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cordonne.html
Les transformations de la structure financière du capitalisme marocain

Par : Oubenal Mohamed, chercheur à l’IRCAM (Rabat) et Abdellatif Zeroual, docteur en


gestion et chercheur en sociologie-Université Mohammed V (Rabat).

Résumé :
Cet article étudie la structure financière actuelle du capitalisme marocain en vue de
comprendre les transformations induites par des décennies de libéralisation économique. Pour
cela, nous comparons nos résultats portant sur l’actionnariat de 344 entreprises en 2016 avec
ceux de l’étude de Saadi qui date de la fin des années 70, juste avant l’adoption du Plan
d’Ajustement Structurel (PAS). Nous mettons ainsi en évidence le fait que le capital privé
marocain proche du palais et le capital étranger sont les grands bénéficiaires des politiques
néolibérales adoptées. Les privatisations ont ainsi principalement touché le secteur industriel
d’où l’Etat s’est complètement désengagé cédant surtout la place au capital étranger. Le
capital privé marocain domine, quant à lui, le commerce et s’est renforcé en finance grâce aux
acquisitions effectuées par la holding royale et certaines familles qui lui sont liées. Notre
analyse du réseau de co-actionnariat nous permet également de souligner l’existence d’un
cœur de réseau interconnecté dominé par l’investisseur institutionnel CDG et la holding
royale SNI. La périphérie du réseau comprend, quant à elle, quelques groupes comme Kettani
et Lamrani qui se sont affaiblis dans les années 2000 alors qu’ils étaient dominants
auparavant.

Abstract:
This article studies the current financial structure of Moroccan capitalism in order to
understand the transformations induced by decades of economic liberalization. We compare
the shareholders of 334 firms in 2016 with those of companies studied by Saadi before the
adoption of the Structural Adjustment Programme (SAP). We show that the Moroccan private
capital that is close to the Monarchy and foreign investors are the biggest beneficiaries of
neoliberal reforms. We also evidence that privatization has mainly affected the industrial
sector with State’s withdrawal for the benefit of foreign investors. Meanwhile, Moroccan
private capital dominates trade and strengthens its position in finance. Our analysis of the
network of joint shareholdings reveals an interdependent core of companies dominated by the
institutional investor CDG and the royal holding SNI. The periphery comprises a few groups
like Kettani and Lamrani which were dominant before they started weakening in the 2000s.
Introduction

Les études en sciences sociales produites sur les élites économiques et le capitalisme
au Maroc ont connu deux phases. Les années 1970 et 1980 sont caractérisées par la
prédominance des approches marxistes. Un débat sur la nature de la bourgeoisie marocaine
oppose alors les économistes proches de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) à
ceux qui sont liés au Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). Les premiers vont s’atteler à
montrer le caractère « non bourgeois » ou « mangeur de surplus » de la bourgeoisie
marocaine1. Les seconds essaient de mettre en évidence l’existence d’une bourgeoisie
marocaine qui aurait sa propre base d’accumulation. Celle-ci s’est élargie grâce aux multiples
vagues de marocanisation2. A coup d’études sur la structure financière du capitalisme
marocain, chaque camp vise à défendre sa thèse qui s’enracine en réalité dans une divergence
politique : l’USFP du congrès extraordinaire de 1975 prétend que le socialisme est à l’ordre
du jour au Maroc alors que le PPS veut une révolution nationale démocratique (étape
nécessaire vers le socialisme) qui laisserait une bourgeoisie nationale se développer sous la
houlette de l’Etat.
La reconversion d’une grande partie de la gauche et de ses intellectuels au
néolibéralisme et le changement d’ère concomitant à la fin de la guerre froide ainsi que
l’hégémonie des approches s’inspirant de l’individualisme méthodologique amorcent un
virage dans l’étude des élites économiques. L’usage du terme d’entrepreneur à la place de
celui de patron et de bourgeois, dans les discours officiel, médiatique, partisan et scientifique
est révélateur de ce tournant. Il déplace le regard vers l’individu, ses capacités et ses
préférences. L’objectif politique est d’identifier une nouvelle catégorie d’agents capables dans
le contexte de libéralisation de s’affranchir des contraintes et d’impulser un processus de
modernisation. Catusse3 parle de transitologie pour désigner ces travaux qui présentent les
entrepreneurs comme des acteurs capables de réformer le pays et le conduire dans la transition
vers le libéralisme politique4.
Dans la séquence des années 1990-2000, des politiques néolibérales conduisent à des
vagues de privatisation et de déréglementation. Paradoxalement, cette période de profonde
transformation de l’économie marocaine est caractérisée par l’absence de travaux
académiques portant sur la structure financière du capitalisme marocain. Ce vide est, en
revanche, comblé par la presse indépendante. Des hebdomadaires comme Le journal et Tel
Quel ont mené des enquêtes approfondies sur le rachat du groupe bancaire Wafa par la
holding royale ou encore la fusion-acquisition ONA-SNI et sa sortie de bourse. Aboubakr
Jamai, alors directeur de publication du Journal, décrivait ainsi le processus d’ « Alaouisation
de l’économie »5 marocaine.
Nous cherchons, dans notre recherche académique, à combler ce gap et à apporter une
meilleure compréhension de la transformation de la structure financière du capitalisme
1 El Malki H., « Capitalisme d’Etat, développement de la bourgeoisie et problématique de la transition- le cas du
Maroc », Revue juridique, politique et économique du Maroc, n°8, 1980.

2 Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, Editions Okad, Rabat, 1989.

3 Catusse M., Le temps des entrepreneurs ? Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Maisonneuve
& Larose, Paris, 2008.

4 Tangeaoui S., Les entrepreneurs marocains : Pouvoir, société et modernité, Editions Karthala, Paris, 1993.

5 Jamai A., « La «alaouisation» de l’économie », Le journal Hebdo, N° 272 Du 7 au 13 Octobre 2006,


disponible également ici : http://web.archive.org/web/20061018133856/http://www.lejournal-
hebdo.com/sommaire/index.php?option=com_content&task=view&id=1444&Itemid=29, consulté le
20/11/2015.
marocain en actualisant la recherche de Saadi6. Dans cet article, nous étudions, plus
particulièrement, les types de contrôle des 344 entreprises qui ont le chiffre d’affaires le plus
important7. Une analyse du réseau de co-actionnariat nous permet d’identifier la position des
différents groupes et holdings familiaux.
Nous montrons que le capital privé marocain proche du palais et le capital étranger ont
été les principaux bénéficiaires des politiques néolibérales adoptées. Le capital privé marocain
est aujourd’hui largement dominant dans le commerce et s’est renforcé en finance grâce aux
acquisitions effectuées par la holding royale et certaines familles qui lui sont liées 8. Le capital
étranger joue, quant à lui, un rôle central dans le secteur industriel où il est fortement présent
au côté du capital privé marocain. Suite aux politiques de privatisations, l’Etat a, pour sa part,
entrepris un désengagement de l’industrie et une partie du secteur de l’énergie-mines tout en
se focalisant davantage sur les services et les BTP.
La structure globale du réseau d’actionnaires du capitalisme marocain montre
l’existence d’un cœur de réseau interconnecté et d’une périphérie très éclatée. Parmi les
acteurs périphériques il est intéressant de noter la présence des groupes Kettani et Lamrani,
qui ont marqué le règne de Hassan 2 et qui ont été affaiblis dans les années 2000. Le cœur du
réseau est, quant à lui, dominé par une vingtaine d’actionnaires. L’investisseur institutionnel
CDG et la holding royale SNI occupent une place centrale au cœur du réseau. Il faut ici noter
la position de challenger du groupe Saham de Moulay Hafid Elalamy (MHE) qui est en train
de percer alors qu’il n’existait pas avant 1995.

6 Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, op. cité

7 Nous avons pris en compte la moyenne du chiffre d’affaires entre 2012 et 2013.

8 Pour déterminer les groupes privés qui sont proches de la monarchie, nous nous référons au ERF working
paper : « Crony interlockers and the centrality of banks: the network of Moroccan listed companies », où
Mohamed Oubenal (2016) prend en compte l’appartenance au conseil d’administration d’une fondation royale
comme indicateur de la proximité avec le palais.
Les études sur la structure financière du capitalisme marocain : The Moroccan Debate

Dans les années 1970 et 1980, les études sur le patronat marocain sont marquées par
la référence au marxisme. Ainsi, un débat sur la nature de la bourgeoisie marocaine oppose les
économistes liés à l’USFP à ceux du PPS. Ce débat a des traits communs avec « une
discussion scientifique et idéologique assez vive qui s’est déroulée essentiellement entre 1975
et 1980 »9 qui « portait sur l’existence, l’importance et le rôle d’une bourgeoisie nationale au
Kenya »10. Connue sous le nom de Kenyan Debate, cette discussion, dont les protagonistes
sont non kenyans dans leur quasi-totalité, oppose des marxistes dépendantistes (mobilisant la
théorie de la dépendance) à des marxistes orthodoxes. Les premiers défendent la thèse de
l’incapacité de la bourgeoisie kenyane à « promouvoir les rapports capitalistes par elle-
même »11 alors que les seconds affirment que celle-ci a élargi sa base d’accumulation et
qu’elle n’est pas simplement une bourgeoisie auxiliaire. Ce débat imité dans d’autres pays
(Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe, Afrique du Sud) a eu, semble-t-il, des prolongements au
Maroc. Ainsi, Le Moroccan Debate opposa deux thèses :
 La première thèse, défendue par les économistes de l’USFP, consiste à affirmer
l’ « absence de « bourgeoisie bourgeoise », c'est-à-dire d’une bourgeoisie capitaliste »12 au
Maroc. Selon El Malki, les « caractéristiques structurelles de la bourgeoisie marocaine sont la
subordination à l’Etat d’un côté et la domination économique et technologique du capital
impérialiste étranger de l’autre. Il en résulte une marge d’autonomie étroite, rendant cette
classe sociale incapable d’assumer les mêmes responsabilités et de jouer le même rôle que la
bourgeoisie européenne. »13 Dans ce cas, « la pratique de l’Etat marocain est plus celle d’un
Etat-substitut ».14
 La seconde thèse, défendue par les économistes du PPS, affirme que si « la
bourgeoisie se définit – en termes marxistes - par la possession de moyens de production
transformés en capital lui permettant d’extorquer une plus-value à la force de travail
prolétarisée, cette définition s’applique tout à fait à une bonne fraction des classes possédantes
marocaines. Le fait qu’elle soit faible, dominée, inhibée par le poids de la dépendance
commerciale, financière et technologique, qu’elle manque de dynamisme en matière
d’investissements productifs n’enlève en rien à sa nature sociale de classe bourgeoise. » 15 Les
bases économiques de la bourgeoisie marocaine se seraient même élargies depuis
l’indépendance.
Pour défendre leurs positions, les protagonistes du débat ont étudié la structure
financière du capitalisme marocain. Le tableau suivant résume les résultats de ces études.

9 Copans J., « le débat kényan » in Ellis S., Faure Y-A.,(dir.), Entreprises et entrepreneurs africains, Editions
Karthala et Orstrom, Paris, 1995 p. 105.

10 Ibid p.106.

11 Ibid p. 107.

12 El Malki H, « Capitalisme d’Etat, développement de la bourgeoisie et problématique de la transition- le cas


du Maroc », art. cit. p.226.

13 Ibidem.

14 Ibid p. 225.

15Belal A, « La bourgeoisie marocaine est-elle ou n’est-elle pas ? », Al Assas, n° 43, 1982 p. 12.
Tableau 1- Les études sur la structure financière du capitalisme marocain
Ghellaf Kadmiri Saadi Berrada,
Chiguer,
Darouich
Contrôle étatique 60% (240) 41% (82) 15,31% (51) 40,6%
Contrôle étranger 35% (140) 28% (56) 30,33% (101) 22,9%
Contrôle privé 4% (12) 10% (20) 41,14% (137) 22,6%
marocain
Contrôle 1% (4) 0 0 0
managérial
Contrôle joint : 0 18% (36) 13,21% (44) 13,9%
- Etranger-Etat 15% (30) 5,10% (17)
- Etranger-Privé 1,5% (3) 8,11% (27)
marocain
-Etat-privé 1,5% (2)
marocain
Total 100% (40016) 97% (20017) 100% (33318) 10019%
(3,5% est
indéterminé)
Source :
- El Ghallaf M, « La structure financière des grandes entreprises
industrielles » in Etat et développement industriel au Maroc, Editions
Maghrébines, Casablanca, 1982 p. 138
- Kadmiri A, Economie et politique industrielle au Maroc, Editions Toubkal,
Casablanca, 1988 p. 88
- Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc op. cité p. 36

16 L’échantillon est constitué de 400 entreprises industrielles employant 100 salariés et plus.

17 Il s’agit des 200 principales sociétés industrielles, commerciales et financières en 1983 réparties comme suit:
Agriculture : 2, Industrie : 99, Mines : 20, Banques (13), Institutions financières (3), Transport (8), Commerce
(20), Assurance (7), Immobilier et tourisme : 17, société de crédit : 5, société d’investissement : 6.

18 Il s’agit des 333 grandes entreprises en 1977 réparties comme suit : Industrie : 106 (employant 43% de
l’ensemble des effectifs), commerce : 94 (réalisant 40,9% du CA), BTP. 63 (réalisant 41,5% du CA), Finances :
29 (15 banques de dépôt et 14 sociétés d’assurances), Energie et mines : 17, Transport : 24 (réalisant 65,3% du
CA).

19 Les pourcentages renvoient à la part dans la structure réelle de la totalité du capital engagé dans les
entreprises de l’échantillon constitué de 293 entreprises : 243 relevant du secteur des industries de
transformation, 12 entreprises minières, 36 entreprises du BTP et deux raffineries de pétrole.
- Darouich A., Chiguer M., Berrada A., Etudes sur le secteur industriel au
Maroc, Imprimerie El Maârif Al Jadida, Rabat, 1988 p. 95

Ainsi Ghellaf et Kadmiri 20 mettent en évidence la prédominance du contrôle étatique,


l’importance du contrôle étranger et l’étroitesse de la base d’accumulation du capital privé
marocain. Alors que les économistes du PPS (Saadi, Darouich, Chiguer, Berrada) essaient de
démontrer que « la bourgeoisie marocaine contrôle une part significative des moyens de
production et d’échange »21. Cette divergence a ses prolongements dans les prises de position
politiques des protagonistes. Ainsi si l’USFP du congrès extraordinaire de 1975 prétend que le
socialisme est à l’ordre du jour au Maroc 22, le PPS veut une révolution nationale
démocratique23 qui laisserait une bourgeoisie nationale se développer sous la houlette de
l’Etat. Cette seconde option, celle d’une voie de développement non capitaliste (comme étape
vers le socialisme) défendue par le parti communiste soviétique et ses « partis frères » dans le
« tiers-monde » (dont le PPS) est, en réalité, pour l’un des économistes de l’USFP, « la voie
capitaliste développementiste »24 et « l’expression de l’échec du passage au socialisme »25.
C’est dire les enjeux idéologico-politiques du Moroccan Debate.

L’évolution de la structure financière du capitalisme marocain entre 1977 et 2016

La comparaison des résultats de notre étude avec ceux du travail de Saadi (tableau 2
ci-dessous) nous permettent de souligner les principales transformations subies par la
structure financière du capitalisme marocain. Elles se résument en trois tendances
fondamentales : la consolidation de l’emprise du capital étranger, le redéploiement du capital
technobureaucratique et le renforcement du poids du capital privé marocain.

Tableau 2 – L’évolution de la structure financière du capitalisme marocain 1977 - 2016


1977 2016
Le contrôle étatique 15,31% 12,2%
Le contrôle étranger 30,33% 34,6%
Le contrôle privé marocain 41,14% 48,8%
Le contrôle joint 13,21% 4,4%
Total 100% 100%
Source : - Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, op. cit. p. 36
- Les données de notre échantillon

20 Ghellaf et Kadmiri ne sont pas, à proprement parler, des économistes de l’USFP mais leurs travaux ont été
mobilisés dans ce débat. Notons tout de même que Ghellaf a fait partie du département d’économie de Rabat-
Agdal sous la supervision de l’Usfpéiste El Malki alors que Kadmiri était proche de l’Usfpéiste Oualalou.

21 Saadi M. S., « A propos de la structure financière du capitalisme marocain. Note critique sur la thèse de
Abdelghani Kadmiri « structures industrielles et financières de l’économie marocaine » », Economie et
socialisme, n° 6, 2ème Trimestre1987 p. 69.

22 Voir le rapport idéologique approuvé par le congrès extraordinaire de l’USFP en 1975.

23 Voir Parti du Progrès et du Socialisme, la démocratie nationale, étape historique vers le socialisme,
Casablanca, 1975.

24 El Malki H, « Capitalisme d’Etat, développement de la bourgeoisie et problématique de la transition- le cas


du Maroc », op. Cité p. 218.

25 Ibid.
La consolidation de l’emprise du capital étranger

Présent bien avant le protectorat, le grand capital étranger (français essentiellement 26)
ne jouera, néanmoins, un rôle prédominant et prépondérant dans l’économie marocaine
qu’avec la colonisation. Celle-ci va lui offrir le cadre juridique, institutionnel et matériel
nécessaire pour qu’il s’implante et s’impose 27. Durant le protectorat, l’implantation et le
développement du capital étranger sont passés par trois grandes phases :
- une phase de développement de nouvelles activités 28 dans les vingt premières
années du protectorat (1912-1932) ;
- une longue période de dépression entre 1932 et 1946 entrecoupée par des périodes
de reprise (en 37-39 et en 41-42)29 et
- une seconde phase d’expansion de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à la
fin du protectorat30.
Du fait de ces vagues d’investissement, les grands groupes financiers français, et à leur
tête Paribas avec son Omnium Nord-Africain (ONA), « acquirent en conséquence une
position dominante dans les principaux secteurs de l’économie marocaine »31.
Devant la montée en puissance du mouvement national au Maroc (dans un contexte
d’embrasement général dans tout l’empire colonial français) et l’inéluctabilité de
l’indépendance, le grand capital français va essayer de s’adapter 32. Le processus «politique »
ayant conduit à l’indépendance du pays le rassure. La tournure des événements après
l’indépendance le conforte. La formule « associationniste » sera mise en pratique dès la fin du
protectorat. Le grand capital étranger va ainsi bénéficier de l’attitude « bienveillante » de
l’Etat « postcolonial » à son égard (Avantages accordés par le Code des investissements de
1960, concours financier de la BNDE33, participation publique dans le capital d’un ensemble
de filiales d’entreprises étrangères comme Lafarge, Carnaud, Brasseries du Maroc,
CNIA34…). Ce qui lui a permis de maintenir son contrôle sur des pans entiers de l’économie
marocaine.

26 Des capitaux belges (Mines), suisses (Hôtellerie et immobilier), anglais et américains (Pétrole, distribution de
combustibles liquides, boissons gazeuses) étaient aussi présents au Maroc. Ayache A., Le Maroc, bilan d’une
colonisation, Editions Sociales, Paris, 1956 p. 119.

27 Albert Ayache estime l’ensemble des mouvements de capitaux dans les sociétés « chérifiennes » (ayant leur
siège social au Maroc) de 1912 à 1955 à 370 milliards de francs dont environ 220 milliards, dans leur très grande
majorité français, sont des capitaux importées. Voir Ayache A., « Les mouvements de capitaux dans les sociétés
au Maroc (1912-1955) : leurs aspects géographiques » in Ayache A., Etudes d’Histoire sociale marocaine,
Editions OKAD/AL ASAS, Rabat, 1997 p. 39.

28 Idem p. 35.

29 Idem p. 34 voir aussi Belal A., L’investissement au Maroc (1912-1964) et ses enseignements en matière de
développement économique, Éditions maghrébines, Casablanca, 1980 p. 28-29.

30 Ibid.

31 Belal A., L’investissement au Maroc (1912-1964) et ses enseignements en matière de développement


économique, op. Cité p. 35.

32Hodeir C., Stratégies d'empire. Le grand patronat colonial face à la décolonisation, Editions Belin, Paris,
2003 p. 197.

33 Hamdouch B., « Le Maroc et les sociétés multinationales », Bulletin Economique et Sociale du Maroc n°
136/137, 1975 p. 101-102.

34 El Aoufi N., La marocanisation, Editions Toubkal, Casablanca, 1990 p. 141-142.


La Dahir du 2 mars 1973 relatif à la marocanisation sera l’aboutissement de cette
formule « associationniste » nécessaire au maintien du contrôle étranger. En effet, la
marocanisation n’était ni une étatisation, ni une nationalisation et s’inscrivait dans la
continuité des grandes orientations « libérales » du pouvoir associant capital étranger et
capital marocain35. Elle permettait à la fois de consolider « la base économique de l’alliance
au pouvoir »36 et de « renforcer les bases internes de la domination externe »37. Ainsi, à l’issue
de cette opération, le capital étranger contrôlait encore en 1977, 101 des 359 grandes
entreprises au Maroc38, principalement dans l’industrie, le BTP, le commerce et le secteur
financier,39 sans parler du fait que dans plusieurs cas la marocanisation du capital ne signifiait
nullement une marocanisation de contrôle du fait de la maîtrise, par les groupes étrangers, du
processus décisionnel et de la « variable technologique et organisationnelle »40.
Les données collectées en 2016, nous permettent de souligner que le capital étranger,
notamment français, contrôle plus du tiers des entreprises de notre échantillon (cf. Tableau
n°2). En comparaison avec les résultats de l’enquête menée par Saadi, cette proportion a
augmenté41. Elle est passée en 40 ans de 30,33% à 34,6%. Ainsi, trente ans de triomphe du
néolibéralisme au Maroc ont conduit au renforcement du contrôle étranger. En effet,
l’adoption d’un nouveau code d’investissement en 1983 abolissant les contraintes induites par
le dahir sur la marocanisation, suivi d’une série des mesures réglementaires et institutionnelles
pour améliorer l’ « attractivité » du Maroc aux investissements directs étrangers 42 profitera
amplement au grand capital étranger. Ce dernier s’est principalement renforcé dans l’industrie
puisqu’il est passé de 37 unités industrielles suivant les données de Saâdi rapportées à 1977 à
55 entreprises dans notre échantillon de 2016 (Voir tableau 3 ci-dessous). Plus largement, la
privatisation permettra au grand capital étranger notamment français, seul ou en association
avec le capital privé marocain, d’élargir sa base d’accumulation dans des secteurs clés de
l’économie : transport maritime, télécommunications, cimenterie, raffinerie, sidérurgie,
industrie automobile, engrais, tabac, etc. Ainsi en 2011, 46% du chiffre d’affaires, 52% des
exportations, 48% de la valeur ajoutée, 46% de l’investissement et 36% des effectifs de
l’industrie étaient le fait des entreprises à participation étrangère43.
Dans le secteur financier, le capital étranger a perdu des positions au profit des grands
groupes marocains. Il est ainsi passé de 14 établissements financiers contrôlés en 1977 à 11 en
35 Ibid p. 64.

36 Amor M. F., Le Maroc dans l’économie mondiale, Editions Toubkal, Casablanca, 1987 p. 81.

37 Berrada A., « La marocanisation de 1973 : un éclairage rétrospectif », Revue juridique politique et


économique du Maroc. N°20, 1988 p.59.

38 En plus du contrôle joint exercé sur 44 autres grandes entreprises : Saadi M. S., Les groupes financiers au
Maroc, Op. cit. p. 55.

39 Ibid p. 56 Même s’il a connu, suite à la marocanisation, un recul net dans l’industrie et le commerce et léger
dans le secteur financier. Ibid p. 88-89.

40 Berrada A., « La marocanisation de 1973 : un éclairage rétrospectif », op. cit. p. 89.

41 Il faut en revanche noter que le contrôle joint, qui concernait principalement les groupes étrangers avec leurs
homologues marocains publics et privés, a énormément baissé passant de 44 entreprises en 1977 à 15 en 2016.
Cette baisse a été moins importante dans le secteur industriel où 7 joint-ventures importantes existent toujours
surtout dans l’industrie lourde.

42 Pour une présentation et un examen de ces mesures, voir : CNUCED, Examen de la politique
d’investissement au Maroc, New York et Genève, 2008

43 Ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, Industrie en chiffres. Exercice 2011.
2016 (voir tableau 3 ci-dessous) alors qu’au même moment plusieurs grandes banques et
assurances, jadis contrôlées par le capital étranger, sont passées dans le giron d’importantes
holdings familiales. Cela n’empêche que le capital étranger contrôle toujours plus d’une
dizaine d’établissements financiers. Ainsi, à la fin 2012, « les banques à capital
majoritairement étranger détenaient 19,3% des guichets, 18,5% des actifs, 21,6% des crédits
et 19,4% des dépôts. » 44 Deux d’entre elles (BMCI et la SGMB) sont parmi les cinq
premières banques. Le capital étranger est en outre un actionnaire important dans les trois
premières banques marocaines (BCP45, AWB46 et BMCE47).

Tableau 3- Le type de contrôle selon le secteur en 1977 et en 2016

Type de contrôle
Contrôle Total
Contrôle privé Contrôle Contrôle
public marocain étranger joint
Année 1977 2016 1977 2016 1977 2016 1977 2016 1977 2016
Secteu Industrie 16 1 43 59 37 55 10 7 106 122
r Commerce 48
10 9 39 63 27 35 18 1 94 108
BTP et 1 7 39 20 18 7 5 2 63 36
promotion
immobilière49

44 Bank Al-Maghrib, Rapport annuel sur le contrôle, l’activité et les résultats des établissements de crédit,
Exercice 2012, Rabat, 2013 p. 47.

45 Le groupe français BPCE (Banque Populaire Caisse d’Epargne) et la SFI (Société Financière Internationale)
liée à la banque mondiale.

46 La Banque espagnole Banco Santander à travers sa filiale Santusa.

47 La Banque Fédérative du Crédit Mutuel société holding du groupe français Crédit Mutuel-CIC

48 Pour les données 2016, nous avons également intégré dans cette rubrique les entreprises de distribution d’eau
et d’électricité (Les régies autonomes, Lydec, Amendis, Redal).

49 Par rapport à l’étude de Saadi nous avons rajouté la promotion immobilière aux BTP.
Finance 5 13 7 16 14 11 3 1 29 41
Energie et 9 2 3 4 2 4 3 1 17 11
mines
Transport 10 10 6 6 3 7 5 3 24 26
télécom
médias et
tourisme50
Total 51 42 137 168 101 119 44 15 333 344

Le redéploiement du capital technobureaucratique (public)

L’entreprise publique au Maroc est une création du protectorat « conditionnée par les
intérêts de la métropole et les intérêts des milieux d’affaires. »51 En effet, « pour aménager le
cadre général de l’accumulation au profit du capitalisme colonial, le secteur public était
surtout cantonné dans l’infrastructure, à l’exception notable de l’OCP. »52 Après
l’indépendance, il a surtout joué « le jeu de "béquilles" du capital privé et de palliatif à sa
défaillance dans les divers secteurs »53.
Par comparaison avec le travail de Saadi, la proportion des entreprises contrôlées par
le capital technobureaucratique (public) a diminué (cf. Tableau n°2). Elle est passée en 40 ans
de 15,31% à 12,2%. Ce résultat est l’aboutissement du processus de libéralisation dont l’un
des aspects les plus importants est le programme de privatisation qui a touché, de 1993 à
2007, 47 entreprises et 26 établissements hôteliers transférés au secteur privé, à travers 107
opérations de privatisation.54 Ce mouvement de rétrécissement s’accompagne d’un processus
de redéploiement. En 1977, le contrôle technobureaucratique (public) dominait « largement
des secteurs stratégiques comme les industries extractives, l’énergie et le transport tout en
étant présent dans les autres secteurs à l’exception des BTP. »55. Aujourd’hui, le contrôle
public est quasiment inexistant dans l’industrie (passé de 16 entreprises en 1977 à une seule
en 2016) et dans l’énergie et les mines (passé de 9 à 2). Le contrôle public s’est redéployé
dans des secteurs comme la finance56, le BTP et la promotion immobilière tout en maintenant
ses positions dans le commerce et le transport-medias-télécom-tourisme (cf. Tableau n°3).
Lorsqu’on analyse plus finement la structure de participation du pôle public (CDG, Etat,
OCP, CMR) nous remarquons une nette différence entre l’Etat (représenté par le Trésor et le
ministère des finances) qui a un mode d’investissement majoritaire voire le plus souvent
absolu dans une trentaine d’entreprises et une structure comme la CMR qui gère les retraites
des fonctionnaires de l’Etat et qui a des participations très minoritaires (moins de 6%). On

50 Notons ici que pour les données de 1977, Saadi n’a comptabilité que les entreprises de transport.

51 Midaoui A., Les entreprises publiques au Maroc et leur participation au développement, Afrique Orient,
Casablanca, 1981 p. 23

52 Belal A., « Gestion des entreprises publiques et développement économiques » in Collectif, La gestion des
entreprises publiques au Maroc, actes du Colloque de l'Association marocaine de gestion des 8, 9, 10 novembre
1979 p. 136

53 Belal A., « La bourgeoisie marocaine est-elle ou n’est-elle pas ? », Al Assas, n° 43, 1982 p. 13-14

54 Ministère de l’Economie et des Finances, Privatisation : Bilan et perspectives, Rabat, Décembre 2007, p. 3.

55 Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, op. cit. p. 41.

56 Pour ce qui est du capital public dans le secteur bancaire, voir le rapport du conseil de la concurrence (2013),
Réalisation d’une étude sur la concurrentiabilité du secteur bancaire, Conseil de la concurrence, Rabat.
remarquera notamment que, dans notre échantillon, les 8 participations de la CMR, sauf dans
le cas de la BCP, concernent des entreprises privées qui étaient ou sont encore dans le giron
de la SNI (Sonasid, Attijariwafa bank, Cosumar et Lesieur) ou celui de la famille Lazraq
Lalami (Alliances Darna, EMT, EMT bâtiment).
Après la privatisation de la SNI et la liquidation de l’ODI, deux grands groupes
publics se distinguent par leur puissance : l’OCP et la CDG. La stratégie relationnelle de
partenariat du premier (l’OCP), dans ses 6 entreprises, est basée sur des joint-ventures avec de
grands groupes internationaux sauf dans le cas de la banque publique BCP avec qui il
entretient une participation croisée très minoritaire.
Le second groupe (la CDG) est, en soi, un cas particulier dans le pôle public avec ses
37 participations dans notre échantillon. Il s’agit du plus grand investisseur institutionnel au
Maroc avec son appui aux grands projets économiques et stratégiques outre le fait qu’il sert de
béquille au capital privé proche de la monarchie. Il détient ainsi des participations dans des
entreprises où la holding royale SNI (Sonasid, Attijariwafa bank, Cosumar) et le groupe de
Benjelloun Finance.com (BMCE, Meditel, Lydec) sont associés à de grands groupes
étrangers.
Dans le secteur immobilier, la CDG se retrouve directement ou indirectement (via le
RCAR) dans le tour de table d’entreprises de deux hommes d’affaires considérés dans la
presse économique comme proches des cercles de pouvoir (Anas Sefrioui qui gère Immolog
et Addoha ainsi que Mohammed Lazraq Lalami qui administre Alliances Darna et EMT) 57.
Notons ainsi qu’un autre entrepreneur du secteur de l’immobilier qui n’est pas en odeur de
sainteté auprès du pouvoir central58 n’a pas comme partenaire les gros investisseurs
institutionnels. La CDG investit dans d’autres entreprises qui appartiennent à des holdings
familiales proches du palais tel qu’Atlanta du groupe Holmarcom détenue par la famille
Bensaleh dont un membre est l’actuelle présidente de la confédération patronale CGEM.

Le renforcement du poids du capital privé marocain

Avant le protectorat, la classe marchande marocaine avait profité de l’« ouverture » du


Maroc, imposée au 19ème siècle59 par les pressions des forces impérialistes européennes, pour
s’enrichir et étendre son activité commerciale (en se connectant aux courants d’échange
57 Une série d’investigations journalistiques a montré que SMDC, une société gérée par le secrétaire particulier
du Roi, était actionnaire minoritaire du groupe Alliances (voir : https://ledesk.ma/2016/04/03/panama-papers-
majidi-au-coeur-du-volet-consacre-au-maroc consulté le 30/05/2016). Pour ce qui est d’Anas Sefrioui cet extrait
d’un article de presse est édifiant : « La séance du 24 novembre 2006 est à ce titre à inscrire dans les annales de
la Bourse. Ce jour-là, les ordres d’achat pleuvent sur les traders suite à des rumeurs portant sur la signature d’un
grand projet, en partenariat avec des investisseurs étrangers. Le titre clôturera la séance avec une hausse
phénoménale, mais surtout un volume dépassant le milliard de dirhams. Le lendemain, à la surprise générale, on
voit à la RTM la signature par Anas Sefrioui, en présence du souverain himself, d’une convention portant sur un
projet d’investissement de 11 milliards de dirhams à Rabat. La communauté financière soupçonne le délit
d’initié, mais personne n’ose crier au scandale. » Source : http://telquel.ma/2012/05/08/Anas-Sefrioui-l-homme-
le-plus-riche-du-Maroc-apres-le-roi-_342_2652, consulté le 30/05/2016. Notons également que les groupes
Alliances et Addoha risquent de subir des transformations dans leur structure financière dans les années à venir
suite aux difficultés que connait récemment le secteur immobilier.

58 Il s’agit de Miloud Chaâbi patron du groupe Ynna Holding, décédé le 16 avril 2016. Dans un article publié
dans Jeune Afrique, Karim Tazi souligne que Chaâbi a été « forcé de démissionner de son poste de président de
la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) » suite à ses sorties médiatiques en 2007-2008 où il
fustigeait la proximité entre son concurrent Anas Sefrioui et l’Etat. Il explique dans le même article que suite à la
participation du patron à la première manifestation du 20 février 2011, il va subir le blocage de plusieurs projets
immobiliers qui seront débloqués sitôt qu’il les bradera, suite aux pressions des financeurs, à des hommes de
paille. Voir : http://www.jeuneafrique.com/319338/politique/hommage-a-miloud-chaabi-patron-insoumis-
lhomme-paradoxes/, consulté le 30/05/2016.
internationaux)60, accéder à des positions importantes dans le système politique (le
Makhzen)61 et s’accaparer les terres pour constituer de larges « domaines de rente » qui
formeront la base d’un capitalisme agraire « autochtone »62. Durant le protectorat, les capitaux
privés marocains ne représentaient pas plus que 5% de l’ensemble des capitaux des sociétés
ayant leur siège au Maroc.63 Malgré les tentatives d’implantation dans l’industrie64, la
bourgeoisie marocaine, qui va s’enrichir lors de la seconde guerre mondiale 65, est restée
cantonnée dans le commerce, l’immobilier et l’agriculture.
Avec l’indépendance, le capital privé marocain, va profiter du nouveau contexte
politique pour consolider sa base d’accumulation traditionnelle (agriculture, immobilier,
commerce) et même l’élargir à certains secteurs de l’industrie légère comme l’industrie textile
ou agroalimentaire, aux travaux publics et au transport66. Mais il était encore absent d’une
grande partie de l’industrie et la finance 67. Il faut attendre le dahir sur la marocanisation en
1973 pour voir sa base d’accumulation s’élargir d’une manière substantielle. En effet, la
marocanisation a profité essentiellement aux « fractions fortes de la bourgeoisie c'est-à-dire à
celles qui, comme la haute bureaucratie, possèdent l’appui de l’Etat, et à celles qui, comme
l’oligarchie financière, entretiennent des liens étroits avec le capital international. »68
En 1977, le capital privé marocain contrôlait 137 parmi les 359 grandes entreprises
opérant essentiellement dans les BTP, l’industrie de transformation (dominée par l’industrie
légère) et le commerce69. La marocanisation consacre l’émergence du groupe comme forme
institutionnelle privilégiée de concentration du capital autochtone. Se présentant comme une
« coalition d’individus et de familles capitalistes dirigée par un « leader » qui en constitue le
noyau fédérateur et le pôle dirigeant »70, le groupe procure à ses détenteurs un pouvoir
économique important. Ainsi, dans l’industrie à la fin des années 70, « les 10 groupes et
familles les plus importants contrôlent ou influencent 10,8% des capitaux industriels et les 30

59 L’accord maroco-britannique conclu en 1854 a constitué un tournant important dans le processus qui a
conduit ensuite à l’imposition du régime de la porte ouverte.

60 Leur activité va s’étendre jusqu’à Manchester, Marseille, Saint Louis, etc.

61Surtout comme oumana voir Chabi M, L’élite Makhzénienne dans le Maroc du 19ème siècle, Publication de la
Faculté des Lettres et de Sciences Humaines de Rabat, Rabat, 1995 p. 105 et 176 (en arabe).

62 Voir Lazarev G., « Aspects du capitalisme agraire au Maroc avant le protectorat», Annuaire de l’Afrique du
Nord, 1975

63 Ayache A., Le Maroc, bilan d’une colonisation, op. cit.

64 Surtout dans le textile et l’agroalimentaire et en s’associant dans des cas avec le capital étranger comme pour
les cas de Lesieur (les frères Sebti).

65 « Grâce au stockage spéculatif et au marché noir et aussi par l’introduction de méthodes capitalistes dans
l’agriculture », selon Belal A., « La bourgeoisie marocaine est-elle ou n’est-elle pas ? » op. cit. p. 13.

66 Selon Belal, c’est dans ces trois secteurs d’ « économie moderne » que la « participation de capitaux
marocains à l’investissement a augmenté ». Voir Belal A., L’investissement au Maroc, op. cit. p. 224-225.

67 Seulement un quart des investissements industriels en 1960 était le fait du capital privé marocain. Voir Ibid p.
221.

68 El Aoufi N., La marocanisation, op. cit. p. 148.

69 Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, p. 36-41.

70 Idem p. 165
plus grands 16,2% »71. Selon Saadi72, parmi les différents groupes privés marocains
émergents, se démarquent nettement trois grands groupes de par leur puissance : l’ONA, le
groupe Mohamed Karim Lamrani et le groupe Moulay Ali Kettani.
La décennie des années 80, qui coïncidait avec le début de la libéralisation et
l’application du programme d’ajustement structurel, va ouvrir de nouvelles opportunités au
grand capital privé marocain qui va procéder à des restructurations industrielles et
financières73. Ceci conduira au renforcement de son pouvoir économique. Ainsi, au début de
la décennie quatre vint-dix, « 10 à 15 sociétés holding représentent près de la moitié de la
valeur ajoutée manufacturière »74. La privatisation va encore accentuer ce processus
d’ « élargissement/recomposition des bases économiques du capital privé marocain
dominant »75.
La décennie 2000 va connaitre une autre vague de restructuration qui consacrera le
groupe ONA-SNI76 comme premier grand groupe privé du pays. Elle verra aussi la montée en
puissance d’anciens ou de nouveaux groupes comme Akwa (familles Akhenouch et Wakrim),
Addoha (Sefrioui), Alliances (Alami Lazrak) ou Saham (Hafid Alami). La proximité avec le
pouvoir politique, l’accès facile au crédit et les avantages fiscaux ou autres (subventions) que
procurent certains secteurs comme le tourisme ou l’immobilier ou les hydrocarbures sont des
causes, parmi d’autres, d’émergence ou de consolidation de certains grands groupes privés.
En rapport avec toutes ces transformations, les données de notre échantillon montrent
qu’en 2016 :
 Le grand capital privé marocain contrôle près de la moitié (48,8%) des entreprises de
notre échantillon alors qu’elle était de 41% en 1977 (cf. Tableau n°2). Ainsi le grand
capital privé marocain est le plus grand bénéficiaire de la politique de libéralisation
qui lui a permis d’élargir sa base d’accumulation ;
 Le contrôle privé marocain se concentre d’abord dans le commerce puis dans
l’industrie77 et dans la finance alors que le nombre d’entreprises de BTP-Promotion
immobilière s’est réduit suite au mouvement de concentration dans ce secteur (cf.
Tableau n°3). Cette répartition sectorielle de la présence du capital privé marocain
n’est pas si différente de celle qui a été décrite par Saadi 78. Ce qui « dénote sa faible
propension au risque et sa nature insuffisamment productive »79. Les décennies de
néolibéralisme n’ont fait que renforcer cette tendance.

71 Idem p.189

72 Idem p. 224.

73Berrada A, Saadi M.S, « le grand capital privé marocain » in Santucci J-C. (dir.), le Maroc actuel, Editions
CNRS, Paris, 1992 p. 352.

74 Banque Mondiale, Développement de l’industrie privée au Maroc, 1993 p. 10.

75Berrada A., Saadi M.S., op. cit. p. 353.

76 Fusion entre la BCM et Wafabank, investissement dans de nouveaux secteurs comme l’énergie et les
télécommunications, etc.

77 Notons une réduction de l’intérêt du secteur privé pour l’industrie entre les années 70 et aujourd’hui. Ainsi,
en 1977 l’industrie comptait le nombre le plus important d’entreprises contrôlés par le secteur privé marocain
(43 par rapport à 39 dans le commerce et 39 dans le BTP) alors qu’en 2016 c’est surtout le commerce qui compte
le plus grand nombre d’entreprises contrôlé par le capital privé marocain (63 contre 59 pour l’industrie).

78 Saadi M. S., Les groupes financiers au Maroc, p. 41.

79 Ibidem.
Ce qui ressort également de nos résultats réside dans le fait que la famille royale contrôle
un nombre important d’entreprises. Ainsi, la SNI contrôle directement ou indirectement 12
entreprises. Elle gère 4 autres entreprises conjointement avec le capital étranger. Siger et
Ergis, deux autres entreprises détenues par la famille royale, contrôlent, quant à elles, trois
entreprises (conjointement avec la SNI dans l’une d’entre elles). Ces entreprises appartiennent
à des secteurs stratégiques comme la finance, l’industrie du ciment, la sidérurgie ou les mines.
Plus de 150 familles et individus marocains détiennent, directement ou indirectement à
travers des sociétés holdings ou autres, des participations dans les entreprises de notre
échantillon. Cette liste comprend non seulement les familles qui ont profité des premières
vagues d’accumulation durant le protectorat et les premières années de l’indépendance (El
Alami, Tazi, Akhenouch, Chaabi, Bensalah, Zniber, Benjelloun…) mais aussi celles qui ont
profité de la marocanisation (Lamrani, Fahim…) et de la libéralisation. Dans le dernier cas, il
s’agit surtout de fortunes qui ont été accumulées dans le BTP et la promotion immobilière
(Lazrak, Sefrioui, Bouzoubaa…), dans la finance (Moulay Hafid Elalamy) et l’industrie agro-
alimentaire (Bimezzagh, Boutegray…). Il est à noter que des familles connues, auparavant
pour leur puissance financière, ont perdu énormément de poids. C’est le cas des Kettani,
Lamrani, Amhal, Jamai ou Agouzzal.
Chez ces principales holdings familiales, il y a trois profils de stratégies actionnariales. Le
premier profil comporte uniquement la holding royale SNI qui domine les groupes familiaux
avec sa présence dans le tour de table d’une trentaine d’entreprises 80. La SNI dispose de
participations majoritaires ou absolues dans les mines (toutes les entreprises qu’elle contrôle
via Managem), la grande distribution (les sociétés qu’elle contrôle via Marjane), le secteur
financier (le groupe Attijariwafa), les distributeurs d’automobiles qu’elle contrôle via Optorg
et Sopriam. Dans l’industrie lourde, la holding royale s’associe au capital étranger notamment
français comme dans le cas de Lafarge et de la Sonasid81 ou encore dans le cas particulier de
Renault Maroc où le constructeur français est majoritaire et la SNI minoritaire. Enfin, c’est
via la compagnie Wafa assurance que le groupe SNI détient la majeure partie de ses
participations minoritaires82 dans différents secteurs qui vont des anciennes entreprises qu’il
contrôlait comme Cosumar et Lesieur jusqu’à la Banque Crédit du Maroc (contrôlé par le
Crédit Agricole français) en passant par des sociétés de holdings familiales proches du palais
comme Afriquia SMDC du groupe AKWA.
Le deuxième profil d’acteurs est composé de holdings familiales qui ont des stratégies
partenariales avec des actionnaires étrangers importants ou avec quelques groupes marocains.
Il s’agit principalement du groupe de Benjelloun finance.com 83 partenaire du groupe français
Crédit Mutuel à la compagnie d’assurance RMA et à la banque BMCE, d’Accord dans la
société Risma, d’Orange dans l’opérateur Medi Telecom et de Suez Environnement à la
Lydec84. Moulay Hafid Elalamy (MHE) est en partenariat avec le groupe Wendel avec qui il

80 Notons également que la SNI s’engage désormais dans une stratégie de conquête des marchés d’Afrique
subsahariennes principalement à travers trois secteurs : la finance via Attijariwafa, les énergies et mines grâce à
Managem et la filiale d’énergies renouvelables Nareva et l’industrie du ciment à travers son partenariat africain
avec le groupe international Lafarge-Holcim.

81 Dans le cas de la Sonasid, il s’agit davantage d’ArcelorMittal depuis que le groupe français a été racheté par
son concurrent indien.

82 L’un des cas particuliers est celui de la compagnie aérienne publique RAM où la SNI détient, avec d’autres
institutionnels, une participation minoritaire de 0,29%.

83 Le groupe BMCE a également des participations minoritaires via l’assureur RMA dans plusieurs entreprises
(Attijariwafa bank, Cosumar, Afriquia SMDC du groupe AKWA).

84 L’opérateur marocain CDG est également partenaire dans Medi Telecom et la Lydec.
est associé dans son groupe Saham. Il est aussi partenaire de holdings familiales marocaines
comme Alj dans Saham Assurances. MHE est également minoritaire dans les entreprises de
Bennani Label’vie et celle Stokvis détenue par la famille Alj. De son côté, le groupe
Holmarcom de la famille Bensaleh est surtout associé à la CDG dans la compagnie
d’assurance Atlanta et est en position minoritaire avec l’institutionnel public dans la banque
CIH85. Enfin, le groupe Hakam se trouve en position minoritaire avec le groupe de Moulay
Slimane Cherkaoui dans Auto Hall et le pool d’actionnaires qui contrôle Disway.
Le troisième et dernier profil est composé d’entreprises qui sont majoritairement
contrôlées par la holding familiale même lorsque l’une d’elles est cotée en bourse. L’exemple
type ici est celui des entreprises du groupe Ynna Holding détenu par la famille Chaâbi. Même
pour l’entreprise SNEP qui est côtée en bourse, mis-à-part le flottant qui ne dépasse pas les
38%, il n’y a aucun autre actionnaire connu. Les entreprises de la famille d’Anas Sefrioui
représentent aussi un cas intéressant vu que celui-ci maintient un contrôle absolu sur ses
entités. Il rentre toutefois en partenariat avec l’institutionnel CDG dans Immolog et enregistre
dans sa société cotée Addoha, en plus du flottant, une participation minoritaire du fonds
RCAR géré par la CDG.

Le réseau de propriété du capital au Maroc

La structure globale du réseau d’actionnaires du capitalisme marocain montre


l’existence d’un cœur de réseau interconnecté et d’une périphérie très éclatée.

Figure 1 Réseau des actionnaires des 344 principales entreprises marocaines.

Sur les 450 actionnaires que l’on trouve dans le tour de table des 344 entreprises de
notre échantillon, 183 se trouvent dans le cœur du réseau alors que 267 sont des acteurs
périphériques. Il s’agit donc d’un réseau où environ la moitié des acteurs se trouve à
proximité des acteurs les plus centraux. Parmi les acteurs périphériques il est intéressant de
noter la présence de deux parmi les groupes les plus centraux dans les années 1970-1980.
85 Notons également que le groupe Holmarcom a une participation très minoritaire dans la BMCI détenu par la
groupe français BNP et dans le pétrolier Samir du groupe étranger Corral El Amoudi.
L’affaiblissement des groupes Kettani et Lamrani, qui ont marqué le règne de Hassan 2, est lié
pour le premier à la cession du pôle financier Wafa à la holding royale et pour le second à la
fin de la carrière politique du patron du groupe et la rareté des investissements du groupe
Safari qui s’est concentré dans l’industrie et le négoce délaissant la finance et l’assurance86.
Lorsqu’on s’intéresse au cœur du réseau (voir figure 2 ci-dessous) on voit la
domination d’une vingtaine d’actionnaires parmi les 183 qui y figurent. L’investisseur
institutionnel CDG occupe ici une place centrale. La CDG est principalement connectée avec
deux autres grands investisseurs publics que sont l’Etat et la CMR et des institutionnels privés
tels que la CIMR, la MAMDA-MCMA, la SFI et AXA. Elle est aussi en relation, dans les
tours de table des entreprises, avec trois groupes familiaux : la holding royale SNI, le groupe
de Benjelloun finance.com et la famille Bensaleh via sa holding Holmarcom.

Figure 2 : focus sur le cœur du réseau des actionnaires des grandes entreprises marocaines.

Le classement des centralités de degré et d’intermédiarité (tableau 5 ci-dessous) montre la


domination de l’investisseur public CDG et de la holding royale SNI sur le reste des
actionnaires. Tout d’abord la centralité de degré illustre la diversité des coactionnaires de la
CDG et la SNI. En effet, ces deux groupes se retrouvent dans les tours de table des entreprises
étudiées au moins avec 70 actionnaires différents87. Finance.com est loin derrière avec environ
55 coactionnaires. La mesure de la centralité d’intermédiarité montre, quant à elle, que la
CDG et la SNI sont coactionnaires avec beaucoup d’acteurs qui ne sont pas dans un même
tour de table, ce qui leur donne une position privilégiée. Ces deux groupes ont donc non
seulement une diversité de coactionnaires (score de degré) mais sont aussi les principaux
intermédiaires entre des acteurs qui ne sont pas dans le même tour de table. Il faut ici noter la
position de challenger du groupe Saham MHE qui est en train de percer alors qu’il n’existait
pas avant 1995 et qu’il n’a pris son réel envol qu’à partir de 2005 avec l’acquisition de la
compagnie d’assurances CNIA.

86 Raji A., « Le ténor dépassé », Economie Entreprises, n°186, Novembre 2015, p. 36-37.

87 Il faut rappeler ici que nous ne prenons pas en compte le flottant en bourse.
Tableau 5- Classement des 5 premiers actionnaires selon les centralités de degré et
d’intermédiarité
Intermédiarité
Degré (nombre de (nombre de liens
relations dans les avec acteurs non
Classement Actionnaire tours de table) Actionnaire connectés)
1 CDG 73 CDG 0,05001323
2 SNI 72 SNI 0,04364745
3 Finance.com Benjelloun 55 Saham MHE 0,03216183
4 Saham MHE 48 Hakam 0,02053143
5 MAMDA-MCMA 45 CIMR 0,01811457

Conclusion

Cette étude nous a permis de déterminer la dynamique des trois fractions du grand
capital au Maroc. Ainsi le capital étranger, fortement présent depuis la pénétration coloniale, a
su consolider son emprise sur une grande partie du système productif. En effet, il contrôle un
tiers des grandes entreprises de notre échantillon. Sa part a augmenté en l’espace de 40 ans
bénéficiant ainsi de la politique de libéralisation. Le capital français y est largement
prédominant. Présent dans tous les secteurs, le contrôle étranger est concentré en particulier
dans l’industrie.
Quant au capital technobureaucratique (public), la proportion des entreprises qu’il
contrôle s’est rétrécie. Elle représente aujourd’hui un peu plus d’un dixième. Le contrôle
étatique a presque disparu de l’industrie et se concentre désormais dans le BTP, la promotion
immobilière et la finance. Avec la privatisation de la SNI et la disparition de l’ODI, deux
grands groupes publics jouent un rôle important : le groupe CDG et le groupe OCP. Il faudrait
toutefois noter que ces deux entités subissent des processus de modernisation qui conduisent à
un changement dans le profil des cadres de direction.
Le capital privé marocain, qui a émergé lors du protectorat et s’est consolidé avec la
marocanisation, a été le plus grand bénéficiaire de la libéralisation. La proportion des
entreprises qu’il contrôle a augmenté d’une manière substantielle. Elle représente près de la
moitié des entreprises de notre échantillon. Ses secteurs de prédilection n’ont pas beaucoup
changé : le commerce, l’industrie de transformation, la finance ainsi que le BTP et la
promotion immobilière. La famille royale contrôle, à travers la SNI, Siger et Ergis, un nombre
important d’entreprises. Elle s’affirme ainsi à la tête des familles et coalitions d’intérêt privées
marocains qui comportent à la fois les vieilles familles/individus qui ont profité des premières
vagues d’accumulation durant le protectorat et les premières années de l’indépendance et
celles/ceux qui ont profité de la marocanisation et de la libéralisation.
Nous avons montré l’existence, chez les holdings familiales, de trois profils de
stratégies actionnariales. D’abord la holding royale SNI qui, à elle seule, représente un profil
particulier puisqu’elle est présente dans le capital d’une trentaine d’entreprises de notre
échantillon et est majoritaire dans plusieurs secteurs sauf dans l’industrie lourde où elle
s’associe à de grands groupes étrangers. Le deuxième profil comporte des holdings familiales
qui développent des stratégies de partenariat avec des actionnaires étrangers d’envergure ou
d’autres groupes marocains. Le troisième comporte quelques holdings familiales qui
contrôlent majoritairement, voire exclusivement, leurs filiales.
Grâce à une analyse du réseau de co-actionnariat nous avons mis en évidence un cœur
de réseau interconnecté dominé par l’investisseur institutionnel CDG et la holding royale SNI.
La périphérie du réseau comprend, quant à elle, quelques groupes comme Kettani et Lamrani
qui se sont affaiblis dans les années 2000 alors qu’ils étaient dominants auparavant.

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