les oiseaux, etc. Il
est capital que «Je», au moment du saut, se sente vraiment en haut de cette falaise. Pourtant, il n'y
aura pas de falaise. Durée 2 minutes et 40 secondes.

JE — Quand arriverai-Je enfin en haut de cette colline ?


ELLE — Vous y montez ; voyez comme nous peinons.
JE — Il me semble que le sol est plat.
ELLE — Horriblement abrupte, vous voulez dire ! Écoutez, vous entendez la mer ?
JE — Non.
ELLE — Alors ce sont vos autres sens qui vous trompent sous la torture de vos yeux.
JE — C’est possible.
ELLE — Venez monsieur, voici l’endroit ! Ne bougez plus. Qu’il est terrifiant, vertigineux, de
plonger son regard si bas ! Les corbeaux et les choucas qui planent à mi-hauteur ne semblent pas
plus gros que des mouches. Suspendu à la pente, un homme cueille du perce-neige : l’affreux
métier ! Il ne paraît d’ici pas plus gros que sa tête. Les pêcheurs qui marchent sur la grève sont
comme des souris, et ce grand bateau à l’ancre, on dirait une chaloupe et sa chaloupe une bouée
presque invisible à l’oeil. La vague murmurante qui contre les innombrables galets stériles
s’acharne, ne peut être entendue, de si haut! Je ne veux plus regarder, de peur que ma tête ne tourne
et que ma vue fautive ne me fasse basculer dans ce précipice.
JE — Place-moi où tu es.
ELLE — Donnez-moi votre main. Vous voilà à un pas, à peine, de l’extrême bord. Pour tous les
biens du monde, je ne sauterai pas d’ici.
NOUS, traces d'un Roi Lear - 17-
JE — Lâche ma main et éloigne-toi. Dites-moi adieu et que j’entende votre départ.
ELLE — Eh bien, adieu, monsieur.
JE — Ô toi, existence, A cette folie Je renonce et sous tes yeux, de ma grande affliction, Je me
décharge. Si Je pouvais te supporter et ne pas m’abaisser jusqu’à quereller tes volontés que nul ne
peut contredire, la mèche, qui charbonne, de mon détestable reste de vie brûlerait sûrement jusqu’au
bout... Si Elle est avec toi, emmène-la !
Soit! Adieu, compagnons ! (il tombe par terre évanouit)
VOUS — Je ne sais comment, mais une illusion peut dérober le trésor d’une vie, quand la vie elle-
même ne demande pas mieux. S’il avait été où il le pensait, par sa pensée il aurait trépassé... Vivant
ou mort ? Ohé, docteur ! Vous m’entendez !

A partir de ce moment-là, «Je» et «Elle» sortiront de leur folie. Peu à peu. «Elle» pourra par
exemple retrouver certains gestes, certains mouvements au cours des prochaines répliques.
«Vous» ira peindre avec «Tu». Durée 1 minutes et 15 secondes.

JE — 2 mille 386-1, ça fait combien ?


ELLE — Pardon ?!
JE — 2 mille 386-1, ça fait combien ?
ELLE — Ca fait Deux mille trois cent quatre-vingt-cinq !
JE — Mais non, vous n’y êtes pas du tout. J’ai 2 mille 386 morceaux d'os. Mais où suis-Je passé ?
Comment voulez-vous qu’on s’y retrouve dans cette pagaille !
ELLE — Comment êtes-Vous ?
JE — Justement, c’est bien ça le problème.... Je ne me suis jamais vu.
ELLE — Alors comment pouvez-vous être sûr que Vous n'y êtes plus !
JE — Comment ?! Mais parce que Je n’y suis plus. Je suis quand même mieux placé que vous pour
le savoir.
ELLE — Peut-être que Vous vous êtes glissé dans un recoin ?
JE — Que voulez-vous dire ? Que Je serais là-dessous et que Je ne l’aurais même pas senti ?!
ELLE — Peut-être que vous êtes simplement tombé amoureux ?
JE — Amoureux ?! Moi ?!
ELLE — Oui, Amoureux, vous.
Je : 2 mille 386...
Elle : Et ensuite !
Je : Ensuite... ensuite, Je ne sais plus.
Elle : C’est moi qui vous aie !
Je : Vous m’avez !? Et bien gardez-moi !
Elle : pardon ?!
Je : Oui ! Gardez-moi !
Elle : Vous ?!
Je : Oui, moi ! et mon coeur aussi, mon cerveau, mes poumons, mon estomac, mon foie, ma rate,
ma vessie, mes reins, mes 8 kilomètres d’intestins, mes 622 mille 2 cent 43 vaisseaux sanguins,
mes 46 mille terminaisons nerveuses, mon sexe, mes bourses contenant chacune 1 milliard 215
mille 6 cent 60 spermatozoïdes...
Elle : Non !
Je : Non ?!
Elle : Non, pas ça ! Juste toi !
Je : Moi ?!...(«Je» et «Elle» s'enlacent.)
(Noir)

NOUS, traces d'un Roi Lear - 18 -


––––––––– épilogue ––––––––––

Le Fou et la peintre

Dans la pénombre. Pendant que «Tu» finit la toile. Durée 25 secondes..


VOUS — Attendez ! Attendez !
(«Vous» essaye de rattraper «Je». Il tente de défaire «Je» et «Elle» enlacés , mais ils sont déjà
devenus autres. Ne reste d'eux qu'une statue.)
Allons-nous reposer en prison.
Nous chanterons comme deux oiseaux en cage et écouterons les froissements de ce monde. Nous
parlerons de qui perd et qui gagne, qui est dans le vent et qui pas ; et Nous prendrons sur nous le
mystère des choses. Plus vivants en prison murés que les meutes qui croissent et décroissent à la
lune. Qu’en dis tu ? («Tu» vient chercher «Vous». Elle l'attrape par la main.)
TU – Allez, viens ! (Elle l'emmène vers sa toile. Elle ouvrira un coin de la toile pour faire le
passage. Ils sortiront ensemble dans la lumière. «Vous», avant de sortir, se tourne une dernière fois
vers la statue de «Je» et «Elle», puis sort.)
(Noir)

NOUS, traces d'un Roi Lear - 19-

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