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OBSERVER EN ANTHROPOLOGIE : IMMERSION ET DISTANCE

Abderramane Moussaoui

ERES | « Contraste »

2012/1 N° 36 | pages 29 à 46
ISSN 1254-7689
ISBN 9782749237930
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-contraste-2012-1-page-29.htm
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Observer en anthropologie :
immersion et distance

Abderramane MOUSSAOUI 1

Trois opérations : Voir, opération de l’œil.


Observer, opération de l’esprit.
Contempler, opération de l’âme.
Quiconque arrive à cette troisième opération entre dans le domaine de l’art.
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Émile Bernard, Connaissance de l’art

L a citation du peintre français Émile Bernard (1868-1941) mise


en exergue distingue bien les nuances que le sens commun
a fini par oblitérer. Pour Émile Bernard, «observer» se situe
entre «voir» et «contempler». Le premier est une opération de l’œil,
le second est une opération de l’âme. Entre les deux se trouve l’acte
d’observer qui, notons-le, est une opération de l’esprit.

Observer
Quand on consulte les dictionnaires étymologiques et historiques, on
s’aperçoit que le verbe observer et son substantif «observation» ont des
sens divers et variés attestés depuis plusieurs siècles. Selon les époques
ces mots ont pu avoir différentes acceptions, dont certaines sont tou-

1. Maître de conférences à l’université d’Aix-en-Provence.


Adresse contact : moussaoui@mmsh.univ-aix.fr

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jours en cours, même si parfois, les usages et les protocoles de telle ou


telle de nos disciplines limitent le mot à une seule de ses multiples
acceptions. Ce qui est notable, c’est que les premières définitions assi-
gnent à l’acte d’observer un sens allant non pas vers un objet extérieur,
mais visant le sujet lui-même. Ainsi, dès la seconde moitié du xe siècle,
«observer» signifie «se conformer à ce qui est prescrit par la loi (ici
la loi chrétienne)». Au xvie siècle (1580), le mot signifie «s’imposer
comme règle (une certaine attitude)» (Montaigne, Essais, I, XXX,
éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 198). Toutefois, à la même époque,
l’expression «observer les temps» voulait dire «chercher à deviner
l’avenir» (Olivetan, Bible, Lév. 19, 26 d’apr. FEW, t.7, p. 284a). Ces
différentes définitions forgées à travers l’histoire couvrent les multiples
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sens sous lesquels le vocable continue à se décliner aujourd’hui. Il faut
attendre le début du xviie siècle (1607) pour constater un infléchisse-
ment du sens. Désormais, «observer» veut dire «remarquer, regarder
avec une attention suivie» (Hulsius d’apr. FEW, loc. cit.). Cependant,
ce n’est que vers la fin du xviie siècle (1690), que le mot se voit associé,
de manière franche, à la science. «Observer» signifie alors «soumettre
à l’observation scientifique» (Furetière). Signalons toutefois que dès
le milieu du xve siècle (1549), le mot «observer» porte déjà le sens
d’«examiner en surveillant, en contrôlant». Retenons que cet emprunt
au latin observare veut dire à la fois «porter son attention sur  ; sur-
veiller  ; respecter ; se conformer à». Et tous ces sens sont encore en
usage ; et il faudrait bien se rappeler qu’observer ne signifie pas que
regarder avec attention, mais aussi se conformer à ce qui est prescrit
(par une loi, une règle, une obligation). Autrement dit, observer c’est
aussi respecter, comme dans les expressions :«observer des coutumes ;
observer les fêtes, le jeûne ; ou observer une minute de silence».
Le sens qui nous occupe ici et qui résume un peu tout ce qui a été
évoqué donne au mot observer la signification d’«examiner (un objet
de connaissance scientifique) pour (en) tirer des conclusions scienti-

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fiques». Mais un tel acte doit se faire avec une attention, une appli-
cation, un soin, scrupuleusement... observés. Pour ce faire, les diffé-
rentes disciplines scientifiques, qu’elles relèvent de l’expérimental ou
du social, ont établi des règles qui permettent une telle observation
(dans les deux sens). Car, entre l’observateur et ce qu’il observe, il y
a une distance irréductible et qui s’impose. Il faut la respecter dans
tous les sens du terme : garder une certaine distance, mais aussi recon-
naître à celle-ci son effet sur l’objet ou le sujet observé. Cette distance
maintient à la fois l’observateur et le sujet observé nécessairement à
distance. En anthropologie, toute l’ingéniosité consiste à réduire, voire
à annuler cette distance sans la nier.
Il ne s’agit pas ici de donner une quelconque recette pour y parve-
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nir. Mon propos est plus modeste et vise simplement à rappeler les
significations, les postures et les techniques que suggère en ethnologie/
anthropologie la catégorie «observation»1.
Observer en anthropologie
L’anthropologue essaie d’observer non pas un individu mais l’Homme
dans sa globalité, c’est pourquoi son observation se pose sur un groupe
qu’il tente d’approcher de manière «directe par imprégnation lente et
continue» (Laplantine, 2001, p. 17) en entretenant un rapport person-
nalisé avec ses différents membres. Pour ce faire, l’anthropologue par-
tage de manière plus ou moins durable le quotidien des femmes et des
hommes qu’il envisage d’observer ; de façon à se laisser pénétrer par la
«structure inconsciente» dont parlait Lévi-Strauss ; celle «sous-jacente
à chaque institution et à chaque coutume» (Lévi-Strauss, 1974, p. 34).

1. L’ethnologie étudie les logiques propres à une société, tandis que l’anthropologie
s’intéresse aux variations de ces logiques d’une société à une autre.

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Toutefois, les terrains de l’observation diffèrent et commandent des


postures différentes. Certains terrains se prêtent plus facilement à
l’observation tandis que d’autres demeurent minés, voire dangereux
et quasi impraticables. «Le choix d’un espace circonscrit rend l’obser-
vation directe possible parce que celle-ci met le chercheur face à un
ensemble fini et convergent d’interactions.» (Arborio, 2005, p.  11).
Ainsi, un quartier, une usine, un club ou une boîte de nuit peuvent
faire l’objet d’une observation directe et participante. Cela dit, ce
choix n’est ni obligatoire, ni le seul possible. Il est néanmoins plus
délicat d’opter pour l’observation participante concernant certains ter-
rains en raison du danger potentiel qu’ils recèlent. Travailler en milieu
de déviance ou sur un champ de bataille lors d’un conflit armé n’est
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pas évident. D’autres milieux sont quasi opaques et inaccessibles : les
casernes ou les commissariats de police, par exemple. Pourtant, ce sont
sur ces terrains-là précisément que l’observation participante peut pal-
lier l’impossibilité d’utiliser d’autres moyens d’investigations. L’obser-
vation participante est particulièrement féconde dans les milieux où la
parole absente ou convenue ne permet pas de dépasser le cliché et le
stéréotype.
L’anthropologue sait que son objet d’observation n’est pas un donné,
c’est une construction ; et son travail consiste à observer la charpente
d’une telle construction et les forces (au travail) qui la sous-tendent en
vue de déceler le système de relations entre les éléments qui semblent
a priori sans rapport les uns aux autres.
Observer c’est être attentif pour saisir ce que l’on sait ne pas connaître.
Chemin faisant, on peut également découvrir des choses qu’on ne
savait pas… ne pas connaître. Leur découverte peut modifier la per-
ception de ce que l’on croyait savoir. L’observation en anthropologie
induit assurément une posture d’errance qui conduit par touches répé-
titives à mieux éclairer l’objet. Au lieu de privilégier l’évidence, l’an-

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Observer en anthropologie : immersion et distance

thropologue scrute les interstices et les zones d’ombres. Comme l’écrit


Lévi-Strauss (1974, p. 39) : «Si l’ethnologue s’intéresse surtout à ce qui
n’est pas écrit, ce n’est pas tant parce que les peuples qu’il étudie sont
incapables d’écrire, que parce que ce à quoi il s’intéresse est différent
de tout ce que les hommes songent habituellement à fixer sur la pierre
et le papier.» C’est en accordant une attention toute particulière au
marginal, à l’insignifiant, à l’infiniment petit que l’anthropologue a
des chances de percer le mystère de la totalité. Le non-écrit, le non-
formalisé, l’apparemment anodin sont les biais qu’il emprunte pour
saisir des comportements et des pratiques sociales.
Comparant l’histoire et l’anthropologie, Claude Lévi-Strauss considère
que la différence entre ces deux disciplines ne réside ni dans l’objet
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étudié, ni dans le but poursuivi, ni même dans la méthode utilisée.
Selon l’auteur d’Anthropologie structurale, l’histoire privilégierait les
expressions conscientes, tandis que l’ethnologie s’attache à recueillir
les données relatives aux conditions inconscientes de la vie sociale.
L’observation en anthropologie est d’abord une observation de la
nature inconsciente des phénomènes collectifs. Pour y parvenir, l’an-
thropologue éloigne son regard, se dépayse, afin de susciter son propre
étonnement. Ainsi modifiera-t-il le regard qu’il porte sur lui-même,
à travers le regard que les autres portent sur lui et sur eux-mêmes.
Car, en restant «rivés à une seule culture, nous sommes non seulement
aveugles à celles des autres, mais myopes quand il s’agit de la nôtre»
(Laplantine, 2001, p. 17).
Observer son objet en observant des règles
L’observation en anthropologie est un «jeu d’échelles» pour reprendre
le titre de l’ouvrage de J. Revel. Il s’agit de partir du micro pour ensuite
aller vers le macro. C’est le microscope qui agrandit ; le télescope, lui,
rapetisse les étoiles, réduisant d’immenses planètes à de simples points
lumineux.

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Pour l’ethnologue ou l’anthropologue, l’observation est d’abord une


«observation» (au sens de respecter, se soumettre, se conformer) d’un
certain nombre de règles comme l’absence de jugement. C’est le préa-
lable à toute appréhension, au-delà de l’apparence et du sens commun,
du réel tel qu’il est construit par ceux qui le produisent et le vivent.
L’observation est une posture codifiée qui vise à atteindre un objectif
en respectant certaines règles, en les… observant. Cette observation
peut être distanciée (au sens brechtien) ou alors, au contraire, subjecti-
visée. C’est souvent ce dernier type d’observation qui est recherché par
l’anthropologue. Il lui permet d’observer à partir de l’incorporation de
la subjectivité du sujet observé. Le but est de réduire la distance qui
sépare leurs univers de sens. C’est ce travail d’incorporation de l’alté-
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rité qu’on appelle empathie (qui n’est pas la sympathie !). Pour être
observateur, l’anthropologue se fait acteur, mobilisant ainsi sa propre
expérience subjective avant de se focaliser sur celle de l’observé. Cet
exercice n’est pas si évident, car dans un second mouvement, l’anthro-
pologue doit sinon extirper, du moins taire cette subjectivité afin de
recréer la distance nécessaire à l’analyse.
En d’autres termes, la première démarche lui permet de saisir le sens
emic, celui fondé sur les concepts et le système de pensée des observés.
La seconde, quant à elle, lui permet de retrouver le sens etic.

L’emic et l’etic
Faisons une incise pour rappeler la genèse et l’usage de ces catégories
importées de la linguistique, une discipline qui a beaucoup alimenté
l’anthropologie (cf. Lévi-Strauss et le structuralisme de Saussure).
C’est au linguiste américain Kenneth Lee Pike (1912-2000) que l’on
doit ces deux concepts emic et etic, que les linguistes utilisent quand
ils opposent phonemic et phonetic. En fait, K. L. Pike transpose aux faits
culturels cette coutume qu’avaient les linguistes à faire une nette dif-

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Observer en anthropologie : immersion et distance

férence «entre le système des contrastes et différences sonores significa-


tives du point de vue du locuteur (ou phonemic), et le système des sons
“physiques”, c’est-à-dire les ondes acoustiques produites par les phéno-
mènes articulatoires (ou phonetic)» (Olivier de Sardan, 1998, p. 152).
Selon J.-P. Olivier de Sardan (1998, p. 152) : «La démarche emic s’in-
téresse donc aux aspects culturellement définis (du langage)» tandis
que la démarche etic «se focalise sur les processus acoustiques sans réfé-
rence aux perceptions des sujets, indépendamment de tout arrière-plan
culturel, et prend en compte ce que restituent des appareils “objectifs”
d’observation et de mesure, à savoir des sonogrammes».
Revenons à l’usage qu’en fait l’anthropologue. L’emic une fois établi,
il est remis en situation de comparaison pour atteindre le discours
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«étique», seul garant d’une relative objectivité. «L’emic est donc centré
sur le recueil de significations culturelles autochtones, liées au point
de vue des acteurs, alors que l’etic repose sur des observations externes
indépendantes des significations portées par les acteurs et relève d’une
observation quasi éthologique des comportements humains.» (Olivier
de Sardan, 1998, p. 152)
C’est plus facile à dire qu’à faire ! Mettre de côté tout a priori et tout
discours scientifique pour rentrer dans l’entendement «émique» néces-
site déjà un effort intellectuel énorme. Les choses se compliquent
davantage quand il s’agira ensuite de quitter les logiques «émiques»
pour retrouver un etic raisonné. Pour bon nombre d’observateurs, cela
relève de la gageure. Un des moyens utilisés en anthropologie pour
réaliser une telle prouesse est ce qui est désormais connu par l’expres-
sion «observation participante».
Manières d’observer
Les anthropologues évoquent plusieurs types d’observation  : distan-
ciée, flottante, diffuse ou analytique, participante, etc. Toutes ne sont
pas sollicitées de la même manière et dans tous les cas.

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L’observation distanciée s’ajoute aux entretiens pour mieux renseigner


une situation à partir d’une description dense et finement documentée.
Pour assurer un maximum d’objectivité et de distanciation, l’observa-
teur a souvent recours à la photo et à l’enregistreur. Cette technique
n’est pas exclusive à l’ethnologie. On la retrouve également pratiquée
dans d’autres disciplines comme la psychologie expérimentale, l’étho-
logie ou encore les sciences de l’éducation. Ce type d’observation se
voudrait informel et non guidé par des hypothèses. Mais en cherchant
l’objectivité maximale, le risque est grand de tomber dans le catalo-
gage sans but, car comme le pensait Bachelard, «l’absence de théorie
stérilise l’observation».
L’observation flottante quant à elle est une méthode prônée par Colette
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Pétonnet (1982, p. 39) : «Elle consiste à rester en toute circonstance
vacant et disponible, à ne pas mobiliser l’attention sur un objet précis,
mais à la laisser “flotter” afin que les informations la pénètrent sans
filtre, sans a priori, jusqu’à ce que des points de repère, des conver-
gences, apparaissent et que l’on parvienne alors à découvrir des règles
sous-jacentes.» Cette méthode suppose un fieldwork suffisamment
ouvert pour pouvoir enquêter de façon anonyme et suivre les évolutions
du terrain en mobilisant toutes ses potentialités. Une telle méthode
semble mieux adaptée à l’investigation en milieu urbain comme le
relève Anne Raulin (2001, p. 177) : «méthode rendue possible par le
caractère ouvert de l’espace public urbain, qui permet d’enquêter dans
l’anonymat en effectuant des observations (visuelles, sonores) au gré
des évolutions sur le terrain».
L’observation diffuse est celle que tout anthropologue consigne dans
son journal de bord. Elle décrit aussi bien les lieux que les pratiques
qui s’y déroulent au fur et à mesure de leur découverte. Les descrip-
tions privilégient les mots et les catégories ordinaires qu’utilisent les
observés eux-mêmes. Ce type d’observation est à opposer essentielle-

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ment à l’observation analytique qui, elle, se focalise sur des phéno-


mènes précis et en un temps donné. Ce qui doit être observé et auprès
de quels enquêtés est, dans ce cas, préalablement établi.
Toutefois, le type d’observation qui caractérise le plus la discipline,
c’est «l’observation participante». Cette dernière désigne la conduite
qu’adopte l’ethnologue en s’immergeant totalement dans l’univers
étudié, un univers généralement complètement étranger à lui, en vue
d’observer un phénomène en y participant.

L’observation participante
C’est l’anthropologue polonais Bronislaw Kasper Malinowski (1884-
1942) qui le premier théorise les règles de l’«observation participante»
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dans son fameux ouvrage, Les Argonautes du Pacifique occidental.
Malinowski entend se démarquer de la pratique alors dominante des
premiers anthropologues qui travaillent à partir de documents de
seconde main (récits de voyage d’explorateurs ou de missionnaires et
autres rapports des administrations coloniales). Une des figures les plus
représentatives de ces «armchair-anthropologists», ces ethnologues de
cabinet ou de salon, est sans doute l’anthropologue écossais Sir James
George Frazer (1854-1941). Il est le premier à avoir dressé un inven-
taire planétaire des mythes et des rites (Le Rameau d’or).
Dans un contexte où l’évolutionnisme dominait la pensée anthropolo-
gique, Malinowski renverse la vapeur en imposant à l’anthropologue
l’observation d’un certain nombre de positions :
– Effectuer soi-même le travail de terrain sans intermédiaire ;
– Apprendre la langue des populations étudiées ;
– Se couper totalement de son monde familier.
Il s’agit de «se défaire de sa propre culture». C’est à ce prix pense-t-il
qu’il est possible de «pénétrer la mentalité des indigènes».

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Dans ces années 1920, un certain nombre de sociologues, d’ethnologues


et d’anthropologues se réclamant de l’école de Chicago vont appliquer
cette méthode d’observation directe dans leurs recherches. Ainsi Nels
Anderson (2011) mènera une enquête pionnière auprès des sans-abris
qui contribuera à forger la réputation de ce courant de pensée. Depuis,
cette «tradition sociologique de Chicago1» s’est raffermie par d’autres
études dans le domaine des sciences humaines et sociales. Il y aura
la fameuse enquête de Paul Goalby Cressey, consacrée aux dancings
publics2, l’étude de Louis Wirth (1897-1952) sur le ghetto de Chicago
(Wirth, 1980). Elle sera suivie par celle du jeune pasteur protestant,
Robert Staughton Lynd (1892-1970) et sa femme Helen Merrel Lynd
(1894-1982), centrée sur les communautés chrétiennes dans l’Amé-
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rique urbaine et industrielle (Lynd, 1929 ; 1937). Les deux ouvrages
issus de leurs travaux sur la petite ville de Muncie dans l’Indiana et
publiés sous le titre Middletown, illustrent bien cette méthode qui pri-
vilégie la compréhension des conduites de l’intérieur. En l’absence de
documents et de données empiriques, les auteurs s’attèleront, durant
dix-huit mois (de janvier 1924 à juin 1925) à la collecte d’informa-
tions par entretiens et à des descriptions ethnographiques fouillées et
minutieuses. Plus tard, dans un manifeste intitulé Knowledge for what?,
R. S. Lynd (1939) dénonce l’illusion entretenue par les économistes et
qui consiste à soutenir que «les faits parlent d’eux-mêmes, sans être
informés par les hypothèses». On ne peut s’empêcher de penser à la
posture défendue par G. Bachelard dans son «nouvel esprit scienti-
fique». Enfin, c’est un jeune chercheur appartenant à ce courant de

1. Titre d’un ouvrage de Jean-Michel Chapoulie : La Tradition sociologique de Chicago.


2. Ce travail est issu d’une maîtrise soutenue en 1929 sous le titre «The Closed
Dance Hall», Unpublished Master’s Dissertation, University of Chicago. Il sera pu-
blié plus tard, en 1932, sous le titre, The taxi-dance hall. A sociological study in
commercialized recreation and city life, Chicago, University of Chicago Press, 300 p.

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pensée, Eduard C. Lindeman (1885-1953), qui aurait inventé l’expres-


sion «observation participante» pour baptiser cette méthode deux ans
après la parution de la première édition en langue anglaise de l’ouvrage
de Malinowski, en 19241. Elle deviendra la marque de fabrique de
cette école et de la microsociologie qu’elle pratique.
Cette première génération, qui donnera ses lettres de noblesse à l’école
de Chicago, peut être considérée comme celle qui a véritablement
légitimité la méthode de l’observation directe comme mode d’in-
vestigation. À travers des enquêtes fouillées d’une durée allant de
quelques mois à quelques années, ces chercheurs réussirent à restituer
la complexité du réel et à traduire les enjeux sociaux des membres des
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communautés étudiées. Parmi les principaux représentants contem-
porains de cette seconde école, nous pouvons citer Erving Goffman
(1922-1982) ou encore Howard Becker dont les travaux continuent
aujourd’hui encore à faire briller les dorures de cette école.
Depuis, l’anthropologue est perçu d’abord comme un homme du ter-
rain (fieldwork) qui pratique l’observation participante, brièvement et
joliment défini par Alain Touraine comme «la compréhension de l’autre
dans le partage d’une condition commune». Une telle méthode est pri-
vilégiée par l’anthropologue, car pense l’auteur des Argonautes du Paci-
fique occidental : les règles de la vie ne sont «nulle part formulées». Seule
l’observation des situations concrètes permet de saisir l’implicite qui
les fonde et les sous-tend. Au lieu d’interroger de manière abstraite sur
des règles jamais apprises par la formulation expresse, l’anthropologue

1. Voir Olivier de Sardan, La politique du terrain. Sur la production des données


en anthropologie (voir bibliographie) qui écrit dans une note infrapaginale : «Il
semble que, fort significativement, cette expression à forte connotation anthro-
pologique d’observation participante ait été inventée en 1924 par un sociologue,
Lindeman, lié à l’école de Chicago (Kirk et Miller, 1986 : 76).»

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observe les situations concrètes pour comprendre les principes impli-


cites qui organisent l’expérience et sous-tendent l’univers de sens dans
lesquelles elles s’effectuent.
L’anthropologue conçoit l’observation comme le moyen privilégié de
collecter des données de première main. Car, en anthropologie, les
documents de seconde main ne sont qu’un moyen qui permet d’aigui-
ser le regard et forger le questionnement. Dans un deuxième temps,
ces documents peuvent également servir à la comparaison et aider à
mettre en exergue le particulier par rapport au général. Tandis que les
matériaux sur lesquels il fonde son analyse sont pour l’essentiel ceux
qu’il a recueillis lui-même par une observation directe. Car, si le global
nous informe, seul le particulier nous permet de comprendre.
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L’anthropologue observe les lieux où se réalise l’interconnaissance, les
lieux de coprésence. Toutefois, pour être observateur, l’anthropologue
est tenu, dans le même mouvement, d’être également acteur. Sans quoi
il ne pourra constater combien la place de chacun est constamment
négociée. C’est en passant par sa propre expérience qu’il lui est possible
d’objectiver celle de l’autre.

L’observation ne va pas de soi


Le défi est grand quand on ambitionne en tant qu’homme, d’observer
un autre homme, «un objet de même nature que le sujet» (Laplantine,
2001, p.  17). L’entreprise est périlleuse même pour les pères fonda-
teurs de la discipline. Nous le savons désormais, Malinowski n’a pas
vécu en symbiose avec les tribus qu’il étudiait. Il s’ennuyait, ne les
aimait pas et même les haïssait.
Dans son ouvrage Savoir local, savoir global, l’anthropologue américain
Clifford Geertz évoque le scandale de la publication du journal de
Malinowski en déplorant, avec humour, le fait que la tribu des anthro-
pologues se soit indignée qu’on ait ainsi révélé un des secrets les mieux

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gardés de la confrérie. Ce qui désole Clifford Geertz, c’est le fait que


l’on n’ait pas vu l’héroïsme et la passion du maître dont l’amour du
métier est allé jusqu’au sacrifice de soi. Autrement dit, l’observation
impose à l’anthropologue (qui n’est pas nécessairement un philanth-
rope) des règles quasi sacerdotales, l’obligeant à vivre au milieu de
ceux qu’il étudie, parfois sans les aimer.
La première difficulté que rencontre celui qui aspire à pratiquer l’obser-
vation est relative à son insertion. Il doit d’abord négocier son entrée et
sa place. Plusieurs possibilités s’offrent à lui selon les terrains. Parfois,
le terrain est tel qu’il ne peut pratiquer son observation sans se déclarer
et être autorisé. On parle alors d’«overt researcher». Quelquefois, l’ob-
servateur choisit de ne pas se déclarer et opère clandestinement, en
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«covert research». Si l’éthique recommande souvent d’opérer de manière
déclarée, les anthropologues choisissent souvent selon les terrains, les
enjeux, les risques et autres conditions de travail. En fait, il n’existe
pas, ici, de règle générale, et surtout pas de recettes. La personnalité
du chercheur joue également ; et celui-ci modifiera souvent sa posture
et son degré d’implication en fonction du terrain et des circonstances.
Une fois sur le terrain, qu’il soit déclaré ou clandestin, l’observateur
tente de «se faire oublier» pour exercer son métier sans parasiter les
situations qu’il étudie. C’est là où la durée du séjour devient un facteur
crucial. En général, dans la recherche en sciences sociales, le temps
joue un rôle capital. Il permet de multiplier les sources d’informa-
tion, de diversifier les moments et les situations qui permettent une
meilleure perception du sens des conduites des autres et une sensibilité
plus grande. Sans cette intensité dans la communication affective, il
est difficile de se faire accepter par le groupe. Or, en anthropologie,
cette nécessaire empathie avec le terrain est le fruit d’une connaissance
acquise en grande partie grâce au hasard des rencontres. Pour profi-
ter de ces «heureux hasards», ceux qui font que l’on est là «au bon

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moment», il faut disposer de beaucoup de temps et accepter de «traî-


ner» sur le terrain.
L’observé, mis en interaction avec l’observateur, peut modifier ses
conduites, parfois intentionnellement, quelquefois contraint, et
d’autres fois parce qu’il en est tout simplement ainsi. Nos manières de
table, par exemple, changent et se «mettent en scène» quand on reçoit
des invités ou quand on est soi-même reçu comme invité. Loin d’être
un simple «idiot culturel» pour utiliser les mots d’Harold Garfinkel
repris par Robert Jaulin, l’homme interagit avec son environnement.
Seul le temps long permet de retrouver les comportements et les atti-
tudes adoptées naturellement et fréquemment en temps ordinaire.
L’observateur doit être attentif aux éléments perturbateurs de l’obser-
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vation. Il doit se rendre «invisible» et familier pour permettre une nor-
malisation des situations. Car, «l’observateur est lui-même une partie
de son observation, et seule sa capacité à objectiver sa position dans la
communauté indigène garantit l’objectivité de l’approche ethnogra-
phique» (Géraud, 2002, p. 31). Objectiver sa position, c’est d’abord
objectiver ses propres catégories d’entendement, les relativiser ; c’est
aussi une objectivation de la situation que peut créer sa propre pré-
sence (sollicitations, rejet, crainte, etc.).
L’observateur est un élément perturbateur. Il est un élément ajouté à
une structure, qui par conséquent n’est plus tout à fait la même struc-
ture. C’est pourquoi l’anthropologue s’efforce de s’immerger long-
temps dans son terrain, en choisissant des places et des rôles déjà exis-
tants. En pérennisant son rôle et en multipliant les situations, il réduit
ainsi les voiles et les masques produits par l’effet de perturbation, pour
enfin entrevoir le réel et le sens dans lequel il s’inscrit.
Quand et comment s’en sortir ?
Un des risques lié à l’usage de l’observation participante est celui de ne
plus pouvoir quitter son terrain, de l’épouser complètement au point

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de «devenir indigène». Ce risque connu et désigné par l’expression


«going native» amène souvent l’observateur à décrire le monde étudié
avec les mots de ceux qui en font partie. Au lieu de renouer avec le
discours «étique», il sombre dans le discours «émique».
Un autre écueil guette également l’observation participante  : c’est
celui d’adopter une distance excessive au point de passer à côté de
l’essentiel et du significatif. Toute l’ingéniosité consiste à pratiquer
la double posture en cherchant un équilibre entre l’une et l’autre. Le
chercheur ne s’impliquera pas avec le même degré partout et tout le
temps. Sa participation et sa distanciation dépendent de son feeling
par rapport aux conditions du terrain et des objectifs poursuivis. Le
chercheur s’immerge un temps plus ou moins long et doit retrouver la
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distance nécessaire à l’analyse.
Il y a aussi le problème de l’«enclicage» évoqué par J.-P. Olivier de
Sardan. Pour s’insérer dans une société, l’observateur le fait nécessaire-
ment par le biais de membres de cette société appartenant eux-mêmes
à des groupes et des réseaux particuliers. Il est souvent alors assimi-
lé à la «clique» ou à la «faction» locale, par le biais de laquelle il a
pu s’insérer. Cela modifie le rapport et permet d’observer des choses
qu’un autre observateur autrement et différemment inséré ne connaî-
tra jamais probablement.
L’observateur devient tributaire d’un groupe et d’un regard, celui de
son interprète, ou de son «informateur privilégié» et les situations
observables par lui sont souvent celles induites par ces déterminants.
L’observation nécessite donc une vigilance accrue, au risque de subir
la subjectivité d’un individu ou d’un groupe au point de percevoir les
autres à travers le statut, la place et les contraintes du vécu de cet indi-
vidu ou de ce groupe. Croyant observer les faits et les choses, l’observa-
teur «encliqué» sélectionne sur le terrain les situations qui confortent
sur le terrain le discours de «sa» clique.

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La question ultime peut être résumée ainsi  : quand doit-on arrê-


ter l’observation  ? Le moment est souvent décidé arbitrairement à
l’avance. Pourtant, les informations ou les données que nous avons mis
du temps à traquer peuvent commencer à se révéler, précisément, vers
la fin de la période que nous avons souhaité consacrer à l’observation.
On peut aussi remarquer, bien avant la fin prévue de l’enquête, que les
situations commencent à se répéter sans rien apporter de nouveau. Loin
d’être fixée dans le protocole de l’enquête, la fin de l’observation est
souvent dictée par des impératifs pratiques : la durée d’un événement
ou le temps de l’autorisation accordée. L’observateur peut également
décider d’arrêter son observation par souci éthique, quand l’exercice
devient pesant pour les enquêtés.
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L’observation participante : une approche idéale ?
Soyons clairs, là-dessus : le produit de l’observation est un construit et
non un donné. Le regard de l’observateur n’est jamais totalement neuf.
Il voit avec des yeux qui ont déjà vu d’autres situations au prisme des-
quelles ils comparent et appréhendent. Ce construit raisonné et policé
par des règles relevant d’un protocole est sensé, non pas décrire une
réalité, mais traduire et interpréter cette réalité au plus proche du sens
et des points de vue qui la (re)produisent.
Ainsi l’observation, acte individuel, ne rend pas compte d’une réalité
plurielle et complexe, elle donne une lecture subjective d’une réalité
objectivée. Toutefois, en mettant le doigt sur les biais et entendements
qui sous-tendent et reproduisent cette réalité, l’observation directe
réduit la distance et évite les attitudes autistiques qui la voilent.
C’est la multiplication de ce type d’observation et le cumul des résul-
tats d’une part, et leur contrôle (au sens psychanalytique) par le com-
paratisme proche et lointain (dans le temps comme dans l’espace)
d’autre part, qui permettent de dégager les invariants et d’approcher

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l’objectivité. Mais est-ce suffisant  ? Cela peut-il garantir sinon une


vérité du moins l’objectivité ? Rien n’est moins sûr !
C. Geertz, dans son ouvrage After the Fact. Two Fields, for Decads, One
Anthropologist, évoque cette question de l’écriture après le fait, où l’au-
teur exerce toute son autorité dans la (re)construction du réel. L’an-
thropologue est conscient de restituer non pas la réalité, mais une
construction d’une construction de la réalité. Cette modestie ne doit
jamais être perdue de vue par l’anthropologue.

Pour conclure
Observer nécessite à la fois une attention soutenue, des règles respec-
tées et une appréhension globale à partir de postures plurielles. Car
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une observation partielle donne l’illusion du savoir qui encourage les
conclusions relevant non pas de la déduction, mais de l’induction. Une
attitude que toutes les sciences récusent aujourd’hui. Pour autant, on
doit toujours avoir en tête le mot de Bachelard (1934, p. 16) : «L’ob-
servation scientifique est toujours une observation polémique, elle
confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan
d’observation ; elle montre en démontrant.» C’est pourquoi il serait
prétentieux d’aspirer à une totale neutralité de l’observateur, une neu-
tralité qui lui garantirait une objectivité absolue. n

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