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une connotation négative. Ceux qui le prennent ne


se soucient pas de l’environnement et de la crise
La «honte de voler» ralentit le trafic aérien
climatique.
en Suède
PAR ROMARIC GODIN Progressivement, cette idée se répand, notamment par
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 16 DÉCEMBRE 2019
les réseaux sociaux. Le mot flygskam se crée alors
Le flygskam, « la honte de voler » en suédois, est un naturellement et trouve ses compléments. Un mot-
phénomène majeur dans l’espace public suédois. Il a dièse positif #jagstarnarpåmarken (« jeresteausol »)
sans doute joué un rôle dans la chute du trafic aérien de est fondé pour valoriser ce renoncement, bientôt élargi
ce pays. Mais le mouvement et ses effets connaissent à la « fierté de prendre le train », le tågskryt. L’année
certaines limites. 2018 voit ces concepts envahir la vie quotidienne
suédoise. Les célébrités ne cessent de revendiquer
C’est le nouveau mot scandinave à la mode : le
leurs transports en train à coup de publications sur
flygskam. Le terme, qui signifie littéralement la
les réseaux sociaux. Évidemment, Greta Thunberg,
« honte de prendre l’avion », est devenu la bête noire
l’égérie suédoise de la défense du climat, renforce
des compagnies aériennes. Le risque est celui d’un
le mouvement en se rendant en train au forum
mouvement profond de société conduisant à une sous-
économique mondial de Davos, en Suisse, puis en
évaluation symbolique de l’usage du transport aérien.
traversant l’Atlantique en voilier.
En Suède, le phénomène de société est indéniable,
mais son impact réel est encore discuté. Le Conseil de la langue suédoise fait de flygskam un
des mots nouveaux apparu en 2018. Les journaux du
L’initiateur du mouvement a été l’ancien champion
monde entier y vont de leur article sur le sujet et de leur
olympique de biathlon Björn Ferry. Il avait calculé
témoignage de Suédois décidant de passer plus de 24
que, durant sa carrière, il avait contribué par ses
heures en train pour aller en vacances en France plutôt
voyages aériens et motorisés à l’émission dans
que de prendre un vol de deux heures trente. Mais quel
l’atmosphère de 16 tonnes de CO2. Pour lui, même
est l’impact réel de ce phénomène ? N’est-il pas avant
si son cas était particulier, cet excès reflétait un peu tout le fruit de l’effet déformant des réseaux sociaux ?
la réalité suédoise. La Suède est en effet le pays où Y a-t-il eu un changement de pratique dans la foulée
l’on utilise l’avion cinq fois plus que dans le reste de cette émergence du flygskam ?
de l’Europe et sept fois plus que dans le reste du
monde. Le trafic aérien y a progressé de 61 % depuis
1990 et représente plus de six dixièmes des émissions
complètes de CO2 du pays.
Une fois son bilan carbone passé révélé, Björn Ferry
a décidé de renoncer à l’usage de l’avion. Il en
Évolution du trafic aérien intérieur (vert) et externe (orange) en Suède
a fait une condition pour signer son contrat à la entre le troisième trimestre de 2018 et de 2019 © Transport Styrelsen
télévision publique SVT : la chaîne devait accepter de A priori, l’effet est réel. Les derniers chiffres du
recourir au train pour ses déplacements. En novembre trafic aérien en Suède publiés par l’administration des
2017, il annonce qu’il ne commentera pas les Jeux transports sont sans appel. Sur le troisième trimestre
olympiques d’hiver de 2020 qui se tiendront en 2019, le nombre de passagers passant par les aéroports
Corée du Sud en raison de ce renoncement au suédois est en recul de 2,5 % par rapport à la même
transport aérien. L’idée de Björn Ferry était donc à la période en 2018. La baisse est générale, mais elle
fois de montrer que l’on pouvait se déplacer autrement est concentrée sur les vols intérieurs où le nombre
et renoncer aux longs voyages qui nécessitent l’usage de passagers recule de 8,9 %, tandis que l’affluence
de l’avion. En creux, l’usage de l’avion prend donc des vols vers l’étranger, qui représentent 85 % du

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total, est en baisse de 1,3 %. La désaffection pour 2025. En mars 2018, une compagnie aérienne low cost,
l’aérien est donc d’ampleur. Elle s’accompagne du NextJet, a dû déposer son bilan, révélant un marché
reste d’une progression du trafic ferroviaire. Contactée saturé et aux prix trop bas.
par Mediapart, la compagnie nationale SJ précise Car, parallèlement, la croissance s’est nettement
qu’elle a enregistré en 2018 un record du nombre de ralentie dans un pays très dépendant des exportations
passagers transportés à 38 millions, soit 10 millions de et du commerce mondial et où l’envolée des prix
plus qu’en 2016. Sur le troisième trimestre de 2019, la immobiliers grève les revenus des ménages. La
hausse est encore très soutenue : +15 % de plus qu’au croissance trimestrielle est ainsi passée de 3 % au
même trimestre de 2018. Indéniablement, il se passe deuxième trimestre 2018 à 1 % au troisième trimestre
quelque chose dans le royaume scandinave avec un 2019. Mais, comme on l’a vu, le trafic ferroviaire n’a
trafic aérien intérieur qui recule de près de 9 % et un pas été touché. Il est vrai qu’au même moment, depuis
trafic ferroviaire en hausse de 15 %.
le 1er avril 2018, une taxe aérienne conséquente a été
On remarque notamment que les liaisons aériennes imposée sur les vols au départ des aéroports suédois.
de Stockholm vers Göteborg (3 heures de train), Cette taxe, comprise entre 60 et 400 couronnes
Malmö (4 h 30) ou Visby (sur l’île de Gotland, à 5 (environ 6 et 40 euros) a bénéficié d’un large soutien
heures de ferry de Stockholm) reculent fortement : dans l’opinion.
respectivement -13,5 % et -8,9 % entre le troisième
Il semble donc assez évident qu’existe en Suède un
trimestre de 2018 et celui de 2019. Mais même
mouvement de bascule de l’avion vers le train. Le
vers le Grand Nord, les chutes du trafic aérien sont
flygskam n’est sans doute que sa version la plus visible.
spectaculaires : -40 % pour la liaison Stockholm-
En soi, il n’est pas sûr que ce phénomène de mode
Skellefteå (10 heures en train), - 8 % pour celle vers
résiste au temps, mais les habitudes, elles, pourraient
Umeå (6 heures de trajet ferroviaire) et même -6,4 %
perdurer. L’enjeu est désormais de s’en assurer. C’est
pour la liaison vers Kiruna (12 heures de train).
ce que tente de faire SJ en investissant environ
Évidemment, le lien avec le flygskam est immédiat. 1,2 milliard d’euros dans de nouveaux matériels et
Mais ce pourrait bien n’être qu’une partie du notamment 60 nouveaux trains, tant régionaux qu’à
phénomène. Carl-Johan Linde, le porte-parole de SJ, grande vitesse.
reconnaît que « la conscience croissante des Suédois
pour leur empreinte carbone est un des facteurs
contribuant » à la hausse du trafic ferroviaire. Mais ce
n’est pas le seul. SJ estime aussi que « de plus en plus
de Suédois voient de plus en plus leur temps à bord
des trains comme des temps de qualité pour travailler,
étudier ou passer du temps avec des amis et de la Évolution du trafic depuis la Suède vers plusieurs pays entre le
famille ». 3e trimestre 2018 et le 3e trimestre 2019. © Transport Styrelsen

Il peut aussi exister d’autres raisons au recul du Un des éléments clés sera de savoir si la bascule vers le
trafic aérien. D’abord, parce que le marché suédois train touchera le trafic international. La baisse de 1,2 %
qui, comme on l’a vu, a beaucoup crû ces dernières de ce trafic au troisième trimestre est à souligner, mais
années sous l’influence des compagnies à bas coût, en se souvenant qu’une partie du trafic international du
est sans doute arrivé à un certain niveau de sud de la Suède passe par l’aéroport de Copenhague,
maturité. Sa croissance est donc naturellement faible. au Danemark donc, où en octobre dernier, le trafic «
L’administration des transports prévoit que le trafic non local » montrait une hausse de 2,4 % par rapport à
ne devrait pas retrouver son niveau de 2019 avant octobre 2018… La bascule sur les vols long ou moyen
courrier ne sera pas aisée car les trajets en train sont
longs et pas toujours adaptés. Se rendre aux Baléares,

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en Turquie ou dans le sud de l’Italie est quasiment envolée des voyages vers la Turquie (+15,7 % sur
mission impossible. Rejoindre Paris depuis Stockholm un an) et vers la France (+13,7 %). Globalement, les
en train prend encore près de 24 heures. SJ affirme changements d’habitudes restent donc modérés.
réfléchir à des liaisons plus efficaces, notamment Enfin, pour peser sur le changement climatique, le
reliant la capitale suédoise à Hambourg en 12 heures. flygskam ne peut pas rester un phénomène purement
Mais Hambourg n’est souvent pas une destination en suédois. De ce point de vue, il est sans doute encore
soi et la ville hanséatique est encore loin des lieux trop tôt pour se prononcer. Au Danemark, le trafic de
de villégiature préférés des Suédois. Le flygskam va l’aéroport de Copenhague était stable entre janvier
donc se confronter à ses propres limites : combien de et octobre 2019, avec une baisse de 0,7 % du trafic
Suédois sont prêts, comme Björn Ferry, à renoncer à local. Mais ce recul s’est effectué dans un contexte de
des séjours lointains, même en Europe ? baisse des mouvements aériens (donc de l'offre) de 0,7
Or, on l’a vu, les Suédois surconsomment du trafic %, c'est donc une stabilité et l’effet flygskam demeure
aérien et le flygskam ne change rien à cette réalité. incertain. En Norvège où l’usage de l’avion est très
Pour dépasser le simple phénomène de mode et répandu en raison des immenses distances et d’une
devenir un élément de vrai changement, il faudrait infrastructure ferroviaire limitée, on ne trouve aucune
donc qu’il s’accompagne d’un changement durable trace de flygskam. Une récente enquête d’opinion a
des modes de consommation du voyage. On n’en établi que les trois quarts des Norvégiens n’éprouvent
est pas encore là : la petite baisse des voyages aucune honte à prendre l’avion. Bref, malgré l’effet
vers l’étranger au troisième trimestre 2019 concerne de mode et les réseaux sociaux, la honte de voler
les pays proches (Norvège et Danemark) ainsi que suédoise n’est pas encore prête à mettre en danger le
la Grèce et la Pologne, mais s’accompagne d’une marché des transports aériens. Son effet de résonance
pourrait cependant jouer à terme sur la demande d’une
infrastructure de voyage moins polluante.

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