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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Les buts de l'oeuvre historique de Velleius Paterculus


Author(s): J. Hellegouarc'h
Source: Latomus, T. 23, Fasc. 4 (OCTOBRE-DECEMBRE 1964), pp. 669-684
Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41523028 .
Accessed: 12/06/2014 21:53

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Les buts de l'œuvre historique de Vellerns Patereulus f)

VellernsPatereulus ne tientqu'une place tout à faitmodeste dans


la littératurehistorique des Romains ; il fait piètre figureaux côtés
d'un Salluste, d'un Tite-Live ou d'un Tacite. Son œuvre n'a que
peu attiré la critique ; sa bibliographie est des plus restreinte: en-
core la plupart des ouvrages ou des articlesqui lui ont été consacrés
s'attachent-ilsplus à la traditionnelle «Quellenforschung» ou à
de minutieuses discussions sur l'établissement du texte qu'à une
étude de l'œuvre considérée en elle-même. On ne lui accorde que
peu d'importance sur le plan littéraireet surtoutsur le plan histo-
rique ; on ne voit en lui qu'un de ces nombreux historiensrhéteurs
que l'ère impériale a produits en abondance, et les historiensde la
littératurelatine le rangent généralementaux côtés de Valère-Ma-
xime et de Quinte-Curce.
Il y a une dizaine d'années cependant, un ouvrage trèsimportant
de M. Italo Lana (2) a tentéde redorerun blason quelque peu terni
en refusantcette assimilation de Vellerns aux historiensrhéteurs
contemporains: pour lui, Vellerns n'aurait jamais eu l'intentionde
faire œuvre d'historien et, par conséquent, il serait injuste de dé-
noncer à ce titreses faiblesses(3) ; il agirait en réalité comme pro-
pagandiste officieldu régime impérial et il aurait pour but de ré-
pandre parmi ses compatriotes l'idéologie du nouveau régime
telle que tente de l'établir Tibère. Aussi ne faut-ilpas le comparer
aux grands historienscités tout à l'heure, mais bien plutôt, d'une
façon plus modeste, mais aussi plus équitable, le mettreen parallèle
avec ces multipleset éphémères œuvres de propagande que le der-

(1) Cetarticleestledéveloppementdecertainesdesidéesexposéesdansunecommuni-
cation présentéeau « Congrès G. Budé»à Aix-en-Provence,
de ГAssociation le 3 avril
1963, sousle La
titre marche le
vers ď
principátaprès Patereulus
Velleius du
(Actes Congrès,
pp.
214-215).Lescitations Patereulus
du textede Velleius
françaises sontempruntées à la
traductiondeP. Hainsselin etH. Watelet(Paris,Éd. Garnier,
1932).
(2) ItaloLana, Velleio оdella
Patercolo propaganda(Turin,1952).
(3) Ibid.,p. 164.

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nier siècle de la République et le début du principát virent fleurir


en abondance (1). Ce qui, surtout, pour Lana, magnifie l'œuvre
de Vellerns,c'est que la politique de Tibère ainsi définie corres-
pondait aux intérêtsde Rome à cette époque et que, en la prônant,
le successeur d'Auguste s'est montré un grand homme d'État (2) ;
dans ces conditions,notre auteur n'a plus à être rangé parmi les
« historiensmineurs», mais il doit être considérécomme un homme
qui, en se mettantau service d'une grande politique, a fortement
influencéson époque.
Disons-le tout de suite : malgré le talent avec lequel cette cause
a été plaidée, malgré les vues intéressanteset nouvelles que l'ou-
vrage nous donne sur notre« historien»,il est assez difficiled'adop-
ter sans réservesles vues de Lana. Une de ses principales thèses
est que Vellerns a voulu soutenir la politique de Tibère qui visait
à l'exaltation des hominesnoni et à leur triomphe sur l'aristocratie
traditionnelle: cela se manifesteraitde la façon la plus éclatante
dans l'éloge qu'il fait de Séjan, qui est un equesde Volsinii, et dont
il compare la carrière à celle d'un certain nombre d'hommes nou-
veaux de la République (8). Lana a développé ce point de vue en
se livrant à une minutieuse étude de l'entourage de Tibère et en
s'efforçantde montrerque tout, dans l'action de ce dernier, tend
à rabaisser l'ancienne noblesse, d'ailleurs complètementépuisée par
les proscriptionset les crises économiques consécutivesaux guerres
civiles,et à constituerune nouvelle élite politique,forméepour l'essen-
tiel d'hommes nouveaux (4).
Nous passerons sur le détail de cette démonstration,en consta-
tant seulementque Lana a bien dû concéder que, dans certainscas,
Tibère s'est montréfavorable à des aristocrates(6) ; les raisons qu'il
a pu trouverdans chaque cas particulierne peuvent nous convaincre
que cette exaltation des hominesnoui suffità représenterl'essentiel
de la politique de Tibère.

(1) Cf.M. Rambaud, Vartdela déformation danslesCommentaires


historique de César
(Paris,1953),pp. 12sq. ; P.Jal,La Guerre à
civile Rome (Paris,
1963), pp. 82sq.
(2) Op.cit.,p. 21.
(3) Yell., II, 127-128.
(4) C'estl'objetde la première partiede sontravail e la società
: Velleio delsuotempo
,
pp. 11-60.
(5) Casde C. Domitius Ahenobarbus (p. 121),MessallaCorvinus (p. 125),M. Aemi-
liusLepidus(p. 130),L. Calpurnius Piso(p. 135)etc.

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 671

Mais, à vrai dire, là n'est pas le problème, et, même si nous ad-
mettionsla thèse de Lana sur cette politique, il resteraità savoir
quelle est à cet égard la position de Vellerns. Certes, notre his-
torien fait à diverses reprises l'éloge de l'action des hominesnoni,
mais point d'une façon qui soit contraireà ce que nous savons de la
réalité historiqueet à ce que nous pouvons lire en d'autres ouvrages.
En revanche, son œuvre, dans son ensemble, ne traduit point leurs
positionspolitiques et ne montreà leur égard aucune complaisance.
Ses jugements sur les faits historiques de l'époque républicaine
sont au contraire tout empreintsdes conceptions aristocratiqueset
conservatrices. Il est, d'une façon générale, hostile aux populares:
à P. Sulpicius Rufus (trib. pl. 88) (x), à Valerius Flaccus, auteur
d'une loi sur les dettes (2), à Cinna (3) qu'il accuse de dominatio(4) ;
il considère que le meurtre de Clodius fut fort utile à l'État (5) ;
il regrettele comportementdes équitésà l'égard de P. Rutilius (e) ;
il blâme la conduite de Ti. Gracchus qui a abandonné les boni(7)
et loue trèsvivementson meurtrier,Scipio Nasica (8) ; il reproche
à Caius d'avoir faitpasser les iudiciadu Sénat aux équitéset il appelle
son pouvoir une potentiaregalis(9) ; il déplore le sort des Gracques,
mais en regrettantqu'ils aient dépassé la mesure et qu'ils n'aient
pas voulu se contenterde la brillante carrière que leur assurait
leur haute naissance (10). S'il ne se déclare pas non plus très favo-
rable au meurtrierde Caius, L. Opimius, ce n'est pas en raison de
ce meurtrelui-même,mais parce qu'il s'est montréinutilementcru-
el, qu'il a poursuivi des vengeances personnellesplus que le bien de
l'État et qu'il a cédé lui aussi à la démesure (u). Son jugement sur
Marius me paraît tout à fait caractéristique de cette position : Vel-

(1) II, 18,5-6.


(2) И, 23,2.
(3) II, 20,2 sq.
(4) II, 23,3.
(5) II, 47,4.
(6) II, 13,2.
(7) II, 2, 3 i Inpraeruptumatqueanceps
periculum rem
adduxit publicam.
(8) II, 3, 2 : Tumoptimates , senatus parsmelior
ordinis
atqueequestris etmaior
, etintacta
consiliis
perniciosis inGracchum
plebsinruere ...
(9) H, 6,2.
(10) II, 7, 1 : Quisi ciuilem dignitatis modum
concupissent tumultuando
, quidquid adipisci
gestierunt,
quietis obtulisset
respublica.
(H) H, 7,6.

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leius lui est plutôt hostile et minimise sa victoire sur Jugurtha, en


affirmantqu'il n'a fait qu'achever une guerre qui avait été presque
totalementgagnée par Metellus (*) ; mais il est très favorable à ce
dernier« le premier général de son temps» (2) ; toutefois, il met
à l'actif de Marius le faitqu'il a débarrassé l'État de Servilius Glau-
cia et Apuleïus Saturninusqu'il traiteâ?hominesexitiabiles(3). Très
frappante est aussi son appréciation du tribunát de Drusus ; il en
approuve l'action et regretteque le Sénat ne l'ait pas suivi « car »,
dit-il, « sous l'apparence d'une politique populaire, il ne s'agissait
que de prendre le peuple à l'appât» (4). Il se montresouvent aussi
favorable aux membresde l'aristocratietraditionnelle; nous l'avons
déjà vu pour Scipio Nasica et Metellus ; il en est de même à l'égard
de Caton d'Utique (6).
Je ne prétends certes pas soutenir qu'il y a identité totale entre
la politique des populareset celle des homines noui; ces dernierscher-
chent avant tout à réaliser des ambitions personnellesalors que les
popularesveulent obtenir une transformationgénérale de l'État ;
mais, les uns et les autres s'opposant à la prééminenceabsolue de la
nobilitas, il devait inévitablementarriverque leurs intérêtstendissent
à se confondre: les hommesnouveaux pratiquentune politique « po-
pulaire» pour parvenirà leurs fins; ce futle cas de Marius, et Cicé-
ron lui-même,à l'orée de sa carrière, fut,ou, en tout cas, se voulut
popularis(e) ; et lorsque ce sont des nobles qui soutiennentune poli-
tique « populaire », Cinna ou Catilina par exemple,c'est parce qu'ils
sont mal reçus dans les cercles étroitsde la nobilitas; Octave lui-
même, en dépit de son adoption par César, passa aux yeux de ses
adversairespour un homme nouveau (7). Il va égalementde soi que,
si Tibère recherchaitla promotion politique et sociale des homines
noui, cela n'avait rien à voir avec une quelconque politique « popu-

ut... belli
(1) II, 11,2 : Effecit paenepattati , quibisIugurtham
a Metello , summa
aciefuderat
committeretursibi.
(2) II, 11,1.
(3) II, 12,6.
(4) II, 13,2 : (Senatus) , si quadeplebis
nonintellegens commodis ab eo agerentur
, ueluti
inescandaeinliciendaeque causa
multitudinis ,
fieri ut,minoribus ,
perceptismaiora permitteret.
(5) II, 35.
(6) Cf.Q. Cic.,Pet.52: Postremo tota
petitiocurautpompae plena utspěn-
sit, utillustris,
dida, utpopularis sit. Cf.aussiJ. Hellegouarc'h, Le vocabulairelatindesrelations et des
partis sousla République
politiques (Paris,1963),pp.534sq.
(7) J. Hellegouarc'h,op,cit.,pp.476et483.

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 673

laire » ; mais enfin, dans l'hypothèse d'un ouvrage composé pour


soutenircette promotion,ne serait-ilpas étonnant de ne voir por-
ter sur les hommes nouveaux de l'époque républicaine que les juge-
ments qu'on a l'habitude de lire par ailleurs ?
En fait, il ne faut point séparer les jugements de Vellerns sur les
hominesnoui de ceux qu'il porte sur l'ensemble des personnages de
l'histoireromaine. Il se montre hostile, ai-je dit, à Cinna, car il a
massacré un grand nombre d'hommes vertueux(1), mais il le loue
pour son courage personnel (2), et il en fait de même à l'égard de
Catilina (II, 35, 5). Il constate que c'est la valeur personnelle de
Sylla et non l'illustrationde sa famille qui l'a conduit au consulat
(II, 17) et il voit dans son armée les citoyens les meilleurset les plus
sages (II, 25, 2) ; mais il déplore la crudelitasdont il a fait preuve
par la suite (II, 28). S'il blâme l'attitude des équitésenversP. Ru-
tilius Rufus, c'est que ce dernier fut uir nonsaeculisui, sed omnisaeui
Optimus (II, 13, 2). Caton est particulièrementloué par notreauteur,
en raison de l'excellence de ses vertus,dont il faitun éloge trèsappuyé
(h, 35; 45). C'est essentiellementun jugement moral et non un
jugement politique qu'il prononce sur les personnages de l'histoire
romaine. Il met en avant la uirtusdes hommes les plus divers: Q.
Metellus Macedonicus (II, 5, 3), Q. Metellus Numidicus (II, 11, 2)
le meurtrierde C. Gracchus, L. Opimius, uir sanctuset grauis (II,
7, 3) ; Marius est déclaré uitasanctus(II, 11, 1) ; de С. Gracchus lui-
même, dont nous avons vu précédemment qu'il n'approuve point
l'action, il déclare qu'il aurait pu devenirprincepsciuitatispar sa uir-
tus,son ingenium , son eloquentia(II, 6, 1-2) ; le récitqu'il faitde la con-
juration de Catilina et du consulat de Cicéron est lui aussi trèscarac-
téristique de cette mise en valeur de la uirtus(II, 34 sq.) ; ce genre
de louange s'applique même aux ennemisde Rome, tel Mithridate
(II, 18, 1). C'est certainementde la même façon qu'il faut inter-
préter l'éloge qui est fait de l'entourage d'Auguste et de Tibère :
Mécène (II, 88, 2), Agrippa (II, 79, 1), Germanicus,Aelius Lamia,
A. Licinius Nerva Silianus (II, 116) ; il parle avec mépris du trium-
vir Lèpide qui n'avait aucune uirtus(II, 80, 1) ainsi que de Plancus
dont il étale les vices (II, 83) ; mais il déplore la mort de Marcellus
qui, dit-il,était naturellementvertueux (II, 93, 1). Il n'est pas dou-

(1) II, 22,2-4.


(2) H, 24,5.
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teux qu'il faut penser de même de l'éloge qui est faitde Séjan (II,
127, 3-4) et de Tibère lui-même dont il exalte continuellementet
avec emphase les multiplesvertus.
Par conséquent, les personnages qui sont cités dans l'œuvre de
VellernsPaterculussont appréciés, non en fonctiondes positionspoli-
tiques qu'ils ont prises, de la classe sociale ou même de la nation à
laquelle ils ont appartenu, mais uniquement suivant leur propension
au vice ou à la vertu. C'est par le dosage relatifde l'un et de l'au-
trequ'il explique ou justifiebien des faitsde l'histoire qu'il évoque.
Par exemple, Varus a subi un désastre en raison de son incapacité
et de son manque de uirtus(II, 117, 2 sq.) ; il en est de même de
M. Lollius, qui fut vaincu en Pannonie et se montra uitiosissimus ,
mais futremplacé par Drusus, frèrede Tibère, qui justement se fait
remarquer par ses vertus (II, 97).
Bien entendu, de telsjugements ne sont point totalementexempts
de préférencespolitiques. Notre historienloue les vertus d'Octave
(II, 61 ; 84, 1 ; 85, 5 ; 86, 2), mais Lèpide (II, 80, 1) aussi bien qu'
Antoine (*) manifestentleur totale absence de uirtus. Toutefois, il
faut constaterqu'il témoigne d'une certaine indépendance vis-à-vis
des membresde la familleimpériale et de leurs antécédents. Il fait
un éloge assez vifde Pompée (2) et n'hésite pas à déclarer, en évo-
quant les débuts de la guerre civile, que la cause de César était la
plus forte,mais que celle de Pompée était la meilleure (3). Il s'in-
digne des proscriptionsdes triumvirset surtout de l'exécution de
Cicéron ; s'il excuse quelque peu Octave, en déclarant qu'il futcon-
traint par ses deux associés, il le blâme tout de même d'avoir per-
mis ce crime et déplore qu'aucune voix ne se soit élevée pour la dé-
fensede l'orateur (II, 66, 2) ; il admire Brutus dont il vante la va-
leur militaire(II, 69, 3) et il loue son actionjusqu'au jour où un seul
acte de folie effaça toutes ses vertus (II, 72, 1).
Mais, dira-t-on,en exaltant la uirtusdes personnages de l'histoire
ou en regrettantson absence, Velleius reste dans le cadre des pré-
occupations des hominesnouiypuisque l'essentiel de la revendication
de ces derniersconsiste à demander que la situation politique d'un

(1) II, 56,4 ; 66, 1; 74,2 ; 82,4 ; 85,3 ; 5.


(2) II, 29,3 : Irmocentia
eximius, sanctitate médius
, eloquentia
praecipuus ... amicitiarum
teпах,
inoffensis inreconcilianda
exorabüis, gratia , inaccipienda
fidelissimus satisfactions
facülimus...
porneomnium uitiorum ... ; cf.aussiII, 37,4.
expers
(3) II, 49,2 : Alterius
duciscausa melior alterius
uidebatur, erat
firmior.

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personnagene s'appuie pas sur la réputation,la nobilitasqu'ont value


à sa famille les glorieux actes de ses ancêtres, mais bien plutôt sur
ses qualités personnelles,sa uirtus(*). Lorsque notrehistorienaffirme
que nequenoms hic mossenatuspopuliqueRomaniestputandi , quod opti-
mumsit, essenobilissimum (II, 128, 1), il est en dans
effet la ligne de ce
qu'ont affirmé fréquemment les hommes nouveaux (2) ; aussi s'ef-
force-t-ilde montrerqu'à l'avenir les Romains qui désirent faire
carrière politique doivent renoncer à compter sur d'autres atouts
que leur propre activité.
Que l'on puisse en effetêtre tenté de dégager une telle conclu-
sion, mais qu'en fait elle ne résistepas à un examen attentifde l'œu-
vre, c'est ce que je vais maintenant m'efforcerde prouver.

*
* *

J'ai déjà montré par ailleurs que le slogan des hominesnouine se


fondait pas seulement sur la uirtusque revendiquaient tous les Ro-
mains sans exception et, avant tout, les membres de la nobilitas(3),
mais qu'il précisait leur position et la distinguait de la conception
traditionnelleet aristocratique en associant uirtus et industria(4) ;
autrementdit, la uirtusdont ils se targuent, ce n'est pas uniquement,
ni précisément,celle que donnent de grandes actions d'éclat, spé-
cialement dans le domaine militaire, mais, plus modestement et
souvent aussi plus utilement, l'exercice scrupuleux des diverses
fonctionspolitiques et administratives(5). Cicéron en cite troisfor-
mes : l'activité de l'orateur, celle du sénateur, celle de l'avocat (e).
Or, s'il n'est pas douteux que Tibère a pu effectivement souhaiter
que les gens qu'il voulait voir parvenir aux hautes fonctionsde l'É-
tat manifestassentleur uirtus , sinon tout à fait comme le préconise

(1) Surle thème de la uirtuscomme fondement deshomines


dansl'esprit
dela nobilitas
noui cf.
, J. Helle gouarc'h,op.cit.,pp. 476 sq.
(2) Parexemple Cic.,ad Hirt., : Cumenim
frg.3, (Tyrrell-Purser) nihil
nobilitas aliud
sitquam cognita , etsurtout
uitus Sall., lug.,LXXXV,15: Existurno ...fortissimum
quemque
generosissumwn.
(3) J.Hellegouarc'h,op.cit.,pp.243sq.
(4) Ibid.,pp.481-483.
(5) Pourla définitionde l'industria, p. 253.
cf.ibid.,
VII, 7 : Omne
(6) Cic.,Phil., enim industries
curriculum inforo,
nostrae inamicorum
incuria,
periculis elaboratimi
propulsandis est.

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Cicéron - les temps ont changé ! - mais enfin d'une façon ana-
logue, il n'apparaît guère que la uirtusdont Vellerns fait constam-
ment l'éloge ait cette forme. Si l'industria,ou des concepts voisins,
comme uigilantiaou labor, ne sont pas ignorés de lui, ce sur quoi il
insiste essentiellement,c'est sur l'alliance de la uirtuset de la for-
tuna(1). Or la fortunaest, peut-on dire, le contraire même de Vin-
dustria; à l'activité propre de l'individu, à l'exercice judicieux et
efficacede ses capacités, elle substitue l'intervention d'un élément
supra-humain,qui ne tient pas compte des mérites propres des in-
dividus, de leur uirtus, ou qui, en tout cas, se superpose à elle pour
en compléterl'action ; dans cette conception de Vellerns, les succès
de l'homme politique ne sont pas dus seulementà ses qualités per-
sonnelles ou à l'activité qu'il a su montrer,mais aussi au fait qu'il
est en quelque sortel'élu des dieux,qui ont voulu son succès en fonc-
tion d'une causalité supérieure. Alors que l'ascension de Yhomo
noms,telle qu'elle nous apparaît chez Salluste et Cicéron, n'est que
l'expression de la croissance d'une classe sociale, celle des équités,
ce que Vellerns nous montre, c'est la réussitede quelques person-
nages exceptionnels. Il y a, de façon constante,dans son œuvre, une
exaltation des exploits individuels aux dépens de l'action collective.
Ainsi, dans II, 80, Octave triomphede Lèpide par un acte de bra-
voure purement individuel :
« (Lèpide) eutmêmel'audace d'ordonner à Césarde quitterla Sicile.
Ni les Scipione,ni les autresgénérauxromainsne conçurent ni n'exé-
cutèrent jamais riende plushardique l'acte qu'accomplitalorsCésar:
sansarmes,vêtud'un simplemanteau,n'ayantriend'autrepourle pro-
tégerque son nom,il pénétradans le camp de Lèpide,évitales traits
qui lui furentlancéssurl'ordrede cethommeperfideet,bienqu'il eût
son manteaupercéd'un coup de lance,il osa se saisirde l'aigle d'une
légion. On put voir là combiences deux générauxdifféraient entre
eux. Les soldatsen armessuivirent un chefdésarmé».
Il signale également l'exploit de Messalinus qui, pendant la
guerre d'Illyrie, mit en fuite 20.000 hommes avec une légion in-
complète (II, 112, 2). Il se plaît à fairedans un même chapitre une
revue d'ensemble d'une série de faits semblables, en signalant le
nom des personnagesqui les ont réalisés (2). Son œuvre tend ainsi
à se présentercomme une série de « gros plans », suivant le mot de

(1) Pourlesréférences - , je renvoie


- nombreuses à Lana,op.cit.,p. 221etn. 2.
(2) Parexemplela création
des : II, 38.
provinces

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 677

I. Lana (x), des personnagesdont l'action a jalonné le cours de l'his-


toire.
Or, Vellerns ne manque pas de signaler que ces exploits ne sont
pas seulementle résultatde la vaillance de celui qui les a réalisés
mais aussi de la chance extraordinairedu personnage,qui apparaît
ainsi protégé des dieux et dont l'action semble prédestinée; c'est
ainsi qu'il dit d'Octave : « Les destins protecteursde l'État et du
monde le réclamaient pour fonder et maintenir la grandeur du
nom romain» (II, 60, 1) ; tel est aussi le cas de Tibère qui est salué
presque comme un dieu par un Germain (II, 107, 2). César accom-
plit des exploits dignes d'un dieu (II, 47, 1), mais sa chute est, elle
aussi, voulue par la divinité: « On ne saurait», conclut l'historien,
« éviterla forcedu destinqui faussele jugement de celui dont il veut
changer le sort» (II, 57, 3). Une telle réflexionn'implique point
un jugement, ni une condamnation politique, car il dit la même
chose de Brutus et Cassius : « On ne saurait trouver personne que
la fortuneait accompagné avec plus de faveurque Brutuset Cassius
et qu'elle ait, comme lasse de les suivre, plus rapidement abandon-
né» (II, 69, 6). C'est égalementce qui s'est passé pour Varus quel-
ques dizaines d'années plus tard : « Souvent un dieu égare l'esprit
de celui dont il veut changer la fortuneet fait en sorte que, par un
effetdéplorable, le malheur qui survientparaît mérité et que la
mauvaise chance devient un crime» (2).
Lana affirme(3) qu'en unissant uirtuset fortuna , Vellerns aurait
pour but de répondre aux historienshostilesà Rome, qui soutenaient
que l'accroissement de son empire était dû à la faveur aveugle de
la fortune,si bien que, dans le groupe ainsi formé, c'est uirtusqui
viendrait préciser et corrigerfortuna; il voudrait montrerque la
fortunede Rome fut puissammentsoutenue par la uirtusdes Ro-
mains (4). L'argument est forthabile, mais il est bien évidemment

i p. 215: « Velleiousala tecnica,


(1) Op.cit. cosìsfruttatta,
taloraancheinopportuna-
mente, da certiregisti
cinematografici,delprimo piano».
(2) II, 118,4 : Quippe itasereshabet
, utplerumquecuiusfortunám estdeus
mutaturus , Con-
siliacorrumpat
effkiatque, quodmiserrimumest
, ut,quodaccidit
, etiam accidisse
merito uideatur
etcasusinculpam transeat.
(3) Op.cit.,p. 221.
(4) Op.cit.,p. 222: «L impero romano nonperil fatto
si giustifica cheessoesiste ed
è una realtà,quantomaivivae minacciosa peri suoinemici, e perchéessosia dono
dellafortunaingiusta, maperché è fondato chegliha guadagnato
sullavirtù, il favore
divino».

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678 J. hellegouarc'h

contreditpar la formemême de l'expression: uirtusy est le premier


terme,et non fortuna , comme dans uirtuset industria ; c'est donc que,
comme industriaprécise la conception qu'ont de la uirtusles hommes
nouveaux, pour la distinguer de celle qu'en avaient les nobiles ,
fortuna , dans l'expressionde Vellerns,donne à la uirtusune dimension
nouvelle. Certes,il arriveparfoisque la uirtusparaisse venir corriger
les insuffisancesde la fortuna(*) ; mais ce n'est pas le cas ordi-
naire, comme le montrentd'ailleurs un certain nombre des exem-
ples que j'ai cités, où l'auteur se plaît à montrerl'action aveugle de
la fortune,indépendante de toute orientation politique comme de
toute action personnelle; elle est simplementle résultatde l'une des
lois qui régissentl'évolution de l'humanité (2). Dans cette perspec-
tive, l'histoire de Rome se présente comme un perpétuel combat
entrele vice et la vertu,où, pendant longtemps,le premiern'a cessé
de l'emporter,quelles que fussent,au demeurant, l'importance et
la qualité des uirtutes de ses protagonistes; mais, à ces derniers, il
a manqué justement la fortuna , seule capable de modifierla marche
de l'histoire; ce n'est qu'avec Octave qu'une transformations'est
enfinproduite.
De ce dernier en effet,l'historienmontreles nombreusesuirtutes :
il vient à bout d'une révolte de ses soldats en pratiquant à la foisla
seueritas et la liberalitas(II, 81, 1) ; la victoired'Actium, c'est le triom-
phe de la uigilantiaet de Vinertia (II, 84, 1) ; cela suffitpour qu'un
bon nombre d'hommes passent au parti d'Octave (II, 84, 1) ; mais
Vellernsinsisteencore bien davantage sur la fortunadu jeune homme
(3) et le caractère presque divin de la mission dont il est chargé
après le meurtrede César ; le globe du soleil indique l'honneur qui
doit lui échoir (II, 59, 6) et Octave accepte ce dernier comme une
sorte de sacerdoce (II, 60, 2).
Tout cela est destiné, bien entendu, à nous préparer à l'exposé
du gouvernementde Tibère, qui nous est présenté comme le terme
idéal de l'évolution de l'histoire romaine. Vellerns lui a consacré

(1) C'estce quiarrive parexemple à Agrippa : II, 79,5.


(2) II, 11,3 : ... utappartai
, quemadmodumurbittm , itagentium
imperionmque nunc
florere
fortunám, nunc , nunc
senescere interire.
(3) C'estparexemple à cette qu'ilattribue
fortuna lesrevers
qu'AntoinesubitenO-
rient: II, 82, 1.

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 679

toute la finde son ouvrage (x). Il s'étend évidemment sur ses nom-
breusesvertus (2) ; il nous montreson activité,son endurance comme
chef de guerre, sa conscientia , sa prudentia(II, 115, 5) ; il l'oppose à
Agrippa Postumus que ses vices grandissantsont conduit à sa perte
et à la mort (II, 112, 7) ; enfin,après avoir fait un tableau idyllique
de la situation de Rome après son avènement et dressé le bilan de
son œuvre et de seize années d'exercice du pouvoir (8), il le qualifie
à' optimusprinceps(II, 126, 5) et déclare : « A tous il inspira le dé-
sir ou imposa la nécessité de bien faire. La vertu est honorée, le
vice puni... C'est par ses actes que le meilleur des princes enseigne
aux citoyensà bien agir et, s'il est le plus grand par la puissance, il
est plus grand encore par l'exemple de ses vertus» (II, 126, 2-5).
Puis vient l'éloge de la uirtusde Séjan (II, 127, 3-4) que le prince
associe étroitementà ses actions ; à ce propos, Vellerns évoque celle
des hommes nouveaux sous la République (II, 128) ; mais, notons-
le, c'est uniquement parce que Séjan est lui-mêmeun homme nou-
veau, et non pas en vertu d'une position de principe qui le condui-
rait à soutenirl'action des homines noui>que cet éloge apparaît dans
son œuvre. Ce qu'il faut surtout marquer, c'est qu'il y a entre les
éloges conjoints de Séjan et de Tibère une différenceconsidérable.
Vellernsévoque leur uirtusà tous les deux, mais à Tibère seul il attri-
bue la fortuna(4) ; ceci serait bien curieux s'il s'agissait d'atténuer
en quelque sorte ce qu'une référenceà la fortuneaurait de répré-
hensible. En fait,ce que nous montre l'ouvrage de Vellerns Pater-
culus, c'est que, au cours d'une évolution traversée de beaucoup
de vicissitudes,l'action de certainspersonnages,dont la valeur excep-
tionnelle est soutenue par une fortunade caractère quasi divin, a
triomphé définitivementdes vices qui avaient envahi la vie des
Romains et promu l'institutiond'un régime qui assure le triomphe
définitifde la vertu. Loin de récuser l'action de la fortuna , le prin-
cipát semble bien au contraire s'être complu à la mettre en avant,

(1) II, 94 à la fin.


(2) Cf.notamment II, 94; 99.
(3) II, 126, 2 : Reuocatainforum fides, summota e foroseditio
, ambitio
Сапфо, discordia
curia ас situobsitae
, sepultaeque iustitia
, aequitas ciuitati
, industria redditae
; accessit
magistrati-
, senatui
busauctoritas , iudiciis
maiestas grauitas; compressa seditio
theatralis , recte omni-
faciendi
busautincussa uoluntas necessitas.
autimposita
(4) II, 121,1 ; 3 ; 127,1.

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680 J. hellegouarc'h

si bien que l'on a pu dire avec raison que l'un des soucis des milieux
hostiles aux empereursfut de réhabiliterle rôle de la uirtus à côté
de celui de la fortuna(*).

*
* *

Une telle manière de présenterl'histoire romaine n'a d'ailleurs


rien de très nouveau ni de très original. En particulier, pour que
l'on pût entrer dans les vues de Lana, il faudrait admettre son
postulat, c'est-à-dire que l'importance donnée à la fortunafûtinspi-
rée par un espritanti-romain(2). Or, nous constatons,au contraire,
que cette idée du rôle de la fortunadans la grandeur de Rome est
constammentprésente dans la littératureet la pensée romaines (3).
Fortunaest apparue comme une déesse protectrice,tant de Rome en
général (4), que de catégories ou de groupes sociaux particuliers(5).
Chez Cicéron notamment,où les deux notions sont parfoisantithé-
tiques (e), l'association des deux mots est loin d'être exceptionnelle.
Le fortisuirne doit pas craindre que l'action de la fortunavienne con-
trecarrerchez lui celle de la uirtus(7) ; la fortuneest utile à la pro-
motion des boni (.Phil., XIII, 16), terme qui, je le rappelle, s'appli-
que à ceux qui manifestentleur uirtus(8). L'orateur féliciteCécina
qui a su, par sa uirtus , aider la bonne fortuneet contrecarrerla mau-
vaise ( Caecin., 104). Ce n'est évidemmentpas pour rabaisser Fabius
Maximus, Marcellus, Scipion, Marius et d'autres grands hommes
de l'histoire romaine qu'il proclame que chez eux l'action de la
fortunaest venue renforcercelle de la uirtus(9) et qu'il se plaît en

(1) Cf.Walter beiTacitus


Jens,Libertas dansHermes , LXXXIV,1956,pp. 331-352,
à propos de l'actiond'HelvidiusPriscus (p. 345).
(2) Op.cit.,p. 221.
(3) Surce point, voirtoutparticulièrement A. Michel,Rhétorique etphilosophie
chez
Cicéron(Paris,1961),pp. 25-28; surl'association (ou l'antithèse) dansla
uirtus-fortuna
littérature
latine, cf.Thesaurus,
VI1,col. 1195.
(4) Cf.Otto,R.E., VII, col.12sqq. (art.fortuna).
(5) Comme lafortuna , protectrice
equestris del'ensemble deschevaliers.
(6) Cat. IV, 16: Dom.146; Farn ., V, 18,1; Q.F., I, 1,5.
(7) Phil.,XIII, 5 : Estomnino fortium uirorum... uirtutem ... fortume
praestare culpam
nonextimescere
.
(8) J.Hellegouarc'h,Vocabulaire pp.485sq.
politique,
(9) Imp.Pomp., 47. Cf.encoreibid.,51; Caecil
., 69; Phil.,XIII, 49; Lael.,70; Fam.,
V, 17,5 ; X, 3,2 ; 5,3 ; 13.

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 681

particulier à reconnaîtreen Pompée l'association de ces deux qua-


lités (1). Lucain exalte la fortunades deux adversairesde la guerre
civile (2) ; quant à César, s'il n'a pas par lui-même beaucoup mis
en avant l'action de sa fortuna(3), il en a laissé cependant le mythe
se formeret se développer et il a su habilement en tirer parti (4).
La Fortunaest d'ailleurs un des lieux communs de la rhétorique (5)
que l'on retrouveen effetchez beaucoup des historiensrhéteursde
l'époque. Il faut avant tout citer Plutarque, auteur d'un De For-
tunaRomanorum où il souligne qu'à Rome « la vertu des hommes s'est
toujours trouvée en accord avec les décrets de la fortune» (e). Le
thème de l'alliance de la uirtuset de la fortunapour coopérer à la
grandeur de Rome se retrouvechez deux écrivains très proches de
Vellerns Paterculus : Florus (7) et Trogue-Pompée (8) ; or, Nordh
aussi bien que Rambaud sont d'accord pour admettre qu'il faut
y voir l'influence de Salluste qui en fait le point de départ de ses
réflexions,tant dans Catilinaque dans Jugurtha(9) ; il en est cer-
tainementde même pour Vellerns. Nordh a montréque, chez Florus
comme chez Salluste, est développée l'idée que cette collaboration
de la uirtuset de la fortunan'a pas été la même à toutesles époques :
ce futd'abord la uirtusqui domina, la fortunaprenantle relais à par-
tir de la 2° Guerre Punique ; c'est tout à fait ce que nous observons
chez Vellernspuisque, nous l'avons dit, l'action de la fortunase mani-

(1) Arch,, 24: Nos terhicMagnus , quicumuirtute


fortunám Вalb.,9: In quo
adaequauit;
unoitasumma fortunacum summa uirtute utomnium
certauit, plushomini
iudicio quam -
deaetri
Il està noter
bueretur. quel'association prendexceptionnellement
uirtus-fortuna la forme
dansFam.,IV, 6, 2.
industria-fortuna
(2) Phars.,w. 129sq.; Cf.M. Rambaud, L'artdela déformation dans
historique lesCommen-
tairesdeCésar (Paris,1953),pp.256sq.
(3) M. Rambaud, Ibid.; Warde-F оwler,Caesar's Conceptionof Fortuna dansClass.
Rev., XVII, 1903,pp. 153-155. noter
On peutd'ailleurs queTaction delafortuna , con-
sidéréedanssa généralité, tient unegrande placedansl'œuvre de César; le motfortuna
occupe2 col.У2dansledictionnaire de Merguet, alorsqu'iln'ya que4 emplois d'indus-
tria(dontun,il estvrai,où Césardéclare à sessoldats doitvenirrenforcer
que l'industria
lafortuna: du.,III, 73,4).
(4) M. Rambaud, pp.261sq.
Ibid.,
(5) Ibid., p. 264.
(6) Л. Michel,op.cit.,p. 25.
(7) A. Nordh,Virtus andFortuna inFlorusdansÉranos, L, 1952,pp. 111-128.
(8) M. Rambaud, Sallusteet Trogue-Pompéedans R.E.L., XXVI, 1948,pp. 171-189.
(9) Cat.,II, 3-6; VIII, 1; XX, 14;LVIII, 21; lug.,I, 1-3; LXII, 1;LXXXV, 14.

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682 J. hellegouarc'h

festesurtoutà la finde la République et au début de l'Empire, plus


spécialement en faveur de César, Octave et Tibère.
Bien d'autres aspects de l'œuvre de Vellerns rappellent d'ail-
leurs celles des autres historiensrhéteursde l'époque et correspon-
dent à cette tendance rhétorique, qui est elle-même conformeaux
tendances et à la technique de l'histoire hellénistique (x) ; ainsi les
éloges hyperboliques et déclamatoires (2) qu'il fait notamment
de Cicéron (II, 35 ; 66), Tibère (II, 129) ou Séjan (II, 127), sa
complaisance à relater certains faits exceptionnels, bien que de
peu d'importance dans la trame de l'histoire (3) ; c'est le cas pour
les mortsextraordinaires,ce qui nous rappelle la manière de Va-
lère-Maxime (4) ; c'est aussi le cas de P. Ventidius, collègue au con-
sulat d'Octave et qui, fait prisonnierdans sa jeunesse par le grand
Pompée, lors de la guerre du Picenum, avait figurédans son triom-
phe (6) ; son goût pour certains détails d'érudition (e), pour les con-
clusions morales (7), ce qui est également conformeaux tendances
de l'histoirehellénistique,qui doit fourniraux lecteursdes exemples
utiles pour les diverses circonstances de la vie (8) et les enflam-
mer d'un ardent désir de pratiquer la uirtus(9) ; la recherche,en-
fin,dans laquelle il excelle, de la pointe, du trait, de la sententia

(1) Cf.P. Scheller,De hellenistica historiaeconscribendae arte, Diss.Leipzig, 1911.


(2) Schellernote(p. 50) que l'histoire hellénistique tournefacilement au pané-
gyrique.
(3) Il fauteneffet choisirdesfaits quiexcitent grandement lessentiments etlespassions
deslecteurs (Scheller,op.cit.,pp.40 sq.).
(4) Ainsicellede Servilia, femme deLèpide, fibdutriumvir, quis'estsuicidéeenava-
lantdescharbons ardents (II, 88,3) ; cellede Q. Catulus, quisesuicide enallumant du
feudansunepiècequivenait d'êtrecrépie avecdela chauxetdusable(II, 22,4) ; celle
d'unjeunehomme, prisonnier desGermains, CaldusCaelius, qui, se frappant la tête
avecla chaîne quileliait,enfitjaillirla cervelle (II, 120,6) ; celle,encore, d'unharus-
piceétrusque, amide C. Gracchus, qui,pouréchapper au supplice, sejetala têtecontre
lemontant enpierre dela porte dela prison (II, 7,2 ; cf.Val. Max.,IX, 12,6).
(5) II, 65,3.
(6) Parexemple II, 7,5,surle vind'Opimius ; II, 8, 2, surlesmembres de la même
famille qui remplissent tous en même temps la même magistrature.
(7) Parexemple II, 7, 1 (à propos desGracques ; textesupra, p. 671,n. 10); II, 50,3
de
(à propos Marseille) : Hi se debent non coercere
qui parentem possunt
interporrne, ; II, 91,4
(à propos d'Egnatius) : Publica quisqueruina marnât
(i ) occidere
quam sua et
proteri idem passurus
minus conspici.
(8) Scheller,op.cit.,pp.73sq.
(9) Ibid.,p. 75.

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LES BUTS DE L'ŒUVRE HISTORIQUEDE VELLEIVS PATERCVLVS 683

frappante(1). Tous ces traitssont si nombreux, si significatifs


d'une
même tendance, qu'il ne me paraît pas possible d'admettre, à la
suite de Lana, que la rhétorique n'est que le vêtement, et qu'elle
n'est ni l'âme, ni le corps de l'ouvrage (2).

*
* *

Sous quelque aspect que nous la considérions, il nous est donc


difficilede voir dans l'œuvre de Vellerns Paterculus un ouvrage de
propagande politique qui lui eût été commandé par Tibère. C'est
ce que constataitdéjà, il y a vingt-cinqans, M.H. Bardon : « L'apolo-
gie continue de l'Empire, des Empereurs, de Tibère, pourrait faire
prendreVellernspour un agent politique. Il n'en est rien : si Tibère
l'avait directementinfluencé,il lui aurait consacré cet ouvrage qu'il
projetait, mais n'écrivit pas ; surtout, il aurait essayé de s'effacer
davantage, au lieu de marquer les liens d'affectionet de subordi-
nation militaire qui le liaient à l'Empire» (3). En effet,à aucun
moment cet ouvrage ne nous paraît propre à soutenir la politique
de Tibère à l'égard des homines поиц si tant est que cette dernièreait
eu une réalité ; les hommes nouveaux ne tiennentpas, chez Vellerns,
une place disproportionnéeà leur importance effectivedans l'his-
toire de Rome, telle que nous puissions conclure à une volonté de
mettreen reliefleur rôle politique et social. Au thème de la uirtus
et industriapropre aux hominesnoui, il substitue celui de la uirtuset
Jortuna , mais pas non plus de telle façon qu'il faille y voir une inten-
tion politique déterminée. Nous sommes à une époque où, par suite
de la diminutionou de la perte du sentimentde la gens, l'on exalte
les qualités proprementindividuelles aux dépens de l'action collec-
tive. Mais ces qualités ne sauraient se suffireà elles-mêmes,comme
c'était le cas pour les hominesnoui; l'homme politique doit êtresou-

(1) Voicilà aussiquelquesexemples : II, 64,2 : (D. Brutus) censebat aequum , quaeaccepe-
rata Coesore
, retiñere , quiilladederat
, Caesarem ; II, 73,3 : Cum(Sext,
, perire Pompeium) non
armis
uindicatum
depuderet ас duetu sui
patris mare sceleribus
piraticis
infestare ; II, 124,2 (à pro-
posdela récusât lorsdesonaccession
iode Tibère, au principát) : Solique huic paene
contigit
recusare
diutius , quam
principátům , utoccuparent
eum, aliiarmis pugnauerant; II, 129,3 : Bellum...
mira ocuirtute
celeritate utante
compressiti populus Romanus se
uicisse quam bellarecognosceret.
(2) Op.cit.,p. 214.
(3) H. Bardon,Lesempereurs etleslettreslatines
, d'Auguste à Hadrien(Paris,1940),
p. 173.

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tenu par la toute puissance des dieux qui sont les véritables auteurs
de son élévation.
Nous avons affaire,en fait,à un type d'ouvrage dont cette époque
nous offremaints exemples, où l'auteur développe des thèmes con-
ventionnels,souvent empruntés aux historiensantérieurs,particu-
lièrementà Salluste, mais en les enjolivant et les amplifiant,et en
se comportantavec une flagornerieà l'égard du pouvoir établi, qui
vise moins à exalter la politique de l'Empereur - le but serait,tout
au moins à notre sentimentde modernes, fortmal atteint- qu'à
en obtenir de substantiellesfaveurs. Vellerns n'est pas un historien,
certes,mais ce n'est pas non plus un propagandiste au sens que nous
donnons ordinairementà ce terme; c'est un écrivain de cour, com-
me en ont connu tous les régimesde pouvoir absolu (1). Est-ce à dire
que pour autant son œuvre est sans intérêt? Non, certes; mais
il faut y voir moins une histoire qu'un témoignage sur un certain
moment de l'évolution des idées et des conceptions politiques des
Romains (2).
J. Hellegouarc'h.

(1) Là encore,citonsM.H.Bardon{op.cit.,p. 174): « Donc,nonpasouvrage depro-


pagande politique
composé sousl'influence
de Tibère,V de
Histoire VellernsPaterculus,
refletd'untempérament de flatteur,maisrefletaussid'uneadmiration sincèreet qui
n'estpassansmesure, porte aussibienla marqued'unrégime totalitaire
quin'admet de
pensée que
politique si elleestconformiste».
(2) Cf.Schanz-Hosius, Römische , II, p. 584: « Wirkönnen
Literatur-Geschichte ihm
nichtwenige EntstellungenderWahrheit dieihreWurzel
nachweisen, inseiner
höfischen
Gesinnung haben.AlleinderGeschichtsforscher mussihnbenutzen, da mancheTat-
sachedurch ihnrichtiggestelltwerden kannunderzumalgegenüber TacitusdemKaiser
Tiberiusgerechterwird, denerausderNähebeobachten konnte».

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