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Royaume-Uni: les travaillistes affaiblis
espèrent encore priver Johnson de sa
majorité absolue
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 11 DÉCEMBRE 2019
Boris Johnson et Jeremy Corbyn
Les conservateurs sont donnés vainqueurs des
législatives du jeudi 12 décembre au Royaume-Uni,
à haut risque pour l’Union européenne. Le scandale
de l’antisémitisme et leurs positions complexes sur le
Brexit ont affaibli les travaillistes. Mais les appels à
un vote stratégique anti-Boris Johnson et la masse de
nouveaux inscrits renforcent l’incertitude autour du
scrutin. Reportage.
Londres (Royaume-Uni), envoyé spécial– L’avenir
du Brexit est en jeu, une fois de plus. Plus de
46 millions de Britanniques sont appelés jeudi
12 décembre à participer à des élections législatives
décrites de manière grandiloquente par les deux
principaux partis en lice comme « le scrutin le plus
important organisé au Royaume-Uni à l'échelle d'une
génération ».
La principale inconnue de ces législatives anticipées
porte sur l’ampleur de la majorité que devraient
obtenir les conservateurs, emmenés par le chef du
gouvernement sortant, Boris Johnson. En juin 2017,
les tories de Theresa May n’avaient obtenu qu’une
majorité relative (317 sièges sur 650). Ils avaient été
contraints de s’appuyer sur le parti nord-irlandais du
DUP pour gouverner, mais n’avaient pas trouvé de
majorité pour faire adopter l’accord sur la sortie de
l’UE. D’où l’impasse politique.
Si Boris Johnson décroche une majorité absolue (au
moins 326 élus), il promet de « mettre en œuvre le
Brexit » – « get the Brexit done » – dès janvier 2020.
Il s’est assuré, dans la désignation des candidats en
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lice, que tous soutiennent l’accord qu’il a négocié
avec l’UE à l’automne. Sans majorité absolue, l’ancien
maire de Londres est piégé : il ne pourra compter sur
le soutien d’aucun autre parti à Westminster, le DUP
ayant exprimé à plusieurs reprises son opposition à
la dernière mouture de l’accord.
Boris Johnson et Jeremy Corbyn le 2 décembre 2019 © Reuters / Henry Nicholls.
Johnson, 55 ans, a mené une campagne
rudimentaire – « une ligne claire, simpliste,
populiste », résume l’universitaire Philippe Marlière.
Son slogan, « Get the Brexit done », est le seul à s’être
imposé au cours des six mois de campagne. Le parti
y a mis les moyens : sur les tout derniers jours de
campagne, il a investi pas moins de 500 000 livres
(591 000 euros) dans une campagne en ligne, pour
relayer un clip exhortant les électeurs à « mettre un
terme aux débats » (« end the argument ») sur le
Brexit.
Beaucoup d’observateurs (lire par exemple ici) ont
relevé le mensonge véhiculé par ce slogan. Ne
serait-ce que parce que l’adoption par le Parlement
britannique de l’accord négocié avec Bruxelles ne
constituera qu’une étape de la sortie. Il faudra
ensuite négocier un nouvel accord commercial entre
le Royaume-Uni et l’Union, qui pourrait durer des
années. Avec le risque, là encore, d’un « no deal »
chaotique : l’absence d’accord.
Mais cette formule trompeuse semble tout de même
avoir séduit un grand nombre des 17,4 millions
d’électeurs qui ont voté pour le Brexit en 2016.
Beaucoup d'entre eux ne comprennent pas pourquoi
le divorce d’avec l’UE n’est toujours pas effectif.
Les tories pourraient ainsi progresser dans d’anciens
bastions travaillistes du Nord de l’Angleterre, auprès
d’une population blanche et vieillissante qui peine à
comprendre la stratégie du Labour sur le sujet (lire
notre article sur la position du Labour sur le Brexit).
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Dans un enregistrement qui a fuité en fin de
campagne, l’un des membres du cabinet fantôme de
Corbyn, Jonathan Ashworth, résumait à sa manière
la situation, au cours d’une discussion privée avec
un ami conservateur : « Ils n’aiment pas Johnson.
Mais ils ne supportent pas Corbyn. Et ils sont
convaincus que c’est le parti travailliste qui a bloqué
le Brexit. » L’intéressé a depuis, assuré qu’il s’agissait
d’un trait d’humour.
Au-delà du Brexit, Johnson a joué une partition
sans surprise, ancrée très à droite. Il a musclé ses
propositions en matière de sécurité après l’attaque à
l’arme blanche du pont de Londres, qui a fait deux
morts (dont l’interdiction de toute remise de peine
pour des détenus terroristes). Il a aussi promis une
réforme de la politique migratoire inspirée du modèle
à points en vigueur en Australie.
Johnson a ainsi pris soin de s’adresser à l’électorat
du Brexit Party de Nigel Farage. Après avoir échoué
à conclure un accord en bonne et due forme avec
les tories, l’eurodéputé d’extrême droite, habitué des
sorties racistes, a décidé de ne présenter aucun
candidat dans les 317 circonscriptions déjà tenues par
un député conservateur.
Farage, plutôt invisible durant cette campagne,
avait promis de concentrer ses efforts dans les
circonscriptions tenues par des travaillistes, accusés
d’avoir « trahi » leur électorat leaver (pour la sortie
de l’UE). Ce choix tactique du Brexit Party explique
sans doute en grande partie pourquoi Johnson en 2019
devrait faire mieux que May en 2017. À l’inverse,
le vote des partisans du maintien dans l’UE, lui, est
dispersé entre de nombreux partis, du Labour aux
libéraux démocrates (Lib Dem, centre droit libéral), en
passant par les Greens et le SNP écossais.
Malgré les sondages qui le donnent loin derrière,
Jeremy Corbyn, 70 ans, n’a pas perdu espoir de
gouverner. Il s’est même dit « très heureux et très
confiant », dans un entretien mardi au Guardian.
Le député londonien voudrait prendre la tête d’une
coalition ou d’un exécutif minoritaire, avec le
soutien des indépendantistes écossais (SNP) de Nicola
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Sturgeon. Laquelle négocierait ce soutien contre la
tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de
l’Écosse, dès 2020 selon certains articles.
Dans ce scénario, pas de Brexit au 31 janvier : des
négociations reprendraient, si les dirigeants européens
l'acceptent, avant un second référendum annoncé à
l’automne 2020. Le score du SNP sera d’autant
plus crucial jeudi que la formation, au pouvoir en
Écosse, pourrait reprendre des circonscriptions que lui
avait ravies le parti conservateur en 2017, et effriter
d’autant la majorité de Johnson à Westminster. C’est
l’une des batailles clés de la journée de jeudi, dans
une dizaine de circonscriptions dites « marginales »
d’Écosse – c’est-à-dire où l’avance du député sortant,
aux législatives de 2017, était faible.
Comme en 2017, Corbyn a fait campagne, non
pas sur le Brexit, mais sur la défense des services
publics minés par des années d’austérité sous les
gouvernements conservateurs. Il a centré sa campagne
sur la sauvegarde de la NHS, l’hôpital public, en
promettant des investissements massifs. Il a accusé
l’exécutif de préparer une privatisation de certains
services après le Brexit, dans le cadre d’un accord
commercial avec les États-Unis – un projet démenti
par Johnson.
La fin de campagne s’est emballée autour d’une photo
sur les réseaux sociaux, où l’on voit un enfant de quatre
ans, endormi au sol d’un hôpital public de Leeds, faute
de lits disponibles. Boris Johnson a d’abord refusé de
regarder la photo, avant de confisquer le téléphone
portable du journaliste qui insistait pour lui montrer la
photo. Avant de faire des excuses, sur l’ampleur de la
crise. Dans la foulée, les tories ont tenté d’organiser
une riposte, en assurant notamment que cette photo
était une mise en scène de Momentum, le groupe
d’activistes pro-Corbyn – ce qui s’est révélé faux.
« La Grande-Bretagne mérite mieux »
Corbyn espère faire le plein auprès des jeunes – ils sont
62 % des 18-24 ans à avoir voté Corbyn en 2017, et
56 % chez les 24-35 ans, selon les chiffres compilés
par l'universitaire Sarah Pickard dans son ouvrage sur
les jeunes Britanniques et la politique –, et auprès des
minorités ethniques. Le chef du parti travailliste, qui
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compte sur le soutien du rappeur Stormzy, devançait
Theresa May de 34 points de pourcentage sur le seul
vote des minorités ethniques en 2017, selon les études
de l’institut Opinium.
Autre motif d’espoir pour la machine travailliste, qui
compte plus de 450 000 adhérents (contre 160 000
adhérents tories) : plus de 3,8 millions de personnes se
sont inscrites pour la première fois sur les listes pour
participer au scrutin, dont deux tiers de moins de 35
ans (à comparer aux 2,3 millions de nouveaux inscrits
pour 2017).
Certains de ces nouveaux inscrits seront peut-être
séduits par les appels à un « vote tactique », qui se sont
multipliés dans la dernière ligne droite de la campagne,
de tous les côtés. En clair, voter pour le candidat qui
semble le mieux placé pour battre un conservateur,
qu’il soit travailliste ou libéral démocrate (Lib Dem).
Symbole de cette politique post-Brexit, qui dépasse les
appartenances partisanes, Tony Blair et John Major,
deux anciens chefs de parti, ont fait meeting commun,
la semaine dernière, pour exhorter les électeurs à voter
« tactique ».
À Uxbridge, la circonscription du Grand Londres
de Boris Johnson, les lib-dem reconnaissent qu’ils
mènent une campagne a minima, pour favoriser
le concurrent travailliste et partisan du remainAli
Milani. Sur les terres traditionnelles de Canterbury,
le parti travailliste pourrait là encore profiter d’un
vote tactique des lib-dem pour battre les conservateurs.
Mais la personnalité de Corbyn, caricaturé en «
marxiste » – qu’il n’est plus depuis longtemps –
dans beaucoup de médias, et qui continue de hérisser
nombre de centristes, pourrait aussi limiter la portée
de ce vote tactique.
Cette dynamique reste fragile. Les critiques sur
l’antisémitisme et la complexité des propositions sur
le Brexit ont plombé la campagne travailliste. Le
chef de la campagne travailliste, John McDonnell, a
reconnu dimanche sur BBC1, qu’il avait « peur que
[la polémique sur l’antisémitisme] ait un effet ». Le
procès fait à Jeremy Corbyn de ne pas avoir géré
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avec suffisamment de fermeté les cas de cadres aux
propos antisémites avérés a encore pris de l’ampleur
en novembre.
La tension a culminé avec la tribune du grand rabbin
du Royaume-Uni dans le Sunday Times – intervention
inédite dans une campagne politique –, jugeant que
Corbyn était « inapte pour un poste à responsabilité
». Il a fallu attendre un entretien télé le 3 décembre
pour que Corbyn daigne formuler des excuses « pour
tout ce qu’il s’est passé », sur sa gestion de l’affaire,
après s’y être refusé pendant de longs mois (vidéo
ci-dessous). Depuis son arrivée à la tête du Labour,
Corbyn se contentait de dire que l’antisémitisme au
sein du Labour n’était pas systémique, et que tous les
partis politiques britanniques étaient touchés par ce
fléau.
Mais le feuilleton n’est pas éteint. Le Sunday Times
a publié le 8 décembre des documents internes au
parti, attestant que plusieurs cadres dont les propos
antisémites avaient été signalés à la direction, étaient
encore en poste. Contrairement à ce qu’affirment
Corbyn et son entourage depuis des mois, assurant
que la crise est derrière eux. L’effet de ce laxisme
auprès des populations de confession juive s’annonce
dévastateur dans les urnes.
D’où la conclusion sans nuance du New Statesman,
l’hebdomadaire influent de la gauche britannique,
dans son édito en amont du scrutin, intitulé « La
Grande-Bretagne mérite mieux »: « Son refus de
formuler des excuses sur l’antisémitisme au Labour,
comme de prendre une position forte sur le Brexit,
le plus grand enjeu auquel le pays est confronté, le
rendent inapte à devenir premier ministre ».
Sur fond de perte de confiance de la population
envers la classe politique, accusée de ne pas avoir
su concrétiser le Brexit, Corbyn a peiné, bien plus
qu'en 2017, à convaincre de ses compétences. Sur le
terrain, la complainte d'électeurs déçus par le casting
proposé – un duel Corbyn/Johnson – s'est souvent fait
entendre. Un éditorialiste du Guardian, déboussolé, se
demande ainsi : « Ni Johnson, ni Corbyn, ni Brexit :
est-ce trop demander ? »
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« En théorie, cette élection était imperdable
pour les travaillistes, après des années d'austérité
des conservateurs, assure Philippe Marlière. Le
programme du Labour est très stimulant, qui propose
un “Green Deal” à la Britannique, et de redistribution
des pouvoirs au niveau local. Mais il y a un rejet de la
personne de Corbyn, qui n'est pas seulement palpable
à droite. » La tendance semble s’être accentuée depuis
la démission en septembre d’un proche conseiller,
Andrew Fisher, qui avait critiqué à l’époque le manque
de professionnalisme de la direction : « J’ai perdu la
foi dans notre capacité à gagner », avait-il dit.
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En cas de seconde défaite pour Corbyn, il ne devrait
pas pouvoir rester encore longtemps à la tête du
parti. McDonnell, son numéro deux, pourrait assurer
l’intérim jusqu’à un congrès, courant 2020, pour élire
une nouvelle direction. Les partisans de Corbyn feront
tout pour pousser leur candidat. Rebecca Long Bailey,
40 ans, fille de docker originaire du Grand Manchester,
fait partie des noms les plus cités, au côté de Laura
Pidcock, une féministe de 32 ans née à North Shields,
dans le nord de l’Angleterre.
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