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Ã#loge du XIXe siècle LUKACS, György Europe; Aug 1, 1989; 67, 724; ProQuest pg.

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CHRONIQUES
Gyôrgy LUKÂCS
Eloge du XIXe siècle

Gy6rgy Lukacs a rédigé ce texte vers la fin de sa vie, en 1967,


pour un recueil d'essais édité en l'honneur de Heinrich Boil par le
célèbre critique littéraire de RFA, Marcel Reich-Ranicki. Il y revient
sur sa conception du « Grand Réalisme , qu'une fois de plus il prend
soin d'illustrer et de préciser. Contre les «modernistes», c'est-à-dire
contre la « lignée » issue de Proust, Kafka, Joyce, il défend une tra-
dition romanesque qui prolonge et développe les conquêtes du
XIX• siècle. Pour lui, il y a, envers et contre tout, une ligne de crête
probablement infranchissable, dont les sommets s'appellent Balzac,
Dickens, Tolstoï et, sous réseroes, Dostoïevski. Cependant, les auteurs
du xx• siècle qu'il tente d'opposer aux courants qu'il combat ne sont
pas pour lui de simples épigones de leurs grands prédécesseurs,
même si certains des noms qu'il cite peuvent surprendre. Le débat
n'est pas près de s ëteindre.

Claude Prévost

La théorie de la littérature et la critique ont, de façon explicite


ou comme axiome implicite, un profond mépris pour le XJXe siè-
cle. Mais il n'est pas question d'engager ici une polémique esthéti-
que contre cette attitude. J'accepterai ce rejet comme un fait sympt<r
matique et le considérerai seulement dans ses conséquences - cel-
les qui concernent l'essence de l'homme.
Naturellement, le XJXe siècle ne doit pas apparaître isolément, à
la manière d'un slogan ; car dans la réalité non plus, son existence
n'était pas une existence isolée. L'image qu'il donne de l'homme,
son éthique et son esthétique sont des moments d'une continuité

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historique : tentatives de réponses à des questions posées par la


continuité historique dans les conditions particulières dues au fait
que la grande bataille de la Révolution française pour la réalisa-
tion des idéaux des Lumières avait déjà eu lieu et que sa victoire
avait entraîné la percée définitive de la production capitaliste en
Europe. L'authenticité de l'existence humaine restait certes la valeur
suprême, mais sa réalisation s'effectuait désormais au milieu d'un
désert que les forces sociales aliénées avaient créé autour d'elle et
dans lequel l'homme ne pouvait pratiquement apparaître que con-
damné à l'impuissance. Cependant, la protestation continua mal-
gré tout à se faire entendre fortement par la voix des vrais repré-
sentants du XJXe siècle.
Les événements encore plus dramatiques qui suivirent le chan-
gement de siècle ont transformé radicalement l'image du monde.
S'il faut en croire des interprètes authentiques, quelque chose de
radicalement neuf est né qui a bouleversé de fond en comble et
renversé en leur contraire toutes les manifestations de la vie des
hommes, de haut en bas et de bas en haut. Ces changements se
sont avérés d'une telle ampleur que toutes les catégories antérieu-
res de l'existence humaine s'écroulèrent et que l'on se sentit obligé
de considérer le passé lui-même à la lumière de l'image du monde
que l'on venait de découvrir.
Jan Kott, homme vraiment plein d'esprit, a, d'une façon sug-
gestive, découvert également chez Shakespeare les catégories de
l'existence telle qu'elle se présente après Auschwitz, confrontée à
la bombe atomique. Bien sûr, il lui fallut pour cela, en vertu de
la nouvelle, l'« éternelle ,. Condition humaine, remodeler la guerre
des Roses, qui fut réellement à l'origine de l'Angleterre moderne,
pour en faire une variante de l'hitlérisme. - Quoi qu'il en soit,
Kott a reconnu avec perspicacité que dans un tel monde il n'existe
plus de caractères et que le tragique a été refoulé par l'absurde.
Et comme Kott est un penseur conséquent, il n'en reste pas au
stade formel et esthétique, mais poursuit de façon logique en géné-
ralisant : « L'absolu n'est nullement doté de raisons dernières. Il est
simplement plus fort. L'absolu est absurde. ,. Que pour cela l'homme
du passé ainsi enterré - préabsurde - doive se présenter encore
une fois et dire que le Shakespeare de Kott est un Shakespeare
sans Horatio ni Brutus, que dans Le roi Lear ne s'effondrent nulle-
ment les deux ordres de valeur, celui du Moyen-Age et celui de
la Renaissance, mais qu'au contraire, dans la scène de la tempête,
dans les idées neuves de Lear, la Renaissance va au-delà d'elle-
même, cela ne fait rien à l'affaire.
C'est-à-dire à l'affaire de cette image d'aujourd'hui : de l'absurde
comme force universelle irrésistible, comme vide absolu de toutes

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les forces qui déterminent la vie des hommes. Auschwitz et la


bombe atomique sont des épigraphes importantes, des justifications
convaincantes pour un comportement de cette sorte : ce que c'est
en réalité doit toutefois se vérifier et faire ses preuves dans la vie
quotidienne.
Et c'est ce qui se passe partout et toujours. Mais ce faisant, sans
crier gare, l'absurdité menaçante qui se présente comme un absolu
se métamorphose en une possibilité générale et confortable de mani-
pulation de la vie quotidienne. A l'ombre d'Auschwitz et de la
bombe atomique, l'homme vit une existence quotidienne bien pro-
tégée. Et il est soigneusement assisté et tenu en tutelle avec une
douceur irrésistible par un gigantesque appareil de manipulation qui
était assurément tout aussi nécessaire pour Auschwitz et la bombe
atomique. Cette structure sans limites s'étend de l'être physique
jusqu'à la vie publique, et toute tentative de lui résister serait, selon
la doctrine dominante, purement et simplement ridicule. Etre mani-
pulé constitue en effet notre condition humaine. Et l'appareil se
charge aussi bien du spirituel et du moral que du physique ; dans
sa totalité, il a un caractère de masse, mais il s'adresse toujours
à chaque individu particulier dans ce qui fait justement sa particu-
larité. La lotion capillaire Mr. L. procure à chacun de ceux qui
l'emploient deux femmes ravissantes qui l'adorent, transportées
qu'elles sont par le parfum viril ; la cigarette Gauloise lui donne
une sagesse supérieure dans la vie, etc., etc. Et les choses sont ainsi
jusque dans l'appareil qui manipule l'État et la société. On peut
dans son comportement vis-à-vis de lui choisir tout aussi conforta-
blement que pour la lotion capillaire entre des marques différen-
tes. On peut, si l'on est capable d'enthousiasme, se laisser tirer avec
les autres par une « locomotive électorale •, ou l'on peut se tenir
solitaire sur les créneaux d'une opposition extrême et critiquer radi-
calement tout ce qui existe - à condition que, non-conformiste bien
éduqué du conformisme à l'ordre du jour, on ne jette jamais en
s'exprimant un grain de sable dans le machinisme de la manipula-
tion. La communauté vidée de toute idéologie - équivalent politi-
que et social de l'absurdité esthétique - offre une aussi grande
marge de manœuvre pour cette pratique qu'il y a de choix sur la
carte d'un bon restaurant.
A l'exception des arts plastiques où sont investis des intérêts
capitalistes trop grands pour que puissent être tolérées à l'opinion
des marges de manœuvres, ce confort tout puissant du vide idéo-
logique domine sans difficultés le monde de l'absurdité qui fonc-
tionne sans accrocs. Ainsi apparaissent dans tous les secteurs dits
autrefois idéologiques des formes changeantes de la « grande coali-
tion • : la réduction de toute opposition à une respectabilité en fait

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impuissante. Qu'on prenne par exemple la religion et J'athéisme.


Sir Julian Huxley fait l'éloge du manipulateur théologique formé à
une école si moderne, Teilhard de Chardin, lequel a réussi, à force
de manipulations, à faire entrer le Christ, en tant que principe X,
dans une physique - toutefois complètement irréelle au plan scien-
tifique: il a, dit Huxley, donné à J'esprit religieux le goût religieux
de l'ici-bas et enlevé au matérialiste la possiblité de dénier toute
importance aux expériences spirituelles et au sentiment religieux.
Si j'ajoute que le célèbre physicien, Pasqua! Jordan, nous a appris
à reconnaître dans l'entropie le reflet physique ou le soubassement
physique du péché originel, l'image d'une respectabilité réciproque-
ment bien ordonnée des sciences et du christianisme est tout à fait
harmonieuse.
Dans un monde qui ne serait pas aussi totalement manipulé,
il y aurait là diffamation intellectuelle de tout athéisme. Mais en
ce qui concerne les contemporains compétents, il n'en est nulle-
ment question. L'athéisme de la société manipulée est également
devenu respectable, et il se trouve même des marxistes pour saluer
à leur tour chez Teilhard de Chardin un rapprochement de la théo-
logie avec leur propre vision du monde. S'ils pensaient là au rap-
prochement de Teilhard avec le néo-positivisme, ils n'auraient même
pas tort - mais ce dernier n'est-il pas lui-aussi pour le marxisme
une vision du monde adverse ? En tout cas, dans certains cercles
en vue, la tendance à manipuler tous les contraires pour les ras-
sembler est la tendance dominante. Cependant, lorsque Bôll cite
en l'approuvant un auteur catholique et dit que la « gestion » de
l'Eglise catholique occupe la deuxième place juste derrière la « Stan-
dard Oil », il n'a sans doute pas compris cela comme un éloge.
Dans des cas semblables, le XIX• siècle voyait des contradictions,
des oppositions, voire des conflits insolubles. Je ne me réfère pas,
en disant cela, à des marxistes ou à des athées, mais à Dostoïevski
et à Tolstoï. La légende du Grand-Inquisiteur montre justement
l'abîme infranchissable qui sépare l'attitude de Jésus envers la vie
et la façon de vivre normale des chrétiens d'aujourd'hui. - Sur
ce point, Dostoïevski est très proche de Kierkegaard. - Les tragé-
dies intellectuelles et morales - tragédies et non exemptions de
l'absurde - que vivent Stavroguine, Kirilov, Ivan Karamazov et
d'autres se déroulent sans exception dans l'atmosphère de situations
où il faut choisir et prendre des décisions, dans des situations donc
qui confrontent l'homme avec lui-même dans la mesure où son
choix détermine s'il s'y trouve ou s'y perd lui-même.
Et nous sommes là au cœur de la problématique - si profon-
dément méprisée - du XIX• siècle. Le démantèlement de la société
féodale, de la société corporative, a permis à J'homme de disposer

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librement de son individualité, mais lui en a fait en même temps


un devoir. Dans Peer Gynt, Ibsen a exprimé de manière générale
et plastique ce dont il s'agit ici. Le vieux Dovre pose la question
de la différence entre l'homme et le troll. La réponse est simple :
J'homme devient homme en voulant être lui-même ; le troll rejette
cette obligation morale, toute forme d'obligation ; il se suffit à lui-
même. Des décennies plus tard, la même question réapparaît, sous
une forme plus prosaïque, dans Rosmersholm. La toute puissance
de l'homme politique Peder Mortensgard est ironiquement portée
aux nues: il peut tout ce qu'il veut, car il ne veut jamais plus qu'il
ne peut. Il se suffit à lui-même. Ce n'est pas un homme, c'est un
troll.
Derrière cela se trouve un état de faits extrêmement simplEt Tout
homme est certes pour lui-même immédiatement une donnée incon-
tournable, à savoir lui-même comme être humain particulier, comme
particularité naturelle et sociale. Mais s'il veut exister comme ce
qu'il est réellement et pas seulement comme une donnée immé-
diate de lui-même, donc - pour parler en termes humains - s'il
veut exister en même temps comme étant et non-étant, comme un
être fait de simples possibilités, il lui faut oser et accomplir le saut
qui le fait passer de la simple immédiateté de l'être-troll à l'être-
homme authentique. C'est, réduit à ce qu'il y a de plus général,
le grand thème du XIXe siècle. Dans cette généralité, cela vaut pour
Wilhelm Meister, Les Illusions perdues, ni plus ni moins que pour
Résurrection ou Jean le Veinard.
La philosophie de la manipulation sait tout ; par conséquent, elle
sait aussi cela. Et elle a même - en la présentant justement comme
un emprunt à Marx - lancé une expression pertinente pour carac-
tériser cette problématique. Il s'agit naturellement de l'aliénation,
devenue le slogan à la mode. Elle est déjà intégrée au grand cycle
de la manipulation, et son fonctionnement à propos de la cigarette
Gauloise n'est pas moins exact que pour l'attitude intérieure vis-à-
vis d'Auschwitz. La philosophie de la manipulation a, naturellement,
• approfondi ,. l'aliénation comme elle approfondit tout. Celle-ci n'est
plus l'aliénation concrète de l'homme par rapport à lui-même, alié-
nation qui naît dans la réalité de l'interaction concrète entre ses
possibilités humaines concrètes et les possibilités également con-
crètes que lui donne son être social particulier, elle est également
une condition humaine supra-temporelle, et peu importe qu'elle
apparaisse comme « déréliction ,. ou soit le fruit de quelque mani-
pulation mythique. La différence est une fois de plus de savoir si
les composantes de la confrontation sont des composantes réelles :
forces, tendances, possibilités réelles, etc. de la vie dans la société,
si l'homme parviendra dans ce travail de la vie sur elle-même à

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se former lui-même ou succombera à la formation que lui impose


la manipulation irrésistible : s'il pourra trouver alors un plaisir culi-
naire autonome dans toute absurdité, pourvu qu'elle soit résolument
absurde. Ainsi apparaît notre grande galerie du monde absurde des
trolls qui va de l'« action gratuite • de Gide jusqu'à la • profondeur •
du nihil de Beckett.
Le fondement reste toujours le même : tout combat, tout conflit
a perdu son sens, il a été vidé de son contenu idéologique et il
a perdu ainsi la force d'agir sur la vie humaine, même si c'est par
le biais de tragédies, en lui donnant un sens et en formant des
genres. Ne sommes-nous donc pas parvenus dans un paradis équipé
de toutes les astuces raffinées de la manipulation des âmes, où
triomphe la consommation généralisée, où l'histoire connaît son
terme décrit par Gehlen ? A mon avis : tout de même pas, ou du
moins pas complètement. Certes, l'économie et la politique agis-
sent spontanément dans le sens d'une manipulation totale. Mais se
pose la question : pour combien de temps ? Quand et comment sera
atteint le point de rupture? Et d'ailleurs l'appareil intellectuel comme
l'appareil social continuent de présenter malgré tout des lacunes.
Comme jusqu'à présent, qu'il soit encore question de littérature
dans ce qui suit. L'économie et la société ont aujourd'hui un effet
d'aliénation, cela on ne peut - objectivement - le supprimer, ni
au plan de la pensée ni à celui des institutions. Mais même
aujourd'hui, tout homme peut sans doute déclarer à tout moment :
je ne participe plus à MA PROPRE aliénation, même si je dois en
mourir tragiquement, ce qui, du reste, n'est pas non plus, objecti-
vement, un destin fatal. Et sans cesse apparaissent chez des écri-
vains importants de notre époque des figures qui rejettent de cette
manière l'aliénation, la manipulation, et s'engagent sur la voie du
redevenir-homme de l'homme. Que l'on pense au O'Neill de la der-
nière période, à la fin de la carrière de Thomas Wolfe, You can 't
Go Home Again (L :4nge banm), à Set This House on Fire (La proie
des flammes) de Styron, à Mensonge et Sortilège d'Elsa Morante, .
au Grand Voyage de Semprun, à Die Berliner Antigone de Hoch-
huth, etc. Rien ne rappelle dans la plupart des œuvres de cette
catégorie la technique d'écriture du XIX• siècle. « Seulement ,. le petit
détail que les personnages ainsi élaborés, lorsqu'ils s'arrachent dans
leur propre vie à la force de l'aliénation, engagent aussi intérieure-
ment la lutte de l'homme contre sa nature de troll, la lutte de l'être
humain, du genre humain contre la particularité purement
immédiate.
J'espère que Heinrich 8611 n'en voudra pas à un vieil homme
de lui témoigner sa sympathie pour son œuvre à partir de sembla-
bles considérations profondément archaïques.

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140 ÉLOGE DU XIX• SI~CLE

Le coup de feu • absurde • tiré par un fou, et par lequel s'achève


La Grimace, est l'une des rares façons humainement authentiques
de surmonter le passé fasciste en Allemagne, précisément parce que
cette tentative de le surmonter inclut également l'histoire des faits
qui ont précédé et suivi Hitler.
En tant que philosophe matérialiste, j'ai protesté contre une
réconciliation théorique avec le Christ présenté comme principe X ;
mais je considère toute personne qui refuse de s'incliner devant
le • sacrement du buffle • et qui reste dans la pratique fidèle au
• sacrement de l'agneau • comme un allié dans ce combat qu'il fau-
dra encore mener afin que l'homme reste et devienne un homme.

Traduction de Jean Guégan

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