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Aout 2013

Numéro 23

Langues
et cité
Le berbère

Langues et cité Bulletin de l’obser vatoire des pratiques linguistiques

Le berbère Les études berbères concentrent les questions et quelques faux


/ Tamazight en France p.2 problèmes qu’on se pose toujours avec les langues bousculées par
l’Histoire : y a-t-il une langue ou plusieurs ? Quel nom lui donner,
Politiques linguistiques leur donner ? Combien de locuteurs ? Est-ce que ça s’écrit ? Par
et pratiques langagières p. 3 quel moyen ? Etc.

Le berbère Il est donc à propos de faire le point sur une des langues les plus
au baccalauréat p. 5 couramment parlées en France, et souvent mal connue. Ces quelques
pages présentent de manière claire et succincte la réalité du berbère
Médias audiovisuels p.7 dans les différents contextes où il se manifeste. En Afrique, en Europe,
à l’école, dans les médias : dans tout le champ social. D’emblée le
Transmission cas berbère confirme que le maintien et la vitalité d’une langue ne
de la littérature orale p.8 se conçoivent que dans une dynamique culturelle vigoureuse, où
la littérature a la première place.
Écritures berbères p.10
La recherche en matière berbère a, depuis longtemps, partie liée
Parutions p.12 avec la France. Et aussi la création artistique et la pensée politique.
Ce numéro de Langues et Cité veut rendre compte de cette tradition
et s’y inscrire.
2
LE BERBÈRE / TAMAZIGHT EN FRANCE
Salem Chaker, professeur de berbère à l’université d’Aix-Marseille

À
l’échelle de l’histoire connue, le
berbère (ou tamazight en berbère)
peut être considéré comme la langue
autochtone de l’Afrique du Nord. Il couvrait
à l’origine l’ensemble de l’Afrique du Nord et
du Sahara. Le berbère est devenu minoritaire
– voire pour partie menacé – à la suite d’un
lent processus d’arabisation linguistique de
l’Afrique du Nord consécutif à la conquête
arabe et à l’islamisation (8e siècle), puis à
l’arrivée de populations arabes nomades
venues du Moyen-Orient (11e siècle).
Tamazight est dispersée en ilots d’importance
très variable – de quelques milliers à plusieurs
millions d’individus – sur un territoire immense.
Les principaux pays concernés sont le Maroc
(40 % de la population) et l’Algérie (25 %) qui,
à eux seuls, doivent compter 80 % des 23 à
25 millions de berbérophones. En dehors des Carte de la berbérophonie
Touaregs, dispersés sur cinq pays de la zone
saharo-sahélienne (Niger, Mali, Algérie, Libye, de production littéraire et de passage à l’écrit. des berbérophones dans les mouvements
Burkina-Faso), il existe des groupes berbères Les Berbérophones écrivent de plus en plus migratoires vers la France.
en Libye (10 %), en Tunisie (1 %), en Égypte leur langue ; des formes littéraires nouvelles On estimera le nombre de berbérophones en
(Siwa) et en Mauritanie. s’acclimatent et se consolident (nouvelle, France à près de 2 millions de personnes,
Longtemps occulté, voire ouvertement com- roman, théâtre). Et, après la radio, le disque, composées pour 2/3 de berbérophones
battu en Algérie, le berbère ne bénéficiait, la cassette audio et vidéo et autres supports d’origine algérienne et pour 1/3 de berbé-
jusqu’aux années 1990, d’aucune forme de numériques, le berbère et la culture berbère rophones d’origine marocaine, la grande
reconnaissance ou de prise en charge dans ont fait leur apparition dans la presse écrite, majorité étant de nationalité française.
les États concernés. Récemment, le statut la télévision et même sur internet où les sites La diversité des origines géographiques et de
institutionnel et juridique de la langue s’est sont extrêmement nombreux et actifs. la chronologie a d’ailleurs un impact direct
progressivement amélioré : en Algérie d’abord, En France sur l’implantation territoriale : les Kabyles
où le berbère est depuis 2002 « seconde Depuis le début du 20e siècle et surtout sont plutôt à Paris et dans l’Est de la France,
langue nationale », l’arabe demeurant « langue depuis la décolonisation, l’émigration de les Rifains dans le Nord et à Amiens, les
officielle et nationale » ; puis au Maroc depuis travail et l’exode rural très importants ont Chleuhs en banlieue parisienne…
juillet 2011 où il a acquis le statut de « seconde disséminé les berbérophones dans toutes Un enracinement culturel ancien
langue officielle ». Les effets de ces évolutions les grandes villes et dans le vaste monde : Depuis les années 1930 au moins, la France
statutaires ne sont pas encore très significatifs Alger, Casablanca et… Paris sont les trois est un pôle important de la vie culturelle
– dans l’enseignement comme dans la vie principales villes berbérophones. Le berbère berbère, tout particulièrement kabyle ; Paris
publique – et il faudra sans doute encore en France est donc une vieille affaire, sécu- a été un des hauts lieux de la chanson kabyle
de longues années de luttes et de progrès laire même. Car l’immigration maghrébine puis berbère. La France a vu naitre tous les
pour que le berbère ne soit plus une « langue vers la France (et l’Europe) a d’abord été supports et vecteurs modernes de la culture
dominée et marginalisée ». berbérophone, aussi bien à partir de l’Algérie berbère : disque, cassette, CD, vidéo, radio,
Autrefois confinées dans la ruralité et l’ora- que du Maroc. Les foyers d’émigration les TV, livre et écrit littéraire. Elle demeure un
lité, profondément dévalorisées, la langue plus anciens sont la Kabylie (dès le début passage obligé pour les créateurs et artistes
et la culture berbères font désormais l’objet du 20e siècle) et, au Maroc, le Sous (après berbères : les chanteurs kabyles ou chleuhs
d’une forte demande sociale. Dans une 1945). Ces régions ont été rejointes à date obtiennent leur consécration sur les scènes
région comme la Kabylie où l’éveil identi- plus récente (dans les années 1960) par de l’Olympia ou du Zénith de Paris.
taire et culturel est ancien et très marqué, d’autres : les Aurès pour l’Algérie, le Rif Au-delà des données démographiques, l’enra-
la revendication prend même des formes pour le Maroc. cinement berbère en France résulte aussi
ouvertement politiques. La défense de la La pauvreté des sols de leurs régions mon- de la présence précoce d’élites diversifiées
langue, l’affirmation des droits culturels des tagneuses d’origine, les densités démogra- parmi les berbérophones : artistes, relais intel-
Berbères se traduisent dans toutes les grandes phiques importantes et les bouleversements lectuels divers (étudiants, cadres politiques,
régions berbérophones par une dynamique de toutes natures induits par la colonisation fonctionnaires divers, hommes de lettres).
culturelle vigoureuse, notamment en matière puis la décolonisation expliquent le poids La situation d’exclusion du berbère qui a
longtemps prévalu en Afrique du Nord a eu berbérisants maghrébins formés entre 1960 Références 3
aussi pour conséquence, surtout en Algérie, le et 1990 l’ont été en France. Et malgré une Chaker S., « Le berbère », Les langues de
déplacement de l’activité berbérisante vers la internationalisation sensible, la France et le France (sous la direction de Bernard Cer-
France. Depuis 1962, une part conséquente français conservent une position dominante quiglini), Paris, Puf, 2003, p. 215-227.
de la production de/sur la langue berbère a dans les Études berbères, tant dans la for- Filhon A., Langues d’ici et d’ailleurs : trans-
été réalisée en France. La délocalisation a mation universitaire que dans la production mettre l’arabe et le berbère en France,
touché les activités militantes berbères, cultu- scientifique. Paris, INED, 2009, 285 p.
relles et politiques, mais aussi la production Aléa improbable de l’histoire coloniale, pré- Slimani-Direche K., Histoire de l’émigration
et la formation scientifiques. sence longtemps discrète et cachée dans les kabyle en France au XXe siècle. Réalités
Ainsi, l’Université et la Recherche françaises cafés-garnis d’une immigration ouvrière peu culturelles et politiques et réappropriations
ont joué un rôle décisif : plus d’une centaine audible, le berbère s’est peu à peu enraciné, identitaires, Paris, L’Harmattan, 1997.
de thèses de doctorat consacrées au berbère vivifié en France pour y devenir une réalité Tribalat M., Faire France. Une enquête
ont été soutenues en France, surtout à Paris,
mais aussi ailleurs. L’écrasante majorité des « langues de France » .
désormais pérenne, l’une des principales sur les immigrés et leurs enfants, Paris,
La Découverte, 1995.

La question berbère :
politiques linguistiques et pratiques langagières
Mena Lafkioui, Università di Milano-Bicocca / Ghent University

D
epuis l’Antiquité, l’Afrique pays en question.1 La politique dont la manifestation la plus sym- ont été importantes pour le
du Nord est un lieu de ren- d’arabisation institutionnelle qui bolique était Tafsut n Imazighen (le développement et la diffusion
contres entre des langues a suivi occupe toujours une posi- Printemps berbère), qui a débuté de la recherche scientifique sur la
et cultures variées. Jusqu’aux tion centrale dans la politique en Kabylie en 1980 et qui, par langue et la culture berbères ainsi
Indépendances nationales, les linguistique des États-nations de la suite, s’est propagée à toute que pour les documenter, tout
Berbères (Imazighen) – peuple l’Afrique du Nord et, de ce fait, l’Afrique du Nord. C’est elle qui en accordant une place centrale
autochtone de l’Afrique du Nord aussi dans la diaspora, où des a donné le coup d’envoi à une aux questions d’aménagement
comptant environ 40 millions de accords bilatéraux avec les pays série de protestations publiques linguistique. Leurs activités
locuteurs, dont environ 2 millions d’accueil contribuent à la situa- témoignant d’une véritable émer- ont favorisé le déploiement de
vivent en France – n’ont pas tion sociopolitique défavorisée gence de revendication collective l’élite intellectuelle berbère. La
perçu que les langues et cultures des langues et cultures berbères. fondée sur des changements diaspora a également contribué
berbères (amazighes) étaient en Ainsi, par exemple, l’ELCO (Ensei- au niveau des représentations au dynamisme émancipatoire
danger de disparition au profit gnement des langues et cultures linguistiques et culturelles du ber- du peuple berbère au travers de
d’autres langues et cultures. En d’origine) qui a été mis en place bère. Depuis toujours, la France l’augmentation, la diversification
effet, c’est avec la formation des en France à partir de 1973 par le est le cadre fondamental dans et la diffusion de la production
nouveaux États-nations que la biais de ces accords n’a jamais lequel le militantisme berbère est artistique. De la sorte, la chanson
lutte pour les droits culturels, permis d’enseigner les langues pensé et organisé. Ceci est parti- berbère a connu très tôt un rayon-
linguistiques et identitaires berbères, pas même après le culièrement valable pour les orga- nement extraordinaire dépassant
berbères a pris une forme « col- premier juillet 2011, date à partir nisations kabyles qui, jusqu’en le niveau d’échange privilégié
lective ». La cause principale de de laquelle elles ont acquis un 1990, dépendaient largement entre la France et l’Afrique du
ce mouvement multiple a été statut « officiel » au Maroc. de la diaspora, car tout rassem- Nord et ce, en partie, grâce à
la mise à l’écart des Berbères Le rôle de la diaspora dans le blement non-gouvernemental la radio publique française à la
de tout pouvoir décisionnel et mouvement berbère était interdit sur le sol algérien. fin des années trente du siècle
institutionnel des nouveaux États Il a fallu attendre les années qua- Ainsi, l’Académie berbère, une dernier. Non seulement la radio
nord-africains, malgré leur rôle tre-vingt-dix pour que s’amorcent organisation de militants kabyles, a permis aux Berbères des deux
dans l’obtention des Indépendan- des changements au niveau de a été créée à Paris en 1968, tout côtés de la Méditerranée de ren-
ces. Cette négation absolue des la position sociopolitique des lan- comme l’Association marocaine forcer les liens avec leur culture
droits du peuple berbère s’est gues et cultures berbères, grâce de la recherche et de l’échange native, mais aussi de la dévelop-
concrétisée, entre autres, par aux mouvements revendicateurs culturel (l’AMREC) fondée en 1967 per, tant au niveau de la forme
l’omission totale de la langue au Maroc – les deux associations (support technologique) qu’au
et culture berbères de la toute ayant le même objectif, à savoir niveau du contenu (genre, style,
fraiche constitution au profit 1 
À l’exception du Niger, Mali et le maintien et la promotion du thème). Ces changements aux
Burkina Faso où le touareg est
de la langue arabe classique, patrimoine linguistique et culturel plans sociopolitique et culturel
reconnu comme langue nationale
seule langue officielle dans les depuis les Indépendances. berbère. Ces deux associations ont redoublé ces derniers temps
4 sous la pression sociale, qui a eu Nouveaux médias et renais- éducatif est de nos jours assumé dont les langues berbères, ne
des effets considérables sur sance culturelle berbère par des circuits non-gouverne- sont pas prises par les institutions
l’ima-ginaire linguistique et En dépit de la précarité et de la mentaux au niveau local (associa- françaises, comme par exemple
culturel berbère, chez les berbé- position sociopolitique marginale tions, familles, radio, télévision) et la ratification de la Charte euro-
rophones aussi bien que chez les des langues berbères en Afrique international (nouveaux médias). péenne des langues régionales ou
non-berbérophones : désormais du Nord et dans la diaspora, une C’est aussi ce réseau informel qui minoritaires, les Berbères n’ont pas
les Berbères ne sont plus seu- explosion d’expressions culturelles s’occupe de la préparation d’à peu d’autre choix que de se prendre
lement une « minorité ethnique hybrides, tant du point de vue de près 2 000 candidats se présen- en charge eux-mêmes à tous les
d’apatrides » parlant des « variétés la forme que du contenu, a eu tant chaque année à l’épreuve des niveaux, un processus dans lequel
d’arabe » étranges et nuisibles à
l’unité nationale des États de l’Afri-
que du Nord. Ce sont d’ailleurs
lieu au cours des dix dernières
années. Maintenant, plus que
jamais, ces langues fonctionnent
langues berbères au baccalauréat.
Tant que des mesures efficaces en
faveur des langues minoritaires,
place fondamentale .
les nouveaux médias occupent une

ces transformations globales qui comme une source centrale pour


ont conduit le 1er juillet 2011 à la construction et la reconstruction Références
la reconnaissance officielle du de l’identité collective berbère, un Lafkioui M., 2008a. « Reconstructing Orality on Amazigh Websi-
droit linguistique du berbère au processus dans lequel l’alphabéti- tes ». Dans : M. Lafkioui & D. Merolla (éds.), Oralité et nouvelles
Maroc (article 5 de la Constitu- sation et les médias électroniques dimensions de l’oralité. Intersections théoriques et comparaisons
tion réformée), déclenchée aussi jouent un rôle important (Lafkioui, des matériaux dans les études africaines, Paris, Publications
sous l’influence des évènements 2008a, 2008b, 2011). Ainsi, les Langues O’, 111-125.
du « Printemps arabe »2. Bien langues et cultures berbères se Lafkioui M., 2008b. « Identity construction through bilingual
que ce soit un moment crucial voient valorisées et promues Amazigh-Dutch “digital” discourse ». Dans : M. Lafkioui & V.
pour le mouvement berbère, grâce aux nombreux sites internet Brugnatelli (éds.), Berber in contact : linguistic and sociolinguistic
plusieurs problèmes ont été dédiés, dont ceux à base française. perspectives, Köln, Rüdiger Köppe Verlag, 2008, 217-231.
relevés dans les discours des Ces sites sont particulièrement Lafkioui M., 2011. « Interactions digitales et construction identitaire
militants à propos de la nouvelle propices à l’enseignement des sur les sites Web berbères ». Études et Documents Berbères, 29-30
Constitution marocaine, qui est langues berbères par le biais de (Mélanges en l’honneur de Pierre Encrevé) : 233-253.
considérée comme une réforme supports divers comme les vidéos Dossier « Imazighen : una primavera berbera », LIMES Rivista
piège dans la mesure où l’adop- YouTube qui sont généralement italiana di geopolitica (2011/5) :
tion progressive de la langue insérées dans des pages internet Brugnatelli V., 2011. « Non solo Arabi : le radici berbere nel nuovo
berbère est subordonnée à la créées à ces fins. Malgré certai- Nordafrica ». LIMES, 5(11) : 257-264.
promulgation des lois organiques nes tentatives limitées, dont la Yacine T., 2001. « La lunga lotta dei Berberi d’Algeria », LIMES,
par des votes parlementaires. Convention-cadre de 2006 qui a 5(11) : 265-268.
Cependant, un peu plus de permis de lancer un enseignement Ghaki M., 2011. « La Rivincita degli Imazighen nella nuova Tunisia »,
marge de négociation et d’agis- expérimental dans certains lycées, LIMES, 5(11) : 269-273
sements politiques a été créée l’Éducation nationale en France Bouzakhar M. F., 2011. « Il Manifesto berbero del dopo-Gheddafi ».
non seulement pour les militants n’arrive toujours pas à mettre en LIMES, 5(11) : 275-277
berbères, mais aussi pour toute œuvre un enseignement approprié Lafkioui M., 2011. « Il Marocco fa i conti con la sua ‘Amazighità’ ».
opposition, bannie auparavant des langues berbères aux niveaux LIMES. Rivista italiana di geopolitica, 5(11) : 279-286.
de l’arène politique3. primaire et secondaire. Ce rôle

2 
Il importe toutefois de remarquer
que, dans la nouvelle Constitution
marocaine, il est question d’une
seule langue berbère – appelée
tamazight – bien qu’en réalité il
existe plusieurs langues berbères au
Maroc et que le projet d’une langue
berbère unifiée et standardisée – un
des objectifs principaux de l’Institut
royal de la culture amazighe (IRCAM)
– est loin d’être mené à terme.
3 
Pour plus d’information sur l’état
actuel de la question berbère, voir le
dossier « Imazighen : una primavera
berbera » dans LIMES. Rivista italiana
di geopolitica (2011/5).

Des manifestants
avec une banderole
« Je suis amazigh et je le reste »
L’ÉPREUVE 5

FACULTATIVE
DE BERBÈRE AU
BACCALAURÉAT
Kamal Nait-Zerrad, professeur de berbère, Inalco, Paris

L’
épreuve facultative de berbère est > première sous-partie : « compréhension nouvelle situation pour cette langue, amor-
devenue écrite en 1995 pour les de l’écrit », notée sur 10 points : compré- cée en particulier depuis 2001 par les plus
séries générales et technologiques, hension du texte et traduction de 5 à 8 hautes autorités politiques marocaines ;
après avoir été une épreuve orale pendant lignes du texte ; > l’ancienneté de l’établissement des Kabyles
quelques décennies. Pour le baccalauréat > seconde sous-partie : « expression écrite », en France (plus d’un siècle) fait que la
professionnel, une épreuve facultative orale notée sur 10 points : rédaction d’un texte transmission du berbère semble décliner
peut cependant encore être présentée. construit. et que le français devient de plus en plus
Seuls les points au-dessus de 10 sont pris L’origine des textes de l’épreuve est diverse : la langue du foyer.
en compte dans la moyenne générale du sources contemporaines (romans, journaux, Un troisième élément, qui expliquerait la
baccalauréat. revues, etc.) ou plus traditionnelles comme diminution globale de l’ensemble des can-
L’organisation de l’épreuve a fait l’objet d’une les contes ou autres ouvrages intégrant des didats, est lié à l’absence de préparation à
convention entre la Direction des enseigne- textes ethnographiques ou historiques. l’épreuve facultative de berbère dans les
ments scolaires (Dgesco) et l’Inalco qui, Le nombre total de candidats (il s’agit ici lycées. Après un engouement certain des
chaque année prépare les sujets et assure en fait des copies corrigées) en berbère est élèves et de leurs parents, ce vide a certaine-
la correction des copies. passé à moins de 1 500 en 1995 à plus de ment joué, et l’appréhension d’une épreuve
L’épreuve écrite est déclinée actuellement 2000 en 2006. Il a diminué progressivement écrite décourage les lycéens, la majorité de
en trois sujets correspondant à trois varié- ensuite pour se tasser à environ 1 300 en ceux-ci en France n’ayant jamais vraiment
tés de berbère (kabyle : Algérie du nord ; 2012 (figure 1). été en présence de l’écrit en berbère.
chleuh : sud-ouest du Maroc ; rifain : nord- L’Ile-de-France fournit toujours le plus grand Il n’existe effectivement pas d’enseigne-
est du Maroc), variétés les plus représentées nombre de candidats, suivie des autres ment officiel de berbère dans les lycées et
en France. Le rifain a été introduit un peu régions à forte population d’origine maghré- collèges français ; cependant des cours de
plus tard, en 1999, et d’autres dialectes bine : Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute- berbère sont dispensés régulièrement par
pourraient intégrer l’épreuve en cas de Normandie, Lorraine, Centre, Franche-Comté, des enseignants ou des militants associatifs
demande significative1. Alsace, Rhône-Alpes, PACA, Languedoc-Rous- au moins depuis les années 1980.
La durée de l’épreuve facultative est de sillon, Midi-Pyrénées (figure 2). Le 14 février 2006, une convention-cadre
2 heures et l’examen est aligné sur les La répartition entre les dialectes montre que pour la mise en place d’une préparation à
pratiques en vigueur pour les langues le kabyle a été majoritaire jusqu’en 2000, où l’épreuve facultative de berbère au baccalau-
obligatoires : il comporte un texte berbère on constate une inversion de la tendance en réat dans les établissements du second degré
de 20 à 30 lignes, en notation latine, avec faveur du chleuh. Les variétés marocaines a été signée entre le ministère de l’Éducation
depuis cette année (2013) une évaluation sont depuis 2004 celles qui présentent le nationale (MEN) et l’Institut national des
en deux sous-parties : plus grand nombre de candidats : chleuh : langues et civilisations orientales (Inalco).
40 %, rifain : 25 %, kabyle : 35 % (figure 3). Cette convention a permis l’élaboration
Deux éléments pourraient en partie expliquer et la publication d’outils pédagogiques : le
cette évolution : Centre de recherche berbère de l’Inalco a
> le retournement net en faveur des dialectes publié des Annales du Bac en 2006, rééditées
marocains vient juste après l’intégration et augmentées en 2011 et un Mémento
1 
Pour l’épreuve orale (bac pro), les trois variétés du berbère dans l’enseignement primaire grammatical et orthographique pour aider
peuvent également être présentées. au Maroc (en 2003), conséquence d’une les candidats. Pour plus d’information, on
6 se reportera au site Internet du Centre de
Recherche Berbère (www.centrederecher-
cheberbere.fr) aux rubriques « publications »
et « le berbère au bac ».
La convention a malheureusement échoué
concernant la préparation à l’épreuve dans
les lycées. En effet, les engagements du
MEN inscrits dans la convention n’ont pas
été suivis d’effets : les rectorats n’ont pas
été informés de la convention, aucun moyen
financier n’a été mis à disposition pour la
mise en place de classes (hormis la dotation
pour l’élaboration des manuels cités plus
haut). En dehors de très rares établissements
(à Marseille, Lyon, Montreuil et Stains) où le
proviseur s’était engagé personnellement, la
convention est restée quasi lettre morte pour figure 1
ce qui est de l’enseignement. L’Inalco a ainsi
signé une convention annuelle avec deux
lycées de la région parisienne (à Montreuil
d’abord puis à Stains) pour une préparation
à l’épreuve pour lesquels un enseignant était
proposé par l’Inalco. Depuis deux ans, ces
lycées n’ont plus renouvelé cette convention,
qui était liée à un véritable engagement des
proviseurs qui étaient en place.
Actuellement, seules les associations cultu-
relles berbères et certains professeurs
dans leur lycée organisent une préparation
à cette épreuve ou dispensent des cours
de berbère. Des contacts avec le MEN
sont cependant en cours pour reprendre le

.
dossier de l’épreuve facultative de berbère
et tenter d’améliorer la situation

figure 2

figure 3
Panorama des médias
7

audiovisuels de langue
berbère
Ouahmi Ould-Braham, université Paris 8 & MSH Paris Nord

L
es médias audiovisuels (tachelhit et tamazight) après pas négligé le berbère (Radio culture et de la langue berbè-
couvrent la radio et la les indépendances des pays du Tamazight, Radio Afrique, Radio res dans le pays. Tamazight TV
télévision, auxquelles Maghreb. Mais l’année 1970 Beur, etc.). émet dans les trois variantes
il conviendrait d’ajouter les sonne le glas pour le berbère, Un peu plus tard, des chaines de locales, avec une programma-
nouveaux médias (téléphonie privé d’antenne du média de télévision satellitaires virent le tion de référence généraliste et
et internet). Si la radio et la service public français, suite aux jour. D’abord en France, où elles diversifiée.
télévision ont pris une large protestations du gouvernement furent conventionnées par le Enfin, en Libye, une chaine de
part à diffuser des programmes algérien, notamment. CSA juste avant d’émettre, BRTV droit privée, Libya Ibraren TV,
en berbère, quelle que soit la Dans chacun des deux pays les (1999) et Beur TV - La chaine est née après 42 ans de dic-
variété, depuis le siècle dernier, plus importants du Maghreb, en Méditerranée (2003). Ces deux tature. Activement engagée
les médias des NTIC pour le matière de l’usage du berbère, chaines privées, basées à Paris, dans la Révolution libyenne,
même domaine linguistique des chaines de radio émettant ont précédé de peu la création elle émettait d’Égypte, puis de
remontent plutôt à l’aube de dans cette langue étaient contrô- d’autres chaines au Maghreb, Benghazi, avant de s’imposer
ce 21e siècle. lées étroitement par les États. où ces nouvelles initiatives ne officiellement en Libye après la
Sur plusieurs décennies le ber- Au Maroc, jusqu’à aujourd’hui, se sont pas fait attendre, suite chute de Kadhafi.
bère (dans ses déclinaisons les une station de radio généraliste, aux rapports de force politiques Hormis peut-être Beur TV - La
plus actives), conséquemment Radio Amazigh, s’érige comme sur le terrain. chaine Méditerranée, qui joue
au développement des industries moyen d’information hors pair, En Algérie, où la tradition d’une la carte de l’interculturel, toutes
culturelles dans le domaine, a eu avec pour vocation le dévelop- revendication en faveur du ber- ces chaines de télédiffusion
une présence de plus en plus pement, la production et la dif- bère est relativement ancienne, se veulent berbérophones et
marquée dans l’audiovisuel. Si fusion de la culture berbère. De la télédiffusion de programmes généralistes, en se donnant pour
cette constance du berbère est même qu’en Algérie, au niveau était déjà chose promise par ambition de couvrir un éventail
perceptible à la radio dès les du service public, l’équivalent les décideurs quelques années large de programmes, allant
années 1930 (Poste Colonial à est sans conteste la Chaine 2 auparavant, la chaine Tamazight des fictions (séries, feuilletons,
Paris, Radio PTT à Alger, Radio- de la RTA (puis ENRS), d’expres- TV 4 a été mise enfin en service, théâtre, sketches) jusqu’aux
Maroc), des chaines spécifique- sion kabyle et ouverte aussi à en mars 2009, émettant en ondes documentaires, en passant
ment berbérophones n’ont com- d’autres variétés berbères du hertziennes six heures par jour, et par des émissions sportives,
mencé à voir le jour qu’à partir pays (chaoui, chenoui, mozabite retransmise par satellite, princi- enfantines, de la musique, de la
de la fin des années 1940. et touareg). palement en kabyle mais aussi, à politique, des sujets de société et
Après une période aléatoire Pour l’Hexagone, faute de l’instar de la radio publique, dans de culture, sans oublier la langue
et des tâtonnements, la radio mieux, le berbère va se retrou- d’autres variétés berbères. berbère elle-même.
d’Alger, via le canal des ELAK ver dans les stations radio de Le Maroc, à son tour, a suivi Les années 2000 sont marquées
(Émissions en langues arabe et la bande FM. Ces supports de puisqu’une chaine de langue par la montée en puissance
kabyle), commençait à émettre média sont le résultat d’un berbère, Tamazight TV, vit le d’internet dans les entreprises
de façon régulière, et avec un combat pour s’imposer et jour en janvier 2010, avec le et chez les particuliers. Ce qui
volume horaire plus significatif. faire entendre sa voix, face à même volume horaire que le fait que le phénomène de la
À Paris, les ELAB (Émissions un état de monopole, jusqu’à pays voisin, suite à un accord webradio en berbère est devenu
en langues arabe et berbère) la libéralisation des stations signé entre le gouvernement et courant, touchant aussi bien à
faisaient de même. Radio Paris, pirates en France, au début la Société nationale de radio des stations de radiodiffusion
rattachée désormais à l’ORTF, des années 1980. Le temps et télédiffusion. Cette initiative de la bande FM de l’hexagone
continuait à diffuser des pro- des radios périphériques, relève de la volonté royale en (Beur FM, Kabyle FM…), ou du
grammes en kabyle et en associatives non-commerciales matière de reconnaissance Maghreb, qu’à plusieurs autres
dialectes berbères marocains et autres « radios libres » n’a officielle et de promotion de la initiatives de radios en ligne, et
8 sans avoir besoin d’attribution que des facteurs sociologiques lexicale, avec des lemmes inven- recherche académique, forte-
de fréquence d’une autorité de et politiques. Cela dit, la qualité tés de toutes pièces ou emprun- ment soutenue par les États, qui
régulation quelconque. Qu’ils des offres n’est pas exempte tés à d’autres dialectes berbères. pourrait apporter des réponses
soient généralistes et théma- de reproches, mais ceci est le Des matériaux néologiques ainsi réalistes à des questions aussi
tiques ou caractérisés par un propre de toute entreprise qui produits, quelques décennies délicates que celle de l’aména-
genre musical spécifique, ces
nouveaux médias vecteurs de
programmes berbérophones
débute sans grande expérience.
Pour dépasser ces erreurs de
jeunesse et éviter des frustra-
auparavant par le romancier
Mouloud Mammeri (Amawal,
1980) et ses épigones, vont servir
posent avec acuité .
gement linguistique et qui se

deviennent relativement nom- tions de la part de publics très à émailler artificiellement les
breux, du fait qu’ils requièrent demandeurs, les médias d’ex- discours d’animateurs, à la radio
beaucoup moins de moyens pression berbère se doivent de ou récemment à la télévision,
que les radios classiques1. De trouver leur voie. au risque de brouiller la bonne
même, grâce à la technologie Voyons brièvement, entre autres, compréhension. Cette vision
de la lecture en continu, les cinq la dynamique de la langue et les du sens commun consisterait à
chaines de télévision à program- choix linguistiques à l’œuvre. Les croire qu’une langue dominée Références
mes berbères déjà citées (deux médias n’ayant plus la fonction serait au diapason des langues Amawal tamaziγt-tafransist,
publiques et trois privées), sont de conservation de la culture de grande diffusion sur la simple tafransist-tamaziγt, Lexique
diffusées sur la Toile. du terroir, comme à l’origine, réforme formelle, grammaticale berbère-français, français-
L’on ne peut qu’être frappé sont confrontés à l’exigence de ou lexicale (Miller, 2011). berbère, Paris, Imedyazen,
par la profondeur historique s’occuper et de rendre compte, Mais en tout état de cause, la 1980, 131 p.
de cette présence du berbère dans la langue berbère, des question soulevée est celle de Miller C., « Langues et Média
dans l’audiovisuel, sur près d’un questions contemporaines et la standardisation du berbère/ au Maroc dans la première
siècle, et de ce qu’actuellement de s’impliquer dans la création amazigh dans ses aspects décennie du XXIe siècle :
l’ensemble des médias dédiés littéraire et artistique. S’investis- phonétiques, phonologique, montée irrésistible de la
à cette langue s’adresse poten- sant dans le champ de la com- morphologique, syntaxique, dârija ? », 2011, http : //
tiellement à plusieurs millions munication, la langue va subir sémantique, stylistique et prag- halshs.archives-ouvertes.fr/
de personnes. Cela a été rendu des transformations eu égard matique. Pour commencer, du halshs-00599160 [Consulté
possible à la faveur tant des aux motivations des producteurs. moins pour le Maroc, l’ancien le 15-03-2003]
opportunités technologiques Il fut un temps, de la part des alphabet berbère, le tifinagh, a O uld -B raham O., « Pour
récepteurs, où il y avait comme été adopté officiellement ; il a une histoire sociale de la
une aspiration à entendre une trouvé sa place dans l’Unicode, chanson kabyle d’immigra-
langue – la sienne – qui sortirait ainsi que sur les claviers avec tion en France », Études et
1 Il existe des radios web
d’expression berbère aussi du moule traditionnel. Et la voie ses caractères, depuis qu’il a Documents Berbères, n° 31,
bien au Maghreb, en Europe et royale pour ces médias a été été standardisé à l’ISO en 2005. 2012, pp. 9-27.
même en Amérique du Nord. le recours massif à la néologie D’aucuns pensent que c’est la

La transmission L angues et cultures régionales ont


partie liée dans la courte histoire du
renouveau du conte en France, lequel
associe étroitement, en ses pratiques trans-

du berbère au miroir frontalières, la question de la langue et celle


du répertoire. Ce phénomène inattendu
apparait au lendemain de mai 1968. Il s’ins-

de la littérature orale
crit dans une plus longue histoire amorcée
par les frères Grimm au début du 19e siècle
(Thiesse, Hobsbwam). L’émergence des
parlers berbères se situe dans un contexte

dans un contexte
où le dedans (mouvements régionalistes) et
le dehors (populations déplacées) viennent
mettre en tension le modèle de la nation
au sens d’une « communauté imaginée »

de migration
(Anderson) confrontée à la fois aux réalités
de la vie quotidienne et aux vies rêvées.
Ce débat, en France, prendra le nom (aux
dérivés multiples) d’« interculturel », loin des
Nadine Decourt, maitre de conférence HDR à l'université Claude Bernard Lyon 1 apports de l’anthropologie anglo-saxonne
et dans l’indifférence des chercheurs en littérature orale dont ils sont des porteurs à l’appropriation, à la transformation, et qui 9
sciences humaines et sociales qui ont aban- aussi aléatoires qu’exemplaires. De plus toujours titille la mémoire, suscite les récits
donné la question de la différence culturelle jeunes se précipitent sur les livres, renouent de vie, la confidence (dans le face-à-face, par
à l’anthropologie des lointains (Lorcerie, avec une mémoire dormante, interrogent blogs interposés). Certains contes (« La Vache
Liauzu). La ville est pensée comme pro- leurs ainés ; certains se forment au métier des Orphelins » par exemple) deviennent ainsi
blème : intégration difficile des populations de conteur et cultivent leur histoire familiale des formes-sujets – ambassadeurs d’une
principalement maghrébines, racisme anti- de transmission orale comme signature culture vivante, diasporique – qui ouvre d’in-
arabe, échec scolaire, exclusion. L’École d’artiste. Le conte en tout cas, dans les finis chantiers d’expérimentation linguistique
laïque, républicaine, est prête à se remettre premières étapes, aura servi de révélateur et culturelle, tant en France qu’au Maghreb
en question pour mieux accueillir et valoriser
les enfants de migrants et leurs familles
dans un but aussi d’enrichissement mutuel
du berbère dans la vitalité et la diversité de
ses parlers. Le kabyle se détache dans la
confrontation et l’interaction avec d’autres
.
et par-delà, dans des sociétés hantées par
l’exil, la mémoire et l’oubli

(Circulaire n° 78-238 25 juillet 1978, Sco- langues, en fonction des compétences des
larisation des enfants immigrés). C’est donc locuteurs, comme des revendications identi-
par le biais des pédagogies interculturelles taires en jeu : chaouia, rifain, chleuh, etc. La
que le conte va se frayer un chemin et, à variabilité concerne tant le contenu que la
travers lui, le berbère (des Berbères) se faire langue-véhicule, tandis qu’une cartographie
entendre sur la scène nationale, dans le aux lignes mouvantes se dessine dans le
cadre de projets d’action éducative dont la paysage d’un folklore international hic et
rhétorique évoluera. Les enfants de migrants nunc : les ogres y croisent les ogresses,
deviennent « enfants issus de l’immigration » Chacal rencontre Renard, tandis que la
à partir de 1985, quand Jacques Berque Parole berbère (awal) sort de l’ombre et
alerte le Gouvernement et l’opinion dans un trouve une légitimité artistique, génère une
rapport qui fait choc : L’immigration à l’école connaissance littéraire de soi.
de la République.
Moi je le connais, mais c’est pas tout à fait
Que mon conte soit beau et se déroule pareil ! – Alors, raconte ! Conter en situation
comme un long fil… Cette formule d’in- interculturelle, que l’on soit conteur amateur
troduction vient du Grain magique de ou professionnel, expose à faire l’expérience
Marguerite Taos Amrouche et se répand d’un pluriel des langues et des cultures (d’un
largement dans la communauté éducative. pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’un vil-
Des conteurs interviennent, essaient de lage à l’autre, à l’intérieur d’une même famille).
créer des passerelles entre l’école et les Conter c’est à la fois montrer sa différence,
familles, ils sont d’autant plus sollicités la faire reconnaitre et la partager. Les entités
qu’ils représentent les cultures en présence, (maghrébine, française) se fissurent : des
au risque du ghetto, sous le terme englobant dialogues comparatistes s’insinuent dans le
de « maghrébins ». Des espaces intermédiai- contage même sous forme de gloses, tel mot
res se mettent en place dans les crèches, (intraduisible ou traduisible) s’incruste, les
bibliothèques, centres sociaux, hôpitaux etc. refrains sont plus beaux dans la langue source,
Ces initiatives sont encouragées, mais rares le métissage opère l’œuvre d’art, créant de
sont les travaux scientifiques prenant alors nouvelles connivences (Decourt, Louali-Ray-
en compte les dynamiques narratives mises nal). Le conte devient alors leçon de langue,
en branle. Les publications artisanales leçon de littérature générale et comparée,
se multiplient, le conte délie les langues, d’anthropologie, ou tout simplement plaisir
de nouveaux répertoires apparaissent et des mots, dans le respect de leur musique, de
commencent à trouver des maisons d’édi- leur opacité. Des conteurs se disent passeurs
tion (L’Harmattan, Karthala). Des parents culturels, hybrident leurs répertoires, qu’eux- Références
osent franchir la porte des écoles, sur- mêmes soient ancrés dans la culture-source Calame-Griaule G. (éd.), Le renouveau
tout à la maternelle où les enseignants (empreinte), telle Nefissa Benouniche, ou du conte en France, Paris, Éd. du CNRS,
travaillent autour de l’identité et du nom soient en position d’étranger (emprunt), tel 1999.
propre, autour des rites du quotidien (se Jean Porcherot, ou encore dans un entre-deux- Decourt N., Louali-Raynal N., Contes
laver, dormir, fêter ou pas son anniversaire, rives, telle Nora Aceval, qui collecte aussi les maghrébins en situation interculturelle,
se dire bonjour…). Le conte surtout y est versions berbères des contes arabes (hauts Paris, Karthala, 1995.
première littérature, avec les comptines, plateaux de Tiaret, Algérie) qu’elle raconte Lacoste-Dujardin C., Contes de femmes
les jeux de doigts, les contes d’animaux en français. La parole et les imaginaires mis et d’ogresses en Kabylie, Paris, Karthala,
et, très vite, les contes merveilleux les plus en circulation ne connaissent pas de fron- 2010.
classiques. Des parents viennent raconter tières. La révolution numérique accentue les Yakouben M., Contes berbères de Kabylie
et trouvent dans la tradition une autorité qui processus d’actualisation et de traduction et de France, Paris, Karthala, 1997.
change les regards sur eux-mêmes, sur la d’une littérature qui se prête aux mélanges,
10

Kker a mmi-s umaziɣ


Présentation, notation du texte et traduction établies par Salem Chaker.

C
e poème de combat, Pensé et composé dans le héros berbères de l’Antiquité, du mouvement nationaliste algé-
composé en 1945 par cadre de la lutte anticoloniale, Massinissa et Jugurtha – donc rien (MTLD puis FLN) et laminé
Idir Aït-Amrane (1924- ce poème est devenu au fil du à la période anté-islamique et pendant la guerre d’indépen-
2004), appartient à la veine temps, de par son contenu et non-arabe –, et la revendication dance. Ces textes (plusieurs
« berbéro-nationaliste » kabyle ses références, un véritable de la langue berbère y est posée dizaines) seront des graines qui
des chants de marche du mou- « hymne national berbère ». Le comme fondement de l’avenir germeront après l’indépendance
vement de jeunesse nationaliste texte, très ambivalent, permettait de la patrie. (1962) et seront largement repris
des années 1940-1950. À cette en effet aussi bien une lecture Ce courant, fortement implanté et popularisés par la militance
période, de très jeunes militants nationaliste algérienne qu’une dans la Kabylie des années berbère. Plusieurs ont été inter-
algériens indépendantistes lecture berbériste, transnatio- 1940-1954 et en émigration (qui prétés par de grands chanteurs
chantaient la patrie future en nale (« du Sahara occidental à était alors très majoritairement kabyles (Ferhat, Matoub…).
langue berbère et en revendi- Siwa »). Tous les repères histo- kabyle), sera bien entendu balayé
quaient les racines berbères. riques y font référence à des par l’arabo-islamisme dominant

1 A nerreẓ wala a neknu, « Nous


nous briserons plutôt que de
plier », célèbre vers du grand
poète kabyle de la fin du 19e
K ker a mmi-s umaziɣ
Iṭij-nneɣ yuli-dd
Aṭas ayagi ur t-ẓriɣ
D ebout, debout fils de Mazigh (Berbère)
Notre soleil s’est enfin levé
Il y a longtemps que je ne l’avais vu
siècle, Si Mohand, rejetant A gma nnuba-nneɣ tezzi-d Frère, notre tour est maintenant arrivé.
toute soumission au nouvel

A C
ordre (colonial) établi.
2 Targa zegg°aɣet, « Vallée, zzel in-as i Massinissa ours dire à Massinissa
rivière rouge » = Rio de Tamurt-is tuk°i-dd ass-a Son pays s’éveille aujourd’hui
Oro, Sahara occidental
anciennement espagnol, Arraw-is mlalen dduklen Tous ses enfants sont rassemblés
annexé par le Maroc. Siwa, Deg ẓekwan lejdud ferḥen Dans les tombes les ancêtres se réjouissent.
oasis égyptienne, est le

I V
point le plus oriental de
la berbérophonie. Ce vers n-as in-as i Yugurta a vite dire à Jugurtha
renvoie donc à l’ensemble Arraw-is ur t-ttun ara Ses enfants ne l’ont pas oublié
du territoire historique des
Berbères, de l’Atlantique au
Ttar-ines da t-idd-rren Et certes ils le vengeront
désert égyptien. Ism-is a t-idd-skeflen Son nom reviendra à la lumière.

S eg durar i dd-tekka teɣri


S amennuɣ nbda tikli
Tura ulac ulac akukru
D es montagnes nous vient l’appel
Au combat nous nous dirigeons
Maintenant, plus de crainte plus de recul
A nerreẓ wala a neknu Nous nous briserons plutôt que de plier1.

S umeslay-nneɣ a nili
Azekka ad yif iḍelli
Tamaziɣt ad tgem ad ternu
P ar notre langue nous existerons
Demain sera mieux qu’aujourd’hui
La langue berbère prospérera et se développera
D asalas n wemteddu Ce sera le pilier de tout progrès.

L zayer tamurt ɛzizen


Fell-am a nefk idammen
Igenni-m yeffeɣ-it usigna
A lgérie pays bien aimé
Pour toi nous donnerons notre sang
Ton ciel sera dégagé de tout nuage
Tafat-im d lḥurriya Ta lumière sera la liberté.

I gider n tiggureg yufgen


Ssiwḍ sslam i watmaten
Si Targa zegg°aɣen ar Siwa
A igle de la liberté prends ton envol
Salue tous nos frères
Du Sahara occidental à Siwa2
D asif idammen a tarwa ! Le même sang coule en nous.

(M. Idir Aït-Amrane, janvier 1945-1954)


On notera qu’il existe plusieurs collectées auprès des témoins 11
versions de ce chant, présentant et acteurs de l’époque sont, Références
des divergences parfois impor- elles aussi, tout naturellement, Aït Amrane M. I., Mémoire, Au lycée de ben-Aknoun 1945, Ekker
tantes : comme cela apparait assez variables. Nous reprenons a mm is oumazigh, à compte d’auteur, Alger, s.d. [1992 ?].
très clairement dans sa version ici le texte de la seconde version Benbrahim M., La poésie kabyle et la résistance à la colonisa-
de 1954 et dans son mémoire de l’auteur, celle de 1954. En la tion de 1830 à 1962, Thèse de Doctorat de 3e Cycle, Paris,
de 1992, l’auteur a eu tendance matière, la source la plus sûre EHESS, 1982.
à réécrire ses textes en fonction est sans conteste M. Benbrahim Benbrahim M. & Mecheri-Saada N., « Chants nationalistes algériens
du contexte politique et des (1982) qui a réalisé un travail d’expression kabyle… », Libyca [Alger], XXVIII-XXIX, 1981.
évolutions de la codification, d’enquête approfondi et a pu Chaker S., Berbères aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 1998
graphique et lexicale, de la interroger la plupart des survi- (2e éd.), notamment chap. 2.
langue ; les versions orales vants de cette période.

En écriture berbère (strophes 1 & 2),


dans les différents alphabets :
N.B. : l’usage traditionnel (libyque et tifinagh des Touaregs) ne notait séparation des mots par des blancs. Il est bon de souligner que dans
pas les voyelles, sauf en position finale, ni les consonnes doubles l’usage traditionnel, les alphabets et les pratiques (sens de l’écriture
et ne séparait généralement pas les mots : la lecture en était par- notamment) présentaient de sensibles variations : l’écriture pas plus
ticulièrement hésitante et incertaine (ici on a introduit des blancs
séparateurs). Les usages récents (« néo-tifinagh ») ont systématisé
la notation des voyelles, des consonnes doubles et, bien sûr, de la
que de grandes aires dialectales …
que la langue n’étaient codifiées et il existait autant d’alphabets

a) Libyque (Antiquité) c) Néo-tifinagh de l’Académie berbère


(non vocalisé) (les plus répandues en Algérie, depuis 1970)

    ⴽⴽⴻ  - ⵓ


    -ⴻ ⵓⵉ-ⴷ
   ⵜ 
  ⵓ ⵝ 
   ⵜ 
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   
ⵜⵜ  ⵜ   ⴻ -  
  |  ⵝⵓⵝ- ⵝⵓⵉ-ⴷ -
   ⴴ - ⴻ ⴷⴷⵓⴽⴻ
ⴻⴳ ⴻ ⴻⵓ ⴻⵃⴻ
b) Tifinagh traditionnelles des Touaregs d) Néo-tifinagh de l’Ircam
(non vocalisé) (Maroc, depuis 2002)

ⴾ       - ⵓ


  ⵉⵉ ⴷ - ⵓⵉ-ⴷ
 ⵉ ⵓ     ⵓ  
ⴴ   ⵉ ⴷ  ⴳ ⵓ- ⵉ-ⴷ

     -  


  ⴾⵉ ⴷ  ⵓ- ⵓⵉ-ⴷ -
ⵓ   ⴷⴾ -  ⴷⴷⵓ
ⴷ ⴾ ⵓ ⴷⴷ  ⴷⴳ  ⴷⵓⴷ ⵃ
12

Parutions
 pitzer Leo, Traque des mots étrangers, haine des
S cation avec le citoyen : efficace et accessible ? Actes – intercompréhension entre langues voisines, didac-
peuples étrangers. Polémique contre le nettoyage du colloque de Liège (2009), Éditions De Boeck, tique intégrée des langues – qui, toutes, impliquent
de la langue, présenté par Steuckardt Agnès, traduit Collection : Champs linguistiques, 2013. simultanément plusieurs langues et variétés culturelles
par Briu Jean-Jacques, préfacé par François Jacques, Ces actes de colloque dressent un état des lieux dans l’enseignement-apprentissage.
Limoges, Lambert-Lucas, 2013. des expériences de la Communauté française
 evue Droit et Culture n° 63, S’entendre sur la lan-
R
Dans ce bref ouvrage de 1918, Leo Spitzer (1887- de Belgique, de la France, du Québec et de la
gue, Paris : L’Harmattan.
1960) déploie une critique ravageuse de la politique de Suisse romande dans le domaine de la communication
Entre écriture et oralité, les langues s’interpénètrent,
« nettoyage linguistique » anglophobe et francophobe entre les institutions publiques et le citoyen.
puis s’emmêlent. Tout État, pour dire « son » droit, choisit
promue par l’Allgemeiner Deutscher Sprachverein [Asso-
 ous la direction de Balsiger Claudine, Bétrix Köhler
S une langue ou en désigne plusieurs comme « officielles »
ciation générale de la langue allemande] au cours de
Dominique, de Pietro Jean-François, Perregaux Chris- ou « nationales ». Les formes d’intercommunication
la Première Guerre mondiale. Leo Spitzer est plutôt
tiane, 2012, Éveil aux langues et approches pluriel- indispensables à la cohésion sociale sont ici mises en
connu du public français pour ses études stylistiques :
les. De la formation des enseignants aux pratiques regard, retenant, d’une part, les caractéristiques de la
on le retrouve ici engagé contre la « haine nationale »

.
de classe, Paris : l’Harmattan. langue du droit face à la langue de droit(s), et, d’autre
qui instrumentalise le langage.
part, les fonctions sociales d’une langue par rapport
Éveil aux langues ? Approches plurielles ? Formation
 ervice de la langue française et Conseil de la lan-
S à son statut en droit
des enseignants ? Pratiques de classe ? Cet ouvrage
gue française et de la politique linguistique de la fait le point sur l’état des recherches et des pratiques
Communauté française de Belgique, La communi- d’éveil aux langues et d’autres approches plurielles

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