Sunteți pe pagina 1din 10

Le

moment de conclure

Je me propose d’aborder avec vous le moment de conclure, orienté par ce
que Lacan avance dans le séminaire sur le moi concernant cette instance du
temps logique, à savoir qu’elle est « [...] le moment symbolique du langage [...] »1.
Donc, veuillez retenir cette formule dans vos esprits et me suivre par le chemin
que je prétends ouvrir.

Le moment de conclure est introduit par Lacan dans l’article du temps
logique en tant que troisième moment de l’évidence. Afin de ne pas perdre de vue
son contexte, reprenons la suite de moments de l’évidence que Lacan formule.
« 1° À être en face de deux noirs, on sait qu’on est un blanc. »2
Ce premier moment de l’évidence nous délivre la première instance du
temps logique, soit l’instant du regard, ultérieurement rebaptisé par Lacan
comme instant de voir. Plus précisément, l’instant de voir constitue le temps où le
sujet noétique (soit C dans la situation I3) voit que les deux autres prisonniers
sont des noirs et apprend par là qu’il est blanc (car il ne peut pas être un
troisième noir). C’est pourquoi l’instant de voir est assimilable à la prémisse
(Lacan dira protase) « À être en face de deux noirs... ». À son tour, la conclusion
(Lacan dira apodose) « ...on sait qu’on est un blanc » constitue le moment où le
sujet noétique conclut qu’il est blanc au moyen de l’acte de sortir.
Je vous fais remarquer aussi que l’instant de voir et le moment où le sujet
noétique conclut correspondent aux temps I-0 et I-1 du tableau. Notez aussi qu’il
s’agit ici d’une conclusion logique au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire une
conclusion dont la valeur dépend entièrement de la valeur de vérité de la
prémisse. Pour la distinguer d’un autre type de conclusion auquel on aura affaire
plus tard, je vais l’appeler conclusion objective.


1 Jacques Lacan, Le séminaire. Livre II. Le moi dans la technique de Freud et dans la théorie

psychanalytique. 1954-1955, Paris : Seuil, 1978, p. 335


2 Jacques Lacan, « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau

sophisme » (1945 ; remanié en 1966) in Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 204 (Version
Poche : p. 202)
3 Voir le tableau en annexe.

1
Par ailleurs, vous pourriez vous demander pourquoi l’on se donne tant de
peine à élaborer ce premier moment de l’évidence alors que chacun des
prisonniers voit que les deux autres sont des blancs et sait donc qu’aucun ne se
trouve dans la position heureuse de voir deux noirs (petite explication en
première personne : « Moi-même, je ne vois pas deux noirs mais deux blancs. Si
je suis blanc, chacun des autres voit deux blancs. Si je suis noir, chacun des autres
voit un noir (moi-même) et un blanc. Conclusion : personne ne voit deux
noirs. »). Le fait est que, pour résoudre l’énigme, les prisonniers doivent compter
l’instant de voir et le moment où conclurait le sujet noétique, bien que l’existence
de ce sujet soit hypothétique, puisque cet instant et ce moment vont constituer
pour eux les temps 0 et 1 de leur développement logique.
Passons au moment de l’évidence suivant :
« 2° Si j’étais un noir, les deux blancs que je vois ne tarderaient pas à se
reconnaître pour être des blancs. »4
Au moyen de cette hypothèse, chacun des prisonniers tente d’objectiver le
temps pour comprendre du sujet réciproque que constituent pour lui chacun des
deux autres. En effet, si A était un noir (situation II) B et C se trouveraient dans la
position réciproque suivante : chacun (B dans l’occurrence) verrait un noir (A) et
un blanc (C), et penserait : « si j’étais un noir moi aussi (situation I), le blanc (C)
devrait sortir immédiatement convaincu d’être un blanc ». Comme on le voit, au
moyen de la supposition d’être un second noir (n’oubliez pas que dans la
situation hypothétique où nous sommes A est un noir), chacun des sujets
réciproques opère une réduction mentale qui ramène l’autre à la situation I, soit
à la position heureuse du sujet noétique qui peut conclure immédiatement et
objectivement sur sa couleur. Chacun tire ainsi de la situation I le fait que, s’il
était un noir lui-aussi, il suffirait à l’autre un instant de voir (I-0) pour conclure
immédiatement qu’il est un blanc (I-1).
Mais, bien entendu, personne ne voyant deux noirs, ce temps 1 qui vient
immédiatement après l’instant de voir constitue plutôt le temps où les sujets
réciproques (B et C dans la situation II) peuvent déduire de leur immobilité
mutuelle qu’ils sont tous deux des blancs. Il s’agit donc du temps II-1 du tableau,
soit « [...] pour chacun des deux blancs le temps pour comprendre, dans la

4 Ibid., p. 205 (VP : 203)

2
situation de voir un blanc et un noir, qu’il tient dans l’inertie de son semblable la
clef de son propre problème »5.
Ainsi, si A était noir, les sujets réciproques B et C ne sortiraient pas
immédiatement après l’instant de voir (II-0). Non, ils prendraient un temps (II-1)
pour comprendre leur immobilité, après quoi ils sortiraient ensemble en
concluant qu’ils sont des blancs (II-2). C’est là la logique temporelle qu’enferme
la formule de ce moment de l’évidence : « Si j’étais noir, se dit A, les deux blancs
que je vois ne tarderaient pas à se reconnaître pour être des blancs ». Autrement
dit, ils ne se reconnaîtront pas tout de suite, mais cela ne leur prendra pas
longtemps non plus. Donc, au moyen de l’idée que, s’il était noir, les autres ne
tarderaient pas à se reconnaître, chacun des prisonniers tente d’objectiver le
temps pour comprendre du sujet réciproque qu’est pour lui chacun des deux
autres.
Vers la fin de l’article du temps logique, Lacan va avancer un propos
concernant le temps pour comprendre qui nous intéresse au plus haut point. Il se
demande à quelle relation répond la forme logique de la vérité que le sophisme
révèle et il répond ceci :
À une forme d’objectivation qu’elle engendre dans son mouvement, c’est à
savoir à la référence d’un « je » à la commune mesure du sujet réciproque,
ou encore : des autres en tant que tels, soit : en tant qu’ils sont autres les
uns pour les autres. Cette commune mesure est donnée par un certain
temps pour comprendre, qui se révèle comme une fonction essentielle de la
relation logique de réciprocité.6
Il est tentant d’entendre la réciprocité dont il est question dans le temps
logique en termes de la relation spéculaire a-a’. Pourtant, dans cette lecture il y a
quelque chose qui ne colle pas. Quand nous parlons de relation spéculaire ou
imaginaire, nous sous-entendons souvent une identification accomplie entre les
termes concernés (dans l’occurrence entre le moi et l’image). C’est même peut-
être cette identification accomplie que nous qualifions d’imaginaire. Or, tout le
ressort du temps pour comprendre réside dans le fait que l’identification entre
les sujets réciproques n’est pas accomplie dès le départ. En d’autres termes, pour
A, les autres, B et C, ne se reconnaissent pas comme semblables, ou comme dit
Lacan, les autres sont autres les uns pour les autres.

5 Ibid.
6 Ibid. p. 211 (VP : p. 209-210)

3
Aussi s’agit-il pour A de calculer le moment où pourrait arriver cette
identification qui gît en puissance entre les autres. Nous en connaissons déjà le
résultat : pas tout de suite mais pas dans longtemps non plus, bref, au bout d’un
temps pour comprendre. Mais je vous fais aussi remarquer les deux opérations
que A réalise pour obtenir ce résultat : en premier lieu, au moyen de son
hypothèse d’être un noir, il s’extrait du trio pour constituer le couple de sujets
réciproques ; ensuite, il attribue à chacun d’eux un je pour faire une supposition
en leur nom (celle d’être un second noir)7.
Ces deux opérations suggèrent l’idée que la réciprocité en jeu dans le
temps logique, loin de se réduire à relation spéculaire a-a’, relève d’un rapport
intersubjectif entre A et le sujet réciproque qu’est pour lui chacun des autres,
c’est-à-dire, entre le sujet et le grand Autre en tant que Autre sujet. Pour élaborer
mon propos, je porte à votre attention le passage suivant de Subversion du sujet :
La quadrature de ce cercle [c’est-à-dire le boucle qui traverse A et s(A) dans
le graphe du désir], pour être possible, n’exige que la complétude de la
batterie signifiante installée en A, symbolisant dès lors le lieu de l’Autre. A
quoi l’on voit que cet Autre n'est rien que le pur sujet de la moderne
stratégie des jeux, comme tel parfaitement accessible au calcul de la
conjecture, pour autant que le sujet réel pour y régler le sien, n'a à y tenir
aucun compte d'aucune aberration dite subjective au sens commun, c'est-à-
dire psychologique, mais de la seule inscription d'une combinatoire dont
l’exhaustion est possible. 8
Tout d’abord, je vous fais remarquer que le sujet réel est présent dans la
scène du temps logique aussi. En effet, dans la discussion du sophisme, Lacan
affirme : « On appelle A le sujet réel qui vient conclure pour lui-même, B et C ceux
réfléchis sur la conduite desquels il établit sa déduction »9. Donc, comme vous
voyez, je me laisse ici guider par le signifiant.
Alors, quel est le rapport entre la double opération de A en tant que sujet
réel et la quête de la quadrature du cercle ? C’est que, au moyen de l’hypothèse
d’être un noir, le sujet suppose n’être rien d’autre qu’une donnée, un objet qui
viendrait compléter le grand Autre en tant que lieu du signifiant. Parallèlement, il

7 Rapportez-vous à la « solution parfaite » du sophisme si cette attribution ne vous
semble pas évidente.
Ibid., p. 198 (VP : p. 196)
8 Jacques Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient

freudien » (1960) in Écrits, op. cit., p. 806 [Souligné par moi]


9 Jacques Lacan, « Le temps logique... », loc. cit., p. 199-200 (VP : p. 197-198) [Souligné

par moi]

4
attribue un je au grand Autre, il lui suppose un sujet gros d’une identification en
puissance avec lui-même et accessible au calcul de sa conjecture : « si j’étais noir,
se dit le sujet réel, l’Autre ne tarderait pas à savoir ce qu’il est ». Dès lors, le sujet
attend l’arrivé du message de l’Autre, il est à l’expectative de sa sortie, car celle-ci
lui permettrait de confirmer qu’il est l’objet qu’il suppose être.
« Cette quadrature, poursuit Lacan, est pourtant impossible, mais
seulement du fait que le sujet ne se constitue qu'à s'y soustraire et à la
décompléter essentiellement pour à la fois devoir s'y compter et n'y faire
fonction que de manque. » 10 Et cela nous ramène au troisième moment de
l’évidence :
« 3° Je me hâte de m'affirmer pour être un blanc, pour que ces blancs, par moi
ainsi considérés, ne me devancent pas à se reconnaître pour ce qu'ils sont. »11
« C’est là, nous dit Lacan, l’assertion sur soi, par où le sujet conclut le
mouvement logique dans la décision d’un jugement. »12 Comme nous venons de
le voir, nous pouvons qualifier de « réel » ce sujet qui conclut sur soi et qui, en fin
de compte, est chacun des trois prisonniers (A, B et C dans la situation III), mais
Lacan lui donne aussi le nom de sujet de l’assertion. Alors, en quoi consiste sa
décision ?
Pour répondre à cette question, remarquons que le temps pour
comprendre se compose en réalité de deux temps. En effet, d’un côté, on a le
temps pour comprendre du sujet réciproque (II-1), temps dont nous venons de
dégager la logique et qui se traduit pour le sujet de l’assertion en un temps
d’attente (III-1). Mais il y a aussi le temps pour comprendre propre au sujet de
l’assertion (III-2), celui qui se présente à lui « [...] sous le mode subjectif d’un
temps de retard sur les autres [...] »13 à partir de la réflexion suivante :
[Le] temps, en effet, pour que les deux blancs comprennent la situation qui
les met en présence d'un blanc et d'un noir, il apparaît au sujet qu'il ne
diffère pas logiquement du temps qu'il lui a fallu pour la comprendre lui-
même, puisque cette situation n'est autre que sa propre hypothèse. Mais, si
cette hypothèse est vraie, les deux blancs voient réellement un noir, ils
n'ont donc pas eu à en supposer la donnée. Il en résulte donc que, si le cas


10 Jacques Lacan, « Subversion du sujet... », loc. cit., p. 806-807
11 Ibid., p. 206 (VP : p. 204)
12 Ibid.
13 Ibid.

5
est tel, les deux blancs le devancent du temps de battement qu'implique à
son détriment d'avoir eu à former cette hypothèse même.14
En d’autres termes, le sujet se dit « si j’étais noir les autres sortiraient
avant moi en concluant qu’ils sont des blancs ». Or, ils ne bougent pas (III-2), de
sorte que le sujet peut se dire : « si les autres ne sortent pas avant moi, alors je
sors (en concluant que je suis blanc) ». Tout semble donc reposer sur la valeur de
vérité de la prémisse « les autres ne sortent pas avant moi ». Pourtant, ce
raisonnement diffère essentiellement de celui qui concerne le sujet noétique.
Comme nous avons vu, la conclusion du sujet noétique est objective car
complètement dépendante de la prémisse. En effet, celui-ci sortirait convaincu
d’être un blanc (conclusion) parce qu’il aurait vu deux noirs (prémisse). En
revanche, le raisonnement du sujet de l’assertion enferme la possibilité d’un
choix concernant la valeur de vérité de la prémisse. Certes, le sujet pourrait
attendre que celle-ci devienne fausse par elle-même, c’est-à-dire qu’il pourrait
laisser le temps s’écouler jusqu’à ce que les autres sortent effectivement avant
lui. Mais, il peut aussi sortir pour que les autres ne sortent pas avant lui. En
d’autres termes, le sujet peut choisir de rendre par son acte vraie la conclusion
« je sors » pour que la prémisse « les autres ne sortent pas avant moi » devienne
vraie. C’est là ce que je vous propose d’appeler conclusion subjective, à savoir une
conclusion dont la valeur de vérité détermine (ou veut déterminer) la valeur de
vérité de la prémisse.
Comme dit Miller, « [...] voilà ce que Lacan a inventé, une conclusion qui
décide. Au fond, c’est la libération des conclusions. D’habitude les conclusions
sont prisonnières, comme les trois prisonniers »15. En effet, les conclusions sont
prisonnières en ceci qu’elles sont complètement dépendantes des prémisses.
« Les conclusions, qu’est-ce que vous voulez, les conclusions en ont assez. Elles
ont trouvé avec Lacan le mouvement de libération des conclusions. » 16
Or, comme tout mouvement de libération, celui-ci est voué à l’échec, et ce
pour deux raisons. En premier lieu, le sujet n’a pas en réalité le loisir de sortir

14 Ibid.
15 Jacques-Alain Miller, L’orientation lacanienne. Les us du laps. 1999-2000, Transcription

du séminaire dicté au sein du Département de psychanalyse de l’Université Paris VIII,


cours du 17 mai 2000, p. 316. Mise en ligne le 11 février 2016. Disponible sur :
http://jonathanleroy.be/2016/02/orientation-lacanienne-jacques-alain-miller/
16 Ibid.

6
pour que les autres ne sortent pas avant lui. De fait, il s’agit d’un choix forcé car,
s’il se laisse devancer par les autres, il tomberait inévitablement dans l’erreur de
croire qu’il est un noir. C’est là l’étroite décision du sujet de l’assertion au
moment de conclure (temps III-3 du tableau) : « je me hâte de sortir pour que les
autres ne sortent pas avant moi en me faisant par là sombrer dans l’erreur ».
Comme dira Lacan dans l’une des dernières reprises du sophisme : « Jusqu’à un
certain point, on conclut toujours trop tôt. Mais ce trop tôt est simplement
l’évitement d’un trop tard »17.
Deuxièmement, le mouvement de libération des conclusions échoue en
ceci que la vérité de la conclusion n’arrive pas à déterminer la vérité de la
prémisse. En effet, le raisonnement du sujet « si les autres ne sortent pas avant
moi, alors je sors » néglige la possibilité que tous trois sortent en même temps.
Or, dans la mesure chacun de trois est le sujet de l’assertion, c’est justement ce
qui arrive au moment de conclure. Ainsi, bien que le sujet soit sorti, la prémisse
« les autres ne sortent pas avant moi » n’est pas rendue vraie ni fausse. Comme
nous savons, ce départ simultané, engendrant le doute chez chacun des
prisonniers, va provoquer la première scansion signifiante (01). Le sujet rentre
dès lors dans le procès de vérification et de désubjectivation du moment de
conclure que nous avons largement traité dans notre groupe et que je ne peux
pas décrire ici.
Je vais plutôt aborder deux points essentiels qui viennent d’être relevés, à
savoir la hâte du moment de conclure et le signifiant comme effet de l’échec de ce
moment.
Dans l’article du temps logique Lacan avance ceci concernant la valeur
logique du troisième moment de l’évidence :
Progressant sur les relations prépositionnelles des deux premiers
moments, apodose et hypothèse, la conjonction ici manifestée se noue en
une motivation de la conclusion, «pour qu'il n'y ait pas » (de retard qui
engendre l'erreur), où semble affleurer la forme ontologique de l'angoisse,
curieusement reflétée dans l'expression grammaticale équivalente, « de
peur que » (le retard n'engendre l'erreur)... 18


17 Jacques Lacan, « Conférence à Genève sur le symptôme » (1975) in La Cause du Désir.

Revue de psychanalyse. # 95. Virilités, Paris : Navarrin éditeur, avril 2017, p. 21


18 Jacques Lacan, « Le temps logique », loc. cit., p. 207 (VP : p. 205)

7
L’angoisse serait donc l’affect de tension temporelle qui précipite le sujet dans la
hâte du moment de conclure. Or, cette articulation mérite être interrogée.
Remarquons à cet effet que dans l’article sur Ernest Jones de 1959, Lacan
affirme que le fait que ce psychanalyste ne relève pas le statut signifiant de ce
qu’il disait lui-même, « [...] ne peut s’expliquer que par une fuite devant
l’angoisse des origines, et ne doit rien à cette hâte dont nous avons montré la
vertu conclusive quand elle est fondée en logique »19. Cela nous montre que la
hâte du moment de conclure, si elle cherche à éviter le retard, elle ne répond pas
pour autant à la fuite devant une angoisse. De plus, lors du séminaire sur le
transfert de 1960, Lacan précise, en référence explicite au sophisme, que « La
fonction de la hâte, à savoir cette façon dont l'homme se précipite dans sa
ressemblance à l'homme, n'est pas l'angoisse »20.
Pourtant, il doit y avoir un certain lien entre les deux pour qu’il faille à
Lacan les distinguer deux fois. En effet, selon sa célèbre formule, « [...] la véritable
substance de l'angoisse, c'est le ce qui ne trompe pas, le hors de doute »21. « Cette
seule définition, nous dit Miller, est bien faite pour souligner les affinités de
l’angoisse et de la certitude. Elle dit en quelque sorte : l’angoisse est certitude. »22
Voilà ce qu’elles ont en commun : la certitude, actuelle s’il s’agit de l’angoisse,
anticipée s’il s’agit de la hâte. Portons notre attention maintenant sur cette
dernière.
Comme j’avais avancé plus haut, au moyen de l’hypothèse d’être un noir
et de l’attribution du je à chacun des autres, le sujet réel se propose comme
l’objet qui manque dans l’Autre et veut en même temps l’appréhender en tant
que sujet réciproque. En revanche, à la fin du procès logique, le sujet atteint la
certitude que le grand Autre n’est pas un sujet mais un ensemble dont il se réduit
en dernier terme à n’être qu’un élément signifiant, un blanc. En quelque sorte, il
anticipe cette certitude au temps où, attendant le message de l’Autre, il n’entend


19 Jacques Lacan, « A la mémoire d’Ernest Jones. Sur sa théorie du symbolisme » (1959)

in Écrits, op. cit., p. 704-705


20 Jacques Lacan, Le séminaire. Livre VIII. Le transfert. 1960-1961, Paris : Seuil, 2001, p.

426
21 Jacques Lacan, Le séminaire. Livre X. L’angoisse. 1962-1963, Paris : Seuil, 2004, p. 92
22 Jacques-Alain Miller, « Ouverture. De la surprise à l’énigme » in Michel Jolibois et

Pierre Stréliski (directeurs), Le conciliabule d’Angers. Effets de surprise dans les


psychoses, Paris : Agalma éditeur, 1997, p. 18

8
que son silence, c’est-à-dire lorsqu’il constate l’immobilité des autres. Pourtant, à
la différence de ce qui se passe à la fin du procès logique, le silence ne décerne
pas au sujet le signifiant qu’il est dans l’Autre. Au contraire, il lui met devant la
fonction de manque qu’il y joue. C’est alors cette fonction qui se manifeste au
sujet comme tension temporelle, comme temps qui presse, et qui le précipite dans
la hâte du moment de conclure. Comme Miller remarque, il s’agit là d’une « [...]
conclusion qui se produit dans le manque de l’Autre, et qui vient ajouter le
signifiant qui faisait défaut »23.
À ce propos, je vous fais remarquer que la certitude dont l’angoisse est
faite concerne elle aussi le manque de l’Autre.
L’effet de certitude, affirme Miller, est dans une position exactement
homologue à celle de l’affect que fait surgir le signifiant énigmatique du
désir de l’Autre, à savoir, l’affect d’angoisse, que Lacan définit comme ce qui
ne trompe pas : S(Ⱥ) → angoisse.24
Mais cela même nous montre une différence fondamentale entre
l’angoisse et la hâte, à savoir que c’est le signifiant du manque de l’Autre, le
signifiant de son désir, qui fait surgir l’angoisse, tandis que, face au manque, la
hâte du moment de conclure fait surgir un signifiant.
En effet, la hâte produit un signifiant par l’acte — « Agir, c'est arracher à
l'angoisse sa certitude »25 dira Lacan en 1960 —. Dans le sophisme, la sortie du
sujet produit une scansion, mais ce n’est que dans la mesure où elle est
simultanée à la sortie des autres. Pourtant, comment concevoir cette
simultanéité si, logiquement, chacun des prisonniers est le sujet de l’assertion
par sa sortie même ? Je vous propose cette solution : la sortie soi-disant
« commune » consiste plutôt en une simultanéité particulière du sujet avec lui-
même, simultanéité qui détache le sujet de son acte en donnant l’aspect à ce
dernier de la manifestation qu’il avait attendue du grand Autre. Pour le dire
autrement, au moyen de son acte le sujet renonce à appréhender le grand Autre
en tant sujet, mais celui-ci reparaît comme possible dans les résonnances de cet
acte même ; c’est pourquoi le sujet doute.


23 Jacques-Alain Miller, L’orientation lacanienne. Les us du laps, op. cit., cours du 17 mai

2000, p. 316-317
24 Jacques Alain-Miller, « Ouverture. De la surprise à l’énigme », loc. cit., p. 18
25 Jacques Lacan, Le séminaire. Livre X. L’angoisse, op. cit., p. 93

9
Alors, la sortie du sujet se suspend, et c’est cette motion suspendue, cette
scansion, qui constitue un signifiant. Or, ainsi conçu, le signifiant est la marque
d’un acte hâté et raté qui introduit paradoxalement cet acte dans un procès de
vérification qui démontrera la certitude qu’il avait anticipé... à moins que la
certitude n’arrive jamais.
Dans le passage de Subversion du sujet qui précède celui que j’avais cité
plus haut, Lacan affirme ceci :
La soumission du sujet au signifiant, qui se produit dans le circuit qui va de
s(A) à A pour revenir de A à s(A), est proprement un cercle pour autant que
l'assertion qui s'y instaure, faute de se clore sur rien que sur sa propre
scansion, autrement dit faute d'un acte où elle trouverait sa certitude, ne
renvoie qu'à sa propre anticipation dans la composition du signifiant, en
elle-même insignifiante.26
Concluons donc que l’acte d’assertion anticipée est à la racine de la
composition du signifiant, acte dont le sujet se détache pour se suspendre au
signifiant dès lors composé. Voilà pourquoi le moment de conclure est le moment
symbolique du langage : il s’agit du moment où le sujet crée un signifiant pour s’y
soumettre indéfiniment.



José Miguel Granja


26 Jacques Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir... », loc. cit., p. 806

10

S-ar putea să vă placă și