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Chloé LAPLANTINE
Université Paris 8, Polart
(un poème non comme genre ou comme forme ; mais au sens par exemple
où Henri Meschonnic le définit, c’est-à-dire l’invention d’une forme de
vie par une forme de langage et inversement l’invention d’une forme
de langage par une forme de vie).
Le poète compare, il
n’explique ni ne décrit.3
Baudelaire et le langage
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« La langue de Baudelaire » une approche de Baudelaire et du langage poétique…
que Benveniste cherche à voir c’est ce que les poèmes de Baudelaire font à
la langue, situant la question poétique et simplement linguistique au point
de vue d’une analyse de la culture (en 1968 dans un article intitulé « Sémio-
logie de la langue », Benveniste posera que « la langue [est] l’interprétant
de la société »7). Ainsi, s’il n’y a « pas d’objet » chez Baudelaire, si sa langue
ne se laisse pas saisir par l’approche d’une linguistique réaliste fondée sur
l’idée de signe, cette langue est aussi critique d’un mode de pensée, d’une
culture :
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Le Français aujourd’hui n° 175, « LIttérature et linguistique : dialogue ou coexistence ? »
notations aussi ténues que celles de Rilke »9. Cette idée d’une nécessité
impliquée par l’œuvre de réinventer le point de vue qui l’observe, va à
l’inverse de la démarche structurale, dominante au moment où Benveniste
écrit sa poétique, démarche qui correspond à l’application d’un modèle et
non à sa remise en question et redécouverte par l’œuvre d’art. Benveniste
critique ainsi la démarche mise en œuvre par Jakobson et Lévi-Strauss dans
leur fameuse analyse du poème Les Chats10 :
Différences d’approche
de la pièce de
Une approche consiste à partir de la composition
poéti vers comme d’une donnée, de la décrire,
de la démonter comme un objet. C’est
l’analyse telle qu’on la trouve appliquée11 aux Chats
dans le bel article de Lévi-Strauss et Jakobson.12
la réalité encore inouïe que l’artiste invente et à laquelle il fait accéder son
lecteur :
La ‘réalité’ à14 laquelle renvoie le vers15du
poème est une réalité indéfiniment créée
par le poète même, au moyen de ses vers. Il la
fait voir, il lui donne existence par la sonorité
des vers. Celui qui répète ces vers accède à cet
univers second, qui est tout entier inclus
dans les mots assemblés par le poète. O miracle
permanent, ô confuse merveille que cette fiction
devenant suprême réalité dans et par les mots.16
9. É. Benveniste, « Les Cahiers de Malte Laurids Brigge par Rainer Maria Rilke, trad.
M. Betz (Stock) », in Philosophies, 1, Paris, 15 mars 1924, p. 94-95.
10. R. Jakobson et C. Lévi-Strauss, « Les Chats » de Charles Baudelaire, étude parue à l’ori-
gine dans la revue L’Homme, 2, 1962. Étude reprise dans le volume d’articles (R. Jakobson)
Questions de poétique, Seuil, Paris, 1973.
11. Manuscrit. : mise en > appliquée
12. Benveniste, Baudelaire, 14, f°2 / f°81.
13. BAUDELAIRE, 22, f°67/ f°319.
14. Manuscrit : de > à
15. Manuscrit : sens > vers
16. BAUDELAIRE, 22, f°9 / f°261.
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c’est aussi peut-être une critique du réalisme, et on peut sans doute lier cette
remarque à propos d’une ontologie primordiale et spécifique à Baudelaire à
ce monde sans objet que construisent selon Benveniste ses poèmes : « Chez
Baudelaire il n’y a pas d’objets. Les choses n’existent pas pour elles-mêmes.
Elles ne sont données que par et pour les sentiments qu’elles suscitent
en l’homme c’est-à-dire encore pour les <dans leurs> correspondances ».
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son public un autre sens du langage, une autre expérience du monde (que
réaliste par exemple). Dans ses manuscrits, Benveniste parle ainsi d’enga-
ger une conversion du point de vue, cette conversion du point de vue étant la
découverte, à partir de Baudelaire, d’une autre représentation, d’une autre
théorie du langage :