Sunteți pe pagina 1din 4

Études chinoises

François Jullien, Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de


l'esthétique en Chine. 1991
Danielle Elisseeff

Citer ce document / Cite this document :

Elisseeff Danielle. François Jullien, Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de l'esthétique en Chine. 1991. In: Études
chinoises, vol. 11, n°2, Automne 1992. pp. 165-167;

https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_1992_num_11_2_1177_t1_0165_0000_1

Fichier pdf généré le 08/11/2019


Comptes rendus

François Jullien , Éloge de lafadeur. À partir de la pensée et de /' esthétique


en Chine. Paris, Philippe Picquier, 1991. 136 pages. FF 85,00

Ce livre mince est une petite merveille en son genre : d'un élégant format
allongé, il présente, dans une typographie soignée et sur papier de qualité,
un texte à la fois amusant, profond et tonique. Usant d'une langue simple,
et parfois sur le ton d'une conversation amicale (très « Rive gauche », cela
va de soi), l'auteur conduit ici le lecteur à prendre (ou reprendre) conscience
d'une qualité bien souvent oubliée : la valeur du neutre, de ce sublime
moment d'équilibre où tous les contraires — présents à parts strictement
égales ou équivalentes — s'annulent en se répondant l'un l'autre. Le meilleur
symbole de ce point si courant, et pourtant si mal apprécié en Occident,
est l'eau : cette eau qui, aux papilles du vulgaire, n'a pas de saveur, alors
qu'elle constitue le composant le plus indispensable de la vie.
L'auteur développe subtilement les différentes facettes de ce thème,
exprimé en chinois par dan et traduit par « fade » ; on pourrait dire sans
doute aussi « dilué » ou « pâle », en se référant aux sens donnés par les
dictionnaires. Je n'ai aucune compétence pour juger si la traduction choisie
est bien ou mal fondée, mais, sonnant en français d'une manière paradoxale
(nous n'aimons pas vraiment l'insipidité, quelle qu'elle soit), cette référence
à la « fadeur » assortie d'un « éloge » me semble constituer un outil de
réflexion indéniablement apte à secouer nos certitudes. Et, à la fin de son
ouvrage, François Jullien oppose d'une manière convaincante, fort illus¬
trative, à cette fadeur chinoise la fadeur évoquée chez Verlaine comme
un symbole, ou une annonce, de la mort (cf. p. 126, « le fade est un fané
qui se refuse à mourir »).
La notion chinoise, elle, débouche sur le spirituel en suggérant l'appro¬
fondissement des choses, mais en apprenant aussi à s'en détacher ; ainsi
que le proclame la dernière phrase de cet essai percutant, mettant en
perspective l'expérience chinoise et celle de Verlaine : « La fadeur est cette
expérience de la "transcendance"1 réconciliée avec la nature — dispensée
de la foi » (p. 127).

1 Verlaine refuse la tentation de la fadeur, dérivant en langueur, et cherche


finalement refuge dans le Christ.

165
Études chinoises, vol. XI, n° 2, automne 1992
Comptes rendus

Je ne dirai donc jamais assez tout le bien que je pense de ce livre.


Me permettrez-vous d'ajouter qu'il m'a pourtant, et aussi, quelque peu
agacée ? C'est que, sûr de son fait et du lumineux rayonnement de son
verbe (ici, il a vraiment essayé d'écrire « simple »), l'auteur veut parfois
apporter trop d'eau à son moulin. Et, quittant le champ des textes, qu'il
connaît comme personne, le voilà qui se tourne vers les domaines et les
« objets » de l'art.
Bien sûr, il a raison : c'est là que s'applique de la manière la plus
directement sensible la théorie de la fadeur. Cependant, cette exploration-
là exigeait aussi une longue observation et une infinie prudence, vertus
peu compatibles, c'est sûr, avec le ton même d'un tel ouvrage, résolument,
et bénéfiquement, pamphlétaire.
Il est vrai que certains arts invitent au commentaire : la peinture, par
exemple. Les Chinois, depuis deux mille ans ou presque, ont intermina¬
blement écrit sur le sujet. François Jullien pouvait retourner aux textes et
avancer en terrain (relativement) sûr, à condition de se montrer attentif
aux catégories et aux particularités du langage esthétique : les travaux de
François Cheng l'auraient peut-être aidé en l'occurrence. Mais le danger
grandit quand il cherche des références et même des illustrations plastiques
et se tourne alors vers l' histoire de la peinture et l' image, qu' il paraît supposer
pleinement démonstratives : est-il certain, cependant, d'avoir sous les yeux
des commentaires échappant à toute contestation, voire une photo de
l'« original » (notion flottante en chinois) et non celle d'une copie, même
ancienne, même inspirée, mais « déviante » par rapport à l'époque ou à
l'artiste considérés ? Disserter sur Dong Yuan, par exemple, est un exercice
périlleux ; l'auteur le sait bien qui, illustrant son propos d'une photo, indique
sagement que l'œuvre est « attribuée », sans plus, au maître. La simple
lecture des multiples articles parus dans Artibus Asiœ (une publication
aisément accessible) lui aurait ouvert de vastes perspectives, tout comme
celle des intarissables travaux réalisés depuis trente ans au moins, dans
le sillage de James Cahill et de Susan Bush aux États-Unis ou de Lothar
Ledderose en Allemagne, pour ne citer que des érudits qui, chacun à sa
génération, ont su relancer l'étude de la peinture chinoise vers de nouveaux
éclairages et initier un mouvement souvent révolutionnaire.

166
Comptes rendus

Le danger devient plus imminent encore lorsque la sculpture entre en


jeu : celle-ci n'est pas un art au regard de la tradition chinoise ; elle se
range tout simplement parmi les « artisanats » au service, suivant les cas,
d'un décor architectural, d'un aménagement de la mort, ou d'une notion
religieuse dont l'iconographie, immuable en théorie sinon toujours dans
les faits, obéit à des impératifs extrêmement précis. Que le tailleur de pierre,
dans le cas de Yungang par exemple (cité p. 46), ait consciemment ou
non été influencé par le goût « fade » du moment est une chose vraisemblable
(bien que cela demeure à démontrer), mais qu'il ait volontairement travaillé
dans le sens de la fadeur me semble difficile à établir, même si certains
interlocuteurs chinois le ressentent comme tel aujourd'hui. Il n'est pas
question de mépriser le témoignage de ces derniers ; il faudrait en revanche
impérativement en jauger les sources, les confronter à la chronologie de
l'œuvre et aux circonstances de sa création. Et pourquoi se référer uni¬
quement aux textes d'Osvald Siren, toujours utiles mais souvent vieillis
par la force des choses ? La grande source de la sculpture à Yungang est
aussi Mathura, une source indienne, donc, et pas seulement gandharienne :
bien des aplats et des rondeurs douces se trouvent alors expliqués indé¬
pendamment de (ce qui ne veut nullement dire contre) la fadeur philoso¬
phique chinoise. Et puis la légende illustrant ces propos est choquante :
« La fadeur dans le portrait : Bouddha debout (Datong, grotte XXIII). »
Une représentation du Buddha n'a jamais été un portrait ! À moins qu'elle
ne soit le portrait d'une idée. Mais peut-être l'éditeur est-il seul responsable
en ce cas.
Ces restrictions ne m'empêchent pas de recommander avec enthou¬
siasme la lecture de la Fadeur , en attendant que François Jullien, à côté
de ses travaux plus ostensiblement savants, écrive encore et encore de ces
aperçus lumineux, élégamment provocateurs. Remettez-vous donc vite au
travail, cher auteur, et plongez-vous pour de bon dans les domaines de
l'art. Mais prenez garde : rien, ici, ne peut s'aborder d'un bloc, et comme
en passant. Méfiez-vous des images, si claires en apparence et si attirantes :
elles mentent mille fois plus, et beaucoup plus insidieusement, que les mots.

Danielle Elisseeff
EHESS, Paris

167

S-ar putea să vă placă și