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Du Rapport au Savoir
Éléments pour une théorie
Bernard CHARLOT
Anthropos
Diffusion : Economica, 49, rue Héricart - 75015
Paris
Sommaire
Couverture
Présentation
Page de titre
Dédicace
INTRODUCTION
échec
les psychologues
perspective anthropologique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Notes
Copyright d’origine
Achevé de numériser
À Marie-Louise, mon présent
À Manon, mon surlendemain...
INTRODUCTION
Pourquoi certains élèves sont-ils en échec à l’école ? Pourquoi cet échec est-il
plus fréquent dans les familles populaires 1 que dans d’autres familles ? Mais
aussi : pourquoi certains enfants de milieux populaires réussissent-ils malgré tout
à l’école, comme s’ils parvenaient à se glisser dans les interstices statistiques ?
Telles sont, sous leur forme brute, les questions qui ont présidé à la naissance
de l’équipe de recherche ESCOL 2, en 1987, et qui, aujourd’hui encore, sont à
l’horizon de ses travaux. Pour tenter d’y répondre, ESCOL mène des recherches
sur le rapport au savoir et le rapport à l’école de jeunes fréquentant des
établissements scolaires situés en banlieue. Une première recherche a porté sur
les collèges et, dans une moindre mesure, sur les écoles primaires (Charlot,
Bautier et Rochex, 1992). L’équipe s’est ensuite intéressée aux lycées : Élisabeth
Bautier et Jean-Yves Rochex ont travaillé sur les lycées généraux et techniques,
et moi-même 3 sur les lycées professionnels ; ces recherches donneront lieu à
deux livres, actuellement en cours de rédaction.
Toutefois, il ne suffit pas de recueillir des données, encore faut-il savoir ce
qu’on cherche exactement. C’est encore plus nécessaire lorsqu’on aborde une
question ancienne d’une façon relativement nouvelle. Or, telle est précisément
notre ambition. Nous travaillons sur la question de l’échec scolaire, c’est-à-dire
dans un champ saturé de théories construites et d’opinions de sens commun.
Nous abordons cette question classique en termes de rapport au savoir et à
l’école. Or, si l’expression « rapport au savoir » tend à se répandre, on ne
dispose pas actuellement d’une théorie du rapport au savoir suffisamment bien
établie pour que la recherche puisse prendre appui sur des fondements solides et
stables. Lorsque les membres de l’équipe ESCOL présentent leurs recherches, en
interne ou à d’autres équipes, ou lorsque chacun d’entre nous travaille à
l’interprétation de ses données, la nécessité d’un approfondissement conceptuel
et théorique apparaît vite.
Nous avions remis cet approfondissement à plus tard car nous pensions plus
urgent de prolonger vers le lycée nos recherches antérieures sur l’école primaire
et le collège. Mais lorsque j’ai commencé à rédiger le livre sur les élèves des
lycées professionnels, il m’a paru indispensable d’expliquer pourquoi je posais
en termes de rapport au savoir des questions habituellement traitées en termes
d’échec scolaire, d’origine sociale ou même de handicaps socio-culturels. La
question n’est pas simple... et le texte a pris de l’ampleur ! J’ai ainsi construit,
sans en avoir eu initialement l’intention, un texte d’élaboration théorique 4 et ai
finalement décidé de le publier sous forme de livre.
Pourquoi étudier l’échec scolaire (ou la réussite) en termes de rapport au
savoir ? Que faut-il entendre exactement par rapport au savoir ? Telles sont les
deux questions, liées, qui sont abordées dans ce livre.
Le premier chapitre explique que « l’échec scolaire » est un objet socio-
médiatique que l’on ne saurait adopter tel quel comme objet de recherche : si
l’on veut analyser les phénomènes habituellement désignés comme « échec
scolaire », il faut construire un objet de recherche précis.
Le deuxième chapitre se penche sur l’objet que la sociologie de la
reproduction construit pour étudier l’échec scolaire : les différences entre
positions sociales. Il analyse également l’idée que l’origine sociale et les
handicaps socio-culturels seraient causes de l’échec scolaire.
Le troisième chapitre prolonge les analyses précédentes et amorce l’effort de
construction théorique qui suivra. Il avance l’idée d’une sociologie du sujet, à
partir d’une étude critique des travaux de Pierre Bourdieu, de ceux de François
Dubet et d’un livre récent que l’équipe de recherche animée par Jacky Beillerot a
consacré au rapport au savoir, dans une perspective psychanalytique.
Le quatrième, le cinquième et le sixième chapitres portent sur le rapport au
savoir, considéré comme un objet de recherche permettant d’étudier « l’échec
scolaire » autrement qu’on ne le fait classiquement. Le quatrième tente d’ancrer
le concept de rapport au savoir dans une approche anthropologique de la
condition du petit d’homme. Le cinquième est consacré aux diverses figures de
« l’apprendre ». Le sixième précise le concept de rapport au savoir et en propose
des définitions.
CHAPITRE I
Durkheim
Cette difficulté apparaît clairement chez Durkheim lui-même. « Il faut
considérer les faits sociaux comme des choses », « les faits sociaux ne peuvent
être expliqués que par des faits sociaux », « toutes les fois qu’un phénomène
social est directement expliqué par un phénomène psychique, on peut être assuré
que l’explication est fausse » (1895). Pour Durkheim, la société est une réalité
spécifique, elle ne peut pas être réduite à une somme d’individus et les faits
sociaux ne peuvent donc pas être expliqués par des faits psychiques. Mais dire
que les faits sociaux doivent être considérés comme des choses, et étudiés
comme tels, ne signifie nullement que ces faits sociaux soient des choses de
même nature que les objets matériels : les faits sociaux sont « des manières
d’agir, de penser et de sentir, extérieurs à l’individu, et qui sont doués d’un
pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui » (1895). On ne peut
donc analyser le social sans appréhender « des manières d’agir, de penser et de
sentir ». Mais il faut les étudier comme extérieures à l’individu. Toute la
difficulté est là : penser un psychisme sans sujet – ou plus exactement un
psychisme analysé en référence à la société et non au sujet. La notion de
« représentations collectives » permettra à Durkheim de penser du psychique
sans le référer à un sujet.
La notion d’habitus, chez Bourdieu, remplit la même fonction.
Bourdieu
Pour Bourdieu, « l’agent social » (c’est ainsi qu’il le nomme) n’est pas « un
individu autonome, pleinement conscient de ses motivations », dont la
« conscience intentionnelle » viserait des fins explicites. Les agents sociaux « ne
sont pas comme des sujets en face d’un objet (ou, moins encore, d’un problème)
qui serait constitué comme tel par un acte intellectuel de connaissance »
(1994) 17. Bourdieu, dans la filiation de Durkheim, refuse de rendre compte du
social à partir du sujet de la philosophie classique, libre et rationnel – et sur ce
point je le suivrai car il s’agirait là d’un sujet non social.
Mais pour Bourdieu, on peut exclure les sujets sans pour autant anéantir les
agents. Ceux-ci, en effet, sont « éminemment actifs et agissants (sans pour autant
en faire des sujets) », ce ne sont pas « de simples épiphénomènes de la
structure » (1994). Si leurs conduites n’ont pas la raison et l’intention pour
principes, pour autant ils « ne font pas n’importe quoi », « ne sont pas fous »,
« n’agissent pas sans raison ». Ils sont dotés d’un « sens pratique de ce qui est à
faire dans une situation donnée ». C’est bien eux qui agissent et non pas la
structure à travers eux, mais ils agissent en fonction de dispositions psychiques
qui ont été structurées socialement : leur habitus. L’habitus est un ensemble de
dispositions psychiques transposables et durables : principes de classements, de
vision, de division, goûts, etc. – bref, principes de perception et de mise en ordre
du monde. Ce sont ces dispositions qui régissent les représentations et les
pratiques de l’agent social. Mais elles-mêmes ont été socialement construites :
« l’espace des positions sociales se retraduit dans un espace des prises de
position par l’intermédiaire de l’espace des dispositions (ou des habitus) »
(1994). Autrement dit, les positions sociales engendrent des dispositions
(l’habitus), qui elles-mêmes produisent des représentations et des pratiques. Ce
qui rend compte de ce que l’on attribue naïvement à un sujet, c’est donc, pour
Bourdieu, « l’espace des positions sociales ». Bourdieu introduit dans sa théorie
une place pour le psychique, mais cette place est occupée par du social, ce qui
permet de faire l’économie du concept de sujet. L’habitus est un ensemble de
dispositions psychiques mais ce psychisme n’est pas pensé en référence à un
sujet, c’est un psychisme de position. Arrêtons-nous un instant sur ce point.
Comment se constitue l’habitus ? Par « intériorisation », « incorporation »,
répond Bourdieu tout au long de son œuvre.
Autrement dit, le social devient du psychique quand il passe de « l’extérieur »
à « l’intérieur » – et par là même l’intérieur (ce qu’on nomme la subjectivité) a
son principe d’intelligibilité à l’extérieur (dans l’espace des positions sociales).
Mais c’est négliger le fait que « l’intérieur », le psychique, la subjectivité, a des
lois propres d’organisation et de fonctionnement, irréductibles à celles de
« l’extérieur », du social, d’un espace de positions. Lorsque l’extérieur devient
intérieur (pour autant qu’une telle distinction ait un sens...), il ne change pas
seulement de place mais aussi de logique. Ainsi, ce qu’on a longtemps appelé
« l’intériorisation de l’échec scolaire » est une restructuration du sujet, dans la
logique du psychique, induite par une situation que l’on nomme, dans la logique
du social, « échec scolaire ». Cette intériorisation ne peut être comprise à partir
de la seule logique du social ; son explication requiert la prise en compte de la
logique spécifique du psychique – c’est-à-dire du sujet. L’individu (pour
employer un terme aussi neutre que possible) n’intériorise pas le monde, il se
l’approprie, dans sa logique de sujet – ce qui est fort différent.
Dans La misère du monde (1993), confronté à la parole singulière d’individus
qui disent leur souffrance, Bourdieu développe une analyse qui me semble
sensiblement différente, en ce qu’elle reconnaît une logique spécifique du
psychique. « Il va de soi que les structures mentales ne sont pas le simple reflet
des structures sociales », écrit-il. « La sociologie ne prétend pas substituer son
mode d’explication à celui de la psychanalyse ; elle entend seulement construire
autrement certaines des données que celle-ci prend aussi pour objet ». Une
« sociogenèse » de l’habitus « devrait s’attacher à comprendre comment l’ordre
social capte, canalise, renforce ou contrecarre des processus psychiques selon
qu’il y a homologie, redondance et renforcement entre les deux logiques ou au
contraire contradiction, tension ». D’un côté, à l’intérieur, « des pulsions qui
poussent à s’investir dans l’objet » ; de l’autre, à l’extérieur, un « espace des
possibles », « un univers particulier d’objets socialement offerts à
l’investissement ». Le désir se manifeste sous la forme spécifique que l’espace
des possibles lui assigne à un moment donné du temps.
On peut lire ce texte de deux façons.
Ou bien on y lit qu’il existe des processus psychiques spécifiques, des
pulsions, du désir, qui certes s’expriment sous des formes socialement possibles
mais qui ont une spécificité, ne sont pas le simple reflet intériorisé du social. Dès
lors, il faut interpréter les entretiens avec les jeunes en prenant en compte à la
fois leurs désirs de sujets et les formes qu’ils peuvent prendre dans l’espace des
possibles que dessine la société. Une sociologie du sujet est envisageable à partir
d’une telle approche.
Ou bien on lit dans ce texte que le désir ne peut s’exprimer que sous la forme
que lui assigne le champ social. Dès lors, non seulement les représentations et
les pratiques mais le désir lui-même, en tant qu’il prend forme, peuvent être
expliqués à partir du social, sans qu’on ait à s’interroger sur le sujet. La
sociologie reste une sociologie des positions et les entretiens doivent être
interprétés en référence à ces positions. C’est ce que fait Bourdieu dans La
misère du monde. Certes, il affirme la nécessité de « comprendre » celui avec qui
on réalise un entretien mais il s’agit de « tenter de se situer en pensée à la place
que l’enquêté occupe dans l’espace social pour le nécessiter en l’interrogeant à
partir de ce point ». Il ne s’agit plus de possibles offerts à diverses formes
d’expression du désir, mais d’une nécessité qui donne forme au désir : on
retrouve l’idée d’un psychisme de position.
La force de la sociologie de Bourdieu est de rappeler sans cesse, contre les
philosophies de la conscience, que le sujet est social, y compris dans ce qu’il
semble avoir de plus intime. Mais cette sociologie exclut également le sujet de la
psychologie. Ou bien elle en dénie l’existence, affirmant que sa « constance
n’est sans doute que celle d’un nom propre » (1994). Ou bien elle en accepte
l’hypothèse mais ne peut et ne veut rien en savoir ni en dire. Le sociologue a le
droit d’adopter une telle posture et de déclarer : tel est mon objet, tels sont mes
principes d’explication et, en tant que sociologue, je m’interdis tout recours au
concept de sujet. Mais cette posture doit être assumée jusqu’au bout, et le
discours rester dans les limites qui ont été fixées – limites qui ne doivent être
transgressées ni par le sociologue lui-même ni par ceux qui interprètent ce qu’il
a écrit. La sociologie de Bourdieu traite de positions sociales, d’agents sociaux,
et ne peut pas rendre compte de l’expérience scolaire des sujets.
On peut analyser en termes d’habitus le rapport au savoir d’un groupe mais
pas celui d’un sujet appartenant à ce groupe. L’habitus, nous l’avons vu, est du
psychisme de position – du psychisme en tant qu’il est pensé à partir d’une
position sociale, et uniquement à partir de cette position 18. Un tel concept
permet d’étudier le rapport au savoir d’un groupe, pensé à travers une figure
exprimant les caractéristiques de ce groupe : « l’ingénieur », « le paysan
africain », « l’élève de famille populaire ». Compte tenu de ce que l’on sait de la
position des familles populaires dans l’espace social, que peut-on dire du rapport
au savoir d’un enfant x appartenant à une famille populaire ? Pour répondre à
cette question, on peut prendre appui sur des entretiens ; mais on doit alors les
interpréter à partir du point que les enquêtés occupent dans l’espace social, pour
reprendre les termes de Bourdieu – et uniquement à partir de ce point. L’élève
dont on parle est en fait une figure que le sociologue construit pour donner forme
individuelle à une position sociale ; en cet élève on ne pense rien de plus que la
position sociale qu’il occupe. De sorte que le rapport au savoir de « l’élève de
famille populaire » n’est que l’intériorisation dans un psychisme de rapports de
savoir – de rapports entre positions sociales en tant qu’ils mettent en jeu la
question du savoir.
Il n’y a rien à reprocher à une telle analyse, mais à condition qu’elle reste dans
ses limites de validité. Elle porte sur le rapport au savoir d’un groupe et ne peut
être projetée, telle quelle, sur le rapport au savoir d’un sujet appartenant à ce
groupe – ce que pourtant on ne cesse de faire dans les établissements scolaires,
en interprétant la conduite de tel élève singulier à partir de ce que l’on sait (ou de
ce que l’on fantasme...) sur ses « origines » familiales et culturelles. Certes, tout
sujet appartient à un groupe mais il ne se réduit pas à cette appartenance et à ce
qui peut être pensé à partir de la position de ce groupe dans un espace social. Il
interprète cette position, fait sens du monde, y agit, y est confronté à la nécessité
d’apprendre et à diverses formes de savoir – et son rapport au savoir est l’effet
de ces multiples processus. La sociologie de Bourdieu n’est pas inutile pour
comprendre le rapport au savoir des élèves, car le sujet occupe effectivement une
position dans l’espace social. Mais elle est insuffisante. Alors que le sujet fait
sens du monde, chez Bourdieu le sens n’est que l’intériorisation de relations
entre positions, sous forme d’habitus. Alors que le sujet a une activité sur et dans
le monde, chez Bourdieu l’activité est réduite au sens pratique, qui permet
d’actualiser des rapports de position. Alors que le sujet est confronté à la
question du savoir, chez Bourdieu cette question est ramenée à celle de
« l’arbitraire culturel » et de la « violence symbolique », c’est-à-dire à nouveau à
des rapports entre positions sociales.
La sociologie de Bourdieu est parfaitement légitime (et fort intéressante) dans
les limites qu’elle se fixe. Mais elle a pour objet des positions sociales, des
agents sociaux, et ne permet pas de penser l’expérience scolaire, notamment
cette forme d’expérience que désigne la notion d’échec scolaire. L’expérience
scolaire est celle d’un sujet et une sociologie de l’expérience scolaire doit être
une sociologie du sujet.
C’est une telle sociologie de l’expérience scolaire que François Dubet propose
dans ses deux derniers livres (Dubet, 1994, Dubet et Martuccelli, 1996).
2. Une sociologie de la subjectivation : Dubet
François Dubet a construit une sociologie de l’expérience scolaire qui prend
en compte la question de la subjectivité. Il affirme clairement qu’il est
impossible « de réduire la sociologie à l’étude des positions sociales » (1996) et
que « l’objet d’une sociologie de l’expérience sociale est la subjectivité des
acteurs » (1994) 19. Pour autant, cette sociologie est-elle une sociologie du sujet ?
Je ne le crois pas. C’est plutôt une sociologie de la subjectivation, qui ne
parvient pas à se défaire complètement des limites que la sociologie classique
s’impose en refusant de prendre en considération la spécificité du sujet. C’est ce
que je voudrais montrer ici.
Je rappellerai d’abord les grandes lignes de la sociologie de l’action que
propose Dubet. La sociologie classique, explique-t-il, étudie la société comme
une « unité fonctionnelle » ; elle analyse les fonctions sociales, les normes, les
valeurs, les intérêts en jeu dans la société. Elle n’a pas besoin de s’intéresser à la
subjectivité car l’individu ne fait qu’intérioriser les normes et les valeurs
sociales. Mais nous ne pouvons plus nous satisfaire d’une telle sociologie car la
société, aujourd’hui, « ne peut plus être conçue comme un système unifié »
(1996). En effet, l’ensemble social est maintenant formé par la coprésence de
trois systèmes, régis chacun par une logique différente : une « communauté »,
structurée par une logique de l’intégration ; un ou plusieurs marchés compétitifs,
relevant d’une logique de la stratégie ; un système culturel, répondant à une
logique de subjectivation. L’individu social est lui-même soumis à chacune de
ces logiques : il intériorise des valeurs à travers des rôles, il est en concurrence
avec d’autres acteurs dans l’ensemble des activités sociales, il est un sujet qui ne
se confond ni avec ses rôles ni avec ses intérêts (1994). Dès lors, l’unité de
l’individu n’est plus donnée, elle non plus, elle doit être construite : « l’acteur est
tenu d’articuler des logiques d’action différentes, et c’est la dynamique
engendrée par cette activité qui constitue la subjectivité de l’acteur et sa
réflexivité » ; l’expérience sociale est « la combinaison subjective, réalisée par
les individus, de plusieurs types d’action ». L’individu social est désormais
conçu comme un acteur doté d’une subjectivité, et non plus comme un simple
agent.
Ce modèle général s’applique à l’école – d’autant mieux qu’en fait il a été en
bonne partie construit à partir des recherches de Dubet sur la galère des jeunes et
sur les lycéens (1987 et 1991).
Tout comme la société, l’école ne peut plus être analysée comme un système
régi par une logique unique, « comme une institution qui transforme des
principes en rôles » (1996). Elle est elle aussi structurée par plusieurs logiques
d’action : la socialisation, la distribution des compétences, l’éducation. Dès lors,
le sens de l’école n’est plus donné mais doit être construit par les acteurs : « on
définira l’expérience scolaire comme la manière dont les acteurs, individuels ou
collectifs, combinent les diverses logiques de l’action qui structurent le monde
scolaire ». Or, rappelons-nous que cette activité d’articulation entre les logiques
de l’action « constitue la subjectivité de l’acteur ». L’expérience scolaire produit
donc de la subjectivité, et des expériences scolaires différentes engendrent des
formes différentes de subjectivité : ainsi, l’école « fabrique, ou contribue à
fabriquer, des acteurs et des sujets de nature différente ».
Dubet étudie ce processus de subjectivation aux différents étages du système
scolaire.
« À l’école élémentaire, la socialisation prime sur la subjectivation qui
n’émerge, et de manière ponctuelle, que sous forme de “rejets” ».
Au collège, au contraire, l’expérience scolaire est dominée par les clivages et
les tensions, de sorte que s’affirme progressivement un principe de
subjectivation adolescente : les collégiens parviennent plus ou moins à
« construire un programme de subjectivation ».
Au lycée, quand tout se passe bien les tensions se réduisent et les diverses
dimensions de l’expérience sont conciliées. « Le lycéen se construit comme un
sujet, c’est-à-dire comme l’auteur de sa propre éducation, quand il possède la
capacité de construire son expérience, de lui donner un sens et de la maîtriser en
fonction de la nature des épreuves qui lui sont imposées ». Mais il y a diverses
figures de la subjectivation lycéenne. Dubet et Martuccelli en proposent quatre.
Première figure : la subjectivation prolonge la socialisation. On retrouve là
l’idéal classique (la paideia) mais alors que celui-ci proposait un modèle
d’homme, aujourd’hui il n’y a plus de modèle substantif et central d’humanité.
Le lycéen est confronté à deux images de l’individu : celle de la performance et
celle de l’expressivité, et il est obligé de combiner le calcul et la vocation.
Deuxième figure : l’aliénation lycéenne. Chez Dubet, « l’aliénation est conçue
comme la privation de la capacité d’être sujet » (1994). Les lycéens aliénés ne
parviennent pas à se percevoir comme les sujets de leur expérience scolaire. Ils
ressentent un sentiment d’invalidation personnelle, d’impuissance, d’absurdité
ou de vide de la culture scolaire.
Troisième figure : les lycéens qui se construisent comme sujets à côté de
l’école proprement dite, que ce soit à travers les petits boulots ou, parfois, dans
la citoyenneté lycéenne que confère le statut de délégué d’élève.
Quatrième figure : les lycéens qui se subjectivent contre l’école. Le sujet se
constitue alors dans sa capacité de résister à l’école, d’en refuser la légitimité, de
ne jamais se prendre dans ses catégories.
On aura perçu, à travers ces lignes, l’intérêt de ces analyses souvent très fines
et prenant appui sur de nombreuses données de terrain. Il n’en reste pas moins
qu’elles posent plusieurs problèmes.
Premièrement, un problème de cohérence interne. Dubet utilise en fait deux
modèles, l’un ternaire, l’autre binaire. Le modèle général, exposé dans
Sociologie de l’expérience (1994) et repris dans À l’école, Sociologie de
l’expérience scolaire (1996), est ternaire : il existe trois logiques de l’action, la
subjectivation n’étant que l’une des trois. Mais le modèle opératoire utilisé en
1996 pour analyser l’expérience scolaire est binaire : d’un côté la socialisation,
de l’autre la subjectivation. « La formation des acteurs sociaux est double. D’une
part, c’est une socialisation dans laquelle les individus intériorisent des normes
et des modèles. D’autre part, c’est une subjectivation conduisant les individus à
établir une distance à leur socialisation » 20. C’est effectivement ce combat entre
socialisation et subjectivation qui, nous l’avons vu, sert de fil directeur à
l’analyse de l’expérience scolaire des écoliers, des collégiens et des lycéens.
Mais cela pose, précisément, un deuxième problème : le modèle opératoire
mis en œuvre par F. Dubet et D. Martuccelli disjoint et oppose la socialisation et
la subjectivation. Or, toute socialisation n’est-elle pas aussi subjectivation et
toute subjectivation n’est-elle pas aussi socialisation ? Les auteurs ont
conscience de cette difficulté. Ils écrivent : « C’est là le paradoxe de la
socialisation qui est aussi une subjectivation puisque l’acteur ne se réduit pas à la
somme de ses apprentissages sociaux » (1996). Il me semble qu’il faut
comprendre par là que la socialisation produit aussi de la subjectivité, comme
une sorte de plus qui interdirait de réduire l’acteur à une somme d’apprentissages
sociaux. Mais que devient alors l’opposition entre socialisation et
subjectivation ?
Enfin, les énoncés mêmes qui sont construits à partir d’une telle approche
posent une série de problèmes. Il nous faut admettre que les élèves de l’école
primaire commencent tout juste à émerger comme sujets – alors qu’ils viennent
de traverser la période du conflit œdipien. Il nous faut admettre qu’un lycéen est
plus ou moins sujet, selon que le processus de subjectivation a plus ou moins
réussi à imposer sa logique au processus de socialisation. Il nous faut également
admettre, à l’inverse, qu’un lycéen en échec est privé de la capacité d’être sujet –
tout au moins s’il continue à adhérer aux valeurs scolaires. Or, je ne peux
admettre que l’on puisse être plus ou moins sujet, ni que l’on puisse être privé de
la capacité d’être sujet. Tout être humain est un sujet, y compris lorsqu’il est
dominé et aliéné, et s’il y a diverses façons de se construire comme sujet elles ne
relèvent pas du plus ou du moins.
Ces trois séries de problèmes renvoient à la même difficulté fondamentale :
Dubet construit une théorie de la subjectivation qui tente de faire l’économie de
la notion de sujet. Certes, il emploie fréquemment les termes de subjectivité et
de sujet, mais le sujet n’est en fait qu’une hypothèse que le sociologue doit poser
et non un objet de recherche. C’est ce que je voudrais maintenant établir.
La difficulté centrale réside dans la définition même de la subjectivation, de la
subjectivité et du sujet.
Je partirai du premier problème ci-dessus évoqué. Dans le modèle général de
Dubet, ternaire, la subjectivation est l’une des trois logiques, celle qui régit « le
système culturel ». Dans son modèle opératoire, binaire, la subjectivation est un
processus, qui conduit les individus « à établir une distance à leur socialisation ».
Pourquoi opérer un tel passage du ternaire au binaire, de la subjectivation
comme logique à la subjectivation comme processus ? Parce que selon Dubet le
statut de ces trois logiques n’est pas le même. Les logiques de l’intégration et de
la stratégie « apparaissent comme des logiques “positives” de l’action, comme
des “réalités” » (1994). La logique de subjectivation « n’apparaît que de manière
indirecte dans l’activité critique » car le sujet n’a pas de « réalité incarnée ». Dès
lors, le passage d’un modèle ternaire à un modèle binaire devient
compréhensible. Les deux premières logiques, celles de l’intégration et de
l’intérêt, engendrent, par intériorisation, des « Moi sociaux » ; elles induisent
donc un processus de socialisation. Mais on constate que l’individu n’adhère
jamais complètement à ses rôles et à ses intérêts, qu’il prend de la distance vis-à-
vis de ses Moi sociaux. Il existe donc une autre logique, un autre processus, qui
s’oppose à la socialisation et témoigne d’un « effort de subjectivation »
permettant de se démarquer des Moi sociaux. Le modèle ternaire des trois
logiques est ainsi relayé par le modèle binaire des deux processus : la théorie est
cohérente.
Dans cette théorie, ce qui définit d’abord le sujet, c’est la distance. La
subjectivation conduit « les individus à établir une distance à leur socialisation »
(1996) ; c’est « la distance à soi, qui fait de l’acteur un sujet » (1994). Cette
distance est rendue possible par la multiplicité des logiques sociales mais cette
multiplicité même induit chez les individus une activité d’articulation des
logiques diverses : « c’est la dynamique engendrée par cette activité qui
constitue la subjectivité de l’acteur ». La subjectivité naît donc de l’hétérogénéité
du social, de la distance de l’individu vis-à-vis de ses Moi sociaux, d’une activité
d’unification de soi. Il y a là une intuition juste de ce qu’est un sujet. Ce que
nous dit en fait Dubet, c’est que le sujet est irréductible à l’intériorisation du
social (à des Moi sociaux) et qu’il est porteur d’une exigence d’unité. Quand on
se donne des « Moi sociaux » constitués par intériorisation d’une position, d’un
rôle, d’une norme, d’une stratégie, etc., on ne trouve pas le sujet. D’une part,
parce que le sujet est autre chose que du social intériorisé. D’autre part, parce
que le sujet est une forme d’unité que l’on ne peut constituer par l’addition de
Moi sociaux – « l’acteur ne se réduit pas à la somme de ses apprentissages
sociaux » (1996). Autrement dit, toute la pensée de Dubet devrait l’amener à
poser la spécificité du sujet.
Mais il s’interdit de poser le sujet car ce serait pour lui une sorte de trahison
de l’entreprise sociologique. « Il est d’autant plus difficile de définir une logique
sociale du sujet que la sociologie s’est construite, principalement, contre l’idée
même de sujet, qu’il s’agisse du sujet historique de l’historicisme ou du sujet
individuel de la Raison », explique Dubet (1994). Aussi prend-il soin de dénier
au sujet toute réalité autre que sociale – alors que la norme et l’intérêt ont, eux,
une « réalité »... « Le sujet n’a pas vraiment de « réalité incarnée » en dehors de
ses représentations dans l’art comme subjectivité « pure », bien que, là aussi, la
définition du sujet soit sociale et culturelle ». « Dans une perspective
sociologique, la subjectivité est perçue comme une activité sociale engendrée par
la perte de l’adhésion à l’ordre du monde, au logos ». Autrement dit, le sujet ne
peut pas être un objet direct de l’analyse sociologique. L’objet d’analyse, c’est la
subjectivation (la prise de distance), et le sujet n’est qu’une hypothèse que le
sociologue est amené à poser lorsqu’il prend acte de l’existence d’un processus
de subjectivation : s’il y a un processus de subjectivation, il construit quelque
chose qu’il faut bien appeler un sujet.
Ce refus de se donner le sujet comme objet à penser par la sociologie précipite
Dubet dans de nombreuses difficultés théoriques.
Premièrement, il pose et nie, tout à la fois, la spécificité de la logique du sujet.
Il la pose : la logique de subjectivation est l’une des trois logiques d’action par
lesquelles il définit la société. Mais il la nie : ce n’est, précisément, que l’une des
trois logiques, placée à côté des deux autres. Mais il ne peut pas la nier : cette
logique est différente des deux autres (de sorte qu’il est amené à passer du
modèle ternaire au modèle binaire). Je dirai pour ma part que la logique du sujet
n’est ni une troisième logique ni une deuxième mais une logique autre,
spécifique. Le sujet ne s’ajoute pas à des Moi sociaux intériorisés, il ne s’en met
pas à distance, il ne les combat pas. Le sujet s’approprie le social sous une forme
spécifique, y compris sa position, ses intérêts, les normes et les rôles qu’on lui
propose ou impose. Le sujet n’est pas une distance vis-à-vis du social, il est un
être singulier qui s’approprie le social sous une forme spécifique, transmuée en
représentations, en comportements, en aspirations, en pratiques, etc. En ce sens,
le sujet a une réalité sociale, qui peut-être étudiée, analysée autrement qu’en
termes de différence ou de distance.
Poser le sujet comme un être à la fois singulier et social permettrait de
résoudre également la question des rapports entre subjectivation et socialisation.
La subjectivation est prise de distance vis-à-vis de la socialisation, écrit Dubet.
Mais comment expliquer une telle prise de distance dès lors que l’on s’interdit
de sortir du social ? On est alors obligé de penser une subjectivation qui
s’engendre à partir du social et qui, pourtant, permet à l’individu de prendre ses
distances vis-à-vis du social : « c’est là le paradoxe de la socialisation qui est
aussi une subjectivation » (1996). F. Dubet parvient à résoudre ce paradoxe. « La
subjectivation des individus ne se forme que dans l’expérience de la distance
entre les divers Moi sociaux et l’image d’un sujet offerte dans la religion, l’art, la
science, le travail... bref, toutes les figures historiques disponibles ». Autrement
dit, l’individu rencontre dans la société des « figures sociales de la subjectivité »
qui lui permettent de prendre de la distance vis-à-vis des Moi sociaux constitués
par intériorisation des normes et intérêts. La subjectivation est pensée comme
distance entre les Moi sociaux et l’image sociale d’un sujet. L’honneur du
sociologue est sauf : il n’est pas sorti du social.
La solution est intellectuellement élégante mais elle n’est pas sans poser
problème. En effet, quel est le statut de ces « figures sociales de la
subjectivité » ? Deux réponses sont possibles. Ou bien il s’agit de figures
offertes aux aspirations du sujet et lui permettant de se défaire de l’identification
à des normes et à des intérêts. Mais cela suppose que l’on ait posé un sujet, ce
que l’on s’est interdit. Ou bien il s’agit de figures elles-mêmes intériorisées.
Dans ce cas, l’individu porte en lui un Moi social qui est refus d’une définition
en termes de rôles et d’intérêts et exigence d’unité ; ce Moi social entretient une
dynamique de la subjectivation. Une telle solution est cohérente avec la théorie
développée par Dubet. Mais elle oblige à définir le psychisme en termes
d’intériorisation du social, l’originalité de Dubet étant alors de considérer que le
social intériorisé est hétérogène et travaillé par des tensions. L’explication en
termes d’intériorisation a été affinée mais on n’est pas sorti de l’intériorisation.
Tout le problème est là, précisément, et l’on pourrait concentrer toutes les
questions qui précèdent en une seule : à qui tout ce que décrit Dubet arrive-t-il ?
Qui ressent une distance à soi ? Qui se sent « tenu d’articuler des logiques
d’action différentes », qui éprouve ainsi cette aspiration à une unité de soi ? Qui
s’engage vers des modèles culturels proposant la représentation d’un sujet ? Qui,
au terme du processus, se ressent comme sujet ou comme aliéné ?
En tout état de cause, on est obligé de se donner, d’emblée, un psychisme à
qui tout cela arrive. D’où, immédiatement, la question : quelle est la nature de ce
psychisme, est-ce ou non celui d’un sujet ?
Ma réponse est oui : c’est le psychisme d’un sujet, et il n’y a de psychisme
que d’un sujet. Mais alors ce que Dubet étudie sous le nom de subjectivation, ce
n’est pas la construction d’un sujet, qui est déjà là, dès le départ. Ce qu’il étudie,
ce sont des formes sociales de la subjectivité et la prise de conscience réflexive
de soi comme sujet. Mais peut-on mener une telle étude sans prendre en compte
tout ce que nous ont appris la psychologie, et, au-delà, l’anthropologie, la
philosophie, la linguistique... ?
La réponse des sociologues est non, ou plus exactement : c’est sans doute le
psychisme d’un sujet mais le sociologue s’interdit de penser ce psychisme en
référence à un sujet. Nous avons vu que Bourdieu définit, avec le concept
d’habitus, du psychisme de position. Dubet, pour sa part, cherche à constituer la
subjectivité comme catégorie sociologique sans avoir pour autant à poser le sujet
comme objet d’analyse du sociologue 21. Pour ce faire, il prend appui, comme la
sociologie classique, sur le concept d’intériorisation. Or, un tel concept, nous
l’avons vu, vide les notions mêmes de psychisme et de subjectivité de leur
spécificité. Penser en termes d’intériorisation aboutit toujours à constituer un
psychisme qui n’en est pas un, une subjectivité qui n’en est pas une. Par là
même, le regard sociologique s’enferme dans des limites qui le brident. Ainsi, il
est quand même étonnant que la sociologie de Dubet, construite en termes de
logiques d’action, n’accorde pas de véritable place à la question de l’activité de
l’individu sur et dans le monde. Tout comme il est étonnant – mais c’est sans
doute une conséquence de ce qui précède – que sa sociologie de l’expérience
scolaire ne dise pratiquement rien de l’élève s’affrontant au savoir et à la
nécessité d’apprendre. Une véritable sociologie du sujet ne pourrait oublier que
l’enfant est jeté dans un monde qu’il doit s’approprier par son activité et qu’il y
est confronté en permanence à la question du savoir.
C’est donc à une sociologie du sujet qu’il faut travailler. Cette sociologie ne
pourra pas faire l’économie d’un dialogue (critique) avec les sciences humaines
qui traitent elles aussi du sujet : la psychologie, bien sûr, mais aussi
l’anthropologie (c’est d’un sujet humain qu’il s’agit), les sciences du langage,
d’autres peut-être 22. Je ne suis pas loin de penser, d’ailleurs, que F. Dubet en
arrive aux mêmes conclusions. Vers la fin de Sociologie de l’expérience, il écrit :
« aucune explication sociologique ne peut se dispenser d’une anthropologie et,
plus encore, d’une psychologie abstraites mais vraisemblables ». Dans la
conclusion, il franchit un pas supplémentaire : « on ne pourra pas se résoudre
toujours à séparer totalement la psychologie abstraite des sociologues de la
psychologie clinique des psychologues, qui ne va d’ailleurs pas sans sociologie
latente. Le détour d’une analyse de l’expérience par la sociologie ne peut se
passer d’un équivalent ou d’un prolongement dans la psychologie particulière
des individus ». Il est temps, en effet, que les sociologues cessent de traiter du
psychisme tout en déniant le sujet et s’interrogent sur les conditions de
possibilité d’une sociologie du sujet 23.
Ces conditions restent à travailler et à établir. Il ne s’agit pas de poser un sujet
philosophique doté de facultés échappant à toute forme d’objectivation, ou un
sujet psychologique conçu comme une mystérieuse entité enfermée dans son
intimité. La sociologie doit étudier le sujet comme un ensemble de rapports et de
processus 24. Le sujet est un être singulier, doté d’un psychisme régi par une
logique spécifique, mais c’est aussi un individu qui occupe une position dans la
société et qui est pris dans des rapports sociaux. Une sociologie du sujet peut
s’attacher à comprendre comment l’individu s’approprie l’univers social des
possibles (pour reprendre les termes de Bourdieu), comment il construit son
monde singulier en référence à des logiques d’action hétérogènes (en référence à
Dubet), quelles relations il entretient avec le « savoir » (en référence à nos
propres travaux), et sans doute bien d’autres choses encore. Il ne s’agit pas de
dissoudre la sociologie dans un discours flou sur le sujet mais de lui proposer de
l’étudier comme un ensemble de rapports et de processus.
3. Le « fantôme d’autrui que chacun porte en soi » : une
incursion chez les psychologues
Une sociologie du sujet ne peut faire l’impasse sur la psychologie et ses
acquis. Mais toute psychologie n’est pas d’égale utilité pour un sociologue.
Ainsi, la psychologie de Piaget ne lui apportera guère. Il s’agit en effet,
fondamentalement, d’une psychologie du développement qui puise ses
références dans la biologie et la logique, même si elle n’ignore pas
complètement la dimension sociale du développement de l’enfant. Une
sociologie du sujet ne peut entrer en dialogue qu’avec une psychologie qui pose
comme principe que tout rapport à soi passe par le rapport à l’autre 25. Or, tel est
précisément aujourd’hui un des principes de base de la psychologie clinique.
La psychanalyse repose largement sur un tel principe. Freud le met en œuvre à
travers des concepts comme identification, sublimation, Surmoi. Lacan
développe une théorie où l’autre est au cœur du sujet et attache une grande
importance au stade du miroir, ce premier rapport à soi qui est rapport à soi
comme autre (Ogilvie, 1987).
Mais la psychanalyse n’a pas le monopole du principe. On le rencontre
également chez des psychologues qui ne s’en réclament pas, en tout cas pas
directement, comme Wallon ou Vygotski.
Wallon écrit : « L’individu, s’il se saisit comme tel, est essentiellement social.
Il l’est non par suite de contingences extérieures, mais par suite d’une nécessité
intime. Il l’est génétiquement » (1946). Pour Wallon, en effet, le moi et l’autre
sont à jamais liés. Ils se constituent conjointement, à partir d’un état premier
d’indistinction, et l’Autre reste un « partenaire perpétuel du Moi dans la vie
psychique », ce « fantôme d’autrui que chacun porte en soi » (1946).
Vygotski, par une autre voie, pose lui aussi que le sujet humain est
génétiquement social 26. « Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux
fois au cours du développement de l’enfant : d’abord comme activité collective,
sociale, et donc comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme
activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant, comme
fonction intrapsychique » (1933). Ainsi, le langage n’est pas d’abord
égocentrique puis socialisé, comme chez Piaget ; il est d’abord forme de
l’échange social, puis dialogue égocentrique puis langage intérieur (1934). Mais
cette intériorité est pensée comme mode de fonctionnement spécifique du
psychisme, et non comme intériorisation : « Le transfert (des fonctions
psychiques) à l’intérieur est lié à des changements dans les lois qui gouvernent
leur activité ; elles sont incorporées dans un nouveau système qui possède ses
propres lois » (1930).
Notons enfin que des philosophes et anthropologues posent eux aussi comme
principe que le rapport à soi suppose le rapport à l’autre. Ainsi, toute l’œuvre de
Girard repose sur l’idée que le désir est désir du désir de l’autre (Girard, 1982 ;
Martinez, 1996).
Tout rapport à soi est aussi rapport à l’autre, et tout rapport à l’autre est aussi
rapport à soi. Il y a là un principe essentiel pour construire une sociologie du
sujet : c’est parce que chacun porte en soi le fantôme de l’autre et parce que,
inversement, les rapports sociaux produisent des effets sur les sujets, qu’une
sociologie du sujet est possible. Il y a là également un principe fondamental pour
comprendre l’expérience scolaire et pour analyser le rapport au savoir :
l’expérience scolaire est, indissociablement, rapport à soi, rapport aux autres
(aux enseignants et aux copains), rapport au savoir.
Sur ce point, le livre récent de l’équipe de Paris X, qui travaille la question du
rapport au savoir d’un point de vue psychanalytique, me fait problème (Beillerot,
Blanchard-Laville, Mosconi et al., 1996). En effet, après avoir posé l’autre au
cœur du désir de savoir, les auteurs oublient ce principe, me semble-t-il, et
régressent vers une interprétation biologisante du désir.
Au terme de son texte, Jacky Beillerot écrit : « Toute étude qui prendra le
rapport au savoir comme notion centrale ne pourra pas s’affranchir du
soubassement psychanalytique ; non que cela interdise d’autres approches, mais
c’est à partir de la théorisation de la relation d’objet, du désir et du désir de
savoir, puis de l’inscription sociale de ceux-ci dans des rapports (qui lient le
psychologique au social) 27 qu’il sera possible de prendre le risque de faire
travailler et évoluer la notion ; une évolution qui n’oubliera pas une chose
essentielle, sous peine de lui faire perdre son sens : il n’y a de sens que du
désir ». Il y a là plusieurs affirmations, qu’il convient de dissocier.
Il n’y a de rapport au savoir que d’un sujet, et le sujet est désir : je suis tout à
fait d’accord sur ce point – et c’est parce qu’elle néglige cette dynamique du
désir que la sociologie se jette dans les embarras d’un psychisme sans sujet.
J’adhère également aux formules par lesquelles J. Beillerot rappelle ce qu’est le
désir. Le désir est « une aspiration première », « c’est le désir qui est cause et
non l’objet cause du désir ». Toutefois, si le désir est la donnée de base, s’il se
définit en tant que tel et non à partir de ce dont il est désir, il ne peut exister que
sous la forme d’un « désir de » : il n’y a pas de désir sans objet du désir. Cet
objet, en dernière analyse, c’est toujours l’autre. « Autrui est la visée du désir,
autrui comme personne ; le désir ne porte que sur un autre désir, il vise ce qui
dans l’autre désigne un autre désir ». Je ne songerais donc pas un instant à nier
qu’il y ait place pour un travail psychanalytique sur le désir de savoir et sur le
rapport au savoir.
En revanche, je ne peux être d’accord avec une approche qui entend fonder le
désir sur la pulsion (dans une perspective biologisante qui fait régresser de Lacan
à Freud), et n’introduit le social que dans un second ou un troisième temps. C’est
une telle approche qui est mise en œuvre dans le texte de Nicole Mosconi qui
suit immédiatement celui de J. Beillerot.
À la source de tout, explique-t-elle, se trouve « le processus somatique qui est
localisé dans un organe » et qui engendre une pulsion. Cette pulsion cherche à se
satisfaire en investissant un objet (« Le but d’une pulsion est toujours la
satisfaction » ; son « objet » est « ce par quoi la pulsion peut atteindre son but »).
Mais une pulsion peut changer d’objet : « des buts intermédiaires peuvent
s’offrir à la pulsion. Le savoir peut se présenter comme capable d’offrir ces
satisfactions intermédiaires ». À travers ce processus de sublimation, l’objet-
savoir devient « l’objet des tendances pulsionnelles ». Mais une dernière étape
reste à franchir. En effet, cet objet-savoir est encore sous l’emprise du sujet, « il
est partiellement au moins le produit de son imaginaire individuel ». Pour qu’il y
ait rapport au savoir, il reste à passer au savoir « produit par l’imaginaire social
de sa société ». Ce qui est possible grâce à « la socialisation de la psyché ».
Dans une telle théorisation, la pulsion permet de penser le psychisme sans
référence à l’autre (qui n’est introduit qu’au moment de la sublimation). Dès
lors, la construction du concept de rapport au savoir suivra les transformations
de la pulsion – et ne rencontrera l’autre que dans un deuxième temps, et le social
dans un troisième. Les auteurs sont en fait sortis d’une théorie du désir – ou plus
exactement ils l’ont rabattue sur une théorie de la pulsion, en oubliant qu’
« autrui est la visée du désir », que « le désir ne porte que sur un autre désir ». Ils
nous proposent un sujet qui n’est pas immédiatement social et ne le devient que
par « la socialisation de la psyché » – tout comme la sociologie pose un
psychisme qui n’est pas immédiatement celui d’un sujet et ne le devient
(éventuellement...) que par un processus de subjectivation. Aussi n’est-il pas
étonnant qu’ils campent sur une position impériale (la psychanalyse comme
soubassement de tout discours sur le rapport au savoir), face au camp, tout aussi
impérial, de la sociologie qui considère le sujet comme une illusion. On me
permettra de souligner que cette violence que les sciences humaines exercent les
unes à l’encontre des autres (Martinez, 1996) repose largement sur une
ignorance de l’identité de l’autre. L’équipe de Paris X réduit la sociologie à sa
version classique : « les grandes forces sociales n’agissent jamais directement
sur les individus mais toujours au travers des collectifs, groupes ou institutions
dont l’individu fait partie » (Mosconi). Tout comme beaucoup de sociologues
semblent ignorer que la psychologie clinique actuelle pose l’autre au cœur du
sujet.
« Il n’y a de sens que du désir », écrit J. Beillerot. Certes, mais ce désir n’est
pas l’avatar d’une pulsion biologique. Il est, indissociablement, absence du sujet
à lui-même et présence du sujet en l’autre. Il n’y a de sens que pour un sujet en
quête de soi et ouvert à l’autre et sur le monde. Tout rapport à soi est rapport à
l’autre. Tout rapport à l’autre est rapport à soi. Et ce double rapport – qui n’en
fait qu’un – est rapport entre moi et l’autre dans un monde que nous partageons,
et qui excède notre rapport. La question relève de l’anthropologie. La
perspective anthropologique manque à Dubet, qui pose la socialisation et la
subjectivation mais oublie l’hominisation. Elle manque à l’équipe de Paris X,
qui oublie que le sujet et son désir ne sont intelligibles qu’à travers l’humaine
condition. C’est de là qu’il faut partir : de la condition du petit d’homme. Cette
condition qui fait de lui un sujet, lié à l’autre, désirant, partageant un monde avec
d’autres sujets, et transformant ce monde avec eux. Cette condition qui impose
au petit d’homme de s’approprier le monde et de se construire lui-même, de
s’éduquer et d’être éduqué.
CHAPITRE IV
C’est un petit d’homme qui devient sujet, qui est éduqué et qui s’éduque : la
condition première de l’individu humain devrait être le fondement ultime de
toute théorie de l’éducation, de quelque discipline qu’elle relève.
1. Naître, c’est être soumis à l’obligation d’apprendre
Kant écrivait déjà, à la fin du 18e siècle : « L’homme est la seule créature qui
doive être éduquée (...) Par son instinct un animal est déjà tout ce qu’il peut être ;
une raison étrangère a déjà pris soin de tout pour lui. Mais l’homme doit user de
sa propre raison. Il n’a point d’instinct et doit se fixer lui-même le plan de sa
conduite. Or puisqu’il n’est pas immédiatement capable de le faire, mais au
contraire vient au monde pour ainsi dire à l’état brut, il faut que d’autres le
fassent pour lui ». En 1796, Fichte reprend cette idée : « En un mot tous les
animaux sont achevés et parfaits, l’homme est seulement indiqué, esquissé (...)
Tout animal est, ce qu’il est ; l’homme seul originairement n’est rien. Il doit
devenir ce qu’il doit être ; et puisqu’il doit être un être pour soi, il doit le devenir
par lui-même. La nature a achevé toutes ses œuvres ; mais elle a abandonné
l’homme et l’a remis à lui-même (...) Si l’homme est un animal, alors il s’agit
d’un animal extrêmement imparfait et précisément pour cette raison ce n’est pas
un animal » 28. L’essentiel est déjà là : l’homme n’est pas, il doit devenir ce qu’il
doit être ; pour cela, il doit être éduqué par ceux qui suppléent à sa faiblesse
initiale, et il doit s’éduquer, « devenir par lui-même ».
Cet inachèvement de l’homme a été pensé par les scientifiques comme
prématuration : tout se passe en effet comme si l’homme naissait alors que son
développement n’était pas terminé et devait s’achever hors de l’utérus. Aussi
naît-il fragile mais également doté d’une grande plasticité : il n’est pas défini par
des instincts mais s’achève au cours d’une histoire. Pour reprendre les termes de
Fichte, c’est parce que l’homme est un animal imparfait (qui n’est pas fait
complètement) qu’il n’est pas un animal. Cette immaturation, à en croire la
théorie de la néoténie, s’inscrit dans l’histoire de l’espèce : l’homme naît
prématuré parce qu’il est un néotène. On désigne par néoténie le fait, observé
chez des insectes et des batraciens, que certaines espèces se reproduisent alors
que les individus ont conservé leur forme larvaire (Bolk, 1926 ; Lapassade,
1963) 29. Dans l’histoire des espèces, l’homme serait une forme fœtale – un
fœtus de primate en quelque sorte...
Mais la prématuration de l’homme n’est qu’une face de la condition humaine,
inséparable de son autre face : l’homme survit parce qu’il naît dans un monde
humain, qui lui préexiste, qui est déjà structuré. Lucien Sève a centré ses travaux
sur cette autre face (1968). Il rappelle et développe la VIe Thèse de Marx sur
Feuerbach : « L’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu
pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Certes,
l’enfant est pauvrement équipé à sa naissance mais il bénéficie de « la richesse
fabuleuse de son “équipement” social excentré ». « Autrement dit l’individu
humain n’a pas originairement son essence au-dedans de lui-même, mais au
dehors, en position excentrée, dans le monde des rapports sociaux ». « L’
humanité (au sens de l’“être homme”), par opposition à l’animalité (l’“être
animal”) n’est pas une donnée présente par nature dans chaque individu isolé,
c’est le monde social humain, et chaque individu naturel devient humain en
s’hominisant par son processus de vie réel au sein des rapports sociaux ». La
condition humaine, ce n’est donc pas seulement l’absence de l’être dans l’enfant
qui naît, c’est aussi l’entrée dans un monde où l’humain existe sous la forme
d’autres hommes et de tout ce que l’espèce humaine a construit précédemment.
L’éducation est cette appropriation, toujours partielle, d’une essence excentrée
de l’homme.
Kant et Fichte, l’anatomie comparée, Sève : les références sont disparates et
les théories ne sont pas compatibles. Mais elles convergent sur le point qui nous
intéresse ici : la définition de la condition humaine qui, seule, permet de prendre
en compte toutes les dimensions de l’éducation de l’homme.
Par condition, l’homme est absent à lui-même. Il porte cette absence en lui,
comme désir. Un désir qui est toujours, au fond, désir de soi, de cet être qui lui
manque, un désir qui ne saurait être assouvi car l’assouvissement anéantirait
l’homme comme homme.
Mais par condition également, l’homme est présent hors de lui-même.
Il est présent en cet autre qui, fort concrètement, lui permet de survivre, et qui
est lui aussi un homme 30. Cet autre, parce qu’il est la figure de l’humain, est
objet de désir, en des formes complexes 31. Il est objet d’amour, car il est ce dont
j’ai besoin, et indissociablement objet de haine, car son existence même
témoigne que je ne suis pas tout l’humain.
Mais l’homme est également présent sous forme d’un monde, un monde
humain produit par l’espèce au cours de son histoire et qui préexiste à l’enfant,
sous forme de structures, d’outils, de relations, de mots et de concepts, d’œuvres.
Cette absence à soi/présence à soi hors de soi est la condition même de
l’homme. Elle le constitue comme sujet, et entretient la dynamique du désir –
que l’on ne saurait réduire à une pulsion organique en quête d’objet. Mais ce
sujet ne se réduit pas pour autant au désir et à la relation à l’autre comme
personne. Il est aussi un corps engagé dans un monde où il doit survivre, agir,
produire – même si, dans un premier temps, cette nécessité est prise en charge
par d’autres. Le monde ne se surajoute pas à un univers où il n’y aurait que le
sujet et l’autre, unis et déchirés dans des relations de désir. Le monde est là,
immédiatement, l’autre et l’altérité y prennent des formes « concrètes », sociales.
Si le désir est bien la structure fondamentale du sujet, il est toujours « désir de »
et ce « de » renvoie à une altérité qui a forme sociale, qu’il s’agisse de l’autre
personnel ou de l’objet du désir.
Naître, c’est entrer dans cette condition humaine. Entrer dans une histoire,
l’histoire singulière d’un sujet inscrite dans l’histoire plus large de l’espèce
humaine. Entrer dans un ensemble de relations et d’interactions avec d’autres
hommes. Entrer dans un monde où on occupe une place (y compris sociale) et où
il faudra avoir une activité.
Par là même, naître c’est être soumis à l’obligation d’apprendre. Apprendre
pour se construire, dans un triple processus d’hominisation (devenir homme), de
singularisation (devenir un exemplaire unique d’homme), de socialisation
(devenir membre d’une communauté, dont on partage des valeurs et où l’on
occupe une place). Apprendre pour vivre avec d’autres, des hommes avec qui
l’on partage le monde. Apprendre pour s’approprier le monde, une partie de ce
monde, et pour participer à une construction du monde qui a commencé avant
soi. Apprendre dans une histoire qui, tout à la fois, est mienne, profondément, en
ce qu’elle est unique, et m’échappe de toute part. Naître, apprendre, c’est entrer
dans un ensemble de rapports et de processus qui constituent un système de
sens – où se dit qui je suis, qui est le monde, qui sont les autres.
Ce système s’élabore dans le mouvement même par lequel je me construis et
suis construit par les autres – ce mouvement long, complexe, jamais
complètement achevé qu’on appelle éducation.
L’éducation est une production de soi par soi mais cette autoproduction n’est
possible que par la médiation de l’autre et avec son assistance. L’éducation est
production de soi par soi : elle est le processus par lequel l’enfant né inachevé se
construit comme être humain, social et singulier. Nul ne saurait m’éduquer si je
n’y consens en quelque sorte, si je n’y « mets pas du mien » ; une éducation est
impossible si le sujet à éduquer ne s’investit pas lui-même dans le processus qui
l’éduque. Mais inversement je ne saurais m’éduquer que dans un échange avec
les autres et avec le monde ; une éducation est impossible si l’enfant ne trouve
pas dans le monde ce qui lui permet de se construire. Toute éducation suppose le
désir, comme force d’impulsion qui entretient le processus. Mais il n’y a de
force d’impulsion que parce qu’il y a une force d’attraction : le désir est toujours
« désir de », l’enfant ne peut se construire que parce que l’autre et le monde sont
humains, et donc désirables.
On aboutit à la même conclusion en raisonnant à partir des éducateurs et de la
société qui ont le projet de former l’enfant. Pour se reproduire, ils doivent
produire des enfants – les engendrer mais aussi les produire comme leurs
enfants, membres d’une famille et d’une société à un moment de l’histoire. Mais
cette production présente un caractère particulier : l’enfant est à la fois la
« matière première » et l’opérateur immédiat du processus, les éducateurs ne
pouvant en être que les concepteurs et les médiateurs. On peut appliquer à
l’éducation le concept d’« usage de soi par soi » qu’Yves Schwartz développe à
propos du travail : « tout indique dans l’étude des actes de travail que l’“usage”
n’est pas seulement celui qu’on fait de vous, mais aussi celui que soi-même fait
de soi-même » (1987).
Parce que l’enfant naît inachevé, doit se construire et ne peut le faire que « de
l’intérieur », l’éducation est production de soi. Parce que l’enfant ne peut se
construire qu’en s’appropriant une humanité qui lui est « extérieure », cette
production exige la médiation de l’autre. L’éducation n’est pas subjectivation
d’un être qui ne serait pas sujet : le sujet est toujours déjà là. L’éducation n’est
pas socialisation d’un être qui ne serait pas déjà social : le monde, et avec lui la
société, est toujours déjà là.
Ce qui est ici analysé comme relation fonctionne comme un processus qui se
déroule dans le temps et implique des activités. Pour qu’il y ait activité, il faut
que l’enfant se mobilise. Pour qu’il se mobilise, il faut que la situation présente
pour lui du sens. Je voudrais préciser ces trois concepts que l’équipe ESCOL
utilise souvent dans ses analyses du rapport au savoir : mobilisation, activité,
sens.
2. Mobilisation, activité, sens : définition des concepts
Le concept de mobilisation implique l’idée de mouvement. Mobiliser, c’est
mettre en mouvement ; se mobiliser, c’est se mettre en mouvement. C’est pour
insister sur cette dynamique interne que nous employons le terme de
« mobilisation » de préférence à celui de « motivation ». La mobilisation
implique que l’on se mobilise (de « l’intérieur »), alors que la motivation met
l’accent sur le fait que l’on est motivé par quelqu’un ou quelque chose (de
« l’extérieur »). Certes, au terme de l’analyse les deux concepts convergent : on
pourrait dire que je me mobilise pour atteindre un objectif qui me motive et que
je suis motivé par quelque chose qui peut me mobiliser 32. Mais le terme de
mobilisation présente l’avantage d’insister sur la dynamique du mouvement.
Au-delà de l’idée de mouvement, le concept de mobilisation renvoie à deux
autres concepts : celui de ressources et celui de mobile (entendu comme « raison
d’agir »).
Mobiliser, c’est mettre des ressources en mouvement. Se mobiliser, c’est
réunir ses forces, pour faire usage de soi comme d’une ressource. En ce sens, la
mobilisation est à la fois le préalable à l’action (la mobilisation n’est pas la
guerre...) et son premier moment (... mais elle indique l’entrée prochaine dans la
guerre).
Mais se mobiliser, c’est aussi s’engager dans une activité parce qu’on est
porté par des mobiles, parce qu’on a « de bonnes raisons » de le faire. On
s’intéressera alors aux mobiles de la mobilisation, à ce qui produit la mise en
mouvement, la mise en activité. Le mobile lui-même ne peut être défini qu’en
référence à une activité : l’activité est un ensemble d’actions portées par un
mobile et qui visent un but (Leontiev, 1975 ; Rochex, 1995). Les actions, ce sont
les opérations mises en œuvre au cours de l’activité. Le but, c’est le résultat que
ces actions permettent d’atteindre. Le mobile, qui doit être distingué du but, c’est
le désir que ce résultat permet d’assouvir et qui a déclenché l’activité. Ainsi, un
crime est un ensemble d’actions qui aboutissent à la mort de quelqu’un (résultat
de ces actions). Le but du crime, c’est de se débarrasser d’un gêneur. Le mobile
du crime, c’est l’amour, la haine, le désir d’être riche ou puissant...
L’enfant se mobilise dans une activité lorsqu’il s’y investit, fait usage de soi
comme d’une ressource, est mis en mouvement par des mobiles qui renvoient à
du désir, du sens, de la valeur. L’activité a alors une dynamique interne. On
n’oubliera pas, cependant, que cette dynamique suppose un échange avec le
monde, où l’enfant trouve des buts désirables, des moyens d’action et d’autres
ressources que lui-même.
Pourquoi parlons-nous d’activité plutôt que de travail ou de pratique ? Les
trois termes sont en partie interchangeables, mais en partie seulement car ils ne
mettent pas l’accent sur la même chose. Le concept de travail porte l’attention
sur la dépense d’énergie : étymologiquement, le mot est lié à l’idée de torture,
ou, dans la Bible, à celle de punition, et c’est encore l’idée de dépense d’énergie
que l’on retrouve dans le travail de l’accouchement ou dans l’usage du mot en
physique. Le concept de pratique renvoie à une action finalisée et contextualisée,
confrontée en permanence à des mini-variations (Charlot, 1990). Si nous parlons
plutôt d’activité, c’est pour mettre l’accent sur la question des mobiles, c’est-à-
dire pour souligner qu’il s’agit d’une activité d’un sujet. Mais nous n’oublions
pas que cette activité se déploie dans un monde, et qu’elle suppose donc du
« travail » et des « pratiques ».
Il me faut enfin préciser ce que j’entends par sens, concept abondamment
utilisé dans toutes nos recherches. La tâche est difficile et il ne s’agit
évidemment pas de régler ici en quelques lignes une question très débattue mais
seulement d’indiquer ce que j’ai dans l’esprit quand j’utilise ce concept.
Je m’aiderai d’un article de Francis Jacques intitulé De la signifiance (1987).
Un énoncé est signifiant s’il a du sens (plan syntaxique, celui de la différence),
s’il dit quelque chose du monde (plan sémantique, celui de la référence) et s’il
peut être compris dans un échange entre interlocuteurs (plan pragmatique, celui
de la communicabilité). « Signifier, c’est toujours signifier quelque chose à
propos du monde, le signifier à quelqu’un ou avec quelqu’un ». A de la
« signifiance » ce qui a du sens, qui dit quelque chose du monde et qui s’échange
avec d’autres. Qu’est-ce que le sens, à strictement parler ? C’est toujours le sens
d’un énoncé, produit par les rapports entre les signes qui le constituent, signes
qui ont une valeur différentielle dans un système.
En traduisant (très librement...) cette analyse, pour l’utiliser hors de son
champ, celui du langage et de l’interlocution, je proposerai une triple définition.
A du sens un mot, un énoncé, un événement, qui peut être mis en relation avec
d’autres dans un système, ou dans un ensemble ; fait sens pour un individu
quelque chose qui lui arrive et qui a des rapports avec d’autres choses de sa vie,
des choses qu’il a déjà pensées, des questions qu’il s’est posées. Est signifiant
(ou, si l’on accepte cet élargissement, a du sens) ce qui produit de l’intelligibilité
sur quelque chose d’autre, ce qui éclaire quelque chose dans le monde. Est
signifiant (ou, cette fois encore par élargissement, a du sens) ce qui est
communicable et peut être compris dans un échange avec d’autres. Bref, le sens
est produit par une mise en relation, à l’intérieur d’un système ou dans les
rapports avec le monde ou avec les autres.
Je proposerai de faire un pas de plus, pour souligner que ce sens est du sens
pour quelqu’un, qui est un sujet. Je m’appuierai cette fois sur Leontiev et sa
théorie de l’activité (Leontiev, 1975 ; Rochex, 1995). Pour Leontiev, le sens
d’une activité est le rapport entre son but et son mobile, entre ce qui incite à agir
et ce vers quoi l’action est orientée comme résultat immédiat. Reprenons
l’exemple du crime. Quel sens cela a-t-il de tuer quelqu’un ? Sa mort (résultat du
crime), le fait que je sois débarrassé du gêneur (but), me permet de satisfaire le
désir qui était le mobile du crime. Ni le but seul ni le mobile seul ne permet de
comprendre le sens de l’acte, qui ne s’éclaire que si je mets en relation ce but et
ce mobile. En introduisant l’idée de désir (qui n’est pas explicitement dans la
théorie de Leontiev), on peut dire que fait sens un acte, un événement, une
situation qui s’inscrit dans ce nœud de désirs qu’est un sujet. Comme l’écrit J.
Beillerot, « il n’y a de sens que du désir » (Beillerot, Blanchard-Laville, Mosconi
et al., 1996).
Encore conviendrait-il de distinguer le sens en tant que désirabilité, valeur
(positive ou négative), et le sens simplement attaché à la signifiance. Si je dis
« cela a vraiment du sens pour moi », j’indique que j’y attache de l’importance,
que cela a pour moi de la valeur (ou si cela n’a pas de sens, c’est que « c’est
nul », comme disent les lycéens). Mais si je dis que « je n’y comprends rien »,
cela veut dire tout simplement que l’énoncé ou l’événement n’a pas de
signifiance.
Il faut également préciser qu’une chose peut faire sens pour moi sans que je
sache clairement pourquoi, ni même que je sache qu’elle fait sens. Toute la
psychanalyse est là pour le montrer : nous ne sommes pas transparents à nous-
mêmes.
Enfin, il faut souligner que la question du sens n’est pas réglée une fois pour
toutes. Une chose peut prendre sens, perdre son sens, changer de sens 33 car le
sujet lui-même évolue, par sa dynamique propre et par sa confrontation avec les
autres et avec le monde.
Le sujet dont nous étudions le rapport au savoir n’est donc ni une mystérieuse
entité substantielle définie par la Raison, la Liberté ou le Désir, ni un sujet
enfermé dans une intimité insaisissable, ni un ersatz de sujet construit par
intériorisation du social dans un psychisme de fiction, mais un être humain porté
par le désir et ouvert sur un monde social dans lequel il occupe une position et
est actif. Ce sujet peut être étudié de façon rigoureuse : il se constitue à travers
des processus psychiques et sociaux que l’on peut analyser, il se définit comme
un ensemble de rapports (à soi, aux autres et au monde) que l’on peut inventorier
et articuler conceptuellement.
CHAPITRE V
CONCLUSION
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XXIX.
Notes
1
Nous ne sommes pas dupes de l’apparente évidence de cette expression. En fait
on ne sait pas bien comment désigner et définir ces familles que l’on nomme
« populaires » et « défavorisées ». Je considérerai ici comme « populaires » des
familles qui occupent une position dominée dans la société, vivent des situations
de pauvreté ou de précarité, produisent une mise en forme pratique et théorique
du monde traduisant à la fois leur position dominée et les moyens mis en œuvre
pour vivre ou survivre dans cette position et parfois pour transformer les rapports
de force.
2
Éducation, Socialisation et Collectivités Locales (département de sciences de
l’éducation, Université Paris 8 Saint-Denis).
3
Dans ce livre, l’énonciateur sera désigné parfois par « je », parfois par « nous ».
Par « je » quand il s’agit de moi-même comme auteur du texte ou personne
empirique. Par « nous » quand est évoquée ESCOL comme équipe de recherche.
4
Est-il nécessaire de préciser que je ne prétends nullement épuiser ici la question
et poser des fondements qu’il faudrait considérer comme définitifs ? Plus
modestement, j’ai l’ambition de contribuer à un approfondissement théorique qui
donne statut de concept au « rapport au savoir » – et lui évite de devenir une
expression passe-partout.
5
Selon le Robert, l’exorcisme est une « pratique religieuse ou magique dirigée
contre les démons », « ce qui chasse un tourment, une angoisse ». Définition qui
me semble assez bien applicable à certains rapports qu’on a pu produire sur
l’école, l’exclusion, les politiques de la ville, le travail, etc.
6
J’ai moi-même pris longtemps comme allant-de-soi le fait qu’il fallait étudier
« l’échec scolaire » et ce n’est que peu à peu que j’ai compris que si l’on veut y
voir plus clair sur les phénomènes que l’on nomme ainsi, il faut s’intéresser
(notamment) au rapport au savoir.
7
Je continuerai à parler d’échec scolaire, pour ne pas alourdir le texte par des
formules comme « cet ensemble de phénomènes que l’on nomme échec
scolaire ». Mais qu’il soit bien clair que cette expression ne renvoie pas à une
chose mais à des élèves, à des situations, à des histoires – référés à une absence.
8
Depuis 1989, on utilise la nomenclature PCS (professions et catégories sociales)
établie par l’INSEE. Il ne s’agit là que d’une amélioration technique, et je
continuerai donc à parler de « catégories socioprofessionnelles » (CSP),
expression plus répandue.
9
J’ai conscience de simplifier ici la théorie de Bourdieu, je n’oublie pas qu’il
avance les concepts de capital et d’habitus. Mais cela ne fait que reculer le
problème puisqu’on ne sait pas comment se transmet ce capital, comment se
construit cet habitus.
10
J’ai failli écrire : et il y aurait moins d’échec scolaire. Mais je n’en suis pas si
sûr...
11
Cette traduction semble si « naturelle » et si innocente que j’ai moi-même
souvent exprimé ainsi la corrélation statistique, y compris dans notre livre de
1992 (Charlot, Bautier et Rochex).
12
Je n’invente pas cet exemple. Je l’ai trouvé, exposé sans aucun recul critique,
dans une revue que je n’aurai pas la cruauté de citer.
13
On pourrait appliquer la même analyse à la notion de tare : la pensée passe de
l’opération de tarage à la tare comme objet puis à l’absence que la tare
compense ; au terme du processus, la tare est devenue une défectuosité.
14
Les sociologies de la reproduction sont des constructions théoriques rigoureuses,
tout au moins tant qu’elles cherchent à appréhender des systèmes de différences
et à montrer l’homologie entre leurs structures. Mais on sort de la rigueur quand
on confond « systèmes de différences » et « échec scolaire » ou quand on
interprète la reproduction en termes de causalité (et ces sociologies se prêtent
souvent elles-mêmes à ces interprétations) et plus encore quand on raisonne en
termes de handicaps socioculturels (ce que ces sociologies elles-mêmes ne font
pas, malgré certaines tentations).
15
En première analyse, il y a incohérence à associer ainsi la notion de don
(biologique) et celle de handicap (socioculturel), d’autant que la seconde a
permis de faire régresser l’usage de la première dans l’interprétation de l’échec.
Mais à y regarder de plus près, ces deux notions fonctionnent dans la même
logique : celle de la transmission d’un capital (génétique ou culturel) d’une
génération à une autre.
16
Afin d’éviter toute ambiguïté, je précise quelle est exactement ma position sur ce
point : il est exact que la lutte contre l’échec scolaire des élèves de familles
populaires requiert des moyens supplémentaires ; mais il est faux que la seule
amélioration des conditions de travail suffise à résoudre les problèmes ; et il est
mystificateur d’exiger les moyens supplémentaires tout de suite en renvoyant à
plus tard l’analyse des autres aspects du problème.
17
Les termes soulignés dans une citation le sont par l’auteur lui-même.
18
En ce sens, on peut parler de l’habitus d’un groupe, ou d’un individu en tant
qu’il est considéré (et considéré seulement) comme membre de ce groupe, mais
pas de l’habitus d’un individu envisagé comme individu singulier, c’est-à-dire
comme sujet.
19
Dans ce passage, je cite deux livres. On considérera qu’en l’absence d’indication
la référence de la citation est la même que celle de la citation qui précède.
20
Le livre de 1994 est publié par le seul F. Dubet, alors que celui de 1996 est écrit
en collaboration avec D. Martuccelli. On pourrait donc faire l’hypothèse que le
passage d’un modèle ternaire à un modèle binaire est dû à D. Martuccelli. Je ne
le crois pas : d’une part, Sociologie de l’expérience (1994) porte déjà des traces
de cette dualité ; d’autre part, les deux modèles coexistent dans le livre de 1996.
Par ailleurs, nous verrons que ces deux modèles sont compatibles mais que le
passage de l’un à l’autre est significatif des difficultés auxquelles se heurte cette
théorie.
21
Tout au moins dans sa sociologie explicite. Car, fort heureusement, sa sociologie
réelle, celle qu’il met en œuvre dans l’analyse des données, recourt sans cesse à
des processus subjectifs – de sorte que je suis souvent d’accord avec ses
interprétations.
22
On ne peut pas exclure a priori l’idée qu’une telle sociologie ait quelque chose à
apprendre de la philosophie, de l’histoire et même de la littérature.
23
Étant bien entendu qu’une sociologie du sujet n’est pas la seule sociologie
possible, ou légitime. Tout dépend de l’objet que se donne le sociologue.
24
Il n’est de science que relationnelle, comme le rappelle fort justement Bourdieu
(1994).
25
Bien entendu, « l’autre » dont il est ici question n’est pas nécessairement un
autre physiquement présent. C’est l’autre comme forme personnelle de l’altérité,
comme ordre symbolique, comme ordre social...
26
Je reprends ici largement des analyses de J.Y. Rochex (1995).
27
Note de J. Beillerot : « L’inscription sociale ne « suit » pas évidemment la
production psychique, celle-ci se développant dans un être-là social qui la
précède ; mais chaque sujet contribue aussi au développement social d’une part
de sa liberté ».
28
Kant, Réflexions sur l’éducation. Le manuscrit a été établi à partir de cours
donnés par Kant entre 1776 et 1787. Je cite ici l’édition publiée en 1966 chez
Vrin. Je cite Fichte à partir d’une note d’Alexis Philonenko, qui introduit, traduit
et commente le texte de Kant.
29
L’idée de prématuration de l’homme est au cœur de la pensée de Wallon et de
Lacan. Ce dernier écrit : « Il ne faut pas hésiter à reconnaître au premier âge une
déficience biologique positive, et à considérer l’homme comme un animal à
naissance prématurée » (cité par Ogilvie, 1987).
30
En fait cet autre, quand on ne le réduit pas à la figure de l’altérité, est pluriel :
l’enfant naît parmi d’autres hommes – et il naît d’une femme et d’un homme,
situation qu’il aura à affronter dans le triangle œdipien.
31
Ce désir est désir de l’autre. Il est aussi, dans une perspective hégélienne, désir
d’être reconnu par l’autre en tant que sujet (et désiré par lui). Il est enfin, dans
une perspective girardienne par exemple, désir du désir de l’autre : puisque
l’autre est désir, je ne peux m’emparer de l’être de l’autre qu’en m’emparant de
son désir même.
32
Nous constatons une fois encore qu’on ne peut pas dissocier « l’intérieur » et
« l’extérieur ». La « disjonction de l’intériorisation de l’extériorité et de
l’extériorisation de l’intériorité » est impossible (Terrail, 1987).
33
Je dois cette remarque à Jean-Yves Rochex.
34
On peut certes élargir l’acception du terme savoir, jusqu’à lui faire englober tout
ce que l’on apprend. On dira alors que l’on sait nager ou que l’on sait mentir –
mais on hésitera davantage à affirmer que « nager » ou « mentir » est « un
savoir ». D’une certaine façon peu importe que l’on confère au terme savoir une
acception stricte ou large – c’est une question de convention. En revanche, il est
essentiel de ne pas confondre les diverses figures de l’apprendre, sous peine
d’être plongé dans de faux débats – comme nous allons le voir. À strictement
parler, il faudrait donc distinguer le « rapport à l’apprendre » (forme la plus
générale) du « rapport au savoir » (forme spécifique du « rapport à
l’apprendre »). Toutefois, je répugne quelque peu à traîner, au fil du texte, une
expression aussi lourde et jargonneuse que « l’apprendre ». En outre,
l’expression « rapport au savoir » est aujourd’hui entrée dans le vocabulaire des
sciences humaines. Je continuerai donc à l’utiliser, en un sens large, quand il n’y
a pas risque d’ambiguïté. Cependant, je ne m’interdirai pas d’employer le terme
« l’apprendre » quand le risque du jargon sera moins grand que celui de
l’obscurité...
35
Par « sujet de savoir », j’entendrai ici le sujet qui se voue (ou prétend se vouer) à
la quête du savoir. J’ai hésité à employer le terme « sujet épistémique » et ai
finalement renoncé à le faire car il est aujourd’hui employé en de multiples sens.
36
On peut encore moins, je l’ai dit, partir de la pulsion biologique en quête d’objet.
37
En fait, la situation est plus complexe encore car l’ingénieur sait que cet énoncé
est « scientifique ». C’est pour cela, précisément, qu’il est reconnu comme
ingénieur : il est capable d’articuler un rapport scientifique et un rapport pratique
au monde. Toutes ces questions ne sont sans doute pas sans relation avec ce que
Wittgenstein nomme des « jeux de langage ». Je ne connais pas suffisamment
Wittgenstein pour m’aventurer sur cette piste. Je dirai donc uniquement que ce
n’est pas seulement de langage qu’il s’agit, mais de rapport au monde ; il me
semble que telle est aussi la position de Wittgenstein : « Le mot “jeu de langage”
doit faire ressortir ici que le parler du langage fait partie d’une activité ou d’une
forme de vie » (Wittgenstein, 1952). Je dois à M.-L. Martinez d’avoir attiré mon
attention sur cette « piste » Wittgenstein.
38
Étant bien entendu que les rapports épistémologiques ne sont pas réductibles à
des rapports sociaux – même s’ils sont rapports entre des individus entre lesquels
existent aussi des rapports sociaux.
39
À vrai dire, si l’élève ne s’installe pas du tout dans cette forme de rapport au
monde, aucune appropriation de savoir, même fragile et provisoire, n’est
possible. Si des élèves qui ne travaillent que pour « passer ».... passent parfois, et
accèdent éventuellement en seconde, en terminale, voire à l’université, c’est que,
malgré tout, ils ont un peu assumé un rapport de savoir au monde.
40
Je songe ici à J.-C. Milner (1984) et aux positions exposées dans les médias par
A. Finkielkraut, É. Badinter et quelques autres.
41
Pour l’élève, apprendre cela peut être lire une fois ou deux, ingurgiter sans
comprendre ou inversement comprendre sans mémoriser, et même, souvent,
passer du temps « le nez dans les livres » (c’est alors le temps passé qui atteste
qu’on est en règle avec la demande de l’école, et non l’activité intellectuelle
effective ou le savoir acquis). Pour l’enseignant, apprendre c’est comprendre +
mémoriser + être capable d’appliquer ou de commenter.
42
Entretien réalisé par Fabienne Damo. Notons qu’il y a là un problème très
sérieux, abordé par Platon dans le Ménon : comment peut-on apprendre quelque
chose puisque si on le sait, il n’est pas nécessaire de l’apprendre, et si on ne le
connaît pas, on ne peut pas chercher à l’apprendre ?
43
Par « objet-savoir », j’entends un objet dans lequel est incorporé du savoir (un
livre, par exemple). Par « savoir-objet », j’entends le savoir lui-même, en tant
qu’il est « objectivé », c’est-à-dire qu’il se présente comme un objet intellectuel,
comme le référent d’un contenu de pensée (sur le mode de l’Idée chez Platon).
44
Je rappelle que je continue à parler de « rapport au savoir », au sens large du
terme, puisque l’expression est aujourd’hui passée dans le vocabulaire de la
recherche, mais qu’il s’agit en fait, d’une façon plus générale, d’un « rapport à
l’apprendre ».
45
Dans L’école en mutation (1987), j’ai proposé les concepts de forme éducative et
de système éducatif pour penser ces articulations de fonctions et d’instances.
46
R. Hess, Les surprises de la découverte de l’autre, Université Paris 8, avril 1994.
Ce passage du texte est écrit en référence à nos propres recherches et à l’œuvre
d’Henri Lefebvre (Lefebvre, 1959 ; Hess, 1988).
47
On appelle métacognitive une connaissance sur la connaissance.
48
Dans la mesure, précisément, où tout n’est pas énonçable, une frontière subsiste
entre « l’expérience » et « la connaissance », pour reprendre les termes utilisés
par Y. Schwartz (1988). Sur cette question de la mise en discours, cf. aussi
Bautier (1995).
49
J’introduirai cependant ici une nuance, afin de prendre en compte un cas limite.
Il peut arriver qu’un sujet s’enferme dans l’imaginaire et veuille savoir sans pour
autant se poser la question de « l’apprendre » : il peut fantasmer une situation de
toute puissance cognitive, ou encore penser que grandir permet de savoir (de
sorte qu’il suffit d’attendre...). Dans ce cas, le rapport au savoir est tout entier
construit dans sa dimension identitaire. Mais hors ce cas limite, tout rapport au
savoir comporte une dimension épistémique – et dans tous les cas il présente une
dimension identitaire. Le rapport au savoir doit donc toujours être analysé dans
la double dimension de l’épistémique et de l’identitaire (y compris dans le cas
limite que je viens de signaler : il convient alors d’établir que l’on est
effectivement dans ce cas limite, c’est-à-dire que le sujet n’est pas confronté à la
question de « l’apprendre »).
50
On pourrait d’ailleurs dire l’inverse : la dimension identitaire est partie
intégrante de la dimension relationnelle. Il n’y a de rapport à soi que comme
rapport à l’autre et de rapport à l’autre que comme rapport à soi.
51
Je dois cette belle expression à un étudiant, Frédéric Géral. Elle désigne toutes
ces paroles qui rivent un élève à un destin : « tu ne feras jamais rien de bon »,
« tu seras toujours nul en maths », « tu n’auras pas ton BEP », etc.
52
Je rappelle à nouveau que par « rapport au savoir » je désigne le rapport à
« l’apprendre », quelle que soit la figure de l’apprendre – et non pas seulement le
rapport à un savoir-objet, qui ne représente qu’une des figures de l’apprendre.
53
Ce qui est bien autre chose qu’ « intérioriser ». Assimiler, ce n’est pas seulement
intérioriser, c’est « convertir en sa propre substance » (Robert) – c’est moi qui
souligne.
54
Pour éviter toute ambiguïté il me semble préférable de réserver l’expression
rapports aux savoirs aux rapports aux savoirs-objets.
55
J’en fais en tout cas l’hypothèse – nécessaire au chercheur, qui doit postuler que
son objet peut être construit en des formes organisées et dénombrables.
56
La notion de constellation a été introduite dans notre équipe par É. Bautier. Dans
une thèse récente, L. de Andrade avance la notion intéressante de « zones
d’agglomération de propos » (1996). « Constellation » renvoie à l’assemblage
des données empiriques et « figure » à la conceptualisation de ce qui a été ainsi
assemblé.
57
J’utilise dès 1979, dans un livre écrit en collaboration avec M. Figeat, les notions
de « rapport au savoir » et de « rapport au langage », repérées dans un article de
N. Bisseret (1975). Mais je ne prends pas alors la peine de les définir...
58
Je continue toutefois à considérer qu’on peut parler du rapport au savoir d’un
groupe (sans le confondre avec les rapports de savoir) lorsque, comme les
sociologues le font volontiers, on se donne un individu abstrait représentatif de
ce groupe, individu que l’on peut penser en termes de psychisme de position
(d’habitus). Mais à la condition (stricte) de ne pas commettre l’erreur de projeter
ensuite les conclusions sur un sujet membre de ce groupe.
59
Cette histoire ne se réduit pas à une trajectoire. La trajectoire est un déplacement
dans un espace (social) ; elle est la relation qu’un observateur extérieur peut
établir entre des positions successives. L’histoire relève du temps, et non de
l’espace ; elle est relation entre trois dimensions du temps (présent, passé et
avenir) qui se supposent l’une l’autre et ne peuvent pas être juxtaposées comme
peuvent l’être des positions ; elle est une relation constitutive du sujet.
© Ed. ECONOMICA, 1997
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