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CONSTITUTIONNALISTE
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Alexandre Viala
2014/1 N° 32 | pages 81 à 91
ISSN 1290-9653
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2014-1-page-81.htm
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Alexandre VIALA
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Professeur
Université Montpellier I
Directeur du CERCOP
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beaucoup de scepticisme3.
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Bodin est à la théorie de la souveraineté »6 : le pionnier. Il a forgé cette théorie à
des fins politiques pour justifier la souveraineté de la nation contre celles du roi
et des Etats-généraux. Entièrement conçue dans son opuscule militant Qu’est-
ce le Tiers-Etat ?7, la théorie fut destinée à justifier le renversement du système
pluriséculaire de la répartition tripartite de la société et du vote par ordres par un
système différent de répartition monolithique de la société aux termes duquel
les représentants votent par têtes au sein d’un seul ordre, la nation. Il s’agissait
donc de détruire un système pour en reconstruire un autre au moyen d’un double
processus : une phase dé-constituante suivie d’une phase reconstituante.
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S’agissant de la phase reconstituante, Sieyès la fonde sur sa célèbre distinction
entre pouvoir constituant et pouvoir constitué. Après avoir aboli l’ordre ancien, le
pouvoir constituant crée un ordre auquel seront soumis les pouvoirs constitués.
Sieyès songe en premier lieu au pouvoir législatif. D’où la différence de procédures
entre celle qui organise l’assemblée constituante et celle qui régit l’assemblée
législative. La première est plus solennelle et plus rigide car il s’agit de soustraire
la Constitution aux contingences de la vie partisane auxquelles est exposée
l’assemblée législative. De là vient l’idée que celle-ci ne peut pas entreprendre ce
que seule peut faire l’assemblée solennellement réunie en la forme constituante.
Sieyès justifie ainsi la limitation de tous les pouvoirs à l’exclusion du pouvoir
constituant, seul à détenir la souveraineté. Paradoxalement, nul n’est prophète
en son pays, c’est aux Etats-Unis que semblable distinction prospèrera tandis
qu’en France, elle subira une relative négligence en raison du défaut de contrôle
de constitutionnalité et du légicentrisme dominant sous la IIIe République.
volonté commune d’imposer un sujet juridique supérieur aux individus. Peu importe que cette
volonté s’exprime par la force ou la concertation. L’essentiel est d’y voir un pur fait insusceptible
de qualification juridique. Pour résumer l’option épistémologique de CARRE DE MALBERG, il y a
de la volonté mais pas de droit à l’origine et en amont de l’Etat.
Limitation du pouvoir constituant, la vision du constitutionnaliste 85
Mais bientôt, le juriste viennois devra faire à l’empirisme des concessions qui
le conduiront inéluctablement, sans l’avouer explicitement, à admettre le défaut
d’hétéronomie dont jouit le pouvoir constituant. Comment expliquer la normativité
du décret du 17 juin 1789 aux termes duquel les députés des Etats-généraux
s’auto-proclament Assemblée nationale et imposent le vote par têtes en totale
effraction par rapport au droit en vigueur, celui de l’Ancien régime ? En supposant
valide semblable décret. Mais pourquoi supposer valide ce décret ? Parce qu’il est
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à l’origine d’un régime représentatif sur lequel nous continuons de vivre depuis plus
de deux siècles. Autrement dit, l’on ne peut recourir à l’argument transcendantal
qu’à la condition que le régime dont la Constitution originaire est le fondement
s’avère efficace en général et en gros9. Par où l’on voit que l’efficacité est une
condition – et non le fondement – de la validité d’une Constitution. Ce sont les faits
et non le droit qui sont à l’origine du processus constituant. Sans le dire, Kelsen
admet le défaut de limitation juridique du pouvoir constituant.
C’est a fortiori le cas de Carl Schmitt dont le décisionnisme l’a conduit tout
naturellement à ne jamais s’embarrasser avec l’interdiction d’inférer une norme
d’un fait. Tout au moins pour fonder l’origine d’un ordre juridique qui repose toujours,
à l’inverse de ce qu’enseigne le normativisme, sur une décision. « Est souverain,
celui qui décide de la situation exceptionnelle » écrit le père du décisionnisme dans
l’incipit de sa Théologie politique10. A l’origine de tout ordre juridique, gît la décision
du souverain dont le pouvoir constituant est l’auteur quitte à ce qu’ensuite, celui-ci
s’exprime en la forme normative pour réviser la Constitution. Affranchie de toute
limitation, la décision originelle relève exclusivement de la politique avant que ne
se succèdent des normes qui n’échappent pas, quant à elles, au principe d’un
contrôle de supra-légalité constitutionnelle sans perdre pour autant leur valeur
constitutionnelle.
9 H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., trad. C. EISENMANN, rééd. Bruylant-LGDJ, 1999, p. 215.
10 C. SCHMITT, Théologie politique, op. cit., p. 15.
86 Alexandre VIALA
Au sein d’un texte constitutionnel, il convient pour Carl Schmitt de souligner par
exemple la différence entre les dispositions relatives aux droits fondamentaux ou à
la souveraineté de l’Etat et celles relatives au régime des sessions parlementaires.
Si les deux types de dispositions sont formellement égaux en tant qu’ils relèvent
du même support textuel, le premier est matériellement supérieur au second car il
touche au cœur de la Constitution et ne peut dès lors, contrairement à celui-ci qui
revêt un caractère technique, être abrogé par une simple loi constitutionnelle11.
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Selon les tenants de cette nouvelle distinction, le pouvoir constituant originaire
ne serait pas l’auteur des lois constitutionnelles car juché sur un piédestal encore
plus élevé que le pouvoir constituant dérivé, il ne s’exprimerait qu’une seule fois,
au moment de la genèse d’un régime constitutionnel, pour élaborer définitivement
la Constitution. Ayant ainsi conçu la matrice originelle du régime et prévu les
règles de procédure à suivre pour en modifier ultérieurement certains aspects,
il délèguerait ainsi au pouvoir constituant dérivé qu’on peut aussi qualifier de
législateur constitutionnel, le soin de changer ultérieurement la Constitution au
moyen de lois constitutionnelles et sans pour autant remettre en cause ni son esprit
ni sa quintessence. Aussi, le pouvoir constituant dérivé ne serait pas souverain
car il serait limité par le noyau dur de la Constitution qu’il ne saurait dénaturer à
l’occasion d’une révision constitutionnelle. La langue anglaise est intéressante à
mobiliser pour illustrer cette distinction car elle dispose de deux termes différents
pour décliner le verbe « pouvoir » : can signifie pouvoir au sens de puissance12
tandis que may désigne le même terme au sens d’investiture ou de droit13.
La première déclinaison (can) renvoie à la situation du pouvoir constituant originaire
lequel, pour forger une Constitution, s’y prend généralement en méconnaissance
des règles de révision de la Constitution en vigueur sachant qu’une telle infraction
est justifiée par le contexte révolutionnaire dans lequel elle s’inscrit. Le succès
de son travail, qui s’inscrit au-delà des limites du droit, ne tient alors qu’à sa
légitimité ou à sa puissance. La seconde déclinaison (may) s’attache au contexte
dans lequel s’exprime le pouvoir constituant dérivé qui ne peut normalement
intervenir que dans les limites juridiques que lui prescrit la procédure de révision
constitutionnelle et qui, dès lors, voit sa démarche s’apprécier non pas en termes
de légitimité ou de puissance mais de stricte régularité. Toute la question est de
savoir si une telle gradation est opératoire et enferme logiquement le pouvoir
constituant dérivé dans des limites juridiques objectives. Rien n’est moins certain.
11 C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, 1928, trad. L. DEROCHE, préf. O. BEAUD, rééd. 1993,
PUF-Léviathan.
12 I can drop a stone : je peux soulever une pierre c’est-à-dire que j’en ai la puissance nécessaire
ou la capacité physique.
13 I may smoke a cigarette in this room : je peux fumer une cigarette dans cette pièce car j’en ai le
droit.
Limitation du pouvoir constituant, la vision du constitutionnaliste 87
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ensuite succédé. Le précédent de 1962 atteste ainsi qu’en France, au moins sur
le plan formel, le pouvoir de révision est souverain et met en lumière le caractère
fragile de la distinction entre pouvoir constituant originaire et pouvoir constituant
dérivé. Pourtant, entretenu pendant dix ans par une célèbre décision du Conseil
constitutionnel du 2 septembre 199214, le doute s’est un moment installé sur
la réalité de cette souveraineté. Une large partie de la doctrine a fait sienne la
distinction entre les deux types de pouvoir constituant en affirmant la limitation
du pouvoir constituant dérivé au prix de devoir recourir à la théorie métaphysique
de la supra-constitutionnalité (A). Ce n’est que plus tard, le 26 mars 200315,
que la Haute instance rejettera fermement toute invitation à contrôler les lois
constitutionnelles et lèvera ainsi toutes les incertitudes qui empêchaient de
reconnaître la souveraineté du pouvoir de révision constitutionnelle dans le droit
positif français (B).
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Avatar contemporain des théories du droit naturel, la théorie de la supra-
constitutionnalité s’est imposée dans la doctrine française au début des années
quatre-vingt-dix17. Elle a trouvé la source de son épanouissement dans le débat
que suscita la révision du 25 juin 1992 nécessaire à la ratification du traité
de Maastricht qui dérogeait, par l’autorisation de transferts de compétences
législatives à l’Union européenne, au principe constitutionnel de la souveraineté
nationale que d’aucuns considéraient comme intangible. Au lendemain de la
révision qui eut pour effet d’adapter la Constitution au traité de Maastricht, des
parlementaires souverainistes insistèrent et prirent l’initiative de déférer celui-ci
une seconde fois au Conseil constitutionnel en allant jusqu’à mettre en cause,
dans leur argumentation, la révision elle-même qui à leurs yeux, franchissaient
les limites qu’un législateur, même constitutionnel, ne saurait transgresser. En
réponse à cet appel implicite à la reconnaissance d’un noyau supra-constitutionnel
– la souveraineté nationale –, la Haute instance prit une position pour le moins
ambiguë et contradictoire dans sa décision du 2 septembre 1992 : tout en
déboutant les requérants et en refusant de rentrer dans leur jeu au motif que
« le pouvoir constituant est souverain »18, les sages ont néanmoins implicitement
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Cette référence par le juge constitutionnel au dernier alinéa de l’article 89
qui pose une limite matérielle au pouvoir de révision a fortement galvanisé les
défenseurs de la supra-constitutionnalité. En effet, l’article 89 alinéa 5 donne chair
en droit positif au concept de noyau irréductible d’une Constitution qu’aucune
législation, même constitutionnelle, ne saurait atteindre. Cette limitation trouve
son origine dans l’article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884 qui disposait
déjà que « la forme républicaine du gouvernement ne pouvait faire l’objet d’une
révision » afin de conjurer tout retour éventuel à la monarchie. Reprise sous la
IVème République à l’article 91 de la Constitution du 27 octobre 1946, elle est
aujourd’hui considérée par les tenants de l’intangibilité absolue de certains
principes constitutionnels, comme le pendant en France de l’article 79 § 3 de la
Loi Fondamentale allemande qui prohibe toute révision de nature à porter atteinte
soit à la structure fédérale du pays soit aux libertés fondamentales garanties
par les article 1 et 20 du texte constitutionnel. Même si la Cour de Karlsruhe a
rarement procédé à l’invalidation d’une loi de révision, l’exemple allemand reste
un mythe et fait figure d’emblème pour les partisans de la supra-constitutionnalité
en raison de la clarté et de la précision terminologiques avec laquelle l’article 79
§ 3 de la Loi Fondamentale définit la limite matérielle du pouvoir de révision. Mais
la nébulosité de notre article 89 alinéa 5 est de nature à rendre problématique, en
France, l’hypothèse d’un contrôle des lois de révision constitutionnelle qu’a laissée
ouverte la décision du 2 septembre 1992. La perspective d’un tel contrôle de supra-
constitutionnalité fondé sur un élément aussi flou que la « forme républicaine du
gouvernement » était si incertaine que le juge constitutionnel français lui-même,
immergé dans un pays traditionnellement plus attaché que l’Allemagne à la notion
de souveraineté, a fini par y renoncer.
même s’il transparaît, comme on va le voir, dans une décision qui alimente la confusion par
l’usage de la réserve du respect de « la forme républicaine du gouvernement ».
90 Alexandre VIALA
contre une loi de révision. Dans sa décision du 26 mars 2003, la Haute instance
rejette le recours exercé contre la loi constitutionnelle relative à l’organisation
décentralisée de la République, au motif qu’il « ne tient ni de l’article 61, ni de
l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer
sur une révision constitutionnelle ». Dix ans après la décision du 2 septembre
1992 qui renfermait une contradiction dans les termes et qui laissait ainsi le
débat largement ouvert entre les positivistes attachés au pouvoir de dernier mot
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du constituant et les doctrinaires du droit naturel se mettant à rêver à l’existence
d’un gardien de la vérité juché au-dessus du souverain, le Conseil constitutionnel
adopte une position ferme. Il n’existe pas de supra-constitutionnalité de nature
à diviser le pouvoir constituant en deux entités dont l’une serait originaire et
souveraine tandis que l’autre simplement constituée et dérivée. Il ne saurait
se distinguer, au sein du bloc de constitutionnalité, un ensemble particulier de
principes qui auraient systématiquement et pour l’éternité la prééminence sur
tous les autres.
On peut à la limite concevoir qu’en Allemagne, une telle hiérarchie des valeurs
puisse se dessiner dans un même texte car outre-Rhin, la fameuse disposition qui
met un certain nombre de principes à l’abri des révisions est d’une précision dont
est dénué l’article 89 alinéa 5. Tandis que l’article 79 § 3 de la Loi Fondamentale
cite expressément les droits que ne peut méconnaître une loi de révision, personne
n’est en mesure en France de définir objectivement ce qu’il faut entendre par
« forme républicaine du gouvernement ». Certes, l’expression avait été trouvée
pour les besoins de la rédaction de l’article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août
1884 à une époque où la majorité républicaine voulait consolider le régime et
empêcher les familles ayant régné sur la France d’accéder à la présidence de
la République. Mais transportée dans le contexte de la Vème République, la
formule ne désigne pas seulement l’interdiction de rétablir la monarchie. Elle
renvoie plus fondamentalement à des valeurs démocratiques et pluralistes qui
sont opposables les unes aux autres comme dans tout régime fondé sur la liberté
et qui ne répondent pas, par conséquent, aux intérêts des mêmes catégories
d’individus. Nul ne peut donc au nom du droit naturel, dont chacun détient
d’ailleurs sa propre conception, établir une discrimination objective entre les
valeurs qui peuvent être sacrifiées par une révision constitutionnelle et celles
qui ne sauraient souffrir d’aucune entrave. Dans ces conditions, l’utilisation de
l’article 89 alinéa 5 comme norme de référence au service d’un contrôle de supra-
constitutionnalité des lois de révision conduirait à une situation dans laquelle
la définition de « la forme républicaine du gouvernement » et la hiérarchie des
valeurs que la société française doit observer serait livrée à l’entière subjectivité
du juge. En France, compte tenu de la rédaction de l’alinéa 5 de l’article 89
de la Constitution, la théorie de la supra-constitutionnalité est donc la brèche
idéale dans laquelle pourrait s’engouffrer le gouvernement des juges. Le Conseil
constitutionnel a su y résister le 26 mars 2003.
Limitation du pouvoir constituant, la vision du constitutionnaliste 91
Résumé
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ne pas être une véritable limitation en raison de son caractère auto-référentiel
et l’hétéro-limitation qui nous plonge dans les eaux troubles de la métaphysique.
Il n’est alors possible de concevoir une telle limitation qu’à l’égard du pouvoir
constituant dérivé qui n’est réputé s’exprimer, pour changer la Constitution,
que dans les bornes que lui indique le pouvoir constituant originaire. Or, cette
dualité fonctionnelle du pouvoir constituant ne résiste pas à l’observation du droit
positif français depuis que le Conseil constitutionnel a renoncé à contrôler les
lois constitutionnelles dans une décision du 26 mars 2003. Cette jurisprudence
atteste de l'imperméabilité de la culture juridique et du droit positif français à la
thèse schmittienne de la gradation entre Constitution et loi constitutionnelle.
Abstract