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1992
Copyright
© Presses Universitaires de France, Paris, 2015
ISBN numérique : 9782130639060
ISBN papier : 9782130440345
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement
réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion
au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de
cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon
prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute
atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les
juridictions civiles ou pénales.
Présentation
Voici la première traduction française intégrale du dernier tome
des Œuvres de Schelling publié en 1946 par Manfred Schröter.
« Reconstitution de la vie divine » telle est l'ambition de ce projet
intitulé Les âges du monde, resté inachevé dans ses différentes
versions.
Table des matières
Avertissement du traducteur (Pascal David)
Introduction
Introduction
Brouillon primitif
[187] (Idée des Ages du monde)
Brouillon d’introduction
Introduction
Livre premier - Le passé
Introduction au livre II
Feuillets XXXIa, b, XXXII
La généalogie du temps
Bibliographie
Avertissement du traducteur
Pascal David
Notes du chapitre
[1] ↑ Publiées à la hâte en 1946 (après la destruction du Nachlass manuscrit de Schelling
entreposé à l’Université de Munich, à la suite des bombardements de juillet 1944), ces
versions présentent parfois un texte fautif. Chaque fois qu’une correction nous a paru
s’imposer, nous l’avons signalé par une note du traducteur, en proposant une autre leçon.
[2] ↑ F. W. Schelling, Les Âges du monde, suivis de Les Divinités de Samothrace, trad. de S.
Jankélévitch, Aubier, Ed. Montaigne, 1949.
[3] ↑ Les Éditions Ousia ont publié en 1988 une traduction de ces premières versions, due
à Bruno Vancamp, préfacée par Marc Richir. Mais cette traduction ne propose qu’une
sélection des brouillons, projets et fragments de Schelling publiés en 1946 par Manfred
Schröter.
[I] Livre premier. Le passé (premier
tirage, 1811)
Introduction
[3] Le passé est su, le présent est connu, l’avenir est pressenti. Ce qui
est su est objet de récit, ce qui est connu objet d’exposé, ce qui est
pressenti objet de prophétie.
Selon la représentation de la science qui a eu cours jusqu’ici, celle-ci
serait une simple suite, un simple développement de concepts et de
pensées qui lui seraient propres. En vérité, elle est le
développement d’un Être (Wesen) vivant, effectif, qui en elle
s’expose.
C’est un avantage de notre temps que d’avoir rendu l’Être à la
science, et ce, il est bien permis de l’affirmer, de façon telle qu’il lui
soit désormais acquis. Ce n’est pas juger trop sévèrement de le dire :
[1]
une fois que s’est éveillé l’esprit dynamique , toute philosophie
qui n’y puise pas sa force ne peut être considérée que comme un
pur et simple abus du noble don de la parole et de la pensée.
Ce qu’il y a de vivant dans la science la plus haute ne peut être que
le vivant des origines (das Urlebendige), l’Être que nul autre ne
précède, donc le plus ancien des Êtres.
Comme rien n’est avant lui ni en dehors de lui dont il soit
susceptible de recevoir une détermination, ce vivant originel ne
peut se développer, dans la mesure où il se développe, que
librement, par une impulsion et un vouloir propres, purement à
partir de lui-même ; mais, pour cette raison précisément, non point
sans loi mais, bien au contraire, conformément à la loi [qui est la
sienne]. Il n’y a en lui rien d’arbitraire ; [4] c’est une nature au sens
plein et éminent du mot, de même que l’homme, sans préjudice de
la liberté, et même à cause d’elle, est une nature.
Après être parvenue à l’objectivité quant à sa matière, la science se
mit en quête de cette même objectivité quant à sa forme — c’est là,
semble-t-il, une suite naturelle.
Pourquoi donc cela s’est-il avéré, ou du moins s’avère-t-il jusqu’à
présent impossible ? Ce qui est su par la science la plus haute,
pourquoi cela ne peut-il se raconter au même titre et de façon aussi
simple et obvie que ce qui est su par ailleurs ? Qu’est-ce qui le
retient en arrière cet âge d’or que l’on pressent, où la vérité
redevient fable, et la fable vérité ?
Il faut reconnaître à l’homme un principe extérieur au monde, et
supérieur à ce monde ; car comment pourrait-il sinon, seul parmi
toutes les créatures, refaire en sens inverse le long chemin des
développements qui séparent le présent de la nuit des temps ?
Comment pourrait-il, lui, être le seul à remonter jusqu’au
commencement des temps s’il n’y avait en lui un principe antérieur
au commencement des temps ? Créée et puisée [2] à la source des
choses, et pareille à cette source, l’âme humaine a une con-science
(Mitwissenschaft) de la création. En elle réside la plus haute clarté
de toutes choses, et elle est moins sachante qu’elle-même science.
Mais ce principe supérieur au monde n’est pas libre en l’homme, il
ne s’y trouve pas non plus dans sa pureté [3] originelle. Il y est lié à
un autre principe qui est moindre. Cet autre principe est lui-même
un produit du devenir, il est donc, par nature, non sachant et
obscur ; par son obscurité, il obscurcit nécessairement le principe
supérieur auquel il est lié. Celui-ci garde le souvenir de toutes
choses, de leurs rapports originels, de leur devenir, de leur
signification. Mais cette image originelle, ce proto-type (Ur-bild) des
choses, sommeille dans l’âme comme une image obscurcie et
oubliée, sinon tout à fait éteinte. Peut-être ne retrouverait-elle
jamais sa vivacité s’il n’y avait, dans le principe obscur lui-même,
un pressentiment et une nostalgie de la connaissance. Mais sans
cesse appelé par ce dernier à l’anoblir, le principe supérieur
remarque que l’inférieur ne lui est pas accolé pour l’entraver, mais
au contraire pour qu’il dispose d’un autre que lui où il puisse lui-
même se contempler, s’exposer et accéder à sa propre
compréhension. Car en lui-même [5] tout est indifférencié,
simultané, car il est un, tandis qu’en l’autre il peut différencier,
exprimer, disjoindre ce qui en lui est un. C’est pourquoi tous deux
aspirent également à la séparation ; celui-ci afin d’être rapatrié en
sa liberté originelle et de devenir à lui-même manifeste ; celui-là
afin de pouvoir être fécondé par lui et devenir lui aussi, encore que
d’une tout autre manière, sachant.
Cette séparation, ce dédoublement de nous-mêmes, ce secret
commerce entre deux êtres dont l’un pose les questions auxquelles
l’autre répond, l’un qui sait ou, bien plutôt, qui est la science même,
et l’autre qui ne sait pas et lutte pour la clarté, ce dialogue intime [4] ,
donc — tel est le véritable secret du philosophe dont le dialogue
extérieur, qui pour cette raison s’appelle dialectique, n’est que la
réplique ; là où celle-ci devient purement formelle, il n’en est que
l’apparence et l’ombre.
Ainsi, tout ce qui est su est par nature objet de récit ; mais ce qui est
su n’est pas ici quelque chose qui serait déjà là tout prêt depuis le
début, mais ne surgit chaque fois que de l’intériorité. C’est par
séparation et libération intérieures que la lumière de la science doit
nécessairement se lever avant de pouvoir devenir extérieure. Ce
que nous appelons science n’est d’abord qu’un effort vers la reprise
de conscience, donc plutôt une aspiration à la science que la science
elle-même ; c’est sans conteste pour cette raison que ce grand
homme de l’Antiquité lui a donné le nom de philosophie. Car
l’opinion entretenue de temps à autre selon laquelle la philosophie
pourrait enfin, grâce à la dialectique, se transformer en une science
effective est une opinion qui trahit des vues quelque peu bornées :
l’existence même et la nécessité de la dialectique, en effet, sont
précisément là pour attester que la philosophie n’est encore
[5]
aucunement une science effective .
À cet égard, le philosophe se trouve au fond dans une situation qui
ne diffère pas de celle de tout autre historien. Car celui-ci a besoin,
lui aussi, d’exercer tout d’abord un art consommé du discernement,
ou critique, pour séparer le vrai du faux, et le juste de l’erroné dans
les documents transmis et conservés. De même, le philosophe a
besoin au plus haut point d’exercer en lui-même cet art de la
séparation, dont relève ce que l’on a coutume de dire à son sujet :
qu’il doit chercher à se libérer [6] des concepts et des singularités de
son temps, entre autres exigences sur lesquelles il serait trop long
de s’étendre ici.
Tout, absolument tout, même ce qui par nature est extérieur, doit
d’abord nous être devenu intérieur pour que nous soyons à même
de l’exposer de façon extérieure et objective. Si l’époque reculée que
l’historien se propose de nous dépeindre ne ressuscite pas en lui, il
ne l’exposera jamais de façon parlante, vraie, vivante. Que serait
tout le savoir de l’historien si un sens interne ne lui venait en aide ?
Il serait ce qu’il est chez beaucoup, qui savent bien, pour l’essentiel,
tout ce qui s’est passé, mais n’entendent strictement rien à l’histoire
proprement dite. Or les événements humains ne sont pas les seuls à
avoir leurs monuments : l’histoire de la nature a elle aussi les siens,
et l’on peut dire que jamais elle ne quitte une étape, tout au long de
son chemin créateur, sans y laisser une marque de son passage.
Pour la plupart, ces monuments de la nature sont sous nos yeux, ils
ont été soumis à maintes explorations, et quelques-uns sont même
effectivement déchiffrés. Et cependant ils ne nous parlent pas <et>,
mais au contraire restent lettre morte aussi longtemps que cette
suite d’actions et de productions n’a pas été intériorisée par
l’homme : c’est par l’intériorisation que commence tout savoir,
toute saisie conceptuelle.
[6]
Or certains ont affirmé qu’il était possible de laisser de côté cet
élément subordonné et de supprimer en nous toute dualité, en sorte
que nous ne serions pour ainsi dire qu’intérieurs, vivant
entièrement dans le supra-mondain. Et qui ira nier la possibilité
d’une telle transposition de l’homme dans son principe supra-
mondain et, par conséquent, d’une élévation de toutes les forces de
son être (Gemüthskräfte) à l’état de pure contemplation ? Tout ce
qui forme un tout, que ce tout soit physique ou moral, a besoin,
pour se conserver, d’être réduit de temps à autre à son plus intime
commencement. Toujours l’homme rajeunit et ressuscite par le
sentiment qu’il a de l’unité de son Être. C’est dans un tel sentiment
qu’en particulier le chercheur puise continuellement des forces
neuves. Le poète n’est pas seul à connaître de tels ravissements, le
philosophe a lui aussi les siens. Et il en a besoin, afin que le
sentiment de l’indescriptible réalité de ces représentations le
préserve des concepts forcés d’une dialectique vide et terne. Ce qui
ne revient pas pour autant à exiger la permanence de cet état
contemplatif, car ce [7] serait aller à l’encontre de la nature et de ce
qui détermine la vie présente. De quelque manière en effet qu’on
envisage ses rapports avec la vie qui l’a précédée, on en revient
toujours à la constatation suivante : ce qui, en celle-ci, était réuni de
façon indissociable se trouve déployé et en partie dissocié en cette
vie. Nous ne vivons pas dans la contemplation ; notre savoir n’est
pas d’un seul tenant (ist Stückwerk), ce qui veut dire qu’il doit
s’engendrer de manière fragmentaire, au gré de sections et d’étapes,
ce qui ne peut se faire en se passant de réflexion [7] .
C’est pourquoi le but ne peut être atteint dans la seule
contemplation. Car dans la contemplation comme telle
l’entendement est absent. Dans le monde extérieur aussi, tous
voient plus ou moins la même chose, mais tous ne sont pas capables
d’exprimer ce qu’ils voient. Chaque chose parcourt certains
moments pour parvenir à son accomplissement — toute une série
de processus où l’ultérieur s’engrène dans l’antérieur et le porte à
sa maturité. Ce parcours, dans la plante par exemple, le paysan [8] le
voit aussi bien que le savant, sans que pour autant il le connaisse à
proprement parler ; il n’est pas capable en effet d’en dissocier les
moments, de les séparer, de les considérer dans leur opposition
réciproque. De la même façon, l’homme peut parcourir en lui-même
et pour ainsi dire éprouver immédiatement cette suite de processus
à la faveur desquels la plus grande simplicité de l’Être engendre, à
la fin du parcours, une diversité infinie, et même, pour parler
précisément, c’est en lui-même qu’il lui faut faire l’expérience de
ces processus dans leur consécution. Mais tout ce qui est
expérience, sentiment, contemplation est par soi-même muet, et
requiert la médiation d’un organe pour trouver à s’exprimer. Que
cet organe fasse défaut à celui qui contemple, ou soit
intentionnellement repoussé par lui, à dessein de ne parler qu’à
partir de la contemplation et sans autre intermédiaire, et le
contemplateur perdra la mesure qui lui est nécessaire : dès lors il
ne fait qu’un avec l’objet et se confond aux yeux d’un tiers avec
l’objet lui-même ; c’est pourquoi il n’est pas maître de ses pensées,
et perd toute assurance dans ses vains efforts pour exprimer
l’inexprimable ; il lui arrive bien de tomber juste [9] , mais il n’en est
pas certain, dans son incapacité à ériger fermement face à lui et à
contempler dans son entendement, comme en un miroir, ce sur
quoi il tombe.
À aucun prix, donc, il ne faut renoncer à ce principe extérieur ; car
tout doit d’abord nécessairement être l’objet d’une réflexion
effective afin de pouvoir être exposé de la façon la plus haute. C’est
ici que [8] passe la ligne de démarcation entre la théosophie et la
philosophie, que tout ami de la science s’attachera à maintenir dans
toute sa netteté. La théosophie l’emporte autant sur la philosophie
par la profondeur, la plénitude et la vivacité du contenu, que l’objet
réel sur l’image qu’on y confronte, que la nature sur son
exposition ; la différence va même jusqu’à interdire toute
comparaison si la philosophie prise comme terme de comparaison
est une philosophie qui cherche l’Être (Wesen) dans des formes et
des concepts, c’est-à-dire une philosophie morte. D’où la
prédilection qu’éprouvent pour la théosophie les âmes
intérieures [10] , qui s’explique tout aussi aisément que la
prédilection pour la nature par opposition à l’art. Car les systèmes
théosophiques ont, sur tous ceux qui ont eu cours à ce jour, un
avantage insigne : au moins, il y a place en eux pour une nature,
même si cette nature n’est pas maîtresse d’elle-même, à l’opposé des
autres systèmes, où il n’y a qu’absence criante de nature (Unnatur)
et pur artifice. Mais la plénitude et la profondeur de vie sont aussi
peu inaccessibles à une science bien comprise qu’à l’art bien
compris la nature ; ce n’est que peu à peu que la science parvient à
cette plénitude et à cette profondeur de vie, médiatement, et par
une progression procédant par étapes, en sorte que celui qui sait
reste toujours distinct de son objet, ce dernier restant à son tour
séparé et devenant l’objet d’une contemplation sereine, jouissant
calmement de ce qu’elle contemple.
Toute science doit donc passer par la dialectique. Mais n’y a-t-il pas
un moment où elle devient libre et vivante, comme l’est, pour
l’historien, l’image d’une époque en face de laquelle il oublie ses
recherches ? Le souvenir du tout début (Urbeginn) des choses ne
peut-il à nouveau devenir si vivant que la science — qui, par son
objet, et comme son nom l’indique, est histoire — le devienne même
d’après sa forme extérieure ; et que le philosophe, semblable en ceci
au divin Platon, qui est dialectique tout au long de ses œuvres, mais
devient historique à leur sommet, dans leur ultime
transfiguration [11] , que le philosophe, donc, puisse, lui aussi,
revenir à la simplicité de l’histoire ?
Il semble avoir été réservé à notre époque d’ouvrir à jamais la voie
à cette objectivité de la science. Tant que celle-ci reste bornée au
domaine intérieur, il lui manque le moyen naturel d’une exposition
extérieure. C’est maintenant qu’après bien des égarements s’est
ravivé pour la science le souvenir de la nature et du temps où elle
ne faisait qu’un avec elle. Mais [9] on ne s’en tint pas là. À peine eût-
on fait les premiers pas vers la réunion de la philosophie avec la
nature que l’on dut reconnaître la haute antiquité du physique, et
reconnaître que, loin d’être le dernier, celui-ci est bien plutôt le
premier en date, que c’est par lui que commence tout
développement, y compris le développement de la vie divine.
Depuis lors, la science n’a plus son début dans l’éloignement des
concepts abstraits pour descendre ensuite de ces concepts vers le
naturel ; commençant, à l’inverse, par l’existence (Daseyn)
inconsciente de l’éternel, elle l’élève à la plus haute transfiguration
dans une conscience divine. Les pensées supra-sensibles reçoivent
désormais une force et une vie physique, et inversement, la nature
devient de plus en plus l’expression visible des concepts suprêmes.
On verra bientôt disparaître le mépris et la condescendance avec
lesquels les ignorants, et eux seuls du reste, considèrent encore tout
ce qui est physique ; la parabole de la pierre que les maçons ont
rejetée et qui est devenue pierre angulaire [12] se vérifiera encore
une fois. La popularité que l’on recherche si souvent en vain
viendra alors d’elle-même. Aucune différence ne subsistera plus
entre le monde de la pensée et celui de la réalité effective. Il n’y
aura plus qu’un monde, et la paix de l’âge d’or s’annoncera d’abord
dans la liaison harmonieuse de toutes les sciences.
Dans ces perspectives, que le présent écrit s’efforcera à bien des
égards de justifier, il est bien permis d’oser une tentative souvent
méditée, et qui constitue une sorte d’entraînement à cette future
exposition objective de la science. Peut-être est-il encore à venir, ce
chantre du plus grand poème héroïque, embrassant dans son esprit,
comme les voyants de la haute Antiquité en eurent la renommée, ce
qui fut, ce qui est et ce qui sera [13] . Mais le temps n’est pas encore
venu. Nous ne devons pas méconnaître notre temps. En
annonciateurs de ce temps à venir, nous ne voulons pas cueillir son
fruit avant qu’il ne soit mûr, ni non plus méconnaître le nôtre.
Notre temps est encore celui de la lutte. Le but de la recherche n’est
pas encore atteint ; la science doit encore être portée et
accompagnée par la dialectique, comme la parole par le rythme.
Nous ne pouvons pas être des narrateurs mais seulement des
chercheurs, pesant le pour et le contre de toutes les opinions jusqu’à
ce que l’opinion juste tienne bon, indubitable, à jamais enracinée.
Notes du chapitre
[1] ↑ Dimension dynamique « ressuscitée par Kant », selon le début des Recherches de
1809, mais au profit d’un « mécanisme supérieur » où la nature n’est pas reconnue « dans
son identité avec le spirituel » — SW, VII, 233 = OM, p. 121. Le mot « dynamique » se
retrouve en bonne place p. [107], à la fin de cette version de 1811, à propos des preuves de
l’existence de Dieu recensées par Kant dans la Critique de la raison pure.
[2] ↑ C’est la parenté, en allemand, entre schöpfen et schaffen qui guide le mouvement de
cette phrase : puiser et créer.
[3] ↑ Lauterkeit (plutôt que Reinheit) : ce terme appartient au vocabulaire mystique, de
Maître Eckhart à Angélus Silesius ; cf. p. ex. Pèlerin chérubinique, I, 95 ; II, 12 et 70. Très
fréquent dans Les Ages du monde, auxquels il n’est pas sans donner parfois une certaine
tonalité mystique ou théosophique, ce terme sera rendu par pureté ou par limpidité (cf.
espagnol limpieza).
[4] ↑ « Dialogue » en référence à Platon, qui est de loin l’auteur le plus fréquemment cité
par Schelling dans Les Âges du monde (cf. notre Index nominum). Le « véritable secret du
philosophe » n’est autre que ce « dialogue intime et aphone de l’âme avec elle-même »
évoqué par le Sophiste (263e ; cf. aussi Théétète, 189e). Il n’en reste pas moins que le
« grand homme de l’Antiquité » semble viser Pythagore, si l’on se réfère au passage suivant
des Leçons sur la méthode des études académiques (trad. fr., p. 49 = SW, V, 217) : « Les
historiens de la philosophie racontent de Pythagore qu’il a pour la première fois changé le
nom jusque-là usuel de la science — σοφία — en celui de φιλοσοφία — amour de la sagesse
—, pour cette raison que personne n’est sage hormis Dieu. »
[5] ↑ C’est le projet même de Hegel dans la Préface au Système de la science — que la
philosophie « puisse déposer son nom d’amour de la sagesse pour être savoir effectif » —
qui se trouve rabaissé ici au niveau d’une « opinion ». Schelling joue en quelque sorte
Pythagore contre Hegel. Contre Hegel, mais aussi contre Fichte, Schelling s’est toujours
prononcé, dès ses premiers écrits, en faveur du maintien du nom de philosophie — cf. SW,
I, 307 n. == Premiers écrits, p. 178. Sur la question de la « rupture » entre Schelling et Hegel,
cf. X. Tilliette, « Hegel et Schelling à Iéna » ainsi que « Schelling contre Hegel », in L’Absolu
et la philosophie. Essais sur Schelling,PUF, 1987.
[6] ↑ C’est de façon générale aux mystiques, et plus spécialement sans doute à Jacob
Böhme, que Schelling fait ici allusion.
[7] ↑ Cette dernière phrase, ainsi que le paragraphe qui suit seront repris presque mot
pour mot dans les Leçons de Munich sur l’histoire de la philosophie moderne — SW X, 187-
189 = Contribution à l’histoire de la philosophie moderne, trad. J.-F. Marquet, PUF, 1983, p.
206-207.
[8] ↑ « J’ai plus appris de la physique des paysans que dans celle des salles de cours des
savants » : SW, IX, 26 = Clara, trad. E. Kessler, L’Herne, 1984, p. 59. Cf. aussi Louis-Claude de
Saint-Martin, L’Homme de désir, Ed. Du Rocher, 1979, p. 33 : « C’est avec la mort que vous
composez la vie ; vous prenez toute votre physique dans les cimetières. »
[9] ↑ Was er trifft, das trifft er — jeu de mots sur treffen, à la fois tomber par hasard sur
quelque chose, mais aussi tomber juste, « tomber bien ». Même expression, assortie de
guillemets et de la mention de Jacob Böhme en SW, X, 187 = trad. fr. citée p. 206.
[10] ↑ « Ames intérieures » (innige Gemüther) : l’expression a cours en français à l’époque
de Schelling, c’est ainsi que s’appelait une secte piétiste de Lausanne à laquelle Benjamin
Constant fait allusion dans sa Cécile (cf. Œuvres, Ed. Pléiade, p. 173).
[11] ↑ « Du moins est-ce ainsi que Schleiermacher voit le Timée » précise, dans un même
contexte, la Sixième Leçon de la Philosophie de la Révélation en SW, 6 Ε 100.
[12] ↑ Matth. 21, 42, qui cite les Psaumes, 118, 22.
[13] ↑ Cf. Homère, Iliade, Chant I, v. 70, à propos du devin Calchas.
Livre premier. Le passé
Notes du chapitre
[1] ↑ R.m. : A utiliser pour la préface aux A.d.M.
[2] ↑ prétendus S.
[3] ↑ affirmé S.
[4] ↑ non-pensée S.
[5] ↑ ; combien peuvent-ils se féliciter d’un tel passé ? S.
[6] ↑ cependant.
[7] ↑ Ecclésiaste I, 9-10. (Cf. H. Meschonnic, Les Cinq Rouleaux, Gallimard, 1970, p. 136.)
[8] ↑ remplacé par S. par l’alinéa correspondant dans le second tirage (cf. infra, p. [120]).
(Note de l’éditeur.)
[9] ↑ Cf. infra, p. [107]. Basis (plutôt que Grundlage) : le terme fait écho au vocabulaire de
la chimie et de l’alchimie. Cf. TILLIETTE, 1, 524, n. 67 ; 526, n. 71-72.
[10] ↑ le véritable fondement et le commencement même de S.
[11] ↑ Être étant par lui-même.
[12] ↑ qu’il reconnaît finalement.
[13] ↑ justement S.
[14] ↑ est ce qui porte la création présente, et qui est toujours abrité en son fondement. S.
[15] ↑ Kein Nu : terme familier à la mystique allemande, qui donne son titre, par exemple,
à un distique d’Angelus Silesius : Im Nu.
[16] ↑ à vrai dire S.
[17] ↑ profondeurs S.
[18] ↑ du.
[19] ↑ par-delà tout temps.
[20] ↑ plus pure.
[21] ↑ est.
[22] ↑ rien.
[23] ↑ Quel est cet Ancien ? « L’ “Ancien” peut être tout ce qu’on veut, de l’Antiquité au
XVIIIe siècle. L’idée de souveraineté est stoïcienne, le “royaume de l’âme”. Cette royauté sur
les passions est notamment exprimée par Sénèque, lettre 114 a Lucilius. À partir de là il
faudrait chercher dans le courant stoïcien, mais peut-être aussi dans la mystique de la
Gelassenheit : Eckhart, Tauler, théologie germanique… », nous écrit le Père X. Tilliette
(5 juillet 1988).
[24] ↑ Cf. Angélus Silesius, « La vie royale » (in Der Cherubinische Wandersmann, éd.
Diogenes, p. 67) :
Gib deinen Willen Gott, denn wer ihn aufgeben,
Derselbe führt allein ein königliches Leben.
[121] ↑ « Le mystère est pour les heureux, dit Schiller » : Ire Leçon de la Philosophie de la
Révélation, SW, 6 Ε 12.
[122] ↑ Cf. le début des Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. V. Delbos revue
par A. Philonenko, Vrin, p. 56.
[123] ↑ Gegenstand… etwas Widerstehendes : Schelling entend ici Gegenstand dans sa
première acception en allemand, qu’on trouve par exemple chez Luther (cf. Heidegger,
Nietzsche, II, Neske, Pfullingen, 1961, p. 461) : ce qui se tient face à… La Critique de la raison
pure définit le Gegenstand comme « etwas, was… dawider steht » (A. 104), « quelque chose
qui se tient là contre ». Gegenstand n’a pas toujours été la tradution allemande d’objectum.
[124] ↑ C’est Fichte qui est visé ici, et notamment la fin de ses Conférences de 1794 Sur la
destination du savant, auxquelles s’en prenait déjà, en 1802, la Première des Leçons sur la
méthode des études académiques — SW, V, 218 = trad. fr. J.-Fr. Courtine et J. Rivelaygue, in
Philosophies de l’Université, Payot, 1979, p. 50 : « L’action, l’action ! Tel est le cri qui
résonne de tous côtés, mais la voix la plus forte est celle de ceux chez qui le savoir
n’avance guère. »
[125] ↑ passibes, coquille pour passives.
[126] ↑ Vocabulaire de J. Boehme, et à vrai dire des mystiques et alchimistes allemands en
général ; sur cette Schärfe, « acuité » ou encore « astringence » chez Louis-Claude de Saint-
Martin, cf. TILLIETTE, I, 526, n. 71.
[127] ↑ En français dans le texte. (N.d.T.)
[128] ↑ Cf. par exemple Leibniz, Nouveaux Essais, liv. II, chap. XXI, 19 : « On ne saurait
vouloir que ce qu’on trouve bon », ou Théodicée, art. 149 : « La volonté ne va qu’au bien. »
Mais l’idée remonte sans doute à Platon : « Nul n’est méchant volontairement. »
[129] ↑ Matth. X, 39 ; Marc VIII, 35 ; Luc IX, 24 ; XVII, 33 ; Jn XII, 25. Cette « doctrine
grandiose » se trouve également citée dans les Leçons d’Erlangen — SW, IX, 217 = OM, p.
279.
[130] ↑ I Rom. VIII, 20 ; seule la fin du verset, dans la phrase suivante, est citée
littéralement dans la traduction de Luther. Vulgate : Vanitati enim creatura subjecta est non
volens, sed propter eum, qui subiecit eam in spe.
[131] ↑ Cf. Timée, 48 a 4.
[132] ↑ Timée, 30 A.
[133] ↑ Qual — mot très important chez J. Boehme, apparenté à Quelle (la source) ou
encore à Qualität. Wahl ist Qual : proverbe allemand.
[134] ↑ Lire die nämlichen au lieu de dien ämlichen.
[135] ↑ Cette exigence d’une résolution pratique, et non simplement théorique, de
l’homme dans son rapport au savoir se fait jour dès les premiers écrits de Schelling — cf.
par exemple la VIe des Lettres sur le dogmatisme et le criticisme. C’est ce qui faisait dire au
Fichte de la Première Introduction à la Doctrine de la Science : « Ce que l’on choisit comme
système philosophique dépend de l’homme que l’on est. »
[136] ↑ Sur cette question du non-savoir socratique, cf. les Leçons d’Erlangen, SW, IX, 239,
ainsi que la VIe Leçon de la Philosophie der Offenbarung, p. 99.
[137] ↑ Kant — pour ne pas le nommer —-, dans la Critique de la raison pure.
[138] ↑ « Il n’y aurait rien à objecter à cet argument, à condition de bien s’entendre sur
l’idée d’existence nécessaire et de n’y comprendre rien d’autre que l’opposé de l’existence
contingente », dira encore, bien plus tard, la Contribution à l’histoire de la philosophie
moderne, SW, X, 15, trad. fr. citée, p. 27. Descartes n’a pas démontré l’existence de Dieu, il a
démontré que, si Dieu existe, Il ne peut exister que nécessairement. Le Dieu de la IIIe
Méditation se prête donc à l’interprétation en termes mystiques (ceux de Boehme et de
Silesius) que va en donner Schelling. Le séjour bavarois de Descartes est au moins aussi
important, aux yeux de Schelling, que sa naissance entre Touraine et Poitou — cf. sur cette
question la Contribution, p. 20, ainsi que le commentaire qu’en donne J.-F. Marquet
dans« Schelling et l’histoire de la philosophie. Essai d’interprétation génétique », ibid., p.
274.
[139] ↑ Comme Novalis («Wir suchen überall das Unbedingte und finden nur die Dinge »),
Schelling tient au rapport entre Ding, la chose par définition toujours conditionnée, et das
Unbedingte, l’inconditionné, ce qui ne peut jamais être posé comme chose — au point de
voir dans le mot Bedingen (à la fois « conditionner » et « rendre chose ») « presque tout le
trésor de la vérité philosophique » — cf. Vom Ich, § 3, SW, I,166 = Premiers écrits, p. 67.
[140] ↑ Ici encore (cf. supra, p. [12]) Basis plutôt que Grundlage : le nécessaire est moins ce
sur quoi s’élève le libre que ce contre quoi il « réagit » en s’en libérant, au sens où Schelling
a pu dire ailleurs de la folie qu’elle est « la base de l’entendement » — Conférences de
Stuttgart, SW, VII, 470 = OM, p. 246.
[II] Livre premier. Le passé
(deuxième tirage, 1813)
Introduction
[ III] Le passé est su, le présent est connu, l’avenir est pressenti.
Ce qui est su est objet de récit, ce qui est connu objet d’exposé, ce
qui est pressent objet de prophétie.
La science est, comme son nom (Wissenschaft) l’indique, histoire
(ἱστορία). Elle ne pouvait l’être aussi longtemps qu’elle a été prise
pour une simple suite, un simple développement de pensées et de
concepts qui lui seraient propres. C’est un avantage de notre temps
que d’avoir rendu l’Etre à la science, et ce, il est bien permis de
l’affirmer, de façon telle qu’elle ne puisse de sitôt en être à nouveau
dépossédée. C’est dorénavant le développement d’un Etre effectif,
vivant, qui en elle s’expose.
Ce qu’il y a de vivant pour la science la plus haute ne peut être que
le vivant originel, l’Etre que nul autre ne précède, donc le premier
ou le plus ancien des Etres.
Comme rien n’est avant lui ni en dehors de lui dont il soit
susceptible de recevoir une détermination, ce vivant originel ne
peut se développer, dans la mesure où il se développe, que
librement, par une impulsion et un vouloir propres, purement à
partir de lui-même ; mais, pour cette raison précisément, non point
sans loi mais, bien au contraire, conformément à la loi [qui est la
sienne]. Il n’y a en lui rien d’arbitraire ; c’est une nature au sens
plein et éminent du mot, de même que l’homme, sans préjudice de
sa liberté, et même à cause d’elle, est une nature.
[112] Après être parvenue à l’objectivité quant à sa matière, la
science se mit en quête de cette même objectivité quant à sa forme
— c’est là, semble-t-il, une suite naturelle.
De tout temps la philosophie a tenté d’outrepasser les limites du
monde et par là du temps présent, d’expliquer la première
provenance des choses, et ainsi elle s’est tournée vers le passé au
sens éminent du terme. Pourquoi donc cela s’est-il avéré, ou du
moins s’avère-t-il jusqu’à présent impossible qu’elle soit aussi quant
à sa forme cette histoire qu’elle est déjà par son nom et par sa
matière ? Si ce qui est su est objet de récit, pourquoi donc ce qui est
su par la science la plus haute ne se peut-il raconter au même titre
et de façon aussi simple et obvie que le reste ? Qu’est-ce qui le
retient en arrière, cet âge d’or que l’on pressent, où la vérité
redevient fable, et la fable vérité ?
Il faut accorder à l’homme un être extérieur au monde, et supérieur
à ce monde ; car comment pourrait-il sinon, seul parmi toutes les
créatures, refaire en sens inverse le long chemin des
développements qui séparent le présent de la nuit des temps ?
Comment pourrait-il, lui, être le seul à remonter jusqu’au
commencement des choses s’il n’y avait en lui un principe antérieur
au commencement des temps ? Créé et puisé à la source des choses,
et pareil à cette source, ce qu’il y a d’éternel en l’âme a une
connaissance centrale [1] de la création.
Cet être extérieur et supérieur au monde qu’il faut accorder à
l’homme est le lien qui le rend capable d’entrer immédiatement en
rapport avec le passé le plus ancien comme avec l’avenir le plus
éloigné, parce qu’il contient le temps à l’état d’enveloppement. Dans
quelles merveilleuses correspondances, dans quels intimes nœuds
de relations ne se voit-il pas souvent transposé par ce lien intime,
lorsqu’un instant présent lui semble s’être déjà produit il y a fort
longtemps, ou quand il a l’impression d’avoir été témoin d’un
événement ayant eu lieu dans un lointain passé [2] !
C’est en lui que repose l’insondable temps primitif ; mais bien qu’il
garde fidèlement le trésor d’un passé sacré, en lui-même il reste
muet et ne peut exprimer ce qu’il renferme en lui.
Et jamais ce qu’il renferme en lui ne s’ouvrirait si un autre élément
ne lui était associé, qui, lui, est le fruit du devenir, et de ce fait
nescient par nature et pour ainsi dire éternellement jeune, comme
l’étaient [113] les Hellènes selon le prêtre égyptien [3] . Pour parvenir
à la science des choses passées, il lui faut donc s’adresser à cet
oracle intérieur, unique témoin du temps d’avant le monde.
Mais celui-ci ne se sent pas moins attiré par celui-là. En lui repose le
souvenir de toutes choses, de leurs rapports originels, de leur
devenir, de leur signification. Mais cet arché-type (Ur-Bild) des
choses sommeille en lui. Non pas certes comme une image éteinte et
oubliée, mais comme une image qui ne fait qu’un avec son être
propre, qu’il ne peut effacer ni retrancher de lui-même. Elle ne se
réveillerait assurément jamais si ne résidaient dans le principe
nescient lui-même le pressentiment et la nostalgie de la
connaissance. Mais sans cesse appelé par l’inférieur à se
perfectionner, le supérieur remarque que cet inférieur ne lui est
pas accolé pour le maintenir dans l’inaction, mais au contraire afin
qu’il dispose d’un organe où il puisse lui-même se contempler,
s’exprimer et accéder à sa propre compréhension ; car en lui-même
tout est indifférencié, simultané, car il est un, tandis qu’en l’autre il
peut différencier et disjoindre ce qui en lui est
<différenciable> [4] . [5]
Il y a donc en l’homme quelque chose qui doit être ramené à la
mémoire et quelque chose qui le ramène à la mémoire ; quelque
chose en quoi se trouve la réponse à toute question amenée par une
recherche, et quelque chose qui puise en ce dernier la réponse ;
celui-ci est affranchi de tout et il est en son pouvoir de tout penser,
mais il est lié par l’être le plus intime et ne peut rien tenir pour vrai
sans l’assentiment de ce témoin. L’être le plus intime, en revanche,
est originellement lié et ne peut se déployer ; mais par l’autre il se
libère et s’ouvre à lui. C’est pourquoi tous deux aspirent également
à leur séparation, l’un afin d’être rendu à son savoir originel et
inné, l’autre afin d’être fécondé par lui et de devenir lui aussi,
encore que d’une tout autre manière, sachant.
Cette séparation, ce dédoublement de nous-mêmes, ce secret
commerce entre deux êtres dont l’un pose les questions auxquelles
l’autre répond, l’un qui ne sait pas et qui est en quête du savoir et
l’autre qui sait [114] mais sans savoir qu’il sait, ce calme dialogue,
cet art du dialogue intérieur — tel est le véritable secret du
philosophe dont l’art extérieur, qui pour cette raison est nommé
[6]
dialectique, n’est que la réplique ; là où celle-ci devient purement
formelle, elle n’en est que l’apparence et l’ombre.
Ainsi tout ce qui est su est par nature objet de récit ; mais ce qui est
su n’est pas ici quelque chose qui serait déjà là tout prêt depuis le
début, c’est quelque chose qui naît toujours de l’intériorité par un
procès tout à fait spécifique. C’est par séparation et libération
intérieure que la lumière de la science doit nécessairement se lever
avant de pouvoir resplendir extérieurement. Quant à sa forme, la
science requise serait l’histoire ; mais ce que nous nommons ainsi
n’est qu’un effort vers la reprise de conscience, donc plutôt une
aspiration à la science que la science elle-même ; c’est sans conteste
pour cette raison que ce grand homme de l’Antiquité lui a donné le
nom de philosophie. Car l’opinion soutenue de temps à autre selon
laquelle la dialectique en son plus haut achèvement pourrait être
considérée comme la science même est une opinion qui trahit des
vues quelque peu bornées ; l’existence même et la nécessité de la
dialectique attestent précisément, en effet, que la véritable science
(ἱστορία) n’est pas encore trouvée.
À cet égard, le philosophe se trouve au fond dans une situation qui
ne diffère pas de celle de tout autre historien. Car celui-ci doit lui
aussi, pour ce qu’il désire savoir, interroger d’anciens documents ou
encore la mémoire de témoins encore en vie. Il lui est nécessaire à
lui aussi d’exercer un art consommé de la critique, ou de la
séparation, pour démêler et dégager le pur fait dans la confusion
des informations dont il dispose, et séparer le vrai du faux,
l’authentique de l’inauthentique dans ce qui a été transmis. Il a
besoin également au plus haut point de se séparer de lui-même, de
se tenir à distance du présent, de se vouer au passé afin de se
libérer des concepts et des particularités propres à son temps.
Et surtout, rien ne peut accéder immédiatement à la conscience, pas
même le donné extérieur, qui n’ait d’abord été intériorisé. Si
l’époque reculée que l’historien se propose de nous dépeindre ne
ressuscite pas elle-même en lui, il ne l’exposera jamais de façon
vraie, parlante, vivante. [115] Que serait toute la science historique
si un sens interne ne lui venait en aide ? Elle serait ce qu’elle est
chez beaucoup, qui savent certes beaucoup de choses sur tout ce qui
s’est passé, mais n’entendent strictement rien à l’histoire
proprement dite. Or les événements humains ne sont pas les seuls à
avoir leurs monuments : l’histoire de la nature a elle aussi les siens,
et l’on peut dire que jamais elle ne quitte une étape, tout au long de
son chemin créateur, sans y laisser une marque de son passage.
Pour la plupart, ces monuments de la nature sont là, sous nos yeux,
ils ont été soumis à maintes explorations, et quelques-uns ont même
été effectivement déchiffrés. Et cependant ils ne nous parlent pas,
mais au contraire restent lettre morte aussi longtemps que cette
suite d’actions et de productions n’a pas été intériorisée par
l’homme : tout reste donc inaccessible à l’homme tant qu’il ne l’a
pas intériorisé, c’est-à-dire tant qu’il ne l’a pas reconduit
précisément à ce que son être recèle de plus intime, qui lui est pour
ainsi dire le vivant témoin de toute vérité.
Or de tout temps certains ont estimé qu’il était possible de laisser
complètement de côté cet instrument extérieur et de supprimer en
nous toute dualité, en sorte que nous ne serions pour ainsi dire
qu’intérieurs, vivant entièrement dans le supra-mondain. Et qui ira
nier purement et simplement la possibilité d’une telle transposition
de l’homme dans son principe supra-mondain et, par conséquent,
d’une élévation de toutes les forces de son âme à l’état de
contemplation ? Tout ce qui forme un tout, physique ou moral, a
besoin, pour se conserver, d’être réduit de temps à autre à son plus
intime commencement. Toujours l’homme rajeunit et ressuscite par
le sentiment qu’il a de l’unité de son être. C’est dans un tel
sentiment qu’en particulier le chercheur puise continuellement des
forces neuves. Le poète n’est pas seul à connaître de tels
ravissements, le philosophe a lui aussi les siens. Et il en a besoin,
afin que le sentiment de l’indescriptible réalité de ces
représentations supérieures le préserve des concepts forcés d’une
dialectique vide et terne. Ce qui ne revient pas pour autant à exiger
la permanence de cet état contemplatif, car ce serait aller à
l’encontre de la nature et de ce qui détermine la vie présente. De
quelque manière en effet qu’on envisage ses rapports avec la vie
qui l’a précédée, on en revient toujours à la constatation suivante :
ce qui, en celle-ci, était réuni de façon indissociable se trouve
déployé et en partie dissocié en cette vie. Nous ne vivons pas dans la
contemplation ; notre savoir n’est pas d’un seul tenant, ce qui veut
dire [116] qu’il doit s’engendrer de manière fragmentaire, au gré de
sections et d’étapes, ce qui ne peut se faire en se passant de
réflexion.
C’est pourquoi le but ne peut être atteint dans la seule
contemplation. Car dans la contemplation comme telle,
l’entendement est absent. Dans le monde extérieur aussi, tous
voient plus ou moins la même chose, mais tous ne sont pas capables
d’exprimer ce qu’ils voient. Chaque chose parcourt certains
moments pour parvenir à son accomplissement — toute une série
de processus consécutifs où l’ultérieur s’engrène dans l’antérieur, la
porte à sa maturité. Ce parcours, dans la plante par exemple, le
paysan le voit aussi bien que le savant, sans que pour autant il le
connaisse à proprement parler ; il n’est pas capable en effet d’en
dissocier les différents moments, de les séparer, de les considérer
dans leur opposition réciproque. De la même façon, l’homme peut
parcourir en lui-même et pour ainsi dire éprouver immédiatement
cette suite de processus à la faveur desquels la plus grande
simplicité de l’Etre engendre, à la fin du parcours, une diversité
infinie, et même, pour parler précisément, c’est en lui-même qu’il
lui faut faire l’expérience de ces processus dans leur consécution.
Mais tout ce qui est expérience, sentiment, contemplation est par
soi-même muet et requiert la médiation d’un organe pour trouver à
s’exprimer. Que cet organe fasse défaut à celui qui contemple, ou
soit intentionnellement repoussé par lui, à dessein de ne parler qu’à
partir de la contemplation et sans autre intermédiaire, et le
contemplateur perdra la mesure qui lui est nécessaire : dès lors il
ne fait qu’un avec l’objet et se confond aux yeux d’un tiers avec
l’objet lui-même ; c’est pourquoi il n’est pas maître de ses pensées,
et perd toute assurance dans ses vains efforts pour exprimer
l’inexprimable ; il lui arrive bien de tomber juste, mais il n’en est
pas certain, dans son incapacité à ériger fermement face à lui et à
contempler dans son entendement, comme en un miroir, ce sur
quoi il tombe.
À aucun prix, donc, il ne faut renoncer à ce principe relativement
extérieur ; car tout doit d’abord nécessairement être l’objet d’une
réflexion effective avant de pouvoir être exposé de la façon la plus
haute. C’est ici que passe la ligne de démarcation entre la
théosophie et la philosophie, que tout ami de la science s’attachera à
maintenir dans sa netteté. La théosophie l’emporte autant sur la
philosophie par la profondeur, la plénitude et la vivacité du
contenu, que l’objet réel sur son image, que la nature sur
l’exposition qu’on en donne ; la différence va même jusqu’à
interdire toute comparaison si la philosophie prise comme terme de
comparaison est une philosophie qui [117] cherche l’Etre dans des
formes et des concepts, c’est-à-dire une philosophie morte. D’où la
prédilection qu’éprouvent pour la théosophie les âmes intérieures,
qui s’explique tout aussi aisément que la prédilection pour la nature
par opposition à l’art. Car les systèmes théosophiques ont, sur tous
ceux qui ont eu cours à ce jour, un avantage insigne : au moins, il y
a place en eux pour une nature, même si cette nature n’est pas
maîtresse d’elle-même, à l’opposé des autres systèmes, où il n’y a
qu’absence criante de nature (Unnatur) et pur artifice. Mais la
plénitude et la profondeur de vie sont aussi peu inaccessibles à une
science bien comprise qu’à l’art bien compris la nature ; seulement,
c’est peu à peu que la science y parvient, médiatement, et par une
progression procédant par étapes, en sorte que celui qui sait reste
toujours distinct de son objet, ce dernier restant à son tour séparé et
devenant l’objet d’une contemplation sereine, jouissant calmement
de ce qu’elle contemple.
Toute science doit donc passer par la dialectique. Mais n’y a-t-il pas
un moment où elle devient libre et vivante, comme l’est, pour
l’historien, l’image d’une époque qui lui fait oublier ses recherches ?
Le souvenir du tout début des choses ne peut-il à nouveau devenir
si vivant que la science devienne aussi historique par sa forme
extérieure, et que le philosophe, semblable en ceci au divin Platon,
qui est dialectique tout au long de ses œuvres mais devient
historique à leur sommet, dans leur ultime transfiguration, que le
philosophe, donc, puisse lui aussi revenir à la simplicité de
l’histoire ?
Il semble avoir été réservé à notre époque d’ouvrir au moins la voie
à cette objectivité de la science. Tout d’abord en lui rendant l’être,
ce qui va de pair avec un développement vivant, tandis qu’aucun
progrès vivant n’est possible entre des propositions qui se suivent
de façon dogmatique. Puis par la connaissance de la loi de
gradation, qui seule permet du même coup de trouver un véritable
commencement, une assise nécessaire et éternelle. Aussi longtemps
qu’elle se bornait à l’idéal, elle ne pouvait rien trouver de tel. Et dès
les premiers pas accomplis en direction de cette restitution de la vie
à la science, on dut reconnaître la haute antiquité du physique,
reconnaître que tout dernier qu’il soit en dignité il vient en premier
dans tout développement. Depuis lors, la science n’a plus son début
dans l’éloignement de concepts abstraits pour descendre ensuite de
ces concepts [118] vers le naturel ; commençant, à l’inverse, par
l’existence (Daseyn) inconsciente de l’Eternel, elle l’élève à la plus
haute transfiguration dans une conscience divine. Les pensées
supra-sensibles reçoivent désormais une force et une vie physique,
et, inversement, la nature devient de plus en plus l’expression
visible des concepts suprêmes. On verra bientôt disparaître le
mépris et la condescendance avec lesquels les ignorants, et eux
seuls du reste, considèrent encore tout ce qui est physique ; la
parabole de la pierre que les maçons ont rejetée et qui est devenue
la pierre angulaire se vérifiera encore une fois. La popularité que
l’on recherche si souvent en vain viendra alors d’elle-même.
Aucune différence ne subsistera plus entre le monde de la pensée et
celui de la réalité effective. Il n’y aura plus qu’un monde, et la paix
de l’âge d’or s’annoncera d’abord dans la liaison harmonieuse de
toutes les sciences.
Dans ces perspectives, que le présent écrit s’efforcera à bien des
égards de justifier, il est bien permis d’oser une tentative
longuement méditée, et qui constitue une sorte d’entraînement à
cette future exposition objective de la science. Peut-être est-il encore
à venir, ce chantre du plus grand poème héroïque, embrassant dans
son esprit, comme les voyants de la haute Antiquité en eurent la
renommée, ce qui fut, ce qui est et ce qui sera. Mais le temps n’est
pas encore venu. En annonciateurs de ce temps à venir, nous ne
voulons pas cueillir son fruit avant qu’il ne soit mûr, ni non plus
méconnaître le nôtre. Notre temps est encore celui de la lutte. Le
but de la recherche n’est pas encore atteint ; la science doit encore
être portée et accompagnée par la dialectique, comme la parole par
le rythme. Nous ne pouvons pas être des narrateurs mais seulement
des chercheurs, pesant le pour et le contre de toutes les opinions
jusqu’à ce que l’opinion juste bienne bon, indubitable, à jamais
enracinée.
Notes du chapitre
[1] ↑ Mitt-wissenschaft (et non plus Mittwissenschaft comme dans la première version) :
le terme suggérerait la cognitio centralis d’Œtinger — cf. TILLIETTE, I, p. 597, n. 64.
[2] ↑ Cf. l’article « Du nouveau sur Proust » publié par le Père Tilliette dans le numéro
d’août 1982 des Etudes, où l’auteur s’interroge sur les liens entre Proust et Schelling.
[3] ↑ Allusion au Timée, 22 b 5.
[4] ↑ un.
[5] ↑ Peut-être une coquille pour « indifférencié ».
[6] ↑ Lire wo au lieu de so.
Livre premier. Le passé
Notes du chapitre
[1] ↑ Ecclésiaste 1.
[2] ↑ n’affecte pas.
[3] ↑ ce Un les exprimant tous deux.
[4] ↑ pas deux, pas des opposés.
[5] ↑ les termes reliés soient.
[6] ↑ la possibilité.
[7] ↑ Sich anziehen, c’est « se revêtir » mais aussi « s’attirer » — se revêtir « comme on
revêt un vêtement », wie man ein Kleid anzieht : SW, XIV, 187.
[8] ↑ L’allusion semble viser Fichte, et peut-être aussi le célèbre vers 1237 du Faust de
Goethe :
Am Anfang war dit Tat !
Au commencement était l’action !
[9] ↑ Cf. Angelus Silesius, Pèlerin chérubinique, I, 92. Cf. aussi 1 Cor. 7, 29.
[10] ↑ est.
[11] ↑ rien.
[12] ↑ <parce qu’elle ne tient à rien,> parce qu’elle se suffit à elle-même, n’a rien qu’elle
puisse vouloir.
[13] ↑ Lire Ω au lieu de O.
[14] ↑ « Daseyn enthüllen », « dévoiler l’existence » — c’est là une expression typique de
Jacobi.
[15] ↑ Cf. Banquet de Platon, 203b. Schelling pense peut-être également ici à Plotin, qu’il
commence à lire à partir de 1804. Cf. X. Tilliette, Vision plotinienne et intuition schellin-
gienne, in L’Absolu et la philosophie, PUF, coll. « Epiméthée », 1987, p. 59-80.
[16] ↑ Lire wir et non wie.
[17] ↑ l’éternité.
[18] ↑ , parce qu’ascendant.
[19] ↑ qu’une éternité sans effet.
[20] ↑ bien qu’elle.
[21] ↑ Rem. marg. : Chacune à sa (libre ?) puissance.
[22] ↑ l’être.
[23] ↑ saisir.
[24] ↑ selon la Révélation.
[25] ↑ Cf. Kant, Premiers principes métaphysiques de la science de la nature (1786).
[26] ↑ vor coquille pour von.
[27] ↑ par conséquent.
[28] ↑ comme objet.
[29] ↑ Gegenwurf, que Schelling fait parfois suivre du terme Objekt entre parenthèses (cf.
par exemple SW, VIII, 289), fut un terme très usité chez les mystiques (d’après le
Dictionnaire Grimm, sv), mais à l’époque où écrit Schelling le terme est déjà ressenti
comme un archaïsme, malgré la tentative de Lessing de rendre le latin objectum par
Gegenwurf plutôt que par Gegenstand. Cf. Heidegger, Le principe de raison, p. 139 ; trad. fr.,
p. 184.
[30] ↑ Bild — cf. Gen. I, 26 dans la traduction de Luther.
[31] ↑ l’opposition.
[32] ↑ noch, coquille pour nach.
[33] ↑ Rem. marg : Repose en priorité sur le fait que A3 x est encore libre par rapport à
A2 ».
[34] ↑ Panta theîa kai anthrôpina panta : De la maladie sacrée, Œuvres, II, 394.
[35] ↑ Rem. marg. : Il existe des états de la nature humaine où cet élément suprême est
libéré, sommeil. Mais en règle générale cela se produit lors de visions, même chose dans
les états seconds.
[36] ↑ Lire treten au lieu de reten.
[37] ↑ Rem. marg. : Le pouvoir de cette puissance extérieure ne se montre pas seulement
dans la mesure où elle maintient en général l’organique dans un état corporel mais, à une
puissance encore supérieure, par cette extériorisation de la vie intérieure qui a lieu à l’état
de veille..S.
[38] ↑ Rem. marg. : Cette unité elle aussi s’élève à nouveau.
[39] ↑ Allusion au magnétisme découvert en 1778 par Messmer, qui préoccupa si
vivement les esprits de cette époque, et notamment Balzac — cf. ce qu’écrit à ce sujet E. R.
Curtius dans son Balzac (trad. de H. Jourdan, Grasset, 1933) : « Mais ce qui intéressait par-
dessus tout Balzac, c’était le “regard magnétique”, ce “rayon chargé d’âme” par lequel
l’être qui en est doué peut soumettre à son entière volonté d’autres personnes. Il n’y a
presque pas un seul livre de Balzac où ce regard ne joue un rôle plus ou moins
mystérieux. »
[40] ↑ A8 et X.
[41] ↑ Quoi qu’il en soit, le sommeil magnétique nous offre l’exemple d’un état où il n’y a
extérieurement aucun sujet et où il y a néanmoins un sujet intérieur qui juge, infère, pense
et connaît souvent au-delà de son pouvoir habituel, est en pleine activité et plein de
vitalité. Cet état est une vivante démonstration dont la conséquence est, pour reprendre les
termes grossiers mais non point inexacts des premiers observateurs, une désorganisation,
c’est-à-dire une dissolution de l’unité extérieure de l’organisme, tandis que s’épanouit au
contraire en toute liberté son unité interne. Comme la maladie n’est possible que pour
autant que toutes les forces et tous les organes de la vie sont soumis à un exposant
commun — ce qui fait qu’il arrive que le particulier devienne victime du tout et doive
suivre une direction à laquelle il n’est pas destiné ou qui va à l’encontre de sa nature —
j’en déduisa la vertu curative de cet état dans lequel la force particulière affranchie pour
un temps de l’enchaînement au tout gagne du temps qui lui permet de se restaurer en son
intégrité telle qu’elle était à l’origine..S.a. begreift, coquille pour begreife.
[42] ↑ Ceci simplement en guise d’explication de.
[43] ↑ le temps éternel.
[44] ↑ à venir.
[45] ↑ Cf. Kant, Critique de la faculté de juger, § 78.
[46] ↑ Nous retenons ici la suggestion de M. Marquet en lisant könnten au lieu de könnte.
[47] ↑ négation.
[48] ↑ Plutôt que « dans la crainte de ne pas être mécompris », ce que porte l’original, la
double négation traduisant peut-être une hésitation stylistique dans le premier jet du
texte.
[49] ↑ Cf. Leçons d’Erlangen, SW, IX, 230 (= OM, p. 290) : « Ce qui est urgent pour l’homme,
ce n’est pas de rentrer en soi, mais d’être exposé hors de soi. »
[50] ↑ Rem marg. : Telle qu’ils la présentent comme un éclat de la lumière éternelle.
[51] ↑ Proverbes de Salomon.
[52] ↑ En hébreu : (bokhmah). La désinence -ah est en hébreu la marque du
féminin : Hokhmah comme Sarah ou Déborah. Même intérêt porté par Schelling à ce mot
hébreu dans la Philosophie de la Révélation, SW, 6. Erg. Bd., p. 295.
[53] ↑ Prov. de Salomon, 8, 22-30.
[54] ↑ décréta.
[55] ↑ devant lui.
[56] ↑ ; je jouais dans son univers terrestre, et je trouvais mes délices parmi les enfants
des hommes.
[57] ↑ Rem. marg. : Le Seigneur était celui auprès de qui se trouvaient toute puissance et
toute force, cette volonté au repos qui ne voulait pas encore ; et pour cette raison même
l’Esprit innommable que la langue originale appelle ici comme ailleurs de ce nom qui ne
peut être proféré (YHWH), ce qui est absolument et toujours Un, vu qu’elle désigne par le
nom d’Elohim l’Etre divin comprenant en lui une pluralité de forces (le sujet immédiat de
cet Un).
[58] ↑ au.
[59] ↑ Rem. marg. : Ou comme commencement de ses chemins, c’est-à-dire comme
commencement de ses effets qui progressent toujours (et jamais ne régressent), avant qu’il
ne sorte pour ainsi dire de lui-même. Concept important chez Platon, IV.
[60] ↑ la langue allemande dit en son usage actuel.
[61] ↑ et s’excitent mutuellement en jeu gracieux.
[62] ↑ Rem. marg. : De même, ce premier Etre est lui aussi encore sans Moi et sans
volonté, et toute unité, toute mutuelle inclination des forces n’est que plaisir, non sérieux,
n’est qu’un jeu, non un acte, par lequel seulement elle pourrait parvenir à quelque chose
de ferme et de constant. La Sagesse jouait à la face du Seigneur, sur son sol, sur ce qui est
pour lui un fondement et un sol, en cette première demeure et résidence de toute créature,
et dès cette époque matinale, son plaisir était cette créature appelée un jour à établir le
lien entre la matière et le monde des esprits et à être immédiatement réceptive à la
Sagesse, et médiatement à la très pure divinité. Riche des pressentiments de l’enfance, la
Sagesse jouait devant le Seigneur et il entrevit en elle ce qui devait être un jour, comme en
un rêve de jeunesse qui laisse présager un avenir doré.
[63] ↑ Lire dauern au lieu de dauren.
[64] ↑ En lisant ici sich versehen plutôt que sich ersehen.
[65] ↑ ludique.
[66] ↑ soient.
[67] ↑ Tout ce passage reposant sur l’opposition des genres masculin et féminin — la
Sagesse étant un mot féminin en allemand comme en hébreu et la volonté (der Wille) un
mot masculin en allemand, qui permet à Schelling de dire que « c’est lui, le Seigneur » —
nous avons rendu ici exceptionnellement der Wille par le vouloir plutôt que par la volonté,
ce qui aurait rendu tout ce passage inintelligible.
[68] ↑ Il est distinct de l’être et de l’étant, mais non pas séparé d’eux, le Vouloir encore
inactif par lequel seulement ils peuvent tous deux être activés. Il ne les a pas attirés, ne les
a pas réellement activés, car en lui, pur vouloir pur, rien ne le poussait à agir, et les deux
opposés ne pouvaient non plus l’éveiller parce qu’ils étaient eux-mêmes au repos.
[69] ↑ En lisant ici von plutôt que vor.
[70] ↑ Rem. marg. : II est impossible que la volonté qui est à présent une volonté ne
voulant positivement rien ne soit pas invoquée par ce qui n’est rien sans elle et ne peut
être élevé que par elle à l’état efficient.
[71] ↑ <tout>.
[72] ↑ En préférant ici Verschlossenheit à Verflossenheit.
[73] ↑ Cf. Aristote, Métaphysique, IV, chap. 3 : ἅμα.
[74] ↑ Cf. Aristote, De anima, II, 3-5.
[75] ↑ Il s’agit du prophète Elie, cf. I Rois XIX, 11-12.
[76] ↑ En lisant ici wurde au lieu de würde.
[77] ↑ Le texte original porte ici « qui jamais ne s’est décidée », ce qui semble
incompatible avec la suite.
[78] ↑ Rem. marg. : Le manuscrit prit à l’impression continue bien ici sur 5-6 feuillets, mais
avec, en marge, cette remarque : « L’essai devient totalement faux à partir d’ici »,
autocritique qui explique que ce qui précède n’ait pas été publié non plus par l’auteur. Note de
l’éd. S.Une remarque marginale allant dans le même sens, mais due, elle, au fils de Schelling,
se trouvait également après la phrase par laquelle conclut la p. [182]. Les deux pages
suivantes dans le manuscrit (correspondant ici à la p. [183]) étaient barrées. Deux pages de
conclusion suivaient qui, elles, n’étaient pas barrées, à la fin desquelles le fils de Schelling
avait ajouté, en les recopiant, les lignes de conclusion qui précèdent la remarque marginale
ci-dessus. Parmi les autres feuilles du manuscrit qui s’interrompt ici, aucune n’a été
conservée, pas mime celle oh se trouve la remarque marginale de l’original, de la main de
Schelling, mentionnée par le fils.
[79] ↑ Exode, XX, 5.
[III] Projets et fragments en vue du
livre premier des Ages du monde
Remarque préliminaire de l’éditeur
Notes du chapitre
[1] ↑ Il va de soi que nous laissons à l’éditeur la responsabilité de son interprétation
d’ensemble de ces projets et fragments, dont il a cru bon de tracer au moins les grandes
lignes dans cette remarque préliminaire. (N.d.T.)
[2] ↑ Les passages essentiels de cette Introduction à laquelle le lecteur est invité ici à se
reporter sont cités infra dans notre postface. (N.d.T.)
Brouillon primitif
[ Feuillet A]
1. Je commence.
2. Tout au passé.
3. Le véritable passé des conditions originelles du monde… présent
non déployé un temps… .
4. Science philosoph. Passé
5. Ce qui est su est objet de récit
6. Pourquoi est-ce impossible
7. Je me suis seulement proposé dans le premier livre… de traiter de
ce passé, ce ne sera pas sans dialectique
8. Au passé fait suite le présent Tout ce qui y appartient-nature,
histoire, monde des esprits, exposition de la connaissance.
« Je suis ce qui fut, ce qui <existe> est et ce qui <existera> sera, nul
mortel n’a levé mon voile » : selon un récit unanime, c’est ainsi que
parlait jadis au voyageur, dans le temple de Saϊs, l’Etre primordial
pressenti sous le voile d’Isis. Ce n’est pas seulement l’Etre qui en
notre temps <d’abord> a été <reconnu> restitué à notre science,
mais aussi l’unité de l’Etre, après qu’elle ait longtemps <elle-même
passé pour> été considérée comme un simple développement <de
pensées propres à elle> de concepts et de pensées humaines. <Mais
c’est de l’homme> Mais il ne suffit pas de reconnaître <l’Etre
primordial comme> Un <s’>, il <n’est> doit en même temps
<reconnu> être reconnu selon ces trois segments. Car il est Un,
comme un et comme plusieurs, ou encore comme ce qui fut, ce qui
est et ce qui sera.
Nécessaire, si nous voulons écrire toute l’histoire du présent et par
conséquent de l’inessentiel, [188] mais seulement l’essentiel car seul
le système des temps
pas un tout selon la nature
9. L’avenir
la constitution du
monde
seulement… L’ouvrage qui commence ici sera subdivisé en 3 livres
en passé, présent, avenir qui ici… dans l’ouvrage qui débute ici,
distingués non pas comme simples segments du temps mais comme
des temps effectivement différents
si le monde n’était
Un vieux livre
Si l’intention est de développer ce système des temps…
Cependant passé et avenir ne sont pas pour ainsi dire
[189] Le passé est su
Pourquoi donc la science du passé est-elle comprise
philosophiquement en ce sens éminent ?
Mais si tel est le cas le pourquoi n’est-elle pas objet de récit ?
J’ai donné au lecteur une idée sommaire de <la présente> l’œuvre
qui commence ici, qui se subdivisera donc en trois livres, <le
premier> selon les trois temps passé, présent et avenir. Je prends
<donc> ces trois concepts ici non pas, comme en général, en tant
que simples délimitations du temps, mais en tant que trois temps
effectivement différents les uns des autres, que je m’autorise à
nommer également âges du monde. Un vieux livre répond à la
question : qu’est-ce qui est advenu ? Cela même qui adviendra, et à
la question : Qu’est-ce qui adviendra ? Cela même qui est advenu, et
comme il n’est pas question ici de l’Etre, ce passage semble bien nier
toute différence entre le passé et l’avenir <i.e.> et par conséquent
<les> nier tout autant passé et avenir au vrai sens des termes. Mais
il s’explique en ajoutant que rien de nouveau ne se passe sous le
soleil, ce qui indique qu’il n’est question ici que du temps déterminé
par le soleil, c’est-à-dire du temps du monde. C’est là précisément ce
que je <veux dire> souhaite exprimer <les pensées sur lesquelles se
fonde le présent écrit>. Le temps de ce monde n’est qu’un seul et
même grand temps, qui n’a en lui aucun véritable passé et pas non
plus d’avenir proprement dit ; et qui, pour cette raison précisément,
présuppose en dehors de lui ces temps appartenant à l’ensemble
des temps. Le véritable temps passé est le temps qui a été avant le
temps du monde, le véritable avenir est le temps qui sera après le
temps du monde, et ainsi se développe un système des temps dont
le temps présent, avec tout ce qui en lui <est> peut être passé,
présent ou à venir, ne constitue qu’un unique grand maillon.
Mais l’image repose encore sous le voile ; il n’a pas encore été levé
et ne <peut pas> sera pas <à l’avenir> soulevé ; <car
l’accomplissement des temps n’est pas encore venu.> C’est encore le
présent qui règne seul, et l’avenir radieux, où la pluralité retourne
<à> dans l’unité, où <les temps se manifestent avec l’éternité et> le
lien des temps devient manifeste avec l’éternité, est <encore> bien
loin. <Nous nous situons par conséquent de façon bien différente
dans notre conception de ces différents temps.> Et c’est pourtant le
tout que nous avons entrepris de présenter ? Cela ne pourra
assurément se faire d’une unique façon ; il faudra traiter
différemment les contenus des trois parties, selon leurs différences ;
car passé, présent et avenir ne se situent pas de la même façon <à
nos> aux yeux des hommes. Le passé est su, le présent est connu,
l’avenir est pressenti. Ce qui est su est objet de récit, ce qui est
connu objet d’exposé, ce qui est pressenti objet de prophétie.
La science, tel serait donc le contenu de notre première partie ; il lui
faudrait être narrative quant à sa forme, car elle a pour objet le
passé. Tous ceux qui philosophent, c’est-à-dire qui cherchent à
connaître l’origine et les premières causes des choses, exigent [1] ce
premier terme, à savoir une science du temps d’avant le monde ;
alors pourquoi le contenu de notre savoir ne peut-il se raconter au
même titre et de façon aussi simple et obvie que tout ce qui est su
par ailleurs ? Qu’est-ce qui le retient en arrière, cet âge d’or où la
science devient histoire et où la fable redevient vérité ?
<Une conscience du temps passé sommeille encore en l’homme, il a
en lui quelque chose qui provient encore du commencement des
temps.
Il est indéniable que l’homme n’est capable de connaître que ce
avec quoi il est dans un rapport vivant, ou du moins ce en quoi>
Il y a en l’homme un principe qui provient encore de ce temps
<originel> primitif et s’étend dans cette mesure par-delà la Création,
par-delà la situation du monde présent. De même que le passé en
général n’est que l’assise fondamentale du présent, par lequel il est
refoulé ou [190] du moins recouvert, de même en l’homme cette
très ancienne composante de son Etre est-elle refoulée en arrière,
subordonnée à ce à quoi <elle [2] sert de simple étoffe ou de simple
soubassement>. Mais c’est aussi la conscience du passé qui
sommeille <en lui,> dans cette composante de lui-même qui est
repoussée dans l’obscurité et <ne peut> ne surgit que soit si ce
principe
<Ce principe du temps primitif en l’homme, qu’il nous soit permis
de le nommer son « cœur » (Gemüth). Sous l’emprise de l’esprit,
c’est-à-dire du principe plus jeune mais plus puissant, ce n’est pas
seulement lui qui retourne à l’obscurité, mais aussi la conscience en
lui du passé ; mais néanmoins de telle sorte qu’elle peut s’éveiller et
devenir vivante, soit que>
Il y a en l’homme un principe qui provient encore du temps primitif
et par lequel il est à présent encore en rapport [3] avec ce temps. Le
« cœur » est cette part de son être qu’habite <le lien d’une>
l’insondable passé, et lorsqu’il s’anime, les temps les plus éloignés
lui deviennent souvent merveilleusement vivants. Combien de fois
nous arrive-t-il de croire, dans un moment présent, reconnaître
<soudain> un moment qui <vient d’être vécu> a déjà été ! Mais
<tout> comme le passé en général est refoulé par le présent auquel
il sert de soubassement, <ce principe de remémoration en nous, qui
par le principe plus récent mais plus puissant> le « cœur », ce
témoin encore en vie du passé, dominé par le principe plus récent
mais plus puissant de l’esprit <avec lequel la conscience du passé
temps primitif est elle aussi refoulée> est pour ainsi dire refoulé
dans l’obscurité. Même rétrogradé, c’est cependant en toute fidélité
qu’il conserve le trésor qu’il renferme, et il l’ouvre bien volontiers,
soit qu’il prenne le dessus sur l’esprit, soit <que celui-ci, se tournant
vers les abîmes du passé> que celui-ci lui réclame séparation et
révélation <et dév. > de ce qui est latent en lui. Car en tant que
principe d’un temps ultérieur et d’une éternelle jouvence — comme
l’étaient les Hellènes selon les prêtres égyptiens [4] — l’esprit n’a,
quant à lui, aucune connaissance des choses qui ont été. Dans le
« cœur », en revanche, gît le souvenir le plus ancien <de toutes> des
choses, et de leurs rapports originels ; mais cette image intérieure
<des choses> sommeille en lui comme une image obscurcie <et
oubliée>, sinon <tout à fait> éteinte ; il est également incapable de
trouver le [fin] mot de ce qu’il est, comme d’exprimer ce qui est
[191] en lui. C’est pourquoi il n’a de cesse d’invoquer le principe
supérieur, afin d’être par [5] lui séparé et rappelé à la mémoire ;
mais l’esprit aspire tout aussi intensément [6] à <se> <cette élévation
du> cet épanouissement du « cœur », afin de devenir, par son
entremise, sachant.
Ainsi naît <par cons. > un secret commerce dans l’intériorité de
l’homme, où se trouvent <pour ainsi dire> deux êtres, un être
obscur <luttant pour la clarté et un être conscient> dans lequel
réside la réponse à toute question amenée par la science, et un être
conscient <dont les questions> qui attire la réponse hors de l’autre
et par là l’élève à la conscience autant qu’il se procure ainsi les
moyens de la science.
Ce dédoublement de nous-mêmes, ce secret commerce, cet art du
dialogue intérieur, tel est le véritable secret du philosophe dont l’art
extérieur, qui à partir de là s’appelle dialectique, n’est que la
réplique, et là où elle est devenue purement formelle, elle n’en est
que l’apparence et l’ombre.
Tout ce qui est su est donc par nature objet de récit, mais ce qui est
su par la science la plus haute n’est pas quelque chose qui serait
déjà là tout prêt depuis le début, c’est quelque chose qui naît
toujours de l’intériorité. C’est par séparation et libération
intérieures que la lumière de la science doit nécessairement se
lever des ténèbres. Ce que nous appelons « science » n’est en fait
qu’un effort vers la reprise de conscience, donc plutôt une
aspiration à la science que la science elle-même ; c’est sans conteste
pour cette raison que ce grand homme
[Fin du feuillet A. Le feuillet B n’a pas été conservé. (Cf. SW, p. 201 s.
[Cf. supra p. [114]. N.d.T.]). Sur le feuillet C se trouve une nouvelle
version du début suivie (sans transition) de la conclusion ;]
[Feuillet C:]
Après la question : qu’est-ce qui est ? rien ne préoccupe tant
l’homme que les deux questions : qu’est-ce qui a été ? et qu’est-ce
qui sera ? Passé, présent et avenir suscitent tout autant sa curiosité,
on serait même tenté de dire que les deux extrêmes l’attirent
davantage que l’intermédiaire.
[192] Un vieux livre répond à la question : qu’est-ce qui a été ? Cela
même qui sera par la suite, et à la question : qu’est-ce qui sera par
la suite ? Cela même qui a été auparavant, réponse qui devrait
satisfaire pleinement ceux qui considèrent le monde comme une
chaîne de causes et d’effets allant à l’infini dans un sens comme
dans l’autre. Mais le vieux livre en question ajoute en guise
d’éclaircissement : il ne se passe rien de nouveau sous le soleil, ce
qui indique qu’il ne s’agit que du temps déterminé par le soleil, i.e.
du temps du monde. Si, même cette réserve faite, cette réponse
devait infailliblement être la bonne, il s’ensuivrait simplement que
le monde n’aurait en lui aucun véritable passé ni non plus aucun
avenir proprement dit. Le temps de ce monde ne devrait être
considéré que comme un seul grand temps auquel tout
appartiendrait également de ce qui est pensé en lui comme passé,
présent et à venir. Mais pour cette raison précisément, c’est en
dehors de soi qu’il présupposerait ces temps appartenant au tout du
temps. Le véritable temps passé serait le temps qui a été avant le
temps du monde, le véritable avenir le temps qui sera après le
temps du monde, et ainsi se développerait un système des temps
dont le temps présent, avec tout ce qu’il contient, ne constituerait à
lui tout seul qu’un maillon parmi d’autres.
J’imagine sans peine que <selon les concepts) les lecteurs de notre
temps, enclins à voir naître de concepts tout ce qui est substantiel,
ne seront pas sans trouver quelque peu choquant le concept d’un
temps d’avant le monde ; ils m’accorderont toutefois que toute
philosophie qui se hisse jusqu’aux objets suprêmes n’a affaire au
fond qu’à <ce temps d’avant> des questions portant sur des choses
d’avant le monde. On peut dire de façon générale que la science se
rapporte par nature au passé, ou encore que le passé est su, le
présent connu, l’avenir pressenti. Et ce qui est su est objet de récit,
ce qui est connu objet d’exposé, et ce qui est pressenti objet de
prophétie.
Si par conséquent la science est par son contenu également
proprement histoire, comme il y a longtemps qu’elle l’est par son
nom, comment se fait-il qu’elle ne le soit pas aussi quant à sa
forme ? Ce qui est su par la science la plus haute, pourquoi cela ne
peut-il se raconter au même titre [193] et de façon aussi simple et
obvie que tout ce qui est su par ailleurs ? Qu’est-ce qui le retient en
arrière, cet âge d’or où la vérité redevient fable, et la fable vérité ?
Il faut reconnaître en l’homme un principe qui provient encore de
ce temps primitif et par lequel il est à présent encore en rapport
avec ce temps. Car
[…etc., voir feuillet A supra p. [190]. N.d.E.]
À moi aussi ces considérations tracent la voie qu’il me faudra suivre
dans la conception de cette œuvre. Mon intention étant d’y
développer ce système des temps auquel je viens de faire allusion,
je <courrai moi aussi le risque, comme tout autre historien> ne
pourrai moi non plus reconduire le lecteur en ce royaume <d’un
tel> du passé sans quelque préparation mais <il me faudra
chercher> il s’agira d’abord de l’amener au point de vue à partir
duquel seulement ce passé pourra lui être compréhensible. Et vu
que la matière, en sa majeure partie, n’est pas donnée ici du dehors,
toutes considérations dialectiques ne pourront être écartées du
cœur de l’histoire, même si je m’efforcerai de les traiter autant que
possible dans des introductions, des intermèdes et des remarques.
Mon dessein est strictement, purement scientifique, et comme un
livre de ce genre ne peut manquer d’évoquer des choses peu
communes, je m’attacherai du moins à faire en sorte qu’elles ne
deviennent pas communes par ma façon de les traiter.
Quant aux autres parties de cette œuvre (qui sera subdivisée en
effet en trois livres, respectivement en passé, présent et avenir, que
je ne considère pas comme simples segments du temps mais comme
temps effectifs, distincts les uns des autres ou, comme je les appelle
encore, comme des âges du monde), c’est la partie médiane qui,
bien qu’elle concerne ce qui nous touche de près, réserve à d’autres
égards les plus grandes difficultés. Car ce qui <se> était encore Un et
réuni dans le premier temps se montre ici en son complet
déploiement et demande par conséquent à être traité également
dans toute son ampleur et en toute son étendue. Le lecteur qui y est
enclin se verra donc rappeler tout particulièrement ici ce
qu’indique déjà, en sa généralité, le titre inscrit [194] en tête de cette
œuvre, à savoir qu’il ne s’agit que du développement du système
des temps dans son ensemble <grosso modo, comme tel>, et que les
points particuliers ne sont pris en considération que pour autant
que l’exige l’explication du tout. Dans l’ensemble, cette œuvre
prétend bien former un tout quant à l’art mais non quant à la
matière [qui y est envisagée], ce qui serait en soi impossible. Si par
conséquent je ne désespère pas de donner au lecteur certains
éclaircissements sur quelques sujets se rapportant aussi au présent,
de tels éclaircissements brilleront surtout ici par leur absence ; et
cependant, il n’est pas un de ces éclaircissements attendus qui,
considéré <compris> dans son analogie avec les sujets ici traités ne
puisse devenir compréhensible au lecteur. Loin de vouloir occulter
les carences et les lacunes qui sont les siennes, l’œuvre les
désignera au contraire elle-même ; comme elle avouera
<sincèrement son inintelligence de> sincèrement son ignorance là
où <quelques> les connaissances <acquises> établies et les
recherches entreprises jusqu’à présent ne permettent de rien
affirmer.
C’est somme toute la troisième partie qui pourrait sembler la plus
audacieuse — avis que toutefois je ne partage pas. Car si le passé ne
se présente à nous que dans le concept et dans la science, si le
présent, lui, relève de la subsomption et du jugement, ce qui
requiert, outre l’universalité du concept, des connaissances d’une
ampleur et d’une profondeur telles que jamais elles ne peuvent être
atteintes, en revanche…
[Le reste de la feuille est resté vierge à partir d’ici. N.d.E.]
Notes du chapitre
[1] ↑ En lisant jeder plutôt que jeden.
[2] ↑ En lisant es pour er.
[3] ↑ Rapport, en français « germanisé » par la majuscule, au lieu de Verhältnis. Le terme,
déjà présent dans les Recherches… de 1809 (cf. SW, VII, 380 = OM, p. 164), pourrait venir de
Boehme, mais il était alors dans l’air du temps — cf. TILLIETTE, I, 538 n. À la différence de
Verhältnis, « rapport » semble aller dans le sens d’une co-appartenance plus intime qui
pourrait évoquer cette « cohérence » des âmes risquée par Rousseau dans Le Nouvelle
Héloïse (Prem. Partie, liv. XI, OC, Pléiade, t. II, p. 55). Allusion possible à Saint-Martin et à
Hemsterhuis : Lettres sur l’homme et ses rapports.
[4] ↑ Cf. supra, p. [113].
[5] ↑ vor, coquille pour von.
[6] ↑ « tout aussi intensément » traduit gleich sehr. L’emploi que fait Schelling de
l’adverbe sehr, comme du verbe dialectal sehren qui lui correspond (cf. supra, p. [173] et p.
[178]) peut être éclairé par ces lignes que J. Vendryes écrivait en 1923, inspirées peut-être
par l’article de Grimm, s.v. : « Le vieil adjectif allemand sêro, “douloureux, pénible”,
conservé encore aujourd’hui dans les dialectes du Sud (Souabe, Bavière) au sens de
“blessé, affligé” ne s’est maintenu dans l’allemand littéraire que comme expression du
superlatif » (Le langage. Introduction linguistique à l’histoire, Ed. Albin Michel, p. 229-230).Il
nous semble que le mot sehr ne signifie pas seulement ici « très » (ni gleich sehr seulement
« tout autant ») comme simple expression d’un superlatif. Le fait n’aurait d’ailleurs rien de
surprenant chez un philosophe aussi attentif que Schelling à sa langue. Signalons deux
thèses qui, dans des horizons différents, prennent toutes deux la langue, voire le dialecte,
comme axe de leur interprétation de Schelling : R. Schneider, Schellings und Hegels
schwäbische Geistesahnen, diss., Bonn, 1936 (éd. en 1938), et L. Zahr, Die Sprache als Grenze
der Philosophie. Eine Interprétation der « Weltalter ». Fragmente von F. W. J. von Schelling,
diss., Munich, 1957.
Deux projets d’avant-propos
II
[198] J’ai bien songé commencer ce livre, comme c’est l’habitude,
par une introduction distinguée, qui eût permis d’une part
d’indiquer au lecteur, de façon exhaustive, de quoi il devait traiter
et, d’autre part, de guider progressivement ce même lecteur, sans
qu’il s’en aperçoive, vers de profondes spéculations. Mais plus je
m’y suis essayé, et plus m’est apparue mon in <capacité> habileté en
cet art. C’est pourquoi j’ai pris sans tarder la résolution d’aller
directement et sans détours à la chose même. Car je n’étais pas sans
avoir souvent remarqué que lorsqu’on traite du savoir en ce qu’il a
de plus éminent, les introductions aboutissent souvent à l’effet
contraire à l’effet manifestement recherché. Car comment
introduire autrement qu’avec des concepts et des pensées qui se
situent en dehors de la science, ou en partant de présuppositions
qui ne reçoivent leur véritable signification comme leur totale
confirmation qu’au sein de la science elle-même ? C’est pourquoi ce
genre de préliminaires a pour seule conséquence que les sages
restent suspendus à l’introduction et n’en viennent jamais à la
chose même. <C’est> Ce fut toujours, jusqu’à aujourd’hui, le
principal affairement de toute sophistique que de se tenir pour
ainsi dire devant la science et en dehors d’elle, comme d’empêcher,
par des bavardages à n’en plus finir, et ne cessant de tourner autour
du pot, qu’on en vienne jamais à la science elle-même. C’est
pourquoi j’ai retiré tout ce qui pourrait servir à introduire à
l’œuvre, et que j’avais rassemblé à cette fin, pour le mettre au beau
milieu de l’œuvre, là où chacun pourra le trouver, le comprendre
mieux, et jugera de façon plus juste que si je l’avais placé au
commencement. Je ne m’inquiète nullement d’avoir dû commencer
d’emblée, pour cette raison, par les sujets les plus ardus et les plus
obscurs. Car même dans des matières communes, tout
commencement est difficile ; difficulté ô combien plus grande
lorsqu’il s’agit du commencement de tout commencement ! De
même qu’il n’est pas possible de connaître l’avenir sans un don
particulier du ciel, scruter les profondeurs du <passé> temps
primitif exige aussi une tournure d’esprit spécifique, et, avec
prévoyance, Dieu cache dans les ténèbres de la nuit le
commencement du passé comme l’issue de l’avenir.
À la question de savoir ce qui est le Prius et ce qui, de toute la
nature, a la plus haute Antiquité, Thalès de Milet aurait déjà
répondu : Dieu, parce qu’il est sans commencement ni fin [6] .
Réponse un peu hâtive, certes, [199] d’autant qu’elle est celle d’un
philosophe païen <mais qui n’en invite pas moins à une réflexion
profonde et de longue haleine>. Mais nous ne savons pas au juste ce
qu’il pouvait bien penser sous ce nom de Dieu. Et en aucun cas, du
seul fait de prononcer le nom de Dieu, nous ne connaissons par là
les profondeurs de son essence. Car Dieu n’est pas un Etre mort,
fixe, c’est au contraire un Etre vivant, voire la vie la plus haute qui
soit. Je sais pertinemment à quelles interprétations ont donné lieu
ces mots, et de quelle façon on s’en est débarrassé pour ne plus
avoir en fin de compte que quelque chose de fixe et d’inerte <mais
ce n’est pas ainsi que l’on peut contourner de tels>. Halte-là, chers
amis [7] ! Ce n’est pas ainsi que l’on peut s’y prendre avec d’aussi
splendides paroles, tout à fait à leur place dans l’Ecriture ; il ne vous
sera pas si aisé de les confisquer, ni de les transformer en paroles
apocryphes. Or il n’y a pas de vie sans devenir ni sans mouvement,
et la vie divine ne fait pas exception à cette règle, ni Dieu lui-même
dans la mesure où il est vie. C’est à vrai dire un devenir éternel, à
savoir un devenir advenu de la liberté, qui advient toujours et
jamais ne cessera d’advenir (il me faut m’exprimer ici de façon
quasiment inintelligible — car il est de mise aujourd’hui de
distendre à ce point les concepts qu’on n’est plus à même de
comprendre ce qu’est un devenir éternel) ; mais éternel ou non, un
devenir n’en reste pas moins un devenir. Il n’y a ni vie, ni devenir
ni mouvement propre qui n’ait un début et qui n’ait une fin. La vie
de Dieu ne fait pas exception à cette règle, et Dieu non plus dans la
mesure où il est vie. (Non que Dieu lui-même soit sans
commencement ni fin.) C’est à vrai dire un commencement éternel,
autrement dit c’est de toute éternité que ce devenir a commencé
ainsi, commencera toujours et jamais ne cessera de commencer. Sa
fin est elle aussi une fin éternelle, c’est-à-dire <que Dieu> Dieu n’est
pas quelque chose d’infini, contrairement à ce que l’on pense
d’ordinaire, c’est au contraire <pour dire les choses de façon aussi
concrète que possible> ce qui éternellement est venu à stance, ne
cesse ni ne cessera jamais de venir à stance <c’est-à-dire d’être
véritablement Dieu>. C’est donc parler grossièrement que de dire de
Dieu qu’il est sans commencement ni fin là où il faudrait bien plutôt
dire qu’il est sans commencement de son commencement et sans
fin de sa fin, autrement dit qu’il commence et finit éternellement.
Or il n’y a pas de commencement sans que soit pensé au préalable
comme non-étant ce dont le commencement est commencement.
Non pas certes comme absolument non-étant, mais comme non-
étant relativement à ce qu’il doit devenir. Faudrait-il donc, pour
comprendre le [200] devenir divin, aller jusqu’à penser Dieu lui-
même comme non-étant ? Assurément, cher lecteur, et il me faut ici
t’apostropher ; il ne s’agit pas ici, en effet, d’affirmer ou de poser
pour ma part ceci ou cela, comme s’il te fallait tout comprendre sur-
le-champ ; ce dont il y va, c’est que tu <te donnes la peine> y mettes
du tien et fasses appel à tes propres lumières pour le comprendre.
Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, ne le permets pas non plus
à quiconque. Je n’ai pas dit que Dieu est devenu à un moment
quelconque, ni même une seule fois, un non-étant. Sois bien
convaincu que je prends au sérieux l’éternité de Dieu, plus
sérieusement même que tous ceux qui médisent de mes propos ; ne
va pas croire non plus qu’il s’agit pour moi de provoquer
l’étonnement ou la stupéfaction en recourant à un langage insolite
et étrange ; il s’agit simplement de te faire accéder à une
compréhension qui, à en juger par la doctrine que tu soutiens, t’a
fait défaut jusqu’à présent, et sans laquelle les termes aussi évidents
que galvaudés de « vie » et de « vivant », appliqués à Dieu, ne sont
que flatus vocis. Je t’ai déjà dit que la vie de Dieu est pour moi un
devenir éternel. Or si l’être de Dieu est comparable à un devenir (si
éternel soit-il), on peut l’assimiler à une transition (si éternelle soit-
elle) du non-étant à l’étant, et il te faut dès lors poser Dieu comme
non-étant, non qu’il eût été de fait, à un quelconque moment, non-
étant (lui qui éternellement se meut vers l’être), mais par simple
clarté conceptuelle, et afin que tu sois à même de comprendre ce
devenir.
Gardez donc le silence, esprits qui vous croyez pieux et qui n’avez à
[8]
la bouche que votre « sentiment » et votre « proximité de Dieu » ,
vous que l’on surprendrait presque à dire que vous ne sauriez un
seul instant vous passer de Dieu. Il est des moments dans la vie où il
faut savoir se passer de Dieu, et demeurer calme et serein même à
défaut de Dieu, s’il est vrai du reste qu’il est loisible à Dieu de retirer
à l’âme sa lumière et sa force. L’abandon cherche Dieu, dit un poète
mystique du XVIe siècle . Mais abandonner Dieu est aussi abandon,
[9]
Notes du chapitre
[1] ↑ Cf. De arte poética, 136.
[2] ↑ Développement similaire, parfois mot pour mot, dans l’Introduction à Clara.
[3] ↑ auf, coquille pour aus.
[4] ↑ Au nombre desquels Schelling compte en tout premier lieu Kant lui-même, auquel la
Contribution à l’histoire de la philosophie moderne reconnaîtra, par opposition à Jacobi,
« un grand amour et une profonde connaissance de la nature » (trad. fr. citée, p. 195 ;).
[5] ↑ Allusion non voilée à la façon dont Kant lui-même présente la Critique de la raison
pure en 1787 (Β XIII).
[6] ↑ Diels-Kranz, Dit Fragmente der Vorsokratiker, t. I, p. 4 : πρεσβύτατον τῶν ὄντων
θέος.
[7] ↑ lieben, coquille pour liebe.
[8] ↑ Expressions typiques de Jacobi.
[9] ↑ Sic ! Angélus Silesius — de son vrai nom Johannes Scheffler —, dont Schelling cite le
Pèlerin chérubinique (II, 92), a vécu en réalité de 1624 à 1677. Il était donc à peu près
contemporain de Leibniz, qui l’admirait tant.
[10] ↑ L’édition Schröter porte wir au lieu de wenig — cf. MARQUET, p. 400 n.
Brouillon d’introduction
Introduction
Notes du chapitre
[1] ↑ Rem. marg. : La représentation du passé est commune à tous les hommes, mais c’est
à bien peu que le passé véritable.
[2] ↑ sans une constante gradation vivante de soi-même, qui ne s’arrache pas de lui-
même à tout ce qui est présent, qui ne se libère pas de tout ce qui est advenu ou présent.
[3] ↑ ne peut être.
[4] ↑ être.
[5] ↑ Rem. marg. : Cato major de milit. ad Carthag. inter quos Scipio : Celui-là seul est sage,
les autres vacillent comme des ombres.
[6] ↑ comme on dit.
[7] ↑ Rem. marg. : <Tout> L’homme d’expérience sait que tout homme doué de vitalité et
de volonté est capable de se donner un véritable passé, que seul ce même homme jouit
également d’un véritable présent comme seul il affronte un véritable avenir.
[8] ↑ Rem. marg. : Qu’il est délicieux le ton des récits de l’his. proprement dite du passé, à
comm. par le péché ? Science véritabl. éminente.
[9] ↑ En lisant Aufschliessung au lieu d’Ausschliessung.
[10] ↑ Cf. Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Préface (Die phil. Schriften,
éd. Gh., t. V, p. 45-46) : « … les habitudes acquises et les provisions de notre mémoire ne
sont pas toujours aperçues et même ne viennent pas toujours à notre secours au besoin,
quoique souvent nous nous les remettions aisément en l’esprit sur quelque occasion légère
qui nous en fait souvenir, comme il ne nous faut que le commencement pour nous
souvenir d’une chanson. »
[11] ↑ Cf. supra, p. [5].
Huit fragments isolés
Feuille isolée
La science provient du passé, elle accueille le présent et perce dans
l’avenir. La fin peut être pressentie, le présent peut être senti, seul
le passé peut être su. Si obscur que puisse être le dénouement final,
les hommes le conçoivent néanmoins plus aisément parce que le
mouvement général les pousse eux-mêmes dans cette direction.
Bien moins nombreux sont ceux auxquels il est donné de recueillir
les commencements de la vie, et moins nombreux encore ceux dont
la pensée est à même d’embrasser le tout de la première chose à la
dernière ; en effet, garder en tête la connexion du début jusqu’à la
fin demande de la force d’âme. Or la plupart des hommes s’effraient
face à la réalité de ce mouvement, ils voudraient mettre fin par de
paisibles généralités au conflit que seul un acte est à même de
trancher ; ils voudraient exprimer sous la forme d’un simple
enchaînement de pensées, où le commencement est tout aussi
arbitraire que le mode de progression, le résultat d’une vie qui doit
s’imposer, d’une histoire où alternent, comme dans la réalité, des
scènes de guerre et de paix, douleur et plaisir, péril et salut. Mais
nul ne peut s’imaginer fouler le chemin de la véritable science qui
ne progresse à partir de ce qui est effectivement commencement, de
ce avant quoi en réalité rien n’est pensable, bref de
l’imprépensable [1] et du Prius jusqu’à ce qui est effectivement la fin,
et cela par des maillons intermédiaires qui s’engendrent à partir de
ce Prius sans procurer aucune entrée à quoi que ce soit d’étranger à
lui, non plus qu’à l’arbitraire ni à [212] l’opinion. Tout ce qui ne
commence pas et ne progresse pas de cette façon peut bien
coïncider par hasard avec la véritable science sur tel ou tel point, ce
n’est jamais qu’une science purement apparente, artificielle et
surfaite.
Thalès de Milet a dû déjà répondre à la question de savoir ce qui,
dans toute la nature, est la première et la plus ancienne des choses.
Nous n’examinerons pas le sens qu’il faut donner à la réponse qu’il
est censé avoir faite ; cependant, qu’on retienne ce qu’on voudra
parmi tout ce qui est reconnu comme étant, toujours l’étant sera
plus ancien car il ne peut rien y avoir de plus ancien, il est par
nature le Prius que présuppose tout le reste, et de même que le Bon,
le Juste ou l’Equitable est nécessairement présupposé de ce qui n’est
qu’un [étant] bon, juste ou équitable, ce qui est l’étant lui-même a
une priorité et une ancienneté (prius et antiquius) sans comparaison
possible avec celles de tout étant particulier qu’on voudra. Il va de
soi que ce qui est l’étant lui-même ne peut jamais se rencontrer
dans l’expérience, en tant que ce où nous ne rencontrons que du
réel ou de l’étant, et que par conséquent.
Feuillet détaché
Parvenir de ce qui est en soi le Prius et le présupposé de tout par
des maillons intermédiaires s’engendrant à partir de lui en une
constante consécution jusqu’au [terme] véritablement ultime,
jusqu’à la fin effective, sans aller chercher rien d’autre ni rien
d’étranger à cet engendrement, telle est sans conteste la voie de la
science parachevée, et toute tentative se situant en dehors de cette
voie ne peut engendrer que des opinions, et jamais un savoir.
Depuis des temps immémoriaux, l’esprit humain s’efforce
d’engendrer une telle science jaillissant de la racine première ; mais
si la plupart des tentatives ont échoué sur le chemin menant au
terme ultime et n’ont pas même trouvé le commencement, la
principale raison de cette totale infortune réside sans conteste dans
l’opinion qui veut que le présupposé de tout ne puisse qu’être
également le comble de l’excellence et, comme ils le mesurent à
l’aune de ce qu’ils désirent plus que toute autre chose, le plus
désirable en soi. Or ce qu’ils veulent sans conteste, c’est être et
vivre : donc de l’étant et du vivant. Mais le [213] présupposé de tout
est tel que non seulement rien n’est avant lui, mais encore rien ne
peut non plus être avant lui, vu que par nature il est le Prius et, de
toutes choses de la nature, la plus ancienne.
C’est pourquoi il ne peut lui-même être aucun étant ; car tout ce qui
est un étant pose du même coup de l’étant autre en dehors de soi, et
ne peut même subsister comme telle forme et figure particulière de
l’être qu’en excluant toutes les autres formes, et donc en les posant
hors de soi : même ce qui est en soi totalement dépourvu de forme
et de figure doit pour être tel, c’est-à-dire pour être un étant, exclure
de soi toutes formes et figures de l’être, les poser effectivement hors
de soi, faute de quoi il resterait toujours indécis face à l’éventualité
de répondre de telle ou telle de ces formes. Il ne peut être lui-même
aucun étant, mais simplement liberté pure. Celle-ci n’admet tout
d’abord rien d’étant, car elle n’a elle-même qu’un rapport immédiat
avec l’être et obstrue pour tout autre qu’elle le chemin qui mène à
l’être, en sorte qu’avant elle, autrement dit tant qu’elle n’est pas elle-
même étant, rien d’autre ne peut être étant. Mais elle n’admet rien
non plus au-delà de l’être, car au-delà de l’être il n’y a que ce qui en
est sujet absolu — à savoir elle-même. Ce qui serait au-delà de l’être
devrait donc se trouver en même lieu (eodem loco) qu’elle et
n’aurait d’autre emplacement pour l’être que celui qu’elle occupe
déjà, en d’autres termes : cet autre devrait être elle-même, cette
pure liberté, car elle-même est sujet absolu ou le seul Étant, en
prenant ce mot au sens de cet être essentiel dont le est, en toute
énonciation possible, est l’expression.
Car en toute énonciation on différencie un être double, l’être
objectif exprimé dans la proposition : A est étant (et tout énoncé
possible contient seulement ceci : soit A est étant en général, soit il
est telle forme et tel mode déterminés de l’être), par le mot étant, et
l’être plus intérieur retournant dans les profondeurs à l’encontre de
celui-ci (gegen jenes), qui réside dans le mot est et désigne l’être du
simple sujet ou, comme on l’a encore appelé, de la pure essence
(esse more essentiae).
Ce qu’il faut pour toute chose présupposer est donc du même coup
la Pureté qui consume tout, ou pour le dire avec l’Oriental, le non-
voilé, la nudité face à quoi rien ne peut subsister.
[214] Or il est clair que ce n’est pas là ce que nous voulons, mais
bien plutôt ce que nous ne voulons pas. Cela ne laisse pas moins
d’être, car l’universel présupposé ne peut répondre à nos vœux déjà
pour la simple raison qu’il n’est pas l’objectif. C’est le préalable à
toute pensée — serait-il sinon l’imprépensable, le Prius ? Il est
moins posé qu’il ne se pose lui-même, non point au sens où cette
autoposition serait d’un type particulier, mais au sens où l’on dit
que quelque chose se fait tout seul, quand nous voulons dire que
nous n’y sommes pour rien. C’est ce qui est pré-supposé d’emblée
par tout poser, ce qui est déjà là avant même que nous y songions
ou que nous nous en avisions, ce qui a toujours déjà occupé les lieux
de l’inconditionné et par rapport à quoi, si tôt que nous partions,
nous arrivons toujours trop tard.
Parce qu’il prend les devants de toute pensée, on a cru ne pouvoir
en exprimer la connaissance que comme intuition : mais comme il
ne peut se conserver en cette intuition en tant qu’objectif, on a cru
devoir qualifier cette intuition d’intellectuelle. C’est à cela
précisément que vise l’autre formulation qui dit qu’il ne peut être
su qu’au moyen d’un savoir nescient, car tout savoir se rapporte
d’abord à un objet, et là où il n’y a pas d’objet il n’y a pas non plus
de savoir ou, si c’en est un, ce ne peut être qu’un savoir nescient.
C’est précisément à cela que vise cette ancienne formulation : il ne
se présente que lorsqu’on ne le cherche pas, et s’enfuit dès qu’on
cherche à le rendre objectif, il n’est connu que par non-
connaissance (ignorando cognoscitur), qu’on veuille en faire l’objet
d’un savoir et il se dérobe à cette volonté.
Feuille détachée
La Pureté, voilà ce que l’homme cherche en toutes choses, voilà ce
qu’il estime et prise par-dessus tout. En sa plus haute quête
spirituelle, il ne peut donc rien chercher d’autre qu’à porter
effectivement à sa connaissance la parfaite Pureté, la Pureté telle
qu’en elle-même, même s’il ne peut la contempler avec <les> ses
yeux <du corps>. Toute autre chose a des propriétés qui permettent
de la connaître et de la saisir, et plus elle a de propriétés, plus elle
est aisément saisissable. La parfaite Pureté, elle, est précisément ce
qui reste quand on ôte la propriété d’avoir des propriétés, elle est
pure simplicité, [215] détachement de tout, qui ne tient à rien, ne
souffre aucun contact, cette sorte de virginité, cette parfaite
simplicité qu’on ne peut immédiatement approcher que par un total
renoncement à la connaissance ; elle est là quand on ne la veut pas,
et s’enfuit quand on tente de la saisir. Dans cette mesure, on ne peut
en avoir qu’une connaissance purement négative. Tandis que la
connaissance effective (positive), celle que l’on cherche
proprement, n’est possible que médiatement, il n’y a rien à
connaître en revanche à son contact ou en elle, car elle est une
totale sur-réalité. Il faut quelque chose d’extérieur à elle pour la
<retenir > séduire, l’attirer, il faut un charme qui la tienne et la
laisse en même temps à sa pureté et à son intégrité. Mais en dehors
d’elle il ne pourrait y avoir tout d’abord que quelque chose comme
une figure d’elle. Mais cette figure, si tant est qu’elle préserve
effectivement en soi la parfaite Pureté, est nécessairement tout
aussi en retrait et tout aussi peu immédiatement connaissable
qu’elle. En partant d’elle-même, la Pureté, il n’y a pas non plus de
chemin ni de transition qui y mène, mais si elle est effectivement ce
pour quoi nous la prenons, cette figure peut tout aussi peu que la
Pureté elle-même être un fruit du devenir, et doit nécessairement
l’être tout aussi peu. Ayant renoncé à tout cela, il ne reste donc plus
rien à penser en dehors d’elle que la Pureté primordiale. Il nous
faudrait examiner si un germe, quelque chose comme une figure de
la Pureté, ne se rencontrerait pas en elle, quelque chose qui
l’attirerait et l’arrêterait. On ne saurait objecter à ce procédé qu’il
revient à traiter la Pureté comme quelque chose d’étant en soi où
rien ne peut être présupposé. Car il ne s’agit pas encore ici de la
science elle-même, mais dans la mesure où c’est d’abord de
l’imprépensable (ἀνυπόθετον) radical… cherchons, nous aspirons à
nous élever tout d’abord jusqu’à lui, non pas en tenant la Pureté
elle-même pour quelque chose d’essentiel, mais en la reconnaissant
comme simple soubassement dont nous ne nous servons que
comme auxiliaire et pour ainsi dire comme appui afin de parvenir
au véritablement essentiel et à ce qui est le commencement de tout.
Il va de soi, d’ailleurs, que nous ne partons pas de tel ou tel être pur
primordial conçu arbitrairement, mais de la Pureté primordiale en
son premier avènement.
[Epreuves des pages 3 et 4 du deuxième feuillet d’une liasse en
comprenant 22 de remaniement, avec de très importantes variantes,
du Livre premier.]
[216] Prendre et donner sont des concepts réciproques qui ne
peuvent aller l’un sans l’autre. Mais ce Sur-Etant que nous posons
avant tout étant n’a rien, non seulement il ne s’a pas lui-même mais
il n’a rien non plus extérieurement, et à cet égard aussi, comble de
richesse, il n’en est pas moins égal au comble de pauvreté. Ce qui
par conséquent n’a rien à quoi se donner ne peut se donner, ne peut
que se prendre soi-même afin qu’il y ait Quelque Chose. S’il n’a rien
à quoi il puisse se donner, le comble de richesse devient égal au
comble de la pauvreté, il régresse en soi-même et se consume en lui-
même. Imaginons un pur feu sans combustible qu’il s’apaiserait à
consumer : ce feu ne peut que se retourner contre lui-même et
devient pour lui-même un supplice. De même, un esprit qui serait
totalement nu et dépouillé et n’aurait rien en dehors de soi pour
s’envelopper ou se revêtir ne pourrait faire autrement que
retourner en lui-même en se consumant tout seul. Cette paisible et
germinale entrée en soi-même est encore en elle-même sans force et
ne se traduit par aucun acte ; c’est à la faim qu’elle se prête le plus à
être comparée, à la fringale qui n’agit pas et même d’une certaine
façon n’est rien, et qui pourtant est le pire tourment. Mais c’est
précisément cette fringale du non-être qui devient la génitrice de
l’acte, qui est l’emprise du commencement éternel et proprement
dit qui, comme le mot Anfang [commencement] l’indique, ne peut
consister en une donation, en une profération ni en une
communication de soi, mais seulement en une prise, un rapt, une
attraction. Cette faim est le véritable aimant attirant tout à soi, la
première tension de l’arc, une tension durable cependant et ne
cessant jamais, selon l’image par laquelle la haute Antiquité se
représentait déjà la vie [2] .
De par son esprit, l’homme n’est rien d’autre qu’une telle pure
liberté, une volonté nue, dépouillée et affranchie de tout. Mais en
lui aussi une telle volonté se devient à elle-même pénible ; il est par
nature pour ainsi dire insupportable à l’homme de ne rien vouloir,
et si d’aventure l’homme le plus opiniâtre pouvait être transposé
comme par enchantement dans l’état de non-vouloir, ce dénuement
de la volonté ne manquerait pas de se transformer sur-le-champ en
une ardente frénésie qui [217] exigerait ou bien d’être assouvie
définitivement par un bien surabondant, ou alors l’entraînerait à
nouveau dans le cycle du désir toujours inassouvi et toujours avide
de nouveaux objets de convoitise.
Il est impossible [3] que ce Sur-Étant devienne un Être exprimant en
refoulant en soi la force de négation et en prenant sur elle le dessus.
Nous ne nous cachons pas qu’il existe encore une troisième
possibilité, même si jusqu’à présent nous ne l’avons pas admise, à
savoir : qu’il ne veuille pas du tout, qu’il demeure la pure volonté, la
volonté qui ne veut pas. Quant à la question de savoir pourquoi il
ne reste pas nonobstant en cette Pureté, la seule réponse que nous
soyons à même d’apporter est la suivante :
Il serait naturel qu’il ne voulût absolument pas. On peut dire que
c’est dans le non-vouloir que réside toute surnaturalité. De même
qu’inversement il est naturel de vouloir et que toute naturalité est
précisément posée par le vouloir. Le plus difficile, ce qui transcende
toute nature, c’est d’être pure volonté sans vouloir, de ne pas
vouloir, de rester dans l’indifférence. La volonté de l’homme est son
ciel, dit-on, mais on pourrait tout aussi bien dire qu’elle est son
enfer. Il conviendrait de dire d’abord que c’est la volonté apaisée, la
volonté qui ne veut rien qui est son ciel. Tout homme cherche ce
ciel, non seulement celui qui supporte de ne rien vouloir afin d’être
comblé par le Très-Haut (car seule la volonté qui ne veut rien peut
être comblée par Dieu), mais non moins celui qui se laisse aller
furieusement à tous ses désirs, car qu’est-ce que l’enfer lui-même
sinon de devoir éternellement chercher un ciel et de ne le pouvoir
trouver ? Il n’est pas rare d’entendre dire que des esprits décédés,
incapables du ciel, parviennent dans sa région, et d’eux-mêmes s’en
détachent à nouveau parce que cet état comblé de la volonté au
repos qui ne veut pas leur devient un supplice, une rage les
consumant, et que de leur plein gré ils finissent dès lors par
retomber dans l’affairement propre au désir toujours inassouvi,
éternellement <éternellement> affamé de nouveau.
[Dernière page du manuscrit d’un remaniement comprenant 29
feuillets du premier tirage, sur laquelle étaient collées les pages
[183/184 qui en avaient été arrachées, après lesquelles venait le
passage suivant :]
L’état ordonné du monde n’est pas assuré au sens où le croit le
grand nombre ; suffisamment assuré, certes, tant que l’amour
éternel ne meurt pas et qu’il est le pouvoir prédominant et
souverain, mais pas [218] aussi assuré que s’il l’était par une
nécessité aveugle ou, comme on le croit, en vertu d’éternelles lois de
la nature. Car au fond c’est toujours l’ancien état qui demeure ; s’il
est retenu d’éclater à nouveau, ce n’est pas par les liens de fer de la
nécessité, mais seulement par la suprême douceur qui est dans la
clémence et dans la bonté.
Quand les éclairs sillonnent le ciel, quand la tempête et les
intempéries menacent de confondre ciel et terre, que font rage tous
les éléments déchaînés et que la terre vacille ; ou qu’un terrible
soulèvement surgit dans la société humaine, quand se dénouent
l’ancienne loyauté et la vieille amitié, qu’aux horreurs répondent
les horreurs et que tous les liens se dissolvent : alors l’homme sent
que cet état est toujours présent, un malaise le gagne comme à
l’heure terrifiante des spectres. Car l’homme a vocation de
maintenir la puissance de l’amour ; aussi faut-il que l’humanité en
délire se déchire comme les monstres des abîmes. C’est pourquoi le
criminel ne suscite pas seulement chez l’homme l’épouvante mais il
est renié par toute la nature et, à son propre sentiment, expulsé
d’elle, partout traqué et fugitif devant elle, parce qu’il cherche à
faire resurgir l’ancien Chaos, à rompre l’alliance qui seule l’a
dompté.
Ο Passé, abîme de pensées !
Feuillet I
Ce que tu veux penser dans cette pensée n’est rien en soi, c’est-à-
dire rien sans ce mouvement, et n’est quelque chose qu’en ce
mouvement, et ne peut donc être décrit qu’en ce mouvement : si tu
veux le décrire, fais tiennes les paroles de l’Écriture : Il est le
commencement et la fin, l’A et l’Ώ. C’est éternellement qu’est pris en
ce mouvement ce qui s’est voilé d’une lumière inaccessible, que nul
n’est à même de voir ni d’exprimer. Ce n’est pas seulement par
rapport à nous, ce n’est pas seulement pour l’homme mais par
nature qu’il était à lui-même invisible, indicible et impensable.
C’est ici que passe la véritable frontière absolue non du savoir mais
de la pensée, infranchissable pour l’homme car pour Dieu aussi
infranchissable. Qui la transgresse se perd dans les ténèbres et les
abîmes inévitables de la doctrine de l’émanatio. du gnosticisme et
[219] autres philosophies orientales [4] Un passage très vigoureux du
Dr Martin Luther s’accorde tout à fait avec cela, bien que nous ne
voulions pas encore ici parler du temps proprement dit. « C’est une
absurdité, dit-il au début de son explication du Premier Livre de
Moïse, de disputer à l’envi de Dieu en dehors du temps et avant le
temps, parce que cela revient à vouloir comprendre la divinité nue,
le pur Etre divin. Comme cela est impossible, Dieu se voile en ses
œuvres (son faire) et en de certaines figures, comme il se renferme
de nos jours, entre autres, dans le baptême ; si tu t’éloignes de cela,
tu perds du même coup la mesure, le temps et le lieu, et tu arrives
au plus pur néant dont, selon la déclaration du Philosophe
(Aristote), aucune science n’est possible. » Car là où il n’y a pas de
consécution, il n’y a pas non plus de science.
Feuillet II
Mais dans l’acte ou le mouvement Dieu ne peut extérioriser aucune
propriété statique ; ce serait là immédiatement contradictoire.
Certes, ce mouvement est tel qu’il part du même, passe par le même
et aboutit au même, et dans cette mesure ce n’est pas là un
mouvement externe mais au contraire un mouvement qui
éternellement est en soi à demeure ; mais cela l’empêche [5] d’être
un mouvement de progression interne, un feu qui n’a de cesse de
s’alimenter soi-même, de se donner à soi-même son combustible
pour le consumer de nouveau. On peut donc sans conteste y déceler
les étapes d’une progression, des points ou des moments distincts.
Mais dans la mesure où chacun de ces points appartient au
mouvement indivisible et indissociable, Dieu est en cette
progression le tout et chaque partie, et en même temps il n’est rien
de tel, c’est-à-dire qu’il n’est rien d’isolé, rien de fixe ou de
particulier, il n’est que dans le mouvement irrésistible (in actu
purissimo), engendrant autant qu’engendré ; mais nulle part on ne
peut s’arrêter et dire : c’est tout spécialement ici qu’est Dieu. Dieu
est insaisissable et inconcevable, non point certes au sens habituel,
au sens où aucun concept n’en serait possible (dans la mesure où
c’est déjà avoir un concept de Dieu de dire qu’il est la vie éternelle,
l’éternel mouvement de s’engendrer) ; si Dieu est insaisissable et
inconcevable, c’est en ce sens qu’il n’est pas fixe ; il est insaisissable
au sens effectif, il est incoercible, indéfinissable, il n’est pas possible
de l’inclure en des limites définies ; tel le vent qui souffle là où il
veut [6] , son murmure parvient à tes oreilles, mais tu ne sais pas
d’où il vient ni où il va (car toujours la fin retourne au
commencement, et le [220] commencement à la fin), il est
simplement l’Esprit de cette vie infinie, et où que tu ailles tu ne
trouves que la trace de ses pas, non lui-même, lui qui, en raison de
sa Pureté, est tout agilité et traverse tout. Dieu est Esprit : cette
parole n’est que la traduction néo-testamentaire du très ancien
« Dieu est feu ». Car ceux qui pensent juste se sont depuis longtemps
avisés que cette parole ne vise pas à inclure Dieu dans telle ou telle
classe d’Etres, que, s’il est appelé Esprit, c’est en un sens bien
différent et autrement plus éminent qu’au sens où les anges et les
hommes sont respectivement appelés tels.
Cette inconcevabilité de Dieu ne repose pas sur le fait qu’il serait un
Etre abstrus, dont nous ne pourrions découvrir la nature au moyen
de nos concepts ; on ne peut en parler de façon dogmatique, ainsi
que le font la plupart, comme d’une propriété fixe, car elle repose
tout au contraire sur la vie la plus haute. Il est également nécessaire
d’établir une distinction entre concevoir et connaître. Est
inconcevable ce qui n’est pas capté par un con-cept, ce qui ne peut
être circonscrit ni inclus en un concept ; mais ce qui est l’actualité la
plus pure (actus purissimus) est également en soi ce qu’il y a de plus
et de plus parfaitement connaissable, c’est pour ainsi dire l’étoffe la
plus pure de la connaissance.
Notes du chapitre
[1] ↑ das Unvordenkliche — si le terme a pour sens courant l’immémorial, Schelling
l’explicite ici et l’entend littéralement comme : ce avant quoi rien ne peut être pensé, d’où
la traduction de ce terme par « imprépensable », selon une suggestion de J.-Fr.
Courtine.« Quant au mot unvordenklich, le visiteur de Schelling, l’évêque et théologien
danois Martensen (bête noire de Kierkegaard) se souvenait plus tard avec quelle révérence
et componction Schelling le prononçait » (X. Tilliette, L’Absolu et la philosophie, PUF, 1987,
p. 234).Cf. aussi, sur ce terme, MARQUET, p. 546, n. 50.
[2] ↑ Cf. Héraclite, frg. 48, Diels-Kranz.
[3] ↑ unmöglich, coquille possible pour möglich : possible.
[4] a↑ b↑ Comme, par exemple, la « Kabbale juive » — cf. p. [88].
[5] ↑ À moins de supposer ici l’omission d’un nicht, ce qui donnerait : « mais cela ne
l’empêche pas d’être, etc. ».
[6] ↑ Jn 3, 8, où pneuma signifie à la fois souffle et esprit.
[7] ↑ Le « grand disparu » est très probablement Johannes von Müller l’historien, sans
doute dans les lettres de jeunesse à Bonstetten », nous écrit X. Tilliette (5 juillet 1988). Dans
le même ordre d’idée, Fr. Schlegel définissait l’historien comme « le prophète du passé »
(apud X. Tilliette, L’Absolu et la philosophie, p. 235).
[8] ↑ und dend : coquille à laquelle nous subtituons und von den.
[9] ↑ Cf. Schiller, Poésie naïve et sentimentale, Werke, éd. Hanser, II, 549.
[10] ↑ ὑπερούσιος se rencontre chez le commentateur d’Aristote Alexandre d’Aphrodise
— cf. Schelling, Das Tagebuch 1848 (Meiner, 1990), p. 180. Mais aussi chez le Ps.-Denys.
[11] ↑ gefunden und empfunden — sur cette assonance, et cette « dialectique de
l’Empfindung », nous renvoyons une fois encore à MARQUET, p. 35 (et 580).
[12] ↑ Nous lisons die gar nicht nicht seyn kann, et non die gar nicht seyn kann, « qu’il ne
peut pas être ».
Extrait du manuscrit ULT4, feuillets
VII, VIII
Notes du chapitre
[1] ↑ Passage très probablement altéré. Au lieu de « … Natur, da sie Grund von Existenz
selbst nicht ist » (« … la nature, vu qu’elle n’est pas elle-même fondement d’existence »),
nous supposons avec M. Marquet comme phrase primitive : « … Natur, dit, da sie Grund
von Existenz selbst ist, nicht ist », et traduisons en conséquence.
[2] ↑ Verkettnng — lire Verkettung.
[3] ↑ Texte sans doute corrompu ici encore, nous suggère M. Marquet. On peut supposer :
« Cette force enfante… l’essence qu’elle nie en soi. »
[4] ↑ Wirklichkeitung est une coquille, sans doute pour Wirkung préféré à Wirklichkeit.
[5] ↑ Cf. la Fortima primigenia des Romains dont il est question dans la XIVe Leçon de la
Philosophie de la Révélation (p. 294).
[6] ↑ Phédon, 8od. Ces questions sont l’objet du dialogue Clara.
[7] ↑ On relève l’expression αἰῶνος εἴςωλον dans le fragment 131 de l’éd. Schroeder (=
Bowra 116), cf. Isthmiques et fragments, éd. Budé, t. 4, p. 196. Cf. en outre R. Brague, Du
temps chez Platon et Aristote, PUF, p. 57.
[IV] Projets et fragments en vue du
livre II des Ages du monde
Transition avec le livre II
Feuillet XXXVIII
Notes du chapitre
[1] ↑ R. m. : Matière à différentes améliorations du dernier livre à retirer de cette
introduction. Si celui-ci est encore remanié, cette introduction pourra assurément prendre
une autre tournure.
[2] ↑ R. m. : Non ! C’est aussi en opposition au temps suivant. Au commencement Dieu
créa déjà la terre et le ciel — avant même qu’il dise : fiat lux. Il n’est pas dit : an
commencement Dieu dit : que le ciel et la terre soient, mais : Dieu créa le ciel et la terre.
[3] ↑ R. m. : <car tout, et lui-même comme sujet>.
[4] ↑ R. m.: C’est précisément ce qui manque ici ! Il faudrait dire : dans la mesure où A3,
etc., A - B sombre intérieurement dans la profondeur, ce qui ne peut toutefois se produire
que sans préjudice de ce qu’il a de plus propre.
[5] ↑ Lire die geistigen au lieu de geistige.
[6] ↑ R.m. : Dieu s’est fait lui-même fondement de la nature.
[7] ↑ Schelling semble faire écho ici (mais c’est plutôt rare) au sens hégélien du mot
travail, comme dans le « travail de la venue-à-soi » dont parle la Contribution à l’histoire de
la philosophie moderne, trad. citée, p. 109.
[8] ↑ Cette« parole originelle » (das Wort der Ursprache) renverrait, d’après le Pr F. W.
von Herrmann consulté sur ce point, à la parole créatrice de Dieu dans la Genèse — cf.
aussi le Ps. 19 : « Coeli enarrant… »
[9] ↑ D’après aussi l’Ep. aux Romains (IV, 17) que cite ici littéralement Schelling, qui
reviendra sur cette question dans une note philologique de la XIVe Leçon de la Philosophie
de la Révélation — cf. SW, 6 E, p. 293. Sur le « non-apparaissant », cf. Hébr. XI, 3.
[10] ↑ R. m. : <est au fond supprimé aussi en tant qu’objet>.
[11] ↑ sich öffnen oder offenharen : le mot allemand pour la Révélation dit une ouverture,
et donc le contraire d’une réclusion, ce qu’il faut toujours garder en tête.
[12] ↑ R.m. : <le juste rapport de tous les principes>.
[13] ↑ R.m. : Certes, il se montre en cette décision.
[14] ↑ Ipséité ne rend à vrai dire que le sens ontologique de Selbstheit, qui a aussi une
connotation morale. Schelling commentera par das Aufgeben der Selbstheit, le
renoncement à la Selbstheit, l’idée exprimée par Fénelon (dans sa Démonstration de
l’Existence de Dieu) de « nous désapproprier de notre volonté », cf. SW, XI, 557 (note) ; cf.
aussi Schelling, Das Tagebuch 1848 (Meiner, 1990), p. 96.
[15] ↑ Selon la graphie hébraïque où les voyelles peuvent n’être pas souscrites mais sous-
entendues. Selon une tradition qui remonte sans doute au Zohar (XIIIe siècle), et dont le
début de l’Abrégé de grammaire hébraïque de Spinoza se fait l’écho, la Kabbale a coutume
de voir dans les voyelles « l’âme des lettres » et dans les consonnes sans voyelles des
« corps sans âmes ». Parmi les nombreuses gloses auxquelles a donné lieu cet aspect de
l’écriture hébraïque, notons au passage celle d’une double création — cf. Gershom
Scholem, Les Origines de la Kabbale, Ed. Aubier-Montaigne, coll. « Pardès », 1966, p. 37.
[16] ↑ R.m. : Peut trouver une bien meilleure application par la suite.
[17] ↑ Sur cette catabole, cf. TILLIETTE, I, 628, n. 77.
[18] ↑ comme dans la plante, qui n’est pas non plus sans un soleil propre à l’épanouir —.
[19] ↑ R.m. : L’un des deux mondes est pour lui, tel qu’il est à présent, le seul monde
présent et réel ; l’autre est pour lui le monde à venir. Quant à la raison de cette situation,
du fait que l’homme n’est pas dans une même mesure spirituel et… ne peut voir dans les
deux, il ne nous appartient pas d’en donner ici une explication, il suffit qu’il en soit ainsi.
[20] ↑ R.m. : <ici apparaît suffisamment clairement pourquoi ce livre doit se subdiviser en
deux parties, et pourquoi la première, l’histoire de la nature, est celle qui vient en premier.
>
[21] ↑ R.m. : <Telle est la raison pour laquelle ce livre se subdivisera en deux parties ; et
de telle sorte que l’histoire du développement de la nature vienne en premier. >
[22] ↑ R.m. : <Mais même cette vie présente de l’homme n’est pas devenue d’un seul coup
ce qu’elle est. Un passé infini sépare son état actuel de son premier état ; et celui-ci
présuppose à son tour une>.
[23] ↑ R.m. : <Ce qui pourra servir en outre pour l’introduction au livre suivant> <c’est là
tout ce qui pouvait et devait être rappelé dans le cadre d’une introduction générale au
livre suivant>.
Fragments du début du livre II
Notes du chapitre
[1] ↑ Dans une lettre à Windischmann datée du 5 septembre 1805 , Schelling remercie son
correspondant pour « les magnifiques passages de Plotin qu’il se permet de garder encore
quelque temps » et le prie de lui faire parvenir « d’autres passages significatifs sur la
matière, le temps, l’espace, la mort et la finitude ». Cf. Plitt, II, 72 ; Fuhrmans, III, 253.
[2] ↑ Plotin, Ennéades, III, 6, 14.
[3] ↑ À moins qu’il ne faille lire ici sie au lieu de wir, ce qui donnerait : « sinon qu’ils n’ont
pas compris un traître mot, etc. ».
[4] ↑ Sohn/Sonne- l’assonance, en allemand, entre les mots qui signifient respectivement
« fils » et « soleil » ne peut être rendue en français, pas davantage que celle entre Fils
(Sohn) et réconciliation (Versöhnug) — cf. p. [59]. Ces jeux de mots se retrouvent
fréquemment chez F. von Baader : cf. MARQUET, 457, n. 16.
[5] ↑ Ici commence une réfutation de Newton, et de l’idée selon laquelle c’est une seule et
même force qui pousse le corps qui tombe vers la terre et qui attire la terre vers le soleil.
En opposant Kepler à Newton, et en en retenant l’idée qu’il s’agit moins d’une attraction
que d’une attirance (p. [269]), Schelling se souvient-il du fameux kineî… ôs erômonon de la
Métaphysique d’Aristote (XII, 7) ? Toujours est-il que cette critique de Newton était déjà en
germe dans les Aphorismes de 1806 (CL) — SW, VII, 228-229 = OM, p. 101. Sur les différents
jugements portes par Schelling sur Newton, cf. TILLIETTE, I, 140, n. 54.
[6] ↑ Kant, Histoire générale de la nature et théorie du ciel, ou essai sur la constitution et
l’origine mécanique de tout l’univers, d’après des principes newtoniens, 1755 ; Lambert,
Kosmologische Briefe über die Einrichtung des Weltbaues, Augsbourg, 1761. Sur la façon
dont Schelling voit le rapport Kant/Newton, cf. l’article nécrologique sur Kant (1804) en
SW, VI, 7.
[7] ↑ R.m. : Naissance de l’espace première Comment il est impossible, sans force de
soutien.
[8] ↑ Comment l’homme ne devient libre que lorsqu’il a posé le fondement correct dans la
science et dans.
[9] ↑ R.m. : La cause véritable, ce qui pose et affirme le mouvement cyclique, est une
activité vivante à laquelle la première ne sert <partout> que de restriction ; et dans la plus
haute expression <nous ne pouvons exprimer autrement que comme effort cette activité
spirituelle>, elle ne peut être nommée qu’amour. Mais si l’on cherche, comme il se doit,
l’expression symbolique plus précise pour celle-ci, aucun analogon n’est plus approprié
que celui de l’activité électrique, du moins provisoirement, jusqu’à ce que nos concepts de
cette façon d’agir spécifique par laquelle pourtant le supérieur, le spirituel exerce un effet
sur le subordonné <se soient plus déterminés> soient devenus plus détermines et plus
tranchés avec <notre> l’expérience. Mais leur juste application fut toujours empêchée soit
par le faux concept de pesanteur soit par la tentative de l’exclure totalement, <et le
mouvement cyclique> Car si la terre est bien, comme on ne peut le nier.
La généalogie du temps
Postface du traducteur
Pascal David
Notes du chapitre
[1] ↑ Cf. X. Tilliette, Schelling — Une philosophie en devenir, Vrin, 1970, t. I, p. 581-582.
[2] ↑ Einleitung des Herausgebers, p. xv.
[3] ↑ Liberté et existence. Étude sur la formation de la philosophie de Schelling, Gallimard,
1973, p. 500.
[4] ↑ Ibid., p. 465.
[5] ↑ W. Wieland, Schellings Lehre von der Zeit. Grundlagen und Voraussetzungen der
Weltalterphilosophie, Heidelberg, 1956, p. 8.
[6] ↑ « Et si elle se trompe et s’égare, elle revient de l’erreur et de la perdition riche du
plus merveilleux butin », écrit Nietzsche de la grandeur qui est celle du talent : Nietzsche
Werke, éd. Colli et Montinari, IV, 1, p. 299.
[7] ↑ Op. cit., t.1, p. 581.
[8] ↑ Op. cit., p. 449.
[9] ↑ Sixième partie, Lettre VIII, OC, Ed. Pléiade, t. II, p. 699.
[10] ↑ Critique de la raison pure, A 613 - B 641.
[11] ↑ Cf. A. Koyré, La Philosophie de Jacob Boehme, Ed. Vrin, p. 280, n. 2.
[12] ↑ Schröter, loc. cit., p. LVIII.
[13] ↑ W. Wieland, op. cit., p. 12.
[14] ↑ Critique de la raison pure, Β, VII ; cf. J.-F. Courtine, La situation de Hölderlin au seuil
de l’idéalisme allemand, in Les Etudes philosophiques, 1976, n° 3, p. 276.
[15] ↑ Heidegger, Die Frage nach dem Ding, Gesamtausgabe, t. 41, p. 58 (= trad. fr.Qu’est-ce
qu’une chose ?, trad. par J. Reboul et J. Taminiaux, Gallimard, 1971, p. 70).
[16] ↑ Cf. surtout le Systemfragment von 1800, in Hegels theologische Jugendschriften, éd.
par Nohl, Tübingen, 1907, p. 34 ; et s.
[17] ↑ Einleitung in die Philosophie, Frommann-Holzboog, éd. par Walter E. Ehrhardt,
Stuttgart-Bad Cannstatt, 1989, Leçon XXXII, p. 132.
[18] ↑ Descartes, Discours de la méthode, Première Partie, A.-T., VI, 6.
[19] ↑ SW, IIΙ, 629= Système de l’idéalisme transcendantal, trad. fr. Ch. Dubois, Louvain,
1978, p. 260. L’Introduction aux Ages du monde n’est pas sans rappeler le finale du traité de
1800, et retrouve même certains accents du Systemprogramm ; sur la question de
l’attribution à Schelling de ce dernier écrit, cf. maintenant : X. Tilliette, L’Absolu et la
philosophie, PUF, 1987, p. 26-41.
[20] ↑ Cantique des colonnes.
[21] ↑ Schelling und Cotta. Briefwechsel, éd. par H. Fuhrmans et L. Lohrer, Stuttgart, 1965,
p. 50.
[22] ↑ Aus Schellings Leben in Briefen, éd. G. L. Plitt, Leipzig, 1869-1870, t. II, p. 244.
[23] ↑ Cf. par exemple M. Vetö, Le fondement selon Schelling, Beauchesne, 1977, p. 11-12
n., ou E. Brito, La Création selon Schelling, Louvain, 1987, p. XVIII.
[24] ↑ Il y a du Frenhofer en Schelling ; le rapport entre Le Chef-d’œuvre inconnu de
Balzac et Les Ages du monde est suggéré par M. Marquet, op. cit., p. 449.
[25] ↑ P. 208 : il s’agit en fait d’un projet d’Introduction. On peut noter que la relative a
disparu dans les versions de 1811 et de 1813.
[26] ↑ Einleitung in die Philosophie, Leçon XXVI, p. 104.
[27] ↑ Cité par H. Mondor, Vie de Mallarmé, Gallimard, 1941, p. 67 4.
[28] ↑ Il s’agit en fait de la Définition I du chapitre II des Premiers Principes
métaphysiques de la science de la nature de Kant. Cette œuvre de Kant, qui fut
déterminante pour l’élaboration de la Naturphilosophie (notamment pour la Weltseele de
1798), le reste dans une certaine mesure pour celle des Weltalter, qui sont comme fascinés
par la matière. À la source kantienne s’ajouteront, relativement à cette question, celle de
l’alchimie et celle de Plotin, découvert par Schelling en 1804.
[29] ↑ SW, I, 315 = Premiers écrits, trad. J.-F. Courtine avec la collaboration de M.
Kaufmann, PUF, 1987, p. 186.Sur « quelques-unes des principales conditions requises pour
que se développe l’exigence du système », cf. Heidegger, Schelling. Le traité de 1809 sur
l’essence de la liberté humaine (cours de 1936), trad. fr. J.-F. Courtine, Gallimard, 1977, p. 68.
[30] ↑ Spinoza, Ethica, II, Prop. VII.
[31] ↑ SW, VII, 421 = Œuvres métaphysiques, trad. J.-F. Courtine et E. Martineau,
Gallimard, 1980, p. 203.
[32] ↑ Sur cette question de l’Empfindung, cf. J.-F. Marquet, op. cit., p. 35.
[33] ↑ SW, VII, 399 = Œuvres mét., p. 181.
[34] ↑ SW, VI, 140.
[35] ↑ SW, I, 443 — cf. J.-F. Marquet, « Schelling et l’histoire de la philosophie. Essai
d’interprétation génétique », in Schelling, Contribution à l’histoire de la philosophie
moderne, p. 229-230 et 247.
[36] ↑ SW, I, 319 = Premiers écrits, p. 190-191.
[37] ↑ Scriptor quidem subtilis, at profanus : De ipsa natura…, Die phil. Schriften, éd.
Gerhardt, t. IV, p. 509.
[38] ↑ Deuxième partie : « Critique de la faculté de juger téléologique », § 64 sq.
[39] ↑ SW, V, 247 = Contribution…, p. 196.
[40] ↑ SW, V, 150 ; cf. « Sur la construction en philosophie », trad. C. Bonnet in revue
Philosophie, n° 19 (1988), p. 27.
[41] ↑ SW, III, 468 = trad. fr. citée, p. 120.
[42] ↑ SW, I, 154 = Premiers écrits, p. 50.
[43] ↑ SW, I, 202 = Premiers écrits, p. 107.
[44] ↑ Nous renvoyons sur cette question aux analyses de W. Wieland, op. cit., p. 14 sq.
[45] ↑ « Une idée maîtresse de Böhme est que… le Fils naît éternellement » : Hegel,
Geschichte der Philosophie, éd. du Jubilé, ΙII, p. 306.
[46] ↑ X. Tilliette, Schelling. Une philosophie en devenir, t. I, p. 598.
[47] ↑ SW,6 E, p. 308.
[48] ↑ Cf. J.-F. Marquet, op. cit., p. 451 et 572.
[49] ↑ Grundbegriffe (GA, t. LI), p. 39 = Concepts fondamentaux, trad. P. David, Gallimard,
1985, p. 59.
[50] ↑ Cf. le Dictionnaire Grimm, à l’article « Weltalter ».
[51] ↑ La XIXe Leçon de la Philosophie de la Révélation évoque « les théories orphiques des
Weltalter » — SW, 6 E, p. 433.
[52] ↑ W. F. Otto, Die Gestalt und das Sein, Darmstadt, 1953, p. 221 = Essais sur le mythe,
trad. P. David, éd. T. E. R., 1987, p. 9.
[53] ↑ H. de Lubac, Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme, Cerf, 1952, p. 120.
[54] ↑ X. Tilliette, op. cit., t. I, p. 589.
[55] ↑ Ueber Dante in philosophischer Beziehung (1803), SW, V, 152. La Divine Comédie va
de la « nuit éternelle » de la nature à la musique des sphères (ibid., p. 158 et 160).
[56] ↑ Nouveaux Essais, liv. II, chap. XX, § 6. Gerh., t. V, p. 153.
[57] ↑ Πολιοκρόταφοι, littéralement « aux tempes grisonnantes » : Les Travaux et les
jours, v. 181.
[58] ↑ Cf. Gernot Böhme, Zeit uni Zahl. Studien zur Zeittheorie bei Platon, Aristoteles,
Leibniz und Kant, Klostermann, 1974, p. 6.
[59] ↑ Timée, 37 e 3 ; Physique, IV, chap. 10, 218 a 4-5.
[60] ↑ Phänoménologie des Geistes, éd. Hoffmeister (F. Meiner), Vorrede, p. 10 ; La
Phénoménologie de l’Esprit, trad. J. Hyppolite, t. I, p. 6.
[61] ↑ SW, IX, 7 = Clara, Ed. de L’Herne, 1984, trad. E. Kessler légèrement modifiée.
[62] ↑ J. Beaufret, Introduction aux philosophies de l’existence, 1971, Denoël, p. 105-106 ;
rééd. sous le titre De l’existentialisme à Heidegger, Vrin, 1986, p. 73-74.
[63] ↑ Expression de Tindal citée dans la VIIe Leçon de la Philosophie de la Révélation, cf.
SW, 6 E 156. L’historicité n’en est pas moins au cœur du christianisme (ibid., p. 195).
[64] ↑ SW, VII, 470 = Œuvres métaphysiques, p. 246.
[65] ↑ SW, VIII, 338.
[66] ↑ Nous nous permettons de renvoyer, sur cette question, à notre étude « Un Chant
nouveau », in Cahier de L’Herne, Hölderlin.
[67] ↑ Die philos. Schriften, éd. Gerhardt, t. IV, p. 469.
[68] ↑ Cf. Duden, Herkunftswörterbuch der deutschen Sprache, s.v.
[69] ↑ Cf. H. de Lubac, La Postérité spirituelle de Joachim de Flore, Lethielleux, 1978, t.1 :
De Joachim à Schelling, p. 378-393. Joachim de Flore est nommé par Schelling en SW, XIV,
69.
[70] ↑ SW, 6 E 308.
[71] ↑ Myrons Kuh (1812).
[72] ↑ X. Tilliette, op. cit., t. I, p. 599.
[73] ↑ Ibid., p. 581-614.
[74] ↑ Heidegger, Schelling, trad. citée, p. 26.
[75] ↑ Metaphysische Anfangsgründe der Logik (GA, t. XXVI), p. 21-22.
[76] ↑ Schelling (Heidegger), trad. citée, p. 282.
[77] ↑ Einleitung in die Philosophie, p. 106.
[78] ↑ Deutsches Wörterbuch, article « Gegenwärtig », col. 2297.
[79] ↑ Op. cit., p. 42, n. 23.
[80] ↑ Ibid., p. 43.
[81] ↑ Hymne an die Freiheit, v. 80, Sämtliche Werke, éd. Sattler, t. 2, p. 115.
[82] ↑ L’image est de M. Marquet, op. cit., p. 504.
[83] ↑ Ibid., p. 452. Exemples : Band, Gemüth, Lust, Sucht, Angst, Qual (que Boehme
rattache à Quelle et à Qualität), Ungrund, Selbstheit (« Selbheit » chez Boehme), Gegenwurf,
Rad der Geburt, etc.
[84] ↑ Emilio Brito, La création selon Schelling, Louvain, 1987.
[85] ↑ Bien que les travaux souvent cités de J.-F. Marquet et de X. Tilliette aient beaucoup
contribué à la rendre moins aiguë.
[86] ↑ Cf. X. Tilliette, L’Absolu et la philosophie, p. 205.
[87] ↑ Schelling…, t. I, p. 331
[88] ↑ Etre et temps, note du § 82.
[89] ↑ lbid., p. 432, note, de la trad. F. Vezin, Gallimard, 1986.
[90] ↑ lbid., p. 428.
[91] ↑ Cité in Schelling, Einleitung in die Philosophie (Schellingiana, Band 1), Vorwort, p.
VII.
[92] ↑ Prolégomènes à l’histoire du concept de temps (non traduit), Gesamtausgabe, t. XX, p.
109-110.
[93] ↑ Etre et temps, trad. citée, p. 30-31.
[94] ↑ SW, X, 23 = Contribution…, trad. citée, p. 35.
[95] ↑ Heidegger, Les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie (GA, t. XXIV, p. 38),
trad. fr. J.-F. Courtine, p. 49-50.
[96] ↑ Cf. Jacob Boehme, De Tribus Principiis, chap. I, 1.
[97] ↑ Ed. A.-T., VI, 34.
[98] ↑ SW, VIII, 238.
[99] ↑ SW, X, 15 = Contribution…, trad. citée, p. 27.
[100] ↑ SW, VIII, 238.
[101] ↑ Cf. la Cinquième Promenade des Rêveries d’un promeneur solitaire : « Le flux et le
reflux de cette eau (…) suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en
moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine
de penser. » Et plus loin : « … dans une pareille situation… on se suffit à soi-même, comme
Dieu » (OC, Ed. de la Pléiade, t. I, p. 1044 et 1047). C’est aussi dans cette Cinquième
Promenade qu’on trouve le fameux : « Je voudrois que cet instant durât toujours » (ibid., p.
1046).
[102] ↑ J.-F. Marquet, op. cit., p. 408.
[103] ↑ lbid., p. 396.
[104] ↑ P. 219 : Selbsterzeugung, qui est aussi auto-engendrement.
[105] ↑ SW, VΠ, 424 = OM, p. 205-206.
[106] ↑ SW, VII, 242 (aph. CCXXXIII) = OM, 112.
[107] ↑ Augenblick, comme le danois öieblikket (Kierkegaard), renvoie au coup d’œil. Nu
est le même mot que nun (maintenant) et nunc, mais ne s’emploie plus que dans la locution
Im Nu — par exemple à la p. 14 des Weltalter.
[108] ↑ SW, VII, 239 (aph. CCXVIII) = OM, 110.
[109] ↑ Schelling, Einleitung in die Philosophie, p. 44.
[110] ↑ G. Bernanos, Sous le soleil de Satan (II, 2). Cette phrase pourrait être de Schelling.
[111] ↑ SW, IX, 238 = OM, p. 297.
[112] ↑ Rilke, Correspondance, in Œuvres, trad. B. Briod, Ph. Jaccottet et P. Klossowski, t.
III, p. 289 (Le Seuil). C’est bien évidemment la leçon de Rodin.
[113] ↑ Système des beaux-arts, ΙΠ, 1, rééd. Tel/Gallimard, p. 81.
[114] ↑ Der Satz vom Grund, p. 87.
[115] ↑ Affinités électives, II, chap. 3, Ed. Aubier, bilingue, p. 40.
[116] ↑ Introduction à l’œuvre sur le kavi, trad. P. Caussat, Seuil, 1974, p. 177.
[117] ↑ Au sens où Walter Benjamin écrivait à G. Scholem (22 octobre 1917) : « … la prose
de Kant elle-même représente un seuil de la grande prose d’art » (Correspondance, trad. G.
Petitdemange, Aubier, t. I, p. 139-140). Le style de Schelling demande sans doute à être
compris à la lumière du Discours sur les arts plastiques.
[118] ↑ Lottar Zahn (cf. note b à la p. 191), apud Tilliette, op. cit., I, p. 594.
[119] ↑ G. Scholem, La Kabbale et sa symbolique, Payot, 1980, p. 55.
[120] ↑ Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, éd. Suhrkamp, t. 12, p. 386.
[121] ↑ SW, XIV, 34.
[122] ↑ L. 776 - B. 858.
[123] ↑ L. 954-B. 925
[124] ↑ SW, XIV, 312.
[125] ↑ SW, XIV, 311.
[126] ↑ Matth. 26, 75 ; Luc 22, 62.
[127] ↑ SW, XIV, 310.
[128] ↑ Ibid., 327.
[129] ↑ Ibid., 332.
[130] ↑ SW, 6 E 135.
[131] ↑ SW, XIV, 229.
[132] ↑ Cf. J.-F. Courtine, Extase de la raison, Galilée, 1990, p. 240.
[133] ↑ SW, XIV, 35.
Bibliographie
A. — Œuvres de Schelling
F. W. J. von Schellings Sämtliche Werke (SW), en 13 volumes, éd.
Cotta (Stuttgart et Augsbourg, 185 6-1861) dont la pagination est
reproduite dans l’édition de M. Schröter, Munich, 1927-1954. (Nous
n’avons pas tenu compte de l’Historische-kritische Ausgabe
entreprise à partir de 1976 dans la mesure où cette édition n’est pas
encore arrivée à l’époque des Ages du monde.)
Aus Schellings Leben in Briefen, éd. par G.L. Plitt, Leipzig, S. Hirzel,
1869-1870, 3 vol. Briefe und Dokumente, éd. par H. Fuhrmans, Bonn,
Bouvier, 1962-1975, 3 vol. parus.
F. W. J. Schelling, Einleitung in die Philosophie, Schellingiana, Band I,
éd. par Walter E. Ehrhardt, Frommann-Holzboog, Stuttgart-Bad
Cannstatt, 1989.
F. W. J. Schelling, Das Tagebuch 1848, Meiner, 1990.