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Methodos

Numéro 6  (2006)
Science et littérature

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Pierre Macherey
Une poétique de la science :
Fernand Hallyn,<em> Les structures rhétoriques de
la science de Kepler à Maxwell</em> (éd. du Seuil,
coll. Des Travaux, 2004)
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Référence électronique
Pierre Macherey, « Une poétique de la science : »,  Methodos [En ligne], 6 | 2006, mis en ligne le 03 mai 2006.
URL : http://methodos.revues.org/473
DOI : en cours d'attribution

Éditeur : UMR 8519 - Savoir et textes


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Une poétique de la science : 2

Pierre Macherey

Une poétique de la science :


Fernand Hallyn, Les structures rhétoriques de la science de Kepler à
Maxwell (éd. du Seuil, coll. Des Travaux, 2004)
1 Fernand Hallyn, qui enseigne la littérature à l’Université de Gand, est au départ un spécialiste
des formes de la création poétique particulièrement dans la période de la Renaissance : son
premier ouvrage, publié chez Droz en 1975, est intitulé Formes métaphoriques dans la poésie
lyrique de l’âge baroque en France. Il a aussi consacré deux ouvrages à la connaissance
scientifique, tous deux publiés dans la collection «  Des Travaux  » des éditions du Seuil  :
La structure poétique du monde : Copernic, Kepler (1987) et Les structures rhétoriques de
la science - de Kepler à Maxwell (2004) ; il est également l’éditeur en langue française du
Sidereus Nuncius de Galilée (Le Messager des étoiles, éd. du Seuil, 1992). Les recherches
qu’il a consacrées à la littérature et à la science vue dans la perspective de son histoire
ne sont manifestement pas indépendantes entre elles : elles se recoupent, voire même sont
convergentes, dans la mesure où elles tendent à révéler, sous-jacentes aux pratiques littéraires
et aux pratiques scientifiques, des préoccupations occupant un terrain commun qui pourrait
être celui de ce que F. Hallyn appelle un « imaginaire des idées », formule qui sert d’intitulé
à la dernière partie du recueil de ses articles Le sens des formes – Etudes sur la Renaissance,
paru chez Droz en 1994.
2 Bien qu’il n’aille pas de soi, en raison des tabous qu’il remet en question - la rivalité entre
muthos et logos ne date pas d’hier -, le rapprochement entre le travail de la création poétique et
la logique de l’investigation scientifique a déjà été opéré à plusieurs occasions : son principe
a été à l’occasion évoqué par des savants épistémologues de leur propre démarche cognitive
comme par exemple Poincaré, que n’effrayait pas l’idée de confronter ses recherches dans des
domaines hautement spécialisés des mathématiques et de la physique au travail réputé libre
et aléatoire, sans doute à tort, de l’invention poétique ; il traverse l’Essai d’une philosophie
du style de G.-G. Granger (éd. Armand Colin, 1968 ; éd. Odile Jacob, 1988), qui présente
le style comme «  modalité d’intégration de l’individuel dans un processus concret qui est
le travail, et qui se présente nécessairement dans toutes les formes de la pratique  » (p. 9),
au nombre desquelles ces pratiques de pensée que sont la création littéraire et la création
scientifique ; il constitue encore, aujourd’hui, le foyer irradiant de l’œuvre singulière d’un
poète mathématicien ou d’un mathématicien poète, - on ne sait au juste laquelle de ces deux
formules choisir -, comme Jacques Roubaud, qui met en pratique sous toutes ses formes la
nécessité dans laquelle se trouve le poète tel qu’il le conçoit de perpétuer l’ancienne tradition
des arts de la mémoire, ce qui l’oblige à savoir avant tout compter, comme il s’en explique
en particulier dans les branches de son autobiographie fictionnelle intitulées Mathématique :
(récit) et Poésie : (récit) (éd. Du Seuil, coll. Fiction & Cie, 1997 et 2000) qui se répondent
symétriquement entre elles, et rendent ainsi manifeste le lien passant entre ces deux types
d’activités intellectuelles qui les intrique subtilement l’une à l’autre.
3 Mais, dans tous les cas qui viennent d’être évoqués, le lien entre science et littérature, et plus
précisément poésie, a été effectué en allant de la science vers la littérature, sous l’initiative et
la responsabilité de scientifiques ou d’épistémologues patentés qui, si on peut dire, pouvaient
s’offrir ce luxe, ayant leurs bases bien assurées, et n’ayant plus de comptes à rendre à
personne au sujet de leurs compétences dans des domaines à l’investigation desquels ils
s’étaient consacrés en professionnels avertis et reconnus. A ses risques et périls, Fernand
Hallyn fait le même chemin en sens inverse, en suivant une trajectoire qui n’a guère de
précédents : s’appuyant sur son expérience approfondie des formes poétiques et rhétoriques,
il en applique les acquis aux démarches de la science, ce qui soulève de manière iconoclaste

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la question de savoir si la science, ramenée à ses structures essentielles, ne serait pas elle-
même une sorte de poésie ou de discours rhétorique. Le fait même d’aborder la science sous
l’angle du discours et de ses modalités spécifiques ne peut manquer de soulever toutes sortes
d’objections, dont la principale est qu’il semble remettre en cause la rigueur, la nécessité et
l’objectivité de la démarche scientifique et de la recherche de vérité qui en est le moteur,
rigueur, nécessité et objectivité qui qualifient le sérieux de cette démarche, alors que la
littérature est supposée être une activité de dilettante, aussi inutile que distrayante. Fernand
Hallyn a eu la chance de ne pas tomber dans le collimateur de Bricmont et Sokal, ayant sans
doute été protégé de leur malveillante curiosité par le fait que son travail très spécialisé n’a
pas fait l’objet d’une promotion médiatique particulière, mais on imagine très bien qu’au nom
d’une conception simpliste aussi bien de la science que de la poésie, sa recherche puisse être
accusée de « relativisme », et du même coup suspectée de participer au grand complot contre la
science et ses positivités que dénoncent, comme saint Georges lancé à l’assaut du dragon, les
pourfendeurs des « impostures intellectuelles ». Porter sur la science le regard du poéticien et
du rhétoricien, n’est-ce pas la vider de sa substance propre, en la faisant dépendre de règles et
de valeurs extérieures à son ordre, voire même en la déliant de toute référence à une règle quelle
qu’elle soit, et en la livrant, comme le préconise l’épistémologue anarchisant Feyerhabend,
à la maxime du «  Tout est permis  », «  Anything goes  »  ? N’est-ce pas, consciemment ou
non, s’exposer à la défigurer sous prétexte de chercher à la reconfigurer en fonction d’autres
normes, étrangères à ses préoccupations authentiques, en la faisant rentrer, comme le fait par
exemple Lyotard, sous la catégorie du « Grand Récit », sous la caution d’une postmodernité
qui brouille les frontières établies ? Et, pour le dire crûment, de quoi un spécialiste de la poésie
baroque vient-il se mêler lorsqu’il prétend jeter une lumière nouvelle sur les découvertes
de Kepler et de Galilée, des découvertes qui mettent en jeu l’ordre même du monde, dont
l’examen relève de compétences d’une tout autre nature ?
4 A ce type d’objection, une première réponse s’impose, qu’on énoncera brutalement  : «  la
science  », au titre d’une entreprise autonome et unifiée, existant comme telle de manière
purement autoréférentielle, enfermée dans sa forteresse, en dehors de tout échange avec des
pratiques intellectuelles et institutionnelles indépendantes de ses idéaux et de ses normes
théoriques, on commence à le savoir depuis un certain temps, ça n’existe pas. Ou plutôt, ça
n’existe que si on consacre aux démarches scientifiques un intérêt uniment rétrospectif, qui en
capitalise les résultats, comme un trésor à protéger et tout d’abord à stocker, en en réservant
l’accès à une élite de détenteurs autorisés qui ne prendront pas le risque de le dilapider, étant
avant tout préoccupés de se partager entre eux ce succulent gâteau. Cet intérêt rétrospectif
prend pour objet la science faite ou déjà toute faite, ramenée à un ensemble d’acquis non
susceptibles d’être remis en cause, et constituant a posteriori un système dur, naturellement
exempt de toute déliquescence et de tout risque de réappropriation abusive : on sait pourtant
que dans de nombreux cas, sinon la plupart, les avancées de la connaissance scientifique ont
résulté de la remise en cause de tels noyaux durs, comme cela a eu lieu pour la mécanique
classique à la fin du XIXe siècle, alors que son système, un siècle plus tôt, était considéré
comme intangible par quelqu’un d’aussi autorisé que Laplace.
5 Lorsqu’on parle d’un intérêt rétrospectif, on est à première vue tenté de le rapporter au point
de vue de l’historien, tourné vers un passé dont il effectue le recensement, sans se préoccuper
d’un avenir qui ne relève pas de ses compétences, et n’occupant que les marges d’une actualité
par rapport à laquelle il est naturellement décalé, puisqu’il s’intéresse à des époques qui, sauf
exception, ne sont pas la sienne. Mais cette façon de considérer la connaissance historique
passe à côté du fait essentiel que, si elle est tournée vers le passé, c’est en vue d’atteindre
le présent du passé, au double sens du présent que, en son temps, le passé a été, lorsqu’il
n’était pas encore de l’ordre de l’accompli, voire du révolu, et du présent qu’il est encore à
l’époque où on fait retour sur lui, pour autant qu’il y participe, ne serait-ce que sous la forme

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de la connaissance qui en est poursuivie aujourd’hui, au présent de l’indicatif, en fonction


d’intérêts qui sont actuels et ne doivent rien avoir de périmé, et qui ne relèvent pas seulement
d’un souci antiquaire de conservation. De là, pour une épistémologie qui ne s’attache pas
vertueusement à une représentation préconçue et mythique, pour ne pas dire mystifiée, de la
science, l’importance de prendre en compte l’histoire des sciences, qui lui donne accès à la
science, non point déjà toute faite, mais en train de se faire, donc en cours d’élaboration, dans
les conditions prospectives d’un devenir qui ne peut être décontextualisé, sous peine d’être
vidé de sa teneur vivante, ce à quoi justement le condamne une épistémologie positiviste et
formalisante, épistémologie abstraite qui, en en isolant les « vérités », en idéalise et en déréalise
le contenu.
6 Or la démarche de Fernand Hallyn, poéticien et rhétoricien de certains épisodes saillants du
devenir de la connaissance scientifique, comme l’émergence au tournant des XVIe et XVIIe
siècles de la conception héliocentrique du monde chez Copernic, Kepler, Galilée et Descartes,
en un moment où, est-il nécessaire de le rappeler ?, cette conception était loin de pouvoir se
réclamer d’une quelconque évidence et n’était nullement acquise, s’inscrit précisément dans
la perspective propre à une telle approche historique de la connaissance scientifique, qui la
considère dans son devenir réel et concret, dont, comme Fernand Hallyn entend le démontrer,
font partie intégrante les schèmes de pensée issus de la rhétorique et de la poésie, superbement
ignorés des idéologues positivistes qui considèrent que la science n’a rien d’autre à faire
que calculer sur des données factuelles, une opération mécanique et formelle dans laquelle
les scientifiques pourraient à la rigueur être suppléés par des machines, donc hors de toute
interférence possible avec des formes héritées de la pratique littéraire, formes que le lien
qu’elles entretiennent avec la subjectivité rendrait définitivement impossibles à mécaniser. Or
les savants qu’étaient Kepler et Galilée n’étaient justement pas des machines à calculer, pas
plus que ne le sont d’ailleurs sans doute les savants d’aujourd’hui, qui, s’ils savent se servir
d’ordinateurs, n’en sont pas moins aussi des hommes immergés dans des ambiances culturelles
dont ils ne peuvent qu’arbitrairement être détachés, et dont les recherches dans les différents
domaines de la science sont motivées par des intérêts qui ne sont pas seulement des intérêts
théoriques, et sont réglées sur des références et des modèles qui ne sont pas tous hérités de la
science pure. C’est dans cet esprit que Fernand Hallyn est amené à avancer :
« La poétique n’est pas à exclure totalement de la science : celle-ci possède, au contraire, une
poétique propre, pourvue de règles et de valeurs spécifiques. » (Les structures rhétoriques de la
science, p. 73)
7 Une épistémologie historique, consciente du fait que les normes de la connaissance
scientifique ne lui sont pas données a priori, mais ont dû être forgées au cours de processus
qui en effectuent en permanence la refonte, sans qu’aucun terme puisse être à l’avance assigné
à ce mouvement de transformation, doit faire place aux enseignements délivrés par une telle
poétique, qui apporte à la science en train de se faire son éclairage particulier, sans que, pour
autant, cela signifie que le travail de la connaissance scientifique ait à être entièrement rabattu
sur la considération des règles et des valeurs qui lui sont propres : car cette poétique, si elle
participe effectivement à son histoire, ne constitue certainement pas le tout de la science, et
reste, cela va de soi, inapte à en fonder la légitimité.
8 En conséquence, que faut-il attendre de la prise en considération d’un « imaginaire des idées »
et d’une étude rigoureuse de ses formes  ? Telle qu’elle a été poursuivie par exemple par
Bachelard, dans le cadre de sa « psychanalyse » de l’esprit scientifique, la part d’imaginaire
attachée à la formation d’idées constitue un obstacle qu’elles doivent surmonter pour parvenir
à un statut authentiquement scientifique, et être incorporées, en tant que concepts, à l’ordre
d’un savoir sanctionné, soustrait à la perspective de devenir aussitôt périmé : une science qui
recourt à des images et à des fictions serait une science incertaine, qui n’a pas encore trouvé ses
objets, ou plutôt qui n’a pas encore trouvé les moyens de construire par elle-même ses objets

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et du même coup d’en valider l’investigation. Pourquoi ? Parce qu’il y a, selon Bachelard,
une pente de l’imagination, qui tire inexorablement celle-ci vers le bas, sous la conduite de
schèmes de représentation immémoriaux, sortes de mythèmes matériels enlisés dans la nature
des choses, ou plutôt dans la manière dont celle-ci se représente spontanément à l’esprit,
mythèmes universels dont le retour sempiternel plombe toutes les productions mentales qui
relèvent de lui en les modelant sur des types substantiels élémentaires, l’eau, la terre, l’air
et le feu, avec tous les fantasmes qui leur correspondent, et qui sont impossibles à modifier,
parce qu’ils jouent, comme en rêve, hors de toute prise de conscience dans les profondeurs
de l’inconscient collectif. L’imagination, telle que Bachelard la conçoit, est naturellement
paresseuse, rebelle à l’exigence laborieuse qui, au contraire, conditionne la progression de
la connaissance scientifique, progression qui, pour s’effectuer, doit rejeter la considération
d’un donné quel qu’il soit, ce qui la rend inséparable d’un effort, qui n’est d’ailleurs pas un
effort solitaire puisqu’il prend pour cadre la cité scientifique, véritable institution de vérité,
et ses débats. Sur ces bases, est mis en place entre la poésie et la science le système d’une
sorte de division du travail  : à la poésie, il revient de cultiver ces schèmes imaginaires et
d’en entretenir la mémoire en en effectuant la retraduction de façons indéfiniment variées et
affinées, alors que la science, qui, pour devenir science, aura dû apprendre à s’en détacher en
pratiquant ce que Bachelard appelle une « philosophie du non », s’installe sur un tout autre
terrain, où elle peut inventer, et non seulement découvrir, ses formes propres de rationalité,
formes qui sont non pas rencontrées mais produites au cours de processus qui en déterminent
au fur et à mesure la nécessité. Dans ces conditions, on comprend que doive être absolument
rejeté le projet d’établir une communication directe entre les deux types de discours, les deux
manières de dire le monde, que constituent la science et la poésie, qui occupent des terrains
nettement départagés, et répondent à des intérêts antinomiques, ce qui a pour conséquence
que la tentation d’entretenir entre eux la confusion serait finalement dommageable à la fois
à tous les deux.
9 Cette façon de concevoir l’imaginaire, qui le voue à la passivité, et à la frivolité, est-elle la
seule possible ? Dans son livre sur Les structures rhétoriques de la science, Fernand Hallyn
cite, p. 219, le passage du Discours préliminaire de l’Encyclopédie où d’Alembert redéfinit
l’imagination de la manière suivante :
«Nous ne prenons point ici l’imagination pour la faculté qu’on a de se représenter les objets ; parce
que cette faculté n’est autre choses que la mémoire même des objets sensibles… Nous prenons
l’imagination dans un sens plus noble et plus précis, pour le talent de créer en imitant. »
10 On pourrait dire qu’il y a deux imaginations : celle qui se souvient, en reproduisant des modèles
donnés antérieurement à son fonctionnement, qui est celle dont parle Bachelard, et dont celui-
ci réserve l’exploitation légitime à la poésie, en l’excluant du domaine imparti à la science ; et
celle qui « crée en imitant », en ce sens qu’elle représente des choses qui n’existent pas, en les
inventant de toutes pièces par son initiative propre, ce qui suppose qu’au lieu de se retourner
vers l’arrière elle se projette vers l’avant, comme la science le fait également. Si on prend
l’imagination en ce deuxième sens, il devient du même coup possible de la rapprocher de la
connaissance rationnelle, sans prendre pour autant le risque de la confondre avec elle. Dans
la suite de son texte, d’Alembert écrit :
« L’imagination dans un géomètre qui crée, n’agit pas moins que dans un poète qui invente. Il est
vrai qu’ils opèrent différemment sur leur objet : le premier le dépouille et l’analyse, le second le
compose et l’embellit. Il est encore vrai que cette manière différente d’opérer n’appartient qu’à
différentes sortes d’esprits ; et c’est pour cela que les talents du grand géomètre et du grand poète
ne se trouveront peut-être jamais ensemble. Mais, soit qu’ils s’excluent ou ne s’excluent pas l’un
l’autre, ils ne sont nullement en droit de se mépriser réciproquement. De tous les grands hommes
de l’antiquité, Archimède est peut-être celui qui mérite le plus d’être placé à côté d’Homère.
J’espère qu’on pardonnera cette digression à un géomètre qui aime son art, mais qu’on n’accusera
point d’en être admirateur outré… »

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11 Autrement dit, la géométrie, non moins que la poésie, est un art d’imagination, même si l’une
et l’autre « opèrent différemment sur leur objet », ce qui interdit d’en identifier, voire d’en
égaliser les procédures : pour d’Alembert, l’imagination scientifique, pour être efficace, doit
être une imagination rationnelle, c’est-à-dire une imagination dirigée et contrôlée par la raison,
alors que l’imagination du poète reste pour une part une imagination libre, ce qui l’expose au
risque de l’arbitraire.
12 Toutefois, n’est-ce pas un préjugé que de considérer que le poète imagine librement et crée
ses fictions hors de toute contrainte et sans règles ? L’objectif du poéticien et du rhétoricien
est précisément de montrer qu’il n’en est rien, et que la poésie n’est pas une invention
désordonnée, livrée au seuls aléas de l’inspiration, comme une conception romantique de la
littérature, dont les surréalistes ont été les derniers représentants en date, cherche à en faire
prévaloir la représentation : la maxime du « Tout est permis » a tout aussi peu d’application
dans la littérature que dans la science, pour autant que l’une et l’autre sont ramenées sur le
plan d’un travail, proprement d’une production, dont on ne voit pas comment elle pourrait
ne dépendre que des hasards de l’improvisation et procéder hors de tout cadre préétabli, sans
se plier à aucune exigence formelle. C’est pourquoi, même si les modalités de l’intervention
de l’imagination ne sont pas les mêmes s’agissant de la science et de la poésie, il n’est pas
possible de comprendre leur relation en la ramenant à un rapport négatif d’exclusion qui écarte
la possibilité qu’elles interférent, comme si l’imaginaire de la science n’avait rien du tout à voir
avec celui de la littérature, et comme si l’un et l’autre étaient destinés à ne jamais se rencontrer.
Ce sont leurs rencontres qui, précisément, donnent leur objet aux recherches de Fernand Hallyn
qui, sans prendre le risque d’entretenir la confusion entre deux types de création discursive
distincts, voire même à certains égards divergents, entreprennent de repérer entre eux des
points de recoupement, ce qui, pour en revenir au problème abordé précédemment, éclaire
d’une lumière nouvelle les procédures de la science en train de se faire, et non déjà toute faite.
13 Dans l’introduction du premier ouvrage qu’il avait consacré à ces questions, La structure
poétique du monde : Copernic, Kepler, Fernand Hallyn avait esquissé le programme d’une
poétique de l’esprit scientifique dans les termes suivants :
«  Une poétique s’occupera de la formation d’une hypothèse en tant que phénomène global,
débordant largement les cadres constitués et s’organisant d’une manière propre : résultat, certes,
de déterminations et de conditionnements logiques et autres, mais également configuration
unique, synthèse originale qui, en tant que totalité, demande une étude sui generis de la
structuration et de l’interaction des éléments qui l’encadrent et l’informent. » (p. 16)
14 A l’effort de généralisation qui caractérise l’entreprise d’une logique de la connaissance,
dont le moyen privilégié est l’analyse, située dans une perspective de composition dont la
base est fournie par l’élément, comme la doctrine cartésienne des natures simples en fournit
l’exemple privilégié, la poétique oppose donc la volonté de singulariser des processus de
production intellectuelle qui ne peuvent être compris que s’ils sont appréhendés dans leur
globalité, comme des totalités concrètes de pensée présentant à chaque fois une « configuration
unique », irréductible à ses composantes sous peine de renoncer à sa spécificité, qui fait sa
valeur heuristique. Cette configuration, qui donne à chaque moment de l’invention scientifique
son allure propre, à nulle autre pareille, se détache comme une forme sur un fond, dont elle est
inséparable ; ce fond est constitué par son contexte, qui n’est pas seulement formé d’apports
scientifiques déjà acquis, mais déborde le cadre strict de la connaissance scientifique, et
s’inscrit dans un horizon culturel large où interfèrent intérêts théoriques et intérêts pratiques :
lorsque, en 1609, Galilée tourne la lunette dans la direction du ciel, lui conférant ainsi
sa qualification de lunette astronomique, c’est à Padoue, au moment où, avant son départ
pour Florence, il est encore au service de la République de Venise ; et son geste, qui allait
durablement révolutionner la vision du monde, et déclencher le mouvement conduisant à
une science nouvelle, prend place dans l’histoire intellectuelle et politique des Etats italiens

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de son époque  : il prend sens singulièrement en rapport avec cette histoire, même s’il ne
peut s’expliquer entièrement à partir d’elle et si ses conséquences ont vite débordé son site
initial. Mais l’invention scientifique ne se situe pas seulement dans les lieux que lui fixe
l’histoire générale  ; elle doit aussi, pour mener son mouvement à terme, choisir ses lieux
propres à l’intérieur d’un autre espace, espace mental, dans lequel elle n’obéit pas seulement
à un conditionnement logique, mais se règle sur des nécessités figuratives ou narratives,
voire même mythologiques, qui donnent forme à ses pensées et à leur enchaînement  : les
spéculations de Kepler sur l’harmonie du monde, qui sont à l’arrière-plan de ses découvertes, et
en particulier de l’énoncé géométrique de ses fameuses lois, se tiennent à la limite du rationnel
et de l’irrationnel, ce qui ne les a pas condamnées à faire obstacle au développement de la
connaissance, mais leur a permis au contraire de stimuler efficacement ce développement, au
moment où celui-ci ne pouvait être résumé à une somme de résultats acquis. Ces contraintes
extra-scientifiques, en l’absence desquelles il n’y aurait pas du tout de science, car la science,
contrairement au préjugé positiviste largement répandu, ne se ramène pas à un raisonnement
sur des faits, ni à un calcul neutre, ont leur traduction idéelle dans la production de tours
de pensée singuliers, proprement des « tropes », dont la forme principale est la métaphore,
qui, tout en soutenant et en impulsant le mouvement de la pensée, l’oriente dans un certain
sens, en le biaisant : si Galilée n’avait pas repris à son compte la représentation de la Nature
comme un livre écrit dans un certain langage dont le déchiffrement reste à opérer, et dont
le chiffre est fourni par les mathématiques, leurs signes étant ainsi institués en alphabet
du monde, il n’y aurait pas eu de physique mathématique, et les deux ordres du céleste et
du sublunaire seraient demeurés séparés. De là les tâches fixées à une poétique de l’esprit
scientifique, qui dégage les médiations concrètes à travers lesquelles s’effectue son travail
de production de connaissances, ou du moins certaines de ces médiations, à savoir, pour
reprendre les termes proposés par Fernand Hallyn : l’inventaire d’une topique ; l’examen des
conditions de l’insertion intertextuelle et culturelle ; l’analyse tropologique. Ces trois tâches
ne correspondent pas à un effort de déstructuration de la pensée scientifique, qui la livrerait
aux hasards d’une hétérologie, mais elles visent à restituer au développement de cette pensée
ses structures réelles, structures plurielles, qui ne peuvent être rassemblées dans un système
a priori unifié.
15 Pour dégager ces structures, il faut effectuer un retour au discours de la science, en tirant toutes
les conséquences du fait qu’elle incorpore ses résultats à une matière textuelle qui n’est pas
pour eux un support indifférent, une trame neutre, et ceci parce qu’elle en préfigure, en qualifie
et en individualise les allures, que d’une certaine façon elle anticipe en les informant. Dans
l’avant-propos de son livre sur Les structures rhétoriques de la science, Fernand Hallyn écrit
dans ce sens :
«  La poétique ou la rhétorique profonde aborde l’énoncé en tant que texte. Elle le considère
comme une structure ou une composition formelle et thématique plus ou moins cohérente, douée
de ressemblances et de différences avec d’autres compositions ou structures qui n’appartiennent
pas nécessairement au même champ, mais sont les traces d’un travail heuristique dont le produit
s’y est déposé. «  (p. 12-13)
16 Connaître, dans tous les domaines de la science, y compris ceux où paraît régner l’abstraction
pure, ce n’est pas seulement former, fixer et accumuler ou enregistrer des idées, mais c’est les
ajuster entre elles, suivant des modes de disposition qui ne relèvent pas d’une logique idéelle
intemporelle, indépendante des formes de la textualité telles que les étudient la rhétorique et
la poétique, formes qui se transmettent de texte à texte, sans tenir compte de leur domaine
d’appartenance, en suivant des parcours complexes qui représentent les mouvements effectifs
de l’énonciation dont dépend la formulation des énoncés, mouvement dont ceux-ci ne peuvent
être dissociés qu’après coup, une fois qu’ils ont été produits : ces parcours reproduisent les
mêmes structures à travers des manifestations différenciées, en situations et en langues, de

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Une poétique de la science : 8

manière à chaque fois originale, en entremêlant le vrai et le faux, dont la distinction, qui
n’est nullement garantie au départ, doit faire l’objet d’une difficile conquête. En effet, il faut
renoncer définitivement à l’idée selon laquelle la connaissance scientifique parviendrait tout
d’un coup à des vérités nues, dépouillées de tout revêtement textuel, et pouvant du même coup
être appréhendées indépendamment du processus de leur production, sous forme d’énoncés
autonomes, comme des phrases qui ne prendraient pas d’emblée place dans des textes, à
l’intérieur desquels elles revêtent un certain sens qui, pour une part, déborde leur énoncé
particulier. Ce que Fernand Hallyn appelle « le travail heuristique », qui est le mouvement
réel à travers lequel la connaissance se constitue, requiert en conséquence la médiation
de structures textuelles en l’absence desquelles il ne serait tout simplement pas possible
de parvenir à des vérités. L’histoire des sciences n’est rien d’autre que cette dynamique
de structuration, de déstructuration et de restructuration dont les moments incorporent le
savoir à la chair vivante des textes, par le biais de structures dont les modalités indéfiniment
variées présentent néanmoins certaines formes de régularité qui les rendent susceptibles d’être
étudiées pour elles-mêmes, sans perdre de vue toutefois qu’elles n’existent qu’investies dans
les processus réels de la connaissance qui les configurent concrètement en acte, d’une manière
qui n’est pas seulement formelle.
17 Ces considérations encore très générales ne prennent sens que rapportées à des cas particuliers.
Parmi les différents modes de structuration du discours de la science dont les traces s’inscrivent
dans son texte, Fernand Hallyn s’intéresse particulièrement à la métaphore, forme tropique
par excellence, qui confère à l’exercice de la pensée une certaine tournure, précisément en
la tournant dans un certain sens. Lorsque Galilée découvre par le moyen du télescope les
taches de la lune, son observation, effectuée dans un environnement expérimental bien précis,
permettant à la vision oculaire de franchir les limites qui lui sont naturellement imparties,
est étroitement associée à l’interprétation qui en est proposée, interprétation qui justifie la
communication de ses résultats par le « messager des étoiles ». Cette interprétation consiste
à voir la lune comme une terre, dont le sol comporte des inégalités, donc un relief, dont les
taches observées constituent les indices. Ceci veut dire que, dans sa lunette, Galilée n’a pas
à proprement parler vu des taches, qui n’auraient représenté que des variations d’intensité
lumineuse accessibles en elles-mêmes à la perception pure ; mais il a vu ces taches en tant
qu’elles signifiaient quelque chose qu’elles rendaient visible à travers certaines manifestations
symptomatiques sans cependant le montrer directement, car il était proprement impossible de
le « voir » : les différences de niveau du sol lunaire, en un sens du mot « sol » indifféremment
applicable à la lune et à la terre. Or au temps de Galilée, l’idée que, dans le ciel, et non
seulement sur terre, se présente quelque chose pouvant être qualifié de sol n’avait rien d’une
évidence s’imposant immédiatement à l’observation  : c’est pourquoi ses observations ont
été reçues sur le moment comme contraires à l’évidence naturelle, sauf par ceux, comme
Kepler, qui ont immédiatement compris que l’observation qui avait retenu l’intérêt de Galilée
était porteuse d’une nouvelle vision du monde unifiant phénomènes célestes et phénomènes
terrestres au rebours de la doxa héritée d’Aristote.
18 De cet exemple, il résulte que regarder en se servant d’un instrument scientifique comme la
lunette astronomique, ce n’est pas simplement « voir », au sens de la perception immédiate telle
qu’on la considère habituellement, même assistée et augmentée par l’apport d’un dispositif
technique approprié, mais c’est, ce qui est tout autre chose, « voir comme » (cette locution
donne son titre au cinquième chapitre des Structures rhétoriques de la science), c’est-à-
dire identifier des signes, en supposant que le ciel se présente systématiquement comme
un texte à déchiffrer, ce qui ne peut se faire qu’à partir du présupposé selon lequel il n’y
a pas de différence substantielle entre le ciel et la terre, d’où il découle que la manière
dont sont interprétés les phénomènes terrestres est transposable aux phénomènes célestes,
les rapports des signes à leur signification étant homologues entre eux dans les deux cas.

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Une poétique de la science : 9

Voir comme, identifier des signes en vue des les interpréter, n’est pas en effet une pratique
spontanée, mais nécessite un apprentissage spécifique prenant appui sur des savoirs préalables
en l’absence desquels l’observation, même si elle se produisait matériellement à l’aide de
moyens techniques appropriés, ne serait pas retenue, ne serait pas reconnue digne d’intérêt,
parce qu’elle ne serait pas susceptible d’être comprise, c’est-à-dire tout d’abord mise en
relation avec d’autres observations.
19 Ici intervient une médiation, qui interfère avec l’observation astronomique tout en relevant
d’un autre ordre, celui de la pratique picturale et des modes de représentation élaborés par
celle-ci, au premier rang desquels la perspective. La perspective est cette procédure artificielle
qui, en particulier, permet, à partir de certains tracés effectués sur une surface plane, de
suggérer la vision d’une profondeur là où, sur l’espace à deux dimensions du plan, il n’y a pas
réellement de profondeur. Ce que Galilée voit dans l’objectif de la lunette, il se le représente
comme un tableau composé selon la technique propre à la perspective, où des ombres ou
des hachures signifient, à l’aide de valeurs formelles, des différences de niveau idéalement
interprétables en termes d’avancée ou de recul, en différenciant des plans à l’intérieur d’un
même plan matériel, donc en faisant surgir la représentation d’un espace à trois dimensions
des figures tracées dans un espace à deux dimensions, comme les peintres ont appris à le faire
en Italie et en Allemagne depuis plus d’un  siècle. C’est de cette manière qu’en regardant dans
la lunette, il parvient, par une opération de transfert, à voir des choses comme si elles en étaient
d’autres : il parvient à « voir comme », en interprétant les taches de la lune comme des indices
du relief de son sol ; et on pourrait se figurer que ses observations soient accompagnées en voix
off d’un discours qui, discrètement, les commente en vue d’en dégager cette signification.
20 Le travail de la connaissance combine donc recension empirique et extrapolation
métaphorique, l’une n’allant pas sans l’autre, car c’est de leur association que résulte la
production d’effets théoriques prenant place dans le système d’une nouvelle représentation du
monde, représentation construite et non simplement donnée ou révélée. Le texte de la science,
tel qu’il est consigné par exemple dans le Sidereus Nuncius, est constitué à partir de cette
association : son discours, de la manière dont il est élaboré, interfère avec d’autres discours ;
c’est-à-dire qu’il ne se déroule pas de façon linéaire sur un unique niveau, mais il est lui-même
édifié en perspective, à la manière d’un dispositif dont la structuration permet de capturer le
réel en allant au devant de lui, en l’interrogeant, en le soumettant à un questionnement qui ne
va pas de soi, en le problématisant. La connaissance scientifique relève d’une machination,
qui force la nature, en en décomposant et en en réarrangeant les manifestations dont elle fait
des signes, au lieu de la suivre en masse, sans prendre par rapport à elle de recul : elle la saisit
dans le filet de ses tropes, comme un orateur retient l’attention de ceux qui l’écoutent par le
fait d’user de certains tours de parole auxquels ils ne peuvent échapper. Elle reconstruit ainsi
le monde en en effectuant la mise en texte. C’est dans cet esprit que Descartes exposera sa
physique comme étant la fiction d’un « nouveau monde », d’un monde possible présentant
une si forte analogie avec le monde réel qu’il peut être accepté comme étant sa représentation
la plus vraie, son plan ou son scénario que son écriture rend le mieux crédible, au titre d’une
certitude morale équivalente en droit à une certitude absolue.
21 Galilée a poussé très loin cette entreprise de textualisation de la connaissance scientifique,
en particulier à travers l’utilisation qu’il fait de l’anagramme et du cryptogramme, comme
l’explique Fernand Hallyn dans le chapitre 3 des Structures rhétoriques de la science, qui
est consacré à la métaphore du « livre du monde » dont l’exploitation est consubstantielle à
l’émergence au XVIIe siècle d’une science nouvelle.
22 Galilée se sert au départ de l’anagramme comme d’un outil exclusivement rhétorique, et non
à proprement parler heuristique ou poétique, pour diffuser certaines de ses découvertes : c’est
pour lui un moyen de provoquer la curiosité tout en décourageant les indiscrets ; ayant percé les
énigmes proposées par la nature, il expose les résultats qu’il a obtenus sous forme d’énigmes

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Une poétique de la science : 10

dont il est lui-même l’auteur et dont il est le seul à détenir la clé, qu’il peut décider ou non de
délivrer. Ayant observé par exemple la forme singulière de Saturne, dont il n’avait cependant
pas réussi à voir l’anneau, il communique cette observation à des correspondants à travers ce
message composé de trente-six lettres amalgamées :
« Smaismrmilmepoetalevmibunenugttaviras. »
23 Ceux qui, sur le moment, se sont essayés au déchiffrement de cette séquence compacte, à
première vue privée de sens, parmi lesquels Kepler, se sont heurtés à un certain nombre
de difficultés, au premier rang desquelles l’identification de l’objet auquel se rapportait le
message. Etant supposé qu’il s’agissait d’une des planètes du système solaire tel qu’il avait été
reconfiguré par Copernic, quelques-uns de ceux-ci ont cru pouvoir isoler du magma de lettres
proposé par Galilée le nom de Mars, et ont cherché à reconstruire à partir de là une phrase se
rapportant à ce corps céleste. La solution de Kepler, consignée dans sa Narratio de observatis
Jovis satellibus, était la suivante :
« Salve umbistineum geminatum Martia proles. »
« Salut, double protection du bouclier, engeance de Mars ! »
24 Le message devait alors signifier la découverte de deux satellites de Mars (dont le bouclier était
traditionnellement l’emblème), ce qui, comme l’explique Fernand Hallyn, confirmait Kepler
dans son idée d’une harmonie du monde, puisque, les quatre satellites de Jupiter étant déjà
connus, la découverte de deux satellite de Mars permettait de disposer le nombre de satellites
de la terre, de Mars et de Jupiter selon la progression géométrique 1,2,4. D’autres solutions,
se rapportant à Mars, à la lune, à Jupiter, ont été proposées par des savants anglais. Mais
nul n’a réussi à découvrir que l’observation à laquelle se rapportait l’anagramme de Galilée
concernait Saturne, - ce qu’il s’était lui-même ingénié à rendre impossible en désignant dans
son « texte » cette planète à l’aide d’une périphrase -, comme il en a ultérieurement fourni
la révélation, en communiquant la vraie phrase qu’il avait transmise en brouillant l’ordre des
lettres qui la composent :
«Altissimum planetam tergeminum observavi. »
« J’ai observé que la planète la plus haute est trijumelle »
25 De ce qu’il avait vu dans la lunette, Galilée avait en effet conclu, à tort, que Saturne, « la
planète la plus haute », au lieu de former une seule sphère, était en fait composé de trois corps
agglutinés : de ce point de vue, le vrai sens du message était en réalité un sens faux.
26 A d’autres reprises encore, Galilée a utilisé l’anagramme pour communiquer ses découvertes,
comme par exemple celle des phases de Vénus, tout d’abord révélée à travers cette phrase
incompréhensible :
« Haec immatura me iam frustra leguntur : o, y. »
Les lettres de cette phrase, une fois réarrangées, donnaient ceci :
« Cynthiae figuras aemulatur mater amorum. »
“La mère des amours imite les figures de Cynthie.”
27 Le premier écran constitué par l’anagramme en recouvrait donc un second, constitué par la
désignation des corps célestes à l’aide de figures empruntées à la mythologie : « Cynthie »
pour la lune, « la mère des amours » pour Vénus. Une fois levé ce second écran, la phrase
présente la signification suivante qui a valeur de découverte scientifique :
«  Vénus (la mère des amours) parcourt les mêmes phases que (imite les figures de) la lune
(Cynthie) »

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Une poétique de la science : 11

28 Ces jeux de langage, dont la précieuse sophisticité étourdit, font d’emblée penser à
un gongorisme poétique, à cent lieux du sérieux dont la connaissance scientifique est
généralement créditée : et, après tout, nul ne peut refuser aux savants le droit de se reposer de
leurs austères travaux en s’amusant. Mais, si on y réfléchit bien, on s’aperçoit que ces jeux
ne sont pas si gratuits ou frivoles qu’ils en ont l’air, mais qu’ils présentent en profondeur
une signification d’une assez troublante gravité. L’anagramme, c’est-à-dire la possibilité
de disposer des lettres ou des phonèmes de manière apparemment désordonnée, dans la
mesure où elle n’est pas subordonnée à la communication d’un sens immédiat, particularité
du langage qui a beaucoup préoccupé Saussure, et l’a sans doute préparé à formuler sa
thèse de l’arbitraire du signe et de l’indépendance du signifiant et du signifié (voir à ce
sujet l’ouvrage de J. Starobinski, Les mots sous les mots, Les anagrammes de Ferdinand de
Saussure, éd. Gallimard, 1971), est, comme le rappelle Fernand Hallyn, une figure, la figure
linguistique par excellence, de l’aléatoire, ce qui en rend le déchiffrement irréductiblement
problématique, comme les savants contemporains de Galilée qui s’étaient échinés à décrypter
ses « messages », en croisant les deux références au hasard et à la nécessité, en avaient fait
l’expérience. Se confronter à un anagramme, c’est du même coup soulever ce dilemme signalé
par Starobinski à propos de Saussure : la clé se trouve-t-elle entre les mains du lecteur ou entre
celles de l’auteur, qui est lui-même par rapport à son « texte » dans la position d’un premier
lecteur ? En effet, « la marge est étroite entre le choix qui isole un fait, et le choix qui construit
un fait » (Starobinski, p. 125, cité par F. Hallyn, p. 101). Le sens que recouvre l’anagramme
s’offre à être découvert ; mais ne s’expose-t-il pas simultanément à être fabriqué de  toutes
pièces par celui qui le reconstitue, en l’absence d’une intention préalable à sa mise en place
ou à ce qu’on hésite à nommer sa « composition » ?
29 C’est ainsi que les atomistes anciens s’étaient représenté le monde comme un ensemble
d’éléments dont la disposition ne correspondait à aucun ordre préétabli, et Lucrèce (De natura
rerum, I, 814-829) avait expressément assimilé ces éléments, les atomes, à des lettres dont
la réunion finit par constituer un « texte », proprement un tissu de nécessités, dont les liens
immanents s’imposent après coup, une fois installés, en dehors de toute finalité, et de toute
intention, à la manière d’un message en lambeaux qui se serait écrit tout seul sans l’intervention
d’un auteur quel qu’il soit. La nature, vue sous cet angle, se présente comme un gigantesque
anagramme, dont il faut débusquer la logique cachée, en en redistribuant les composantes de
manière à ce que leurs arrangements fassent sens, ou du moins présentent un minimum de
sens, ce qui a amené les physiciens anciens à raconter la fabuleuse histoire du clinamen, qui
relève du mythe davantage que de la conceptualisation scientifique. En adoptant cette manière
de voir, on passe d’une exploitation rhétorique de l’anagramme à son exploitation poétique :
par rhétorique, il faut entendre les procédures qui concernent la transmission d’un message,
une fois celui-ci élaboré, et par poétique, celles qui rendent possible l’élaboration préalable
du message. Or cette exploitation poétique de l’anagramme devient hautement problématique
lorsque, comme le font les physiciens matérialistes, on considère le monde comme un texte à
déchiffrer, mais qui, comme on vient de le dire, se serait écrit tout seul, sans l’intervention d’un
auteur, c’est-à-dire sans obéir à une intention première qui en finalise l’organisation : alors,
c’est le lecteur qui, à ses risques et à ses frais, redispose les éléments du texte de manière à lui
faire dire en clair une vérité du monde, comme s’y était employé Kepler, dans une tout autre
vue que celle des matérialistes anciens, en faisant sortir de l’abracadabra mis en circulation
par Galilée un énoncé concernant deux satellites de Mars, alors que Galilée lui-même, qui
n’avait pas vu ces deux satellites, avait tout autre chose en tête lorsqu’il avait composé son
message. L’étonnant, comme le signale Fernand Hallyn, est que Mars a bien deux satellites,
qui n’ont été observés que deux siècles et demi plus tard, ce qui n’avait pas empêché Kepler de
les « voir », non  pas dans le ciel, mais dans l’amas de lettres composé, ou peut-être faudrait-
il dire dé-composé, par Galilée, et ceci dans une intention complètement différente.

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Une poétique de la science : 12

30 Galilée se représente le monde, non seulement comme un texte mais comme un livre, et il
est loin de considérer que ce livre soit sans auteur, et se présente comme une combinatoire
aléatoire d’éléments, comme il l’explique dans un passage célèbre du Saggiatore :
« La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je
veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si on ne s’applique d’abord à en comprendre
la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue
mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans
le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. » (Galilée, L’essayeur,
trad. C. Chauviré, éd. Les Belles Lettres, 1980, p. 141)
31 Sans doute, ce passage ne dit pas expressément que Dieu soit l’auteur du livre du monde que
nous avons ouvert en permanence devant nos yeux mais que nous avons la plus grande peine
à lire, ni que la géométrie soit la langue secrète que Dieu se parle confidentiellement à soi-
même lorsqu’il travaille à la composition de ses œuvres dans lesquelles il emploie ce langage
de façon cryptée. Mais, et c’est là l’essentiel, il déclare que le livre du monde est écrit, non
n’importe comment, mais dans un certain  langage, celui qui donne lieu à des arrangements
réglés de figures géométriques, ce qui veut dire que le message que les hommes de science ont
à déchiffrer est porteur dès le départ de son sens, qu’il leur suffit de mettre au jour, c’est-à-dire
proprement de découvrir, en perçant la logique profonde à laquelle obéit cette transcription,
et non d’inventer en le tirant d’eux-mêmes. De ce point de vue, il est clair que le passage
du langage immédiat des apparences au langage caché des essences ne peut être libre mais
doit obéir à une nécessité, donc être contrôlé. Il apparaît alors que la métaphore du livre,
dont Galilée se sert pour justifier sa démarche de savant « lecteur » du monde, est décalée
par rapport à celle de l’anagramme, pour autant que celle-ci, comme nous l’avons vu, ouvre,
sur fond de hasard, sur une logique plurielle des interprétations, dont chacune se présente en
dernière instance comme un « coup de dés », du type de celui lancé par Kepler lorsqu’il avait
tiré du message de Galilée une information concernant les satellites de Mars, sur l’existence
desquels il était ainsi tombé par hasard, sans se douter que cette information, vraie en réalité,
était fausse au point de vue de l’énigme proposée par Galilée, deux points à l’égard desquels
il lui était d’ailleurs également impossible de parvenir à une certitude objective.
32 C’est pourquoi, comme le montre Fernand Hallyn, la véritable métaphore sur laquelle
Galilée s’appuie pour justifier l’entreprise de la connaissance scientifique n’est pas celle de
l’anagramme, qu’il réserve à un usage strictement rhétorique, mais celle du cryptogramme.
Ce qui distingue le cryptogramme de l’anagramme, c’est qu’il suppose l’intervention d’un
code, par l’intermédiaire duquel un message est délivré sous une forme transformée, mais dans
des conditions qui rendent sa transformation systématiquement réglée et contrôlée. Dans le
cas de la science de la nature, qui est un déchiffrement du livre du monde, le code est ainsi
fourni par les mathématiques, qui constituent une sorte de langage dans le langage, parlant
sous les « mots » des phénomènes, de telle manière que, correctement déchiffrés à l’aide de la
maîtrise du code, ces mots, les faits observés, se mettent à parler de l’ordre du monde, ordre
irréductiblement préexistant à sa révélation. C’est pourquoi, lorsque l’entendement humain
découvre les lois de la nature, ou du moins certaines d’entre elles, car il est évident qu’il ne
peut les découvrir toutes d’un coup, uno intuitu, ce qui est le privilège exclusif de Dieu, il les
comprend comme Dieu les comprend, n’y ayant pas plusieurs sortes ou niveaux de nécessité,
mais une seule ou un seul, dont les mathématiques fournissent en dernier recours le critère
rigoureux.
33 Comme le rappelle Fernand Hallyn à la fin du chapitre 3 de son livre, Descartes a repris, après
Galilée cette métaphore du cryptogramme, qui apparaît dans la conclusion des Principes de
Philosophie, où il déclare que « touchant les choses que n’aperçoivent point les sens, il suffit
d’expliquer comment elles peuvent être » (art. 204), ce qui néanmoins suffit pour se convaincre

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qu’ « on a une certitude morale que toutes les choses du monde sont telles qu’il a été démontré
qu’elles peuvent être » (art. 205), point qu’il développe à travers la comparaison suivante :
« Si quelqu’un, pour deviner un chiffre écrit avec les lettres ordinaires, s’avise de lire un B partout
où il y aura un A, et de lire un C partout où il y aura un B, et ainsi de substituer en la place de chaque
lettre celle qui la suit en l’ordre de l’alphabet, et que, le lisant en cette façon, il y trouve des paroles
qui aient du sens, il ne doutera point que ce ne soit le vrai sens de ce chiffre qu’il aura ainsi trouvé,
bien qu’il se pourrait faire que celui qui l’a écrit y en ait mis un autre tout différent, en donnant
une signification  différente à chaque lettre ; car cela peut si difficilement arriver, principalement
lorsque le chiffre contient beaucoup de mots, qu’il n’est pas moralement croyable. »
34 Lire un message comme un cryptogramme, c’est faire l’hypothèse que toutes ses parties
ont été modifiées selon un même principe de transformation qui s’applique rigoureusement
à l’ensemble de ses éléments  : et ainsi, pour comprendre le sens du message, il faut
préalablement maîtriser le procédé qui a présidé à sa composition ou transformation, la
connaissance du code conditionnant celle du sens, qui, en retour, confirme, lorsqu’elle est
révélée, l’existence et l’efficacité du code. Les mathématiques, et les deux notions de la
figure et du mouvement qui peuvent en être dégagées, sont, selon Descartes, le moyen le plus
commode, et le plus complet, dont nous disposions pour déchiffrer le livre du monde : mais,
après tout, il se pourrait que cette commodité soit trompeuse, et que Dieu ait « écrit » le monde
autrement que la géométrie ne nous le représente, car nul ne peut se targuer d’avoir percé
les mystères de la langue divine, ce qui est définitivement hors de portée d’un entendement
humain. Mais cela n’empêche que le résultat obtenu à l’aide du déchiffrement géométrique du
monde soit hautement crédible, si convaincant que la certitude morale qu’il procure vaille pour
une certitude absolue. En affirmant cela, Descartes se maintient avec une parfaite cohérence
dans le système propre à une logique du « comme » : la certitude morale est équivalente à
une certitude absolue, ce qui signifie que nous pouvons nous en contenter, tout en sachant
qu’elle n’est par la certitude absolue, mais seulement son substitut, ce qui doit nous suffire,
n’y ayant pour nous d’autre moyen de parvenir à la certitude. Autrement dit, faisant comme
Galilée usage de la métaphore du cryptogramme pour rendre compte du cheminement suivi
par la connaissance scientifique, Descartes l’insère dans le cadre d’une philosophie de la
connaissance qui n’est pas du tout la même que celle de Galilée : alors que pour ce dernier,
les mathématiques fournissent le moyen de comprendre les phénomènes de la nature qui nous
sont accessibles de la manière dont Dieu lui-même les comprend, - thèse qui sera également
au cœur de la philosophie d’un Spinoza -, pour Descartes, les mathématiques, si elles parlent
en toute clarté à la raison humaine, ne donnent pas pour autant le moyen de percer les
mystères de la raison divine, responsable en dernière instance de la création du monde et sa
constitution, mystères qui doivent pour toujours lui échapper. On peut dire que Descartes fait
de la métaphore du cryptogramme une utilisation critique, qui le conduit à mettre en évidence
les limites de la connaissance humaine, limites auxquelles il est définitivement impossible à
celle-ci d’échapper. Descartes considérait qu’en tant que savant il était allé aussi loin dans
la recherche de la vérité qu’il était possible à un entendement fini de le faire, conviction
que les développements ultérieurs de la physique ont assez rapidement démentie, lorsqu’il
a été démontré que les lois du choc telles qu’il les avait établies étaient fausses, et lorsque,
l’engouement pour les tourbillons s’étant refroidi, la théorie newtonienne de l’attraction a
prévalu : mais Descartes était parfaitement conscient du fait que sa vérité, si parfaite soit-elle
à la mesure de l’homme, n’était pas la vérité telle qu’elle apparaît à la mesure de Dieu, et,
de cette manière, il en avait, à son insu, préparé le dépassement, ce dont témoigne la façon
particulière dont il exploite la métaphore du cryptogramme, qui a joué un rôle central dans la
constitution du rationalisme classique.
35 On n’a donné ici qu’une idée très partielle du contenu du travail que Fernand Hallyn consacre
aux structures poétiques et rhétoriques de la science, dont l’un des buts est de montrer que la

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formation et la diffusion des idées scientifiques est inséparable de procédures, telles celle de
la métaphorisation, qui jouent aussi dans d’autres domaines que celui de la science, comme
celui de la création poétique ou fictionnelle, dans lesquels elles atteignent un degré supérieur
de visibilité. De cela il ne faut pas, bien entendu, conclure que la connaissance scientifique
se réduise à cette opération de métaphorisation, ni même que celle-ci soit sa composante
essentielle. Pour s’imposer, les certitudes de la science ont besoin, entre autres, de passer
par l’intervention de figures qui relèvent de la poétique et de la rhétorique  ; mais cela ne
signifie pas que ces certitudes soient en elles-mêmes poétiques ou rhétoriques, c’est-à-dire
qu’elles soient réductibles à des conventions formelles du type de celles qui président à
l’organisation d’un sonnet, et, par là, qu’elles soient privées du caractère d’objectivité qu’elles
revendiquent de plein droit. Cette analyse confirme simplement, ce qui est au fond trivial,
mais cela n’empêche que ce soit le plus souvent négligé, que cette objectivité n’est pas donnée
comme une grâce d’état dont disposerait naturellement l’esprit scientifique, mais est obtenue
comme un résultat dont la production fait intervenir des processus extrêmement complexes,
dans lesquels interviennent aussi des formes apparemment extérieures à la connaissance
scientifique comme la métaphore, l’analogie, et d’autres encore, dont la prise en compte
est indispensable à la constitution d’une épistémologie historique, qui, comme on l’a dit,
s’intéresse à la science en train de se faire, et non à la science déjà toute faite.

Pour citer cet article


Référence électronique
Pierre Macherey, « Une poétique de la science : »,  Methodos [En ligne], 6 | 2006, mis en ligne le 03
mai 2006. URL : http://methodos.revues.org/473

À propos de l'auteur
Pierre Macherey
UMR 8163 « Savoirs, textes, langage », Université Lille III/CNRS

Droits d'auteur
Tous droits réservés

Résumé / Abstract

 
L’article présente l’ouvrage de Fernand Hallyn, Les structures rhétoriques de la science de
Kepler à Maxwell (éd. Seuil, 2004), où sont explorées les formes d’imaginaire théorique qui
se développent à la limite entre pratiques littéraires et pratiques scientifiques. Sans prendre le
risque d’en faire rentrer les vérités dans une perspective relativiste au point de vue de laquelle
la science ne serait qu’une manière particulière de mettre le réel en récit, cette démarche
apporte un précieux éclairage sur le processus de la science non déjà toute faite mais en
train de se faire, où interviennent, entre autres, des modèles repris à la rhétorique et à la
poétique. Ceci pris en compte, on est amené à renoncer à l’idée selon laquelle la connaissance
scientifique parviendrait tout d’un coup à des vérités nues, dépouillées de tout revêtement
textuel, et pouvant être appréhendées indépendamment du processus de leur production, sous
forme d’énoncés autonomes, comme des phrases qui ne prendraient pas d’emblée place dans
des textes, à l’intérieur desquels elles revêtent un sens qui, pour une part, déborde les limites

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objectives de leur énoncé, et s’offre à être restitué au point de vue, non seulement d’une
épistémologie, mais aussi d’une poétique.
Mots clés :  Hallyn, poétique, rhétorique, science.

 
The paper presents Fernand Hallyn’s Les Structures rhétoriques de la science de Kepler à
Maxwell (Seuil, 2004), as an exploration of the theoretical imagination’s forms spreading
between literary and scientific practices. This approach refuses any relativism about truth for
science is not considered as a particular way to fictionalize reality. Fernand Hallyn throws so
new light not on the achieved science, but on the science process, as modeled by rhetoric and
poetic. Such analysis leads to abandon the idea that scientific knowledge gives nude, untextual
truths, independent of their production process, like self-sufficient statements or sentences
wich could be considered out of the texts where they make sense. But the meaning is out off
the objective limits of the statements : it can be restored not only as an epistemological but
also as a poetical meaning.
Keywords :  poetic, rhetoric

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