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FINANCEMENT MIXTE INTERVIEW COMMERCE ÉQUITABLE

Innover pour encourager Michael Hailu : Les productrices bénéficient-


les investissements agricoles “La digitalisation change elles de ces modèles
la donne pour l’agriculture” commerciaux ?

N°193 | Juin- Août 2019

spore.cta.int

Jeunes & emploi

L’AGRICULTURE PLUTÔT
QUE L’ÉMIGRATION
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL
N°193
TENDANCES
Une révolution digitale
4 | De nouveaux fonds de financement
pour l’agriculture africaine pour les petits exploitants
ENTREPRENEURIAT
8 | Des produits caribéens
à base de plantes très demandés Michael Hailu, directeur du CTA
9 | Au Rwanda, les piments invendus
s’exportent
Des drones à l’Internet des objets, en passant
SMART TECH & INNOVATION par la blockchain et l’intelligence artificielle, la
10 | La petite reine du chocolat ivoirien prolifération des technologies et innovations
11 | Des énergies renouvelables
contre les déchets numériques abordables et accessibles ouvre
la voie à de vastes perspectives permettant
AGRICULTURE de transformer l’agriculture en une industrie
CLIMATO-INTELLIGENTE rentable, durable et inclusive.
12 | Récolter les fruits économiques
de la conservation
L’explosion démographique de la main-d’œuvre africaine présente
13 | Au Burundi, du café sous la canopée elle aussi un fort potentiel de transformation agricole. Cependant, le
secteur doit proposer des options d’emploi plus attrayantes pour les
INTERVIEWS jeunes. Il faut renforcer les capacités des jeunes Africains en termes
14 | Michael Hailu : “La digitalisation change de compétences agricoles, mais aussi de compétences numériques et
la donne pour l’agriculture”
16 | Enock Chikava : “Les promesses commerciales. C’est ainsi que l’on stimulera la prospérité agricole et la
des innovations numériques” croissance économique.
En 2013, lorsque le CTA a organisé la première conférence

17 | Dossier internationale ICT4Ag au Rwanda, l’activité du secteur était très


restreinte. Depuis, on a observé une nette augmentation des solutions
Jeunes & emploi : numériques sur le marché. Ces nouvelles technologies ont aussi
l’agriculture plutôt que l’émigration suscité l’intérêt des bailleurs de fonds et des gouvernements. Pionnier
dans ce domaine, le CTA est ravi de voir arriver des acteurs majeurs
29 | Agribusiness dans le secteur.
Événement clé pour le CTA : la publication d’un rapport en
collaboration avec Dalberg Global Development Advisors, en juin
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX
30 | Les Îles Salomon redécouvrent 2019, lors de la Conférence ministérielle de la FAO, à Rome. Le
le goût du miel rapport dressera un état des lieux des solutions digitales déployées
31 | Le Zimbabwe commercialise afin d’améliorer la productivité et les revenus des agriculteurs. Ces
ses plantes autochtones
dernières se révèlent rentables et dotées d’un fort impact potentiel.
Nous espérons que ce rapport inspirera et mobilisera les investisseurs.
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES
32 | Au Congo-Brazzaville, En cartographiant le paysage de la D4Ag et en proposant des
des champignons toute l’année projections pour l’Afrique, le rapport est en outre le premier à
33 | Une approche zonale pour le bio proposer une telle évaluation. Il pourra servir de base pour suivre
de Madagascar
l’évolution et les changements opérés à l’avenir. Nous nous réjouissons
34 | FINANCE & ASSURANCE d’en partager les conclusions à Rome, mais aussi, entre autres,
Réduire les risques au futur Forum sur la révolution verte en Afrique, qui se tiendra
dans les chaînes de valeur en septembre 2019 à Accra, au Ghana, sur le thème “Cultiver le
numérique : exploiter la transformation digitale en faveur de systèmes
36 | COMMERCE & MARKETING alimentaires durables en Afrique”.
Commerce équitable : une bonne
affaire pour les agricultrices ? Partout sur le continent, des agriculteurs adoptent l’agriculture
intelligente en utilisant des technologies digitales. L’ère du numérique est
38 | LEADERS EN AGRIBUSINESS source de multiples innovations et progrès qui nous aideront à libérer de
“Redoubler d’efforts contre manière plus efficace et durable le plein potentiel des petits agriculteurs
l’insécurité alimentaire”
et des entreprises agroalimentaires. La digitalisation peut changer
la donne en transformant l’agriculture, pour peu qu’on lui accorde
40 | PUBLICATIONS
l’importance qu’elle mérite en termes de politiques et d’investissements.
44 | OPINION

PHOTO DE COUVERTURE : © GEORGINA SMITH/CIAT SPORE 193 | 3


TENDANCES

FINANCE MIXTE

De nouvelles sources
de financement pour
l’agriculture
Les fonds d’investissement à impact social deviennent l’instrument
privilégié des gouvernements et bailleurs de fonds pour encourager
le secteur privé à investir dans l’agriculture africaine.

Helen Castell

L
es investissements dans l’agricul-
ture africaine augmentent plus
rapidement que jamais. À l’avant- Fonds d’investissement à impact social,
garde : une nouvelle vague de fonds de
financement et d’investissement mixtes mode d’emploi
à impact social. L’impact de ces fonds sur
l’existence des petits agriculteurs est de Les fonds de financement et d’investissement mixtes à impact social associent fonds
mieux en mieux documenté et indique publics et privés pour obtenir un résultat social ou environnemental spécifique et un
que l’investissement dans l’agriculture rendement financier. Les investisseurs publics assument une plus grande part du risque
africaine peut être profitable pour les total de ces fonds, pour des rendements nuls ou faibles, tandis que les investisseurs
acteurs du secteur privé, à condition que privés sont encouragés à financer un secteur où une haute prise de risques devrait
les financements aillent aux bons projets normalement rapporter des profits élevés. Les fonds peuvent être divisés en deux
et que les risques soient bien gérés. tranches ou portions, ou davantage. La tranche fondamentale – parfois appelée capital
Les organismes de développement et catalytique parce qu’elle sert à attirer d’autres investissements – se compose de
les investisseurs privés cherchent de plus sommes données ou investies sous forme d’actions à long terme par des organisations
en plus à combler la faille persistante philanthropiques, gouvernements ou banques de développement. Elle sert à absorber
qui handicape l’agrofinance africaine en les premières pertes, ce qui signifie qu’à la chute éventuelle de la valeur du fonds
s’engageant dans des fonds d’investisse- global ces sommes amortiront une proportion initiale des pertes, avant que les
ment agricoles, dont le nombre et la taille autres investisseurs n’en subissent eux-mêmes. Elle peut aussi servir à financer une
ont rapidement augmenté depuis le début assistance technique qui, en agriculture, pourrait consister à former les agriculteurs
de la décennie, selon un rapport de 2018 pour améliorer les rendements, afin de réduire le risque pour les bailleurs de fonds
de la FAO intitulé Agricultural investment que les bénéficiaires ne remboursent pas leurs dettes ou ne constituent pas un
funds for development. Il apparaît que les investissement rentable. Les sommes investies par le secteur privé sont généralement
pénuries alimentaires et la hausse du prix placées dans une tranche distincte dont le taux d’intérêt ou le rendement des actions
des aliments ont fait remonter le niveau sont plus élevés – bien que ces bénéfices restent inférieurs aux exigences habituelles,
de priorité de l’investissement agricole la tranche de premières pertes ou d’assistance technique ayant réduit les risques. Elles
dans l’agenda des gouvernements et des sont souvent appelées “capital senior”, ce qui signifie que ces investisseurs sont les
organismes de développement, rendant premiers à être remboursés en cas de liquidation du fonds.
le secteur potentiellement plus rentable
pour les investisseurs du secteur privé.

4 | SPORE 193
© INCOFIN INVESTMENT MANAGEMENT
Incofin Investment Management apporte un soutien financier et technique à des petits producteurs et
des entreprises de l’agribusiness.

De nombreux fonds utilisent une Agricare à mettre en œuvre en 2016 préservation des capitaux plutôt que les
structure de financement mixte, ce qui un programme pilote d’aide aux petits rendements financiers, les acteurs du
pourrait être un élément catalyseur pour agriculteurs locaux pour augmenter secteur privé acceptent un rendement
encourager davantage d’investissements leur fourniture de maïs. À son lance- financier plus faible en échange d’une
dans l’agriculture. C’est ce qu’estime ment, 210 fermiers étaient concernés, réduction des risques.
Jerry Parkes, gestionnaire d’investisse- avec 250 hectares cultivés. Fin 2017, En collaboration avec Injaro, Bamboo
ments axés sur l’Afrique, qui en 2009 le programme bénéficiait à environ gère le fonds ABC ou Fonds d’investisse-
a créé un fonds d’investissement à 1 200 petits agriculteurs exploitant plus ment pour l’entrepreneuriat agricole du
capital fixe de 43,8 millions d’euros, de 2 580 hectares. Selon Agricare, on FIDA, lancé en février 2019 pour facili-
Injaro Agricultural Capital Holdings devrait porter ces chiffres à 4 000 petits ter l’accès aux prêts et éventuellement
Ltd (IACHL). Celui-ci a pour l’instant agriculteurs et 6 000 hectares d’ici l’investissement de capitaux des PME
déployé 30,4 millions d’euros, fournis- 2022. rurales, organisations d’agriculteurs,
sant capitaux, conseils commerciaux et entrepreneurs agricoles et institutions
développement des capacités à des PME Les entreprises intermédiaires financières rurales du monde entier. Ce
agricoles d’Afrique occidentale. en ligne de mire fonds à capital variable, également sou-
Selon Jerry Parkes, l’expertise de ces Les fonds d’investissement à impact tenu par l’AGRA, l’UE, le groupe ACP et
fonds d’investissement en matière de social sont idéaux pour atteindre les le gouvernement du Luxembourg, vise à
ciblage et de mesure de l’impact, par agroentreprises intermédiaires – trop attirer 200 millions d’euros d’investisse-
comparaison avec les banques commer- importantes pour le microfinancement ments sur les dix prochaines années. Il
ciales généralistes habituellement visées mais nécessitant des apports de capi- a pour l’instant obtenu des engagements
par les donateurs, augmente considéra- taux de 20 000 à 1 million d’euros, selon à hauteur de 50 millions d’euros dans la
blement la probabilité que les capitaux Florian Kemmerich, directeur asso- tranche de premières pertes et espère
touchent les bénéficiaires ciblés et des cié de Bamboo Capital Partners. Pour en assurer 50 supplémentaires dans les
chaînes de valeur à plus haut risque. obtenir une rentabilité financière de trois à six prochains mois, avant de se
IACHL a pour l’instant bénéficié à 8 à 12 % visée par les investisseurs du tourner vers des investisseurs privés,
900 000 petits agriculteurs et personnes secteur privé, il faudrait des fonds régu- selon Florian Kemmerich.
à faibles revenus, avec un objectif final liers prêtés à des taux d’intérêt allant L’initiative AgriFI, financée par l’UE,
de 1,125 million d’ici 2023. jusqu’à 50 %. Toutefois, en protégeant a aussi annoncé en avril 2019 son très
Les fonds d’Injaro ont aidé la marque les investissements privés avec l’argent attendu premier investissement. Elle
ghanéenne d’aliments pour animaux des bailleurs de fonds privilégiant la doit injecter jusqu’à 5 millions d’euros ›

SPORE 193 | 5
TENDANCES

› sous forme d’actions à long terme dans soutenues par les fonds à impact social. instrument de financement offrant aux
le Fonds d’accès au commerce équitable Comme de nombreux fonds, le FAF s’in- prêteurs locaux des garanties fournies
(FAF, Fairtrade Access Fund) d’Incofin téresse essentiellement aux chaînes de par le gouvernement ou les bailleurs
Investment Management, qui soutient valeur axées sur l’exportation, avec des de fonds pour 50 % de leur portefeuille
les petits agriculteurs, PME agricoles et prix fixés en devises fortes comme le agricole, a contribué à encourager les
institutions financières axées sur l’agri- dollar américain ou l’euro. banques et institutions de microfinance
culture en leur fournissant un appui L’investissement intérieur est une (IMF) à prêter davantage au secteur,
financier et technique. source importante de capitaux pour explique Loïc De Cannière. Les garan-
Depuis sa création en 2012, le FAF a l’agriculture, et les bailleurs de fonds, ties d’aBI ont ainsi aidé la Finance Trust
déboursé plus de 164,5 millions d’euros prêteurs et entreprises africains font Bank nationale à constituer un porte-
répartis en 196 investissements qui ont eu circuler les devises africaines tout au feuille de crédit comportant presque
un impact sur plus de 254 000 petits agri- long des chaînes de valeur agricoles. 30 % de prêts agricoles. Il est financé
culteurs africains et latino-américains. Mais l’essentiel des sommes injectées par près de 35,8 millions d’euros de
Le dispositif d’assistance technique du dans ces fonds provient de l’extérieur du dépôts d’épargnants locaux ougandais
FAF, qui utilise des subventions pour continent. remplaçant ce que la banque aurait
améliorer la productivité, la réduction La faiblesse de l’inclusion finan- auparavant emprunté à l’étranger.
des maladies et l’accès aux marchés cière signifie qu’une part relativement
pour les organisations d’agriculteurs, a modeste des sommes circulant dans “Sur la même longueur d’onde”
aussi touché plus de 54 000 petits agri- les économies africaines parvient Pour amener des fonds africains
culteurs dans 10 pays. jusqu’aux banques, remarque Carlijn et étrangers à soutenir l’agriculture,
Nouwen, associée chez Dalberg Global bailleurs de fonds et emprunteurs
Une performance financière mitigée Development Advisors. Les banques doivent être “sur la même longueur
Les fonds d’investissement associant sont ainsi sous-capitalisées par rap- d’onde”, avec des intérêts étroitement
capitaux du secteur privé et fonds port aux institutions européennes ou liés, affirme Carlijn Nouwen. Les four-
publics ou provenant de donateurs nord-américaines, ce qui diminue nisseurs d’intrants, par exemple, font
doivent évidemment donner des résul- les sommes disponibles pour prêter à de plus en plus crédit aux agriculteurs
tats tout en offrant aux investisseurs l’agriculture. en n’exigeant le paiement des engrais
des rendements financiers attractifs, ou semences qu’après la vente des
ce qui s’est avéré difficile. Selon Calvin récoltes. Ce système, bien qu’informel,
Miller, ancien responsable de l’agri- constitue une source vitale de finance-
business et du financement à la FAO “Un seul levier ne suffit pas à ment en nature sur laquelle comptent
et coauteur du rapport sur les fonds les agriculteurs. Ces fournisseurs d’in-
d’investissement agricoles, des crises changer l’agriculture – c’est un trants dépendent de la clientèle que
comme l’épidémie de rouille du caféier constituent les agriculteurs et n’ont pas
qui sévit en Amérique latine depuis ensemble de leviers et il faut d’autre choix que de continuer à leur
2011/2012 ont amoindri la perfor- fournir ce type de crédit, même après
mance de certains fonds exposés à ce
s’appuyer sur chacun d’eux.” des défauts de paiement et des années
problème dans la région, ou rappelé catastrophiques.
aux investisseurs potentiels que l’agri- De même, le succès de Babban
culture africaine est confrontée à des Gona, une entreprise sociale nigé-
risques équivalents. Les banques commerciales locales se riane appartenant à des investisseurs,
Le FAF génère aujourd’hui une ren- heurtent aussi à des obstacles externes. est inextricablement lié à celui de
tabilité des capitaux propres de 2 à Alors que les agriculteurs se plaignent ses membres. Selon Carlijn Nouwen,
3 %, ce qui contribue à attirer de nou- souvent de leurs exigences irréalistes en Babban Gona travaille en étroite col-
veaux investisseurs, tel le gestionnaire matière de garanties, Carlijn Nouwen laboration avec les agriculteurs pour
de patrimoine suisse Lombard Odier souligne que celles-ci sont imposées concevoir et mettre en œuvre un
en 2018. Les fonds récemment injectés aux banques par les régulateurs chargés ensemble de formations, d’intrants,
par AgriFI rassurent aussi de nouveaux de maintenir la stabilité des systèmes d’accords d’écoulement, de services de
investisseurs et, selon Loïc De Cannière, financiers. Les forts taux d’intérêt appli- commercialisation et de mesures d’in-
plusieurs ont contacté le fonds depuis qués aux prêts agricoles reflètent aussi citation profitant aux deux parties. “Il
l’annonce de l’investissement d’AgriFI. les coûts de fonctionnement élevés des n’y a pas un levier unique à actionner
Il ajoute que la nature très tangible de banques et l’agriculture doit concur- pour changer l’agriculture – c’est tout
l’agriculture intensifie leur engagement rencer des secteurs à plus faible risque un éventail de choses sur lesquelles il
envers les objectifs globaux du fonds. et à rendement plus élevé pour obtenir faut s’appuyer”, précise-t-elle.
des capitaux. Dans toute l’Afrique, le Les institutions de financement du
Mobiliser les capitaux africains financement des petites agroentreprises développement (IFD) étudient aussi de
En Afrique, les chaînes de valeur reste donc essentiellement informel. plus près les solutions de financement
locales, où les investisseurs sont expo- Il y a cependant des signes de pro- mixte. Jerry Parkes et Florian Kemmerich
sés au risque de change, restent mal grès. En Ouganda, aBI Finance, un espèrent que la BAD, présente au

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lancement du fonds ABC, finira aussi par les entreprises utilisant la technologie reconnaît Carlijn Nouwen. Alors que
investir. Ils estiment que cela pourrait pour résoudre des problèmes sociaux et les tranches de premières pertes et les
ouvrir la voie à d’autres investissements environnementaux. Il précise que, à une fonds subventionnés ont enregistré de
par les IFD et les gouvernements afri- période où les avancées technologiques bons résultats pour ce qui est d’attirer les
cains dans l’ABC et d’autres fonds rivaux comme la blockchain et les énergies investisseurs du secteur privé et d’en-
à impact agricole. renouvelables offrent des opportunités courager les banques locales et les IMF à
Un signe encourageant montre que les pour que les PME africaines créent des accorder des prêts, ces bailleurs de fonds
gouvernements africains commencent entreprises et se connectent aux mar- se désengagent trop souvent des chaînes
aussi à voir le potentiel des fonds à chés, les gouvernements tiennent à jouer de valeur plus risquées une fois les inci-
impact social : selon Florian Kemmerich, un rôle catalyseur dans la réduction de la tations supprimées. Elle fait donc valoir
le gouvernement du Togo a décidé en pauvreté en attirant des capitaux privés que les donateurs et les gouvernements
mars 2019 de fournir un financement de vers des secteurs comme l’agriculture. doivent garder cela à l’esprit lorsqu’ils
démarrage au fonds BLOC de finance- investissent et conclut que ce n’est qu’en
ment mixte de Bamboo, qui investit dans Miser sur la durabilité finançant des cultures et projets sus-
Les fonds à impact social constituent ceptibles de générer des profits durables
un nouvel élément bienvenu dans le pour les acteurs du secteur privé que le
Le fonds d’accès au commerce équitable d’Incofin a paysage limité des instruments de finan- “capital catalytique” méritera véritable-
alloué 164,5 millions d’euros à plus de 254 000 petits cement disponibles pour l’agriculture, ment son nom. ■
producteurs.

© INCOFIN INVESTMENT MANAGEMENT

SPORE 193 | 7
ENTREPRENEURIAT

À Saint-Christophe-et-
Niévès, l’entrepreneuse
Anastasha Elliot fabrique
des produits alimentaires
et cosmétiques à base
de fruits et végétaux bio
cultivés localement.
© TINA PAPIES/SCENEKITTS PHOTOGRAPHY

CONSOMMATION CONSCIENTE

Des produits caribéens


à base de plantes très demandés
Les entreprises agroalimentaires des Caraïbes tirent profit de la production locale de
fruits et végétaux nutritifs pour accéder au marché national des denrées alimentaires,
boissons et produits cosmétiques.

James Karuga

À
Saint-Christophe-et-Niévès, dentifrices, des lotions après-rasage, des
tous les produits alimentaires et shampoings, des crèmes pour la peau,
cosmétiques dérivés de plantes, des soins capillaires et des produits de
d’aromates et de fruits disponibles sont bien-être. Tous sont fabriqués à partir de
fabriqués par Sugar Town Organics, une fruits et de végétaux biologiques : anis,
entreprise d’agrotransformation fondée 90 kg fenouil, jasmin, orchidée, rose, corossol,
par Anastasha Elliot en 2010. La jeune estragon…
femme a découvert certaines des vertus de plantes, d’herbes et de fruits locaux sont Le prix des produits varie entre 5,50
curatives des fruits et plantes locaux transformés par Sugar Town Organics chaque et 100 dollars est-caribéens (XCD), soit
grâce à ses grands-parents de République mois. entre 1,8 € et 33,79 €. En 2017 et 2018,
dominicaine et d'Afrique. Ainsi, la la hausse de la demande a fait grimper
goyave, utilisée dans sa vinaigrette, pos- ainsi qu’en cuisine, pour apprendre les ventes de Sugar Town de 150 %. “De
sède des propriétés anti-inflammatoires comment fabriquer des produits ali- nombreux spas sont à la recherche de
et antibactériennes, et le fruit de la mentaires. La gamme alimentaire de produits locaux à offrir à leur clientèle”,
passion, utilisé dans sa sauce piquante, Sugar Town compte désormais 30 pro- explique Anastasha Elliot. Le ministère
contient des vitamines A et C. duits, dont des confitures, des sauces, du Tourisme et des Affaires étrangères,
Avant de lancer son entreprise, des vins et des liqueurs, commercialisés les hôtels Park Hyatt et Marriott, ainsi
Anastasha Elliot a suivi une formation sous la marque “Flauriel”. Sa gamme de que des agences locales de produits de
approfondie en fabrication de produits produits cosmétiques “Yaphene” pro- courtoisie s’approvisionnent aussi chez
bio de soin pour les cheveux et la peau, pose 63 produits dont des savons, des Sugar Town en petits cadeaux destinés

8 | SPORE 193
aux touristes. Suivant le moment de ÉPICES
l’année et le nombre d’événements, l’en-
treprise génère des revenus mensuels
compris entre 2 670 XCD et 6 700 XCD
(880 € et 2 200 €).
Au Rwanda, les piments
Chaque mois, l’entreprise achète à une
vingtaine d’agriculteurs jusqu’à 90 kg de
matières premières qu’elle trasnforme
invendus s’exportent
avec de petites machines, comme des
déshydrateurs et des mixeurs profes-
sionnels. Anastasha Elliot envisage
bien
désormais de construire une usine pour
augmenter sa production et créer des Un jeune entrepreneur approvisionne les
emplois – elle emploie déjà quatre per- marchés mondiaux en piments séchés et huiles
sonnes. D’ici cinq ans, l’entrepreneuse
espère être en mesure de vendre ses pro- pimentées, tout en offrant un marché facile
duits au-delà des Caraïbes, en particulier d’accès aux cultivateurs locaux de piments.
sur le marché européen.

Des boissons à base de plantes


De son côté, Tanisha Thompson a créé Aimable Twahirwa et Sophie Reeve
en 2015 Natural Fusion Partners (NFP)

A
avec un capital de départ d’environ
32 000 XCD (10 500 €) provenant de ses u Rwanda, 1 500 cultivateurs quitter mon emploi parce qu’en tra-
économies personnelles. Son but : pro- de piments fournissent leurs vaillant pour cette entreprise j’avais
mouvoir en Jamaïque la consommation invendus à Gashora Farms, beaucoup appris sur les pratiques
de boissons saines, pauvres en sucres et une agroentreprise qui les trans- agricoles et je m’étais découvert une
en calories. NFP s’approvisionne chez forme en huile pimentée, ce qui nouvelle passion : être sur le terrain,
quatre agriculteurs locaux pour fabri- contribue à résoudre le problème des dans les exploitations agricoles”,
quer son thé glacé à la goyave et son eau pertes post-récolte. Créée en 2014 par explique-t-il.
aromatisée à l’aloe vera. Diego Dieudonné Twahirwa, 30 ans, L’entrepreneur s’est d’abord essayé
Depuis ses débuts, NFP a vendu plus l’entreprise exporte des piments frais à la production de tomates, mais a
de 850 000 litres des deux boissons à et séchés vers les pays européens et subi d’importantes pertes en rai-
des pharmacies et supermarchés locaux, de l’huile pimentée (commerciali- son d’un accès difficile au marché.
ainsi que lors de foires commerciales. sée sous la marque Didi's Chilli Oil) Lorsqu’il est passé aux piments, il
Les préparations sont vendues dans vers Genève, le Royaume-Uni et les a aussi rencontré des problèmes
des bouteilles de 340 ml, au prix de 2 $ États-Unis. post-récolte et a donc décidé de
(1,78 €). Chaque année, NFP génère Diplômé en agronomie, Diego sécher ses produits pour augmen-
près de 21 000 € de chiffre d’affaires et Twahirwa a commencé à travailler ter leur durée de vie. “Encourager
emploie cinq jeunes de 18 à 30 ans, tous pour un producteur de pyrèthre les agriculteurs locaux à cultiver du
de la région. raffiné, avant de se lancer dans piment, une culture exclusive sur
Tanisha Thompson peine à accéder l’agriculture. “J’ai pris la décision de le marché local et mondial, a été
à de nouveaux marchés. Peu connue, essentiel pour améliorer la qualité
© AIMABLE TWAHIRWA

la marque est seulement présente dans et augmenter les quantités tout au


deux paroisses civiles de la Jamaïque. long de la chaîne de valeur.” Son
La participation à des foires agricoles, entreprise récolte désormais environ
l’accréditation du produit par le Bureau 10 tonnes de piments séchés tous les
de normalisation de la Jamaïque et six mois, vendus 1,8 € par kilo. Ce
l’homologation du ministère de la Santé qui génère 18 000 € par hectare.
aident à faire connaître l’entreprise et à Finaliste du Young Entrepreneur
accroître la confiance des consomma- Awards lors du 2018 World Forum
teurs dans ses produits. Elle explique : for Export Development, Diego
“L’agripreneuriat peut être complexe en Twahirwa veut élargir sa gamme de
Jamaïque lorsqu’on ne dispose pas de produits en produisant de la pulpe et
beaucoup de fonds pour financer les dif- de la poudre de piment. “Je me suis
férents aspects liés à l’entreprise. Je suis déjà associé à un agronome britan-
donc devenue plus patiente et persévé- nique et j’ai l’intention de lancer sur
rante. On m’a souvent dit “non” mais j’ai L’agroentreprise de Diego Twahirwa, le marché de nouvelles variétés de
appris que ce n’est pas forcément un non Gashora Farms, offre un marché garanti piment, modernes et basées sur la
définitif.” ■ aux producteurs locaux de piments. recherche scientifique.” ■

SPORE 193 | 9
SMART TECH & INNOVATION

© CYRILLE BAH
ENVIRONNEMENT

La petite reine
du chocolat bio
ivoirien
En Afrique de l’Ouest, des technologies
innovantes réduisent l’impact
environnemental de la transformation
du cacao et renforcent la résilience
des agriculteurs face au changement
climatique.

Sophie Reeve et Cléophas Mosala

Dans une usine de Côte d’Ivoire, les fèves de cacao sont transformées en

À
chocolat cru à la force des mollets, grâce à un vélo broyeur.
Abidjan, en Côte d’Ivoire, un “vélo broyeur” permet de
transformer des fèves de cacao pour produire environ
400 kg de chocolat par mois. Dans l’usine de chocolat et non en plastique, et un vélo qui nous permet d’économiser
cru Mon Choco, des fèves soigneusement triées sont versées de l’énergie.”
dans un entonnoir fixé à un vélo et transformées en pâte à En Côte d’Ivoire, la majorité des agriculteurs utilisent des pro-
l’aide d’un broyeur actionné par des personnes qui pédalent. duits chimiques et des insecticides. La production de barres de
Après deux ou trois jours de broyage, on obtient une pâte de chocolat bio est donc onéreuse et, avec des prix autour de 2,30 €
chocolat onctueuse, qui est ensuite refroidie dans des moules. par barre, ce type de produit s’adresse principalement au mar-
Mon Choco produit des barres de chocolat biologiques et ché européen. “À l’avenir, nous aimerions exporter nos produits
écologiques, ce qui est rare en Côte d’Ivoire, où sont fabriqués vers d’autres pays d’Afrique, ainsi qu’en Europe et en Asie.”
très peu de produits finis à base de chocolat. “Nous sommes
le premier pays producteur de cacao au monde et, pourtant, Cacao intelligent face au climat
nous ne fabriquons pas de chocolat”, regrette Dana Mroueh, Pour aider à renforcer la productivité des cultivateurs de
propriétaire de la chocolaterie. “Je voulais que les habitants de caco et améliorer la résilience face au changement clima-
Côte d’Ivoire puissent goûter au chocolat de chez nous, avec tique en Côte d’Ivoire et au Ghana, une plateforme baptisée
des produits locaux comme le piment, le gingembre et la noix CocoaCloud est en train d’être déployée à grande échelle. Cette
de cajou. Pour moi, c’était aussi une manière de valoriser le plateforme génère, traduit et communique des informations
travail des planteurs, qui sont souvent oubliés.” essentielles sur le cacao – comme des prévisions météorolo-
L’une des spécificités de Mon Choco est de ne pas torréfier giques et des conseils agricoles basés sur la localisation – qui
les fèves de cacao brutes, ce qui donne au chocolat une saveur aident à prendre des décisions agricoles “intelligentes face au
plus riche, presque fruitée. “Nous sommes des chocolatiers climat”. CocoaCloud soutient déjà 7 500 producteurs de cacao,
artisanaux, ce qui signifie que l’ensemble de notre processus vulgarisateurs et membres de la communauté en Afrique de
est manuel, de la cabosse à la tablette de chocolat emballée. l’Ouest, grâce à des formations et à des services d’informations
Utiliser du chocolat cru permet aux fèves de garder toute leur météorologiques localisées. L’objectif est d’atteindre un million
saveur et leurs propriétés nutritionnelles. Elles sont ainsi plus de producteurs de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire utilisant
riches en protéines et antioxydants, et le goût est vraiment dif- la plateforme d’ici 2024.
férent”, ajoute Dana Mroueh, qui s’approvisionne directement Les partenaires à l’origine de cette plateforme – le World
auprès de petits exploitants et sèche les fèves sur le toit de son Business Council for Sustainable Development (WBCSD), qui
usine, à Abidjan, ou dans son sèche-linge. “Nous réduisons regroupe plus de 200 entreprises, et Opus Insights B.V. – ont
au maximum notre consommation d’électricité pour avoir le appelé le secteur privé et les bailleurs de fonds à soutenir l’ini-
moins d’impact possible sur l’environnement. Nous utilisons tiative d’agri-tech lors de la Semaine africaine du climat de
du papier recyclé quand nous le pouvons, des bocaux en verre l’ONU, à Accra, au Ghana, en mars 2019. ■

10 | SPORE 193
S T O C K A G E P O S T - R É C O LT E Outil en ligne
Des énergies renouvelables Des aliments de base
biofortifiés
contre les déchets UN NOUVEL OUTIL INTERACTIF
en ligne, l’indice de priorité pour
la biofortification (Biofortification
Dans l’est du Kenya, les agriculteurs peuvent stocker leurs Priority Index, ou BPI), a été conçu
par HarvestPlus pour éclairer les
récoltes dans des unités frigorifiques mobiles fonctionnant à décisions stratégiques en matière
l’énergie solaire à l’endroit et pour la période qui leur convient. d’investissements, de politiques et de
pratiques, concernant l’introduction et
le développement d’aliments de base
biofortifiés. Le BPI classe 128 pays
Justus Wanzala d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes et
d’Amérique latine en fonction de

P
leur potentiel de biofortification dans
lus de 2 000 producteurs de fruits produit entreposé – avocats, carottes, ail, huit combinaisons de cultures et de
et légumes de l'est du Kenya uti- mangues, oignons, fruits de la passion, micronutriments, telles que “zinc et
lisent des unités de stockage pois, poivrons, pommes de terre et riz” ou “fer et haricots”. Le Niger est,
à basse température fonctionnant épinards. Chaque producteur par exemple, le premier pays pour
à l’énergie solaire, ce qui leur 2 000 peut stocker jusqu’à 4 tonnes le développement et la livraison
permet de réduire les pertes producteurs stockent de produits. Pour les infor- de millet perlé riche en fer, dont la
post-récolte et d‘accéder leurs produits dans mer de l'espace disponible première variété a été lancée en 2018.
plus aisément aux marchés des unités réfrigérées dans les unités et leur en
locaux. Solar Freeze, une fonctionnant à expliquer le fonctionnement,
entreprise spécialisée dans les l’énergie solaire Solar Freeze utilise une plate-
technologies agricoles et créée forme IoT (Internet of Things, Une batteuse
en 2016, a installé des chambres Internet des objets). Par ailleurs,
froides mobiles, facilement accessibles, “ces unités mobiles fonctionnent à l’aide multi-céréales
dans les zones rurales, où les agriculteurs d’un capteur installé dans les chambres
peuvent stocker leur production avant de froides. Les informations concernent Précieux gain
la vendre sur les marchés. Les agricul- notamment la température des chambres
teurs sont ainsi en mesure de récolter au froides”, explique Dysmus Kisilu. Grâce à de temps
bon moment et d’identifier les marchés ce système, Solar Freeze peut également
les plus rémunérateurs, avec la garantie calculer le montant à payer par les agri- PRÈS DE 90 FOIS PLUS RAPIDE
que leur production est à l’abri pendant culteurs et le moment du paiement. que les techniques manuelles, une
ce temps. Cette technologie innovante a En collaboration avec les sociétés de batteuse multi-céréales portative
permis de réduire de 40 à 60 % les pertes téléphonie mobile SAFARICOM et AIRTEL, et mécanique est utilisée par plus
post-récolte des utilisateurs, selon le Solar Freeze a créé une application gra- de 2,5 millions de producteurs de
directeur de Solar Freeze, Dysmus Kisilu. tuite permettant aux agriculteurs de se céréales en Tanzanie. À l’origine de
Les agriculteurs paient 10 à 30 KSH mettre en relation avec des acheteurs, des cette batteuse, l’entreprise Imara
(0,09 à 0,26 €) par casier, selon le type de sociétés de transport et des spécialistes de Tech la propose aussi à la location
la vulgarisation agricole. Les acheteurs et avec option d’achat et dispense des
© SOLAR FREEZE

les transporteurs, par exemple, reçoivent formations pour l’utiliser. La batteuse


des informations sur les quantités stockées peut réduire de plusieurs jours, voire
dans les unités qui sont prêtes à être livrées semaines, le temps de battage des
sur les marchés. De plus, les agriculteurs agriculteurs tanzaniens (1,35 milliard
ont accès à un service de transport de d’heures par an). Les propriétaires
type “Uber” qui vient chercher leurs pro- d’une batteuse peuvent vendre
duits au centre de stockage ou dans leur des services de battage à d’autres
exploitation, et les transporte jusqu’aux exploitants. L’utilisation de cette
marchés. Les noms et l’emplacement sont batteuse permet d’obtenir des grains
encodés dans l’application Solar Freeze et, non contaminés par des cailloux ou
en fonction de la quantité de produits, le de la saleté et de réduire efficacement
Les unités de stockage à basse température service de collecte est facturé entre 50 KSH les pertes après récolte, qui sont ainsi
réduisent les pertes post-récolte de 40 % à 60 %. et 200 KSH (0,45 € et 1,8 €) par transfert. ■ limitées à 2 %.

SPORE 193 | 11
AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE

ENVIRONNEMENT

Récolter les fruits économiques


de la conservation
En Zambie, des petits exploitants ont adopté des pratiques agricoles de conservation,
au bénéfice de leur productivité et de la préservation de l’environnement.

Doreen Chilumbu

E
n Zambie, de petits exploitants monoculture et la déforestation, et aban- d'oxyde nitreux. “Nos sols semblent plus
reçoivent une formation sur les donneront le braconnage des éléphants et sains et le rendement des cultures s'est
pratiques et les technologies de des rhinocéros. Le programme offre des amélioré. Nous avons assez de nourri-
production climato-intelligentes per- prix supérieurs à ceux du marché pour ture dans nos foyers et suffisamment
mettant d'assurer la sécurité alimentaire les denrées produites conformément de revenus dans nos poches”, témoigne
et l'accès à des marchés garantis, tout aux pratiques de l'agriculture de conser- Zitandala Sakala, une agricultrice de
en préservant les ressources naturelles. vation, ainsi qu'un accès aux intrants la vallée de Luangwa, dans l'Est de la
Grâce au modèle de développement lorsque ces méthodes sont utilisées. Zambie.
rural des Marchés communautaires au Avant l'introduction du programme L'adoption de l'apiculture a égale-
service de la conservation (COMACO), en 2003, les agriculteurs de la région ment dissuadé les agriculteurs de couper
179 000 agriculteurs de l'Est de la Zambie gagnaient environ 230 kwachas zam- leurs arbres. “Ce fut un travail de longue
(dont 52 % sont des femmes) ont eu biens (ZMW), soit 17 €, par récolte, contre haleine, mais aujourd’hui des centaines
accès à des intrants agricoles abordables désormais au moins 2 325 ZMW (170 €) d'agriculteurs prennent conscience de la
et à une formation à des pratiques agri- de plus. “La plupart des familles de la valeur de l'entretien et de la protection
coles impliquant un travail du sol réduit, vallée de Luangwa subissent 3 à 5 mois des arbres”, confesse Julius Kamanga, un
ainsi qu’au paillage et au compostage. d'insécurité alimentaire chronique”, apiculteur de Mfuwe.
Le principe à la base des COMACO est explique Nsefu, un chef traditionnel de la Le paillage est également devenu une
qu'avec une formation et des incitations région. “Étant donné le peu d'options qui pratique courante dans la région. Pour
appropriées les petits exploitants adop- s’offrent à eux, les habitants se tournent l’agricultrice Nelly Zimba, cette tech-
teront des pratiques agricoles durables vers l'exploitation forestière, la chasse nique est un ingrédient nécessaire au
plutôt que des méthodes plus néfastes illégale et l'agriculture sur brûlis. Depuis succès de l'agriculture, dans la mesure
pour l’environnement, telles que la l’introduction de ces incitations, ces ten- où elle s’avère décisive pour préserver
dances évoluent à la baisse et à long terme des sols sains et biologi-
les agriculteurs engagés dans quement actifs. “Nous cultivons plus
le programme ont désormais de 35 espèces différentes de fruits et
assez de nourriture.” légumes sur environ 2 hectares en pro-
Les pratiques promues duction. Nous affectons 4 hectares en
comprennent également l'api- tout à la production de légumes, donc les
culture, le jardinage pendant deux autres hectares, en rotation, sont
la saison sèche et l'élevage de recouverts de paillis.”
volailles. La diversification En Zambie, la vallée de Luangwa est
de la production a amélioré l'une des régions les plus touchées du
la productivité des petits pays par les fréquentes inondations et
exploitants et réduit le besoin sécheresses. Pour en atténuer les effets,
en engrais inorganiques, le programme a permis la plantation
diminuant ainsi les émissions de plus de 10 millions de boutures de
manioc afin de constituer une réserve
alimentaire en cas de sécheresse. Les
© DOREEN CHILUMBU

Nelly Zimba, une agricultrice de l'Est cultures de manioc peuvent aussi


de la Zambie, ramasse de l'herbe pour contribuer à augmenter le stockage de
l'utiliser comme paillis afin d'améliorer l'eau dans les sols et à réduire le risque
la fertilité de son sol. de ruissellement des eaux de pluie. ■

12 | SPORE 193
Système AGROFORESTERIE

durable
Association pois-
Au Burundi, du café
igname sous la canopée
DEPUIS 2018, au Ghana, l’Institut de
recherche agronomique du Conseil Secteur agricole crucial du Burundi, la culture du café pâtit
pour la recherche scientifique et
industrielle familiarise des petits
du changement climatique. Un projet aide les agriculteurs à
agriculteurs à un système de culture restaurer les paysages et à gérer leurs biens durablement.
associant pois d’Angole et igname,
pour remédier au problème du

© GEORGINA SMITH
manque de sols fertiles. Suivant Georgina Smith
cette technique, les ignames sont

A
plantées entre des rangées de
pois d’Angole, coupés et utilisés u Burundi, 9 600 ménages
comme des piquets. Les pois cultivent désormais du café
d’Angole conservent l’humidité et d’ombre. Cette méthode intelli-
fixent l’azote atmosphérique, ce qui gente face au climat consiste à cultiver
améliore la viabilité, l’efficacité et le le café avec d’autres plantes et arbres,
rendement. Les feuilles, coupées et comme des bananiers, des haricots et
répandues avant de préparer la terre, du maïs, qui protègent le café des rayons
enrichissent le carbone présent dans agressifs du soleil ou des vents vio-
le sol et les taux de nutriments pour lents, tout en fournissant des sources de
préserver la fertilité des sols. revenus complémentaires. Les haricots
fixent l’azote dans le sol et améliorent Un projet de culture durable du café mené
ainsi la fertilité des sols, tandis que les au Burundi a permis l’adoption de pratiques
bananes restent hydratées même en cas agroforestières sur 4 400 hectares.
de sécheresse, ce qui réduit la compéti-
Assurance tion pour l’eau lors de tels épisodes. kirundi. Un projet d’agritourisme com-
Dans le cadre du projet Sustainable munautaire dans la réserve forestière
Protection sur mesure Coffee Landscapes (Gestion durable des de Bururi, au sud du pays, a permis aux
paysages de café) financé par le Fonds populations de la région d’acheter des
AU KENYA, au Rwanda et en pour l'environnement mondial et mis terres pour la première fois. “Autrefois,
Tanzanie, une combinaison de en œuvre par le ministère burundais nous étions des ennemis de la réserve
systèmes mobiles et satellitaires de l’Environnement, de l’Agriculture et forestière de Bururi, mais aujourd’hui
assure le suivi de la production de l’Élevage, des avocatiers, des man- nous en sommes les gardiens”, observe
végétale et animale des petits dariniers, des orangers et des pruniers Odette Nkurikiye, membre de la com-
exploitants et propose des produits japonais ont aussi été plantés, dans les munauté Batwa. “Nous avons des
d’assurance sur mesure contre les provinces de Bubanza, Bururi et Muyinga. emplois et nous avons même acheté
aléas météorologiques. Développés Depuis 2013, plus de 18 700 agriculteurs des terres. Nous voulons exploiter les
par l’entreprise Agriculture and ont adopté ces pratiques agroforestières, possibilités offertes par nos paysages
Climate Risk Enterprise (ACRE) Africa, ce qui a amélioré la productivité des restaurés afin de ne pas retomber dans la
ces produits d’assurance sont fondés 2 millions de caféiers déjà présents sur pauvreté.”
sur un indice : les indemnisations 4 400 hectares. Forte de cette réussite, la Banque
sont automatiquement versées sur Au Burundi, l’industrie du café assure mondiale a lancé, début 2019, un projet
la base de comparaisons avec les la moitié des moyens de subsistance de résilience et de restauration des pay-
régimes de précipitations régionaux locaux et représente 90 % des entrées sages au Burundi doté de 26,6 millions
historiques. En 2018, plus de de devises étrangères dans le pays. d’euros, pour restaurer 90 000 hectares
1,7 million de petits producteurs ont Toutefois, la forte dégradation des sols de terres supplémentaires en encoura-
été assurés pour des risques météo coûte au pays 4 % de son PIB chaque geant une gestion durable de la réserve
à hauteur de 160 millions d’euros. Au année. forestière de Bururi et des parcs natio-
Kenya, le programme d’assurance Un manuel et une brochure expli- naux de Kibira et de Ruvubu. Ce projet
d’ACRE, Bima Pima, est vendu dans quant comment cultiver du café d’ombre devrait avoir des retombées positives
les pharmacies vétérinaires et les de manière rentable ont été traduits en pour 80 000 ménages et accroître la pro-
magasins de matériel agricole. français et dans la langue locale, le ductivité des sols de 20 %. ■

SPORE 193 | 13
INTERVIEWS

MICHAEL HAILU

“La digitalisation
change la donne
pour l’agriculture”
À l’occasion de la parution d’un rapport majeur sur la digitalisation
de l’agriculture en Afrique, le directeur du CTA Michael Hailu espère
que l’ouvrage amènera les investisseurs à s’engager dans le secteur.

Susanna Cartmell-Thorp

La numérisation est une composante ma- avons repérés grâce à nos concours Pitch conférence internationale sur les TIC4Ag
jeure de la stratégie du CTA. Comment soute- AgriHack organisés dans tous les pays au Rwanda, il se passait peu de choses
nez-vous le développement et la diffusion de ACP. Nous touchons un grand nombre dans ce domaine. Notre rapport sur la
technologies numériques efficaces ? de jeunes innovateurs en lançant un digitalisation montre que ces dernières
Le CTA est à la pointe des efforts pour appel à propositions, sélectionnons 20 années ont vu une augmentation très
rendre la digitalisation plus accessible, à 25 d’entre eux, les réunissons pour importante des nouvelles solutions
en particulier aux petits agriculteurs. un stage de formation, choisissons les digitales apparaissant sur le marché.
L’une de nos interventions consiste à gagnants et les aidons avec un processus Les principaux bailleurs de fonds et les
identifier et tester les nouvelles innova- d’encadrement, de formation et d’incu- gouvernements se sont aussi montrés
tions digitales intéressantes, réaliser des bation entrepreneuriale. Les gagnants plus résolus à réellement tirer parti de la
essais pilotes et voir comment les inté- et finalistes ont, pour beaucoup, déjà numérisation pour transformer la petite
grer dans les chaînes de valorisation de la créé leurs propres start-up, donc nous agriculture. Le CTA est apparu comme
petite agriculture. Prenons l’exemple des les aidons à développer davantage leurs un véritable pionnier dans ce domaine
drones, utilisés depuis peu dans le sec- entreprises. Quant à ceux qui démarrent, et les acteurs majeurs convergent désor-
teur agricole : nous avons travaillé dans nous leur offrons notre soutien pour mais vers son intégration dans le secteur.
les régions ACP avec des fournisseurs de conceptualiser leur modèle commercial.
drones et de jeunes entrepreneurs pour Le CTA a ainsi aidé plus de 800 jeunes Le CTA reste une organisation relative-
étudier comment cette technologie peut innovateurs dans toutes les régions ment modeste. Quel rôle le CTA devrait-il
contribuer à fournir des informations en ACP, dont beaucoup offrent leurs ser- jouer par rapport aux autres acteurs du
temps réel aux agriculteurs afin d’amé- vices à des dizaines de milliers de petits secteur ?
liorer leur productivité, tout en créant agriculteurs. Bien que le CTA soit une petite
des opportunités pour les jeunes. Nous structure, il joue en réalité un rôle
avons aussi lancé un projet qui aide de C’est un vaste domaine, où les innovations de catalyseur en tant que pôle de
jeunes entrepreneurs à développer l’ap- sont nombreuses et les jeunes très actifs. Tout connaissance facilitant l’échange des
plication de la technologie blockchain cela est très encourageant, mais quel est le enseignements et expériences, et rend
pour résoudre des problèmes spécifiques point qui vous paraît le plus intéressant dans ainsi ces innovations plus accessibles
aux chaînes de valeur, comme l’amé- cette évolution ? aux entrepreneurs et agriculteurs.
lioration de la traçabilité des produits Je pense que l’aspect le plus inté- Nous déployons beaucoup d’efforts
agricoles pour permettre aux agricul- ressant est la vitesse à laquelle la pour identifier les nouvelles techno-
teurs d’en obtenir un meilleur prix. digitalisation de l’agriculture se déve- logies, partager les enseignements
Nous avons également aidé de jeunes loppe, en particulier en Afrique. En 2013, et publier des informations sur ces
innovateurs prometteurs, que nous lorsque le CTA a organisé une grande innovations, et nous avons aussi aidé

14 | SPORE 193
© CTA

Michael Hailu insiste sur le rôle de catalyseur


du CTA dans la sensibilisation aux technologies
numériques, le partage d’informations sur ces
innovations et le soutien aux jeunes entrepreneurs.

technologiques et que les jeunes trou-


veront l’agriculture plus attractive avec
l’application de ces technologies.
Nous constatons aussi que les utili-
sateurs sont beaucoup plus nombreux
en Afrique de l’Est, alors que la plupart
des solutions se trouvent en Afrique de
l’Ouest. L’Afrique australe et centrale
sont plutôt faiblement représentées.

Quels sont les principaux défis à relever


pour que le secteur évolue de manière
positive ?
Il y a le gros problème des infrastruc-
tures numériques dans les zones rurales
et de la manière dont ces services pour-
raient être plus facilement déployés. Il y
a aussi la question de l’implication des
agriculteurs dans les chaînes de valeur.
La plupart des utilisateurs actifs inter-
viennent dans des chaînes de valeur dites
resserrées, dans lesquelles une liaison très
claire existe entre producteurs et transfor-
mateurs, puis avec les marchés. Certains
problèmes sont liés à l’instauration de
politiques favorables dans divers pays.
Au Kenya, par exemple, de nombreuses
solutions et activités sont induites par le
de nombreux jeunes entrepreneurs, la situation actuelle ni présenté les secteur privé parce que le pays dispose
tirant ainsi le meilleur parti de notre recommandations qui en découlent pour d’un cadre politique plutôt encourageant
modeste investissement. Le rôle du CTA les différentes parties prenantes, dont le pour ce type d’investissement.
a été déterminant dans son appui aux secteur privé, les gouvernements et les
innovations numériques pour la petite bailleurs de fonds. Ce rapport pourra Quel est le message essentiel à retenir
agriculture mais, bien sûr, nous avons servir de base pour suivre les futurs de ce qu’exprime ce rapport et de l’action
aussi fait nos propres investissements. développements et évolutions. du CTA ?
Je pense que le rôle du CTA est, avant L’un des principaux résultats est que, la digitalisation peut réellement chan-
tout, de créer de la visibilité, de partager dans les cinq cas d’utilisation exami- ger la donne dans la transformation de
les expériences et de suivre l’évolution nés, presque 33 millions d’agriculteurs l’agriculture à petite échelle en Afrique,
des choses, ce qu’aucun autre orga- se sont inscrits mais seulement 40 % mais il faut lui accorder l’importance
nisme ne fait à l’heure actuelle. d’entre eux utilisent régulièrement qu’elle mérite dans les politiques et
ces services. À l’avenir, nous devons investissements. Les gouvernements
Pour le CTA, l’un des principaux événe- concentrer davantage notre attention devraient la considérer comme un
ments cette année est la publication de ce sur l’utilisation plutôt que sur le nombre domaine primordial qui pourrait avoir
rapport sur la digitalisation de l’agriculture d’inscriptions. une forte incidence sur la transforma-
en Afrique. Que propose-t-il ? L’autre observation, pas surprenante, tion de l’agriculture, l’amélioration de la
Pour la première fois, ce domaine est que les femmes ne représentent productivité, le renforcement de la rési-
est examiné de près : à quoi ressemble qu’environ 25 % des utilisateurs, et les lience et la création d’opportunités pour
l’écosystème, qui sont les principaux jeunes 65 %. Nous savons que les femmes les jeunes et les femmes. Mon message est
acteurs, quelle est la portée des diverses n’utilisent pas autant les technologies donc que les gouvernements devraient
solutions, combien d’agriculteurs ou de qu’elles le devraient alors qu’elles consti- sérieusement s’intéresser aux bénéfices
petits exploitants utilisent réellement ce tuent environ 45 % de la main-d’œuvre qu’ils pourraient tirer de la digitalisation
service, quelles sont les perspectives de agricole. Cela confirme que les femmes dans le cadre de leurs stratégies de trans-
croissance, etc. ? Personne n’a examiné sont mal représentées dans les utilisations formation de l’agriculture. ■

SPORE 193 | 15
INTERVIEWS

Enock Chikava

Les promesses
des innovations
numériques
Enock Chikava, de la Fondation Bill & Melinda Gates, souligne le rôle central
des secteurs public et privé pour la digitalisation agricole.

Susanna Cartmell-Thorp
© GATES FOUNDATION

Enock Chikava, de contribuer à connecter les petits agri- ce qui nous permettra de mobiliser les
la Fondation culteurs à grande échelle, en leur offrant gouvernements, le secteur privé et les
Gates, analyse les ainsi un accès égal aux informations sur bailleurs de fonds. Nous espérons que ce
bénéfices de la les marchés, aux marchés d’intrants et de rapport analysera plus en détail certains
digitalisation pour produits, et aux services de conseil, qui cas illustrant comment les innovations
les agriculteurs. sont particulièrement nécessaires en cette numériques peuvent être déployées.
période de changements climatiques. Nous devons sans cesse mettre à
Les agriculteurs doivent être à la page l’épreuve la solidité et la résilience des
Quelle est la vision globale de la Fondation des innovations climato-intelligentes en modèles d’activités face aux défis ren-
Gates en ce qui concerne la transformation matière de semences et de races animales contrés dans les pays en développement.
digitale de l’agriculture ? améliorées, et les technologies numé- Nous devons utiliser des pays et même
L’agriculture à petite échelle est riques peuvent les y aider. des régions comme unités de mise à
confrontée à de nombreux défis. Les l’échelle, et non une multitude de projets
agriculteurs sont divisés en petites unités, Quels sont les domaines d’intervention les pilotes menés au niveau des villages.
dispersés et déconnectés des systèmes plus prometteurs en termes de collecte de Il est bien de susciter de l’enthousiasme
de marché opérationnels. Cette situa- données et de technologies numériques ? et de réaliser que la digitalisation est peut-
tion résulte en partie de la piètre qualité Il faut avant tout avoir une vision. Une être la meilleure solution pour supprimer
des infrastructures, mais aussi du faible fois cette vision définie, il est nécessaire une grande partie des obstacles. Toutefois,
niveau d’alphabétisation de certains agri- de disposer d’infrastructures. Nous avons des questions surviennent quant à la
culteurs et du fait que les informations, donc besoin de réglementations et de sécurité de ces données, à leur propriété
les services et les produits ne parviennent politiques pour encourager les inves- et à leur partage. Si les données déjà col-
pas aux agriculteurs de manière efficace et tissements du secteur privé. Le point de lectées, standardisées et analysées restent
en temps utile. Par conséquent, personne départ est un gouvernement qui a défini entre les mains et sous le contrôle d’une
n’a une compréhension approfondie de la une vision et qui a conscience du poten- minorité, cela va à l’encontre de l’objectif
façon dont les petits producteurs effec- tiel des innovations numériques pour même de la digitalisation. Il faut que les
tuent leurs transactions. Ce manque de mettre les petits producteurs en relation données soient largement partagées pour
transparence dans leurs activités exclut avec les marchés d’intrants et de produits, que les nouveaux arrivants ne doivent
les petits agriculteurs de tous les services avec les services de conseil, ainsi qu’entre pas consacrer autant de temps et d’efforts
et systèmes de marché formels. eux pour mener des actions collectives. pour recueillir le même type de données.
À la Fondation Gates, nous nous Pour déployer ces technologies à l’échelon
réjouissons des promesses qu’apportent Le CTA va bientôt publier un rapport sur la national, le gouvernement doit jouer un
les innovations numériques, avec la digitalisation de l’agriculture. D’après vous, rôle clé dans le cadre de ce système. Dans
baisse des coûts liés aux outils et aux quel sera son impact sur les sujets abordés et la plupart des cas, le gouvernement ne
données. Nous œuvrons à faire émer- sur la manière de travailler ? travaille pas souvent en partenariat avec
ger des innovations transformatrices Le rapport du CTA dressera un état des le secteur privé. Nous devons donc trouver
dans le domaine des technologies et des lieux de la situation actuelle et mettra en de meilleurs mécanismes pour faciliter la
infrastructures numériques qui pourront valeur les bienfaits de la digitalisation, collaboration entre ces deux entités. ■

16 | SPORE 193
Dossier

JEUNES & EMPLOI :


L’AGRICULTURE
PLUTÔT QUE
L’ÉMIGRATION
En Afrique, l’augmentation d’une main-d’œuvre jeune ouvre
des perspectives pour la transformation de l’agriculture.
Le secteur doit toutefois offrir des opportunités d’emploi
plus attractives aux jeunes du continent.
ANALYSE

EMPLOIS

Comment
l’agriculture peut
contrecarrer la
migration des jeunes
De plus en plus de jeunes quittent
leurs communautés rurales d’Afrique
subsaharienne en quête de meilleurs
emplois. Pour devenir une alternative,
le secteur agricole doit leur proposer
des opportunités de travail viables.
Stephanie Lynch Avec un soutien financier et pédagogique,
les jeunes entrepreneurs développent
des entreprises en agribusiness rentables

L
et durables.
es migrations sont loin d’être d’Afrique, offre les meilleures pers-
un phénomène nouveau et pectives de croissance économique et
l’essentiel de ces mouvements de création d’emplois pour la jeunesse. nous pouvons utiliser pour saisir des
migratoires se produit à l’intérieur des Pour tirer parti de ce potentiel inex- opportunités commerciales dans l’in-
pays plutôt qu’entre pays ou conti- ploité, l’agriculture doit devenir une dustrie alimentaire mondiale”, affirme
nents. Parmi les multiples causes de option professionnelle plus attractive Kisseka Samson, 22 ans, cofondateur
l’exode rural en Afrique – catastrophes et viable pour les jeunes. En la matière, et directeur exécutif de l’entreprise
climatiques, intempéries, dégradation les secteurs public et privé ont un rôle Hello Mushrooms U Ltd en Ouganda.
des ressources naturelles et conflits… crucial à jouer. Hello Mushrooms fournit des
– figure en premier lieu l’explosion intrants et propose des formations
démographique des jeunes sur le Tirer parti des opportunités gratuites à des producteurs de champi-
continent. économiques gnons en échange de leur production,
En Afrique subsaharienne, la moitié La Banque mondiale prévoit que vendue ensuite à vingt grossistes et
de la population a moins de 25 ans et l’agriculture et l’agrobusiness africains détaillants ainsi qu’à des clients indi-
presque 20 millions de jeunes entrent vont se développer au point de valoir viduels. Le continent offre partout des
chaque année sur le marché du travail, 890 milliards d’euros d’ici 2030, ce qui exemples semblables de jeunes entre-
dont 12 millions de ruraux. Selon la représente des perspectives de béné- preneurs agricoles ambitieux. Comme
FAO, 65 à 75 % des migrants africains fices considérables pour les jeunes au Cameroun, où Awah Ntseh, 22 ans,
sont des jeunes qui cherchent essen- agriculteurs et entrepreneurs. “Nous a créé Farmer’s Forte, une gamme de
tiellement des opportunités d’emploi. disposons des ressources nécessaires, produits de beauté développés à par-
L’agriculture, plus important employeur comme les terres et les sols fertiles, que tir de produits locaux – huile de noix ›

18 | SPORE 193
© IITA
Une seconde chance pour des jeunes ruraux du Mali
Au Mali, des jeunes peu scolarisés ont été formés à la création de micro-entreprises. Financé par l’USAID et le projet Mali Out-of-School
Youth Project (OSYP), PAJE-Nièta (Projet d’appui aux jeunes entrepreneurs) a permis à 8 077 jeunes de créer leur propre entreprise, sur les
10 951 qui ont complété une formation technique.
C’est le cas d’Amadou Dao, 30 ans, désormais à la tête d’une boulangerie dont l’activité lui permet de nourrir les 20 membres de sa famille,
dans le bourg de Yorosso, au sud du Mali. Il a suivi des cours de boulangerie, de langues nationales et de français, et a reçu une pelle, un
pétrin et deux tables. “Aujourd’hui, je gagne entre 300 000 et 350 000 FCFA par mois [460 à 500 euros environ]. Grâce à ma boulangerie,
j'ai trois terrains à usage d’habitation, une maison construite et des motos.” Pour répondre à la forte demande, il utilise chaque jour plus de
50 kg de farine et emploie trois personnes.
PAJE-Nièta a formé et engagé 309 volontaires qui sont intervenus dans plus de 220 villages où ils ont encadré plus de 14 000 jeunes et
appuyé plus de 220 associations de jeunes ou comités d’association de jeunes à travers des cours d’éducation de base (lecture, écriture
et calcul en langue nationale). Les bénéficiaires ont aussi eu droit à des cours de français, ainsi que des formations en entrepreneuriat et à
l’établissement de groupes d’épargne et de crédit. Le projet a permis “à des jeunes d’être économiquement productifs et qu’ils se sentent
confiants en leur avenir au sein de leurs communautés”, se félicite Adwoa Atta-Krah, directrice du projet pour l’organisation Education
Development Centre.
Dans le village de Kinian, à 60 km de Yorosso, Sidi Sanou, un maraîcher de 32 ans, fournit désormais la petite ville en légumes. Ce père de
deux enfants a bénéficié de cours sur l’entrepreneuriat et les techniques du maraîchage, en plus de formations sur le maraîchage, l’entretien
des boutures et l’utilisation des fertilisants dans un jardin. Sidi Sanou estime son revenu mensuel à au moins 10 000 FCFA (environ 15 €),
grâce à la vente de produits comme le gombo, les laitues et les tomates, contre 2 000 ou 3 000 FCFA (3 ou 4 €) par mois avant le projet.

Soumaïla Diarra

SPORE 193 | 19
ANALYSE

› de coco, margousier, aloe vera. Ou au


Kenya, où Kevin Kibet, 22 ans aussi, Le défi de l’emploi des jeunes en Afrique
fournit des débouchés immédiats à ses
130 fournisseurs d’avocats. “D’ici fin L’Afrique a la population la plus jeune du monde. Étant le secteur qui
2019, j’espère toucher 500 agriculteurs, emploie le plus de gens, l’agriculture a le potentiel d’absorber cette
1 000 dans trois ans, et un million dans main-d’œuvre et de créer des emplois productifs.
les prochaines douze années”, indique
Kevin Kibet.

Mettre au point des incitations


technologiques
Le directeur général de l’Orga-
nisation des Nations unies pour le
développement industriel, Li Yong,
prévient : intégrer les jeunes au
secteur agricole “exigera la trans-
formation des systèmes alimentaires
et l’adoption de technologies inno-
vantes”. Le développement rapide de
technologies agricoles ces dernières
années a déjà démontré l’existence
d’opportunités d’emploi nouvelles et
intéressantes pour la jeunesse dans le
secteur.

“Les jeunes ont envie de


participer aux processus
décisionnels concernant
l’agriculture, mais il
faut leur donner les
compétences adéquates
pour bien faire passer
leurs messages.”

Un groupe de jeunes entrepreneurs SOURCE : YOUNG AFRICA WORKS SUMMIT 2017


zambiens a, par exemple, développé
une plateforme numérique qui prévoit
les conditions météorologiques et la
probabilité d’invasions de ravageurs sociaux ou WhatsApp, et le système et pour appareils portables de STES
ou d’épidémies. AgriPredict fournit à fournit immédiatement un diagnos- Group leur permet de suivre l’évolution
ses utilisateurs – petits fermiers, agri- tic, des solutions de traitement (au des prévisions météorologiques, ainsi
culteurs commerciaux, fournisseurs besoin) et des indications sur l’empla- que de la fertilité et de l’humidité des
de services de vulgarisation, ONG cement des agrodistributeurs les plus sols. Le système automatisé d’irriga-
et institutions gouvernementales ou proches. tion de l’entreprise peut être activé et
environnementales – l’information Au Rwanda, un groupe de jeunes désactivé par les agriculteurs à l’aide de
nécessaire pour prendre des mesures ingénieurs a conçu un système techno- leurs téléphones portables, en fonction
préventives permettant d’atténuer ces logique permettant aux agriculteurs de des informations qu’ils reçoivent des
risques. Les agriculteurs n’ont qu’à gérer leurs champs à distance. Grâce à capteurs.
prendre une photo de leur culture et des capteurs qui recueillent des don- AgriPredict et STES Group montrent
l’envoyer à AgriPredict, via les médias nées en temps réel, la plateforme web que les jeunes sont capables d’exploiter

20 | SPORE 193
le potentiel de transformation et les AfricaRice, en partenariat avec les gou- offertes par la production et la valorisa-
avantages économiques que présente vernements allemand et béninois, cible tion de divers produits agricoles – soja,
la numérisation de l’agriculture. Ces les jeunes ruraux formés en vulgarisa- poisson et animaux d’élevage.
innovations, en plus de fournir des tion agricole pour créer des emplois et Le programme Jeunes agripreneurs
emplois aux jeunes créateurs de ces améliorer la productivité et les revenus vise à changer la mentalité des jeunes
entreprises, ont aussi contribué à des exploitations. afin qu’ils prennent conscience du
réduire les risques et améliorer l’effi- potentiel commercial de l’agriculture
cience de l’agriculture, en faisant ainsi africaine en leur enseignant les meil-
un moyen d’existence plus attractif leures technologies d’amélioration des
pour la jeunesse rurale. Toutefois, sans rendements ou de transformation des
les compétences pour développer, Selon la FAO, 65 à 75 % produits, ainsi que des stratégies com-
gérer et entretenir de telles technolo- merciales efficaces pour maximiser
gies, la jeunesse africaine ne pourra des migrants africains leurs profits. Au terme du programme
pas tirer le meilleur parti des oppor- de 18 mois, les participants développent
tunités offertes par la numérisation de sont des jeunes qui des plans commerciaux bancables
l’agriculture. leur permettant d’accéder aux prêts
cherchent surtout des des banques commerciales et de créer
Partager les connaissances des agroentreprises indépendantes. En
et renforcer les capacités opportunités d’emploi. décembre 2018, l’ancien stagiaire de
Il est urgent de développer les capa- Jeunes agripreneurs Edmond Ng’walago
cités de la jeunesse rurale africaine, a remporté le prix Young Graduate
sur le plan des compétences tech- Entrepreneurship de 2018 pour son
niques ou numériques, mais aussi Le CIVA a élaboré plus de 30 cours entreprise de produits à valeur ajoutée
en matière de meilleures pratiques en ligne – offerts aux élèves et diplô- à base de lapin. Avec les 5 millions de
agricoles et de savoir-faire commer- més de dix collèges agricoles du shillings tanzaniens (1 916 €) obtenus,
cial, afin de stimuler la croissance Bénin – conçus pour préparer les Edmond Ng’walago veut développer son
économique et promouvoir l’em- participants à travailler en tant que entreprise, Ng’wilago Youth Transcend,
ploi des jeunes. Heureusement, de conseillers en vulgarisation auprès pour diffuser ses biopesticides à base
nombreuses initiatives prometteuses des agriculteurs. Une fois leur forma- d’urine de lapin et ses sandales en
visant à créer des emplois et aider tion terminée, les jeunes instructeurs fourrure de cet animal dans toute la
les jeunes entrepreneurs à monter visitent des villages béninois pour Tanzanie.
des agroentreprises viables voient promouvoir le Système d’intensifica- Lorsque les jeunes commencent à
le jour dans tout le continent (lire tion du riz, qui définit un ensemble de réaliser qu’il existe des alternatives
notre reportage au Sénégal, Les bonnes principes visant à augmenter durable- rentables à la migration, qui impliquent
pratiques agricoles permettent de freiner ment les rendements rizicoles, dont la de créer leurs propres agroentre-
la migration). Au Kenya, l’organisa- plantation plus espacée dans le temps prises, ils ont besoin d’accéder à des
tion de développement des capacités de jeunes plants (de 8-12 jours). D’ici capitaux nécessaires au démarrage
USTADI axe ses efforts sur l’amélio- 2022, le projet vise à créer 1 000 nou- de leur activité. C’est pour cela qu’en
ration des compétences techniques et veaux emplois pour les jeunes et octobre 2018 la Fondation Mastercard
des connaissances commerciales des augmenter de 33 % les revenus de a créé un nouveau fonds pour aider les
jeunes, afin de promouvoir la création 50 000 petits agriculteurs. diplômés du Programme de bourses
d’entreprises rurales durables. de la Fondation Mastercard présen-
Dans le comté de Busia, au Kenya, Faciliter l’entrepreneuriat des jeunes tant des projets commerciaux viables,
USTADI a créé une exploitation avi- Outre la formation des jeunes aux durables et modulables. Ce fonds de
cole de démonstration et dispensé à meilleures pratiques agricoles, une 1,8 million d’euros fournira un capi-
22 jeunes agricultrices des formations série de pépinières d’entreprises a vu tal de démarrage aux participants les
agricoles pratiques – telles que les le jour pour les aider à transformer plus prometteurs du programme de
meilleures méthodes d’alimentation et leurs idées innovantes en agroentre- bourses, qui dispense des enseigne-
de gestion des maladies – et des com- prises durables. L’initiative Jeunes ments et des perfectionnements en
pétences commerciales. Suite à cela, agripreneurs de l’Institut international leadership à plus de 35 000 jeunes
les éleveurs de volaille locaux ont tri- d’agriculture tropicale (IITA) a éla- Africains attachés à transformer la
plé leur productivité et modifié ainsi boré un programme d’entrepreneuriat vie de leurs communautés. “Le nou-
la perception que les jeunes avaient sur 18 mois pour des diplômés sans veau fonds de la Fondation Mastercard
de l’agriculture en transformant ce emploi. Grâce aux centres d’incuba- suscitera une vague de changements
qu’ils estimaient être une activité de tion d’entreprises créés en République communautaires dans toute l’Afrique
subsistance en un secteur offrant des démocratique du Congo, au Kenya, au en lançant des centaines d’initiatives
opportunités de création d’entreprises Nigeria, en Tanzanie, en Ouganda et en sociales mises sur pied par de jeunes
professionnelles et profitables dans leur Zambie, des jeunes diplômés africains responsables africains”, affirme Kayiza
région. De même, le Centre d’innova- sont accompagnés et encadrés pour Isma, cofondateur de Sparky Social
tions vertes (CIVA), lancé en 2016 par saisir les opportunités commerciales Enterprise. ›

SPORE 193 | 21
ANALYSE

› Il ne faut pas sous-estimer la valeur


des programmes d’entrepreneuriat
comme Jeunes agripreneurs de l’IITA Le potentiel transformateur de la jeunesse africaine
et le Programme de bourses de la
Fondation Mastercard, sans oublier Des jeunes sensibilisés à la digitalisation sont prêts à intégrer les
le concours Pitch AgriHack du CTA. technologies aux pratiques agricoles et à moderniser l’agriculture.
Toutefois, pour encourager davantage
les jeunes à tirer parti des opportunités
offertes par l’agriculture africaine, le
rôle des gouvernements est crucial. Il
leur revient en effet de développer des
politiques soutenant l’entrepreneuriat
et l’emploi des jeunes.
Pour garantir que les politiques
soient élaborées au bénéfice des
jeunes, mais aussi avec eux, il faut
s’efforcer de les associer davantage à
leur formulation. Le Rwanda Youth
Agribusiness Forum (RYAF) a été
créé en mai 2016 à cette fin. Avec
12 000 membres âgés de 35 ans et
moins, le RYAF représente bien la
jeunesse rwandaise engagée dans
l’agriculture et l’agrobusiness. Des
représentants du Forum participent
activement aux concertations sur les
politiques et préconisent des interven-
tions visant à renforcer la participation
des jeunes à la transformation du
secteur agricole national. De même,
la plateforme de Jeunes profession-
nels pour le développement agricole
(YPARD) permet à des intervenants
de moins de 40 ans travaillant dans le
secteur agricole de défendre des poli-
tiques et actions avantageuses. YPARD
Ghana fédère plus de 750 représen-
tants d’organisations d’agriculteurs,
du gouvernement et du secteur privé.
Ces dernières années, la plateforme a
SOURCE : BUSINESS PARTNERS ENTREPRENEUR OF THE YEAR 2013 ; DJEMBE COMMUNICATIONS AND FORBES
proposé plusieurs réformes politiques INSIGHTS 2015 ; YOUNG AFRICA WORKS SUMMIT 2017
répondant directement à la nécessité
de créer des opportunités d’emploi
pour la jeunesse ghanéenne.

Connecter la jeunesse
au reste du monde politique pour qu’il réponde mieux à l’Union européenne. En permettant à
Comme l’affirme Sithembile Ndema leurs besoins et contribuer à faire de de jeunes Africains de s’exprimer sur la
Mwamakamba, du Réseau pour l’ana- l’agriculture une option profession- scène internationale, ces plateformes
lyse des politiques sur l’alimentation, nelle plus attractive pour les jeunes accroissent la visibilité des entrepre-
l’agriculture et les ressources natu- ruraux. neurs et des chefs d’agroentreprises
relles, dans une interview pour Spore, De son côté, le CTA met des jeunes prospères, redorent le profil des
“les jeunes ont envie de participer aux chefs d’agroentreprises et agriculteurs jeunes agriculteurs et garantissent
processus décisionnels concernant en contact avec des décideurs et ren- ainsi que leur importance pour la
l’agriculture, mais il faut leur donner force les organisations d’agriculteurs. future sécurité alimentaire mondiale
les compétences adéquates pour bien Il travaille aussi avec AgriCord, l’Orga- soit universellement reconnue. Enfin,
faire passer leurs messages”. Par le nisation panafricaine des agriculteurs ces plateformes peuvent constituer
biais de plateformes comme le RYAF et et le Conseil européen des jeunes une source d’inspiration pour d’autres
YPARD, les jeunes engagés dans l’agri- agriculteurs afin de mettre en relation jeunes Africains ruraux en quête d’al-
culture peuvent influencer le cadre les jeunes agriculteurs d’Afrique et de ternatives viables à la migration. ■

22 | SPORE 193
INTERVIEW
Sithembile Ndema Mwamakamba :
Priorité à l’implication des jeunes
dans les technologies et l’innovation
James Thorp

L’Afrique compte plus de 200 millions de et l’innovation devrait être une priorité pour
jeunes. Comment permettre au continent les gouvernements. Le monde évolue à une
d’exploiter le potentiel de cette jeunesse ? vitesse sans précédent. Nous devons

© LENS TALK
Nous devons absolument miser sur les intégrer au mieux les technologies et
technologies. L’agriculture en Afrique est l’innovation dans l’agriculture si nous voulons
considérée depuis longtemps comme créer de nouvelles possibilités de
archaïque, alors qu’elle a beaucoup évolué développement pour l’Afrique – et les jeunes
dans le reste du monde. Nous devons changer sont au cœur de cette innovation. Je pense Pour Sithembile
d’approche : l’éducation que reçoivent les donc qu’il est particulièrement important que Ndema
jeunes – que ce soit dans les écoles nos dirigeants plaident pour une plus grande Mwamakamba,
du Réseau pour
techniques ou à l’université – est conçue pour participation des jeunes à l’espace
l'analyse des
leur apprendre à travailler au service d’autres numérique et pour la création d’un politiques sur
personnes, et non pour eux-mêmes. environnement propice en la matière. Je l'alimentation,
Nous devons aussi nous pencher sur les pense que cette opinion est partagée par les l'agriculture et les
opportunités que présentent les défis actuels. leaders africains, car la science, la ressources
Par exemple, dans le domaine du changement technologie et l’innovation sont des piliers naturelles
(FANRPAN), il faut
climatique, les jeunes pourraient s’impliquer majeurs de l’Agenda 2063 de l’Union
faciliter la création
dans le crédit carbone et le marché du africaine. d’agroentreprises
carbone. En outre, nous avons besoin de par les jeunes
programmes de financement créatifs et Le concours Pitch AgriHack du CTA propose
efficaces, conçus pour les jeunes désireux de des formations et du mentorat aux jeunes
lancer leur propre entreprise. entrepreneurs pour les aider à créer des
e-agroentreprises plus durables. Pourquoi
Au FANRPAN, vous travaillez avec la ces programmes sont-ils si importants ?
Fondation MasterCard pour promouvoir la Je pense que les jeunes apprennent par la
participation des jeunes dans la politique. pratique, et des opportunités comme le
Quelle est l’importance de cette concours Pitch AgriHack les incitent à
collaboration ? innover. D’après ce que je comprends, cette
Nous collaborons depuis deux ans au compétition s’accompagne de formations et
développement d’un guide politique pour les de mentorat, donc les jeunes sont vraiment
jeunes, qui tord le cou au mythe selon lequel soutenus tout au long de la création de leur
la politique est réservée aux représentants entreprise.
gouvernementaux ou aux adultes. Les défis Au bout du compte, il s’agit de garantir la Le Manuel de
auxquels nous sommes confrontés en pérennité. Il faut donc que les anciens formation politique
Afrique concernent aussi bien les jeunes que transmettent leurs connaissances aux plus du FANRPAN a été
les moins jeunes. En travaillant avec la jeunes. L’agriculture intelligente face au publié en 2018. Il
Fondation MasterCard, nous avons constaté climat est défendue par la FAO, le CTA et le s’agit d’une
que les jeunes ont la volonté de s’impliquer FANRPAN, entre autres. Cette approche n’est ressource précieuse
dans la politique agricole, mais ils n’ont pas pas révolutionnaire, dans le sens où elle pour les jeunes qui
les compétences nécessaires pour faire prône des pratiques telles que l’agriculture désirent s’impliquer
passer leurs messages. de conservation et la culture sans labour, qui dans la prise de
sont utilisées depuis longtemps. Mais, à la décisions. Le manuel
La digitalisation est-elle le remède miracle suite de recherches plus approfondies, elles est disponible sur le
pour attirer plus de jeunes dans le secteur bénéficient désormais d’une meilleure site web du
agricole ? compréhension et leur valeur est davantage FANRPAN : (en
Personnellement, je suis convaincue que appréciée. Ces connaissances doivent donc anglais) https://
l’implication des jeunes dans les technologies être transmises à nos futurs agriculteurs. tinyurl.com/y6l33jtw

SPORE 193 | 23
REPORTAGE

AFRIQUE DE L’EST

La téléréalité attire les jeunes


dans les champs
En suivant et aidant des agriculteurs, des émissions de télévision diffusées
au Kenya et en Tanzanie encouragent les jeunes à envisager l’agriculture
comme un choix de carrière lucratif.

Pius Sawa

C
omme beaucoup d’autres Africains, les
jeunes Kényans ne disposent pas toujours
des garanties ou connaissances financières
nécessaires à la création d’entreprises agricoles. En
outre, les problèmes liés au stockage, au transport
et à l’accès au marché des produits agricoles, ainsi
que les pertes alimentaires et le gaspillage qui en
découlent, découragent davantage la jeunesse de
s’impliquer dans ce secteur.
Le programme télévisuel Shamba Shape Up
(SSU) a été créé il y a cinq ans pour changer la
manière dont l’agriculture est perçue dans le pays
et présenter l’agriculture comme une opportunité
commerciale. L’émission vise à donner aux agri-
culteurs et auditeurs les outils nécessaires pour
améliorer leurs fermes (shambas). La série aborde
des problématiques comme l’infertilité des sols, les
mauvaises récoltes, la santé du bétail et la diversité
alimentaire, ainsi que les techniques pour optimi-
ser la valeur nutritionnelle des légumes.
Avec neuf séries produites, SSU a touché cinq
millions de personnes au Kenya. La diffusion a
récemment été élargie à la Tanzanie. L’équipe de
SSU, qui comprend des experts comme des vété-
rinaires et des spécialistes des cultures, visite une
exploitation différente chaque semaine. L’équipe
de tournage passe généralement quatre jours avec
chaque agriculteur, ce qui lui permet de recueillir
l’avis d’experts et de mettre en place les nécessaires
améliorations.
© THE MEDIAE COMPANY

Aider les jeunes pour assurer


la sécurité alimentaire
Gabriel Ingubu, un agriculteur de 28 ans du
comté de Bungoma, s’est lancé dans l’horticulture

24 | SPORE 193
après avoir regardé Shamba Shape Up. “Je ne connais- sur la téléphonie mobile appelé iShamba, déve-
sais rien à la culture de la tomate, mais après avoir loppé aussi par The Mediae Company. iShamba
regardé comment fonctionne une exploitation – de fonctionne depuis 2015 et emploie 12 jeunes
la sélection des semences à la récolte en passant par experts agronomes de l’Université Jomo Kenyatta,
la préparation des sols et la lutte contre les mala- formés à la rédaction d’informations agricoles pour
dies – je suis maintenant un fermier expérimenté”, appareils mobiles. Le service compte actuellement
s’enthousiasme-t-il. Sur sa parcelle de 0,2 hectare, 270 000 adhérents, dont 44 % de femmes.
Gabriel Ingubu plante des tomates, du chou kale et
d’autres légumes-feuilles verts. Cela lui rapporte Une nouvelle émission : “Don’t Lose the Plot”
Des jeunes d’Afrique de environ 10 000 KSh (88 €) par semaine, assez pour Pour favoriser davantage l’engagement des
l’Est augmentent leur subvenir aux besoins de sa famille. Il économise jeunes dans des activités agricoles, l’équipe de
production en regardant aussi pour s’offrir une serre, avec laquelle il aug- production de SSU a lancé en mars 2017 une nou-
des émissions de mentera sa production, afin de fournir hôtels et velle émission de téléréalité appelée Don’t Lose the
téléréalité sur restaurants autour de la ville de Bungoma. Plot (Ne perdez pas vos terres, ou Ne perdez pas
l’agriculture. Il importe, pour la sécurité alimentaire du Kenya, les pédales). Financée par le programme Feed the
d’axer les efforts sur les jeunes Future de l’USAID, cette émission, conçue en col-
agriculteurs, selon Patricia laboration avec Africa Lead, vise à encourager les
Gichinga, chef de production jeunes à considérer l’agriculture comme un choix
pour The Mediae Company, de carrière lucratif, tout en les informant sur la
qui produit le programme. marche à suivre pour démarrer une agroentreprise
“Au Kenya, la moyenne d’âge et partager des informations agronomiques utiles.
des agriculteurs approche la Dans le cadre du programme, diffusé au Kenya et
soixantaine. Dans beaucoup en Tanzanie entre mai et juillet 2017, des parcelles
d’exploitations, moins de la de 0,4 hectare ont été proposées à quatre jeunes
moitié des terres est cultivée en agriculteurs des deux pays, avec l’objectif d’en faire
raison de l’âge des fermiers et des fermes prospères et profitables en neuf mois.
de l’énergie qu’il faut investir. Le gagnant reçoit 8 960 € utilisables sur sa propre
Ces agriculteurs ont aussi moins exploitation.
tendance à innover, changer de En Tanzanie, Winrose Kaya a gagné après avoir
pratiques ou de comportement collaboré avec les experts de l’émission pour divi-
ou utiliser les TIC pour com- ser sa parcelle en plusieurs parties. Elle a planté
muniquer”, constate-t-elle. des cultures à maturité rapide – oignons, pommes
“Parallèlement, il y a énormé- de terre, coriandre, choux et épinards – et élevé
ment de jeunes pour lesquels 500 poulets. Après le concours, ses parents lui ont
l’accès à des terres cultivables est offert une parcelle de 0,5 ha, reconnaissant ses
difficile car les parents hésitent compétences agricoles et sa capacité à réaliser des
à céder des parcelles à des bénéfices. L’émission a été regardée par 4,1 millions
enfants à cause des traditions de jeunes dans les deux pays.
ou conflits d’héritage”, pour- Pendant la diffusion de Don’t Lose the Plot, The
suit Patricia Gichinga. “Grâce Mediae Company a créé Budget Mkononi, un outil
à SSU, nous touchons deux web interactif aidant les jeunes agriculteurs à cal-
millions de ménages au Kenya culer les coûts d’intrants pour une culture donnée
et estimons qu’environ deux et les bénéfices réalisables sur une courte période.
personnes par foyer regardent Près de 25 000 jeunes utilisent actuellement cet
nos émissions. De plus, 34 % de outil pour démarrer des projets agricoles et en obte-
ces auditeurs sont des jeunes de nir des bénéfices maximaux. “Au début, je n’ai pas
18 à 30 ans [d’après les données réalisé que je pouvais changer les prix pour qu’ils
de Geopoll]. En Tanzanie notre correspondent à ma situation. Je trouve que l’outil
audience atteint trois millions est utile et qu’il m’aidera à planifier mes dépenses”,
de personnes.” déclare Janet Oloo, l’une des jeunes bénéficiaires
De nombreux agriculteurs kényanes. Gregory Mutisya, lui aussi kényan,
ont obtenu des réponses à estime que le service de gestion budgétaire gratuit
leurs questions en regardant l’a beaucoup aidé à prendre des décisions éclairées,
l’émission grâce à un service et lui a permis d’obtenir les bénéfices envisagés
d’information agricole reposant pour sa ferme maraîchère. ■

SPORE 193 | 25
REPORTAGE

SÉNÉGAL

Les bonnes pratiques agricoles


permettent de freiner
la migration
En rendant le secteur agricole plus attractif pour les jeunes, un programme
de soutien à la production de céréales locales permet d’améliorer les revenus
des petits producteurs. Les candidats à l’émigration sont moins nombreux.

Matteo Maillard
© MATTEO MAILLARD

26 | SPORE 193
U
n métier au lieu d’émigrer. Au Sénégal, des Jamm Bugum (“je veux la paix”) a d’abord été une
jeunes vivant en zone rurale saisissent des équipe de football avant de devenir une organisation
opportunités dans des filières profitables agricole. “En 1998, nous nous sommes dit que nous
et diversifiées, contribuant au renforcement de la devions être plus utiles à la société”, avance Mame
sécurité alimentaire et de la lutte contre la malnutri- Biram Sène, son président. “Nous avons décidé de
tion des enfants ainsi que le départ en migration des nous investir dans le développement de notre com-
jeunes adultes. Mis en place depuis 2011, le Projet munauté. Notre première action a été de reboiser des
d’appui aux filières agricoles (PAFA) du Fonds inter- lieux publics”, afin entre autres d’offrir de l’ombre
national de développement agricole (FIDA) a pour devant la mosquée et dans certaines rues.
objectif l’amélioration durable des moyens d’exis- En 2012, le PAFA leur a dispensé des formations
tence des familles vivant dans le bassin arachidier pratiques : quel matériel utiliser, quels intrants et
au centre du pays. Pour cela, les jeunes bénéficient semences privilégier pour la performance en matière
d’un appui à la production et à la commercialisation de production de céréales ? Comment organiser un
des céréales locales tels le mil, le sorgho, le niébé. marché rentable avec le surplus de production, com-
“Notre objectif est d’assurer un revenu décent ment transformer les céréales en plats nourrissants
au producteur agricole, afin qu’il puisse soutenir le et les fruits en jus goûteux ? Ndèye Ndong, 30 ans, en
développement de son village plutôt que d’émi- a été l’une des bénéficiaires. “Auparavant, je n’utili-
grer vers les villes ou à l’étranger, appauvrissant les sais pas d’engrais dans mon champ”, dit-elle. “Ici les
Avec un accès au matériel campagnes”, explique Benoît Thierry, représentant sols sont très pauvres et les rendements étaient aléa-
agricole, à des semences et régional Afrique de l'Ouest au FIDA. “Nous aidons à toires. La formation m’a appris à organiser l’épandage
des engrais certifiés, puis à créer de l’emploi en fournissant un accès au maté- de l’engrais, quand verser l’urée pour avoir des tiges
un marché, les jeunes riel agricole, à des semences et plus touffues, des épis plus
Sénégalais génèrent de des engrais certifiés, puis nous robustes.” Sur son terrain de
meilleurs revenus et relions les paysans au marché Les 37 734 bénéficiaires deux hectares, elle parvient
renoncent à émigrer. afin de leur permettre d’écou- désormais à produire 1,5 tonne
ler une production de qualité ont décuplé leur de mil par hectare contre
et d’en dégager des revenus 500 kilos avant le lancement
dignes.” production de céréales du projet. Elle nourrit sa famille
Arrivé à terme en 2014, sans difficulté durant les mois
le succès du PAFA lui a valu en cinq ans, assez pour de soudure. Au total, sa parcelle
une extension jusqu’en 2022. produit 2,5 tonnes d’excédent
Dans les cinq filières du projet couvrir les besoins qu’elle vend au marché. “Ca me
(mil, niébé, bissap, sésame, permet de faire d’autres activi-
maïs), les résultats sont édi-
alimentaires de tés comme du petit commerce
fiants. De 3 131 tonnes en 2011,
le programme a permis aux
158 265 personnes. et de couvrir les besoins en
santé des enfants.”
37 734 bénéficiaires de décupler En effet, produire de l’ex-
leur production de céréales en cinq ans, atteignant cédent, c’est se ménager du temps pour d’autres
33 687 tonnes en 2016. Une production capable de activités rémunératrices. Téning Ngom, 22 ans, l’a
couvrir les besoins alimentaires de 158 265 per- bien compris. Quand l’hivernage est terminé, l’argent
sonnes. La production comme la qualité du mil a récolté lui permet de vendre des jus frais aux élèves
même permis de conclure un contrat avec le géant et aux travailleurs passant devant sa maison chaque
Nestlé pour exporter 3 000 tonnes, entre 2014 et matin. “J’ai aussi pu m’acheter une télévision, une
2019, de cette céréale en Côte d’Ivoire, afin d’être radio et un frigo dans lesquels je garde au frais les
transformée en Cerelac, une gamme d’aliments du jus à vendre”, témoigne-t-elle. Afin d’augmenter ses
nourrisson. revenus, elle participe depuis quatre ans à un groupe
Pourtant, l’objectif prioritaire du PAFA reste d’aider de “Crédit revolving”. Ce système d’épargne et de
les agriculteurs sénégalais à atteindre l’autosuffisance crédit villageois réunit 25 membres qui mettent cha-
alimentaire dans les régions peu fertiles. Pour cela, cun de l’argent dans une caisse commune, laquelle
il s’appuie sur le dynamisme des organisations pay- sert à financer les achats des membres. Les intérêts
sannes locales en formant leurs membres aux bonnes sont ensuite partagés entre les autres membres.
pratiques agricoles et en renforçant leurs capacités “Grâce à ce système, j’ai pu acheter dix moutons et
organisationnelles. Dans la commune de Niarhar, au dix chèvres”, poursuit Téning Ngom. “J’espère qu’à
cœur du bassin arachidier sénégalais, à 144 km de la terme cela me permettra de transformer mon com-
capitale Dakar, une association locale est devenue merce de petit-déjeuner en vrai restaurant. Je veux
l’exemple de cette politique de transmission. Créée arrêter de travailler au champ. Je veux passer de la
en 1989, l’association sportive et culturelle (ASC) fourche à la fourchette !” ›

SPORE 193 | 27
› Sur les 1 005 membres de l’association Jamm Bugum, la la saison sèche. Jacques Diou a quitté Niarhar à 18 ans. Mais,
moitié sont des hommes. Comme souvent dans ces villages dans la capitale, il est devenu docker, pauvre. “En ville, on ne
pauvres, ce sont eux qui étaient envoyés en ville ou à l’étranger te propose rien que la rue, alors je suis revenu au village.” En
afin d’y trouver une activité plus nourrissante que ces terres appliquant les bonnes pratiques agricoles enseignées par le
peu fertiles. Les candidats à l’exode ou l’émigration sont nom- PAFA, sa production au champ a augmenté. Avec les revenus
breux. C’était le cas de Cheikh Diouf, 23 ans, cultivateur. “Avant supplémentaires, il a pu installer un jardin maraîcher, où il fait
l’arrivée du PAFA en 2012, j’avais prévu de partir en Espagne pousser des mangues, des corossols, des oranges, des citrons,
pour trouver du travail”, dit-il. “Je voulais faire comme mes des dattes et du manioc pour tenir en période de soudure. Il a
amis et, une fois en Europe, envoyer de l’argent à ma famille même une porcherie et un poulailler.
pour l’aider lors des périodes sèches. Le FIDA a réussi à me “Au Sénégal, pendant très longtemps, nous avons eu une
convaincre de rester pour cultiver la terre familiale. On vit bien agriculture de subsistance”, explique Aliou Diouf, enseignant
désormais.” à Niarhar et membre de Jamm Bugum. “Le PAFA a changé nos
mentalités. De la famine menaçante, nous sommes passés au
“Je prouverai à ceux qui veulent partir commerce de nos denrées. Les paysans parlent désormais de
rendements et cherchent à développer leur business.” Signe du
en migration qu’ils peuvent gagner plus changement : pour la première fois, l’association ouvrira une
boulangerie, en mai prochain. Elle vendra des pains réalisés à
grâce à l’agriculture locale que par un base de céréales locales.
Cet entrepreneuriat a valu à Jamm Bugum deux “Épis d’or”,
dangereux voyage vers l’Europe.” des prix offerts par le FIDA et récompensant l’association
pour son innovation dans le domaine agricole. En 2016, Mame
Certains jeunes ont même décidé de revenir à Niarhar après Mbaye Niang, le ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la
les études pour convaincre les jeunes de rester. À 28 ans, Pierre Construction citoyenne, a cité l’association en exemple : “Elle
Diouf est en master de biologie à Dakar. Il a pu poursuivre ses est en train de vivre l’émergence”, a-t-il déclaré, en plaçant les
études grâce aux gains du programme. “Après mes études, je réussites de l’association au regard du Plan Sénégal émergent
reviendrai au village pour aider à mon tour d’autres jeunes”, (PSE) du président Macky Sall.
assure-t-il. “Je prouverai à ceux qui veulent partir en migration Outre Jamm Bugum, le PAFA soutient 44 autres associations
qu’ils peuvent gagner plus grâce à l’agriculture locale que par de jeunes à travers le pays. Leur bilan global a permis à 82 %
un dangereux voyage vers l’Europe.” des bénéficiaires de ne plus subir les pénuries de la soudure.
Dans les années 1980-1990 déjà, la majorité des hommes Quant à la malnutrition des enfants de moins de 5 ans, elle est
majeurs partaient à Dakar en exode rural saisonnier durant passée de 30 % à 22 % entre 2011 et 2016. ■

Un plan national pour relancer l’agriculture


En 2014, le Sénégal a engagé un Plan d’action prioritaire la libéralisation de l’économie fut une raison majeure de la
dans le cadre du Programme d’accélération de la cadence de détérioration des conditions de vie des Sénégalais et un vecteur
l’agriculture sénégalaise (Pracas). Ce volet agricole du Plan de la migration. La désertion des campagnes a conduit à une
Sénégal émergent (PSE) a pour objectif de relancer la croissance déstructuration et un affaiblissement de la filière agricole.
de ce secteur indispensable. Il doit devenir un moteur de la Aujourd’hui, le Pracas et le PAFA tentent de remédier à cette
transformation économique du pays et réduire ainsi la pauvreté situation en modernisant les exploitations agricoles pour
poussant des milliers de jeunes Sénégalais à la migration. atteindre la sécurité nutritionnelle. Un des objectifs est de créer
En effet, le Sénégal a une production agricole insuffisante, ce des synergies entre l’agriculture familiale, dominante au Sénégal,
qui place les couches les plus vulnérables de la population – et l’agribusiness, tout en préservant l’environnement. Selon une
47 % des Sénégalais sont pauvres – en situation d’insécurité récente étude du Programme sur les migrations entre l’Afrique
alimentaire. Le revenu national brut est de 932 € par habitant et l’Europe (MAFE), près de la moitié des Sénégalais migrant
et par an et l’espérance de vie ne dépasse pas 63 ans. Ces en Europe envoient de l’argent à leur famille restée au village.
indicateurs placent le Sénégal à la 162e place sur 187 pays dans le Afin de compenser les revenus insuffisants des familles restées
classement 2016 en développement humain du Programme des au pays, l’agriculture doit s’organiser en filières commerciales
Nations unies pour le développement. structurées et devenir plus productive. En donnant un emploi
Conséquence de ce sous-développement : selon le Parlement dans les exploitations agricoles et des formations techniques
européen, en 2018, le Sénégal était le dixième pays en nombre et de l’équipement à plus de jeunes et de femmes, le Pracas
de migrants illégaux venus en Europe par la mer. Selon une ambitionne ainsi de remplacer l’envoi de devises depuis
étude de l’African Studies Review, à partir des années 1980, l’étranger par le retour à une agriculture locale et rentable.

28 | SPORE 193
Agribusiness

DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
Les Îles Salomon redécouvrent Au Congo-Brazzaville,
le goût du miel des champignons toute l’année

Le Zimbabwe commercialise À Madagascar, une approche zonale


ses plantes autochtones pour stimuler la filière bio

30 32

FINANCE & COMMERCE & LEADERS EN


ASSURANCE MARKETING AGRIBUSINESS
Des technologies pour Commerce équitable : “Il faut redoubler d’efforts
protéger les denrées une bonne affaire pour pour lutter contre
agricoles les agricultrices ? l’insécurité alimentaire”

34 36 38
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX

A P I C U LT U R E

Les Îles Salomon redécouvrent


le goût du miel
Après la destruction de son cheptel d’abeilles par un parasite dans les années 2000,
l’archipel a relancé sa production de miel et envisage déjà d’exporter.

Vincent Defait

L
es petits producteurs de miel des D’après le ministère du Développement “Le SISBEC va bientôt enregistrer tous
Îles Salomon – en particulier les et de la Coordination de l’Aide, ce sou- les apiculteurs au sein du programme
femmes – bénéficient de nouveaux tien a permis de générer des revenus Australia New Zealand Bank GoMoney
débouchés commerciaux grâce à des moyens annuels de 13 000 dollars des (une banque en ligne gérée avec une
formations et à la distribution d’équipe- Îles Salomon (SBD), soit 1 430 euros, par appli), ce qui va lui permettre d’acheter
ments d’apiculture. Depuis 2015, près de producteur. Entre 2016 et 2018, la pro- le miel aux producteurs à travers leurs
700 ruches ont été distribuées aux agri- duction de miel est passée de presque comptes GoMoney. Le SISBEC va aussi
culteurs et 140 d’entre eux ont été formés rien à plus de 1 100 litres, vendus essen- mettre en place des lieux d’achat près
aux techniques apicoles – dont l’élevage tiellement dans le pays. des producteurs qui n’ont pas accès à des
de reines – et à la bonne gestion des Dans les années 2000, les Îles Salomon commerçants”, affirme Gabriel Hiele,
affaires. produisaient suffisamment de miel pour manager du volet agriculture du RDP.
Soutenu par le programme de déve- envisager d’exporter une partie de leur

700
loppement rural des Îles Salomon (RDP, production, fruit du travail de 2 000 api-
Solomon Islands Rural Development culteurs avec 400 000 ruches. Hélas,
Program), le Centre des petites entre- l’introduction d’abeilles asiatiques por- ruches ont été distribuées dans
prises des Îles Salomon (SISBEC, Solomon teuses de la mite varroa avait anéanti le quatre régions.
Islands Small Business Enterprise secteur.
Center) a joué un rôle central dans la Près de quinze ans plus tard, l’apicul-

10 à 15 t
relance de l’apiculture de l’archipel. ture redevient un secteur d’avenir pour
cet archipel du Pacifique, laissant entre-
En relançant leur production de miel, les Îles voir des opportunités commerciales de miel pourraient être
Salomon offrent de nouveaux débouchés prometteuses. produites par l’archipel d’ici
commerciaux aux petits producteurs. “La plupart des producteurs vendent 2020-2022.
leur production à un intermédiaire qui
© ESZTER PAPP

le conditionne et le vend à des grossistes Les progrès les plus spectaculaires


en ville”, explique Rodney Suibaea, ont été réalisés par l’organisation Gizo
membre du SISBEC. Principal intermé- Women in Business, qui réunit près de
diaire du secteur, le SISBEC garantit un 300 agricultrices de l’île Gizo. Parmi
débouché aux petits producteurs en leur elles, Janet Beri gagne désormais entre
rachetant leur miel entre 40 et 50 SBD 42 800 et 48 150 SBD (entre 4 700 et
(entre 4,4 et 5,5 €) pour 350 millilitres. 5 300 €) par an grâce à la vente de son
“Pour le moment, la production de miel miel. “Mon mari et moi sommes des vil-
tourne autour de 4-5 tonnes par an et ne lageois qui travaillent leur potager pour
suffit pas pour répondre à la demande survivre”, raconte cette productrice, qui
locale”, poursuit Rodney Suibaea. Malgré possède 10 ruches. “Maintenant, nous
tout, le SISBEC anticipe une production pouvons vendre du miel et répondre à
de 10 à 15 tonnes d’ici 2020-2022. “Le nos besoins. Nous pouvons aisément
miel pourra alors être exporté. Nous payer les frais de scolarité au début de
avons fait des tests et il y a un marché en chaque semestre et envoyer notre fils,
Nouvelle-Zélande pour le miel des Îles qui a quitté l’école il y a longtemps, suivre
Salomon.” Par ailleurs, ce miel est très une formation sur le commerce dans un
apprécié au Japon. centre de formation professionnelle.” ■

30 | SPORE 193
BIO-INNOVATION

Le Zimbabwe commercialise
ses plantes autochtones
Un organisme de recherche zimbabwéen identifie des espèces végétales locales
sous-exploitées pour les transformer en produits alimentaires et cosmétiques.

Tonderayi Mukeredzi

© PHYTOTRADE AFRICA
lus de 4 000 petits agriculteurs biologique à 4 500 pro-
des zones arides du Zimbabwe ducteurs de baobab…
tirent des revenus de la vente de Si l’on tient compte
plantes autochtones sous-exploitées. du fait que le ménage
En récoltant, en transformant et en moyen au Zimbabwe se
conditionnant 15 espèces végétales compose de cinq per-
comestibles et non comestibles, les sonnes, cela concerne
agriculteurs locaux – en majorité des 20 000 personnes,
femmes – bénéficient d’opportunités et ce pour une seule
d’emploi auprès de Bio-Innovation variété de plante !”
Zimbabwe (BIZ). Ce centre de recherche BIZ transforme égale-
à but non lucratif achète leur récolte de ment d’autres espèces
plantes sauvages pour les transformer végétales autochtones,
en produits alimentaires et cosmé- comme les pois bam-
tiques, vendus sur les marchés locaux et bara, l’arbre marula, les
internationaux. noix mongongo (arbre
Le Zimbabwe abrite de nombreuses manketti), la plante de
espèces végétales résistantes à la séche- la résurrection, l’oseille
resse et possédant de grandes capacités de Guinée, l’arbre à
d’adaptation. Le baobab, par exemple, saucisses (kigelia), les
est une espèce d’arbre robuste qui melons sauvages et le
pousse dans des régions très arides du ximenia.
pays et qui est utilisé dans plusieurs pro- Selon Gus Le Breton,
duits phares de BIZ, tels que la poudre les cueilleurs gagnent
de baobab, la confiture et de l’huile pour environ 90 € par saison
les cheveux. “En 2012, un an après avoir grâce à la vente des fruits
commencé à récolter des baobabs, j’ai du baobab. “Ce n’est
pu acheter une pompe à eau, que j’uti- pas beaucoup d’argent,
lise dans mon jardin pour arroser les mais c’est tout de même Au Zimbabwe, des espèces végétales locales
plants de maïs, de haricots et d’autres la plus grande source de sous-exploitées, comme le baobab, sont
légumes que je vends à la communauté”, revenus dans les zones arides et pauvres, transformées en produits alimentaires et
explique Marcia Matsika, une mère de où les opportunités économiques sont cosmétiques commercialisables.
six enfants originaire de la province du rares. Parmi les 4 000 travailleurs qui se
Manicaland. “Ces cultures maraîchères chargent de ces récoles, les 150 ouvriers environ et les huiles de graines hydra-
me permettent de gagner 300 dollars que nous employons dans nos centres tantes 25 €/kg, mais les ventes locales
RTGS (50 €) supplémentaires par mois.” de transformation gagnent entre 500 et peinent à décoller à cause de l’image
“Nous transformons entre 12 et 1 000 dollars US (soit entre 445 et 890 €) négative des ressources indigènes. “Le
15 espèces différentes”, indique Gus [par saison], ce qui représente des reve- principal obstacle qui entrave le déve-
Le Breton, CEO de BIZ. “À travers notre nus importants.” loppement de cette industrie à l’échelle
autre société, B’Ayoba, nous avons dis- BIZ vend la plupart de ses produits sur locale est l’absence de marché, mais le
pensé des formations, sous-traité des les marchés américains et européens, où marché international va se développer”,
activités et accordé une certification la poudre de baobab coûte 10 € par kilo estime Gus Le Breton. ■

SPORE 193 | 31
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

KITS PRÉINCUBÉS

Au Congo-Brazzaville,
des champignons toute l’année
Afin de répondre à la forte demande nationale en champignons, une entreprise
d’agribusiness a développé des kits de production faciles d’utilisation et vendus
à des prix abordables.

© MARIEN NZIKOU-MASSALA
Marien Nzikou-Massala

E
n République du Congo, il est
désormais possible de cultiver et de
consommer ses propres champi-
gnons toute l’année. L’entreprise Bio-Tech
Congo, fondée en 2015 par l’ingénieur
Tsengué-Tsengué, fabrique et commercia-
lise des kits de culture préincubés capables
de produire jusqu’à 3 kg de champignons
frais pendant trois mois. Communément
appelés mayebo en langue lingala et très
appréciés des Congolais, ces pleurotes sont
désormais disponibles toute l’année.
Les kits préincubés de Bio-Tech Congo

10 800
permettent de produire jusqu’à 3 kg de pleurotes consommés généralement avec du pois-
pendants trois mois, toute l’année. son, de la viande ou de la mouambe, une
sauce à base de noix de palme. Anna
kits préincubés de champignons ont Enfin, les sachets sont ensemencés avec Dyemo explique ainsi ne plus avoir à se
été produits en 2018. des semences produites dans l’usine de rendre au supermarché et avoir réalisé des
l’entreprise, à Brazzaville. économies. Par ailleurs, le pleurote est une
“La production d’un kit nous coûte très bonne source de vitamines B (notam-

3 kg
moins de 5 000 FCFA [7,60 €]”, explique ment les vitamines B1, B2, B3, B6 et B9).
Tsengué-Tsengué. Les champignons Les kits de Bio-Tech Congo font aussi des
produits par Bio-Tech Congo sont ven- émules en République démocratique du
C’est la quantité de pleurotes
dus aux grandes surfaces et épiceries des Congo. L’entreprise exporte chaque mois
obtenue avec un kit.
grandes villes du Congo – Brazzaville, plus de 500 kits vers la capitale Kinshasa,
Pointe-Noire, Owando et Makoua – et sur l’autre rive du fleuve Congo. Afin de
Lancée avec un capital de moins de les particuliers peuvent acheter auprès faciliter l’approvisionnement de cette ville
500 000 FCFA (environ 763 €), l’en- de l’entreprise des kits préincubés à de 12 millions d’habitants, un partenariat a
treprise Bio-tech Congo emploie cinq 9 000 FCFA (13,70 €). été signé entre Bio-Tech Congo et l’Institut
personnes à temps plein pour pro- La demande est forte, confirme Anna supérieur de techniques appliquées de
duire chaque jour près de 30 kits, soit Dyemo, une cliente régulière : “J’étais sur- Kinshasa afin de former des étudiants à la
10 800 kits en 2018. Chaque kit est prise de trouver ces champignons dans le culture des champignons.
composé de sacs en mailles légères supermarché Casino. Comme mon mari Tsengué-Tsengué prévoit aussi de
dans lesquels est placé du compost fait en raffole, je me suis rendue au siège de pénétrer le marché du voisin gabonais :
à partir de copeaux de bois récoltés Bio-Tech Congo pour acheter un kit.” trois étudiants suivent depuis le mois
dans les menuiseries de la ville, broyés, Ensuite, rien de plus simple, explique- de mars une formation à distance par
puis mélangés avec du son de blé et t-elle : son kit a été suspendu à l’ombre, vidéoconférence sur la culture des cham-
du maïs broyé. Les sachets de substrat afin d’éviter que les champignons et le pignons, pour un prix de 300 000 FCFA
sont pasteurisés, de façon à détruire substrat ne sèchent au soleil. En l’arrosant (458 €). L’objectif est de rendre dispo-
les micro-organismes qui pourraient deux à trois par fois par jour, Anna Dyemo nibles à tous les consommateurs ces
entraver la croissance des champignons. a vite obtenu ses premiers champignons, champignons tant appréciés. ■

32 | SPORE 193
CARTOGRAPHIE

À Madagascar, une approche zonale


pour stimuler la filière bio
Le développement de zones destinées uniquement à l’agriculture biologique permet
de stimuler la filière et de générer de meilleurs revenus pour les petits agriculteurs.

Mamy Andriatiana

À
Madagascar, une cartographie (épices et huiles essentielles) ou encore planteur de canne à sucre bio, dans l’est
des terres consacrées à l’agri- Sahanala (gingembre, vanille, noix de du pays.
culture biologique permet cajou…). Selon Gaëtan Etancelin, direc-
d’identifier les zones à soutenir en prio- Alors que 36 000 hectares étaient teur de l’huilerie Melville qui produit
rité, en offrant des conseils et appuis consacrés au bio en 2011, la surface 1 000 tonnes d’huile bio par an, dont 85 %
techniques, un approvisionnement dévolue à ce type d’agriculture a atteint sont exportés, “il y a moins de risque
en semences bio et une assistance à la les 121 000 hectares en 2018 sur l’île. pour les paysans dans l’exploitation
certification bio des agriculteurs. Une De plus, en 2012, les exportations de bio. Ils ont un contrat, lequel garantit le
zone qualifiée de bio – les producteurs produits issus de l’agriculture bio ont débouché et le prix de la vente. À moyen
répondent aux exigences de l’Agriculture atteint une valeur de 84 millions d’euros et long terme, comme leur terre n'a
biologique et des spécificités malgaches en 2018, contre 22 millions d’euros en subi aucun traitement chimique, ils ne
– sert de base de départ pour étendre 2012. L’agriculture biologique est plus risquent pas de l’appauvrir. Au contraire,
et développer les pratiques agricoles rentable pour les petits producteurs, le traitement naturel enrichit leur terre”.
bio. Élaborée par le Syndicat malgache du fait de coûts de production et de Parmi les obstacles au développe-
de l’agriculture biologique (Symabio), distribution moins élevés et de prix de ment de l’agriculture bio à Madagascar
cette approche est développée par plu- vente plus intéressants que pour l’agri- figure le coût de la certification : au
sieurs exploitants, dont les entreprises culture conventionnelle. “Je n’ai plus moins 8 millions d'ariarys (2 000 €).
de transformation agricole Lecofruit, besoin d’acheter d’intrants et d’engrais Le Symabio essaie donc d’obtenir des
l’huilerie de palme Melville, Jacarandas chimiques chers, le compost nous suffit. certifications au nom de coopératives.
Et le prix d’un produit bio est beaucoup Par ailleurs, certains facteurs extérieurs
À Madagascar, la surface des terres consacrées plus élevé que celui du convention- compliquent l’adoption de pratiques
à l’agriculture bio a plus que triplé depuis 2011. nel”, confirme Tendry Botomazava, un agricoles bio, comme l’indispensable
utilisation de produits toxiques dans la
lutte contre l’invasion de criquets dans
le Sud du pays, qui risque de contaminer
des millions d’hectares de cultures.
Créé en 2011 et composé de
40 membres certifiés bio (entreprises,
coopératives agricole, associations pay-
sannes…), le Symabio a défini avec le
ministère de l’Agriculture le cadre régle-
mentaire national de l’agriculture bio, et
travaille avec le gouvernement à l’éla-
boration d’un Plan national stratégique
phytosanitaire intégrant les exigences
de l’agriculture biologique. Alors que
Madagascar est déjà numéro un mondial
dans les filières biologiques de la vanille,
de la crevette et de l’huile de palme, un
avant-projet de la loi sur l’agriculture bio
devrait étendre ces pratiques agricoles
au-delà des 35 000 petits producteurs
© FAO

bio de l’île. ■

SPORE 193 | 33
FINANCE & ASSURANCE

RÉDUIRE LES RISQUES

Des technologies
pour protéger les
denrées agricoles
En se consacrant à la protection et au suivi des denrées,
les entreprises de technologie aident à réduire les risques liés
à l’octroi de prêts aux agriculteurs.

Helen Castell

A
pprovisionnement énergétique de prouver aux prêteurs qu’ils présentent convenu – moins une commission parta-
coûteux et irrégulier, manque un risque acceptable. gée entre le producteur et la coopérative
d’installations de stockage, En un an et demi, l’entrepris Savanna – quand le lait est vendu à un transfor-
mauvais état des routes et méthodes de Circuit a contribué à supprimer bon mateur. Ce système électronique fournit
transport inadaptées… Pour les petits nombre de ces obstacles pour plus de aux producteurs un registre de produc-
agriculteurs des zones rurales, achemi- 800 petits producteurs laitiers regroupés tion et un compte de résultat quotidien.
ner leurs produits alimentaires jusqu’aux dans six coopératives laitières au Kenya. Autant d’informations requises par les
marchés et en obtenir un prix équitable est Grâce à son application et son système prêteurs pour calculer le score de crédit
un parcours semé d’embûches. Résultat, MaziwaPlus de “refroidissement pendant et, dans certains cas, la garantie.
leurs denrées périssables perdent de leur le transport” alimenté à l’énergie solaire, Savanna Circuit a également organisé
valeur avant d’arriver chez les transfor- ces producteurs ont connu une hausse une seconde tournée de collecte du lait
mateurs ou d’autres acheteurs. De plus, de leurs profits et peuvent désormais en soirée. Combinée à la diminution
les difficultés pour suivre et enregistrer tenir des registres des opérations fiables. des pertes dues au déversement ou à
la position géographique, la qualité, le Plusieurs producteurs laitiers se sont vus l’altération du lait, cette collecte supplé-
volume et le prix des produits permettent accorder des prêts, qu’ils ont utilisés pour mentaire a aidé les agriculteurs à faire
aux intermédiaires peu scrupuleux d’es- développer leur entreprise ou acheter des passer leurs revenus moyens d’environ
croquer les producteurs. De nombreux intrants, explique Emmastella Gakuo, 71 € par mois en octobre 2017 à 134 € par
agriculteurs se trouvent ainsi piégés dans cofondatrice de Savanna Circuit. mois aujourd’hui.
une logique de subsistance, qui sape la Dans le système MaziwaPlus, le lait des
confiance des prêteurs dans leur capacité petits producteurs est acheminé à moto Logistique B2B
à rembourser leurs emprunts. jusqu’à leur coopérative dans des cuves en Lancée en 2014, la plateforme logis-
aluminium conçues et raccordées à des tique business-to-business (B2B) Twiga
Refroidissement pendant le transport panneaux solaires. Ces cuves permettent Foods intensifie ses activités visant à
Même quand les produits parviennent de conserver le lait à une température faciliter l’accès au crédit pour les agri-
jusqu’aux acheteurs sans encombre, de 5 °C environ pendant le trajet, avant culteurs et les vendeurs de denrées
le caractère informel de la plupart qu’il soit réfrigéré à 3 °C à la coopérative. alimentaires au Kenya. Cette entreprise
des échanges empêche également les Le lait est également pesé et soumis à un met en relation plus de 8 000 agriculteurs
agriculteurs de tenir des registres des test de pH lors de la collecte. Ces données avec des vendeurs en facilitant la gestion
opérations fiables. Pourtant, ce type de sont automatiquement enregistrées dans de la récolte à la livraison finale aux
registre leur permettrait de repérer les l’application MaziwaPlus. Le producteur commerçants, en passant par l’entre-
problèmes ou les possibilités de déve- reçoit ensuite sur son téléphone portable posage centralisé dans des installations
loppement de leurs activités, mais aussi un reçu électronique mentionnant le prix de refroidissement et de mûrissement

34 | SPORE 193
© EATRADEHUB
La technologie blockchain sert à accélérer
les demandes de prêts des propriétaires
de kiosques de restauration au Kenya. De la subsistance à la création d’entreprise
ultramodernes. Twiga Foods joue le rôle Andrew Mwok, un producteur laitier dans l’ouest du Kenya, a pu obtenir un crédit
de grossiste et de fournisseur de services pour la première fois grâce au registre des opérations de MaziwaPlus. En mars
logistiques et offre ainsi aux agriculteurs 2018, il a contracté auprès de sa coopérative locale un emprunt d’un montant de
un marché garanti pour leurs produits, 100 000 KSH (887 €) – aujourd’hui remboursé – avec lequel il a acheté quatre
ainsi qu’un mécanisme de fixation des vaches laitières, doublant ainsi la taille de son cheptel. Quelques mois plus tard,
prix transparent et des conseils agricoles. il a obtenu un autre emprunt de 320 000 KSH (2 837 €), par l’intermédiaire d’un
Toutes les transactions sont enregistrées programme subventionné par l’État, avec un taux d’intérêt de 10 % environ.
par voie électronique, ce qui permet aux L’éleveur a investi ce deuxième prêt pour créer une unité laitière, en achetant aussi
prêteurs de se faire une idée de la solva- de l’équipement et du fourrage. Il espère pouvoir emprunter cette somme plus
bilité de chaque agriculteur ou vendeur. importante auprès d’une banque commerciale d’ici mi-2019 pour couvrir ses activités
Twiga Foods propose des prêts sans laitières et développer davantage sa production.
intérêt pour l’acquisition d’intrants à des Andrew Mwok, pour qui la production laitière était une activité de subsistance,
exploitations agricoles de taille moyenne explique que ses livraisons quotidiennes de lait sont passées de 50 litres à 170 litres
et voudrait offrir ce service à plus grande et que sa ferme est désormais gérée comme une entreprise.
échelle en nouant des partenariats avec
des prêteurs qui leur proposeraient des
prêts commerciaux à faible taux d’inté- optimistes quant au remboursement de La technologie blockchain a ensuite été
rêt. L’entreprise collabore avec la Société leurs prêts, selon Grant Brooke, cofonda- employée pour accélérer la procédure de
financière internationale (SFI) et une teur et directeur exécutif de l’entreprise. demande de prêt et de décaissement en
banque commerciale en vue de lancer Du côté des vendeurs, Twiga Foods toute sécurité. Twiga Foods affirme que
des prêts sur 18 mois destinés à couvrir s’est associée avec IBM Research en les bénéficiaires des prêts sur 4 à 8 jours
(en partie) les coûts de 45 000 à 62 000 € 2018 pour proposer des prêts pour – surtout des prêts d’un montant de 25 à
nécessaires pour établir des exploitations fonds de roulement basés sur la tech- 30 € environ avec un taux d’intérêt de 1
agricoles de taille moyenne – dont Twiga nologie blockchain à 220 propriétaires à 2 %, qui ont servi à acheter du stock
Foods garantirait les ventes. Twiga Foods de kiosques de restauration au Kenya, – ont pu accroître le volume de leurs
étant disposée à s’engager par contrat à dans le cadre d’un projet pilote de huit commandes de produits de 30 % et leurs
acheter la production de ces exploitations semaines. IBM a utilisé des algorithmes profits de 6 % en moyenne. En novembre
à prix fixes jusqu’à plusieurs années à d’apprentissage automatique pour ana- 2018, Twiga Foods a levé des fonds pour
l’avance, elle assure une excellente pré- lyser les registres des achats provenant près de 9 millions d’euros auprès d’in-
visibilité de sa demande quotidienne, ce des appareils mobiles des vendeurs et vestisseurs sous la direction de la SFI, et
qui signifie que les prêteurs peuvent être créer ainsi un score de crédit de facto. prévoit de s’étendre en Afrique de l’Est. ■

SPORE 193 | 35
COMMERCE & MARKETING

COMMERCE ÉQUITABLE

Une bonne affaire


pour les agricultrices ?
Dans les filières du café et du cacao, de plus en plus d’entreprises adoptent le label
“Fairtrade” – ou des modèles commerciaux similaires – afin d’améliorer les conditions
sociales et les revenus des producteurs. Les agricultrices en profitent-elles ?

Sophie Reeve

D
epuis la chute mondiale d’un tiers subsaharienne. Certaines multina- ghanéenne de producteurs de cacao
des prix du cacao en 2016/2017, tionales européennes et américaines Kuapa Kokoo, dont plus d’un tiers des
un cultivateur lambda d’Afrique de l’alimentation touchent 40 % de la 85 000 membres sont des femmes. Divine
de l’Ouest ne touche plus que 6 % de valeur de chaque tasse de café, tandis Chocolate consacre 2 % de son chiffre
la valeur du produit final et doit vivre que 25 millions de familles de produc- d’affaires à des programmes de micro-
avec 0,85 € par jour, selon la Fairtrade teurs se partagent 12 % seulement. Dans finance pour renforcer les capacités des
Foundation. La situation est pire pour ce contexte, comment accroître les agricultrices. Les femmes sont ainsi plus
les agricultrices, qui assurent la majeure revenus des producteurs de cacao et de à même de signer des contrats de tra-
partie du travail mais possèdent rare- café, et prendre en compte les droits des vail, de négocier les prix et d’enregistrer
ment la terre qu’elles cultivent, ont agricultrices ? des transactions. “Il est particulièrement
moins de droits et reçoivent donc une important que les femmes profitent des
part encore plus petite des bénéfices. Investir dans les coopératives avantages de s’organiser en coopérative
Plus lucratifs, les processus de de cacao et puissent suivre des formations pour
transformation du café se déroulent La principale entreprise internationale renforcer leurs compétences, notamment
aussi en dehors des pays producteurs de chocolat équitable, Divine Chocolate, en matière de culture du cacao, afin de
d’Asie, d’Amérique du Sud et d’Afrique appartient à 44 % à la coopérative gagner un revenu plus élevé et de pouvoir
l’économiser et l’utiliser judicieusement”,
affirme Fatima Ali, présidente de Kuapa
© JEROEN VAN LOON

Kokoo.
En septembre 2018, Divine Chocolate
a lancé, en Scandinavie, une nouvelle
gamme de barres de chocolat noir de
haute qualité. Celles-ci sont fabriquées à
partir de fèves de cacao de São Tomé, où
l’entreprise collabore avec la coopérative
CECAQ-11, dont les 1 135 membres –
393 femmes –touchent la prime Fairtrade
de 176 € en plus du prix du marché par
tonne. Le nouvel accord “contribuera à
redynamiser l’industrie du cacao grâce à
des relations à long terme et un accès au
marché pour les cultivateurs de cacao”,
veut croire le directeur de CECAQ-11,
Adalberto Luis.
En Côte d’Ivoire, la coopérative de
producteurs de cacao CAYAT – certi-
fiée “commerce équitable” – produit
plus de 8 000 tonnes de cacao chaque
année et en vend une partie à de grandes
Grâce à des modèles de commerce équitable, les caféicultrices d’Afrique ont accès à des marchés marques de chocolat équitable, comme
éthiques et des revenus durables. KitKat. Sous l’égide de l’agricultrice Awa

36 | SPORE 193
© NEIL PALMER/CIAT
D’après la Fondation Fairtrade, les petits producteurs de cacao d’Afrique de l’Ouest vivent avec 0,85 € par jour.

Bamba et grâce à la prime Fairtrade, de En associant directement les petits pro-


nombreuses femmes ont pu monter leur ducteurs aux marchés demandeurs de Certaines multinationales
propre entreprise de culture de fruits ou traçabilité et d’éthique, ce modèle offre
de légumes et générer ainsi des revenus aux agriculteurs des moyens de subsis- de l’alimentation touchent
supplémentaires. Awa Bamba encourage tance durables. Vava Coffee exporte vers
aussi la diversification, à travers l’éle- des acheteurs européens et américains,
40 % de la valeur de chaque
vage de volailles et la production d’œufs.
Cela permet aux femmes de gagner en
et a récemment développé un service
de vente directe aux consommateurs,
tasse de café, tandis que
moyenne 25 000 francs CFA (38 €) de qui permet de vendre de plus petites 25 millions de familles de
plus par mois, compense la volatilité des quantités. En 2018, Vava Angwenyi a
prix du cacao et garantit un revenu entre lancé la première gamme de café certifié producteurs se partagent
les récoltes. “commerce équitable” de l’entreprise.
Ce café est produit par les membres de 12 % seulement.
Café de spécialité deux coopératives de caféicultrices à
Pour assurer des moyens de subsis- Wangumape Microlot et Geoglad Estate,
tance durables aux communautés de dans la vallée du Rift. produit fini, de marque, et vendent au
caféiculteurs du Kenya et de Tanzanie, En 2017, Elizabeth Nalugemwa a fondé consommateur final dans des foires
Vava Angweny a fondé Vava Coffee à son entreprise sociale Kyaffe Farmers commerciales, lors d’événements et sur
Nairobi (Kenya) en 2009. L’entreprise Coffee dans le district de Mpigi, en des marchés locaux. Le fait de vendre
est désormais mondialement reconnue Ouganda. “Nous achetons notre café à directement aux acheteurs permet aux
pour ses cafés de qualité supérieure, 50 coopératives composées de 1 500 agri- producteurs d’augmenter leurs marges.
ainsi que pour son impact social. culteurs de deux régions productrices Selon Elizabeth Nalugemwa, l’éducation
Vava Coffee rémunère ses fournisseurs du pays et leur offrons un prix équi- et la formation agricole sont essentielles
de fèves de café – 30 000 petits exploi- table”, explique Elizabeth Nalugemwa. pour que les petites exploitantes puissent
tants – davantage que le prix du marché, L’entreprise forme les femmes à la utiliser efficacement leurs ressources et
faisant ainsi passer les revenus qu’ils culture de café de haute qualité et bénéficier de revenus durables et plus
tirent du café de 222 € à 338 € par an. biologique, qu’elles transforment en élevés sur le long terme. ■

SPORE 193 | 37
LEADERS EN AGRIBUSINESS

OLAWALE ROTIMI OPEYEMI

“Il faut redoubler


d’efforts pour lutter
contre l’insécurité
alimentaire”
Olawale Rotimi Opeyemi est le fondateur et PDG de JR Farms, une
agroentreprise dont l’objectif est de transformer l’agriculture africaine à
travers la création d’emplois dans le secteur et la valorisation des cultures
de base du continent.

© EMMANUEL MADUKA
Emmanuel Maduka

R
econnu dans le secteur agricole
africain, Olawale Rotimi a fondé
et cofondé plusieurs partenariats
et initiatives sur le continent, en par-
ticulier au Nigeria, son pays d’origine.
Pour Spore, le PDG de l’agroentreprise
JR Farms explique la nécessaire impli-
cation des chefs d’entreprise dans les
objectifs de développement durable
(ODD).

En Afrique, quelles sont les principales


opportunités offertes aux jeunes par la nu-
mérisation de l’agriculture  ?
Les technologies recèlent un énorme
potentiel pour le secteur agricole. Les
jeunes peuvent se servir des réseaux Olawale Rotimi Opeyemi explique le rôle
sociaux pour, par exemple, commer- que les jeunes peuvent jouer dans l’agriculture Vous collaborez avec l’organisation inter-
cialiser leurs produits dans le monde et l’agribussiness en matière d’innovation. nationale du travail (OIT) pour promouvoir
entier. D’autres plateformes, telles l’emploi des jeunes en Afrique. Comment
que celles compatibles avec l’USSD, votre entreprise aide-t-elle les jeunes à trou-
permettent d’entrer en contact avec Les jeunes peuvent donc se servir ver un emploi de qualité dans l’agriculture  ?
des acheteurs autrement qu’avec un de la numérisation pour répondre aux L’OIT déploie de nombreux efforts
smartphone. enjeux majeurs du secteur agricole, pour créer des emplois décents pour les
Les drones rendent ainsi l’épandage mais ils devraient innover davantage jeunes. Elle a notamment créé la Rural
d’engrais et de pesticides bien plus pour créer des solutions plus axées sur Development Academy en Égypte, afin
rapide et moins coûteux. les technologies. de rassembler les parties prenantes, les

38 | SPORE 193
© EMMANUEL MADUKA

“En tant que chefs


d’entreprise, nous
sommes en mesure
de rassembler les
gens pour faire
pression sur le
gouvernement
et influencer les
politiques.”
En outre, nous produisons au moins
35 tonnes de manioc par mois pour le
marché local. Nous soutenons les agri-
culteurs en achetant leurs produits à de
très bons prix, tout en employant des
L’entreprise JR Farms transforme du café produit par plus de 4 000 agriculteurs rwandais jeunes pour transformer les récoltes
à destination des marchés internationaux. en gari. Nous avons développé une
initiative similaire au Rwanda, ainsi
ministres et le secteur privé du continent incidence sur les moyens de subsistance qu’en Côte d’Ivoire avec du cacao. Nous
africain et de les former à la création des agriculteurs à travers la promotion contribuons donc à la résolution de
d’emplois dans les zones rurales. de produits africains. problèmes tels que les difficultés d’ac-
Nous collaborons également avec l’en- cès aux marchés, les pertes post-récolte
tité publique Lagos State Employment et les mauvaises conditions de vie des
Trust Fund dans le domaine du renfor- “ Les jeunes peuvent agriculteurs.
cement des capacités et de la création
d’emplois. À travers ce partenariat, qui se servir de la Pourquoi est-il important que les chefs
a permis d’ajouter l’agriculture aux d’entreprise redoublent d’efforts pour relever
domaines d’action du gouvernement numérisation pour des défis majeurs comme le changement
nigérian en faveur de l’autonomisation
des jeunes, JR Farms offre une formation répondre aux enjeux climatique et l’insécurité alimentaire  ?
J’ai commencé à constater la réalité
sur la production agricole et des oppor-
tunités d’emploi dans notre entreprise
majeurs du secteur du changement climatique en 2018,
lorsque les pluies se sont arrêtées très
ou les organisations affiliées.
agricole.” tôt au Nigeria. Les précipitations qui sont
ensuite tombées étaient imprévisibles et
Vous travaillez avec le gouvernement insuffisantes pour assurer la croissance
rwandais pour améliorer les moyens de sub- Quelles sont les actions menées par JR des cultures. L’alimentation, c’est la
sistance des producteurs de café. En quoi ce Farms pour atteindre les ODD et promouvoir vie. Nous devons donc impérativement
partenariat public-privé a-t-il rendu votre des systèmes alimentaires durables  ? redoubler d’efforts pour lutter contre
action plus efficace ? Au fil des ans, nous nous sommes l’insécurité alimentaire, en particulier
Le gouvernement rwandais nous fait engagés en faveur des ODD liés à la en Afrique, où tant de personnes vivent
bénéficier d’une plateforme sur laquelle sécurité alimentaire, la “faim zéro” et avec moins d’un dollar par jour et ne
nous pouvons travailler avec plus de la création d’emplois décents pour les peuvent se permettre de perdre leurs
4 000 caféiculteurs pour torréfier, jeunes sur tout le continent. Le pro- récoltes.
conditionner et exporter nos produits du gramme Inmates Farming Schemes with En tant que chefs d’entreprise, nous
Rwanda vers la Côte d’Ivoire, l’Égypte, Nigeria Prisons, que nous avons développé sommes en mesure de rassembler les
le Japon, le Nigeria et les États-Unis, pour former les détenus aux pratiques gens pour faire pression sur le gouver-
entre autres. Nous sommes la première agricoles, est l’une des initiatives qui nement et influencer les politiques,
entreprise africaine à avoir développé illustrent notre engagement. Ce pro- afin de faciliter l’accès à des denrées
ce genre de partenariat avec le gouver- gramme permet aux détenus d’acquérir alimentaires à des prix abordables et de
nement rwandais et avons ainsi réalisé de nouvelles compétences et de manger promouvoir plus de mesures d’atténua-
l’une des plus grandes avancées pour le des repas sains préparés à partir des ali- tion du changement climatique sur le
secteur – ce qui nous permet d’avoir une ments qu’ils produisent. continent. ■

SPORE 193 | 39
PUBLICATIONS

LEONARD MIZZI

“Les systèmes
alimentaires doivent
devenir une priorité
politique”
Chef d’unité au sein de la direction générale de la coopération
internationale et du développement de la Commission
européenne, Leonard Mizzi revient sur le dernier rapport mondial
sur les crises alimentaires, publié en avril 2019.

© FAO
Susanna Cartmell-Thorp

Depuis trois ans, le rapport mondial sur


les crises alimentaires montre que plus de
100 millions de personnes souffrent de la
faim chaque année. Comment est-ce pos-
sible à notre époque ?
Les crises alimentaires ne sont pas une
nouveauté, mais elles continuent à se pro-
duire, et ce pour de nombreuses raisons.
Un aspect inédit est la complexité des mul-
tiples facteurs de fragilité qui contribuent
aux crises alimentaires : le changement cli-
matique constitue une cause majeure, mais
il y a aussi l’évolution démographique, les
conflits, la pauvreté, les inégalités, les pres-
sions migratoires, ainsi que les pressions Leonard Mizzi analyse les facteurs de crises
qui s’exercent aux points de tension entre alimentaires et les actions requises pour y stratégiques pour garantir la sécurité
zones rurales et urbaines. La crise alimen- remédier. alimentaire et nutritionnelle le long du
taire ne représente que la partie émergée de “lien entre action humanitaire et aide au
l’iceberg et la manifestation extrême de la s’appuyer sur des informations fiables, développement” ; enfin, le dépassement
vulnérabilité des populations résultant de complètes et disponibles en temps utile de la dimension alimentaire des crises
crises complexes et diverses. et à l’échelle locale. Le but est de mieux via l’adoption d’une approche totalement
collaborer et coordonner les efforts intégrée, qui inclut notamment des inter-
En quoi ce rapport aidera-t-il les déci- déployés aux échelons mondial, régional, ventions portant sur d’autres facteurs de
deurs politiques à élaborer et à mettre en national et local afin de remédier aux fragilité, comme la paix et la sécurité.
œuvre des stratégies plus efficaces pour causes profondes des crises alimentaires
relever ces défis ? par l’intermédiaire du Réseau mondial Êtes-vous optimiste concernant l’amélio-
Il s’agit d’un rapport mondial, fondé contre les crises alimentaires (RMCA). ration de la coordination ?
sur des éléments factuels et un consen- Ce réseau repose sur trois axes : les don- Nous sommes optimistes parce que
sus. Nous voulons véhiculer le message nées, les informations et les analyses le monde ne peut pas continuer avec le
selon lequel la prévention et le traite- fondées sur des éléments de preuve ; une statu quo. Nous ne devrions pas avoir de
ment des crises alimentaires doivent programmation et des investissements problème systémique chaque fois qu’une

40 | SPORE 193
Comme vous l’avez dit, le Mozambique
a été frappé par deux cyclones de grande
Sécurité alimentaire ampleur en quelques semaines. L’avenir
s’annonce-t-il sombre ou y a-t-il des lueurs
Plaidoyer pour une approche coordonnée d’espoir ?
Les systèmes alimentaires sont
Le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2019 : soumis à des pressions de plus en
Analyse collective pour améliorer les décisions plus fortes et de larges couches de la
(RMCA 2019) est le fruit de la collaboration de 15 ins- population restent très fragiles. Voilà
titutions mondiales et régionales de premier plan, pourquoi les initiatives nouvelles et
parmi lesquelles l’UE, la FAO et le PAM. innovantes sont essentielles, à l’instar
Le RMCA 2019 entend fournir des informations du RMCA, qui encourage une meilleure
consensuelles et fondées sur des données probantes coordination et une efficacité accrue.
concernant l’insécurité alimentaire aiguë afin de Il est impossible de résoudre les crises
mieux éclairer la prise de décisions par les respon- alimentaires en appliquant une simple
sables politiques et les organisations humanitaires et approche de type “silo” : il faut une
d’aide au développement. approche axée sur les systèmes ali-
Le RMCA 2019 identifie trois grandes causes d’in- mentaires, mais aussi sur les territoires,
sécurité alimentaire : les conflits et l’insécurité, ce qui signifie que cette approche doit
auxquels sont imputables 74 millions de cas de faim tenir compte des facteurs de fragilité
extrême ; le climat et les catastrophes naturelles, liés et des dynamiques complexes,
responsables de 29 millions de cas ; et les chocs économiques, responsables de comme les migrations Sud-Sud, les
10,2 millions de cas. migrations Sud-Nord, les tensions entre
Le nombre de personnes qui ont besoin d’aide pour satisfaire leurs besoins alimentaires zones rurales et urbaines et les tensions
quotidiens n’a cessé d’augmenter ces dernières années, malgré la hausse significa- liées aux questions de régime foncier et
tive des dépenses d’aide humanitaire – passées de 16,4 milliards d’euros en 2013 à d’accès aux ressources. Si l’on n’essaye
24,3 milliards d’euros en 2017. Le rapport indique que ces ressources sont trop souvent pas d’aborder ces problèmes de façon
employées pour atténuer les effets de l’insécurité alimentaire, et pas assez en amont plus globale sur le plan systémique,
pour remédier aux causes profondes de ce phénomène. Toutefois, les auteurs du rap- il restera toujours des zones sensibles
port soulignent que les acteurs de l’aide humanitaire et du développement améliorent susceptibles de connaître des crises
aujourd’hui les mécanismes de coordination, afin de passer d’une logique d’aide à une alimentaires à l’avenir.
logique de suppression des vulnérabilités.
Quel message souhaiteriez-vous faire
Rapport mondial sur les crises alimentaires : Analyse collective pour améliorer les décisions passer ?
Par le Réseau mondial contre les crises alimentaires L’UE veut être un leader en matière
2019, 202 p. de changement, d’orientation et d’af-
Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y62snt98 fectation des ressources et des efforts
aux endroits où il convient d’accorder
la priorité aux besoins. Nous devons
absolument faire des systèmes ali-
catastrophe se produit, en particulier locale et par les États, mais aussi assurer mentaires une priorité politique. Nous
quand il s’agit d’un phénomène clima- une meilleure coordination au sein de la oublions parfois que l’agriculture et le
tique extrême. Or ce type d’événement communauté des donateurs. Tout cela développement rural ont un rôle cen-
se produira de plus en plus fréquemment nécessite une nouvelle manière de réflé- tral à jouer pour garantir le bien-être
à l’avenir, avec des répercussions catas- chir, une approche de travail repensée, et le développement des sociétés, en
trophiques qui, si rien n’est fait pour y et je pense qu’il y a un élan dans ce sens particulier dans les régions les plus
remédier, deviendront encore plus pro- parce que nous, en tant qu’Union euro- vulnérables du monde, en Afrique, en
blématiques dans les prochaines années. péenne, avec nos États membres, donnons Asie, en Amérique centrale et, sur-
Les événements récemment observés au une orientation importante. Les 2 et 3 avril tout, dans les petits États insulaires.
Mozambique, où une anomalie a pro- 2019, nous avons organisé à Bruxelles Nous voulons proposer une approche
voqué l’apparition simultanée de deux l’événement “Alimentation et agricul- de l’élaboration des politiques qui soit
cyclones, Idai et Kenneth, en sont une ture en temps de crise”. Nous voulions fondée sur les droits humains en auto-
bonne illustration. réunir les acteurs partageant une même nomisant les femmes et les jeunes et
Nous assistons à des actions conjointes vision, qui s’intéressent au RMCA et qui en créant des communautés rurales
de la part des principaux acteurs des dif- s’y engagent pour exprimer concrètement dynamiques. Ce n’est qu’en combinant
férentes dimensions du lien – c’est-à-dire l’idée suivante : “Voilà ce que nous avons des investissements des secteurs public
des acteurs de l’action humanitaire, de accompli aujourd’hui, et voici les lacunes et privé que nous pourrons créer les
l’aide au développement et du maintien qui subsistent. Unissons nos efforts pour conditions permettant aux jeunes de
de la paix. Ces actions devraient inclure combler ces lacunes et éradiquer définiti- développer des moyens de subsistance
des processus mis en œuvre à l’échelle vement les crises alimentaires.” prospères dans les zones rurales. ■

SPORE 193 | 41
PUBLICATIONS

AGROÉCOLOGIE

Face au climat, l’Afrique


saisit sa chance
Confronté à de nombreux défis, le continent peut
capitaliser une décennie de progrès et de
croissance économique pour transformer Systèmes agraires et changement climatique

son agriculture. au Sud. Les chemins de l’adaptation


Par H. Cochet, O. Ducourtieux, N. Garambois
(coord.)
Éditions Quæ, 2019, 282 p.
Yanne Boloh EAN13 : 9782759229192
39 €

A
www.quae.com
u XXIe siècle, les tempéra- financement créatifs et un engagement
tures augmentent et devraient fort du secteur privé.
continuer d’augmenter plus L’agroécologie est une des solutions
rapidement en Afrique qu’ailleurs dans pour faire face (voir Spore 192, https://
le monde. Les risques associés à ces tinyurl.com/yysh6f68). Inscrite dans
dérèglements climatiques ont donné les 17 Objectifs du développement
lieu à une publication abondante qui durable, elle nécessite toutefois un
détaille les aléas et les risques naturels engagement de tous. Car, comme l’ex-
affectant le plus les agriculteurs. Il s’agit pliquent Hubert Cochet et ses coauteurs
du manque d’eau (sécheresses, aridi- dans Systèmes agraires et changement
fication) ou de son excès (inondations, climatique au Sud, chercher à isoler un
submersion), mais aussi de la hausse des facteurs conduit à des simplifi-
des températures qui perturbe le calen- cations abusives, qui constituent trop
drier des cultures et la vie des animaux souvent les politiques publiques. Il faut Adaptation au changement climatique en
d’élevage, ainsi que les récoltes et leur en effet à la fois s’employer à réduire Afrique, synthèse des expériences et des
conservation. l’exposition aux aléas et à atténuer la recommandations du PNUD
L’Afrique est à un tournant. Alors que vulnérabilité de l’agriculteur (et, plus Rapport en anglais, résumé en français
les efforts pour atteindre les objectifs généralement, de l’agriculture) au PNUD, 2018, 100 p.
énoncés dans le Programme de déve- changement climatique, mais aussi à Pour télécharger le PDF :
loppement durable à l’horizon 2030 l’accroissement démographique, à la https://tinyurl.com/y3ts2p4m
des Nations unies et l’Accord de Paris compétition accrue pour l’accès aux
pourraient entraîner des changements ressources, à l’évolution des prix rela-
positifs après une décennie de crois- tifs et aux fluctuations des marchés, à la
sance économique, le changement dérégulation et à la baisse des soutiens
climatique menace de compromettre publics, etc.
ces progrès. Privilégier la biodiversité est ainsi un
Le Programme des Nations unies pour des points clés sur lequel peut s’appuyer
le développement a toutefois appuyé l’agriculture face aux changements,
en Afrique subsaharienne un certain estime José Graziano da Silva, direc-
nombre d’initiatives fructueuses entre teur général de la FAO. La biodiversité
2000 et 2015. Des succès remarquables doit être systématiquement prise en
ont été obtenus aux plans agricole, com- compte par le secteur agricole et faire
munautaire et national : acquisition de partie d’un changement de paradigme
semences et des techniques agricoles indispensable pour que les ressources L’intégration de la biodiversité dans tous les
résistantes, systèmes d’alerte précoce, naturelles soient gérées durablement. secteurs agricoles – rapport de synthèse sur
montée en puissance des femmes... Les agriculteurs familiaux sont d’ail- le dialogue à parties prenantes multiples
Toutefois, il est probable que les coûts leurs les premiers gardiens de cette FAO, 2019, 19 p.
de l’adaptation soient considérables, biodiversité agricole, estime le dirigeant Pour télécharger le PDF :
ce qui nécessite des mécanismes de de la FAO. ■ https://tinyurl.com/y5xkkqhp

42 | SPORE 193
Rapport du CTA
La digitalisation, un levier efficace de transformation agricole
Dans la cinquantaine de pages de son Le rapport annuel entre dans le détail de projets phares, que ce soit la
rapport annuel, le CTA met en évidence création d’emplois dans la riziculture en Afrique de l’Ouest, l’émanci-
à quel point ses actions en faveur de la pation des jeunes, notamment des jeunes femmes, pour transformer
digitalisation favorisent la transformation l’agriculture au Kenya, l’accroissement des rendements et des bé-
agricole dans les pays ACP. Au cœur de néfices en Ouganda ou bien encore la dynamisation de l’agriculture
ses programmes, la promotion de l’esprit insulaire aux Samoa par la sécurisation de débouchés. Concernant le
d’entreprise chez les jeunes et la création changement climatique, le CTA a promu l’usage de bulletins météo, de
d’emplois en milieu rural bénéficient chaque la mise en réseau, d’assurances pour le bétail et les cultures, ainsi que
fois des technologies de l’information et de l’utilisation de semences résistantes pour améliorer la résilience des
la communication (TIC). D’autres pistes de exploitations agricoles.
travail émergent, parmi lesquelles l’utilisa- Enfin, tirer les leçons des différents projets permet de s’assurer que
tion d’applications numériques et la promotion de pratiques agricoles leurs participants en bénéficient à long terme. Meilleures pratiques
intelligentes face au climat. après récolte du maïs au Rwanda, amélioration de l’accès au marché
Par ailleurs, les données chiffrées compilées dans le rapport montrent des producteurs de fruits et de légumes à Zanzibar ou bien encore pro-
que ces actions touchent largement leur cible. Ainsi, les entrepreneurs motion de la production de soja en Ouganda sont autant de projets qui
qui ont bénéficié d’une formation à l’utilisation des drones sont venus ont bénéficié des ateliers de capitalisation de l’expérience, peu coûteux
de 14 pays. Pas moins de 50 coopératives du Cameroun et de la RDC à organiser. ■
ont permis à leurs membres de se former à la bonne gouvernance.
Le projet Data4Ag a enregistré 86 298 inscriptions en Afrique de l’Est
et en Afrique australe. Ou encore : 10 827 éleveurs ont souscrit à une CTA 2018, une année en revue :
assurance bétail en Éthiopie et au Kenya… Pour une transformation de l’agriculture performante
Par ailleurs, le Pitch AgriHack a déjà permis à plus d’un million Par C. Pye-Smith (coord.), A. Legroscollard et M. Vandreck
d’agriculteurs de bénéficier des services de start-up participant à ce CTA, 2019, 48 p.
concours annuel organisé par le CTA depuis 2013. Cette année, les ISBN : 978-92-9081-649-2
femmes étaient particulièrement à l’honneur : 14 des 26 start-up qui
ont atteint la finale et la moitié des 8 entreprises lauréates sont diri-
gées par des femmes ! Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y5cfco67

Entrepreneuriat
Des success stories pour inspirer les jeunes
En Afrique, 420 millions de personnes (soit l’engraissement de porcs de race Large White à Dolo, au Burkina Faso.
60 % de la population) ont entre 15 et 35 ans. Halatou Dem a rejoint sa mère et fait fructifier l’entreprise Danaya
Un nombre qui devrait doubler d’ici à 2040. Céréales au Mali… Chaque exemple montre toujours les mêmes
Sur le continent, l’agriculture est un secteur facteurs clés de succès : ténacité et détermination du porteur de
primordial, puisqu’il représente près des deux projet. Surtout, ces jeunes entrepreneurs ont su sortir de leur zone
tiers des emplois. “Ils l’ont fait !” met ainsi en de confort, que ce soit en rompant avec la tradition qui rend difficile
évidence les réalisations de 24 jeunes en- l’accès à la terre ou avec le regard de la famille, dubitative face à un
trepreneurs promus par AgribusinessTV, une changement d’orientation après des études, par exemple. Créateurs
webtélé créée en 2016 au Burkina Faso. d’emplois et sources d’inspiration, ces jeunes interagissent avec leur
Chaque portrait traite à sa manière de questions aussi diverses et environnement et les autres jeunes susceptibles de se lancer dans le
cruciales que l'accès au financement, l'impact des actions menées sur secteur agricole. ■
l’environnement du jeune, les relations entamées avec d'autres jeunes
et l'utilisation des technologies numériques dans l'agripreneuriat.
Ces agripreneurs ont su se montrer innovants dans la production, Ils l’ont fait ! Être jeune et entreprendre dans le secteur agricole
la transformation des produits agricoles, dans les emplois verts et Par F. Grandval
la nutrition, mais aussi dans les technologies et les services. Ainsi, CTA, 2019, 172 p.
Thierno Souleymane Agne, un Sénégalais de 29 ans, a converti ses ISBN : 978-92-9081-650-8
clients à la fraise bio. De son côté, Alphonse Sié Palm s’est lancé dans Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yytqfrd2

SPORE 193 | 43
OPINION

Agriculture africaine et inves-


tissements étrangers : plus de
bénéfices que de risques ?
VENKATARAMANI SRIVATHSAN

Du commerce en Afrique, pour l'Afrique


Le secteur agricole est un moteur de distribution, les défis se résument essen- Venkataramani
croissance économique, de création tiellement au problème de la préservation Srivathsan,
d'emplois, de réduction de la pauvreté de la qualité des produits. Des entreprises directeur général pour
l'Afrique et le Moyen-
et de sécurité alimentaire en Afrique. agroalimentaires comme Olam peuvent
Orient d’Olam
La libéralisation du secteur agricole a investir dans le stockage, mais les pro- International
créé de nouvelles opportunités pour blèmes se poseront ensuite pour les ports
les investisseurs privés. Ces investisse- – très congestionnés et dont les services afin de mettre en place un environnement
ments ont donné un coup de pouce à la sont souvent inefficaces et coûteux. commercial propice au succès des entre-
croissance économique, offrant ainsi de Relever ces défis et s’attaquer à ces pro- prises et des entrepreneurs africains, tout
nouvelles chances aux petits agricul- blèmes pourrait non seulement stimuler les comme leurs homologues internationaux.
teurs du continent. échanges commerciaux mais aussi contri- Olam a développé et diversifié ses activités.
Tous les pays n’ont pas profité de buer à limiter le gaspillage alimentaire, et Nous pouvons donc affirmer qu’aujourd’hui
cette évolution favorable et, sur le front donc à améliorer la sécurité alimentaire nos activités commerciales en Afrique
des investissements, d’importants défis mondiale. Le continent possède un réel bénéficient au continent africain.
subsistent. Si le risque de change et le potentiel de croissance agricole qui peut Sachant que l’agriculture africaine
risque de contrepartie sont sans doute être exploité si la priorité est donnée à la repose en grande partie sur plus de
les deux principaux facteurs qui freinent gestion durable de ce secteur. Le secteur 35 millions de petits exploitants, tout
les investisseurs potentiels, les “échecs” agroalimentaire pourrait se développer au investissement qui ne stimule pas leur
sont généralement à mettre sur le point de “peser” 1 000 milliards de dollars productivité ne sera pas durable. Il est
compte d’un manque de préparation. (880 milliards d'euros) d'ici à 2030. En donc parfaitement justifié sur le plan
Tout investissement peut avoir un outre, la population de l’Afrique est la plus économique d’accorder une attention
coût de réputation ou de financement jeune et la croissance démographique la particulière au soutien en faveur des
considérable si le niveau de diligence plus rapide au monde. Le continent peut 2,8 millions de petits exploitants agricoles
raisonnable est insuffisant et que l’in- ainsi bénéficier d’une chance inégalée, à auprès desquels Olam s’approvisionne et
vestisseur n’est pas prêt à coopérer de condition que cette jeunesse soit convena- encore plus si l’on souhaite les aider à rele-
manière durable avec les acteurs locaux. blement instruite et formée. ver les défis auxquels ils sont confrontés.
Se fier aux assurances données par un Notre capacité à continuer d'approvision-
gouvernement ne suffit pas : les entre- Donner la priorité au capital humain ner nos clients exige que l’on aide ces
prises doivent étayer leur “permis social et à l’infrastructure agriculteurs à sortir de la pauvreté et à
d’exploitation” en évaluant elles-mêmes Cela fait trente ans qu’Olam poursuit son faire en sorte qu’ils puissent continuer à
les risques avec un tiers réputé, et réaliser développement en Afrique et contribue au produire suffisamment et durablement.
par exemple une évaluation de l’impact développement du continent. L’entreprise Si nos investissements ont eu un tel
environnemental et social de leurs acti- a investi 2,8 milliards de dollars (2,47 mil- impact, c’est parce que nous avons col-
vités et de leurs investissements. liards d'euros) dans 25 pays de l’ouest à l’est laboré avec des ONG et des institutions
et au sud. Étant donné la situation spéci- de financement du développement.
Investir prioritairement fique à chaque pays, il y a lieu de consacrer Grâce à ces alliances, nous pouvons sor-
dans les secteurs en souffrance à chacun d’eux le temps et les ressources tir ces petits exploitants de l'agriculture
De leur côté, les agriculteurs se heurtent nécessaires pour s’assurer le développe- de subsistance et changer leur situation
toujours à l’absence d’infrastructures ment de l’entreprise et du pays. sur le terrain. L’avenir laisse entrevoir
efficaces et à un accès limité au crédit et Pour y parvenir, il faut investir dans les un énorme potentiel de développement
aux marchés. Dans la transformation et la personnes, les infrastructures et le soutien économique en Afrique. ■

44 | SPORE 193
EDWARD MABAYA ET REBECCA DADZIE
Sondage
Établir un cadre Agriculture africaine
gagnant-gagnant et investissements
étrangers : les bénéfices
L’Afrique reste l’une des régions dépassent-ils les
du monde où règne le plus l’insécu-
rité alimentaire. De plus, la facture des risques ?
importations alimentaires pourrait passer
d’un peu plus de 35 milliards de dollars
(28 milliards d’euros) chaque année à Edward Mabaya, Division du développement
110 milliards de dollars (98 milliards d’eu- de l’agrobusiness, Banque africaine
ros) en 2025. de développement
Rebecca Dadzie, cadre supérieur en
86 %
Combler le retard d’investissement agribusiness, Banque africaine de développement Oui
Selon la FAO, des investissements sup-
plémentaires de plus de 80 milliards de propriétaires terriens cherchent à optimi-
dollars (71 milliards d’euros) devront être ser leurs biens, la concurrence étrangère
consentis chaque année pour atteindre les acquiert souvent les meilleures parcelles,
objectifs de réduction de la pauvreté et du
nombre de personnes dénutries en Afrique.
tandis que les agriculteurs locaux se
retrouvent avec les choix moins inté-
14 %
Malgré les objectifs du Programme détaillé ressants. Les petits exploitants agricoles Non
de développement de l’agriculture africaine sont déplacés, les terres de pâturages
et la Déclaration de Malabo, la majorité des diminuent ou disparaissent, les popula-
pays africains consacrent à l’agriculture tions rurales perdent des revenus et des
moins de 10 % de leurs dépenses publiques. moyens d’existence, et les ressources
Dans ce contexte, l’investissement étranger naturelles et la biodiversité se détériorent.
direct (IED) jouera un rôle important en Afin d’atténuer ces difficultés et
suppléant aux fonds des investissements réduire les risques, les responsables
nationaux, en stimulant la productivité et en politiques, les agences de développe-
canalisant les transferts de connaissances ment et les communautés locales ont
et de technologies vers les économies afri- besoin d’optimiser les avantages de
caines. L'IED pourrait aussi faire connaître l’investissement étranger dans l’agri-
aux pays africains de bonnes pratiques et culture. Cette approche nécessite une
des technologies de pointe. Au-delà, l’IED capacité organisationnelle pour orien-
permettra certainement l’intégration des ter les investisseurs étrangers vers les
entreprises locales dans les chaînes de projets appropriés. Son application
valeur nationales, régionales et mondiales. dépend notamment de la transparence
Les moteurs de l’augmentation des et la bonne gouvernance, des relations
investissements étrangers dans l’agricul- adéquates avec les petits exploitants
ture africaine sont notamment la demande agricoles et les communautés agraires,
croissante d’aliments dans les grands pays et de la qualité des institutions et cadres
importateurs, le besoin de garantir des institutionnels en place aux niveaux
approvisionnements alimentaires adéquats national et infranational dans les pays
à l’échelle internationale, la demande gran- bénéficiaires de l’IED. Autres débats
dissante de matières premières pour les Pour avoir le plus de chances de réus-
biocombustibles, et les préoccupations sur sier, les projets d’investissement doivent Visitez les pages Opinion sur
la vulnérabilité potentielle face à la volati- combiner les points forts de l’investisseur le site de Spore pour lire l'avis
lité des marchés alimentaires mondiaux. (capital, expertise en gestion et marketing, d'un troisième spécialiste sur
et technologie) avec ceux des agriculteurs le sujet. Un nouveau débat est
Risques et facteurs d’atténuation locaux (main-d’œuvre, terres et savoir mis en ligne tous les mois.
Des sceptiques pointent du doigt un local). Un cadre gagnant-gagnant suppose
phénomène croissant : l’acquisition de de laisser aux agriculteurs le contrôle de https://spore.cta.int/fr/opinions
vastes étendues de terres par des acteurs leurs terres, d’inciter les parties à investir
étrangers, ce qui défavorise les acteurs et dans l’amélioration des terres et de favori-
agriculteurs autochtones. Alors que les ser le développement durable. ■

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d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne et est financé par l’UE • CTA, Postbus 380, 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas • Tél. : +31 317 467 100 •
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RÉDACTION : Rédactrice en chef : Susanna Cartmell-Thorp, WRENmedia, Fressingfield, Eye, Suffolk, IP21 5SA (RU) • Rédacteur de la version française : Vincent Defait,
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