COLLECTION

JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 HISTOIRE & CIVILISATIONS

75E ANNÉE– NO 23303
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE VOLUME 9
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY L’EMPIRE
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
D’ALEXANDRE
EN VENTE UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

RETRAITES : LES CONCESSIONS DE L’EXÉCUTIF
▶ Le premier ministre ▶ Les générations nées
devait exposer mercredi avant 1975 ne seront pas
les détails de son projet concernées par
de réforme visant à la réforme, alors que
remplacer les 42 régi­ le rapport Delevoye
mes actuels de retraite retenait l’année 1963
par un système ▶ La transition sera plus
universel par points longue pour les régimes
▶ Après six jours spéciaux, s’appliquant
de grèves dures dans suivant les cas aux géné­
les transports publics, rations 1980 ou 1985
et face à une protesta­ ▶ Dès 2022, les jeunes
tion sociale menaçant qui entreront sur le mar­
de s’inscrire dans la ché du travail cotiseront
durée, l’exécutif a choisi au régime universel
la voie du compromis ▶ Le nouveau régime
▶ Il n’est plus question reposera sur un « dispo­
d’assainir, dès 2025, sitif bonus­malus »
les comptes du nouvel autour d’un âge pivot
ensemble. Un délai ▶ Les partenaires
supplémentaire devrait sociaux, à qui devrait
être accordé être confié un rôle
▶ En renonçant dans central dans la gestion
l’immédiat à des mesu­ du système, devront
res d’économies, le définir les modalités
gouvernement donne de ce paramètre
satisfaction à la CFDT PAGES 8 À 11
Edouard Philippe et Emmanuel Macron, à l’Elysée, le 17 avril. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

Brexit Boris Johnson favori des élections Reportage Violences conjugales

les britanniques devaient
voter, jeudi 12 décembre, pour la
troisième fois en quatre ans, afin
de renouveler la Chambre des
communes. La lassitude des élec­
teurs est grande, mais le scrutin
est crucial : si Boris Johnson et les
conservateurs décrochent la ma­
jorité, avec 326 sièges, le Brexit
aura bien lieu le 31 janvier 2020.
Une victoire des travaillistes
semble très incertaine, en raison
Biodiversité
Plus de 30 000
espèces menacées,
notamment des hésitations et de
la personnalité très controversée
de son leader, Jeremy Corbyn : la
communauté juive s’inquiète
d’ailleurs de « l’antisémitisme ins­
titutionnalisé » du Parti tra­
vailliste.
Les opposants au Brexit sont
très partagés : faut­il voter pour
les démocrates libéraux (Lib­
Dem), au risque de disperser le
vote et de permettre la victoire
Environnement
Retour au Teil,
en Ardèche,
d’un tory ? Ou élire tactiquement
un travailliste, mais avec la pers­
pective d’aboutir à un hung Par­
liament, un Parlement sans ma­
jorité, et risquer de nouveaux
mois d’incertitudes ?
Les sondages, ces trois derniè­
res semaines, donnaient Boris
Johnson en avance de dix points,
mais l’écart se resserre singuliè­
rement à la veille du scrutin
PAGE S 2-3
Sélection
Pour les fêtes,
les coffrets avec
Sur la base  Faut­il lever le secret médical ?
endeuillée faut­il déroger au secret pro­ faire un signalement au parquet
de Gao, un vide  fessionnel en cas de violences
conjugales ? Quelque 220 000
sans l’accord de la victime – cette
possibilité existe déjà pour les
s’est installé femmes sont victimes de violen­
ces chaque année, mais moins
d’une sur cinq porte plainte.
mineurs et les personnes vulné­
rables. De nombreux médecins y
voient « une fausse bonne idée »
Les opérations continuent Une proposition de loi de deux qui risque de briser le lien de con­
de rythmer la vie de la députés (LRM) entend permettre fiance avec leurs patientes.
base française du nord aux professionnels de santé de PAG E 13
du Mali. Mais la mort des
treize soldats instille le
doute chez des militaires.
Le combat sera très long, BUROV ■ DIVA ■ DUVIVIER ■ FAMA
LEOLUX ■ NEOLOGY ■ STEINER
dit Jean­Yves Le Drian
STRESSLESS®
PAGE 4 E T ENTRETIEN PAGE 5

dix qui voient leur

statut s’améliorer
un mois après
le séisme
toute la musique
qu’on aime Tribune VENTES
PAG E 7 PAG E 1 2 PAGES 24-25
Von der Leyen :  PRIVÉES
sur les plus grandes

LE REGARD DE PLANTU pour un « green  marques de canapés

du 05/12 au 07/01

deal » européen  (sur présentation de l’annonce)

sur le climat
La présidente de la Com­
mission européenne
expose son « pacte vert »,
destiné à faire de l’Europe
le premier continent neu­
tre sur le plan climatique
IDÉES – PAGE 30

1
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 INTERNATIONAL
0123
2| JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

L E S   L É G I S L AT I V E S   B R I TA N N I Q U E S

Le pari électoral 
de Boris Johnson 
pour mener le Brexit
Le premier ministre conservateur sortant devrait
rassembler, lors des législatives du jeudi 12 décembre,
les partisans d’une sortie de l’UE, promise
pour le 31 janvier 2020 en cas de majorité absolue.
Mais le résultat dépendra du vote des remainers,
courtisés à la fois par les travaillistes et le LibDem

londres ­ correspondante un gouvernement minoritaire, conservateur

ou travailliste. Et peut­être un deuxième réfé­

L
a campagne électorale en vue de
renouveler la Chambre des com­
munes britannique, jeudi 12 dé­
cembre, promettait d’être pleine
de surprises et de chausse­trapes,
en particulier pour le premier mi­
nistre sortant, Boris Johnson, responsable po­
litique haut en couleur et souvent gaffeur, en
quête d’une majorité absolue. Mais la lassi­
tude s’est installée, les conservateurs comme
les travaillistes ressassant très vite les mêmes
arguments. L’opinion semble d’autant plus
difficile à mobiliser que le pays en est à sa troi­
sième élection générale en quatre ans. Pour­
tant, le scrutin est crucial et le choix des Bri­
tanniques particulièrement épineux.
Si M. Johnson et son camp décrochent plus
de 326 sièges (la majorité à Westminster), le
Brexit aura très certainement lieu le 31 jan­
vier 2020 et les remainers, qui font de la ré­
sistance depuis mi­2016, auront définitive­
ment perdu. Si M. Johnson perd son pari, le
pays s’embarque pour des mois supplémen­
taires d’incertitudes.
Personne ne croit sérieusement à une vic­
toire de Jeremy Corbyn, mais beaucoup envi­
sagent l’hypothèse d’un nouveau hung Par­
liament – un Parlement sans majorité –, avec
rendum sur l’appartenance du Royaume­Uni
à l’Union européenne (UE).
Les brexiters ne devraient pas trop hésiter
pour voter le 12 décembre. En revanche, les re­
mainers feront face à un dilemme autrement
plus délicat. Que décideront ceux que rebu­
tent le programme et la personnalité de
M. Corbyn : voteront­ils pour les démocrates
libéraux (LibDem), au risque de disperser le
vote « Remain » et de permettre la victoire
d’un tory ? Préféreront­ils voter tactiquement
pour M. Corbyn, dans l’espoir d’éviter le
Brexit, mais avec la perspective d’aboutir à un
hung Parliament paralysant ?
LE SABORDAGE DU PARTI DU BREXIT
Ces trois dernières semaines, les sondages de suffrages dans sa circonscription l’em­ avec lequel, mardi 10 décembre, il a défoncé
ont donné une avance d’environ 10 points BORIS JOHNSON A  porte –, rend les projections nationales com­ sans trop de difficultés un mur de briques en
aux conservateurs (à 43 % d’intentions de CONCENTRÉ SON  pliquées. En 2017, quasiment personne polystyrène dans une usine du nord de l’An­
vote) sur les travaillistes. Suffisamment pour n’avait anticipé l’échec de Theresa May, qui a gleterre. Le but est « que les électeurs répètent
s’assurer une confortable majorité. Mais, pu­ MESSAGE AUTOUR  perdu sa majorité à dix sièges près. [le slogan], même en dormant », résume
bliée mercredi 11 décembre dans le Times, Boris Johnson en a tiré les leçons, et concen­ Rowena Mason, chroniqueuse au Guardian.
une enquête YouGov fondée sur un échan­ D’UN UNIQUE  tré son message autour d’un unique slogan, Pour le reste, M. Johnson a fait quelques pro­
tillon bien plus important que d’ordinaire aussi percutant que simpliste : « Get Brexit messes ciblées (20 000 policiers supplémen­
(100 000 personnes) ne prédisait plus
SLOGAN : « GET  done » (« réalisons le Brexit »). La formule taires, construction de 40 nouveaux hôpi­
qu’une majorité de 28 sièges à M. Johnson. BREXIT DONE » barre les flancs du bus de campagne de John­ taux, pas de hausses de taxes), mais sans vi­
Le mode de scrutin, uninominal majoritaire son, figure sur les prospectus de tous ses can­ sion articulée pour l’avenir du pays. Il s’est par
à un tour – le candidat ayant remporté le plus didats et même sur l’avant d’un bulldozer, ailleurs tenu loin des journalistes les plus in­

La communauté juive se détourne du Labour de Jeremy Corbyn

Accusé d’avoir laissé l’antisémitisme s’installer au sein du parti, le chef de file des travaillistes a essuyé les critiques du grand rabbin du Royaume­Uni

REPORTAGE tés, racontent pourquoi ils ont dû

renoncer à leur engagement poli­
londres ­ correspondante
tique. Les mots sont durs, les té­
nombreux à y être confrontés »,
glisse Nicole Lampert, journaliste
free­lance, juive et militante con­
intervenu dans la campagne, fin
novembre, dénonçant une
« faillite du leadership » au sein du
dont ces expressions « sioniste »
ou « zio », devenues « communes »
lors des réunions locales du parti.
finir avec un député Labour dans la
circonscription la plus juive du
Royaume­Uni ! » Cette circonscrip­

U ne cinquantaine de per­
sonnes se pressent dans
une salle de projection,
au sous­sol d’un hôtel de Soho, au
cœur de Londres. On se reconnaît,
on s’embrasse : tous sont d’émi­
nents représentants de la commu­
nauté juive britannique. Des lords,
des ex­députés, des historiens, des
écrivains, quelques militants.
Ils sont réunis, ce dimanche,
pour le lancement du livre Forced
out (« expulsés »), et du documen­
taire du même nom, traitant des
démissions de membres du Parti
travailliste, se disant traumatisés
par l’antisémitisme en son sein. Le
sujet est d’une actualité brûlante, à
quelques jours de l’élection géné­
rale du 12 décembre. Mais « il ne
s’agit pas d’un événement anti­La­
bour », précise, un peu contre l’évi­
dence, Judith Ornstein, auteure du
livre, dont l’universitaire David
Hirsh a tiré le documentaire.
Dans ce dernier, une dizaine
d’ex­membres du Labour, juifs
comme Dany Louise, conseillère
municipale à Hastings, ou Dame
Louise Ellman, ex­députée, mais
aussi non juifs comme Joan Ryan
et Ian Austin, également ex­dépu­
moignages émouvants. Harcèle­
ment en ligne, députés et con­
seillers accusés d’être « sionistes »,
collègues « obsédés par leur haine
anti­Israël », dans le cas de Dame
Louise Ellman, passant leur temps
à lui demander des comptes sur la
politique israélienne. Cette dépu­
tée, en fonction depuis la fin des
années 1990, a démissionné en oc­
tobre, n’en pouvant plus d’être
traitée de « raciste ».
« Corbyn doit perdre »
Dame Louise Ellman est dans la
salle. « J’en suis arrivée à la conclu­
sion que l’antisémitisme dans le
parti ne cessera pas tant que
M. Corbyn sera à sa tête ». L’assis­
tance approuve. Egalement pré­
sente, Joan Ryan avoue qu’il « est
terrible d’avoir à choisir entre deux
peurs. Mais je ne peux pas négocier
avec l’antisémitisme, je ne voterai
pas pour Corbyn », lâche l’ex­dépu­
tée, qui rappelle avoir quitté le
parti début 2019, pour son « anti­
sémitisme institutionnalisé ».
Quitte à donner à Boris Johnson
une majorité pour réaliser le
Brexit le 31 janvier 2020 ? Le di­
lemme est cruel, et « nous sommes
tre l’antisémitisme, « mais Corbyn
doit perdre ». « Il paraît évident que
Corbyn ne va pas gagner cette élec­
tion, mais je n’ai aucune joie, parce
que nous allons hériter de Boris
Johnson comme premier ministre
et que nous aurons le Brexit », en­
chaîne David Hirsch, professeur
au Goldsmiths College de Londres.
Ce rejet de M. Corbyn est massif :
à en croire un sondage publié dé­
but novembre par Le Jewish Chro­
nicle, principal quotidien de la
communauté juive d’outre­Man­
che, 47 % des juifs britanniques
« envisagent sérieusement » de
quitter le pays si le dirigeant tra­
vailliste devenait premier minis­
tre et 87 % considèrent qu’il est an­
tisémite. Le chef du Labour s’est
défendu à de multiples reprises
contre ces accusations, répétant
qu’il est contre « toute forme de ra­
cisme, et que l’antisémitisme n’est
pas toléré au sein du parti ». Il s’est
aussi excusé pour les actes ou pro­
pos antisémites au sein du Labour,
et des membres ont été suspen­
dus (dont, en 2016, l’ex­maire de
Londres Ken Livingstone).
Pour autant, fait rarissime, le
grand rabbin du Royaume­Uni est
Labour. La commission nationale
à l’égalité et aux droits de l’homme
a lancé en mai une enquête sur
une possible « institutionnalisa­
tion » de l’antisémitisme dans le
Le JLM, affilié au Labour depuis un
siècle, a décidé de ne pas le soute­
nir durant les élections. « Corbyn
est assez clair : il hait Israël mais ne
hait pas les juifs, il soutient le Ha­
parti. Ses conclusions n’ont pas mas mais n’aime pas l’antisémi­
encore été rendues, mais le témoi­ tisme. Le problème, c’est que tous
gnage du Jewish Labour Move­ ne sont pas aussi sophistiqués dans
ment (JLM, principale organisa­ le parti », assure David Hirsch.
tion juive du parti) a fuité début
décembre, et il est édifiant. Voter « en se bouchant le nez »
Le parti n’est plus « un espace de En début d’après­midi, dimanche,
sécurité » pour les juifs « depuis que plus de 3 000 personnes, en majo­
Jeremy Corbyn le dirige, il en a fait rité juives, se sont réunies face au
un refuge pour les antisémites », as­ Parlement de Westminster pour
sure­t­il. Soixante­dix témoigna­ une manifestation « contre l’anti­
ges sous serment ont été compi­ sémitisme ». Des personnalités dé­
lés, répertoriant quantité d’abus, filent, toutes exprimant la fin
d’une ère : le Royaume­Uni ne se­
rait plus le « havre de sécurité »
qu’il a longtemps été pour les juifs
LES TÉMOIGNAGES  en Europe. Au revers des vestes,
RÉPERTORIENT QUANTITÉ  l’on aperçoit de nombreux pin’s
« N’importe qui sauf Corbyn ».
D’ABUS, DONT CES  Hanan Moss, juif sympathisant
travailliste, va voter « en se bou­
EXPRESSIONS « SIONISTE » chant le nez », confie­t­il, compre­
nez, probablement, pour les con­
OU « ZIO », COMMUNES  servateurs. A deux pas, une jeune
LORS DES RÉUNIONS  femme habitant Finchley et Gol­
ders Green, au nord de Londres,
LOCALES DU PARTI lance : « On ne va quand même pas
tion compte environ 20 % de juifs.
Il existe pourtant quelques juifs
militants pro­Corbyn. Ainsi, des
membres de la Jewish Voice for La­
bour, créée en 2017. Ce mouve­
ment organisait une soirée musi­
cale début décembre, dans le nord
de Londres. Ian Saville et Pam Lau­
rance, sa compagne, la soixan­
taine, étaient présents. Ian est de­
venu membre du Labour quand
M. Corbyn en a pris la tête, en 2015.
« Je sais qu’il était un soutien de la
Palestine, mais la seule idée qu’il
puisse être antisémite est risible
pour ceux qui ont travaillé avec lui.
Les attaques viennent de la droite
du parti, de ceux qui n’acceptent
pas qu’il en ait pris la tête », dit­il.
Jenny Manson, la présidente de
la Jewish Voice for Labour, abonde
dans leur sens : « Je n’ai jamais ren­
contré d’antisémitisme au sein du
Labour, toute l’histoire a été exploi­
tée dans le seul but d’affaiblir
M. Corbyn ». Comme Ian, Pam
Laurance dénonce une « propa­
gande » contre leur leader, mais
admet que nombre de juifs ont
peur et que « cela va coûter quel­
ques points » à Corbyn. 
cécile ducourtieux
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
quisiteurs, refusant d’affronter le redoutable
Andrew Neil, interviewer vedette de la BBC –
contrairement à Jeremy Corbyn.
Enfin, le premier ministre a tout fait pour
éviter d’assumer les neuf années de gouver­
nements conservateurs et d’austérité, lui qui
a pourtant été deux ans ministre des affaires
étrangères du gouvernement May. « Je ne suis
là que depuis quatre mois », a­t­il insisté. Le sa­
bordage du Parti du Brexit l’a aussi bien aidé à
parfaire, dans l’opinion publique, l’image
d’un parti conservateur « 100 % Brexit ».
Lâché par une partie de sa base, qui l’accu­
sait de diviser le vote « pro­Brexit », Nigel Fa­
rage, le fondateur du Parti du Brexit, a fini par
accepter de ne pas aligner de candidats dans la
moitié des circonscriptions. « Les tories ont
complètement absorbé le vote pour le Parti du
Brexit », estime Joe Greenwood, spécialiste des
sondages à la London School of Economics.
A contrario, Jeremy Corbyn a tout fait pour
détourner les débats du Brexit, car le sujet est
un gros point faible de son programme. Le
chef des travaillistes a certes promis un
deuxième référendum « dans les six mois » s’il
est élu, mais a persisté dans son refus de pren­
dre parti pour ou contre la sortie de l’UE, assu­
rant qu’il resterait « neutre ».
RENATIONALISATION DU RAIL
Il a évité de porter le fer directement contre le
slogan « Get Brexit done ». Il aurait pourtant
pu en dénoncer le caractère foncièrement fal­
lacieux. Car, en cas de sortie de l’UE, les Britan­
niques n’en auront pas fini avec le Brexit le
1er février 2020 : Londres devra négocier une
nouvelle relation commerciale avec l’UE et
cela risque de prendre des années, même si
Boris Johnson prétend boucler un compro­
mis en moins d’un an.
M. Corbyn a préféré maintenir l’attention
sur le NHS – le système de santé –, déplorant
sa « crise » due à la politique conservatrice, et
accusant M. Johnson de vouloir le « vendre » à
Trump. L’ex­militant d’ultragauche a par
ailleurs multiplié les promesses, ambitieuses
et coûteuses. Le « manifesto » travailliste pré­
voit plus de 600 milliards de livres (710 mil­
liards d’euros) d’investissement public en
cinq ans, pour l’école, la renationalisation du
rail, de l’énergie, l’Internet à haut débit gratuit
pour tous, etc. Un programme radical, très
mal reçu par les milieux d’affaires.
Il a aussi pu compter sur un fort déploie­
ment de bénévoles dans les circonscriptions
les plus disputées. Mais, sur le terrain, sa per­
Boris Johnson,
mardi
10 décembre
à Uttoxeter,
dans le centre
de l’Angleterre.
BEN STANSALL/AFP
M. CORBYN PRÉVOIT PLUS  Ce n’est pas le moment d’un vote
DE 600 MILLIARDS DE  Inégalités criantes
LIVRES D’INVESTISSEMENT  pour les travaillistes. Alors que le
PUBLIC EN CINQ ANS.  par les conservateurs, le parti de
UN PROGRAMME RADICAL,  des Londoniens en 2017, rempor­
TRÈS MAL REÇU PAR  tant 49 des 73 sièges en jeu. S’il
LES MILIEUX D’AFFAIRES
sonnalité divise, même chez les sympathi­
sants Labour. Les soupçons persistants d’anti­
sémitisme « institutionnalisé » dans le parti
pourraient lui faire perdre de précieux points.
« Les gens perçoivent que M. Corbyn a été lent à
réagir au problème de l’antisémitisme. Il a
donné l’impression d’être incapable de gérer le
parti et, donc, de ne pas pouvoir non plus diri­
ger le pays », observe John Curtice, de l’univer­
sité de Strathclyde.
Les travaillistes ont un peu bénéficié, dans
les sondages, de la campagne laborieuse des
démocrates libéraux, la promesse de sa chef
de file, Jo Swinson, de révoquer l’article 50 –
supprimant ainsi le processus du Brexit – ne
passant pas dans l’opinion. Ce possible report
de voix du centre vers la gauche, au sein de
l’électorat remainer, se vérifiera­t­il ?
L’enjeu, pour les conservateurs et les tra­
vaillistes, sera surtout dans la capacité de ré­
sistance du « Red Wall » (mur rouge). Du Pays
de Galles, à l’ouest, jusqu’à Newcastle, à l’est, ce
large ruban de territoire est un bastion histo­
rique de la gauche, mais il a en majorité voté
pour le Brexit en 2016. Or pour l’électorat
brexiter, le fait que le divorce avec l’UE n’ait
toujours pas eu lieu est vécu comme un déni
de démocratie. M. Johnson espère repein­
dre en bleu ces circonscriptions, pour com­
penser ses éventuelles pertes dans les terres
remainer du sud et de l’ouest de l’Angleterre.
Le Labour résistera­t­il mieux que prévu ? Le
moral ne semblait pas très bon, ces derniers
jours. Ses perspectives sont « épouvantables »
même dans ces fiefs du nord, a confié Jon Ash­
worth, ministre de la santé du « cabinet fan­
tôme » de M. Corbyn, à un « ami » conserva­
teur, mais la conversation a fuité mardi. Pour
sa défense, M. Ashworth a assuré qu’il « plai­
santait » mais, à l’avant­veille du vote, il n’a
pas fait rire dans les rangs travaillistes. 
cécile ducourtieux
international | 3
La bataille de Londres déchire
le camp pro­européen
La rivalité entre les travaillistes et les libéraux, dans une capitale
opposée au Brexit, pourrait faire le jeu des conservateurs
REPORTAGE EN DIFFICULTÉ DANS LE 
Le nord de Kensington restera
probablement fidèle au Labour,
londres ­ correspondants
NORD DE L’ANGLETERRE,  Felicity Buchan en convient, mais
L a rue Cambridge Gardens
aura rarement connu pa­
reille agitation politique. En
ce dimanche 8 décembre au ma­
tin, froid et ensoleillé, un groupe
LE LABOUR A BESOIN 
DE PROGRESSER À 
au sud, « M. Corbyn représente une
vraie menace. Les hausses de taxe
prévues par son programme, ses
projets d’abolir les écoles privées,
d’instaurer la semaine de quatre
de militants travaillistes frappe
LONDRES. LES SONDAGES  jours, cela ne plaît pas du tout ».
aux portes de cette petite avenue SUGGÈRENT QUE CE NE  Comme pour convaincre les
résidentielle de classes moyennes foyers ayant voté « Remain », alors
du nord de Kensington, en plein SERA PAS LE CAS que M. Johnson promet le Brexit
Londres. Sur le trottoir d’en face, pour le 31 janvier 2020, elle lance :
les militants démocrates libéraux « Nous devons honorer le résultat
font de même. Les deux groupes week­end, lors de la séance de por­ du référendum de 2016, de plus en
concurrents chassent sur les mê­ te­à­porte ? « Non, probablement plus de gens en conviennent. »
mes terres avec le même argu­ pas, il a dû partir dans sa propriété
ment : « Si vous voulez arrêter le de l’Oxfordshire », répond la candi­ « Plus le même élan »
Brexit, il faut voter pour nous. » date, une brexiter notoire. Frigorifiée après des heures à
La scène symbolise à la perfec­ Comme toujours, Kensington frapper aux portes, une jeune mi­
tion la division des opposants au est le lieu d’une très âpre bataille litante travailliste reconnaît les li­
Brexit pour les législatives du entre les deux principaux partis mites de la campagne du Labour.
12 décembre au Royaume­Uni. britanniques. En 2017, la tra­ « Il y a deux ans, il y avait un im­
Tous les sondages le montrent : il vailliste Emma Dent Coad n’a ga­ mense enthousiasme pour Cor­
existe aujourd’hui une très légère gné qu’avec 20 voix d’avance, ra­ byn. Les gens chantaient son nom,
majorité (autour de 53 %) pour res­ vissant cette circonscription aux portaient des tee­shirts avec son
ter dans l’Union européenne. Mais conservateurs. Mais, cette fois, le visage. On ne sent plus le même
les brexiters sont réunis derrière duel est corsé par la présence d’un élan. » Pour une circonscription
un seul parti, les conservateurs de troisième candidat de premier qui s’est jouée à vingt voix près,
Boris Johnson, tandis que les op­ plan : Sam Gyimah, ex­espoir du cela peut faire la différence.
posants sont scindés en deux : les Parti conservateur, passé chez les M. Gyimah met volontiers con­
travaillistes de Jeremy Corbyn et lib­dem en septembre. Avec son servateurs et travaillistes dos à
les lib­dem de Jo Swinson. Selon profil pro­business et pro­euro­ dos : « Le parti tory est devenu le
Matthew Goodwin, politiste à péen, ce jeune ex­ministre de The­ parti du Brexit et le Labour, un
l’université du Kent, M. Johnson resa May pourrait capter de pré­ mouvement d’extrême gauche ».
rassemble 72 % des intentions de cieuses voix aux conservateurs A l’en croire, la seule voie mé­
vote de ceux qui avaient voté pour pro­européens comme aux tra­ diane serait celle des lib­dem,
le Brexit en 2016, tandis que les tra­ vaillistes inquiets du programme même si sa formation risque de
vaillistes n’obtiennent que 48 % de très à gauche de M. Corbyn. faire les frais d’un « vote utile »
ceux qui avaient voté contre. Mme Buchan, une diplômée dans l’électorat remainer.
« La différence, c’est qu’on est les d’Oxford, minimise la menace : De nombreux groupes pro­
vrais anti­Brexit, alors que les tra­ « Les gens réalisent que le 12 dé­ européens appellent en effet au
vaillistes sont dirigés par quelqu’un cembre, ils vont élire un premier vote « tactique », recommandant,
qui croit au Brexit en secret », persi­ ministre pour les cinq prochaines pour chaque circonscription, le
fle l’un des militants lib­dem sur le années, et que le choix se limite à candidat le plus approprié pour
trottoir de Cambridge Gardens. Boris Johnson ou Jeremy Corbyn. éviter le Brexit. Mais à Kensing­
ton, trois des cinq sites « tacti­
protestataire », assure l’habitante ques » conseillent de soutenir les
Londres est un bastion essentiel de South Kensington, la partie la démocrates libéraux et deux les
plus riche de la circonscription. travaillistes. Le résultat pourrait
nord de l’Angleterre est grignoté Que dit­elle quand les gens hési­ simplement être la victoire des
tent ? « Si vous votez lib­dem, vous conservateurs. 
M. Corbyn a obtenu 59 % des voix donnez votre vote à Corbyn ». éric albert et c. du.
veut progresser, il a besoin de faire
encore mieux dans cette ville. Les
sondages suggèrent que ce ne sera
pas le cas, indiquant qu’il pourrait
même perdre un ou deux sièges.
Dans ce scénario, Londres resterait
travailliste, mais ne ferait pas bas­
culer le résultat national.
Kensington est à l’image de la ca­
En librairie !
pitale britannique, jusqu’à la cari­
cature : il s’agit d’un territoire très
remainer (à 68,8 % pour le main­
tien dans l’Union européenne lors
du référendum de 2016), mais ex­
trêmement inégalitaire. A proxi­
mité de Cambridge Gardens se
trouve la tristement célèbre tour
Grenfell, qui domine tout le quar­
tier. Il en reste une colonne bâ­
chée de blanc, avec tout en haut,
un gros cœur vert et l’inscription
« à jamais dans nos cœurs ».
En juin 2017, son revêtement in­
flammable a permis la propaga­
tion d’un incendie catastrophique.
Soixante­douze personnes y sont
mortes. Le quartier n’a pas oublié
la tragédie qui avait marqué la pré­
cédente campagne électorale.
Dans les rues, on trouve des nou­
nours, des bougies, des fleurs… La
tour était habitée par des familles
à revenus modestes, issues de l’im­
migration (Afrique de l’Est, Asie) :
une poche de pauvreté, au nord
d’une des circonscriptions les plus
riches du Royaume­Uni.
A dix minutes à pied de là, la rue
Clarendon offre une succession de
superbes villas victoriennes esti­
mées chacune entre 10 et 20 mil­
lions d’euros. L’ex­premier minis­
tre David Cameron (tory) habite à
deux pas, signale Felicity Buchan,
la candidate conservatrice. Aura­
t­on l’occasion de le croiser ce

4 | international
Sur la base endeuillée de Gao, le combat continue
La mort de treize soldats français dans un accident d’hélicoptères instille le doute chez certains militaires
REPORTAGE
gao (mali) ­ envoyée spéciale
D
ans le ciel poussié­
reux, le ballet des héli­
coptères et des avions
de transport militaire
bat la mesure. Au sol, le fourmille­
ment des hommes en treillis leur
répond. On charge, on décharge,
on ravitaille. Les opérations conti­
nuent de rythmer la vie sur la base
française de Gao. Même si là, sur
ces terres arides de la région du
Liptako, au Mali, treize hommes
manquent désormais à l’appel.
D’eux, il reste des noms, gravés
sur des chaînes en titane, ces pla­
ques d’identité militaires por­
tées par les soldats autour du cou
en opération extérieure. Elles
étaient éparpillées non loin d’un
tas de cendres noires et de pièces
métalliques carbonisées. Avec
quelques vêtements, une
gourde, un carnet… Ce sont les
dernières traces des treize frères
d’armes, tués dans la collision de
deux hélicoptères pendant une
opération contre des djihadistes,
le 25 novembre, au Mali.
« Les fouilles ont été difficiles,
éprouvantes », observe le capi­
taine Fabien, du 16e bataillon des
chasseurs à pied, qui a dirigé
l’opération de ratissage, au lende­
main de l’accident. « J’ai préservé
les plus jeunes recrues en les met­
tant derrière. Moi, je ne pouvais
pas m’effondrer, il fallait finir la
mission », observe le militaire. Il a
fallu plusieurs heures pour re­
trouver les corps, les deux boîtes
noires et ramasser les débris d’ap­
pareils. Trois jours pour identifier
et préparer les dépouilles.
Des recherches fastidieuses,
car ici, au cœur des dunes rou­
gies par le soleil du Sahel, les
groupes djihadistes guettent.
« La zone était risquée, nous de­
vions tout récupérer pour ne pas
laisser de trophées à l’ennemi »,
rapporte cet officier supérieur, le
ton ferme.
Sur la base de Gao, la plus grande
de l’opération « Barkhane » dans
la bande sahélo­saharienne, où
étaient affectés les treize soldats
tués, le coup est dur. C’est l’événe­
ment le plus meurtrier pour l’ar­
mée française depuis son déploie­
ment au Mali en 2013, et même
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depuis l’attentat du Drakkar, au
Liban, trente ans plus tôt.
Gao est en deuil. Le samedi
30 novembre, à 18 heures, le temps
s’est arrêté sur le camp. Le vrom­
bissement incessant des aéronefs,
le va­et­vient des véhicules mili­
taires ont laissé place à une mi­
nute de silence. Lourde, étrange.
Puis, la marche funèbre a retenti.
Solennelle, glaçante. Alignés, la
main droite sur la tempe en salut
militaire, 1 600 soldats ont rendu
un dernier hommage à leurs ca­
marades « morts pour la France ».
Puis les treize cercueils sont
partis, rapatriés par avion­cargo
vers Paris. « Comme lors d’un en­
terrement en famille, il y a le temps
de la tristesse, du recueillement,
l’hommage et puis l’adieu », ré­
sume le colonel Raphaël Bernard,
commandant de la base. A Paris,
le chef de l’Etat a présidé l’hom­
mage national aux Invalides, le
2 décembre, et la vague médiati­
que est retombée. Mais à Gao, un
immense vide s’est installé.
« Il y a des traumatismes »
Sous les hangars qui jouxtent la
piste, les emplacements jusqu’ici
réservés aux hélicoptères dé­
truits, le Tigre et le Cougar, sem­
blent attendre un retour de mis­
sion qui n’arrivera pas. Le groupe­
ment tactique désert aérocombat
(GTD­A) pense à ces collègues, ces
camarades de promo, ces amis.
« On formait une grande fratrie.
Au­delà des uniformes, ce sont les
hommes que l’on pleure », témoi­
gne un mécanicien, qui a perdu
« sept copains » du 5e régiment
d’hélicoptères de combat de Pau.
Au GTD­A, beaucoup ont fait les
mêmes écoles et se retrouvaient
chaque année pour leurs quatre
mois de missions en « opex », ces
opérations extérieures. « Certains
avaient même l’habitude de lais­
ser des affaires ici, un sac de vête­
ments, un mug. C’était devenu leur
deuxième maison », raconte une
militaire proche du capitaine Ni­
colas Mégard, 35 ans, qui réalisait
là sa cinquième « opex ».
Parmi les morts, les plus jeunes
avaient 22, 24 et 28 ans. « On se
sent toujours responsable, car
leurs proches nous avaient con­
fiés un des leurs », glisse un offi­
cier supérieur, visiblement amer.
Base militaire française
Point d’appui
Région du Liptako-Gourma
Zone des trois frontières
affectée par l’insécurité actuelle
25 novembre
Mort de 13 militaires
français ALGÉRIE
MALI Tessalit
MAURITANIE
Kidal
Tombouctou Gao
NIGER
Bamako
BURKINA
Infographie : Le Monde 500 km
Sur le théâtre des « opex », la
« fraternité d’armes », qu’on dit
sacrée, lie les uns aux autres.
Certaines recrues ne s’atten­
daient pas à voir la mort de si
près. « On est allé chercher des
corps en morceaux, les plus jeunes
n’étaient pas préparés à voir ça, il y
a des traumatismes », raconte dis­
crètement un fantassin qui a par­
ticipé à l’évacuation de la zone.
Le sujet ne s’évoque qu’avec pu­
deur, à l’abri des regards. « Cer­
tains ont préféré arrêter la mis­
sion », lâche même à voix basse
un officier, devant la porte de sa
chambre. « On est préparé à mou­
rir sous des tirs ennemis, mais
dans un accident… C’est plus dur à
entendre. » Selon nos informa­
tions, des « vols blancs » ont eu
lieu pour des rapatriements d’ur­
gence de blessés psychiques.
Le « sens de l’engagement »
« On ne nous dit pas tout, pour
nous protéger, et certainement
par crainte d’un effet boule de
neige », appuie un technicien. Un
suivi psychologique a été mis en
place, mais le drame est venu rap­
peler à tous, ici comme en France,
la dangerosité de la mission des
militaires français au Sahel.
« La mort, ça fait partie des ris­
ques du métier, mais parfois, avec
la routine, on a tendance à l’oublier.
Pour certains camarades, c’est vrai­
ment devenu concret depuis l’acci­
dent », indique Romain, 25 ans, qui
vit sa première « opex ». Le soir de
la cérémonie de levée des corps, le
jeune lieutenant, jouant le rôle de
« grand frère » auprès de ses com­
pagnons, leur a demandé de réflé­
chir au « sens de leur engage­
ment ». « Certains avaient des dou­
tes, l’un d’eux m’a confié qu’il ne sa­
vait pas s’il était prêt, j’essaie de les
rassurer », rapporte ce fantassin.
Sur la base de Gao, forteresse
barbelée ensablée du nord du
Mali, la guerre semble si proche,
et si loin à la fois. Invisible, perni­
cieuse, la menace est partout. Elle
est dans ces petits amas de terre
sur les pistes, qui peuvent dissi­
muler des engins explosifs, chez
les « ennemis au visage d’ami » af­
filiés aux « GAT », les « groupes ar­
més terroristes » dans le jargon
militaire, ou encore chez les
« sonnettes », les guetteurs postés
pour alerter les djihadistes du
passage des forces armées.
Lancée le 1 er août 2014,
« Barkhane », la plus grande opé­
ration extérieure française, vise à
« appuyer les forces armées des
pays partenaires » et à « empêcher
la reconstitution de zones refuges
terroristes » dans la bande sahélo­
saharienne : 4 500 hommes dé­
ployés sur un territoire appro­
chant la taille de l’Europe.
La tâche est immense. Sur le ter­
rain, les katibas, affiliées au
Groupe de soutien à l’islam et aux
musulmans (GSIM) et à l’organi­
sation Etat islamique au Grand Sa­
hara (EIGS), se sont adaptées et
ont étendu leur pouvoir, jusqu’à
contaminer les pays voisins, du
Niger au Burkina Faso, voire jus­
qu’aux confins de la Côte d’Ivoire.
Au Sahel, 4 700 personnes ont été
tuées entre novembre 2018 et
mars 2019, soit 46 % de plus qu’un
an plus tôt, selon l’ONG Armed
Conflict Location & Event Data
Project (Acled). « Les GAT sont dans
une logique de prédation, ils sont
volatils et se dissimulent parmi la
population. Ils connaissent le ter­
« On est préparé
à mourir sous
des tirs ennemis,
mais dans
un accident…
C’est plus dur à
entendre », lâche
un officier
rain et ont pu se repositionner. A
nous de les chercher grâce au ren­
seignement », pointe le colonel
Raphaël Bernard, dans son bu­
reau aux murs tapissés de cartes.
Les hommes de « Barkhane »
sont engagés dans une guerre asy­
métrique, menée par l’adversaire
à coup d’attentats, de mines arti­
sanales et de raids surprises. « On
avance dans des zones désertiques,
les groupes se cachent et nous
fuient, ça peut être déconcertant »,
reconnaît Romain, le jeune fan­
tassin. Sans compter les 40 degrés
pendant la saison chaude, ce sable
qui abîme le matériel et compli­
que l’avancée au cœur du désert.
« Une aiguille dans une botte de
foin », résume un militaire. La
lutte contre le terrorisme est « un
combat de longue haleine », ne
cesse de rappeler la ministre fran­
çaise des armées, Florence Parly.
« Tout ça pour ça »
La lassitude gagne certains. « J’ai
parfois l’impression de me battre
contre des chimères, je me de­
mande combien de temps on va
devoir rester au Sahel encore »,
s’interroge un lieutenant, dé­
semparé. « Quand on voit des col­
lègues tués, je me dis “tout ça
pour ça”. On se demande pour­
quoi on est là, on ne voit pas assez
les victoires », lâche, à voix basse,
un logisticien. Depuis le déploie­
ment de la mission française au
Sahel en 2013, 41 militaires fran­
çais ont perdu la vie dans la ré­
gion. Samedi 7 décembre, un sol­
dat a encore été grièvement
blessé par une mine.
« Certains commencent à être
découragés, il faut être aveugle
pour ne pas voir qu’on s’enlise,
mais on ne peut pas se permettre
de baisser les bras quand on a
perdu des amis », insiste un mé­
canicien, à sa cinquième « opex »
au Mali. Ses doutes font
d’ailleurs écho au débat grandis­
sant à plus de 5 000 kilomètres
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Le 5 décembre
sur la base de Gao,
au Mali (en
haut). Le capitaine
Fabien, qui a dirigé
la mission
de recherche
des corps, après
l’accident du
25 novembre,
montre sa plaque
en métal (en bas).
Elle est cassée
en deux en cas
de décès. LAURENCE GEAI
POUR « LE MONDE »
de là, en France. Trois jours après
la mort des treize militaires, Em­
manuel Macron s’est dit prêt à
« regarder toutes les options stra­
tégiques » concernant l’évolution
de la force française au Sahel.
Quentin, lui, a hâte de retourner
« sur le terrain ». « Quand on part,
on sait qu’on peut ne pas revenir »,
ajoute Alexandre, assis sur son lit
de camp, une pointe d’inquié­
tude dans la voix, en évoquant sa
compagne enceinte de 4 mois. Le
Breton de 25 ans garde Papa débu­
tant, un livre offert par sa petite
amie, entre son gilet pare­balles
et son Famas. « Je rate les échogra­
phies, mais je serai là pour l’accou­
chement », se réjouit celui qui vit
sa mission comme « un sacri­
fice », mais se lève chaque matin
« avec le sentiment d’être utile
pour mon pays, en luttant contre
ces terroristes qui font trop de mal,
et pour que mes enfants n’aient
pas à connaître ce fléau ». Alexan­
dre a, lui, quitté son entreprise de
chimie au lendemain de l’atten­
tat du Bataclan en novem­
bre 2015, pour s’engager, à 21 ans.
Dans un des foyers de la base, de­
vant le téléviseur, un lieutenant
renchérit : « On n’a pas le choix, on
doit continuer. Si on quitte le Sahel,
demain ça deviendra comme la Sy­
rie, en pire. » Devant le mur d’hom­
mage aux militaires tués en opé­
ration, la base veut garder « la tête
haute » et faire preuve de « rési­
lience ». « C’est la meilleure ma­
nière d’honorer nos camarades »,
rétorque un officier supérieur. Ici
sous les treillis kaki, chacun porte
sa petite chaîne militaire, son
nom gravé dessus comme un
bouclier. Espérant secrètement
qu’elle n’ira pas, à son tour, s’ensa­
bler dans les dunes du Sahel. 
sophie douce
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0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Le Drian : au Sahel, « il faut lever les La Turquie sommée
malentendus et se remobiliser »
Pour le chef de la diplomatie, le combat antidjihadiste sera « très long »
ENTRETIEN
L
es treize soldats français
tués le 25 novembre dans
un accident d’hélicoptè­
res au Mali seront­ils les
morts de trop au Sahel pour Em­
manuel Macron ? Le chef de l’Etat
a invité ses homologues des pays
qui constituent la force conjointe
du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali,
Mauritanie, Niger et Tchad) à ve­
nir en France pour une réunion à
Pau, le 16 décembre, afin qu’ils
« clarifient et formalisent leur de­
mande à l’égard de la France et de
la communauté internationale ».
Très investi sur ce dossier, Jean­
Yves Le Drian, le ministre des af­
faires étrangères, attend que tous
les partenaires, africains comme
européens, se remobilisent.
Emmanuel Macron a invité
les chefs d’Etat du Sahel à Pau.
Quel est son objectif ?
Il n’est pas illégitime qu’après
des événements dramatiques,
comme la mort de nos treize sol­
dats, il y ait un besoin d’échanger
et de clarifier avec les parties
concernées, alors que la force
« Barkhane » est engagée de ma­
nière forte contre les groupes
radicaux dans la région. Nous
avions d’ailleurs sondé, aupara­
vant, nos interlocuteurs sur leurs
disponibilités à venir. Il faut lever
les malentendus et se remobiliser
ensemble dans trois directions.
La première est politique. Som­
mes­nous bien d’accord pour
poursuivre ensemble ce combat
contre les djihadistes ? Il faut se le
redire et que les autorités concer­
nées le redisent à leur opinion.
Ensuite, il est important que
soient mis en avant les engage­
ments que chacun compte pren­
dre. Par exemple, pour le Mali,
dans la mise en œuvre des ac­
cords d’Alger [signés en 2015 et qui
prévoient une intégration d’ex­re­
belles dans les forces de défense et
une plus grande autonomie des ré­
gions]. Leurs objectifs doivent
être réaffirmés et l’agenda, clari­
fié. Enfin, il y a la remobilisation
militaire. Quel point faisons­nous
de l’action de la force conjointe
Au Liban, l’effondrement de l’économie suscite le désespoir
Cinq personnes accablées par les difficultés financières se sont donné la mort ces derniers jours, témoignant de la paupérisation du pays
beyrouth ­ correspondants
S ur le mur du petit salon, à
Sin El­Fil, dans la banlieue
est de Beyrouth, des pho­
tos d’enfants souriants rappel­
lent les jours heureux. Mais une
psalmodie du Coran monte de la
chaîne stéréo et c’est vêtue de
noir que la famille Abi Haïdar re­
çoit ses visiteurs.
Mercredi 4 décembre, Dany, âgé
de 39 ans, père de trois enfants,
écrasé de dettes, s’est donné la
mort. Rentré tôt du travail, il a
saisi son fusil, s’est isolé sur un
bout de terrasse, au sommet de
l’immeuble et s’est tiré une balle
dans la tête. Employé d’une so­
ciété de luminaires, il ne parve­
nait plus à subvenir aux besoins
de sa famille et de ses parents, qui
habitent le même appartement
exigu. « Cela faisait plusieurs mois
qu’on le sentait sous pression, ra­
conte sa mère, Khadra, le regard
éteint. Tout est devenu cher au Li­
ban, son salaire ne suffisait plus. »
« Il était étouffé par les responsabi­
lités financières, c’est un martyr de
l’injustice, accuse Mohamed Dib,
son beau­père, la gorge serrée.
Pas un responsable politique ne
de libérer Osman Kavala
[du G5 Sahel] ? Comment envisa­
ger une meilleure coordination
des différents acteurs ? Nous de­
vons mettre tout cela sur la table
et sortir de cette rencontre avec
des pistes d’actions clarifiées. Cela
concerne aussi l’Union euro­
péenne qui sur ces trois points­là
doit renforcer son action.
Un retrait à court terme
est­il envisageable ?
Le président a dit qu’il en tirera
les conséquences si ces trois con­
ditions ne sont pas remplies. Je
souhaite que toutes les condi­
tions de la remobilisation soient
réunies. Sinon, nous serions
amenés à revoir nos postures,
tout en gardant à l’esprit que cela
concerne notre sécurité…
La menace s’étend, l’action
des forces françaises est
contestée, aucune action
terroriste visant l’Europe
n’a été lancée depuis le Sahel…
On ne peut pas dire non plus que
cela ne marche pas. Il faut rappeler
que depuis début 2013 il y a eu une
mutation de la situation politico­
militaire dans la zone. Au départ, il
y a eu une opération conjointe de
trois groupes djihadistes qui vou­
laient faire du Mali un sanctuaire.
Elle a échoué en raison de l’inter­
vention de la France. Depuis, on a
assisté à des mutations significati­
ves. L’Etat islamique au grand Sa­
hara [EIGS] et le Groupe de soutien
à l’islam et aux musulmans
[GSIM] sont engagés dans un com­
bat terroriste de déstabilisation, et
non plus de contrôle territorial.
C’est un dispositif avec des aspects
quasi insurrectionnel, avec un
élargissement de l’espace d’action.
Ces groupes attisent la haine
ethnique, en particulier en ins­
trumentalisant des conflits entre
groupes comme avec les Peuls.
Cette nouvelle donne nécessite
une mobilisation complète. L’ob­
jectif de la présence de
« Barkhane » et de ses partenaires
est d’éliminer les terroristes les
plus violents et de faire en sorte
que les pays du Sahel soient à
même d’assurer leur propre sécu­
rité. Il faut pour cela une unité de
s’est manifesté après son décès. Je
suppose que, pour eux, le suicide
de citoyens est sans importance. »
Ces derniers jours, quatre autres
habitants du pays du Cèdre, acca­
blés par des difficultés financières
similaires, ont mis fin à leurs
jours. Un tailleur de pierre de
40 ans a notamment été retrouvé
pendu, le 1er décembre, près de
son domicile d’Ersal, dans la
plaine de la Bekaa. Selon la presse
locale, c’est le fait d’être incapable
de donner à sa fille les 1 000 livres
(0,60 euro) nécessaires à l’achat
d’une galette au thym, qui a
poussé l’homme à commettre
l’irréparable.
Moteur de la protestation
Ces gestes de désespoir témoi­
gnent de la paupérisation galo­
pante qui frappe le Liban. Le phé­
nomène, l’un des moteurs du
mouvement de protestation en
cours, qui a mené à la démission,
fin octobre, du gouvernement de
Saad Al­Hariri, n’est pas nouveau.
Il s’est enclenché au milieu des an­
nées 2010, du fait de l’effondre­
ment du tourisme, de la baisse des
transferts bancaires en prove­
nance de la diaspora, de l’afflux
« Nous n’avons
aucun intérêt
dans cette
région, sauf la
défense du droit
et de notre
propre sécurité »
conception de l’action commune.
La force « Barkhane » a remporté
beaucoup de succès mais ce com­
bat sera très long. L’enjeu est con­
sidérable. Il s’agit de notre sécu­
rité. Notre frontière commune, à
nous Français et Européens, est le
Sahel. Les leaders des groupe­
ments terroristes ne sont pour la
plupart ni des Maliens ni des Bur­
kinabés. Ce sont des Algériens ou
des Marocains qui prennent leurs
ordres ailleurs, notamment
auprès de la direction d’Al­Qaida.
Comment briser la dynamique
d’insurrection ?
Il faut pour cela que les Etats se
donnent les moyens de restaurer
leur présence partout. En particu­
lier au nord et à l’est du Burkina et
dans toute une partie du Mali. Le
fait que la force conjointe se
mette en place, ce n’est pas rien. Il
s’agit de six bataillons, avec un
commandement unifié, qui doi­
vent permettre aux autorités
d’exercer une force commune
dans un espace aussi grand. C’est
considérable et sans précédent.
Mais quelles sont les racines
du sentiment antifrançais ?
Je le constate avec tristesse et un
peu de révolte, quand on sait la
force de notre engagement, nos 41
morts, et que cela a été fait à la de­
mande des autorités politiques du
Sahel. Je ne veux pas non plus su­
restimer ce sentiment. Il est forte­
ment relayé sur les réseaux so­
ciaux, au travers de fausses nou­
velles qu’il faut combattre, mais,
dans une situation de crise et d’in­
sécurité, on cherche un bouc
émissaire. Une partie du ressenti­
ment antifrançais est liée au fait
des réfugiés syriens et de l’incapa­
cité de la classe dirigeante, rongée
par la corruption, à faire face à
cette nouvelle donne.
Mais la dégradation des condi­
tions de vie des Libanais s’est bru­
talement accélérée à la fin de l’été,
quelques semaines avant le début
des manifestations. Craignant
que les rumeurs de dévaluation
de la livre libanaise n’entraînent
une ruée sur les guichets, les ban­
ques ont commencé à limiter l’ac­
cès au dollar, pilier des transac­
tions au Liban. Un contrôle de fait
des capitaux s’est installé, mar­
qué par de sévères entraves aux
transferts d’argent vers l’étranger
– sauf pour l’importation de pé­
trole, de farine et de médica­
ments – et un plafonnement des
retraits à quelques centaines de
dollars par semaine.
« Une crise de liquidités s’est ajou­
tée à la crise économique, déplore
Fouad Zmokhol, président d’un
regroupement d’entrepreneurs li­
banais. Les entreprises n’arrivent
plus à payer leurs fournisseurs. De
plus en plus d’entre elles sont obli­
gées de geler leurs opérations, voire
de fermer complètement leurs por­
tes. On s’attend à des pénuries dans
que les populations ne se sentent
pas assez protégées. Il faut que les
choses soient claires concernant
notre présence. Nous n’avons
aucun intérêt dans cette région,
sauf la défense du droit et de notre
propre sécurité. Si ça ne passe pas
par des accords et une clarifica­
tion des engagements, il faudra se
poser des questions et repenser
notre positionnement militaire.
Les Etats déclarent régulière­
ment que les promesses de
financement de la force du G5
Sahel ne sont pas tenues…
Je m’inscris en faux. La France et
l’UE sont au rendez­vous. On est à
75 % de mobilisation sur nos en­
gagements financiers.
L’opération « Barkhane » n’est­
elle pas sous­dimensionnée et
qu’en est­il de la mobilisation
européenne ?
Par rapport à sa mission, non.
Elle le sera d’autant moins lors­
que la force « Takuba » [qui doit re­
grouper des forces spéciales euro­
péennes] va se mettre en place
pour intervenir sur le terrain et
soutenir les unités du G5 Sahel…
L’Europe agit déjà, même si elle
devra en faire davantage. Dans la
Mission de formation de l’UE au
Mali [EUTM], tout le monde est là.
C’est un outil important, que
j’avais mis sur la table avant
même l’opération « Serval ». Elle a
formé 10 000 soldats maliens. Il y
a en son sein près de 700 person­
nels européens, dont 12 Français.
Dans la Mission de l’ONU pour la
stabilisation du Mali (Minusma),
les Allemands sont présents si­
gnificativement. Les Néerlandais
l’ont été. Pour « Barkhane », il y a
les Britanniques, les Estoniens,
les Danois avec nous dans la force
de combat. Le concept de
« Takuba » semble rallier tout le
monde et je pense que l’on sera à
même de développer cette force
assez rapidement. Les Tchèques
me l’ont, par exemple, confirmé
vendredi. Cela étant dit, il faudra
faire plus au niveau européen. 
propos recueillis par cyril
bensimon, christophe
châtelot et piotr smolar
les prochaines semaines. » Ce ra­
lentissement abrupt de l’activité a
des conséquences sociales drama­
tiques. Une étude du cabinet
d’analyses Infopro, menée auprès
de 300 entreprises, montre que
depuis le 17 octobre, date du dé­
marrage de la révolte antisystème,
un tiers d’entre elles ont réduit la
rémunération de leurs employés
et un tiers aussi ont procédé à des
coupes dans leurs effectifs. Le
nombre d’emplois perdus est éva­
lué par les enquêteurs à 160 000,
un nombre important pour un
pays de 6 millions d’habitants,
dont 1,5 million de réfugiés, sy­
riens et palestiniens.
Les ONG humanitaires com­
mencent à déceler l’impact de
cette crise dans la crise. L’organisa­
« On n’a jamais
vu autant
de besoins,
même pendant
la guerre civile »
SŒUR MARIE-JUSTINE
responsable d’un dispensaire
international | 5
La CEDH estime qu’Ankara, qui n’a pas
répondu, viole les droits du mécène turc
istanbul, correspondante
L a Cour européenne des
droits de l’homme (CEDH) a
ordonné à la Turquie, mardi
10 décembre, de libérer « immédia­
tement » l’homme d’affaires Os­
man Kavala, détenu à l’isolement
depuis plus de deux ans pour
avoir, selon les procureurs turcs,
tenté de « renverser l’Etat ». S’esti­
mant injustement incarcéré, le
mécène a fait appel devant la Cour
européenne en juin 2018, assurant
non seulement que sa détention
provisoire portait atteinte à son
droit à la vie et à la liberté, mais
qu’elle était motivée par des consi­
dérations politiques, citant les ar­
ticles 5 et 18 de la Convention euro­
péenne des droits de l’homme.
La CEDH, basée à Strasbourg, a
estimé que la Turquie avait violé le
droit du prévenu à la liberté et à la
sécurité. Citant « l’absence de soup­
çon raisonnable que le requérant
ait commis une infraction », les ju­
ges ont appelé Ankara à « prendre
toutes les mesures nécessaires »
pour mettre fin à sa détention. Le
gouvernement turc n’a pas ré­
pondu. Osman Kavala est détenu à
la prison de haute sécurité de
Silivri, dans la périphérie d’Is­
tanbul, aux côtés des plus grands
terroristes du pays, comme, par
exemple, Abdulkadir Macharipov,
l’auteur présumé de l’attaque con­
tre la discothèque Reina la nuit du
Nouvel An 2017, à Istanbul (trente­
neuf morts, soixante­dix­neuf
blessés), dont la condamnation
n’a pas toujours été prononcée.
La décision de la Cour concer­
nant Osman Kavala pourrait rester
lettre morte. C’est en effet la
deuxième fois que les juges euro­
péens concluent que la Turquie a
violé l’article 18 (limitation de
l’usage des restrictions aux droits
et libertés) de la Convention euro­
péenne des droits de l’homme. Le
9 juillet, ils avaient estimé que les
droits de Selahattin Demirtas, l’ex­
coprésident du Parti démocrati­
que des peuples (HDP, prokurde),
emprisonné depuis 2016, avaient
été bafoués, et qu’il devait être li­
béré. Leur décision a été largement
ignorée. Membre fondateur du
Conseil de l’Europe, signataire de
la Convention européenne des
tion Amel, très active dans l’aide
aux démunis, a par exemple
comptabilisé une hausse de 15 %
des consultations de Libanais de­
puis la mi­octobre dans ses clini­
ques mobiles, très fréquentées par
les Syriens. Une source humani­
taire étrangère estime entre
15 000 et 25 000 le nombre d’éco­
liers à avoir été transférés ces der­
niers mois du privé au public, un
signe de déclassement au Liban.
« La crise est terrible, on n’a ja­
mais vu autant de besoins, même
pendant la guerre civile », s’alarme
sœur Marie­Justine, la responsa­
ble administrative d’un dispen­
saire installé près du domicile de
la famille Abi Haïdar. Le nombre
de familles profitant des distribu­
tions de pain et de légumineuses
organisées chaque semaine par ce
centre médico­social, est passée
de 50 à 150 en novembre. Le gérant
d’une pharmacie attenante expli­
que que « des gens achètent désor­
mais au sachet ou au comprimé »,
faute de pouvoir s’offrir une boîte
entière de médicaments.
Les difficultés de la population
sont d’autant plus grandes que la
parité entre la monnaie nationale
et le billet vert, fixée depuis 1997 à
droits de l’homme, Ankara ne s’es­
time visiblement plus lié par les
décisions de la CEDH. C’est notam­
ment le cas depuis que son sys­
tème judiciaire a sombré dans l’ar­
bitraire après le putsch manqué
du 15 juillet 2016, quand des pur­
ges massives ont été ordonnées
par le pouvoir politique.
Arrêté, en novembre 2017, Os­
man Kavala est détenu à Silivri de­
puis son arrestation. La justice tur­
que l’accuse d’avoir organisé et fi­
nancé les manifestations du parc
Gezi, à Istanbul, en 2013, ce qu’il
nie. Il risque la prison à perpétuité.
Sévèrement réprimée à l’époque,
cette mobilisation, née de la con­
testation d’un projet d’aménage­
ment urbain au cœur d’Istanbul,
avait gagné plusieurs villes et ré­
gions du pays, s’imposant comme
le plus vaste mouvement de pro­
testation dirigé contre le président
turc, Recep Tayyip Erdogan, depuis
son arrivée au pouvoir, en 2003.
L’imagination des procureurs
Dans l’acte d’accusation, le procu­
reur présente le « mouvement de
Gezi » comme une opération mon­
tée depuis l’étranger dans le but de
« mettre la Turquie à genoux ». Plu­
sieurs diplomates européens y ap­
paraissent comme les présumés
complices d’un complot sorti tout
droit de l’imagination des procu­
reurs, tant les accusations portées
sont cousues de fil blanc.
Le milliardaire américain d’ori­
gine hongroise George Soros y est
décrit comme ayant organisé les
manifestations de Gezi. Une inter­
prétation soutenue par le prési­
dent Erdogan qui, avec tout son
gouvernement de 2013, s’est cons­
titué partie civile au procès du mé­
cène. « Qui est derrière Kavala ? Le
fameux juif hongrois Soros, un
homme qui incite les populations à
diviser les nations et à les démem­
brer », avait­il déclaré, en novem­
bre 2018. Difficile de comprendre
les raisons de l’acharnement judi­
ciaire contre l’homme d’affaires
turc, un intellectuel de bonne fa­
mille, né à Paris et éduqué à Man­
chester, qui a mis sa fortune et sa
vie au service du dialogue culturel.
Son cas est emblématique du re­
cul de l’Etat de droit en Turquie. 
marie jégo
1 507 livres pour 1 dollar (0,90 euro),
s’est mise à dégringoler sur le mar­
ché non bancaire. Cette déprécia­
tion a entraîné une hausse des
coûts pour les entrepreneurs, qui
s’est répercutée sur le marché,
avec une inflation d’environ 15 %
en un mois. « On est entré dans une
zone très très rouge, s’inquiète
l’économiste Jad Chaaban. Le taux
de pauvreté, qui est d’environ 35 %,
pourrait passer à 50 % d’ici deux ou
trois mois, si le pouvoir d’achat des
ménages continue à se détériorer. »
Mercredi 11 décembre, le groupe
de soutien international au Liban
devait se réunir à Paris, pour étu­
dier d’éventuelles mesures de sou­
tien économique. Les partisans du
soulèvement redoutent un coup
de pouce à la classe politique tradi­
tionnelle, qui plus d’un mois après
le retrait de Saad Al­Hariri, reste
sourde à la demande de la rue, la
formation d’un nouvel exécutif
composé exclusivement d’indé­
pendants. « On ne sauvera pas les
Libanais en jetant une bouée de
sauvetage aux responsables du
naufrage de leur pays », prévient
Jad Chaaban. 
benjamin barthe
et laure stephan
 0123
6 | international JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

Un acte d’accusation à double détente contre Trump

Pour les démocrates, « abus de pouvoir » et « entrave à la bonne marche du Congrès » justifient l’impeachment

washington ­ correspondance
Il est quasiment

D
onald Trump a désor­
mais toutes les chan­
ces de devenir le troi­
sième président de
l’histoire des Etats­Unis mis en
accusation par la Chambre des
représentants. Après deux mois
d’auditions menées dans le ca­
dre de l’enquête en vue de sa des­
titution, les élus démocrates de
la Chambre ont dévoilé, mardi
10 décembre, les deux chefs d’ac­
cusation à l’encontre du loca­
taire de la Maison Blanche :
« abus de pouvoir » et « entrave
au travail du Congrès ».
Un temps envisagée, l’accusa­
tion de « corruption » a finale­
ment été abandonnée. Les deux
qualifications retenues ont été
jugées « faibles, très faibles », par
le principal intéressé, pour qui
toute la procédure relève de la
« chasse aux sorcières » et de la
« mascarade ».
Sur un ton solennel, soulignant
le caractère historique de cette an­
nonce, Jerry Nadler, le président
démocrate de la commission des
affaires juridiques de la Chambre,
a pourtant assuré que le prési­
dent, en « faisant pression sur
l’Ukraine pour qu’elle intervienne
dans notre élection présidentielle
de 2020 » avait « porté atteinte à la
sécurité nationale, affaibli l’inté­
grité des élections et violé son ser­
ment au peuple américain ».
« Une attitude de défi »
Au terme de l’enquête ouverte
après les inquiétudes soulevées
par un lanceur d’alerte suite à
l’échange téléphonique entre le
président des Etats­Unis et son
homologue ukrainien, Volody­
myr Zelensky, le 25 juillet, les élus
ont établi que M. Trump avait su­
bordonné le déblocage d’une aide
militaire à Kiev ainsi qu’une invi­
tation à la Maison Blanche
à l’ouverture d’investigations vi­
sant l’ancien vice­président dé­
mocrate Joe Biden, l’un de ses po­
tentiels adversaires lors de l’élec­
tion présidentielle de 2020.
La commission des affaires juri­
diques de la Chambre a aussi tenu
à souligner l’obstruction « iné­
Jerry Nadler, président démocrate de la commission des affaires juridiques de la Chambre, à Washington, le 10 décembre. A. HARNIK/AP
dite » rencontrée par les élus tout
au long de la procédure, justifiant
ainsi l’accusation d’« entrave » à la
bonne marche du Congrès. « Le
président Trump a opté pour une
attitude de défi sans précédent, ca­
tégorique et sans discrimination
contre l’enquête », a ainsi affirmé
M. Nadler. En refusant de trans­
mettre des documents et en em­
pêchant ses collaborateurs d’être
entendus par les élus, il a démon­
tré qu’il resterait « une menace
pour la Constitution » s’il était
autorisé à rester au pouvoir, in­
siste le texte de mise accusation.
Une charge sérieuse, qui sug­
gère que les démocrates, à l’instar
d’Adam Schiff, le président de la
commission du renseignement
de la Chambre, redoutent que
M. Trump « triche encore lors de la
prochaine élection ». Ils s’inquiè­
tent depuis plusieurs mois de la
manière dont le président améri­
cain bafoue, selon eux, le principe
de « check and balances », l’équili­
bre des pouvoirs et le contrôle
qu’il implique entre les différen­
tes branches. « Il doit donc être
destitué et interdit de toute autre
fonction » au service des Etats­
Unis, conclut la résolution.
Mais il est peu probable que les
démocrates parviennent à leurs
fins. S’il est acquis que la Cham­
bre des représentants, où ils dé­
tiennent la majorité, vote dans
les prochains jours la mise en ac­
cusation du président, il est en re­
vanche quasiment exclu que le
procès qui s’ouvrira ensuite au
Sénat, détenu par les républi­
cains, débouche sur la destitu­
tion. Il faudrait qu’une vingtaine
d’élus du Grand Old Party (GOP)
rejoignent les rangs démocrates
pour parvenir à la majorité des
deux tiers nécessaires à une con­
damnation. Mardi, l’entourage de
M. Trump s’est dit certain de voir
le président « totalement dis­
culpé ». Avant lui, seuls Andrew
Johnson, en 1868, et Bill Clinton,
en 1998, ont connu un tel par­
cours ; en 1974, Richard Nixon,
lui, avait démissionné avant le
vote de la Chambre.
Avec cette procédure de destitu­
tion, les démocrates ont aussi
voulu dénoncer la « méthode »
Trump et ses efforts pour « cou­
vrir ses propres méfaits à répéti­
tion ». Le texte de la mise en accu­
sation souligne que les actions ré­
vélées dans l’affaire ukrainienne
« étaient cohérentes avec les invi­
tations précédentes faites par le
président Trump à des pays étran­
gers pour interférer dans les élec­
tions américaines ». Une allusion
aux ingérences russes dans la
campagne présidentielle de 2016
et à la manière dont le locataire de
la Maison Blanche s’est efforcé de
discréditer l’enquête menée sur
ce sujet par le procureur spécial
Robert Mueller.
Polarisation renforcée
Ces accusations sont régulière­
ment rejetées par M. Trump, pour
qui les démocrates n’ont enclen­
ché cette procédure « ridicule »
que parce que « c’est le seul moyen
pour eux de gagner » en 2020, a­
t­il une nouvelle fois affirmé,
mardi soir, lors d’un meeting en
Pennsylvanie.
A un an de l’élection présiden­
tielle, il est difficile de prévoir
quel sera l’impact de ces débats
exclu que le
procès au Sénat,
détenu par
les républicains,
débouche
sur la destitution
sur le vote des électeurs. Mais il
apparaît d’ores et déjà que cette
séquence historique de la vie po­
litique américaine a renforcé la
polarisation parmi les élus et au
sein de l’électorat. La question de
la destitution suit avec constance
la ligne de fracture entre républi­
cains et démocrates. Selon le der­
nier sondage de la Quinnipiac
University, publié mardi, 51 % des
Américains se prononcent con­
tre la destitution (95 % des répu­
blicains) et 45 % pour (83 % des
démocrates).
La procédure n’a toutefois pas
eu les mêmes effets dans les
deux camps. Alors qu’elle a sus­
cité des discussions chez les dé­
mocrates, divisés notamment
sur l’opportunité de se lancer
dans une telle aventure sans ac­
cord bipartisan ou sur l’ampleur
des accusations, elle a resserré les
rangs côté républicain. Depuis le
début de l’enquête et lors des
nombreuses auditions, les élus
du GOP ont présenté un front uni
en défense du président.
Marquée par la plus grande dé­
fiance entre les camps démocrate
et républicain, la journée de
mardi a aussi donné lieu à un ac­
cord bipartisan, devenu rare sous
l’administration Trump, sur le
traité de libre­échange entre les
Etats­Unis, le Mexique et le Ca­
nada (USMCA). Une manière
pour la chef des démocrates à la
Chambre de représentants, Nan­
cy Pelosi, de montrer sa volonté
d’œuvrer pour le bien du pays et
de rassurer les électeurs en pleine
procédure de destitution. Quitte à
accorder une victoire symbolique
au président que son parti s’ef­
force de destituer. 
stéphanie le bars

S O MA L I E
Cinq morts dans
l’attaque d’un hôtel
à Mogadiscio
Cinq personnes ont été tuées,
trois civils et deux membres
des forces de sécurité, lors de
l’attaque, mardi 10 décembre,
dans la capitale Mogadiscio,
de l’Hôtel SYL par un com­
mando islamiste chabab. Les
assaillants, vêtus d’uniformes
de police, ont ouvert le feu et
fait usage de grenades, dé­
Investi président, le péroniste Alberto
clenchant la riposte des for­
ces de protection. Les cinq
membres du commando ont
également été tués, selon la
Fernandez promet de redresser l’Argentine
police. C’est la quatrième fois
depuis 2015 que l’Hôtel SYL
Le pays est plongé dans une grave crise économique après le mandat de Mauricio Macri
est visé par une attaque
des Chabab. – (AFP.)
buenos aires ­ correspondante profil plus jeune que celui de son gentine pour construire un nou­ noire de monde. Les grilles entou­
prédécesseur, le libéral Mauricio veau contrat social citoyen ». rant le palais présidentiel, instal­

APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE

B ravant la chaleur étouf­
fante qui s’est abattue sur
Buenos Aires, des dizaines
de milliers de personnes ont com­
mencé très tôt à affluer, mardi
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Equipés de stocks de bouteilles
Avis d’Appel d’Offres International d’eau, les partisans d’Alberto
ASECNA/ERNA/1901/2019
----------&&&&-------- Fernandez ont entamé une lon­
Dans le cadre de la mise en oeuvre de son Plan des Services et Equipements gue attente devant la Casa Rosada,
(PSE) 2018-2022, l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en le palais présidentiel, pour ac­
Afrique et à Madagascar (ASECNA) lance un Appel d’Offres International cueillir son nouvel occupant.
Ouvert pour l’acquisition des équipements didactiques de sureté de l’avia- « C’est un moment historique
tion pour le centre AVSEC-OACI de l’Ecole Régionale de la Navigation
Aérienne et de Management(ERNAM). pour notre pays », jubile Martina
Le Dossier d’Appel d’Offres (DAO) peut être consulté sur le site web de Aredes, étudiante en histoire.
l’ASECNA (www.asecna.aero) et retiré à partir du Mercredi 18 Décembre Originaire de la province de
2019 contre le paiement obligatoire d’une somme non remboursable de Deux Tucuman, dans le nord­ouest de
Cent Mille Francs (200.000) Francs CFA ou Trois Cent Cinq Euros (305 €) l’Argentine, la jeune femme a fait
en espèces ou par chèque barré à l’ERNAM (ASECNA), Dakar au Sénégal,
Tél. : 33 869 51 13, adresse électronique : contact@ernam.org à la Déléga- vingt heures de route pour venir
tion de l’ASECNA à Paris (DELP), 75 Rue la Boétie – 75008 Paris – France, fêter l’investiture d’Alberto Fer­
Téléphone : +33 1 44 95 07 07 ou dans les Représentations de l’ASECNA nandez et de sa vice­présidente,
auprès des Etats membres (DGRP). Cristina Fernandez de Kirchner
La date limite de remise des offres à l’ERNAM (ASECNA), Route de l’Aéro- (à la tête du pays entre 2007 et
port militaire Léopold Sédar Senghor - en face du hangar des pèlerins –
Dakar au Sénégal est fixée au Mardi 28 janvier 2020 à 11 heures (T.U.). 2015), dans la capitale argentine.
Toute offre arrivée hors délai ne sera pas acceptée. Toute offre déposée à tout « On sent qu’Alberto nous écoute,
endroit autre que le secrétariat de l’ERNAM, se fera aux risques du soumission- qu’il prend la jeunesse au sé­
naire et ne sera pas prise en compte. L’ouverture des offres en séance publique rieux », affirme Rocio Gonzalez,
devant les soumissionnaires (ou leurs représentants) qui le désirent, aura lieu le
même jour (Mardi 28 janvier 2020) à 12 heures (T.U.) dans la salle de réunion 22 ans, qui milite dans le même
de la Médiathèque à l’ERNAM (ASECNA). mouvement de gauche que Mar­
Le Chef d’Etablissement ERNAM tina. De fait, le gouvernement dé­
signé par Alberto Fernandez a un
Macri – qui briguait un second
mandat mais a été battu dès le
premier tour de la présidentielle
par M. Fernandez, le 27 octobre.
Composé de personnalités
« qui renvoient une image de mo­
dération », selon le politologue
Facundo Cruz, ce gouvernement
reflète aussi les différentes ten­
dances du péronisme présentes
au sein du Frente de Todos (« le
front pour tous »), la très large
coalition péroniste de centre
gauche qui a permis à M. Fernan­
dez l’emporter.
Obtenir des consensus
« Les membres de ce gouvernement
viennent de courants politiques
très différents, mais ils savent que
la situation est si complexe qu’ils
doivent rester unis », estime Paula
Clerici, professeure de sciences po­
litiques à l’université Torcuato di
Tella et à l’université de Buenos
Aires. Conscient du besoin d’obte­
nir des consensus avec une oppo­
sition loin d’être décimée, Alberto
Fernandez a, durant son discours
d’investiture au Congrès, appelé
de ses vœux « l’union de toute l’Ar­
« Aujourd’hui, il est plus néces­
saire que jamais de redresser l’Ar­
gentine », a déclaré le nouveau pré­
sident, dressant une longue liste
des maux dont souffre le pays, qui
traverse une grave crise économi­
que et sociale. Explosion de la pau­
vreté, hausse du chômage, infla­
tion à son plus haut niveau depuis
1991… Parlant de « chiffres terri­
fiants », il a proposé un « plan inté­
gral de lutte contre la faim ».
Sans citer son prédécesseur,
M. Fernandez a déclaré que l’admi­
nistration précédente avait mené
l’Argentine « au bord du défaut de
paiement ». Il a assuré qu’il rem­
bourserait la dette contractée par
le pays mais chercherait à obtenir
des délais auprès des créanciers.
En commençant par le Fonds mo­
nétaire international, qui a oc­
troyé 45 milliards de dollars de
prêts à l’Argentine (40,6 milliards
d’euros). « Il est impossible de payer
la dette sans retrouver la crois­
sance », a­t­il prévenu.
Après plus d’une heure de dis­
cours au Congrès, Alberto Fernan­
dez a regagné la Casa Rosada, de­
vant laquelle il a trouvé une place
lées sous le gouvernement de
M. Macri, avaient été retirées quel­
ques jours plus tôt, tout un sym­
bole. « Cette place grillagée avait
créé de la division », a de fait af­
firmé Cristina Fernandez de Kirch­
ner, qui a parlé la première, mardi
soir, sur une immense scène dres­
sée devant la Casa Rosada pour
l’occasion. A 66 ans, l’ancienne
présidente jouit toujours d’une
grande popularité au sein d’une
partie de la population, et ce mal­
gré ses mises en examen dans plu­
sieurs affaires de corruption.
Mardi soir, prenant la parole à
son tour, M. Fernandez s’est mon­
tré plus uni que jamais avec sa vi­
ce­présidente : « Par folie, nous
nous sommes éloignés, mais nous
nous sommes ensuite retrouvés »,
a­t­il déclaré, en référence aux ten­
sions passées entre lui et l’ex­pré­
sidente – désaccords qui l’avaient
conduit à démissionner de son
poste de chef de cabinet en 2008.
Le nouveau président a promis de
s’employer à construire « une so­
ciété meilleure ». Avant de con­
clure : « Au travail ! » 
aude villiers­moriamé
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 planète | 7

La biodiversité
continue à se dégrader
L’Union internationale pour la conservation
de la nature recense 30 000 espèces menacées

C’
est une lueur d’es­
poir dans la crise de
la biodiversité. Cette
année, les efforts de
conservation ont permis d’amé­
liorer le statut de plusieurs espè­
ces, selon la mise à jour de la liste
rouge de l’Union internationale
pour la conservation de la nature
(UICN). Ce rapport, créé en 1964,
constitue l’inventaire mondial le
plus complet de l’état de conserva­
tion des espèces végétales et ani­
males. Il répertorie ainsi quelque
112 432 espèces, parmi lesquelles
30 178 seraient menacées. Son ac­
tualisation a été présentée, mardi
10 décembre, à l’occasion de la con­
férence climat, la COP25, organisée
jusqu’au 13 décembre à Madrid.
L’inventaire de l’UICN observe
que 73 espèces ont vu leur situa­
tion se dégrader, mais il com­
porte aussi une bonne nouvelle :
dix espèces animales, dont huit
variétés d’oiseaux et deux de
poissons, sont en voie d’amélio­
ration. Ainsi, le râle de Guam, en­
démique d’Océanie, est désor­
mais le deuxième oiseau de l’his­
toire à se rétablir, après avoir été
déclaré « éteint à l’état sauvage ».
Autrefois commun sur l’île de
Guam, dans le Pacifique, cet
oiseau a vu sa population décli­
ner après l’introduction acciden­
telle d’un serpent, à la fin de la se­
conde guerre mondiale. En 1987,
le dernier râle de Guam sauvage a
été tué par ce prédateur envahis­
sant. Grâce à un programme
d’élevage en captivité de trente­
cinq ans, le râle de Guam est
aujourd’hui établi sur l’île voi­
sine des Cocos. L’oiseau est ce­
pendant toujours classé « en dan­
ger critique », à une étape seule­
ment de l’extinction.
Gestion raisonnée
La perruche de l’île Maurice pour­
suit également son processus de
rétablissement, grâce à des efforts
de conservation, dont un pro­
gramme d’élevage en captivité.
L’espèce a été reclassée comme
« vulnérable », après être passée
d’espèce « en danger critique » à es­
pèce « en danger » en 2007. Enfin,
deux espèces de poissons d’eau
douce australiens, le Maccullo­
chella macquariensis (trout cod, en
anglais, de l’ordre des perciformes)
et le Galaxias pedderensis (pedder
galaxias, en anglais), ont vu leur
statut s’améliorer grâce à des pro­
grammes de réintroduction. Les
deux espèces restent cependant
menacées par la destruction et la
dégradation de leur habitat.
L’élevage en captivité, combiné à
une gestion raisonnée des popula­
tions sauvages, a été la clé de ces
réussites en matière de conserva­
tion, selon l’ONG. « Cette mise à
jour démontre que la conservation
Le râle de Guam,
qui a bénéficié
d’un programme
d’élevage de
trente­cinq ans,
reste classé en
« danger critique ».
GREG HUME/UICN
fonctionne et offre de l’espoir, sou­
tient Grethel Aguilar, directrice gé­
nérale par intérim de l’UICN (à la
suite de la nomination d’Inger An­
dersen à la tête du Programme des
Nations unies pour l’environne­
ment). Lorsque les gouvernements,
les organisations de conservation
et les communautés locales tra­
vaillent ensemble, nous pouvons
inverser la tendance (…). Le succès
de ces dix améliorations prouve
que la nature peut se rétablir si on
lui en laisse la chance. »
Malgré ces bonnes surprises, la
biodiversité continue de se dégra­
der comme jamais. Selon le rap­
port de l’UICN, le changement cli­
matique contribue aussi de ma­
nière accélérée au déclin de nom­
breuses espèces en modifiant leur
habitat et en augmentant la force
et la fréquence des phénomènes
météorologiques extrêmes. L’in­
tensité accrue des ouragans dans
les Caraïbes ces dernières années,
par exemple, a entraîné une mor­
talité élevée chez les oiseaux.
Ainsi, après l’ouragan Maria
en 2017, la population de l’ama­
zone impériale, un oiseau de l’île
de la Dominique, s’est réduite à
50 individus à l’état sauvage. La
liste rouge révèle également que
37 % des espèces de poissons d’eau
douce d’Australie sont menacées
d’extinction, dont au moins 58 %
directement à cause du change­
ment climatique. Grande nacre,
pseudoscorpion géant, champi­
gnon pagode… Au total, 1 840 espè­
ces ont été ajoutées à la liste des es­
pèces menacées cette année. »
Selon les experts de l’UICN, l’in­
ventaire actualisé met une nou­
velle fois en exergue l’urgence de
la situation. « Le changement cli­
matique ajoute aux multiples me­
naces auxquelles les espèces sont
confrontées, explique Grethel
Aguilar. Il est donc urgent d’agir de
manière décisive pour juguler la
crise. » L’année 2020 se présente
comme un moment phare pour la
biodiversité, insiste l’UICN. Le pro­
chain Congrès mondial de la na­
ture est programmé à Marseille en
juin, suivi de la réunion des parties
de la Convention sur la diversité
biologique en octobre – l’équiva­
lent de la COP climat, mais sur les
enjeux de biodiversité – en Chine.
« Les prochains mois seront cru­
ciaux pour l’avenir de la planète »,
assure Jean Smart, directrice mon­
diale du Groupe de conservation
de la biodiversité de l’UICN, dans
un communiqué. « Le Congrès
mondial de la nature représente
une étape­clé pour définir le pro­
gramme de travail mondial en
matière de conservation. Un travail
nécessaire pour répondre à l’ur­
gence dans laquelle se trouvent les
espèces, en vue des décisions que
les gouvernements prendront lors
de la réunion de la Convention
sur la diversité biologique », insiste
la dirigeante. 
clémentine thiberge

Paris en tête et Marseille à la traîne

dans la lutte contre la pollution de l’air
Des associations publient un classement inédit des douze plus
grandes agglomérations françaises selon les efforts engagés

S ur le front de la lutte contre

la pollution de l’air, comme
au foot, Marseille a du retard
sur Paris. Un classement inédit pu­
blié mercredi 11 décembre par le
Réseau Action Climat (RAC),
Greenpeace et l’Unicef compare
les décisions prises par les douze
plus grandes agglomérations fran­
çaises, ces cinq dernières années,
pour améliorer la qualité de l’air.
Paris et Marseille occupent les
extrémités de ce classement : la
place de leader pour la capitale,
celle de lanterne rouge pour la cité
phocéenne. Les douze aggloméra­
tions sont réparties en trois grou­
pes. Paris, Grenoble et Strasbourg
constituent le trio de tête des villes
en « bonne voie » pour devenir res­
pirables. Lyon, Nantes, Lille, Bor­
deaux, Rennes et Toulouse sont ju­
gées « encore timides » dans leurs
actions. En queue de peloton,
Montpellier, Nice et Marseille sont
« en retard », voire « très en retard ».
Pas de quoi pavoiser toutefois
pour la capitale ou ses dauphins.
« Aucune des grandes villes françai­
ses ne va aujourd’hui assez loin
pour protéger efficacement ses ha­
bitants de la pollution de l’air »,
commente Lorelei Limousin, res­
ponsable des politiques climat et
transports au sein du RAC.
Responsable de 48 000 à 67 000
morts par an en France, la pollu­
tion de l’air est considérée par la
Commission européenne comme
le « problème numéro un de santé
lié à l’environnement ».
Les ONG entendent profiter de la
campagne pour les municipales
de mars 2020 pour mettre la pres­
sion sur les candidats. « Les nou­
veaux élus devront prendre des me­
sures à la hauteur de l’urgence sani­
taire et climatique », résume Sarah
Fayolle, de Greenpeace. Six enjeux
jugés prioritaires ont été retenus :
sortie du diesel et de l’essence et
mise en place de zones à faibles
émissions (ZFE) efficaces, restric­
tion de la place de la voiture, déve­
loppement de la pratique du vélo,
dynamique en matière de trans­
ports en commun, aides financiè­
res à la transition écologique,
sanctuarisation des abords de crè­
ches et d’écoles.
« On n’a pas su anticiper »
Marseille est « en retard » sur cinq
de ces six enjeux quand Paris ou
Grenoble sont « en bonne voie »
pour quatre d’entre eux. Ainsi,
dans la ville dirigée par Jean­
Claude Gaudin (LR), aucune res­
triction de circulation n’existe
pour les véhicules polluants
quand Paris bannit les diesels les
plus anciens depuis 2017. La capi­
tale a été la première ville de
France à mettre en place une ZFE.
Cette dernière interdit progressi­
vement les véhicules les plus an­
ciens sur la base de la vignette
Crit’Air. Et la maire (PS) de Paris,
Anne Hidalgo, a programmé la fin
des diesels d’ici à 2024 et des es­
sences d’ici à 2030.
Avec Grenoble, Strasbourg, où
15 % des déplacements sont effec­
tués à vélo, reste la ville la plus do­
tée en réseau cyclable. Son bilan
est toutefois « terni », selon les
ONG, par le feu vert accordé au
projet autoroutier de grand con­
« Aucune des
grandes villes
françaises ne
va aujourd’hui
assez loin »
LORELEI LIMOUSIN
Réseau Action Climat
tournement ouest. Les efforts de
Lyon (4e) et de Bordeaux (6e) pour
développer le vélo sont également
« plombés » respectivement par un
projet d’autoroute urbaine et
l’élargissement de la rocade.
Si les associations notent les ef­
forts de la cité phocéenne en ma­
tière de piétonnisation, Marseille
n’a pas rompu avec « le tout­voi­
ture ». En témoigne la décision de
construire une nouvelle rocade, le
boulevard urbain sud. La ville ac­
cuse « un retard immense » en ma­
tière de politique cyclable ou de
transports en commun. Un Mar­
seillais réalise 119 voyages en
transports en commun par an
contre 278 pour un Francilien ou
242 pour un Strasbourgeois.
Enfin, à la différence de villes
comme Nantes, la métropole mar­
seillaise n’a pris « aucun engage­
ment » visant à limiter la circula­
tion des véhicules autour des éta­
blissements scolaires alors que
plus de la moitié sont situés à
proximité de zones où la pollution
au dioxyde d’azote, principale­
ment liée aux diesels, dépasse les
limites légales.
Conclusion des ONG : « Marseille
est dans le rouge. » Adjoint à l’envi­
ronnement à la mairie de Mar­
seille, Robert Assante partage ce
constat : « On n’a pas su anticiper
les changements pour proposer
aux Marseillais des alternatives à la
voiture. En 2016, Marseille est deve­
nue la première ville de France avec
une ligne de bus 100 % électrique.
On devait en développer quatre
autres. Mais, au lieu de ça, la métro­
pole a préféré passer commande
d’une centaine de bus diesel. » Ex­
lieutenant de Jean­Claude Gaudin,
M. Assante vient de rejoindre le
candidat de droite dissident à la
mairie de la ville. 
stéphane mandard
 FRANCE
0123
8| JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

RÉFORME  DES  RETRAITES

Retraites : les compromis de l’exécutif
En renonçant à l’équilibre dès 2025,
le gouvernement joue l’apaisement

A
près des mois de
cacophonie et de
valse­hésitation,
l’exécutif a enfin
apporté des
éclaircissements
sur sa réforme des retraites. Alors
que la contestation contre ce pro­
jet s’installe dans la durée avec son
septième jour de mobilisation,
notamment à la SNCF et à la RATP,
Edouard Philippe devait présen­
ter, mercredi 11 décembre, ses arbi­
trages devant le Conseil économi­
que, social et environnemental. La
démarche du gouvernement vise
à tendre la main aux organisa­
tions de salariés, à commencer par
celles qui, comme la CFDT, sont fa­
vorables au principe d’un système
universel – dont l’instauration
avait été promise par Emmanuel
Macron durant la campagne prési­
dentielle. Deux points en particu­
lier sont mis dans la balance pour
la faire pencher du bon côté : les
mesures d’économies pour met­
tre à l’équilibre le système de re­
traites et les périodes de transition
vers le nouveau régime.
Désormais, il n’est plus question
d’assainir, dès 2025, les comptes
de l’ensemble formé par les 42 ré­
gimes de pensions. Un délai sup­
plémentaire sera accordé pour
combler le déficit, ce qui donne sa­
tisfaction à la centrale dirigée par
Laurent Berger. Des concessions
devraient également être faites en
faveur des salariés des régimes
spéciaux et des enseignants
– deux catégories très impliquées
dans le conflit en cours. L’architec­
ture générale du dispositif reste
conforme aux orientations tra­
cées par M. Macron quand il bri­
guait l’Elysée. Le futur système
repose sur un principe de répar­
tition, où les cotisations des ac­
tifs paient les pensions des per­
42 régimes vers le régime unique, il
faut que nous tenions compte des
spécificités, des variétés, qui sont
énormes, avec des calendriers dif­
férents et des mesures d’accompa­
gnement différentes », a justifié,
mercredi matin, sur France Inter,
Gilles Le Gendre, président du
groupe La République en marche
de l’Assemblée nationale.
Pas sûr cependant que cela suf­
fise à convaincre les grévistes de
reprendre le travail. La CFDT­Che­
minots, l’une des plus suscepti­
bles de quitter le mouvement si
elle obtenait satisfaction, réclame
l’application de la « clause du
grand­père » – l’application de la
réforme aux seuls nouveaux em­
bauchés. « On est en train d’arriver
à un moment, au bout de six­huit
jours de conflit, où les gens ont
trop perdu pour reprendre le tra­
vail avec rien ou trois fois rien »,
mettait en garde, mardi, son se­
crétaire général, Didier Aubert.
Autre sujet sensible : les mesu­
res d’économies que le gouverne­
ment envisageait pour que le sys­
tème ne soit plus dans le rouge, fi­
nancièrement parlant, en 2025. La Emmanuel
CFDT, notamment, y était résolu­ Macron, lors
ment hostile, au motif que cette d’un débat sur les
option – défendue par Edouard retraites, à Rodez,
Philippe depuis des mois – venait le 3 octobre.
parasiter la réforme. L’exécutif a JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
finalement choisi de temporiser. POUR « LE MONDE »
Le premier ministre devait, en ef­
fet, préciser que le régime repo­
sera sur un âge d’équilibre : ceux
qui choisissent de partir avant se­
ront pénalisés financièrement
(malus) et ceux qui liquideront
leur pension après seront, à l’in­
verse, avantagés (bonus). Charge
Le jeu d’équilibriste de Macron
à la nouvelle gouvernance, dans
laquelle les partenaires sociaux Eteindre le feu sans renoncer à sa réforme, l’enjeu est double pour l’exécutif
joueront un rôle central, de défi­
nir d’ici à 2022 le paramétrage et
une stratégie d’assainissement

sonnes à la retraite. Il sera ex­
primé en points et non plus en an­
nuités. L’âge légal de départ en
retraite reste fixé à 62 ans, comme
s’y était engagé le candidat d’En
marche ! en 2017.
Transition plus longue
Les générations nées avant 1975
ne seront pas concernées par la
réforme. La pension de ceux qui
liquideront leurs droits à 62 ans
(c’est­à­dire avant 2037) sera donc
calculée intégralement selon les
anciennes règles. La bascule se
fera en 2037 pour les actifs nés à
partir de 1975 et les années sui­
vantes. Dans son rapport remis
en juillet, le haut­commissaire
chargé du dossier, Jean­Paul Dele­
voye, préconisait que le système
entre en vigueur en 2025 pour les
personnes nées en 1963. L’exécu­
tif a donc choisi de se donner du
temps pour tenter d’apaiser les
craintes qui se sont exprimées
dans la rue ces derniers jours. En
revanche, dès 2022, c’est­à­dire en
principe deux ans après le vote de
la loi, les jeunes qui entreront sur
le marché du travail cotiseront di­
rectement au régime universel.
En ce qui concerne les régimes
spéciaux – les plus mobilisés de­
puis le début du mouvement –, la
transition sera encore plus lon­
gue, même s’ils ont vocation à
disparaître à terme, comme l’a ré­
pété l’exécutif ces dernières se­
maines. Seuls les salariés nés à
partir de 1980 (pour ceux qui li­
quident leurs droits à 57 ans) et
1985 (pour ceux qui partent à
52 ans) seront concernés. Des pé­
riodes de transition rendues né­
cessaires, aux yeux du pouvoir en
place, par la difficulté de faire pas­
ser dans l’entonnoir du régime
universel l’ensemble des régimes
existants. « Pour faire converger
des comptes, faute de quoi l’exé­
cutif reprendra la main. Dans le
rapport de M. Delevoye, l’âge
d’équilibre était placé à 64 ans.
Il n’est pas évident qu’une telle
orientation convienne aux syndi­
cats. Contrairement au patronat,
la plupart des centrales syndica­
les sont opposées à un méca­
nisme de ce type, notamment s’il
est collectif. La CFDT, par exem­
ple, juge qu’il pénalise ceux qui
ont commencé leur carrière tôt.
En choisissant de renoncer dans
l’immédiat à des mesures d’éco­
nomie, Emmanuel Macron suit
en tout cas la ligne défendue ces
derniers jours par les patrons de
Bercy, Bruno Le Maire et Gérald
Darmanin. Ces derniers avaient
publiquement défendu l’idée se­
lon laquelle ces dernières devai­
ent être renvoyées à plus tard
pour parvenir à un compromis.
« Pour faire passer la réforme à
points, il fallait renvoyer l’équilibre
à plus tard, justifie­t­on dans l’en­
tourage de M. Le Maire. Tu ne
peux pas faire sans la CFDT. »
Autre geste adressé à la CFDT :
M. Philippe avait l’intention de
dire que la pénibilité au travail sera
mieux prise en compte, en parti­
culier pour les personnes qui sont
en service la nuit. Le but est de per­
mettre aux intéressés de cesser
leur vie professionnelle plus tôt
mais aussi de se former pour évo­
luer vers d’autres postes ou d’amé­
nager les fins de carrière. M. Phi­
lippe devait également avoir une
attention pour la CFTC, très sou­
cieuse des droits familiaux : le sort
des ménages ayant au moins trois
enfants pourrait être amélioré, par
rapport à ce qui était prévu dans le
rapport Delevoye. 
raphaëlle besse desmoulières,
bertrand bissuel
et olivier faye
L
âcher suffisamment de que : celui de trop lâcher ou pas Chez les parlementaires et les
lest pour affaiblir la mobi­ assez. Si les concessions annon­
UNE ATTITUDE DE  électeurs macronistes, la volonté
lisation, sans méconten­ cées paraissent trop minces aux FERMETÉ POURRAIT  que le chef de l’Etat aille au bout
ter ceux qui l’ont soutenu yeux des organisations syndica­ est très forte. Beaucoup ayant inté­
pour sa capacité à « transformer » les, le pouvoir pourrait se voir ac­ RENDRE CADUCS  gré qu’à travers cette réforme, con­
le pays. Le chemin de sortie de cuser de rester « droit dans ses sidérée comme « la mère des ba­
crise paraît très étroit pour Emma­ bottes », et d’être sourd au mes­ LES ESPOIRS DE  tailles », M. Macron joue sa capa­
nuel Macron, confronté à un puis­ sage de la rue. Une attitude de fer­ L’EXÉCUTIF DE GAGNER  cité réformatrice jusqu’à la fin du
sant mouvement de contestation meté, qui pourrait rendre caducs quinquennat. Vu l’enjeu, crucial,
contre sa réforme des retraites. ses espoirs de gagner la bataille LA BATAILLE DE L’OPINION pas question d’imaginer un retrait
Sous pression, après une pre­ de l’opinion. Les fers de lance de de la réforme.
mière journée de mobilisation, la contestation – la CGT et FO – « Jamais de la vie ! », s’est ex­
le 5 décembre, qui a rassemblé auraient alors de sérieux argu­ ciale, un an après les « gilets jau­ clamé, lundi, le président du
plus de 800 000 manifestants, et ments pour convaincre leurs nes », potentiellement dévasta­ groupe La République en marche
une deuxième, mardi 10 décem­ troupes de poursuivre la mobili­ trice pour la popularité d’Emma­ (LRM) à l’Assemblée, Gilles Le Gen­
bre, qui a de nouveau entraîné sation, jusqu’à ce qu’ils obtien­ nuel Macron dans l’optique de dre. Le lendemain, lors d’une réu­
des perturbations dans de nom­ nent le retrait de la réforme. l’élection présidentielle de 2022. nion au Palais­Bourbon en pré­
breux secteurs, l’exécutif devait Pour dégonfler les cortèges, sence d’Edouard Philippe, plu­
lever le voile sur un projet de loi « Lourde perte de crédibilité » MM. Macron et Philippe pour­ sieurs députés de la majorité ont
encore flou. Mercredi 11 décem­ Avant même que M. Philippe raient au contraire être tentés de insisté sur l’idée que reculer serait
bre, lors d’une allocution très prenne la parole, ces deux syndi­ céder largement aux revendica­ « une lourde perte de crédibilité ».
attendue, le premier ministre, cats ont laissé planer la menace de tions des syndicats. Une manière Un sentiment partagé par les
Edouard Philippe, devait présen­ poursuivre les blocages, en préve­ de convaincre les moins radicaux « marcheurs ». Sur le terrain, l’im­
ter les modalités d’application de nant qu’ils « réfléchissaient » à – en particulier la CFDT­Chemi­ mense majorité de leurs électeurs
la réforme, sur lesquelles le gou­ l’opportunité de mener une nou­ nots – de mettre un terme à la les presse de « ne pas lâcher ».
vernement se réserve des mar­ velle journée de manifestations grève. Mais, dans ce cas, le chef de « Chez moi, à Vanves, dans les
ges de négociation. jeudi 17 décembre. l’Etat serait confronté à un autre Hauts­de­Seine, encore ce week­
Quelles pistes sont susceptibles « La balle est dans le camp du péril : celui de perdre des points end, j’ai beaucoup entendu “tenez
d’éteindre le feu ? L’équation à ré­ gouvernement », estime le secré­ dans son propre socle électoral. bon” ! », témoigne le secrétaire
soudre semble hautement com­ taire général de la CGT, Philippe « L’un des risques pour Emma­ d’Etat, Gabriel Attal. Un message
plexe pour l’exécutif, qui doit Martinez, en l’appelant à « enten­ nuel Macron est de perdre des deux entendu par les élus LRM aux qua­
trouver le bon dosage. En s’extir­ dre la colère ». Et à ne pas s’enliser côtés de l’échiquier politique, ré­ tre coins de la France. « Nos adhé­
pant d’un double risque politi­ dans une seconde grande crise so­ sume Bruno Cautrès, politologue rents nous disent : pas de blague
et chercheur au Cevipof. S’il ne fait hein ? Le quinquennat ne doit pas
pas de larges concessions, cela cas­ s’arrêter ! », explique un dirigeant
Jean-Paul Delevoye sous pression serait l’image qu’il souhaite donner
à l’acte II de son quinquennat, axé
du parti présidentiel.
Ces avertissements en tête, les
Si la fonction de président du think tank Parallaxe figurait bien sur la promesse d’une plus grande macronistes craignent que tout
sur sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transpa- prise en compte des revendications infléchissement soit interprété
rence de la vie publique (HATVP), ses 5 000 euros mensuels fai- sociales suite à la crise des “gilets comme un recul, ouvrant la voie à
saient polémique. Le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul jaunes”. Et cela pourrait potentiel­ d’autres revendications en dehors
Delevoye, a donc décidé, mardi 10 décembre, de quitter ses fonc- lement accentuer l’idée, dans l’élec­ de la seule réforme des retraites. Et
tions au sein de ce groupe de réflexion, créé par le réseau HEP torat de gauche, qu’il est le prési­ ils redoutent d’y perdre des plu­
Education au sein du groupe IGS, fédération d’associations indé- dent des riches. Mais à l’inverse, si mes, vu le niveau d’exigence de
pendantes à but non lucratif, après « réexamen » de « sa situation la mise en œuvre de la réforme se leurs partisans. « On le paierait très
personnelle ». « A ce jour, compte tenu des suspicions que certains fait à petite vitesse, avec l’aména­ cher si on perdait face à la CGT car
n’ont cessé d’alimenter, j’ai mis un terme à toutes mes activités et gement de nombreuses exceptions, les retraites et les régimes spéciaux,
je suis au clair par rapport à cela », a déclaré sans plus de détail cela pourrait générer de la décep­ ce sont des vrais marqueurs », sou­
M. Delevoye devant l’Assemblée nationale, en réponse à une tion chez les “marcheurs” et dans ligne un pilier de la majorité. « S’il
question du député La France insoumise Adrien Quatennens. l’électorat de droite. » donnait l’impression de reculer,
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Emmanuel Macron pourrait voir
son image de réformateur enta­
chée », confirme Frédéric Dabi, di­
recteur général adjoint de l’IFOP.
Mais « pour l’instant, son socle,
évalué à 35 %, est très solide grâce à
la “sainte alliance” entre les élec­
teurs En marche ! du premier tour
de la présidentielle et un apport, de­
puis, d’électeurs de droite », ob­
serve le sondeur. Dans les enquê­
tes d’opinion, les électeurs LRM et
ceux du parti Les Républicains
(LR) sont les plus critiques à l’égard
de la grève et les plus fervents par­
tisans de la fin des régimes spé­
ciaux. Ces deux catégories sont
également les plus convaincues
que le gouvernement va mainte­
nir l’essentiel de la réforme.
Trouver une voie médiane
Reste à savoir laquelle. Au sein de
la majorité, plusieurs élus jugent
que le pouvoir n’a pas d’autre
choix que de trouver une voie
médiane, qui consisterait à gar­
der l’architecture globale de la ré­
forme, tout en faisant preuve de
souplesse sur son application.
Bref, à jouer une sorte de « en
même temps » pour essayer de
faire baisser l’ampleur des con­
testations, tout en permettant au
pouvoir de garder la face.
« Conserver le cap en donnant
l’impression d’avoir entendu les
Français, c’est le seul moyen pour
l’exécutif de ne pas apparaître
comme perdant », confirme
M. Dabi. Une ligne de crête résu­
mée par Edouard Philippe. « On
vous dit souvent “tenez bon”. Il faut
qu’on ait le ton qui va bien : celui
d’une grande détermination, très
tranquille, et celui du respect des
parcours individuels », a­t­il ainsi
lancé, mardi, devant les députés
LRM, à la veille de son allocution,
en soulignant la nécessité de
« mettre en place des transitions
acceptables » pour la fin des régi­
mes spéciaux. Avant de lâcher :
« Une mobilisation ne s’arrête pas
d’un coup de baguette magique
avec un discours prononcé. » Com­
me s’il théorisait l’impuissance du
pouvoir à éteindre l’incendie. 
alexandre lemarié
Les oppositions convergent pour
dénoncer le fond et la forme de la réforme
De LR au PCF, les députés ont fait subir au gouvernement un houleux réquisitoire
A u sixième jour des grè­
ves contre la réforme des
retraites, les oppositions
parlementaires, vivifiées par la
contestation, ont fait subir au
gouvernement un houleux ré­
quisitoire, mardi. Comme un
écho aux cris de colère des mani­
festants qui défilaient, non loin
de l’Assemblée nationale. A Da­
mien Abad (Les Républicains,
LR), qui demandait au premier
ministre de venir exposer la ré­
forme devant les députés et
d’en débattre avec eux, Edouard
Philippe a opposé une fin de
non­recevoir, en tout cas jusqu’à
l’arrivée du projet de loi au Parle­
ment. « Le temps va venir », a­t­il
dit à la veille de ses annonces au
Conseil économique, social et
environnemental, sans empê­
cher une pluie d’attaques contre
son gouvernement.
« Les Français ne veulent pas
d’un système par points qui fera
un nombre considérable de per­
dants et de sacrifiés ! » Le prési­
dent de LR, Christian Jacob, a
ouvert le bal avec cette phrase,
entendue ensuite presque mot
pour mot dans la bouche du se­
crétaire national du Parti com­
muniste français (PCF), Fabien
Roussel. « On veut des ronds, pas
des points ! », a ajouté ensuite le
communiste. Parmi les sept ora­
teurs que la droite a fait monter
au pupitre, quatre se sont attelés
à décliner la critique du projet de
réforme sous tous les angles. Ce­
lui du cadeau fait aux fonds de
pension privés, exploité par Oli­
vier Marleix, député LR d’Eure­
et­Loir, sous les applaudisse­
ments des « insoumis » et de cer­
Vers une nouvelle journée de manifestation le 17 décembre
La CGT, FO, Solidaires, la FSU et des organisations de jeunesse exigent le retrait du projet de réforme des retraites
D eux fois moins nom­
breux qu’il y a cinq jours,
mais tout aussi détermi­
nés. Les opposants à la réforme
des retraites étaient, mardi 10 dé­
cembre, 339 000 à battre le pavé
dans toute la France, selon le mi­
nistère de l’intérieur, 885 000 se­
lon la CGT. Si les transports sont
restés fortement perturbés mardi
– une situation qui devrait perdu­
rer mercredi et les jours suivants
à la RATP et à la SNCF –, la mobili­
sation était donc en baisse. Mais
pas de quoi décourager l’intersyn­
dicale à l’origine de cet appel in­
terprofessionnel.
Dans la soirée, la CGT, FO, Solidai­
res, la FSU et des organisations de
jeunesse ont appelé à des grèves et
à des manifestations, « locale­
ment », jeudi 12 décembre – au len­
demain des annonces d’Edouard
Philippe sur le futur système uni­
versel –, et ce week­end. Elles en­
tendent aussi et surtout faire du
mardi 17 décembre une « nouvelle
journée de mobilisation interpro­
fessionnelle massive ».
« On compte faire plier ce gou­
vernement, a lancé Catherine Per­
ret, numéro deux de la CGT. C’est
le moment d’en mettre un grand
coup pour qu’enfin [il] nous en­
tende. » Dans son communiqué,
l’intersyndicale, qui s’est réunie
tains socialistes, celui des crain­
tes pour les pensions des mères
et des familles, expliqué par Thi­
bault Bazin. Daniel Fasquelle a,
lui, conclu en regrettant les « en­
treprises plongées dans la diffi­
culté en raison de votre incapa­
cité à mener à bien cette réforme
des retraites ».
Tous, à droite, s’accordent pour
fustiger la méthode du gouver­
nement – des atermoiements
« anxiogènes » et sources de blo­
cage – et noter, par contraste, le
bilan des gouvernements passés,
de Jacques Chirac à Nicolas
Sarkozy. « La réforme des retrai­
tes, il faut la finir. L’UMP l’a initiée,
il faut avoir le courage d’aller au
bout, sinon c’est la reculade, la dé­
bandade », a noté ainsi le député
Philippe Gosselin. Les députés
Les Républicains présenteront
leur contre­projet jeudi.
Muet, mardi, lors des questions
au gouvernement, le Rassemble­
ment national (RN), peu habitué
à soutenir un mouvement social
provoquant de tels blocages,
avance sur une ligne de crête de
plus en plus périlleuse. Les se­
maines précédant le début du
mouvement, Marine Le Pen ré­
pétait son soutien « sans ré­
serve » aux grévistes, tout en pre­
nant ses distances avec les syndi­
cats. Depuis le 5 décembre, elle se
fait discrète, laissant à ses trou­
pes la charge du service après­
vente. Lundi sur RMC, le vice­
président du RN, Jordan Bardella,
a dit son soutien à « la mobilisa­
tion » tout en évitant d’appeler à
manifester et en affirmant « pré­
férer la gratuité aux blocages ». Si
de rares figures ont manifesté le
au siège de Force ouvrière, ave­
nue du Maine, à Paris, a considéré
que le mouvement « s’est inscrit
depuis le 5 décembre dans la du­
rée ». Selon elle, la journée du
10 décembre a été « un nouveau
temps fort avec de nouveaux sala­
riés du privé et davantage de jeu­
nes ». « Il y a eu sans doute des sa­
lariés qui n’ont pas fait grève
aujourd’hui parce que ça coûte
cher, la grève ; c’est perdre des
journées de travail », a cependant
reconnu Mme Perret.
Mais, pour Eric Beynel, l’un des
porte­parole de Solidaires, le
mouvement « dépasse largement
le seul secteur de ceux qu’on a
tenté de jeter en pâture – les régi­
mes soi­disant privilégiés » : le 17
« doit être un moment d’irruption
des travailleurs dans les manifes­
tations », a­t­il martelé.
L’intersyndicale attend désor­
mais de M. Philippe qu’il tienne
compte du « rejet massif » ex­
primé ces derniers jours, en reti­
LES SYNDICATS  Il n’en demeure pas moins que la
ANNONCENT  nez est susceptible de « donner
DES ACTIONS « LOCALES »  l’impression qu’elle se montre sûre
JEUDI 12 DÉCEMBRE  tre comme la meneuse des luttes »,
LE RN, PEU HABITUÉ 
À SOUTENIR UN 
MOUVEMENT SOCIAL  t­il dit avant de quitter l’Assem­
PROVOQUANT DE TELS  Pour La France insoumise, la
BLOCAGES, AVANCE SUR  ressemble à une bouffée d’air.
UNE LIGNE DE CRÊTE DE  Quoi de mieux qu’un mouve­
PLUS EN PLUS PÉRILLEUSE
5 décembre – à l’image du con­
seiller de Marine Le Pen Philippe
Olivier, ou du député du Nord Sé­
bastien Chenu, écarté par des mi­
litants syndicaux, comme en té­
moigne une vidéo révélée par
Mediapart – aucun n’a affiché sa
présence ce mardi.
Loin d’être en reste, la gauche
de l’Hémicycle a décoché ses flè­
ches mardi, d’abord contre le
haut­commissaire aux retraites,
Jean­Paul Delevoye, mis en diffi­
culté pour n’avoir pas men­
tionné, dans sa déclaration d’in­
térêts à la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique,
ses liens avec le monde de l’assu­
rance, et contraint, mardi, de dé­
missionner d’un deuxième
mandat de ce type. Au sein de La
France insoumise (LFI), Adrien
Quatennens puis Alexis Corbière
se sont succédé. « Monsieur le
Premier ministre, est­il encore rai­
sonnable de laisser nos retraites
dans les mains de Jean­Paul Dele­
voye ? », a lancé le premier. Le se­
cond, dans une algarade avec le
président Ferrand, a abondé.
« Quand cet homme siège au con­
seil d’administration d’une assu­
rant son projet et en ouvrant
« sans préalable » des négocia­
tions pour améliorer le système
actuel. Comme la semaine der­
nière, la CFE­CGC, qui ne s’était
pas associée à l’action de mardi,
était représentée lors de la ren­
contre au siège de FO, mais elle
n’a pas signé le texte commun.
« Ni soucis ni frictions »
L’envoi d’un communiqué par la
CGT pour appeler à deux nouvel­
les dates de mobilisation les 12 et
17 décembre a tendu l’atmos­
phère – le texte ayant été diffusé
avant la fin de la réunion inter­
syndicale. Une façon de procéder
qui a agacé ses partenaires, no­
tamment FO. « Il n’y a pas eu de
soucis ni de frictions », a cepen­
dant affirmé Frédéric Souillot,
l’un des dirigeants de la confédé­
ration : d’après lui, la longueur de
la réunion était due à « des problè­
mes d’orthographe »…. « La CGT
s’est impatientée et s’est excusée »,
a indiqué Mme Perret. « L’intersyn­
dicale est, plus que jamais, unie », a
assuré M. Souillot.
confédération de Philippe Marti­
d’elle­même et qu’elle veut apparaî­
rance privée, vous trouvez ça nor­
mal ? Il y a là un conflit d’intérêts,
Monsieur Delevoye, vous n’êtes
plus l’homme de la situation », a­
blée nationale.
protestation contre les retraites
ment social pour tourner la page
des ennuis judiciaires de son lea­
der, Jean­Luc Mélenchon ? Con­
damné, lundi 9 décembre, à trois
mois de prison avec sursis et à
8 000 euros d’amende dans l’af­
faire des perquisitions houleu­
ses à son domicile et au siège de
LFI, en octobre 2018, M. Mélen­
chon a rebondi et profité d’un
point presse pour marteler son
opposition. « Le régime est en dif­
ficulté, le premier ministre a dû
intervenir pour annoncer un ca­
lendrier que nous connaissions
déjà et faire différentes récita­
tions, mais on sentait une fébri­
lité », a­t­il estimé.
Tribune commune
Côté socialiste, c’est la présidente
du groupe, Valérie Rabault, qui
est intervenue pour « proposer
un petit calcul au gouverne­
ment » : pour garantir le pouvoir
d’achat des enseignants à la re­
traite dans le futur système,
comme le propose le ministre de
l’éducation, Jean­Michel Blan­
quer, il faudrait augmenter de
25 % les salaires les professeurs,
a­t­elle dit, un chiffre balayé par
le premier ministre. Le Parti so­
cialiste, qui entend aussi faire
des propositions sur la pénibi­
lité, les carrières incomplètes et
« LE 17 DOIT ÊTRE UN 
MOMENT D’IRRUPTION 
DES TRAVAILLEURS DANS  pourraient à l’inverse rentrer
LES MANIFESTATIONS »
ÉRIC BEYNE
porte-parole de Solidaires
relève Raymond Soubie, président
du groupe en stratégie sociale
Alixio et fin connaisseur de ces
thématiques : « Or, poursuit­il,
une telle posture, si elle vient à se
confirmer, n’est pas forcément en
adéquation avec la réalité des rap­
ports de force et – moins encore –
avec les aspirations des autres or­
ganisations qui s’opposent à tout
ou partie de la réforme. »
Organiser une nouvelle journée
interprofessionnelle dès jeudi
s’avérerait compliqué en termes
de logistique pour les confédéra­
tions de salariés – sans compter le
risque qu’elle se transforme en
échec. Le fait de retenir cette date,
en vue d’opérations plus décen­
tralisées, leur permet toutefois de
ne pas être absentes ces pro­
chains jours, tout en se projetant
sur le 17 décembre, avec l’espoir
que les annonces de M. Philippe
leur permettent d’élargir le mou­
france | 9
▶▶▶
les petites pensions, regarde avec
intérêt et gourmandise la mobi­
lisation : « On reste dedans, et on
veillera à ce que ce qui est donné
d’une main ne soit pas repris de
l’autre, comme avec la réforme de
l’assurance­chômage », assure le
député des Landes Boris Vallaud.
A gauche, il n’y a guère qu’Eu­
rope Ecologie­Les Verts (EELV), à
faire entendre des critiques
moins entières. Certes, les écolo­
gistes se prononcent contre la ré­
forme. Mais plus sur la forme que
sur le fond. Intellectuellement
proches de la CFDT, Les Verts ne
font pas de la retraite par points
un tabou. « Ce système peut être
mieux adapté à une partie des em­
plois précaires et des parcours
chahutés », veut croire Yannick
Jadot, l’homme fort d’EELV.
Pour autant, le nouveau secré­
taire national, Julien Bayou, par­
ticipera au meeting organisé,
mercredi 11 décembre, à Saint­
Denis (Seine­Saint­Denis), par le
Parti communiste français. Pour
la première fois depuis bien
longtemps, l’ensemble des pa­
trons des forces de gauche (PCF,
PS, LFI, EELV, Génération.s, NPA,
LO) tiendra tribune commune
pour afficher sa solidarité à la
mobilisation sociale et dessiner
une « alternative commune », ex­
plique le député PCF Stéphane
Peu. L’opposition de gauche n’est
pas près de lâcher le filon du flou
gouvernemental. S’opposer à
Macron, c’est désormais tout
faire pour contrer sa réforme. Et
tenter de le faire plier avant les
municipales. 
julie carriat, abel mestre,
lucie soullier et sylvia zappi
vement. D’autant que, ce jour­là,
une mobilisation des personnels
hospitaliers est également pro­
grammée. D’autres organisations
dans le rang si elles décrochaient
des concessions suffisantes à
leurs yeux. Ainsi, la CFDT­Chemi­
nots pourrait mettre fin à sa mo­
bilisation si la « clause du grand­
père » – qui consiste à n’appliquer
la réforme qu’aux nouveaux em­
bauchés – était retenue pour les
régimes spéciaux. Une hypothèse
que ne semblait pas retenir
Edouard Philippe, mercredi.
Les actions programmées jeudi
laissent la main « aux organisa­
tions locales ou aux assemblées
générales, ce qui n’est jamais un
très bon signe », juge Dominique
Andolfatto, chercheur en scien­
ces politiques à l’université de
Bourgogne­Franche­Comté. A ses
yeux, ce type de configuration
peut préfigurer « un mouvement
en archipel qui risque de se disper­
ser et de se dissiper face à un gou­
vernement qui reste ferme sur les
principes de la réforme ». « C’est
aussi une sorte de stand­by en at­
tendant les précisions sur la ré­
forme que doit annoncer le pre­
mier ministre », complète­t­il. 
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel
 0123
10 | france JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

RÉFORME  DES  RETRAITES

Mobilisation d’étudiants contre la précarité, dans le cortège de la manifestation De nombreux enseignants issus de plusieurs établissements ont défilé contre la réforme
contre la réforme des retraites, à Paris, mardi 10 décembre. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE » des retraites, à Marseille, mardi 10 décembre. FRANCE KEYSER/MYOP POUR « LE MONDE »

Dans la rue, une mobilisation en baisse

Les cortèges étaient moins fournis mardi que lors du 5 décembre, mais la situation dans les transports s’est tendue

RÉCIT dessus, l’opinion publique n’est pas contre

nous », assure Laetitia, 37 ans, agent d’es­
cale à la gare de Lyon. Elle a fabriqué une
grève, ça coûte », explique­t­il. « Certains
attendent les propos d’Edouard Philippe,
mercredi », renchérit à Rouen Claire­Ma­
L’INTERSYNDICALE 
plifie et que Macron lâche du lest ». A
Tours – plus de 5 000 manifestants selon
CONSIDÈRE QUE  la police, 8 000 selon les syndicats –, en­

U
n voyageur : « Je veux al­ caisse de grève en carton. Elle prend le rie Feret, secrétaire académique SNES­ seignants, pompiers, étudiants et che­
ler à Château­Thierry temps de parler avec les usagers. Les FSU, en tête du cortège, où l’affluence est LE MOUVEMENT  minots marchent ensemble. « La gauche
[Aisne]. » Une employée moins informés. Les mécontents. Même beaucoup moins importante que jeudi. commence à se réveiller, à retrouver sa
de la SNCF : « Ah mon­ eux finissent par dire « bon courage ». Même chose à Bordeaux, où la place de la « S’EST INSCRIT  place dans l’échiquier politique », veut
sieur, il n’y a aucun train « Je crois que les gens ont bien compris République n’est pas tout à fait remplie, croire François, retraité de France Télé­
pour cette destination pourquoi on se bat », résume Laetitia. contrairement au 5 décembre, mais Guy,
DANS LA DURÉE » com, muni de son bâton de pèlerin.
aujourd’hui ! » Gare de l’Est, à Paris, 62 ans, conducteur de train à la retraite, « Macron nous a mis en marche… contre
mardi 10 décembre, c’est reparti pour Bousculades et manque de civisme ne s’inquiète pas. Il se souvient des grè­ de la présidentielle. La brasserie pari­ lui », ajoute­t­il. A Lyon, Paule, une com­
une journée de galère. Au petit matin, Pour ce deuxième round contre la ré­ ves de 1995 contre la réforme d’Alain sienne est protégée par une armée de merçante à la retraite venue de l’Ain, n’a
une trentaine de « gilets rouges » sillon­ forme des retraites, le trafic est resté très Juppé. Il avait prévenu ses collègues : CRS. Parmi les manifestants, des slogans pas hésité : « Mes parents et mes grands­
nent les quais bondés pour renseigner perturbé : 20 % de TGV en circulation « Vous verrez l’ampleur de la manif à la visent directement le chef de l’Etat : parents se sont battus pour mes droits.
les usagers désorientés. Faute de trains, seulement ; une RATP quasi à l’arrêt ; de fin… » « C’est ce qui s’est passé, raconte­t­il. « Hey Manu, ça sent l’sapin. » Mais pas Aujourd’hui, je fais la même chose pour
ces employés offrent un bon pour une nombreux vols annulés. Les bus – un sur On est arrivé à l’hôtel de ville, et c’était im­ seulement : « La retraite avant l’arthrite », mes enfants et mes petits­enfants.
boisson chaude, à consommer dans trois circule – sont pris d’assaut, et les sta­ pressionnant. Je n’avais jamais vu une « retraites à points, retraités à poil ! », « re­ J’aurais honte de ne pas être là », expli­
l’un des cafés de la gare. Mais, six jours tions bondées. Gare du Nord, la SNCF a manif aussi importante. » traite par poing dans la gueule ! », que­t­elle. Mais le cortège lyonnais, qui
après la première journée de mobilisa­ envoyé 160 gestionnaires de flux depuis En milieu d’après­midi, les préfectures peut­on lire sur des pancartes en carton. quitte en fin de matinée la place Jean­
tion contre la réforme des retraites, lundi soir. « Il y a des bousculades et un donnent les premiers chiffres : 12 000 per­ De nouveaux slogans moqueurs s’en Macé, compte aussi beaucoup de jeunes.
mercredi 5 décembre, c’est la frustra­ manque de civisme, ça commence à se sonnes à Marseille, contre 25 000 la se­ prennent aussi au haut­commissaire à la Avant le début de la manifestation, étu­
tion, la lassitude peut­être aussi, qui do­ tendre », reconnaît une porte­parole de maine dernière ; 7 000 à Rennes contre réforme des retraites, Jean­Paul Dele­ diants et lycéens se sont d’ailleurs re­
mine sur les quais désertés. Transilien. Ceux qui roulent restent coin­ 10 000 le 5 ; 5 000 à Limoges contre 12 000, voye, qui n’avait pas mentionné, dans sa trouvés devant le rectorat. « Si cette ré­
Mêmes difficultés dans le métro et le cés dans d’interminables bouchons, en ou encore 2 500 à Avignon, contre 10 000. déclaration à la Haute Autorité pour la forme passe, quand on sera à la retraite,
RER, en région parisienne. Peu après région parisienne, tandis que, dans les A Toulouse, cela fait plus d’un an qu’on n’a transparence de la vie publique, ses liens on n’en aura pas », assure Juliette, 17 ans,
6 h 30, la ligne A est déjà pleine à craquer. rues de la capitale, se joue une drôle de pas connu manifestation aussi calme : avec le monde de l’assurance. élève en terminale ES au lycée Condor­
« Hier, on pouvait encore respirer dans les bataille entre les voitures, les vélos, les 12 000 manifestants, 20 000 selon la po­ Jeudi, le cortège syndical était resté cet, à Saint­Priest (Rhône). Elle dit jouer
wagons à cette heure­là. Aujourd’hui, ça scooters et les trottinettes. lice, soit trois fois moins que le 5 décem­ bloqué en tête pendant plus de deux son avenir. Pour elle comme pour de
se complique vraiment », observe Na­ Mais si du point de vue des usagers des bre. Les chiffres de Paris tombent plus heures, à cause de la foule et des violen­ nombreux jeunes, la lutte contre la ré­
dine, comptable dans une entreprise du transports publics, l’impact de la grève a tard : 31 000 selon le ministère de l’inté­ ces. Cette fois­ci, la tête du défilé arrive forme se confond avec la lutte contre la
13e arrondissement de Paris, qu’elle tente été aussi fort que le 5 décembre, la mobi­ rieur, 180 000 selon les syndicats. Au to­ déjà vers la gare Montparnasse, à quel­ précarité, un mois après la tentative
de rejoindre depuis Nogent­sur­Marne lisation dans la rue a décéléré, avec deux tal, toujours selon la Place Beauvau, ques centaines de mètres de l’arrivée, à d’immolation par le feu d’un étudiant de
(Val­de­Marne). A Fontenay­sous­Bois, la fois moins de monde que la semaine der­ 339 000 personnes ont défilé en France, 15 heures, soit une heure seulement Lyon­2 devant le centre régional des
station suivante, il faut jouer des coudes nière. Dans le carré de tête de la manifes­ mardi (885 000, selon les syndicats). après le départ. « Cette fois, on va à l’Ely­ œuvres universitaires et scolaires.
pour monter dans la rame ou bien rester tation parisienne, le secrétaire général de Mais si les cortèges sont moins peu­ sée, on va chercher Macron ! », lance
à quai. Le train suivant est annoncé une la CGT, Philippe Martinez, reconnaît que plés, la détermination semble intacte. A Franciella, une « gilet jaune » de 44 ans, à « On en a marre de perdre »
quinzaine de minutes plus tard. « Avec « dans un certain nombre d’endroits, c’est Paris, le défilé passe devant La Rotonde ses collègues de la Bibliothèque natio­ Partout en France, des écoles et des uni­
nos autocollants syndicaux et nos dra­ moins fort que le 5 décembre ». Mais « le où, en 2017, Emmanuel Macron avait fêté nale de France. Elle assure qu’elle « conti­ versités ont fermé. A Rennes­2, qui a
peaux, on ne se fait pas insulter ni cracher temps de préparation est moins long ; et la sa future victoire au soir du premier tour nuera jusqu’à ce que le mouvement s’am­ connu un blocage la semaine dernière, le
campus n’est ni bloqué ni fermé, mais la
journée a été « banalisée », l’ensemble des
enseignements et des examens y ont été
Face aux grèves, la cellule de crise parisienne sur tous les fronts suspendus. A Nanterre, la présidence a
annoncé un report de la semaine d’exa­
mens du 16 décembre, au 13 janvier, en
le lieu exact est en principe tenu se­ développement. Un agent est monté, et D’abord, la direction de la propreté même que dans les bibliothèques raison « de la situation exceptionnelle que
cret. Une grande salle sombre, dans un ça a calmé tout le monde. » est un des secteurs les plus syndiqués municipales. En revanche, nombre constituent les grèves nationales » et de
bâtiment voisin de l’Hôtel de ville. A Le réseau routier est lui aussi très en­ de la ville, et les grévistes y sont nom­ d’agents sont, là aussi, incapables de « l’incertitude sur leur durée ».
l’entrée, un panneau : « Cellule centrale combré. Le directeur de la voirie égrène breux : 26 % jeudi, 10 % mardi. Ensuite, venir. Ce mardi matin, 3 000 person­ Gare de l’Est, lors de l’assemblée géné­
de crise de la Ville de Paris ». C’est ici les premiers chiffres : « Le PC Lutèce in­ plus de la moitié des agents habite en nes manquent à l’appel dans les crè­ rale des cheminots, on relativise la plus
que, chaque matin depuis le début des dique une hausse de 8 % du nombre de banlieue et peine à rejoindre leur tra­ ches. La plupart ouvrent mais avec des faible mobilisation. Et on prévoit de re­
grèves, les responsables des grandes véhicules et une baisse de la vitesse de vail. Les encombrements compliquent horaires réduits. La Mairie a décidé un garder ensemble le discours du premier
administrations parisiennes se retrou­ 12 % par rapport à mardi [3 décembre], aussi les déplacements des engins de geste vis­à­vis des parents : pas de frais ministre, le lendemain. Ceux qui seraient
vent pour faire le point autour de Co­ signes d’une congestion importante. » nettoyage. Enfin, le conflit social blo­ de garde pour ceux qui choisissent de prêts à des compromis, comme le patron
lombe Brossel, l’adjointe chargée de la Michel Felkay reprend la parole. que un maillon­clé de la chaîne : les in­ ne pas mettre leur enfant à la crèche. de la CFDT­ Cheminots, sont sifflés. Le dé­
sécurité. Et, ce mardi 10 décembre, les cinérateurs d’ordures ménagères. Sur « En quatre jours, on en est déjà à 3 mil­ légué FO, la voix cassée : « On en a marre
informations qui remontent des servi­ « Situation critique » trois incinérateurs, « deux ne sont pas lions d’euros de recettes en moins, de perdre, ça fait vingt­cinq ans qu’on
ces ne sont guère encourageantes. Colombe Brossel passe le micro à Oli­ disponibles », lâche Olivier Fraisseix au alerte la responsable. On continue ? » perd. Cette fois, on peut gagner ! » Même
Premier point noir, les transports. vier Fraisseix, le directeur des services début de la réunion. Colombe Brossel Colombe Brossel opine : « J’ai interrogé détermination gare de Lyon, au bout des
Côté métro, seules les deux lignes de propreté. C’est l’autre point noir. intervient : « Nous avons bien demandé la maire, on continue. » quais. « On se sent très forts et, en face, on
automatiques fonctionnent. « Il y a « Ce matin, on a pu faire le travail », à la Préfecture d’intervenir pour déblo­ Alors que la séance s’achève, Olivier les sent fébriles », veut croire Daniel Teir­
aussi la 11 qui a roulé ce matin, mais ne explique­t­il. Jeudi 5 décembre, jour de quer ces sites ? » Réponse : « Oui, mais Fraisseix livre en direct une nouvelle lynck, délégué UNSA. « On va tenir, ajoute
sera pas rouverte cet après­midi », pré­ la première grande manifestation, une ces réquisitions n’ont pas été appli­ information : un des incinérateurs a le syndicaliste, on sait que ce n’est pas en
cise le représentant de la RATP, l’une poubelle sur trois n’avait pu être ra­ quées. » Conclusion du directeur : « At­ été débloqué par la police. « Mais les six jours que tout ça va se régler. 1995 n’a
des vingt personnes autour de la table. massée. A force de rajouter des tour­ tention, pour les ordures, la situation fosses sont pleines, donc il ne peut tou­ pas duré six jours. » A Paris, la manifesta­
Résultat, trams et bus sont saturés. Les nées l’après­midi, le soir, de mobiliser devient critique. Ce soir, on s’attend à un jours pas fonctionner », dit­il. « Alors il tion se termine, et la place Denfert­Ro­
gens s’énervent. « Hier, une violente al­ des bennes supplémentaires, le retard résiduel non ramassé important. » faut informer les Parisiens, et les inciter chereau se vide, quand tombe la nuit, il­
tercation a eu lieu dans un bus, rap­ a fini par être résorbé, dimanche ma­ C’est au tour des responsables des à jeter moins », conclut la responsable luminée par quelques fumigènes. 
porte Michel Felkay, le patron de l’em­ tin. Mais voici que les difficultés s’accu­ crèches et des écoles de parler. Peu de la communication.  solenn de royer,
bryon de police municipale en cours de mulent de nouveau. de grévistes dans ces domaines, de denis cosnard avec le service france
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 france | 11

Pour les enseignants, « la coupe est pleine »

La réforme des retraites joue comme un électrochoc sur les professeurs, reflétant un malaise plus profond

S
abine, Jean­Michel, San­
drine, Benjamin… Ils se
définissent désormais
comme « enseignants gré­
vistes », gommant, au fil de leurs
témoignages, les différences de ni­
veaux, de matières enseignées,
d’expérience, de rémunérations,
d’affectations. Et même leurs ap­
partenances syndicales – quand ils
en ont. Le 5 décembre, ils ont dé­
filé contre le projet de réforme des
retraites, de Paris à Rennes en pas­
sant par Dijon, et la plupart d’entre
eux ont « remis ça » mardi 10 dé­
cembre. Entre les deux dates, le
taux de mobilisation dans le
monde enseignant a baissé, pas­
sant de 45 %, en moyenne au ni­
veau national, à 16 %, selon le mi­
nistère de l’éducation, alors que les
syndicats annoncent des taux
beaucoup plus hauts.
Mais leur constat n’a pas varié : la
« confiance », maître mot de leur
ministre de tutelle, Jean­Michel
Blanquer, est, disent­ils, sinon
« rompue », du moins « sérieuse­
ment entamée ». « On est prof, on
sait lire, on sait compter, ironise
Dominique, qui enseigne en ma­
ternelle dans la Loire. Nous répéter
qu’avec la réforme des retraites, les
enseignants vont y gagner, c’est
nous prendre pour des imbéciles ! »
« Les assurances ministérielles fi­
nissent par être contre­productives,
réagit aussi Mathieu, professeur
en lycée près de Rennes. On nous
répète qu’on n’a rien compris, qu’on
est mal informé… Cela jette de
l’huile sur le feu. »
Invité de France Inter mardi,
Jean­Michel Blanquer a affirmé
que « s’il y avait le retrait de la ré­
forme » – une « hypothèse d’école
[qui] n’arrivera pas » –, les profes­
seurs en seraient les « principales
victimes », puisque, selon lui,
« tout un pan de la justification
[des hausses de primes] ne serait
plus là ». Dans une interview don­
née au Parisien le 5 décembre, le
ministre de l’éducation trouvait
« dommage de se mettre en grève
alors que la réforme aboutira à
une augmentation des rémunéra­
tions ». « La ficelle est un peu
grosse, estime Jean­Michel, ensei­
gnant de lycée mobilisé à Brest
(Finistère). L’excès de communica­
tion nuit à sa crédibilité. »
Si M. Blanquer a repris à son
compte l’estimation de 400 mil­
lions d’euros de revalorisation an­
nuelle des enseignants, donnée
par Bercy, il n’en a pas dit plus de
LA REVALORISATION  rents, soit 220 élèves. « Pour la
SALARIALE DE  première fois, j’ai distribué un
400 MILLIONS D’EUROS  n’avais pas le temps de corriger un
PAR AN PROMISE PAR  En Seine­Saint­Denis, l’émotion
LE GOUVERNEMENT  Renon, en septembre, dans l’en­
SUSCITE TOUS  ceinte de l’école maternelle qu’elle
LES DOUTES
l’impact qui pourrait en découler les violences aux abords des éta­ gne Jean­Michel, enseignant bres­ lumière au bout du tunnel, et ce qui
sur la feuille de paie. Pas encore : le blissements se succèdent. « Ici, AU COLLÈGE, « POUR  tois. C’est le « sentiment de faire se joue du côté du gouvernement
ministre de l’éducation devait c’est la synthèse de tout, résume LA RENTRÉE 2020,  corps », dit­il, de « faire groupe », génère autant de désillusion que de
s’exprimer dans le sillage du pre­ Marion, enseignante en collège à « de ne plus être seuls » qui, pour colère. » Dans son établissement,
mier ministre, mercredi 11 dé­ Aubervilliers. En début d’année, ON S’ATTEND DÉJÀ  lui, permet aujourd’hui au mou­ plus de la moitié des personnels
cembre. En attendant, les profes­ on avait écrit un slogan qui disait vement enseignant d’exister. « J’ai ont fait grève mardi 10 décembre
seurs ne cachent pas leurs doutes. “Suicide, violence, souffrance, À PLUS D’ÉLÈVES POUR  connu les mobilisations de 1995 et – autant que le jeudi 5. Une large
« Depuis quelques jours, les annon­ elle est où l’école de la con­ de 2003, raconte ce professeur che­ partie a aussi « débrayé » le ven­
ces concernent des enveloppes glo­ fiance ?” La réforme des retraites
MOINS D’ADULTES » vronné, je me sentais touché par dredi 6. « Au lycée, dit­il, beaucoup
bales, observe Raphaëlle, profes­ est arrivée par­dessus tout ça. Il y a MAUD une forme de lassitude sociale. Le de collègues ont le sentiment qu’ils
seure de SES à Paris. Si on voulait un effet cocktail… » enseignante de français réveil est salutaire… » Mais il est n’ont plus rien à perdre. Avec le nou­
vraiment augmenter les salaires, il Le constat, et ils le reconnais­ en Seine-Saint-Denis rude. « Beaucoup d’enseignants, veau bac, la disparition des filières,
suffirait de dégeler le point d’indice, sent, n’est pas tout à fait nouveau. proches de l’âge de la retraite, ont ils vivent trop de changements à la
au lieu d’ergoter sur qui va récupé­ « On l’a jusqu’à présent dénoncé à l’impression d’avoir tenu toute leur fois cette année. Les retraites, c’est
rer combien à partir de masses abs­ coups de pétitions, de lettres ouver­ carrière sans démériter, reprend la réforme de trop. » 
traites ! » Benjamin, professeur tes, d’interpellations… mais plus Mathieu, l’enseignant rennais. La mattea battaglia
des écoles dans le 18e arrondisse­ difficilement dans la rue », témoi­ retraite, pour eux, c’est un peu la et violaine morin
ment, est, lui aussi, pessimiste :
« On a l’habitude que les monta­
gnes accouchent de souris. »
Pour beaucoup, le projet de ré­
forme des retraites a joué comme
un « électrochoc », la « goutte
d’eau » révélant un malaise plus
profond. « De la maternelle au ly­
cée, la coupe est pleine, et elle finit
par déborder », résume Sabine, di­
rectrice à Pantin (Seine­Saint­De­
nis). A tous les niveaux de la scola­
rité – y compris en maternelle,
rendue obligatoire dès trois ans
par la loi Blanquer –, on a le senti­
ment que les difficultés « plafon­
nent », que les rythmes de travail
« s’emballent », que les tâches ad­
ministratives « empiètent » sur les
missions pédagogiques.
« Un effet cocktail »
« Les dédoublements promis en
grande section – sur le modèle des
“classes à 12” en CP et en CE1 en
éducation prioritaire – c’est très
beau sur le papier, observe Domi­
nique, l’enseignante de mater­
nelle. Mais c’est aussi très compli­
qué à mettre en œuvre sans
moyens et sans locaux supplé­
mentaires », souligne­t­elle, en
expliquant redouter « l’envol des
effectifs » à la rentrée prochaine.
Même pronostic au collège : « On
s’apprête à recevoir la répartition
des moyens d’enseignement pour
la rentrée 2020, et on s’attend
déjà à plus d’élèves pour moins
d’adultes », avance Maud, ensei­
gnante de français à Saint­Denis
(Seine­Saint­Denis).
Au lycée, dans le Val­d’Oise, Flo­
rent voit lui aussi les « classes
gonfler » : « On a commencé à
30 élèves par division, ça fait déjà
beaucoup en éducation priori­
taire. Mais après un trimestre, on
monte dans certaines à 33 ou à
34 élèves. » Avec le jeu des nouvel­
les spécialités au lycée, Raphaëlle,
l’enseignante parisienne, s’est re­
trouvée avec six groupes diffé­
QCM aux élèves de 2de, parce que je
devoir plus construit. »
suscitée par le suicide de Christine
dirigeait à Pantin, n’est pas retom­
bée. Dans ce même département,

Sites pétroliers : la menace de la CGT

Le blocage des raffineries de pétrole et des dépôts de carburants
est une arme souvent utilisée. La centrale assurait, mardi 10 dé-
cembre, empêcher la sortie de gazole, d’essence et de fioul de
sept des huit sites français de raffinage, donc cinq appartiennent
à Total. Emmanuel Lépine, secrétaire fédéral de la CGT Chimie,
voit dans cette mobilisation du privé un démenti à « la communi-
cation du gouvernement, qui veut faire croire que seuls les salariés
des régimes spéciaux sont mobilisés ». « Toutes les raffineries pro-
duisent normalement, et la distribution est assurée », dit, de son
côté, Francis Duseux, président de l’Union française des indus-
tries pétrolières. S’il y a bien des difficultés d’approvisionnement
dans 2,6 % des stations-service, ajoute-t-il, « c’est dû aux automo-
bilistes qui font le plein par peur de la pénurie ».

12 | france
Un mois après le séisme, Le Teil panse ses plaies
Le coût global de la reconstruction de la commune ardéchoise est estimé entre 45 et 50 millions d’euros
REPORTAGE
le teil (ardèche) ­ envoyée spéciale
U
n guéridon, un ta­
bleau, un broc de toi­
lette en porcelaine…
Des ruines d’une bâ­
tisse ancienne en pierres du
Rhône émerge une femme équi­
pée d’un casque et escortée par les
sapeurs­pompiers. Bouleversée,
elle a fourré pêle­mêle quelques
souvenirs dans des cabas. Avec sa
charpente effondrée, ses pignons
arrachés et ses murs aux trous
béants, sa maison du hameau de
La Rouvière, posée à flanc de col­
line au milieu des vignes, sur la
commune du Teil (Ardèche), sem­
ble avoir essuyé un bombarde­
ment. En aval, sur toutes les portes
de celles de Mélas – le cœur histori­
que du Teil, obstrué par des tas de
pierres et de gravats – sont placar­
dés des arrêtés municipaux de pé­
ril et des panonceaux sur lesquels
les habitants ont griffonné à la
hâte leur numéro de téléphone
mobile avant de déserter. Les gen­
darmes patrouillent en nombre
pour assurer la sécurité et réguler
la circulation.
Un mois après le séisme de ma­
gnitude 5,4 qui a ébranlé durant
une poignée de secondes une par­
tie des départements de l’Ardèche
et de la Drôme, le 11 novembre à
11 h 52, et n’a miraculeusement
causé que des dommages maté­
riels, Le Teil, 8 770 âmes, panse ses
plaies. Le ruban de balisage rouge
et blanc et les barrières bloquant
l’accès à des quartiers entiers don­
nent à cette commune paisible
l’air d’un chantier pharaonique.
Certaines maisons sont détruites
et d’autres devront être rasées
dans cette ville qui concentre 80 %
des dégâts enregistrés sur les neuf
communes – cinq en Ardèche et
quatre dans la Drôme – reconnues
en état de catastrophe naturelle.
Passée la phase de l’étaiement
des édifices et du relogement d’ur­
gence, il faut s’attaquer à la recons­
truction. Et Olivier Pévérelli, maire
PS du Teil depuis 2008, sait qu’elle
excédera la durée de son prochain
mandat, s’il est réélu en
mars 2020. « Toutes les construc­
tions antérieures aux années 1960­
1970 qui n’étaient donc pas aux
normes parasismiques ont été tou­
chées, explique l’élu aux yeux cer­
nés par le manque de sommeil. Le
Teil était une ville attractive qui ga­
gnait 150 habitants par an,
aujourd’hui, tout est à l’arrêt. Il va
Municipales à Paris : la singulière bataille du 15e arrondissement
Le maire Les Républicains sortant, Philippe Goujon, pourrait conduire une liste d’ouverture contre une liste estampillée LR
U ne drôle de bataille se
joue dans le 15e, le plus
grand de tous les arron­
dissements parisiens, avec plus de
230 000 habitants à lui seul. Dans
cette partie résidentielle et com­
merçante de la capitale, autour
des quartiers de Grenelle et Vaugi­
rard, le suspense électoral paraît
assez limité : à près de trois mois
du premier tour des municipales,
le maire (Les Républicains) sortant
Philippe Goujon semble en excel­
lente position pour obtenir un
dernier mandat. Dans tous les
sondages, cette figure de la droite
parisienne devance nettement les
autres candidats. « C’est certain, il
part favori », admet son concur­
rent Gaspard Gantzer, ancien con­
seiller de François Hollande.
Symptôme de la recomposition
à l’œuvre depuis l’arrivée d’Emma­
nuel Macron, l’étiquette sous la­
quelle Philippe Goujon se lancera
reste floue ; la personnalité qu’il
soutiendra pour la Mairie plus en­
core. Ce pourrait être Rachida Dati,
la candidate de LR, mais aussi un
Une maison du Teil (Ardèche) au lendemain du séisme, le 12 novembre. JEFF PACHOUD/AFP
falloir faire de cette catastrophe
une opportunité pour repenser en­
tièrement l’urbanisme local. »
Deux mille six cents personnes
ont déclaré des sinistres et 751 ha­
bitations font l’objet d’un arrêté
de péril. Mairie, églises, écoles…
Les bâtiments publics sont égale­
ment concernés et 60 entreprises,
commerces et artisanats subis­
sent un impact économique. La
RN102, axe essentiel qui relie
Montélimar au Puy­en­Velay
(Haure­Loire) via Le Teil et par le­
quel transitent d’ordinaire quoti­
diennement 16 000 véhicules
dont plus de 2 000 poids lourds,
est fermée sur toute la traversée
de Mélas, dont une vingtaine de
façades menacent de s’effondrer.
Le coût de reconstruction est es­
timé entre 45 et 50 millions
d’euros. L’Etat et le département
ont débloqué des fonds d’ur­
gence, mais les besoins sont d’une
autre ampleur, et M. Pévérelli
craint une âpre bataille avec les as­
surances. « Il faut voir ce qu’elles
vont considérer comme habitable
des trois macronistes en lice : Pier­
re­Yves Bournazel, Benjamin Gri­
veaux, voire Cédric Villani.
Un choix important, dans la me­
sure où le 15e est l’arrondissement
qui envoie le plus d’élus au Conseil
de Paris. Pour peu que le prochain
conseil soit éparpillé, les voix du
futur maire du 15e et de son équipe
pourraient peser lourd au mo­
ment de l’élection de celui ou celle
qui succédera à Anne Hidalgo à
l’Hôtel de Ville. Si bien qu’en cou­
lisses, de subtiles manœuvres ont
lieu autour de cet homme clé.
« Il fera ce qu’il voudra »
Dernière en date : le parti LR a
commandé à l’IFOP un sondage
confidentiel portant spécifique­
ment sur le 15e et le 17e. Deux ar­
rondissements où la droite dis­
pose d’une base solide, mais dont
les maires LR ont des désaccords
avec Rachida Dati, la candidate in­
vestie pour la Mairie de Paris.
Dans le cas du 15e, le résultat est
marquant, selon les données qui
ont commencé à circuler lundi
ou pas, dit­il. Même imperceptible­
ment, les bâtiments bougent en­
core. Ceux qui sont toujours de­
bout sont souvent accolés à
d’autres, détruits ou qui devront
l’être ». Selon lui, le danger est que
des propriétaires « démarrent des
travaux très vite » sans tenir
compte de l’état des maisons voi­
sines. « Il faut faire du sur­me­
sure tout en réfléchissant collecti­
vement », estime l’élu. Les dégâts
interdisent actuellement l’accès à
leur logement à 1 300 personnes.
Déboussolés
Trois campings ont rouvert pour
accueillir celles qui ont épuisé le
nombre de nuitées d’hôtel payées
par les assurances ou l’hospitalité
de leurs proches. Mais le
10 mars 2020, ces unités se remet­
tront en ordre de marche pour la
saison touristique. Le camping Le
Pommier de Villeneuve­de­Berg, à
une demi­heure de route du Teil, a
mis à disposition une trentaine de
mobile homes où Jean­Pierre et
Maryse Lacroux ont trouvé refuge,
9 décembre. Si Philippe Goujon
finit par s’entendre avec son parti
et prend la tête d’une liste estam­
pillée « LR, centristes et divers
droite », il rafle 42 % des inten­
tions de vote au premier tour.
Celle d’Europe Ecologie­Les Verts,
conduite par Aminata Niakate, en
deuxième position, récolte 15 %
des intentions.
Si les tensions avec Rachida Dati
sont telles que Philippe Goujon
mène une liste indépendante, et
que LR présente un candidat face
à lui, le maire sortant reste en
Anne Hidalgo,
qui s’était
présentée dans
le 15e en 2014,
a prudemment
choisi d’aller dans
un arrondissement
plus à gauche
déboussolés. « On est d’abord res­
tés chez nous car, à part des fissu­
res, notre maison, quasi centenaire,
était habitable », raconte Jean­
Pierre, 74 ans. C’était en tout cas
l’avis de l’expert de sa compagnie
d’assurances passé le surlende­
main du séisme avant que la com­
mune leur demande, dix jours
plus tard, de vider les lieux pour
leur sécurité. Le couple croise les
doigts pour qu’une nouvelle ex­
pertise, prévue le 12 décembre, les
autorise à réintégrer leurs pénates.
« Ici, on est très bien accueillis, as­
sure Maryse d’une voix étranglée,
mais on voudrait des dates, savoir
quand on pourra rentrer. »
Maryse et Jean­Pierre sont des
« lafargistes », comme on désigne
les nombreux employés ou ex­
employés du cimentier Lafarge –
devenu LafargeHolcim – dont le
berceau historique se trouve à
l’entrée sud du Teil. Si d’autres
Teillois ont pu le croire, le couple
n’imagine pas un instant que le
séisme, qui les a chassés de l’an­
cienne cité ouvrière où ils sont de­
tête, avec 32 % des intentions de
vote sur son seul nom. Selon les
proches de Rachida Dati, cette en­
quête montre que Philippe Gou­
jon a tout intérêt à obtenir l’appui
de LR, pour écraser la concur­
rence dès le premier tour. Un allié
du maire a une tout autre lecture :
« Goujon est en position de force, il
fera ce qu’il voudra. »
A ce stade, l’intéressé joue la
carte de l’élu local. « Je suis le candi­
dat du 15e, professe­t­il. Je me bats à
fond pour cet arrondissement, en
menant une politique modérée,
ouverte. » Il serait ravi d’obtenir le
soutien de LR, le parti auquel il est
fidèle depuis tant d’années
– en 1983, ce jeune RPR était le
benjamin du Conseil de Paris.
Pour autant, il ne veut pas se limi­
ter à cette étiquette. « Pour réussir
l’alternance à Paris, il faut s’allier »,
martèle­t­il. Il préconise un accord
avec les macronistes, un projet qui
l’oppose à Rachida Dati. L’an­
cienne garde des sceaux souhaite,
elle, présenter dans tous les arron­
dissements des listes clairement
venus propriétaires à la retraite,
puisse être lié aux tirs opérés dans
la carrière souterraine exploitée
depuis 1833. Bien que la faille dite
de La Rouvière – sur laquelle se
trouve Le Teil – soit connue, la
puissance du séisme du 11 no­
vembre – rare en France métropo­
litaine –, la faible profondeur de
son foyer situé entre 0 et 3 km, et
la quasi­absence de répliques, in­
terroge néanmoins le CNRS.
Pour « mieux comprendre » ses
origines, l’organisme de recherche
a mandaté un groupe d’experts
composé de sismologues, géolo­
gues, géophysiciens et modélisa­
teurs. « Alors que le mécanisme de
la rupture semble compatible avec
la tectonique locale et le système de
failles des Cévennes, il pourrait être
accompagné d’autres mécanismes
liés aux effets environnementaux
et/ou anthropiques », a­t­il indi­
qué, le 21 novembre.
« L’hypothèse d’une interaction
entre ce séisme naturel et la pré­
sence d’une excavation comme la
carrière de 30 m de profondeur sur
LR. Quitte à se retrouver en com­
pétition avec certains maires sor­
tants LR. Dans une lettre adressée
début décembre aux dirigeants
du parti, elle propose ainsi que,
face à Philippe Goujon, LR dispose
de sa propre liste dans le 15e,
menée par François Digard, un
des responsables de Sens com­
mun, le mouvement né en 2013 de
l’opposition à la loi autorisant le
mariage homosexuel.
« Révolution intellectuelle »
« C’est de la folie ! juge un élu LR
fidèle à Philippe Goujon. Dans
cet arrondissement, notre électo­
rat est séduit par Macron, pas par
la droite Trocadéro de Sens com­
mun. » En 2013, Philippe Goujon
avait, lui aussi, marqué son oppo­
sition au mariage homosexuel,
et défilé en tête de La Manif pour
tous. Mais l’homme ne se ré­
sume pas à l’image d’un vieux
baron conservateur, assurent ses
proches. « Depuis deux ans, il a
fait sa révolution intellectuelle,
plaide Jean­Baptiste Menguy, un
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Les dégâts
interdisent
actuellement
l’accès à leur
logement à
1 300 personnes
un km2 de LafargeHolcim, posi­
tionnée juste au­dessus de la faille,
est à considérer sérieusement »,
explique au Monde Christophe
Voisin, sismologue CNRS à l’Insti­
tut des sciences de la terre, à Gre­
noble. Le chercheur a installé
dans la zone plusieurs dizaines de
capteurs sismiques supplémen­
taires afin de mieux étudier les ré­
pliques, les effets de site et la ré­
ponse des bâtiments.
Territoire « modéré »
Selon le zonage sismique de la
France en vigueur depuis le
1er mai 2011, le Teil se trouve en ter­
ritoire « modéré ». « Le risque sis­
mique y est donc réel, même s’il est
relativement faible, et la survenue
d’un séisme de magnitude 5 n’est
pas une surprise », décrypte Phi­
lippe­Hervé Leloup, chercheur
CNRS au laboratoire de géologie
de Lyon, qui fait également partie
du groupe d’experts.
Selon lui, ce risque « doit être, et
est déjà en partie, pris en compte
par les autorités », mais son éva­
luation précise est complexe « car
les déformations [mouvements]
sont globalement très lentes ce qui
rend les séismes rares ». Comme le
rappelle M. Leloup, le temps d’ob­
servation historique, qui est plus
ou moins exhaustif « seulement
depuis environ 1 300 », et celui
d’observation à l’aide d’instru­
ments fiables, « depuis 1960 », est
« très court par rapport aux échel­
les de temps des phénomènes géo­
logiques qui se mesurent en dizai­
nes voire centaines de milliers
d’années ». D’où l’intérêt d’étudier
les failles sur de plus longues
échelles de temps…
Dans un communiqué, Larfage­
Holcim indique ne pas pouvoir
porter un avis sur « l’existence
d’un lien éventuel entre ses opéra­
tions et le séisme » en l’état actuel
de ses connaissances. Elle dit se
tenir « à la disposition des scienti­
fiques » dont les premières obser­
vations sont attendues dans les
jours prochains. 
patricia jolly
conseiller de Paris qui le sou­
tient. L’environnement a pris de
l’ampleur dans son projet, il s’est
emparé des questions liées à l’ali­
mentation saine, aux cantines et
à la démocratie participative. »
Le parti doit­il soutenir une liste
de rassemblement ou jouer une
carte 100 % LR ? A la commission
d’investiture de trancher. La déci­
sion, déjà retardée, est attendue
dans les prochaines semaines.
Pour la plupart, les autres candi­
dats risquent de faire de la figura­
tion. Anne Hidalgo, qui s’était pré­
sentée dans le 15e en 2014, a pru­
demment choisi d’aller, cette
fois­ci, dans un arrondissement
plus à gauche, a priori le 11e.
A 65 ans, Philippe Goujon est
confiant. En octobre, il a participé
au semi­marathon de Paris, his­
toire de prouver qu’il reste en
pleine forme. A la fin, il suffoquait
sous le soleil. « Plus on approche
du but, plus c’est dur, philosophe­
t­il. Mais j’aime bien les épreuves
d’endurance. » 
denis cosnard
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Violences
conjugales:
la levée du secret
médical divise
Les tractations se poursuivent
pour trouver un consensus
sur cette mesure issue du Grenelle
N
ous devons, lorsque
cela peut sauver des
vies, offrir la possibi­
lité aux médecins de
déroger au secret médical. »
Parmi les mesures annoncées
par le gouvernement à l’issue du
Grenelle contre les violences
conjugales, le 25 novembre, celle
qui consiste à déroger au secret
professionnel en cas de violences
au sein du couple est la plus
controversée.
« Il y a un tabou autour du secret
médical. C’est un sujet complexe.
Les débats ont été très difficiles
jusqu’ici, et vont l’être encore », re­
connaît­on dans l’entourage de
la ministre des solidarités et de la
santé, Agnès Buzyn. Le sujet doit
être débattu au sein de l’ordre des
médecins, qui se réunit les 12 et
13 décembre.
Quelque 220 000 femmes sont
victimes chaque année de violen­
ces conjugales, mais moins d’une
sur cinq porte plainte. La mesure
proposée, reprise dans une pro­
position de loi des députés (La Ré­
publique en marche, LRM)
Guillaume Gouffier­Cha (Val­de­
Marne) et Bérangère Couillard
(Gironde), vise donc à mieux re­
pérer ces violences en permet­
tant aux médecins et profession­
nels de santé de faire un signale­
ment au procureur de la Républi­
que, sans l’accord de la victime,
lorsqu’elle est sous l’emprise de
son partenaire. Elle viendrait
s’ajouter aux dérogations au se­
cret médical qui existent déjà
dans la loi concernant les mi­
neurs et les personnes vulnéra­
bles, définies comme n’étant
« pas en mesure de se protéger en
raison de [leur] âge ou de [leur] in­
capacité physique ou psychique ».
Face à l’hostilité d’une partie
des professionnels de santé, qui
redoutent de devenir des « auxi­
liaires de justice », les tractations
se poursuivent avec les autorités
Robert Riblet, une vigie citoyenne contre la Française des jeux
L’ancien ingénieur, qui avait révélé les dessous du mécanisme des jeux à gratter, souhaite cette fois dénoncer leur inégalité sociale
L e « cauchemar de la Fran­
çaise des Jeux », comme
l’avait baptisé Libération
en 2008, est de retour. A 73 ans, Ro­
bert Riblet relance son combat
contre les jeux de grattage alors
que l’entreprise, quatrième opéra­
teur de loterie mondial avec
15,1 milliards d’euros de mises en­
registrées en 2017, est en voie
d’être privatisée. Désormais asso­
cié au syndicat issu des « gilets
jaunes » Les Constructifs, M. Ri­
blet est venu dans plusieurs réu­
nions du mouvement pour dé­
monter les mécanismes de la
Française des jeux, à qui il s’ap­
prête à adresser des courriers de
mise en demeure.
A la fin des années 2000, cet ex­
ingénieur avait mis l’opérateur
dans l’embarras en révélant que
les jeux de grattage (Millionnaire,
Banco, Astro et autres, qui repré­
sentent près de la moitié des mises
totales auprès de la FDJ) n’étaient
pas vraiment des jeux de hasard :
la FDJ vendait ses produits par « li­
pour parvenir à un consensus.
Après une entrevue avec la secré­
taire d’Etat à l’égalité entre les
femmes et les hommes, Marlène
Schiappa, le président du conseil
national de l’ordre des médecins,
Patrick Bouet, a rencontré la mi­
nistre de la santé mardi 10 dé­
cembre afin de préciser les
contours du texte. « On bouscule
les habitudes, concède M. Gouf­
fier­Cha. Cette mesure n’est pour­
tant pas sortie de nulle part, c’est
remonté du terrain. On a ren­
contré plus de 500 personnes,
dont beaucoup de médecins, qui
disaient constater des violences
sans pouvoir les signaler. »
« Fausse bonne idée »
Plusieurs questions cristallisent
les inquiétudes. La dénonciation
des violences sera­t­elle une obli­
gation ou une simple possibi­
lité ? Se fera­t­elle en cas de dan­
ger immédiat ou pas unique­
ment ? La victime sera­t­elle pré­
venue ? Si oui, avant ou après le
signalement au procureur ? Tou­
tes les pistes sont encore à
l’étude, même si une obligation
semble écartée, et l’information
de la victime privilégiée.
De nombreux professionnels
de santé dénoncent une « fausse
bonne idée ». Ils redoutent d’être
sanctionnés au cas où ils seraient
accusés d’avoir surinterprété des
signaux, ou que le conjoint re­
double de violences s’il apprend
avoir été dénoncé, mais aussi – et
surtout – de briser le lien de
confiance avec leurs patients,
avec le risque que les victimes
n’osent plus parler, ni revenir en
consultation.
Cette crainte n’est pas infon­
dée, à en croire Sarah (les pré­
noms ont été changés), une vic­
time de violences conjugales sui­
vie au centre hospitalier inter­
communal Robert­Ballanger,
à Aulnay­sous­Bois (Seine­Saint­
vrets » de 50 tickets. Mais alors
qu’ils auraient dû, comme la loi
l’imposait, présenter un nombre
aléatoire de lots, ce n’était pas le
cas : en réalité, chacun contenait
un nombre fixe de « lots significa­
tifs » (supérieurs à 10 euros). Une
fois ces lots trouvés, on a donc l’as­
surance que le reste du carnet ne
contiendra rien d’intéressant. Le
carnet continuera pourtant d’être
vendu, provoquant une « rupture
d’égalité entre les joueurs ». Sans
compter les buralistes peu scrupu­
leux qui, au courant du dispositif,
mettaient de côté les fins de carnet
si ceux­ci n’avaient donné que des
petits lots, sachant qu’un plus gros
gain était à coup sûr présent dans
les tickets restants.
Ce système est destiné à « assu­
rer une répartition homogène » et
pratiqué par « la plupart des lote­
ries du monde », assure
aujourd’hui l’opérateur. Les révé­
lations de M. Riblet lui ont valu
une longue bataille judiciaire con­
tre la Française des jeux. S’il a
Denis). « Le médecin, c’est un re­
père, explique­t­elle. Si je ne me
sens plus en confiance, je n’irai
plus le voir. J’aurais peur qu’il
parle. Un bon médecin va plutôt
nous conseiller d’aller voir des
personnes qui peuvent nous
aider, nous donner des numéros à
appeler. » Quand elle a accepté de
parler, il y a quelques années,
c’est parce qu’elle a « senti que
c’était le moment, raconte­t­elle.
Avant je n’aurais pas pu. »
D’autres victimes auraient sou­
haité que leur médecin leur pose
des questions. Inès, battue par
son ex­mari mais longtemps ter­
rifiée à l’idée d’en parler, était
choquée que personne ne lui de­
mande d’où venaient ses bleus
sur le ventre et les bras lors des
rendez­vous médicaux pour sa
grossesse. « Le gynécologue et le
médecin les ont vus, mais ils fai­
saient comme si de rien n’était »,
confie­t­elle.
Cette situation est souvent dif­
ficile à gérer pour les profession­
nels de santé. « Le principal obsta­
cle, c’est le frein que le médecin se
met, explique Yannick Schmitt,
médecin généraliste à Lin­
golsheim (Bas­Rhin) et ancien
président du syndicat des jeunes
médecins généralistes d’Alsace. Il
peut avoir peur d’en parler, et ne
pas trop savoir quoi en faire
après. Comment l’aborder ? Que
faire de cette parole ? »
Certains jeux
à gratter bien
plus chers que le
Morpion offrent
un rendement
bien meilleur,
avec 57 % de lots
significatifs
perdu la plupart des procédures,
l’opérateur a depuis ajouté à ses
tickets la mention « au moment de
votre achat, certains lots ont peut­
être déjà été remportés ». Dans les
réunions de « gilets jaunes »,
M. Riblet prend désormais le pro­
blème dans l’autre sens, celui des
« petits gains ». Il entend dénoncer
l’inégalité sociale qui prélude se­
lon lui aux jeux de grattage.
Partant des tableaux de gains de
ces jeux, publiés au Journal officiel,
M. Riblet se concentre sur ce qu’on
S’il estime crucial de poser des
questions pour dépister les vio­
lences, il est toutefois opposé à la
mesure, redoutant de perdre la
confiance des patients et que les
signalements aux procureurs ne
soient pas suivis d’effets.
« On sait que bien souvent les
plaintes ne sont pas prises, les en­
quêtes mal menées et, au final,
souvent classées sans suite », ob­
serve­t­il. De fait, sur l’ensemble
des plaintes déposées pour ho­
micides ou tentatives d’homici­
des conjugaux entre 2015 et 2016,
80 % ont été classées sans suite
après avoir été transmises au
parquet, selon un rapport de
l’inspection générale de la justice
publié en novembre.
Des victimes « reconnaissantes »
« Ce qui pèche le plus, c’est la prise
en compte des plaintes et de la pa­
role des victimes, rappelle Emma­
nuelle Piet, médecin, présidente
du Collectif féministe contre le
viol et membre du Haut Conseil
à l’égalité entre les femmes et les
hommes. Alors avant de révéler
des violences pour des femmes
qui ne le veulent pas, commen­
çons par protéger celles qui les si­
gnalent volontairement ! »
Plutôt que de parler à leur
place, beaucoup insistent sur la
nécessité de convaincre les victi­
mes de le faire elles­mêmes. « Si­
non, elles vont nier les violences
nomme dans le jargon des jeux
d’argents les « gleps » (guaranteed
low end prize structure, en français
« gain minimum garanti »). Ces
« petits lots » d’un montant pro­
che ou légèrement supérieur à ce­
lui du ticket à gratter, peuvent
constituer la quasi intégralité des
lots offerts. Ainsi, dans le cas du
Morpion, un jeu d’un coût de
50 centimes d’euro mis en place
en 2018, on ne compte que trois
lots de 500 euros pour une série de
341 353 tickets. Les joueurs ne dis­
posent donc plus de la même
chance si les trois lots importants
ont déjà été trouvés, ce qu’ils ne
peuvent savoir à l’avance.
« Plus de transparence »
Surtout, la proportion entre lots
« significatifs » et « petits lots » est,
d’après le tableau des gains, de
99,99912 % de « gleps » de moins
de 10 euros pour 0,00087 % de lots
d’une valeur supérieure à 10 euros.
Or, lorsqu’il obtient un petit gain
correspondant aux prix de son tic­
« Le médecin,
c’est un repère.
Si je ne me sens
plus en
confiance,
je n’irai plus
le voir »
SARAH
victime de violences
conjugales
devant les policiers ou le procu­
reur et là on aura tout faux », as­
sure Marie Le Bars, médecin gé­
néraliste à Lyon.
L’expérience de certains prati­
ciens montre toutefois qu’un si­
gnalement au procureur sans
l’accord des victimes peut par­
fois les aider. La psychiatre Li­
liane Daligand, docteure en mé­
decine et en droit et présidente
de l’association VIFF­SOS Fem­
mes, qui accompagne des victi­
mes de violences conjugales, af­
firme ainsi avoir déjà alerté à plu­
sieurs reprises le procureur lors­
qu’elle travaillait aux urgences
de l’hôpital Lyon­Sud.
Elle s’était appuyée sur la déro­
gation au secret médical pour les
personnes vulnérables. « Ces fem­
mes étaient très reconnaissantes,
parce que je les avais sorties d’une
ket, un joueur va en général en re­
prendre un nouveau, et jouer jus­
qu’à ce qu’il perde.
La Française des jeux, qui se dit
incapable de fournir une statisti­
que sur ce phénomène, l’utilisait
pourtant comme argument de
vente dans sa communication à
l’égard des buralistes : « L’expé­
rience des jeux instantanés montre
que [ces] lots (…) font presque tou­
jours l’objet d’un réemploi immé­
diat sur le point de vente », écrivait
ainsi l’opérateur dans une pla­
quette publicitaire des années
1990, sous le titre explicite : « Le
gagnant, c’est vous ! »
C’est une « martingale », estime
M. Riblet, qui y voit une incitation
à la dépendance, mais surtout une
inégalité sociale entre « jeux de
pauvres » et jeux « de riches ». De
fait, d’autres jeux à gratter bien
plus chers, comme le Million­
naire, dont le ticket coûte 10 euros,
offrent un rendement bien
meilleur, avec 57 % de lots signifi­
catifs. Le paroxysme est atteint
france | 13
situation inextricable, où elles
étaient isolées, sous emprise, et
persuadées que personne ne vien­
drait les aider, se souvient­elle.
Cela les avait aussi soulagées de
toute culpabilité vis­à­vis de leur
mari, puisque ce ne sont pas elles
qui avaient porté plainte. » Elle
juge toutefois inutile la création
d’une nouvelle dérogation : « Le
texte de loi existe déjà et il est très
bien fait, appliquons­le. »
Les dérogations au secret médi­
cal restent toutefois « peu utili­
sées », constate le juriste Patrick
Mistretta, spécialiste du droit pé­
nal médical. A ses yeux, une nou­
velle dérogation visant spécifi­
quement les violences conjuga­
les ne serait donc qu’une « réfor­
mette » dont la portée serait
avant tout « symbolique ». « Les
médecins s’en saisiront peu, pro­
nostique­t­il. C’est beaucoup de
bruit pour pas grand­chose. »
Une critique balayée par les dé­
fenseurs du texte, qui insistent
sur le caractère « complémen­
taire » de cette mesure avec les
autres. « On comprend les réticen­
ces, mais cela peut aussi sauver
des vies ! », plaide­t­on dans l’en­
tourage de la ministre de la santé.
Les auditions pour la proposi­
tion de loi doivent débuter à l’As­
semblée nationale à partir du
mois de janvier. 
jérémie lamothe
et faustine vincent
avec le jeu de grattage créé en
marge du Loto du patrimoine, mis
en place pour financer la rénova­
tion du patrimoine français, qui
n’offre que des gains supérieurs à
20 euros. Mais pour un prix de tic­
ket bien plus élevé au départ,
15 euros.
« Le joueur plus aisé (…) est quel­
qu’un qui a de bons revenus, qui
sait compter et aussi se défendre »,
assure M. Riblet. « C’est un peu cari­
catural », répond la FDJ, qui évo­
que la volonté d’avoir « une large
base de clients » en proposant des
gammes de prix divers. Désireux
de dénoncer ce « braconnage des
plus pauvres », contraire selon lui à
la mission de la FDJ qui doit offi­
ciellement lutter contre l’addic­
tion à ses produits, M. Riblet et les
« gilets jaunes constructifs »
comptent interpeller la Française
des jeux pour lui demander « plus
de transparence » et des efforts
pour limiter l’exposition des mi­
neurs à ces jeux de grattage. 
samuel laurent

14 | france
Devant les juges, Bayrou a dénoncé « l’arbitraire »
Le Parlement européen estime que le MoDem a détourné près d’un million d’euros dans l’affaire des assistants
A
près les multiples mi­ Les cas de plusieurs autres con­
ses en examen pour trats d’assistants, dont celui de
détournement de Karine Aouadj, une collabora­
fonds publics, l’addi­ trice de la vice­présidente du
tion. Dans une note du 26 novem­ parti, Marielle de Sarnez, sont à
bre transmise aux juges d’instruc­ l’étude.
tion français, chargés de l’enquête Interrogé par les magistrats sur
sur les assistants parlementaires ce montant de près de 1 million
européens du MoDem, le Parle­ d’euros, vendredi 6 décembre, au
ment européen a dressé le compte cours de son interrogatoire de
provisoire des sommes que le première comparution, qui s’était
parti centriste pourrait avoir à lui clos dans la soirée sur la notifica­
rembourser. tion de sa mise en examen pour
Il évalue à ce jour son préjudice détournement de fonds publics,
à 963 807 euros. Une somme qui le président du MoDem, François
concerne pour l’instant les Bayrou, s’est d’abord montré iro­
contrats de six assistants parle­ nique. « Seulement ? », a­t­il réagi
mentaires européens du Mo­ avant de s’en prendre à la procé­
Dem, parmi lesquels celui de Mat­ dure du Parlement européen.
thieu Lamarre, l’un des premiers « Il se trouve qu’il y a des recours
à avoir dénoncé à la justice le ca­ au Parlement européen. Là, on est
ractère fictif de son emploi dans une situation arbitraire, non
auprès de l’eurodéputé MoDem contradictoire, ce qui est une at­
Jean­Luc Bennahmias, ou encore teinte à tous les principes juridi­
le contrat de Stéphane Thérou, ques auxquels nous sommes atta­
ancien assistant de l’ex­eurodé­ chés. Evalué sur quelle base ? Moi, je
putée Sylvie Goulard. connais le fonctionnement du Par­
La somme pourrait augmenter lement européen. Si on doit analy­
dans les semaines qui viennent. ser le travail de chacun des assis­
tants des députés européens, on va
avoir des surprises », a­t­il dit.
LES DATES Dix heures d’audition
Des arguments balayés par la juge :
« D’une part, il ne s’agit pas d’un ju­
gement ni d’une condamnation, et
2017 d’autre part c’est contradictoire
9 juin Le parquet de Paris puisque le député européen est mis
ouvre une enquête pour « abus en demeure de présenter dans les
de confiance et recel » visant délais de moins d’un mois comme
le MoDem. l’a rappelé Mme Goulard, les justifi­
20 juin Sylvie Goulard, ministre catifs de son travail avec son assis­
des armées, annonce tant local payé par les fonds euro­
son départ du gouvernement. péens. » Le président du parti cen­
21 juin François Bayrou, ministre triste a précisé ensuite, à la de­
de la justice, et Marielle de Sar- mande des magistrats, qu’il ne
nez, ministre chargée des affaires contestait pas qu’il y ait des
européennes, démissionnent. contrôles, mais « la manière dont
19 juillet Une information judi- [ils] sont faits ». « Je conteste le fait
ciaire est ouverte pour « abus qu’il y ait un jugement sans procé­
de confiance, recel d’abus dure contradictoire qui va frapper
de confiance et escroqueries ». lourdement des parlementaires
européens, alors qu’aucune des rè­
gles de droit n’a été respectée. Nor­
16 NOVEMBRE 2019 malement, dans la déclaration
Alexandre Nardella, directeur européenne, il y a tout ça ! »
financier du parti, est mis en Lors de son audition par les ju­
cause pour « complicité de dé- ges, qui a duré plus de dix heures,
tournement de fonds publics ». M. Bayrou a nié que le MoDem ait
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François Bayrou, président du MoDem, à Paris, en décembre 2017. PHILIPPE LOPEZ/AFP
pu imposer à certains eurodépu­
tés leurs assistants parlementai­
res. « Les eurodéputés choisissaient
eux­mêmes leurs collaborateurs,
même si on pouvait leur suggérer,
c’est la moindre des choses, a­t­il
dit. C’est mieux d’avoir un assistant
qui partage vos idées et vos engage­
ments plutôt que le contraire. » « Je
déteste les députés européens qui
sont élus en France et “se cassent” à
Bruxelles, a­t­il également assuré.
J’ai toujours plaidé, en vain, pour
que tous les assistants locaux tra­
vaillent ensemble pour faire une
task force européenne. »
La juge rebondit sur ce point :
« Cela ne révèle­t­il pas que c’est un
sujet qui vous préoccupait ?
Au procès de Coulibaly, les plaies toujours
vives des militaires attaqués à Nice, en 2015
L’un des soldats de l’opération « Sentinelle » agressés au couteau a témoigné, mardi
D ans la ville la plus vidéo­
surveillée de France, la
scène pouvait difficile­
ment échapper aux caméras mu­
nicipales. Celle placée sous les ar­
cades de l’avenue Jean­Médecin,
au bas de cette longue artère peu­
plée du cœur de Nice, a capté l’ins­
tant qui vaut à Moussa Coulibaly
d’encourir la perpétuité pour ten­
tatives d’assassinats devant la
cour d’assises spécialement com­
posée de Paris : quelques secondes
du 3 février 2015 où, moins d’un
mois après les attentats contre
Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher
dans la capitale, ce petit délin­
quant islamiste alors âgé de 30 ans
– aucun lien avec son homonyme
prénommé Amedy, auteur des at­
taques de Montrouge et de l’Hyper
Cacher – a visé des militaires de
l’opération « Sentinelle ».
Les images ont été diffusées,
mardi 10 décembre, au deuxième
jour d’audience. On y voit l’accusé
de dos, marchant sous les arcades,
sac en plastique blanc dans la
main droite, main gauche dans la
poche du manteau. Arrivé à hau­
teur d’un militaire, il laisse tomber
son sac par terre, puis attrape de la
main droite le couteau de 40 centi­
mètres qu’il avait caché dans sa
manche gauche, et porte un coup
– Non. Pas du tout. Je me préoccu­
pais de l’Europe. »
Depuis le 15 novembre, une dou­
zaine de personnes, dont l’an­
cienne eurodéputée et actuelle vi­
ce­gouverneure de la Banque de
France, Sylvie Goulard, l’ex­garde
des sceaux Michel Mercier, le di­
recteur financier du MoDem,
Alexandre Nardella, mais aussi et
surtout les dirigeants du parti,
François Bayrou et Marielle de Sar­
nez, ont été mises en examen dans
ce dossier.
Les juges du tribunal de Paris
cherchent à déterminer si des
collaborateurs parlementaires
du MoDem ont été rémunérés
par les fonds de Bruxelles alors
violent au soldat qui se baissait
pour ramasser le sac.
Ce dernier se protège la tête avec
son avant­bras gauche, geste salva­
teur. Très vite, les deux autres mili­
taires du trio en faction apparais­
sent à l’image, se précipitent vers
l’agresseur qui a le temps de porter
un coup au visage de l’un, avant
que l’autre ne parvienne, d’une ba­
layette, à l’envoyer au sol, où il est
maintenu malgré son agitation.
La vidéo dure une trentaine de
secondes. L’agression elle­même,
à peine cinq. Depuis son box, l’ac­
cusé, au regard constamment
perdu dans le vague, a, cette fois,
levé les yeux vers l’écran pour re­
voir la scène.
« J’attends que ça finisse »
Des trois militaires concernés,
seul Hervé K., celui qui a échappé à
la lame et envoyé l’agresseur à
terre, est présent à l’audience. Ses
deux camarades touchés, Jamel G.
et Gabin M., sont absents, « rete­
nus en mission », explique l’avocat
du trio, Me Nicolas Gemsa. Ont­ils
préféré ne pas venir à ce procès qui
s’annonçait éprouvant ? Hervé K.,
lui, est sorti de la salle quelques
minutes en début d’après­midi, le
temps que la cour visionne les
images de l’agression.
« Si on doit
analyser le travail
de chaque
assistant,
on va avoir
des surprises »
FRANÇOIS BAYROU
président du MoDem
qu’ils étaient en réalité affectés
à d’autres tâches pour la forma­
tion centriste. Contactée par Le
Monde, une porte­parole du Par­
lement européen a fait savoir
que l’institution « ne commente­
Le matin, ce soldat né au Came­
roun il y a vingt­quatre ans et ar­
rivé en France en 2013 était venu li­
vrer son récit des faits à la barre,
donnant des détails invisibles sur
les images : le silence de Moussa
Coulibaly tout au long de l’atta­
que ; ses yeux rouges et ses larmes
une fois au sol ; sa tentative de sai­
sir le Famas du soldat ; le second
couteau, attaché à son mollet.
« Il voulait tuer, assure le briga­
dier. Il se débattait, il regrettait de
ne pas avoir fini son affaire. S’il
avait pu, il aurait fait. » Hervé K. ra­
conte ensuite les conséquences,
pénibles, sur les plans psychologi­
que et professionnel, que les mé­
dailles supplémentaires à son uni­
forme n’ont pas compensées :
troubles du sommeil, agressivité
excessive, cantonnement à des
missions internes.
« Je n’ai plus le droit de faire de
missions extérieures. Chaque fois
que je veux aller en mission, je dois
consulter le médecin, qui décide à
ma place et me dit qu’il y a tel médi­
cament à prendre. Je n’avance pas,
cette histoire m’a beaucoup ralenti.
– Qu’attendez­vous de cette
audience ?, demande le président
de la cour.
– J’attends de cette audience que
ça finisse, qu’on n’en parle plus. »
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
rait pas une information judi­
ciaire en cours ».
Dans le cadre de son enquête in­
terne sur l’ex­Front national, soup­
çonné lui aussi d’avoir détourné
de l’argent de Bruxelles, le Parle­
ment européen avait estimé, en
mars 2018, le préjudice à 7 millions
d’euros pour la période de 2009 à
2017. Fin juin 2018, les juges
avaient demandé la saisie de
2 millions d’euros d’aides publi­
ques dus au parti d’extrême droite,
une somme réduite de moitié, à
1 million d’euros, trois mois plus
tard par la chambre de l’instruc­
tion de la cour d’appel de Paris. 
simon piel
et yann bouchez
Les deux militaires absents, dont
le président a lu les déclarations
recueillies au cours de l’instruc­
tion, ont aussi mal vécu l’épisode
et ses suites. De leurs propos tenus
plusieurs mois, voire deux ans
après les faits, on comprend la dif­
ficulté à se remettre du choc, la dé­
pression que le Lexomil ne soigne
pas, la peur de la foule, l’insécurité
et l’hypervigilance permanentes,
l’impression de voir son agresseur
dans la rue, la casquette et les lu­
nettes de soleil obligatoires, l’im­
possibilité de refaire du sport pour
le plus gravement blessé : « J’ai
l’impression que ma blessure est
toujours ouverte sous ma peau. »
Et puis les autres dégâts collaté­
raux : « Je suis de confession musul­
mane, a dit Jamel G., et je n’ai plus
envie d’aller à la mosquée, car je
sais que je pourrais rencontrer des
extrémistes au milieu des fidèles. »
Gabin M., quant à lui, a notam­
ment évoqué l’apparition d’une
« méfiance particulière envers les
gens de couleur, même avec mes
collègues ».
Jamel G., Gabin M., et Hervé K.
restent militaires – deux sont tou­
jours affectés au 54e régiment d’ar­
tillerie d’Hyères (Var). L’un d’eux
s’apprête à changer de voie. 
henri seckel
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 | 15

La Chine prépare un nouveau plan de relance
En plein marasme, l’empire du Milieu vise 6 % de croissance en 2020, son plus faible taux depuis trente ans

pékin ­ correspondant

Q
uelle que soit l’issue
de la guerre commer­
ciale avec les Etats­
Unis, les dirigeants
chinois ne se font
plus d’illusion : la croissance
en 2020 sera à nouveau la plus
basse que le pays ait connu de­
puis 1992. Encore supérieure à 7 %
en 2014, tout juste de 6 % cette an­
née, il n’est pas sûr du tout qu’elle
atteigne ce seuil en 2020. Les
principaux responsables politi­
ques chinois se réunissent cette
semaine pour tenir leur confé­
rence économique annuelle qui
fixe les orientations de l’année à
venir. La presse prépare déjà le
terrain. La croissance en 2020 de­
vrait être « d’environ 6 % », af­
firme le China Daily, quotidien du
parti en langue anglaise.
Un objectif moins ambitieux
que le taux « entre 6 % et 6,5 % »
supposé être atteint en 2019. Le
débat est autant politique qu’éco­
nomique. Le prédécesseur de Xi
Jinping à la tête du parti et du pays,
Hu Jintao, avait estimé que, pour
parvenir à la « société de moyenne
aisance » promise aux Chinois, le
PIB devait doubler entre 2010 et
2020, ce qui suppose une crois­
sance annuelle d’environ 7 %. On
en est désormais loin. Mais pas
question de perdre la face, surtout
qu’en 2021 le Parti communiste va
fêter en grande pompe le cente­
naire de sa naissance.
En novembre, les statisticiens
ont opportunément révisé à la
hausse (+ 2,1 %) le PIB nominal de A l’entrée d’un supermarché Walmart, à Xiamen (Chine), le 26 août. BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
2018, en raison, selon eux, d’une
prise en compte plus juste du dé­
veloppement des services. A la dif­ contracycliques ». En clair, soute­ menée au niveau local. La capacité trale européenne ou des taux d’in­ de la croissance à venir –, Liu Shi­
férence du PIB réel, celui­ci tient nir une demande défaillante, tant d’endettement des provinces va térêt négatifs. « Il ne faut pas laisser
Plutôt que de jin, vice­directeur d’un comité
compte de l’inflation et n’a pas for­ interne qu’internationale. être relevée pour atteindre entre l’argent détenu par les Chinois de­ baisser les taux économique qui conseille le gou­
cément d’impact sur le taux de D’après le China Daily, les parti­ 3,5 % et 4 % du PIB. Celles­ci vont venir sans valeur », a­t­il justifié. vernement, prévient : « Une politi­
croissance de l’année suivante. sans de la relance ont pris l’avan­ pouvoir émettre 3 000 milliards Pour la banque de Chine, la politi­
d’intérêt, Pékin que de relance pourrait entraîner
Mais, selon les économistes, une tage. Et plutôt que de baisser les de yuans d’obligations (contre que suivie par les Occidentaux va privilégier une réelle chute de l’économie
telle révision – qui a déjà eu lieu taux d’intérêt, la Chine va, comme 2 150 milliards en 2019) afin de fi­ après la crise financière de 2008 dans l’avenir. »
en 2004, 2008 et 2013 – ne peut en 2019, privilégier les diminu­ nancer de nouvelles infrastructu­ sert même de contre­exemple.
les diminutions Selon les réformateurs, la Chine
qu’aider le parti à atteindre son tions d’impôts. Elles pourraient res dans trois domaines : le rail, le Zhang Xuechung, vice­directeur d’impôts ne doit pas rejeter sur les Etats­
objectif décennal. cette fois atteindre 3 000 milliards transport aérien et l’agriculture. de la banque centrale, a jugé lors Unis sa propre responsabilité.
D’après ce que l’on croit deviner de yuans (384 milliards d’euros), d’un colloque fin novembre que « Les soucis actuels de la Chine
des prises de parole publiques sur contre 2 000 milliards (256 mil­ Pas de « quantitative easing » cette politique avait généré des peuvent être essentiellement attri­
le sujet, ce débat autour du totem liards d’euros) en 2019. Le quoti­ En revanche, la Chine ne compte bulles financières, accru les inéga­ serve fédérale coupe son taux di­ bués à des facteurs domesti­
des 6 % en cache un autre, plus dien ne précise pas quels impôts et pas ouvrir en grand les vannes du lités et renforcé la compétition en­ recteur alors que son économie est ques tels qu’un modèle de crois­
subtil. Vouloir à tout prix attein­ taxes sont concernés, hormis la crédit. Dimanche 1er décembre, le tre les différentes monnaies. à son plus haut et son chômage au sance non soutenable par le passé,
dre ce taux impose de nouvelles TVA sur les produits industriels, gouverneur de la banque centrale, Il s’en est même pris aux pres­ plus bas depuis trente ans, com­ un niveau d’endettement excessif
mesures de soutien à l’économie qui devrait être à nouveau réduite. Yi Gang, a indiqué dans un article sions de Donald Trump pour que ment peut­elle faire face à une fu­ et un rôle du marché qui n’en est
alors qu’accepter un taux de crois­ Logiquement, les déficits publics publié par Qiushi, un quotidien du la Réserve fédérale américaine ture récession ? », a­t­il remarqué. qu’à ses balbutiements », juge car­
sance d’environ 5,5 % revient à pri­ vont augmenter. Le déficit du bud­ parti spécialiste des questions baisse ses taux, selon des propos Certains experts chinois met­ rément Wang Han, un écono­
vilégier des réformes structurel­ get national va être porté de 2,8 % à théoriques, que la situation n’était rapportés par le South China Mor­ tent les dirigeants en garde contre miste dans le China Daily du
les. Stimuler ou réformer, voilà la 3 % du PIB, « autorisant le gouver­ pas assez grave pour avoir recours ning Post. « Le quantitative easing une politique trop accommo­ 11 décembre. Une position politi­
question. Vendredi 6 décembre, nement à dépenser davantage à des politiques non convention­ et les taux d’intérêt négatifs dante. Notant que « la croissance quement non correcte dont la pu­
une réunion du bureau politique pour des projets de construction nelles tel le quantitative easing auront leurs limites, même si on ne potentielle de la Chine de 2020 à blication confirme la virulence
présidée par Xi Jinping a appelé à d’infrastructure », précise le quoti­ (politique monétaire accommo­ sait pas exactement quand cel­ 2025 est entre 5 % et 6 % » – ce des débats en cours. 
« adopter des outils d’ajustements dien. La même politique va être dante) pratiqué par la Banque cen­ les­ci seront atteintes. Mais si la Ré­ qui revient à prévoir une baisse frédéric lemaître

Déploiements de la 5G : Huawei, l’éternel dilemme européen

Face aux pressions des Etats­Unis et au risque de froisser Pékin, l’Europe hésite, au grand dam des opérateurs de téléphonie

H uawei ou pas Huawei ?

Le dilemme continue
d’agiter l’Europe, alors
que les premiers déploiements de
la 5G sont en cours sur le conti­
nent. En pleine guerre commer­
ciale avec Pékin, le gouvernement
américain a banni le champion
chinois des équipements télé­
coms sur son territoire, l’accusant
d’espionnage, et exhorte avec in­
sistance depuis plusieurs mois
ses alliés du Vieux Continent à
suivre son exemple. Tiraillée en­
tre les deux grandes puissances
mondiales, l’Union européenne
(UE) peine cependant à afficher
une position commune dénuée
de toute ambiguïté.
Les atermoiements de l’UE ne
sont pas sans refléter ceux de ses
Etats membres. Le premier minis­
tre britannique, Boris Johnson, en
a d’ailleurs encore fait la démons­
tration, mercredi 4 décembre, à
l’issue du sommet de l’Organisa­
tion du traité de l’Atlantique Nord.
« Je ne veux pas que [le Royaume­
Uni] soit inutilement hostile aux
investissements venus de l’étran­
ger », a­t­il déclaré, tout en préci­
sant, une poignée de secondes
plus tard, ne pas vouloir « com­
promettre [les] intérêts de sécurité
nationale essentiels ».
Londres n’est pas la seule capi­
tale européenne à cultiver le flou.
Hormis quelques rares excep­
tions – à l’instar de l’Espagne ou
du Portugal, qui ont ouvert sans
équivoque les portes de leurs ré­
seaux 5G à Huawei –, aucun pays
du continent ne s’est, à ce jour,
aventuré à clairement exclure
l’équipementier de son marché.
La raison en est simple. Rompre
publiquement avec Huawei, le
fleuron technologique de la
Chine, reviendrait à prendre le ris­
que de froisser Pékin, dont les in­
vestissements en Europe sont
loin d’être négligeables. Lui don­
ner sa bénédiction provoquerait,
à l’inverse, un retour de bâton de
l’allié américain.
Soucieuse de ménager la chèvre
et le chou, l’Europe a donc opté
pour une pirouette, réussissant
l’exploit de souligner les inquié­
tudes sur l’origine chinoise de
Huawei sans jamais nommer di­
rectement l’équipementier. Un
tour de passe­passe diplomatique
accueilli, ironie de l’histoire,
comme une victoire tant par les
Etats­Unis que par Huawei.
Lignes rouges
Au grand dam des opérateurs, qui
voient d’un mauvais œil ces lou­
voiements. Sans lignes claires, ces
derniers jugent impossible de pla­
nifier leurs dépenses des prochai­
nes années. Outre­Rhin, Deuts­
che Telekom – dont une très
grande partie du réseau fonc­
tionne avec du matériel Huawei –
a pris la décision de suspendre
l’ensemble de ses commandes
d’équipements 5G tant que l’Etat
allemand n’aura pas fait un choix.
En France, le gouvernement a
opté pour la voie législative.
Avant toute installation 5G sur le
territoire, les opérateurs devront
obtenir une autorisation du se­
crétariat général de la défense et
de la sécurité nationale. Sur le pa­
pier, le cadre posé semble clair :
Huawei ne fait l’objet d’aucune in­
terdiction, au même titre que ses
concurrents Nokia ou Ericsson.
Dans les faits, des lignes rouges
existent. Et elles ne datent pas
d’hier. Depuis plusieurs années,
une règle tacite prévalait : les opé­
rateurs n’utilisaient des équipe­
ments estampillés Huawei ni à
Paris ni dans les cœurs de ré­
seaux. Seulement, la règle évolue­
rait avec la 5G. Le gouvernement
se réserve la possibilité d’étendre
les zones géographiques excluant
les équipements du chinois à tout
site jugé stratégique. « Nous ne
transigerons pas sur les questions
de sécurité nationale. Il est normal
de rehausser les garanties face aux
nouveaux enjeux que pose la 5G.
Nous assumons de faire du cas par
cas. Il ne s’agit pas de discriminer
un équipementier plus qu’un
autre, mais d’être intraitable sur la
sécurité », fait­on valoir à Bercy.
Pour les opérateurs, ces nouvel­
les contraintes implicites laissent
planer le doute sur les endroits où
ils pourront recourir au chinois.
« Nous sommes plus que jamais
dans l’attente de clarifications,
compte tenu des investissements à
prévoir. Il n’est pas envisageable
que le processus d’attribution des
fréquences 5G soit lancé alors que
le flou absolu réside sur le choix
des équipementiers », s’agace Ar­
thur Dreyfuss, président de la Fé­
dération française des télécoms,
qui craint, à terme, des retards
dans les déploiements.
Beaucoup redoutent surtout
que ces nouvelles lignes rouges
ne soient qu’un moyen pour l’Etat
de décourager les opérateurs
d’utiliser des équipements
Huawei. En France, seuls SFR et
Bouygues y ont aujourd’hui re­
cours sur leurs réseaux mobiles
– Free et Orange font appel à No­
kia et à Ericsson. Ce qui n’empê­
che pas, toutefois, ces derniers
d’utiliser les services de Huawei
sur leurs réseaux fixes. « Au fond,
le gouvernement a fait une loi dont
il aimerait beaucoup ne pas se ser­
vir. Cela l’arrangerait que les opé­
rateurs choisissent par eux­mêmes
de ne pas recourir à Huawei », ana­
lyse un professionnel. 
zeliha chaffin

16 | économie & entreprise
Libre­échange: Etats­Unis, Canada
et Mexique trouvent un accord
Obtenant un compromis sur le volet social du texte, les démocrates
américains vont approuver le traité qui succède à l’Alena
montréal, mexico,
new york ­ correspondants
D
onald Trump voulait
un accord, pour mon­
trer qu’il sait conclure
les guerres commer­
ciales, alors que celle avec la Chine
n’en finit pas. Les démocrates
américains aussi, soucieux de
montrer qu’ils ne sont pas obsé­
dés uniquement par la procédure
de destitution du président et
sont capables de travailler pour
leurs électeurs. Le Mexique et le
Canada encore plus, impatients
de retrouver de la stabilité dans
leurs relations commerciales avec
leur premier partenaire économi­
que. Mardi 10 décembre, à
Mexico, les négociateurs des trois
pays ont enfin signé un traité de
libre­échange entre les Etats­
Unis, le Mexique et le Canada bap­
tisé « USMCA ».
Ce texte amende l’accord scellé
en 2018, mais que les démocrates
américains n’avaient pas voulu
ratifier. Après des mois de négo­
ciations avec le représentant
américain pour le commerce, Ro­
bert Lighthizer, la présidente de la
Chambre des représentants,
Nancy Pelosi, a donné son feu
vert. Estimant avoir eu assez de
concessions, l’élue démocrate de
Californie a salué une « victoire
pour les travailleurs américains ».
Le président mexicain, Andres
Manuel Lopez Obrador
(« AMLO »), a mis en avant les ef­
forts faits par son pays, qui avait
ratifié le premier accord dès juin.
« [Les démocrates américains]
voulaient des garanties, nous
avons fait notre part du travail »,
a­t­il confié, avant d’occuper,
quelques heures plus tard, le rôle
« Devoir de vigilance » : Total devant la justice
pour les actes de sa filiale en Ouganda
Le projet mis en cause a été lancé en 2012 avec le chinois Cnooc et le britannique Tullow Oil
T otal a­t­elle respecté son
devoir de vigilance à
l’égard de sa filiale ougan­
daise chargée d’ouvrir un site d’ex­
ploitation pétrolière au sein
même du parc naturel de Murchi­
son Falls ? La multinationale de­
vrait s’expliquer, jeudi 12 décem­
bre, devant les juges du tribunal de
grande instance de Nanterre, sai­
sis en référé par les ONG françaises
Les Amis de la Terre et Survie avec
quatre associations ougandaises
de défense de l’environnement et
des droits des communautés.
Ce procès sera suivi de près car
c’est la première fois qu’une so­
ciété mère est traduite en justice
pour les agissements d’une de ses
filiales et de ses sous­traitants de­
puis la promulgation de la loi sur le
devoir de vigilance des grandes
entreprises en mars 2017.
Cette loi, adoptée après le drame
du Rana Plaza au Bangladesh dans
lequel avait péri plus d’un millier
d’ouvriers travaillant pour des
sous­traitants d’enseignes occi­
dentales du prêt à porter, est uni­
que au monde. Elle tient les multi­
nationales pour responsables des
impacts sociaux et environne­
mentaux des activités qu’elles
contrôlent directement ou indi­
rectement en France ou à l’étran­
ger et leur impose de veiller à en li­
miter les risques en établissant un
« plan de vigilance ».
Dans le cas de Total, les plai­
gnants justifient d’agir en urgence
de témoin d’honneur lors de la
signature des amendements au
traité.
Deux sujets étaient sensibles.
D’abord, les règles d’origine dans
l’automobile. M. Lighthizer avait
demandé d’inclure les notions de
« fondus et coulés » en Amérique
du Nord concernant l’acier et
l’aluminium des voitures, dont
70 % doivent provenir de la ré­
gion. Mexico a cédé, obtenant
néanmoins un délai d’application
de sept ans pour l’acier et de dix
ans pour l’aluminium. Cette règle
sera difficile à respecter pour les
constructeurs asiatiques installés
au Mexique (Kia, Nissan…).
« Gagnant, gagnant, gagnant »
Ensuite, la réforme du droit du
travail mexicain, prévue par l’US­
MCA : début décembre, Mexico
avait rejeté la présence d’inspec­
teurs américains sur son terri­
toire pour vérifier son applica­
tion. Soucieux de réduire l’avan­
tage compétitif mexicain, les élus
démocrates des Etats­Unis vou­
laient s’assurer de la mise en
place d’une vraie liberté syndicale
et de la hausse des salaires des
ouvriers mexicains du secteur.
Mexico s’y est opposé pour des
questions de « souveraineté natio­
nale », mais a proposé, en contre­
partie, que des contrôles soient
effectués par des « panels spé­
ciaux d’arbitrage » indépendants.
L’idée a été acceptée par la Fédéra­
tion américaine du travail (AFL­
CIO), principal syndicat du pays,
traditionnellement hostile aux
traités de libre­échange, déblo­
quant l’accord des démocrates.
« Il est indéniable que les règles
commerciales en Amérique seront
plus équitables grâce à notre tra­
à travers ce référé en raison de l’in­
sécurité alimentaire à laquelle
pourraient, selon eux, être expo­
sés les milliers de personnes qui,
aux abords de l’aire protégée, ont
dû céder leurs terres à la filiale de
la major sans avoir encore perçu
les compensations monétaires
promises.
En juillet et en octobre, deux pé­
titions ont été remises à Total
Ouganda et aux autorités locales
pour les alerter sur la situation. El­
les sont versées au dossier, tout
comme de nombreux témoigna­
ges d’agriculteurs relatant des
pressions subies pour abandon­
ner leurs champs en dépit de leur
désaccord sur le montant des in­
demnisations proposées par Ata­
cama, une société locale sous­trai­
tante de Total.
Oléoduc de 1 445 km
Fred Mwesigwa, 45 ans, et Jelousy
Mugisha, 47 ans, feront état de­
vant le tribunal de Nanterre des
difficultés auxquelles ils sont con­
frontés depuis que leur famille est
privée de leurs cultures de subsis­
tance et des revenus qu’ils en ti­
raient, notamment pour scolari­
ser leurs enfants. « Les livraisons de
nourriture aux foyers touchés par
le premier plan de réinstallation
n’ont commencé qu’en novem­
bre 2018, près de dix­huit mois
après avoir interdit aux villageois
d’utiliser leurs terres, dit Juliette Re­
naud, chargée de campagne aux
Le principal
acquis du traité
est d’écarter
la perspective
d’une guerre
commerciale
durable
vail et à notre persévérance, a dé­
claré Richard Trumka, président
de l’organisation. Le président
Trump a peut­être ouvert la voie à
cet accord, mais ce sont les tra­
vailleurs qui l’ont conclu. Et de cela,
nous devrions être très fiers. »
Le Mexique jouait gros : 80 % de
ses exportations sont destinées
au voisin américain. « Ce grand ac­
cord va nous aider à stimuler notre
économie », s’est félicité « AMLO »,
alors que le Fonds monétaire in­
ternational a revu, fin novembre,
ses prévisions de croissance pour
le Mexique à 0 %, contre + 0,4 %
un mois plus tôt. Depuis son avè­
nement fin 2018, « AMLO » a évité
les conflits avec son homologue
américain, signant des accords
sur le contrôle des réfugiés venus
d’Amérique centrale.
Côté canadien, la vice­première
ministre, Chrystia Freeland, a
qualifié l’accord final de « ga­
gnant, gagnant, gagnant », assu­
rant que si la négociation avait
suivi un chemin « tortueux, voire
pénible » pour Ottawa, « virant
parfois au drame national », le
gouvernement n’avait pas
changé de cap. « [Il] est excellent
pour des centaines de milliers de
travailleurs au Canada », a­t­elle
assuré. Mais certains secteurs de
Amis de la Terre. De plus, ces ra­
tions hebdomadaires étaient insuf­
fisantes et n’ont duré que six mois. »
Le projet Tilenga, dont Total est
chef de file en partenariat avec la
société chinoise Cnooc et la bri­
tannique Tullow Oil, a été lancé
en 2012. Il doit permettre à ce pays
pauvre d’Afrique de l’Est de deve­
nir producteur de pétrole, avec, à
terme, une production de 200 000
barils par jour. Plus de 400 puits
devraient être forés dans la région
du rift Albertin frontalière de la
République démocratique du
Congo (RDC), dont la majorité
dans le parc naturel parmi les plus
fréquentés du pays.
Une usine de traitement du brut
doit être construite à Buliisa, un
village dont les habitants font l’ob­
jet de plans de réinstallation con­
troversés. Un oléoduc de 1 445 km,
baptisé « East African Crude Oil Pi­
peline », et présenté comme « le
plus long pipeline de pétrole brut
chauffé au monde », doit achemi­
ner la production vers la côte tan­
zanienne où elle sera exportée.
Cet investissement de plusieurs
milliards de dollars a déjà subi de
nombreux retards, le dernier en
date résultant des conditions de
rachat d’une partie des parts de
Tullow par ses deux partenaires et
de sa taxation. Un accord semble
cependant avoir été trouvé début
décembre avec le gouvernement
ougandais, ouvrant la voie à une
reprise des travaux.
l’industrie du pays restent cir­
conspects, attendant de connaî­
tre les changements intervenus,
notamment dans l’aluminium.
Côté ratification, le premier mi­
nistre canadien, Justin Trudeau, a
toujours affirmé qu’il se « met­
trait dans la roue de son voisin » et
proposerait à son Parlement une
adoption de l’accord, une fois le
vote américain passé. Mais, de­
puis un an, la donne a changé
pour Ottawa : à la tête d’un gou­
vernement minoritaire, il doit
compter sur d’autres voix que cel­
les des libéraux.
Du côté des Etats­Unis, la Cham­
bre des représentants pourrait ra­
tifier le texte dès la semaine du 16
au 20 décembre, le vote du Sénat,
contrôlé par les républicains, in­
tervenant ultérieurement. Gra­
ciela Marquez, ministre mexi­
caine de l’économie, a déclaré que
le traité pourrait entrer en vi­
gueur au premier semestre 2020.
Ce dernier, qui remplace l’an­
cien accord de libre­échange nord
américain (Alena) de 1994, ins­
taure la libre­circulation des don­
nées numériques et facilite l’ac­
cès au marché laitier canadien.
Les entreprises pharmaceutiques
sont perdantes. Les démocrates
ont poussé Donald Trump à la
suppression d’un amendement
qui les aurait protégées pendant
dix ans des médicaments généri­
ques. Le principal acquis du traité
est d’écarter la perspective d’une
guerre commerciale durable et
d’éloigner la menace faite par le
locataire de la Maison Blanche de
quitter la zone de libre­échange
nord­américaine. 
hélène jouan,
arnaud leparmentier
et frédéric saliba
L’ampleur de ce projet, dont les
risques pour l’environnement et
l’impact social ne peuvent être
contestés, exige que Total pré­
sente des mesures spécifiques de
prévention dans son plan de vigi­
lance, selon les Amis de la Terre et
Survie. Or, il n’en est rien, déplo­
rent les ONG, qui voient dans
cette défaillance le principal man­
quement au respect de la loi de
2017. A côté des accusations de
violation des droits humains qui
alimenteront en grande partie
cette première plaidoirie, il sera
également question des craintes
de destruction et de pollution
d’un écosystème unique où survi­
vent de nombreuses espèces me­
nacées d’extinction.
Contacté par Le Monde, Total n’a
pas souhaité s’exprimer avant
l’audience, préférant renvoyer au
communiqué de presse publié en
réaction à son assignation le
30 septembre. Le groupe y affir­
mait que « son plan de vigilance
identifie les risques pouvant résul­
ter de [ses] activités, que ce soit en­
vers les droits humains, les libertés
fondamentales, la santé, la sécu­
rité des personnes et l’environne­
ment. Des mesures de prévention
propres à prévenir ces risques y
sont également présentées ». Il
contestait cependant que la loi
prévoie « une publication des ris­
ques projet par projet ». Il revien­
dra aux juges de trancher. 
laurence caramel
PERTES & PROFITS | CHEVRON
p a r p h il ip p e es c an de
Un océan
de pétrole et de gaz
Ce n’est pas encore la panique,
mais la grande braderie. L’un
après l’autre, les pétroliers révi­
sent à la baisse la valeur de leurs
actifs d’hydrocarbures. Le califor­
nien Chevron, l’un des plus
grands producteurs mondiaux, a
annoncé, mardi 10 décembre,
qu’il allait déprécier de près de
11 milliards de dollars (9,9 mil­
liards d’euros) le prix de ses gise­
ments, notamment dans le do­
maine du gaz. Il n’est pas le seul.
Le britannique BP s’était livré à
cet exercice en octobre, ainsi que
l’espagnol Repsol et le groupe pa­
rapétrolier Schlumberger. Tous
invoquent la chute des prix, no­
tamment dans le gaz aux Etats­
Unis. Jamais ils n’avaient été aussi
bas depuis vingt ans. Quand Che­
vron y a investi lourdement dans
les années 2010, le gaz de schiste
se vendait deux fois plus cher
qu’aujourd’hui.
Les Etats­Unis nagent dans un
océan d’hydrocarbures, en grande
partie grâce à ses réserves de
schiste. Pour la première fois de­
puis des décennies, le pays de­
vrait redevenir en 2019 exporta­
teur net d’hydrocarbures, alors
qu’il était le premier importateur
mondial. La pression sur les prix
est telle que l’OPEP a annoncé,
vendredi 6 décembre, une nou­
velle réduction volontaire de sa
production pour éviter que le
cours du baril ne descende sous
les 60 dollars. Et cela ne devrait
pas s’arranger, car plusieurs pays
importants, comme le Canada, le
Brésil et la Norvège, vont lancer
en 2020 l’exploitation de nou­
veaux champs. La controverse
préférée des experts pétroliers
L’Etat de New York défait
contre ExxonMobil
Le procès pour tromperie sur le climat
avait tourné à la débandade pour le parquet
new york, correspondant
C omme prévu, le procès
contre ExxonMobil s’est
soldé par une cuisante dé­
faite pour l’Etat de New York, qui
poursuivait la multinationale, ac­
cusée d’avoir sous­estimé dans
ses comptes le coût du réchauffe­
ment climatique. Mardi 10 dé­
cembre, le juge à la Cour suprême
de l’Etat de New York, Barry Ostra­
ger, a déclaré la major du pétrole
non coupable. Dans sa décision
de 55 pages, le juge note que « le
bureau du procureur a échoué à
prouver qu’ExxonMobil avait fait
des déclarations substantielles
inexactes ou des omissions sur ses
pratiques et ses procédures, qui
auraient induit en erreur un inves­
tisseur raisonnable », écrit le juge,
qui ajoute que « rien dans ce juge­
ment ne vise à exempter Exxon­
Mobil de sa responsabilité de con­
tributeur au changement climati­
que par le biais de l’émission de gaz
à effet de serre dans la production
de ses énergies fossiles ».
Le dernier jour du procès, le
7 novembre, avait connu un re­
bondissement spectaculaire avec
la retraite en rase campagne du
vice­procureur de New York. Jona­
than Zweig avait révélé qu’il aban­
donnait trois chefs d’inculpation
sur quatre contre le groupe pétro­
lier et gazier : que l’entreprise
avait trompé volontairement et
en connaissance de cause les in­
vestisseurs sur le coût réel pour
l’entreprise du réchauffement ;
que des investisseurs avaient été
trompés en achetant des actions
sur la foi de ces informations
fausses ; qu’il y avait eu tromperie
en droit civil.
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
concerne la date du pic de pro­
duction de pétrole sur la planète.
Ce jour fatidique où le volume
produit baissera, menant inévi­
tablement vers une augmenta­
tion de plus en plus forte des
prix avec les conséquences éco­
nomiques et sociales dramati­
ques que l’on peut imaginer.
Sans cesse repoussée, cette date
fatidique a été aperçue par
l’agence internationale de l’éner­
gie en 2005. Puis en 2018, face à
des niveaux de production re­
cords, repoussée à 2025.
Pic de la demande
Mais il semble qu’aujourd’hui ce
soit plutôt le pic de la demande
qui inquiète les majors pétroliè­
res. C’est elle qui agit en ce mo­
ment sur les prix et contraint
l’OPEP à diminuer ses livraisons
d’or noir. La plus classique des ex­
plications est le ralentissement
économique, dû notamment à la
guerre tarifaire entre la Chine et
les Etats­Unis. Mais la pression
politique et sociale prend de l’am­
pleur. Les normes fixées par
l’Union européenne sont en train
de faire basculer à grande vitesse
l’industrie automobile vers l’élec­
trique. De plus, le « pacte vert »,
présenté ce mercredi 11 décembre
par la nouvelle Commission euro­
péenne, va accélérer la sortie des
énergies carbonées, avec un ob­
jectif de neutralité fixé en 2050 et,
peut­être, l’instauration d’une
taxe carbone aux frontières. Si le
sursaut actuel, constaté aussi aux
Etats­Unis, se poursuit, l’ère du
pétrole bon marché pourrait pa­
radoxalement être alors plutôt
devant nous que derrière. 
Seule demeurait une accusation
fondée sur une législation spécifi­
que à l’Etat de New York, le Martin
Act, qui n’exige pas de prouver
l’intention frauduleuse ni que des
investisseurs ont été trompés.
Au fil des auditions, les débats
avaient tourné à l’avantage de la
multinationale, notamment lors­
que Rex Tillerson, secrétaire d’Etat
de Trump jusqu’en mars 2018,
PDG du groupe de 2006 à 2016, est
intervenu en tant que témoin.
Ouvert, le 23 octobre, à New York,
le procès se voulait être le pendant
des poursuites engagées contre les
multinationales du tabac.
D’autres poursuites
Il était reproché à Exxon d’avoir
floué les investisseurs en sous­es­
timant le coût que devrait sup­
porter l’entreprise en raison du
durcissement prévisible des légis­
lations pour lutter contre les
émissions de gaz à effet de serre.
Cette présentation jugée trom­
peuse aurait conduit à surévaluer
les actions du groupe et à favori­
ser son financement, au détri­
ment des entreprises engagées
dans la transition énergétique.
Sans surprise, le Wall Street Jour­
nal avait dénoncé une « parodie de
procès climatique », notant
qu’aucun actionnaire ne s’était
plaint, que l’auditeur du groupe
PwC n’avait connaissance
d’aucune tentative de manipula­
tion. En août, le gendarme de la
Bourse américaine, avait classé
sans suite une enquête de plus de
deux ans. L’affaire n’est sans doute
pas finie. La compagnie est pour­
suivie par les Etats du Texas, du
New Jersey et du Massachusetts. 
ar. le.
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18 | économie & entreprise
PLEIN CADRE
Le Père Noël
en pleine
transition
écologique
Nombreux sont les Français à avoir
modifié leurs habitudes d’achat
en 2019, afin de réduire l’empreinte
carbone de leur consommation.
Une démarche qui se glisse aussi
sous le sapin
G
reta Thunberg
est probablement
le plus actif des
petits lutins du
Père Noël, cette
année. La mili­
tante écologiste doit conscien­
cieusement trier son courrier,
écartant rageusement les lettres
de tous ceux qui exigent des ca­
deaux à forte empreinte carbone,
répondant aux autres de com­
penser leurs émissions de CO2 et
gratifiant les plus frugales d’une
livraison express. Sans embal­
lage, bien entendu. Car, sous le sa­
pin, la prise de conscience de l’ur­
gence écologique à mieux con­
sommer pourrait avoir fait son
œuvre au 25 décembre.
Certes, à voir le succès des opé­
rations promotionnelles à l’occa­
sion du Black Friday, fin novem­
bre, on peut en douter. Selon le
Conseil national des centres com­
merciaux, la fréquentation, en
France, a bondi de 20 % dans ces
temples du shopping.
Et pourtant. « Il suffit que 10 %
des consommateurs modifient
leur comportement d’achat de ma­
nière durable pour convertir le
reste de la population », explique
Guillaume Gibault, le fondateur
de la marque Le Slip français, en
citant la théorie de l’ouvrage Le
Point de bascule (Flammarion,
2016) du journaliste canadien
Malcolm Gladwell, propre à « faire
une grande différence avec de très
petites choses ».
« PRODUITS UTILES, LOCAUX »
Or, à la veille des fêtes de fin d’an­
née, les injonctions sont multi­
ples. Le collectif écologique The
Freaks, composé d’artistes et de
personnalités, invite les Français
à « soigner leur consommation
aiguë », dans une tribune publiée
dans Le Monde, le 29 novembre.
Car, « pour agir contre le dérègle­
ment climatique, il est temps de
passer de la parole aux actes », es­
timent notamment Zazie, Jean­
Louis Aubert, Samaha Sam (la
chanteuse du groupe Shaka
Ponk), Bruno Solo, Elie Semoun…
L’Elysée entonne, lui, le refrain
consensuel de la fabrication fran­
çaise. Le palais présidentiel orga­
nisera une exposition de 101 pro­
duits made in France, les 18 et
19 janvier 2020. La sélection est en
cours. Chaque département y
sera représenté.
Sans les attendre, beaucoup de
Français ont changé leurs habitu­
des pour tenter de tendre vers le
« zéro déchet » ou, du moins, de
réduire leur empreinte carbone.
L’examen du projet de loi sur
l’économie circulaire par le Parle­
ment, cet automne, contribue
aussi au débat sur le gaspillage
dans l’Hexagone, où plus de
10 millions de tonnes d’aliments
consommables partent à la pou­
belle chaque année. « Le “zéro dé­
chet” sera le grand sujet de conver­
sation », lors du réveillon de Noël,
veut croire Maria Mella, la créa­
trice de The Naked Shop, enseigne
de vente en vrac de produits liqui­
des. Les fêtes de fin d’année et la
boulimie d’achats qu’elles susci­
tent « pourraient, cette année,
marquer un point de bascule »,
martèle M. Gibault en pariant sur
l’envie des consommateurs « d’of­
frir des produits utiles et fabriqués
localement ».
De fait, dans les magasins spé­
cialisés, la vente de certains pro­
duits s’envole. Exemple : la gour­
de chez Altermundi. Renoncer à
acheter de l’eau minérale est l’un
des premiers gestes adoptés par
ceux qui veulent réduire leur em­
preinte carbone et faire chuter le
volume affolant de 1 million de
bouteilles à usage unique ache­
tées toutes les minutes dans le
monde. Ainsi, à Paris, l’enseigne
de huit boutiques de produits
écolos rencontre un gros succès,
avec ses modèles de gourdes aux
couleurs vives. Elle en a écoulé
50 000 exemplaires depuis le dé­
but de l’année. « Ce sera probable­
ment aussi notre meilleure vente
de Noël », reconnaît Thibaut
Ringo, directeur général de cette
chaîne fondée, en 2003, à Paris, au
sein de Groupe SOS, entreprise
d’économie sociale et solidaire.
Les ventes de cosmétiques soli­
des sont aussi promises au succès.
A commencer par les pains de
shampooing dont on se savonne
le crâne. « Nous enregistrons une
croissance des ventes de l’ordre de
« Il suffit
que 10 % des
consommateurs
modifient leur
comportement
d’achat pour
convertir le reste
de la population »
GUILLAUME GIBAULT
fondateur du Slip français
50 % sur ces produits », souligne
M. Ringo. Car, à l’en croire, « tout le
monde peut se mettre » à ce geste
simple pour se laver les cheveux.
Chaque pain équivaut à l’utilisa­
tion de deux bouteilles de sham­
pooing. Chez Lush, enseigne bri­
tannique consacrée aux cosméti­
ques naturels, les ventes de ces
shampooings bondissent depuis
cet été en France (+ 60 % en ligne).
A tel point que ce produit, élaboré
il y a vingt­cinq ans, est la
« meilleure vente de Lush en
France », s’étonne Mark Constan­
tine, cofondateur de cette chaîne
atypique, qui pèse près de 1 mil­
liard d’euros de chiffre d’affaires
dans le monde. Cette année, la
firme a écoulé 93 millions de pro­
duits nus, c’est­à­dire, sans embal­
lage, contre 49 millions d’exem­
plaires en 2010.
« SANS BABIOLES »
Les ventes de mode durable sont
aussi en plein essor. Car, bien que
récente, la mutation des consom­
mateurs d’habillement est « radi­
cale », d’après une étude de l’Insti­
tut français de la mode (IFM).
Désormais, les Français regardent
les étiquettes des produits.
En 2019, « près de 30 % disent avoir
acheté un article de mode dura­
ble », entendu comme étant un
modèle fabriqué à partir d’une
matière recyclée, bio ou made in
France, rappelle Thomas Delattre,
professeur à l’IFM.
Le Slip français, qui signe des
pulls en laine de mouton du Tarn
et des maillots de bain en polyes­
ter recyclé, a enregistré une crois­
sance de 25 % de ses ventes, cette
année. La tendance devrait se
maintenir à Noël, période où la
marque aux 22 boutiques réalise
40 % de son activité.
Sur le marché des produits pour
la maison, la start­up française
The Trust Society rencontre aussi
son petit succès. Parmi les bon­
nes ventes de ce site fondé
en 2018 pour « accompagner les
personnes en phase de transition
écologique » figure une simple
éponge. Lavable, entièrement re­
cyclable et fabriquée en France
par Papa Poule Mama Cool, ce
modèle vendu la bagatelle de
14,90 euros est censé remplacer
une éponge synthétique jetable et
durer… deux ans. Bien que mé­
connue, cette jeune pousse en
vend « une centaine par mois »,
s’étonne son cofondateur, Pablo
Bouzy, persuadé que Noël 2019
peut se fêter « sans babioles » et
sans « made in China ».
Greenweez devrait également
signer un mois de décembre re­
cord. Depuis novembre, la fré­
quentation de ce site, qui propose
20 000 produits bio et écologi­
ques, s’envole de 40 % grâce à une
liste de « cadeaux zéro déchet », de
jouets en bois et de chocolats bio.
The Naked Shop rencontre aussi
un grand succès. Entre 80 et
90 personnes se rendent, chaque
jour, dans cette boutique ouverte,
fin 2018, rue Oberkampf, à Paris.
Certes, cette tendance ne pèse
guère encore dans le domaine de
la grande consommation. Le mar­
ché des cosmétiques bio est ultra­
minoritaire. Malgré des ventes en
hausse de près de 30 % dans les
hypermarchés français, ces pro­
D’après l’Institut
français
de la mode,
l’habillement
durable
représenterait
déjà 7 milliards
d’euros de chiffre
d’affaires
duits certifiés pèsent 2 % environ
du chiffre d’affaires que brassent
les grandes surfaces alimentaires,
premier circuit de vente de pro­
duits cosmétiques dans l’Hexa­
gone. Et, au sein d’un marché
mondial évalué à 550 milliards de
dollars (496 milliards d’euros),
Lush n’est qu’un petit acteur de
l’industrie des cosmétiques, re­
connaît aussi Mark Constantine.
Mais ce qui, voilà deux ans,
n’était encore « qu’un signal fai­
ble », convient Françoise Leh­
mann, directrice générale de Lan­
côme, filiale du géant L’Oréal, est
désormais une tendance qui
« monte en flèche ». D’après l’IFM,
la mode durable représenterait
déjà 7 milliards d’euros de chiffre
d’affaires. « C’est tout de même
15 % des ventes d’habillement en
France », rappelle M. Delattre.
Les PME s’empressent de défen­
dre leur terrain. Greenweez, filiale
de Carrefour depuis 2016, a ra­
cheté son concurrent italien Sor­
gente Natura, en octobre. Quel­
ques mois après son ouverture,
The Naked Shop a lancé son site
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
d’e­commerce et prépare un
deuxième magasin pour le prin­
temps, à Paris, dans le 9e arrondis­
sement. Altermundi, dont les
ventes ont bondi de 30 % en deux
ans, à périmètre constant, promet
d’accélérer son expansion en Ile­
de­France en 2020 : elle ouvrira
une douzaine de magasins d’ici à
2023. Le Slip français, lui, a ouvert
cinq magasins.
Pour défendre leur part de mar­
ché, les multinationales enta­
ment aussi leur mue. Le géant
Unilever – il produit quelque
700 000 tonnes de plastique par
an pour emballer ses sham­
pooings Dove ou sa lessive Skip –
promet de diviser par deux son
utilisation de plastique vierge. Il a
fixé pour Dove de nouveaux ob­
jectifs de développement durable.
Sa marque­phare s’est engagée
dans une « démarche zéro plasti­
que » en supprimant l’emballage
maudit de ses pains de savon.
Bientôt, elle produira un sham­
pooing solide.
Chez L’Oréal, la révolution est en
cours depuis… 2013. D’ici à 2025,
100 % de ses emballages en plasti­
que seront rechargeables, réutili­
sables, recyclables ou composta­
bles. La marque Garnier a étendu
sa gamme de produits bio cette
année. Lancôme vient de lancer
une fontaine à parfum pour per­
mettre aux consommatrices de
sa dernière fragrance, Idole, de
remplir leur flacon vide en maga­
sin. Une première fontaine a été
installée dans le magasin ouvert
sur les Champs­Elysées, à Paris,
fin novembre. 
juliette garnier
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Apple prépare son déploiement en Inde
Le groupe américain lance la production locale de l’iPhone et ouvre son premier Apple Store
bombay ­ correspondance
V
oilà une bonne dizaine
d’années que la ru­
meur bruissait à Bom­
bay, capitale économi­
que de l’Inde : un centre commer­
cial du futur allait ouvrir dans le
quartier d’affaires de Bandra
Kurla Complex (BKC), près de l’aé­
roport international. Le Maker
Maxity, du nom du promoteur
immobilier Manish Maker, 45 ans,
devrait finir par ouvrir ses portes
au mois d’avril 2020, après des vi­
cissitudes administratives et fi­
nancières qui ont conduit le mil­
liardaire Mukesh Ambani à en
prendre le contrôle capitalistique.
Des centaines d’ouvriers s’acti­
vent pour terminer l’aménage­
ment d’un toit­terrasse en dri­
ve­in, où les habitants de la méga­
pole de 21 millions d’habitants
viendront voir des films en voi­
ture. C’est à l’intérieur de ce bun­
ker que la firme à la pomme va
inaugurer son premier Apple
Store indien, en septembre 2020.
Un événement historique dans ce
pays gigantesque, deuxième plus
grand marché de smartphones au
monde − 142,2 millions d’unités y
ont ainsi été vendues en 2018,
d’après le cabinet IDC − et numéro
un en termes de croissance
(+14,5 % entre 2017 et 2018).
Le groupe américain n’arrive pas
à percer en Inde, en raison des prix
élevés qu’il pratique, auxquels
s’appliquent 20 % de droits de
douane. L’iPhone XR à 64 gigabits
de mémoire ressort ainsi à
47 900 roupies (610 euros) quand
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le Samsung Galaxy S9 est à
29 999 roupies (382 euros). Apple
ambitionne de capter un jour « un
tiers » des ventes en Inde, mais,
pour l’instant, les experts s’accor­
dent à dire que sa part de marché
s’établit à « 1 % en volume et 3 % en
valeur ». En 2018, elle aurait même
vu ses ventes chuter de moitié, à
1,7 million d’unités, selon IDC. Au
dernier pointage effectué par le ca­
binet Counterpoint, fin septem­
bre, ce sont le chinois Xiaomi et le
sud­coréen Samsung qui domi­
nent très largement le marché.
Jusqu’à présent, la firme dirigée
par Tim Cook n’avait d’autre
choix que de vendre ses iPhone et
iPad à travers des réseaux de fran­
chises indiens, sous agrément Ap­
ple, car elle ne fabriquait pas ses
produits en Inde. Dans le pays, la
réglementation impose aux in­
dustriels étrangers de se procurer
« au moins 30 % » de leurs compo­
sants auprès de fournisseurs lo­
caux pour avoir le droit de vendre
leurs produits dans des boutiques
en propre.
Des conditions assouplies
Avec la volonté du gouvernement
Modi de hisser l’Inde dans l’ère de
la modernité, les choses sont en
train de changer. Depuis son ac­
cession au pouvoir, en 2014, le lea­
der nationaliste s’efforce de faire
de son pays le nouvel atelier de la
planète, grâce au programme
« Make in India », qui offre des
avantages aux investisseurs prêts
à prendre le risque d’affronter la
paperasserie légendaire, la corrup­
tion endémique et le faible niveau
ef
ef
FORFAIT MODULES
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de productivité. Une politique
supposée répondre au problème
lancinant du chômage, dont le ni­
veau n’a jamais été aussi haut de­
puis les années 1970. L’exercice est
rendu difficile par le fort ralentis­
sement économique observé de­
puis un an.
« L’idée du gouvernement est de
faire passer le marché indien du té­
léphone de 25 milliards à 400 mil­
liards de dollars [de 22,6 milliards
d’euros à 362 milliards d’euros]
d’ici à 2024, dont une part substan­
tielle sera destinée à l’export », indi­
que Pankaj Mohindroo, président
de l’association professionnelle
Indian Cellular & Electronics.
En août, les conditions d’inves­
tissement des commerces mono­
marques étrangers ont été assou­
plies. Désormais, les produits fa­
briqués en Inde et destinés à
l’export entrent aussi dans le cal­
cul de la fameuse règle des 30 %
pour une période de cinq ans. Cela
change tout pour Apple. Et, depuis
quelques mois, le groupe met en
place une machine de guerre à la
hauteur des enjeux. D’après le
quotidien Times of India, elle serait
en train d’investir « 1 milliard de
dollars en Inde à travers plusieurs
partenaires, avec l’objectif de ré­
pondre à la demande de ses pro­
duits sur les marchés mondiaux ».
Si Apple mise autant sur le pays,
cela signifie­t­il qu’elle laisse tom­
ber la Chine, avec laquelle les Etats­
Unis sont en guerre commerciale
ouverte ? « Chez nous, les coûts du
travail sont moitié moins élevés et il
y a une main­d’œuvre pléthorique,
avec des ingénieurs talentueux », a
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En 2018, la firme
aurait vu ses
ventes chuter
de moitié dans le
pays, à 1,7 million
d’unités, selon
le cabinet IDC
expliqué à l’agence Bloomberg le
directeur pays de Foxconn India,
Josh Foulger.
Le fabriquant taïwanais de
smartphones, réputé pour faire
travailler 1,3 million d’ouvriers en
Chine, assemblait jusqu’ici près de
la moitié des iPhone vendus dans
le monde à Zhengzhou (Henan,
est de la Chine), soit 500 000 uni­
tés par jour : on comprend que les
autorités indiennes lui déroulent
le tapis rouge et ferment les yeux
sur les entorses au droit du travail
(usage abusif de l’intérim, dépas­
sement des heures supplémentai­
res autorisées et soupçon de tra­
vail forcé) dont l’industriel est ac­
cusé par Pékin.
En Inde, Foxconn a mis en route
en 2015 une première usine dans
la zone économique spéciale de
Sri City (Andhra Pradesh), au nord
de Madras. Puis, une deuxième, à
deux heures de route de là, à Sripe­
rumbudur (Tamil Nadu). Les deux
emploient 15 000 et 12 000 per­
sonnes respectivement. D’ici à
2023, elles seront agrandies et as­
sorties de deux sites de fabrication
supplémentaires. Foxconn assem­
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économie & entreprise | 19
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Aramco entre en Bourse
avec une hausse de 10 %
du prix de ses parts
L’action du géant pétrolier
Saudi Aramco s’est envolée
de 10 % pour ses débuts en
Bourse, mercredi 11 décem­
bre, sur la place financière
ble des téléphones pour Xiaomi et de Riyad, passant de 32 riyals
Nokia, mais monte en puissance (7,7 euros) à 35,7 riyals
sur les iPhone de dernière généra­ (8,6 euros). En introduisant
tion, tandis que les anciennes ver­ 1,5 % d’Aramco sur les
sions 6S et 7 ont été confiées, dans marchés, le gouvernement
des quantités modestes, à un autre saoudien a levé 25,6 milliards
sous­traitant taïwanais, Wistron, de dollars (23,1 milliards
qui dispose d’une chaîne de pro­ d’euros), valorisant l’entre­
duction à Bangalore (Karnataka). prise à 1 700 milliards
Au mois d’octobre, les premiers de dollars. Dès l’ouverture,
iPhone XR « made in India » sortis la valorisation de la société
des usines Foxconn sont arrivés s’est rapprochée des
chez les revendeurs Apple locaux. 2 000 milliards de dollars,
Et, fin novembre, le ministre in­ la somme recherchée par le
dien des technologies de l’infor­ royaume à l’annonce de
mation, Ravi Shankar Prasad, a ré­ l’opération. – (AFP, Reuters.)
vélé qu’Apple venait de nouer un
partenariat avec Salcomp, fabri­ LUX E
quant chinois de chargeurs pour Safilo va supprimer
téléphones, afin de reprendre une 700 emplois en Italie
ex­usine Nokia à Sri City, qui re­ en 2020
prendra du service pour l’iPhone, Le fabricant italien de lunet­
à compter de mars 2020. tes Safilo, ancien sous­trai­
Prochaine étape : le commerce tant de LVMH, a annoncé,
en ligne. Apple aurait prévu de mardi 10 décembre, la sup­
dépenser 10 milliards de roupies pression de 700 emplois
dans une plate­forme en Inde et en 2020. Ce plan fait suite à la
dans l’ouverture, d’ici trois ans, perte des contrats de licence
de trois Apple Store à Bombay, à de Dior, marque de luxe de
Delhi et dans une autre ville à dé­ LVMH qui, en avril 2019, a
terminer. monté une usine dans le pays
La boutique du Maker Maxity en partenariat avec Marcolin.
– on le sait d’ores et déjà – dépas­ Il est destiné à « sauvegarder
sera les 2 000 m2 et s’étalera sur la compétitivité de l’entreprise
trois étages. Pour le moment, la en faveur des employés qui
firme de Cupertino (Californie) resteront en place », précise la
avance ses pions dans la plus direction de Safilo, qui em­
grande discrétion. « Nous sommes ploie près de 3 000 person­
impatients », a­t­elle déclaré dans nes. Début octobre, Kering,
un communiqué laconique publié concurrent de LVMH, avait
à l’été. Une façon de dire, sans annoncé renouveler son
doute, que l’Inde reste un parcours contrat de trois ans avec
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JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

ÉTUDES  DE  SANTÉ

Devenir
médecin
malgré tout
S’ils restent passionnés par le métier,
les étudiants en médecine d’aujourd’hui
n’entendent plus y sacrifier leur vie
ni taire les conditions d’exercice à l’hôpital

E
lle porte la blouse blanche et
des lunettes rondes. On l’a « TOUTES CES TÂCHES 
croisée au détour d’un couloir QU’ON ACCOMPLIT ALORS 
du secteur bleu, celui de la mé­
decine interne et immunologie clini­ QU’ELLES NE SONT PAS 
que. Loïse Piquemal, Tourangelle de
23 ans, a choisi la spécialité du Dr House DE NOTRE RESSORT : 
pour ses six semaines de stage à l’hôpi­
tal Bretonneau, l’unité historique du
ON TOMBE DE HAUT »
centre hospitalier régional universitaire SARAH EL YAHIAOUNI
(CHRU) de Tours, sous la houlette du en 6e année à la Sorbonne, à Paris
professeur François Maillot.
Avec une mère pédopsychiatre dans le
service voisin et un père interniste à Blois, le grand bain des urgences de la Timone.
l’étudiante se sent ici comme à la maison. Sur Facebook et Instagram, « pour dé­
« J’ai grandi là­dedans. C’est tellement un compresser », il ironise sur le quotidien
univers à part que je ne me suis jamais ima­ des étudiants en médecine. Quelque
ginée ailleurs », souffle celle qui entame 160 000 abonnés s’identifient à ses bla­
sans douleur – ou presque – sa cinquième gues récurrentes sur le manque de som­
année de médecine. « Bien sûr que c’est cre­ meil ou l’amour du surligneur. « Franche­
vant l’externat, mais j’aime trop ça. » ment, pendant l’externat, je me suis dit à
Dans un contexte de crise de l’hôpital plusieurs reprises : “Stop, on arrête le mas­
public, alors que l’intersyndicale natio­ sacre.” C’est ma maman qui m’a fait tenir, je
nale des internes a appelé à une grève ne pouvais pas supporter de la décevoir »,
illimitée depuis le 10 décembre, de nom­ raconte ce fils d’une nounou et d’un lé­
breux étudiants en médecine se sen­ gionnaire – aucun de ses parents, originai­
tent, malgré tout, passionnés par leur res de Tunisie, n’a le brevet des collèges.
future profession. A l’école primaire Entre­soi, pression forte et vie sociale
déjà, Loïse Piquemal voulait devenir mé­ faible : les carabins sont unanimes quant à
decin à tout prix : son amoureux était la rudesse de leurs études. En 2018, avec
hémophile. Aujourd’hui, quelle que soit son rapport sur « la qualité de vie des
la spécialité, elle souhaite exercer plus étudiants en santé », la docteure Donata
tard en ville et à l’hôpital, « pour soigner Marra pointait du doigt l’ampleur des ris­
tout le monde, sans délit de faciès ». ques psychosociaux auxquels ces jeunes
sont confrontés chaque jour : stress chro­
Vocation n’est pas dévotion nique, troubles anxio­dépressifs, burn ISABEL ESPANOL
Et peu importent les contraintes. « Oui, s’il out… Tel un refrain générationnel, Aurore
le faut, je suis prête à sortir à 23 heures. Je Franceschini, 21 ans, étudiante en qua­
n’en ai jamais souffert étant enfant avec trième année, revendique ainsi la
mes parents. Il faut faire les choses jusqu’au nécessité de « prendre soin de soi pour pou­ battant d’une durée de dix à douze ans. sa maladie chronique, la mucoviscidose, des interrogés, « que la responsabilité de
bout, même si je me sens en décalage avec voir prendre soin des autres ». « Dès le premier stage, je me suis dit : “O.K., est confrontée à l’hôpital depuis sa nais­ redynamiser ces endroits ne devrait pas
d’autres jeunes de ma génération », assu­ Encore faut­il avoir réellement le choix, c’est pas comme dans les séries” », se re­ sance. « J’ai toujours admiré le travail des incomber aux étudiants en médecine ».
me­t­elle, néanmoins préoccupée par souligne Céline Avenel, docteure en scien­ mémore Sarah El Yahiaouni, 23 ans, en médecins. J’avais envie de pouvoir faire Plus que « médecin héroïque à l’an­
l’avenir du système de santé français. ces de l’éducation à l’université de Mont­ sixième année à la Sorbonne, à Paris. Les comme eux, de rendre la pareille », résu­ cienne » (comprendre « corvéable à mer­
Mais cette « vocation » n’a plus, chez les pellier, qui a notamment travaillé sur les murs fissurés de l’hôpital, toutes ces tâ­ me­t­elle. Jonglant entre la kiné respira­ ci »), elle s’imagine « médecin de fa­
futurs médecins, l’aspect absolu qu’elle transitions identitaires des entrants en ches qu’on accomplit alors qu’elles ne sont toire, les matinées de stage à l’hôpital, les mille », intégrée à la vie d’un village, por­
pouvait avoir hier. Désormais, dans toutes médecine. « En début de cursus, les jeunes pas de notre ressort : on tombe de haut. » révisions et autres inhalations, Aurore tant aussi les casquettes d’assistante so­
les facultés, une grande majorité d’étu­ mettent en avant des arguments très Depuis la classe de troisième, Sarah a tient le choc pour, un jour, exercer la gy­ ciale, de psychologue, voire de postière à
diants envisage la médecine comme un purs : ils ont un intérêt fort pour l’humain, néanmoins gardé le même rêve : devenir nécologie, sa « spécialité coup de cœur, ses heures perdues.
métier et non comme une dévotion, refu­ et la médecine leur procurera une belle chirurgienne et répondre à des crises hu­ l’une des rares où l’on ne voit pas que des A Tours, en région Centre­Val de Loire,
sant d’y laisser leur vie ou leur santé. qualité de vie, explique­t­elle. Mais, lors­ manitaires. « On ne naît pas médecin. Si gens malades ». démographiquement pauvre en profes­
« J’ai choisi d’être généraliste pour pou­ qu’ils découvrent la réalité du terrain, ils certains pensent qu’on a la vocation, elle Céline Atar, 22 ans, étudiante en qua­ sions médicales, Patrice Diot, le doyen de
voir fuir l’hôpital le plus vite possible. Moi, sont obligés de s’adapter à des cadres et peut aussi se perdre rapidement. Nous, on trième année à Besançon, se sent égale­ la faculté de médecine, cherche à repeu­
je veux des horaires de bureau, comme des rites très ancrés. » est à la bibliothèque pendant que d’autres ment « fière » de son métier et de son par­ pler les déserts médicaux en diversifiant
tout le monde », déclare, sous pseudo, Beaucoup nous l’ont avoué : à 17 ans, profitent de leur jeunesse. » cours, malgré plusieurs redoublements. le profil de ses étudiants. « Les départe­
ECSDM (pour « Et ça se dit médecin », son s’ils avaient su ce que signifiait s’inscrire Ses parents, d’un milieu ouvrier, lui ont ments les plus touchés par le manque de
nom de scène sur les réseaux sociaux), en Paces (première année commune aux Un statut privilégié soufflé l’idée de la médecine, faute d’avoir praticiens sont ceux qui envoient le moins
interne en médecine générale à Mar­ études de santé), ils n’auraient sûrement Malgré tout, beaucoup d’étudiants pu eux­mêmes tenter leur chance. « A leurs de bacheliers en Paces, déplore­t­il. Pour­
seille, « écœuré » par son plongeon dans pas signé pour un tel parcours du com­ reconnaissent que ce métier leur offrira yeux, c’est un métier sécurisant parce qu’on tant, un jeune qui a grandi dans un milieu
un statut très privilégié dans la société, n’a pas besoin d’aller chercher le client. L’ar­ rural ira plus facilement s’y installer par la
assorti d’une sécurité de l’emploi. En gent vient directement à vous », note la suite. Notre recrutement est encore trop
Dès 2020, deux chemins pour devenir médecin temps de guerre ou de catastrophe
climatique, on aura toujours besoin de
Montbéliardaise. Céline sera médecin de
campagne, pour être son propre patron.
citadin, avec une surreprésentation des
catégories sociales supérieures, 65 % de
Fin du numerus clausus, fin de la très compétitive première année commune médecins. Et ceux­là ne connaîtront « Ma région est un désert médical à elle filles, des bacs S avec mention très bien.
aux études de santé (Paces ) : les études de santé seront bouleversées à partir jamais le chômage. ECSDM énumère seule. » Si elle aime le vert et les grands Nous devons casser ces codes. »
de la rentrée 2020. L’enjeu de la réforme ? Eviter le gâchis humain de l’actuel avec joie les multiples portes qui lui se­ espaces, elle affirme, comme la totalité Lui­même fils de médecin de campagne,
concours couperet, tout en diversifiant les profils des futurs professionnels. ront bientôt ouvertes, que ce soit en exer­ « viscéralement attaché au territoire », ce
« Avant, il y avait une voie d’accès unique aux études médicales. Si, au bout cice groupé dans une maison de santé ou, professeur en pneumologie réinterprète
de deux tentatives au concours, on n’était pas reçu, on se retrouvait perdu idéalement, avec la reprise du cabinet le concept de vocation : « Aujourd’hui, c’est
dans la nature sans bouée de sauvetage », explique Maxime Tournier, d’un généraliste retraité. « AUJOURD’HUI, fini, la médecine n’est plus un sacerdoce.
vice-président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France. Alors que son salaire d’interne atteint Mais la motivation des jeunes reste aussi
Le futur système offrira deux voies qui fonctionneront sur un modèle actuellement 1 401 euros net par mois LA MÉDECINE N’EST  forte qu’avant. Ils veulent servir, au sens no­
de majeure et mineure. L’étudiant pourra s’inscrire dans le parcours d’accès pour soixante heures de travail par PLUS UN SACERDOCE.  ble et généreux, la santé des patients. »
spécifique santé (PASS), qui s’apparentera à l’ancienne Paces, avec, en plus, une semaine, l’étudiant évoque son « ascen­ A l’image de Loïc Le Moine, étudiant en
option à choisir (biologie, droit, anglais…) dans laquelle il pourra poursuivre sion sociale » sans sourciller : « Faire mé­ MÊME SI LA MOTIVATION  cinquième année à Brest, futur urgentiste
son cursus, en cas d’échec à l’examen de première année. Ou bien il pourra faire decine, c’est encore très valorisant et très à l’hôpital : « Les urgences, c’est polyvalent,
une licence dans la discipline de son choix (maths, histoire, chimie…) avec prestigieux. » Et comme Loïse à Tours, au­ DES JEUNES RESTE  donc exaltant. Je le vois comme une mis­
une option « accès santé ». Il passera un examen d’accès aux études médicales delà du symbole de réussite, il se dit « fier sion de service public. Cette conviction ne
en fin de première année. S’il n’est pas reçu, il poursuivra sa licence. d’avoir une utilité concrète et directe dans
AUSSI FORTE QU’AVANT » m’a jamais quitté. » Et de préciser, s’il le
Dans les deux cas, pour les recalés qui ne seraient pas satisfaits la société ». Parfois, la fierté vient PATRICE DIOT fallait : « On ne choisit pas ce métier pour
de leur orientation, il sera possible de repasser l’examen d’accès aux études d’ailleurs. La performance relève de l’ex­ doyen de la faculté rouler en Porsche sur la Côte d’Azur. » 
de santé en troisième année de licence. ploit pour Aurore Franceschini, qui, avec de médecine de Tours léa iribarnegaray
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
La formation des futurs gynécologues repensée
L’enseignement de cette spécialité commence à évoluer, à des degrés différents selon les universités
E
tudiante en troisième an­
née de médecine à Lyon­
Est, Lisa ne compte plus le
nombre de fois où elle est
sortie d’amphi « choquée » par ses
premiers cours de gynécologie.
« Le professeur nous faisait écrire
que les femmes sont plus enclines à
avoir des relations sexuelles avec
des sentiments, quand les hommes
sont plus dans le visuel. Ce sont des
clichés sans fondements biologi­
ques. Il y avait aussi beaucoup de
jugements sur certaines sexualités,
des propos sexistes ou infantili­
sants. Quel type de médecin ces en­
seignements feront­ils de nous ? »,
se désole la jeune femme de 19 ans.
Cette question, le Haut Conseil à
l’égalité (HCE) a tenté d’y répondre
en 2018. Dans son rapport où il
alerte sur la multiplication des
violences gynécologiques et sur le
« sexisme ambiant » dans le
monde médical, le HCE recom­
mande, dans le cadre de la forma­
tion des gynécologues, de repen­
ser le rapport aux patientes, les
pratiques obstétriques – notam­
ment les épisiotomies [incision du
périnée lors de l’accouchement], ou
l’accueil des personnes LGBTI. Des
défis multiples pour une forma­
tion « trop paternaliste et autori­
taire », convient la ministre de la
santé Agnès Buzyn, auditionnée
pour ce rapport.
Parmi les violences obstétricales
ou gynécologiques répertoriées
par l’Institut de recherche et d’ac­
tion pour la santé des femmes fi­
gurent l’imposition d’actes (frot­
tis, touchers vaginaux) hors des re­
commandations de la Haute auto­
rité de santé, d’examens cliniques
non consentis, les jugements hu­
miliants, les violations de l’intimi­
té ou de la confidentialité. Mais
aussi le refus de poser un stérilet à
une jeune femme, ou de recourir
à la péridurale demandée par la
patiente, le retrait d’implant
sous­cutané ou la réfection d’épi­
siotomie sans anesthésie locale…
« Un climat très dur règne dans la
formation médicale, que ce soit
dans les rapports hiérarchiques
entre internes et médecins ou dans
la très sexiste culture carabine. Cela
imprègne les mentalités et les
schémas de comportement des fu­
turs médecins, et peut rejaillir dans
leurs pratiques », analyse Margaux
Collet, corapporteure de l’étude du
HCE. « La relation patient­soignant
et l’empathie sont délaissées tout
au long du cursus, au profit de la
technique, ajoute­t­elle. On pense
que le gynécologue n’aurait pas be­
soin d’associer la patiente à la prise
de décision. Ce sont autant de cho­
ses à bousculer d’urgence. »
Côté praticiens, certains dénon­
cent une forme de « gynéco
bashing » et la généralisation de
cas particuliers. Ils rappellent
l’existence d’impératifs médicaux
ou de contraintes liées au temps,
mais réfutent le terme de « violen­
ces » gynécologiques.
Une position partagée par Made­
leine, étudiante de 22 ans : « Le dé­
bat peut exister sur certains gestes,
mais beaucoup de polémiques sont
galvaudées. Par exemple, on repro­
che aux étudiants de ne pas dire
explicitement qu’ils sont étudiants
avant une consultation mais, dans
les hôpitaux universitaires, c’est
« CELA DEMANDERA  tion de la prévention des violences
DU TEMPS DE  dans le référentiel des connaissan­
MODIFIER L’ENSEMBLE  cle de médecine. « Avec la réforme
DES PRATIQUES »
PHILIPPE DERUELLE
membre du Collège national
des gynécologues
et obstétriciens français
campus | 21
une évidence ! Quant au consente­ [cours en ligne] pour le troisième objectifs globaux pour sensibiliser ces sont trop dépendantes de cha­
ment, effectivement, nous devons « AVEC LA RÉFORME cycle, ou encore faire intervenir à ces questions, mais ce sont en­ que faculté », observe le médecin,
légalement le demander avant tout DES ÉTUDES DE SANTÉ,  des « patients experts » sont aussi suite aux universités de les décliner qui prend pour exemple la ques­
acte. » « Mais, parfois, demander des mesures en réflexion. de manière autonome dans leurs tion du consentement, « loin d’être
donne l’impression qu’on doute de NOUS ALLONS VERS  maquettes : on ne peut pas vérifier inculquée partout de la même ma­
soi­même et cela insécurise la « L’expérience des femmes » les applications sur le terrain, si ce nière ». Les universités et les CHU
patiente. On peut se contenter de UNE AUTRE VISION  « Le rapport au corps change chez n’est par les évaluations de fin de pourront­ils être mis au diapason ?
dire : “Je vais vous examiner.” Au­ PÉDAGOGIQUE » les jeunes médecins pendant leur deuxième cycle », pointe Antoine « Sur des sujets de fond comme
jourd’hui, le patient tend à être mis cursus. Dans la confrontation à la Tesnière, conseiller santé au mi­ ceux­ci, on ne peut pas se reposer sur
au cœur de la décision, et les méde­ JEAN SIBILIA mort et à la maladie, beaucoup per­ nistère de l’enseignement supé­ le bon vouloir de chacun », alerte
cins ont de plus en plus de mal à af­ président de la Conférence des dent de leur pudeur mais aussi de rieur, missionné dans le cadre de Margaux Collet. « Des enseignants
firmer que tel choix, reposant sur doyens des facultés de médecine leur tact. Et cela impacte le relation­ la réforme des études de santé. doivent être formés et mobilisés sur
des connaissances médicales, se­ nel, explique Philippe Deruelle, à Cela constitue un véritable pro­ des cours obligatoires consacrés
rait le meilleur », dénonce­t­elle. qui a été confié un groupe de tra­ blème, pour Gilles Lazimi, profes­ aux violences ou à la bientraitance,
Difficile, dans ce contexte, de tage, affirme Jean Sibilia. Dans ce vail sur les patients experts. Inté­ seur en médecine générale à Sor­ ajoute Gilles Lazimi. Parce que, s’il
mettre en cause les pratiques. « Il a cadre, l’accueil des patientes et la grer l’expérience des femmes, leur bonne Université, qui a participé à s’agit d’ajouter des tâches supplé­
été très difficile de faire admettre le connaissance du sujet des violences parole et leurs attentes me semble de nombreux travaux sur la santé mentaires à des professeurs déjà dé­
terme de “violences gynécologi­ seront évalués en fin de second cy­ alors essentiel pour la formation. » des femmes et sur les violences à bordés par leurs enseignements ini­
ques” aux collègues, reconnaît Phi­ cle. » Renforcer la prévention des Pour autant, difficile de présager leur encontre. « La lutte contre le tiaux ou peu au fait de la question,
lippe Deruelle, secrétaire général violences dans les cours de scien­ l’application sur le terrain de ces sexisme et la mise en place d’ensei­ cela ne fonctionnera pas. » 
pour l’obstétrique au Collège na­ ces humaines, créer un MOOC annonces. « Le ministère fixe des gnements innovants sur les violen­ alice raybaud
tional des gynécologues et obsté­
triciens français, qui travaille à l’in­
tégration de cette problématique
dans le cursus médical. Petit à pe­
tit, il a pourtant bien fallu se rendre
à l’évidence que ces dysfonctionne­
ments existent, et qu’il s’agit de les
traiter en conséquence. »
Après une « phase de déni », il dit Du 2 au 25 décembre 2019
voir désormais apparaître une
« prise de conscience de la profes­
sion ». « Cela demandera du temps
de modifier l’ensemble des prati­
ques, mais le changement est en
marche », assure Philippe Deruelle,
par ailleurs chef du pôle gynécolo­
gie au CHU de Strasbourg.
Le président de la Conférence des
doyens des facultés de médecine,
Jean Sibilia – qui convient n’avoir
Découvrez la nouvelle génération d’ordinateurs,
« pas saisi l’ampleur de ces abus »
avant le rapport du HCE –, affirme
lui aussi son engagement sur ce
front : « Notre responsabilité de for­ sûrs, rapides, intelligents
mateurs est de dénoncer l’intoléra­
ble que sont ces violences. La for­
mation doit être complétée pour
faire de ces questions une priorité. »
« Changements insuffisants »
Certains étudiants observent aussi
qu’un changement s’amorce. « Au
début de ma formation, on nous
apprenait que les épisiotomies de­
vaient être quasi systématiques, ra­
conte Claire Cardaillac, interne en
gynécologie au CHU de Nantes.
Cela a beaucoup changé. Dans mon
hôpital, le taux d’épisiotomies a
chuté : on doit justifier leur recours,
et s’assurer à chaque fois qu’on a
bien demandé le consentement. »
Des universités ont ouvert des
diplômes universitaires (DU) sur
les violences faites aux femmes, et
des centres de simulation pour
s’entraîner aux examens gynéco­
logiques. La révélation, en 2015, de
pratiques de touchers vaginaux
non consentis effectués par des
étudiants sur des patientes endor­
mies avait provoqué un tollé.
Malgré cela, « les changements
sont insuffisants », regrette Océane
Pécheux, présidente de l’Associa­
tion des gynécologues et obstétri­
ciens en formation. « Nous abor­
dons les problématiques de violen­
ces gynécologiques en congrès,
cependant on ne les voit toujours
Chromebook Asus
pas apparaître dans les intitulés de C433TA-AJ0022
cours. Quant aux questions LGBT,
699€ 599€
celles liées au plaisir dans la sexua­
lité ou à la relation patient­méde­
cin, on est encore trop peu, voire pas
du tout, préparés dans les premiers
cycles et pendant l’internat. »
Sur ces points, les lignes pour­
raient bouger à partir de la rentrée
2020. Dans les tuyaux : l’inscrip­
gynécologiques et obstétricales
ces à acquérir durant le second cy­
des études de santé, nous allons
vers une autre vision pédagogique :
Boulanger RCS Lille B 347 384 570 - Boulanger SA au capital de 40 611 564 €
l’objectif est désormais de former Siège social Avenue de la Motte 59810 Lesquin
davantage l’étudiant à la compé­
tence clinique, avec plus d’ateliers et
de simulations et moins de bacho­
22 | management 0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

Le turnover des salariés pénalise CARNET DE BUREAU 

CHRONIQUE PAR ANNE RODIER 

la sécurité informatique La grève sauvera-t-elle

Le départ de collaborateurs expose les données de l’entreprise à des risques majeurs
la « prime Macron » ?
D
ans le secteur de l’in­ fins d’intelligence économique. » quête d’Ivanti, cela serait le cas
Les spécialistes

formatique, on les ap­
pelle les « comptes
fantômes ». Ce sont
des mails, des autorisations d’ac­
cès à telle ou telle application, at­
tachés à des utilisateurs qui ne
sont plus dans l’entreprise. Passés
à travers les mailles du filet sécuri­
taire, certains sont toujours
ouverts plusieurs années après le
départ du collaborateur, sans que
les spécialistes de la protection
des données en aient connais­
sance. « C’est un magnifique vec­
teur d’action pour les hackeurs »,
affirme Jean­Benoît Nonque, vice­
président France, Europe du Sud,
Moyen­Orient et Afrique de la so­
ciété informatique Ivanti.
Laissés sans surveillance, ces
comptes ne validant plus de mise
à jour constituent une porte d’en­
trée privilégiée pour les cyberatta­
ques. « Cela engendre une vulnéra­
bilité pour l’entreprise, confirme
Frans Imbert­Vier, PDG de la so­
ciété Ubcom, spécialisée dans la
cybersécurité. Utilisés pour usur­
per une identité, ils permettent
d’avoir accès à des données et, le
plus souvent, de les subtiliser à des
LES CHIFFRES
Selon un sondage OpinionWay
pour le Club des experts de la sécu-
rité de l’information et du numéri-
que publié en janvier 2019 :
80 %  formation et du numérique
des grandes entreprises disent
avoir été touchées par au moins
une cyberattaque.
59 %  pour un salarié sur le départ de
des grandes entreprises touchées
estiment que l’attaque a affecté
leur production.
Dans d’autres cas, ces mêmes
données seront « paralysées »,
donc rendues illisibles, et une ran­
çon sera demandée pour obtenir
la clé nécessaire à leur restaura­
tion. Autant d’attaques qui peu­
vent se révéler mortelles pour les
entreprises.
Si le phénomène demeure mi­
noritaire, il n’est pas exception­
nel. Selon une étude menée par
Ivanti, « plus de la moitié des pro­
fessionnels de l’IT [technologies de
l’information] connaissent au
moins une personne qui a toujours
accès aux applications et données
de son ancien employeur ».
Les cas atypiques
Les enjeux sécuritaires entourant
le départ de collaborateurs ont eu
tendance à s’amplifier ces derniè­
res années, à mesure que la ga­
laxie d’acteurs interagissant avec
l’entreprise s’est complexifiée.
Les changements d’entreprise
sont plus fréquents parmi les jeu­
nes salariés, les collaborations
ponctuelles avec des free­lances
se multiplient. Ce qui implique
une inflation des droits d’accès
accordés… mais aussi une multi­
plication des procédures de re­
trait de ces mêmes droits, une
fois le travail pour l’entreprise
terminé. De quoi inviter à la vigi­
lance les professionnels des sys­
tèmes d’information.
« Le premier problème de ce tur­
nover aujourd’hui, c’est la fuite
d’informations », explique Alain
Bouillé, vice­président du Club
des experts de la sécurité de l’in­
(Cesin). Si les clauses de confiden­
tialité présentes dans les contrats
de travail peuvent freiner certai­
nes pratiques, une évidence de­
meure : « Il est extrêmement facile
faire des copies massives sur dis­
que externe ou de réaliser des en­
vois sur un site de partage. » Une
de la sécurité
appellent à une
meilleure
« hygiène
numérique »
pratique dont les conséquences
peuvent, là encore, être considéra­
bles, en particulier si le collabora­
teur part à la concurrence.
Pour pallier ces risques, la tech­
nologie est venue appuyer le tra­
vail des experts de la sécurité des
données. Pour repérer les salariés
cherchant à s’accaparer des infor­
mations, « certaines entreprises
mettent en place des solutions qui
permettent de détecter une exfil­
tration importante de données
sur un poste », explique Loïs Sa­
main, responsable de la sécurité
des systèmes d’information
(RSSI) adjoint chez EDF Renouve­
lables et membre du Cesin.
Afin de traquer les « comptes
fantômes », « des systèmes don­
nent la possibilité de réaliser une
recertification des droits, qui as­
sure que les comptes créés corres­
pondent bien à des personnes pré­
sentes », indique Alain Bouillé.
Une vérification qui permettra
notamment de détecter les cas
atypiques passés à travers les
mailles du filet (retraités venus
retravailler temporairement
dans l’entreprise, salariés en lon­
gue maladie…).
Au­delà, c’est « la mise en place
de procédures claires liées aux dé­
parts de collaborateurs qui doit
permettre de se prémunir des ris­
ques », résume le RSSI d’un grand
groupe. Des procédures qui doi­
vent être menées avec une « capa­
cité d’anticipation », insiste
M. Bouillé. Faute de quoi, un délai
sera observé avant la désactiva­
tion d’un compte. D’après l’en­
dans de nombreuses entreprises :
26 % des professionnels de l’IT es­
timent « qu’il faut plus d’une se­
maine pour entièrement déprovi­
sionner un collaborateur ».
« Pour que les procédures soient
efficaces, une collaboration étroite
avec les ressources humaines, qui
ont la connaissance des mouve­
ments de personnel, est aussi in­
dispensable », explique le RSSI
d’un grand groupe. En la matière,
des progrès doivent encore être
réalisés dans certaines entrepri­
ses, aux yeux de M. Imbert­Vier :
« La transversalité ne fait pas par­
tie de la culture de certaines gran­
des organisations, appuie­t­il. Par
conséquent, les changements con­
cernant le personnel ne sont pas
toujours transmis en temps réel. »
« L’hygiène numérique »
Enfin, les spécialistes de la
sécurité informatique appellent
aujourd’hui à une meilleure sen­
sibilisation à « l’hygiène numéri­
que ». Un accompagnement peut
être proposé. « Une nouvelle fonc­
tion apparaît dans certaines en­
treprises : le référent de cybersécu­
rité, capable de guider les entrants
comme les sortants sur les ques­
tions numériques », explique
Henri d’Agrain, délégué général
du Cigref, une association de
grandes entreprises et adminis­
trations, qui mène des travaux
sur le numérique.
Les processus mis en place dans
la société peuvent impliquer les
chefs de service, au fait des mou­
vements humains, mais aussi les
collaborateurs. Dans certaines
entreprises, le salarié sur le dé­
part doit impérativement se ren­
dre dans différents services pour
rendre effective la suppression de
son compte et de ses accès. Un
parcours obligatoire pour qu’il
puisse toucher son solde de tout
compte. 
françois desnoyers
L
a « prime Macron » reconduite par le projet de loi de
finances 2020 sera­t­elle portée par les entreprises ?
Le groupe Mercer vient d’interroger des grandes en­
treprises sur leurs intentions. « A priori, le succès sera
moindre qu’en 2019 », affirme Bruno Rocquemont, directeur
du département gestion des talents chez Mercer. Les chiffres
donnés au Monde par le cabinet de conseil en ressources hu­
maines indiquent qu’en un an la tendance s’est inversée :
70 % des entreprises interviewées n’envisagent pas de verser
de « prime Macron » en 2020, seules 29 % le feraient contre
73 % en 2019. Mais, précise M. Rocquemont, « il faut rester
prudent, ce n’est que le tout début du mouvement social et les
négociations annuelles obligatoires ne sont pas terminées ».
En 2019, les entreprises ont joué le jeu d’une prime excep­
tionnelle, répondant à l’appel de responsabilité sociale lancé
par le gouvernement. Le pouvoir d’achat était au cœur du
mouvement des « gilets jaunes ». La prime a atteint 401 euros
en moyenne pour quelque 4,8 millions de
salariés. Mais le contexte a changé. En dé­
EN 2020, 70 %  cembre 2018, les chiffres du chômage
s’amélioraient doucement. En décem­
DES ENTREPRISES  bre 2019, « la conjoncture économique n’est
N’ENVISAGENT PAS pas tout à fait la même. Si certains, comme la
Société générale, ont déjà communiqué sur
DE VERSER DE la reconduction de la prime, d’autres ne
joueront pas le jeu. Les entreprises de taille
« PRIME MACRON » intermédiaire [ETI] sont assez sceptiques »,
affirme Franck Chéron, associé capital
humain chez Deloitte.
Et les conditions d’exonération ont été modifiées. La prime
exceptionnelle de pouvoir d’achat mise en place par la loi du
24 décembre 2018 est défiscalisée et exonérée de charges
sociales, dans la limite de 1 000 euros par salarié, dont la ré­
munération annuelle est inférieure à trois fois le smic. C’est
toujours vrai. Cependant, en 2020, l’exonération est condi­
tionnée à l’existence ou à la mise en place d’un accord d’inté­
ressement. Outre le fait que « la récurrence d’une prime “ex­
ceptionnelle” commence à en énerver certains, il y a un pro­
blème de lisibilité du dispositif. L’intéressement, c’est le partage
de la réussite collective de l’entreprise, ce n’est pas un devoir de
solidarité », explique Franck Chéron.
Enfin, pour les petites entreprises, conditionner l’exonéra­
tion à un accord d’intéressement revient à supprimer la
prime. « Pour nos clients, qui sont à 93 % des TPE, c’est une com­
plexité supplémentaire : il faut faire un accord ou renoncer à la
prime. Très peu ont déjà un accord d’intéressement », affirme
Monia Dallai, responsable des pôles sociaux du cabinet d’ex­
pert comptable Sadec­Akelys. En 2019, les petites entreprises
avaient versé 560 euros en moyenne par salarié. Selon le Syn­
dicat des indépendants, 87 % des petites entreprises ne verse­
ront pas la prime en 2020. Pour les autres, « les arbitrages de­
vraient se faire en début d’année », précise M. Chéron. De quoi
laisser le temps à la pression sociale de faire son œuvre. 

AVIS D’EXPERT  | ENTREPRISES ENQUÊTES SUR LES PLATES-FORMES

Raison d’être et mission : des mots qui engagent

L a loi Pacte (Plan d’action pour la crois­

sance et la transformation des entrepri­
convenus. Car la loi stipule que la raison d’être
est « constituée des principes dont la société se
LE LIVRE biais d’enquêtes qualitatives et
quantitatives. Certaines plates­

ses) permet aux entreprises de se doter
d’une « raison d’être » et de l’inscrire dans leurs
statuts. Elles peuvent aussi aller plus loin et
adopter la qualité de « société à mission ». Ce
qui exigera un comité de mission et un contrôle
indépendant. Sur le terrain, plusieurs grandes
entreprises (Veolia, SNCF, ATOS…) ont déjà
publié leur raison d’être.
Par ailleurs, la « Communauté des entreprises
à mission », créée récemment, soutient ses
membres dans ces deux démarches. Un constat
s’impose déjà : pour exprimer des engagements
crédibles avec des textes, les entreprises doivent
adopter une démarche collective originale. Un
projet d’entreprise s’appuie habituellement sur
des indicateurs chiffrés. Mais la quantification
favorise aussi des illusions trompeuses. Ainsi,
les grandes faillites brutales (Thomas Cook) ou
les mésaventures des reprises d’entreprises
(Whirpool) rappellent la prudence indispensa­
ble vis­à­vis des données comptables.
Discussion et partage
En outre, les entreprises sont passées maîtres­
ses dans l’usage publicitaire du discours : c’est­
à­dire dans la mobilisation du langage pour sé­
duire, embellir. Il en résulte, par effet boome­
rang, que, venant d’une entreprise, les mots qui
décrivent une « raison d’être » ou une « mis­
sion » risquent d’être reçus comme de la com­
munication ou un « coup de pub ».
L’élaboration d’une raison d’être impose donc
un effort de crédibilisation. Cela vaut aussi pour
les sociétés à mission. La loi s’en est assurée en
demandant un contrôle interne et externe. Mais
comment démarquer une raison d’être de la
communication d’entreprise ? Deux exigences
ressortent des premières expériences. Il faut
d’abord résister à la tentation d’en dire le moins
possible ou de recourir à des objectifs chiffrés
L
dote et pour le respect desquels elle entend affec­ e terme d’ubérisation a formes externalisent du travail
ter des moyens dans la réalisation de son acti­ fait son entrée dans le dic­ qui ressemble à de l’emploi,
vité » (article 169). Au­delà de l’activité ordinaire tionnaire. Il s’agit, d’après d’autres proposent des micro­
de l’entreprise, il s’agit donc de trouver les mots Le Robert, de « transfor­ tâches à réaliser en ligne, d’autres
qui décrivent l’avenir que l’on veut construire en mer [un secteur d’activité] avec un transforment des loisirs en source
matière scientifique, sociale et environnemen­ modèle économique innovant ti­ de revenu complémentaire, tandis
tale. Et de tels mots n’exprimeront de vrais rant parti du numérique ». D’après que d’autres encore font venir en
engagements que s’ils servent de guide pour la définition, le numérique consti­ ligne des professionnels.
l’action et s’ils peuvent être mis à l’épreuve dans tue donc une occasion, si ce n’est La recherche collective s’est ras­ LES NOUVEAUX TRAVAILLEURS 
les décisions habituelles de l’entreprise. un prétexte, de transformer le semblée derrière le concept de ca­ DES APPLIS
En bref, il faut que chaque partie prenante fonctionnement d’un secteur pitalisme de plate­forme. La no­ coordonné par Sarah Abdelnour
concernée puisse s’en réclamer. L’élaboration d’activité et de modifier les règles tion met l’accent sur la création de et Dominique Méda
d’une mission ne s’im­ du jeu en matière de travail et valeur et son partage, inégalitaire, PUF, 128 pages, 9,50 euros
provise donc pas et ne d’emploi. Mais s’agit­il de sortir du entre, d’une part, les détenteurs
sera pas mobilisatrice
IL S’AGIT DE  modèle ancien par le haut, en favo­ des algorithmes, sites et applica­
sans un dialogue patient. TROUVER LES  risant le progrès et l’émancipation, tions hébergées par les plates­for­ a rendu un arrêt entraînant la re­
Seconde condition : il ou par le bas, par une dégradation mes et, d’autre part, les tra­ qualification d’un coursier à vélo
faut engager un proces­ MOTS QUI  du sort des travailleurs ? vailleurs présents sur celles­ci. travaillant pour la plate­forme
sus de discussion et de Entre une vision enchantée Take Eat Easy en travailleur salarié.
partage (avec les person­
DÉCRIVENT  d’une économie innovante et col­ De nouveaux concepts Le 10 janvier 2018, elle tranchait
nels, fournisseurs, terri­ L’AVENIR QUE L’ON  laborative et des inquiétudes sur Parler de capitalisme de plate­ dans le même sens au sujet d’un
toires…). Il ne s’agit ni la prolétarisation des travailleurs à forme permet de mobiliser des chauffeur Uber qu’elle a considéré
d’une négociation ni VEUT CONSTRUIRE la tâche, le débat est très polarisé et concepts comme le digital labor, comme étant sous la subordina­
d’une sensibilisation, mérite d’être complété par des en­ une notion qui rassemble les tion de la plate­forme.
mais d’un exercice d’explicitation, qui rétablit le quêtes empiriques, souligne Sarah « like » de Facebook, les commen­ Certains se désolent de la possi­
rôle que se donne l’entreprise et rend les diri­ Abdelnour. Maîtresse de confé­ taires laissés sur les sites ou encore ble réintégration dans le salariat
geants comptables des engagements annoncés. rences en sociologie à l’université les codes dits « captcha » (tests des travailleurs des plates­formes.
Dans son traité sur « les fonctions du chef Paris­Dauphine, elle coordonne d’identification) que l’on déchiffre Pourtant une autre voie se des­
d’entreprise » (The Functions of the Executive, avec Dominique Méda, profes­ souvent sur Internet. sine, conclut Dominique Méda :
1938), Chester Barnard, directeur à la Bell Com­ seure de sociologie dans la même Les enquêtes donnent lieu à des « Rompre avec l’illusion romanti­
pany, considérait que le devoir du dirigeant université, l’ouvrage Les Nouveaux chapitres qui proposent chacun que et trompeuse d’une autonomie
était de tenir des paroles (« speech ») capables de travailleurs des applis (PUF). un prisme différent : « Quelle est la qui ne serait possible qu’en dehors
créer un sens collectif (« purpose »). Jusqu’ici, le Fruit de la collaboration d’une structuration sociale du capita­ du salariat ; reconnaître l’intérêt
capitalisme actionnarial n’avait guère suivi cet équipe de chercheuses et cher­ lisme de plate­forme ? » « Quelles d’un travail vraiment indépendant,
avis. Appliquée avec la rigueur nécessaire, la loi cheurs en sociologie, en sciences inégalités apparaissent derrière et non de sa pâle copie ; renforcer
Pacte pourrait donc offrir une sortie inattendue politiques et en droit, le texte ana­ l’idéal collaboratif ? » ou encore l’attractivité du salariat non seule­
– mais bien réelle – de ce capitalisme.  lyse les résistances et les régula­ « Quelles régulations sont mises ment en améliorant les conditions
tions de ces nouvelles activités. en place face à ces nouveaux ac­ de travail, mais aussi l’autonomie
Armand Hatchuel est professeur L’équipe a interrogé des tra­ teurs économiques » ? Le 28 no­ dont disposent les salariés. » 
à Mines ParisTech­université PSL. vailleurs des plates­formes par le vembre 2018, la Cour de cassation margherita nasi
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
washington ­ correspondance
L
es journalistes de CNN ? « Des con­
nards. » Les élus démocrates ?
« Des crétins et des clowns. » Les
idées de la gauche américaine ?
« Des foutaises hystériques. » Son
père ? « L’homme qui a baisé l’en­
semble du Parti démocrate. » Donald Trump Jr,
le fils aîné du président américain, ne s’em­
barrasse guère de subtilités quand il s’agit de
juger ses adversaires ou d’encenser son père.
Ce franc­parler est devenu sa marque, prisée
des trumpistes. « Il est tranchant, direct, effi­
cace », confirme Steve, un électeur sous le
charme, rencontré lors d’un meeting de
Donald Trump à Sunrise (Floride), fin
novembre. Une image de cogneur que l’aîné
de la fratrie Trump peaufine sur les réseaux
sociaux et les plateaux télé depuis qu’un soir
de juillet 2016 il a fait son entrée en politique.
Ce jour­là, devant la convention d’investi­
ture du Parti républicain, Donald Trump Jr
portait une cravate d’un rose audacieux et les
cheveux sagement plaqués en arrière. Sur
scène, les phrases saccadées et le souffle un
peu court donnaient au discours des airs de
grand oral pour jeune homme pressé. Mais,
en quelques formules­chocs et de vibrantes
envolées sur l’état – forcément désastreux –
du pays, le trentenaire transforma l’exercice
en harangue politique remarquée. Seize mi­
nutes d’apologie paternelle, ponctuées d’ap­
plaudissements, sous le regard de son frère,
de sa sœur, de son épouse (ses cinq jeunes
enfants manquaient, ce soir­là, à l’image lis­
sée, travaillée depuis des mois par la tribu
Trump). Alors que les républicains allaient
désigner leur candidat à l’élection présiden­
tielle, « Junior » venait de se faire un prénom.
Trois ans plus tard, le président américain
ne s’y est pas trompé. En juin, à l’heure de lan­
cer la campagne pour sa réélection en 2020,
c’est à son fils aîné, et à personne d’autre,
qu’il a confié le discours d’ouverture. A force
de meetings tenus en lieu et place de son
père, de soutien apporté à des candidats
républicains à travers le pays, de Tweet sans
retenue contre les ennemis du clan, « Don Jr »
s’est imposé comme un atout dans la bataille
à venir, éclipsant au passage sa sœur Ivanka.
« IMAGINE QUE CE SOIT UN LOSER »
Le public peut apprécier la métamorphose :
la barbe taillée, qui atténue l’air, jusque­là
juvénile, du tout juste quadragénaire ; la che­
mise ouverte, le corps en mouvement, la
voix de tribun, signes d’une aisance mani­
feste sur scène. Moins corseté, le propos a
pris des accents populistes, il est jalonné des
grossièretés emblématiques de l’ère Trump,
ces mots que la presse américaine s’évertue à
censurer. Visiblement heureux de sa liberté
de jeune divorcé, Don met volontiers en
avant sa compagne du moment, Kimberly
Guilfoyle, une animatrice de la chaîne con­
servatrice Fox News, la gratifiant sur scène
d’un familier : « Thank you baby ! » Sur le
fond, les approximations le disputent tou­
jours aux provocations incendiaires et aux
mensonges manifestes. Son ton, ses mines,
sa manière de prendre le public à témoin, de
La revanche de
Trump Junior
L’aîné du président américain,
que son géniteur a longtemps
dédaigné, est devenu le premier
chien de garde de son père.
A tel point que certains voient,
dans son style et ses outrances,
les prémices d’une possible
carrière politique en solo
faire huer les médias, d’user de superlatifs
contestables ou de moquer ses adversaires
en dodelinant de la tête, tout ramène à un
autre : « Junior » est devenu un substitut cré­
dible de « Senior ».
Mais, plus qu’un clone à l’identique, il trace
son chemin dans la galaxie trumpiste et au
sein du Parti républicain. Avec, pour unique
pedigree, d’être de sang présidentiel, il a
convaincu les instances du parti de préemp­
ter des dizaines de milliers d’exemplaires du
livre qu’il vient de publier, Triggered. How the
Left Thrives on Hate and Wants to Silence Us
(Center Street), que l’on peut traduire par
« Hystérique. Comment la gauche se nourrit
de haine et veut nous faire taire ». D’un coup,
l’ouvrage s’est hissé en tête des ventes. Un
premier succès personnel qui lui ouvre la
voie vers une carrière politique solo.
Rien, pourtant, dans la saga familiale et
dans ses relations compliquées avec son père,
ne le prédestinait à endosser un tel rôle.
Comme il en témoigne dans son livre, la
fierté paternelle ne semblait pas inscrite dans
le patrimoine génétique de son milliardaire
de père. Ce dernier n’était apparemment pas
très chaud pour partager son patronyme avec
son premier­né. « Imagine que ce soit un lo­
ser », aurait­il lancé à sa première épouse,
Ivana. Le divorce du couple, alors que « Don
Jr » est âgé de 12 ans, va envenimer les rap­
ports père­fils.
Le garçon pardonnera difficilement à son
père d’avoir trompé, puis quitté sa mère. A
l’adolescence, cette distance se confirme : ja­
mais on ne le verra sur un terrain de golf, le
sport préféré du futur président. Et il passera
plusieurs années à boire plus que de raison,
horizons | 23
Donald Trump Jr et
sa compagne, Kimberly
Guilfoyle, à Orlando
(Floride), le 18 juin.
CARLOS BARRIA / REUTERS
au grand dam de celui­ci, abstinent notoire.
« On n’a jamais vraiment partagé le même
style de vie », reconnaît, dans son livre, Don Jr,
qui précise être « désormais sobre ».
Après des études chaotiques et une année
sabbatique mise à profit pour s’adonner,
dans le Colorado, à sa passion pour la chasse
et, à l’occasion, servir dans des bars, il est
néanmoins embauché, comme son frère Eric
et sa sœur Ivanka, à la Trump Organization,
en 2001, avant d’en devenir vice­président
exécutif au côté de son frère, en 2017. Mais
c’est Ivanka, entrepreneuse, mondaine et
photogénique new­yorkaise, qui est mise en
avant par le patriarche. Sans vergogne,
celui­ci va même jusqu’à suggérer sur un
plateau de télévision qu’elle correspond en
tout point à ses goûts en matière de conquê­
tes féminines.
C’est donc tout naturellement qu’il lui
réserve une place de choix à ses côtés, au
moment de se lancer en politique. La légende
familiale veut qu’Ivanka soit la seule à pou­
voir tenir un langage de vérité à cet homme
plutôt fermé à la critique. Lors de la campagne
de 2016, toute la famille est mise à contribu­
tion, mais la proximité de celle­ci avec son
père éclipse le rôle de ses frères. Elle seule, la
fille préférée, sera nommée conseillère à la
Maison Blanche – tout comme son mari, Ja­
« LES AMÉRICAINS  red Kushner. Le président évoquera à plu­
NE VEULENT PLUS  sieurs reprises son nom pour des postes pres­
tigieux, à l’ONU ou à la tête de la Banque mon­
DE DYNASTIES.  diale. Tiffany, 26 ans, issue de son deuxième
mariage, est, elle, absente du paysage.
ENCORE MOINS  « Junior », lui, trace son sillon avec cons­
tance. En 2018, la campagne des élections de
D’UNE DYNASTIE  mi­mandat lui offre une nouvelle tribune.
TRUMP : LE  Avec l’aide de l’association ultraconserva­
trice Turning Point USA et de son fondateur,
PRÉSIDENT A TROP  Charlie Kirk, un admirateur du président,
Trump Jr affûte ses armes sur les campus et
POLARISÉ LE PAYS » alimente, auprès des plus jeunes généra­
KARLYN BOWMAN tions, la « guerre culturelle » contre « les so­
politiste cialistes », ses bêtes noires.
Puisant dans ses souvenirs de vacances chez
ses grands­parents maternels, en Tchécoslo­
vaquie, une connaissance éprouvée des mé­
faits « du socialisme et du communisme », il
juge la gauche américaine responsable de
tous les maux du pays. Ses positions proar­
mes, anti­impôts, anti­Etat, antiavortement,
sa dénonciation du politiquement correct et
de la « censure imposée » par la gauche, sa dé­
fense des racines chrétiennes ont fait de lui
l’un des premiers conservateurs convaincus
de la famille, alors que certains autres, notam­
ment Ivanka, sont réputés pour leurs prises de
positions plus progressistes.
Moins policé, « Don Jr » revendique une
proximité avec les « vraies gens », forgée lors
de ses parties de chasse et de pêche à travers
le pays ou des « heures passées avec les
ouvriers sur les chantiers » de l’entreprise fa­
miliale. Cette « connexion » l’a transformé en
parfait ambassadeur de son père auprès de sa
base électorale, séduite par les personnalités
atypiques et les discours disruptifs. « “Don Jr”
parle aux plus jeunes, il dit ce qu’il pense, et on
a besoin de gens comme lui, qui dérangent les
élites », confirme Andrew York, un militant
trumpiste trentenaire, croisé à Sunrise.
« Junior » est envoyé dans les zones rurales,
les régions périphériques qui ont favorisé
l’élection de 2016. L’héritier s’y taille des suc­
cès d’audience et découvre son sex­appeal
auprès des étudiantes. « Je suis un Trump,
quand même ! », commente­t­il dans son li­
vre. Mais il ne se contente pas d’être « franc
du collier » ; il lui arrive de relayer le complo­
tisme de sites d’extrême droite et de manier
l’insulte sans modération. « Je suis une langue
de pute par excellence », se targue­t­il, préci­
sant au passage une philosophie toute per­
sonnelle : « Les mots ne sont pas violents, ce ne
sont que des mots. » Pourtant, même ses avo­
cats et son père, « twitteur en chef, Shakes­
peare en 140 caractères », lui auraient
conseillé d’y aller un peu moins fort sur les
réseaux sociaux.
« TOMBÉ DANS LA POLITIQUE PAR HASARD »
Ce côté sans limites, doublé de son désir de se
rendre indispensable aux yeux de son père,
ne va pas sans quelques faux pas. Le plus
embarrassant s’est produit durant la campa­
gne de 2016, lorsque l’apprenti stratège en
politique organisa, à la Trump Tower de New
York, une réunion avec un avocat russe pré­
tendant détenir des informations mal­
veillantes sur la candidate démocrate, Hillary
Clinton. Cet épisode ajoutera aux soupçons
d’interférence russe dans la campagne de
2016. « Trump ne lui en a même pas voulu ; on
avait plus l’impression qu’il s’était résigné à la
bêtise de son fils », se souvient un ancien
conseiller de la Maison Blanche, cité en octo­
bre par le magazine américain The Atlantic.
Dans un autre registre, les déclarations de
« Don Jr » comparant les « sacrifices » finan­
ciers consentis par sa famille lors de l’acces­
sion à la Maison Blanche à ceux des soldats
morts pour la patrie ont suscité l’indignation
des anciens combattants, un électorat que
tente justement de choyer le président. Ré­
cemment, une conférence donnée à l’univer­
sité de Floride, monnayée 50 000 dollars, l’a
également mis sur la sellette.
Pareil bilan suffit­il à faire de lui un poten­
tiel dauphin ? Les fans de son père n’en
doutent pas. « Qui d’autre pourrait succéder à
Trump ?, lance Anna Schwartz, 22 ans, une
militante de l’Ohio rencontrée à Sunrise.
Dans l’immobilier, la télévision ou la politique,
“Don” a appris toutes les ficelles avec lui. »
Mais, précise­t­elle, « ce ne sera pas avant
2024 », après le deuxième mandat de
Trump Sr. Un même enthousiasme anime
Rose Puerto, 55 ans, une « ex­démocrate »
d’origine cubaine, sous le charme des Trump
depuis 2016. « J’aime les milliardaires, ils
m’inspirent, témoigne cette travailleuse indé­
pendante. Je ne verrais aucun inconvénient à
la naissance d’une dynastie Trump. » « Quand
on ne peut plus faire confiance à personne,
normal que l’on se tourne vers la famille. “Ju­
nior” ferait un bel héritier », juge aussi Bob
Glope, un retraité de Cap Canaveral (Floride).
Dans les locaux cossus de l’American Enter­
prise Institute, un think tank conservateur de
Washington, la politiste Karlyn Bowman se
montre plus sceptique : « Je ne vois pas à
Trump Jr un avenir politique, assure­t­elle.
C’est une chose de militer pour son père et de le
défendre, c’en est une autre de faire carrière.
En outre, les Américains ne veulent plus de
dynasties. Encore moins d’une dynastie
Trump : le président a trop polarisé le pays. Les
gens sont las des Trump. » Tout juste concéde­
rait­elle au fiston un mandat dans un bastion
républicain. Du côté des élus républicains,
l’allégeance à Trump père leur interdit, pour
l’heure, de questionner les ambitions du fils.
Le principal intéressé, lui, reconnaît que le
discours de juillet 2016 a été « l’étincelle qui a
mis le feu à sa vie politique ». Et il n’exclut
donc rien. « Je suis tombé dans la politique par
hasard. et j’ai découvert que j’aimais le combat
qui va avec. Comme mon père, je ressens une
responsabilité pour aider mon pays », écrit­il.
Une profession de foi ? 
stéphanie le bars
 CULTURE
0123
24 | JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

Coffrets
La musique
qu’on aime
Beethoven, Laurent de Wilde,
The Go­Betweens, Philippe Jaroussky,
­M­, Véronique Sanson... Une sélection
d’enregistrements à (s’)offrir

Salvatore Adamo CLASSIQUE tours, l’autre est inédite. L’album

1962-1975 Consacré au piano beethovénien est présenté dans deux mixages,
CHANSON seul (les 32 sonates, les Variations celui de 1969 et un nouveau réa­
Incarnation, avec Christophe, du Diabelli) ou avec orchestre (les lisé par Tony Visconti. C’est un
chanteur romantique à l’italienne 5 concertos), ce coffret donne Bowie en recherche que l’on en­
au sein des yéyés, Adamo n’a pas l’occasion de réviser ses classi­ tend ici, qui commence à bénéfi­
bénéficié comme son confrère ques à l’approche du 250e anni­ cier d’une reconnaissance criti­
d’un aggiornamento critique. Ce versaire de la naissance du com­ que. Celle du public viendra un
coffret permet de reconsidérer la positeur, en 2020. Dans chaque peu plus tard. Ces documents
première partie de sa carrière, de œuvre, même celles de jeunesse historiques sont accompagnés
1962 à 1975, avec huit albums stu­ marquées par la référence vien­ d’un livre avec des photogra­
dio, un volume de 18 inédits et noise, Beethoven manifeste son phies rares.  sylvain siclier
4 concerts à l’Olympia, dont ceux identité avec une telle force qu’on 5 CD et 1 livre Parlophone/Warner
de 1969 et 1971, éblouissants, avec en oublie presque, ici, l’interprète. Music. 90 €.
un orchestre dirigé par l’arrangeur C’est tout à l’honneur de Paul
Alain Goraguer. Si tout n’a pas Lewis, dont l’art consiste à ache­ Alfred Deller
toujours aussi bien vieilli, la faute miner la musique directement The Voice of Purcell
aux tics de production dans la va­ du producteur au consommateur BAROQUE
riété (voix féminines éthérées que avec une énergie renouvelée. Tan­ Quarante ans que la « voix
l’on entend aussi chez Ferré), l’en­ tôt explosive, tantôt intériorisée : d’ange » du plus célèbre contre­té­
semble procure un plaisir déli­ deux états qui, chez tout autre nor du XXe siècle s’est tue. Après
cieusement suranné et promet, que Beethoven, seraient inconci­ des débuts d’alto solo dans les
en marge des tubes (Les Filles du liables.  pierre gervasoni chœurs de l’église de Canterbury,
bord de mer, Mes mains sur tes 14 CD Harmonia Mundi. 32 €. en Angleterre, Alfred Deller était
hanches, le controversé Inch’Al­ devenu l’un des acteurs majeurs du contre­ténor anglais, ici re­ nit, dans le livret, texte plein de bums ont d’abord été publiés en
lah…), des (re) découvertes, tels le David Bowie de la révolution « baroque », per­ mastérisé d’après les bandes souvenirs, de Three Trios, le for­ dématérialisé au fil de sept mois
sombre J’ai pas demandé la vie Conversation Piece mettant au public des années d’origine, il reste à jamais l’un mat du trio piano, basse et batte­ consécutifs.  patrick labesse
(avec emploi, en 1964, du mot POP 1960­1970 de découvrir un timbre des moments de grâce de la dis­ rie. Démonstration avec trois al­ 7 CD Decca Records/Universal
« euthanasie ») ou le radieux A de­ C’est un retour aux années 1968 inouï, d’une douceur inimitable, cographie.  marie­aude roux bums réédités, chronologie des Music. 49 €.
main sur la Lune.  b. lt et 1969 de David Bowie qui est ainsi qu’un répertoire dormant 7 CD Harmonia Mundi. 25 €. évolutions du pianiste. Dans Odd
10 CD PIAS. 45 €. proposé dans Conversation Piece. jusque­là dans les bibliothèques. & Blue (1989) avec le contrebas­ The Go-Betweens
Des chansons en traitement Debout, les purcelliens King Ar­ Laurent de Wilde siste Ira Coleman et le batteur G Stands for Go-Betweens :
Ludwig van Beethoven acoustique, dont certaines avec thur, Fairy Queen et autre Indian Three Trios Jack DeJohnette, il mêle ses com­ Volume 2 – 1985 -1989
Complete Piano Sonatas le guitariste John Hutchinson, Queen ! Quant au mythique réci­ JAZZ positions à celles d’inspirateurs POP
Paul Lewis (piano), BBC Symphony des ébauches de celles de l’album tal Music for a While, enregistré « L’équilibre sacré entre le rythme, (Monk, Hancock, Shorter), rend Dans le club des formations rock
Orchestra, Jiri Belohlavek Space Oddity. Une partie avait été avec William Christie et Wieland la mélodie et l’harmonie », c’est hommage aux standards et à australiennes des années 1980
(direction). publiée en tirage limité en 45­ Kuijken trois mois avec la mort ainsi que Laurent de Wilde défi­ l’histoire du jazz dans Open Chan­ (Nick Cave, The Church, The
ges (1992) avec Coleman et Billy Saints…), The Go­Betweens, em­
Drummond, et réinvente en menée par les compositeurs et
Toutes les facettes de Nat King Cole acoustique son propre répertoire
passé par l’électrique et l’électro­
chanteurs Robert Forster et Grant
McLennan (mort en 2006), incar­
nique dans The Present (2006), nait un idéal de pop mélodique,
JAZZ – Attention : triple chef­d’œuvre pour Le pasteur s’était échiné à leur donner des avec Darryl Hall et, à la batterie, romantique et lettrée, alliance
« lovers only », et très grand public. Trois leçons de musique classique. Quittant Laurent Robin ou Dion Parson. subtile de guitares et de violons.
CD de Nat « King » Cole, du solo au big Montgomery pour échapper à l’abjection Trois fois du grand jazz.  s. si. Cinq ans après un premier vo­
band. Rien n’y manque, ni Unforgettable du racisme plein sud. A peine arrivés à Chi­ 3 CD Gazebo/L’Autre Distribution. lume couvrant leurs débuts (1978­
(1951), ni Mona Lisa (1950), encore moins cago, les fils – ils interprétaient Bach 21 €. 1984), ce coffret est consacré à
Quizás, Quizás, Quizás, gravé à La Havane comme pas deux – plongent tous dans le leurs trois meilleurs albums, Li­
en 1958. Nat « King » Cole est né en 1919 à jazz. Nat Cole, lui, n’aimait pas chanter. Ce Ludovico Einaudi berty Belle and the Black Diamond
Montgomery (Alabama) et mort à Santa sont les patrons de club, marchands d’al­ Seven Days Walking Express (1986), Tallulah (1987) et 16
Monica (Californie), en 1965. Ce coffret de cool, et leurs meilleurs clients, les MUSIQUE  MINIMALISTE Lovers Lane (1988). Au cœur de ces
grande classe, intelligemment divisé en pochetrons du bar, qui l’auront précipité Ses longues balades sous la neige rééditions vinyles, raretés et iné­
trois (The Voice, The Trio, The Piano) réca­ dans ce rôle de crooner. Incapable de mal dans le silence de la montagne, dits répartis sur 4 CD (129 chan­
pitule la légende de ce prince du piano, faire, quoi qu’il touchât, Nat « King » Cole en plein hiver, ont inspiré au pia­ sons), on découvre 28 démos de
chanteur malgré lui, ami de Sinatra, en­ gagna sa couronne en chanteur de niste Ludovico Einaudi ces com­ 1989, destinées à un album finale­
gagé auprès de J. F. Kennedy, combattant charme, en référence absolue de trio, et en positions d’un minimalisme ment avorté. Le groupe se sépa­
pour les droits civiques, aimé du grand pu­ soliste propre à inhiber tous les génies en apaisant, éclairées d’une entê­ rera la même année, puis renaîtra
blic, arraché prématurément à l’affection herbe du 88­touches. tante mélancolie, les couleurs en 2000.  franck colombani
des siens par les trois paquets de mentho­ Ah oui ! Se produisant à Montgomery émotionnelles qui font la mar­ 4 CD, 5 vinyles et 1 livre Domino.
lées qu’il pompait tous les jours. pour y jouer, il se fait agresser par un qua­ que de sa musique. A part quel­ 165 €.
est une anthologie présentée avec autant tuor de red necks qui tentent de le kidnap­ ques­unes en solo, la plupart des
Incapable de mal faire d’élégance que de précision. Les 66 titres per. S’offre­t­il une belle maison dans les pièces de ce qu’il nomme son Vladimir Horowitz
Ainsi sera célébré le centenaire du King sont sélectionnés par Claude Carrière : quartiers huppés de Santa Monica ? Les « labyrinthe musical » ont été en­ Vladimir Horowitz,
dont d’autres sources donnent 1917, voire journaliste, conférencier, pianiste lui­ riverains, plus blancs les uns que les registrées en trio ou en duo, avec The Great Comeback
1915, pour date de naissance. Il avait bien re­ même, il fut longtemps une voix précieuse autres, multiplient les pétitions. Quel le violoniste Federico Mecozzi et CLASSIQUE
fait une apparition posthume en 1991, par de France musique (de 1974 à 2008). C’est pays, tout de même !  le violoncelliste Redi Hasa. Réu­ Alors que 2019 marque les trente
le truchement d’un « duo » vocal avec sa toujours un plaisir diffracté que d’entendre francis marmande nis dans une boîte sobre, à ans de la disparition du mythique
fille, Natalie Cole (Unforgettable), mais il un artiste au prisme du choix d’autrui. l’image des paysages sonores du pianiste russe, Sony retrace l’his­
est de ces artistes que menace l’oubli – sauf Rien de moins assuré que le Reverend Incomparable !, de Nat King Cole, 3 CD compositeur, qui suggèrent des toire complète du retour histori­
dans la mémoire des musiciens. Ce coffret Cole ait apprécié le dévoiement de ses fils. Cristal Records. 20 €. échappées belles, ces sept al­ que de Vladimir Horowitz sur
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JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 culture | 25

-M- Divers Artistes tionnisme, cette compagnie

scène en 1965, après douze ans
d’absence. Des répétitions au Car­
negie Hall de New York, commen­
cées dès le 7 janvier (9 CD de six
récitals inédits, dont de fabuleu­
ses improvisations au piano, et
une vraie séance d’enregistre­
ment) aux concerts des
9 mai 1965, puis du 17 avril 1966
(4 CD) suivi de l’enregistrement
consécutif avec interview en
juin 1965 (2 CD). Il y a la musique,
l’art et le talent. Mais aussi les
conversations enregistrées par les
ingénieurs de Columbia : l’hu­
mour du pianiste polyglotte, dou­
blé d’une terrible exigence pour
ses conditions de travail. Le tout
avec un livre richement illustré
de 212 pages.  m.­a. r.
15 CD Sony Classical. 70 €.
Diego Imbert Quartet
L’Intégrale
JAZZ
David El Malek (saxophone té­
nor), Alex Tassel (bugle) et Franck
et un 4e CD avec 9 inédits live. On
prend conscience des qualités de
compositeur de Diego Imbert. Sa
pratique, leader ou « sideman »
(avec Biréli Lagrène et cent
autres), n’est dictée que par le
plaisir d’offrir ses propositions,
son tempo parfait et cet allant,
aux autres. Sans doute doit­il à
cette générosité le fait qu’il est un
des contrebassistes les plus de­
mandés. Ici, sa modestie dût­elle
en souffrir, c’est lui qui suggère, et
le quartette affirme.  f. m.
4 CD Trebim Music/L’Autre
Distribution. 20 €.
Philippe Jaroussky
Passion Jaroussky
CLASSIQUE
Ce coffret fête les vingt ans de car­
rière du contre­ténor : 53 airs sé­
lectionnés, dont 7 titres inédits
comme le célèbre Flow My Tears
de Dowland. Airs d’opéra italien
(Monteverdi, Vivaldi, Cavalli, Por­
pora, Steffani, Pergolèse) jouxtent
von Otter et Max Emanuel Cencic,
sans oublier l’emblématique Ceci­
lia Bartoli. Idem côté instrumen­
tistes, avec les frères Capuçon, Em­
manuel Pahud ou le Quatuor
Ebène. Cet air, enregistré en live,
avec Matthieu Chedid et le Oh my
Love de John Lennon, en compa­
gnie de Rosemary Standley, para­
chèvent ce voyage au fil de quatre
siècles.  m.­a. r.
3 CD Erato/Warner Classics. 18 €.
Alain Jean-Marie
The Complete Biguine
Reflections
JAZZ  CARIBÉEN
Ce coffret regroupe des enregis­
trements effectués par le pianiste
Alain Jean­Marie entre 1992 et
2013, parus en cinq albums dis­
tincts. Odes à ses deux amours de
toujours, l’antillaise biguine qu’il
jouait autrefois dans les bals de
Guadeloupe où il est né en 1945,
et le jazz (dès l’âge de 12­13 ans, il
s’achetait des disques de be­bop),
Le Grand Petit Concert
CHANSON
Sa tournée, après la parution de
l’album Lettre infinie, fin janvier, a
été un triomphe (plus de
500 000 spectateurs, prolonga­
tion printemps­été 2020) : ­M­,
seul en scène, avec tout un appa­
reillage d’instruments (éléments
de batterie montés en totems, gui­
tares, claviers), dont il déclenche
et contrôle les séquences. Le pro­
gramme, des compositions de Let­
tre infinie et d’anciens thèmes (Je
dis aime, Qui de nous deux, le Com­
plexe du corn­flakes, Machista­
dor…). Une bonne partie des balla­
des, chansons pop, furies rock et
funky du spectacle de ­M­ a été
réunie pour ce coffret Le Grand
Petit Concert, avec un livret de su­
perbes photographies.  s. si.
3 CD (avec l’album « Lettre
infinie ») Labo M-3eme
Bureau/Wagram Music. 19 €.
José Miguel Moreno
The Spanish Guitar
CLASSIQUE
La guitare espagnole et ses multi­
ples déclinaisons du XVIe au
XIXe siècle. Tel est le propos de
cette ambitieuse et minutieuse
compilation réalisée à partir des
enregistrements effectués entre
1991 et 2004 par le maître de l’ins­
trument pour le label hispanique
Glossa dont il a été le fondateur.
En solo, à la guitare ou à la vihuela
(sorte de luth à fond plat), en duo
avec voix ou à la tête d’un ensem­
ble (l’Orphenica Lyra), José Miguel
Moreno met son talent érudit au
profit de musiciens souvent
oubliés, à l’exception de Fernando
Sor. La richesse des détails et la
clarté de la ligne comptent parmi
les qualités de l’interprétation, qui
vivifie le parcours de cette
somme flamboyante.  p. gi
12 CD Glossa. 42 €
The Replacements
Dead Man’s Pop
ROCK
Quand on pense à la scène musi­
cale de Minneapolis des années
1980, le nom de Prince s’impose.
La ville a aussi enfanté durant
cette décennie les groupes de rock
Hüsker Dü et The Replacements.
Ces derniers, emmenés par Paul
Westerberg, ont écrit quelques­
unes des pages les plus flam­
boyantes du rock. Après un triplé
prodigieux (Let It Be, Tim et
Pleased to Meet Me), l’album sui­
vant, Don’t Tell A Soul, paru
en 1989, déçoit les fans, la critique
et même le groupe, qui le renie. La
faute à son mixage trop commer­
cial, noyé de réverbération et d’ef­
L’Amazone
A M É R I Q U E   L AT I N E
Fil conducteur de cette compila­
tion : le plus long fleuve du
monde. L’occasion de faire un
voyage musical dans des terres
qu’il traverse, à la découverte de
musiques courant sur ses rives,
ou en compagnie de célébrités lo­
cales (jouissant parfois d’une cer­
taine notoriété sur la scène inter­
nationale). Au fil des 27 plages,
une invitation à remonter son
cours jusqu’à sa source dans les
Andes péruviennes (où l’on croi­
sera la chanteuse Edith Ramos
Guerra, qui chante en langue ay­
mara), à partir de Belem, dans le
nord du Brésil, avec, entre autres,
la stimulante octogénaire Dona
Onete.  p. la.
Livre disque 2 CD Accords
Croisés/PIAS. 23 €.
Down in Jamaica – 40 years
of VP Records
REGGAE
Des 45­tours, des maxis, 4 CD, de
courtes biographies sur des car­
tes illustrées, conditionnés dans
un solide coffret en carton. Avec
101 artistes au total et 94 titres,
dont quelques raretés remastéri­
sées et rééditées en vinyle, c’est
l’histoire de VP Records, le plus
important label de reggae depuis
qu’il a absorbé Greensleeves
en 2008, qui défile. Elle débute
en 1979, en Jamaïque, où Vincent
« Randy » Chin et sa femme Patri­
cia (les V et P de VP Records),
deux Jamaïcains d’origine chi­
noise, ont d’abord tenu une bou­
tique de disques, avant de s’ins­
taller dix ans plus tard dans le
Queens à New York, participant à
l’éclosion des artistes de dance­
hall, tels que Yellowman, Chaka
Demus, Shabba Ranks, Ninja Man
ou Shaggy.  p. la.
4 CD et 8 maxis ou 45-tours vinyle
VP Records/Socadisc. 109 €.
Factory Communications
1978-92
ROCK
Dix ans après la publication de
cette compilation en coffret CD,
la voici sous la forme de huit al­
bums vinyle pour célébrer le 40e
anniversaire du label Factory.
Fondée à Manchester par le jour­
naliste Tony Wilson, esthète ex­
centrique inspiré par le situa­
indépendante a servi de trem­
plin à la scène post­punk du nord
de l’Angleterre, et marqué l’his­
toire du rock par ses parti pris
musicaux et visuels. Sous une
pochette illustrée par le trait mi­
nimal de Peter Saville, ces 63 ti­
tres, mêlant classiques et raretés,
rappellent comment le spleen in­
dustriel des premières signatu­
res (Joy Division, A Certain Ratio,
Cabaret Voltaire, The Durutti Co­
lumn…) a su s’enrichir de danses
de plus en plus hédonistes (New
Order, Electronic, Happy Mon­
days, Northside…) en phase avec
la programmation de l’Haçienda,
le club de Manchester financé
(jusqu’à la faillite) par Wilson et
son équipe.  stéphane davet
8 LP vinyles Warner Music.
125 €.
The French Romantic
Experience
CLASSIQUE
Une somme et une référence : ce
coffret fête dix ans de recherche
dans le domaine de la musique
romantique française sous
l’égide du Palazzetto Bru­Zane.
Un patrimoine largement oublié,
souvent sous­estimé, où la voix
se taille ici la part du lion. Des ré­
surrections bienvenue pour Ben­
jamin Godard, Fernand de La
Tombelle ou Félicien David, ou
des redécouvertes passionnan­
tes pour Grétry, Méhul, Meyer­
beer, Gounod, Massenet, sans
oublier Offenbach. Avec une
pléiade d’artistes de premier
plan, de Véronique Gens à Tassis
Christoyannis, en passant par
Diana Damrau, Elsa Dreisig,
Karine Deshayes, Yann Beuron,
Michael Spyres, sous les baguet­
tes françaises d’Hervé Niquet,
Jérémie Rhorer, François­Xavier
Roth, Laurent Campellone ou
Julien Chauvin.  m.­a. r.
10 CD Palazetto Bru
Zane/Outhere. 46 €.
Retrouvez l’intégralité de la
sélection des coffrets musique
sur Lemonde.fr
Contrairement au livre, il n’y a pas
de prix unique pour le disque. Le
prix mentionné est indicatif,
moyenne constatée par les signa­
taires des textes en magasin et sur
des sites de vente en ligne.
EN PARTENARIAT AVEC

Agulhon (batterie) sont depuis
onze ans les partenaires de quar­
tette de Diego Imbert (contre­
basse). Un coffret bienvenu réu­
nit A l’ombre du saule pleureur
(2008), Next Move (2011) et Colors
(2014), qui ponctuent la carrière
d’un groupe exemplaire. Soit
3 CD pour réactiver la mémoire,
Haendel, Gluck, Chabrier et même
Léo Ferré (Colloque sentimental).
En avant­première, deux lieder de
Schubert accompagnés par Jé­
rôme Ducros (Du bist die Ruh et
Ständchen). Et pour finir, une par­
tie avec des partenaires complices,
d’Emöke Barath à Marie­Nicole Le­
mieux, en passant par Anne Sofie
il y est accompagné par le bassiste
Eric Vinceno et le batteur Jean­
Claude Montredon (sauf sur le
premier CD, où Serge Marne est
aux baguettes). Son piano
rayonne d’humeur espiègle, il ga­
zouille et danse avec une inven­
tion sidérante.  p. la.
4 CD Frémeaux & Associés. 24 €.
fets symptomatiques des produc­
tions de l’époque. Ce disque se
voit réhabilité grâce à un nouveau
mixage brut. Outre de nombreu­
ses démos, raretés et inédits exhu­
més dans ce bel objet, un épous­
touflant concert de 1989  . f. c.
4 CD et 1 LP vinyle Rhino/WEA.
65 €.

Il était une fois Ennio Morricone
MUSIQUE DE FILMS – L’intégrale des musiques offer­
tes par le maestro romain, aujourd’hui âgé de
91 ans, attendra : avec plus de 500 films, il ne
serait pas simple de déposer une armoire nor­
mande au pied du sapin. Cette « modeste » an­
thologie en 18 CD, la plus importante à ce jour,
offre cependant de quoi se délecter, à com­
mencer par la fondatrice « Trilogie du dollar »
de Sergio Leone, complétée par les trois « Il
était une fois » (…dans l’Ouest,… la révolution,…
en Amérique). Soit six bandes originales, li­
vrées in extenso, qui définiront un style identi­
fiable entre tous : une hybridation géniale de
surf music et d’easy listening, de musique ato­
nale, comme concrète, et de symphonisme
autour d’instruments, l’harmonica, la guim­
barde ou le sifflet humain, qui auront rare­
ment été autant mis en vedette.
Conçu par le spécialiste Stéphane Lerouge,
dont un entretien récent avec Morricone est pu­
blié dans le livret, ce coffret obéit à un décou­
page thématique pour explorer le « cinéma en­
gagé » (Sacco et Vanzetti, La classe ouvrière va au
paradis, mais curieusement rien pour Pasolini)
comme le polar (avec focus sur les films d’Henri
Verneuil) ou les différents aspects du cinéma ita­
lien, de 1900 à Giuseppe Tornatore, en passant
par le giallo de Dario Argento ou l’érotisme de
Tinto Brass. Si un volume « nanars », catégorie
pour lesquels Morricone ne fut pas avare, aurait
été amusant, ces vingt heures d’enregistre­
Véronique Sanson
Alain Souchon
Anthologie
CHANSON
Deux carrières, commencées au
début des années 1970, celles de
Véronique Sanson et d’Alain Sou­
chon, à retrouver dans les coffrets
de la série « Anthologie » qui leur
sont respectivement consacrés.
Sous pochette en fin carton, avec
à part un livret des visuels origi­
naux complets, avec textes et cré­
dits, tous les albums studio – en
dehors de leurs récents, Duos vo­
LA FÊTE
DE L’ENFANT #2
latils (Sanson) et Ame fifties (Sou­
chon) – et en compléments des
raretés (inédits, duos, face B, sa­
voureuses versions étrangères…).
Des albums à redécouvrir, au­ DIMANCHE 15 DÉCEMBRE
delà des succès qu’ils renferment
(Amoureuse, Besoin de personne, AU THÉÂTRE DE LA VILLE-ESPACE CARDIN
Toute seule, Comme je l’imagine, THÉÂTRE, DANSE, MUSIQUE, EXPOSITION MULTIMÉDIA, ATELIERS...
dès 1972 pour Sanson, J’ai 10 ans, UNE JOURNÉE OUVERTE À TOUS LES ÂGES
Bidon, Jamais content, Allô ma­
man bobo, à partir de 1974 pour #THDVFE2
© ÉMILIE PAILLOT GRAPHISTE

ments célèbrent enfin à sa hauteur le plus grand
compositeur vivant de musique de films. 
bruno lesprit
Musiques de films 1964­2015, d’Ennio
Morricone, 18 CD Panthéon/Decca. 92 €.
Souchon), pour le talent mélodi­
que et d’écriture.  s. si.
Véronique Sanson : 18 CD Warner
Music. 62 €. Alain Souchon :
16 CD Parlophone/Warner Music –
RCA/Sony Music. 64 €.

26 | culture
En Hongrie, Viktor Orban
s’attaque aux théâtres
Le premier ministre promeut une culture défendant l’identité nationale
vienne ­ correspondant régional
A
près les médias, la
justice ou le monde
universitaire, Viktor
Orban a décidé de s’at­
taquer à l’indépendance d’une
nouvelle institution hongroise :
le théâtre. Lundi 9 décembre, plu­
sieurs milliers d’artistes et de ci­
toyens anonymes se sont ainsi
rassemblés dans le centre de
Budapest pour protester contre
un projet de loi du gouvernement
du leader nationaliste magyar,
destiné à renforcer la tutelle
du pouvoir sur la direction
des théâtres.
Selon une méthode bien rodée,
le texte a été présenté le matin
même au Parlement, sans
aucune consultation préalable,
et pourrait être adopté dans le ca­
dre d’une procédure d’urgence,
dès le mercredi 11 décembre.
La mesure la plus contestée
concerne la nouvelle procédure
de nomination des directeurs de
théâtres municipaux bénéficiant
de subventions de l’Etat, soit la
quasi­totalité d’entre eux. Dans
un paysage culturel sous pres­
sion, ces institutions sont parmi
les dernières à pouvoir créer
librement, sans influence du
Fidesz, le parti de Viktor Orban.
Le projet de loi prévoit que,
pour continuer de recevoir des
subventions publiques, chaque
mairie doit désormais conclure
CARNET DE NOTES
En vente sur boutique.lemonde.fr
un accord avec le gouvernement
incluant « la façon dont la direc­
tion [des théâtres municipaux]
est nommée ». Les municipali­
tés qui refuseraient de se sou­
mettre à cette nouvelle procé­
dure devront se priver de subven­
tions nationales, une manne
pourtant essentielle pour la plu­
part de ces scènes.
Cette disposition inquiète,
d’autant plus qu’une version
initiale du texte prévoyait que le
« ministre des ressources humai­
nes » – chargé de la culture, dans
un pays où ce portefeuille a été
supprimé – puisse nommer ou
révoquer directement les direc­
teurs de ces théâtres. « L’Etat ne
peut pas apporter son soutien à
une institution culturelle sans
avoir son mot à dire sur son fonc­
tionnement », a justifié Istvan
Hollik, le porte­parole du
gouvernement.
Près de 50 000 signatures
Cette disposition a été retirée dans
la dernière version du texte, après
avoir déclenché une pétition
ayant obtenu près de 50 000 si­
gnatures. Mais l’essence de la ré­
forme a été maintenue et justifiée
par plusieurs ministres, qui ont
brandi un récent scandale #me­
too impliquant un des metteurs
en scène les plus en vue du Théâ­
tre Jozsef­Katona de Budapest.
Cette institution­phare du théâtre
libre hongrois est sous tutelle de la
Depuis quelques
mois, le leader
nationaliste
a lancé
ce qui ressemble
de plus
en plus à un
« Kulturkampf »
mairie de la capitale mais touche
quatre fois plus de subventions de
l’Etat que de la municipalité.
Accusé d’avoir eu un comporte­
ment « dépassant les limites
morales » à « plusieurs reprises »
avec des membres de son équipe,
Peter Gothar, 72 ans, a été renvoyé
en novembre par la direction de
ce théâtre, après une enquête ap­
profondie, « menée selon les rè­
gles », affirme Anna Lengyel, re­
présentante de l’association du
théâtre indépendant, qui a orga­
nisé la manifestation de lundi.
Pourtant, le Fidesz reproche au
théâtre de n’avoir pas réagi cor­
rectement. « Il cache ce dossier de­
puis un an », a affirmé un minis­
tre, ajoutant que « ce n’est pas la
première fois que la gauche
libérale montre une contradiction
entre ses paroles et ses actes ». Des
médias proches du pouvoir har­
cèlent l’institution, et plusieurs
responsables gouvernementaux
ont demandé la tête de son direc­
teur, Gabor Mate, tout comme
celle du responsable de la renom­
mée université du théâtre et du ci­
néma, où Peter Gothar enseignait
avant d’en être également licen­
cié, lundi 9 décembre.
« Ce dossier a été utilisé pour
justifier cette loi, dénonce
M. Mate. En réalité, ils n’aiment
pas l’idée que les directeurs des
théâtres municipaux puissent être
nommés par l’opposition », esti­
me­t­il, alors que le Fidesz a
perdu le contrôle de plusieurs
grandes villes, dont Budapest,
lors des élections municipales
d’octobre.
Le nouveau maire (centre
gauche) de la capitale, Gergely
Karacsony, a d’ailleurs participé
aux manifestations de soutien de
lundi 9 décembre. Signe supplé­
mentaire des véritables visées du
Fidesz : un autre projet de loi, qui
devait être examiné mardi 10
décembre, prévoit de considé­
rablement durcir les conditions
de formation des groupes politi­
ques d’opposition au Parlement.
L’offensive a lieu alors que
Viktor Orban a lancé, depuis
quelques mois, ce qui ressemble
de plus en plus à un « Kul­
turkampf » dans son pays, pour
promouvoir une culture défen­
dant l’identité nationale hon­
groise, au détriment des artistes
indépendants, systématique­
ment accusés d’être « de gauche »
ou de vouloir défendre l’immi­
gration et les droits des homo­
sexuels. Nombre d’entre eux ont
d’ailleurs préféré quitter le pays, à
l’instar du célèbre metteur en
scène Arpad Schilling, qui réside
désormais en France. 
jean­baptiste chastand
Le prix Nobel de Peter Handke
suscite des protestations
La polémique vise les prises de position de l’auteur sur l’ex­Yougoslavie
I l faisait un froid glacial, mardi
10 décembre, à Stockholm. Et
pourtant près de 500 person­
nes se sont rassemblées, en fin
d’après­midi, dans le centre de la
capitale suédoise, pour protester
contre le prix Nobel de littérature,
remis quelques instants plus tôt, à
l’écrivain autrichien Peter Handke,
critiqué pour ses positions pro­
serbes et sa présence à l’enterre­
ment de l’ancien homme fort de
Belgrade, Slobodan Milosevic.
Parmi les manifestants, de
nombreux Suédois, d’origine
bosniaque, ont fait le déplace­
ment. Entre 1992 et 1995, la Suède
a accordé l’asile à près de 50 000
d’entre eux. Saud Cosovic est
venu avec sa fille Lajla, 21 ans. Elle
porte une pancarte, où elle a
écrit, en noir et rouge : « Le déni
du génocide est la dernière étape
du génocide. »
A la tribune, des mères de Sre­
brenica, arrivées quelques jours
plus tôt à Stockholm, promettent
d’inscrire le nom de l’Académie
suédoise sur « un mur de la honte »
qu’elles construiront un jour. Des
sanglots dans la voix, Teufika
Sabanovic, une des organisatrices
de la manifestation, raconte
qu’elle a enterré « 36 % du corps »
de son père, tué à Srebrenica. Ré­
compenser Peter Handke, qui évo­
quait encore début décembre, sur
la chaîne suédoise SVT, un « fratri­
cide » plutôt qu’un « génocide »,
est « une insulte », dit­elle.
Experte auprès du Tribunal pé­
nal international pour la Yougos­
lavie (TPIY), la médecin suédoise
La crise s’accentue
au Théâtre des
quartiers d’Ivry
Les salariés, en grève mercredi 11 décembre,
dénoncent une « situation catastrophique »
D epuis un an, le Théâtre des
quartiers d’Ivry est dans
la tourmente [TQI]. » Ain­
si commence le communiqué ré­
digé par « les salarié.e.s » du Centre
dramatique national (CDN),
rendu public mardi 10 décembre.
Le malaise est lié à la présence de
Jean­Pierre Baro à la tête du TQI.
Nommé en juin 2018, le metteur
en scène a pris ses fonctions en
janvier 2019. Or, en septem­
bre 2018, il était visé par une
plainte pour viol déposée par une
jeune femme, administratrice
dans le spectacle vivant, pour des
faits remontant à septembre 2011.
Même si la plainte a été classée
sans suite, en mars 2019, le climat
n’a cessé de se dégrader.
Plusieurs réunions de crise ont
eu lieu avec les tutelles – minis­
tère de la culture, ville d’Ivry et dé­
partement du Val­de­Marne –,
mais le personnel du CDN (une
vingtaine de permanents) estime
que la réponse politique n’est pas
à la hauteur. A une large majorité,
un préavis de grève a été voté
pour la journée du mercredi 11 dé­
cembre : les salariés appellent à
un rassemblement dans le théâ­
tre à 19 heures.
« Désertion »
Car « le TQI est en danger, la situa­
tion est catastrophique », lit­on
dans le communiqué, qui alerte
tout d’abord sur la baisse de la fré­
quentation. « Le public déserte nos
salles. De nombreux artistes refu­
sent de mettre les pieds au théâtre
ou d’avoir affaire à sa direction.
Les partenaires territoriaux se dé­
sengagent. Nous, salarié⋅e⋅s, som­
mes en souffrance morale et physi­
que et nous ne tenons plus. »
Christina Doctare annonce
qu’elle va rendre son prix Nobel :
la médaille remise aux membres
des forces de maintien de la paix
de l’ONU, récompensées à Oslo
en 1988. « Ce prix à Handke, ce
n’est pas rien, explique­t­elle. Il re­
présente la négation systémati­
que du mal. Ce qui est dangereux,
c’est qu’en le nobélisant on
canonise ses livres. »
Boycott de la cérémonie
La polémique, qui avait enflé ces
dernières semaines, ne s’est pas
limitée à la rue. Plusieurs person­
nalités, parmi lesquelles les am­
bassadeurs d’Albanie, du Kosovo,
de Turquie et de Croatie, en poste
à Stockholm, ont boycotté la céré­
monie, mardi. Le président turc
Recep Tayyip Erdogan – lui­même
critiqué pour violations des
droits de l’homme et sa négation
du génocide arménien – a estimé
que « remettre le prix Nobel de lit­
térature pendant la journée des
droits de l’homme à un person­
nage qui nie le génocide en Bosnie­
Herzégovine revient à récompen­
ser des violations des droits de
l’homme ».
Autre absent des cérémonies :
l’académicien Peter Englund, qui
a couvert la guerre en Bosnie.
« Célébrer le prix Nobel de Peter
Handke serait une hypocrisie gros­
sière de ma part », s’est­il justifié.
D’anciens reporters de guerre té­
moignent sur les réseaux so­
ciaux, derrière le mot­clé « Bos­
niaWarJournalists ». Lors d’une
conférence de presse, le 6 décem­
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Le personnel
du CDN estime
que la réponse
politique n’est
pas à la hauteur
Les dernières semaines ont été
tendues, alors que Jean­Pierre
Baro présentait sa création, Mé­
phisto. Rhapsodie. « Plus encore sur
ce spectacle, nous avons subi les
conséquences de l’affaire person­
nelle de Jean­Pierre Baro », pour­
suivent les salariés, qui parlent
d’une « désertion » : « 23 % de rem­
plissage sur toute la période, affi­
ches vandalisées, tags sur les murs
devant le théâtre. » Autant de si­
gnes « qui nuisent au bon fonction­
nement de l’activité du théâtre ».
Enfin, les salariés dénoncent des
prises de décision « de plus en plus
opaques ». Ils rappellent que, « de­
puis juin », ils ont à plusieurs repri­
ses « alerté les tutelles » sur la situa­
tion : « La direction [du théâtre] a
lancé un plan d’action global. Deux
mois plus tard, seul un diagnostic
psychosocial a été mis en place.
Aucune action concrète n’a vu le
jour », déplorent­ils. Ils concluent
ainsi : « Face à l’urgence de la situa­
tion, nous demandons que les tu­
telles et la direction en assument
les conséquences et prennent leurs
responsabilités. » En creux, le com­
muniqué demande le départ de
Jean­Pierre Baro. Contacté par Le
Monde, mardi 10 décembre, le di­
recteur du Théâtre des quartiers
d’Ivry nous a répondu qu’il n’avait
« pas de commentaire à faire ». 
clarisse fabre
bre, Peter Handke a été confronté
aux critiques dont il fait l’objet.
Mais, plutôt que d’y répondre,
l’écrivain a raconté qu’il avait
reçu, ces dernières semaines, de
nombreuses lettres de lecteurs.
Une d’entre elles contenait du pa­
pier toilette. « Je préfère encore le
papier cul anonyme à vos ques­
tions vides », a­t­il lancé aux jour­
nalistes présents.
Dans son pays, toutefois, Peter
Handke bénéficie du soutien de la
scène politique et culturelle. No­
bélisée en 2014, la romancière
Elfriede Jelinek a estimé qu’il
« avait mérité le prix dix fois », con­
sidérant que la récompense ne de­
vait pas « être décernée pour autre
chose que pour sa qualité litté­
raire ». L’écrivain a également été
félicité par le chef des conserva­
teurs Sebastian Kurz et le prési­
dent écologiste Alexander van
der Bellen. Mi­novembre, près de
120 intellectuels de langue alle­
mande ont pris sa défense dans
une lettre ouverte, contre ce qu’ils
appellent « une propagande anti­
Handke » constituée de « haine, de
ressentiment, d’insinuations et de
distorsions ».
L’académie suédoise, pour sa
part, continue de défendre un
prix qui récompense une œuvre
littéraire, et non des positions po­
litiques. Plusieurs de ses mem­
bres, cependant, ont admis que
Peter Handke avait pu tenir des
propos « maladroits ». 
anne­françoise hivert
(stockholm, correspondante)
et j­b. c. (vienne ,correspondant)
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Avec « Planètes », la BBC nous envoie dans l’espace
La chaîne britannique explore, en cinq volets, les astres du Système solaire. Le deuxième épisode est consacré à Jupiter
FRANCE 5
JEUDI 12 - 20 H 50
SÉRIE DOCUMENTAIRE
A
d Astra, Interstellar,
Gravity, Seul sur Mars
ou encore, plus récem­
ment, Proxima… Tan­
dis que, sur les écrans, se bouscu­
lent les fictions inspirées par l’ex­
ploration spatiale, la BBC vient
confirmer, avec la série documen­
taire Planètes, à quel point l’es­
pace reste une matière à récits
passionnante et une source d’ins­
piration sans fin. Découpé en
cinq volets, dont les deux pre­
miers sont consacrés à Saturne et
Jupiter, Planètes s’inscrit dans la
lignée des documentaires à gros
budget produits par la BBC (en as­
sociation cette fois­ci avec PBS),
comme les séries à succès Planet
Earth (2006 et 2016), et leurs pri­
ses de vues animalières stupé­
fiantes de technicité et de beauté.
Qu’on se rassure, il n’y a pas be­
soin d’être astrophysicien, ni
même d’avoir regardé The Big
Bang Theory pour être fasciné par
le « mystère Saturne ». Le premier
épisode de la série est en effet con­
sacré à cette planète énigmatique
de par sa taille (la deuxième plus
grosse du Système solaire après Ju­
piter), son climat étrange perturbé
par des tempêtes titanesques, sa
composition entièrement ga­
zeuse et, bien sûr, ses anneaux,
Avec « La Foire aux vanités », Arte s’adapte au grand public
La chaîne programme une série de 2018 adaptée sans finesse du roman satirique de William Makepeace Thackeray
ARTE
JEUDI 12 - 20 H 55
SÉRIE
D isons les choses en une
formule éloquente : Arte
diffusant la série Vanity
Fair (2018, La Foire aux vanités) de
la chaîne privée ITV (qui est le TF1
britannique), passée par Amazon
Prime Video, c’est un peu comme
si un confiseur connu pour ses fè­
ves de cacao d’exception ouvrait,
à l’occasion des fêtes de fin d’an­
née, un présentoir de chocolats
industriels trop sucrés.
GRILLE N° 19 - 289
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I et aux poings. Travaille au tour. Chez
II
III
IV
V 8
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 19 - 288
HORIZONTALEMENT I. Perturbation. II. Ecouteur. Ola. III. Rose. Féal. Et.
IV. SNE. Or. Sabot. V. Porosité. Ida. VI. Imagina. Tous. VII. Ci. Mégira. Cs.
VIII. Aso. Retape. IX. Cela. Tiran. X. Ereintassent.
VERTICALEMENT 1. Perspicace. 2. Economiser. 3. Rosera. Olé. 4. Tue.
OGM. Aï. 5. Ut. Osier. 6. Réfringent. 7. Bue. Tait. 8. Arase. Rats. 9. La.
Tapis. 10. Io. Bio. Ere. 11. Oléoduc. An. 12. Nattassent.
Image satellite des impressionnants orages à la surface de Jupiter. NASA/JPL-CALTECH/SWRI/MSSS/KEVIN M. GILL
aussi beaux qu’insolites. Mais ce
qui intrigue le plus les scientifi­
ques, ce sont les 62 lunes qui lui
tournent autour, dont certaines
abritent une intense activité. Ence­
lade, par exemple, contient un
océan souterrain chaud, salé, rem­
pli de matières organiques.
Pour mieux comprendre les
origines et la composition de la
planète, le réalisateur Gideon
Ces sept épisodes sont adaptés
du roman de l’écrivain anglais
William Makepeace Thackeray
(1811­1863) – également auteur des
Mémoires de Barry Lyndon (1844),
portés au cinéma par Kubrick
en 1975 –, se présentant comme
des « croquis à la plume et au
crayon de la société anglaise » vic­
torienne et publié en 1847­1848, au
fil d’un feuilleton mensuel illustré.
La scénariste Gwyneth Hughes
a taillé à la hache une adaptation
pour le très grand public de la car­
rière de l’orpheline Becky Sharp,
petite arriviste de basse extrac­
7 8 9 10 11
= longueurs. 4. Léger dans les airs. Finit
Bradshaw a donné la parole aux
scientifiques et ingénieurs ayant
participé à la conception et au lan­
cement par la NASA, en 1997, de la
sonde Cassini, ainsi qu’à l’analyse
des données qu’elle a envoyées à
la Terre pendant vingt ans. Se suc­
cèdent à l’écran une petite dizaine
de protagonistes – on apprécie le
soin apporté à l’équilibre fem­
mes­hommes dans les interviews
tion qui trompera et trahira à peu
près tout le monde pour parvenir
à ses fins – avant sa disgrâce et sa
semi­rédemption. Le tout sur
fond de guerre, de cœurs meur­
tris et d’amitiés trahies, d’amours
secrètes, de cupidité honteuse et
d’enfants répudiés – avec ce qu’il
faut de rebonds et de larmes.
D’excellents acteurs
Si le rôle principal aurait pu être
incarné avec une ambiguïté plus
subtile que n’en témoigne Olivia
Cooke, la distribution est, dans
son ensemble, confiée à d’excel­
HORIZONTALEMENT
I. Médecine holistique ou pseudo-
science. II. Donnent aux verres une
transparence irisée. III. En Savoie, elle
est pressée mais pas cuite. Carlins et
12
molosses. IV. Vainqueur aux points
les Grecs. V. Connu et reconnu pour
ses qualités. Gonflé au large. VI. Gai
participe. D’un auxiliaire. Equipé
pour prendre l’air. VII. Travailla sur
l’œil. Romains. Allure de la monture.
VIII. Belle de Toscane. Capitale dans
l’île Honshu. IX. Voie étroite. Un cran
dans la ceinture. Piégé. X. Lourde-
ment chargés. Vent arrière.
VERTICALEMENT
1. La femme du maître, pas la maî-
tresse. 2. Mesuré et équilibré chez
Nietzsche. 3. Parlé à Madras. Fait des
par épuiser. 5. Crie en bord de mer.
Grande toile internationale. 6. Sup-
port de charpente. Creuse en surface.
7. Gouffre sur le causse de Gramat.
Cube chiffré. 8. Sans le moindre
accent. Petite enclume. 9. Porte
feuilles. Dieu unique d’Aménophis IV.
10. Peut faire peur. Cinéaste améri-
cain d’origine danoise. 11. N’a pas
trouvé sa place au travail. 12. Pratique
en rouleau à la cuisine.
–, qui viennent rappeler les dé­
couvertes, passées et à venir, fai­
tes à cette occasion.
Enthousiasme communicatif
Au­delà de leur indispensable ap­
port pédagogique, ces interviews
ont pour effet de rythmer le docu­
mentaire et d’humaniser un sujet
qui peut s’avérer aride de par ses
ordres de grandeur démesurés et
lents acteurs, jeunes (les sensibles
Johnny Flynn, vu dans Lovesick, et
Tom Bateman, Sian Clifford, vue
dans Fleabag et qui joue à nou­
veau ici un rôle de revêche) et vé­
térans (la piquante Frances de la
Tour, sorte de parente excentri­
que d’Olivia Colman, Martin Clu­
nes en noble sans façons).
De sorte que, dans le genre
fleuve et mélo, en costumes et dé­
cors somptueux (qui sentent par­
fois cependant le toc, l’image de
synthèse, la gélatine et la surcolo­
risation), et en dépit d’un ralentis­
sement de l’intérêt (il y a décidé­
SUDOKU
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son vocabulaire, peu accessible si
l’on a trop séché les cours de physi­ JEUDI  12  DÉCEMBRE
que… Elles permettent également
de mettre un nom et un visage sur TF1
des scientifiques à l’enthousiasme 21.05 Balthazar
communicatif, dont le travail est Série. Avec Tomer Sisley, Hélène
entièrement consacré à l’explora­ de Fougerolles, Philypa Phoenix
tion des confins de notre Système (Fr., 2019).
solaire et pour qui le lancement et 23.10 Balthazar
le suivi d’une sonde constituent, Série. Avec Tomer Sisley, Yannig
souvent, l’apogée d’une carrière. Samot (Fr., 2018).
Les entendre évoquer, les yeux
embués, la destruction – pro­ France 2
grammée, bien entendu – de la 21.05 Envoyé spécial
sonde Cassini a quelque chose de Magazine présenté par Elise Lucet.
profondément émouvant. Ma vie… sans consommer.
Le deuxième volet, diffusé jeudi 22.50 Complément d’enquête
12 décembre, est consacré à « Jupi­ Tous docteurs !
ter la géante », planète de tous les Magazine présenté par
superlatifs, dont une météorite Jacques Cardoze.
aurait percuté la Terre il y a cin­
quante mille années. Le cratère, France 3
d’un diamètre de plus de 1 kilomè­ 21.05 Le Seigneur des anneaux :
tre, est visible en Arizona. On y ap­ les deux tours
prend, entre autres choses, que le Film de Peter Jackson. Avec Elijah
Système solaire a une configura­ Wood, Viggo Mortensen, Sean Astin
tion rare et particulière, comparé (EU/NZ, 2002, 165 min).
aux autres systèmes de notre ga­ 23.55 Nous, gens de la terre
laxie, et que la ceinture d’astéroï­ Polynésie : Makatea, une terre
des, située entre les orbites de convoitée.
Mars et de Jupiter, est en fait pres­ Série documentaire de Claire
que vide… Les trois épisodes sui­ Perdrix (Fr., 2019).
vants seront consacrés à la Terre et
à Mars, à Mercure et à Vénus, puis à Canal+
Uranus et à Neptune.  21.00 City on a Hill
audrey fournier Série. Avec Kevin Bacon, Aldis
Hodge, Jonathan Tucker (EU, 2019).
Planètes, de Gideon Bradshaw 22.55 Billions
(RU, 2019, 5 × 50 min). Série. Avec Paul Giamatti, Damian
Lewis, Maggie Siff (EU, 2019).
France 5
20.50 Planètes
Série documentaire de Gideon
Bradshaw (RU, 2019).
Saturne, l’énigmatique.
22.35 C dans l’air
Magazine présenté par
Caroline Roux.
ment un épisode de trop), ce ro­ Arte
man­photo volontiers tape­ 20.55 La Foire aux vanités
à­l’œil se regarde sans déplaisir et Série. Avec Olivia Cooke, Claudia
devrait assurer à la chaîne cultu­ Jessie (RU, 2018).
relle franco­allemande un beau
score d’audience. 
La Foire aux vanités (Vanity
renaud machart
23.25 Les Héritiers
Série. Avec Mikkel Arndt, Carsten
Bjornlund (Dan., 2017).
M6
Fair), série créée par Gwyneth 21.05 Chef contre chef
Hughes. Avec Olivia Cooke, Jeu présenté par Cyril Lignac
Claudia Jessie, Tom Bateman, et Jean-François Piège.
Johnny Flynn, Anthony Head, En Italie.
Frances de la Tour, Sian Clifford, 22.55 L’Italie dans votre assiette
Suranne Jones, David Fynn Magazine présenté par
(GB, 2018, 7 × 46­48 min). François-Régis Gaudry.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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28 | carnet
Paul Volcker
Ancien président
de la Réserve fédérale
P
aul Volcker, l’homme
qui terrassa l’inflation,
est mort dimanche
8 décembre, à New York,
à 92 ans. Président de la banque
centrale américaine, la Fed, de
1979 à 1987, Paul Volcker mis fin à
la stagflation, qui affligea les éco­
nomies occidentales dans la
foulée des deux chocs pétroliers
de 1973 et 1979.
Cet homme austère fut désigné
en 1979 par le président démo­
crate Jimmy Carter. Sa nomina­
tion marqua la fin des présidents
de la Fed soumis au pouvoir poli­
tique et aux décisions monétaires
accommodantes censées doper la
croissance mais qui ne faisaient
qu’accélérer l’inflation. Le démo­
crate Paul Volcker était un faucon
et devint l’un des présidents de la
Fed les plus impopulaires en ad­
ministrant à l’économie améri­
caine un remède de cheval : des
taux d’intérêt qui atteignirent
jusqu’à 20 % en 1980.
Ce fut un succès, le banquier
central parvenant à juguler l’infla­
tion qui minait l’économie améri­
caine. Elle avait atteint un maxi­
mum de 14,8 % en rythme annuel
début 1980. Mais ce fut au prix de
deux récessions lors de son pre­
mier mandat. Le chômage attei­
gnit jusqu’à 10,8 % en 1983, tandis
que les fermiers américains,
étouffés par la dette, allèrent ma­
nifester devant la Fed à Washing­
ton. Son règne coïncide avec la
bascule économique néolibérale
de la fin du XXe siècle, marquée
par l’arrivée au pouvoir de Marga­
ret Thatcher au Royaume­Uni
en 1979 et de Ronald Reagan aux
Etats­Unis en 1981.
La lutte contre l’inflation,
aujourd’hui oubliée, fut longue et
difficile. Ce n’est qu’à partir de
1982 que celle­ci fut maîtrisée
pour tomber à 3,2 % à la fin de son
premier mandat. Le président
Reagan décida de le reconduire à
la présidence de la Fed, mais dési­
gna aussi des personnalités au co­
mité de politique monétaire pour
lui faire contrepoids. Une fois,
même, Paul Volcker fut mis en
minorité par son conseil, ce qui
était extrêmement rare.
Dans ses Mémoires, citées par le
Wall Street Journal, l’ancien ban­
quier central racontait qu’il fut
convoqué peu avant l’élection de
1984 par le directeur de cabinet de
Ronald Reagan, James Addison Ba­
ker III, qui lui demanda, en pré­
sence de Reagan, de ne pas aug­
menter ses taux directeurs avant
le scrutin. Paul Volcker, qui n’en
avait pas l’intention, n’en dit rien à
ses collègues, animé par une indé­
pendance farouche. Le choc mo­
nétaire eut pour conséquence de
En 2005.
DON EMMERT/AFP
5 SEPTEMBRE 1927
Naissance à Cape May
(New Jersey)
1979-1987 Président
de la Réserve fédérale
2008 Conseiller
de Barack Obama après
la crise financière
8 DÉCEMBRE 2019 Mort
à New York
faire s’envoler le dollar et de rendre
les produits japonais et allemands
sans cesse plus compétitifs sur le
marché américain. Paul Volcker
tenta d’y remédier avec les accords
du Plaza, en 1986, censés amorcer
la décrue du dollar. Le mix écono­
mique n’était pas non plus opti­
mal : à la politique monétaire très
stricte de la Fed répondait celle
budgétaire très laxiste de Ronald
Reagan, qui avait notamment re­
lancé les dépenses militaires et ré­
duit drastiquement les impôts au
cours de son second mandat.
Conseiller d’Obama
Né le 5 septembre 1927 à Cape May
(New Jersey), Paul Volcker étudia à
Princeton, Harvard et à la London
School of Economics avant d’en­
trer à la Fed de New York en 1952. Il
fit alors plusieurs allers et retours.
entre la Chase Manhattan Bank et
le département du Trésor, où il ser­
vit sous les administrations dé­
mocrates et républicaines. Nom­
mé responsable des affaires mo­
nétaires internationales sous l’ad­
ministration Nixon, il fut l’un des
acteurs de la fin de la convertibilité
or du dollar en 1971, qui entraîna
l’effondrement du système de
changes fixes de Bretton Woods.
Après son remplacement par Al­
lan Greenspan en 1987, Volcker re­
tourna dans le privé, mais revint
régulièrement sur le devant de la
scène, au fil des crises économico­
financières. Au début des années
2000, il présida l’organe de régula­
tion comptable internationale,
alors qu’éclatait le scandale finan­
cier Enron. Surtout, il reprit du
service sous Barack Obama après
la grande crise financière de 2008.
Très critique sur les banques, ses
idées conduisent à la rerégulation
de la finance, notamment à l’in­
terdiction pour les banques
d’avoir des activités de marché
pour compte propre.
Paul Volcker était aussi un grand
amateur de pêche à la mouche.
C’est pour s’adonner à sa passion
qu’il convoqua le symposium an­
nuel des banquiers centraux à
Jackson Hole, dans le Wyoming,
au pied de Grand Teton, où coule
la Snake River. 
arnaud leparmentier
Le Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Youri,
Caroline GAUNEAU,
David MANDOUZE
et leurs familles,
ont le bonheur d’annoncer la naissance
de
Anita MANDOUZE,
le 24 octobre 2019, à Chevilly-Larue.
Décès
Nicole Bouret,
Francis Aubert,
Mariette Aubert,
Laurent Fathollahzadeh,
ont la tristesse de faire part du décès
du
peintre Michel AUBERT,
survenu le vendredi 6 décembre
2019, dans son atelier, rue Ricaut,
Paris 13e.
Les obsèques auront lieu le lundi
16 décembre, à 15 heures, au
crématorium du cimetière du
Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
Mme Gérard Baumont (†),
née Micheline Brun,
son épouse,
Le docteur Joële Gabison,
sa fille
et le docteur Paul Gabison (†),
M. Stéphane Baumont,
son fils
et son épouse, Mme Régine Baumont,
en union avec Mme Dominique
de Masquard de Laval (†),
Mme Fabienne Lebreton,
en union avec M. Richard Baumont,
son fils,
alpiniste tué à la Dent du Géant,
le 8 avril 1979,
M. Denis Baumont,
son fils
et son épouse, Christiane Renaud,
Sophie, Alexis, Flavia, Charles,
Alix, Laetitia, Thomas, Olivier,
Victoire, Edouard,
ses petits-enfants,
Max, Charlotte, Zoé, Eliott, Daphné
et Juliette, Ava et Elie, Camille, Paul
et Ysée,
ses arrière-petits-enfants,
ont le grand regret de faire part du
décès de
Gérard BAUMONT,
consul général honoraire du Népal,
président des médaillés
de la Reconnaissance française,
vice-président honoraire
des Amis du musée
de l’ordre de la Libération,
administrateur honoraire
de la Caisse d’Epargne de Paris,
officier de la Légion d’honneur,
chevalier
dans l’ordre national du Mérite,
médaille
de la Reconnaissance française,
médaille
de la déportation et de l’internement
(1942-1944),
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques,
chevalier
dans l’ordre du Mérite agricole,
médaille grand or du Travail,
médaille du Mérite social,
médaille de vermeil
de la Ville de Paris,
médaille de l’ordre Suprabal Gorkha
Dakshin Bahu du Népal,
officier de l’ordre grand-ducal
de la Couronne de chêne,
officier de l’ordre du Mérite
du Luxembourg,
survenu dans sa quatre-vingt
treizième année.
Ses obsèques auront lieu dans
l’intimité familiale, le vendredi
13 décembre 2019.
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Pierre DESPRAIRIES,
ancien élève de l’ENA (1948),
dans sa quatre-vingt-dix-neuvième
année, le 9 décembre 2019, à Luc-sur-
Mer.
La cérémonie aura lieu le lundi
16 décembre, à 14 heures, en l’église
de Gy-l’Évêque (Yonne), suivie de
l’inhumation aux côtés de son
épouse,
Gisèle MANEVY,
décédée en 2006.
Sa famille
Et ses nombreux amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Monique DURRLEMAN,
survenu le 11 novembre 2019, dans sa
quatre-vingt-quinzième année.
Un culte de reconnaissance
se tiendra le samedi 14 décembre,
à 11 heures, au Temple protestant de
Plaisance, 95, rue de l’Ouest, Paris 14e.
De la part
Des familles Durrleman, Perrier,
Dressen, Wallet, Kaltenbach,
De Samia et Isabelle
Et de tous ses amis de La Cause.
Des dons pourront être envoyés
à la Fondation La Cause, 69, avenue
Ernest-Jolly, Carrières-sous-Poissy
(Yvelines).
MoniqueDurrleman.famille@
gmail.com
« Mettez en pratique la Parole
et ne vous contentez pas de l’écouter. »
Jacques I, 22.
Mme Michel Euvrard,
née Diane de Neuville,
son épouse,
Ses enfants,
Ses beaux-enfants
Et ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Michel EUVRARD,
inspecteur général des Finances (h.),
chevalier de la Légion d’honneur,
commandeur
de l’ordre national du Mérite,
survenu le 7 décembre 2019,
dans sa quatre-vingt-septième année.
La cérémonie sera célébrée le
vendredi 13 décembre, à 10 h 30,
en l’église Saint-François-Xavier,
Paris 7e, suivie de l’inhumation au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Olivier Duhamel,
président de la Fondation nationale
des sciences politiques,
Frédéric Mion,
directeur de Sciences Po,
Pascal Perrineau,
président de l’Association des
Sciences Po
Et tous les membres de
l’Association des Sciences Po,
ont la très grande tristesse de faire
part du décès de
Michel EUVRARD,
ancien président
de l’Association des Sciences Po,
survenu le 7 décembre 2019,
dans sa quatre-vingt-sixième année.
La famille
Et les amis de
Lucien FARHI,
ont la douleur d’annoncer son décès,
survenu le 9 décembre 2019, à Paris.
L’inhumation aura lieu à Saint-
André-de-Cruzières, le samedi
14 décembre après-midi.
Monique Goutelle,
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
du
professeur
Alain GOUTELLE.
La cérémonie aura lieu le mercredi
11 décembre 2019, à 10 h 30, au
Temple, 10, rue Lanterne, Lyon 1er.
Annie Guissani,
Serge, Valérie, Myriam, Pascal,
Timothé et Alicia, Natacha, Siméon
et Jeanne, Cédric, Serena, Adeline,
son épouse, ses enfants et petits-
enfants,
Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Yves GUISSANI,
directeur de recherche au CNRS,
mari et père aimant, Papy rigolo,
survenu le 6 décembre 2019.
La famille tient à remercier les
docteurs Kergoyan, son médecin
traitant, Dubory qui l’a opéré en 2015,
Henry qui l’a suivi depuis quatre ans,
Virone et tout le personnel du service
de rhumatologie du professeur
Mariette de l’hôpital du Kremlin-
Bicêtre, dans lequel il était reçu avec
chaleur et affection et l’AP-HP pour
toute l’aide apportée dès l’annonce de
sa maladie.
Yves était membre de
l’Association pour le droit à mourir
dans la dignité (ADMD) et a fait don
de son corps à la Science.
La cérémonie aura lieu le dimanche
15 décembre, de 14 h 30 à 16 heures,
à l’école d’art(s) de Fresnes, 7, rue
Louise-Bourgeois.
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
Annie Guissani,
8, allée des Blancs-Bouleaux,
94260 Fresnes.
atrachten66@gmail.com
François Landrieu,
Pierre Landrieu,
ses frères,
Sa famille
Et ses proches,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Bertrand LANDRIEU,
préfet de région honoraire,
commandeur
de la Légion d’honneur,
survenu le vendredi 6 décembre 2019,
à l’âge de soixante-quatorze ans.
Une cérémonie religieuse aura lieu
le mardi 17 décembre, à 11 heures,
en l’église Saint-Louis-en-l’Île, Paris 4e.
Ni fleurs ni couronnes des dons
peuvent être adressés au fonds de
dotation de Marie Lannelongue.
39, rue Raymond-Lefebvre,
94250 Gentilly.
Jean Luc Archambault,
président,
Les seniors advisors,
Les associés
Et les consultants
du cabinet Lysios Public Affairs,
ont la tristesse de faire part du décès
de leur expert associé,
Bertrand LANDRIEU,
préfet de région honoraire,
commandeur
de la Légion d’honneur,
survenu le vendredi 6 décembre 2019,
à l’âge de soixante-quatorze ans
et s’associent au deuil de sa famille
et de ses proches.
229, boulevard Saint-Germain,
75007 Paris.
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0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
Franck Nouchi et Suzanne Jamet,
Nicolas Nouchi,
Agathe Nouchi-Dauvergne et
Maxime Dauvergne,
Juliette Nouchi et Charly Mabileau,
Rose Nouchi,
Margot Nouchi,
Gaspard et Violette,
ses deux arrière-petits-enfants adorés,
Sa famille,
Ses amis
Et ses élèves de yoga,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès, le 5 décembre 2019, de
Danielle NOUCHI,
professeur de hatha-yoga.
Elle sera inhumée aux cotés de
son mari,
Robert NOUCHI,
décédé le 8 juillet 1990.
L’inhumation a lieu ce mercredi
11 décembre, à 14 h 30, au cimetière
parisien de Bagneux, 45, avenue
Marx-Dormoy.
Keiko van Rij-Tsuchiya,
son épouse,
Kees et Marie-Jeanne van Rij-
Duijnstee,
Antoinette et Hein Stockmann-
van Rij,
Gabriella van Rij,
ses enfants,
Pieter et Chrissy, Laura et Marco,
Laetitia et Justus, Eleonore, Carl,
Constantijn, Paul, Alexandra et
Kevin,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Johannes Pieter VAN RIJ,
ancien ambassadeur
de l’Union Européenne
en Turquie et aux Philippines,
survenu à Saint-Etienne-du-Grès,
le 1er décembre 2019,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Marianne Wolff, Nicole Wolff,
ses filles,
André Brégégère et Mirna Lekic,
ses petits-enfants,
Iris,
son arrière-petite-fille,
Nicole Jacob,
sa belle-sœur,
Ses nièces et neveux,
ont la douleur de faire part du décès
de
François WOLFF,
ingénieur ECP,
à Paris, le 6 décembre 2019,
à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans.
Les obsèques auront lieu le
vendredi 13 décembre, à 14 h 30, au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e
(Rdv à l’entrée, porte principale).
marianne.wolff@wanadoo.fr
nicouw@gmail.com
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
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Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction
Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue,
Caroline Monnot, Cécile Prieur
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Rédaction en chef quotidien
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Directeur délégué au développement du groupe
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Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
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éditoriales Emmanuel Davidenkoff
Chef d’édition Sabine Ledoux
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Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Médiateur Franck Nouchi
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Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
Sébastien Carganico, vice-président
LE CARNET
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
MODE DE PENSÉE A 61 ans,
l’Anversois dirige
sa maison de couture
depuis plus de trente
ans. Loin de l’inflation
des précollections,
il ne défile que quatre
fois par an, et ne fait
jamais de publicité.
Retour sur le parcours
d’un créateur à part
ENTRETIEN
L
e 25 septembre, un événement sor­
tait la Fashion Week parisienne de
sa torpeur : l’excitant défilé Dries
Van Noten, auquel le couturier
Christian Lacroix avait apporté sa contribu­
tion inattendue. Dans la mode, les collabora­
tions existent, mais elles se contentent
généralement d’associer un designer et un
artiste – les ego des directeurs artistiques ne
favorisant pas les associations entre eux.
Dries Van Noten, créateur anversois de
61 ans, a toujours suivi un chemin un peu
différent. Ses défilés, au nombre de quatre
par an (deux collections masculines, deux
féminines), respectent le rythme des sai­
sons et n’ont jamais connu l’inflation des
précollections et shows croisières ; ils ont
lieu à Paris, mais son studio de création est
resté en Belgique. La marque ne fait pas de
publicité, ne travaille pas avec des influen­
ceurs. S’il ne joue pas le jeu du marketing,
Dries Van Noten peut compter sur son style,
toujours identifiable : un travail poussé sur
la couleur et les tissus dont l’expression la
plus remarquable concerne des imprimés
qui secouent des silhouettes androgynes,
ou se superposent dans des tenues à la
flamboyance baroque. Depuis sa création
en 1986, la marque, indépendante jusqu’à
son rachat par le groupe espagnol Puig
en 2018, jouit d’un prestige constant.
A Anvers, le dépouillement de son studio
fait écho à la sobriété élégante du créateur
(chino marine, pull en laine, baskets blan­
ches et écharpe bleue). Le Flamand s’exprime
dans un français parfait, mais pourrait tout
aussi bien faire l’interview en anglais. Il dit
traverser une période de travail intense, car il
lui faut avancer une grande partie de la col­
lection masculine avant Noël, mais rien dans
son attitude ne trahit de tension.
Votre métier vous amuse­t­il encore ?
Oui, même après plus de trente ans, la
création reste stimulante, elle n’est pas
devenue une routine. A chaque défilé, j’es­
saie de faire table rase du passé, je me moque
de savoir si telle pièce de la saison précé­
dente a été un succès commercial qu’il serait
bon de répéter. Je pousse toujours mon
équipe à innover, j’ai envie de les choquer,
au point que j’ai parfois l’impression d’être
le plus jeune du groupe ! Ce n’est pas un
principe ou une posture : j’impose le chan­
gement parce que mon goût varie et les
attentes de la clientèle aussi.
Où vous situez­vous, dans la mode
aujourd’hui ?
Je crois qu’on peut dire que je suis un
vieux ! [Rires.] Mais heureusement, la mode
change sans arrêt et continue de me sur­
prendre. Chaque saison, je me pose la ques­
tion de savoir si mon travail est encore per­
tinent, et je suis obligé de m’adapter. A une
époque, je ne m’inquiétais pas de la photo­
génie d’un vêtement ; maintenant que la
plupart des clients achètent des produits sur
la foi d’une photo, on étudie chaque pièce
dans un miroir, on photographie les tissus
pour examiner leur rendu. Par exemple, les
carreaux prince­de­galles passent très mal,
comme beaucoup d’imprimés optiques noir
et blanc. Ces considérations ne m’empê­
cheront pas de m’en servir, mais je veille à ce
qu’ils n’apparaissent pas sur le premier look,
qui est toujours le plus photographié.
Qu’est­ce qui vous paraît être
le changement majeur ?
Dans le temps, un vêtement avait une
certaine valeur, et la fast fashion l’a ra­
dicalement baissée. Aujourd’hui, le pu­
blic trouve qu’une chaussure de sport à
120 euros, c’est cher. Mais si on veut la fa­
briquer en Belgique ou en France et rétri­
buer correctement les producteurs de cuir et
les artisans, elle ne peut pas coûter moins de
400 ou 500 euros, et encore, à ce prix­là,
notre marge sera modeste.
Dries Van Noten
« On a créé une
manière de penser
plus qu’un style »
Avez­vous adapté vos prix
avec le temps ?
On a été obligés. Dans les années 1980,
on produisait presque tout en Belgique. Il y a
encore trois ou quatre fabricants qui sur­
vivent, notamment parce qu’on leur ga­
rantit une production minimum. Mais on a
dû équilibrer la production avec des
vêtements fabriqués au Portugal, en Rou­
manie, en Bulgarie ou en Italie pour les piè­
ces plus compliquées.
Qu’est­ce que le rachat de votre maison
par Puig a changé pour vous ?
Rien sur la manière de travailler, ça faisait
partie de mes conditions. Si ce n’est que je
ne m’occupe plus que de la création et ai
un peu délaissé l’aspect financier. Jusqu’à
présent, dans ce domaine, notre gestion
était très intuitive. J’avais aussi envie d’être
éduqué, d’avoir des personnes qui m’aident
à me lancer en Chine, à développer notre
offre sur Internet. On est obligés d’avancer.
On ne peut pas faire de surplace.
Pourquoi renoncer à l’indépendance ?
Parce que je ne rajeunis pas. Et parce que,
contrairement à ce que je pensais, je n’étais
déjà plus indépendant depuis longtemps :
rien qu’à Anvers, j’emploie 120 personnes,
dont certaines ont investi une grande partie
de leur vie dans la société.
En Inde, on a mis en place un système pour
produire des broderies dans des villages
autour de Calcutta dont je suis très fier : cha­
que saison, ces gens ont quelques milliers de
pièces à broder, ce qui leur évite de devoir
déménager dans une grande ville. Je ne peux
pas m’arrêter de travailler et laisser tomber
Dries Van Noten,
à Anvers,
le 3 décembre.
DIMITRI VAN ZEEBROECK
POUR « LE MONDE »
du jour au lendemain tous ces gens parce
que j’ai l’impression de n’avoir plus rien à
exprimer créativement.
Vous avez eu beaucoup de propositions
de rachat au cours de votre carrière.
Pourquoi choisir Puig ?
A un moment, à force de dire non, les pro­
positions se sont raréfiées. C’est moi qui suis
allé voir Puig. Je cherchais un partenaire fi­
nancier qui respecte notre savoir­faire et l’es­
prit de la maison, qui ne cherche pas simple­
ment un nom connu pour placer un jeune
créateur qu’il changera tous les trois ans.
« J’AI ÉTÉ ACCUSÉ  du rythme des collections ?
D’APPROPRIATION  Avez­vous l’impression que la structura­
tion du luxe autour de grands groupes
CULTURELLE. rend l’indépendance impossible ?
Je ne sais pas, car la jeune génération sem­
MAIS SI JE DOIS FAIRE  ble penser autrement et fait preuve d’un réel
intérêt pour les projets originaux, person­
DES VÊTEMENTS  nels. Chaque année, j’organise une journée
UNIQUEMENT FONDÉS  où j’invite les étudiants en master de l’Acadé­
mie royale des beaux­arts d’Anvers à passer
SUR LE FOLKLORE  une journée d’immersion dans nos locaux.
Il y a dix ans, ils demandaient tous des
BELGE, ÇA VA ÊTRE  conseils pour candidater au sein d’une
ASSEZ LIMITÉ » grande maison, voulaient devenir le pro­
chain Nicolas Ghesquière, travailler, voya­
ger, côtoyer la jet­set. Maintenant, quand je
leur demande comment ils voient l’avenir,
ils répondent : « J’aimerais monter une so­
ciété avec ma sœur et mon petit ami photo­
graphe, m’installer en Ecosse, sourcer ma
laine chez tel éleveur de chèvres… »
Pourquoi votre collaboration
avec Christian Lacroix a­t­elle tant
touché le public ?
styles | 29
Les gens étaient surpris parce que la mode
tourne tellement autour de questions d’ego,
de designers stars… Mais, derrière chaque
créateur, il y a une équipe, qui est rarement
créditée. Et je trouve normal que deux
designers puissent travailler ensemble
au même niveau. Quand on a commencé la
collection de l’été passé, on a travaillé sur
l’abondance, le plaisir de s’habiller, les an­
nées 1980, la couture… et Christian Lacroix.
Plutôt que de lui rendre hommage, j’ai pré­
féré l’appeler pour lui proposer de colla­
borer. Il est venu cinq ou six fois ici, et à cha­
que fois, sa présence a été libératrice. Avec le
studio, on arrêtait de se poser la question du
prix de tel tissu, de la longueur de telle robe.
Quand Christian était là, c’était plus, plus,
plus ! Encore des rubans !
Vous sentez­vous plus contraint
qu’autrefois ?
Nous sommes plus libres qu’à un certain
moment. Mon équipe commerciale est
évidemment là pour me rappeler ce qui a
bien marché, que cette jupe est trop longue
et cette épaule trop large. J’en tiens compte,
mais pas énormément. Et bien sûr, dans
une collection, je respecte des gammes
de prix différentes : un tee­shirt, c’est
100 euros, 200 euros maximum pour un
imprimé. Avec Christian Lacroix, certaines
pièces sont devenues plus chères. Quand on
fabrique une réplique d’un jacquard de
soie XVIIIe sur des anciens métiers à Lyon
et qu’on l’envoie ensuite en Inde pour trois
cents heures de broderie sur une veste… cela
a un prix. Je ne suis pas un créateur frustré
qui dit « j’aimerais faire ça, mais commer­
cialement, c’est impossible ».
Vous sentez­vous limité par le risque
d’accusation d’appropriation culturelle ?
Un cuisinier qui fait un tempura d’un lé­
gume belge avec de l’huile d’olive a le droit
d’expérimenter tout ce qu’offre le monde.
Dans la mode, c’est plus délicat. Pour vous
donner un exemple, en janvier 2017, on a fait
une collection qui jouait avec les clichés de
la garde­robe masculine : la veste en tweed,
le manteau à carreaux rouge et noir style
américain, le pull tricoté écossais Fair Isle et
des pulls péruviens avec un motif lama. On
avait fait tricoter ces derniers à la main au
Pérou, puis rebroder ensuite en Inde avec de
grandes pierres et des strass pour rendre
le produit plus amusant. J’ai été accusé d’ap­
propriation culturelle. Mais si je dois faire
des vêtements uniquement fondés sur le
folklore belge, ça va être assez limité.
La mode est­elle devenue
politiquement correcte ?
Le jugement tombe rapidement, car tout le
monde peut en formuler un sur Internet.
Dans le temps, les réactions aux collections
étaient rédigées par des journalistes qui
connaissaient la mode et me semblaient
plus aptes à juger ce qui relève vraiment de
la copie que des influenceurs.
Travaillez­vous avec des influenceurs ?
Non. [Il rit.] Quelle question ! Quant à
l’Instragram de la marque, je ne le gère pas
personnellement. Je regarde et réfléchis
avec mon équipe à quoi poster. C’est
d’autant plus important qu’on ne fait pas
de publicité.
Pourquoi ?
Dans les années 1980, j’ai constaté que
mon petit budget de publicité apportait
plus de problèmes qu’autre chose : annon­
cer dans un ou deux magazines m’attirait
les foudres des autres. J’ai préféré arrêter et
investir l’argent dans les défilés, que l’on soi­
gne particulièrement. Avec le temps, on s’est
rendu compte que notre clientèle appréciait
notre absence de pub, elle nous considérait
comme un genre de secret bien gardé.
Comment voyez­vous l’accélération
Quand j’essaie de suivre les défilés et que
je vois des précollections, des croisières,
des capsules, je ne sais plus ce que je regarde.
Il y a des manteaux en fourrure dans l’été
et des maillots de bain dans l’hiver. Et je
crois que le client n’a pas besoin d’avoir
autant de suggestions tout le temps.
Comment envisagez­vous
votre avenir de créateur ?
Je peux travailler encore cinq ou dix ans,
continuer tant que je considère mon travail
pertinent. Si je sens que je commence à me
répéter, si mes vêtements n’ont plus de
sens, si on me demande de refaire tel pro­
duit parce qu’il a bien marché, alors je
m’arrêterai. En revanche, je ne suis pas
contre le fait que ma marque continue de vi­
vre sans moi. Je ne trouve pas nécessaire que
ce soit moi qui dessine la collection. Notre
histoire est riche, et on a créé une manière
de penser plus qu’un style. Si mon succes­
seur s’en inspire, ça me fera plaisir. 
elvire von bardeleben
 IDÉES
0123
30 | JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

COP25 : CHANGER DE MODÈLE ?

La réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut être
mise en œuvre sans modifier les cadres de pensée de l’action
politique, économique, financière et managériale

Ursula von der Leyen

Un « green deal » européen
pour ralentir le réchauffement de la planète

P
ouvons­nous, êtres humains,
continuer à vivre bien et en
toute sécurité sur cette pla­
nète ? L’humanité est confron­
tée à une menace existentielle
dont tout le monde com­
mence à voir les effets. Les forêts brû­
lent, de l’Amérique jusqu’en Australie.
Les déserts progressent en Afrique et
en Asie. L’élévation du niveau de la mer
menace des villes en Europe et des îles
du Pacifique. L’humanité a connu de
tels phénomènes auparavant, mais ja­
mais les mutations climatiques et envi­
ronnementales n’ont évolué aussi vite
que dans les dernières décennies. Le
lourd bilan des intempéries, fin no­
vembre­début décembre, dans le sud­
est de la France, nous rappelle que cette
menace est malheureusement déjà une
réalité, y compris chez nous.
La science nous dit toutefois que nous
pouvons mettre un terme à ces phéno­
mènes, mais le temps nous est compté.
La nouvelle Commission européenne
ne perdra pas de temps. Aujourd’hui,
moins de deux semaines après notre
prise de fonctions, nous présentons la
feuille de route du pacte vert pour l’Eu­
rope, le « Green Deal » européen. Notre
objectif est de devenir le premier conti­
nent neutre sur le plan climatique d’ici à
2050, pour ralentir le réchauffement de
la planète et en atténuer les effets. C’est
notre responsabilité, celle de notre gé­
nération et de la suivante, mais le chan­
gement ne peut plus attendre. Nous sa­
vons que nous en sommes capables.
La présidente de la Commission européenne
expose son « pacte vert », un ensemble de mesures la prochaine décennie. A cette fin, nous est possible, les parents qui choisissent
destinées à faire de l’Europe, d’ici à 2050, travaillerons main dans la main avec la des couches réutilisables, les entrepri­
Banque européenne d’investissement, ses qui renoncent aux plastiques à
le premier continent neutre sur le plan climatique, la « banque européenne du climat ». usage unique et proposent des alterna­
tout en assurant une croissance inclusive En mars 2020, nous proposerons la tives durables sur le marché. Beaucoup
toute première loi européenne sur le d’entre nous participent concrètement
climat, pour tracer la voie à suivre et à ce mouvement européen et mondial
rendre les progrès engendrés par le pour le climat. En France, la convention
Le pacte vert pour l’Europe que nous soin de notre maison commune. Elles pacte vert pour l’Europe irréversibles. citoyenne pour le climat donne la pa­
présentons aujourd’hui est la nouvelle savent aussi qu’en étant à la pointe des Les investisseurs, les innovateurs et les role aux citoyens et citoyennes pour
stratégie de croissance inclusive de solutions durables de demain, elles entrepreneurs ont besoin de règles identifier les mesures permettant de
l’Europe. Il permettra de réduire les bénéficieront de l’avantage du claires pour planifier leurs investisse­ répondre au défi climatique dans un es­
émissions, tout en créant des emplois précurseur. ments sur le long terme. prit de justice sociale.
et en améliorant notre qualité de vie, Les entreprises et les acteurs du chan­ Nous favoriserons la transformation Neuf citoyens européens sur dix de­
sans oublier personne. C’est le fil vert gement attendent aussi de nous que de notre façon de produire et de con­ mandent qu’une action décisive soit
qui guidera l’ensemble de nos politi­ nous leur assurions un soutien finan­ sommer, de vivre et de travailler, tout menée en faveur du climat. Nos enfants
ques – du transport à la fiscalité, de l’ali­ cier suffisant et facile d’accès. Pour ce en protégeant et en accompagnant comptent sur nous. Les Européens veu­
mentation à l’agriculture, de l’industrie faire, nous mettrons en place un plan ceux qui risquent d’être plus durement lent que l’Union européenne agisse sur
aux infrastructures. Avec ce pacte vert, d’investissements pour l’Europe dura­ touchés par ce changement. Cette tran­ le territoire européen et joue un rôle
nous voulons investir dans les énergies ble. Il soutiendra 1 000 milliards sition doit fonctionner pour tous, ou moteur à l’étranger. Ces derniers jours,
propres et étendre le système d’échan­ d’euros d’investissements au cours de elle ne fonctionnera pas. Je proposerai le monde entier s’est réuni à Madrid
ges de droits d’émission, mais aussi de créer un fonds pour une transition pour la conférence des Nations unies
renforcer l’économie circulaire et pré­ juste et je veux qu’il mobilise 100 mil­ sur le climat, afin de discuter de l’action
server la biodiversité de l’Europe. liards d’euros d’investissements au collective contre le réchauffement cli­
cours des sept prochaines années, avec matique. Le pacte vert pour l’Europe est
1 000 milliards d’euros l’effet de levier de la Banque euro­ la réponse de l’Europe à la demande de
Le pacte vert pour l’Europe n’est pas péenne d’investissement et de fonds ses citoyens. C’est un pacte de l’Europe
seulement une nécessité, il sera aussi C’EST UN PACTE privés. Nous ferons en sorte d’aider les pour l’Europe et une contribution es­
le moteur de nouvelles perspectives régions européennes pour lesquelles la sentielle à un monde meilleur. Il appar­
économiques. De nombreuses entre­
DE L’EUROPE, marche est plus haute, de manière à ne tient désormais à chaque Européen de
prises européennes s’engagent déjà à POUR L’EUROPE ET laisser personne de côté. s’engager dans ce mouvement. 
devenir plus vertes. Elles réduisent Dans toute l’Europe, les jeunes
leur empreinte carbone et dévelop­ UNE CONTRIBUTION comme les moins jeunes demandent
pent des technologies propres. Elles que l’on agisse en faveur du climat.
prennent conscience des limites ESSENTIELLE Mais ils vont plus loin : ils modifient
naturelles de notre planète. Les entre­ À UN MONDE déjà leur mode de vie en conséquence.
prises européennes de toutes tailles Il y a les navetteurs qui prennent le vélo Ursula von der Leyen est présidente
comprennent que chacun doit prendre MEILLEUR ou les transports publics dès que cela de la Commission européenne

Bruno Roche sont incités à réinventer leurs systèmes et

leurs pratiques de management en inté­
grant le principe de réciprocité vis­à­vis de
humains sont en pénurie. C’est à cette
nouvelle gestion de la rareté que sont
confrontés les dirigeants – politiques,
Fondé sur la primauté de la raison d’être
de l’entreprise comme l’épine dorsale de sa
stratégie, théorisé en laboratoire, ce con­

Réinventer l’entreprise
l’écosystème dans lequel ils opèrent.
Les décideurs publics et économiques
ont amorcé un changement de cap signifi­
catif. La loi du 22 mai 2019 relative à la
d’entreprise et associatifs. cept, testé sur le terrain depuis une dizaine
Dans le même temps, la taille et l’in­ d’années, donne des résultats qui interpel­
fluence des entreprises multinationales lent : si l’entreprise investit selon un prisme
ont augmenté de façon exponentielle. financier et non financier, mesuré par des

et le management
croissance et à la transformation des en­
treprises, dite « loi Pacte », autorise, en
France, une entreprise à définir sa raison
d’être dans ses statuts. Les dirigeants des
200 plus grandes entreprises américaines,
Plutôt qu’au capital financier surabondant, regroupés au sein de la Business Round­
table, ont signé, le 19 août, une déclaration
c’est à la gestion de la rareté des capitaux naturels, commune en faveur de la redéfinition de
sociaux et humains que les dirigeants l’objet de l’entreprise (« purpose of corpora­
tion »), sortant officiellement du dogme de
sont désormais confrontés, explique l’économiste la maximisation du profit financier pour
les actionnaires. Le 22 août, à Biarritz, en
marge du G7, 34 dirigeants d’entreprises
Elles sont devenues bien plus influentes à
certains égards que les nations qui les ont
vues naître. Pourtant, leur modèle de
gestion n’a pas fondamentalement évolué.
C’est à cette nouvelle forme de complexité
que sont confrontés aujourd’hui les entre­
prises et leurs dirigeants.
En cinquante ans, notre modèle est donc
passé de performant à sous­optimal. Pire,
ce système excessivement financier est de­
venu obsolète et prédateur. Il fausse désor­
mais le rôle des entreprises dans la société
en en faisant un moteur d’inégalités et de
indicateurs financiers et non financiers
normés et homogènes, la richesse globale
produite dans son écosystème social, local
et environnemental (au­delà de l’entre­
prise, ses actionnaires et ses employés) est
non seulement supérieure, mais la perfor­
mance financière de l’entreprise est aussi
plus élevée. Une économie de la réciprocité
plus juste, humaine et respectueuse de l’en­
vironnement peut donc être plus rentable
qu’une économie financière.
Dès lors, pour retrouver sa vocation, l’en­
treprise ne doit plus se focaliser, de ma­

D
e la même manière que le commu­
nisme et le marxisme se sont effon­
drés avec le mur de Berlin en 1989,
le capitalisme financier pourrait
UNE ÉCONOMIE bientôt s’effondrer avec un autre mur, Wall
Street. Trente ans plus tard, l’importance
DE LA RÉCIPROCITÉ grandissante des enjeux globaux auxquels
nous sommes collectivement confrontés
PLUS HUMAINE ET – la montée des inégalités et des tensions
sociales, l’épuisement des ressources natu­
RESPECTUEUSE DE relles et l’impact de la révolution numéri­
L’ENVIRONNEMENT que – illustre les limites de notre modèle
économique fondé sur la seule maximisa­
PEUT ÊTRE tion du profit financier.
Les entreprises, les investisseurs et les
PLUS RENTABLE écoles de management, tous sont incités à
QU’UNE ÉCONOMIE repenser leur approche de la création de la
valeur, ainsi que leur contribution à la so­
FINANCIÈRE ciété : leur fameuse « raison d’être ». Tous
internationales se sont fédérés au sein de
l’initiative Business for Inclusive Growth
(B4IG), visant à repenser les ressorts de la
croissance.
Un modèle obsolète et prédateur
Cette prise de conscience grandissante
impose désormais une transformation
profonde de notre conception du profit,
une conception qui correspond aux stan­
dards des années 1970, à une époque où le
capital financier était rare. Cinquante ans
plus tard, avec plus de 15 000 milliards de
dollars d’obligations d’Etat qui se négo­
cient à des rendements négatifs, cette
construction économique est devenue ob­
solète. La nature des raretés dans l’écono­
mie a radicalement changé. Le capital fi­
nancier est désormais surabondant. A l’in­
verse, les capitaux naturels, sociaux et
dégradation de l’environnement, et en les
privant de nouvelles possibilités de
croissance et de création de valeur.
Pour retrouver le sens de l’entreprise, la
formulation d’une raison d’être constitue
une première étape nécessaire, mais pas
suffisante. Nous avons besoin de réinven­
ter le management, ses pratiques et son
enseignement, d’élaborer de nouveaux
modes de construction du profit, de nou­
veaux processus de création de valeur :
nous avons besoin d’une nouvelle école de
pensée économique et managériale. C’est
l’ambition du mouvement universitaire et
entrepreneurial qui s’est construit autour
de « l’économie de la réciprocité », un mou­
vement lancé en 2007 par le groupe Mars
en collaboration avec l’université d’Oxford,
pour répondre à une question simple : quel
devrait être le juste niveau de profit ?
nière exclusive et dans une optique de
court terme, sur la seule rémunération du
capital financier. Ce n’est même pas son
propre intérêt. Déjà enseignée à Oxford, à
Sciences Po Paris et à la Business School de
Shanghaï, l’économie de la réciprocité
constitue un catalyseur de la transforma­
tion des entreprises et une nouvelle école
de pensée qui replace la finance au service
de l’entreprise, l’entreprise au service de
l’économie, et l’économie au service de la
société et de l’environnement. 
Bruno Roche est chef économiste du
groupe Mars et fondateur d’Economics of
Mutuality
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019 idées | 31

Côme Billard et Christian de Perthuis

Considérer l’environnement comme une richesse en tant que telle
S
ept degrés de réchauffement global à la
fin du siècle : c’est, dans le pire scénario,
ce qu’indiquent les premières simula­
tions des modèles climatiques français
dans le cadre de la préparation du prochain rap­
port d’évaluation du Groupe d’experts inter­
gouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC). A quoi ressemblerait un monde à + 7 °C ?
Difficile à anticiper. Ce qui est sûr, c’est qu’il
deviendrait vite invivable. Car le réchauffement
climatique est le signe avant­coureur d’un désé­
quilibre plus global entre l’homme et la nature.
Depuis la révolution industrielle, nos sociétés
s’acharnent à exploiter l’environnement. La
façon dont les économistes ont représenté la na­
ture a facilité cette démarche. Si les « classiques »
considèrent encore la Terre comme un facteur
de production, les modèles postérieurs de crois­
sance reposent sur le travail et le capital. L’offre
de matières premières s’ajuste à la demande via
les substitutions possibles en réaction aux varia­
tions de prix. Dès lors, la perspective de crois­
sance est illimitée, car l’accumulation des biens
et des connaissances permet de faire croître in­
définiment le travail et le capital. L’environne­
ment est un support permettant de maximiser
la production, sans considération de sa capacité
de reconstitution. Parmi les conséquences direc­
tes figurent le trop­plein de gaz à effet de serre,
qui déstabilise le climat, et les atteintes à la diver­
sité du vivant, qui amputent la capacité d’absorp­
tion du carbone par le milieu naturel.
« Frontières planétaires »
Transiter vers une société bas carbone implique
de considérer l’environnement comme une ri­
chesse en tant que telle : un capital bien singu­
lier, gratuitement procuré par la nature, sans
que sa reproduction soit garantie. S’il se fragi­
lise, son renouvellement devient une priorité.
Cette priorité est bien perçue pour le capital
non renouvelable constitué des ressources ne
pouvant être utilisées qu’une seule fois (pétrole,
gaz, minerais, etc.). Dès 1972, le rapport du Club
de Rome sur la croissance alertait sur les risques
d’épuisement des matières premières. Ce risque
est régulièrement brandi par les défenseurs
d’un pic de pétrole proche. Régulièrement
Aux facteurs classiques de la croissance (travail
humain et capital financier), il faut désormais
ajouter le capital naturel, qui ne peut plus être
seulement exploité mais entretenu et développé,
plaident les économistes
annoncé, ce pic est sans cesse repoussé grâce
aux progrès technologiques. Mais la solution ne
viendra pas de l’épuisement de réserves géolo­
giques, bien trop abondantes pour que l’on
puisse stabiliser le stock de CO2.
La fragilité des mécanismes assurant la repro­
duction des ressources renouvelables est révé­
lée par ce qu’on appelle l’approche par les « fron­
tières planétaires ». Ces ressources se reprodui­
sent à un coût nul en procurant des bénéfices
sur une période infinie. C’est pourquoi elles ont
été exclues du champ de l’économie politique
classique. Mais leur reproduction n’est possible
que sous certaines conditions. Si les prélève­
ments sur un stock de poissons sont trop
importants, au­delà d’une certaine limite, c’est
toute la ressource qui est menacée. On retrouve,
au plan macroéconomique, une même condi­
tion générale de reproductivité : les prélève­
LA NEUTRALITÉ
CARBONE NE POURRA
ÊTRE ATTEINTE QU’EN
INVESTISSANT DANS
LA DIVERSITÉ DU VIVANT
POUR RENFORCER
SA CAPACITÉ
D’ABSORPTION DU CO2
ments ou dégradation du stock de capital
renouvelable ne doivent pas dépasser certaines
frontières au­delà desquelles le capital renouve­
lable deviendrait non renouvelable, entraînant
un effondrement de la ressource.
Pour assurer la reproductibilité de ce capital,
il faut maintenir les services qu’il procure.
Quand ceux­ci sont dégradés, il est nécessaire
d’investir dans ce capital. Ainsi, la neutralité
carbone ne pourra être atteinte qu’en investis­
sant dans la diversité du vivant pour renforcer
la capacité d’absorption du CO2 atmosphérique
par les océans, les forêts et les sols agricoles. La
croissance économique de demain doit donc
se construire par l’intermédiaire d’une régula­
tion réfléchie de l’accès au capital naturel
d’aujourd’hui.
Changement de paradigme
Une telle reconsidération du capital naturel
affecte en premier lieu les choix technologiques
qui devront prendre appui sur les cycles natu­
rels ou s’en s’inspirer. Si les dégâts anthropiques
sur le capital naturel étaient intégrés dans le cal­
cul des richesses nationales, le niveau de gaz à
effet de serre ne serait pas celui que nous
connaissons. Et c’est parce que les multiples ser­
vices apportés « gratuitement » par la nature ne
sont pas valorisés à leur juste valeur par le sys­
tème économique que ces dégradations s’aggra­
vent. Nous devons donc imputer la dégradation
de la richesse potentielle produite par ce capital
dans les coûts de nos économies.
Un tel changement de paradigme technologi­
que ne peut s’opérer sans des ruptures fortes en
matière de régulation économique. Il faudra de
fortes incitations, comme la généralisation de la
tarification du CO2 pour renchérir le coût des
énergies fossiles et basculer vers un système re­
posant sur les énergies de flux (solaires, vents,
marées,…). Dans l’agriculture et la forêt, l’affaire
est plus complexe et le maniement inconsidéré
du prix du CO2 pourrait même accroître la pres­
sion sur les écosystèmes terrestres pour en sou­
tirer trop d’énergie. Il est en revanche urgent de
mettre en place des instruments permettant de
tarifer les coûts de l’affaiblissement de la biodi­
versité et de rémunérer les investissements
dans sa reconstitution. Ceci pour accélérer la
diffusion de techniques agroécologiques utili­
sant les complémentarités entre les différentes
composantes du capital naturel : biocontrôle se
substituant à l’usage des pesticides, rotations
des cultures aux dépens des monocultures,
complémentarité entre productions animales
et végétales permettent de se passer des engrais
chimiques… Ce faisant, la capacité de stockage
du CO2 par les sols est démultipliée et les puits
de carbone se reconstituent.
Ces mutations technologiques et régulatoires
impliquent une reconsidération éthique du
capital naturel. Il s’agit de reconnaître l’accès à
l’environnement comme un droit, si ce n’est
une « capabilité », c’est­à­dire un moyen par
lequel les citoyens peuvent exercer des choix et
sont capables de participer à l’économie et à la
société. Ce droit à l’accès aux ressources natu­
relles concerne également la solidarité intergé­
nérationnelle. C’est grâce à une profonde réor­
ganisation des modes de production et de con­
sommation que nos générations pourront
léguer un capital naturel au moins aussi bon
que celui dont nous jouissons. 
Côme Billard est doctorant en économie
(université Paris-Dauphine PSL/chaire
Economie du climat)
Christian de Perthuis est professeur
d’économie (université Paris-Dauphine PSL/
chaire Economie du climat). Il a notamment
écrit « Le Tic-Tac de l’horloge climatique »
(De Boeck, 336 pages, 19,50 euros)

Karl Eychenne Pour une mutation de notre modèle de croissance

L’intérêt des investisseurs pour la « finance verte » tient à des mécanismes fragiles, observe l’analyste financier

L
e monde de la finance
opère sa mue socialement
responsable à un rythme
impressionnant. Mais cela
n’est possible qu’à trois condi­
tions essentielles : que les taux
d’intérêt restent durablement fai­
bles ; que les marchés d’actions
intègrent un nouveau facteur de
risque – social et environnemen­
tal ; que la croissance économi­
que, même ralentie, « verdisse ».
Pour comprendre le mécanisme
à l’œuvre sur le marché des taux,
prenons l’exemple de travaux de
rénovation de votre vieux loge­
ment. Vous vous retrouvez devant
le banquier pour une demande de
prêt. Mais le coût du crédit dé­
passe le bénéfice que vous en reti­
reriez une fois les travaux effec­
tués. En langage financier, on dit
que la valeur nette de la maison
serait négative. Vous décidez alors
de remettre les travaux à plus
tard. Ils sont nécessaires, mais fi­
nalement cela peut attendre.
Il en va de votre vieille habita­
tion comme de notre vieille pla­
nète. En fait, le débat n’est pas tant
celui du « il faut, il ne faut pas »,
mais plutôt celui du « plus tôt ou
plus tard ». Faut­il attendre un peu
pour espérer que de nouvelles
technologies rendent les réformes
moins coûteuses ? Ou bien agir
dès maintenant ? Tout dépend du
taux d’intérêt qui est retenu. Deux
écoles s’opposent à ce sujet.
Selon l’économiste britannique
Lord Nicholas Stern, auteur
en 2006 du rapport du même
nom, le taux d’intérêt doit être
un taux « socialement responsa­
ble » : il n’a aucune raison d’être
aligné sur celui des marchés. Il
doit être faible, afin de justifier
une valeur élevée de la planète.
Précisément, Lord Stern propose
un taux réel (taux moins infla­
tion) proche de 1,4 %. D’un point
de vue théorique, un tel taux se
justifie par une hypothèse déci­
sive : une « préférence pour le
présent » quasi nulle. Cela signi­
fie que la génération actuelle
accepte de sacrifier une grande
partie de sa consommation pré­
sente en épargnant pour les gé­
nérations futures.
Pour son collègue américain
William Nordhaus, en revanche,
le taux d’intérêt doit forcément
être en rapport avec le coût de fi­
nancement des économies. Dans
ce cas, il n’est pas de meilleur
taux que celui de marché. Nord­
haus a proposé, en 2007, un taux
réel de 4,5 %, intégrant à la fois les
LE TRAVAIL
DEVRA ÊTRE
FAIT PAR LE MIX
ÉNERGÉTIQUE,
QUI DEVRA ÊTRE
DE PLUS EN PLUS
PROPRE
rendements dits « sans risque »
(emprunts d’Etat) et les rende­
ments risqués (actions, crédit).
D’un point de vue théorique, un
tel taux se justifie alors par une
différence majeure par rapport à
l’hypothèse de Stern : une préfé­
rence pour le présent proche d’un
facteur 3, qu’il dit plus proche de
la réalité. A ce niveau de taux, des
réformes ne doivent pas être en­
treprises maintenant.
Mutation profonde
Or il se produit aujourd’hui un
petit miracle : le taux de marché
s’est rapproché considérable­
ment du taux socialement res­
ponsable évoqué par Lord Stern.
En effet, en dix ans, les taux
d’intérêt réels ont perdu près de
3 %, soit la quasi­totalité de l’écart
initial. Autrement dit, ce que l’on
pourrait appeler la « valeur finan­
cière de la planète » a augmenté
et convergé vers la valeur sociale­
ment responsable : le coût des ré­
formes n’est plus si pénalisant, il
n’y aurait donc plus de raison
d’attendre !
Evidemment, il faut que cette
situation soit durable. Il a sou­
vent été dit que la baisse des taux
était excessive, exacerbée par une
croissance molle et sans infla­
tion, et par les politiques moné­
taires ultra­accommodantes de
« quantitative easing » (QE). Mais
les banques centrales annoncent,
précisément, vouloir soutenir
l’investissement environnemen­
tal. Après le Quantitative Easing,
le Climate Easing ?
Du côté des marchés d’actions,
il est une croyance répandue
selon laquelle les investisse­
ments socialement responsables
(ISR) deviendront progressive­
ment plus performants que les
autres valeurs, car ceux­ci de­
vront intégrer les risques sociaux
et environnementaux. Les signes
anticipant un tel scénario sem­
blent se multiplier, même si le
phénomène est récent.
Mais la question ne doit surtout
pas être posée en ces termes. En
effet, choisir des actifs ISR parce
que l’on anticipe de meilleures
performances est un argument
très discutable, car cette surper­
formance pourrait ne pas durer
pour deux raisons, l’une d’offre,
l’autre de prix.
Premièrement, la vague d’inté­
rêt pour ces actifs ISR crée, dans
un premier temps, un véritable
effet d’éviction sur les autres ac­
tifs. L’épargne totale reste in­
changée, mais se réalloue de plus
en plus vers les actifs ISR. Ce
mouvement génère donc une
surperformance des actifs ISR
relativement aux autres actifs.
Mais, dans un second temps, l’of­
fre s’ajustera à la demande, aussi
bien du côté ISR que non ISR.
Autrement dit, il y aura autant
d’offres ISR qu’il y a de forte de­
mande, et aussi peu d’offres non
ISR qu’il y a de faible demande, et
leurs performances deviendront
à peu près équivalentes.
Deuxièmement, prenons
l’exemple d’un automobiliste qui,
ayant le choix entre une voiture
de couleur orange et une auto de
couleur blanche sur le marché de
l’occasion, constate que la pre­
mière est moins chère que la se­
conde, alors que les deux ont les
mêmes performances. Du seul
point de vue financier, il fera une
affaire s’il achète la voiture
orange. Mais puisque les goûts et
les couleurs ne se discutent pas, il
peut choisir le prix plus élevé
pour avoir la blanche. Les écono­
mistes américains Eugene Fama
et Kenneth French, célèbres théo­
riciens du risque en finance, ont
expliqué que le même phéno­
mène s’applique aux actions, en
particulier pour le critère ISR.
Finalement, il arrivera un mo­
ment où les valeurs ISR seront
tout simplement plus chères car
elles correspondront davantage
aux attentes des gens.
Mix énergétique
Enfin, notre modèle de crois­
sance doit connaître une muta­
tion profonde. L’équation de
Kaya (du nom de son créateur,
l’économiste japonais Yoichi
Kaya) décompose les émissions
en CO2 en produit de quatre
composantes : le PIB par habi­
tant ; la population ; l’intensité
énergétique (l’énergie consom­
mée pour produire une unité de
ce PIB) ; le mix énergétique (la
part respective des énergies
émettrices et non émettrices).
Or nous ne pouvons pas trop
compter sur les deux premiers
pour réduire les émissions. Cer­
tes, ces deux moteurs de crois­
sance ont bien commencé à ra­
lentir, du fait du vieillissement de
la population et de la décéléra­
tion de la productivité. Mais ils
font preuve d’une trop grande
inertie pour qu’ils soient réduits
suffisamment à l’horizon requis,
à moins de catastrophes (réces­
sion, guerre…).
Quant à l’intensité énergétique,
elle a bien commencé à ralentir
depuis quelques années, mais à
un rythme bien trop faible pour
assurer une réduction suffisante
des gaz à effets de serre aux hori­
zons requis.
Tout le travail devra donc être
fait par le mix énergétique, qui de­
vra être de plus en plus propre : la
viabilité de ce scénario dépendra à
la fois des progrès techniques et
de la volonté des Etats d’imposer
des règles plus contraignantes,
par exemple la taxe carbone.
« Le jour où les Verts seront au
pouvoir, les arbres voteront »,
disait Coluche. Le jour où l’em­
preinte ISR se manifestera en
taux d’intérêt socialement res­
ponsable, en nouveau facteur de
risque actions et en mix énergéti­
que plus propre, il pourra être dit
que la finance a contribué à
dresser un pont entre l’urgence et
les consciences. 
Karl Eychenne est analyste
financier dans une société de
gestion d’actifs
 0123
32 | idées JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019

INFLUENCEUR
couches de la société, ces derniers étant en
mesure de convaincre des personnes de
même statut.
Au crépuscule de la décennie 1990, à mesure
que les foyers occidentaux s’équipent d’une
connexion Internet, nombre d’anonymes
ouvrent des blogs. Ces rédacteurs amateurs
s’y adonnent à divers centres d’intérêt ou par­
tagent leur vie quotidienne. Qu’ils soient sui­
Ce néologisme, entré dans le Robert en 2017, désigne des célébrités du Web vis par une petite communauté soudée ou lus
qui, par leur audience, sont à même d’orienter les goûts des internautes. par une large audience, ils deviennent pres­
cripteurs. Avec leur bonne « e­réputation »,
Des leaders d’opinion de l’ère numérique, en quelque sorte certains sont considérés, au milieu des an­
nées 2000, comme des « blogueurs d’influen­
ce », des « leaders d’opinions de la Toile ».
HISTOIRE D’UNE NOTION dans les années 1930, qui apportent les premiè­
res analyses structurantes afin de mieux com­ Budgets publicitaires
gle commence à grimper significativement.
L’engouement pour ce terme vient d’abord
du secteur de la publicité. Des entreprises de
cosmétique s’en remettent, par exemple, à
des youtubeuses beauté capables, avec leurs
recommandations, d’épuiser les stocks dans
une parfumerie. Certaines, comme Huda
Kattan, ont même fini par fonder leur propre
empire. La colossale industrie du jeu vidéo
préfère désormais un coup de pouce d’un
youtubeur comme Squeezie que l’adoube­
ment d’un journaliste.
« On peut considérer qu’Edward Bernays est
le précurseur de la notion d’influenceur au sens
actuel du terme. Il insiste notamment sur le fait
de mettre à contribution la crédibilité et la no­
toriété d’une personne, afin de faire passer un

A
u Moyen­Age, on considérait
qu’un flux provenant des astres
pouvait agir sur la destinée des
humains. Un phénomène appelé
influentia en latin, ou « influence ». Sept siè­
cles plus tard, dans la science du marketing,
ce sont d’autres étoiles qui auraient du pou­
voir sur les comportements d’achat des con­
sommateurs. Des célébrités dont l’audience
et la popularité sur les réseaux sociaux leur
permettraient d’orienter les goûts et les opi­
nions : les influenceurs.
Le néologisme n’est entré dans le Robert
qu’en 2017. Mais c’est bien avant l’avènement
de l’informatique domestique, à partir de la
seconde guerre mondiale, que l’influence de­
vient un objet d’étude en sciences humaines
et sociales, dans la lignée d’analyses antérieu­
res sur la propagande. « Au XXe siècle, les uni­
versitaires s’entendent pour considérer que ce
sont les chercheurs américains, bien souvent
originaires d’Europe, qui ont fui le nazisme
prendre les processus d’influence », explique
Françoise Bernard, directrice de l’Institut de
recherche en sciences de l’information et de
communication à l’université Aix­Marseille.
Parmi eux, Paul Lazarsfeld, sociologue amé­
ricain d’origine autrichienne. Celui­ci exa­
mine, dans The People’s Choice (1944), puis
dans Personal Influence (coécrit avec son
élève Elihu Katz, en 1955), les raisons des
changements d’avis de son panel à propos
des élections ou à propos de choix de con­
sommation. Il relativise alors l’impact des
médias de masse et montre l’importance des
relations interpersonnelles dans la construc­
tion de l’opinion. Sa théorie du two­step flow
of communication (« communication à dou­
ble étage ») établit qu’entre les médias et la
population agissent des leaders d’opinion.
Par ailleurs, le théoricien nuance l’idée reçue
selon laquelle les relations d’influence se­
raient verticales, hiérarchiques. Au contraire,
il existe des leaders d’opinion dans toutes les
Consommateurs eux aussi, ces internautes se­
raient plus persuasifs qu’une réclame publici­
taire. Quelques marques et entreprises com­
mencent à identifier des personnalités du
À PARTIR DE LA  Web, à les choyer et à leur envoyer des produits
SECONDE GUERRE  en espérant que ceux­ci s’en fassent l’écho. Un
article du magazine américain Fast Company
MONDIALE,  de 2008 ironise à propos du pouvoir prêté à
ces « e­fluents » et des budgets alloués par les
L’INFLUENCE  publicitaires pour s’acheter leurs services.
La naissance et la croissance des réseaux so­
DEVIENT UN OBJET  ciaux, YouTube et Twitter en tête, suscitent
D’ÉTUDE  des vocations, professionnalisent et démulti­
plient l’impact de ces « gourous » du Web,
EN SCIENCES  comme on les appelle parfois. L’arrivée de la
plate­forme de partage de photos Instagram,
HUMAINES  à l’automne 2010, va consacrer la pratique qui
ET SOCIALES séduit aussi des vedettes comme les Kar­
dashian, Justin Bieber ou encore Cristiano
Ronaldo. A tel point que, quatre ans plus tard,
le nombre de requêtes contenant le mot « in­
fluenceur » dans le moteur de recherche Goo­
message par son biais », évoque Françoise Ber­
nard, en référence au théoricien et neveu de
Freud, considéré comme le père de la propa­
gande politique et industrielle. A la réclame
se substituent désormais les expressions plus
modernes et policées de « post sponsorisé »,
de « collaboration », de « partenariat ».
Crédibilité, proximité, authenticité… Les
chantres du marketing n’avaient pas tôt fait
de vanter les mérites de cette communica­
tion numérique que cette dernière s’ébré­
chait face à des scandales concernant la ré­
munération par des marques, la sincérité et la
légitimité de certains influenceurs.
Mais ce sont bien les influenceurs eux­mê­
mes qui ont popularisé leur appellation, en se
l’appropriant pour désigner ce qu’ils considè­
rent comme un métier. Suggérant, par la
même occasion, qu’il faille désormais être in­
fluenceur pour avoir de l’influence, et non
plus l’inverse. 
pauline croquet

CHRONIQUE  | PAR JEAN­BAPTISTE FRESSOZ MILLE ET UNE ALEXANDRIE

Bruno Le Maire HISTOIRE & CIVILISATIONS rise, par les mariages mixtes, syn­
crétismes et métissages.
liers de kilomètres de la Grèce,
une ère nouvelle qui diffuse une

et le loto de l’innovation I l fallut moins de dix ans à

Alexandre le Grand (356­
323 av. J.­C.) pour bâtir son em­
pire. Archétype du héros grec, à la
tête d’une puissante armée cons­
Si Alexandre dessine par le
glaive la carte du monde hellé­
nistique, il ouvre l’avenir par les
échanges et la culture, favorise
les alliances des peuples et une
pensée et une esthétique que tra­
duit le raffinement d’une sta­
tuaire vibrante au naturalisme
réaliste. Alexandrie du Caucase
– près de Kaboul –, Alexandrie de

U n immense succès popu­

laire » : c’est ainsi que Bruno
Le Maire a décrit la privatisa­
tion de la Française des jeux (FDJ). Que
les boursicoteurs se réjouissent, on
peut le comprendre. Que le gouverne­
ment se pavane est plus surprenant :
contre 2 milliards d’euros, l’Etat s’est
séparé d’une entreprise très profitable
et en forte croissance, versant en
moyenne 100 millions d’euros de divi­
dendes par an au Trésor public. Soit
un rendement de 5 %, très alléchant
en ces temps de taux négatifs. Pour
justifier cette mauvaise affaire, le gou­
vernement a donc invoqué son nou­
vel évangile, à savoir : l’innovation. La
privatisation de la FDJ et celles, à venir,
de Paris Aéroport et d’Engie doivent,
en effet, abonder un fonds de 10 mil­
liards d’euros destiné à financer l’« in­
novation de rupture ».
« Innovation de rupture » : cette no­
tion, traduction littérale de la disrup­
tive innovation américaine, a pris une
telle importance dans la Macronie
qu’elle mérite qu’on s’y arrête un ins­
tant. Si, en France, elle sonne encore
chic et moderne, elle est, aux Etats­
Unis, vieille et discréditée.
Elle naît sous la plume de Clayton
Christensen, professeur à la Harvard
Business School, qui publie, en 1997,
The Innovator’s Dilemma (Harvard Bu­
siness Review Press). Le dilemme dont
il est question est le suivant : à côté des
innovations incrémentales – celles
que les entreprises pratiquent pour
améliorer leurs produits et conserver
leurs clients –, il existe des innovations
disruptives permettant de vendre des
produits ou des services low cost et
d’élargir le marché. Les entreprises
bien établies qui ne les développent
pas, de peur de réduire leurs marges,
succombent quand de nouveaux en­
trants, ayant pris pied dans ces mar­
chés moins lucratifs, parviennent en­
suite à conquérir tout le secteur.
La théorie de Christensen est elle­
même, en réalité, fort peu… disruptive :
elle rappelle celle de la « destruction
créatrice » chère à l’économiste autri­
CONTRE 2 MILLIARDS  vatisation de Paris Aéroport mérite
D’EUROS, L’ÉTAT S’EST 
SÉPARÉ D’UNE ENTREPRISE  au centre de recherches historiques
TRÈS PROFITABLE
ET EN FORTE CROISSANCE
chien Joseph Schumpeter (1883­1950).
Surtout, ses fondations empiriques
sont fragiles. Comme l’explique l’his­
torienne Jill Lepore, Christensen a
choisi ses exemples pour les besoins
tituée par son père, Philippe II, le
roi de Macédoine a rallié les forces
du Péloponnèse à son rêve de
conquête. S’emparant de l’Egypte,
il en devient le pharaon et se hisse
paix fondée sur l’économie de la
route des épices et, bientôt, celle
de la soie. Rhodes devient le gre­
nier de la Méditerranée, et
Alexandrie la mémoire de l’em­
l’Oxus, détruite par les talibans,
où l’on découvrit le trésor aché­
ménide, ou encore Alexandrie
Eschate, sur le fleuve Jaxartes
(l’actuel Syr­Daria) au nord de Sa­
L’EMPIRE 
de la cause. Et, même ainsi, ils tendent D’ALEXANDRE au rang des dieux. A l’assaut de la pire. Pour l’historien géographe marcande, sont autant d’avant­
à montrer l’inverse de ce qu’il veut Collection « Histoire Perse, il met Darius III en déroute, Strabon (63 av. J.­C. ­ 23 ap. J.­C.) la postes commerciaux, d’arrière­
prouver : les disquettes 3,5 pouces & Civilisations », avant de s’élancer vers l’Afghanis­ cité, en plus d’être un berceau de bases militaires que de foyers
n’ont pas « disrupté » les acteurs domi­ « Le Monde » tan et les rives de l’Indus, portant l’hellénisme et un carrefour des culturels et artistiques.
nants du stockage informatique et les et « National avec lui l’aura et l’empreinte de la savoirs, incarne le plus grand Mais, au­delà, ces villes incar­
vérins hydrauliques n’ont pas fait dis­ Geographic », culture hellénique. marché de la terre habitée. nent une compréhension du
paraître Caterpillar ou Bucyrus (« The volume 9, 160 pages, Suivant sa route, de sa Pella monde. Alexandre met en scène
Disruption Machine », The New Yorker, 12,99 euros. natale à Babylone, où il s’éteint à Foyers culturels et artistiques une vision cosmopolite de l’hu­
16 juin 2014). C’est au contraire la conti­ En kiosque 33 ans, le neuvième tome de la C’est donc dans un élan expan­ manité où tous les habitants de la
nuité des positions acquises qui est le collection du Monde « Histoire sionniste que chaque contrée « terra cognita » vivraient dans
phénomène marquant des exemples & Civilisations » ne s’arrête pas à la gagnée vers le Maghreb, l’Asie et une seule et grande cité. Dès lors,
invoqués par Christensen. Deux cher­ lecture d’une vie de stratège mili­ l’Arabie (qu’il projetait d’envahir relire cet épisode antique, c’est
cheurs ont examiné tous les cas invo­ taire, mais sonde minutieuse­ pour parachever le réseau des rou­ comprendre les buts d’un roi,
qués par Christensen et interrogé des ment l’abondant héritage qu’ont tes commerciales) est prétexte à la mais surtout les enjeux dont il fut
experts de chaque secteur. Résultat : reçu de lui l’Occident et l’Orient. fondation de seize cités alexandri­ l’oracle. Romains, Byzantins, Ot­
sur ses 77 exemples, seuls sept pour­ Car, en instillant la même langue nes, sur le modèle de la polis. tomans ont, eux aussi, bâti des
raient s’apparenter à une disruption (le grec) au sein des royaumes qu’il Agoras, gymnases, théâtres, empires. En cela, le règne fulgu­
(« How Useful is the theory of Disrup­ annexe, des côtes libyennes au bibliothèques, temples s’exilent rant d’Alexandre le Grand ressem­
tive Innovation ? », Andrew King and Pendjab, l’élève d’Aristote instaure alors aux confins du monde ble, en un sens, à une prophétie. 
Baljir Baatartogtokh, MIT Sloan Mana­ un dialogue entre cultures et favo­ connu pour inaugurer, à des mil­ christophe averty
gement Review, vol. 57, 2015).
Le problème principal de cette théo­
rie est qu’elle n’est en rien prédictive,
puisque ce qui est réellement disruptif
n’apparaît évidemment qu’après­
coup. En 2001, le fonds que Christen­
Dérèglement climatique | par serguei
sen avait monté l’année précédente
pour investir dans les innovations
disruptives avait déjà fait faillite. Et,
en 2007, il prédisait l’échec de l’iPhone
dans les colonnes de Business Week. Si
Christensen a malmené l’histoire, cel­
le­ci ne l’a pas non plus épargné.
A quoi tient alors le succès extraordi­
naire de cette théorie ? Au personnage,
tout d’abord : à coups de conférences
TEDx, Christensen, un mormon répu­
blicain conservateur, a su séduire le
monde des affaires américain. Il a
fourni le discours idoine légitimant
l’enrichissement phénoménal des
nouveaux ploutocrates de la Silicon
Valley. De manière plus surprenante,
l’élite politique française a aussi été
conquise par les prophéties discrédi­
tées du gourou mormon de la Silicon
Valley. Alors, quand on entend que le
gouvernement va placer 10 milliards
d’euros d’argent public sur des « inno­
vations de rupture », on peut être légiti­
mement inquiet : décidément, la pri­
bien un référendum. 
Jean­Baptiste Fressoz est historien
de l’Ecole des hautes études
en sciences sociales (EHESS)
et chercheur au CNRS
0123
JEUDI 12 DÉCEMBRE 2019
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sy lv i e kau f fmann
Et Paris redécouvrit
l’Europe centrale
J L’ÉLYSÉE A BEAU SE
amais sans nous : clair et
ferme, le message a été
abondamment passé de Ber­
lin vers Paris, après le choc
causé par l’annonce de l’ini­
tiative de rapprochement avec la
Russie lancée par le président
Emmanuel Macron à la fin de
l’été. L’Allemagne, ce partenaire si
proche qu’on prétend ne rien
pouvoir faire sans elle, n’avait pas
été mise dans la boucle d’un ob­
jectif diplomatique pourtant pré­
senté comme majeur par le chef
de l’Etat… Encore un accroc !
Pour Berlin, cette omission vo­
lontaire était d’autant plus diffi­
cile à avaler que ce nouveau des­
sein macronien n’est en rien in­
compatible avec la politique
étrangère allemande, par ailleurs
impliquée au côté de la France
dans la recherche d’une issue au
conflit russo­ukrainien. Certes,
personne n’accusera Angela Me­
rkel de tendresse excessive pour
Vladimir Poutine, qu’elle connaît
trop ; mais c’est l’Allemagne, pas
la France, qui est à l’origine du
gazoduc Nord Stream 2 pour
faire venir du gaz russe en con­
tournant l’Ukraine, et les entre­
prises allemandes se pressent
plus nombreuses à Moscou que
les françaises. En réalité, laisse­
t­on entendre à Paris, la stratégie
de cavalier seul de M. Macron
avait un but, celui de secouer
Berlin : il a été atteint.
Voici donc les responsables alle­
mands évoquant aussi une évo­
lution possible « à long terme » de
la relation avec la Russie, et l’am­
bassadeur Pierre Vimont, chargé
par l’Elysée de suivre ce nouveau
dossier, faisant un crochet par
Berlin avant Moscou. Les Alle­
mands, cependant, ont d’autres
participants à cœur : leurs voi­
sins à l’Est. « Que la Pologne et les
Baltes se rassurent, déclarait il y a
deux semaines le chef de la diplo­
matie allemande, Heiko Maas, à
Berlin : cette approche à l’égard
de la Russie ne se fera pas par­des­
sus leur tête. » Pour Thomas Bag­
ger, conseiller diplomatique du
président allemand Frank­Walter
Steinmeier, « élaborer un nou­
veau consensus sur la Russie ne
pourra se faire sans l’Allemagne et
l’Europe centrale ».
Cajoler l’Europe centrale : c’est
la tâche à laquelle semble s’atte­
ler, tardivement, Paris. L’Elysée a
beau se défendre d’avoir ignoré
cette région et mettre en avant les
voyages qu’y a déjà faits M. Ma­
cron, il y a un lourd passif à rattra­
per. L’image d’une France trop ac­
crochée à son rocher latin, lais­
sant à l’Allemagne la gestion de
son arrière­cour de la Mitteleu­
ropa, est tenace ; quelques visites
au pas de course ne suffiront pas
à l’effacer, pas plus que l’image
d’arrogance qui colle à la peau des
Français en général et de ce prési­
dent en particulier.
Pour arrondir les angles, on
lance donc l’offensive sur l’un des
territoires les moins hostiles, la
République tchèque, et l’on y en­
voie le grognard de la diplomatie
française, Jean­Yves Le Drian. A
Prague, qui célébrait les 30 ans de
la « révolution de velours », le mi­
nistre des affaires étrangères a
prononcé, le 6 décembre, un dis­
cours empreint d’une sensibilité
nouvelle à l’égard des anciens
ON LANCE DONC  debout contre les idées russes et
L’OFFENSIVE SUR L’UN  la vision américaine de l’Elysée. A
DES TERRITOIRES  l’OTAN, M. Macron s’est entre­
LES MOINS HOSTILES,  Duda. Il envisage une visite à Var­
LA RÉPUBLIQUE  sovie. Le contact est établi, mais,
TCHÈQUE
Tirage du Monde daté mercredi 11 décembre : 163 399 exemplaires
0123 | 33
L’OMC EN ÉTAT
DE MORT  d’incertitudes. Dès la création de l’OMC, tution est menacée d’obsolescence. L’una­
en 1995, les Etats­Unis ont eu du mal à ac­ nimité requise pour boucler un cycle de
CÉRÉBRALE
cepter que l’Organe de règlement des diffé­
rends (ORD) s’impose comme une instance
supranationale. Pourtant, Washington ne
négociations a fini par bloquer la signa­
ture d’accords globaux. Ensuite, les règles
ont été fixées quand la Chine ou l’Inde
s’est pas privé de l’utiliser régulièrement
pour obtenir gain de cause. Les Etats­Unis
étaient encore des nains économiques à
qui de nombreux avantages commerciaux
viennent ainsi de faire condamner l’Union avaient été accordés. Leur montée en puis­
européenne (UE) pour des aides illégales ac­ sance change la donne. L’OMC doit s’adap­
cordées à Airbus au détriment de Boeing. ter. Il est ainsi urgent de revoir les condi­
 
Le problème, du point de vue américain, tions d’attribution des subventions d’Etat
c’est qu’il arrive que les Etats­Unis soient dont bénéficient nombre d’entreprises
DÉFENDRE D’AVOIR  condamnés à leur tour. Ce devrait être le cas chinoises.
dans quelques mois pour un différend dans Mais, en empêchant l’ORD de fonction­
IGNORÉ CETTE  lequel, cette fois, c’est l’UE qui accuse les ner, Washington fait faire aux relations in­
Etats­Unis d’avoir indûment soutenu finan­ terétatiques un bond en arrière. Donald
RÉGION, IL Y A 
UN LOURD PASSIF 
À RATTRAPER
L’ Organisation du traité de l’Atlanti­
que Nord (OTAN) est « en état de
mort cérébrale », affirme Emma­
nuel Macron. Elle n’est pas la seule. L’Orga­
nisation mondiale du commerce (OMC)
cièrement Boeing, pénalisant ainsi Airbus.
Washington dénonce « l’activisme judi­
ciaire » de l’OMC. Mais les Américains don­
nent surtout le sentiment de ne respecter
les règles que lorsqu’elles sont en leur fa­
Trump a déjà donné un avant­goût de ce
nouveau désordre mondial. Les Etats­Unis
seront en position de tordre le bras des plus
faibles, comme lors de la renégociation de
l’accord de libre­échange nord­américain,
est, elle aussi, sur le point de perdre l’un de veur. Depuis son arrivée à la Maison Blan­ signé le 10 décembre avec le Mexique et le
pays communistes. Ni la mé­ ses organes vitaux. Depuis le mercredi che, Donald Trump considère l’Organisa­ Canada. Et quand l’adversaire sera capable
moire ni l’histoire, a souligné 11 décembre, l’instance d’appel du règle­ tion comme un empêcheur de tourner en de résister, comme c’est le cas actuellement
M. Le Drian, ne sauraient être uni­ ment des différends entre les 164 Etats rond. Sa guerre commerciale avec la Chine, avec la Chine, on assistera à d’intermina­
ques dans l’Europe réunifiée ; « la membres se retrouve de facto paralysée, menée à coups de sanctions unilatérales, bles négociations, ponctuées de menaces
compréhension de nos mémoires faute d’un nombre suffisant de juges. multiplie les entorses aux règles interna­ réciproques, qui sont autant de facteurs de
nationales doit être au cœur de la En bloquant le renouvellement de deux tionales. Par ailleurs, les Etats­Unis sont déstabilisation du commerce mondial.
construction européenne ». Au­ postes, les Etats­Unis de Donald Trump sont mal placés pour contester la supranationa­ Faute d’avoir été suffisamment décidés à
delà de cette « polyphonie des mé­ parvenus à leurs fins : débrancher un outil lité de l’OMC, alors qu’ils cherchent à impo­ réformer l’OMC, les Européens tentent
moires nationales », le ministre essentiel du multilatéralisme pour lui subs­ ser leurs règles au reste du monde grâce à aujourd’hui de trouver dans l’urgence de
français a aussi évoqué l’impact tituer la loi du plus fort. Il s’agit d’un recul l’extraterritorialité du droit américain. nouvelles règles du jeu. Mais à quoi peut
des révolutions de 1989 sur l’Eu­ dans le mode de fonctionnement des rela­ Que l’OMC ait besoin de se réformer, per­ bien ressembler une partie dont le princi­
rope de l’Ouest : « Cette liberté re­ tions commerciales, qui ouvre une période sonne aujourd’hui ne le conteste. L’insti­ pal joueur s’est retiré ? 
trouvée, cette histoire que vous
avez écrite avec courage, c’était
aussi les nôtres. Vous nous les avez
rendues. La liberté de l’Europe, y
compris celle de l’Ouest, était limi­
tée par la servitude de l’Europe
centrale et le glacis soviétique. »
Humilité nouvelle
Cela paraît tomber sous le sens
pour des Tchèques, Slovaques, Po­
lonais ou Hongrois, mais c’est
une humilité nouvelle, venant
d’un pays comme la France. Le ré­
cit dominant, jusqu’ici, c’était ce­
lui de la libération de l’Est par
l’Ouest, pas l’inverse. Il ne restait
plus qu’à réaffirmer clairement la
nécessité du « lien transatlanti­
que » et de l’OTAN, sésames de la
sécurité pour l’Europe centrale,
pour rassurer les esprits troublés
par les extravagances d’Emma­
nuel Macron, et les Tchèques pou­
vaient imaginer qu’enfin on les
avait compris. VOUS PARTEZ EN VACANCES ?
L’offensive, cependant, ne sau­
rait s’arrêter là. Contrairement à
l’image qu’il peut donner, le
groupe de Visegrad (Tchéquie, FAITES SUIVRE VOTRE JOURNAL !*
Slovaquie, Pologne, Hongrie) est
loin d’être monolithique, notam­
ment quant à la relation avec la
Russie. Cette diversité vaut aussi
au­delà de Visegrad : Marcin Za­ Rendez-vous sur votre compte, à la rubrique
borowski, expert polonais des re­
lations internationales, distingue
« Votre abonnement – Vacances et déplacements »
les Etats du « flanc oriental », plus
exposés à la Russie (Pologne, Rou­
au moins 9 jours avant votre départ
manie et pays baltes) de ceux de
la Mitteleuropa, influencés par
l’héritage austro­hongrois et *
pour une durée minimale de 7 jours
moins sensibles à la menace
russe (Hongrie, Tchéquie, Slova­ et maximale de 3 mois, en France
quie, Slovénie, Croatie). métropolitaine
Avec la Hongrie, M. Macron a
une longueur d’avance. Le 11 oc­
tobre, il a reçu Viktor Orban à
l’Elysée pour un déjeuner en tête
à tête, qui s’est prolongé pendant
trois heures – un long huis clos
• C’EST VOTRE PREMIÈRE
précédé d’une vague déclaration VISITE :
à la presse, pour la forme : discré­ créez votre compte au moyen
tion assurée pour ce qui a dû être
un échange fascinant… Autrefois
de votre numéro de client +
vilipendé comme l’incarnation code postal + votre adresse
de l’opposition populiste au ma­ courriel sur www.lemonde.fr/
cronisme, le dirigeant hongrois
entretient des liens étroits avec la
sfuser/account
Russie, mais se dit favorable à une
armée européenne et achète son • VOUS POSSÉDEZ DÉJÀ UN
équipement militaire en Europe
plutôt qu’aux Etats­Unis. « Aucun
COMPTE SUR LE SITE
autre leader d’Europe centrale LEMONDE.FR :
n’est reçu à déjeuner comme ça à identifiez directement
l’Elysée », relève un diplomate
d’un pays de la région.
avec votre adresse courriel
Et certainement pas un Polo­ sur www.lemonde.fr/account,
nais. Car le plat de résistance, rubrique « Votre abonnement –
pour Paris, c’est la Pologne, vent
Vacances et déplacements »
Londres, en marge du sommet de
tenu avec le président Andrzej
pour les déjeuners en tête à tête, il
faudra attendre un peu. 