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La tradition johannique dans l’Apocryphe de Jean

di
Jean-Daniel Dubois

Dans sa monographie sur le gnosticisme séthien, John D. Turner qualifie l’Apocryphe de Jean de
«révélation séthienne par excellence»1. Sans entrer ici dans un débat sur l’identité séthienne de cet
apocryphe gnostique, nous tenons à relever que John D. Turner vulgarise en même temps une
opinion souvent répétée à propos de ce texte : le cadre narratif qui met en scène Jean, fils de
Zébédée, constituerait une addition tardive à un écrit qui n’avait à l’origine aucune préoccupation
johannique2. Comme J.D. Turner, Bernard Barc considère que l’introduction narrative en rapport
avec les fils de Zébédée pourrait être une insertion secondaire3, mais cela n’implique pas une
compréhension de l’ensemble du texte sans référence à l’évangile de Jean. Au contraire, tout comme
Alastair H.B. Logan l’avait déjà démontré dans son ouvrage Gnostic Truth and Christian Heresy4, les
références au quatrième évangile sont présentes tout au long du traité gnostique, et pas seulement
dans l’introduction narrative ou dans l’hymne final de la version longue (NHC II,1 et IV,1). C’est
donc autour du matériau johannique de l’apocryphe que nous souhaitons proposer quelques
remarques afin d’en tirer quelques conclusions pour l’interprétation d’ensemble de l’apocryphe.
Aujourd’hui, nous ne sommes heureusement plus tiraillés entre les partisans d’une interprétation
chrétienne de la gnose à la manière de Simone Pétrement et les représentants de l’hypothèse initiée
par Hans-Martin Schenke sur la gnose séthienne pré-chrétienne. Dorénavant, il faut rendre compte
du texte tel qu’il est, avec les divergences qui existent entre les deux grandes formes du texte et avec
leurs nombreuses références aux sources juives de la gnose et au matériau johannique. C’est ce que
fait Bernard Barc dans un nouveau commentaire de la Bibliothèque Copte de Nag Hammadi à
Québec. C’est pour rendre hommage à son commentaire que nous voulons engager le débat avec son
auteur, à commencer par le prologue narratif.

Le prologue narratif
Bernard Barc a sans doute raison d’insister sur l’importance de la référence aux deux fils de Zébédée
dans l’Apocryphe de Jean ou Livre des secrets de Jean; cette référence peut servir de clé de lecture, car elle
est unique dans le quatrième évangile (Jn 21,2) dans un contexte où la figure de Pierre est présentée

1
J.D. TURNER, Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition (BCNH, Études, 6), Québec – Louvain,
2001, 69.
2
Ibid., 69 n. 14. Sur la présence de l’évangile de Jean dans les textes gnostiques, voir G. IACOPINO, Il
Vangelo di Giovanni nei testi gnostici copti (SEAug 49), Roma 1995 (sur les textes séthiens, cf. 141-185).
3
Livre des Secrets de Jean, dans : Écrits gnostiques, éd. J.-P. MAHÉ et P.-H. POIRIER (Bibliothèque de la
Pléiade), Paris 2007, 208. Sauf avis contraire, nous citerons cette traduction française de l’apocryphe.
Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Bernard Barc pour nous avoir donné accès au manuscrit
du commentaire qu’il publie dans la BCNH à Québec, publié en 2012: B. BARC – W.-P. FUNK, Le Livre
des secrets de Jean. Recension brève (NHC III,1 et BG,2) (BCNH.T 35), Québec 2012, cité ici comme
Commentaire.
La thèse d’une insertion secondaire du prologue de l’Apocryphe de Jean est aussi défendue par le
commentaire de K. KING, The Secret Revelation of John, Cambridge, Mass., 2006, 235-238; elle relève
d’ailleurs d’autres allusions johanniques dans le corps de l’apocryphe.
4
A.H.B. LOGAN, Gnostic Truth and Christian Heresy: A Study in the History of Gnosticism, Edinburgh 1996.

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JEAN-DANIEL DUBOIS – La tradition johannique dans l’ Apocryphe de Jean

comme devant mourir un jour, alors que celle de Jean, le Disciple Bien-Aimé, pourrait demeurer
jusqu’au retour du Sauveur et recevoir encore d’autres enseignements. Le Livre des secrets de Jean est
ainsi fondé sur le témoignage évangélique; il fait partie de ces révélations annoncées et prévues par le
dernier verset du quatrième évangile (Jn 21,25). Et la mention de Jean qui est le frère de Jacques
rapproche le contenu de l’apocryphe des traditions chrétiennes anciennes liées à la communauté de
Jérusalem.
Le prologue met en scène une opposition entre la ville de Jérusalem avec son Temple, symbole de la
Loi juive, et la montagne, lieu de la révélation gnostique5. La présence du pharisien Arimanias,
s’approchant de Jean qui montait au Temple, a reçu plusieurs interprétations jusqu’à présent.
Bernard Barc propose un renvoi possible à Joseph d’Arimathée (Mt 27,57-61), un personnage des
récits de la Passion «apte à s’interroger sur la disparition de Jésus» 6. Il est difficile de trouver dans le
reste de l’apocryphe une trace qui permettrait de confirmer cette interprétation tirée sans doute de
suggestions approximatives faites à propos de la mention de la ville de Arimanos dans les Antiquités
juives de Flavius Josèphe, IV,173, identifiée par les éditeurs depuis Dindorf à la ville de Galaatide,
Aramatha (Ant. VIII,399) ou Aramathe (Ant. VIII,411, la ville biblique de Ramataïm, 1Sam 1,1)7.
En revanche, la terminaison grecque de ce nom propre évoque facilement la figure diabolique
d’Ahriman qui s’oppose à celle du Dieu bon, Ohrmazd, comme l’a montré Søren Giversen dans le
premier commentaire de la version longue de ce texte8. En effet, une référence au diable de la
religion de l’Iran ancien pourrait s’expliquer puisqu’un livre de Zoroastre apparaît dans la version
longue de NHC II (19,10) et dans un contexte littéraire qui utilise explicitement un renvoi à Jn
20,30 et 21,25: «Il existe, en effet, d’autres (anges) affectés (chacun) à une passion supplémentaire dont
je ne t’ai pas parlé…». Selon nous, le pharisien Arimanias peut donc désigner symboliquement une
forme de judaïsme diabolisée dont l’auteur du Livre des secrets de Jean tient à sa démarquer. Il n’est
pas exclu qu’au niveau de la version grecque antérieure à la version copte de l’apocryphe, la
terminaison grecque en manias du nom propre évoque, comme en un clin d’œil, la folie du Dieu
biblique, Ialdabaoth-Saklas9, fustigée un peu plus loin (BG 42,10; cp. Hypostase des Archontes 94,4-
96,14) et commentée dans la version longue (NHC II,11,15-22).
Le prologue narratif contient encore d’autres allusions johanniques : la montée de l’apôtre Jean peut
correspondre à celle de Jésus qui monte au Temple pour y enseigner, en Jn 7,14. Dans l’apocryphe,
l’enseignement n’a pas lieu au Temple mais sur la montagne. Le qualificatif de Nazaréen pour
désigner Jésus, selon Arimanias, peut aussi renvoyer à Jn 18,5, dans l’épisode de la livraison de Jésus à
Gethsémané. Enfin, la réponse de l’apôtre Jean à la question d’Arimanias sur l’origine de Jésus
rappelle aussi des préoccupations théologiques johanniques : «Il est retourné dans le lieu d’où il était

5
M. TARDIEU, Écrits gnostiques, Codex de Berlin, Paris 1984,. 241. B. BARC, Commentaire, cit. (n. 3), 185,
souligne que la montagne correspond à celle d’une nouvelle transfiguration, sans la présence de Jacques
et Pierre.
6
B. BARC, Livre des secrets de Jean, cit., 217 ; et BARC – FUNK, Commentaire, cit., 183-184.
7
Josephus, Jewish Antiquities, éd. H. St. J. THACKERAY (Loeb’s Classical Library), London 1967, t. IV, 559, t.
V (avec R. MARCUS), 785 et 793.
8
S. GIVERSEN, Apocryphon Johannis. The Coptic Text of the Apokryphon Johannis in the Nag Hammadi
Codex II with Translation, Introduction and Commentary, Copenhagen 1963, 152, à partir de Plutarque,
Moralia VI, 1 (ed. C. HUBERT).
9
B. BARC, Samaël – Saklas – Yaldabaoth. Recherche sur la genèse d’un mythe gnostique, dans : B. BARC (ed.),
Colloque international sur les textes de Nag Hammadi (Québec, 22-25 août, 1978) (BCNH, Études, 1), Québec
1981, 123-150.

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venu»; cela peut évoquer Jn 16,28: «Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde; tandis qu’à
présent je quitterai le monde et je vais au Père».
Les questions que se pose Jean, une fois arrivé sur la montagne, reprennent ces mêmes
préoccupations johanniques. Le terme de Sauveur est rare dans la recension brève de l’apocryphe, et
le salut n’est vraiment évoqué qu’au début et à la fin du texte. D’une part, quand le Sauveur
commence à décrypter l’énigme de l’apparition polymorphe, il est le «toujours-étant», celui qui est
(cf. Ex 3,14) selon une pseudo-étymologie grecque aei - wn (BG 22, 1); il est venu pour révéler
l’ensemble des secrets («ce qui est, était et sera»)10. D’autre part, le salut réapparaît à la fin du texte
quand il est question du sort des âmes de la génération de Seth (64,14-68,13). Plus précisément, le
salut consiste non pas à sauver le monde au sens johannique, mais à «monter vers les grandes
lumières» du plérôme divin. Le «monde» de l’apocryphe n’est autre que le monde d’ici-bas voué aux
puissances du Grand Archonte. D’où la question centrale posée par Jean: «Qui est le Père du
Sauveur?», le Dieu biblique ou un Père transcendant, de la même façon que le monde d’ici-bas
s’oppose à l’éon à venir incorruptible, le monde visible à l’invisible, la génération d’ici-bas à celle de
l’Homme parfait (BG 22,10-15).
Au terme de ce prologue narratif, on constate un certain nombre de références johanniques liées au
cœur des préoccupations générales de l’apocryphe. Comme l’a bien remarqué Bernard Barc à propos
de la manifestation polymorphe du Sauveur (21,5-13), la construction littéraire de la révélation de
l’énigme qui clôt le prologue introduit une structure présente dans l’ensemble de l’apocryphe11:
l’enfant sera identifié en 34, 10-11 au «Grand Christ auto-engendreur», c’est-à-dire au Fils, le
troisième principe, tandis que la lumière correspond à l’Esprit invisible, le premier principe (24,6-7)
et que Barbélo occupe la seconde place en tant que «vieillard» ou plutôt «l’Éon non vieillissant»
(28,2-3). La triade «Père-Mère-Fils» (21, 19-21) est introduite par un renvoi à la finale de l’évangile de
Matthieu où le Sauveur, Emmanuel, ordonne à ses disciples d’aller baptiser toutes les nations «au
nom du Père, du Fils et du Saint Esprit». Cependant dans l’Apocryphe de Jean, la révélation de
l’identité du Sauveur passe par la manifestation de l’unicité des trois figures, formes et visages de la
monade divine qui sera l’objet du premier chapitre de cette construction théologique. Autrement
dit, la préoccupation johannique ne porte pas seulement sur le prologue narratif, mais sur le contenu
de l’ensemble de l’apocryphe. À ce titre, il semble difficile de croire que cette préoccupation soit une
accrétion secondaire.

La monade divine
Dans son commentaire, Michel Tardieu a insisté sur une présentation philosophique de la monade
divine, principe et racine de toutes choses, comme une interprétation de la formule johannique sur
l’adoration du Père qui est Esprit et vérité (Jn 4,23-24). B. Barc considère cela comme acquis. Il
précise, toutefois en s’écartant de M. Tardieu, que le titre de Dieu n’est réservé qu’au Fils dans la
version courte de l’apocryphe, alors que l’Esprit est qualifié d’invisible et de saint12. La monade se

10
Cf. Apocalypse de Jean 1,19 ; BG 22,3-5.
11
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 188-189.
12
M. TARDIEU, Écrits gnostiques, Codex de Berlin, cit., 247-248; BARC – FUNK, Commentaire, cit., 193. Michel
Tardieu rapproche la spéculation philosophique pythagoricienne sur la monade qui est monarchie de la
position de Marius Victorinus, Adversus Arium I,50,4-5 à propos du père, esprit trois-fois puissant; cf.
maintenant le commentaire de M. Tardieu sur les sources de Marius Victorinus au sujet du contexte
stoïcien de la désignation de l’esprit comme principe vital et unifiant le Tout, dans M. TARDIEU,
P. HADOT, Recherches sur la formation de l’Apocalypse de Zostrien et les sources de Marius Victorinus, Bures-
sur-Yvette 1996, 93-95.

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JEAN-DANIEL DUBOIS – La tradition johannique dans l’ Apocryphe de Jean

manifeste donc sous la forme de Père, de Fils et d’Esprit saint. Mais le premier principe est bien
l’Esprit saint invisible. Et si le Fils est qualifié de Dieu, on est loin de la perspective de la formule
évangélique de Jean 4, à moins de considérer que le Fils ne soit divin tout comme le Logos du
prologue johannique est qualifié de Dieu, dès le premier verset de l’évangile. La formulation de
l’Apocryphe de Jean n’est donc pas si étrange qu’il y paraît à première vue.
Après les exposés sur la monade divine par la voie d’éminence (BG 23,3-24,6) et par la synthèse des
opposés (BG 24,6-25,10), on rencontre dans la liste des attributs positifs de la monade, plusieurs
éléments qui peuvent remonter à des formulations johanniques. Tout d’abord, le premier principe
défini comme lumière rappelle Jean 1,4-5, et le passage qui en dépend dans 1Jean 1,5. Cette
dimension lumineuse qualifie aussi la figure du Sauveur dans le quatrième évangile (8,12 «Je suis la
lumière du monde… qui conduit à la vie»; cf. aussi 12,46). Or cette «lumière incommensurable» ne
possède pas mais dispense (cf. BG 25,20-21; cf. Jn 5,26) toutes sortes de biens : la grâce et la
miséricorde (BG 25,21-22; cf. 2Jn 3; Jn 1,16-17), et surtout la vie (BG 25,15-16; Jn 1,4 et 14,6). La
perspective johannique est toute orientée vers la vie éternelle (Jn 3, 15-16 passim, dix-sept emplois
chez Jean). Or, les versions de l’Apocryphe de Jean manifestent un certain nombre de variantes à ce
sujet. En BG 25,13-14 cette «grandeur incommensurable» que représente l’Esprit est qualifiée ainsi:
«Il est éternel (yaeneh) car le dispensateur d’éternité (tmn_tyaeneh)»; la version équivalente du
NHC III est quelque peu lacunaire mais correspond à la version courte du BG, alors que la version
longue du NHC II,4,3 (= NHC IV,5,27) conserve un mot grec: «Il est Éon car le dispensateur
d’Éon», selon la traduction de B. Barc13. Il nous semble que la traduction de M. Tardieu «éternel
dispensateur d’éternité»14 permet un rapprochement plus précis avec une préoccupation johannique
centrale exprimée ici dans BG (25,14-15) par les lignes suivantes redondantes : «il est lumière
dispensatrice de lumière, vie dispensatrice de vie». Cette dimension allusive à une préoccupation
johannique n’empêche pas que ces notions d’éternité, de vie, de béatitude, que l’on trouve dans
l’énumération des attributs positifs de la monade, désignent aussi, selon Michel Tardieu, des
exégèses des Oracles chaldaïques15. On ne sera pas frappé que voir, avec Bernard Barc16, que la «vie»
mentionnée ici revient un peu plus loin comme un éon de Barbélo (BG 28,21-29,3). On découvrira
encore un peu plus tard (BG 53,4-10) que la manifestation de l’Esprit dans le monde sensible
s’effectue sous la forme d’une intelligence-lumière donnée à la personne d’Adam pour lui permettre
d’échapper au pouvoir des puissances archontiques, tout comme l’Ève biblique, qualifiée ici par le
mot grec de «Vie» (zwH), avait été proposée comme «aide» à Adam dans le scénario de la création
de Genèse 2,7 et 18.
Ce qui peut apparaître comme une simple allusion à un passage ou une thématique johannique au
début de l’apocryphe, reçoit donc une confirmation dans le corps de l’apocryphe, à propos de la
description du rôle de l’intelligence-lumière en BG 53,11-14: «elle travaille à la création entière,
peinant avec elle, l’érigeant (pour en faire) son propre temple parfait et lui ouvrant les yeux au sujet
de la descente de sa déficience en lui enseignant sa remontée». La perfection du Temple renvoie à
l’épisode johannique de la destruction et de la construction du Temple en référence au corps du
Sauveur selon Jn 2,20-2217. Ici, dans le Codex de Berlin, l’allusion johannique sert à évoquer la
construction de l’Homme parfait dans son parcours de descente et de remontée, de même que le
gnostique valentinien Héracléon prend la référence johannique de Jn 2,21 sur «le temple de son

13
Livre des secrets de Jean, cit., 222.
14
Écrits gnostiques, Codex de Berlin, cit., 91.
15
Ibid., 253.
16
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 202.
17
Écrits gnostiques, Codex de Berlin, cit., 319.

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corps» pour une explication sur la construction du corps psychique du Sauveur (Fragment 16,
W.Völker)18.
Enfin, parmi les attributs positifs de la monade, on remarquera encore que la connaissance fait
partie de la série des cinq dispensations de l’Esprit invisible à côté de vie, béatitude, bien et grâce
(BG 25, 17-18). Or, la mention de la connaissance annonce l’interprétation qui sera donnée plus tard
de l’arbre du paradis (BG 57,8-58,1); c’est grâce à l’intelligence-lumière qu’Adam reçoit la
connaissance sous la forme d’une révélation (BG 60,17) «au moyen d’un arbre ayant l’aspect d’un
aigle» (BG 61,1-2). Nous souscrivons volontiers au commentaire de B. Barc qui utilise le thème des
deux arbres du paradis pour opposer la connaissance qui conduit à la vie à celle qui dépend des
archontes et qui conduit à la mort, malgré les apparences trompeuses d’un arbre de vie19. L’hypothèse
très intéressante que propose Bernard Barc d’une allusion aux débats exégétiques du monde juif sur
l’interprétation littérale du texte biblique s’opposant à la Torah orale placée sous l’autorité de Moïse
pourrait expliquer la mention de l’aigle comme un renvoi à la traduction grecque d’Aquila voulant
calquer le texte biblique hébraïque. L’enjeu du débat porterait ici sur l’interprétation du rôle de
l’Esprit d’Elohim «planant sur les eaux» (Gn 1,2) qui ne pourrait pas être identifié à la Sophia
«planante» (BG 44,19-45,19).
Il nous semble que le commentaire de B. Barc à ce sujet pourrait être confirmé par une autre allusion
au prologue johannique utilisée aussi par l’Apocryphe de Jean : c’est la mention de la connaissance
présentée dans cette tournure négative «Aucun d’entre nous n’a connaissance de ce qui concerne cet
incommensurable hormis celui qui a habité en lui. C’est lui qui nous en a parlé» (BG 26,11-14). Cette
formulation est un renvoi explicite à la fin du prologue johannique «Personne n’a jamais vu Dieu; le
Fils unique qui est dans le sein du Père nous l’a dévoilé», comme l’avait déjà signalé Hans-Martin
Schenke20. La Traduction Œcuménique de la Bible en français rend le verbe grec du prologue
johannique (ejxhghvsato) par «dévoiler»; cela implique une ouverture des Écritures analogue à celle
de l’épisode des pèlerins d’Emmaüs où Jésus explique Moïse et les prophètes en ce qui le concerne
(Lc 24,27 et 35). Dans l’Apocryphe de Jean, ce rôle «d’exégète» est attribué au Fils qui reçoit l’onction
(BG 30, 15 – 31, 5) de la bonté du Père en qui le Fils a habité (31,4-5; cf. 26,13). Le jeu sur le nom de
Christ et la bonté du Père (tefmn_tF) souligne l’interprétation christologique du passage21. C’est
cette même figure qui est «la tête de tous les éons» (BG 26,9-10), sans doute une allusion à l’Homme
primordial sphérique du Timée 44 selon B. Barc22, mais aussi une allusion au rôle du Christ «tête de
toute autorité et puissance» selon Colossiens 2,10. C’est, enfin, encore un renvoi à la figure du Logos
dans le prologue johannique (Jn 1,1-2) que l’on peut discerner dans la présentation de l’éon
incorruptible, en quiétude, se reposant en silence et préexistant à toutes choses (BG 26,6-9). On
remarquera à ce propos que les dispensations de l’Esprit proviennent non pas directement de lui
mais de sa bonté, de sa «christitude» si l’on peut employer ce barbarisme que l’on peut tirer des pages
30-31 du BG.
Après les attributs de la puissance paternelle et avant que n’apparaisse la génération du Fils sous
forme d’étincelle semblable à la lumière bienheureuse (BG 30,1-13), l’Apocryphe de Jean présente
encore la figure la Mère, elle aussi sur fond d’exégèse johannique.

18
Dans le Commentaire de Jean d’ORIGÈNE, X, 38 § 261, éd. C. BLANC (SC 157), Paris, 1970, t. II, p. 539.
19
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 295-296.
20
Die gnostischen Schriften des koptischen Papyrus Berolinensis 8502, éd. W. TILL – H.-M. SCHENKE (TU
602), Berlin 1972, 339.
21
Cf. le commentaire baptismal de ce passage par J.-M. SEVRIN, Le Dossier baptismal séthien (BCNH,
Études, 2), Québec 1986, 38-46.
22
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 204.

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JEAN-DANIEL DUBOIS – La tradition johannique dans l’ Apocryphe de Jean

La figure de la Mère
Le premier principe fait émerger la notion qu’il a de lui-même sous la forme d’une adaptation du
regard de Narcisse23 (BG 26,15-27,8). Dans le passage parallèle de la version longue du NHC II,4,19, il
est dit explicitement: «Il se voit en effet lui-même dans la lumière qui l’entoure», alors que la version
courte du BG interprète ce regard «C’est lui (l’Esprit) qui se pense lui-même dans sa propre lumière
qui l’entoure»; le verbe grec noei'n utilisé ici est repris quelques lignes plus loin (BG 27,1-4) : «il pensa
sa propre image en la voyant dans l’eau de lumière pure qui l’entoure». On assiste ici au début du
processus cosmologique : «Et son Ennoia devint une œuvre, se manifesta et se tint debout devant lui
dans le flamboiement de la lumière. Telle est la puissance manifestée antérieurement à toutes
choses» (BG 27,5-10). Bernard Barc montre bien que cette manifestation de la puissance paternelle
est la première d’une série de quatre œuvres qui seront explicitées dans la suite de l’apocryphe24: la
manifestation de l’intellect (31,5-9) comme œuvre de l’intelligible, la volonté associée à la parole
(31,12-18) comme œuvre de la médiation, et celles du monde sensible avec l’archonte, avorton de
Sophia (37,10-18) et le corps psychique de l’homme (50,15-52,1).
La manifestation de la ressemblance de la lumière ou l’image de l’invisible (BG 27,12-13) n’est autre
que la figure Barbélo dont le nom apparaît ici pour la première fois dans l’apocryphe en 27,14. C’est
elle, la matrice du Tout, la Mère-père, Homme primordial, Esprit virginal, Aiôn non vieillissant.
Entourée de «Ennoia», «Pronoia», «Indéfectibilité» et «Vie éternelle» (BG 27,18-29,7), elle est
célébrée par un hymne analogue aux éloges juifs de la Sagesse, à l’hymne christologique de Colossiens
1,13-20 ou au prologue du quatrième évangile consacré à la figure du Logos. Or, le scénario du regard
de la puissance paternelle qui fait émerger Barbélo commence en BG 26,17-18 par un renvoi à la
thématique johannique de «la source d’eau vive jaillissant en vie éternelle» (Jn 4,14 et 7,38) pour
laquelle Jean-Marie Sevrin a consacré de nombreuses pages de commentaire25. Même si la référence
johannique n’est pas la seule à expliquer la métaphore de la source d’eau vive dans l’Apocryphe de Jean
il nous paraît difficile de ne pas voir ici une allusion à des préoccupations baptismales, développées
ailleurs dans l’apocryphe, notamment à propos de l’onction du Fils.

La manifestation du Fils
Dans la version courte de l’apocryphe, c’est le regard de Barbélo qui engendre la figure du Fils (BG
29,18-30,4): «Barbélo regarda intensément vers la lumière pure. Elle entoura celle-ci et enfanta une
étincelle de lumière qui ressemble à la lumière bienheureuse mais qui ne lui est pas égale en
grandeur». Il faudra l’épisode de l’onction du Fils pour rétablir ce qui apparaît ici comme une
inégalité du Fils par rapport au Père. D’emblée, le Fils est qualifié du titre de monogenHs (BG 30,4-
5) employé par le prologue johannique pour désigner le Logos divin (Jn 1,18). Toutefois, si la
référence au prologue paraît assurée, l’enfantement décrit par l’apocryphe n’utilise pas la formulation
johannique célèbre du Logos devenu chair (Jn 1,14). Bernard Barc comprend ce terme par rapport à
la monade paternelle26, alors que les autres qualificatifs autogenHs (BG 31,18; 32,5,9 passim),
autogenHtos (30,6; 34,15) ou encore autogenetwr (34,9; 35,8) renvoient plutôt à l’auto-
engendrement de Barbélo, tandis que le titre de «premier-né» (30,7-8) évoque le modèle de
l’engendrement de l’humanité. Cette fois-ci, le terme grec prwtovtoko~ (Col 1,15, 18) ou

23
Cf. P. HADOT, Le mythe de Narcisse et son interprétation par Plotin, Nouvelle revue de psychanalyse 13
(1976) 81-108.
24
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 207-208.
25
J.-M. SEVRIN, Le dossier baptismal séthien, cit., 14-31.
26
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 216.

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prwtogevnnhto~ a été traduit en copte (y_rpm+mise), mais on remarquera que la formulation du BG


indique «le premier-né du Tout» alors que l’expression employée par l’épître aux Colossiens définit
le Christ comme «premier-né de toute créature». L’Apocryphe de Jean souligne par cette divergence
de détail que le salut n’est pas accordé à toute l’humanité mais à la génération issue de la semence de
Seth. Et pourtant, deux pages plus loin, dans une description des attributs du Fils, il est dit
explicitement que «c’est par le Logos que le Christ a créé toute chose, lui l’autogénéré divin» (31,17-
18); on y reconnaît la formulation du verset 3 du prologue johannique : «Tout fut par lui (le Logos)
et rien de ce qui fut ne fut sans lui».
Or, il ne nous semble pas que la reprise de la formulation johannique dans le BG corresponde
exactement à la perspective du prologue johannique. En effet, l’œuvre d’Irénée de Lyon témoigne
d’une controverse avec les gnostiques sur l’ordre d’apparition du Logos par rapport à l’intellect. Dans
son Contre les hérésies (II,13,3), Irénée s’exprime ainsi: «Quand les hérétiques disent que de Dieu a été
émise la Pensée, puis de la Pensée l’Intellect, enfin de ceux-ci le Logos, ils sont dignes de blâme,
d’abord parce qu’ils bouleversent l’ordre des émissions, ensuite parce que, en décrivant une
psychologie, des phénomènes, des activités de pensées propres à l’homme, ils méconnaissent
Dieu27». Sans entrer ici dans la polémique d’Irénée qui reproche aux gnostiques d’appliquer aux
principes divins une psychologie toute humaine, on remarquera que cette polémique rapporte la
primauté de l’intellect par rapport au Logos, alors que le Logos johannique est manifesté dès les
temps primordiaux, évoqués au début du prologue du quatrième évangile. D’après Irénée, l’ordre des
émissions selon les gnostiques évoque successivement la pensée, l’intellect et le logos, comme dans
l’Apocryphe de Jean. La critique d’Irénée ne vise sans doute pas directement le texte de l’Apocryphe de
Jean mais les gnostiques en général. On en conclura que la fonction du Logos johannique est sans
doute réinterprétée ou recadrée dans l’Apocryphe de Jean.
Bernard Barc interprète cette référence au prologue johannique pour montrer que l’apocryphe
«relativise la portée28» du texte johannique, la création par le Logos ne visant que l’œuvre du Fils dans
le monde sensible, alors que l’apocryphe renvoie à la manifestation du monde intelligible. Au temps
de la rédaction de l’Apocryphe de Jean, soit avant Irénée et en tout cas avant Origène, le verset 3 du
prologue johannique a été interprété différemment du texte biblique reçu, fixé après Origène, ou
comme on le comprend aujourd’hui encore, à la manière de Bernard Barc. Les spécialistes de
l’histoire de la critique textuelle connaissent bien le problème de la ponctuation entre le verset 3 et le
4 du prologue johannique, et les apparats critiques des éditions du Nouveau Testament en font
largement état. En effet, la polémique d’Irénée contre les gnostiques (Contre les hérésies I,8,5; 9,2; 22,1;
II,2,2 et 5) et surtout celle d’Origène contre le valentinien Héracléon dans son Commentaire de Jean
(II, XIV, §§ 100-101) montre que certains gnostiques considéraient le «Tout» du verset 3 du prologue
comme ne comprenant pas le monde sensible. Autrement dit, l’interprétation valentinienne du
verset 3 évoquait explicitement le rôle du Logos divin dans le monde pléromatique et surtout pas
dans le monde sensible. Il nous semble donc que la position de l’Apocryphe de Jean est contemporaine
de ce débat, et pourrait aussi être incluse dans la critique d’Irénée ou d’Origène. Il demeure que la
référence au verset 3 du prologue johannique dans l’apocryphe situe le rôle du Logos après
l’apparition de l’intellect, comme le reproche Irénée.

27
Irénée de Lyon, Contre les hérésies, Livre II, éd. A. ROUSSEAU – L. DOUTRELEAU (SC 294), Paris 1982, 114-115.
28
BARC – FUNK, Commentaire, cit., 222.

114
JEAN-DANIEL DUBOIS – La tradition johannique dans l’ Apocryphe de Jean

À propos de l’utilisation éventuelle du quatrième évangile


On pourrait sans doute relever d’autres références johanniques dans l’ensemble de l’apocryphe,
comme par exemple la mention de la glorification de l’Esprit invisible par le Fils (en BG 31,2; cf. Jn
17,4). On pourrait aussi mentionner le rôle de la vérité pour distinguer le Dieu biblique du Dieu
véritable (BG 32,16-18); on peut y voir une allusion à la controverse johannique sur le diable père des
juifs (Jn 8,31-59) par opposition au don de la vérité promis par le Paraclet (Jn 14,15-31). Notre
parcours sur quelques passages de l’apocryphe n’a rien d’exhaustif. En même temps on constatera
que les références johanniques sont moins nombreuses dans les parties de l’apocryphe qui renvoient
aux premiers chapitres de la Genèse à propos des histoires de la Sophia et de l’avènement du
démiurge, ou dans les parties finales de l’apocryphe quand il est fait référence au déluge de la Genèse
ou aux géants.
Un passage particulier de l’apocryphe a été abondamment commenté par divers spécialistes de la
gnose ou des origines chrétiennes, c’est l’hymne final de la version longue (NHC II, 30,11-31,27).
Nous ne l’examinerons pas puisque nous avons choisi d’évoquer surtout la version courte de
l’apocryphe à cause du commentaire de Bernard Barc. On peut quand même souligner que pendant
une trentaine d’années, les spécialistes ont écrit de manière contradictoire sur les allusions possibles
de l’hymne final au prologue johannique. Si l’on prend par exemple, le résultat d’une recherche de
troisième cycle menée par nos collègues suisses sur la trajectoire de l’évangile de Jean au cours des
deux premiers siècles, on pourra lire des propos fermes de Jean-Daniel Kaestli sur l’hymne final de la
version longue29, après une étude sur l’hymne et les contacts possibles avec le prologue johannique :
«Au terme de cette étude, une première conclusion me semble s’être clairement imposée : l’hymne de
la Pronoia ne peut pas être compris comme une relecture gnostique du Prologue de Jean30. La thèse de
Michel Tardieu, qui y voit un «pastiche» du Prologue émanant de cercles johanniques radicaux et
violement hostiles au judéo-christianisme, est irrecevable, car elle manque de fondement textuel
sérieux».
Sans entrer dans la discussion entre J.-D. Kaestli et M. Tardieu à propos de la construction des
hypothèses de M. Tardieu sur les sources éventuelles de l’apocryphe, la position de J.-D. Kaestli
illustre en tout cas un certain type d’approche du texte biblique qui part de l’idée qu’une citation ou
une allusion au texte biblique doit être repérable clairement. Cette position ne tient pas compte
l’état de la diffusion du texte biblique johannique au cours du second siècle. Quand on prend le
commentaire d’Origène contre celui du gnostique valentinien Héracléon, on voit que l’exégèse
littérale ou allégorique d’Héracléon peut être facilement fustigée par Origène parce que les deux
exégètes discutent de lemmes choisis dans le texte biblique. Là, les repérages sont clairement
identifiables. Quand on pense que les premières citations explicites du quatrième évangile dans les
écrits patristiques datent de la deuxième moitié du second siècle de notre ère, on peut se demander
comment circule le quatrième évangile entre sa période de première diffusion et la période d’Irénée.
Si on considère l’Évangile de Vérité parmi les textes coptes du NHC I et ses allusions possibles au
quatrième évangile, on découvre que les formulations du texte gnostique sont proches du texte
évangélique mais sans jamais vraiment le citer. Dans sa façon de renvoyer au texte biblique, on peut
soupçonner que l’Apocryphe de Jean se situe entre l’Évangile de Vérité et l’œuvre d’Irénée. Quand on
cherche dans l’apocryphe des citations du prologue johannique, il n’est pas étonnant que J.-D.

29
J.-D. KAESTLI, Remarques sur le rapport du quatrième évangile avec la gnose et sa réception au IIe siècle, dans:
J.-D. KAESTLI, J.-M. POFFET, J. ZUMSTEIN, La Communauté johannique et son histoire, Genève 1990, 351-356
particulièrement 351.
30
C’est Jean-Daniel Kaestli qui souligne.

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ADAMANTIUS 18 (2012)

Kaestli n’en trouve pas. Il faut donc pondérer toute approche qui chercherait à identifier des
citations ou des allusions johanniques dans l’Apocryphe de Jean en fonction de la datation de
l’apocryphe et en fonction de l’état de la diffusion du quatrième évangile au cours du second siècle.
Ce débat est aussi lié à celui des spécialistes qui cherchent à interpréter les références johanniques
dans le traité du NHC XIII La Pensée première à la triple forme, selon le titre que lui a donné son
dernier commentateur, Paul-Hubert Poirier31. Ses recherches sur les relations littéraires possibles
entre le texte du NHC XIII et l’hymne final de la version longue de l’apocryphe impliquent un
regard sur l’état des références johanniques dans cet hymne final. Il nous semble qu’aujourd’hui la
question a été tranchée par P.-H. Poirier de manière satisfaisante. Après de nombreuses pages de
comparaisons détaillées entre les deux textes32, P.-H. Poirier conclut ainsi : «L’auteur de la Protennoia
trimorphe s’est approprié l’hymne final de la recension longue de l’Apocryphe de Jean et l’a récrit en
intégrant à ce canevas des épisodes du mythe cosmogonique et anthropogonique de l’Apocryphe de
Jean, mais d’une manière allusive, en supposant ses lecteurs familiers avec ce mythe33».
Il existe maintenant encore un autre cas de figure qui mériterait d’être examiné autour de la
question de l’utilisation éventuelle du quatrième évangile par les textes gnostiques du second siècle.
Le dernier commentaire du texte d’Eugnoste (NHC III,3 et V,1) rédigé par Anne Pasquier34 donne
accès à un matériau qui permet de nombreuses comparaisons de détail. Comme nous disposons de
deux versions du même texte, et de sa réécriture dans la Sophia de Jésus-Christ, aussi en deux versions
différentes, on peut suivre l’évolution des références johanniques au fur et à mesure des réécritures
successives. On consultera à ce sujet les chapitres très intéressants de la deuxième partie du
commentaire d’Anne Pasquier sur l’intertextualité exégétique et les réécritures du texte d’Eugnoste35.
Il apparaît ainsi clairement que la diffusion progressive du quatrième évangile au cours du second
siècle fait émerger de plus en plus de références johanniques au cours des réécritures successives du
texte d’Eugnoste. Même s’il était difficile d’arriver à la même conclusion pour les quatre recensions
de l’Apocryphe de Jean, ce type de recherches ouvre une voie intéressante pour l’examen de l’utilisation
du quatrième évangile au cours du second siècle. C’est en plus un critère de datation relative, par
rapport à des œuvres patristiques connues et datables.

Pour conclure
Au terme de ces quelques remarques, nous voudrions souligner que la recherche sur l’utilisation du
quatrième évangile dans l’Apocryphe de Jean doit encore s’astreindre à des études de détail, même si
les citations de l’évangile de Jean et les allusions au texte canonique ne sont pas toujours évidentes.
C’est précisément à cause de cet état de fait qu’il faut tenir compte avec une certaine rigueur de la
façon dont les divers auteurs gnostiques ont traité du quatrième évangile.
Le nombre de références évoquées ici montrent à n’en point douter combien l’évangile de Jean est
au cœur de la rédaction elle-même de l’apocryphe. Si les références johanniques sont présentes dans
le prologue, ou éventuellement dans l’hymne final de la version longue, il n’en demeure pas moins
que la préoccupation johannique annoncée au début du texte se prolonge dans le reste de l’œuvre.
On peut donc douter de l’hypothèse rédactionnelle qui ferait du prologue un simple ajout

31
P.-H. POIRIER, La Pensée première à la triple forme (BCNH.T 32), Québec 2006.
32
Ibid., p. 68-81.
33
Ibid., p. 81.
34
A. PASQUIER, Eugnoste, Lettre sur le Dieu transcendant (NH III,3 et V,1), Commentaire (BCNH.T 33),
Québec 2010.
35
Chap. 6 à 9, 177-287.

116
JEAN-DANIEL DUBOIS – La tradition johannique dans l’ Apocryphe de Jean

secondaire. On peut encore plus douter de la thèse connexe évoquée dans la recherche sur l’Apocryphe
de Jean qui n’aurait aucune préoccupation johannique. On peut enfin douter de l’hypothèse, aussi
souvent émise, du caractère secondaire du titre même de l’apocryphe. Même s’il est facile de
montrer que le quatrième évangile n’est pas la seule source de l’apocryphe, il faut tenir compte de cet
ancrage johannique pour rendre compte de son interprétation.
En conséquence, le type d’examen critique sur les repérages de références possibles au quatrième
évangile devrait faire apparaître, plus que cela n’a été le cas dans la recherche jusqu’à présent, que
l’Apocryphe de Jean fait partie de l’histoire de la trajectoire johannique dans laquelle il faut aussi situer
les épîtres johanniques canoniques, les Actes apocryphes de Jean et les nombreuses références aux
travaux exégétiques des gnostiques sur le quatrième évangile au cours du second siècle. Peut-être
qu’un jour Bernard Barc complètera son précieux commentaire de l’apocryphe par un second sur la
version longue de l’apocryphe où l’on pourrait trouver une suite de ce débat. Sans nul doute, il
intéressera les spécialistes de l’histoire des origines chrétiennes et de l’exégèse biblique, bien au-delà
des commentateurs des textes gnostiques.
Jean-Daniel Dubois
École Pratique des Hautes Études, Paris
jeandanieldubois@orange.fr

Abstract
The new commentary of the Apocryphon of John by Bernard Barc (now published in the Canadian series,
BCNH, Textes, Québec, 2012) gives us an opportunity to come back, once again, on possible allusions to
johannine motives in this gnostic treatise. The numerous allusions to various passages of the Gospel of
John allows us to raise doubts about the secondary nature of the prologue of this apocryphon. And the
main content of the treatise on the divine monad, on the Mother and on the Son, is also confirmed by
johannine references. Due to the supposed date of the Apocryphon of John (just after the middle of the
second century), it is reasonable not to look for quotations of the Gospel of John but for definite allusions
which can only be traced by a detailed analysis of the gnostic apocryphon.

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