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Elisseeff Danielle. François Jullien, Éloge de la fadeur. À partir de la pensée et de l'esthétique en Chine. 1991. In: Études
chinoises, vol. 11, n°2, Automne 1992. pp. 165-167;
https://www.persee.fr/doc/etchi_0755-5857_1992_num_11_2_1177_t1_0165_0000_1
Ce livre mince est une petite merveille en son genre : d'un élégant format
allongé, il présente, dans une typographie soignée et sur papier de qualité,
un texte à la fois amusant, profond et tonique. Usant d'une langue simple,
et parfois sur le ton d'une conversation amicale (très « Rive gauche », cela
va de soi), l'auteur conduit ici le lecteur à prendre (ou reprendre) conscience
d'une qualité bien souvent oubliée : la valeur du neutre, de ce sublime
moment d'équilibre où tous les contraires — présents à parts strictement
égales ou équivalentes — s'annulent en se répondant l'un l'autre. Le meilleur
symbole de ce point si courant, et pourtant si mal apprécié en Occident,
est l'eau : cette eau qui, aux papilles du vulgaire, n'a pas de saveur, alors
qu'elle constitue le composant le plus indispensable de la vie.
L'auteur développe subtilement les différentes facettes de ce thème,
exprimé en chinois par dan et traduit par « fade » ; on pourrait dire sans
doute aussi « dilué » ou « pâle », en se référant aux sens donnés par les
dictionnaires. Je n'ai aucune compétence pour juger si la traduction choisie
est bien ou mal fondée, mais, sonnant en français d'une manière paradoxale
(nous n'aimons pas vraiment l'insipidité, quelle qu'elle soit), cette référence
à la « fadeur » assortie d'un « éloge » me semble constituer un outil de
réflexion indéniablement apte à secouer nos certitudes. Et, à la fin de son
ouvrage, François Jullien oppose d'une manière convaincante, fort illus¬
trative, à cette fadeur chinoise la fadeur évoquée chez Verlaine comme
un symbole, ou une annonce, de la mort (cf. p. 126, « le fade est un fané
qui se refuse à mourir »).
La notion chinoise, elle, débouche sur le spirituel en suggérant l'appro¬
fondissement des choses, mais en apprenant aussi à s'en détacher ; ainsi
que le proclame la dernière phrase de cet essai percutant, mettant en
perspective l'expérience chinoise et celle de Verlaine : « La fadeur est cette
expérience de la "transcendance"1 réconciliée avec la nature — dispensée
de la foi » (p. 127).
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Danielle Elisseeff
EHESS, Paris
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