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Édité par Bernadette Menu

L’ORGANISATION DU TRAVAIL
EN ÉGYPTE ANCIENNE ET EN MÉSOPOTAMIE
Colloque Aidea – Nice 4-5 octobre 2004

INSTITUT FRANÇAIS D’ARCHÉOLOGIE ORIENTALE


BIBLIOTHÈQUE D’ÉTUDE 151 – 2010
Sommaire

Laure Pantalacci
Préface.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................................. 1

INTRODUCTION

Bernadette Menu
Présentation générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................................. 3
Robert Carvais
Pour une préhistoire du droit du travail avant la Révolution.................................................... 13

I.  LES MÉTIERS ET LE DROIT CONTRACTUEL DU TRAVAIL

Schafik Allam
Les équipes dites méret spécialisées dans le filage-tissage en Égypte pharaonique.................... 41
Sophie Démare-Lafont
Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique. ............. 65
Francis Joannès
Le travail des esclaves en Babylonie au premier millénaire av. J.-C.. ......................................... 83
Barbara Anagnostou-Canas
Contrats de travail dans l’Égypte des Ptolémées et à l’époque augustéenne. ........................... 95
Patrizia Piacentini
Les scribes : trois mille ans de logistique et de gestion des ressources humaines
dans l’Égypte ancienne.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .............................................................................. 107

Sommaire v
II.  GESTION DU TRAVAIL ET ORGANISATION DES CHANTIERS

Christopher J. Eyre
Who Built the Great Temples of Egypt ?.. ............................................................................. 117
Laure Pantalacci
Organisation et contrôle du travail dans la province oasite à la fin de l’Ancien Empire.
Le cas des grands chantiers de construction à Balat............................................................... 139
Katalin Anna Kóthay
La notion de travail au Moyen Empire. Implications sociales................................................. 155
Bernadette Menu
Quelques aspects du recrutement des travailleurs dans l’Égypte
du deuxième millénaire av. J.-C... . . . . . . . ................................................................................... 171
Robert J. Demarée
The Organization of Labour among the Royal Necropolis Workmen of Deir al-Medina.
A Preliminary Update.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ................................................................................... 185

vi L’organisation du travail en Égypte ancienne et en Mésopotamie


Sophie Démare-Lafont

Travailler à la maison
Aspects de l’organisation du travail
dans l’espace domestique

«
L
orsque les dieux faisaient l’homme, ils étaient de corvée et besognaient : ­considérable
était leur besogne, leur corvée lourde, infini leur labeur. (…) Quand ils eurent
­entassé toutes les montagnes, ils firent le décompte de leurs années de besogne. Quand
ils eurent organisé le grand marécage méridional, ils firent le décompte de leurs années de be-
sogne : 2 500 ans et davantage, qu’ils avaient, jour et nuit, supporté cette lourde corvée ! Ils se
mirent alors à déblatérer et récriminer (…). Puisque Bêlet-ilî la Matrice est ici, qu’elle ­fabrique
un prototype d’homme. C’est lui qui portera le joug des dieux (…), c’est l’homme qui sera chargé
de leur labeur 1. »
Le début du poème d’Atrahasis, composé au xviiie s. av. J.-C., et qui raconte la genèse de
l’humanité, accrédite l’idée selon laquelle il y a dans l’ordre cosmique originel une répartition
immuable des tâches et des rôles. Le monde ainsi représenté est binaire, opposant ceux qui tra-
vaillent aux oisifs. La réalité est évidemment beaucoup plus complexe, car la division du travail
s’intègre dans un réseau hiérarchisé de fonctions qui dépendent les unes des autres. Agriculture
et artisanat sont ainsi organisés selon une chaîne de compétences ayant pour corollaire des
statuts professionnels variés. Dans ce système, qui vaut pour les « grands organismes 2 » que
sont le temple et le palais, il est essentiel de pouvoir disposer de la main-d’œuvre nécessaire au
moment opportun. L’esclavage et la corvée permettent d’assurer la maintenance et les travaux
urgents (par exemple une rupture de digue), pour l’exécution de tâches manuelles n’exigeant
pas de qualification. Les prestations régulières supposant un savoir-faire plus développé sont
effectuées sous forme de service au profit du palais (ilku) ou du temple (prébende), et ­rémunérées
respectivement par une terre ou par des versements en nature. Dans les deux cas, il est admis
que celui qui perçoit la rémunération peut sous-traiter le service auprès d’un tiers qui l’accomplit
réellement. Les structures économiques et administratives qui encadrent le travail dans l’espace
public sont assez bien documentées et ont fait l’objet de plusieurs études 3.

1.  Traduction de J. Bottéro, Lorsque les dieux faisaient l’homme. Mythologie mésopotamienne, Paris, 1989, p. 530 et suiv.
2.  A.L. Oppenheim, Ancient Mesopotamia. Portrait of a Dead Civilization, Chicago, 1964, p. 95 et suiv.
3.  Le travail s’intègre dans le cadre juridique du louage (idû), rémunéré par le versement de rations, ou de la tenure
(ilku), attribuée à un dépendant de l’État. Cf. Fr. Joannès (éd.), Dictionnaire de la civilisation ­mésopotamienne,
Paris, 2001, s.v. « rations d’entretien » ; M. Stol, RlA 8, 1993-1994, s.v. « Miete ».

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 65


L’espace domestique en revanche n’a pas retenu aussi souvent l’attention 4, sans doute parce
que les sources qui s’y rapportent sont moins nombreuses. En dehors des besognes ­quotidiennes,
du travail des esclaves – quand il y en a – et de celui du gage au profit du créancier, on sait qu’il
existe, à certaines époques, une véritable activité économique à la maison. Ainsi, au xixe s. av. J.-C.,
les épouses des marchands assyriens fabriquent-elles une partie de la production des étoffes
exportées par leurs maris 5. De même les nourrices accueillent-elles chez elles les bébés qu’elles
s’engagent à élever 6. On sait enfin que les prostituées peuvent exercer à domicile 7. Il n’est pas
étonnant de constater que ce sont des métiers typiquement féminins qui sont associés à l’espace
domestique. D’une certaine manière, ces exemples constituent des variantes du droit commun
du travail : l’activité y est encadrée par des règles juridiques qui découlent d’une législation
commerciale 8, d’un contrat 9 ou d’un statut 10. C’est par commodité que le travail s’exerce dans
un lieu privé, sans que ce facteur ait une signification juridique particulière.
Il existe en revanche des situations qui, parce qu’elles prennent place dans la sphère ­domestique
et n’ont pas d’équivalent à l’extérieur de la maison, entrent difficilement dans les catégories
juridiques habituellement attestées dans les contrats de travail. Il en va ainsi de l’apprentissage
ou de l’entretien des personnes âgées, deux thèmes inégalement documentés en Mésopotamie,
mais qui occupent sans aucun doute une place centrale dans la vie économique.
Ces cas s’apparentent souvent à la notion de service telle que la connaissent et la pratiquent
les institutions publiques, avec cependant des critères propres quant à l’étendue des prestations
et à la rémunération. Aucune instance extérieure n’intervient pour imposer une tarification
ou une quantification du travail effectué. Et pourtant, les relations sont déterminées sur une

4.  On citera surtout la synthèse de W.F. Leemans, « The Family in the Economic Life of the Old Babylonian
Period », Oikumene 5, 1986, p. 15-22.
5.  Cf. C. Michel, Correspondance des marchands de Kanish, LAPO 19, 2001, p. 419 et suiv.
6.  Sur les nourrices en Mésopotamie, cf. M. Stol, Birth in Babylonia and the Bible. Its Mediterranean Setting,
CM 14, 2000, p. 181-192, et pour les aspects juridiques, S. Démare-Lafont, Femmes, droit et justice dans l’Anti-
quité orientale. Contribution à l’étude du droit pénal au Proche-Orient ancien, OBO 165, 1999, p. 424 et suiv.
7.  Cf. pour Nuzi par exemple le texte JEN 397, un procès pour le vol d’un porc, dans lequel une femme est ma-
nifestement considérée comme complice par recel : la chair de l’animal a été retrouvée chez elle. Elle s’exonère
en expliquant que l’objet volé a été apporté par un individu, client de sa fille prostituée (ḫarimtu), probablement
à titre de paiement.
8.  La production textile assyrienne entre dans le cadre du commerce international et fait même l’objet de me-
sures protectionnistes ; cf. K. Veenhof, « Trade and Politics in Ancient Assur. Balancing of Public, Colonial
and Entrepreneurial Interests », dans C. Zaccagnini (éd.), Mercanti e politica nel mondo antico, Rome, 2003,
p. 69-118, spécialement p. 89-94.
9.  Sur les contrats de nourrices, cf. J. Fleishman, « Who is a Parent ? Legal Consequences of Child Mainte-
nance », ZAR 7, 2001, p. 398-402.
10.  La question de la prostitution continue d’alimenter nombre de publications, notamment autour de la termi-
nologie. Les variantes de vocabulaire désignent sans doute diverses formes de commerce sexuel, dont toutes ne
sont pas assimilables à de la prostitution. Outre la synthèse de J. Cooper s.v. Prostitution RlA 11, 2006, p. 12-22,
cf. W. Lambert, « Prostitution », dans V. Haas (éd.), Aussenseiter und Randgruppen. Beiträge zu einer Sozialgeschichte
des Alten Orients, Xenia 32, 1992, p. 127-157, J. Assante, « The kar.kid/ḫarimtu, Prostitute or Single Woman ?
A Reconsideration of the Evidence », UF 30, 1998, p. 5-96 et J.-J. Glassner, « Polygynie ou prostitution : une
approche comparative de la sexualité masculine », dans S. Parpola et R.M. Whiting (éd.), Sex and Gender in the
Ancient Near East, Actes de la XLVIIe RAI (Helsinki, 2001), Helsinki, 2002, p. 151-164.

66 Sophie Démare-Lafont
base contractuelle, ce qui écarte tout fonctionnement clientéliste et donne une garantie réelle
aux protagonistes. Le point commun à ces activités est qu’elles impliquent une communauté
de vie des protagonistes, que ce soit pour apprendre ou pour s’entraider. Par conséquent, elles
n’ont pas de caractère lucratif : au mieux représentent-elles des investissements (ainsi pour l’ap-
prentissage) ou des initiatives caritatives, qui sans être engagées à perte, procurent un revenu
sous une forme détournée.
Les développements qui suivent porteront sur ces deux pans méconnus mais sans doute très
actifs de l’économie mésopotamienne.

I. L’APPRENTISSAGE

Notre information sur l’apprentissage s’est longtemps limitée à ce que nous apprennent la
quinzaine de contrats remontant au Ier millénaire babylonien tardif 11, qui présentent beaucoup
d’analogies avec les textes gréco-égyptiens sur le sujet 12. L’apprenti y est le plus souvent esclave
d’une grande maison type Egibi, confié à un artisan pour apprendre un métier et assurer en-
suite les besoins de son employeur en produits divers. La plupart des secteurs de l’économie
artisanale sont représentés dans ces contrats : boulangerie, textile, cuir, travail du bois, lapicide
etc… Les tablettes sont rédigées selon une structure quasiment invariable : elles commencent
par indiquer que l’apprenti a été « donné » (nadānu) ou a « résidé » (ušuzzu) chez le maître, lequel
doit lui apprendre son métier et l’entretenir, faute de quoi il versera un dédommagement. La
formation commence généralement à la date de rédaction du texte, qui figure à la fin, après la
liste des témoins. La rémunération du maître n’est pas prévue ; parfois, il reçoit une sorte de
cadeau sous forme d’un vêtement ou d’une faible quantité d’argent. Manifestement, il se paye
principalement sur le travail de son apprenti, qui reste chez lui pendant une durée assez longue,
allant de 16 mois à 8 ans 13.
On peut se demander pourquoi la documentation sur le sujet est si faible, surtout ­rapportée
à la période de deux cents ans qu’elle couvre. Une explication pourrait être que les métiers sont
transmis à l’intérieur d’une même famille : l’enseignement que le père dispense à son fils ne
nécessite donc pas de contrat. Il est aussi possible que l’accès à un métier se fasse à l’intérieur
d’une corporation ou guilde spécialisée, qui fonctionne comme une sorte de famille élargie.
­L’apprentissage se place donc dans une sphère où les relations juridiques peuvent être ­construites
sur un autre modèle que celui du contrat de travail. Du coup, les quelques exemples néo-
­babyloniens qui nous sont parvenus seraient des exceptions, reflétant un besoin ­particulier de
telle grande maison. Une fois formé, l’esclave revient chez son propriétaire et peut non ­seulement

11.  Les textes s’échelonnent sur un peu plus de deux siècles, entre la fin de l’empire néo-babylonien et l’époque
perse ; une tablette est d’époque séleucide.
12.  Cf. M. San Nicolò, Der neubabylonische Lehrvertrag in rechtsvergleichender Betrachtung, Sitzungsberichte
der Bayerischen Akademie der Wissenschaften 1950/3, Munich, 1950 (ci-après, Lehrvertrag).
13.  Cf. H. Petschow, RLA 6, 1980-1983, p. 556-570, s.v. « Lehrverträge ».

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 67


travailler mais aussi transmettre son savoir-faire à d’autres membres de la maisonnée, ce qui
permet d’amortir l’investissement qu’a représenté la durée d’apprentissage.
Un point assez bien mis en évidence par les textes est le déplacement de l’apprenti chez celui
qui va lui enseigner son métier. Apprendre et fabriquer sont deux opérations qui se déroulent
à la maison. Cet aspect est constant aussi bien dans les sources d’époque perse que dans celles
du IIe millénaire, plus rares mais au contenu fort intéressant.

Apprentis-artisans

On commencera par l’un des quelques exemples de contrat d’apprentissage antérieur à


l’époque perse, récemment identifié par J.-M. Durand 14. Il s’agit d’une tablette de Munbāqa
(l’ancienne Ekalte), en Syrie, datée du xive s. av. J.-C [1], dans laquelle un homme confie son
fils à un forgeron pendant dix ans pour qu’il lui apprenne son métier. Le père garantit que le
produit du travail de son fils sera attribué exclusivement au forgeron. Cette convention s’inscrit
dans un contexte de famine sévère, expressément indiquée dans le texte. On ignore si cette
circonstance justifie l’absence de rémunération de l’artisan, qui sera tout de même gagnant au
bout du compte puisqu’il profitera du travail gratuit de son apprenti.
Notre seconde source d’information est représentée par les codes de lois. Seuls le Code de
­Hammurabi (= CH) et les Lois hittites (= LH) traitent de l’apprentissage.
Dans les LH [2], le coût d’une formation « de base » dans divers métiers de l’artisanat (char-
pentier, forgeron, foulon, tisserand ou travailleur du cuir) est fixé à 6 sicles d’argent ; si l’apprenti
reçoit une formation plus approfondie et devient un expert dans son domaine, une personne de
remplacement doit être fournie. La rédaction du texte est ambiguë et ne permet pas de savoir qui
doit fournir ce remplaçant : soit les parents de l’apprenti, pour ne pas priver le maître de main-
d’œuvre, soit le maître s’il garde à son service un ouvrier qualifié et prive ses parents d’une source de
revenus 15. La seconde hypothèse rappelle la solution du CH et en ce sens paraît plus plausible.
Les paragraphes 188-189 CH [3] traitent non pas la question de la rémunération, mais celle
des relations contractuelles entre la famille de l’apprenti et le maître. La formulation de la loi
soulève un problème quant à la qualification juridique de la situation. Il est clairement fait
référence à l’apprentissage dans l’expression šipir qātišu šuhuzu, « apprendre son métier (litt.
faire prendre le travail de sa main) », dans l’occurrence du mot « artisan » (mār ummānim) et
dans l’obligation d’éduquer l’enfant c’est-à-dire de lui donner une formation (ana tarbītim).
Mais le début de la protase est rédigé comme les actes d’adoption, dans lesquels un individu
« prend un fils » (mārum ilqi). De même l’interdiction de revendiquer l’apprenti au terme de sa

14.  Je tiens à le remercier pour m’avoir autorisée à utiliser et citer son travail issu d’une campagne de collation
des tablettes de Munbāqa au musée de Raqa. Editio princeps par W. Mayer, Tall Munbāqa-Ekalte II, Die Texte,
WVDOG 102, 2001, nº 28.
15.  Tel semble être le cas, d’après H.A. Hoffner, The Laws of the Hittites, DMOA 23, 1997, p. 227, dans le texte
KBo 3.34. Une autre interprétation consiste à corriger le texte en y introduisant une négation : la remise d’un
individu aux parents de l’apprenti sanctionnerait la non-exécution de l’obligation du maître. En ce sens, M. San
Nicolò, Lehrvertrag, p. 28 note 5, suivi par R. Haase, « Ist der § 200 B der hethitischen Gesetze unvollständig
überliefert ? », ZA 53, 1959, p. 193-199. Mais le postulat d’un oubli ou d’une erreur du scribe est hasardeux.

68 Sophie Démare-Lafont
f­ ormation est-elle notée par l’expression ūl ibaqqar, qu’on retrouve ailleurs dans le Code à propos
de l’adoption (§ 185). Les deux étiquettes « apprentissage » et « adoption » sont ainsi mélangées,
parce qu’elles ne sont pas incompatibles et correspondent même à la sociologie supposée de
l’apprentissage, qui se déroule prioritairement dans le cadre familial.
Mais la difficulté vient de ce que cette adoption peut être annulée de plein droit si l’artisan
n’exécute pas son obligation de formation de son fils. Au contraire, la filiation adoptive devient
définitive lorsqu’il est avéré que l’adopté a appris le métier de l’adoptant. Comme dans les Lois
hittites, l’artisan garde chez lui celui qu’il a formé. On peut penser qu’il s’agit non pas des
rudiments du métier mais d’une véritable qualification, dont l’acquisition demande un temps
d’apprentissage assez long. Le Code envisage donc le cas d’un adolescent ou d’un jeune adulte
qui a vécu chez son maître pendant plusieurs années : il reste chez lui s’il est opérationnel, il
rentre chez son père s’il n’a pas acquis les compétences de son maître.
La rédaction des paragraphes 188-189 paraît tautologique puisqu’elle revient finalement à dire
que si la condition est réalisée, le contrat est incontestable, et inversement que l’inexécution de
l’obligation de l’artisan cause la rupture de la convention. Cette observation conduit R. West-
brook à comprendre la loi en référence aux seuls droits successoraux de l’adopté, qui héritera
le métier de son père adoptif dans le premier cas (apprentissage effectué) ou les biens de son
père ­biologique dans le second cas 16. On pourrait plutôt attribuer cette maladresse apparente
au caractère atypique de l’adoption. Le cas que décrit le législateur est un mélange de droit de
la filiation et de droit des obligations : dans la réalité des faits, l’apprenti est comme le fils du
maître. Il vit chez lui et obéit à son autorité, comme il le ferait avec son père. Mais il n’a pas véri-
tablement d’accès au patrimoine familial de l’artisan. Il peut seulement prétendre à l’acquisition
de sa technique et de son savoir-faire, qu’il est peut-être anachronique de considérer comme des
biens successoraux. Concrètement, on est dans le schéma de l’adoption ; ­conceptuellement, on
est dans le domaine du droit des obligations. C’est pourquoi le fils adoptif n’a pas de vocation
successorale et peut seulement exiger de recevoir une formation professionnelle de son père. Le
montage ressemble à une forme de tutelle, que les Mésopotamiens rangent dans la catégorie
des adoptions parce qu’elle en a tous les aspects extérieurs sans l’élément juridique essentiel : la
capacité successorale.
Cette sorte de monstre juridique n’est pas seulement une construction de la législation hammu-
rabienne. L’idée d’une adoption sous condition suspensive à la charge de l’adoptant se retrouve par
exemple à l’époque médio-babylonienne, dans un contrat de Nippur 17 : une nommée ­Ina-Uruk-iršat
s’engage à marier sa fille adoptive ou à la faire travailler comme ­prostituée (ḫarimtu) et s’interdit de
la réduire en esclavage, ce qui romprait ipso facto la convention et entraînerait le retour de l’adoptée

16.  R. Westbrook, « The Adoption Laws of Codex Hammurapi », Mémorial Kutscher, 1993, p. 194-204, spé-
cialement p. 198-199.
17.  BE 14 40 : 3-10, [e]-ṭi-ir-tum dumu-munus Idnin-urta-mu-šal-lim, [a]-na ma-ru-ti šu-ba-an-ti, 5 gín kù-gi id-di-in,
šum-ma a-na mu-tim i-nam-din-ši, šum-ma ha-ri-mu-ta ip-pu-us-si, géme-sa ú-ul i-ša-ka-an, géme-sa i-ša-ak-ka-
an-ma, ana é ad-da-a-ni uṣ-ṣi, « (Ina-Uruk-iršat) a adopté Ninurta-mušallim. Elle a payé 5 sicles d’or. Elle peut
la donner à un mari, elle peut en faire une prostituée ; elle ne peut pas en faire une esclave. Si elle en fait une
esclave, elle (Ninurta-mušallim) pourra retourner dans la maison de son père. »

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 69


dans sa famille d’origine. On peut difficilement parler d’apprentissage à propos de ce texte, mais on
y retrouve l’ambivalence entre statut et contrat, décelée à propos des paragraphes 188-189 CH.
C’est en fait dans la documentation de Nuzi (xive s. av. J.-C.) qu’on trouve la meilleure illustra-
tion de la forme hybride prévue par le Code en matière d’apprentissage. Il s’agit d’un contrat [4]
dans lequel un père confie son fils Naniya à un tisserand esclave, nommé Tirwaya, qui doit non
seulement apprendre son métier au garçon, mais aussi le marier. Il est expressément prévu que
le contrat sera annulé de plein droit si l’artisan ne donne aucune formation professionnelle à son
fils-apprenti, ce qui rappelle les dispositions du § 188 CH. En outre, Naniya et sa femme doivent
rester au service de Tirwaya sa vie durant, et pourront partir où bon leur semblera à sa mort.
L’ensemble de ces obligations s’inscrit dans le cadre d’une adoption, qui est annoncée dès
le début de la tablette. Il ne s’agit pas d’une pure fiction juridique puisque l’adoptant acquiert
l’autorité parentale sur l’adopté ainsi que le souligne la fin du texte : si, en effet, Naniya refuse
de servir Tirwaya, celui-ci pourra le traiter « comme un homme traite son fils ». Il y a là une
allusion au pouvoir de correction du père, et plus largement à son autorité sur l’adopté. Cette
notion d’autorité paternelle inclut la capacité d’exhéréder le fils rebelle (cf. §§ 168-169 CH), mais
en l’espèce, cette possibilité est certainement exclue du fait du statut servile de l’adoptant. À
la mort de l’adoptant, l’adopté quittera la maison et ne sera donc pas tenu par son contrat de
rester au service de la famille d’Enna-mati, le maître de Tirwaya.
Ce type de convention combine des éléments relevant des pures obligations contractuelles
(rémunération de l’artisan, obligation d’apprendre le métier à l’apprenti) et d’autres typiques de
l’état des personnes, notamment l’expression « comme un père traite son fils », qui renvoie au
droit commun de la filiation, ou encore l’apposition du sceau du père biologique sur la tablette,
indiquant qu’il renonce à son autorité sur l’enfant adopté. L’utilisation du moule juridique de
l’adoption permet d’imposer à Naniya l’entretien de son père adoptif devenu âgé (cf. infra), en
vertu d’une obligation alimentaire bien attestée par ailleurs pour les enfants envers leurs parents.
Le service (palāhu) dû par Naniya n’est pas décrit, mais inclut probablement la renonciation
au produit de son travail au profit de Tirwaya. Naniya n’aura donc pas à rémunérer l’artisan,
ayant payé son apprentissage à la fois par un service personnel et un travail gratuit.
Reste enfin à signaler un dernier document concernant l’apprentissage, qui présente la
particularité d’être un texte scolaire d’époque paléo-babylonienne [5]. Un individu est confié
par son père à un maître pour sept ans ou pour sept séances, afin d’apprendre le chant et ­divers
instruments de musique. La rémunération est de 5 sicles et l’enseignement se déroule au do-
micile du maître. Le principal intérêt de ce texte réside dans le fait qu’il constitue un modèle
de rédaction pour un type de contrat dont aucune attestation contemporaine n’est connue à
l’heure actuelle. Cette lacune peut bien sûr s’expliquer par le hasard des fouilles, mais pourrait
aussi refléter une désaffection générale à l’égard de l’écrit pour ce genre d’engagement, tenant
au statut des apprentis musiciens : il s’agit la plupart du temps d’esclaves et plus rarement de
fils de famille ; dans les deux cas, la rédaction d’un contrat est superflue 18.

18.  Cf. les recherches de N. Ziegler à propos des musiciennes du palais de Mari, Le harem de Zimrî-Lîm, Flo-
rilegium marianum IV, Mémoires de NABU 5, 1999 (ci-après, Harem), p. 69 et suiv.

70 Sophie Démare-Lafont
Ce dernier texte pose la question plus vaste de la formation des scribes, qui n’entre pas à
proprement parler dans le cadre de l’apprentissage, mais nécessite pourtant une formation qui
prend pour cadre elle aussi la maison.

Apprentis-scribes

Lire et écrire n’étaient pas le monopole d’une poignée de lettrés mésopotamiens qui ­dirigeaient
le destin du monde et manipulaient des rois ignorants et des populations crédules. On sait
désormais, grâce à des travaux récents 19, que bon nombre de souverains et de membres de
l’administration (hommes ou femmes) du IIe millénaire étaient capables de rédiger une lettre
et de la lire eux-mêmes. La figure du roi de sagesse, dont Salomon représente l’archétype le
plus célèbre, est d’ailleurs construite sur cette omniscience du prince, qui n’est pas un simple
argument de propagande politique mais correspond à de réelles compétences que les sources
cunéiformes documentent abondamment 20. Le métier de scribe suppose néanmoins des
­connaissances élargies qui, dans certains cas, confinent à l’érudition. Le cursus scolaire est
­construit sur une progression pédagogique allant du plus simple au plus compliqué : l’élève
retient d’abord des séries de signes ou d’opérations, puis de phrases et parvient enfin à la
résolution de problèmes complexes ou à la copie de textes assez élaborés. Une fois acquise la
formation élémentaire intervenait une spécialisation vers le droit, la divination, l’astronomie
etc. Ceux qui se destinaient par exemple à une carrière juridique allaient sans doute poursuivre
leurs études à Nippur, où ont été retrouvées plusieurs tablettes scolaires contenant la copie de
procès célèbres ou de formulaires de contrats. De tels exercices servaient à mémoriser à la fois
les mots et les règles de droit 21.
L’éducation de base se déroulait en revanche au domicile du maître ou à celui de l’élève, avec
une sorte de précepteur 22. On dispose sur ce point du précieux témoignage paléo-babylonien
apporté par la ville de Sippar-Amnanum (Tell ed-Dêr). Les fouilles belges ont mis au jour la mai-
son d’un personnage nommé Inanna-Mansum, qui occupa les fonctions de Grand ­Lamentateur
de la déesse Annunitum à Sippar au xviie s. av. J.-C. Son fils et successeur, Ur-Utu, occupa lui
aussi la maison. C’est sans doute lui qui a rédigé les tablettes scolaires retrouvées là, recevant

19.  Voir la synthèse de D. Charpin, Lire et Écrire à Babylone, Paris, 2008 et, du même auteur, « Les scribes
mésopotamiens », dans A.-M. Christin (éd.), Histoire de l’écriture. De l’idéogramme au multimédia, Paris, 2001,
p. 37-43.
20.  Cf. J.-M. Durand, « Le roi savant en Mésopotamie », dans J.-L. Bacqué-Gramont et J.-M. Durand (éd.),
L’image de Salomon : sources et postérités, Actes du colloque organisé par la Société asiatique et le Collège de France,
Paris, 18-19 mars 2004, Cahiers de la Société asiatique, NS 5, 2007, p. 3-10.
21.  Pour le cursus spécifiquement juridique, cf. S.J. Lieberman, « Nippur : City of Decisions », dans M. deJong Ellis
(éd.), Nippur at the Centennial, Rencontre assyriologique internationale XXXV, Occasional Publications of the
Samuel Noah Kramer Fund 14, Philadelphie, 1992, p. 127-136.
22.  Sur le cursus scribal, cf. D. Charpin, Le clergé d’Ur au siècle d’Hammourabi (xixe-xviiie siècles av. J.-C.),
HEO 22, Paris, 1986, p. 420 et suiv. et « Un quartier de Nippur et le problème des écoles à l’époque paléo-babylo-
nienne », RA 83, 1989, p. 97-112 et RA 84, 1990, p. 1-16 ; voir aussi plus récemment P.D. Gesche, Schulunterricht
in Babylonien im ersten Jahrtausend v. Chr., AOAT 275, 2001, p. 9 et suiv. pour un survol des textes scolaires de
l’époque de Fara jusqu’au milieu du viiie s. av. J.-C.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 71


son éducation d’un scribe rattaché à la maison familiale. On comprend mieux qu’il n’y ait pas,
dans les archives d’Ur-Utu, de contrat de recrutement d’un précepteur : l’enseignement était
dispensé par un scribe qui travaillait déjà pour la famille et s’occupait en plus de former le futur
Grand Lamentateur. Il serait tentant d’imaginer que c’est le propre père d’Ur-Utu qui a assuré
sa formation, Inanna-Mansum étant lui-même un lettré, tout comme les autres titulaires de la
charge. Mais les exercices qui ont été retrouvés reprennent des modèles bien connus, notamment
de listes lexicales, qui n’ont pu être restitués de mémoire par le père ni dictés d’après ses anciens
« cahiers d’écolier », les tablettes scolaires étant mises au rebut au lieu d’être conservées 23.
La précédente occupante de la maison (sur laquelle Inanna-Mansum construisit la sienne),
une religieuse, fit donner elle aussi à sa nièce et héritière une éducation élémentaire. Quelques
tablettes d’exercices retrouvées dans les niveaux de ce bâtiment antérieur en témoignent, et
confirment que l’accès à la lecture et à l’écriture n’était pas réservé aux hommes 24.
Le cas de la famille d’Inanna-Mansum montre que, en matière d’apprentissage scribal, la
rédaction d’un contrat n’était ressentie comme nécessaire que si l’élève quittait le domicile
familial pour aller chez son maître : il fallait alors déterminer la durée du séjour et l’étendue
de l’autorité de l’enseignant.
Il est difficile de savoir si ce schéma babylonien vaut pour le reste du monde cunéiforme du
e
II millénaire.
La question se pose par exemple à Émar, dans la Syrie des xive-xiiie s. Le bâtiment M1 a livré de
nombreuses tablettes juridiques, mais aussi administratives et lexicales, et abritait apparemment
les archives liées à la fonction du devin local. Les colophons des tablettes scolaires indiquent parfois
le niveau de qualification de celui qui a écrit la tablette. Il se dit quelquefois « scribe et devin » (lú
dub-sar lú hal) 25, mais le plus souvent « devin » (lú hal lú uzú) 26, ou « devin débutant » (ì-zu tur) 27
voire « très débutant » (ì-zu-tur-tur) 28. Il est clair que l’éducation qu’ils reçoivent inclut un cursus
élémentaire : la plupart des documents scolaires sont des exercices de lexicographie classique
tirés du même répertoire que celui d’Ur-Utu, le Grand Lamentateur de Sippar. Par recoupement
prosopographique, Y. Cohen a montré que deux des apprentis cités dans ce corpus du bâtiment
M1 ont été achetés comme esclaves par Ba’la-Malik le devin, puissant personnage local 29 : en
dépit de leur servitude, ces enfants ont donc bénéficié de la générosité de leur acquéreur et accédé
à un niveau de formation dont ils auraient sans doute été privés autrement. Même s’ils n’ont pas
un statut libre, leur cas rappelle celui d’Ur-Utu ­notamment quant à ­l’environnement familial

23.  Cf. les conclusions de M. Tanret, Per aspera ad astra. L’apprentissage du cunéiforme à Sippar-Amnānum
pendant la période paléobabylonienne tardive, MHES/T I,2, Gand, 2002 (ci-après, Apprentissage), p. 153 et suiv.­
24.  Cf. ibid., p. 139-140. Cf. déjà, pour les femmes du harem de Mari, les conclusions de N. Ziegler, H
­ arem…,
op.cit., p. 91-92.
25.  Par exemple, D. Arnaud, Recherches au Pays d’Aštata, Emar VI/4, Paris, 1987, nº 604.1
26.  Par exemple, ibid., nº 604.6.
27.  Par exemple, ibid., nº 604.2.1.
28.  Par exemple, ibid., nº 604.3 ou 604.5.
29.  Pour l’identification de ces deux personnages, cf. l’article de Y. Cohen, « Feet of Clay at Emar : A Happy
End ? », OrNS 74, 2005, p. 165-170 ; le contrat de vente des deux individus et les empreintes de leurs pieds ont
été édités par D. Arnaud, op.cit., nº 217-220.

72 Sophie Démare-Lafont
dans lequel se déroule l’apprentissage des connaissances. Pour les autres tablettes scolaires du
bâtiment M1, toute la question est de savoir si elles ont été faites à domicile puis apportées dans
le bâtiment, ou si elles reflètent un enseignement donné sur place à des élèves qui se déplacent.
La première hypothèse laisserait supposer qu’on archive les ­exercices des apprentis-devins, pour
garder une trace de leur scolarité, ce qui n’est guère habituel en Mésopotamie. Un indice en faveur
de la seconde solution tient au fait que la plupart des scribes cités dans ces colophons n’appa-
raissent pas dans les textes juridiques, justement parce qu’ils se destinent à une autre spécialité,
enseignée dans ce bâtiment. On peut ajouter qu’il semble exister une forme de cosmopolitisme
parmi les enseignants : Y. Cohen a identifié au moins un non-Émariote parmi les individus cités
dans les colophons 30, ce qui indique un contact direct – mais tardif, vers 1180 – entre la culture
scribale d’influence babylonienne et celle d’Émar.
Apprentissage et éducation élémentaire se déroulent donc à la maison. Une autre forme de
travail, qui, elle, n’est pas rémunérée en principe, a pour cadre quotidien la maison : il s’agit du
travail domestique.

II. TRAVAIL DOMESTIQUE ET PRATIQUES CARITATIVES

Faute de sources, on ne peut quantifier ce que représentent les activités domestiques en


temps et en valeur économique. En général, ces tâches sont effectuées par du personnel servile
ou par les membres de la maisonnée, ce qui ne nécessite pas la rédaction d’un contrat. Pourtant,
certaines situations peuvent faire l’objet d’un document écrit, qui a la particularité d’éviter la
forme du contrat de travail. Les montages juridiques utilisés traduisent une approche particulière
de la solidarité reposant sur une dimension en quelque sorte caritative. Ce type de situation
est mieux documenté dans la seconde moitié du IIe millénaire, dans les régions du nord de la
Mésopotamie (Émar, Aššur), où l’on a retrouvé des contrats dont l’objet est manifestement pour
les parties de se rendre mutuellement service, en dehors de toute notion de salaire, sans pour
autant évacuer le principe d’une rémunération. Une tablette d’Aššur d’époque médio-assyrienne
est bien représentative de cette nuance 31 : un nommé Šamaš-amranni s’engage « de son propre
mouvement » (ina migrat raminišu) à demeurer dans la maison d’Amurru-naṣir, où il sera logé et
nourri, en échange de quoi il épousera une femme de la maisonnée, qu’il pourra emmener avec
lui à la fin du contrat. Les dix années de service, probablement domestique, dues par Šamaš-
amranni, sont payées par la garantie d’un mariage financé par l’« employeur ». Les formulaires
habituels des contrats de travail ne permettent pas d’exprimer ce genre ­d ’arrangement, qui
n’avait même pas besoin d’être mis par écrit. C’est ici la durée assez longue de l’engagement
qui justifie la rédaction d’une tablette.

30.  Cf. son article « Kidin-Gula – The Foreign Teacher at the Emar Scribal School », RA 98, 2004, p. 81-100,
à propos d’un nommé Kidin-Gula, sans doute originaire du nord (­région du Suhu) et qui aurait écrit les textes
portant une date babylonienne, retrouvés dans la maison 5 du chantier A d’Emar.
31.  VS 19 37. Cf. J.N. Postgate, « On Some Assyrian Ladies », Iraq 41, 1979, p. 89-103, spécialement p. 93-95.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 73


Il existe en fait deux réseaux d’entraide, visant à procurer un travail – et donc un revenu – à ceux
qui en ont besoin : l’un est organisé autour de la famille, et l’autre est relayé par la collectivité. Les
deux circuits sont alternatifs ou successifs selon les cas. Leurs rouages et leurs finalités sont bien mis
en valeur dans le cas des affranchissements d’esclaves d’une part, et des adoptions d’autre part.

L’affranchi-employé

Il arrive qu’un esclave affranchi par son maître soit tenu de rester chez lui pour le servir jusqu’à
sa mort. Dans ce cas, le bénéficiaire accomplit les mêmes besognes qu’avant, mais désormais
dans le cadre d’un contrat qui fixe le contenu et la durée de ses obligations. Les relations entre
les deux parties ne sont plus réglées par le droit des biens mais par le droit des obligations 32.
L’affranchissement n’est pas gratuit, conformément au principe général en la matière. Au lieu
de percevoir la quantité d’argent correspondant au rachat de l’ancien esclave, le propriétaire est
payé sous forme d’un service accompli durant toute la durée de sa propre vie et éventuellement
de celle de son épouse 33. Le recours au travail comme moyen de paiement est parfois noté dans
une clause précisant que l’esclave se rachète lui-même. Tel est le cas dans un exercice scolaire
paléo-babylonien provenant sans doute de Nippur [6].
On reviendra plus loin sur la question de la consécration au dieu Šamaš mentionnée dans
ce texte. Il faut retenir ici qu’en fait, sinon en droit, le service de l’esclave est compris comme un
­paiement qui lui sert à acheter sa liberté. On est proche de l’esprit de la servitude pour dette, par la-
quelle le débiteur rembourse son créancier par le produit de son travail, pour une durée qui n’est pas
précisée. Faut-il en conclure que tous les contrats d’affranchissement ­simple (i.e. sans dédicace à une
divinité) renvoient à une dette impayée ? On sait que le phénomène du surendettement est en-
démique au IIe millénaire et que l’asservissement menace r­égulièrement une partie de la popu-
lation. Mais les actes d’affranchissement sont muets sur l’origine de la servitude. S’il y a en tout
cas sous ces contrats une trace, même occasionnelle, de la paupérisation cyclique qui sévit au
IIe millénaire, on s’éloigne de la dimension caritative du travail de l’affranchi sauf à considérer
que le créancier recueille un individu ruiné qui n’a d’autre solution que d’aliéner sa liberté pour
survivre. Ces situations pathétiques sont évoquées dans les textes d’Émar, souvent en lien avec ce
que les tablettes appellent une « année de détresse » (dannūtu), évoquant guerre et famine tout à la
fois. On mesure l’intensité de la crise au fait que des ­parents vendent leurs enfants à des familles
riches pour être sûrs qu’ils auront de quoi ­manger 34, ou encore que des adultes incapables de
rembourser leur dette s’engagent volontairement au service de leur créancier.
Le cas est décrit par exemple dans une tablette d’Émar [7] contenant la déclaration d’un
nommé Yašar-Da’i qui dit ceci :

32.  Cf. R. Westbrook, « Slave and Master in Ancient Near Eastern Law », Chicago-Kent Law Review 70, 1995,
p. 1631-1676, spécialement p. 1649.
33.  Cf. M. Stol, « The Care of the Elderly in Mesopotamia in the Old Babylonian Period », dans M. Stol
et S. Vleeming (éd.), The Care of the Elderly in the Ancient Near East, Leyde, 1998, p. 59-117, spécialement
p. 83-84.
34.  Cf. supra, le cas des enfants vendus au devin ; D. Arnaud, Emar, op.cit., nº 217-220.

74 Sophie Démare-Lafont
« Pendant l’année où les hordes assiégeaient la ville, qu’un qa de grains valait un sicle d’argent,
j’avais une dette de 20 parīsu de grains envers Bulali fils d’Arwu, et il m’a enlevé à la famine et
m’a fait vivre. »
Le verbe bulluṭu « faire vivre », appliqué à une personne, décrit toujours l’action de sauver
quelqu’un d’une mort par inanition. Il ne s’agit pas d’une image ou d’une formule emphatique,
mais bien d’une réalité. On en trouve une attestation législative dans les Lois assyriennes (tabl.
A § 39) à propos de la fille de famille donnée par son père à l’un de ses créanciers pour être
« sauvée d’une catastrophe » (ina lumne balluṭat). Parce qu’il est considéré comme une sorte de
bienfaiteur qui offre à un père en détresse un foyer pour sa fille, ce créancier-gagiste a un statut
privilégié par rapport à d’autres.
Pour en revenir au contrat de Yašar-Da’i, on est bien là aussi dans un contexte de solidarité
prenant pour support une forme choquante pour nos esprits modernes, mais peut-être plus
charitable qu’il n’y paraît a priori. Le créancier a accepté de convertir la dette en travail servile,
pour une durée indéterminée. Si Yašar-Da’i veut quitter le service de Bulali, il devra livrer à sa
place un esclave. Ainsi sont préservés les intérêts des deux parties : ceux de Yašar-Da’i qui est
assuré de travailler quelque part pendant une période difficile, et ceux de Bulali, qui de toute
façon n’aurait pas récupéré le montant de sa dette, compte tenu de la crise, et qui est assuré
quand même d’avoir à sa disposition de la main-d’œuvre à long terme.
Une alternative au paiement par le service consiste à reverser à l’ancien maître le produit
d’un travail accompli à l’extérieur. Un texte paléo-babylonien de Nippur en offre une illustra-
tion [8]. Un couple affranchit sa servante qui devra « se tenir devant eux », c’est-à-dire les servir.
L’expression est inhabituelle dans ce type de contrat, et pourrait indiquer que la femme doit
fournir des subsides au couple plutôt que de les servir réellement. En outre, la liste des témoins
comporte trois individus portant le titre de « chef des tisseuses » (ugula geme2-uš-bar). M. Stol
en déduit que la servante désormais libre va travailler dans un atelier de tissage et utilisera son
salaire pour entretenir ses anciens propriétaires, chez qui elle continue à habiter 35.
Un point ressort clairement des textes : la cause de l’affranchissement est de prendre soin
d’un couple ou d’une personne âgée, probablement sans enfant, et qui ne peut plus travailler.
On contractualise ainsi l’obligation incombant en principe aux héritiers et conditionnant leur
vocation successorale. Le terme désignant cette obligation est palāhu, « honorer ». Le verbe en-
globe toutes sortes d’actes à la fois profanes (nourrir et veiller à ce que les parents ne manquent
de rien) et cultuels (invoquer « les dieux et les morts », c’est-à-dire prier et effectuer les rites
funéraires). Il est probable que les contrats d’affranchissement n’envisagent que la partie profane
du service ; sa dimension cultuelle est en principe accomplie par les membres de la famille.
Ce genre de contrat est mieux connu pour les IIe et Ier millénaires mésopotamiens. Il a
été étudié par P. Koschaker d’abord 36 qui a rapproché ces textes de l’institution grecque du

35.  M. Stol, « The Care of the Elderly in Mesopotamia… », op.cit., p. 83.


36.  P. Koschaker, « Über einige griechische Rechtsurkunden aus den östlichen Randgebieten des Hellenismus »,
Abhandlungen der Sächsischen Akademie der Wissenschaften 42, 1934, p. 1-122, spécialement p. 68-83. Contra
A.E. Samuel, « The Role of paramone Clauses in Ancient Documents », JJP 15, 1965, p. 221-311.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 75


p­ aramone, et plus récemment par R. Westbrook 37 qui a montré que l’esclave devient complè-
tement libre par ce procédé.
La confusion vient de ce que, dans certains cas, l’esclave est, par le même acte, libéré et voué
à une divinité. On en a vu un exemple assez représentatif plus haut [6]. On peut se demander
quel est l’intérêt de libérer un esclave pour le donner à une divinité. R. Westbrook a montré
les avantages de l’opération en raisonnant sur les contrats du Ier millénaire : l’affranchissement
est immédiat alors que la donation est future. Le maître fait un acte de piété, mais ne se dé-
pouille pas tout de suite. Il conserve les services de l’affranchi, qui travaille désormais chez
lui par contrat. Ses créanciers ne pourront pas le saisir. L’affranchi de son côté est sûr qu’il ne
pourra être ni vendu ni gagé ; il a une place stable et sait qu’il ne sera pas abandonné à la mort
de son employeur.
Ces conclusions valent également pour le IIe millénaire. La double décision d’a ffranchir et
de consacrer un esclave reflète deux niveaux de solidarité. Le premier se situe dans la sphère
privée : le maître assure à l’affranchi un travail, donc un moyen de vivre, sur une durée certes
indéterminée mais sans doute assez longue (plusieurs années). C’est une solution généreuse,
mais qui risque de faire tomber l’employé dans la précarité lorsque son bienfaiteur sera mort.
D’où la consécration à un dieu, qui fait jouer la solidarité au second niveau, collectif cette fois :
la divinité fournira un travail à l’ancien esclave, ce qui lui procurera un revenu. L’employeur est
bien la divinité et non pas le temple. Il y a là une différence avec les sources du Ier millénaire. Le
temple néo-babylonien est en effet une institution économique majeure, ce qui n’est pas toujours
le cas au IIe millénaire, notamment en Syrie. Vouer un individu à une divinité ne signifie pas
forcément qu’il intègrera le personnel des oblats et sera placé sous l’autorité hiérarchique de
l’administration du temple. Il s’agit sans doute plus simplement d’assurer le service quotidien
d’un petit sanctuaire, cette modeste fonction permettant de percevoir des revenus sûrement assez
faibles – peut-être en nature – mais suffisants pour vivre. Le fait même d’exercer une activité
régulière, qui plus est cultuelle, a certainement une forte valeur sociale (on dirait aujourd’hui
qu’elle est un facteur d’intégration). La collectivité prend ainsi d’une certaine façon le relais
du bienfaiteur pour ne pas isoler économiquement et socialement l’un de ses membres, plus
vulnérable de par sa situation personnelle.
Un autre moyen d’assurer la solidarité par le travail « caritatif » consiste à greffer le service
sur un lien de parenté. On retrouve ici le même souci de ne pas laisser seul celui qui se retrouve
en position de faiblesse parce qu’il n’a plus de famille. Le droit a donc imaginé des formes de
travail intégrées dans un rapport de parenté et impliquant une communauté de vie entre les
intéressés.

37.  R. Westbrook, « The Quality of Freedom in Neo-Babylonian Manumissions », RA 98, 2004, p. 101-108..

76 Sophie Démare-Lafont
La famille au travail

La forme la plus courante que prend ce type d’arrangement est l’adoption. Elle concerne
parfois un esclave affranchi, ou bien un enfant en âge de travailler ou enfin un adulte libre. Dans
tous les cas, l’adopté s’engage à entretenir l’adoptant. Le contrat précise parfois les quantités de
rations qui devront être fournies. En échange, l’adopté reçoit une part successorale, attribuée
immédiatement ou à la mort du/des adoptant(s). Ce genre de contrat permet souvent aux plus
jeunes d’aider les plus âgés : ceux qui sont capables de travailler se mettent au service de ceux
qui ne le peuvent plus, contre rémunération. Ce qui suppose que le ou les adoptant(s) – si
c’est un couple – aient un minimum de biens patrimoniaux pour assurer la transaction. Du
coup, l’adopté ne sera pas toujours animé par des motifs sincères et généreux, mais plutôt par
l’appât du gain. À la base de ces situations, on trouve quelquefois une dette impayée. On peut
alors se demander si, sur le fond, l’étiquette juridique de l’adoption est pertinente pour tous
les documents. Quoi qu’ils en aient certaines caractéristiques, ils répondent avant tout à une
situation financière contingente. On utilise le moule juridique de l’adoption pour effectuer en
réalité une transaction économique.
Émar apporte une nouvelle fois un éclairage sur la question [9].
La difficulté ici est de comprendre l’enjeu de documents de ce genre. On voit bien que la dette
de l’adoptant est remboursée par l’adopté, mais le montant n’est pas toujours très élevé, alors
que les droits successoraux sont comparativement substantiels. Pourquoi l’adoptant-débiteur
ne paye-t-il pas lui-même sa dette avec les éléments du patrimoine dont il dispose ? Le texte
[9] apporte la réponse : il n’a plus personne pour s’occuper de lui. L’objet du contrat est donc
avant tout d’imposer une obligation de service à l’adopté, en le motivant par une perspective
d’enrichissement. C’est d’ailleurs cet aspect qui est mis en valeur dans la clause de rupture
d’un contrat similaire : au lieu de l’habituelle expression « tu n’es pas mon fils/mon père », on
y trouve : « Je ne t’honorerai pas/tu ne m’honoreras pas 38. »
Mais alors, pourquoi ne pas passer par l’affranchissement d’un esclave, selon le modèle ­exposé
plus haut ? Sans doute parce que l’adoption inclut une dimension religieuse que le contrat de
service ne peut englober : le fils, adoptif ou biologique, doit effectuer les rites funéraires et
assurer le culte familial. Son travail consiste donc à veiller sur l’adoptant tant qu’il vit, mais
aussi après sa mort. Le droit de succéder à la maison paternelle est certainement un aspect de
cette obligation funéraire.
L’adoption peut être combinée avec un mariage, et il semble que l’épouse donnée à l’adopté
lui tienne alors lieu de part successorale 39. Un exemple d’Émar [10] réunit tous les éléments

38.  RE 10 :24 et 27, édité par G. Beckman, Texts from the Vicinity of Emar in the Collection of Jonathan Rosen,
HANEM II, Padoue, 1996, p. 17-18.
39.  Il en va de même à Nuzi, dont les textes présentent beaucoup de points communs avec ceux d’Émar et
d’Aššur en matière de droit de la famille. Cf. pour des études comparatives, K. Grosz, « Daughters Adopted as
Sons at Nuzi and Emar », dans J.-M. Durand (éd.), La femme dans le Proche-Orient antique, Actes de la XXXIIIe
RAI (Paris, 1986), Paris, 1987, p. 81-86 ; K. van Der Toorn, « Gods and Ancestors in Emar and Nuzi », ZA 84,
1994, p. 38-59 ; R. Westbrook, « Social Justice and Creative Jurisprudence in Late Bronze Age Syria », JESHO
44/1, 2001, p. 22-43.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 77


précités : rachat d’une dette, adoption (en l’occurrence d’un neveu par son oncle), mariage,
obligation d’entretien et libération à la mort de l’adoptant et de sa femme. Le montant de la
dette est assez élevé, et laisse supposer que le neveu se voit offrir par son oncle une perspective
d’avenir réconfortante : il est sûr d’avoir un emploi et un logement en échange d’une obligation
peut-être assez peu contraignante.
Reste à examiner un dernier cas, plus surprenant que les précédents. Il concerne cette
fois le travail exigé de la veuve en échange de son maintien au domicile de l’un de ses enfants.
Cette curieuse situation est présentée dans un paragraphe des Lois assyriennes [11], qui règle
le sort de la veuve dépourvue de douaire. Deux situations différentes sont envisagées : dans la
première (l. 89-98), la veuve est une épouse principale. Son entretien incombe à tous les enfants
solidairement, et elle choisit celui chez qui elle résidera. Dans la seconde hypothèse (l. 99 et
suiv.), la veuve est une épouse secondaire (urkittu). Elle peut être prise en charge soit par les fils
de son mari si elle n’a pas d’enfants (l. 100-102), soit par ses propres enfants si elle en a (l. 103 et
suiv.) et dans ce cas dit le texte, si les enfants de l’épouse principale refusent de la nourrir, « ce
sont ses propres fils qui l’entretiendront et elle travaillera pour eux » (l. 107-108).
L’expression šipra epēšu « faire le travail » est également utilisée à propos de l’épouse du
prisonnier de guerre laissée sans ressources et sans personne pour l’entretenir (§ 45 tabl. A
Lois assyriennes). Elle doit attendre deux ans avant de se remarier et si, durant ce délai, elle
n’a rien pour vivre, elle doit en faire la déclaration. Alors, poursuit le texte « si elle est membre
d’une communauté villageoise du palais, son… la nourrira ; elle travaillera pour lui. Si elle est
l’épouse d’un soldat-hupšu … l’entretiendra ; elle travaillera pour lui ».
Dans les deux cas, on retrouve l’idée d’un travail offert à une femme sans ressources, qui
se trouve de facto dans une situation comparable à celle de la veuve du texte [11]. Il est assez
tentant de rapprocher cette forme de solidarité, non pas étatique, mais communautaire, (voire
locale ou corporatiste) avec une œuvre de bienfaisance néo-babylonienne appelée « Maison
du citoyen » (bīt mār bāni) qui procure du travail aux femmes nécessiteuses 40. Il s’agit peut-
être, comme dans les exemples médio-assyriens précités, d’une forme de solidarité organisée
à l’échelle d’une communauté ou d’un quartier et non pas de l’État. Les réseaux de proximité
compensent la défaillance des formes familiales de soutien à une personne économiquement
faible en lui procurant un moyen de subsistance par un travail, sans doute temporaire, qui
assure une sorte de transition vers une situation stable.
Mais aucun de ces facteurs ne paraît adapté au cas de la veuve du texte [11]. Elle n’est pas
coupée de sa famille puisqu’elle a des enfants, qui devraient donc l’entretenir gratuitement. C’est
manifestement son statut d’épouse secondaire qui justifie ce traitement particulier. L’épouse
principale peut décider d’habiter chez l’un de ses propres fils, mais exiger des enfants des deux
lits qu’ils l’entretiennent. Elle a ainsi une sorte de priorité économique sur l’épouse secondaire.
Celle-ci en revanche ne peut rien exiger des fils de l’épouse principale. Elle ne peut compter
que sur ses propres fils, qui ont déjà leur belle-mère à charge. D’où une contrepartie financière

40.  Cf. l’étude de M. Roth, « Women in Transition and the bīt mār bāni », RA 82, 1988, p. 131-138 et la réponse
de G. Van Driel, « Care of the Elderly : the Neo-babylonian Period », dans M. Stol et S. Vleeming (éd.), The
Care of the Elderly in the Ancient Near East, Leyde, 1998, p. 161-197, spécialement p. 174-178.

78 Sophie Démare-Lafont
admise par la loi. Le travail de l’épouse secondaire n’est pas précisé. Dans le contexte médio-
assyrien, l’expression šipra epēšu désigne souvent une tâche indéterminée accomplie pour le
compte d’une institution ou d’une collectivité. On peut donc supposer ici que, comme au § 45,
le travail sera fourni au niveau local, sous forme d’activités non spécialisées (e.g. travaux des
champs) ou de travail à domicile, par exemple le tissage. Quelle que soit la situation concrète
visée par la loi, on doit comprendre que la veuve ne restera pas sans perspective d’emploi.
L’espace privé apparaît donc comme un lieu d’activités diversifiées et économiquement
productives, mais dont les traces ne sont pas immédiatement visibles. Seules les firmes fami-
liales du type des sociétés commerciales paléo-assyriennes ou des organismes bancaires de la
fin du Ier millénaire (Murašû, Egibi) ont laissé une documentation juridique et/ou comptable
consistante. Mais ces structures n’ont rien de commun, par leur ampleur et leurs enjeux finan-
ciers, avec les petites cellules familiales dont les ambitions sont, plus modestement, d’assurer
à chacun une vie quotidienne décente.

[1]  W. Mayer, Tall Munbāqa-Ekalte II, WVDOG 102, 2001, nº 28

Collations et relecture de J.-M. Durand et L. Marti

(1)  À compter de ce jour, (2)  Hinna-Addu, fils de Hemi, l’homme d’Ekalte, (7)  a donné
(3)  son fils (6)  à Niruwe, fils de Šige, (4)  durant l’année de la famine, (5)  pour le sauver (4)  de
la faim.
(7)  Afin qu’il le sauve, (8)  pendant 10 ans, l’enfant … (8)  à la maison de Niruwe pour faire
des marteaux. (11)  Au bout de 10 ans, (12)  il libérera l’enfant (13-15).  En outre, Hinna-Addu
porte la garantie pour les marteaux, comme quoi il les donnera à Niruwe.
(16-23)  Date. Année.

[2]  § 200 Lois hittites

(27-28)  Si quelqu’un donne son fils en apprentissage, comme charpentier ou comme forgeron,
(29) tisserand ou travailleur du cuir ou foulon, (30)  il payera 6 sicles d’argent comme (salaire)
pour l’apprentissage. (30-31)  Si le maître fait de lui un expert, il lui donnera une personne.

[3]  § 188-189 Code de Hammurabi

(54)  Si un artisan (55-56)  a pris un fils pour l’élever (57-58)  et lui a enseigné son métier,
(59)  il ne sera pas revendiqué.
(60-61)  S’il ne lui a pas enseigné son métier, (62)  cet enfant élevé (63-64)  retournera dans
la maison de son père.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 79


[4]  JEN 572 (A. Speiser, JCS 17, 1963, 68-70)

Ḫui-Tilla fils de Warteya a donné son fils Naniya pour adoption à Tirwaya esclave d’Enna-
mati. Et Tirwaya fera prendre femme à Naniya, et il lui apprendra le tissage.
Tant que Tirwaya sera en vie, Naniya et sa femme le serviront. Lorsque Tirwaya sera mort,
alors Naniya pourra prendre sa femme et aller où il voudra. Si Tirwaya n’apprend pas le tissage
à Naniya, alors Ḫui-Tilla viendra reprendre son fils Naniya.
[Et T]irwaya [a do]nné à Ḫui-Tilla 5 moutons pour son [éducation ?]. Déclaration [de Ḫu]
i-Tilla : « [Ou]i, [j’ai] reçu 5 moutons [de la part] de Tirwaya. »
[Si N]aniya [ne] sert [pas] Tirwa[ya], alors Tirwaya pourra traiter Naniya comme un homme
traite son fils. [Tiraw]aya (a dit) [ceci : « Nani]ya ne me devra rien. Lorsque je serai mort, que
Naniya prenne sa femme et qu’il aille où il voudra. »
Celui d’entre eux qui contestera devra payer 1 mine d’argent et 1 mine d’or.

[5]  M. Geller, dans G.J. Selz (éd.), Festschrift für B. Kienast, AOAT 274, 2003, p. 109-111

(1)  Hebe-Eridu, (2)  fils d’Adad-lamasi (4)  a résidé avec Il-ṣiri (3)  afin d’apprendre la mu-
sique. (5-7)  À cette époque, pour apprendre le chant, l’instrument-tigdlu, l’instrument-asila,
l’instrument-tigi et l’instrument-adab : sept fois, (8-11)  Adad-lamasi a donné 5 sicles d’argent
comme salaire à Il-ṣiri.
(R) Sa date.
(13-14)  Ili-ippalsani, le maître d’école.

[6]  L. Speelers, Textes sumériens, babyloniens et assyriens, Bruxelles, 1925, nº 45

(1-4)  Un esclave, dont le nom est Antalu, est l’esclave de Šeš-bantuku. (5-7)  Il s’est racheté
lui-même auprès de Šeš-bantuku son maître.
(8-9)  Il (le maître) a purifié son front et brisé ses chaînes. (10-11)  Il l’a affranchi et l’a voué
à Šamaš.
(12-13)  Tant que Šeš-bantuku vivra, Antalu l’entretiendra. (14-19)  Quand Šeš-bantuku
sera mort, si (l’un) des fils de Šeš-bantuku déclare au sujet d’Antalu : « Il est mon esclave », il
payera 2 mines d’argent.
(20-21)  Ses témoins, son mois, son année.

[7]  Aula Orientalis Suppl. 1, nº 25

(1)  Yašar-Da’i, fils d’Aštartu-lit (2)  a dit ceci : « Pendant l’année où les hordes (3)  assiégeaient
la ville, qu’un qa de grains valait un sicle d’argent, (4-5)  je me suis endetté pour 20 parīsu de
grains envers Bulali, fils d’Arwu. (5-6)  En outre, il m’a enlevé à la famine. Et Bulali (7)  m’a
fait vivre. »
(8)  Et si à l’avenir, (9-10)  Yašar-Da’i veut aller hors de la maison de Bulali, (10-11)  qu’il
donne à Bulali un esclave à sa place. (11-13)  S’il y a un esclave en dehors de la maison, qu’il le

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donne à Bulali. Qu’il aille où il veut. (15-17)  Mais qu’il prenne un esclave de quelqu’un d’autre,
cette tablette le confondra. »
(18-23)  Sceaux de 4 témoins.

[8]  M. Çiğ, H. Kizilyay et F.R. Kraus,


Altbabylonische Rechitsurkunden aus Nippur, Istanbul, 1952, nº 7

(1)  Ištar-ritti, servante, (2-3)  est la servante de Wedum-libur et de Nin-dutu-mu son épouse.
(4-5)  Wedum-libur son maître et Nin-dutu-mu son épouse (6-7)  l’ont affranchie.
(8-10)  Tant que Wedum-libur et Nin-dutu-mu vivront, (11)  elle (= Ištar-ritti) se tiendra
devant eux.
(12)  À l’avenir, (13-15)  Enlil-maš-zu son fils, Nin-hé-du7 son fils et Geme2-dba-bu sa fille,
(16-17)  héritiers de Wedum-libur et de Nin-dutu-mu, (18) ne revendiqueront pas au sujet du
statut servile.
(19-20)  Wedum-libur son maître et Nin-dutu-mu sa maîtresse (21)  ont juré un serment
par le roi.
(22-27)  6 Témoins.
(28-31)  Date.

[9]  Aula Orientalis Suppl. 1, nº 78

(1)  Ili-abi, fils d’Abi-Dagan, a dit : (2)  « Voici que mes enfants m’ont affronté. (3)  Ils ne
m’ont pas honoré. (3-4) Pour m’honorer, il n’y a plus personne. »
(4-5)  « Maintenant, j’ai fait de Šuška-sidi, serviteur du chef du pays, mon fils. (6)  Qu’il
m’honore ! »
(6-8)  « Comme il m’honorera, il prendra ma maison quand je serai mort. (8-10)  Mes enfants et
ma femme ne revendiqueront pas contre lui. S’ils revendiquent, cette tablette les confondra. »
(11-12)  Si Ili-abi dit à Šuška-sidi son fils : « Tu n’es pas mon fils », (13-14)  Ili-abi ne prendra
pas sa maison. Il payera 60 sicles d’argent à Šuška-sidi son fils et il ira où il voudra.
(15-20)  Et si Šuška-sidi dit à Ili-abi son père : « Tu n’es pas mon père », Šuška-sidi ne prendra
pas la maison. Il donnera 60 sicles d’argent à Ili-abi son fils et il ira où il voudra.
(21-24)  Voici que Šuška-sidi a payé complètement la dette de 9 sicles d’argent d’Ili-abi. Voici
que l’argent est entré chez Zu-Aštarti, fils de Belu-malik.
(25-28)  Sceaux de 4 témoins.

[10]  G. Beckman, Texts from the Vicinity of Emar in the Collection of Jonathan Rosen,
HANEM II, 1996, nº 63

(1)  Mama fils d’Umani (2) a dit ceci : « (3)  Belu-kabar fils de Ba’al-malik, fils de mon frère,
(4)  a une dette de 14 5/6 sicle d’argent. »
(5-6)  Maintenant, Mama a payé complètement sa dette et il a fait disparaître son argent.
(7)  Il l’a fait en sa qualité de fils. (8)  Il l’a marié à une épouse.

Travailler à la maison. Aspects de l’organisation du travail dans l’espace domestique 81


(9-10)  Tant que Mama et Zu-Aštarti vivront, il les entretiendra. (11-12)  Quand Mama et
Zu-Aštarti seront morts, (13-14)  Belu-kabar prendra la main de sa femme et de ses enfants et
ira où il voudra.
(15-18)  Si Mama dit à Belu-kabar son fils : « Tu n’es pas mon fils », Mama perdra son ­argent.
(19-22)  Si Belu-kabar dit à Mama son père : « Tu n’es pas mon père », il donnera l’argent
équivalent (à la dette) et il ira où il voudra.
(23-29)  8 témoins.

[11]  § 46 Lois assyriennes, tabl. A

(89)  Si une femme dont le mari est mort (90-91)  ne sort pas de la maison de son mari, (92)  si
son mari ne lui a rien attribué par écrit, (93-94)  elle habitera dans la maison de ses fils, là où
elle voudra. (95)  Les fils de son mari l’entretiendront. (98)  Ils passeront une convention pour
elle, (96-97)  pour sa nourriture et sa boisson, (98)  comme pour une fiancée qu’ils aiment.
(99)  Si elle est une épouse secondaire (100)  et qu’elle n’a pas de fils, (101)  elle habitera avec
l’un (des fils de son mari). (102)  Ils l’entretiendront conjointement. (103)  Si elle a des fils, (104-
105)  et que les fils de l’épouse principale ne sont pas d’accord pour l’entretenir, (105-107)  elle
habitera dans la maison de ses propres fils, là où elle voudra. (107-108)  Ce sont ses propres fils
qui l’entretiendront ; en outre, elle travaillera pour eux.
(109-110)  Et si parmi les fils de son mari, il en est un qui veut l’épouser, (111)  il l’épousera et
il l’entretiendra. (112)  Ses propres fils ne l’entretiendront pas.

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