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ALLAIN Tanguy

Master II recherche, mention : Droit des affaires


Année 2005-2006

Direction d’études et de recherches.

Le dirigeant social en droit


international privé.

1
Introduction :

A l’heure où certains auteurs estiment qu’ « il est devenu banal d’évoquer


l’internationalisation, la globalisation ou encore la mondialisation de l’économie »1, l’on peut
s’assurer en effet qu ’ « il est difficile de concevoir un monde sans relations commerciales et
financières internationales. […] Pratiquement, toute nation de la plus petite à la plus grande, a
des entreprises impliquées dans divers types d’activités économiques et de transactions
internationales »2.

Ainsi, les chefs d’entreprises ne peuvent plus échapper à cette escalade internationale s’ils
veulent développer leur activité. Bien sûr, cela ne concerne pas toutes les sociétés. Mais, un
nombre suffisant de sociétés françaises exercent aujourd’hui à l’international pour que le
phénomène mérite d’être attentivement étudié en droit. Les entrepreneurs sont désormais
amenés à négocier au niveau international, non seulement parce que les autres entreprises
françaises se délocalisent là où la main d’œuvre est la moins chère, mais aussi parce que la
concurrence mondiale les oblige à réduire leurs coûts de production, et à contracter avec des
entrepreneurs étrangers.

Cette globalisation croissante du commerce invite nécessairement à constater un certain


développement de l’activité internationale des sociétés. En effet, il convient de parler
exclusivement de sociétés, en tant que personnes morales, car il y a fort peu de chances pour
qu’un entrepreneur, pris en sa qualité de personne physique, exerce une activité internationale
sans avoir structuré son entreprise autour de l’habit juridique sociétaire.

D’ailleurs, l’entrepreneur dispose d’une multitude d’outils pour exercer une activité
internationale. C’est grâce à la pratique américaine par exemple qu’est né un formidable
instrument de coopération internationale, le contrat de joint-venture3, mais le législateur
européen offre également la possibilité d’exercer une activité sous forme de Société
Européene. Forme sociale dont l’idée de création a appartenu semble t’il au Professeur
Sanders, dès 1959, et adoptée récemment par le Conseil des ministres de Nice le 20 décembre

1
M.Menjucq, Droit international et européen des sociétés. Domat droit privé. Ed.Montchrestien.
2
Andrew Harrison, Ertugrul Dalkiran, Ena Elsey. « Business international et mondialisation ». Editions De
boeck.
3
Pour une étude complète : Valérie Pironon, « Les joint-ventures » contribution à l’étude juridique d’un
instrument de coopération internationale. Nouvelle Bibliothèque de Thèses. Dalloz.

2
20004 5, désormais inscrite dans notre droit interne depuis la loi n°2005-842 du 26 juillet 2005
relative à la confiance et à la modernisation de l’économie. Parmi les outils offerts à
l’entrepreneur, reste la société, de droit interne, et régie principalement par la loi du 24 juillet
1966, et dont rien ne s’oppose à ce qu’elle puisse exercer son activité au-delà des frontières de
son état d’origine, de constitution. Le professeur M.Menjucq estime qu’il ne faut pas entendre
la notion de société dans un sens trop restrictif, et qu’il faut y comprendre : les sociétés
civiles, les sociétés commerciales, les sociétés coopératives, les personnes morales de droit
public, dès lors qu’elles ont un but lucratif. C’est d’ailleurs en ce sens que l’entend l’article 48
alinéa 2 du traité de la Communauté européenne6. Cependant, il faut constater qu’en pratique,
rares sont les sociétés civiles7 qui exercent au niveau international, tout comme les
associations. Dès lors, nous en profiterons pour centrer notre point d’analyse aux sociétés de
capitaux, qui, du fait de leur importance, de leur dimension et de leur réglementation
s’affrontent ou avancent ensemble sur la scène internationale.

Agir sur la scène commerciale internationale, c’est se confronter à des cultures différentes, à
des rapports sociaux et sociétaux nouveaux, non appréhendés jusqu’ici en droit interne des
affaires. Cela s’explique simplement par le fait que le monde est organisé sous forme d’états,
lesquels fixent leurs propres règles de fonctionnement interne. D’ailleurs chaque état fixe
aussi les règles de droit international privé qui lui sont propres. Ce droit international a pour
objet la régulation des relations sociales, le règlement des statuts et rapports juridiques des
personnes privées prises dans une perspective internationale. Son objectif premier est de
déterminer la "nationalité" de la loi qui sera appliquée à une situation donnée, et déterminer le
juge compétent en cas de litige.

Plus exactement, et sur le sujet qui nous concerne, le professeur M. Menjucq déclare que8
« Le droit international et européen des sociétés peut se définir par rapport à son objet comme

4
Deux textes ont été adoptés : le Règlement CE n°2157/2001 visant à établir le statut de la future société
européenne, et la Directive 2001/86/CE complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne la
participation des travailleurs.
5
De nombreux articles sur ce point, parmi lesquels :
- Le régime juridique de la société européenne (SE) : vers une société européenne « à la carte » ? Marios
Bouloukos, RDAI/IBLJ,N°4,2004,
-Les atouts et les faiblesses de la société européenne « à la française ». M.Menjucq. Revue Lamy Droit des
affaires. Oct. 2005. n°86.
6
M.Menjucq, Droit international et européen des sociétés. Domat droit privé. Ed.Montchrestien.
7
Hormis peut être pour élaborer une consolidation sauvage au sein des groupes de sociétés. Cf. Précis de
fiscalité des entreprises, Maurice Cozian. p233, n°618. 28éme édition, Litec fiscal 2004-2005.
8
M.Menjucq, Droit international et européen des sociétés. Domat droit privé. Ed.Montchrestien.

3
l’ensemble des règles applicables aux personnes morales ayant un but lucratif dans leurs
situations juridiques transfrontalières ». L’ensemble de ces règles applicables est déterminé à
la fois par le droit interne, et à la fois par des conventions et traités, européens et
internationaux. Tour à tour, donc, ces sources ont vocation à intervenir pour organiser les
relations d’affaires empreintes d’un élément extranéité. S’agissant des sources internationales,
il faut citer de manière non exhaustive, la Convention de Genève du 21 avril 1961 sur
l’arbitrage commercial international, la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 sur la
compétence et l’effet des jugements, La convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente
internationale de marchandises9. Pour ne citer que les plus fondamentales en matière
européenne10, il s’agira par exemple de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur
la reconnaissance des jugements en matière civile et commerciale11, la convention de Rome
du 19 juin 1980 sur les règles applicables aux conflits de loi en matière d’obligations
contractuelles12.

Bien évidemment, les sources internes ne sont pas négligeables, et prennent place dans une
jurisprudence française tout à fait fournie, ainsi que dans quelques textes de lois13 et dans le
code Napoléon, aux articles 14 et 15, s’agissant du privilège de juridiction, et à l’article 1837,
sur la règle de conflit relative aux sociétés.
Ainsi, la loi applicable aux sociétés selon le droit international privé français est déterminée
par l’article 1837 du Code Civil 14qui dispose en son premier alinéa que : « Toute société dont
le siège social est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi
française ». L’effet de cette disposition est aussi simple qu’efficace sur la méthode du conflit
de loi en matière de droit international privé des sociétés : c’est le siège social qui détermine
la lex societatis, en théorie en tout cas. Reste à savoir comment est déterminé le siège social
d’une société, pour définir la loi qui doit lui être appliquée. Le siège social d’une société peut
être défini comme le lieu où se produisent par l’intermédiaire de ses dirigeants les
manifestations principales de son existence juridique. Il s’agit donc, en règle générale, du lieu
où l’entreprise a principalement sa direction juridique, financière, administrative, et

9
Pour accéder à l’ensemble des traites internationaux fondamentaux, visiter le lien suivant :
http://www.legifrance.gouv.fr/html/traitesinternationaux/liste_traites.htm
10 Dont le principe de primauté est affirmé en vertu de l’article 55 de la constitution du 4 oct 1958, et de la
jurisprudence qui l’entoure. Entre autres ,les arrêts Nicolo (CE 20 oct 1989) et J.vabres (Ccass 24 Mai 1975),
11
Transformée en règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000, visible sur http://www.jura.uni-sb.de/convention-
bruxelles/fr/c-textes/brux-idx.htm
12
JOCE n°L 266 du 9 octobre 1980,visible sur http://www.rome-convention.org/instruments/i_conv_orig_fr.htm
13
Loi du 30 mai 1857 sur la reconnaissance des SA, loi du 24 juillet 1966..
14
Et son parfait clone, l’article L210-3 du Code de Commerce ( art 3 de la Loi du 24 juillet 1966)

4
technique15. Ainsi, l’alinéa 2 de cet article 1837 du Code civil déclare que « les tiers peuvent
se prévaloir du siège statutaire, mais celui ci ne leur est pas opposable par la société si le siège
réel est situé en un autre lieu ». Les circonstances de fait inviteront donc les juges à
déterminer la lex societatis, selon le siège social statutaire ou selon le siège réel non fictif et
sérieux. Cette solution est évidemment une solution de sécurité, car c’est aussi le siège social
qui détermine la nationalité de la société16. Notons encore sur la lex societatis, que l’article
1837 du Code civil a un effet bilatéral, et qu’il permet de déterminer au regard du droit
français, la nationalité des sociétés dont le siège social est situé à l’étranger et la loi qui leur
est applicable. Il est important de le souligner car cela créé de facto une mise en concurrence
des droits nationaux. Les chefs d’entreprise désireux d’exercer leur activité en Europe ou dans
le monde dans les meilleures conditions juridiques et fiscales auront donc la possibilité, en
fonction du siège social qu’ils désirent assigner à leur entreprise, de choisir la loi qui leur
paraît la plus favorable, non seulement pour la société mais aussi pour eux-mêmes, pris en
tant que dirigeants.

En effet, en tant que personne morale, la société n’est pas maître d’elle-même : « la théorie
des personnes morales, dans son approche sociologique, met en lumière le rôle des
organes »17. Comme le souligne habilement M.Cozian, bien que la personnalité morale
confère des capacités et des responsabilités à une organisation de personnes physiques, la
société ne fonctionne pas sans organes de direction, elle est un être artificiel reconnu par la loi
dès lors qu’elle est immatriculée18. Alors, la société est organisée autour de nombreux acteurs
parmi lesquels, et non des moindres, se trouvent les dirigeants, à qui il appartient, entre autres,
de la représenter, d’agir en son nom et pour son compte. Il s’agit d’envisager dans une
conception large de la notion, à la fois les administrateurs, le Président du conseil
d’administration, le Directeur général et les directeurs généraux délégués. Techniquement, le
dirigeant social19 est amené, autant que la société pour laquelle il travaille, à agir sur la scène
mondiale. Or, le dirigeant est amené à négocier, à contracter avec des tiers étrangers, à
entretenir des liens juridiques emprunts d’extranéité par ses faits ou par ses actes. Il est amené
dans ses relations internes, à prendre de nombreuses décisions de gestion, bref, et selon le
15
Cass.Civ 7 juillet 1947 : D1948.Somm.9 ; JCP 1947.II.3871, note J.L
16
Hormis bien sur les hypothèses d’application des critères de contrôle (CA Paris 20 mars 1944 D.1945, note
basdevant ; CA Nancy,5fev.1921 : Gaz.Pal.1921.2.397. Affaire « un long dimanche de
fiançailles » : http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=230906&indice=2&table=JADE&ligneDeb=1 ),
et d’incorporation.
17
M.Cozian,A.Viandier,F.Deboissy. Droit des Sociétés 15ème édition, litec, n°351, p161
18
art.L210-6 du Ccom
19
Nous désignerons l’ensemble des dirigeants de société par ce terme générique au fil de notre exposé.

5
droit français, à exercer les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom
de la société20 dans la limite bien sûr de l’objet et de l’intérêt social. Et cela n’est pas sans
conséquence puisque l’exercice de pouvoirs s’accompagne naturellement par le risque d’une
mise en œuvre de la responsabilité qui s’y attache.

Or, le domaine de la lex societatis est relativement étendu. En témoignent d’anciens arrêts tels
celui de la Cour d’Appel de Paris du 26 mars 1966 qui déclare que : la société, pour tout ce
qui concerne sa constitution21, son fonctionnement, sa dissolution, relève de la loi en vertu de
laquelle elle se trouve dotée de la personnalité morale22. Dès lors, pouvoirs et responsabilités
des dirigeants, corollaires indispensables du bon fonctionnement de la société, doivent être
soumis à la règle de conflit de loi en matière de société, celle du siège social, la loi
« nationale ». Cette solution héritée de la logique23 et de la sécurité juridique mérite toute
notre approbation. Elle est d’ailleurs consacrée depuis fort longtemps en jurisprudence.
Notons donc pour appuyer nos propos cet arrêt important et abondamment commenté de la
chambre commerciale de la cour de cassation du 21 décembre 198724, dans lequel elle
inaugure le principe selon lequel la loi applicable aux pouvoirs des organes sociaux est la lex
societatis.

A la lecture de nos développements, il est de plus en plus difficile de justifier une étude sur la
situation du dirigeant social en droit international privé, étant donné que le dirigeant est bien
identifié, et que l’on a réussi à déterminer la loi qui lui est applicable, celle qui régit le
fonctionnement de la société, la lex societatis. Cependant cela n’est pas si simple, et la règle
ainsi dégagée dans nos développements ne prend que la valeur d’un principe, soumis alors à
de nombreux risques d’exceptions en pratique, et à des dérives. De plus, certains auteurs25
estiment que « Si la loi applicable aux sociétés se trouve largement étudiée et provoque
aujourd’hui une jurisprudence nourrie, son examen n’aborde guère en règle générale la
question de la responsabilité des dirigeants sociaux », et de leurs pouvoirs, pourrions nous
rajouter.

20
Art.L225-56 du Ccom, s’agissant du directeur général.
21
formalités de publicité, capital social, souscription et libération des actions…
22
CA Paris 26 mars 1966 : D 1966Somm.103 ; RCDIP 1968.58, note Loussouarn.
23
Cette solution est également retenue s’agissant de la nomination des organes sociaux. RCDIP 1987, p168
24
Cass.com 21 décembre 1987. Rev.soc.1988, p398 note Synvet ; JCP 1988,II,21113,concl. Montainier ;
Bull.joly1988,p194,J.-P. Laborde.
25
D.Cohen. « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit international privé ». RCDIP oct-dec
2003. p585

6
En effet, il ne semble pas, en l’état actuel des choses et de nos connaissances, que les auteurs
aient pris soin de rassembler et de poser en un bloc les questions relatives à la situation
internationale du dirigeant social. Pourtant, jurisprudences et notes d’auteur se sont succédées
à tour de bras, et il est possible d’affirmer que les outils sont désormais réunis pour élaborer,
et à tout le moins compiler, les règles applicables au dirigeant social en droit international
privé.

Ainsi, à la manière des ouvrages théoriques sur ces questions qui concernent les dirigeants,
c’est au travers d’une articulation simple mais justifiée par son côté pratique que nous
envisagerons à la fois les pouvoirs ( I ) et les responsabilités ( II ) du dirigeant social en droit
international privé.

oOOo

I. Les pouvoirs du dirigeant social.

En principe donc, c’est la loi applicable à la société qui doit être suivie par le dirigeant social.
En tant que mandataire des actionnaires, si l’on prend en considération la nature
conventionnelle de la société26 ou bien en qualité de représentant de la société si l’on penche
en faveur d’une conception organique27, le dirigeant est amené à engager des relations
juridiques internes et externes pour exercer ses pouvoirs. Les relations internes sont celles
qu’il entretient principalement avec les associés et les salariés, elles sont sans nul doute
soumises à la même loi dans un soucis de préservation de l’unité du statut interne de la
société. S’agissant des relations externes, c’est à dire les relations avec les tiers, il faudra
constater que la règle de conflit crée un effet perturbateur (A), et que pour éviter cela mais

26
Point sur lequel les auteurs ne sont pas touts d’accord. V.sur ce point. M.Cozian,A.Viandier,F.Deboissy. Droit
des Sociétés 15ème édition, litec, n°354,p162.
27
Conception qui est désormais celle retenue par la majorité de la doctrine, et par la loi du 24 juillet 1966.

7
aussi pour s’octroyer certains avantages les dirigeants n’hésitent plus à choisir la loi qui leur
sera applicable (B).

A. L’effet perturbateur de la règle de conflit.

La question de la détermination de la loi applicable aux personnes habilitées à représenter la


société dans ses relations avec ce monde commercial qui l’entoure n’est pas dénuée de
controverses, et trouve principalement sa consécration en matière contractuelle, en tout cas, le
plus souvent en ce qui concerne des cautionnements ou des lettres de garanties. Sur ce point il
suffira donc de constater que la règle de conflit risque de créer une certaine insécurité
contractuelle (1), quand bien même la doctrine a essayé d’y trouver des remèdes (2).

1. Une insécurité contractuelle.

C’est donc dans un arrêt de la cour régulatrice du 21 décembre 1987, s’agissant d’une lettre
d’intention remise par une société mère pour garantir un prêt consenti à sa filiale, que la règle
de conflit est consacrée.

D’abord, sur la loi applicable à l’acte, il faut faire un « bon usage de la théorie des
qualifications », afin de dégager la nature juridique de l’engagement28. Cela a pour
conséquence non négligeable qu’il est nécessaire de distinguer la question de la nature de
l’engagement et son régime, de la question de l’existence de pouvoirs du représentant social.
En effet, il ne fait aucun doute pour les auteurs que la nature de l’opération dépend de loi
applicable à l’acte. En matière de Droit international privé, ces deux questions reçoivent des
réponses différentes, réglées par des règles de conflit différentes. S’agissant de la nature et du
régime, il faut donc appliquer les dispositions de la Convention de Rome de 198029, qui
déclare que la loi applicable à l’acte est la loi d’autonomie, celle qui a été choisie par les
parties, ou à défaut de choix, la loi de la prestation caractéristique, c’est à dire la loi du pays
avec lequel il présente les liens les plus étroits. Dès lors, la loi applicable au cautionnement
est celle du contrat principal qu’il garantit.

28
Cass.Com 21 décembre 1987.Rev.Soc.1988, p398, note Synvet
29
JOCE n°L 266 du 9 octobre 1980,visible sur http://www.rome-convention.org/instruments/i_conv_orig_fr.htm

8
S’agissant donc des dirigeants, soit le contrat prévoit la loi qui lui est applicable, soit la loi est
déterminée par le lieu de la prestation caractéristique. Malgré tout, cela ne fixe pas la loi
applicable aux pouvoirs des dirigeants.

En effet, l’étendue des pouvoirs des dirigeants ne dépend pas de la loi applicable à l’acte.
Comme nous l’assure d’ailleurs M.Menjucq : « Le pouvoir des dirigeants de contracter au
nom de la société comme la capacité du contractant est une question tout à fait distincte du
régime de l’acte et ne saurait ressortir que de la loi propre à celui qui s’engage et non de la loi
de l’acte »30. En effet, le professeur Synvet expliquait déjà en 1988, qu’ « il n’a jamais été
admis, en droit international privé, que le pouvoir d’engager autrui soit régi par la loi
applicable au contrat lui-même ». Ainsi, il poursuit en affirmant que des arrêts anciens31
avaient décidé que c’est la loi nationale qui définit qui a qualité pour représenter une société,
qu’il s’agit donc bien de la lex societatis comme cela est affirmé désormais depuis le 21
décembre 1987. La doctrine est d’ailleurs unanime sur ce point, et approuve cette
jurisprudence, car « dans un régime de règle de conflit bilatérale, il appartient à la loi de la
société de déterminer les pouvoirs des dirigeants sociaux ». Par cette règle bilatérale donc, il
est possible de retenir à l’inverse que les dirigeants de sociétés ayant leur siège à l’étranger ne
sont pas soumis aux règles de droits des sociétés françaises32. C’est donc une solution de bon
sens qui a été réaffirmée régulièrement en jurisprudence33, et qu’il faut justifier par le
caractère variable qu’auraient les pouvoirs des dirigeants de la société s’ils étaient déterminés
par la loi du contrat choisie librement par les parties. Les pouvoirs des dirigeants doivent
toujours être les mêmes quelle que soit la loi applicable au contrat, et quelle que soit la partie
cocontractante.

Partant, l’intrusion de la lex societatis devient perturbatrice pour le créancier, qui a contracté
avec le dirigeant d’une société étrangère, surtout dans la mesure ou il n’y a pas d’identité
entre la loi applicable à l’acte et la loi applicable au dirigeant.

30
Cass.Civ.1ere. 8 decembre 1998.note M.Menjucq. RCDIP, 88 avril-juin 99. p284.
31
Douai,27 avril 1897, DP 1899.2.195, Clunet 1898. 146. ; Paris, 6 juin 1912, Rev.Soc.1913. 1. 260. ;Paris, 26
mars 1966. RCDIP 1968.58, note Loussouarn.
32
Cass.Com. 9 mars 1993. Rev.Soc 1993, p 584.
33
Affaire Europe n°1. Cass. com. 8 novembre 1988. JCP 1989.II.21230. Barbieri ; RCDIP avril-juin 1989 p
370 ; Affaire Sppp c. Interpart, Cass. Com, 9 avril 1991, Bull. Joly 1991, p 589. §208, note Laurent Faugérolas.
Cass. Com 9 mars 1993, Bull civ IV, n°94, p64; Cass. Civ. 8 décembre 1998, RCDIP, avril-juin 1999, p284.note
M.Menjucq, Rev. Soc 1999 , p93, note Y.Guyon. ;

9
Si le principe de la compétence de la lex societatis ne souffre pas de points de divergences
entres les auteurs34, le professeur M.Menjucq a su constater que ces mêmes auteurs ont été
sensibles à la situation du cocontractant de la société qui pourrait naturellement être surpris
par « l’intrusion d’une loi étrangère dans leur rapport juridique »35. En effet, H.Synvet
constate que 36« la coexistence en droit comparé de deux conceptions des pouvoirs des
organes sociaux » pose problème. Il rajoute alors qu’ « en France, mais également dans toute
la communauté européenne (…), les dirigeants de sociétés commerciales sont investis d’un
véritable pouvoir légal. Les limites posées par les statuts à leur liberté d’action sont
inopposables aux tiers ». Depuis 1966 en effet, malgré le fait que le dirigeant social se soit
vu reconnaître des pouvoirs très étendus, ils peuvent être restreints par les statuts37 sans que
cela soit opposable aux tiers, or cette opposabilité aux tiers des clauses limitatives des statuts
est appréciée au regard de la loi de la société38.

Insidieusement, l’effet direct de l’application de la lex societatis est d’ « exporter la


conception du système d’origine de la société dans chaque pays ou elle entretient un
commerce juridique ». Or cela pose nécessairement un problème lorsque la société vient à
conclure des actes dans des pays qui n’ont pas intégré dans leur législation la notion de
pouvoir légal39, et inversement, sachant que le principe d’inopposabilité aux tiers n’est pas
d’ordre public international.

Il y aurait alors deux effets pervers dans l’application de la lex societatis :


D’abord, Les sociétés étrangères seraient admises en France à invoquer leurs statuts pour se
soustraire à un engagement souscrit par l’un de ses dirigeants40 pour défaut de pouvoirs.
Ensuite, et à supposer que le droit des sociétés de l’état du siège social se range à la doctrine
du pouvoir légal, les restrictions apportées par la loi aux pouvoirs des dirigeants restent
opposables aux tiers.

34
Toujours sur l’arrêt du 21 décembre 1987 : RCDIP, 1989, p 344, note M.-N. Jobard- Bachelier.
35
M.Menjucq, Droit international et européen des sociétés. Domat droit privé. Ed.Montchrestien.p101, n°80.
36
Cass.Com 21 décembre 1987.Rev.Soc.1988, p398, note Synvet
37
V. M.Cozian,A.Viandier,F.Deboissy. Droit des Sociétés 15ème édition, litec, n°356, p164.
38
CA Paris, 26 mars 1966 : JDI 1966, p. 841, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP 1968, p. 58, note Y. Loussouarn
39
Notamment dans les pays de common law, dans lesquels la société n’est pas engagée par les actes accomplis
ultra vires par ses dirigeants.
40
Contrairement à l’esprit de la loi de 1966 qui entend garantir aux tiers une certaine sécurité juridique des
tiers.

10
La doctrine a donc essayé de trouver des remèdes à cette situation non dénuée de risques pour
la sécurité des tiers.

2. Des tentatives doctrinales de remèdes

L’intrusion d’une loi que l’on croit étrangère à sa relation contractuelle est une source
évidente d’insécurité et « il est nécessaire de chercher des solutions pour ne pas abandonner
sans recours les tiers aux sanctions attachées par la loi étrangère compétente à un excès de
pouvoir des dirigeants sociaux »41. C’est à Loussouarn et Bredin qu’appartiennent semble t’il
les premières volontés de traiter le mal à sa racine, en voulant limiter le domaine de la lex
societatis. En effet H.Synvet explique42 que l’idée avait été avancée de retenir les dispositions
de la loi de 1966 sur les pouvoirs des dirigeants comme ayant un caractère d’ordre public
international.
D’autres auteurs, tels Grasmann en Allemagne ont tenté de distinguer les règles selon que le
dirigeant agit dans les relations internes, ou dans des relations externes. Ce n’est pas la voie
dans laquelle s’est engagée la Cour de cassation. Les décisions de la haute cour sont fermes
et générales, avec un effet bilatéral : « L’appréciation des pouvoirs des dirigeants d’une
société relève de la loi nationale de cette société ». La plus Haute juridiction française semble
attachée à cette règle et n’a pas pris parti pour les correctifs envisagés par les auteurs.

Les auteurs ont d’abord pensé à la théorie du mandat apparent. C’est avant 1966 dans une
décision de la Cour de cassation que l’on trouve le recours à la notion de mandat apparent
pour déclarer qu’une société était tenue par les actes du dirigeant qui avait agit en dehors de
ses pouvoirs conventionnels43. Bien que cette jurisprudence ait perdu de sa consistance avec
la reforme des sociétés commerciales, elle paraît être d’un utile recours tout de même à ceux
qui ont contracté de bonne foi avec des dirigeants agissant au-delà des pouvoirs qui leurs sont
conférés. Pourtant, pour le professeur Y.Guyon, il n’est pas certain que le tiers peut être
victime d’une croyance légitime qui le dispenserait de vérifier les pouvoirs du « pseudo-
41
Cass.Com 21 décembre 1987.Rev.Soc.1988, p398, note Synvet.
42
Cass.Com 21 décembre 1987.Rev.Soc.1988, p398, note Synvet.
43
Cass.ass.plen. civ. 13 décembre 1962, D.1963.277, note J.Calais-Auloy. : « Un président-directeur général
avait souscrit au nom de la société anonyme qu’il dirigeait un cautionnement, acte qui paraissait entrer dans ses
pouvoirs. Le bénéficiaire de cautionnement, trompé par l’apparence des pouvoirs se croyait de bonne foi devenu
créancier du mandant.(…) Sur le fondement de cette erreur légitime, la Cour de cassation admet que le mandant
soit engagé par l’acte excessif de son mandataire, et apporte une dérogation remarquable à l’art.1998, al 2,
Cciv ».

11
représentant légal »44. En tout cas, il estime que la théorie du mandat apparent ne devrait être
admise que si le tiers a pris toutes les dispositions nécessaires et conformes aux usages de sa
profession.

Ensuite, pour tempérer la rigueur provoquée par l’application de la lex societatis, les auteurs
ont proposé d’avoir recours à la responsabilité civile, pour sanctionner la mauvaise foi. Pour
H.Synvet par exemple, « il appartient à chaque partie de faire en sorte que soient observées
les procédures auxquelles son propre droit subordonne la régularité des engagements
négociés ». Ainsi, celui qui tente d’invoquer après coup un défaut de vigilance à cet égard
pour échapper à ses obligations serait coupable de mauvaise foi. Pour Y.Guyon, la question
doit se poser sous une autre forme, et il se demande si « une société ne commet-elle pas une
faute en laissant son partenaire conclure, en toute confiance, un engagement dont elle connaît
la nullité ? ». Mais il y répond aussitôt en affirmant que chacun doit veiller sur ses propres
intérêts. Dès lors, s’il n’y a pas eu de manœuvres frauduleuses destinées à tromper le
cocontractant, celui ci n’aura aucun recours, faut d’avoir vérifié suffisamment la qualité du
dirigeant. Enfin, il rejoint le professeur H.Synvet en citant les juridictions arbitrales pour qui il
appartient à chacune des parties de faire en sorte que les formalités de validité d’une
convention soient bien observées conformément à leurs droits respectifs.

Etant donné que ces solutions avancées ne sont pas retenues en pratique, reste à conseiller aux
tiers de vérifier le contenu de la loi étrangère et de consulter les statuts.
En effet, dès 1991, L.Faugerolas45 se demande si le devoir du bénéficiaire du cautionnement
de se renseigner sur l’étendue des pouvoirs de l’administrateur, rappelé en matière interne46,
devrait s’appliquer en droit international. Mais, pour M.Menjucq et R.Libchaber il serait
difficile de chercher le contenu des différentes lois en présence. Cependant il apparaît qu’en
réalité, il n’existe aucune raison de croire que lorsque l’on contracte avec un dirigeant
étranger, il soit pourvu des mêmes pouvoirs qu’un dirigeant d’une société de droit national,
bien au contraire. Si le contrat en lui-même est bien régit par la lex societatis ou la loi
d’autonomie, reste que les cocontractants doivent suspecter une divergence entre la loi
étrangère et la loi locale47. Le réflexe du créancier local est donc de vérifier la qualité du
cocontractant étranger et la consistance de ses pouvoirs au regard de la loi étrangère. Ainsi,

44
Rev. Soc 1999 , p93, note Y.Guyon.
45
Bull. Joly 1991, p 589. §208, note Laurent Faugérolas
46
Cass.com, 6 mai 1986, Bull.Joly 1986, p849, §253.
47
D’autant plus que les cultures juridiques sont différentes, héritées de l’histoire et de la pratique.

12
s’il ne s’exécute pas, il ne pourra pas se prévaloir d’une quelconque protection, faute de s’être
renseigné. Cela revient à nécessairement à imposer au créancier une véritable obligation de se
renseigner, que la doctrine n’a pas communément admise, car cette obligation est difficile à
réaliser. Pourtant, M.Menjucq n’est pas de cet avis et parle d’une « prétendue difficulté de
vérifier la teneur des statuts de la société et de la lex societatis ». D’abord parce que le
créancier peut s’entourer de conseillers capables de lui apporter les moyens nécessaires pour
connaître la lex societatis étrangère, ensuite parce qu’il peut contraindre le mandataire social à
justifier ses pouvoirs en concluant leur contrat devant un officier ministériel48, qui devra
s’assurer préalablement de la qualité des parties, leur identité, leur capacité, et bien sur leurs
pouvoirs respectifs. Malgré tout, M.Menjucq continue en dégageant une exception
communautaire à l’obligation de se renseigner. En effet, dans un cadre strictement européen,
la difficulté de se renseigner n’existe plus, la connaissance du droit des Etats membres est
quasi certaine et de toute façon, la vérification des pouvoirs des partenaires constitue une
pratique du commerce international. D’ailleurs Y.Guyon estime qu’il existe bel et bien une
Europe des sociétés qui garantit efficacement la sécurité dans les relations juridiques49 : les
pouvoirs des organes des principales formes de sociétés, ont été harmonisés par l’article 9 de
la première directive communautaire 68-151 du 9 mars 1968. Cette directive adopte deux
garanties fondamentales pour les tiers : la société est engagée même si l’acte pris par son
représentant dépasse l’objet social ; les limitations statutaires ne sont pas opposables aux tiers.
Toutefois, le cadre communautaire ne dispense pas de toute obligation de renseignement, il
paraît en effet concevable que le cocontractant local puisse commettre une erreur légitime en
croyant que la loi d’une société qui a son siège social en Europe est la même que sa loi locale.
Ce créancier serait alors protégé par une dispense de chercher si la règle communautaire est
bien mise en œuvre par le droit de l’état du siège de la société. Cela est d’autant plus vrai que
certaines transpositions des textes européens font apparaître des différences injustifiées entre
les droits nationaux. C’est aussi pour cela, mais pas seulement, que les dirigeants sociaux
n’hésitent plus à pratiquer le « law shopping ».

48
M.Menjucq, Droit international et européen des sociétés. Domat droit privé. Ed.Montchrestien.p103, n°81.
49
Y.Guyon, Droit des affaires, t. I, 10éme éd. N°191 et 221.

13
B. La tentation du choix de la loi applicable

Les dirigeants sociaux, soucieux d’exercer leurs activités dans les meilleures conditions, et
sachant que les droits nationaux des Etats membres ne sont pas tout à fait harmonisés, sont
tentés de choisir la loi qui leur sera applicable grâce à la liberté d’établissement
communautaire ( 1 ), cependant, cette pratique récente n’est plus suffisamment encadrée par
la fraude ( 2 ).

1. Le law shopping

C’est désormais sur une trilogie jurisprudentielle de la cour de justice des communautés
européennes (CJCE) qu’il faut s’appuyer pour étudier les problèmes posés par le choix de la
loi applicable au dirigeant social.

En effet, le dirigeant de société, lorsqu’il est considéré en tant que fondateur va pouvoir
décider de la loi qui lui sera applicable. Ainsi, en déterminant librement le lieu du siège social
de la société nouvellement crée, il détermine à la fois la loi applicable à cette société, et à la
fois la loi qui sera applicable aux organes sociaux. C’est donc au nom de la liberté
d’établissement que les dirigeants sociaux pratiquent le « law shopping », également appelé
« effet Delaware50 », ou nivellement par le bas.

Les récentes décisions de la CJCE sur ce point ne concernaient pas directement la


problématique du dirigeant social, mais il est nécessaire de faire le rapprochement.

C’est d’abord en 199951 que les juges communautaires ont du se pencher sur la question de
savoir si des ressortissants danois pouvant légitimement contourner leur législation, en
constituant une société en Grande Bretagne, dont la législation permettait des apports très
faibles, puis créer une succursale au Danemark pour exercer l’activité. Sur cette question
donc, les juges de la CJCE ont déclaré que : Le fait pour un ressortissant d’un état membre
qui souhaite créer une société, de choisir de la constituer dans l’état membre dont les règles de
droit des sociétés lui paraissent les moins contraignantes et de créer des succursales dans

50
Rev.Soc Avril-Juin 1999, note G.Parléani, p.386
51
CJCE, 9 mars 1999, n° C-212/97. Centros Ltd c/ Erhvervs-og Selskabsstyrelsen. Bull.joly 1999, §157 ;
Rev.Soc Avril-Juin 1999, note G.Parléani, p.386.

14
d’autres états membres, ne sauraient en soi constituer un usage abusif du droit
d’établissement. Les juges ont estimé en effet que le droit de constituer une société en
conformité avec la législation d’un état membre et de créer des succursales dans d’autres
états membres est inhérent à l’exercice, dans un marché unique, de la liberté d’établissement
garantie par le traité. Dès lors, rien n’empêche le fondateur d’une société de choisir un siège
social ou il n’exerce aucune activité, laquelle est exercée dans un autre état membre.
La mise en concurrence des droits nationaux est donc réelle, et contourner n’est pas frauder, le
law shopping intracommunautaire par voie de succursalisation est donc permis.

Ensuite, c’est en 200252 que les juges ont à répondre de l’articulation du droit d’établissement
communautaire et des droits nationaux relatifs au rattachement juridique des sociétés, en
bilatéralisant la solution dégagée par l’arrêt précédent. Les articles 43 et 48 du traité CE
accordent la liberté d’établissement « aux sociétés constituées en conformité de la législation
d’un état membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal
établissement à l’intérieur de la communauté ». Ces articles s’opposent donc à ce qu’un état
refuse à cette société la capacité juridique en vertu du droit de son état de constitution, quand
bien même cette l’activité de cette société n’est pas exercée dans le pays du lieu de sa
constitution. La reconnaissance d’une société sur l’espace communautaire est bien affirmée
dès lors qu’elle a été valablement constituée dans un état membre et qu’elle y possède son
siège statutaire, et il y a bien un libre choix pour les fondateurs de la loi applicable à leur
société. Car c’est bien le siège statutaire qui détermine le rattachement à l’ordre juridique de
tel ou tel état membre, et peu importe la dissociation de ses sièges statutaire et réel, peu
importe de savoir dans quel état membre la société souhaite développer son activité. Si bien
que la société peut être légitimement dirigée de fait depuis un état membre différent de celui
ou elle est immatriculée53.

Enfin, en 200354, la CJCE, finalise sa jurisprudence, et franchit un pas de plus dans


l’éradication des dispositions nationales gênant le libre établissement de sociétés, s’agissant
de l’application à titre de lois de police de certaines dispositions du droit local. La cour

52
CJCE, 5 novembre 2002, Überseering BVc/ Nordic Construction Company Baumanagement GmbH (NCC) ;
Bull.joly, 2003, § 91, note M.luby ; Rev.Soc, avril-juin 2003, note J.-P.Dom, p.329 ; JCP fevrier 2003, n°9,
p.359.II 10032.note M.Menjucq.
53
Notamment à la suite d’une cession de contrôle, comme c’était le cas en l’espèce.
54
CJCE.30 septembre 2003 aff. C-167/01, Inspire Art, D.2004, n°7, p. 491. note Etienne Pataut ; Bull.joly.
2003. §272. note M.Menjucq.

15
affirme donc que l’application de ces dispositions du droit du lieu du siège réel à des sociétés
constituées dans un autre état membre mais exerçant la quasi-totalité ou la totalité de leur
activité dans l’état du siège réel, « a pour effet d’entraver l’exercice de la liberté
d’établissement ».

De cette jurisprudence, il faut retenir l’importante question du choix entre le critère du siège
statutaire, celui du siège réel, ainsi que celui de l’incorporation pour déterminer la lex
societatis. C’est donc finalement une jurisprudence qui met en concurrence non plus
seulement les droits nationaux, mais également les critères de rattachement à ces droits
nationaux :

« Pour résumer, une législation nationale ne peut ignorer la personnalité morale et la capacité
d’une société valablement incorporée dans un autre État de l’Union mais elle peut n’admettre
d’immatriculer sur son territoire que les sociétés qui y ont leur siège réel :

1. Une société valablement immatriculée dans un pays appliquant le système de


l’incorporation reste soumise à la loi nationale d’immatriculation, quel que soit le lieu de
situation de son siège réel, serait-ce dans un État n’immatriculant que les sociétés qui y ont
établi leur siège réel.

2. Une législation nationale peut exiger des sociétés qui souhaitent s’immatriculer sur son
territoire et se rattacher à son droit qu’elles y établissent leur siège réel pour que leur soient
reconnus la personnalité morale et une capacité selon ce système local. Reconnaissance qui
s’impose à tous les autres États de l’Union européenne»55.

Il n’existe plus aucun doute quant à la faculté des fondateurs de choisir la lex societatis qui
régira la constitution, le fonctionnement et la dissolution de la société. Ils peuvent librement
immatriculer une société dans un pays, et la diriger dans un autre dont on a voulu éviter les
dispositions de droit des sociétés.

C’est la lex societatis, on l’a vu, qui détermine les pouvoirs des organes sociaux serait-ce à
l’égard des tiers. La solution s’étend aux opérations réalisées sur d’autres territoires,

55
http://www.creda.ccip.fr La proposition de création d’une société fermée Européenne.
La liberté d’établissement des sociétés dans l’Union européenne
( jurisprudence récente de la Cour de justice des Communautés européennes) M. Yves CHAPUT,

16
notamment ceux du siège réel s’il est différent du pays d’incorporation. Ce qui introduit des
éléments étrangers dans un système local, donc, éléments d’insécurité, même s’il applique
l’immatriculation au lieu du siège réel56.

Mais comme le rappelle très justement le professeur M.Menjucq « C’est, en définitive, dans la
fraude aux droits des tiers par usage abusif du droit d’établissement communautaire que peut
être se trouve la seule limite à la liberté de choisir la loi applicable à la société »57.

2. L’affaiblissement de la lutte contre la fraude

Si le dirigeant social se voit accorder la possibilité de choisir la lex societatis dans le meilleur
de ses intérêts, ce n’est toutefois pas sans limites. Ainsi, comme toute liberté fondamentale, la
liberté d’établissement est encadrée par l’abus.

La fraude que l’on doit envisager ici est celle qui dépend de la conception qu’en a le droit
international privé. Dès 1878 en effet la Cour de cassation décide qu’il y avait fraude à la loi
en droit international privé lorsque les parties ont volontairement modifié le rapport de droit
dans le seul but de le soustraire à la loi normalement compétente58. Plus précisément,
s’agissant de notre étude, il s’agit de caractériser la manipulation du critère de rattachement,
conduisant à l’applicabilité d’une autre loi et justifiée par la volonté d’échapper à l’application
des dispositions de la loi évincée59. Mais, cette définition est désormais désuète et la retenir
aujourd’hui serait inapproprié et inefficace, car elle correspond ni plus ni moins à ce
qu’autorise désormais la CJCE, c’est à dire choisir la loi que l’on veut se voir appliquer en
incorporant une société dans un état membre dans lequel elle n’a pas d’activité. La CJCE a
donc vidé d’une grande partie de sa substance toute possibilité de sanction de la fraude60.
L’impossibilité de retenir l’élément légal de la fraude (l’abus de la liberté d’établissement)
condamne donc le mécanisme61.

56
M. Yves CHAPUT,op.cit
57
Bull.joly. 2003. §272. note M.Menjucq.
58
Cass.civ.18 mars 1878, Princesse de Bauffremont, B.Ancel / Y.Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence
française en droit international privé, 4ème edition,, n°6, p49.
59
V.Batiffol et Lagarde, Droit international privé, t. I., 8è éd, LGDJ, 1993, p.594.
60
CJCE.30 septembre 2003 aff. C-167/01, Inspire Art, D.2004, n°7, p. 491. note Etienne Pataut
61
D.2004, n°7, p 493. note. M.Menjucq.

17
Cependant, pour la CJCE, il ne faut pas exclure que les « autorités de l’état membre concerné
puissent prendre toute mesure de nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard
de la société elle-même, le cas échéant en coopération avec l’état membre dans laquelle elle
est constituée, soit à l’égard des associés dont il serait établi qu’ils cherchent en réalité, par le
biais de la constitution d’une société, à échapper à leurs obligations vis-à-vis de créanciers
privés ou publics établis sur le territoire de l’état membre concerné »62.

Ce n’est donc plus semble t’il la simple fraude qu’il faut encadrer mais dorénavant une fraude
paulienne dont le champ d’application est moins large et qui résulte de la seule connaissance
qu'a eu le débiteur de causer un préjudice à son créancier en se rendant insolvable ou en
augmentant son insolvabilité63. Or, protéger un créancier passe par exemple par la constitution
d’un capital social. C’est d’ailleurs ce qui revient le plus en la matière, car à la lecture de la
jurisprudence communautaire, force est de constater que les initiateurs du choix de la loi
applicable avaient pour objectif d’échapper à la constitution d’un capital élevé64. On sait en
effet que si l’Europe des sociétés existe65, en tout cas, elle n’est pas harmonisée, et de ce fait,
les dirigeants sociaux pencheront nécessairement vers l’incorporation de leur société dans un
état ou le minimum légal de capital social est très faible66. Reste à savoir si contourner sa loi
nationale des sociétés s’agissant du capital social emporte des considérations d’intérêt
général, ou non. Cela dépend peut être de chacun car par exemple l’avocat général La Pergola
n’y voit qu’un « idolum theatri »67, guère efficace en matière de protection des créanciers,
alors que le capital est traditionnellement présenté comme le gage général des créanciers. Ceci
étant, la cour n’a pas considéré dans ce cas qu’il y avait un intérêt général à protéger, elle
permet donc, sans contrainte, au dirigeant de choisir le siège social de la société en fonction
de considérations telle que celle du montant minimal du capital social.

Alors, d’autres auteurs pensent qu’en abandonnant la fraude auparavant consacrée, la CJCE
applique désormais une règle proche de l’abus de droit, tendant à sanctionner l’utilisation
abusive d’un droit subjectif reconnu par le droit communautaire. Or, l’hypothèse de cette

62
extrait du dispositif de l’arrêt Centros CJCE, 9 mars 1999, n° C-212/97.
63
V. art 1167.Cciv.
64
CJCE, 9 mars 1999, n° C-212/97. Centros Ltd c/ Erhvervs-og Selskabsstyrelsen. Bull.joly 1999, §157 ;
Rev.Soc Avril-Juin 1999, note G.Parléani, p.386.
65
Y.Guyon, Droit des affaires, t. I, 10éme éd. n°191 et 221.
66
La création de la SARL à 1 euro par la loi du 1er août 2003 va dans ce sens.
67
Rev.Soc. Avril-juin.1999. note G.parleani,,op.cit. p.397

18
fraude strictement communautaire semble peu judicieuse, confrontée à la diversité des
législations des états membres68.

Enfin, notons que les arrêts précités laissent en suspend la question de la sanction qu’il est
possible d’encourir, et ne laissent finalement que le choix de la réflexion sur ce point69
(inexistence, nullités…. ?). Il semble cependant que la direction prise par cette réflexion va
dans le sens de la possibilité pour les tiers de se prévaloir de la loi du siège réel dans la seule
hypothèse de la fraude ou de l’abus. Conformément aux articles 1837 alinéa 2 du Code Civil
et L210-3 du Code de commerce, mais contrairement aux articles 43 et 48 du traité CE et à
l’interprétation qu’en retient la CJCE, cette solution apparaît comme une solution de bon sens.

Il ne s’agit plus de lutter contre l’éviction frauduleuse de la loi du for, mais bien de
sanctionner l’utilisation abusive d’une liberté fondamentale reconnue par le droit
communautaire, en caractérisant les abus au cas par cas, et non en appliquant de manière
systématique les lois de police du siége réel.

68
D.2004, n°7, p 493. note. M.Menjucq.
69
Rev.Soc. Avril-juin.1999. note G.parleani,,op.cit. p.397 ; Bull.joly 1999, §157 .

19
oOOo

De manière générale, nous avons pu constater que le dirigeant social en droit international
privé voyait ses pouvoirs dépendre strictement de la lex societatis. Cependant, cette solution
issue d’une jurisprudence aussi constante que fournie n’est pas sans poser certaines
difficultés. Ainsi, les tiers, les créanciers, risquent d’être perturbés par l’intrusion d’une loi
étrangère dans leur relation contractuelle. C’est pour cela que la doctrine a tenté, en vain, d’y
trouver des remèdes. Pour assurer un peu plus de sécurité aux tiers sur ce point, mais surtout
pour bénéficier de certains avantages, les dirigeants de société n’hésitent plus à choisir le
siège social de leur société en fonction de loi qui y sera applicable. Les dirigeants ont en effet
bien compris qu’il n’y avait plus de fraude à la loi en choisissant une loi différente de celle ou
l’activité est réellement exercée, au nom de la liberté d’établissement, affirmé de manière
précise dans la jurisprudence communautaire.
Cependant, ces insécurités, ces incertitudes pour la réalisation des droits des tiers reste
encadrée par le droit commun. En effet, il n’existe pas de pouvoirs sans responsabilité qui s’y
attache. Il reste alors à savoir quelle loi il faut retenir pour examiner la responsabilité du
dirigeant dont les actes et les prises de risque sont grandissants au niveau international.

OooO

20
II. Les responsabilités du dirigeant social

« Enron, Worldcom, Arthur Andersen… derrière ces désastres se profilent des dirigeants à la
fois talentueux et dotés de travers redoutables. Ils possèdent plusieurs de ces traits : sentiment
de supériorité, identification à l’entreprise, intolérance pour les opposants, obsession de
l’image, sous-estimation des obstacles, répétition des mêmes recettes. Chacun de ces défauts a
son symptôme, et il convient de se montrer d’autant plus vigilant à leur égard qu’ils
constituent, à petite dose, des qualités fort appréciées dans le monde des affaires »70. Et il
convient de se montrer d’autant plus vigilant que le dirigeant de société doit agir dans l’intérêt
de celle-ci71. A défaut, il pourra être tenu responsable. Il est devenu normal de constater une
volonté croissante de moraliser les agissements des dirigeants sociaux, de les contrôler. Parce
qu’il exerce les pouvoirs les plus étendus, le dirigeant est responsable de ses actes et de ses
faits. Cette responsabilité donne lieu à une jurisprudence fournie, et les actions se sont
développées de façon exponentielle. Elle peut être engagée par les tiers, les actionnaires, la
société elle-même, sur les fondements les plus divers tant au niveau local qu’international.
Dans cet environnement lourd de conséquences les questions de droit international privé sont
toutefois classiques72, puisqu’il sera nécessaire, pour engager, ou à tout le moins examiner, la
responsabilité du dirigeant social, de déterminer la loi applicable ( A ) ainsi que le juge
compétent ( B ).

A. Conflits de loi en matière de responsabilités

Il est nécessaire ici, pour tenter d’englober toute la question, de comprendre le terme
« responsabilités » d’une manière générique, pour envisager les règles de conflits de loi
relatives à cette responsabilité d’abord dans le cas ou la société est toujours exploitée ( 1 ),
puis dans le cas ou la société n’est plus en état de continuer l’exploitation ( 2 ).

70
Sydney Finkelstein “Why Smart Executives Fail and What You Can Learn from Their Mistakes”, Porfolio, mai
2003.
71
V. M.Cozian, A.Viandier ,F.Deboissy. Droit des Sociétés 15ème édition, litec, n°361, p167
72
D.Cohen. « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit international privé ». RCDIP oct-dec
2003. p 585.

21
1. S’agissant des responsabilités encourues pendant l’exploitation

Les dirigeants sociaux exercent une fonction dangereuse, pour eux même et pour les tiers, et
qui peut affecter l’ordre public. Dès lors, la responsabilité peut être civile ou pénale,
qualifications qui emportent des solutions juridiques différentes.

a. La responsabilité civile du dirigeant

S’agissant de la responsabilité civile du dirigeant social qui exerce au niveau international,


nos propos doivent nécessairement s’appuyer sur une chronique du professeur Daniel
Cohen73, qui fait le tour de la question de manière très complète. A défaut d’autres articles de
doctrine sur la question, cette partie de notre exposé n’est qu’un cours résumé de ce que le
professeur Cohen a pu écrire sur cette intéressante question. La majorité des propos tenus ici
lui appartiennent donc et il est nécessaire de consulter ses travaux.

Comme il le déclare lui-même, « Ce problème, pourtant pierre de touche de l’organisation des


sociétés, paraît en effet assez curieusement et fréquemment passé sous silence ». Pourtant, la
question n’est pas sans soulever de difficultés.

D’abord, il convient de noter que la responsabilité du dirigeant ne connaît pas, en la matière


de règles matérielles. De la constatation de ce manque, sont nées des tentatives d’élaboration.
Au niveau communautaire par exemple avec la directive du 9 mars 196874, ou au niveau local
avec la jurisprudence française, et les arrêts Banque ottomane, et Lautour, aux fins de
déterminer s’il existait un ordre public international en la matière, mais qui n’ont pas connu
de lendemain. Il appartenait en dernier lieu à la doctrine de se pencher sur la question,
notamment à l’institut de droit international, et qui a adopté des résolutions75 sur « les
obligations des entreprises multinationales et leurs membres », qui énonce différents principes
de responsabilité, mais concernant principalement les sociétés mères, sans viser uniquement
les dirigeants.

73
D.Cohen. « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit international privé ». RCDIP oct-dec
2003. p 585.
74
http://admi.net/eur/loi/leg_euro/fr_368L0151.html
75
http://www.idi-iil.org/idiF/resolutionsF/1995_lis_04_fr.PDF

22
Il semble donc qu’il n’est pas possible d’élaborer des règles matérielles applicables à la
responsabilité du dirigeant, ce qui s’explique notamment par la diversité des règles de droit
des sociétés, dont l’harmonisation est illusoire. La réponse n’est d’ailleurs ni contenue dans
l’instauration récente de la société européenne, ni même dans le système de corporate
gouvernance. Bien que ces évolutions démontrent une tendance à la convergence des
systèmes de contrôle et de gestion des sociétés, il semble que pour le moment, il faut analyser
la question de loi applicable grâce à la règle de conflit.

De manière négative, le professeur D.Cohen expose que la loi applicable ne doit pas être la
lex contractus, inhérente au mandat que la société lui confère. D’abord parce que la société ne
constitue pas qu’un simple contrat, car elle est aussi une personne morale, et que les dirigeants
sont désormais investis d’un pouvoir légal. Il convient également d’écarter les lois du
domicile ou de la nationalité du dirigeant, la lex loci delicti, ainsi que la lex fori. . Il n’y a pas
lieu de retenir une solution différente selon le demandeur, notamment s’il s’agit de tiers, en
leur appliquant la lex loci delicti. En effet, si ces tiers entretiennent certes des relations
différentes de celle des associés ou des actionnaires ou de la société, ils ne sont pas tout à fait
étrangers à la société.

C’est donc très logiquement et en harmonie avec nos développements précédents que
s’affirme le principe selon lequel la loi applicable aux responsabilités des dirigeants est la lex
societatis. Cette solution est issue d’une doctrine affirmée et d’une jurisprudence constante,
qui à l’avantage d’offrir l’unité, la simplicité, voire même la prévisibilité des solutions.
Sans revenir sur la manière dont on détermine la lex societatis, il faut toutefois en déterminer
le domaine d’application.

Dans un premier temps, notons que la lex societatis détermine l’étendue de la responsabilité
des dirigeants sociaux et en prévoit les causes. En ce qui concerne le droit international privé
français, c’est donc à l’article L 225-51 du Code de commerce qu’il faut se référer :
infractions aux dispositions législatives ou réglementaires, violation des statuts, fautes
commises dans leur gestion. Il faudra donc appliquer la théorie de la faute détachable des
fonctions76, de la confusion des patrimoines, etc… Néanmoins, il semble qu’il faille tout de

76
“Le droit des sociétés pour 2005”, journées d’études dalloz. Dossiers. p 405. Dalloz.

23
même procéder à une distinction selon que la responsabilité encourue est délictuelle ou
contractuelle77. Ainsi, lorsque l’on est en présence d’une responsabilité contractuelle, la règle
de conflit du droit des sociétés et celle de la responsabilité contractuelle concordent et
attribuent la compétence à la lex societatis. Doctrine et jurisprudence semblent d’avis de
penser sur ce point que la loi applicable est celle du contrat. De plus, la faute de gestion de
l’administrateur apparaissant comme une inexécution ou une mauvaise exécution de son
mandat, sa responsabilité doit être soumise à la loi du mandat, c’est à dire la lex societatis. Au
contraire, lorsqu’il s’agit d’une responsabilité délictuelle, la solution est plus controversée, car
il y a opposition entre la loi de la société et la loi du lieu de commission du délit. Dans ces
conditions, il est possible d’hésiter, d’autant plus que comme le rappelle le fascicule du
jurisclasseur « la lex loci delicti est édictée pour des raisons de police et de sûreté, ce qui est
susceptible d’entraîner une sorte de compétence d’ordre public, les articles 1832 et suivants
du code civil devant s’appliquer à tous les actes délictueux ou quasi délictueux commis sur le
territoire. Ceci explique pourquoi il n’y a pratiquement pas de jurisprudence sur la question ».

Dans un second temps, notons encore que la lex societatis s’applique tout normalement afin
de définir les modalités de mise en œuvre de la responsabilité. Pour le droit français, c’est
donc en considération du demandeur à l’action, à savoir selon que cette action est une action
sociale, une action individuelle, une action ut singuli, ou ut universi. Tout le problème est
donc de savoir si l’on est en présence d’une véritable qualification de droit international privé
ou si, au contraire on est en présence d’une qualification secondaire en sous-ordre. Il
appartiendra au juge saisi de l’action de la qualifier, et de fait, il faudrait donc admettre que la
lex societatis et la lex fori coexistent. Ce sera souvent le cas, mais dans les cas ou elles sont
différentes, cela pose certaines difficultés, telles que celle de savoir quelle loi retenir entre les
deux pour qualifier l’action. Le fascicule du jurisclasseur estime qu’il s’agit d’une
qualification secondaire, car elle n’affecte que les modalités auxquelles l’action va être
soumise au droit interne. La qualification de la lex fori ne s’impose donc pas, c’est la loi de la
société qui détermine la nature de l’action. Il est donc nécessaire de pouvoir se prévaloir
d’une unité entre les règles de compétence législative, et de compétence juridictionnelle.

77
Fascicule « droit international commercial », conflits de loi en matière de sociétés 5,1997, jurisclasseur.
Fasc.564-30

24
En dernier lieu, le professeur D.Cohen pose dans ses développements que cette lex societatis
applicable à la responsabilité des dirigeants peut être « cantonnée »mais non totalement mise
à l’écart. Ainsi, s’agissant des sociétés cotées, c’est la loi de la bourse qui doit intervenir à
titre de loi de police : la jurisprudence française a en effet déclaré que la réglementation en
matière de bourse s’applique aux sociétés cotées en France quel que soit le lieu du siège social
ou de la loi qui leur est applicable. S’agissant des sociétés non cotées, il faut partir du postulat
que les décisions des dirigeants peuvent produire leurs effets dans de nombreux pays, alors
faudrait-il retenir plutôt la loi du lieu de l’activité en cause, ou la loi de l’effet de la décision ?
En l’état actuel du droit comparé, le professer D.Cohen constate que la situation paraît proche
de l’application de la lex loci delicti, en s’appuyant sur le projet de convention sur les conflits
de loi en matière de société de l’international law association en 196178, qui proposait de
distinguer entre l’application de la lex societatis pour les actions contre le dirigeant entrant
dans le cadre du droit des sociétés, l’application de la lex loci delicti pour les actions fondées
sur les autres actes illicites du dirigeant. En l’occurrence, il semble que cette solution devrait
s’appliquer du fait d’une activité fortement réglementée, telles les banques, les assurances,
l’énergie… La lex societatis s’effacerait donc au profit d’une loi qui pourrait répondre à un
impératif de proximité et de protection des intérêts locaux. Cette solution pourrait toutefois
être remise en cause du fait de la nouvelle jurisprudence de la CJCE sur la liberté
d’établissement, et de l’impossibilité qui en découle d’appliquer la loi du siège réel, sauf en
cas d’abus ou de fraude caractérisée au droit des tiers.

b. La responsabilité pénale du dirigeant

Le peu de jurisprudence connue sur le sujet avait pour objet de sanctionner les fondateurs de
sociétés qui avaient établi leur siège social pour déjouer leur loi d’origine79…or désormais, il
semble que cette jurisprudence est devenue tout à fait désuète. Mais nous retiendrons toutefois
la solution qui y était consacrée. Pour punir le fait de s’être installé à Londres par exemple,
afin de pouvoir émettre des actions non libérées du quart, la loi compétente était la loi
française, pour des faits commis à l’étranger. Il s’agissait ici de la reconnaissance d’un siège

78
RCDIP 1961,p. 440
79
T. corr. Seine, 2 juillet 1912: DP 1913, 2, p.165

25
fictif, donc de finalement reconnaître la société comme française pour lui appliquer la loi
française.

Le problème du conflit de loi en matière pénale est donc pratiquement inexistant. C’est la
conséquence exacte de la stricte territorialité du droit pénal80 : il est impossible d’appliquer
une loi étrangère à un fait délictueux accompli sur un territoire français, et inversement. Cette
règle bilatérale permet donc d’appliquer la loi française à un délit commis par une société
étrangère sur le territoire français. Pourtant ce caractère territorial des lois pénales ne permet
pas à lui seul d’assurer l’application de la loi française à une société étrangère, car on se
heurte ici au principe d’interprétation stricte des lois répressives : pour qu’une société tombe
sous le coup de la loi pénale, il faut que cette loi incrimine le fait dommageable. Certaines
infractions supposent donc la nationalité française.

C’est donc finalement vers la question de l’autolimitation par la loi pénale de son champ
d’application qu’il faut se tourner. Une norme de droit pénal est autolimitée lorsqu’elle définit
les éléments constitutifs de l’infraction de manière à exclure certains faits, en raison de leur
extranéité par exemple, de son champ d’application. Cette autolimitation peut être expresse ou
implicite81. Ainsi, sur le sujet qui nous occupe, pour le professeur M.Lagarde82, « les
dispositions pénales de cette loi (celle de 1966) sanctionnent la violation des règles posées par
le droit français des sociétés et on voit mal comment elles pourraient s’appliquer lorsque ce
droit n’est pas applicable ». Les dispositions pénales pour faire respecter les dispositions
d’une loi française doivent être françaises, quel que soit le lieu ou se sont produits les faits
reprochés, et la loi française ne doit pas s’appliquer si les infractions sont portées à l’égard
d’une loi étrangère des sociétés. Ainsi, par exemple, les incriminations d’abus de biens
sociaux83 ou de banqueroute ne peuvent être étendues à des sociétés que la loi n’a pas
prévues, telle une société de droit étranger, et pour lesquelles seule la qualification d’abus de
confiance est susceptible d’être reconnue84. Dès lors, on se retrouve dans une position

80
Art. 113-2 C. pénal.: La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la
République.
L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu
lieu sur ce territoire.
81
V. « l’autolimitation implicite des normes de droit privé matériel », Patrick Kinsch, RCDIP juillet-septembre
2003, p. 403
82
RCDIP. 1978, p. 679.
83
Sur l’ensemble de la question, V. “Le droit des sociétés pour 2005”, journées d’études dalloz. Dossiers. p 437
à 487. Dalloz
84
Cass.Crim. 3 juin 2004. RCDIP. Octobre-décembre 2004, p.755, note Patrick Kinsh. ; D 2004 n°3, actu. p
2440

26
analogue à celle de nos développements antérieurs, c’est à dire face au choix que peuvent
faire les dirigeants de sociétés pour se voir appliquer la loi qui leur paraît la plus favorable.
Tel est le cas pour l’incrimination d’abus de biens sociaux, expressément limitée à certaines
formes de sociétés énumérées85 par la loi, et qui serait implicitement limitée aux sociétés de
droit français. Toutefois, il y a lieu de nuancer quelque peu en affirmant que si l’abus de biens
sociaux n’est pas applicable à la société étrangère, ce n’est pas du seul fait qu’elle est
étrangère, mais bien parce que loi pénale française n’a pas prévu de s’appliquer aux sociétés
étrangères, tout comme par exemple elle n’a pas prévu de s’appliquer aux sociétés de
personnes. En effet, bien que la loi française puisse être applicable, il faut néanmoins que tous
les éléments constitutifs de l’infraction puissent être réunis. Or, l’application de l’abus de
biens sociaux aux sociétés étrangères dépasse le cadre de la loi, alors que celle ci est
d’interprétation stricte en matière pénale86. De plus, la substitution, à la notion de SARL ou de
SA telle que l’emploie la norme répressive française, d’une notion équivalente de droit
étranger n’est pas possible, et ce, quel que soit son degré de ressemblance. L’équivalence des
formes ne signifie pas identité et, notamment, elle ne doit pas masquer les différences de
régime qui demeurent d’un état à l’autre dans l’organisation de l’administration et de la
direction de ce type de société en raison de l’absence d’harmonisation communautaire des
structures de SARL et de SA87.

Le law shopping existe donc également en matière pénale. Cependant, cela ne place pas les
sociétés étrangères (qui peuvent avoir été crées par un fondateur français…) et leurs dirigeants
dans une totale situation d’impunité, car il est tout de même possible pour les juges du fonds
de chercher la qualification française de l’incrimination en cause. Ce fut le cas dans l’espèce
précitée. En effet, dans la décision, les juges de la haute cour, conscients des possibilités de
montage, estiment qu’à défaut de pouvoir retenir l’abus de biens sociaux, c’est l’abus de
confiance88 qui paraît pouvoir être sanctionné, incrimination plus générale, qui s’applique
quelle que soit la forme de la société. Or, on sait qu’entre les deux infractions la marge est
faible, sachant que l’abus de confiance tend aujourd’hui à englober la plupart des cas d’abus
de biens sociaux89.

85
les SA et SARL, Art. L. 241-3, L. 242-6, L. 242-30, L. 243-1, L. 244-1 du C. Com.
86
Art. 111-4 du C. Pénal
87
Cass. Crim. 3 juin 2004. Bull. Joly. n°11, novembre 2004, §273,note M.Menjucq. ;JCP G, 2OO4, II, n° 10151,
p.1752, note M. Raimon.
88
Art. 314-1 C. Pénal.
89
L.Godon, « Abus de confiance et abus de biens sociaux », Rev.Soc. 1997, 289.

27
2. S’agissant des responsabilités encourues lors de l’ouverture d’une
procédure collective

Parce que le dirigeant social est l’animateur, le porte-parole, ou le fondateur, de la société qui
exerce une activité internationale, il est nécessairement affecté par le risque de l’ouverture
d’une procédure collective, ou devrait-on dire dans un cadre international, par le risque de
l’ouverture d’une faillite internationale. Comme en droit interne, la société en difficulté et son
dirigeant peuvent tous deux faire l’objet d’une procédure, distincte ou non.

Une faillite est considérée comme internationale dès lors qu’elle comporte des éléments
d’extranéité : il y a faillite internationale quand le débiteur possède des actifs dans plusieurs
états ou qu’il a des créanciers installés à l’étranger. Cependant, ce terme de
« faillite internationale » est trompeur car les procédures demeurent internes : face à une
entreprise débitrice, il ne paraît pas envisageable d’ouvrir une procédure qui pourrait couvrir
toute la situation du débiteur, que les passifs ou les actifs soient situés sur le territoire national
ou à l’étranger90. Toutefois, notons que la faillite internationale est soumise à une division de
théories pour connaître le tribunal compétent : on pourra soit appliquer la théorie de l’unité et
de l’universalité de la faillite, soit appliquer la théorie de la pluralité de la faillite. Sur ce point
il existe encore quelques fluctuation en droit français, la jurisprudence penchant parfois pour
l’une parfois pour l’autre, en retenant essentiellement dans chaque espèce l’intérêt des
créanciers.

De manière tout à fait naturelle en droit international, il faut distinguer les questions soulevées
par la détermination du tribunal compétent de celles soulevées par la détermination de la loi
applicable, dans le but de cerner le régime des faillites internationales et de leurs effets sur les
dirigeants.

Ainsi, pour connaître la situation du dirigeant social en cas de faillite internationale, il faut
d’abord cerner les différents chefs de compétence des tribunaux. D’abord, retenons, que
l’article 1 alinéa du décret du 27 décembre 198591 dispose que « le tribunal territorialement

90
François Melin, « La faillite internationale ». Systèmes droit. LGDJ.
91
N°85-1388, relatif au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises.

28
compétent pour connaître de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est
celui dans le ressort duquel le débiteur a le siège de son entreprise ou, à défaut de siège en
territoire français, le centre principal de ses intérêts en France ». Les tribunaux français ne se
reconnaissent pas uniquement compétents pour statuer sur des affaires concernant des sociétés
ayant leur siège en France, mais sont également compétentes lorsque la société a en France un
établissement secondaire. Cette compétence peut être également fondée sur les articles 14 et
15 du code civil, qui posent un privilège de juridiction fondé sur la nationalité française de
l’une des parties. Dès lors que le défendeur est français, les tribunaux français sont
compétents. De plus, il est nécessaire de noter encore que les juridictions françaises peuvent
être compétentes lorsque la société en question exerce son activité en France. Cependant, ces
règles sont strictement applicables à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la
seule société débitrice, or on le sait bien, le dirigeant peut également faire l’objet d’une
extension de procédure, de sanctions liées directement à l’ouverture de la procédure collective
de la société qu’il dirige. De ce fait, il est nécessaire qu’il existe également en droit
international privé des règles de compétences dites « dérivées », afin de pouvoir sanctionner
les dirigeant fautifs.

En effet, le dirigeant est susceptible d’encourir, en droit interne, deux sanctions civiles issues
d’une procédure collective. Ces sanctions, exclusives l’une de l’autre92, sont prévues aux
nouveaux articles L.651-2 et L.652-193 du code de commerce. Il s’agit de l’action en
comblement de l’insuffisance d’actif, et de la procédure de redressement ou de liquidation
personnelle. Ces dispositions ont vocation à s’appliquer à la fois en matière interne et en
matière internationale. Par exemple, un ancien dirigeant, résidant en Côte d'Ivoire, qui ne s'est
pas acquitté d'une condamnation à combler le passif social, peut être mis personnellement en
redressement judiciaire par un tribunal français, sans qu'il y ait lieu de considérer si l'intéressé
a ou non un centre d'intérêts en France94. Dans la même lignée, un arrêt plus récent95 de la
Cour de cassation déclare que l’action en comblement de l’insuffisance d’actif « est
indissociable de la procédure collective de la personne morale dès lors que la part du passif
social mis à la charge du dirigeant trouve son origine dans les agissements incriminés et

92
Art. L.652-2 du code de commerce.
93
Ex-Art. L.624-3, L.624-4 et L.624-5 du code de commerce.
94
Cass. com., 14 mars 2000 : Bull. Joly. 2000, p. 600, § 132, note M. Menjucq ; RTD com. 2000, p. 468, obs. J.-
L. Vallens
95
cass.com 5 mai 2004 : D.2004, p. 1796, note J.-L. Vallens

29
qu’elle relève de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure collective, même à
l’égard du dirigeant de nationalité étrangère et dont le domicile est à l’étranger ».

Ainsi, les sanctions applicables aux dirigeants énoncées par les anciens articles L. 624-3 et
suivants du Code de commerce s'appliquent si la loi française est compétente pour la faillite
de la société, alors même que la personne morale et ses dirigeants seraient établis à
l'étranger96. Mais malgré cette clarté apparente, certains auteurs soulignent avec force les
difficultés de la matière. Notamment, M. Raimon97, estime que l’application des droits
nationaux à des sociétés étrangères et à leurs dirigeants soulèvent de nombreuses questions :
comment apprécier l’éventuel manquement d’un dirigeant à une obligation de demander
l’ouverture d’une procédure collective, en présence d’un siége social, d’un centre des intérêts
principaux et des établissements situés dans des pays connaissant des règles différentes ? Un
tiers pourra t-il être considéré comme dirigeant de fait pour les besoins d’une loi pénale ou de
la faillite, alors même que la loi étrangère de la société exclut qu’un tiers aux organes de
direction puisse être qualifié de dirigeant de fait ? Quelles sanctions encourt le dirigeant qui
accomplit avant l’ouverture de la procédure, certains actes, légitimes au regard de la loi de la
société mais critiquables au regard de la loi de la faillite ouverte dans un autre pays où se
trouverait le centre de ses intérêts principaux ?…
En fait, les questions qui se posent en la matière sont plutôt liées à des soucis de
détermination du juge compétent.

B. La détermination du juge compétent

Pour engager la responsabilité du dirigeant social, encore faut-il saisir le tribunal qui aura
compétence pour statuer sur la question. C’est tout le problème posé par les conflits de
juridiction en la matière ( 1 ), dont les incertitudes amènent plus généralement les dirigeants à
choisir le juge qui pourrait prendre une décision à leur encontre ( 2 ). Sur ce point, notons

96
CA Douai, 1er déc. 1955 : D. 1956, jurispr. p. 498, note Y. Loussouarn. – CA Paris, 31 oct. 1957 : RTD com.
1958, p. 452, obs. Y. Loussouarn
97
JCP G, 2OO4, II, n° 10151, p.1752, note M. Raimon.

30
encore une fois qu’il serait déplacé de ne pas tenir compte des propos tenus par le professeur
D.Cohen98.

1. Les conflits de juridiction

Le dirigeant social, au fil de son activité internationale, créé un tissu étoffé de relations,
composé de créanciers, de tiers, d’associés, de contractants, qui tous peuvent être demandeurs
à une action engagée contre lui. C’est à eux qu’il appartient de déterminer le tribunal
compétent, et ils s’apercevront très vite que les chefs de compétence sont multiples.

Il faut d’abord tenir compte du principe général « Actor sequitur forum rei » selon lequel le
tribunal du lieu du domicile du défendeur doit être reconnu comme compétent. Ce principe est
quasi universel en la matière. Cependant, il n’est pas sans poser de difficultés en ce qui
concerne les dirigeants. En effet, si le domicile des dirigeants est normalement facile à
déterminer99, reste que ce principe est très général, et que cela pose des soucis parce que la
règle est donc naturellement variable, et peu reliée aux fonctions sociales. Elle peut aussi être
multiple puisqu’il peut y avoir plusieurs dirigeants dans une même société. Il parait préférable
de retenir la reconnaissance de la compétence du tribunal du siège social de la société dont le
dirigeant est visé. Il y aurait alors un véritable parallélisme avec la loi applicable à la société
et aux pouvoirs des dirigeants, en toute logique juridique. Il s’agirait donc d’une situation
claire qui permettrait d’offrir au juge compétent, aux pouvoirs du dirigeant, et à la société en
général, la même loi, celle du siége social, « élément significatif, stable et unique ».

Une autre règle a été dégagée par la jurisprudence française, par extension du premier chef de
compétence, en admettant la compétence du tribunal du lieu de l’exercice par la société de
l’activité en cause. Cette théorie, dite des « gares principales »100 permet d’agir contre une
société au lieu de l’un de ses établissements, en appliquant le principe de proximité. Si cette
solution emporte les mêmes effets positifs que la précédente, à savoir la coïncidence entre
compétence législative et juridictionnelle, ses inconvénients ne doivent pas être négligés en

98
D.Cohen. « La responsabilité civile des dirigeants sociaux en droit international privé ». RCDIP oct-dec
2003. p 610.
99
Grâce à l’inscription au RCS en france.
100
Cass. 1re civ., 18 juin 1958 : Rev. crit. DIP 1958, p. 754, note Mezger. – V. aussi, Cass. 1re civ., 12 nov.
1957 : Bull. civ. I, n° 427

31
tout cas pour les dirigeants qui exercent une activité fortement internationale. Il y a en effet le
risque de se voir poursuivi dans n’importe quel pays ou il exerce.

Le professeur D.Cohen retient également comme possibilité à ne pas négliger de pouvoir


retenir la compétence d’un tribunal sur le fondement des articles 14 et 15 du Code civil, qui
instaurent un privilège de juridiction fondé sur la nationalité du défendeur ou du demandeur.
Par ailleurs, il faut tenir compte de l’existence de conventions internationales telles la
convention de Bruxelles101 ou la convention de Lugano102. Il faut ainsi se demander si ces
conventions emportent des exceptions au droit commun. Le règlement remplaçant la
convention de Bruxelles prévoit par exemple une compétence exclusive des tribunaux du
siège social pour les litiges relatifs à la validité, la nullité, la dissolution de la société, les
contestations relatives aux organes sociaux. Les dirigeants sont donc indirectement visés,
s’agissant de la conduite des affaires sociales et la solution retenue ici confirme le droit
commun. Cependant, ce même règlement103 donne également compétence au tribunal du lieu
où l’obligation contractuelle qui sert de base à l’action a été ou doit être exécutée, ainsi qu’au
tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit. Pourtant, l’auteur rappelle que toutes
ces règles alternatives ne devraient pas jouer en présence d’une action d’un associé, un
actionnaire (aux domiciles et aux nationalités diverses), ou la société elle-même, contre le
dirigeant dont la responsabilité engagée ici ne relève ni du domaine contractuel104 ni d’un fait
dommageable. Il y aurait alors la mise en œuvre d’une responsabilité dite « de troisième
type », une responsabilité légale. En tout cas, si c’est un tiers qui engage l’action, les règles
alternatives de compétences pourraient jouer, soit à partir de la recherche d’un fait délictuel,
soit à partir d’un contrat avec la société, entraînant donc une tentative de mise en cause de la
responsabilité du dirigeant au-delà de la personne morale.

Il faut se rendre compte que cette pluralité de chefs de compétence n’est pas sans risques,
même si elle est un gage de souplesse et de facilité des poursuites.

D’abord, cela crée indéniablement une possibilité de forum shopping. La mise en concurrence
des droits nationaux est rude. Le dirigeant qui avait le choix sans frontières de la loi
applicable à ses pouvoirs va aussi récolter le revers de la médaille puisque le demandeur

101
du 27 septembre 1968, remplacée par le règlement CE n°44/2002 du 21 décembre 2000
102
du 16 septembre 1988. http://www.legifrance.gouv.fr/html/traitesinternationaux/liste_traites.htm
103
en ses articles 5-1° et 5-3°
104
il n’existe pas de contrat entre le dirigeant et la société

32
pourra lui aussi choisir ses armes, en désignant le juge le plus prompt à condamner ou le plus
sévère. Ces chefs multiples de compétence sont une source d’insécurité juridique pour le
dirigeant et pourraient même se doubler d’un law shopping inversé, le juge étant tenté
d’appliquer sa propre loi, en permettant par exemple à des demandeurs d’exercer des class
actions contre un dirigeant français ou européen alors que son droit ne connaît pas (pas
encore ?)105 106 cette action.

Ensuite, il faut noter que cette pluralité de chefs de compétence peut aussi aboutir sur un
risque de conflit de procédures, compte tenu de la grande diversité des demandeurs potentiels.
La difficulté se pose notamment si deux actions sont intentées devant deux juges de for
différent sur le fondement de deux lois distinctes, ou quand à partir d’une même loi applicable
l’action est intentée devant deux juges différents par des demandeurs distincts. Doit-on
pouvoir consacrer l’existence d’une litispendance internationale, faut-il laisser les litiges
indépendants ?
Le règlement de ces conflits de procédure est tout à fait complexe, et met les dirigeant face
aux risques importants d’être jugés partout dans le monde, sur le fondement des lois les plus
diverses. Il est donc tout naturel que les dirigeants cherchent à échapper à ces difficultés en
déterminant eux même la manière dont ils seront jugés, et par qui.

2. L’évitement des conflits de juridiction

Pour échapper ou à tout le moins pour désigner le juge que l’on souhaite être compétent, il
suffit soit d’élaborer des clauses attributives de compétences, soit d’avoir recours à la
technique de l’arbitrage, mode habituel de règlement des litiges dans le commerce
international.

La gestion du risque est devenue un maître mot dans une matière ou les enjeux sont
importants. Alors, en désignant le juge compétent pour agir, le dirigeant voit le risque d’être

105
Revue Contrats Concurrence Consommation n° 2, février 2006, Alerte 6. Pas de position tranchée pour le
groupe de travail sur l'introduction d'une class action en droit français ; La Semaine Juridique Edition
Générale n° 10, 8 Mars 2006, act. 108. Le CNB se prononce sur les modalités d'une class action à la
Française.
106
http://www.justice.gouv.fr/publicat/rapport/rappactiondegroupe.pdf

33
poursuivi devant toutes les juridictions possibles s’amoindrir. L’objet de la clause est de
modifier les règles légales de compétence des tribunaux, d’éviter un conflit de
juridiction « aux allures incertaines ». Techniquement, l’évitement des conflits de juridictions
ne serait possible que lorsque le dirigeant est poursuivi pour des actes qu’il a pu conclure, et
non pour des faits dommageables, civilement ou pénalement punissables. C’est donc en
incluant la clause dans les contrats que le dirigeant gagne en sécurité juridique. Mais, il faut
noter que pour accentuer cette sécurité, la clause peut être rédigée directement dans les
statuts107, afin de pouvoir la faire jouer le plus souvent possible, c’est à dire face à la société,
aux associés, aux actionnaires, aux tiers. Cette clause est subordonnée à des conditions de
fond et de forme108, et s’agissant d’une clause d’élection de for, il faut noter en plus que pour
être valable, le litige doit être international, que la clause ne fasse pas échec à la compétence
d’une juridiction française, qu’elle soit spécifiée de façon apparente109. Dans le cadre de la
CEE, l'article 17 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, révisée par le
Protocole de 1978, énonce une disposition matérielle en reconnaissant la validité des clauses
d'élection de for conclues "soit par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit dans
le commerce international, en une forme admise par les usages dans ce domaine et que les
parties connaissent ou sont censées connaître"110.

La clause d’arbitrage111 possède le même avantage que la clause précédente, à savoir,


l’évitement d’un conflit de juridiction aux contours incertains, auquel il faut rajouter la
possibilité d’amiable composition, la confidentialité, la rapidité, etc… S’agissant de sa
validité, le caractère commercial est moins important aujourd’hui car la France a levé – le 24
novembre 1989 – la réserve dite de commercialité qu'elle avait effectuée lorsqu'elle avait
ratifié la Convention de New York du 10 juin 1958 : désormais, la Convention sera applicable
même aux sentences concernant des différends considérés comme non commerciaux au
regard de la loi française. L'élément le plus important, c'est son caractère International.
Comme l'a jugé à plusieurs reprises la cour d'appel de Paris : « Le caractère interne ou

107
sur la valeur et la portée d'une clause figurant dans les statuts d'une société : CJCE, 10 mars 1992, Powell
Dufryn plc : Rev. crit. DIP 1992, p. 528, note H. Gaudemet-Tallon
108
Article 48 du Nouveau Code de procédure civile.
109
Pour un exemple d'invalidation d'une clause écrite en petits caractères, "illisibles à l'oeil nu" , et dans une
langue inconnue de l'acheteur, différente de celle utilisée pour le reste du contrat : CA Grenoble, 23 oct. 1996,
Soc. Teso Ten Elsen : Rev. crit. DIP 1997, p. 756, note A. Sinay-Cytermann .
110
G. A.-L. Droz, Entrée en vigueur de la Convention de Bruxelles révisée sur la compétence judiciaire et
l'exécution des jugements : Rev. crit. DIP 1987, 1 s.
111
L’arbitrage est l'institution par laquelle un tiers règle le différend qui oppose deux ou plusieurs parties, en
exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci.

34
international de l'arbitrage ne dépend pas du droit applicable, au fond ou quant à la procédure,
ni de la volonté des parties, mais de la nature de l'opération économique qui est à l'origine du
litige, au sens de l'article 1492 du Nouveau Code de procédure civile, aux termes duquel est
international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international »112. Cette
clause peut être insérée dans les actes extra-statutaires ainsi que dans les statuts, elle est tout à
fait valide au regard du droit français, même en matière internationale, et il n’appartient pas à
la juridiction étatique de statuer sur cette validité113.
D’ailleurs, l’arbitrabilité de ce type de litige est aujourd’hui largement reconnue, compte tenu
de la forte évolution des pouvoirs des arbitres, notamment en matière de société.

Ces deux clauses suivent le même régime, suivant que l’action en responsabilité est engagée
par des associés, actionnaires ou la société, ou qu’elle est engagée par des tiers à la société.
Dans la première situation, retenons que l’effet obligatoire de la clause s’impose, sauf si elle
est invalidée : associés, actionnaires et société sont liés par le pacte social contenant cette
clause. De plus, il faut prendre en compte également le fait que la clause pourrait être remise
en cause par le juge. D’abord parce qu’il appartient à la loi du for saisi d’en examiner la
validité, ensuite parce qu’il existe différents fondements pour en invoquer l’invalidité : ordre
public international, compétence exclusive de la juridiction locale… Dans la seconde
situation, les clauses statutaires de règlement des conflits n’ont pas d’effet obligatoire à
l’égard des tiers qui engagent l’action, conformément au principe de droit civil de l’effet
relatif des conventions114. Les tiers pourront alors agir contre les dirigeants sociaux auprès de
la juridiction qu’ils estiment compétente.

OooO

112
CA Paris, 1re ch. suppl., 24 avr. 1992 : Rev. arb. 1992, p. 598, note Ch. Jarrosson
113
Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, Zanzi c/ de Coninck, D. 1999, act. jurispr. p. 474 ; D. 1999, inf. rap. p. 31 ;
RJDA 3/1999, n° 360
114
Art. 1165 du Code civil

35
36
PLAN

Propos introductifs……………………………………………………………………….…..p2

I. Les pouvoirs du dirigeant social……………………………………..p6

A. L’effet perturbateur de la règle de conflit………………………………….....p6

1. Une insécurité contractuelle………………………………………...p6

2. Des tentatives doctrinales de remède…………………………….…p8

B. La tentation du choix de la loi applicable………………………………...…p10

1. Le law shopping……………………………………….................. p10

2. L’affaiblissement de la lutte contre la fraude……………….…..…p12

II. Les responsabilités du dirigeant social……………………………...p15

A. Conflits de loi en matière de responsabilité……………………………...….p15

37
1. S’agissant des responsabilités encourues pendant l’exploitation….p15

2. S’agissant des responsabilités encourues lors de l’ouverture d’une


procédure collective……………………………………………….p19

B. Détermination du juge compétent………………………………………...…p21

1. Les conflits de juridiction………………………………………....p21

2. L’évitement des conflits de juridiction……………………………p23

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