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Revue des Sciences Religieuses

Doctrine de la connaissance
Gaston Rabeau

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Rabeau Gaston. Doctrine de la connaissance. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 6, fascicule 3, 1926. pp. 411-427;

doi : 10.3406/rscir.1926.3870

http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1926_num_6_3_3870

Document généré le 02/06/2016


CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE

DOCTRINE DE LA CONNAISSANCE

I. — M. Rougier nous apporte toute une doctrine logique, une


doctrine du raisonnement déductif qui est en même temps une doctrine
de la mathématique, une doctrine du progrès de la pensée, une
doctrine du rapport entre les constructions logiques et le réel. M. Rougier
met cette doctrine sous le patronage de Henri Poincaré : dans une
étude historique et critique, il retrace les traits principaux de la
philosophie géométrique de Poincaré; dans un petit volume, qui d'ailleurs
reproduit en partie le grand, il nous donne sa propre pensée (1).
Le livre consacré à la philosophie géométrique de Poincaré est fait
de deux parties. Une première, destinée à aider les philosophes à
comprendre Poincaré, est une introduction logique et mathématique,
portant principalement sur les geometries non euclidiennes, et
aboutissant à mettre en lumière les systèmes les plus simples d'axiomes
sur lesquels il convient de fonder la géométrie. La seconde partie
expose la théorie conventionaliste des axiomes géométriques.
Encore que M. Rougier veuille faire œuvre historique, il ne
s'embarrasse pas des scrupules ordinaires aux historiens : dès le début, il
n'hésite pas à présenter comme thèse certaine ce qui sera la
conclusion de son travail : la nature équivoque des théories déductives, ces
théories dépendant d'axiomes primitifs choisis pour leur simplicité et
auxquels on donne le sens que l'on veut, ou même auxquels on
pourrait ne donner aucun sens. Il s'agit donc de savoir sur quels systèmes
d'axiomes il convient de faire reposer la déduction géométrique.
M. Rougier se réfère surtout au système de notions et de propositions
premières de David HilberL Ce système a l'avantage de distinguer
divers groupes d'axiomes qui correspondent à diverses geometries et
qui correspondent aussi à différents modes d'acquisition des concepts

(1) La philosophie géométrique de Henri Poincaré. — La structure des


théories déductives . Paris, Alcan.
412 G. RABEAU
fondamentaux y figurant. Ensuite, on nous explique l'origine des
spéculations métagéométriques de Lobatchewski et de Riemann, puis les
interprétations de ces geometries proposées par Beltrami et par
Helmholtz.
Après ces préliminaires historiques, nous abordons la théorie des
groupes de transformations : recherches de Sophus Lie, travaux de
Poincaré lui-même. Une transformation est une opération binaire,
qui fait correspondre biunivoquement, à chaque élément d'un
ensemble, un autre élément du même ensemble ou d'un autre ensemble. Il
y a des « groupes » de transformations : on dit qu'un ensemble de
transformations forme un groupe, si le produit de deux
transformations quelconques de cet ensemble et la transformation inverse de
chacune d'elles font encore partie de cet ensemble. Or, parmi ces
groupes, il en est un qui jusqu'ici a été privilégié, celui des
déplacements euclidiens : c'est notre géométrie métrique ordinaire, qui
correspond au groupe des transformations obtenu en combinant les
déplacements, les similitudes et les symétries ; ce groupe conserve
toujours les angles et les rapports des longueurs, c'est-à-dire la forme
des figures. Ce groupe euclidien, auquel nous sommes habitués par
l'éducation et par une tradition séculaire, nous est plus commode,
mais il n'est pas plus vrai qu'un autre : toute proposition concernant
le groupe euclidien peut, en effet, être traduite en un autre langage,
dans le langage géométrique de Lobatchewski ou de Riemann. En
d'autres termes, le groupe euclidien peut être transformé, par une
transformation ponctuelle quelconque, en un groupe isomorphe, c'est-
à-dire dont les opérations se laissent combiner suivant les mêmes lois.
Soit une distance euclidienne d = y (x — xo)2 + (y — y°)a + (z — zo)2,
les fonctions x, y, z, sont des fonctions indéterminées que je puis
changer, et en les changeant j'obtiendrai des objets vérifiant les
mêmes axiomes. Ainsi les mots de droite, de distance, sont, en eux-
mêmes, dénués de sens. Or, toute la géométrie métrique repose sur la
notion de distance. Je conviens de regarder comme égales les distances
qu'une certaine mensuration me donne commes telles ; et comme il y
a trois moyens différents de mesurer (Euclide, Lobatchewski, Riemann),
les trois geometries sont trois langages qui ne sont pas plus vrais l'un
que l'autre, et qu'on peut traduire l'un dans l'autre.
La théorie de la « convention » est la conséquence de ces
prolégomènes : les axiomes géométriques ne sont, ni des jugements
analytiques, ni des jugements synthétiques a priori; ce sont des conventions,
non pas arbitraires, mais plus commodes. Soit, par exemple, l'axiome
de la ligne droite, synthèse de la direction vers un seul point et de la
distance la plus courte. Envisagé, au point de vue des anciens, comme
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 413

une propriété réelle des corps solides, c'est un jugement de fait.


Envisagé à notre point de vue de logiciens, suivant la méthode axiomatique
d'Hilbert, c'est une fonction propositionnelle susceptible de devenir
vraie moyennant une certaine interprétation des symboles premiers de
la théorie ; c'est, en somme, une des parties de la définition de la
droite. C'est enfin, â un autre point de vue, une convention
instrumentale qui consiste à choisir les solides naturels comme instruments
propres à nous indiquer quand il conviendra de dire que deux
distances sont égales. De même, l'axiome des trois dimensions est une
convention qui consiste à adopter, parmi plusieurs autres possibles,
une certaine interprétation matérielle des symboles non définis de la
géométrie, à choisir le point (au lieu de la droite, ou d'une figure)
comme élément de l'espace.
A la lumière de cette doctrine, empirisme et criticisme doivent
s'évanouir comme des ombres. Lorsque l'empiriste s'imagine qu'une
expérience cruciale pourrait être trouvée et réalisée, qui serait
interprétable dans la métrique d'Euclide et non dans les autres, il ne
comprend pas la signification des principes premiers : adopter la
géométrie d'Euclide revient à appeler droite le côté d'un rectangle rec-
ti ligne ; adopter une métagéométrie revient à appeler droite le côté
d'un rectangle curviligne. Ce n'est pas à dire pourtant que l'expérience
n'ait pas son rôle dans la genèse de la géométrie. On peut, en effet, se
demander, avec Poincaré, par quelle suite d'expériences un algébriste,
qui connaîtrait déjà les groupes de transformations, choisirait le
groupe euclidien comme groupe métrique.
Or, parmi les déplacements externes, cet algébriste distinguerait les
déplacements ; il les préférerait aux changements qualitatifs parce que
nous pouvons corriger le déplacement d'un corps moyennant un
déplacement de notre propre corps : la géométrie va être l'étude des
déplacements. Cet algébriste remarquera encore que certains
déplacements peuvent être corrigés par un même déplacement de notre corps :
il les déclarera identiques. Il est maître de répéter un déplacement
sans que ses propriétés varient : par là il a trouvé le moyen de
mesurer, il décrète l'espace homogène. L'expérience suggère donc des choix
de conventions qui sont commodes, elle ne les impose pas. De même
elle nous suggère de former un groupe des déplacements, c'est-à-dire
d'en considérer plusieurs comme en formant un seul, elle nous
suggère la continuité : nous divisons les déplacements en « lacets », c'est-
à-dire en multiples d'un même déplacement correspondant à des
nombres commensurables ou incommensurables. Elle nous suggère le
choix de « sous-groupes rotatifs », laissant invariables certaines
sensations : de là le point et la droite. En somme, l'expérience est indis-
414 G. RABEAU
pensable au géomètre : il travaille sur elle, mais il ne trouve pas
en elle ses notions préformées ni même esquissées ; elle n'est que
l'occasion pour lui d'établir un système de signes dont la
commodité est relative à l'expérience elle-même, à la cohérence du système,
au maniement symbolique du système, et enfin aux autres
sciences. Ainsi se décèle la fausseté de l'ancien empirisme positiviste, lequel
imaginait une abstraction mathématique, des notions géométriques
exiraites des données brutes saisies originairement par une sensation
passive.
Non moins faux est le criticisme Kantien, qui prenait les principes
premiers de la géométrie pour des formes a priori, hors desquelles
nous ne saurions ni imaginer ni penser. Si Kant avait raison, les
geometries non euclidiennes seraient inaccessibles à l'intuition, elles
seraient inimaginables. Or, elle sont imaginables. Qu'on suppose, avec
Helmholtz, des êtres infiniment petits vivant à la surface d'une sphère :
la plus courte distance entre deux points ne sera pas pour eux ce
qu'elle est pour nous, elle sera l'arc de grand cercle compris entre ces
points Qu'on suppose, avec Poincaré, une sphère où la chaleur va
croissant indéfiniment de la périphérie au centre, tous les corps y
ayant le même coefficient de dilatation ; elle paraîtra infinie à ceux qui
l'habitent, leurs pas devenant plus petits à mesure qu'ils vont vers la
périphérie sans jamais l'atteindre. Ainsi, « les vérités réputées à priori,
éternelles et inconditionnellement nécessaires, dépendent des
contingences empiriques du milieu qui nous sert d'habitat » (1), et « si nous
étions transportés dans d'autres milieux, (elles nous) paraîtraient si
arbitraires que nous les tiendrions pour absurdes » (2).
Empirisme et criticisme sont faux, et les principes premiers ne sont
que des conventions : tels sont les résultats que M. Rougier considère
pour acquis à la fin de son livre sur Henri Poincaré. Il se devait alors
à lui-même de proposer une théorie du raisonnement et du progrès de
la pensée qui supplantât l'ancien rationalisme. Nous trouvons cett^
théorie dans le petit volume intitulé : « la structure des théories déduc-
tives ». Les deux premiers chapitres sont un exposé excellemment
clair de la logique du jugement et du raisonnement selon la logistique.
Puis nous arrivons à la déduction.
La doctrine de M. Rougier se caractérise ici par sa structure
purement logique, si on l'oppose à ce que nous appellerions l'empirisme
mental de M. Goblot. On sait que, d'après celui-ci, le progrès du
raisonnement est dû, non à des expériences réelles, mais à des
constructions exécutées mentalement. Pour M. Rougier, le progrès de la

(1) La philosophie géométrique de tienri Poincaré, p. 191.


[1) tbid., p. 2U1
CHRONIQUE t)Ë PHILOSOPHIE 413

pensée est dû tout entier aux « principes formateurs ». Les


propositions premières comprennent en effet : 1) les postulats d'existence,
2) les principes de formation, 3) les principes de relation. Les
principes formateurs et les principes de relation sont des fonctions
prépositionnelles, c'est-à-dire des fonctions qui deviennent susceptibles de
vérité et de fausseté quand on substitue atix variables des valeurs
constantes. Quant aux « variables », ce sont des symboles non définis
qui sont définis équivoquement par les principes, à peu près comme
lés inconnues d'une équation le sont par les grandeurs connues. C'est
pourquoi, dans une théorie deductive rigoureuse, les notions premières
viennent après les principes premiers. Les notions premières sont :
1) les notions des objets ou des classes dont l'existence est établie par
postulats d'existence et par principes fox^mateurs, 2) les relations
spéciales propres à la science dont il s'agit, 3) les notions de logique
formelle et celles, en général, de la science qui précède la sciehce
deductive en question. Le choix de tel système de notions et de
propositions premières est conventionnel (oil pourrait en prendre un autre),
indéterminé (on peut appliquer ce système aux objets matériellement
les plus différents).
Gomment, avec ces notions et ces principes qu'il a créés et qui sont
dépourvus de sens intrinsèque, l'esprit obtiendra-t-il des conclusions
nouvelles et qui aient une valeur de vérité ? Les conclusions, sans
doute, ne sont pas contenues dans les prémisses, et pourtant elles n'y
sont pas ajoutées par une « construction » ; la démonstration, eh effet,
ne se réduit pas à un seul syllogisme : dans le choix des majeures, des
mineures, dans leur rapprochement, intervient un acte synthétique
de l'esprit. Par là est possible la généralisation mathématique, cette
généralisation que M. Goblot déclare impossible si l'on S'en tient aU
syllogisme scolastique et à son principe, le « dictum de omni et nùllo ».
Là généralisation s'explique, en effet, par les principes formateurs,
grâce auxquels on construit des objets de plus en plus complexes :
« revenant alors par l'analyse de ces ensembles à leurs éléments
primitifs, on déduit, des rapports de ces éléments entre eux et de ces
éléments aux ensembles, les rapports de ces ensembles eUx-mêmes ».
Par exemple, des rapporls spéciaux aux triangles et des rapports des
triangles aux polygones, ou déduit les rapports concernant les
polygones. La démonstration conduite de la sorte n'est pas, selon ses
phases, plus OU moifls universelle ; elle est toujours universelle ; mais
elle donne des résultats s'appliquant à plus d'espèces d'objets.
ToUtes les erreurs sur la nature de la démonstration proviennent de
ce qu'on a pris les éléments d'Euclide pour type de la démonstration
parfaite. Car Euclide est bien loin d'avoir énuméré tous les principes;
416 G. RABEAU

il reste encore près du sens commun ; il fait appel, ouvertement ou


tacitement, à l'intuition; rien que dans les vingt-six premiers
théorèmes, Russell a montré combien souvent Euclide a introduit de ces
notions pseudo-évidentes. De plus, Euclide n'a pas formulé les
principes de l'ordre, parce qu'ils lui paraissaient trop clairs. De là l'erreur
empiriste, qui a cru trouver dans l'expérience notions et principes :
de là l'erreur criticiste ou rationaliste, qui a cru que l'intuition peut
être accompagnée d'évidence intelligible ou même la receler en soi.
Mais les systèmes déductifs, quand on en a exprimé tous les principes,
toutes les conventions premières, ne sont que des barèmes de
déductions toutes faites, indépendantes de tout contenu. Comme dit Russell,
les mathématiques sont l'ensemble des implications formelles
indépendantes de tout contenu. Et les mathématiques font partie de la
logique, si la théorie des relations en fait partie, « ce qui est affaire
d'opportunité, de commodité, et, par suite, de convention » (1).
Nous avons voulu donner une longue analyse des deux livres de
M. Rougier parce qu'ils exposent avec vigueur et clarté, et dans toute
sa pureté, le nominalisme logistique. M. Rougier veut d'abord nous
offrir une théorie des systèmes déductifs logico-mathématiques telle
que ces systèmes forment un tout cohérent unique et sans faire aucun
appel à l'expérience, propositions premières et principes premiers
n'étant, selon la doctrine de Poincaré, que des conventions. Il nous
semble qu'il y réussit; et si l'on reste à ce point de vue spécial de
M. Rougier, il n'y a aucune difficulté à lui opposer. Mais M. Rougier
soutient, soit ouvertement, soit par voie de prétention ou de
conséquence, une théorie qui dépasse la logique formelle et qui est une
théorie de la connaissance : considérés en dehors de l'expérience, nos
« barèmes déductifs» sont des formulaires vides, reposant sur des
conventions, et que seule l'expérience peut remplir. Or une telle théorie,
quand on l'examine à l'aide de la psychologie de l'intelligence, se
heurte à de très graves difficultés en ce qui concerne l'origine des
notions premières, le progrès de la déduction et la signification des
rapports logiques
Qu'on puisse choisir des notions premières indéterminées, et ne
leur attribuer qu'un sens équivoque, en tant que ce sens est requis
par les principes, évidemment on en a le droit. Cela n'empêche pas
que l'expérience, comme l'a montré Poincaré, a un rôle de suggestion,
de présentation, de direction ; elle n'est pas seulement pour nous
l'occasion, de soi indifférente, de choisir les notions premières, elle
nous sollicite à choisir telles et telles. Or, il est bien difficile d'inter-

(1) P. 130.
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 417
prêter ce rôle de sollicitation scientifique en termes uniquement
pratiques d'action ; ou, en d'autres termes, cette sollicitation de
l'expérience vis-à-vis du savant ressemble fort, pour celui-ci, à l'intuition
confuse d'un intelligible.
Et c'est ce qui devient certain quand on examine les progrès de la
déduction, car on trouve alors là, non l'intuition intelligible confuse,
mais l'intuition claire. Le progrès de la déduction trace, en effet, une
série de liaisons qui s'imposent, non, il est vrai, avant que l'esprit les
ait dégagées par le raisonnement, mais au moins après. Avant d'avoir
construit la théorie deductive, l'esprit, en sa liberté créatrice, ignorait
encore ce que serait son œuvre; une fois qu'il l'a construite, il voit
que les conséquences doivent être admises nécessairement par tout
homme qui admet les principes. De quelle nature est cette nécessité?
Nécessité verbale de garder le môme sens aux mots, de ne pas nier en
paroles ce que l'on a affirmé en paroles? Mais la déduction progresse,
généralise, gagne des résultats qu'ensuite l'expérience justifie, quand
elle remplit les « barèmes ». S'agit-il d'une nécessité de
non-contradiction, nécessité subjective de l'esprit, s'imposant du moins, selon
M. Goblot, à ceux qui veulent penser! Mais ces liaisons nécessaires
des conséquences aux principes, liaisons aboutissant à des
généralisations nouvelles, à des vérités nouvelles, elles se retrouvent dans
l'expérience, dans la nature, quand la nature ou l'expérience remplit les
« barèmes ». Et si l'esprit est capable d'apercevoir la liaison nécessaire
des propositions dans un complexus d'images, par exemple, dans une
figure géométrique, pourquoi n'aurait-il pas été capable auparavant de
lire dans une image une notion intelligible, un principe intelligible?
Au lieu de dire que les liaisons nécessaires des propositions sont
d'abord un système conventionnel et qu'ensuite des expériences y
correspondent, ne serait-il pas plus juste de dire que les principes du
système déductif ont été d'abord reconnus dans la nature, de telle
sorte qu'ensuite le progrès déductif était pour l'intelligence une
conquête objective ? Et ainsi la question dernière, celle qui tranche tout,
est celle-ci : quelle est la nature des rapports logiques?
D'après M. Rougier, « les rapports logiques existant entre des objets
donnés (il s'agit, on s'en souvient, d'objets « donnés » par suite de
conventions) reviennent à établir certaines conditions auxquelles
doivent satisfaire des opérations logiques qui, en partant d'objets
élémentaires déterminés, permettent de construire les objets nouveaux
dont il est question » (1). Cela sans doute est juste, étant donné le
point de vue de technique de signe, de logistique, auquel se place

(1) Structure des théories déductives, p. 59.


Revoe des Sciences relig., t. VI, 1926. 27
418 G. RÂBEAU
M. Rougier. Celui-ci a le droit de négliger la valeur objective des
rapports logiques, de les considérer comme des produits de la
spontanéité du sujet. Mais le logicien qui étudie dans toute son ampleur la
nature des relations logiques devra étendre son investigation au delà
des combinaisons purement formelles. Il reviendra à « la proposition
que Descartes, Bossuet, Malebranche, s'accordent à citer le plus
volontiers comme exemple probant de vérité rationnelle », au « théorème
bien connu : la somme des angles d'un triangle est égale à deux
droits « (1). Sans doute, ce théorème est faux dans un univers non
euclidien, mais cette constatation n'ébranlera pas la conviction de
Descartes, de Malebranche et de Bossuet, car dans Un tel monde, et
c'est M. Rougier lui-même qui nous le rappelle, « on désigne du nom
de droites les droites hyperboliques » (2). Il est évident que pour
Descartes, Malebranche et Bossuet, le théorème des deux angles droits
doit sa valeur de type rationnel, non à l'intuition empirique de tel
objet, non à l'existence de fait d'un monde euclidien, mais à la liaison
essentielle entre l'hypothèse de trois droites (non hyperboliques) se
coupant mutuellement, et la conséquence concernant la somme de
leurs angles intérieurs. Or, entre l'hypothèse et la conséquence, la
liaison nécessaire est-elle seulement la liaison de « conditions
auxquelles doivent satisfaire des opérations logiques » ? N'y a-t-il pas
aussi Une liaison nécessaire objectivement entre les trois droites qui
se coupent, dans la mesure approximative où il y a des droites
parfaites, et la valeur des trois angles intérieurs ? Tout le monde le croit,
personne ne peut ne pas le croire, l'expérience le justifie dans la
inesUre où les objets réels se rapprochent des objets géométriques
idéaux ; et s'il en est ainsi, n'est-ce pas que nos « conventions » ont
été l'objet d'un choix parce que, précisément, nous incorporions en
elles un intelligible ?

II. — M. Emile feorel a écrit, sur '« VËspace et le Temps » (Alcan, 1922),
un petit livre instructif et agréable qui paraîtrait, au lecteur irréfléchi,
dépourvu d'unité, parce qu'il ne donne pas un exposé didactique des
théories d'Einstein ; mais l'auteur a voulu faire « une promenade
autour d'elles », en « décrire quelques aspects ». Il n'y a donc pas lieu
d'analyser un tel livre ; le mieux est de signaler les aperçus les plus
suggestifs et les plus intéressants.
Un premier chapitre : la géométrie et la mesure de la Terre, après
avoir distingué les deux geometries, analytique et expérimentale,

(1) Philosophie géométrique de Henri Poincaré, p. 191.


(2) Ibidem.
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 4l9
étudie lés conditions de la géométrie, conditions qui lui imposent Une
inévitable relativité. Parmi ces conditions, il y a la constance des
objets, des objets à notre échelle, de telle sorte que pour les astres, ou
pouf les atomes, la signification fixée s'évanouirait. Pour étendre la
géométrie au delà de notre échelle, nulle mesure spatiale effectuée né
réussit, nous nous servons alors des propriétés de la lumière. Nous
avons voulu mesurer la Terre, et pour cela y fixer des axes ; or, bien
que cet espace fût pour ainsi dire à la portée de notre main, il a fallu
faire appel à des notions mécaniques (pendule, mesure du temps), à
des observations astronomiques. Ainsi, pour préciser la notion vague
de l'espace, nous sommes contraints de nous appuyer sur des résultats
étrangers à la science de l'espace.
Le chapitre IV, la continuité et la topologie, attirera le philosophe.
M. Emile Borel y examine d'abord la possibilité d'Une géométrie du
discontinu, pour laquelle l'intuition ferait défaut. D'après la théorie
des ensembles, nous pouvons concevoir que, sur une droite d'un
mètre, on enlève un décimètre autour des points de division décimé-
trique, et ainsi de suite. Or cela est, pour nous, unrepresentable. Et
cependant il nous faudrait une géométrie du discontinu pour étudier
ce qui est « sous-atomique ». M. Borel montre ensuite comment s'y
prendre pour parvenir à concevoir l'espace à quatre dimensions. Un
être qui ne connaîtrait que le plan arriverait à concevoir la sphère
par le moyen de deux cercles égaux dont les points se correspondent,
et en retournant l'un de ces cercles (comme son image dans un
miroir). Pareillement nous, qui ne connaissons que l'espace à trois
dimensions, nous passerons à un espace à quatre dimensions, à une
« hypersphère », par le moyen de deux sphères dont chacune est
l'image de l'autre dans un miroir : un tel univers serait fini, et
pourtant il serait sans bords. On peut prendre aussi un autre moyen. On
connaît le tore, formé par un rectangle dont on colle les côtés longs
l'un sur l'autre, puis les côtés petits, de manière à former une
circonférence : une fourmi tournera autour et reviendra à son point de
départ. De même nous passerons à un « hypertore » en prenant un
parallélipipède rectangle où nous considérerons comme équivalents
les points de deux faces opposées quelconques situés sur une même
perpendiculaire à ces faces : comme on a fait coïncider les côtés du
rectangle pour le tore, on fait coïncider ceux du parallélipipède pour
l'hypêrtore. Nous parviendrons ainsi à une image de l'univers
triplement périodique : il y aura trois directions que l'on pourra parcourir
en ligne droite en retrouvant un coin de l'univers rigoureusement
identique à celui d'où l'on sera parti.
Des chapitres sur là propagation de la lumière, la relativité res-
420 G. RABEAU
treinte et la relativité générale, nous ne citerons que la conclusion.
Selon M. Borel, Einstein continue et achève Descartes, avec lui nous
arrivons au plus grand degré de simplicité que nous ayons le droit
d'espérer : la qualité est ramenée à la quantité, « la connaissance
complète et totale des relations d'espace et de temps suffit à la
description du monde », « la localisation de la matière et de l'électricité
se déduisent par des formules simples de ces relations d'espace et de
temps » (p. 215) .
A la fin du volume, M. Borel a ajouté un appendice sur le continu
mathématique et le continu physique. Le continu mathématique est
un ensemble dense (chaque point d'un axe correspond à un nombre),
parfait (c'est-à-dire qui possède l'ensemble de ses points limites), et
non enumerable. Le continu physique se distingue du mathématique
en ce que, l'expérience ne permettant d'atteindre qu'une
approximation limitée, une certaine différence minimum est nécessaire pour
qu'on puisse discerner deux éléments très voisins. Entre les deux
continus, quelles relations? Devrons-nous tâcher d'éliminer l'un au
profit de l'autre, de remplacer les nombres irrationels, tc ou e, par
des nombres calculés avec beaucoup de décimales ? Mais d'abord, en
certains cas, la vraie valeur d'un rapport ne s'exprime pas
exactement sous la forme d'une fraction décimale. Surtout, des lois connues
permettent de mettre en évidence des nombres simples (1), tels que
■k, et ainsi « la notion arithmétique de nombre intervient
véritablement dans l'étude de la nature » (p. 242).

III. — L'ouvrage de M. Emmanuel Leroux, sur « le Pragmatisme


anglais et américain », (Alcan, 1923) comprend un exposé historique
très soigné et clair, et une critique beaucoup plus courte et quelque
peu hésitante. M. Leroux remonte, au delà des promoteurs du
Pragmatisme, jusqu'aux systèmes qui ont provoqué, par réaction, la
naissance d'une philosophie faisant très grande la place de l'initiative
humaine. Le Positivisme associationniste rattachait tous les effets à
une causalité mécanique de la nature ; l'Idéalisme panthéiste de Green,
de Josiah Royce, de Bradley s'attache à un Absolu extrêmement
éloigné de nous et qui déçoit notre initiative. Contre ce mécanisme
et cette absorption de la pensée dans l'Etre, William James
revendique pour elle une fonction téléologique : la perception, le
raisonnement sont une sélection en vue de ce qui nous intéresse ; les vérités
rationnelles sont en rapport avec notre structure mentale, elles sont

(1) Un nombre irrationel « simple » est celui dont la définition exige moins
de mots, et qui entre lui-même dans beaucoup de définitions.
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 421

dues à des variations accidentelles d'origine très complexe et qui nous


étaient utiles, elles correspondent à une adaptation à l'expérience.
Ainsi, l'intelligence choisit et crée pour frayer à l'action des voies
simples et sûres. Mais James élargit cette doctrine psychologique des
fonctions intellectuelles et la transforme en doctrine métaphysique :
si toute connaissance vise un dessein, le rôle de la philosophie aussi
consiste à indiquer une direction : le sentiment de rationalité qu'elle
procure doit servir à définir l'univers par rapport à nos facultés
émotionnelles ou actives. Assurément, on se méprendrait si l'on
travail ait à cette conquête métaphysique par une méthode purement
subjective, les hypothèses devront être appuyées par la vérification de
l'expérience. Mais auparavant il aura fallu se risquer à faire acte de
foi ; cela est nécessaire d'ailleurs en tout ordre de savoir, mais bien
davantage en philosophie, où la réalité à quoi nous croyons dépend
de nos efforts. Et James assimile cette foi métaphysique aux
hypothèses de travail conçues par les savants.
L'emploi de la méthode pragmatique allait être généralisé encore.
En matière religieuse par James : celui-ci prétend que là l'aspect
essentiel est l'aspect psychologique, parce que la vie personnelle des
génies est la réalité première de laquelle dérivent les institutions
cultuelles : la vie personnelle, avec ses besoins et ses réussites, va
être le critère de la valeur et de la vérité religieuses. L'Humanisme
de M. Schiller généralisera encore : c'est la vérité en soi, c'est la
réalité en soi qui dépendent de l'activité humaine, qui sont faites par
elles. La vérité ne peut en effet être définie qu'en termes d'activité.
Pour définir la vérité, on doit chercher de quelle manière on
reconnaît une vérité : or nous progressons de vérités partielles,
satisfaisant des besoins limités, à celles qui satisfont les besoins essentiels
de l'individu, à celles qui satisfont la société : impossible donc de
concevoir la vérité autrement que comme une réussite de l'action.
De même pour la réalité. Car la réalité n'est autre que notre
expérience immédiate, et cette expérience immédiate se résout, soit en
une expérimentation active qui modifie les choses selon nos désirs,
soit en une résistance opposée, laquelle est encore, de notre part,
une collaboration, une lutte. En dehors de notre action, la notion de
réalité est une limite inaccessible, un inconcevable, un néant.
M. Leroux a posé franchement le problème, il n'hésite pas à déclarer
que la définition pragmatiste de la vérité est « le point le plus vif de
la discussion » ; la vérité est-elle constituée par la vérification, en
sorte qu'on puisse dire légitimement qu'elle se fait, qu'elle est notre
œuvre? Aussitôt les difficultés surgissent ; le Pragmatisme confond
le signe et la cause avec la présence et la chose; la vérité peut être
422 G. RABEÂU
une idée invérifiable (par exemple, une lettre perdue, que personne
ne lirajamais) ; elle peut être ignorée du plus grand nombre, et même
de tous ; enfin, s'il y a une réalité extérieure, il y a une vérité
indépendante de nous : le Pragmatisme équivaut au solipsisme. Cette
dernière difficulté est la plus grave : Schiller pense l'écarter en
montrant que la vérification est sociale : réponse qui n'écarte pas la
difficulté, mais la déplace seulement, en substituant un subjectivisme
social à un subjectivisme individuel.
James a voulu échapper à ce solipsisme, il reconnaît une
expérience non individualisée : hypothèse ambiguë, qui a grand besoin
d'être éclaircie. Car quelle coïncidence sera possible entre mon idée
et l'expérience réalisée par un sujet différent de moi? « Dans la
mesure où l'objet de l'idée échappe à l'expérience future du sujet, la
vérité elle-même, relation de l'idée à l'objet, ne peut être entièrement
donnée dans aucune expérience » (p. 311). Seulement James a indiqué
en passant une solution que M. Emmanuel Leroux estime devoir
adopter : vérité n'est pas seulement vérification, mais vérifiabilité,
vérifiabilité imaginée et pourtant suffisante. S'il en est ainsi, nous
sommes en droit de tenir compte des vérifications opérées par
d'autres consciences, de celles opérées dans le passé. Or, vérifiabilité
implique l'existence de lois, l'existence d'autres sujets vérifiant, elle
implique l'universel. Ici, les Pragmatistes, entraînés par le poids d'un
héritage empiriste, s'obstinent à réduire la vérité à n'être qu'une
relation donnée ; ils sont alors infidèles à leur propre pensée, car ils
oublient qu'eux-mêmes ont montré que l'expérience n'est pas une
donnée toute faite, que notre expérience la travaille et la travaillera.
Ainsi, il y a, dans la vérité, bien plus que la vérification, « car c'est,
par une hypothèse toujours hardie, attribuer aune expérience limitée
une valeur universelle » (p. 318), mais il reste toujours que l'accord
avec la réalité « s'analyse intégralement en termes de vérification
éventuelle » (ibid.).
Ces conclusions de M. Leroux nous laisseraient en suspens, s'il ne
les avait développées en conséquences métaphysiques qui en donnent
la clef, et que nous reproduisons brièvement ; 1) Absolu,
Inconnaissable, sont éliminés ; 2) Un certain réalisme s'impose : « plus on
insiste sur le caractère individuel, actif et passionné, du sujet
connaissant ■— sans parler même de sa nature biologique — moins on
rend défendable l'idée que l'existence ou la nature des objets dépende
de la connaissance » (p. 320) ; 3) La connaissance est une fonction
active, son progrès dépend de nos efforts, et elle implique « une
modification obtenue des choses par notre vouloir » (p. 321). « Toute
métaphysique de l'immuable est par là condamnée » . En somme, le
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 423
principal résultat du Pragmatisme aura été d'établir « la légitimité
d'un réalisme empirique laissant place à l'efficacité de l'action
humaine » (p. 323).
Laissant de côtelés conclusions sur l'Inconnaissable, dont l'ampleur
dépasse ces pages, nous avouons être surpris parles raisonnements de
M, Leroux dans sa critique du Pragmatisme et dans les conclusions
qu'il en tire. Il nous paraît raisonner comme ïaine, qui établissait
l'objectivité de la perception par un accord entre des hallucinations
vraies, Si vérité est vérifîabilité, elle est possibilité de vérification; et
si, pour les Pragroatistes, vérification est action subjective, nous ne
sortons de l'action subjective que pour entrer dans les possibilités
d'action subjective. Mais M. Leroux sûrement nous arrêterait, il nous
dirait que telle n'est pas sa pensée ; qu'il a montré, avec James, que le
réalisme s'impose, que choses extérieures et états de conscience leur
correspondant sont les données premières dont nous partons, que
notre action tend à autre chose qu'à elle-même. Et il aurait raison.
Seulement, ce réalisme, auquel de plus en plus nous voyons revenir
nos contemporains, n'est-il pas une affirmation qui dépasse de
beaucoup, et qui fait éclater la définition pragmatiste de la vérité?

IV. Il nous arrive, de l'Université du Sacré Cœur de Milan, un


travail original et intéressant sur la doctrine thomiste de la
connaissance : La Gnoseologia delVatto, par le professeur Zamboni (Società
éditrice Vita e Pensiero, Milano, 1923). Jusqu'ici, on nous présentait
la doctrine thomiste de la connaissance, ou su-r un plan
métaphysique, ou sur un plan d'expérience sensible : l'auteur la transpose sur
le plan de l'expérience intérieure. Bien caractéristique, à cet égard,
est la question posée dès le début : l'intellect agent est-il une
construction métaphysique ou une donnée de l'introspection ? M. Zamboni
va déployer tous ses efforts pour établir que l'intellect agent est une
donnée de l'introspection. Sa fdémonstration est pénible à suivre,
parce qu'il la rompt en une multitude de paragraphes et de titres,
parce qu'il juxtapose les textes sans les fondre en une interprétation
qui en donne l'âme, et l'on en vient parfois à se demander si sa
théorie à lui, mise à côté des textes de l'Aquinate, ne les force pas un
peu. Il est visible aussi que M. Zamboni, comme toute l'école thomiste
italienne, tient à voir dans la philosophie de S. Thomas une
philosophie qui comprenne le concret et le devenir aussi bien que celle de
Groce et de Gentile, et il cite le mot de S, Thomas : verbum mentis
semper est in continuo fieri, (de Ver., IV, 1, ad 1). Ces
préoccupations de l'auteur, la forme un peu fatigante de son œuvi*e? lui nuiront
peut-être dans les milieux français, et ce sera grand dommage, car il
424 G. BABEAU
y a là une pensée comprehensive et forte, et qui mérite d'être
examinée et discutée.
On aura une idée générale de la thèse et de la méthode de M. Zam-
boni par l'explication du texte célèbre : « nihil est in intellectu quod
prius non fuerit in sensu » . Ce texte, M. Zamboni le corrige en y
ajoutant une portion de phrase du de Veritate (q. 10, art. 6, ad 2) :
« eorum quae in ipsa mente sunt in actualem cognitionem devenire
potest ex his quae penes se habet ». Le vrai point de départ de la
Gnoséologie est donc « l'expérience psychique immédiate, comme
base de l'évidence » (p. 131), et de cette expérience psychique
immédiate, par une analyse reflexive, se dégageront les principes premiers
de la connaissance et de l'être-
L'ouvrage est divisé en cinq parties : 1° Préliminaires exégétiques;
2° Forme fondamentale de la connaissance : la connaissance
expérimentale immédiate; 3° Formes dérivées de la connaissance :,
élaboration dans l'intérieur de la conscience ; 4° Formes dérivées (suite) : la
vérité des jugements de présence psychique et de réalité ontologique ;
5° Corollaires ontologiques. Renonçant à suivre l'auteur dans tout le
développement de sa pensée, choisissons-en quelques moments plus
importants : comment la conscience formule-t-elle le jugement
d'existence : « cela est ? » comment connaît-elle les premiers principes
ontologiques? par quelle réflexion justifîe-t-elle son adhésion à
l'existence du monde extérieur ?
Voici d'abord comment j'arrive au jugement d'existence. En m'op-
posant à un scheme spatial qui limite mon activité, qui m'importune,
je prends conscience de ma propre réalité. Par contre, parmi les
éléments de ce « scheme » qui s'oppose à moi, se trouve une « réalité
désubjectivée », l'idée d'être. Alors je suis en mesure de formuler le
jugement : « cela », sujet du jugement, est un sujet phénoménal, une
image, un complexus d'images ; « est » est l'idée d'être «
désubjectivée », c'est-à-dire extraite de l'être de la conscience présente onto-
logiquement à elle-même.
Voici maintenant pour la connaissance des premiers principes
ontologiques. « La première base de l'expérience métaphysique est en
nous, dans la perception de notre réalité ; puis nous expérimentons
en nous-mêmes la relation entre l'unité de l'être et la multiplicité »,
Mais « les relations expérimentées ne sont pas ce qu'elles sont par
suite de ce qu'elles m'apparaissent, mais en vertu de leur contenu
qui ne reçoit de moi, comme sujet, que l'actualité présente ».
Voici enfin pour la connaissance certaine et réfléchie du monde
extérieur. Ce que le sens appréhende est une similitude de la chose
extérieure ; l'intelligence s'en rend compte, et par là connaît l'exis-
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 42S

tence et la nature de la res extra animam. L'intelligence s'en rend


même compte de telle manière que l'existence de la chose est atteinte
par une véritable démonstration : ce qui est matériel (le sens) ne peut
se modifier soi-même ; l'agent s'assimile le mobile sur lequel il agit;
le sens est donc modifié par Faction d'un objet. Cette démonstration
métaphysique, dont la gnoséologie isole les éléments, est possédée
implicitement par la certitude commune. Comme les principes en ont
été dégagés de l'expérience intérieure, la certitude métaphysique va
donc du subjectif à l'objectif. Pour arriver à connaître la chose en
appliquant les principes premiers, « il suffit que l'âme connaisse
expérimentalement dans ses actes sa manière de procéder et sa
nature » (p. 123). « La racine de l'aptitude de l'esprit à se conformer
aux choses est dans le fait que le sujet sentant et intelligent est une
chose et connaît qu'il est une chose » (p. 124). Et M. Zamboni conclut
que le travail attribué par St Thomas à l'intellect agent est accompli
par « l'autoconscience de la réalité propre ou du moi réel propre ».
En somme, la nature de l'intellect agent se ramène aux propriétés de
l'autoprésence du moi.
Tous les thomistes accepteront- ils ces thèses? Nous ne savoiîs.
Pour qu'ils soient mieux en mesure de juger, nous allons citer
brièvement le résumé de la gnoséologie thomiste que M. Zamboni a placé
à la fin de son livre. 1° La connaissance par concepts et jugements
est un processus immanent au sujet, par lequel celui-ci affirme avec
certitude l'existence, la nature, les lois de choses existant extra
animam. 2° Concepts et Jugements sont le produit de facultés qni
élaborent les données de l'expérience psychologique immédiate, en y
distinguant le contenu de l'actualité individuelle. 3° Cette expérience
immédiate a deux sources : conscience sensible et conscience
intellectuelle. Le sujet connaît qu'il est une chose soumise aux lois de l'être.
4° Les données de la conscience sensible, ainsi pénétrées par la
conscience du moi, donnent lieu aux jugements de présence psychique,
aux principes des sciences physiques et mathématiques. Les données
de la conscience intellectuelle sont le fondement des connaissances
ontologiques, logiques et morales.
On voit aisément, par cette analyse, que la construction de M.
Zamboni est trop vaste pour que nous essayions, dans ce bulletin, d'en
entreprendre une discussion par l'exégèse des textes de St Thomas.
Ajoutons seulement encore une fois que cette construction bien
personnelle est riche et forte, et que les thomistes devront examiner ce
Saint Thomas, philosophe du Cogito, philosophe du concret et du
devenir.
G, RAPEAU
V. De Milan encore, des presses de Vita e Pensiero, nous avons
reçu le travail de M. Francesco Olgiati : « Vârne de saint Thomas, essai
philosophique autour de la conception thomiste ». M. Olgiati n'a pas
cherché, comme M. Zamboni, à faire œuvre originale ; il nous apporte
un bon livre de vulgarisation, montrant le rôle de l'idée d'être dans
la philosophie thomiste : c'est cette idée d'être qui en est P« âme ».
Ainsi nous explique-t-il l'idée d'être, la science de l'être, l'être dans
les diverses parties de la philosophie, l'être dans la théologie.
Signalons la manière dont M. Olgiati, à la suite du P. Rousseiot,
marque les limites de 1 intellectualisme thomiste. Saint Thomas
enseigne que notre intelligence a pour objet direct, non l'individuel,
mais le spécifique. Ce n'est pas là une perfection, mais une
imperfection de notre esprit, qui revient indirectement à l'individuel, en
combinant l'universel avec des images sensibles. Par contre, nous
devons ne pas oublier que le moi, parce qu'il est spirituel, a de lui-
même une connaissance immédiate et individuelle. Par conséquent, il
est faux de dire que l'histoire, selon la doctrine thomiste, n'est pas
susceptible de vérité, car nous atteignons le devenir historique, soit
par une extension de la manière dont nous connaissons notre propre
moi, soit plutôt en combinant l'universel avec les images sensibles du
devenir. Ainsi le « réalisme chrétien >> se concilie avec l'« Idéalisme
grec »,

VI. « Révélation et Philosophie», du P. Gordovani, 0. P., professeur


à l'Université catholique de Milan, est aussi un bon livre de
vulgarisation, mais dont les intentions polémiques visent particulièrement la
jeunesse universitaire italienne, Le nouvel Idéalisme italien, niant la
possibilité, le sens, la valeur, de toute Révélation surnaturelle,
revendique, pour ses précurseurs^ les grands penseurs de la première moitié
du xixe siècle, Rosmini, Gioberti, Ventura. Le P. Gordovani, tout en
mettant en jour cru les erreurs de ces penseurs, n'a pas de peine à
montrer qu'ils ont été des fidèles, et que la notion de Révélation
faisait partie toute naturelle de leur doctrine philosophique. Le livre se
termine par l'exposé traditionnel : Goneept de Révélation; possibilité ;
nécessité ; attitude de l'esprit devant la Révélation.

VII. M. Joseph Ageorges a publié chez Bloud : « la Métapsy chique et


la préconnaissance de l'avenir. Socrate chez l'augure. Petits entretiens au
seuil de l'Absolu ». Par son titre, ce livre relève de ce bulletin. Mais il n'a
pas été écrit pour les lecteurs de ce bulletin. Pour les gens qui ont
assez de temps pour lire 200 pages dont la substance pourrait tenir en
2, il est très agréablement écrit, avec esprit et malice. La thèse qu'il
CHRONIQUE DE PHILOSOPHIE 427
soutient : qu'on n'a pas le droit d'écarter à priori la possibilité des
phénomènes métapsychiques, est celle du bon sens lui-même.
Malheureusement M. Ageorges nous promet d'établir ces faits, et c'est
ce qu'il ne fait guère, il nous renvoie surtout au livre récent du Dr Osty.
Il nous semble que de semblables discussions ne devraient pas, en ce
moment, être présentées au grand public, qui s'y passionne sans
pouvoir juger, et qui risque de compromettre sa raison dans les
folies qui pullulent autour de la Métapsychique. Le devoir des
psychologues, des philosophes, est de discuter scientifiquement avec la
rigueur de la science. On verra plus tard, s'il y a jamais lieu, à mêler
le grand public à ces sortes de choses.

G- Rabrau.

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