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Revue des études slaves

Réflexions sur la perte des cas en bulgare


Monsieur le Professeur Jack Feuillet

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Feuillet Jack. Réflexions sur la perte des cas en bulgare. In: Revue des études slaves, tome 64, fascicule 3, 1992. À la
mémoire de Jacques Lépissier. Recherches de linguistique diachronique sous la direction de René L'Hermitte. pp. 539-546;

doi : 10.3406/slave.1992.6066

http://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1992_num_64_3_6066

Document généré le 03/06/2016


REFLEXIONS SUR LA PERTE DES CAS EN BULGARE

PAR

JACK FEUILLET

L'aire dialectale bulgaro-macédonienne, représentée par deux langues


littéraires, présente des particularités telles au sein des langues slaves qu'elle a
été souvent choisie par les linguistes théoriciens comme modèle de typologie
areale. Et il est vrai qu'un grand nombre de faits vont à l'encontre de ce qui se
passe dans les langues qui lui sont liées génétiquement : alors que, dans le reste
de la famille slave, la tendance a été d'éliminer les temps du passé (imparfait et
aoriste) pour ne conserver qu'un prétérit, le bulgare a au contraire enrichi le
système verbal en créant de nouveaux modes (médiatif, admiratif, subjonctif
périphrastique) et de nouveaux temps (nouveau futur avec « vouloir », futur-
conditionnel I et II). Inversement, là où les autres langues slaves, malgré
quelques phénomènes de syncrétisme, montrent une remarquable conservation
des marques casuelles dans la flexion nominale, l'aire bulgaro-macédonienne
présente un système où il n'y a pratiquement plus de déclinaisons, le seul cas
vivant étant, contre toute attente, le vocatif, qui est en fin de compte marginal
dans l'expression des fonctions syntaxiques. Il est inutile d'insister sur ces faits
bien connus des spécialistes. En revanche, on peut se demander si un linguiste
est capable d'expliquer comment une telle évolution a été possible, quels
mécanismes ont été mis en jeu et pourquoi cette mutation typologique ne s'est
produite que dans une petite partie de la Slávia.

Jusqu'à présent, il faut bien avouer que le domaine d'investigations s'est


limité à la recherche des premières apparitions de la « maladie » (il est
symptomatique que l'on parle de flexion nominale « malade »). Selon Mirčev
(1978), les chartes bulgaro-valaques du XVe siècle, texte plus proche de la
langue parlée que la littérature religieuse, montrent déjà la décadence des
marques casuelles. Mais l'extrême conservatisme de la langue littéraire
empêche de suivre de près la genèse du phénomène. Peut-être décèle-t-on aussi
chez les grammairiens bulgares une volonté quasi systématique de traquer les
prémisses de l'évolution du bulgare dès les temps les plus reculés, c'est-à-dire
dès l'apparition des premiers textes écrits, qu'il s'agisse de l'article postposé, de
la disparition de l'infinitif, de la périphrase de futur avec « vouloir » et, bien

Rev. Étud. slaves. Paris. LXIV/3. 1992, p. 539-546.


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entendu, du passage du synthétisme à l'analytisme. Mais l'étude d'A. Minčeva


(1987) a bien fait le point sur la question : on ne peut, sans forcer
outrageusement les données, désigner le vieux bulgare comme langue balkanique.
L'amour-propre des nations de la péninsule balkanique dût-il en souffrir, la
mutation typologique de leurs langues respectives ne peut s'expliquer à partir
de tendances individuelles : il faut absolument prendre en compte le brassage
des populations et les phénomènes de contact. On a beaucoup critiqué Sanfeld
parce qu'il avait mis en avant l'influence du grec byzantin, mais si l'on juge les
choses objectivement, on se rend compte que beaucoup de balkanismes
s'expliquent plus facilement à partir du grec (comme la formation du futur, la
disparition progressive de l'infinitif et son remplacement par une complétive,
la fusion du génitif et du datif) qu'à partir des autres langues. Quoi qu'il en
soit, il serait vain de penser que la perte des marques casuelles en bulgare
s'expliquerait uniquement par une tendance « naturelle » de cette langue à
l'analytisme. Cela ne rendrait compte ni de la limitation géographique du
phénomène, ni du fait que le bulgare présente d'autres traits typiquement
balkaniques qui ne se retrouvent nulle part ailleurs.
L'absence quasi-totale de textes reflétant réellement l'évolution de la langue
parlée est certainement un handicap pour le chercheur qui voudrait suivre pas à
pas la genèse et l'extension du phénomène. Mais il n'est cependant pas
totalement dépourvu ; il lui reste la comparaison (génétique et typologique), car il
dispose des deux extrémités de la chaîne, le vieux bulgare et le bulgare
moderne. Il est donc possible de reconstituer avec quelque vraisemblance les
principales lignes de l'évolution. Mais il est nécessaire de prendre quelques
précautions méthodologiques. Ainsi, l'analyse traditionnelle, prisonnière de la
logique des parties du discours, sépare arbitrairement les procédés d'expression
des fonctions syntaxiques : le cas est considéré comme une catégorie nominale
parce qu'il est inséparable morphologiquement du nom (la fusion est complète
dans les langues indo-européennes), la préposition se voit accorder le statut de
partie du discours et la position est rattachée à la syntaxe de l'ordre des mots.
Or, les trois procédés sont dans un rapport dialectique et par conséquent
inséparables : la meilleure preuve en est qu'ils peuvent se combiner ou que
l'un peut prendre le relais de l'autre. Il est curieux que l'analyse linguistique
n'arrive pas à se dégager du poids de la morphologie, comme si la pression
conjuguée de la grammaire traditionnelle et de la tradition néo-grammairienne
empêchait de voir derrière les variantes du signifiant l'identité des relations
syntaxiques. Ensuite, il faut éviter le piège qui consisterait à plaquer une grille
toute faite de correspondances entre l'état ancien et l'état nouveau : le datif est
remplacé par na, le génitif par na ou par ot, le locatif disparaît sans laisser de
traces, etc. Les faits sont plus complexes, et il convient au préalable d'analyser
les valeurs et les emplois de tel ou tel cas. Enfin, il faut s'interroger sur le
processus même de disparition des cas : tous ne sont pas touchés de la même
manière, certains sont plus menacés que d'autres qui résistent plus longtemps.
Par conséquent, il est nécessaire de travailler dans un cadre sémantico-synta-
xique et non uniquement dans une optique morphologisante. Est-ce à dire que
toutes les questions trouveront par là même des réponses satisfaisantes ? Ce
serait assurément faire preuve de trop d'optimisme. Les ressorts profonds de
telle ou telle évolution demeurent la plupart du temps inconnus, et l'attitude du
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linguiste doit être remplie d'humilité : on comprend en général le phénomène


une fois qu'il s'est accompli, mais il est bien difficile de prévoir ou de dire
pourquoi il s'est accompli en tel endroit ou à tel moment. Pour le bulgaro-
macédonien, on peut évoquer cependant le contexte balkanique et l'époque de
l'occupation ottomane. En revanche, quand le phénomène est enclenché, on
peut, grâce à la comparaison, prévoir avec une marge d'erreur réduite — et
hormis quelques impondérables — la manière dont les choses se passeront.
C'est ce que l'on peut tenter de démontrer pour le bulgare en analysant le
passage du synthétisme à l'analytisme.
Dans la phrase verbale, les groupes nominaux occupent deux types
fondamentaux de fonctions : actancielles et circonstancielles. On peut considérer ces
dernières comme périphériques, dans la mesure où elles ne sont pas
programmées dans la valence du verbe. Il faut donc normalement s'attendre à ce que
leur marquage casuel soit le premier touché dans un processus de recul des
déclinaisons. C'est ainsi que toutes les langues slaves modernes en dehors du
bulgaro-macédonien n'emploient plus le locatif seul (c'est-à-dire sans
préposition), alors que c'était encore possible en vieux bulgare. On constate d'autre
part que, dans des langues comme le latin ou le grec, le locatif n'est plus attesté
que par des vestiges. Il est par conséquent très vraisemblable qu'il ait été le
premier cas menacé : en effet, le locatif seul n'aura jamais la précision
sémantique d'une préposition, et il peut disparaître sans dommage à cause de sa
redondance. Cependant, il peut avoir une valeur distinctive dans le sous-
système de l'espace où il s'oppose, en tant que «locatif» sémantique, au
directif représenté par l'accusatif (après des prépositions comme v ou ná). Les
langues peuvent alors choisir entre deux solutions : maintenir l'opposition en
gardant l'accusatif pour le directif, mais en transférant les valeurs du locatif
sur un autre cas (datif pour les langues germaniques et le grec, ablatif pour le
latin), ou la supprimer, ce qui n'est pas dommageable en soi, car le sens du
verbe suffit dans la plupart des cas à déterminer s'il s'agit du lieu où l'on est ou
du lieu où l'on va. On peut supposer que le bulgare a connu successivement les
deux stades : l'emploi du datif avec valeur locative est assez fréquent dans les
textes slavons ou slavonisants. Mais quand le datif sera à son tour atteint, ce
sera l'accusatif qui servira de casus obliquus, et l'opposition directif/locatif sera
alors définitivement dégrammaticalisée.
Le second cas touché a dû être l'instrumental. Là encore, il y a des
parallèles dans les autres langues indo-européennes : on voit par exemple
disparaître à date historique dans le sous-groupe westique des langues germaniques
l'instrumental nominal (l'instrumental n'est déjà plus attesté en gotique qu'au
pronom), selon un processus classique : l'instrumental, d'abord employé seul
pour exprimer la manière, l'instrument, le moyen, n'apparaît bientôt plus
qu'avec préposition, puis se confond avec le datif en perdant sa pertinence. Ce
cas se laisse facilement remplacer, car la préposition s possède les sens de
« avec » correspondant au moyen, à l'instrument et au sociatif. Quant à la
valeur perlative, elle trouve un remplaçant exact sous la forme de la
préposition prez « par ».
L'instrumental actanciel est relativement peu développé en vieux bulgare.
Quand il apparaît après les verbes indiquant une activité corporelle (къшдти
« hocher (la tête) », л\л\лт» « brandir », миглти (очимл) « cligner (des
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yeux) », двиздти « remuer, mouvoir », etc.), il est remplacé en bulgare par s.


Pour les autres verbes, on a recours à plusieurs solutions : власти « régner »
devient владея avec construction directe, mais nad ou värxu s'impose avec
господствувам « être maître de ». Pour играя « jouer », on a na, et pour
женя ce « se marier » za. En vieux bulgare гнжшдти са « être dégoûté » se
construisait avec l'instrumental ou le génitif ; en bulgare moderne, avec гнуся
ce, c'est normalement ot qui s'est imposé. Dans tous les cas, c'est la solution
sémantique qui a été privilégiée lors de la substitution.
En vieux bulgare, l'instrumental entrait en concurrence avec отъ + génitif
pour marquer le complément d'agent au passif. Tout naturellement, le bulgare
moderne a gardé ot. Il est remarquable de constater une convergence de toutes
les langues balkaniques dans l'utilisation du même type de préposition (grec
ano, alb. p rej, bulg. ot, roum. de) pour exprimer non seulement l'agent, mais
aussi l'origine (« (en venant) de »), la matière (« en/de [bois] »), le partitif,
la cause (« [mourir, trembler] de [froid, faim] »), ainsi que le complément du
comparatif.
Avec les autres cas, on est au cœur des fonctions actancielles. Dans le
processus de désagrégation des marques casuelles, il convient de s'interroger
sur l'ordre de succession des cas menacés. On exclura d'emblée l'accusatif, qui
est le marquant le plus fréquent de la relation objectale, pour la bonne raison
qu'il est encore vivant au XIXe siècle avec les noms propres, les noms de
parenté masculins et quelques autres. De plus, les grammairiens de cette époque
(comme Neofît Rilski) indiquent encore une forme d'accusatif féminin (жєнж)
différente de celle du nominatif женл. Il reste par conséquent le génitif et le
datif. Mais les données sont à nouveau claires : c'est le datif qui s'est maintenu
le plus longtemps. La preuve la plus évidente est la conservation parfaite d'une
opposition ternaire nominatif/accusatif/datif aux pronoms personnels de forme
courte. D'autre part, les textes des chansons populaires du XIXe siècle abondent
de datifs masculins en -u, en particulier avec les verbes dicendi et declarandi.
Enfin, dans le système des pronoms autres que ceux à la forme courte, on
trouve encore des formes de datif qui sont certes très menacées, mais qui
peuvent néanmoins s'utiliser dans la langue écrite : en revanche, il n'y a plus
aucune forme vivante de génitif, les seules attestations étant des expressions
figées du genre своего рода « sui generis ». Le déroulement est donc
parfaitement clair : ce sont le génitif, puis le datif et enfin l'accusatif qui sont
successivement touchés.
En vieux bulgare, le génitif — qui cumule ses valeurs propres et celles de
l'ablatif indo-européen — est largement représenté comme marquant de
fonctions circonstancielles, mais dans une zone parfaitement circonscrite, celle
de ľ« amont » : point de départ spatial ou temporel (ablatif et élatif
« sémantiques »), antériorité, cause. Dans ce sens, il pouvait être facilement
remplacé par des prépositions suivies d'un cas « oblique », car dès le vieux
bulgare, le génitif seul ne s'utilisait pas : on a toujours отъ, исъ pour l'espace
(ainsi que съ pour exprimer le mouvement de haut en bas), отъ « à partir
de », пр-кждє « avant » pour le temps, рдди, т,& + G « à cause de » pour la
cause. La suppression du cas pouvait par conséquent s'effectuer sans
conséquences graves.
RÉFLEXIONS SUR LA PERTE DES CAS EN BULGARE 543

Le génitif actanciel est largement répandu en vieux bulgare avec les verbes
bi- et trivalents, mais il est possible d'isoler de grandes zones sémantiques :
— idée de quelque chose à atteindre: жєл-кти «désirer», искдти
« chercher », жьдати « attendre », тр-квовдти « avoir besoin de » ;
— idée d'utiliser ses sens (avec contrôle du procès) dans un but précis :
лапти « guetter », блюсти « surveiller », НАБъд-кти « veiller sur », etc.
— idée de privation, d'éloignement, d'action non réussie: лишити-
« priver », СВОБОДИТИ « libérer », гоыо^ити « délivrer ». Ce sont surtout des
verbes biobjectaux, tout comme ceux qui expriment l'idée de satiété :
нд-/исплънити « emplir », нлсытити « rassasier », ндтроуиити «
alimenter » ;
— verbes de sensation à connotation négative (tristesse : плакати
«pleurer», тръп-кти «souffrir», ръ1ддти «gémir»; peur: воити са
« craindre » ; трпердти « trembler » ; doute : сжмьн-кти са « douter » ;
envie, dégoût, inimitié) ;
— verbes non classables : дръждти са «se tenir à», побідити
« vaincre », посктити « visiter », овьшти « rendre commun ».
Le bulgare avait le choix entre deux solutions pour remplacer le génitif
objectai : la construction directe, qui est la plus économique, et la construction
prépositionnelle. Cette dernière est la solution obligée avec les verbes
biobjectaux : on aura donc ot avec l'idée de privation et l'éloignement {лишавам
от « priver de », освобождавам от « libérer de ») et s avec l'idée de satiété.
Avec les verbes uniobjectaux, c'est généralement la construction directe qui
s'est imposée, sauf dans deux cas : avec les verbes de sensation, l'objet a été
réinterprété comme un complément de cause, et c'est ot qui a été utilisé {боя ce
от « craindre », треперя от « trembler de », плача от « pleurer de » ; à
noter cependant съмнявам ce в « douter de ») ; avec les verbes de langueur
ou de désir, on a normalement za, parfois en concurrence avec kSm :
жадувам « être assoiffé de », гладувам « être affamé de ». La substitution n'est
donc pas mécanique : il y a régulièrement réinterprétation sémantique.
Il y a deux emplois particuliers du génitif dans la phrase verbale du vieux
bulgare : le génitif négatif et le génitif partitif. Les spécialistes considèrent
souvent ces emplois comme « non syntaxiques » dans la mesure où le génitif
n'est pas ici le marquant d'une fonction syntaxique spécifique (sujet, objet I ou
objet II). C'est effectivement un cas de neutralisation. Les solutions de
remplacement adoptées par le bulgare sont conformes aux prévisions : le
génitif négatif a tout simplement été éliminé comme superflu puisqu'il
n'apportait rien de plus que ce qui était déjà contenu dans la négation, et la
construction directe a pris sa place. Quant au partitif, il pouvait fort bien s'exprimer
par ot et le bulgare n'a eu aucun mal à effectuer ce transfert.
Mais le principal emploi du génitif réside incontestablement dans
l'expression de la relation entre deux noyaux nominaux dont l'un est en dépendance
fonctionnelle. On en a fait souvent — mais à tort — sa valeur unique. Dans les
langues indo-européennes, le génitif exprime non seulement la possession et
l'appartenance, mais également la qualité, la matière et la quantité, et avec les
noyaux nominaux dérivés le complément subjectif et le complément objectif. À
nouveau, le bulgare ne va pas choisir une solution unique de substitution : par
exemple, il va se servir de ot pour la matière, la quantité et parfois la qualité
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(en concurrence avec s quand il s'agit de traits physiques ou moraux attachés à


un personnage : човек с добро сърце « homme qui a bon cœur », жена с
дълга коса « femme aux cheveux longs ») et après pronom (никой от
учениците « personne parmi les élèves » ; един от тези хайдути « l'un de
ces brigands »). Le modèle était directement fourni par le vieux bulgare où
отъ + génitif coexistait avec le génitif seul. Mais il n'en était pas de même avec
la possession, sinon le fait qu'en vieux bulgare, le génitif était concurrencé dans
cet emploi par le datif. Il est resté de cette situation l'emploi des pronoms
courts au datif pour exprimer le possessif (le vieux bulgare utilisait le génitif
aux 3es personnes, mais l'analogie a dû jouer très rapidement). Par contre, la
langue ne disposait pas de structure toute faite pour remplacer la relation
génitivale d'appartenance, mais plus simplement du datif qui était extrêmement
répandu en vieux bulgare : въ ржц-к гр-Ьшьникомъ (Mc XIV, 41) « aux mains
des pécheurs » ; на въстдник мъногомъ въ И^дрлили (Le II, 34) « pour le
relèvement de beaucoup en Israël » ; скрьжетъ ^жсол\ъ (rég.) « des
grincements de dents » ; хрлмъ молит в-Ь (Mt XXI, 13) « la maison de la prière ».
On constate qu'à la fin de l'évolution, toutes les structures adnominales
d'appartenance sont exprimées par na, et il convient bien évidemment de
s'interroger sur le choix de cette préposition qui, fondamentalement, possède le
sens spatial de « sur ». En regardant les choses de près, on s'aperçoit qu'elle
peut avoir en vieux bulgare un sens de destination (« pour ») et d'hostilité :
A4 ничєсожє не вь^елшотъ ил пжть (Mc VI, 8) « qu'ils ne prennent rien pour
la route » ; елагъ кстъ на невъ^сдгодАтъпънА (Le VI, 35) ; « il est bon pour
les ingrats » ; гн-квдькн са ha gpata (Mt V, 22) « celui qui se met en colère
contre son frère ». Il faut bien avouer qu'aucun de ces sens ne convient
réellement. En revanche, on peut (à la rigueur) admettre le sens de destination
pour le datif (voir infra). Il semble donc très vraisemblable que le génitif
adnominal ait été remplacé progressivement, puis totalement, par le datif.
Outre les formes des possessifs et la concurrence génitif/datif en vieux bulgare,
il faut tenir compte également de la structure copule + datif, très répandue dans
l'ancienne langue pour exprimer la possession. On respecte ainsi la chronologie
des phénomènes : comme on sait que le datif s'est maintenu plus longtemps que
le génitif (on notera qu'en allemand parlé, c'est le génitif qui a disparu, mais
que le datif se maintient bien) et qu'à l'heure actuelle le complément adnominal
de possession et l'objet II (« indirect ») ont la même forme, il est clair qu'on
explique plus facilement les faits en supposant le remplacement généralisé du
génitif par le datif. D'ailleurs, les parallélismes ne manquent pas, ne serait-ce
qu'en français parlé où l'on a le même marquant à dansy'e donne un livre à
mon frère / le livre est à mon frère / le livre à mon frère.
Quand une langue perd le génitif, elle le remplace par une préposition qui
est en général d'origine ablative ou partitive (fr. de, ail. von, angl. of). C'est
pourquoi l'utilisation de na en bulgare apparaît au premier abord curieuse.
Mais il suffit de songer à d'autres faits qui sont à première vue tout aussi
étranges. Par exemple, rien ne prédisposait le génitif en -a à devenir la marque
de l'accusatif des noms de personnes, sinon le fait qu'il était le seul cas
disponible du paradigme. En effet, l'instrumental et le locatif indiquant
fondamentalement les fonctions circonstancielles et le datif l'objet II avec les verbes triva-
lents, ils ne convenaient guère pour le marquage de l'objet I. En revanche, le
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génitif — qui apparaissait déjà dans la phrase verbale négative — avait


l'avantage d'être le cas le moins spécialisé. Il faut supposer que na était en fin de
compte la préposition la plus neutre sémantiquement. Y aurait-il eu malgré tout
un modèle dans une autre langue ? On songe bien entendu au grec ae, axnXv),
contraction de eîç xn.v « dans le/la » qui s'utilise, à côté du génitif-datif seul,
dans l'expression de l'objet II. La préposition a fondamentalement un sens
spatial (« dans, à, sur »), mais aussi un sens de destination (« vers ») qui
expliquerait bien la valeur attributive.
Le fait le plus frappant est bien entendu la convergence typologique des
langues balkaniques dans la fusion en une forme unique du génitif et du datif.
Malgré les solutions morphologiques divergentes (en grec, c'est l'ancien génitif
qui s'est imposé, en roumain le datif, et en albanais on a la double origine selon
le nombre singulier ou pluriel ; pour le bulgare, si l'hypothèse avancée ici est
exacte, on aurait la même évolution qu'en roumain), l'objet II et le
complément adnominal s'expriment de la même manière. On ne peut par conséquent
nier l'existence d'un prototype commun.
K. Mirčev (1978 : 289) situe la grammaticalisation complète de na très tôt,
au XVe siècle : il s'appuie sur le fait que les textes transylvains du XVIe
renforcent parfois les restes du datif à l'aide de na. Mais rien ne prouve que le
phénomène se soit implanté partout à la même époque : il convient donc d'être
très prudent dans l'établissement d'une chronologie absolue. Mais il est possible
de proposer une chronologie relative dans le remplacement des formes de
datif: étant donné que l'on trouve encore de nombreuses attestations de datif
objectai au XIXe siècle, mais plus de datif adnominal, on peut établir que la
construction avec na s'est d'abord imposée dans la relation adnominale avant de
conquérir la relation adverbale.
Le bulgare du XIXe siècle montre — en dehors du vocatif — une
opposition fondamentalement binaire nominatif/autre cas (appelé traditionnellement
« accusatif-génitif »), mais elle est en fait déjà menacée. Le reflux du non-
nominatif est inexorable : alors que les auteurs « classiques » l'utilisent
encore avec les noms propres, les noms de parenté masculins (voir infra) en
fonction d'objet direct et après préposition, les locuteurs du XXe siècle
l'ignorent presque totalement. Le mouvement gagne même certains pronoms,
en particulier ceux en -koj, qui n'ont plus dans la langue familière et négligée
qu'une forme unique. On a envie de dire que le système est allé jusqu'au bout
de sa logique et que la boucle est bouclée. Synchroniquement, les pronoms
présentent trois micro-systèmes qui sont autant de reflets diachroniques :
— trois formes : N, A et D — pronoms personnels à la forme courte ;
— deux formes : N et A — pronoms personnels longs, koj et ses
composés ;
— forme unique : démonstratifs, possessifs « longs », quantificateurs (le
cas oblique en -go est maintenant archaïque).
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*
* *
Le passage du synthétisme à l'analytisme se caractérise toujours par une
réinterprétation sémantique des moyens formels : il n'y a pas transposition
mécanique d'une structure ancienne à une structure nouvelle, mais adaptation
de divers procédés selon le sens. Une syntaxe qui ne tiendrait pas compte de
cette dimension n'aurait guère de pouvoir explicatif.
La situation tout à fait particulière du bulgare dans la famille slave n'est
compréhensible que si on la replace dans le contexte balkanique. En l'absence
d'une telle mise en perspective, les faits paraîtraient aberrants. La linguistique
diachronique et comparative est ici étroitement dépendante de la linguistique
aréale.
L'analyse confirme plusieurs points de portée générale :
1) Dans le processus de disparition des marques casuelles, ce sont d'abord
les cas « périphériques » qui sont touchés, puis les cas « centraux ». On passe
alors d'un système ternaire (N/A/D) à un système binaire (N/oblique), l'ancien
accusatif étant toujours le dernier cas à disparaître.
2) Le choix des prépositions de remplacement ne se fait pas de manière
arbitraire : le renouvellement des marquants est toujours fondé sur le sens.
3) Le système pronominal n'est pas touché de la même manière que le
système nominal, mais il se trouve malgré tout entraîné dans le processus, avec
un dégradé visible selon la nature des pronoms.

(Institut national des langues et


civilisations orientales, Paris)

BIBLIOGRAPHIE

MINČEVA Angelina, 1987, Старобългарският език в светлината на балканистиката,


Sofia, Nauka i izkustvo.
MIRČEV Kiril, 1978, Историческа граматика на българския език, 3e éd., Sofia, Nauka i
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VAILLANTAndré, 1964, Manuel du vieux slave, 2e éd., Paris, Institut d'études slaves.

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