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« C'est comme cela que j'avais repris contact avec Marcel.

Je me souviens
que déjà au lycée, il se passionnait pour les utopies. Hobby pour le moins
original, car totalement hors des sujets de l'époque : il n'était pas traité par
Bienvenue en Amopie !
les médias et était absent des programmes d'Histoire. Je pense que ça lui ve-
nait d'un certain idéalisme. Pour ma part, cela m'amusait plus qu'autre
chose. Je suis plutôt du genre sceptique, disons : « à ne pas m'en laisser
compter ». Mais j'aime bien m'instruire de toutes ces choses, de tout ce qui
sort de l'ordinaire. De plus, la situation de l'époque me titillait. Le
capitalisme connaissait à nouveau une crise... La faim dans le monde se
portait de mieux en mieux et la planète de mal en pis, malgré le « progrès ».
Alors, une alternative, une vraie, pourquoi pas...
C'est donc positivement, que j'ai répondu à son invitation à venir discuter de
tout ça chez lui, et j'ajouterais même : avec une excitation certaine. Car il
m'avait dit avoir « beaucoup progressé ». Plus de trente ans que nous ne
nous étions plus revu ! J'avais quelque espoir d'échapper à l'un de ces contes
idylliques où tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes
possibles, parce qu'on avait décidé de s'aimer, qu'on avait renoncé à l'argent,
que c'était le règne de l'abondance...
Je n'allais pas être déçu...»

Def
« On ne change jamais les choses en combattant la réalité existante.
Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra inutile Table des matières
l'ancien. » Buckminster Fuller Bienvenue en Amopie !.......................................................................................1
Prologue.........................................................................................................3
« Ce n’est pas l’Utopie qui est dangereuse, car elle est indispensable à I Une autre organisation économique.............................................................5
l’évolution. C’est le dogmatisme, que certains utilisent pour maintenir leur 1 Pourquoi une économie non-monétaire.................................................5
pouvoir, leurs prérogatives et leur dominance. » Henri Laborit 2 Une économie de partage......................................................................6
3 La maximisation du bien-être................................................................9
4 Application concrète............................................................................11
5 Une économie économe et équilibrée..................................................15
6 Une économie solidaire et écologique.................................................16
7 Activités d'intérêt général....................................................................19
8 Une économie sûre..............................................................................20
9 Une économie pour l'altruisme............................................................22
10 De la liberté.......................................................................................24
11 Choix de vie et utopie........................................................................26
II Une autre organisation politique...............................................................27
1 Pourquoi une société sans pouvoir......................................................27
2 Une décentralisation communale.........................................................28
3 Mode de délibération...........................................................................29
4 Une fédération planétaire....................................................................33
5 Le code amopien.................................................................................35
III Une autre culture.....................................................................................38
1 Une société amorale............................................................................38
2 Une culture rationnelle........................................................................39
3 Une société pacifique..........................................................................42
4 Des croyances......................................................................................44
5 Des enfants..........................................................................................46
6 De l'école.............................................................................................50
© Amopie (association loi 1901)
7 Sexe, drogues et communautés............................................................53
Reproduction autorisée à condition de mentionner les sources et hors but IV Une autre stratégie..................................................................................55
lucratif. 1 Une possibilité.....................................................................................55
2 De l'argent...........................................................................................59
http://amopie.org
3 Des atouts............................................................................................62
Édition : 17 aout 2010 Épilogue.......................................................................................................66

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Épilogue
Fatigué de tant de chambardements neuronaux, je me précipitai chez moi, direc-
tement dans mon lit. Prologue
Je réalisai qu'une centaine de personne, ça n'était pas considérable ; sur six mil- Nous vivions à une époque où tout le monde était revenu des grandes idéolo-
liards, qui ne sont pas tous des privilégiés, ni des abrutis... que c'était bien moins gies. Celles-ci avaient donné lieu à bien des conflits, s'étaient confrontées à bien
irréaliste que d'espérer prendre le pouvoir dans un pays, par le biais des élec- des échecs. Les grandes théories n'étaient plus à la mode. Quant aux utopies,
tions, pour un résultat bien plus assuré, du moins sur le long terme, et bien elles relevaient essentiellement d'une curiosité littéraire, et le mot était devenu
moins irréaliste que tout ce qui ne permettait pas l'introduction d'une alternative synonyme d'irréalisme. « C'est utopique » était sur toutes les lèvres dès que
véritable à un certain système... à l'origine de tant de maux, « sournoisement », quelque chose paraissait impossible ou simplement déraisonnable. Certains,
comme avait dit Marcel. même, les dénonçaient comme globalement dangereuses. Il faut dire à propos de
ces « grandes idéologies » que c'en était surtout une. Mais ça, généralement, on
J'ai réalisé que je pouvais même agir tout de suite. Par exemple, en faisant l'oubliait, on généralisait. Une idéologie qui reposait sur une lutte entre groupes
connaître ces idées, puisque telle était la première chose qui s'imposait, et sans sociaux, qui croyait en un avenir inéluctable, radieux, mais qu'il fallait quand
doute encore pour quelque temps, même après la mise sur pied des premières même aider. Une sorte de religion, en quelque sorte. Cette idéologie avait dès le
coopératives. départ condamné les utopies. Mais ça aussi, on l'avait oublié.
Au début de cet entretien avec mon ancien camarade, je craignais une rêverie, et Si une dame avait fort bien résumé l'esprit du temps par son « il n'y a pas d'alter-
voilà que je me trouvais impliqué, là, tout de suite. Je me suis alors rappelé cette native », beaucoup en cherchaient quand même, des alternatives. C'était même
formule de sagesse qui disait que le but était le chemin, ou un truc comme ça, un terme à la mode.
cette idée que le bonheur est en soi-même, dans sa propre attitude, qu'il fallait Mais bon, ce qui était qualifié d'alternative relevait plus d'initiatives éthiques
être le changement que l'on voulait voir etc. individuelles que d'alternatives à l'organisation socio-économique. Ainsi, il était
Alors, dès que je fus suffisamment reposé, je commençai à retranscrire ce qui désormais de bon ton de produire ou de consommer « éthique ». La bienfaisance
m'était arrivé, tout ce dialogue à bâtons rompus. L'imprimante s'est activée. J'eus et l'humanitaire avaient simplement changé de nom. Faute de s'attaquer aux
l'impression de participer à quelque chose. Et voilà, maintenant, toi aussi, tu racines des maux, on donnait dans l'action directe. Faute de réfléchir à une alter-
sais. Savoir, penser, aller au-delà des idées reçues, transmettre, se rassembler, native viable, on agissait. Mais pas n'importe comment : on se devait d'être
créer autre chose, mais pas n'importe quoi. Ni fatalisme ni naïveté. Toi aussi, qui festif. Faute de pouvoir s'attaquer au fond, on soignait les apparences. Tout au
me lis, tu peux entrer dans la danse, car ce n'est pas un rêve. plus, quelques individus cherchaient-ils à s'assembler quelque part, de préfé-
Bienvenue en Amopie ! rence dans un cadre naturel, au soleil, pour y vivre « simplement ». Leur seul
mot d'ordre : « la liberté ». Mais lorsque l'on doit décider ensemble, lorsque l'un
veut faire de la musique et l'autre écouter le silence, ça veut dire quoi, « la
liberté » ? Celle de qui ? Alors évidemment, tout le monde serait respectueux
des autres et de lui-même... Bref, le système idéal ne me semblait pas pour tout
de suite ; la monnaie et la propriété privée, malgré tous leurs défauts, me parais-
saient encore bien utiles !
C'est alors que par le plus grand des hasards, cette histoire d'utopie revint à moi.
Une amie m'avait fait connaître un site internet où l'on pouvait retrouver ses
anciens camarades de classe. C'est comme cela que j'avais repris contact avec
Marcel. Je me souviens que déjà au lycée, il se passionnait pour les utopies.

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Hobby pour le moins original, car totalement hors des sujets de l'époque : il -- Dès qu'il y aura suffisamment de volontaires, de moyens, nous pourrons
n'était pas traité par les médias et était absent des programmes d'Histoire. Je commencer à mettre en place les premières coopératives. Tout en continuant de
pense que ça lui venait d'un certain idéalisme. Pour ma part, cela m'amusait plus faire connaître le projet, bien sûr.
qu'autre chose. Je suis plutôt du genre sceptique, disons : « à ne pas m'en laisser
- Et comment vont faire les volontaires pour se reconnaître, se rencontrer ?
conter ». Mais j'aime bien m'instruire de toutes ces choses, de tout ce qui sort de
l'ordinaire. De plus, la situation de l'époque m'interpellait. Le capitalisme - Il suffit qu'ils se signalent quelque part. Nous avons un site internet.
connaissait à nouveau une crise... La faim dans le monde se portait de mieux en http://amopie.org.
mieux et la planète de mal en pis, malgré le « progrès ». Alors, une alternative,
- C'est facile à retenir.
une vraie, pourquoi pas ?
- C'est fait pour. Ensuite, sur le site, il y a des "sondages" par lesquels chacun
C'est donc positivement, que je répondis à son invitation à venir discuter de tout
peut indiquer sa situation par rapport au projet : son degré de motivation, ses
ça chez lui, et j'ajouterais même : avec une excitation certaine. Car il m'avait dit
contraintes etc.
avoir « beaucoup progressé ». Plus de trente ans que nous ne nous étions plus
Ainsi, on peut savoir s'il y a plus de cent personnes disponibles pour une
revus ! J'avais quelque espoir d'échapper à l'un de ces contes idylliques où tout
coopérative, par exemple...
allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, parce qu'on avait
décidé de s'aimer, qu'on avait renoncé à l'argent, que c'était le règne de l'abon- - Et à ce moment là, vous les prévenez ?
dance...
- Voilà ! Un minimum de blabla pour un maximum d'efficacité ! Et bien sûr, on
Je n'allais pas être déçu... peut aussi agir sans attendre. Par exemple, il y a un forum, où chacun peut
s'exprimer, où l'on peut travailler ensemble etc.
Apparemment, il faisait partie d'une sorte de mouvement, ce qui renforça ma
méfiance. Moi, le sceptique, aussi prudent qu'indépendant... La langue de bois, - Ce n'est pas un peu virtuel, tout ça ?
les beaux discours passe-partout, très peu pour moi ! Je lui avais d'ailleurs
rappelé cela par téléphone, pour qu'il ne soit pas déçu. Cela avait plutôt semblé - C'est un outil de communication. Ensuite, on peut aussi organiser des
le réjouir. rencontres physiques. Il y en a pour tous les goûts.
J'étais d'autant plus sur mes gardes que ce « mouvement » portait un nom qui - Ceux qui veulent agir n'ont pas d'excuse, alors !
m'était totalement inconnu : Amopie. Je découvris cela sur une étrange affiche,
en arrivant chez lui. - Tout à fait. Par contre, les autres peuvent toujours en trouver... ;-)

Après les retrouvailles amicales, nous nous jetâmes rapidement dans le vif du
sujet.

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apparences sont parfois trompeuses. La référence à l'éthique permet de faire en
sorte que ce soient les "bonnes" personnes qui restent, et non pas les plus
manipulateurs ou les plus violents. Ainsi, l'avenir de l'alternative est plus assuré I Une autre organisation économique
à long terme... Cela participe au mieux-être de tous.
- Ainsi, ces communautés seraient plus attractives... 1 Pourquoi une économie non-monétaire
- Pour les gens que ce mode de vie intéresse, oui. Ces communautés ne seraient - Alors, comme ça, vous avez une solution à la crise ?
pas seulement un outil pour la mise en place des premières coopératives. Elles
correspondent à une plus grande harmonie, grâce à plus de communication. - oui, entre autres !
Ainsi, elles pourraient continuer d'exister, à l'intérieur de coopératives, par - J'ai vu une affiche avec une pièce de zéro centime, en arrivant. Ça signifie
exemple, constituant donc un atout supplémentaire pour attirer du monde... quoi ? Que ce que vous proposez ne coûte rien ? Que vous n'utilisez pas de
- Une communauté, ça ferait combien de personnes, environ ? monnaie ?

- Je dirais, typiquement, une dizaine d'individus. Mais il n'y a pas franchement - Les deux :-)
de minimum ni de maximum. - Vous n'utilisez même pas une monnaie locale ?
- Surtout pas. Notre système économique est non-monétaire.
- Ce qui me gêne encore, est que vous semblez avoir réponse à tout, comme si - C'est quoi le problème avec l'argent. C'est juste un moyen. On peut l'utiliser
tout était écrit d'avance. pour faire du bien. En plus, ça facilite les échanges.
- Il n'en est rien. Nous ne prêchons pas une vérité toute faite. Par contre, oui, il - C'est plus compliqué que ça. Nous sommes influencés par ce qui nous entoure,
nous semble important de penser à l'avance à un maximum de choses, afin de par notre façon de vivre. Par exemple, la possibilité d'un pouvoir personnel
limiter les problèmes futures. Donc, forcément, ayant réfléchi à pas mal de important favorise le désir pour ce pouvoir. La possession d'argent est un tel
choses, nous pouvons donner cette impression de ne plus laisser de place à pouvoir... Le fait de travailler à la satisfaction d'un désir renforce ce désir. Or, on
l'initiative, mais rassure-toi, il en reste énormément ! La réalité est suffisamment doit travailler pour gagner de l'argent...
complexe. Le problème n'est pas l'argent en lui-même, bien sûr, c'est le système
De plus, je te rappelle que le doute fait partie de l'éthique amopienne. Rien de ce économique qui lui correspond. Ce dernier n'est pas qu'un moyen ! Il est bien
que je t'ai dit est définitif, tout peut être discuté ; mais de façon rationnelle et ar- sûr possible pour un individu de mettre sa fortune au service du bien, tout
gumentée, sinon, c'est le blocage, l'enlisement, on n'avance pas. Lorsque tu pré- comme au service du mal, d'ailleurs, mais là n'est pas la question. Le problème,
pares un voyage, tu as intérêt à bien le préparer, à réfléchir à ce qui peut arriver, ici, est qu'un système monétaire a des conséquences globales sur l'attitude et le
pour qu'il ne vire pas au cauchemar ou ne tourne pas court rapidement. Cela comportement humain.
n'empêche pas, ensuite, de vivre de belles aventures, d'avoir des surprises. C'est Or, la plupart des problèmes actuels, les plus graves en tout cas, sont la
même ce qui te permet d'en avoir, finalement... des bonnes, du moins :). conséquence de la cupidité : destruction de l'environnement, criminalité,
- Quel est le programme, maintenant ? injustices, guerres...
- Faire connaître le projet au plus grand nombre possible, nous avons vu l'impor- - Et la morale, vous avez entendu parler ?
tance de cela. Car c'est un voyage qui ne peut se faire seul. Et plus on est nom- - Oui, et l'expérience de nombreux siècles suggère fortement que faire la morale
breux à réfléchir, à être vigilants, moins on risque de se fourvoyer. ou propager une philosophie ne suffit pas... Il faut un mode de vie en rapport...
De plus, le système actuel est à l'origine de nombreuses souffrances immédiates
et à venir. Pour un humaniste, il y a urgence ! - Oui, mais de là à supprimer l'argent... N'y a-t-il pas d'autres façons d'agir ? On
pourrait par exemple, limiter la fortune personnelle, supprimer le prêt avec inté-
- Et après ?

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rêt, la propriété privée des grands moyens de production etc. - Ensuite, même si ça marche entre vous, il y a la question du voisinage.
- C'est vrai, mais si on parvient à supprimer l'argent, c'est plus simple. Ça sup- - Celui-ci peut être convenablement informé, voire impliqué... Il est possible de
prime le désir d'argent, la cupidité. Si un désir n'a plus d'objet, il disparaît. Dans prendre soin des relations avec le voisinage. Je pense que c'est important.
le cas contraire, la cupidité perdure. Les lois sont détournées parce qu'il y a tou- Plus généralement, une bonne information de ce que nous projetons de faire est
jours la tentation de le faire (à cause de la cupidité), et l'argent constitue un importante, afin de court-circuiter toute rumeur malveillante. N'ayant rien à
contre-pouvoir important (on peut corrompre les fonctionnaires) etc. Ce qui nous reprocher, nous n'avons rien à perdre à cela. Sans compter que ce peut être
importe est de trouver un système satisfaisant, quelle que soit sa forme. un moyen de trouver plus de volontaires. Le véritable progrès a toujours été le
fruit du dialogue et de l'intelligence.
- Certes, mais c'est déjà pas évident de faire de petites réformes...
- Une coopérative, ça ferait combien de personnes, environ ?
- Ça ne prouve rien. Plus on s'éloigne du système problématique auquel on a été
habitué, moins les anciens réflexes risquent de se reproduire... De plus, le rafis- - Il n'y a pas de limites, mais ce serait typiquement quelques centaines.
tolage pose souvent plus de problèmes qu'une réfection cohérente et bien pen-
- Alors là, ça me semble effectivement un vaste programme, pour mettre tout ça
sée.
en place. Surtout si chacun veut sa maison, puisque j'ai cru comprendre que ce
n'était pas une communauté...
2 Une économie de partage - C'est pour cela qu'il existe un projet intermédiaire : les communautés
amopiennes.
-- Bon, c'est bien beau tout ça, mais on fait comment ? Si on supprime l'argent,
par exemple, on revient au troc ? - Oui, mais tu disais que tout le monde ne souhaitait pas vivre en communauté.
- Point du tout. - Tout à fait. Ce projet ne concerne pas tout le monde, mais pourrait aider à la
- Je ne comprends pas : s'il n'y a ni troc, ni monnaie, personne n'échange rien... mise en place des coopératives.
Ces communautés pourraient être mises en place plus facilement du fait de leur
- Pourquoi voudrais-tu échanger ? effectif plus restreint d'une part, et des moindres exigeances matérielles de ses
membres d'autre part.
- Bah... ou alors c'est vraiment limité ton truc. On est obligé de garder les
mêmes biens toute sa vie ? On ne peut que donner ? Chacun se sert librement ? - Ne risque-t-on pas de rencontrer les mêmes difficultés auxquelles ont dû faire
face les expériences communautaires du passé ?
- Non.
- Il y a tout d'abord l'objectif commun, déjà évoqué tout à l'heure. Il y a les
- Quoi, « non », je ne vois pas d'autre possibilité...
règles économiques et politiques amopiennes, qui garantissent une certaine
- La répartition des biens, ou « consommations », peut être gérée collectivement, liberté individuelle...
démocratiquement je veux dire. Dans ce cas, on n'échange pas, on partage... Ensuite, par rapport aux coopératives, ces lieux seraient plus "sélectifs", car la
vie en communauté, si elle présente des avantages, implique des difficultés
- Ah d'accord ! Mais alors, comment ça se passe ? Je dois attendre ou solliciter à
supplémentaires. L'éthique amopienne serait appliquée avec plus de rigueur. En
une assemblée générale à chaque fois que je veux consommer ou utiliser
particulier, il y aurait quelques règles de communication destinées à assurer plus
quelque chose ?
fortement l'harmonie entre les membres. Enfin, les volontaires se choisiraient
- Bien sûr que non ! On se donne des règles pour plus de souplesse ! Tout mutuellement, après une période d'essai, mais sur la base de l'éthique
d'abord, il y a des biens dont tu peux avoir l'utilisation exclusive. Cela se justifie amopienne.
pour certains biens comme la brosse à dent ou l'habitat, par exemple, pour des
- Pourquoi ne se choisiraient-ils pas comme bon leur semble ?
raisons d'hygiène ou d'intimité.
- La période d'essai, tout d'abord, permet plus de fiabilité dans le jugement : les
- Et s'il me prend l'envie, tout-à-coup, de changer d'habitation ? On en discute en

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productives. Cette possibilité ne présenterait donc aucun intérêt. assemblée générale ?
L'idée est d'être le plus souple possible tant que la réalité de l'alternative au
- Même pas. Une assemblée générale, ça prend du temps, ce sont souvent de
monétarisme n'est pas remise en cause.
longues joutes oratoires avant de parvenir à un accord, quand on y parvient...
Si tu as envie d'un bien que tu ne possèdes pas, tu peux indiquer cette envie dans
3 Des atouts une « base de données » (dans un ordinateur). Ensuite, si cette envie est
suffisamment forte il est probable que ce bien te soit attribué.
- En tout cas, c'est du boulot tout ça !
- Qu'est-ce qui fait que mon envie sera « suffisamment forte » pour que le bien
- Guère plus que n'importe quel déménagement ou création d'entreprise, mais me soit attribué ?
pour un intérêt incomparablement supérieur !
- C'est par rapport aux envies des autres... Si tout le monde a très envie de
- Il faudra prévoir des compétences appropriées. posséder un même bien, il ne peut être attribué simultanément à tout le monde.
- Bien sûr, tout cela peut être préparé. On peut aussi voir comment exploiter les - Mais comment peut-on comparer des envies ?
compétences dont on dispose, envisager des formations, s'adapter au lieu.
- En fait, dans l'ordinateur dont j'ai parlé, tu attribues à différentes choses un
- Il y a le fait que ce système est nouveau. La mise en œuvre c'est autre chose niveau de désir, qui est un nombre. Plus il est élevé, plus le désir est fort. Si tu
que la gestion d'un truc parfaitement rôdé. t'en fous, tu mets « zéro ». Si la chose te répugne, que tu préfères ne pas l'avoir
ou la faire (parce que c'est valable pour les activités aussi), tu mets un nombre
- Oui, mais, premièrement, cette mise en œuvre peut être progressive. Ensuite,
négatif.
les pionniers seraient, pour la plupart, des gens plus particulièrement motivés,
de véritables humanistes, je pense, et pas de simples individus auxquels le nou- - Alors, si je veux quelque chose, j'ai intérêt à savoir ce que les autres ont mis,
veau système serait plus ou moins imposé et qui suivraient tranquillement. pour mettre un nombre supérieur... et ce serait la surenchère, t'es sûr que c'est au
Donc, ça tombe bien. C'est pour ça, que je parlais de bâtisseurs, tout à l'heure. point, ton truc ?
Quoi de plus enthousiasmant que de faire une telle œuvre utile, que de vivre une
- Oui, il y a bien quelque chose qui va limiter cette surenchère. La répartition
telle aventure, d'être aussi pleinement en accord avec ses valeurs !
des activités économiques (production, consommation au sens large...) prend en
- Il y a aussi les difficultés humaines liées à toute entreprise collective... compte un souci d'équité, de telle sorte que si tu accrois ta jouissance par une
consommation, d'autres sources de jouissance (susceptibles de t'être accordées)
- Tout à fait, mais plutôt moindres ici que dans la plupart des entreprises collec-
se réduiront. Tu risques d'avoir plus de travail pénible à faire, par exemple.
tives.
- En somme, je dois payer, d'une certaine façon, pour pouvoir obtenir un bien.
- Pourquoi donc ?
- Si tu veux absolument posséder une chose en accroissant le niveau de désir
- Parce que ce projet comporte une organisation réaliste pour limiter les situa-
correspondant, oui. Mais il n'y a pas une quantité de travail précise associée à
tions de conflits, sans même parler de la culture. Ensuite, même au début où tu
cela, c'est juste un phénomène statistique, qui fait que tout le monde a intérêt à
vas me dire que toute cette organisation ne sera pas encore complètement en
indiquer ses niveaux de désirs réels, en fin de compte. D'où l'absence de
place, il y a le simple fait que les gens seront d'accord sur un projet tout de
surenchère.
même assez précis. Il n'en n'est pas ainsi dans la plupart des projets d' « éco-vil-
Ensuite, le principe d'équité fait qu'un bien "rare" très demandé (une habitation,
lage », où il n'est parfois question que d'une vague spiritualité, voire de « vivre
par exemple), va être utilisé à tour de rôle par un grand nombre de personnes.
en harmonie sur une terre » ! et où l'on se contenter de faire préalablement
connaissance par quelques sorties en commun. Il y a alors trop de choses lais- - On va être obligé de déménager souvent, alors !
sées dans le vague, trop de divergences insoupçonnées pour que ça marche dura-
- Disons, que chacun occupe un tel logement pendant une durée suffisante pour
blement.
que la gêne occasionnée par le déménagement ne soit pas trop importante.

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- Reste que c'est pas cool, si je ne peux pas garder mes biens. - Vous voulez une société sans argent, ou j'ai rêvé ?
- Si ce n'est pas gênant, tu pourras toujours garder « tes biens ». Je pense par - Sans argent sur le long terme, oui, mais au début, on peut très bien expérimen-
exemple, à des objets ayant une valeur sentimentale pour toi. Mais pour les ter une organisation amopienne tout en ayant des échanges avec la société, nous
autres, cela se ferait au détriment d'autrui, ce serait injuste... Ensuite, il est bien permettant de bénéficier ainsi de plus de choses en travaillant moins. Ensuite, au
évident que, dans la mesure du possible, on va faire en sorte qu'il y ait fur et à mesure que le réseau de coopératives s'étendra, ces rapports commer-
suffisamment de biens "désirables" pour tout le monde (en en produisant ciaux avec l'extérieur diminueront, tandis que nous conserverons, voire accroî-
suffisamment)... trons, notre sécurité et notre bien-être matériel...
Ce système permet d'éviter la loi de la jungle : que chacun puisse venir prendre
- Il y aurait donc de l'argent ?
les affaires d'autrui arbitrairement et que ça se termine en pugilat, ou que chacun
puisse tout garder arbitrairement et que l'injustice se développe (ce qui alimente - Pas dans les relations entre amopiens. Ce serait la coopérative, qui échangerait
la frustration et les conflits). Ainsi, la répartition des biens est la plus juste et la ainsi avec l'extérieur. L'argent serait donc considéré, dans la comptabilité amo-
plus profitable possible. pienne, comme une matière première, nécessitée par certains souhaits de
L'idée, c'est le partage, selon une règle qui fait qu'un bien revient à celui qui consommations (individuels ou collectifs)... De l'argent est par ailleurs néces-
l'apprécie le plus. Ce n'est pas le partage bête et méchant : « tout le monde saire pour payer certaines taxes sur le capital. Ce qui fait l'harmonie dans une
pareil, qu'il aime ou pas » (comme cela a souvent été le cas dans les économies coopérative amopienne, ce sont les relations de partage (et non plus d'échange)
non-monétaires du passé), sans que ce soit utopique non plus comme avec le : entre ses membres ; et pour cela, l'autarcie n'est pas nécessaire.
« chacun fait ce qu'il veut parce que tout le monde il est gentil et que c'est Il y aurait donc des entreprises appartenant à la coopérative, et chacun pourrait y
l'abondance ». travailler.
- Ce serait quoi le problème, si chacun pouvait garder ses biens ? - L'individu pourrait-il dépenser de l'argent à l'extérieur ?
- Si tu es toujours la personne qui préfère un bien donné, il n'y a pas de - Cela serait également possible. Il suffit de demander une certaine somme
problème, et tu le conserveras en Amopie également... Le problème est que si d'argent, en prévision d'un voyage, par exemple. Cela se ferait comme pour
quelqu'un le préfère réellement à toi, et que toi, tu préfères autre chose, et bien, n'importe quelle autre denrée : en affectant un niveau de satisfaction marginale
tout le monde serait moins satisfait. Faut pas se fixer sur cette histoire de « c'est et un seuil de saturation,
mon bien, il est inadmissible qu'on me le prenne », mais voir où est sa
- Par contre, l'individu ne pourrait pas gagner d'argent, je suppose.
satisfaction véritable, la satisfaction maximum qui ne nuise pas à autrui...
- Si ! Lorsque la personne est en voyage, elle fait ce qu'elle veut.
- Je pourrais faire un échange...
Ensuite, il est également possible qu'une personne ait une activité lucrative
- Oui, mais comment le savoir, qu'il y a eu cette variation dans les préférences ? individuelle tout en habitant sur le lieu (comme salariée à l'extérieur ou
Dans une économie traditionnelle, les échanges ne se font que lorsque les entrepreneur individuel). Mais, dans ce cas, le revenu ainsi dégagé doit revenir à
propriétaires mettent leurs biens en vente (ou les proposent au troc)... ce qui la coopérative (qui le distribue ensuite selon les règles de l'économie
demande un effort relativement important pour un résultat très hypothétique (y amopienne).
aura-t-il preneur ? et à quel prix ?) Et lorsqu'ils ne le font pas, combien
- Ne pourrait-elle pas en dépenser une partie directement pour elle ?
d'occasions manquées ! Là, c'est la satisfaction maximum en temps réel. Mais là
n'est pas le seul intérêt d'une économie de partage. - Jusqu'à un certain point, ce ne serait pas très gênant. Mais cette possibilité
pourrait entretenir une certaine cupidité, ce qui est contraire à ce que nous
- Ah ?
souhaitons vivre et expérimenter. Par contre, travailler pour la coopérative, qui
- La négociation qui accompagne le troc (ou toute autre forme d'échange) ne sert est une alternative bénéfique à tous points de vue, ça, ça entretient l'amour... Par
pas précisément la satisfaction maximum : elle favorise les plus avides et les ailleurs, tous les désirs matériels des amopiens peuvent être satisfaits dans le
plus manipulateurs... sans compter qu'elle nous conditionne dans le sens de cadre de l'économie amopienne... et ce d'autant plus qu'ils ont des activités

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leur convient, que parce qu'ils y sont contraints... l'avidité, de l'égocentrisme...
Si en plus, il y a l'argent, avec le pouvoir qu'il représente, la facilité de
- Oui, mais de fait, certains auront un certain pouvoir en plus, même atténué...
l'accumuler, de le conserver, de le transmettre, la cupidité est hypertrophiée, les
- Oui, mais faisons preuve de discernement. Entre un pouvoir qui opprime, qui conflits et les injustices s'aggravent. Les gens, aveuglés par le pouvoir
engendre des conflits, comme l'argent, la propriété privée, les chefferies, la ma- monétaire, en oublient ce qui est leur véritable satisfaction (par une
nipulation lourde, et un léger avantage potentiel que quelqu'un aurait (parce consommation effective et correspondant à un besoin réel)... Sans même parler
qu'on ne lui aurait pas retiré tous ses avantages antérieurs), il y a une grosse de la pollution et du pillage des ressources ; parce que tout le monde est
différence. Il ne faut pas tomber dans une chasse aveugle à tout ce qui peut être tellement obsédé par son profit monétaire, que les lois faites pour protéger
qualifié de pouvoir. La raison, c'est aussi ça... l'environnement sont globalement contournées (il n'est pas possible de tout
surveiller). Tu as peut-être déjà vu ça quelque part...
- Au fait, de quelle structure s'agirait-il juridiquement ?
- Le mieux est une association.
3 La maximisation du bien-être
- Une association sans but lucratif ?
- Il me semble, oui :-).
- Oui. Car il n'y a pas de but lucratif, c'est le moindre que l'on puisse dire ! Per- Et pour le travail, ça se passe comment, dans ton système ? Comment les gens
sonne n'y gagne de l'argent, pas de relation de type salariale (qui se caractérise sont-ils motivés s'il n'y a pas d'argent ? Ils sont tous spontanément dans la glori-
par un rapport hiérarchique). Il s'agit précisément de sortir de la logique de lu- fication du travail et le dévouement pour la productivité ? Tous altruistes ?
crativité.
- Point du tout. Chacun adopte la philosophie qu'il veut.
- Une Société Civile Immobilière, pour l'habitat, un Groupement Foncier Agri-
cole pour la terre, des SCOP pour les entreprises... cela ne serait-il pas plus - Ah, et donc, les adeptes du repos et des vacances ne font rien alors...
adapté ? - Pas tout à fait :-). Si tu te rappelles ce que j'ai expliqué tout à l'heure tu devrais
- Non, tu mentionnes là des sociétés au sens juridique, c'est-à-dire des structures comprendre pourquoi.
fondamentalement capitalistes. Très concrètement, si un apporteur (plus - Hou-là, je suis pas Master Mind, moi hein...
exactement, un actionnaire, ici) souhaite se retirer, il peut obliger dans un délai
assez bref (six mois, il n'y a pas de clauses possibles ici) à une réévaluation du - De même que tu as indiqué des niveaux de désir pour chaque consommation,
bien pour repartir avec non seulement son apport initial mais aussi le gain dû au tu indiques des niveaux de désir pour chaque travail. Niveaux, qui là, seront le
travail de tout le monde ! En effet, une action est une fraction du capital total, plus souvent négatifs, si, du moins, tu préfères ne rien faire que faire tel ou tel
pas un montant fixe... Bref, de telles structures sont adaptées à l'exploitation travail.
capitaliste, et ce n'est pas que de la théorie. Or, nous voulons une logique de Ensuite, ce qu'il faut bien comprendre c'est que les activités économiques (tra-
l'amour, du don, que ceux qui apportent apportent réellement en cohérence avec vail et consommation) sont réparties selon une règle simple : on détermine la ré-
cette logique, et ne courent pas le risque d'être ainsi trompés. partition qui maximise la moyenne des satisfactions totales (entre tout le monde)
moins l'écart type (leur fluctuation d'une personne à l'autre). Ainsi, chacun tend
- Une association peut être propriétaire de biens immobiliers ? à consommer ce qu'il préfère et à travailler à ce qu'il préfère (car cela accroît la
- Oui, s'ils sont utilisés directement pour son objet, ce qui serait évidemment le satisfaction totale). En même temps, tout le monde tend à bénéficier équitable-
cas ici. ment de cette maximisation car l'écart-type est pris en compte négativement,
comme nous venons de le voir. Grâce à cette double prise en compte, la maximi-
- Ensuite, ça va être très dur au début. L'autarcie, ça ne s'improvise pas, on sera sation de la somme des satisfactions ne se fait pas trop au détriment de l'équité,
donc très loin d'un mode de vie avec beaucoup de temps libre et un large choix et inversement, le maintien d'une certaine équité ne réduit pas trop l'ac-
de consommation... croissement de la satisfaction totale.
- Qui a parlé d'autarcie ?

60 9
- Et qu'est-ce qui garantit que les choses désirées soient effectivement pro- 2 De l'argent
duites ?
- Mettons. Ensuite, je vois pas mal de difficultés, pour le démarrage. Il faut
- C'est absolument garanti : seules des distributions travail/ consommation dans acheter des terres, des machines, des bâtiments, je suppose. D'où viendra l'ar-
lesquelles le travail est celui nécessaire à la consommation correspondante sont gent ?
prises en compte (dans la détermination de l'optimum). Donc, quand on distri-
bue des consommations (futures), on distribue simultanément le travail corres- - De prêteurs ou donateurs convaincus par l'intérêt du projet. D'une façon géné-
pondant. rale, les dons ne manquent pas. Or, il y a quand même des humanistes intelli-
gents, ça existe. Ensuite, les gens qui participeraient à l'aventure, n'auraient plus
- Donc, si j'apprécie beaucoup une consommation donnée, je ne suis pas sûr de guère besoin de leurs biens, puisqu'il s'agit de vivre sans argent...
l'obtenir...
- Hou-là ! Et tu crois que les gens vont prendre un tel risque ?!
- Non. Mais tu l'obtiens souvent : à chaque fois qu'il existe un ensemble de per-
sonnes dont la peine totale pour la produire est inférieure à la jouissance qu'elle - Oui, et pour plusieurs raisons. Pour le sérieux de l'entreprise (s'ils en ont pris
procure à ceux qui l'apprécient le plus (qui seront donc les consommateurs). Si- pleinement connaissance), tout d'abord, qui rend la prise de risque particulière-
non, cette consommation, si elle t'était accordée, cela se ferait au détriment du ment raisonnable. Ensuite, parce que l'on ne leur demandera pas de faire un don,
bonheur total (qui comprend le tien). En somme, on prend en compte autant la mais seulement un apport, un prêt si tu veux. Donc, ainsi, ils ne prennent vrai-
satisfaction par la consommation que celle par le travail. C'est symétrique. Parce ment aucun risque important. Ils peuvent toujours retrouver leur apport en cas
que les deux existent. On ne tombe pas dans cette schizophrénie où le tra- d'échec, par exemple.
vailleur-esclave se sacrifie pour le consommateur-roi. Dichotomie, qui entraine
- Et si l'entreprise fait faillite, tu crois qu'ils vont forcément retrouver leur ap-
une survalorisation de la consommation et une dévalorisation du travail, lequel
port ?
doit alors être « récompensé ». D'où une surconsommation, et les conséquences
que tu sais... - L'entreprise fera en sorte de ne pas s'endetter... Ensuite, il s'agit d'un investisse-
ment essentiellement immobilier... Pas d'une entreprise capitaliste dans un sec-
- Dans le système monétaire, au moins, si je veux quelque chose, je l'obtiens.
teur à risque ! Donc, la structure ne va pas s'appauvrir : le capital sera toujours
- Non : si tu n'es pas assez riche pour la payer, tu ne l'obtiens pas. là.
- Oui, mais je peux toujours m'enrichir suffisamment pour obtenir ce que je sou- - Le problème, si chacun peut reprendre ses billes quand il veut, c'est que le pro-
haite. jet a peu de chances de durer, et les apporteurs vont avoir un certain pouvoir...
- Tout d'abord, ce n'est qu'une possibilité, y parvenir peut être très improbable... - Tout d'abord, on peut voir ce qu'un système apporte, ou au contraire, se focali-
Ensuite, pour acquérir l'argent nécessaire, tu dois peiner. Si tu l'obtiens ainsi ser sur son écart par rapport à la perfection, voire ne rien faire sous prétexte
c'est que tu étais prêt à peiner pour ça. Dans le système amopien, c'est pareil : si d'absence de perfection. Les apports que ce système rend concrètement pos-
tu es prêt à peiner pour le travail que cette chose coûte « objectivement », elle sibles, permettront au pire d'expérimenter quelque chose quelque temps... ce qui
est bien produite... par toi, en l'occurrence. C'est parce que tu auras estimé que la est mieux que de ne jamais rien faire. Mais ça, c'est vraiment le pire, parce que
chose te coûte moins que ce qu'elle t'apporte. ce qui est prévu n'est pas que les apporteurs puissent reprendre leurs billes inté-
gralement à tout moment. L'idée est de réduire ce pouvoir en imposant une
- Sauf que dans ce cas, c'est moi qui l'ai produite. Or, ce n'est pas toujours pos- clause de reprise d'apport qui donne à la structure suffisamment de temps pour
sible : si je n'ai pas les compétences nécessaires. L'intérêt d'une économie est pouvoir rembourser sans être obligée de faire une revente en catastrophe
que ça puisse être produit par d'autres ! (forcément moins intéressante), voire de pouvoir rembourser progressivement
- Si cela participe à un accroissement de la satisfaction totale, oui... grâce à un revenu.
Le problème dans le système monétaire est que les choses sont biaisées par le De plus, il me semble préférable de parier sur la liberté individuelle plutôt que
désir d'argent, d'une part, et les inégalités de condition d'autre part. À cause du sur la contrainte. Il est préférable que les gens restent quelque part parce que ça

10 59
- Bien sûr qu'il y a des intérêts qui peuvent s'opposer à un tel projet, mais il ne pouvoir que confère l'argent, ce dernier est fortement désiré. Tu trouves donc
faut pas exagérer. Ces gens là sont des hommes... pas des machines à défendre toujours des gens prêts à faire n'importe quoi ou presque pour de l'argent. Ceci
un intérêt. Ils n'ont pas que ça à faire. Ce que nous proposons s'adresse à tous les parce que les gens ne fondent plus leurs désirs sur un plaisir objectif, mais sur
humains et est acceptables par tous. Ce ne serait terrible pour personne, car il ne cette pure potentialité qu'est l'argent. Ils perdent leur vie à la gagner, en quelque
s'agit pas d'un mode de vie précis, comme nous l'avons vu, mais d'une société sorte. Ensuite, il y a des gens qui sont, par le jeu des injustices induites par ce
qui prend en compte autant qu'il est possible la diversité et la liberté. Elle peut système, contraints de faire des choses particulièrement pénibles pour pouvoir
contenter tout le monde, elle est désirable pour quiconque y réfléchit un peu. seulement survivre. Donc, quand tu obtiens quelque chose dans un système mo-
nétaire que tu n'obtiendrais pas en Amopie, c'est en exploitant la misère ou la
- Même ceux qui sont attachés à un train de vie nécessitant la sur-exploitation
bêtise humaine (éventuellement, la tienne !) Après, c'est un choix, on peut mé-
d'autrui et de la planète ?
priser les autres, ou au contraire les respecter... On peut accroître son bien-être
- Oui, il leur faudra simplement prendre un peu de hauteur par rapport à cet atta- au détriment de celui d'autrui, ou partager réellement la valeur « fraternité »...
chement, murir, mais c'est possible ! On ne demande pas non plus à chacun de
- Bon bon bon. Et comment ça se passe, si tout le monde apprécie également
devenir un sage... C'est donc quelque chose de réaliste.
une même chose ou un même travail ? Parce que dans ce cas, la répartition n'af-
Surtout, nous ne sommes pas dans la contestation et la lutte frontale, contraire-
fecte ni la moyenne des satisfactions individuelles ni leur écart-type...
ment à beaucoup de mouvements, qui évidemment suscitent une opposition vi-
rulente, puis s'en alimentent. - Pas tout à fait, car il faut prendre en compte les autres préférences, qui
contribuent également à la répartition... Par contre, il arrive en effet que
- On va vous prendre, au mieux pour de doux rêveurs, au pire pour une secte
plusieurs distributions maximisent l'optimum de satisfaction. Dans ce cas, on
dangereuse.
prend également en compte les éléments suivants : -l'économie d'énergie
- Là encore, cessons de mettre l'humain plus bas qu'il n'est. Quiconque prend maximum, -la compétence maximum (un travail est attribué à la personne dont
connaissance de ce projet ne peut que réaliser qu'un tel amalgame est impos- les performances sont les plus estimées pour ledit travail) -la variété maximum
sible, aberrant. Nous sommes trop éloignés de tout cela. (une chose est attribuée en priorité à celui qui n'y a pas encore « goûté » ou n'y a
pas goûté depuis le temps le plus long (Cela permet de disséminer les
- Encore faut-il que les gens prennent connaissance du projet. Généralement, ils
compétences, d'améliorer les évaluations d'appréciation, et il y a souvent une
jugent hâtivement de tout, amalgamant les choses avec les quelques rares
préférences pour la variété). Ensuite, lorsque ce n'est pas trop compliqué, on
concepts qui leur sont familiers.
laisse le choix aux intéressés (toutes les informations pertinentes n'ont peut-être
- Généralement, mais pas toujours, et petit à petit, il est possible qu'un grand pas été communiquées à la machine). Enfin, la machine peut trancher de façon
nombre de personnes finisse par en prendre connaissance. Une telle diffusion aléatoire.
peut être exponentielle, donc, rapide.
- Il y aura toujours des gens particulièrement butés, fanatiques, qui s'opposeront. 4 Application concrète
- Certes, mais le but n'est pas de convaincre tout le monde. Une large majorité, - Ça me semble quand même un peu théorique tout ça. Par exemple, des
ce serait déjà pas mal, non !? Et rien n'empêche que l'on puisse parvenir à cela, consommations possibles, il y en a pratiquement une infinité. Je ne peux donc
progressivement bien sûr. pas raisonnablement les indiquer toutes.
Actuellement, c'est l'inertie de la masse, qui freine, bloquée par des croyances,
comme par exemple, la croyance en un complot surpuissant. Moi, je dis que ces - C'est clair. Je vais t'expliquer comment ça se passe, plus précisément.
croyances sont surtout très confortables, pour notre fainéantise... En fait, ce système s'applique à de petites unités économiques locales (moins de
mille individus). Il y a, à chaque instant, du fait de la situation locale, des oppor-
tunités de consommation (liées à la disponibilité de certaines ressources, de cer-
taines compétences, à la survenance d'évènements particuliers etc. ) Ces
« consommation opportunistes » sont listées, et pour chacune, tu indiques ton

58 11
niveau de satisfaction. Ensuite, rien ne t'interdit d'avoir envie d'autres consom- perspective, quand ce n'est pas toute organisation ! Et je ne parle pas de la non-
mations. Dans ce cas, tu l'ajoutes à la liste, avec le niveau de satisfaction corres- violence...
pondant. Si tu veux accroître tes chances pour cette consommation, tu l'ajoutes à
- Il y a déjà eu des socialistes utopistes...
la liste commune : elle apparaîtra aux autres, qui devront y adjoindre leur niveau
de désir. On parle alors de « consommation sollicitée ». - Amopie ? Non ! On en est loin !
Si tu regardes dans le détail les différents utopistes qui ont existé, tu vois à quel
- Pourquoi cela accroît-il mes chances pour cette consommation ?
point il y avait de la naïveté dans leur entreprise : certains pensaient qu'il
- À cause d'une possible économie d'échelle : lorsqu'elle est produite en plus suffisait d'imposer l'égalité, d'autres la solidarité, d'autre d'abolir l'argent ou
grande quantité ou partagée, le travail correspondant (à la consommation) dimi- encore de distribuer un revenu identique à tout le monde, il y a encore ceux qui
nue souvent... se focalisèrent sur une morale, une spiritualité... C'est le problème de prendre un
peu trop rapidement ses désirs pour la réalité.
Ainsi, comme tu le vois, les consommations qui coûtent le moins et celles qui
Il faut se garder des généralisations. À la limite, c'est comme ceux qui vont te
sont le plus désirées sont favorisées, ce qui est optimum pour l'accroissement de
dire qu'on a essayé des alternatives au capitalisme et que ça ne marche pas !
la satisfaction totale. Et il n'y en a pas une « infinité »...
C'est aussi débile que de dire que seul le fer s'aimante parce qu'on a essayé avec
Tiens, pour mieux te faire une idée, tu peux jeter un coup d'œil sur cet organi-
le cuivre, l'aluminium et le zinc et que ça ne marche pas. Il faut bien sûr tout es-
gramme :
sayer pour pouvoir conclure ainsi. On s'apercevrait alors que le fer n'est pas le
seul métal qui s'aimante. Mais la logique la plus élémentaire a parfois du mal à
s'appliquer quand on rentre dans le domaine politique. Au vu d'un tel niveau de
bêtise, la situation actuelle n'a rien d'étonnant !
- C'est bien pourquoi ce que tu proposes n'a que peu de chances d'arriver.
L'homme n'est pas rationnel.
- Bon, faut pas exagérer non plus :-). C'est vrai qu'il y a parfois de quoi perdre
patience, mais il y a de l'espoir, parce que même si l'homme n'est jamais
parfaitement rationnel à un moment donné, il peut toujours tendre vers plus de
rationalité. Il y a quand même un mouvement dans ce sens. C'est bien là l'espoir.
Ne cédons pas au fatalisme !
- De toute façon, même si, à un moment donné, tu parviens à un résultat positif,
ça ne marchera pas parce qu'on ne vous laissera pas faire.
- Ça y est, la théorie du complot !
- Il y a des intérêts très importants en jeu. Donc, oui les rigolos, on les laisse
faire, mais pas ce qui a des chances sérieuses de changer le système...
- Ah oui, et c'est qui ce « on ». Une bande d'extraterrestres qui nous mani-
pulent ? Arrête tes conneries ! Il n'y a jamais que des hommes, et l'économie ca-
- D'accord, mais ce n'est pas toujours évident d'estimer ce niveau d'appréciation. pitaliste suffit largement à expliquer ce qui se passe. Inutile d'invoquer quelque
Si je ne le connais pas, que je n'ai jamais goûté à un truc, par exemple, je ne méga-complot secret...
peux pas savoir... - Justement, cette économie fait qu'une classe de puissants à intérêt au maintien
- Il y a toujours un niveau de désir. Si tu n'as jamais goûté à un mets, par de la situation, et comme ils sont puissants... justement...

12 57
tant. L'enseignement de l'Histoire semble assez clair à ce sujet... exemple, ce niveau sera plutôt élevé si tu es curieux, et plutôt faible si tu es peu-
reux. Ensuite, comme on l'a vu, tu vas le réajuster...
- Donc, c'est bien ce que je disais, merci pour le rêve !
- Il me semble difficile de comparer l'appréciation d'une banane avec l'apprécia-
- Non, non, la solution est simple :-).
tion d'un appartement, par exemple...
Rien n'empêcherait quelques motivés, quelques humanistes bâtisseurs dans
l'âme, où simplement quelques personnes avec une soif d'autre chose, cons- - Tout d'abord, ne faut pas perdre de vue que le but n'est pas d'estimer
cientes des méfaits du système actuel et ouvertes à l'éventualité d'une action précisément une appréciation, il n'est pas philosophique, seulement
efficace, de s'organiser autrement, en commençant localement. Cela limiterait économique : « comment se répartir au mieux la production et la consom-
d'ailleurs la prise de risque qu'impliquerait une révolution à grande échelle. mation ? ». Il ne faut pas être perfectionniste, donc.
Ensuite, tout cela est codifié. Par exemple, pour un consommable (la banane),
- Tu veux dire : former une première commune, qui fonctionnerait selon les
on indique généralement deux nombres : l'« appréciation marginale » et le
principes que tu as décrits ?
« seuil de saturation ». J'explique :-) !
- Une ou plusieurs d'un coup, et pas forcément tout de suite conformes en tous L'appréciation marginale est l'augmentation de ton appréciation par unité de
points aux principes décrits car tout cela peut se mettre en place progressive- quantité consommée (par banane, par kilogramme etc.) tant que la quantité
ment, oui. Plutôt que de commune, on peut également parler de coopérative totale est inférieure au seuil de saturation. Au-delà de ce dernier, l'appréciation
puisqu'il s'agit de travailler ensemble, sans forcément vivre en communauté. En n'augmente plus : ça ne t'apporte rien d'en avoir toujours plus. Pour un mets que
outre, cela ne correspondrait pas forcément aux divisions administratives que tu n'as jamais goûté, tu indiques une quantité seuil de saturation très faible...
sont les communes existant actuellement. puisque c'est juste « pour goûter »... ensuite, tu modifieras probablement tes
Cette stratégie est beaucoup plus réaliste que d'attendre je ne sais quelle indications.
hypothétique révolution, auto-conflagration du capitalisme ou de fomenter je ne Pour un bien durable (l'appartement), il n'y a généralement que l'appréciation
sais quelle prise de pouvoir. marginale. Dès que tu as envie de changer, il te suffit de réduire ton
appréciation... au profit de ce que tu désires plus.
- Je veux bien, mais de là à ce que ça se répande !
Pour une activité de production, le seuil correspond à une durée au-delà de
- Le fatalisme dont tu parles s'alimente de l'absence d'alternatives crédibles. laquelle l'appréciation marginale change. Par exemple, si tu aimes bien faire un
Beaucoup de gens ont besoin de voir quelque chose qui fonctionne, donc après truc tant que ça ne dure pas trop longtemps... On indique donc généralement,
ça, ça pourrait se répandre très vite... dans ce cas, deux appréciations marginales: la « première », correspondant aux
durées inférieures au seuil, et la « seconde », correspondant aux durées
- Des alternatives locales, il y en a plein... supérieures.
- Oui, mais pas de réelles alternatives sociétales, avec un projet crédible sur le - Il y a encore un truc qui cloche, selon moi. Il n'existe pas une unité objective
long terme, une réelle stratégie à moyen terme. Il s'agit souvent de fuir, d'impro- pour ce concept très subjectif, qu'est l'appréciation. Tout le monde ne va pas
viser, plutôt que construire une alternative rationnelle, quand il ne s'agit pas faire correspondre un même nombre à une même appréciation... S'il est possible
d'accommodements avec le capitalisme, d'initiatives purement « écologiques ». de comparer ses propres appréciations entre elles, ça me semble plus probléma-
Nous parlons ici d'une alternative qui s'attaque à la racine des maux, et en parti- tique de comparer les appréciations de différentes personnes...
culier à l'argent, à la propriété privée, à la hiérarchie... et ce d'une façon généra-
lisable, pas d'une démarche élitiste. - Ce problème est résolu par renormalisation. J'explique :-).
L'ordinateur ne prend pas en compte les niveaux tels qu'ils sont donnés, bruts,
- Bref, l'anarchie et l'autogestion ! par chacun. Pour chacun, il calcule la moyenne des valeurs absolues de ses ni-
- Non, enfin, au sens strictement étymologique, je veux bien, mais ça ne suffit veaux (entre toutes les activités qu'il a évaluées, et pour une même unité de
pas. Tout cela a déjà été essayé bien sûr. Je parle d'une alternative cohérente, quantité, ramenée à une durée), puis il divise chacun de ces niveaux par cette
avec une démarche rationnelle, un minimum d'organisation et de perspective. moyenne. En somme, on effectue un simple changement d'échelle.
Les anarchistes historiques, dans leur extrémisme, ont généralement refusé toute

56 13
- Je vois l'idée, mais cela élimine la prise en compte du fait que certains puissent cas, il y a bien nuisance à autrui, même si elle n'est pas immédiate et pas cer-
être plus sensibles : avoir des niveaux réels de plaisir et de douleur globalement taine. La prise en compte des probabilités fait partie de la démarche ration-
plus importants. nelle...
Ensuite, beaucoup de ces substances entraînent des nuisances pour ta propre
- Tout à fait. Mais ce n'est pas un problème, au contraire. Tout d'abord, Cela re-
santé, donc a priori ça ne nuit pas aux autres, sauf indirectement dans la mesure
lève typiquement d'un travail philosophique personnel que de réduire cette sen-
où une fois malade, tu seras une charge pour la société (soins médicaux et défaut
sibilité (pour être moins dépendant de son environnement). Prendre en compte
d'activité productive). Cela représente un coût économique. Donc, tu pourrais
économiquement ces variations s'opposerait à un tel progrès personnel.
demander à ce que l'on t'abandonne une fois malade, mais ce serait difficile à
Ensuite, il y aurait la tentation "malhonnête" d'accroître artificiellement cette
appliquer dans une société solidaire comme Amopie ! C'est pourquoi, on te lais-
sensibilité de façon à se voir attribuer plus de choses agréables et moins de
sera détruire ainsi ta santé, mais à la condition que tu fournisses un travail sup-
choses désagréables (en dépit de la prise en compte de l'écart type, qui ne ferait
plémentaire qui enrichisse suffisamment la collectivité pour compenser
que limiter le phénomène). Bref, ainsi, chacun a vraiment intérêt à fournir des
statistiquement ce que tu lui coûteras (en moyenne) dans le futur. Il s'agit là
indications honnêtes.
d'une simple application des principes d'équité et de responsabilité en matière
- Et pourquoi renormaliser simultanément tous les niveaux de désir (en prenant économique.
leur valeur absolue), et non pas, séparément, les niveaux positifs et les négatifs.
- Pour prendre en compte le fait que certains peuvent trouver plus de satisfaction
en consommant globalement plus que d'autres (tout en travaillant plus, du IV Une autre stratégie
coup) : ceux dont la moyenne algébrique est la plus élevée. Sinon, tout le monde
se verrait attribuer approximativement une même quantité de consommation et
de travail. Cette restriction ne nous semble pas utile et limiterait la liberté. 1 Une possibilité
- N'est-il pas possible qu'ainsi, quelqu'un avec une moyenne algébrique élevée - Bon bah, c'est très bien tout, ça, on a bien rêvé !
ait tellement de travail à faire qu'il n'ait plus le temps de tout consommer ce qu'il - Comment ça « rêvé » ?
souhaite...
- Oui, parce que ok, ça semble idéal et réaliste en plus, mais de là à ce que ça
- Dans ce cas, il réduira probablement de lui-même ses désirs de consommer. De devienne une réalité !
plus, il y a aussi une limite liée à la durée de travail : on ne peut pas travailler
plus de 24h par jour... Cette limite est prise en compte dans le calcul. - Ce serait pourtant facile !
Il faut voir aussi que tu es prévenu du temps de travail que tu auras - Ah oui, c'est beau l'espoir ! Pour que ce soit possible, il vous faut convaincre
probablement à faire (compte-tenu d'une productivité moyenne), et que tu peux un grand nombre de gens... D'autant que tes ambitions me semblent
alors réajuster tes niveaux de désir en conséquence... planétaires... Vous comptez faire quoi ? Prendre le pouvoir par les élections ?
- je trouve que c'est quand même vachement dans une logique hédoniste, de - Ça demanderait de convaincre pas mal de gens en effet, et vu l'inertie et le fa-
consommation, tout ça, et prise de tête, en plus ; Quelqu'un qui ne cherche pas le talisme ambiants...
plaisir et souhaite juste se consacrer à une passion sans pour autant mourir de
faim, il doit faire l'effort d'annoter chaque activité économique : « j'aime bien, à - Alors ? Prendre le pouvoir par la force ? Ah, non, j'oubliais que vous êtes non-
tel niveau et jusqu'à telle quantité ». On n'a pas forcément envie de rentrer là de- violents...
dans. - C'est vrai que ce serait limite d'un point de vie éthique, mais encore, ce serait
- Tout à fait, et cela est pris en compte. Quelqu'un peu juste cocher la case : « je risqué. Cela nécessiterait l'instauration d'une hiérarchie de pouvoir. Tu vas me
veux juste de quoi me maintenir en bonne santé », qui le dispense d'annoter tout dire que ce pourrait n'être que temporaire, mais nous avons vu le risque à propos
le reste. Les besoins physiologiques humains sont connus (en fonction des acti- de la chefferie élective. Et plus le pouvoir est fort (ce qui serait nécessaire à
cause de l'hostilité des opposants), plus le risque de dérive tyrannique est impor-

14 55
- C'est un acte qui entraine généralement l'expulsion (comme le vol). Ça relève vités, de l'âge etc.) L'ordinateur prendra cela en compte...
du harcellement. Cette personne peut même ajouter ensuite certaines indications (de niveaux de
désir) si elle se voit attribuer des trucs qui ne lui plaisent vraiment pas, par
- Harcellement sexuel
exemple; des exceptions, en quelque sorte.
- Oui, on peut également parler de viol !
- Et au niveau du mode de vie ? 5 Une économie économe et équilibrée
- Pareil... - D'accord, mais bon, c'est assez contraignant, ton système. C'est le travail obli-
- Vous ne vivez pas en communauté ? gatoire en permanence.
- Pas spécialement, c'est au choix des individus. Certains apprécient de vivre - Beaucoup moins que dans le système monétaire, en fait.
seul, d'autres à deux ou plus. Et chacun peut changer de mode de vie comme Tout d'abord, seul ce qui est absolument nécessaire à la satisfaction optimale est
bon lui semble. Il y a une infinité d'arrangements possibles. imposé. On ne te dira pas de faire telle chose à telle heure, lorsqu'il n'y a pas un
véritable intérêt pour cela. On te dira par exemple : « avoir produit cela avant
- Pourtant, on peut parler d'une mise en commun des biens. telle date à telle heure ». Ensuite, tu t'organises comme tu veux. Amopie, ce n'est
- Pas vraiment, puisqu'il y a propriété d'usage, comme nous l'avons vu au début. ni le monastère, ni l'usine. Actuellement, pour les salariés, du moins, c'est le
Par rapport à la plupart des familles dans la société capitaliste, l'économie amo- boulot à heure fixe : 8h-12h, 14h-17h du lundi au vendredi, par exemple.
pienne est même beaucoup plus individualiste... Cela permet d'ailleurs une De plus, pour un même niveau de consommation, tu bosses moins, grâce à une
meilleure entente au sein d'une communauté : les biens n'y sont généralement meilleure performance économique.
pas communs (sauf si les personnes y tiennent, bien sûr). - Pourquoi « meilleure » ?
D'une façon générale, dans cette société, c'est l'individu qui compte, aucune
institution ne le domine. - Parce que dans ce système, il y a bien moins de gaspillage, puisque les produc-
tions sont exactement adaptées à la demande. Vois tout ce que jettent les mar-
- Comment ça ? Et l'assemblée communale, par exemple ? chands lorsqu'ils n'arrivent pas à vendre certaines denrées périssables dans les
- Celle-ci est au service du bien-être de tous, mais réellement, hein... La voix de délais, le superflu que beaucoup s'ingénient à produire dans le but de "gagner
chacun y est sérieusement prise en compte, et il n'y a pas de pression morale. leur vie", et qui va souvent directement à la poubelle faute d'avoir trouvé pre-
C'est loin d'être le cas dans la plupart des sociétés humaines ! neur. De plus, il n'y a pas à payer pour du chômage, des faillites d'entreprise, des
Il suffit de te rappeler qu'en Amopie, la liberté s'arrête où commence celle d'au- plans sociaux... Il y a beaucoup moins de criminalité, de conflits sociaux, sans
trui... ça contient tout. parler de la gestion proprement dite du système capitaliste, nécessairement com-
plexe (législation, notariat, finance, bourses, espionnage etc.) et de ses crises à
- Donc, je peux me droguer, pas de problème, tant que je ne nuis pas à autrui... répétition, parfaitement absurdes.
- Dans ce cas, il y a probablement un problème en toi : soit la dépendance, soit En plus de ça, la consommation est généralement moindre, car elle n'est plus
une volonté suicidaire... Donc, vu qu'Amopie, ce n'est pas l'indifférence, on es- suscitée par des producteurs qui cherchent à accroître un chiffre d'affaire, mais
saiera de t'aider. seulement par l'introspection : chacun détermine ce à quoi il aspire vraiment, en
dehors de toute sollicitation parasite. Donc, ce travail imposé ne représente
- Mais si je refuse cette aide charitable... qu'une petite partie du temps de chacun... Et tu as beaucoup plus de choix dans
- Alors, si tu disposes visiblement de tes facultés mentales, on te laissera faire. ton mode de vie, tu ne bosses que pour ce que tu consommes, quelque part, et
Mais il faut alors distinguer plusieurs cas. Beaucoup de drogues entrainent un ton travail est plus varié avec plus de liberté.
risque important de comportements violents. Dans ce cas, il est possible que tu - Comment ça : « on travaille pour ce qu'on consomme » ? Je croyais que tout
soit expulsé à cause de ce risque (il sera évalué en fonction de ton état, de la cela était collectivisé en vu de la satisfaction commune. Je n'ai pas vu de règle
substance, de la consommation...) C'est une décision collective. En effet, dans ce

54 15
imposant une équivalence entre travail produit et travail consommé. maximum au-delà duquel, la collectivité cesse de prendre en charge la forma-
tion.
- Non, pas précisément. Il n'est d'ailleurs pas toujours possible de faire corres-
pondre sans arbitraire un temps de production à un produit donné. Par contre, la - En un sens, oui. Ça dépend de la formation : si elle correspond à une demande
règle d'équité (la prise en compte de l'écart-type, mais il peut y en avoir importante : à une activité productive où il manque de personnes compétentes
d'autres), fait que les activités de production étant généralement moins prisées compte-tenu des niveaux de satisfaction pour les consommations correspon-
que les activités de consommation, chacun a à peu près autant de travail de pro- dantes, par exemple, les études seront entièrement subventionnées par la collec-
duction que de consommation. Et s'il en a sensiblement moins, c'est que le tra- tivité, sinon, l'Amopien adulte a toujours la possibilité d'étudier ce qu'il souhaite,
vail attribué est globalement plus pénible (à la personne, et probablement encore mais ce sera éventuellement à ses frais. Je rappelle que le temps libre est
plus aux autres) que celui attribué à ceux qui en ont plus... Mais ce n'est pas une beaucoup plus important en économie amopienne...
règle absolue. Du coup, il n'y a plus cette opposition entre travail et consomma-
- C'est une vision très utilitariste de la formation
tion, qui fait que le travail est illusoirement considéré comme un mal et la
consommation un bien. Le seul bien considéré est la satisfaction réelle de cha- - Réaliste. En fait, ça dépend aussi de la richesse dont on dispose. Si on en a les
cun. moyens, on favorise l'étude, la science pure, parce qu'on sait que c'est toujours
utile à long terme... C'est juste que ce qui correspond à un besoin plus fort est
- Mais la satisfaction est une affaire personnelle, tout le monde n'a pas la même
plus assurément et fortement favorisé. C'est plus logique du point de vue de la
pour la même chose.
satisfaction maximum. On peut appeler cela de l'utilitarisme ;-). Le vrai utilita-
- Tout à fait, et c'est bien ce que ce système prend parfaitement en compte... :-) risme, pas un utilitarisme au service d'une minorité de ploutocrates...
- Et si je me rends compte à l'usage qu'une satisfaction que j'avais attribuée à
une activité (de production ou de consommation) est différente que ce que 7 Sexe, drogues et communautés
j'avais prévu.
- Qu'en est-il de la sexualité, dans cette société ?
- Eh bien, tu la changes en conséquence ! Et les nouvelles valeurs seront prises
en compte lors des distributions futures. - Il n'y a pas de prescription ni de contrainte particulière dans ce domaine, hor-
mis celles qui ont trait à la reproduction, et que nous avons déjà évoquées (soins
- Tu as dit qu'il pouvait y avoir d'autres règles d'équité...
aux enfants). Chacun est libre d'avoir les relations de son choix avec n'importe
- Oui. Par exemple, on peut interdire que la satisfaction individuelle ne s'ap- qui à la seule condition que le partenaire soit également consentant.
proche trop (par valeurs supérieures) de ce qu'elle serait si la personne était
- Même si c'est un enfant ?
seule (en bénéficiant des mêmes ressources naturelles). C'est le principe de non-
exploitation. Tout le monde est ainsi absolument assuré de bénéficier largement - Dans ce cas, le consentement éventuel de l'enfant n'est pas considéré comme
de ce système, de la coopération de tous. valable à cause de l'autorité naturelle de l'adulte et de l'immaturité de l'enfant.
- Et à partir de quel âge son consentement est-il considéré comme valable, à sa
6 Une économie solidaire et écologique « majorité » ?
- Pas seulement sa majorité intellectuelle, que nous avons évoquée tout à l'heure.
- Et comment ça se passe si je tombe malade, par exemple. Je ne pourrais plus
Il faut aussi qu'il y ait une certaine maturité sexuelle, qui est physiologique, elle.
faire mon travail (tandis que je vais continuer de consommer)...
- ça ne correspond donc pas à un âge précis.
- et même consommer plus, d'une certaine façon, puisqu'il faudra te soigner.
Eh bien, tu es soigné, et si cela se justifie, tu es dispensé de travailler. - Pas tout à fait, puisque même le développement physique varie selon les indi-
vidus. Dans les cas limites, on jugera au cas par cas.
- C'est qui, qui estime que ça se « justifie » ?
- Et que se passe-t-il si le consentement n'est pas clairement établi.

16 53
- Et comment on le vérifie, par un examen ? - Le médecin qui s'occupe de toi, qui contrairement à ce qui se passe en système
marchand, n'a pas d'intérêt particulier autre que celui du bien commun...
- Non pas un examen, mais plusieurs, un pour chaque matière. Il n'y pas ce sys-
tème barbare où l'on doit suivre à nouveau une formation pour toutes les ma- - Le problème, c'est que cette maladie (ce pourrait être un accident également)
tières pendant un an, alors qu'il n'y en a qu'une pour laquelle on n'est pas au n'a pas été prévue dans le calcul, donc ça fout tout ton système en l'air...
point. De plus, pour une matière donnée, il n'y a pas qu'un examen. Il y en a un
- Point du tout, car il faut bien comprendre que les nouvelles données (un acci-
premier, puis un second de contrôle, pour vérifier que l'acquisition est durable et
dent, par exemple) sont prises en compte en temps réel : la répartition travail/
ne résulte pas d'un simple bachotage. La date et l'heure du premier examen est
consommation est recalculée à chaque fois. Cela est possible grâce aux progrès
au choix de l'élève. Le second est un examen-surprise (qui peut cependant être
de l'informatique. Nous disposons d'ordinateurs suffisamment puissants.
reporté par l'élève en cas de problèmes indépendants de sa volonté). De plus ces
examens ne se font pas seulement avec une feuille de papier (ou un ordinateur), - Donc, chaque jour, que dis-je, chaque heure, mon programme de travail impo-
ce sont souvent des travaux pratiques... sé peut être modifié ?
Une fois les tests nécessaires passés avec succès, le jeune est déclaré « ci-
- Oui. Exactement comme si tu étais seul. Il y a toujours des impondérables. Ce
toyen ». Il peut alors participer pleinement à la vie politique de sa commune,
peut être aussi une catastrophe naturelle. Ou encore, un réajustement de prévi-
participer au système économique (en choisissant ses consommations), voyager
sions qui se sont avérées incorrectes. Mais comme je te l'ai déjà dit, ce travail
pour éventuellement s'installer ailleurs, dans une autre commune amopienne ou
obligatoire ne représente pas toute ta vie. Ce ne sont que quelques heures par
en dehors d'Amopie. Il peut également poursuivre des études plus spécialisées.
jour au grand maximum !
- Et s'il échoue constamment ?
- Et en dehors de ça, je fais ce que je veux ?
- Ces cas sont rares, car il ne s'agit pas d'un examen trop difficile. Il est à la por-
- Non. Tu n'as pas le droit de tuer, de voler...
tée de n'importe quel être humain en bonne santé. Dans ce cas, on voit quand
même ce qu'il est capable de faire. - Oui, ça, d'accord, mais en dehors de ça...
- C'est un peu comme la majorité... - Si tu utilises certaines ressources naturelles (en faisant de l'auto-production,
par exemple), tu dois déclarer la quantité prélevée. Ceci, afin que l'on puisse
- oui. On célèbre cela par une fête.
s'assurer que le prélèvement total ne soit pas trop important compte-tenu de la
- Un rituel de passage, en quelque sorte. La majorité ne correspond donc pas à rareté et de la vitesse de renouvellement de la ressource.
un âge précis ?
- Et à part ça, il y a d'autres obligations ?
- Non. Elle correspond à une compétence, ce qui nous semble plus logique...
- Non, le temps libre, c'est le temps libre, quand même !
- Je comprends mieux la motivation des élèves pour avancer dans leur forma- La limitation des ressources naturelles est d'ailleurs prise en compte dans le cal-
tion... cul de la distribution des consommations (j'ai oublié de le préciser tout à
l'heure) : le prélèvement total d'une matière première ne doit pas dépasser son
- Cela ne correspond pas à la sortie du système scolaire, puisque le jeune peut
seuil de renouvelabilité.
choisir de continuer à se former en étant dispensé de travailler, s'il le souhaite.
Beaucoup le souhaitent, car plus on est formé dans un ou plusieurs domaines - Je vois que la mode écolo est passée par là.
professionnels, plus on a la possibilité d'exercer un grand nombre d'activités
- La solidarité avec les générations futures, disons.
souvent plus intellectuellement satisfaisantes. Sans parler du plaisir d'ap-
Mais cette contrainte intervient rarement car les consommations sont limitées
prendre... Seuls ceux qui aiment le moins l'étude, choisissent de passer à la vie
par d'autres facteurs.
active dès leur « citoyenneté ». Beaucoup commencent d'ailleurs par tester la vie
active, avant de revenir étudier quelque temps. Tout cela est très éducatif... - Lesquels ?
- Et je suppose, que s'il y a une durée de formation minimum, il y a aussi un - Tout d'abord, comme nous l'avons vu, contrairement à la situation marchande,

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chacun décide en fonction de ses vrais besoins et aspirations : il n'est pas mani- vient, et le cas échéant, l'activité de l'enfant est plus encadrée de façon à ce qu'il
pulé en permanence par des marchands obsédés par le maintien de leur chiffre consacre plus de temps à sa formation et/ou qu'elle soit plus efficace... Mais on
d'affaire. La publicité, c'est terminé. évitera que cela ne soit vécu comme « punitif » (pour ne pas nuire au plaisir
Ensuite, plus tu consommes, plus tu dois généralement travailler, donc, beau- d'apprendre). On essaiera de comprendre d'où viennent les problèmes...
coup tendent à travailler moins.
- Et quel est le contenu de l'enseignement
- Comme dans le système monétaire...
- On y forme à la pensée rationnelle, que l'on ne limite pas aux domaines scien-
- Oui, mais un système monétaire où la rémunération serait réellement propor- tifiques... C'est important pour les prises de décision collectives, l'efficacité en
tionnelle au travail, pas en capitalisme... De plus, un tel système est une vue de général. On apprend l'auto-organisation, mais aussi le bonheur.
l'esprit.
- Le bonheur ?
- Pourquoi ?
- Oui, le bonheur est essentiellement une affaire intérieure, c'est quelque chose
- Parce que s'il y a rémunération, surtout proportionnelle au travail, cela déve- qui s'apprend.
loppe la cupidité, et donc, un pouvoir parasite qui finira par s'opposer à celui qui
- N'y a-t-il pas de multiples façons d'être heureux, cela ne relève-t-il pas stricte-
chercherait à maintenir la justice. Ensuite, il est difficile de déterminer une ré-
ment d'un choix personnel ?
munération parfaitement juste.
- Bien sûr, nous ne faisons que transmettre des techniques, chacun est évidem-
- Ne pourrait-on pas rémunérer en proportion du nombre d'heures de travail ?
ment libre de les utiliser ou pas, ensuite. C'est là un enseignement pratique : sa-
- Dans ce cas, tu auras le problème des gens plus ou moins productifs, des tra- voir s'analyser, prendre conscience de ce qui se passe en soi, se connecter à ses
vaux plus ou moins pénibles, plus ou moins utiles etc. Je te souhaite bonne aspirations profondes etc. ça n'a rien de dogmatique !
chance ! C'est dans le sillage de cet enseignement « philosophique », que l'on initie à la
partie humaniste de l'éthique amopienne. On explique quel est l'intérêt d'une
- Mais dans ton système, le problème de la productivité ne se pose-t-il pas ?
solidarité universelle, mais aussi en quoi elle découle spontanément d'un certain
- Non, puisque c'est un résultat qui est demandé. calme intérieur... Il y a des exercices physiques de contrôle de soi, dans toutes
sortes de situations. On apprend également la gestion des problèmes relationnels
- Pour la publicité, c'est dommage, il y en a de belles.
etc.
- C'est remplacé par la libre création artistique (au service de quelque chose de L'éducation physique est importante également : « comment prendre soin de son
sensé, cette fois), et par une information plus objective, concernant l'état de la corps ? » Tout cela est vu en lien avec la biologie.
technique et des produits disponibles. On apprend aussi comment produire ce dont on a besoin, en lien avec une
meilleure connaissance de la nature, les sciences en général.
- Comment ça ?
- Et les maths, le français ?
- Tout le monde est tenu informé des découvertes importantes. Si un nouveau
produit ou une amélioration d'un produit existant apparaît, les gens sont infor- - Oui, bien sûr, aussi. Ça fait partie des bases techniques. La géographie, l'His-
més de ses avantages et de son coût. Ainsi, les amateurs peuvent choisir en toire (où l'on essaie de comprendre ce qui se passe, psychologiquement, plutôt
connaissance de cause. que de simplement décrire des évènements), la linguistique, la physique... Cer-
Il y a aussi le fait que sont mises en avant les consommations opportunistes, qui taines matières, jugées fondamentales sont obligatoires, d'autres sont option-
correspondent à un moindre coût (social et environnemental). nelles (comme certaines langues étrangères, par exemple).
- Donc, contrairement à ce que tu disais tout à l'heure, il y a bien influence par la - Et comment se fait le passage au fonctionnement économique « adulte » ?
production.
- Il a lieu dès que certaines choses jugées suffisamment importantes sont ac-
- Oui, mais seulement au service du bien commun, là ; et une influence objec- quises. En particulier de l'ordre de la démarche rationnelle.

18 51
rieur à soi, par opposition à la prédation... Il faut savoir si l'on veut perpétuer la tive, hein, je parlais de manipulation...
prédation ou développer l'amour... le vrai, bien sûr !
- Et je suppose que votre agriculture et votre industrie ne sont pas polluantes ?
- « Pas polluant », c'est une vue de l'esprit. Disons la pollution totale induite est
6 De l'école inférieure à ce qui nuirait à l'écosystème et à la santé humaine. Cela est possible
- Et qu'en est-il du système scolaire, de l'école ? parce qu'il n'y a plus le facteur qui, dans les systèmes monétaires, incitait à pol-
luer : l'appât de gain. Donc, évidemment, on gère correctement l'écosystème.
- Le terme « école » est à prendre ici dans un sens très large. Ça n'a pas grand Cela est contrôlé démocratiquement, en plus d'être intégré dans les programmes
chose à voir avec l'école-caserne qui est le lot commun de la plupart des sociétés de calculs (qui prennent en compte non seulement la limitation des ressources,
actuelles. Il s'agit de lieux dévolus à l'éducation au sens large, à la formation, mais aussi les seuils de pollution admissibles). Bref, on ne se contente pas de
l'instruction. L'accent y est mis sur le plaisir d'apprendre, qui suppose une cer- morale, parce qu'à l'échelle planétaire, comme nous l'avons vu, ça ne suffirait
taine liberté. Il y est beaucoup question de jeux, d'activités pratiques, mais il y pas...
en a aussi de plus académiques. Les enfants, tout en étant sérieusement enca-
drés, bénéficient d'une grande liberté. S'il y a des activités de groupe, à des ho-
raires imposés (pour des nécessités pratiques), consacrées à la socialisation, à 7 Activités d'intérêt général
l'entraide dans la formation, en particulier, une grande partie de leur temps est
- Et qu'en est-il des consommations collectives. L'entretien des routes, par
consacrée à des objectifs d'acquisition de savoirs et savoir-faire personnels où ils
exemple ?
sont relativement seuls. Ceci, pour une meilleure concentration et l' apprentis-
sage de l'autonomie. Pour atteindre les savoir-faire demandés, l'élève fait lui- - Si quelqu'un ressent le besoin qu'une route donnée soit mieux entretenue, il le
même appel aux moyens de son choix. Par exemple, à un professeur... signale, il peut y avoir une discussion pour que chacun fournisse un avis suffi-
samment éclairé. Ensuite, chacun indique son niveau de désir pour les répara-
- Un professeur est à disposition de l'élève dès qu'il le demande ?
tions prévues, et les travaux seront répartis entre tous, en fonction des préfé-
- Sur de larges plages-horaires, oui. Sinon, il dispose également d'une vaste mé- rences et compétences, comme pour une consommation individuelle.
diathèque...
- Et si personne ne s'aperçoit de rien ?
Dès qu'il a atteint, de sa propre initiative, un objectif intermédiaire d'apprentis-
sage, l'élève peut passer au suivant. Et il peut aussi se choisir des objectifs qui - Eh bien, c'est peut-être que des travaux n'étaient pas si nécessaires que ça.
l'intéressent plus particulièrement. L'idée est de ne travailler que lorsque cela présente un bénéfice réel.
- Comment sait-on qu'il a atteint un tel objectif ? - Oui, mais il pourrait être bien que quelqu'un soit particulièrement attentif à
l'état d'une infrastructure (une route par exemple), ça pourrait éviter des acci-
- Par un test approprié. Si l'objectif n'est pas atteint, il doit poursuivre l'acquisi-
dents.
tion correspondante. Il n'est pas seulement question de moyennes générales et il
n'y a plus la menace d'un redoublement. C'est bien plus souple et efficace - Tu as raison, c'est d'ailleurs pourquoi cette activité de surveillance fait partie
comme ça ; moins stressant, donc préférable pour sa santé. des activités de production ("production" au sens large, ici).
- Et qu'est-ce qui motive cette acquisition ? Parce que s'il n'a pas envie de tra- - Vous avez tout prévu, je vois.
vailler, il va rester toujours au même point... La menace du redoublement est un
- Non, mais on essaye :-). Il y a comme ça, un certain nombre d'activités d'inté-
aiguillon pour avancer.
rêt collectif, ne serait-ce que la gestion des ordinateurs, des assemblées, des
- Tout d'abord, on évite le terme « travailler »... Ensuite, outre le plaisir d'ap- magasins de stockage, du milieu naturel etc.
prendre, que l'on fait en sorte de ne pas gâcher, on ajoute d'autres motivations. Il
- Qu'en est-il de la recherche scientifique, de l'enseignement, de l'art. Tout cela
y a l'amour-propre. Les enfants aiment être plus avancés que moins avancés,
ne correspond pas forcément à une demande de consommation... Cela participe
dans leur formation. Enfin, en cas de lenteur excessive on essaie de voir d'où ça

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pourtant à un certain bien-être, à un certain progrès... pienne... Maintenant, tu parles de maisons d'enfants...
- L'enseignement fait partie des choses qui sont automatiquement assurées et fa- - Sauf cas particuliers, les parents ont la charge d'éduquer leurs enfants. Mais il
vorisées. L'art et la recherche sont également favorisés. y a en effet certaines restrictions.
- De quelle façon ? - Lesquelles ?
- Tout d'abord, chacun peut bien entendu se livrer à ces activités sur son temps - Tout d'abord, ils doivent avoir reçu une formation de parent. Celle-ci est
libre, qui est important, comme nous l'avons vu. d'ailleurs dispensée lors du cursus d'enseignement général qui permet de devenir
Ensuite, les frais (travail et matière première) que cela peut susciter : construc- citoyen. Donc, normalement, tout adulte a reçu cette formation. Si ce n'est pas le
tion d'un télescope, d'une école, matière première pour une œuvre d'art etc. sont cas (il s'agit généralement de problèmes pathologiques), le parent peut être sim-
décidés ensemble. Enfin, ceux dont le talent le justifie peuvent être dispensés de plement secondé, à moins que l'enfant ne soit confié à une autre personne, qui
toute autre activité, de façon à se livrer à leur passion plus complètement. sera donc son responsable d'éducation.
Par ailleurs, le parent doit être volontaire... (c'est bien sûr le cas en général).
- Comment cela est-il décidé ?
Chaque parent est libre de renoncer à sa charge d'éducation (mais pas à la charge
- En assemblée ou par jury, en fonction des suggestions qui sont faites. On en de travail que nous avons vu tout à l'heure).
discute, puis on décide. Ensuite, il y a les limites liées au deuxième parent et à la collectivité. Si les deux
parents ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un point, il y a tout d'abord
- Avec le système des niveaux de satisfaction ?
une médiation pour les aider à y parvenir. Ensuite, si ça ne fonctionne pas, la
- Ça peut intervenir, et ça reviendrait alors à une sorte de vote fractionnaire, priorité revient à la mère.
mais pas seulement, ici, parce que ce n'est pas qu'une affaire de goût personnel,
- Et la collectivité ?
mais aussi de réflexion. Il y a donc un débat et un temps de réflexion pour que la
décision soit la meilleure possible. Mais cela rejoint notre organisation politique - Si d'autres adultes contestent certains points de l'éducation donnée par les res-
(et non plus strictement économique). ponsables principaux (en général, les parents, donc), la question est portée en as-
semblée, laquelle tranchera. S'il n'y a pas un fort consensus, la priorité revient
aux parents... En pratique, cela correspond à des cas de maltraitance grave, au-
8 Une économie sûre quel cas, la charge de principal d'éducation peut même être transférée à d'autres
adultes.
- Le problème est que tout cela est fragile, et implique une dépendance.
Ensuite, il y a les limites dues à l'enfant lui-même. Celui-ci a un certain choix
- Ah bon, laquelle ? sur son mode de vie, liberté qui croît avec son âge. À partir de 10 ans, les en-
fants peuvent choisir de vivre en maison d'enfant, s'ils le souhaitent (et non plus
- La dépendance à la technique, à l'informatique.
là où le leur impose leurs parents). Cela permet une meilleure socialisation, et
Imagine une grosse panne, un problème technique qui fait que tous les ordina-
un meilleur épanouissement de l'enfant (dans les cas où l'éducation parentale se-
teurs cessent de fonctionner...
rait trop étouffante).
- Si la technique défaille, on n'est pas perdu pour autant. Dans le pire des cas, on Enfin, il y a le système scolaire
en revient à ce qui constitue la base de cette économie : la démocratie directe as-
- Le pouvoir des parents me semble assez limité
sortie de quelques règles simples (pour que les calculs éventuels puissent se
faire à la main). Cela s'est déjà pratiqué ça et là dans le monde. Sur le long - Cette limite se justifie pour le bien commun. L'éducation des enfants est une
terme, ça reste bien moins catastrophique que le capitalisme, même si effective- chose trop précieuse et importante pour l'avenir pour ne pas bénéficier de cer-
ment, l'efficacité économique et la justice y serait plus limitées. Il y aurait un taines précautions. L'enfant est avant tout considéré comme un sujet, un être hu-
peu plus de difficultés humaines. main, un citoyen en devenir, pas comme une propriété privée. Tout cela est en
L'idée est que la technique reste un outil au service du mieux-être de tous, et ne cohérence avec l'éthique amopienne qui implique le respect de ce qui est exté-

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- Ça fera 17% pour le parent dont il est le premier enfant, 50 % pour celui dont devienne pas une dépendance.
il est le troisième et 34% pour le reste de la collectivité. Remarque, si tous les ordinateurs des places boursières se crashaient, ce ne se-
rait pas inintéressant ?:-)
- Et si l'enfant n'était pas voulu.
- De toute façon, vous avez oublié le point faible d'entre les points faibles, qui
- Dans ce cas, la mère peut avorter (jusqu'au troisième mois de grossesse). En-
fait que ça ne va pas durer.
suite, les responsabilités sont partagées en fonction du degré d'implication dans
le risque. Par exemple, si la mère a permis la fécondation contre la volonté du -?
père, elle supporte seule les frais parentaux (sauf si le père change d'avis et sou-
- L'homme.
haite s'impliquer ultérieurement).
Tout ça repose sur un certain comportement humain, certes raisonnable... Si par
- Ce système est défavorable aux familles nombreuses ! exemple quelqu'un n'indique pas ses niveaux de satisfaction, on fait quoi ? On
va lui courir après ?
- Oui, il s'agit d'une politique anti-nataliste écologiste. En effet, si tout était en-
tièrement pris en charge par la collectivité, une explosion démographique et - Pas nécessaire. Un niveau non rempli (après sollicitation de l'intéressé), est
donc un grave déséquilibre écologique seraient à craindre... supposé égal à zéro. Donc, les calculs ne sont pas bloqués.
- Comment se fait-il alors que dans les pays développés, il n'y ait pas d'explo- - Et si l'individu concerné n'est pas content du résultat ?
sion démographique alors que la politique y est souvent nataliste (allocations fa-
- Eh bien, il fera avec jusqu'à modification des données (par lui). Chacun doit
miliales accrues au-delà du troisième enfant, par exemple) ?
assumer ce qui dépend de lui. Amopie, ce n'est pas l'assistanat. En plus, là, elles
- Parce que dans ces pays, pratiquement tous les soins sont a priori à la charge sont pas bien méchantes, les conséquences.
des parents dès le premier enfant, et que les allocations familiales ne font qu'at-
- N'y a-t-il pas un risque de fraude de la part de ceux qui auraient accès aux pro-
ténuer cette réalité (tout en favorisant les familles nombreuses par rapport aux
grammes ?
autres). Si les parents ne devaient pas payer si cher pour avoir une progéniture,
ils en auraient probablement plus. Dans les autres pays, l'explosion démogra- - Sur ce plan, il y a évidemment un minimum de protection. Ensuite, tout est
phique s'explique par le fait que les enfants sont une ressource (ils travaillent transparent. Chacun peut contrôler les calculs de son côté...
souvent) et une assurance pour la retraite (entre autres choses, bien sûr, il y a
- Et si quelqu'un ne fait pas un travail qui lui a été dévolu ? Il se passe quoi, là ?
aussi des conditionnements culturels).
- S'il n'y a pas de raison valable à cela, d'autres solutions au problème, autres so-
- Pourquoi ne pas tout subventionner pour moitié, quelque soit le rang de l'en-
lutions que nous recherchons en priorité, on demande à la personne d'aller vivre
fant, par exemple ?
autrement avec qui bon lui semble, à moins que cette personne préfère vivre
- L'idée est de favoriser équitablement la descendance de chacun, ainsi qu'une seule.
meilleure éducation : un parent a plus de temps de s'occuper de chacun de ses
- Ah oui, quand même !
enfants s'il en a moins.
- Elle pourra à nouveau rejoindre le système amopien, si le cœur lui en dit, après
- La fratrie est une richesse pour la socialisation...
un certain délai.
- C'est un facteur de socialisation, mais pas le seul. En Amopie, les enfants ne Il y aurait la prison, mais on trouve ça un peu barbare et infantilisant. On veut
sont pas seuls, ils se socialisent avec leurs petits voisins, à l'école etc. Les fa- pas rentrer dans une logique de la punition. On préfère faire appel à la maturité,
milles sont bien moins isolées que dans la société moderne capitaliste. Il existe à l'entente sur un pied d'égalité, une sorte de contrat, en quelque sorte. On consi-
une maison des enfants, où ils peuvent se rendre quand ils le désirent. dère que chacun est libre de vivre comme il veut, mais aussi de choisir avec qui
il vit. Nous, on a choisi de vivre selon certaines règles, avec ceux qui les res-
- Et quel est le pouvoir des parents, au juste ? Ce sont eux qui décident de l'édu-
pectent (qui font un effort minimum pour ça, disons).
cation des enfants ? Parce que tu parlais tout à l'heure d'enseigner l'éthique amo-
La sanction est la même pour celui qui prend un bien sans permission (à celui

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qui le possède, par exemple) et hors cas de force majeure, bien sûr. - Et si ça ne rentre pas dans ce cadre ?
En fait, ça arrive rarement que quelqu'un enfreigne délibérément ces règles, car
- Dans ce cas, les adultes (une commission éducative ou l'assemblée commu-
il n'y a pas vraiment de raisons très fortes à cela (et qu'il y en a par contre, de ne
nale) voient si cela peut leur être offert compte-tenu du coût que ça représente
pas les enfreindre).
d'une part, et de l'intérêt que cela présente pour leur éducation, d'autre part. En
- Moins travailler et consommer plus, accroître sa propre satisfaction... fonction de cela, la chose peut leur être soit offerte gratuitement soit à la
condition qu'ils fournissent une certaine production au préalable.
- Oui, mais une satisfaction déjà raisonnablement élevée, et le faire au détriment
des autres. La situation est très différente d'un système capitaliste, injuste par - « Fournissent une certaine production » ?
construction... et surtout, incitant à s'accaparer toujours plus de biens. Là, cet ac-
- Si leur demande a un coût en travail et énergie, on pourra leur demander de
caparement n'a plus guère de sens.
fournir jusqu'à l'intégralité de ce coût. Celui-ci est la diminution de la somme
Si le système capitaliste entretient l'égoïsme, le système amopien entretient l'al-
des niveaux de satisfaction découlant de la production supplémentaire engen-
truisme.
drée par leur demande. Ils devront effectuer un travail de production de telle
sorte que, par compensation, il n'y ait plus cette diminution (puisque ça fera glo-
9 Une économie pour l'altruisme balement moins de travail pour les adultes).
- Mais s'ils sont très jeunes...
- Comment ça ? Je ne vois pas en quoi l'obligation de travailler entretient l'al-
truisme... - Il s'agit bien sûr d'un travail qu'ils peuvent faire (généralement peu qualifié,
donc). Cette possibilité ne commence qu'à partir d'un certain âge. Au moins six
- L'obligation de travailler dont tu parles, ne concerne qu'un travail minimal, né-
ans.
cessaire à la sécurité de chacun (et un peu plus, certes). Le fait que la sécurité (et
plus généralement, les besoins matériels les plus chers de chacun) soit ainsi as- - Vous faites travailler les enfants ?
surée, favorise l'altruisme : tu es plus porté à l'altruisme lorsque tes besoins et
désirs matériels sont assurés. Sinon, c'est vite le retour au chacun pour soi. Si on - Seulement ceux qui souhaitent qu'une telle demande (insuffisamment éduca-
faisait un pari sur l'altruisme, en n'imposant rien, ceci induirait de fait une cer- tive mais suffisamment consommatrice) soit satisfaite. On estime que c'est
taine insécurité (risque de pénurie, d'injustice...) et donc, la peur et la défiance... mieux qu'une privation pure et simple ou qu'une satisfaction automatique de
Ensuite, nous avons vu qu'une grande partie du travail (difficile à chiffrer, car tous leurs désirs. C'est éducatif dans la mesure où ça leur apprend que l'on a rien
laissée à la liberté de chacun) se fait sur le temps libre, et là, c'est par nature, to- sans rien. On leur explique bien sûr que ce travail correspond réellement à ce
talement désintéressé. Point de rémunération. La rémunération entretient qu'ils demandent... Ensuite, ils n'ont pas le droit de travailler plus de trois heures
l'égoïsme, la cupidité : on est tenté de travailler pour s'enrichir. par jours, de façon à ce que cela ne nuise pas à leur activité d'auto-formation.
La principale « rémunération » ici, outre le plaisir du travail lui-même, est le Je rappelle que tous leurs besoins et plus est fourni gratuitement. Où plutôt, leur
bien que l'on apporte aux autres (bénéfices du progrès, embellissement...) si ça, est offert par les adultes.
ça n'entretient pas l'altruisme... Tout au plus, celui qui apporte beaucoup ainsi - Comment ça « les adultes » ? Pas seulement les parents ?
bénéficie-t-il d'une certaine reconnaissance sociale.
- En fait, les frais des soins aux enfants sont partagés entre les parents et le reste
- Dans ce cas, il n'est pas vraiment totalement désintéressé de la collectivité dans une proportion qui dépend du nombre d'enfants qu'a déjà
- Non, mais une telle motivation est suffisamment faible (par rapport à l'argent) le parent. Il doit supporter seul 17% des frais, pour son premier enfant (biolo-
pour ne pas faire de l'ombre à un amour plus désintéressé. Il n'y a plus contra- gique), 33% pour le deuxième, 50% pour les suivants. Là encore, comme il n'y a
diction. C'est juste une incitation supplémentaire... pas de monnaie, il s'agit de pourcentages de la baisse de satisfaction occasionnée
Également, un altruiste intelligent vise le bien commun. Et donc, il comprend par le travail induit (à laquelle peut s'ajouter un supplément correspondant à la
l'intérêt du travail obligatoire amopien comme une façon intelligente de satis- consommation de matières premières).
faire au mieux, le bien commun. Il y travaille donc par altruisme, et non pas par - Et si un enfant est le premier de l'un de ses parents et le troisième de l'autre ?

22 47
- Et si une telle croyance intervient effectivement dans une délibération obligation. Ce n'est pas parce qu'une chose est obligatoire qu'on est obligé d'y
collective ? travailler par obligation... On peut, au contraire, comprendre l'intérêt de l'obliga-
tion, la voir comme une sécurité, quelque chose qui empêche l'exploitation ou le
- De par notre mode de prise de décision, avec le droit de véto, elle ne sera
chaos. Tout cela nous l'expliquons à ceux qui nous rejoignent. Un véritable al-
probablement pas prise en compte, et les croyants concernés auront le choix
truiste est-il favorable à l'exploitation et au chaos ?
entre accepter cela et aller trouver ou fonder une autre société.
- Si je comprends bien, vous essayez de développer l'altruisme.

5 Des enfants - Oui, l'amour, tout ça se rejoint ; d'où le mot « Amopie », d'ailleurs

- Et qu'en est-il de l'éducation ? Celle-ci est généralement porteuse de valeurs... - Aah, oui, d'accord ! Mais pourquoi « pie » ?

- Alors effectivement, l'éthique amopienne est enseignée aux enfants. Non pas - ça vient du mot « utopie », la plupart des utopies (sociétés imaginaires censés
comme une morale, mais offerte comme une possibilité, en en présentant les être meilleures étaient sans argent... allez savoir pourquoi ;-)), ou, plus directe-
avantages. ment, du grec « topos » qui signifie « lieu ». Donc, ici : lieu d'amour... Et en ef-
fet, cette organisation ne se borne pas à être juste, viable à court terme. Elle ali-
- Et si je veux transmettre une éthique différente, ou plus précise ? mente un moteur humain positif, en accord avec nos valeurs... Elle est pensée
sur la base de la psychologie humaine, ce qui manque généralement aux « uto-
- C'est toujours possible, mais tu ne seras pas aidé à cela, par la collectivité. On
pies » (étymologiquement : lieux de nulle part).
peut dire d'Amopie que c'est une société laïque. Chacun y est libre de penser et
Par exemple, l'argent, mais aussi la propriété privée sont des éléments qui ali-
de professer ce qu'il veut, mais la seule chose qui soit soutenue collectivement
mentent l'égoïsme (et s'opposent donc à l'amour). Tout cela est donc absent en
est un strict minimum pour vivre ensemble, ce qui est bien le cas de l'éthique
Amopie...
amopienne.
- Il n'y a pas de propriété privée ? J'ai cru comprendre que chacun possédait des
- À propos, comment ça se passe pour les enfants, nous n'avons pas abordé cette
biens... et que le vol était interdit...
question. Je suppose que pour participer à l'économie amopienne, il faut avoir
un certain age. Un enfant trop jeune ne sera pas en mesure d'indiquer ses préfé- - Oui, mais tu as aussi compris qu'on pouvait les lui reprendre à tout moment.
rences d'activité. Il faut déjà savoir parler, connaître les nombres... Sans même Qu'ils n'étaient à lui que temporairement, en quelque sorte. Il ne s'agit là que
parler de la participation aux débats dans les assemblées décisionnaires. d'une propriété d'usage. Et en plus, l'alternance est favorisée (dans certaines li-
mites). Ceci réduit l'attachement...
- Oui, bien sûr. Il y a un régime spécial pour les enfants. Ceux-ci bénéficient
De plus, nous n'utilisons pas le mot « propriété » (étymologiquement : « ce qui
d'un cadre adapté pour une satisfaction optimale de leurs besoins physiolo-
m'est propre »), dans ce sens bien sûr. Et encore moins le mot « appartenance »
giques, affectifs et leur éducation. Ce qu'ils consomment leur est proposé d'of-
(étymologiquement : « faire partie de »). Ceci afin de limiter l'identification pos-
fice, de façon à ce qu'ils apprennent à apprécier tout ce qui ne leur est pas nui-
sible entre une personne et le bien dont elle a la jouissance, ce qui serait une
sible et à ce qu'ils soient à l'abri d'un certain nombre de nuisances. L'idée est de
illusion.
faire en sorte que l'enfant se focalise sur sa formation plutôt que sur une éven-
tuelle « consommation »... - Vous dites quoi ? « Possession » ?
- Ils ne peuvent pas formuler de désirs de façon à ce que ceux-ci soient satis- - On peut, mais on évite à cause de l'héritage du passé. Nous parlons d'usage,
faits ? mais aussi de garde. En effet, pour des raisons d'organisation pratique évidentes,
l'usager d'un bien en est également le gardien (le responsable, si tu veux ; lors-
- Bien sûr que si. Ils disposent de beaucoup de choses « gratuitement » : un cer-
qu'il s'agit d'un bien durable évidemment). C'est pourquoi on dit souvent « usa-
tain choix de nourriture, des installations culturelles et sportives... donc, quand
ger-gardien ». Cela change un peu l'état d'esprit, non ?
ce qu'ils demandent rentre dans ce cadre, ils l'obtiennent. Les adultes sont à leur
service, pour cela. - Effectivement. Et concrètement, ça se traduit comment la « garde » ? Parce

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que c'est bien le problème, lorsque les gens ne sont pas propriétaires, ils ne de l'issue, quel est l'intérêt d'agir ? Donc, effectivement, nous n'avons pas de
prennent pas soin des affaires... croyance, et c'est pour cela que nous sommes motivés pour agir ;-).
Nous ne fondons pas notre humanisme sur une croyance, mais sur un sentiment,
- Dans un système qui entretient l'égoïsme, oui... Et là, en plus, « ça se traduit
une disposition
concrètement » : l'état d'un bien est contrôlé à chaque changement de gardien.
Donc, on ne prend même pas de risque. - Un « sentiment », ce n'est pas très solide, comme fondement...
- Et si je rends un bien en mauvais état, il se passe quoi ? Je suis banni ? - Celui-là, si, car il ne repose pas sur des relations interpersonnelles, des
perceptions, une humeur passagère, mais uniquement sur une énergie intérieure,
- Non, sauf cas extrême très particulier, peut-être. Ce qu'il advient dépend de ta
des dispositions sociales innées. L'homme a probablement acquis cela au fil de
responsabilité. Si tu es clairement responsable des dommages, la dégradation
l'évolution : mode de vie communautaire, et ça se traduit au niveau psycho-
t'es comptée comme consommation. Du fait des contraintes d'équité, cela se
affectif. Ensuite ces dispositions se cultivent : plus on les sollicite, plus elles se
traduira donc probablement par un accroissement de ta part de travail moins
renforcent. Mais ça, c'est à chacun d'en faire l'expérience pour s'en convaincre.
agréable (équivalent au coût des dommages).
- Il n'empêche que cette coexistence entre l'amour et la raison me semble
- Et on fait comment pour déterminer la responsabilité ?
difficile. L'émotion empêche souvent le minimum de sérénité que nécessite la
- La responsabilité c'est la part d'attention, de soin volontaire, qui s'oppose à la démarche rationnelle...
part de hasard. L'usager l'indique honnêtement, en général, car il n'y pas de fort
- C'est vrai, mais l'amour sur lequel se fonde l'humanisme n'est pas une émotion
intérêt à frauder (outre la présence d'une éthique du bien commun)... De plus,
à proprement parler. Cette notion implique en effet un certain excès, une
une dégradation hasardeuse résulte généralement de faits que tout le monde peut
certaine violence. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai parlé de sentiment, mais un
vérifier : des intempéries, par exemple. C'est comme avec une assurance.
sentiment profond et durable.
- Et il se passe quoi si la personne n'est pas responsable, parce que ça se traduit
- Mais l'amour n'est pas rationnel !
tout de même par un coût, même dans ce cas...
- Je n'ai pas dit le contraire. C'est justement une erreur fréquente que de verser
- Le coût est partagé par tout le monde de façon égale : ça rentre dans les
immédiatement dans l'émotionnel, puis d'opposer l'amour et la raison, alors
consommations collectives. C'est donc un système qui est à la fois responsabili-
qu'ils peuvent être merveilleusement complémentaires. C'est ainsi que la
sant et solidaire, conformément à l'idéal de fraternité, de soutien mutuel. Nous
compassion, pour nous, ne signifie pas favoriser le premier venu au prix de
avons vu ça pour les maladies... c'est un système aussi juste que possible.
souffrances plus grandes. Nous ne croyons pas qu'il faille perdre dix brebis pour
- Et si la personne est partiellement responsable ? en sauver une seule, car nous pensons également aux dix autres brebis...
L'amour ne nous fait pas perdre la raison, et donne ainsi un sens durable à notre
- Eh bien, le coût est partiellement mutualisé.
vie, sans avoir besoin de verser dans l'irrationnel ou la croyance.
- J'aurais dû m'en douter !
- À propos, qu'en est-il des croyances en Amopie ? Tu as dit que tout le monde
- Oui, cette économie est assez naturelle. Elle est même constamment amélio- était libre de croire en ce qu'il veut, mais cela n'est-il pas incompatible avec une
rable. Le tout est d'être dans l'esprit. démarche rationnelle, qui promeut le doute ?
- Encore une fois, je rappelle que l'éthique amopienne n'est imposée que pour les
prises de décisions collectives... On ne va donc pas discriminer les gens en
10 De la liberté fonction de leurs croyances personnelles. Les croyances spirituelles, par
- Ce qui me gène dans ton truc, c'est une certaine restriction de la liberté. Même exemple, sont plutôt des aides psychologiques personnelles que quelque chose
pour quelques heures par jour... qui intervient concrètement dans les décisions collectives. Donc, de fait, ça ne
pose pas vraiment de problème.
- Pourtant, tu y es bien plus libre que tout seul

24 45
- En cas de conflit avec quelqu'un, ou plutôt de nuisance, de malaise, la règle - Comment ça ?
consiste à essayer d'abord de traiter la question avec la personne, par le dia-
- Tout seul tu es obligé de produire ce que tu consommes, ce qui constitue une
logue, bien sûr. C'est une occasion de mettre en pratique l'attitude non-violente,
contrainte.
l'humanisme et la rationalité !
- Oui, mais personne ne me l'impose.
- Et si ça ne fonctionne pas
- Oui, mais elle n'en est pas moins présente. Et la sanction bien réelle : si tu ne
- Dans ce cas, il existe une équipe de médiation, à laquelle on peut recourir.
produis pas de nourriture, tu meurs de faim. Il ne te suffit pas de quitter les
- Et si cette médiation échoue ? lieux...
- On peut alors s'en remettre à l'assemblée communale. Qui pourra prendre des - Et dans ton système aussi, tu as une obligation de travailler. En quoi y suis-je
décisions allant jusqu'au bannissement d'une personne qui s'avèrerait plus libre ?
particulièrement violente et difficile à raisonner.
- Parce que tu as plus de choix : tu n'es pas obligé de travailler précisément à la
Mais cela a peu de chances de se produire, à cause de l'éthique amopienne, qui
production de ce que tu consommes.
outre l'humanisme, donc: un objectif commun, prône la rationalité, donc: un
moyen de se mettre d'accord. - Oui, mais je dois travailler à ce que l'ordinateur me demande !
- En quoi la rationalité constitue-t-elle un moyen de se mettre d'accord ? - L'ordinateur n'est pas une personne. Tu peux le voir comme une aide à la prise
de décision. Il ne fait que calculer un optimum et cet optimum est précisément
- Comme l'atteste l'expérience de plusieurs siècles maintenant, la démarche
ce que tu choisirais librement (sauf à accepter d'exploiter autrui, bien sûr), le
scientifique permet d'accéder à une réalité commune, par opposition aux
tout avec une satisfaction bien supérieure à celle que tu aurais seul.
mythologies du passé, qui déterminent des vérités différentes selon les cultures.
Par ailleurs, nous avons vu que cette démarche comprend le principe du doute, - Comment ça, il est devin, l'ordinateur ? Il pratique la transmission de pensée ?
qui permet l'évolution, une certaine ouverture d'esprit, disons.
- Une telle "technologie" n'est pas nécessaire :-). Il calcule juste ce qui maximise
ta satisfaction avec les données que tu as indiquées (en prenant toutefois en
4 Des croyances compte celles des autres). Cela correspond donc à ton choix, bien plus assuré-
ment que ce que tu aurais pu faire seul, si tu souhaites le bien commun. Si tu es
- N'y a-t-il pas incompatibilité entre la démarche rationnelle d'une part, qui égoïste au point d'exploiter les autres et qu'ils sont moins forts que toi, par
promeut le doute, et l'humanisme d'autre part, qui implique, me semble-t-il, une contre, c'est vrai : ce ne serait probablement pas ton choix. Mais même sans être
croyance en l'homme ? dans une éthique du bien commun, ce choix est tout de même intéressant : ça
évite de se battre avec les autres, ce qui est toujours pénible.
- Non, car l'humanisme ne sous-entend pas une croyance en l'homme. Il
détermine seulement un objectif, un comportement. Donner une orientation à - Et si j'aime me battre avec les autres ?
ses actions n'implique pas une croyance particulière.
- Dans ce cas, c'est peut-être mieux, le capitalisme ;-) ou la loi de la jungle. Cela
- Mais si l'on ne croit pas que l'homme peut s'en sortir, de fait, on ne va pas être dit, la compétition n'est pas interdite en Amopie.
très motivé...
- Ah oui ?
- Attention ! Croire en une possibilité n'est pas une croyance (au sens "religieux"
du terme). Une croyance implique une certitude concernant un fait. En toute - Mais pour s'amuser, seulement :-).
rigueur, ne pas croire en une possibilité, c'est ne pas être certain de cette En tout cas, on peut dire que ce système mériterait assez bien le triptyque : « li-
possibilité, qui reste donc une possibilité... :-) En l'affaire, il n'y a que deux berté, égalité, fraternité », si l'on se rappelle que la liberté y est entendue comme
croyances possibles : croire que l'homme s'en sortira, et croire que l'homme ne s'arrêtant là où commence celle d'autrui.
s'en sortira pas. Ni l'une ni l'autre ne sollicite l'action, puisque si l'on est certain

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11 Choix de vie et utopie - Mais le système communal amopien, en tant que recentrage local, n'induit-il
pas de possibles conflits entre les communes, un risque de tribalisation ?
- Je dois reconnaître que c'est assez bien pensé. Mais les gens seront-ils suffi-
samment raisonnables. N'ont-ils pas besoin de compétition ? - Il y a plusieurs choses qui préservent de ce risque. Tout d'abord, sur le plan po-
litique, nous avons vu que les décisions à échelle supra-communale se prennent
- En fait, chacun est libre de choisir : ceux qui préfèrent la coopération (sur le collectivement, par des individus, pas par négociation entre communes... En-
plan économique) ont la possibilité de rejoindre un système amopien, les autres, suite, il n'y a pas d'élus régionaux susceptibles de personnaliser un nationalisme
peuvent se trouver autre chose. Il me semble même qu'actuellement, ce n'est pas (comme c'est le cas actuellement avec la chefferie élective, en particulier à
un problème pour eux ! l'échelle nationale). Nous avons vu également que la mobilité était permise voire
Mais les généralités du genre « l'homme a besoin de » me semblent présomp- encouragée : il y a un brassage des populations. Nous avons vu que la notion de
tueuses au vu de la complexité de ce qu'est l'homme. L'homme, en réalité, et non propriété était dénoncée : les résidents d'un lieu ne s'en estiment pas posses-
pas en théorie, c'est chacun d'entre nous, et c'est en se sondant soi-même que seurs... Quiconque s'y trouve en est gardien, c'est tout. Enfin, l'éthique amo-
chacun d'entre nous peut se connaître et donc, atteindre avec un tant soit peu de pienne est humaniste : un bien plus grand est privilégié à un bien plus petit...
profondeur, « l'homme » réel... C'est en décidant, en faisant des choix, que nous Ainsi, tous les intérêts locaux, habituellement sources de conflits, sont consi-
construisons l'avenir. Il n'est pas inscrit dans une fatalité qu'il conviendrait de dérablement réduits, pour ne pas dire éradiqués.
décrypter en observant l'environnement. Nous autres les Amopiens, avons déci-
dé d'agir, d'être constructifs, de vivre notre vie au lieu de la penser. Trop de gens - N'y a-t-il pas un risque d'uniformisation ?
se soumettent ainsi à des dogmes, des schémas préétablis en intégrant des - Non, car être différent est une chose, être solidaire en est une autre. Nous
croyances limitantes : « l'homme a besoin de ... » sommes pour des diversités solidaires :-). Ensuite, la diversité peut être indivi-
- Oui, mais cela ne correspond-il pas à une réalité, à un enseignement expéri- duelle, elle n'est pas forcément diversité entre des uniformités locales... Or, vu
mental ? que notre éthique reste très large et libérale, il y a acceptation de la diversité,
elle est considérée comme une richesse...
- Quel enseignement expérimental ? Ceux qui proclament cela, ont-ils déjà ex-
périmenté l'économie amopienne ? De plus, oui, l'homme a déjà vécu longue- - Cela dit, les conflits n'ont pas que le nationalisme pour cause...
ment dans un système coopératif (au moins sur le plan économique) : la tribu - Oui, il y a aussi l'argent, le pouvoir hiérarchique...
primitive. Enfin, la psychologie enseigne bien plutôt que l'homme a besoin
d'amour et de justice... Donc, en plus, cette généralité là, « l'homme a besoin de - Oui, mais pas seulement.
compétition », est clairement idéologique, elle n'a aucun fondement sérieux. - C'est vrai, et là intervient l'éthique amopienne, qui a un rôle bénéfique à ce ni-
- La tribu primitive, comme référence, c'est un peu un retour en arrière. veau, puisqu'elle prône la non-violence.

- Je n'ai pas parlé de référence, c'était seulement un exemple dans le cadre d'un - Vous refusez toute forme de brutalité, de contrainte ?
raisonnement bien précis. En ce qui nous concerne, nous ne refusons pas la tech- - Pas lorsque c'est pour éviter une souffrance, comme maîtriser une personne
nologie, même si nous ne lui vouons pas un culte non plus. Nous l'utilisons au violente, par exemple.
mieux, dans l'intérêt de tous. La non-violence ce n'est pas « ne pas combattre », « ne rien faire » ! C'est
- À ce stade, je n'ai plus qu'une question. Pourquoi n'a-t-on pas encore pensé à d'abord une attitude intérieure, un travail sur soi. Maîtriser ses propres réactions
un truc pareil, alors ? de contre-attaque, par exemple. Ensuite, il y a aussi un travail sur le détache-
ment, l'ego, qui réduit bon nombre de pommes de discordes. Mais tout cela se
- Parce que jusqu'ici, l'économie n'a jamais été conçue pour accroître le bien de fait progressivement, c'est un apprentissage de vie. Du coup, il y a toujours des
tous, elle est le produit de rapports de force, de manipulations pour exploiter au- discordes en Amopie, même si elles sont moins nombreuses et violentes
trui. Ensuite, peu de gens pensent à remettre en cause tous ces concepts (la mon- qu'ailleurs. Le but n'est pas la perfection, seulement le mieux.
naie, la propriété...), ils sont manipulés en quelque sorte. Ils pensent tout de suite
- Et que se passe-t-il en cas de discorde ?

26 43
nationalisme, par exemple ! C'est essentiellement un facteur d'efficacité, ce « extrémisme » qu'ils associent avec violence et simplisme. Enfin, peu de gens
qu'on en fait dépend de nos objectifs. Et c'est là qu'est la différence avec le capi- prennent le temps de s'occuper véritablement du bien commun, chacun est acca-
talisme : nous ne suscitons pas les mêmes objectifs. Amopie, c'est mettre l'effi- paré par un travail ou des loisirs. Sans même parler du fatalisme. Bref, ça n'a
cacité au service du mieux-être de tous. rien d'étonnant, si on y réfléchit un peu.
- Le capitalisme prône la destruction ? - Il y a pourtant eu des gens qui ont proposé des utopies...
- Non, mais il hypertrophie certains désirs, lesquels font concurrence aux objec- - Oui, mais il faut dire aussi qu'elles étaient assez naïves. Sans doute parce qu'on
tifs humanistes. Entre gagner un peu plus de sous et polluer un peu moins la pla- a tendance à prendre ses désirs pour la réalité. Généralement, elles se basent sur
nète, il fait pencher la balance dans un certain sens... Il fait également en sorte un fort altruisme supposé. Alors évidemment, peu y croient. Et le peu qui y croit
que les intérêts de chacun s'opposent à ceux de nombreuses autres personnes, ce se plante lamentablement lorsqu'il a l'occasion de mettre ses idées en œuvre. Ce
qui induit une situation conflictuelle. Donc, il ne prône pas la destruction, il la qui renforce tout le monde dans le fatalisme...
crée sans le dire, sournoisement, en agissant au niveau des causes...

3 Une société pacifique


II Une autre organisation politique
- N'est-ce pas un peu abusif de s'en prendre au nationalisme ? En quoi le fait
d'aimer sa nation nous forcerait-il à faire la guerre ? 1 Pourquoi une société sans pouvoir
- C'est un peu la même situation qu'avec la capitalisme qui ne prône pas la des- - Tu parlais du triptyque « liberté, égalité, fraternité ». Cela ne concerne pas que
truction mais nous y conduit. Le nationaliste, par définition, privilégie les inté- l'économie, cela concerne surtout l'organisation politique. Ça se passe comment
rêts de sa nation sur ceux des autres. Or, à un moment ou à un autre, qu'on le en Amopie ? Comment est élu le gouvernement ?
veuille ou non, il finit toujours par y avoir des conflits d'intérêt entre les nations. - Le gouvernement ?
Donc, il y aura alors objectivement compétition entre les nationalismes concer-
nés, quand bien même chacun aura proclamé qu'il n'a rien contre les autres, qu'il - Parce qu'il n'y a pas de gouvernement ? Pas même une assemblée élue,
se contente de défendre ses propres intérêts. quelque part ?
- Et alors ? Un simple conflit d'intérêt n'est pas une déclaration de guerre. Entre - Ça doit être ça, oui !:-)
êtres civilisés, intelligents, on peut parfaitement s'entendre malgré cela, trouver - Mais il faut bien qu'il y ait des gens qui dirigent tout ça ? Surtout que tu ne
des arrangements etc. proposes pas le « chacun fait ce qu'il veut, sans règles communes », que c'est
- Bien sûr, mais là encore, du fait de la réalité de la psychologie humaine, il y a quand même pas mal organisé, ton truc !
certains mécanismes qui risquent fort de se mettre en place, un jour ou l'autre. - Bah non, ou si tu y tiens vraiment, disons que c'est tout le monde.
Un tel mécanisme est l'instinct de contre-attaque : si j'estime que quelqu'un me
nuit, j'ai tendance à lui nuire à mon tour. Ce mécanisme induit une escalade de la - C'est quoi le problème avec le pouvoir ? Parce que bon, l'argent, nous avons vu
violence. Donc, oui, au début, le différend est souvent anodin, mais à la fin, il ne que c'était quand même un problème, mais le pouvoir, si les gens sont élus...
l'est plus du tout... contrairement au pouvoir de l'argent, c'est démocratique...
- Ça ne se passe pas comme cela à chaque fois... - Qu'est-ce qui garantit que les élus se comportent correctement ?
- Tout à fait, mais là encore, il est difficile d'éviter que ça se produise de temps - Leur souci de se faire réélire.
en temps. D'où les guerres. D'où leur persistance, parce que tout le monde s'illu- - Tout d'abord, il y a toujours un risque de dictature, parce qu'une fois au pou-
sionne en cherchant des causes moins profondes, quand il n'attribue pas tous les voir, tu as le pouvoir de trafiquer les élections suivantes, voire de les supprimer.
torts aux camps adverses !

42 27
Cela s'est souvent produit dans l'Histoire. - « Rapidement » est une appréciation subjective : on n'a pas ce genre de révolu-
Ensuite, le souci de se faire réélire ne correspond pas précisément à l'intérêt gé- tion théorique tous les jours ! Les théories évoluent, bien sûr, pour prendre en
néral, ce système favorise la démagogie : la manipulation des masses, un compte, justement, des observations correspondant à des « domaines » de plus
manque de prise en compte du long terme... Enfin, la quête du pouvoir en entre- en plus étendus ; par exemple : des objets de plus en plus petits ou se déplaçant
tient le désir, sa détention fait qu'on s'y attache, ce qui est une source de conflit de plus en plus vite. Lorsqu'une théorie n'est pas vérifiée dans un nouveau do-
et d'oppression. maine d'observation, on s'enquiert d'une nouvelle qui explique plus de choses,
généralement au prix d'un accroissement de complexité (puisque ces théories
- Donc, là encore, si j'ai bien compris la logique, l'idée est de supprimer carré-
sont les plus simples possible). Mais les théories anciennes ne sont pas « abo-
ment le pouvoir, parce que « si on y parvient, c'est mieux », « ça évite les an-
lies », elles continuent d'être parfaitement valables dans leur domaine de validi-
ciens réflexes »...
té. C'est ainsi qu'à échelle humaine ou astronomique, la réalité est bien une no-
- Voilà :-) tion indépendante de l'observateur... et le déterminisme reste valable (pour une
précision de mesure infinie, ce qui a toujours été une vue de l'esprit). Il ne faut
pas confondre l'introduction d'une nouvelle théorie scientifique, avec une suppo-
2 Une décentralisation communale sée remise en cause de la réalité voire de la science !
- Vous envisagez une démocratie directe, alors ? - Et le rêve dans tout ça. N'y a-t-il pas quelque chose de déshumanisant, à se li-
miter ainsi à la démarche scientifique ?
- On peut dire ça.
- Nous ne nous « limitons » pas à la démarche scientifique ! En quoi adopter
- Mais ça ne risque pas de faire beaucoup de travail de délibération pour tout le
cette attitude pour résoudre les problèmes techniques qui se posent à nous, nous
monde ? N'allez-vous pas passer l'essentiel de votre temps en réunion ?
empêcherait de rêver ? Utiliser un outil n'empêche pas de faire autre chose
- Tout d'abord, comme nous l'avons vu pour l'organisation économique, on ne qu'utiliser cet outil ! La recherche scientifique est d'ailleurs elle-même porteuse
discute pas de tout sans arrêt, il y a des règles de fonctionnement et une automa- de rêve.
tisation de tout ce qui peut l'être. Ce qu'empêche, par contre, la démarche rationnelle, l'esprit critique, c'est la
tromperie, la manipulation, non pas la beauté ou l'enthousiasme. Or, la trompe-
- Comme le calcul de la répartition des activités économiques...
rie et la manipulation sont souvent une source de problèmes ; ce sont les instru-
- Voilà, par exemple. ments du pouvoir informel. Problèmes bien connus, en particulier dans les orga-
Ensuite, nous pratiquons la subsidiarité, la décentralisation, si tu préfères : un nisations « alternatives »... Cette culture rationnelle est donc une protection
problème qui ne concerne qu'un petit groupe, n'est discuté que par ce petit contre ce phénomène. Nous avons vu qu'Amopie, par son organisation politico-
groupe. Les décisions sont prises au plus bas niveau possible. économique s'oppose à toute hiérarchie formelle. Nous voyons maintenant, que
cette société se prémunit également face aux hiérarchies informelles ; là encore,
- C'est bien beau, tout ça, mais tout est relié. Ce qui est décidé à un endroit peut en s'en donnant réellement les moyens... Ce choix est cohérent avec notre dé-
avoir de conséquences ailleurs. Donc, on est quand même dans la théorie, là. marche pour plus d'égalité, de liberté et de fraternité.
- C'est pour cela que la décentralisation est structurellement imposée : le terri- - Et que faites-vous de tous les méfaits de la science ?
toire est décomposé en communes. Chaque commune a la garde de son terri-
toire : c'est elle qui décide de ce qui s'y passe, qui a la charge de sa gestion. De - Quels méfaits ?
plus, chaque commune a une certaine autonomie. Chacun de ses habitants y tra-
- OGM, pesticides, armes nucléaire...
vaille. On y produit beaucoup de choses essentielles (agriculture vivrière, dans
la mesure du possible). L'essentiel des décisions économiques se fait donc à son - Ce ne sont là que des applications de connaissances scientifiques. La science,
niveau. Cela permet d'ailleurs de réduire la pollution par les transports. du fait de son efficacité, nous apporte une certaine puissance, que l'on peut utili-
ser en bien ou en mal... La démarche scientifique n'a rien à voir avec le fait de
- La mode écolo...
faire la guerre ou de polluer inconsidérément, contrairement à la cupidité ou au

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- C'est ce que l'on appelle l'esprit critique. - La solidarité avec les gestions futures et le règne vivant en général :-).
Et surtout, pour faciliter la vie démocratique, l'effectif communal est limité à
- Tout à fait.
quelques centaines de personnes. Moins d'un millier, disons. Les gens se
- Mais cela ne nous dit pas comment établir la vérité, ou du moins, fonder ses connaissent mieux.
propres jugements. À la limite, c'est stérile, purement destructif. Or, il m'a sem-
- Et si j'ai envie de changer de commune, de voyager ?
blé que vous vous vouliez constructifs...
- Pas de problème, tout cela est même encouragé. Chaque commune dispose de
- Tout à fait. C'est parce que je n'ai fait que commencer à décrire la rationalité :
capacités d'accueil pour cela. De plus, chaque commune a une certaine autono-
je n'ai pas terminé, elle ne se limite pas à cela. C'est juste important de commen-
mie législative : toutes ne fonctionnent pas forcément selon le même schéma.
cer par là, car il y a certaines attitudes spontanées, comme prendre ses désirs
Ainsi, chacun peut choisir le « schéma » qui lui convient le mieux. La diversité
pour la réalité, qu'il faut impérativement surveiller avant d'aller plus loin, en pra-
au service du mieux-être de tous.
tique. Sinon, la rationalité elle-même, serait facilement invoquée pour soutenir
n'importe quoi (à tort, bien entendu). - Et je dois assister à toutes les réunions ?
Ensuite, les principes « positifs » sont simples : observer aussi précisément que
- Ce n'est pas une obligation. Il y a d'ordinaire une assemblée générale, chaque
possible, puis interpréter au moyen de la théorie descriptive la plus simple, qui,
semaine, pendant laquelle le maximum de personnes est libéré de toute obliga-
dans le domaine d'observation où l'on se trouve, n'a jamais été mise en défaut. Et
tion (pour pouvoir y assister). Le seul problème, si tu n'y assistes pas est que des
il se trouve qu'ainsi, on obtient des théories remarquablement puissantes.
décisions qui te concernent risquent d'être prises sans toi.
- Alors, par exemple, lorsque je dis : « l'univers a été créé par Dieu », je fournis
- Et je ne pourrais pas les contester ?
là une théorie particulièrement simple (pour expliquer l'univers, difficile de faire
mieux !), qui, à ma connaissance, n'a jamais été mise en défaut... - Tu le peux toujours mais tu devras attendre un certain délai avant que ce soit
possible, sauf si tu avais une bonne excuse pour ne pas y assister.
- Sauf que cette théorie là est purement explicative, elle n'est pas descriptive...
- Et il n'y a pas moyen de savoir ce dont il va être question dans cette réunion ?
- Que faut-il entendre par « descriptive » ?
- En fait, oui, un ordre du jour est établi. Donc, tu peux choisir en fonction de
- ...que ladite théorie permet de rendre compte avec précision d'un maximum de
l'ordre du jour. En cas d'impossibilité de présence, tu peux même y faire parve-
phénomènes. Lorsque tu dis « L'univers a été créé par Dieu », tu fournis une ex-
nir un avis, des idées.
plication verbale, mais tu ne décris pas précisément tout ce que tu peux obser-
Et les délibérations sont également publiées...
ver. Cette théorie là n'est d'ailleurs pas « remarquablement puissante » : elle ne
permet pas, en elle-même, de prédire quoi que ce soit. Voilà pourquoi, cela n'ap- - Tout y est décidé ?
partient pas au domaine de la rationalité.
- Non, seulement les décisions générales relatives à la commune.
Lorsque je dis qu'un corps en chute libre a un mouvement d'accélération uni-
Ensuite, il y a aussi des commissions spécialisées pour les décisions plus tech-
forme, l'accélération étant inversement proportionnelle au carré de sa distance
niques dans certains domaines d'activités, mais celles-ci rendent des comptes à
au centre de la terre, je décris réellement quelque chose et je donne les moyens
l'assemblée générale hebdomadaire.
de prévoir un mouvement (quand et où l'objet va toucher le sol, par exemple).
- N'est-ce pas ce que l'on appelle la démarche scientifique ?
- Tout à fait.
3 Mode de délibération
- Et concrètement, ça se passe comment pour la prise de décision. Vous votez à
- Pourtant, les théories scientifiques évoluent, elles rencontrent rapidement leurs
la majorité ? Vous attendez que tout le monde soit d'accord ?
propres limites. La physique quantique, par exemple, a mis à mal le principe de
déterminisme... la notion même de réalité, ou du moins, son indépendance de - Attendre que tout le monde soit d'accord, ça peut être long ! De fait, ceux qui
l'observateur... choses pourtant bien ancrées dans la pensée matérialiste. bloquent imposent quelque chose à la majorité.

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- Donc, c'est la dictature de la majorité ? comporter d'une certaine façon. Il n'y a pas d'immixtion dans la vie intime des
personnes. Sans quoi, cela entraînerait une certaine pression sociale, des ten-
- Pas vraiment, non ! Tout d'abord, il faut distinguer entre les décisions de goût,
sions, voire de l'hypocrisie.
et les décisions argumentables.
- Mais une éthique, je veux dire, quelque chose qui est réellement partagé par
- ?
les gens, cela ne peut-il pas aider, contribuer à un meilleur fonctionnement de la
- Les décisions de goût, c'est lorsque ce n'est qu'une affaire de goût. Par société ?
exemple : « en quelle couleur repeint-on la salle de réunion ? ». Dans ce cas, on
- Bien sûr, et des choses sont faites pour diffuser cette éthique ! Sauf qu'il n'y a
procède comme nous l'avons vu à propos des décisions économiques : chacun
pas de jugement moral.
indique un niveau d'appréciation pour les différentes options, et on détermine
l'optimum (maximisation de la somme des satisfactions moins l'écart-type). - D'un autre côté, n'est-ce pas un peu restrictif d'imposer de la sorte une éthique,
même si ce n'est qu'à travers le « fonctionnement » ?
- Dans cet exemple, il peut aussi y avoir des arguments : certaines couleurs
peuvent avoir des effets particuliers sur le psychisme, par exemple. - Il faut voir que l'éthique en question n'est pas extrêmement sélective, puisqu'il
ne s'agit que d'agir dans le sens de la préservation de la vie et du plus grand bon-
- Alors dans ce cas, oui, ces arguments sont pris en compte aussi. Beaucoup de
heur de tous, et ce, d'une façon rationnelle ! Ensuite, il faut bien voir qu'en plus,
décisions sont mixtes, en quelque sorte. J'ai fait la différence pour simplifier, en-
la société amopienne n'a pas de prétention totalitaire, elle n'est qu'une option.
suite, il suffit de mixer :-).
Donc, ceux qui n'adhéreraient pas à une telle éthique restent libres de s'organiser
Dans le cas d'une discussion argumentable, il y a d'abord discussion : partage
autrement. Il s'agit en fin de compte de la mise en œuvre de l'un des aspects de
d'arguments et d'informations pertinentes.
notre éthique : le non-jugement.
- Discussion qui risque de durer longtemps...
- Juger peut être nécessaire...
- Justement, non, car il y a un délai maximum.
- « Juger » au sens large, oui, bien sûr, c'est même un élément incontournable de
- C'est arbitraire : toutes les délibérations ne nécessitent pas le même temps de la démarche rationnelle : il nous faut bien apprécier, estimer, pour agir au mieux
réflexion. ensuite ; Le jugement dont il est question ici est une certaine façon de figer les
personnes... ce qui nuit à la qualité des relations, à une véritable rencontre...
- Justement, ce n'est pas toujours le même. Avant chaque décision (pas complè-
tement anodine, quand même), on commence par établir un délai maximum de
réflexion et/ou une durée maximum de débats. L'intérêt de ça est de ne pas 2 Une culture rationnelle
consacrer un temps et une énergie importants à ce qui ne les justifie pas. De
plus, certaines décisions peuvent présenter une certaine urgence. - Que faut-il entendre par « rationnel ». Parce que ce concept me semble assez
vague. Beaucoup de gens le récupèrent pour désigner des choses très différentes.
- Et pour établir ce temps, ça vous prend beaucoup de temps ? Il n'y a pas une
délibération préalable pour savoir combien de temps on va consacrer à la déter- - Par « rationalité », nous entendons essentiellement une méthodologie, une dé-
mination du délai, des fois ? J'ai l'impression que ça va durer longtemps tout marche intellectuelle relativement à la question de la vérité. Il s'agit de respecter
ça... un certain nombre de principes.
- Non, car cela est fixé rapidement par une personne qui a cette fonction. - Lesquels ?
- Ça y est, je le tiens le pouvoir, il existe bien. Et c'est qui, ce président autopro- - Tout d'abord : faire preuve de beaucoup de circonspection. Ne pas se précipiter
clamé ? sur les vérités qui nous plaisent, mais prendre beaucoup de soin à vérifier.
J'ajouterais : pratiquer le doute. C'est-à-dire, rester ouvert à toute remise en
- :-) En fait, il n'y a pas de président de séance, il y a plusieurs fonctions comme cause de ses propres jugements.
ça qui sont attribuées à des personnes différentes.

30 39
- Décidé comment ? - Une sorte de directoire, donc...
- Par le jury ayant eu à régler la question à l'origine du bannissement. - Pas vraiment, non ! Ces fonctions sont occupées par tous ceux qui le désirent
(et qui sont jugés suffisamment compétents), à tour de rôle.
- C'est quand même assez flippant de risquer l'exclusion à tout moment.
- Et qui juge de leur compétence ?
- Nous faisons attention à ce que cette peur n'ait pas lieu d'être, justement.
L'exclusion ne peut survenir que si la personne l'a vraiment cherchée. Elle ne - Tout le monde : c'est juste que si quelqu'un s'avère franchement incompétent,
saurait être la conséquence d'une faute involontaire ! Le jury dont je viens de on transfere la fonction à quelqu'un d'autre.
parler convie toujours la personne pour qu'elle puisse s'expliquer et être associée
- Et si certains ne sont pas d'accord avec le délai fixé ?
autant que faire se peut à la décision. Là encore, il s'agit juste de trouver la
meilleure solution pour la satisfaction du plus grand nombre sur le long terme. - Dans ce cas, ils le signalent, ils expliquent leur motivation, puis, si le gardien
tu temps n'est pas d'accord, le choix du temps est mis au vote. C'est la majorité
qui tranche.
III Une autre culture - Et une fois qu'on est parvenu au temps maximum ainsi fixé au départ, c'est
également la majorité qui tranche, je suppose.
1 Une société amorale - Tout d'abord, il est rare qu'on ait besoin de tout ce temps pour décider, c'est
vraiment un maximum... Le but des discussions est de trouver la solution qui sa-
- Je suppose donc que les gens qui vous rejoignent doivent partager certaines va- tisfasse le plus grand nombre possible. Dès qu'on atteint l'unanimité, la décision
leurs, une certaine sensibilité. est prise. Ensuite, si effectivement, l'unanimité n'a pas été atteinte avant le délai
- Ce n'est pas une obligation. En Amopie, chacun pense ce qu'il veut, il n'y a pas maximum, c'est l'avis majoritaire qui est adopté sauf s'il y a blocage.
de sensibilité imposée. - Blocage ?
- Ah bon ? Nous venons de voir, pourtant, l'importance de l'amour, du respect... - Il y a blocage lorsqu'une ou plusieurs personnes n'acceptent pas le choix majo-
- Oui, mais ce n'est pas imposé... Nous sommes très attachés à la liberté de pen- ritaire. Mais pour que le blocage soit effectif, elles doivent fonder ce choix sur
ser, il n'y a pas de morale, au sens de choses qui sont « bien » ou « mal vues », l'éthique commune.
ni même « bien » ou « mal » dans l'absolu. - L'éthique commune ?
- Tout à l'heure, tu parlais d'éthique du lieu... - L'éthique amopienne : la satisfaction maximale, la solidarité, la préservation de
- Alors, oui, il y a une éthique du lieu, en ce sens que lors d'une prise de décision l'environnement, une démarche rationnelle. Ensuite, chaque commune peut
collective, un véto doit s'appuyer sur l'éthique du lieu ; mais cette éthique n'in- avoir des spécificités, ce qui permet à chacun de choisir l'éthique qui lui
tervient que là, d'une façon purement technique, en quelque sorte. Ce que je convient le mieux.
veux dire, c'est que nous n'intervenons pas dans la pensée des gens : chacun - Oui, mais formellement, il est facile de toujours trouver un fondement sur la
croit en ce qu'il veut, adopte la philosophie qu'il veut, tant qu'il respecte les base de l'éthique commune. Il est donc facile à n'importe quel emmerdeur de
règles... bloquer les décisions, et d'empêcher ainsi toute évolution.
- Mais les règles favorisent de fait une certaine éthique... - C'est pour cela que ceci ne suffit pas à un blocage définitif, il faut que cet argu-
- Tout à fait. C'est pourquoi, la vie dans une Amopie est plus particulièrement ment soit supérieur aux arguments opposés fondés sur l'éthique commune, s'il y
appréciée par quelqu'un qui partage profondément ces valeurs. Mais si elles ne en a, bien sûr.
sont pas partagées par quelqu'un, on ne va pas le lui reprocher, ni le sanctionner - Et comment est jugée cette supériorité ?
en aucune façon (pour cette raison). Tout au plus peut-on lui demander de se

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- Par le gardien de l'éthique, tout d'abord, puis la majorité en cas de contestation. pectant chacun.
- Tu parles de blocage définitif, ça veut dire qu'il peut y avoir des blocages tem- - Il n'y a pas de prison ?
poraires ?
- Si, ça peut se faire. Rien n'est exclu. La détention se justifie lorsqu'elle apparaît
- Oui, si l'argumentation n'est pas jugée nettement supérieure, que les avis sont comme le meilleur moyen de protéger la population d'agissements particulière-
partagés, ou bien si la personne souhaite juste un temps de réflexion supplémen- ment dangereux. Mais cela relèverait plutôt de la sécurité à court terme. Le but
taire pour pouvoir mieux exprimer ses arguments. n'est pas de châtier, au pire, il serait plutôt d'éduquer...
- Et quelle est alors la durée d'un tel blocage temporaire ? - Cela dit, le bannissement, c'est un peu violent, je trouve... « On n'est pas dans
la réprobation et la dénonciation, mais tu es banni ». Je trouve ça un peu hypo-
- ça dépend de la décision : de son urgence surtout. Cela se fait comme je l'ai
crite.
expliqué tout à l'heure : le délai supplémentaire est décidé à la majorité sur
proposition du gardien du temps - Le terme a certes une connotation quelque peu négative, mais nous ne le pre-
nons que dans son sens objectif. Le bannissement physique ne s'accompagne pas
- « gardien du temps », « gardien de l'éthique »... il y en a beaucoup comme ça,
d'un rejet affectif, d'une réprobation, justement.
de ces gardiens ?
L'idée du bannissement vient de ce que nous ne nous donnons pas le droit de
- Il y a aussi le secrétaire, le distributeur de parole, le programmateur de nuire à la liberté d'autrui, sans pour autant nous estimer dans l'obligation de tout
séance... Sinon, comme gardien à proprement parler, il y a aussi le gardien de supporter ou de mettre en péril quelque chose qui assure une justice et un bien-
l'ambiance, de la porte... mais ils sont moins indispensables. Il peut y avoir aussi être maximums. Et pour éviter qu'il y ait trop d'arbitraire, que l'acceptation d'au-
des rôles plus spécialisés. Par exemple, le gardien du temps a plusieurs fonc- trui soit maximum, le respect des règles est la condition, objective en quelque
tions (qui peuvent être attribuées à plusieurs personnes : ce qui fait des gardiens sorte, de l'acceptation d'autrui. Règles qui consistent précisément, tu l'auras re-
du temps spécialistes). marqué, à respecter autrui : son corps, son environnement, sa production, ses ré-
solutions...
- Et quelles sont ces fonctions ?
- « Je respecte ta liberté si tu respectes la mienne », en quelque sorte.
- Il établit les délais maximums, déclare la réunion ouverte, signale les dépasse-
ments de temps impartis, accorde une pause s'il sent de la fatigue (des partici- - Voilà. « Et même si tu ne la respectes pas, je nuis à la tienne le moins pos-
pants peuvent la demander)... La spécialisation dépend ensuite du nombre de sible : je te demande d'aller ailleurs, où bon te semble ; de façon à ce que tu ne
personnes en présence. Ce n'est pas trop rigide. me nuise pas ».
- Le distributeur de parole est celui qui distribue la parole, je suppose. - Oui, mais dans l'hypothèse où cette organisation sociale, Amopie, de par l'ex-
traordinaire bénéfice qu'elle apporte, aurait un tel succès que toute la planète se-
- Quelle perspicacité ! Il fait en sorte que tous ceux qui souhaitent parler
rait recouverte pas des communes amopiennes, vous les enverriez où les
puissent le faire, aussi équitablement que possible. Souvent, même, on pratique
bannis ?
des tours de parole : chacun a la parole à tour de rôle, et doit dire qu'il la passe
s'il ne veut rien dire. Cela sert à assurer l'expression de tous lorsque la chose se - Eh bien précisément, on fera en sorte que les communes amopiennes ne re-
justifie. couvrent pas toute la planète ! On laissera toujours un peu d'espace pour ceux
qui souhaiteraient autre chose, et ceux que nous ne souhaitons pas (tant qu'ils ne
- Et comment est élaboré l'ordre du jour, par le « programmateur de séance », je
changent pas de comportement, bien sûr). Nous ne nous posons pas comme une
suppose ?
solution universelle et incontournable.
- Pas tout seul ! Chaque citoyen fait part des idées qui lui viennent et qui lui
- Et si la personne veut revenir ?
semblent pouvoir être profitables pour tous, ou encore des problèmes qu'il
constate... Ces informations sont collectées en temps réel dans une base de don- - Un bannissement sera généralement accompagné d'un délai au-delà duquel la
née. personne sera acceptée.

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- Non, c'est une gêne objective, parce que la personne perçoit un son : ton dis- Le programmateur de réunion, prend ces informations, les regroupe et les classe
cours, il lui est difficile de s'y soustraire. C'est ça que ça veut dire. par ordre de priorité décroissante.
Je poursuis la liste des règles générales, si tu le veux bien.
- Alors comme ça, une proposition peut se retrouver sous la pile à chaque fois, et
Deuxièmement, ne pas nuire aux biens (la nature comprise : c'est notre bien
ne jamais être traitée.
commun à tous).
- Non, car il y a une limite maximum entre la date de la proposition et celle de la
- Ce qui comprend donc, si je ne m'abuse le non-respect des biens dont on a la
réunion où elle est évoquée pour la première fois, puis traitée. Le programma-
garde.
teur doit en tenir compte.
- Entre autre, oui. C'est d'ailleurs là une règle qui n'existe pas en régime capita- Ensuite, tout cela est transparent : tout le monde a accès aux propositions en
liste. temps réelle, la « boîte à idées », et peut donc contrôler le travail du programma-
teur de réunion, le contacter...
- Le vandalisme est autorisé en régime capitaliste ? Le locataire n'y est pas tenu
de payer en cas de dommages au bien loué ?
- Oui, mais parce qu'il s'agit de biens appartenant à autrui. Mais tu n'y es pas 4 Une fédération planétaire
tenu de respecter ce qui t'appartient ou n'appartient à personne (lorsque cela - Et pour les décisions qui concernent plusieurs communes, comment ça se
existe). Les biens n'y sont pas respectés pour eux-mêmes, seulement en tant que
passe, puisqu'il n'y a pas de gouvernement central, si j'ai bien tout compris ?
« propriété ». Cela correspond à l'état d'esprit différent dont j'ai parlé tout à
l'heure à propos de la possession. La valeur amour remplace la valeur ego, en - Tout d'abord, il peut y avoir des votes et délibérations à plus grande échelle
quelque sorte. que la commune, cela est considérablement facilité par les moyens informa-
Enfin, troisième règle : respecter les décisions collectives (celles qui ont été tiques dont nous disposons.
prises selon la procédure démocratique officielle).
- Oui, mais vu le nombre de décisions à grande échelle qu'il risque d'y avoir, ça
Cette dernière règle en contient en particulier deux autres, sur le plan écono-
fait tout de même beaucoup de décisions auxquelles le citoyen est censé partici-
mique : ne pas voler (à savoir : ne pas respecter l'attribution d'un bien), et ne pas
per. Il ne pourra pas participer à toutes et/ou son implication ne sera pas suffi-
faire sa part de travail obligatoire. Nous en avons déjà parlé.
samment sérieuse pour que les décisions soient de bonne qualité. C'est le pro-
Voilà, ce sont là les cinq règles fondamentales, il n'y en a pas d'autres... Cet ex-
blème de la démocratie : des décisions où tout le monde participe, mais pas for-
posé m'a pris moins d'une heure...
cément très intelligentes.
- Et mis à part cette simplification drastique des codes civil, pénal, commercial,
- Nous avons résolu ce problème, bien sûr ! :-)
administratif etc. Quelles sont les autres différences ?
En fait, seules certaines questions vraiment importantes sont prises par délibéra-
- Une autre différence avec le système capitaliste est qu'il y a moins de tenta- tion universelle (ou même régionales). Ainsi, elles sont suffisamment rares pour
tions d'enfreindre les règles. Donc, ça fait moins de frustration pour tout le que les citoyens ne soient pas submergés de délibérations, et puisse s'y consacrer
monde, et moins de travail de police et de justice (donc : moins de travail pour réellement. Pour les autres, souvent plus techniques, un jury est désigné.
tout le monde).
- Comment ? Par qui ?
- Et comment ça se passe pour les peines. Nous avons vu quelques exemples :
- Comme le terme le suggère : par tirage au sort.
en particulier, le bannissement. Il y en a d'autres ? Qui en décide ?
De plus, l'effectif de ce jury dépend de l'importance de la décision. Les jurés
- En fait, en Amopie, on ne parle pas de « peine ». C'est la troisième différence sont libérés d'autres tâches éventuelles afin de pouvoir se consacrer à la délibé-
importante. On parle seulement de solutions, d'améliorations. Les solutions sont ration qui les rassemble. Ils doivent prendre suffisamment de temps pour tenter
cherchées avec les parties en présence, dans la mesure du possible, bien sûr. d'atteindre l'unanimité. C'est le même système que je t'ai expliqué pour les as-
Nous ne sommes pas dans une logique de la faute, de la dénonciation, de la ré- semblées communales. Pour une meilleure décision, ils peuvent ordonner des
probation, mais plutôt de la recherche d'une vie plus agréable pour tous, en res- enquêtes, convoquer des experts etc.

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De plus, leurs délibérations sont publiques. Donc, tout citoyen peut suivre l'af- cratique car il n'y a pas d'élection.
faire s'il le souhaite. C'est juste qu'ainsi, on est assuré qu'une bonne décision est
- Et surtout, pas de hiérarchie en place.
prise ; enfin : la meilleure possible.
- Surtout, oui ! :-)
- Le pouvoir par tirage au sort...
- Non, pas « le pouvoir », puisque pour chaque décision qui le justifie, un jury
différent est mis en place... De plus, je te rappelle l'importance de l'éthique, de la 5 Le code amopien
transparence...
- Qu'en est-il des crimes et délits, en Amopie ? Je suppose que vous avez dû ré-
- Mouais. Un avantage d'un pouvoir central est que les différentes décisions pré- fléchir à ça, puisque vous semblez avoir paré à toute éventualité...
sentent une certaine cohérence...
- Plusieurs choses.
- Ce point a été prévu. Une commission veille à la cohérence des différentes dé- Tout d'abord, l'inflation législative est interdite. Le principe « nul n'est censé
cisions. Elle envoie généralement un observateur dans les jurys. Elle est elle- ignorer la loi » est accompagné de « la loi doit pouvoir être entièrement connue
même tirée au sort et renouvelée par tiers tous les trois mois. Ses débats sont par n'importe quel citoyen en moins d'une heure d'étude ».
également publiques. La loi se résume d'ailleurs en trois règles simples : premièrement, ne pas nuire
directement à autrui (de façon objective), que ce soit physiquement (atteinte
- Une commission planétaire ? portée à sa santé) ou mentalement (harcellement)
- Il y en a une planétaire, mais aussi d'autres régionales (selon le niveau optimal - On fait comment pour le harcellement, parce que ça peut être assez subtile.
déterminé par la nature de la décision). Quelqu'un d'un peu susceptible peut rapidement se sentir gêné par une commu-
- Qui juge de ce niveau ? nication sans qu'il y ait d'ailleurs volonté de nuire ; puis se déclarer « harcelé »...
Et ne me dit pas qu'il faut qu'il y ait volonté de nuire, parce que c'est difficile à
- Celui qui fait la proposition, tout d'abord, puis le programmateur qui en prend prouver.
connaissance (qui peut rectifier, en accord avec le proposeur)
- C'est très simple. Si quelqu'un te demande d'arrêter de faire quelque chose qui
- Parce qu'il y a aussi des boîtes à idées aux niveaux inter-communales ? le gêne objectivement, et que tu continues...
- Oui, cela ne pose pas de problème particulier avec les progrès de l'informa- - Alors comme ça, si je demande à mon voisin d'arrêter de passer la tondeuse sur
tique. La commission centrale qui la reçoit décide de leur traitement : un jury, son gazon et qu'il n'en tient pas compte, je peux le dénoncer pour harcellement ?
une délibération universelle ou à échelle régionale, ou elle s'en occupe directe-
ment (si la chose est d'intérêt général et de peu d'importance). - Non, pas ici, parce que pour qu'il y ait harcellement, il faut également que
l'acte commis n'ait pas un intérêt évident par ailleurs. Ici, tondre son jardin pré-
- Là, c'est bien un pouvoir, alors, puisqu'ils interviennent pour toutes les déci- sente typiquement une utilité (même si on peut trouver plus utile). Par contre, il
sions y a effectivement nuisance, dans cet exemple ; il suffira de vous entendre :
- Oui, mais d'une façon très partielle, et contrôlée ! heures de passage de la tondeuse. Typiquement, on évitera de faire une loi pour
ça (ou alors un règlement local).
- Si je ne suis pas d'accord avec une décision d'une commission centrale ou d'un
jury spécialisé, je peux faire quoi ? - et si on ne parvient pas à nous entendre ?
- Envoyer ton avis argumenté (ceci étant public, il en tiendront probablement - Vous ferez appel (celui d'entre vous qui le souhaite, en tout cas) à un médiateur
compte et te répondront) ; recueillir une pétition. Si le nombre de signataires est (ou une équipe de médiation).
suffisant, la décision est revue : elle sera alors généralement prise par délibéra- - Et ça se définit comment une « gêne objective », parce qu'une insulte, par
tion universelle. exemple, c'est assez subjectif comme gêne, non ?
Si je puis me permettre la formule, Amopie est une société véritablement démo-

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