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L
a finance islamique est actuellement un des actionnariale (shareholders’ governance), partenariale
domaines les plus intéressants des marchés finan- (stakeholders’ governance) et religieuse (islamic governance)
ciers. Le FMI estime que la croissance du secteur de (Zied et Pluchard, 2006).
la finance islamique a été en moyenne de 10 % sur les Yoshimori (1995) a distingué les systèmes monistes de
dix dernières années et que la croissance du secteur de gouvernance (focalisés sur l’actionnaire), les systèmes
la finance islamique a été en moyenne de 15 % depuis dualistes (ciblant les actionnaires et un tiers) et les sys-
2003 pour atteindre 500 milliards de dollars fin 2006, tèmes pluralistes (conciliant les intérêts de plusieurs
dont la moitié détenue par des banques islamiques (Jobst, stakeholders). Le système moniste repose essentiellement
2007). Cette expansion est alimentée par la conjonction sur le paradigme de l’individualisme méthodologique
de divers facteurs comme l’afflux de pétrodollars (dû au classique (Boudon, 1986) ; les systèmes dualistes et plu-
nouveau renchérissement des hydrocarbures), le déve- ralistes se réclament d’un individualisme méthodologique
loppement des communautés musulmanes dans les plus complexe (Dupuy, 1992). L’état de l’art laisse appa-
métropoles occidentales, la progression du microcrédit raître que les dirigeants des banques islamiques sont
dans les pays en développement, mais aussi et sans doute soumis à un système dualiste particulier de gouvernance
la réaction contre le capitalisme financier international partenariale, fondé sur les principes de la gouvernance
et la résurgence du fondamentalisme musulman. anglo-saxonne (imposés par les actionnaires non musul-
mans et par les instances internationales de régulation
DES RÉFÉRENTIELS DE GOUVERNANCE bancaire) et de la gouvernance islamique (appliqués par
PARTIELLEMENT CONTRADICTOIRES les actionnaires et les clients musulmans, ainsi que par
Malgré l’intérêt qu’elle suscite dans les milieux acadé- les autorités religieuses).
miques et professionnels, la finance islamique demeure L’espace morcelé de la banque islamique est donc
DOSSIER
LA FINANCE ISLAMIQUE EN EUROPE
confronté à un environnement financier global orienté de projets, du capital-risque à long terme, tout en répon-
vers la création de valeur pour l’actionnaire, mais son dant aux aspirations sociales de développement écono-
développement s’inscrit dans un vaste mouvement favo- mique. Elles ont difficilement la structure, la capacité,
rable à une économie de plus en plus sociétalement res- l’environnement et le personnel pour remplir tous ces
ponsable. Ce développement implique une délibération objectifs. En effet, on constate un manque de spécia-
entre les théoriciens et les praticiens des gouvernances listes formés de façon adéquate aux modèles et aux ins-
actionnariale, partenariale et islamique. truments de la finance islamique. Les institutions finan-
cières islamiques ont généralement recruté parmi les
LE MANQUE DE RESSOURCES professionnels de la banque et de la finance conven-
Les institutions islamiques ont été créées sur le modèle tionnelles, alors qu’il ne s’agit pas de seulement conver-
des banques commerciales (conception, objectifs, pro- tir des produits et services conventionnels vers des pro-
cédures, formation et mode opératoire) alors qu’on duits et services islamiques.
attend d’elles qu’elles mettent en œuvre du financement Selon les analystes de Goldman Sachs, “le capital humain
pourrait constituer un obstacle au développement du marché Caire…) tranchent les éventuels litiges entre interpré-
étant donné le nombre limité d’experts”. Le cabinet KPMG tations de la loi. En outre, trois organisations interna-
estime quant à lui que le manque de scholars (ou experts) tionales ont été créées afin d’harmoniser les pratiques
pourrait “limiter l’innovation”. bancaires islamiques : l’Accounting & Auditing Orga-
nization of Islamic Financial Institution (AAOIFI), fon-
IMPACT SUR LA CONCURRENCE dée à Bahrein en 1991, a pour mission d’harmoniser les
Avec l’accession des pays à l’OMC, la concurrence inter- règles comptables des banques islamiques ; l’Islamic
nationale devient plus visible, plus explicite pour un Financial Services Board (IFSB), créé en 2002 par plu-
certain nombre de pays. En réponse : une stratégie de sieurs États musulmans, a pour rôle de rechercher des
développement reposant sur une exigence de différen- voies d’intégration de la finance islamique à la finance
ciation ; trois possibilités s’offrent aux pays du monde internationale ; l’International Islamic Financial Mar-
islamique : ket (IIFM), fondé à Bahrein en 2002, a pour objectif de
❚ une concurrence par les prix, s’il existe un avantage
en matière de coûts ;
“ La croissance
des banques
concevoir de nouveaux mécanismes et instruments de
marché compatibles à la fois avec la charia et un déve-
❚ une concurrence par la qualité, s’il existe un avantage islamiques pose loppement rapide de la banque islamique.
de spécialisation haut de gamme ; des défis majeurs L’IFSB planche en particulier sur l’examen de plusieurs
❚ une spécialisation, s’il existe une compétence territo- aux législateurs projets destinés à développer des standards internatio-
riale ou opérationnelle particulière. naux en introduisant de nouveaux critères ou en adop-
Dans le Golfe Persique, s’il y a peu de concurrence en prix
et aux tant certains pour les rendre cohérents avec les prin-
et que les comportements bancaires sont souvent oli- organisations cipes de la charia. Il a promulgué déjà deux critères
gopolistiques, il ne reste par conséquent que deux stra- internationales concernant l’adéquation du capital de la banque isla-
tégies génériques : la qualité ou la spécialisation. auxquels mique et le risque de gestion, et a recommandé leur
Pour les plus petites banques, la spécialisation isla- est confiée la mise en application effective à partir de 2007. Il a éga-
mique est en soit un instrument de différenciation. Pour lement émis un projet relatif au 3e critère sur la bonne
surveillance
les grandes banques, développer des “fenêtres isla- gouvernance.
miques” permet d’ériger des barrières à l’entrée, notam- de la solidité et
ment pour protéger le marché de détail. Les grandes de la stabilité TROIS OBSTACLES MAJEURS
entreprises sont peu sensibles à l’argument religieux d’un système Outre l’organisation de la réglementation et du contrôle,
en matière de financement ; les particuliers le sont bien financier pour M. El Qorchi (2005), les décideurs doivent sur-
davantage, et de plus en plus. monter trois autres obstacles majeurs.
DOSSIER
LA FINANCE ISLAMIQUE EN EUROPE