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L'ESSENCE

DE LA

MANIFESTATION

MICHEL HENRY

DEUXIÈME ÉDI'T'ION

EN UN VOLUME

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

^IÎ D0215055
!^Î
Note de l'Edi'teur
Cette deuxième édition regroupant en un seul
volume les z tomes de la première édition, la
table des matières du premier tome a été conservée
en place pages 473 à 475

ISBN 2 13 053599 2
ISSN 0768-0708

Dépôt légal -1" édition (en 2 tomes) : 1963


3` édition : 2003, septembre
© Presses Universitaires de France, 1963
6, avenue Reille, 75014 Paris
ABRÉVIATIONS UTILISÉES DANS LES NOTES
(titres des ouvrages les plus fréquemment cités)

AT . , ....... ÇEuvres de Descartes, édition ADAM et TANNERY, Léopold Cerf,


Paris.
CD ........ HEGEL, L'esprit du christianisme et son destin, trad. J. MARTIN,
Vrin, Paris, 1948.
D. , . , , ...... KIERKEGAARD, Traité du Désespoir, trad. K. FERLOV et J. GÂTEAU,

Gallimard, Paris, 1 949.


EN ........ SARTRE, L'.^tre et le Néant, Gallimard, Paris, '943.
EU ......... HUSSERL, Erfahrung und Urteil, Claassen et Goverts, Hamburg,
1948•
E ... .... . SCHELER, Le formalisme en éthique et l'éthique matinale des valeurs,
trad. M. de GANDILLAC, Gallimard, Paris, 195 S.
H........... HEIDEGGER, Hol^wege, Klostermann, Frankfurt-am-Main, 1930.
Ideen I...... HUSSERL, Idées directrices pour une pbénoménologie, trad. P. RICŒUR,
Gallimard, Paris, 1950.
Idole...... SCHELER, Die Idole der Selbsterkenntnis, in Vom Umstur der
W'erte, II, Der neue Geist, Leipzig, 1919.
IT........ . SCHELLING, Système de l'Idéalisme transcendantal, trad. P. GR IMBLOT,
Ladrange, Paris, 1842.
K .......... HEIDEGGER, Kant et le problème de la métaphysique, trad. A. de
WAELHENS et W. BIEMEL, Gallimard, Paris, 1953.
L .......... REGEL, Leçons sur la philosophie de l'histoire, trad. J. GIBELIN,
Vrin, Paris, 1946.
MC ....... , HUSSERL, Méditations cartésiennes, trad. G. PEIFPER et E. LEVINAS,
Vrin, Paris, 1941.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TIO N

PbE• • • . • .. REGEL, Phénoménologie de l'Esprit,


trad. J. HYPPOLITE Aubier,
Paris.
Phi' , , • , , . MERLEAU- P ONTY, Phénoménologie de Gallimard,

la Perception,
Paris, 1945,
R. • • • • • • • • KANT, Critique de la Raison ratsque, trad. F•
. p PICAVET, Presses
universitaires de France, Paris, 1949.
5....... SCHELER, Nature et formes de la sympatbie,
M,
trad. LEFE$VRE,
Pay®t, Paris, 1928.
SS .. SCHELER ,
T.! sens .e la souffrance, trad. P. KLOSSOwsKI, Aubier,
d
Paris.
HEIDEGGER, Sein und Zen', Niemeyer, Halle I
94 I.
ECICHART, Traités et Sermons trad. F. A, etJJ. M., Aubier, Paris.
FIcHTE, Imitation à la vie bienheureuse,
trad. M. ROUCHÊ Aubier9
Paris, 1944, '
WG • • HEIDFGGER, L'essence du ondement tra d. H.
f CORBIN, .111 Qu 'est-ce
que sa Metapaysaque f, Gallimard, Paris.
INTRODUCTION

LE PROBLÈME DE L'ÊTRE DE L'EGO


ET LES PRÉSUPPOSITIONS
FONDAMENTALES
DE L'ONTOLOGIE

« Mit dem cogito $U/F/ beansprucht Descartes der Philosophie


einen neuen und sicheren oden beizustellen. Was er aber be diesem
« radikalen» Anfan^ unbestimrnt
rt "sst istder
die Seinsa ret cogitant,
genauer den Seinstinn des « tuer » ». « Avec le cogito suix
Descartes
prétend donner la philosophie une base nouvelle et sûre, Mais ce
qu'il laisse indéterminé dans ce commencement « radical » c'est le
mode d'être de la res cogitant, plus exactement le sent de l'arc du
« tum » (i), »
. Le sens de l'être de l'ego est le thème des présentes recherches®
Celles-ci visent à porter dans la lumière devant regard le '
philoso^
phique, ce que .nous entendons
propos, lorsque nous disons â tout et
chaque fois qu'il est question de nous-mêmes moi.
je, La
philosophie
nous a habitués ces derniers tempsa nous interroger, et cela d'une
façon radicale, sur ce qui se donne plus
le souvent comme deallant
soi et que tout le monde sait ou comprend. A ce domaine de ce qui

(I) SZ, 24. --- Za liste des abréviations utilisées dans les notes se trouve a
début du tome I , supra
, p. vu et vui. u
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est le plus courant et le plus banal , l'ego n'appartient il pas d'une


-
façon éminente ? Il est vrai que, depuis longtemps , la psychologie a
fait du moi, ou de la personnalité , un objet d'étude. et le titre d'un
de ses chapitres. Sur la façon dont se forme en nous l'idée du moi, sur
son contenu, sur son rôle dans l'ensemble de la vie psychique, et
d'autres problèmes semblables, on ne lui ap prendra rien. Quel crédit,
cependant , peut-on accorder à des recherches qui n'ont jamais fait
la lumière sur elles-mêmes et qui nous livrent des résultats dont
elles sont incapables d'évaluer la portée ? Si Descartes lui-même a
omis d' élever â l'état de problème ce qui constitue ' le sens de l'être du
fuel, . quel secours pourrait -on bien attendre de la psychologie qui
édifie ses connaissances positives sur le fondement inexplicité de
l'être, et qui traite le moi comme un objet ou, ce qui revient au
même, comme un « sujet », sans s'être au préalable interrogée sur ce
qui constitue la condition de possibilité de tout objet comme tel.
Avant de prétendre obtenir un résultat quelconque, toute
question dont chercher à se rendre transparente à elle-même. Elle
doit d'abord être capable de dire si la p roblématique qu'elle institue
peut être considérée comme originaire et fondamentale ou si au
contraire, elle est subordonnée à une recherche première dont elle
se montre dépendante. Dans ce dernier cas, elle im p li que nécessaire-
ment des p résu. pp osés, elle utilise des résultats déterminés qu'elle
n'a pas obtenus elle-même, ou fait usage de certaines idées qu'elle
ne se soucie pas de tirer au clair. C'est là une difficulté générale qui .
concerne toute recherche particulière . L'indépendance -- et, par
suite, une assurance interne de validité --- n'est donnée qu'à une
problématique véritablement originaire et, en quelque sorte , absolue,
qui non seulement ne ire ses connaissances que d 'elle-même, mais
qui, en outre , a déjà fait la lumière sur ce qui rend possible toute
connaissance comme telle. La philosophie première a compris depuis
longtemps la nécessité d'instituer une telle problématique à l'origine
de toute recherche humaine.
L'J TAE DE L'EGO

Le problème de l'être de l'ego appartient -il à la philosophie


première ? N'est-il pas évident, au contraire, que toute question
qui vise l'ego dans son être implique que soit préalablement donnée
ou, du moins , cherchée, une réponse au problème. du sens de l'être en
général ? Car, lorsque je dis ; « je suis content », ou, plus simplement,
« je suis » , ce qui se trouve visé dans mon affirmation n'est précis&
ment p ossible q ue p arce que 4a l'être luit. Ainsi, le véritable objet
d'une recherche première ne devrait-il pas être l 'ego lui-même, mais
l'être de l'ego ou, plus précisément, l'être dans et pax lequel l'ego peut
surgir à l'existence et acquérir son être propre. C'est pourquoi le
commencement cartésien n'est point « radie », car il n'est possible
que sur un fondement qu'il n'a pas explicité, et qui est plus radical
que lui. .
La science qui étudie le problème de l'être en général, de l'être
en tant qu'être, est l'ontologie Celle ci est nécessairement universelle.
Son objet n'est point, en effet, telle ou telle chose ni, non plus, tel
ou tel genre de chose, mais ce qui les conditionne tous également,
La philosophie première esi I'onMlogie universelle. A l'égard de cette
discipline fondamentale toute recherche , et en particulier celle qui
concerne l'ego, doit reconnaître son inévitable subordination. Mais
cette subordination elle-même doit faire le thème d' une recherche.
Or le lien qui rattache la problématique qui vise l'ego à l'ontologie
universelle est particulièrement complexe . La première élucidation
approximative de ce rapp oÈt sema d'introduction au problème
de l'ego. '

I . I.'IDÉi D'UNE ÉVIDENCE APODICTIQUE


COMME VOIE D'aCCÉS PRIVILÉGIÉE A L'ETRE DE L'EGO

Pourquoi Descartes crut-il pouvoir se passer du co mme ontolo-


gique à l'intérieur duquel seul une question peut xaxxvoir l'élucida-
tion dont elle a besoin si elle ne veut pas demeurer une question cn
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'air, ni aboutir à des résultats complètement indéterminés dans leur


portée et dans leur signification ? Parce que ce contexte lui-même lui
paraissait une source de confusion et de discussions stériles. Rejeter
tous ces présupposés qui se donnent toujours à nous sous la forme
d'une tradition historique, se défaire enfin de tous les « préjugés », telle
lui semblait être la conditions laquelle doit se soumettre toute
recherche qui veut véritablement et librement « commencer ».
Alors s'ouvre pour la philosophie une voie royale, celle qu'elle
suit lorsqu'elle se confie sans plus . à son objet, celle qui mène direc-
temeut au résultat. Tourner le dos à toutes les théories et à tous les
édifices conceptuels qui nous masquent le réel, s'abandonner à l'objet,
le laisser être tel qu'il est en lui-même, retourner enfin aux choses
mêmes, c'est là un enseignement cartésien. Seulement Descartes
avait bien compris que ce qui se donne véritablement à nous ne se
laisse pas si facilement reconnaître, et que la plupart des choses que
nous croyons véritablement atteindre dans leur être même sont, en
réalité, confuses ou incertaines. Lorsqu'il décida alors de soumettre à
une critique systématique l'ensemble du donné de notre expérience,
il s'aperçut que ce qui s'offrait à nous sur le mode d'une évidence
irrécusable n'était rien d'autre que l'ego cogito.
La place centrale dévolue à l'ego cogito par la recherche philoso
phique implique cependant, de. la part de cette dernière, certains
présupposés. Ceux-ci tiennent, à vrac dise, à la nature même d'une
telle recherche qui obéit toujours à l'idée d'une vérité à atteindre. Ce
qui rend légitime, toutefois, quelque chose comme la philosophie, :
c'est que la fin qu'elle poursuit et qui l'anime secrètement ne lui est
pas propre. L'évidence est le -rÉXoç de toute vie intentionnelle. La problé-.
ritique concernant l'évidence se situe dans le prolongement naturel
de la vie et c'est elle qui sert à laf ois de contexte et de cadre au surgissement
de l'ego cogito comme thème de la méditation philosophique.
La problématique de l'évidence appartient à la phénoménologie
de la raison. Elle est la radicalisation, conforme au sens de l'inten-.
L'ÊTRE DE L'EGO

tionnalité, d'une problématique de l'intuition. L'nituition est le


fondement de toute assertion rationnelle. L'étude de la raison
exige que ce fondement soit tiré au clair.
L'analyse philosophique de l'intuition et de sa structure fonda-
mentale, l'examen systématique des différents types d'intuition et de
leurs modalités diverses l'élucidation corrélative du champ du donné
intuitif, des structures et des multiples différenciations d'ordre
édétique qu'il présence, constituent la première tâche de la phénomé-'
nologie. En poursuivant d'une façon rigoureuse cette tâche qu'elle
.,
se donne à l'origine de sa recherche, la phénoménologie écarte déjà
bien des rejuges. Elle montre contre l'empirisme que l'expérience
sensible ne réalise qu'un type fondamental d'intuition . L'intuition, pré-
supposée par l'empirisme, de l'essence de l'expérience sensible nous
met en présence, au moins une fois, de d'existence d'une intuition
éidéti ue. C'est à l'aide de celle-ci que doit se poursuivre l 'investi
g ation exhaustive des différents - types éidetiques d'intuition, ainsi
A
que l'examen de leur valeur respective. Il apparaît alors que l'être
qui se donne originairement a ces consciences intuitives que
, distingue
chaque fois une structure eidétique spécifique, se distribue, confor-
meurent à la manière même dont ü se présente, en une pluralité de
régions auxquelles correspondent rigoureusement des types déter-
minés d'intuition donatrice. Conformément à ces divers types régie
vaux et, corrélativement à l'intérieur de chaque région d'être, il y a,
pour ce dernier, une façon privilégiée de se donner. Celle-ci se valise.
lorsque l'être se presente tel qu'il est en lui-même et, en quelque
.. .
sorte « en personne » à une conscience intuitive qui se trouve alors
en présence de la chose elle-même et vit, pour ainsi dire, dans sa
p roximite immédiate. Cette situation se caractérise par le fait que les
intentions signifiantes de la conscience trouvent un remplissement
pouvant aller jusqu'à cette présence vivante de la chose elle-même, en
sorte qu'au sens visé par la conscience vient alors s'adjoindre dans le
noème un caractère spécifique de corporéité . La façon dont s'opère
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ce remplissement défiait le degré de l'évidence. La conscience vise à


obtenir une évidence parfaite. Mais la perfection de l'évidence ne
dépend pas seulement du cours psychologique et de l'effort subjectif
d'une conscience déterminée, son ype est en réalité prescrit par la
structure ontologique propre de la région considérée, il représente
une possibilité ultime attachée à cette région et rigoureusement
définie. Il serait par conséquent absurde de prétendre obtenir une
évidence par exemple adéquate, relativement à un objet auquel sa .
structure éidétigge ainsi que le genre régional â l'empire duquel
il appartient, prescrivent une manière de se donner qui exclut
et cela par principe, la possibilité d'une présentation conforme
à un tel type d'évidence. On peuh seulement définir pour chaque
sphère de l'être un mode de donné caractérisé d'une façon rigoureuse
dans les cas privilégiés, il s'agira d'un mode de donné originaire
et qui indique à quel genre d'évidence, en quelque sorte optima9 il
est possible d'atteindre dans la sphère considérée. Ainsi sera-t-on
conduit à circonscrire des types fondamentaux d'évidence en corré-
lation avec les différentes régions et avec les modalités ultimes de la
conscience donatrice intuitive, modalités dont la différenciation aura
été elle-même poursuivie sur le plan éidétique.
Parce qu'ils sont rigoureusement ordonnés à des essences objec-
tives ou se manifestent les structures aprioriques des régions, parce
que, pour cette raison, ils obéissent à une légalité d'ordre éidétique '
les différents types d'évidence ont, à cet égard, un degré égal de vali-
dité. Chacun d'entre eux nous propose, conformément à une cati
gorie déterminée de l'appréhension, une possibilité d'expérience qui
correspond strictement à use sphère de l 'être et. qui est susceptible
de nous livrer, à l'intérieur de cette sphère, l'être lui-même, tel
qu'il s'y manifeste dans sa structure essentielle. On ne saurait cepen-
dant ranger tous les types d'évidence sur le même plan. Une discri
mination, d'ordre axiologique si l'on veut, mais q ui trouve sa
source, non point dans les préférences subjectives d'une conscience,
L'1TKE DE L'EGO

mais dans une téléologie de signification universelle immanente à la


vie intentionnelle en général , s'établit manifestement entre eux.
Conformément à cette téléologie qui l'habite, la conscience se tourne
vers les évidences qui présentent un degré de perfection remarquable.
Au plus haut degré de perfection , nous trouvons une évidence
immédiate origmaire3 et dans laquelle les divers éléments d'intention
signifiante p ar les quels la conscience vise l'objet se trouvent tous
être rem p lis p ar une intuition correspondante , de manière que rien
d'obscur ni d' indistinct ne demeure dans une telle expérience.
Celle-ci nous donne la certitude absolue que l'être saisi avec évidence
existe ' tel p récisément qu'il se présente dans l'évidence . Aussi long®
temps, toutefois, q ue demeure ouverte la possibilité pour l' être saisi
dans l'évidence de devenir ensuite objet de doute, l'évidence n'est
point p arfaite . L'évidence p arfaite doit encore présenter , par cons&
qgent, un caractère nouveau, conformément auquel elle se donne ,
comme une évidence qui ne saurait être démentie par le cours ulte-
rieur de l'expérience. Seule l'évidence apodictique est capable d'offrir
à la réflexion philosophique la garantie que l'objet qu 'elle lui fournit
ne changera point, que cette réflexion le retrouvera toujours pareil
à lui-même chaque fois q u'elle effectuera à nouveau l'acte qui le
donne dans l'évidence. Nous pouvons alors dire que l'objet de
l'évidence ap odicti que nous est donné dans une certitude absolue, il
, le rôle d'un
l oue p our cette raison, par rapport à la recherche
véritable commencement.
La conscience qui vise l'obtention de l'évidence apodictique
ne s'oriente p as où elle veut. Comme il existe une stricte relation entre
let e eidetique de l'évidence et le genre d'être que celle -ci exhibe,
c'est à une réalité bien determ nee qu'a affaire la réflexion qui s'aban-
donne au 'r&Ào ç de l'ap odicticité. L'ego cogito devient nécessairement son
thème il ne l'etait pas à l'origine. Ni l'ego en tant que tel , ni la connais -
sance de soi , ni un quelconque individualisme , ni le solipsisme
affectif ou métaphysique, n'ont initialement la faveur de la conscience
L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

cartésienne. Celle-ci est une conscience rationnelle qui vise l'universel


et l'apodictique . L'ego ne surgit devant elle que parce qu' il est le
seul être susceptible de fournir à une telle conscience un rem plisse-
ment intuitif adéquat . Il est le contenu et, en quelque sorte, l 'élément
réel que doit saisir et ordonner à soi une philosop hie essentiellement
orientée vers l'idée d'une certitude absolue si elle ne veut pas, du
moins, demeurer à l'état de pro j et et de voeu.
Le paradoxe qui lie à la réalité singulière de l'ego, de cet ego
qu'elle appréhende dans une évidence a p odictique et qui est toujours.
le sien , la conscience dont la signification est d'atteindre l'universel
ne se laisse pas aisément surmonter . Ne faudrait -il pas, du moins
qu'il fasse l'objet d' une p roblémati que exp licite ? Celle-ci ne
devrait-elle -pas mettre finalement à jour le lien qui unit dans lori irae le
problème de la vérité à celui de l'ego ? Mais la p hilosop hie classi que n'a
jamais élevé un tel lien à l'état de problème et la raison essa e
y
d'échapper au paradoxe ou de l'oublier : la conscience du cogito
n'est pas individuelle mats vraie. Le donne intuitif originaire qui se
manifeste dans l'évidence apodictique du co gito est seulement le
motif d'une position rationnelle. Celle-ci trouve dans le contenu
originaire du champ intuitif son fondement originel de validité.
L'évidence est précisément l'unité de la position rationnelle avec le
donné qui la motive . Dans le cas du co g ito, cette unité revêt une
forme p riwilég iée en raison du caractère spécifique de la région
d'être où l'intuition puise son contenu . En vertu de sa structure
eidétique, celui-ci rend en effet p ossible une conscience d'a ppréhen-
sion dont l'exp érience s'accomp lit conformément au t ype de l'évidence
apodictique et se révèle par conséquent susceptible d'engendrer une ,.
position rationnelle au sens fort , c'est-à-dire dont la validité ne
puisse plus être mise en quest ion. Ainsi est trouvée une vérité
première qui relève d'un mode de position tout à fait spécial.. Ce
qui est posé, c'est un être vrai, un être réel, en un sens absolu. Le
cogito est ainsi le premier élément d' une science rationnelle qui réalise
L'J TRE DE L'EGO

d'abord en lui son projet d'apodicticité. Il est le point de départ, le


commencement ; avec lui une vérité est trouvée , la conscience peut
vivre dans la certitude.
En tant que vérité p hilosophique, le cogito est une position
rationnelle en un sens privilégié,, il réalise précisément le type de
position que vise la raison en tant qu'elle est fidèle à elle-même. La
position rationnelle du cogito une fois effectuée cependant, deux
voies s'ouvrent devant la méditation du philosophe. Il s'agit pour
celle-ci de savoir si elle va se donner pour tâche l'élucidation de l'être
de l'ego considérée comme une fin propre, la recherche dans laquelle
elle s'engage alors doit présenter un intérêt rationnel éminent, en
raison du caractère spécifique d'ap adicticité p résenté par les évidences
qui régissent, à titre d'expériences possibles, le domaine d'être
auquel appartient l'ego cogito . Une- telle recherche , poursuivie
sous le titre de « p henomenologie rationnelle de l'ego », ne saurait
constituer cependant qu'une recherche particulière . La problema-
ti^.ue concernant l'être de l'e g o n'occup e, â vrai dire , qu'une place
strictement délimitée dans l'ensemble des recherches phénoménolo-
giques. C'est par rapport à celles-ci, toutefois, considérées comme un
ensemble architectonique dont le T&Àoç est l'élucidation systéma-
ti que de l 'être à travers toutes ses structures et dans ses diféren-.
ciations édét ques ultimes, que la tâche de la p hilosophie phénomé-'
nologique doit s e comp rendre, si du moins on veut lui restituer son
envergure propre. La raison doit être comprise dans un sens élargi.
Son domaine ne saurait être correctement pensé si on prétend le
limiter en le ra pp ortant d'une manière exclusive à un type déterminé
d'évidence , si p rivilegie que puisse être ce dernier . La raison est plutôt
une réflexion sur l'ensemble des positions qui trouvent leur fonde-
ment, et cela d'une façon qui reste chaque -fois â préciser , dans la
totalité des types fondamentaux d'évidence et dans l'empire des
régions corresp ondantes . Un type de p osition rationnelle est p ossible
dans chaque cas et dans chaque domaine; il obéit à des modalités
i o L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TION

intuitives et rationnelles rigoureusement définies . La façon dont


doit se confirmer ou s'infirmer la vérité de ce type de position, et
par suite , le mode selon lequel se réalise la rationalité qui concerne le
domaine correspondant de l'être, sont â leur tour l 'objet d' une étude
qui prétend elle- m ême a l'apod cticite Ainsi l'être de l'ego semble-t-il
perdre son privilège exclusif au fur et à mesure que s'accomplit
.
l'effort de la conscience philosophique pour s'égaler a sa propre
tache : réaliser dans toute son ampleur une vision rationnelle de l'être.

2. LA NÉCESSITÉ DE L'ÉDIFICATION P RÉAL A BLE


D'UNE O NTO LOGIE PHENOMENOLOGI QUE UNIVERSELLE

Le depassement de l'e g o cogito vers une p roblemati q ue q ui


vise à restituer toutes ses formes au pouvoir de l'intuition s et9
corrélativement , à exhiber l 'être dans la totalité de ses structures
fondamentales et de- ses re g ions ultimes , ne doit p as faire illusion. La
recherche qui commence avec l'e g o co g ito reste conditionnée , et cela
d'une façon décisive, par le 'thème oi u' elle s'est donné à l'origine.
Comment un tel conditionnement doit-il s'entendre ? La théorie de
l'intuition a rejeté la rétention d'étendre à toutes les s hères de l'être
le type d'évidence q ui donne le co g ito. La tentative de subsumer sous
une catégorie monotone d'a pp rehensions réalisant un typ e idéal
d'evidence , la totalité du cham p intuitif ui s'offre à l'ex erience
q p .
humaine, est absurde en ce sens qu'elle contredit la structure du donné
tel qu'il apparaît dans cc champ p avec ses caractères chaque . fois
différents et déterminés. Descartes a été dupe de sa prodigieuse ansbi
Lion, aussi bien lorsqu'il a voulu réduire l'ensemble du réel â de s
essences homog enes soumises à l'empire d'un type. unique d'évidence
(dont le cogito fournissait le prototype) que lorsqu'il a entrepris de
lier entre elles toutes ces essences par des liens déductifs eux-mêmes
saisis dans des modalités intuitives conformes â ce type E n fait, c'est le
caractére auquel obéit la problématique de l'eso cogito qui as ri ne d'indif-
L'JTKE DE L'EGO

eulables limites aux démarches ultérieures de la recherche phénoménolo gique.


Dans la mesure où celle-ci reste soumise au -r XoS de la . raison, elle
continue à viser uniquement le degré de validité et de légitim ité
des positions qu'opère la conscience . Elle soumet à un examen
minutieux leurs soubassements intuitifs elle scrute les diverses
régions de l'être, degage le sens #xde ses structures les plus génerales
. et
de leurs aspects éidétiques . C'est en p renant en considération un tel
sens qu'elle dit comment l'être peut et doit se présenter à l'intérieur
d'une région déterminée, comment diffèrent les divers types de
présentation comment les diverses présentations particulières sont
,
susceptibles de s'appeler, de se confirmer ou de s'infirmer, â quel
genre d'évidence l'être est susceptible de donner lieu dans la région
considérée, comment, enfin , doivent s'o p érer les p ositions de la
conscience qui veulent se plier aux structures universelles des régions,
afin d'être chaque fois conformes à l'être qu'elles visent et pour lui
convenir.
Assurément, l'accom p lissement de ces différentes tâches ' dans
leur stricte corrélation , n'est encore qu'une Idée, l'idée pratique
et régulatrice d'un travail théorique infini d 'ordre ontologique.
Mais justement çette Idée domine l'ensemble de la recherche et en
elle vit le -r&Aoç de la raison. Cela signifie , encore une fois, que le
projet de la conscience est de parvenir à des positions stables, valables,
dont le corrélat est « l'être réel », « l'être vrai ».. Ce qui est finalement
atteint, ce sont par conséquent des vérités , des réalités qu'on puisse
légitimement poser, avec leurs contenus propres. Le thème de la
pensée est constitué par ces contenus particuliers dont on veut être
assuré . Il` s'agit de parvenir, chaque fois, à une certitude au sujet . de
quelque chose, ce quelque chose, en tant qu'il est précisément le
corrélat d' une telle certitude , c'est l'être vrai, c'est une vérité parti
. Le cogito est resté une vérité de ce type, une vérité visée-culière
dans une conscience rationnelle en un sens spécifique. C'est le
rationalisme cartésien qui confère au cogito sa signification phiioso-
12 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

phique. Ce rationalisme cherche à se décider en faveur d'autres


vérités analogues . C'est pourquoi il consiste tout d'abord en une
réflexion sur les conditions qui , permettent de se décider d'une façon
rationnelle. Le cogito sert de prototype, et cela en un double sens :•
d'une part, parce que l'être qu'il exhibe est un être vrai, un être réel,
dans un sens exemplaire; d'autre part, parce que le mode selon lequel
s'obtient dans le cogito une telle vérité sert de modèle à toute
appréhension qui veut jouir d'une certitude rationnelle. Si le pouvoir
d'appréhension considéré dans sa structure propre, est mis en relation
avec les règles auxquelles il doit se soumettre pour atteindre un être
tt réel » et être chaque fois conforme au sens qui appartient à ce der-
nier, c'est que l'obtention des vérités rationnelles reste le but ultime
auquel se subordonne la réflexion sur les conditions de cette obten-
tion. Le cogito n'est que l'une des vérités rationnelles, mais préci
sément parce qu'il a permis à la conscience d'atteindre, au sein
de son être singulier, à l'ordre de la rationalité, il demeure l'idéal d'une
recherche qui s'est réalisée en lui pour la première fois et à laquelle il
imprime ou confirme une tâche définie : l'obtention de contenus qui
puissent se prévaloir du titre de « vérités ».
La raison n'est pas une faculté de l'universel. En déterminant
chaque fois la validité
- des positions de la conscience qui s'accomplis-
sent à l'intérieur d'un cadre d'évidence dont la structure éidétique se
trouve définie dans sa corrélation au sens original de l'être d'une
région donnée, elle se voue à une tâche qui reste orientée vers la
découverte de vérifiés particulières. Mais plus scrupuleux est l'effort de
la réflexion dans la détermination des contenus qu'elle est susceptible o
de légitimer, plus rigoureuse est cette détermination, plusnombreuses
les sphères de l'être que la raison, poursuivant sa tâche apparemment
infinie, a soumises au travail méthodique qui lui permet d'y opérer
les positions qu'elle p eut reconnaître comme siennes, plus décisif
aussi et plus fatal est l'oubli où se meut la philosophie. Cet oubli ne
concerne rien de moins que l'universel lui-même , considéré dans son
,r

L'LTHE DE L'EGO

essence propre. La tâche de la philosophie n'est point d'accumuler les


vérités. Si la science vise légitimement à accroître notre savoir
en édifiant les systèmes où s'ordonnent des connaissances toujours
plus vastes, elle n'évite oint pourautant l'erreur ui la conduit
toujours ici ou là, mais s'y voue plutôt dans le principe.
4n manque assurément la signification de la phénoménologie de la
raison si on prétend la réduire à des préoccupations d'ordre exclusi-
vement ontique. Il arrive que les sciences, elles aussi, en viennent â
considérer pour lui-même le soubassement ontologique sur lequel
elles s'appuient constamment,
_ quoique d'une façon qui demeure le
plus souvent implicite cela se produit dans l'ébranlement d'une
« crise des fondements ».Alors, à la raison qui est à l'ouvre dans telle
ou telle science particulière est brusquement rappelée sa destination
philosophique propre; le sens de l'être la convoque et s'offre à elle
pour une élucidation thématique. La signification de la phénomé..
nologie
,^ de la raison demeure cependant limitée, parce que le sens
de l'être sur lequel elle poursuit son travail ontologique demeure
subordonne, et cela d'une façon foncière, a l'empire des régions.
Comment l'ontologie régionale pourrait-elle s'égaler à la tâche
fondamentale de l'ontologie, elle qui demeure aveugle à l'égard de son
propre fondement ? Comment prétendrait-elle saisir le sens de l'être
à l'intérieur d'unes hère
p déterminée
queaussi longtemps le sens de
l'être en général n'a pas
été comprispropre
comme le thème de
l'ontologie?
La recherche qui se donne pour thème le sens de l'être en général,
l'ontologie phénoménologique universelle, ne diffère as seulement dans sa
visée propre, des diverses ontologies régionales qui fondent les
sciences ontiques, elle s'écarte aussi, pour la même raison, de l'ontologie
formelle. Celle-ci ne domine qu'en apparence ou, pour être plus
exact, elle domine d'une façon purement formelle les diverses
ontologies régionales. En réfléchissant sur l'essence de la région
considérée, non comme une région proprement dite, mais comme
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la forme vide d'une région en général qui, â ce titre, convient à


toutes les régions matérielles possibles, l'ontologie formelle n'est
susceptible de prescrire aux diverses ontologies matérielles qu'une
législation commune de pure forme, et comme, par ailleurs, les
catégories analytiques qui lui correspondent sont incapables de se
soumettre les catégories synthétiques des régions matérielles, il
apparaît clairement qu'elle ne peut conquérir qu'une préséance
purement formelle sur l'empire de l'être et sur les multiples détermi-
nations concrètes dans lesquelles celui-ci exprime son infinie richesse.
Une telle preséance n'est pas même evidente. Bien au contraire, c'est
manifestement dans le règne des essences matérielles que l'ontologie
formelle puise son origine, puisque l'essence pure d'une région en
général est nécessairement relative à quelque chose comme une
région concrète.
A la dépendance foncière de l'ontologie formelle, l'ontologie
phénoménologique universelle oppose avec éclat son autonomie et sa
suffisance première. L'universel qu'elle exhibe (ou, qu'à tout le moins,
elle vise, . cherchant à le tirer de l'obscurité où il s'enveloppe natu-
rellement) est un terme' concret que présuppose chaque région de
l'être. Il est l'être lui-même, non pas une catégorie vide, qui
conviendrait formellement a toute région, mais plutôt l'essence même
de cette région, si du moins elle est une région de l'être. Il est l'essence
primordiale, l'essence de toute région, mais aussi de tout objet, de
tout ce qui est. L'être individuel, le genre, l'espèce, lui sont soumis,
non pas en vertu d'une régulation formelle ou logique qui leur
demeurerait extérieure, mais dans leur être lême. L'être gouverne
toutes choses, sur elles il étend son règne qui les traverse. En tout
objet, l'être est présent, comme ce qui permet précisément à cet
objet d'être présent, Il est la présence même, il réalise l'essence de la
présence. A quoi se ramène celle-ci ? Est-elle autre chose qu'une forme
vide que nous accolons chaque fois â une existence matérielle, à la
réalité d'un objet, d'un outil, d'une culture, d'une personne, d'une
L'ÊTRE DE L'EGO

valeur, comme lorsque nous disons : « cela est » ? Qu'est -ce donc que
ce « est », en dehors de cette- chose-ci, de cette personne-là ? L'essence
de la présence ne signifie-t-elle pas plutôt la dissolution de toute
présence effective
C'est l'essence p ourtant qui s'annonce à nous dans une telle
dissolution . « Dans », cela sig é que cette dissolution est l'aspect
que l'essence nous offre d'elle^même . La disparition de tout existant
effectif {et la tonalité affective qui accompagne cette disparition}
constitue le donné phénoménologique sur lequel doit prendre appui
toute pensée qui veut réaliser l'essence en elle. .A une telle pensée
l'essence se propose assurément comme ce qui n'est. pas l'étant,
comme ce qui, â vrai dire, n'est rien de tout ce qui existe. Mais
l'essence n'est pas la simple négation de l'existant , elle n'est pas une
pure privation. Ou plutôt, c'est justement parce qu' elle est cette
privation , qu'elle est l'essence même. Être indigent et être, pour
l'être , c'est tout un. L'être. West être que sur le fondement du Néant
en lui. Le néant n'est pas rien, il est l'opération effective par laquelle
l'être se réalise. C'est un néant réel qui, dans son néantir même,
réalise l'essence de l'être, en même temps qu'il est l'origine de
l'exp ulsion hors de l'être par laquelle l'étant est promu au ' rang
d'existant. L'être se présente d'abord à la réflexion du philosophe
comme un néant relatif f, en tant qu'il est saisi dans sa relation à l'étant
comme ce qui n'est pas l'étant ; ce « n'être pas » qui n'est encore que
relatif, ou, si l'on préfère, cette transgression de l'étant par quoi se
caractérise tout d'abord l'être , n'est en réalité possible que 'sur le
fondement d'un néant réel, qui constitue l'essence même de l'être. Le
thème de l'ontologie phénoménologique
. universelle n'est donc rien
qui puisse être assimilé par. nous â une essence purement formelle,
ou même complètement vide. Il n 'est pas un terme abstrait, la fiction
d'une métaphysique creuse, le concept dont l'extension ne s'égale à
tout ce qui existe que si sa compréhension s'appauvrit graduellement
jusqu'à un point qui ne correspondrait plus qu'à un néant de
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

compréhension. Dans l'indigence où s'angoisse la pensée de l'être,


ce qui se lève finalement devant celle-ci, c'est l'essence absolue, dans
sa concrétion la plus haute, c'est l'identité de l'être et du néant.
L'ontologie universelle
phénoménologique se heurte: necessai
question de savoir.- si-remnt,dasoévlpemntêàa
elle est autre chose qu'un l'euconcepts
de mots et de..qui ne cortes-
pondent strictement à rien. Mais lorsqu'une tel le objection a réussi
â faire la lumière sur elle-même,, leelle '
s'interprète comme un progrès
de la pensée su r le trajet qui mène a l'essence,3 à la compréhension
de l'essence dans set essence me"me. Car c'est l'essence positive de l'être
qui se dévoile deus. le caractère
pparemment inessentiel de a .
l'essence.
Q u'une telle. essence soit positive, en un sens ultime, cela se manifeste
dans le fait qu'elle est la condition. Tout ce qui est trouve en elle
son fondement. L'ontologie phénoménologique universelle. qui.
S'oriente délibérément vers la tâche d'une compréhension de l'essence
est bien l'ontologie
. fondamentale,

j LE DÉPASSEMENT DE L'INTUITIONNISME ET
LA LIBÉRATION
DE L'HORIZON PHÉNOMÉNOLOGI UL UNIVERSEL

L'ontologie .
phénoménologique universelle suppose, comme
première condition d'une de conscience
prise de sa tache et de sa
p oss ibilité propres, un dép as s ement ra dical de
l 'intuitionnisme. C 'est
seulement dams -uni tel dép assement qu'elle eu t s'élever
p . au problème.
du sens de l'être en général. « En général » ne designe plus ici un
simple recensement ni même une élucidation s` '
ystematique et coor^
. donnée des différentes régions et des différents : sens que l'être revêt
chaque fois a l'intérieur de ces régions. La recherche. se situe, en
réalité, sur. un autre
planue
q celui
de la pluralité des. ontologies
régionales . Elle ne vise pas à épuiser les différentes
structures que les
_essences ultimes .
prescrivent chaque fois à l'être a l'intérieur des
domaines qu'eues gouvernent
g généralité . La ^ .
que vise l 'ontologie
L'ÊTRE DE L'EGO

universelle ne concerne donc point « l'explicitation du sens de tout


type d'étre que moi, l'ego, je peux imaginer » (i ). Si une telle ontologie
se réfère au « sens authentique et universel de l'être en général » (z),
c'est cependant d'une façon spécifique qui ne l'attache pas aux
structures universelles de l'être ni à leurs généralités les plus hautes.
De telles généralités elle se détourne plutôt, afin de se consacrer à la
généralité absolument originale qui constitue son thème propre
et qui dépasse délibérément tout genre et toute généralité ayant
trait à un genre.
Or, l'orientation vers une structure déterminée de l'être et, à
l'intérieur de cette structure , vers un être lui-même déterminé qu'il
s'agit de se rendre présent avec ses caractères propres, est au contraire
caractéristi que de l'intuitionnisme comme
. de la phénoménologie de la
raison qui le prolonge et qui s'appuie sur lui. L'intuition vise chaque
fois un étant particulier . Même lorsqu'elle dépouille cette signifi-
cation ontique immédiate pour se diriger vers la saisie d 'une structure
éidétique qui appartient à un genre de l'être, une telle structure est
toujours une structure déterminée , en sorte que l'orientation ontolo»
gique de l'intuition demeure foncièrement limitée dans son principe
même. Cette limitation ou, pour mieux dire, cette finitude ne résulte
p as de l'orientation prise par le regard dans telle ou telle intuition,
elle est plutôt inhérente à l'intuition en tant que telle . Celle-ci est, par
principe, une pensée finie . Sans doute se détermine- t-elle librement
par la libre orientation de sa visée, mais cette détermination est
elle-même une nécessité qui s'imp ose à sa liberté, et cela d'une façon
insurmontable . C'est pourquoi la pensée de l'être ne pourra
s'accomplir sur le mode d'une réalisation intuitive , mais seulement
sur celui du mystère.
Le proj et d'élucider les différentes sphères de l'être dans leur

(I) MC, 7 2, souligné par nous.


(2) ID., 7 4.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATIO N

structure propre demeure soumis, en réalité, au T&Àoéalisation


de la r
intuitive. C'est justement détermine
pour r les conditions qui rendent
chaque fois possible cette réalisation et cela d'une manière qui
permette aux positions de la conscience quis'appuient
sur elle. de
satisfaire la raison, que celle-ci poursuit la tâche in finie de dévoiler
les différents types d'être et leur sens immanent La mise en lumière
des structures eidétiques régionales qui gouvernent les objets appar-
tenant aux diverses régions corresDondantes n'a pas d'autre but que
celui de dire comment ces multiples objets singuliers peuvent et
orient être rendus chaque fois présents dans une conscience intui-
tive adéquate. L'élucidation systématique des régions n'est encore
qu'un moyen qui reste subordonné à l'idéal obtentiondedel' l'être-
^
déterminé et des vérités p art culières.
deLala signification
pheno-
menologie de la raison ne peut être qualifiée sans restriction d « onto-
logique », quand la visée dernière de cette raison est la possession de
l'être singulier et efini. Une
possession telll'idéal
demeure - de la
raison danse le travail outologi quequ'elle poursuit pour a rendre
possible. Le cogito ne représente qu'un être particulier et détermine,
saisi dans l'évidence apodictique. on ne peut certes oublier
la façon
dont se donne un tel être, la certitude dont ce
dernier est le corrélat
« réel » et « vrai », mais
celle exp érience , p rivilegiée dans le cas du cogito,
demeure une expérience strictement déterminée. La conscience qua se voue a la
finitude et à la détermination de l'être-la, ' n'est elle-même, pour cette raison
qu 'une conscience, finie.
Si particulière et si intense que soit l'expérience _.
subjective à laquelle parvient la Conscience qui s'égale a l'objet dans la
certitude et :dans. la vérité, une telle expérience n'est encore qu'un
mode d'une vie essentiellement finie. Dans la
j ouissance: de l 'ê tre fini
de l'expérience finie qui le donne, la conscience ne peut. se délivrer
du mode d'existence qu'elle doit assumer si ..elle veut vivre la vie
rationnelle à laquelle appartiennent également la certitude singulière
et l'être déterminé. Dans un tel mode d'existence, qui demeure
essentiellement marqué la finitude
par onceelle aus'enf
contraire plus
L'JTAE DE L'EGO

avant se détournant de ce qui transcende toute finitude. La conscience


cartésienne qui vise rationnellement l'être déterminé et qui se donne
l'expérience subjective de la certitude , n'est point privilegiée. Elle a
man qué l' essence et, p ar là même, la vraie Stimmung. A la pensée
de l'être celle-ci est bien plutôt ;donnée comme la venue en nous de
notre accord avec une essence qu'on ne saurait réaliser sur le mode
de la p résence intuitive qu'en la détruisant.
La compréhension de la finitude inhérente a l'intuiti on demande
que l'essence de celle-ci soit tirée au clair . Par intuition , on peut
e nten dre : i° La vision en gé néral, tout acte qu i p resente ou qui
••
presentifie dans une vision., quelle que soit la nature de celle-ci en
ce sens toute conscience est intuitive. z° Une conscience intuitive
une conscience dont les intentions signi^
p ro p rement dite9 c' est-à-dire
hantes sont en p artie du moins, remplies par un donne qui leur
corres pond exactement et, si possible, d'une fanon adéquate. 3° Le
remplissenent même de l'intuition, entendu comme le surgissement
d'un donné auquel les intentions signifiantes de la conscience vien-
nent alors s'adjoindre dans une rigoureuse correspondance . Intuition
désigne ici la réalité intuitionnée elle-même, le contenu • particulier
qui s'exhibe dans l'intuition, dans sa double opposition a la visée de
la conscience et au contenu qui n ' est lui-même que visé sans être
encore donne en personne ni appréhendé d'une manière originaire.
L.' évidence se p roduit lors que ce remp lissement s'accomplit d'une
manière satisfaisante , de façon que la conscience intuitive , se trouve
en présence de la chose même . Les différents termes qui viennent
d'être distin g ués (nous n'avons pas besoin , pour le moment, de
p oursuivre l'analyse plus avant) ne sauraient évidemment être
confondus . Ils sont pourtant reliés par une unité profonde qui
appartient a la téléologie de la conscience. Conformément à cette
téléologie immanente, la conscience tend à se faire conscience
intuitive, parce que l 'intention signifiante qui la traverse vise active
ment le contenu déterminé qui doit venir la remplir . C'est donc le
20
L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

remp issement ou , pour être plus exact (car la conscience ne vise


jamais, dans la vie immédiate du moins à se transformer elle -même,
elle vise un contenu qu'elle cherche à modifier , en sen rapprochant
par exemple, -- et c'est de cette façon qu'elle se transforme invol on
tairement en quelque sorte et d'une manière non thématique), . le
,
contenu qui doit donner à ce rem lissement l'occas ion de se produire;
qui demeure le véritable but de la vie i ntentionnelle. C'est justement
pour cette raison que la pensée
nelle 9intuitive
pet, par i®n-suite la vie ration-
nelle demeurent essentiellement orientées par la détermi natron de
u'il
l'être -là (q s'a gisse d'un être en piri
crue ou idéal).
Quelle que soit, cependant , la légitimité du mouvement de la
conscience vers l'être transcendant en présence duquel elle veut
vivre, et cela dans une proximité toujours lus grande, on ne eut
oublier les conditions qui rendent possible la réalisation de cet idéal,
c'est.4.dire l'obtention du donné incuitionn, . ® r, la compréhension
de ces conditions nous oblige à . que en
. parcourir, quel
sorte, un trajet
inverse et a nous élever du donné intuitionné à la conscience intuitive
qui le donne et, de celle-ci à la conscie nce en général, c ' est-à- dire au
pouvo ir de vision en tant que tel. Le donné i ntuit4onné
. n 'est qu 'un
clément de la conscience intuitive. ll lui appartient, par principes
d'être entouré par l'horizon que dessine autour de lui le faisceau des
intentions sig nfiantes
p cure qui ne sont as en
remplies. C 'est dire
qu' une conscience ne peut j amais se réaliser pleinement comme
conscience intuitive . Les éléments de la conscience qui doivent
être compris sous le titré de conscience intuitive sont constitues
par les intentions signifiantes qu i se trouvent effectivement remplies ,.
ils laissent, en dehors d'eux, toutes les autres intentionnalités du mémé
type auxquelles ne correspond, à titre de torre lat, qu ' un donné vise
mais non intuitionné . On pourrait, il est vrai, concevoir le cas d'un
remplissement parfait, c'est-à-dire la possibilité d'une conscience
dont toutes les intentions signifiantes se trouveraient '
réalisées sur le
mode intuitif, Une telle conscience est, à vrai dire,. l'idéal de la
L'TKE DE L'EGO z'

raison, elle constitue le T&Xoç qui détermine dans son fond la


conscience comme une activité, comme une visée active essentielle-
ment orientée vers la production d'un donné reçu dans l'intuition.
Mass la rationalité immanente à la vie intentionnelle est-elle autre
chose qu'un idéal ? Et bien que celui-ci soit Justement ce qui confère
à toute recherche le mouvement par lequel elle se dépasse sans cesse
et s'engage dans la voie d'un progrès indéfini, n'est-il pas, cependant,
a bien des égards, et en dépit de sa fécondité pratique, un idéal
dangereux ? West-Ce pas en lui que s'engendre l'oubli originel,
l'oubli de l'origine et du fondement ? Le problème est celui de savoir
si l'bori^on qui appartient à toute conscience intuitive en tant qu'elle est aussi
et toujours une conscience non intuitive, est un élément contingent de la structure
de la conscience en général, ou s'il lui appartient, au contraire, par principe.
La considération thématique de l'horizon où baigne toute
présence intuitive n'est certes pas exclue de la phénoménologie
de la raison. Celle-ci se montre toutefois incapable de saisit la
véritable signification , que doit recevoir un tel « horizon » elle se
meut plutôt dans l'oubli de cette signification, à moins qu'elle n'en
opère une véritable falsification. Et ceci pour trois raisons
la L'intérêt porté â l'horizon qui entoure toute présence effective
se trouve constamment subordonné, dans une perspective intui-
tionniste, â la considération du contenu déterminé de 'effectivité
transcendante. L'analyse de l'horizon est seulement faite pour
montrer comment ce qui est visse dans un tel horizon doit être suscep-
tible de se transformer dans la donnée intuitive correspondante,
comment et dans quelle condition une telle transformation peut et doit
chaque fois s'opérer. Le contenu de l'horizon s'est substitué comme
thème de la réflexion à la forme même de cet horizon c'est-à-dire
à son essence. La prétendue prise en considération de l'horizon se
métamorphose subrepticement dans la simple comparaison de deux
modes spécifiques de. donné soumis â l'élucidation sous le titre de
donné originaire » et de « simplement visé » et dans l'établissement,
22 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

conforme au T&aoç de l'intuitionnisme , d'une priorité du premier sur


le second.
20 Cependant, l'analyse du mode selon lequel le donné originaire ,
doit se substituer au simple corrélat de l'intention signifiante implique
une réflexion sur la structure de l'hvrion qui entoure dans chaque
sphère de l'être une présence intuitive de celui-ci. A chaque région,
e effet, appartient, par principe, un typ e d'horizon absolument
propre, pourvu d'une structure éidétique déterminée. C'est confor-
érnent à cette structure éidétique de l'horizon q ue doit cha q uè
fois s'opérer le remplisse ment des intentionnalités q ui n'ont p as encore
donné leur corrélat sur le mode orig inaire. L' horizon préfigure le
trajet que doit suivre l'intentionnalité de la conscience si elle veut
pouvoir convertir dans sa réalisation intuitive ce . qui n'est encore
que visé par elle d'une façon vide. La mo ificatiozi du donné qui
intéresse la conscience s'accomplit donc conformément â une direc-
tion prescrite par la structure de l'horizon q ui met en relation le.
et simplement visé» avec « l'originaire » lequel lui correspond d'une
façon rigoureuse dans le cas de l'intuition adé quate. L'élucidation
thématique de l'ei dos de chaq ue type d'horizon constitue donc une
tâche pour la phénoménolo g ie de la raison. Ce qui est pris en consi-
dération par celle-ci, toutefois ce n'est j amais, et dans chaque cas
,
qu'une structure éidétique détermainée, la structure d'un horizon ou
d'un type d' horizon particulier. Ce sont donc des structures parti-
culières -- structures qui sont elles - mêmes mises en relation avec
les êtres singuliers dont elles régissent l'apparition intuitive --
que se donne , sous la forme de contenus éidétiques déterminés une
telle problématique. Ce qu'elle manque, ce n'est rien de moins que
l'essence de l'horizon en tant que tel.
30 L'intuitionnisme est incap able, en réalité, de p enser l'essence
de l'horizon. Car il cherche à se donner une telle essence sur le mode
de la réalisation intuitive . Ilpense l'atteindre dans l'intuition éidétique .
Au moment même, toutefois où l'horizon fait ainsi le thème de la
,
L'JTAE DE L'EGO 23

pensée intuitive, c'est devant une singularité éidétique que celle-ci


se trouve en fait placée. Et comment le surgissement de cette singu-
larité devant le regard de la conscience intuitive peut-il se produire,
si ce n'est à l'intérieur d'un horizon d'ouverture qui déploie le
milieu où il est donné à l'eidos sin g ulier de se manifester comme une
présence ? L'horizon est précisément ce qui échappe à la pensée au
moment même où elle veut en intuitionner l'essence. Cette prétendue
essence n'est encore que le ceci de la présence singulière qui baigne
dans le milieu essentiel de l'être, de telle manière cependant qu'elle le
cache. Parce que l'horizon est ce qui transcende toute détermination,
l'oubli où se tient à son égard la pensée intuitive n'est pas dû au
hasard. L'essence de l'horizon est manquée dans le principe par
l'intuition, et cela d'une manière telle que c'est précisément au
moment où celle-ci la prend comme thème explicite de sa pensée
qu'elle s'en trouve le plus éloignée (i).
A une telle difficulté l'ontologie phénoménologique universelle
qui comprend comme sa tâche fondamentale l'élucidation de l'horizon
pensé par elle comme l'essence absolue, n'échappe assurément
; .,
pas. Il lui suffit cependant d'être consciente de l'obscurité foncière qui
a

appartient, par principe, à l'essence, non point pour la surmonter,


est vrai9 mais pour la vivre comme telle dans le mystère. Mais la
phénoménologie de la raison qui cherche partout et qui trouve des
présences dont elle veut assurer la réalisation intuitive, ne saurait
assurément échapper à une contradiction qu'elle n'aperçoit pas, ni,
à plus forte raison, penser celle-ci comme un caractère positif de
l'essence.
L'analy se de la conscience confuse constitue , pour la pensée

(I) Le fait que la singularité intuitionée soit d' ordre éidétique ne change
évidemment rien à la situation décrite . Une telle singularité n'en a pas moins son
horizon déterminé . Ainsi, les essences mathéma tiques, par exemple, sont entourées
par un horizon mathématique qui n ' a rien de commun avec celui où baignent les
objets empiriques.
L'ESSENCE DE LA MANIFÈSTATION

qui ne veut pas manquer l'essence , un fil conducteur plus sur que
l'examen systématique des différents t yp es de Conscience qui par-
viennent chaque fois dans l'évidence à un contenu strictement déter-
miné. A la conscience non intuit ive, pour laquelle aucun donne
rigoureusement circonscrit n'a de
cote émergé enl'indétermination
'
et de l'obscurité de l'horizon ou il baigne, l'aperception de cet
horizon n'est pas mas q uée. La richesse intuitive dune présence
singulière ne peut
eut as pasencore détourne r ^l'attention
attention d'une réflexion
sur l'horizon qui rend possible toute présen ce comme telle. La tache
demeure assurément de saisir celui-ci non point a titre de simple
horizon psycholo giq ue, toujours confondu ave c les contenus qui
le rem-
plissent oii avec le s objets marginaux de la conscience (les
c a ractères que la
psychologie attribue â un tel horizon - obscurité , indetermina®
tion, etc. --^ ne sont encore, précisément, que les e
^ q caractère s psycho-
logiques de ces Contenus ), mais comme la '
^^ condition transcendantale
d'un objet en générai, comme la forme pu re de l'objecti
vité qui
préfigure et précède, en le rendant possible, tout
oblat c®nlrne tel.
qui permet à tout être de se manifester, de devenir « phéno-
mène », c'est le milieu de visibilité où il eut sur
p g ir à titre de présence
effective. Le déploiement d'un tel milieu, en tant q u'ho
rs^on tran,rcen-
dantal de tout être en général, est l'oeuvre de l'être
. lui-mense. La prise en
considération de cet horizon transcendantal
ou, comme nous pou-
vons le dire, de l'hori on uni
phénoménologique ver,rel, n ' est pas. différente
de la pensée de l'être. La tâche de comprendre un tel horizon., est
celle de l'ontologie phénoménologique universelle qui domine, a
titre de condition, toute ontologie particulière et toute science
ontique . Toute vérité qui concerne
un étant déterminé est . en effet
relative à l'état manifeste de celui-ci à sa présence.
Toute vérité
prédicative susceptible d'être formulée suppose tout d 'abord . la
manifestation de étant qu'elle vise c'est-à-dire ' d'ordre
une venté
ontique, or, une telle manifestation n'est ij amais
^xnplele s' corrélat
d'une représentation ° ou d'une intuition elle
se produit toujours, en
L'1 TRE DE L'EGO

réalité, à l'intérieur d'un milieu déjà ouvert qui la rend possible.


L'ouverture de ce milieu, c'est l'apérité de l'être. C'est seulement
parce que l'être est dévoilé que l'étant peut se manifester. Toute
vente prédicative renvoie a une vérité ontique et celle-ci, a son tour,
a la vérité ontologique. Mettre en lumière l'espace nécessaire et suffi.
sana pour que tout être puisse devenir ce qu'il est, c'est instituer une
problématique fondamentale à l'égard de laquelle toute recherche
déterminée doit reconnaître sa nécessaire subordination.

4, L'INSERTIoN DE L'EGO COGITO ET DE SA PROBLÉMATIQUE


A L'INTÉRIEUR DE L'HORIZON LIBÉRÉ
PAR L'ONTOLOGIE PHÉNOMÉNOLOGIQUE UNIVERSELLE

71 n'est pas facile à l'ontologie de préserver la pureté de son projet


initial. La pensée de l'être est difficile. Nous sommes si profondément
attachés aux choses de la terre, aux contenus singuliers de notre
expérience; qu'il ne nous semble pas que nous ayons ailleurs
., un séjour
propre et qui nous est réservé. Un tel séjour, il est vrai, ne s'obtient
que par la renonciation, en lui règne l'absolu dénuement, la source de
notre effroi. Et nous ne pouvons nous défaire de nos habitudes
singulières, ni des valeurs qui font la substance de notre vie. Nous
nous vouons à la détermination qui nous préserve. Dès son origine,
la philosophie succombe à la tentation de l'étant. Le dur projet qui
meut l'ontologie dans la démarche radicale par laquelle elle s'oriente
d'abord vers l'origine de toute chose, vers l'être, le maître absolu,
tombe vite dans l'oubli. A la recherche originelle qui, abandonnant
délibérément la considération de l'étant, prend comme fil conducteur
l'examen des catégories de l'être, et qui, dans sa marche périlleuse,
s'avance vers la catégorie suprême, succède, comme par l'effet d'une
chute fatale un mouvement de l'attention qui se reporte sur l'être
déterminé ou, éventuellement, sur un super-étant, s'écartant ainsi
de son dessein premier. A l'analyse proprement ontologique qui vise,
M. HENRY
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION.

par-delà ses ramifications régionales , la structure de l ' être considérée


dans sa pureté, on voit se substituer '
presque inévitablement des
considérations d'ordre ontique. La p hilosophi e n' a été le plus
souvent, comme le dit Heidegger (i),qu'un mélange de philosophie .
première et de discussions sur Dieu ou sur l'immortalité de l'âme , qui.
sont en fait étrangères à son domaine prop re. Saint Thomas d 'Aquin
ne fait ' que poursuivre l'erreu r inaugurée des son apogée par la
philosophie helléniq ue, lors que , dans la scientia divi
na, il fait interven.i r
paradoxalement l'idée de Dieu dams l'étude des transcendantaux. Une
telle confusion s'affirme avec un éclat en core plus grand dans les
Méditations de Descartes ois a considération du divin occupe, ait
détriment du problème de l'être une place dominante.
Ii est vrai que se produit chez Descar tes une o s cillat i on de. la
pensée, déjà visible chez -saint Thomas. Une concurrence S 'institue
entre les étants qui prétendent indûment au rôle de principe. '
pe. L ego
cogito obtient dans la problématique une p réséance dont la si gnifi-
cation n'est pas seulement chronologique . Maissubord la 'ination de
l'ont ologie à l'égologie, implicite ounon , de la p hilosophie moderne,
n'est pas plus justifiée q ue l' ancien p rimat de
la théologie. Qu'il soit
envisagé sous le titre de « su ^ jet » esprit
ou d' « », de cc personne.. »
ou de et raison », le cogito qui subit ces transform ations lnessentielles
demeure un existant qu'on ne saurait comme tel confondre avec un
fondement d'ordre ontologiq ue. En fait, c' est la signification ontolo
Bique..de possibilité
la philosophie qui est perdue c'est mêmela de 1a
,
position du problème de l'être q ui se trouve mise en question . Et
cela d 'une façon d'autantp lus dan gereuse
_ que p rise la '
en considé-
ration d 'un tel problème demeure apparemment présente au
. sein de la
philosophie . Seulement , la réponse en est demandée d'une
façon
absurde, à un existant déterminé. Ainsi voit on la signification

(I) Dans un cours inédit sur les. Concepts fondamentaux de la métaph


ysique,
dont nous devons à M. J. Wahl d' avôir pris connaissance.
L'1 TRE DE L'EGO

authentique de l'ontologie grecque être complètement falsifiée par


Hegel qui prétend réduire une telle ontologie à un moment dans
l'évolution de la conscience . Pour l'idéalisme, l'homme est d'abord
un homme, le projet ontologique p ar lequel il esquisse, dans une
comp réhension anticipante l'être de toutes choses, demeure indisso-
lublement attaché , comme à son fondement, à la réalité préalable
d'une existence singulière.
Celle-ci revêt sous le titre de conscience , un double aspect : elle
désigne, d'une p art, le pouvoir qui déploie l'horizon, l'oeuvre même
de la transcendance qui constitue originairement , sous la forme
d'un tel horizonq la trame pure de toute objectivité possible; d'autre
part, ale est l'existant singulier ou s'enracine cette transcendance,
Une telle transcendance n' est alors plus rien d'autre qu'un caractère
particulier de la conscience, la propriété singulière conformément à
laquelle cet existant désigné sous le titre de conscience a reçu le
pouvoir de se diriger vers des objets et d'y avoir accès. Ce pouvoir
d'accéder aux choses s'ajoute à l'existence préalable du cogito , comme
une détermination très remarquable , mais seconde . L'entente onto-
logique ou pré-ontologique de l'être est dénaturée quand elle devient
l'attribut d'une détermination ontique. La transcendance n'est point
sauvegardée dans sa signification propre si on l'assimile à un caractère
de la conscience. Ii ne sert à rien de dire qu'elle en est un caractère
fondamental, essentiel, que la conscience est « tout entière » ce
« mouvement vers », cette es quisse du monde, qu'un tel projet ..
n'est pas un prédicat qui s'ajouterait synthétiquement à l'existence
préalable d'une subjectivité, q ue c'est la transcendance enfer gui fait
la substance même, la subjectivité du sujet tant que l'être de celui
n'a p as été élucidé on ne sort p oint du p aradoxe q ui fait reposer la
condition sur le conditionné . Car d' où le sujet peut-il tenir sa substan-
tialité même si celle-ci n'est rien d'autre que le pur acte de trans
cender, si ce n'est de l' être lui-même ?
La transcendance ne p eut être insérée dans une existence singu.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

hère, elle, l'éclatement , le pur ébranlement qui brise et qui détruit , en


la fondant, toute exi stenc e et toute sin gul arité, qui est '
le néant, .
l'aeuvre interne de l'être , le mouvement qui dissout toute effectivité
évite
et qui la fait ê tre dans cette dissolution même. Le néan t qui creuse la
trouée (ce que nous avons appelé l'horizon) où q uel que 'chose et
toute chose peuvent émerger dans l'être, ne saurait sans absurdi
té,
erre enfermé dans les limites de ce quel ue chose. C'est en niant
q
l'existant dans le dép assement originel et foncier qu i est en lui l '
oeuvre
u néant que l'être prête, sous la forme d'un horizo n de présence,
aide et assistance à cet existant q ui veut être et q ui deman
de, si durs
soit-elle, la faveur d'une protection. De celle-ci le « sujet » a lui aussi
besoin, il doit la demander humblement. Aussi bien n'y a4-il point
un sujet, une seule raison, mais bien des esprits qui attendent avec
patience que s'accomplisse l'ceuvre de l'être, le travail infini du négatif.
:
ermissjon leur est seulement donnée, en s'appuyant sur ce travail
qui n'est pas le leur et dont ils recueillent le fruit comme une béne^
diction, de penser les choses et, s'ils le veulent d'entendr e l'étrange
appel qui monte d'elles et qui est celui de l'ori g ine. L'êt re est un
événement impersonnel. L'existant humain ne eut
p le revendi rque
comme sien. Son blasphème est une absurdité. Le sujet
l'esprit, la
personne , la subjectivité ne peuvent dé ployer leur ex
istence, si
particulière ou si p rivilé giée qu 'en soit la structure, que sur
. le :fond
de l'être en eux,
on s'enfonce dans la contradiction e merrne temps qu 'on
place la problémati q ue dans une confusion ins
urmontable , sl,. tout
en prétendant sauvegarder l'essence dans sa nature intime on
veut cependant l'insérer dans la subjectivité humaine et, en fait,
,. . f
l identifier avec celle-ci . La transposi tion des thèmes centraux de
l' ontologie de l'être â l'intérieur d'une philosophie du cogito
. ne peut
aboutir, en réalité, qu 'à une déformation. '
Cette déformation, si
grave qu ' elle mérite d'être appelée par nous une falsification et une
dénaturation , a une double conséquence : d'une part, le néant auquel
L'1TAE DE L'EGO

on fait revêtir la condition du « sujet » dépose, en réalité, sa nature


d'essence p our devenir une sim ple o p giration subjective . La sigmfi-
cation transcendantale qu'on essaie de maintenir à celle-ci semble
n'être p arfois qu'une ultime tentative pour échapp er au psycholo-
gismeMais comment la transcendance pourfait-elle éviter Inde fi-
niment la confusion avec un acte psychologique, puisqu'elle apparaît,
en fait comme la propriete d'un être déterminé ? De toute façon, on
u'il y a à assig ner à l'essence dont le
n'évite p p as la contradiction q^
néantir déploie l'horizon de l'être, la condition d'une réalité parti-
culière soumise à cet horizon. L'être qui ne peut être pensé que
dans le dépassement de l'existant sin g ulier ne saurait revêtir que
paradoxalement la nature d'un tel existant. Comment, d'autre part,
l'existant singulier, fût 4l le sujet humain, pourrait- il être assimile
avec l'essence qui déploie l'horizon et qui ouvre le milieu de l'être?
C'est bien plutôt à l'intérieur d'ur tel milieu que nous, et toutes les
choses9 pouvons nous manifester, a titre de « phénomènes », dans la
lumière du mondes C'est parce que la transcendance qui fait être le
monde nous dép asse radicalement, nous, les hommes, au même titre
penser nous-mêmes comme
que les choses, que nous pouvons nous
nous pensons les choses, et nous saisir aussi dans notre rapport avec
elles. Il nous est seulement permis, quant à nous , de bénéficjer de
l'oeuvre de l'être et , en nous appuyant sur l'opération interne de la
transcendance9 d'accéder aux choses dont elle a fait pour nous des
« phénomènes ».
La sub1jectivité n'est donc pas la condition absolue, et de même
q u l'essence n'est p as sauvegardée, mais subit au contraire une .
altération profonde lorsq u'elle est p ensee sous le titre d'une determi-
nation p articuliere, on ne respecte pas non plus la mature de cette
subjectivité lorsqu'on prétend lui faire j ouer un rôle auquel elle ne .
eut s'e' galer. La subjectivité n'est pas , l'essence, elle est une vie
particulière et à ce titre, profondément réelle. L 'identification injus-
,
tiliée avec l'essence ne peut qu irrêaliser une telle vie ou , pour mieux
30 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dire, la détruire Les discussions relatives au « substantialisme » spin


.
tuel ne font qu'illustrer la contradiction où s'enfonce inévitablement
l'idéalisme . Dans la mesure où il tient la sub jectivité
1 pour un fonde-
ment ontologique , il lui fait déposer p our un tem ps sa réalité d
'exis-
tant et, si l'entreprise se révèle impossible, il cherche d u moins a
minimiser cette réalité . La subjectivité ne sera donc point une
substance, mais seulement un acte, non pas un acte a proprement
parler, un acte particulier et déterminé
mais plutôt une activité en
général , une activité virtuelle, la p ossibilité pure et
pa r elle-même vide
d aceornplir des actes de pensée; dans la mesure
ou ceux-ci sont
« réels », ils n'appartiennent plus qu'à une « subjectivité empirique »
qu'il ne faut point confondre avec la « ubi '
s ectivite transcendantale ».
Celle-ci seule peut prétendre au rôle de
. fondement. Déjà l'idéalisme
pressent que la signification ontologique d'un tel ffondement implique
le dépouillement de l 'existence singulière, l'a b a nd on de toute e
réalité
effective. 'Aussi voit^on la subjeet`ivité de l'idéalisme laisser la tout
contenu réel pour n'être p lus q u 'une « pure forme », la fore cc vide »
d'une pensée en général . Afin de s'é galer au vole ontologique, qu'on
prétend lui faire jouer, la subjectivité
^ tout- dépose caractère concret,
elle laisse couler hors d' elle toute sa substanc
e et va se perdre dans les
nuages . Les penseurs subjectifs ont justement dénoncé la
dissolu
tiou de la vie intérieure dans l'existence brumeuse du «
. sujet consti
tuant » Une telle existence , q
ui justemen t n ' en est plus.. orle, est
l'aboutissement logique d'une pensée qui obéit '
ace désir contra- _
dictoire identifiera une réalité sing ulière la c
ondition de toute
réalité possible en g énéral
On ne , eut, en effet confondre
p indéfiniment le fondement
ontologique pensé par nous sous le titre de '1«etre
" »avec un existant
singulier. Toute qui
philosophie poursuit cet idéal chimérique et
contradictoire se trouve tôt ou tard placée devant le dilemme sui-
vant : ou bien délaisser la question de l'être
. , et se perdre alors dans la
considération de déterminations ontiques , en faisant abstraction. de
L'J TRE DE L'EGO 31

ce qui doit jouer à leur égard le rôle d ' une condition de possibilité,
c'est- à-dire en renon çant finalement au problème philosophique du
fondement ; ou bien, tout en restant soumise à la préoccupation
ontologique qui vise un tel fondement susceptible d'ouvrir l'horizon
à l'intérieur du quel des existants p euvent se manifester pour nous,
à titre de phénomènes, soustraire du moins un existant indûment
ié à cette condition préalable et ultime . Mais, dans ce dernier
p rivilég
cas la contradiction ne fait que se déplacer; car, ou bien un tel
existant dé p ouillera effectivement sa condition d'existant , ou bien il
sera incap able de tenir en fait le rôle qu ' on prétend lui faire jouer. Ce
ui cache, au moins un instant, une telle contradiction , c'est qu'on .
q
maintient en même tem p s les deux termes incompatibles de l 'alter
native
native, l'existant envisagé dans son existence effective et singulière,
et 9 d'autre part le fondement lui-même, qui ne peut être correcte-
ment pensé que dans sa trans g ression à l'égard de tout existant. On
s'efforce alors d'atténuer cette contradiction en dépouillant l'existant
de sa nature d'existant. On s'avance aussi loin qu'on le peut sur cette
voie .. après 1a s ubjectivité brumeuse et `t im p ersonnelle» de l'idéalisme,
o n • affirme l'identité
.^ de la su bjectivité et dis néant . A ffirmation absurde
car si l'être est le néant, c'est justement parce qu'en étendant sur elle
son règne, il repousse hors de lui toute détermination , et la subjec-
tivité en articulier. Celle-ci est penséep , qu'il s'agisse de l'idéalisme
-
d u Xix' ou de celui du xxe siècle, sous le titre de « champ trans-
cendantal ». On eut déclarer celui-ci « impersonnel ». Maïs au
moment où on l'enferme dans les limites d ' une existence singulière,
on s'engag e dans une anal yse qui n' en est plus une.
. LE PROBLÈME DE L'INSERTION DE L'EGO COGITO
A L'INTÉRIEUR DE L'HORIZON PHNOMÉNOLOGIQUE UNIVERSEL
L' K ÊTRE » DE L'EGO ABSOLU

L'insertion de l'e g o co g ito et de sa problématique à l'intérieur de


l'horizon libéré par l'ontologie phénoménologique universelle se
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

heurte toutefois à une objection si l 'ex;stence de cet ego puise


son org; ana-

lité ailleurs que dans la structure ontologique que lui a priori
prescrit une
région déterminée de l'are. Car cette q uestion reste ouverte : la
conscience
peut - elle être asslmilee par nous, d ' une façon correcte,
a une région
d'être ? N'est^elle p aslutôt
p l'être
eme, lui-m
l'être absolu ,: la roto4
catégorie " p.
.de l'être en general , l' Urre$ion dans la q uelle t outes les
autres régions trouvent le u r fondement En con
nex
une telle question , la p o ssibil ité suivante s 'ouvre alo
ion étroite avec
rs devant nous :
l 'anale du cogito cofStitue ar elleare une anal s
. p y e on^`ologque et cela
en uni sens decasf et universel. Elle n'est as du tout une anal
. , ^ - ®ntolom yse
gique
• particuliere
ontologique , l' analyse d'une structuredéterrai née
qui, a titre ^, de egton, g domine
get re it une cate orle dete
rnunce
ci'ob;ets Certes, on l'a montre, toute ontolo g ie re g oncle se subor
donne nécessairement à l'ontologie. univei sell ''
e®. Lelucidatio.n du
sens del être a l,1nterieur d'un domaine particulier d'objets
. implique
l'éluci da tion p r é a lable d u sen s de l'être e '
n général. fiais le sens de
l'être de l'ego cogito n'est
. p régional, as du 'tout un sens ré s 'il est vrai
que c'est dans et par cet ego que se constituent tous les types d ' être
passibles en général et, corré lative ment, tous les types
. de. sens q ui
leur sont chaque fois immanents . Les vécus de la conscience dans
l esquels se réalise concrètement le cogito entendu dans son sens le
.

plus large, ne sont pas, en effet autant d'êtres d ,


. eterm;ines, enfermes
a l'intérieur d'une région
_déterminée
s choses. comme de
mortes ou
comme des contenus susce pti bles d'être distribue s dans
des ..groupes
ou-dans des classes plus ou moins
complexes De tels ve' cus sont, en
fait, intentionnels , i ls sont dans tous les cas « conscience e >ï, ils
visent un objet, celui précisément vers lequel ils se transcendent, et
cela de telle façon que c'est justement un tel acte de trans
cendance qui:.
conf ere chaque fou a l'î4ere viré un sens ropre.
La conscience est constitu-
tve du sens de l'être en général, c'est elle qu i prescrit à tout objet
et à tout type d'objet le sens de l'être qui est sien . Le sens de l 'être de
l'ego cogito, c'est justement de conférer u n sens a l'être, c',est,. lus
p
L'1LTAE DE L'EGO 33

profondément, d'être la source de ce sens, l'origine absolue


d'où celui-ci jaillit chaque fois comme une libre création.
C'est seulement lorsqu'elle est située dans un cadre transcendantal
que la réalité de la conscience peut être pensée d'une façon correcte.
Une telle « réalité » ne se résout pas en une somme de données dont
une phénoménologie noétique ou fonctionnelle pourrait décrire
d'une façon exhaustive les structures propres. Au-dessus d'une telle
phenomenologie, lui conférant son sens et lui assignant ses limites,
se situe une discipline d'ordre supérieur , la phénom énologie transcen-
dantale de la conscience absolue, qui consiste dans l'ensemble ordonne et
svstemati que des recherches visant à élucider comment cette conscience
confère chaque fois, et cela dans sa vie même, un sens spécifique â l'être
qu'elle constitue dans l'acte par lequel elle se transcende vers lui. A
tout objet d'une expérience possible correspond dans le moi trans^
cendantal une règle de structure, qui préside â la constitution. de cet
J . La vie de la conscience présente ainsi des configurations
ob jet
typiques où se dessine a priori toute forme possible d'objectivité.
Qu'on prenne comme fil conducteur de la recherche le système de
tous les objets et de toutes les formes possibles d 'objectivité, ou
qu'on décrive directement lès structures éidétiques de toutes les
s Yntheses constitutives possibles de l'expérience, rien n'est changé a
la situation fondamentale que la phénoménologie transcendantale
vise â élucider. Ce qui ressort d'une telle situation, c'est que l'ego
absolu est l'origine , le fondement, l' Urrstruktur de toutes les structures
possibles et de tous les sens possibles de l'être. Encore ce fondement
doit^il être correctement compris, dans sa signification absolument
concrète 9 car il n'est pas une forme vide , la simple possibilité par
elle-même indéterminée d'une pensée d'objets en général; il se
ramene > en fait â des confi gurations rig oureusement définies qui
sont les modes mêmes de la vie d'une conscience, les déterminations
singulières, quoique d'ordre éidétique, que revêt nécessairement une
existence réelle en tant précisément qu'elle existe.
34 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

L'orientation de la problématiq ue vers l'ego cogito ne peut.


signifier- l'oubli de la questi on de l'être si l'auto-explication tran.rcen-
dantale de cet ego est le mode même selon lequel la
^ ensée oursui
p t la réal'isation
de son dessein ontologique. L'étude systématique de l'ensemble des
problèmes constitutionnels est une, en effet avec l'explicitation phé-
noménologique de l'ego, lorsque celle-ci se poursuit dans le cadre
transcendantal. Le mode selon lequel doit se réaliser une tell e expli-
citation, si du moins elle se veut systématique n'est pas (acyle a
trouver: Son accomplissement, qui signifie aussi l'achèvement de
tous les problèmes.constitutifs
général9 enpuisque la vie transcen-
dantale s'égale à la totalité des. formes possibles d' demeure
oblectfvite, °
sans doute un idéal pour la raison. Mais la signification ontologique
de cette tâche infinie ne eut estion.
lus être mise en qu
La restitution de sa signification ontologique a. la problématique .
de,.,
l'ego cogito;est rendue
qu possible par le dépassement
opewe
déjà la. phénoménologie husserlienne quand elle s'oriente délibérément
vers les. problèmes constitutifs qui mettent en évidence la.
relation
des structures de l'être avec la conscience comprise désormais comme
un pouvoir d'intu tjon qui donne être et sens
à l'objet qu'elle constitue.
Quand il est l'oeuvrephilosophie
d'une du cogito,
un tel dépassement
de l'intuitionnisme nous met en présencedune ' transformation
radicale de la situation phénoménologique que nous décrivons .
l'ego n'apparaît plus , en
me effet com intuitif
un donne G tif dont le
caractère privilégié offrait à la conscience l'occasion d'opérer une
position conforme au Lé? oç de la raison. Quel'ego existe, a tare de
réalité constituée, comme un être transcendant pourvu d'un sens
propre, qui trouve son origine dans une configuration éidétiq u
eurent
définie de la vie transcendantale cela ne doit as nousfaire oublier
que l'ego dont ü s'agit maintenant est rien d 'autre n'
en réa•
lité que
cette vie transcendantale elle-mê me considérée comme l'ensemble des
configuratôns dans etpar
possibles lesquelles
se constituent, au
sein de la conscience , tous lestypes de données transcendantes et
L'flTAE DE L'EGO

tous les sers d'être qui leur sont immanents . Ce dont nous sommes
maintenant en présence, c'est, par conséquent, l'ego absolu le
naturant originaire qui n ' appartient pas à une région déterminée de
l'être et qui ne saurait être correctement pensé par nous sous le
titre de « région conscience » p uis qu'il est, au contraire, ce qui
confère à l'ensemble des régions le sens que l'être revêt chaque
fois en elles.
Le problème de l'être de l'ego absolu est=il résolu p ar les considéras
tions qui précedent ? Celles-ci ne nous mettent-elles pas plutôt en
présence d'une situation trop facilement acceptée par la philosophie
classique et qui peut être caractérisée par l'absence de toute problé^
matique dirigée sur ce qui fait la subjectivité du sujet, par l'oubli
du problème de l'être de celle-ci. Une fois qu'on a montré, en effet,
comment les différentes régions de l'être renvoient nécessairement à
un pouvoir fondamental de constitution qui est l'origine ou les objets
qu'elles régissent puisent leur être et leur sens, on n'a pas résolu pour
autant le problème de cette origine. Celui-ci se pose seulement avec
plus d'urgence. L'explicitation phénoménologiqu.e de l'ego trans
cendantal, la description systématique des configurations et des
enchaînements de conscience considérés comme des types aprioriques,
comme des structures d'ordre éidétique auxquelles se soumettent
chaque fois les vécus, ne concernent-elles pas cependant un tel
problème, ne constituent-elles pas, de toute évidence, une élucidation
thématique du fondement ? Comment, toutefois, une telle élucidation
est-elle possible ? Comment l'origine "peut-elle être portée a la condition de
« phénomene », de tanière a devenir l' « objet» de l'enquête phénoménolog:q.ve?
N'est-ce pas seulement dans la lumière de la transcendance, à la
condition d'accep ter la juridiction de l'horizon transcendantal de
l'être dans et par lequel toute chose, et une telle « origine » en parti -
culier, peuvent devenir « visibles » ? Le p roblème de l'être de la
subjectivité nous renvoie, inévitablement, au problème du sens de
l'être en général.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Le problème de l'être de l'ego . est le même que celui de savoir


comment l'ego peut accéder au rang gde p«hénomène
». Com ^:e il
s'agit maintenant de l'ego absolu , ce problème p eut se formuler ainsi:
-
comment le champ transcendantal comp ris comme l 'origine de l'êt re,
de ses divers sens et de ses diverses structures, p eut-il surgir devant
nous, dans la lumière, de telle manière que nous puissions le soumettre
a une investigation Systématique ? La sig g n,cation ontologique de
celle<i n'est certes pas en cause, puisqu'elle porte sur une conscience
constituante, sur l'empire des configurations et des enchaînements
qui lui appartiennent propre
en et qui prescrivent achaque
l'êtrefois '
un sens déterminée Ii ne s'agitplus, cependant, de décrire de telles
configurations en tant que configurations déterminée. • l'analyse
minutieuse des différents types éidétiques auxquels elles doivent
nécessairement se conformer, l'examen systématique des structures
u'elies réalisent, n'est plus ce qui nous préoccupe. Nous nous
demandons, en réalité, comment de telles configurations, quelles
que soient leurs azticularisations éidéti ues propres, sont suscep
tibles, en générai, de s'offrir à une description phénoménologique •. il
est question de l'être de l'ego absolu,, non
racedes dive
modalités de
sa vie en tant que vie donatrice et constituante. Le problème de
l'élucidation de ces modalités et de leurs structures n'est certes pas
abandonné, il demeure même le but
peut-être, la de
recherche. Mais
celle-ci se tourne tout d'abord vers sa propre condition de possibilité
qui est le dévoilementpréalable
du cham u'elle veut explorer. -
La réduction phénoménologique précède nécessaireme nt 1'expla ^r
ration systématique du champ transcendantal. Elle devance, en la
rendant possible, la compréhension de la conscience absolue dans sa
signification ontologique. L' &to est juste ment la méthode « radi-
cale » qui permet la saisie du moi pur et de la vie qui lui appartient
en tant que vie transcendantale à laquelle le monde est immanent à
titre de composante intentionnelle . Or la saisie réalisée dans l' icoxr^,
de la vie transcendantale,n'est
q l ue
possible « si e me
place au-
dessus
L'1TAE DE L'EGO 37

de cette vie tout entière» ( t), afin de me la rendre présente , elle et les
multiples itationes
cog quil la composent, dans l'intuition et, finalement,
dans l'évidence. L'expérience transcendantale, c'est-à-dire l'expérience
de la vie transcendantale, est sans doute ce qui permet d'accéder à
celle-ci et à ses composantes comme à des « phénomènes ». La phénoo
ménolo ie transcendantale n'est précisément possible que lorsque la
réduction a accompli son oeuvre en nous montrant la possibilité de
réaliser9 chacun pour notre propre compte, l'expérience transcena
dantale a c'est-àmdire l'exp érience de la vie absolue et de l'ensemble o
des corrélats qui lui sont immanents à titre de coitata. Mais il est
. clair aussi qu'une telle expérience implique l'ouverture préalable
d'un champ de présence à l'intérieur duquel cette vie et ses contenus
,
puissent précise ment surgir devant nous a titre de « phénomènes ».
L'expérience interne « transcendantale » et phénoménologique à
..
laquelle conduit l'&ro reste ainsi subordonnée aux conditions de
l'évidence et de la réalisation intuitive, c'est®a^dire, en fait, à 1 hor. on
transcendantal de l'être en genéral. Exposant la tâche de l'explicitation
phénoménologique de l'ego transcendantal, usseri écrit : « I faudra
s'en tenir strictement aux données pures de la réflexion transcendan-
tale, les prendre exactement comme elles se donnent dans l'intuition
de l évide nce directe et écarter d'elles toutes les interprétations
dépassant ce donné (z ). »
Le dépassement de l'intuitionnisme vers une philosophie trans^
cendantale de la conscience constituante et donatrice n'est qu'appa
cent. La difh culte fondamentale à laquelle il se heurte n'est pas- d'ordre
mé thoolo g iquea Il ne suffit p as, pourq u'elle soit s ur mon
. tée , d'inviter
la recherche a s'exercer tout d'abord d'elle- même, d'une man ere
irréfléchie, nt de prendre conscience de ses présupposés et de sa
...avant
démarche propre. La rétro -référence à soi-même de la phénoménologie ne

(I) MC, r8.


(2) MC, 30, souligné par nous.
38 L'ESSENCE . DE LA MANIFESTATION

pourrai/ avoir une signification ontolog ique que si I'


in/uijion dari a elle-mime
son propre fondement. Mais la critique de l'intuiti annisrne a mis en
lumière la condition transcendantale de toute réalisation intuitive et
de toute évidence . De cette condition
• fait
fat constamment usage ans
cependant.. la prendre jamais pour thème l'explicitation de l'ego
,
transcendantal en tant qu'elle est une explicitation
. phénoménologiques
c'est^à^dire une élucidation. Tou te élucida tion
est un mode -de reali^
sarion de l'évidence. Une relie réalisation s '
opère, par conséquent, a
l'intérieur dyu cadrence. d'évidé
et celuiGi. j a l'égard de la
oue,
hénom.oologie ^elle^rnêre le rôle dru a . ..
9 fondement ultime, quoique
implicite.
La nécessaire s1uhordfrjation de la description ph
et, par suité, de la phénoménolo gie énoménologique
elle-marne a l'essence ,
déploie
l'horizon transcendant A qui p
al de l'être en général, n'est as u @
yp^y
^^

s à l'attitude sc en t fi q ue a do tée ar
p d eq Me.w^a '4a/r
4 •

' Ji ° O
"4s8i 4; r

p p le pen^n^enola,ue, en
i i

tant qu'une telle attitude est


par principe, d'ordre réflexife C'est
^êvide.ce qui caractérise déj à, su r le plan de la vie i
-rgéfléchie le made
sur lequel l'ego est présent à lui-mêna
o l^ ee Le d éploiement , de l'horizon
Ions d'être une simple conséq uence de la réflexi
on scientifiq ue, en est.
au contraire présupp osition. C e st la -
parce que, d' ores et déjà l'e go
i.^.ous pst p résent en tant
q u'élément dans le milieu
projet °de sox^ élu ` de l'être que le
cidation systématique eut
tari p jour . L explici^ se faire ,
on ne s'opè re pas a partir de rien, elle porte sur
doit que q uel chose qui
toujours, d ' une certaine façon,
être déjà là. Il apparat t , enfin, que -
rien n'est non plus chan g é a une t ,
. elle exigence si l'on tient compte du
fait que l' explicitation p hén
oménologique se déroule à l'intérieur
d'une attitude °
de réduction et que, d'autre
,. part, .:elle se poursuit sur
le mode eidétique . Au mémé t it
re que la conscience empirique ui
demeure etliée au monde q
a l'être naturel
ment rédui t ' ,pur l'ego transcendantale ..
implique , comme condition de possibilité de sa manifes-
talion et, par suite, de toute é
lucidation systématique de sa vie
propre, un horizon de ` présence . Celui-ci
ne perd pas son rôle de
L'ÊTRE DE L'EGO 39

fondement si la considération de l'eidos ego, ainsi que des possibi-


lités aprioriques incluses dans la vie de l'ego, se substitue à l'analyse
de :telle ou telle détermination effective d'une subjectivité donnée
quoique réduite, par exemple celle du phénoménologue lui-même.
La manifestation de l'eidos requiert,. au même titre que tout élément
empirique déterminé l'ouverture préalable d'un milieu ontologique.
La révélation transcendantale de l'ego n'est, somme toute, qu'un cas
particulier9 quoique privilégié, de réalisation intuitive.
L'ego transcendantal que nous livre la réduction phénoméno-
logique porte en lui, a titre de corrélat intentionnel, un monde
d'objets. Celui-ci n'est pas une simple somme d'existants singuliers,
^
d'ordre empirique
^ ou éi étique 9 il est d'abord un « univers », le
milieu dans lequel tous les cogitata peuvent librement se manifester.
,
A l'égard d'un tel « univers » et de ses contenus, l'ego pur soue le
rÔle d'un fondement et d'une origine. Mais l'ego luimmeme et le
co itatutfl qui lui est immanent à titre de monde ou de détermination
Gtramondàine, ne peuvent eux-mêmes revêtir a condition de pheno-
mènes et surgir dans l'être que sur le fond de celui-ci en eux,

6. LES DIFFICULTÉS RELATIVES A L'ÉDIFICATION


DE L'ONTOLOGIE pNOMÉNOLOGIQ UNIVERSELLE

Si la pensée de l'être implique un dépassement décisif de l'existant


comme de l'eidos qui détermine chaque fois la structure ontologique
a laquelle celui-ci est soumis, il peut paraître
..
étrange que l'accomp lises
serrent de cette pensée nous rejette infailliblement vers un existant
singulier et vers une problématique qui fait de celui-ci oson thème
explicité
. es Ainsi voit-on l'ontologie se donner immédiatement, dans
la démarche même p ar laquelle elle p rétend se constituer , un fonde-
ment d 'ordre ontique. L'effort par lequel elle tente de parvenir a une
compréhension rigoureuse de sa tâche propre et fondamentale se
heurte, dés l'abord, à une difficulté : la réalisation de cette tâche
L'ESSENCE DE LA MANIFES TATION

semble impliquer l'abandon du projet même par lequel celle-ci


se définit â l'origine. La prise en considération de l'étant s
'impose au
contraire â elle, et cela d'une manière si contraignante que le -choix
de la détermination ne lui est même as laissé. t^é de la pensée
. p Via liberté
de hêtre este mise en cause p ar l'inte rpellation
rpellati on d'un existant sin gulier
qui revendi q ue avec force le caractère d'être un « commencement »
et prétend s'imposer comme tel a la recherche.
L'ontologie fonda-
mentale, déclare Sein und Zeit doit être ch erché
e dais une analyti q ue
du Das en.
n est question de l'être lui-même
me considéré dans sa transcendance
radicale â l'égard e tout existant détermin é, mais la
e. question même
dl'âtre doit d'abord se rendre transp arente à
elle-même. 'élabora-
tion de la structure formelle de cette question n
ous met en présence
de trois termes : i° l'être lui-même en tant
qu'il est ce au su jet de quoi
la question a ce qui est s'élève
recherché (Gefragies) ^ ^
en elle; z0 un
étant déterminé, celui à propos du
. ..quel on formule la question
(Befragies) ; o la qgestion elle-rn^ri e, enfin, qui s 9élève au su
j et de
hêtre ... Or l'examen de chacun de
ces termes nous renvoie â l'étant
plus exacte ment à cet étant rigoureusement
déterminé u9est la
réalité humaine. L a question rnerne
qui s'élève au sujet de l'être
n'est pas rien, elle est un comportement,
le comporte- m ent de la
réalité qui questionne; celle-ci est une réalité singulière
éalité singul^ère,, un étant.
En tant qu'elle questionne, ce p endant, ell ;
e revêt une certaine manière
être, elle se fait précisément une réalite- ê
qui questionne . L'être de
cette réalité est ce qui permet, dans le
. p rincipe, que s' historialise en
elle., comme une possibilité propred'or
, dre é1 détique, quel que. chose
comme une question . Un tel être, rigoureusement
déterminé, et
cela sur un plan é idetiue, définit cette ré
q alité comme réalité humaine..
celle-ci est donnée , comme une- r . ete .
p opr^ qui lui appartient en
propre, la possibilité même d'élever une question.
L' être est toujours l'être d'un étant . C'e st a l
'étant que la question
de l'être s 'adresse, afin de déchiffrer '
en lut le -sens de l'âtre. Or
L'1 TRE DE L'EGO 4I

l'étant qui est choisi comme celui à partir duquel le sens de l'être
doit être élucidé n'est pas indifférent . L'étant qui pose la question
de l'être est manifestement un étant privilégié, celui qui fonctionnera
comme le Befragtes de la question de l'être, comme l'étant auquel
on pose cette question . L'être } de : la réalité humaine doit d'abord faire
le thème de la problématique qui vise à élucider le sens de l'être
en général.
L'être luiamême, enfin, considéré dans son essence pure, domine
tout étant, et la réalité humaine en particulier. A celle-ci, toutefois,
il appartient d'être reliée â l'être, et cela d'une façon privilégiée, en
lait qu'elle le comprend. La compréhension de l'être par la réalité
humaine est le fait fondamental qui détermine celle-ci dans son
essence propre. Peu importe qu'une telle compréhension demeure
a l'état implicite, ou que, pour des raisons qui devront faire le thème
d'une problématique particulière, elle demeure soumise le plus
souvent à des altérations profondes. Ces altérations mêmes ne sont
possibles qu'a titre de modalités et sur le fondement du rapport qui
relie, dans l'origine, la réalité humaine à l'être lui même. Si l'entente
-
de l'être appa rtient à la réalité humaine comme ce qui précède, en
les guidant, tous les comportements qu'elle est susceptible d'assumer
et, en particulier, la question qu'elle peut élever au sujet du sens de
l'être en général, c'est que celle-ci n'est pas autre chose que la radica-
lisation de cette compréhension ontologique ou, plutôt, pré-onto-
logi que de l'être qui est immanente à la réalité humaine comme son
pouvoir le plus propre et comme son essence même.
La réalité humaine occupe donc a l'intérieur, de la question de
l'être une p lace déterminante. Elle peut revendiquer, a l'égard des
autres étants , une préséance qui est à la fois d'ordre ontique - puis-
que la question de l'être n'est, somme toute , qu'un mode déterminé
de cette existence que nous sommes nous-mêmes immédiatement --
et d'ordre ontologique, s'il est vrai qu'à une telle existence appartient
par essence une compréhension de l'être, et cela en un double sens,
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

étant donné qu'il s'agit aussi bien de son être prop re ue de l'être
q
de l'étant qu'elle n'est pas.
Pourquoi, cependant, l'ontologie est-elle incapablé de se fonder.
elle-mênne onto o i uement et doit-elle lacer au centre de sa
problématique un existant déterminé auondre oint de se confavec
l'analyse existentiale de celui-ci ? A une telle condition l'ontologie
ne peut évidemment être soumise qu'en fonction du rapport ` qu 'i
unit, dans l'essence, l' être et l'étant. Car, l'élaboration de l a structure
de la question de l' être ne constitue q u' une analyse tout extérieu re
d'un _ tel rapp ort. En fait, le lien quiunitl'étantl 'être et demeure
oncièremenI obscur, sa structure n'est pashomogeue, sa si gnification est
p olyvalente.
Considérons la réalité humaine. Ce qui caractérise le rapport
qu'eue entretient avec l'être, c'est précisément le fait qu'il l lui est
donné de l'entretenir, de le vivre. A ce privilège est iié celui du
langage toute parole n'est prononcée que sur le fond d'un entretien
pus primitif, qui est celui de l'homme et . de l'être. C'est un tel 'pri-
.o
vdege --- que l'étant nos-Dasein ne peut revendiquer comme sien,
et cela non pas en fonction d'une déficience ontique quelconque
(comme, par exemple, l'absence d'un organe de phonation) mais
bien au contraire, en raison de sa réalité ontologique propre -- qui
confère
. à la réalité humaine
, la fonction caractérisée
à qu'elle remplit
l'intérieur de que
la p roblém ati l
de 'être. La préséance de la réalit é
humaine dans la question de l 'être n'est ue l 'éq uivalent méthodo-
q
logique de sa structure ontologique p rop re, structure conformément
a laquelle une c ompréhension im p licite et non conceptuelle de l 'être
lu i est d'o res et déjà
^ donnée.deLors que le rapp ort
la réalité humaine
à l'essence doit être défini à partir d'une telle compréhension nous
l'appelons un rapport transcendantal. Ce dernier , ainsi entendu,
n'implique aucun primat de la «subjectivité» ou du « suj et » car son
fondement ne réside pas dans la réalité humaine elle-même mais
bien plutôt dans l'être qui donne à celle=ci
, , en l'ordonnant à lui, la
L'ÊTRE DE L'EGO 43

possibilité de le penser . Le caractère spécifique d'un tel rapport se


trouve, en tout cas , clairement défini.
C'est dans un tout autre sens , cependant, que la réalité humaine
se trouve soumise à l'être lorsque celui -ci n'est rien de plus pour elle
que ce qu'il est pour un étant quelconque. L'expression « être de la
réalité humaine» est donc foncièrement ambiguë , puisqu'elle désigne
à la fois l'essence de la réalité humaine, en tant qu'elle entretient avec
l'être un rapp ort transcendantal , et, d'autre part, le fondement qui
est en elle et qui la 'fait être, au même titre toutefois que n'importe
quel étante
L'examen des rapports qui existent entre l' être de la réalité
humaine et l'essence (l'être considéré dans son essence universelle)
conduit, d'autre part, â l'objection du cercle. L'ontologie fondam
mentale rep ose sur l'analytique du Dasein. Mais dans l'idée de la
constitution de la réalité humaine, de l' « existentialite » qui fait le
thème de l'analytique existent$ale, l'idée de l'être est déjà impliquée,
à titre de condition de possibilité. On veut donc mettre à jour
l'essence â partir d'une réalité dont l'etude n'est possible que sous la
condition préalable d'une mise a jour de l'essences La présupposition
de l'être cesse, il est vrai, d'être une objection, si la recherche est
tournée vers cette présupposition même afin d'en élucider le contenu.
En tant qu'elle se pense elle-même comme une exhibition libératrice
du fondement, l'ontologie fondamentale ne repousse pas l'idée d'un
progrès circulaire de son analyse , elle l'accueille, au contraire, comme
conforme à la nature des choses. Une ambigu te subsiste cependant
au sujet du mode conformément auquel le fondement opère son
oeuvre de fondation. Lorsqu'on appuie l' ontologie fondamentale
sur l'analytique du Dasein, ce dernier intervient manifestement en
tant qu 'il porte en lui le pouvoir de se rapporter originellement
l'être ; c'est le ra pp ort transcendantal de la réalité humaine à l'essence.
qui est en cause. Lorsqu'on déclare, au contraire , que l'analytique
existentiale ne peut s'accomplir que sous la présupposition implicite
44 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de l'essence, le rapport de celle-ci à l'être de la réalité humaine est


identique au rapp ort qu'elle soutient avec l'être de n'imp orte quel
étant. Si la réalité humaine est soumise en tout cas au pouvoir de la
transcendance, il faut encore preciser la manière dont celle-ci ait
fondent-elle l'être de la réalité 'humaine en l'ordonnant a soi selon
un rapport transcendantal, ou bien la réalité humaine est^elle sien Ie^
ment immergée dans le milieu ouvert par la transcendance; au même
titre que l'être d'ut étant quelconque Le sens ultime de la doctrine
est sans doute e recouvrement et, finalement, l'identification du
rapport transcendantal avec le simple rapport d'immanence qui
confère chaque fois l'être a l'etanto Mais une telle identi cation
est elle possible ? Sa cons que ce paradoxale v:e serait^elle pas la.
pure et simple smpresson du privilège du asei ? Cette suppression
est^elle concevable, s'il est vrai qu'il 3 T a pour ce dernier deux manières
d'être irred^ctibles l'une a d'autre, comme être qui se rapporte a
l'Rêtre en générai, et, par suite, a tous les existants possibles, et a iui^
même, comme être, d'autre part, auquel ii se rapporte lorsqu'il se
rapporte à lui®mêe
La nécessité pour l'ontologie de se donner un fondement d'ordre
ontique ne fait point, par elle -même, difficulté m Elle est conforme
asens ,général de la doctrineo L re er nce de l'ontologie a la r ealtie
d'un existant singulier n'est e la transposition ethodolo' iq ue du lien ui
unit, dans l'origine, la transcendance et la fin:tude^ L'intelligence de ce
lien n'est autre que la compréhension interne, et non plus simplement
extérieure, du rapport de l'être et de l'étant. Si l'être est touj ours
l'être d'un étant, c'est qu'il n'a point par lui-même le pouvoir de se
manifester . C'est dans l'étant pluton qu'il se manifeste, comme ce
dams quoi la manifestation de l'étant devient p ossible. Par la même,
toutefois cette manifestation de l'étant est . aussi ce qui le cache et
,
cela conformément à une situation dialectique qui n'est point pro-
visoire mass insurmontable.
Cette raison ultime de la nécessaire référence de l'ontologie à un
L'1 TAE DE L'EGO

fondement ontique n'explique pas encore, toutefois, ' le privilège


du Dasein. Il s'agit de savoir, finalement, si un tel privilège est quel-
que chose de décisif, ou si, au contraire, sa signification est seulement
d'ordre méthodologique. Or, la subordination de l'analytique exis-
tentiale à l'ontologie fondamentale est constamment affirmée dans
g'e:n und Zeit (z). L'analytique existentiale n'est en aucune façon le but
de la recherche. De toute maniere, elle demeure incomplète, elle
n'est poursuivie que dans la direction qui intéresse le problème de
l'être en tant que tel. Les résultats auxquels elle aboutit constituent
sans doute un moment positif dans l'élaboration du sens de l'être
en général, ils demeurent cependant provisoires. La signification
ultime des structures ontologiques qui définissent la constitution
fondamentale de la réalité humaine ne pourra être considérée comme
acquise que lorsque le sens de l'être en général aura été définitivement
fixé. C'est ainsi que s'imposera une répétition des analyses existenm
tiales, unes reprise systématique de leurs résultats, lorsqu'aura été
mise en lumière la signification temporelle de l'être. Celle-ci, pourtant,
ne va4-elle pas nous renvqye à l'être du « Dasein » comme â son fondement ?
Si l'être du Dasein est essentiellement constitué par la temporalité,
si celle-ci est l'origine du temps, si le temps est l'horizon de l'être,
la subordination de l'être u Dasen au sens de l'être en général
n'est-elle pas, plus que jamais, ambiguë ?
Le merveilleux choc en retour du questionné sur le questionnant
qui se fait jour dans la question de l'être, ne permet pas encore de
lever la difficulté fondamentale qui est immanente à cette q^àestion
et qui a trait au probleme de l'homogeneite de l'être. C'est seulement
lorsqu'une réponse décisive aura été apportée a ce problème que
pourront être définis d'une façon rigoureuse la place et le rôle de
la réalité humaine dans la question de l'être.

(i) L'évolution ultérieure de la doctrine ne fera que confirmer ce point


de vue.
46 L'ESSENCE DE. LA MANIFESTATION

§ LA PROBLÉMATIQUE CONCERNANT L'ÊTRE DE L'EGO


INTERPRÉTÉE COMME UNE PROBLEMATIQUE ORIGINAIRE

ET FONDAMENTALE

L'insertion nécessaire de la phénoménologie de l'ego à l'intérieur


du contexte constitué par l'ontologie universelle ne peut être mise
en cause que si c'est seulementparhra d'une eluidotion
phénomenedu
central de l'ego que l'ontologie
peut acqfonda'nenta1e
uerir sa dimension .
Encore convient-il de comprendre, d'une façon correcte la préseanc e
de la proble at q e qui vise pheio enologiquement l'être de l'ego .
Une telle préséance . ne signifie
(parnullement qu'un certain étant
exemple celui qui dit «, je ») doit être questionne e premier lieu au
. A
sujet de son et e si. d moins le sens de l'être en eneral doit pouvoir
r, ^
être degage. Ce qi' est en gz4'estion, bien au contraire, et cela d'une façon
ex lacrte, c'est la sol dari#e du sens de l'être de la réalité humaine ai)ec celui
de l'être en énerai® Si la roblématl ue concernant i'etxc de lep doit
être interprétée comme une problématique veritablenert .,.
originaire
et fondamentale, c'est que l'être de l'ego n'est pas homogene à
« l'être en général », et cela non as en un sens restreint, comme s^
l'on voulait simplement
. ; efinat dire par la que l'ego
une autred « region
de l'être », différente de celle à laquelle appartiennent d'autres étants$
diversement constitués, mais en un sens ultime quoiqu'encore
incompréhensible pour nous. est Ledeproblème '
savoir si le primat
del'analytique de la réalité humaine est d'ordre méthodologique,
si l'on doit lui reconnaître une signification ontologique ultime .
La philosophie a-t-elle jamais été capable de donner '
une 1riter-
prétaton positive du fait que c'est en l'absence de tout contexte que
surgit chez Descartes problématique
la de l'ego cogito La signe-.
fication infinie de l'identification cartésienne de certitude
la ' et de la
vérité a-t -elle été jamais comprise ? Chez Descartes lui-même, ces
thèmes fondamentaux ont-ils été éclaircisQue ? le sens d
e l être, de
l'ego demeure indéterminé dans le cartésianisme, cela n'est pas
L'ÊTRE DE L'EGO 47

exact. Très rapidement, au contraire, c'est comme ens creatum que


l'être de l'ego est interprété , au même titre que celui de toute nature
simple, et cela à la lumière des conceptions philosophiques et theo-
logiques de la pensée médiévale, elle-même issue de l'ontologie
grecque (I ). Qu'une telle détermination soit impropre , cela vient-il
de ce q ue c'est à une concep tion erronée ou insuffisante de l'être en
pas plutôt l'idée
g eneral que celui de l'ego est soumis ? T'est-ce
même d'une telle subordination u est . irrecevable ? Et que l'horizon
de l'être en général soit interprété corme un horizon « transcen-
dantal » p cela ne lève p as la difficulté, mais en rend, au contraire, la
solution plus urgente.
. Comment l'ego peut-il devenir un « phénomène » ? West-ce pas
à la condition de se soumettre à un horizon de visibilité dans et par
lequel toute chose peut devenir « visible » ? La puissance qui déploie
u i tel horizon, la transcendance, n'est-elle paf la condition d l'être de
l'ego ? Les présentes recherches ont etc entreprises pour moi'trer la
nécessité de répondre né g ativement à ces questions fondamentales.
C e qu'elles veulent finalement mettre en lumière , c'est que, bien qu'il
soit lui-même ce qui reali fie la condition de possibilité de tout phenom
mène en général , le mode selon lequel, l'ego devient un phetiomene est
q uel q ue chose de si fondamental qu'if ne peut être soumis à aucune
condition. Le problème de la philosophie est le problème de la vérité.
Celle-ci n'est rien d'autre que ce qui, en ge neral, rend possible quelque
chose comme des p henomenes. Le problème de la vérité est plus .
originaire que celui de la raison . L'être « réel » et « vrai » que celle-ci
oser sur le fond d'un donné intuitif determine.
p arvient cha que fois à p
implique, à titre de condition, ce qui rend précisément possible ,. la
réalisation d'un tel donné. En tant qu'il est l'objet d'une position
rationnelle l'eg o cogito est subordonné à ûn horizon de vérité.
Son privilège n'a qu'une signification limitée , il^est relatif au

(I) Cf. SZ, 24.


48. L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la raison . Comment et pourquoi, cependant, l'être de l'ego est.


ce qui doit conduire, et cela d'une façon originaire_ la problematique
de la vérité, cela ne peut se comprendre que si un tel être est inter
préte comme ce que realue dans son accon^ lissemert même toute
venté.
comme telle. L'être de l'ego est la vente Non point, d este vrai, cette
vente qui n'est possible que par la. transcendance et comme l 'oeuvre
meure de celle^ci, mais une vente ^ plusplus
`haute en origine,
ancienne,
et sans laquelle la transcendance elle-même ne serait pas A une
ellet
verte, qui n'est pas dh erente de l'ego lul même et qui' c onstitue
' son
être eme, nous donnes le nom de venté originairea C'est
seulement
lorsqu'elle est capable de remonter a lori ^ e que la roblematique
r
de l a venté e e v ele ident q'ie à celle de l'e g o0
N'est-ce point perdre le sens propre de l'essence que d'identifier
celle-ci a un être reel et deter me ? L'essence ne peut être correc^
terrent ensee par nous que comme l'ultime condition de possibil.ite
de toute existence. Elle est e fondement, et cela en un sens ontolom
gique.Elle ne saurait, par conseqcent être ide avec une ers
^ ntifiee
tenace particulière, même si celle^ci joue un rôle privilégie dans un
enchaînement ontique. La venté remiere ne eut signifier la vérite
d'un contenu singulier a partir duquel on pretendre pourraitdedu^re
-
d'autres vérites. La réalisation
(pourle moins robl
p ematlque) d'urne
telle déduction laisserait intact le problème du fondement . La vérite
premiere est une condition ontologique de possiili t,°
dont la slgni^
fieation est absolument universelle La^ ossibllite
comme entendue
la.cond non
, transcendantale
, p qui recede,
, en la fondant, toute e
sec-
tivzte de quelque ordre qu'elle soit, n'est point en elle-mêmes cepen
dant, une pure possibilité. On laisse d'une façon incorrecte la pro-
blématique susp endue à un terme tout â fait lndéterrnule, lorsque,
a la façon de Kant, on ne se préoccupe p oint de définir d'une façon
rigoureuse
. le statut de la « condition de possibilité de l'e xpérience ».
Instituer une analyse réflexive en espérant obtenir, par
cette '
vole
indirecte, une détermination d'une telle « con dition »,
plus poussée
L'1TAE DE L'EGO. 49

c'est là une méthode tout à fait insuffisante . Le terme auquel aboutit.


ainsi la pensée dans sa marche régressive n'est qu'une pure possibilité
q ui n'a p as droit au titre de fondement. Il est une pure possibilité,
parce qu'if n' est encore que la condition d' une expérience possible
et ion pas d' une expérience réelle. Il est une possibilité « vide », parce
qu'une telle condition se ramène à une structure p urement formelle,
privé e de tout contenus Il est finalement une possibilité qui n'est
strictement rien, parce que le problème de l'être de cette possibilité,
de son statut, n'est seulement jamais posé. En réalité, la condition
de l'experience n'est qu'un terme posé p ar la p ensee réflexive, quelque
chose qui flotte librement comme le simp le corrélat d'une conscience
cherchant ion principe d'explication , elle n'est plus finalement qu'une
Ypothèse® Qu'une telle condition soit le plus souvent présentée
sous le titre de « subjectivité » ou de'« subjectivité, transcendantale »,
c'est là une affirmation mystérieuse, sans aucun fondement dans la
doctrine et qui, en l'absence de toute problématique concernant
l'être de cette subjectivité, n'a à la rigueur aucun sens.
. La réalité de l'essence n'est^elle p as sauvegardée, au contraire,
par a pensée qui pense l'essence comme l'être ? La condition trans^
cendantale qui joue à l'égard de tout étant le vole d'un fondement
ontologique n'est pas une pure et simple possibilité, quelque chose
de virtuel qui, par lui même, n'est encore rien. Si l'être est identique
au néant, ce n'est qu'au regard de l'étant , toutefois, que ce néant
n'est « rien ». Considéré en lui-même, le néant est un néant réel.
L'être n'est p as un universel abstrait. La possibilité ontolog qtieest la
réalité absolue. L'affirmation de la réalité de l'essence est-elle autre
chose' ce p endant, , que la pure et simple réalisation de l'essence ? Une
telle réalisation n'est-elle pas suspendue à un acte de pensée du
philosophe ? Ne doit-elle p as être tenue p our une p ure et simple
« théorie » ? Le fondement, s'il est autre chose qu'une simple hypo-
thèse métaphysique, doit encore faire la preuve de sa réalité, et cela
sans qu'il soit fait appel à des considérations ou à des théories médiates
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dont l'enchevêtrement est toujours censé obéir â un lien logique.


L'être doit pouvoir se montrer. La méthode de l'ontologie est pheno
menologique. C'est precisérnent lorsqu'elle app orte son aide a 1'onto
logie que la méthode henornenolo i que acquiert sa '
p g. signification
philosophique décisive, Qu'est-ce qui peut en effet, réclamer pour
soi, et cela d'une façon imp
erative et urgente,
. un mode de pre
sen
tation explicite et le titre de «p
henomene
e se » sinonmontre
ce qui n
pas tout d'abord mais demeure le plus souvent caché a savoir l'être
lui-même, l'objet de l'ontologie a philosophie est alors dans
l'embarras. La difhculte laquelle elle
. se heurte peut s'exprimer
formellement de la façon suivante comment la condition de possi.
blute de toute manifestation peut-elle devenir elle-même quelque
chose de mameste. « L'ontologie, dit eideggerg
^ n'est possible que
comme phenomenologie (I) a » Mais l'être peut-il jamais devenir
véritablement et en lui.-même un « paenomene »
Bien des equivoques seront . ecartees si l'on garde presente a
l'esprit l'idée que le theme de l'ontologie phenomenologique n'est
en aucune façon constitue par le contenu déterminé et en quelque
sorte matériel d'une manifestation quelconque, mais porte, bien au
contraire, sur le « comment » dé cette manifestation et de toute.
manifestation possible eng eneral. Ce qui dans un ph'en omene, fait
precisement de lui quelque chose qui est susse tib1e d'a ` araitr e, Lel que
.^ :^.^ q
soit ce quelque chose dans son contenu déterminé c'est cela de
toute évidence, qui estquestion
en : Or l'être la condition
onditzon de possi-_
bihte de toute manifestation en general ne peut devenir un « pheno^
mène » si l'on entend p ar la le contenu singulier d'une manifestation
deterinee.
. p g Que eut
palorsj si nifier le ro'et d'une
ogre pheno-ontol
menologique ? Que veut- on dire exactement lorsqu'on declare que
l'être doit pouvoir « devenir un p henomene
La question de la réalité du fondement est-elle lie'e a celle de la

(t) SZ, 3s.


L'LTAE DE L'EGO

possibilité p our l'être de devenir un phénomène ? Ne devons-nous


p as reconnaître, au contraire, les droits d' une pensée qui, en concevant
l'oeuvre originelle du dévoilement comme une dissimulation de ce a
fois s 'accomplir, n'est point
p artir de quoi cette oeuvre peut chaque ,.
ose,
pour autant dialecti que, mais rep :.. r au contraire , sur une experience
effective dont le sens est de re'veler la structure antinomique du
fondement ? Si l'essence de celui-ci se dissimule dans l'acte même
par lequel il ouvre
, un horizon de lumières c'est qu'a nette essence il
appartient' par principe, de ne pas se montrer. L'essence est réelle,
en tant qu'elle fonde la vérité, cependant elle n'est point elle^même la
' erite, trais plutôt une non-vérité plus originelle . A cette non^verite,
toutefois le p hénomène renvoie toujours en tant qu'il bric sur le
fond d'une relation obscurem L'ontologie est encore possible sur une
base phénoménologique. ('e qui est mis en cause, c'est seulement, mais
cela d'une façon essentielle,possilviite
la d'une connaissance absolue
Que le fondement soit, en fait, de part en part « phénomène »$
qu'il soit la vérité, et cela en un sens ultime et originaire, c'est ce qui
ne pourra être compris que lorsqu'une élucidation radicale du
concept de phénomène aura guidé la problématique jusqu'à l'idée
d'une révélation qui ne doit rien à l'ouvre de la transcendance. L'élucidation
du concept de pheno ene sera la première tache des présentes
recherches. Son résultat sera de faire comprendre que la déterminam
tian du « phénomène » comme quelque chose qui se montre dans
l'horizon de lumière â l'intérieur duquel toute chose peut devenir
visible en elle-même, reste en fait unilatérale. Or l'insuffisance fonm
ciere d'une telle détermination a commandé presque toute l'histoire
de la pensée ' barnaine. C'est sur une base nouvelle que s'elevera la
philosophie lorsqu'elle sera capable de circonscrire un « phénomène»
absolument original en ceci que le mode même conformément auquel il
se révèle est irréductible au « commenta de la manifestation des phénomènes
transcendants. Or il se trouve que ce mode qui désigne le comment
d'une révélation, la manière dont celle-ci s' accomplit, abstraction faite
5 2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de toute considération concernant le contenu- a aussi= et cela d'une..


façon paradoxale une signification matérielle. La révélation originaire
'
,
est à elle-rrxîme son propre contenu Le « comment » de cette révelatron est.
un être réel. Ce phénomène, ou plutôt cette manlêre d'être un pheno
mène qui ne brille dans la lumiere
point ^universelle
nlamere» cette «
qui est un être concret, c'est cela qui sera désigné sous le titre d' « ego » ®
Ce qui permet à quelque chose d'être en se mare estant c'est ce
que mous appelons un fondement. Celui-ci concerne de toute ev ° i-
denee, le mode de manifestation. du quelque chose qui se manifeste
r, ce mode de manifestation revole (en tant ueparn:es« nia
tauon » on désigne l'œuvre ou le produit de la transcendance a ur:
mode de révelation plus originaire, La transcendance . repose sur
l'immanence. La venté originaire est le vrai fondement Elle est la
condition ontologique . p esde ossihilite nes
phenome de tous
trans l -
cendants qu'elie fonde en tant qu'elle est
q enfance. l'origine de la transe -^
Elle est eik-rn e,. tout ois, t'n phenornem', mais cela e un sens irred ,^
c
tile, en tant qu'elle est une révélation immanente. Le . fait que 'le
fondement soit un « phénomène » au sens d'une « révélation » , est
ce gui confire a ce f ondement sa realzte en. lui
de donnant
lak moment
presence.
Celle^ci est telle, q uand elle concerne l'origine, qu'elle n'est pas
soumise a un horizon de présence et qu'elle n'est as non lus l'être
vrai dire jamais présent, del horizon lui® ême. Cette resen ce
ontologique originaire, qui echappe aux. conditions éné^. ra Q
I^e de
l'être, c est celle de l'ego lui même. L'être henoménolo
p ^q^,de . i ue
l'ego est un avec la révélation originaire qui s'accomplit dans une
sphère d'immanence radicaleo La réalité du fondement repose sur
le caractère phénoménal de celui-ci, Mais en tant q ue ctere.
ce caca
découle d'un mode de révélation strictement deter . rnmé, la réahte
du fondement se trouve , du même coup, p arfaitement définie . La
réalité de la possibilâté ontologique est l'ëtre de l'ego.
Si le fondement est lui -même un ` phénomène, et cela en un sens
originaire, il a arait que la voie d'accès au fondement n'est autre
L'L,TRE DE L' EGO 53

que le fondement lui-même . Ce qui se maintient, toutefois, dans cette


identité fondamentale de sa réalité et d'un « parvenir » à cette réalité, c'est
la vie elle-même, c'est la vie transcendantale de l'ego absolu en tant
qu'elle est l'ultime fondement . Le fondement n'est pas quelque chose
d'obscur, il n'est ni la lumière, ;qui -ne devient perceptible que sur la
chose qui brille en elle, ni la chose elle-même, en tant que « phénomène
transcendant », mais une révélation immanente qui est une présence â
soi-même, quoiqu'une telle présence demeure « invisible ». Une
révélation irnlanenle est une expérience interne, elle revêt, nécessairement une
:forme monadique. C'est dans la strutture eidétique de la vende originaire q
s'enracine l'ipséité de l'ego. Une expérience interne entendue au sens
d'une revélation originaire qui s'accomplit dans une sphee d'ima®
nence radicale, existe par elle^même, sans aucun contexte, sans le
support d'a'dcun être extérieur et « réel », elle est elle-même reciffi
serrent une « ex1stuice » ou, pour mieux dire, l'existence même, celle
qu'il convient de penser sous le titre de « réalité humaine ». Une telle
existence ne doit rien a la transcendance, elle la précède, au contraire,
et la. rend possibles plus originaire que la vérité de l'être est la vérit
de l'homme.
L'interprétation de l'essence du fondement comme révélation.
originaire immanente nous amène, à repenser la connexion essentielle
qui unit l'ontologie et la phénoménologie. Le mode e traitement
phenomenologiue que l'ontologie veut â juste titré appliquer au
problème du fondement demeure en fait totalement indéterminé
tant que la signification du concept de phénomène n'a pas été fixée
d'une façon décisives Bien plus, ce mode de traitement se montre
essentiellement dangereux aussi longtemps que la problématique
continue â progresser a la lumière d'une conception unilatérale du
« phénomène ». En tant qu'elle s'interprète elle^même comme
« phénoménologique », l'ontologie comprend sa tâche comme une
« élucidation » Élucider, cela ne sign ifie-t-il pas « rendre manifeste »,
« porter dans la lumière » ? L'élucidation reçoit la signification d'une
S4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

réalisation intuitive , d'un progrès dans l'évidence . Ce qui a besoin


d'une telle élucidation ne peut être effectivement déterminé d'autre
part, que comme « ce qui ne se montre pas tout d'abord », mais
demeure le plus souvent « caché » ( i ) . En fait, le travail méthodologique
de la phénoménologie e st d'ores et dé 'à interp rété à la lumière d'une philo^
sophie de la transcendance. La p hé noménologie reçoit une signification
radicalement différente lorsqu 'elle comprend que sa tâche n'est as
p
de s irr ttre la ré21ité à élucider, par exemple le fondement, à un
type de manifestation univoque conçu comme la vérité transcen-
dantale universelle, mais e se demander s'il n' existe pas un autre
moi dU révélation dont la prise enconsidération p eut seule nous intro^
duire au problème du fondement. La significa tion ultime de la phéno=
n én iogie tient en ceci u'elle est 'finalement la découverte d'un
« phénomène » qui est le fondement lui-même. Encore cette « décou^
: :te » doit^elle être correctement com p rise, car elle ne signifie p as.
une « mise à jour » de qu e lque chose q ui serait pr im itivement « caché ^ .
S'il y a im sens à dire que ie fondement est une révélation orig inaire
s
c'est que la condition ontologique de p ossibilité de toute résence
p
transcendante eecti ve est elle-mène présen te à elle-méme au sein.
d'une expérience interne tran scendantale qui ne p eut être, à la ri g ueur
ni « obtenue » ni « perdue ». Vouloir « mettre à jour » le fondement
c'est là l'ultime absurdité ontologique. L'ego n'a point à se manifester
dans le mili eu e l'être transcendant ' un jour ou l'autre tôt ou tard,
au cours d'une histoire , individuelle ou universelle , ou au sein du
progrès de la philosop hie, s'il est vrai qu'il est d'ores et déjà résent
p
à lui-même, au sein d'une révélation qui ne doit rien au tem p s ni à
la transcendance, mais s ' accomplit dans la sphère d'immanence
radicale de la subj ectivité absolue.
On peut se demander si ce n'est pas à la seule condition de.
perdre tout intérêt méthodologique que la phénoménologie est

(I) SZ, 35.


L'ÊTRE DE L'EGO
0 SS

susceptible de revêtir cette signification ontologique ultime. Pour-


quoi le fondement doit-il subir le traitement d'une méthode qui vise
essentiellement à tirer de l'obscurité, à « éclaircir », s'il lui appartient,
p ar p rincip e, de se révéler ? Où p eut bien être la progression d'une
recherche qui prend pour thème ce qui s'est d'ores et déjà révélé,
tel qu'il est en lui-même ? En quoi p eut se légitimer la nécessité
d'une telle recherche, qui n'est autre que la philosophie elle-même
En vérité, le but de ce travail est de montrer qu'il existe une connais-
sance absolue et que celle-ci n'est pas solidaire d'un progrès quel-
conque. Une telle connaissance n'est pas liée, en effet, à un mode
déterminé de l'existence, elle n'est pas le privilège d'un moment. Elle
est plutôt le milieu même de l'existence, l'essence de la vie. L' « uti-
lité» de la philosophie n'est pas mise en cause par la pensée qui pense
l'essence de la vie comme une révélation immanente originaire. Ce
qu'il y a de plus simple et de plus « évident », nous savons depuis
longtemps que c'est aussi ce qu'il y a de plus « difficile ». C'est
justement parce que le fondement est une révélation que la philo-
sophie est possible, et cela en un sens bien déterminé, comme philo-
sophie phénoménologique. Point n'est besoin, sans doutes d' « élu-
cider » l'être du fondement, mais la méthode phénoménologique ne
se réduit pas au processus de l'élucidation, celle-ci doit cesser de
s'entendre en un sens unilatéral. La phénoménologie est p1utt une
critique de toute révélation, de ses différentes formes et de ses conditions
fondamentales. C'est dans ce sens qu'elle a une signification
universelle.
Lorsqu' elle est correctement comprise, la tâche- de la phénomé
nologie apparaît dans toute sa complexité . Le problème de savoir quel
mode de traitement phénoménologique il convient de faire subir au fondement
n'est autre que celui des rapports de la philosophie et de la vie. L'approfon-
dissement de ce problème où se décide , il est vrai, le fondement de la
philosophie, nous met en présence de difficultés extraordinaires, qui
convergent toutes vers la question de la possibilité d'une « science
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

absolument subjective », science dont Husserl se crut le possesseur.


La compréhension de ces difficultés conduit la réflexion a l'idée que
si la philosophie est seconde par rapporta la vie il doit cependant
exister un mode de philosopher qui ne porte point p rejudice a
l'essence.
.A un tel mode de p hilosopher, la pensee ne s'eleve que lors
.
qu'elle est capable d'accomplir, mais cela d'une façon decis ve un
dépassement de l'intuitionnisme : or, le depassement de l'intuitions
nisme n'est pas effectif aussi longtemps qu'il se presente comme
une reexion sur les conditions transcendantales qui rendent posW
sile la realisation d'une presence dans l'intuition ou dans l'evi^
dente, c'est^a-dire comme une liberatio . de l'horizon phenomeno^
logique unr^rerselA Il ne l'est pas davantage lorsqu'il consiste dais
I rntegratio d'une philosophie de l'intuition a une philosop hie .
transcendantale de la constitution. Dans les deu cas, et si differentes
que soient les i 'oies sur lesquelles s'engage la réflexion.^
philosophique
cell mci reste en fait exclusivement conditionnée par les preoccu aa^
tins d'une problemauque de l'objet) Maigre des transformations
essentielles, la recherche demeure en fait incapable de franchir les
limites qui etaient les siennes lorsque Kant lui donna cette si nie
fication ontologique que nous admirons tant. i la « critique du
paralogisme e la psychologie rationneile » a été choisie pour faire
l' objet d ' une destruction ontologique qui. met en lumiere l'absence
é j p
e toute ontologie de la sub jectivité au sein m ê me d' une roblema=
tique qui prétend faire de l'ego son thème explicite, c'est que la
signification de cette destruction nteresse, croyons-nous, l'ensemble
de la philosophie moderne. Les themes métaphysiques
- de celle-ci
résultent, malgré leur apparente nouveauté, des imperfections
fondamentales qui deviennent particulierement visibles dans la
philosophie kantienne mais qui corrompent , en fait lapensec'
philosophique depuis son ori gneq helléni
de ueLe cogito
Descartes
ou la philosophie de l'existence de
_ jouent pas,Kierkegaard ne par
L'JTRE DE L'EGO S7

rapp ort à la « culture » moderne, le rôle d' un commencement. Ils


correspondent, tout au plus , à des moments historiques où se
« manifeste » p aradoxalement dans l'histoire de la philosophie
un courant de pensée qui demeure le plus souvent sous-jacent, et
cela pour . des raisons essentielles.
Ces raisons deviennent p récisément compréhensibles à la pensée
qui, en operant le depassement radical de l'intuitionnisme, se révèle
capable de mettre en cause le primat ontologique de la transcendance.
A une telle pensee ii est donne de s'avancer dans une reion nou-
vcile et par là de conferer aussi à l'ontologie une nouvelle dlmn^
lion. La lumière universelle n'est pas le séjour de tous les phéno
gènes. ' « invisible » est le mode. d'une révélation positive et, à
vrai dire fondamentalc® L'ambiguïté d'une philosophie de la Nuit
a

se dissout devant le regard de la réflexion qui distingue de l'obscu


rite ui est le partage de la transcendance, le premier frémisse.ent
intérieur .u savoir ou, en deçà de la lumière, ceiui^ci se révèle d'abord
9
lui mêine. Or,. si le mode selon lequel s accomplit la manifestation
d'un phénomène quelconque est toujours transcendant par rapport
au contenu matériel de ce phénomène, il n'en est plus de même dans
le cas du phénomène originaire de la révélation Celui^ci, entendu
au sens d'une manière de se révéler, au sens d'un « comment », est,
sur le fond de son identité essentielle avec lui, coextensif à son
contenu. Toute manifestation est par p rinci p e inadé quate. Mais là
ot il n'y a pas de transcendance, u n'y a pas non plus de.nitudem
La sphère de la connaissance absolue est rigoureusement définie.
Le travail ontologique qui aboutit à la détermination de celle sphère n'est
autre que celui qi permet à la re ex'on de poser le probleme de la cotrncas
sauce de soi sur une base correcte. Aussi longtemps que la philosophie
reste prisonnière de l'idée d'un horizon transcendant de la connais-
sauce humaine, le rapport de l'ego à lui meme ne peut être compris que
comme un cas p articulier du rapport transcendantal de l'être-au-
,^
monde. Une fois écartées les interprétations fallacieuses de l etre
M. HENRY 3
L'ESSENCE DE LA MA NIFES TATION

qui commandent, le plus souvent, la compréhension existentielle


de soi merise, d reste que sur le plan ontologique
, le robleme
de l'être de l'ego est legitimement ^ subordonne
sens a celui du s
de 'être en g éneral
, st c'e
a dire - ` _ ; a la problemati
que de la transcen-
.dance .. La relation a soi ne se
peut produire que dans l'errance. Le
problème de la connaissance de sursoi
une se
basepose <
completeW
ment nouvelle lorsque, a la lumiere de la roble
p matique de l ''ima®
nence, cette connaissance cesse d'être envisa ee c omme un « rapport »®
g
La re'futation de la transcendance de '
l ego doue a l'égard de l9 ensemble
des. téses ontologi q ues, q ui sont avan ces
dais ces recherches, le
roie dgune. par deorstrato
l'absurde. Le concept d alienation.
perd.. toue signification ontologique lors que la -
xobleatique a m is
e 1umiere l'imarencce transcendantale d
e l' ego et que les rapp orts
de `la s ub' ecti^^ite absolu e et
du ^ ps ont ete definis con£ormement
py^
tem

â l'eidos de cette ianence ^- • .


. a co prehension de la signification
existentielle de l'alen at'
j.on humaine exige que soit établie une dise
tinetion rigoureuse entre le plan de l'existence et celui de l'ontologie
dette même distinction comprise dans sou rapport avec le robleme
de l'aliénation permet ^, - p
la reflexion de preparer les voies a une
comprehenion de l'essence de la libee (i).
E
n arrachant l'existence au milieu absolu de l'exteriorite, les
présentes recherches veulent a'.
ttirer l'attention, sur le caractère
^^ subjectif »
de cette existence • elles nous invitent a nous demander
s'il ne convient p as auj ourd'hui , de redonn
er un sens au concept de .
« vie intérieure ».

(r) Ives analyses auxquelles il vient d'être fait allusion n'


la destruction ontologique du paralogisme de °r.^ P^^ pas plus que
• la psychologie rationnelle , trouver
place dans ce livre , elles feront lsob travauxet ulténeurs.
de .
SECTION I

ÉLUCIDATION
DU CONCEPT DB PHÉNOMÈNE
LE MONISME ONTOLOGIQUE

8 'É ucIDATIoN DE L'ESSENCE DU PHÉNOMÈNE,


TACHE CENTRALE %E LA PÈNOMNOLOGIE

La phénoménologie est la science des phénomèneso Cela signifie


qu'elle est une description, antérieure à toute théorie et indépendante
de toute présupposition, de tout ce qui se propose a nous, en qualité
d'existant dans quelque ordre oui quelque domaine que ce soit.
Comprise comme une description, la phénoménologie implique le
rejet de toute hypothèse, de tout principe ayant une valeur unifi®
catrice réelle ou supposée à l'égard d'un groupe de connaissances et,
finalement, d'un secteur de la réalité qui trouverait en lui ` une règle
d'intelligibilité voire une condition nécessaire de soi existence. La
science il est vrai se preoccupe d'aller au-delà des faits et de les
coordonner dans des s Tsternes
^ d'explication . Mais, dans tous les cas,
l'élément scientifique et l'ensemble ou il entre renvoient nécessaire
ment à un donné phénoménolog i^.ûe sans le quel ils n'auraient à la
rigueur aucun sens. Bien p lus, ces éléments et ces systèmes n'existent
.
eux-mêmes pour nous qu'à titre de donnés. Ils se juxtaposent dans le
milieu phénoménologique à la réalité même qu'ils prétendent expli-
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

quer. Celle-ci , par suite, ne saurait être totalement réduite pas plus,
d'ailleurs, que ne saurait être ré duite la realile scienti iqile elle-même, sous
c
toutes ses formes. Leur valeur expl i ative une fois mise entre p aven-
thescs - (mais subsistant â ce titre) , les théories p enetrent dans notre
environnement titre de donnees. Comm e telles elles re uierent
q
elles aussi, l'a ttention du phenomenologue q ui est cap able de décrire
les structures de leurs configura tions propres. La meface dont
fait
preuve la pbeno oio g ie â l'e ard des co ncep tions p hiloso p hi q u es
o^a scientifique., tient se ulement au fait q ue celles-ci nous mas q uent le
plus uueflt use re alite dont elles oub lient ou travestissent les
carac ere et le propre en pensant l 'expliquer a Mais, a y regarde
de pre , cette rue s ce n'est pas discerna ble d'une vise e eonside
ration, lle c - l ' indice d ' u n trava il positf° Cc qui se tro u u, Iie ci
fta e ^ v,rta u .r.

lie i et k plus vo s û :r t p altere par les théo ries, c'est le sens même u
travall t Seo iode Ct de ses produi t s . C'est l'e^, ird de la sigr ^
^at^on
des ensembles constitues a titre de prinei es epheatifs que la . pbeno^
nienologi. accomplit d'abord soi œ r de ln servation, c'est l'être
des objets scie, nti ques et des groupes qu'ils constituent u'el e restitue.
dans son integrite en lui conférant un statu. C'est la phenomênolo ie
.
qui defend la science contre la tentation d'être une nouvelle méta-
physique
. e en lui interdisant de se constitues abso
zeal^te comrn un ° ' lue
^.^
et en opr r2nt au contraire l'insertion des edi . ces et des principes
abstraits dans ie contexte de l'experienee humaine . Si l'objet se en
ti qui f-st le rte que l'objet de cette experience ce n'est as seules
p
ment parce qu'il renvoie nécessairement à un objet d'experiene
(sensible ou non), mais c'est aussi parce qu'il est lui-même un objet
d experience0
Si le concept de henomenolo ie est facile à saisir dans sa signi-
fication négative, en tant qu'il implique la mise entre parenthèses de
toutes les interprétations et constructions que la pensée théorique
superpose au réel au point de prendre ses propres produits pour la
.réalité
, s et de les hypostasier sous une forme absolue, sa '
détermination
LE MONISME 0 NTO LO GIQ JE

positive, précisément parce qu'elle vise à nous introduire dans le


royaume de la positivité, réclame une analyse . Celle-ci doit être
centrée sur l'idée de phenomene, puisque, comme science des phéno
mènes, la phénoménologie prétend s ' en tenir exclusivement a ce qui
se manifeste, tel recisement :qu'il se manifeste. C'est nous, disait
usseri= qui sommes les vrais positivistes . Il s'agit assurément ici de
récuser l'empirisme et de reconnaître, comme source de droit pour
la connaissance, « non pas uniquement la vision empirique, mais
la vision en général en tant que conscience donatrice originaire.
sous toutes ses formes » (i). C'est lorsque l'élément proprement
théorique de la connaissance se borne à exprimer le donné intuitif
dans des significations qui lui correspondent rigoureusement qu'il
peut àservir_
titre de fondement,-pour le développement ultérieur de la
connaissance et être ainsi ce que Husserl appelle un « commencement
absolu»_ ou encore un « principe ». Parce qu'il repose exactement sur
ce qui se montre en soi-même tel qu'il est, l'énoncé phenoménoo
gique prétend avoir une valeur absolue. Absolue est en effet I_appa-
rence a laquelle il renvoie, en tant justement qu'elle est une apparence.
Ce qui apparaît est ce qu'on ne peut récuser, ce qui échappe a la
réduction. Une science véritablement positive est alors possible, en
tant qu ' e lle se réfère constamment à une telle apparence. Parce
qu'elle veut se fier a celle-ci et lui restituer toutes ses dimensions,.
R

la phénoménologie libère le fondement sur lequel pourront être


R

rétablis « dans leur ancien droit la métaphysique et, en même temps,


l'être et la vie,
. comme donnés absolus » (z). Et ailleurs, Scheler
ajoute .. « Une philosophie fondée sur l'intuition phénoménologique
de l'essence doit affirmer que l'être absolu est connaissable, d'une
façon évidente et adequate, dans chaque sphère du monde exterleur
et intérieur (s). »

(I) I deep I, 66.


(2) Idole, 8.
(3) Ibid.
62 L'ESSENCE DE L A MANIFESTATION

Une philosophie qui s'appuie


dorme sur le n'élude pas pour
autant, ü est vrai leprobl'
errze de la non-vente Mais elle a le mo yen
de substituer à la roblémati
• • p que traditionnelle de l'erreur, celle lus
tadical4, de l'illusion
justifie qui
en fait l'apparence, dont ' p
le « conten
est toujours «vrai. >^
resultant du l'illusion
transport inade uat ^d'un
^
Sachverhr^li dans- une aut re couche d
9
'être que la senneo Q uant à l'erreu r
qui n est, somme , toute, qu'un cas particulier de
illusion, l'' '
elle
consiste dans lgetabl ssernent d'un rapport de ^qu^^.t ^tentre un
ina
Sachverhalt pend dalJ ug le 'et
ement le Sachverhalt correspondant
present :dans l'intuition (ï) Mait lé han
p o.ene de la connaissance
renvoie toujours et dais tous les cas a a
un do i,e
A nn9 apparence q
ui
joue le rade d'ultime fondement et
qu il s'a g'' ..de
it seulement
comprendre dans son sens propre e de situe i sur le pkn d'être qui
est le sieno four cela. il sufFit de laisser ,^ A
apparaître l'apparence
telle qu'elle. apparaît et de
lire simple ment en elle ce qTLi est
indiqué.
La significat9ora absolue se
la phenomenologie de ^ •
fonde ainsi sur la
presence dé la close, c'est-â-dire sur son apparence Quand
prete la phen ornenolo g ie dans one ph^.. on inter-.
l©sophie de la conscience cette
si g nificat i on absolue se tra duit
p ar un dogmatisme de l'intentionna-
lité qui., pare qu'elle atteint l'ét "
re lui-même, est susceptible de
fournir â l' « argent ontologique » ^ .
un fondement reel, Mais si la
relation de la chose a la conseie.ce fait
delle,. en tant qu'elle est une
donnée phénomenolo i ue un absolu, la signification de celui-ci
apparats bien vite relative, West que toute a
, pparence comme telle
s entoure d'une zone d:gornbre. Ise donne phenom.enologzque enferme
en lui des implications dont le sens es t, chaque fors, de renvoyer à
quelque chose qui n'est as là.
p La signification de la henomenolo le
envisagée comme methode n' est-elle pas toute p g
• , , Justement, . fois, de pour
suwre
, 1qui
elucidation de <c ceque
est» cc
parimplique
le sens du co g•1-
(r) C. Idole, 25.
63
LE MONISME ONTOLOGIQUE

fatum sans être i ntuitivement donné» ( I), d'étendre ainsi le règne de


l' apparence, c'est-à-dire celui de la lumière et de la réalité, celui de la
ratlona'lite aussi, qui trouve dans l'apparence son fondement ? Mais
l'accomplissement du travail phenomenologique ne peut , malgré sa
signification
' positive, dissiper totalement l'ombre qui entoure l 'appa-
rence et vient mettre en cause son caractère absolu. Il n ' y a pas de
totalité intuitive, parce que l'élucidation de ce qui est impliqué dans le
donne apparent . ne peut se poursuivre que si ce donné fait le sacrifice
de sa presence au dé roulement ultérieur du processus phenome
devant nous ce a
nologique . Et cette interrogation se lève aussi
quoi renvoie l'apparence est-il susceptible de se donner a nous, a.
^. ^^
son tour, a tare d'a pp arence ? O u bien la finitude en vertu ..de laquelle
renvo1e4 elle pas
une app arence demande tougo rs a être elucidee ne
a ^.ne finitude,
' plus essentielle en vertu de laquelle cette élucidation
n'est en fait jamais possible
'apparence
a loi en tout casqui rescrit la mise en relation de l
avec un processu s phénoménologique d'explicitation, demeure etran^
g ère a la conscience naturelle pour laquelle les apparences se suecew
longtemps que
dent é trangère aussi a la phénoménologi e aussi
un positivisme,
celle-ci' ne se comprend pas autrement que comme.
fut-ce dans ce sens elargi qui restitue au pouvoir de a vision la
pl^:ral^te
e ss' dimensior
d s fondamentales . Cette loi, en effet, est
celle de l'essence qui n'est pas prise en considération tant que a
comme a l'absolu. Mais une telle
pensée s ' en gent a ce qui apparaît
pensée demeure au niveau d'une interprétation naïve et en quelque
elle fait usage d'un concept
, soue pré-critique de la hénomenologie ,
de phenorn.Lne qui demeure en fait non élaboré . Qu'est-ce donc, . en .
effet, qui rend possibles des phenomenes au sens du positivisme, qu'est-ce rus
sinon l'acte même d'apparaztre,
f onde la pre sence pour nous de ce qui apparad,
? Et tandis que la
l'essence du phénomène et de la présence en tant que telle

(I) SIC, 4z.


64 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

conscience naturelle se lamente devant le destin temporel de l'être


qui lui advient, la pensée qui se soucie de l'essence comprend la
necessité de remonter a la loi qui commande ce destin . Car le contenu
qui nous app arat cha q ue fois n'est p as resp onsable de ce destin il le
subit plutôt comme une loi etran gere. Mais la raison q ui le p ose dans
l'apparence lui echa-p.:.pe au même titre q ue celle ui l'arrache à
q
l'existenceo e n'est, a vrai dire, q u'une seule et même raison , une
seule
. et même loi, qui fonde et qui supprime et le contenu ne la
contient pas
La dependance fon. iere de ce spi apparaît a l'e ard de l'acte d'a a^
F ai r^ exige que celui-ci fasse desormais le theme de la problemati uea
Celle-ci vise la présence de ce qui est p resent elle se refere a l'essence
sur e fondement de laquelle tout ce qui nous est. donne peut preciA
se ent erre l pour nous. Son objet, c'est le trode de rnarn estatton e ce
qui se manifeste, c'est, comme le disait del a Heg el commentant les
religions de la l aiere « la simple manifestation »^ A un tel objet
la pensée ne , parvient que lorsqu'elle est capable de dep assez la
.
consideration de l'existant singulier qui se propose a nous, pour
o
s élever a l'être de cet existant, c'est -a-d re â l'acte d 'a araître
pp
comme tel. La critique du positivisme signifie que la p enoenolo g ie
ne saurait se confondre avec une description d'ordre ontique, si
étendu qu'en soit le champ, mais qu'elle n'acquiert sa signification
.
prprenlent philosophique que lorsqu'elle se comprend dans son
dessein ontologique conforme ment auquel elle opere ce de p anse
ment
de l'existant vers l'essence qui le fonde dans son êtree La pbenome-.
noiogie est la science des phenomenes dans leur réalité. Son objet
n'est pas l'ensemblephenomenes,
des avec leurs structures , par
et
suite, leurs domaines spécifiques, mais l'essence du henomene comme
tel, La réduction phénoménolog i que ne cherche pas à sauver
certains contenus considérés comme « certains », tandis que d'autres
seraient frappés ou suspendus . La réalité qu'elle dé g age comme un
fondement irréductible, n'est pas un phénomèneprvilég ié, c'est
LE MONISME ONTOLOGIQUE

l'essence omni- p résente et universelle de tout phénomène comme


est une avec ld
. tel. Pour cette raison, la réduction phénoménologique
réduction e adeh ue comp rise en un sens ultime. La reduction est a
'
libération de l ' essence qui ne saurait être réduite et qui subsiste seule,
a titre de condition. La réduction `nous introduit alors dans la sphere ,
de l ' absolu . Que la condition soit l'absolu, cela résulte du fait quelle
n' est pas : posée par l'analyse et pensée seulement comme necessaire.
condition est ^ esse v ce du p
La condition henomene, l'a pp arence comme telle,
dans son acte d'apparaître. La vérité transcendantale à laquelle nous
i^.trodait
eduction• phenomenolo igue l n'est
a pas r une - realite
^ myste-
rieuse - x, elle est la vérité même, identifiee avec l'erre, en tant
A
qu cc erre . >a et « vérité » ne désignent rien d'autre que l'apparence
comme telle A .e et la vérité sont contemporains, dit Heidegger (i)
. L'etr
Cela signifi^,^e que _le fait d'apparaître est ce qui confère a toute chose
l'être et que 1a vérité comprise en un sens premier, n'est elle-même
A r
rien d'autre que cet acte d'apparairre considere en et pour lui-même
Cette vérité en tant qu'elle est transcendantale, nous pouvons aussi
l'appeler Bile est l'élément formel, proprement ontolo
gique, . auquel appartient tout phenomene en tant justement qu'il est
un « phénomène ». L'insuffisance du positivisme tient à ce qu'il ne
qu'il présuppose constamment en
rend pas compte de la p ositivité A
décrivant des phénomènes mènes sans s'être au préalable interroge sur l'être-
phénoménal comme tel.
En tant qu'elle s pattache a l'essence du phénomène, la problé-
' la phenomenologie doit être comprise dans
matique qu'institue •. sa
signification absolument universelle et fondamentale. Tandis que
l' erreur ou, plus exactement l'illusion est, du moins pour le posi-
' phenomenologique' un probleme, la réflexion qui vise
tivisme
l'essence du
ène trouve dans l'examen de la « simple appa
rence » une confirmation de son caractère absolu. Car l'essence

( I) Cf. SZ, 2.30.


GG L' ESSENCE DE LA . MA NIFÉS
TATIO.IV.

est «l'acte d ' app araî tre dont a besoin même


•- l'apparence p our être u ne
simple apparence » ( i) . Erreur_, , 'illusion , vérité (en un sen s rationnel
sflrlt Co- deterr13i11
ees par un fondement commun. C'est la vente/
absolue qui permet â l'ilusion de se manifester " et la fonde ainsi
dans son étre. L'erreur n'est as -
p un instant separee de l'absolu.
L'immanence du savoir ab y
solu au sein du savoir non vrai est ce `
nous. permet de répondre â la. qui
question de Hegel ô comment le savoir
vrai peut-il ;faire la preu\re
. de sa vérité contre
Alrii'ie.ra°t-ig si^.^.i Fnt
le savoir non vrai
^ q st le^:'^:l e sa^Toir ? «Far. une telle
vrai
assurance, remarque lebel, il declarerait en effet
loris son ^ que sa force réside.
être, nais le savoir non vrai fait e alement appel a ce même
fait qu'il est (2) . » Il ne manque, toutefois au savoir non vrai que de
comprendre le sens de son arrnatiori p our être lui
aussi un savo ir
vrai et réer. Car le fait, q ue l e savoir non vrai soif, c ' est
Justement
celi qui fa i t de ldi un saoir vrai
^ ^ absolu Le savoir est la
en un ^ens
manifestation et, comme tel, l'essenee: 9.
Parce qu'il est un savoir, le
savoir non vrai est lui aussi quelque chose qui se nanife
e^ lui comme ^.ste, il poste
sa condition l'acte de se manifester c'est-
l'essèrice. n réfi' , a-dire
satioâr echissant pp ^ sur r
l'acte
le d'afait
araitre suque le
r même apparent apparaît, la roblemati ue u' ' ry
réduit ` les
a elle et se subordonne ^ q q ui vise l 'essence
roblemes
p seconds qui concernent
. la « vérité » ou. l' cc erreur» lr « apparence ^
» ou la, « realite », entendues
claque
. fois dans ur sens
particulier Elle a, quarta ellesd un sens.
umversel, en ceci qu'elle montre que la reali
de te est lusteme^t la .réalité -
l'apparence, sous toutes ses formes
., et, pag• suite, une réalité
absolue. Elle s'éléve dés lof • - - . ,
i s, a l'idêe de l'égalité du savoir vrai et
du savoir non: vrai au regard du
savoir absolu. Le sa^Toir vrai, par
opposition au savoir non vrai n est
vrai qu'en un sens second ,:, . Car}
comme le soleil luit sur les justes et
sur les injustes, . a vérité compri se
. ,

(x) H, 129.
(2) PhE, I, 68,
LE MONISME ONTOLOGIQUE

en un sens absolu ne fait pas de distinction et, dans son pouvoir


ontologique, elle promeut à l'existence et protège également l'illu-
sion et la « réalité •». Elle est la réalité absolue, la vérité du vrai
et du non vrai l'origine qui éclaire toute chose , l'universel fondement.
Il est vrai que la conscience naturelle oublie le plus souvent
l'essence qui lui fait le don de la p résence et que, par opposition à
son savoir a pp arent, on peut appeler savoir vrai ou réel celui qui
reconnaît l'ceuvre de l'essence . La phénoménologie est justement le
savoir vrai ainsi entendu en tant que, comp rise dans sa signification
universelle 9 elle vise à être le savoir de l'essence. La phénoménologie
est la science de l'essence du phénomène. C'est parce qu'il comprend
l'être comme l'essence du phénomène, que Heidegger peut dire que
la phénoménologie est la science de l'être et, comme telle, l'ontologie.
.
Car la phénoménologie ne consiste nullement dans l application d'une
méthode monotone à des problemes divers. l convient de distinguer
i les problèmes ultimes de la phénoménologie qui définissent le
champ d'une phénoménologie première, par opposition a une.
phénoménologie seconde chai vise à élucider le sens de l'être dans les
différentes régions. Des expressions telles que ^< phénoménologie de
l'être », « phénoménologie de l'ego », « phénoménologie du temps »,
sont par elles-mêmes essentiellement ambiguës, car les disciplines
qu'elles indiquent risquent de se trouver juxtaposées dans notre
esprit avec une phénoménologie des formes sociales ou de l'objet
mathématique, par exemple. Or, tandis que ces dernières recherches
appartiennent manifestement au domaine d'une phénoménologie
seconde, le problème se pose au contraire de savoir s la phenome^
nologie de l'eg o ou du temps ne relève pas de la phenoménologie
entendue en un sens premier. Auquel cas, l'ego et le temps ne seraient
as des réalités du même ordre que la société ou les mathématiques,
p
en ce sens que, loin d'être soumises à l'essence, elles appartiendraient au
contraire à sa structure interne et entreraient ainsi , a titre d' éléments consti-
tuti.^s'dans lafde inition immanente de la vérité absolue.
(8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Mais si une telle question ne peut recevoir sa réponse que lors -


qu'aura été tiree au clair l'essence du phenomene, ce qui apparaît
très nettement des maintenant, c'est que l'ob j et de la phenomenologie
première ne saurait lui être extérieur. Il lui est au co,'itraire si intérieur
qu'elle se, fonde sur lui et trouve en lui son rinci e. Cet objet c'est l'essence
du phénomène et la phénoménologie n'est rien d' autre q ue la mise
en oeuvre de cette essence en tant que, sûr le fondement de celle-ci 9

elle vise une « élucidation: », c'est-i-dire une promotion et une réal-


sinon dans la Presence. La consprehension du lien qui unit la pheno- .
menologie (en tant que phenonenologie premiere) et son objet
se révèle cependant difficile 4 La phenomenolo ie est, en effet le:
mode de traitement que nous croulons faire subir ala réalité , c'est-
a-dire â l'essence. Elle est le « comme t » qui nous indique lam ani'
ere
de
. traiter ce qui doit être,. debattu par_ elle. Ce qui doit être débattu.
toutefois, n'est rien d'autre que le « comment »' c'est la maniere
dont la realite se mani feste et doit se manifester â nous. La réalité
du réel n'est en effet que la manière don t le réel se manifeste. « Onto-
logie et phenomenologie ne sont p as , dit Heidegger, deux disciplines
appartenant l'une â côte de l'autre a la philosophie. Les deux titres .
caracter. sent la philosophie mène d'a rés l'objet . et le mode de
p
traitement (I), » Mais, dans le cas q ui nous occu pe, l'objet est le mode
de traitement lui-me e. La phenomenolog ie est ce q ui nous donne
accès au phenomene compris dans sa realité c'est-à-dire au pheo n-
mène en tant. que tel. Mais la voie d'accès au phenomene est le pheno-
mene lui-même. La phenomenologie se p ro p ose a nous comme un
moyren, le moyen d'apporter prés de nous l'essence concrète et vraie,
l'essence de la présence , l'absolu en . tant q
qu'il est la Parousie.
e Mais l
moyen est l'absolu lui-même, p uis q ue l'acte d'app orter p res de nous
est l'oeuvre de l'essence , en tant qu'elle est l'essence de la présence ,
la Parousie et l'absolu. La p hénoménolo gie recherche la Parousie

(I) SZ, 38.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 69

de l'absolu sur le fondement de l'absolu compris comme la


Parousie.
En tant qu'elle est l'applicat ion de la méthode phénomeno-
o g i q ue au p roblème de l'essence du phénomène , la phénoménologie
se meut dans un cercle. West :la le signe de son caractere absolu.
Ce caractère absolu de la p roblémati q ue qu'elle institue ne signifie
pas que la phénoménologie soit sans présuppositions Elle admet
au contraire une présupposition fondamentale en tant que cette ,
présupposition est le fondement lui-même, l'absolu. La phen omeno =
loge est une recherche qui vise a élucider son propre fondement,
^La phénoménologie
elle est une réflexion sur elle-même. ^ ^ est son
propre obletS
Les problèmes ultimes de la phénoménologie se rapportent à
la réflexion de la phénoménologie sur elle-même et °sur
^.son fonde-
rente C'est dans la repos se apportée ces probie ' s ultimes que
se décide
é 1. sens de la phénoménologie. Celui-ci dépend en effet
e l ^ ature d ; fondement Comment la phén omé nologie peut^eiie
f^
'^
d`1,.s J^ {iy
y7
x8.

entrer en rapport avec l 'essence, c esta die avec le comment fonda®,


mental conformément auquel la réalité se réalise en se faisant «pheno^
m èn e > s cela dé p en d évidement
de la natu re du « Comment ».
Le problème de l'essence ou. phénomène est premier par rapport à
celui de l'élucidation. La phenoménoiogie se laisse guider par
son objet. Le Comment de son approche est subordonné au Comment
alité dont elle approche, réalité qui est le « Comment .» lui-
la réalité
ême. West finalement cette réalité qui vient au-devant e nous et
même.
qui n°ous
re L' ia
La aniere dont cette réalité Nient au-devant de
^^ ^i.^^.a

nous °ne doit-elle p as commander la manière dont nous l'accueillons


et nous ouvrons a elle Ou bien plutôt le comment de notre accueil
nedoit-il
être pasete n'est - il pas nécessairement le même que le
comment de la venue en nous de l'absolu ? L'oel par lequel l'absolu
nous regarde est le même que celui par lequel nous regardons
l'absolu. Mais comment faut -il comprendre cet oeil qui est l'absolu
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lui-même ? Quelle est la nature de la vision ? Quelle est l'essence du


phénomène
A nette question demeurent . sus p endus tous les problemes,.
deja formulés ou seulement entrevus, qui se rapportent â la phé_no- .
menologie premiere. La compréhension du lien qui unit l'ontologie b.
et la phénoménologie demeure indéterminée aussi longtemps que la
pensée n'est pas parvenue a l'intérieur de la structure de l'essence.
Parce qu'il demeure subordonné a une essence nov élucidée le projet
même d'une élucidation de l'essence, qui definit d'abord le travail
méthodologique de la phenamenologie, demeure incertaina l'egard de
lu .même, de son sens et de son fondement. On ne se lause assurément
pas arrêter par l'objection du cercle : le travail d'élucidation s'engage
et se poursuit sans crainte de s'écarter de l'essence, puisqu'au contraire
il se confie a elle et q u'ainsi l'essence finira bien p ar se rendre trans
parente a elle-même au sein de ce traa.. A moins que ce ne soit une
volonté de l'essence de refuser cette transparence finale et de se
viaintenir définitivement dans le mystere. e toute façon, nette
voion.te sera tirée au cuir, et l'essence apportée devant elle-même.
Comment devra s'opérer, il est . vrai, cette mise de l'essence
en présence d'elle-même ? L'essence. comprise comme , le pouvoir
ontologique qui fonde toute présence n'est certes pas etrangère à la
-,
conscience naturelle. n tant que celle-ci est une conscience, un
être-la, le savoir absolu lui est immanent. Mais la saisie themati ue
de l'essence, le savoir vrai et reel, c'est-a-dire le: satiToir du savoir
absolu compris dans son absoluite, consiste-t-il dans la representa-
tion de l'essence ? Cela ne se pourrait que si l'essence elle-merise
consiste dans la représentation. Et nomment faudrait-il . interpreter
la nature de celle-ci ? Ainsi la comp rehension du rapp ort de l'essence
â elle-même dépend finalement de la détermination de la structure de
l'essence. Cette détermination peut seule dire si, finalement, un tel
« rapport » a un sens.
« Dans la sphère du p s ychi que, dit Husserl, il n' y a p as de Biffé-
LE MONISME ONTOLOGIQUE

rence entre être et apparence ( i).» Mais cette affirmation, sur laquelle
on a cru pouvoir fonder le caractère absolu de la problématique
phénoménologique en tant qu ' elle vise la sphère immanente de la
conscience, demeure en fait une indication extrêmement vague tant
qu'on n'a pas défini ce qu ' il convient d'entendre par le fait d'appa-
raître . De même, si l' on dit qu'il y a dans l'essence même quelque
chose qui n'apparaît pas, ce qui n'apparaît pas, ou, pour être plus
exact, le fait de ne pas apparaître , demeure aussi indéterminé dans
son être que la pure et simple manifestation , aussi longtemps
que celle- ci n'est pas saisie d'une façon rigoureuse dans son
essence . Bien plus, le fait de ne pas apparaître n'a peut-être
qu'une signification limitée , purement négative, s 'il demeure en
relation avec un concept non élaboré de l'essence phénoménale,
car il se pourrait que ce qui est donné comme n'apparaissant pas
ne soit tel qu' au regard d'une conception unilatérale et, comme
telle, abstraite de l'essence . Pousser jusqu ' au bout la détermination
de l'essence afin de la reconnaître dans son caractère pleinement
concret c' est peut-être mettre en lumière une Forme, un Comment
plus fondamental dont la loi confère une présence, quoique.. d'un
autre ordre , à ce qui était primitivement pensé comme « n'appa-
raissant pas »
La détermination de l'essence doit également nous fournir le
cadre ontologique pour une discussion du rapport de cette essence
à l'existant qui trouve en elle son fondement . Cette détermination
eut seule dire, en effet, si le dépassement du positivisme ëst, au
point . de vue ontologique , définitif et sans appel, si la transgression
de l'existant s'o p ère sans retour, et si l'essence qui s'acquiert dans
une telle transgression peut se refermer sur soi , s'abstraire de la
détermination ontique, s'absolutiser dans cette abstraction et subsister
ainsi cependant, en préservant son absoluité dans son autonomie.

(i) Logos, 1913, cité par SCHELER in Idole, 6i.


L'ESSENCE DE LA MANIFES TATION

C'est la faon de ` comprendre le c


aractere concret de l 'essence et
finalement, son absoluite' qui est en question.
]La détermination de la structure interne de l'essence est seule
susceptible , enfin, .
de délimiter le champ des. problèmes ultimes de la
phénoménologie. Elle seule peu t dire si la phénoménolo
g de l'ego
appartient es à ce premiers,
problèmes champ et en qu die ego
et sens..
La - tache d'une détermination de l'essence du phénomène a a_
paît ainsi comme la tâche central pp
e de la phénoménologie, elle s'impose
a nous,. et cela d ' une façon d ' autant
plus urgente que c ' est sur le
fondement d'une conception inexplicitée du phénomène ue 1
philosophie a a , depuis toujours ,
posé et résolu ses problèmes. L'élu-.
-
cidation de l'essence du phénomène
` que, montrera lo rsque cette
essence aenfin - fait le thème d'une
n'a problématique celle-ci explicite ,
fait que ratifier, en les octant . à l' . .
ontologiquesq u.^ ,ont, p absolu, les présuppositions
depuis l ' origine et d'une façon res
puis
ininterrompue, guidé mai . s aussi, p que
et bien plutôt, égaré la recherche
et la pensée philosophiques.

9. LA DÉTERMINATION UNILAT'
. ERALE DE L'ESSENCE DU PHÉNOMÈNE
ET LE CONCEPT DE <( DISTANCE
PHÉNOMÉNOLO GIQUE

Dans ses Objections aux Méditations de Descartes G


- ^ Gassendi déclare
Considérant. pourquoi et comment il se eut faire qu
e d'oeil ne se
voit
• point lui-même ni que l'entendement ne e
conçoive point,
m'est venu à la p
ansée
en q ue :
ri n ' agit sur so i -même; car,
en
^ effet,
la main, ou du moins l'extrémité
rémité de la main, ne se frappe
ppe point
elle-meure, nt le pied ne se donne point un coup. Or, étant d'ailleurs
pou eurs.
r avoir la connaissance d'une chose que cette chose
agisse sur la facult é qui connaît , c ' , . ,
est-a - dire qu'elle envoie en elle son
espèce ou bien qu'elle l'informe et la remplisse .
de son image, c'est
une chose évidente que la faculté même, n'étant point hors de soi,
ne peut transmettre en soi son espèce ni par conséquent .
former. la
LE MONISME . ONTOLOGIQUE 73

notion de soi-même. Et pourquoi pensez-vous que l'aeil qui ne se voit


pas en soi se voit néanmoins dans un miroir ? C'est sans doute parce
qu' entre l 'oeil et le miroir il y a un espace, et que l'oeil agit de telle
sorte contre le miroir, envoyant vers lui son image , que le miroir après
. Donnez-
agit contre l ' oeil en renvoyant contre lui sa propre espèce
moi donc un miroir contre lequel vous agissiez en même façon, et
je vous assure que,^ celui-ci réfléchissant contre vous votre propre
ourrez alors vous voir et vous connaître vous-mêm e ,
,
es èce vous
p p
non pas à la vérité p ar une connaissance directe, mais du moins par
une connaissance réfléchie ; autrement je ne compte pas que vous
(I) . » L empi
puissiez avo ir aucune notion ou idée de vous-même
rimme . apparaît
dedans ce texte surdéterminé par des
Gassendi -
conceptions héritées de la philosophie scolastique et, par l'inter-
' de celle- ci de la
mediaire p ensée antique . Ces conceptions ne consti -
tuent pas le fond cependant , de l'argument ici dirigé contre Descartes,
et l'empirisme n'est à son tour qu'une expression possible de la pré-
'tion ontologique fondamentale qui, bien qu'elle ne soit ni
supposition
énoncée, ni même clairement aperçue, est cependant au. centre de cet
la théorie des espèces,
argument. A cette présupposition ontologique ,
l' idée de
'action
1 a distance sur les choses et sur soi, celle du « miroir»
enfin, ne sont cependant pas étrangères, elles constituent bien plutôt
lever sur un
diverse s façons pour une pensée qui n'a pas encore su é
plan ontologique la problématique qu'elle institue et qui vit de
les présuppo-
« d'exprimer , à travers celles-ci précisément ,
»,théories -
sitions ontologiques ultimes dont les théories ne sont , à vrai dire,
jamais entièrement séparées. Qu'une seule et même présupposition
cela atteste la persistance a
s' exprime à travers ces diverses théories ,
sous un matériel
travers l ' histoire d'un horizon ontologique commun
philosophique variable ; et qu'un tel horizon ait pu demeurer intact
jusqu'à nos 'ours malgré tant de révolutions de la pensée et en parti-

(I) AT, VII, Z92..


74 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

culier malgré la révolution cartésienne pour cette raison que ces


bouleversements se sont toujours produits à l'intérieur et sur le
fond de cet horizon , bien loin de le mettre en question c'est
-
ce qui apparaît avec évidence si l ' on veut bien comparer au
texte
de Gassendi celui où un auteur contemporain , commentant l'onto-
logie moderne, s'exprime en ces termes : « Pour
voir quelque chose
il faut ce qu'on appelle du champ. Je ne vois
distinctement cet
encrier, ce livre, que parce qu'une certaine distance m'en sépare.
Si je les rapproche de mon oeil 'e les aperçois de moins en moins
à mesure que diminue la distance . A la limite, )e ne vois plus. rien.
Quant à ma cornée, il m 'est à j amais interdit de la voir .
Je puis en
apercevoir l'image dans une lace et la structure dans
g un traite d'ana-
tomie. Mais ce n'est plus elle que j e vois. Certes
, elle peut encore être
vue. Mais c'est seulement par un autre queparce moi et ' a du
qu'il
champ . Bref, la connaissance immédiate est en réalité
toujours médiate...
Elle s'opère par l'intermédiaire d'une distance minima. 4r, c 'est un fait
que.l'être se connaît, par l'homme ou par n'importe quelle conscience.
Il faut donc que l'être soit à distance de lui-même.., (I). »
La présupposition , sous-jacente au texte de Gassendi, et qui se fait
plus nettement four ici, n'est certes qu'assez vaguement esquissée.
La signification ontologique de cette est mise en question
présupposition
au moment même où elle semble affirmée
puisquelaseule précision
apportée à la nature de la distance qui
posée est osée
comme c'
la condition
de la connaissance de l'être , tend à confondre cette distance avec
une distance réelle, assimilable à une caractéristique ontique de
t'existant . C'est la cornée de l'oeil en effet, qui
est comprise comme
le point zéro de cette distance dont on admet par ailleurs quy-elle
peut être plus ou moins grande . Il reste que la « distance »intervient
comme une condition universelle de la connaissance, _ elle
, s'impose a
celle-ci, dans son accomplissement , avec un
e nécessite d'ordre

(I) i+• MAL VERNE, I,a condition de l'être in Rev. M'et. Mor.,
janv. 1949, 42.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 75

éidétique : « la connaissance i mmédiate est en réalité toujours médiate».


Ce dont la distance est la condition n'est encore pensé, il est vrai, que
sous le titre de connaissance . Il n'y a là toutefois, dans la pensée
de l'auteur , nulle restriction apportée à la signification universelle
et éidétique de la condition ainsi définie , celle-ci ne se limite nullement
au seul phénomène de la connaissance , ce qu'elle vise à définir, c'est
bien plutôt la possibilité même d'un « phénomène » en général. Que
celui-ci, compris dans sa structure ontologique universelle soit
faussement identifié avec la connaissance entendue en un sens
classique, • c'est là justement un héritage de la pensée classique. Ce
qui est finalement visé, malgré les imperfections et les imprécisions
de l'analyse, c'est donc la possibilité ontologique et universelle d'un
phénomène en général, c'est l'essence du phénomène . En tant qu'elle est
pensée comme la condition du phénomène comme tel, c 'est-à-dire
identifiée avec son essence , la distance en question mérite d 'être appelée
par nous « distance phénoménologique ». C'est seulement avec le
concept de « distance phénoménologique » que nous nous élevons
à la présupposition ontologique ultime qui est sous-jacente aux textes qui
viennent d'être évoqués.
Compris dans sa signification ontologique comme la condition
pour que quelque chose comme un « phénomène » s'offre à nous, ou,
plus exactement , comme la structure même de la phénoménalité, le
concept de distance phénoménologique doit évidemment être dis-
tingué de celui de distance spatiale ou « réelle ». La distance qui
sépare les choses ou qui nous sépare d' elles est une distancé que
nous pouvons mesurer objectivement mais qui existe déjà antérieu-
rement à toute mesure de cette sorte, en tant que distance immédia
tement éprouvée , appartenant au monde ambiant . Toutefois, cette
distance vécue dans l 'expérience perceptive originaire repose à son
tour, tout comme l'espace qu'elle vient structurer et auquel elle
appartient , sur une spatialité plus originaire qui n'est autre que
le milieu phénoménologique primitivement ouvert pour que quelque
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

chose comme un espace puisse d'abord se manifester. Cette spatialité


originaire est le phénomène du monde, le phénomène de tous les
phénomènes , leur visibilité comme telle. Le monde, entendu dans sa
mondanité pure , est justement cette visibilité elle-même à laquelle
toute chose emprunte la possibilité de se manifester et d'être ainsi un
« phénomène ». Le monde est la condition transcendantale de l'espace,
car, comme l'a montré Heidegger, loin que le monde repose dans
l'espace, c'est au contraire l'espace qui repose en lui. Or, le concept de
distance phénoménologique n'est point lié à l'espace et' c'est en cela qu'il
,
diffère fondamentalement de notre concept ordinaire de distance.
« Fondamentalement », c'est-à-dire en tant qu'il appartient au fonde-
ment, à la mondanité du monde.
Le concept de distance phénoménologique n'est pas seulement
« lié » à celui du « monde », le déploiement de cette distance est un, en
réalité, avec le surgissement du monde dans sa pureté. Compris dans sa
signification ontologique radicale, le concept de distance phénomé-
nologique vaut comme un titre pour l'essence.. Mais cette signifi-
cation ontologique n'est sauvegardée, et d'abord pensée, que si le
concept de distance reçoit , par opposition à toute idée d'une distance
spatiale, la signification originaire d'un pouvoir . Les distances sur
lesquelles nous appuyons le concept qui leur correspond habituelle-
ment dans notre esprit, sont des distances trouvées. Trouvées, elles
le sont, il est vrai, à l'intérieur d'un champ qui , avant d'être spatial,
est un champ phénoménologique. Mais la distance, en tant qu'elle
caractérise maintenant l'extension phénoménologique originaire et
non spatiale de ce champ pur , n'est point à son tour trôuvée. Elle est
bien plutôt le pouvoir qui nous permet de trouver, l'oeuvre originaire
de la transcendance qui déploie l'horizon . Elle est 1' « éloignement »,
mais compris, comme le veut Heidegger, « en un sens actif et tran-
sitif » ( z). Avant de concerner l'être-éloigné, la distance est ce gui

(I' SZ, I05.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 77

éloigne. Elle est ce qui éloigne, non point comme un comportement


particulier et déterminé, celui par lequel nous repoussons un objet sur
la table ou lançons une pierre dans le champ. Un tel comportement,
matériel ou non, n 'est encore, en effet, qu'un processus d'ordre
ontique . Il présuppose, comme condition de l'acte d 'éloigner qu'il
accomplit chaque fois , un éloignement plus originel, à savoir l'événement
ontologique qui fait surgir l'horizon vers lequel et à l'intérieur duquel des
actes concrets d'approche ou d'éloignement peuvent avoir lieu en
fait. La distance phénoménologique façonne les lointains originels,
elle déploie l'ultime horizon de visibilité à l'intérieur duquel toute
chose peut devenir visible pour nous. Toute présence est une présence.
à partir de l'horizon et sur le fond de celui-ci. L'horizon déploie
justement le milieu de la présence, il ouvre la dimension ontologique
de l'existence La distance phénoménologique est le pouvoir ontolo-
.
gique qui nous donne accès aux choses elle est cet accès lui-même,
,
un accès dans et par le lointain.
Nous disons des choses qu'elles nous sont lointaines ou proches
et cette détermination varie corrélativement avec les modalités du
comportement ontique réel ou virtuel qui nous relie à elles. Mais
cette relation, avec ses caractères chaque fois déterminés , s'appuie sur
une relation plus originelle, qui est l'oeuvre du lointain . Proximité
et éloignement sont deux modalités à l'intérieur d'un éloignement
plus fondamental qui appartient, à titre de condition, à la structure
même de la phénoménalité . L'essence du phénomène est l'éloigne-
ment lui-même en tant qu 'éloignement transcendantal . C'est cet
éloignement qui est la condition de toute présence, c'est lui qui
constitue la proximité , d'ailleurs variable, des choses, proximité dont
l'éloignement dont nous parlons habituellement n'est qu'une moda-
lité. La proximité; comprise non plus comme une caractérisation
d'ordre ontique mais dans sa possib ilité ontologique, c'est-à-dire
dans son essence même, est une avec l'éloignement primitif qui est
1'oeuvre de l'essence. Proximité et éloignement sont des titres équi-
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

valents pour l'essence du phénomène considérée dans sa p ureté; p ris


ensemble ils signifient que l'essence de la présence recèle en quelque
sorte une antinomie interne, mais celle-ci est justement ce qui confère
à l'essence son p ouvoir ontolo g i que p ro p re. L'éloignement est la
condition de toute présence , la présence comme telle . Le lointain est
l'essence de la proximité . « Ainsi donc, peut dire Heidegger, l'être
humain.,, est un être du lointain . C'est uni uement ar ces lointains
q p
originels qu'il se façonne dans sa transcendance envers tout l'exis-
tant que grandit dans l'homme la vraie p roximité des choses ( 1 . »
)
La compréhension du statut transcendantal de l'éloi gnement
nous invite a réfléchir sur le caractère non originaire de la signifi-
cation des concepts de « proche » et de « lointain » déjà en usage
dans la philosophie classique et repris par Husserl dans la hénomé-
p
nologie de la raison. Lorsqu'il étudie, • dans les Ideen ar exem le la
, ^ p p
« proximité » et l « éloignement » du donné, ou, dans Erfabrung und
Urteil, les différences d'app arence des objets selon le « p rès » ou le
« loin », ainsi que , pour chaque objet, sa fa çon de passer du « loin »
dans le « près » , les caractères phénoménologi ues ui sont alors
q q
visé s ne se réfèrent encore , de toute évidence, qu' aux divers contenus
de la pensée . C'est chaque fois un contenu, qu'il s'agisse d'un objet
empirique ou idéal qui est dit proche ou lointain conformément
,
à la façon dont il se donne selon une sérié de de grés de clarté ou
d indistinction, tandis que la conscience ui obéit au T&Xo de l'évi-
q S
dence cherche à parcourir cette série de degrés dans le sens qui
aboutit à la clarté la plus grande p ossible p our un contenu déter-
miné. Lorsque ce degré de clarté maximum est atteint , on dit que
l' objet se trouve dans une « proximité absolue » (2), Sur le lan .
p
ontologique, toutefois, ce concept de roximité absolue n'a à
p
la rigueur, aucun sens . La proximité en tant que telle est toujours absolue,

(r) W G, III.
(2) Ideen I, 218.
LE MONISME ONTOLOG QUE 79

comme est toujours absolu l 'éloignement qui ne fait qu'un avec elle. Il n'y a
de degrés dans la proximité qu'au moment où celle-ci cesse d'être
considérée dans sa signification ontologique en tant qu 'elle appar-
tient, comme structure constitutive, à l'essence de la phénoménalité,
pour devenir une caractéristique phénoménologique de l'étant lui-
même. Considérée comme le pouvoir ontologique qui nous donne
accès aux « phénomènes » et fonde ainsi la « connaissance » dans sa
possibilité, la distance phénoménologique ne saurait être dite plus
ou moins grande et il n'y a aucun sens à parler de « distance minima ».
Lorsque la distance entre mon oeil et l'objet diminue progressive-
ment, il ne s'agit évidemment que d'une distance spatiale. Lorsque
cette distance devient nulle, je ne vois plus rien, nous dit Malverne.
Mais lorsque je dis que je ne vois plus rien, cette proposition, si elle a un
sens, commente une expérience . Que je ne vois plus rien, c'est là un fait
positif, un « phénomène ». Pour lui, l'essence a déjà accompli son
oeuvre, une distance s'est déployée qui n'est certes ni spatiale ni
« réelle » mais constitue bien plutôt la réalité même du réel , la possi-
bilité de toute présence comme telle. Cette distance phénoménolo-
gique transcendantale se distingue ainsi, de la façon la plus nette,
de toute distance spatiale, puisqu'elle subsiste dans son absoluité là
même où la distance spatiale devient nulle, là aussi où la structure de
l'être est telle qu'il n'y a plus aucun sens à parler de distance spatiale.
Dans le cas des distances qui structurent le monde objectif et d'abord
. celui de la vie, il est clair qu'elles appartiennent à l'étant intramondain
à titre de déterminations ontiques. C'est justement dans la mesure
où elle apparaît comme une détermination « catégoriale », pour parler
comme Heidegger, c'est-à-dire relative à l'étant non Dasein, que la
-
distance est susceptible d'une différenciation; en tant qu'elle est un
« existential » au contraire, c'est-à-dire co-appartient à la structure
ontologique de l'essence , elle porte en elle cette caractéristique
éidétique qu'elle est toujours une distance absolue.
En tant que distance absolue et transcendantale , la distance
8o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

phénoménologique doit aussi être distinguée dans son • concept


de celui de « distance existentielle », qui caractérise la proximité
plus ou moins grande dans laquelle se tiennent pour nous les choses
selon l'intérêt que nous leur portons. Cette proximité n'a aucun
rapport avec la proximité spatiale Des choses fort éloignées de
.
nous dans l'espace peuvent nous être très « proches », et nous
pouvons nous faire les « contemporains » d'un événement qui . s'est
produit il y a vingt siècles. La distance existentielle est liée au Souci.
Le Souci vit dans le monde ambiant, de telle manière cependant que
ce n'est jamais du monde comme tel, mais seulement de ce qui
arrive à l'intérieur du monde qu 'il se soucie. Il y a dans le Dasein,
dit Heidegger, une tendance fondamentale vers le proche : Mais ce
qui est proche de nous c'est toujours tel ou tel contenu déterminé,
,
ce n'est jamais la proximité comme telle. La proximité est au contraire
ce qui est le plus loin de nous , et cela non pas parce qu'elle est
en soi identique à l'essence originelle du lointain, mais parce qu'elle
n'est jamais pour nous l'objet de notre Souci. L'objet chaque fois
déterminé de notre Souci dissimule à nos yeux le milieu ontologique
où il paraît . L'orientation soucieuse à l'être-éloigné nous cache
l'éloignement comme tel.
L'être-éloigné trouve cependant son fondement dans l'éloigne-
ment même. Les distances vécues, existentielles , ou spatiales, qui
jalonnent notre monde se dessinent sura le fond même du monde
comme tel et reposent en lui. Elles peuvent bien caractériser l'étant
intramondain et lui appartenir ; l'être de cet étant est l'être même
du monde. Les déterminations catégoriales rep osent sur les structures
existentiales. L'être transcendant , s'il nous mas que chaque fois
l'oeuvre de la transcendance, tient d'elle pourtant tous ses caractères
ontologiques. Ceux-ci ne sont assurément que des caractères dérivés,
ils doivent être reliés pourtant, et cela dans le principe, à l'essence
dont ils dérivent . On peut interpréter faussement l'essence en la
comprenant à partir de ce qui arrive grâce à elle, confondre le
LE MONISME ONTOLOGIQUE

concept transcendantal de l'éloignement avec celui de l'être-éloigné


qui surgit pour nous au sein du lointain originel. C'est à l'éloignement
originel pourtant que l'être-éloigné doit d'être ce qu'il est. Le concept non
élaboré de distance n'est encore que la façon dont la conscience
naturelle et pré-philosophique se représente la condition du phéno-
mène, et cette représentation n'est pas encore une pensée. C'est
pourtant à l'aide d'éléments qui supposent l'essence et qui trouvent
en elle leur fondement qu'elle se figure celle-ci. Pour impropre que
soit cette figure, elle n'en est pas moins significative. L'action à
distance, la théorie des espèces, les concepts de « reflet» et d' «image »,
la présupposition de la distance, ne se réfèrent encore qu'à des réalités
ou à des processus d'ordre ontique. Mais ceux-ci ne valent que comme
symboles et ce qu'ils symbolisent ne leur est pas homogène, c'est
leur propre fondement. Il s'agit en fait de circonscrire l'essence du
phénomène et si la pensée philosophique traditionnelle s'est montrée
incapable de situer et de maintenir sa problématique sur un plan
ontologique, son dessein profond devait cependant éclater un jour.
Heidegger pense la même chose que Gassendi, mais cette chose, il la
pense dans sa vérité ontologique.

§ I0. LA DISTANCE PHÉNOMÉNOLOGIQUE


ET LE DÉDOUBLEMENT DE L'ÊTRE : PRÉSENCE ET ALIÉNATION

L'être n'est un phénomène que s 'il est à distance de soi . L'oeuvre


de la distance phénoménologique comprise comme un pouvoir
ontologique, comme une distance naturante et non pas simplement
naturée, est justement d'instituer l'intervalle grâce auquel l'être
pourra s'apparaître à lui-même . L'apparition, sur le fond de la
distance p hénoménologique, de l'être qui apparaît, la manifestation
de cet être est identique avec son existence . Parce qu'elle se fonde
sur la distance, l'existence de l'être est différente de l'être lui-même.
Elle en diffère justement comme ce qui est à distance de lui-même,
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

elle est l'être lui-même, si l'on veut, mais à distance de soi, dans sa
non-coïncidence avec soi, elle est l 'être dans la différence . Considérons
avec Fichte le mur dont nous disons qu'il « est ». Ce qui est visé dans le
« est », à savoir l 'être du mur, « n'est pas identique avec lui... mais
se distingue de ce mur comme de quelque chose d'indépendant » (i).
Ce qui distingue l'être du . mur lui-même , ce qui les différencie
d'une façon foncière, c'est justement la différence comprise comme
l'essence qui permet au mur d'être . L'être du mur est le mur lui-même
dans l'infinité de la distance qui lui confère, avec la condition phéno-
ménale, l'existence même. L'existence du mur est l'être du mur en
tant que cet être est posé dans une extériorité radicale par rapport à
lui-même, elle est , pour reprendre la forte expression de Fichte,
« son être en déhors de son être ». Il est vrai que la conscience naturelle
n'a «pas le temps de contempler le «est » qui lui écha pp e totalement»
viser au contraire celui- ci d'une façon thématique dans la conscience
philosophique, c'est être amené à poser que « le « est » par rapport à:
l'être est immédiatement l'existence » (2). L'être doit exister, il existe
nécessairement . L'argument ontologiquë n'est pas une preuve au
sens ordinaire du mot, il consiste dans la lecture de la condition
phénoménale de l'être. • Cette condition phénoménale est justement
l'existence de l'être, elle est, en tant qu'être en dehors de son être,
l'être0 même de l'être.
L'existence qui fait ainsi l'être même de l'être ne se recouvre
pas avec l'être pur et simple, avec l'être stable et absolu. Elle se
recouvre si peu avec lui qu'elle s'en distingue bien plutôt, elle est
par rapport à lui dans une extériorité absolue et , s'étant retirée de lui
dans cette extériorité , elle le pose en face d'elle comme un être stable.
L'existence n'est rien par elle - même, si ce n 'est l'acte de se retirer de
l'être et, en s'anéantissant devant lui, de le poser en face d'elle comme

(1) VB, 141.


(z) ID., 142.
LE MONISME ONTOLOGIQUE

une autre existence absolue. « L'existence, dit Fichte, doit se saisir,


se reconnaître et se former comme simple existence et poser et former
en face d'elle un être absolu dont elle-même n'est que la simple exis-
tence : elle doit par son propre être s'anéantir en face d'une autre
existence absolue; ce qui lui donne justement le caractère de simple
image, de représentation.., de l'être (i). » L'existence est ainsi pensée
comme la simple image de l'être ou, si l'on préfère, comme son
concept; car, ce qui est désigné sous le titre d'image, ce n'est rien
d'autre, en ce qui concerne l'être, que sa propre extériorité par
rapport à soi. L'image est le nom de l'existence considérée comme
la manifestation de l'être, elle est la forme de l'être, ce que Fichte
appelle aussi le savoir. La cinquième Conférence envisage le « carac-
tète du savoir en général qui n'est qu'une simple image d'un être
donné et subsistant indépendammènt de lui » (2). Déjà dans la
troisième Conférence, Fichte avait caractérisé le savoir comme « l'exis-
tence absolue ou... la manifestation et la révélation de l'être dans son uni que
forme possible » (3).
Le dualisme de l'être et de sa propre image, qui vient d'être
pensé comme la condition phénoménale de l'être, ne saurait être
limité dans sa portée; il appartient au contraire à la définition même
. de la structure interne de la phénoménalité et apparaît à ce titre comme
une prescription d'ordre éidétique, comme une condition absolument
universelle, identique à l'essence de la manifestation comme telle.
A une telle condition est soumis, par conséquent, non pas seulement
le mur dont il a été question, mais tout ce qui prétend au titre de
phénomène, tout ce qui peut et veut se manifester, l'être lui-même
en tant que sa vocation la plus intime est justement la révélation de
soi. L'être de Dieu ne serait rien que l' Ungrund non pas seulement le
plus obscur mais le plus abstrait et, comme tel, quelque chose de tout

(1) VB, 143•


(2) ID., i66.
(3) ID., 143-144, souligné par nous.
84 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à fait irréel, s'il ne se soumettait à son tour aux conditions qui ouvrent
et définissent le champ de l'existence . phénoménale et de la spiritua-
lité vraie . Ou, pour être plus exact, Dieu n'est pas lui-même quelque
chose qui se soumettrait à de telles conditions; s'il est l'essence même
de la spiritualité , il est un avec ces conditions , il se confond avec
elles, c'est lui qui est, non pas seulement cette vocation de se mani-
fester et de se réaliser dans cette manifestation , mais le mouvement
même qui actualise cette vocation , le pouvoir qui en fait quelque chose
de réel. L'essence de la divinité est identique, par conséquent,
avec - celle de ce pouvoir, ce qui est pensé, dans les deux cas, c'est la
structure interne de l'absolu, c'est l'essence de la manifestation comme
telle. Ainsi les conditions de la phénoménalité trouvent -elles dans la
description de l'essence divine, non pas l'exemple particulier encore
que privilégié d'une réalité qu'elles se soumettraient et qui serait
subsumée sous elles comme sous une règle générale, mais leur propre
réalité, en tant précisément qu'elles ne sont pas des conditions abs-
traites, mais les conditions mêmes de la réalité et, comme telles, la
réalité ontologique absolue elle-même.
Le commentaire fichtéen du début de l'Évangile de saint Jean
se situe dans cette perspective , il vaut comme une répétition des
présuppositions ontologiques qui ont été évoquées, répétition qui,
parce qu'elle se situe décidément cette fois sur le plan de l'absolu,
confère à ces présuppositions un caractère décisif. La définition de
Dieu comme Verbe signifie la compréhension de l'être divin comme
existence . L'être de Dieu existe, il se manifeste, et cela conformément
aux conditions qui constituent l'essence de la manifestation, c'est-
à-dire en fait, l'essence de la divinité elle-même. Que l'être de Dieu
existe, cela signifie, conformément à ces conditions qui constituent
son être, que Dieu se divise en vertu du dualisme de l'être et de
l'existence, que l'être . divin ne peut être posé 'dans l'apparence
que pour autant que se produit en face de lui, en s 'anéantissant
devant lui, sa propre image, qui est l'existence et le savoir ,de son
LE MONISME ONTOLOGIQUE

être même. L'existence de Dieu, produite à partir de lui comme ce


qui le fait exister, constitue ainsi la réalité de l'être divin, elle est,
comme être en dehors de son être, comme image et comme existence,
l'être même de cet être. L'être de Dieu est existence.
Comment faut-il comprentré, d'une façon plus précise, le
rapport en Dieu de l'être et de l'existence ? L'existence de Dieu
n'est ni extérieure ni postérieure à son être. Cette « existence que
nous distinguons... n'en est pas distincte », dit Fichte, elle est « primi-
tive » (I), tout aussi primitive que son être. Ainsi, pour Fichte
comme avant lui déjà pour Bcehme, on ne peut considérer l'être
divin à part du processus par lequel il émerge dans la lumière, le Père
n'est pas dissociable du Fils qu'il engendre éternellement, et son être
est un avec cet engendrement dans lequel il se réalise. Le Verbe,
disait saint Jean, est en Dieu, ou plutôt il est Dieu lui-même. Ce qui
est avancé, cependant, dans l'affirmation de l'unité de l'être et de
l'existence, c'est seulement le séjour de celle-ci sous la forme du
Logos dans l'être originaire du Père, c'est son appartenance à la
structure interne de l'absolu. Mais il n'est pas dit par la que cette
structure soit, sur le fond de l'immanence en elle de l'existence, une
structure unitaire. La différence est si peu supprimée, au sein de
l'absolu, par l'unité en lui de l'être - et de l'existence, qu'elle est bien
plutôt posée par une telle unité, et cela d'une façon si radicale
que c'est sur le fond de cette unité que l'absolu se trouve livré à la
différence comme à son essence propre. Il n'y a certes pas lieu de
continuer à distinguer en Dieu son être et son existence, de poser
d'un côté « l'être tel qu'il est intérieurement et en soi », et de l'autre
« la forme qu'il prend du fait qu'il existe » (z), puisque l'existence est
l'être de cet être, et pourtant, et pour cette raison même, parce que
l'existence est l'être de cet être, cet être divin se trouve posé en

(I) VB, 187.


(2) ID., 220.
8 6 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TION

dehors de lui comme un être en dehors :de son être. L'unité de l'être
et de l'existence a pour conséquence la division de l'être, son auto-
séparation d'avec soi et, comme le dit Fichte , son exp ulsion hors de
soi. Ce qui dans l'être de Dieu lui est extérieur , c'est-à-dire « tout ce
qui dans l'être est une conséquence de l'existence » c'est-à-dire encore
sa « forme », n'est pas du tout en réalité q uel que chose ui serait
q
étranger à l'être de Dieu, c'est l'être de Dieu lui-même en tant qq u'il
est justement, c'est-à-dire en tant qu'il existe. L'âliénalion est réelle
non pas comme quelque chose d'extérieur à l'absolu mais comme constituant
au contraire son essence même . C'est comme immanente à la vie interne
de l'être, ou plutôt comme structure même de cette vie 9 q ue l'exté-
riorite se déploie et peut alors partager « l'être mort en soi en un être
pour ainsi dire répété deux fois, le p osant devant lui-même » ( i ).
Ainsi l'existence n'est-elle point différente de l'être, mais ce qui fait
que cet être est différent de soi . Voici comment Fichte s'exp rime â ce
sujet : « L'être absolu se présente dans son existence., comme cette
indépendance à l'égard de son être intime p ro p re; il ne crée pasune
liberté en dehors de lui méme mais il est lui-même , dans cette partie de la
forme, cette liberté qui lui est propre en dehors de lui-même , et à cet égard il
est assurément différent dans son existence de ce qu'il est dans
son être et s'expulse de lui-même pour y rentrer avec une vie nou-
velle (2). »
Les analyses qui précèdent prennent leur signification ontolo-
gique concrète si on veut bien les situer dans le cadre phénoménologique
dont elles constituent à vrai dire une définition . Conformément à
celle-ci , il apparaît que le passage de l'être-en -soi à l'être-pour-soi
consiste
, , dans la position hors de soi de l'être, est le passage de l'être
a l extérieur de soi ; ce qui se réalise dans un tel passage, c'est l 'être-à-
l'extérieur- de-soi de l ' être-en-soi, et cet être-à-l'extérieur-de-soi est le

(I) VB, Ioo.


(2) ID., 224, souligné par nous.
LE MONISME ONTOLOGIQUE

pour-soi de l'être-en-soi, son existence. Dans cet être-à-l'extérieur-


de-soi, l'être-en-soi devient autre , il s'aliène et, dans cette aliénation se
réalisent les conditions mêmes de sa manifestation. L'aliénation est l'essence
de la manifestation. °
L'être qui se manifeste est l'être présent . L'essence de la présence
est l'aliénation . La présence à soi de l'être est une avec sa séparation
d'avec soi dans le devenir autre; elle se constitue dans le dédoublement
de l'être, dédoublement dans lequel celui - ci s'apparaît à lui-même
et entre ainsi dans la condition phénoménale de la présence . « Toute
« présence à », dit Sartre, implique dualité, donc séparation. »
Et plus loin : « la présence de l'être à soi implique un décol-
lement de l'être par rapport à soi » (i). Enfin : « la présence est
une dégradation immédiate de la coïncidence , car elle suppose la
séparation » (2).
Les conditions qui définissent la possibilité d'uné présence et
constituent par suite son essence même , ont une signification univer-
selle et transcendantale. Ce sont des conditions qui demeurent, aussi
longtemps du moins que se déploie et se maintient parmi nous
quelque chose comme le règne d'une présence. Ces conditions
ont été pensées sous le titre de « distance phénoménologique »;
celle-ci vaut donc comme une détermination éidétique et insurmon-
table de l'être réel : la « possibilité pour qu'un donné apparaisse
comme donné », c'est « cette distance infranchissable et perpétuéllement
sauve d'où peut être discernée une présence » (3}. Compris dans sa
signification existentiale et transcendantale , le concept de distance
phénoménologique est identique au concept originaire et ontologi-
quement pur d'aliénation . L'aliénation est insurmontable . L'être n'existe
et ne se manifeste qu'en tant qu 'être aliéné . La réalité n'est réelle

(I) EN, 119.


(2) ID., 120.
(3) M. DUFRENNE , Heidegger et Kant, in Rev. Mét . Mor., janv. 1949 , 16, sou-
ligné par nous.
8 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

. qu'en tant qu'elle est à la fois elle-même et autre qu'elle-même.


L'aliénation n'est pas seulement une structure éidétique parmi
d'autres, elle est la structure même de l'essence, en tant qu'essence
absolue . La suppression de l'aliénation est une impossibilité d'ordre éidé-
tique et l'idée d'une telle suppression constitue, au point de vue ontologique, une
absurdité. La suppression de l'aliénation ne saurait, en effet, être
quelque chose et, comme telle, un phénomène positif auquel pourrait
alors se référer le discours qui l'énonce, que si les conditions de la
réalité se trouvaient réalisées en elle. Ces conditions , toutefois, ne se
réalisent j ustement que dans le phénomène originaire et pur de
l'aliénation. Si celui-ci se trouvait effectivement supprimé, cette
suppression ne serait rien, elle n 'existerait pas. Une telle suppression
ne peut en réalité se produire que sur le fond en elle de l'aliénation.
Et cela ne signifie pas que, dans cette suppression , le phénomène
de l'aliénation se trouverait peu à peu et progressivement éliminé,
comme la distance qui sépare le promeneur du but s'évanouit, lorsque
ce but est atteint. . L'aliénation ouvre et définit le champ de l'être,
c'est une structure ontologique ultime . La suppression de l'aliéna-
tion ne saurait avoir une signification ontologique , L'aliénation est
bien plutôt posée et maintenue dans une telle supp ression comme
le phénomène ontologique originaire qui la fonde et la rend possible.
L'être n'existe que comme être-autre mais le retour de l'autre dans le
,
même, ou plutôt l'unité qui les relie ét que Fichte appelle la vie,
ne supprime pas leur dualité mais la présuppose comme son fonde
meut ontologique et phénoménal . « Cette seconde unité à l'intérieur
de la dualité qui n'est pas supprimée par là mais subsiste éternellement,
voilà justement la vie- (i). »
Que peut signifier la suppression de l'aliénation si elle ne concerne
pas le phénomène ontologique qui a été pensé sous ce titre ? Que
faut-il entendre par l'unité de l'autre et du même si l'altérité subsiste,

7 VB, Ioo, souligné par nous.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 89

et cela comme la condition même de cette unité ? Celle-ci est posée


comme ce qui relie les termes séparés, mais le lien qu 'elle institue
n'a rien à voir avec un quelconque processus d'ordre ontique.
L'unité ici en question a une signification ontologique , tout comme
la différence qu'elle vient abolir . C'est l'unité de la présence . La pré-
sence est justement ce qui unit . C'est parce que l'essence de la
p résence est immanente en eux comme le pouvoir ontologique
originaire qui leur confère leur pouvoir propre, que nos sens nous
unissent aux choses, et que notre regard, par exemp le, nous porte
là-bas, jusqu'à l'arbre qui est sur le coteau. L'unité de l'homme et du
monde est une unité ontologique , elle supprime l'aliénation en tant
qu'elle est identique avec la liberté , c'est-à-dire avec le trait qui nous
joint aux choses. L'essence ontologique de cette unité n'est cependant
rien d'autre que l'aliénation . La suppression de l'aliénation dont il peut
être question aussi longtemps qu'on se place sur le plan ontologique, est
identique à cette aliénation même. La différence est l'essence de l'unité.
L'essence de la p résence qui est pensée sous le titre de cette unité
reçoit ainsi une structure bien déterminée . C'est l'essence d'une présence
qui s'obtient par la médiation de la distance phénoménologique . La proximité
dans laquelle cette présence nous fait vivre est identique à l'éloigne-.
ment absolu dont le travail ontologique nous a ouvert un monde.
C'est une p roximité dans le lointain. « Nous nous séparons seulement
pour être plus unis, dit Hôlderlin, pour être dans une paix plus
divine avec toutes choses et avec nous -mêmes ( I). » L'union dont
est faite cette p aix trouve ce p endant son principe dans ce qui
sép are, la présence s'obtient sur le fond du déchirement et de la
division.
Ainsi la p résence de l'être à soi n'est-elle pas discernable de sa
distance par rapport à soi. L'essence de la présence, en même temps
qu'elle le fonde dàns son être, prescrit au donné des caractères

(I) Ausgewâhlte Werke, éd. Schwab, Stuttgart, 1874, 284•

M. HENRY 4
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

spécifiques conformément auxquels il apparaît comme autre dans le


milieu de l'altérité . Ce qui nous est donné est par là même ce qui
nous est ôté. L'être est - là pour lui, comme quelque chose toutefois
qu'il n' est pas et dont le sépare, aussi longtemps qu'il est une distance
infranchissable . Ainsi s'explique que l'être présent puisse cependant
être désiré et que ce désir soit vain. Car il est l'essence , et celle-ci, inca-
pable de se surmonter soi-même, se referme sur soi s'enferme en
elle-même et, dans la froide contemplation d'elle-même , ne se donne
,
à soi que comme ce dont elle manque éternellement.
La présence est le fondement de la connaissance elle est comme
telle, le thème
. de la connaissance transcendantale
. , celle qui s'occupe
non des: objets mals « de notre façon de connaître les ob j ets pour
autant que celle- ci doit être possible à priori » L'être des objets est
cependant l'à priori lui-même . En prescrivant aux objets les condi-
tions de leur possibilité, l'à priori leur confère les caractères qui
.
découlent du . vouloir de l'essence . Les objets se manifestent avec
ces caractères comme des objets séparés que la connaissance ne
peut jamais rejoindre , si ce n'est par la médiation de cette séparation
.
même. La connaissance est ainsi « toujours connaissance de ce
que nous ne sommes pas, de ce que nous ne parvenons pas, à
être » (i). Le désir de « conserver le bénéfice de la présence à
soi... sans en subir les inconvénients de distance à soi » reste un
« rêve » (2). Pour se donner la présence à soi, l'être a dû se séparer
de soi, et la volonté de se retrouver véritablement en surmontant
cette séparation autrement que par sa propre médiation ne saurait
être qu'une « passion inutile ». L'être est le désir de soi , il est sa
propre nostalgie.

(i) F. ALQUIÉ, L'Être et le Néant de J.-P. Sartre , Cahiers du Sud, '945, XXIII,
654.
(2) F. JEANSON, Le problème moral et la pensée de Sartre , Éditions du Myrte,
Paris 947, 233.
,1
LE MONISME ONTOLOGIQUE

II. LE MONISME ONTOLOGIQUE


ET LE PROBLÈME DE SON DÉPASSEMENT

PHILOSOPHIE DE LA CONSCIENCE ET PHILOSOPHIE DE L'ÊTRE

Les présuppositions ontologiques qui ont été exposées et pensées


comme la condition de la phénoménalité et comme constituant
à ce titre l'essence du phénomène , seront désignées dans la suite de cet
ouvrage sous le titre de « monisme . ontologique ». De telles présuppo-
sitions commandent, depuis son origine en Grèce, le dévelo p pement
de la pensée philosophique occidentale, elles indiquent l'unique
direction de recherche et de rencontre où quelque chose peut se
montrer et, par suite, être trouvé par nous . L'unicité de cette direction
ne peut être mise en cause que par un dépassement du monisme et le
problème se pose de savoir si un tel dépassement a un sens , si, en tout
cas, il a jamais été tenté ou esquissé au cours de l'histoire de la
pensée humaine . Celle-ci a accompli bien des progrès, notamment
dans les temps modernes . A y regarder de près , cependant, il apparaît
que ces progrès se sont tôujours déroulés à l'intérieur de l'horizon
ontologique dessiné par le monisme et que leur résultat le plus
remarquable n'a été, dans l'ontologie contemporaine , que la libération
de cet horizon , porté enfin dans la clarté du concept et pensé dès lors
comme « l'horizon de l'être ». Avec celui-ci, toutefois , c'est une forme
exclusive qui est prescrite à l'accomplissement de l'expérience et qui
détermine, de façon insurmontable, le cadre, le sens et la nature
de notre rapport à l'être.
Depuis longtemps , cependant, depuis l'aube et la venue de
la philosophie moderne, en tout cas , une autre forme originelle
de l'être n'a-t-elle pas été pensée et mise en lumière ? La philosophie
de la conscience n'a-t-elle pas consisté justement , à travers ses imper-
fections et quelles que soient celles -ci, dans l'ouverture d'une autre
dimension d'existence et d'essence, n'a-t-elle pas indiqué à l 'homme le
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

surgissement pour lui et en lui d'une autre région d'expérience, d'un


autre mode de la réalité, et cela en un sens ontologique?
Dès que la pensée se montre capable de conférer à la probléma-
tique qu'elle a suscitée un caractère et une portée d'ordre onto-
logique, les oppositions apparentes qui prétendaient servir d'indices
et dessiner en quelque sorte, dans le champ de la recherche, des lignes
de clivage pour la réflexion ultérieure, s'effacent, leur signification
apparaît en tout cas comme devant être remise en question et, très
souvent, elle se révèle nulle. L'opposition de la conscience et de l'être
qui semble dominer l'histoire de la pensée philosophique ne peut
se maintenir en fait que sur un plan pré-philosophique et pré-critique.
:
Elle n'a pu se faire jour, justement, que parce que l'un au moins des
termes entre lesquels elle pretendait s'instituer demeurait plonge,
quant à son concept, dans une indétermination foncière. La philo-
sophie de l'être trouve son origine dans l'ontologie grecque mais,
comme l'a noté Heidegger, celle-ci demeure très souvent naïve en ce
qu'elle considère l'étant tel qu'il s'offre â nous, prenant comme allant
de soi son être-donné au lieu de le considérer en et pour lui-même
et de s'interroger décidément sur lui. Avec une telle interroga
tion, au contraire, la pensée élève à l'état de problème ce qui rend
possible dans son être l'étant auquel nous avons chaque fois accès;
elle lève « l'ambiguïté » du mot étant qui veut dire à la fois quelque
chose et son étantité (essence), qui donc est aussi « ontologique ».
« Leo grec ov, « étant », dit encore Heidegger, cache en soi une essence
propre d'étantité (r). » Prendre en considération cette essence c'est
faire le partage, dans l'étant lui-même, entre ce qui est ontique
et ce qui demeure ontologique: Avec cette dissociation le concept
d'être sort de son indétermination pré-philosophique, il cesse de
désigner indistinctement, comme il le fait trop souvent dans l'histoire
de la philosophie et encore chez Sartre, l'étant et son fondement

) H, rbr.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 93

ontologique pour se référer explicitement et exclusivement à ce


dernier. L'opposition de l'être et de l'étant surgit au moment même
où la problématique conquiert sa signification ontologique. :
Lorsque le concept d'être a reçu sa détermination ontologique
propre, le problème de son rapport avec le concept antithétique de
conscience peut se poser sur une base philosophique. L'opposition,
classique depuis Descartes, entre la conscience et la chose, peut-elle se
recouvrir, ainsi qu'il a été fait couramment, avec celle de la conscience
et de l'être ? N'est-il pas évident, au contraire, que l'analyse philoso-
phique de la « chose » tombe sous la même dialectique et obéit aux
mêmes prescriptions que celle de l'étant ? La chose, qui n'est autre
que l'étant, requiert le même fondement ontologique, une essence
de la chose, la choséité comme telle. La chose comprise dans son
unité avec l'essence qui la fonde, est-elle encore pour la conscience un
terme antithétique, ou bien la conscience n'est-elle pas précisément la
choséité même de la chose et, comme telle, l'essence de celle-ci ? Ce n'est pas à
l'être, en fait, que s'oppose, dans son concept, la conscience, c'est bel et
bien à l'étant. La conscience reçoit, comme l'être, la signification d'être
l'essence et le fondement. L'opposition de la conscience et de la
chose est la même que celle de l'être et de l'étant. L'avènement de
l'idéalisme moderne dissimule en fait l'apparition dans l'histoire
de la pensée d'un mode nouveau et proprement philosophique de
questionner, celui qui, s'interrogeant sur la condition de possibilité
de la chose, propose ainsi à la réflexion, comme son objet propre,
l'élucidation de la sphère ontologique de l'existence. Cette existence,
comprise comme la condition ontologique. de possibilité de la chose,
est ainsi l'existence de l'étant sur lequel méditait la pensée antique
sans toutefois s'interroger sur cette existence comme telle. En tant
qu'elle porte à l'état de problème l'essence de ce que l'ontologie
grecque prenait d'une façon pré-philosophique pour l'être même, la
philosophie de la conscience apparaît comme l'accomplissement de la
philosophie antique de l'être, elle est un terme et non un commen-
94 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

cernent. Elle est une avec l'ontologie contemporaine qui a su juste-


ment donner pour thème à sa recherche la condition ontolo gique
de possibilité de l 'étant et comprendre cette condition comme le
milieu ontologique de la vérité.
La connexion de la philosophie de la conscience avec le problème
de la vérité compris dans sa signification ontologique universelle
réside dans le fait que le concept de conscience est l'élément à l'aide
duquel la philosophie moderne pense la possibilité pour la chose de se
manifester , l'essence de la manifestation comme telle. Avant de déchoir,
en effet , au rang d'un étant simplement privilé gié, ainsi qu'en
temoigne l ' opposition instituee entre elle et la totalité de l'étant
qui lui est « extérieur », la conscience intervient d'abord dans le
dessein ontologique d'une pensée qui s'interroge sur le pouvoir qui ^.
confère à l'étant sa condition de phénomène pour nous. Si le concept
ontologique de l 'être désigne l 'essence de la manifestation , l'existence,
si celle- ci est la « forme » de l'être, si l'être est cette forme même
la conscience n'est rien d ' autre que cette forme c'est- à-dire l'existence
,
même, la manifestation comme . telle . Q ue la « conscience soit l'existence
absolue ou la manifestation et la révélation de l'être dans son unique forme
possible », c'est ce que Fichte affirme explicitement (x). Une o pposi-
tion ne saurait par conséquent s 'instituer sur le plan ontologique entre
les concepts d'être et de conscience que si le mode pur de manifes
tation auquel ils renvoient devait être considéré par nous comme
f
différent dans les deux cas. Il faudrait que le mode de manifestation
pensé sous le titre de conscience ne soit âs le même que celui qui
constitue l ' existence qui est l'essence de l'être. C'est en fait le même
pouvoir ontologique de manifestation qui est pensé p ar Fichte sous les
titres, équivalents pour lui, d'existence, de forme, de re résen-
tation, de manifestation , de révélation, d 'image, de conscience et d'être
au sens philosophique, c'est-à-dire au sens qu'a le verbe être dans

(I) VB, 143-144, souligné par nous.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 95

l'expression « le mur est ». Ce pouvoir ontologique de manifestation


consiste, on l'a vu, dans le processus par lequel l 'être se divise et se
sépare de soi afin d'exister, c 'est-à-dire de se manifester à lui-même. A
l'existence phénoménale qui se réalise dans un tel processus, Fichte
donne explicitement le nom de conscience . Cette conscience qù
surgit dans un processus ontologique déterminé a en conséquence les
caractères ontologiques que lui confère le processus dont elle résulte,
et ces caractères sont les mêmes que ceux de l'image ou de la repré-
sentation qui adviennent aussi à l'intérieur d'un tel . processus et
qui ne sont, à vrai dire, rien d'autre que la conscience : « l'existence,
disait Fichte dans un texte que nous avons cité, mais que nous
rétablissons maintenant dans son intégralité, doit par son propre être
s'anéantir en face d 'une autre existence absolue; ce qui lui donne
justement le caractère de simple image, de représentation ou de
conscience 'de l'être ( i). » La conscience n'est donc pas une autre forme
d'existence que celle qui surgit dans le déchirement interne de l'être,
elle est bien plutôt cette existence même, cette forme seule et unique
de toute manifestation possible. « La conscience de l'être, seule forme
et seul mode possible de l'existence de l'être, est dès lors elle-même
de façon tout immédiate purement et absolument cette existence de
l'être (2).
La conscience désigne l'essence de la manifestation interprétée selon les
présuppositions ontologiques fondamentales du monisme. Pour cette raison,
parce qu'elle s'identifie au processus d'autodéchirement et de sépa-
ration d'avec soi de l'être, la conscience est toujours présentée,
dans son oeuvre et dans son devenir , comme un acte de se séparer
d'avec l'être, de s'élever au=dessus de lui, de prendre du recul par rapport
à lui, de s 'opposer à lui. Le surgissement de la conscience apparaît
ainsi dans sa contemporanéité avec le déploiement d'une distance,

(I) VB, '43, souligné par nous.


2) I bid.
9 6 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

avec l'accomplissement de la division, de la séparation, de l'o o-


sition a soi. Division séparation, opposition étaient justement,
,
toutefois, les conditions de la phénoménalité dans le monisme ontologique.
Toutes ces conditions, qui n'en sont qu'une, se réfèrent en fait
comme autant de titres divers mais équivalents, au même phénomène
de l' aliénation pense comme l'événement fondamental qui ouvre
la dimension de l'être et de l'existence. La conscience n'est elle-même
rien d'autre que l'aliénation de l'être , c'est-à-dire l'être comme tel. Le deve-
nir-autre de l'être est identique avec son surgissement dans la
condition phénoménale dé la présence . Cette dimension phénoménale de
la présence est la conscience elle-même. C'est parce que l'absolu ne connaît
pas encore cette division interne d'avec soi qui constitue la conscience
qu'il demeure, chez Schelling, privé de celle-ci. « Il n'est que l'iden-
tite absolue dans laquelle il n'y a pas de dualité et qui , précisément
parce que la dualité est la condition de toute conscience , ne eut jamais
. p
arriver a la conscience . » Le « terme suprême... qui se divise our appa-
p
raître » (i) ne parvient ainsi à la condition de l'existence phénoménale
et consciente que lorsqu'il accepte de s'abandonner à l'ceuvre
de l'altérité et de la division . L'histoire sera justement le mou veinent
par lequel l'absolu se manifeste conformément aux conditions que lui
prescrit l ' essence de la manifestation interprétée selon les présuppo-
sitions du monisme . L'histoire, dit Schelling , est « une manifestation
jamais achevée de cet absolu qui se divise dans la conscience , c'est-à-dire
seulement pour apparaître (z). »
C'est toujours l'identification du concept de conscience avec la
conception moniste de l'essence de la manifestation qui amène
Schelling a établir, dans le Système de l'Idéalisme transcendantal une
opposition irréductible entre l ' intelligence et l'action, ou, comme il le
dit encore, la production, opp osition dont l'irréductibilité tient

(I) IT, 333-334, souligné par nous.


(2) ID., 337-33$, souligné par nous.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 97

précisément à la compréhension de l'opposition comme essence de la manifes-


tation et de la conscience. C'est pour que soit instituée et sauvegardée
une telle opposition, et avec elle l'existence consciente, que l'intelli-
gence doit . se dégager et se séparer de son action , c'est l'intervalle
que creuse cette opposition qui constitue le milieu phénoménologique
où l'action peut surgir et se poser comme quelque chose de conscient
et d'objectif. « L'intelligence , dit Schelling, doit se dégager complè-
tement de la production pour que la conscience puisse naître (i). »
Et encore .: « Tant que l'intelligence ne diffère pas de son action,
aucune conscience de celle -ci n'est possible ( 2). » L'intelligence et
l'action ne constituent pas, aux yeux de . Schelling , deux réalités
différentes et originairement séparées, elles ne sont dans l'absolu
qu'une seule et même chose, ce n'est pas à l'action, c'est à « son
action » que l'intelligence s'oppose, c'est-à=dire à elle-même en tant
qu'active ; mais justement , cette séparation d'avec soi est la condition
de la phénoménalité , une condition primitive qui fait alors surgir
comme deux termes apparemment différents l'intelligence et l'action,
et cela pour que la conscience puisse naître . L'intelligence n'est, â vrai
dire, rien d'autre que la conscience de l'action, c'est-à-dire en fait
l'action elle-même dans son opposition phénoménale à soi.
Déjà la pensée de Boehme était tout entière commandée par
l'idée d'une opposition et d'une différenciation intérieures à la
vie de l'absolu et constitutives de cette vie en tant que celle-ci n'est
précisément qu'une promotion dans la lumière de la manifestation.
La Schiedlichkeit est la condition de la conscience. Le concept de
conscience est pensé par Boehme dans : sa solidarité avec les concepts
d'altérité, de miroir, de dédoublement, c'est -à-dire dans son unité
avec le processus ontologique de la division interne de l'être. Cette
division est présentée comme la condition de la vision avec laquelle

(I) IT, 205.


(2) ID., 2I2.
98 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est identifiée la connaissance, c'est-à-dire en fait la conscience et


l'existence phénoménale. L'interprétation du concept de cônscien ce
à partir du dédoublement par lequel l'être s'offre en spectacle à lui
même et peut ainsi s'apercevoir et se connaître, ne se manifeste
pas seulement, sous l'influence de Boehme dans le Système de l'Idéa-
lisme transcendantal, elle domine en fait toute l'oeuvre ultérieure de
Schelling et notamment sa dernière p Les grands
philosophie. phéno-.
mènes humains (par exemple la naissance et le développement . de la
mythologie) ou divins (par exemple la création) Y sont en fait inter-
pretés en fonction de la nécessité d'un avènement de la conscience
avènement qui est toujours pensé,a partir du phénomène ontolo
gique central de l'aliénation, comme une division et une séparation.
« Cette séparation, pourra dire • un commentateur, cette Scheidur.
n'est-elle pas la condition de toute connaissance consciente (i) ? »
Il s'en faut de beaucoup, cependant, que l'interprétation de
l'essence de la conscience à partir d'une conception moniste du
mode de manifestation de la réalité ne se fasse jour qu'à l'intérieur
d'un. ` courant déterminé de la pensée philosophique. Ce n'est pas
seulement chez les postkantiens, et notamment chez Hegel (z), que
la conscience est identifiée dans son concept avec le phénomène
ontologique de l'aliénation de l'être et de son opposition à lui-même;,
cette conception domine en fait l'ensemble de la philosophie de la
conscience (s), elle trouve son illustration en même temps que sa
formulation la plus générale dans la compréhension de l'essence de la
conscience comme « représentation ». La représentation désigne un
mode de la présence. Se représenter signifie se rendre présent. La

(1) W. JANBELEVITCH, L'Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie


de Schelling, Presses Universitaires de France Paris,
, 1933, 159•
(z) Cf. Infra, Appendice.
(3) on la reconnaît par exemple chez Sartre lorsque celui-ci voit dans la « rup-
ture de l'être identique », dans « le recul de l'être par rapport à lui -même », « l'appa-
rition de la présence à soi ou conscience » (EN, 714).
LE MONISME ONTOLOGIQUE 99

représentation est toujours 1représentation de quelque chose, elle


implique un représenté qu'elle a justement pour mission de rendre
présent. Il convient donc de distinguer la représentation comprise
comme un acte de se rendre présent et , d'autre part , la réalité qui
parvient à la présence à l'intérieur d'un tel acte, c'est-à-dire le repré-
senté comme tel. Le représenté est quelque chose d'ontique, la
représentation, qui signifie la présence comme telle, se réfère au
contraire à un processus ontologique. Le processus sur lequel s'appuie la
représentation en tant qu 'elle désigne l'essence de M présence est le processus
ontologique de l'aliénation. La représentation est une présentation qui
implique un redoublement. Ce redoublement trouve son fondement
dans le dédoublement opposant par lequel l'être se sépare de soi afin
de s'apercevoir soi-même et, précisément , de «se représenter» La
présence qui surgit dans ce dédoublement opposant est l'existence de
Fichte, laquelle se trouve comprise pour cette raison comme repré-
sentation. « L'existence, disait Fichte, doit par son propre être
s'anéantir en face d 'une autre existence absolue; ce qui donne justement
le caractère de simple image, de représentation ou de conscience de
l'être (z). » « L'existence de l'être, dit encore Fichte, est la conscience
ou la représentation de l'être ( 3). » L'assimilation de la conscience à la
représentation n'est pas accidentelle , elle repose sur la communauté
d'essence- fui se fait jour derrière les concepts de « conscience » et de
« représentation » dès qu'on veut saisir ceux-ci dans leur signification
ontologique. La volonté de saisir l 'essence de la conscience amène la
pensée devant le processus ontologique qui confère à cette essence
sa structure propre et c'est justement lorsqu'elle est comprise â partir de cette
essence qui est la sienne que la conscience est pensée comme la représentation.

(1) RE StO R parle de u ce dédoublement de la représentation qui est la


conscience n, Traité de Psychologie rationnelle d'après les principes du criticisme,
Colin, Paris, 1912 , I, z86.
(2) VB, 143, souligné par nous.
(3) ID., 141 , souligné par nous.
Ioo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La représentation ne désigne nullement , par suite, un mode particulier 'de la


vie de la conscience, comme s'il y avait pour celle-ci, à titre de possibilité
offerte à elle, une vie représentative à côté d' autres formes et d'autres
modes possibles d'existence , à côté, par exemple, d 'une vie sensible
conceptuelle ou affective ; c'est l' essence de la conscience qui doit
être comprise dans sa structure ' éidétique propre et, comme telle,
universelle à la lumière du concept de « représentation ». C'est
pourquoi Heidegger peut dire que « la représentation ( Vor-stellen)
règne fur tous les modes de la conscience (i). » La représentation ainsi
comprise est ce qui « présente sur le mode de la représentation » (z) ,
elle se réfère explicitement à l'essence comme telle de la présence et.
nous invite à comprendre celle-ci comme une présence qui est celle
du représenté, c'est-à-dire la présence de quelque chose qui survient
devant, dans un milieu d'extériorité dont elle n 'est elle-même, en
tant qu'essence commune de la conscience et de la représentation
rien d' autre que l'ouverture. .
L'une des indications les plus constantes par laquelle la philo -
sophie de la conscience tente parfois de préciser le concept de repré
sentation sur lequel elle repose , est la désignation de celle-ci sous le
titre de certitude . Ce qui caractérise la représentation c'est la certitude
de soi. La représentation est certaine . L'être représenté est lui aussi
certain, mais sa certitude se fonde dans celle de la représentation.
Ou, pour être plus exact, la certitude de l'être représenté réside
justement dans sa représentation . Ce qui est certain est le thème de la-
conscience naturelle . Mais l'être-certain de ce qui est certain, c'est
justement la certitude en tant que telle. Ici se pose cette question :
lorsqu'elle est comprise comme la certitude de soi, ^
la représentation
désigne-t-elle toujours la même essence de la manifestation ? Ou bien à la
compréhension de cette essence l'intervention du concept de certitude

(t) H, 133, souligné par nous.


(2) ID., 134, souligné par nous.
LE MONISME ONTOLOGIQUE Io'

apporte-t-elle en fait une modification réelle ? C'est à partir de


Descartes que l'être vrai (ens verum) est interprété
comme l'être
certain (ens certum) . Il ne. s'agit as là, toutefois, d'une
p ^ nouvelle
interprétation
. , de la. vérité de d'étant, mais du moment où,
pour la
première fois, cette vérité est portée à l'état de problème. La prise
en considération de ce problème amène à penser queverste la ' ' de
l'étant consiste dans le fait pour celui-ci d'être représente. C'est
lorsque l'étant est représenté qu'il est arraché à la nuit a laquelle il
est, par lui-même, livré dans le principe. La représentation de l'étant
est au contraire son surgissement dans la lumière elle opère et
traduit son accession au g rangstde « phénomène
la vérité » elle e ' '
comprise en un sens ontologique.
Comment est comprise la vérité ontologique, identique a la
représentation, lorsqu'elle se trouve identifiée, de plus à la certitude?
Si la certitude désigne l'être-certain de ce qui est certain, le fait
d'apparaître de ce qui nous app axait^le dans
surgissement
la lumière
en vertu duquel l'étant s'offre à nous tel qu'il est(i),ce surgissement
par lequel l'étant devient pour nous un étant vrai ou certai n (en:
verum, en: certum), c'est la représentation qui l'opère. La certitude est la
certitude de la représentation. L'essence de la manifestation qui fait
l'être-certain de ce qui est certain, c'est-à-dire la certitude comme
telle, est celle dont la structure est constituée par le processus ontolo-
gique de la représentation en tant qu'il n'est rien d'autre que celui de
l'aliénation. La certitude est un titre pour désigner ce qui se produit
à la faveur d'un tel processus, c'est-à-dire l'existence phénoménale et la
manifestation comme telle. Ce qui est visé dans le concept de certi-

(I) Pareille promotion dans la lumière mérite d'être appelée certitude, parce
que de ce qui s'offre véritablement à nous dans cette lumière et que nous voyons en
elle tel qu'il est en soi, c'est de cela que nous sommes certains. Lorsque nous disons
que nous sommes certains de l'étant qui nous apparaît, nous voulons simplement
dire qu'il nous apparaît. I,a certitude repose sur l'apparence, ou plutôt elle ne fait
qu'un avec elle.
102 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tude, c'est la signification phénoménologique du pouvoir ontologique


de la représentation . Le pouvoir ontologique de la représentation
s'épuise, il est vrai, dans cette signification phénoménologique.
L'acte de poser devant ne fait qu 'un avec le surgissement dans la
lumière. Pour cette raison, précisément, la certitude n'est pas différente de la
représentation en tant que telle et elle lui app artient en propre. Son essence
est celle de la représentation.. Parce que l'essence de la certitude est
celle de la représentation, la certitude est toujours la certitude de
quelque chose . Elle ne désigne rien d'autre, en tant que certitude, que
la vérité de l'étants Avec l'intervention du concept de certitude ce n'est
pas une autre forme de vérité, une autre vérité que celle de l 'étant, c'est
cette vérité même, en et pour soi, qui est pensée. La certitude de la
représentation est le milieu ontologique où l'étant se manifeste, elle
est l'essence de la manifestation et de la vérité de l'étant. .
Avec le concept de certitude, l'idée d 'une subjectivité se profile
à l'horizon. La certitude est subjective . La représentation s'oppose au
représenté comme le subjectif â l'objectif En tant qu'elle réside dans
.
la certitude de la représentation la vérité se donne, elle aussi, comme
,
subjective. La signification ultime de la vérité entendue en un sens
ontologique dépend de l'interprétation qu'il convient de donner au
concept de « subjectivité ». La subjectivité est l'essence du sujet.
Le sujet apparaît nomme la condition de la phénoménalité des
phénomènes . L'objet ne peut j ustement devenir ce qu'il est pour
nous, c'est-à-dire un phénomène , que lorsqu'il est rapporté au sujets
L'opposition classique du sujet et de l'objet apparaît lorsque l'être de
l'objet devient un problème, c'est-à-dire lorsqu 'il est question de
penser l'objet en sa qualité d'ob -jet. Ce qui fait de l'objet ce qu'il est,
c'est-à-dire quelque chose qui est posé devant nous, c'est le sujet en
tant qu'il est justement le pouvoir qui opère cette position « devant ».
L'objet se manifeste en tant qu'il est conscient. Mass l'être-conscient de
l'objet réside dans le sujet.
La conscience cependant n'est pas le sujet.J A Y re g arder de p rès, il
LE MONISME ONTOLOGIQUE 1 03

apparaît que l'opposition instituée par la philosophie classique entre


le sujet et l'objet n'est pas du tout une opposition entre quelque
chose qui est conscient (le sujet) et quelque chose qui ne l'est pas
(l'objet), entre la conscience et l'inconscience. Ce qui caractérise l'objet,
c'est justement le fait qu'il est con scient. L'être-en-soi auquel on assimile
tro p souvent l'objet
l n'est en aucune fa çon un ob- et. Être un ob- >'et>
c'est être situé dans la dimension phénoménale de l'existence et
appartenir, comme tel, à la conscience. Cette appartenance à la
conscience se fonde assurément dans le rapport au sujet . La conscience
réside précisément dans le rapport du sujet et de l'objet, elle est ce rapport
comme tel. Si le dessein ontologique de l'idéalisme moderne s 'exprime
dans l'opposition inlassablement formulée du sujet et de l'objet, c'est
que la conscience réside à ses yeux dans cette opposition même . Le sujet
n'est pas du tout quelque chose qui serait différent de l'objet et
qu'on pourrait lui opposer comme on oppose une réalité à une autre,
sur le fond d'une différence de leurs propriétés et de leurs caractères,
d'une différence, par exemple, entre l'être -conscient et l'être-non-
conscient . En soi le sujet ne s 'oppose pas à l'objet. « Il n'y a séparation
entre eux qu'aussitôt qu'il y a conscience (i). » La conscience n'est
donc pas le sujet mais l'opposition du sujet et de l'objet. Lorsque
Renouvier nous parle de « l'opposition du sujet et de l'objet essentielle
à toute conscience (2) », la présupposition de sa pensée est plus qu'impli-
cite. Cette présupposition apparaît clairement aussi dans les thèses de
Schelling qui ont été évoquées et selon lesquelles ce n'est pas le sujet,
c'est la dualité, la division comme telle, qui est la condition dé la
manifestation, de la conscience . Parce que la conscience est la divi-
sion, elle est la production des deux termes, non l'un deux , le sujet,
avec lequel elle s'identifierait alors pour s'opposer à l'autre dans une
opposition qui lui resterait extérieure et s'ajouterait synthétiquement

(z) IT, 213.


(2) Traité de Psychologie rationnelle d'après les principes du criticisme, op. cit.,
II, 56, souligné par nous.
104 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à elle ou lui serait ajoutée par un spectateur étranger . L'opposition


est intérieure à la conscience . Elle lui est si intérieure que la conscience
n'est rien d'autre que cette opposition même . Parce que la conscience
est l'opposition, elle n'est pas l'un des termes , mais les deux termes à
la fois, en tant qu'elle est la loi qui les engendre : « Le moi de la
conscience, dit Schelling dans une proposition fondamentale, n'est
pas sujet pur, il est en même temps sujet et objet (i). »
La conscience réside dans l'opposition du sujet et de l'objet,
c'est-à-dire dans leur rapport . Elle est le rapport comme tel Le rapport
.
est le terme concret; abstraits au contraire sont les termes entre les q uels
le rapport s'institue : « le subjectif pur tout autant que l'objectif
pur, dit Hegel, est une abstraction » ( z). « Le : sujet et l'objet ap P a-
rais sent comme deux moments abstraits d'une structure unique
qui est la présence », dit Merleau-Ponty (i). L'objet ne saurait être
abstrait de cette structure de la présence, puisque c'est seulement à
l'intérieur de celle-ci qu'il est un objet. Le sujet n'a, de son côté, aucune
subsistance en tant qu'être déterminé opposé à l'objet. C'est parce
que Sartre confond la conscience avec le sujet abstrait (comme il
confond l'être avec l'objet) qu'il est justement amené à la penser
comme un abstrait (4), à affirmer que le « pour-soi n'est en aucune
façon une substance autonome » () S , que le dualisme vient de ce qu'on
abstrait conscience et être, que ce qui est concret c'est leur rapport ( 6 ) .
L'affirmation du caractère abstrait du sujet et de l'objet (impropre-.
appelés pour-soi, en-soi, conscience, être, etc.) et, inversement,
du caractère concret de leur rapport, permet à Sartre de récuser

(I) IT, 65•


(2) Différence entre les Systèmes de Fichte et de Schelling . REGEL, OEuvres
complètes , édita I,asson-Hoffineister, Leipzig, I, 47.
(3) PhP, 492.
(4) tt Ida conscience est un abstrait n (EN, 37).
(5) ID., 711. Ides raisons profondes de cette affirmation et, par suite, sa signi-
fication véritable se dévoileront à nous progressivement , cf. infra, § z8.
(6) ID., 38.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 105

le dualisme issu de l'abstraction et de rejeter l'objection de l'incommu-


nicabilité des deux régions par lui distinguées de l'en-soi et du pour-
soi. « La relation des régions d'être est un jaillissement primitif qui
fait partie de la structure même de ces êtres ( i ) . » La relation est en
fait la région ontologique fondam6ttàk , elle est justement le jaillissement de
lumière qui définit le champ transcendantal de l'être et de l'existence. La
conscience est elle-même cette relation comme telle. Au point de vue ontolo-
gique il n'y a pas deux régions d'être, mais une feule région, et la conscience,
qui n'est ni le sujet ni l'objet mais leur rapport, est justement cette région
ontologique fondamentale, non l'une des deux régions distinguées par abstrac-
tion. Sur le plan ontologique, la philosophie de la conscience ne fonde et n'auto-
rise aucun dualisme. Lors qu'elle rejette les formulations impropres
dans lesquelles elle s'est presque toujours incarnée , pour se comprendre
enfin à la lumière du sens de la problématique fondamentale qu'elle
visait dès le début à instituer, la philosophie de la conscience s'app araît
comme une expression du monisme ontologique.
Comprise comme l ' essence, ne constituant en aucune façon l'un
des termes d'une dualité , la conscience est le commerce qui s'institue
entre ces termes, elle est l 'être de cet « entre» (z). Si nous considérons
la totalité concrète de la réalité, la totalité constituée p ar le réel dans sa
réalité, c' est-à-dire dans l'acte par lequel il se manifeste , nous voyons
que cette totalité ne peut nullement se traduire dans l'é quation
« conscience + rapport à l'objet + objet ». La conscience n'est en
effet rien d' autre que le rapport à l'objet . Mais l'idée d'un sujet
comme terme opposé à l'objet peut-elle se maintenir, de telle manière
que nous ayons l'équation « sujet -f- rapport à l'objet (ou conscience)
-}- objet» ? Les trois termes de cette équation ne seraient, tout d'abord,
en aucune façon situés sur le même plan. Seul le second de ces termes,
le rapport comme tel à l'objet, est d'ordre ontologique . Mais si

(r) EN, 38,


(2) Cette définition de la conscience est acceptée par HEmEGGER , cf. SZ, .132.
io6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'objet est une réalité ontique dont l'être est constitué par le rapport
comme tel, s'il demeure par suite une détermination réelle qui trouve
dans la conscience son fondement ontologique une telle situation ne
peut convenir au sujet . L'être du sujet est en effet le rapport comme
tel. La dissociation entre les concepts de conscience et de sujet n'est
possible qu' aussi longtemps qu'on en reste, pour ce dernier, â une
détermination pré-critique qui fait déchoir la réalité qu'il désigne au
niveau d'une réalité d'ordre ontique . C'est la réalité ontologique comme telle
qui est en fait visée par la philosophie de la conscience lors qu'elle.^ait intervenir
dans -sa problématique le concept du si jet. Le sujet désigne l'événement
ontologique qui fait accéder l'étant à la condition d'o bjet, c'est-à-dire de
phénomène pour nous. Le sujet n'est rien en dehors d'un tel événement com ris
p
dans sa signification ontologique absolument pure . Faire accéder l'étant
au rang de phénomène , le faire surgir dans la lumière de l'existence
phénoménale et consciente , c'est là l'oeuvre qui est pensée comme celle
du sujet, et l'être de celui-ci n'est rien en dehors d'une telle oeuvre mais
s'épuise au contraire en elle. L'être du sujet est ainsi identiquement le
surgissement même de l'existence phénoménale , il consiste dans
l'ouverture de la dimension ontologique de la présence . C'est parce
que cette dimension ontologique de la présence est pensée tradition-
nellement et d'une façon impropre sous le titre de « connaissance »
que le sujet est justement compris comme la « condition de la connais-
sance ». Le sujet est le pouvoir de connaissance , le . connaissant
comme tel. Mais « le connaissant ... n'est rien d'autre que ce qui fait
qu'il y a un être-là du connu, une présence » ( i). « La connaissance et
le connaissant lui-même, est-il encore dit, ne sont rien sinon le fait
qu' « il p a» de l'être (2). » La connaissance enfin, est « la pure solitude
,
du connu ( s). » Le sujet est ainsi ce qui fait que l'objet est présent ,
il est sa présence comme telle. Ce qui fait que l'objet est présent,

(I) EN, 225.


(2) ID., 227.
(3) Ibid.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 1 07

que l'objet est un oh-jet, ce qui fait de lui ce qu'il est , l'objet en tant
qu'objet, c'est son être. Le sujet est l'être de l'objet. Il est le fondement
ontologique à partir duquel l'objet est ce qu'il est. Le dualisme du
sujet et de l'objet n'est pas un dualisme ontologique, c'est le dualisme de
l'essence et de la détermination ôntique qui trouve dans cette essence son
fondement ontologique. Le dualisme traditionnel apparaît ainsi comme
une première formulation , comme la pensée pré-critique d'une
dissociation proprement philosophique entre l'étant et son être, entre
ce qui est d'ordre ontique et ce qui appartient au contraire à la sphère
ontologique de l'essence . C'est cette région ontologique de l'essence
qui est pensée sous le titre du sujet, tandis que l'objet désigne
l'étant sur le fond de l'es sence en lui, dans son unité indissociable avec elle.
Ce qui se cache dans le départ entre le sujet et l'objet, c'est une seule
et même essence, et le dualisme traditionnel est un monisme ontolo-
gique. Mais l'unité essentielle dont le monisme ontologique est le
titre, n'est pas, si elle la fonde, l'unité du sujet et de la détermination
ontique, ce qu'elle signifie, c'est l'unicité du mode de manifestation
conformément auquel l 'étant se réalise dans le sujet qui n'est autre que ce mode
de manifestation comme tel.
Les présuppositions ultimes qui sont visées sous le titre de
monisme ontologique ne s'épuisent pas dans l'affirmation de l'unicité
du mode de manifestation compris dans sa pureté phénoménologique
essentielle, elles confèrent en fait à ce mode une structure éidétique
parfaitement définie. Ce n'est pas la seule affirmation de l'unicité de
l'essence phénoménologique, c'est l'identité de structure de cette
essence qui fonde l'identité essentielle, par-delà les différences appa-
rentes, de la philosophie de la conscience et de la philosophie de,
l'être. Pensant le sujet comme le fondement de la phénoménalité
des phénomènes, la philosophie de la conscience interprète finalement
l'être de ce sujet comme le Rapport . En tant qu'il est le rapport, le
sujet est l'établissement et le maintien d'une distance , le pouvoir
ontologique qui déploie l'horizon , la spatialité originaire et transcen-.
io8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dantale qui ouvre l'endroit où quelque chose peut se manifester,


il se distingue de ce quelque chose comme le milieu pur et par
lui-même privé de détermination où la détermination est susceptible
d'apparaître : « La conscience, dit Hegel, est elle-même l'espace privé
de déterminabilité (i). » En tant qu'il est le Rapport, le sujet est
l'Être-dans. L'Être-dans est un Être-dans-le-monde. Mais le monde
n'est lui-même rien d'autre que l'Être-dans. Il est l'espace primitif et
non spatial qui signifie l'ouverture d'une place. La spatialité de
l'Être-dans est un titre pour le processus ontologique de l'aliénation
elle est l'autoséparation de l'essence qui fait surgir l'intervalle et,
comme telle, le Rapport lui :même dans 'son origine. La lumière qui surgit
dans cet intervalle est tout à la fois celle du monde et de la conscience.
Sans doute Husserl dit-il que la conscience n'est rien du monde (z),
mais par monde il n'entend que la totalité de l'étant, et que la
conscience ne soit rien du monde ainsi entendu, cela signifie seule-
ment que, comme essence ontologique, elle n'est elle-même, dans sa
transcendance à l'égard de tout l'existant, que le monde lui-même
dans sa mondanité pure. Le monde dans sa mondanité pure n'est pas ,
en
. effet, un caractère de l'étant. « Le phénomène du monde... appar-
tient, comme moment structural essentiel de l'être-dans-le-monde, â
la constitution fondamentale du Dasein (3). » C'est donc à la structure
de l'essence ontologique de la présence que le monde appartient ,
mais, dans cette appartenance à l'essence, il se confond avec elle.
L'Être-dans et le monde désignent identiquement le règne d'une pré-
sence qui s'accomplit sur le mode d'une spatialité purè. Toute
référence de l'Être-dans à une subjectivité qui n'a artiendrait as à cette
spatialité transcendantale originaire est exclue par principe. On peut

(1). PhE, I, 331.


(2) Cf. MC, 21 : « On ne devra penser à aucun titre que, dans notre moi pur
apodictique, nous ayons réussi à sauver une petite parcelle du monde. » Et encore :
« Ce moi [pur] et sa vie psychique... ne sont pas une partie du monde » (ibid.).
(3) SZ, 209. .
LE MONISME ONTOLOGIQUE 1 09

dire que le monde est « subjectif », mais cela signifie seulement qu'il
est « plus objectif que tout objet » ( i). La subjectivité du monde
marque seulement sa transcendance à l'égard de tout étant , elle est la
transcendance comme telle . La transcendance est l'essence de la mani-
festation, l'apparaître de ce qui apparaît . En tant qu'il est l 'Être-dans
et le Rapport, le sujet est cet apparaître comme tel, il est l'essence de
la manifestation au sens moniste . « La subjectivité du sujet, dit
Heidegger, c'est l'Erscheinen lui-même (2). » C'est l'apparaître de ce
qui apparaît, c'est l'être de l'étant qui constitue la subjectivité du sujet
humain. La lumière qui nous traverse est celle du monde ( 3). C'est en nous
que se trouve la vérité , dans l'intérieur de l'homme . La conscience a en
elle la mesure de la vérité. Mais la vérité qui constitue notre intériorité
même n'est que la lumière absolue de l'extériorité. La subjectivité humaine est
la transcendance du monde.
L'identification de l'essence de la conscience avec l'extériorité
pure de la transcendance surgit au moment où la problématique
de la conscience se comprend dans sa signification ontologique pure.
Lorsque l'essence de la conscience est saisie comme la vérité en un
sens ontologique , c'est-à-dire comme l'essence pure de la manifes-
tation, cette essence de la conscience est nécessairement identifiée
avec l'essence de la manifestation telle qu'on la comprend. Parvenue à
son stade ultime et à la pleine compréhension de soi-même dans
sa vérité, la philosophie de la conscience ne peut être qu'une répéti
tion des présuppositions fondamentales du monisme . A vrai dire, les

(1) SZ, 366.


(2) H, 134•
(3) Les commentateurs qui ont pénétré la pensée de Heidegger ont perçu
cette identité de la subjectivité et du monde comme tel, identité qui constitue
l'aspect le plus profond du monisme ontologique . Cf. J. BEAUFRET : « C'est dans le
voisinage le plus proche que se produit la trouée de lumière qui concerne chacun
dans son être le plus intime » (Heidegger et le problème de la vérité, in Rev. Fontaine,
nov. 1947, 770). H. Birault parle aussi d 'une « lumière qui est tout à la fois celle de
l'Être et celle de l'être que nous sommes » (in Rev. Mét. Mor ., janv.-mars 1951, 64).
"o L 'ESSENCE
DE LA MANIFESTATION

progrès dans la détermination de l'essence de la conscience et ceux


de la compréhension de la structure interne de la manifestation
pure sont parallèles . La détermination de l'essence de la conscience
constitue justement un moment essentiel de cette compréhension.
Pareille détermination commence avec la conception d ' un sujet de la
connaissance, elle se poursuit avec l'interprétation d e l'être du sujet
comme rapport a l 'objet. La conscience est alors comprise â
., la
lumière du concept central de l'intentionnalité. . Toute. conscience
est conscience de . quelque
^, chose. En
qu' tant intentionnelle, la
conscience est ce dépassement qui lui donne accès aux choses (r).
Le dernier progrès dans la détermination ontologique du concept
de conscience réside dans l'affirmation que la conscience n 'est rien
d'autre que ce dépassement . Alors l'être de la conscience est, venta
blement identifié au processus ontologique de 1 a réalité, il cesse d
'être
l'être déterminé d'un sujet opposé , cour ' donnée, a la
me réalité
réalité donnée de l'objet,et, pour devenir le principe de toute réalité
comme telle. La conscience n'est .plus le
prédicat, voire l'attribut
essentiel, de l'être - substantiel du sujet. La substantialité du sujet
. ^
consiste dans le dépassement même p lequel nous
at avons accès
aux choses , et le sujet est l'accès lui-même .
• dans comme l'Ètre- tel.
« Toute consclence est ositionnelle et elle s'épuise dans cette po
sition
même (2). » L'essence de l'homme en direction de l
' être est cette
direction. Il ne suffit as de dire, comme le fait encore Sartre, que
Heidegger rejette « 1 isolement megariq ue et antidialecti
q des ue
essences », c' est une nouvelle conception de l'essence (3) qui se fait
jour, conformément â laquelle l'essence est la dialectique meure,
l'échange et le passage. Et cette essence définit l ' humanité meure de

(I) Jaspers appelle « principe de la conscience » l'inten


transcendance d'objets . déterminés, tionnahté , c'est-à-dire
(Z) EN, i8, souligné par nous.
(3) Cette « nouvelle conception » est en fait la libération d' •
ancienne qui se trouve ainsi portée a l'absolu, une conception trés.
LE MONISME ONTOLOGIQUE III

l'homme, elle est l'essence de la réalité humaine . C'est donc dans


l'intérieur de l'homme au plus intime de son être, que réside le
pouvoir ontologique de la dialectique . Tous les pouvoirs de l'homme
se fondent exclusivement sur.. ce pouvoir en lui. La vision, par
exemple, « n'est préparée intérieurement que par mon ouverture... à un
champ de transcendances (i). » L'ouverture comme telle au champ
transcendantal, ouverture q ui est ce champ lui-même, tel est, dans son
essence, l'être-intime de l'homme. L'être le plus intime de l 'homme est
ainsi la spatialité originaire pensée comme la condition de toute pré-
sence. La compréhension de l'être-intime de l' homme à partir de la spa-
tialité transcendantale de la p résence est à l'origine du concept moniste de
l'existence . « L'existence est spatiale, c'est-à- dire que par une nécessité
intérieure elle s'ouvre sur un dehors» ( 2). L'extériorité la plus radicale,
ce qui est p lus objectif que tout objet, définit l'intériorité la plus
intime . Ce qui est plus objectif que tout objet, c'est sa condition, son
existence . La transcendance est la condition de l'objet en tant que tel.
L'objet est l'être transcendant . Mais la transcendance est l'intériorité
du sujet humain, elle est l'être le plus intime de l 'homme. La transcen-
dance est l'existence universelle . L'existence de l'homme est l'existence des
choses. La subjectivité du suJjet n'est que l'objectivité de l'objet..
L'identité de la subjectivité du sujet et de l'objectivité de l'objet
a pu demeurer longtemps cachée . Qu'elle ne se soit pas fait jour plus
tôt dans la problématique philosophique, cela résulte tout d'abord du
fait que l'objectivité de l'objet n'avait p as encore été élevée à l'état de
p roblème. Tant que la p ensée philosophique n'était que la promotion
conceptuelle de la visée de la conscience naturelle, l'objet ne pouvait
apparaître que comme une réalité donnée opposée à l'homme. Dès
que la problématique se place sur un plan ontologique au contraire,
dès que l'être de l'objet est p ris en considération, ce n'est pas seule-

(t) PhP, 432, souligné par nous.


(2) ID., 339, souligné par nous.
II2 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment la relation de l'étants un sujet ^de la connaissance qui est


formulée, l'être de ce sujet apparaît d'ores et déjà, en faii, identifié à la
f
condition ontologique de ' la possibilité de l'objet, c'est-à-dire avec l'o bjectivité
comme telle. C' est ainsi que chez Kant où, pour la première fois eut-
être, et cela. d' une façon explicite aussi bien que décisive, le thème
de la pensée est constitué par le problème de la possibilité de l'objet,
la détermination de cette possibilité comprise dans sa signification
ontologique absolument pure comme la condition universelle de la
possibilité d'une expérience en général , se réalise et parvient à son
résultat dans et par l ' analyse de la subjectivité du sujet de la connais -
sance compris lui-même comme cette forme à priori de toute
expérience possible. La forme à priori de toute expérience possible
apparaît ainsi comme constituant à la fois et solidairement l'être du
sujet et celui de l'objet. L'être du sujet se révèle identique à celui de
l'objet, il est justement la condition d'un objet quelconque l'être
universel de tout objet possible en général . C'est précisément parce que,
.. ...
selon Kant, les conditions de la possibilité des objets d'expérience
ne sont rien d ' autre que les conditions subjectives de la pensée, qu'un
« accord » est possible, ou plutôt se trouve réalisé dans le principe,
entre les lois de la pensée et celles des choses . Un tel « accord », à
vrai dire, ne consiste nullement dans une adéquation entre deux réa-
lités différentes encore que liées par une affinité m ystérieuse, il se fonde
en fait dans une identité d'essence , dans l'identité essentielle de l'être
du sujet et de celui de l'ob j et. Le sujet n'est pas un pouvoir en quelque
sorte extérieur aux choses , celui de porter sur elles des jugements
ou d'établir entre elles des relations . Il n'y a pas de choses en dehors
ou abstraction faite du sujet. L'être des choses c'est le sujet lui-même.
La critique du kantisme comme d'un intellectualisme, plus ou
moins teinte alors de psychologisme , reste sur un plan superficiel,
elle méconnaît la signification ontologique profonde de l'Esthétique
et de l ' Analytique transcendantales . Conformément à cette signifi-
cation, il apparaît que . la structure du pouvoir transcendantal de la
LE MONISME ONTOLOGIQUE II3

connaissance constitue et définit justement, en tant que forme pure


et à priori, la structure même de l'objet, comme structure universelle
et absolument nécessaire , c'est-à-dire comme structure et comme
forme auxquelles l'objet doit se soumettre pour pouvoir être un objet.
L'identité de l'être du sujet transcendantal avec la structure . à
priori de l'objet lui-même se manifeste encore plus clairement
si l'on remarque qu'il convient , en fait, de renverser la formule
précédemment avancée et selon laquelle la détermination de la
possibilité ontologique de l'objet en général se réalise dans l'analyse
de la subjectivité du sujet de la connaissance. C'est bien plutôt le
contraire qui est vrai, c 'est dans la détermination progressive de la
structure à priori de l'objet que se réalise peu à peu celle de l'être du
sujet transcendantal et de sa subjectivité , et ceci parce que la subjec-
tivité de ce sujet n'est rien d'autre précisément que la structure à
priori de l'objet, parce que l'identité de l'être du sujet et de celui de
l'objet doit enfin recevoir sa véritable signification conformément
à laquelle il apparaît que cette identité s'établit au détriment de la
conception d'un être propre et spécifique de la subjectivité du
sujet, laquelle se trouve en fait purement et simplement réduite à
l'objectivité et confondue avec elle, avec ce qui fait l'être même de
l'objet.
L'identité de la subjectivité du sujet et de l'objectivité de l'objet,
sur le fond de l'assimilation pure et simple de la première à la seconde,
persiste dans la philosophie transcendantale , aussi longtemps du
moins que celle-ci se maintient au niveau de son dessein ontologique
premier. La nécessité qui apparaît chez Lachelier comme la structure
de l'esprit constitue et définit solidairement l'existence même des
choses, et cela en un sens ontologique . L'existence au sens ontologique,
« l'existence d'une chose en tant que distincte de cette chose » ( i), c'est le

(I ) IIACHELIER, Psychologie et Métaphysique, Presses Universitaires de France,


Paris, 1949, 54, souligné par nous.
I 14 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

milieu ontologique qui permet à nette chose d'être, c'est sa vérité.


« La vérité ou l'existence », dit Lachelier. La vérité d'une chose est
distincte de cette chose en tant qu'elle s'oppose aux données empi-
riques et sensibles. Ce n'est point en vertu de celles-ci qu'une chose
existe, puisque le plus souvent nous affirmons l'existence d'une chose_
en l'absence de ces données, que,et d'autre
part, leurpropre présence
les transcende infiniment en ° tant qu'elles ne comportent point en
elles-mêmes les caractères qui la réalisent. Cette présence qui est° la
leur se confond, au contraire, avec la vérité ou l'existence inter-
prétée par Lachelier à la lumière de l'idée de nécessité. C'est dans la
nécessité d'une chose que se fonde pour nous son existence. La
gique
nécessité n'est principe
pas un logique, elle est la dimension ontolo-
de l'existence. Ln tant que synthèse véritative . ouvrant la
dimension ontologique de l'existence, la nécessité est idéale. Comme
telle, elle ne s'oppose p
as, toutefois,
^ ^ mais à la réalité deconstitue
l'objet
cette réalité même. L'objet est réel en tant qu'il est nécessaire.
La nécessité est l'être 'de l'étant. L'idée de nécessité est la vérin'e
ontologique, elle est solidairement l'être des choses et le « sujet de la
connaissance ». « C'est cette idée qui est et qui seule peut être le sujet
de la connaissance, car elle n'est point une chose mais la vérité à
priori de toutes choses (i). » °
L'identification de l'être le plus intime de la réalité humaine avec
l'essence même des choses n'est sans
pas cont les préoccupations
redire
morales d'une pensée qui avait cru voir dans le concept du « sujet »
le moyen d'affirmer au contraire; la suprématie de l'homme sur la
nature et, tout d'abord, d'arracher celui-ci à la loi de l'objet. Au
moment ou le sujet cesse d'être interprété naïvement comme un étant
supérieur aux autres pour être compris dans sa vérité ontologique
comme la vérité même de cette nature et comme sa loi la lu
intime, un effort significatif se fait Jour pour désolidariser le sujet

(I) I{ACHELIER, Psychologie et Métaphysique, op. cit., 56.


LE MONISME ONTOLOGIQUE IIS

d'avec l'essence des choses , en plaçant en quelque sorte un second


sujet derrière le premier qu 'on abandonne alors , comme sa structure
même, à la nécessité inflexible qui fait l'être de l 'étant. Ainsi voit-on
Lagneau, à la fin de sa Leçon fur le Jugement, faire consister l'acte,
supérieur de l'esprit dans le recul que celui-ci est susceptible de
prendre à l'égard de son être même, afin d'échapper à une nature
qui est identiquement la sienne et celle des choses . Mais ce recul qui trouve
sa formulation psychologique dans une sorte de doute que l'esprit
conserve à l'égard de tous ses jugements , ne désolidarise pas tant
l'esprit
- d'avec sa propre nature qu'il ne la lui révèle à lui-même.
Est-il autre chose que le mouvement meme par lequel l'esprit se sépare
de soi pour se manifester ? Et la nécessité n'est pas tant cette nature
du sujet que celui - ci laisse devant lui dans l'acte par lequel il se
retire de soi pour échapper à la loi de l'existence universelle, elle
appartient en fait à la structure interne de cet acte comme le principe
transcendantal qui en assure l'unité. En tant qu' elle est la condition qui
permet au divers de l'intuition de « s'unir en une conscience », la nécessité
est le pouvoir qui assure de l'intérieur l'unité phénoménologique de
l'être comme unité de la représentation . Loin de pouvoir laisser
hors de soi la nécessité comme une nature étrangère à sa propre
essence, la transcendance la porte au contraire en elle comme la
condition interne de l'unité de son ekstase , c'est-à-dire comme
une structure éidétique de sa liberté ontologique . Comme telle, comme cette
libre ekstase dont la nécessité assure l'unité interne , la transcendance
est à la fois et solidairement l'essence du sujet et celle des choses, elle
est l'existence universelle.
La signification ontologique de la philosophie transcendantale
peut se perdre dans le néo-kantisme et dans la philosophie classique
qui s'oriente trop souvent vers un psychologisme moral ou le sujet
.
est considéré comme un être libre . Que cet être soit compris des lors
comme un étant privilégié, n'emp ê che pas que ce privilège doive être
fondé. Il trouve, en fait, et même si la pensée ne se préoccupe pas de
I Y 6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

remonter jusqu ' à elle, son origine dans l'essence. La conce p tion d'un
sujet libre dont la liberté se manifeste dans le doute ou dans quelque
autre conduite caractéristique, trouve finalement son fondement
dans l'essence de la transcendance
pure n du . La conceptio
sujet a
certes évolué, au moins d'une façon implicite , car le problème de la
subjectivité du sujet est rarement le thème de la p roblémati ue. Le sens
q
de cette évolution est cependant de faire apparaître de plus en plus
clairement une identité fondamentale entre la com p réhension de la
subjectivité du sujet et celle de l'objectivité de l'objet . La substitution
finale d'un « sujet temporel» au sujet classique ne fait qu'affirmer l'inter-
prétation qde ce su j et comme
ontologique implicite ou explicite de l'être
transcendance . La temporalité est l'essence de la transcendance. Elle
est solidairement la subjectivité du sujet et « l'horizon de l'être ».
La conception d'un être-commun de la subjectivité
J sujet du
et de l'objectivité de l'objet est le fondement ontologique de la
démonstration hégélienne de l'identité de la matière et de l'esprit et
plus généralement , de l'affirmation philosophique traditionnelle aussi
souvént formulée que rarement saisie dans le concept, de l'identité
de la pensée et de l'être.
La saisie conceptuelle de l'identité essentielle du sujet et de
l'objet met à nu la vanité des discussions classiques entre les tenants
de l'objectivité et les partisans philosophie
d'une subjective. Elle
rend particulièrement sensible le caractère naïf et pré-philosophique
de certaines critiques « décisives », comme celle, par exemple, que les
promoteurs du behaviorism ont adressée à la philosophie de la cons-
cience. Ainsi , selon Watson , la conscience est un conce pt
qui.
n' est ni défini ni utilisable, une chose fuyante que personne n 'a
jamais
vue iii touchée, ni enfermée dans une éprouvette , et qu'il faut consi-
dérer en conséquence, au même titre q ue la vieille entité méta phy
i que et religieuse de l'âme dont elle n'est qu'un substitut moderne -s
,
comme une hypothèse incontrôlable. Précisant sa critique Watson
ajoutait : « Vous affirmez qu'il existe quelque chose comme une
LE MONISME ONTOLOGIQUE II7

conscience, que la conscience se poursuit en vous -- eh bien, prou-


vez-le. Vous affirmez que vous avez des sensations, des perceptions
et des images, eh bien, montrez-les comme les autres sciences mon-
trent leurs objets (I).» Sur le premier point selon lequel la conscience
est un concept qui n'est pas défini, on ne peut que donner raison
aux behavioristes. C'est surtout chez eux, toutefois, que cette absence
de toute définition est le plus manifeste, comme est manifeste l'absence
de toute problématique . philosophique sérieuse concernant le concept
antithétique sur lequel ils prétendent au contraire se fonder, à savoir
celui d'objet. « Prouvez-nous cette existence en nous la montrant »,
dit Watson. La conscience est justement ce pouvoir de montrer,
auquel les « autres sciences » et les behavioristes eux-mêmes préten-
dent faire constamment appel. Ceux-ci veulent une philosophie ou
une science fondée exclusivement sur l'objet, et ils méconnaissent
en même temps ce qui fait de l'objet un objet. Contemporain de ce
rejet de la condition de l'objet est l'appel exclusif et tapageur adressé
à cette condition : « Faites-voir », disent-ils (2). Ainsi, dans le temps
même où ils le nient, font-ils constamment usage du principe qu'ils
revendiquent par ailleurs comme étant le seul légitime dans son
emploi (3). Inversement, lorsque Sartre reproche à Heidegger

(i) The waÿs of behaviorism, Harper and brothers, New York and London, i 9 2 8, 7 .
(2) Cet appel apparaît comme le leitmotiv de la critique behavioriste contre
la philosophie de la conscience. Cf. par exemple cet autre texte qui vise plus préci-
sément la conception du souvenir et de l'image entendus au sens classique, c'est-à-
dire comme faits de conscience « But the behaviorist, having made a clean sweep
of ail the rubbish called consciousness, cornes back at you : « Prove to me », he says,
« that you have auditory images, visual images or any other kinds of disembodies
processes. So far I have oniy your unverified and unsupported word that you
have them )) » (The ways of behaviorism, op. cit., 75, souligné par nous).
(3) 'Non moins naïve et contradictoire était, au siècle dernier, la position de
Cl. Bernard, lorsqu'il opposait à la philosophie, science creuse sinon nuisible, simple
exercice de l'esprit, sa proposition fondamentale selon laquelle « en dehors de l'expé-
rience il n'y a rien ». I,a philosophie est justement la science de l'expérience comme
telle ; encore faut-il voir que l'expérience comme telle fait problème. S'élever à
l'intelligence de ce problème, c'est justement cela être philosophe.
i i 8 . L'ESSENCE . DE LA MANIFESTATION

d'aborder directement l'analytique existentielle (i) sans passer par le


cogito, lorsque, après avoir défini le Dasein comme le projet ekstatique

de ses propres possibilités , c'est -a-dire comme une com rehension de
soi, il demande : « Mais que serait une compréhension qui, en soi-même
a
ne serait pas conscience (d') être compréhension ?» (2), comme pour
lui la conscience est la position de l'ob j et, comme elle s'é puise dans
. cette position même et n'est ainsi rien d'autre que l'ekstase de la trans-
cendance, c'est-à- dire très exactement ce . que Heidegger entend
par la compréhension ( Verstehen) ontologique de l'être, sa critique
n'a aucun contenu.
. « La subjectivité, déclare Heidegger, commentant la philosophie
classique, est la présence sur le mode de la représentation (3), » La
représentation trouve son fondement dans le phénomène ontologique
de l'aliénation qui ouvre l'horizon transcendantal de l'être c'est-à-dire
finalement dans la transcendance du monde. Le monde est ma re pré-
sentation. Le renversement de la doctrine qui se fait j our dans les
dernières oeuvres de Heidegger ou le principe de la phénoménalité
est cherche dans l ' extériorité radicale de l'être, trouve ses prémisses
dans Sein und Zeat et dans la pensée philosophique traditionnelle où
. ,,,
il est en fait déjà inclus . Le problème de savoir si l'accès au trans-
cendantal doit se faire. à la lumière d'une philosophie de l'être ou
.
d' une philosophie de la conscience est de peu d 'importance si l'essence
de la manifestation qui est finalement visée et qui constitue ce trans-
cendantal est la même dans les deux cas. La détermination du trans-
cendantal reste conditionnée et cela d'une façon essentielle , tant que
celui-ci n' est rien d' autre queprincipe
le de l'objet.^Ily pas
n'y a de
différence entre la philosophie de a conscience et la philosophie de
l'être. .

(I) Sans doute faut-il lire a existentiale ».


(2) EN, 115.
(3) H, 134
LE MONISME ONTOLOGIQUE I19

§ I z. LA CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE DE LA CONSCIENCE

S'il n'y a pas de différence entre la philosophie de l'être et la


philosophie de la conscience, pourquoi Heidegger a-t-il cru bon de
diriger contre celle-ci une critique radicale et sans cesse reprise?
Le motif de cette critique a été indiqué : il réside dans la volonté de
ne pas laisser l'essence déchoir au rang de la détermination qui
trouve dans cette essence son fondement . Le rejet des concepts
traditionnels de sujet, de subjectivité, de conscience , de raison, voire
même de « personne », l'objection sans cesse formulée contre la
légitimité de leur emploi et conformément à laquelle la réalité qu'ils
désignent demeure toujours en fait non questionnée dans son être,
si g nifient la transcendance de l'être p ar rap port aux éléments qui sont
p ensés comme le principe de la phénoménalité ou plus étroitement de
la connaissance. Car l'être se trouve au-delà de la détermination
posée comme le principe, et c'est dans cet au- delà que la détermina-
tion trouve en fait le fondement de son être.
Pour quoi l'essence ne p eut-elle être maintenue dans le lointain
ori ginel où elle réside ? Pourquoi le Dasein ne peut-ii être saisi dans la
pureté de sa signification ontologique radicale comme l'essence
même de la transcendance ? Parce que l'être de celle-ci est inévitable-
ment comp ris sur le fond de ce qui advient en elle. « L'Être-dans »
qui signifie l'ekstase originelle de l'être, « est dénaturé » parce que le
Dasein le comprend à la lumière de l'étant qui se produit grâce à cet
Être-dans (I). Comprenant l'In-Sein à la lumière de ce qui se produit
en lui, c'est lui-même que le Dasein comprend de la sorte. Il se
comprend comme un étant et la structure originelle de l'Être-dans-
le-monde devient le rapport qui existe entre cet étant-Dasein et
l'étant qui n'est p as lui. Ces deux étants dont l'être est compris à
partir de l'étant intramondain , s'appellent le sujet et l'objet, et c'est

(I) Cf. SZ, 58.


120 L' ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dans leur « rapport» que la « théorie de la connaissance» cherche son


fondement. Ce rapport lui-même qui s'institue entre deux réalités
données est à son tour compris comme une réalité donnée. C'est la
dégradation de l'essence de la manifestation en une réalité d'ordre
ontique, c'est la compréhension de l'élément ontologique formel
du savoir à la lumière d'une telle réalité, qui est rejetée par Heidegger.
« La conscience naturelle pourrait s'appeler une conscience ontique en
tant qu'elle se dirige directement sur l'objet comme sur un étant et
sur son, savoir de cet objet comme sur quelque chose qui est un étant égale-
ment(i). » La philosophie de la conscience est récurée en tant qu'elle est une
thèse de la conscience naturelle. En tant que telle, en effet, elle accomplit
une omission fondamentale. Dès qu'il est osé comme un étant le
savoir présuppose l'être. « La conscience naturelle pose immédiate-
ment devant elle son représenté et son acte de se représenter comme étant
sans considérer l'être que, ce faisant, elle représente aussi déjà (2) . »
Voilà pourquoi ce savoir posé comme un étant (et qu'on appelle justement
la conscience, le sujet, la subjectivité, la raison ou la personne) doit
être questionne sur son être. Tant que cette question de l'être ne s'est
pas élevée au sujet du savoir assimilé sans plus à quelque chose
qui est, la prétention de celui-ci de jouer dans la problematique
le rôle d'un principe atteste seulement l'oubli du problème ,ontolo-
gique. Solidaire de cet oubli est la chute de l'essence dans la déter-
mination qui se substitue à elle
tence .alorsy qu'en fait elle renvoie. L'exis-
exis-
tence dès lors est confondue avec quelque chose qui existe. Penser,
l'existence dans sa . vérité, c'est com réndre au contraire l'existence
comme la vérité. « La vérité de l'existence » 3 s'obtient dans l'effort
par lequel la pensée cesse de comprendre l'existence à partir d'autre
chose qu'elle-même. « Le Dasein, dit Heidegger, peut se comprendre...
a partir du « monde » ou des autres ou de son p ouvoir-être le plus
,
(1) H, r 6 r, souligné par nous.
(2) ID., 173, souligné par nous.
(3) SZ, 22I.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 121

propre (i). » La compréhension du Dasein à partir de son pouvoir-


être le plus propre signifie pour le Dasein une compréhension de soi
à partir de soi, elle est la compréhension de soi de l'essence comme essence.
La préservation de la vérité de l'existence est la visée dernière
des grandes critiques de l'heideggerianisme et notamment des
critiques dirigées contre l'ontologie cartésienne et contre la concep-
tion traditionnelle de la vérité. L'ontologie cartésienne aboutit dans
ses résultats à une altération, voire à un oubli complet de l'essence,
sur le fond de la compréhension de celle-ci à partir de l'étant qui se
produit en et par elle. Encore l'étant dont l'être guide indûment la
compréhension du phénomène ontologique du monde n'est-il pas
même l'étant qui survient en premier lieu pour nous à l'intérieur
de ce monde. De l'étant, en fait, Descartes ne retient comme consti-
tuant son être que ce qui en lui est accessible à travers la connaissance
mathématique. Celle-ci a pour corrélat un être donné en permanence.
L'être-donné-en-permanence (stàndige Vorhandenheit' est le caractère
d'être de l'étant mathématique. Ce qui a le trait de l'être-donné-en-
permanence, c'est la substance. L'idée de substance trouve ainsi son
origine dans la structure déterminée d'un étant déterminé. C'est à
partir de cette structure déterminée, pensée sous le titre de substance
que Descartes interprète, non seulement et à bon droit l'être de l'étant
mathématique, mais encore et indûment l'être de l'étant intra-
mondain en général (et c'est ainsi que se fait jour l'idée d'une nature
mathématique qui va régner désormais sur la conception occidentale
de la nature et voiler définitivement l'être originaire de celle-ci (2))
et, finalement, l'être du monde lui-même. Celui-ci n'est pas seulement
confondu, comme milieu de l'étant intramondain, avec l'espace,

(i) SZ, 221 ; par « monde n Heidegger entend ici la somme de l'existant, c'est
pourquoi il met le mot monde entre guillemets.
(2) « Descartes, écrit Heidegger, accomplit ainsi philosophiquement de façon
explicite l'inversion de l'effet de l'ontologie traditionnelle sur la physique mathé-
matique moderne et ses fondements transcendantaux n (SZ, 96).
M. HENRY 5
122 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'être de cet espace est encore interprété comme substance. La doctrine


de la res extensa qui vaut pour une interprétation philosophique de
l'être originaire du monde, c'est-à-dire de l'essence, se construit ainsi
à partir de l'être déterminé de l'étant qui s'offre à la connaissance
mathématique . Celle-ci, comme prototype, de l'intellectio , n'est pas
seulement privilégiée d'une façon arbitraire en tant qu'elle est
donnée pour le seul mode d'accès valable à l'être de l'étant (la
sensatio n'atteint pas cet être), son étre à son tour est inter rété à
p
partir de la structure ontologique déterminée de l'étant mathéma
tique, c'est-à-dire à p artir de la p ermanence substantielle d'une réalité
donnée . « Descartes, écrit Heidegger , comprend l'être du Dasein à
la constitution fondamentale duquel appartient l'être-dans -le-monde
de la même façon que l'être de la res extensa , comme substance (i). »
Le Dasein, cependant, n'est rien d'autre que le monde dans sa
mondanité pure. La « re.r cogitan s » et la « rés extensa » sont deux titres
équivalents où s'exprime la même déchéance (à la lumière de l'idée de
substance , c'est- à-dire à partir de l'être mathématique) d'une même
essence (l'essence ontologique de la présence). Le dualisme cartésien
est une altération du monisme ontologique.
La critique de la conception traditionnelle de la vérité comme
accord entre la représentation et l'ob j et a le même sens. La repré-
sentation s ' énonce dans une proposition . La proposition est une
réalité- donnée ou ustensile, qui comporte en elle, il est vrai, un rapport
à l'étant dont elle énonce quelque chose. Lors que ce rapp ort est
adéquat, lorsqu' il y a accord entre la proposition (exem le : la rose
p
est odorante) et l'étant (l'odeur de la rose) il y a vérité, erreur dans le
cas contraire ( si la rose ne sent rien, est une rose artificielle, etc.).
Ainsi la représentation qui, en tant qu'ouverture et décoùverte de
l'étant, est l'essence, déchoit - elle au rang de la proposition qui
comme proposition exprimée, est une réalité intramondaine (idéale

(z) SZ, g8.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 123

ou non). Le rapport transcendantal qui est l'ouverture originaire


de la représentation et de l'existence, la proposition le conserve en
elle, en tant que proposition exprimée, sous la forme du rapport
qu'elle entretient avec l'étant auquel elle correspond. Ce rapport de
conformité ou de non-conformité entre deux réalités données est
lui-même compris parce qu'il est inséré dans l'une d'elles, la
,
proposition, comme une réalité donnée. La nature de ce rapport, en
tant qu' être donné, résulte ainsi de l'interprétation de l'être du
rapport transcendantal originel de la transcendance à la lumière de
l'être donné de la proposition en tant que proposition exprimée.
L'accord qui définit la « vérité » dans la philosophie classique n'est que
la déchéance de la vérité ontologique originaire de l'existence en tant
que cette vérité réside dans l'ouverture et la découverte de l'étant (i).
C'est la même déchéance qui se fait jour encore dans les thèses
kantiennes relatives à la critique de l'idéalisme problématique . L'idée
même d'une démonstration de la réalité du monde extérieur implique
la méconnaissance de l'essence originaire du monde comme tel (2).
Celle-ci est confondue avec la totalité de la réalité intramondaine.
C'est cette dernière qu'on cherche en fait à fonder , et cela en montrant
que la vie psychologique et intérieure de la conscience n'est possible
que dans sa connexion avec les objets extérieurs dont l ' ordre objectif
constitue le seul fondement assignable à l'unité, comme àla distinction,
des événements intérieurs . Les représentations subjectives identifiées
à ces événements reçoivent comme eux la signification de former une
réalité juxtaposée à la réalité ontique extérieure. Quant à la relation
qui unit ces deux réalités données et qui confère à la série subjective
son unité, elle n'est, à son tour, qu 'une relation donnée.
La signification de la critique heideggerienne de la philosophie de

(I) Sur tout ceci , cf. SZ, 224 sq.


(2) C'est l'objection générale que Heidegger dirige contre la position même des
« problèmes de la réalité » qui convergent autour du problème de la réalité du
monde extérieur.
I2 4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la conscience est ainsi de refuser la déchéance de l'essence dans la


réalité ontique, déchéance qui s'accomplit avec la compréhension
éde l'être de l'es ence à partir de l'être déterminé de l'étant. C'est parce
que le problème ontologique doit être ' saisi dans sa pureté qu'il
n'est pas de savoir« comment le sujet va au-dehors j usqu'à un objet »
mais : « qu'est-ce
. qui rend ontologiquement possible que l'étant puisse
survenir intramondainement et être objectivé comme survenant ». La
réponse, dit Heidegger, se trouve dans la « transcendance ekstati'-
quement, horizontalement fondée du monde » ( i ) . C'est la transcen-
dance, ce n'est pas le sujet, qui est l'essence . L'essence qui était pensée
ou du moins visée par la philosophie de la conscience sous le titre
de sujet, était toutefois l'essence même de la transcendance. La
critique heideggerienne a une signification ontologique en tant qu'elle
.
vise a penser l 'essence- dans sa pureté . Pour cette raison précisé,ze'i,
on peut dire aussi qu ' elle n'a en fait aucune signification ontolo i ue. Elle
gq
ne se place pas, en effet, sur le plan ontologique à proprement
parler, mais à sa frontière, en quelque sorte, qu' elle travaille à définir
et s ' efforce de situer rigoureusement . Ce n'est pas la structure
interne de l ' essence de la manifestation qui est mise en cause, c'est
une compréhension , impropre parce que d'origine otiti ue de cette
feule et unique essence de la man festation qui se trouve rejetée. L'élément
ontologique doit seulement être préservé contre tout apport exté -
rieur d'ordre ontique, en lui- même il demeure ce u'il était lorsqu'il se
q
trouvait recouvert et caché sous cet apport . La philosophie de l'être
élabore l'essence sous - jacente aux philosophies antérieures elle en
fait le thème d ' une recherche qui se comprend enfin dans la rigueur
.
de son dessein ontologique. II s'agit de penser l'extériorité dans sa
pureté, au lieu de l'insérer dans un « sujet » dont elle devient la
propriété interne . Mais l'essence de la man ifestation réside dans tous les
cas dans cette extériorité comme telle . La purification ontologique des

(z) SZ, 366.


LE _MONISME ONTOLOGIQUE 1 25

principes qui étaient encore pensés comme des réalités ou des


processus d'ordre ontique, tel est le sens de la critique de la philo-
sophie de la conscience . L'élucidation purificatrice de l'essence ne
fait cependant que montrer la présence de celle-ci sous les principes
mêmes qui doivent être rejetés..
C'est sur le fond de cette essence commune et de l'identité de sa structure
interne ultime que s'opère l'échange des thèmes entre la philosophie de la
conscience et la philosophie de l'être. L'insertion des composantes éidé-
tiques de l'être et de son fond le plus essentiel dans le principe
subjectif de la conscience n'aurait pas été possible si ce principe
subjectif n'avait été P ensé depuis toujours comme la condition de
l'objectivité. L'identification du néant avec la conscience ou avec
l'homme (I) est sans doute absurde puisque le néant qui est l'origine
et le pouvoir de la transcendance ne saurait comme tel être enfermé
dans aucune réalité, elle atteste cependant la permanence des présup-
positions ontologiques ultimes qui sont celles du monisme. Pour
cette raison il faut comprendre que l'insertion illégitime du fond essentiel
de l'être dans la conscience réalisée comme région « sui generis » de l'être ne
saurait en aucune façon s'appeler une « subjectivation ». Pour qu'on puisse
parler d'une « subjectivation », il faudrait que celle-ci soit quelque
chose, qu'on puisse indiquer en quoi elle consiste. Plus précisément,
il faudrait que cette subjectivation ait une signification ontolôgique et, pour
cela, que la subjectivité soit une essence . La transformation apportée
aux thèmes directeurs de l'ontologie heideggerienne lorsqu 'ils sont
repris à l'intérieur d'une philosophie du cogito, n'est pas essentielle
aussi longtemps que l'être de la conscience demeure l'Être lui-même
identifié dans son fond avec le Néant. Tant que l 'altération subie par
l'essence consiste en une chute de celle-ci dans ce qui demeure
en fait une réalité d'ordre ontique, cette altération constitue une
« étantisaton » de l'essence, non une modification radicale de l'être

(I) « Ce rien est la réalité humaine elle-même n, dit SAi TxE (EN, 230).
1 zG L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

intime de celle-ci et encore moins la position d'une autre essence. Si


l'étantisation indûment prise ou donnée pour un e « sub) ectivation »
n'est que l'insertion de l'essence de l'o bjectivité à l'intérieur du cadre
sans statut ou de la « carcasse » d'une subjectivité dont l'être consiste
précisément dans cette essence même , une telle étantisation est seulement
imputable à la conscience naturelle elle ne promeut, en fait , dans son
résultat, aucun mode nouveau de manife station ou de révélation et, comme
telle, elle n'a aucune signification ontologique au sens fort.
C e n'est pas rien, assurément, de maintenir l'essence dans sa
transcendance radicale à l'é g ard de tout étant si c'est ^ ûstem
ent dans
cette transcendance que réside l'essence. Plus rigoureuse, toutefois est la
compréhension interne de l'essence comme fondement néantisant de
l'être, plus pressante l'exigence de la maintenir , sur le fond de ce
nantir en elle, dans sa transcendance radicale à l'égard de tout
étant, plus incompréhensible aussi l'assimilation exp licite de l'essence à
une réalité ontique dans l'affirmation paradoxale mais sans cesse
formulée
selon laquelle le « Dasein » est un étant.

§ 13. L'AMBIGUÏTÉ DU « DASEIN ». ESSENCE ET DÉTERMINATION

L'ambiguïté fondamentale du Dasein heideggerien signifie-t-elle


que, pas plus que celle de la conscience la p hiloso hie de l'être
, p
n' a pu rester fidèle a la rigueur de son dessein ontologiq ue ? La
pensée de l ' essence est-elle sujette, dans tous les cas à une défaillance
telle qu'il lui faut perdre en chemin cela même qui était son but ?.
Une chute inéluctable doit-elle décidément nous interdire l'accès du
royaume de la présence compris dans sa p ureté ? Ou bien le caractère
inéluctable de cette chute n 'est-il p as, si j ustement nous le disons iné-
luctable, inscrit dans l'essence même , et ne doit- il as être compris, des
lors, comme un caractère éidétiq u. e, une propriété de l'essence elle-
même, et qui s'historialise en elle conformément a sa volonté propre?
La transcendance est l'acte où s'institue un dépassement radical
LE MONISME ONTOLOGIQUE 127

de tout étant, dépassement tel que c ' est justement en lui que l'étant
trouve son être. Dans un tel dépassement , toutefois, en transgressant
tout existant, l'essence obtient aussi le séjour qui lui est propre. Le
séjour de l'essence est justement celui de l'existant . L'être est l'être de l'étant.
A la question de savoir si la transgression de l'étant est sans retour , la
réponse est donnée, si une telle transgression ne conduit as en
réalité au-delà del existant mals constitue au contraire l'endroit même
où il se tient . Pourquoi l'essence ne peut-elle être maintenue dans le
lointain originel où elle réside , au-delà de l'existant, sinon parce que
cet au-delà est l'être même de tout existant comme tel?
L'affirmation selon la q uelle l'être est l'être de l'étant doit être
comprise . Ce qui se trouve énoncé dans une telle affirmation c'est
l'unité essentielle de l'être et de l'étant. La pensée qui o pp ose l'être à
l'étant ne pénètre pas encore dans le contenu . Pénétrer le contenu,
c'est aller en lui jusqu'à ce qui constitue son fond le plus essentiel
c'est saisir l'être au sein même de l'étant. L'immanence de l'être à
l'étant ne signifie sans doute pas la suppression de leur opposition ou
plutôt, de l'opposition comme telle. Mais l'o pp osition qui fait
que l'étant surgit toujours comme l ' opposé, résulte justement de
l'immanence en lui de l'être , c'est-à-dire du néant. Le pouvoir
ontologique du néant est immanent à l'étant comme son fond
le plus essentiel . C'est sur le fond du néant en lui ue l'étant est.
q
Sur le fond du néant en lui, l'étant est nié. Etant nié, l'étant est tenu
à distance, il apparaît, il est. La négation de l'étant, ui est l'oeuvre
q
du néant, est identiquement sa promotion dans la dimension de la
présence phénoménale , son avènement ontologique comme tel.
C'est dans l'étant lui-même toutefois que cette oeuvre s'accomplit . Parce que
le néant est immanent a la détermination ontique comme ce qui la fait
être, on peut dire avec Hegel que « la vie concrète de la déterminabilité
est.., l'opération de se dissoudre » (I), Le néant ne nie pas tant la

(r) PhE, I, 48.


I2 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

détermination singulière qu'il la fait exister, il la préserve et la


conserve . C'est en la niant sans doute qu'il la préserve . Cela signifie
seulement que l'être est identique au néant . Mais le néant est l'être.
Il est l'être de la détermination. Le néant n'est pas opposé à l'étant, il
est constitutif de son être . Voilà pourquoi aussi la négation n'est pas
extérieure au contenu,; elle lui est si intérieure au contraire que c'est
seulement en elle que le contenu se manifeste en lui -même et tel qu'il
est. Le contenu est extérieur parce que la négation lui est intérieure,
parce que son être est le néant.
. A la pensée vaniteuse qui croirait pouvoir errer librement
au-dessus du contenu, il faut rappeler le sens de toute transcendance
comme telle, celui de constituer l'être de l'étant. Dans son dépassement
radical à l'égard de tout existant, c'est à lui p ourtant que, non moins
radicalement, cette transcendance s'ordonne et se lie. Ainsi liée à lui
dans l'acte même par lequel elle lui donne l'être et le conserve, la
transcendance, parce qu'elle constitue justement l'essence de la
détermination ontique comme telle est essentiellement finie. Une
,
telle finitude , plus originelle que la finitude de la détermination qui en
résulte ( I), n'affecte - t-elle pas inévitablement la transcendance, dès
lors qu'elle se développe jar-delà l'existant c'est-à-dire en fait et
,
toujours à partir de lui ? Le lien qui unit dans l'origine la finitude et la
transcendance n'est-il pas celui qui, dans le dépassement même, relie
inexorablement celui-ci à ce qui se trouve par lui dépassé ? La
signification d'un tel dépassement , dès lors, ne s'inverse-t-elle pas ?
«, L'élan vers l'au-delà » de la transcendance n'est -il pas plutôt, en
réalité un « retour sur », s'il est vrai que le dépassement de l'existant
,

(i) I,a détermination est finie, non pas en tant que son mode de manifestation
lui est transcendant mais, bien plutôt, parce que ce mode de manifestation qui
habite en elle et constitue son être même est la transcendance et, comme tel, le dépas-
sement. Dans un tel dépassement la détermination est nécessairement finie. La
détermination est finie en tant qu'elle se tient dans le néant, c'est-à-dire sur le fond
en elle de l'être compris comme la transcendance.
LE MONISME ONTOLOGIQUE I29

est seulement ce qui ouvre une place ,pour celui-ci ? Dans cette « ouver-
ture pour », « l'élan par-delà » trouve en fait son but. L'étant n'est
ce par-delà quoi la transcendance, dans son dépassement radical,
déploie l'horizon, que parce qu'il est d'abord ce en vue de quoi cet.
horizon est, comme tel, ouvert . Le mouvement par-delà l'existant
de la transcendance trouve son T&Aoç dans celui-ci. Toute transcendance
est comme telle essentiellement réceptrice. Dans la réceptivité de la transcen-
dance réside sa finitude la plus essentielle. Cette finitude résulte de ce que,
dans l'accom plissement même de la transcendance qui com p ose la
possibilité d'une réception , est inscrit un besoin, le besoin de ce qui
sera reçu dans cette réception comme telle . Ce qui trouve la possibilité
de sa réception dans le déploiement de la transcendance, n'est-ce pas,
de toute évidence, l'étant lui-même ? La transcendance est le besoin
de l'étant. En tant qu'elle est la transcendance , l'essence ne se réalise
que lorsque ce besoin qu'elle porte en elle est satisfait. L'essence
n'obtient sa concrétion que dans cette réalisation . Mais l'essence est,
comme telle, concrète. Le besoin de la transcendance s'est d'ores et
déjà réalisé si la transgression de l'étant est identiquement le retour
sur celui-ci et, comme telle, l'acte même par lequel l'étant est posé. Voilà
pourquoi l'être est, en vertu de sa structure même, toujours et nécessai-
rement l'être de l'étant . En vertu de sa structure l'être est toujours cet
acte d' «aller au-delà» et de « revenir sur» qui est un acte d'aller au-delà
de l'étant et de revenir sur lui. A cet acte l'étant est aussi essentiel
que la transcendance qui le constitue . La transcendance est finie en
tant que l'étant est impliqué en elle comme ce dont elle a besoin.
Est-ce p ar hasard si c'est chez Kant, où l'essence du pouvoir
ontologique est saisie pour elle-même et comprise à partir de l'idée de
la transcendance, que cette finitude se trouve affirmée pour la
première fois, et cela avec la plus grande force ? « Kant, dit Heidegger,
avait à chercher la finitude dans l'être rationnel lui-même (I). »

(t) K, 224.
Z ao L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

C'est parce que l'être rationnel est compris dans sa structure ontolo-
gique comme transcendance que la finitude p eut et doit être cherchée
en lui d'abord . L'être rationnel est fini comme a yant à trouver
hors de lui l'étant qu'il doit pour cette raison recevoir, et cela de telle
manière que c'est seulement dans cette réce p tion ue l'essence se
q
réalise ou, comme le dit Kant, que la raison parvient à une connais -
sance. Ainsi la finitude n ' est-elle pas liée chez l'homme au fait
qu'à la rationalité pure qui le définit comme être méta physiq ue
. .
est liée synthétiquement, et cela d'une façon incom p réhensible pour
nous, une sensibilité ; c' est la rationalité pure elle,même , en fait
qui est finie, et cela en tant que, comme transcendance elle est et
demeure essentiellement réceptrice, c'est-à-dire fondamentalement
orientée vers l'étant qu'elle n'est p as. En tant ue réce p trice , la
q
transcendance constitue ainsi en elle-même la sensibilité comme telle
et dans sa possibilité. La sensibilité à l'égard de l'étant c'esta-dire la
possibilité de le recevoir , est ainsi fondée comme la ossibilité
p
justement d'une connaissance effective quelconque en général.
Le dépassement de l'étant est identiquement l'acte q ui le main-
tient dans l 'être. Ainsi le monde qui se constitue dans Nn tel de passement
n'est-il transcendant aux « phénomènes » que ur autant u'il se trouve en
po q
fait, rapporté d eux. Si la totalité n'est j amais dissociable de ce ui se
q
manifeste en elle, c'est que la transcendance du monde est la finitude
même. La tâche que se donne l ' ontologie de penser l'essence dans sa
pureté ne peut signifier la rupture du lien qui relie la transcendance
comme telle aux phénomènes auxquels elle se rapporte. Elle réside
plutôt dans 1a compréhension de ce lien. « Dans le renversement,
dit Heidegger , la conscience ne doit as ... abandonner le sé our au
p j
milieu de l'étant, elle doit l'assumer ex ressément dans sa vérité ( i . »
p )
Penser dans sa vérité un tel séjour, c'est com p rendre comment et our-
. p
quoi il est toujours en réalité pour nous un séjour au rès de l'étant.
p

(I) H, 190.
LE MONISME ONTOLOGIQUE ` z; z

Le caractère de la tâche que se donne l'ontologie dans le projet


par lequel elle se définit, n'éclaire-t-il pas, dès lors, suffisamment la
manière dont celle-ci doit s 'y prendre pour se réaliser ? Si, confor^
mément à son caractère le plus propre, la tâche de penser l'essence
ne peut s'accomplir en dehôrs de la relation fondamentale par
laquelle la transcendance , dans le retour indissociable de son essor,
se trouve rapportée aux phénomènes , la nécessité pour l'ontologie de se
donner un fondement ontique ne commence-t-elle pas, dès lors, à s'éclaircir
et à se comprendre ? C'est parce que l'être est l'être de l'étant, parce
que le néant est toujours le néant de ce qu 'il néantise , que l'interro
gation sur l'être que promeut l'ontologie est toujours nécessairement
et d'abord une interrogation sur l'étant qui se trouve questionné dans
son être. Ainsi la finitude qui affecte dans son accomplissement la
démarche par laquelle l'ontologie se construit, est-elle une en réalité
avec celle de l'être même, c'est-à-dire avec la finitude de la transcen-
dance en tant que celle-ci se trouve rapportée aux phénomènes dans
l'acte même par lequel elle les transgresse. La nécessité pour l'ontolo^
gie de se donner un fondement ontique n'est que l'expression
sur le plan où la philosophie se constitue du lien indissoluble confor-
mément auquel l'être est toujours l'être de l'étant.
Que veut dire , au point de vue phénoménologique, l'affirmation selon
laquelle l'être est toujours en réalité l'être de l'étant . L'être désigne
l'essence de la manifestation . Que l'être soit toujours l'être de l'étant,
cela ne signifie-t-il pas, dès lors, que la manifestation comme telle,
et dans sa pureté, est toujours cependant et seulement la manifes^
tation de quelque chose qui se manifeste . Et comment doit-on
comprendre phénoménologiquement cette nécessaire référence de
l'essence de la manifestation à la détermination qui se manifeste?
Si l'essence du phénomène se réfère nécessairement au phénomène lui-même,
n'est-ce point parce que cette oeuvre qui la définit et qui est l'acte de faire
surgir dans la présence, l'essence de la manifestation ne l'accomplit pas
vis-à-vis d'elle-même mais seulement à l'égard de la détermination qui
I 32 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

survient par elle à titre de «phénomène » ? L'essence est l'essence de la


manifestation mais la manifestation n'est p as une mani
festation pure
qui s'éclaire elle-même et se finit à elle-même dans cette apparence qu'elle
donne d'elle-même et avec laquelle elle se confond . L'essence de la manifes-
tation n'est pas la. manifestation de soi. Ce n'est pas l'essence qui se
manifeste, c'est l'étant. La manifestation est la manifestation de l'étant.
Une manifestation, pensait déjà Boehme, ne saurait manifester qu'autre
ochose. En tant qu'elle est nécessairement , dans sa structure même, la
manifestation d'autre chose, la manifestation est essentiellement finie.
L'essence est ce qui fait que l'être n ' est pas seulement l'être-en-soi
mais aussi l'être qui existe pour lui-même, l'être-pour -soi. L'essence
est le pour- soi lui-même comme tel, mais, en tant que dans son acte
d'apparaître, ce n'est pas cet acte d ' apparaître qui apparaît, le pour-
soi n'est pas la manifestation de soi, il n ' est pas une essence selbft-
stândrg. C'est l'être-en-foi qui devient pour-soi ( i), c'est lui qui apparaît.
C' est justement parce que , selon Sartre, c'est l'être-en-soi qui devient
pour- soi que le pour- soi porte en lui une contingence insurmontable
en tant qu'il n'est jamais que l'être-pour-soi de l'en-soi c'est -à-dire
l'apparence de la détermination contingente. C'est aussi pour cette raison
parce que le pour - soi n'est que l'être-en-soi devenu pour -soi, c'est-
à-dire apparaissant , que « nous n'avons pas lieu de nous interro ger sur
la manière dont le pour -soi peut s'unir a l' en-soi » (z). Commentant
Heidegger, Sartre avait déjà écrit dans l'introduction de L'fltre et le
Néant : « L'être est simplement la condition de tout dévoilement •-.
il est être-pour- dévoiler et non être dévoilé (i) . » Et, plus loin
« L'être du phénomène, quoique coextensif au phénomène doit
échapper a la condition phénoménale ... et, par conséquent il déborde
et fonde la connaissance qu'on en prend (4). »

(z) Cf. EN, 124.


(2) ID., 7X2.
(3) ID., 15.
(4) ID., 16.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 133

La conception selon laquelle le pour - soi constituerait une essence


autonome ne peut se faire jour, en réalité , que lorsque sa signification
d'être l'essence est justement perdue . C'est au moment où le pour-soi
est considéré comme un étant opposé à l'en-soi qu'il peut sembler
avoir, en tant que terme opposé et indépendant , une autonomie et
une suffisance au moins relatives . Dès que le sens de l'essence n'est
plus travesti et que le pour-soi est considéré comme la pure mani-
festation, sa nécessaire référence à l'étant se fait jour aussi, en tant
que le pour-soi n'est plus rien d'autre , dès lors, que l'apparence de
l'étant lui-même. Lorsque la pensée de Sartre parvient à éviter cette
chute de l'essence dans la détermination ontique (chute qui a été
caractérisée par nous , non pas comme une subjectivisation, mais ^
comme une étantisation), la signification du pour - soi de n'être
rien que la simple présence du connu se trouve inévitablement
affirmée : « la connaissance n'est rien d'autre, dit Sartre, que la
présence de l'être au pour-soi et le pour-soi
A n'est que le rien qui
réalise cette présence » ( i). Si par « être » on veut bien entendre,
comme il convient de le faire, l 'étant lui -même, on volt que la
« connaissance » qui trouve son fondement dans le pour -soi n'est en
aucune fa çon l'acte d' une réalité déterminée opposée à l'en-soi, mais
la pure et simple manifestation de l'être- en-soi lui-même et comme
tel. C'est donc au moment même ors l'essence est comprise dans sa pureté
qu'est aussi compris le lien indiifoluble qui l'attache à l'étant.
En tant que l'être du phénomène se dérobe a la condition phéno
ménale dans laquelle parvient seul le phénomène , l'essence de la
manifestation se dissimule dans le temps même ou elle accomplit son
oeuvre. Cette dissimulation de soi de l'essence de la phénoménalité
est la manifestation de soi de l'étant. C'est dans la mesure où l'essence
est cette dissimulation qu'elle se relie nécessairement à ce qui se
manifeste, c'est-à-dire à l'étant. La non-vérité de l'essence est la vérité

(I) EN, 268.


3 4 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TI ON

de l'étant. L'étant porte donc en lui, dans sa vérite ' '


, , la non-verste de
l'essence de la manifestation. C'est justement
^ parce que l'essence
est la non-vérité qu ' elle ne se manifeste as aut
rement que dans la
vérité de l'étant, c'est-à -dire dans le
,. phénomène lui- même et comme tel.
L'essence n'est que là où est la détermination, bien qu ' elle . sort et
parce qu' elle est ce « la », cet « où » , cet « est »
comme tels. La signifi-
cation phénoménologique du lien qui unit indissolublement l'erre et
l'étant consiste dans le fait que la lumière d
• e la manifestation ne
brille pas ailleurs et pas autrement que sur l'étant qui se manifeste.
Ce n ' est pas, a vrai dire , la lumière de l'être
qui brille sur l'étant,
c'est l'étant lui-même en , fait qui brille en et le, dans cette lumière
qui n 'est pas autre chose que son propre éclat. « La lumière, dit
Hegel dans la Philosophie de l'Histoire n'est
vivifiante que si elle
s'applique au différent d'elle-même agissant sur lui et le faisant
fructifier (i). » C 'est le différent d'elle-même quipermet
a permet a la lumière d 'être
vivifiante,
_ c'est- à-dire d'accomp
, lir son auvre
d c' est-à-dire 'être la lumière.
En agissant
^ sur
pl'étant qu'elle n'est as
faisant et en le
fructifier, c 'est
à elle-meme d'abord que la lumière donne la possibilité de s'historia..
user, pas autrement toutefois que dans l'acte par lequel elle s'applique '
au différent d'elle-.même. Le différent d'elle-même permet seul à la
lumière de se manifester , l'étant est ce qui mani este l'essence de la
f mani-
festation.
En tant l'étant
que permet essencel' _ de la manifestation de se
manifester, le lien indissoluble qui unit l'être . et l
'étant devient
phénoménologiquement clair. Conformément a un tel lien , il apparaît
que seule est concrète la totalité constituée par lui de l'être et de l'étant.
L'être est lié à l'étant comme la lumière
a choie à devient
sur laquelle elle 1•
visible. C'est parce que l'app araitre n' app
arait que dans l'apparaissant
dont il est l'être, que l'élément ontologique s ' unit indissolublement
à la détermination ontique . Ainsi voit- on dans l ' oeuvre d
'art la

L, 157.
LE MONISME ONTOLOGIQUE '35

lumière se joindre â la terre, et cela de telle sorte qu'elle n'est pas.


autre chose que l'élément chtonien lui-même qui s'arrache â la nuit
et brille un instant pour nous, comme si cet arrachement de l'étant à
l'obscurité de son milieu originel n'était pas différent de l'arrachement de la
lumière à un règne qui n'est pas en lui-même une nuit moins profonde que
celle du marbre ou de la colonne . Ainsi l'artiste a-t-il besoin de la pierre,
non pas seulement comme d 'une matière pour son ciseau, mais
d'abord comme d'une surface solide où se reflète et puisse luire la
manifestation. C'est dans l'élément chtonien et abscons de la
détermination ontique que l'essence trouve son séjour. La terre est
le lieu de la lumière . La demeure lumineuse dont parle Eschyle et
que Marx voulait donner aux ouvriers , est constituée par les cailloux,
les blocs épais et des rochers sans âme. Hegel rapporte les propos
d'Hérodote selon lesquels les Perses n'avaient pas d 'idoles et se
riaient des représentations anthropomorphiques des dieux (i). Ces
moqueries ont une signification limitée si l'essence se réfère nécessai-
rement au phénomène si c'est sur la figure seule que luit la pure
,
manifestation, si, enfin, l'image est toujours cette image.
Ainsi l'essence de la manifestation n'est-elle susceptible de se
montrer que sur la détermination ontique et par elle . C'est dans l'être
effectif de celle-ci que l'essence de la phénoménalité pure trouve la
condition de sa réalité, c'est dans le phénomène lui-même qu'elle
parvient â la condition phénoménale. L'essence pourtant n'est pas la
détermination, elle n'est pas non plus le phénomène. Si la phénoménalité
trouve son effectivité immédiate dans la détermination où elle -paraît,
celle-ci a non moins immédiatement la signification de n'être pas
l'essence : L'essence de la phénoménalité pure est autre que son effectivité.
Entant que l'essence de la phénoménalité est autre que son effectivité,
elle trouve bien plutôt dans celle-ci sa propre suppression . La déter-
mination manifeste l'essence, de telle manière cependant que celle-ci

(I) L, 175.
136 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

se dissimule dans cette manifestation. En tant que la détermination


manifeste l'essence, elle est sa vérité. En tant que l'essence se dissi-
mule dans cette manifestation, en tant qu'elle ne se recouvre pas avec
le contenu phénoménologique effectif de la détermination, la vérité de
ce contenu lui est étrangère, elle est bien plutôt, par rapport à elle
la non-vérité. C'est cette non-vérité de l'essence, finalement, qui se
dissimule dans la vérité de la phénoménalité effective. Celle-ci se
donne pour la vérité de l'essence . Mais la vérité de l'essence est la
non-vérité de sa non-vérité.
Pourparvenir
à L'effectivité l'essence a dû s'aliéner. L' essence
s'aliène non pas seulement parce qu'elle est le devenir autre où elle
se réalise mais, plus originellement, parce qu'elle se perd dans cette
réalisation où elle se dissimule en se manifestant. Parce que l'essence
ne peut se manifester dans la détermination qu'en se dissimulant, ce
qui manifeste l'essence a la signification d'étre aussi ce qui la cache
La détermination est l'énigme (r). Elle est l'apparence ( Schein)
mais une apparence telle (Erscheinung) qu'en elle ce qui apparaît
renvoie inévitablement à ce qui n'apparaît pas.
En tant que la détermination effective manifeste l'essence en la
dissimulant, elle ne tion
eut manifester cette dissimuladispa-
qu'en
raissant . La dissimulation de l'essence dans l'entité effective signifie
e
une inégalité de l'entité par rapport à l'essence. La suppression de
cette inégalité est la suppression de l'entité. La mort de la détermi-
nation est la manifestation de la manifestation pure. Ou plutôt,
comme aven cette disparition de l'entité disparaît aussi l'élément
ou l 'essence trouve son effectivité et sa vérité, cette essence ne
peut être autre chose que rien qu'avec l'apparition de l'entité nou-
velle. L' essence ne parvient jusqu'à nous qu'à travers le temps des

(z) Kierkegaard dit qu'en Grèce le sensible n'était pas la culpabilité mais
l'énigme. Dans ce caractère énigmatique du > sensible réside, selon Kierkegaard,
la signification de la plastique grecque. Cf. Le Concept d'Angoisse, trad. K. FEiu ov
et J. GATEAU, Gallimard, Paris, ig35, 96.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 137

choses et la conscience qui cherche à la saisir, égarée en fait pax elle et


détournée sans cesse de l'objet de sa recherche, ne peut qu'errer,
d'expériences en expériences, d'objets en objets , sans trouver le
repos (i).

s 14. LE RAPPORT DE L'ESSENCE


ET DE LA DÉTERMINATION ONTIQUE
DANS LA PHILOSOPHIE DE LA CONSCIENCE

Comme la philosophie de l'être et la philosophie de la conscience


échangent - leurs thèmes, elles échangent aussi leurs problèmes. Le
lien de l'être et de l'étant, dont le fondement phénoménologique
vient d'être rappelé , devient dans la philosophie de la conscience le
lien de la conscience et de la chose ou encore celui du sujet et de
,
l'objet. Le sujet se rapporte nécessairement à l'objet parce que l'essence de la
conscience, identique à l'essence de la manifestation comprise selon les
présuppositions fondamentales du monisme , se rejére inévitablement à la
détermination comme à sa vérité. La signification phénoménologique du
lien indissoluble qui unit la conscience et la chose est aperçue par la
philosophie classique lorsqu'elle déclare que le sujet ne se connaît
que sur l'objet. L'objet intervient, dés lors, dans la problématique
de la philosophie de la conscience, non point comme un apport
synthétique et contingent par rapport à celle-ci, comprise comme
l'essence de la manifestation, mais comme une réalité impliquée en
fait dans cette essence comme ce qui lui permet seule de se réaliser..Cette
réalisation, c'est-à-dire sa propre promotion dans la condition phéno-
ménale, l'essence de la manifestation ne l'obtient par conséquent
que dans et par l'objet. Ainsi la détermination apparaît-elle finalement
comme appartenant à la structure interne de l'essence en tant que
l'essence de la manifestation ne peut trouver son effectivité que dans

(z) I,à-dessus, cf. infra, Appendice.


138 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la condition phénoménale q q u'elle


. ^ doit est
fonder. essentiel
L'objet
à la conscience comme ce qui luip
ermet d'être ce
pourquoi qu' elle est. C'est
la pensée qui pense la conscience dans sa possibilité doit r econna3tre
la nécessité de l'élément qui appartient à la définition de cette possi -
bilité comme telle.
Le lien de l'essence et de la détermination est visible dans la
philosophie de Jacob Boehme laquelle , on l'a vu, est dominée par
le problème de la manifestation consciente qu'elle comprend comme
constituant la structure même de l'absolu . C'est sur le fond en lui de
l'opposition que l'absolu se manifeste mais l'opposition comme
telle ne dessine encore que le pur
espace our uné manifestation
possible en général . Dans un tel espace, ui est un milieu
q indiffé-
rencié, il n ' y a encore aucune manifestation réelle
. En lui règne
seulement une clarté diffuse , une lumière si indéterminée qu'en fait
elle n'en est pas une car elle n'estp
as consciente
Comme de soi. dans
son indétermination primitive, le milieu phénoménologique pur
n' a pas conscience de soi, il n'y a en lui aucune conscience e
ffective, aussi
longtemps du moins qu'il n' a en lui rien d'autre que lui. L'oppo-
sition ne signifiera le surgissement de la lumière que si elle pose.
l' élément opposé à celle-ci . Ce qui s'oppose au milieu pur de la
manifestation , de telle manière toutefois que celle - ci trouve en lui
la condition de sa réalisation, n'est pas en soi en tant qu'oppose a ce
milieu, quelque chose d'ontologique. L'élément opposé '
pose dans
l'opposition est la détermination ontique. La vrai e dlfférenciation_
suppose une nature . La révélation de l'opposition , c'est-à-dire la
manifestation de l'essence de la manifestation n'est donc possible que
par la médiation de ce qui,par a
rapport à cette essence c'est-à-dire
l'opposition comme telle , est radicalement autre . Ainsi voit-on chez
Boehme la Sagesse divine qui consiste dans la pure objectivation ne
pouvoir arracher l'absolu à la nuit de l'Ungrund, bien
primitive
qu'à celui-ci elle ajoute l'opposition comme telle c'est-à- dire l'essence
de la manifestation. En s'opposant à soi l 'absolu veut se donner un
LE MONISME ONTOLOGIQUE '39

miroir pour se voir lui-même mais, aussi longtemps que l'élément


opposé dans ce miroir n'est que l'absolu lui-même , ce n'est pas un
miroir, mais quelque chose de transparent qui ne reflète rien . L'opacité
de la détermination ontique est dans l'opp osition elle-même l'élément radieals-
ment autre par lequel l'opposition se réalise . Cette réalisation de l'opposi-
tion dans la détermination comme être -opposé effectif, Boehme
l'affirme dans la conception d'une nature intérieure à l'absolu , c'est-
à-dire constitutive du processus même par lequel la manifestatioh
se produit. L'immanence de la détermination au devenir effèctif
de la manifestation s'exprime aussi dans l'opposition à l'idée de la
lumière de celle du feu qui implique en lui la présence d'une « matière»
car, à• bien y regarder, il apparaît que cette opposition, n 'en est pas
une, s'il est vrai que la lumière se réalise feulement dans le feu et ne devient
ainsi effective. que dans son union indissoluble avec l 'être opaque et
radicalement autre auquel elle s'oppose . Le feu est la condition
phénoménale de la lumière, une condition q °ue celle -ci n'obtient que
sur le fond en elle de la détermination opaque et brute. Toute la
philosophie boehmienne du corps atteste la nécessité de la p résence
de l'élément ontique au sein de l'essence phénoménale et comme
une condition de la réalisation de celle-ci . C'est parce que la détermi-
nation ontique est essentielle à la réalisation de l'essence qu'elle ne se
trouve pas , à vrai dire, posée en elle à un moment donné du temps.
C'est par abstraction que nous distinguons dans l'absolu le moment
de l' Ungrund. Dés que l'absolu est) en fait il est réel. C'est pourquoi la
détermination est aussi ancienne que lui , parce qu'elle définit une condition
de la phénoménalité, c'est-à-dire de l'absolu lui-même. Dieu porte en lui
un cor» éternel parce qu'il est l'essence originaire et pure de la man festation
dans son accomplissement effectif Dans un tel accomplissement est
incluse la détermination comme sa condition (i). En tant qu' il constitue

(i) Sur tout ceci , cf. A. Kou, La philosophie de Jacob Bc^hme, Vrin, Paris,
1929, 303-414.
140 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la condition de possibilité du devenir effectif de la phénoménalité ,


l'étant appartient a la structure interne de celle-ci. L'élément ontique
est une structure éidétique de l'essence ontologique et pure de la
manifestation.
L'appartenance de l'élément ontique à la structure interne de
l'essence de la phénoménalité , à titre de condition de possibilité du
devenir effectif de celle-ci, est visible aussi dans la philosophie de la
conscience
. de Schelling. L'objet . est pensé par Schelling comme la
condition de la conscience effective en tant que « la conscience est
l'acte par lequel le sujet pensant se devient immédiatement objet» ( i) .
Le thème selon lequel l'objectivation est le devenir de la conscience sous la
forme du devenir de l'objet, est la réalisation de la conscience en tant que la
conscience doit s'objectiver.^pour apparaître , appartient à la philosophie de la
conscience en général . Mais l'objectivation qui est la réalisation de la
conscience n'est pas l'objectivation pure. Elle est l'objectivation
effective dans laquelle la détermination est présente. C'est donc dans
un objet réel, dans l'effectivité d'une entité transcendante et comme telle
limitée, que la conscience se manifeste . Ce qui, dans le devenir
effectif dë la phénoménalité, entre' dans la condition phénoménale,.
est la détermination finie . « Arriver à la conscience et être limité
c'est une seule et même chose (2).. » L'essence pure de la manifestation
ne se manifeste que sous une forme finie . Schelling conçoit cette
essence pure comme une activité primitive et infinie. C'est pourquoi il
écrit « C 'est la condition de la conscience que cette activité primitive
et infinie, cette essence de toute réalité, devienne son ob j et à elle-même
devienne par conséquent définie et bornée (s) . » Ainsi l'entité concrète
et par elle-même non-conscience est-elle, en tant que consciente
la seule réalisation possible de l'essence phénoménale de la conscience

(i) IT, 34•


(2) ID., 65.
(3) ID., 53.
LE MONISME ONTOLOGIQUE '4'

pure. Si, dans les Recherches sur la liberté humaine, l'élément nocturne
qui sert de « réactif » à la révélation et constitue à ce titre la condition
de sa p ossibilité, peut être interprété comme un élément ontologique
pur - en tant que le Fond causal n'est pas la détermination sur
laquelle se réfléchit la lumière mais ce qui, dans l'essence même de
celle-ci, se dissimule, et cela non pas antérieurement à son devenir
effectif mais au sein de celui-ci --, l'élément différent de la conscience
est, dans la dernière philosophie, clairement posé dans son hétéro-
g énéité p ar rapp ort à l'essence. C'est un être réel au sens de la déter-
mination, et non elle-même, que l'essence s'oppose dans l'aliénation
où elle cherche l'existence consciente . L'opposition à la simple pensée
de soi-même de l'idée d 'une création effective aboutissant à un terme
réel et, comme tel, étranger à la pure objectivation de soi de la pensée,
a la même signification que la critique dirigée par Boehme contre
la Sagesse divine . Cette signification phénoménologique est que la pure
objectivation ne peut accomplir son oeuvre que si ce qui survient en elle lui est
étranger. La séparation effective de la créature d'avec Dieu dans le
phénomène de la création et le rejet constitutif du panthéisme au
profit d'une « autonomie de la progéniture » (i) trouvent ainsi leur
motif dans les conditions qui rendent possible le devenir effectif de la
phénoménalité.
Ces conditions qui postulent l'effectivité de l'aliénation, Hegel
devait les comprendre à son tour comme les conditions de la réali-
sation de l'essence, c'est-à-dire de l'absolu. L'essence ne se réalise au
séin du devenir effectif de la phénoménalité qui est l'esprit concret
que si, dans le processus ontologique de l'aliénation qui la constitue,
est inclus le non-ontologique, le terme radicalement autre , l'être
différent de cette aliénation elle-même. Tant que l'aliénation ne
signifie pas l'existence de cet être radicalement autre, tant qu'elle ne

(I) JANKÉLÉVITCH, L'Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de


Schelling, op. cit., 183.
142 L'ESSENCE DE LA MANIFESTÀTION

l'envisage pas indépendamment de son rapport à elle,cette «aliéna-


''
tion est encore imparfaite ; elle exprime le rapport de la cet
titude de soi - même avec l'objet qui justement arce
p qu'il est
dans le rapport n'a pas encore a né sa libert'
g g pleine e » (i). Ainsi
l'être^autre qui survient dans la pure objectivation
^ soi de de la pensée
n'est-il encore que le concept de l'être-autre c'est-à-dire '
la pure possi-
bilité et non l ' effectivité de l'a p agence réelle et concrète .
p Le «besoin
nostalgique d'une réalité » dont parlent dé ^ j à les écritjeunesse (z)
s de
signifie que la pure apparence nepeut •
justement
parvenir a 1 effec- '
tivité de l'apparence concrète que par « l'intrusion » en elle « d'un
élément historique réel» (i). L ' aliénation est l'essence de l
'objectivité
mais celle- ci ne se réalise phénoménalement que dans la deterrni-
nation objective. C'est pourquoi l'aliénation Constitutive du Logos,
ne devient effective que dans la nature. Dans cette effectivité, qui est
celle de la conscience, est posé le lien indissoluble qui unit le concept
pur et la détermination ineffable.
Le lien qui unit l'essence et la. détermination est implique dans le
devenir effectif de la phénoménalité . L'essence pure de la manifesta-
tion ne se réalise que par la médiation de l'être-en-soi. . La conscience
est toujours la conscience de quelque chose . La conscience de
quelque chose
est la conscience extérieure de l'objet ce que Hegel appelle la,
« conscience ». En tant qtie l'essence de la hénoménalité ne se '
p mare-
feste: que dans le phénomène , celui-ci est
l'apparence de cette essence.
L'objet est le devenir - conscient de l'essence de •
la conscience, il est
ce qui permet à cette essence de rendre conscience de soi. La
conscience de soi est identique a la conscience. C'est parce que 1 a conscience
est identique à la conscience de soi que l'être -là,dune
a manière
' •
générale, « la signification de la pure pensée »
_ (n.). L'être-là est
(I) PhE, II, 31 1.
(2) CD, 117.
(3) In., i i8.
(4) PhE, II, 267.
LE MONISME ONTOLOGIQUE 143

l'apparence de la pensée. La détermination est la réalisation de


l'essence en tant qu'elle en est le devenir-conscient (i).
Le problème de la manifestation de l'essence pure de la phénomé-
nalité était déjà posé chez Fichte qui le comprenait dans les Confé-
rences (z) comme celui de la manifestation de l' «existence». Parce que
la solution de ce problème était demandée par lui au processus ontolo
gique de l'objectivation, elle consistait également, pour cette raison,
dans le surgissement de la détermination comme apparence et, par
suite comme seule réalité effective de l'essence pure du concept.
S'interrogeant sur cette réalité effective, c'est-à-dire sur le devenir

(i) I,es grands thèmes de la philosophie de la conscience trouvent leur origine


dans la structure interne de l'essence de la manifestation telle qu'elle la comprend.
L'idée de l'inachèvement du sujet et du caractère abstrait de son être considéré
dans sa pureté, l'affirmation de l'existence nécessaire d'un terme radicalement
étranger par rapport à lui, la conception de ce terme comme d'une « limite », d'un
« obstacle », d'une « résistance » opposée à ce sujet, et bien d'autres thèses de la
philosophie classique, ne sont en fait pour celle-ci que diverses manières d'exprimer,
sans toujours les porter à la clarté du concept, les présuppositions qui définissent
l'idée ultime qu'elle se fait de l'essence de la phénoménalité. I,a référence de pareilles
thèses à cette idée est parfois visible. Ainsi la volonté est-elle dite ne devenir cons-
ciente que sur l'obstacle auquel elle se heurte. Sans cette limite qui lui permet de
« se sentir », la volonté ou l'action, ou encore la liberté, reste « indéterminée », c'est-à-
dire «inconsciente ». De même le mouvement ne parvient à la conscience de lui-même
que si quelque chose s'y oppose. L'idée psychologique d'une résistance à vaincre, le
prolongement et l'élargissement de cette idée dans une éthique de la tension et de
l'effort compris comme impliquant, à titre de condition de leur dynamisme interne,
l'existence d'un obstacle à surmonter et, comme tel, jamais ' surmonté, les construc-
tions pathétiques auxquelles peut conduire cette conception d'une lutte aussi
éternelle que le principe ennemi qui la suscite, tous ces développements ont leur
fondement dans l'ontologie.
(2) Dans la première philosophie de Fichte déjà, la conscience est comprise
comme une lumière qui ne devient visible que sur l'obstacle qu'elle rencontre. La
lumière qui est en soi l'indéterminé et finalement l'invisible ne parvient à la déter-
mination de sa condition effective que lorsqu'elle brille sur un objet que le moi est
pôur cette raison obligé de s'opposer: L'une des thèses fondamentales de la pensée
de Piehte, celle selon laquelle le moi pose le non-moi comme la condition même de sa
possibilité a ainsi une signification phénoménologique manifeste. Cette signification
phénoménologique est encore plus évidente si on se rappelle l'origine de la problé-
matique fichtéenne du non - moi dans la philosophie de Jacob Boehme.
144 L'ESSENCE DE LA MANIFESTA rroN

conscient de l'existence pure, Fichte demande au sii'et de celle-ci :


« Que lui advient-il lorsqu'elle se saisit ainsi ( i) ? » Ce qui advient
à l'existence qui se saisit ainsi , c'est-à- dire dans l'objectivati on,
est le devenir sous la forme de la détermination consciente . L'exis-
tence n'existe effectivement qu'en tant que ceci ou cela.. «Dans ce
retour vigoureux sur elle - même dit Fichte elle (l'existence) voit
directement qu'elie est ceci et cela , qu'elle p orte tel cara ctère. » Et
plus loin
A : « Dans la réflexion sur lui-même
de le savoir , en vertu
lui-même et de sa propre nature , se divise du fait qu'il q n'est
pas
seulement évident a lui-même , ce qui ne donnerait qu'un seul terme
,
mals du fait qu'il est en même temps évident à lui-même en tant ue
q
ceci et cela (z). » Parce que l'essence p ure de la manifestation ne se
réalise dans objectivation que sous la forme de la détermination
finie Fichte pouvait comprendre une telle réalisation comme l'avène-
ment même du monde dans sa diversité . Lap rétention
saisir de 'la
raison de la diversité empirique dans le concept lui-même trouve sa
légitimation dans la compréhension de la structure interne de celui-ci,
c'est-à-dire dans la définition des conditions de la p hénom
énalite
effective. Que se
p roduit-il,
cependant, lorsque ceste phénoménalité
devient effective ? « Que renferme donc en cet état la conscience ...
Le monde,
. dit Fichte, et rien
. que le monde (3). » Par monde il'
convient d'entendre la somme de l'étant. Rien d'autre ne se produit
dans le devenir efectif de la phénoménalité que la détermination ontique et elle
seule : la conscience effective est l'entité transcendante. _
Ou bien l'essence pure dephénoménalité
la n'est -elle pas présente
en tant que telle dans le contenu réel de l'a pp arence ? L'absolu
ne se manifeste - t-il pas en lui-même dans cette conscience effec^
tive ? « Ou bien, demande Fichte, la vie divine ne se trouve-telle
pas immédiatement dans cette conscience ?... Non car la cons cience
(I) VB, i58. -
(2) Ibid., souligne par nous.
(3) ID., i6o.
LE MONISME ONTOLOGIQUE '4,

ne peut absolument que transformer en un monde cette vie immé-


diate, et dès qu'on pose cette conscience, cette transformation est
posée comme effectuée ( z). » Le devenir effectif de l'essence de la
phénoménalité dans la conscience réelle est sa transformation dans
l'apparence déterminée de l'entité transcendante : dans cette transfor-
mation qui la réalise, l'essence s 'est aussi bien perdue . L'essence pure
de la phénoménalité est l'objectivation elle-même, la transformation
comme telle. Dans son accomplissement cependant , celle-ci ne se
montre pas. « La conscience absolue est justement par elle-même
l'accomplissement immédiat et, pour cette raison, non plus conscient,
de cette transformation (z). » La conscience pure ne parvient pas dans la
condition phénoménale La conscience absolue est inconsciente . Le processus
.
ontologique fondamental de l'objectivation qui définit l'essence de la
manifestation laisse échapper celle-ci dans son accomplissement
même, en tant que , dans cet accomplissement, il ne parvient pas
lui-même â la condition phénoménale de l'apparence. La pensée qui
pense l'essence de la manifestation comme l'objectivation se heurte
à une contradiction qui est incluse dans l'essence même qu'elle pense.
Ainsi voit-on la philosophie de la conscience inévitablement contrainte
de poser l'inconscience de la conscience absolue sous laquelle elle f'ef force de
penser l'essence de la phénoménalité . De même que chez Fichte . l'existence
pure qui définit l'essence n'entre dans la condition phénoménale que
sous la condition de la détermination objective sans pouvoir cepen-
dant maintenir dans cette forme la pureté de son essence originaire,
en sorte que « toujours la forme nous voile l'essence » ( 3), de même
chez Schelling la conscience pure qui se réalise phénoménalement
dans l'objet n'est plus , en fait, dans cette réalisation que l'objet lui-
même. La conscience pure est le processus qui fait surgir l'entité
finie, elle est « l'activité qui limite » . Mais « l'activitéqui limite n 'arrive
(I) VB, i6o.
(2) Ibid.
(3) ID., x77.
146 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

jamais à la conscience », et cela parce q u'elle «ne devient as ob et» (1).


p j
L'essence originaire de la manifestation nep eut donc que
çrdemeur
dans la nuit de son inconscience originelle ou se perdre dans l' objet.
Dans l'objet l'essence de la manifestation se réalise mais justèment
en se perdant . L'apparaître de la conscience dans l'objectivation
A
est son propre disparaître.
Qu'en est-il cependant de la man ifestation de la conscience dans sa
pureté i' Une telle manifestation ne doit-elle
pasêtre
pouvoir
exhibéesi
s' la
philosophie de la conscience prétend parler
avec quelque droit dupur
concept
sur lequel elle se fonde ? Schelling ne peut lever le paradoxe d'une
conscience qui ne se connaît que lorsqu ' elle devient objet ni maintenir
la validité du concept pur de la conscience autrement qu'en faisant
de celle - ci la condition de l'apparence phénoménale effective de
l'objet. En tant qu'objectivation la conscience est l'acte primordial
qui rend possible l'objet. « Mais comment le p hilosop he s'assur etü
de l existence de cet acte primitif... ? Evidemment il n'en a
pas l'issu..
rance immédiatement , il n'arrive à le connaître que par induction
(2).
=L essence originaire de la manifestation est le non-objectif et,
^ comme
telle, elle n'appartientpasà lasphère effective de
la phénoménalité.
C'est seulement a partir de celle-ci, c'est-à-dire de l'élément objectif,
qu'on peut poser réflexivement la réalité de l'acte qui e st pensé
comme la condition de l'objet. L'analyse reflexive est l'ex
pression
méthodologique du paradoxe constitué la
par condition non phénoménale
de
l'essence de la phénoménalite' . Ce paradoxe semble levé par l'opposition-
instituée par Schelling entre « lep oint de»vue transcendantal
et celui
de la conscience commune . Tandis que celle-ci ne connaît quel'
objectif
parce que « l 'obj ectif seul arrive par l'intuition à la conscie
nec
commune » et que « l'intuition en elle-même se
p erd dans l'ob j et »
« du point de vue transcendantal », au contraire « on ne considéré

(I) IT, 6s.


(2) ID., 7I.
LE MONISME ONTOLOGIQUE
141

l'objet qu'à travers l'acte de l'intuition » (,). Ainsi le point de vue


transcendantal se dirige explicitement sur l'acte qui rend possible
l'entité phénoménologique effective, c'est-à-dire sur l'élément trans-
cendantal de la conscience pure. Celle-ci, cependant, se trouve-t-e lle ,
atteinte en elle-même, parvient-elle en elle- même â la condition pbéno-
ménale . II semble que oui : « le propre du point de vue transcendantal
est de ramener à la conscience et de rendre^ objectif
qui, ce dans
outt
autre ordre de pensée, de connaissance ou d'action, est absolument
non objectif, c'est-à-dire échappe à la conscience(z).» L'essence
de la
phénoménalité qui n'entre pas dans la condition phénoménale n'y
entre-t-elle pas dans le point de vue transcendantal ? Mais comment?
Pour « ramener à la conscience» ce qui est «absolument non objectif»,
le point de vue transcendantal ne peut que « le rendre objectif ». Le
transcendantal ne peut s'apparaître que sous la forme de l'objet du sens
interne. A moins de confondre les deux, comme le fait Schelling
il faut reconnaître qu'ici encore le devenir phénoménal de l'essence
de la phénoménalité est i'autosuppression de cette essence pure.
Ballottée entre le psychologisme et la méthode réflexive, la philosophie
transcendantale de la conscience ne peut, en tout cas, se donner la
réalité de l'essence par laquelle elle se définit.
Dans la structure éidétique de l'essence de la manifestation te lle
que la conçoit la philosophie classique est inscrite une double
exigence. D'une part, l'obligation pour la conscience de s'objectiver
et de parvenir ainsi a l'effectivité. La conscience de soi est identique à
la conscience extérieure de l'objet. Ainsi se fast jour une pbilosoj,bie de
1 effectivité qui situe l'essence concrète dans l'être-là de la détermi-
nation objective. D'autre part, la nécessité de préserver l'essence

(I) IT, 9.
(z) Ibid.
(3) « Lee seul objet immédiat du point de vue transcendantal est le subjectif
[c'est-à-dire l'essence pure, le transcendantal, l'élément absolument non objectif]
le seul organe de cette philosophie est le sens intime », In., xS.
148 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dans sa pureté amène la reconnaissançe du caractère inadéquat de la


manifestation, de cette essence dans l'entité où elle s'apparaît. L'essence
se réalise dans la détermination mais cette réalisation ne la contient
pas. Comme le Dieu de Boehme qui, « se manifestant éternellement
dans l'être, reste éternellement en dehors de [lui] », l'essence dans sa
réalisation phénoménologique est « autre chose encore » (x). La
détermination peut bien être comprise comme la manifestation
de l'absolu, comme le document qui témoigne de sa source éter-
nelle, ce document est le chiffre ambigu, la simple apparence qui
renvoie a autre chose. La finitude est la forme qui voile l'essence. La
liberté qui n'est rien « en dehors de la nature » est cependant dans
son essence autre qu'elle. C'est pourquoi on voit chez Fichte la
liberté déplacer sans cesse la limite qu'elle s'oppose pour se réaliser,
c'est-à-dire pour apparaître. Parce qu'elle s'aliène en fait dans l'élé-
ment où elle se réalise, l'essence doit aussi bien rejeter que poser un
tel élément. Celui-ci, par suite, entre dans l'histoire. Mais à chaque
moment le problème est le même. C'est en vain que la philosophie
de la conscience se mue en une philosophie du devenir. Sa contra-
diction reste ce qu'elle était chez Kant lorsqu'il était dit que « nous
ne connaissons que des phénomènes ». La réalité effective de l'essence
est le contraire de ce que celle-ci est au fond. On peut spéculer tant
qu'on voudra sur cette contradiction, affirmer par exemple le déter-
minsme des phénomènes et la liberté transcendantale, celle-ci n'est
que la liberté de l'objet transcendantal -- x. La philosophie de-
la conscience n'a pu sauver l'absolu qu'en le rejetant dans un arrière-
monde. -
Les difficuitcs communes à la philosophie de la conscience
et à la philosophie de l'être ne perdent-elles pas cette' signification
d'être un obstacle au progrès de la pensée qui veut circonscrire
l'essence
.. concrète de la phénoménalité si cette pensée comprend

) KOYRÉ, La Philosophie de Jacob Bahme, o. cit., 243.


LE MONISME ONTOLOGIQUE 149

justement ..une.... telle ., essence dans son caractère concret, c' est-,-dire
dans l'effectivité de son être-réalisé ? Car ce n'est p as l'inévitable
référence de l'essence à la détermination, c'est la prétention de saisir
l'essence en dehors de cette référence et dans une prétendue pureté
qui doit être mise en cause, si l'être-là de la détermination effective
est le devenir phénoménal et, comme tel, la réalisation de l'essence
de la phenomenalite Que la pure essence s'évanouisse dans la nuit
de l'origine transcendantale, cela signifie eulement qu'elle `ne saurait
être comprise en dehors de l'élément ontique où elle trouve le moment
de la présence phénoménale. L'essence pure est l'abstraction de
i etre-present. L'être n'est present que comme être de la déterml^
nation qui est là, et cela non pas seulement en ce sens qu'il est toujours
et inévitablement l'apparence d'un étant mais, plus originellement,
parce que cette apparence ne devient precisement ce qu'elle est, une
apparence, que par la médiation de ce qui apparaît en elle. C'est
l'étant qui apparait. Le lien de l'être et de l'étant, l'inévitable référence
de la transcendance à ce qui se trouve par elle transcendé, ont cette
signification phénoménologique ultime. Ce qui s'exprime dans celle-ci,
c'est l'unité indissoluble de l'element ontique et de l'element ontologique dans la.
devenir effectif de la phenomenaltie. L'être-1a effectif est ontique et
ontologique en même temps. Si le Dasein ne désigne pas seulement
l'abstraction d'une présence mais cette présence même dans son
accomplissement réel, n 'est-ce pas legitlmement, alors, que la trans-
cendance est qualifiee en lui, non pas sans doute comme « la pro
p rieté d'un sujet donné,» mais comme - « la manière d'être essentielle
de cet étant» `i) que le « Dasein » pst aussi ? Le droit de parler d'une
« possibilite ontique . de la compréhension de l'être » (z) n'est-il pas
fondé ? L'ambigu te fondamentale du Dasein ne trouve-t-elle pas sa
raison -dans la structure interne de la phenoménahté effective .

(I) SZ, 132.


(2) ID., 2I2.
1 50 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

I S .. LA SIGNIFICATION ONTOLOGIQUE DE LA PROBLMATIQUE


QUI VISE L'ESSENCE ET LE CONCEPT ORIGINAIRE DE LA FINITUDE

C'est ici qu'il convient de rappeler avec force '


la signification
d'une problématique qui vise l ' essence. Le caracte` re .
ontologique
d'une telle problématique signifie que l'essence constitue par soi la
...
condition de possibilité de l'apparence comme telle: Si l'élément
ontique défit une condition de cette possibilité, s'il appartient
à la structure interne de l'acte d 'apparaître considéré en. et our
p.
lui-même, alors il appartient aussi à l'essence il est ontologique ..
,
C'est la definitiou même d ' un tel élément comme ont i que qui doit

&re mise en cause. C'est la drstmction o erée dans le réel entre
ce qui est Ontique et ce qui est ontologique qu'il faut rep enser.
Car ou ne peut plus dissocier ce qui a pp aratt et l'acte d'apparaître
si le contenu concret de ce qui a pp araît artiénta titre d'élémen t
constitutif à la structure même de l'acte d'a araître. comme tel.
- pp
L etant est-if oui ou non une condition de la manifestation?
thèse selon laquelle l'étant doit être compris, en tant qu elé^
ment appartenant au devenir phénoménal de l'essence de la hen
menalité, comme une condition de l'étre-effectif de celle-cis est
absurde. Comment l'étant être ce sur ^ot l'essence pitre de la
pomra:t-il
manifestation devt'ent visible a elle- êne s'il n'était d'abord et âêjd là
Et eotsmcnt l'étant pourra:t:l precisémentétre lâ c'est-àdire apparaître,
St l 'acte d'apparaître cotstdêrê en et t'OttY soi n'avait d'ores et de `
à aecam li
ton xivre ? C'est l'acuvre accomplie de l'essence originaire et pure de la
.
manifestation qui permet à l'étant d'être la . L'essence s'est donc
réalisée comme essence concrète qui fonde le devenir phénoménal
de l'étant lorsque celui - ci enfin parait. Pour réaliser le devenir effectif
de l'essence, l'étant vient toujours trop tard car d le présuppose.
Quand on dit que c 'est l'en- soi qui devient pour-soi on formule une.
proposition ambigue . Car l'être-en soi n 'a en lui-même rien de
-
commun avec le pour-soi. Le pour-soi designe la dimens ion phéno-
LE MONISME ONTOLOGIQUE If I

ménale de l'existence à laquelle l'en-soi est , en- tantq


- ue te1 fonciè-
rement étranger. Que l'être- en-soi pénètre dans cette dimension
de la phénoména1ité ne signifie pas qu'il soit en lui-même cette lumière
de la manifestation pure . Il l'est si peu, à vrai dire, qu'à peine entré
en elle , il s'en retire et retourne à sa nuit . Un tel retour dans la nuit
de sa condition originelle, l'étant ne pourrait assurément l'accomplir
s'il e fait en lui-même identique à l'être de la lumière: L'étant est touj ours
celui-ci ou celui-la. Par la singularité de son contenu concret , il est le
différent. Mais le pouvoir ontologique qui le manifeste est toujours
le. même . A la nature particulière de l'étant est nd fferente la lumière
qui l'éclaire. C'est une oeuvre une et toujours la même qui promeut la
détermination, quelle qu'elle soit et en dépit de sa cont ingence, dans .
la dimension ouverte de l'existence . Ce n'est pas le caractère déterminé
de l'objet, c'est son caractère objectif qui fonde son caractère phéno-
ménal. Le fait de se manifester est etranger au caractère déterminé
de la détermination. L'être universel ne trouve p as son fondement
dans la contingence de la détermination ontique.
L'indifférence de l'acte d 'apparaître au contenu de ce qui chaque
fois apparaît en fait implique - t-elle nécessairement une indé pendance
du devenir effectif de l'apparition p ar rapport a l'element ontique
qui se montre en elle, signifie-t-elle la Selbstandigkest de l'essence ? Li
contingence du contenu de la determinat on qui est là n'est -elle _ as
p
plutôt le signe d' une nécessité et comme telle impliquée dans
l'accomplissement de l'être-effectif de la p hénoménallté ? Car la
contingence du contenu n'exclut pas mals presuppose peut-.étre
l'existence de celui-ci, quel qu'il soit. Ainsi voit-on qu'un divers
empirique quelconque est cependant pensé par Kant comme ce qui est
exige dans toute connaissance réelle, et cela à titre de condition. Le
caractère
- universel et pur de la catégorie n'empêche pas que celle-ci
ne trouve son usage effectif que par la médiation de l'intuition
empirique. Ainsi le caractère contingent de la détermination onti que
n'exclut pas son appartenance nécessaire à l'être accompli de l'essence.
152 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La signification phénoménologique de l'appartenance de la


détermination à l'être accompli de l'essence trouve son origine
. dans
la compréhension de la structure interne de celle-ci. L'essence de la
manifestation est pensée, et cela par la philoso p hie de l'être aussi bien
que par celle de la conscience , comme l'opp osition, Dans le processus
ontologique de l'opposition surgit le phénomene comme ce qui se
trouve posé devant. L'ambi g uïte fonciere du terme q ui se trouve
ainsi posé devant doit enfin être dénoncée . Ce ui surgit par la média-
lion de l'essence de l'opposition dans un avant-p lan de lumiere et comme la
condition du devenir effectif de la manifestation n'es pas l'étant, c'est cet
avant-plan lui-même et comme tel, c'est l'horizon transcendantal de l'être,
Dans le déploiement de l'hor ^ on transcendantal de l'être s'e puise l'ceuvre de
l'essence, avec lui se réalise le devenir effectif de la phenomenalite C'est
lorsque cet horizon s'est dé lo e, lors s'est ouvert le cham p
de la visibilité transcendantale que l'étant, alors et seulement, p eut
être lâ. Loin que 'étant soit une condition du devenir phenor enal
de ce champ phénoménologique originaire et p ur, c'est dans le devenir
visible de ce champ et seulement en lui que d'étant peut être vu.
L'être-là de l'étant se produit dans la connaissance ontique: Mais
celle-cl présuppose comme une condition de cet ê tre-là, ou lutôt.
p
comme cet être-là lui-même et comme tel, l'accom plissement de
la connaissance ontologique , c'est a-dire l ' ouverture de l'horizon
-
de l'être. Le contrarium qui' sur le fond de la comprehension de.
l'essence de la manifestation comme o pp osition, est ` pense, , depuis
Bcehme, comme la condition du devenir p hénomenal de la p heno^
ménalite, doit être saisi non comme un élément onti q ue mais dans
la nudité de sa signification ontologique pure, Le progres réalisé
par la philosophie de l'être a justement consisté dans la mise a jour
de cette signification pure a partir des représentations où le processus
ontologique de l ' opposition etait saisi d'une façon confuse et encore
interprété comme un processus d'ordre ontique. On a vu comment la
distance qu'institue l'opposition et qui définit le champ ouvert de la
LE MONISME . ONTOLOGIQUE '53

phénoménailté a d'abord été pensée comme une distance « réelle »..


Au concept de cette distance qui vaut comme une catégorie de
l'étant est lié celui de l'être-éloigné compris sur le fond de ce lien
comme une réalité ontique. L'être-éloi gné comme tel toutefois
n'est pas l'étant, mais ce qui permet à celui-ci de se manifester. Ce qui
se trouve ainsi elolgne dans l 'oeuvre originelle de l'essence et comme
la condition de la manifestation de l'étant est sip eu. cet
étant lui-
même qu'if n'est, à vrai dire, rien. Ce qui se tient à distance dans
l'accomplissement originel de la transcendance est l'horizon du néant.
C'est
. le néant, non l'étant; qui se trouve objecté dans l'objectivation
et qui, sous la forme d'un horizon réalise le devenir phenornenal de
l'essence de la phenomenahte L'ambigu'ite de l'être stable que, par.
exemple chez Fichte, l'existence pose en face d'elle en se retirant de
lui, tient donc à la vieille confusion de l'être et de l'étant . C'est le
néant de l'être non la singularite de l'étant que l'existence pose en
face d'elle dans le mouvement par lequel elle se réalise c'est-à-dire
dans le devenir effectif de la phénoménalité. L'être posé dans l'oppo
sition n'est donc pas l'être transcendant au sens de la détermination s
c'est le milieu pur où cette détermination est susceptible de se
montrer, La transcendance ne s'objecte pas l'étant mais sa place.
Cette place pure est ce qui s'institue dans le processus interne de
l'essence en tant que ce processus s'accomplit, elle est, comme telle,
le devenir effectif de l'essence de la phenornenalité.
Avec la comprehens on de la structure ontologique pure de
l'essence se trouve écartée la prétention de définir l'étant comme une
condition du devenir effectif de celle-ci. C'est parce qu'elle ne s'est
pas encore élevée à une telle compre'hension que la philosophie de la
conscience tombe dans l'équivoque dès qu'il s'agit pour elle de
définir les conditions effectives de la phenoménal te'. Cette équivoque
devient visible dans la description du processus qu'elle conçoit
comme celui où se réalise le devenir phenomenal, processus désigné
sous le titre général d' « obljectivation» et par lequel advient justement
.
M. HENRY 6
'S4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

le « phénomène », l' « objet ». L'obscurité foncière de ce dernier


concept consiste en ceci, que le depart n'est pas fait dans l'objet entre ce
qiii est ontque et ce qui est ontologique. Le contenu de l'objet est la
détermination ontique mais sa condition d'objet dépend de l'essence.
Ce qui fait de lui un ob-jet et, comme tel, un phénomène, c'est le
pouvoir ontologique de l'obj ectivation. L'ob; ectivation crée le caraco
tète objectif de l'obj et, ou pour mieux dire , elle s'identifie aveu lui.
Le caractère obj ectif de l'objet est son caractère phenomenal. Le
devenir effectif de la pbénoménal:té dans l'être objectif de l'objet est l1 fait de
l'essence et d'elle seule. A ce devenir e ecli l'étant est totalement étranger : il
rj'y contribue pas plus 'il n'en résulte. C'est donc bien dans l'objet
que se réalise le devenir effectif de la phenomenalite bien qu'a ce
devenir l'étant ne prenne par lui- même aucune part,
Tant que la distinction n'est pas faite entre l'étant lui-rnême, et,
d'autre part, le pouvoir ontologique qui lui confère la qualité
d'objet, l' affirmation de la philosophie de la conscience selon
laquelle la conscience crée l 'objet demeure aussi mevitable que para.
doxale. Car il est vrai que la conscience crée l'objet; c'est -à-dire l'être'
posé-devant comme tel. Plus exactement, la conscience est identique
dans son être avec 'être se devant considéré en lui-même, puisque,
selon les presuppos tions fondamentales du monisme ontologique
qui sont celles de la philosophie de la conscience , l'essence de. celle-cl
réside dans l'obl' ectivite Parce que la philosophie de la conscience
voit dans l'objet comme tel la condition du devenir effectif de la
phenomenalite, la condition du devenir conscient, elle pose cet
objet en même temps qu'elle pose la conscience , et comme identique
à celle^ci . Le devenir de l'obj et est le devenir conscient . La conscience
est l'ob-jet comme tel. En posant l'objet la philosophie de la
conscience n'ajoute rien â l'essence pure de la conscience , elle pose
bien Plutôt la condition même de celle- ci, c'est-à-dire cette pure
essence L'idéalisme absolu confondf seulement l'étant avec les conditions
.
effectives de la phéno#énaldé. Parce qu'il n'opère aucune discrimination
MONISME ONTOLOGIQ UE . -

entre - l'étant et l'objet comme tel, p la 'osition de


t objet, cè `-
ldentiquc
avec le devenir conscient, signifie aussi pour lui la position de l'étant.
L'acte de poser devant constitutif . ,dula devenir effectif de '
phenorné-
nalité étant confondu avec la de l'étant
position me,luimcl ia&lisme
absolu croit pouvoir déduire _celui^ci. Le devenir-autr e dans lequel
l'essence s'oppose a elle-même pour que se réalise la pure apparence
de l'idéalité a la signification d'être le devenir de l'étant L'action
de la pensée qui s'épuise dans le ontologique
processus de 1 obiecti.
vation devient paradoxalement une modification qui affecte l'étant
comme tel, soit qu'elle le p
ose, soit .
qu'elleparce
le supprime. Enfin,
que la position de l'objet où se r' •se le devenirconsc1ent a été
confondue avec la position de T'étant lui-même lapensee
qui trouve
seulement sa réalisation dans ce devenir s c'est^a-dire dans l'objet,
croit en fait la trouver dans l'étant lui-même. L'étant est compris
comme l'affirmation de l'idéalité comme un élément idéal. u. Parce que
la pensée, écrit Marx, s'imagine être immédiatement autre qu'elle-.
même, la réalité sensible, et que son action prend
rend dondonc aussi pour
elle la valeur d'une action réelle sensible la suppression ideale, qui
lasse son objet exister dans la réalité, croit l'avoir vaincu réelles
ment; et d'autre part, parce qu'if est devenu maintenant pour elle
un élément idéal, elle le considère également dans sa réalité comme
l'affirmation d'elle-même, de la conscience de soi de l'abstraction
La non-appartenance de l'étant au devenir effectif de la phénomér
nalité en tant que ce qui se trouve posé dans le processus de ec
devenir est non pas l'étant lui-même mais son être-objet comme tel,
amène a reposer le problème de la finitude dans son rapport,
l'essence de la phenoménalité, c'est-a-dire a l'être comme tel. C'est
ufternent dans son.^rapport
de à l'être
dota.commeêtre
telque lafintu •
camprsle.
L'idée de..,
la finitude
penséese présente d'abord
quiâ la considère
la receptivite de la connaissance ontique C'est dans la mesure a

(I) MAR%, Ouvres Philosophiques, trad. MOLITOR, Costes, pans, 1946, VI, 84.
I 5 6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

elle n'est pas créatrice par rapport à l'étant mais seulement réceptrice
que cette connaissance est dite finie. Finie , la connaissance l'est parce
que son contenu ne provient pas d'elle, parce qu'il n'est pas ce qu'elle
s'objecte. Le contenu de la connaissance présuppose cependant ce que
la connaissance s'objecte . C'est seulement comme objet que l'étant
est susceptible de former le contenu d'une connaissance , qu'il est
connu. La receptivite de la connaissance finie à l'égard de l'étant
présuppose sa receptivite â l'égard de l 'objet. Plus exactement, le
problèîzze de la réceptivité de la connaissance à l'égard de l'étant est celui de sa
recepüvité à l'égard de l'objetpuisque c'est justement comme objet que l'étant
est reçu. La finitude de la connaissance ontique est identiquement
autre chose . Elle est la finitude d'une : connaissance qui a besoin de
l'objet pour la réception de l'étant. Elle est la finitude de 1a connais -
sance ontologique.
Ce dont la connaissance ontique a besoin pour la réception
de l'étant, la connaissance ontologique le crée elle-même. C'est dans
l'acte propre de la transcendance que surgit l'horizon transcendantal
de l'être. Pourquoi la connaissance ontologique, créatrice de son
objet, est-elle dite finie ? Parce que l'horizon de la transcendance
est lui - même fini, La finitude de l'horizon signifie la finitude de la
p henomenalité effective. C'est la place où surgit la lumière, c'est la
place elle-même comme telle qui est finie. La lumière est cette finitude
d'une place. La finitude a une signification ontologique . Elle concerne
la structure interne de l'essence originaire et p ure de la phenomé=
nalite en tant que cette essence ne se réalise que dans le processus
par lequel elle s'objective sous la forme d'un horizon fini. La pheno-
menalité qui devient effective dans l'objectivation de cet horizon est.
elle-même une p hénomenalité finie . La manifestation est finie en tant
qu'elle se produit. La finitude de la manifestation en tant qu'elle se
produit signifie la finitude de la manifestation en tant que- telle. La
finitude est une structure eidétique de d'essence de la phénomenalité.
« Ce dont il s'agit au fond, dit Heidegger , c'est de mettre en
LE MONISME ONTOLOGIQUE "7

-lumière l' imbrication essentielle de l'être (non pas de -Pétant comme .


tel et de la finitude dans l'homme ( i). » La finitude doit être comprise
dans son rapport avec l'être parce que ce qui est fini , c'est l'être
lui-même. Le lien qui unit dans l'or:gine la transcendance et la finitu de
n'est pas le lien de l'être et de l'étant. Ce n'est p as p arce qu'il est toujours
et nécessairement l'être de l'étant que l'être est fini, La finitude de
l'être résulte si p eu du lien indissoluble qui unit l'êtrea l'étant que .
l'étant, par lui-même, n 'est p as hm. La p ensee
- qui cherche l'or igine
et l'essence de la finitude dans la finitude de la détermination onti que,
s egare . La determination n'est finie qu'en tant qu'elle se manifeste.
Ce n'est pas l'étant, c 'est l'objet qui est fini . Considéré en lui-même
l'étant est aussi bien le noumène , l'Enstand de l'intuition infime
que le Gegenstand de la connaissance rece p trice. L'étant est fiai en
tant qu'il est le Gegenstand de la connaissance receptrice, en tant qu'il
est rencontre' par un être astreint pour le recevoir à depy lo er l'hori on fin:
de l'être. C'est à l 'intérieur de cet horizon qui nous le ' rend accessible
en nous le manifestant, c'est-à-dire, p ar conséquent, comme objet,
que l'étant est fini. L'étant est fini sur le fond de la finitude de l'être en lui.
La finitude la p lus essentielle concerne l'être lui-même en tant q u'il ,
est besoin de lui afin que, dans le cham p fini de son horizon la
place soit ouverte pour que quelque chose soit.
La thèse selon laquelle la transcendance est finie -en elfe-même
doit donc être comprise. La finitude de la transcendance résulte
sans d o u te de ce que celle-ci est, comme telle, essentiellement
réceptrice . En tant q ue rece ptrice la t ranscendance se trouve mexo
rablement liée à ce q u'elle re ç oit. Ce q ue re ç oit l a transcendance
n'est rien d'autre, toutefois, que ce qu'elle forme e lle- même. L a

liberté, dit Heidegg er, « ne p eut se dérober â ce qui p rend d'elle ainsi
naissance » (Z ). Ce à
q uoi la liberté ne p eut se dérober est donc ce q ui

(I) K, 278.
(2) WG, 1 0g.
a 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

prend naissance en elle . Ce qui prend naissance dans la liberté ontolo-


gique de la transcendance, c'est l'horizon transcendantal de l'étre,
c'est le monde lui-même dans sa mondanité pure. C'est donc au
monde comme tel , non à l'étant, que la liberté ne peut se dérober,
c'est à l'horizon qu 'elle déploie que lao transcendance est liée La
transcendance est liée au monde en tant qu'elle n'est rien d'autre
que le surgissement de ce monde comme tel . Loin d'échapp er au.
monde par sa liberté, c'est en tant que libre, au contraire, que la
transcendance lui est livrée, Livrée au monde , la transcendance
l'est aussi, plus précisément, à un monde fini. La limite de la trans-
cendance n'est donc pas l'étant. Ce n'est pas l'étant qui, comme
« limite », « obstacle » et « arrêt » permet à la liberté de prendre
conscience de soi en se heurtant à lui, Car la liberté ne peut, à la
rigueur, se heurter à un obstacle que si celui-ci existe . C'est l'existence
elle-même qui est limitée, et cela parce que la transcendance qui
constitue son essence porte en elle cette limite comme ce qu'elle
produit (x).
Que la finitude trouve son ultime fondement non dans le contenu
ontique de la représentation mais dans la structure `même de celle-ci,
Husserl l'avait déjà compris. Étudiant dans Er ahan8 und Urteil le
problème des substrats absolus, Husserl montre q ue le seul substrat
absolu est la nature, mals celle-ci n'est j amais, dit-ils « le thème
d'une saisie simple » (z). La finitude de la connaissance semble ici
introduite à partir de la considération de la diversité infinie de l'étant,
diversité telle qu'elle ne peut jamais être saisie tout entière à Pinté-
rieur d'un seul acte d'intuition et, par conséquent, dans une certitude

(i) Cherchera finitude dans l'être rationnel lui-même, comme le voulaient


Heidegger et Kant , ne signifie donc pas montrer comment cet être implique pour
se réaliser quelque chose d'autre que lui, à savoir un élément non ontologique. Ira
finitude de l'être rationnel concerne la manifestation elle-même comme telle, non
l'étant, mais la pure image ou il paraît.
(2) EU, 159.
LE MONISME ONTOLOGIQUE
'59

absolue. C'est la finitude de l'acte d'intuition lui-même toutefois


qui est responsable de l'im p uissance de l'es prit â connaître l'étant
autrement que sous une forme fragmentaire et successive. Ce ui q
A

nous empêche de saisir absolument quelque chose, ce n'est p as


finalement le fait que ce quelque chose peut présenter une infinité
A •
d'aspects toujours nouveaux, même si ces aspects étalent limités si
l'étant ne portait en lui qu'un nombre déterminé de proprietes la
••
saisie ..
globale de celles-ci serait impossible parce qu'une telle saisie est
f mie en elle-même en tant qu'elle se produit toujours à l' nteruur d'ur
borizon fini. cc Certes, dit Husserl, on ne peut pas dire... a priori que
^• -
n importe quel objet déterminé peut exhiber de soi des détermina-
tions propres en nombre infini.,. Pourtant son horizon de determi-
nabilite indéterminée est toujours essentiellement d onne avec
lui (I). N La finitude de la connaissance ne résulte pasfait du que
I'etantpossede
des ro rietesp p en nombre infini elle tende dans le mode
de donné de l'étant, c'est-à-dire dans l'étant en tant qu'il est un objet.
Loin d'être le principe de la finitude de la connaissance l'infinie diversité
de l'étant en est la simple consegience. C'est parce qu'il est saisi à l'inte
rieur de l'horizon fini de l'être, comme objet, que l'étant est dit
fini. La(« f n tude » de l'étant signifie plutôt son infinitude originelle
par rapport a la finitude de sa condition objective, elle signifie qu'en
entrant dans le lieu fini de son existence phénoménale, l'étant se
dérobe aussi a la lumiere de ce lieu qu'il déborde de toute part .
Comme l'horizon est au-dela de l'étant, l'étant est au-dela de l'horizon.
L'idée d'un horizon de proprietes ontiques co-donnée s et non.
données ^ eut sembler ramener
p la ensee a la considération exclusive
du contenu. Mais l'étant n'a un horizon de propriétes potentielles ou
virtuelles que parce qu'il est un objet. L'horizon des déterminations
ontiques trouve son fondement dans l'horizon transcendantal de
l'être,

(Y) EU, 259.


i6o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La mise en lumière du caractère ontologique de la finitude


replace la pensee devant la signification de la problemat.tque qui vise
l'essence . Elle répète le résultat des analyses qui ont montré comment.
l'étant est étranger à l'oeuvre de celle-ci. Le devenir effectif de la
phénomenalité qui est l'oeuvre de l'essence s'accomplit sans la
médiation de l'étant. Que la finitude qui affecte ce devenir comme son
caractère phénoménologique le plus propre et le plus remarquable ne
trouve pas non plus son principe dans l'étant, cela confirme l'indé-
pendance radicale de ce devenir, c'est-à-dire de l'essence dans sa
réalité effective, à l'égard de toute détermination ontique.

§ z G. L'IDÉE DE LA STRUCTURE FORMELLE


DE L'AUTONOMIE DE L'ESSENCE
ET Ç LA TACHE D'UNE RÉPÉTITION
DE L'ÉLUCIDATION ONTOLOGIQUE DU CONCEPT DE PHÉNOMENE

Ce qui est i mpliqué dans l'indé p endance radicale de la réalité


effective de l'essence à l'égard de la détermination onti q ue doit
maintenant être pense L'essence est l'essence de la manifestation.
Le devenir effectif de l'essence signifie le devenir effectif de la mani-
festation, il est la manifestation qui se manifeste, sa réalité . Que cette
réalité effective ne puisse trouver sa condition dans l'étant, cela résulte
de ce que l'étant ne p eut manifester la manifestation que s'il se
manifeste . Quelle que soit la manière dont la détermination manifeste
l'essence, en la dissimulant ou en l 'indiquant, dans sa signification
essentielle ou inessentielle, il faut ` d'abord qu'elle soit la, il faut que.
pour elle l'essence ait accompli son oeuvre dans le devenir effectif de la
phénoménal te Le devenir effectif de la phenoménalite réside dans
l'ouverture de l'horizon transcendantal de l'être. Si l'ouverture de
l'horizon transcendantal de l'être réali se le devenir e ecti de la phenomenalilé,
c'est que cet horizon se montre . L'horizon de l'être considéré dans fa purete
doit être perceptible en et pour foi. L'être doit pouvoir se montrer. L'indé-
LE MONISME ONTOLOGIQUE i61

pendance de la réalité effective de l'essence â l'égard de la déterrai -


nation résulte de ce que le devenir j.bénoménal se réalise dans l'essence
et par elle. Ce qui se réalise dans l'essence et
parelle n'est sans doute
pas le phénomène
« » au sens de uelqueq chose ui se ma'f
q este, xuc'est
la phénoménalité pure et pourtant effective. La phénoxnénalité
effective surgit dans le sein même de l'essence parce que celle-ci
s'objective sous la forme d'un horizon q se montre. Pour cette
raison, parce que l'essence de la p
hénoménalité
p. comprend ene
soi l
devenir phénoménal, elle est autonome.
L'autonomie de l'essence signifie la Selbstândi keit de la connais-
sance ontologique. La connaissance ontologique} pourtant est la
sauce
condition de possibilité de la connaissance ontique. L'être est l'être
de l'étant. Que l'être soit toujours l'être de l'étant, la Selbstândi keit
de l'essence ne l'exclut pas, du moins ne pouvons-nous as le dire
maintenant. L'essence de la manifestation qui réalise la manifestation
effective peut bien ne réaliser toujours, pour des raisons par nous
inconnues, que la manifestation effective de l'étant. Inversement et
pour des raisons ici évidentes, la manifestation de l'étant présuppose
toujours, comme sa condition, le devenir effectif de la manifestation
dans l'oeuvre pure de l'essence, la Selbst&nd' keit de celle-ci. Si l'étant
peut se manifester sur le fond du néant, c'est seulement et d'abord
parce que le néant se manifeste. « Parce que le néant est révélé dit lei-
degger, la sciencepeut faire de l'étant lui-même ^l'objet sa de
recherche (i). » C'est donc l'expérience du néant qui nous permet
de saisir l'étant. En nous permettant de le saisir, le néant détermine la
structure ontologique de l'étant. Mais le néant de l'être ne détermine
la structure ontologique de l'étant dans l'acte par lequel` il le manifeste
ste
comme un objet, que parce que le néant est :comme tel un « phéno-
mène ». La détermination de l'étant par l'être présuppose la mari-

(i) Qu'est-ce que la Métaphysique r', trad. H. Cons, Gallim ard, Paris, 42, sou-
ligné par nous.
I Gz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

festation de l'élément déterminant fui-même dans sa pureté. « Pour


que l'on puisse comprendre l'essentielle détermination de l'étant par
l'être, il faudra, dit Heidegger, que l'élément déterminant lui-même se
montre avec une certaine clarté (i). » La finitude de l'étant dans sa
conditions objective ne saurait donc dissimuler l 'essence. Bien au
contraire, cette finitude de l'étant présupp ose comme sa condition
la manifestation effective de l'essence dans sa pureté.
La compréhension de la connaissance ontologique comme condi-
tion de la possibilité de la connaissance ontique ne porte pas. atteinte
â la Selbstandigkeit de l'essence si la manifestation de l'étant presup
-posecld'hriznasoeuvpdl'nc.Lamifest
tion de l'horizon dans l'oeuvre pure de l'essence signifie l' immanence
du devenir phénoménal â l'essence de la p henomenal te . Dans cette
immanence réside la Selbstandïgkeit de l'essence. La Selbstândigkeit
de l'essence fonde le droit que nous avons de l 'ap peler une essence.
Mais l'origine de ce droit doit être tirée au clair. L'autonomie de
l'essence doit être comprise dans sa signification et dans sa possibilité.
La signification de d'autonomie de l'essence est d'abord de
rendre plus incompréhensible la désignation du Dasein comme un
étant. Si le Dasein désigne la réalité effective de la manifestation,
l'appartenance de l'élément onti quea nette réalité com p rise dans sa
signification ontologi q ue p ure a été exclue . Le devenir effectif de la.
manifestation est l'être-lao A ce devenir effectif qui se produit sans
lui et avant lui , l'étant n'a point part . L'étant est étranger à l'être-là
comme tel. Le Dasem comme tel est ontologique.
L'interdiction de comprendre le Dasein comme un étant est
seulement une conséquence negative de l'autonomie de l'essence.
La signification positive de cette autonomie s'exprime dans l'impossi-
b' tte de séparer l'essence comprise dans sa pureté et, d'autre part, le
devenir phénoménal où elle se réalise En tant q u'il • constitue la
.

K, 279.
LE MONISME ONTOLO GI U
Q E iG

Pbéfloiéi Jité effective , . le devfli ., :


phénômtaJ est réalité
la de
l'essence de la phénoménalite. En tant
. que le devenir phénoménal
estAinclus dans l'essence de la celle-ci trouve en elfe-
phénoniénalité,
même sa réalité.
La sgnificâtion positive de la Selbstdndrgkert renvoie au
de sa p ossibilité . La Selbstdndigkeit problème
signifie que le devenir phenoménal
estimmanent
. a l'essence originaire pure et de la pnenoménalité .
L'immanence du devenir â l'essence
phénomenal de la phénoménalté
comprise selon les presu ositions ontologiques fondamentales du
monisme s'exprime dans l'affirmation que l'horizon ouvert par cette
essence se mamfeste comme tel et dans sa purete Avec la rndntfestataon
-de l'horizon, l'être. se montre.
Le probleme est celus de la possibilite de la
manifestation de l'bori'<on , Celle possibilité réfâd dans
l'essence de la mant-
feftatton. L'immanence du devenir phenomenal d l
'essence originaire et
de la
Phenomenaltie a un pure
fondement. Ce fondement, c'est l'essence elle-même.
Le
• ,problème
Phmnomenal du devenir de l'essence - • e#
de la pbenornenalsté
Justement le ,problème de la structure interne d '
e celle-c: :
L'essence de la phenoménalite trouve en elle sa réalité en tant
que c' est en elle que la phénomé ' ' .
.. naltte se produit . Telle est la signi-
fication p ositive de la Selb stundigkeit.
Que la henomenalite effective
se produise . dans l'essence, cela n'est
:. possible , toutefois , que par
celle-ci, La sigmeation de la Selbstdndi keit
g trouve sa poss ibili té dans
l'essence. West en c e sens. ultime quel essence est autonome
. L'essence
de la manifestation trouve en elle-mêm e sa realite en tant - que la
réalité effective de la manifestation qui se produit en elle trouve aussi
en elle son propre fondement.
L'élucidation du fondement de l'immanence du devenir heno
ménal à l'essence
de la ^
phenomenalite permet . de
seule , dire
p si ce
devenir se recouvre totalement avec l'essence q ui le fonde , s: l'essence
originaire et pure est la vente ou st elle est aussi la non-vérité. Une fois
écarte l '
étant dans sa rétention de manifester ou de cacher l'essence,
c'est â celle - ci que cette double possibilité doit être demaridee.
164 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La tache de la. phénoménologie a été définie comme l ' élucidation


ontologique de l'essence du phénomène .. Il a été montré comment
cette élucidation trouve sa possib i ' te dans l'essence elle-même. Ce
qui trouve sa possibilité dans l'essence elle - même, toutefois, ce
n3est pas seulement cette élucidation c'est la manifestation en
général. La premiere élucidation de l'essence du phénomène pour-
suivre' Selon les presuppositions ontologiques fondamentales du
monisme a du moins montré que, pour accomplir son oeuvre , l'essence.
de la manifes tation devait p ouvoir se manifester . « L'être doit
pouvoir se montrer. » La com p rehension de cette possibilité exige
phéno
que so it répétée l'élucidation ontologique de l'essence du
mene . L a tâche de la repetition , de l'elucidat on
- ontologique de
l'essence, du phenomene est la mise en lumière de la possibilité de la.
'
manifestation de l'essence . La mise en lumière de la possibilité de la
manifestation
' de l'essence met en cause les présuppositions ontolo-
giques fondamentales
- du monisme et nous introduit à l'essence
originaire de la révélation.
SECTION II

RÉPÉTITION DB L'ÉLUCIDATION
DU CONCEPT DE PHÉNOMÈNE
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE

I7e. LE CARACTÈRE ORIGINAIRE DE LA MANIFESTATION DE L'ÊTRE


ET LE PROBLÈME DE LA CONSCIENCE NATURELLE

L'affirmation selon laquelle l'être doit pouNvote se montrer: est..


ambigue, Cette ambiguïté s'accrolt au point d'égarer la recherche
et de travestir la signification de la problématique qui vise l'essence
lorsque la possibilité pour l'être d e se montrer est mise en relation
avec le travail méthodologique de la phénoménologie. Le travail
méthodologique de la phénoménolo gie est comp ris comme celui
d' une élucidation. Élucider signifie montrer, faire pa rv enir dans la
L lumière ce qui ne se trouve pas primitivement dans le rayon de
celle-ci. Ce qui doit être élucidé est ce qui toua d'abord se cache.
Quand elle est mise en relation avec le travail d'élucidation de la
phénoménologie, la possib ilité pour l'être de se montrer apparaît
comme une possibilité qui par elle-même n'est p as effective,
une
possibilité qui ne trouve précisément sa réalisation que dans et par
ce travail. C'est seulement lorsque la phénoménologie a accompli
son oeuvre que l'essence qu'elle élucide parvient dans la lumie' re,.
c'est- à-dire que l'être se montre . Le premier résultat de l'élucidation
du concept de phénomène a pourtant été de rendre évidente 1a
i66 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

nécessité d'opérer une dissociation entre ce travail d'élucidation qui


définit la tâche de la phénoménologie et, d'autre part, la réalité du
concept qui forme son objet, à savoir le surgissement de l'essence
dans l'effectivité de sa condition phénoménale. La manifestation
de l'être, loin de pouvoir être une simple conséquence du travail méthodolo-
gique d'élucidation de la phénoménologie en est au contraire la condition,
comme elle est la condition de toute manifestation possible d'un étant quel-
conque en général ( i ) . La manifestation de l'être ne se réalise donc pas
dans le « enfin » de 'l'oeuvre accomplie de la phénoménologie, mais
dans le « déjà » de sa condition primitive qui est, comme telle, comme
ce déjà de la manifestation puret effective qui rend possible tout
comportement et toute démarche ultérieure, l'absolu. L'être se
manifeste d'ores et déjà, antérieurement à tout travail d'élucidation.
Déjà : non pas seulement comme présupposition de ce travail lui-
même, mais comme une condition absolument universelle de toute
activité de la conscience naturelle en général.
Iton moins amb iguë est l a proposition précédemment citée (z)
selon la quelle « p our que l'on p uisse comprendre l'essentielle déter-
mination de l'étant par l'être il faudra que l'élément déterminant
lui- même se montre avec une c ertaine. clarté ». La manifestation
de l'être comp ris comme l'élément déterminant l'étant (en tant que
constitutif de la structure ontologique de celui-ci) est ici interprétée
comme devant se produire dans le futur, référée par conséquent à un
travail d'élucidation qu'elle appelle, et cela justement pour se pro-
duire, du moins « avec une certaine clarté ». La détermination de l'étant
p ar l'être se réalise pourtant antérieurement à la compréhension de cette
détermination par le philosophe, et cette détermination antérieure a toute
compréhension philosophique présuppose néanmoins la manifestation de l'être
en tant qu'elle n'est rien d'autre, en fait, que cette manifestation elle-même.

(I) Cf. supra, Section I, § 8.


(2) Cf. supra, § t6.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE ^G7

Car c'est. sur _ le fond de cette manifestation que l'étant est ce qu'il
est. A la conscience naturelle qui saisit chaque fois l'étant avec se s
caractères propres , l'être est d'ores et déjà donné : la manifestation
de l'être est originaire.
La détermination de l'étant par l'être exprime la dépendance
de ce qui apparaît à l'égard de l'acte d ' apparaître considéré en et
pour soi. Dans la pure apparence la détermination trouve l 'origine
. .
de son destin : ce destin qui est le sien lui est etranger. Que son
propre destin soit étranger au contenu de la détermination ne signifie
pas qu' il le soit aussi à la conscience naturelle q ui vit en présence
de ce contenu. Pour s ' adonner a la conside•ation exclusive de l'étant
la conscience doit avoir accès. à l'être. L'être se manifeste a la conscience
naturelle comme ce qui lui permet d'être ce q u'elle est une conscience
qui vise l'étant. La conscience vit donc en résence de d'être ui est
p q
cette présence même. La presence de l'être dans laquelle vit la
conscience naturelle ' n'est pas une p resence su osée une condition
Pp
dé gagée par la réflexion philosophique et p ensée ar elle comme la
.• , p
presupposition de toute relation possible à l'étant . La présence de
l' être qui rend possible cette relation, c 'est-à-dire la conscience
elfe-même, est bien plutôt presente en elle-même. C'est parce que la
relation est p resente , p arce que l'être se manife ste, que la conscience
naturelle a effectivement un rapp ort avec l'étant. La réalité de la relat an
est sa manifestation. La manifestation de la relation est la manifes-
tation de l'être qui est donnée a la conscience naturelle des qu'elle se
rapporte à l'étant. La manifestation de l'être est la manifestation de
l'absolu. La manifestation de l'absolu estLson
bsoluité. a '
absolulte
de l'absolu est la Parousie ; Dès qu'elle se rapporte `a l'étant la
conscience naturelle doit se tenir dans la Parousie elle est deja la
connaissance absolue, la science qui u à son premier pas parvient dans
la Parousie de l'absolu, c'est - à-dire est P rès de son absoluité ( x) »

(I) H, 126.
i68 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Que, pour pouvoir se rapporter à l'étant, la conscience naturelle


vive dans la Parousie de l'absolu, cela signifie que l'être se manifeste
à elle. L'être ne se manifeste pas à la conscience de temps en temps,
en vertu d'une volonté qui lui serait propre et comme telle, séparée
,
de l'essence de la conscience. Des son premier pas, en réalité, dès
qu'elle existe, et cela comme conscience naturelle qui . ne se soucie
encore que de l'étant, la conscience vit en présence de l'être qui se
manifestes elle, dans la Parousie de l'absolu. La conscience est elle- .
même comme telle la marifestation de l'être . Pour cette raison elle n'a pas
à être amenée d' ailleurs dans le lieu ou se produit cette manifestation.
En se rapportant à l'étant la conscience naturelle se tientde'j à dans le
lieu où se produit la manifestation de l'être, elle est elle-même ce
heu. « La conscience naturelle ne peut être introduite là où elle est
déjà (i ). » Voilà pourquoi il n'y a pas d'introduction à la phénomé-
nologie. La phénoménologie est la phénoménologie de l'esprit La
phénoménologie de l'esprit est la conscience elle-même . La conscience
est en elle-même, par suite aussi comme conscience naturelle, la
phénoménologie de l'esprit , parce qu'elle est la manifestation de
l'être, la Parousie de l'absolu, « Comment sommes-nous dans la
Parousie de l'absolu ? Nous y sommes selon l 'habitude de la conscience
naturelle (z). »
Que la conscience naturelle se tienne tou j ours et déj à dans.
la Parousie de l'absolu , cela signifie que la manifestation de l'être
qui est cette Parousie , est originaire. L'habitude en vertu de laquelle
la conscience naturelle se tient dans la Parousie n'est pas une
habitude acquise, elle désigne au contraire la condition immédiate de la
conscience. La condition en vertu de laquelle la conscience se tient
dans la Parousie est immédiate parce qu'elle constitue l'essence
même de cette conscience . L'essence de la conscience . est la Parousie,

(I) H, 190.
(2) ID., 1 89.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 16 9

c'est-à- dire la présence dans sa présence , l'être-Présent comme . tel


en tant qu' il est lui-même présent . La manifestation immédiate de
l'étant présuppose cette présence immédiate de la présence , la pré-
sence de l'être-présent lui - même et comme tel. Elle la présuppose
parce qu' elle est elle-même, en tant que manifestation, cette Parousie.
Pour cette raison on ne peutue mettre en cause l 'affirmation
de Hegel selon laquelle « la manifestation immédiate de la ventee
est l'abstraction de son êt re -p résent » ( I ) . Par manifestation i man-
dicte de la vérité, He g el entend la manifestation d e 1 étant. Cette
manifestation est dite immédiate parce qu'en elle la conscience
se dirige immédiatement sur son objet, savoir l'étant. Cette ma -rufes
tauon immédiate de la vérité c'est^à-dire la manifestation de 1' 'étant,
est si peu l'abstraction de son être-présent que celui-ci , à savoir De
..
concept absolu , constitue bien plutôt l'essence de cette manifestation
comme telle. Dans la manifestation de l'étant le concept est présent, .
et cela en un sens absolu. La présence du concept dans la manifes
tation de l'étant signifie que l'être-présent lui-même et comme tel est
présent dans cette manifestation signifie la présence immédiate de la
présence dans la manifestation immédiate de l'étant. Parce qu'il
constitue l'essence de la manifestation imme jate de la vérité l'être-
présent ne saurait en être abstrait ; La manifestation immédiate de la
vérité est identiquemcnt son être-Présent, est le concept absolu .
Que l'être doive pouvoir se montrer si gnifie donc finalement
qu' il se montre, et cela non pas au terme d'un processus ou d'une
histoire, mais originairement , La manifestation originaire de l'être
rend seule possible la manifestation de l'étant et cela p arce q u'elle
constitue
. l'essence même de celle-ci. Le caractère ori g maire de la
manifestation de l ' être signifie que ce qui est d 'abord présent, ce n'est
pas l'étant, mais l'être-présent lui-même et comme tel. Que l'être-
présent lui -même et comme tel soit ce- qui est d'abord présent, cela

(z) PhE, I 198.


1 70 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

atteste le caractère ontologique de l'origine. Que 1'être-présent qui constitue


l'origine soit justement present, c'est-à-cure se manifeste, cela atteste
le caractère phénoménologique de l'origine. La compréhension du caractère
ontologique et phenomenologique de l'origine nous permet de saisir
la signification de la proposition selon laquelle la manifestation de
l'être est originaire. Elle nous montre quel sens il convient de donner
à l'affirmation selon laquelle I' « être doit pouvoir se montrer ». Par-
lant de la communauté religieuse primitive . et de son désir tourné
vers le Passé, Hegel dit que « à la base de ce retour en arrière se
trouve certes l'instinct d'aller jusqu'au concept, mais il confond
l'origine, comme l'être-là immédiat de la première manifestation, avec
la simplicité du concept» (i) L'origine n'est certes pas I'etant qui s'est
manifesté autrefois. A la premiere manifestation de cet étant, à son
être-là immédiat, le concept est cependant . immanent comme ce qui
constitue cette manifestation même, cet être-là comme tel. De cet être-là
immédiat le concept ne saurait donc être abstrait. C'est le concept qui
est l'immêdiat, c'est lui qui est l'origine, il se montre en elle comme ce
premier acte de montrer qui constitue l'essence même de tonte origine comme telle.
Parce que la manifestation de l'être est originaire, parce que la
conscience naturelle se tient, conformément a son essence, dans
la vérité, elle ne saurait être dite se détourner de celle-ci (z). La
consciencepeut e oublier l'étre qu constitue son essencemme Quand on
affirme cependant que cette conscience vit, comme conscience natu-
relle, dans l'oubli de l'être, on veut dire qu'elle s'en tient à l'étant et,
ce faisant tient pour rien ce qui n'est pas de cette nature, c'est-à-dire
l'être l'apparaître de l'apparaissant (3). La conscience naturelle, en

(I) PhE, II, 271-272.


(2) Cf. H, 163: La conscience naturelle « est toujours déjà apportée sur le
cheznin de sa venté. Pourtant en chemin , toujours déjà aussi, elle fait constamment
demi - tour. p
(3) Cf. ID., '44 a I{'apparaître de l'apparaissant , la réalité du réel passe, dans
la perspective de la conscience naturelle, pour quelque chose de nul ».
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE

effet, se: dirige vers l 'étant et.


dans sa préoccupation exclusive a l'égard
de celui-ci, elle ne se soucie pas del'être. La conscience naturelle
ne peut cependant se préoccuper de l'étant que si ce lut ci se montre
â• elle.
est, Maiscomme la manifestation
telle, la de l'étant •
marufes^
tauon de l' être. Paf un instant, l'être n '
a cessé de se montrer a la conscience
naturelle au moment même oû elle est dite l'« oublier ».
Parce que la conscience naturelle co nformement a l'essence
de la -consctence en elle vit en présence de l'être qui se manifeste
à elle, la manifestation deonscience 'être â ne a c • .aucune..
requiert
modification radicale dans la vie de cette '
conscience ..
La manfesta-
tlon de l'être se produit
constamment habituellement, dans a vie
de la conscience naturelle en tant qu'elle est identique a l 'essence
de nette vie. La vie de la conscience n'est certes pas monotone
, elle. est
susceptible de se modifier . Une modificatio
n radicale intervient dans
sa vie lorsque , cessant de se diri ger vers''1 étant qui faisait jus que -l a
l'objet de sa p réoccup ati on exclusive,
la conscience rend en consi-
dération ' non
plus cet étant lui-même, maisp l'acte d'apparaître en
vertu duquel l '
étant apparaît. Une telle modification est le renver-
sement (Umke/rang) de la conscience .
Dans un tel renversement la
Conscience se dirige vers l'appara î tre de l'apparaissant, elle se repré-
sente « l'apparaissant comme apparaissant
» (i). Se dirigeant sur
l apparaissant comme tel, la conscience saisit ce qui régne dans
l'apparaissant, c'est-a-dire son apparaître, Le renversement est l'acte
par lequel • la re
conscience
presentese l'acte d'apparaître . la
lui-même,
manifestation pure comme telle, Dans le renversement l 'apparaître
de l'apparaissant parvient presentation (z). âParvenant
1a re a ^la
représentation, l'acte. d'app araî tre a .parlt La reprefentatron de la
man festation dans le renversement de la conscienc
e est la tanfertatron de la
manifestation pure comme telle.

(I) H, 178.
(2) Cf. ID., 175.
172 L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TION

En représentant la manifestation le renversement réalise l'appa-


raître de l'apparaître. L'apparaître est l'essence de la conscience. Le
renversement est le fait de la conscience . L'apparaître de l'apparaître
dans le renversement de la conscience est l'acte p ar lequel la conscience
se represente elle-même dans son essence , « par lequel la conscience
se représente dans son apparaître » (i). Le renversement de la
conscience est le s 'apparaître de l'apparaître . Le s'apparaître de
l'apparaître est la présence à soi - même de l'absolu, la Parousie, La
manifestation de l'absolu à lui-même dans la Parousie réclame le
renversement.
La representation de l'acte d'apparaître dans le renversement
introduit la conscience dans le savoir philosophique, dans le savoir
vrai. Le savoir philosophique est le savoir vrai parce que, en se
représentant l'apparaître et non plus l'apparaissant, il est le savoir
de la vérité, non de l'étant. Le savoir de la vérité est la présence de
l'absolu à lui-même sa Parousie . La Parousie de l'absolu est le fait du
savoir vraz.
En se représentant l'apparaître de l'apparaissant , le savoir vrai se
represente la condition du savoir de l'étant ou plutôt ce savoir de
l'étant lui-même. La rep résentati on de la manifestation dans le
renversement par lequel la conscience parvient au savoir vrai est le
savoir de soi du savoir de l'étant. Le savoir de soi du savoir de
l'étant est comme le comprenaient déjà Fichte et Schelling, le savoir
transcendantal. Le savoir transcendantal est le savoir vrai.
ue le savoir transcendantal ne soif pas le savoir vrai, cela résulte de ce
'il est le savoir de la conscience naturelle qui n'est pas encore parvenue au
savoir vrai dans le renversement cela résulte de ce que la manifestation de
,
l'être est ori maire. L'être, comme il a été suffisamment montré, se
manifeste d'ores et déjà à la conscience naturelle qui se rapporte a
l'étant en tant que la manifestation de t'étant est, comme telle, la

(i) II, i8i.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 113

manifestation de l'être . Mais le savoir transcendantal n'est rien


d'autre que la manifestation de l'être . La conscience naturelle est la
conscience transcendantale.
L'être est la manifestation pure. La manifestation de l 'être est la .
manifestation de soi de la manifestation pure. La manifestation de soi
de l'essence pure de la manifestation estpeu si le fait
du renver-
sement qu 'elle appartient au contraire â l'essence ure de la ma m .
. p
festation elle-même. Que l'être doive ouvoir se manifester ne signi-
p
fie pas que la manifestation de soi de l'être p eut ou doit s'aj outer à
l'essence de l'être au cours ou au terme d'un p rocessus qui permet-
trait a cette essence de se réaliser , cela signifie que l'essence de l'être
est la manifestation de soi. La manifestation de foi est l'essen ce de la
manfestaion. Encore convient-i l de comprendre comment cette
manifestation de soi de la manifestation se produit': elle est originaire.
Originaire, cela veut dire qu'elle n'estpas le fait du savoir philoso
phique mais celai de l 'es sen ce La manifestati on de soi de
elle-même .
l'essence est sip
eu le fait du savoir que celui-ci la
philosophique
présuppose constamment comme la condition même de son accomplis-
sement.

§ • 8. LE CONCEPT DE REPRÉSENTATION STRUCTURE ONTOLOGI Q UE


.
ET COMPRÉHENSION EXISTENTIELLE

La manifestation de l'être a pp artient â l'essence de la conscience


comme constituant cette essence même, à la conscience naturelle
par conséquent . Que la manifestation de l'être a artienne à la
. pp
conscience naturelle ne signifie assurément pas que celle - ci se la
représente . 'Ou plutôt, c' est l'ambiguïté du conce t n'ême de re ré
sentati p p
on qu'il convient enfin de de'noncer. Quand on déclare que
la conscience naturelle ne se re resente pas d'être irais seulement
t etant, cela signifie que, dans son souci exclusif a l'egard` de ce
dernier, elle ne se préoccupe pas de l' être lui-même et le « tient
174 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pour rien ». Que la conscience naturelle ne se représente pas l'être,


cela veut donc dire que l'être n'est pas l 'objet
^ de sa visée le thème de
sa pensée. La « représentation» désigne ici l'objet thématique que. vise
la conscience ainsi que cette visée elle-même dans sa particularité.
. La
représentation ainsi entendue est un mode déterminé de la vie de la
conscience et elle inclut en elle à titre de corrélat noématique irréel
l' « objet » en prssence duquel cette vie se tient dans ce mode deter.-
miné d'existence qui est alors le sien. Dans le cas de la conscience
naturelle, ce corrélat est l'étant. La conscience naturelle elle-même est ce
mode déterminé de la vie de la conscience dans le quel celle conscience vise
précisément l'étant en tenant pour rien tout ce qui n'est pas lui. Le savoir
philosophique ou savoir Vrai est lui aussi un mode déterminé de la vie de la
conscience, une détermination particultere de son existence. Dans le savoir
philosophique ou vrai auquel elle parvient dans le renversement la
conscience se « représente » l'être lui-même, elle fait de lui le thème
de sa pensée, l' « objet » dont elle se soucie. Parce que le savoir vrai est
un mode déterminé de la vie de la conscience, il n'a rien a voir avec le savoir
absolu. Le savoir absolu désigne l'existence de la conscience dans sa n
essence universelle, non une détermination de cette. existence un
mode particulier de sa vie, L'existence de la conscience dans son
essence universelle est le savoir absolu parce que l'essence de la
conscience est l'existence, la manifestation de soi de l'être la Parousie.
Loin de surgir seulement dans un mode déterminé de la vie de la
conscience, la ' Parousie constitue l'essence même de cette vie et
comme telle, la condition de toutes les déterminations que celle-ci
est susceptible de se donner. La Parousie n'est pas le fait du savoir
• ..
vrai, elle est sa présupposition comme elle est la présupposition du
savoir non vrai de la conscience naturelle qui s'en tient à l'étant.
Parce que la PresuPPosit on du savoir vrai de la conscience philoso^
phique et du savoir non vrai de la conscience naturelle est la Parousie
cette présupposition n'est p as un fondement caché derrière la vie
de la conscience, elle est la vie consciente elle-même comme telle la vie de la
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
J 175

conscience philosophique comme celle- de la conscience naturelle.


Parce que la vie de la conscience en général est la Parousie , la Parousie
ne réclame pas le renversement. Le s'apparaître de l'apparaître, la
man fesiaiion de soi de la manifestation pure ne ' se roduisent
pasdans la
p
« représentation ».
Il est vrai que par « représentation » on peut entendre aussi,
conformément aux présupp ositions fondamentales du monisme onto.
logique, l'essence de la manifestation elle-même, la ma nifestation
de soi de l'être . La représentation dési gne maintenant l'essence
de la conscience . L'objet de la représentation ainsi entendue est l'être
lui-même. La représentation de l'être est la manifestation de soi de
l'être, la manifestation de la manifestation pure la Parousie. La
représentation de l'être est la conscience elle-même dans son essence universelle.
L'objet que se rep résente la conscience ` comme telle dans s on
essence universelle, n'est ni l'objet q ue se rep résente la conscience
naturelle, ni celui que se représente la conscience philosophique. L'objet de la
conscience naturelle est l'étant . Mais, tandis que la conscience
naturelle se représente l'étant, elle se représente aussi l'être de l'étant.
Seulement elle ne se re p résente p as l'être et l'étant de la même
manière, l'objet qu'elle atteint cha que fois dans sa rep résentation
n'a de commun que le nom . Que la conscience naturelle se re présent e
l'étant, cela signifie que son regard se dirige sur lui, qu'elle le vise
,
que l'étant est le thème de sa p ensée. Plus exactement la conscience
se représente l'étant en ce sens que c'est à l'intérieur de la visée
qu'elle dirige sur lui que l'étant lui est accessible . Une modification
particulière de la vie de la conscience est ici nécessaire p our q u'elle
pui sse atteindre ce qui ne se donne à elle qu'à l'intérieur de cette
modification qui est alors la sienne . Cette modification est l a repré
sentation . La rep résentation de la conscience s'entend ici au sens
premier du mot re résentation conformément au uel «représentation ` »
p q
désigne la visée de la conscience et se réfère ainsi à un mode p arti..
culier de sa vie . Que la conscience naturelle, maintenant , se re ré-
p
1 76 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sente l'être, cela veut dire que l'être se manifeste â elle et lui est
accessible en dehors de toute modification de sa vie qui aurait l'être
pour thème, en dehors de toute prise de position et de toute visée
particulière. La conscience naturelle se représente l'être sans faire
de lui le thème de sa visée Parce que la représentation de l'être est
l'essence de la conscience en général. La representation désigne
maintenant l'essence de la conscience, la manifestation de soi de l'être,
la Parousie. C'est en un sens radicalement différent que la conscience ph:lo-
sophique se représente l'être dans le savoir vrai, La conscience pbzlosophtque
se représente l'être comme la conscience naturelle se re presenfe l'étant, en
faisant de lui le the`me de sa visée, a l'intérieur d'une modification déterminée
de la vie de la conscience en général. Bien qu'il soit l'être et non plus l'étant
l'objet de la conscience philosophaque est un objet au même sens que l'objet de la
conscience naturelle, c'est quelque chose qui se donne à la conscience par la
médiation d'un acte déterminé de celle-ci, à l'intérieur d'une visée spécifique
et comme son corrélat strict et lui-même déterminé.
A la division radicale du concept de représentation correspond
une division radicale° du concept d'obljet. L'objet vers lequel la
conscience se tourne pour se le « représenter» est un objet déterminé.
Détermine, cet objet l'est par l'acte qui se dirige sur `lui et comme ce
qui se donne â cet . acte. L'objet de la conscience philosophique est
un objet, au sens ordinaire du mot. Mais l'objet de la conscience
dans son essence universelle n'est détermine par aucun acte de la
conscience, il n'est solidaire d'aucune déterminations Particulière
de sa vie. En tant que l'objet de la conscience dans son essence
universelle se donne a elle en l'absence de toute visée particulière
se dirigeant sur lui, il. n'est . Pas « quelque chose « que la conscience
puisse atteindre dans un acte, il n'est Pas un « obljet» au sens ordinaire
du mot. L'objet de la conscience universelle est plutôt la condition de
possibilité de tout « objet» comme la représentation de la conscience universelle
est la condition de toute « représentation » particulière, de tout acte spéci-
fique visant chaque fois un « objet ». L'obljet de la conscience dans
TRANSCENDA. NCE ET IMMANENCE 177

son essence universelle est l'objectivité, l'être lui-même sous la


forme d' un horizon. La représentation de la conscience dans -son
essence universelle est la représentation de l'horizon. La représen-
tation de l ' horizon est la manifestation de soi de cet horizon en
l'absence de tout acte singulier de saisie se dirigea nt sur Iui.' A
l'essence de l'horizon. il appartient de ne as se laisser thématiser.
L'objet de la représentation de la conscience universelle e'
st indepen-
dant de toute « représentation » particulière et, comme tel il n'est
jamais l' « objet » de celle-ci 1 .
La mise en lumiere de l ' ambiguïté des concepts de « représen-
tation » et d « objet » permet de lever l'e'quivoque qui pese sur les
formules par lesquelles on s'efforce de définir le savoir de la conscience
naturelle. Ce qui caractérise un tel savoir, c'est selon Heidegger, la
contradiction qu'il porte en lui. Cette contradictionsavoir du ' naturel
tient à ce que « dans sa rep résentation de
prend pas l'étant il ne
garde à l'être et doit pourtant rendre
Yp (z) garde parce
» C'est arcequ 'il
ne prend pas gardea l'être que le savoir naturel est seulement selon
la
.. parole
^ de Hegel
„, « , le concept
designantdu savoir » concept '
ici la simple « representation de quelque chose en general», par oppo -
sition au concept absolu dans lequel le savoir se saisit lui-même dans
son. essence même,
dansdans leque l l' absolu est present à lui-même

(r) Parce que l'horizon de l'être n'est jamais l' « objet » d'une « re résentation
particulière, la possibilité de la représentation de l'être dans p
le savoir. philosophique
demeure problématique . Ce qui est represente dans le savoir philosophique n'est
peut-être pas 1'etre lui-même, mais seulement une « representation » de 1 etre,'une
signification objective dont le sens est de renvoyer à l'essence originaire de 1'horizon
et de sa manifestation, Cette signification objective trouve évidemment son fonde-
ment dans l 'horizon lui- même . Dans la nature de celui -
ci, toutefois, ne se trouve
pas seulement le fondement du savoir philosophique , mais sans doute aussi sou
motif. Car le savoir philosophique ne surgit avec le problëme du savoir de soi de
l'essence que pour autant que celle-ci parait « obscure ». Mais peut - être 1'essence ne
paraît- elle obscure qu'au regard de la visée que la conscience dirige sur elle dans
la pensée thématique , peut-être l'obscurité de l'essence est-elle le fait de la « repre
sentation ».
(2) H, 136.
178 L' ESSENCE DE LA MANIFESTATION

son absoluité. Ce n'est pas de la même façon , à vrai dire, que le


savoir naturel « prend garde » à l'être et « n'y prend pas garde ».
Prendre garde ne signifie pas la même chose dans les deux cas.
Employé affirmativement, prendre garde désigne la représentation
qui constitue l'essence de la conscience en général. L'être auquel cette
conscience prend garde est l'horizon transcendantal dont la mani-
festation origmaire appartient à l'essence même de l'être et se trouve
comme telle radicalement independante à l'egard de toute saisie
dans un acte de conscience se dir igeant sur elle . C'est de cette saisie
dans un acte de conscience qu'il est question au contraire quand on
dit que le savoir naturel « ne prend pas garde à l'être » on constate
qu'une telle saisie ayant l'être pour objet n'est pas comprise dans le
savoir naturel en tant ' que ce que celui-ci vise n' est Précisément pas
l'être mais seulement l'étant . L'objet auquel le savoir naturel ne p rendpas
garde ne saurait être l'être lui-même dans sa nature originaire en tant qu'il
,
se manifeste à la conscience conformément à son essence même,
conformément à l'essence de cette conscience, que celle-ci soit la
conscience naturelle ou philosophique, qu'elle « y prenne garde »
ou « n'y prenne pas garde Mais la manifestation orig inaire de l'être
».
dans la conscience est le concept absolu. Il est donc faux de dire
que le savoir naturel est seulement le « conce p t du savoir », il est le
savoir lui- même en un sens absolu, la présence de l'absolu à lui-même
dans son absoluite et, comme tel, la Parousie. Que le savoir naturel
ne prenne pas garde à' l'être signifie donc non que l'être ne se manifeste
pas à la conscience naturelle dans cette manifestation originaire de soi qui est la
Parousie elle-même, mais simplement qu' il ne se manifeste pas à cette
conscience sous la forme d'un objet donné dans un acte de saisie.
C'est seulement d'un tel acte de saisie en réalité, c'est -a-dire d'un mode
,
déterminé de la vie de la conscience, qu'on peut dire qu'il n'est que le « concept
du savoir », en tant justement qu' « il ne prend pas garde à l'être ».
Le savoir vrai, au contraire , prendra garde à l'être en s'en saisissant.
Le prendre garde du savoir vrai est j ustement celui qui n'est pas le
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 179

fait de la conscience naturelle . Mais la conscience naturelle a déjà-pris


garde à l'être, en un tout autre sens il est vrai, en tant qu'elle est une
conscience et que la représentation de l'être lui appartient comme la
manifestation de soi originaire de l'être, comme la Parousie . Prendre
gardes l'être ou n'y prendre pas garde dans un acte de saisie est sans
rapport avec le prendre garde à l'être inhérent à l'essence de la
conscience, c'est-à-dire à l'être lui-même. L'o pp osition de la conscience
naturelle et du savoir vrai est inessentielle.
Faisons ici une distinction im p ortante p our la suite de nos recher-
ches, une distinction entre ce qui est ontologique et ce qui est
existentiel . Le « . prendre garde à l'être » du savoir vrai et le « ne p as
prendre garde à l'être » de la conscience naturelle sont des modes
de la vie de la conscience , des déterminations de son existence. Nous
appellerons ces déterminations des déterminations existentielles, Le
« prendre garde à l'être » inhérent à l'essence de la conscience et,
comme tel, indifférent au « prendre garde à l'être » du savoir vrai
comme au « ne pas prendre garde à l'être» de la conscience naturelle
est au contraire, comme cette manifestation de soi originaire de l'être
qui constitue la conscience elle-même dans son essence universelle,
une structure ontologique . Le rapport entre la structure ontologique
de la conscience et les déternnations existentielles que celle-ci est
susceptible de revêtir dans s a vie est facile à com p rendre, du moins
pour ce qui en est dit ici : la structure ontolo gi que de la conscience
est à la fois indifférente et immanente aux déterminations existen-
tielles de celle-ci. Indifférente , p arce que cette structure ne prescrit p as
que telle ou telle détermination existentielle de la conscience se
produise et, par exem ple, q ue la conscience, se retournant sur sa
propre essence, se dirige sur elle pour la saisir dans le savoir vrai.
Conformément à cette indifférence, la conscience p eut exister sans
que le savoir vrai se p roduise en elle. Les déterminations existentielles
sont inessentielles, ce sont, par rapport à l'essence, des prédicats
contingents et variables . Mais le caractere inessentiel de ces déter-
i 8o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

minations ne signifie pas qu'elles soient séparées de l'essence : bien au


contraire, l'essence leur est i mmanente comme ce qui les rend
possibles, comme leur essence même. C'est pourquoi le . savoir
naturel est ontologique . La distinction dans la conscience entre
ses déterminations existentielles et sa structure ontologique met a nu
l'ambiguïté d'une proposition comme celle par laquelle Heidegger
s'efforce encore de caractériser le savoir naturel et de s ouligner sa
contradiction : « la conscience naturelle est et n'est pas... ontolo-
gique » (i) . La conscience naturelle est ontologique en tant qu'est
présente en elle l'essence de la conscience dans sa structure umver-
selle. Il est impropre de dire que la conscience naturelle n'est pas
ontologique . Considere' e comme une détermination existentielle, la
conscience naturelle n' en est pas moins ontologique en tant qu'elle
est justement un mode de la vie de la conscience, un mode de l'exis-
tence dans sa structure ontolog ique universelle -- en tant que, en
général, la structure ontologique universelle de l'existence est
immanente à toute détermination existentielle comme constituant son
essence même.
Ce qui amène à dire imp ro p rement que la conscience naturelle
n'est pas ontologique , c'est que, si l'on considère le contenu visé
par elle, tel précisément qu'elle le vise, tel qu'elle le comprend, on
doit reconnaître que ce contenu n'est pas l'être, n'est p as « ontolo-
gique ». 4n peut qualifier une conscience d'après son « objet »,
c'est-à-dire d'après le contenu particulier qu'elle atteint chaque fois
dans un acte déterminé de saisie, plus p recisement, d'ap rés le sens q ue
ce contenu a pour elle dans cet acte. Ce avec quoi une conscience
a affaire, ce qu'elle retient dans le contenu qu'elle a devant elle non
pas ces traits maladroits sur un tableau mais un « triangle » plus
précisément, le sens qu'elle confere a, ce contenu -- celui d'être
une figure idéale formée par l'intersection de trois droites sur un

(=) H, 163.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE x8 z

plan = uvoilà ce qui qualifie la vie de cette conscience, ce qui la


détermine au point de vue existentiel. On appellera mathématique
une conscience dont l'objet est mathématique. On pourra dire de la
même manière que la conscience naturelle n ' est pas « ontologique », .
parce que l'être n 'est pas la signification particulière qu'elle vise.
Le droit de qualifier une conscience d'apres la signification qu'elle
vise trouve son fondement dans la corrélation qui existe entre cette
signification et la conscience , plus precisement, dans la determi-.
nation de cette signification par la conscience elle-même. Car la
détermination de la signification est identi quement celle de la visée
qui la constitue . La structure noetico-noematique de la conscience
est une structure unitaire. L'unité de cette structure assure l'unité
existentielle entre un mode déterminé de la vie de la conscience
et_ la signification qu'elle constitue et en presence de laquelle elle se
tient. Une détermination existentielle est donc une détermination de la vie
de la conscience et, solidairement une determination de sa sigf ni icalion
transcendante (i).

(i) on peut assurément, à propos d'une détermination existentielle, parler


d' « essence y>, si l'on entend par là la structure typique dont cette détermination est
un exemplaire . Ira détermination existentielle de la conscience dans une perception
donnée rattache cette conscience à l'essence ue la conscience perceptive en général.
La perception évidement n'est pas une simple classe une -rubrique commune
,
sous laquelle on rangerait toutes les perceptions . C'est une essence que doivent réali-
ser en elles toutes les consciences, une structure qu'elles doivent se donner et à
l'intérieur de laquelle elles doivent vivre, pour pouvoir être précisément des cons-
ciences perceptives. Mais l'essence qui s'identifie avec une détermination existen
tielle typique (par exemple la détermination perceptive ou la détermination ,ima-
ginaire) n'est pas l'essence qui est le fondement de toutes les déterminations exis-
tentielles en général , elle la présuppose. Ietre de la perception est son apparaitre,
l'essence de la conscience perceptive est la conscience en général . C'est de l'essence
dans sa signification absolue qu'il est question dans d'opposition précédemment
instituée entre ce qui est ontologique et ce qui est existentiel . Une deternzmation
existentielle obéit certes à une structure ontologique déterminée , c'est par exemple
une perception . Mais c'est la structure ontologique universelle de l'essence absolue
qu'on a en vue quand on oppose nette structure ontologique et, d'autre part, les
déterminations existentielles qui trouvent en elle leur fondement ultime . I,e savoir
i8z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Vivre en présence d'une signification, c'est comprendre. Toute


détermination existentielle est une compréhension existentielle. Exis-
tentielle, cette compréhension l'est, parce qu'elle se réalise dans un
mode déterminé de l'existence. On peut appeler aussi comprehen-
Sion existentielle une compréhension qui fait de l'existence elle-même
son objet et qui lui confère un sens. Toute compréhension existen-
tielle en général est aussi , en réalité, une compréhension existentielle
dans ce sens particulier , parce que, en comprenant son ob j et d'une
certaine façon, c'est de cette façon aussi que cette existence se
comprend. Sans doute cette compréhension existentielle de soi se
produit-elle rarement sous une forme thématique, l'existence n'est
pas habituellement le thème de sa visée . Mais une compréhension
existentielle implicite de soi accompagne toujours la compréhension
existentielle explicite de son objet par la conscience bien plus,.
,
elle se regle sur cette comprehension explicite . Le fondement de la
compréhension existentielle implicite de soi et de son lien avec la
compréhension existentielle explicite de l' « objet » réside dans le
fait que celle- ci est identiquement un mode déterminé de la vie de la
conscience et, comme telle , une détermination existentielle. Toute
compréhension existentielle portant sur une signification ob j ective
consiste donc dans une détermination existentielle sur celle-ci se
greffe une compréhension existentielle le plus souvent implicite de
l'existence elle-même ou, plus précisément , de cette détermination
existentielle considérée dans sa particularité . Toute compréhension
existentielle en général, maintenant, présuppose l'existence elle-
même, comme toute signification transcendante en general présuppose
l'horizon transcendantal de l'être. Ces deux présuppositions, a vrai

naturel est, si l ' on veut, une essence, c'est un savoir typique dont on retrouvera de
multiples exemplaires . le savoir naturel est toutefois l'essence elle-même comprise
dans sa structure ontologique universelle en tant précisément qu'il est un savoir,
c'est-à- dire la manifestation de soi de l'essence de la manifestation et, comme tel,
la Parousie.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
183

.dire,. ne font qu'un, elles consistent dans . -1a manifestations de- soi. de
l'être, c'est-à- dire dans la structure ontologique
universelle de l'essence
absolue. La compréhension existentielle trouve son
fondement dans la
compréhension ontologique de l'être . Celle-ci est la compréhension, non
plus d' une signification déterminée mais de d'être lui-même comme
,
fondement de toutes les significations possibles.compréhension
La '
ontologique
• deual'être est la manifestation
rneme originaire de l'être
dansal
la conscience en général . Comme telle la compréhensionontologique ' est
identiquement la structure universelle de l'essence absolue. L a comprehen-
{ sion ontologique differe de la com ` réhension existentielle en ceci. que
l' être qu'elle comprend n'est p as compris dans un acte '
de saisie de
la conscience mais : précède au contraire tout acte de • comme
saisie
ce qui le rend possible.
Dans la compréhension ontologique l'être réside lede •
savoir
absolu. Le savoir vrai ou philoso est une '
phique comprehenslon
existentielle ou, pour mieux dire , existentiale de la com '
prehen^lon
ontologique. Mais toute compréhension existentielle de la compr'
ehen-
sion ontologique n'est pas forcément vraie ni forcément philoso-
phique. Si elle ne se limite a la com réhension d'une
pas p determi-
nation existentielle considérée dans sap articularite
p nsion la com rehe
existentielle implicite de soi de l'existence est, une . comprehenslon
existentielle de la compréhension ontologique, l;'esquisse- implicite '
et le plus souvent impropre d'une com p réhension
stentiale.. ex '
A vrai dire, et précisément parce qu'une détermination existentielle
est une détermination de l'existence la com
p ension reh '
existentielle
implicite de soi de l ' existence est toL'ours implic i tement une compta-
hension existentielle de l'essence de l'existence dans sa structure onto-
logique universelle , c'est-à- dire une com rehensio
p .: '
n existentielle de la
compréhension ontolo gique Le savoir philosophiq ue ..n'est qu 'une
thématisation, conduite avec le mate'riel conceptuel exige et '
elabore
à cette fin, de cette compréhension existentielle implicite de soi• de
l'existence , c'est- à-dire de la compréhension ontologique .elle-meure.
184 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La compréhension ontologique de l'être est radicalement indépendante


à l'égard de toute compréhension existentielle. Que la compréhension
existentielle de soi de l 'existence soit vraie ou fausse, qu'elle s'ac-
complisse dans un mode d 'existence « authentique » ou « inauthen-
tique », cela ne change rien à la nature originaire de l'existence, à la
compréhension ontologique de l'être dans sa structure universelle.
L'indep̀endance radicale de la compréhension ontologique â l'egard
de toute compréhension existentielle de soi de l'existence nous
amène à établir une opposition absolue entre ce que l'existence est en soi
et lafaçon dont cette existence se représente ou se comprend elle-même. « De
même , dit Marx dans la préface de la Contribution à la critique de
l'économie politique, qu'on ne peut juger un individu sur l'idée
qu'il a de lui-même , on ne peut juger une... epoque... sur sa
conscience . » Montrant ailleurs {i} comment « la structure sociale et
l'État sortent continuellement du processus vital d'individus deter-
minés » , Marx prend soin d'ajouter : « mais de ces individus non pas
tels qu'ils peuvent apparaître dans leur propre représentation ou dans
celle d'autrui, mais tels qu'ils sont recllement ». La distinction entre
ce que l'existence est en s oi et la façon dont cette existence se
comprend est une distinction qu'il importe d'avoir sans cesse p résente
à l'esprit parce que des termes comme ceux de « représentation », de
« compréhension » et même de « conscience » sont tro p souvent
employés indifféremment pour désigner des réalités p ourtant radica-
lement différentes . C'est ainsi que par conscience Marx entend la façon
dont l'existence se représente ou se comprend elle-même, la « conscience »
d'un individu ou d'une époque caractérisant ainsi la manière dont
cet individu ou cette epoq ^
ue comprennent le monde dans lequel
ils vivent et par suite se comprennent eux -mêmes. C'est en ce sens
que Marx dit qu'on ne peut juger une epoque sur sa « conscience
de soi ». C'est dans ce sens qu'on parlera d'une « conscience bouc-

(z) MARX , CEuvres philosophiques, op. cit ., V I, 156.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE Igj

geoise » ou d'une « conscience prolétarienne>>. La. critique dlrsgee par


Marx contre le concept de conscience ne se comprendre qu'en fonction
peut de
cette signification attribuée par lui au mot conscience. Cette critique consist
a dire que la conscience ainsi entendue peut ne rien changera la
reahte et que, loin de jouer par rapport à celle-ci le rôle d'un principe ,
elle en est tout au plus un : effet. Que la conscience ainsi entendue ne
puisse rien chang er à la réalité de l'existence,,,cela
la résulte de l'oppo-
sition absolue qui existe entre l'existence en soi et la façon dont
l'existence se comprend elle-même, cela résulte, plus profondement ,
de l'indépendance radicale de l'existence dans sa nature originaire 'a
l'égard de toute compréhension existentielle soi. de cettede '
existence,..
Un changement de la « conscience » signifie donc une '
modification
de la compréhension existentielle de soi de l'existence et n'affecte en
rien la réalité de celle-ci. « Ce postulat de modifier la conscience, dit
Marx, revient à demander qu'on interprete différemment ce quii
existe, c'est-â-cure qu'on le reconnaisse au moyen d'une autre inter-
prétation (i).» Reconnaître ce qui existe et, par exemple, l'existence au
moyen d'une autre interprétation, se représenter 1'existcnce comme
quelque chose qui existe, ainsi que le fait la conscience naturelle qui se
-comprend elle-même a partir du « monde » entendu comme la somme
de l'étant, ou au contraire comme l'élément o'
ntologique pur qui
n'est en soi rien d'ontique, cela ne change rien à la re'alite originaire
e cet element ontologique pur dans son antériorité radicale par
rapport a tout acte de comprehension, implicite ou explicite, philo-
sophique ou non, dirige sur lui. C'est uniquement, est-il besoin de le
souligner ici, de cet élément ontologique p urte dans saoriginaire
reali '
antérieure a tout acte de compréhension dirige sur elle, ue s'occu ent
, ., q p
les presentes recherches. La distinction entre la réalité ori ginaire
de
l element ontologique pur et, d'autre p art, la com p réhension existen-
tielle de cet élément
p eut p araître simple. L e res p e ct d'une telle

(I) MARX, CEuvres Philosophiques, o. cit., VI, 152.

M. HENRY
7
186 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

distinction amènerait cependant , croyons -nous, â rejeter de la plupart


des ouvrages dits de philosophie une bonne partie quand ce n'est pas
la presque totalité de leur contenu.

§ 19. L'ÉTRE=POUR- SOI AU POINT DE VUE ONTOLOGIQUE


ET AU POINT DE VUE EXISTENTIEL
CONSCIENCE ET VÉRITÉ

La distinction entre la structure ontologique universelle de


l'existence et la comp rehension existentielle de cette existence par
elle-même lève l'e q uivo que qui ne cesse de p eser à l'intérieur de la
philosophie sur la problematique du pour-soi. Cette équivoque tient
p recisement à ce que, sous le terme de pour-soi, on désigne aussi .
bien l'essence de l'existence , en tant que cette essence et par suite
l'existence elle-même, comp rise dans la réalité de sa structure ontolo
gique universelle, consistent dans la manifestation de soi, qu'une.
détermination particuliere de cette existence dans laquelle celle-ci
se com p rend elle-même, et cela d'une façon thématique ou seule-
ment implicite, â l'intérieur d'un mode de compréhension « authen-
tique » ou « inauthentique ». ii est clair, pourtant, que l'analyse du
pour-soi ne peut recevoir une signification ontologique .aux yeux de
la p ensee philosophi que que si l'objet de cette analyse est constitué,
et cela d'une façon non équivoque, par l'exi stence telle qu 'elle est en
soi et non telle qu 'elle se comprend Tout ce qu'on pourra dire de ce
dernier p oint de vue, c'est- a-dire en considérant la manière dont
l'existence se comprend elle-même, demeure radicalement étranger
au p ropos de la philosophie premiere, si par philosophie premiere
on entend, comme il convient de le faire , l'ontologie elle-même. La
manière dont l'existence se com p rend .. elle-même est variable. On
p eut appeler « exp erience » cette compréhension de soi de l'existence,
parce que, en se comprenant de la sorte, l 'existence fait l'expérience
de ce q u'elle est elle-même â ses yeux. Les différentes façons pour
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 18 7

.. l'existence de se comprendre Oelle-même constituent ainsi autant


d' « expériences » de la conscience. Mais ce que la conscience atteint
chaque fois dans son expérience , la signification qu'elle donne au
contenu de celle- ci et qu'elle se donne à elle-même, est quelque
chose qui vaut seulement « pour elle », c'est l'existence telle qu'elle
se la représente, ce n'est pas l'existence telle qu'elle est en soi. Ainsi
la conscience malheureuse du judaïsme se comprend-elle comme
quelque chose d'inessentiel, comme une existence qiii laisse d'essence en
dehors d'elle, essence dont elle est radicalement privée et qui lui
é
demeure a jamais transcendante . L'essence, pourtant, est immanente
à l'existence comme constituant son essence même . Ce qui est défini '.
toutefois , dans cette immanence de l'essence à l'existence c'est
l'existence elle-même, dans sa structure e'idetique universelle non la
représentation
. variable dans laquelle cette existence se comprend. Car
l'existence peut tres bien se comprendre et se comprend effective-
ment dans le judaïsme, selon He g el, comme inessentielle . L'existence
est en soi l'essence, elle n'est pas l'essence « p our soi ». Mais l'essence est le
pour- soi. L'existence qui est l'essence est l'exi stence pour soi. Comment
l'existence qua est le pour-soi peut-elle ne pas être « p our soi »
L'existence est le pour-soi en tant qu'elle est l ' essence, en tant
que sa structure ontologique est la manifestation de soi de l'essence
de la manifestation pure, la presence a soi-même de l'absolu dans son
absoluite , la Parousie. L'existence qui est le pour-soi n'est pas
« pour- soi » en tant qu'elle ne se dirige pas sur sa propre essence ,
pour la saisir dans un acte , en tant qu'elle ne se com prend as elle-
p
même comme étant l'essence . A l'être - pour-soi qui appartient à
l'essence de l ' existence en tant que cette essence est la manifestation
de soi s'oppose ainsi radicalement l'être - pour-soi qui desi gne la
compréhension existentielle de soi de l'existence à l'intérieur d'un
acte déterminé de saisie et de representation . Cette opposition signifie
ici encore, l'indépendance radicale du pour-soi ontologique à l'egard
du pour-soi existentiel . Chue l'existence se comprenne comme n'étant
i88 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pas l'essence, n'empêche pas qu 'elle soit cette essence dont elle
n'est séparée que dans la représentation illusoire qu'elle se donne
d'elle-même . La sep aration de l'essence et de l'existence dans
la représentation est une . se p arat on irréelle. Irréelle,
f toutefois, cette
séparation ne` l'est pas parce qu'elle est fausse, mais parce qu'elle se produit
à l'intérieur de la représentation, c'est-â-dire comme une signification
ication vife'e
par la conscience dans un mode déterminé de sa vie ( i ) L'unité de l'essence
et de l'existence telle que nous pouvons la comprendre dans le savoir vrai
n'est pas moins irréelle, en tant justement qu'elle est une unité comprise
par nous, une unité qui appartient à la compréhension existentielle de
foi de l'existence, telle qu'elle s'accomplit du moins à l'intérieur du
savoir philosophique.
La conscience
., malheureuse du judaïsme ne se représente p as
l'unité de l'essence et de l'existence , cette unité n'est pas pour elle
(fur es), elle est au contraire p our nous (fur uns) qui comprenons
l'existence dans sa vérité , c'est-à-dire comme l'essence . Lorsque
la conscience naturelle se sera élevée à travers toute la série de ses
expériences, à travers l'expérience de la conscience malheureuse, au
savoir philosophique qui est le nôtre, l'unité de l'essence et de
l'existence qui constitue l'essence de cette conscience lui deviendra
présente à elle-même, ne sera plus seulement une urute pour nous. La.
conscience sera apportée devant sa vérité , Sa vérité, à savoir l'unité
en elle de l'essence et de l'existence , sera une vérité p our elle Uur
sich). Toutefois , et comme on vient de le voir, l'unité de l'essence et de
l'existence qui est pour la conscience qui parvient à la com p rehens on
de son essence (fi?r sich) comme elle est pour nous (ftr uns) qui
nous mouvons à l'intérieur du savoir philosophique, n 'est. p as moins
irréelle que la séparation de l'existence et de l'essence qui est pour
la conscience malheureuse, p our la conscience naturelle en generai

(I) I e fondement de cette affirmation sera exposé ultérieurement; cf. la pro-


blématique du réel et de l'irréel, infra, § 31, 66, 67.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 1 89

(fur es) ( I ) . Ce q ui estpour


la conscience .... p our elle.» , « . our. soi »,
p .
« pour nous », ce qu' elle se représente en se comprenant dans un mode
déterminé de sa vie est toujours , et cela quel que ce soit ce mode ,
quelque chose d'irréel. A la séparation irréelle de l'essence et de
l'existence qui est p our la conscience naturelle (fur es) s'oppose,
non pas l'unité elle-même irréelle de l'essence et de l'existence
qui est pour nous (fur uns) ou pour la conscience ui se com rend
.. q p
elle-même dans son essence (fur ,rack), mals seulement l'usité réelle de
l'existence et de l'essence . Peu importe finalement que l'existence se
comprenne ou ne se comprenne pas comme étant l'essence, elle est
l'essence, c' est-à-dire la réalité . Elle est la manifestation de sol de
l'essence de la manifestation l'être originaire de l être, lut-meure.
pour-sot
Bien qu'elle semble introduire
. problematiq ue dans la dimen - la
sion originelle
. de l'être pour-soi, la distinction instituée par Regel
entre ce qui est pour la conscience et ce qui est pour nous , lui demeure
en fait radicalement etaan g ere, elle ne concerne .paf la structure ontologique
de l'êtrepour-foi. La Phenomenologie de l'Esprit qui s'en tient à la
description de l'existence telle qu'elle est p our la conscience q ui se la
représente, que cette conscience soit la conscience naturelle ou` la
conscience philosophiq ue, n'a donc à aucun moment affaire avec la
réalité. L'examen des diverses modalités a l'intérieur des q uelles
l' existence se comprend elle-même , se poursuit dans l'abstraction

(r) D'existence est séparée de l'essence pour la conscience malheureuse du


judaisme qui se conçoit justement comme l'existence à laquelle l'essence est radica
lement transcendante on peut dire aussi, comme nous le faisons ici, que l'existence
est séparée de l'essence pour la conscience naturelle en général, parce que cette
conscience ne se représente pas l'essence. L'essence se trouve ainsi titre absente
de la compréhension que l'existence a d'elle -meme dans la conscience naturelle,
elle est donc séparée de l'existence telle que cette conscience se la représente. La
conscience naturelle comprend l'existence, en elle et dans les choses, comme quelque
chose d'ontique. Da différence entre la conscience naturelle et la conscience malheu-
reuse du judaisme est que cette dernière entre du moins en rapport avec l' essence
dans sa représentation , même si elle ne comprend pas cette essence comme étant
la sienne : c 'est déjà une conscience religieuse.
': 90 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

parce que, comme le dit lui-même Hegel, « l'abstraction est justement


ce qui n'est pas authentiquement , ce qui seulement est pour la
conscience ( i). » Il est vrai que par « ce qui seulement est pour la
conscience » Hegel entend ce qui vaut pour la conscience non
philosophique qui n'est pas encore parvenue au savoir de soi (2)
Mais, on l'a vu ce qui est pour la conscience philosophique (fti s:ch,
fur uns) n'est pas moins irréel, l'unité de l'existence et de l'essence
que se représente cette conscience en se comprenant elle-même dans
sa vérité, n'est encore qu'une unité abstraite . O n voit, plus p recisé-
ment, l'ambigu'ite foncière qu'il y a dans l'obligation faite a l'en-soi
de devenir pour-soi lorsque, comme c'est le cas constamment dans la
Phenomenologie de l'Esprit, l'en-soi desig ne la réalité de la conscience,
c'est-à-dire en fait la structure ontologique originaire de l'être p our-
soi. Le devenir-pour-soi de l ' être - en-soi de la conscience n'a, â la.
rigueur, aucune signification ontologique. L'essence est tout entiere
contenue dans l'être-en- soi de la conscience ou elle s'est d'ores et
déjà accomplie. Le devenir-pour-soi de l'être-en-soi de la conscience
concerne seulement la manière dont cette conscience se comprend
elle-même et n'a, comme tel, qu'une signification existentielle. Loin
de pouvoir contribuer a la réalisation de l'esprit, le savoir vrai lui est
en fait totalement étranger, et cela parce qu'il se situe sur un tout
autre plan que celui de la réalité. Le devenir-pour-sot de l'être-en-soi
de la conscience n'est pas la phenomenologie `de l'esprit . La phenomenoloie de
l'esprit, la manifestation de la manifestation pure réside dans l'être-en-foi
de la conscience qui est l'être-pour-foi originaire de l'être et comme tel la
manifestation de la manifestation pure la manifestation de l'esprit La
,
« manifestation de l'esprit » dans le savoir vrai , ce que Hegel appelle
improprement la phénoménologie de l'esprit, n'est pas la manifes-
tation de l'esprit qui constitue l'essence même de celui-ci, l'essence de

(z) PhE, I, 318.


(2) Dans le contexte il s'agit de la conscience vertueuse qui crèit pouvoir s'oppo-
ser au cours du monde.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE

.la....cons.çience de. l'existençe en général, elle n'est pas la réalité,


mais seulement une représentation de celle-ci à l'intérieur d'un acte
déterminé de la conscience . L'expression « manifestation de l'esprit
- »
est donc foncièrement ambiguë l'esprit est comme tel la manifes-
tation. La « manifestation de l'esprit » est donc l 'essence elle-même,
elle est l' élément ontologique originaire et pur tel qu'il est en soi. La
« manifestation de l'esprit » dans le savoir vrai n'appartient pas, au
contraire, à la structure interne de l'essence, elle n'est pas quelque
chose d'ontologique. La « manifestation de l'esprit » dans le savoir
vrai est le strict corrélat d'une représentation déterminée de la
conscience elle n'est qu'une « manifestation » parmi d'autres qui,
loin de la constituer, presuppose au contraire l'essence universelle et
pure de la manifestation en général . Le devenir-pour-soi de l'être-
en-soi de la conscience est une modalité de la compréhension existen-
tielle de soi de l'existence . Niais la manifestation comme telle n'est
pas le fait de. cette compréhension , elle est celui de l'essence. La
phénoménologie de l'esprit est une structure ontologique.
La distinction entre le pour- soi ontologique et le pour-soi
existentiel nous permet de comprendre le rapport qui unit la conscience
et la vérité . La conscience est en soi la vérité . Lorsque la conscience
se comprend dans sa vérité, elle comprend qu'elle est la venté. La
vérité qu'elle tenait . jusque-là pour l'étant lui apparaît maintenant
comme constituée en réalité par son savoir de l'étant, c'est-à-dire par
elle-même . Que la vérité ne soit pas l'étant mais son savoir de l'étant,
cela n ' est pas seulement toutefois , pour la conscience qui vise cette
,
« vérité » Tant que l'identité de la venté et du savoir est seulement
pour la conscience qui la vise, la « venté» constituée par cette identité
demeure transcendante par rapporta la conscience, et cela en un
double sens. Elle est transcendante par rapport à la conscience
philosophique (fur uns) comme la signification que cette conscience
atteint en se dépassant vers elle . Elle est transcendante par rapport
à la conscience naturelle (fur es) comme une signification que cette
192 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

conscience n'atteint pas et qui lui demeure radicalement étrangère.


Mais, dans tous les cas, la « venté » que la conscience atteint ou
n'atteint • pas, selon qu'elle est ou non parvenue au savoir vrai, est
une signification, le strict corrélat d'un acte
_ déterminé de com préhen-
sion. La vérité ainsi entendue se réfère â la maniere dont l'existence
se comprend elle-même, elle désigne ce que nette existence se repré-
sente comme étant la vérité, « sa vérité » : c'est une vérité exister-
tielle. Mais la vérité que la conscience est en soi-même et qui. est
indépendante de ce que cette conscience se re presente comme étant
la venté, est la vérité ontologique.
Nous disons à propos de cette vérité ontologique, « vérité
que la conscience est en soi-même » et non « en elle-même », car la
venté ontologique qui constitue l'essence de la conscience est J uste-
ment la vérité, la manifestation de soi de l'être, l 'être-pour-soi
lui-même et comme tel, dans sa structure ontologique originaire.
L'être-en-soi de la vérité est l'être-pour -soi. La vérité est la vérité
pour-soi. L'être-pour-soi de la vérité est pustement la con science. Que la
conscience soit l' être-pour-soi de la venté, c'est la j ustement sa
vie. La vie de la conscience est une vie dans la venté, c'est la vie de la
vérité elle-même. Parce que la vie de ' la vérité est la vie même de la
conscience, la conscience n'est â aucun moment sé p aree de la vérité.
La vérité n'est pas transcendante a la conscience elle ne lui est Jj amais
extérieure, jamais « inconnue ». La venté qui n'est pas pour la
conscience qui, du moins, peut ne pas être pour elle, est seulement
,
une vérité existentielle, c'est une vérité que la conscience se re p ré-
sente ou ne se représente pas lorsqu'elle se comprend elle-même. A
vrai dire, l'existence se com prend toujours.elle-même v de quel que
façon, elle se représente toujours une « vérité ». Simplement, en se
représentant cette « vérité », elle ne se représente pas une autre.
« vérité » C'est seulement de cette « vérité » qu'elle ne se représente
pas, d'une vérité existentielle, qu'on peut dire que la conscience est
séparée, Avec la dissociation entre la vérité ontologique qui constitue
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE ' 93

l'essence de la conscience et de- l'existence et la vérité existentielle qui


concerne la manière dont l'existence se com prend elle-même est levée
l'ambiguïté qui pèse sur une ex pression comme « la vérité de l'exis-
tence ». A « la vérité de l'existence » qui varie selon la manière dont
l'existence comprend toute chose et soi-même, s'oppose radicalement
« la vérité de l'existence » qui désigne l'essence même de celle-ci en
tant que cette essence est la manifestation originaire de l'être et,
comme telle, la vérité. .

- § ao. CRITIQUE DU CONCEPT HÉGÉLIEN DE L'EXPÉRIENCE

La dissociation entre la vérité ontologique et la vérité existentielle


met en cause la conception hégélienne de l'expérience. L'expérience
est, selon Hegel , l'expérience que la conscience fait de la vérité.
Cette vérité est d'abord pour elle l'étant auquel elle se rapporte.
C'est à l'étant en effet que la conscience mesure son savoir , elle se
demande si son savoir y correspond ou n'y correspond pas. L'étant
est la mesure de la vérité. La conscience a ainsi sa mesure hors
de soi. Mais l'étant est l'obj et de son savoir, il est seulement en réa-
lité, un étant pour elle. L'être-pour-la-conscience de l'étant est sa
vérité. La conscience a la mesure en elle. C'est de deux façon, bien
différentes, à vrai dire, que la conscience est la vérité de l'étant. La conscience
est la vérité de l'étant en tant qu'elle est la manifestation originaire
de l'être et, comme telle, la structure ontolog ique de la vérité absolue.
La manifestation originaire de l'être , toutefois, est le fait de la
conscience en général, elle est le fait de la conscience naturelle qui pose
pourtant la vérité hors de soi. Ce qu'on oppose, comme ayant sa
mesure en soi, à la conscience naturelle qui a sa mesure hors de soi,
n'est donc pas la conscience elle-même dans sa structure ontologique.
universelle, ce n'est pas la conscience qui est la vérité de l'étant, c'est
la représentation dêterm nee d'une conscience elle-même déterminée
qui se comprend justement comme la vérité de l'étant, comme a yant
194 L'ESSENCE DB LA MANIFESTATION
-

la mesure en. elle. La conscience est ici lavérité de l'étant en ce sens


qu'elle se comprend comme cette vérité. Comment une telle conscience
peut-elle naltre ? Comment et pourquoi la conscience se représente
telle ainsi ?
Sans doute la conscience. ne devient-elle porn foi, dans sa re résen.
laiton, la vérité de l'étant que parce qu'elle est en soi cette vérité,
que parce que la vérité qu'elle est en soi est l'être-pour-soi. Loin de
résulter de la représentation de la vérité dans la conscience, l'être;
pour-soi de la vérité en est au contraire la présupposition. La
conscience qui est la vérité de l'étant en ce sens qu'elle se représente
comme telle est donc le résultat, elle ne saurait étre un prmcipe de
l'expérience. C'est pourtant ce qu'en fait Hegel. Expliquant comment
l'expérience réside a ses yeux dans Ï la comparaison qu'insttue
. la.
conscience entre son objet et son savoir, il justifie ainsi son point
de vue « car, dit-il, la conscience est d'un côté conscience de l'objet,
d'un autre côté, conscience de soi-même; elle est conscience de ce qui
lui est le vrai et conscience de son savoir de cette vérité. Puisque
tous les deux sont pour elle, elle est elle-même leur comparaison
c'est pour elle que son savoir de l'objet correspond a cet objet ou n'y
correspond pas » (i) , La possibilité pour la conscience :de comparer
con savoir et l'objet et de faire de celui-ci d'abord, de celui-la ensuite,
la mesure de la vérité, trouve ainsi son fondement dans l'affirmation
selon laquelle le savoir et l'objet sont tous les deux « pour elle »
et cela de la même façon, nomme ce qu'elle se represente. Le savoir
de l'étant n'est pas présenté ici comme quelque chose qui est seule.
ment un objet pour nous, c'est pour la conscience naturelle que ce
savoir est un objet, et cela precisément pour qu'elle puisse le comparer
à l'étant. Le mouvement. de la conscience dans l'expérience trouve
ainsi son principe, selon Hegel, dans ce que cette conscience se
représente, et cela non seulement au sujet de l'objet,
l l'objet, mais mais encore
encore V

(I) P JE, I, T4•


TRA NScENDANcE ET IMMANENCE 195

propos d'elle-même. Ce • mouvement.de.. la. conscience est p ourtant


considéré par Hegel comme constitutif de la réalité. Ainsi la réalité
s'explique-telle finalement par le jeu des représentations de la
conscience , par la dialectique des significations à la lumière desquelles
la conscience pense l'objet et se pense elle-même . Notre histoire est le
produit de ce que nous pensons.
A cette histoire de l'expérience de la conscience, toutefois,
Hegel assigne un but, celui pour cette conscience de se comprendre
elle-même telle qu'elle est en soi. Cette compréhension de soi de la
conscience dans son essence, Hegel l'attribue cependant à la conscience
qui fait l'expérience, et cela comme une condition comme un
principe qui rend cette experience possible, La cornprehens on de soi
de la conscience dans son essence ne peut cependant résulter de
l'expérience . et, en même temps, la précéder comme sa propre
condition de possibil te. C'est d'une façon ambigue, à vrai dire, qu'on
déclare que la u conscience est d'un côté conscience de l'objet, d'un
autre côte, conscience de soi-même.» Ce n'est pas de la même façon,
en réalité, que la conscience est conscience de l'objet et conscience de
soi, l'objet et la conscience elle-même ne sont p as K pour elle » de la
même manière, L'objet est pour la conscience en tant qu elle se le
représente. La conscience est pour soi en tant qu'elle est en soi la
vérité et, Comme telle, l'être]pour. soi lui.même dans sa structure
ontologique originaire. La conscience de soi ne s'oppose donc pas
à la conscience de l'objet et ne peut lui être comparée, elle constitue
bien plutôt son essence mêmes Pour instituer une dialectique qui
repose sur la comparaison de la conscience de soi et de la conscience
de l'objet, il faut traiter subrepticement cette conscience de soi
comme une représentation de soi, confondre la si ni tauon ontolo e
de l'être^pou. r-soi avec sa s:gnificatjvn existentielle Hegel, cependant, a
besoin d'une telle confusion, elle seule lui permet de traiter l'être.
pour-soi à la fois comme quelque chose qui est à l'origine de l'expé-
rience, qui appartient a' la conscience en vertu de son essence même, et,
196 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

d'autre part, comme un savoir que la conscience se représente au


même titre qu'elle se représentel un objet, et cela de manière â pouvoir
instituer entre eux, comme entre deux termes situés sur un même plan,
une comparaison, quelle que soit la façon dont cette comparaison
s'établisse , . que ce soit. le savoir ou l'objet qui serve de mesure.
En la confondant avec l'être-pour-soi qui constitue la structure
ontologique originaire de la conscience Hegel n'obtient pas seule
,
ment l'avantage de placer la représentation de son savoir par la
conscience au début de l'expérience et de pouvoir en faire par suite
un ressort de celle-ci - ou plutôt cet avantage peut encore s'exprimer
autrement en disant, comme le fait Hegel, que non seulement les
deux moments, l'objet et le savoir, sont pour la conscience, mais
encore que la comparaison est elle aussi son fait « de sorte que, quand
la conscience s'examine elle-même, il ne nous reste de ce point
de vue que le pur acte de voir ce qui se passe » (i) sans intervenir
nous^mêmes . Et certes le mouvement de 'expérience de la conscience
trouve son principe dans la conscience elle-même, puisque aussi bien
un tel mouvement se produit même si nous ne sommes pas là pour
l'examiner et le comprendre. Cette immanence à la conscience du
principe du mouvement de son expérience, Hegel l'interprète
toutefois comme une présentation explicite à la conscience des
éléments qu'elle examine, comme une présentation dans la représen-
tation L'expérience est précisément pour Hegel un examen par la
conscience d'objets qu 'elle se représente . Ainsi voit-on l'être-pour-
soi déchoir de sa condition ontologique primitive pour devenir
l'un de ces objets. Dans une telle déchéance réside toutefoi s le passage de la
réalité à la représentaton de cette réal3lé, le passage de la réalité a l'irréalité
Mais dans la sphère de l'irréel quelque . chose peut ne pas être pour la
conscience, le savoir représenté n'est jamais un savoir absolu. Ici
se fait jour le paradoxe de tout intellectualisme. Après avoir dit que

(I ) PhE, I, 74.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 191

tout
..,est pour la conscience, Hegel doit- dire précisément Parce que
cet être-pour- la-conscience est seulement un être pour et dans sa
représentation - que quelque chose aussi P ourtant n'est as our
P P
elle. Qu'est-ce donc qui n'est pas pour elle mais seulement Pour
nous? .
Le mouvement de l'expérience est, selon Hegel, celui par le quel la
conscience s'aperçoit que l'obljet qu'elle prenait j' us que4â pour l'en-.
soi, la vérité, est seulement en réalité un en-soi pour elle, ; et que , Par
conséquent, c'est l'être-pour-elle de cet en-soi qui est, en fait, la vérité.
Dans un tel mouvement la conscience Passe d'un objet à un antre le
premier est l'en-soi, l'étant, le second est l'être-pour-elle de cet
étant. Le second objet est simplement lu vérité du remier objet, son essence
mais « cette considération de la chose est notre fait» (t). La conscience
qui fait l'expérience et pour qui le second objet vaut maintenant
comme la vérité ne voit en lui qu'un nouvel objet, qui remplace
purement et simplement le Premier. Elle ne comprend pas d'où lui
vient ce nouvel objet, la suppression du premier est Pour elle une
semple perte . qu'elle éprouve dans la souffrance. La naissance du
nouvel objet à Partir du premier, comme simple vérité de celui-ci, le
mouvement de son être-devenu, voila ce qui n'est P as P our elle' . ce
qui « se passe pour ainsi dire derrière son dos » (z), ce qui est seule-
ment pour nous. Mais, on l'a vu, ce qui est pour nous est aussi irréel que
ce qui est seulement pour elle. Le mouvement de naître du nouvel obljet,
s'il est réel n'est pas seulement pour nous. La réalité du mouvement
de l'expérience n'est, à vrai dire, ni Pour elle, ni pour nous. L'expé•.
rence réelle ne se produit ni devant la conscience, ni derrière elle elle se
produit dans la dimension ontologique originaire de l'être-pour-soi. La
compréhension du mouvement de l'expérience dans la représentation
du devenir du nouvel objet, voilà ce qui est seulement pour nous ce

(I) PhE, I, 7
(2) ID., 77.
1 98 L'ESSENCE DELÀ MANIFESTATION

qui peut ne pas être pour elle. Le « moment qui n'est pas présent pour
la conscience qui est elle-même enfoncée dans l'expérience » (x).
est un moment abstrait. Loin de constituer la réalité, l'être pourMnous
en . est la simple représentation. La confusion de la réalité avec la
représentation est lourde de conséquences : ce qui ne s'étale pas
devant la conscience doit, s'il est réel, se trouver quelque part
ailleurs, de telle manière cependant qu'il soit lui aussi une représen..
tation, un contenu étalé pour une conscience possible . De ce qui ne
se produit pas devant la conscience on cura donc qu 'il se panse
« derrière elle ». L'intellectualisme, que ce soit celui de Hegel. ou de
Freud est une doctrine de l'inconscient.
,
Ce qui se passe derrière la conscience est cependant ce vers
quoi la conscience tend, ce qu'elle aspire à se représenter . Lorsque
la conscience se représentera ce qui se passe derrière le dos de la
conscience naturelle, ce qui est seulement pour nous sera aussi pour
elle (ftr swb), la conscience sera parvenue au savoir vrai. Le mouve..
ment de la conscience vers le savoir vrai est le mouvement. de l'expé-
rience. Le mouvement de l'ecpérience trouve son origine, selon
Hegel , dans l'inégalité qui existe entre la conscience de l'objet
et la conscience de soi, dans la différence, dit Heidegger, entre le
savoir naturel et le savoir réel. Lorsque cette différence sera sup..
primée , lorsque la conscience sera égale â son objet, parce que cet
objet sera la conscience même, alors l'expérience s'arrêtera. En quo
consiste , cependant, l'inégalité entre la conscience de l'ob jet et la.
conscience de soi, la différence entre le savoir naturel et le savoir
réel, différence qui se trouve à lori du mouvement de l'expe
rience ? Le savoir naturel. c st le savoir de la conscience qui vise
l'étant, Le savoir réel est le savoir qui permet le savoir naturel
c'est la manifestation originaire de l'être qui rend possible la manifes..
tation de l'étant . Le savoir réel est immanent au savoir naturel.

(i) PhE, I, 77.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 199

comme constituant son essence même. La différence entre le savoir


naturel et le savoir réel est la différence qui existe entre une modalité
de la vie de la conscience et cette conscience elle-même dans sa
structure ontologique universelle. Une telle différence n'estpas sir
f^ sceptsble
d'être supprimée : elle subsiste dans le savoir vrai. La vérité existentielle
qui se . fait j our dans celui-ci n'est as la vérité ontologique q ui
constitue l'essence du savoir reel. La différence u peut être supprimée
à la fin de l'expérience est seulement la c ifference qui existe entre le
savoir naturel et le savoir vrai, lorsque précisément le savoir naturel
est devenu le savoir vrai. Mais cette différence abolie dans le savoir
vrai, entrequi ce est « nousq
pour » et
pource ui est
elle « ee »
n'est
précisément pas celle qui est à l 'origine de l'expérience. La différence
qui est à l'origine de l'expérience n'est pas une différence
tee en
deux
représentations, c'est une différence entre ce que la conscience
se représente et, d'autre part, ce qu'elle est en soi. Comment` cette
différence entre deux termes dont l'un seulement est « pour elle » peul-.elle
entrer néanmoins dans la vie de la conscience de manière à devenir agissante
y
et à déterminer en elle . un mouvement ? Hegel ne concevait pas cette
possib' 'té autrement qu'en faisant de l'autre terme de l'être-en-soi de
la conscience, quelque chose qui est aussi, d'une certaine façon ,
« pour elle ». En confonddnt ainsi la signification ontologique

et la signification -existentielle de l'être-pour-soi, Hegel faisait du

savoir réel une representation. La confusion de la s:gn:f:cahon ontolo-
gique et de la signi fcation existentielle de l'être-pour-sot est :dent smen
celle du savoir réel et du savoir vrai. Parce que le savoir réel était confondu
avec le savoir vrai, il devenait quelque chose qu'on pouvait comparer ,.
avec le savoir naturel. Parce que la différence, immanente à la
conscience, entre le savoir réel et le savoir naturel était comprise
comme une différence entre deux représentations , elle était aussi
comprise comme une différence qui peut être surmontée, La différence
qui est surmontée à la fin du cours de l'experience devenait ainsi
celle-la même qui se trouvait à son origine. Surmontée à la fin du
zoo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

cours de l'expérience , cette différence risquait , il est vrai, de l 'être des


le début, puisque le savoir réel immanent à la conscience naturelle,
le savoir de soi du savoir de l'objet, était justement compris comme
une représentation de ce savoir, comme le savoir vrai. Sans doute
cette représentation pouvait -elle être impropre et la , conscience
naturelle comprendre par exemple son savoir de l'objet comme
quelque chose d'ontique. Ce savoir faux était du moins un savoir
vrai, un savoir portant sur la vérité, Celle-ci avait été, depuis le
début, remplacée par sa propre représentation.

2I . LA RÉAFFIRMATION DU CARACTÈRE ORIGINAIRE


DE LA MANIFESTATION DE L'ÊTRE
DANS LA MISE EN LUMIÈRE DE SON' CARACTÈRE NON HISTORIQUE

La confusion du savoir vrai et du savoir réel amene la proble-


matique à situer celui-ci à la fin du cours de l'expérience . Le savoir
réel est l'absolu, « L'absolu, dit Hegel, est essentiellement Résultat (x).»
Ce qui résulte de l'histoire de l'ex perience de la conscience, en fait,
ce n'est pas l'absolu mais seulement sa représentation dans le savoir
,
vrai. Sans doute cette re presentation diffère-t-elle de celle dans
laquelle la conscience naturelle se représente son propre savoir
pour le comparer à l'objet . Cette différence entre le savoir naturel
et le savoir vrai n'exclut pas leur homogénéité. C'est cette homo-
généité qui p ermet à - Hegel de partir de l'un p our arriver à l'autre,
de partir du savoir phénoménal pour s'élever à « l'absolu ». En
s'élevant à l' « absolu » à partir du savoir phénoménal , Hegel croit
pouvoir s'opposer à Schelling qui ne peut expliquer comment la
conscience parvient au savoir absolu, ou, inversement, comment elle.
s'en sépare. Le problème de :savoir comment la conscience parvient au savoir
absolu ne peut cependant être résolu au terme de l'histoire de la conscience,

(I) PhE, I, 19.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE toi

il doit l 'être à son début. a conscience, ; vrai dire, ne parvient pas plus
au savoir absolu qu'elle ne s'en sépare . L'absolu est l'être lui-même,
le savoir absolu est la manifestation de soi de l'être . En tant qu'elle
est la manifestation de soi de l'être, la conscience est elle-même le
savoir absolu. Le problème du savoir absolu est le problème de la structure
interne de la conscience en général.
Que la conscience doive être parvenue au savoir absolu, et cela
des le début de son histoire , ne signifie ` certes pas que le savoir
absolu soit équivalent au savoir naturel . Le savoir absolu n'est p as le
savoir naturel par lequel commence l'histoire de la conscience,
il est son essence. Dans ce qui est au début il convient donc de
distinguer une modalité de la vie de la conscience' modalité dans
laquelle cette conscience commence l'histoire de sa vie, et, d'autre
part, ce qui rend possible un tel commencement , a savoir le commen-
cement lui-même. Le savoir absolu est ce commencement absolu il
est l'origine , et cela en un sens ontologique et non pas seulement
existentiel, l'origine qui est le surgissement de la dimension effective de la
pbénomenal:té où q uel que chose en general, et le savoir naturel d'abord
peuvent se produire, c'est-â-dire se manifestera Comme il est celle
du savoir naturel , le savoir absolu est aussi l'essence du savoir vraie.
A la différence du savoir naturel celui-ci se re p résente l'acte même p ar
lequel il surgit et se rend ainsi p resente â lui-même - sa p rop re origine.
Mais cette manifestation de l'ori gine dans la représentation du savoir
vrai - n'est pas l'origine elle-même, elle la presuppOse en tant que,
comme tout autre savoir , le savoir vrai se manifeste d'abord, sur le
fond en lui de l'essence de la manifestation . Précisément parce qu'il
est l'essence commune du savoir naturel et du savoir vrai le savoir
absolu est etranger à leur histoire, le passage . du savoir naturel au
savoir vrai ne le concerne pas. Le rapport du savoir absolu au savoir
naturel et au savoir vrai est celui , précédemment étudié, qui existe
entre l'essence de la conscience et ses l déterminations existentielles.
La dissociation entre la vérité ontologique, qui constitue l'essence
zoz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la conscience, et la vérité existentielle, qui apparaît à celle-ci


travers les actes déterminés de représentation par lesquels elle se
comprend elle-même, nous permet de fixer le départ entre ce qui est
historique et ce qui ne l'est pas. Ce qui est historique, c'est la vérité
que l'existence se représente à son propre sujet, c'est la représentation
della vérité (i). C'est de cette représentation de la vérité seulement
qu'on peut dire qu'elle a une histoire et qu'elle devient, au terme
de cette-ci seulement, K égale » a son objet, c'est•a dlire à la vérité, au
concept, Mais la vérité est présente avant l'accomplissement de cette
histoire, avant que la conscience ne se la représente. Le concept est
là avant son devenir dans le temps, l'essence de la manifestation est
effective avant le travail par lequel la conscience parvient à se donnez
de cette essence, c'est-a c1ire d'elle-même, une représentation qui
lui soit conforme. C'est avec ces restrictions, à vrai dire essentielles,
qu'il convient d'entendre ce texte de }legel : « mais en ce qui concerne
l'être-là de ce concept dans le temps et dams l'effectivité.,. comme
l'esprit qui sait ce qu'il est, il n'existe pas autrement et il n'existe
qu'après l'accomplissement du travail par lequel.., il se crée pour $a
conscience la figure de son essence et de cette façon égalise sa
conscience de soi avec sa conscience » (z). Ce qui advient dans le
travail accompli par la conscience au cours de son histoire, c'est
seulement la « figure de son essence », ce n'est pas cette essence
elle-même. L'essence de lu çonsçâence est ce nda,# l'éfre4à e ffemf du
concept. Au concept il appartient d'être effectivement là autrement
que par le travail de la conscience, ailleurs que dans l'histoire.
C'est d'une façon impropre, d'autre part, qu'on parle d'une
égaltte entre la K conscience » et son essence. Avec l'essence qui
constitue la structure ontologique de l'être-pour-soi et de la vérité
absolue, la « conscience » qui désigne la representation de cette

(i) Encore ne prétend-on nullement ici faire de cette représentation le ressort


de l'histoire, l'essence de ce qui est historique.
(z) PhE, II, 3o3-3o4.
TRANSCENDA NCE ET IMMANENCE
. zoo

essence ne peut se recouvrir , fût-ce dan


s le savoir Philosophique,
Comme on l'a vu la différence ^,
entre la realjte et,^a epré,rentatjon
r
peut être .^pprimée. La
conscience de soi ^ dont regel . dix contre
Fichte qu ' elle ne surgit qu'a
près un processus P rlitninaire, n'a do
a a rigueur aucune s i gnifi cation onto nç
logiquE ^ elle
. ne saurait. désigner
la structure de l 'essence ni lui. appartenir. L'
,^ ..absolu, si ,on. veut bien
entendre par la l etrep - our•soi originaire de l'essence qui fait d'elle la.
réalité, ne se produ i
t pas dans l'histoire. C'est donc encore,
rep on résentat
de l ' essence qu'on eut , ,la simple
p arefuser
« cet enthousiasme
qui, comme un coup de pistolet, commence imméd atement
i -avec le.
savoir absolu et se débarrasse des .
positions différentes en déclarant
qu'il n'en veut rien savoir(x).» L'
.....absolu quepose cet entbo
.
n'est, en elle t, qu' une position enthousiasme
une autre
positi on dèslo$s s'y oppose,
celle notamment a laquelle cet enthousiasme ne
s'être changé lui - même en son contraire parviendra qu'après
, et cela dans. le chemin du
désespoir qui est celui de la co nscience .
Le savoir absolu, ourtant
est le fait de cet enthousias p '
me, et cela comme ce qui lui permet
comme acte ce premier d'être,
d'apparaître
de l'essence originaire
de la manifestation . et pure
qui a d ' ores et déjà accompli son e
lui, pour lui- permettre oeuvre
du moins de se manifester L'histoire n'est
donc pas le « mouvement par lequel a ,app
vient 1 axaltrç » (z) c ar
Celülci eSt d'o res et déjà
'`
venu pr ès
. de.les
nous, 'apparaître de 1 a ^;.
raltre s 'est d ' ores et de,a pr
oduit, et cela comme le surgissement
originel d'une . dimension ^
effective de phnoménajjt où cette
eut s 'accomplir 'histoire
p et d'abord commencer. Le savoir transcenantal
n'est pas à .
acquérir, il esta priori. Ce qui est au début n'est pas la
modeste d'un Grund obscur, c'
est le Verbe. Ira réalité de l 'absolu est.
présuppose c
omme la condition de toute réalité possible en général,
comme 1a condition :d'une histoire.
.....Mais la réalité de l'absolu est on

(r) PhE, I, 25.


(2) H, 1 40.
204 L'ESSENCE 'DE LA MANIFESTATION

absoluite, sa présence originaire à soi-même dans la Parousie. La


présence de l'absolu à lui-même, la réunion de son essence dans son
unité avec elle-meure, telle est la forte nature de l'origine elle-même.
La Parousie
: se produ:t a l'or:g:ne parce qu'elle constitue l'essence de celle-c: .
'
Parce qu ' elle constitue l ' essence de Porigine la Parousie . ne résulte
d 'aucun progres , elle en est la presupposit
.• . Dans la Parousie.
on,. réside
la réalité de l'absolu . Parce qu'il trouve sa réalité dans la Parousie,
l' absolu la trouve dans l'origine. Le destin de l'absolu ne se doue pas
dans l' histoire.
Parce que l'absolu trouve sa "réalité dans l'origine, la représen -
tation historique de la vérité lui est étrangère, elle n'entre pas dans la
urale de la réalité absolue. Parce qu'elle est étrangère
définitionstructurale
a la définition structurale de la réalite' absolue, la representation histo-
rique de la vérité ne constitue pas le : moment ou cette re te se
réalise,
' elle n'en est en aucune façon la condition . A la question •
un savoir
posée de savoir « comment un savoir en soi intempore ..l,
absolu, peut...avoir des conditions temporelles dans l'existence et le
devenir ' d'une humanité » (I), il faut répondre qu'un tel savoir,
s'il est l 'absolu, n'a en
, fait aucune condition historique. Une telle
t< condition » le presupposerait elle aussi, et cela non pas comme un
absolu. virtuel qui ne se réaliserait en quelque sorte qu'en elle, mais
coenure un absolu qu i s'est d' ores et déia reahsé, comme l ' acte effectif
et concret de la manifestation acconplie. L'essence accomplie de la
manifestation est la condition de possibilité de l'expérience, l'essence
de l'expérience et de la vérité . Parce qu'elle n'entre pas corme une
condition ' dans la définition de la structure interne de cette essence, la
représentation ne lui appartient pas. Il est donc faux de dire, comme
le fait. Heidegger â la suite de Hegel, que « la représentation appar-
tient a l'essence de l'expérience » (z), ou encore que « la représen-
' LITS Genèse et Structure de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel,
Aubier, Paris, 1940, 575•
(z) H, 176.
TRANSCENDANCE ET IMMANE
NCE ZoS

talion de l'expérience est voulue à partir de l'essence '


de l'expérience
comme lui appartenant» (I)•
Pourquoi , cependant, la représentation appartiendrait-elle `à
l'essence de l'expérience, pourquoi serait-el
le voulue a partir de
celle-ci comme lui appartenant ? L'essence est l'essence de la manifes-
taton. La représentation signifie le renversement et l
'histoire . Que la
représentation appartienne à l'essence,, cela
dire veutque le renver-
sement et l'histoire sont nécessaires pour que l'essence se réalise,
pour que la manifestation devienne effective . La ma • '
nifestation effec-
tive a cependant été montrée comme la condit i
on du renversement et
de l'histoire . Q ue le caractere en vertu
duquel l'essence est la: présup -
position soit cepen dant oublie au moment même où l'essence est
pensée comme ne se réalisant que dans le renversement et l 'histoire,
cela atteste que ce caractère n'estcaractère
as clair. Le en vertu
duquel l ' essence est
• la présupposition
, , n'est d' rien autre, toutefois,
que le caractère or:g:naare de la révélation. C'est parce
, que ce caractère
n'est pas pour nous, c' est parce que la représentation se
représente mal
l'essence originaire de la révélation qu'elle l'insère dans le processus
qui lui . appartient en propre, dans ans une histoire qui est sa propre
histoire, La raison p oux laquelle, confondant leur '
pouvoir avec
celui de l'origine, le renversement et l'histoire se substituent à
celle-ci pour. s'identifier avec l'essence qui assure la promotion de la
prénoménal té effective réside ainsi...Incapacité
dans l'' ' de la pensée à
saisir en lui -même son p ro p re fondement, La tache de saisir un tel
fondement est pourtant celle de l'ontologie . A cette
tache qui' est la
sienne l'ontologie s'égale seulement dans le respect de l 'origine . Si,
comme le dit lui-même Hegel, une pensée pure est «
celle qui se
tourne vers le commencement des choses » (a), l'ontologie ne sera.
cette pensée pure , elle ne préservera sa pureté que dans la claire

(I) H, 175•
(2) L, 163.
X06 L'ESSENCE ' DE LA MANIFESTATION

conscience de ce qui était avant elle. Ce qui était avant elle était
déjà l'es prit, car, comme le dit encore Hegel, « ce que l'esprit est,
il le fut touj ours en soi » (i). Mais l'en-soi de l'es prit est l'être-
pour-soi originaire de l'essence de la manifestation, et cet être-pour
soi de l'essence n'est pas le fait de la re p résentation mais sa condition.
En rej etant la représentation hors de l'essence, la distinction de la
vérité ontologi que et de la vérité existentielle nous interdit de
considérer cette essence comme inachevée tant que la représentation
ne la comprend pas . Elle écarte l'affirmation selon laquelle la conscience
est « quelque chose qu'elle n 'est pas encore » (z). Ce que la conscience
n'est pas encore, n'est pas la conscience n'appartient pa: à la sphère de la
,
réalité. Ce que la conscience n'est p as encore est seulement la science,
l'élément idéal qui a besoin de la réalité mais qui ne la produit pas,
L'identification de ce que la conscience n'est pas avec ce qu'elle est,
est la tentation de la science, l'illusion qu'elle a, en se comprenant
elle-même, de comprendre la réalité,
Le savoir philosophique manque son but lorsqu 'il s'interroge
sur lui-même, au bien il faut qu'il pousse cette interrogation assez
loin pour qu'elle soit identiquement une interrogation sur l'essence
de tout savoir comme tel. Ce n'est pas le savoir philosophique qui
importe, La philosophie vient toujours trop tard car ce qu'elle dit
était au commencement,

. aa. L'INTERPRfrTATION DE L'ESSENCE DE LA PHÉNOMÉNALITÉ


A L'INTRIBUR DES PRÉSUPPOSITIONS FONDAMENTALES DU MONISME
ET LE PROBLRME DB LA RÉCLPT!VIT1
SIGNIFICATION ONTOLOGIQUE DE ' CE PROBLEME

Les analyses qui p ré cèdent ( ^ 1 7 à 21 ) oit mis en lumière le


caractère Originai re de la manifestation. Un tel caractère signifie que

(I) L, 77.
(2) H, 167.
TRANScENDANGE ET IMMANENCE 207

l'essence de la manifestation se manifeste en elle-même et . par elle


même, et cela d'une manière originaire, comme ce qui doit d'ores
et déjà s'être manifesté pour que quelque chose d'autre, à savoir
l'étant, puisse, alors et seulement, dans le milieu ainsi ouvert de la
phénoménalité effective, se manifester à son tour. L'essence de la
manifestation, cependant, a été interprétée à l'intérieur des présuppo-
sitions ontologiques fondamentales du monisme. Le caractere origi-
naire de l'essence de la manifestation ainsi entendue signifie la
manifestation en et pour soi de l'horizon pur danse lequel l'essence
s'objective pour réaliser son oeuvre. L'essence r' 'se son oeuvre par
elle^même, en cela réside sa Selbstandigkeit^ Mais le problème,
comme il a été montré, est celui de la possibilité de la Selbstandigkeit.
Il !'agit de savoir comment est pos:b1e la rnai f estation de l'bori on pur de
l'être.
L'horizon est ce que, comme transcendance, l'essence s'oppose
à elle-même . A l'essence, toutefois, il ne suffit pas, pour être reeile,
de s'opposer ainsi l'horizon dans lequel elle s'obljective. Ou plutôt,
cette opposition n'en est véritablement une, n'est une opposition
qui persiste et qui est ainsi possible dans et par cette persistance que
si ce qu'elle s'oppose est maintenu près d'elle, et cela dans l'acte
même de l'o oslton. Comment cependant, ce que l'essence s'oppose
peut^il être maintenu près d'elle, sinon â la condition d'être reçu
par elle ? L'opposition et la réception de ce qui, dans l'apposition, .
se trouve opposés l'essence constituent ensemble la possibilité de
l'objectivation. La possibilité ontologique réside dans le pouvoir
phénoménologique du fondement, Dans l'unité indissoluble de
l'opposition et de la réception de l'horizon apparaît le caractère
fondamental de la réception qui assure en fait la possibilité de cette
unité. Être reçu, cela veut dire, se donner à, app2rattre se manifestera
La réceptivité de l'bori on est :dent: etnent sa man: estation. Si, comme il â
été montré, le devenir phénoménal de l'essence pure de la ph&
ménalité réside dans la manifestation de l'horizon, la question de la
208 L'ESSENCE DE. LA MANIFESTATION

possibilité interne de ce devenir • qui. confère à l'essence sa ré alité se


concentre dans le problème de la réceptivité. La reponse . à ce pro-
blème rend seule compréhensible dans sa structure interne la Selb-
sIdndagkeit de l'essence. .
Le problème de la réceptivité a une significat ion ontologique
pure. Le caractère ontologique de celle-ci résulte de l'appartenance
à l'essence de ce qu'il s'agit de recevoir , Ce qu'il s'agit de recevoir,
en effet, ce n'est pas l'étant mais le • ' eu phénoménologique pur
dans lequel l'étant peut se manifester, c'est^à-dire être reçu à son
tour, ^Un tel milieu pur dans lequel l'étant est susceptible de se
montrer ne peut, à vrai dire, être appelé par nous un •mil eu « phénomé-
nologique » que pour autant précisément qu'il est re çu . Mais la
réceptivité n'est pas seulement ontologique parce que le contenu
qu'elle reçoit est tin contenu ontologique dur. En tant qu'elle le reçoit
précisément, c'est- à-dire dans sa nature même, la réceptivité est
ontologique comme constituant ce qu'il y . a de plus essentiel dans
l'essence elle-même. Ce qu'il y a de plus essentiel dans l'essence est
ce qui assure la possib ilité de sa cohérence interne. Ce qui . assure la
possibilité de la cohérence interne de l'essence qui s'objective sous la'
forme de -l'horizon ontologique pur qu'elle s 'oppose, est l'acte qui
maintient près d' elle ce qui se trouve ainsi posé devant elle est
l'acte par lequel elle le reçoit. En tant qu ' elle fonde la réception
par soi de l'essence et, solidairement la manifestation de l'horizon,
,
la réceptivité est ce qu'il y a de plus essentiel dans l'essence pure de la
manifestation, la réceptivité est ontologique. .
Le caractère ontologique de la réceptivité a pu être masqué dans
la mesure où celle-ci est d' abord pensée à la lumière du problème
de la réception de l'étant et se trouve liée, pour cette raison, au
concept de la finitude, tel du moins qu 'il se. présente en premier lieu.
Comme la réception de l'étant se fonde sur l'essence , elle présuppose,
antérieurement à elle, antérieurement à l'acte réceptif lm-même par
conséquent, une connaissance d'un autre ordre une connaissance
,
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 20 9

ontologique. qui, par opposition à cette connai s


sance réceptrice, est
d' abord interprétée comme une connaissance, non plus réceptrice,
mais au contraire créatrice . « Si la connaissance
finie de l'étant est
possible, dit Heidegger,
elle devra se fonder sur un connaître de l'être
de l'étant préalable à tout acte récept f. -
La connaissance finie. de l 'étant
réclame
. , donc,• pour être
p ossible, un connaître non receptf, ... une sorte
d'intuition « creatrice » (fi » En quoi consiste,
cependant, la connais-
sauce ontologique quipossible rend laréception de l'étant Si
une
,.telle
, , connaissance
s l'étant, , ne concernant
ne plupeut être
receptrice a 1 égard de celui c:, ne l'
- est-ellepas,
et cela essentiellement, .
a l egard de l 'être lui-même ,
dans la mesure ou elle se trouve Jeter-
minée comme le •p rocessus par le quel ljessence '
s ' objective sous la
forme d'un horizon qui ne se manifeste à elle qu'en tant précisément
qu'elle le reçoit ? Montrer que le pr
obleme de la réception de l'étant
renvoie à un probleme d'ordre ontologique n ' est as recoudre
lep roblèrne • ' '
de la receptivite mais seulement oser celui-
poser celui-ci sur le
plan qui est originellement le sien, et cela d'une façon d'autant plus
urgente que dans l'essence de la récep tivité ontolo gique résident le
fondement et, finalement , l'essence de la réceptivité
ontique elle-
même.-. Q ue la réceptivité ait un •
caractere essentiellement ontologique
ne signifie p as, en effe t, qu' elle soit étrangère

puisque, bien au contraire, . à la réception de l'étant
c'est seulement comme objet que l'étant
est susceptible d'être re ç i L'obj ectivati on doit être possible
• :pour
que la réception de l'étant s'accom p esse. laMais '
possibilité de
l' objectivation réside dans l'essence ont '
ologique de la receptivite.
Loin de le supprimer ,
la référence de la connaissance . ontique a la
connaissance ontologique fait surgir dans toute s on acuité le problème
de la réceptivité.
La com• réhension
p •. ereduontologique
caraet' de la réce tivité
levé g el'ambiguïté
qui pèse sur l 'opposition instituée ar p
p la ensée p
.(I) K, 98, souligné par nous.
Zlo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION.

philosophique traditionnelle entre une connaissance « créatrice »,


d'une part et d'autre part, une connaissance « réceptrice ». Une telle
opposition ne vaut, en fait, que relativement à l'étant . La connaissance
sera dite créatrice ou réceptrice, dans sa relation à l'étant, selon que
celui-ci jaillit de l'acte même par lequel elle l'intuitionne ou que, au
contraire elle est astreinte s le trouver comme un étant qu'elle ne
crée pas mais qui existe independamment . d'elle. Mais la connaissance
ontologique qui forme l'hori <on de l'être en même temps qu'elle le reçoit est
créatrice et réceptrice à la ois, et cela dans l 'unité indissoluble de son essence
même. Ainsi apparaît le caractère inessentiel de la distinction kantienne
de l'Entstand et du Gegenstand. A vrai dire, cette distinction n'est pas
seulement inessentielle, elle se révèle foncièrement obscure . En oppo-
sant l'intuition créatrice dont nous avons du moins l'idée et , d'autre
part, une intuition astreinte à recevoir un étant étranger, Kant
prétend tenir le fondement de l'opposition métaphysique entre une
connaissance finie et une connaissance infinie . Mais le vrai problème
n'est pas de savoir si l'étant procède ou non du pouvoir , de connais-
sance lui-même, il est de comprendre comment cet étant, que la
connaissance crée ou qu'elle ne crée pas, peut cependant se manifester
à elle: Quand bien même l'étant serait posé dans l'existence par l'acte .
même du pouvoir qui le connaît , il faut, si justement ce pouvoir est
celui d'une connaissance, que l'étant se manifeste à lui. Et comment
pourrait-il le faire, sinon par la médiation de l'essence originaire et
pure de la manifestation ? Mais la finitude est, comme il a été montré,
une catégorie ontologique, elle trouve son fondement dans l'essence en tant que
ce qui surgit dans l'ouvre de celle - ci est l'horizon fini de l'être. Que l'étant
soit créé ne change rien à la finitude de sa manifestation, à la finitude
essentielle qui le concerne dans son être même . C'est sans doute en
tant qu'objet que l'étant est fini. Mais l'étant n'est pas un ob-jet parce
qu'il existe préalablement à une connaissance qui ne le crée pas.
L'intuition n'est pas finie parce qu'elle reçoit un étant qui n'émane
pas d'elle. Elle est finie en elle-même, en tant qu'intuition. C'est
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 2h I

pouvoir ontologique astreint à recevoir le lieu fini^q u'ilorme


f
lui-même ) de l'être qui est fini et cela abstraction faite de toute
considération concernant la nature de l ' étant qui surgit dans. ce
lieu, que cet étantproduit
soit ou non par le pouvoir ontologique
de la manifestati on.
Que l'étant soit fini en tant qu'ob j et veut dire . il est fini en tant
qu'il est intuitionné. Car l'intuition trouve son
. fondement . dans.:. le
processus par lequel
. , , phenome- l'essence s'objecte le champ pur de la
nalite sous la forme d'un horizon fini, Il est clair alors que le concept
antathetique d 'une intuition originaire infinie
surgit dans la probkmat: que
sans aucun conte exte. Qu' une telle intuition soit dite originaire et infinie
pa rce qu ' elle est créatrice de l'étant, ne change rien à la nature
finie de l'intuition en elle. Ou alors, avec cette idée d'une intuition infinie,
c'est un autre mode de manifestation qui est c'est une autre maniere
pensé,
d'apparaître et de se donner qui veut aire valoir son concep t devant la
f réflexion
philosophique. Mais de quel droit cet autre mode de révélation est-il
encore appelé une intuition ? A quel titre la p philoso phie eut-elle
p
l'accueillir en l absence de toute problématique véritable et explicite
dirigée sur lui ? Un tel mode de révélation quiconstitue un élément
ontologique formel pur ne saurait, en tout cas être de
fini par sa
relation a un contenu ontique, par le fait que celui- ci est c erse émaner
de lui. C'est de- la structure ontologique interne de l
'essence de la
manifestation considérée en elle-même et comprise dans sa pureté
qu'il s'`agit. Aussi longtemps que cette essence
est in.e
terpretee comme
celle de la transcendance la henomenalite effective
p , pure, qu 'elle
,
promeut, doit, en tant que telle, être finie. L'étant qui se manifeste
par la médiation de cette essence est fini lui aussi etqu'il cela '
soit
créé ou non par le pouvoir desainte, la tonnai '
test-a-dire . par cette
essence même. C'est dans tous les cas un qui étant '
se manifeste a
l'intérieur de l'horizon fini de l'ê tre . L « Entstand » est lui aussi un
objet, aussi longtemps du moins qu 'il est intu'itaonne.
Seule une confusion
permet de l'opposer, de cep ointa de vue
l'étantontologique,que '
212 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'intuition ne crée pas mais trouve simplement devant elle. Cette


confusion , Heidegger la commet lorsqu'il écrit : « à la connaissance
finie seule peut être donnée une réalité du type objet (Gegenstand).
Elle seule doit s'exposer à l'étant qui est dejà » (i) . Le caractere
en vertu duquel l'étant est antérieur à l'exercice d'un pouvoir de la
connaissance qui ne le crée pas est un caractere ontique. Le caractère.
en vertu duquel l'étant est l'ob-;et est un caractère ontologique qui
détermine à priori la structure de l'être de tout étant possible en tant
qu'étant intuitionne La confusion de ces deux caractères amène à
donner un sens ultime à l'opposition d'une intuition « créatrice » et
d'une intuition « réceptrice ». Mais cette opposition perd toute
signification ontologique, et peut-être toute espèce de signification
possible en général, pour la pensée qui pense l'objet. A une telle
pensée il est donné de comprendre que l'ob-jet n'est pas devant
(ob, gegen) parce que l'étant qu'il représente est trouvé et non créé
par le pouvoir de la connaissance, mais parce qu'il se manifeste (dans
une intuition - et que c'est pour cela aussi qu'il est fini.
En interdisant de lier la signification réceptrice de "la connaissance
à un caractère de l'étant, la criti que de la distinction instituée p ar
Kant entre l'Entstand et le Gegensiand rend plus évident le caractère
ontologique de la réceptivité . La réceptivité concerne sans doute
l'étant dans la mesure . où elle rend
.possible sa reception. Ce n'est
pas l'étant, toutefois, qui est reçu, mais son être. Plus exactement,
l'être de l'étant réside dans sa réce t vit' La réceptivité n'est pas une
catégorie de l'étant, elle est ontologique en tant qu'elle constitue l'essence
même de l'être.
La compréhension du caractère ontologique du probleme de la
réceptivité rend plus urgente sa solution . Car si la reception de l'étant
se fonde sur la réceptivité de l'être, il ne suffit pas de constater celle-ci.
Cette question, dès lors, surgit. inévitablement devant nous qu'est-ce

(I)K,92.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 21 3

donc qui rend ontologiquement possible . la réceptivité de l'être


c'est-à-dire la manifestation de l'horizon pur que s'objecte l'essence
originaire de l'objectivation ?

§ 23. LA POSSIBILITÉ INTERNE DE LA RÉCEPTIVITÉ DE L'ÊTRE


ET LA PROBLÉMATIQUE DU SCHÉMATISME

La réponse â la questionpossibilite de la de la ecept ivlte de


l'être s'oriente d'abord vers la délimitation precise de la nature de la
réalité qu'il s'agit de recevoir. Cette realite' est l'horizon pur de l'être.
En tant que pur, c'est-à-dire en tant qu'il n'est rien d'ontique, cet
horizon est aussi bien celui du néant. Mais le néant de l'horizon que
s'objecte l'essence n'est pas rien, C'est seulement lorsqu'elle prend
indûment l'étant pour le critère de la réalité que la pensée philoso
phique en vient a l,idee que l'horizon pur n'est « rien » et que le
pouvoir qui rend possible l'intuition est une forme vide et par elle-
.n
même privée de contenu. De ce contenu on ne peut dire, de la même
manière, qu'il n'est pas « connu» que si on réserve le nom de connais-
sance â la saisie de l'étant, Mais la saisie thématique de l'étant pré-
suppose
. la manifestation
w de l'horizon de d'être. Précisément parce
qu'il n'est rien d' onti que, d'horizon de l'être ne saurait être sais'i
d'une maniere thématique comme un étant. Bien plus, c'est à la
condition de n'être pas l'objet d'une saisie thématique que' l'horizon.
laisse libre la place pour une saisie de ce genre « L'horizon dit
Heidegger, sera non thématique, mais restera en même temps dans le
champ du regard A cette condition seule il peut proposer et rendre
thématique en tant que tel l'étant rencontré en lui ( i) . » La critique du
thématigme, toutefois, ne constitue qu'une détermination purement négative
de la nature de la réalité qui s'objecte dans l'ob emvation pure de l'essence.
Une telle détermination ne caractérise en aucune façon la réalité
positive du néant. Que l'horizon ne soit pas quelque chose d'ontique,

(I) K, 8o.
21 4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

que sa • manifestation ne s'accomplisse pas dans une saisie thématique


comme celle de l'étant, cela ne définit ni la réalité de l'horizon, ni son
mode propre de manifestation. Mais la réalité de l'horizon est iden-
tiquement son mode de manifestation. Si l'horizon de l'être est
compris comme le néant, alors le probleme est celui d'une phenomé-
nologie du néant.
La détermination de la réalité qui s'objecte dans l'oeuvre pure
de l'essence ne peut éclaircir ce qui rend ontologiquement possible la
receptivité de l'être, puisque , bien au contraire, elle renvoie â celle-ci
comme à ce qui permet seul à une telle détermination de s'accomplir.
En tant que la réalité de l'horizon réside ultimement dans le pouvoir
qui assure sa manifestation, c'est à la receptivite où celui-ci trouve son
essence que doit finalement être posée la question de cette réalité. La
de'term nation, qui demeure mdetermine' e, de la nature du contenu
que s'objecte l' essence fournit cependant une indication en ce qui
concerne le pouvoir qui accomplit cette objectivation en tant
que l'horizon qui constitue ce contenu ontologique pur est non
pas l'étant mais le néant, le pouvoir ; qui pose cet horizon est le
pouvoir de poser autre chose que l'étant, il est, comme tel, imagina-
lion . En tant que cette i magination qui forme librement l 'horizon
appartient â l'essence pure de l'objectivation comme ce qui la
constitue appartient â l'essence de la manifestation , elle est transcen-
dantale . A l'horizon pur. du néant il appartient d'être produit par
l'imagination transcendantale , Mais, si elle contient la réalité de
l'horizon, l'imagination transcendantale n'est pas seulement ce qui le
forme, elle est aussi ce qui le reçoit. Il ne suffit pas , toutefois, d'affirmer
d'unité du pouvoir qui forme l'horizon avec celui qui le reçoit et de
concevoir l'imagination comme ce pouvoir unique . Car l'imagination
est sans doute « l'unité originelle et non composée de la réceptivité
et' de la spontaneite » (i). Mais, si l'imagination est spontanée en

(i) K, 210.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 215

tant qu' elle . est la libre invention... d'un ' horizon : par-delà.. l'étant,
le problème de la structure interne de l'imagination transcendantale est celui de
comprendre comment celle-ci peut être réceptrice à l'égard de ce qu'elle forme.
C'est encore une solution purement négative , et partant illusoire,
qu'il convient d'écarter en remarquant qu'on ne peut donner ,
comme fondement de la réceptivité de l'imagination à l'égard de
l'horizon, le fait que celui- ci est formé par elle-même, Cette solution
semble se proposer lorsque, par exemple, Heidegger dit , Y a propos
sans doute des intuitions pures, mais justement pour montrer que
leur essence réside dans l'imagination, qu'elles reçoivent la vue pure
de l'espace- et du temps mais que « cette réception est en elle-même un.
acte formateur qui se donne à lui-même ce qui s'offre » ( I ) Q ue . le
contenu ontologique pur que s'objecte l'essence soit formé p ar
celle-ci n' explique en aucune façon comment un tel contenu est
aussi reçu par elle . Bien au contraire, une telle formation de l'horizon
pur de l'être par le pouvoir ontologique de la connaissance n'a sans
doute un sens , un sens phénoménologique, que pour autant que ce
qu'elle forme se manifeste , c'est- à-dire est reçu par elle. Ainsi la
capacité qu'a l'imagination de produire le contenu pur qu'elle
s'objective
. sous la forme d'un horizon, la possibilite pour elle
justement de s'objecter un tel contenu, trouvent elles leur fondement
-
dans l'aptitude
.. qu'elles ont de le recevoir. L'essence de la sp ontanezie réside
dans la réceptivité. Ce n'est pas rien, assurément , de montrer que
l'intuition pure est, en tant que formatrice, imagination . Que l'intui-
tion pure soit imagination ne résout pas cependant le probleme de la
possibilité la plus ultime de l'essence de l'objectivation en tant que
toujours celle-ci reçoit ce qu'elle forme , et cela comme la condition
même de cette formation.
En fait, la solution au problème de la structure interne de l'imagination
transcendantale en tant que celle-ci est essentiellement réceptrice, consiste à dire

(t) K, 199, souligné par nous.


2X6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

non plus que l'intuition est imagination , mais, bien plut5t, que l'imagination
est intuition. « L'imagination est aussi, et même surtout, une faculté
d'intuition .» (i), dit Heidegger, qui cite encore la parole de Kant
selon laquelle l'imagination est « constamment sensible » (2). Pourquoi
donc l'imagination qui vient d'être pensee comme l'essence de
l'intuition voit-elle au contraire celle-ci def nir maintenant sa propre
essence ? Un tel renversement dans l'ordre des concepts et des
essences ne se produit p oint par hasard mais précisément au moment
où se pose clairement et sans plus pouvoir être différé, le probleme
de la perceptibilité de l'horizon, c'est-à-dire en fait celui de sa réceptivité.
La problématique concernant la manifestation de l'étant a fait
apparaître comme sa condition la manifestation pure de l'être.
« Pour que l'étant puisse s'offrir comme tel, l'horizon dans lequel sa
rencontre pourra se faire devra se manifester , lui aussi, sous la forme
d'une offre sollicitante (3), » Ainsi l'horizon de l'être ne peut-il
. accomplir son oeuvre et permettre à l'étant de se manifester que s'il
est 1w-même perceptible . « Si l' horizon d'objectivation doit remplir
sa fonction, cette forme d'offre a besoin d'une certaine erce ti-
bilite (4). » En quoi consiste celle-c:, que signifie, enfin, our l'hori on « être
p ^
perceptible » ? « Nous appelons perceptible ce qui est susceptible
d'être immédiatement re çu Par l'intuition (s) » De même â propos du
« terme de l'orientation
, », n'est-â-dire - de l'horizon qui permet la
rencontre de l,etant, Heidegger parle de la « nécessité de sa peicepti
bilitimmédiate dans une intuition pure » ( 6). C'est donc l'intuition
qui rendpercep
Cible
^l'hori on en le recevant . Mais parce qu 'elle
précisément
le rend perceptible, la réception de l'hori on est identique avec sa ormation.
f

(i) K, 210.
(2) ID., 204.
(3) ID., 148.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(b) ID., 178-179.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 211

Parce- qu'elle fonde-la perceptibilité de l'hori^ on et assure


laceainsi la r réa
phénoménologique de sa formation, l'intuition se révèle être l'essence du
pouvoir qui forme l'horizon , l'essence de l'imagination .« L'imagination dit
Heidegger, appartient à la faculté d 'intuition (i). »
Qu'est- ce qui rend possible, cependant, dans sa nature la plus
intime, l'intuitionconsiste
. .. quoi elle-même ? Enle pouvoir ontolo-
gique de l'intuition, ce pouvoir où se concentre finalement l' essence
de la manifestation elle-même, si l'intuition assure la coheren ce
interne et l'unité de cette essence en tant qu'elle rend possible la
.
réception de ce que celle.,-cl s'objecte , en tant que la phénomenalité
ne parvient a 1 effectivte qu'avec et dans une telle réception ?
L' essence de l'intuition réside dans l'obljectivation . Ce qui rend
possible quelque chose comme une rencontre a été compris et défini
comme le processus par lequel l'essence se propose à elle-même en
qualite d ' objet sous la forme d'un horizon . La critique de l'intui -
tionnisme (2) a montré que l'intuition n'est possible que par l 'ouver
ture du champ transcendantal de l'être . Cependant lorsque la réflexion
.
sur les conditions de la phénoménalité effective a montré que l'horizon
de l' être ne peut remplir sa fonction et rendre l'étant accessible que
s'il se manifeste en lui-même, c'est à l ' intuition qu'est demandee la
manifestation de cet horizon pur Ainsi l 'intuition trouve - t-elle sa
condition dans un horizon qui ne devient réelrque pou
autant 'l
qu'il
est intuitionné. L'intuition trouve son fondement dans la transcen -
dance, mais , dit Heidegger, « la transcendance dans l'objectivation,
doit rendre intuit f l'hori on formé p
. ar celle-ci» La ensee qui demande
a l'intuition la réalisation de ce qu ' elle conçoit comme la condition
de cette imuition même se meut manifestement dans un cercle.
Sans doute l'intuition dont il a été montré qu'elle trouve son

(r) K, 187.
(2) Cf. supra, Introduction § 3.
(3) K, 149, souligné par nous.
M. HENRY
2 18 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

fondement dans le déploiement de l'horizon transcendantal de l'être


i
était-elle comprise comme l'intuition • de l'étant. L'intuition de
l'horizon, au contraire, est une intuition pure et non plus empirique.
Que l'intuition de l'étant trouve son fondement dans la manifestation
de l'horizon elle-même comprise comme une intuition, cela ne veut-il
pas dire simplement que l'intuition pure est la condition de l'intuition
empirique ? Il convient de comprendre, toutefois, ce que peut
signifier pour l'intuition pure « être la condition de l'intuition empi-
rique ». L'intuition pure est la condition de l'intuition empirique en
ce sens qu'elle constitue son essence même. L'intuition empirique est
pure en tant qu'elle est une intuition. Ce par quoi l'intuition empirique
est une intuition réside en effet dans le' pouvoir qu'elle a de rendre
manifeste. Qu'un tel pouvoir manifeste l'étant (et c'est alors que
nous l'appelons une intuition empirique) est en soi étranger â ce
pouvoir lui-même, n'affecte en rien sa nature. Il est donc question, en
fait, du pouvoir ontologique de l'intuition considéré en lui-même.
C'est ce pouvoir qui est justement compris, et cela qu'on prenne
en considération ou non l'étant qui se manifeste grâce à lui, comme
une objectivation.
a Et au moment où l'intuition qui est interprétée
comme trouvant son fondement dans cette objectivation, intervient
cependant pour rendre celle-ci possible, le conditionné se donne
paradoxalement pour la condition de la condition.
Sans doute convient-il également de rappeler ici le sens de la
problématique qu'institue Heidegger. Le but de cette problématique,
qui vaut comme un commentaire kantien, est de mettre en lumière
l'affinité essentielle de la pensée et de l'intuition, et, par là, de rendre
claire l'essence du schématisme. La pensée et l'intuition présentent,
selon Heidegger, une affinité parce qu'elles trouvent leur fondement
dans une essence commune, l'imagination. La thèse selon laquelle
l'intuition est. imagination appartient donc au mouvement d'une dialec-
tique qui veut montrer en quoi l'intuition est identique â la pensée.
Parallèle à cette mise en lumière de l'essence imaginative de l'intuition.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 219

sera la démonstration, qui vise le même but, à savoir la possibilité


interne du schématisme , de l'essence imaginative de la pensée -
elle
même . L'explication de l'essence imaginative de la pensée et de
l'intuition s accomplit dans les deux cas de la même maruere. Il
s'agit de montrer ,: contre l ' opposition traditionnelle de la s '
pontaneite
et de la réceptivité en vertu de laquelle on distri
prétend huer la
pensée et l'intuition comme deux essences heterogeues, que, bien
au contraire, celles -ci sont, chacune en ce qui la concerne, spontanees
.
et réceptives en même temps. Comme la s ontaneite de la pensée et la
receptivite de l ' intuition vont de soi aux yeux de la hiloso
p p hie
classique, la démonstration s'attache surtout à mettre en lumière la
réceptivité de la pensée et, corrélativement p la- es ontaneit'
de l'intui-'
tion . C ' est pour etablir d'une manière plus precise cette spontaneite
^• •.
de l'intuition qu ' on montre que l'intuition est imagination , et
cela en .
tant qu ' elle est originelle, c'est - à-dire formatrice à l'égard d'un contenu
ontologique
,. .. pur. En tant que l'espace et le temps purs sont ce que
1 intuition se donne à elle-même, l'intuition est ima g ination
Quant
a la receptivite de la pensée , elle résulte de ce que l'entendement
étant la faculté des règles, celles-ci n'exercent leur fonction que dans
l'acte par lequel elles s ' imposent a l'esprit , c'est-à-di re par ..lequel
celui-cil e s reçoit.
L'intuition qui n'est p
as seulement
p mais receégalement
tive
spontanée, la pensée qui n'est as seulement s ontanee
• p p mais aussi
receptive ne sont dans leur essence imagination que pour autant ue
,. , .. q
la spontaneite et la réceptivité définissent l'essence de celle- ci. L ima-
gination, en effet, est la transcendance elle-même l'essence qui'
forme l'horizon pur. de l'être en même temps qu'elle assure sa r
e'cepta'on.
C'est J ustement en tant qu ' elle forme l' horizon de l'être qu'elle
revoit
que l'imagination est spontaneep et rece tive en
temps., « unitémême '
originelle et non composée de la recep tivite
p et de la s opta ».
neite
CEuvrer comme le fait l'imagination , presenter on
un horizon dont
assure la présentation en le formant et en le recevant c'est repré-
220 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

senter. La représentation est le processus par lequel l ' essence s'objecte


l'horizon pur qu'elle reçoit. Faire apparaître en elles l'essence de
l'imagination, c'est identiquement définir la pensée et l'intuition
comme représentation ) « Mais la pensée et l'intuition, quoique dis-
tinctes, ne sont point separées l'une de l'autre comme deux choses
de nature absolument différente . L'une et l'autre appartiennent
au contraire comme espèces de représentation , au genre commun
,
de la représentation en géneral (i) . » La représentation rend
possible la connaissance. « La connaissance comme représentation
est intuition ou concept (z). » Parce que la pensée est repré
sentation elle doit recevoir ce qu'elle représente et l'entendement
être intuitif. Parce que l'intuition est, elle aussi,, ,
representation
elle doit pouvoir projeter librement devant elle ce qu'elle offre ,
être spontanéité.
C'est donc lorsqu'on fait apparaître en elles l'essence de l'imagi-
nation, c'est- à-dire lorsqu'on les définit comme représentation, qu'on
montre que l'intuition et la pensee sont ,` chacune en ce qui la concerne
réceptives et spontanées en même temps . La réceptivité et la s ontaneite
n'appartiennent donc pas à l'intuition et â la pen see considérées dans leur
spec ficite, elles sont le fait de l 'imagination. La spontaneite de la pensee
trouve son fondement dans celle de l 'ima nation. Loin de p ouvoir
fonder la réceptivité, l'intuition est rendue possible par elle C'est l'imagina-
tion et elle seule qui assure la formation et la réception de l'horizon
transcendantal de l'être dont le surgissement effectif rend possible
a la fois l'intuition et la pensée . L'imabgination apparaît ainsi comme
l'essence suprême dont l'immanence au sein de la pensée et de l'intui-
ti on confère â chacune de celles - ci leur pouvoir de representation en

(i) K, 205.
(z) ID., 84, souligné par nous . Kant disait déjà, non moins explicitement
« Chacune des deux (l'intuition et la pensée ) est certes représentation », Ueber die
Fortschritte dey Metaphysik seit Leibniz und Wolff, OEuvres (C ssnu R), VIII, 312,
cité par HEDEGGER, ibid.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
- 221

. même temps qu'elle fonde leur affinité et rend ainsi possible le


sche .
matisme. L'intuition , de ce point de vue, est subordonnée à
l'imagination . Mais le vraiproblème
est commemontre, il été
celui de la structure interne de l'imaginat ion, c'est-àdi
= re essentielle_
ment celui de savoir comment l'imagination retient près de soi e n le
recevant, c est-a-dire en lui permettant de se manifester
, l'horizon
qu'elle a elle-même formé. Comment l'imagination-reçoit-elle donc,
l horion
qu'elle s'objecte ? C'est, dit-on, en l'intuitonnant .
Ainsi l'intuiüon qua
trouve son fondement dans la recepiivité est-elle chargée de rendre celle-c:
possible.
Car il est clair, enfin que led' concept •
intuition est, ambivalent.
L'intuition est, d ' unepart,
l'un des deux pouvoirs spécifiques et
differencies dont la collaboration est indispensable à la production
d'une connaissance . En ce sens l'intuition est, tout comme la pensée,
soumise à la transcendance qui fait d'elle une rep resenta
fion. D'autre
part, cependant, l'intuition se donne comme constituant l'essence même de la
transcendance en tant qu'elle rend celle-ci en assurant sa cohérence
possible
interne dans la réception originelle de ce que cette transcendance s'objecte.
En quoi, cependant , l'intuition comme simple p ouvoir di ffe' renci' e' de
la connaissance,
• , l'intuitionment qui « se rapporte a immédiate
l'objet'
et est snguhere » peut-elle douer ce second rôle, fonder la transcen-
dance elle - même, alors que, comme acte de se rapporter a, elle. pre
suppose manifestement celle-ci comme ce qui rend possible. un tel
acte ? En fait, le double rôle dévolu à l'intuition ne
peut plus ..cacher
mais seulement mettre en lumière l'absence de toute solution véritable
au• problème
appel de la possibilité interne
à de l'essence
l'intu- . Faire
taon pour fonder la structure interne de la transcendance u constitue
essence commune de la pensee et de l 'intuition, ce n'est as seule.
p
ment, en ce qui ,concerne
. ., cette dernière, l'expliquer par elle-même
-- en sorte que l antuition se donne paradoxalement
comme la condition de
l'intuition c'est encore, plus g eneralement s'en tenir a un mode de
penser traditionnel qui, loin . de renouvelerpla rob '
lématique de la
222 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

vérité, trouve en fait ses présuppositions dans la philosophie grecque.


Connaître, pour celle-ci, c'est intuitionner. Sans doute, avec l'intui-
tion, la p hilosop hie grecque n'a-t-elle en vue que la saisie de l'étant.
Mais lorsque la possibilité de l'intuition de l'étant aura été érigée â
l'état de p roblème et que la manifestation de l'horizon pur de l'être
sera apparue comme ce qui fonde une telle possib ' 'te, cette manifes-
talion sera inter retee comme une connaissance qui se produit dans et par
l'intuition. Ainsi le caractère illusoire du dépassement de l'ntuition-
nisme par la philosophie transcendantale de l'être se montre-t-il
p lus clairement à nous, p uis que non seulement celle-ci n'a fait que
porter à l'absolu les conditions de l'intuition , mais encore parce
qu'elle n'a pu résoudre les problèmes ultimes concernant la possi-
b' 'té interne de ces conditions elles-mêmes que par un recours pur et
simple à l'intuition.
La question du schématisme couvre en fait deux problèmes
distincts le premier est celui de la possibilité de l'union de la pensée
et de l'intuition, et sa solution consiste dans la mise à jour de leur
essence commune. Mais le vrai problème du schématisme n'est pas
celui de fonder l'union de la pensée et de l'intuition, il se pose en
fait lorsque ce premier problème a été résolu. Il s'agit alors, en effet,
de comprendre la possibilité interne de cette essence commune de
la pensée et de l'intuition, c'est-a-dire la possibilité de la transcen-
dance elle-même. Cette possibilité réside dans la manifestation origi-
naire de l'horizon pur de l'être . Celle-ci permet seule, en effet, â la
transcendance de maintenir près de soi et de conserver ce qu'elle a
elle-même formé . Dans l'acte de conserver. ce , qu'elle . a elle.-même
formé, réside la possibilite interne de la transcendance, la p ossib `te
de son accomplissement effectif. C'est au schématisme qu'il est demande'
sans équivoque de fonder cette possibilité ultime et L'accomplissement de
la transcendance devra être foncièrement schématisme. » Et encore
« Kant touche donc nécessairement au schématisme transcendantal
dès qu'il veut mettre au j our le fondement de la p ossibilité intrin-
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 223

sèque de _ la transcendance ( i). » L'accomplissement de la transcen-


dance dans la manifestation de l'horizon rend seul effective la
vérité « originelle » et « transcendantale ». « Cette vérité, . dit encore
Heidegger, est explicitée en son essence par le schématisme trans-
cendantal (2) . » Ainsi le schématisme vaut-il finalement nomme
une solution au p roblème de la manifestation de l'être, et cela en
tant qu'il prétend fonder la transcendance elle-même dans sa possibi-
lité intrinse q ue, c'est-à-dire encore expliciter en son essence la vérité
transcendantale . Comment, cependant , le schématisme assure - t-il la
manifestation de l'horizon p ur de l'être ? La manifestation par le
schématisme de l'hori on pur de l'être consiste dans une sensibilisation de
l'hori on. L'horizon se manifeste en tant qu'il est mis en relation avec la
^ sensibilité, c'est-à-dire en tant qu'il est intuitionné. Ainsi la perceptibilité
de l'horizon mise au com p te du schématisme trouve-t-elle en fait son
fondement dans l'intuition elle-même. C'est l'intuition qui permet
au schématisme d'accom p lir son oeuvre. La « vue pure », l' « image,
schème » qu'il p rocure, est une place ouverte dans le milieu de la
transcendance . Mais cette place n'est visible, n'est véritablement une
« ima g e », qu'en raison du caractère intuitif de celle-ci. Ce caractère
de l'ima g e qui la rend visible « provient du fait due l'image-scheme
surgit... d'une p résentation possible » et cette présentation consiste
dans le fait que la place p ure qu'elle présente peut être amenée « dans
la s p hère d'une intuition possible » (3}. C'est donc la possibilité pour
ce que presente l'image, c'est-à-dire pour l'horizon transcendantal de l'être,
d'être amené dans la sphère d 'une intuition possible qui fait de cet horizon une
« image » et fonde ainsi son caractère phénoménologique . En tant que le
schématisme consiste dans la formation d'une image , il trouve sa
possibilité dans l'intuition..
C'est p arce que l'intuition est le fond du. schematisrne que

(I) K, 159.
(2) ID., 18o..
(3) ID.., 15.7..
224 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

les deux problèmes par nous distingués de l'union de la p ensée et


de l'intuition , d'une part, et, d'autre part,
. de la possibilité interne de
la transcendance , se recouvrent et sont en fait inextricablement
confondus. Plus exactement, l'affirmation de l'identité de la pensée
et de d'intuition trouve son fondement, , pasnon dans la s
ample
reconnaissance de leur essence commune mais dans la concep tion de
la structure interne de celle-ci. A Y reg arder
. de pres, en effet, il
apparaît que ce n'est pas de la pensée mais de son essence qu'on montre.
qu'elle est identiquement intuition. La p ensée s'accomplit conformément
à certaines. règles qu'elle
p ose elle-même . gCes re les sont less
concept
ou les notions. Mais l'essence de la pensec est la re resentation. C'est
dans la mesure où les conce p ts sont rep, resentes qu'ilsq
sont uelque
chose pour l'esprit, que celui-ci peut les p enser, c'est-à--dire se .
soumettre aux unités de liaison qu'ils renferment . « Le concep t

n' est rien en dehors de la représentation de l'unite re ulatrice ( i ) »
Le problème du concept se ramène donc au p robleme de la re resen
., p
tation de l urate contenue en lui. Comment s'accomplit, cependant, cette
représentation de l'unité qui permet au concept de se man ife ster, c'est-à-dire
d'être quelque chose plutôt que rien ? Le concep t se manifeste, devient
visible, en tant qu'on lui procure une image, en tant qu'il devient
lui-même image. Le devenir-image du conce p t est sa « trans position
sensible ». En quoi consiste celle-ci ? Dans le fait que le contenu pur
du concept est intuitionné . C'est l'intuition qui permet seule au contenu
du concept de se manifester « L'objet visé p ar le conce t ne devient
p
accessible que par ce C ara ctère intuitif (Z , » En
. ) p ermettant â son
contenu de se manifester, l'intuit i on permet au concept d'être
quelque chose . C'est parce que le schématisme consiste dans cette mana es-
f
tation qua s'accomplit par la médiation de l'intuition sur le mode d'une
transpos taon sensible que « toute re p resentation
e conceptuelle
est

(I) K, 156.
(2) ID., i6o.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 225

essentiellement schématisme » ( i). Ce n'est pas, à vrai . dire, en tant


qu'elle est « conceptuelle », mais en tant qu 'elle est « repré sensation »,
que la « représentation conceptuelle » est schématisme c'est-à- '
dire se
manifeste par la médiation de l'intuition. Du concept lui-même dans
sa nature détermines , comme dans sa nature générale de concept,,
nous ne savons rien, aussi longtemps du moins qu'il ne se manifeste
pas. Voilà pourquoi le concept n'a de réalité que dans sa m aiufes.
tation, pourquoi son seul usage possible réside dans une telle mani-
festation . Celle-ci est interprétée toutefois,^
conformément
pré- aux
suppositions fondamentales du monisme , comme une représentation,
Mais la représentation implique l 'intuition comme. le pouvoir
....qui
assure la perceptibilité de ce qu'elle se représente c'est-à-dire de
l'horizon pur qu'elle s 'objecte . C'est en tant qu'elle est re^résentati
on que
la pensée est intuition.
La pensée est intuition en tant qu'elle est compris
• q e
comme une representation de concepts , en tant qu'elle im lique ar
. p p
suite la perceptibilite de ce que ces conce p ts re résentent sur le ond
p f
de l 'intuition de 1 horiron pur de la re résentation en général. « Les conce
p pts
purs de l' entendement, pensés dans le pur « je p ense » ont donc
besoin d ' une mtuitivite essentiellement ure, si ce qui s 'oppose dans
p la
pure ob jedwation doit être perceptible en tant qu'oppose (z)

La problématique du schématisme se ramène ainsi à montrer
que la pensée et l'intuition sort identi q ües non ,..
01 ans leur specifictté,
mais dans leur essence , c'est-à-dire en tant quelle s se man f rient. En
tant qu'elles se manifestent , elles sont identiquement '
représentation.
Mais la représentation implique l'intuition comme ce qui assure la
perceptibilité
.. de ce qu'elle
il représente . L'intuition
est à laquelle
fait ici appel n' est sans doute pas un p ouvoir specifque o osé ar
pp p
exemple a celui• de la pensee : c 'est un- .
pouvoir absolument général et
d'ailleurs indéterminé dans son fondement celui de rendre percep-.

(I) K, 159.
(2) ID., 16o, souligné par nous;
z26 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tible l'horizon pur de l'être. La manifestation de l'horizon pur de


l'être a cependant ete' pensée comme la condition de l'intuition.
Le caractère circulaire de la problématique du schématisme est-il
mis en cause si l'on remarque que l'intuition qui assure la manifes-
tation de l'horizon n'est pas le pouvoir .( specifique de la connaissance
qui s'oppose à celui de la pensee ? Dans la mesure pourtant où l'intui
tion qui fonde la possibilité du schématisme ne demeure pas totale-
ment indéterminée et ineclaircie dans son essence, elle se donne comme
appartenant à la sensibilité, elle manifeste l'hori on en le rendant intuitif, la
perceptibilité qu'elle fonde est une transposition sensible . C'est une seule
et même i ntuition, en réalité, qui apparaît tour à tour comme la
condition et le conditionné.
Le caractère circulaire de la problématique du schématisme
doit être dépassé, il a cependant un sens, celui de ramener constam-
ment cette problématique devant le véritable problème qu'elle met
en lumière autant qu'elle le cache. Ce problème est celui de la recep-
taivité pour laquelle l'intuition qui est le dernier mot du schématisme
n'est justement qu'un • nom ou, quand elle est plus que cela, un
pouvoir mystérieux et non éclairci , purement et simplement emprunté
â une tradition philosophique dont on a suffisamment montré cepen-
dant qu'elle devait être fondée (i).
En tant qu'elle concerne la pensée et . l'intuition non dans leur
spécificité mais dans leur essence , la problématique du schématisme
se rapporte au probleme central de ces recherches qui est celui de

(I) HEIDEGGER remarque lui-même dans Sein und Zeit (p. 356) que « l'idée
de l'intuition conduit depuis le début de l'ontologie grecque jusqu 'à aujourd'hui
toute interprétation de la connaissance p. Ce primat de l'intuition est encore af irrnc,
de façon aussi solennelle qu'explicite, par I ArTT, dès le début de la Critique ( Estize
tique transcendantale) : « de quelqûe manière et par quelque moyen qu'une connais-
sauce puisse se rapporter à des objets, le mode par lequel elle se rapporte immédia-
tement aux objets et auquel tend toute pensée comme au but en vue duquel elle
est le moyen, est l'intuition . » (Critique de la Raison pitre, trad. TREMESAYGUES
et PACAUD, Presses Universitaires de France , Paris, 1950, 53).
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 227

l'essence de la manifestation . L'élucidation de la structure interne de


celle-ci, élucidation à laquelle appartient l'étude du schématisme, a
fait apparaître la réceptivité comme ce qui fonde cette structure dans
sa possibilité la plus ultime. Le problème de l'essence de la manifes-
tation se concentre maintenant dans celui de ' la réceptivité dont
l' essence peut seule donner un fondement à l' « intuition » par
laquelle on prétend résoudre la question du schématisme. Avant de
tirer au clair l' essence de la récep
tivite quiuaton
doit fournir- une sol
au problème de la structure interne de l'essence tel qu'il a été compris
. ...
comme celui de la possibilite' de son autonomie , il convient cep endant
de reaff rmer le caractère ontologique ment central du probleme de la
réceptivité. La réaffirmation du caractère central du problème de la
réceptivité sera faite à propos du temps.

§ 24, LA RÉAFFIRMATION DU CARACTÈRE CENTRAL


DU PROBLÈME DE LA RÉCEPTIVITÉ
ET L'INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE DU TEMPS COMME AUTO-AFFECTION

Ce n'est pas par hasard que la réaffirmation du caractère central


du problème de la réceptivité est faite à propos du temps. Le caractère
central de ce problème s'est fait l•lour, en effet, a l'intérieur d'une
problématique qui concerne l'essence de la manifestation et qui vise
a élucider la possibilite ultime de celle-ci. Mais le temp s est justement
compris depuis Kant comme ce qui rend possible en général une
manifestation, c'est-à-dire comme son essence. Si le temps se donne
en effet comme « la condition universelle de tous les henomenes en
general », C'est qu'il constitue l'essence même de la phenomenal te Le
recouvrement de la problématique du temps avec celle de la manifes-
tation doit cependant être compris d'une façon plus precise. Lors-
qu'elle a été enfin élevée à l'état de : probleme, l'essence de la pheno,
ménalite a été interpretee comme le processus ontologique dans lequel.
l'essence s'oppose l'horizôn.Mais un tel processus est ajustement pensé
228 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

comme le temps lui-même. Si- on peut attribuer au moi le pouvoir


qui accomplit l'obljectivation, c'est-à-dire la formation de l'horizon
pur de l' être, c'est seulement à la condition de le comprendre à son
tour comme le temps. « Le moi ; en formant originellement le temps,
c'est-à-dire comme temps ..., forme la nature de l'objectivation et son
horizon (i). » Mais le temps n'est pas seulement identique a l'essence de la
manife station comprise comme l'objectivation, il apparaît en fait comme
ce qui fonde cet acte d'objectivation dans sa possibilîte la plus ultime. « Le
temps, dit Heidegger , est. impliqué dans la possibilité intrinsèque
de 'cet acte d'objectivation (z). ». Parce que le temps n'est pas simple-
ment un autre nom pour désigner l'essence de la manifestation mais
constitue la nature la plus intime de celle-ci en assurant la « possibilité
intrinsèque » de l'acte d'objectivation, la problématique du temps ne
devrait pas constituer une simple répétition de la problématique
générale concernant l'essence de la manifestation mais offrir au
contraire une solution au problème central qui s'est fait jour au sein
de celle-ci. Comment, cependant, le temps est-il impliqué dans
l'objectivation comme ce qui fonde sa possibilité la plus ultime?
La possibilité de l'objectivation réside finalement , comme il a
été montré, dans la manifestation de l'horizon que l'essence s'objecte.
Le temps, par conséquent, ne peut être impliqué dans l'acte d 'objec-
tivation comme sa possibilité intrinsèque que pour autant qu'il
permet à ce qui se forme . dans ` un tel acte de se manifester, c'est-
à-dire pour autant que l'horizon de l'être est rendu perceptible
par lui. « Le temps, dit Heidegger, prête d'emblée à l'horizon
de la transcendance le caractère d'une offre perceptible (3}: » Et
encore « il rend perceptible à l'être fini le caractère d' « opposition »
de l'objectivité » ( Q.). La perceptibilité de l'horizon réside à son tour

(t) K, 248, souligné par nous.


(2) ID., 244.
(3) ID., r66.
(4) Ibid..
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 22 9

cependant, comme il a été montré aussi, dans la capacité qu'a l'essence


r.
de le recevoir, de recevoir ce qu'elle a elle-même formé , c'est-à-dire de
s'affecter elle-même. C'est que le tem s est com
parce p ris
ar Heidegger,
à la suite de Kant, comme auto -affection . qu'il est présenté comme « la
possibilité intrinsèque de l'acte d'objectivaiion », ou, ainsi ue le dirait Kant
q
comme la condition universelle de tous le s j,be'nomènes. Mais comment le
temps est-il auto-affection?
L'auto -affection a une double signification
, . Elle designe d'abord
l'affection par soi. En tant qu'elle designe une affection p ar soi ,
l'auto- affection du tem p s si gmf e que c'est le tem p s lui-même qui
.
s'affecte. Cela veut dire en p remier lieu q ue le temps s n'est as affecté
p
par autre chose que lui, c'est- à-dire essentiellement qu'il n'est as
p
affecté par l'étant. C 'est pourquoi on peut dire du tem s u'il est
p q
« affecté en dehors de l'expérience » ( i), en entendant par ex erience
la determination du sujet, c est -a-dire du temps lui-même, par un
element ontique . Car sans doute une telle de' termination existe,
mais cette affection onti q ue p résu pp ose comme sa condition de
possibilité une affection ontologique et pure. En quoi consiste
celle-ci, qu'est - ce donc qui affecte le tem p s si ce n'est as l'étant
p
C'est le temps lui-même, sous la forme de l'horir: on pur de l'être. Car le
temps est essentiellement horizon . Aussi lon g temp s que la p.ensee
ne s'est pas élevée à cette conce ption du tem p s comme . horizon
transcendantal de l'être, c 'est-à- dire à l'ide'e d'un tem p s pur, la nature
de celui-ci lui demeure incompréhensible . L'intuition du temp s est
alors confondue, en effet, avec celle de la chose qui est dans le temps .
..
La deiimtion de l'instant , du « maintenant », se fait à p artir de l'étant .
qui est là. Mais l'étant qui est là a d'abord été attendu il sera bientôt
passé. Une place pure qu'il devait rem p lir a été realablement ouverte
h
pour lui, comme a été ouverte la dimension elle-même pure ou il sera
conservé. Comment l'étant p ourrait-il constituer cette lace et cette
p

(I) K, 245.
23 0 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dimension alors qu'il n'est pas là ? Pas plus que le futur et le • passé,
toutefois, l'étant ne saurait définir le present. Car le present n'est
qu'un instant évanouissant qui ne serait rien du tout s'il ne consistait
en fait à voir venir et à voir passer la chose dont nous disons qu'elle est
là maintenant pour nous. Le maintenant suppose donc, comme
appartenant à sa structure même, l'acte de. pré-voir. et celui de retenir
dans le regard, c'est-à-dire l'horizon pur qui rend possible toute
présence comme telle.
Ce qui affecte le temps n'est donc pas l'étant mais l'horizon
pur de l'être. L'affection par soi, qui co-constitue l'auto-affection,
n'est pas le fait, toutefois, de cet horizon lui-même, car celui-ci
demande, préalablement à l'acte par ple temps
lequel . il eut affecter ?
à être formé. Cette formation est l'æuvre du temps lui-même. C'est juste-
ment parce que l'affection du temps par l'horizon pur de l'être est une
affection par un horizon que le temps a lui-même formé, que cette
affection du temps est une affection par soi. Ce qui affecte n'est
donc pas, finalement, l'horizon du temps pur mais plutôt le pouvoir
originaire qui déploie cet horizon. C'est le temps originaire qui
s'affecte par la médiation du temps pur. En s'affectant par la média-
tion du temps pur, le temps se sollicite sous la forme de l'horizon.
C'est parce que cet horizon est produit par le temps originaire
lui-même, parce que cette sollicitation vient de lui, que le temps
« forme l'essence de toute auto-sollicitation:» (i) En tant qu'il produit
le temps pur, c'est-à-dire en tant que faculté formatrice pure capable
de susciter l'horizon transcendantal de l'être, le temps originaire
apparaît comme le pouvoir qui est susceptible . de poser autre chose
que l'étant, il se révèle être imagination « l'imagination transcen-
dantale est le temps originel » (z). C'est en tant qu'imagination
que le temps est une intuition capable de faire surgir d'elle-même le

(I) K, 244.
(2) ID., 242.
TR.A NSCENDA NCE ET IMMANENCE z
3'

contenu pur qu'elle fournit ( x). Ce contenu est l'horizon tridimen-


sionnel du temps pur qui, parce qu'il
. émane de l'intuition
, elle-même
s'enracine en fait dans l'imagination comme dans l' « acte originelle-
ment formateur » qui est « en lui-même et à la fois acte de voir, de
pré-voir et de re-voir » (z) . Ainsi la tri ple s Ynthese ui conditionne la
q
structure fondamentale de la transcendance n'appartient -elle au temps
que dans la mesure où celui-ci est, en son essence, imagination.
Le temps, d'autre part, constitue l'essence du sens interne dont.
Heidegger dit qu'il « ne reçoit rien du dehors» (3). Comment le sens
interne qui, en tant qu'il est le temps lui-même constitue le milieu
pur de l'ob j ectivité et, comme tel, l'extériorité la plus radicale, peut-il
cependant ne rien recevoir « du dehors » ? C'est que le milieu pur de
l' extériorité que le sens interne reçoit est aussi ce que ce sens a lu i
. Recevant le milieu absolu de l'extériorité le sens-mêeforé
interne ne reçoit rien du dehors parce que ce qu'il reçoit , il le tient en
réalité de lui- même. C'est parce q u'il est une activité formatrice p ure
que le sens interne « tient tout de soi » (q) . C'estparce ue le tem s est
q p
imagination qu'il n'est affecté p4r rien d'autre que par lui-même, qu'il est
affection par soi.
L'auto-affection qui constitue l'essence
. du temps ne s'identifie
pas, toutefois , avec l'affection par soi, elle est aussi , lus fondamen.
p
talement, affection de soi. Le temps n'est pas seulement , en effet, ce
qui affecte. En tant qu 'il est ce qui affecte, le temps presuppose ce ui
q
se trouve affecté par lui. Ce qui se trouve affecté par le temps, toute -
fois, est le temps lui-même. L'affection par soi trouve son fondement dans
l'affection de soi.

(I) Dans cette mesure une telle intuition est une intuition « originelle A, c'est-à•
dire une intuition dont le « mode de présentation » est un mode « productif'
(cf. K, 99 s4•) •
(2) ID., 230.
(3) ID., 246.
(4) Ibid.
232 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Ou bien le pouvoir en vertu duquel le temps est ce qui affecte ne


serait-il pas aussi celui par lequel le temps pose lui-même ce qui se
trouve affecté par lui ? Comme ce qui se trouve affecté par le tempsp
est le temps lui-même, n'est-ce pas, par conséquent, en se posant
lm-même comme ce qu 'il va affecter que le temps qui affecte et qui
fonde l'affection par soi rend possible l'affection de soi ? Celle ci ne
résulte4-elle pas, finalement, de l'autop.osition par laquelle le temps
qui affecte se pose soi-même comme la réalité qui va être affectée
par lui ?
De telles questions demeurent spéculatives aussi longtemps que
la réponse en est demandée justementa la spéculation . Mais comment.
comprendre , au point de vue phénoménologique, le lien qui unit le temps
qui affecte et le` temps qui est affecté, que signifie , à ce point de vue,
l'affirmation selon laquelle l'affection par soi trouve son fondement
dans l'affection de soi ?
Le temps qui affecte est le pouvoir imaginatif pur qui déploie
l'horizon transcendantal de l'être, la pure succession où l'étant peut
être présent. Mais, comme on l'a suffisamment montré , l'horizon de
l'être ne peut rendre l'étant manifeste , la pure succession qui va du
futur au passé ne peut faire de cet étant un étant qui est là maintenant
que pour autant que cet horizon se manifeste d'abord en lui-même,
pour autant que cette succession pure est visible dans sa purete Un
temps pur, dit Kant, ne peut être perçu (i). Une telle affirmation ne
peut signifier toutefois et cela en dépit du contexte de la première
,
et de la deuxieme analogie , la non-perceptibilité absolue du temps
pur qui constitue l'horizon de l'être, mais seulement le fait qu'un tel
horizon ne peut être saisi d'une manière thématique comme un
étant. Que l'horizon du temps pur ne puisse être saisi à la manière
d'un étant, cela n'exclut pas mais implique, bien au contraire, qu'il
.

(r) « I,e temps ne peut être perçu ' en lui - même », Critique de la Raison pure,
oj. cit., i78.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
233

soit appréhendé en lui - même dans. son contenu _ontologique. p ur, L


a triche
d'appréhender le contenu ontologique du temp s est toutefois,p
ur celle du
temps lui-meme. Tel est le sens de l'affection de soi. En tant qu'il
q constitue
l'essence de la transcendance le temps désigne le processus par lequel.
,
l'essence s ' objective sous la forme d'un horizon . L'horizon de la Crans-
.
cen ance, toutefois, n'existe que pour autant qu'il l'affecte
Affecter la.
transcendance , « affecter purement l'acte d ' ob; ectivation en tant
qu'il'
est orientation pure vers ,.. veut dire qu ' on lui suscite quelque
.. .
opposition » (I). Susciter une opposition à l'acte
pur de la transcendance
n est pas le fast, cependant, de cet acte en tant u'il orme l'hori on du tem
q f ps
pur mais en tant qu 'il le reçoit. Le surgissement de l'opposition, sa manies..
tation phénoménologique appartiennent à la réceptivité de l'essence.
La
manifestation de l ' horizon transcendantal de l'être trouve ainsi
son
fondement, non pas dans le
. temps qui le forme dansmais
celui. qui '
le reçoit . Recevoir l'horizon de l'opposition , c'est
être affecte. par
lui. C'est le temps qui est affecté ui fonde la manifestation de '
q l hori on du
temps pur en assurant sa réception . Mais la manifestation du temps
pur est identiquement sa formation, si du moins nous voulons
donner a celle- ci une signification phenomenolog que. L'affection
par soi du temps qui signifie l'ouverture par le temps ori g main
e de
l' horizon du temps pur n'est ainsi possible que pour autant
que ..cet
horizon est reçu par le temps originaire lui-même ^ c'est-à-dire l'affecte
.
Voila pourquoi l'affection par soi du temps trouve son fondement
.
dans l ' affection de soi. En tant que l'affection par soi trouve son
fondement dans l'affection de soi, celle-ci constitue la ' i
possibilté
ultime de l'auto-affection qui définit la structure interne du temps . En
tant qu'il est l'autodoit
. temps - affection, le
être, essentiellement,
affection de soi. « Le temps, dit Heidegger, est, par nature, pure
affection de lui - même (z) . » C'est précisément parce que la possibilité

(I) K, 244.
(2) Ibid.
234. L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

d'être affecté, c'est- à-dire l'affection de soi, définit le sens interne que
celui - ci est, dans son essence , le temps lui-même. « Le sens interne
pur est l' affection pure de soi, c' est-à-dire le temps originel (x). »
Mais le temps, enfin, constitue l'essence de la transcendance. Parce
que l'essence du temps réside dans l'affection de soi, celle-ci détermine
aussi, par conséquent, l ' essence de la transcendance elle-même.
« L'affection .pure de soi, dit encore Heidegger , détermine l'essence
profonde de la transcendance (2) . » i
La comprehension de l'essence du temps comme affection de soi
nous amène à instituer une distinction radicale entre le temps pur et
le temps originaire . Le temps pur est l' horizon de la succession
originellement formée par les places pures du futur , du passé et du
présent. Un tel horizon est ce qui se forme dans la transcendance, il
est son objet pur. En tant qu'il est un objet pur, le temps est plus
ou moins comp arable à l'espace, il est le contenu ontologique d'une
intuition, Le temps pur, toutefois, n'est pas le temps réel. Le temps pur
n'a en lui-même aucune réalité parce qu 'il ne se forme ni ne se
manifeste par lui-même. En tant que tel il renvoie nécessairement
à autre chose, à l'essence originaire du temps qui forme l'horizon de
la succession en le recevant , c'est-à-dire à la transcendance elle-même,
pour autant qu'elle est capable justement de recevoir cet horizon,
pour autant que le temps originaire qui la détermine dans sa nature la plus
profonde est dans son essence affection de soi. Ainsi le temps n'est-il pas
seulement ce que s'objecte la transcendance mais, bien plutôt, ce
qui la rend possible . Ce que s' objecte la transcendance est l'horizon
du temps pur. Ce qui la rend possible en assurant la réception de ce
qu'elle developpe, à savoir le temps pur lui-même , est le temps
originaire en tant qu 'il est affection de soi. Celle-ci, toutefois, n'est
pas seulement la condition du temps pur, elle est celle de tout ce qui

(i) K 253•
(2) ID., 245.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
235

présuppose . la transcendance comme son fondement, c'est- à-dire _de.


toute représentation en général. Parce qu'elle présuppose la trans-
cendance, la représentation spatiale trouve elle aussi son fondement
dans ce qui rend possible la transcendance elle-même , c est a-dire ,
dans le temps originaire de l'affection de soi. On voit, par suite,
combien il est superficiel d'opposer les intuitions de l'espace . et
du temps d apres leur extension , en remarquant par exemple que
tout ce qui est dans l'espace est nécessairement aussi dan s. le temps,
tandi s que tout ce qui est dans le temps, c'est-à-dire appartient au
sens interne, n'est pas necessairer^ ent spatial . Ou plutôt, c'est le
fondement d 'une telle Oppos i..
tion qu'il convient de comprendre ,..Si' le
temps a une plus grande extension que l'espace, ce n'estpas as par
parce
que la forme temporelle de la succession subsume sous elle toutes les
représentations en vertu d'une nécessité que nous devrons nous
borner à constater, c'est parce . que le temps originaire , dans lequel
cette forme temporelle de la succession trouve elle aussi son fondement, assure
en fait, en tant qu'il est affection de soi, la cohérence `interne de
l'essence de la manifestation et, par suite, est ce qui rend possible
toute manifestation en général , et celle de l'espace en particulier
<c L ' espace, dit Heidegger, est toujours
j,.. en un certain sens 'identique
au
,.temps
.. », « si on comprend le temps comme ce qui se forme dans
1 intuition pure, en tant qu'objet
qu'objetpur
ur.., Ce n'estpas sous cepte forme que
le temps est le fondement originel de la transcendance, mais c'est en fiant
qu 'il est af fectaon pure de soi. Comme tel, il est aussi la condition '
de possi-
bilité de tout acte formateur de re resentation
dire qu'il c'est-à-
rend manifeste l 'espace pur» (r).
A l'affirmation selon laquelle l'affection par. soi trouve son
fondement dans l'affection de soi avait été ob j
j ectéede
la thèse l' auto..
posltion. Le caractère abstrait de cette objection apparaît mieux
maintenant . Car si le temps qui affecte posait lui^méme le temps qu
i

(I) K, 254, souligné par nous.


236 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

doit être affecté par lui, celui-ci, à moins de flotter en l'air et de


sombrer dans le néant des entités fictives de la spéculation en j entraî-
nant le temps par lequel il est affecté, c'est-à-dire en fait qu'il est chargé
de recevoir, devrait être reçu à son tour par un autre temps qui serait
precisément susceptible d'être affecté par lui et en qui résiderait ainsi
la possibilité ultime de l'affection de soi. Mais donnons à cette critique
une signification phénoménologique précise . Poser le temps qui doit
être affecté par lui signifie, pour le temps qui affecte, le poser hors
de soi. Mais le milieu de l'extériorité où se situe alors le temps qui
doit _ être affecté n'est pas susceptible en réalité, d'être affecté par
,
quoi que ce soit, il est bien plutôt ce qui demande à être reçu pour
pouvoir se manifester, c'est-à-dire être quelque chose plutôt que rien.
A vrai dire, le temps que pose lui-même le temps qui affecte ne se
situe pas dans le milieu pur de l'extériorité, il est ce milieu lui-même.
Le temps autoposé est le temps pur . Parce que le temps autoposé est le
temps pur, il n'est pas le temps qui est affecte mais présuppose bien plutôt
celui-ci comme la condition de sa manifestation , c'est-à-dire de sa réalité. Que
le temps qui est affecté et . qui est la condition de la manifestation
de l'horizon du temps pur ne soit pas le temps autopose, cela signifie
qu'il n'est rien d'extérieur au temps originaire qui pose hors de soi le
'eu absolu de l'extériorité, mais se confond au contraire avec lui.
Le temps qui est affecté est le môme que le temps qui affecte. Le temps
originaire est le temps de l'affection, un temps qui est à la fois le
temps qui affecte et le temps qui est affecté, de telle manière toutefois
que celui-ci qui rend possible la formation phénoménologique effective du
temps pur, c'est-à-dire l'affection, constitue la possib i 'té la plus ultime
de celle-ci et comme tel, ce qu'il y' a de plus essentiel dans l'essence
,
de la transcendance.
Si le temps qui est l'affection de soi constitue la possibilité la plus
ultime de la transcendance, c'est en tant qu'il assure la réception de
l'horizon que la transcendance a elle-même formé . Comment, cepen-
dant, le temps peut-il assurer la récep tion de l'horizon de la transcendance?
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
237

Qu'est-ce qui, dans la nature du temp.r, le rendfinalement possible comme


affection de soi ? Le temps assure la réception de l'horizon de la trans-
cendance en tant qu'il intuitionne le contenu ontologique pur
que la
transcendances objecte sous la forme de cet horizon. C'est dans la .
mesure o e temps est en sa nature intuition qu al estpossible comme affection
de foi. Ce qua importe dans lep tem s qui rend ultimement
possible essencet'
de la manifestation, ce n'est pas son caractere temporel, c'est sonraciere
ça '
intuitif Le temps est la « p ure
succession de la série d es mainte-
nant» (i); a, comme tel, un contenu ontolo i ue ur ui s'o
• ,, g q
, .qp pp ose
a celui de l'espace en raison de ses p rop rietes determinees. Mais le
temps de la succession ne que l'espace, être a
peut, pasplus ppele une intuition.
L'espace
. et
, le temps
, ne sont
pur dunel'un et l'autre que le contenu
intuition.
, . Qu'un tel contenu soit appels intuitif, cela signifie pceci-
sement qu'il ne se donne qu'a l'intuition qui le reçoit . L'intuition
n'est ni le temps ni l'espace pur, mais le pouvoir qui les reçoit et ,
comme telle, ce qui leur confère une signification phénoménologique
et constitue, a ce titre, leur essence. En tant qu'elle est le pouvoir de
recevoir l'horizon du temps pur, à l'intérieur duquel se manifeste aussi
l'espace sur le fond de la reception de cet horizon l'intuition est ce
qui assure la possibilité interne de l'essence originaire et pure de la
manifestation, la possibilité de la transcendance elle-même . C'est en
tant qu'il est intuition que le temps originaire '
de l'affection de soi
remplit le rôle central qui est le sien à l'intérieur de la '
problématique
qui concerne l'essence universelle de la manifestation c'est a ce titre
qu'il apparaît comme ce qui rend possible cette essence dans sa
structure interne.
La raison l du rôle central joué parle temps à l'i
nterieur de la
problématique de l'essence de la manifestation est visible dans le
schematisme. Celui-ci est ce qui forme une vue pure anterieu re a
tous les objets d'expérience et rendant possible la manifestation de

(I) K, 229.
238 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ceux-ci. La possibilité . de cette vue ou image pure réside dans la


réception de la place pure que cette image développe . C'est parce
que le temps est intuition et assure comme tel la réception de cette
place pure, qu'il constitue l'essence du schématisme. Si, comme le dit
Kant ( i), «l'image pure... de tous les objets des sens en général est le
temps », ce n'est pas parce que le temps constitue , comme forme
pure de la `succession, l'horizon universel de l'être, « l'horizon
de toute comprehension et de_ toute explication de l'être » (z) ,
c'est parce qu'il est, comme intuition , ce qui assure la possibilité de la réception
de cet borion. L'image pure qui se forme dans le schématisme trouve
ainsi sa condition dans le temps parce que celui-ci est ce qui intui
tionne le contenu pur de cette image. C'est parce qu'un tel contenu
pur doit demander au temps qui l'ïntuitionne la condition de sa
réalité phénoménale que ce qui se forme dans le schématisme « se donne
nécessairement sous une forme intuitive dans l'image pure du temps »
Parce que ce qui se forme dans le schématisme est une image, la
formation de celle-ci ressortit a l'imaginatiion. Mais comment l'ima-
gination forme-t-elle , procure-t-elle cette mage qui est l'oeuvre du
schématisme ? « Dans l'acte d 'imagination , l'élément décisif est qu'elle
forme, c'est-a-dire procure une image par un acte d'intuition ( n.). »
Ainsi la formation de l'image appartient -elle, en fait , au pouvoir de
l'intuition qui assure la réception de son contenu ontologique
pur. Mais quel est ce pouvoir d'intuition qui permet a l'imagination
de former effectivement une image et d'accom plir ainsi sa fonction
présentative originelle dans le schématisme « Dans le sche' mat sme
transcendantal, l'imagination a une fonction originellement presen-
tatve qui s'exerce par la forme pure du temps O).» Le schématisme.

(1) Cité par • HEIDEGGER, K, 16r


(2) SZ, 17.
(3) K, i66, souligné par nous.
(4) ID., 188, sôuligné par nous.
(5) ID., 190.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 239

transcendantal trouve ainsi sa condition dans le temps en tant que


celui-ci est une intuition . C'est dans le temps compris comme intuition
que réside finalement la possibilité de la formation effective de
l'horizon transcendantal de l'être , c'est-à-dire la réalisation de l'essence
de la phénoménalite' dans le devenir phénoménal de cette essence.
Qu'est-ce que l'intuition ? En quoi consiste le pouvoir en vertu
duquel le temps est ce qui rend ultimement possible l 'essence de la
manifestation , c'est-à-dire la transcendance elle-même ? Parlant de
la pure succession de la série des maintenant c'est-à-dire de l'horizon
,
du temps pur, Heidegger dit que « l'intuition pure intuitionne cette
succession sans l'objectiver» (i). Intuitionner la p ure succession sans
l'objectiver signifie l'appréhender sans la saisir d'une manière thé-
matique à la façon d'un étant . Mais la critique du thématisme ne
constitue, on l'a vu, qu'une détermination purement négative de
l'acte d'intuition qui vise un contenu ontologique pur. La determi-
nation positive d'un tel acte est cependant donnée par Heidegger
« intuitionner .signifie : recevoir ce qui s'offre » (2). L'intuition n'est qu'un
nom pour la réceptivité qui assure la manifestation de l'horizon pur de l'être.
Loin de résoudre le problème de la réceptivité de l'essence la détermination de
,
l'essence du temps comme intuition le pose seulement avec plus d'urgence
L'intervention du temps dans la problematique de l'essence
de la manifestation conduit ainsi, et cela malgré la pretention du
temps de constituer « la possibilité intrinsèque de l'acte d'objecti-
vation », à une simple répétition de cette problématique et des
difficultés qu'elle doit résoudre, Parce que c'est comme intuition
que le temps joue finalement le rôle central qui est le sien dans le
schématisme, parce que l'intuition qui constitue ainsi l'essence du
temps originaire de l'affection de soi est pensée comme la condition
de la transcendance dans laquelle elle trouve cependant son p ropre

(I) K, 229•
(2) Ibid., souligné par nous.
240 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

fondement, le caractère circulaire de la problémati que du schéma-


tisme n'est pas levé par l'intervention du temps mais seulement
rendu plus évident par elle. L'intervention du tem p s dans la problé
matique de l'essence de la manifestation a du moins le mérite et cela
justement parce qu' elle constitue une simp le rep etit on de cette
problemati ue, de confirmer celle-ci dans la tâche qui est la sienne •
l'eludication de l'essence de la réceptivité.

§ 2S. L'ÉLUCIDATION DE L'ESSENCE DE LA RÉCEPTIVITÉ


ET LE PROBLEME DE LA DÉTERMINATION PHÉNOMÉNOLOGIQUE
DE LA RÉALITÉ ORIGINAIRE DE LA TRANSCENDANCE

Conformément aux présuppositions ontologiques ultimes du


monisme, l' essence ne se manifeste qu'en
u'en s'ob
s'objj ectivant
ectivant sous la
forme de l' horizon pur qu' elle s'oppose. Une telle manifestation de
l'essence de la manifestation l'horizon dans lequel celle-ci s'objective
ne la réalise toutefois qu'en tant qu'il se manifeste lui-même . Mais la
manifestation de l'horizon est identiquement l'acte dans le quel
l'essence le reçoit, Le probleme est de determiner l'essence de
cet acte. La réalité de l'acte qui reçoit réside dans sa matif estation.
La
détermination de l'essence de la réceptivité est celle de son statut phénoméno-
logique. Mais l'acte qui reçoit.l'horizon dans lequel l'essence s'objective
_ ^
est cette essence même . La manifestation de l'acte qui re foit l'horizon est
identiquement la manifestation de l 'essence.
A La manifestation de l'acte qui
reçoit n 'est-elle donc pas, dans son être identique à celle de l'essence
de la manifestation, le processus même lequel celle -ci
par l s'obecti
ve
sous la forme d'un horizon ?
Que la manifestation de l'acte qui reçoit réside dans le processus
par lequel l' essence s' objective sous la forme d 'un horizon cela
signifie que la réalité phénoménologique de cet acte se situe • en fait
dans ce qui se trouve produit par lui . Dans ce qui se trouve produit
par lui seulement , c'est-à- dire dans l'ouverture de l'horizon pur de
.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 2 41

1'&re, s'accomplit le devenir effectif de la phénoménalité. C'est


précisément parce que le devenir effectif de la phénomnalité s'ac-
complit seulement dans ce qui se trouve produit par l'acte de l'essence
qu'un tel acte se produit. La transcendance s'élance en avant parce
que, dans ce mouvement de sortir de soi et de s'en aller vers le
dehors, elle crée, avec ce dehors l'avantp
- lan de lumière qui . constitue
la dimension effective phénoménalité
de laLe `'eu phenoménolo-.
gique de l' extériorité qui anime comme son TÉÀo S par l'acte lequel
l'essence s'objective en lui, contient aussi, en fait, la réalité de cet acte ,
en tant qu'il assure son devenir phénoménal. Le milieu de l' extériorité
où se constitue la dimension de la phénoménalité effective cependant,
est produit . C'est la transcendance qui déploie l'horizon transcen-
dantal de l'être . Transférer la réalité de l'acte qui ouvre le milieu de l'être à
ce milieu ouvert, c'est , en l'absence de toute problématique ex licitement
dirigée sur le mode originaire de man festaton de cet acte, attribuer à celui-ci
le statut phénoménologique de ce qui se trouve , en fait, produ:tpar lui. Un tel
statut, cependant, ce qui se trouve produit par l'acte de la transcendance ne
l'obtient que dans et par celui -ci. Si la détermination du statut phénomé-
nologique du ' eu de l'être exige que soit tiré au clair ce ui rend
q
possible la phenoménalite de ce milieu et constitue par suite son essence mêmef
c'est à l' acte originaire de la transcendance qu'inévitablement cette
détermination renvoie . La pensée qui voit dans la perceptib ` "te de
.
l'horizon la manifestation de la transcendance oublie seulement que
cette perceptibilité n ' est pas le fait de l'horizon mals de a transcen-
dance elle-même . Plus exactement la perceptib ilité de l'horizon réside
dans la possibilité ultime app artenant à la transcendance d'être affectée
par lui. Quand on se donne la de l'horizon
perceptibilité , on se donne
l'essence elle-même dans sa totalité concrète . A cette totalité a ppar-
tient cependant , comme fondant son caractère concret dans la deter
mination - de sa possibilité intrinsèque, non pas seulement l'horizon
pur, mais sa perceptibilité comme telle, identique en,^ait à son essence. En tant
que la réceptivité fonde cette perceptibilité et constitue ainsi l'essence
24 2 L'ESSENCE DE LA. MANIFESTATION

de l'horizon, ce n'est pas dans l'être séparé de celui -ci, c'est en elle
que la réalité doit être cherchée. Lorsqu'il est séparé du pouvoir
qui assure sa formation phenomenologique dans l'acte par lequel
il le reçoit, l'horizon perd, avec la possibilité de s'offrir à nous, sa
réalité même. L'horizon pur de l'être considéré en lui-même est.
abstrait. Du temps pur il a été montré qu'il n'est pas le temps réel.
Mais la separation radicale instituée entre le temps originaire et le
temps pur implique en fait leur non-séparation , l'impossibilité absolue
de saisir l 'horizon du temps pur indépendamment de l'acte par lequel
le temps originaire de l'affection de soi le forme en s'affectant lui-
même. La prétention de circonscrire la réalité de l'acte qui reçoit
l'horizon dans cet horizon ouvert, est celle de fonder la réalité du
temps originaire dans le temps pur . Ou bien, si elle est fondée, elle
revient à dire que l'être-essentiel de l'essence réside dans la manifes-
talion de l'horizon. Mais cet être-essentiel de l'essence est justement
le probleme dont la premiere élucidation a conduit devant la tâche de
comprendre ce qui constitue la possibilité de la réceptivite comme
telle. Loin de fonder la réalite' de l'acte qui reçoit l'horizon de l'être,
la manifestation de cet horizon trouve au contraire en elle la
condition de sa possibilité.
Une fois écartée la possibilité de définir la réalité de la transcen-
dance à partir de celle de l'horizon dont elle fonde en fait la pheno-
ménalité, c'est-à-dire la réalité même, c'est à l'acte de la transcen-
dance considéré en lui-même que la pensée s 'attache. Ce qui constitue
l'essence de cet acte a été compris comme la réceptivité . La déterrai
nation de la transcendance comme réceptivité se fait jour au moment
où il s'agit de saisir cette transcendance dans son essence même,
c'est-à-dire dans ce qui assure la possibilité de sa cohérence interne.
La réceptivité assure la possibilité de la cohérence i nterne de la
transcendance en tant qu'elle est le pouvoir de retenir près de soi
en le recevant l'horizon que l'essence a elle-même formé. En quoi
consiste, plus précisément, cet acte de retenir près de soi l'horizon
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 243

de l'être ? N'est-il pas identiquement celui de l'opposer et de le maintenir


devant soi et, comme tel, l'acte originaire par lequel la transcendance déploie,
dans son libre essor, l'horizon transcendantal de l'être et de la pbénoménalilé
effective
La thèse selon laquelle la réceptivité de l'horizon dans lequel
l'essence s'objective réside dans le fait que cet horizon est formé par
l'essence elle-même, a été critiquée (I). Remarquons tout d 'abord,
cependant, que cette thèse ne se recouvre pas avec celle , ci-dessus
écartée, qui situe dans l'horizon lm-même la réalité de l'acte qui le
reçoit. L'insertion dans l'horizon de la réalité de l'acte qui le reçoit
atteste seulement l'oubli du pouvoir qui ouvre cet horizon et qui
fait de lui ce qu'il est, le milieu phénoménologique de l'être. C'est à
une détermination de l'essence de ce pouvoir , au contraire, que vise
la p ensée qui le p ense exp licitement comme l'acte d'ouvrir l'horizon,
comme la transcendance elle-même . La transcendance considérée en
elle-même, c'est-â-dire l'ouverture effective de l'horizon , a été comprise
comme l'acte de former celui-ci et de le recevoir. D'un tel acte,
précisément, il a été montré qu'il est un. Ainsi le temps qui affecte,
c'est-à-dire qui pose l'horizon de la succession pure par lequel il va
s'affecter lm-même, s'est-il révélé être le même que le temps qui est
affecté. L'unité du temps qui affecte et du temps qui est affecté
ne p eut toutefois être prise comme surmontant purement et- simple-
ment la dualité des pouvoirs qui constituent ensemble la possib' `té
de la transcendance, si cette dualité se découvre en fait à l 'analyse
qui veut saisir dans la structure ultime de son essence l'unité même
du temps originaire de l'affection de soi. La saisie de cette unité n 'est-elle
pas, cc. pendant, la compréhension de l'identité de l'acte qui forme l'boron
de l'être et de celui qui le reçoit ? En quoi consiste une telle compréhen-
sion ? Qu 'est-ce qui s'annonce dans l'identité qu'elle saisit sinon le
fait que l'horizon devient perceptible dans l'acte même par lequel l'essence

(i) Cf. supra, § 23.


244 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

le j'ose . devant elle ? Former l'horizon de l'être , cela signifie le poser


devant, de telle manière que ce qui se trouve posé devant par cet acte est
aussi, pour cette raison, vu par lui. Être vu, toutefois, cela veut dire être reçu.
Parce que l'acte de poser devant est identiquement l'acte de voir , la p ossibilité
de la vision, c'est-a.dire de la réception de ce qu'il s 'agit de recevoir, se trouve
immédiatement incluse en lui. La formation phénoménologique effective
de l'horizon réside ainsi dans l'acte par lequel l'essence le pose devant
elle. En tant que la formation phénomenologique de l'horizon réside
dans un tel acte, c'est par celui-ci, en fait, que la perception de l'hori-
zon .est rendue possible , c'est en lui que sa perceptib ilité trouve
son fondement. La thèse en vertu de laquelle la formation effective
de l'horizon réside dans la receptivité n'apparaît -elle pas dès lors
comme devant être renversée ? C'est la recepLion de l 'horizon qui.
présuppose, en réalité, sa formation, et cela non pas seulement parce
que l'essence ne peut recevoir l'horizon que si elle l'a prealablement
formé mais, plus profondément, parce que cette réception de d'horizon
consiste en elle -même dans l'acte par lequel l'essence le ose devant elle..
Si la reception de l ' horizon est identiquement la position devant soi
de l'essence dans l 'acte imaginatif de la transcendance , l'affirmation.
selon laquelle l'essence de la s p ontaneite réside dans la r'
ecepuvité
n'est-elle pas un peu hâtive ? .
La réception de l'horizon réside dans l'acte par lequel l'essence le
forme en le posant devant soi. A l'acte de poser devant de la transcen -
dante il manque toutefois, pour être réel, la manifestation de soi. En quoi
consiste la mansfestation de soi de l'acte originaire de. la transcendance i
deploie 1 boriron, osl luit la phénoménalité de cet acte , osl réside sa réalité
Ce qui se manifeste quand le , surgissement
, enornenalpté effectif de la ph' '
est confie a la transcendance qui crée le "eu phénomenologique de
l'être -dans l'acte par lequel elle le pose devant elle ce n'est Pas cet
acte considéré en lui-même , c'est le lointain originel qu'il façonne en
lui donnant la forme d 'un horizon. La phénoménalité luit la -bas dans
l'espace libre qu'a ouvert la transcendance, c'est ce milieu ouvert qui
TRANSCENDANCE ET IMMA NENCE 245

se phénoménalise et qui est visible comme tel. La. réalité de la Iran scen-
dance n'est cependant pas définie par la phmnoménalité de d'horizon transcen-
danlal de l'être, elle est, bien plutôt, présupposée par celle-ci. La présuppo-
sition de la transcendance comme condition de la formation du
milieu phénoménologique de l'être demeure toutefois totalement
indéterminée , sa prétention de saisir la structure ultime de l'essence
de la manifestation reste en fait sans fondement, aussi longtemps que
ne se manifeste pas ce qui se trouve par elle présupposé, à savoir la transcen-
dance elle-même dans sa réalité propre. Car, comme il a été montré, la
réalité
_ de la transcendance ne . réside p as dans le milieu p hénomeno-
logique de l'être . Mais, lorsque vient le moment de faire la preuve de
cette réalité et de fonder , en lui conférant un statut phénoménologique,
l'acte originairement imaginatif de l'essence qui s'ôbjecte dans
l'horizon , c'est à la phénoménalite' de celui-ci qu'il est fait :secrètement
appel. La thèse selon laquelle la réception de l'horizon trouve sa condition
dans le mouvement de la transcendance qui le forme en le posant devant, ne se
recouvre pas avec celle qui situe la réalité de l'acte qui reçoit dans la mani-
festation de l'horiron ouvert de l'être, elle lui emprunte pourtant toute sa force.
Ou bien, si la phenomenalite de l'horizon transcendantal de l'être
ne contient pas la réalité de l'acte de la transcendance qu'elle presup-
pose en fait, la réalité de cet acte ne doit-elle pas être cherchée, dès
lors, en dehors du milieu ontologique de la vérité . L'incapacité de saisir la
réalité de l'acte originairement formateur de l'horizon , la philosophie
de la transcendance . ne peut-elle la faire sienne et la revendiquer
comme un témoignage de sa propre fidélité au réel, si la vérité
trouve sa condition dans une non-vérité plus ancienne qu'elle
Si, par exemple, l'instauration kantienne du fondement de la meta-
physique « ne mène pas à l'évidence absolue et claire d'une première
thèse ou d'un premier principe mais ... se dirige et nous renvoie
consciemment vers l'inconnu » (i), n'est-ce pas précisément parce

(I) K, 9798.
246 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TION

qu'en prenant comme thème ultime de • sa visée l'acte originairement


formateur de la transcendance , une telle instauration se concentre
finalement sur ce qui n' est principiellement pas susceptible d'être
exhibé. Avec l'imagination transcendantale la pensee se trouve en
présence de 1' « abîme de la métaphysique » de telle manière
que ce vers quoi elle se dirige lui échappe bien plutôt et se révèle
être l'inconnu, parce qu'il est ce qui se dissimule essentiellement dans
le mouvement vers lui °de la pensee, et cela comme constituant
l'essence même de ce mouvement.
La prétention d'assigner â l' être accompli de la phenomenalite
effective un fondement non phénomenal a été mise en question
quand a été dénoncé le caractère paradoxal de la philosophie de la
conscience astreinte précisément â chercher le principe de la conscience.
dans le non- conscient. La difficulté alors rencontrée ar la hiloso hie
p p p .
de la conscience ne lui était cependant pas propre elle concernait
aussi bien la philosophie de l'être aussi longtemps que celle-ci
pensait trouver .dans l'étant une condition de l'accom plissement
effectif de la manifestation . L'évidence qui se presentait alors devant
la pensée aux prises avec cette difficulté commune â la p hiloso p hie
de la conscience et a la philosophie de l'être était celle-ci le sur gisse-
ment effectif de la phenoménalite est l'àeuvre de l'essence et d'elle
seule. Loin depermettre p
le devenir hénomenal du milieu ontologique
de l'être, la manifestation de l'élément ontique est simplement
constituée
. par lui. Une fois l'étant écarté dans sa prétention de
manifester l'essence, c 'est celle-ci qui est p rise en considération.
C'est elle, en vérité, qui était visée par la philosophie de la conscience
comme par celle de l'être au moment même où elles faisaient ara
doxalement intervenir l etant dans la structure interne de la pheno-
ménalite effective. Ce n'était pas l'eiant en fait, c'était l'objet ui était
pensé comme réalisant en lui le devenir effectif de la phénoménalité. Si le
devenir effectif de la p hénoménalité se réalise dans l'objet c'est qu'il
trouve son fondement dans le pouvoir qui rend l ' objet possible,
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
241

c'est-à-dire dans le processus ontologique de l'ob ectivation considéré en et


J
pour lui-même. Il ne suffit plus , dès lors, d'opposer à l'étant qui ne
peut fonder la phénoménalité effective de l'horizon où il paraît, la
manifestation originelle de cet horizon lui-même , le vrai problème
.
de la philosophie de la conscience comme de la philosophie de l'être
est de comprendre le rapport de cette manifestation effective avec le
pouvoir qui la fonde . Mais ce rapport devient inintelligible quand
dans la production de la phénoménalité effective de l'objet, cette
production elle-même demeure dans l'ombre, il cesse d'être un
rapport quand l'horizon de l'être et l'acte originaire de la transcen-
dance retombent en fait chacun de leur côté l'un dans la lumière
du milieu phénoménologique qu'il constitue l'autre dans la nuit
de sa condition originelle. La vérité ontologique et la non-vérité qui.
la fonde sont deux essences juxtaposées . Dans cette simple juxta-
position leur caractere d ' essence se perd, le lien de fondation qui les
unit devient obscur . La définition de la non-vérité comme une essence
n'est-elle pas la simple réalisation ontologique de ce qui demeure en
fait en lui- même dans une indétermination totale ? Qu plutôt, la
.
determmat: on ontologique que cette essence reçoit en tant qu'elle se
donne comme la non- essence de la venté, résulte -t-elle d'autre chose
que de la prétention de faire passer pour un caractère ontologique
positif ce qui n'est que l'absence de tout caractère phenomenologique
réel ? Quel signifie enfin le non de la non - essence de la non -vérité?
Comporte - t-il le rejet de toute propriete phenomenologique effective
ou bien de celle là seule qui définit l'horizon ? Et en l'absence de
-
toute problematique explicitement dirigée sur la question de la
phenomenalite spécifique de cette essence , où se trouve la determi-
nation positive de celle-ci , si elle ne résulte pas de la simple réalisation
de la négation du caractère phénoménologique piopre de l'horizon?
La philosophie de l'être peut-elle alors éviter le recours qui était
celui de la philosophie de la conscience devant l'absence de fonde-
ment de son propre fondement , le recours à la méthode réflexive
248 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dont on a vu cependant qu'elle n ' était que l'expression méthodolo


gique de cette absence ?
L'indétermination ontologique foncière de la non-essence de la
non-vérité, ne se referme pas, toutefois sur celle-ci, elle concerne
,
aussi inévitablement ce qui trouve son fondement dans cette non-
essence, l'essence ontolo gique de la vérité. Car de celle-ci il a été
montré qu'elle n'est ce qu'elle est, une essence, que par l'action en
elle de son propre fondement. Comme la réalisation de la non
phénoménal te dans la non -essence de la non-vérité est arbitrage,
arbitraire est aussi la ré alisation de la p
hénoménahté
milieu dans le
ouvert de l'extériorité pure . Car le ' eu ouvert de l'extériorité
pure. ne peut constituer l'essence de la vérité, si l'essence dési gne
l' ensemble des conditions qui rendent possible cette vérité. Ces
conditions existent, elles appartiennent au milieu ontologiquement indéterminé'
de la non-essence. L'indétermination ontologique foncière de la non-
essence empêche de voir en quoi celle-ci rend possible la phéno-
menalité de l ' horizon transcendantal de l'être. Qu bien , si cette
non-essence est cependant caractérisée comme non-vérité cette détermi-
nation phénoménologique purement négative rend seulement plusévident
l'isolement des essences, leur impuissance â constituer ensemble la réalité du
devenir effectif de la manif estation.Que le fondement soit seulement
le
non-phénoménal au sens de ce qui n'est pas la phénoménalité propre
a l'horizon ouvert de l'être , cela ne dit en rien en quoi un tel « fonde-
ment » est capable de produire celle-ci . Bien au contraire l'interven-
tion dans la problématique d'un fondement simplement privé de ce
qui doit être produit par lui, rend seulement plus incompréhensible
cette production, c'est -à-dire le devenir effectif de la manifestation de
l'être. Dans ce devenir, ou dans la production de la phénoménalité
effective, réside pourtant le lien des essences en même temps que leur
réalité. Car
. quil la réalité du fondement est a dans le pouvoir
de ''
produire ce qu'il fonde, comme la réalité de.. ce qu'il fonde est en
lui, Mats quand la. r' `te n 'a pu être saisie là où elle est dans ce qui
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 249

fait l'être essentiel du fondement, il reste à la réaliser hors de lui


dans l'abstraction de l'être-séparé de la vérité, comme il reste à
réaliser ce fondement lui-même dans l'abstraction de l'être-séparéo de
cette vérité et de sa réalité, dans la non-essence de la non-vérité Le
départ dans la réalité entre l'élément qui se montre et celui qui.
purement et simplement ne se montre pas, ne satisfait qu'en appa-
rence aux exigences de la phénoménologie un tel départ exprime
bien plutôt l'impossibilité de pénétrer à l'intérieur de ce qui rend
possible la manifestation, `dans l'unité concrète de la réalité dont il
est
. seulement le démembrement et l'éparpillement dans les essences
sans vie et sans lien de l'abstraction.

26. L'INTERVENTION DE L'HOMME


DANS LA PROBLÉMATIQUE DE LA RÉCEPTIVITÉ
ET LA NON-APPARTENANCE DES CONDITIONS ORIGINAIRES
DE LA VÉRITÉ AU MILIEU ABSOLU DE L'EXTÉRIORITÉ

La réalisation de l'essence de la vérité hors de l'être essentiel du


fondement où elle réside, dans l'abstraction de l'être-séparé de
l'horizon, n'est pas sans rapport avec le renversement dialectique
par lequel, en situant décidément dans le milieu absolu de l'exté-
riorité le principe effectif de l'intelligibilité des phénomènes, la philo-
sophie de l'être s'interdit consciemment de le chercher désormais
dans l'intériorité d'une subjectivité humaine. L'extériorité radicale.
du milieu ontologique ou la vérité se trouve réalisée est inter-
prétée, en . effet, comme une extériorité de cette vérité, c'est-â-dire de
l'être lui-même, par rapport â l'homme. C'est avec une telle mterpré-
tation, en réalité, que la philosophie de l'être croit pouvoir s'opposer
à celle de la conscience, pour autant que celle-ci place dans l'homme
lui-même le principe de la phnoménalité. Si cette phénoménalité
réside au contraire dans la spatialité originelle de l'espace ouvert par
l'horizon, si cet espace transcendantal et pur « ne se trouve pas dans
M. HENRY 9
250 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

le sujet » ( i) mais constitue au contraire son être, sa subjectivité


même , cette dernière qui contient en elle le principe de toute vérité
possible cesse alors d ' être enfermée dans la « conscience» de l'homme
l'homme, en tout cas, ne la possède plus. C'est elle au contraire .
qui le possède et qui, comme ce libre 'eu qui se developpe au-delà'
de tout existant, permet seule à l'homme et à une humanité en éneral
d' entretenir une relation avec cet existant quel qu'il soit, et par
exemple avec ; eux-mêmes. Au moment où l'homme est com pris,
non plus comme l' origine de la lumière, mais seulement comme ce
qui est éclairé par elle, la philosophie de l'être peut se considérer à
bon droit comme im pliquant le re j et de l'idéalisme qui attribue â
la conscience humaine , sinon la production effective de l'étant du
moins celle de son mil ieu d'intuition,
La question de savoir si la phenomenalite trouve son rinci e
p p
.dans l'essence de l'homme peut difficilement être résolue aussi
longtemps que nous ne savons pas ce qu'est l'homme lui-même aussi
longtemps que la problématique ne dis p ose p as. du soubassement
ontologique suffisant lui p ermettant de décider de ce u'il en est
q
ult meurent des rapports qui unissent la phénoménologie de l'ego à l'onto-
laie, fondamentale. plais en ce qui concerne la visée resente de l'ana-
p
lyse, c' est-à-dire l ' élucidation de l'essence de la réce tivite les
p
remarques que nous sommes ici en mesure d'avancer suffiront. Si.
l'insertion des conditions d'intell igibilité . dans le milieu ontologique.
de l'extériorité amène â réaliser la vérité en dehors de l'homme une
question, du moins, se pose, celle de la réception de cale vérité par
l'homme lui-même , Que l'homme n'étant plus identifié avec le pouvoir
,
qui produit la phénoménal té effective cesse de porter en lui la
lumière de l 'être, cela n' écarte pas mais pose seulement avec plus
d'urgence le problemepossibili de la pour
té luipar d 'être éclairé
elle.
La réalisation de la vérité en dehors de l'homme ne ci ni e rien de moins e la
j
(t) $Z, iii,
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE ZSI

non-appartenance
.. .... ,de ..
celui-
_ci .:.....,
au milieu ontolo
::g_ iqueêtre
de l'" . Ainsi ., séparé d ' un
tel milieu , l'homme n'estpas autre chose qu u 'une
' une réalité d'ordre
ontique . A l'étant, sans doute , ` il appartient d ' être éclair'e par l
'être
qui le dépasse dans l ' horizon ou il lui permet de se manifester. Mais ,
l'être n ' éclaire pas l'homme comme il éclaire l'arbre ou la fle
ur. Lare
éclairé
,, par l'être , cela
p figni
f ie our l'hommerecevoir sa lumière, de telle
manière cependant qu'il devienne lui-même cette lumière et puisse ainsi se
rapporter aux autres étants et à lui-même en les éclairant à son tour. « Il
appartient à la vérité de l'être , dit Heidegger, de relier a elle, d 'une
manière privilégiée, l'essence de l'homme (i). » .
. C'est sur cette manière dont l'être
privilégiée e rell
a lui' l'essence
de l'homme qu ' il convient, à vrai dire de s'expliquer. En tant que
l'essence de l'homme est reliée à la vérité de l'être d'une manière
privilégiée, elle n'est rien d ' autre que ce qui est capable de recevoir
la lumière de cette vérité , d'entrer . en elle, de parvenir jusqu'à e1 le et
de devenir ainsi elle-même cette vérité . Un tel parvenir dans la vérité
de l'être qui signifie devenir intérieurement cette vérité l'étant est par
lui-même bien incapable de l'accomplir . Sur lui brille la lumière mais
seulement comme ce qui ne • pénètre pas en lui comme ce qu'il ne
A
devient pas lui-même et lui demeure en fait étran ger à jamais. C
n' est pas comme étant, a vrai dire , que l'homme est ca pable de rece
voir voir la vérité. Comment donc la reçoit-il, sinon sur le ond en lui de l'essen
f ce
originaire et pure de la manifestation ? Ainsi l'essence de la vérité ne
peut-elle être réalisée hors de l'homme sans que ne se pose immé-
diatement le problème de sa réception par l'homme^ c 'est-à-dir
e,
en fait, celui de la présence en lui de cette vérité. Plus essentielle toute
fois,
que la question de savoir comment l'homme reçoit la vérité de l'essence est celle
de savoir comment cette essence se reçoit elle-même . Car l'homme ne peut
précisément recevoir la vérité que par l'action en lui du ouvoir ontolo i ue
p gq

(I) La Remontée au Fondement de la Métaphysique, trad. J. Rov trr, Fontaine,


n° 58, 893, souligné par nous.
252 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pur qui assure la réception de cette vérité, par l'action de l'essence en tant
qu'elle est capable de se recevoir elle-même.
L'intervention de l'homme dans la problématique qui concerne
l'essence de la manifestation a seulement pour effet de la détourner
de son vrai problème et de masquer à ses yeux ce qui constitue le fond
le plus essentiel de la possib ilité ultime qu'elle vise. Cette possibilité
réside tout entière dans l 'essence de la manifestation, non dans
l'homme . C'est l'essence qui assure dans l'homme la réception de la
vérité, réception dans laquelle cette vérité se conquiert elle-même et
devient ainsi seulement ce qu'elle est, l'essence effective de la phéno
ménalité. Que la vérité ne réside pas dans l'homme mais seulement
dans l'essence, ne signifie pas, toutefois, qu'elle se confonde avec le
'eu absolu de l'extériorité pure, ne signifie paf, plu, précisément,
que la phénoménalité effective de ce milieu trouve en lui la condition de sa
possibilité. ` Telle est, cependant , la présupposition implicite de la
philosophie de l'être au moment où, en opposant la vérité à l'homme, elle la
réalise hors de lui dans l'extériorité comme telle. Solidaire de cette
réalisation de la vérité dans l'être-séparé du milieu pur de l 'extériorité
est l'oubli de ce qui , en le recevant, assure dans l'essence la possibilité
de sa manifestation effective , c'est-à-dire, en fait, de sa réalité. Mais
l'essence est contraignante , elle déroule inexorablement l'enchai-
nement de ses prescriptions et ajoute toujours un terme à celui qu'on
a abstrait. L'abstraction de l'être extérieur devient visible quand à la
vérité de son milieu pur s'ajoute l'homme que cette vérité relie à elle.
Ce qui se cache, toutefois, dans cette possibilité pour l'homme d'être
relié au milieu de l'être extérieur, ce n'est rien de moins, en fait, que la
possibilité de cette extériorité même, la possibilité de l'essence de la
vérité. A l'homme est subrepticement confié le pouvoir essentiel de
l'essence, celui de se recevoir elle-même.
Ainsi l'intervention de l'homme dans la problématique qui vise
l'essence de la manifestation a-t-elle en fait une double si gnification.
Celle, d'abord, de masquer la possibilité la plus ultime de cette
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
253

. essence en réalisant
, les conditions
, de la vérité.
= dans le milieu de
1 extériorité pure . Conteur oraine de cette réalisation de la vérité
dans le milieu absolu de l'extériorité posiuon, en est
face la ''`
de celle-ci,
d'un homme dépouillépouvoir du ontologique qu'on vient de
situer hors de lui. Ce qu 'il faut rendre ensuite à
cet homme ainsi
dépouillé ne se recouvre exactement,
pas toutefois, avec ce qu ' on
vient de placer hors de lui. Ce qui assure dans l'homme la possibi1ité
pour lui de s'ouvrir au milieu de l'extériorité n'est pas ce milieu lui-même,
c'est la possibilité justement de s'ouvrir â lui
est-a-dire c'
la rec ••
'eptrvrte
comme telle. La réceptivité j'ossibilitéestplus
la la ultime '
de la verste, telle
est la seconde signification de l'intervention de l'homme dans la
problématique qui concerne l'essence de la manifestation ,, celle de
l aisser paraître ce que cette intervention avait d'abord elle-meure
caché.
Si cette seconde signification qui ramène la problématique devant
la pensée du fondement ne se faitpas as j our
our plus '
aisément, c 'est qu 'elle
demeure le plus souvent masquée par le prestige des thèmes qui
accompagnent habituellement la simple réalisation de la vérité dans
l'être abstrait de l'extériorité pure. Ce dont s ' accompagne une telle
réalisation, en effet, c 'est, on l 'a vu, le dépouillement
y de l'homme
désormais séparé du pouvoir ontologique qui produit la phénomé-
nalité. La finitude de l'homme, telle est l'évidence dont s'empare la
pensée qui• situe la vérité dans la spatialité de l'pure.
, extériorité
Que signrfie, cependant, d'une,^açon lus précise, la finr'tude ici en
p questa 'on ?
Être fine cela veut dire pour l ' homme qui ne porte plus en lui le
principe de la phénoménalité , être séparé de la vérité . Ce qui est
séparé de la vérité qui signifie la lumière de la phénoménalité est en
lui-même obscur . L'obscurité intrinsèque de la '
nature humaine est le sens
de sa finitude . La réalisation de la vérité dan ' '
s le milieu ouvert de
l'extériorité a pour effet de re j eter dans l'ombre ce qui se trouve
en deçà de cet avant-plan de lumière qet,
n cet
deçàe est l 'homme
lui-même, d'abandonner celui-ci à la misère de
sa nuit,. Ainsi voit-on
254 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

chez Malebranche où les conditions • de la vérité sont explicitement


réalisées dans l'étendue intelligible, l'âme humaine être vouée à la
sphère tout entière obscure et confuse du sentiment. L'obscurité de
. l'âme est liée au thème religieux du néant de l'homme fini et pécheur,
tandis que l'intelligibilité de l'étendue signi f ie l'identification de la vérité,
c'est-à-dire de l'essence de la phénoménalité effective, avec la spatialité
transcendantale et pure de l'extériorité comme telle (i).
Que l'entendement humain n'ait point d'idées en lui, que
l'essence de celles-ci, c'est-à-dire l'intelligibilité, réside au contraire
hors de lui dans l'extériorité elle-même, ne résout pas, toutefois,
le problème de la possibilité interne de cet entendement, le problème
de la possibilité pour lui de recevoir les idées et d'être éclairé par
elles. Cette possibilité, celle de l'homme lui-même, compris au point
de vue théologico-métaphysique comme « raison illuminée », devient
en fait incompréhensible quand ce dans quoi elle réside n'est pas défini
autrement que par son hétérogénéité radicale par rapport à une
intelligibilité qu'il s'agit cependant pour -lui de recevoir. Parlant de
l'entendement humain tel que le comprend Malebranche et de,
l'impossibilité pour lui de s'unir à la vérité, un pénétrant historien
de la philosophie demande : « Que devient cet entendement, si tout ce
qui est clarté, raison, est plus haut que lui, hors de lui..., s'il est
réduit... à une faculté passive.,, affective (2) ?» Ce n'est pas, à vrai dire,
le caractère
. passif de l'entendement qui doit être mis en cause comme

(i) Selon Malebranche l'étendue intelligible n'est pas Dieu lui-même mais seu-
lement la face de son être que celui-ci tourne vers nous, ce à quoi il nous permet
d'avoir accès en lui. Que l'étendue soit justement en Dieu ce qui permet d'avoir
accès en lui, que l'extériorité définisse ainsi les conditions selon lesquelles l'absolu
se phenomenahse, cela atteste la prééminence chez Malebranche, comme chez tant
d'autres penseurs, des présuppositions ontologiques ultimes du monisme. Sur le
pressentiment génial qu'a eu cependant Malebranche de l'insuffisance radicale
de ces présuppositions dans leur prétention à définir la condition de toute pheno-
ménalité possible, comme sur l'échec de ce pressentiment, cf. infra, § 48.
(2) M. GUÉROULT, Étendue et Psychologie chez Malebranche, Les Belles-Lettres,
Paris , 1939, 24-25.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 255

rendant impossible la réception de la vérité , un tel caractère doit bien


plutôt être fondé. Simplement, les conditions qui.fondent le
caractère
passif de l'entendement, c'est-à-dire en fait son essence même en tant que
celle-ci réside dans la possibilité pour lui d' « entendre » la vérité, c 'est-à-dire
encore les conditions qui constituent la réc eptivité elle-même, ne sont as
p
contenues dans l'essence d'une humanité qui n 'est rien d'autre que
ce qui n' est pas la vérité et se présente ainsi comme principiellement
incapable d'entrer en rapport avec elle.
Mais ce n' est pas l' homme, à vrai dire , qui est ici en question ,
ce n'est pas lui qui est obscur . L'obscurité attribuée à l'homme par le
thème existentiel et religieux de la finitude est en fait celle du pouvoir i
assure en lui la réception de la vérité . Une telle obscurité ne signifie pas
autre chose que l'absence de toute élucidation de ce qui constitue
dans l'essence de la manifestation sa possibilité la plus fondamentale
et la plus ultime. Ou bien, lorsque cette obscurité prétend à un sens
positif, la non-phénoménalité par quoi elle se définit alors n'est
encore, en fait, que la simple réalisation de la négation de la p héno- .
ménalité propre au milieu pur de l'extériorité. L'obscurité de l'âme
humaine cache en elle l'essence ontologique de la non - vérité, L'impossibilité
pour l'homme f ini et pécheur de recevoir du moins la vérité recouvre l'im ossi,
, p
bilitépour l' essence de la non-vérité de s'unir à l'essence de la vérité , c'est-à-dire
de la fonder.

§ 27. LA COMPRÉHENSION DU CARACTÈRE CENTRAL


DE LA PROBLÉMATIQUE DE LA RÉCEPTIVITÉ
ET LA MISE EN QUESTION
DES PRÉSUPPOSITIONS ONTOLOGIQUES ULTIMES DU MONISME

Le moment est peut -être venu, devant ces edifcultés, de


comprendre le caractère central du problème de la réce ptivité â
l'intérieur de la problématique de l'essence de la manifestation. Un
tel caractère se fait j our lârsq
ue l'essence de la réceptivité
o cesse d'étr
z S G L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

interprétée d'abord et exclusivement dans sa relation à l'horizon


transcendantal de l'être qu'il s'agit pour elle de recevoir. De la récep-
tivité considérée dans sa relation à l'horizon transcendantal de
l'être, il a été • montré qu' elle n'est rien d'autre, en réalité, que l'acte
originaire par lequel la transcendance forme la vue de cet horizon
en le posant devant elle. Si la perceptibilité de l'horizon c'est-à-dire
l'être lui-même compris comme la manifestation de cet horizon
trouve son fondement dans l'acte originaire de la transcendance qui
le forme en le posant devant, un tel acte est justement le fondement,
en lui se trouve l'essence de la manifestation, l'essence de l'être
lui-même. Le caractère central du problème de la réceptib' 'té à
l'intérieur de la problématique de l'essence de la manifestation
réside dans le fait qu'un tel probleme compris dans sa signification
radicale concerne l'acte de la transcendance lui-même et , comme tel,
la manifestation considérée . dans ce qui. constitue son fondement
ultime, c'est-à-dire dans son essence. Concerner l'acte de la transcen-
dance, p our la récep tivité, c'est concerner, constituer et définir , non
plus la possibilité de la réception de l'horizon que la transcendance
s'oppose mais , p récisément, la p ossibilité de la réception de la
transcendance elle-même . Le caractère central du problème de la
réceptivité à l'intérieur de la problématique de l'essence de la mani-
festation se fait jour lorsque l'essence de la réceptivité, n'étant plus
comprise d'abord et exclusivement dans sa relation à l'horizon
transcendantal de l'être, se trouve saisie au contraire dans son lien
originel avec ce qui fonde la phénoménalité de cet horizon. Car
ce qui doit être reçu n'est pas ori ginairement ce qui se trouve formé dans
l'acte imaginatif de l'essence, mais ce qui rend possible cette formation, le
pouvoir imaginatif lui-même identique en son fond avec l'essence.
Être reçf u, toutefois, cela veut dire se manife ster La réceptivité qui
désigne la possibilité de la réception de l'acte originaire de la Transcendance
est identiquement la possibilité de la manifestation de cet acte , la possibilité
de la man festation de la transcendance elle-même. Ce qui est mis en question
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 2 57

quand la problématique de la réceptivité reç oit la signification radicale de


concerner l'acte originaire de la transcendance elle-même , c'est donc le statut
phénoménologique de cet acte, c'est à-dire en fait la réalité de ce qui dans
l'essence constitue sa possibilité plus
la ultime. La détermination
dc !a.
réalité de ce qui dans l'essence constitue sa possibilité la plus ultime la
détermination de la réalité de la transcendance elle-même est ce qui confire au
problème de la réceptivité comprise dans sa sig^ni caiion radicale le rôle central
qui est le sien à l'intérieur de la problématique de l'essence de la manifestation.
Comprise dans sa signification radicale, la réceptivité n'est encore
que le titre d'un problème. La réceptivité désigne en général la
manifestation. La réceptivité de l'horizon, par exemple, est sa percep.
tibil ité même. Comment l'horizon devient-il P ercep tible, en uoi
q
consiste sa réceptivité ? Par et dans la transcendance. La transcen-
dance est le comment de la perceptibilité de l'ho rizon , elle dit en quoi
consiste sa réceptivité identique avec sa manifestation . La si nifi-
cation de la transcendance d'être une essence réside justement dans le
fait qu' elle est ce « comment ». La transcendance est l'essence de la
manifestation en tant qu 'elle est le comment de cette manifestation
en tant que réside en elle le pouvoir ontologique qui fait s urgir la
phénoménalité comme telle . Plus exactement, la phénoménalité qui
trouve son comment dans l'essence de la transcendance est la phéno
ménalité de l'horizon. Comment la transcendance fait-elle surgir la
phénomenalite de l'horizon ? Dans l'acte même ar le uel elle le
p q
pose devant elle. La transcendance est l'essence de la Phénoménalité
de l'horizon parce qu'elle est cet acte même et, comme telle le mode
originaire selon lequel. cette phénoménalité s'accomplit.
Comme le problème de la réceptivité de l 'horizon renvoie au
comment de la possibilité de cette réçeptivité, c'est-à- dire à la trans-
cendance, le problème de la réceptivité compris dans sa sigf ni ication radicale
conformément à laquelle il concerne la réceptivité de la transcendance elle-même
renvoie au comment de la possibilité de cette réceptivité dernière et ondamen
f
tale. Dès lors, devant la problématique qui s'efforce de saisir l'essence
2 58 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

même de la manifestation, cette question s'élève inévitablement :


le comment qui rend possible la réceptivité de la transcendance elle-même
est-il le même que le comment qui rend po ssible la réceptivité de l'horizon
transcendantal de l'être ? Mais le comment qui rend possible la réceptivité
de l'horizon transcendantal de l'être est la transcendance . Demander si le
comment qui rend possible la réceptivité de la transcendance est le même que le
comment qui rend possible la réceptivité de l'horizon transcendantal de l'être
revient à demander si la transcendance assure elle-même la possibilité de
sa propre réceptivité, revient à demander si la transcendance est l'essence.
La signification phénoménologique de nette question doit être
comprise . Si la transcendance est le comment de la réceptivité de
l'horizon, c'est qu'elle forme la vue de celui-ci dans l'acte par lequel
elle le pose devant elle, c'est que l'extériorité comme, telle de l 'horizon,
identique à sa vue, a le sens d'être la manifestation de cet horizon.
En tant qu'elle constitue une manifestation, l'extériorité définit uné.
dimension de la phénoménalité. A la question , où se décide le sens de l'être, de
savoir si ce qui se phénoménalie originairement dans cette dimension de la
phénoménalité comme constituant cette phénoménalité même est la transcen-
dance, la réponse a été donnée quand il a été montré que la réalité de la transcen-
dance, ne réside pas dans le milieu ouvert de l'extériorité pure. Que la réalité
de la transcendance ne réside pas dans le milieu ouvert de l'exté-
riorité pure, cela signifie que ce qui se phénoménalise originairement
dans ce milieu comme constituant sa phénoménalité même n'est pas
la transcendance, cela signifie que la manifestation originaire de la
transcendance n'est pas la manifestation originaire de l'horizon
transcendantal de l'être . Cela signifie, enfin, que le comment qui rend
possible la réceptivité de la transcendance et constitue ainsi , sa
manifestation, n'est pas le comment qui rend possible la réceptivité
de l'horizon de l'être et constitue la manifestation de cet horizon. Le
çomment qui rend possible la réceptivité de l'horizon de l'être est
cependant la transcendance elle-même . Que le comment qui rend
possible la réceptivité de la transcendance, c'est-à-dire sa manifes-
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 25 9-

tation, ne soit pas le comment qui rend possible la réceptivité - de


l' horizon, c est-a-dire la manifestation de cet horizon, si nifie ue la
g q
transcendance n'est j'as ce qui assure la possibilité de sa propre réce tivité,
p
signifie que la manifestation originaire de la transcendance n'est pas l'oeuvre
de la transcendance elle-même.
La mise en évidence de l'incapacité de la transcendance à assurer elle-même
la possibilité de sa prop re manifestation est identiquement la mise en question
des présuppositions ontologiquesfondamentales du monisme. Avec l'évidence
de cette incap acité
. se fait j our, en effet, l'imp ossibilité p our la trans-
cendance de se fonder elle-même et de constituer ainsi l'essence d'un fondement.
Dans l'impossibilité pour la transcendance de constituer l'essence
d'un fondement réside le caractère abstrait de l'essence de la manifes-
tation à l'intérieur des présuppositions ontologiques du monisme. Le
caractère abstrait de ce qui se donne , à l'intérieur de ces présuppo
sitions, pour une essence et un fondement, explique l 'échec de la
problématique dans sa tentative p our déterminer l'être d'un tel
fondement et pour saisir, dans sa réalité même , la possibilité la plus
ultime de la manifestation.

§ 28. LE CARACTÈRE ABSTRAIT DE L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION


A L'INTÉRIEUR DES PRÉSUPPOSITIONS ONTOLOGIQUES DU MONISME
ET LE PROBLÈME DE L'ÉDIFICATION
D'UNE PHÉNOMÉNOLOGIE DU FONDEMENT

L'autonomie de l'essence a d'abord été pensée comme la non-


appartenance de l'étant à la structure interne de celle-ci. Dans la
possibilité pour l'essence de s'abstraire de la détermination ontique
et de se maintenir dans cette abstraction réside son caractère concret,
sa Selbstcindigkeit. Si le « pour- soi » désigne l'essence de la mani-
festation, il est absurde de dire que le pour-soi est unselbstândig ( I ),

) EN, 679.
260 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qu'il « n'est aucunement une substance autonome » (i). Cette


absurdité devient plus évidente au moment ou ce qui fait l 'insuf-
sauce ontologique de l'être-pour-soi ou de la conscience est explici-
tement interprété comme le manque de l'être -en-soi, c'est-à-dire d'un
élément par principe non ontologique . « La conscience, dit Sartre,
est un abstrait puisqu 'elle recèle en elle-même une origine ontologique
vers l'en- soi (2). » Si le mot ontologique reçoit un sens, la réalité
qu'il désigne est si peu capable de tendre vers l'en-soi qu'elle lui est
par principe foncièrement étrangère. Les thèmes de la philosophie
sartrienne qui sont centrés sur la carence « ontologique » de la
conscience, c'est-à-dire de l'élément ontologique lui-même , la concep-
tion de l'homme, identifié le plus souvent avec cet élément, comme
manque, besoin et désir, la mise en lumière de la vanité de celui-ci,
vanité qui est seulement celle d'une pensee qui prétend assigner à
l'élément ontologique le « projet » de se muer en quelque chose
d'ontique, les descriptions « existentielles » qui racontent les diverses
manières dont ce projet échoue, toutes ces analyses ont contre
elles la confusion des concepts sur lesquels elles s'appuient.
Cette confusion est plus grande encore, en même temps , toute-
fois , qu'elle s'éclaire pour nous, lorsque Sartre écrit : « Si le cogito
conduit nécessairement hors de soi, si la conscience est une pente
glissante sur laquelle on ne peut s'installer sans se trouver aussitôt
déversé dehors sur l'être -en-soi, c'est qu'elle n ' a par elle-même aucune
suffisance d'être comme subjectivité absolue, elle renvoie d'abord à la
chose (3). » Que le cogito conduise inévitablement hors de soi, vers le
dehors, ne signifie pas (si du moins nous voulons donner une portée
philosophique à ce texte en mettant à 'jour la présupposition ontolo-
gique implicite sur laquelle il repose en fait) qu 'à l'élément ontolo-

(i) EN, 712.


(2) ID., 37•
(3) ID., 712.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE z6 x

gique pur _ de l'être-pour-soi doive nécessairement s'adjoindre l'être.-


en-soi (l'étant) comme constituant avec lui la réalité concrète de la
phénoménalité effective : cette réalité est incluse dans l'élément
ontologique lui-même. Ce qui est en question, malgré l'apparence,
c'est cet élément ontologique pur, c'est la structure interne de l'être-
pour- soi. La nécessaire référence de la conscience à autre chose doit
être comprise : c'est une référence à l'altérité elle-même . Le mouve-
ment vers le dehors du cogito n'est pas originellement le mouvement
vers l'étant, c' est le mouvement vers le dehors comme tel, vers l'exté-
riorité pure. C'est parce que la phénoménalité est implicitement
identifiée avec l'extériorité que la conscience est pensée comme ne se
réalisant qu'en allant à l'extérieur de soi, c 'est-à-dire, en fait, dans et
par l'extériorité . C'est lorsqu'il est confondu avec celle -ci que l'être-
en-soi se donne improprement pour une condition de la réalité de
l'élément ontologique lui-même, c' est-à-dire comme intervenant dans
la structure concrète de la phénoménalité effective.
Le sens de cette confusion apparaît clairement dans l'affirmation
selon laquelle le « concret » est « la totalité synthétique dont la
conscience comme le phénomène ne constituent que des articula-
lions » (i). Ce n'est plus « l'être-en-soi », ici, c'est le « phénomène»
qui se donne comme constituant avec la conscience la totalité synthé-
tique concrète où se réalise l'être -pour-soi effectif, c'est-à-dire la phéno-
ménalité elle-même . Derrière le concept de phénomène, ce n'est pas
l'être- en-soi, en fait, qui est pensé, mais ce qui fait de lui précisément un
phénomène , c'est l'objectivité de l'objet, l'extériorité. Une fois dissi-
pées les confusions dont elle s'entoure , l'intervention de l'être-
en-soi dans la définition de la totalité synthétique concrète où se
réalise la phénoménalité effective a donc comme sens l'identification
de celle-ci avec l'extériorité elle-même . Ce qui s'annonce derrière cette
intervention de l'être-en-soi, c'est une certaine conception de la

(I) EN, 2Ig.


zGz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

phénoménalité, c'est-à-dire de l'élément ontologique pur lui-même.


C'est par rapport à cette conception, qui n'est autre que celle du
monisme ontologique en général, qu'il convient de comprendre en
quoi la conscience peut être dite n' avoir « aucune suffisance d'être »,
comment elle peut être « abstraite ». La conscience est abstraite en tant
qu'dle est
p se crée de la phénornmnalité. Comment la conscience peut-elle
être séparée de la phénoménalité ? En tant qu'elle ne s'est pas encore
réalisée dans l'extériorité , en tant • qu'elle reste « en elle-même ». La
conscience est abstraite « en elle-même », réelle en dehors d 'elle-même,
dans l' extériorité. Voilà pourquoi « le cogito conduit nécessairement
hors de soi », pourquoi « la conscience est une pente glissante sur
laquelle on ne peut s'installer sans se trouver aussitôt déversé dehors ».
En allant vers le dehors, la conscience ne va pas vers autre chose,
elle va vers elle-même . Le mouvement de la conscience vers le dehors
est le mouvement de la conscience vers sa propre réalité, vers la
réalité de la phénoménalité effective. Aussi longtemps que la cons-
cience n' a pas accompli ce mouvement , aussi longtemps qu'elle reste
« en elle - même », elle est abstraite.
Qu'en est-il, cep endant, de cette conscience considérée « en
elle-même », que signifie pour elle, d'une façon plus précise, être
abstraite ? Si la conscience est abstraite en tant qu' elle est séparée de
la phénoménalité effective , que devient - elle dans cet état ? N'est-elle
absolument rien? Et si elle n' est rien pourquoi intervient-elle du
moins comme l'un des deux termes qui composent ensemble la
totalité synthétique concrète du réel ? Ou bien la phenomenalite qui
réside dans l'extériorité n'a-t-elle pas comme condition le devenir
de celle-ci ? Le devenir de l'extériorité dans l'acte originaire par lequel
la conscience s'en va vers le dehors est la conscience même. L'oppo-
sition entre la conscience « en elle-même» et la conscience « en dehors
d'elle-même » n'est pas celle d'une intériorité indéterminée et vide au
milieu phénoménologique de l 'extériorité, c'est l' opposition à ce
'eu du pouvoir qui l'engendre . La conscience en elle-même est la
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 263

transcendance . L'abstraction de la conscience considérée en elle-même


est
l'abstraction de la transcendance.
Comment la transcendance peut-elle être abstraite ? Le pouvoir ontolo-
gique originaire qui déploie l'horizon transcendantal de l'être et qui
fonde sa phénoménalité dans l'acte par lequel il le. p, ose, devant,
n'est-il pas justement ce qui fonde la hénoménalite
p de cet' horizon et
comme tel son essence ? Considérée en elle-même, dans l'acte pu
de sa transcendance , la conscience est 1à terme concret ' r
. C'est de la
manifestation de l'horizon de l'être qu'il faut dire qu'elle n 'est que « la
manifestation immédiate de la vérité » et, comme telle « l'abstraction
de son être-présent dont l'essence et l'être-en-soi sont le concept
absolu, c'est-à-dire le mouvement de son être - devenu ». En tant
qu'elle est en elle - même le mouvement de l'être - devenu de l'exté-
riorité de l'horizon, la conscience ou la transcendance est l 'être-en-soi
de l'être-présent et, comme telle l'essence de l ' ' cette
a verste. Pourquoi
essence est-elle désignée , au contraire, comme l'élément unselbstkndi
pourquoi la conscience considérée en elle-même . n'a-t-elle « ar elle.-
p
même aucune suffisance d'être » ? Parce que, a-t-on vu, elle est séparée
de la phénomenalité effective , parce qu' en elle- même elle ne se mani-
feste pas . L'abstraction de la transcendance si ni ie sa non- hénoménalité.
g f p
Singulièrement éclairant est le paradoxe qui retire au ondement sa réalité s'il
f
intervient au moment de la détermination phénoménologique de cette réalité, lus
précisément au moment où une telle détermination se révèle impossible. Car
ce n ' est point par hasard que la transcendance apparaît alternative-
ment comme le terme concret et comme } le terme abstrait. Concrète
la transcendance l'est aussi longtemps q u'ilfa. ut bien penser comme le
devenir de l'extériorité la condition de la phénoménalité qu 'on a
réalisée dans celle-ci . Mais cette condition cesse d'être concrète elle
cesse d' être une condition, lorsqu'il s'a git de dire ce qu'elle est. Elle
n' est plus rien, précisément, sinon quelque chose d ' K abstrait », elle
n'a par elle-même « aucune suffisance d'être ». Ainsi l'être est-il
retiré au fondement au moment même où se pose le problème de l'être du
264 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

fondement. Quand elle consent à l'absurdité qui consiste à placer la


réalité hors du fondement, la problématique obéit encore secrètement
à la grande loi de l'être, elle cherche celui-ci où il est dans la man ifestation.
Parce que la manifestation réside dans l'extériorité, l'être est placé hors
du fondement, dans l'extériorité comme telle. La réalité se dép lace
comme se déplace la manifestation.
Conforme aux présuppositions ontologiques ultimes du monisme
est la détermination de l'être du fondement comme « être en dehors
de son être ». Cequi,
dans une telle détermination
toutefois demeure
totalement
. indéterminé, ce, n'est rien de moins 1 que le fondement lu'-
même dans ce qui fait de lui un fondement, c'est-à-dire dans son être,
Car l'être-a4'extérieur-de»soi du fondement n'est possible que sur le
fond du fondement lui-même en tant qu'il fonde son propre être-à--
l'extérieur-de-soi.
. Ainsi l'être ne peut-il être placé hors du fondement
la réalité ne peut-elle être située dans l'extériorité sans que ne se pose
le problème du fondement ultime de cette réalité, le probleme
de l'être du fondement en tant qu'il n' est pas l'être-à-l'extérieur-
de-soi du fondement mais ce qui le fonde. C'est le moment our la
problématique qui pense la possibilité de la phénoménalité sous le
titre de « conscience » d'en revenir à la considération de ce qu'est
celle-ci, non plus dans son être-à-l'extérieur-de-soi, mais « en elle-
même ». Cette çonscience abstraite qu'on ne eut e critiquer
mais dont on ne peut non plus se passer,` qui intervient à nouveau
dans la problématique au moment même où on la déclare abstraite
s
atteste l 'impossibilité pour la p ensée qui situe la réalité dans l'exté-
riorité d'oublier totalement ce qui est imp;qué dans l'idée d'un
fondement.
Abstraite, toutefois la conscience l'est nécessairement en tant
précisément que la réalité se situe hors d'elle danssl'extériorité.
1extérlorite.
C'est donc à celle-ci q
qu'il faut en revenir, c'est à elle que,
la conscience
renvoie. La problématique qui poursuit l'élucidation de l'essence du
phénomène à l'intérieur des présuppositions ontologiq ues ultimes du
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 2 65

monisme, tombe alors dans cette situation dialectique où elle se trouve


renvoyée sans cesse de cette essence à l'être-à-l'extérieur -de-soi de
cette essence , de l'être-à-l'_ extérieur-de-soi de l' essence à l'essence
même. Ce qui se légitime, toutefois, dans ce renvoi perpétuel d'un.
terme à l'autre n'est-ce pas, précisément, l'idée majeure de la dialec-
tique, l'idée que, comme synthèse, la totalité seule est concrète?
Le concret n'a#-il pas justement été défini comme « la totalité
synthétique dont la conscience comme . le phénomène (c'estàdire
l'extériorité) ne constituent que des articulations » ? Ce qui a le
caractère d'un fondement est-il susceptible, cependant, d'entrer à
titre d'élément dans une synthèse ? Ce qui fait de lui un fondement ne
doit-il pas, au contraire, avoir été perdu pour qu'il puisse devenir le
terme abstrait qui a besoin de l'autre ? C'est précisément au moment
osl la problématique se montré inca pable de déterminer la réalité du fondement
qu'elle a recours au schéma dialectique . Parce qu'elle ne peut être déter-
minée dans le fondement lui-même, la réalité sera posée hors de lui,
dans le terme fondé. Mais celui-ci renvoie au fondement . Devant sa
propre impuissance à saisir la réalité dans aucun des deux termes
dont elle dispose et dont chacun renvoie à l'autre, la pensée croit se
tirer d'embarras en réalisant purement et simplement cette réalité
qui lui échappe dans l'être-total de la synthèse, comme si la. Selbstün-
di$keit pouvait résulter de la réunion de deux éléments unselbsll ndig.
Ce qui est réel, ce sera donc la synthèse des deux termes dont chacun
« considéré en lui-même » est « abstrait ». Encore faudrait-il que çette
synthèse soit possible . Mais le passage incessant d'un terme à l'autre
n'est pas un lien réel, il est seulement l'affolement d'une pensée gui
va de l'un à l'autre sans pouvoir trouver ce qu 'elle cherche et qui,
dans le tourbillon du mouvement où elle est prise , ne voit d'autre
moyen d'en sortir qu'en déclarant que ce mouvement, c'est -à-dire sa
propre impuissance à saisir la réalité , est la réalité même.
La situation dialectique où se perd la pensée n'est pas supprimée
mais seulement portée à son degré de tension le plus haut, lorsqu'au
z66 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

perpétuel renvoi d'un terme à l'autre il n'est pas mis fin autrement
que par leur identification, par l'aplatissement l'un sur l'autre et le
recouvrement rigoureux de l'essence et de l'extériorité. Un tel
recouvrement s'opère, l'identification fallacieuse qu'il promeut est
effective, lorsqu'il est dit que « le champ où l'Erscheinen parvient à
l'intuition de soi est fait de l'Erscheinen lui-même et par lui » (1).
A vrai dire, considérée dans sa g énérahté indéterminée une telle
proposition est vraie. En elle s'annonce le caractère décisifde l'essence,
celui d'être le fondement de sa propre man festation. Vitre le fondement de
sa propre manifestation; c'est justement cela, pour l'essence de la
manifestation, être un fondement. Mais le caractère en vertu duquel
l'essence est le fondement ne saurait être purement et simplement
affirmé. Un tel caractère doit au contraire être saisi dans sa possibilite
même. Cette possibilité a éte mise en lumière, elle réside dans la marifeslation
du fondement lui-même, c'est-à-dire de la transcendance comme telle. A la
pensée qui comprend l'essence comme. le fondement de sa propre
manifestation, le problème de cette possibilite n'échappe pas. La
manifestation de l'acte d'apparaître est incluse dans l'affirmation selon
laquelle ce qui se phénomenalise dans le champ pur de la pheno-.
ménahté est cet acte d'apparaître lui-même. « Le champ où i'Erscheinen
parvient à l'intuition de soi est fait de l' « Erscbeinen » lui-même. »
C'est précisément parce que le champ phénoménologique . ou se
manifeste l'acte d'apparaître est fait de l'acte d'apparaîti e lui-même .
que ce champ est celui où se manifeste un tel acte, qu'il est le champ
où l'acte d'apparaître parvient à l'intuition de soi. De ce champ il est
dit aussi, toutefois, qu'il n'est pas fait seulement de l'Errcheinen lui-
même mais encore par lui. Que le champ de l'Erscheinen soit encore
« fait pat lui », cela nous invite à réfléchir sur la nature de l'Erscheinen
en tant qu'il n'est pas seulement ce qui se phénomenahse dans ce
champ comme constituant sa phénoménalité même, en tant 'il n'est

( I) H, 1 34.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 267

pas seulement ce champ lui- même mais encore ce ui le crée. Car ce quicrée le
q
champ phénoménologique
• de l'apparence
- n'est pas ce champ lui
meme, mals la transcendance A la pensée qui médite sur la nature
.
de 1 Erscheinen se présente dès lors cette évidence :
la détermination
du champ où l'acte d'apparaître parvient à l'intuition de soi comme
fait de cet acte,. et par lui,
,repose
p sur unement
confusion, plus exacte
sur l ' ambiguïté de l' « apparaître » lui-même en tant que
celui-ci
design a la fois la phénoménalité de l'horizon transcendantal de l'être et la
transcendance elle-même. Pour nous le sens de cette confusion est clair :
la tentative de déterminer la réalité du fondement en lui conférant
un statut phénoménologique est ce qui s'annonce en elle. Avec
l'identification phénoménologi que de la transcendance et de l'horiz on,
toutefois, cette détermination s'opère mal . Loin d'être levée par
elle, l'indétermination phénoménologique foncière du fondement
est ce qui la rend possible, car la. transcendance ne peut être identifiée
avec l ' horizon de l'être qu'elle n'est as que pour autant que son mode
p
originaire et propre de révélation demeure totalement inéclairci.
Parce qu'un tel mode demeure inéclairci ou, pour mieux dire,
totalement ignoré, il lui est purement et simplement substitué
le mode de manifestation de l'horizon lui-même . Ainsi apparaît
clairement l ' origine phénoménologique de l'identification de la trans-
cendance et de l 'horizon . Ce qui est impliqué par une telle identifi-
cation, ce n'est rien de moins qu'une identité ontologique que tout le
contexte de la problématique dément . Sur le plan phénoménologique
lui-même , toutefois , une telle identification se révèle illusoire. Avec
la manifestation de l'horizon où elle cherche vainement le principe
d'une phénoménologie de la transcendance c'est - à-dire du fonde-
ment lui-même, la problématique se donne quelque chose qu'elle n'a
pas, car la manifestation de l'horizon n'est possible que. par la
transcendance, c'est-à-dire justement sur le fond de quelque chose
qui lui échappe.
Que l'être du fondement échappe à la aumoment
problématique
268 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

où elle essaie de le saisir dans la manifestation de l'horizon, que la


transcendance ne soit pas en elle-même ce qui se phénoménalise
originairement dans le • champ phénoménologique de l'être, cela se
voit aussi dans • le fait qu'elle est bien plutôt ce qui ne se montre pas
dans la vérité de ce champ et, comme telle, l'essence ontologique,
plus ancienne que lui, de la non-vérité . Dès qu'elle est comprise dans sa
nature ontologique de fondement, la transcendance se dérobe à la
phénoménalite de l'horizon. Qu'au moment ou elle se dérobe ainsi
à la lumière de cette phénomenalite , la transcendance soit purement
et simplement réalisée dans la nuit de la noms-vérité, cela atteste
l'échec, dans la double direction où elle s'engage, de la problématique
qui voulait lui assigner un statut phénoménologique positif et, par
là, déterminer dans sa réalité l'être du fondement.

§ 29. MISE EN ÉVIDENCE DU MOTIF ONTOLOGIQUE


. DE L'IMPUISSANCE DE LA PROBLÉMATIQUE
A ÉDIFIER UNE PHÉNOMÉNOLOGIE DU FONDEMENT
ET A DONNER UN CONTENU
A L'IDÉE DE LA STRUCTURE FORMELLE DE L'AUTONOMIE

Que la problématique qui vise à élucider l'essence du phénomène


échoue dans sa tentative de déterminer la réalité du fondement,
c'est-à-dire précisément au moment où elle est amenée en présence
de ce qui constitue sa tâche la plus propre et la plus fondamentale,
cela l'amene à réfléchir . aux raisons ultimes de cet échec. Le rejet de
l'étant hors de la structure interne de l'essence de la manifestation
signifie que c'est cette essence elle-même qui se manifeste. C'est
précisément parce qu'elle se manifeste que l'essence de la manifes-
tation peut accomplir son oeuvre et être ce qu'elle est. L'essence est
agissante si elle se montre. Parce qu'elle se lmontre, elle est l'essence de
la manifestation. Qu'elle soit l'essence de la manifestation, cela implique
encore, toutefois, que cette manifestation de soi de l'essence qui
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 26 9

s'accomplit s'accomplisse aussi ^ ar elle.


possibili
La de té la
manifes-
tation de soi de l'essence de la manifestation réside dans cette essence
même. L'essence est le fondement de sa manifestation . En tant que l'essence
est le fondement de sa manifestation , elle est autonome. Au concept
de l 'autonomie de l ' essence appartient aussi, toutefois, la
^ première
présupposition, l'idée que la manifestation qui s'accomplit par la
médiation de l'essence de la manifestation est la manifestation de
cette essencé même . L'élaboration de la structure formelle de l'idée
de l'autonomie a mis en lumière cette double p résu osition comme
pp
ce_ qui est impliqué dans le concept de l' « essence » de la manifes-
talion. La première condition , la manifestation de l'essence . a été
pensée comme la signification positive de la Selbstdndigkeit. L'imma-
nence du devenir phénoménal à l'essence de la phénoménalité désigne
cette essence elle-même comme ce qui se phénoménalise à l'intérieur
de ce devenir. Celui-ci , toutefois, trouve sa condition dans l'essence.
La possibilité de la Selbstdndi^ keit est ce qui doit être
hibe si exhibé
du si
moins la manifestation de l'essence est autre chose qu'un voeu. A
la double exigence a laquelle doit satisfaire l'essence de la manifes-
tation satisfait aussi l'affirmation selon la quelle le champ où l' Erschei-
tien parvient a l 'intuition de soi est constitué de l'Erscheinen lui-même
et par lui. L'Erscheinen désigne l'acte d' apparaître considéré en et
pour soi, c'est- à-dire l' essence de la manifestation elle-même. Que
l'acte d' apparaître apparaisse, cela signifie ue l'essence de la mani-
q
festation se montre et, comme telle, est susce tible d'a ir
p g . Que cette
manifestation de l'acte d ' apparaître soit le fait de l ' acte d'apparaître
lui-même, cela veut dire que cet acte est le fondement de sa ro re
p p
manifestation.
A la détermination de la nature de l'Erscheinen c'est-à-dire de
l'essence de la manifestation , appartient encore une présupposition,
à vrai dire essentielle : si l'Erscheinen qui parvient à l'intuition de soi
dans le champ phénoménologique est cet Erscheinen considéré en
tant qu'il est ce qui crée la phénoménalité de ce champ (en tant que ce
270 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

champ est constitué par lui), c'est que l'acte d'apparaître qui est le
fondement de sa propre manifestation se montre aussi en tant qu'il
est ce fondement. C'est comme ce fondement qu'il est lui- même de sa
propre manifestation que l'acte d'apparaître apparaît. Dans cette déter-
mination de l'être du fondement comme ce qui se montre , la signi-
fication positive de la. Selbstdndigkeit, la manifestation de l'essence, ne
se recouvre - t-elle pas purement et simplement avec ce qui constitue
sa possibilité même ?. Cette possibilité cesse d'être abstraite, elle est
autre chose qu'une condition x, si elle s 'exhibe dans le champ
qu'elle fonde de la phénoménalité comme cela même qui le fonde. A
sa tâche s ' égale la problématique qui vise à élucider l'essence du
phénomène , elle atteint son but quand est déterminé dans sa réalité
ce qui rend possible la manifestation de l'essence de la manifestation,
c'est-à- dire l'être du fondement. La détermination dans sa réalité de
la possibilité de la manifestation de l'essence appartient à la phéno-
ménologie du fondement . Avec la phénoménologie du fondement la
« Selbstdndigkeit » de l'essence est autre chose qu'une présupposition , elle est
ce qui se montre dan s sa po ssibilité.
L'élaboration de la structure formelle de l'idée d'autonomie
reste cependant formelle, les conditions qu'elle énumère comme
constituant ensemble la p hénoménalité concrète demeurent en fait
des présuppositions vides aussi longtemps qu'il n'est pas répondu
à cette question qu'est-ce qu 'apparaître ? Que l'acte d'apparaître
apparaisse, qu'il soit le fondement de sa propre apparition, et qu'il
apparaisse justement en tant qu 'il est ce fondement , cela donne sans
doute à penser que cet acte d'apparaître se suffit à lui-même , mais cela
ne veut encore rien dire aussi longtemps que la signification du mot
« apparaître » demeure en fait et chaque fois totalement indéterminée.
La distinction instituée par la problématique entre l'Erscheinen et sa
manifestation, entre l'acte d'apparaître compris comme ce qui se
phénoménalise dans le champ phénoménologique de l'être et ce même
acte considéré en lui-même en tant qu'il fonde la phénoménalité de ce
TRA NSCENDANCE ET IMMANENCE 2 7 !

champ où il s 'apparaît, a-t-elle un sens et peut -elle être maintenue si ce


qu'il convient d'entendre par « apparaître » reste non seulement
indéterminé mais aussi et en conséquence complètement indiffé-
rencié ? Le partage dans l ' oeuvre de la manifestation entre ce qui
accomplit cette oeuvre et ce qui se trouve par elle accompli, peut- il se
prévaloir, malgré son apparence logique, de quelque légitimité si ce
qu'il convient de penser sous chacun des deux termes qu'il sépare
se trouve être en fait la même chose, l' « apparaître » ? Un tel partage
n'est-il pas, justement, purement « logique » ? L'effort, au contraire ,
de la problématique pour identifier avec la visibilité du champ
ouvert de la phénoménalité le pouvoir qui ouvre ce champ et qui le
rend « visible », n'est-il pas bien inutile si l'unité que cette probléma-
tique cherche à promouvoir et à fonder n'est en fait rien d'autre que
i'identité vide dé la tautologje ? Derrière le recouvrement de l'Erschei-
nen et du champ phénoménal où cet Erscheinen parvient à l'intuition de
soi, qu' y a-t-il d'autre, en effet, si ce champ est fait de l'Erscheinen
lui-même, s'il est en fait lui-même cet Erscheinen, que le pur et simple
acte d' apparaître, d'ailleurs totalement indéterminé, qu'on trouve
seulement bon de nommer deux fois ? Pourquoi tant de distinctions?
Quand celles- ci se révèlent illusoires, n'est- ce pas l'idée même d'une
structure formelle de la Selbstdndigkeit de . l'essence: q ui,apparaît.
inutilement compliquée ou, pour mieux dire, vide et sans fondement
A y regarder de près, toutefois , l'élaboration de la structure
formelle de la Selbstdndigkeit n' est pas en elle-même formelle, . elle
est prise au contraire dans le progrès de la problématique qui vise
l'essence de la manifestation . L'élaboration de la structure formelle de la
« Selbstdndigkeit » de l'essence s'est poursuivie comme une élucidation. C'est
dans le travail même de celle- ci que l'idée de l'autonomie s'est fait
jour. Loin d' être une présupposition de l'analyse, elle est bien
plutôt son résultat . Du bien, si l'idée de l'autonomie est une présup.-
position, c'est seulement en un sens dérive, . au sens où ce qu'elle indique
est dans l'ordre de la réalité la présupposition absolue. C'est précisément au
272 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

moment où elle entre en rapport avec cette présupposition absolue,


c'est-à-dire avec ce qui constitue l'essence même de toute réalité, que
la problématique rencontre aussi l 'idée de l'autonomie où se défi-
nissent les conditions de cette réalité, c'est^à -dire son essence même.
La structure formelle de l'idée de l'autonomie est l'expression de la structure
interne de l'essence. Pour cette raison l'idée de l'autonomie n'est
ni formelle ni vide. Encore convient-il de remarquer. que le mouve-
ment Ide la pensée ne s'est pas fait de cette i dée, comme d'une idée
directrice pour la recherche, à la réalité que cette recherche vise à
expliciter. C'est au contraire, comme il a été remarqué et comme
l'atteste le cours entier suivi par la problématique, de l 'élucidation
même de ce qui a été compris comme la réalité, à savoir l'essence de la
manifestation, qu'est née l'idée de l'autonomie comme ce qui réunit
dans son concept les conditions qui ont été dégagées par l'analyse
dans son mouvement propre. Pour la pensée . enfoncée dans son
travail ontologique d'élucidation, d'idée de l'autonomie est à poste-
non. A cette pensée il arrive cependant que, parvenue à ce point de sa
recherche où elle se trouve amenée en présence de ce qui fait de
l'essence de la manifestation ce qu'elle est, une essence, c'est-à-dire de
son objet même, l'idée de l'autonomie se présente à elle comme ce
dont le concept retient en soi tout ce qu'elle a acquis dans son
mouvement passé, de telle manière, toutefois, que ce contenu,
brusquement synthétisé et éclairé par elle, soit aussi ce qui définit
d'une façon rigoureuse la tâche à laquelle il lui faut maintenant
s'égaler pour parvenir à son but. L'idée de l'autonomie n'est encore
qu'une question, mais c'est une question élaborée . par le progrès
phénoménologique de l'analyse, c'est une question qui est un résultat,
une question philosophique . Avec la question contenue dans l'idée
de l'autonomie, la problématique qui vise l'essence de la manifes-
tation devient transparente à elle-même , elle se comprend dans son
but. L'idée de l'autonomie est maintenant une idée directrice.
Que l'autonomie de l'essence, toutefois, ne soit encore pour nous
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
273

qu'une idée , une idée. directrice cela montre


que si le - bute qu'elle
poursuit est maintenant clairement défini aux
y de la eux '
probléma-
tique qui vise l'essence , les moyens lui manque nt encore,
cependant,
pour parvenir à ce but . Loin d'être abstraite ou vide l'idée
de l'auto-
nomie est l'indice d ' un travail ontologique concret, elle
est ce qui
permet a la problématique de p rendre conscience
sa propre de
insuffisance dans l 'impossibilité où elle se trouve de fournir a cette
idée un contenu effectif. Est-cepar hasard sic ' est précisément au
moment où elle se montre incapable de lui donner un contenu. effectif
que la problématique se retourne contre l'idée . qui jaillit pourtant de
son progrès même pour la mettre en cause et se demander si , finalement,
cette idée a un sens ? Quand donc la problématique se
montre-t-elle
incapable de donner à l'idée de l'autonomie un contenu effectif?
Quand l s'agit pour elle de déterminer dans sa
réalité l 'être du
fondement. L'idée de l'autonomie n'est ue l'idée d '
q e cette détermination
nécessaire . C' est parce que cette détermination échoue, parce
, p qu elle...
se laisse reconnaître, en fait, comme une indéter
ontolo-
mination
gique foncière, que l'idée de l'autonomie a pp araît formelle et
vi d e.
En quoi consiste , plus précisément, le caractère « formel » et
« vide » de cette idée ? En ceci qu'elle donne comme le fondement de
l' apparence cette apparence même . Mais le contexte de la proble-
matique confère à cette tautologie vide un sens singulier. Et d'a bord,
dans ce contexte , ce qu'il
q parconvientl'apparence_
d'entendre se
trouve être rigoureusement défini : l'apparence désigne. la
vi s ibilité
de l 'horizon transcendantal de l'être. Précisément
parce que l 'idée de
l'autonomie de d'essence intervient dans le cours du progrès phéno-
ménologique de l'analyse, les éléments qui composent sa structure
formelle et qui sont réunis par elle ne sont,,primitivement
p ni indéter- ,
minés ni incertains . Pas plus que le concept de l'apparence
(qui est
celle de l'horizon) , l'idée du fondement n'est à l'origine, une simple
présupposition logique. Le fondement est la transcendance elle-même.
C

274 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

A l'origine, c'est-à-dire dans le mouvement du processus d'élucidation


où ils interviennent , les éléments qui composent la structure formelle
de l'idée de l'autonomie sont différents. La compréhension de
cette différence est identiquement celle de leur unité. C'est lorsque
l'être propre du fondement est déterminé que ce qu'il fonde peut
être compris . à partir de lui, c'est-à-dire dans, son unité par rapport
à lui. Déterminer l'être propre du fondement, c'est mettre en lumière le mode
originaire de révélation de la transcendance elle-même. Parce qu'elle ne dispose
pas de l'idée de ce mode de révélation originaire et propre , la problé
matiquene peut déterminer l'être de la transcendance autrement qu'en
conférant à celle-ci le statut phénoménologique de l'horizon . L'indi-
gence des moyens est ce qui amène la problématique qui se meut à l'intérieur
des présuppositions ontologiques du monisme à identifier les éléments structu-
raux distingués par elle dans l'essence. Au moment où le fondement
se recouvre avec l'apparence qu'il fonde, où il est lui-même cette
apparence comme telle, la distinction entre ces éléments confondus
n'est plus assurément qu'une complication inutile de l'analyse, leur
identité est l'identité vide de la tautologie. Mais le terme identique
qu'on nomme inutilement deux fois est-il autre chose qu'un mot
vide ? Il `est l'apparaître qui veut tout dire et qui ne veut rien dire,
l'apparaître qui apparaît; qui fonde son apparaître et qui apparaît
en tant que tel. Comme si le formalisme de tous ces rapports où il est
pris pouvait effectivement dire en quoi consiste l'acte d'apparaître et
comment il est véritablement possible. -
Du bien, si cet acte d'apparaître a un sens , c'est dans le contexte
de la problématique où il désigne la manifestation de l'être sous la
forme d'un horizon. Que cette manifestation ne soit possible que
dans et par la transcendance, cela place cette problématique en face
de la tâche qui est la sienne, à savoir la détermination de l'être de la
transcendance elle-même . A vrai dire, c'est bien une telle détermi-
nation qui a été tentée, c'est le projet de cette détermination qui se
trouve élaboré et défini dans l'idée de la structure formelle de l'auto-
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
275

nomie. Que l ' idée de la structure formelle de l'autonomie perde son


sens au moment où la problématique se révèle incapable de remplir
la tache que cette idée lui indique déterminer dans sa réalité l'être d
fondement, c'esta- -dire le mode originaire de révélation de la trans-
cendance elle-même , cela amène enfin cette problématique devant la
question de savoir pourquoi une telle détermination toujours et
inévitablement, échoue.
Pourquoi la problématique à qui la transcendance fournit l'idée
d'un fondement se montre-t -elle cependant incapable de déterminer
l'être de ce dernier ? Pour quelle raison la transcendance se dérobe -t-elle
a la pensée au moment même ou celle -ci veut la saisir . Comme appar-
tenant déjà à l'élaboration d'une réponse à cette interrogati on,
deux questions peuvent encore être posées : à quelle pensée la
transcendance se dérobe-t-elle de telle manière que la saisie de l'être
du fondement se révèle précisément im p ossible p our elle
? Q ue signi-
fie, d'autre part, « se dérober » ? Se dérober signifie ne pas se mon-
trer. La pensée à laquelle la transcendance ne se montre as est la
pensée qui pense la manifestation comme la manifestation de l'horizon.
Que la transcendance ne se montre pas à la pensée qui pense la mani-
festation comme
. la manifestation de l'horizon, cela signifie que la
transcendance ne se manifeste pas sous la forme de cet horizon cela
signifie qu'elle n'est pas ce qui se phénoménalise dans le cham p
phénoménologique
. constitue par lui. La cornprébension de l'impuissance
de la pensée qua se meut à l'intérieur des présupp ositions ontolo i ues du
gq
monisme à donner un contenu effectif à l'idée de la structure ormelle de
f
l'autonomie
., en déterminant dans sa réalité l'être du fondement est une ré é-
p
tauon, elle répète dans sa signfication, dans son rogrès et dans ses résultats
p
la problématique qui vise l'essence de la réceptivité lorsque cette probléma-
tique se comprend elle-même dans le r61e central qui est le sien. Ce qu'une
telle répétition amène a la lumière , ce n'est rien de moins que l'insuffi-
sance radicale des présuppositions qui définissent ensemble ce qui a
été désigne sous le titre du monisme ontologique.
276 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

. L'insuffisance de ces présuppositions, insuffisance qui s'exprime


. dans l'impossibilité pour la pensée qui se meut en elles de saisir dans
sa réalité l'être du fondement, ne conduit-elle pas cependant la
problématique à prendre conscience de la situation paradoxale qui
est la sienne ? Comment une telle problématique peut-elle manquer le
fondement quand l'idée de celui-ci se présente à elle, et cela non pas
comme l'idée formelle d'un fondement en général, d'ailleurs totalement
indéterminé, mais comme l'idée même de la transcendance ? Cette
problématique est-elle si démunie si elle se trouve en fait en posses..
sion ^du pouvoir qui assure la manifestation de l'être .? Quand elle se
trouve en présence de ce pouvoir, la problématique qui vise à saisir
l'essence de la manifestation a-t-elle véritablement échoué. ? Mais la
philosophie se donne souvent ce qu'elle n'a pas. L'idée d'un fonde-
ment contenant en soi la possibilité ultime de la manifestation peut
bien se présenter â elle sous la forme de l'idée déterminée de la
transcendance, la problématique est-elle véritablement en possession
de ce fondement tant qu 'elle n'a pas tiré au clair l'origine de la
connaissance qu'elle en prend, l'origine de l'idée de la franscendance
elle-même ? Avec l'idée de la Transcendance quelque chose est donné à la
problématique qui n'appartient pas cependant aux présupposition s qu'elle
reconnaît comme les sienne s si la manifestation de la transcendance n'est pas
l'oeuvre de la transcendance elle-même. Que la manifestation de la trans-
cendance ne soit pas l'oeuvre de la transcendance elle-même, c'est
là justement ce qui éclaire le paradoxe où se perd cette problematique
quand elle ne peut assigner un fondement à l'idée du fondement sur
lequel elle prétend se fonder. Ce qui demeure sans fondement , toute-
fois, ce n'est pas seulement l'idée du fondement , c'est le fondement
lui-même. L'impuissance de la problématique à déterminer dans sa ,
réalité l'être du fondement trouve son origine dans l'impuissance du
fondement lm-même à se produire en et par. lui-même dans la
dimension effective de la phénoménalité . L'impuissance du fondement
à se produire en et par lui-même dans la dimension effective de la phénomé-.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 2 77

nalité est identiquement l'impuissance de la transcendance à assurer elle-même


sa propre man fcstation.
Avec la manifestation de l'horizon ouvert par la transcendance,
la p roblémati que qui comp rend celle-ci comme le fondement ne
dis p ose-t-elle p as cep endant d'une dimension réelle et effective de la
phénoménalité ? Parce que cet horizon est ouvert par A la transcen-
dance, il n'est rien, on l'a vu, aussi longtemps que l'être de celle-ci
n'est pas donné. Comme elle ne contient pas en elle les conditions de
la manifestation effective de l'horizon , la philosophie de la transcen-
dance ne p eut non plus fournir un fondement à la manifestation de la
transcendance elle-même, elle ne peut dire en quoi cette manifestation
consiste ni comment elle s'accomp lit. A la rigueur, c'est la totalité
des conditions d'une manifestation quelconque qui lui échappe. La
manifestation telle que la comprend la pensée qui se meut à l'intérieur
des présupp ositions ontologiques du monisme n'est pas seulement
unilatérale, elle est abstraite en ce sens que, sur le fond de ces seules
présuppositions, elle ne se produit pas.
Ou bien, si l'horizon se manifeste effectivement, si l'être se
montre c'est que la transcendance qui rend cette manifestation
possible est quelque chose plutôt que rien . La réalité de la transcen-
dance est ce qui ;se trouve constamment présupposé par le monisme
ontologique sans que cette présupposition ultime fasse cependant
parue des p résuppositions pax lesquelles il se définit, Comment la
réalité de la transcendance peut -elle ne pas être donnée a une pensée
qui fait consciemment et explicitement de la transcendance elle-même
le fondement sur le quel elle repose ? Comment la transcendance peut-elle
être une présupposition étrangère à la philosophie de la transcendance?
Cela ne se p eut que si la transcendance présuppose autre chose qu'elle,
si, p aradoxalement, la réalité de la transcendance n'est pas constituée
par cette transcendance elle-même . Être réelle, pour la transcendance,
cele veut dire être donnée , être reçue . o La réalité de la transcendance
est identiquement sa manifestation. Parce que sa prop re manifesta-
27$. L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION
.

tion n'est pas l'oeuvre de la transcendance, la réalité de celle-ci ne


réside pas en elle . La réalité de la transcendance réside dans le pou..
voir qui assure sa manifestation dans l'essence qui la reçoit. L'essence
qui assure la receptivite de la transcendance est l'essence originaire..
de la révélation.
Il est besoin d ' une détermination ontologique de l'essence ori.
paire de la révélation. determination OntologiqueLa gi
de 1'essenc
ori maire
g de la révelation e
fait apparaître celle ci comme l imma
nence. ^

30• D^TERMINATION oNTOLOGI UL DE ,


Q L'ESSENCE ORIGINAIRE
. DE LA RÉVÉLATION COMME IMMANENCE
CONTENU IMMANENT ET CONTENU
TRANSCENDANT

La compréhension deson 'impuissance


a donner un contenu
a l'idée, qu'elle fait même, surgir
de la structure elIe. nu
l'autonomie
formelle
de
amené la
'' phénomène problématique qui vise l ' essence du '
devant l'indigence des moyens dont elle dispose, . devant l'insécurité
et 1 indeterminatlon des horizons ontologiques ultimes qui sont les
siens, Sa propre carencedeau vuepont. •
ontologique est ce qui
s'offre à elle,
toute pretendait àtandis que le fondement qu'elle assigner
., manifestation
,, . g Chappe. possible en énéral lui é •
lurniere de l 'insuffisance et de l'indé La mise en
. ,
termination des présuppositions
ontologiques du monisme cesse toutefois d 'avoir une signification _
purement négative lorsque precisément cette insuffisance est comprise
La comp
réhension dans s et dans son motifontolog i
on origine quepro
fond de l'échec auquel se heurte la problematique uand elle
saisir réalité dans sa
l'être du fondement enfermeq veut
^ n ellee des éléments
qui'
appartiennent
positive a une deterrnuiation ve de cette réalité, elle a
déjà, comme telle, une signification positive.
. quels de '
elenrients
positifs la problématique
quivoit l'être du fondement lui écha
peut-elle se revaloir ? 0 u pp er
.
p est la détermination de la réalité quand
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
279

celle-ci n'est plus rien d 'autre _ que l'indéterminé et l


'inconnu ? Ce
pour quoi cette réalité lui échappe, c'est là du moins ce qui devient
perceptible à la problématique qui comprend le motif de son échec.
La raison pour laquelle l ' être du fondement se dissimule a ses yeux
est maintenant là pour elle . Cette raison est contenue dans le fondement,
elle est le fondement lui-même.
La raison pour laquelle l ' être du fondement échappe a la
problématique qui comprend ce fondement comme la transcen-
dance, réside dans le fait que la manifestation de la transcen-
dance n' est pas l'oeuvre de la transcendance elle-même. Ce qui est
impliqué dans ce fait, au titre d'une détermination po ' de l 'être du
sitive
fondement, doit maintenant être p ensé, Q ue si gnifie, poux une
manifestation , « ne pas être l'oeuvre de la transcendance >
> ?. UEuvrer,
pour celle-ci , c' est ouvrir un horizon . La formation phénoménolo-
gique de l 'horizon transcendantal de l'être dans l'acte créateur de
l'extériorité , telle est l ' oeuvre de la transcendance. Ne pas
être l 'oeuvre
de la transcendance , cela signifie donc^
, pour une manifestation, surgir et
^ festation,
s'accomplir indépendamment du mouvement par lequel l'essence s' et se
élance
p rojette en avant fous la forme d'un horion, sur ir,
^ g t s'accom
seplir e
maintenir indépendamment du processus ontologique de
, a l'objectivation , c'est
a-dire précisément en l 'absence de toute transcendance. La manifestation
qui se produit en l'absence de toute transcendance est cependant la
manifestation de la transcendance elle-même. Qu'une manifestation,
la manifestation de l'essence comprise comme la transcendance, se
produise en l'absence de toute transcendance cela veut donc dire ;
l'acte originaire de la transcendance se révèle indépendamment du mouvement
par lequel il s'élance en avant et seprojette
hors de soi. L' ache qui se revête
independamment de son propre élan en avant indé endamment
p du mouvement
par lequel il•
se projette hors ,
de soi,
A .. esemanière
révèle en lui-même de tell que
cet « en lus-même » srgn:fie . sans se de asser, sans sortir de soi.
p Ce qui
ne se depasse pas, ce qui ne s'élance pas hors de sot mais demeure en ,rois
même
sans se quitter ni sortir de soi est, dans ion e s sence, immanence
, L'immanence
z8o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est le mode originaire selon lequel s'accomplit la révélation de la transcendance


elle-nsême et, comme telle, l'essence originaire de la révélation.
La compréhension de l'impossibilité où se trouve la pensée qui
se meut à l'intérieur des présuppositions ontologiques dû monisme,
de donner un contenu à l'idée de la structure formelle de l'autonomie
et de déterminer dans sa réalité l 'être du fondement, est apparue
comme une ré p étition de la P roblématique de la réce p tivité. Comme la
compréhension de l'imp üissance de la pensée qui se meut à l'intérieur
du monisme a une signification positive qui s'exprime dans la mise
en lumière d'une structure où cette im p uissance trouve son motif onto-
logique ultime le résultat auquel parvient, lorsqu'elle se comprend
,
elle-même, la problématique qui vise l'essence de la réceptivité
n'est p as seulement né gatif. Ce résultat consiste dans le dédoublement du
concept de recep tivité, concept qui reçoit deux sens bien distincts selon
qu'il se réfère à l'horizon dans lequel l'essence s 'objective ou concerne,
au contraire, le pouvoir originaire qui déploie cet horizon. Ce qui
diffère, en effet , dans chacun de ces deux cas, ce n'est pas seulement
la réalité qu'il s'a git chaque fois de recevoir, mais, plus essentiellement,.
le mode de réception de cette réalité considéré en lui-même. A vrai
dire, la réalité ne se différencie qu'en raison de ce mode de réception
qui la concerne et lui convient . Ou, pour être plus exact, la réalité,
quand il s'agit de la réalité ontologique , n'est pas discernable du
mode de récePp tion dans et P ar lequel elle se définit . C'est précisément
parce que le mode selon lequel s 'accomplit originairement leur réception n'est
pas le même que la transcendance et l'horizon sont des réalités ontologiques
différentes. Le mode selon le quel s'accomplit la réception de l'horizon
est la transcendance. Parce qu'elle est constituée par la transcen-
dance, la réceptivité qui assure la réception de l'horizon se trouve
déterminée dans sa nature p rop re. Et c'est parce que cette réceptivité
est ainsi déterminée dans sa nature et son essence propres que la réalité
qui se trouve reçue par elle est, elle aussi, déterminée, est un horizon.
Mais , comme l'a montré la P roblémati que de la réceptivité, le
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 281

mode selon lequel s'accomplit la réception de l'horizon n'est pas celui


qui fonde la réceptivité de la transcendance elle-même. En tant que
celui-ci n'est pas le pouvoir qui forme l'horizon dans l'acte par lequel
il s'élance hors de sot, il n'est pas seulement « différent » d'un tel
pouvoir, sa caractérisation est positive et s'exprime • comme suit ;
dans la structure interne de ce mode originaire de réceptivité la transcendance
n'est pas comprise. Car c'est la structure interne d'une essence qui se
trouve définie et déterminée, s'il est vrai qu'en elle la transcendance.
n'agit pas. Une essence où la transcendance n'agit p as est une essence
qui ne se divise pas, qui ne se sépare pas de soi, mais demeure au
contraire en soi-même. L'essence de la réceptivité originaire qui assure la
réception de la transcendance elle-même est l'immanence . La détermination
de l'essence originaire de la réceptivité, toutefois, est identiquement
celle de son contenu. En tant qu'il est constitué par l'immanence
le mode originaire de la réceptivité est l'acte d'atteindre son contenu sans se
mouvoir ni se dépasser vers lui, de telle manière que la réalité ontologique
constituée par ce contenu pur ne lui est en aucune façon transcendante et ne se
trouve point posée devant lui à la façon d'un horizon. Que son propre
contenu ne soit point transcendant au pouvoir qui assure sa récep-
tion, que la réalité ontologique qu'elle atteint sans se dépasser vers
elle ne soit, comme telle, ni extérieure ni étrangère à l'essence de
la réceptivité considérée dans. le mode originaire de son accomplisse-
ment, cela fait apparaître un tel contenu comme un « contenu immanent ».
Le caractère « immanent » de ce contenu a cependant la si 'fi-
cation ontologique la plus rigoureuse. En désignant comme imma-
nent le contenu qui appartient à l'essence de la réceptivité considérée
dans le mode originaire de son accomplissement,' on ne veut pas
seulement dire que ce contenu est donné au pouvoir qui est justement
celui de le recevoir. C'est en ce sens trop général et qui demeure en
fait ontologiquement indéterminé qu'on emploie l'expression de
« contenu immanent » pour indiquer la propriété qu'a ce dernier
d'être « donné en fait » et de se trouver ainsi effectivement aperçu
M, HENRY i Q
zôz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et saisi par un pouvoir d'appréhension. On parlera de cette manière


d'un contenu « immanent à la conscience », voulant dire par là qu'un
tel contenu entre de manière effective dans la sphère de cette conscience
et se trouve de la sorte réellement atteint par celle-ci. Ce qui demeure
totalement indéterminé dans le concept d'immanence lorsque celui-ci
appliqué à un contenu quelconque, désigne le caractère en vertu
duquel un tel- contenu se trouve être effectivement reçu par la
conscience, ce n'est rien de moins, toutefois, que le mode même selon
lequel s'opère cette réception, c'est-à-dire la « conscience » elle-même. Mais
l'indétermination ontologique du mode selon lequel s'opère la
réception d'un contenu est identiquement l'indétermination ontolo
gique de ce contenu lui-même. C'est une seule et même indétermi-
nation qui concerne l'acte d'apparaître considéré dans sa forme et
dans son contenu ontologique pur, c'est-a-dire finalement l'essence
même de la manifestation, essence que la problématique avait pour-
tant comme tâche d'élucider.
Du bien, si l'indétermination ontologique du pouvoir qui assure
la réception
. d'un contenu se trouve être levée par la problematique
qui vise l'essence de la manifestation lorsqu'elle prend conscience
de . la tâche qui est la sienne, cette détermination ne s'accomplit
point
. librement mals conformément à des presuppositions qui
interdisent toute compréhension ontologique rigoureuse du caractère
« immanent » d'un contenu, Quand un tel caractère ne signifie pas
simplement, en effet, pour le contenu qu'il prétend déterminer,
« être reçu par la conscience », c'est-à-dire finalement et d'une
manière totalement indéterminée, « apparaître», quand le mode selon
lequel s'opère nette réception se trouve enfin être pris en conside-
ration et que la structure interne de ce mode fait probleme, il apparaît
alors
. que la compréhension de cette structure s'opère toujours et
inévitablement, que ce soit d'une manière explicite ou non, à la
lumière d'une philosophie de la transcendance de telle manière que
le contenu reçu par la conscience et à ce titre « effectivement donné »
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 283

revêt la signification d'être tel en tant que la conscience l'atteint dans l'acte
par lequel elle se transcende vers lui . L'immanence reçoit paradoxalement le
sens de l'objectivité.
La désignation d'un contenu comme immanent ne détermine-
t-elle pas pourtant celui- ci d'une façon plus précise, en l'opposant
par exemple au contenu « transcendant » de la conscience ? Si une
telle opposition a un sens, s'il y a véritablement lieu d'instituer une
distinction dans le cours de notre expérience entre les contenus
qui lui appartiennent en tant que contenus immanents et ceux qui
ne sont encore que transcendants par rapport à elle, n'est-ce pas le
mode même selon lequel ces contenus sont reçus par la conscience
dans l'expérience qu'elle en fait qui doit alors ét chaque fois être
différent ? Et si l 'immanence désigne précisément le mode selon,
lequel s'opère la réception d'un contenu lorsque celui - ci revêt cette
qualification d'être immanent, ne doit-elle pas, dès lors, être déter-
minée en tant que telle et constituer par suite l 'essence particulière
d'un mode spécifique de réceptivité ? A vrai dire, dès que la problé-
matique se pose les questions les plus simples, et pourvu que celles-ci
aient une signification ontologique rigoureuse , les évidences sur-
gissent devant elle, La distinction effectuée dans la phénoménologie
husserlienne entre les contenus immanents et les contenus transcen-
dants de l'expérience est iressentielle parce que l'essence de ces
contenus précisément est la même le pouvoir ontologique qui les rend
ultimement possibles en assurant leur réception est dans tous les cas a
transcendance. Transcendant à la conscience apparaît en effet le contenu
primitivement désigné d' une façon impropre comme immanent,
dès que la problématique ne se borne plus à constater. le caractère en
vertu duquel un tel contenu appartient à titre de donné à l'expérience
réelle de la conscience mais s'interroge au contraire sur la condition
de possibilité de ce donné, c'est-à-dire sur le pouvoir ontologique
qui en assure originairement la réception. Dès lors , le contenu,
immanent à la conscience en tant qu 'il entre dans la sphère de son
284 L'ESSENCE DE. LA MANIFESTATION

expérience effective, en tante qu'il est précisément un contenu de


cette conscience,. apparalt comme transcendant au contraire s'il est.
vrai que ce qui lui permet d'entrer dans la sphère de cette ex périence
effective n'est rien d'autre que le pouvoir ontologique qui le projette
dans l'avant-plan de lumière où il lui est permis de se manifester, rien
d'autre, par conséquent, que la transcendance elle-même.
Où se trouve alors le principe d'une distinction entre contenus
immanents et contenus transcendants s'il ne réside pas dans l'essence
qui assure leur réception, si une telle distinction est sans fondement au
point de vue ontologique ? Les contenus sont dits immanents ou transcen -
dants au cours de l ' expérience selon q qu'ils sont simplement
s visé
sans être donnés (comme par exemple les faces d'un cube que je ne
vois pas) ou, au contraire , donnés et atteints en p ersonne ar la
p
conscience
.. dans l'acte par lequel elle s'oriente vers eux pour les
saisir (I). Qu'il trouve ou non son remplissement intuitif adéquat
cet acte d' cc orientation vers » est la condition ontolo gique des contenus
« immanents » aussi bien que transcendants et, comme telle, leur
essence commune. Parce qu'ils trouvent la condition de leur ossi-
bilité dans l'acte d'orientation de ;la conscience , c'est-à-dire dans la
transcendance, ces contenus appart iennent à un seul et même milieu,
au milieu ontologique transcendant de -l'horizon. La distinction
entre contenus immanents et transcendants est une distinction intérieure
à ce milieu auquel elle nepas d'opposer un autre milieu ontologique,
une autre dimension d'exi stence et de révélation . Qu'une telle distinction soit
inessentielle, cela se voit dans le fait que les contenus qu'elle depar
tage sont susceptibles en fait de s'échanger , un contenu transcen-
dant pouvant devenir immanent et inversement. Le caractère en
vertu duquel un contenu est dit immanent est donc contingentpar rapport à ce
contenu, puis qu' aussi bien celui-ci est cap able de revêtir le caractère

(i) la distinction husserlienne de l'immanence et de la transcendance desy


contenus d' expérience revêt d'autres aspects dont l'analyse , qui n'a pu prendre
place ici, confirmerait les thèses générales défendues dans cet ouvrage.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE zg
S

opposé, le caractère de transcendance. Cette contingence des caractères


trouve assurément sa raison dans l'essence ; c'est la finitude inhérente
à l'horizon de la transcendance qui veut que les divers contenus
susceptibles d'apparaître en lui ne le faire
puissent queuesuccessivement,
successive .
de telle manière qu'une manifestation effective s'accomplissant dans
un mode de présentation originaire constitue nécessairement, par
rapport à chacun de ces contenus, une détermination passagère et
comme telle, contingente.
De quels contenus est-il question, toutefois, quand l'irnrnanen ce
et la transcendance sont pour eux des déterminations contin gentes?
Il s'agit manifestement dans ce cas de contenus susceptibles d'appa
-naître«àl'iéudhoznelatrscd»,'-àire
contenus ontiques. La distinction entre contenus immanents et trans-
cendants au sens de contenus ontiques réellement donnésousimple.-
ment visés, n'est pas seulement nessentielle elle apparaît en fait fonciè-
rement inadéquate par rapport à une problématique dont le but est
la détermination de l'essence de la manifestation. et de son contenu
ontologique pur. Or si le mode particulier selon lequel se donne un
contenu ontique est contingent par rapport à celui-ci et, comme tel,
variable, c'est une loi de l'essence que le contenu qui lui appartient en propre
ne soit point contingent mais au contraire rigoureusement déterminé par elle.
Parce qu'il trouve son origine dans l'essence de la transcendance
le contenu ontologiquep ur devu,
cette essence est on l'a
radica-
lement déterminé par elle, la transcendance h ait d'être transcendant
désigne le mode d'être essentiel ou, plus exactement, l'essence de ce
contenu. tre immanent, de la même manière pour un contenu ontologique
pur, c'est se trouver radicalement déterminé dans son être ar un mode s éci-'
f ique d'apparition et de révélation, par l'essence or ginaire de la révélation en
tant que celle-ci réside dans l'immanence.
En quoi consiste la détermination d'un contenu imm vent par
l'essence originaire de la révélation ? Dans le mode évidemment selon
lequel cette révélation s'accomplit. Sur le fond de sa détermination
286 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ontologique radicale par l'essence de l'immanence, c'est-à-dire par


un mode originaire de réceptivité qui se trouve en possession de son
. contenu sans se mouvoir ni se dépasser vers lui, un tel contenu a été
compris dans sa structure ontologique . comme ce qui s'offre sans se
pro-poser à la façon d'un horizon, comme ce qui se révèle autrement
que sous la forme d'un dehors et sans devenir tel. Pareille compréhen-
sion suffit à écarter comme radicalement impropre la subsomption
sous le concept de l'immanence de tout contenu réellement donné à
la conscience lorsqu'être donné signifie s'offrir à titre de contenu
transcendant, c'est-à-dire dans et par la, médiation d'un horizon.
Impropre, une telle subsomption ne l'est pas seulement en tant
qu'elle laisse la pensée , oublieuse de son dessein ontologique premier,
en revenir à la considération des contenus ontiques et de leurs
caractères variables , mais, plus profondément et plus gravement,
parce que sur le plan ontologique lui-même elle donne comme appartenant
à l'essence d'une structure ontologique fondamentale ce qui s'en
trouve par principe exclu . Donner une signification ontologique.
rigoureuse au concept de l'immanence , c'est comprendre au contraire
la structure interne de l'essence qu'il vise comme définie par cette
exclusion hors d'elle de toute transcendance . Faute de donner une
telle signification au concept de l'immanence, la problématique
s'égare complètement et s'interdit définitivement de saisir dans sa
nature propre ce qui constitue la possibilité la plus ultime de l'essence
qu'elle vise. . . .
Mais la définition de la structure interne de l'immanence par
l'exclusion hors d'elle de toute transcendance n'a pas seulement pour
effet de rendre décidément impossible la désignation comme « imma
lient » de tout contenu ontologiquement transcendant, qu'il s'agisse
d'un contenu ontique ou du contenu ontologique pur constitué par.
l'horizon lui-même, en elle se trouve la détermination positive de
l'essence d'un contenu immanent entendu dans un sens ontologique
strict. Une telle détermination exige d 'abord que soit rappelé préci-
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 287

sément le caractère ontologique d'un tel contenu , car c'est du contenu


qui appartient en propre au pouvoir ontologique qui assure sa récep-
tion que la problématique a montré qu'il se trouve radicalement
déterminé dans son être par l'essence qui le reçoit. Appartenir à
l'essence, cela signifie entrer à titre d'élément constitutif dans la
structure interne de celle-ci. Comment un contenu ontologique pur
entre-t-il dans la structure interne de l'essence ? Cela dépend de la
nature de cette essence, c'est-à- dire précisément de sa structure interne.
En tant que la transcendance est exclue de la structure interne de
l'essence de l'immanence, le contenu ontologique propre de celle-ci
ne lui est point extérieur, l'essence de l'immanence n'est pas séparée de son
contenu. Ne pas être séparée de son contenu, cela signifie, pour
l'essence de l'immanence , ne pas tenir ce contenu devant elle, ne pas
le recevoir comme quelque chose d'autre dans le milieu de l'altérité,
comme quelque chose de différent. Où réside la réalité d'un contenu
ontologique pur qui n'est pas extérieur à l'essence à laquelle il appar-
tient, en quoi consiste la réalité ontologique de ce contenu si elle n 'est ni séparée
ni différente de la réalité ontologique de l'essence elle-même ? Le contenu
ontologique pur de l'essence de l'immanence est constitué par elle . Donner
une signification ontologique rigoureuse au conce pt d'un contenu
immanent, c'est comprendre ce contenu dans son identité ontologique
avec l'essence qui le reçoit, c'est le comprendre comme cette essence
même. La réalité ontologique d'un contenu immanent à l'essence
est identiquement la réalité ontologique de l'essence ele-même.
Le concept d'immanence intervient dans la problématique qu :vise
à saisir l' essence originaire de la réceptivité , il désigne le mode selon
lequel s ' accomplit la réception d'un contenu, plus précisément,
la structure interne de la possibilité d 'une réception originaire
en général . En tant que l'essence origmaire de la réceptivité se trouve
définie dans sa structure interne par l'immanence, il apparaît qu'elle
constitue elle-même le contenu pur qu'elle reçoit . Ce que reçoit
l'essence originaire de la réceptivité , c'est elle-même.
z 8 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Recevoir un contenu, c'est être affecté par lui. En tant que le


contenu que reçoit l'essence originaire de la réçeptivité est constitué
par elle , c'est par elle aussi que cette essence est affectée lorsqu'elle
reçoit le contenu qui lui appartient, lorsqu'elle se reçoit elle-même.
Être affecté par soi, • s'affecter soi-même c'est se constituer comme
auto-affection. L'auto-affection est la structure constitutive de l'essence
originaire de la réceptivité.
A la pensée qui pense l'auto-affection comme constituant la
structure de l'essence originaire de la réceptivité, cette question se
présente inévitablement l'auto-affection ne désigne-t-elle pas au
contraire le mode selon lequel l'essence s'affecte conformément aux
présuppositions ontologiques du monisme ? N'a-t-elle pas été
comprise . comme le processus ontologique par leq uel l'essence
s'objecte et se pro-pose à. elle-même sous la forme d'un horizon?
Se pro-poser à soi-même sous laforme^d'un ce pasbori la
onprécisé-
n'est- '
ment la manière dont l'essence s'affecte elle-même et, comme telle l'essence
de l'auto-affection ? L'auto-affection du temps dans le schématisme
ne manifeste-t-elle pas en elle cette structure ontologq g ue ultime
.
comme constituant la possibilité même d'une auto-affection en
général ? Si le temps originaire de l'affectionde soi s'affecte
( en effet par la médiation de l'horizon du pur tempsou 'il se
projette dans l'unité tridimensionnelle de la successio n'est-ce
point parce que cette affection par la médiation d'un horizon est
la seule façon pour l'essence de s'affecter elle-même c'est-à- dire.
de se manifester?
Ou bien, l'évidence qui surgit devant la problématique aux
prises avec cette question ne définit-elle p acheas clairement la t '
qui
est maintenant la sienne si elle veut maintenir et préserver dans sa
pureté l'essence originaire qu'elle vient de dégager dans son progrès :
, .'
mettre en lumière et pax là même dissiper l'ambiguïté fondamentale
du concept de l'auto-affection
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 289

j I. L'AMBIGUÏTÉ FONDAMENTALE DU CONCEPT DE L'AUTO-AFFECTION


AUTO-AFFECTION. ET AFFECTION PAR SOI

Dès le moment où, se donnant pour tâche de saisir les conditions


susceptibles de rendre agissante l'essence de la manifestation, la
problématique s'est efforcée de p enser la première de ces conditions
comme la manifestation de l'essence, cette manifestation a été comprise,
en fait, non pas comme une manifestation pure et simple, mais d'une
manière déterminée comme la manifestation de l'essence à foi-meure.
L'apparaître de l'acte d'apparaître a été interprété par la probléma-
tique comme un s'apparaître de l'apparaître, et cela spontanément.
Ce qui se fait jour dans cette interprétation spontanée , c'est une
compréhension ontologique adéquate de ce qui constitue la possi-
bilité pour l'essence de se manifester. La possibilité otttolo^ique de la
manifestation de l'essence réside dans la rétro-référence de l'essence à elle-
même. Cette rétro-référence qui désigne le renvoi à elle-même de
l'essence signifie plus précisément que c' est à elle-même que l'essence
se manifeste et que c' est seulement parce qu'elle se manifeste à elle.
même qu'elle peut être ce qu' elle est, une essence agissante, une
essence qui se manifeste. L'apparaître de l'acte d'apparaltre, c'est-
à-dire de l'essence, trouve ainsi sa condition dans le fait qu'un tel acte
n'apparalt pas simplement mais doit encore être compris comme ce
qui s'appâratt à lui-même. L'apparaître de l'acte d'apparaître ne
constitue point, toutefois, par rapport à celui-ci, une simple propriété
contingente et en quelque sorte surajoutée. Que l'acte d'apparaître
apparaisse, c'est là au contraire ce qui fait de lui ce qu'il est : l'appa-
raître lui-même et comme tel. Parce que l'apparaître de l'acte d'appa-
raître trouve sa condition dans le s'apparaître à soi-même de cet
acte, c'est dans ce rapport à soi, dans le fait de s'apparaître ainsi à
soi-même, que réside ce qui rend ultmement possible un tel acte
considéré en et pour soi. La rétro-référence de l'acte d'a»arautre â lèd-
même est ce qui détermine cet acte dans son essence.
z9o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

L'intervention du concept de l'auto-affection dans la problé-


matique qui vise l'essence de la manifestation cesse d 'apparaître
contingente quand la réflexions interroge plus avant sur les condi-
tions qui rendent cette essence possible, c'est-à-dire . qui la détermi-
nent. Si la première de ces conditions , la manifestation de l'essence
trouve à son tour sa possibilité dans lé renvoi à soi-même de l'acte
d'apparaître, c'est que le concept de l'auto-affection n'est ni formel
'ni vide mais se donne au contraire pour contenu ce qui assure la
possibilité ultime et dernière d'une telle manifestation . L'auto-affection
désigne la rétro-ré érence à elle-même de l'essence de la mani e station,.
c'est-à-dire cette essence même saisie dans ce qui constitue la possibilité
ontologique de sa propre manifestation. L'essence s'affecte elle -même parce
qu'elle n'est agissante que si elle se manifeste et qu'elle ne se manifeste
que si sa propre manifestation n'est point perdue pour elle mais
recueillie au contraire en elle et par elle, de telle manière que, recuei llie
par l'essence et retenue en elle, elle se manifeste à elle et parvienne
ainsi à l'effectivité de sa condition phénoménale : l'essence s'affecte
parce qu'elle se manifeste à elle-même . Ou p luta,
el'essence ne s
manifeste
a . elle-même, ne se manifeste, que parce qu'elle est susceptible de s'affecter
elle-même . C'est dans la propriété qu'a l'essence de se reprendre
sans se laisser aller dans le délaissement où elle serait livrée à la nuit
de la non-phénoménalité, n'est dans sa capacité de se retenir hors
de ce délaissement et de se maintenir au contraire près de sol que
réside précisément la possibilité pour elle, en demeurant auprès desoi, ' .
de se manifester à soi - même, d'être our soi, la possibilité pour l' essence
p
de la manifestation de se manifester effectivement . Parce que la
possibilité pour l ' essence de se manifester à soi-même réside dans sa
capacité de se recevoir elle-même de se retenir et de se maintenir
près de soi, la manifestation de l'essence de la manifestation trouve
la condition de son effectivité dans le processus ontologique pax
lequel l'essence est susceptible de s'affecter elle-même,, cc est'est-à-dire
a-dire.
dans l'auto-affection. La manifestation de l'essence de la mani
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 291

festation a été pensée cependant comme la condition qui rend


effective l'essence elle-même en lui permettant d'être ce qu'elle est :
l'acte d'apparaître lui-même en tant qu'il apparaît. L'auto-affection
détermine l'essence de la manifestation comme ce qui la rend possible.
Plus profonde et plus évidente apparaît l'oeuvre de l'auto-affection
en tant qu'elle rend possible . la manifestation de l'essence et, par là,
l'essence de la manifestation, plus urgente aussi et plus nécessaire
est pour la problématique la tâche de tirer au clair et de saisir dans sa
nature propre la structure ontologique interne de l'auto-affection
elle-même. Car si cette structure est constituée par la relation à
soi de l'essence, relation où celle-ci trouve la condition de sa marii-
festation, rien n'est dit de plus au sujet d'une telle structure tant que
la relation de l'essence à elle-même n'est pas élucidée ni saisie dans sa
possibilité intrinsèque. Déterminé en tant qu'il a pour contenu la
nécessité ontologique en vertu de laquelle l'essence entre en rapport
avec soi dans le devenir phénoménal effectif où elle se réalise, le
concept de l'auto-affection apparaît en fait indéterminé et demeure
comme tel dans une obscurité ontologique foncière aussi longtemps
que la problématique n'a pas statué sur la nature du pouvoir qui
permet à l'essence d'entrer ainsi en rapport avec soi, c'est-à-dire de se
manifester . C'est donc la nature du pouvoir qui permet à l'essence de
s'affecter elle-même qui est maintenant en question , c'est la structure
interne de l'auto -affection qui doit être élucidée par la problématique
si celle-ci veut entrer en possession de ce qui constitue la possibilité
ultime de toute manifestation, c'est-à-dire de l'objet de sa recherche.
Au moment même, toutefois , où, voulant tirer de son indé-
termination le pouvoir ontologique qui rend possible la mani-
festation de l'essence, la problématique s'interroge sur la nature de ce
pouvoir, c'est-à-dire sur la structure interne de l'auto-affection, il lui
apparaît qu'elle se trouve en possession des éléments qui lui permet-
tent de définir cette structure d'une manière rigoureuse. La possi-
bilité pour l'essence de s'affecter elle-même est identiquement celle de se
292 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

recevoir. L'auto-affection désigne l'essence de la réceptivité en tant que


cette réceptivité est le fait de l'essence et en même temps, la concerne.
En tant que la réceptivité est le fait de l 'essence, c'est-à-dire en tant
que celle-ci est ce qui reçoit, l'essence est affectée. En tant que la
réceptivité concerne l'essence, c'est-à-dire en tant que celle-ci constitue
le contenu ontologique qui se trouvel être reçu, c'est par elle-même
que l'essence est affectée. L'auto - affection est la structure interne de
l'essence
sion propre dont le est . de se recevoir elle-même. La compréhen-
ontologique de la structure de l'auto-affection dépend visible-
ment du lien qui unit l'essence et son contenu quand ce . contenu est
constitué par elle. La nature de ce lien, c'est - à-dire la manière, dont
l'essence reçoit son contenus ce contenu qui est constitué par elle
c'est là..
précisément ce qui se trouve élucidé par la problématique de la
réceptivité. Une telle élucidation met la problématique en face de la
situation suivante ;
Ce qui fonde la possibilité pour l'essence : de la manifestation de se
recevoir elle-même, c' est-à-dire de se manifester à elle-même la
possibilité pour l'essence de la manifestation de se manifester , a
d'abord été compris comme le processus ontologique par lequel
cette essence s'objective et se pro -pose à elle-même sous la forme
d'un horizon. L'horizon constitue ainsi le contenu ontologique
pur que l' essence reçoit. Cependant, le résultatplus le important
de la problématique de la récéptivite : a été de montrer que le pouvoir
ontologique qui assure la réception de d'horizon et a celui-ci pour
contenu, constitue lui-même, en tant que tel, en tant qu 'élement
ontologique pur, un contenu . La transcendance est re çue. Le progrès
décisif de la problématique de la réceptivité s'opère lorsqu'elle se
représente â la lumière de quelles presuppositions implicites le
problème de la réceptivité avait toujours é té (et par elle aussi d'abord)
interprété comme celui de la réception d'un contenu extérieur. De
telles présuppositions commandent la compréhension spontanee et
pré-critique de l'essence de la manifestation comme représentation.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 293

C'est parce que la représentation pro-jette essentiellement devant elle


ce qu' elle se représente que le problème se pose de savoir comment
elle peut recevoir le contenu ainsi projeté. L'interprétation ontolo-
gique de l' essence de la réceptivité comme consistant dans la possi..
de la réception d'un contenu extérieur trouve ainsi son origine
dans l'horizon constitué par les présuppositions ontologiques du
monisme, c'est-à-dire essentiellement dans la compréhension de
l'essence de la manifestation comme représentation. Le résultat
le plus immédiat et le plus évident d'une telle inte rprétation fut de
rendre inaccessible à la pensée philosophique l'idée même d'une réception
qui ne serait pas par essence la réception d'un contenu extérieur et comme tel
étranger au pouvoir qui le reçoit.
L'incapacité de s'élever à l'idée d'une réception qui ne serait pas
par principe celle d'un contenu extérieur au pouvoir qui la rend
possible, est-elle véritablement le fait, toutefois , de la pensée qui 'se
meut â l'intérieur de l'horizon du monisme et peut-elle lui être légiti-
mement imputée si le contenu ontologique pur que se représente
l'essence de la manifestation est constitué par cette essence même?
C'est seulement à la pensée qui pense la réceptivité comme consistant
en général dans la réception d'un contenu ontique que le reproche
peut être fait de ne pas s'élever à la conception d'une essence dont le'
propre est de se recevoir elle-mëme. Dés que la problématique de la
réceptivité est capable au contraire de se comprendre dans sa sign ifi-
cation ontologique propre, dès que le contenu dont il s'agit de fonder
la réception est interprété , non plus comme un étant ruais comme
,
l'élément ontologique pur qui permet à celui-ci d'apparaître, c'est
manifestement l'essence elle-même qui constitue le contenu qu'elle
reçoit. De quel droit un tel contenu peut-il être qualifié d' « exté-
rieur à l'essence s'il n'est en fait rien d'autre que celle -ci ? La probl-
matique qui comprend le contenu ontologique pur dans lequel
l'essence se projette pour se représenter à elle-même comme constitué,
par conséquent, par cette essence même, se trouve ainsi être en
294 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

possession de l'idée d'une réceptivité dont le contenu ne lui est


point étranger. .
Comment, cependant, l'essence de la manifestation est-elle suscep--
tible de recevoir ce contenu ontologique qui n'est pas différent d'elle
comment se le représente - t-elle, non pas comme une réalité étrangère
mais comme cette réalité qu'elle est elle - même ? Précisément arce
p
que recevoir un tel contenu constitué par elle-même signifie pour
l'essence se le représenter , parce que la représentation est l'acte
ontologique qui pose son contenu devant soi , la récep tion de l'essence
par soi dans la représentation est encore la réce ption d' un contenu
extérieur, une réception qui s'opère dans et par l'extériorité. C'est l'ambi-
guite même du concept de « contenu extérieur » qui surgit alors avec
évidence devant la problématique. Extérieur à l'essence , le contenu
représenté par elle ne l ' est assurément pas en ce sens qu'il n'est pas
différent d'elle. Ce caractère du contenu de n'être as différe nt
de l ' essence est identiquement son caractère ontologi ue ur. Un tel
q p
caractère trouve son origine dans le fait que le contenu qu'il q ualifie
entre dans la structure unitaire de l'essence , c'est- à-dire dans le
processus ontologique de l'objectivation considéré dans son ensemble.
Parce que c'est l ' essence elle-même qui ui s'objective
s'objective dans le contenu
ontologique pur qu 'elle se représente, un tel contenu lui appartient et
cela en un double sens, comme élément même du p rocessus qui la
constitue, et parce que cet élément , intérieur à l'essence, est sa ro re
p p
représentation. Mais si le contenu ontologique pur que l'essence se -
représente lui appartient en sorte qu'il ne lui est point étran ger, le .
mode de cette appartenance est ce qui doit être déterminé au point
de vue ontologique . L'extériorité dés:gne précisément le caractère ontolo-
gique de cette appartenance, c'est- à-dire le mode conf
.^ormément auquel s'ac-
complu la réception par .l'essence de ce contenu ur u'elle est elle-même.
p q
Donner une signification ontologique rigoureuse au concept d'un
contenu extérieur, c'est l' étendre à toute réalité représentée en
général, et d'abord à la réalité ontologique de l'essence elle -même en
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 295

tant qu' elle se projette sous la forme d'un horizon dans le milieu
pur de l'extériorité . Précisément parce qu 'il est constitué par cet
horizon, c'est-à- dire par un milieu d'extériorité pure, le contenu
ontologique que se représente l'essence dans l'acte par lequel elle
.
s'objective en lui, est un contenu extérieur, et cela en un sens radical
conformément auquel l'extériorité qui le qualifie n'est as une ro riété
p p p
surajoutée mais détermine au contraire ce contenu lui-méme dans sa réalité
ontologique propre . Ce qui est donc visé par la prôbléinatique qui se
meut à l'intérieur des présuppositions du monisme quand elle se
prétend en possession d'un mode de réceptivité dont le contenu ne
lui est pas « extérieur », c'est donc simplement le caractère ontologi-
quement pur d'un tel contenu, le fait que celui-ci n'est constitué
par rien d'autre que par l'essence et, comme tel, lui est identique.
C'est cependant dans le milieu ontologique de l'extériorité que ce
contenu est ce qu'il est, un contenu qui se manifeste à l'essence
et qui lui apparaît. Que ce contenu soit l'essence elle-même ne change
rien au mode de manifestation qui le détermine essentiellement comme un
contenu « extérieur ». C'est sous la forme d'un horizon que l'essence
se manifeste à elle-même . L'identité de l'essence et dé son contenu
est une identité dans la différence si le milieu de l'extériorité est aussi
celui d'une altérité radicale. Si c'est l ' essence qui se manifeste à
elle-même, elle se manifeste toutefois comme autre qu'elle-même,
comme cela même qui est l 'autre.
Ici, cependant, ce sont les fondements mêmes d'une ontologie
phénoménologique qui peuvent sembler être mis en question. La
possibilité de l' édification d'une ontologie phénoménologique repose
en effet, sur l'identité de la réalité ontologique et de l'apparence comme telle.
Que devient cette identité si la manifestation d'un contenu radicale-
ment autre par rapport à l'essence est cependant interprétée comme la
manifestation de l'essence elle-même ? Que ce soit l'essence ellé-
même.. qui se manifeste dansp l'horizon de l'altérité,
p` c 'est là une résu
position vide si l'aspect de cet horizon est précisément le seul élément
_ L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

phénoménologique dont dispose la problématique. Sur quoi se fonde


celle-cipour
. dépasser l'apparence qui lui est donnée vers l'affirmation
métaphysique selon laquelle une telle apparence est celle de l'essence
elle-même ? Ou bien cette affirmation n'a-t-elle en fait aucun caractère
métaphysique et veut-elle simplement identifier l'essence avec l'appa-
rence phénoménologique dont elle dispose, avec l'apparence de
l'horizon comme telle ? Dans le contenu phénoménologique de cette
apparence, toutefois, il y a un caractère d'altérité dont la probléma-
tique ne peut plus rendre compte si l'essence s'identifie véritable-
ment avec un tel contenu. Qu'elle ne s'identifie pas avec lui n'est
là, au contraire, ce qu'a montré tout le contexte de la problématique.
Comment, cependant, un contenu ontologique pur peut-il ne pas être
identique à l'essence ? N'est-ce pas l'essence elle-même qui s'objective
sous la forme de l'horizon qu'elle se propose et dans lequel elle se
projette pour se manifester à elle-même ?
Ou bien n'est-il pas temps pour la problématique de s'en tenir
d'une façon plus rigoureuse à ses propres résultats ? Car l'horir on
transcendantal de l'être n'estpaf l'essence, mais leproduit de son ima gination.
Dans son acte imaginatif, toutefois, c'est-.a-dire en tant qu'intuition
créatrice, l'essence est incapable de produire autre chose que le
néant : ce qu'elle crée n'est rien d'ontique. Loin d'impliquer son :den-
lité ontologique avec l'essence, le caractère ontologiquement pur de l'hori on
le désigne feulement comme ce qui se trouve créé par elle. Dans ce lien de
création le créé. ne se confond pas. avec ce qui le crée. Le contenu
ontologique pur de l'essence de la représentation trouve en elle une
origine avec laquelle il ne se recouvre pas. Que le contenu pur qu'elle
se représente ne se recouvre pas avec l'essence elle-même, cela rend
plus évidente l'ambiguïté de l'affirmation selon laquelle « l'essence
se manifeste à elle-même sous la forme d'un horizon » Ce qui se
manifeste sous la forme de l'horizon transcendantal de l'être, c'est la
forme phénom6nologique
de cet horizon lui-même ce n'est pa s
l'essence . Du bien, si l'horizon manifeste l'essence c'est dans. un
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
297

tout autre sens, au sens où manifester signifie être l'apparence de


quelque chose , de telle manière cependant que ce quise manifeste
dans cette apparence n'est la chose dont ellemais
pas est l'apparence
renvoie seulement à cette chose comme à ce qui ne se montre pas
dans le contenu phénoménolog i que effectif de l'apparence elle-même.
En ce sens manifester signifie tout autant cacher, pplus précisément,
indiquer quelque chose comme différent dans son essence de l'appa-
rence qui l'indique . Celle-ci est une « simple apparence » non
l'essence même qui se cache « sous» elle. Dans l'expression , «l'essence
se manifeste à elle-même sous la forme d ' un horizon » la forme de
l'horizon est la « simple apparence » « sous » laquelle l' essence se
cache. Ainsi l'affirmation selon laquelle l'essence se manifeste dans
l'horizon qu ' elle s'oppose reprend - elle inévitablement sa signifi-
'
cation métaphysique conformément à laquelle la réalité transgresse
l'apparence ou elle était censée se manifester . Corrélative de cette
signification métaphysique et de l'opposition qu'elle. institue entre
l' apparence et la réalité , est l'affirmation du caractère inadéquat de
toute apparence comme telle. La signification « critique » de cette
affirmation qui se fait jour tout au long de la philosophie cas.si que
atteste seulement l'impuissance de celle - ci à édifier une phénomé
nologie du fondement , c'est-à-dire de l' essence elle-même. C'est de la
manifestation de l'essence sous la forme d ' un horizon qu'il convient
à vrai dire, d ' affirmer le caractère inadéquat, c'est de la forme de
l'horizon seulement , c'est-à-dire de la forme de toute manifestation
effective telle qu'elle est comprise à l'intérieur de l'horizon du
monisme, qu'on peut dire avec Fichte que « tou j ours la forme nous
voile l'essence ».
Encore cette dernière est-
proposition elle incorrecte . La disso-
ciation entre l'apparence et la réalité témoigne tou j ours . d'un
e
confusion . La forme de l'horizon ne peut être comprise comme
« voilant » l 'essence que pour autant que la présupposition est faite
que c'est l 'essence elle-même précisément qui se manifeste sous la
298 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

forme de cet horizon Le contenu phénoménologique effectif 'de


.
l'horizon est donc l'essence elle-même sous une certaine forme.
Celle-ci, simp lement, est « inadé quate ». Avec la présupposition de
l'identité ontologique de l'essence et du contenu phénoménologique
pur de l'horizon dans lequel elle . s'objecte, le rapport de l'essence
et de ce contenu est mal com p ris. La compréhension ontologique
rigoureuse de ce rapport exige de la problématique qu'elle reste
fidèle à ses présuppositions p hénoménologiques fondamentales et
s'en tienne par consé quent, d'une façon stricte, à ce qui apparaît.
Ce qui app araît « sous la forme de l'horizon » est le contenu phénomé-.
nologique de cet horizon lui-même et rien de plus en lui l'essence
qui le crée ne se montre p as. Parce que l'essence ne se montre pas
dans le contenu phénoménologique lde l'horizon, on • ne peut pas
dire de celui-ci qu 'il est néanmoins l'essence même « sous une certaine
forme ». Car la réalité ontologique n'est pas dissociable de la forme dans
laquelle elle se montre, étant elle-même celte forme comme telle. La réalité
ontologique de l'horizon transcendantal de l'être est identiquement
le contenu phénoménologique de cet horizon , comme la réalité
ontologique de l'essence est le contenu phénoménologique pur dans lequel
elle se montre elle-même en tant que telle.
La dissociation ontologique de d'essence et du contenu pur
qu'elle s'opp ose dans la re présentation amène la p roblématique
devant cette évidence : en recevant le contenu ontologique pur qu'elle se
représente, ce n'est pas elle-même que l'essence reçoit. La possibilité de se
recevoir elle-même a cependant été pensée comme constituant pour
l'essence la possibilité. de se manifester à elle-même, . la possibilité
d'être ce qu'elle est, l'essence de la manifestation . Cette possibilité
pour l'essence d'être ce qu'elle est n'est donc pas constituée par
l'acte dans lequel elle reçoit le contenu pur qu 'elle se représente,
c'est-à-dire l'horizon qu'elle projette. La possibilité ontologique interne
de l'essence de la manifestation ne réside pas dans la représentation. La
compréhension de la structure interne de l'essence de la manifes^
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
299

tation telle qu'elle se fait jour à l'intérieur de la problématique de la


réceptivité, c'est-à- dire la compréhension de cette structure
comme
constituée ultimement par la possibilité l'essence
pour voir de se rece
elle-même, met a nu l'insuffisance radicale des présuppositions ontolo-
giques du monisme, l'impossibilité décisive pour la pensée philoso
rp réter l'essence de la manifestat ion à-phiquedcontrà
partir de celle de la représentation . Mais le résultat de la probléma..
tique de la réceptivité n'est pas seulement né gatif La possibilité pour
l'essence de se recevoir elle-même réside dans l'essence ^ orieinaire
la récep-d'
tivité, dans l 'essence d'une réceptivité dont le ro re est de se recevoir gille- "
^ .^ meure.
Car ce n ' est pas l'horizon de l'être que l'essence reçoit d
ans 1'oeuvre
originaire qui est la sienne . Assurément l'horizon est reçu et c'est
l' essence qui accomplit cette réce tion . Précisément la réce
ptivité
originaire est la réceptivité qui reçoit l'essence elle-même en tant que
celle-ci assure la réception de l'horizon. Il a donc conformément
aux résultats de la problématique , deux réceptivités : 10 la réceptivité
qua reçoit l'horizon ; 2° la réceptivité qui se reçoit elle-même. La
première
est une réceptivité dans la représentation , la seconde, une réceptivité dans
l'immanence. L'une et l' autre sont le fait de l'essence . Le dédoublement
du concept de réceptivité tel qu'il
q s'oproblé-.
p ère à l'intérieur de la
matique qui vise celle-ci, nous autorise p ar consé quent à dire qu'il y
a deux façons pour l'essence de recevoir, deux modes s p écifi ques de
réceptivité. Conformémentpremier au de ces modes à celui qui
s' accomplit dans la représentation, la réce tivité est la re résentation
A.
elle-même p p
, l' acte de poser devant soi et ainsi de sep ro-poser
un
contenu qui trouve son origine ontologique exclusivement dans cette
projection et se recouvre par conséquent avec l 'extériorité comme
telle. Conformément au second de ces modes à celui ui s'accom lit
' q p
dans l 'immanence, la réceptivité est le de se recevoir
pouvoir 11e- e
même. Recevoir dans le premier sens si ni ie créer le contenu u'on reçoit de
g f q
telle manière que la création de ce contenu soit identiquement sa réception.
Recevoir dans le second sens signifie, non p lus créer le contenu qu'on reçoit,
300 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

mais être ce contenu, de telle manière que celui-ci ne soit rien d 'extérieur à
l'être qui le reçoit. De telle manière aussi que l'être qui reçoit ce contenu qui
ne lui est pas extérieur mais identique, ne soit plus libre par rapport à lui,
mais le reçoive au contraire passivement comme quelque chose qui ne dépend
pas de lui et qu'il n 'a pas créé, comme ce quelque chose d 'incréé qu'il est
lui-même.
Avec le dédoublement du concept de la réceptivité la problé-
matique éclaire de la manière suivante le rapport qui existe entre la
forme de cette réce p tivité et son contenu . Quand il s'agit de la
réceptivité de la représentation , forme et contenu sont différents. La
forme réside dans l'essence , elle est identiquement celle-ci dans la
réalité de l' acte imaginatif par lequel elle dessine un horizon . L'horizon
lui-même est un produit purement imaginaire , sa réalité ontologique
n'est pas celle de l'essence, n'est pas la réalité . Ce que crée l'essence
est seulement une image . L'horizon transcendantal de l'être de finit le
milieu ontologique de l'irréalité . Parce qu'ils sont, l'une, l'essence,
l'autre , son produit imaginaire , la forme et le contenu de la réceptivité
qui réside dans la rep résentation diffèrent, au point de vue ontologique,
comme la réalité et l'irréalité C'est sa propre réalité, au contraire, non
.
le simple produit de son imagination , que l'essence reçoit dans le
mode originaire de réceptivité qui est le. sien. Parce qu'il est constitué
par l'essence elle-même, le contenu de la réceptivité dans le mode
originaire de son accomplissement est identique à sa forme. La
mise en lumière de l'essence originaire de la réceptivité est ce qui permet seule
à la problématique de se trouver présence
en d'une réceptivité dont la forme
et le contenu soient ontologiquement identiques. L'identité ontologique de
la forme et du contenu de la réceptivité définit la structure d'une
essence dont le^ propre est de se recevoir ' elle-même. Parce qu'une
telle identité ne se réalise que dans la forme originaire de la réceptivité,
celle-ci assure seule la possibilité pour l' essence' de se recevoir elle-
même, elle constitue la structure ontologique de l'essence en tant que réception
originaire de soi. Si le dédoublement de son concept a montré qu'il
TRANSCENDANCE ET IMMANE
NCE 30I

.. Y- a pour la réceptivité deus modes sd'accomplissement


daccomplissement définis et
distincts, celui de ces mode s ou se réalise
' ' 1'identite
• • Ontologique
entre
la forme et le contenu de cette réceptivité est déterminé. Ilyadeux
façons pour l'essence de recevoir, il n ' en a
y qu'une de se recevoir elle-mime.
La dualité des pouvoirs qui assurent dans l'essence la possibilité d'une
réceptivité en général ne saurait masquer plus longtemps aux yeux de
la problématique l'unicité du mode de réceptivité qui permet a
l'essencerecevoir de se elle -^
même, l'unique dimension ontologique
•.
d'ab roche et de saisie de la réalité oragancre
A A , c de l'essence 'esta
dire - `_
de l 'être lui-même.
La possibilité pour l'essence de se recevoir elle-meure est celle
de s'affecter, est l'auto-affection. De ' '
la possibilité de s'affecter elle-
même il a été montré qu'elle est identiquement pour l'essence celle
de se manifester à elle-même c 'est-àdi - re d ' être ce qu 'elle est,
l'essence de la manifestation . Mais cettee possibilité
possibilité ultime dont l'élu-
cidation constitue la tâche dernière de la problématique , demeurait
elle-même indéterminée : l'auto - affectio n n'était qu'une simple pré-
supposition tant qu'elle n'avait pasété
préalablement saisie dans ce
qui constitue à son tour sa possibilité propre, c 'est- à-dire dans son
essence. Celle-ci est maintenant déterminée ; la poss b lité de l
i i 'auto-
affection réside dans l'essence ori inaire de
la
g réceptivité , c'est-à-dire dans
l smmanence.
La détermination Ontologique de ce qui constitue la possibilité
de l'auto-affection lève l 'ambigu•• p
ïté qui pèse sur le concept
de celle-ci.
Lever une telle ambiguïté, c ' est pou
r 1a problématique rejeter la
signification qu'elle
q est tout d'abord tentée de lui accorder
dédoublement du concept de la réceptivité correspond en effet un
dédoublement du concept de l'affection.En tant . que la réceptivité
consiste dans le processus ontologique de l'objectivation et que
recevoir signifie se pro- poser le contenu Ontologique pur d'un
horizon c ' est par celui-ci d'abord que l'essence est affectée. «
Affecter
purement l'acte d'objectivation , disait Heidegger, en tant qu
'il est
3 02 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

orientation p ure vers... veut dire qu'on lui suscite quelque opposi-
tion (i). » Avant de recevoir le contenu pur qu 'il s'oppose et qui
l'affecte, c'est lui-même, toutefois, que, conformément au mo de
originaire de la réceptivité , l'acte d' objectivation reçoit, c 'est par lui
d'abord qu'il est affecté. Plus originaire que l'affection de la transcendance
. Le caractere
par l'horir on est l'a ffection de la transcendance par elle-même
originaire de l'affection de la transcendance par elle-même a, en ce
qui concerne l'ouverture projetante de l'horizon , la signification
suivante dans l'acte originaire par lequel elle projette l 'horizon
qu'elle se suscite à elle-même et par lequel elle s'affecte, la transcen
dance est d ja affectée . Que la transcendance soit déjà affectée dans
l'acte par lequel elle forme l'horizon veut dire que son affection
.. .
originaire est indépendante de cet horizon , indépendante de l'acte qui
le forme en tant que tel. L'indépendance de cette affection originaire a
l'égard de l 'acte qui forme l ' horizon est identiquement son indépen-
dance à l'égard du processus : ontologique de l'objectivation , l'indé-
pendance de l'affection originaire de la transcendance à l'égard de la transcen-
dance elle-même . L'essence originaire de l'affection réside dans l'immanence.
La mise en lumière d' une affection originaire dans son opposition
ontologique radicale avec l'affection de la transcendance par l'horizon
qu'elle se suscite à elle^même, ne donne-t-elle pas un sens à l'ambi-
guité qui pese sur le concept de l'affection ? N'introduit-elle pas cette
ambiguite` dans la problématique comme un élément positif de celle-ci
ou pour. mieux dire, décisif ? Une telle ambiguté doit -elle être levée
ou seulement approfondie ? ou bien l'approfondissement
r de cette
ambiguté qui se découvre au progres de l 'analyse et se donne
finalement comme son résultat le plus positi f, n'est -il pas identi-
quement la mise en lumière d' une autre ambiguté, celle-là purement
ff
négative, conformément à laquelle le concep t de Ja ect:on a constamment
été confondu,par laproble'matique qui se meut à l'intérieur des présuppositions

(i) K, 244.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 303

ontologiques du monisme avec celui de l'auto -affection ? Car l'affection


on de la
transcendance pax l'horizon qu'elle projette n'est p as une affèction de
la transcendance par elle-mêmè si la dissociation ontologique de
l' essence et du contenu pur qu'elle se re p résente doit être maintenue
sil est vrai de dire, conformément à cette dissociation, qu'en recevant
le contenu ontologique pur qu ' elle se représente, ce n'est as elle-
p
même que l'essence reçoit . Parce qu'elle n'est p as une affection
de la transcendance par elle-même, l'affection de la transcendance
par l'horizon ne saurait être comprise parlaproblématique, si celle ci
veut du moins garder quelque rigueur , comme une _ auto-affection.
L'auto affection ne réside ni dans la tran scendance ni dans la représentation.
Pour cette raison , il est faux de dire que « l'affection pure de soi...
détermine... l'essence profonde de la transcendance » ( i) si comme il
convient de le faire et comme le fait Heidegger , on entend p ar affec-
lion pure de soi l'auto-affection elle-même . Celle-ci, p our la même
raison, ne peut non plus être interprétée, ainsi que le veut encore
Heidegger (z), comme constituant l'essence du tem ps lui-même en
tant qu'il « est impliqué dans la possibilité intrinsè que de l'acte
d'objectivation », c'est- à-dire précisément . comme transcendance.
A vrai dire, l'interprétati on de l'auto- affection comme transcen-
dance n' est point due au hasard et ce n'est p as d'une fa çon contin-
gente ou absurde qu'elle intervient dans la problémati q ue. Lorsqu'elle
a été comprise comme constituant la possibilité ultime de l'essence
de la rnanifestation, l'auto•affection est ce qui doit être déterminé
a son tour quant à sa structure et à sa possib ilité. Pour déterminer
celles-ci, la transcendance est la seule essence dont dis pose la problé-
matique aussi longtemps qu'elle se meut à l'intérieur de l'horizôn
du monisme . Précisément p arce que la transcendance est comme telle

(x) K, 245. Cf. supra, §^q..


(2) Cf. ID., 244 : a le temps, auto-affection pure , forme la structure essentielle
de la subjectivité » ; dans le même passage le temps est qualifié à nouveau d' a affec-
tion pure de soi ».
304 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

créatrice d'une affection, celle-ci est interprétée comme ce qui est


susceptible de fournir un contenu au concept de l'auto-affection
dont la structure formelle est identi quement . celle de l'essence de la
manifestation. Avec une telle interprétation, la confusion est faite entre
le concept d'une affection en ,général et celui, rigoureusement déterminé, de
l'auto-affection, plus précisément, entre l'affection de d'acte d'objectivation
par le contenu pur qu'il s'objecte et l'afection originaire de cet acte par
lui-même. Parce que cette affection originaire trouve sa possibilité
dans l'essence de l'immanence, le concept de l'auto-affection est à la
fois clairement défini et univo que. L'ambiguïté du concept de l'auto-
affection ne Asi gnifie nullement qu'il y a pour l'essence deux manières de
s'affecter elle-même, à vrai dire elle ne signifie rien. Elle est seulement le
fait d'une problématique qui, ne disposant pas du soubassement
ontologique ni des moyens raté g oriauz suffisants, se meut dans
l'équivo que et la confusion.
Le concept de l'auto-affection n'est-il pas susceptible cependant
de revêtir une seconde si gnification conformément à laquelle il
concerne, non plus l'essence originaire de l'affection mais, précisé-
ment, l'affection de l'acte d'objectivation par le contenu pur qu'il se
représente ? Dans l'affection de l'acte d'objectivation il y a ceci de
particulier que le contenu ontologique pur qui l'affecte se trouve aussi
être produit par lui. La transcendance est créatrice de l'horizon
p ar le quel elle est affectée , créatrice p ar consé quent de sa p rop re
affection. En tant que l'affection par l'horizon de la transcendance
trouve son origine dans celle-ci, n'est-ce point la transcendance
elle-même qui s'affecte par la médiation de cet horizon ? L'affection
par soi de la transcendance n'est -elle pas, comme telle, une auto-
affection ?
Que signifie, cependant, pour la transcendance, être affectée
« par soi » ? Visiblement la signification de cette affection par soi est
double. D'une part, la transcendance s'affecte elle-même en tant
qu'elle crée elle-même l'horizon par lequel elle est affectée. Être
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 305

affectée par soi veut . dire..ici, .pour a..trans..endance,..&re..affectée. par


un contenu ontologique qui trouve son . origine en elle-même.
L'affection par soi de la transcendance aune siij.ification métaphy sique qui
concerne l'origine. ultime de cette affection. Mais le p roblème, on l'a vu, est.
celui du fondement de cette signification métaphysique, s'il est vrai
que, dans le contenu phénoménologique de l'affection de la trans-
cendance par l'horizon, il n'y a rien de plus que cette affection elle-
même, c'est-à-dire la pure apparence de l'horizon comme telle,
si le pouvoir qui la suscite n'est p oint compris dans cette a pp arence.
Que celle-ci soit le fait de la transcendance, c'est là une affirmation
que la problématique ne peut promouvoir que pour autant qu'elle
dispose d'une affection dont le contenu phénoménologique effectif soit constitué
par l'essence de la transcendance elle-même . Une telle affection existe
c'est elle précisément qui a été pensée sous le concept de l'auto-
affection. Loin de se recouvrir avec celui de l'affection par soi de la trans-
cendance dans l'horizon, le concept de l'auto-affection en est la simple pré-
supposition.
Avec l'auto-affection le concept de l'affection par soi de la
transcendance trouve sa seconde signification . Conformément à
celle-ci, la transcendance s'affecte elle-même en tant qu'elle constitue
elle-même le contenu ontologique pur par lequel elle est affectée.
Être affectée par soi veut dire maintenant, pour la, transcendance,
non plus créer le contenu qui l'affecte, mais être ce contenu. Ç'est
seulement lorsqu'elle est prise dans cette seconde signification . que
l'affection par soi de la transcendance peut être définie en toute
rigueur comme une auto-affection.
L'interprétation de l'affection p ar soi de la transcendance comme
auto- affection laisse cependant subsister un doute sur la légitimité de
l'identification qu'elle opère. Plutôt c'est, réciproquement la
compréhension de l'auto-affection originaire de la transcendance
comme « affection par soi » qui risque de plonger â nouveau la
problématique dans l'ambiguïté. Dissiper celle-ci revient à meure en
306 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lumière un nouveau sens du concept de l'affection par soi. Lorsqu'il


s'applique à la transcendance, le concept de l'affection par soi ne
doit-il pas désigner nécessairement l'affection qui est l'oeuvre de la
transcendance, une affection dont le mode d'accomplissement, c'est-à-dire
l'essence, est constitué par la transcendance elle-même ? Un tel mode
d'accomplissement, constitué par la transcendance, réside dans
l'objectivation. Affecter de cette manière, c'est faire surgir un horizon.
S'affecter elle-même, être affectée par soi, c'est, pour la transcendance,
se soumettre en le recevant à l'horizon qu'elle suscite et se propose à
elle^rnême. Quand l'affection de la transcendance est l'ouvre de la transcen-
dance elle-même, le contenu de cette affection n'est plus constitué par la
transcendance. Ainsi s'inverse le rapport des concepts de l'auto-affection
et de l'affection par soi. Ce n'est plus leur identité, c'est leur exclusion
réciproque qui s'impose à la problématique quand l'affection par soi
de la transcendance est pensée comme trouvant dans celle-ci le mode
même de son accomplissement.
Cette exclusion met la problématique devant le paradoxe suivant
ce n'est précisément pas par elle, c'est-à-dire conformément au
processus ontologique qui la définit, que la transcendance peut être
affectée par elle, c'est-à-dire de telle manière que le contenu qui
l'affecte soit constitué par sa propre essence. Dans ce paradoxe se
découvre à nouveau l'ambiguïté du concept de l'affection par soi,
selon qu'il désigne l'affection qui trouve dans la transcendance
le mode de son accomplissement ou celle qui y. trouve son propre
contenu. Conformément à cette ambiguïté, le concept de l'affection
par soi de la transcendance se recouvre ou ne se recouvre pas avec
celui de l'auto-affection dont la détermination ontologique rigou-
reuse a cependant été pensée comme rendant possible celle de
l'essence de la manifestation qui fait le thème de la problématique.
A celle-ci il ne suffit pas, pour atteindre son but, de signaler cette
ambiguïté, l'éclaircissement du paradoxe devant lequel elle se trouve
et selon lequel ce n'est point pat elle^rirfrie que la transcendance petit
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE o -i'

s'affecter elle-même exige que soient corp ris la nature- et -le.Vra ort .:...._
pp
des deux modes d'affection qui tombent sous les conce pts de l'affec-
tion par soi et de l'auto-affection . La compréhension du ra ort ui
pp q
existe entre l'affection par soi de la transcendance, plus p récisément
entre l'affection dont le mode d'accomplissement réside dans la
transcendance et celle qui , comme auto-affection a cette transcen
dance comme contenu, est identiquement la com p réhension du
rapport qui existe entre la transcendance et l'immanence,

32. IMMANENCE ET TRANSCENDANCE

Ce n'est pas en présence d'un paradoxe, à vrai dire, mais plutôt


devant son affirmation la plus propre et conforme en tous points aux
évidences essentielles surgies dans son progrès que se trouve la
problématique lorsqu'il lui apparatt que l'auto-affection de la trans-
cendance ne se recouvre pas avec l'affection dont le mode d'accomplis..
sement réside dans la transcendance elle-même mais, bien au contraire,
l'exclut. La répétition des résultats de la problématique de la récep
tivité dans la détérminatlon de l'essence originaire de la révélation
a montré, en effet, comment la réalité se subordonne à la structure
interne des modes conformément auxquels s'opère sa réception, et
cela d'une façon d'autant plus décisive pour l'intelligence ultime de
l'être que cette réalité a recevoir est la réalité ontologique elle-même.
A l'affection qui trouve son principe dans la transcendance, c'est-à-
dire dont le mode d'accomplissement est constitué parcelle-
a, il
appartient, conformément à son essence, que la réalité qui l'affecte
revêt nécessairement la forme d'un horizon et se trouve définie, en
fait, par celui-ci. Avec la réalité ontologique de l'horizon transcen-
dantal de l'être, toutefois, la réalité de la transcendance elle-même ne
se recouvre pas. La condition pour que le contenu ontologique pur
d'une affection soit constitué par la réalité de la transcendance elle-
même, c'est que le mode originaire de réceptivité où cette affection
308 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

trouve son essence ne soit pas la transcendance. Loin de constituer


un paradoxe, l'exclusion de la transcendance hors de la structure interne de
l'essence qui la reçoit est l'évidence qui surgit devant la problématique dés
que celle-ci se rend perceptible la surbordination de la réalité ontologique au
pouvoir de réceptivité qui la détermine . Car si l'appartenance de la trans-
cendance à la structure interne d 'un pouvoir de réceptivité fait inévi-
tablement du contenu ontologique pur de celui-ci, quelque chose de
transcendant, un horizon, ce que, précisément, la transcendance
n'est pas,.. c'est que la possibilité pour la transcendance d'être ce
qu'elle est, autre chose qu'un horizon, réside dans l'existence
d'un mode de réceptivite autre qu'elle. Plus précisément, dans
l'existence d'un mode de réceptivité qui atteint son contenu sans
se dépasser vers lui et sans le recevoir comme quelque chose de
transcendant.
C'est de cette manière, en effet, que s'opère maintenant la subor-
dination de la réalité à l'essence du pouvoir qui la reçoit : quand la
transcendance n'est pas présente dans la_ structure interne de cette
essence, la réalité reçue par celle- ci ne prend pas devant elle la forme
d'un horizon, elle n'est plus rien qui soit devant et, dans cette
absence de toute distance, s'identifie au contraire avec l'essence
même. Un tel mode de réce p tivité. qui ne se transcende pas vers son
contenu mais trouve bien plutôt celui-ci en lui -même, c'est-à-dire
dans l'essence, existe. Car l'exclusion de la transcendance hors de
l'essence originaire . de la réceptivité s'est révélée aux yeux de la
problématique avoir une signification positive qui s'exprime dans la
détermination d'un mode spécifique de réceptivité dont la structure
interne est constituée par l'immanence . La surbordination de la
réalité à ce Pouvoir origmaire de réceptivité signifie la possibilité
d'une r' 'té ontologique pure qui ne se trouve plus définie en son
essence par l'extériorité, la possibilité d'une réalité autre que l'horizon,
la possibilité ontologique originaire de la transcendance elle-même. Ce qui
rend possible une chose , c'est là, toutefois, ce qu 'on appelle propre-
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
3^9

ment son essence . Avec la mise en lumière de l'essence originaire de


la réceptivité, la problématique rencontre la possibilité ultime qu'elle
vise en tant qu'elle cherche le fondement dernier de toute manifes-
tation. L'immanence est l'essence de la transcendance.
La compréhension de l'essence de la transcendance comme
immanence constitue - t-elle véritablement toutefois, une détermi-
nation positive de la réalité de la transcendance elle-même ^. Ne
s'opère- t-elle pas d'une manière négative qui laisse
purement tota-
lement indéterminée, en fait, la réalité qu'elle prétend au contraire
déterminer dans son essence ? Que la réalité
gigue ontôlo qui
' se
donne a un pouvoir de réceptivité dont la structure interne n'enferme
pas en elle la transcendance , ne soit, sur le fond de sa détermination
ontologique
ai radicale par l'essence de ce rien d'extérieur
pouvoir, rreur
m de transcendant , cela laisse assurément ouverte la place
pour un
contenu ontologique pur essentiellement différent de tout ce qui e st
susceptible de se proposer à nous sous la forme d 'un horizon. D'un
tel horizon sans doute la transcendance précisément diffère essen-
tiellement, et cela parce que pur le roduit
produitima inatif de l'acte
imaginatif
d imagination ne se recouvre pas avec la réalité ontolog i que de cet
acte lui -même. Ce qui résulte, toutefois, de cette détermination
éidétique du contenu ontologique pur de l'essence originaire ire de la
réceptivité et, d'autre part, de la réalité de la transcendance consi-
dérée en elle- même, ce n'est encore que la similitude de leu
r structuree,
ontologique formelle . Ce que laproblématique est enmesure d'affirmer
a priori, sur le fond de cette similitude, c'est la ure
.p possibilité
pour la transcendance
. de constituer
de le contenu ontologique
l' essence originaire de la réceptivité et de trouver ainsi dans l'imma-
nence la condition ultime de sa réalité . Quecette ure ' ' au
pure possibilité,
contraire, soit effective , que la: réalité de la transcendance constitue
précisément le contenu ontologique purde l'essence
originaire de la
réceptivité et trouve ainsi sa-condition dans cette essence,, c'est-à-dire
c est-a-dire
dans l'immanence, n'est-ce p as là ce q ui doit être montré?
310 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Ou bien faut-il rappeler ici â nouveau le sens de la problématique


de la réceptivité ? Recevoir signifie rendre manifeste , révéler.
L'essence de la réceptivité qui reçoit un contenu ontologique pur,
ne laisse pas celui -ci dans l'indétermination , la réalité de ce contenu
n'est pour elle ni mystérieuse ni cachée elle le reçoit précisément, il
se manifeste â elle, de telle manière que c'est 1a réalité ontologique de
ce contenu pur qui s'exhibe dans cette manifestation. Le concept de la
réceptivité appariient à la phénoménologie. Cette appartenance ne saurait
être oubliée au moment où la problématique entreprend le travail
ontologi que d'élucidation dans lequel le concept de la réceptivité
se trouve élaboré . La distinction instituée entre les modes de récep-
tivité conformément auxquels s'opère en général la réception d'un
contenu est une distinction entre les modes fondamentaux de révéla
lion de ce contenu et, quand celui-ci a la signification d'être un contenu
ontologique pur, entre les modes fondamentaux de révélation de la
réalité ontologique elle-même . Celle-ci est donc révélée tandis que
s'accomplit le pouvoir de réceptivité conformément aux modes qui
sont les siens . La différenciation de la réalité ontologique en tant
qu'elle résulte elle-même de la différenciation de la structure interne
de ces modes n'est une différencialion réelle qu 'en raison de son caractère
pbénommnologique. Comme la réalité du contenu ontologique pur de la
réceptivité qui réside dans la représentation, c'est-â-dire encore dans
la transcendance, est la réalité phénoménologique originelle de l'bori^on
transcendantal de l'être, la réalité du contenu ontologique pur qui se
donne au p ouvoir originaire de la réceptivité ne saurait se définir
sur le plan de la spéculation et d'une manière purement négative
c'est une réalité phénoménologique, une réalité qui s'exhibe en
elle-mênne telle qu 'elle est. Pour cette raison le contenu ontologique
qu'elle constitue n'est pas simplement quelque chose = x dont
nous saurions seulement qu'il n'est pas l'horizon et dont nous
pourrions
penser en conséquence qu'il est peut-être la transcen-
dance. La réalité du contenu ontologique pur de l 'essènce originaire de la
TRANSCENDANCE ET IMMANEN
CE 3 ii

réceptivité est la réalité ftbénot/vénologiqw dela transcendance . elle=même:.


C' est justement pour cela que l 'immanence qui c
onstitue la structure
interne de ce mode originaire de réceptivité se ré vêle erre l'essence
de la transcendance, parce qu'elle la révèle et la rend ainsi possible dans ,
son être mî iîe. La coïncidence de la structure formelle du contenu
ontologique pur de l ' essence originaire de la réceptivité avec celle de
la réalité de l'acte de la transcendance considéré en lui-même n'est.
pas due au hasard. Cette coïncidence à vrai dire est pasn'en
une •.
c'est d'une seule et même structure qu'il
q s'agit. La réalité ''
qui s'illumine
dans la réceptivité s'accom lissant selon le mode originai
p re de son exercice
se révèle être identiquement la réalité de la transcendance elle-même et,
conformément à la structure de cette révélation unequi réalité ' de
n'est rien
transcendant. La possibilité de la subsom tion sous ce
p caractère
phénoménologique fondamental de la réalité originaire de la trans-
cendance ne peut se donner pour une coïncidence et paraître telle
aux yeux de la problématique que parce que celle-ci fait se recouvrir
des éléments qu'elle avait elle - même distingués
dans le progrès
de son analyse. Cette dernière s'était poursuivie d ans deux directions
différentes , l'une visant le statut phénoménologique originaire de la
transcendance , l'autre , la structure ontologique formelle c'est
-à-
dire encore le statut phénoménologique -- du contenu pur de
l'essence originaire de la réceptivité . C'est une seule "
et même réalité,
toutefois, la réalité originelle de la transcendance qui
se trouve.
concernée par ce double travail d'élucidation et la coïncidence ou la
subsomption à laquelle celui - ci aboutit n'est que la reconnaissance
sur le plan de la pensée discursive de cette identité ontologique
fondamentale.
Ce n'est pas en vain, du reste , qu'un tel travail se poursuit.
La signification phénoménologique du pouvoir de réceptivi té qui
rend manifeste en sa réalité propre l'acte originel de la transcendance
n' est pas reconnue en dehors du mouvement d'anal
y se de la p ensée
où la nature de ce pouvoir se trouve élucidée . Car il ne. suffit pas de
312 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

constater le contenu de la révélation qui s'accomplit dans la récep-


tivité originaire de l'essence . Comment s'accomplit une telle révéla-
tion, c 'est là encore ce qui doit être compris . La révélation du contenu
de cette réceptivité originaire n'estpas dissociable , à vrai dire, de ce « comment»,
étant elle-mime ce comment comme tel. C'est à l'intérieur de celui-ci, à
l'intérieur d'un mode spécifique de réceptivité, que la transcendance
se montre en elle-même telle qu 'elle est. La possibilité la plus ultime
pourla transcendance d'être ce qu'elle est ne réside pas, en effet, dans
la simple révélation de sa réalité propre. 4u plutôt, cette révélation
n'est-possible comme telle, comme révélation de l'acte originaire de la
transcendance considéré en lui-même, que pour autant qu'elle ne
s'accomplit point librement ni d'une manière indéterminée, mais de
telle sorte que la réalité qu'elle révèle , la réalité révélée de l'acte
originairement formateur de l'horizon, c'est-à -dire encore la réalité
phénoménologique originelle de la transcendance, ne soit , en elle-
même rien de transcendant. Voilà pourquoi l'immanence est l'essence
,
de la transcendance . L'immanence est l'essence de la transcendance parce
qu'elle la révèle, mais, plus précisément et plus profondément, parce
qu'elle la révèle de cette manière déterminée . qui la rend possible dans son
essence.
L'identité de la structure formelle de la réalité de la transcendance
et, d'autre part, de ce qui a été compris comme le contenu ontologique
pur de l'essence originaire de la réceptivité, prend ici sa pleine
signification. Celle-ci ne repose pas seulement sur le pouvoir phéno-
ménologique de l'essence mais, plus ultimement, sur la structure
interne d ' un tel pouvoir, c'êst-à-dire sur le mode selon lequel il
accomplit l'oeuvre de révélation qui est la sienne. Parce que l'essence
de la réceptivité est le pouvoir de rendre manifeste , son contenu se
montre à nous et, dans cette manifestation, telle du moins qu'elle
s'accomplit à l'intérieur du mode originaire de la réceptivité, il se
révèle être la réalité même de la transcéndance et, en même temps, une
réalité qui n'est rien de transcendant . L'identité de la transcendance et
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
313

u contenu immanent de l'essence est. ce que nous voy ons. Mais


cette identité n'est pas seulement constatée , elle est encore comprise.
La nécessite éidétique en vertu de laquelle la présentation originelle
de la transcendance s'accomplit avec la structure formelle d'un contenu
immanent est ce qui s'annonce dans cette compréhension. Celle-ci,
toutefois, n'est pas notre fait. Elle n'est rien d'extérieur ni d'étranger
à la révélation immédiate de !a réalité originaire de la transcendance,
mais lui appartient au contraire par essence ou, pour mieux dire ,
s'identifie avec elle. La compréhension du caractère immanent de la
transcendance elle-même ne se sup erpose as à • notre vision, elle
définit la nature de celle-ci. L'immanence de la transcendance est sa re ve-
''
lation. Pour cette raison, le nom de compréhension ici employé pour
désigner la saisie originelle de la transcendance dans sa.. structure
ontologique propre se révèle foncièrement inadéq uat pareille sai si
p e
ne se produit précisément pas sur le mode d'une compréhension
c'est-à-dire sur le fond de la transcendance en elle. Dans cette exclusion
de la transcendance hors de la structure interne du pouvoir qui la
révèle en elle-même, réside la nécessité éidétique en vertu de laquelle
la révélation de la transcendance est une révélation immanente. Cette
nécessité n'est pas différente de l'essence de la révélation elle la
constitue, elle est incluse en elle, elle se manifeste: La raison de la structure
formelle du contenu ontologique purde l'essence
originaire de la
révélation est identiquement cette essence même. La structure de la
raison est la structure de la p hénoménalité.
t Parcere qu'elle de
est la struc u k
phénoménalité, la structure de. la raison est une #ructure phénoménologique.
La structure de la raison, c'est-à-dire le mode déterminé selon
lequel s'opère la révélation, est la structure même de celle-ci, elle est
cette révélation elle-même dans le mode concret de son accomplissement effectsf.
Dans l'accomplissement effectif et concret de la révélationn originaire
de la réalité ontologique de la transcendance se révèle la structure de
cette révélation. La révélation de cette structure est la révélation
elle-même dans le comment révélé de sa révélation et le comment
M. HENRY 11
3 14 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

révélé de cette révélation est notre vision elle-même telle


qu'elle est. Parce ° que nous vivons cette vision telle qu'elle est,
parce que la révélation est révélée dans le comment de la struc-
ture de son accomplissement concret , la détermination par ce
comment de la réalité qu 'il révèle est incluse en lui, non point comme
une loi inconnue ou une prescription mystérieuse de l'essence,
mais comme cela même qui est révélé au sein de cette révélation, dans
son identité phénoménologique avec elle.. Le caractère immanent
de la transcendance n'est pas posé â priori par l'analyse lorsqu'elle
élucide dans le mode qui est le sien, et selon les méthodes qui lui.
appartiennent , les conditions qui rendent possible l'acte d'objectiva-
tion, im tel caractère qui constitue la structure ontologique formelle de l'acte
originaire de la transcendance surgit en même temps que la réalité de celui-ci
comme identique en son essence avec ce surgissement même. Pour cette
raison, le caractère immanent de l'essence est un caractère phénoménologique,
et cela en un sens radical conformément auquel cette immanence constitue le
milieu phénoménologique originaire de révélation de la transcendance elle-même.
Dans la révélation de la transcendance réside toutefois sa propre
réalité. Le caractère immanent de la transcendance n'est pas un
caractère, voire un caractère phénoménologique , qui se superpo-
serait à sa réalité, il constitue l'essence de celle-ci. La détermination
de la structure ontologique formelle de la transcendance comme
contenu immanent cesse d'avoir une signification purement nega-
tive quand elle n'est pas autre chose que. la révélation même de
la réalité originaire de la transcendance dans la positivité de son
accomplissement phénoménologique effectif et concret . Que le
comment de l'accomplissement de cette révélation se révèle en elle comme ce
qui la détermine en son essence , c'est là justement ce qui détermine phénomé-
nologiquement et d'une manière ultime l 'essence originaire de la transcendance
comme immanence.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 315

. § 3 3. L'INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE
DE L'ESSENCE DE LA TRANSCENDANCE COMME IMMANENCE
ET LA POSSIBILITÉ INTERNE DU DÉPASSEMENT

L'interprétation ontologique de l'essence de la transcendance


comme immanence rend claire la possibilité interne du ra pport
transcendantal de l'être-au-monde et la détermine . La p ossibilité
interne du rapport transcendantal de l'être-au-monde réside dans le fait
qu'il n'est pas un simple « rapport » au sens ordinaire, mais un « se ra
p
porter à », de telle 'manière que dans ce se rapporter à » et , ar lui, c'est
« p
le rapport lui-même qui se rapporte à ce à quoi il se rapporte. Où réside
l'essence d ' un rapport qui n'est pas un sim le ra ort mais se
p pp
rapporte lui- même à ce à quoi il se rapporte ? Quand, à prop os d'une
figure géométrique par exemple , nous déclarons ue ses côtés
q
entretiennent entre eux des rapports (de grandeùr de position, etc.),
aucun d' eux pourtant ne « se rapporte » aux autres ,
. Et de même
lorsque nous disons de la table qu' elle se trouve avec le mur dans
un certain rapport (contre lui , à côté de lui, etc.), la table ourtant
p
ne « se rapporte » pas au mur . Pour quelle raison doit- il en être ainsi,
pourquoi aucun des côtés de la fi g ure n'est-il suscep tible de se
rapporter aux autres , pourquoi la table ne peut-elle , comme le dit
Heidegger, « toucher le mur » (i) ? Parce que ni l'un ni l'autre ne
sont capables de « se dé passer vers » ce avec quoi ils p ourraient alors
entretenir un « rapport ». La p ossibilité de ce rapp ort entendu en un
sens transcendantal ne saurait toutefois être sim p lement décrite
comme trouvant par exemple son essence dans la transcendance. Ou
plutôt cette descrip tion doit être telle q u'elle soit identi. uement la
q
mise en lumière de la possibilité de la structure interne de la transi
cendance elle-même . Avec la compréhension du rapport transcen-
dantal de l'être-au-monde comme incluant en son essence un « se

(I) SZ, 55.


;i6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

rapporter à », cette mise en lumière s'accomplit. Le « se rapporter à »


du rapport ne trouve pas sa condition dans la transcendance, il est au contraire
ce -qui la rend possible.
Qu'est-ce que « se rapporter à », en quoi consiste la possibilité
de la transcendance elle-même ? « Se rapporter à » signifie « s'apporter
soi-même auprès de ». « S'apporter soi-même auprès de », c'est, pour
le mouvement qui se porte vers, ne pas se séparer de soi, rester au
contraire près de soi, demeurer en soi, de telle manière que ce
« soi », maintenu et conservé dans le mouvement, se trouve porté
avec lui auprès de quoi ce mouvement se porte. Le « soi » maintenu et
conservé dans le mouvement et qui se trouve porté avec lui auprès de
quoi le. mouvement se porte, est ce mouvement lui-même. Que le
mouvement ait un « soi », cela veut dire ; ce mouvement, le mouve-
ment de se porter auprès de, se maintient près de soi dans son
accomplissement même et ce maintien près de soi du mouvement dans son
accomplissement est identiquement sa révélation originaire à lui-même. Là
où existe un rapport, il existe pour soi. L'être-pour-soi du rapport
qui le rend possible comme rapport, toutefois, est déterminé. Dans
l'essence de la révélation originaire du mouvement qui s'apporte soi-même
« auprès de » est incluse la possibilité pour celui-ci de demeurer près de soi
dans son accomplissement
. et d'être ainsi possible comme mouvement de
« s'apporter soi-même auprès de » et comme acte de « se rapporter à ».
L'auto-révélation originaire qui détermine dans sa possibilité intrinsèque le
mouvement de « s'apporter soi-même auprès de », c'est-à-dire encore la
possibilité ultime de !a transcendance qui la constitue en son essence comme
acte de « se rapporter à », est l'immanence.
Ici doivent être levées les graves - confusions qui apparaisssent
comme d'une manière inévitable, dès qu'il est question pour la
problématique de saisir la transcendance dans son « essence ».
Celle-ci est effectivement décrite comme l'acte de « se rapporter
à », de « se dépasser vers ». Que signifie un tel dépassement comment
faut-il comprendre dans sa structure et dans sa possibilité l'acte qui
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
317

. l'accomplit ? Il n'est pas inutile de remarquer que le dépassement qui


qualifie la transcendance dans son essence comme cet acte de « se
. dépasser vers » et, par suite, comme un « rapport » au sens transcen-
dantal, est interprété le plus souvent et d'abord d'une mani ère
négative, et cela à partir de la considération de l'étant. La possibilité
interne de la transcendance se définit à partir de celle dont l'étant se
trouve privé. Pourquoi la table ne peut-elle toucher, le mur ? Parce
qu'elle ne peut « se dépasser » vers lui. Ne pouvant se dépasser vers
lui, elle reste « en elle-même » prisonnière et ainsi d'e .lie-même,
enfermée en elle-même, elle est sans rapport avec ce qui se t couve
autour d'elle, avec le mur par exemple. Se dépasser vers celui-ci
cela signifierait au contraire, pour la table, sortir de soi être hors
de soi et, dans cette extériorité par rapport à soi, se trouver « auprès
de », auprès du mur et de tout ce qui l'entoure en général. Ce serait
plus précisément, créer, dans cette sortie hors de soi un « voisi-
nage », ce pur milieu d'échange où il lui serait loisible de retrouver
toutes choses et de se retrouver soi-même parmi elles dans la lumière.
« Être hors de soi auprès de », telle est la fonda
possibilité mentale dont
la table se trouve être privée.
Cette possibilité qui n'est pas celle de la table est comprise au contraire
comme constituant l'essence du rapport, l'essence de la transcendance elle=
même. Une telle compréhension, s'opérant d'une manière purement
négative à partir de la considération de l'étant demeure, malgré
son apparente clarté, foncièrement obscure, elle laisse lace à l'incer-
titude et a l'équivoque, et aboutit finalement, loin de-la comprendre
a passer sous silence, et cela d'une manière décisive pour le cours
ultérieur de la problématique, c'est-à-dire pour la philosophie de la
transcendance elle-même dans son ensemble, l' « essence » de celle-ci.
L'équivoque concerne le genre de réalité qui se trouve « être dépassée »
dans la « sortie hors de soi » de cette réalité et, par suite la nature
d'un tel dépassement. Quand il s'agit de la table, la réalité dépassée
est la table elle-même. C'est. a la condition de se dépasser ainsi elle-
318 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

même, de se trouver hors de soi, que la table pourrait, semble-t-il, se


rapporter au mur. « Se dépasser vers » au sens de « être hors de soi
près de » signifierait donc, en ce qui concerne la table, constituer
soi-même la réalité qui se trouve dépassée dans le dépassement.
Qu'en est-il alors de ce dernier ? Sommes-nous ici sur le plan d'une
simple analyse éidétique qui se déroule dans la fiction ou bien un tel
dépassement dans lequel l'étant constitue la réalité dépassée existe-t-il
réellement ? Le dépassement de l'étant est le monde. Ainsi la phénoménalité
peut-elle paraître enfermée dans le concept d'un dépassement où la réalité
qui opère celui-ci se trouve aussi être dépassée par lui. Une telle réalité sans
doute ne se laisse pas ramener à celle d'un étant quelconque. La
table ne touche pas le mur. Mais l'homme ? Nous ne savons point
encore, il est vrai, ce qu'est celui-ci : ne serait-il pas justement
cet étant capable de se dépasser lui-même et de se trouver ainsi
dehors dans la lumière, « homme parmi les hommes, chose p armi les
choses »?
Cette possibilité pour l'homme de se dépasser soi-même et de se
retrouver ainsi hors de soi au milieu du monde est assurément
remarquable et digne d'être notée. Encore faudrait-il montrer en
quoi elle consiste et comment elle est elle-même possible. Si elle se
posait cette simple question, la problématique tomberait sans doute
dans l'embarras : de la possibilité d'opérer un dépassement quel-
conque et, par exemple, le dépassement de soi, l'homme comme étant
se trouve, comme celui-ci en général, foncièrement privé. Pas plus-
que la table, la main de l'homme, considérée comme une réalité
ontique, ne peut toucher le mur. Elle se trouve à côté de lui dans le
monde. Le monde précisément, le monde qui développe son horizon
au-delà de tout étant, n'est-il pas le dépassement lui-même ? Celui-ci
ne réside-t-il pas dans l'être-au-delà-de-l'étant dans cette extériorité
radicale
. qui est « ce^ qui est plus objectif que tout objet » et qui est
aussi la lumière ? L'objectivité elle-même, toutefois, ne se rapp orte
à rien. Dans l'objectivité il ny a pas de rapport. C'est p récisément parce
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
319

que l'objectivité ne se rapporte à rien,


. que rien en elle ne se rapporte
à autre chose . Ce n'est paf la nature articulie're de la main c'est sa nature
p
objective qui l'empêche de se rapporter au mur. Ainsi une manifestation à
supposer qu'elle fût effective , ne suffit pas à fonder la possibilité d'un
rapport, elle peut, bien ° au contraire , le rendre impossible Si la main ne
.
peut toucher le mur bien que leur contiguité spatiale se manifeste dans le
f
monde, si cette manifestation particulière mais pure en elle-même ne
constitue pas encore un rapport au sens transcendantal, c'est que la réalité
phénoménologique de celui-ci n'est pas la phénoménalité du monde.
L'identité formelle de structure entre le dépassement de l'étant
dans le monde et, d'autre part , l'essence de la transcendance elle-
même --. identité qui s'exprime dans une compréhension ontolo-
gique monotone du dépassement comme acte de « se dé asser vers »
p
-- se révèle finalement illusoire et fallacieuse . Se dépasser vers le
monde, pour l 'étant-homme , c'est être soi-même la réalité dépassée
dans le dépassement, c'est- à-dire dans le monde c'est se manifester
comme tel, c'est- à-dire comme un étant. Dans cette manifestation de
l'homme comme étant, cependant, il n'Y a pas de rapport homme
parmi les hommes, chose parmi les choses , l'homme ne se rapporte à
rien. Se depasser vers, au sens de la transcendance, se r n orter à c'est être
pp
soi-même le dépassement, un dépassement qui ne se de esse pas lui-même et
qui est précisément possible comme tel, comme cela même qui ne se de' anse
pas mais demeure au contraire en soi, comme immanence . Ainsi l'acte de
« se dépasser vers » qui définit la possibilité d'un rapport au sens.
transcendantal trouve -t-il sa condition dans le « ne pas se dépasser
soi-même » qui qualifie la transcendance dans son essence Confor-
.
mément à ce « ne pas se dépasser n soi-même
elle comme » inclus e sa
possibilité la plus propre, il apparaît que la transcendance ne s' en
va jamais au- delà d' elle-même et qu'à aucun moment non plus
elle ne reste en deçà de son propre dépassement . Ne pas s'en aller
au-delà de soi, cela signfie pour la transcendance ne as se manifester dans un
p
monde. Ne jamais rester en deçà de son propre dépassement , c'est,
320 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

toujours pour la transcendance, n'être jamais un étant. Ne s'en allant


jamais au-delà de soi et ne restant jamais en deçà de son propre
dépassement, la transcendance ne laisse pas son essence en dehors
d'elle, dans un es p rit étranger. Elle la conserve au contraire en elle,
elle est le dépassement en lui-même et ainsi possible comme dépas-
sement.
La compréhension
. de la transcendance à p artir du dép assement
de. l'étant dans le monde a donc seulement pour effet de p asser sous
silence ce qui constitue la structure interne de la transcendance
elle-même, son essence et sa possibilité. Car la structure de la trans-
cendance n'est pas mise en lumière ni conservée mais démembrée
au contraire entre l'étant et le monde q uand l'acte de se dé passer
vers qui la qualifie est interprété comme l'être-au-delà-de-soi-de-
l'étant, de telle manière que la réalité qui se dép asse se révèle être
celle-là même qui se trouve dé passée dans le dépassement, de telle
manière aussi que le dépassement est compris comme le monde lui-
même. Entre l'étant et le monde, toutefois, la structure de la trans-
cendance ne se trouve pas simplement brisée, la réunion des deux
termes entre lesquels elle s'éparpille, l'unité synthétique de l'être-au-
delà-de-soi-de-l'étant ne la contiendrait pas. La transcendance n'est
ni l'étant ni le monde. Avec l'interprétation de la transcendance
comme être-au-delà-de-soi-de-l'étant, l'essence de celle-ci n'est p as
simplement omise, elle se trouve en fait complètement travestie. La
confusion où se p erd la p roblémati que au moment même où elle se
montre incapable de saisir la transcendance dans son essence , devient
visible lorsque celle-ci est explicitée comme « transcendance du
monde ». Le dép assement de l'étant dans l'horizon transcendantal
de l'être est le contenu réel de ce concept, la phénoménalité du monde,
sa seule référence phénoménologi que. Parce que cette dernière
semble du moins pouvoir être invoquée, la possibilité interne du
dépassement est cherchée dans le monde, celui-ci se recouvre avec la
transcendance dans « la transcendance du monde », le lien vivant d'un
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 3 21

« se rapporter
A à » et d'un « se dépasser vers » au sens d'un « s'apporter
soi-même auprès de » se perd dans le rapport d'indifférence de la
lumière et des choses.
Comme l'interprétation de la transcendance à du
partir dépas-
sement de l'étant manque son but et aboutit à un faux concept,
elle donne aussi au concept antithétique de l'immanence une signifi-
cation fallacieuse et vide. Quand la transcendance désigne l'être-hors-
de-soi de l'étant, où réside au contraire l'immanence,. sinon dans
l'étant lui-même, plus précisément, dans l'être-à-l'intérieur-de-soi
de l'étant ? Dans la mesure cependant où l'étant se trouve par lui-
même incapable de sortir de soi et d'être ainsi « hors de soi auprès
de », l'être-à-l'intérieur-de-soi n'est pas une propriété qui lui serait
surajoutée ni même une simple détermination parmi d'autres. Dans
l'être-à-l'intérieur-de-soi l'étant trouve sa qualification la plus propre.
L'immanence reçoit la signification d'être une catégorie ontique. C'est préci-
sément lorsqu'elle reçoit cette signification que l'immanence vaut
comme le concept antithétique de la transcendance. Au « sortir de soi»
qui appartient à la transcendance s'oppose le « rester en soi-même »
qui est le partage de l'être immanent. Comme l'être-hors-de-soi
de la transcendance est cependant compris à partir de l'étant comme
la possibilité même dont celui-ci se trouve privé, de la même manière
le rester-en-soi-même de l'étant s'entend dans sa relation au sortir-
de-soi de la transcendance et comme la simple privation de celui-ci
« Un être non libre, écrit un commentateur de 1-feidegger, serait un
être si absolument replié sur soi qu'il s'affirmerait constitutionnelle-
ment incapable d'être auprès de l'autre (i), » L'être non libre,
c'est-à-dire privé de la possibilité de sortir de soi et de se trouver
ainsi « hors de soi auprès de », est justement l'étant. Cette privation
de la liberté qui le contraint au contraire à rester en lui-même est

(I) A. de WAELHENS in introduction à De l'essence de la vérité, trad. A. de


WAELHENS et W. BiEMEL, Nauwelaerts & Vrin, Louvain. Paris, 1948, 36.
322 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'immanence. Dans le jeu de ces significations négatives le contenu


des concepts se perd, leur substance s'écoule hors d'eux-mêmes. La
possibilité interne des structures qu'ils désignent n'est plus un
problème, celles-ci ne sont pas même décrites . Sur la ruine de ces
concepts, on voit s'édifier une prétendue philosophie de l'existence
qui repose sur la simple opposition de l' « existence» et de la « chose»,
opposition dont le vide lui permet de se recouvrir plus ou moins avec
celle, traditionnelle et également vide, du « sujet » et de l' « objet ». Ou
bien si cette opposition n'est pas completement vide, elle désigne
le simple contraste entre l' être qui va hors de soi et celui qui reste
en lui-même, l ' « en-soi ». Mais comme ces deux possibilités qui
prétendent qualifier l'être dans sa structure sont comprises en réalité
à partir de l ' étant, elles sont elles-mêmes aussi vides que leur opp o..
sition. Comme l' étant ne peut s'en aller hors de soi, comme cette
dernière possibilité 'est seulement comprise d'une manière négative
comme celle-là même dont il est privé on ne voit pas comment cet
,
étant pourrait une fois la revendiquer au contraire comme la sienne.
Dans le « privilège » qu'a l'homme d' « exister» se concentre l'absur-
cité de la philosophie de l'existence . Et même si en vertu de ce
privilège singulier qui est le sien , l'homme se trouvait uni à l'existence
qui, comme être-à-l 'extérieur- de-soi-de-l'étant, n'est que l'extériorité
indifférente et sans rapport , cette possibilité ne serait encore en
aucune façon celle d'un dé p assement, a vrai dire elle ne serait rien.
Pas plus que le concept de la transcendance ne trouve son contenu dans
l'être-à-l'extérieur-de-soi-de-l'étant, pas davantage celui de l'immanence dans
l'étant lui-même comme privé en sa nature de cette possib ilité de se dépasser
ainsi foi-même . Car la table n'est pas plus « en elle-même » qu'elle n'est
« hors de soi ». La p ensée ui dote l'étant d'une intériorité obéit à la
q
même illusion que celle qui voit en lui l'origine d'un rapport, qui
croit que la table touche le mur . Quand ils sont débarrassés des
significations aberrantes que leur confère dans une pseudo-genèse
.
philosophique une origine ontique qu'ils n'ont pas, les concepts
T AANSCENDANCE ET IMMANENCE
323

. de la transcendance et de l'immanence cessentde s'opposer. Ce


n'est pas parce que la table reste en elle-même qu'elle n'est pas
susceptible de toucher le mur, bien au contraire : c'est arce qu'elle ne
reste pas en elle-même qu'elle ne peut se dépasser vers lui et que la possibilité
d'un dépassement lui est par princpf
i e refusée. C'est parce que l'immanence
n'est pas une catégorie de l'étant qu'à celui-ci la transcendance.
non . plus n'appartient pas. L'immanence est une catégorie ontolo-
gique pure, elle est la catégorie ontologique fondamentale qui. rend
possible le dépassement lui-même comme tel.
Une fois écartées les significations fausses qu'ils redoivent
lorsqu'ils sont interprétés à partir de l'étant comme exprimant la
possibilité ou l'impossibilité d'un dépassement de celui-ci ,les
concepts de la transcendance et de l'immanence sé laissent saisir dans
leur rapport vrai qui n'est pasun pp rapport
on d'o mals ositi 'de
fondation. La compréhension de l'essence de la transcendance comme
immanence montre la vanité des critiques qui reposent au contraire
sur la simple opposition de leurs concepts. Vaine en effet est la pré-
tention de mettre en cause la valeur philosophique du concept
d'immanence, de lui refuser p lus e
précisément tout
signification
ontologique possible, quand le fondement qu'elle se donne n'est
autre que l'extension de la transcendance à la totalité du champ phénomé..
nologique de l'être (i). Ce qui se trouve mis en lumière en même temps
que cette extension, ce n'est point le rejet^ de l'immanence
de hors la
structure interne du pouvoir ontologique de l'essence mais seule-
ment son appartenance à celle-ci. Si la compréhension des concepts
ontologiques purs de l'immanence et de la transcendance est difé-
rente, leur extension, en effet est identique. L'extension de la trans..
tendance à la totalité dui q ue
p hénoménolog champ ''
de l 'être signifie

(I) Cette extension, constamment affirmée par MERLEAU -PONTY (cf


. par ex.
PhP, 192-193), est justement ce qui l'amène à rejeter le concept d'immanence :
celle-ci est véritablement chez lui une catégorie ontique, elle ne désigne plus rien
d'autre que la U chose ».
324 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'universalité de l'immanence comme structure ontologique fondamentale de


toute manifestation, possible. Parce que l'extension des concepts d'imrna-
nence et . de transcendance compris comme concepts ontologiques
est identique, la tentative de dissocier les réalités qui forment leur
contenu pur en rejetant celles-ci chacune hors du champ d'action de
l'autre, se révèle absurde . Saisir ces concepts au contraire dans
l'identité de leur extension, c'est pénétrer,. plus avant dans leur
compréhension et appréhender le lien qui les unit. Ce lien n'est pas
extérieur mais réside au contraire dans la transcendance elle-même si
l'essence de celle-ci est l'immanence . La compréhension ontologique
de la transcendance dans son essence est identiquement celle de
l'immanence en elle . Dans cette compréhension se fait jour ce qui
constitue la possibilité interne du dépassement , à savoir son maintien
prés de soi, le demeurer-en-soi-même du mouvement de dépasse-
ment dans le dépassement même . Conformément à cette compréhen-
sion de ce qui constitue la possibilité interne du dépassement,
il apparatt que, là où il existe un rapport, il existe d'abord en lui-
même. Si l'homme accomplit un dépassement, s'il est capable de se
transcender vers le monde, c'est qu'il est faux de dire que «l'homme
n'est jamais en deçà du monde, homme d'abord » ( i). En deçà du
monde demeure et persiste, sinon l'homme lui-même, du moins la
réalité qui accomplit le dépassement, et ce demeurer-en-deçà-du-
monde du dépassement est sa réalité même. Seul l'oubli de ce qui,
dans la transcendance, constitue sa possibilité la plus ultime, peut -
conduire la problématique à nier purement et simplement la signi -
fication ontologique du concept de l'immanence.
Le moment abstrait de cette négation où la transcendance se voit
privée de son essence est aussi celui d'une affirmation non moins
abstraite et vide dans laquelle le rapport de transcendance se trouve
simplement posé. D'autant plus immédiate est cette position, d'autant

i) HEIDEGGER, Ueber den Humanismus, Klostermann, Frankfurt a. M.,1949, 35.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
325

plus catégorique la mani è re dont elle s'op^ ère. 'L' affirmation du ra ort
pp
de transcendance en dehors de tout contexte philosophique conte-
nant au moins une indication sur la possibilité interne d'un tel
rapport ne se laisse pas aisément reconnaitre dans sa gratuité, car
celle-ci est interprétée non moins immédiatement comme un caractère
de l'élément réel et, en même temps, qui comme fonde s ce '
a réalité.
Dans l' absence de fondement du ra ort réside en effet le carac
pp
tère en vertu du quel celui-ci est le fondement, l' « absolu », Quand
l'absolu n' a pas de fondement , c'est-à-dire en fait quand sa possibilité
positive interne ne peut être exhibée, son avènement. n'en est que plus
surprenant . Le rapport
^surgit ^ commeTract,
l ' éclair il est le simple
der reine Beug. Cette simplicité qui est l'absence de tout fondement
ne désigne pas seulement le rapport comme le fondement, elle le
qualifie encore comme fondement sans fondement . Être un fonde-
ment sans fondement, telle est l'essence du ra ort, telle est la nature
pp
contingente de l'absolu. Dans cette contingence l'absolu • acquiert le
pathétique qui lui fait j ustement défaut. La carence ontologique
de la problématique est, la source des prestiges existentiels dont elle
se pare. L'existence , écrit un commentateur, est « une sorte d'absolu
sans origine et sans destin, la Relation elle-même , à la fois irrempla-
çable. .. et injustifiable (i). » Ainsi volt-on sa propre impuiùance à
«justifier » la relation, c'est-à-dire à saisir celle-ci dans ce ui la rend
^ q
possible, conduire la problématique àabsolutiser le ra p .. p ort de
transcendance en faisant de l 'absence de fondement le caractère et
l'essence du fondkment lui-même . Le moment existentiel où l'absolu
« sans origine et sans destin » surgit dans la nudité de sa contingence
est aussi le moment du réalisme . Le réalisme est la réalisation de ce
qui n' estpas la réalité mais la Le
présupp ose réalisme ste l 'abstrac-
tion. La réalisation abstraite de l'absolu dans la « Relation » ne

(I) G. VARET, L'ontologie de Sartre, Presses, Universitaires de France,


Paris,
1948, 177•,
326 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

suffit pas cependant à faire de celle-ci la relation réelle vivante, la


relation qui se rapporte elle-même à ce à quoi elle se rapporte. L'adjonc-
tion d'une majuscule ne remplace pas le travail ontologique d'éluci-
dation qui met à nu la structure concrète de la réalité. Celle-ci n'est
pas le rapport, elle est presupposée par lui. Elle est l'être du rapport
ce qui le rend possible. Avec l'omission de l'essence. de la transcen-
dance la philosophie
v de l'être s'en tient, malgré l'a.pparence au
niveau de la ,philosophie de la conscience, lorsque celle-ci déclare
simplement : « La conscience (n'est) précisément que rapport
renvoi, signification vers ou pour... ( i). »

s 34• CONSCIENCE DU MONDE ET CONSCIENCE SANS MONDE

Avec la détermination de l'essence de la transcendance comme


immanence, le rapport transcendantal de l'être-au-monde n'est plus
affirmé si mplem ent mais saisi au contraire dans sa possibilité intrin-
sèque.. Celle-ci réside dans la manifestation du rapp ort lui-même.
C'est cette possibilité comprise comme possibilite phénomenologiqûe
qui se trouve déterminée dans la mise en lumière de l' « essence »
de la transcendance. Parce que la possibilité phénoménologique
originelle du rapport constitue sa réalité même, la détermination
de la structure interne de cette possibilite est identiquement celle de la
réalité du rapport, elle est la saisie de celui-ci dans sa vraie nature,
Saisir le rapport transcendantal de l'être-au-monde dans sa vraie.
nature, à partir de la structure interne de sa possibilité phenoméno
logique la plus ultime, c'est le comprendre dans son opposition
radicale à l'être du « monde » et à la phénoménalit4 qui. le constitue,
La franfcendance n'est pas dans le monde. Ne pas être dans le monde,
cela signifie pour elle, non p as simplement ne pas survenir à l'int6.
rieur du monde à la manière de l'étant, mais, plus précisément

(i) G. VARET, L'ontologie de Sartre , op. cit., 1X3.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 327

et d'une manière plus décisive pour la compréhension de la nature de


l' « Être-dans », ne pas survenir comme cela même qui est le monde. Le
n'être-pas -dans-le- monde de l'être- dans-le- monde constitue cep endant
sa possibilite la plus propre . ,Celle-ci, la possibilité d'un survenir de
la transcendance, la possibilité phénoménologique ultime pour què
la transcendance soit, réside tout entière dans la phénoménalité
effective de ce qui n ' est pas le monde, dans la révélation ori ginaire
i;îlmanente du mouvement lui-même. Avec la révélation originaire imma-
nente du mouvement telle qu'elle s'accomplit dans son indépendance
radicale à l'égard du monde et de la phénomenaLtté qui lui appartient
se trouve mis en lumière le fondement phenoménologique de l'oppo-
.
sition décisive des concepts du mouvement et de l'objectivité.
Conformément à cette opposition il apparaît que le mouvement est
essentiellement possible comme non objectif Possible signifie réel. La
possibilité du mouvement est la réalité p̀hénoménologique de sa
maniféstation originaire . Que le mouvement soit possible- comme
non objectif veut dire qu'il se tient toujours en deçà du monde hors
du champ de l'horizon, que, bien qu'il soit celui de se rapporter .
au monde, le mouvement pourtant n'est jamais dans le monde.
La réalité du mouvement est l'essence de l'ima gination. L'essence
de l'imagination est identi q uement sa manifestation, sa< conscience ».
Pas plus que la réalité du mouvement , la conscience de l'imagination,
qui lui est identique , ne réside dans l'objectivité. A la question
posée par Husserl de la possib ili té d'une consciene sans monde (i),
la réponse est donnée avec la conscience de l'imagination. La conscience
de l'imagination est une conscience sans monde. L'imagination n'est-elle
pas cependant le pouvoir de susciter un monde et, comme telle, sa
conscience ? Qu'on ne confonde pas celle-ci, toutefois , cette conscience du
monde, avec la conscience de l'imagination. A l'imagination sans doute le
monde appartient comme cela même qu'elle imagine dans l'acte de sa

(i) I deep I, !60-!64.


328 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

transcendance et il est vrai de dire, en ce sens, que l'imagination est


une conscience du monde. Son appartenance à l'imagination comprise
comme conscience du monde signifie, en ce qui concerne celui-ci, sa
manifestation à titre d'élément phénoménologique, la manifestation
de son néant. La manifestation du néant du monde se produit ainsi
dans l'imagination, plus exactement dans la conscience de celle-ci. C'est
parce que l'imagination est consciente qu'elle est aussi consciente
de ce qu'elle imagine. L'appartenance du monde â l'imagination ne signifie
nullement son .appartenance à la conscience de l'imagination de l'essence
de cette conscience, bien au contraire, le monde se trouve radicale-
ment exclu. L'exclusion du monde hors de la conscience de l'imagi-
nation résulte de la détermination du mode originaire de révélation
de l'imagination comme immanence. La signification de cette déter-
mination -- celle de la conscience de l'imagination comme conscience
sans monde est que la manifestation de l'imagination n'est pas
constituée par la phénoménalité du monde. Dans la manifestation
de l'imagination réside, non la phénoménalité du monde mais ce
qui rend celle-ci possible, ce dans quoi cette phénoménalité parvient
à l'effectivité. Que le monde se forme dans l'acte d'imagination, cela
veut dire en effet : le monde parvient à la phénoménalité effective il se
phénoménalise dans cet acte, plus exactement dans la révélation originaire
immanente à celui-ci et constitutive de sa réalité. La révélation originaire
immanente de l'acte d'imagination est la « conscience de l'imagi-
nation » : à l'intérieur de laquelle aussi ce qu'elle imagine à savoir le
monde, se phénoménalise et devient lui-même conscient.
Dans la « conscience du monde » se trouve donc impLiqué non
pas le simple concèpt de la phénoménalité, mais bien plutôt sa
division conformément aux résultats les plus importants de la problé-
matiquç. Il ne s'agit pas seulement de dire que la conscience du
monde est toujours aussi et d'abord conscience de soi comme si la
conscience, au même titre que le monde, était retenue sous son
propre concept, comme si le concept de la conscience avait pour
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
329

.. contenu non pas seulement le monde, mais également cette conscience


elle-même. Car le concept de la conscience est un concept vide aussi
longtemps qu'il se trouve a pp li qué à la fois à celle - ci et au monde
Ce n'est pas seulement, en effet, le contenu de la conscience qui varie
dans chacun de ces deux cas, ç ' est la structure de la hénoménalité.
Ainsi s 'explique l' emploi réservé qui est fait du mot conscience dans
ces recherches. On peut
ne même pasdire en vérité u la conscience
, que
s'accomplit de deux manières différentes comme si elle d'
ominalt
encore de quelque façon ces deux modes de son accomplissement.
C'est
_ la phénoménalité, c'est la conscience elle-même ui est diffé-
q
rente, en sorte que le mot de conscience ne veut rien dire à moins
qu'il ne soit p ris dansvide ce sens absolument ou généralil et '
désigne simplement la manifestation. Celle-ci ce p endant est toujours
entendue a l 'intérieur de l 'horizon du monisme . La conscience dès
lors, est comprise en général comme conscience du monde . Ce qui se
trouve passe sous silence a l ' intérieur d'une telle compréhensiôn, ce
n' est pas seulement la question de la structure interne de la phéna-
ménalité de la « conscience de soi » -- structure qui se trouve en fait
interprétée a partir de celle de la conscience du monde ( x) --r la
nature de celle-ci se trouve elle-même être man quée en même tem s
. p
que sa poss ibilité.
i Si le monde se phénoménali re dans la révélation originaire
immanente de l'acte d'imagination, c'est que la conscience du monde n'est
effective que sur le fond en elle d'une conscience à la uelle le monde n'a artient
q pp
pas. La conscience du monde est toujours aussi une conscience sans
monde.
« Avec » ou « sans monde », ce sont donc là non des propriétés
surajoutées à la conscience, mais des déterminations structurales
de la phénoménalité de la conscience elle-même. Dans l'opposition

(I) Cette compréhension radicalement impropre de la conscience de soi à


partir de la structure de la phénoménalité de la conscience du monde se vôit par
exemple dans. la définition hégélienne de l'esprit comme « négation de la négation *.
330 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION
0

radicale de ces déterminations, le côncept de conscience se divise.


Autre est la phénoménalité du monde , autre celle de l'imagination.
La conscience ce p endant est une. Il n'y a pas deux consciences sans
lien entre elles et dont nous ne saurions pas comment elles peuvent
se l'oindre, comment
- la conscience du monde est aussi, en même temps,.
dans l'unité d'un même événemeit phénoménologique, conscience de soi. Si la
conscience de soi et la conscience du monde ne surgissent point
séparément comme deux essences j uxtaposées, enfermées chacune
dans sa vérité propre comme dans un monde de lumière clos sur
lui-même et sans communication avec l'autre , s'il n'y a pas deux
dimensions fondamentales de phénoménalité se suffisant chacune à
elle-même et, dans cette suffisance , ignorant l'autre, c'est que la
conscience du monde précisément ne se suffit pas à elle-même, c'est
qu'elle n'est pas une essence. Ou plutôt elle n'est . telle, elle n'est une
manifestation effective qui se suffit à elle-même et subsiste par elle-
même dans cette suffisance que pour autant qu'elle est aussi et
indissolublement autre chose. Ce qu'elle est aussi et indissolublement,
la problémati que l'a montré . La conscience du monde est identique-
ment la dimension originaire de révélation d'où le monde est absent
et dans laquelle pourtant il se phénoménalise , elle est la conscience
sans monde de l'imagination. Parce que la simple manifestation du
monde comme monde ne devient effective que dans la révélation
originaire immanente de l'imagination, elle lui est unie. L'unité de
la conscience du monde avec la conscience de soi est sa possibilité
même. Parce que cette possibilité est une possibilité phénoménolo-
gique, cette unité est, elle aussi, phénoménologique . La possibilité
de la conscience du monde est la conscience elle-même comme
conscience, non pas du monde, mais de l'imagination, comme
conscience sans monde . Dans la possibilité de la conscience du
monde réside toutefois son essence même, l'essence de la conscience
en général. Loin d'être une possibilité b,ypothétique et vide .surSie par hasard
devant la réflexion philosophique â titre deS problème, la possibilité d'une
TRANSCENDA NCE ET IMMANENCE
331
conscience sans monde est la ossibilité '
elle-même et, p ontologsque
comme telOriginaire de
la conscience
le, son essence.
La détermination de l'essence de la conscience comme
sans monde a une si nificatio conscience
ellesignifie la g réalité
n phénoménologi
phé q g u ri ou
yeuse;
norrnénologique effective d'une
qui n 'a pas la forme du m 'révélation
onde, l'existence d ' une dimension
de phénoménajjté où celle - ci originaire
. ne
riorité ni comme la phénoménjj - p se phénoménajjse as da
dans 1 exté-
te de cette extériorité
me
phénoménaljté ui ne s me. Dans la
q e phénoménajjse dans l'e
pas l'extériorité réside
cependant la possibilité Phénoménologique - - • de
l'extérsorite de la phenomenalite
i orité elle-même . La de 1'
question essence de la
se concentre sur la phénomnjj té
question de la possibilité
d'une dimension elle , Phénoménologique
dive et originelle de révélation où
valise, phénornénalité
comme qui se phénomé-
n'est celle
phénaméntéd
u monde lui -pas du monde, la
même.
phénoménologique Possibilite La de la réalité
effective de la révélation ou
phénoménologique ',o, se forme l'aspect
de l'extériorité et du la f •
est exclue rési
, de dans l'essence orme . de l 'extériorité
où la
L'absznce d' transcendance n,agit as,
un monde est identiquement p
C'est celle de l 'imagination.
parce que le pouvoir d'ouvrir l'horizon et de se transcender
vers lui n'est . pas à l '
aeuvre dans l'essence originaire de la révélation
que celle-ci ne revêt la foret
pas e du monde et que la hé .
qui se phenoménalise p nomenalité
originairement en elle n'est as celle de l'
rioritéC La conscience est pas
comme conscience s
tant qu'elle ne se transcende pas vers celui-ci en ta
cendance
Cendance n'est en elle as. pré , nt que, la trans
cependant la « La conscience sans monde est
conscience .
» de la conscience du monde
de l'imagination ' , la conscience
. La réalste phénoménolo8igu • •
de révelation
, o,.! il n y a e de la damensson ora 1narre
pas de de darcemon g'
qu'en elle la transcendance
bas est la réalité Phénoménologique n agrt
de la transcendance
elle-mime.
Ainsi la Problématique se trouve
-t-ell
évidence suivant 'e en présence d 'une . double
laquelle il apparaît,
paraît^une d pat , que la phénoménajjté
L' ESSENCE DE LA MANIFESTATION
332
où toute trans-
se phenome 'nalise originairement dans une sphère d '
tendance est absente et, d'autre 'autre part, que c 'est. dans la réalité phe
effective de cette sphère sans transcendance que - se
. elle-meure. La
lise et trouve sa ré alité la transcendance
réalité de la transcendance e dans l'essence qui ne se transcende
réside
pas. Parce que sa réalité, comprise comme réalité phénoménologique,,
réside dans l'essence qui ne se transcende pas, la transcendance ne
peut prétendre caractériser la phénoménalité dans sa structure et
dans sa possibilité, elle ne constitue pas son essence. Tout moment
Dans la structure
de l ' essence ne possède pas le caractère de la transcendance. ,
phénoménologiquede 'e"tre total du processus 1 ontologique
la d en-
semble de la transcendance se trouve inclus, comme. constituant
possibilité logique ultime de cette structure, le moment
phénoménologique
, le moment
de l'essence qui n a pas le caractère de la transcendance '
il constitue la
de l'essence
. qui ne se transcende pas. En tant qu
possibilité phénoménologique ultime de la structure du processus
le moment de l'essence
ontologique d ' ensemble de la transcendance ,
qui n'a pas ce caractère de transcendance est le moment essentiel ou
se phénomenalisent a la fois et originairement la transcendance et le
monde luimeure. La détermination de l'essence de la phenoménalite
exige que soit mis è n lumière en elle le môment où elle ne se trans-
cende p as et que la problématique se porte devant l'évidence qui est
maintenant la sienne et qui est celle d' une sphère d'existence sans trans-
cendance comme sphère d'existence de la transcendance elle-même. -
Avec la saisie dans le rapport transcendantal de l 'être-au-monde
qui ne se transcende
. de l 'élément qui ne se rapp orte pas. acelui-ci,
e la transcendance ne se trouve pas seulement
pas, le mouvement d
fonde dans sa possibilité phénoménologique, c ' est-à-dire dans son
.
essence. . La détermination de l'essence de la transcendance comme
immanence, est identiquement la mise en lumière de ce qui rend
ossible la cohérence de la structure interne de l'essence de la
p
manifestation.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
333

§ 3 S . LA COHÉRENCE DE LA STRUCTURE INTERNE DE L'ESSENCE

Ce qui assure dans l'essence la possibilité de la cohérence de sa


structure interne a été compris comme ce qu 'il y a en elle de plus
essentiel. Cette compréhension ; cëpendant, s'accomplissait à l'inté-
rieur de l ' horizon du monisme et se trouvait .d'ores et déjà déter-
minée par lui . Parce que l'essence était inte rp rétée comme l'acte de.
sen aller hors de soi , la possibilité de la cohérence de sa structure
interne se présentait comme celle de retenir et de maintenir l'horizon
suscité dans la transcendance de le recevoir Parce que la réception de
.
cet horizon était saisie comme identique à l'opposition elle-même,
à la transcendance , celle-ci se proposait en fin de compte, en tant
qu'intuitive dans sa nature, comme assurant par soi la cohérence de la
structure qu'elle développe.
Avec la compréhension de la cohérence de la structure unifiée de
la transcendance comme trouvant son essence dans la transcendance
elle-même, la problématique ne parvient pas' toutefois' en présence
.
d' un tel fondement, elle se trouve bien lutôt renvo e à celui-ci
p yé
comme à un problème . Si la cohérence de la 'structure développée
par la transcendance réside dans celle-ci, c'est qu'elle se révèle fonciè-
rement dépendante , elle dépend de la cohérence de la structure interne
de l'acte d 'obJ ectivation considéré en lui-même. Car 1a transcendance
ne peut retenir l' horizon qu'elle crée, elle ne p eut le recevoir dans
l'acte même par lequel elle le pose devant elle que pour autant qu'elle .
est capable d'abord de se retenir elle-même dans l'unité originai-
rement cohérente de sa structure propre. Au mouvement de la
transcendance qui forme et qui reçoit l'horizon appartient donc
comme ce qui le rend possible , quelque chose comme l 'unité dune
cohérence originaire . L 'unité originairement cohérente du. mouvement de la
transcendance réside dans le maintien près de soi de ce mouvement dans son
accomplissement. Ce qui rend possible le maintien près de soi du
mouvement de dépassement de la transcendance a été compris
334 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

comme identique en son essence avec la révélation originaire de ce


mouvement â lui-même . Ce qu'une telle comp réhension met en
lumière, d'une façon plus précise, c'est la structure interne du mode
originaire de révélation du mouvement dans son identité ontolo gique avec la
possibilité pour ce mouvement t demeurer aupés de soi dans son accomplis-
sement et comme constituant par conséquent cette possibilité même. La
possibilité pour le mouvement de la transcendance de demeurer
auprès de soi dans son accomplissement est ainsi identi quement la
structure de son mode originaire de révélation. Dans cette possibilité
de demeurer auprès de soi se trouve cependant le fondement de
l'unité avec soi du mouvement et, p ar conséquent, la p ossibilité
pour lui de constituer une structure cohérente. L'unité originairement
cohérente atu mouvement de la transcendance considéré dans sa structure propre
réside dans l'immanence.
Parce qu' elle le rend possible, l'unité originairement cohérente
de l'acte d'objectivation se trouve être du même cou p ce qui rend
possible la cohérence de la structure que cet acte engendre , la cohé-
rence et l'unité de la structure d'ensemble dévelo ppée p ar l'essence
dans le processus de l'objectivation. L'unité de cette structure
d'ensemble, l'unité cohérente de la transcendance et de l'horizon
repose ainsi sur l'unité de la transcendance elle-même comme acte
de créer et de retenir l'horizon . Ici doivent être rejetés â nouveau les
résultats de la problématique du schématisme , p lus p récisément la
prétention de donner l'unité phénoménologique de la formation et de
la réception de l'horizon comme le fondement déterminé et suffisant
de l'unité de la structure d'ensemble que la transcendance développe
et finalement comme l' unité de _ l'essence de la transcendance elle.
même. Avec l'unité de la spontanéité et de la réc eptivité de la transcendance
à l'égard de l'horizon, l'unité qui fonde la cohérence interne de l'acte de la
transcendance considéré en lui-même n'a rien à voir. L'unité de la s onta-
nélté et de la réceptivité désigne simplement l'acte qui forme l'horizon
comme identique dans son essence avec celui qui le reçoit . Ce qui est
TK4NSCENDANCE ET IMMANENCE
335

pensé sous le concept de cette unité c'est un seul et même acte, l 'acte
de la transcendance , ce n'est pas la ossibilite '
p interne de cet acte de demeu-
rer un en lui-même dans son accomplissement.
Parce que la possibilité
interne de l'unité originelle de l'acte de la transcendance n'est m
pensée ni saisie, ce n'est pas cet acte en lui-même qui, finalement, se
trouve pris en considération mais plutôt son rapport à l'horizon qu 'il
crée. Parce qu'elle concerne seulement l'acte de la transcendance
dans son rapport avec l 'horizon l'unité de la spontanéité et. de la
réceptivité se révèle être identiquement l'unité . de la structure totale
engendrée par cet acte, l'unité de l'essence etpur duqumilieu •
'elle imagine,
non l'unité interne de `l'essence elkrriëme.
Ainsi apparaît ce que contient d'équivoque une e xpression
comme celle de la « cohérence de la structure interne de l'essence de la
manifestation ». La structure interne de l'essence rie comprend en
elle à la rigueur que la réalité de celle-ci.laDans totalité' synthétique
de la structure d'ensemble constituée par la transcendance réside au
contraire, avec l' essence elle-même ,
, ^ le pur produit imaginaire de son
activité. La subsistance de cette structure d'ensemble est sans doute un
problème : elle est assurée par l'acte de la transcendance comme
acte de créer et de retenir l'horizon . L'unité de la spontanéité et de la
réceptivité de la transcendance à l'égard de l' horizon est, ainsi le
fondement de la cohérence de la structure d'ensemble que suscite la
transcendance dans sa liberté . La cohérence de cette structure d'ensemble
n'est •pas celle de l'essence dans sa structurc inter ne, elle la pre'suppQse.
L'unité de l 'essence et de son produit imaginaire, '
unité qui trouve son
fondement dans celle de la spontanéité et de 1 a réceptivité de l'acte
de la transcendance à l'égard de l 'horizon, renvoie a l ' unité interne
de cet acte et à sa cohérence originaire comme a un fondement
dernier. Le schématisme renverse les termes donne pour l'unité
de l 'essence,
pour l'unité originairement cohérente de la transcendance elle-mémé, l'unité
de la structure d'ensemble que la transcendance développe. Avec un tel
renversement dans la hiérarchie des essences se découvre juste i ment,
336 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

comme sa condition préalable, la confusion . de la structure interne


de l'essence avec la structure d'ensemble qui trouve seulement en.
elle son fondement . La cohérence de cette structure d'ensemble,
imp rop rement désignée comme « structure... unifiée de la transcen-
dance » ( i) se trouve ainsi prise pour la cohérence de la transcendance
elle-même et p our l'unité de sa structure interne. L'unité propre de
cette structure et ce qui la rend possible, l' immanence comme telle,
c'est-a dire ,encore l' « essence » de la transcendance, sombrent à la
faveur de cette confusion dans l'oubli.
Que l'unité de la s pontanéité et . de la réceptivité, ou encore de la
p ensée et de l'intuition, ne p uisse constituer l'unité essentielle et
originelle de la connaissance ontologique , « la possibilité interne de
l'unité essentielle de la synthèse véritatve p ure » (z), on le voit à la
manière dont elle s'accom plit dans le schématisme, avec la mise en
lumière dan s la pensée et dans l'intuition et comme leur essence commune, non
pas de la transcendance, mais précisément de la structure d'ensemble que
celle-ci développe. La reconnaissance de l'unité « essentielle et origi-
nelle » des éléments purs de la connaissance se fait en effet par la
détermination de ceux-ci en leur essence comme « représentations ».
La rep résentation est l'essence commune qui permet à la pensée et à
l'intuition de s'unir parce qu'elle constitue d'abord l'essence de
chacune d'elles . Être l'essence d'une chose veut dire la rendre
p ossible. La rep résentation est l'essence de la pensée , elle constitue
son unité interne, parce qu'elle la rend possible en la manifestant. De
même en est-il p our l'intuition. L'unité :interne de la pensée est donc
en elle celle de la rep résentation, c'est, chaque fois, l'unité de la trans-
cendance et de l'hori,on. A l'unité de la pensée se trouve donc substituée,
sous le concept impropre de son unité « interne », l'unité de la pensée
et de ce qu'elle p ense, c'est-à-dire 'de ce qu'elle re p résente. De la

(i) K , 176.
,
( b)ID., 99.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
337

même manière, le concept de l'unité de l'intuition ne concerne


pas le moment de la réalité que, parallèlement a la pensée pure,
l'intuition, considérée en elle-même désigne dans l 'essence . L'unité
de l'intuition et de ce qu'elle intuitionne c'est - à-dire •
encore l'unité
de la représentation comme unité de la transcendance et de l'horizon,
est ce qui se trouve visé en fait la sou
par problématique s le concept
également impropre de l'unité « interne » de l'intuition. Dans la mesure
cependant où l'intuition ne trouve p as simplement
condition sa dans
la représentation mais se donne au contraire comme ce qui, en
recevant l'horizon,
. _ assure de
ainsi elle-même l'unité
:celle- ci, c'est-a-
dire sa possibilité , le concept de l'unité de l'intuition renvoie la
problématique au sens q ui est le sien. L'unité de l'intuition
ne repose plut
sur l'unité de la représentation : elle la onde. Mais comment ?.
f Quel sens
convient-il de reconnaître au concept de l'unité de l'intuition
pour que
celle-ci constitue le fondement de la représentation '
et de :son unité?
L'intuition est-elle une en tant qu'elle unifie la repre sentation et la rend
ainsi possible dans la cohérence de sa structure d'ensemble . Ou?b'ien
au contraire et de toute évidence, l'intuition, c'est-à-dire la transcendance elle-
même, n 'est-elle capable d'unifier la représentation,
c'est-à-dire la structure
d'ensemble que la transcendance dévelo e, ue our autant
pp q p qu'elle est elle-meure
une dans l'unité originairement cohérente de sa structure propre..
Le concept de l 'unité de l 'intuiti
on se réfère dès lors et par
nécessité â ce qui a été compris comme la réalité. C' 'il ne
est pourquoi
désigne pas seulement l'unité de l 'intuition mais aussi bien . celle de la
pensée, l ' unité de l'imagination et de la transcendance en général.
Une telle unité comme unité interne de l'essence, comme unité
immanente , est l'unité primordiale ,
l'unité de la réalité elle-même.
C'est sur le fond de cette unité qui constitue en chacune d'elles
l' unité de leur structure interne que la et 1'i '
pensée l'intuition sont une,
non par la médiation de l'unité de la représentation qui présuppose
elle-même , comme possibili sa l'unité inter
té, ne de l'acte de la
transcendance considéré en lui-même L'unité interne de la pensée,
.
338 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

celle de l'intuition, l'unité interne de l'acte de la transcendance, enfin,


où la représentation trouve elle-même son unité, ne sont en vérité
qu'une seule et même unité, l'unité de la réalité . C'est sur le plan de
cette réalité, à l'intérieur de la structure interne du pouvoir de la
connaissance considéré en lui-même, que les modes conformément
auxquels celui-ci s'accomplit s'unissent originairement de manière
à produire ensemble la représentation ainsi que son unité dans le
maintien de l'horizon. Le pouvoir, en d'autres termes, qui rend
possibles l' intuition et la pensée en faisant d'elles des « représenta-
tions -» et qui les réunit originairement dans l'unité qui lui appartient
en propre, réside tout entier dans la réalité. Cette unité qui est la sienne
et qui est la leur (et cela dans le double sens de leur unité interne
et de l'unité qui les réunit), l'unité, par conséquent, de la pensée et de
l'intuition ne saurait être découverte dans la structure de la repré-
sentation et comme l'unité de celle-ci, puisqu' elle est, bien au contraire,
ce qui la rend possible.
La représentation ouvre l'horizon transcendantal de l'être et
dans cet acte de l'ouvrir et de le tenir ouvert elle l'unifie originelle -
ment. Dans l'unité de la représentation réside le fondement de ce qui
se trouve représenté . en elle, le fondement de l'unité du monde
compris dans son concept pur. La détermination systématique du
concept d' unité ne peut s'accomplir sur le plan ontologique que par
la distinction de trois sortes d'unités i0 l'unité de l'horizon. C'est
parce qu' il se manifeste à l'intérieur de cet horizon que l'étant se
trouve atteint, non pas « dans la dispersion et l'isolement » (i),
mais précisément dans la cohérence d'un complexe d'ores et déjà.
synthétisé et unifié. L'unité n'advient à l'étant que pour autant qu'il se
manifeste, elle réside dans sa manifestation même . Voilà pourquoi une
unité peut s'établir entre des étants radicalement différents , apparte-
nant à des genres, à des essences , à des régions radicalement diffé-

(I) Cf. K, '4'.


TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 339

rentes, parce qu'elle réside dans l'unité du champ d'intuition où,


malgré ces différences, ils sont susceptibles d'apparaître et de se
juxtaposer les uns aux autres. Toute unité est par principe phénoménolo-
gique, l'unité des phénomènes leur appartient en tant que tels (i). Voilà
pourquoi encore le problème de la détermination systématique du
concept d'unité intervient et n'a à intervenir que sur un plan ontolo-
gique. La manifestation ne peut ;cependant unifier ce qu'elle unifie
que si elle est elle-même une, que si elle est effective. La possibilité
pour l'horizon de lier originairement en une synthèse l'étant rencontré
en lui se réfère à un pouvoir synthétique qui unifie constamment
l'horizon lui-même:, Un tel pouvoir est selon Kant l'imagination.
« Toute synthèse est produite par l'imagination (z). » L'imagination
synthétise et unifie originellement l'horizon en tant qu'elle le forme
et le reçoit. L'unité de l'horizon renvoie donc à : Z0 l'unité de la
représentation comme unité de l'essence et de. ce qu'elle se représente, comme
unité de la transcendance et de l'horizon, unité qui présuppose à son
tour l'unité originellement immanente de l'acte de la transcendance
considéré en lui-même, à savoir : 3 ° l'unité interne de l'essence elle-mime..
L'élaboration et la discussion de toute question relative à l'essence
de l'unité, aux problèmes de l'unité de la pensée et de l'intuition,
de la spontanéité et de la réceptivité, etc., ne peuvent se. faire que sur
le fond de ces distinctions et de leur soubassement ontologique
rigoureusement déterminé (3). .

(1) Si le temps est donné par Husserl comme la condition de l'unité. de phéno-
mènes structurellement différents - on peut placer l'un à côté de l'autre des objets
appartenant à des espaces et à des temps différents « en tant qu'on les place dans un
champ temporel » (EU, 213) -- c'est précisément parce que le temps est luiménie
compris comme constituant un champ phénoménologique et, comme tel, unifié,
r l'unité d'une . intuition « l'unité de. l'intuition du temps est la condition de
possibilité de toute unité de l'intuition pour une quelconque pluralité liée d'objets
qui sont tous des objets temporels » (id. 214).
(Z) K, 138. .
(3) ra confusion de ces diverses unités, la substitution à l'unité fondamentale
de l'essence des unités secondaires qui reposent sur elle et en dérivent ,. n'est pas
340 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 3 G. LA. SIGNIFICATION ONTOLOGIQUE ESSENTIELLE


DU CONCEPT D'IMMANENCE : L'IMMÉDIAT

Dans son unité interne, comme unité radicalement im manente,


comme unité primordiale, réside la p ossibilité fondamentale de
l'essence, la possibilite pour elle d'être `elle-même. L'essence est
l'action, elle est le devenir de l'extériorité, le pouvoir qui la produit.
Comment l'essence est-elle agissante, qu'est-ce qui lui permet d'être
cette action, de s'unir a elle et de faire ce que cette action fait sinon
l'action précisément par laquelle elle s'unit à son action, sinon le
pouvoir par lequel elle entre en possession de son propre pouvoir?
L'action par laquelle l'essence s'unit à son action est son action
originaire, le pouvoir par lequel elle entre en possession de son
propre pouvoir, son pouvoir fondamental. En quoi consiste celui -ci?
Où l'essence puise-t-elle la force de s'unir à elle-même de manière
à pouvoir, dans cette forte réunion avec soi, être elle-même de
manière à pouvoir agir ? A la question qui concerne la possibilité
fondamentale de l'essence, la possibilité pour elle de se réunir avec
soi dans l'unité de son être propre, laproblématique a répondu. La
structure ontologique où s'accomplit la réunion de l'essence avec soi est celle
de la réceptivité originaire
par la^elle l'essence se refoit
elle-même dans
l'immanence.
Que l'immanence se réfère à la structure ont interne
ologique '
de l'essence elle-même comme ce qui la rend possible et constitue

seulement le fait du schématisme, elle constitue encore l'origine de la conception


hégélienne de l'unité comme' denttique a la différence, conception qui ne fait qu'exPri-
mer, sous le couvert de la « dialectique », la substitution a l'unité originaire de
l'essence de l'unité de la structure d'ensemble que la transcendance développe dans
le processus d'opposition de la représentation. Une telle substitution, cependant,
est éclairante si son motif profond réside dans le projet de parvenir d une détermi-
nation phénoménologique du concept de l'unité : c'est précisément parce que la Phéno-
ménalite ` se fonde selon Hegel dans le processus de l'opposition et de la différence
que l'unité se trouve dés lors identifiée avec celles-ci.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 341

ainsi son essence , l'essence de l'essence, ` c'est ce qui confère à son


concept sa signification essentielle. • Cette signification est perdue au
contraire quand à la possib ilité interne de l'essence et à la question
de sa détermination se trouve substituée, sous le concept de l'imma
nence et comme son contenu propre, la simple appartenance de
l'essence à ses déterminations . Avec la p rise . en considération du
rapport d'inhérence modale la p ensée p erd de vue ce qui constitue ta
possibilité ultime de l'essence , elle ne pénètre pas à l'intérieur de
celle-ci, mais , incapable plutôt de s'en aller ainsi jusqu'au fondement
radical de l'être et de l'existence , elle reporte son attention sur ce qui
trouve sa possibilité dans un tel fondement et se contente de recon-
naltre la présence de celui-ci dans ce qu'il rend p ossible.. La p résence
du fondement dans cé qu'il rend possible, l'immanence de l'essence à
ses déterminations , c'est là ce qui se trouve p ensé désormais sous le
concept de l'immanence , ce qui se donne pour le « caractère . immanent
de l'essence, » La signi f ication traditionnellement reconnue au concept de
l'immanence de l'essence comme déterminant dans sa nature le rapport de
l'essence et de ses modes recouvre l'impuissance de la pensée à saisir la
signification essentielle conformément ` à laquelle un tel concept se : réfère
par nécessité à la structure ontologique interne de l'essence et au problème
r de la , détermination de cette structure.
Que peut valoir, en l'absence d 'une telle détermination l'inter-
prétation philosophique du rapport qui unit l'essence - à ses modes,
quel sens donner à l'immanence en eux de celle -ci en quoi une telle
immanence est-elle susceptible de les rendre possibles et de les
fonder ? Car l'essence ne peut rendre possibles ses propres modes
que pour autant qu'elle est elle-même possible . Avec l'immanence
de l'essence dans la conscience naturelle quand ce n'est pas celle, .
beaucoup plus vague et totalement indéterminée, de l' « Esprit . »
ou de la «° Raison » dans les différents « individus» - la philosophie
classique se satisfait à bon compte. De quel résultat, en effet, peut-elle
se prévaloir, qu'est-ce qui se trouve pensé par elle à titre de contenu
342 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

effectif quand la possibilité de la connaissance n'est pas cherchée


ailleurs que dans l'immanence de l'essence aux différents modes où
cette connaissance s'accomplit, sinon la tautologie où la possibilité
de la connaissance est simplement nommée. ?
Ou bien avec le concept du rapport d'immanence de l'essence à
ses modes, la pensée ne va-telle pas au-delà de la sim ple tautologie,
l'idée qui l'anime secrètement dans l'élaboration de ce rapport et
quise dissimule en fait derrière celui-ci, n'est-ellepas celle ui
qsert
de
thème directeur:et de fondement à l'ontologie, l'idée de la possibilité
du fondement lui-même, ° possibilité
de la interne de l'essence.
Ce qui
est visé, au `moins confusément, sous le concept de la présence de
l'essence dans ses modes et saisi par lui comme rendant possible. .
l'action de ces derniers, n'est-ce en réalité
point qcepossible
ui rend
l'action de l'essence elle -même,présencela de celleci l' unité de
l'essence avec soi dans cette forte réunion où il lui est donné d'êt re
ce qu'elle est et d'agir ? La signification ontologique essentielle du
concept de l'immanence est le contenu inaperçu de la pensée qui

s'en tient au rapport
. d'immanence;
n'est Celui-ci pour cette raison°
pas absent des philosophies qui prétendent refuser toute signification
ontologique à l'idée. de l'immanence et se constituer indé
pendaxn-
ment
. d'elle. L'immanence de l'essence au contenu effectif de l'expé-
rience et, pax exemple , . du savoir réel au savoir naturel atteste
l'impossibilité pour .pensée la d'oublier totalement
totalement ce qu'elle se
cache sous un tel rapport, la révélation immanente oà l'essence se donne
originellement à elle-même dans l'action par laquelle elle: se rend prés ente,
par laquelle elle se rend susceptible d'agir. L'obscurité qui est ce lie, chez
Hegel aussi bien que chez Heidegger, du statut du savoir naturel
et de l'immanence en lui du savoir réel appartient en réalité au
concept inélaboré de cette immanence en tant que celui=ci ne désigne
pas seulement, d'une manière explicite et dans l'évidence de son
contenu, le rapport de l'essence à ses modes, mais encore, .quoique
de façon cachée, la structure ro re de celle-ci
p p la structure interne du
TRANSCENDANCE ET IMMA NENCE
343

savoir réel et son fondement. Car sans doute l


' essence ne peut agir que si
elle est là, le savoir naturel n'est possible que si l'essence est présente
en lui, si elle lui est i mmanente .
Cette 'essence
possibilité d'
pour l'essence d'être
là, toutefois , lui appartient en elle
propre e
, st sa propre possibilité, la
possibilit é pour l' essence de la présence d'être
^ elle-meure présente
et d ' être ainsi ce qu ' elle est, l'essence de la
présence. Parce que la
possibilité pour l'essence d'être présente et agis
santé dans le savoir
naturel repose sur sa pro p re ossibilité , l'action
, . p de l'essence a
1 intérieur de celui - ci doit être, non as si
' pas simplement nommeeÿ mais
saisie dans sa structure ontologique interne et dans sa possibilité.
L'essence immanente est celle de l'immanence.
Que l'essence parvienne elle-même en soi que son pouvoir,
celui de parvenir dans la lumière de l'extéri orité, soit d'abord celui
de parvenir dans ce parvenir, de s'unir à lui
de se réunir ainsi avec
soi dans la force de son unité interne cela ne veut
-il pas dire simple-
ment qu'un tel pouvoir existe, que l'essence doit être présente pour
agir ? Ou plutôt qu'elle est effectivement
p résente et qu'ainsi elle
agit ? Le contenu Ontologique du concept de l
' immanence compris
« dans sa signification essentielle » n'est-il pa
s constitué, au ^même
titre que celui qui se trouve visé par la pensée dans le
«rapport
d'immanence» de l'essence à ses modes par la simple présupposition
de celle- ci dans la tautologie où l'essence
est reconnue et nommée
sans plus , où on dit qu ' elle u est ».
Mais que signifie être ? Avec la
détermination de la possibilité fondamentale de l'essence comme
possibilité pour elleparvenir de elle-mêmen soi,ec'est la structure
interne de l'essence , la structure ori inaire de l'être
^ lui-même, qui se
trouve décrite et saisie par la problématique. C'est seulement, en
effet, sur le fond en lui de cette structure où l'essence se redoit origi-
nairement elle-même
^ ^ danssusceptible
l'immanence que l'être est de
s ' unir a lui-même et d'être ainsi ce qu '
^ ^ , q est susceptible il est ue l'être
d'être. Car _ , pas l'être
quelque n'estmortchoseou de t out de °
fait, il
n' est rien qui soit donné simplement .
Son être, l'être ne l'obtient
344 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

que par l'oeuvre en lui de l'essence qui le fait être dans l'unité origi-
naire qui, le constitue. Car l'unité non plus n'est pas quelque chose
de mort. Elle est une oeuvre j ustement et un accomplissement. La
manière dont s'accom plit cette oeuvre, l'ouvre intérieure de l'être, c'est
là ce que se représente la pensée qui dispose des catégories ontolo-
giques fondamentales où se trouve définie la possibilité pour l'être de
parvenir originellement en lui.
La possibilité p our l'être de p arvenir originellement en lui le
détermine comme l'immédiat . Non pas comme l' immédiat de la
conscience naïve qui s'en tient au donné et le considère comme allant
de soi, non pas comme celui de la pensée qui, remontant à la condiP
tion ontologique de ce donné c'est-à-dire â l'être lui-même, prend
,
cependant celle-ci à son tour comme quelque chose de donné sim^
plement et qui se suffit à soi-même . Car sans doute la condition
ontologique de possibilité du donné se suffit à elle-même, si juste-
ment elle est la condition . Ce en vertu de quoi elle est la condition,
ce p ar q uoi elle se suffit à elle-même, c'est là cependant ce qui doit
être exhibé par la problématique. C'est cette possibilité en vertu de
la q uelle l' être se suffit à lui-même et se trouve être ainsi la condition
en un sens absolu, possibilité qui est identiquement pour lui celle
de parvenir originairement en lui-même, qui est pensée sous le
concept de l'immédiat et le détermine comme le concept fondamental
de l'ontologie . L'immédiat est l'être lui-même comme originairement donné
à lui-même dans l'immanence. Parce que cette donation originaire de
l'être à soi qui le constitue p ro p rement ne s'accomplit ni par hasard
ni par miracle, mais dans l'immanence et comme cette immanence
même, le conce p t de l'immédiat ne demeure pas indéterminé, l'immé-
diat n'est pas un simple nom pour dire, en l'absence de tout contexte
philosophique valable et comme une simple tautologie , que l'être est,
mais désigne au contraire sa possibilité interne et se réfère par suite
à une essence, à l'essence fondamentale où cette possibilité trouve sa
réalité.
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE
345

La détermination ontologique du concept de l'immédiat


mmediatécarte
écarte
la prétention de saisir la condition de toute présence dans l'objecti-
vation et de comprendre par suite celle- ci comme l'uns' 'm éd•
ver,relle at on i i
oâ tout ce qui e st trouve son être. Car sans doute tout
ce qui est ne trouve
son être que par la médiation de l'essence qui lui fait le d on de la
présence, tout étant , si du moins nous en parlons c
omme d'un
phénomène , ne peut être tel qu'en obéissant à la f
orle loi de cette
médiation . Ainsi celle-ci se donne - t-elle nécessairement comme la
loi. La nature interne de la médiation qui constitue
la loi de tout
ce qui est, c'est la cependant le thème propre de l'ontologie. Avec le s
présuppositions qui sont traditionnellement les siennes une confusion
se produit cependant aux yeux de la entre la nécessaire
problématique
référence de l'étant à l'élément ontolog i que formel pur ou 'il entre
dans la condition phénoménale et par lequel il set couve médiatisé,
et, d'autre part , le développement interne de l'élément
ontologique
pur par lequel cet élément parvient lui-même dans la lumière de la
condition phénoménale, c'est-à- dire dans sa réalité . l'une
propre
comme l'autre sont appelés par elle « médiation ». Parlant de la
monade moi comprise par lui comme constituant identiquement la
conscience, c'est- à-dire l'essence de la présence comme telle
, Schelling
déclare : r A ucun opposé objectif n '
arriverait jamais en elle s'il
n'était posé en même temps par l'action par laquelle elle. se pose
elle-même (i ). » La possibilité pour l'essence d'accomplir son oeuvre
à l'égard de tout ce qui est présent et qui trouve ainsi en elle sa média-
tion, présuppose assurément , en ce qui concerne l'essence, qu'elle
ait d ' abord accompli son oeuvre à l'égard d ' 'elle- même, que '
1 essence
de la présence se soit d'ores et déjà rendue présente
^ elle-meure dans a
l' acte primitif et fondamental par lequel elle se réalise, dans l'action,
dit Schelling, par laquelle elle se pose elle-même . Celle-ci cependant
est comprise comme l ' objectivation.
l soi La de position de
l'essence

(I) IT, 54•


M. HENRY
12
346 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est, selon Schelling, une position de l'essence devant soi. C'est


précisément parce que la position de . soi de l'essence est, selon
Schelling, une position de l'essence devant soi que l'action par
laquelle l' essence se pose elle-même se révèle être identiquement
celle par laquelle tout opposé objectif arrive en elle , par laquelle
l'étant se manifeste à elle comme un objet . Ainsi la manifestation de
l'étant ne présuppose-t-elle pas seulement l'accomplissement de
l'oeuvre interne de l'essence dans l' action par laquelle celle-ci parvient
originairement en soi, elle se montre encore identique dans sa struc
ture à cette action originaire interne de l'essence elle-même (i). La
médiation dénigne à la fois, sur le fond de l'identité de leur structure ontologique
interne, l'action par laquelle l'essence rend l'étant manifeste et celle par laquelle
elle se manifeste elle-même. Parce que la médiation désigne indifférem-
ment cette double action, elle n'est pas seulement la loi de l'étant et de
tout ce qui est, elle est la loi 'de l'essence, la loi de l'être lui-même.
Du plutôt, parce que cette double action n'en fait qu'une, parce que
sa structure est partout la :même , il n'y a qu'une seule loi, une seule
action : l'objectivation est la loi universelle de tout ce qui est et de
l'être lui-même, l'universelle médiation.
Ce qui manque cependant a la médiation dans sa prétention
à l'universalité, ce n'est rien de moins que la possibilité de l'objecti-
vation elle-même, c'est sa propre possibilité . Car l'objectivation n'est
possible que si l'essence qui s'objective parvient originairement en soi comme
dans cette objectivation même, de manière à être celle-ci et à accomplir ce

(Y) Ainsi en est-il chez Heidegger ou la possibilité ontologique, c'est-à-dire la


médiation elle-même, la vérité entendue en un sens ontologique, est explicitement
interprétée, à la suite de Kant, comme la possibilité de la connaissance ontique,
de telle manière que « si la connaissance ontologique dévoile l'horizon, sa vérité
consiste à permettre la rencontre de l'étant à l'intérieur de cet horizon » (K, 18o, souligné
par nous), --- de telle manière que la structure interne de cette vérité, c'est-à-dire
de l'élément ontologique lui-même, est identiquement celle de la manifestation de
l'étant : « la vérité elle-même doit' être entendue à la / ois comme dévoilement . de
l'être et comme caractère manifeste de l'étant » (ibid., souligné par nous).
TRANSCENDANCE ET IMMANENCE 347

qu'elle accomplit, le devenir de l'extériorité et son surgissement phénoménolo-


gique , Et que ce parvenir originaire de l'essence en soi-même ne soit pas
constitué p ar d'objectivation, qu'il ne puisse, comme le veulent Hegel et
Heidegger, en être la conséquence , cela résulte justement de ce qu 'il en est la
condition.
Le parvenir originaire de l'essence en soi-même, ce qui la déter
mine comme l'immédiat, ne peut en aucune façon se comprendre à
partir d'une nécessité d'ordre intellectuel et comme une simple
exigence logique, celle selon laquelle l'essence par laquelle toute
présence est médiatisée ne peut plus être médiatisée à son tour et
constitue, par suite, l'immédiat. Une telle détermination du concept
de l'immédiat, à laquelle la médiation elle -même peut prétendre,
résulte d'une décision unilatérale de la pensée qui, apercevant la
nécessité pour l'essence de parvenir originairement en soi , déclare
qu'il en est ainsi, que l'essence parvient originairement en soi et que
telle est sa nature. « Obéissant » à l'axiome selon lequel « il faut bien
s'arrêter », la pensée prend seulement ses désirs pour la réalité. C'est
dans celle-ci, au contraire, que réside l'immédiat , c'est en elle qu'il
doit être exhibé, et cela comme la structure fondamentale qui la
constitue.
La mise en évidence de l'immédiat comme constituant, non une
simple exigence logique , mais la structure même de la réalité et son
essence, est identiquement celle de la structure interne de l'imma-
nence.
SECTION III

LA STRUCTURE INTERNE
DE L'IMMANENCE
ET LE PROBLÈME
DE SA DÉTERMINATION
PHÉNOMÉNOLOGIQUE
L'INVISIBLE

3Ï. LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE

C'est par référence à la transcendance et par l'exclusion de celle-ci


hors de sa structure interne que l'immanence a été définie . La signifi-
cation positive d'une telle définition a été montrée avec la mise en
évidence des déterminations structurelles essentielles qu'elle comporte.
Avant de pousser plus avant l'analyse de celles-ci et la com préhen-
sion de leur caractère décisif pour une inte rprétation hiloso hi ue
p p q
adéquate de la nature ultime de l'essence , il importe de remarquer ce

qui résulte déjà, d'une manière purement négative , de l'exclusion.
Là où il n'y a pas de transcendance, il n' y a ni horizon ni monde.
L'horizon du monde, loin d'être une structure universelle de toute
manifestation et de constituer par suite l'essence de celle-ci, se trouve .
bien au contraire exclu de cette essence considérée en elle-même.
Pareille exclusion est identiquement celle de toute réalité intra-
350 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

mondaine en général. Ici se fait jour pour la pensée qui veut parvenir
à l'essentiel la nature étrange du chemin qu 'il lui faut suivre si du
moins elle veut atteindre son but . Suivre un tel chemin pour elle, en
effet, ce n'est pas « se diriger vers » mais au contraire « se détourner
de », de telle manière cependant que, dans ce mouvement par lequel
elle se détourne de ce qui forme son objet naturel, elle n'abandonne
pas seulement celui-ci et l'infinie richesse de ses déterminations
multiples mais , plus essentiellement et d'une manière plus décisive
pour la compréhension de l'indigence et du dénuement auxquels elle se
voue, la nature même du séjour qui était le sien auprès des choses,
cet acte de se diriger vers avec lequel pourtant elle pouvait paraître
se confondre. Ainsi s'ajoute à la perte de tout ce qui est, celle, plus
essentielle, de l'être lui-même, en même temps que s'annonce à la
pensée, avec le caractère ontologique de la privation dont elle
est ' frappée, sa vraie détresse. Car c'est sa propre possibilité, la
possibilité de penser, qui lui est retirée quand elle doit se détourner
du milieu ontologique où elle se trouve éclairée par la vérité. C'est
pourquoi ce détournement qui lui est prescrit pourtant comme le
chemin, l'abandon de l'étant dans son ensemble , signifie seulement
aux yeux de la pensée son propre abandon, mesure sa propre
impossibilité.
Cet abandon pourtant est celui de l'essence, c'est dans cette
indigence extrême où rien ne subsiste du monde, et pas davantage le
monde lui-même, qu'elle se tient comme dans sa possibilité. Indigence
et détresse, perte et abandon, caractérisent l'essence relativement à ce
dont elle se trouve privée. De quoi donc l'essence est-elle privée?
Quand le caractère de sa privation a été compris et ce dont elle
manque saisi lui-même comme être -à-l'extérieur-de-soi de l'être,
comme extériorité et altérité, c 'est de celle-ci que l'essence se trouve
privée. L'être-autre est autre que l'essence. L'élément étranger où
grandissent les riches déterminations de l'existence , c'est là ce qui lui
est étranger . L'indigence de l'essence réside dans le fait qu'elle ne renferme
LA STRUCT URE INTERNE DE L'IMMANENCE
35'

rien d'autre. C'est parce que l'essence ne renferme rien d ' autre que la
pensée qui se tourne vers elle se détourne nécessairement de tout ce
qui est autre qu'elle, de cela même qui est l'autre de l'être enfin
compris comme altérité • et comme extériorité . Parce qu'elle se
détourne de ce milieu pur , de ce qui s ' y manifeste et de ce qui s'
rapporte, la libération de l ' essentiel se poursuit comme un retrait.
Voilà pourquoi toute approche de l'essence revêt immédiatement la
forme de l'épargne, pourquoitoute proximité, si du moins elle
concerne l'origine, sera « économisante ». Épargne, économie
signifie ici, toutefois , rejet, abandon . C'est pour uoi il y a dans cette
q
épargne, dans le projet de cette économie , un certain courage, celui
non d' un renoncement provisoire mais d'une pauvreté qui se fait
et se veut essentielle . Essentielle est la pauvreté qui laisse aller, au
lieu de s'y joindre, les multiples configurations de l'être, la forme
même de son séjour au p rès de la terre la Maison et l'Année . La p arole
même où toute chose est contenue, le nom et l'a pp ellation, ce qui
désigne et ce qui montre, à cela aussi il faut renoncer dans cette
pauvreté qui est faite de silence. Mais que reste - t-il alors?
Ce qui reste quand, avec l'altérité et l'extériorité le milieu de
l'être et toutes ses déterminations , ses configurations et le mouve-
ment vers elle de la pensée, ont été rejetés ou supprimés , c'est l'essence
elle-même . Car rien n'est retiré à l'essence qui se trouve au contraire libérée
et reconnue dans son intégrité quand s'opère dans la p ensée le retrait de
l'être transcendant et de la transcendance elle-même : rien n'est retiré p arce
que l'essence ne renferme rien d'autre et que la suppression de l'altérité est
seulement la suppression de l'élément étranger par ra pp ort à l'essence, de ce
qui la recouvre et la dissimule à nos yeux.
C'est ici le moment où la détermination négative de la structure
interne de l'essence à partir de l'exclusion hors d'elle de toute transcen-
dance manifeste sa signification positive . Si la pensée qui se voue à la
garde de l'essentiel s'accomplit comme un retrait et comme un rejet,
c'est que, se comportant de la sorte , elle obéit à une prescription qui
352 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est celle de l'essence elle- même. Le retrait de l'élément transcendant


n'a pas pour simple effet de mettre celle-ci à nu, sans dire autrement
ce q u'elle est, d'écarter un obstacle devant le regard qui veut parvenir
jusqu'à elle. C'est dans l'essence qu 'il n y a rien de transcendant, c'est en
elle, dans sa nature interne, que pénètre la pensée de l'exclusion.
Celle-ci ne signifie pas simplement : tout ce qui a traita l'être trans-
cendant, tout ce qui s'en va dans l'extériorité est extérieur et comme
tel étranger à l'essence -- mais plus précisément : dan ! l'essence il n'y
a rien d'extérieur, rien d'étranger.
Ainsi se présentent à nouveau à la p ensée . pour surgir dans
la répétition avec la plénitude de leur positivité ontologique concrète
les déterminations structurelles qui résultent de l'exclusion et qui
sont celles de l'essence . Comme, en celle-ci, rien ne s'écarte et ne va
vers le dehors,^comme le mouvement créateur de l'extériorité n'est
pas présent en elle et n 'y a ni action ni effet, l'essence, comme il a
été dit, ne se divise pas, elle ne se sépare pas de soi , aucune distance
ne s'institue entre elle et elle . Il n'y a dans l'essence ni opposition ni
représentation. Parce que l'acte qui pose devant n'est pas compris
dans l'essence, parce qu'il n'est pas constitutif de celle-ci mais se
trouve au contraire radicalement étranger à sa nature, rien n'est posé
dans l'essence devant elle. C'est en ce sens maintenant qu'il n'y a pas,
dans l'essence, d'opposition :. il n'y a en elle rien d'opposé. C'est
pourquoi le concept d'intuition à l'aide duquel la pensée philoso-
phique traditionnelle a cru pouvoir décrire la saisie immédiate de la -
réalité, plus exactement la nature même de cette saisie considérée en
tant que telle, se révèle foncièrement impropre , parce qu'il implique
l'opp osition, dans l'intuition elle-même, de l'intuitionnant et de
l'intuitionné. Même si cette opposition est finalement comprise comme
ce qui doit être surmonté, voire supprimé, et cela par l'intuition
précisément dans son accomplissement (en tant que celle-ci vise
à « s'unir », à « se confondre» avec la réalité intuitionnée), elle demeure
comme la condition même de cet acte et de la téléologie à laquelle il
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 353

obéit : un intérêt le dirige, qui se rapporte â une « réalité », non pas,


malgré l'apparence, en raison de celle-ci mais de la structure de
toute saisie possible en général. C'est pourquoi pareille « réalité »
revêt nécessairement la forme de l'opposition , se trouve constituée par
elle. Si, comme le veut Hegel, « il n'y a d'intérêt que là où il y a oppo-
sition » ( i), c'est qu'il n'existe dans l'essence ni intérêt ni quoi que ce soit de
semblable et, moins que toute autre chose, un intérêt à l'égard de soi. Il
n'existe en elle aucune « réalité » avec laquelle elle pourrait vouloir
se confondre, parce qu'il n'y a en elle rien d'opposé. C'est pourquoi
_ encore l'essence ne veut rien , ne se propose rien . Elle est sans projet
et sans désir. Parce qu'elle ne veut rien, parce qu'elle n 'a ni projet
ni désir, parce qu'il n'y a rien en elle dont elle soit séparée, tout en
elle aussi est repos , elle est, dans cette absence de trouble , sans rien
qui la divise, le calme de son absolue simplicité . Car le calme qui
grandit dans l'essence ne vient pas en elle de ce qu 'elle a laissé hors
d'elle les figures périssables où l'être se destine à nous dans le temps
et dans la mort, pas davantage de ce qu'à ces figures elle a cessé de se
joindre . C'est ainsi sans doute que l'essence se repose quand elle ne
s'en va plus hors de soi, quand, immobile, elle ne crée plus rien. La
source de ce repos cependant n'est pas la simple privation . C'est etx
elle que l'essence se repose. « En elle », cela ne signifie pas seulement
que, en l'absence de toute transcendance, l'essence cesse de s'en aller
« en dehors d'elle », dans l'extériorité . « En elle » désigne l 'endroit où
l'essence se repose , ce qui lui reste, ce qui lui est donné , quand,
dans sa parfaite immobilité , elle ne se propose et ne se donne plus
rien d'autre : l'essence elle-même. « En elle » désigne l'endroit
où l'essence se repose comme constitué par elle . C'est parce que
l'endroit où l'essence se repose est constitué par elle, que l'essence
est elle-même, comme telle, le repos.
Parce que l'endroit où l'essence se repose est constitué par elle,

(I) L, 73.
"4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

il n'y a dans le repos de l'essence rien d'autre qu'elle . L'essence repose


dans la solitude et, parce que le re p os constitue sa nature , elle est
elle-même, comme telle, solitude . Qu'est-ce q ue la solitude q ui
appartient à l'essence comme sa nature même ? Pas plus que le re p os,
la solitude de l'essence n'est simple privation. L'essence ne reste pas
seule comme une chose quand on a enlevé toutes les autres. Quand
plus rien d' autre ne subsiste, l'essence reste seule avec soi. La solitude
a un contenu Ce qui est contenu dans la solitude de l'essence est
.
l'essence elle - même . C'est pour cela que l ' essence est solitude
parce que son contenu est constitué par elle . Mais l'essence n'est pas
en elle comme un contenu mort, mais comme ce avec quoi elle est
liée immédiatement , avec quoi elle a rapport. C'est là ce qui demeure dans
la solitude de l'essence, la relation de l'essence avec soi comme constitutive
de cette essence même et de sa solitude.
La solitude de l'essence se laisse com p rendre dès lors dans ce.
qu'elle est : elle est l'unité de l'essence. C'est pour quoi la com préhen-
sion de l'essence de cette solitude vaut comme une répétition, est
identiquement celle de la signification reconnue p ar la p roblémati q ue
au concept de l'unité appliqué à l 'essence. Comme l ' unité de l'essence
n'a rien à voir avec la simple identité extérieure d'une chose avec soi
telle qu' elle se trouve énoncée dans la tautologie, mais réside au
contraire dans l'oeuvre intérieure par laquelle l ' essence parvient en elle
avec l'acte m ême par lequel elle se donne à elle-même, ce que désigne,
de la même manière, le concept de la solitude de l'essence, c'est la-
structure même de celle-ci dans sa positivité ontolo g i q ue interne. Ce
qui est impliqué dans cette positivité comme la constituant, c'est la
relation de l'essence avec soi, relation telle 'en elle l'essence cuit de soi
a l'expérience de soi, se révèle à elle-même dans ce qu'elle est, telle qu'elle est.
Ce qui a l'expérience de foi, . ce qui jouit de soi et n'est rien d 'autre que cette
pure jouissance de soi-même, que cette pure expérience de soi, c'est la vie.
La solitude est l'essence de la vie.
Parce qu' elle est l'essence de la vie, la solitude n 'est pas un
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
355

moment de celle- ci, une détermination intervenant dans son histoire


qui lui écherrait par suite des circonstances ou qu'elle
q serait suscep-_
tible de se donner librement, elle ne résulte pas d'un choix en rapport
avec des préoccupations d'ordre moral , d'un impératif. La solitude
n' est pas une catégorie de la psychologie ou de l'éthique , mais une
catégorie ontologique fondamentale elle constitue une structure
absolument universelle , la structure même de l'essence. Ce qui a
l' expérience de soi précisément , ce qui j ouit de soi, n ' est pas ceci
ou cela, c' est l'essence. Car l'essence seule se rapporte originairement
.
à soi, dans cette relation qui la révèle à elle-mémé dans sa réalité. Mais
la révélation à soi de l'essence dans sa relation originaire a soi -même
est la Parousie. La Parousie est l'essence de la vie. La Parousie qui est
l'essence de la vie, c ' est donc la le contenu de la solitude . La solitude
est la solitude de l'absolu, mais de l'absolu dans son absoluit é, dans
la profusion et dans . la jouissance de son être propre.
C'est en ce sens que la solitude est l'unité , non l'unité extérieure
du terme isolé, mais l'unité qui réunit, l'unité de l'essence qui est la
réunion de l ' essence avec soi. La réunion de l'essence avec soi n'est
rien d'autre, toutefois, que l'essence elle-même. C'est pourquoi il
n'y a pas à proprement parler un problème de l'unité de l'essence.
Pareille unité ne se propose comme un problème qu'à l'intérieur de
l'horizon du monisme, lorsque la structure de l'essence est inter.
prétée de telle manière que c'est une question précisément de savoir
comment elle peut demeurer une, et cela en dépit de cette structure
qui est la sienne , ou, du moins , à l'intérieur de celle-ci. Une au
contraire est nécessairement , et cela en raison de ce s
qu'elle et,
l'essence qui ne renferme rien d ' autre. Mais l'unité de l'essence qui ne
renferme rien d'autre ne s'établit pas sim plement sur le fond
en elle de l'identité ontologique rigoureuse de la forme et du contenu.
L'unité désigne la relation de l'essence avec soi la relation de la forme
et du contenu, relation telle qu 'elle permet justement leur identité. C'est
pourquoi l'unité est, comme il a été dit, une oeuvre et un aceomplis.
356 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

serrent. Elle est ce qui permet, ce à l'aide de quoi l'essence précisément


entre en relation avec un contenu, de telle manière aussi que ce
contenu est constitué par elle. La nature de cette relation, la manière
dont l'essence se donne à elle-même, c'est donc là ce qui est désigné sous
le concept de l'unité, et c'est cela aussi l'essence. Mais l'essence est son
propre contenu . La manière dont l'essence se donne originairement
à elle-même, dont elle se révèle, c'est là ce qui se donne originai-
rement à soi, ce qui se révèle dans la révélation de l'essence et la
constitue. Voilà pourquoi le contenu de la révélation est la révélation
elle-même, pourquoi c'est la Parousie elle-même qui se rend présente
à elle-même dans la Parousie , parce que la révélation est en elle-même,
parce que la Parousie est dans sa structure, l'Unité.
Parce que le contenu de la révélation est la révélation elle-même,
parce que c'est la Parousie elle-même qui se rend présente à elle-même
dans la Parousie, la nature de celle-ci, l'essence de la présence, se
trouve rigoureusement déterminée dans sa nature et dans ses carac-
tères : à l'essence qui se donne à elle-même dans l'unité et comme cette imité
même, il appartient de se donner à elle-même dans la totalité de sa réalité.
Que l'essence se donne à elle-même dans sa réalité, cela résulte de ce
qu'elle se donne dans l'unité : à la structure de celle-ci rien d'autre,
rien d'extérieur ou d'étranger n'appartient. L'élément irréel est par
principe exclu de l'essence qui ne se dépasse vers aucun contenu transcendant et
qui n'a, comme telle, jamais affaire avec l'extériorité, c'est-à-dire précisément
avec l'irréalité comme telle . C'est avec elle-même , au contraire, avec sa
propre réalité, non avec un contenu irréel quelconque , que l'essence
a affaire dans l'unité. Avoir affaire à, cela veut dire se rendre présent,
se donner, recevoir . L'unité désigne le mode originaire de présence de l'essence
à elle-même. C'est ce mode de présence, cependant, qui se trouve
désigné habituellement sous le concept de « proximité », concept
dont le caractère ambigu se laisse reconnaître une nouvelle fois. Si
par proximité on entend la présence elle-même comme telle, il y a
lieu assurément de parler d'ùne proximité de l'essence qui est
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
- -- 357

aussi bien, dans ce cas, l'essence de la roximité. Celle-ci on l'a vu


p ,
cependant, se trouve comprise à l'intérieur de l'horizon du monisme
bien plus, elle désigne , et cela d'une manière ex licite, la compréhension de
p
l'essence de la présence à l'intérieur de cet hori on : « Proximité » veut dire
z
« présence » sur le fond d'une certaine distance et p ar la médiation de
celle-ci , ou plutôt s ' identifie avec elle (i). La proximité ainsi comprise
se réfère par nécessité , dès lors, à l'irréalité, elle est l ' irréalité comme
telle. Pareille proximité ne peut signifier par rapport à l'essence
et à sa réalité qu ' un éloignement insurmontable , et cela précisément
parce qu' elle est comprise comme un mode de l'éloi g nement ou
plutôt comme lui étant identique : la proximité de l'essence est par
principe impossible. C'est pourquoi l'idée d'une cc proximité absolue »
doit a nouveau
, être mise en cause. Elle ne désigne pas en fait la
proximité de l'absolu, un mode de présence p our celui-ci, dans ce
qu' il est, tel qu'il est, mais , sur un tout autre plan, une manière
privilégiée de se donner pour ce qui se donne toujours et nécessai-
rement cependant d'une manière impropre , pour l'étant. Celui-ci
il est vrai , ne se donne de cette manière qu'en raison de son mode
de donné. C'est l'horizon, a-t-on vu, qui est fini , c'est-à-dire aussi
bien la proximité, l'irréalité où elle grandit . Ce n'est as la initude de
p f
l'horizon, toutefois, qui rend impossible la roximité de l'absolu mais son
p
irréalité, c'est le mode selon lequel cette proximité s'accom lit. Lors ue
p q
celle-ci cependant cesse de croître dans le milieu qui est compris
comme le sien, les caractéristiques ontologiques qui lui appartiennent
s'évanouissent aussi. Quand il s 'agit de la réalité il n y a plus de initude.
f
A celle-ci échappe par principe ce qui se donne à soi dans l'unité
c'est- à-dire dans la réalité : que l'essence se donne à elle-même dans sa
totalité, cela résulte justementde ce qu 'elle-même
elle se donne à dans sa
réalité, de ce qu'elle est cela même qui se donne à soi dans la réalité et comme
cette réalité même.

(j) Cf. supra, § 9.


358 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

A 'essence qui, comme unité, se donne à elle-même dans la


totalité de sa réalité , rien ne manque , il n' Y a rien en elle qu'elle ne
soit pas encore et, pour cette raison, elle ne se projette vers rien.
L'essence qui ne se projette vers rien, à laquelle rien ne manque, ne
saurait attendre son accomplissement d'autre chose et pas davantage
d'elle-même, elle s'est d ' ores et déjà accomplie , à elle on ne eut
p
dire « deviens ce que tu es ». A ce qui ne peut devenir autre chose,
et pas davantage ce qu'il est, manque de toute évidence un p ouvoir, .
le pouvoir-être au sens précisément de pouvoir être autre chose, de
pouvoir être ce qu'on n 'est pas ou éventuellement ce u'on n'est as
q p
encore . Le « ne pas » du « ne pas être » ou du « ne pas être encore »
est la condition d'un tel p ouvoir q ui app araît comme tel comme
essentiellement déterminé par ce « ne pas », essentiellement fini. Le
« ne paf > qui détermine essentiellement le p ouvoir-être dans sa ossibilité et
p
dans sa finitude trouve son fondement ontologi ue dans l'irréalité. Seul ce
q
qui se tient en rapport avec celle -ci et vit à sa lumière, ce qui se
rapporte a soi comme a quelque chose d 'irréel, peut vouloir devenir
ce qu'il se représente ainsi, peut vouloir la réalisation de ce qui
n'existe encore que dans l 'irréalité, de ce soi q ui n'est « as encore »
p
réel. A cette condition-là seulement l'essence peut devoir obéira la
prescription de devenir ce qu'elle est, à la condition de porter en elle
l' irréalité, et cela à titre d'élément constitutif de son être même.
Mais cette condition qui trouve précisément son explicitation dans l'inter-.
prétation ontologique de l'essence comme Projet et Souci comme pouvoir-lire,-
,
se trouve radicalement exclue au contraire de ce qui constitue à p roprement
parler la structure interne de celle-ci . C'est pourquoi l'essence considérée
en elle-même se trouve entièrement dépourvue du pouvoir ici en
question, d'un pouvoir quelconque relativement à son être propre
là où il n' y a rien d'irréel, il n'y a pas non plus de réalisation possible.
L'absence d ' un pouvoir quelconque relatif à son être propre est
identiquement dans l'essence celle du « ne pas » du « ne pas être »
ou du « ne pas être encore », l'absence de toute finitude . Pareille
LA STRUCT URE INTERNE DE L'IMMA NENCE
359

absence doit alors recevoir son vrai nom, car elle ne signifie plus
une privation mats le tout de la réalité. Dans le non+pouvoir l'essence
trouve son pouvoir suprême, son impuissance est celle de la pléni..
tude (I).
Cette plénitude de l'essence séparée de toutes les déterminations
du monde et à laquelle pourtant rien ne manque, cette richesse d'une
réalité sans limite qui se perd dans sa propre profusion et se confond
entièrement avec elle, l'expérience de. l'être dans sa nudité, dans
sa simplicité, dans sa totalité, cette expérience sans partage qui est
l'être lui-même, c'est là ce que le jeune Hegel se représentait comme
le contenu de la conscience religieuse. Pareille profusion qui lui est
donnée comme cela même qu'elle est, cette conscience la vivait
plus particulièrement dans le symbole de l'eau. L'élément liquide
ne connaît « aucune lacune, aucune limitation, aucune diversité ou
détermination » (z). C'est pourquoi l'expérience d'un tel élément

(i) Il se peut que l'irréalité ou , plus exactement, son inclusion dans l'essence,
ne constitue pas un obstacle à l'existence et à la saisie d'une totalité : « Le phénomène
du Pas- encore qui naît de l'anticipation de soi - même n'est pas davantage que la
structure du Souci en général un argument contre la possibilité et l'existence d'un
état de totalité » (SZ, 259). C'est cette anticipation de soi dans le projet qui cons-
titue bien au contraire , selon HEIDEGGER, la possibilité pour le Dasein de parvenir
à la saisie de sa totalité , et cela parce que l'élan qui anticipe sa possibilité ultime et
dernière, absolument indépassable, révèle en même temps « toutes les possibilités
situées en deçà de cette dernière » ( ID., 264). Lia totalité ainsi révélée par l'élan
anticipateur doit cependant être comprise dans ce qu'elle est et comme ce qui
fonde en même temps la possibilité de la révélation, elle doit être comprise comme
finitude . C'est la finitude de l'horizon, en effet, qui constitue la signification ' ontolo-
gique de l'être -pour-la-mort ou, pour mieux dire, qui lui est identique . La vue portée
sur l'existence humaine dans son ensemble par l'être -pour-la-mort n 'est ainsi rien
d'autre que cette finitude même et, pour cette raison , elle se développe tout entière
sur le plan de l'irréalité . En d'autres termes, la totalité ici en question est une totalité
comprise , surgissant à l'intérieur de l'acte anticipateur de la transcendance et comme
l'horizon même de celle-ci . Elle ne concerne en aucune façon la réalité de l'essence,
de telle manière que la possibilité pour cette dernière de former en elle •méme une
totalité et d'être saisie comme telle n ' est pas même prise en considération et ne
constitue en aucune façon le problème posé.
(2) CD, 98.
36 0 L'ESSENCE DE LA DIA NIFES TA TIO N

est étrangère à toute distinction comme à toute finitude. « Le senti-


ment de cette pl énitude est le moins dis p ersé, le p lus simp le... »
Se donner le sentiment de cette plénitude , entrer dans l'élément qui
la contient , en faire précisément l'expérience , c'est le voeu que la
conscience religieuse réalise dans le ba p tême « en celui q ui est
immergé, il n'y a qu'un sentiment et l'oubli du monde , une solitude
qui a tout rejeté de soi, qui s'est arraché de tout, la su pp ression de
tout ce qui existait jusque-là, une initiation exaltante. .. » (1). L'expé-
rience de l'être dans sa simplicité et dans sa totalité se réalise autrement,
toutefois, que dans la représentation de la conscience religieuse ou dans un
mode déterminé de sa vie, elle se réalise dans l'être lui-même, de telle manière.
que cette expérience de l'être dans sa totalité constitue l'être lui-même dans
sa simplicité et, comme telle , une structure ontologique absolument univer-
selle et indépendante à l'égard de toute comp réhension comme de toute déter-
mination particulière. L'expérience de soi de l'être dans sa totalité
le détermine dans sa simplicité et le constitue p arce q u'il est précisé-
ment l' acte de se donner à soi-même et que la structure de cet acte
est telle que, sur le fond en lui de cette structure avec la quelle il
s'identifie, l'être se donne . nécessairement à lui-même dans sa réalité,
c'est- à-dire justement dans sa totalité . Une telle structure, confor-
mément à laquelle il se donne à lui-même et avec la q uelle il s'iden-
tifie, n'est rien d' autre cependant que la simplicité . C'est celle-ci
en fait qui détermine l'être comme ce qui se donne à lui-même dans
sa réalité et dans sa totalité , dans la totalité de sa réalité . La simpli-
cité de l'être, c 'est-à-dire, en l'absence de toute distinction et de
toute finitude , son omniprésence à lui-même, résulte en lui de la
simplicité qui le constitue dans sa nature la p lus intime et le détermine
à être ce qu'il est, le sentiment simple de sa plénitude . Ainsi déterminé
en lui par ce qu'il est comme l'ex p érience sim p le de soi dans sa
totalité, l' être s'offre à lui et se donne à lui-même avec les caractères

( 1) CD, g8.
LA STRUCTURE INTERNE DE L
'IMM.A,jiTENC"E 3 61

que lui confère à 1a structure de cette expérience


priori , c'est-à-dire
sa propre structure.
Conformément àcelle-ciil apparaît
pparaitqu'il
qu •
n'y a^" dams l'être, comme
contenu phénoménologique positif constitutif
de son effectivité,
rien de plus et rien de moins que l'être lui- même, rien de plus et
rien de moins que ce contenu dans l'effectivité '
de sa phenomena-
lité..Ainsi la réalité de l'être s'épuise-t-elle dans l '
expérience ori i-
Haire qu'il a de qu'il
manière soi n ' y de telle g
a rien au-delà de cette
expérience et qu'en elle l'être est ttout entier présent alui-meure.
L'absence d'un au-delà ne signifie pas, en ce qui concerne le contenu
phénoménologique positif de cette expe rience , une limitation de
celui- ci, plus exactement, une limitation de l
' être lui-meure, son
inscription à l'intérieur des dimensions effectives de ce contenu
mais, bien au contraire, le caractère adéquat de ce dernier ,
le caractère
adéquat de la phénoménalité elle-même. Le caractère adéquat du contenu
phénoménologique comme tel il s'agit
(quand du moins du contenu
ici en question, c'est-à - dire du mode originel selon le
, quel la phéno-
menalite se phénoménalise , l'absence de toute finitude
,
c' est donc la ce qui est impliqué dans celle d'un au-delà non celle-ci
. C'est avec
cette restriction qu'il convient d'entendre, non l'identité vide de la
phenoménalite dans la tautologie où elle laisse aussi bien hors d
'elle
la réalité, mais le recouvrement rigoureux de celle-ci et de l'appa
rence, recouvrement dan ^ pa
s lequel l'être trouve sa structure ultime
et, si l'on veut, son privilège ; « chance, dit
Kafka, que le sol, sur
lequel tu te tiens ne peut. être plus large que les deux pieds qui
le couvrent »(i). Maisvérité
cette , celle de la vérité elle-meure
dans sa structure originaire et universe lie, est aussi bien tragique,
car elle signifie l 'irré missible et le définitif, l
'instauration d'un
monde .
absolu duquel rien • ne eut être soustrait, auquel rien ne
peut être ajouté, où, sans détour et sans mensonge, les choses sont

KAFKA, Journal intime,


Grasset, Paris, 1945, 253.
362 L'ESSENCE . DE LA MANIFESTATION

ce qu'elles sont, l'être est ce qu'il est, dans cette adéquation parfaite
qui est l'être lui-même. C'est pourquoi, c'est le caractère parfait de
cette adéquation et de ce qu'elle signifie en général pour la structure
universelle de l'être que Kafka a exprimé encore quand il a parlé de
ces flèches exactement ajustées aux plaies qu'elles ont faites (x)
Privilèou dans ce monde sans déchirement, déchirement d'une
blessure, l'oie ou souffrance, ou bien encore, et cela pour des raisons
essentielles qui seront exposées, l'un et l'autre en même temps, telle
est en tout cas la structure de l'être dans l'unité, son unité indisso-
luble avec soi dans l'expérience adéquate qui le constitue.
La nature de l'expérience de l'être comme expérience adéquate,
comme expérience de soi de l'être dans la totalité de sa réalité et
dans son unité avec soi, le caractère indissoluble de cette unité
expriment une impossibilité inscrite dans l'essence comme sa struc-'
turc même. Sur quelle structure se fonde dans l'essence l,impossi'
b' 'té ici en question et que signifient-elle d'abord ? Toute impossi-
bilité implique l'absence d'un pouvoir en relation avec lequel, au
contraire, quelque chose serait possible. Ce qui est impossible dans
l'expérience de l'être, et cela conformément à sa structure, c'est la.
non-adéquation, la non-coïncidence de l'être avec soi dans la totalité
de sa réalité. Quel pouvoir manque quand il est impossible à l'être
de ne pas coïncider avec soi, de ne pas s'identifier à soi dans l'unité
absolue où, prisonnier de lui-même et de sa réalité, il demeure en
soi ? Manifestement le pouvoir de s'en aller hors de soi, de poser
autre chose que sa propre réalité et de lui échapper, c'est-à-dire
encore la « liberté ». « L'être absolu, disait Fichte, est dans cette
partie de la forme cette liberty qui lui est propre, en dehors de lui-
mime (z). » La liberté tel est bien au contraire, le pouvoir dont
l'être absolu se trouve dépourvu, de telle manière qu'il n'y a en

(I) Journal tinte, 0p. Cit., 202.

(2) Cf. supra, § i o, souligné par nous.


LA STB. UCT UAE INTERNE DEL'IMMANEN
363
lui aucune partie ,
aucune « forme » ui lu'
ne soit pas ouq
qu'^ soit extérieure, rien u'd
il ne soit as enco q
La stru cture sur laquelle re p encore dans l'actualité de sa réalité,
to blhté pose 1'imposf1• • • pour l'être de
ut entier récent à lui-meme ne as erre
, l'im o p
p ftbilrté pour lut
ui l'attac
qhe a lui- même, de ,r'arra de rom
p lerelien
.
la on n _ cher a soi et d'exister
liberté, ors de fol, est h

Ce qui est impliqué dans le concept de cell - '


être précisé car e et
, partout oudoit
il a ce
uneenflant
p
illYaune Y essence
pre scription , une et des lois d'esse
. , justement, règle et nce,
_passer
p Lacelle-ci non -libertél'impossibilité outre
d'
cela même en générala l'essence co
ituequi
. Et commela const' mure
l'em
sur la totalité de pire des essences s 'étend
tion, ce qui est, comme rien n'est soustrait â ia- juridic
loi , sans crainte de se trom er, ue tou
s, que tout rmine est . dete p q t obéit à des
La liberté elle -même s'
flous est possible d'en parler d'une manière ^ du moins il
pas tantôt ceci et tantôt cela cohérente ,
si elle n'es
, se trouve soumise dans sa nature a
détermination structurelle avec laquelle bien
C une , n plus, elle se confond.
détermination de ce genre qui a été
Problématique lorsqu'elle a montré j ust p
que le roduit d ' eurent a propos de la liberté
e e celle-ci revêt la for '
.cairement. Déterminé, leme d ' un horizon , et cela néce -
produit de la lib s
elle-même est déterminé erré l'est parce ue laqlibert
é
ée en tant q ue liée nécessaireme
a produit et, d'une manièr nt ^ ce qu'elle
e plus ultime, en raison d
de ce lien, c 'est-à-dire e la nature même
turelle de l 'horizode sa propre nature. La .
determinatlor^ struc_
n est cependant une déterminati
à partir de la liberté e on qui s'accom lit
t par elle, c'est la libe p
cette déterminat i on liberté qui constitue la loi de
on et qui s'exprime en elle. C'est pourquoi ce ui
parce qu'il l'est par la liberté e ^ q
' ' .fia nécessité qui de^ st aussi bleu délié, se dévelo
dans l'extério ^te•
'terr^' pli
ne fe ramène nullement,tne la structure interne de l'~
au contraire à erre
à cedle e ^ une
par xernple qui simple
appartientnécessité d'ordre lidêti
à 1'endos 'la liberté
de due'
ou l 'absence de celle - ci u' , c'est la négation
q elle exprime , a telle niant' ' •u•
ère qu'elle ne st gntf
L'ESSENCE DE LA MÀ NIFESTA TIO N
364 ...

d'une structure en général,


pas simplement, comme non-liberté , nécessité
mais nécessité d'une structure déterminée , de cette structure précisément qui
se trouve determinée et cela d 'une façon essentielle , par l'absence en elle de
toute liberté et, en ce sens rigoureux comme non-liberté . Qu'en est-il de
cette structure déterminée en elle par l'absence de toute liberté,
comment faut-il comprendre plus avant l'essence de la non -liberté?
Être libre, pour un
La liber té a une si g nification ontologique.
pouvoir ontologique pur, c'est-à-dire pour le pur pouvoir de susciter
une manifestation c'est être capable de poser autre chose que sa
propre realité c'est porter en soi un pouvoir déterminé , celui jus-
tement de poser autre chose que soi . Le pouvoir de poser autre
chose que soi est, comme tel, créateur . La création ne signifie en
aucune , façon au point de vue ontologique la position de l'élément
lui-même
radicalement autre par ra pp ort à l'élément ontologique
mais seulement celle de l'élément étranger à sa réalité ( encore que
, le milieu
produit par elle) . C'est le milieu de l'altérité , non l'étant
de l' irréalité et de l'idéalité comme pur milieu ontologique, qui se
trouve produit par la liberté en tant que créatrice. En tant que telle
la liberté comporte assurément , à l'égard de l'étant , .,
lui-même, un
certain pouvoir , celui précisément de le rendre manifeste . Sans doute
un tel pouvoir est - il limité, et cela parce que l'étant demeure en lui-
même foncièrement étranger à une lumière dont il ne revêt jamais
qu'un éclat emprunté et à laquelle il se dérobe bien vite. Cette
limite de son pouvoir , la liberté, il est vrai, la trouve en elle-même, .
de telle manière que, comme il a été • montré, la finitude ne concerne
as primitivement l'étant ni son rapport a la manifestation mais cette
p
manifestation ^ elle-même en tant que telle, en tant , plus exactement,
que produite par la liberté. C ' est pourquoi là finitude ne limite pas
a proprement parler le pouvoir de la liberté mais le qualifie propre-
ment dans ce qu'il est, le pouvoir d'instituer dans l'irréalité une
. dimension idéale de rencontre et d'approche pour l'étant mais d'abord,
et à vrai dire exclusivement , cette dimension elle-même dans sa
LA STRUCTURE INTERNE DE L 'IMMANENCE
365

positivité phénoménologique propre . C'est a l


'égard de cette dimen-
sion ouvert par elle que la liberté '
se révèle détentrice
d' un pouvoir qu'elle mesure â ce ' '
milieu pur. Parce qu'elle le crée
celui- ci lui est soumis comme ce à uoi a '
q ussi elle mesure toute chose.
Se soumettre un tel milieu , et cela ns lda ^
' acte meure par lequel elle
se lie à lui, c'est donc là l'opération de la liberté, son activité ro re
ce qui constitue enfin le pou p p '
voir ontologique lui-même comme iden-
tique précisément à la liberté .
Comment un tel pouvoir pourrait-il
être compris au contraire comme non-liberté, comment serait-il
susceptible d'être privé de cela même qu'il est?.
Ou bien la liberté qui crée l'horizon dont l 'ouverture lui est
imputable et vis - à-vis duquel elle a maîtrise
et pouvoir, ne dort-elle
pas être saisie dans ce qu'elle est ? C'est de
la structure interne du
pouvoir qui constitue le fondement et l'essence de toute manifesta-
tion que, rappelons-le, il est question . Un tel
^ pouvoir9 considéré
en lui-meure, ne se donne -
t-il as dés lors, et cela avec évidence, dans
son indépendance radicale a l'égard de l'acte qui crée l'horizon, dans
son indépendance radicale à l ' égard de la liberté .
l'est dans sa relation a l'hor Z on Libre, celle-ci
liberty elle - me précisément la
a relation qui constitue
me, non dans sa relation a soi, relation qui est
comme telle,
comme radicalement indépendante à l'égard de la liberté
, l'essence de la
non-liberté, Que le pouvoir ontologique
qui constitue le fondement
de toute manifestation possible se laisse comprendre en lue-même
comme déterminé par l'essence de la non-liberté, cela veut dire ;
un tel pouvoir qui domine l'horizon su
scité et assumé par lui, de
l'irréalité, n a plus a l'égard de lui-
meure et , de sa propre réalité
aucun pouvoir, aucune possibilité de se "
p poser lui-meure , de susciter
son être ou de l ' assumer. Ici, dans la structure interne de l'essence
originaire de la révélation, à l'intérieur du rapport originaire de
l'être à soi, cesse toute maîtrise toute faculté d'agir ou d'op rer
tout ce qui se donne habituellement comme le fondement d'une
responsabilité ou d ' une imputabilité ,
comme une origine ou comme
66 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

une cause, toute possibilité d'assumer et de prendre attitude. L'impos-


sibilité pour l'être de prendre attitude à l'égard de soi, de se mettre
en question, ne résulte pas simplement de l'incompatibilité éidétique
de la liberté et de la réalité celle-ci sans doute ne saurait se soumettre
au pouvoir de l'irréel. Si une telle impossibilité concerne, non la
simple exclusion de l'irréalité, mais la structure interne de la réalité
elle-même et sa détermination ontologique positive, que signifie-telle
en ce qui concerne celle-ci, que signifie, pour le pouvoir ontologique
considéré dans sa relation fondamentale à soi, ne plus pouvoir?
Ce qui n'a plus à l'égard de soi et de sa propre réalité aucun
pouvoir se révèle être en sa nature la plus intime essentiellement
passif. La passiiIé est la détermination ontologique structurelle de l'essence
originaire de la révélation, c'est-à-dire de l'être lui-même considéré dans sa
réalité interne comme fondamentalement détermine en lut par l'essence de
la non-liberté. Au moment où le concept de passivité intervient dans
la problématique pour déterminer la structure interne de l'essence
originaire de la révélation, c'est-à-dire de l'être lui-même dans sa
réalité il importe d'en préciser la signification afin de reconnaître
ui lui convient dans cet usage ontologique fonda-
précisément celle q
mental . La passivité ne saurait désigner tout d' abord, comme le
voulait Descartes l'action d'une. réalité étrangère. C' est la relation
de l 'être avec lui-même , avec sa p rop re réalité, non avec une réalité
étrangère, qui se trouve décrite et subsumée sous le concept de
pass ivité, si celui-ci du moins doit recevoir sa signification ontolo.
gique fondamentale. Ainsi se trouve écartée .
une compréhension
radicalement impropre, encore que traditionnelle, conformément à
laquelle la passivité s'entend nécessairement a l'intérieur de sa rela-
tion à quelque chose d'autre qui lui est en quelque sorte imposé,
par exemple donné, et vis-à-vis de quoi elle se détermine
^
dès lors,
dans le fait d'être ainsi affectée par autre chose, a être ce qu'elle est,
passive, Ce vis-à-vis de quoi la passivité se détermine à être ce qu'elle
est est inte rprété tout d'abord sans doute , et par exemple chez Des
LA STRUCTURE INTERNE DE L 'IMMANENC
E 367
cartes, comme l'étant, l'action exercée .
sur ce qui se propose au
contraire comme passif d'abord
assimilée. a un cour ort
d'ordre L'étant ontique. p eurent
cependant n'est autre
C'est dans sa que par l'altérité.
relation à celle-ci que la passivité est comprise comme
ce quelle est. La nécessité en vertu de laquelle le milieu ontolo i ue
de l'altérité se tient devant elle et g q
s'impose a elle comme ce à uoi
elle est soumise, . n'est rien d'a q
utre toutefois que la liberté . La vrais
nécessité concerne celle - ci la liberté ^
elle-même comme étant ce 'elle
Ainsi se trouve définie la nature du lien qui doit être subsumé s
le concept de passivité que ce dernieren tant ous
se montre capable de
désigner la structure interne du ontologi
p ouvoir que . c 'est a lu
même, non a l 'altérité, que celui- i
k A mis dans ci se trouve
la sou
passivité i
détermine a erre ce qu'il est. La ' fondamenta-
^
passivité qui détermine
lement le pouvoir ontologique est, com m
l'égard de soi , non d'autre chose, une e passivité de l'être à
passivi,é dans l'unité. Comment
une telle passivité peut-elle se maintenir dans son concept
? Comment
ce qui est donné et comme tel peutil reçu - ^e rre cela même qui le
reçoit ?
.tre soi-même ce qu'on reçoit et comme tel essentiellement ass
à l'égard de ,roi
t cependant l'essence detelle
la vie et es p jf
, quand cel -&
le ci signe
desi^ne
^
révélation elle-mime dans son
, , crête, effactivité conJassivi/é
quand la
1 égard de ,roi n 'est que autre
l'expérience de soi, c'est- à-dire '
cette révélation elle-mêm précisément
e, l'essence de l'esprit . et A l'esprit,
le a la vie, disait
jeune Hegel, ce qu'ils reçoivent n 'est pas donne', ils le deviennent
par eux-
mêmes, cela passe en eux de telle Sorte que cela est désor-
mais une modification d'eux-mêmes, leur vie (i), » Ce ue re oit
la vie, ce que reçoit l 'es q
prit, n ' est pas, toutefois ç
une modification
d'eux-mêmes.
mes. Cest pourquoi, a vrai dire C' ils ne,
ilsle sont,le deviennent pas,
et cela depuis toujours,
parce que, depuis tou • ours c'est
là ce qu'ils sont
ce qu'ils reçoivent en tant précisément qu'ils le sont eux-
mêmes et qu 'ils le reçoivent.

(I) CD, Ii8.


368 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

En tant que la vie et l'esprit sont eux-mêmes ce qu'ils reçoivent,


E
la passivité qui les détermine et qui, comme passivité à l'égard de soi
u encore comme p assivité dans l'unité, constitue leur être même,
n'a rien à voir avec celle qui caractérise la relation a l ' être étranger.
A la soumission à l'être qui se donne comme autre dans l 'élément
la liberté elle-même
de l'altérité, soumission qui constitue toutefois
et sur laquelle se fonde en consequence la possibilite de prendre
attitude et d'assumer ainsi ce qui est distingué, l'être objectif, dans
le service, crainte le défi ou l'idée, s'oppose décidément ce qui se
trouve déterminé en soi par l'absence de tout choix , ce dont la
soumission à l'égard de soi ne signifie plus une possibilité mais au
contraire, et cela d' une manière insurmontable aussi bien que décisive,
l'impossibilité de celle-ci l'impossibilité de toute possibilité en gén&
rai. Ce quise trouve fondamentalement déterminé en soi par l'impos
gibiuté e toute possibilité à l'égard de soi, de touted prise de position
-
et de toute assomption concernant son être propre , doit être reconnu
comme ce qui fait depuis le début le thème de la problématique, et
cela en tant qu'elle se veut et se comprend dans son caractère origi-
naire, comme . ayant l'origine pour thème . Car l'origine est précisément
ce qui n' a à l'égard de soi aucun pouvoir, aucune possibilité de se vouloir ou
de se comprendre, de se dé asser ou de dominer son être de quelque manière
. L'origine est ce qui échappe, non
que ce soit et d'abord en l'assumant
pas, comme quelque chose d' hypothétique ou de mystérieux, mais
au sens de ce qui échappe à un pouvoir , 'de ce qui lui est soustrait.
Q ue l'origine échappe à un pouvoir quelconque la concernant,
'elle est
qu'elle lui soit soustraite , cela veut dire précisément qu
l'origine, cela veut dire : elle est ce à partir de quoi un pouvoir est
de telle manière cepen-
p . ce à partir de quoi il se développe ,
ossible,
dant qu'il ne p eut revenir sur elle, j amais la reprendre et,
jamais
a plus forte raison la poser ou la créer . En tant qu ' elle est le « ce
a partir de quoi » d'un pouvoir, l 'origine n' est jamais le « ce sur quoi »
de celui-ci mais' au contraire comme il vient d'être dit, ce qui lui
LA STA UCTUAE INTER NE
DE L IMMANENCE 369
échappe et. s'y
dérobe
, son au-delà. En tant que le «
quoi »d
q voir 'un p ouestce a partir de
son « au-delà » l'au-d
et de toute ^ ela de tout pouvoir
possibilité de pouvoir en général , l'impossibilité,
c'est
a•partir.de,celle-ci,
que à partirs'accomplit
de l'impossibilité,
balate. Ce partir toute possi
a de uoi s'a ccomplit
toute possibilité et qui, comme
imp ossibilit é, se tient au-delà d'elle ,
est l'irrémissible, est l'absolu.
L'absolu n'est pas tel parce qu'il se
tient au-delà de tout pouvoir, c'est parce
qu'il est l'absolu, parce que telle est sa nature interne '
, qu'il se tient duos
cet au-delà , au-delà de tout pouvoir et de
toute possibil'ité de pouvoir en
général. Quelle est la nature interne de
l'absolu . La nature interne
de l'absolu est la passivité . L'êtr ^
e absolu est l 'ê tre qui, originai rement
et fondamentalement ment passif vis-à-vis de soi, n'a comme
Conséquence vis-'a vis de soi aucun- ' est
pouvoir, tell'être et en
est,, de telle manière qu' il ne peut pas ne as êtie ce
nepeut qu'ilest et'i1
qu'il'
pas non plus l " x ê tre», ^p
au sens ou être signifie encore pouvoir,
pouvoir être, assumer . L'être
est ce qu'il est au sens ou être signifie
la révélation '
on originaire immanente de soi dans l'unité.
Que la structure interne de l'âtreori- •
réside dans sa passivité
ginaire àl'égard de soi et^ comme
telle, dans l ' essence de la non-
liberté, c'est ce qui se découvre à toute compréhension qui s
de l'essentiel : Pour rare que soit celle-ci, elle ne 'approche
pouvait pas cep endant
ne pas se produire dans l'his
toire de la pensée humaine, au moins
sous la forme d'une expériznce quand ^
, bien meure les structures
ontologiques ultimes qui lui servent
de fondement ne seraient as
élaborées. Les circonstances da p
ns lesquelles se produit une telle
expérience peuvent être par elles-mêmes éclairantes. Car si la struc-
ture irréductible de l'essence surgit en général dans la libre imagina-
tion, comblera cela doit-il être vrai aussi de la liberté elle-même
en tant qu ' elle se heurte à la nécessité '
non seulement comme à sors
contraire mais comme à son essence. Que l'infrangible nécessité
du lien de l'être à soi dans l'unit
é et dans la passivité originaire à
l'égard de soi , que la non-liberté, .
constitue l ' essence de la liberté
370 L'ESSENCE DE LA MA NIFÉS TA TIO N

elle-même, c'est là ce qui se découvre à celle-ci au point le plus


extrême de son
extrême de son exercice , dans la volonté la plus
de cette découverte e son
pouvo ir et de sa p uissance . Le moment
, se donne dès
essence,. de la découverte en elle de l'absolue nécessité
où, dans cette forme extrême de son
lors a 1 a liberté comme celui
pouvoir et de sa volonté de pouvoir, elle. prononce le oùi, l'affirmation
non plus d'elle-même , mais de son essence, de la nécessité, non
comme de ce qui la blesse mais constitue au contraire sa nature la
plus. int érieure et le p ermanent en elle. Ainsi voit-on chez Nietzsche
le défi s'invertir et se com prendre dans l'amour du destin, c'est-à-dire
est pas une suite exté-
auss i bien dans l'amour de soi , car le destin n'
à se produire ou à se reproduire d'une
rieure d 'év énements astreints
de l'être comme origi-
. man ière inévitable mais la structure interne
'essence ultime de
nellem ent et fondamentalement constitue par l
la non -liberté.
de Nietzsche
La compréh ension d'une ex p érience comme celle
de l'être, aboutit
qui, e n tant q u'exp érience de la structure interne
fina lement â l'amour et à l'acquiescement, doit cependant prendre
sur sa signification
g arde à ne p as se mé p rendre sur elle-même et
possession de
propre, et cela au moment même où elle se croit en
comprise
celle-ci. Car, si elle le fonde et en même temps se trouve
cependant
par lui, la structure ultime de l'être n'est pas contenue
dans le phénomène du oui et de l'acquiescement . Acquiescer, dire
le défi, sont diverses
o ui ou de la même fa ç on, refuser , affronter dans
manières de prendre attitude, divers modes d'un pouvoir qua est celui
de la liberté. En tant que l'acquiescement et le consentement sont
erses manières de p rendre attitude et, comme tels, des modes , de
diverses
la liberté ce à quoi ils s'adressent , ce à quoi ils se soumettent, n est
rien d'autre cep endant que ce qui se trouve soumis a celle-ci et a son pouvoir.
Ainsi l'être devient-il dans le oui du consentement le « ce sur quoi »
qu'il n'est . jamais d'un pouvoir qu'il n'a jamais non plus. Ainsi la
passivité tologique
on qui constitue la structure interne de l'être comme struc-
LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
37'

Lure du rapport originaire de l'être à soi, est--elle con


fondue avec la passivité
qui n'est qu ' un mode de la liberté et dupouvoir de pr attitude, avec cette
endre
passivité dont Kierkegaard pouvait dire justement qu'ex il faut tou-
jours qu'il y ait en elle assez d'activité pour qu' elle puisse garder
sa passivité » (i).
Pas plus que l'acquiescement à ce qui, dans l' être, constitue sa
nature la plus intérieure Pne eut être confondu
avec celle- ci, ' pas
davantage cette structure ne saurait être comprise comme ce qui
se .découvre à un tel acquiescement , comme si celui- ci, a défaut de
se recouvrir avec elle, portait du moins en lui, dans l'expérience qu'il
instaure et qui le constitue proprement, le p ouvoir d
e la révéler.
La structure la plus intérieure de l'être est la structure interne de '
la révélation
en tant qu'elle se révèle intérieurement elle-même : loin de la révéler , ll'expé
la présuppose au contraire comme ce qui lee révèle -riencdlaqusmt
revele
originairement à lui-même en tant qu 'elle se révèle ori inairement à soi.
g
Que la structure la plus intérieure de l'être c'est-à-dire l 'être
lui-même comme originairement donné à lui-même dans la passivité
fondamentale de la non-liberté, c'est-à-dire encore la structure interne
de l'immanence , constitue précisément la structure de la révélation
elle-même et, comme telle, l'essence du Lo gos, c'est là du moins
ce qu ' il faut comprendre.

3 S. LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE


ET LE PROBLÈME DE SA COMPRÉHENSION COMME RÉVÉLATION '. FICHTB

C'est une question d'abord de savoir si dans l'histoire de la


pensée philosophique ce qui constitue à proprement parler la , struc-
ture interne de l'immanence a 'jamais été véritablement compris,
Dans la mesure toutefois où une telle structure a été pressentie ou,
du moins, a semblé l'être, il est remarquable qu'elle a été interprétée

(I) Le Concept d'Angoisse , op, cit., 208.


372 L'ESSENCE DE LA MA NIFES Tai TIO N

le plus souvent, pour ne pas dire presque toujours, non pas comme
constitutive p récisément de l'essence et de la possibilité d'une révé-
lation, mais comme excluant celle-ci pour désigner au contraire ce
er à l'élément de la phénoménalité,
qui se trouve par p rinci p e étrang
à savoir l'étant . Et c'est ainsi que, au moment même où son idée se fait
jour, l'immanence se trouve r ejetée hors du domaine propre de l'ontologie
, la signi f ication d'être une caté-
p our recevoir au contraire , comme on l'a vu
l'analyse de l'étant
gorie ontique . Or, ce n'est pas, si l'on y réfléchit,
qui aboutit à sa détermination thématique comme être immanent,
détermination d'ailleurs absurde , car, comme on l'a vu aussi , l'étant
ne demeure p as p lus en lui-même qu'il ne s'en va hors de soi. La
p ensée de l'immanence intervient en réalité sur un plan ontologique,
elle prend forme et se détermine initialement dans son opposition
au concept de la transcendance . Celle-ci étant comprise cependant
comme le p ouvoir où la phénoménalité , identifiée avec l' extériorité,
acquiert un fondement , l'immanence d'où un tel pouvoir se trouve
radicalement exclu se trouve exclue â son tour de ce dernier, c'est-
à-dire de l'essence de la phénoménalité, et interprétée dès lors
comme radicalement étrangère à celle-ci, - comme étrangère non
p as seulement à la p hénoménalité elle-même dans son effectivité
mais à son essence, à ce qu'il pourrait y avoir de non-phénoménal
dans l'élément ontologique lui-même. Et c'est ainsi que le concept
de l'immanence se laisse paradoxalement appliquer à l'étant. C'est
à p artir de celui-ci, sans doute, que dans la philosophie moderne la
transcendance elle-même se trouve pensée, et cela faute de pouvoir
l'être â partir d'elle-même et de son fondement. Pensée à partir de
l'étant comme cela même dont celui-ci est privé , la transcendance
offre ainsi à ce q ui lui sert de concept antithétique la possibilité,
et même l'obligation, de désigner l'étant lui-même . Ainsi l'immanence
signifie-t-elle premièrement la non-phénoménalité, secondairement
ce qui se révèle caractérisé par celle-ci, et cela de telle manière que la
genèse des concepts ontologiques purs telle qu 'elle s'accomplit
LA STRUCTURE I NTERNE
DE L'IMMA NENCE
373

paradoxalement à partir de l'étant vie nt corroborer


signification. cette double
Ce qui est imp liq ué dans le contenu du conce
pt de l 'immanence
tel qu'il se trouve déterminé sur un p lan ontolog
iq ue pur et d'une
manière négative , dans son opposition à
l'idée. d' une subsistance et d'une celui de la transcendance,
permanence en .soi-même, et cela
en ce qui concerne l ' être, ne se laisse as si faci
lement oublier, si le
fart de demeurer ainsi en soi-meure
dans l'identité primitive avec soi
se donne inévitablement , au moment. ^ ^•
meure ou l'immanence est
saisie dans son opposition radicale au
concept traditionnel de la
phénoménalité, comme un ...caractère proprement
ontologique et en
même temps fondamental , comme co nstituti
f par conséquent de
l'être lui-même . C'est our uoi dès
p q ^ qu'il est question de saisir.
celui-ci dans sa structure lap lusetintime
la plus, essentielle, l'idée
de l 'immanence se présente a la
problématique, et cela en dé pit de son
incom patibilité phénoménologique
avec le conce p t ré gnant de la
phénoménalïté . Ainsi volt-on l'absolu être finalement c
ompri s chez
Fichte, non plus comme surg issement
et devenir de l'existence
dans l'altérité, comme être-à-l'extérieur- -
de soi de l 'être, mais au
contraire comme la persistance et le maintien
de celui- ci en lui-
même, et cela sous ' la forme de l'amour.
Lamour , dit Fichte dans
la dixième . Conférence, s'a
ppuie dire ctement sur lui-même, parce
qu'ex il est directement l'absolu
se supportant et se maintenant lui-
même ». Et encore « cet amour n'est rien d
' autre que le maintien de
soi par l'être absolu » ( i ) . Que le mainti en de soi p
ar l 'être abs olu
signifie précisément la permanence et la
persistance de celui-ci en
lui-même, au sens de l'immanence se voit dans le fait cela
qu'immé--
diatement après avoir p
osécomme
l'amour ce maintien en soi
constitutif de l'être absolu, Fichte lui oppose la réflexion , non comme
une modalité psychologiq ue o pp osée à une
autre , priais comme une
(
I) VB, 256 .
374 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

structure universelle identifiée par lui au processus de la division et


de la différence. « Ce n'est p as, écrit Fichte à la suite des propositions
precedemment citées , la réflexion , laquelle en `Tertu de son essence
^
se divise et s'o pp ose ainsi a elle-même, c'est l'amour qui est la source
de toute... réalité. » Source de toute réalité, l'amour est aussi,
selon Fichte celle de la béatitude. Et c'est parce que l'amour est
com p ris comme trouvant sa structure dans l'immanence, comme
ce qui n'est p as sé p aré de soi, que la recherche par les hommes de la
béatitude doit être dite vaine si elle se poursuit « en quelque chose
d'autre que dans ce qui ici dé j à les entoure de si près qu'il ne peut
être rapp roché davanta ge durant toute l'éternité » ( i). N'étant pas
sé aré de soi, mais demeurant éternellement un, dans l'unité avec
p ' `

soi l'amour se donne nécessairement des lors avec les caracteres


ontolo g iques fondamentaux qui appartiennent en général à la struc-
'ture de l' unité c'est- à-dire dans la réalité et par suite aussi dans sa
totalité : « l'amour est éternellement ramassé totalement en soi...
a en soi la réalité dans sa totalité » ( z) . « Aussi, poursuit Fichte, la
division de la vie divine une en divers individus n'est nullement
. » Celle-ci,
dans l'amour mais bien uni quement dans la réflexion
par suite, ne se révèle pas seulement étrangère à la structure interne
..
de l'amour, c'est-à- dire encore de la vie, mais , de plus, foncièrement
incapable de la comprendre et de la rendre manifeste dans ce qu'elle
..
est. Elle la transforme au contraire , et cela de telle manière que,
loin de se trouver révélé p ar cette transformation , ce qui fait l'essence_
de la vie et de ' l'amour se trouve bien plutôt être perdu en elle
« c'est ce contenu . et cette matière de l'amour que la réflexion de la
vie transforme tout d'abord en une essence solidifiée » (3).
Avec l' opposition à la réflexion d'une structure d'où celle-ci

(I) VB, 108.


(2) ID., 26!.
(3) ID., 256.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
375

se trouve radicalement exclue, et qui ne peut non plus être comprise


par elle, se fait j our chez Fichte une nouvelle philosophie de
l'existence
dans laquelle cette dernière ne désigne la simple
plus opposition
a sol de l'être dans l'extériorité ni son fondement savoir leàdépas-
'
sement de l'être lui-même, mais ce qui au contraire ne saurait
être
depassé et qui, ne pouvant ainsi se de p
assez
. ,soi-même
ne peut non plus
revenir sur soi pour se poser soi-même ni tenter de se déduire ou de se com-
prendre. Mais l'impossibilité de se dépasser soi-même et de revenir
sur soi est celle de l'être qui, originairement lié à lui- meure dans
l'unité, ne peut être sans se trouver, et cela comme ' a
del a donne
lui-même, est celle de l'origine et de l'être immanent.: « L'existence,.
écrit Fichte, ne saurait être sans se trouver, se concevoir, se sup-
poser... », et il ajoute, en une proposition essentielle : « de par le
caractère absolu de son existence et du fait qu'elle est liée à cette
existence qui est sienne, toute possibilité
l ui est cou p ée de ddépasser
é
cette dernière et de se comprendre, et de se déduire encore au-delà
de cette dernière, elle est déjà ldonnée... sans pouvoir s'
^ expliquer
comment et pourquoi elle est telle (i). » L'existence qui, liée à elle-
même, ne peut se dépasser soi-même, se montre du même coup
radicalement indépendante à l'égard de ce qui se produit dans un tel
dépassement, à l'égard de la représentation de soi et du concept, de l'exis
tence primitivement reconnue comme existence dans l'extériorité comme
existence objective : « cette existence elle-même dit Fichte repose et se
fonde sur elle-même, antérieurement à toute notion qu'elle
a d'elle-
même et insoluble pour cette notion qu'elle a d'elle-même » ` (2).
Que l'existence ainsi comprise d'une manière essentielle c'
omme anté-
rieure à toute notion qu'elle peut avoir d'elle-même et comme
radicalement indépendante à l'égard de celle-ci , constitue précisé-
ment l'être même de l'absolu, c'est ce que Fichte affirme incondit'
ion-

(I) VB, 144.


(2) ID., 145, souligné par nous.
3 76 L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TION.

nellement « d'où lui vient, demande-t-il à propos de l'existence,


cet être comp lètement indépendant de tout son être découlant de sa notion
d'elle-même et qui, au contraire , précède celui-ci et le rend possible ?...
C'est là la forte et vivante existence de l'absolu lui-même qui est
seul capable d'être et d'exister, et en dehors . duquel rien n'est ni
n'existe véritablement » (i).
La modification radicale que subit la théorie de l'existence lors-
qu'elle concerne l'existence de l'absolu lui-même, c'est-à-dire l'exis-
tence véritable , ce qui seul « est et existe véritablement », a été
aperçue par Fichte et même explicitement affirmée par lui. C'est
pourquoi « après avoir reconnu dans la conscience avec toute sa
forme diverse que nous p renions auparavant pour l'existence véritable,
une simple existence de seconde main et la simple manifestation de cette
existence et reconnu l'amour dans l'existence vraie et absolue » (2),
Fichte en vient à modifier de la même manière et non moins expli-
citement sa théorie du. Verbe, c'est-à-dire l 'interprétation donnée
par lui du début de l'évangile de saint J ean. « Au début était le
Verbe » ne signifie plus : au début était l'absolu dans la forme cons-
ciente de son existence , c'est- à-dire dans son extériorité par rapport
à soi, mais au début était l'amour, c'est-à-dire encore l'absolu, mais
comme ce q ui reste en soi, comme « éternellement ramassé totale-
ment en soi ». L' existence ne signifiant plus, en ce qui concerne
l'absolu l'extériorité de celui-ci p ar rapp ort à soi, à son être origi-
naire et propre, il ny a plus de différence entre celui-ci, entre d'être et
l'existence, et cela précisément parce que l'existence a cessé d'être la diffé-
rence : « toute la différence signalée... entre être et existence , et l'absence
de rapp ort entre l'un et l'autre se révèle ici n'exister que pour nous...
mais nullement comme existant en soi et directement dans l'exis-
tence divine » (s) . Et l'identité ici p osée de l'être et de l'existence

(I) VB, '45, souligné par nous.


(2) ID., 258, souligné par nous,
(3) ID., 155.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
371

doit être comprise rigoureusement comme caractérisant en fait d'une


façon positive la structure interne de e l'existence elle-même de t
manière qu'elle , elle
ne signifie plus, sur le fond de la com prehensi. on
de cette structure au contraire comme
o osition et comme B
rence etpp iffe-
de la simple affirmation de son immanence a l'être, l'extérlo-
e de celui-ci, l'être hors de soi C'était la preciseinent la remiere
philosophie flchtéenne du p
Verbe, conformément â laquelle celui-ci'
se trouvait sans doute être identique â l'absolu •
au , être (^ en Dieu »,
sens toutefois ou « en» signifie en réalité « h "
ors de », ou l'être-en-
Dieu du Verbe side
mg fie nifie l'être-h
sol. de - _ "' le deveni
Dieu lui-mente
de l'absolu dans , cela l'extériorité, et r
comme devenir primitif consti-
tutif de l'origine elleo même dans sa rêahte.
Au moment n^érue ou elle se trouve ainsi modifiee, d'une manière
aussi décisive qu'explicite, la philosophie de l'existence ne saurait
sans se perdre elle-même, oublier totalement la signification
logique
logique partir fondamentale
de laquelle elle se définit ' onto- et lui
confère. sa
p .. lace dans
Conformément la problématique a u qui
signification, existence ne telle
veut dire. rani é.rt '
f , ation. De l'existence véritable
qui est celle de l'absolu lumniêrrie
t a laquelle la structure deel alterne
' .. ,
se trouve être radicalement êtrau ère '
g , il faut montrer comment elle
est en è?le-rnêe et demeure en, dêpit ,
de cette exclusion, one ma-^^.
Lsratiou: qu'il e soit biet n ainsi
' et que l'existence sais différence
de l'absolu en soit effective
ment unes soit use expérience, c'est l
chez Fichte use i°ésu
p ppositioi ,^ , .
.Celle-ci est visible dans le fait ue
l'amour apporte la beatii^ q
., e, ce qui constitue le therne
fond anieiital
de la pensée religieuse de Fichte la • -
quelle repose précisement sur la
nouvelle philosophie de l'existence. L '
a béatitude est une expérience,
urge forme de l'existence ou plutôt l'existence elle-même telle
la comprend maintenant Fichte que
et -cela en fiant quelle n'est rien .^
d'autre que. «l'absolu se supportant et se maintenant lui-même »,
rien d'autre que l'amour.. Celui-ci ne
présuppose pas seulement,. en
tant qu'il donne la béatitude, l'existence consciente, son po^v©tr de
*T
M. IIE RY

13
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION
318 ..... . _..v .._ ...,.

révélation a l'égard de l'être de l'absolu est explicitement affirmé : « qu'est-ce ,


si ce n'est l'amour ? », lequel est immé -
qui donne la certitude de Dieu
lui-même `»
diatement caractérisé comme « appuyé uniquement sur
et par suite comme radicalement opposé à la « réflexion », c'est-a-
direa concept
dire l 'ancien de l'existence . C'est en tant que tel , en tant
que radicale ment et explicitement opposé à la réflexion que l'amour
mais « source de
est dit, non ..pas seulement source de toute « réalité »,
parce que l'exis-
toute certitude, de toute vérité » (i) . . Voilà p ourquoi,
de l'absolu, Fichte
tence absolu e est identi quement la révélation
dire de l'existence , en tant.
. pouvait, dès la troisième Conférence,
en tant qu'elle « ne saurait être sans se
qu 'immanente p récisément ,
trouver, , se concevoir, se su pp oser», qu'« il est de son essence de se
en tant qu'elle ne peut être
saisir elle -même » ( 2) Q u'à l'existence
et déjà donnée à elle-même,
sans se trouver comme originairement
saisir elle-même et d'être
en tant, qu'immanente il a pp artienne de se
saurait être
ainsien elle -même révélation, c'est là, toutefois, ce qui ne
présupposé simplement, ce qui doit être fondé au contraire, et cela
dans une essence. La mise en lumière d'un mode originaire de révélation
comme trouvant précisément sa structure dans l'immanence est seule suscep-
tible de fournir le fondement ontologique sans le uel la slnif ication phéno-
ménologique impartie au nouveau concept fichiéen de l'existence ne peut être
tout au plus qu'une présupposition et, finalement, pas même cela e parce
qu un, e telle mise en lumière ne s'accomplit pas che< Fichte, parce que le
trivial ontologique gui devrait,y conduire n'est ni entrepris ni même simple-
ment esquissé, le concept régnant et traditionnel de la phénoménalité dont .
inévitable-
les droits n'ont ainsi jamais été véritablement contestés , reprend
. son pouvoir et, quand elle n'éclate plus dans l'extériorité mais se confond
ment
retombe avec
au contraire avec la simplicité de l'être primitif, l'existence
lui dans l ' indétermination et dans la nuit.

(r) VB, 256, souligné par noue.


(2) ID., 144.
LA STRUCTURE INTERNE DE L' IMMANENCE
379

Ici la pensée de Fichte se meut dans l'incertitude , la présuppose-


taon de l'existence primitive ne eut se maintenir, à titre de résu -
position constante
, de présupposition p p
effective, inévitablement
contradi ctions apparaissent . Qu'est- ce qu'une e '
xistence qui ne se
divise pas dans l'extériorité , qui ne se produit pas dans la re résen-
Cation C' est precisement une existence p
. elle aucune q ui n'offre d'
« reproduction », une existence « sans ima e ».
g Il est remarquabk
qu'au moment ose elle se trouve comprise e la sorted '
far Fichte, son caractère
phénoménologique devienne brusquement incertain ou,
four mieux dace, sort
mss en cause et finalement nié.
« Aux g deeurs rés deinferi
la vie spin-'
tuelle de 'homme, dit Fichte I'être_ di vin ne se révélé
que tel à la conscience ... au p
. p as en tant
oint central
a vie de l spirituelle .o. il se
decouvre en tant que tel à la conscience... il entre dans 1a forme qui
vient d'être démontrée la forme. . t ence et de la
nécessaire de l 'exis
conscience comme une image et une reproduction ou
. comme. une.
notion qui se donne expressément pour une simp
le notion sa z's aucune-
ment se faire passer pour la chose elle-même »
(i) L 'existence de
être dans l exteriorite, c'est-a-dire encore la
représentation de
l'absolu, ne se recouvrepascearecdernier, elle n 'en
est, selon l a^r^
mation explicite de Fichte, qu'uue simple re plaque, one simple
reproduction, « une image ». Celle-ci con.rritue cependant la rnanifestat9on
de l'être absolu et delernme comme Mlle « le poiti f central de la .vie sp
bielle ». Sans elle, au contraire, l'absolu n'est as decou .
p vers et celui, qui. ne
vit -.pas diras cette image ne vit as noen
pas non pi.is '^^ o
presence: de l absoiu.
mais s'en tient pour cette raison « aux degrés inferieurs de la vie
spiri tuelle ».
Qu'en est-il cep endant, â ce stade a , .
• del absolu Comment p eut-il s
encore determiner , en l'absence de toute représentation , de toute
image, une « vie spirituelle » ? « Directe
ment avec son exi stence réelle
et sans image, il est de tout temps entré dans la vie
ree11P des hommes,

(I) VB, 146.


380 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

simplement sans être reconnu, et continue aussi à y pénétrer une fois


qu'il est , reconnu, sauf qu'en outre il est aussi reconnu dans son
image (t). » Ainsi l'existence de l'absolu qui, comme existence sans
image, comme existence immanente, se trouve déterminée d'une
mantere explicite..nomme l'élément de la réalité, se donne-t-elle en
même temps, d'une manière non moins explicite, comme ce qui
n'est p as « reconnu » comme ce qui ne se manifeste pas. La manifes-
tation de cette existence, c'est-à-dire de l'absolu lui-même, est sans
doute possible, du moins le semble-t-il ici, elle appartient
., toutefois
a. la represe ntation et lui est réservée, de telle manere qu'elle ne se
produit qu'avec celle-ci. En d'autres termes, la manifestation ^ , de
elle s ajoute
l'existence immanente est contingente par rapport à celle -ci,
a elle d'une manière .yy nthétique, comme la représentation, et cela précisé-
ment parce que la structure interne de l'immanence n'a pas été reconnuepas et
n'a
conjprsse comme la structure même de la revelation. Parce qu'elle
été reconnue et comp rise comme celle de la révélation, la structure
interne de l 'i m manence se trouve en elle-même et comme telle
livrée a la nuit. C'est pourquoi tandis que la pensée identifiée à la
gee » a pp araît comme le seul mode
de manifestation de
« forme i magée
l'absolu --- « c'est seulement dans la pensée pure., que notre union
avec Dieu eut être reconnue » (z) ---- l'existence divine au contraire
se : donne, indepenflamment de sa refiexion dans l'altérité, comme
essentiellement cacl'ee. « C'est en elle, dit Fichte, cette existence
divine immédiate,ate9 qu'était la vie, le fondement le plus profond de •
toute existence vivante, substantielle, mais demeurant éternellement
cachée au regard (3). » Et plus loin commentant la parole selon laquelle
« personne n'a jamais vu. Dieu », Fichte écrit « l'essence divine est
fous forme de savoir »
cachée en elle-même, elle ne se manifeste que

(1) VB, 146, souligné par nous.


(2) ID., 147•
(3) ID., 189.
(4) ID., 194, souligné par nous.
L.A STAUCTUp.E INTERNE DE L'IMMA NENCE
38Y

Ou bien ne serait-ce seulement pour nous, a notre regard


pas
d'homme,
• que l'absolu demeure caché de manière telle •
qu'un savoir
qui est seulement le nôtre doit alors sy
' ajouter d'une manère extrinsèque,
et cela comme une conséquence de notre limitation ? L'opposition a l'absolu
de l'existence, c'est-à-dire encore d'un savoir qui lui est comme tel
oppose, ne saurait, dès lors, être considérée comme intérieure a
l'absolu lui-même, comme une opposition le concernant ou le
constituant, mais, au contraire comme la simple addition extérieure
à son être, identique avec son existence véritable, d'une existence
« de seconde main », du savoir propre à l'homme. C' est parce qu'il
n'y a « pas de séparation entre l'absolu ou Dieu et le sa ' dans sa
voir
racine la plus profonde » (i) que, comme on l'a vu,,«te
toute
la dffe-
rence signalée.,, entre être et existence... se revele n'exister que pour
nous co mme consequence de notre limitation » (2) ,
Et c'est seulement
par rapport à ce savoir essentiellement fini qui est le nôtre e t qui lui
est extérieur que l'absolu peut et doit, des lors être interprete comme
se dérobant à une lumière qui, parce qu'elle ne lui estpasas c
dans l'identité d'un embrasement unique, ne saurait éclairer
en lui A
sa vraie nature. La possibilité en
pour celle-ci de se révéler
elle-même telle qu'elle est demeure, elle est soustraite si inplenient
au pouvoir de l'homme et de sa vision. « L'il de l'homme dit Fichte,
lui cache Dieu (3) »
L'intervention de l'homme tinsdont lede
-est ainsi s reserver
' la
possbilite d'une manifestation de l'être absolu leu mense, plus. exac .
tentent, de laisser ouverte, à l'intérieur de la problématique, la :place

(I) VB, Y45


(2) ID°., 1.55, souligné par nous.
(3) ID,, 259. Ira suite du texte montre cependant que comme notre analyse va
l'etablir --- l'impossibilité de voir l'absolu ne saurait titre le fait de l'homme mais
tient à la nature même de la vision,
telle que la comprend Fichte. C'est pourquoi il
apparait finalement que, pas plus que l'homme, l'absolu Dieu lui-mê me ne peut se
voir lui-même tel qu'il est « I,ui-meme est caché â lui-méme par cet oeil
qui est
le sien » (ibid.).
3 82 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

our une interprétation ontologique ultime de la structure interne


p
de l'immanence comme révélation , peut-elle cependant recevoir et
garder un tel sens ? N ' est-elle pas plutôt philosophiquement sus-
pecte ? Car l'homme n'a par lui - même aucun pouvoir , pas même
celui de rendre une connaissance inadéquate et « finie » : toute manifestation
en général, quels que soient ses caracterer et precisement avec tous ses carac-
tères se fonde cha que fois sur une structure ontologique déterminée. C'est
de l'analyse éidétique de celle-ci qu'il s'agit . Si une manifestation
n'a pas le pouvoir de révéler mais, paradoxalement, celui de cacher
l'absolu, en ce qui concerne du moins son être originaire et propre,
une telle manifestation et son fondement doivent être élucidés en
eux-mêmes, abstraction faite de toute considération d'ordre anthro-
pologique . Et de même, s'il existe un mode dont le pouvoir originaire.
s'exprime dans la révélation de l'être absolu en lui-même et tel qu'il
est, son élaboration et la détermination de sa structure constituent,
de toute évidence la tâche fondamentale de l'ontologie . A celle-ci
appartient encore, toutefois , et cela comme partie intégrante de son
travail, la compréhension du rapport qui unit les deux modes essentiels
conformément auxquels s ' accomplit toute manifestatioïi possible
en général, celui qui cache l'absolu et celui qui e révèle. Précisément,.
la com réhension de ce rapport a montré qu'il nÿ a pas de connai ssance finie
qui ne soit en son essence révélatrice de l'absolu. Si la transcendance repose
dans l'immanence , celle-ci est présente, de par son oeuvre propre,
p artout où il existe un ra pp ort, en l'homme , par conséquent, pour
autant que celui-ci a la possibilité de se rapporter à quelque chose
en général . Faudrait-il dire alors que l'existence immanente de
l'absolu dont l ' essence consiste dans la revelation originaire de soi,
perd j ustement ce p ouvoir de se révéler soi-même lorsqu'elle se
produit « dans l 'homme » ? Ou encore, justement, qu'elle ne se
produit pas dans l'homme et que, finalement , l'existence humaine
est séparée de l'existence absolue ? Mais c ' est la, on vient de le voir,
une impossibilité éidétique et, comme telle , une absurdité, si l'axis-
LA STE: UCTUAE INTERNE DE L'IMMANENCE
383

tence irmànénte de l'absolu est l'essence de toute existence possible en général.


Et comment Fichte aurait-il pu maintenir d'une façon absurde pareille
séparation, lui qui affirme : « apercevoir l'unité absolue de l'existence
humaine et divine est bien certainement la connaissance la plus
profonde à laquelle l'homme puisse s'élever» (r) ? Qu'à cette connais-
sance de l'unité, toutefois, l'homme s'élève ou non celle-ci existe
comme structure ontologique universelle et, par suite, indepassable.
C'est cette structure qui constitue en real te le fondement de toute
la philosophie religieuse de Fichte de sa conception ' qui
du Christ
a su reconnaître en lui l'identité de son être et de celui de Dieu.
-- se donnant en cela non comme l'exception ou le paradoxe mals.
comme la loi universelle de toute existence qu'il . appelle seulement
a reconnaître en elle cette loi comme son destin le plus propre et le
fondement. assure de son salut -, de son interpretation de la venté
qui, comme identique a l'existence en l'homme de l'absolu « existe » 9

est « actes çzble aux hommes » (z), est un bien, de son horreur enfin, qui
l'apparente aux plus randsg penseurs religieux et,a par exemple,
Kierkegaard, pour tout ce qui méconnaît une telle vérité dans ce
qu'elle est, comme la revei':tion de l'absolu lui-même dans son être
intime, pour tout scepticisme comme pour tout relativisme en gene-
rai (3 . Pourquoz donc alors Fichte n ' a t1 pu écarter les thèses qui sont
proprement celles de ce sceptzczsrne et` de ce relativisme, pourquoi dit -ii
que « nous ne savons rien de cette vie divine zmmeaaate, car au premier
contact de la conscience elle se transforme de;aa en un monde mort»
et encore que « toujours la forme », c'est-â-dire l'eistence, la manifes-
tation en tant que telle, « nous voile l'essence » ? Pourquoi a pen see
sombre-t-elle comme d'une manière inévitable au niveau de celle de
la philosophie classique ese voit-elle contrainte com me celle-ci

(X) VB, 19i.


(2) 1r., 271, souligné par nous.
(3) Là-dessus, cf. ID., 268-285.
(4) ID., 176-177, souligné par nous.
384
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

d'abandonner finalement l'absolu et en même temps l'essence de


la conscience elle-même à l'indétermination foncière de ce qui échappe
dans l'inconscience et dans la nuit (z) ? Pourquoi , sinon parce que
les conceptions dernières de Fichte concernant la manifestation
ellemeure,
- sa structure et sa possib ilité, étaient précisément les mêmes
que celles de la philosophie classique, les mêmes que celles du
monisme ontologique en général ? "
Car ce n' est pas l'homme , on l'a vu, qui peut être tenu pour
responsable de la dissimulation de l'abso lu et de son evanouisse-
ment Que l'absolu, tel que le comprend justement Fichte comme une
existence primitive dans l'immanence,. ne se manifeste pas, cela tient
a l'absolu lui-même et à sa nature , plus précisément au fait que la
structure interne de l'immanence n'est pas saisie par Fichte comme
originairement révélatrice de soi, comme celle de la révélation. Pour
lui comme P our tant d'autres penseurs, il nyexiste , en ce qui concerne
la manifestati on, qu'un seul pouvoir , celui du monisme , auquel
l'existence en tant qu'immanente se dérobe dès lors nécessairement,
et cela non pas en raison d'une déficience de ce pouvoir, parce que la
connaissance qu'il suscite serait une connaissance déformante,
-- précisément, elle ne déforme rien mais parce qu'elle est une
connaissance del idéalité, non de la réalité. Celle-ci, la réalité
l'absolu, 'est la p récisément ce qu'il fallait comprendre,
, c non. pas
seulement et cela d'une manière déterminante sans doute, comme
constituée dans sa structure interne par l'immanence, mais encore
phenomé
comme une réalité phenomenologique, comme la réalité
nologique d'un absolu qui cesse d'être dès lors ce dont on peut dire
tout ce qu'on veut, en sorte que tout ce qu ' on en dit, et par exemple
le caractère immanent qu'on lui attribue , devient pure hypothèse
sur un êtrelui"meme purement hypothét ique. La réalité phénomé-
nologique de l'absolu n'est rien d'autre toutefois que son appartenance on-

(I) Cf. pra,


Su § 14.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 385

ginaire à soi dans l'immanence, que le mode selon lequel il se maintient


et demeure en lui-même. C'est pourquoi , à regarder
Y de près, la
comprebension de la structure interne de l'immanence comme révélation ne saurait
s'ajouter à la simple comprebension de cette structure elle lui est adentaque.
Une telle compréhension qui est identi q uement celle de la
structure interne de l'immanence et de d'essence ori ginaire de la
revelatlon, est preclsement celle qui manqua à Fichte pour lui
permettre de donner un contenu effectif aux intuitions fondamentales
de sa pensée religieuse, comme elle devait manque r plus.. tard, . avec,.
toutefois , des conse quencesp graves,infiniment lus à toute l'onto-
logie moderne . Elle ne s'est, a vrai dire , presque j amais rencontrée.
dans l'histoire , si ce n' est cependant chezpenseur un d'exception
qu' on appela autrefois , a juste titre, un maître : Eckhart.

§ 39. ECKHART

La compréhension des structures ontolo i ues ultimes


gq q ui
constituent l'essence de la réalité n'est pas apparemment le but que
se propose Eckhart. Seule l ' intéresse l'édification des âmes et l'acti-
vite à laq uelle il se consacre pour 3r parvenir n'estp as d'spe
ordre '
culatif, c'est la prédication. Eck1 art `prêche à l' âme son
ruo^^ u ° s-
`^o^
cible avec Dieu. Il lui enseigne ce qu'elle doit faire pour s'élever â
cette union ou elle trouve °a a la fois son salut et la beatitude• Ce
n'est donc pas la structure interne de l'absolu lui-même ou Dieu,
c'est le rapport de l'homme a celui-ci qui constitue le theme de la
pensée et de la pré di ca ti on d'ck art. S e ra orter a Dieu toutefois
pp 1 9
se rendre l'absolu manifeste, n'est possible que p ar l'oeuvre de la
manifestation , par l'ouvre de l'absolu lui-même . C'est pourquoi,
comme la problématique l'avait nécessairement reconnu des le
premier moment de son effort pour se saisir et se comprendre dans son.
but et dans ses moyen s (i), la relation à l'absolu de-end de la nature de

(I) cf. supra, Section I, § 8.


386 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

celui-ci et de sa structure interne ou plutôt leur est identique : l'union exis-


tentielle de l'homme avec Dieu n'est possible que sur le fond de leur unité
ontologique. Tel. est précisément l'enseignement d'Eckhart c'est
l'absolu dans l'accomplissement effectif de son oeuvre qui constitue
selon lui l'essence de l'âme, essence qui, comme telle, n'est pas diffé-
rente de cette oeuvre ou, comme le dit Eckhart, de l'opération de
Dieu. « Quand Dieu fit l'homme, déclare-t-il, il opéra dans l'âme
son opgiration propre, égale à lui-même et continûment opérante.
Cette opération était si grande qu'elle ne devint rien d 'autre que
l'âme , mais l'âme ne fut rien d'autre que l'opération de Dieu (i). »
L'identité ici affirmée entre l 'essence del' âme et l'opération de
Dieu doit être comprise dans sa signification radicale. Car l'opération
avec laquelle l'âme se trouve identifiée dans son essence ne s'ajoute
en aucune façon , comme le ferait, à proprement parler, une création,
à l'être originaire et intime de Dieu lui-même, elle ne constitue rien
d'eltrinseque par rapport a lui mais s'identifie au contraire avec son
propre fond. Voilà pourquoi cette opération de Dieu est dite « égale
à lui-même » et encore « continûment opérante », parce qu'elle n'est
p récisément p as une activité qui s'ajouterait pour un temps et d'une
manière contingente à l'ceuvre interne qui constitue l'essence de
l'absolu mais n'est rien d'autre que celle-ci . L'identification de l'es-
sence de l'âme avec l'opération de Dieu signifie donc son identifi-
cation avec l'essence éternelle de l'absolu , signifie que l'essence de
l'âme est l'essence même de Dieu Que l'essence de l'âme soit l'essence
.
même de Dieu c'est ce q u'Eckhart affirme inconditionnellement
« elle est, dit-il, la même chose qu'Il est », « . elle est elle-même le
Royaume de Dieu » (z), et cela parce que « le Fond de. Dieu et le
Fond de l'âme (n'est) qu'un seul et même Fond » (3),
Parce que le Fond de l'âme est constitué par Dieu lui-même,

(I) T, 244-24 5 , souligné par nous,


(2) ID., 252.
(3) ID., 191.
LA STK UCTUKE INTERNE DE L'IMMANE NCE
387

parce qu'elle trouve en lui son essence, elle ne procède as de lui


elle n'a pas été posée hors de lui ni en lui par une action qui, s'ajou-
tant à l'essence éternelle de Dieu, lui aurait ajouté, précisément
l'âme, elle n'a pas été créée. Parlant au nom de l'homme, Eckhart
dit ; « Je suis non-ne » (r) et, d'une manière enerale rejette pour lu'
en tant qu'il doit cire compris dans son essence, la condition de créature.
Que signifie un tel rejet, c'est-à-dire aussi bien l'affirmation d'une
indépendance radicale de l'homme à l'eg ard de
ntoute creatio
divine,
a l'égard de Dieu lui-même ? L'inde endance de l'homme â l'égard de
la création, à l'égard de Dieu lui-même, s nif ie son identité
lui. aveu
Cette identité d'essence, Eckhart ne l'exprime pas seulement dans
l'affirmation de l'indépendance de l'âme â :1'eg ard mais,
de Dieu
d'une manière plus extrême, dans celle de la dep endance
eu de Di a
l'égard de l'âme. « La nature de Dieu, son Essence sa Deit'e dépendent
de l'opération nécessaire qu'il effectue dans l'âme (z)»s'identi-
Et
fiant avec l'homme considéra dans son essence c'est-â-dire '
erecise-
ment dans son indépendance à l'égard de toute création Eckhart
affirme, plus explicitement encore : « ici, je fus cause de rnoi.-intime
et de toutes choses. Si je l'avais voulu alors le monde entier et moi
ne serions pas.,. Que Dieu soit Dieu, j'en suis une cause. Si 1'e n'étais
pas, Dieu ne serait pas non plus » (3). L'essence de lame étant Dieu
en effet, la suppression de celle-ci telle qu'il nous est loisible de
l operer dans l'imagination eideti ue, est la su ression de Dieu
lui-même. C'est pourquoi la sign &at on de ces thèses ra±cales
leur venté, est bien celle u'Eckhart exp rire lui-même
suite dans la
du texte ; « que Dieu et moi sommes un »
L'identité ontologique de l'âme et de Dieu eut-elle être comprise
cependant comme le contenu essentiel de la pensée d'Eckhart son

(I') T, 258.
(2) 1n., 245, souligné par nous.
(3) ID., 258,
(4) In., 259.
3 88 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

affirmation est-elle susceptible seulement d'être maintenue si, loin


de se réaliser d'une manière nécessaire et d'être effective à priori,
l'union de l'homme avec Dieu ne s'accomplit au contraire qu'au
terme d'un pro g res et sous certaines conditions qui apparaissent
contingentes et, comme telles, étrangères à la structure de l'essence?
Ces conditions, explicitement nommées par Eckhart , sont notamment
l'amour, la pauvreté l'humilité . De l'amour, il est vrai , Eckhart
affirme avec force -- et ce n' est pas là un des aspects les moins ori-
ginaux et les moins profonds de sa pensée -- qu'if ne saurait accomplir
ni réaliser par lui-même notre union avec Dieu. Commentant la
il la corrige en ces
p arole de Saint Jean selon laquelle « l'amour unit »,
termes « mais l'amour ne transporte jamais en Dieu ; il ne fait que
consolider ce qui est déjà uni. L'amour n 'unit d'aucune façon, mais
il renforce les liens de ce qui est uni », et en conclusion « l'amour
unit dans une o pération, non dans une essence » (i), ce qui signifie.
que l'unité ontologique de structure entre l'â me et Dieu ne saurait reposer
sur l'amour considéré comme une détermination existentielle mais se trouve
au contraire présupposée par lui. L'amour, il est vrai, désigne aussi
bien, dans la pensée religieuse traditionnelle, l'essence même de Dieu,
non p lus une o pgiration, mais l'opgiration de l'absolu telle qu'elle
s'accomplit en lui conformément à sa structure et comme cela même
qu'il est. Mais lors que l'amour reçoit cette signification ontologique,
son identification avec l 'être même de Dieu rend plus évidente, au
lieu de la mettre en cause, l'identité d'essence qui existe entre celui-ci
et l'homme , C'est parce qu'une telle identité existe, en effet, qu'ai-
mant l'â me, Dieu s>aime lui-même, et cela de telle manière qu'il n'y
a en réalité qu'un seul amour, une seule op ération, et que l'amour dont
Dieu aime l ' âme n'est rien d'autre finalement que l'amour dont l'âme
aime Dieu, rien d'autre que l'amour dont Dieu s 'aime lui-même.
« C'est parce qu'Il opère dans l'âme, dit Eckhart} que Dieu l 'aime éga-.

( 1) T, z53.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 389

lement comme son oeuvre . » Cette opération dont Eckhart dit dans
le même p assa ge qu'elle est identi,q.uement l'amour, n'est p as « une
opération» mais l'essence même de l'absolu, c'est-à-dire comme il le
dit encore, Dieu lui-même . Et Eckhart ajoute : « Dieu s'aime lui..
même. .. Mais dans l'amour dont Dieu s'aime lui-même, Il aime aussi
toutes les créatures , non en tant que créatures, mais en tant q u'elles
sont Dieu (i). »
Ce qui vient d'être dit de l'amour, peut-il l'être , toutefois, de la
pauvreté, de l'humilité ? Ces dernières ne sont-elles p as visiblement
des modes déterminés de l'existence, déterminés et en même tem p s
contingents ne se recouvrant nullement comme tels avec l'essence.
,
de celle-ci ? Pareils modes qui constituent seulement pour l'existence
des déterminations possibles parmi d'autres, ne se donnent-ils p as
cependant comme la condition de l'union avec Dieu, union qui
devient elle-même, dès . lors, contingente- et problématiq ue, au lieu
d'être inscrite dans l'essence ? Comment l'union avec Dieu dép end-
elle de la pauvreté, de 15humilité ? En tant qu' ell e :ne se réalise que
dans l'homme q ui renonce au mo n de et à lui-
mê me d e manière à
n'être plus rien car c'est seulement s'il n'est P lus rien qu'il y a p lace
en l ui pour l'o pération de Dieu, c'est-à-dire p ou r. D ieu lui- même.
Le dépouillement radical de l'homme compris comme la condition
de la présence en iui de Dieu, n'est-ce point là le thème fondamental
et en même temps le sens d e rnier de la « mystique » d'Eck a ? En
tant que celle-ci présuppose un tel dép ou illement comme sa condi
tion , comme une condition qui doit s'accomplir . d'abord pour q u'elle
soit elle-même possible, elle se trouve liée a un devoir, suspendue,
dans sa réalisation, â une éthique. Voilà pourquoi la pensée religicuse
d'Eckhart revêt une forme édifiante, pourquoi elle s'exprime dans
la prédication, parce qu'elle vise une transformation de l'existence
au terme de laquelle seulement celle-ci pourra se trouver véritablement

(I) T, 245.
390 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

unie à Dieu . « L'homme doit être vide , dit Eckhart, ... il doit laisser
Dieu opérer ce qui lui plaît et rester pour sa part entièrement dis-
ponible ( i). » Le vide que l'homme doit ainsi laisser se faire en lui
doit être absolu, de telle manière que ce qui se trouve opéré en
lui et lui-même ne soient plus rien d'autre que l'opération de Dieu,
ne soient plus rien d 'autre que Dieu. Si l'homme est « dépouillé de,
toutes choses » et « qu'il reste néanmoins en lui un lieu où Dieu
puisse opérer », c'est qu'« il n'est pas encore pauvre de la pauvreté
la plus intime... il n'y a vraiment pauvreté en esprit que lorsque
l'homme esta tel point dépouillé... que Dieu, s'Il voulait opérer
dans hâme, devrait être lui-même le lieu de son opération » (2).
Et encore « Si Dieu trouvait l'homme en cette pauvreté , n'est sur
soi-même qu'il devrait exercer son opération et Il serait lui-même
le lieu de son opération ( 3). » C'est donc la pauvreté ou, ce qui revient
au même, l' humilité qui est la condition de l'union . avec Dieu.
« L'homme humble et Dieu ne font qu'un (d.). » « C'est ici, dit encore
Eckhart, le baiser entre l'unité de Dieu et l'homme humble ». Parce
que c'est dans l'homme humble seulement que se réalise l'union avec
Dieu, de lui seul finalement peut être af rr ee la conséquence extrême
de nette union, en tant qu'elle signifie l'unité, la dépendance de Dieu
à l'égard de l'homme : « l'homme humble n'a pas besoin de demander
mais il peut commander à Dieu » (). Ainsi se trouve clairement
formulée la condition à laquelle obéit l'union et (parce que cette
condition est identifiée avec des modes déterminés de l'existence),
de telle manière que l'union ici en question, c'est-à-dire finalement
l'unité entre l'homme et Dieu, ne peut précisément plus être comprise
comme une unité ontologique.

(i) T, 256, souligné par nous.


(2) 1•, 257.
,(3) ID., 258, souligné par nous.
(4) ID., 185-186.
(3) In., 189.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 391

Ou bien en dépit de leur détermination, ou plutôt en raison même de celle-ci,


l'humilité et la pauvreté ne doivent-elles pas être interprétées au contraire
comme portant en elles une signification ontologique, leur intervention dans
la problématique, comme appartenant au mouvement d'une pensée qui vise
l'essence et, précisément, la détermination de celle-ci et de sa structure interne
Humilité et pauvreté ne contrediraient plus, dès lors, en tant qu'elles
servent â établir entre l'homme et Dieu l'union et, finalement, l'unité,
le caractère ontologique de celle-ci, elles nous aideraient bien plutôt
à le saisir, à comprendre véritablement enfin ce qu'il faut entendre
sous le concept de cette unité. Car si elle revendique pour elle un
tel caractère, un caractère ontologique, l'unité ne saurait designer
simplement l'union de l'homme et de Dieu ni son fondement. De
quelle signification ontologique positive l'unité ainsi comprise pour-
rait-elle se prévaloir ? Que l'homme soit un avec Dieu parce qu'il
trouve en celui-ci son essence, cela ne dit ni ce qu'est l'homme, ni ce
qu'est Dieu, parce que cela ne dit rien de cette essence qui constitue
a la fois l'être de l'homme et celui de Dieu lui-même. Formuler une
telle unité qui n'exprime rien d'autre, en un sens, que l'identité
extérieure de l'essence avec soi dans la tautologie, n'est pas assurément
sans conséquence c'est parce que l'essence de l'homme réside en Dieu
et se trouve constituée par lui que toue la problemat:qe d'Eckhart qui
se donne corme therre apparent l'homme et le probleme de ses rapports et,
f z,ialerne"it, de son z rion avec Dieu, se ra, ene en réalité a la détermination
de celui-ci, a la détermination de l'essence et de sa ..structure interne. Ainsi se
profile, derriere la question existentielle du destin de l'homme et son
examen, l'analyse eidêt que fondamentale qui vise l'être même de
l'absolu. Pareille analyse,a vrai dire, ne se profile pas seulement â
L'arrière-plan, comme si les considérations qui la précèdent lui
demeuraient extérieures. Les determmations que revêt l'e>. stence pour que
se réalise en elle son union avec Dieu et qui consistent dans l'acte par le quel.
elle rejette hors d'elle tout ce qui diffère précisement de l'être intime et or:
Binaire de Dieu lui-même, c'est-à-dire de l'essence, agissent à l'égard de celle-ci
392 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TION

comme une destruction. Telle est la signification ontologique qu'il


convient de reconnaître à leur intervention dans la problématique et,
en même temps, la raison du rôle central qu'elles y jouent : parce
qu'elles accomplissent le retrait de tout ce qui n 'est pas l'essence, humilité
et. pauvreté mettent â nu la structure de celle-ci. Encore le sens de cette
destruction doit- I être bien compris . Mettre à nu la structure de
l'essence ne consiste pas simplement à enlever ce q ui la recouvre,
c'est encore pénétrer en elle, la faire apparaître dans ce qu'elle est.
Ainsi s'accomplit le travail ontologique pensé sous les conce p ts de
l'humilité et de la pauvreté la si1gnification de celle s-ci n'est pas seulement
de libérer d'essence, elles déterminent sa structure interne. Dans l'humilité
et la pauvreté réside cependant le princi pe de l'union de l'âme avec
Dieu, ce qui a été primitivement compris comme l'unité . Si celle-ci
ne peut consister dans la simple affirmation extérieure de l'identité et
concerne au contraire, au même titre que l'humilité et la pauvreté avec les-
quelles, comme fondement de l'union réalisée par elles , elle s'identifie, la
détermination de la structure interne de l'essence , sa sig,4fication ontologique
alors doit être montrée , et cela précisément corme étant la même que la.
leur. Comment l'unité se ré. ire-t -elle a l'essence de telle manière que la
sification qu'elle revêt pour la détermination de sa structure interne se
révèle être ontologi uement la même que celle qu'il convient de reconnaître.
1

a l'humilité et a la pauvreté, elles-mêmes saisies dans leur si ni ication


ontologique radicale
La détermination de la structure interne de l'essence par l'unité
a -été comprise par la problématique avec la mise en lumière d'un
mode originaire de réceptivité dont le contenu est constitué p ar la
réalité même de l' essence. L'essence dont le contenu est constitué
par sa propre réalité ne renferme rien d'autre. « Dieu dit Eckhart
est immanent à cette pure essentialité de lui-même qui ne renferme
rigoureusement plus rien d'autre (i). » Ainsi la structure interne de

(i) T, 131.
LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
393

l'absolu est-elle Penséepar Eckhart à de


partir 1'
exclusion hors d'elle de
l'altérité. Car c'est par celle.ci, - on l'a vu, que tout ce qui est autre se
revele être tel, L'altérité n'est pas, en effet une çategorievide,' pure-
ment logique, où il convient de ranger d'une maniera formelle tout
ce qui n'est pas la réalité de 'essence et se révèle, comme tel,. «autre
qu'elle, elle se trouire déterminée ont01ogiquement, au contraire,
d'une manière rigoureuse et cela comme constitutive. precisement
d'un milieu ontologique, comme horizon et comme monde. Comme
celle de l'altérité, la signification de l'exclusion, des lors, se trouve
elle-même déterminée:
• onde L'exclusion est celle du m '
et, identique..
ment, de ce qui se manifeste en lui. Le contenu de ce qui se manifeste
dans le monde, en tant precisement qu'il se manifeste en lui -et dans
sa représentation, constitue chaque fois«ce
qu'on appelle une•image ».
Le «monde» et toutes ses « images»,selon
• . justement, c'est la Eckhart,.
ce qui se trouve
. rejeté hors de l'absolu,
, ce qu'il faut exclure de celui-ci
st du moins sa_ structure interne doit être comprire. « Si tu veux
trouver la nature sans voile, dit-il, il faut briser toutes les°images '
plus on avance dans ce travail plus on approche de l'essence (i) . »
Le rejet de toutes les images est identiquement celui du rnrlteu pur
où elles sont telles et qui, comme altérité 9 est aussi 1 di ce ' ^e-.
de 1 ex t
riorite C'est pourquoi, comme l'afr e inlassable rr:tnt Eckhaztg
la libération de l'essence impliqueq
ue la
pensee se detourne de toua
ce qui est extérieur. «
ie°a est en nous' mais dit -il , nous. sornn^es. hors
-s.
de pp

t, decrr gant d'une mamere plis explicite ce cuve-


n ous
nous (z ) (z/ . ^9 E '^ °

ment de la pensée pour se détonner de tout ce qui est exterreur el,


notamment, des atiributs qia sont les déterminations transcendantes de,
l'être, il le comprend comme celui de la raison elle-même pour se
saisir dans sa essence
propre soiet propre
dans fond . « la raison,
dit-il, regarde au-dedans... » elle « pénétra. a l'intérieur , rien d exte-

(Y) T, 213.
(2) In., 200.
394 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

rieur ne lui suffit , ni bonté, ni sagesse , ni vérité... elle fait irruption


jusqu'au Fond d'où jaillissent Bonté et Vérité, elle saisit toutes choses
in pritw:pio, à la source p rimitive, où Bonté et Vérité ont leur origine
première avant même de recevoir un nom, avant même qu 'elles
fassent irru pLion.., La raison rejette ces attributs , elle va de l 'avant,
se fraie un passage jusqu'à la Racine ... » ( i). Le rejet de toutes les
images et de tous les attributs est aussi celui des < formes » ( z), c'est,
d'une manière g énérale, celui de tout ce qui se separe del essence et se
trouve osé hors d ' elle, de l'acte même de poser l ' extériorité et
l'altérité le rejet de toute création . Ainsi est explicitée , dans sa signafi-
cation ontologique radicale en même temps que décisive, la nécessité sans cesse
affirmée Eckhart de depasser le plan de la créature et de la création,
par
le dulan créé, p our p arvenir à l'essence et à son ouverture, la néces-
sité,p comme il le dit, de laisser « tout le créé pour atteindre a ce Fond
qui est Abîme» (3) l C'est l parce qu'« il y a dans l'âme quelque
chose q ui dép asse l'essence créée » (4) qu'elle se trouve être identique
en son Fond à celui de Dieu lui-même , i dentique à l'absolu. Et que le
depassement de l'essence créée sig mile celui de l'être extérieur et de
con milieu p ur, c'est ce qui résulte de maints
,.,
passages et, par exemple,
de celui ou il est dit, par opposition precsement au plan de la crea-
tune, qu'« il faut qu'il y ait quelque chose de p lus intime et de plus
élevé quelque chose d'incréé qui échappe aux mesures et à la forme » (S }.
Ainsi apparat de plus en plus nettement la maniêre dont Eckhart
à partir du rejet hors.
p ense l'a pp roche et la libération de l'essentiel
de lui de tout ce qui n'est pas lui, c'est -à dire d'abord comme un
retrait. « Quand un artiste fait une statue , dit-il, ... il n'ajoute pas au
bois il lui enlève quelque chose , il fait tomber sous son ciseau tout

(I)T,224.
(2) Cf. par exemple . Iv., 202.
(3) ID., 203.
(4) In., 231.
(5) ID., 85, s0ulig^né par nous.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 395

l'extérieur .., et alors peut resplendir ce qui se trouvait caché au-


dedans (i),» Et c'est de cette façon qu'Eckhart comprend la parabole
du trésor enfoui dans un champ (2). Le rejet hors de l'essence de
l'élément autre qu'elle ontologiquement interprété et saisi comme
élément de l'altérité et de l'extériorité, telle est, derrière la signifi-
cation existentielle apparente « du renoncement au monde », la
signification ontologique d'un tel renoncement c'est-à-dire encore de
l'humilité et de la pauvreté : celles-ci interviennent dans le développe-.
ment d'une analyse eidétique et lui appartiennent. C'est précisément
parce que telle est la signification ontologique de leur intervention
dans la problématique qu'humilité et pauvreté rendent possible
l'union de l'homme avec Dieu, parce qu'elles libèrent en fait
l'essence de celui-ci, l'essence de l'absolu. Qu'elles n'aboutissent pas,
en conséquence, â une simple modification de l'existence humaine 9
comme feraient, à proprement parler, des déterminations existen-
tielles, mais bien â la muse en lumière en elle de son essence, c est.
dire de l'absolu, c'est ce qu'affirme Eckhart : « ici dit-il, dans cette
pauvreté, l'homme retrouve l'être éternel qu'il a été, qu'il est actuel-
lement et qu'il demeurera éternellement» (s), c'est-à-dire précisément
l'être de l'absolu, libéré dans cette pauvreté et par elle. Celle-ci
se donne toujours comme ce qui permet de retrouver ce qui était
déjà, ce qui signifie mettre â nu l'essence, et cela en écartant d'elle
ce qui la recouvre et qui est lui-même compris comme le plan n. de la
création et des « créatures ». Ces dernières une fois écartées 9 se découvre
la région originaire de l'essence, celle où dit encore Eckhart,
i< je suis ce que ''étais » pauvreté
. Humilité et pas
n'interviennent
seulement, loulefos, dans l'analyse éidétique à titre de moment, comme une
Gondi fion préalable ermettant le dévoilement de l'essence mais étrangère

(i) T, io8,
(2) Ibid.
(3) ID., 258•
(4) In., 259.
396 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

en même temp s à la nature de celle-ci. La condition du dévoilement de l'essence


lui appartient nécessairement comme lui étant identique. L 'identité ontolo-
8ique de l'essence et des déterminations dans lesquelles
, s 'accomplit sa manr-
ar Eckhart et explicitement affirmée par lui
. estation est reconnue p
« la vertu qui a nom hu milité, dit-il, est enracinée au Fond. de la Déité
où elle est insérée de façon à n'avoir d' être que dans l'unité éternelle
et nulle part ailleurs » (i) Comment pareille identite est-elle possible,
comment le re j et hors de l'es s ence de l'élément autre peut -il cons-
tituer, non pas simplement la mise à découvert de celle -ci, dans le
retrait de ce qui la recouvre, mais au contraire sa . structure interne
elle-même comprise comme l'unité ?
Ou bien ne suffit-il pas une fois de Plus à la problématique de se
remémorer ses propres résultats , si, comme elle l'a établi, l'exclusion
n'écarte pas seulement un obstacle devant la pensée qui veut par-
venir jusqu'à l'essentiel, si c'est dans l'essence qu' il n'y a rien ,autre,
rien d'étranger , et cela parce qu'il n' y a en elle aucune opposition,
aucune différence ? Telle est aussi , justement , l'affirmation réitérée
d'Eckhhart : « aucune différence dit-il, n' existe. dans la nature de
,
Dieu» (z) . Ce qui ne porte en soi , dans sa nature, aucune différence,
aucune opposition et, par suite, rien d'autre, rien d 'étranger, c'est
là précisément ce qui constitue l'unité. « Il n'y a, dit Eckhart, rien
d'étranger dans l'unité (s) . » Parce que l'unité constitue la nature même
de Dieu, la nature de l'absolu, c'est à l'intérieur de celui-ci, compris
comme unité qu'il n' y a ni o pp osition ni différence. Ainsi se trouve
déterminée « l'essence de l'être primitif dans son unité simple, où.
il n'y a de différence d'aucune sorte » (si). Parce que c'est à l'intérieur
même de l' absolu dans sa structure interne, qu'il n'y a aucune diffé
rence, i1 ne saurait y avoir' partout où est présente une telle structure

(g) T, 189.
(2) ID., io3, souligné par nous.
(3) ID., 182, souligné par nous.
(4) ID., 122, souligné par nous.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
391

et agissante l'essence de l'absolu, là où la réalité est constituée par .


.
elle, aucune différence non plus et p ar suite aucune o pposition,
aucune distinction . Voilà pourquoi Eckhart aff rme que Dieu engendre
l'homme « sans aucune distinction » ( i ) , parce ue, comme il le dit dans la
q
méme proposition , « tout ce que Dieu o ore est unité », parce u'il n ' a dans
q y
la réal:ie originaire de la révélation et ar suite dans l'homme ose celle-c:
s'accomplit, aucune df ference précisément, aucune opposition nr aucune
distinction. C'est donc de la structure interne de l'o p ération de Dieu
c'est-à-dire de son essence, qu 'il est question et c'est parce que celle-ci
.
est comprise comme l' un te que rien de distinct , rien d'opposé ni de
r ,
crée ne se produit en elle. Loin d 'impliquer l' denhf:cation de la crealure
avec l'absolu, c'est, bien au contraire son exclusion hors de ce lus cs qui se
trouve affirmée, d'une manière radicale , par Eckhart dans le rejet de la
distinction et aussi bien de toute différence. Une telle
exclusion est un
theme constant de la p roblemati q ue eckhartienne dans laquelle elle
s e

Intervient non pas a titre d'antithèse, pour corriger ce que pourrait


.
avoir d' excessif l'ldenttte d'essence posée entre l'homme et Dieu
mais comme le strict corollaire de celle-ci . Ce n'est as bien que Dieu
p
engendre l'homme « sans aucune différence » c'est p arce ue
q
« l'opération du Pere étant unité » (z )-il , enqu'ilest ainsi
est u'ilvrai
de dire « la où finit la créature, la commence l'Être de Dieu
S elever a l'intelligence de ce « parce que », c'est a-dire aussi bien â
celle de 1'zder^t té entre 1'zncluszo,j de l',bo,; rue e.^a Dieu et l'exclusion lors
cAeluz-ci de toute créature, c'est la comprendre Eckhart,^c'est co
mprendre
e-
l'essence et tout ce qui a part a sa manifestation 3 comme manifesta-
tion de soi, dans sa détermination radicale a partir de l'exclusion d e
toute différence et de toute distinction c'est com p rendre comme nt
et pourquoi; pour parler comme Eckhart, « lors que l'homme s e
trouvait encore dans l'éternelle façon de Dieu,
rien d'autre ne vivait en
(I) T, 149.
(2) Ibid.

(3) ID., 144.


398 L'ESSENCE DE LA MA NI.FES TA TIO N

lui» (T). A ceux qui le condamnèrent comme si , dupe de son enthou-


siasme et peut-être aussi de son amour , Eckhart avait, dans l'identi-
fication prétendue de la créature avec Dieu, comme exagéré les
sentiments et les idées que lui suggérait son âme « mystique », il
ne manqua qu 'une chose, la compréhension de sa pensée.
La détermination de la structure interne de l'essence comme unité
à. partir de l' exclusion hors d'elle de la différence trouve son fonde-
ment ontologique dans ce qui rend possible une telle exclusion, dans
celle du processus ontologique sur lequel repose toute distinction
et toute différence , processus pensé par Eckhart comme celui de la
création , non plus au sens de la créature, mais de ce qui la crée et lui
donne naissance dans le monde, au sens d'un pouvoir et d'une acti-
vité1 celle- ci explicitement reconnue comme telle, comme « activité »,
comme « o p ération », ou comme « médiation ». Que l'unité de
l'essence repose ultimement sur l'exclusion hors d'elle du processus
ontologique
u créateur de l'extériorité , de ce 1 c u'Eckhart appelle
encore la « naissance », c'est là ce qui se trouve clairement énoncé.
« Dieu, dit-il, est l'unité dans cette union naturelle antérieure â toute
naissance (z) . » Qu'une telle naissance signifie le processus créateur
de l'extériorité, l'entrée dans le monde saisie dans sa possibilité ontologique
et dans soya fondement, cela résulte de ce qu'elle est mise en relation
avec les images extérieures , non avec telle ou telle d'entre elles,
mais comme ce qui les rend possibles en général, précisément comme
leur fondement . Parce qu'elle fonde la possibilité des images exté
rieures en general , la naissance ainsi entendue dans cette significat ion
ontologique reçoit le même concept antithétique qu'elles, celui
qu'Eckhart qualifie, dans son langage en apparence existentiel, de
« vir ginité » ou encore de « pureté ». Celles-ci, parce que, comme unité,
la structure interne de l'essence laisse hors d'elle l'extériorité et son

(i) T, 256, souligné par nous.


(2) ID., 8i, souligné par nous.
LA STRUCT URE INTERNE DE L'IMMA
NENCE 399

fondement, désignent, au même titre que


ue l'humilité
l'hum' ite et la pauvreté,
cette structure même de l'essence et, identiquement la possibilité
'
d'un état d'union avec elle. Voilà Eckhart écrit
pourquoi : « La
personne par qui .Jésus fut reçu ne pouvait qu'être vierge, c'est-
à-dire.., libre de toutes images écran ères, aussi disponible
g qu'avant sa
naissance » (i). Se libérer de toutes les images, entrer
dans cet état
qui vient d'être compris comme celui: d'une union avec l'absolu,
réaliser en fait les conditions qui de iniss ent la structure interne de celui-ci,
c'est donc rejeter le ontologique
processus r lequelpa en général l'étant se
phénoménalise, et cela comme une « image» c'est rejeter ce qui dans le monisme
se donne comme la présupposition de toute manifestation possible et se trouve
désigné par lui sous le titre général dee«médiation ». Ainsi est rendue
claire, dans le rejet explicite de celle-ci l'importance décisive de la
problématique instituée ` par Eckhart en même temps que se dévoile
sans équivoque, au terme de ses préoccupations éthiques et comme
leur vérité, son caractère ontologique essentiel : « l'homme, dit-il,
doit sortir de toutes les images. _ ..ment
devenir absolu
étranger et
dissemblable à toutes choses s'il veut... recevoir la filiation dans le sein
du père. Car toute médiation est étrangère a Dieu » (z).
Cette médiation qui consiste dans l'événement où l'étant trouve
son être, c'est, pour en souligner le caractère créateur, comme acr°
vité, comme opération9 qu'Eckhart la designs le plus_ souvent. Et
c'est par opposition à celles-ci c'est-à-dire en fart a la transcendance
elle-même, qu'il pense, pour en déterminer la structure interne,
l'absolu. Une telle détermination, s'accomplissant à partir du concept de
la transcendance et par l'exclusion de celle-ci de ce qui dans l' absolu., constitue
à proprement parler sa structure interne, amène dans la roble 1
p ; mataque la
distinction essentielle instituée Eckhart â l'i
par l'intérieur de l'élément'
ontologique lui-même entre Dieu et ce qu'il appelle la Déité..
C ette dern'i ère

(z) T, 123, souligné par nous.


(2) ID., Lo8, souligné par nous.
00 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION
4 -

seule constitue la réalité ontologique , et cela précisément en tant que


la transcendance n'est pas agissante en elle , n'opère pas en elle, en
tant . qu'il n' Y a p as en elle d'« opération ». « La Déité n 'opère pas,
dit-il. il n' Y a p oint d'op ération en elle , j amais elle n' a jeté les
yeux sur une op ération quelconque (1). » Cette absence au sein
de la Déité d'« une op ération quelconque » est identiquement^ en elle
celle de toute activité . « Dans la pure Déité, dit Eckhart, il n 'y a
plus absolument aucune activité. » Et que d'activité identif ee dans
son concept â celui de l ' opération designe comme celle-ci le fonde-
ment ontologique du monde où s'informe l'étant, c'est ce que
montre le contexte immédiat dans lequel il est dit, toujours de la
'. qu'elle est l'endroit « où il n'y a plus
Deite, . ni opgirations, niformes» (z).
Telle est donc l'essence de la Déité, l'essence de Dieu lui-même dans
sa nature la plus intime , ce qu'Eckhart appelle encore « l'Essentialité
divine où, dit -il, Dieu s'abstient de toute activité » (s). Dieu au
contraire et son conce p t, au lieu de viser en général l'élément onto-
i(jue, est alors pris dans un sens restrictif, désigne l '« opération »
logique,
elle-même, l'acte créateur du monde, l'origine de l 'altérité et son
fondement : « Dieu opère » dit Eckhart (4) C'est en quoi précisée
ment il diffère de la Déité : « Dieu et la Déité différent comme l'opé-
ration et la Non-o p ération (s) . » Cette référence e Dieu ainsi compris
ontolo gi quement (et ce pendant d'une façon conforme â sa fonction.
métaphysique traditionnelle) comme l'acte de sortir de soi de l'absolu,
à l'essence de la création et de ce qui se trouve produit par elle, est
explicite : « avant qu'il y eût des créatures , dit Eckhart, Dieu n'était
p as encore Dieu, mais Il était ce qu'Il était. Lorsque la créature fut
et qu'elle reç ut sa nature de créature , Dieu n'é tait pas Dieu en lui-

(I) T, 246.
(2) ID., 242, souligné par nous.
(3) ID., 250.
(4) ID., 246.
(5) Ibid.
LA STR UCT URE INTERNE DE L'IMMANENCE 40 1

même, il était Dieu dans la créature » (x). C'est pourquoi « Si Dieu


est appelé Dieu, c'est de la volonté des créatures ». Et encore tout
aussi clairement : « Ce n'est que lorsque l'âme devint créature qu'elle
eut un Dieu » (2), ce qui veut dire qu'elle se trouva soumise, dès lors
au pouvoir Ontologique de l'extériorité. ' celui -ci
C' est parce que
est exclu au contraire de ce qui constitue l'essence même de Dieu,
parce que le fondement de l'altérité est etran g er à son p ro re fonde-.
,. , p
ment, a la Delte, que celle-ci est l'unité, que, comme le dit Eckhart
« tout ce qui est dans la Déité est Unité » (s).
Qu'est -ce donc qui est dans la Déité , de quoi est faite l'essence
de Dieu de telle mamere qu'elle se laisse comprendre comme l'Unité .
Visant non plus Dieu lui-même entendu dans le sens restrictif de
son concept, mais, cette fois, son essence, Eckhart dit , en une ro o,
.. p p
sition fondamentale : « tout ce qui est en Dieu est Dieu » Ainsi
est rendue a sa positivité ontologique propre l'affirmation selon
.
laquelle il n 'y a dans l'absolu rien d 'autre,^rien d'etran Que
ger.
l' essence ait un contenu lui appartenant et ue celui-ci soit constitué
q
par elle, c ' est la ce qui confere une intell ibilite aux déterminations
g
ontologiques fondamentales sous lesquelles Eckhart comprend
eon^me « solitu de » et comme « désert » ce qui forme la structure
.
interne de cette essence, c'est-â-dire la nature même de la Deite.
L'excl u sxo:n bots de celleaci de toutes les formes d ^ l'erre et de ses
configurations a pour corrélat la p résence en ell
elle
e de leur fonderrieut
radical et dernier, sa ro •e résence a elle-même comme consti-
tutive d'un tel fonderpent. Ce qu'il a « dans le trefonds de la nature
divine et de sa solitude » (s):, cette nature divine elle-même comme
réalité ontologique absolue 'explique pourq uoi « la puissance »

(I) T, 256.
(2) . ID,, 248..
(3) ID., 246.
(4) ID., 131.
(5) ID., 112.
402 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qui « va jusqu'au fond... saisit Dieu dans son unité et dans sa solitude...,
dans son désert et dans son propre fond » (I). Farce que c'est le propre
fond de Dieu, la Déité qui constitue l'essence de ce désert , le contenu
de cette solitude, celle-ci et les déterminations dans lesquelles elle se
réalise et qui lui sont identiques, hum' 'te et pauvreté , pureté et
virginité, ont donc précisément un contenu, à savoir la Déité elle-
même, sont , comme telles , l'exp érience de Dieu, c 'est-à-dire sa
p ro p re réalité. Voilà p ourquoi l'humilité par exemple pouvait être
dite enracinée au Fond de la Déité, insérée en elle, de façon à n'avoir
d'être qu'en elle, parce que finalement, ayant la Déité pour contenu,
elle lui est identique.
La possibilité pour la Déité de constituer elle-même son propre contenu
et d'être ainsi, au sein de sa solitude et dans le désert de son Fond, la
réalité ontologique absolue, est cependant un problème , son fondement réside,
comme la problématique l'a montré, dans l'unité entendue non plus à partir
de la simple identité de la forme et du contenu mais précisément comme ce qui
rend p ossible une telle identité, comme le mode originaire conformément
auquel celle-ci s'accomplit : tel est précisément le concept ecknartien de
l'unité qui désigne non la simple présence de l'essence en elle mais son pou-
voir fondamental de parvenir en soi-même, de se recevoir elle-même et de se
réunir ainsi avec soi, de telle manière que cette unité de l'essence aven soi
résulte en elle de l'unité fondamentale gui la constitue. Cette unité fonda-
mentale constitutive de la structure interne de l'essence et de la
possibilité pour elle d'être une, de se réunir avec soi et en même
temps d'être elle-même son propre contenu, c'est comme un pou-
voir ontologi q ue, en effet, que la pense Eckhart quand il prétend
subsumer sous son concept et déterminer par elle l'essence de la
Déité. C'est pôurquoi une telle unité est nécessairement comprise
par lui , ainsi que devait le faire à son tour la problématique, comme
une oeuvre et un accomplissement, comme l'oeuvre même de l'essence.

(I) T, 167, souligné par nous.


LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANE
NCE 403

« Celui qui veut saisir en son entier l'oeuvre intérieure dit-il, devient
étranger même à la bonté, à la vérité à tout cequi, ne fût-cecequ'en
qu en.
pensée et par le nom seul, su pporte l ' app arence et l'
ombre de la
distinction
• quelle,
qu'elle,
soit il
f se confieest
à l'unité qui libre de
toute diversite et de toute limitation , l'unité ou se de ouille
p et se
perd toute différence ( i). » Ce caractere actif et ontol
ogiquement
fondateur. de
, l'unité,
quand, Eckhart l'exprime
parlantencore de la
possibilite pour l'âme de s ' unir à l'absolu il déclare au
sujet de
celle-ci que c'est « à l'aide de l'. alité qu' elle réussit à
B parvenir a
Dieu» (2), quand enfin, au sujet de cette egalité elle -
-,., même, c'est- a-dire
de l unite, il dit de son oeuvre
. qu' « elle l'accomplit sans cesse ,.. nuit
et four » (3). Ainsi
se détermine dans son contenu Ontologique
essentiel ce qui appartient en prop re à la ensee d 'Eckhart , •
p l'essence
qui .
subsiste , dans le rejet
l hors d'elle
exte- du pouvoir créateur de
riorite et, par conséquent , de celle-ri , n'est as l'unité monte d.
I etant ni son identite vide dans la tautolog ie , c'est dan s sa solitude
et en l'absence de tout rapport avec le monde dans la «
purete » qui
caractérise cette absence de rapport, l'essence d e l
'absolu . lui-mémé,
son pouvoir originaire et fondamental de parvenir en soi
, de telle
manière cependant que, dans ce parvenir et par lui il demeure
en soi dans l'unité ontologique structurelle de son develo em`e
pp nt
intérieur et de son accom lissernent . « Il a quelque
p y . chose dans
l'âme, dit Eckhart, qui dePasse l'essence creee .4. C'est une parente
d`essence divine, une Unité en soi-mêmes sans rapport avec quoi .
-que ce soit .a. Pays étranger , désert trop innommable pour qu'on le
nomme ... myst ere incréé au-dedans de toi-meme...
» Et cacacté
rlsant encore cette unité dans son absence de rapport avec le rond e
comme « pureté », il ajoute « c'est dans cette Pureté que Dieu le

(1) T, 87, souligné par nous.


(2) In 241, souligné par nous.
(3) ID., 86.
404 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Père éternel, puise la plénitude et le Fond sans fond de sa totale


Déité. Cet Abîme, il l'engendre ..., mais tout en engendrant, il
demeure en lui-même ; mais, tout en demeurant lui-même, il
engendre.....car il reste Unité absolue tout en jaillissant en lui-
même» (I).
Parce que dans l'accomplissement de l'oeuvre intérieure par
laquelle il se réalise, et conformément à la structure interne qui le
détermine en son essence comme l'unité , l'absolu « demeure en
lui-même », il se laisse comprendre sans équivoque comme imina-
pence. C'est à la lumière de ce concept ontologique fondamental
ensé d'une manière constante dans l'oeuvre d'Eckhart
que se trouve p ..
ce q ui constitue la nature et le Fond de l'essence. C 'est pourquoi en
l'absence de tout dépassement , celle-ci est comprise au contraire
comme le rep os et cela en un sens p ositif conformément auquel
l'essence se repose « en elle », parce que son contenu est constitue
osant en elle- même, dit Eckhart, et ne
p ar elle. « C'est une Unité re p
recevant rien du dehors (z). » C'est cette manière pour l'essence,
tandis que rien ne l'affecte de reposer sur elle-même et de constituer
ainsi elle-même le sol sur le quel elle se tient qu'Eckhart exprime
quand, voulant faire comprendre ce qui fait véritablement sa nature
la plus intime, il la désigne comme le Fond j ustement, « le Fond
absolument sim ple » (3), comme le « Lit », le « Ruisseau », la
« Source » (4), la « Source la plus profonde » (S ). Ici, au coeur de ce
lus avant la raison essentielle de l'union à
qui est se découvre p ,.
parti r et autour de laquelle se développe la problématique A
instituee
» (6), que
p ar Eckhart c'est parce qu' « il est celui qui opère en lui -même

(I) T, 23x232•
(2) ID., 236.
(3) ID., 143•
(4) ID., 246.
(5) ID., 144.
(6) ID., 258, souligné par nous.
L 4 STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 4oS

l'âme où Dieu opère son opération lui est identique, que « Dieu et rnor
sommes un dans l'opération » (i).
Parce qu'elle opère en elle-même et repose ainsi en elle, l 'essence
«ne veut rien » (z), elle «demeure dans sa nudité sans aucun besoin» (3).
Tel est le calme de l'essence celui qui grandit
randit dans l ' âme tandis
(.),
que, coopérant avec Dieu, c'est-à-dire renonçant a toute a
ctavrte (S),
elle.
entre dans cet état de pauvreté qui app artient en propre a l'essence
et où elle est dite ne rien vouloir , dans cette nudité où elle n'a aucun
besoin. Ne voulant rien et n'ayant, dans le calme
ou elle repose,
aucun besoin, l'essence est, dans cette auvrete essentiellement
. p ^ dému
me a l'égard d ' un pouvoir quelcon que de se rapporter a autre chose,
a quelque chose qu'elle n'aurait pas ou ui
qne pas:
serait encore.
L horion de l'irrealite et la possibilité de se ra orter en lui
pp a quelque chose
d'irréel, la possibilité d'un man ue en éneral c'est là '
q ^ ce qua manque a.
l'essence dans sa pauvreté « Ce Fond secret, dit Eckhart i
, n'a n tisse
ni futur p
, il n' attend rien qui puisse s'ajouter â lui car il ne peut ni
gagner ni perdre ... ( 6). » Un tel manque se comprend dès lors dans
son vrai sens comme appartenant en propre a la réalité,
, l'absence
d'un horizon, comme celle de toute finitude .
La realt n e se la isse point déterminer, toutefois, d'une mamere •
négative et par la simple exclusion hors d'elle du pouvoi r fini de
l'horizon. Elle ne peut être ce u'elie est la réalité ' que parce que le
contenu de celle^ci lui est donne et cela dans sa totalité. Telle est
pr°e'cisément la réalité, l'acte de se donner dans l' urnle la realite de :son propre
co,tenu, la réalité et par suite la totalité de celui-ci.
C'est de la structure
de cet acte que le pouvoir de l'altérité9
celle^ci
lal'irréalité
finitude et

(I) T, 51, souligné par nous.


(2) ID., 254•
(3) ID., 241.
(4) ID., Zog.
(5) Cf. ÏD., 6o.
(6) ID., 256.
406 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

se trouvent exclus. Voilà pourquoi un tel acte, interprété d'une


manière né g ative ne saurait exhiber un contenu fini, pourquoi
« Dieu ne peut donner peu », et pourquoi au contraire, déterminé
d'une manière positive dans sa structure interne comme unité, « il
doit donner tout à la fois » et se trouve être comme tel constitutif
de Dieu lui-même dont le « don est simple..., parfait, sans division,
sans relation avec le temps.... » Et que ce don qui est le « tout » de la
réalité constitue l'essence de celle-ci et, comme essentiellement
déterminé en sa structure par l'unité l'essence de la vie, c'est ce qui
est affirmé quand, parlant de lui et de son caractère absolu, Eckhart
dit : « de cela 1e suis -aussi certain que de vivre » {i}. Ainsi se trouvent
reconnuesi en même temps. que sa structure interne, les détermi-
nations ontologiques qui appartiennent en propre à la réalité et
conformément auxquelles celle-ci se donne nécessairement dans
sa totalité. Ainsi est compris, à partir de son essence et comme
lui appartenant, le caractère adéquat de l'expérience de l'être, l'adap
tation rigoureuse en elle de la forme au contenu, de telle rnanlere
que rien n'echappe de celui-ci, que, comme dit Eckhart, « ce qui
remplit touche à tous les bouts et ne fait défaut nulle part, il a largeur
et longueur, hauteur et profondeur » (2). Le caractère adéquat de
cette expérience et son adaptation rigoureuse à un contenu constitué
par elle, la détermination â partir d'elle, et comme lui étant iden-
tique, de la réalité c'est là ce qui rend intelligible
. la nature de celle-ci,
la mamere dont elle se propose à elle-même dans sa propre profusion,
la « plenitude » et la « douceur » (} de l'être. Cette plénitude et cette
douceur, en effet, Eckhart ne s'est point contenté de les nommer, il
les a saisies dans le fondement, à partir de la structure la plus intérieure
de la réalité en tant que celle-ci constitue elle-même, comme unité,

(I) T, 138, souligné par nous.


(2) ID., 173.
(3) ID., 122.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 407

son propre contenu . « La joie du Seigneur, dit-il, c'est le Seigneur


lui-même (i). »
A la détermination, telle qu'elle s'accomplit à partir du fondement et de
sa structure la plus intérieure comprise comme l 'unité, de ce qui constitue,
avec ses caractéres phénoménologiques propres, l'expérience de l'être, sa pléni-
tude et sa douceur, il manque, toutefois, l'explicitation d'une presupposmon
où se trouve contenu, à vrai :dire, l'apport essentiel de la pensée d'Eckhart,
celle selon laquelle l'unité précisément se trouve comme telle déterminer une
expérience, l'expérience de soi de l'être dans la jouissance de soi, la presuppo-
sition ontologique fondamentale conformément à laquelle la structure interle
de l'immanence est celle de la révélation:

§ 40. LA PRÉSUPPOSITION ONTOLOGIQUE FONDAMENTALE


DE LA PENSÉE D'ECKHART ET L'ESSENCE ORIGINELLE DU LOGOS

La compréhension de la structure interne de l'immanence comme


celle de la révélation, comme constituant, d'une man ere plus précise,
l'essence originaire de celle- ci, est chez Eckhart une présupposition
constante de sa pensée et en même temps l'objet de ses affirmations
les plus explicites. C'est d'une façon explicite, en effet, que l'essence
qui est à elle- meme son propre contenu se trouve interprétée, sur 'le
fond en elle de cette identité , non comme l 'étant mort et perdu dans
a.

sa nuit, mais au contraire comme Raison , c'est-a -dire comme un


pouvoir d'intelligibilité dont le contenu i ntelligible est d'ailleurs
constitué par lui, comme un pouvoir de révélation par conséquent,
et cela précisément en tant qu'elle demeure en elle-même et ne se
rapporte à rien d'autre . Ainsi voit-on qu'immediatement après avoir
déclaré que le contenu de l'essence qu'il appelle le Seigneur est.
constitué par elle `t et rien d'autre », Eckhart ajoute : « et le Seigneur,
c'est la Raison vivante, essentielle et existante , qui se coprrzd elle-même,

(I) T, 196.
408 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qui n'est et ne vit absolument qu'en elle-même » ( z). Parce qu'elle n'est et
ne vit absolument qu'en elle , la Raison qui se comprend elle-même,
c'est-à-dire dont le pouvoir phénoménologique consiste dans la
révélation de soi, ne se révèle pas, précisément, d'une manière
conforme au mode de manifestation qui a . été pensé dans ces recher
ches sous le titre de « compréhension »'mais, bien au contraire, selon
la structure de l'unité . C'est comme fondamentalement déterminée
en elle par celle-ci qu'il convient d'entendre la compréhension
qui, selon Eckhart , affecte l'essence et lui appartient , en sorte que,
s'accomplissant sans aucune médiation, elle la révèle telle qu 'elle est
non dans le milieu de l'altérité, mais en elle -même, dépouillée de tout
élément étranger ; « Une intelligence une est si pure en elle-même, dit
Eckhart, qu'elle comprend sans intermédiaire l'Être divin dans sa
Pureté et sa Nudité (x). » Cette nécessité d' entendre l'essence de la
révélation qui s'accomplit comme unité dans son opposition radicale
au processus ontologique de l'objectivation est visible dans la
critique instituée par Eckhart , au nom de l'unité p récisément, contre
l'intuition qui trouve dans un tel processus son fondement « Tant
que nous sommes encore occupés à regarder, nous ne sommes p as
encore un avec ce que nous regardons . Tant que quelque chose est
encore l'objet de notre intuition, nous ne sommes p as encore un dans
l'Un. » En l'absence de toute intuition cependant, quand le p rocessus
qui lui sert de fondement ne s'accomplit pas, une manifestation se
produit, qui est la révélation de l'essence elle-même dans sa réalité.
« Car, ajoute Eckhart, là ou il n'y a que 'Un, on ne voit que l'Un (3) »
Ce qui, sur le fond en lui de l 'unité, constitue lui-même son p rop re
contenu, a été compris comme la vie ; J.arce que l'unité est nomme telle
fondatrice d'une révélation, la vie aus si est, comme constituée par l'unité,
constitutive et fondatrice d'une révélation , elle est en elle-même révélation.

(I) T, I96, souligné par nous.


(2) ID., Igo.
(3) ID., 24! souligné par nous.
,
LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
4°9

« Connaître Dieu seul, voilà la vie éternelle », dit Eckhart ( I), c'est -
a-dire la vie même dans son essence en tant qu'elle se rapporte a
elledmême dans l'unité et non, dans l ' altérité, a un horizon fini. Parce
que celui-ci est exclu de la réalité _ qui..
est celle l
de ' essence et de la vie,
comme déterminée en elles par l'unité , c ' est cette realite par essence
infinie qui se révèle dans l'unité précis é ment
et dans sa parfaite
adéquation . Voilà p our q uoi c p erso
nne ne sait mieux ce qu'est la vie
eternelle que la vie éternelle elle-même » •
(z), pourquoi « ce qui
est au p lus haut point, o "
n le connaît également au lus haut
point »
pour ^
quoi, enfin , a « un être surabondant p
» correspond « une '
connais-
lance surabondante » Celle-ci ne saurait être consid'
..erse, toutefois,
comme
. , une ^ modalité
e modalitéparticulière de l'existence,
prvi- une •
légiee, par exemple; c'est une structure o '
ntologique -qui se trouve
déterminée â fla fois comme
et comme unité •
révélation. C' est elle qui
constitue cette « premiers Image où toutes choses sont u nits », ou.
réside, selon Eckhart, le « re os » et
p qu'il appelle encore sans équi-
voque « Dieu » O. C'
est en elle que s'accomplit l'expérience de
d'absolu qui, comme expérience ade uate
q de sa realite dans. l'unité,
laisse hors d'elle toutes ses determinatio ns transcendantes, dans
nette région Ontolog iq ue orig inaire ou l'âm e cc peut ..
gourer Dieu
avant qu'il devienne d'aucune façon Vérité ou c
ognoscibilité »,
« C'est la, ajoute . Eckhart, qu'elle connaît de lu
," • ^anze re la plus dure,
qu'elle assume l être dans sa parfaite Egaltie
() »
Ainsi est découvert, avec l'interp retati
on de la structure de l'unité
comme constitutive de « la connaissance la plu
s pure », c est-a-.dire de
l'essence originaire de la révélation '
. , 1e fondement ultime de l'union,
mise par Eckhart au centre de sa méditation de l'âme et de D
ieu. Que
peut signifier une telle union , en effet, sinon la man i festati
on a 1'aine

(I) T, 77. -- Jean, 17, 3.


(2) ID., 220.
(3) ID., 131,
(4) ID., 131, souligné par nous.
M. HENRY
14
410 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de Dieu lui-même dans son unité avec elle ? La détermination de


l'essence de l'âme comme constituée par celle de l'absolu demeure
une sim p le affirmation spéculative , en effet, aussi longtemps que
cette essence ne se manifeste pas dans l'âme comme la sienne propre.
Mais cette manife station dans l'âme de l'essence est le fait de celle-ci
c'est l'essence en réalité qui se manïfeste â elle-mme,
ê de telle manière que
l'union de l'âme avec Dieu n'exprime rien d'autre que l'unité interne de
l'essence elle- même et ne devient effective dans la manifestation que pour
autant que cette unité se trouve être comme telle constitutive d'une manifes-
laiton, p our autant que la structure interne de l'immanence est celle de la
révélation. Que l'union ne soit effective que dans la manifestation,
c'est-à-dire p our autant que son concept soit reconnu dans sa signi-
fication phénoménologique positive, c 'est là ce qu'affirme Eckhart. :
« si l'homme est heureux, dit -il, ce n'est point parce que Dieu est en
lui et lui est si proche et q u'il a Dieu, mais c'est parce qu'il connaît
combien Dieu lui est proche, c'est parce qu' il sait qui est Dieu » (i).
La connaissance de Dieu où se fonde la signification phénoménologique,
c'est-à-dire effective, de l'union , est cependant le fait de Dieu lui- même, de
telle manière que 'l'autorévélation de l'absolu, telle qu'elle s'accomplit dans
l'unité , détermine, dans son unité avec elle et, par suite, comme lui étant
phénoménologiquement identique, l'essence même de l'âme. « Dans le même
acte de connaissance où Dieu se connaît lui-même..., dit Eckhart, l'âme
refoit sans médiation son essence de Dieu (z). » voilà pourquoi, parce que
l'essence de l'âme, sa révélation, est constituée par celle de Dieu, par
la révélation originaire
b de l'absolu à lui-même dans l'unité, rien
ne p énètre en elle que dans cette forme absolue de la révélation
constitutive de son essence, « rien ne pénètre... au coeur de l'homme
qu'à travers toute la douceur de Dieu » pourquoi « c'est de façon

(I) T, 197•
(2) ID., i63 , souligné par nous.
(3) ID., 94.
LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 4"

divine que prend forme en lui tout ce q ui lui advient » (1). Ce qui
pénètre en l'âme, cependant, dans cette forme absolue de la révélation ui
A q
constitue son essence • même et qui, comme fondamentalement déterminée en
elle par l'unité, est la révélation ori ^
`maire de l'absolu
est à lui-même c'
précisément celui-ci, Dieu, tel qu'il est en lui-mêne dans sa nudité. C'est
p ourqioi, comme le dit Eckhar t, l'homme est un theo onoste « ein Gott-
d
wissender Mensch ». C'est parce q u'il est tel, un homme q ui connaît
Dieu, que ce dernier , selon Eckhart q ui ra orte ici les p aroles
pp
mêmes de l'évangile de saint Jean,
s'est adresseà lui en ces ter mes .
« je ne vous ai pas appelés serviteurs mais j e vous ai app eles mes
amis. Le serviteur ne connaît pas la volonté de son maître , mais l'ami
sait tout ce que sait son ami (2) » Et c'est arce qu'ilqueest tel aussi
tous ceux qui participent à son essence ourront dire comme le
p
rapporte encore Jean : « vous, vous adorez ce que vous ne connaissez.
pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons» (3.
L'interprétation de la structure de l'unité comme constituti =e
d'une expérience ne confere pas seulement à l'union de l'homme
avec Dieu son fondement ultime, elle détermine encore d'une
maniere rigoureuse la nature de cette ex p erience- c'est-a- dire l'essen ce
même de la révélation. Parce que celle- ci s'accom plit dans l'unite
elle surgit et devient effective Independamment du process us onto-
logique de l'objectivation et de la phenomenalite produite par lui,
elle se manifeste et sa manifestation n'est p as celle d'un horizon
ni de l'exteriorité. « Limage, dit Eckhart , est sans ima ge », et cela.
« parce qu'elle n'est pas vue dans une nuire image ». C'est parce que
la revelation de l'essence n'est p as l'être -vu dans l'image de l'alterite
que l'âme dont le pouvoir de revelation rep ose sur celui de l'essence
ou plutot lui est identi q ue, comme constitue p ar lui « comp rend et

(I) T, 41•
(2) ID., 169.
(3) ID., 195 --- EAN, 4, 6-26.
41 2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

connaît » 9 dans ce pouvoir précisément et par lui, « immédiatement


et sans image ». L'imag e cependant , ce qui est « au préalable purifie et
criblé dans l ' air et la lumière, pour arriver ensuite, sous forme
d'image, mon a oeil(i),
» cette forme même de l'image, plus pré-
cise'ment, se manifeste . Ainsi y a-t-il, à côté de la révélation originaire
de l'essence telle qu'elle s 'accomplit « sans image », une phénoménalité.
des « images » justement soient
p ro p re de celle-ci et telle qu'en elle `
p ossibles , , et en énéral des phénomènes au sens de phénomènes du
g
monde. Ainsi se divise dans l'analyse éidétique essentielle le concept
de la phenomenalité. Cette division est celle instituée p ar Eckhart
entre ce qu'il app elle « la connaissance du soir» qui s'accomplit sous
forme d' « images » c'est-à-dire dans l'extériorité , et se trouve ainsi
saisir, et cela par princ:pe, la « créature » elle-même comme telle, et, d'autre
p art ,^ la « connaissance du matin » dont la structure est l'unité et
n'enferme en elle, comme telle, rien de distinct ni de représente, a
la uelle la créature ne peut se donner qu'à la condition d'être saisie, non en
elle-même, mais dans son être-identique à celui de Dieu, c'est-à dire préci-
sément à la condition d'être saisie dans l'Unité. « Quand on connaît
les créatures telles qu ' elles sont en elles-mêmes -- ce que j'appelleras
une connaissance du soir --, on ne voit la création que dans des
images distinctes . Mais quand on connaît les créatures en Dieu ,
ce
que j'app ellerai une connaissance du matin --, on voit .
la creature
,
ésent
sans la moindre distinction , sans aucune des images qui la repr
aient ns ressemblance avecet quoi que ce soit,
sa dans l'Unité-qui
est . Dieu même (2). »
C'est cette même distinction dans la structure de la connaissance
ontologique entre une manifestation s'accomplissant dans l'unité
et une autre dans l'extériorité qu'Eckhart exprime encore en disant
de l'homme avec l'Écriture, « qu'il est en nous un homme extérieur

(I) T, 22I-222.
(2) ID., 110.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
413

et un autre, l'homme intérieur » Car, une la


(i). fois écartée
s1 fi-
cation qu'une existentielle
telle distinction revêt d'abord gm
dans l'ana-
lyse, son fondement Ontologique apparaît en ineme temps que sa
vraie signification. L'homme intérieure st l'homme noble, «noble .
parce qu'il est un et que dans l'Unité il connaît é
galement. Dieu et
la créature » (z) , c'est la structure ontologique interne
. d'un mode
de manifestation qui se trouve pensé de telle maruere que le contenu
de cette
é,manifestation
en réalité,est toujours constitu
par. l'essence
elle-même. Mais la signification ontologique en vertu de laquelle la
distinction instituée par Eckhart entre
intérieur l'' ' •
et l'extérieur
concerne le pouvoir de manifestation re conside ^
en lui-meure. et sa
structure pure, n'a pas à être induite par nous comme un fondement
dernier pour les themes édifiantsquiviennent.
inter dans sa problz-
matique, elle est explicitement affirmée par lui « l'âme a deux yeux,
dit-il un oeil intérieur et un oeil ex terreur. L ^ ^ • de
oeil intérieur ^ l' â me
regarde vers l'essence et la reçoit
. de directement
Dieu ; c'est l'auvre ;
qua lu: est Jropre. L 'oeil exterieur... se tourne au '
contraire vers. les
créatures
. images et les perçoit en
. Mais l'hommequo ' rentre en
lui-même de manière a percevoir Dieu dans sort propre gour. et dans
son propre fond, celui-la est affranchi de toutes les choses créées et
est retranché en lut-même comme dans une véritable forteresse de
Vérité (3);. »
La révélation de l'essence dans l'u rite ne se Juxtapose pas simple-
ment, toutefois,
. ma , la manifestation
elle la de fonde.
l'horizon C'est
pourquoi il ne suffit pas de dire u' « autre
, q puissance par est la laquelle
1 oeil voit, et autre la puissance par quoi il connaît qu'il voit », mais,
d'une manière plus essentielle, la puissanceque « • en nous
qui produit
la conscience de notre vision est plus noble et plus haute que: celle qui

(.I) T, 103.
(2) ID., i 10, souligné par nous.
(3) ID., 169.
414 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

produit la vision même » (r). Tout donné cependant a un droit


e uivalent à celui de n'importe quel autre donné. L'affirmation, en
ce qui concerne les donnés purs eux-mêmes, d'une plus haute dignité
de l'un par rapport à l'autre demeure spéculative aussi long^emps
qu'elle se réfère simplement à la reconnaissance du lien de fondation
qui les unit. Ou bien cette reconnaissance doit s'accomplir elle-même
autrement et ailleurs que sur le plan de la spéculation, avec la mise en
lumière à l'intérieur de la vision effective et comme son contenu phénome'nolo-
gique originaire, du contenu phénoménologique originaire de l'essence. West
parce _que celui-ci constitue effectivement le contenu phénoménolo-
gique originaire de la vision que tout ce qui se manifeste en elle se
manifeste originairement en lui et lui appartient. Mais le contenu
phénoménologique originaire de la vision est, comme contenu
phénoménologique originaire de l'essence, l'Unité. Voilà pourquoi
celle-ci enferme en elle, dans sa réalité phénoménologique qui est
celle de l'essence, tous les phénomènes, pourquoi « Dieu a toutes
choses cachées en lui, non pas de telle sorte que ceci ou cela soit
distinct, mais toutes choses ne font qu'un, conformément à son
Unité » (2). L'unité de tous les phénomènes dans le milieu ontolo
gique où se révèle originairement leur manifestation est un thème
constant de la pensée d'Eckhart ; là-haut, dit-il, on connaît vraiment
les choses « telles qu'elles sont, toutes indivises et proches les unes
des autres; les choses qui sont ici-bas éloignées les unes des autres
sont rapprochées là-haut, parce que toutes n'y sont que dans le.
présent » (3). Le milieu ontologique où s'accomplit l'unité de tous
les phénomènes n'est pas cependant l'objet d'une affirmation méta-
physique et ne constitue comme tel aucun arrière-monde, c'est le
milieu, coextensif à leur manifestation, où celle-ci se révèle et parvient
originairement dans l'effectivité. Dans l'effectivité de cette mani-

(I) T, 110•III.
(2) ID., 213.
(3) ID., 130.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANEN CE
415

festation , par suite, et partout où elle s'accomplit est


présente l'unité,
et cela comme un contenu phénoménolo gique originaire.
Lame en
tant qu 'elle voit « possède une puissance dans laquelle tout devient
un », et c' est ainsi que par ëssence , c'est-à-dire dans l
'effectivité
de sa réalité phénoménologique , < elle rassemble ce qui est disperse
et partagé » (i), « comprend avec unité '
toute diversité en
elle-même » (2),
En tant que la révélation de l'essence dans l'unite ne se 'juxtapose
pas simplement à la manifestation de l'horizon mais fonde encore
phenomenologiquement l'effectivité de celle-ci elle constitue, preci-
sement, le fondement phenomenolo gique universel effectif de
toute
manifestation possible en général , l'essence du Logos.
b Ainsi
vient de
intelligible chez Eckhart, comme le point ou se rassemblent et
culminent les intuitions ultimes de p sa ensee ladu
, théorie ' Verbe.
Celui-ci, compris par lui conformement â la traditio n religieuse, est
encore appelé le Fils de Dieu, Cela si gnifie que la revelati
on dans son
accomplissement phénoménologique effectif est l'œuvre de l'absolu
Comment s'accomplit cette oeuvre, comment la re elation surgit-elle
dans l'effectivité,, c'est, on l'a vu, dans l'unité. Pour cette raison untel
surgissement, celui de la révélation dans l'efffectidité '
de sa phenome
nalite originelle, est l'acte de demeurer en soi-même de l'absolu,
un tel acte, le surgissement originel de la révélation. parlant de la
Déité comprise comme' Abime c'est-à-dire
revelation de la .
originaire
de soi de l'essence dans l'unté,Eckhart dit dans n tete u `.,a cite et
dej
ici rétabli dans son ntegrite, que Dieu « l'engendre danFils
s son ..
unique pour que nous soyons aussi le .même Fils. Mais tout en
engendrant il demeure en lui-même,' mais tout e
n demeurant lui-
même, il engendre et se man feste » (s).
Ainsi se trouve
détermine

(I) T, 158.
(2) ID., 190: tt Si l'âme habitait au-dedans d'elle-même^
dit encore
"t,Fckha
le monde entier lui serait présent u (I D ., 203),
(3) ID., 231-232, souligné par nous.
4X6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à la fois dans son caractère phénoménologique et dans sa structure ce


qui constitue l'oeuvre interne de l'absolu en son accomplissement
originel . Celle-ci, en raison d'un tel caractère, se laisse comprendre
comme l' essence même du Logos. « Qu'est-ce que la Parole de. Dieu,
dit Eckhart, c'est opération de Dieu (i). » Pareille oeuvre conformé-
ment à sa structure , à la structure de cette o pération qui constitue
l'essence du Logos, détermine celui- c1 dans son identité avec elle.
Tel est le fondement ontologique structurel qui préside à l'etablis-
serrent des rapports existant entre Dieu et son Verbe entre le Père et
le Fils . Commentant la parole de saint J ean selon la uelle « le Verbe
q
était èn Dieu », Eckhart ajoute : « Il lui était absolument égal, il
était en lui sans médiation, ni plus bas, ni plus haut, mais égal (z). »
En quel sens rigoureux et radical ces propositions doivent s'entendre
Eckhart prend soin de nous l'indiquer quand, dans un autre passage ,
ontologquement plus explicite , il rejette comme appartenant encore,
dans sa référence à « l'archétype éternel », au lan de la transcendance, le
p
concept de l'égalité qui, comme tel, se révèle finalement imp rop re à
caracterser les rapports, du Fils et du Père : « dans l 'archety e...
p
^ .

le Fils est égal au Père. Mais dans l'Essence où ils sont un, ils ne
sont même plus « égaux », car l'e alité suppose de a la di erence »
C'est avec cette signification ontologi que ultime, comme radica
lement exclusive de tout rapport de transcendance, que doit s'entendre
l' unité, affirmée par Eckhart , du Père et du Fils, de l'essence et du
Verbe. C'estpourquoi
une telle unité n'a malgré l'apparence, rien,
à voir avec celle que p ar exemple, le j eune Heg el reconnait ra entre
Jésus et Dieu et dont il affirmera à l'encontre de la mentalité juive ,
l'existence . Entre Jésus et son Père c'est - à-dire aussi bien entre
l'homme et Dieu, il n'y a selon lui au-delà des déterminations figées
,

( Z) T, 203•
( 2) ID., 148.
(3) ID., 249, souligné par nous.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
417

de l'entendement qui sépare irréductible ment deux natures, que


l'homogénéité de la vie (i). Ce n'
est pas la structure interne de celle-c's
comprise comme révélation et précisément comme Logos qu'il prétend carac-
tériser. Ce dernier ne surgira au contraire dans l'effectivité de la
manifestation qui constitue son essence même queen
r h fond sului,
'
non de l'unité, p mais récisérnént
différence , etde
parela ' ' •
la médiation
de celle-ci . C'est pourquoi « il est le Verbe •
. , qui, `prononce , laisse
aliene et vide celui prononce,qui le mais
t entendu nones •
moins
immédiatement » (2), dans cette aliénation même. Que l tre-entendu

du Verbe, c'est-à-dire le Verbe lui-même '1^etre-entendu de l'essence, ne
soit bas l'être-aliéné de celle-ci mai s sa réalité l'essence elle-même dans .l
'acte
originaire par lequel elle accomplitprononce
la révélation, !e Verbe et
l'écoute , c'est ce qu'a.I^rme inconditionnelleme ' du lingage
nt la simplicité
essentiel « ce qui écoute et ce qui est entendu est>ustement
meure- chose dans la
Parole éternelle » (3), Parce
que ce qui est entendu dans la Parole de l'essence
est l 'essence qui prononce parolela i accon
, ^ pli
t l 'oeuvre de 1a mara:m
f stataon, c'est celle-ci, l'essence i accomplit cette '
ouvre, qui se man fefte
en elle « tout ce qu'enseigne le Père éternel dit Eckhar
t, c 'est son Essence,
sa Nature et sa totale Déité ». Ce qui se man: e.ste cependant,
l'être-
entendu comme tel, c'est le Verbe. n celui-ci donc se ma nifeste .
tout ce qur
se manife ste, l'essence qua accomplit l'oeuvre de la
. manifestation , le Pere.
Cela aussi est 'ontenu dans la sire^licïte de la parole essentiel
le et c'est
pourquoi Eckhart ajoute
J ele; « II nous re'v
toit° ensemble dans son ails
unique. »
La signification ontologique ultime d • du Logos, la
e la theaxie
détermination de l'essence de la arevelati
an effective ;
partir de 1 ouste
et comme constituée par elle, Eckhart les a exprimées rlgoLreusement
avec la distinction des trois Verbesl I ndeperldante de la manifesta

(1) U-dessus ,. cf. CD, 84-85, 8 7, .89.


(2) PhE, II, 274.
(3) T, 176, souligné par nous.
418 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tion qui s'accomplit hors de moi ou en moi mais toujours dans la


représentation, dans un monde, se tient en elle, dans l'unité, l'essence
originaire du Logos, le fondement de toute Raison. « ii est un Verbe
qui a été prononcé, dit Eckhart, par exemple : ange, homme ou une
créature quelconque. Mais il est un autre Verbe qui est pensé mais
demeure inexprimé; celui-là je le recueille en moi à ce niveau précis
où la représentation est encore possible. Mais il est encore un troisième
Verbe, qui reste impensé et inexprimé et ne sort jamais mais demeure
éternellement dans celui qui le dit; il est toujours saisi comme sur le
point de sortir et il demeure néanmoins dans le Père. La raison dirige,
opère toujours au-dedans. Plus une chose est fine et spirituelle, plus
fortement elle opère au-dedans. Ainsi plus forte et plus fine est la.
raison, plus intérieur aussi est pour elle l'objet connu et plus étroite
devient son union avec lui..., même la béatitude de Dieu repose
sur l'opération interne de la raison là où le. Verbe éternel demeure
en lui-même (i). »
. L'interprétation ontologique ultime, à laquelle Eckhart s'est
élevé, de la structure interne de l'immanence comme constitutive
de l'essence du Logos, demande encore pour s'accomplir 10 que
l'élaboration de cette structure soit poussée plus avant de manière
à rendre apparente la totalité de ses caractères ontologiques en même
temps que l'unité significative fondamentale qu'ils lui prescrivent;
20 que deviennent intelligibles les raisons pour lesquelles cette struc^
ture constitutive de l'essence du Logos n'a précisément jamais été
comprise comme telle, pour lesquelles, en d'autres termes, se dissimule,
et cela d'une manière essentielle, la révélation elle-même dans
l'effectivité de son accomplissement originaire; 3o que soit montré.
enfin et déterminé sans équivoque ce qui constitue, au sein même
de l'acte par lequel elle se « dissimule », le contenu phenomenologique
positif, l'effectivité de cette révélation.

I) T, 164, souligné par nous,


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 419

41. IMMANENCE ET SITUATION ABSOLUE

L'élaboration de l'immanence dans sa structure interne a rendu


manifeste en elle la fin d ' un pouvoir. A la lumière de l'idée de cette
fin, l'immanence se laisse comprendre comme essentiellement affectée
par quelque chose comme une impuissance, ar une impossibilité.
Celle-ci ne saurait demeurer toutefois dans l'indétermination qui
appartient a la generalite de son concept . Elle ne concerne pas
a
conformément au sens habituel de ce dernier, la simple privation du
pouvoir de faire quelque chose, c'est-à-dire d'une possibilité qui
s' enracine originellement , de par sa direction dans la sphère irréelle
,
de l'altérité. C'est à l'egard de soi que l'essence se révèle foncierement
impuissante, c'est la relation de d'être avec soi non avec autre chose,
que le concept de l'impossibilité vient déterminer. Quelle sorte
impossbilite affecte l'être lui-même dans sa relation originelle
a soi, c est-a- re dans son essence, devient tran sparent si,
d'autre
part, la possibilité désigne, conformément a la si gnification spéc i-
fique qui a ete reconnue â la liberté dans le cadre de ces recherches
le dépassement . L'impossib hte qui détermine la relation originelle
de l'être avec soi signifie, dès lors, non as sim lexrent et en eneral
l imposs bihte du depassement mais, pour l'être, l'imposs bilite de se
epasser soi-même.
Celle-ci se laisse entendre à son tour de deux manièresa et tout
d'abord comme impossibilitê de « sortir de soi ». Pareille « sortie > ne
désigne habituellement rien d 'autre ce pendant, q ue la transcendance
et, comme acte, de sortir « hors de soi », le surgissement de l'altérité
précisément, la relation à l'autre . Que l'i p ossibil te de se de tisser
p
soi-même, ainsi ramenée à la sim ple imp ossibilite d'un dé assement en
p
général, soit susceptible, comme telle, de caractériser la relation de
l'être avec soi, cela ne se peut que d ' une manière purement negative,
par la simple exclusion , hors de la structure de cette relation même.
de l'altérité. La relation de l'être avec soi, considérée en elle-même et
42 0 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

non d'une manière extérieure à partir de sa pure opposition à la


relation d' altérité, ne peut trouver la condition nécessaire à une
détermination de ce qui constitue proprement sa nature que pour
autant que l'être se donne à lui-même, en tant que soi, comme le
terme de cette relation. C'est donc par rapport au soi de l'être que
doit être entendue, non pas sans doute le dépassement , mais précisé-
ment l'impossibilité de celui-ci ou, si l'on préfère, son essence.
Ainsi se découvre la seconde manière d'entendre l'impossibilité
pour l'être de se dépasser soi-même, celle conformément à laquelle
ce dernier constitue lui-même, en tant que « soi », le terme d'une
relation qui peut se trouver déterminée alors , et cela d'une façon
essentielle, comme « relation de l'être avec soi ». Que dans cette
essentielle relation avec soi l'être ne puisse se dépasser , veut dire
en raison de ce qu'il est et qui le détermine dans sa structure interne
comme l'être précisément qui est ce qu'il est , il ne peut se séparer de
lui-même, se retirer de soi, revenir en deçà de ce qu'il est, ouvrir
enfin une dimension de repli à la faveur de laquelle il lui serait
loisible justement de s'échapper, de se détacher de soi, de s'arracher
à soi-même et â son essence . Ainsi se trouve déterminée , en ce qui
concerne sa relation à soi, l'impossibilité pour l 'être de se dépasser
comme impossibilité pour lui de se séparer de ce qui constitue son
être propre, de telle manière que cette impossibilité ne prend pas seule-
ment forme et sens dans sa référence explicite à la relation de l'être à soi
mais constitue encore elle-même le soi de l'être, la possibilité fondamentale
et ultime pour que se concrétise en lui quelque chose comme une ipséité.
Mais cette dernière remarque est prématurée. Il suffit que soit
montrée ici la nécessité pour l'interprétation de l'être à partir de
l'impossibilité du dépassement , de se maintenir dans la direction
originelle prescrite par la question de la relation à soi à l'intérieur.
de laquelle seulement le phénomène de cette impossibilité est suscep-
tible de recevoir son sens positif. Cep endant, on l'a vu, la relation
de l'être à soi n 'est pas telle, essentiellement déterminée par l'impos-
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 4 21

sib' 'té pour lui de se séparer de soi dans le dépassement, parce que
celui-ci, c'est-à-dire l'essence de la transcendance, en est princi-
piellement absent, c'est bien au contraire la positivité interne de
cette relation originelle qui fait apparaître en elle l'exclusion comme
ce qui en résulte. Ce que signifie ..l'impossibilité apparat donc finalement
comme ne pouvant se comprendre qu'à partir de cette positivité de la relation
originelle de l'être avec soi et de ce qui la fonde, â partir de la cohérence de
l'essence dans l'unité originaire qui lui appartient et la constitue. Impossi-
buté veut dire par conséquent, unité, nécessité de cette unité, lien ,
lien qui ne peut être délié et, en ce sens précisément, « im ossi-
bilite ». Parce que 1 impossiblite pour l'être de se dépasser résulte
de la force avec laquelle il cohère origmarement avec soi dans.
l'unité primordiale, c'est celle-ci, la structure interne de l'essence,
qui est ici pensée par la problématique, et qu'elle le soit à la lumiére
du concept de l'impossibihte atteste précisément le caractére à la fois
ultime et originel, insurmontable et indepassable de nette unité et la
détermine ainsi dans sa positivité ontologique specifique et dans ce
qu'elle est. C'est une même compréhension qui s'institue à travers
ces déterminations positives ou négatives; et l'impossibilité pour d'être
e se dépasser lui-même, de se retirer en deçà de son être et de lui
échapper, sigmfie identiquement son attachement irrémissiblea soi
le car. actere irréductible du lien qui l'enchaîne â lui-même dans la
relation originelle qui le constitue.
Où conduit cependant la détention de l'être à la lumière.
u concept de l'inpossib' 'té si elle n'est pas la simple répétition
par l'analyse e detique des caracteres ontologiques fondamentaux
qui constituent la structure interne de l'essence comme immanence
En quoi, plus exactement, une telle repet tion se montre-t-elle
féconde ; Comment manifeste-telle sa nécessité ? Qu'est-ce donc
que cela, être Alie et rivé à soi-même par l'attachement irrémissible
à soi de ce qui constitue soi-même, dans l'unité originaire, soin propre
contenu et s'identifie avec lui ? L'évidence du progrès réalisé dans la
4 22 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

répétition des déterminations ontologiques structurelles de l'essence


qui a été comprise comme celle de l ' immanence se tient alors devant
nous ce qui, conformément au lien originel qui l'attache à lui-même, ne
peut ni se couper de soi ni survoler son être, ce qui n'est pas susceptible de se
contempler de l'extérieur, ni de p rendre à aucun moment vis-à-vis de foi un
libre point de vue, c ' est ce qui est situé. La détermination ontologique structu
relie de l'immanence fournit son fondement transcendantal au concept de
situation qui, comme tel, comme essentiellement déterminé par ce qui dans
l'être constitue sa structure interne et son fondement, est, en ce sens ultime et
« fondamental », un concept ontologique.
Des déterminations telles que « impossibilité de survoler son
être propre et de le considérer de l'extérieur », « i mpossibilité »,
précisément, « de se trouver placé à l'extérieur de soi et , par suite,
de prendre sur soi un point de vue extérieur », « impossibilité »,
enfin, « de se couper de soi, de se retirer en deçà de son être et, en
quelque sorte, de s'en défaire », appartiennent sans doute à l'être-en-
situation et le définissent habituellement aux yeux de . la conscience
précritique comme devant la réflexion . Celle-ci a tenté d'exprimer
philosophiquement ces diverses impossibilités de diverses manières
qui ne sauraient trouver dans le cadre de cette analyse leur exposé
ni même un simple rappel. Qu'il suffise d'indiquer ici, à titre d'exem-
ples, la critique génerale dirigée plus speciaiement contre la philo-
sophie classique et concernant la prétention de parvenir à une vérité
absolue, c'est-à-dire à une venté qui ne serait solidaire d'aucun
point de vue particulier et ne trouverait point en celui-ci la condition
de son developpement nécessairement progressif dans l'obtention
de l'universalité, -- l'idée que cette derniere ne peut s'accomplir
et se comprendre que comme le surgissement d ' une signification
nouvelle à partir des. significations préexistantes qui déterminent
l'existence-en-situation -- l'affirmation du caractere insurmontable
et : insuppcessible de celle-ci et le rejet corrélatif d'un quelconque
« point . de vue de Sirius », c'est-à-dire de la possibilité précisément de
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 423

surmonter cette situation et le point de vue qui lui appartient et la


constitue, -- la mise en évidence, enfin, du caractère insubstituable
et « unique » de chaque situation et de chaque existence, et de ce qui
en résulte chaque fois pour cette dernière, la nécessité de n'atteindre
les autres que latéralement , â partir de soi et a l'intérieur de son
p oint de vue p rop re, l'imp ossibilté de dominer jamais l'ensemble des
situations possibles ni de le vivre p récisément comme un ensemble
de possibilités parmi les quelles il lui serait loisible de chosir comme
d'en haut et dans la transparence d'une sorte d 'intelligibilité totale
celle qu'elle préfère et qui lui convient.
En toutes ces thèses, à leur racine et comme ce qu'elles formu-
lent, se trouvent les déterminations qui ont été reconnues être celles
de l'être-en - situation et, plus avant , une même im p ossibilite qui leur
confère leur unité aperçue ou cachée . Aussi ^ long tem p s, toutefois,
que l 'origine ontologique de nette impossibiite n'a pas été elle-même
dévoilée, les déterminations q ui l'exp riment et leur unité p resomp t ve
demeurent incertaines â l'égard d 'elles-mêmes et de leur fondement.
Dans une telle incertitude qui sgnif ie la non-aperception du lien originel
qui les unit à l'être en tant qu'elles constituent elles-mêmes sa structure et li i
appartiennent, de telles determanations flottent en l'air, se donnent comme
extrinseques par rapport à lui. L'être-en-situation devient quelque chose
de contingent par rapport à l'être et, bien plus, cette contingence est
comprise comme celle de la situaion. Les déterminations qui expri-
ment celle-ci et la constituent viennent donc s' ajouter d'une manière
synthétique â ce qui originellement ne les contient pas. Cet apport
synthétique d'un ensemble de déterminations extrinsèques était
deja visible dans la philosophie classi q ue du corps . Que signi' e
l'intervention de celui- ci, en effet, dans la problématique de la vente
et de l'existence , sinon qu'un tel apport se donne comme respon-
sable de la limitation qui vient affecter l 'être d'une manière décisive
encore que totalement mystérieuse . L'idée même de limitation ne
peut se comprendre qu'à p artir de la presupp osition, explicite
424 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ou non, d'une intervention extérieure à l'originel et qui le contraint.


C'est pourquoi la persistance de cette idée et son maintien à l'inté-
rieur des philosophies qui prétendent déterminer le concept de
situation à partir de l'élément ontologique lui-même et de son
essence, rend suspecte leur tentative et, lus encore, le résultat dont
A p
elles croient s 'être assuré. Car, s' il s'accomplit effectivement à par tir
d' un tel élément et en lui, le surgissement originel de la situation
n'implique aucune idée de limite ou de contrainte imposée 'a l'être
mais signifie au contraire , en ce qui concerne celui-ci , sa ropre
^ p .
expansion et la libération de son essence.
La détermination de l'essence de la situation a partir de l 'être
ne peut en tout cas être affirmée simplement, elle doit se reconnaître
a ceci : la nature des déterminations qui caractérisent ensemble l'être-en-
situation est identiquement celle de l'être lui-même, de telle manière ue
q
sa aise en évidence rend compte de l'im ossibilite qu'elles ex riment toutes
egalement et qus constitue leur essence en même tem s qu'elle fonde leur
p
unité. A quelle condition cependant la nature de l'être rend-elle
compte de l'impossib ' ' te exprimée dans les determinations de l'être-
en-situation ? A la condition d'être déterminée elle-même c
par elfe impossi-
bilité, par l'impossibilité pour l'être de se dépasser soi-même. La préten-
lion d 'assigner une origine transcendantale au conce
pt de situation dans sa
détermination â partir de la structure interne de l'élément ontologique pur
présuppose la constitution de cette slructurc comme
immanencesaetmass '
a découvert par la problémati que. Le travail de celle-ci permet
seul en
fin de compte que soient reliés dans l'unité ori inaire et f
g ondamen-
tale de l'essence, au lieu d'être laissés à leur liberté les caractères sous
lesquels se trouve habituellement pensél'être-en-
situation, et la
poursuite de ce travail dans la direction prescrite par unettrésultat
'
se donne nécessairement , des lors, comme déterminant conjoin-
tement immanence et situation et comme l'approfondissement de
leurs concepts corrélatifs parce q u'elle en
ferme en elle, comme étant
précisément les siennes, les déterminations ontologiques structurelles q'
qui
L14 STRUCTURE INTER NE DE L IJAIMANENCE
42S

déterminent l'essence de la situation,


l'immanence ne fonde pas seulement
celle-ci, elle reçoit d'elle en retour ,
et de l'élucidation thématique de son
concept, une lumière accrue sur ce qui constitue en elle sa nature la •q
plut intima
et la plus essentielle.
A la lumière de ce qui
constitue dans l'immanence sa nature, la
plus intime et la plus essentielle, c est-a-dire finalement l'essence
non-liberté ose pourl'impossibilité
l'être de se dep ' asser soi-mêmed,e la
trouve sot:
origine ontologique ultime et par Suite, •
le concept. de situation son
fondement radical et dernier , telle- ' '
et ne reçoit pas seulement la déter-
mination positive d'être l' i
nsurmontable et l'irrémissible attachement
à soi de l'être et , comme telle ' .
de s'identifier a lui, elle manifest
encore en cela une détermination négative qui ,.
pour être telle n'en
est pas moins décisive en ce qui con cerne le problème de son éluci-
dation par la pensée philosophique et l'effort de celle-ci pour
résoudre . En ta ' 'il trouve son fondement le
nt qu dans l'essence
or 8inellement l' ^û réside
, :mposstbrlrte qui le determrne , le conce t .
se révélé pas feulement étron er à l'idée de la p de situation ne
. ^ liberté , :l manifeste à l'é ara
de celle-ci et de ce qu'elle rend chaque g
fois possible une ncompatibilieé d'ordr e
éidétique. (otformement a celle
- ci, ll apparait que c'est pre' '
cisernent
parce ^ que la lberte est exclue de la structure
qui détermine sa réalité
-que. l'être en - ont que tel est situé. I) .
....ans la liberté réside ce p endant
l'origine du monde et rgissementle
avec de su: •
celui - ci, la possibili
de prendre attitude . Les diverses '. ,
modalites selon lesquelles one telle.
possibilité se réal $ se indiq uent
chaque fors, a l ,rnterTeur du monde et
dans le milieu ouvert par lui9ce '
qu 'il en est de l'acte de se ra pp ort
et s'expriment dans un comportement effectif er a
tel que « accepter » ou
« refuser », « choisir » 4< pren dr
e sur soi », « souffrir », « assumer », etc.
A chacun de cep comportements une «.vue »,: non théo-
, correspond
rique, mais hee en lui à ce qui le rend
possible, et sur cette vue
se- fondu a son tour lapossibilité
prendre de un point de due, Celle-c
ne s ' accomplit pas non plus , ori i
ginellement d'une rnanlere théorique
mais précisément sous la forme de ces comportements ou se déter-
426 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

mine la tonalité affective de l'existence. Que de tels comportements ne


soient possibles que par la liberté et liés à elle, rend principiellement absurde
l' idée
ur intervention àde l'intérieurle
de la s hère
poriginelle d'existence ou
s'historialise et prend forme R'quelque chose comme la possibilité ontologique
concrète d'une situation et d'un être-en-situation celle-ci est précisément ce
qua ne peut erre; choisi ce qu'on ne peut « accepter » ou « refuser ».
Aux dissertations interminables et habituellement pathétiques
qui prescrivent justement cette nécessaire « acceptation» par l'homme
d'une situation qu'on donne en même temps, toutefois, comme le
produit de sa liberté l'analyse éide'tique oppose l'évidence de ses
résultats. Encore cette impossibilité de choisir, inscrite dans l'essence
de la situation comme ce qui la détermine, ne doit-elle nullement être
comprise comme s'il s'agissait d'une limite imposée a la liberté et
rencontrée p ar elle dans l'exercice de son pouvoir. C'est pourquoi la
discussion ne vise pas l'impossibilité, universellement admise et
acceptée comme allant de soi, de refuser une situation, mais bien
celle non moins g énéralement refus, de l 'accepter. Ces deux
impossibilités pourtant n'en font qu'une, l'impossibilité originelle où se trouve
l'essence de prendre attitude a l'égard de soi, l'impossibilité de la liberté
comme impossibilité constituée, non par celle-ci, mais par son essence,
comme impossibilité non constituée. Qu'elle ne soit pas constituée et ne
puisse l'être, désigne l'impossibilité qui détermine l'essence de la.
situation comme radicalement étrangère â ce qui relève de la liberté,
a la possibilité d'un comportement quelconque en général. C'est
pourquoi une telle impossib lite n'est pas elle-même un comporte-
ment
ment et ne prend pas non plus naissance en lui, elle est plutôt le non-
comportement et, manifestant en cela la force insurmontable
• de ce A

qui situe originellement, de ce qui situe ce comportement lut-même,


l'essence de la non-liberté.
Car la détermination ontologique originelle du concept de situation dans
. son opposition radicale à la liberté concerne justement et d'abord la liberté
. elle-meure. Celle-ci ne peut accomplir son oeuvre, être le libre dépasse-
LA STRUCTURE INTERNE DE
L'IMMANENCE 427

ment qui s'avance vers un monde que pour autant qu'elle :demeure
en elle et s'y maintient comme ce qu'elle est. Demeurant en elle et
s'y maintenant , c'est comme telle comme ce qu'elle est chaque fois
et a a être, qu'elle existe et peutpassement
être le libre de qu'elle est.
La transcendance a un soi, elle est la transcendance de son
foi. C'est a partir
de celui-ci
•seulement et comme celui -ci qu'elle '
exacte, de telle maniere que ce sot
n estjamais ce qu 'elle transcende , mais ce qui transcende
, ce qu'elle est et a a
être pour être ce qu^ ^ _
elle est. Comment la transcendance a-t-elle
ell , comme
cela mêmeque' ne transcende jamais ,
un « soi » ? Comment
se maintient - elle à l'intérieur de son propre depassement pour être
celui-ci et avoir à l'être ? Avec la libéra taon de ce qui,' dans l 'essence,
constitue sa structure interne , la nedonne pas seule -
problematique
ment une réponse à ces questions fondamentales elle dit, plus
avant.,
ce qu'il en est de ce soi de la transcendance queet signifie
ce ' pour elle
« être comme ce qu'elle est et a à être ». De
...telles déterminations
demeurent obscures et en fait non comprises aussi longtemps que
la pensée est tentée a'e les interp reter à partir du
dépassement, c est-
a-dire de la transcendance elle-même. Qu'expriment _elles d'
. autre.
alors, en effet, que la simple tautolog ie, mais
. une maniere d' bizarre
et il°iu ilement compliquée ? Ou bien la transcendance ne se donne-
t-elle pas en elles, en l 'absence de tout autre fondement, comme la
seule origine à partir de laquelle elle a recisem
, p tint, a être. ce qu 'elle
est et, comme telle, . à assumer,
alors dans ce qui constitue ' son delais-
sement le plus insurmontable , le mode d'existence '
qui est chaque.
fois le sien. ? Ou bien encore et au contraire, la deterrnanation
ontologique
fondamentale de la transcendance â artir de l'être-soi et comme titre-lai,sce-
a-soi vient-elle , non de celle-ci ,
mais precisement de ce qui invinci-
la laisse '
blement â elle -Même donc 1'inl^oc .ribilité pour
elle de ce depa.rser ? A partir
de cette impossibzlite seulement, et de l'essence
q ui la contient,
s'entendent et s'éclairent , dans ` leur Opposition radicale .
a celles, de la
tautologie , les déterminations ontologiques structurelles qui vouent
la transcendance à l'existence qui est
ne et lal'être
font sienne ,
-laisse-
42 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à-soi du dépassement pour être ce dépassement qu'il est . En même


temps est levée l ' équivoque qui concerne, dans la philosophie de la
transcendance, l'être de celle-ci en tant précisément qu'elle « a à
l'être » é quivo que qui subsiste au contraire aussi longtemps que
l'origine d'une telle détermination et de la prescription par elle
adressée à la liberté n'a pas été elle-même tirée au clair . Que celle-ci
ait à être ce qu'elle est ne vient pas d'elle mais de son anti essence fonda-
,
mentale. Dans l' essence de cette anti essence réside, en même temps que
l'impossibilité pour. la liberté de se dépasser, impossibilité qui la livre à
elle-même, ce qui en résulte, l'être- en-situation de la transcendance et de ce
qu'elle produit.
C'est là, en effet, ce que signifie pour la transcendance , avoir un
soi, être la transcendance de son soi. La transcendance n'est pas ce qu'elle
est, livrée à elle-même, fur le fond de sa propre essence, dans son abandon à
elle-même, c'est comme déterminée iodependamment d'elle, au contraire,.
et par ce qui constitue précisément son anti-essence , qu'elle est telle et revêt
encore dans cette détermination les caractères ontologiques ultimes qui la
de finissent comme ce qu'elle est, l'être- soi de ce qui ne peut se séparer de soi,
l'être-situé de ce qui, dans cette unité constitutive du soi, ne peut se dépasser
soi-même ni échopper à sa « condition ». Ne pouvant échapper à sa
condition ni congédier celle-ci, le dépassement est, pour cette raison
seulement, ce q u'il est : c'est sur l e fond en lui de son anti-essence qu'il
réalise son essence . Qu'il réalise son essence, cela ne veut pas dire
simplement : il s'accomplit selon une certaine structure qui est juste-
ment la sienne, la structure de la transcendance , cela veut dire il
s'accomplit de telle manière qu'à aucun moment il ne peut rep rendre ce qu'il
accomplit, son dépassement et ce qu'il produit , l'éloignement et
l'être-éloigne, --- à aucun moment il ne peut le reprendre ni échapper.
à sa loi, à cette loi qui est la sienne, qui est son essence, p arce qu'il se
situe à l'intérieur de celle-ci , à l'intérieur de ce dépassement qui toujours
éloigne ce qu'il ne peut j amais rejoindre. Qu'il soit ce dépassement
qui toujours éloigne ce qu 'il ne peut jamais rejoindre , cela ne se peut
LA S TA UC T URE INTERNE DE L'IMM
ANENCE 429

donc , en fin.de compte, qque parce qu'il est toujourss le dépassement


et ne peut damais lui échapper . Avec la mise en lumière de ce qui
constitue le fo ndement ultime de ce «jamais
» et de ce « toujours »,
la problématique se donne les éléments transcendantaux a partir
desquels devient intelligible chose comme le caractère indé-
quelque
passable du dépassement. Un tel caractère , non le de assement
p , constitue
l'être -situé en général, l'être- situé du ' assement
dep e me par conséquent.
lut-mê
C'est seulemeni parce que comme être-situé il est constitué par un tel caractère
que le dépassement se donne précisément et se laisse entendre comme ce qui
ne peut être dépassé, voilà pourquoi « le Dasein ne peut
vaincre son
éloignement du 2uhanden », non seulement parce p que comme le dit
Heidegger, « il est essentiellement eloi nement c'est-à-dire spa-
tial » (i), mais pour cette raison plus ultime et explicite e par la pro-
blematique, qu'il réalise en lui l'essence de son et Dignement ;. --- parce
que, sur le fond en elle de son anti-essence , la transcendance ne
p eut être
transcendée.
Qu'elle ne puisse être transcendée c'e st a dire . aussi bien, qu ' on
ne puisse lui echapp er ni son
se soustraire à
action,.. ' détermine la
transcendance comme ce dont l'oeuvre s'accomplit toujours, le
surgissement de l'extérior ité comme le destin irrevocable de l'être ..
D ans un tel surgissement prennent forme cep en d ant et s'hist
o ri absent
la possibilité et l'effectivité d'une vue et d'unpoint de
vue. C'est le
caractère irrévocable de celui-ci par conse uent
q qui se trouve
prescrit par ia transcendance en tant u'elle ne
q p eut êt re Irans-
cendee, en tant qu ' elle est située , La deterrnination o .
ntologique
originaire de l'être-en - situation n 'a-t-ellepasapparaître
fait cepen-
dant comme constitutive de son essence et de sa p ossibihte
,non pas
le surgissement d'une vue récisement m le develo
p ppement et la
persistance en elle d'un point de vue, mais, bien au contraire l'impos-
sibilité de celui-cl ? L'impossib ilité de prendre un point de vue,.

(I) SZ, Io8.


L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION
430

l'i mpossibilité originelle pour l'être de se rapporter à soi, à l 'intérieur


d'un comportement et par lui, prennent-elles place dans l 'essence et
peuvent-elles le faire si celle-ci se laisse déterminer d 'autre part, .
et
cela precisement en tant que située, comme l ' accomplissement inlas
sable et insurmontable de l'extériorité ? Ou bien le caractère inlas-
sable et insurmontable de cet accomplissement ne résulte -t-il pas de
l' impossibilité pour. celui-ci de prendre attitude à l'égard de soi?
Bien plus, ne lui est-il pas identique ? Ici s ' ordonnent et s'organisent
entre elles les déterminations ontologiques de structure à partir
desquelles la problémat i que se trouve contrainte de penser ce qui
constitue l'essence d'une situation et l'être-situé en général : insurmon-
' 'te ' du point de vue et impossibilité d'en prendre un sont solidaires
tabah
et déterminées entre elles comme la transcendance et l'immanence . Ou plus
exactement, si l'insurmontabilite est comme telle l'im possibilité de prendre
un p oint de vue elle n'advient à celui-ci comme son caractère le plus propre que
même capable de manifester en lui une telle
pour autant qu'il se môntre lui-
imp ossibilité, c'est-à-dire sa propre négation, p our autant que la transcen
dance se laisse déterminer dans son essence comme immanence.
Les déterminations ontologiques qui appartiennent à l'être-en-
situation p euvent p araître singulières ou contradictoires a la conscience
naïve, voire philosophique , elles alimentent pourtant les représen-
tations p ar lesquelles celle - ci tente spontanément de se rendre
accessible ce qui constitue sa propre situation. C 'est ainsi que
cette dernière se trouve souvent interprétée et comprise à partir de
l'idée d' un centre, lequel détermine une perspective et, empêchant
celle-ci de se confondre avec toutes les autres , fait justement qu'elle
. est située. Dans cette représentation d'un centre qui vient spécifier
chaque fois perspectives et points de vue, se fait jour. aussi l'idée de
l'impossibilité comme essentielle justement à cette spécification et la
constituant. Une telle im p ossibilité est celle, pour le point de vue, de
se changer. C'est sur le fond en lui de cette impossibilité que celui-ci
Cpour autant qu ' il désigne, non une simple façon de voir, mais
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMA NENCE
4 I

l'existence elle-même ) n'estp


asprécisément
susceptible de s'échanger
avec d'autres, se donne comme « unique » et « irréductible ». En quoi
consiste, toutefois, pareille impossibilité et comme nt advient-elle
comme son caractere le plus propre à ce que nous appelons chaque
ois une « perspective », un « point de vue » ? Ceux-ci ne sont tels,
incapables
ables de se changer et par suite , de s 'échanger, que pour autant
qu'ils se dévelo ent à partir d'un « point fixe », a partir d'un «centre ».
Mais comment comprendre â son tour la « fixité » de ce «point »
à partir duquel se développe la perspective, fixité qui le détermine
précisément comme le « centrep» fixe ? Un oint
quand est dit
il 'ne
peut se deplacer dans l'espace
.. occuper ni
à l'inte'rieur de celui-ci une
autre position que la sienne, quand il ne peut s'en aller a l'extérieur
de soi. Bien qu'elle ne puisse se comprendre que dans sa relation essentielle a
l'extériorité, l'idée de centre se fdepar
finit la
e negation
celle-cid et de ce qui
la produ:t Ainsi le point qui sert de centre par exemple à un cercle
se donne-t-il
•immedlatement
p site comme impliquantautour ar neces '
de lui l'existence d'un
Iui espace, essentiellement orienté par
rapport a
, mais, non moins immédiatement, comme ce qui me cet espace,
cet « autour » auquel, en tant que centre, il n'appartient jamais . Le
centre represente dans l'extériorité ce qui la nie. Mais l'extériorité de
l'espace présuppose l'extériorité pure et la re resente a son tour, sa negatlon
doit s'entendre comme elle en un sens transcendantal. Les structures ontolo-
giques ultimes qui donnent sa forme et son sens a la reptesentation
habituelle des caracteres de l'être-en-situation se découvrent alors
avec évidence à lap roblemati
que comme repr'
esentatzon • ` '
dans.l'exteriorite
de l'espace de ce qui la me elle est celle,, par la co
p nscaence naïve, de l,lmmarence,
La détermination ontologique originaire de l'essence de la
situation comme immanence renvoie inevitablement l'anal Tse â une
considération d'ordre historique. C'est philosophie
dans la ' contem-
poraine
. ^deq l'existence,
' p ere en effet,fois
que, poursans
la remi' doute 9
et cela en relation avec le souci de saisir celle-ci dans son çaraetere
concret, le concept de situation se trouve élucidé pour lui-même et
432 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

constitue à ce titre le thème explicite de la problématique . Qu'une


telle philosophie se développe exclusivement à l'intérieur du champ
ouvert p ar d'idée de la transcendance et demeure au contraire aveugle
sur ce qui constitue la possibilité dernière de celle -ci, c esta-dire aussi
bien l'essence qui la détermine comme originellement située, rend visible
déjà et en même temps inévitable l'échec auquel elle • se prépare. La
mise en évidence de ce dernier sa compréhension a partir du motif
,
profond. qui determine
le ' constituent du même coup , à l'égard
des thèses ici avancees par la problématique, une vérification et, si
celleci
y en est véritablement une, une répétition de leur contenu
ontologique essentiel,

42. LA DÉTERMINATION ONTOLOGIQUE DE L'ESSENCE DE LA SITUATION


COMME IMMANENCE ET L'AMBIGUÏTÉ FONCIÉRE DE LA « NICHTIGKEIT»

Dès qu'il fait le therne explicite d'une p roblématique, le concept


de situation se laisse entendre dans sa signification ontologique pure.
La compréhension de celle-ci implique le rejet du réalisme qui confie
à l'étant et considère comme lui appartenant le caractère en vertu duquel il
se montre toujours dans une certaine situation. Il est vrai que la phenomé-
polo gie de la p erception naïve manifeste sans tarder les hesitations de
celle-ci dans le mouvement p ar le quel elle se trouve inévitablement
renvoyée, dès qu'elle s'interro ge sur ce qui fait la situation d'un
objet, hors de celui -ci. Ainsi voyait-on déjà Aristote renoncer à
saisir l'essence du lieu à l'intérieur de la chose pour la penser au
contraire comme sa limite . Être situé im pli que en effet une relation
entre ce qui est situé et un milieu à l'intérieur duquel précisément
il se situe ' eu qui est compris généralement comme l'espace. Être
situé veut donc dire se trouver dans l'espace, occuper une certaine
position à l'intérieur de celui-ci. ' est pas indifférent,
- Mais l'espace n
ace objectif. La détermination objective de
n'est p as d'abord un espace
l'espace et des positions qu'il renferme implique une modification
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 433

de la préoccupation ambiante et la transformation de la vue qu'elle


comporte dans K celle du découvrir théor ique . La situation n'est
pas primitivement celle des réalités données mais des outils, comme
telle elle se réfère nécessairement au Souci Celui-ci conformément a
.
ce dont il se soucie , détermine chaque fois une situation, '
c'est lui qui
« décide de la proximité ... de l'ustensile .., dans le monde ambiant » (i).
Décidant de la proximité de ce dont il se soucie c'est de sa propre
situation qu'il décide du même coup . « Mon corps, dit M, lVlerleau
Ponty, est là où il y a quelque chose à faire (z) . » Ainsi l'existence s c
comprend- elle à partir de ce qu ' elle projette, de telle manière que se
comprenant de la sorte, elle détermine aussi en cela sa situation.
La détermination existentielle du concept de situation n'arien
cependant '
d'originel, précisément elle trahit son indi ence dès qu'on app roche ce qui fart
g
l'origine de toute situation . Pareille orig ine se découvre dans 1'an goisse
En celle - ci ce qui formait chaque fois l'objet de la reoccu ation
P p
sombre dans l'indifférence tandis que se révèle le néant du monde
« Le monde ainsi ouvert ne peut plus libérer l'étant que dans le
caractere de la non- situation . » Ne se p reoccu ant plus de d'étant qui.
p
pour elle ne veut plus rien dire, la préoccupation ne saurait désormais
se comprendre à partir de lui, elle « ne trouve rien à partir de quoi aile
pourrait se comprendre » (3 ^. L'effondrement du concept existe ntieI
de la situation nous met cependant en resence de son fondement
p
ontologique. Le monde qui se montre dat's l'an g oisse ne manifeste
pas seulement en elle le caractere absurde de la reoccu ation uoti
p p q
dienne, comme monde et comme être-dans-le-monde il la rend
chaque fois possible. Loin de se trouver résolu par la considerati^®n.
de ce qui détermine une situation au point de vue existentiel , . le
probl eme de celle-ci se concentre au contraire sur la condition de

(Y) sz, 107.


(2) PhP, 289.
(3) SZ, 343
434 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

possibilité d'une telle détermination , sur le monde et l'être-dans-le-


monde comme tels.
Q ue veut dire cependant , pour le problème de la situation, se
concentrer sur le monde et sur l'être-dans -le-monde ? La prise en
considération de ces derniers , telle que la nécessité s'en trouve
établie par la problématique, les désigne-t-elle comme l'origine
ultime du concept de situation comme le pouvoir même qui situe
,
originellement et à partir duquel toute situation doit se comprendre
comme n ' étant possible que par lui ? Disposant autour d'elle un
monde la transcendance ouvre la place et éloigne les régions à l'inté
rieur desquelles elle laisse chaque fois arriver ce à partir de quoi
elle se comprend et se situe elle-même . Le monde à partir duquel
et dans lequel est susceptible de s'instituer quelque chose comme
une situation ne flotte pas librement en l'air, toutefois , dans l'iode-
termination de ce qui est sans attache , et pas davantage le pouvoir qui
le fonde . Ce n'est la liberté gui situe originellement mais elle est située.
pas
Se concentrer sur l'être - dans-le-monde ne veut pas dire pour la
problématique de la situation, comprendre celle-ci à partir du monde
et de ce qui le fonde , mais, plus originellement , déterminer la situation
de l'être-dans-le- monde lui-même en tant que tel.
La tâche de déterminer la situation de l'être-dans - le-monde
est laissée dans la philosophie de la transcendance , à celle-ci, c'est-à-
dire à l'être-dans-le --monde lui-même. Comment la transcendance .
fonde-t-elle elle - même sa propre situation, comment entre -t-elle
d'elle-même dans cette situation déterminée qui est la sienne ? .A
cette question qui ne lui est pas imposée en vertu d 'une dialectique
extérieure, la philosophie de la transcendance s'efforce de répondre, la
tâche de fondera partir de la transcendance elle-même sa propre
situation constitue en fait une de ses visées ultimes encore que le
plus souvent cachée. Pareille visée devient apparente pourtant et se
laisse reconnaître dans la tentative faite par elle pour déterminer ce
qu'il en est véritablement de l'être de la transcendance en tant qu'elle
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
435

doit être comprise comme un fondement. En tant que telle


, préci..
sément, la transcendance apparaît comme située
.Comment le fart d 'être
un fondement signifie-t-il identiquement pour la transcendance
être située, de telle manière quecelle-ci
constitue comme telle,
en tant qu '
elle est en général un fondement celui de sa propre
Situation?
Fonder, être un fondement, ne veut pas dire simplement « faire
régner un monde ». Celui-ci réels ' ' '
p eurent, n étend son régne sur
l'ensemble de l'existant que oui autant que la transcendance ui
q
le projette se trouve au milieu de lui. Se trouvant au milieu _ du
monde, et cela en tant qu
' elle le proj ette, comme être-
dans le_ monde
par conséquent , la transcendance se sent au mi '
lieu de lui et de
,l'existant, elle est investie . par lui etcomme le dit encore Heidegger,
« accordee
. p au tonn de cet existant
tant qui la enetre »qu
E 'elle
est investie par l'existant, accordée à son ton la transcendance
trouve en lui un « fondement », « elle axistant
ris base dans l'e » (I) .
Fonder, être un fondement c'est donc pour la
, transcendance « se
fonder ». Que signifie cette nouvelle manière d e fonder qui
appartient
portant au fondement lui-même en tant que tel c'est a dire a la
transcendance ? Qu'advient -il à celle-
ci en tant que, dans le projet,
c est-a- dire aussi bien en vertu
de sa nature même elle ne c donne
pas seulement mais « prend elle-même un fondement» (z)
Pendre un fondement, prendre base dans l'existant,
se sentir
et se trouver au milieu de celui-ci, c'est être situe, Dans l'investi
sse-
ment e la transcendance par le monde réside ce qui fait '
chariue fois
sa situations Mais l'investissement par le monde '
. est identique au
projet de celui-ci et en résulte . « Le Dasem
ne pourrait être pénétré
par la tonalité de l'existant par conse quent être environne par lut,
ni
pris par lui, traversé par son rythme. . si cet investissement par

(I) W G, 99.
(2) ID., 98.
436
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'existant n'était accompagné de l'éclosion d'un monde. » Et encore


« si le Dasein est investi par l'existant , ce n'en est pas moins unique-
ment comme être-dans-le-monde » (i). Voilà pourquoi, parce que
l' investissement par le monde repose sur le projet de celui-ci, la
transcendance « ep rouve sa situation dans un projet » (z), pourquoi il
est dit encore que « bien que se sentant au milieu de l 'existant et
bien que p énétré de sa tonalité, c'est comme un libre pouvoir-être
,
que le
Dusein se trouve jeté parmi l'existant » ( 3). Parce que l'investisse-
ment re p ose sur le projet ou p lus exactement est inclus en lui comme
. le détermine , comme ce qui détermine l'acte de fonder dans
ce qui
son inté g rité, il est vrai de dire alors que « le Dasein fonde, «institue»
le monde uniquement en tant que lui-même « se fonde » au milieu de
l'existant » (4). Ainsi l'être-en- situation de la transcendance nes'ajoute-t-il
pas finalement à la réalité de son projet, il appartient au contraire, au
même titre que celui-ci, à l'acte de fonder considéré dans la cohérence de sa
structure d'ensemble , c'est-à-dire à la transcendance elle-même.
L'app artenance à la transcendance de ce qui constitue chaque fois
sa situation ne la détermine p as seulement , en tant qu' elle agit comme
un fondement, comme le fondement de sa propre situation, elle dit
encore, lus avant, ce qu'est celle -ci. Car la transcendance ne se trouve
monde et, comme jetée en lui, inexo
p as simp lement investie par le
rablement liée à l'étant qu 'elle subit. Elle ne le subit, précisément,
et ne se sent véritablement au milieu de lui, son investissement
n'est effectif que pour. autant q u'il s'accomplit comme une privation.
En raison de celle-ci et parce que ce qui se donne a sentir dans le projet
imp liq ue le retrait de certaines possib lites, la transcendance n'est
jetée au monde, elle comprend
p as seulement , dans son im puissance,
encore en lui la finitude de son destin . Parce que l'investissement

(i) W G, '00.
(2) ID., 104.
(3) ID., 110.
(4) ID., zoo.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 437

effectif par l'existant trouve en celle-ci l'origine de sa propre fini


^
tude, l'être-en-situation de la transcendance aussi se trouve déter-
miné par elle. Mais la finitude transcendantale de l'horizon signifie
identiquement la(i) mort Que sonprojet
lui rende blevisi
celle-ci,
détermine la transcendance du Dasein comme ce qui le situe non
,
point d'une manière générale et encore indéterminée mais dans et
par la relation â ce qui signifie chaque fois sa propre mort. C'est
donc comme être-pour-la-mort, pour sa mort, que se trouve deter-
miné l'In-der- iVelt--Sein en tant que tel, c'est-à-dire aussi bien la
transcendance elle-même. Une telle détermination qui lui appartient en
vertu de ce qu'elle est, apporte la transcendance dans sa situation et lui rend
visible la vérité parficuliere et concrete de celle-ci. Parce que cette verste
n'est pas occasionnelle et ne concerne as seulement un moment
(par exemple le dernier^ de son,histoire
parce mais sa structure
que
la transcendance la porte en elle comme sa loi propre et comme ce
qu'elle produit, ce qui fait non seulement sa situation, mais, chaque
ois, le caractère concret et particulier de celle-ci, ne lui appartient-il
pas en vertu de ce qu'elle est ?
La prétention de la transcendance de constituer elle-même la
possibilité interne et le fondement de sa situation et en me e temps
la specificlte de celle-ci, apparaît illusoire dès que, s'interrogeant b
d'une façon plus radicale sur ce qui fait véritablement l'essence e t le
fondement d'une situation, l'essence et la situation du fondement
lui-même, la philosophie de la transcendance voit se dresser de\ ant
elle les déterminations ontologiques structurelles qui sont etranga' res.
a ses présuppositions. En tant qu'elle projette le monde qui l'investit
et se trouve ainsi au milieu de lui, dans le monde, la transcendance
se donne chaque fois une situation. Cette dernière n'est rien d'autre
finalement que l'être-dans-le-monde lui-même comme tel elle est l le
Dasein en tant que l'être de celui-ci se trouve compris ontologique-

(i) Parce que l'horizon est celui du temps.


438 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment comme transcendance . Être situé, toutefois, ne veut pas dire


simplement, se trouver dans une certaine situation. Ou plutôt, c'est
le fondement de ce « se trouver » qui doit être exhibé et saisi. Pourquoi
la transcendance se trouve-t-elle dans la situation qui est la sienne,
c'est-à-dire dans le Dasein, puisque celui-ci constitue , comme tel,
la possibilité et l'essence d'une situation et d'un être situé en général?
Le fondement de ce « se trouver» qui amène la transcendance dans le
Dasein réside-t-il dans la transcendance elle-même, c 'est-à-dire dans
la liberté ? « Le « Dasein » a-t-il... décidé
r librement et p ourra-t-il décider
la-dessus, à savoir s'il veut ou non venir dans le « Dasein » (t) ? »
A cette question fondamentale ou se trouve explicitement posé
le problème de savoir si la transcendance constitue véritablement
elle-même le fondement de sa p rop re situation, si elle s'app orte elle-même
dans celle-ci, la philosophie de la transcendance a répondu . Jetée dans
le monde en vue duquel elle existe et qui lui appartient, la transcendance
ne subit pas seulement celui -ci mais, plus fondamentalement, l'acte originel
par lequel elle se temporalise en lui. « C'est comme un libre pouvoir-être,
disait Heidegger , que le Dasein se trouve ' l ete` p armi l'existant.
Qu'il soit en puissance un « soi-même » et qu'il le soit en fait propor
tionnellement chaque fois à sa liberté , que la transcendance se tem p o-
ralise comme acte proto-historial, tout cela n'est pas au pouvoir de cette
liberté elle-même . » Que l'acte par lequel la transcendance se lem aralise
p
dans un monde ne soit pas au pouvoir de la liberté, c'est-à-dire de la transcen-
dance elle-même, c'est là cependant ce qui situe originellement celle-ci. « Mais
poursuit le texte que nous commentons , une telle impuissance, le fait
qu'il se trouve jeté, abandonné, n'est p as simplement le résultat de
l'empiètement de l'existant sur le Dasein, cette impuissance détermine
l'être de l'homme comme tel (z). » Ainsi voit -on l'être-en-situation
de la transcendance son abandon dans la Geworfenheit, explicitement
,

(I) SZ ,
228.
(2) WG, tlo, souligné par nous.
LA STRUCTURE INTERNE DE L 'IMMANENCE
439

rapportés â l'impuissance qui caractérise originairement la trans-


..tendance en tant qu'elle n'a pasle
pouvoir de s apporter elle-même
dans sa situation .
Parce que cette impuissance de la transcendance
dort s '
entendre de la sorteavec cette signification originaire, parce
qu'elle « n' est pas simplement le :résultat de l'empiètement de l'exis-
tant », . c'est- à-dire dé l 'investissement par
-le monde. identique â son
projet,; la situati on qu' elle détermine '
et qui se trouve constituée par
elle ne résidepasplus
nondans un tel investissement c'est-â-di.
dans le Dasein comme tel d ansêtre-dans
l'être-dans-le-monde
- le-monde lui - même comme re
te1._ Ainsi se trouve tompletement modifie , a Intérieur
'i • de la hi-
losophie de la transcenda p
nce et par elle, le concept de situation que
le Dasein, c'est-â- dire- aussi.
bien la transcendance , se montre main-
tenant incapable de fonder . Une telle modificatio
n du concept. de
situation signifie , d'une manière Ius pré
p cise, son dédoublement.
Dans l'investissement la transcendance fonde chaque fois
une situation
non le fait pour elle de se trouver dans '
celle-ci. En cela réside toutefois
l'essence de la situation rion dans la
situation elle-meure, mars dans
le fait de se trouver
. e fart pour ainsi en elle. dans 1' . la transcendance de
venir dans le Dasean, de telle maniére cep
` entrant
q ette ue
venue c
ne p
dépend
pas d'elle mais lui est au contraire imp osée comme
ce quz' ne trouve pas en elle
son fondement. Ainsi surgit devant la roblemat'
p , igue de la transcen-
dance, â la iurnière de cQ ui constitue r'
q ^ entablement, dans. le dedou-
blement de son conte p t, l':asence de la , ,
situation
, iévidence ui la
condamne :être situé veut di ^
re, pour la transcendarce, ne as être le fon-
dement de sa ; situation.
Que la transcendance ne soit
' jamais elle_même le
fondement
de sa situation etq ue,maniéré
d'abord et dune générale
, le probleme
de
,cetteq situationnvoie,
et de ce ui la fonde re en vertu de -son caraco
tere essentiel, a celui du fondement tout cela est conte
, enu aussi dans
Sein und Zeit, et de façon d'autant plus mani'feste -
que la pretention
de résorber la Be ndluhkeit dans l'activia'
e fondatrice de la tri ascen-
dance n' y constitue ni le thème unique ni la
preoccupatlon explicite
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la problématique. Dès qu'il est question de déterminer l'être-


en-situation du Dasein, c'est à la transcendance sans doute, c'est-
à-dire au Dasein lui-même , qu'il est fait appel . Celui-ci apparaît,
sur le fond en lui de la transcendance, comme un pouvoir- être qui,
parce qu'il projette et choisit ses propres possibilités, se trouve comme
tel livré à lui-même en tant qu'il lui appartient, à lui seul, de décider
chaque fois de son être . N'ayant rien ni personne à qui recourir, mais
décidant chaque fois lui-même de ce qu 'il est et peut être , le Dasein
est, dans son existence, le fondement de son pouvoir -être. Parce qu'il
est ce fondement et parce qu'être celui- ci veut dire être livré à
lui-même pour décider chaque fois sans recours mais seulement
à partir de soi ce qu 'il est et a à être, parce que , dans son abandon
à lui-même , il n'existe et ne peut exister que comme ce fondement
près duquel il est congédié pour être comme s oi l'être du fondement,
le Dasein est situé. L'être -en-situation \du Dasein, son abandon dans la
Geworfenheit, c'est donc là ce qui lui appartient en tant qu'il est, dans
le projet, comme pouvoir-être par conséquent et comme transcen-
dance, le fondement de ce qu'il est chaque fois . Parce que l'être-en-
`situation lui appartient en tant qu 'il est lui-même le fondement de son
pouvoir-être, n' est-il pas aussi lui-même, comme tel, comme trans-
cendance, le fondement de sa situation (i ) ?

(r) Cet aspect de la pensée de Heidegger est assurément celai qui a été le plus
souvent et le mieux compris par l'existentialisme français notamment. Qûe
1' « homme » ait à décider lui-même, dans son libre projet et par lui, de ce qu'il est
chaque fois et peut étre, qu'il n'y ait pour lui, en ce sens, aucun recours et qu'il
doive assumer lui-même ce qui lui arrive, c'est-à-dire en fait la situation qu'il pro-
duit dans sa liberté et aussi bien les valeurs à la lumière desquelles il la pense et
Se comprend lui-même, qu'à la guerre, par exemple, il n'y ait pas de victimes inno
eentes, toutes ces thèses et les divers développements auxquels elles donnent lieu
en sont, sinon l'expression pure, du moins la traduction immédiate sur un plan
psychologique. Pourquoi l'abandon de l'homme à lui-même ainsi compris et inter-
prété comme déterminant sa situation ne contient pas l'essence de celle-ci et contr-
bue bien au contraire à masquer les structures ontologiques ultimes qui la consti-
tuent, c'est là ce que rend apparent la suite de la présente analyse.
LASTK UCT UAE INTERNE DE L'IMMANENCE

Q ue veut dire cependant pour ^ -


le Daseln être le fondement
son pouvoir -- être être
un fondement ? Donnons ici 1 de
Heidegger lui-même • a parole a
• « Être un fondement veut dire ne Jamais
...
être maître de son être le, »lus •
p propre Ainsi le Dases'n n'est-il le
fondement de son ou^,Toir-être
p et par conséquent de ce u'il
chaque fois que pour autant qu'il ne peut j
amais se rendre
de ce qui le constitue
r même ultimement . « Lelu'- mure
qui a comme tel ' degger, Soi dit Hei degger,
q a poser le fondement de lui-même ne peut jamais se
rendre maître de celui-ci . »
Ne Jamais se rendre maure de son être le
plus propre , cela ne signifie-t-il
pas, en effet, n ' en être '
être Jamais le fondement« Le Dasem, dit Heidegg- pas, n en
er, n'est pas en
tant que soi le fonde ^
ment de son être(i) le Dasern
» Niais comment
peut-il être le fondement dé ce u ' il est '
,^ q chaque fois et en même. tem s
n être pas en tant que soi le fondeme ^ p
nt de son être, être et ne as être
le fondement de celui-ci ? ..Cour p
ment de telles déterminations contra-
dictoires sont-elles suce tibles n' ,
p eanmolns de s'unir en lui et bien
plus, de composer ensemble ce u' '
q 1 constitue chaque fois sa situation.
Le concept de celle-ci eut -il se '
. , ,. p malnten^r et pour cela . réserver so
unlte s'il se refere aussi ma ' ^ n
ni estement a des determinatzons ontolo-
giques oppos ;es ? .A fnoins que
, coz fonmement aux re ssiltats e s sentiels
Problematiquc, il ne
se dedorible et ne laisse de la
dans
j ara:Ire , ce dedoublement
etpar lui, les structures ontologiques element
aa ' le fondent vérablement. -
rés qui
Mais si l'être- li ré-â-lui - même du
Dasean qui le determine comme
fondement de son po uvoir- titre
ou, encore commeun « etana
' dont
l'être a â as s umer l'êt re fondement »
(2), constitue comme tel,
dans l'abandon qu'il signifie chaque
fois son être-situé co
la determinatton inverse le fait murent
pour le Dasein
fondement de son être^ de n'être J amais le
, serapporte-t-ellra j
e, elle aussi, au
la situation , et cela comme ce qui conte t de
p
^ le fonde originellement ? Donnons

(I) SZ, 284-285.


(2) ID., 285.

M. J!ENRY

15
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ici encore la parole à Heidegger « En existant le Dasein est déjeté,


non apporté de lui-même dans son Da (i). » L'essence de la situation,
ontologiquement saisie et interprétée par Heidegger comme « Geworfenheit »,
réside dans le fait pour le « Dasein » de ne pas s'apporter lui-même dans son
« Da », c'est-à-dire de n'être jamais le fondement de ce qu'il est. Une telle
détermination, elle seule, confère au Dasein, en même temps que sa
situation originelle, les caractères qui déterminent existentiellement
celle-ci et la font apparaître précisément comme ce qu'elle est.
Q ue le Dasein qui « est en existant le fondement de son pouvoir
être.. r n'ait pas posé lui-même le fondement, cela repose dans sa lourdeur
qui lui fait apparaître la Stimmung comme un fardeau » (2).
Ainsi ontologiquement saisie et interprétée à la lumière du
phénomène originel qui la détermine comme ce qu'elle est, la Gewor-
fenheit ne diffère-t-elle pas, et cela en vertu d'une opposition struc-
turelle radicale, du simple abandon à lui-même qui affecte le Dasein
en tant précisément qu' « il est en existant le fondement de son
pouvoir-être », abandon primitivement compris comme la Gewor
. fenheit elle-même ? Qu'une telle compréhension ne soit pas totale-
ment impropre et ne doive être écartée que dans sa prétention à l'origi
narite bien plus, qu'elle soit possible, résulte de ce que l'être fondement
ne s'oppose pas simplement dans le « Dasein » â ce qui le détermine au
contraire, dans la « Geworfenheit » authentique, comme originellement situé,
mais trouve encore dans cette détermination originelle de sa situation authen-
tique, dans le n'être-pf as- ondement de soi de son être, son propre fondementb
Ainsi se découvre, entre les structures ontologiques essentielles où
le concept de situation puise son effectivité concrète, leur vrai
rapport comme rapport non pas seulement d'opposition mais de
fondation : c'est parce que le « Dasein » n'est pas le fondement de son être
qu'il lui est livré pour être, comme cet être dont il n'est pas le fondement, le

(i) SZ, 284. -- « Seiend ist das Dasein geworfenes, nicht von ihm selbst in
sein Da gebracht.
(2) Ibid., souligné par nous.
L.A S TRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 443

fondement de sonp ouvoi


être.
r-" C' est a la lumière de ce « parce que»
convient d'entendre , comme ce qui rend possible dan 'qu'il
vati s la preser-
on de l'unité le concept de situation la relation dans le
entre l ' être et le n ' être-pas - fondement de " Dasetn
son être, le « pourtant »
de leur opposition . « Le Soi
, dit Heidegger dans une proposition
déjà citée
le , qui mais ici rétablie
a comme dans son intégritetel a poser
fondement de lui-même ne peut j' amais se rendre ^naître de celui-ci
et a pourtant en existant à assumer l
'être-fondement . »
. Que l'abandon àlui-même du Dasea'n qui le détermine a assumer
en existant l'être -
fondement repose sur le n'être-pas-fondement de
soi de son être, désigne la structure de cette '
détermination comme
l'essence . originelle de la Getvor enheü.
f Ai nsi le comprend He idegger.
Au n'être-pas-
. fondement
du de soi qui détermine l'être '
Dasezn
appartient par essence un « ne ... as ,. », lequel constitue
p la « Gewor-
fenhezt » comme telle . « Ce « ne.,, as...
. p ,dit Heidegger , appartient
au sens existential de la Geworfenheit. »
En tantque,
comme fondement
on pouvoir- être, le Dasein
n'est pas le fondement de son être,
d apparaît ainsi essentiellementment affecte' par ce « ne .. pas... » ou,
comme le dit encore Heidegger, p ar une '
N chtigkezt. cc Étant .fonde-
ment, déclare l'auteur de Sem und Zeit
il est lui- même une .Nichtz keat
de lui-mêm e (i) >} La détermi ^
nation ontologique e.^ eciwe
.^cd. e la^
es^or G^ -
fe,zheit» exige cependant que soit
tirée au clair l'essence de cette « Nichttgke:t»
qui la Constitue. La question concernant l'e
ssence de la Nzchtzgkett
se laisse formuler, conformément a ce
qui vient d'erre dit, de la maniere
suivante : que signifie p our le Dasein
ne as être le fondement de son
être et d 'abord, d' une ramure enerale ne
g . p as êt re un fondement
ne telle détermination d'app arence né ati '
• négative doit seg comprendre,
manifestement , dans son. oppositi on â la det ermination positive
correspondante
A , Comment
quo donc, en le i Dasein ' et peut-ii
est-il
être un fondement ? Comme transcendance
et cela d 'autant plus

(I) SZ, 284.


444 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

clairement que celle-ci constitue son être et en même temps l'essence du fonde-
ment. Ainsi surgit dans l' évidence éidétique la possibilité ici recherchée
comme l'essence de la Nichtigkeit et, identiquement, de la Gewor^
fenheit la possibilité pour le Dasein de n'être pas le fondement de
lui-même : n'être pas ce fondement veut dire ne pas se trouver déterminé
dans son être comme transcendance.
Une telle détermination , la non-détermination de l'être du
Dasein p ar la transcendance , ne p eut ce p endant demeurer simplement
négative si elle contient la p ositivité ontologique concrète de l'être-en-situation
et, plus précisément, l'être-en- situation du « Dasein » lui-même. De celui-ci
ce pendant elle ne constitue p as seulement la situation mais identi-
quement son être même si le « Dasein » se révèle situé en tant que tel et si
p ar ailleurs il est autre chose que rien. Ainsi l'entend Heidegger
« Nichtigkeit ne veut dire en aucune façon ne pas être donné, ne pas
exister nicha bestehen), mais signifie un « ne... pas... » qui constitue cet
être du « Dasein », sa « Geworfenheit ». » Et encore : « La Nichtigkeit
existentiale n'a en aucune façon le caractère d'une privation, d'un
man que ( i ) . » En quo: consiste cependant la positivité Ontologique de la
« Nichtigkeit » ? A quoi renvoie la détermination qui la constitue au même
titre que la « Gewor enheit », le « n'être-pas-fondement » qui veut dire « ne
pas se trouver déterminé dans son être comme transcendance » ? A quoi
renvoie-t-elle, à quelle structure effective , de telle manière qu'elle ne
si g nifie p as une sim p le p rivation, un manque , mais laisse au contraire
paraître en elle une essence ? Qu réside celle -ci ? Ces questions
fondamentales trouvent leur réponse dans le travail eidétique d'eluci-
dation où s'élabore le sens de l 'être : la positivité ontologique concrète de la
détermination structurelle essentielle que laisse paraître en elle la « Nichtig-
keit » réside dans l'immanence. Pour cette raison la « Nichtigkeit »se révèle
identique à la « Gewor enheit » et la fonde, parce que l'immanence porte en
elle comme sa structure même l 'essence de la situation.

(I) SZ, 284- 285, souligné par nous.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
44,

Parce-
que la positivité ontologique de la Nichti^
keit dans
réside
l'immanence , ce qui fait cette et identique
positivité ment, l 'essence
de la situation, ne se laisse pas reconnaître à l'aide des présuppositions
qui
,i sont
. celles de la philosophie de Heidegger . C'est pourquoi, a
1 ntérieur de celle - ci, la signification de la Nichtigkeit
se trouve
nécessairement travestie . Ce travestissement s'accomplit de
deux
façons. En tant que le Dasein est dans son existence le fondement de
son pouvoir -être, il se comprend à partir des possibiht
es qu 'il
projette, de telle manière que ce projet s'accomplit aussi, ainsi qu'on
l _ a vu, comme un retrait , « Pouvant- être dit Heidegger, le Dasesn
se tient.., dans l'une ou l'autre ossibilite constamment il n'est pas
l'autre et s'est privé d'elle dans son projet existentiel (i). »Que
le Dasein ne soit pas dans la ossibilite dont il se t '
p couve ainsi. prive
en tant qu'il se tient dans son pprojet à l'intérieur d'une '
l possibilite
effective , c'est là ce qui détermine celui-ci comme essentiellement
nichtig. La « Nichtig keit »^ainsi com
f rise
erese re a la finitude qui affecte le
p rojet des possibilités dans son accomp lissement effecti
ectif, c est-a-
' - dire a la
llberte elle -même . « La liberté est - il dit n'est qu
e dans le choix
d'une possibilité, c'est-à-dire dans le fait d'assumer le
non-choix . ^ . de
l'autre (z )'. » La « Nichtig ke t f» qfzn:ide
ui se re ere à la ' de la laberte,
c'est-à-dire a la transcendance elle-même considérée dans son
acttvate fonda-
trice, n'a cependant rien à voir avec celle ui dés gne la si '
q mille suppres sion de
cette activité, l'impui s sance de la transcendance à se onder elle-même
f Ainsi
se laisse reconnaître l'ambiguïte fondamentale `
de la .Nichtlgkezt
heideggerienne selon qu'elle traduit le mode fini confor mernent
auquel, se projetant à partir de s oi vers ses p ossibilt':
es , le .Dasea,i se
trouve détermine comme l ' être-fondement ou au contraire, le « ne...
pas... » qui affecte essentiellement celai-ci en tant qu 'il n'est j'a mals
lui-même le fondement de son être.

(I) SZ, 285.


(2) Ibid.
446 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

C'est à la lumière de ces deux significations foncièrement diffé-


rentes et finalement confondues par Heidegger , et comme l'ex p ression
même de cette confusion, qu'il convient de lire le texte suivant : « le
projet n'est pas seulement , comme déjeté, déterminé par la Nichtigkeit
de l'être-fondement, mais comme projet même il est essentiellement
nich ftg » ( I). Sur la Nichtigkeit qui détermine ori ginellement l'être-
fondement en tant qu'il n'est jamais lui-même le fondement de son
être, non sur le simple caractère nichtig du projet, repose ce p endant
ce qui fait chaque fois la possibilité et l'essence d'une situation,
l'essence de la Geworfenheit elle-même. C'est pourquoi la Nichtigkeit
de celle-ci diffère totalement de celle qui appartient au projet en tant
que tel, c'est-à-dire à l 'acte fondateur de la transcendance. Ainsi
paraît à son tour l'équivo que contenue dans cette autre P rap osition
« dans la structure de la Geworfenheit aussi bien que dans celle du
projet se trouve essentiellement une Nichtigkeit » ( z) . Parce q ue
celle-ci comprise comme constituant à la fois la structure de la
Geworfenheit et celle du projet demeure en tant que telle dans une
indétermination ontologique totale et, de plus, foncièrement ambiguë,

(I) SZ, 2$S.


(z) Ibid . -- I,'ambiguité de la Nichtigheit n'est pas seulement celle de la
Geworf enheit, elle a f f ecce encore le concept heideggerien de la finitude, Celle-ci, en
effet, ne concerne pas simplement le projet effectif des possibilités, c'est-à-dire
aussi bien l'acte de la transcendance considéré comme un fondement. Que
l'accomplissement d'un tel acte ne soit pas au pouvoir de la transcendance elle-même, µ
c'est là ce quise donne dans Vom Wesen des Grundes comme la raison pour laquelle
u il faut éclaircir par la constitution même de son titre ce qu' est essentiellement la
finitude du Dasein » (op. cit ., p. I Io-I i i). Dans la mesure où une telle finitude se
trouve ainsi explicitement rapportée au n'être-pas - fondement de soi de l ' être-fonde-
ment du Dasein, son concept échappe nécessairement à la philosophie de la trans-
cendance et, loin de caractériser le mode concret selon lequel celle-ci s'accomplit,.
désigne au contraire la fin de son pouvoir le règne de l'anti -essence . Mais parce
,
que l'idée même de finitude garde chez Heidegger , et cela à bon droit, une relation
essentielle au mode de fonder qui appartient à la transcendance , la signification
ultime ici aperçue et qui marque en fait la fin de toute finitude se trouve immédia-
tement rapportée à celle-ci et, par suite, complètement oubliée.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 447

indéterminés aussi et totalement amb i gus sont les thèmes existentiels


qui prétendent se fonder sur elle et, plus spécialement , la détermi-
nation existentiale formelle de la culpabilité comme être-fondement
d'une Nichtigkeit. L'affirmation dé la culpabilité du ' (Y) renvoie.
Da.rean
ultimement toutefois à la structure ontologique de celui-ci et c'est
l' ambiguïté de cette structure , c'est- à-dire de la Nichti keit elle-
même, qui rend finalement inutilisable sur le p lan hiloso hi ue
p p q
l'affirmation donnée comme essentielle selon laquelle « le Souci
lui-même est dans son essence traversé dep artpen par
art la Nichtig-
keit » (2).
De la Nichtigkeit considérée en g
eneral
cepset dont leinclut
con
aussi en lui , dans son indétermination ontologiq ue foncière le
n'être-pas- fondement de soi ou 1 etre du Dasem uise la ossibil te
. p p
effective de sa situation , Heidegger a tenté une inter retation elle-
p
même generale , non rapportée a la finitude du projet . Pareille inter-
.
pretation ne constitue rien d'autre toutefois qu'une seconde maniere
de travestir la signification ontolo i que ori nielle de la Nichti '
gkeat.
g g
De celle-ci comprise comme dé terminant en general l'être du Dasein
et par suite, comme le fondement de sa culpabilité, Heidegg er constate
.
lui-même le caractère incertain : « le sens ontolo gique de la Nichtheat
de nette Nichtigkeit existentiale demeure obscur ». A quoi tient
cette obscurite ? « Cela vaut, dit-il, de l'essence ontologique du
« ne... pas... a
» en general » (^). C'est parce qu' une telle essence reste
ineclaircie , que l'ontologie et la dialectique qui font constamment
usage de la négation sans fonder celle-ci et sans en faire seulemert
un.. problème,
b demeurent
g en fait
r aveugles
Ares`à l'e ard de leu uppo -
sition fondamentale, de ce qui fait l'origine du nicha et de la
Nichtig.keit.
Comment lever cette obscurité, l'obscurité de la Nichti8keit elle-

(i) « I;e Dasein comme tel est coupable b, SZ, 285.


(2) ID., 285.
(3) Ibid.
44^ L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

même ? Par « un éclaircissement thématique du sens de l'être en


général »-(x). L'éclaircissement thémati que du sens de l'être, identique
précisément à celui du néant, se fait cependant dans l'heideggerianisme
par la découverte de la transcendance et de son essence. Ainsi la
« Nichtigkeit » dont la si ni cation philosophique ultime consiste dans la
mire en question du pouvoir ontologique de la transcendance à l'égard de son
lire propre, c'est- à-dire de la possibilité pour elle de constituer un fondement
véritable, se trouve- t-elle renvoyer finalement à celle -ci, c'est-à-dire à la
transcendance elle-même comme à ce fondement. Dans un tel renvoi et par
lui la philosophie de la transcendance en revient aux présuppositions
qui sont les siennes et s'y tient , de telle manière toutefois que le
phénomène essentiel auprès duquel elle se trouve apportée par son
progrès se trouve dès lors être perdu.

L' HÉTÉR OGÉNÉ


§
ITÉ
43 • SITUATION ET TEMPORALITÉ
ONTOLOGIQUE DE LEURS STRUCTURES ORIGINELLES
ET SON INTERPRÉTATION DANS LA PHILOSOPHIE DE LA TRANSCENDANCE :
L'IDÉE DE CONTINGENCE ET LA CHUTE DU « DASEIN »

Heidegger a tenté de déterminer plus avant, à l'intérieur des


présuppositions qui sont les siennes, l'essence de la situation.
L'accomplissement effectif et concret de la transcendance dans le
Dasein n' implique pas seulement, en effet, le projet des p ossibilités.
De celles-ci il a été dit que c'est â partir d'elles que le Dasein se
comprend. Que signifie, pour le Dasein, se comprendre à partir des
possibilités vers lesquelles il se projette ? Non pas simplement se
pro jeter, précisément , vers de telles possibilités , mais rcvenir sur soi
à partir d'elles, . de telle manière que c'est seulement dans ce revenir
et par lui que le Dasein se découvre à lui-même et se com p rend tel
qu'il est. Une telle découverte par le Dasein, revenant sur soi à

(r) SZ, a86.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 449

partir des possibilités qu'il projette, de ce qu ' il est dans ce projet est
celle de sa situation. La situation s p atiale du Dasein, p ar exemp le,
n'a rien à voir avec le simple fait pour une réalité donnée de se
trouver là où elle est dans l'es p ace, rien à voir non plus avec l'être-
en-situation d'un outil tel qu' il se détermine à partir d'une région,
elle presu pp ose au contraire la découverte de celle-ci celle d'un
espace que le Dasein dispose et met en place, à p artir du quel « il
détermine chaque fois son propre lieu , de telle sorte q u'il revient
de l'espace mis en place sur la place qu'il a occupée » (i). Parce q ue
c'est seulement à partir de l'espace mis en place dans la transcendance
de l'horizon ouvert qu'il revient sur sa place p our . la déterminer et la
comprendre, « le Dasein conformément à sa spatialité n'est jamais
d'abord ici mais là-bas; c'est à partir de ce la -bas qu' il revient sur son.
ici, et cela seulement de telle manière encore une fois qu'il explique son
être se souciant pour ... à partir du Zuhanden qui est -là-bas » (z) . Un tel
revenir sur soi, a partir de l'objet de son souci , du Dasein se souciant
determine en general sa situation et constitue par suite la structure
de celle-ci.
Pareille structure devient visible notamment dans le cas des
déterminations existentielles qui concentrent le Dasein sur sa propre
situation . Ainsi en est-il dans la peur, laquelle ne se ramène as à
p
l'intuition d'un obj et mena çant ni à la simp le attente de celui-ci.
comme d'un mal futur. La crainte eprouve'e devant ce dernier n'est
telle et ne peut être par suite ressentie comme peur eur que p our autant
que le Dasein ne se projette pas seulement dans l'attente au-devant
du terme menaçant quis approche, mais revient encore sur soi a
partir de celui-ci pour se comprendre, des lors, dans sa soumission
par rapport à lui, a la lumiere du danger qu'il encourt lui-même dans son
existence propre -C'est parce q ue « le s'attendre de la p eur laisse le

(3) SZ, 368.


(2) ID., I07-108.
450 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

terme redoutable revenir en arrière sur le pouvoir-être factice se


souciant », que la peur éprouvée par celui-ci le concerne, n'est pas
seulement une « peur devant» mais une « peur pour » (i) et, comme
peur pour soi du Dasein ainsi menacé, le découvre à lui-même dans
l'effectivité d'une situation concrète. Que celle-ci résulte toujours du
mouvement par lequel le Dasein revient en arrière sur soi â partir
de ce qu'il projette devant soi et se découvre à la faveur de ce revenir,
se voit aussi dans l'angoisse. C'est parce que, se tenant en face de la
mort et venant se briser sur elle, le Dasein se trouve rejeté dans
l'angoisse sur son existence factice, qu'il aperçoit en elle à la faveur
de la tonalité affective qu'elle
. réalise, le caractère inéluctable de sa
condition et se laisse saisir, à la lumière de celle-ci, dans sa vérité
comme être-pour-la-mort.
Qu'une situation, celle du Dasein lui-même non d'un objet
quelconque, trouve la structure qui la constitue et p renne forme dans
l'acte par lequel le Dasein revient sur soi à partir de ce qu'il projette,
pose la . question de savoir ce qu'il en est, plus précisément, de cet
acte et implique que soit élucidée la nature de ce â partir de quoi il
s'accomplit comme de ce sur quoi il « revient ». Ce a partir de quoi
s'accomplit l'acte du Dafein qui revient sur soi n'est jamais un étant
même si, dans la peur par exemple, il semble en être ainsi le terme
menaçant qui s'approche et devant lequel le Dasein é prouve la peur
n'est tel et ne peut précisément approcher que pour autant que s'est
ouvert pour lui l'horizon où il se manifeste comme ce qui arrive;
l'horizon du futur. C'est a partir de celui-ci, en réalité, que le Dasein
revient sur soi de telle manière que, dans ce retour en arrière tel
qu'il s'accomplit à partir du futur, il se découvre à lui-même comme
étant déjà, comme l'étant qui, en tant qu'il est est déjà été. Ce sur
quoi revient le . Dasein à partir de l'horizon qu'il projette du futur
est le Dasein lui-même en tant que passé, non au sens de ce qui n'est

I) SZ, 341.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 45'

plus, d'une réalité qui n'est plus donnée , mais au sens de ce qui,
étant encore, était déjà . L'acte de revenir à p artir du futur q u'il
projette sur l'être-été de cet acte, c'est-à-dire du Dasein lui-même, est la
temporalité. C'est comme temporalité, comme modes de celle-ci et
de sa temporalisation, que se trouvent saisies par Heidegger et
décrites par lui la peur et l'angoisse en tant qu'elles laissent paraître
en elles, comme cela même qu 'elles découvrent, l'abandon du
Dasein dans la Geworfenheit, sa situation. Le caractère concret de
celle-ci, le fait qu'elle signifie précisément l'abandon du Dasein, sa
déréliction, ne résulte pas simplement , toutefois, de l'accomplissement
de la temp oralité. Ce dernier, plutôt, doit être com pris non comme le
simple retour du futur sur le passé , mais à partir de la détermination
la plus originelle de ces ekstases , à partir de l'horizon fini de. la mort
et de ce qui, se rapportant à celle-ci , lui est d'ores et dej â, dès sa
naissance par conséquent , livré, L'être-ayant-été comme livré à la
mort dès sa naissance, l'être qui porte en lui co-originairement
naissance et mort, non comme ce qui n'est plus ou comme ce qui
n'est pas encore « réel », mais comme ce qui surgit inlassablement
de 'accomplissement de la temporalité et co mme cet accomplissement
même, est comme tel, comme essentiellement déterminé en lui
par la temporalité, comme transcendance et comme Dasein situe.
,
La situation du Daseii, toutefois, ne se confond pas avec la
temporalité, elle prend naissance en elle. Dans le projet du futur
il n'y a rien d'autre que la mort. C'est seulement dams l'ante de revenir
sur soi a partir de celle-ci que le Dasein se comprend dans son abandon,
comme lui étant livré. Parce que nette compréhension par soi du
Dasein dans sa déréliction s'accomplit dans un tel acte , comme un
retour en arriere, elle surgit dans l'ekstase du p asse, prend sa forme
et la présuppose . Voilà pourquoi le concept de situation apparaît
originellement lie au passe,> parce que la Geworfenheit de l'existence
se découvre a l'intérieur de celui-ci, dans l'ekstase de son horizon.
« Dans la Befindlichkeit le Dasein est surpris comme l'étant qu'étant
452 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

encore il était déjà, c'est-à-dire qu'il est constamment été. Le sens


existential premier de la facticité repose dans la Gewesenheit » ( i ) .
Celle-ci, à vrai dire, ne se recouvre en aucune façon avec le passé,
elle. se découvre en lui. « L'être- déjà, dit Heidegger, est ouvert dans
l'horizon du passé ( 2 ) . » Dans la structure constitutive de l'être-en-
situation et ici pensée à la lumière du lien qui unit déréliction et
passé, il y a donc lieu de distinguer , d'une part, l'horizon pur du
passe dont 1 ekstase se temporalise co-originairement avec celle du
futur et à partir d'elle, d' autre part, ce qui se manifeste à l'intérieur
de cet horizon, le Dasein lui-même comme étant déjà là, comme
être- ayant- été. Celui-ci se ramène si peu au contenu ontologique pur
.
de l' horizon ouvert par la temporalité dans l'ekstase du passé qu'il . se
manifeste en elle comme ce qui était déjà comme antérieur par
, .
conséquent a l'ouverture de cet horizon . Loin que le découvrir ekstati ue
q
comprenant qui revient en arrière puisse fonder l'utre-d jete du « Dasem »,
sa situation, il la découvre au contraire comme ce qui ne depend.^as de lui ni
de l'acte ontologique de sa liberté.
Ce que signifie l ' antériorité, découverte dans l 'ekstase du passé,
de l 'être-ayant- été par rapport à l'ouverture de cette ekstase se laisse
alors reconnaître antériorité veut dire Inde' p endance. Ce que signifie
à son tour celle-ci est clair p our nous. L'indep endance de ce ui se découvre
q
dans l'ekstase dupasse relativement à cette découverte telle qu'elle s'accomp lit
dans la temporalisation originelle de la temp oralité, c'est-à-dire aussi
bien dans la transcendance elle-même , est celle de l'immanence . Pour cette
raison le contenu d'une telle découverte se révèle originellement situé indé-
pendamment de cette découverte elle-même parce que sa structure est comme
,
immanence celle de la situation. Pour autant toutefois que l'être, auquel
la détermination ontologique de la situation appartient en raison de
sa structure même, originellement par conséquent, se découvre

(z) SZ, 328.


(2) ID., 365.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
453

dans l'ekstase du passé ,. il s'y. découvre précisément comme situé


en raison de ce qu'il est , comme « déjà » situé. La signification ontolo-
gique ultime de ce déjà permet seule que soit rendu intelligible le lie n
qui peut exister entre le concept originel de la situation et le assé.
p
Elle seule rend necessaare et fonde la distinction snstituee entre le passé
proprement dit (« Vergangenheit ») et l'être-ayant- été « Gewesenheit » en
même temps qu'elle désigne celui-ci comme ce qui se découvre au passé dans
son heterogeneite radicale par rapport a lui, c'est-à- dire au mode tem orel de sa
p
propre découverte . Dans l'incap acite du p asse p roprement dit a réduire '
à lui-même ce qui lui échoppe, l'être-a yant-été où se manife s te dans le
temps ce qui lui est etrang er, réside
Danssa « profondeur ». la
profondeur du passé se cache l'origine de l'etre. A la lumier e de celle-ci
seulement , de ce qui constitue la structure ontologique de l'être
comme être-.situé , doivent s ' entendre ces propositions où Heidegger
pense déterminer ; et cela comme essentiel , le lien qui unit la Be ind-
lichkeat au passé : « L'acte d'apporter devant le fait (das Dasl de la
dereliction propre - que ce soit authenti q uement en découvrant ou
inauthentiquement en cachant -- ne devient existentialement ossible
. ^ p
que si l 'ê tre du Dasein est,_ conformément à son sens , constamment
été. L'acte d'app orter devant l'étant de ete qu'on e st sol-
soi- même
même ne
l
crée pas seulement l'être-été (das Geveen^mais son
^ rend: ekstase
seule possible le se trouver sur le mode du se trouver en situation (i) »
Qu'un tel lien soit inessentel et q ue la si nfication ex
g illicite des
propositions qui l'énoncent doive en fait être renversée re suite de ce:
que l'ekstase du ansép crée seulement
et, l'horizonpar
de celui-ci
suite, le mode , pour autant qu'il s'accom plit temporellement de la
découverte de la Befindlichkeb, non la structure interne de celle-ci en .
tant qu'elle réside originairemen t dans l'immanence.
Que la structure interne de la situation resid '
e originairement
dans l'immanence , la philosophie de la transcendance le laisse paraltre

(I) SZ, 340.


454 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION.

en elle quand, ainsi qu'on l'a vu, elle se trouve contrainte de déter-
miner le fondement de l'être-situé à de l'idée d'un
partir fonde
ment..
qui, comme transcendance précisément , n'est pas le fondement de
lui-même, à partir de l'idée de la Nichtigkeit. Parce que l'abandon de
l' existence a elle-même, constitutif de sa situation , réside dans
l'essence de cette Nichtigkeit originelle l se montre comme tel
radcalement étranger àtout ce qui revêt la structure ou la f orme d'une
ekstase, au surgissement du passé dans la tempovalisation première
de la transcendance par conséquent C'est pourquoi l'affirmation
.
par laquelle Heidegger prétend caractériser ce qui constitue la
facticité du Dasein comme un état caché Verschlossenheit et selon
laquelle celui-ci « co-détermine le caractère ekstatique de l'abandon
de l' existence au fondement nichtlg d'elle-même » ( i ) doit être rejetée.
L'incompatibilité éidétique de l'ekstaie temp orelle et du propre ondement
f
« nichtig » de celle-ci, de ce qui se trouve déterminé comme « Nichti keit »
par cette zncompatibil:re même , rend également inintelligible , incapable
en tout cas d ' exhiber en elle l'essence originelle de la Gewor fenheit,
l' idée donnée pourtant par Heidegger . comme décisive pour la
comprehension de celle -cl, d ' un « rapport ekstatiquement temporel
du Dasein au fondement déjeté de lui -même » (z) . Loin de pouvoir
se fonder sur la temporalité , le concept ontolog i que originel de l'être-
en-situation se trouve au contraire brisé par elle.
Ainsi voit -on, avec l'intervention de la tem poralité dans la
..
définition de ce concept originel la roblemati ue contrainte
,
d' enfreindre les prescriptions qui définissent ensemble en même
temps que ses caractères ontologiques fondamentaux , l'essence de
la situation. Parmi celles - ci, lap
lus i
essentielle
constitue celle qui ' le
fondement de toutes les autres , a été reconnue comme l'im ossibilité
p
pour l'existence de prendre attitude à l'égard de soi, en ce qui concerne

(z) SZ, 348.


(z) ID., 345.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 455

du moins son être réel, originaire et propre. Dans l'acte de revenir en


arrière sur s'ouvre cependant la dimension à l'intérieur de laquelle se
meut, comme lui étant identique, une telle possibilité , celle pour le
Dasein de prendre attitude précisément et, dans la lumière de cette
ekstase, d' « assumer » ce qu'elle lui découvre , la Gewor enheit qui lui.
appartient et le constitue . Ainsi voit-on, et cela en dé p it des évidences
surgies dans l'analyse eidétique et de leur apodicticite , les libres deter-
minations de l'existence intervenir dans la définition de l'être-en-
situation et, bien plus , être com p rises comme lui a pp artenant.
L'appel du <( Gewissen » par exemple est-il autre chose qu'un appel à la
liberté si, dans l'événement P ar le quel il se trouve revenir p ar-delà la
faute sur l'être-coupable originel qu'il est lui-même, le Dasein ne
découvre pas seulement sa situation mais se trouve encore invité à la
reprendre à son compte pour « assumer » ainsi pleinement en elle
l'être déchu qu'il est . Parlant de cet appel tel qu'il se laisse com p rendre
dans sa connexion essentielle avec le surgissement primitif de le
temporalité, Heidegger le caractérise , p ar rapp ort au Dasein et pour
lui, comme un « appel en avant dans la possibilité d'assumer soi-même
en existant l'étant déchu qu'il est, en arrière, dans la Geworfenheit,
pour la comprendre comme le fondement nichtig qu'il a à rep rendre
dans l'existence » (i). Que la possibilité d'assumer ainsi librement,
dans des actes déterminés de l'existence, le fondement dejeté de
celle-ci se réalise précisément dans la liberté et p ar elle, dans la forme
de son accomplissement ontologique originel nomme tem p oralité,
Heidegge r l'indique clairement : « Seul un étant qui dans son être.
est essentiellement avenir, tel que, libre pour sa mort,, il puisse en
se brisant sur elle se laisser rejeter sur son Da factice, c'est - a-dire
seul un étant qui, en tant qu'avenir, est co-ori g inairement ayant-été,.
.
peut, en se transmettant à lui-même la possibilité dont il hérite,
assumer sa propre déréliction et, dans l'Au^enblick, être pour « son

(i) SZ, 287.


456 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

temps» (i), » Ainsi s ' introduit d ' une façon equivoque chez Heidegger
le concept de répétition comme re éfition de ce ui se présente d'abord
p q
sous la forme d'une réalité transcendante dans l'ekstase du passé. Ce ui
q
se présente d ' abord sous la forme d'une réalité transcendante dans
l'ekstase du passé e l 'être
n'est rien d ' autre toutefois qudéjeté
'' du Dasein
sa déréliction , qu'il lui faut alors, se transmettant à soi-même ce qu'il
est « d ' une façon immediate» dit Heidegger mais, en fait, « par ekstase
temporelle » ( 2), prendre sur soi , assumer, acce ter, alors ue rien
p q
ne repugne davantage à la structure interne ori ginelle de la Gew r-
fenhen', c est-a- dire de la situation elle-même, que la liberté incluse en
de tels actes comme ce qui les possibles rend La 'ulta osition ^ de ^ces
-
déterminations ontologiques hétérogènes b est visible dans la philo-
sophie du destin . Car le Dasein ne eut en celui - ci « choisir » la
possibilite dont il « hérite », et, par suite; se com p rendre en lui dans sa
« super-puissance impuissante », « dans la super-puissance- de son
projet.., sur la dette qui l'engage en
, » (3), que pour autant que .
propre
s'ajoute à celle - ci, à la déréliction dans la Gewor enheit, le ouvoir du
f p
Dasein précisément de revenir sur elle et de la reprendre dans la hberte
du projet , Ainsi le Dasein, dont il est dit pourtant qu' « il ne revient
jamais en deçà de sa déréliction » (4), se trouve - t-il revenir précisé-
ment sur elle, au-delà et en deça, dans 1 ekstase de l'horizon où il la
recueille, comme si l'h , er- ouvoir de cet acte par lequel. il 1' «assume»
aussi bien venait composer , avec l ' impuissance qui. determira.e

. (1) SZ, 385 (traduit par CORBIN in Qu'est-ce que la Métaphysique ?, op. cit.,
190).
(2) « En ré;^étant dans le destin les possibilités ayant été, le Dasein se reporte
à ce qui, avant lui, a déjà été une;presence, d'une façon immédiate, ,'est-a-dire par
ekstasis temporelle. Mais avec cette autotransmission de l'hérita e la « naissance A
se trouve alors, dans le revenir à partir de lapossibilite
depassablein ' g de la mort,
rejointe dans l'existence... pour que celle-ci accepte, libre d'illusion la déréliction
du Da propre » (ID., 391, souligné par nous cf. CORBIN,
op, cit., 1.99)•
(3) ID., 385 ; cf. CORBIN, op. cit., 189•
(4) ID., 284, 383.
LA sTRvc?:vAE I^TE^ NE DE L'IMMANENCE
4S1

ontologiquement l'essence de la situation ,


la structure de celle-ci
en même temps que son ouverture originelle dans la conscience
du destin.
Avec l'incompatib ili té éide 'tique
' des déterminations qui
sent ce problémati destin, la compo-
que est renvoyée au dédoublement,
par elle mis en lumière du concept de situation . Ce n'est
originelle de celle-ci mais as lapréalit'
e
sa compréhensjon qui se trouve définie dans ce
constitue Précisément la structure ontologique ultimef qui
de tout acte possible de
compréhension , dans l'éclatement ekstataqu •
e de la temporalité ou s'accomplit
concrètement la transcendance. Parce que, dans l
' acte de revenir en arrière
à partir de l'horizon fini du futur sur l'être- déjeté du
pas l'essence . de ce dernier Dasem ce n'est
'
. ,comme originellement livré àlui-même
qui se trouve définie , mals la - rom réhension '
. ^ ontologique. de celle-ci,
parce qu'• une telle comprehenslon se fonde su
• r la liberté , elle. est
susceptible ,
pour cette raison de s'accomplir de diverses manières
correspondant chacune à une détermination particulierP de l'ex
tence. Conformément à cette modalisati is-
on possible inscrite dans
sa structure même, la rom re'hension
p erre de l' ^ -déjeté
du Dasein
se réalise chaque fois .:dans un acte . d' -
etermine de l 'existence , de telle
manière que. dans cet acte de se comprendre existentiellement soi-
même,
celle-ci peut se rendre manifeste mais aussi se cacher .
sa ce qui ce
proprement situation . Voila` la
Pourquoi decoatverte de
cette .cituat on dans sa vérité s'accom
• p f t â l'intérieur d'une déter- lit nalemen
minat ion existentielle particulière en même rems u
la décision
' ' . p e qprzvilegzee. C'est dans
résolue (non dans le simple •
accomplissement inlassable
de la temporalités par laquelle il s''
elance au-devant de la mort u
Da.rein se saisit comme.. ' •, , , q e le
d ores et deja livre a celle-ci dans l'abandon
insurmontable de l'être-aY ant-ét ' , a l'
e. C'est
et de la stimmung qui la réintérieur are
de cette décs
• on
p p et la rend possible, ue s9est i
en fait la problémati
pour q ue - , . , . q p erse
decrire la vente, qui ne se révélé gu en
elles,. de la situa tiona
. Ainsi l'horizon
,, ...quel se à partir du
produit le
revenir en artiste comprenant était-il comme
dans l'élan antici p ateur
438 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la décision, d'ores et déjà saisi comme celui de la mort , de telle


manière que c'est seulement à partir de celle-ci que l'être-ayant-été
peut se découvrir dans la finitude essentielle de sa déréliction.
« L'élan anticipateur de la possibilité dernière et la plus propre, dit
Heidegger , est le revenir comprenant sur l'être -été (< Gewesen »)
le plus propre ( I). » Que celui ;ci, l'être déjeté du Dasein constitutif de
-
sa situation, ne se découvre que dans la décision résolue et par
elle, Heidegger l'affirme explicitement : « la situation a son fondement
dans l'Entschlossenheit », elle est, dit-il, « le Da ouvert dans l'Ent-
schlossenheit ». Et, d'une manière plus catégorique encore « Il n'y a
de situation que dans et par l'Entrchlossenheit (z). » En celle-ci donc se
découvre, en même temps que ce qui fait la situation effective et
concrète du Dasein et comme cette situation même, la vérité de
l'existence . « Avec le phénomène de l'Entrchlossenheit nous sommes
conduits devant la vérité ... de l'existence (3). » A toute vérité appar-
tient, comme s'appropriant ce qui se découvre en elle, un être- certain
(Gewisssein) qui lui est co-originaire . Parce que la situation ne se
laisse pas évaluer comme une réalité donnée , la certitude qui appar-
tient à la vérité de sa découverte n'a rien à voir avec celle qui porte
sur un état de choses elle implique précisément un acte de l'existence.
,
et ne se maintient qu'en lui et par lui , pour autant précisément que se
maintient un tel acte, pour autant que la décision résolue s'accomplit .
comme « décision authentique pour la répétition d'elle-même » (4).
Ainsi voit - on un mode spécifique de l'existence constituer, en même
temps que l'authenticité de celle -ci, l'essence de sa situation , de telle
maniere que cette dernière ne se possibilite qu'a l'intérieur d'un tel
mode en dehors duquel au contraire il n'y a point place pour elle, de
telle manière qu' « au Man », par exemple, « la situation est essen

(t) SZ, 326, souligné par nous.


(2) ID., 299-300.
(3) ID., 307.
(4) ID., 308.
LA S TR UC TURE INTERNE DE L
'IMMANENCE 459
..:..bellement fermée » ( i ) . Ainsi l'ess
.. ence de la situation dont la .structure
ontologique est defanae par son index ` endance radicale a l' égard de tout ce que
l'existence peut faire ou être. (quoiqu'elle
fasse, précisément, elle est située)
se trouve - t-elle dependre au contraire de l'authenticité
de celle-ci.
Avec l'
intervention des théines existentiels dans la détermination
du concept de situation la kilo '
p sophle de la transcendance ne
s'abandonne . pas pour autant au subjectivisme '
ivisme, , elle garde ^au phéno-
mene dont : elle veut saisir la structure une a '
ssise ontologique . Authen-
ticité et inauthenticité ne se 'Juxtaposent pas. simplement
comme des déterminations , en effet,
qé uivalentes
de l 'existence ' , leur rap port
est de fondation C'es t la redite objective de la situation
découvre . dans l'Entschlossenheit, qui se
c'est elle aussi que fuit l'ex i stence
inauthentique , de telle sorte qu ' elle deter
. urane encore celle-cl, et la
dissimulation qu'elle renferme comme cela meure qui les rend
possibles . Tous les modes
de l'existence attestent également sa déré-
liction . Celle-ci réside dans la structure même de l
'existence comme
structure ontologique universelle . Une tel
le structure est celle de la
temporalité .qui,,. de l'horizon fini u'elle
q projette, retient sur elle-mem
se découvrir , liée â lui, dans
, ans la finitude essentielle dee sa
pour
situation de telle
maniQre qu'elle
onstitue celle- ci a la fors comme ce c • ^ tel^
qui la découvre et comme
ce qua est découvert :en elle, ue l'existence
Q puisse, a ses cela regarder ,
en face ou se dissimuler ce qu '
elle est, comme existence, n'empêche
pas mais prestppose l'enracinement ontologiq
ue de situation
sa ' dans sa
structure même. AinsiJ, le passage
du plan Ontologique au plan existen-
tiel ne , pouvant lui âtre impute comme u
ne objection, la philosophie
de la transcendance est- elle en mesure
• finition de prétendre a une dé
ontologique de l'étre-en-situation comme t ^
emporallte ' .manque-
. Aussi
t-elle ce dernier, et cela d'autant
,lus gravement que son échec se roduit
sur le p lan
ontolomême
g que `ui- A , si p
la structure originelle
.. ae la situation se
def rnat par son independance radicale à l'e
gard de la temporalate.

(I) SZ, 300.


460 L 'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

. Cette indépendance, pourtant , la philosophie de la transcendance


l'a reconnue mais, faute de pouvoir la comprendre à partir de la détermi-
nation ontologique originelle de l'être-en -situation, elle l'interprète comme celle
de l'étant. C'est comme un étant en effet que surgit le Dasein en tant
qu'il revient sur lui - même dans l'ekstase du passé, en tant qu'il
est le dé p assé. « Ce qui est dé p assé, dit Heidegger, c'est précisément et
uniquement l'étant lui-même, et en fait tout étant qui peut se
trouver dévoilé au Dasein ou le devenir ; par conséquent aussi et préci-
sément cet étant qu'il est lui-même par son existence (i) . » Ainsi s'accomplit,
dans le rapport ekstatique du « Dasein » à lui-même, une chute essentielle,
telle que ce que désigne primitivement un tel rapport se trouve compris en lui
comme le « ce sur quoi » de ce rapport et comme un étant. Dans l'accomplis-
sement de ce rapport ekstatique , c'est-à-dire de la temporalité origi-
nelle , p rend naissance, toutefois, et se constitue, selon Heidegger, la
I possibilité effective de la situation celle-ci se trouve libérée en même
temps que l'étant et comme situation de cet étant même. C'est comme
étant que le Dasein est situé, c'est comme tel qu'il se donne dans
l'acte p ar lequel il revient en arrière sur soi, comme antérieur à cet
acte et, par suite, comme radicalement indépendant à l'égard de sa
propre manifestation dans l'ekstase du passé . En tant que, comme
être situé, il app araît et se donne toujours en réalité comme « dejà »
situé, le Dasein, parce que cette détermination lui échoit du fait qu'il
est un étant, renvoie inévitablement la problématique à la considé-
ration de celui-ci et de son rapport avec l'être . Car c'est l'étant
lui-même qui se montre comme tel étranger à la lumière de l'être, de
telle manière qu'il n'entre en elle et ne se manifeste que comme
autre qu'elle , comme antérieur à son action, dans son opposition
irréductible à ce qui compose, comme transcendance et comme
monde, le règne de la manifestation. Ainsi s'opère , d'une façon
avouée ou non, la compréhension de l'être-en-situation à partir

(I) WG, 64, souligné par nous.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMA NENCE
46 1

de son indépendance et de ce qui la fonde . L'hét'roge'ne 'a' '


ete ontaco-
ontologique
• de l'étant à l'égard de la temporalité recouvre l'hétérogénéité
ontologique de celle-ci et de ce qui , en tant qu'elle n'est pas elle -
meure son
propre fondement, la fonde et la situe, et lui est substituée.
Cette substitution , la confusion qu'elle i nstaure entre l'imp
uissance
ontologique de la transcendance à l'e gard d 'elle-même et son impuissance
métaphysique à l'égard de l'était (le fait qu'elle n'estp as trace
« créa »), la
nécessite
. ou ,,se trouve la problématique pour accomplir une telle
substitution precisement et traiter l'impuissance de la transcendance
a l,egard d'elle - même comme impuissance a l'e ard de
g l étant
d'inclure celui-ci dans le Dasein, c'est-à-dire aussi bien de laisser
déchoir la transcendance au rang d'un eta nt, tout cela s 'accomplit et
devient visible quand, parlant de l'homme considéré dans son
existence, Heidegger dit de lui u' « ordonné â l'etant
q qu 'il n'est
pas, il n' est pas non plus fondamentalement maître de l'e `
;..tant qu'il
est lui-même » ( i). Qu'une telle confusion ne soit ni accidentelle
ni privée de consequence , qu'elle tienne â la carence ontologique des
horizons ultimes de la philosophie de la transcendance e t se retrouve
par suite en toute pensée qui se meut â l'intérieur de ceux-ci , on le.
voit par exemple dams l'affirmation formulée par Sartre selon laquelle
« le pour- sol se saisit dans l'angoisse , ' est-â-dire comme un être qui
n'est fondement ni de son tre, ni de l ':titre de l'autre ni des en-soi
qui
forment le monde .o. » (z). Ce qui ne trouvedement as son fon dans
la transcendance ce qui echa e à son pouvoir et ne tient pas d
, 'elle.
sa « raison », est contingent et, parce que l'acte de la transcendance
demeure ontologiquement fondateur, se manifeste omme tel Ainsic '
l'étant se manifeste-t- 1, dans son inde
,^endance
egard radicale àde l'' d sa prop, e
manifestation, avec la caracteristique essentielle de la contin ente. Celle-ci .
g
affecte le Dasein lui-merne en tant que, dans l'acte par lequel i1
revient

(I) K, 284.
(2) EN, 642, souligné par nous.
462 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sur soi et se manifeste, il se manifeste comme un étant. Dans l'indé-


pendance radicale de l'étant-Dasein à l'égard de l'acte par lequel
il revient sur soi, à l'égard de la temporalité, réside cependant le
fondement de sa situation. La contingence transit l'essence de celle=ci
comme sa détermination la plus propre. Ainsi interviennent les thèmes
existentiels qui se trouvent inévitablement développés par la problé-
matique dès qu'elle s'interroge sur ce qui constitue précisément
l'être-situé du Dasein lui-même, la situation de l'homme. Que celui-ci,.
que le « Dasein » ne trouve pas comme étant son fondement dans la transcen-
dance. comprise cependant comme le seul fondement, détermine le caractère
insurmontable de son abandon et, parce que l'idée de cette absence
de fondement, l'idée de la contingence, emporte inévitablement
en elle une appréciation d'ordre axiologique, un tel abandon, le fait
même pour l'homme d'être situé, signifie dès lors, dans une perspec-
tive éthique et métaphysique à la fois, sa propre culpabilité.
Ainsi se détermine plus avant le concept de situations partir
de celui de la contingence, c'est-à-dire, plus précisément, de l'hétéro-
généité de l'étant à l'égard de la transcendance comprise comme un
fondement. C'est parce que l'activité fondatrice de celle-ci ne peut
résorber en elle l'étant qu'elle libère, que, dans l'acte par lequel il
revient sur soi, le Dasein se manifeste comme quelque chose d'absurde
avec la contingence qui co-détermine comme leur essence même les
déterminations structurelles constitutives de sa situation, facticité,
Gewesenheit, Geworfenheit. Voilà pourquoi le Dasein « se trouve
toujours seulement comme tait déjeté» (I), pourquoi il est vrai de dire,
en ce sens, que « l'acte d'apporter devant l'étant déjeté qu'on est
soi-même... crée l'être-été (Gewesen) ». C'est parce que le rapport du.
« Dasein » au fondement déjeté de lui rtlême est compris comme ekstatique-
ment temporel que ce fondement' apparais précisément comme déjeté. C'est.
parce qu'il revient en deçà de sa déréliction que celle-ci, en réalité,

(I) SZ, 325.


LASTKUCTUxE I
NTERNE DE L I1^iM.A NENCE 46
3
est ce qu'elle est, que l'essence
de la s i tuation se laisse saisir comme la
contingence , Sour !e contetde
p celle-ci s e cache cependant la dé '
ontologique origi ^^ termsnataon
nelle de ltitre-en-situation le
transcendance l'égard non de ù ^ n titre -pa,r-ondement de la
l'état mais d'elle-meure.
dance Que la transcen-
ne soit pas elle-même le fondement de son être et ne puisse
par conséquent lui conférer une rai son, quelque chose comme une
légitimation - détermine celui -
ci en effet comme « c ontingent »,
Une telle contingente signifie le - de l'an/-essence. C'
regne est
cette signification a 1a lumiere 'de
originelle que doivent s'enten
affirmations dre les multiples
auxquelles se trouve contr alite la philosophie
de l'exis-
.tente et selon lesquelles celle-ci n'est
C'est elle qui , lorsque la lib pas son propre fondement.
erte est comprise comme ce fond
(Grund), amène la xoblém eurent
• p atlque â le décrire au contrar '
partir de ce qu'ilpy a en ,lui de lu e, a
s essentiel
tient- et comme l'abîme comme le ion -fonde-
(Abgrnnd) ( i ) . Mais parce que c
l'essence dernier,de l'essence ce de e qui . constitue.
du fondement n'est pas saisi dans
la positivité de sa structu ,
' et se re ontologique
`troue propre, telle-
interprétée finalement , sous
• ..leouvert
Couvert . du concept de contin
et à "la faveur g ente
l' ^ , de . g sin arnbl
, a uitépartir de 1a simple o osition de
..erre et de 1 étant, a partir de la contingence ^depp
que le pour - soi n'est as ^ « Le celui-ci.
fart
pas s propre fondement » se ramène
« la nécessité » p our lui « ainsi a
d'e^ ster
d'exi
comme un être contin gent
parmi les êtres . contins engage.
gents » et le détermine comme lie a u
leq uel, bien ; ' decrit
qu il soit -< n corps.,
tel, u'il
^ rest
lesuplan du pour -soi >
se Bonn e comme la presence mysterieuse
de l'e
n- soi au sein '
de celui-ci,
çOmrne « l'en-so i de'passé
par le our- ^ .
p soi néantisant et ressaisissant le
pour- sol dans
ce dépassement même» (z)
Que se pane- t-il ce p endant
quand la structure ori gi
nelle de

(a) a Mals parce qu'elle est récisémen


p t cette base , a liberté est l'Abîme du
Dasein ,WG,o9.
(2) EN, 371-372.
464 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'être comme être-situé, le n'être pas-fondement de soi de la transcen-


dance se trouve confondu sous le titre de contingence, avec le
caractère irréductible de l'étant ? De quel élément dispose alors
la problématique pour déterminer l'essence de la situation ? La
question de cette détermination ontologique, de la détermination de
la situation de la transcendance elle-même, n'est même plus posée. Une
telle détermination se produit plutôt d'une manière confuse, à la
faveur de la chute qui a été décrite, en sorte que c'est l'insertion de
la transcendance dans le Dasein compris comme un étant qui la
revêt des caractères de l'être-situé • ceux-ci appartiennent à l'étant
R' tel. C'est l'être-déjeté de l'étant qu'il est qui confère
lui-même en tant que
au Dasein sa déréliction. Ainsi se trouve complètement oubliée
la signification ontologique de la problématique qui vise l'essence
de la situation. Ainsi s'accomplit d'une façon absurde la determi-
nation de celle-ci, si l'étant ne tient sa situation que de la transcendance,
si le concept de situation concerne, non l'étant lui-même, mais sa place, si
« le fait d'avoir une situation est la détermination ontologique de
l'être de cet étant3 non une proposition ontique sur celui-ci » (i).

44. LE CONCEPT DE SITUATION . DANS L'EXISTENTIALISME


LA FAILLITE DE L'ONTOLOGIE ET LE RÉALISME
« NATURE ET LIBERTÉ »

En prétendant déterminer à partir de l'étant,. et cela faute de pou-


voir le faire à partir de la transcendance elle-même, de ce qui, plus
exactement, livrant celle-ci à elle-même, la constitue comme origi-
nellement située, l'essence de la situation, la problématique se meut
dans un cercle. Parce que des deux éléments dont elle dispose aucun
n'enferme en lui la possibilité interne de l'être-situé, elle se trouve
renvoyée de l'un à l'autre. L'idée qui se fait jour alors d'un concept

(I) SZ, 84.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 465

« dialectique » de la situation , l'interprétation de celle-ci comme dialecti que


de la liberté et de la nature , éclaire singulièrement l'im puissance dont
elle procède. Ainsi voit- on chez Sartre, d'une art, la situation être
p
primitivement définie à partir de la liberté : c'est seulement à la
lumière de la fin pro j etée par elle que l ' existence découvre chaque
fois la situation qui est la sienne, de telle manière qu'elle porte. la
pleine responsabilité de ce qu'elle est , que tout arrive par l'h omrne
et qu' « il n ' y a pas de situation inhumaine » ( i ). La liberté ce endant
p ,
pour autant qu'elle ne se trouve pas décrite d'une manière urement
p
psychologique et que la problématique veuille , au contraire lui
assigner un fondement ontologique dans le néant de la transcendance,
se montre comme telle identique à un pouvoir d'arrachement et de
dépassement par lequel l 'homme, considérant toute chose et lui-
même « à la lumière d' un non-être » (z), se retrouve toujours au -delà de
ce qui e st, séparé, dans cet exil qui est sa liberté même . Celle-ci,
loin de pouvoir fonder la situation . de l'homm e le détermine au contraire
comme une subjectivité impersonnelle et vide sué axée 'de tout contenu sans
insertion possible dans le réel. D'où, d'autre art , le problème ro re à
p p p
l'existentialisme, celui, après que l'homme ait été com pris comme
ce pouvoir d' « échappement » et de « déga g ement », de son « .en a. -
g
gement» nécessaire dans le monde et , lus généralement l'affirmation
p
par exemple que « la condition humaine... ne p eut.., être congé-
diée » (3). Une telle proposition, toutefois, ne saurait être affirmée
simplementp et,philosophie
arec que la de l'existence montre se `
incapable de lui donner un fondement dans la structure interne de la
subjectivité comme structure constitutive de celle-ci comme i mrnane lce,
elle n'a pas d 'autre moyen que de lier, en dépit de leur hétérogénéité,
en dépit du pouvoir ontologique négateur qui définit la liberté

(z ) EN, 639.
(2) ID., 51 1 .
(3) F. JEANSON, Le Problème moral et la Pensée de Sartre, off. cit., J4
466 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

comme ce qui précisément n'est , pas l'étant, celui-ci et celle-là, de telle


manière que chaque terme, se trouvant lié à l'autre , reçoit, dans
ce lien et par lui, quelque chose comme l'ersatz d'une situation.
Précisément la liberté, ou encore l'existence , le pour-soi n'étant rien
d'autre que ce qui n'est pas l'étant , l'en-soi, dit Sartre, son être s'épui-
sant dans cette négation, elle ne cesse de porter en elle ce qu 'elle ne
cesse de nier pour être ce qu'elle est, le rien « qui n'est rien que p arce
qu'il n'est pas l'en-soi ». Voilà pourquoi , parce que « le terme origine
de la négation interne, c' est l'en-soi, la chose qui est là », p arce q ue
lié à elle, le pour- soi est « écrasé sur ce qu'il nie » (I), ce qu'il nie,
« l'en-soi dépassé demeure et le hante comme sa contingence origi-
nelle », pourquoi le pour-soi « ne peut s'empêcher d'être à distance de
soi ce qu'il est », c'est-à-dire « cette contingence, cette lourdeur à
distance... qu'il n' est jamais mais. .. a à être comme lourdeur de assée
p .
et conservée dans le dépassement ». Parce qu'une telle lourdeur qui
signifie i dentiquement « facticité », « p asse » (z) , se trouve conservée
dans le dépassement , parce qu' elle demeure en lui et s' Y attache comme
sa contingence originelle , elle le situe précisément et le détermine
par ce lien, bien qu'elle ne soit elle- même déterminée comme contin
gence, comme cet être-là individue et situé, que p ar luis Ainsi se des-
sine le cercle dans lequel le donné brut et la liberté se situent et se
déterminent réciproquement , « La facticité de ma place dit Sartre
ne m'est révélée que dans et par le libre choix que 1'e fais de ma
fin.. Mais, réciproquement, la facticité est la seule réalité ue la
q
liberté peut découvrir, la seule qu'elle p uisse néantiser par la position
d'une fin... Car si la fin peut éclairer la situation , c'est q u'elle est
constituée comme modification projetée de cette situation (s). »
Et, d'une façon plus manifeste encore : « c'est par son dép assement

(z) EN, 225.


(2) ID., 162 , souligné par nous.
(3) ID., 574-575.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
G.
47

même du donné vers ses fins que 1 a liberté fart exister le donne comme
ce donné -
ci, .., mais en même temps.,, elle se choisit comme ce dé p asse-
ment-ci du donné » ( x). Ainsi faut
-il définir la situation comme
« éclairée par des fins qui ne sont elles
meures '
projetées » --- et fau-.
Brait-il ajouter <c situées » -- « qu'à partir
de l'être-là qu'elles éclai-
rent », et dire encore que « la fin n'éçlaire le do
- nne » -- et faudrait-11
ajouter cc le situe » -- ec que parce qu'elle est
choisie comme de aise-
ment de ce donné » 0 (2) ilMais
n 'est pas meilleure façon 'de psortir d
'un
cercle que de le réaliser , et cela dans la plus extrême confusion : « la
situation, dit Sartre, produit commun '
de la contingence de .l'en-soi et
de la liberté , est un phénomène ambigu •
dans lequel il est impossible
au pour- soi de di scerner - et de l'existant
l' apport de la hberte brut» (3) ,
Une telle incertitude qui voit sous les meures concepts erre
subsumées tour â tour les réalités les plus _ differentes, chaque terme
ne conférer la détermination de l'être-situe au terme o ose
pp que
pour autant qu'il la tient fui - même de celui-cl se retrouve dans la
philoso phie de Jaspers ou l '
essence de la situation est explicitement
décrite comme une dialectique de 1 a nature et de la liberte, tandis
que l'union de ces éléments heterogenes n
e peut soulever d'objection
;puisqu'elle se donne justement pour un « paradoxe » et qu' il suffit
somme toute de considérer la réalité comme .
constituée par des para-
doges de ce genre pour: trouver en chacun d 'eux une p
reuve evidente
de sa vérté...Ai nsi la situation de l'homme
se comprend-elle '
aisement

(;) EN, 5go.


(2) ID., 635-636.
(3) ID., 568. Remarquons, comme signe de cette confusion encore, due sa
dans ce texte la contingence caractérise 1'en-soi, ailleurs comme on '
plus celui-ci Tétant,l^zais la liberté elle-mêm 1 a vu, ce n'est
e quien tant qu'elle apparaît, coimme.
fondement, sans fondement, se donne au contraire pour 1 essence m
contingence. De même la facticité dési ne tantôt meure de cette
précitée,- .l'en-soi., tantôt la structure interne comme
de la liberté elle-même, cf par exemple
p. 612 « Nous retrouvons ici cette condamnation â la libert
plus haut comme facticité, é que nous défissios
468 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à partir de l'historicité de celui-ci , historicité qui consiste dans «l'union


de l'existence et de l'être empirique » (i), c'est-à-dire encore dans
celle « de la liberté et de la nécessité, de la possibilité sans résistance
et du donné irrécusable, du temps », enfin , « et de l'éternité » (z).
C'est le réalisme le plus naif, en fait, qui se trouve â l'origine de ces
conceptions où la situation de l'homme est finalement interprétée
à partir de son insertion dans le milieu de l'être objectif . Ce qui est à
remarquer à propos d'une telle union encore décrite comme « syn
thèse du monde en tant qu'il affecte la liberté, et de la liberté en tant
qu'elle assume le monde » ( 3), c'est que, faute de pouvoir être
comprise comme l'essence même de celle -ci, la nécessité qui la contraint
et la détermine comme originellement située se voit finalement inter
pretee, à partir de cette insertion de l'homme comme être objectif
dans le contexte du monde objectif, comme la nécessité des choses,
de telle manière que son rapport avec la liberté devient extérieur,
qu'elle ne peut plus être en effet qu'assumée par celle -ci, qu'elle lui
préexiste et que la structure de la situation loin de résulter de
,
l'action de la liberté, se montre en fait étrangère â elle, réside dans la
nature même des choses. Comme toujours, la faillite de l 'ontologie
laisse le champ libre au réalisme.
De cette faillite, de ce réalisme aussi par conséquent, témoigne
l'interprétation du phenomene de l'être-en-situation proposée à son
tour par M. Merleau-Ponty . On trouve, à vrai dire, dans la Phénoné-
nologie ide la Perception quelque chose comme le pressentiment d'une
philosophie de l'immanence, lequel se fait jour justement à propos du
problème qui nous occupe, celui de la situation . Un tel problème
est introduit à partir d'une critique de l'mtelleetualisrne et de la philo-
sophie classique, plus précisément de la réflexion, quand il est montré.

( i) JASPERS Philosophie, TI, 121 , cité par M . DuFRENNE et P. RICŒVR in


,
Karl Jaspers et la Philosophie de l'Existence , Éditions du Seuil, Paris, 1947, 179.
(2) Cf. M. DUFRENNE et P. RICŒUR, op. cit., i8o.
(3) ID., 383.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANE NCE
469

au sujet de celle-ci qu'elle « ne s'emporte jamais


^ aura elle-m hors
de toute situation », que u l'analyse de la ne
perception fait pas dispa_
raitre le fait de la perception, l'ecceiteperçu,
du l'inheren
ce de la
conscience perceptive à une temporalité et à une localité » (i). « La
réflexion radicale, est-il dit plusp recisement
^ est conscience
e sa d
propre dépendance à l'égard d'une vie irréfléchie qui est sa situation
initiale, constante et finale (z). » Si la vie irréfléchie définit la situation
de la réflexion, et cela parce qu'elle constitue sa structure interne, parce
que la réflexion elle-même est un mode de la vie il importe de detesuriner
ce qui
.constitue
. , cette p
situationnsequent
qui est celle de la vie et, par co
aussi, de la reflexion. La vie, l'existence n'est cependant rien d'autre,
pour Merleau-Ponty, que la transcendance. La nature de celle-ci,
toutefois, ne se trouve pas élucidéepour-soi, en et de telle maniera
qu'elle puisse apparaître comme constitutive par elle-meure d'une situation.
Plutôt, cette élucidation s'accomplit d'une manie ' re négative, a :partir
de la simple opposition à la pensee, c'est-a-dire aussi bien a la réflexion,.
d'une existence plus ancienne, laquelle se donne dans cette opposi-
tion comme
•privéeg du pouvoir d'intelli
a ibilité qui la
appartient
conscience reflexive comme telle et la caractérise et, parce qu'aucun
autre mode de manifestation ne se trouve défini dans sa ositivit'
p e
ontologique propre, comme privée finalement de toute lumie re,
comme quelque chose d' `< aveugle ». Parce qu'elle est ainsi ' comprise
comma quelque. chose p d'aveugle; parce que son statut hen
oruenolo
gique et par suite ontologique devient totalement incertain l'exis..
tence se dégrade, elle apparat comme une force mystérieuse située
au-dessous du moi de la conscience une sorte de sub stras naturel.
constitué par un ensemble de fonctions anonymes La presupposmon
empruntée à Heidegger (i), belon laquelle celles-ci ne peuvent s'accomplir que

(i) PhP, 33.


(2) ID., IX.
(3) SZ,_io7. - « ha vue et l'ouïe sont ies sens du lointain non sur le
pas food de
leur portée mais parce que le Dasein comme é
loignant se tient en eux prédominant.
470 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sur le fond en elles de la transcendance qui le s lie au monde, devient sans objet
quand elle ne signifie plus identiquement le surgissement effectif' de la phéno
ménalifé. C'est pourquoi un tel lien perd finalement son caractère
transcendantal et devient véritablement « naturel », son accomplisse-
ment dans les fonctions du corps se confond avec celui d'un processus
ontique. C'est l'insertion de la conscience dans une nature em pi-
rique qui, conformément aux p resupp ositions du réalisme, détermine
l'homme et le situe . La définition d'un monde où l'ego n'a point
part se donne paradoxalement comme constitutive de la situation
de celui-ci, alors que, comme le mettra en évidence la p roblémati que .
de l'ipséité mais comme peut le comprendre en fait toute pensée
fidèle aux enseignements de l'intuition phénoménologique, la situation.
de l'ego réside nécessairement dans sa structure même et lui est identi que.
C'est à la lumière de ces remarques qu'il convient d'ap précier . le
texte suivant, l'ambiguite et l'indétermination inscrites en lui. « Il y a
donc , écrit M. Merleau-Ponty, un autre sujet au-dessous de moi, p our
qui un monde existe avant que je sols la et qui y marquait ma place,
Cet esprit captif ou naturel, c 'est mon cor p s, non p as le corp s momen-
tané qui est l'instrument de mes choix personnels et se fixe sur tel
ou tel monde , mais le système de « fonctions » anonymes qui enve-
loppent toute fixation particuliere dans un projet général . » Parce
que « cette adhésion aveugle au monde », ce qui est p our le sujet « le
fait de sa naissance », « une communication avec le monde p lus
vieille que la pensée », s'opposent simplement à celle-ci, laquelle
concentre au contraire en elle le principe de la phénoménahte,
« ils engorgent la conscience et sont o paques à la réflexion » déter
minent « l'expérience vitale du vertige et de la nausée qui est la
conscience... de notre contingence » (i). Ainsi voit-on retomber dans
le dualisme de celle-ci et de celle-là une pensee dont le dessein le
plus remarquable était p ourtant de lui écha pp er. C'est finalement,

(i) PhP, 294.


LA STRUCTURE INTERNE DE L 'IMMA
NENCE 47'

comme une incarnation mystérieuse , l'insertion p


de la spiritualité
dans ce qui n'a de norn ui c
pas qui constitue le propre de la situati
et de
on dela Gonditi
l ' homme, ainsi que l'atteste enc on
iti ore cette
s - propo
on : •<( si les prétendus instincts de l'homme n' existent pas a part
de la dialectique spi rituelle, w corrélativement ^ • q ue
cette dialecti ne se
conçoit p as hors des situations
concrètes où elle s'incarne » i).
Le sept con
de situation a une si nification ont (
• g ologique. Cela
signifie qu 'il ne p eut se comprendre u'a
q partir de la phenomenalateé pire
comme constitutive par elle-même de la possibiljié et de l'effectivi
t ' d'une
te
Situation, comme identique a l'essence de celle.-ci
C'est pourquoi apres avoir
montré comment se détermine la situation '
existentielle de l'étant-
Dasen, comment « le « ici »d'un «ici-je >y se -coin
-prend toujours à
partir du « là-bas » d'un Zuhanden »
vers lequel se projette la préoc-
cupaton , Heidegger ajoute : ««
ici» et « là-bas >> ne sont possibles que
. dans un Da,
c'est-à-dire s'il existe un étant qui a :ouvert la spatialité
comme être du Da ». Mais celle-ci doit s'entendre a
son tour en un
sens transcendantal, elle impli q ue que « cet étant
porte dans son erre.
le plus propre le caractère de n'être pas cacl,.e
(« den Charakter der
Unuerschlofsenheit ») . L'e.x re.rsion « Da » , .^ poursuit Heidegger,
sigfni e
cette ouverture essentielle » (2). C ' est parce
use la tem poralité constitue,
d'après lui, le mode originel selon le
q uel s ' . cette ouverture
accomplit
essentielle
. qu'elle p confère sa ossibilite Ont ologique au concept de
situation et fonde la structure de celle-ci. « La. tem ora
p lite ekstatique
eclaire ie Da originairement s » Le de sein de conserver.. pur le
contenu de son concept i• mpli q ue ce endant q ue
p l 'êtr e -la so i t saisi
(1) M ERLÉAU - PO NTY, La Structure
du Coin^ orterr
ent, Paris,- T
Pre; ,ses • . ersr-
L . niti
taires de France, 1949, 196.
(2) S,Z, 132-r33, souligné par . nous.
(3) ID351 et encore : « IErschlossenheit du Da et les m '
amentales existentielles du .Uasein authenticit ` modifications fonda-
e et inauthenticité, sont . fondées dans
la temporalité -n (ID., 350) .-- «
Parce que la temporalité constitue d'une façon
ekstatique horizontale 1 etre - éclairé du Da, elle est ori' air
eurent toujours déjà
explicable et par suite connue dans le Da » (ID., 408).
472 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dans . ce qui le fonde ultimement . Une telle saisie de ce qui, le donnant


originellement à lui-même, le constitue précisément comme l'être-là originel
et le fondement de tout être-là concevable, permet seule que soit évitée la
chute de son concept, son inte rp rétation à partir des déterminations
que l'étant empruntes l'être lui-même. Pourquoi cette chute se
produit-elle ? Pourquoi l'analyse de l'être-situé doit-elle s'achever
dans la confusion sinon parce que la structure constitutive de celui-ci ,
l'essence originelle de la révélation , demeure cachée ? Ici la problé-
matique rencontre la seconde question qu 'elle s'est posée dans sa
tentative pour déterminer cette structure originelle , celle qui concerne
les raisons pour lesquelles se dissimule la révélation elle-même dans
l'effectivité de son accomplissement originaire.
TA BL E DES MATIÈRES
DU TOME PREMIER

ABRÉVIATIONS UTILISÉES DANS LES NO


TES ...........
VII
INTRODUCTION . Le problème de l'être de l'ego et
tales a l'ontologie ... .... le,r^ presuppo,rstaon^ fondumen-
.
§ i . L'idée d' une évidence '
apodictique comme v
légié e â l'être de l' e oie d'accès privi-
z. La nécessité d'une édifi cati on ré la ble 3
P a d' une ontologi phéé
enom-
nologique universelle
3. Le dépassement de 1 intuitionnisme et la libé ' IO
ratiozi de l'horizon
phénoménologiq ue universel ...... , ....... .
§ 4. L'insertion de l'e go • • .... • ....... 6
cogito et de sa problématique à l'intérieur
§ l'horizon libéré par l'ontologie hén de
S •Le p ©ménologique.
probleme de l' Lnivercelle . ,
insertion de l'ego cogito
l'horizon phénoménologi ^ l intérieur de
que universel 1' « erre» de l'ego absolu
6. Les difficultés relatives a l'édification dl •
lo e ontologie phénoméno-
gique universelle . ... ..... . .
§ 7• La problématique concernan ....... 9
t l'ê t re de l '
ego interprétée coinme
une problématique originaire et fonda mentale . ,
, , , ...... , • 46
SECTION I. --- ^1ucidation dis concept de ,
pbenomène. Le monisme ontologi que .
§ 8. L'élucidation de l'essence du '
ph enomene, tache centrale de la
phenomenologie
9. La détermination unilatérale d e 1 ' ^9
essence d nomne
u phéèete
l
concept de distance
. phénoménologique
LoLa distance , .. . ...... . ...... 2
Phénoménologique et le dédouble
sence et aliénation .. entent de être . pré-
I I. Le monisme ontologique et le
philoso
P hièe d problème
la et.. de son dépassement
conscience phiosophie de l 'être
M.. HENRY iz
16
474 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 12. La critique de la philosophie de la conscience ............. zi9


§ 13. L'ambiguïté du Dasein. Essence et détermination ...... z z6
§ 14. Le rapport de l'essence et de la détermination ontique dans la
philosophie de la conscience ............................... i37
§ 15. La signification ontologique de la problématique qui vise
l'essence et le concept originaire de finitude ... 150
§ i6. L'idée de la structure formelle de l'autonomie de l'essence et la
tâche d'une répétition de l'élucidation ontologique du concept de
phénomène ........:......... ........................... i6o

SECTION II . -- Répétition de l'élucidation du concept de phénomène . Transcendance


et immanence ....... .......... ... ...... 16 5
§ i 7. Le caractère originaire de la manifestation de 1 etre et le problème
de la conscience naturelle ............... ................ . 165
§ 18. Le concept. de représentation : structure ontologique et
compréhension existentielle .....:........ . .............. 173
§ 19. L'être-pour- soi au point de vue ontologique et au point de vue
existentiel . Conscience et vérité ....... . ............... 18.6
§ 20. Critique du concept hégélien de l'expérience . .............. 193
§ z I La réaffirmation du caractère originaire de la manifestation de
l'être dans la mise en lumière de son caractère non historique .... zoo
§ z2. L'interprétation de l'essence de la phenomenalite à l'intérieur des
présuppositions fondamentales du monisme et le problème de la
réceptivité . Signification ontologique de ce problème ........ zo6
La possibilité interne de la réceptivité de l'être et la probléma-
tique du schématisme ..................... .......... zi3
§ 24. La réaffirmation du caractère central du problème de la récep-
tivité et l'interprétation ontologique du temps comme auto-
.... .....
affection .... . .......... . ..... . .... ........................... 227
........................
L'élucidation de l'essence de la réceptivité et le problème de la
détermination phénoménologique de la réalité originaire de la
transcendance .......... ........ .................. 240
§ z6. L'intervention de l'homme dans la problématique de la réceptivité
et la non-appartenance des conditions originaires de la vérité au
milieu absolu de l 'extériorité ......................... 249
§ 27. La compréhension du caractère central de la problématique de
la réceptivité et la mise en question des présuppositions onto-
logiques ultimes du monisme ............................. 25.5
TABLE DES MATIÈRES
475

2 8. Le caractère abstrait de l'essence de la manifestation à l'intérieur


des présuppositions ontologiques du monisme et le problème de
l'édification d'une phénoménologie du fondement ........... 2 59
§ 29. Mise en évidence du motif ontologique de l'impuissance de la
problématique à édifier une phénoménologie du fondement
et à donner un contenu à l'idée de la structure formelle de l'auto-
nomte...... ............................................. z68
§ 30. Détermination ontologique de l'essence originaire de la révélation
comme immanence . Contenu immanent et contenu transcendant 278
§ 31. L'ambiguïté fondamentale du concept de l'auto-affection Auto-
affection et affection par soi ..... :..... . . ..............
28 9
§ 32. Immanence et transcendance ....... .. • , , ,
.............. 307
§ 3 3 . L'interprétation ontologique de l'essence de la transcendance
comme: immanence et la possibilité interne du dépassement
...... .3 I.S
§ 34• Conscience du monde et conscience sans monde
§ 3 . La cohérence
structure interne de 1'essence de...........
la 326 333
§ 36 . La signification ontologique essentielle du concept d'imma-
nence l'immédiat .................. ... , :... .
34
SECTION III. - La structure interne de l'immanence et le problème de sa det
erma-
nation phénoménologique : l'invisible ........... . . . • • • ..
349
§ 37. La structure i nterne de l'immanence .. .......... , .... , , , , ,
349
§ 3 8. La structure interne de l ' immanence et le orobleme de sa
compréhension comme révélation : Fichte
37 I
§ 39. Eckhart ........:... ......... .........................
., 385
40. La présupposition ontologique fondamentale de la pensee
d'Eckhart et l'essence originelle du Logos 40 7
§ 41. Immanence et situation absolue ..... ........... .
§ 42. La détermination ontologique de l'essence de la situation comme . 419
immanence et l'ambiguïté foncière de la Nichtigkeit
43 2
§ 43. Situation et temporalité . L'hétérogénéité ontologique de leurs
structures originelles et son i nterprétation dans l philosophie de
la transcendance l'idée de contingence et la chute du Dasein ..... 448
§ 44^ Le concept de situation dans l'existentialisme. La faillite de 1 onto-
logie et le réalisme : « nature et liberté » .. . .
464
SECTION III

LA STRUCTURE INTERNE
DE L'IMMANENCE
ET LE PROBLÈME
DE SA DÉTERMINATION
PHÉNOMÉNOLOGIQUE
L'INVISIBLE
(.cuite)

45. LA DISSnuLATION DE L'ESSENCE ORIGINAIRE


DE LA RÉVÉLATION ET SON OUBLI

Les raisons pour lesquelles se dissimule l'essence de la revelati on


dans son: accomplissement originaire ont ete evo uees par la pro-
blematique et de'ja com p rises p ar celle-ci uis u'elles trouvent leur
.. 'p q
origine dans un ensenible de présuppositions avec lesquelles en
realite elles se confondent , De telles présupp ositions constituent
qui a été appelé le monisme .A la pensee qui ne conçoit pour la
phenomenalite aucune forme de réalisation autre que la rramfestation
d'un horizon transcendant , c'est- a-dire l'obj ectivité, echappe néces-
sairenient e t se dérobe ce qui constitue p ourtant le fondement de
celle-ci. L'inaptitude de cette pensée à saisir le mode ori inel selon
g
478 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lequel se phénoménalise la phénoménalité ne peut être simplement


constatée, toutefois, ni comprise comme un « préjugé ». Si celui-ci
(à supposer qu'on puisse en philosophie parler de « préjugé » et que,
parmi tous ceux qu'on dénonce si aisément, le seul qui mérite d'être
retenu ne consiste pas à croire précisément qu'il existe des préjugés)
étend son pouvoir sur l'ensemble du développement de la pensée
philosophique, c'est que son origine , ce qui fait j ustement qu'il n'est
pas un préjugé , doit être montrée. Aussi bien a-t-on pu voir la
problématique s'efforcer de circonscrire non seulement ce qui fait
l'insuffisance du monisme mais , plus avant, ce dont résulte cette
insuffisance ou son motif. La mise en évidence de celui - ci n'était-elle
pas contenue dans la remar que selon la quelle l'impuissance de la
problématique qui se meut à l'intérieur de l'horizon du monisme à édifier une
phénoménologie du fondement et à donner un contenu à l'idée de la structure
formelle de la « Selbstdndigkeit » repose sur l'impuissance de ce fondement
à se produire lui-même dans la lumière de la phénoménalité (i) ? Ainsi la
dissimulation de l'essence était-elle rapportée, non à une incompréhen
sible défaillance de la pensée , mais à cette essence même, à la structure
ontologique de la réalité . Voilà pourquoi, d'ailleurs, ce qui ne fut
d'abord qu'un ensemble de pensées vivantes , essentiellement diffé-
rentes dans leurs démarches et leurs visées , peut apparaître après
coup comme l'unité d 'une tradition affectée d'une même insuffisance,
parce qu'il y a de celle-ci une raison , et cela dans la nature des choses,
dans la nature de la raison elle-même.
Cette reconnaissance dans l'essence d 'un fondement de sa propre
dissimulation, c'est-à- dire encore de l'essence comme ce fondement
la problématique qui institue une critique générale du monisme
l'accomplissait cependant en se plaçant à l'intérieur de celui-ci et de la
perspective qui est la sienne. Ainsi la transcendance à laquelle renvoie
la phénoménalité identifiée à l'horizon se dérobait-elle brusquement

(i) Cf. supra, g 30, 31.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 479

devant une pensée aux prises dès lors avec « l'inconnu » La compréhen-
sion de celle-ci et du mouvement dialecti q ue où elle se p erd, de ce q ui
constitue à proprement parler le destin du monisme, demeurait
cependant négative : la transcendance se dérobe parce qu'elle n'assure pas
elle-même la possibilité de sa propre manifestation, tel était son contenu.
La prétention de reconnaître dans le fondement lui-même, et cela
comme lui étant identique , la raison de sa p ro p re dissimulation ne
signifiait rien d'autre finalement que la non-reconnaissance en lui
du pouvoir susceptible de le révéler ori ginairément. Elle ouvrait la
voie, pour cette raison, à une recherche et à une détermination
positive de ce pouvoir , c'est-à-dire p récisément de l'être réel du
fondement . Une telle détermination est l'oeuvre accom p lie p ar la
problématique . L'essence de la transcendance réside dans l'immanence.
Dans la positivité de cette dernière , non dans le simp le faitpour
la transcen-
dance de ne paf assurer elle - même fa propre manifestation, doit être cherchée,
si elle en est une, la raison de la dissimulation, et cela de telle manière que la
mise en évidence de cette raison , identique à l'essence, app artienne à l'eluci-
dation de celle-ci et de sa structure interne.
Comment la dissimulation trouve-t - elle sa raison dans la p osi-
tivite de l'essence et lui est-elle identique ? Qu'est -ce qui fait, d'ans
la structure interne de l'immanence , qu'elle se dérobe ? Chu bien
n'appartient -il pas à celle-ci, conformément aux résultats e detiques
les plus importants obtenus par la problematique, de ne pas s'en
aller hors de soi dans l'extériorité mais de se retenir au contraire en
elle ? Dans cet acte de se retenir en soi, c'est-à-dire aussi bien dans son
esfpnce originelle, est incluse la raison pour la quelle l'immanence prezsement
ne s'avance pas dans l'extériorité et rie se montre pas en elle comme celte
extériorité même ni nomme la pheomenalite qui la constitueo La non-
appartenance de l'essence à l'extériorité et à sa hhenomenalite propre
le fait qu' elle ne se montre pas dans celle-ci, c'est là ce qui détermine
sa :dissimulation. Parce que cette non-appartenance, la non-manifes-
tation de l ' essence dans la manifestation de l'horizon et dans le
480 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

monde, est incluse dans sa structure, dans l'acte de l'essence de se


retenir originellement en elle, la dissimulation ne concerne pas
seulement l'essence, elle est son oeuvre. Pour cette raison aussi elle
n'est ni accidentelle, ni provisoire et ne peut être surmontée. L'idée
d'une manifestation de l'essence dans le monde est par principe
absurde. La dissimulation est inscrite dans l'essence comme ce
qu'elle est, elle lui advient de par sa volonté propre. C'est pourquoi
encore elle se produit nécessairement et ne cesse de se produire en
elle. Ainsi y a-t-il dans l'essence un événement qui fonde sa dissimu-
lation en même temps qu'il en explique la nature et l'objet. Ce qui
se dissimule, c'est l'essence elle-même. La nature de cette dissimu-
lation est la non-manifestation dans le monde et celle-ci définit a
son tour la nature d'une absence qui se trouve dès lors être comprise,
car elle s'explique â partir d'une présence et sur le fond de celle-ci.
L'absence est l'absence de l'essence originelle de la présence, absence voulue
et prescrite par elle.
Que l'essence originelle de la présence se retienne hors du monde
et se trouve par principe, absente de celui-ci, c'est là ce qui fait sa
pudeur. Celle-ci, pour cette raison, parce qu'elle s'enracine dans la
structure interne de l'essence et lui est identique n'est p
as uneer
de't
mination fortuite, susceptible d'advenir â l'existence â u n moment
donné de son histoire, une détermination psychologique par
exemple. Elle est plutôt le fond même de toute existence concevable
sa possibilité interne, son essence. « C'est, dit Hâlderlin dans des
huttes qu'habite l'être humain. » Que ce séjour dans lequel « il
s'enveloppe d'un vêtement pudique » (i) soit essentiel a un tel être
et définisse son humanité, résulte justement de ce qu'il ne peut être
changé pour un autre, résulte, plus ultimement, de ce qui l'institue
comme un don qui ne cesse de se former, de l'essence. Car si les
déterminations concrètes de l'existence présentent toutes les vicissi

(I) HOLDERLIN, CEuvres, éd. von Heuingrath


, IV, 246.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 481

tuiles d'une histoire, si elles se montrent susceptibles de croltre et


semble-t-il, de disparaître en indiquant chique fois une cause de leur
devenir, elles ne sont possibles en réalité qu ' à partir des structures
de l'essence et par elles. Dans la pudeur l'homme éprouve sa diffé-.
rence d'avec l' être extérieur et étranger , et en prend conscience.
Que cette. conscience devienne plus aiguë et s'exaspère lorsqu'elle
assiste impuissante, dans le sentiment de la mort par exem ple, ou .
dans le désir, aux déterminations de son être objectif et à leur mouve»
ment propre, ou qu'elle demeure au contraire latente comme ce
tremblement secret qui ne cesse d'affecter l'existence elle repose en
tout cas sur l'essence, sa possibilité est la négation, qui ne cesse de s'ac
com, plir dans l 'immanence, de l'exterior:te, le refus de celle-ci. Parce qu'un
tel refus est celui de l'essence et ne relève comme tel d'aucune
volonté particulière , il n'admet pas non plus comme son envers,
la détermination opposée . L'être- à l'extérieur-de-soi dans l'ob;ec-
tivite peut bien solliciter l 'existence et définir le - Ào ex plicite ou
non de son projet, l'échec de ce dernier comme de tout com porte..
ment visant l ' exhibition de l'essence et son étalement dans le monde
est prescrit par celle-ci et par ce qui constitue en elle la possibilité
ultime de son être-soi ou sa pudeur.
Parce que, dans sa pudeur, elle se retient hors du monde et ne
parait point en lui , l'essence demeure cachée . L'être-caché caractérise
l'essence et lui appartient en vertu de sa structure interne, affecte
essentiellement celle-ci , à savoir p recisement l'immanence comme
telle. Mais l'immanence constitue la nature la plus intérieure de
o ^
l'absolu, l absolu lui-même, son essence. Voilà pourquoi I absolu se
laisse comprendre à partir de cet état caché et comme ce qui se
maintient
. en lui, pourquoi « personne n'a damais vu Dieu », pourquoi
celui-ci, enfin, est le « Dieu caché ». Ainsi est trouvé aux propositions
qui traduisent d'abord l ' insuffisance de la problematique, un fonde -
ment ontologique susce p tible, dès lors , de leur conférer un sens
acceptable . Ainsi doivent s'entendre, à l'intérieur de celui-ci les
482 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

affirmations précitées selon lesquelles l'existence divine se donne,


indépendamment de sa réflexion dans l'altérité, comme essentielle-
ment cachée , selon lesquelles « l'essence divine est cachée en elle-
même » ( :i). Car cet être-caché est un nom de l'immanence et son
concept concerne, par suite, l'ensemble des caractères qui consti-
tuent celle-ci et lui appartiennent . Si, par exempl e, « la Gewor enheit...
demeure cachée », si « cet état caché n ' est pas...
. un simple non-savoir
mais constitue la facticité du Dasein » (2), c'est que l' être de celui-ci
réside positivement dans l'immanence et se trouve comme tel situé et,
en même temps, dans cet état où il se dissimule, lui et ce qui constitue
le caractère insurmontable de sa situation originelle . Mais l'immanence
ne fonde pas seulement, chaque fois, une situation , elle est l'essence
de la vie. Voilà pourquoi celle-ci est ce qu'on ne voit j amais et
échappe perpétuellement à notre regard, pourquoi , comme il était
dit encore , « c'est en elle , cette existence divine immédiate, qu'était
la vie, le fondement le plus profond et toute existence vivante,
substantielle, mais demeurant éternellement caché au re g ard. »
Parce que l'essence demeure cachée en elle-m ê me et échappe
perpétuellement au regard, parce qu'elle est comme telle la dissimu-
lation, elle tombe dans l'oubli. La nature de celui -ci doit être élucidée.
De l'oubli en général , il convient tout d'abord de reconnaître le
caractère positif. L'oubli n' est pas rien, il a un objet. C'est en cela
qu'il diffère d' un phénomène simplement négatif, d'une pure absence,
d'un néant. Ce qui est oublié peut assurément ne plus exister, comme
dans le cas d'un ob jet qui a e'té détruit Quelle que soit l'im p ortance
de ce dernier , qu'il s'agisse d'une chose insignifiante ou au contraire
par exemple, d'une civilisation disparue sans laisser de traces, son
appartenance à un monde , l'ensemble des rapports d 'univers qu'il
soutenait et, d'une certaine façon, soutient encore avec la totalité

(I) Cf. supra, § 38.


(2) SZ, 348.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 483

de ce qui est, sa nécessité en un mot, lui confère une existence idéale


qui rend possible , au moins en principe, sa remémoration dans le
souvenir, C'est dans sa référence à celui-ci précisément que l'oubli
est tout d'abord et le plus souvent compris. Sa positivité ne trouve-
telle point son expression dans le fait qu'il est susceptible de se
muer en son contraire, dans « le souvenir correspondant » ? Mais la
réalité oubliée n'appartient pas forcément au passé, sa présentation
à la conscience se s'accomplit pas nécessairement a l'intérieur d'un
mode de pensée tel que le souvenir. Ce que nous oublions d'essentiel,
n'est-ce point, d'une certaine façon, ce qui est toujours là ? Et s'il est
toujours là, si cet être-essentiel consiste justement dans le fait qu'il est
l'essence universelle et toujours présente de la présence , l'essence de
tout être-la possible et concevable , comment pouvons -nous l'ou-
blier ? En n 'y pensant pas. C'est donc là ce qui constitue la nature de
l'oubli. Celui-ci n'est principiellement possible que sur le fond de la
présence de quelque chose à quoi l 'on ne pense pas, et comme c't
acte de n'y pas penser. L'oubli est le fait de la pensée et, quand il s'agit
de cet oubli ontologique fondamental ici en question, de l'oubli de
la présence pure, le fait pour la pensée de ne pas penser à cette essence
qui, cependant , la rend possible et se trouve comme telle toujours
présente.
Quelle pensée ne pense pas à l'essence qui la rend possible
N'est-ce point celle de la conscience naturelle qui se voue à l'étant
Parce qu'une telle conscience définit un mode déterminé de l'exis-.
tence et le constitue, c'est à celui-ci manifestement que renvoie
l'oubli de l'essence (t), sa formation p resupp ose l'existence libre et
elle apparalt contingente. Ou bien si « cet oubli n'est ni fortuit, ni

(r) Cf. K, 290 : Une analytique du Daseân doit s'efforcer, dès le départ, de
mettre en pleine lumiére le Daseni dans 1'homme selon ce mode d'être qui, par
nature, le maintient dans l'oubli, lui et sa compréhension de l'être... ide mode d'être
du Dasein --- décisif seulement du point de vue d'une ontologie fondamentale --
nous le nommons l'existence quotidienne (AlUdglwhhe t).
484 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

temporaire, s'il ne cesse de se former et se forme nécessairement » (i),


c'est que le mode d'être qui l'entretient a une prééminence spécifique.
dans l'existence et, comme mode déchu de celle-ci, la détermine
depuis le début de son histoire et, le p lus souvent,
, sa jusqu'à
fin.
La possibilité d'autres modes demeure cependant ouverte et elle
se réalise par exemple dans le savoir ce
philosophique Que der '
ruer
agisse comme un « Re-mémorial » et qu'en lui l'intelligence de l'être
soit arrachée enfin à l'oubli où la maintient la conscience naturelle,
que celui-ci atteste précisément, dans sa connexion avec le Re-
mémorial qui définit l'acte fondamental de l'ontologie comme
toujours possible, sa positivité, cela ne montre-t-ilp
as a
que l
pensée
qui se détourne de l'essence, parce que ce détournement est son fait,
peut encore s'ouvrir à elle
Ou bien l'oubli de l'essence ne caractérise-t-il pas au contraire
toute pensée comme . telle ? N'appartient-ilp as àmeure
la nature de
celle-ci comme ce qui, d'une certaine façon, ne peut être surmonte .
C'est dans ce sens alors qu'il est le fait de la pensée, comme ce qui
relevé non d'une deterrmnation particuliere de celle-cl d'une direc-
tion qu'elle se donne librement, mais de ce qu'elle est de cette
direction originelle qui lui est prescrite comme la sien ne, en tant
qu'elle est depuis toujours et par nature la pensée de l'extériorité. Car
ce n'est point le thematisme qui manque l'essence. A celui-ci sans
doute il appartient de viser ou non la condition
de sa '
propre possi-
bilité. Et il peut se faire, en outre, que cette dernière lui échappe, .
alors même qu'il se dirige explicitement vers elle si co mure il a été .
dit, l'horizon ne. se laisse p as thématiser,
point biais ce n'est
dans
l'oubli de celui-ci, alors, que vit lap
ensee. Elle l'éprouve,
u contraire, a
dans l'acte même par lequel il se dérobe et finalement lui échappe,,
'
comme le mystère qu'elle préserve, il est la chose importante, l'objet
de son souci. Elle sait seulement que ce qu'elle a disposition,à sa '

(I) K, 289.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 485

elle ne l'a pas explicitement à sa disposition . Mais l'extériorité


pure est le milieu où elle se meut si elle n'est pas et, d'une certaine
façon, ne peut jamais être à proprement parler « son objet ». A la
pensée qui se meut en général dans l'extériorité comme à celle qui,
dans le Re-mémorial qu'elle croit authentique de l'être, se donne
explicitement pour thème l'objet de l'ontologie , cette extériorité
même , échappe nécessairement au contraire et se dérobe par principe
la condition la plus ultime de celle-ci. Voilà pourquoi et comment
l'oubli est le fait de la pensée , pourquoi et comment il est l'oubli de
l'essence : parce que la pensée se dirige vers l'extériorité hors de laquelle se
retient, en raison de sa structure même , l'essence originelle de la présence prie,
l'immanence.
Parce que la pensée se dirige vers l'extériorite hors de laquelle se
retient, en raison de sa structure même, `l'immanence, l'oubli de
l'essence dans lequel elle vit n'est pas susceptible , pour cette raison,
de se transformer dans la détermination contraire . Celle-ci plutôt
- cette remémoration qu'on oppose a l ' oubli - , parce qu'elle ne
cesse , sur le fond en elle de la pensée, de se diriger, consciemment
cette fois, vers 'extériorité du milieu qu' elle pense , manque, plus
inévitablement encore, la condition qu'elle cherche de sa propre
possibiltte . Ainsi voit-on, au moment même où elle prétend vaincre
l'oubli de l'essence qui l'éclaire et croit pouvoir , de plus, avec l'être
au-delà de 'essence comme être-au-delà de toute saisie thematique,
comme transcendance de l'horizon , se donner la théorie de cet oubli, la
pensée retomber dans un oubli plus profond . Dans le caractere
insurmontable de celui-ci réside l'origine puissante du monisme.
monisme ontologique est la théorie de la pensée. `Qu'il dépasse celle-ci vers
ses conditions , vers l'intuition et, finalement, la transcendance eksta-
ti que d'un borizon, cela ne montre-t-il pas justement qu'il ne cesse e
se mouvoir en realite dans la direction prescrite par elle et par
sa visée. C'est pourquoi la recherche qu'il instaure demeure soumise
à la teleologie immanente qui gouverne toute conscience d'objet.
486 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Parce que le Re-mémorial de l'être s'accomplit dans la pensée et vise


à travers elle son objet, il répète en réalité
., , à l'égard de l'immanence
originelle, l' oubli de la conscience naïve et le orte à l'absolu.Ai
p nsi
dans la pensée l 'oubli de l'essence ne peut-il
se changer en son contraire,
puisque celui- ci, bien plutôt, lui est identi ue.
q
Ou réside la positivité de l'oubli, s'il ne peut se muer dans la
détermination opposée ? A q uoi renvoie- t-il, a quelle réalité, s 'il
est
quelque chose plutôt que rien et s'il doit être compris , effectivement,
comme un oubli ? L'essence originelle de la présence pure est
ce
qui le détermine comme tel . Comment cependant pareil oubli'
relève-t-il de la pensée ? Comment peut-il lui être imputé
comme son
oubli ? Car on ne peut oublier, semble - t-il que ce avec quoi on a
quelque rapport . En quoi consiste celui-ci Qu'est-ce? qui
ui relie la
pensée a.l ' essence de telle manière
qu'elle puisse être dite dans la
méconnaissance de ce lien , l' « oublier » ? Ou bien l ' essence n'est-elle
point celle de la pensée, l'unité originelle avec soi de l'acte qui
vise l ' objet, sa possibilité dernière, sa substance et sa vie ?
Ce qu'oublie
la pensée de l'extériorité quand elle planque l'essence qui se retient hors de
celle-ci, c'est elle-même . Ainsi se découvre apres ce qu'il a
de fatal,. le
caractère à la fois positif et essentiel de cet oubli comment enfin il est
celui de la pensée et lui est véritablement imputable comme le sien,.
parce qu'il
. plusest songravement
fait , parce que, et d'une façon
determinante pour tout ce qu'elle comprend oupse ntereau
rése- '
sujet
d'elle-même, il est pour elle l 'oubli de sa propre essence , l'oubli' de .
sol,
La détermination de ce sur le fondement de l ' oubli essentiel
que,
qui est le sien, la p ensée se re resente au su jet d' elle-même et de son
p
rapport à l'essence, c ' est-à-dire finalement au sujet de celle-ci,
la
détermination de la philosop com rie comme o ntologie
hie fondamentale,..
est la suivante . Parce que la ensée qui vise l'extériorité
. , p manque pax
principe l 'essence qui se retient hors de celle-ci elle la me. Le rapport
à l'extériorité dans lequel elle se meut la transcendance, c'est la son
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
4g7

fondement suffisantp l'essence


quellehors de la il n ' y a . rien.. Quelle
détermination essentielle autre que ce mouvement vers le dehors
qui est le sien la pensée pourrait - elle bien reconnaître et nommer
Où est cet « intérieur » dont parlent certains ? Nous avons beau
chercher et nous tendre vers lui, nous ne saisissons rien de tel.
Toujours le monde est là et nous ne trouvons que l 'extériorité et
notre propre ouverture à celle-ci. Ainsi doivent ê tre rejetées les
représentations naïves d ' une connaissance d'abord enfermée dans le
sujet et astreinteparsuite prétendue
à « sortir » de sa sphère
intérieure
pour parvenir hors de celle-ci jusqu ' à l'objet. « Plus on affirme catégo-
riquement que la connaissance est tout d'abord et proprement « à
l'intérieur », qu'elle n a absolument rien du mode d'être d'un étant
physique et psychique, plus on croit avancer sans présupposition
dans la question.., de la connaissance et de l'élucidation du rapport
entre le sujet et l 'objet. » Mais , -- abstraction faite des dificulte's
relatives à la question de savoir comment le sujet '
^ connaissant peut
sortir de sa sphère intérieure et, « en risquant le saut » parvenir
jusqu'à une sphère « autre et exterieure », jusq u'à l'objet « sur
ce que . signifie pos::vement l'u'Ierieur de l'immanence dans laquelle la
connaissance est tout d'abord enfermée et sur la maniére dont le
caractère d'être de cet « être- à-l'intérieur » de la connaissance se
fonde dans le mode d'être du sujjet g »rè ne le
(i). En silence
réalité'
« dans l'acte de se - diriger.pas
sur... et de saisir, le Dasem en
ne sort as e
quelque sorte prealablement de sa sphère nterieure , dans laquelle
serait d 'abord enferme, mais il est, conformément à son mode d'être
primaire, toujours dé J ' à « dehors
ment », . » et cela dans
non seule la
perception proprement dite mais aussi bien dans la sim le ensée
• p p
ans la representation ou dans le souvenir, « Même l'oubli de uelque
q
chose, dans lequel apparemment tout rapp ort d'être à ce ui était.
q
connu autrefois s'est effacé, doit être saisi comme une nodi ication
f

(I) SZ, 6 o, souligné par nous.


488 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de l'L^tre-dans ori8
inaire;
e deillusion
la même façon toutet toute
erreur » (i). Ainsi se trouve rejeté par la pensée conformément au
-réÀoç qui l'anime et détermine structurellement la direction de sa
visée, le concept même de l'immanence toute possibilité pour
l'essence de se retenir originellement en elle et de composer ainsi,
dans cet acte de se retenir originellement en soi, quelque chose comme
une intériorité. « Il n'y a pas de sphère de l'immanence, pas de
domaine ou ma conscience soit chez elle... pas d'intimité de la
conscience », et cela parce que celle-ci, dans la vision par exemple
« ne se possède pas et au contraire s'échappe dans la chose vue » (z).
Telle est, comprise par la pensee, la structure universelle de l'exis-
tence, en sorte que même le corps, sur le fond en lui de cette structure
« ne retombe jamais tout à fait sur lui-même », que « l'existence co rpo-
relle ne repose jamais en elle-même » {3)
Mais
. la pensée porte en elle l'essence qu'elle nie. Parce que
celle-ci constitue sa vie, cette vie immanente originelle qui est la
sienne dans l'acte même par lequel elle se tourne vers le dehors, . la
négation qu'elle formule quand, s'identifiant à un tel acte elle le
pense et se pense elle-même à la lumière du TéÀo qui le determine
dans 1 exterioritê, perd son assurance et devient ambi guë. Et ,
cela
non seulement parce que pour nous le contenu de sa négation demeure
e'ugmatique quant a son origine, en sorte que le problème de celle-ci se
pose
• inevitablement
, . . preluge et que la simple dénonciation »
du « de.
l,interiorite prealable du sujet de la connaissance demeure enente v' '
aveugle à l'égard de ce qu'elle dnnonce, se maintient ainsi• sur un
plan prephiloso p hi que et perd finalement tou te signification.
' Pour
elle, pour la pensée qui, conformément au éXode l'intentionn
S ante,
s'enfonce dans la ccnnaissance de l'objet, l'intériorité de celle-ci

(i) S2, . b2.


(2) PhP, 431-432.
(3) ID., 12-193.
L.A STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
48^.

n'est e --
p as d'abord,
^ en dépit direction
cette de constante q u'elle se
donne et qui lu'i appartient par principe, l'idée inadéquate à la
lumière de la quelle elle se comprend mal, ce « ré u é » est '
^ J ^ ^ plut6t, le sien,
il est ce qu'elle dit spontanément d'elle-même da ' du langase
ns !a verste
naturel (i). Au moment de la négation de l'immanence par
la conscience
philosophique préexiste celui de son affirmation immédiate dans la
vie. De quelque façon que celle-ci se figure cette immanence, que
les représentations qu'elle s'en donne trouvent inévitablement leur
contenu dans la pensée de l'étant et lui appartiennent, qu'elle se
comprenne par exemple comme une « boîte », n'est elle-même
qu'elle exprime ainsi spontanément et l'intériorité absolue de l'imma-
nence originelle qui constitue ro rement son essence est ce qu'elle
formule confusément. pourquoi C'est de telle
s représentations ont
pour elles
. la force
se de leur origine transcendantale elles
frayent.
un chemin jusqu'à la conscience se mai
philosophique, ntiennent en
celle-cl. et, finalement, s' 'à la nega
Y Juxtaposent taon théorique ' de
l'essence qui les nourrit. L'immanence n'est rien
de telle maniera
cependant que ce rien devient insensiblement quelque chose et, en
fin de compte, le nom d'une essence.
Ainsi voit-on, après qu'elle a été niée.. comme une. fiction
d'ailleurs inexpliquée, apres qu'il a été dit qu'il n'y a pas de sphere
de l'immanence, pas de possession de la conscience par elle-marne,
pas d intimite de cette conscience ni de domaine ou elle sort chez
elle, l'intériorité de celle-ci s'introduire a nouveau dans la proble-
matique et être implicitement admise par elle. « I 1 lui est bien. essentiel
de se saisir », affirme-t-on de la visiona c'est-' dire en-fait
. de la
conscience perceptive et de toute conscience en eneral « et si elle
ne faisait pas elle nele ^
serait vision de rien 'de soi
», Cette saisie de la

(I) i,al théorie du langage naturel n' a pu être expo see


tance .. Elle seule fonde en effet la ssibiit' migre ici
^n rmpor
po e pour la pensee d'accomplir le Reine
morial authentique de ce qui constitue sa propre essence. Une t
rien d' autre que celle de la philosophie elle : possibilite n est
de l'immanence elle-même.
490 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

vision dans la conscience comme saisie par soi de celle-ci, ce quelque


chose d « essentiel » qui donne au pseudo-concept de l'immanence
un contenu singulièrement positif, ne demeure pas toutefois, contrai -
renient à ce que la problématique avait tout d'abord affirmé dans un
premier temps de son analyse, totalement indéterminé son élabora
tion ontologique se poursuit au contraire, et cela conformément aux
prescriptions qui sont celles de l'essence. C'est pourquoi le texte
que nous commentons ajoute toujours à propos de la vision : « mais
il lui est essentiel de se saisir dans une sorte d'ambiguïté et d'obscurité» ( i).
Que de telles déterminations n'affectent pas simplement une ensee
qui se contredit et devient incertaine dès qu'elle se trouve en présence
du fondement dernier, et qui ne peut être indéfiniment éludé de
toute conscience possible, qu'elles appartiennent à l'essence et
puissent comme telles servir à la définir, on le voit dans le fait
qu'elles ne sont pas citées seulement comme des déterminations
inexpliquées de la conscience, mais trouvent encore en celle-ci dans
l'essence, une raison. C'est parce que le fondement de l'extériorité se retient
hors de celle-ci et ne se manifeste pas en elle que la conscience oû il réside est
dite « obscure » et, précisément, ne se montre pas. Voilà pourquoi elle
n'est pas facile à saisir, en elle ni dans les modalités structurelles
par lesquelles elle est censée constituer le monde, pourquoi elle
demeure quelque chose d'ambigu. « ii n'est pas facile de mettre à nu
l'intentionnalité motrice dit M. Merleau-Pont y, elle se cache derrière
le monde objectifi qu'elle contribue â constituer (2) . » « Tout ce qui, en
quelque manière, est là pour moi.., affirme d'une manière lus
generale un commentateur de Husserl (s), me cache ma subjectivité
transcendantale. » Et, toujours dans le même sens, parlant de « la
vente immanente au donné », un autre commentateur dira d'elle

(I) PhP, 432, souligné par nous.


(2) ID., ibi, note, souligné par nous.
(3). Ideen 1, 92, note de P. RicŒu1.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 491

qu'elle est « donnée danse une évidence originaire dont la frme d'im-
,nediateté dissimule le mouvement qui l'a engendrée » (i).
Ce n'est pas seulement parce que « l'intentionnalité qui les
produit reste en elles à l ' état implicite » (z) que les « productions »
propres aux sciences positives demeurent naïves, inexplicitées quant
au sens ontologique constitutif de leur être. Ou p lutôt, c'est à l 'origine
de cet « état implicite » qu'il convient de remonter si l'on veut
véritablement dissiper mais d'abord comp rendre le caractère naïifdes
sciences, lequel se fonde ultmement dans la structure cachée du ouvoir const%
p
tuant lm-même et des intentionnalités specifiques par lesquelles i1 s'exprime.
Ainsi s'éclaire, à partir de la non- manifestation dans le donné de
l'intuition donatrice , la méconnaissance habituelle de cette donation
Ainsi se trouve compris finalement non comme ce qui n 'est rien
mais comme celle-ci comme la condition de l'objectivité, l'élément
obscur qui se retient hors d'elle. Parce que l'élément obscur est la.
condition de l'ob ijectivité, « l'obscurité de la salle nécessaire à la clarte du
spectacle
- » et, finalement, la condition et l'essence de tonte présence
possible, il est comme tel, comme sa condition « ce qu'il y a d'opaque
dans mon présent » (4), et cela de quelque manière que celui-ci s'ac-
complisse, partout et toujours , en sorte que «. Penser la pensée » par
exemple, « ce n'est jamais éliminer, c'est seulement re orter lus
p p
haut l'opacité de la Pensée pour elle -même » (^)
Parce qu'il y a en elle quelque chose d'opaque et que sa propre
essence se dissimule, la pensée tombe dans l'oubli . Para qu'elle ne
peut cependant, et pour cette raison, dans l'acte meme par lequel
elle se pense elle-même, éliminer totalement mais seulement reporter

(I) TRAN Duc Tao, P hénoménologie et matérialisme dialectique , Minh-Tân,


Pans, 1951, 17$.
(2) HUSSERL, Formale und transzendentale Logih, Niemeyer, Halle, 1929, z
(3) PhP, 117, souligné par nous.
(4) ID., 399•
(5) ID., 454.
4gz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

plus haut sa propre opacité pour soi, la pensée ne tombe pas simple
ment, â vrai dire, dans cet oubli mais , ---- et cela conformément â la
positivité qui a ppartient au concep t de ce dernier et le rend ossible
p
en général elle le vit comme tel, comme l'oubli par elle de sa propre
essence. Ainsi parait celui-ci au sein même de la pensée qui l'accomplit.
« L'essence de la conscience est d'oublier ses propres phénomènes (i).
»
Que ceux-ci se trouvent interprétés ou non comme de sim p les événe-
ments psychologiques , comme des déterminations intentionnelles
spécifiques en tout cas , imp orte p eu ici c'est sur le fond en elle de sa
propre essence que la con science les oublie comme cela même qu'elle est.
Comment s'accomplit pareil oubli ? Que la conscience qui vise
l' extériorité manque l'essence qui se retient hors de celle-ci et ne uisse
p
par principe la tenir dans sa visée , que sur l'objet de cette dernière
elle se fuit. elle-niême, de telle manière q ue sa connaissance n'est ue
q.
l'ignorance de soi, tout cela a été dit. Qu'il en soit ainsi cependant
c'est là maintenant l'affirmation de la pensée de l'objet, l'autoné ation
g
de la négation de l'immanence . « Mon acte de perce p tion m'occu e...
p
assez pour que je ne puisse , pendant que je perçois effecti^rement la
table, m'ap ercevoir la percevant (z). » Parlant des êtres sensibles
qui m' entourent, ce p ap ier sous ma main , ç es arbres sous mes eux
y ,
Merleau-Ponty dit encore que « ma conscience se fuit et s'i g nore en
eux » (i). La de finition
inition de l'existence cômme échappement à soi impli ue ce
q
qu'elle me, l'immanence est sa présupposition consciente.
Parce que, selon la philosophie de l 'existence la conscience
oublie ses propres phénomènes , « elle eut se les rappeler » (4)
L'idée dans l'existence et dans la p hiloso p hie qu'inévitablement
,
l'existence se donne d 'elle-même, d'un Remémorial ossible ou
p
nécessaire atteste en elle la positivité de son oubli, la réalité de ce

(i ) FliP, 7i , souligné par nous.


(2) ID., 275,
(3) IA., 423•
(4) ID., 7Y.
LA STRUCT URE INTERNE DE L'1 MMA .NENCE
493

qu'elle nie. Ainsi voit-on naître et se développer dans la pensée de


l'objet, au sein même de son mouvement vers lui et de la saisie qu'il
accomplit, le sentiment que celle-ci^ et cela
deen raison direction
cette
qui est la sienne, n'est point exhaustive quelque chose en elle est
perdu, quelque chose d'essentiel qu'il s'agit de retrouver. Que la
perte de l'essence résulte dans la pensée de l' objet de sa direction et
non de la finitude d'un contenu entouré d'horizons le caractere
du Remémorial où prend cors pauorialise
contraire et s'hist
concrè-
tement pour la première fois dans
. . , , philosophie occidentale la la
possibil te d'une ontologie, l'atteste.. Ce n'est pasa leologae
la te de la
pensée ni à son projet d'une explicitation s.^
stématique du
m dans lecogitatu
dévoilement > successif
^ en des bori ons qu'il implique
réalité qu'obéit '
l'^rtox,^,
elle est l> Enox du monde, sa mire hors circuit et cela avec ' ' ` '
la cagna f icatlon
radicale de concerner ce monde comme tel, l'extériorité elle-même et le mouve-
ment vers. elle de l'intentionnalité, la téléologie, précisément, immanente à
celle-ci . Que cette signification radicale de l'bro,^ lui
echappe et ne
dans l' parvient, elle
se montre pas non plus dans les résultats auxquels que
examen des problemes constitutifs la pensée s'en tienne d'une
manière exclusive au mouvement de la conscience vers le monde
et que l'explicitation de celui-ci et de ses structures typiques se
poursuive elle-même conformément au 'r Xoç de ntionnalite Pinte ' ' et
selon le mode de dévoilement lui appartient t
qui a caracteri5e, que 1
le Rememorial se meuve encore dans l'oubli de l'essence, celle-ci en tout
cas le determane et le rend possible. Ainsi devient transparente la
question
que l'È.. ro sepose au1sujet d'elle-même , la questzor de sa pos,rabrlate et de
son origine. Parce que cette possibilité réside ultimement dans l'imma-
nence originelle de la vie transcendantale lasee pen
qui' la cherche
dans le^• monde pas ne la^ trouve
e quiAu henomenologu
s'interroge `
sur. ce qu'il fait, la reductian, parce
. qu'elle ne laisse point paraître son
origine dans la pensée et comme un « motif », apparaît dès lors sans
fonde ^
ment, elle est, selon la parole célèbre de Fink « immotivée ».
Q u'elle se produise cependantque, et bien
plus, le phénoménologue
494 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

se pose précisément à son sujet la question de sa possibilité et de son


origine, qu'il ne puisse y répondre autrement qu'en disant que la
réduction « se suppose elle^même » (i) ou, d'une manière plus signi-
ficative encore, que « ses motifs véritables résident dans les profondeurs
de la subjectivité transcendantale », non dans « l'homme » mais dans
« l'ego transcendantal que nous sommes vraiment fans le savoir » (z),
que le Remémorial porte en lui et pour lui, comme les signes certains de sa
positivité ceux de l'oubli qu'il accomplit, tout cela n'est-il pas éclairant?
,
Ainsi voit-on avec l'intervention, au sein même de la philosophie
de l'existence, du concept d'oubli et la mise à jour de sa signification
positive telle que l 'atteste encore l'idée d'un Remémorial , l'immanence
n'être plus seulement niée par elle , mais présupposée au contraire,
et cela comme ce qui rend possible cet oubli et le détermine, comme
ce qui se cache . La détermination phénoménologique positive de l'immanence
explique le statut de l'existence à l'intérieur de la philosophie qui prend
celle-ci pour thème et son « obscurité », l'obscurité de l'existence elle-même.
Q u'unè telle obscurité soit celle de l'essence et constitue son caractère
phénoménologique le plus remarquable , que celui-ci, bien plus, se
trouve compris dans son opposition explicite à la lumière de l'exté-
riorité identifiée à celle de la conscience ,' devient transparent à la
pensée qui précisément, pense toute chose à partir de l'essence . « Celui
,
qui perçoit; dit Merleau-Ponty, n'est pas déployé devant lui-même
comme doit l'être une conscience ( 3). » Ce qui n'est pas déployé devant soi,
ce« qui reste toi,'ours en de fa de notre perception », n'est pas rien toutefois,
c'est l'existence qui rend possible toute connaissance comme son
fondement , ce « savoir latent » (4) , « p reconscient » ( s), « habituel »

(I) li INK, Die phânomenologisehe Philosophie Edn id Husserls in der gegen-


wârtigen Kntik , Kantstudien, XXXVIII , 314, 1933, 346•
(2) G. BERGER , Le cogito dans la philosophie de Husserl , Aubier, Paris, 1941,
58, souligné par nous.
(3) PhP, 275, souligne par nous ; la présupposition du monisme est ici évidente.
(4) ID., 275, souligné par nous.
(5) ID., 96, 279.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 495

« cette science implicite ou sédimentée », que nous utilisons constarri=


ment sans jamais la mettre en question , qui est notre « acquis »
permanent, une « épaisseur historique », une « tradition » ( i ) . Parce
que l'obscurité de ces déterminations est celle de l'essence, elles
concernent l'existence sous sa forme ` la p lus p rofonde, le cor p s. C'est
l'immanence du corps originel qui fait de lui ce «savoir latent» et le détermine
phénoménologiquement , dans son opposition radicale à la conscience ui
q
signifie l'extériorité, comme quelque chose d'obscur (z), d' «insaisissable» (3),
comme ce qui est « négligé », « passé sous silence » (4). C'est elle, par
conséquent, qui fait dire de ce corps p ar M Merleau-Ponty, comme
par Descartes, qu'il obscurcit l'esprit et, parce qu'il fonde en general
la perception, que cette « obscurite' gagne le monde perçu tout
entier » (5). Que celle-ci demeure le plus souvent incomprise en ce
qui concerne son fondement ontologique radical et dernier, qu'elle
ne soit plus rien d'autre que l'obscurité d'une pensée incertaine et
laisse s'introduire alors, dans la s p hère d' existence nouvelle et abso-
lument originale qu'elle indique pourtant, des déterminations etran-
gères et, par exemple, dans le cas du corps , les figures de l'étendue
et les processus qui s'y accomplissent en troisième p ersonne (6),
qu'elle se trouve confondue avec la zone d'ombre qui affecte toute

(I)` PhP, 275.


(2) Cf « en disant que cette intentionnalité n'est pas une pensee, nous vo ulons.
dire qu'elle ne s'effectue pas dans la transparence d'une conscience et qu ' elle prend
pour acquis tout le savoir latent qu'a m on corps de lui -même », PhP, 269.
(3) EN, 393•
(4) ID., 39.5.
(5) PhP, 232.
(6) Cf. par exemple, PhP, 376 ; « Je savais sourdement que la perception globale
traversait et utilisait mon regard , ce caillou m' apparaissait en pleine lumière devant
les tenèbres bourrées d'organes de mon corps », souligne par nous . --- Nous avons
decrit ailleurs cette insertion dans la naît de l'immanence , plus ou moins confondue
avec l'inconscient , de n'importe quoi et la création corrélative des grandes mytho-
logies philosophiques, celle, précisément , de l'inconscient transcendantal par
exemple , là dessus cf notre ou rage Philosophie et phénoménologie du corps,
Presses Universitaires de France , Paris, chap. I.
496 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

conscience d'objet et que le corps dont elle constitue le mode ori-


ginel de révélation devienne â son tour un phénomène marginal
de cette conscience, le simple accom pagnement de l'acte erce tif,
p p
sa répercussion et son sillage dans la sensibilité (i), c'est l'immanence
principielle de l'essence qui est au fond de cette obscurité, c'est elle
qui alimente les confusions que celle-ci suscite dans la p ensée .
Le pressentiment de l'immanence , au sein même de sa négation
et de son oubli , ne se laisse pas seulement reconnaître â l'intérieur
des thèses contem p oraines sur l'existence, la hiloso hie classi ue
p p q
le porte en elles travers l'ensemble de son dévelo pp ement. A la
détermination de la réalité â partir de l'objectivité où elle se concrétise
phénoménalement,juxtapose se ' l'idée de ce qui au contraire ne se
manifeste pasen celle -ci. Un tel élément , p ar principe non objectif,
n'est pas rien pour autant mais , plutât, la condition de l'obj ectivité
elle-même. Qu'il se retienne hors de celle -ci dans l'acte même par lequel il
la fonde, détermine positivement l'« obscurité » de l'esprit, donne un
sens aux propositions répétées selon lesquelles il est « l'insai-
sissable ». (2.), « l'inconnaissable », « l'incoordonnable » et selon
le mot d' Alain, un « é ternel absent ». Le concep t traditionnel de
l'esprit ne peut se comprendre qu'à partir de celui de l'immanence, comme sa
formulation à la fois aveugle et inévitable .. Ainsi voit- on dans le Système

(i) Ces confusions et, d'autre part, leur origine, laquelle réside ainsi dans le
statut phénoménologique du eorps originel comme corps immanent , sont visibles
par exemple dans le texte suivant « I,,e corps par lui-même, le corps en repos n'est
qu'une masse obscure ; nous le percevons comme un être précis et identifiable
lorsqu'il se meut vers une chose, en tant qu'il se projette intentionnellement vers
le dehors, et ce n'est d' ailleurs lamais que du coin de 1'oeil et en marge de la cons-
cience , dont le centre est occupé par les choses et par le monde s (PhP, 372). - C'est
de la meme manière , d'un corps marginal , d'une première couche transcendante
de la sensibilité constituée parles sensations qui accompagnent l'accomplissement
du mouvement, non de L'être originel de celui-ci, c'est-a-dire du corps immanent,
que parle en réalité Sartre dans les propositions précitées qui présentent ce corps
comme « insaisissable », négligé ^, passé sous silence a, etc.
(z) I,e connaissant, dit Sartre ... n'est pas saisissable ^, EN,. 225.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 497

de l'Idéalisme transcendantal où se concentrent en un ensemble les


thèses fondamentales de la philosophie classique , Schelling identifier
la phénoménalité avec l 'objectivité comme telle et, dans le même
temps, poser, comme la condition de cette dernière, comme l'absolu,
le « non-objectif ». Car l'objectivité présuppose sa « production ».
Parce qu'elle n'est pas elle-même objective , celle-ci est «inconsciente ».
Qu'elle existe pourtant , et cela comme l'absolu, que la non-phéno•
ménalité soit le nom de l'essence, Schelling se préoccupe de le
montrer ou plutôt, en raison de cette non-phénoménalité du principe
de la phénoménalité, de le démontrera Pareille démonstration
s'accomplit de la manière suivante. L'accord manifesté dans l'expé-
rience entre nos idées et la réalité présuppose la production de celle-ci
par l'esprit . Ce que nous appelons la réalité, toutefois , n'est-ce point
ce qui ne dépend pas de nous et nous semble étranger à notre activité,
anterieurea son exercice ? C'est que l'activité créatrice de la réalité
objective, sa production precisement, est inconsciente . Voilà pour-
quoi ses produits nous étonnent, pcurquoi ils nous semblent être
là devant nous sans notre intervention, parce que celle-ci n'est pas
consciente . L'lncons ience de la production est le fondement de la realïté (z) ,
Mais cette thèse qui forme le contenu principal du Systeme de l'Idéa-

(I) L'étranger, selon Schelling, est ce qui est produit inconsciemment par le
moi. I,e monde , d'une manière générale, ne parait objectif à la conscience que dans la
mesure où il existe sans sa participation , c'est-à•dire est produit par un acte traits
cendantal inconscient. Ainsi s' explique la connaissance , l'accord qu'elle réalise,
selon la pensée traditionnelle entre la notion et 1'objet , accord qui « est inexplicable
,
sans une identité primitive dont le principe se trouve nécessairement au-delà
de la conscience' (If, 2 ,13). Et de la même manière l'union , qui fait l 'histoire, de la
liberté et de la nécessité (« 1'histoire n'est possible que par «l'union de la liberté et de
la nécessité... Par ma liberté et tandis que je crois agir librement doit se produire
sans que j'en aie conscience, c'est-à-dire sans ma participation , quelque chose que
je ne prévois pas... '. D'où « le devoir de demeurer entièrement tranquille sur le
résultat de mes actions (In., 325-326 - 327), le destin , la providence ia génialité
,"
enfin , qui est l' umon du génie avec l'activité inconsciente qui crée le monde (ef. .s
353).
498 L'ESSENCE IDE LA MANIFESTA TION

lisme, demande, si elle doit être comprise dans sa signification onto-


logique ultime, une interprétation plus radicale . C'est parce qu'elle
se retient hors del extériorité que l'essence peut s'ouvrir à celle-ci, c'est arce
p
qu'elle ne se montre pas en elle qu 'elle est sa condition . S'ouvrir à l'exté-
riorité, c'est là cependant l'acte originel de l'intuition . Parce qu'en
s'ouvrant à l'extériorité celui-ci ne se montre pas en elle ne se
montre pas , il n'est pas connu . Ainsi s'expliquent, parce que ce qùi
n'est pas devant, dans la lumière, se trouve , et cela comme la condition
de celle- ci, en deçà d'elle, dans la nuit, c ' est-à-dire finalement à
partir de l'interprétation ontologique de l'essence de la transcen-
dance comme immanence , les thèses fondamentales de Schellin g
l'idée que l'intuition en elle-même, « le non-objectif. .. écha e à la
pp
conscience » (z). Voilà p our quoi, comme il est dit ex p licitement ,
« le moi ne peut avoir une intuition et avoir en même temps l'intuition
de lui-même comme ayant intuition », pour q uoi « le moï, en a yant
l'intuition, ne sait pas qu 'il a intuition» (3) .
Parce que le moi, en ayant l 'intuition,^ ne saitp asu'il
q a l'intuiti on,
parce que celle-ci est inconsciente , elle s'oublie elle-même et se erd
p
(r) Ces thèses , parce qu' elles se fondent ultimement dans la structure ontolo-
gique universelle de la réalité , ne sont pas, bien entendu, propres à Schelling, On les
trouve partout, plus ou moins clairement formulées avec leur sens positif par
,
exemple dans cette proposition de bachelier : « soutenir que cette perception [par
exemple d'un mouvement] s'interpose ..: entre la conscience et son objet, c'est
avouer que cet objet reste en lui -même etranger à la conscience et mer le fait même
qu'on se propose d'expliquer n (Psychologie et Métaphysique, op. cit., 21 , à laquelle
fait écho ce texte de MERLEAU-PONTY dans la Phénoménologie de la Perception
« je perçois les choses directement sans que mon corps fasse . écran entre elles et
moi » -- ou au contraire simplement négatif , dans les conceptions d'ailleurs absurdes
des néo-réalistes américains -qui Dosent l'inconscience de la connaissance de l'objet,
la postériorité de la conscience par rapport à la connaissance conception qui ont
,
été reprises au moins partiellement par certains commentateurs de Freud pour
l'appui qu' elles peuvent apporter à la doctrine de l'inconscient .
I,à-dessus cf.
DA BIEZ, La méthode Psychanalytique et la doctrine freudienne
Deselee de Brouwer,
Pans, '949, II, 10. . ,
(2) IT, 9•
(3) ID,, 81-82.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 499

dans l'objet (r), L'oubli de soi.de l'intuition dans


q l'objet au ùel elle
s'ouvre appelle et rend nécessaire sa remémoration. Le but de la
philosophie transcendantale est^justement de rendre a la conscience
son acte d'intuition qui primitivement lui echa ppe (z) Comme celle
de son oubli, l'idée d'un Remémorial de l'essence est présente chez
Schelling. Comment s'accomplit pareil Remémorial, pourquoi il
échoue et. repete inévitablement l'oubli dont il procede, la probléma-
tique qui l'a montré le comprend maintenant. A l'idée du Rememortal
est liée en général dans la classique celle de la méthode. Que
philosophie cette
dernière revête la forme de l'analyse réflexive et ne puisse ainsi que
projeter, par le moyen de l'induction, les conditions de l'objet,.
c est-a-dire aussi bien l'essence elle-même, dans un arrière-monde
que celle-ci se ramène à cet ensemble de conditions x de telle
manière que rien n'autorise en réalité à concevoir comme esprit.
et a appeler de ce nom un inconscient capable d'accueillir en lui
n'importe quelles déterminations et, par exemple,pou le oirde
creer le monde, qu'a la faveur de cette confusion et dans son dehre
le sujet constructeur de l'univers s'imagine aussi en être l'auteur,
qu'il nous taille au contraire à la fois plus de certitude et plus d'humi-
lité, que le sens de celle-ci amène la pensee, consciente de son impuis-
sance, a réduire la condition qu'elle cherche de lapossibilite de
l experlence a un ensemble de « fonctions » purement « logiques »
et a perdre ainsi, non plus en l'identifiant à d'acte d'un super-étant ,
mais en la dépouillant de toute réalité et dans le vide de d'irréel
la réalité ontologique (3), qu'il ne subsiste plus de celle-ci finalement

(I) « L'intuition Sch ell ing, se


en elle-même, disait perd dans l' obj et », là-dessus,
cf sup ra, § i4 .
(2) Cf. IT, 9, 363•
(3) Comme le note justement G. BERGER (Le cogito dans la philosophie de Husserl,
op. c t., I23) u le transcendantal... ne caracterise pas meme chez Kant une certaine
région de l'être, celle de 1'd priori par exemple ». C'est pourquoi cette région u pure »
qui devrait définir le domaine de l'ontologie n'est pas quelque chose de réel, en
ce sens que Kant n'a pu en faire un phénomène, objet d'une « appréhension directe »
5 00 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qu'une mythologie transcendantale (I) constituée au hasard des


hypothèses ou des préférences subjectives, rien de tout cela n'importe
ici. Ce qui importe, c'est l'origine ultime que ces développements
trouvent dans la nature des choses, dans l'essence qui se retient
hors de l'exterioiite et qui pourtant, parce qu'elle est la condition

elle est seulement posée par une « réflexion critique ». « Ce n'est pas la révélation
d'une réalité absolue, fût-ce celle d'un acte, c'est la mise en évidence des conditions
à priori sans lesquelles aucune connaissance ne serait possible. » Encore «nette
élaboration philosophique se fait-elle « dans le monde » (ID.,124). Ainsi s'explique
que, finalement, le sujet kantien soit non « éprouvé n mais « admis » (ID., 127).
(i ) on peut trouver un exemple remarquable de cette mythologie dans 1 Allure
du Transcendantal de BÉNÉZÉ (Vrin, Paris, 1936). C'est souvent lorsqu'une pënsée
s'exténue et n'offre plus d'elle-même, dans le mouvement de l'histoire, qu'une
formulation extérieure de ce que furent ses intentions initiales que les insuffisances
et les lacunes de celles-ci paraissent au grand jour. C'est la ce qui fait l'intérêt du
livre auquel il est fait ici allusion et dans lequel on` voit se developper jusqu'à
l'absurdité la plus évidente les conséquences qui résultent dans la philosophie de
l'esprit de la dissimulation originelle de celui-ci et, en même temps,. de l'inaptitude
de la problématique à lui reconnaître un fondement dans l'essence. « On ne peut
saisir la conscience transcendantale elle-même H, affirme M. BENÉZÉ (ID., 18), ce
qui l'amène à declarer`au sujet de celle-ci qui constitue cependant le fondement
de toute connaissance, l'absolu, précisément qu'elle est cet « absolu n, qu'elle est
« indubitable », et cela bien qu'elle ne soit pas connue, qu'elle ne soit pas une « cons
cience » (« seule est absolue la conscience transcendantale, non pas même en tant
qu'elle est conscience, mais en tant qu'elle est indubitable u (ID., 259-2.60), et encore
que « la conscience transcendantale n'est pas une conscience » (ID,, 244)) et, dans
le même temps et pour cette raison sans doute, qu'elle n'est qu'une « fiction didac-
tique u et que c'est à ce titre seulement qu'il convient de la garder (ID,, I r) et que
d'ailleurs cc il ne nous est pas permis d'appeler conscience ce qui échappe au doute
cartésien » (ID., 94). Entre ces affirmations extrémes, également absurdes et contra-
dictoires, se situe toute la série des propositions classiques selon lesquelles le trans-
cendantal n'est qu'une « forme », un « cadre vide » (In., 261), une « forme transcen-
dantale impersonnelle parce qu'elle est vide n (In., z68), etc. Parce que la conscience
transcendantale est inconnue en elle-même, le problème de son analyse, d'une
« analyse transcendantale de la conscience p (ID,, 17), se pose comme celui de la.
méthode. Celle-ci consiste à « surprendre le transcendantal à propos du connaissant
et à propos du connu » (ID., 93). « Ce sera... par l'examen introspectif de la conscience
empirique associé à l'observation du monde que nous saisirons l'activité transcen^
dantale ' (ID., 13). Dans le monde et dans ses structures organisées on cherchera
le reflet du pouvoir constructeur, on tentera de saisir en lui « l'allure du transcen-
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE SOI

de celle-ci, ne se laissep
as sioublier.
facileme nt Qu 'elle soit. consciente
de l'oubli dans lequel elle se meut et conçoive au moins l 'essence
comme ce qui lui échappe , c'est là sans doute le caractère le plus

intéressant, le plus essentiel, de la philoso hie, u'elle soit celle de
p q
l,« esprit » ou de l'« existence Par un tel caractère en effet la réflexi
». on
traditionnelle ou contemporaine se rattache à l'essence et si elle ne
parvient pas à la détermination ontologique positive de sa structure
interne comme immanence , elle peut apparaître du moins en maints
de ses développements comme le p ressentiment
celle-ci.de

dantal L I,a détermination de celui - ci à partir de la conscience empirique pourra


se faire de la même manière, « à la condition que nous sachions transposer sur le
plan transcendantal ce que nous aurons surpris sur le plan empirique » (ID. 13).
n ha conscience transcendantale est la conscience empirique élevée a la dignité
de l'absolu » ( ID,, 94), dit encore M. Bénezé selon lequel il s'agit somme toute
.
d' « hypostasier 1 insuffisance du monde dans le transcendantal », en sorte que « le.
transcendantal est ce qui n'est pas empirique mais par défaut , par insuffisance de
celui- ci », et cela bien qu'on ne puisse «
rien tirer du relatif qui légifère sur l'absolu »
(ID., 21) • Toutes ces d #picultes expliquent sans doute pourquoi sera finalement
substituée à cette étrange conscience transcendantale l'une de ses créations le
,
sujet, lequel n' est qu' une notion construite ,
on ne sait comment d9ailleurs (« nous
ne nous soucions pas de savoir comment la notion est construite , c'est-d-dire
comment on passe de la conscience transcendantale à ses créations » (ID,, 237 )), bien
que la théorie de cette construction soit partiellement donnée -
« le sujet a avait
comme un ensembl e d'ob'etsobjets groupes autour de `l'un d'eux , le pP corps, qui joue le
rôle de substance. » (ID. , 257) -- sans etre pour autant elle -même
exempte de contra-
dictions puisque le texte précité ajoute qu'il faut se délivrer de la substance du
sujet comme on s'est délivré de celle de l'objet . Que les thèses soutenues par
M, Beneze ne soient point isolées et, par suite , que le parallélisme qui s' établit
entre la philosophie classique. et celle dite de l'existence ne soit po int
factice, on le
remarquera en comparant par exemple avec ,
ce qu'écrit un commentateur de
J.-P. Sartre lorsqu'il nous parle du « surgissement néantisant hors de l'être d'une
conscience transcendantale dont l'action interne ne peut etre décelable que sur cette
aP^arition du monde » ( VARET, :L'ontologie de Sartre, op, cit .,
6Y, souligné par nous .
Qu'elle ne puisse être « decelce » ou comme le disait lei. Bénézé «
surprise p que par
cette voie indirecte , tient au fait que l essence ne se montre pas en elle =meure, que
« le néant est.., anti-phénoménologique ' (ID., 171 ) . Ainsi s'
explique «le tabou existen-
tialiste de l'existence comme métaproblematique $ (ID, i 35). Et voilà pourquoi,
parce que la néantisation qui est l'essence de l'existence ne se montre pas, « la seule
chose à faire c'est de décrire le résultat de cette néantisation (h., 62
5 02 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

. Dans l'histoire de la pensée occidentale , toutefois, pareil pres-


sentiment ne demeure pas seulement implicite , le contenu philo-
sophique essentiel dont il approche dans l'ambiguïté trouve sa
formulation explicite dans la critique de la connaissance.

46. LA CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE . L'ESSENCE DE LA RELIGION

Par critique de la connaissance , on n'entend pas ici, comme on


le fait traditionnellement depuis Kant, la détermination des conditions
positives de la connaissance de l'objet. C'est seulement la. possibilité
pour une telle connaissance , ainsi définie dans sa positivité , d'atteindre
l'essence, l'4c absolu », qui est en question. Pareille possibilité constitue
d'ailleurs, chez Kant lui-même, l'objet d'une problématique expli
cite. Celle-ci se développe parallèlement à la détermination des
conditions positives de la connaissance,` en étroite solidarité avec
elle, de telle manière toutefois que son originalité se conserve et se
trouve marquée avec force par l'intervention du concept de finitude.
On trouve dans l'ontologie moderne, il est vrai, une interprétation
positive de celui-ci en tant qu'il entre lui-même dans la définition
de la connaissance et de ses conditions . Déjà chez Kant la finitude
de la connaissance apparaît identique à son effectivité si l'horizon.
du temps qui constitue l'extériorité originelle du monde détermine,
et cela d'une manière essentielle, le processus phenomenologique
dans son accomplissement effectif, c'est-à-dire la nature même de
toute expérience possible , Qu'une telle expérience ne soit point
selon Kant celle de l'absolu , que dans l'ontologie contemporaine
l'effectivité de la manifestation pure n'épuise pas non plus le tout
de la réalité et laisse au contraire hors d'elle l'essence orig inelle de
celle-ci, cela ne montre-t-il pas que la finitude ne désigne pas simple-
ment ni d'abord le mode positif selon lequel toute connaissance
s'accomplit, une détermination appartenant à son effectivité et pou-
vant servir à la définir mais, plutôt, sa limite, l'inévitable référence
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 503

de cette connaissance à ce qui invinciblement lui échappe ?Parce


que l'essence originelle de la réalité lui échappe, la connaissance est
finie, de telle manière que le concept de cette finitude retrouve une
signification négative. La tentative de résorber celle-ci dans la
positivité de l'expérience historiqe ue échoue son motif même témoigne
contre elle. La critique de la connaissance ne se ramène pas à la détermi-
nation e sa structure interne, de sa nature et de sa possibilité, elle n'est pas
davantage la mise ^n évidence du caractère nécessairement progressif et
indefini de son travail d'élucidation, mais désigne au contraire celui-ci comme
principiellement incapable de concerner la réalité non plus que l'essence qui
la constitue.
Par connaissance on n'entend pas, lorsqu'il s'agit d'une critique
générale visant sa nature et sa possibilité
p e oucas comme c'estici,
1
son impuissance de principe en ce qui concerne la réalité et le pro-
blème de sa détermination, un acte particulier de l'esPrt' un acte
de saisie explicitement dirigé sur quelque chose. Pareil acte présup
pose en général, outre la pré-donation passive qui lui fournit le
contenu impressionne) sur lequel il se dirige pour le déterminer, le
milieu ou cette pre-donation elle-même est susceptible de s'accomplir,
.. _ ^
le milieu ontologique originel de la connaissance pure. Sur celui-ci se fonde
tout « acte » de l'esprit, toute saisie active ayant la connaissance
d'objectivites determmees pour but et la constituant. Le progres
de cette connaissance concrete et active ne depend pas seulement en
conséquence de l'effort de l'esprit ni de l'importance de son travail
effectif, sa détermination originelle réside dans le milieu pur ou il
s'effectue . La determnation de la connaissance par ce milieu et
conforme'ment aux pproprietes eidetiques prescrites par lui, est
double, Parce que le milieu où se meut tout acte de connaissance
est un domaine die rencontres constitué par l'extériorité pure hors
de laquelle se retient au contraire l'essence originelle de la réalité,
son inaptitude de principe à saisir celle-ci est la premiere détermina-
lion ontologique structurelle de la connaissance. Qu'une telle déter-
5 04 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

mination ne caractérise pas tel ou tel acte de saisie considéré dans sa


particularité, dans sa relation à la liberté de l'esprit ou à la spécificité
de son contenu, que son incapacité à saisir l ' essence originelle de
la réalité concerne la connaissance elle-même, sa structure et sa
possibilité, tout acte de saisie possible par conséquent, c'est là préci-
sément le fondement ontologique de la « critique de la connaissance »
entendue dans sa signification radicale, son motif et ce qu'elle dévoile..
La connaissance dort être critiquée parce que l'absolu écarte de lui
toute approche s'accomplissant dans le milieu où elle se meut c'est-
à-dire. par elle. Dans l'acte constitutif de son essence par lequel il
écarte de lui toute approche , toute saisie possible s 'accomplissant
dans le milieu ou se meut la connaissance , réside le caractère inacces-
sible de l'absolu , comme caractère non provisoire mais insurmon -
table . L'absolu, cependant, n'est pas rien, il est l'essence de la vie .
Voilà pourquoi « la vie divine. .. subsiste dans le seul endroit où
elle peut être.., inaccessible à l 'intellect » ( x), pourquoi toute déter-
mination appartenant â celui-ci , toute connaissance toute p ens
ee,
n'est pas saisie mais perte de l'être, et cela non en fait main en droit.
« Plus une chose est connaissable ^ dit Nietszche en u ne proposition
essentielle, souvent citée et incom p rise dans son fonde ment
p ourtant
ontologique radical et dernier, plus elle s'e'loigne de l'être. »
Le milieu ou se meut la connaissance dans lequel elle n'approche
pas l'être mais plutôt s'éloigne de lui , est l'obj ectivité. Dès qu'une
pensee a affaire a la vie, dès qu ' elle se produit à partir de son essence
de cette essence de la vie qui est aussi la sienne, elle ne reconnaît
plus dans l'obectivite le mo yen de parvenir à ce qui lui importe le
plus, à elle-même, la connaissance n'est plus pour elle un moyen de
connaître, le milieu absolu de l'extériorité ne constitue lus un accès,
mais son contraire , non plus une voie , mais ce qui interdit tout accès
et barre toute . voie, une cloison et un mur . C'est pourquoi dans le

(i) VB, i6o, souligné par nous.


LA , STR UCT SIRE INTERNE DE L'IM
M14.NENCE S o f

monde spirituel où la vie se rapporte à la vie l'esprit 'a l esprit, ou


l' absolu se rapporte à lui-même il n'y a oint place
y p pour la connais-
sance objective qui ne pourrait s' produire que comme une «faille »,
qui ne pourrait que le détruire . « Entre l'esprit et l'es
prit il n'y a pas
cette faille de l'objectivité ( i). » Que l'essence ori inelle de l'
^ a vie ne se
manifeste point dans l'objectivité et que celle-ci
puisseen
ne conséquence nous
unir a cette essence mais seulement nous J eparer d 'elle se' arer d'avec '
tout ce qua est vivant, le jeune Hegel en avait eu encore l'intuition
quand, à propos de la première communauté religieuse formée par le
Christ et ses disciples, et parlant de la dis parition de celui-ci, rl
montre dans la suppression de son être -ob^ jectif non la suppression précise-
ment mais la condition de son rapport avec eux : « quand il se fut éloigné,
dit-il, tomba aussi cette objectivité , cette
cloison entre eux et Dieu » (z).
Le milieu ontologique de la connaissance ne la det ermine :pas
seulement comme principiellement incapable d 'atteindre l 'essence,
l'essence de la réalité et de la vie, il confère encore au mode. de son
accomplissement effectif une structure définie , Parce que la t
cenda nce de la temporalité constitueTans- l'extériorité originelle , cequi .
se montre en celle-ci s'entoure d'horizons , est pris dans ` le deroul e
ment du processus phénoménologique , se donne avec la caract
eris-
tique essentielle de « passer » L'explicitation intentionnel le du cogi-
tatum s ' appuie sur le contenu effectif de l'expérience et la prolonge
Si en elle l'esprit se tourne activement vers ce qui lui arrive la fa
dont s 'accomplit. .. ion
cette saisie active est chaque fois determi' ne' e par le
mode de présentation du donné et lui obéit. La connaissance dont il
est question avec le projet philosophi que d'une critique explicitement
.
orientée vers elle et vers sa ossibilite , ne se laisse as identifier
a l' ensemble des actes concrets de saisie dans lesquels l'esprit dete.
mine le donné ni à leur simple description, le milieu ou elle se meut

(I) CD, 89.


(Z) ID., 92, souligné par nous.
M. HENRY 17
oC L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lui prescrit cependant de s'accomplir en de tels actes et par eux.


S'accomplissant dans les actes de saisie qui se modèlent sur le dérou-
lement phénoménologique de nos expériences, la connaissance du
donné ne cesse de se tendre vers ses horizons, elle revêt la forme de la
discursion. Avec la venue dans le champ de l'évidence présente du
donné des contenus primitivement impliqués par lui , elle progresse,
de telle manière cependant que, dans le surgissement continu des.
horizons , de nouvelles configurations et de nouveaux contenus ne
cessent de se proposer à son travail d'élucidation . Pour toutes ces
raisons, la connaissance se poursuit nécessairement comme une recherche
telle est la seconde détermination structurelle qui lui est prescrite
par le milieu ontologique où elle se meut.
Conformément à la première détermination , toutefois, cette
recherche est vaine et, non moins nécessairement , l'essence du réel,
qui sous-tend en réalité son projet systématique d'élucidation et
qu'elle vise ultimement en celui-ci , lui échappe . Ici doit être entendue
la parole qui surgit en dehors de tout contexte philosophique explicite
ou thematiquement constitué, avec d'autant plus de force pourtant,
et dans la simplicité du langage originel « qui cherche ne trouve
pas » {i}. Parce que l'essence qu'elle vise ultimement se retient hors
du milieu ontologique où se produit sa recherche , la connaissance
ne la trouve pas. Parce qu 'elle ne la trouve pas , elle la recherche. Dans
la structure de la réalité réside, outre le motif de son échec, l'origine
de la connaissance . Celle-ci cependant, parce qu'elle ne trouve pas
ce qu'elle cherche, poursuit sa recherche plus avant . Dans le mode
concret selon lequel se poursuit cette recherche, l'échec auquel elle
se heurte ne se trouve pas simplement répété. Se tournant chaque fois
vers autre chose, vers l'explicitation des horizons nouveaux qui se
. proposent à elle, s'avançant _ toujours plus loin sur le chemin de
l'extériorité, elle ne cesse de s 'éloigner de ce qu'elle cherche et dont

(i), Journal intime, Grasset, Paris, 1945, P. 300.


LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 5 07
elle croit au contraire approcher. Suivre un chemin de telle maniè re
que, croyant approcher du but, on ne cesse de s'en éloi ner, c'est
. g
la proprement s'égarer. Toute recherche connaissante a en ce qui
concerne son but ultime, le caractère d'un égarement (i) ou, parce
que « se tourner vers » signifie en. réalité pour elle « se détourner de »,.
celui d'un détournement. Voilà pourquoi « la vie » e n tant qu'elle
est cette recherche, « est un perpétuel de'tournemellt qui ne permet
pas même de se rendre compte de quoi il détourne » (2), c'est-à-dire
d'elle-même, pourquoi, parce que cette essence de la vie n'est point
• ,
detruite mais manquee seulement dans la connaissance (3), « il y
a un but mais pas de .,
chemin », pourquoi enfin, parlant'
de celle-ci
Kafka dit, plus explicitement encore « Qui s'efforce partieuliere-
ment d'y atteindre, est suspect de s'efforcer contre elle (4). »
Toute l'oeuvre romanesque de Kafka raconte, avec infiniment
d'humour et de drôlerie les per peties d'une telle recherche qu'elle
soit celle de la réflexion ou prenne ou contraire la forme d'un compor-
tement « réel » ses échecs, comment elle rebondit et consciente
de s'égarer, tente de se ressaisir, de s'assurer d'elle-même et 9 dans ce
retour sur soi, s'écarte encore un peu plus de celui-ci, de ce soi qu'elle
cherche,
. s'obstine dans son erreur et s'egare de plus belle, Ainsi
s'explique, à partir de l'incompatibihte eidetique de l'être et de la
connaissance, l'antinomie qui est au centre d'une telle oeuvre l'inver-
sion qu'elle décrit, les contradictions qui en résultent. L'idée qu'il y
a deux mondes, que tout ce qui se passe dans l'un est sans ra ort
, pp
avec la reahte, sans importance dans l'autre, que les mo ^Teus vont a
l'encontre du but re c h erché, servent seulement à masq u e r celui-ci,,

(i) a oujours à
T nouveau je m'égare; c'est un chemin forestier b, Jo urna l intime,
op. Cit., 224.
(2) 'ID., 290.
(3) cc Nous avons é té chassés du paradis, mais le Paradis n'a pas été détruit pour
cela b, I D., 302.
(4) ID,, 304.
So8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

c'est-à-dire aussi bien, dans la direction princ:pielle ose se perdent toute


action et toute pensée, son absence, l'absence de l'être et de la vie, le renver-
sement des valeurs, l'inversion des perspectives, expriment et
commentent cette incompatibilité. Celle-ci n'est pas seulement
reconnue, elle est comprise dans son fondement saisie dans sa struc
ture. Que l'essence qui demeure en elle-même de la vie ne se laisse
point rencontrer dans le milieu vers lequel se dirige l'acte de la
connaissance, dans la dimension ontologique de la division et de
l'altérité, c'est ce qu'exprime explicitement Kafka : `r la vérité est
indivisible, elle ne saurait donc se connaître, celui-là doit être mensonge qui
veut la connaître » (I). Parce que l'acte de la connaissance qui divise
et se donne dans l'altérité un objet irréel manque l'essence qui est
en lui d'abord, celle de l'être et de la vie, ce qu'il détermine ne porte
pas le caractère de la réalité, ne manifeste pas la vérité de celle-ci.
L'exposition dans le néant n'est pas celle de l'être et son langage
n'est pas véridique, en celui-ci plutôt se dissimule ce qu'il prétend
dire, « Aveu et mensonge sont identiques. Pour pouvoir avouer,
on ment. Ce que l'on est, on ne peut pas l'exprimer, puisque Juste-
ment on est cela ; on ne peut communiquer que ce que l'on n'est as,
c'est-à-dire le mensonge (2). » Parce que le langage de la connais-
sance ne manifeste pas la vérité de l'être, parce que. la vie n'est point
présente dans le milieu ou progresse toute pensée, la recherche ici
n'atteint qu'une essence morte et des déterminations fY gees (3)•
La conscience malheureuse n'est pas seulement la conscience sensible
ce n'est pas à celle-cl précisément, mais à toute connaissance à toute
pensée, que s'adresse l'interrogation qui est celle de l'essence elle-

(I) Jo urnal intime, op, cit., 269, souligné par nous.


(2) K&p, fiers divers, feuilles volantes, in Préparatifs de noce â la campagne,
Gallimard, Paris, 1957, p. 301. « .I,a loi intérieure, dit encore KAFKA, n'est
pas communicable parce qu'elle n'est pas saisissable et, pour cette raison, elle
n'en inspire pas moins à se communiquer » (Journal intime, op. cit,, 306-307) .
(3) « I,e ciel ^, c'est-à-dire le monde, « est muet, dit il n'est que l'écho
du mutisme p (Journal intime, op. cit., 299)
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE o
S9

même, sa parole la plus essentielle ; « Pourquoi cherchëz -vôu parnii


les morts celui qui est vivant ? »
L'opposition structurelle de l'être et de la c'
onnaissance est
l'intuition centrale de la religion . La conviction u1 '
q caractérise
celle-ci est la conscience i mmédiate de l'être laquelle s'exprime
non moins immédiatement dans le sentiment que cet élément essen
tiel dont elle vit et qui constitue aussi l'essence de toute vie ixe se
laisse oint rencontrer sur le chemin suivi par la connaissance et ne
peut être saisi par elle. A partir de cette double intuition et de son
unité originelle s ' expliquent les différentes formes susceptibles d'être
prises par la religion et dans lesquelles celle-ci s'exprime également
Le retrait de l'absolu hors du champ de toute connaissance possible
explique et fonde sa négation theori ue, détermine - le contenu
philosophique de l'atheisme. Lorsque ce dernier ne se laisse pas
ramener â sa formulation naïve, a la simple systematisation des theses
de la conscience naturelle qui prétend s'en tenir fermement aux deter-
minations objectives , a ce qu'on peut voir et toucher, sa verste '
apparaît dans le refus de chercher en celles-ci et dans le milieu o à elles se
manifestent autre chose que ce qu'elles sont en effet, les déterminations du
monde. Que dans un tel refus et pat lui l 'essence orig inelle de l'être
et de la vie ne se trouve point niée mais preservee au contraire avec
le maintien hors du monde de la dimension ontologique où elle
s'accomplit, le terme de cet athéisme devenu conscient ` ' ce.
de ,sol,.
â quoi il nous invite , l'indiq ue clairement. rejet du concept de dieu
est celui d'un absolu transcendant , extérieur à la vie est le ne
ne`et de jet
l'extéri rit
e
comme incapable d'enfermer en elle l'e ssence de celle-ci. L'invitation e'pres
sement faite a la conscience de ne plus se perdre dans l'irreah te du
milieu ou elle aliène son essence l'abandon corrélatif des represen
Cations où cette aliénation s 'accomplit, c'est- à-dire precisement du
concept de Dieu , le retour à la vie et a la sphère originelle d'existence
,. ...
ou reside sa possibilité concrète, définissent celle-ci , constituent les
moments d'une analyse éidétique où la structure originelle de l'être
S To L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

se trouve reconnue et posée. Ainsi voit-on, dans Niel. Lyhne,


Jacobsen comprendre explicitement et décrire l'athéisme comme le
refus de substituer â la réalité immanente de la vie un monde du rêve
ou de l'espoir dont le. seul effet est de nous détourner de celle-ci et de
nous empêcher de la vivre dans sa splendeur. Ce n'est point la réalité
de la vie ni son absoluité, c'est la prétention de la trouver dans l'irréa-
lité de la représentation qui se trouve mise en cause par l'athéisme.
s'« il peut être utile d'éviter le nom de Dieu » ce n'est donc pas,
comme le pense Hegel, parce qu'il s'agit là précisément d'un nom,
lequel « n'est pas immédiatement et en même temps concept » (i) ,.
mais, bien au contraire, en raison de la structure même de celui-ci et de son
mouvement.
Que dans l'être qui demeure en lui-même réside au contraire
et se trouve constituée, dans son irréductibilité au milieu de ce mou-
vement, la réalité de l'essence et de la vie, celle - ci en fait identique-
ment l'expérience , fait l'expérience de sa propre réalité , dans la
religion. La foi est l'expérience interne de la vie et de son essence
et son opposition traditionnelle au savoir exprime p hiloso p hi q uement
l'hétérogénéité ontologique structurelle de l'être et de la connais-
sance. C'est pourquoi comme le comprend ou, p lutôt, le vit s on-
, p
tanement la conscience religieuse, la croyance p ar la q uelle elle se
définit n'est pas une fuite hors de la réalité mais l'a ppréhensi on
immédiate de celle-ci, l'expérience originelle de l'être constitutive de l'être
lui-même et de sa structure « Croire dit Kafka, signifie : libérer en soi
.
l'indestructible , ou p lus exactement, se libérer , ou p lus exactement
être indestructible, ou plus exactement : être ( 2) . » L'identité ontolo-
gique de l'être et de la: cro yance (Glauben ist Sein.) est le thème
constant de toute pensée religieuse authenti q ue qui la vit et l'ex p rime
aussi bien comme l ' hétérogénéité corrélative de l'être et de la connais-

(i)' PliE, I, 57.


(2), Journal intime, obi, cit., 298.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE S Iz

sauce. Que celui-ci se dérobe à celle-là , ne détermine plus sa né gation


théorique dans la pensée mais , bien plutôt, la compréhension de sa
structure interne. Une telle strüctüre rend compte de l'impossibilité
qui affecte principiellement le projet même d'une saisie connais-
sante de l'absolu, c'est-à-dire aussi bien tout ensei g nement concernant
ce dernier et s'accomplissant par voie de connaissance. « Dieu
disait le jeune Hegel , ne peut être objet d'étude ou d'enseignement,
car il est la vie et ne peut être compris que par la vie (i). » L'im ossi-
bilite qui affecte principiellement le projet d 'une saisie connaissante
de l'absolu appelle dans l'existence et rend légitime la détermination
de se tenir à l'écart d 'un tel proj et, donne sa si nihcation méta h
g pY-
Bique et religieuse à l'état d 'ignorance « L'ignorance de Socrate,
.
devait dire Kierkegaard, et cela non par hasard était une sorte de
crainte et de culte de Dieu . » Elle n'était pas seulement, à vrai dire,
comme la transposition en Grèce de l'idée lJuda que de la crainte
de Dieu, mais remontait encore à l'origine de celle-ci, à l'acte de
l'essence de se retenir en soi. Voilà pourquoi, parce qu'elle vaut
finalement comme la reconnaissance et la p réservation de l'absolu
lui-même et de sa structure interne , l'ignorance de Socrate se laisse
comprendre comme essentiellement ambigue, identique plutôt à
son contraire, pourquoi « la divinité a reconnu en lui le plus grand
des savoirs » (2).
Socrate, il est vrai, posait des questions , Toute interrogation
n'est - elle pas comme une i nvitation à la connaissance ou plutôt
sa première démarche, le surgissement dans une certaine direction
et à l'intérieur d'un cadre défini, de l'horizon ou quel q ue chose doit
pouvoir se montrer et être saisi ? A ses questions, toutefois Socrate
on le sait, n'attendait pas de réponse, si ce n ' est pour en faire appa-
. raître immédiatement le caractère illusoire. La dialecti que telle qu'il

(I) CD, 9&97.


(2) D, 198.
S x z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la comprend ne vise pas la constitution progressive d'un savoir,


mais plutôt le non-savoir et s'achève en lui . Celui-ci constitue l'essence
du trouble inhérent à toute question , à la connaissance elle-même
en tant que l'essence nécessairement lui échappe . Cette dissimulation
de ce qu'elle cherche, la connaissance qui interroge peut bien l'éprou-
ver comme une détermination extérieure ou p rovisoire, elle lui
appartient en réalité et surgit en même temps qu 'elle. Le trouble dans
lequel elle vit cette dissimulation ne précède donc pas sa propre
question et n'en résulte pas non plus comme une conséquence,
il est produit p ar elle et lui est identi que. « Si p ersonne ne me demande
ce qu'est le temps, dit saint Augustin, je le sais ; si quelqu'un me le
demande je ne le sais pas (i). »
L'échec du savoir spéculatif dans sa prétention de saisir l'être
de l'absolu, c'est-à-dire l'essence du divin , donne sa signification .
philosophique à la distinction instituée par Fichte, à propos de celui-ci
précisément, entre l'élément « historique » et d'élément « métapy h
sique » du phénomène . Que le fait primitif du christianisme l'être-
fondé-en-Dieu de Jésus, son essence divine -- ne se laisse p as inclure
dans une métaphysique, qu'il ne soit pas « la suite nécessaire d'une
loi supérieure et plus générale et ne puisse en être déduit » (2), . qu'il
n'admette point au-delà de lui la transcendance d'un horizon de
compréhension à partir duquel il serait explicable (3), ne résulte
pas d'une défaillance p rovisoire de la connaissance mais de la nature
de celle-ci et du milieu ontologique ou elle se meut résulte de la
nature de ce fait lui- même comme foncièrement étran g er à un tel
milieu. Pareille \ étran geté détermine ce q u'il y a « d'histori ue » en
q
(I) Confessions , liv. XI , chap. 13-28.
(2) VB, 286-287.
(3) En ce qui concerne le fait primitif du. Christianisme , a ce fait se trouve trans-
forme en métaphysique par un usage de l'entendement qui s'élève au-dessus du
fait quand on s'efforce d'en comprendre la raison et si par exemple dans ce but
on édifie une hypothèse sur la façon dont l'individu Jésus, en tant qu'individu,
procède de l'essence divine » (ID., 287-288).
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE i3

1 Jésus et nette historicité du fait primitif du christianisme ne si - nifie


rien d'autre a son tour que la définition de son essence comme imma-
nence, A partir de celle-ci seulement et de sa structure interne s'éclaire
le rejet de toute connaissance possible la concernant. Voilà pourquoi,.
comme le note Fichte, Jésus « n'explique absolument rien du monde
au moyen de son principe religieux, et ne déduit rien de ce prin-
cipe » (i), pourquoi, en ce qui concerne son être propre, il écarte
la possibilité même d'une connaissance spéculatr e. Seule compte à
ses yeux son existence historique, l'ex erience intérieure de Dieu
c'est-à-dire Dieu lui-même comme constitutif de cette existence et
par conséquent, de son être. Parce que dans la structure interne de cette
expérience originelle la transcendance n'est pas incluse, à ce qui se révèle
en elle on ne peut venir à partir d'un horizon et l'être de Jésus ne peut être
compris. « Pour Jésus, dit Fichte avec une profondeur infinie, une
telle transcendance était pure imposs bil te • car à cet effet il lui
aurait fallu dans sa personnalité se distinguer de Dieu se poser à
part, s'étonner devant lui^même comme devant un phénomène
curieux et prendre à tâche de résoudre l'énigme de la possibilité
d'un individu tel que lui (z). » L'interdiction expressement formulée
par Jésus et sans cesse opposée par lui à ceux qui veulent établir
une distinction entre lui et son Pere l'imp. ossib' eté corrélative de le
connaître dams le milieu de l'extériorité s'expliquent ainsi à partir
du caractere historique de son existence et de la structure prescrite
a celle-ci par un tel caractere. C'est pourquoi, parlant de cette exis-
tence de Jésus et de ce qu'elle fut pour lui Fichte peut encore dire
qu'« il ne la connaissait pas sous forme de concept gênerai â la manière
dont le philosophe spéculatif la connaît et cherchea la définir,
• e
car il ne pulsait pas dans le concept mais purement et simplement dans
sa conscience de soi, I la considérait historiquement » (3) . C'est parce

(i) VB, 290.


(2) In., 292-293,
(3) ID., 292.
514 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

que, en raison de la structure de son existence, Jésus ne pouvait proposer


celle-ci à une connaissance que son enseignement devait dès lors être ce qu'il est
non précisément la communication extérieure d'une connai ssance, mais la
transmission de son existence même , et cela dans le milieu ontologique qui
est le sien, dans la sphère d' existence originellement immanente qui est
l'essence de la vie « La seule initiation ... qu'il p ut donnera ses disci ples,
c'était de devenir semblable à. Lui (1). »

§ 47. LA CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE


- A L'INTÉRIEUR DU RATIONALISME

L'incompatibilité eidetique de l'être considéré dans sa structure


interne et de la connaissance ne constitue pas seulement l'une des
intuitions fondamentales de la religion, son appartenance a la réalité
qu'elle définit la rend perceptible et agissante à l'intérieur même des
pensées qui prétendent au contraire fonder sur la connaissance
elle-même et sur son developpement sYstematique une approche
suffisante et adéquate de l'être.; La manifestation de cette incompatibilité

(i) VB, 292. - Que l'impossibilité de parvenir à l'essence par le moyen du savoir
ne présuppose pas l'inexistence de celle-ci et s'enracine au contraire dans la posi-
tivité de sa structure interne, Kafka, penseur religieux, devait le reconnaître à sa
manière . Aussi voit-on dans le Journal, au moment même où l'échec de toute
recherche humaine lui est explicitement imputé, se faire jour . au contraire la neces-
sité de fonder sur l'essence elle•même, et comme identique en fait à celle-ci, la
possibilité effective de parvenir jusqu'à elle. Une telle possibilité fondée sur la
structure de l'essence se laisse comprendre, dès lors, à partir de son opposition
radicale à la connaissance, et la pensée qui se laisse conduire par elle, c'est-à-dire
par l'essence elle-même, retrouve la signification métaphysique et religieuse des
« moyens qui furent depuis l'origine ceux de la religion, la signification des techni-
ques religieuses, tandis que se découvre à elle, dans le même temps et pour cette
raison , l'essence, que meconnait nécessairement tout savoir positif, de la réalité
et de la vie. Parlant de celle-ci, Kafka dit qu'elle est « répandue autour de chacun,
dans sa plénitude, mais voilée dans la profondeur, invisible... Elle se trouve là-bas
point hostile, point réfractaire m sourde. I,, invoque-t-on par le mot juste, par son
nom véritable, alors elle vient. C'est là le caractère de la magie qui ne crée pas
mais qui invoque * (Journal intime, op. Cit., i i ).
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE SIS

est au sein du rationalisme la contradiction à laquelle il se trouve inévitable-


ment conduit, sa transformation intérieure en son contraire . Plus catégorique
est l'identification de l'expérience de l'être à l'acte de la connaissance,
plus explicite la compréhension de cette dernière à partir de la
projection d'un horizon et comme une saisie s'accomplissant en lui,.
plus inévitable aussi le moment où, se heurtant à la réalité qu'elle ne
peut précisément appréhender dans sa connaissance, la pensée se
voit contrainte de renoncer à celle- ci et à la direction prescrite par
elle. Ce retournement des positions est - visible par exemple dans le
livre consacré par Jean Laporte à Descartes et, précisément, à son
K rationalisme.» . Après avoir affirmé que toute connaissance consiste à
« voir », c'est-à-dire à « prendre conscience des ob j ets qui lui sont
présents » ( 1), il faut avouer que la réalité ne se laisse ni reconnaître ni
saisir dans une appréhension de cette sorte. L'irréalité du milieu où
elle se meut met en cause la validité des critères par lesquels la connais-
sance tentait d ' asseoir sa signification ontologique . « Clarté et dis-
tinction ne sont pas marques de réalité mais de possib ilité (z). »
Aussi quand, après avoir déterminé l'essence de l'âme comme pensée,
c'est-à- dire en fait apres l'avoir identifiée et confondue avec la
connaissance elle-même et finalement avec l'irréalité de son milieu,
le cartésianisme veut ajouter à celle-ci l'élément de la réalité et se
donne , avec la prise en considération du thème de l ' union substan^
tielle, pour une problè matique de l'existence concrète , les présuppo-
sitions ontologiques fondamentales par lesquelles il ;se définit primi-
tivement comme un rationalisme deviennent inopérantes et doivent
être congédiées . Si l'appareil conceptuel de la connaissance , c'est-à-
dire la détermination eidetique des modes positifs de son accomplis-
sement, n'est plus d'aucun secours a la pensee qui souhaite atteindre

fi) J. IAPORTE , Le Rationalisme de Descartes , dresses Universitaires de France,


Paris, 1 900, 21, 76.
(2) ID., 2o6 , cf. ID ., 143-144.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la structure interne de l'existence , en faire l'expérience, si celui qui


« veut apercevoir clairement son union avec le corp s doit se détour-
ner.. . d' une connaissance de cette sorte » ( i), de la connaissance par
idée claire et distincte , c'est-à-dire en fait de toute connaissance,
si « pour « bien concevoir » l'union substantielle il faut « l'éprouver
en soi-même sans philosopher »... il faut la vivre », si la voie par
laquelle on parvient à la conception de cette union « contraste
étrangement avec la voie ordinaire des conce p tions scientifi q ues
ou métaphysiques » et implique la renonciation à l'orientation pro-
fessionnelle du philosophe (z), c'est qu'il n y a pas de transcendance de
la réalité et que, pour cette raison, le retournement dialectique du rationa-
lisme s'est accompli (3) .
A la compréhension de celui-ci, c'est-à-dire à tout acte de
compréhension comme tel, échappe en général la réalité, non seulement
l'existence concrète pensée sous le titre de l'« union » , mais ses déter-
minations comme déterminations intérieures de l'être, la volonté et l'action.
L'impossibilité, vécue par Descartes et exp rimée p ar lui comme
impliquant le caractère provisoire de la morale, de donner à l'action
un fondement assuré, assumé et fourni par la connaissance elle-,Hème ne
tient pas à l'inachèvement de celle-ci, à la nécessité pour l'homme
d'agir avant que ne prenne fin l'exploration , jamais exhaustive, de la
situation historique concrète qui est chaque fois la sienne . Avec le
thème de l'urgence le rationalisme croit promouvoir ou maintenir
dans le domaine de l'ethi q ue la validité de ses p ro pres criteres et se
borne a constater que les « circonstances » en rendent l'application
malaisée ou seulement partielle et progressive . Mais quand il s'agit
de définir ce qui constitue proprement
. ce domaine de l'éth ique, quand

(i) J. I,APORTE, Le Rationalisme de Descartes, op. cit., p 253 .


(2) Ibid. Cf. DESCARTES, Lettre à Élisabeth, 28 juin 1643, AT, III, 693-69t
(3) Telle est selon nous la signification radicale de la critique de la raison insti-
tue par Pascal, de l'opposition à celle-ci d'une nature à laquelle il est recouru comme
à un fondement . Cf. PASCAL, Pensées, I,afuma, Delmas , Paris, 1952, 246.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 517

la pensée vient se heurter au problème de la détermination intérieure


de l'action elle-même, l'analyse éidétique de celle-ci laisse paraître en
même temps son enracinement originel dans l'être et son opposition structurelle
à la sphère de la connaissance. Telle est la signification de la probléma-
tique cartésienne de la volonté. Que la nature de celle-ci ne se laisse
pas ramener à celle de l'entendement, qu'elle échappe à toute saisie
possible s'accomplissant sur le mode de l'évidence et, aussi bien, de
la pensée confuse ---, c'est là précisément ce qui la détermine non
comme une • moindre réalité mais comme l'essence originelle de
celle-ci. Parce qu'elle constitue l'essence originelle de la réalité,
la volonté ne s'oppose pas seulement à la connaissance comme ce qui
se tient toujours et inévitablement au-delà de son acte d'apprehen-
sion, elle constitue encore ce qu'il j a de réel dans celui-ci. Ainsi voit-on
la connaissance trouver elle-même son fondement dans ce qui se
refuse par principe à l'idéalité du milieu qu'elle développe, dans cet
acte du « je pense » ultimement compris et interprété comme un « je
peux ». Ainsi se manifeste à nouveau, à l'intérieur même de l'horizon
dessiné par elles, la faillite des présuppositions en vertu desquelles
la pensee croit saisir immédiatement l'être sur le plan de la connais-
sance . Le volontarisme ne s'oppose pas simplement à l'intellectualisme, il
en est la conséquence. Il est réconfortant de penser que l'interprétation
du cartésianisme, comme de toute pensée authentique, n'obéit pas
seulement aux préférences subjectives des commentateurs et des
spécialistes, et repete, comme malgré elle, les prescriptions de l'essence.
A.pres avoir tenté, à la suite de Descartes, d'asseoir le caractère de
l'action humaine sur celui de la connaissance et sur la finitude de.
celle-ci dans son accomplissement nécessairement temporel (I),
J aspers en vient à l'essentiel, â l'identification du vouloir et de l'e"tre (z).
C'est parce que celui-ci échappe principiellement â la connaissance que

O I,à-dessus, cf. JASFERS , Descartes et la philosophie, trad. IL POLLNOW,


Alcan, Paris, 1 938, 70-71•
Be
(2) Cf. Philosophie, J. Springer, rlin, 1932, II, i86.
f18 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'action revêt la forme de l'audace et du ris que (i ), en soue que


ue l'appare
l'apparente
gratuité de la décision dans son surgissement abrupt ne signifie
par l'arbitraire de ce qui est sans fondement mais détermine l'être de
celui-ci dans son opacité foncière à la phénoménalité du monde (z).
Toute la philosophie de Jaspers atteste l'opposition irréductible
de l'être et de la connaissance. C'est à la lumière de cette opposition
et par
. elle, comme foncièrement étrangère, par conséquent, à ce
qui fait la clarté de la pensée ou encore de. la raison que l'existence
qui constitue ici le thème principal de la problématique, se trouve
precisement être dehnie. D 'ou l'instauration chez Jaspers d'une cri-
tique de la connaissance dont la signification philosophique est de
faire apparaître au sein même du savoir et de son développement ce
qui nécessairement lui échappe. Ce qui échappe au savoir' et cela
nécessairement, ce qui se tient au-delà du milieu ontologique où il
se meut, auwdela de toute objectavate et de toute re resentation
p possible,
est appelé transcendance. Celle-ci vaut comme détermination de
l'être.réel et concerne
, pour q cette raison l'existence
lui. elle-même ui
est liée secretement. Parce que, en ce qui concerne du moins son
être reel, l'existence ne se laisse pas saisir dans une re resentation ni
réduire
..a l'être
Jas objectif ou, comme _le dit souvent
pers, à l'être
empirique, elle demeure affectée d'une obscurité essentielle et dans
son intimité ineffable, se refuse au savoir. Pour cette raison aus si,.
parce que les déterminations qu'elle se donne sont celles de l'être
et se produisentpartir
à de lui,L'existence
on l'a vu, les assume dans

(I) «Être fidèle à moi-même, pourront dire M. Dufr€nne et P. Ricoeur dans leur
commentaire, c'est toujours oser parce que je ne sais jamais ce que je suis » (Karl
Jaspers et la philosophie de l'existence, o. C., 150, souligné par nous),
(2) Ainsi se trouve écartée une philosophie aberrante du choix. Que ce dernier
ne résulte pas de l'examen des motifs o n le voit dans le fait. qu'un tel examen, s'il
n'a pas pour effet de le différer indéfiniment et de le rendre finalement impossible,
en souligne seulement le caractère inexplicable et mysterieux. Le paralogisme de
toute théorie intellectualiste de l'action est de chercher dans la sphère de l'idéalité
l'origine des déterminations réelles.
LA STR UCT URE INTERNE DE L'
IMMANENCE 319

le risque` et son accomplissement en elles revêt chaque fors la forme


d'un «saut. », C'est pourquoi encore le projet de constituer une psy-
chologie de l'existence, de ses diverses déterminations comme d
attitudes fondamentale s, une psychologie des e ses
JVeltanschauungen par
. exemple, se limite néces sagement à la description de simp les ossi-
butés, tandis
que l'actualisation de celles-ci dans une p existence
singulière, ce qui fait la réalité effective e cette d '
existence, échappe
nécessairement au dessein du savoir objectif comme a sa réalisation (i).
d Parce que,au-delà
dans sa transcendance, la réalité se retient
e toute représentation possible, la conscience ne peut s'ouvrir
à elle que si à son tour elle dépa sse celle-ci et s'oriente déliberément
-
au-delà du monde et de l'objectivité.
ffort de Cet la
e conscience pour
dépasser toute elle-même
objectivité comme ^ telle et toute repré-
sentation, est l'acte de transcender, lequel se manifeste précisément
comme.. cet effort,
cicomme undevien-
e'lan et une impulsion Ceux- '
nent visibles a leur tour dans la Raison et dans le mouvement par
lequel elle ne cesse, comme l'avait
econnu Kant, r •
de se: projeter
au-dela des productions de l'entendement et de
sa pensee, danse •
la foi
et, d'une manière générale, dans toutes les dete rnunatiors de l'exzs_
tence qui s'accomplissent en elle :à partir de sa ré alité originelle,
c est-a-dire finalement à partir de la transcendance , C'est cette
transcendance de la réalité et la nécessité corrélative pour la conscience

(I) Que la Psychologie ne Puisse rendre compte du saut `qualitatif ^ et cela parce
que ce dernier se produit dans une dimension ontologique radicalement différente.
de celle ou se meut la psychologie, K' x^G ^navait
l' ' déjà note
d'Angoisse, op, cit., 64 sqq•). L'impuissance de celle-ci et en(Le Concept

pas seulement affirmée, toutefois tir Kierkegaard g^eral du savoir, n'est
p egaard (c'est là encore le sens de la thèse
selon
laquelle il y a : contradiction à vouloir s'afiger de la culpabilité sur le terraini
esthétique, â. ID. 57), elle s'accompagne chez lui, contrairement à ce qui a été
dit à la suite de certaines affirnnations de HEIDEGGER cf. infra,
définition au moins implicite d' .. ( § ^o, none), de la
une ontologie positive de la subjectivité ontologie
qui joue à l'égard de la philosophie de l'existence le rôle d ' •
et l'empêche en conséquence de dé ` un fondement. essentiel
générer dans la 'litterature et le verbalisme ou,
comme on va le voir, dans le vide et
la confusion d'un quelconque « irrationalisme ,.
3 20 L'ESSENCE. DE LA MANIFESTATION

qui ne veut pas renoncer à celle-ci, d'accomplir l'acte de transcender


qui déterminent l'échec de l'ontologie, c'est-à-dire d'une représenta -
Lion objective de l'être et de sa saisie comme totalité. L'éclatement de
cette dernière et son impossible avènement, le recul a l'infini des
objectifs du savoir, l'échec de la connaissance, attestent au sein même
de celle-ci et pour elle, la réalité de ce qui a la fois la sous-tend et lui
demeure foncièrement étranger.
Comment se manifeste à la connaissance la réalité de ce qui lui
demeure foncièrement étranger ? L'impuissance du • savoir à se
produire comme un tout et comme un système achevé, le mouvement
de la conscience qui la porte invinciblement au-dela des objectivites
constituées de l'entendement, ce qui fait la réalité de ce mouvement et,
pareillement, de tout effort, de tout élan, de toute impulsion, la réalité
de l'existence elle-même et ce qui la détermine, l'acte de transcender et la
transcendance, tout cela ne peut être affirmé simplement. Si la philosophie
de l'existence est autre chose qu'une métaphysique arbitraire, elle a
besoin pour la réalité par laquelle elle prétend se définir d'un fonde-
ment assuré. Ce dernier ne peut consister que dans la détermination
du statut phénoménologique de cette réalité. Mais la critique de la
connaissance esquissée par Jaspers se développe à l'intérieur même de
ce qui constitue l'horizon ultime de celle-ci, l'horizon du rationalisme
et, aussi bien, des doctrines qui lui sont opposées, del empirisme par
exemple. La question qui vient d'être rencontrée se développe dès lors
et se laisse formuler d'une manière rigoureuse : comment se manifeste,
dans le milieu ontologique de la représentation, ce qui se refuse par principe
à la phénoménalité de celui-ci et « nécessairement lui échappe »
La contradiction incluse dans cette question ne saurait en aucune
façon constituer le principe de sa solution. Quand on a dit et répété
que la « pensée métaphysique » se propose justement pour objet de
penser ce qui ne peut plus être pensé, et, renonçant pour cela à
l'usage des catégories qui sont les siennes, c'est-à-dire, finalement,
à sa structure même et à sa propre forme, de saisir, dans cet acte
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE Szz

de se transcender formellement soi-même le caractère insurmon-


table de son échec, que la compréhension de celui-ci - et, bien plus,
la volonté non d'y échapper mars de s'enfoncer en lui plus avant et,
en quelque sorte , de s'y vouer est identiquement,
toutefois, celle ,
de l ' être lui-même comme échappant rinci iellement '
p p a tout effort
d'appréhension , que, par conséquent, «
dans cet échec du savoir, c'est
l' être .lui-même qui vient à ma rencontre »
et qu'ainsi
rosi la «passion de
l'échec est la suprême lucidité » (i),ilnt convie
de donner a ces
développements et à la « dialectique escarpée » qu'
ils définissent
quelque appui dans la réalité. Si, comme l'affirme Jaspers lui-meure,
« le non-être , révélé par l'échec de tout être '
^ ^ qui nous est accessible,
est l ' être de la transcendance » (z , il faut dire
) s'il n'est '
as rien du
tout , qu' est phenomenologiquementce ce nonp - être identiq ue à
l'être absolu. L'immanence de la transcendance , et par là il
faut entendre sa
représentai ton dans le monde comme être donné àpla et comme o bjet, est
ensée
selon Jaspers sa seule manifestation ossible.
. p De même en est - il pour
l' existence qui ne peut se manifester elle aussi
que sous la forme de
l'être empirique A l'inca acte de principe ou se trouve ce dernier
d'exhiber en lui, dans sa re , resentation
ce qui se refuse par nature a
celle-ci, Jaspers pensepp échachiffre
er avec sa théorie
». L du «'''
entité
objective constitue l'unique donnép henornenolagi
que, le seul contenu
possible pour la pensée de
(i), telle manière cependant que, dans
l'existence authentique elle se donne à celle-ci avecgn^facatson
la .si ' essentielle
,
(I)M. D UFRENNE e t P. RYCΠUR,
Karl Jaspers et `la philosophie de l'existence
op. cit., 2 62.
(2) Philosophie, op, cit., Iii, 234, cité par M
. DUFRENNE et P. RIC cEUR, op, cit.,
323.
(3) « Il n'est pas de pensée qui puisse procéder sans objet . Pour autant que
l'existence apparaît dans l ' être empirique, ce qui est ne peut être pour elle que sous
la forme de la conscience ;
dès lors cela nieme qui est transcendance doit aâo `ter
pour l'existence assujettie à ' être empirique la forme de l'être o p
Philosophie , op; cit., III, 6 traduit par objectif ^ (JA.Sp^RS,
M. DUFRENNE et P. RICŒvR in op. cit.,
261). On le ^•
oit, pour Jaspers, conscience et connaissance objective sont deux termes
identiques.
S 22 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION.

de renvoyer à autre chose, d'être une « apparence» comme « apparence de... »


(« Erscheinung ») . Que « l'app arence » soit, dans le chiffre, « apparence
de », qu'elle se donne en lui avec la signification de renvoyer à
autre chose , à savoir à l'être lui-même comme irréductible précisément
à cette app arence, c'est-à-dire à la pure représentation comme telle, c'est là
maintenant ce qui requiert une explication. Loin de pouvoir déterminer la
structure or:ginelle de l'être dans son hétérogénéité ontologique radicale par
rapport à la représentation, la s:gni :cation que celle-c: revêt dans le chiffre
présuppose au contraire une telle détermination , l'effectivité du contenu
phénoménologique originel de l'être absolu, comme sa condition.
Avec sa p hiloso p hie du chiffre Jaspers suppose résolu le pro-
blème de l'être de la transcendance telle qu 'il la comprend et celui
de la possibilité même de son affirmation. Ou bien la signification
qu'a l'apparence de se dépasser doit lui appartenir , entrer dans son
contenu phénoménologi que effectif, et le dépassement lui-même se
manifester comme tel. La manifestation du dépassement, l'être au--delà
de l'entité comme être e ect:f, est le contenu phénoménologique de l'objectivité
pure, la manifestation de la transcendance comme transcendance de l'horizon,
c'est-à-dire précisément la représentation . Loin d'échapper à celle-ci, la
pensée qui, pour l'accomplir, s'appuie sur le ` caractère effectif et
concret du dépassement , se meut en elle, est la pensée du monde.
La transcendance de la raison par rapp ort à l'entendement ne signifie
rien d'autre que cette transcendance du monde originel . Ainsi voit-on
encore J asp ers tenter d'asseoir la si g nification qu'a l'app arence :de
renvoyer à ce qui se retient par principe hors d'elle sur l'évanouisse
ment de l'entité ( i) . Un tel évanoui ssement n'est cependant rien d'autre que

(I) «L'objectivité, qui est l'apparence de la transcendance , doit être évanouis-


saute pour la conscience , car elle n' est pas l'être consistant » (JASPERS, Philosophie,
III, I5). Et encore : « La transcendance immanente est l'immanence qui, en même
temps , se dissipe -à nouveau ; elle est la transcendance qui, dans l'être empirique,
est devenu parole sous forme de chiffre » (ID., III , 135 ; cf. M. DuPRFNNE et
P. RICŒtrR, op. cit., 290, 384 ). Sur la prétention de saisir dans l'évanouissement.
de l'entité la manifestation de l'essence, cf. infra, Appendice.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 523

le temps, lequel constitue précisément la structure ontologique originelle de la


représentation et son horï<on. Ce qui se manifeste en celle-ci et , confor-
mément à sa. loi, disparaît, ne saurait donc conduire au-delà d'elle.
Cette expression muette par laquelle toute chose se fait chiffre, .
l'étrangeté foncière où elle entre alors , il n'appartient p as au philo-
sophe de les interpréter librement. Si le silence effrayant de la Terre
nous semble quelquefois être une p arole, la nature de celle-ci et ce.
qu'elle énonce nous sont connus . C'est p our quoi un tel lan g a e ne
g
dit rien de plus que ce qu'il dit, il est le langage des choses leur
mani f esiation,
A celle- ci, en tout Jaspers cas, n 'oppose que l'inconnu Si l'être
absolu dont il parle échappe à la représentation, c'est-à-dire, selon
l'auteur de la Ph losophie, a toute manifestation p ossible en eneral
g
c'est qu'il partage avec l'étant que le monde `manifeste obscurément
au moins un caractère , à vrai dire essentiel , son heterogenezie onciere
f
par rapport à l'élément ontologique de la mari estation pure. Parce u'elle
q
s'accomplit â l'intérieur d'un horizon qui est ultimement le même
que celui du rationalisme, la critique de ce dernier p erd toute signi
ontologique . Loin de mettre en cause la p rétention à l'universa--ficaton
lite d'une forme déterminée de manifestation et de pouvoir concerner,
par suite, le probleme s p ecif q uement ontolo gi q ue de la structure
interne de la phenomenahté p ure. comme telle, elle débouche sur ce
qui n'a point de nom et q u'elle app elle, d'une manière totalement
illégitime, l'être, l'absolu. Un tel « être» conçu en réalité à l'ima ge des.
determunatlons mondaines et leur empruntant les caractères qu'elles
semblent manifester -- force, inconscience irrationalité n'est
le plus souvent qu'une sorte de su p er-étant. Le volontarisme par
exemple s'achève avec la simple promotion méta phy ysique des
puissances naturelles , le concept p resti g ieux de l'action qu'il croit
pouvoir opposer comme le Faust de Goethe, au Verbe originel,
,
demeure bien entendu sans aucun statut, et le p robleme de celui-ci
n'est ni posé ni même aperçu. Ainsi privée de toute significat ion
524 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ontologique, la critique du rationalisme trouve son aboutissement


naïf dans un irrationalisme élémentaire. Celui-ci, il est vrai, a été
refusé explicitement par Jaspers. Mais les préférences subjectives des
philosophes et leurs intentions sont sans pouvoir devant la logique
intérieure du système. Que l'existence doive être éclairée mais qu'elle
ne puisse l'être que d'une maniere indirecte par une lumière a laquelle
elle demeure foncierement étrangère dans son « être » originel et
propre, n'arrache pas: mais rejette irrémédiablement celui-ci dans la
nuit des déterminations brutes. L'éloge de l'intellectualisme, l'appel
a l'unique philosophie occidentale, ne temperent pas mais fondent un
irrationalisme du chaos.

48. SIGNIFICATION ONTOLOGIQUE DE LA CRITIQUE DU RATIONALISME

Autrement significative, autrement importante dans l'histoire


de la pensée philosophique et de son développement, est la critique
du rationalisme qui se révèle capable, non de lui opposer simplement
le caractère abscons de ce qui demeure en soi étranger â la lumière
de la phenomenalité ( i ), mais de mettre en question la structure de celle-ci
telle qu'il la comprend, c'est-à-dire précisément l'horizon ontologique qui est

I) Une telle critique d'ailleurs mérite à peine ce nom. Elle est bien plutôt,
comme on vient de le voir à propos de Jaspers mais comme le montrerait en général
l'histoire du rationalisme, le fait de celui-ci en tant qu'il n'a pu se développer,
c'est-à•dire tenter de promouvoir le régne de la raison, sa lumière, sans se heurter
à l'élément qui n'apparait en elle que pour lui manifester son hétérogénéité radicale,
à l'étant. Ainsi subsiste dans l'objet de la connaissance quelque chose d'irrationnel
qu'elle ne peut reduire tout à fait, bien qu'elle y tende sans cesse. Que cet élément
irréductible aux déterminations intelligibles de la connaissance reparaisse , selon la
philosophie classique, du côté du a sujet », ne montre pas seulement le caractère purement
problématique de ce dernier. L'affinité paradoxale qu'entretient alors l'esprit avec le
terme opaque et impensable qui le détermine d construire l'objet et qui sert de substrat`
d celui-ci, rend encore son concept principiellement absurde , comme dépouillé préci•
sèment de toute signifcation ontologique. C'est cette absurdité d'un concept non
ontologique de « l'esprit qui fait le fond du volontarisme ou encore de la philo-
sophie de l'existence au sens de Jaspers.
LA STRUCT URE INTERNE DE L'IMMANENCE
525

ultimement le sien . Or il est remarquable u'une telle criti ue s'est ro


q q p
duite dans la philosophie moderne, et cela au moment même où le
rationalisme trouvait son p lein developp eurent,etp , pour la première
fois peut- être, un fondement ontologique explicite . Est-ce par hasard
si c'est précisément chez Malebranche où l'extériorité est osée sans
équivoque comme la condition de l'intelligibilité des phénomènes,
c'est-à-dire comme constitutive de leur phénoménalité pure, que ,
brutalement, le concept de celle-ci se divise et laisse paraître un mode
foncièrement autre de sa réalisation ? La connaissance transcendanta-
lement comprise à partir de l' étendue^ c 'est-à-
p dire recisem
ent de la
spatialité originelle de l'extériorité pure comme telle se t couve
immédiatement atteinte dans sa p rétention a l'universalité Quelque
chose lui échappe qui n'est pas l'étant et qui ce endant n'est as rien
p p
quelque chose dont l'effectivité est con stiluée par la phénoménalié elle-même
et le mode ontologiquement pur selon le quel elle se phenomenalise . L'affirma-
tion `centrale de la philosophie de Malebranche , l'affirmation selon
laquelle l'âme ne peut être connue, doit être comprise en effet. Elle ne
signifie en aucune façon, si nous voulons la reconnaître toutefois et
la saisir dans sa portée ontologique décisive, que la substance de
l'âme nous demeure inconnue , se trouve située au -delà de toute
manifestation possible nomme princi piellement inca able d'entrer
p
dans le contenu phenoménolog i q ue de celle-ci et ne pouvant non
plus être figurée par lui comme p ar , un module. Ce dernier point
mérite d'être approfondi. L'idée qu'une réalité méta hysi ue, celle
p q
une substance en soi inaccessible, se trouve liée ce endant â la.
p
manifestation d'un contenu phenomenolo gique effectif, et cela de
telle manière que les configurations et les structures que celui-ci
laisse paraître en lui correspondent aux confi g urations et aux struc
tures originelles de la substance elle-même et bien plus, la deter
minent, est présente chez Malebranche. C'est p recisement arcs,
p
qu' elle se montre identique à l'essence de la henomenal te ure et
p p
que ses déterminations sont comme telles « intelligibles », que l'éten-
Sz6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

due doit être comprise comme l' « attribut » essentiel d'une substance
correspondante dont elle fonde ou plutôt constitue la connaissance.
A cette substance étendue, c'est-à-dire à la matière créée, Male-
branche juxtapose, il est vrai, celle de l'âme laquelle ne correspond
plus toutefois, du moins pour nous, aucun attribut intelligible, aucun
« archétype ». C'est en ce sens assurément que l'âme ne peut être
connue, au sens où les propriétés essentielles qui déterminent sa substance
metapbysique ne nous sont pas représentée, dans le milieu de l'extériorité
et ne peuvent l'être. Cette impossibilité pour les propriétés essentielles
qui , déterminent la substance métaphysique de l'âme d'être repré
sentées dans le milieu de l'extériorité et de trouver ainsi en lui la
phenomenalite constitutive de leur intelligibilité, Malebranche
l'exprime en disant. que nous n'avons pas d' « idée» de l'âme. « Idée»
ne désigne pas primitivement chez Malebranche la conception parti..
culière d'un rapport déterminé rii son contenu idéal spécifique mais,
précisément, cette idéalité elle-même, le milieu où un tel rapport
est susceptible de se manifester, la conception saisie dans sa possi-
b' 'té ontologique • universelle comme identique à la spatialité trans-
cendantale du monde pur, à l' « étendue ». L'idée est 'justement une
détermination de celle-ci. C'est pourquoi encore, pour Malebranche,
toute connaissance est comme telle une connaissance par idée et trouve en
cette dernière et dans l'effectivité du milieu qu'elle détermine chaque
fois, sa propre effectivité (i), C'est précisément parce que nous
n'avons pas d'idée de l'âme et qu'ainsi une connaissance de celle-ci
est à la rigueur impossible, que, pour tenter d'asseoir néanmoins

(x) En cela consiste le rationalisme de Malebranche. Pour celui-ci sans doute,


comme pour les cartésiens en général, i1 existe, à côté de la connaissance rationnelle,
une connaissance sensible dont l'originalité ne peut être niée. Pareille originalité
tient cependant au caractère spécifique du contenu sensible, non à la possibilité
pour lui d'être un contenu, possibilité qui se trouve précisément être constituée
par l'étendue. C'est l'insertion des qualités sensibles dans l'étendue qui permet leur
R connaissance ^, l'établissement entre elles de rapports, l'intelligibilité de ceux-d
- et, finalement, la détermination par eux de ces qualités elles-mêmes.
L.A STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
S27

une telle connaissance et donner à l'idéememe


" d'une psychologie
quelque chose comme un fondement , Malebranche fut contraint de
recourir à un détour . Le projet de
de l'a reconstruire la substance in
connue
l'âme parallèlement a celle de l'étendue, c ' est-à-dire à partir
du contenu phénoménologique ou celle-ci nous est accessible,
l'effort donc pour reconstituer conformément à celui de l'étendue un
archétype intelligible de l'âme en déduire
^ pour les propriétés qui
doivent appartenir à la réalité métaphysique de l'âme elle-même et
constituer sa substance, cet étrange chemin suivi ar la ensée et ui
p p q
definit cependant la méthode même de la psychologie, tout cela.
repose sur l'affirmation centrale récitée et en résulte (i).
La signification de celle - ci est-elle réservée cependant avec la
p l
mise en evldence de ses conséquences en ce q ui concerne la p s ycho-.
logle, avec la tentative, plus exactement, de maintenir celle-ci ;cur une base
rationnelle alors que justement une telle base ait ici totalement de aut ?
Pareille tentative ne montre - t-elle as au contraire que,loin de
prendre conscience de ses nécessaires limites , le rationalisme entend
avec Malebranche maintenir la validité de ses
propres '
presuppo-
sitions la même où la réalité ne se laisse p lus enfermer à l' nteri eur de
l' horizon qu'elles dessinent ? L'affirmation selon la quelle nous
n' avons pas d idee de l ' âme demeure en tout cas urement ne
p g ative
quand elle se borne à constater l'absence de tout fondement hén -
menologique assignable pour 1 edification et le develo eurent d'une
pp
connaissance rationnelle dans un domaine d'être déterminé et la
nécessite' corrélative de p allier
uncette absence par '
expédient. Telle
n'est pas précisément la signification originelle de cette a rrmatzon che Male-
branche . Celle-ci n' intervient pas a 1 interieur d'une problematique
..
explicitement orientée vers la question de la ossibilite d'une
p
connaissance rationnelle de la réalité méta physique de l'âme com p rise

(I) Zà-dessus, cf. M. GUÉROULT, Étendue, et Psychologie chez Malebranche,


"p. cit., Ireçons VIII-XIII.
z8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et définie comme une substance en soi inconnue et inconnaissable,


elle prend naissance dans la description des modalités phénoménologiques
de la conscience, c'est-à-dire de l'âme primitivement identifiée à celle-ci, et
c'est la positivité de cette manifestation effective qui lui sert de substrat.
Encore la nature de cette manifestation doit-elle être comprise,
car c'est d'elle qu'il s'agit ici, non ' d'une pluralité de p henomenes
déterminés . L'irrationalité des modifications psychologiques ne signi-
fie en aucune façon leur insubordination de principe à une pure léga
lité de types priori , l'impossibilité par exemple d'établir entre elles
des rapports rationnels , l'obligation faite à l'esprit d'enregistrer pas-
sivement leur contenu sans pouvoir prétendre jamais les comp rendre
véritablement ni les déduire . Qu plutôt, c'est l'origine de cette
insubordination qui doit être élucidée, car, pas plus qu'il ne songe
d'abord à expliquer celle-ci à partir de la simple absence d 'un arché-
type, Malebranche ne se contente pre' cisement de la constater.
Le caractère imprévisible du cours suivi par les modifications inté-
rieures de notre âme, la contingence de l'histoire qu'elles com p osent
ensemble, n'expriment encore que le fait . de leur insubordination.
L'eidos de celle-ci réside en chacune d'elles dans la positivité de leur
essence commune, dans la structure interne de leur phénoménalité pure.
La manifestation effective qui sert de substrat à la critique du rationali sme est
constituée par les « phenomenes de l'âme » considérés, non dans leur part:-
cular:té ou dans leur multiplicité, mais précisément dans leur manifestation
pure identique à l'âme elle-même. Celle-ci ne désigne p lus la réalité.
métaphysique d'une substance = x mais la manifestation effective
d'une sphère d' existence définie et constituée p ar cette manifestation,
l'essence originelle de la conscience phénomenologique. C 'est comme
une détermination de celle-ci et de la phénomenahté qui la constitue,.
comme une détermination éidétique de la structure interne de cette
phénoménalité elle-même, que vaut la problématique décisive ici
instituée par Malebranche. Chue nous n' ayons point d'idée de l'âme,
cela `veut dire celle-ci, l'essence d'une révélation dont l'e ectivité se révèle
LA STRUCT URE INTERNE DE L'IMMANEN
CE 529

être fondatrice de l'existence, se phénoménalise sans être aperçue dans l'étendue


intelligible ni s ÿ proposer comme • un contenu.
Telle est la signification ontologique rigoureuse de l'opposition
essentielle qu'établit Malebranche entre la conscience et la, connais-
sance. Que l'élément oppose à celle-ci se trouve être pre cisément la
conscience, non 1'x d'une substance mystérieuse, que cette conscience
soit comprise
.., selon le mode phenomenologique spécifique de son
effectivite propre et que, bien lus,
p cette effectivité
et constitue
définisse, dans sa spécificité, l'existence originelle on le voit dans le
fait que la détermination éidetiquepartir
de l'âme de
à son hétéro-
geneite structurelle par rapport à l'idée intervient precisement dans
une discussion du cogito et comme un élément décisif pour l'inter-
pretation de ce dernier. Ce que Malebranche reproche à Descartes.,
c'est Justement de confondre la phenomenalité qui dans le cogito se
révèle originellement fondatrice de l'existence comme lui étant
identique, avec celle qui constitue le substrat de toute connaissance.
avec la phenomenahte de l'extériorité pure comme telle. Non seule-
ment Descartes commet une telle confusion mais il la porte en
quelque sorte à son non
. quand, point extrême
content d'assimiler
le je pense à une connaissance, il retend voir en lui le premier fait
et, bien plus, le prototype de celle-ci. Dans une telle prétention se
.
trouve
. assurement incluse, comme son fondement proprement philo
sophique, l'idée que tout être réel repose sur sa apparence,
propre est
défini par elle et par le mode concret conformément auquel elle
s'accomplit
.. . Frecisément le mode selon lequel s'accomplit la réve-
lation originelle de l'existence dans
le co gito n'a rien à voir avec celui
' •.
qui constitue le milieu de la connaissance telle ue la corn rerrd
q p
Descartes. Le rejet de celle -ci Fors de la structure interne de la
phenomenalité q ui délimite la sp hère
. concrète de l'existence origi-
nelle, c'est donc là ce qu'implique, conformément a son fondement
philosophique, le rationalisme universel identique â laphi
lo,rophse "
elle-merna
et défini par l'extension du Logos à la totalité des dimensions ontologiques
53 0 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

f ondamentales qui lui appartiennent et le constituent . Ce n'est rien de


moins que le projet ou en tout cas la possibilité de l'instauration d'un
tel rationalisme qui se fait j our dans la critique dirigée par Male-
branche contre le cogito de Descartes. C'est pourquoi la signification
de cette critique ne doit pas être limitée . Que le cogito ne soit pas une
liaison idéelle de natures simples, qu'il ne présente pas en lui les
configurati ons et les enchaînements qui sont ceux de la connaissance
et ne p uisse non lus y être ramené , ne résulte pas de la simple
opposition à l'unité de l' intuition originelle. qu'il est censé exprimer
du caractère nécessairement discursif de la pensée où celle-ci trouve
son explicitation. C'est le mode de manifestation qui appartient au
cogito et le définit , qui ne se laisse pas identifier à celui d 'une nature
simple , à celui de l'intuition elle-même par conséquent.
Le fondement ontologique structurel de cette opposition ultime
est present dans la philosophie de Malebranche si nous n'avons pas
d'idée de l'âme, c'est parce que celle - ci n'est pas séparée de soi. C'est sur le
fond de sa structure interne p ar consé quent, p arce que celle-ci exclut
la possibilité même d 'une séparation, que l'âme manifeste son
opacite foncière à toute saisie s'accomplissant dans le milieu de la
connaissance et par elle. voilà pourquoi le, cogito devait se trouver
rejeté par Malebranche hors de la sphère des vérités nécessaires de
type mathématique, hors de la sphère des idées et de ce qui constitue
en général l'ordre intellectuel de la connaissance : non pas précisé-
ment à cause du caractère spécifiquement « intellectuel » de celle-ci
mais en raison de la structure même du milieu phénoménologique.
qui lui sert de fondement . Pour cette raison encore la sphère d'ex is-
tence originelle définie par le cogito devait constituer un « monde »
à part, foncièrement etranger à celui de la connaissance et irreduc-
tible à ce dernier. Que la nécessité logique soit bannie de ce « monde
psychologique » où il n'Y a ni separation m altérité, où l'idéalité
n'a point place, c'est là une simple conséquence . Le caractère
insurmontable de celle-ci renvoie à l'eidos où elle s'enracine, à
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 531

la structure du Logos originel identique au cogito lui-même (i).


Que Malebranche, après cela, n'ait vu dans cette conséquence,
dans l'impossibilité d'établir entre les modifications de l'existence des
connexions idéales de type mathématique, que son aspect négatif,
cela est vrai. Une telle impossibilité signifie à ses yeux celle de toute
connaissance, et cela à juste titre si par connaissance on entend avec
lui l'établissement, sur le fond de l'étendue intelligible et entre les
déterminations de celle-ci, entre les natures simples, de connexions
de ce genre et leur enchaînement. Au moment ;même où il met en cause
le milieu phénoménologique de l'extériorité dans sa prétention de constituer la
nature et l'essence de toute manifestation
f possible, Malebranche reste dupe
du préjugé qui consiste a considérer comme seuls rationnels les énoncés se
fondant sur la phénoménalité d'un tel milieu et sur les configuratons qui lui
appartiennent en propre. L'éclatement du rationalisme vers son accomplisse-
ment universel va de pair avec le maintien de son concept traditionnel tel
qu'il se trouve élaboré a l'intérieur de l'hori on du monisme. Ainsi voit-on
après qu'il l'ait comprise à partir de la structure même de l'existence
originelle, Malebranche déplorer l'absence de toute idée relative • à
celle-ci, interpréter une telle absence comme le terme et non le commen-
cement d'une recherche, comme fermant une voie au lieu de l'ouvrir, et se
préoccuper alors d'y remédier de la façon qui a été dite. Le cogito
considéré en lui-même ne mène plus, des lors, à grand-chose et se
trouve abandonné, de telie manière que son abandon . pax les cartésiens
correspond paradoxalement au moment où l'un [ d'eux en découvre,
sans toutefois l'élucider pleinement, la signification décisive (z).

(r) Il n'est pas possible, bien entendu, d'instituer ici, même sous la forme d'une
simple esquisse, une problématique du cogito à proprement parler. En raison de la
nature complexe de ce dernier comme des multiples questions qu'il soulève, seuls
ont pu être abordés dans le cadre de la présente analyse les points qui se rapportent
directement à l'objet de celle-ci.
(2) Celle ci devait d'ailleurs passer totalement inaperçue dans le cours ultérieur
de la philosophie occidentale, si ce n'est toutefois chez Manie de Biran à qui il
était réservé de lui donner un développement infini.
532 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Du moins Malebranche maintient -il fermement, et cela comme


constituant • la dimension ontologique absolument originale où
se développent les modalités concrètes de notre existence et cette
existence elle-même, l 'effectivité phénoménologique de ce q ui se
manifeste autrement que dans la forme de l'étendue. L'effectivité
de cette manifestation sui generis place son contenu hors des atteintes
de la critique et confère ainsi, qu'on le veuille ou non, aux propo
sitions qui l' énoncent quelque chose comme une rationalité absolue.
Voilà pourquoi, comme l'a reconnu Malebranche, on ne saurait
mettre en cause ce que le « sens intime » nous a pp rend de notre
existence et de ses modifications , pourquoi , bien plus , il définit la
seule voie d'accès à celles-ici, parce qu'il constitue précisément leur essence,
l'unique mode possible de leur révélation . Ce qui nous a pp rend quel que
chose au sujet de quelque chose et le dévoile tel qu'il est, c 'est là ce
qu'on appelle une connaissance . Que celle-ci, sous p rétexte qu'elle ne
s'accomplit pas dans l'étendue ni parla médiation des idées , soit dite.
imparfaite, non véritable, n'enlève rien au contenu phénoménologique du
phénomène qu'elle constitue par elle - même, atteste seulement l'impuissance
de la pensée à égales sa propre découverte.

4 9. LA SIGNIFICATION ONTOLOGIQUE '..


DE LA CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE CHEZ ECKHART

L'extension du Logos à la totalité de ses dimensions ontologiques


fondamentales et son é p anouissement dans le conce p t exhaustif de la
phenomenalité, c'est là au contraire ce q ui caractérisait la p ensee .
d'Eckhart. C'est p our q uoi la criti q ue de la connaissance re çoit chez
celui-ci sa signification radicale, la q uelle ne consiste p as seulement
dans la mise en évidence d'une dimension p hénoménolo giq ue en soi
étrangère à l'extériorité mais encore dans la détermination de cette
dimension originelle et de sa structure interne . C'est à partir de
celle-ci, à partir de la structure interne de l'être lui-même , que se trouve
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 533

comprise l'impo ssibilité pour la connaissance d'atteindre ce dernier Encore


.
cette compréhension ne s'accomplit-elle point en quelque sorte par
hasard, dans le surgissement abrupt d ' une intuition non reliée au
système et subsistant sans profit en marge de celui-ci . L'élucidation
de la structure interne de la révélation constitutive de l'être et de sa
réalité est le thème explicite et central de la problématique instituée
par Eckhart. Au contenu essentiel de celle-ci se rattache ar consé-
p
quent, en tant qu'elle s' enracine dans la nature même du Logos, la
critique de la connaissance. Les propositions dans lesquelles une
telle critique trouve sa formulation explicite ne constituent jamais,
par suite, de simples affirmations mais sont constamment fondées.
Parce que le mode de cette fondation est Phenomenologique, parce
que leur vente est aperçue dans la structure du Logos originel
constitutif de l'être absolu , les énoncés qui composent ensemble la
critique de la connaissance manifestent entre eux l'unité qui est celle
de cette structure , déterminent les moments successifs d'une seule
analyse qui est celle de l'être . C'est à l'intérieur de ce travail ontolo-
gique d'élucidation et comme lui app artenant que s'accomplit fina-
lement chez Eckhart la critique de la connaissance . Ainsi s 'exp li q ue
son caractère sy. stematique , Les intuitions fondamentales de la religion
se retrouvent en elle, non plus dans la dis p ersion de leur sur g issement
historique, mais véritablement comprises , saisies dans une vision
interne de l'être et la constituant . C'est pourquoi l'exp osé theori que .
de cette critique inclut en lui comme le motif de celle-ci ' ou p lutôt
comme son contenu même, les déterminations ontolo gi q ues struc-
turelles de la réalité élaborées Par Eckhart et d'une manière generale
par la problematique et les re pete. Pour cette raison , la criti que de la
connaissance , telle qu'elle s'accomplit chez Eckhart, ne pourra ici
qu'être retracée dans ses grandes lignes.
La detenrination structurelle essentielle de l'être, mise en
évidence dans la théorie du Logos, a la signification suivante
l'expérience de l'être , identique à l'être lui-même, n'est possible
534 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

que sur le fond de l'unité et par elle . Dans la structure de celle-ci par
conséquent et dans son maintien , réside la possibilité interne de l'être,
son essence . Une telle possibilité se trouve exclue au contraire , et cela
par principe, du milieu ontologique qui est celui de la connaissance.
Ainsi se fonde pour cette dernière , dans la structure même de l'être,
l'impossibilité de parvenir jusqu'à lui. Une telle impossibilité n'exprime
pas autre chose que l'opposition irréductible de deux essences phénoménolo-
giques : c'est parce que la phénoménalité qui constitue sa réalité n'a rien à
voir avec celle qui définit le milieu de la connaissance que l'être ne peut se
montrer en celle-ci. Parce que la phénoménalité constitutive de l'être et
celle de la connaissance n'ont entre elles rien de commun, parce
qu'elles diffèrent dans leur nature, dans ce qui fait leur phénoménalité
même, l'effectivité de l'une implique chaque fois en elle, dans le surgissement
de son contenu manifeste, la non-effectivité de l'autre. L'opposition ivre-
ductible des essences phénoménologiques a cette signification
ultime. Conformément â celle-ci, parce que la manifestation d'une
essence détermine en elle la non-manifestation de son anti-essence
phenomenologique , toute apparition est' identiquement, en ce qui concerne les
donnés purs originels qui structurent fondamentalement la réalité et la défi-
nissent, une disparition . C'est pourquoi la connaissance ne peut déve»
lopper le milieu ou devient visible ce qu 'elle atteint, un tel milieu ne
peut devenir visible en lui-même sans faire s'évanouir hors de sa
lumière ce qui demeure , en son contenu phénoménologique essentiel,
irréductible à celle-ci. Dans son développement positif la connais-
sauce accomplit chaque fois l'oeuvre de cacher . Rien de ce qu'elle
produit ---- ni les objectivités qu'elle libère, ni le milieu idéal où se
meuvent les multiples déterminations de l'être transcendant -- ne
compose une approche de l'essentiel ne constitue , à quelque
,
degré que ce soit, fût-ce sous la forme d'une « simple apparence »,
une manifestation de l'absolu. . « La moindre image créée qui se
présente en toi de quelque manière que ce soit est tout aussi grande que
Dieu... parce qu'à la totalité divine elle barre le chemin qui mène
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 535

à toi. C'est justement, ajoute Eckhart, au moment où l'image entre


en toi que Dieu doit céder la place avec toute sa divinité (i ) . »
La signification phénoménologique de ces propositions, leur
référence aux structures éidétiques de la phénoménalité pure appa-
raissent sans équivoque quand, parlant de tout ce qui, hors de nous
ou en nous, constitue une première couche de transcendance, une
« connaissance », et, par exemple, de la joie, de la crainte de l'assu-
rance et de toutes les déterminations de l'existence en tant précisé-
ment qu'elles sont connues, qu'elles ne sont « qu'un intermédiaire »,
Eckhart, s'inspirant de Boèce, déclare « pendant que tu regardes ce s
choses et qu'elles te regardent, tu ne vois pas Dieu » (2 ). C'est parce
que la phénoménalité de celui-ci, constitutive de son être, et, iden-
tiquement, de la possibilité de parvenir jusqu'à lui, n'est pas l'exté-
riorite où se meut le savoir, c'est parce que, comme le repete Eckhart
dans une proposition qu'il emprunte cette fois à saint Paul, « Dieu
habite dans une lumière à laquelle il n'est pas d'accès » (3), qu'il
se dérobe précisément â toute connaissance et « meurt à l'âme »
lorsque l'âme « se tourne vers les choses extérieures» C'est
(d.). st cette
incompatibilité des structures phénoménologiques essentielles qu'ex-
prime encore Eckhart quand, â propos de « la vérité » comprise par
. ..
lui..
comme
. , l'essence originelle de la révélation dans son opposition au
milieu ideal de la connaissance, il dit simplement « la vérité est
chose intérieure et on ne peut la trouver dans ses manifestations
extérieures » (y). C'est parce que, sur le fond de i'incompatibil te de
leurs structures phénoménologiques essentielles, la vérité ne peut être
trouvée dans ses « manifestations extérieures » ne peut se manifester
dans le milieu de la connaissance, que toute recherche s'accomplissant

(1) T, X44•
(2) ID., 221.

(3) ID., 1 30.


(4) ID., 201.
(5) ID., 239.
5 36 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

en celui-ci la manque inévitablement, manque l'absolu lui-même


phénoménologiquement interprété et compris comme l'essence de
cette vérité originelle. Parlant de ce dernier, c'est-à-dire de Dieu,
Eckhart dit : « Plus on te cherche, moins on te trouve» - et s'adres-
sant à l'homme : « Tu dois le chercher de façon à ne jamais le trouver,
si tu ne le cherches pas, tu le trouves (i). »
Ainsi se trouve fondé, dans le milieu où se développe la recherche
qui caractérise toute connaissance comme telle, l'échec de celle-ci.
Ce qui, dans la structure de ce milieu, fonde un tel échec pressenti et
intuitivement affirmé par la pensée religieuse, Eckhart le donne à
entendre. Commentant la prière, faite à Moïse par les Juifs, de leur
transmettre les paroles qu'ils ne pouvaient entendre eux-mêmes de la
divinité, « ils se tenaient à distance, dit Eckhart et c'est j ustement a
cause de cela qu'ils ne pouvaient entendre Dieu» (2). L'impossibilité
de parvenir à ce dernier, de « l'entendre », impossibilite visible encore
dans la faillite de toute perception (3), réside ainsi dans la structure
même du milieu ouvert par la distance phénoménologique et constitué
par elle, dans l'objectivité. La signification que revêt celle-ci de
constituer
.. non une voie mais un obstacle pour celui qui veut se
joindre a l'essence, Eckhart l'affirme aussi quand, avant le jeune
Hegel, il relève la parole du Christ à ses disciples « non pas seule-
ment [a] ses disciples d'alors mais [à] tous ceux qui deviendraient
encore ses disciples et voudraient le suivre. vers la plus hante perfec-
tion » « il est bon pour vous que je m'en aille ». Précisément
parce qu'elle ne concerne pas seulement ses disciples d'alors la
disparition du Christ ne s'accomplit pas comme un simple événement
historique, elle trouve a la fois son fondement et sa signification
dans la structure ontologique du Verbe lui-même, c'est-à-dire en

(I) T, 191.

(2) ID., 214•


(3) « Si peu que nous percevions de la Déité , dit ECKHART, la multiplicité est
déjà là » (ID . , 24.9).
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
537

Dieu. Celui- ci, si du moins la problématique vise en lui son essence


originelle, l'essence du Logos, ne saurait à la ri gueur dis araître du
p
monde pour cette raison qu'il ne s' est j amais montré. Parce que
l' impossibilité pour Dieu de se manifester dans le monde s ' enracine
en lui, dans l'essence originelle de sa Déité c'est la préservation de
celle-ci, la préservation de sa p ro pre essence ue oursuit le Christ
q p
dans l'invitation adressée aux disci ples de ne as s'attacher « avec
p
dilection » à sa propre personne , plus exactement, comme le dit Eckhart
à « sa forme humaine » ( i), c'est- à-dire à son app arence ^
ob ective, dans
l'interdiction qui leur est faite de confondre cette app arence avec son
être propre.
r L'incompatibilité eideti ue de celui-ci et de celle - là ne détermine
pas seulement l'attitude immédiate de Jesus, elle fonde che z Eckhart
la critique qu'il dirige contre le concept de Dieu. Parce que l'essence ori gi-
nelle du Logos n'est pas la phenomenalite de la connaissance en
effet, tout ce qui se hénomenahse en celle-ci Dieu lui-même en t ant
qu'il est connu , se révèle être sans ra pp ort avec elle, sans ra ort avec
pp
la Déité. Voilà pourquoi « le dessein bien arrêté de Dieu c'est
que l'âme perde Dieu », parce que « tant que l'âme a encore un
Dieu, connaît un Dieu, a la ration d'un Dieu, elle est encore éloignée
.
de Dieu `» (z). Ici surgit dans sa transparence l'affirmation sin ulière
g
selon laquelle « nous devons nous affranchir de Dieu même »
` (3)
Si rien
. ne suffit a la(j.),
Raison , « pas même Dieu en personne » si
celui-ci « ne peut me suffire avec tout ce qu 'il est comme Dieu » ;
fis)'
c' est que e mode selon lequel il se phénomenalise dans la connais -
sance et qui détermine son concep t laisse echa pp er l'essence ori g inelle
de la Déité , laquelle constitue identiquement,
uement, toute
toutefois,
ois, l'essence même e

(I) 1, 240.
(2) ID., 248.
(3) ID., 254.
(4) ID., 224.
(5) ID., 259•

M. HENRY 18
538
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'âme. C'est p ourquoi celle-ci ne peut s'apaiser en Dieu, ne se retrouve


pas en lui, « pourquoi je prie Dieu de me libérer de Dieu ; car mon
être essentiel est au-dessus de Dieu » ( i). Que ces prescriptions
et l'éthique qu'elles composent apparemment s'enracinent dans
les structures éidétiques de la phénome' nalité pure, que, pensé
a la lumière de celles-ci l'impératif qu'elles . formulent d'abord
n'exprime rien d'autre que le rejet du Dieu transcendant qui n'est
as l'essence, Eckhart l'affirme simplement ; « Nous ne devons
d'aucune façon saisir Dieu hors de nous - mêmes ni le supposer hors
de nôus nous devons au contraire le considérer comme notre bien
propre, comme une réalité qui nous appartient . » C'est pourquoi
encore, « nous ne devons pas... oeuvrer... pour Dieu... ni pour aucun
bien extérieur à nous, mais uniquement pour l 'amour de ce qui est
notre essence propre et notre propre vie et • qui réside en nous » (z),
Que l'essence ne réside pas hors de nous mais dans notre propre vie,
et cela parce qu'elle est l'essence même de cette vie qui est la nôtre (s), ce
que Nids devait pressentir plus tard à sa manière, tout cela est
dit ici et fondé . Le contenu philosophique del athéisme est présent chez
Eckhart compris p ar lui dans sa vérité, à partir de l'hétérogénéité structurelle
des dimensions phénoménologiques fondamentales élaborées dans la problé -
matique du Logos et comme l'expression de cette hétérogénéité.
Celle-ci l'impossibilité d'ordre éidétique qu'elle oppose à la
prétention de saisir l'essence originelle de la Déité dans la dimension
de l'extériorité, de la connaître, trouve sa formulation la plus rigou-
reuse et la plus explicite dans la théorie de l'archéty p e . éternel qui
désigne précisément la première manifestation de Dieu dans le
milieu de l'altérité et implique comme tel l'affection de l'esprit par ce
dernier comme p ar une réalité transcendante . Pour cette raison

(1) T, 258.
(2) ID., 150.
(3) u Qu' est-ce que la vie ? L' essence de Dieu est ma vie u , ID., 148.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 539

précisément, une opposition radicale s'institue entre l 'essence et son arché-


type : loin de pouvoir consister en celui ci, la révélation de l'essence presup-
pose au contraire sa suppression et son anéantissement . Voilà pourquoi,
comme le dit Eckhart en une pro p osition essentielle emp runtée à
saint Denis « le plus grand plaisir de l'esprit réside dans le néant de son
archétype » ( i). Dans le néant de son archét ype , q uand cesse toute
transcendance , l'essence retrouve son unité, s 'accomplit . Le lus
grand plaisir de l ' esprit est sa possibllite. Parce que l'accom plisse-
ment de l'esprit réside dans l'unité, rien de transcendant ne subsiste
alors, l'essence elle-même n'est, en raison de cette ossibilité de son
p
accomplissement, plus rien de transcendant , « Dieu est uel u'un
q q
dont le néant remplit le monde entier et son quel q ue chose n'est
nulle part (z). » Parce que l'essence elle-même n'est , dans son accom-
plissement , plus rien de transcendant , « c'est là » dans cet accom plis-
sement de son essence, « que Dieu disparaît » (3). La disp arition de
Dieu . est, dans le néant de toute connaissance, celle de son archet yp e.
« Puisqu 9 alors Dieu n' existe plus pour l'esprit , cet archétype éternel
n'est plus présent non plus à l'es prit ( d ). »
C'est à la lumière de ces prop ositions fondamentales que doivent
s'entendre les prescriptions morales ou les constatations d'ordre
psychologique qui conferent à la doctrine son as p ect rati ue.
p q
s' « il ne s 'agit pas de p enser à Dieu de fa çon constante et ré Mère», .
g
ce n'est pas parce que « p our notre nature ce serait un dessein im pos
sible ou très _difficile », mais parce que, Dieu n'étant en sa realite
rien de transcendant , celle-ci ne saurait en aucun cas être atteinte
par la pensée. « Ce i u'il faut avoir, dit Eckhart c'est un Dieu en subs-
tance qui soit au-dessus de la p ensee », L'heiero g eneite eidetique
irréductible reconnue entre la réalité de Dieu et la manifestation

I) T, 249 , souligné par nous.


(2) Ibid. , proposition empruntee par Eekhart à Proclus,
(3) ID., 246.
4) ID. , 2 49 proposition empruntée par `Eckhart à saint Denis.
540 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

transcendante de son concept s'exprime dans le caractère de dépen-


dance qui affecte celle -ci en tant que son effectivité demeure chaque
fois subordonnée à un acte spécifique de l'esprit . « Quand la pensée
disparaît, dit Eckhart, Dieu disparaît également ( z). » A la contin-
gence de sa manifestation dans le milieu de la pensée, contingence
prescrite par la structure de ce milieu et liée aux libres déterminations
de l'esprit, s'oppose irréductiblement , dans son indépendance radi-
cale à l'égard de telles déterminations , l'être originel de Dieu,
l'accomplissement
. inlassable de son essence dans l'oeuvre première
du Logos , et la permanence de celle - ci (2). C'est cette permanence de
l'essence originelle de Dieu, son indifférence ontologique au pro-
cessus de la connaissance, à ses progrès et à ses niveaux , qu'expriment
en fait les thèmes existentiels et religieux qui dominent la prédication
d'Eckhart, l'imputation à l'existence libre et à sa seule liberté de
l'éloignement où elle se tient par rapport à Dieu, son unité indissoluble
avec lui au contraire sur le plan de la réalité . « L'homme peut se détourner
de Dieu, dit Eckhart; aussi loin que l'homme s'en aille, Dieu reste là
et l'attend ( 3). » Et encore : « Que l'homme soit près ou loin, Dieu,
lui, ne s'éloigne jamais. Il reste toujours dans le voisinage et s'il ne
peut demeurer en nous » c'est -à-dire dans notre pensée, « il ne s'en
va jamais plus loin que de l'autre côté de la porte ».
. Ainsi s'explique enfin la critique dirigée par Eckhart contre
la croyance et la foi considérées comme des modes de la connaissance,
comme la représentation, dans le milieu de celle-ci et par la médiation de
la distance qui le constitue, d'un. Dieu lointain . « Car c'est un grave
inconvénient pour l'homme de croire Dieu loin de lui (4), » Parce
que Dieu ne s'éloigne jamais, parce qu'il « ne se sépare jamais de

(I) T, 33•
(2) Ce Dieu là, dit ECKHART parlant du Dieu réel qui n ' est pas celui auquel
l'homme peut ou non penser , ne passe pas (ID., 33).
(3) ID., 186.
(4) ID., 47.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 541

l'homme » (I) et constitue au contraire en lui sa réalité essentielle et


persistante (2), la possibilité d'une relation extrmseq ue à celle-ci se
trouve, comme telle, privée de ` sens. C'est pourquoi encore il est dit de
l'âme, qui désigne précisément dans l'homme cette réalité essentielle
identique à la vie même de l'absolu, qu' « elle n'est plus réduite à
l'apparence, à la conjecture, à la foi... », que « tout ce qu'elle a jusque-là
cru et connu à l'aide de simples mots et de simples démonstrations,
tout ce qui lui est représenté sous forme de symbole. .. elle n'a Plus
besoin de le demander à personne », et cela, ajoute Eckhart, parce
que « elle est parvenue à la Vérité » (s).
La détermination de la réalité de l'âme, dans son identité â celle
de l'absolu, comme « vérité » appartient à l'oeuvre accomplie par la
problématique, donne sa signification ontologique à la critique de la
connaissance. Que l'être qui s'oppose a celle-ci ne soit, dans cette
opposition, rien d'obscur ni d'abscons, non l'élément ténébreux où
se perd le rationalisme, mais, précisément, Raison et Révélation et
bien plus, l'accomplissement originel de celle-ci constitutif comme tel
de la réalité, c'est là, on le sait, le contenu essentiel de la pensée
d'Eckhart, son affirmation explicite aussi bien que sa p resupposition
constante, Le caractère le plus remarquable d'une telle pensée s'ex-
prime alors dans l'idée d'une manifestation dont l'essence n'est plus constïtl
tuée par l'exleriorite de l'êtrepar rapport à roi, mais au contrairep. ar celui-ci
de telle man:ere que, pour la premiere fois peut-être dans l'histoire de la
philosophie occidentale, et comme il ne le sera plus avant longtemps, le concept
de l'être se trouve sauvegarde. Pour cette raison :en effet, parce qu'elle
ne consiste plus dans l'exterioritié de l'être par rapport â soi, la man:-
f de celui-ci n'est plus une image, une simple re resentation p de l'être,
di f f erente de sa réalité, elle reside au contraire en lui, c'est l'être lui-même qui
se phénoménalise en elle, elle est véritablement la manifestation de l'être.

(I) T, i86.
(z) « Ce qui m'est inné demeure (sb^d.).
(3) ID., 242 , souligné par nous.
542 L'ESSENCE DE . LA MANIFESTATION

Parce que la manifestation de l'être n'est pas différente de celui-ci,


parce que la phénoménalité de cette manifestation est la propre
réalité de l'être lui-même , celle-ci est présente, comme lui étant
identique, partout où une telle manifestation se produit. C'est là
ce que signifie, pour la manifestation de l'être , résider en lui : être
l'être lui- même, sa réalité.
Dans la substantialité de cette manifestation constituée par l'être
lui-même et sa réalité ne consiste pas seulement , comme radicalement
étrangère à l'irréalité du milieu de la connaissance et à son idéalité,.
l'essence de la vie, l'identité en celle-ci de l'être et de la phénoménalité
a encore une conséquence. décisive, aperçue par la problématique et ici
pleinement transparente. C'est parce que la manif estation de l'être est
identique à sa réalité et ne peut se produire qu'en elle, que la relation de
l'âme à Dieu qui trouve sa possibilité dans une telle manifestation et se
confond avec elle, ne peut elle aussi s 'accomplir que dans la réalité de l'être et
comme identique à celle-ci. L'identité ontologique de l'âme et de Dieu exprime
sur le plan métaphysique et signifie identiquement l'identité dans l ' être de sa
réalité et de sa phenomenalite Que la manifestation de l'être absolu ou
Dieu, sa manifestation à l'âme par conséquent , ne puisse se produire
que dans lai réalité même de Dieu , dans la réalité de l'être absolu
lui-même, c'est là le contenu de cette proposit ion essentielle emprun-
tee à l'Écriture et comprise ici dans sa signification rigoureuse
« Seigneur dans ta lumière on connaîtra la lumière ( i) . » D'une
,
manière tout aussi explicite Eckhart dit : « Jamais je ne pourrai voir
Dieu , si ce n'est là où Dieu se voit lui-même (z). » « Pour que mon
âme puisse connaître Dieu il faut qu'elle soit céleste . » Que la phéno-
ménalité de cette manifestation dans laquelle l'âme doit entrer et
se tenir dans laquelle , conformément à son essence, elle se tient -
pour parvenir à Dieu , soit constituée non par une image ou une

(i) T, 121 Psaume 36,10 ; souligné par nous.


(2) In., 223.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 543

représentation de celui-ci, par quelque contenu intelligible dans le


néant, mais par la réalité même de Dieu et par ce qui en lui constitue
son être le plus substantiel et le plus véritable, son être en soi et ,
comme le dit Eckhart, sa Bonté, cela aussi est affirmé et répété par
lui : « Pour.., connaître l'être véritable, il faut le connaître là où il est
l'Ètre en soi c'est-à-dire en Dieu » « . cornait
pour.. re le Bien, il..
faut le connaître là où ce Bien est bon en soi » (i), « tout ce qui lui.
appartient, l'homme bon le reçoit de la Bonté et dans la Bonté». « C'est
là, ajoute Eckhart, qu'il vit et demeure, et c'est là qu'il se connaît
lui-même (2). » Parce que la réalité de l'être dans laquelle elle se
tient est identiquement sa phenomenahte, l'âme, en tant Precisement
qu'elle se tient dans cette réalité et se trouve constituée par elle, se
connaît elle-même en elle, se manifeste a elle-même dans cette
manifestation originelle de soi qui est l'essence de la vie. Dans
l'essence, dit Eckhart, « je me connaissais moi-même (3) » Parce que
la réalité dans laquelle elle se connaît est la réalité de l'être absolu
lui-même, c'est ce dernier en fait, c'est la réalité de l'être absolu
qu'elle connaît quand elle se connaît elle-même. Voilà pourquoi,
dans cette réalité qui constitue identiquement sa propre réalité et
celle de l'être absolu, l'âme parvient à celui-ci, à Dieu. Parlant de
cette réalité qui constitue dans l'âme son essence et fait sa « noblesse »,.
Eckhart dit que « par elle l'homme arrive merveilleusement à Dieu » .4)
L'identite dans d'être de la phenomen °te et de la réalité, l'apparte-
nance à celle-ci de sa manifestation, de l'âme elle-même comme
constituée par cette manifestation de l'être dans sa réalité, la deter-
mination enfin de cette manifestation def l'être comme celle précise-
ment de sa réalité, tout cela est contenu dans la parole trop dense
« en Dieu... l'âme connaît selon l'être, »

(Y) T, 198-199, souligné par nous.


(4 ID., 70, souligné par nous,
(3) ID., 258.
(4) ID., 117.
544 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La signification ontologique de la critique de la connaissance


rend ambigu le concept de celle-ci. Un tel concept ne désigne plus
seulement, en effet, le milieu de l' extériorité ni l'ensemble des actes
de saisie qui s'accomplissent en lui . Précisément parce que la réalité
de l'être considéré en lui-même , comme être en soi, est sa phéno-
ménalité, il constitue , en tant que tel, quelque chose comme une
« connaissance ». Le concept de celle-ci, dès lors, s'applique à lui et le
détermine, comme on le voit dans les propositions précitées. Ainsi
peut-on trouver, à l'intérieur . de la problématique instituée par
Eckhart, deux séries d'affirmations rigoureusement opposées et
d'apparence contradictoire . Cette contradiction prend la forme de
l'antinomie quand il est dit que tantrque l'âme se connaît elle-même,
elle ne connaît pas Dieu (t), que c' est en Dieu qu'elle se connaît
elle-même et qu'ainsi la connaissance de Dieu est identiquement
pour elle la connaissance de soi (z), que, dès que l'âme a conscience
de. Dieu et d'elle-même, elle s'écarte de celui- ci et le perd (s), que
mon oeil et l'oeil de Dieu sont un seul et même oeil (d. ), que la vue
de Dieu et ma vue sont totalement dissemblables (s), que la béatitude
de l'homme ne repose pas sur la présence en lui de Dieu, mais sur la
connaissance qu'il en a (6), que la connaissance n'est pas le fonde-
ment de sa béatitude et n'a rien à voir avec elle (7), etc. Que toutes
ces contradictions cependant et l'antinomie qu'elles composent
ensemble ne soient qu'apparentes , la problématique le pressent qui
trouve plutôt en elles une simple confirmation de ses évidences
fondamentales et leur actualité . Avec la signification ontologique
qu'il revêt dans la critique dirigée contre lui , le concept de la connais-

(I) T, 199.
(2) CI. supra, § 40.
(3) T, IIO-1iI.
(4) ID., 179.
(5) ID., III.
(6) ID., 197..
(7) ID., III.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMA NENCE 545

sauce ne sombre pas dans l'ambiguïté , celle-ci, plutôt' est enfin


levée. C ' est la connaissance qui se développe dans le milieu de l'exté.
riorité et dont la phénoménalité est constituée par ce dernier qui se
trouve rejetée par Eckhart comme ne pouvant atteindre l'essence .
ni la révéler, comme ne pouvant la « connaître ». C'est elle qui définit
cette « vue de l 'homme » totalement dissemblable de la «vue de Dieu»
de sa réalité. C'est lorsqu' elle se connaît en elle, dans l 'extériorité,
que l'âme ne connaît as Dieu , mais seulement un soi transcendant
qui lui" masque l'être absolu comme le lui masque le concept de Dieu
lui-même. C'est parce qu'elle ne tire pas son origine de ce concept,
enfin, et réside au contraire dans la réalité même de Dieu que la
béatitude ne trouve pas, elle non plus, son fondement dans une telle
connaissance.
Le rejet de cette dernière tel qu'il s'accom plit concrètement
dans les déterminations religieuses de l'existence , en fait dans son
essence, reçoit dès lors le sens qui lui a été . reconnu la problé-
matique, par
celui de libérer l'être et sa réalité . En celle-ci dans la
phénoménalité qui la constitue, l'âme se manifeste à elle^même. , se
« connaît » elle-même et connaît Dieu, comme identique a cette
réalité et à sa phenomenalité originelle « Aussi longtemps qu'elle
se voit et se connaît elle-même , elle ne voit ni ne connaît Dieu.
Mais si elle se perd pour l'amour de Dieu et renonce à toutes c poses,
...alors elle se connaît elle-même... de la manière la plus parfa ite en
Dieu (i). » Ainsi se comprend, à la lumière du renoncement . et de sa
signification ontologique comme renoncement aux déterminations
de l'être qui se proposent dans la connaissance la presc ription d'appa-
rence morale faite à. l'homme par Eckhart et qui est en réalité celle
de d'essence « qu'il ne sache plus rien de lui-même ni du monde
entier et ne connaisse que Dieu seul.» Ce qu' il en est de cette connais-
sauce de Dieu donnée â I' « homme ban dépouillé ..., de lui-même men^e »

(I). T, i99.
5 46 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et du monde , à cet homme bienheureux qui ne se connaît plus


lui-même ( i ), on le voit dans le fait qu'elle trouve précisément son
essence dans la p auvreté, c'est-à-dire dans le rejet de l'altérité qui
constitue traditionnellement le milieu de la connaissance. Ainsi
devient p leinement trans p arent ce texte dont seule avait été commen-
tée la dernière proposition : « Pour arriver à cette pauvreté l'homme
doit vivre de telle manière qu'il ne sache pas même qu'il ne vit ni
pour lui- même, ni pour la vérité, ni pour Dieu, de quelque façon que
ce soit . Bien p lus, il faut qu'il soit à cepoint
vide de tout savoir qu'il ne
sache, ni ne connaisse ni ne sente que Dieu vit en lui : il faut qu'il soit vide
de toute connaissance qui pourrait encore se manifester
.^ en lui. Car lorsque
l'homme se trouvait encore dans l'éternelle façon de Dieu, rien
d'autre ne vivait en lui; ce qui vivait, c'était lui-même (z). » Dans
une telle pauvreté résident à la fois , comme identiques en leur
essence, la connaissance et l'inconnaissance de Dieu. Quand l'âme
renonce à toute connaissance et d'abord au projet de celle-ci, quand
elle renonce à elle-même, à son être propre tel qu'il lui apparaît dans
cette connaissance et, pareillement , abandonne jusqu'a l'idée de Dieu,
la réalité de ce dernier alors, sa propre réalité comme réalité absolue,
se découvres elle et lui est donnée . « Quand l' âme se perd ainsi
complètement. .. elle trouve qu'elle est cela même qu 'elle cherchait
sans l'atteindre ... ce n'est qu' ainsi que, sans le chercher, elle trouve le
Royaume de Dieu (3)»
La révélation à l'âme de sa propre réalité comme réalité absolue
est le fondement et l'essence de sa Béatitude. Parce que celle-ci
réside dans une telle révélation , dans la révélation à l'âme de la
réalité, elle n'a rien de commun avec le savoir ni avec ce qui se
manifeste en lui, « elle ne repose ni sur la connaissance, ni sur l 'amour»,
mais précisément sur cette réalité secrète de l'âme qui est son essence.

(I) T, 77, souligné par nous.


(2) ID., 256, souligné par nous ; cf. supra, § 39•
(3) ID., 251.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
547

« Celui qui découvre ce Fond secret a compris sur quoi repose la


béatitude . » Que celui-ci, ce fond secret sur lequel repose la béatitude,
n' ait rien de commun avec le savoir, avec la « connaissance »
Eckhart
l'affirme explicitement « Ce chose ne
quelque connaît
pas. .. 11'ne
peut non plus , si peu que ce soit, connatre que c'est Dieu qui agit
en lui » -- mais, parce que sa structure est celle de la réalité et de sa
révélation, il constitue précisément le fonde '
ment de la révélation et
son essence, « il est lui-même ce qui jouit de soi-même à la façon de
Dieu» (t). Voilà pourquoi , parce que la réalité sur la uelle se fonde
q
la béatitude est sa propre révélation et constitue ainsi en elle-même
quelque chose comme une connaissance , il est vrai de dire que
« ce qui importe a notre béatitude , c'est que nous sachions et connais-
sions le bien suprême », que, « si l'homme
s heureuxest plu qu'un
morceau de bois , c'est parce qu'il connatt Dieu et sait combien
Dieu lui est proche » (2), et, en même temp s, parce
arce que
qu la structure
de cette révélation est radicalement étrangère à celle du savoir, que
« dans le fond même de Dieu,.. là où l'âme p uise tout ce u'elle est
. . q
elle ne sait rien du savoir ni de l'amour , ni,., de quoi que ce soit »
(3)
Que la structure de la révélation constitutive de la réalité absolue
soit radicalement etran g ère voit
à celle du savoir
clans , on le le
' fait
qu'après avoir défini cet état d 'ignorance dams lequel se tient l' âme
au fond de Dieu comme son apaisement dans l'être et la connais sance
de celui -ci (d), Eckhart décrit le surgissement du savoirr .
ut est la conscience
de 1 extertoraté comme la destruction de cet état, comme la erte ar l'âme
p p
de son essence absolue ou divine O et sa chute dans le monde de la
création, ces deux termes étant, comme on sait , synonymes . « Q u'elle

( r) T, 256.257•
(2) ID., 197•
(3) ID., 110.
(4) a Elle s'apaise entièrement dans l'être de Dieu tout ce qu 'elle sait c'est
qu'elle est là, et elle ne counait que Dieu x (ibid.).
(5) Une telle « perte » ne s'accomplit bien entendu que dans la visée de la cons
cience et comme ce qui résulte justement du mouvement de cette visée.
548 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

prenne pourtant conscience de la vision de Dieu, de son amour et de


son savoir, la voici qui retombe aussitôt et qui est rejetée au plus
haut degré de la hiérarchie naturelle. » Cette opposition structurelle
de la réalité et du savoir, opposition telle que tout ce qui se meut en
celui-ci s'écarte de celle-là et la perd, Eckhart l'exprime à l'aide d'une
image : « Celui qui se sait blanc ajoute déjà une superstructure...
quelque chose à l'essence de sa blancheur. » Qu'une telle addition
soit en réalité une soustraction, que l'extériorité du concept supprime
la réalité, c'est ce qui est immédiatement affirmé « se savoir blanc
est bien inférieur et beaucoup plus extrinsèque qu'être blanc ». C'est
parce qu'un tel savoir est « bien inférieur », manque l'essence de la
réalité qui est identiquement celle de la vie, qu'il est dit encore,
de l'homme noble, qu'il « prend et puise tout son être et toute sa vie,
toute sa béatitude uniquement.., en Dieu seul, mais non dans la
connaissance, la contemplation et l'amour de Dieu » (i)
Parce qu'elle s'oppose radicalement au savoir, la réalité prend
forme et se constitue en l'absence de celui-ci. « Dieu est en ce lieu
et je ne le savais pas (2). » parce que la réalité prend forme et se
constitue en l'absence du savoir, dans cette absence aussi prend forme
et s'institue l'union avec elle, avec l'être absolu. A la question de la
possibilité de cette union « bien plus intime que ne l'est celle d'une
goutte d'eau et du vin après qu'on a versé une goutte d'eau dans un
tonneau de vin » : « comment cela se peut-il puisque je n'en ai pas
conscience ? » (s), il est répondu. L'absence de savoir n'est pas
seulement contemporaine de l'union, elle en est la condition. L'union
avec la réalité n'est cependant rien d'autre que sa révélation. La
possibilité de celle-ci réside dans le non-savoir. « On ne peut voir Dieu

(a) T, z io•i z I, souligné par nous.


(2). ID e, 198, emprunté au Livre de Jacob.
(3) ID., 52. « Pourquoi n'en as-tu pas conscience ? s demande encore ECKHART
dans un autre passage (ID., 135) « parce que toi-même tu n'es pas là vraiment chez
toi ^.
LA STR UCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
549

que par la cécité, le connaître que par la non-connais sance le comprendre que
par la déraison (i). »
Que la révélation de l'essence absolue réside dans le non-savoir
et soit constituée par lui, ne détermine as
p seulementdel'oeuvre
celle-ci comme la dissimulation originelle qui rend caduque l'entre-
prise de la connaissance . Parce que cette oeuvre est celle de la révéla-
tion, sa détermination dans le non-savoir dit ce qu'est la phénomé-
nalité effective de l'essence en tant qu'elle ne se manifeste pas dans
le monde et ne peut être connue, en tant qu'elle n'a pas de visage.

§ y o. LE NON-VISAGE DE L'ESSENCE

En tant qu' elle ne se manifeste as dans le monde , dans le pur


milieu de visib ili té où toute chose devient visible en elle- mémé, en
tant qu'elle n'est ni celle - ci ni celui-là, l'essence est invisible.. Privée
Privée
de la lumière qui surgit dans l'ouverture de l'horizon par la trans-
cendance, foncièrement étrangère a cette lumière qui est celle du
monde et définit depuis Parménide le j our de la présence et son
effectivité , elle se retient au contraire dans la nuit et se laisse transir
par elle. Comment l'essence se trouve soumise â cetmpire e' de la
nuits avec quelle force elle se retient en lui et s'yyabandonne,
ndonne, ce qu'elle
est le dit, Aucun horizon de lumière as même
p possibilité la ' ' ' ou
l'esquisse de celui-ci ne se lève en cequi
cohère avec soi dans l'unité
absolue de son immanence radicale , Ainsi s'accomplit dans l 'essence, .
sur le fond de sa structure même et comme constituée par celle-ci
l'oeuvre de la Nuit . Parce qu'une telle oeuvre repose sur la structure
de l' essence et se trouve constituée par elle, ce qu'elle accomplit.
n ' est ni accidentel ni provisoire, mais li é à l 'essence comme lui
étant identi q ue et comme sa réalité. La nuit est la réalité de l'essence
et c'est comme telle, comme sa réalité même et comme son essence,

(I) T, 241, souligné par nous.


S S o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qu'elle la transit. Dans la réalité de l'essence réside l'essence du fon-


dement. Que celui-ci ne se laisse pas saisir et échappe à toute connais-
sance , qu'il s'envelo pp e dans la nuit et demeure en elle, qu'il soit
l'Abtme, résulte de son essence Le pouvoir de la nuit est le pouvoir
.
de l'essence, l'invisible ce qu'elle réalise et accomplit en raison de
ce qu 'elle est.
Ce que réalise l'essence, ce qu'elle accomplit en raison de ce
qu'elle est, est la révélation, la . révélation originelle de soi où réside
sa réalité . Ce qu'est en sa réalité l 'essence en tant qu'elle accomplit
l'oeuvre de la révélation, en tant qu'elle se révèle elle-même originellement,
la problématique l'éprouve dés lors dans son évidence contraignante :
la révélation originelle de l'essence à elle-même constitutive de sa réalité est
l'invisible . Parce qu'il constitue la révélation originelle de l'essence à
elle-même et de sa réalité , l'invisible n'est pas le concept antithétique de
la phénoménalité, il en est la détermination première et fondamentale.
Encore cette proposition doit-elle être comprise. Elle ne signifie
en aucune • façon l'inclusion dans l'essence de la phénoménalité
d'un élément étranger à son effectivité phénoménologique , fondement
obscur de celle-ci et qui, en lui-même, ne se manifesterait pas. L'invi-
sible. fà l'essence originelle de la phenome'nal:te , co-intensif
est co-extensi
à son ef fectivrté. Co-extensif à l'essence originelle de la phenomenalité,
co-intensif à son effectivité, l'invisible se phénoménalise en lui-même en tant
que tel, il est de part en part phénomène, révélation et, bien plus, l'essence
de celle-ci. La nuit transit l'essence de la révélation comme ce qui se révèle
en elle et comme ce qu'elle est. La nuit est la révélation de l'essence de la
révélation, elle constitue l'effectivité e son contenu phénoménologique spéci-
fique et le définit.
Ainsi se trouve déterminé, dans la p ositivité de sa signification
phénoménologique propre, le concept de l'<c invisible ». Confor-
mément. à celle-ci, d'invisible n'est rien d'« obscur » . au sens de ce
qui demeure en soi-même étranger à l'élément de la révélation,
l'immanence dont il caractérise la réalité n 'est pas « ténébreuse » au
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 55'

sens des alchimistes . Ainsi s'éclaire d'un jour singulier le pressenti tl.
ment qui fut depuis le début çelui de la problématique, l'idée que le
fait de ne as
papparaître
mentdemeure totale
indéterminé et son
concept privé de sens aussi longtempsq ue l'apparaltre lui-même
n'a ^
pas été reconnu dans ses déterminations structurelles fondamentales
â l'intérieur du travail exhaustif de son élucidation ri g oureuse , l'idée
que ce qui n'apparaît pas n'est peut - être tel qu'au re gard d'une
conception unilatérale et abstraite de l'essence (i). Avec l'accomplis-
sement de ce travail d ' élucidation tombe au contraire la définition
immédiate de l'invisible comme simple privation de laphénomenalté.
La prétention de chercher l'origine de toute connaissance dans le
visible et dans ses pouvoirs , prétention explicitement formulée
par Kant (2)
. et qui domine en fait l ' ensemble du développement de la
philosophie occidentale, perd ses droits et se trouve renversée si
la négation incluse dans le concep t de l'invisible n'est pas celle de la phéno-
menal:te mais détermine le made selon le quel celle-ci se phenome'al:se ori
ginairemem et nous aide à le concevoir.
La détermination par le concept de l'invisible du mode selon
lequel se phénoménalise ori ginairement la p hénoménalite', la déter-
mnation originelle de celle-ci, doit être p ensée . L'invisible n'est as
p
seulement révéla ion en lui-même de part en part, il definii justement la
nature de celte révélation. Si l'élaboration ontologique de l'essence de
la manifestation e concentre sur la quest i on de savoir comment sa
manifestation précisément s'accomplit, sur ce « comment » en tant
que tel, la détermination structurelle de ce dernier trouve ici sa signi-
fication phenoménologique , positive et concrète . L'invisible constitue
dans la positivité de son effectivité phenoménologi ue spécifique, le « comment»
de la révélation de l'essence de la révélation et le détermine phénoménoloi^

(a) Cf. supra, § 8,


(2) « Nous n'avons pas d'autre source de la connaissance , à
partces
(la sensibilité et l'entendement ) », Critique de la Raison pure, op. cit., 252.
deux-là
552 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

quement. Conformément à la détermination phénoménologique de


son comment, de ce comment qui la constitue, c'est dans l'invisible
et comme cet invisible lui-même que se révèle l'essence de la révélation. Se
révélant dans l'invisible et comme cet invisible lui-même, sous la
forme de celui-ci par conséquent, l'essence demeure cachée dans sa révé-
lation même. L'état caché de l'essence est sa détermination essentielle,
ü est l'état de l'essence comme phénoménologiquement effective,
son vêtement originel, non ce qui la recouvre ou la dissimule, mais
ce qui la révèle car, comme le dit Kierkegaard du lis des champs,
« il n'y a pas de différence entre son vêtement et son être ». L'état
caché de d'essence est sa p arure, sa manière de se donner, sa phéno-
ménalité enfin, « le jour qui convient à sa propre nature » ( i ). « Rien n'est
si bien caché, dit encore Eckhart, qui ne puisse être découvert» (z),
de telle manière cependant que cette découverte, la découverte de
l'essence absolue, consiste dans cet état caché i est le sien et se trouve
constituée par lui. Voilà pourquoi, parce que l'être-caché de l'essence,
non son aperception dans la lumière, constitue comme tel, dans sa
nuit, dans cette nuit essentielle de l'essence, sa révélation et l'effec-
tivité de sa phénoménalité, sa « vérité », « la vraie lumière brille dans les
ténèbres bien qu'on ne s'en aperçoive as»
Ainsi s'éclaire dans la lumière de la nuit et comme exprimant en soi
la détermination par celle-ci de l'essence originelle de la phénome-
nalite et de son effectivité, le paradoxe auquel se mesure en fin de
compte toute recherche phénornenologique fondamentale portant
sur l'essence comment celle-ci, nomment l'absolu de la manifes-
tation peut-il être ce qui se manifeste le moins comment la réalité

(x) T, 167 « I,à où l'âme demeure dans le jour qui convient à sa propre nature,
elle connaît toutes choses au-delà du temps et de l'espace, et rien ne lui est proche
ni lointain souligne par nous.
,,
(2) ID., 174.
(3) ID., io8. C'est la version que donne Eckhart du verset de l'évangile de saint
Jean.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
"3

effective de la révélation : demeure-t,


elle en elle meure cachée- de
telle manière que nous les hommes
, et aussi les philosophes, ' ne
cessions de la méconnaltre et de l'ignorer ?Parce que, sur le fond de
la détermination parl'invisible d
e la phénoménalité effective de
l'essence originellepde la hénoménalite
, une telle question '^ n
finalement -rien d'autre que le résultat 'exprime
dune analyse ^ éldétiue et la
promotion de son . cont enu dans la vérité de l 'évidenceq, s formulation
historique peut être retenue hors de la confusion ou elle s'accomplit
etproblématique
la fair e écho a ce qui, en l'absence de tout contexte
ontologique susceptible de lui conférer un cadre et un sens ne pour-
rait. constituer en effet. qu'une interrogation
oratoire : « Le mystère
des données primordiales . é crit Renouvier dans son
Traite de Psycho-
logie rationnelle ( i ), l'inévitable
est l'iné ' extrémité de la spéculation...
mais l ' être, c est-a-dire le hénomene serait
• p il vraiment un rnystere
Faut -il traiter de mystérieux ce qui est •
Ia. lumière meure , lumière
de tout et lunnere de soi ? »
La détermination par le concept de l'invisible de la phénoménalité
de l ' essence ne définit as seulement l'
p oeuvre- de celle-ci dans son
accomplissement effectif, elle la rend possible. Car si l 'essence - est a
l'oeuvre :dans la vie naturelle, si elle est
présente et agissan t e, pheno-
ménologiquement efl^ective, avant qu ' une représentation ne la repré
sente dans le renverse ment, comme la condition précisément de
celui-ci et en énéral
g représentation , c'est de la
que cette :. , .
effectivite
phénoménologi q ueréalité
trouve lade sa possibilité ultime dans
ce qui se phenoménalise avant toute représentation et en l 'absence
de celle- ci. L'invisible ne rend seule
pas ment poss:ble l'immanence de
l'essence, il defermine l'essence de l'immanence et la constatne
. Déterminant
l'essence de l'immanence constituant , rendantet la •
possible l'lmma-
nence de l'essence, l'invisible rend l'essence agissante et lui. permet.
d'agir partout où elle ag it. West en cela quo. réside soi po
uvoir, le
(I) dj,. cit ., II, 107.
554 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pouvoir de la nuit . C'est par là que la . nuit accomplit l'oeuvre de la


révélation en tant qu 'elle est en elle- même révélation, en tant qu'elle
détermine l'essence de celle-ci, en tant que, la déterminant comme
l'essence de la nuit et comme l'invisible, elle la rend effective dans
l'immanence où elle agit.
L'oeuvre de la nuit, l'accomplissement par elle de la révélation
dans sa possibilité et dans son effectivité, la détermination de celle-ci
comme invisible, comme l'invisible et originelle lumière de la Nuit,
au dire authentique de la poesie il appartient de les nommer. Parce
qu'une telle nomination est leur révélation , parce que celle-ci révèle
l'essence de la révélation et se fonde sur elle, elle la célèbre et, confon-
due avec son obj et, revêt en lui la forme de d'hymne . Célébrons la
Nuit, dit Novalis , « la sainte, la mystérieuse Nuit » ( i). Car la
Nuit ne s'oppose pas s i mplement â la lumière du jour, elle n'en est.
pas seulement la privation . C'est par opposition a la lumière sans
doute à cette lumière qu'il comprend ontologiquement comme la
phenomenalite du monde pur et dont il connaît mieux qu'un autre
l'oeuvre et la splendeur : « la lumière.,. avec ses couleurs , ses rayons
et ses ondes, sa douce omniprésence... qui éveille tous les êtres... elle
que respire le monde géant des astres infatigables, nageant et dan-
sant dans son flot azuré, et la pierre étincelante et la plante pensive...
et l'ardent animal sauvage... et plus qu'eux tous l'Étranger superbe
aux yeux profonds .. , elle (qui) appelle les forces l'une après l'autre
a des metamo poses sans nombre, nouant et dénouant des alliances
infimes, environnant de sa céleste image toutes les créatures terres-
tres », elle dont seule la présence « nous révèle en sa miraculeuse
splendeur le royaume de ce monde » -- que Novalis pense tout
d'abord l' essence de la Nuit « loin d'elle, je me détourne vers
l'ineffable... Nuit . Le monde est loin -- sombré dans l'abîme ».
Mais cette absence du monde et de sa lumière n 'est pas rien, n'est

(I) Hymnes d la Nuit, trad. Geneviève BIANQvis, Aubier, Paris, 1943, 79.
LA STRUCTURE INTERNE DE
EL IMMANENCE
L'IMMANENCE 555

pas l'absence de la phénoménalié. Le baume '


précieux qui coule goutte
a goutte de la gerbe de pavots que la Nuit tient a la main (z) n'agit
pas seulement comme l'oubli où s'abolit toute chose, n'est pas le
sommeil du néant et de l'inconscience. ui fulgure laEn 1 .,.
verste
« Nuit vraie, dit Novalis racieux
(z), g desoled
la 'Nuls (i). »Soleil
si éclatant (4), vérité si fulgurante que « la lumière semble pauvre....
a présent» et que son essence désertée cherche en vain d'autres soleils
pour nous séduire. « C'est parce que la Nuit détour ne de toi . tes
fidèles que tu as semé dans
• l'es
cespace infini
globes lurnineux,.
destinés a proclamer ta puissance --- à annoncer ton retour -- au
temps où tu es loin. » Maisplus « divins
que les étoiles scintil-
lantes nous semblent lesyeux infinis que la Nuii a ouverts en nous»
Car la Nuit n'est pas seulement la lumiere de 'ni' ce
l'Invisible.
qu'elle•nous
llefait voir,
est l'invisible lui-même e
le pouvoir qui la
produit, pas seulement l'effectivité de la ''
phenomenalite dans sa
fulguration- originelle, mais son essence . C'est pourquoi Novalis
l'appelle « la Mere » (6) et nomme « celui dont elle est la Mire, l'amour
créateur» (7). L'amour créateur, donne.l'être,ce
est qui -
la révélation..
Parce qu'elle révèle celle-ci et lui donne l'occasion de e produire,
la -Nuit est la Mère, elle accomplit en elle, dans sa complaisance
lvre laoeu (8),
plus essentielle, l'oeuvre protectrice du sacré ou le sacré
lui-même se revele, ou se révele la révélation . Ainsi le veut, en sa
trop dense rigueur, la parole de 1'Hymne : « La :Duit. fut désormais
le sein fécond d'oû naissent le .
s révélations (^). »Que cette source

(I) Hymnes à la Nuit, op, cit., 7 7- ,


79
(2) ID., 83.
(3) ID., 8i.
(4) u I,e soleil brille sans arrêt », disait Ec cba rt.
(5) Hymnes z la Nuit, op, cit., 79-81, souligné par nous.
(6) ID., 79•
(7) ID., 9±.
(8) u Aurais-tu, toi aussi, quelque complaisance pour nous, sombre Nuit ',A (In., 79),
(9) «Der offenbanmgen mâclit ger Schoss ^, ID., loi.
S SG L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la révélation, le pouvoir qui la produit, ne se tienne pas hors


d'elle ni de son effectivité, mais constitue plutôt celle-ci et ainsi
la révèle, cela tient justement à ce que c'est en elle-même, dans
la Nuit, qu'elle accomplit son oeuvre. « Source cristalline », dit.
Novalis (i).
Parce qu'elle est le pouvoir de la révélation, parce que celle-ci
la transit, la Nuit se laisse comprendre enfin comme ce qu'elle est.
Non l'innommable demeure inhabitée dont les poètes chantaient
en vain les symboles apaisants, « un éphèbe rêveur au flambeau
renversé, Et la vie exhalée en un soupir de harpe, Et la fratcheur du
fleuve où meurt le souvenir» (z). Dans la force de la révélation, dans
son irruption triomphante réside le pouvoir de l'être, l'essence de la
vie. Ainsi s'éclaire, à la lumière de son pouvoir, ce qu'il en est ulti-
moment de la Nuit, ce qu'elle détermine dans son concept, « porte
sous son manteau » (3) : toute vie est par essence invisible, l'invisible
est d'essence de la vie.
Mais la vie s'atteste elle-même , elle rend elle-même témoignage
de ce qu'elle est. L'auto-attestation de la vie, le témoignage qu'elle
rend d'elle-même, est son essence, sa révélation. A celle-ci, a la.
Nuit, il appartient de f révéler qu'elle est, dans cette révélation, la vie.
C'est la Nuit elle-même qui parle dans l'Hymne, c'est â elle que
s'adresse Novalis : « Tu m'as révélé la Nuit comme l'essence de.
la vie (4). »

(z) Hymnes à la Nuit, op. cit., 89.


(2) ID., 99-101.
(3) ID., 79.
(4) ID., 8z ; ' du hast die Nacht mir zunm I,eben verkündet b. Cette
révélation dans la Nuit de la Nuit comme constituant l'essence de la vie
constitue aussi, selon Novalis, l'humanité de l'homme. « Tu m'as fait homme A,
ajoute-t-il immédiatement. Ainsi se trouve posé, avec la définition de l'homme à
partir de cette révélation de la Nuit comme constitutive de l'essence de sa vie, un
concept ontologique et prégnant de l'humanité.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANE NCE
357

5I. VISIBLE ET INVISIBLE

La détermination ontologique positivedea1Nuit comme consti-


tuant, dans son être identique à celui de la vie l'effectivité
ré originelle,
de la phénoménalité pure et son essence, nous apporte devant 1'' intel-
ligence du rapport qu'elle entretient avec le concept :. qui lui sert
en apparence d'antithèse, celui de la lumière qui constitue notre
monde et lui assigne ses limites. Précisément parce qu'il n'est pas le
concept. antithétique de la pbénoménalité, l'invisible n'est pas non plus celui
du visible. La nuit ne s'oppose-t-elle pas au jour ? Comprise comme
phénoménologique en elle-même, ne demeure-t-elle pascependant
étrangère à la lumière de celui-ci, essentiellement différent '
e . Diffé
rente sans doute, non opposée. Ou
p lutôt c'est la nature de cette
opposition qui doit être élucidée, Car l'opposition presuppose en
general un lien. Que ce dernier puisse s'établir entre des « contraire s >>
et subsiste dans cette forme extrême de l'opposition, montre Fjust e
sa permanence essentielle en celle-ci et la détermination par lui de-ment
toute opposition comme telle. Mais la possibilité d'un tel lien réside à son
tour dans l'homogénéité d'une essence p ppet Une
la relu ose '
baleine
ne s'oppose pas à une équation. L'affinité des contraires leur coappar..
tenance. secrète à une essence commune, ne fonde pas seulement le
lien qui les unit, elle le rend effectif dans le des contraires
passage l'un
dans
. l'autre et dans sa
néepossibilité. Toute Opposition est par esse
dialectique.
. ,C'est la manière
possi- dont chaque terme vit en lui la
bilité de son passage dans le contraire, c'est la force qu'il de' plole
pour le refuser qui fait de un
.. proprement lui opposé. En toute o
ppo-
sition, si elle a un sens, si elle est autre chose que l'indifférence
d'une simple Juxtaposition formelle, s'institue un combat s'ouvre
un enjeu. Ainsi en est-il de l'opposition du visible et de l'invisible telle
qu'elle domine l'intelligence de l'être dans le developpement de la pensée philo-
saphique. L'effort vers le Jour, la tension vers
ide celu°
qui' se propose
à sa lumière à partir du fondement codétermine nt l'appartenance
558 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de celui-ci à l'essence de cette lumière identifiée à la phénoménalité


elle-même.
phnoménahté,
L'app artenance du fondement à l'essence de la
l'insertion de l'invisible dans le processus dialectique où surgit le monde et
dans son unite ontologique originelle, ne détermine pas seulement celle-ci,
elle trouve son expression phénoménologique dans les modalités concrètes
selon lesquelles un tel processus s'accomplit. Ce qui ne se montre pas est
le p remier moment de ce qui se montre, sa détermination originelle
et en même temp s son mode-limite . Ce dernier s 'inscrit dans une série
à l'intérieur de laquelle son caractère privatif le qualifie positivement
comme le terme à p artir du quel celle-ci se développe en des déterrai-
nations p hénoménolo giques de plus en plus riches, vers une clarté
de plus en plus grande . La phénoménalité, sur le fond de son unité
essentielle, se diversifie en une pluralité de degrés tels que chacun
d' eux lui appartient et se révèle être accessible à part ir d' elle Ainsi
Kant pense-t-i1 pouvoir réfuter l ' argument de Mendelssohn en faveur
de la permanence de l'âme en attribuant à celle-ci , c'est-à-dire à la
hénoménalité pure comme telle, « une grandeur intensive » et,
accroître mais aussi de diminuer
par conse quent la possibilité de s' .
graduellement Jusqu ' à se réduire a rien. « La conscience même, dit
Kant, a toujours un degré qui peut toujours diminuer (i). » Ainsi
Husserl montre-t-il comment , à partir du présent vivant où il se donne
primitivement, tout vécu tombant , conformément à la légalité éidétique
qui régit la constitution de la temporalité immanente et domine la vie
concrète de la conscience, dans la rétention , subit en celle-ci et dans
ses phases successives une série de modifications phénoménologiques
dont l' aboutissement est « le tréfonds universel... ce qu'on appelle
l'inconscient qui n'est rien moins qu'un néant phénoménologique
mais qui, ajoute Husserl , est lui-même un mode limite de la conscience » (z).

(I) Critique de la Raison pure, op. cit., 296.


(z) Formole und transzendentak Logik, o. cit., z8o, souligné par nous.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'I MMANENCE
559

Parce que le jeu . de ces déterminations. phénoménologiques


concerne en premier lieu la phénoménalité pure elle-même et lui
appartient, parce qu'elles sont ses déterminations et les modes
concrets de son accomplissement, l'essence de cell e ci les contient
toutes et les fonde également. C'est une seule nature qui s'abirne
dans l'obscurité ou se tourne au contraire vers l'éveil, qui réalise
plutôt en elle, dans son unité dialectique inte rue, l'effectivité de ce
double mouvement. C'est pourquoi le déroulement du processus
phénoménologique s'accomplit, dans cette tension dialectique,
comme un combat, comme l'échange entre elles des déterminations
phénoménologiques pures
et leur incessant passage. C'est. comme
ce combat devenu conscient de soi et conduit à son terme, porte
a son paroxysme,
. , que se propose la phénoménologie ellessi
meme
la
,• teléologie
.. .. se qui I,definit,
anime et par laquelle
est de elle ' rendre
l'invisible visible, de telle manière cependant que celui-ci n'advient
que dans le retour de la puissance contraire surgit. d'où ilAinsi
' se
trouve déterminé l'invisible pposition dans son O
au visible, c'est-à-.
dire en fait dans son unité dialectique avec lui non comme le concept
d'une essence séparée, mais dans la fluidité . du passage ou il ne cesse
de se constituer comme ce qui ne cesse de s' y dérober (z).

(i) C'est, de cette façon purement formelle que se poursuit chez Heidegger
`
l'élaboration ontologique de l'essence la plus ori 'pelle de
• , l la vérité : le .non-dévoile-
ment est la simple présupposition du dévoilement, sa determination
logique pensée sous la categorie de l'obscurité ou de la di henomeno-
opposition dialectique a ce dernier et réside e sszmulation résulte de son
n elle. I,' obnubilation est donc, lors-
qu'on la pense d partir de la vérité comme
dévoilement , le caractère ' de n'être as
dévoilé et ainsi la non vente originelle, propre à l'essence d p as
de la vérité, op, cit., çZ, souligné ar nous) e 1a vérité ^ (L'essence
p . Et encore : « L obnubilation refuse à.
1 &X) Oc le dévoilement » (ibid.), de telle manière que
c'est dans ce re fus et par ^Ï+^i
qu'elle est comprise et se détermine comme ce u'ellc
Q . C est
este précisément parce. qu'elle
n'est rien d'autre que le refus du dévoilement que l'obnubilation
qu'au sein de celui-ci et precisésnent ne peut se d
comme son refu s, comme sa limite , comme la iO
de son accomplissement phénoménologique effectif, comme
détermine essentiellement le règne de la versté et l'errance ar la uelle ell e
..quelle avec
finalementla
elle q
s' identi fie .
Ainsi s'éclaire en son fondement dernier le caractère
insurmontable de l 'emprise
Ibo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Ou bien la détermination ontologique du concept de l'invisible


et son élaboration par la problématique ne rendent-elles pas princi-
piellement absurde l'insertion de celui-ci , à titre d'élément opposé,
dans l'unité dialectique . du processus, l'idée de son passage possible
dans le « visible » ? Dans la positivité de son contenu phénoménolo
gique propre l'invisible ne constitue-t-il pas plutôt en lui-même une
essence celle-ci ne trouve-telle pas, dans l'effectivité de ce contenu
,
et dans la spécificité de sa structure phénoménologique , la détermi-
nation de la Selbstdndi keit ? Mais, conformément aux lois qui régissent
le domaine des pures possib ilités aprioriques auquel elle appartient,
aucune essence ne peut, en ce qui concerne du moins ses propriétés
essentielles et précisément sa structure , « se transformer » , Si une
transformation est possible à l'intérieur de l'essence et comme le jeu
des déterminations permises par elle, la transformation de l'essence
elle-même n 'a aucune signification, pas même « dialectique » elle
en est la suppression pure et simple, telle qu'il nous est loisible
de l'opérer, au moins sur le plan de la fiction. Ainsi l'invisible, s'il
n'est pas le néant de ce qui n'est rien du tout et ne doit pas non plus
le devenir, s'il désigne au contraire l'effectivité d'une dimension origi-
nelle de la phenomenalite et sa structure , sa possibilité interne, ne
saurait-il « se transformer » par exemple en son « contraire » De
même en est-il pour l'essence transcendantale du monde . Encore
ces deux essences n'ont-elles, conformément à la structure qu'elles

qu'exerce l'errance sur l'ontologie, l'obligation faite à cette dernière, dans la question
unique par laquelle elle s'égale à la métaphysique et à la philosophie elle-même,
de se comprendre et de se proposer comme « la vue du mystère â partir de l'errance A
(ID., Ioo, souligné par nous), c'est -à•dire encore, pour l'Entschlossenheït de celui-ci,
la nécessité précisément de « s'accomplir au sein de l'errance aperçue comme telle »
(ibid.). Pour cette raison aussi, toutefois, parce que l'obscurité qui la détermine
et lui confère sa positivité ontologique propre se trouve comprise en tout cas et
de toutes ces façons à partir du règne de la vérité, dans son opposition dialectique
avec lui et, bien plus, comme la loi même de son accomplissement et de son effec-
tivité, la non-vérité n'a prineipiellement rien à voir avec l'essence pensée dans ces
recherches comme celle de la révélation originaire et saisie en elles comme l'invisible.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 561

exhibent chaque fois dans l'effectivité de leur phénoménalité pure


et comme constituant celle-ci, rien de semblable et ne peuvent-elles
en conséquence entrer dans le genre commun d'une essence plus
générale ni être subsumées par lui (i),
Parce que leurs essences n'ont entre elles rien de semblable
parce qu'elles diffèrent au contraire dans l'hétérogénéité irréduc-
tible de leurs structures, l'invisible et le visible ne sauraient se trans-
former l' un dans l'autre, • aucun passage , aucun temps ne les relie
mais ils subsistent l'un à l'écart de l'autre, chacun dans la positivité
de son effectivité propre . Ainsi doit s'entendre , à la lumière de cette
hétérogénéité structurelle essentielle , leur opposition, non comme
une opposition entre deux opposés, telle qu'elle s 'institue dans le
lien, mais précisément comme l'opposition de ce qui n 'a pas de lien,
comme une opposition dans la différence absolue . Une telle opposi-
tion, dans la différence absolue, est celle de l'indifférence . C'est dans
l'indifférence de cette différence que, finalement , l'invisible s'oppose
au visible, de telle manière qu'il ne se tourne pas vers lui pour l 'affronter
en un combat, pour se refuser à lui au terme d'une lutte et à l'inté-
rieur de celle - ci, mais demeure plutôt en lui-même et, tout entier
occupé de soi, l'ignore et ne p eut le connaître. Ainsi se détermine,
à partir de l'extériorité de ce qui est sans rapport . et comme l'expres-

(Y) A moins, bien entendu, qu ' il ne s'agisse du concept purement formel de la


phénoménalite ou encore de celui . d'essence, concepts dont la généralité concerne
assurément et au meure titre l 'invisible et le visible . De tels concepts, toutefois,
appartiennent à l'ontologie formelle. Avec leur prise en considération la problé
matique quitte le plan de la réalité sur lequel elle n'a cessé de se mouvoir et qui
définit au contraire le domaine de l'ontologie matérielle ou concrète dont l'invisible
et le visible constituent précisément les essences fondamentales . Aussi faut-il
remarquer que la plus grande généralité des concepts de l'ontologie formelle tient
seulement à leur abstraction et, précisément, à leur caractère formel. Car c'est à
l'invisible ou au visible, c'est -à-dire nnalement à l'effectivité d'une essence concrète,
qu'est emprunté par exemple le concept de la phénom lite qui, comme tous les
autres concepts appartenant à l'ontologie formelle, trouve ainsi son fondement,
par voie d'abstraction appauvrissante , dans la réalité et dans ses déterminations
fondamentales.
S 6z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sion de celle-ci, l'impossibilité pour l'invisible de « devenir visible ».


Une telle impossibilité comme impossibilité d'accomplir le passage
n'a pas en soi moins de force que celle qui résulte du passage lui-
même et se constitue en lui, dans la tension des contraires, mais,
parce qu'elle repose sur l'hétérogénéité eidetique des structures
ontologiques ultimes , elle est insurmontable et définitive.
La compréhension de l'invisible dans son opposition insurmon-
table, non dialectique , à ce qui est visible et à son élément s'accom plit
pour la première fois dans le christianisme ou elle trouve sa reali-
sation historique concrète . Avec l'apparition de celui-ci se découvre
en effet, comme constituée par l'invisible précisément et par l'effec-
tivité de la phenomenalité qui lui a pp artient en p ro p re, une dimension
nouvelle et infinie de l'existence telle que tout ce qui se p ro p ose dans
le monde et se manifeste en lui à titre de « phénomène » se révèle
désormais être sans rapport avec elle ni avec ce qu'elle comporte
d'essentiel . C'est là en effet la signification de la critique dirigée
par le christianisme contre le « monde » et ses déterminations, celle
de promouvoir, dans son hétérogénéité radicale par rapport à celui-ci
compris en premier lieu comme un pur milieu ontologique , l'effec-
tivité et la réalité de l'essence irreprésentable de l'être et de la vie.
C'est pourquoi une telle critique ne s'accomplit pas d'abord dans la
perspective morale sous laquelle on l'envisage habituellement et
qu'elle a pu susciter par la suite , lors que le concep t du « monde »
revêt lui-même dans le christianisme une de' termination p lus p arti-
culière et nouvelle, elle trouve au contraire son contenu primitif
essentiel dans la simple reconnaissance , sur le p lan des structures
ontologiques du réel , de ce qui en celui-ci avait été jusque-là cons-
tamment méconnu. C'est pourquoi encore l'opposition de la vie
dans sa réalité invisible au concept régnant de la phe' nomenalite
tel qu'il s'exprime dans la compréhension du destin comme l'uni -
verselle loi de toutes choses, n'est pas, si on considère en elle le pou-
voir de protestation et de refus qui l'habite et la force révolutionnaire
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE G
S3

qu'elle manifesta historiquement, le fait de l'invisible lui -mémé niai


plutôt d' unepensée
en lutte avecQuel'ancienl'indifférence
monde.
au contraire caractérise dans le réel l'opposition des structures qui
le divisent, le partage en lui du monde ouvert de la cité où s 'accomplit
et se reconnaît dans la lutte la spiritualité des hommes, et de l'invi-
sible où s'enferment au contraire la conscience originelle de la vie
et son essence sacrée, c'est ce que rend clair la parole fameuse
« Rends a César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appart ient
à Dieu. » L'antinomie chrétienne telle qu'elle trouve son expression
la plus saisissante dans les propositions paradoxales du sermon sur
la montagne, et sous toutes ses formes exprime-t-elle autre chose.
que cette indifférence de la vie â l'egard de ce qui passe habituelle-.
ment pour ses formes concrètes , autre chose que la liberté où elle
laisse se mouvoir les determinatlons de l'être dans la representation ?
C'est l' absence de rapport entre deux mondes qui se fait jour en
elle, de telle manière que ce qui se manifeste dans l'un, dans le monde.
précisément, ne concerne as la réalité de la vie ni son accomplisse..
ment originel dans l'invisible , de telle manière que « ce qui ui apparaît
apparaît
est le contraire de ce qui réside au fond » (i). Un tel « contraire » en
effet n'est pas celui de l'opposition dialecti que dont il ne revêt la
forme que pour souligner en elle , et comme son fondement secret ,
1'heierogéneité ontologique structurelle des dimen si ons ultimes de la phenome-
naltie, la possibilité pour ce qui se phénomenalise ci comme tris-
i
tesse, dénuement, etc., de se révéler ailleurs être joie, possession,
béatitude.
Avec l'ambi guïté inhérente au c oncept de l'apparence et telle
que celui-ci désigne tantôt la « simple apparence » et tantôt la réalité
elle-même , le rapport n'est-il pas maintenu, en depit de leur hetero-
généité ontologique formelle, entre les déterminations phénomé-

(I) KIERBEGA,ARD, cité pax J. Win, in Études kierkegaardiennes , Aubier, Paris,


289.
564 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

nologiques qui composent ensemble le tout du donné, en sorte que


ce qui se manifeste ici ne se montre pas seulement étranger à ce qui
apparaît là mais constitue encore et précisément son « contraire »?
Le concept de ce dernier n'implique-t-il pas en lui celui de l'oppo-
sition, comme opposition dialectique et vivante ? Une o p position
de ce genre n'est-elle pas présente dans le christianisme s'il est tout
autre chose qu'une description des essences ou que leur théorie et se
concrétise au contraire dans la tension intérieure d'une existence
aux prises avec l'avènement d'un règne dans le rejet de l'autre?
L'opposition de l'invisible au monde du vrai royaume à ce qui
,
passe, n'a cependant rien à voir originellement avec les détermina-
tions fondamentales d'une éthique. La signification axiologique
qu'elle . revêt et qui la détermine sans doute à cet égard comme une
« opposition », se fonde dans l'ontologie et seulement en elle. Une
telle signification est la suivante ce qui se révèle dans l'invisible et
sous la forme de celui- ci, dans son identité phénoménologique et
ontologi que avec lui, est la réalité. Le monde au contraire est le
milieL ontologique de l'irréalité, L'app osition du visible et de l'invisible,
loin d'impliquer leur insertion dans l'unité dialectique d'un seul processus,
exprime au contraire , comme opposition du réel et de l'irréel, l'hétérogénéité
ontologique radicale de leurs essences et trouve en elle son fondement.
C'est précisément parce que leur opposition revêt cette signifi-
cation ontologique radicale, p arce qu'ils diffèrent entre eux comme
ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, que l'invisible et le visible ne
peuvent se transformer l'un dans l'autre. Car rien de réel ne peut
devenir irréel et rien de ce qui est irréel n'obtient par soi sur le fond
d'une modification de son être propre, l'être de la réalité. Ainsi se
détermine, avec la découverte de l'invisible comme constituant,
dansll'effectivite de sa phenomenalite orignielle, le milieu ontologique
de. la réalité et son essence , l'essence du christianisme . C'est p arce que
la mise à découvert de l'invisible, telle qu'elle s'accomp lit dans
le christianisme, est celle de la réalité dans son opposition au milieu
LA STRUCTUR E INTERNE DE L'IMMANENCE s6
S

de l'irréalité ontologiquement saisi et inte rp rété comme celui du


« monde », qu'une telle opposition n'a rien à voir avec celle qui déter-
mine en général l ' éthique, l'éthique chrétienne par exemple, avec
l' opposition métaphysique ou morale du Bien et du Mal. Car , et cela
dans le christianisme précisément ( i ) , le Mal n'est p as moins réel
que le Bien et c'est pourquoi il est éternel comme lui.
Parce que la découverte de l'invisible comme constituant l 'essence
originelle de la révélation et son effectivité est celle de la réalité,
la critique dirigée contre le christianisme parle jeune Hegel
l si et
souvent reprise après lui, l'idée que , le Royaume de Dieu tel qu'il
.
le comprenait n'ayant point place sur terre , Jésus, ne p ouvant vivre
en lui mais seulement le porter dans son coeur , le transféra au ciel
et, cherchant en celui-ci un refuge contre le monde,, constitua
n
nstitua ainsi
dans l'idéalité une vie dé çue (2), est seulement absurde. Car c'est
précisément l'idéalité du monde que rejette Jésus , non comme ce qui
est n ou mauvais en soi, mals comme l inessentiel, tandis qu 'il
indique au contraire le lieu ou réside et s'accomplit, dans l'invisible
l' essence de la realité et de la vie. Parce que l'essence de la réalité
et de la vie réside et s'accomplit dans l 'invisible on ne peut en effet
la trouver
. dans le monde, rien de ce qui s'exhibe en celui-ci ne peut la
contenir na la rendre ,narfeste, C'est pourquoi la rétention de
p
reconnaître
. l'essence du sacré dans ce q u'on p eut voir et dans sa
lumière tourne court, en celle-ci d'autres valeurs se substituent à la
réalité, et le dieu grec n ' est p
as vrai. Encore le Christ ne
partage -t- il
point avec celui-ci, fût-ce dans l'instant très court d'une histoire
la détermination de l'être objectif et sou apparence, et n 'est-il pas
exact de dire que, si dans la religion grecque où le dieu demeure
dans le phénoménal et s'y maint ient, « le pbénomène » pour cette raison
« constitue l'aspect suprême et, d'une manière générale , le tout du

(i) Comte l' a bien compris KIERxaGA&iw , cf D, 194 sggo


(2) CD, yob, io8 , --- sur la critique dirigée par Hegel entre le christianisme,
cL infra, Appendice, § 7.
566 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

divin, dans la religion chrétienne », au contraire, « l'apparition n'est


considérée que comme un moment du divin » (i). Car le divin désigne
dans le christianisme la réalité du Logos originel dans son effectivité
non provisoire, dans son opposition ontologique irréductible â ce qui e st pensé
depuis toujours comme l'« apparence ».
Parce que la réalité conformément â la structure en elle de la
,
phénoménalité, ne peut prendre place dans le monde ni revêtir en
celui-ci la forme de i'« apparence », la problématique qui se pourvoit
de la dimension ontologique absolument fondamentale et originelle
où la. vie trouve dans l'invisible l'effectivité de son essence, n'echa ppe
pas seulement aux « objections » que le simple bon sens ne peut
manquer de diriger contre elle, elle en dessine encore l'horizon et
le cadre. Celles-ci, l'intérêt ironique qu'elles manifestent tout d'abord
a l'égard de cette « réalité supérieure », étrangère â notre monde et si
merveilleusement « transcendante », s'expriment finalement dans une
demande trop naturelle, celle de faire voir un peu en quoi consiste
une telle réalité que la pensée se déclare prête â admirer, à condition
toutefois qu'on veuille bien la lui montrer . Car on ne saurait admettre
sur la foi de l' enthousiame l'existence d'on ne sait quelle intuition
mystique ni le contenu étranger â notre monde de son extase roma
nesque, et seul ce qui est susceptible d'exhiber son objet dans cette
expérience qui est manifestement la nôtre, peut être pris en considé-
ration par la science et revendiquer pour lui la rigueur d' un savoir
rationnel Il ne s'agit pas ici, remarquons -le, de la question naïve
.
et encore préphilosophi que d'une conscience qui s'en tient à l'étant.
Une telle demande est plutdt celle de la pensée ontologique elle-même qui, en
réclamant une « preuve », vise la réalité, le devenir de la pbenomenal:te
.
effective et sa possibilité. Que celle-ci ne se confonde pas avec l'objet
de la conscience naturelle et doive être comprise au contraire comme
ce qui n' est pas l'étant, n'a point pour effet de la soustraire aux pres

(I) L, 226.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
567

crlptions qui définissent la réalité. Ainsi voit-on et cela au sein meme


de la vie quotidienne, la conscience puremontrer,
comme une suprême
preuve qui peut au besoin se donner dans la mort sa différence
d'avec l'être-naturel. Ainsi l'essence a-t-elle accepté de se soumettre
elle aussi à la dure loi de la réalité, de manière à être vue et entendue.
Et s'il ne lui appartient asp finalement
alnsi de se produire
dans le
jour de la présence, si elle se refuse plutôt à sa lumière, c 'est dans le
rapport à celle-ci et commefson refus que laphenomenahte
précisément non-
qui la détermine ultimement se trouve pensée, être tant il est vraa
que ' la
problématique se montre décidément incapable de saisir l'ess ente la plus
originelle de la vérité autrement qu'à l'intérieur de son opposi tlon dialec-
tique à d'objectivité, c'est-à-dire dans son unité avec elle.
Mais l'objectivité qui confère sa rigueur au savoir scientifique
et le définit n'a p princi
celle iellement
querien à voir avec '
l'ontologie
comprend en son fondement comme la transcendance du monde,
elle désigne plutôt l'exigence theori ue par laquelle se : définit un
tel savoir comme celle de reconnaître la réalité sous toutes ses formes.
Ce que manque la pensée rétentiona dans sa l'objectivit'
p^ e quand elle
se donne au contraire de celle-ci une interprétation ontologique et la
comprend ainsi structurellement comme la condition de l'objet,
ce n'est rien de moins que ce qui échappe a cette condition, non: pas
seulement à vrai dire une forme de la réalité mais la réalité elle-même .
C'est l'essence de la vie , qui est perdue tandis que la '
. philosophie,
d'accord en cela avec le simple bon sens,, s'entête clamer à ré une.
preuve, au sens où elle l'entend, ne faisant ainsi que p ré
eseter l'
presup-
positions :qui sont depuis toujours les siennes et qui lui masquent
l'essentiel. Ainsi volt-on chez Kant ou les es conditions
'
conditions de la phénome-
nalité sont explicitement comprises comme l'objectivité, la problé-
matique se montrer incapable de déterminer l'être de la conscience
originelle de l'ego, de sa vie concrète comme d' une rn
. antere générale,
de tout ce qui a trait à l'essence et dans son p du reten ' de la
rejet
spéculation, recourir au contraire à celle-ci pour reconstruire comme
5 68 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

elle le peut, par le biais d'une morale précisément spéculative, le


règne de la réalité qu' elle pressent mystérieusement derrière l'appa-
rence. Encore cette réalité, parce qu 'elle est le produit d'une construc-
tion spéculative, se donne-t-elle finalement comme un arrière-monde,
comme cela même auquel les « fils de la terre » prétendaient ne rien
entendre . Ainsi tourne court l'ironie des demi-habiles, de telle
maniere qu'elle ne reconnaît pas seulement l'existence de ce qu'elle
nie d'abord mais. la dénature . Car l'invisible n'est rien qui soit au-delà
du visible, rien de « transcendant », il est l'essence originelle de la vie telle
que, s'accomplissant dans une sphère d'immanence radicale, elle ne se lève
ramais dans la transcendance et ne peut non plus se montrer en elle.
Parce que, s'accomplissant dans une sphère d'immanence radi-
cale, l'essence originelle de la vie ne se lève jamais dans la transcen-
dance et ne peut non plus se montrer en elle , rien de transcendant
précisément, aucune entité, aucune détermination objective, ne la
contient ni ne l'exhibe . Cette incapacité de la détermination objective
d'exhiber, comme ce qu'elle est l'essence originelle de la vie, est
,
ce qui lui confère son caractère le plus propre, le délaissement où elle
se tient et, dans son être-étranger à l'essence , son insurmontable
abandon. C'est dans ce délaissement de l'entité, dans son abandon
et ce qu'il a d'insurmontable , que prend naissance la tristesse de la
pensée qui la pense. Une telle tristesse est celle de la vie qui ne se
reconnaît pas dans ce qu'on lui présente , c'est elle qui parcourt la
Grèce et manifeste en elle, dans l'extraordinaire déploiement des
valeurs qui ont trait à l'étant ou plutôt à sa demeure , dans la splen-
deur du jour, le pressentiment qu'elle a de ce qu'elle ne connaît
pas. Car la Nuit ne se montre pas dans le jour mais , en lui, elle se
cache plus profondément qu'en elle-même . Pareil pressentiment,
celui de n'être pas l'essence et de ne pouvoir non plus la manifester,
l'entité qui se manifeste dans la lumière ne le manifeste -t-elle pas
quand elle se nie elle-même et revêt dans la tragédie la forme du
masque ? Car celui-ci ne figure qu'en apparence le héros tragique
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE
5 69
mais plutôt l 'impuissance de toute figure comme telle, l
'essence
même de la tragédie . Le masque n'exprime rien en cela réside
ela réside .son pouvoir
expre ssif infini. Il dit que , la du moins où se lève
et fulgure sa pré-.
sence nue , dans l'espace qu'il pétrifie, il n'y a rien à dire, rien qui
concerne l'essence . Ce qu'il couvre et cache a notre
vue n 'est pas
précisément ceci ou cela .
Cette forme trop quotidienne, >I ne la
rejette pas pour une autre, plus héroïque,
et la face qu ' il tourne vers
nous n' est plus tout à fait un visage. En elle plutôt se fige tout ce qui
compose une physionomie et lui confère ce que nous appet ons sa
vie, l'expression des traits , leur mobilité. Dans l'immobilité du masque,
dans sa fixité effrayante , s'annonce ce qui précisément ne se manifeste
pas en lui et ne peut non plus s ' y manifester, l '
élément radicalement
autre dans son étrangeté foncière à tout ce qui revêt la forme de
l'être-la, le non-visage . L'effroi est J' ustement 1
• e sentiment de l'in-
connu, il est cette « crainte innée » que :l'homme re '
9 sent « quand il .
s aperçoit qu ' une signification se cache sous une forme qui n'exprime
pas en tant que sensible , cette signification , et ui
q p ar suite attire
et repousse, éveillant des pressentiments... » ( i ).
Le pressentiment de ce qui se cache sous le masque et que celui-ci
ne manife ste pas autrement qu'en le designana comme l'élément
radicalement autre et qui,p recisement
sous se cache lui c'est la vie
cepeidant qui T'éprouve, en elle , dans la cansce,'ce qu'elle a d'
elle-même, se.
fonde la signification qu'a l'apparence de n'être qu'u
ne apparence. voila
pourquoi celle-ci la forme, n'est as seulement ce qui re
p pausse mais
encore ce qui attire, po urquoi elle « evei
e des pressentiments ».
Un tel éveil est : celui de la vie ce qu'elle r^
pressent cler^leze 19apparence,
c'est elle-même . Parce que la signification qua l'apparence de n'être
qu'une apparence repose sur la vieconscience et sur la '.
originelle
qu'elle a d '
elle-même, une telle significat ion, le '
pressentiment que la
forme n'est rien et cache l'essence est présent
e partout ou celle-ci

(I) L9 225.
M. }IENRY
. 19
5 70 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est présente, partout où la vie ne se reconnaissant pas dans l'appa-


rence se cherche derrière elle. Ainsi pénètre le monde `hellénique le
principe qui va le détruire . Car on n' explique pas ici, au gré d'une
préférence subjective , l'antérieur par, ce qui vint après lui mais seule-
ment ce qui fut un moment le monde des hommes par ce qui est
et fut toujours l'essence agissante et éternellement vivante de la
vie. Elle seule explique et fonde l 'ambiguïté du sensible dont il fut
donné aux Grecs d'éprouv er plus . intensément la splendeur et le déclin.
Que l'apparence cependant ne cesse de nous étreindre et que toujours
l'éternellement visible se propose à nous comme ce qui attire et
repousse, que la détermination la plus extrême qu 'il revêt dans le
masque soit d'une certaine façon toujours . la sienne et sa manifes-
tation la plus habituelle, l'essence même de celle -ci, l'attitude que,
par exemple, nous prenons devant notre corps, devant ce corps
qu'on voit et qu'on peut toucher, ne le montre-t-elle pas suffisam-
ment ( i) ? Car partout où ce qui apparaît laisse paraître en lui comme
son envers ou le donne a deviner , la où il nous semble que se creuse,
comme une. fissure dans l'être sans paroles, le chemin vers l'intériorité
de ce qui est vivant, se lève le désir, et ce que nous appelons la
sexualité n'est que notre façon de percevoir dans l'effroi l'ambiguïté
de ce qui ne se réduit plus tout à fait à lui-même. Plus visible en
Grèce où précisément son fondement se tint caché et ne fut pas
reconnu une sexualité obscure parcourt le monde et le transit.
,
Mais parce que l'entité ne peut résoudre finalement la signification
qui s'y attache et dont l'origine pourtant est ailleurs, manifester ce
qu'elle cache, l'échec de la sexualité dit assez , dans la vaine répétition
du projet qui la détermine le plus souvent chez les hommes , l'impuis-
sance du monde a exhiber en lui ce qui principiellement lui échappe,
l'opposition irréductible et non dialectique du visible et de l'invisible.

( I ) I,à-dessus et sur l'interprétation ici esquissée de la sexualité , cf. Philosophie


et phénoménologie du corps, op. cit., conclusion.
LA STRUCTURE INTERNE DE L'IMMANENCE 57I

Avëc la détermination ontologiquè pôsitive du concep t de


l'invisible, la problématique a-t-elle répondu à la troisième question
qu' elle sest posée au sujet de l'essence ultime de la révélation et de
son accomplissement originaire, celle de savoir ce qui constitue
au sein même de l'acte par lequel elle se dissimule, le contenu héno-
ménologique positif, l ' effectivité de cette révélation ? Est-ce bien à
un contenu manifeste
. que se réfère un tel concept ? Sa signification
est-elle véritablement phénoménologique ? Comprend-elle autre
chose que la négation formelle et vide de ce monde , enfin, qui est
le notre, et de la manifestation qui le constitue ? L 'invisible ne consiste
t-il pas, comme la non-essence dans la simple réalisation arbitraire
de cette négation?
SECTION IV

INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE
FONDAMENTALE
DE L'ESSENCE ORIGINAIRE
DE LA RÉVÉLATION
COMME AFFECTIVITÉ

z. INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE FONDAMENTALE DE L'ESSENCE


ORIGINAIRE DE LA RÉVÉLATION COMME AFFECTIVITÉ :
AFFECTIVITÉ ET IPSÉITÉ

Ide la manifestation en général et, d'abord , de celle de l'étant,


les conditions ont été montrées. L'étant on l'a vu ne se manifeste
sa rencontre ne peut se faire qu ' a l'intérieur d'un horizon q ui doit
lui aussi se proposer sous la forme d ' une offre phénoménolo g ique
effective . En tant que 'étant se manifeste , il est susce tible de nous
p
affectera « Toute affection, dit Heidegger, est une manifestation par
laquelle s'annonce un étant déj à donné (i). » En tant que la manifes
tation de l'étant implique celle de l ' horizon, toute affection par lui,
toue nf fiction ontique presuppose une a ection ontologique et t'ouve en elle
son fondement. C'et pourquoi le concept de l'affection doit être tiré
de l'incertitude ou le laisse tro p souvent la philosophie Ce qu'on

(z) K, 244.
5 74 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

appelle une affection, le surgissement immédiat d 'un donné et, préci-


sément, sa prédonation passive telle qu'elle s 'accomplit antérieure-
ment à toute opération de connaissance, à toute activité de saisie
explicite ou spontanée , n'est pas simple, n 'est pas quelque chose
d'originel si, comme on le fait habituellement, on la réduit à ce qui
en elle nous excite ou nous affecte. Le caractère non originel de
l'affection ainsi entendue ne ré side pas dans le fait que ce q ui se
trouve predonné en elle et avec quoi on la confond , l'excitant qui
subsiste et se détache sur l'arrière -fond du monde, im p li que, comme
la condition de son maintien, de cette subsistance p recise' ment et de
ce détachement , les opérations dernières de la synthèse de la cons-
cience interne du temps qui le constituent à titre d'élément identique
de l'affection et comme le datum de celle-ci. Plutôt, c'est la signifi-
cation de cette synthèse et . de ce qu'elle institue qu'il s'agit de
reconnaître et de préserver . Car le maintien dans la rétention de
l'affectant qui nous sollicite et vient à nous à partir de l'avenir, pré-
suppose justement l'ouverture de celui-ci et, conjointement, celle
d'un présent et d'un passé purs où il lui est loisible de se tenir et
d'exercer sur nous sa p ression Ainsi le tout de la nature qui ne
cesse de nous affecter de ses multiples excitations n'est-il comme tel
le sol et le fondement de notre expérience, « le fondement .... de tout
ce qu'on appelle... expérience » (i ), un champ où les données primi-
tives de la sensibilité s'organisent passivement selon les synthèses
de l'association et du tem p s, que p arce que celui-ci dep lofe d'abord.
au-delà de ces données et comme ce qui les donne, l'horizon d'un
monde pur. C' est à travers ce monde que vient à nous tout ce qui
nous touche. En lui s'institue notre communication vitale avec l'être
de la nature. Le monde est le 'eu de l 'affection, c'est lui pluMi,
qui nous affecte. La pression qu'exerce sur nous l'étant est en réalité
celle du monde . C'est par celui- ci que nous sommes investis et la

(a) EU, 53.


L'AFFECTIVITÉ 515

passivité de la conscience naturelle à l'égard de l'excitant „vers lequel


il lui est loisible ultérieurement de se tourner d'une manière active,
présuppose et cache la passivité ontologique de la conscience pure
à l'égard de l'horizon tridimensionnel du temps qu'elle ne cesse de
susciter et de subir. C'est pourquoi toute affection est en son essence
une affection pure conformément à laquelle « le sujet se trouve affecté
en dehors de l'expérience », c'est-à-dire indépendamment de l'étant.
Ce qu'il en est de cette affection pure, indépendante de l'étant et
qui constitue cependant la condition et l'essence de toute affection
par celui-ci, la problématique l'a montre. L'opposition rend possible
la manifestation de ce qui est comme tel, comme être manifeste,
susceptible de nous toucher, en sorte que l'affectant n'est jamais
l'étant lui-même mais l'objet dont la possibilité réside dans l'être-
0pposé c'est-à-dire dans le monde. L'opposition elle-même, toute-
fois, ne peut s'accomplir que si l'être-opposé formé par l'imagination
se trouve aussi reçu et retenu par elle. Le temps est précisément
dans l'imagination le pouvoir de recevoir en l'intuitionnant ce qu'elle
..
s'oppose. Recevant en l'intuitionnant le terme de l'opposition,
le temps le rend sensible et, comme tel, phenomenologiquement
effectif. Le pouvoir de rendre sensible, c'est-à-dire de sentir, réside
ainsi dans le temps identique à l'imagination transcendantale et cons-
titue comme tel le sens interne. Parce qu'il désigne la projection de
l'horizon par lequel, en le recevant, l'essence s'affecte elle-même,, le.
sens interne est encore compris comme la forme de toute autoso i-
citation comme l'acte dans lequel l'essence se propose à elle-même
ce qu'elle intuitionne. Dans la structure d'un tel acte est incluse l'essence
de la sensibilité. En celle-ci, dans le déploiement phénoménologique
de sa structure repose à son tour la possibilite du fonctionnement de
chaque sens particulier, si la reception de d'étant déjà donné qu'il
accomplit chaque fois d'une manière s ecifique présuppose la percep-
tib' 'te de l'horizon et, par suite, sa transposition sensible dans l'intui-
tion. Ainsi la sensibilité empirique dont les formes et -l'existence
5 76 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

même semblent pré-indiquées dans la nature et fondées sur elle


trouve-telle en réalité sa condition dans l'effectivité de la sensibilité
pure dont l'essence est le sens interne.
Le sens interne requiert à son tour un .fSi
ondement ' le pouvoir
de sentir quelque chose en général c 'est-à-dire de le recevoir et
d'être affecté par lui, réside dans la formation d'un horizon sensible,
l'acte qui forme celui-ci et ainsi le re çoit doit s'il est autre chose
que l ' objet d'une affirmation métaphysique et si ce qu'il accomplit
est réel, être exhibé lu.t même dans sa réalité , La quemon '
de la réalité
de la transcendance elle-même a été circonscrite et reconnue comme suit.
L'acte qui forme l'horizon, avant de le recevoir et aussi bien, de
le former, se reçoit lui-même de telle manière que cette '
réception
originelle de soi en assure la possibilité dernière. Ainsi par un
progrès décisif, échappant à l'horizon contraignant du monisme,
le probleme de la réceptivité ne concerne-t-il plus l'être
opposé '
mais
la possibilité même de l'opposition
. sol et le maintien
de près de
l'acte
qui l 'accomplit. Le maintien près de soi de l 'acte qui accomplit 1'
.. _ • - oppa.
sition, le maintien pres de soi de l'acte de la transcendance dans la récep
tivité originaire où la transcendance
.. reçoit se elle-même découvre son
être, s 'en empare, se retient elle-même ,
cohère avec soi dans l'unité
qui 1a fait être ,. être ce qu'elle est et lui permet d 'agir, l 'affection ori-
ginelle de la transcendance p e monde non
maisar 1'
précisément par
l'acte qui le forme, c'est -à-dire par "elle-mê •
me,1'auto-affection de la
transcendance , son être-dé1 ' à-affecté avant
qu'elle s 'affecte comme,
temps , est la condition et le fondement de toute affection ontologique
par le monde comme de toute affection p aarcondition
l'étant est 1 '
du sens interne.
Parce qqu'elle
du estsens
la condition
interne, 1auto -affection,
précisement, ne peut plus être confondue avec celui-ci s
. on concept
ne désigne pas l'ekstase ou, dans la transcendance de son aliénation
originelle, le temps de l'affection se sollicite lui-m"
eme et s'affecte
par l'horizon du temps pur, mais plut ô t la structure, présupposée
L'AFFECTIVITÉ 577

par elle, où l'ekstase ne, se produit pas, où la transcendance est


absente . La structure de l'auto-affection a été expliquée et comprise
comme immanence, ]En celle- ci réside la possibilité absolument
fondamentale pour l' essence, et la constituant, de s'affecter sans la
médiation du sens qui désigne toujours l'affection par quelque chose
d'étranger, la possibilité pour elle de s'affecter elle-même, en sorte
que le contenu de son affection est, comme contenu immanent
constitué par elle et par sa propre réalité.
La description de la structure interne de l'immanence et de son
essence comme essence originaire de la réceptivité ne demeure -t-elle
pas cependant en quelque sorte formelle, les propriétés qu'elle
découvre et de même les régulations aprioriques qui régissent leur
enchaînement et dont la problématique a fourni la théorie' sont-
elles autre chose que des propriétés d'ordre idéal et purement abs
traites, si la nécessité surordonnée à l'essence et à la lumière de laquelle
celle-ci se trouve finalement comprise et définie , la nécessité de
l'obtention préalable de soi-même dans le phénomène de l'affection
originelle n' est précisément rien d'autre qu'une nécessité comprise
Ce qui est donné comme la condition dernière du sens interne ne se
ramène-t-il pas, en fin de compte, à une condition de possibilité .
de l'ordre du « il faut bien que », le contenu de l'analyse éidetlque
et de ses prescriptions « essentielles » telles que par elles le sens se
trouve exclu de l 'essence, au simple j eu des exigences de la pensée
réflexive ? Ou bien ne suffit-il pas ici, quand la problématique se
concentre enfin sur la dimension ontologi que absolument fonda-
mentale dont elle s'est pourvue, de lire en elle , dans l'auto-affection,.
ce qu'elle est, l' essence qui la constitue et la rend possible ? L'expé-
rience la plus simple, celle qui s'institue avant l'ekstase et en elle, l'expé-
rience immédiate de soi, le sentiment originaire que l'essence a d'elle-même,
ne se laisse- 41 pas reconnaître et saisir ? CE QUI SE SENT SANS Qüi CE
SOIT PAR L'INTERMÉDIAIRE D'UN SENS EST DANS SON ESSENCE AFFEC-
TIVITÉ. L'affectivité est l'essence de l'auto-aff
ection, sa possibilité non
578 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

théorique ou spéculative mais concrète, l'immanence elle-même saisie non


plus dans l'idéalité de sa structure mais dans son effectuation phénoménolo-
gique indubitable et certaine, elle est la façon dont l'essence se reçoit, se sent
elle-même, de telle manière que ce « se sentir » comme « se sentir soi-même »,
présupposé par l'essence et la constituant, se découvre en elle, dans l'affec-
tivité, comme se sentir soi-même effectif, à savoir précisément comme senti-
ment. C'est là ce qui constitue l'essence du sentiment, l'essence de l'af fec-
tivité comme telle : se sentir soi-même , de telle manière que le sentiment
n'est pas quelque chose qui se sent lui-même, tel ou tel sentiment, tantdt
celui ci et tant6t celui-là , mais précisément le fait de se sentir soi-même consi-
déré en lui-même dans l'effectivité de son effectuation phenomenologique,
c'est-à-dire dans sa réalité. Comme tel, comme ce « se sentir soi-même »
phénoménologiquement effectif, constitutif de l'essence et la rendant possible,.
le sentiment n'est pas different de celle-ci : l'affectivité est l'essence originaire
de la révélation)
Le pouvoir de sentir quelque chose, c'est -à-dire de le recevoir
et d'être affecté par lui, pour autant que cette affection s'accom p lit
par l'intermédiaire d'un sens et, finalement, du sens interne, nous
l'appelons sensibilité . L'affectivité au contraire est la forme de l'essence
dans laquelle celle - ci est affectée non p ar. autre chose mais par elle-
. même, de telle manière que cette affection originelle comme auto-
affection , comme sentiment de soi, la constitue et la définit , Ainsi sur-
git, plus forte que les préjugés qui n'ont cessé de la recouvrir devant
le regard de la p ensee philosophi que, la rendant aveu g le en ce qui
concerne l'essentiel, cette évidence irréductible ; l'affectivité n'a rien
à voir avec la sensibilite' avec laquelle on la confond depuis toujours mais lui
est bien plutclt structurellement hétérogène. Une telle héterogeneité,
celle des structures , celle des essences , peut s'exprimer comme suit
la réception de l'être dans l'horizon rendu sensible de la transcendance,
sa réception comme être -autre par conse q uent, la sensibilité p recisé-
ment, est principiellement absente de ce qui constitue au contraire
la possibilité même du sentiment et son essence . Celui-ci, tout senti-
L'AFFECTIVIT.É 5 79

ment possible en général , n'est et ne peut être ni l'acte de sentir tel


qu'il s'accomplit dans le sens, ni le contenu de cet acte à savoir
un contenu sensible , qu'il s'agisse d'un contenu empirique ou d'un
contenu pur. En tant qu'il n'est j amais le contenu d'un sens jamais
ce qui nous est donné par l'entremise de celui-ci et de son pouvoir
spécifique comme contenu empirique , pas davantage ce qui se propose
ultimement a nous comme contenu sensible pur à l'intérieur du sens
interne en général, le sentiment n'est Jamais et ne peut être senti.
Parce qu'il n'est pas susce ptible d' être senti, le sentiment ne eut
p
non plus être perçu, car toute perception, même pure et, comme telle,
indépendante de nos sens , suppose du moins le schématisme de
l'entendement, c'est-à-dire précisément la médiation d'un horizon
sensible. Il n'y a donc pas lieu d' opposer ici une perception empi-
tique du sentiment comme sentiment empirique et, d'autre part,
une perception pure, obéissant par exemple , au même titre que les
fonctions de la raison , et bien que foncièrement différente de celles-ci ,
à des régulations aprioriques rigoureuses et nécessaires, perception
qui serait comme telle celle d'un sentiment pur, c'est-à - dire précisé-
ment non empirique, étranger dans son contenu à toute disposition
organique ou psycho -organique du sujet naturel. Car c'est a toute
perception en tant qu ' elle présuppose, sinon l'exercice de nos sens,
du moins celui du sens interne et le developpeurent ekstatique d'un
horizon qu' échappe par principe ce qui peut revêtir en soi la forme
d'un sentiment.
En tant que celui - ci, d'autre part, n'est j amais non plus pet ne
peut être l' acte de sentir tel qu'il a été compris comme trouvant sa
structure dans le sens interne, l'af f ectivité considérée elle-même comme
un pouvoir de sentir, ou plus exactement comme celui d'ep ronver quelque.
chose et d'être affecté par lui, n'a p récisément rien à voir avec le sens ainsi d4fini
ni avec ce qui le fonde, rien à voir avec la transcendance, C'est pourquoi une.
proposition comme celle-ci « je sens en moi un grand amour » ou
encore « un profond ennui » est au plus haut point équivoque Car
S 8o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

il n'y a pas, il n'y a jamais , en ce qui concerne l'amour ou l'ennui,


comme un pouvoir de sentir différent d ' eux et qui serait chargé de
les recevoir, de les sentir précisément comme un contenu opposé
ou étranger. C'est l'amour, bien plutôt, ou l'ennui, c'est le sentiment
lui-même qui se reçoit et s'éprouve lui-même, de telle manière e cette capa-.
cite de se recevoir, de s'éprouver soi-même, d 'être affecté par soiJ constitue
précisément ce qu'il j a d'affectif en lui, e st ce qui fait de lui un sentiment.
Ni la forme du sens , par conséquent , ni le contenu qu'elle détermine
nécessairement, rien de ce qui fait la sensibilité de ce ui est sensible ne
q
se retrouve dans l'affectivité de ce qui est affectif Parler d'un sentiment
sensible esta la rigueur vide de sens, se propose au point de vue
ontologique comme une absurdité L'af féctivite comme telle n'est âmais
. J
sensible.
Parce que l'affectivité n ' est jamais sensible, parcequeson essence
n'est ni l ' acte de sentir ni son contenu rien de ce qui fait la sensibilité
de ce qui est sensible, le sentiment peut être ce qu'il est non le
sentiment de quelque chose d 'autre par nature il n'estjamais cela,
jamais le sentiment de quelque chose d 'autre, car, pas lus 'on ne eut sentir
le sentiment le sentiment lui-même ne peut sentir quoi e ce soit quoi que ce
,
soit d'autre que lui -- mais précisément ce qu'il est toujours et néces-
.
sainement, le sentiment de soi . Cette p ropriété en effet appartient â
l'essence du sentiment et le constitue , â savoir qu'il est lui-même
ce qui éprouve et ce qui est éprouvé , lui-même le » pouvoir d'être
affecté et ce qui l'affecte . Qu'une telle propriété lui appartienne non
toutefois comme une détermination synthétique ou contingente
de son être, mais comme son essence et ce qui le constitue cela
signifie, ainsi que la problématique l'a reconnu le sentiment n'est
pas quelque chose qui a en outre propriété
cette de éprouver
s' soi-
même, mais le « se sentir soi-même » qui vit en lui comme s'eprouver
sol-même, comme être affecté par soi, constitue en tant que tel
dans 1 effectivité de son effectuation phénoménologique, ce qu'il est
à savoir un sentiment.
L'AFFECTIVITÉ 58!

Ce qui se sent soi-même, . de telle . manière , qu'il n'est pas quelque chose
qui se sent mais le fait même de se sentir ainsi soi-même , de telle manière
que son « quelque chose » est constitué par cela, se sentir soi-même, s'eprouver
soi-même, être affecté par soi, c'est là l'être et la possibilité du Soi. A
celui-ci il appartient que ce qui lui est donné originellement et
d'une manière exclusive, comme constituant sa p ro p re réalité, c'est
lui-même, et cela non comme un contenu mort dans la tautologie
sans conscience de la chose identique à . elle-même, maris comme
ce qui lui est donné , comme ce qu'il ép rouve et qui l'affecte. Dans
le Soi réside et se réalise s'il est possible, l'identité de l'affectant
,
et de l'affecté . L'identité de d'affectant et de l'affecté réside et se
réalise, trouve sa possibilité non théorique mais réelle, l'effectivité
de son effectuation phénoménologique, dans l'affectivité . L'affectivité
est ce qui met toute chose en relation avec soi et ainsi l'oppose â
toute autre, dans la suffisance absolue de son intériorité radicale.
L'affectivité est l 'essence de l'ipséité.
Parce que l'affectivité est l'essence de l'ipséité, tout sentiment
est en tant que tel, comme sentiment de soi, un sentiment du Soi,
laisse-être, révèle, constitue l'être de celui-ci. Pour cette raison on
ne saurait , en ce qui concerne le p ouvoir fondamental qui l'habite de
révéler le Soi et de le constituer, opposer un sentiment à un autre,
comme si certains sentiments avaient seuls, en raison d'une déter-
mination particulière de leur être, de leur profondeur , comme senti-
ments fondamentaux , comme béatitude par exem ple ou comme.
désespoir, un tel pouvoir, pouvaient seuls, â ce titre, être appelés
les « sentiments métaphysiques du Soi » (I). Ce n'est j amais le contenu
particulier d'un sentiment, la tonalité affective propre qui le diffé-
rencie et l'isole de tout autre , qui peut faire de lui - le sentiment
d'un moi, celui -ci, précisément, n'est jamais le contenu particulier .
d'un sentiment particulier. Le contenu particulier d'un sentiment

(I) F, 351.
58Z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

particulier s'identifie avec lui, le déterminant ici comme « haine »


et là comme « amour », comme « béatitude » « tristesse » ou « déses-
poir ». Mais ce n ' est pas en tant que haine ou en tant qu'amour, en
tant que béatitude , tristesse ou désespoir, qu'un sentiment est celui
d'un moi, du moi qu'il enferme en lui et révèle. A chacune de ces
déterminations affectives, assurément, à chaque sentiment particulier,
un. Soi a p partient. Il lui appartient en tant que ce sentiment est cha que fois et
nécessairement le sentiment de foi, non en raison de son caractère particulier,
main en raison de son caractère affectif il est le « se sentir soi-même » qui
vit en lui comme ce qui le rend possible , comme ce qui rend possible l'identité
du sentiment et de son contenu, bref, son essence, l'affectivité en tant que telle.
Pour cette raison aussi un sentiment ne saurait être dit plus
ou moins proche du moi qu'un autre, lui appartenant véritablement
ou situé au contraire à sa surface en quelque sorte et ne l'affectant
que superficiellement, « superficiel » précisément ou « profond ».
Car le sentiment n'est jamais lié au moi selon un ra pp ort plus ou
moins étroit, il ne saurait l'atteindre comme quelque chose d'exté-
rieur susceptible de le toucher plus ou moins, pour, finalement,
s'insinuer en lui, comme disent les auteurs de romans, et le conta-
miner en partie ou totalement s'il constitue lut-même , dans l'e ectwité
,
de son e f f ectuation phénoménologique, comme se sentir soi-même, comme
sentiment, l'ipséité de ce moi en tant que telle. Pour cette raison encore,
parce que le sentiment constitue lui-même, comme se sentir soi
, l'ipséité du.-mêe,surlfondi'esclaftvié
moi qui lui appartient par principe la libération de celui-ci ne saurait
,
être fonction du mode selon le quel se détermine cha que fois, comme
tonalité affective particulière, le sentiment dans lequel elle se produit,
comme si, en fonction d'un tel mode et du caractère authentique ou
non de l'existence dont il témoigne, le moi pouvait lui-même se pro-
poser et être compris comme authentique ou non, comme « l'être-soi
véritable » ou seulement comme un moi déchu. Encore moins cette
libération du moi et son historiai en des formes d'existence variables,
L'AFFI3CTI VITE 583

axiologiquement, „ métaphysiquement ou ontologiquement différen-


ciées et hiérarchisées, pourraient-ils être fonction de la nature de
l'objet en présence duquel le sentiment se produit si, comme affecti-
vité, l'ipséité n'a précisément rien à voir avec l'objectivité ni avec le
pouvoir qui la produit, Quant au problème de savoir si, comme
certains psychologues l'ont noté sans pouvoir expliquer en quoi que
ce soit l'objet de leur constatation, le sentiment appartient davantage
au moi qu'un autre « état psychique », qu'une « représentation » par
exemple, ou plutôt si la réduction de l'ipséité à l'essence de l'affecti-
vité laisse subsister la possibilité d'une appartenance de la représen-
tation elle-même ou de toute autre détermination de l'existence à un
moi, les prescriptions insurmontables de l'analyse éidétique sont
à cet égard les suivantes une représentation, toute représentation en
général, plus généralement encore toute détermination possible de l'exis-
tence, toute forme susceptible d'être revêtue par celle-ci, enferme en elle un
moi et `lui appartient pour autant qu'elle est affective et dans la mesure ou elle
l'est.
Que l'affectivité constitue l'ipséité elle-même et son essence,
l'échec du projet qui veut au contraire fonder celle-ci dans le sens
interne le montre
. clairement. Pareil projet ne se fait ,j our, à vrai
dire, que parce que le sens interne, c'est-à-dire le temps, se trouve
lui-même compris et interprété comme la forme originaire de toute
affection par sui, comme auto-affection. Ce n'est point par soi
cependant, la problématique l'a montré, mais par le contenu irréel
dans lequel elle s'aliène que l'essence s'affecte comme temps dans le
sens interne en celui-ci, son Soi, le Soi de l' essence, ne lui est pas pré-
senté, la poss:b:l:té pour elle de se sentir soi-même l'ipséité de l'essence
ne se réalise pas dans le temps.
Ou bien l'interprétation de ce dernier comme affection par soi
se fonde sur le fait qu'il pose lui-même le contenu par lequel jl.
s'affecte . Mais l'origine du contenu de l'affection ne peut se substituer à sa
réalité pbénoménolotque et dans l'ipséité le moi se montre en lui-m8me, non
S84 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dans l'apparence écrang


ere qui est
p censée
rocederde lua. Encore cette
origine du contenu de l'affection du sens ne saurait-elle être posée
simplement comme résidant non dans l'étant mars dans le sens
lui-même, c'est-à-dire dans l'essence . L'affirmation selon la quelle le
sens interne « tient tout de soi » demeure spéculative . Elle signifie
que, dans le sens , c'est le sujet lui-même qui s'affecte, et cela en tant
qu'il est à la fois ce qui pose le contenu de son affection et ce qui le
reçoit. En tant que le sujet n'est pas le contenu de cette affection, son
être demeure mystérieux. En tant qu'il est compris cependant
comme ce qui pose un tel contenu et en même temps le reçoit,
.,
de telle manlere que dans le sens « il tient tout de soi », celui-ci
le Soi du sujet qui est l' origine de l'affection si gni fie seulement la
tautologie de ce qui à la fois pose et reçoit , ou plutôt qui est compris
comme tel, la tautologie purement logique du sujet logi que. Pareille
tautologie l'identité formelle qu'elle exprime sans d'ailleurs la fonder ,
,
n'a rien à voir avec l'ipséité de l'essence, elle la p résupp ose tout au
plus. L'ipséite de l'essence, son auto-affection dans l'immanence de l'a ec-
tivite pure , c'est là l'être-soi du sujet comme Soi effectf et concret, le Soi
originel de l'affection q ui comme p tel rend toute affection même
oss:ble
sensible, de telle manière que c'est lui, non le sujet
^ logique, qui forme l'oppo-
.tition, que c'est à lui, à un Soi, que l'opposition oppose ce qu'elle oppose,
à lui que se propose l'être opposé, en sorte que c'est lui encore qui reçoit ce
qui ne peut précisément être reçu que par un Soi, rendant ainsi possible toute
opposstron et toute réception en général en même tem s ue leur identité.
. p q
Lotn de pouvoir fonder l'essence de l' p se te, le sens interne la présuppose
comme ce qui rend po ssïble sa structure même.
Avec le . sens interne la problémat ique croit pouvo ir se donner
l'identité, constitutive du Soi, de l ' affectant et de l'affecté. '
Mais
l'affectant, dans le sens, est l'être-autre comme tel il ne se recouvre
nullement avec ce qui est par lui affecté . L'identité de l'affectantet de
l'affecté n' est pas comprise dans l'apport du sens elle se retient
tout entière hors de lui et de ce qu'il exhibe hors du contenu
L'AFFECTIVITÉ

phénoménologique de l'affection qu'il produit. xElle réside dans


l'essence elle- même qui est l'affectant originaire et originairement
aussi l'être affecté comme être affecté non dans le sens mais par elle-
même. L'identité de l'affectant et de l'affecté est l'affectivité et, comme
telle seulement, comme auto-affection de l'essence dans son imma-
nence radicale, son Soi, le Soi de l ' essence, l'ipséité.

S 3 • L'AFFECTIVITÉ COMME PASSIVITÉ ONTOLOGIQUE ORIGINAIRE


ET L'EFFECTIVITÉ DE SON ESSENCE DANS LE « SOUFFRIR ».

La structure interne de l'immanence a été comprise finalement


et décrite comme la passivité de l'êtres l'égard de soi comme
passivité ontologique originaire . En celle-ci, dans sa structure, se
trouve defini d'une manière rigoureuse et déterminé ce qu'il en est
ultmement de l'être lui-même, comment, lié â soi dépourvu du
pouvoir de rompre ce lien, de tout pouvoir concernant son être
propre , et par exemple de celui de le poser, de le vouloir ou de le
comprendre , de le devancer de quelque manière que ce soit , non libre
par conséquent et comme tel essentiellement passif, passif à l'égard
de lui-même, il cohère avec soi dans l' unité absolue de l'expérience
adéquate qui le constitue et le fait être ce qu'il est. Pas plus que
l'immanence toutefois, la structure ultime qui l'explicite et _ou elle
trouve la concrétion de son êtrep - ossible, ne saurait être posée
simplement , comme une structure idéale, comme une condition
prescrite par l'analyse. Ce qui se réalise en elle, aussi bien'. dans la
passivité originelle de l'être à l 'égard de soi, n'est pas une abstraction,
c'est l'expérience de soi de l'être qui comme expérience adéquate,
comme autorévélation de l'être en lui=même et tel qu'il est, le const
tae A cette expérience qui laisse être l'être lui-même et le constitue,
il appartient que, s'accomplissant conformément à la structure qui la
rend possible, dans la passivité originelle de l'être â l'égard de soi
elle revêt nécessairement en celle-ci la forme par laquelle, rendue
86 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

phénoménologiluement effective et concrète, elle seA propose à


nous et s'impose, et, se portant témoignage a elle-même dans la
force de sa phénoménalité propre, • ne se laisse point contester.
L'expérience de foi de l'être comme originairement pas4f a l'égard de soi
est sa passion. Celle- ci constitue le prototype et l'essence de toute
passion possible en général . Toute passion est comme telle la passion
de l'être trouve en lui son fondement et le constitue. L 'essence de la
passion ce p endant réside dans l'affectivité . L'affectivité est la révélation
de l'être tel qu'il se révéle â lui-même dans sa passivité originelle a l 'égard
de soi,. dans sa passion.
Avec la mise à découvert de l'affectivité comme constituant
l'essence de la passivite ontologique or gmaire c'est-à-dire du fonde-
ment. ultime de toute réalité, s 'établit une connexion, à vrai dire
essentielle entre l ' affectivité elle-même et le concept de passivité par
lequel l'être du fondement se trouve primitivement interprété et
saisi. Une telle connexion s'exprime précisément avec la determ.t-
nation de l'être de l'affectivité comme « passion ». La compréhension
de l'affectivité à partir du concep t de passivité et, précisément,
comme
. « passion» se fast jour à un moment crucial du développement
de la pensée philosophique , de telle manière toutefois que la signi-
fication ontologique ultime de la connexion essentielle ici aperçue se
trouve aussitôt falsifiée et perdue. Descartes , s'il range d 'emblée
tous les affects sous la rubrique commune de la passion, cherchant ,.
ainsi l'exp lication de leur essence dans le phénomène
. de la passivité,
ne dispose p oint du concept adéquat de celle-ci, comme concept.
ontologique et fondamental . La passivité ne désigne point pour lui
la structure interne de l'être, de telle manière que sa realisatlon
phénoménologique effective dans l'affectivité puisse concerner celui-ci,
concerner l'absolu lui-même et le constituer. Bien au contraire , l'être
ou la substance est com pris dans le cartésianisme comme foncière-
ment étranger au phénomène de l'affection puisque , considéré en
lui-même « par soi seul », c'est -à- dire indépendamment de ses
L'AFFECTI VITl 5 87
attributs, « il ne nous affecte point » ( I . C'est l' action d'une réalité
)
sur une autre que pense Descartes sous le titre de la passivité, celle-ci
désignant l'état de la réalité qui subit l 'action comme la subissant
précisément et comme modifiée parelle. Encore la possibilité dernière ,
d'une telle action ne fait elle pas problème, puisque l'altérité de l'être
-
autre qui exerce sa pression sur l'existant pass if n' est l'obj et d'aucune
cor. sidération . Ils agit en fait d ' un processus ontique9 analogue à
.
celui de la causalité naturelle par lequel un étant en détermine un
autre, et qui mérite d'être appelé « action » si on le ra orte au
pp
premier, « passion » au contraire si on le réfère au second , à l'étant
qui subit l'action et se trouve modifié par elle. C'est à l'image d'un tel
processus que se trouve conçue dans le cartésianisme la nature du
lien q u'il institue entre l 'esprit et,
q le co rps '
la détermination du
premier par le second, détermination telle que par elle '
surgit juste-
ment l'affectivité comme ce qui vient qualifier l'esprit lui -même.
pour autant qu ' il est « passif» à l'égard du corps' c'est-à -dire « subit »
son « action» .
Il s'ensuit que la passivité ainsi com rise dans son. ra ort
p pp
à l'affectivité n'a précisément rien à voir avec celle-ci, avec l'affec-
tivite telle qu'elle se propose en elle -même, Par l'affirmation d'une
action du cors p sur9 l ' esprit et conjointement , de de
passivite la ' ce
dernier, Descartes avance une théorie d'ailleurs inintelligible et ,
par suite,
, totalementg inutile, de l'or: ine de l'affectivité comme orig ne
exiérseure a ce lle -c: , toutefois extérieure au contenu phénomenologi que effectif
de son être réel. Le p rocessus en troisième ersonne qui su scite du
.
p
dehors la modification affective de lap ensee et ,^ par suite n
, selo n
Descartes, le surgissement de l'affectivité elle-même demeure en
fait foncièrement étranger â la structure de l'essence où l'affecti viré
puise sa possibilité interne et qui la détermine â être ce qu'elle est.
C' est cette structure cependant , la structure interne de l'affectivité

(=) AT, VIII, 25.


5 88 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et son effectivité phénoménologique , que le concept de passivité


vise et prétend déterminer, en sorte qu'il rejette nécessairement les
formulations naïves où se représente l'action des choses les unes sur
les autres, toute signification ontique et, pareillement, la signification
ontologique présupposée par celle-ci et en • vertu de laquelle depuis tou-
.
jours
jours la passivité se trouve comprise et interprétée d'une manière
exclusive
. comme passivité à l'égard de l 'être-autre dans le surgis-
serrent de l'altérité.
Visant la structure interne de l'affectivité et son effectuation
phenomenologique, exprimant lui-même la passivite originelle de
l'être comme passivité de l'être à l'egard de soi , le concept de celle-ci
est la pensée même de l'affectivité , revêt sa signification concrète
tout sentiment est, comme tel, essentiellement passif, passif à l'égard
de soi, de telle manière que, dans cette p assivité absolue à l'égard de
soi et de son être propre, il lui est livré, il est livré à lui-même irrémé
diablement pour être ce qu 'il est. Étre livré à soi-même irrémédia-
blement p our être ce qu'on est, . cela veut dire, cela ne peut que
vouloir dire, s'éprouver soi-même, subir son être propre, faire
l'experience de soi dans un subir plus fort que toute liberté, que
tout p ouvoir d'échappement à soi ou d'arrachement, se sentir soi-
même tel qu' on est dans l'identité absolue du se sentir et de ce qu'il
sent, dans l'identité avec soi du sentiment . C'est la passivité originelle
de l'être à l'égard de soi dans le se sentir soi-même identique comme
tel à l'essence du sentiment, c'est l'être intérieur de celui-ci et son
effectivité phénoménologique qu'exprime en géneral le concept de la.
passion non la simple détermination extrinsèque de l'être en
lui-même non élaboré de d'affectivité. Bien plus, d'idée d'une telle
détermination, du devenir affectif de la pensée dans sa soumission
à l'action du corps selon les lois de la causalité externe , l'idée de la
passivité comme passivité en troisième personne n'est que la formulation
naïve par la conscience naturelle, à l'aide des moyens dont elle dispose et
qu'elle emprunte nécessairement au contenu habituel de sa représentation,
L'AFFECTIVITÉ 5 89

de la passivité ontologique originaire inscrite dans la structure phénoménolo-.


interne de l'affectivité et constituée par elle. Les diverses conceptions
philosophiques ou non, qui d'une manière ou de l'autre ont pour
contenu et professent l'aliénation de l'homme, la détermination selon
le mode d'un processus naturel de son être-conscient p ar une réalité
étrangère et plus forte que lui, présupposent l'idée de la p assivité,
ne font, plus profondément, que symboliser à leur façon son ex pe-
rience fondamentale , l'expérience de la passivité comme p assivité de
l'être à l'égard de soi et son phénomène or iginel, ont leur origine.
dans l'affectivité.
A celle-ci il appartient que, originellement passive à l'egard de
soi, elle se trouve comme telle essentiellement marquée dans son
être par un de' jà. Le sentiment se sent, s'éprouve , est donné à lui-même
de telle manière que, dans cet être-donné-à-soi-même q ui le constitue
il s'apparaît, non pas comme donné, mais précisément comme tou-
jours déjà donné a lui-même. Encore un tel « déljà », parce qu'il vise
l'ultime fondement de toute chose , la réalité et sa compréhension
ontologique adequate, doit.-il être rigoureusement élucidé et saisi.
Car le sentiment ne se découvre pas tel, déjà donné à lui-même dans
un regard par exemple auquel il se proposerait comme un contenu
antérieur à sa visée ou inde p endant d'elle. Le deja de l'être- donné du
sentiment ne concerne pas le passe de celui-ci, rien qui se propose
comme déjà là au pouvoir qui le découvre . Il concerne ce pouvoir
lui-même, son être d ' ores et dé a donné a lui-même dès qu'il s'exerce
et, précisément, la passivité originelle â 'égard de soi de l'essence
dans l'unité de son auto- affection et dans son affectivité. Le déjà de
. ,
l'être-dejà- donné-à-lui-même du sentiment concerne son effectivité
phénoménologique et la détermine . Que le sentiment soit toujours
déjà donné à lui-même, cela veut dire, dès qu'il est, sur le fond en lui
de ce qu'il est, du se-sentir -soi-même qui le constitue et le définit9 il
s'est toujours déjà senti soi-même, toujours déjà donné a lui-même,
de telle manière qu'il a un contenu et s'apparaît comme débordé p ar
5 90 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

celui-ci, bien qu'un tel contenu lui soit identique . Plutôt, c'est parce
que ce contenu lui est identique, parce que, sur le fond de son
identité avec soi, le sentiment s'est toujours déjà senti soi-même et
porte en lui ce qu'il est comme ce qui l'accompagne invinciblement et
dont il ne peut se défaire, qu'il s'éprouve lui-même comme dépassé
par soi et par sa propre réalité . L'identité ' avec soi du sentiment le
lie à son contenu en sorte qu'il lui est soumis et le supporte, et, en
,
l'absence de tout rapport ne se rapporte à lui qu'à l'intérieur d'un
,
« souffrir » et comme ce « souffrir » qui le détermine ultmement et
constitue en lui l'essence de l'affectivité.
Un tel « souffrir », le « se souffrir soi-même » du sentiment dans
sa passivité ontologi que originaire à l'é g ard de soi, est ce qu'il faut
penser si l'essence de l'affectivité doit être expliquée . En lui, dans le
souffrir considéré en tant que tel, prend naissance et se forme l'épais-
seur du sentiment , son être réel irréductible décidément à la tauto-
,
logie vide de l'identité que la philosophie, lorsqu'elle s'e fforce de la
penser, non comme la condition dernière à laquelle « il faut bien
s'arrêter », mais comme effective, dans l'effectivité de la phénomé-
nalité, se représente comme une pure transparence, comme la translu-
cidité de la conscience . Car la translucidité, si l'on veut, la trans pa
rence du sentiment n'est pas celle d 'une vitre, laissant voir autre chose,
toute chose et par elle -même, en elle - même rien , le néant. A travers
, ,
sa propre transparence le sentiment plonge dans la réalité de son effectivité.
Ainsi s'opère , dans l' immanence du sentiment, son dépassement, le
dépassement du sentir vers ce qu'il sent, de telle manière que,. se
dépassant ainsi, le sentir ne se dépasse vers rien , ne se dépasse pas
lui-même, est l'être- saisi du sentiment par sa propre réalité . L'absence
du dépassement est
. dans le jentiment ce qui le dépasse, son identité avec soi,
Un tel dépassement, celui de l 'identité, s 'accomplissant en elle, donne
au sentiment son contenu, l'ouvre à celui-ci, le lie indissolublement
à ce contenu qui est lui-même , le charge à jamais du poids de son être
propre . Ce qui est ainsi chargé de soi pour l'être à jamais, c'est là
L'AFFECTIVITÉ
59'

seulement à vrai dire ce qu'on appelle un Soi. En celui- '


ci s'accomplit
le mouvèment sans mouvement dans lequel il reçoit, comme un
contenu substantiel et lourd, ce qu'il est, s'en empare, parvient
en soi, éprouve sa propre profusion. Le Soi est le depasseurent du
Soi comme identique à soi. L'interprétation de l'essence de l'ipséité
comme affectivité reçoit sa signification ontologique dernière et
devient possible avec l'interprétation de l'affectivité comme trouvant
son essence dans le « souffrir ». Avec la passivité originelle de l'être
a l'égard de soi telle qu'elle se réalise dans le souffrir s'accomplit,
comme dépassement de l'immanence identique a ..celle-ci, le dépas-
sement du Soi vers ce qu'il est, l'obtention par lui de son être propre
et, identiquement, le dépassement dans l'identité du sentiment vers
son propre contenu, son surgissement en lui-même dans la profusion
de sa richesse intérieure, le devenir de son être effectif et sa consis-
tance.
En tant que le devenir de son être effectif, l'obtention par lui
de son propre contenu, son surgissement en lui-même dans la
profusion et la consistance de sa réalité intérieure^
s'accomplit
dans
l'identité de la passivité absolue et comme cette passivité meure,
à ce qu'il ressent et éprouve, à lui-même le sentiment est livre de
telle manière qu'il ne peut ni contester, ni refuser, ni assumer, m'
accepter ce qu'il est dans la transparence de son identité avec '
soi.
Dans. le souffrir s'annonce, comme identique à son essence, l'impuissance du .
sentiment, Parce qu'elle s'annonce dans le souffrir et nous aide.
à le penser, l'impuissance du sentiment n'a rien à voir avec ce qu'on
entend d'ordinaire par « un sentiment d'impuissance » . Ce dernier se
produit toujours en présencequelquede chose l'impuissance qu'il
exprime et qui le qualifie concerne en réalité sa relation à un ob j et,
c'est par exemple l'impuissance de modifier celui-ci,
' de le supprimer,
l'impossibilité d'échapper à une certaine situation dont les conditions
sont données indépendamment du sujet qui éprouve `
ce sentiment,
s'imposent à lui. Pareil sentiment, Parce qu'il se réfère aune.. situa-
S9? L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tion donnée , à un objet et en dépend , est susceptible de se trans-


former. Que le cours des choses vienne à changer, se subordonne
au désir du sujet ou à ses projets au lieu de le contraindre , en celui-ci
une tonalité nouvelle, un sentiment de puissance ou de j oie, se
produit. La possib ' ' te de sa transformation dans la modalité opposée
est inscrite dans le sentiment d'impuissance et détermine son concept
à titre de possibilité au moins idéale, imaginaire mais comme telle
effective, et le prisonnier peut toujours rêver son évasion.
L'impuissance du sentiment qui s'annonce dans le souffrir
et en résulte est au contraire l'impuissance du sentiment vis-à-vis
de soi son impuissance à rompre le lien qui l'attache à lui-même,
le lien de l'identité où son contenu lui est donné comme ce qu'il est.
L'impuissance du sentiment concerne sa structure interne, le souffrir
en lui comme se souffrir soi-même, c'est une détermination eidé-
tique. Comme telle , elle concerne tout sentiment , ne se laisse pas
réduire à une tonalité particulière et ne peut non plus se muer en une
autre. L'impuissance du sentiment ne peut être levée, biffée au profit
de la détermination contraire , sa négation dans l'imagination est
celle de l'essence même de l' affectivité et de ce qu'elle fonde. C'est
pourquoi , , en réalité, une telle négation ne peut être pensée, seule
peut l'être la suppression extérieure de l'essence et, parce que celle-ci
fonde chaque fois l'être du Soi , une telle suppression se propose à lui
sous une forme concrète dans l'idée du suicide. Ce dernier révèle
dans son concept l'im puissance du moi à se défaire de soi comme
constitutive de son être, de telle manière qu 'elle ne peut être levée
que par la destruction extérieure de celui-ci , comme Alexandre ne
pouvant défaire le noeud gordien le trancha de son épée.
L'impuissance, constitutive de son être- Soi, du moi à se défaire
de soi trouve cependant son fondement dans l'impuissance originelle
du souffrir. Pensée plus avant, celle-ci détermine, négativement
d'abord, l' être du sentiment comme démuni de tout pouvoir en ce
qui concerne l'essentiel et ce qui lui importe le plus, à savoir son
L'AFFECTIVITÉ
593

être propre. Le pouvoir dont, sur le fond en luiori


e sa passivité d gi-
'
nelle à l'égard de soi telle qu'elle se réalise dans le souffrir, le senti-
ment se trouve essentiellement démuni, la le com
problématique prend
ici. C'est le pouvoir précisément de tenir son être à distance, d'y
échapper au moins dans le regard, le pouvoir de toute distance comme
telle, la liberté. Et c'est bien là en effet ce qui caractérise l'être du
sentiment et le détermine, l'im ossibilité de se libérer de soi, d^.
ménager, en arrière de lui-même, comme une position de repli où
il lui serait loisible de se retirer et,' se
deretirant
soi,ainsid'échapper
a ce que son être peut avoir d'oppressant, En ce qui concerne le
sentiment et son rapport à prescription
soi, la de l'eidosprécisé-
est
ment.qu'aucune
, , dimension
p dede repli ne eut être dépliée,
telle
manière
. , qu'il
p n'y a rien entre lui et lui, ase
possible, de recul
telle d
mamere que, acculé à l'être, à son être, y adhérant oint par oint
il est livre lui
de cette façon, en toute p dans p '
. impuissance, la '
passivité.
-du souffrir. Le •sentiment
quiestne le donpeut être refuse,' il est la
venue de ce qui ne peut être écarté.
En tant que, dans la passivité du souffrir, le sentiment est donné
à lui-même et ne peut refuser ce qui lui est, se donné
fuir,.. 'échapper
a son contenu mals se trouve au contraire livré à celui-ci, de telle
manière que, lui étant livré et rivé à lui, il y adhère en tous points
dans l'adhérence de l'identité
parfaite toute et impuissance,
en en
elle aussi alors, dans
• p ment parvient la assivité du souffrir, le senti '
en soi, devient ce qu'il est, surgit en lui-même dans la 'Jouissance de
son être propre. C'est là en effet ce que signifie
passivité. la '
du souffrir,
ce qui s'accomplit en elle : l'effectivité de l'être
donne.' En elle, dans
sa passivité originelle à l'égard de soi,9le empare
sentiment s' de son.
contenu, l'éprouve, s'éprouve lui-même fait l'expérience de soi,..
jouit de soi et, dans jouissance
cette comme pure Jouissance de soi-
même constitutive comme telle de son être, parvient en celui-ci
se pose en lui dans l'effectivité. Dans l'impuissance du sou rir se fait
jour la puissance du sentiment. La uissance du sèntiment est °
p son ,ail-
594 L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TIO N

lissement, son être-saisi-par-soi, l'adhérence à ce qu'il est, l'unité


absolue où il cohère avec soi et , dans cette cohérence, dans cette
adhérence dans l'identité absolue avec soi de l'être saisi par soi,
dans son être-Soi et comme ce qui le constitue , l'embrasement de
son être, l'être qui s'éprouve lui-même et, dans cet acte de s'éprouver,
s'illumine sur g it, est la révélation . La puissance du sentiment est le
sentiment lui-même, le sentir comme tel dan s son essence, comme se sentir
soi-même, tel qu'il s'accomplit, dans sa possibilité effective, comme souffrir.
La puissance du sentiment ne s'oppose pas à son impuissance, comme
une détermination à une autre , elle lui est i dentique et réside en elle.
Le sentiment est la force ori ginelle, en lui s'établit le rassemble-
ment édificateur de ce qui est et sans lequel rien ne serait . Dans le
sentiment seul et par lui vient à soi ce qui, venant à soi et se ren-
contrant et s'unissant à soi - même, émerge dans la suffisance de l'être
avec soi, a, comme tel, la puissance d'être.
En tant que la puissance du sentiment réside dans son impuis
sance et lui est identique, c'est au sein de celle-ci, dans la passivité
du souffrir par conséquent , que s'établit le rassemblement édifica-
teur . C'est pourquoi un tel rassemblement n'opère aucune action,
ne rassemble rien qui soit d'abord séparé, comme s'il devait s'accom
plr dans la lutte, dans le déchirement de l'être séparé d'avec soi et
comme ce déchirement même. Farce que le rassemblement édifi-
cateur de l'être l'emergence de l'absolu dans l'absoluité de l'être
avec soi sa révélation dans la présence et son effectivité , ne corres-
pond à aucune lutte, à aucun effort de l'absolu pour se saisir lui -même,.
et pas davantage à celui d'une quelconque connaissance, ignore le
déchirement de l'opposition et ne le suppose pas non plus, est la.
passivité absolue du souffrir , il y a dans le sentiment où il s'accomplit
une certaine douceur . La douceur du sentiment est sa force tranquille,
la venue silencieuse de ce qui vient en soi, est avec soi, s'éprouve.
En tout ce qui vient, d'où qu'il vienne et où qu 'il aille, quoi qu'il
soit est la venue silencieuse de ce qui vient d 'abord en soi, est la
,
L'AFFECTIVITÉ
595

douceur de l'être qui vient à lui dans le s entiment. Une telle douceur
où l'être vient à lui sans effort, s ' éprouve dans la passivité '
du souffrir,
dans le sentiment , pénètre tout ce qui est. Considérons le sentiment ment
de l'effort . Ce qui lui est donné , c'est la tension i ntérieure de l
'exis-
tence qui affronte l'être -. opposé et dans cet affrontement se le donne
c'est l'effort, mais dans la façon dont l' effort est donné à lui-même dans le
ff
sentiment de l'effort, il n y a pas d 'effort. L'être de l'effort se réalisant
dans le sentiment est sa passivite originelle à l'égard de soi, son être -
,
donné à soi-même dans le souffrir comme se souffrir soi-même est
sa douceur.
D e même en est-il pour le sentiment de l'action, our toute
p
action en général , pour tout ce qui est. L ' action est l'o ération.
p
Mais l'être de l'action n'est pas l'opération, n'est pas l'action elle-
même. Pas davantage les diverses déterminations dans les quelles
elles s 'expriment, les modes variés de leur déroulement ou de leur
réalisation. L'être de l'action est la non-action sapa5sivite ontolo-
gique originaire à l'égard de soi . Toute action est subie, non par
autre chose, par la chose sur laquelle elle . s'exerce , par le sujet ui
q
l'exerce, mais par elle-même . Ou plutôt, c ' est là ce que signifie être
A
le sujet del action, être l' action elle-même en tant qu'elle se subit
elle-même originairement , dans sa passivite ontologique à l'egard
de soi. Être un sujet veut dire « subir », veut dire « être », L'et re
du sujet est l'être lui-même. L'être du suj et est la subjectivité.
subjectivrte constitutive de `'être et :dent: que à celui-ci est l'être-avec-soi
le parvenir en soi-même de l'être tel qu'il s'nccomplit dans la assvi'te oragip.
'
p
nelle du souffrir. L'essence de la subjectivité est l'affectivité.
Ce qui silencieusement parvient en soi et se rassemble dans la
toute-puissance de d'être-Soi , et cohere avec soi dans l'im puissance
del être livré a sol par sa passivite originelle a l'egard de soi, ce
qui, dans la toute-puissance de cette impuissance , éprouve ce qu'il ''
est et , dans la douceur de sa propre venue à soi-même , se sent frémit
en soi dans le frémissement intérieur de sa pro pre révélation a soi-
5 96 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

même , c'est la vie . Ce qu'est la vie dans sa possibilité dernière et dans


son être-concret, devient transparent. Toute vie est par essence affec-
tive, l'affectivité est l'essence de la vie.
Pas plus que l'interprétation du fondement ultime de toute réalité
comme trouvant son être dans la vie et comme constitué par elle
n'implique de la part de la problématique l'oubli de son dessein
propre, la substitution aux déterminations éidétiques structurelles
de l'être de simples propriétés empruntées à l'étant et leur, promotion
naïve dans les conceptualisations pré-philosophiques du vitalisme,
du biologisme, etc., pas davantage l'interprétation ontologique de
l'essence de la vie elle - même comme affectivité n'obéit à un quel-
conque romantisme, à une vision particuliere et « subjective » des
choses, vision tributaire de l'attitude déterminée , de repli par exemple.
ou de fuite , d'une existence incapable d'affronter ses tâches concrètes
et cherchant en soi et dans le « sentiment » des compensations illu-
soires, un refuge contre le monde. Vivre, comme l'avaient déjà
aperçu les Grecs et comme, plus près de nous, devaient le reconnaître
à leur tour Nietzsche, Heidegger signifie être, de telle manière qu'il
,
ne s'agit pas ici, avec l' intervention du sentiment dans son rapport
à la vie, d'un mode particulier et arbitrairement choisi de réalisation
de celle-ci, mais de la structure interne de tout ce qui est. Ainsi
compris dans sa structure interne , c'est-à-dire dans son émergence,
l'être est inséparable de l'affection et trouve dans la possibilité ultime
de celle-ci, dans l'affectivité, sa propre possibilite, radicale et der-
niere, son essence.
La tâche de la problématique s'exprime ultmement dans la
question de la détermination phénoménologique de l'être du fonde -
ment . Pensé à la lumière de cette question et de l'exigence qu'elle
manifeste, exigence qui est celle de la réalité, l'être a été compris
dans son heterogeneité phénomenologique structurelle au milieu
ouvert de la connaissance , la vie, comme l'invisible. Ce qu'est celui-ci,
comme identiq ue à la vie et à l'être, la simple affirmation de sa
L'AFFECTIVITÉ 5.97

phénoménalité interne, de l'invisible comme constituant l'essence


même de la révélation et, bien plus , comme coextensif et co4ntensif
à son effectivité originelle, ne le rend pas évident aussi longtemps
que, saisi dans son opposition au règne de ce qui est visible il se
présente encore sous la forme d'un concept négatif, aussi longtemps.
que le caractère non dialectique 'de l'opposition à partir de laquelle
il est pensé n'est lui aussi que l'objet d 'une affirmation. Ainsi s'ele Te
naturellement « le souhait qu'au lieu de considérations abstraites
et flottantes sur le dévoilement et le voilement on puisse fournir
une information de caractere intuitif sur l'endroit où la chose nommée
a proprement sa place » ( i). Cette question, dit Heidegger , celle de
savoir ce qu'il en est finalement de l'invisible considéré en lui-même,
arrive trop tard . Car on ne peut prétendre assigner une place à ce qui
..
est la condition de toute place , à « ce en quoi, au sens d'une résidence,
repose tout « en quel endroit ?» possible d' un « avoir sa place»» (z).
L'absolu, toutefois, qui fonde toute manifestation j oss:ble en ene'ral,
la fonde en tant qu 'il se manifeste lui-même et , p récisément, dans cette
manifestation de soi. L'essence de la phénoménal té ne se situe pas au-
dela de son apparence effective mais la constitue. La réalité n'est as
soustraite aux conditions qui la définissent . Flottantes en effet sont
les considérations selon lesquelles l'être se détourne de nous se
retenant, se retirant et se réservant , Si « se retirer est ici se réserver
et pour autant advenir », il faut dire quel est l'être de ce « se retirer »
ce qui fait de lui un événement, l'Erei8nis. Si « le fait d'être affecté
par le réel peut j ustement isoler l 'homme de ce qui le concerne de
ce qui s'approche de lui d'une façon sans doute éni mati ue » (i), cette
approche de l'énigmatique, l'affection de l'invisible est le problème.
Et la philosophie marche proprement sur la tête , prétend fonder le

(i.) Essais et Conférences, trad . A. Promu, Gallimard, Paris, 1958, 329,


(2) Ibid.
(3) ID., 158-159.
598 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

fondement sur ce qu'il fonde, quand elle n'a pas d'autre moyen pour
circonscrire finalement l'être compris comme l'énigmatique que de
recourir au mouvement vers lui de l'homme comme mouvement de
l'homme vers ce qui lui échappe (i) Précisément, l'être n'est pas
tel, énigmatique, invisible, en tant qu'il nous échappe et se retire
loin de nous mais en tant qu'il nous affecte. L'invisible est l'être
compris comme l'affection, l'affection • originelle son effectivité
première et l'essence de toute effectivité, la phénoménalité elle-même
absolue, irrécusable, telle qu'elle se révèle originairement à elle-
même, est l'affectivité.

. § S 4• INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE DE L'AFFECTIVITÉ


COMME FONDEMENT DE L'AFFECTION,
LE PROBLÈME DE L'« AFFECTIVITÉ INTENTIONNELLE »

L'affectivité où l'immanence est saisie non plus dans l'idéalité


de sa structure mais dans son effectuation phénomenologique concrète
où l'invisible se révèle dans l'effectivité de sa phénoménalité a été
comprise comme telle, comme immanence, dans son hétérogénéité
.
ontologique irreduetable à la forme du sens où se réalise l'affection
de l'essence
.. par g l'être etran est.
er. L'immanence cependantla
condition de la transcendance, la réalité de l'acte qui s'oppose
l'horizon . L'affectivité est la condition de la se,'iszbilité, de telle maniere
que le sentir, comme sentir d'un contenu sensible et comme sa réception,
n'est principiellement que s#r le en lui du
possible fondse sentir soi-mê
me
qui le livre à lui-même et lui donne la réalité de ce qu'il est, n'est pr:nc:p:el-
lement possible que comme affectif. L'affectivité n'est pas la condition
du sentir au sens d'une condition dégagée par l'analyse réflexive
d'une condition logique, elle constitue bien plutôt l'effectivité de
l'acte de sentir considéré en lui-même, sa phénoménalité propre ,.

(I) cf. le commentaire de la parole de HOLDERLIN : r nous sommes un signe,


vide du sens », Essais et Conférences, op. cit., I59-160.
L'AFFECTIVITÉ
599

irrécusable et concrète , l'expérience du sentir , ia celuici


et constitutive de sa réalité . C'est comme tel en effet comme affectif
en son
, essence, dans
, la réalitéq de son être effectifle
et concret, que
sentir est possible , déploie la structure du sens interne .
Comme affectif
en son essence , comme se sentir soi-même, comme Soi , l'acte de
sentir, l' acte de l'opposition , s'oppose, oppose à un Soi à ce Soi
qu'il est lui- même, ce qu ' il sent, et est affecté par lui comme
Soi-
affecté, comme un Soi seul peut être affecté par le contenu sensible
de son affection . Ce qui revêt en soi - même la forme d'un Soi • et
seulement à la condition de revêtir cette forme l'ego seul peut
sentir et la thèse selon laquelle l'affection sensible se produit dans une
sphere é trangere a celle de l ipseite, elle-même circonscrite au domaine
de la pensée claire et attribuée à celle-ci au 'je pense de la conscience
intellectualiste , sans que la raison positive de attribution cette ' ou
négative de cette restriction soit donnée ou fasse seulement le theme
d'une problématique, la thèse selon laquelle « on sent » (z) est onto-
logiquement absurde. Mais ce qui, s'ep rouvant soi-même
originelle-
ment, est comme tel susceptible d'être affecté , ce qui se trouve
constitue en lui-même comme un Soi, le sentir dans sa réalité inte-
rieure et vivante, le Soi du sentir quipossible, le rend ' rend pos-
qui
sible l'affection par l'être etran er réside dans l'essence ou le sentir
puise précisémentp la ôssibihte
êtreconcrète Soi, dedans
son ' sa
passivité ontologique originelle â l'égard de soi et dans l'affec-
tivité.

Parce que l'affectivité constitue ainsi la condition dernière,


l'essence ultime de l'affection son identification a celle-ci à la sensi-
bilité ou leur simple confusion telle qu'elle s'expri rne à travers 1 hts-
toire de la pensée philosophique et aussi bien dans les conceptions
du sens commun, s'éclaire, le «, préjugé » de cette confusion se trouve
a la fois fondé et rejete. Rejeté parce que l'affectivité se réalisant

(I) C'est la thèse de MEERLEAU -PONTY, cf. PhP,


249, 277.
6oo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

concrètement dans le souffrir exclut de soi la structure du sens,


fondé parce que cette structure et l'acte de sentir qui la développe ne
sont principiellenient possibles qu'à partir de la cohérence originelle
de cet acte comme cohérence en soi-même dans le souffrir . L'af fec-
affective,telle
tvité n'est jamais sensible, la sensibilité est constamment
est la loi éidétique qui régit le domaine ultime du fondement.
Constamment affective, la sensibi lité peut être ce qu'elle est,
non la re p résentation theorique, la froide contem p lation de la réalité
qu'elle saisit, mais precisement sa saisie dans le sentir et sous la forme
de celui-ci. Car ce n'est pas la spécificité du donné sensible considéré
dans sa diversité qualitative irréductible , dans le quid proprium de
sa matérialité , qui fait la tonalité propre du sentir . Un tel donné ne .....
constitue encore que le contenu empirique de la sensibilité et ne se
propose à celle-ci que pour autant qu'elle s'exerce , pour autant que
s'exerce son pouvoir pur. La tonalité propre du sentir concerne ce
pouvoir et pretend le caractériser . En quoi consiste celui-ci, le sentir
considéré en lui-même s'il se trouve déterminé dans son être par une
,
tonalité propre et se propose comme tel dans son irréductibilité
au pur regard de la connaissance théorique ? Le pouvoir du sens
est la projection et la reception de l'horizon . Parce que celle-ci est
confiées l'intuition et ne peut être accomplie que par elle, l'acte
du sens est ce qu'il est, non le pur acte de penser , mais précisément
celui d'intuitionner ce qui comme tel, comme reçu dans l 'intuition,
se propose nécessairement dès lors , comme un contenu sensible
quoique pur (i).
L'intuition , cep endant, comme l a été montré avec la mise en

(I) « Z'essence de la sensibilité , dit HEmEGGER, se trouve dans la finitude de


l'intuition p (K, 87). Par là Heidegger vise la sensibilité comme astreinte à recevoir
un étant qu'elle n'a pas créé (les instruments de cette réception sont les sens dont
la nécessité réside ainsi dans la finitude de l'intuition et doit être comprise à partir
d'elle), comme sensibilité empirique. Mais la sensibilité pure ou se fonde chaque
fois la sensibilité empirique , ne peut s'accomplir elle aussi que dans la réception
du contenu qu'elle se propose, c'est-à-dire en l'intuitonnant.
L'AFFECTIVITJ
6OI

évidence du caractère circulaire de la problématiquedu schématisme,.


n'est qu' un nom pour la réceptivité. Le contenu que le schématisme
transpose sensiblement pour s'en donner l'appaaence effective n
'est,
d'autre part , que l'< être-devant » comme « être-étendu
- devant »,
le caractère sensible de ce contenu : ne signifie rien de plus en réalité
que sa phénoménalité comme hénoménalite
p de l'être ' -étendu-devant,
rien de plus, précisément , que l'effectivité de
son apparence. Dans
celleeci, cependant, et dans ce qu'elle nous propose en effet, il n'Y a
rien qui constitue à proprement p arlerdula tonalite
sentir .. Cette
dernière ne doit-elle as être cherchée toutefois , du cote du sens et
de son pouvoir de sentir , non dans son ?
contenu ..Mals quand le
nom de ce pouvoir est l'intuition et précisément , la réception de
l'être étendu - devant, le laisser-s'étendre-dev '
ant 1 etre-étendu -devant, son.
surgissement dans la phénoménalite' et cette
Phénoménalité elle-meule en
tant que telle, la tonalité n'est ju stement dans celle-c:,
.. a pas dans le )ouvoi'r
de sentir identifié
e ce qu'il sent pensé et côm rne son émergence . Ou bie.n.
c' est la réalité de ce pouvoir ,
la réalité de l'acte de sentir saisi en
lui-même comme se sentir soi-mêmee qu'il qu'il faut prendre en considé-
ration si la tonalité de cet acte doit "être fondée .
La tonalité del -.acte
de sentir est son se sentir soi-même,9esf t son a ec
f tivite. L affectivité ,.. elle
seule , permet que la sensibilité soit ce qu'elle est,- une existence,
l'épaisseur d'une vie ramassée en elle-m' e me et s'éprouvant elle-
même tandis qu'elle est affectée souffrant et supportant ce qui
l'affecte, non la froide saisie de celui-ci ou ,
sa contemplation indifle-
rente. Froideur de la saisie, indi érence de la cont
fÎ emplation et,parexemple,
duregard theorique, ce sont la, toutefois, des tonalites a ec
. f ff trves, comme telles.
precisément elles appartiennent à la sensib' 'te et l '
a déterminent, ce
sont les modalités concrètes selon lesquelles s'accomplit chaque fois
l'acte de sentir considéré en lui- même et dans la réalité de son essence,
comme affectif.
- Ainsi s 'explique a partir de ce qu'elle est,
le caractère affectif de
la sensibili té. Le caractère affectif d e la sensibilité
est son caractère
M. HENRY
. 20
60 2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

essentiel, c' est lui qui détermine la nature de l'acte dans lequel le
sens se donne son contenu comme un acte qui n'est jamais celui de
regarder bouche béante le pur ob j et de ce regard, qui n'est jamais
privé de tonalité, mais se propose toujours au contraire , et essentiel-
lement, comme affecté par celle-ci et constitué par elle. Le caractère
affectif de la sensibilité est son caractère essentiel parce qu'il ne se
superpose pas simplement comme une coloration variable, passagère
ou l'accompagnant toujours, à son exercice mais le rend possible.
L'opposition peut se produire, le monde est susceptible de nous
affecter et de nous toucher , parce que le pouvoir de l'opposition qui
nous ouvre le monde et est affecté par lui s'affecte lui-même originel-
lement. Le monde ne nous est pas donné pour ensuite et éventuelle-
ment nous toucher et nous émouvoir ou nous laisser dans l'indiffé-
rence, il ne peut précisément nous être donné que comme ce qui
nous touche et nous émeut, et cela parce que l'affection ection de la transcen-
dance par le monde a sa condition dans l'auto-affection et dans l'affectivité.
La sensibilité est précisément la transcendance en elle-même comme affective
dans son essence . L'essence de la sensibilité se trouve dans l'affectivité.
La sensibilité n'est pas une faculté particulière , déterminant chez
l'être en qui elle s'exerce une forme de vie spécifique par opposition
à d'autres modes possibles de la vie pour lui, à sa vie intelligente
ou active p ar exemp le. La sensibilité désigne l'essence du rapport
au monde, tout rapport possible à celui-ci par conséquent, quel que
soit le mode selon lequel il s'accomplit, qu'il s'agisse d'un rapport.
pratique ou théorique , ou encore d'un rapport « sensible » entendu
au sens étroit comme ce qui se produit par l'entremise d'organes
corporellement déterminés et leur appartient . Parce que la sensibilité
désigne l'essence du rapport au monde et le constitue celui-ci,
,
l'être-dans-le-monde considéré en lui-même et comme tel abstrac-
,
tion faite du genre de réalité avec laquelle il nous met en rapport et
indépendamment d'elle, se trouve déterminé , à partir de l'essence
de la sensibilité en lui, comme ce qu'il est, comme affecté chaque fois
L'.AFFECTwI TÉ 60;

et essentiellement par une tonalité. Tout rapport . est affectif et • ne


peut se produire que comme tel. Ce qui se danse 1rapport
produit
est notre mise en presence de l'être transcendant et notre accord avec
celui-ci saisi dans son ensemble notre accord avec le tout de l'étant.
Qu'un tel accord où se fonde préalablement tout comportement
particulier à l'égard de l'étant ne soit p oint ris en
p considération et
demeure, au sein même du comportement qu'il fonde et par iai,
le plus souvent méconnu et oublié , n'enlève rien finalement à sa
réalité, à ce tremblement secret qui transit notre rapport au monde
et le détermine quel qu'il soit , partout et tou j ours; comme essentiel-
lement affectif.
Ce qui fonde notre accord avec le t out de l' étant et le constitue
a été interprété dans ces recherches suivant en cela l 'ontologie
contemporaine , comme la compréhension de 'être. Parce que celle-
ci s 9accomplit dans le sens et par lui, l'analyse éidéti ue de la sensi-
büité est identiquement la sienne et ses ro ositions la concernent.
p p
Tout comprendre est affectif. Tout acte de compréhension a sa tonalité
. s
variable sans doute , mals liée à lui et comme telle inévitable. Ce qui ,
partout où l'ouverture de l'horizon de l'être et sa com p réhension se
trouvent présupposées , en tout comportement par conséquent en
.
toute action , en toute perception, en toute connaissance en toute
représentation , quelle qu'elle ,
o propose comme soit, se privé de tona-
lité, comme une absence de S hmmung, n'est en fait qu'une tonalité
particulière et l 'impassibilité'té d'un regard , la froideur du savoir
spéculatif ou l'indifférence d'une contem plation '
constituent, on
l'a vu, des déterminations affectives parmi d'autres. '
Ainsi se trouve
posé, avec l'interprétation du comprendre comme affectif , un lien
essentiel
. tel que le surgissement de l'être-étendu-devant, partout où.
il se propose comme la possibilité même d'un ob jet en général et de
objectivité, se propose aussi et nécessairement comme affecté
l'objectivité,
d'une tonalité et déterminé par elle. C'est pourquoi toutes les
modalités qui impliquent l'objet et s'yrapportent,
toutes les mode
6à4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lités de la vie représentative sont, indissolublement, des modalités


de la vie affective et doivent être prises comme telles. Pourquoi le
comprendre est affectif, c'est là cependant ce qui doit demeurer
clair. Car la compréhension ontologique de l'are et l'affectivité ne vont
nullement ensemble , comme des composantes co-originaires de l'événement
où surgit la pbénoménalité et ne le constituent pas non plus au même titre
ni également. Pour cette raison précisément le lien qui les unit n'est
pas un simple lien de juxtaposition, un rassemblement de propriétés
dont on se borne à constater la simultanéité avant de les inclure
purement et simplement dans un même absolu au titre de la Gleich-
ursprunglichkeit. Mais parce que ce lien est un lien de fondation,
parce que l'affectivité a déjà accompli son oeuvre quand se lève le
monde, à tout ce qui se propose en celui^ci et le suppose elle est unie
de façon contraignante et, précisément, comme ce qui le rend pos-
sible en son fondement.
C'est à la lumière du caractère contraignant de ce lien et de la
nécessité eidétique manifestée en lui que doit se comprendre fina-
lement le rapport de l'affectivité et de la représentation en général et,
de même, tout problème particulier impliquant l'intervention de
ce rapport et le concernant . Considérons par exemple la question de
savoir si l'évidence est un sentiment . Elle n'en est pas un, dit Husserl,
et la théorie selon laquelle « un acte de jugement qui reste identique
pour tout le reste de son essence Psychologique peut tantôt posséder
cette coloration affective, tantôt en être dépourvu » (I), c'est-â-dire
apparaître tantôt comme évident, tantôt comme non évident, déna
turc et manque le phénomène considéré, l'essence de l'évidence,
laquelle n'est pas une tonalité subjective emportant notre adhésion
et « qui nous appellerait à la façon d'une vois mystique venue d'un
monde meilleur » mais «un mode spécial de position » (z), consistant

(I) Ideen I, 71.


(z) ID., 484.
L'AFFECTIVITÉ 6o5

. en ceci que l'énoncé dans lequel s'exprime la signification visée


par le jugement « la première fois s'ajuste point par point à une
intuition, donnant une « évidence claire » d'un état de chose tandis
que l'autre fois c ' est un tout autre phénomène qui sert de soubas
serrent à l'énoncé, à savoir une conscience non intuitive de l'état
de chose » (i).
Tout acte de position , cependant, quel que soit le mode selon
lequel il s'accomplit et aussi bien dans le cas où la pensée se donne
la réalisation intuitive de la signification qu'elle vise, est en lui-même
dans son affection originelle par soi et comme se sentir soi-même
un phénomène affectif . Assurément l'affectivité de l'évidence ne
s'ajoute pas à un jugement dont le contenu et le mode de position
demeureraient par ailleurs inchangés , comme une tonalité monotone
ici jointe à lui et dont il serait ailleurs rivé.p Précisément
le lien
de l'affectivité et de la représentation n'estpas un lien synthétique
et comme tel contingent . Parce que ce lien est au contraire un lien
de fondation , le rapport ui existe chaque fois entre l'acte positionnel
et la tonalité qui l'affecte inévitablement se laisse comprendre.
La tonalite affective d'un acte de ptesentficatzon dans le jugement est la
réalité même de cet acte, loin d 'être contingente par rapp ort à lui indi é-
rente au mode de position qu'il effectue, elle varie comme lui et lui est iden-
tique. La tonalité affective d'une resentifcation s'accom lissant
P p
dans l'évidence est rigoureusement déterminée éidéti q uement liée
au mode de position qui régit cette présentification et comme telle
essentiellement différente de la tonalité liée à une Presentification
dont le mode de position est différent . Si « ce sont des lois éidéti ues
qui reglent. les relations entre les actes positionnels qui n'ont pas
cette constitution spéciale », à savoir celle de ?'évidence, « et ceux qui
l' ont » (2), de telles lois eidétiques , aprioriques et scientifiquement
.

(I) I deep I, 72.


(2) ID., 485.
6o6 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

déterminables , règlent aussi les relations qui existent entre les tonalités
affectives éidétiquement liées à ces actes.
Les corrélations eidétiques qui existent entre les tonalités affec-
tives des actes et leur structure noético-noématique ne se limitent
pas, toutefois , à la sphere de l'évidence ni â celle du jugement, elles
sont universelles et concernent tous les actes intentionnels possibles
quels qu'ils soient . Nos sentiments ne sont ni plus ni moins contin-
gents que nos pensées . Et comme celles ci laissent voir en elles des
-
structures typiques absolument déterminées et auxquelles elles
obéissent, de même en est-il de nos sentiments dans leur lien avec
ces pensées et, par elles, avec les choses . Chacun ressent et éprouve,
vit d'une façon différente, d'une façon subjective , un paysage, une
oeuvre d'art, un moment de l'histoire , et tout ce qui lui advient, de
telle manière cependant que ces « façons de vivre » sont soumises
aux lois de la perception, de l'imagination , du souvenir , etc. Les
tonalités affectives qui sont liées à ces actes de la perception, de l'ima
gination, du souvenir et les déterminent inévitablement , ne sont
point contingentes par rapport a de tels actes , elles sont leur réalité
et les modes de leur réalisation. Nous n'éprouvons pas n'importe
quoi devant n' importe quoi. Les sentiments que provoquent en nous les
choses sont la conscience de leur constitution.
L'interprétation du comprendre comme affectif ne signifie pas
seulement l'existence en lui d'une tonalité lui appartenant et déter-
minant chaque fois le mode concret de son accomplissement effectif ,
cette proposition aussi semble impliquée par elle et se propose comme
essentielle toute tonalité, inhérente à un acte de comprehension et
liée à lui comme sa réalité même est, comme telle, comprenante.
,
Ainsi se fait j our la thèse selon laquelle l'affectivité ne consiste pas
en un ensemble de modifications ou de qualités subjectives , par elles-
mêmes opaques , irrationnelles , inexprimables, incapables de se
dépasser vers une signification ni de l'atteindre, privées de « sens »
par conséquent , et dont le lien avec nos représentations ne saurait
L'14FFECTITjIT1
607

être dès lors qu'un lien externe , contingent, susce tible de dô


lieu a des p nner
phenomenes d'association, de transfert de sublimation,
' etc.,
bref à des hénomè ,
p nes purement
est en ell - l'affectivité mécaniques. Parce que l'a
e même comprenante' elle se propose d'emblée au contraire,
comme un phénomène significatif, déploie l'horizon. de compréhen-
sion a l'intérieur duquel elle vise l'objet et s'y rapporte, de telle
que cette visée de l'objet, la possibilité même de le viser
et de s'y rapporter, de se rapporter a autre chose, lue appartient et
la définit. Ainsi se fait jour dans la '
philosophie moderne, comme une
de -ses découvertes les. plus Importantes et donnée par elle comme
essentielle, la thèse selon laquelle l'affectivité est intentionnelle.
L'affectivité n'est as une chose elle
• p est conscience et, comme telle
conscience de quelque chose. Ce caractère esse '
ntiel de l'intentionna-
lité, toute détermination affective a
. u même titre que n'importe quel
autre fait psychique, le laisse voir en elle, en effet. Que serait un
amour sans objet, comment circonscrire une h '
aine :qui ne serait pas
la haine de Pierre ou _de Paul la haine , de tel ou tel gnou e social
d'un trait, d'une
deattitude
:caractère
vécue par elle recisp '
comme « hais ^ p ment
sable » . Parse qu'un sentiment n'est
Jamais .
un fiait
brut mais signifie quelquedépasse chose versselui. et le com rende
il est comme tel .{ compréh p ,
compréhensible » et il y a place pour une nouvelle
philosophiede '
l affectivite qui, au lieu d'expliquer
lon le : causalement et
se s lois d'un mécanisme physiologique ou psychologique, le
leu de nos émotions et de `nos divers s '
entiments, en recherchera au.
contraire le sens et la visée, s'en donnant ainsi l'intelligence comme il
convient de le faire pour une structure finaliste et organisée.
Comment cependant l'a eclivïlé
ff comprenanle apest-elle
le a •
signsficatsons
' ' . ^ saisir des
transcendantes et à les vâvre ^ •
. , c 'es/ la ce qua. doit elre jréc:sé
st rien ne repugre davantage à son essence que la transcendance, ,ra le déploie..
ment d'un horz^on de cona p qui rehensron
lurest estce . le écran
lus ge^•
Considérée en p
elle-même, à vrai dire, l'affectivité ne comprend rien,
elle est, bien plutôt, l'impossibilité de toute compréhension le
6o8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

non-développement de l'ekstase et, dans cette impossib ilité seulement,


dans ce non-dévelo pp ement, ce q u'elle est, l'immanence absolue de la
vie dans sa passivité originelle à l'égard de soi, le souffrir et, comme
telle précisément , l'affectivité. Croyant saisir celle-ci et son caractère
le plus important dans l'intentionnalité , la philosophie moderne n'a
fait que manquer son essence et la perdre à jamais . Saisie comme
intentionnelle, d'ailleurs, l'affectivité partage ce caractère avec tous
les autres faits psychiques, il existe, précisément, des faits psychiques
autres qu'affectifs . L'essentiel, l'essence psychologique , est constituée
p ar l'intentionnalité ou, p our p arler le lan g age p lus rigoureux de
l'ontologie, la transcendance est le fondement de tous les phéno-
mènes psychiques et les détermine tous également , y compris les
phénomènes affectifs . C'est le contraire qui est vrai : l'affectivité est
le fondement universel de tous les phénomène s et les détermine tour origi-
nairement et essentielle ment comme af fect fr. L'affectivité des phénomènes
réside dans l'auto-affection de la transcendance qui déploie l'horizon.
Elle n'est p as la saisie de celui-ci mais la réalité de l'acte qui saisit,
non la comp réhension elle-même, mais sa possibilité dernière et son
fondement. L'affectivité n'est pas comprenante comme le comprendre
est affectif, ces deux propositions ne se j uxtaposent nullement.
comme des formulations équivalentes de la structure éidétique ultime
du fondement, elles sont entre elles, on l'a vu, dans un rapport de
.fondation. L'affectivité n'est comprenant que parce que le comprendrez est
affectif et dans la mesure ose il l'est.
Parce q que le comprendre est affectif, affectif est aussi ce qu'il
comp rend, le monde lui-même et son horizon. Par « monde affectif»
il convient tout d'abord de ne pas entendre, à la manière des psycho-.
1ogues, une région déterminée de la réalité ou de l 'existence, propre
à chacun, on ne sait quel jardin secret et intérieur ou l'imagination,
projetant librement ses désirs, aimerait se re poser et vivre en elle-
même à l'écart du monde. C'est le monde lui-même, ce monde exté-
rieur et « réel » , lé monde des choses et des objets, qui est affectif et
L'AFFECTI VII'f 60
- 9

doit' être compris -comme tel : « Le monde », précisément, non les


choses ou les objets qui le peuplent . Ici encore doit être écartée
l'explication psychologique qui tient les choses pour affectives en
elles-mêmes ou les considère du moins comme c olorées affectivement
par la projection sur elles des désirs et des intérêts subjectifs du su ljet.
Car ce ne sont pas les choses ou les objets, disons plus précisément,
ce n'est pas l'étant qui est affectif. Ou, si l'on préfère , c'est l'obj et,
non pas toutefois au sens nalf et pre-crit i que où le prend encore la
psychologie, mais l'objet en tant que tel, l'étant considéré en tant qu'il
se manifeste. L'affectivité est liée à la manifestation et lui appartient
elle concerne le surgissement même de l'objet et sa possibilité, le
monde dans sa mondanité pure, c'est une détermination de l'être
de l'étant , non une simple propriété ontique. En quel sens et comment
le monde est-il affectif ? En tant qu'il est compris par le comprendre
en tant que la réalité de l'acte qui comprend est l'affectivité.
La manifestation a été interpretée par Heidegger, dans le mouve-
ment le plus profond de la pensee occidentale , prenant sa source
en Grèce, comme l'image, comme la place pure dans laquelle et
par la manifestation préalable de laquelle se manifeste tout ce qui
se manifeste . Mais limage n'est possible qu'à partir de la réalités
La réalité de l'image est la non -image, est l'affectivité. Limage
est affective.
« Le souvenir d'une certaine image, dit Proust, n'est que Ile
regret d'un certain instant et 'les maisons, les routes les avenues
sont fugitives, hélas ! comme les années ( t). » L'affectivité de limage,
toutefois, ne doit pas être cherchée dans son contenu representatif
ni dans le lien de ce contenu avec un événement particulier . La tona
lité de nos images se détermine il est vrai en accord avec notre
histoire, mais. le pouvoir qu'elles ont de nous toucher et de nous

(i) A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann , Gallimard, Paris, 1960,
I, 4z7.
bio L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

émouvoir doit être pensé et saisi en lui-même, comme une possi-


b' 'té pure d'ordre apriorique. L'affectivité de l'image est sa possibilité
interne, est la possibilité de l'être lui-même et son essence.

§ 5 . DÉTERMINATION ONTOLOGIQUE DE L'AFFECTION


PAR L'AFFECTIVITÉ

En tant que l'affectivité fonde l'affection, elle la détermine. Ainsi


s'inverse le sens de la relation que la pensée établit habituellement, .
d'accord en cela avec le sens commun, entre ce qui nous affecte et
le sentiment que nous éprouvons, de telle manière que . celui-ci,
le sentiment, ne résulte pas simplement de l'affection, comme son effet iné-
vitable et assuré, mais lui est surordonne au contraire comme ce qui la règle
et dont elle-même de end. Une corrélation assurément ne cesse de se
produire entre les excitations multi ples qui nous assaillent et p ar
lesquelles l' existence se trouve continuellement investie et, d'autre
part, les modalités successives qui composent l'histoire de cette
existence et qu'elle subit en liaison avec ces excitations et comme leur
effet. Comment comprendre le lien qui unit les tonalités successives
de l'existence et l'objet qui les provoque, la p roblémati que l'a .donné
à entendre . Car ce lien n'est pas mécanique , n'est précisément pas le
lien de la cause et de l'effet . C'est l'objet, non l 'étant, qui nous affecte
l'objet, c'est-à-dire ce vers quoi se dépasse l'existence, ce qu'elle
constitue, de telle manière que le sentiment qu'elle eprouve en présence
de cet objet est, on l'a vu , la réalité me"me de l'acte qui le constitue. Ainsi
s'établissent, parallèlement aux corrélations : noético-noématiques
ou plutôt comme leur expression réelle, c'est-à-dire précisement
affective, les corrélations éidéti ques qui unissent les tonalités affec
tives de l'existence et son affection par des ob ljets. Le lien de l'affec-
tivité et de l'affection se laisse comprendre , dès lors, à la lumière de
ces corrélations et se règle sur elle . Les synthèses p assives qui domi-
nent le rapport de l'existence et de l 'affectant tel qu'il s'accomplit
L'AFFECTIVITÉ 6z z

par exemple dans la perception , signifient la détermination par celui-ci


du sentiment et de ses modalités , et leur subordination au processus
de l'affection, tandis que demeure ouverte , et toujours effective à
quelque degré, la possibilité d'une synthèse active, comme possibi-
lité de la détermination inverse.
La détermination de l'affectivité par l'affection ne se produit
pas simplement, toutefois, elle doit encore être possible , La possibilité
de cette détermination est la possibilité de l'affection elle-même, est
l'affectivité. Ce n'est pas ce qui àrrive qui détermine l'affectivité mais
l'affectivité rend possible la venue de ce qui vient et le détermine , détermine
ce qui arrive comme affectif A la détermination des tonalités de l'exis-
tence à partir de l'affectant et selon les modalités de sa constitution,
se subordonne comme son fondement la détermination ontologique
structurelle de l'affection par l'affectivité. Comment se produit cette
double détermination , comment la première, la détermination exis-
tentielle des tonalités, se subordonne à la seconde, qui lui sert de
fondement, et se laisse finalement régler par elle, ce qu ' est celle-ci, la
détermination :ontologique de l'affection par l'affectivité le dit. La
détermination ontologique de l'affection par l'affectivité exprime le
fait que tout ce qui nous excite et nous touche et doit pouvoir nous
toucher, tout ce qui est reçu , n'est et ne peut être tel que pour autant
que se forme dans la réceptivité qui le reçoit et comme cette récep-
tivité même, comme sa réalité phénoménologique effective et concrète,
quelque chose comme une tonalité . C'est dans l'affectivité de celle-ci
et à travers elle, dans l'affectivité de l'absolu, en lui et à travers lui, que nous
parvient et devient re'el en nous tout ce qui nous parvient, tout ce qui est suscep-
tible de nous affecter en général . C'est pourquoi encore la tonalité de
ce parvenir, identique à celui-ci et à sa réalité , doit être comprise, elle
n'est pas d' abord la modalité variable et contingente que revêt l'exis-
tence dans sa dépendance à l'égard de l'être étranger, c'est une propriété
de l'essence et, bien plus , sa structure universelle , la structure univer-
selle de l'affection comme trouvant son essence dans l'affectivité.
G I2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

L'affectivité cependant n'est pas la condition abstraite de l'affec-


tion, elle est l'événement où vient et se rassemble tout ce qui vient,
la venue comme telle, comme venue originelle, et son effectivité
phénoménologique. La tonalité que revêt l'existence , comme tona-
lité « variable et contingente n'est p as sép arable de cette venue,
»,
elle désigne bien plutôt le mode particulier selon lequel celle-ci s'accomplit
chaque fois, c'est une modalité de l'essence, elle puise en elle sa substance
et lui appartient . Comme telle, comme modalité de l'essence , p uisant
en elle sa substance ' et lui appartenant, la tonalité s'explique à partir
d'elle, tient d'elle sa détermination p remière et dernière. La détermi-
nation ontologique structurelle de l'affection par l'affectivité ne rend pas
seulement possible la détermination existentielle des tonalités à partir de
l'affectant, elle la détermine, de telle manière que cette détermination exis-
tentielle se révèle illusoire et que son sens doit être inversé, de telle manière
que le cours et la nature des tonalités qui déterminent l'existence affectée
trouvent, au sein même de cette affection et de la synthèse passive constitu-
tionnelle gui la constitue, leur origine dans l ' essence et se produisent à partir
d'elle. C'est de l'essence que de p endent les tonalités, de l'essence,
c'est- à-dire de leur être le plus intérieur , en sorte que, déterminées
par ce qui vient , elles sont, comme constituant chaque fois la réalité
même de cette venue et sa possibilite comme p ossibilité p henomé-
nologique, effective et concrète , codeterm nées p ar celle-ci, c'est-à-.
dire aussi bien par leur propre réalité et ( par l'absolu de la vie en elles.
Les tonalités dépendent de l'essence comme de ce q ui ne dé p end
de rien, surgit en dehors de toute relation avec quoi que . ce soit, dans
la suffisance de son être propre . Une telle suffisance est celle du
sentiment lui-même, comme etranger en lui-même â toute affection
par l'être étranger, comme étant lui-même, dans sa p assivité onto-
logique originelle à l'égard de soin C'est pourquoi le nom de cette
suffisance est l'autonomie L'autonomie est l'essence de la vie,
.
identique à l'affectivité elle-même, elle est le fait q ue la vie se sent, a,
est le sentiment d'elle-même . C'est précisément parce que la vie
L'AFFECTIVITÉ 61 3

est en son essence autonomie qu'elle « dépend des circonstances »,


c'est-à-dire peut être affectée. Car une pierre n'est affectée par rien
et pas davantage un corps quelconque, quel que soit le degré de
complication de son organisation interne, celle-ci fût-elle biologique
et fût-il doué par elle, comme « çorps vivant », d'un système
nerveux. Seul ce qui se creuse en soi-même comme un soi, l'entité
absolue qui est le sentiment de soi, l'essence de l'affectivité est D
peut être affectée. Toute dépendance supp ose une indep endance absolue,
l'autonomie originelle de l'être, comme être-Soi, et de la vie.
Pareille autonomie n'est pas la liberté au sens où on a coutume
de l'entendre, pas davantage la liberté ontologi que qui lui sert de
fondement i naperçu, mais son contraire et, précisément, la passi.°

vite originelle de l'être â l'e'gard de soi et sa suffisance en soi-même,


l'essence de la non-liberté.
En tant que la vie ne « dépend des circonstances » que sur le
fond en elle de son independance absolue comme dependance absolue
de son être a l'égard de soi, ce qu'est cette dépendance a l'égard des
circonstances, l'affection de la vie par l'être étranger, la tonalité
ou cette affection se réalise et par laquelle la vie elle-même se trouve
ainsi determinee, tout cela devient transparent. La tonalité est la
façon dont la vie s'éprouve, un mode du souffrir, le se souffrir soi-
même de l'absolu, tel que ce « se souffrir » de l'absolu depend de
l'absolu lui-même et lui est identique comme le mode selon lequel
il se réalise et s'accomplit chaque fois et comme son historiai. L'his-
tonal de l'absolu, son devenir intérieur et le mode selon lequel ce
devenir s'accomplit, c'est la ce qui règle toute affectionD sa loi son
essence, sa réalité. La réalité de l'affection, l'auto-affection de l'ctre
affecté, est la réalité de l'absolu et son bistoral, est la tonalité. La tonalité
ne procede pas de l'affection, de l'affection par l'être étranger, elle est sa
realite corme réalité de l'absolu lui-méme telle qu'elle se réalise chaque fois
en lui, a partir de lui, et comme ce qu'il est.
Parce que la tomalité ne procède pas de d'affection, parce qu'elle
614 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

est la réalité même de l'absolu telle qu'elle se réalise chaque fois


en lui et son historial , le rapport qu'elle entretient avec l' affectant
le rapport du sentiment avec les conditions qui sont censées « le
provoquer », se laisse comprendre comme ce qu'il est en effet
comme exprimant l'indépendance du sentiment à l'égard . de ces
conditions dans sa dépendance absolue à l'é gard de soi. La depen-
dance absolue du sentiment à l'égard de soi, sa passivité ontologique originelle
à l'égard de son être propre, c'est là J stement ce qui le constitue et le rend
possible, le souffrir comme tel et l'essence de l'affectivité en lui. C'est sur le
fond en lui de ce qu'if est, par conséquent, de ce qui le rend possible
et constitue ainsi chaque fois son essence que le sentiment se forme,
,
surgit et persiste, dans sa dépendance absolue à l'égard de soi c'est-
à-dire aussi bien dans son i ndépendance absolue à l'égard de l'être
étranger . Pareille indépendance où s'atteste la réalité même du senti-
ment, où celui- ci rend manifeste ce q u'il convient d'entendre comme
sa « spontanéité », devient visible en tout sentiment authenti ue
q
comme son caractère le plus propre et le plus essentiel . Tandis que
le langage superficiel se propose de j oindre à toute détermination
de la vie quelque événement extérieur susceptible d'en rendre compte,
quelque action, quelque condition sociale , historique, individuelle
ou collective, comP a osant le « milieu » dans lequel elle vit, le monde
auquel elle est liée inévitablement sinon par des rapports mécaniques
,
et aveugles , du moins selon le jeu des relations intentionnelles, il
apparaît au contraire , au regard philosophique, que les tonalités
où s'exprime tour à tour l'existence et qui composent ensemble le
cours de son histoire , j aillissent à partir d'elle, « inexplicablement » ,
ce qui veut dire sans référence aux conditions qu'on pretend chaque
fois assigner à leur surgissement , sans trouver en celles-ci une raison
suffisante, et cela parce qu'une telle raison réside dans le sentiment
et seulement en lui, dans le mode selon lequel l'absolu s'accornplit
chaque fois en lui-même et à partir de lui.
. Ainsi le désespoir, comme Scheler l ' a noté avec force, se mani-
L'AFFECTI VI TJ Gay

feste-t41, partout où il se manifeste où ilya ulie


de parler d ' un
désespoir véritable , comme foncièrement indifférent aux circons-
tances qui l'entourent ou qui l'ont vu naître, en sorte qu 'il ne saurait
être modifie par elles, qu'on ne saurait agir ^ sur lui, le ou le
provoquer
supprimer, en agissant sur elles, en cherchant ar exem
p ple à infléchir
leur cours dans un sens favorable aux aspirations du sujet. et. Pas
davantage celui-ci n'est - il capable d' agir lui-même sur son propre
sentiment, lequel apparaît ainsi, en fin de compte, dans son indé-
pendance absolue à l'égard de toute condition étrangère à sa nature
propre, comme ne pouvant être donné que là où cesse le jeu des
corrélations transcendantes et leur p ouvoir, « là où toutes les voies
semblent supprimées , qui permettraient d'écha pper au sentiment
négatif, et ou il n ' est ni acte ni conduite ... aucun com
p ortement
possible de notre part dont on puisse même enser qu'il soit en
. p
mesure de modifier le sentiment » (i). Les mêmes remar ues valent
q
pour la beatitude qui ne saurait dé p endre dans l'existence de l'alter-
nance de ses joies et de ses peines c'est-a- dire de ce que nous apporte
,
l'événement, mais repose au contraire sur elle - même avec tant de
force que rien de ce qui lui esta pparemment opposé, pas même
l'adversité ou les caprices de la fortune n'est suscep tible d' en alterer
la tonalité sereine. Et de même q ue les ,
obstacles qu'elle rencontre
apparemment dans le monde ne peuvent mettre un terme â son
existence , de même ce qui favorise la béatitude ou se mole tel n'est
pas capable en réalité de le faire et c'est 1e projet de la
pourquoi
susciter en modifiant l'ensemble des conditions ob} jectives où elle
devrait s 'insérer en sorte naturellement
quelque comme et leur effet,
est vain ; pas plus que le désespoir, et pour les mêmes raisons la
beatitude ne saurait être produite. L'ensemble des techniques par
lesquelles les hommes transforment le monde et l'aménagent
. à
leur convenance peut beaucoup , absolument rien on le sait toutefois

(I) F, 351.
6i6 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

en ce qui concerne la béatitude, de telle manière que la tentative de


provoquer néanmoins celle-ci n'aboutit qu'à la multiplication des
moyens utilisés • à cette fin, à l'invention incessante de nouvelles
techniques de bonheur dont la prolifération insensée dans le monde
moderne manifeste seulement leur totale impuissance quant au
résultat visé.
Il s'en faut de beaucoup
p cependant que la béatitude et le `
désespoir
constituent les seules tonalités de l'existence susceptibles de surgir
en elle et de la déterminer en l'absence de toute référence au monde
de son affection, que, comme l'affirme Scheler, ces sentiments donc
soient « les seuls dont on ne puisse même pas concevoir qu'ils soient,
produits ni mérités par notre comportement » non plus que par le
^ .
simple cours des circonstances ou par leur nature. Si, comme l'ana-
lyse éidétique l'a établi, l'indépendance du sentiment à l''égard de
l'affection, la détermination par lui, bien plutôt, de celle-ci de toute
affection possible en général, lui appartient en vertu de ce qu'il est
c'est partout et toujours, de toute tonalité quelle -qu'elle soit, que doit
être affirmé son autosurgissement à partir de soi comme déterminant ce i
l'affecte, comme identique a la realite de cette affection Le fait même pour
nos tonalités de dépendre de ce qu'on appelle les vicissitudes de la
vie et de se régler sur elles, et, bien plus, le projet, toujours décelable
en pareil cas, de mener cette sorte d'existence où, nous tournant vers
l'événement, nous nous offrons à lui et lui demandons de nous
apporter le plaisir ou la joieq
ue nous ne trouvons
pas en nous-mêmes,
la. décision de s'en remettre à ce qui arrive et, pour ainsi dire de le
laisser passer en nous, pour être ce qu'il est, la disponibilité, la
curiosité, la confiance dans le cours des sensations et des impressions,
l'organisation de ce cours telle qu'elle se poursuit dans les tenta oves
parcellaires des individus comme dans l'effort cohérent d'une civi-
lisation pour satisfaire besoins désirs et tendances et, ..plus encore,
ceux qu'elle suscite elle-même, l'esthétisme, l'hédonisme l'utili-
tarisme et leur actualisation chaque fois dans l'existence sin gulière
L'AFFECTIVITÉ Cil

tout cela qui plonge ses racines dans le vide de l'existence, c'est-à-dire dans
sa tonalité, loin depouvoir
déterminer celle-ci lui est identique et en '
résulte.
Ainsi s'atteste, au sein même de sa dépendance à l'égard de l'être
étranger, et plus encore en elle, l'autonomie de l'affectivité et la
détermination par elle de toute affection comme telle.
Ainsi doit être rejetée la thèse de Fichte selon laquelle , « le senti-
ment... dépend du hasard » ( 1) et ne saurait comme tel, en raison
de ce caractère contin gent et variable de son être nous permettre
de saisir la vie, au sens où il l'entend , et d'en jouir, c'est-à-dire asseoir
notre rapport à l'absolu, la p ossibilité de fonder un tel ra ort
A pp
devant être laissée a ce qui est seul ca pable de subsister ar soi-même
p
et ainsi de durer, à la conscience de soi identifiée à la connaissance
et à la pensée. Ainsi doivent être écartées les pensées d'inspiration
fort différentes qui, partageant ce p endant avec celle de Fichte et
a vrai dire, avec la quasi-totalité des philoso p hies du sentiment la
conception de la contingence absolue de celui-ci, c'est-a-dire de sa
dépendance à l'égard de l 'é vénement et d'une manière générale de
l'affection, croient pouvoir fonder sur le phénomène de cette dépen-
dance et sur cette contingence même, com p rise dès lors comme un
caractère essentiel de l'affectivité , un savoir p ositif concernant celle-ci ,
sa genèse, son développement ainsi que ses p rincip ales p rop rietes
Telles sont notamment , dans la psycholo gie qui se dit scientifique
les théories fonctionnelles qui p retendent éclairer le sentiment et en
définir la nature à partir précisément de sa « fonction » de son rôle
ces derniers étant de nous ada p ter aux choses , de p ermettre entre le
vivant et l' univers l'instauration d'un éq uilibre essentiel au maintien
de toute vie, fût- elle conscientielle et à son de' elo eurent, En vertu
, pp
de ce « caractère ada p tatif » et p ar suite de l' < orientation objective»
qu'il lui confère, il est donc « normal » que le sentiment, « s'adaptant
a mille ob j ets divers », suscité par eux, variant avec eux, se modifie

(I) VB, 109-110s


6 i 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sans cesse, trouvant ainsi dans sa nature même la raison de ce carac-


tère contingent et changeant qui semble le définir, les déterminations
contraires, « stabilité », « subjectivité », s'expliquant par une pertur-
bation de cette fonction essentielle, par une « defonctionnahsation »
une désadaptation dans lesquelles le sentiment détaché du milieu
ambiant, étranger désormais à ses fluctuations, cesse de se modifier
conformément à celles-ci et persiste au contraire, à la suite d'une
fixation par exemple, d'une régression ou d'un traumatisme quel-
conque, comme sentiment pathologique anachronique, justiciable
dès lors de l'analyse et destiné, dans la meilleure hypothèse, à être
réduit par elle. La passion où le sentiment tend à s'affirmer au mépris
d'une situation historiquement définie et de ses exigences mou-
vantes,
. représente comme . telle, dans sa permanence, un exemple
typique de désadaptation, laquelle, toutefois, ne peut se comprendre qu'a
partir de l'adaptation elle-même, comme une détermination négative de
celle-ci ou comme son mode-limite, puisque la durée pathologique d'un
sentiment n'est précisément que la persistance de ce qui fut autrefois,
mais toujours en quelque façon, fonctionnellement fondé (i)
Le propre des recherches dites positives est la méconnaissance
habituelle de l'essence du phenomène qu'elles étudient, ce qui les
conduit à attribuer à celui-ci un certain nombre de caracteres sans
pouvoir les hiérarchiser entre eux ni les fonder, à les énumérer de
façon gratuite et hasardeuse et à discuter de même et par suite indé-

(Y) 14à dessus, cf.. PRADINES, Traité de Psychologie générale, Presses Universitaires
de France, Pans, 1948, I, 663 sqq. Cette justification fonctionnelle de l'affec-
tivite n'exclut pas d'ailleurs, indépendamment de toute fixation pathologique,
une certaine stabilité a normale A et en quelque sorte a saine n du sentiment, stabilité
toujours relative cependant et qui exprime la stabilité de l'adaptation elle-même,
comme il amve dans le mariage par exemple, à l'intérieur d'une profession, dans
le choix d'une activité suivie, c'est •à-dire lorsque la situation ne se modifie plus
ou seulement de façon insensible, le changement perpétuel de nos affections et la
volonté de le maintenir en leur fournissant toujours de nouveaux objets pouvant
signifier, dans certaines conditions , un refus de l'adaptation elle-même et de ses
exigences et, comme tels, devenir eux-mêmes a pathologiques ».
L'AFFECTIVITÉ
619
anim ent à leur sujet . Ainsi la « subj ectivité» ,
^ apparaît-elle à un moment,
dans le dérèglement F mede
passion, unela com ''de 1 affec-
propriété
tivite, comme une détermination accidentelle de celle-ci par consé-
quent, liée à elle d'une manière contingente et précisément a la
faveur d ' un « dérèglement » , alors que,
, q me ilcomme ammmété montre,
l'affectivité constitue la même de la subjectivité et son essence
possibilité
et lui est identique . Ainsi voit-on l'anal yse s'orienter
de façon absurde
vers la recherche de la fonction du sentiment et du vole joue par lui
dans l'économie générale du, s' efforcer den rendre
psychisme
compte à partir du phénomène de l'ada ptation , expliquer
par exemple
les émotions par une rupture brusque de celle-ci , c'est-a-dire encore
a partir d'elle, se livrer dans cette direction à toutes sortes d'analyses
et de considérations , avant même de se préoccuper de savoir ce
qu'est ` le sentiment comme tel, avant de se oser '
p la question de son
essence, et sans jamais le faire , En ce
• qui concerne l'adaptation elle-
même, et si on prétend lui faire j ouer le rôle d'un principe
cape d expia
problématiq ue de l'a ffectivi té et de ses-cationsd'éreu
modes fondamentaux , il convient alors de rendre
p préalablement en
considération ce qui rend p ossible cette ada ptation
somme celle et
lui sert de fondement , à savoir l'affection. • par
Expliquer 1 affectivité.
l'adaptation, c'est l'expliquer par l'affection elle-même
, prendre a
condition pour le conditionné et marcher ainsi proprement sur la
tête, d'accord en cela, il est vrai avec
le sens commun, car lus une
pensée est superficielle
et inverse l ' ordre vrai des chosesp lus large
l'audience elle est assurée . Si dont ' p
donc sous le titre de l'adaptation
quelque chose doit être pp ensé,, c'est le ra pp ort a 1'"
erre extérieur,
rapport qui sans doute est lié indissolublement à l'a '.
ffectlvite comme a
l'essence qui, l'excluant d'elle-même, le fonde
toutefois et le déter-
mine ontologiquement.
La détermination ontologique structurelle de l 'affection par
l' affectivité contient le d'une critique
principe générale du méca-
nisme, c'est-à-dire de l'idée d ' une dépendance rigoureuse
de l 'affecté
6zo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à l'égard de l' affectant. Par mécanisme on ne saurait entendre en


effet, lorsqu'il s'agit de l'affection , quelque processus en troisième
personne analogue aux relations d'interdépendance qui s'instituent
entre les étants . L'affection elle-même, précisément , ne peut être
ramenée, comme elle l'est constamment dans les sciences dites posi-
tives et dans la psychologie elle-même (en tant qu'elle se conforme à
leurs méthodes afin de mériter par là le titre de science rigoureuse),
à un processus de cette sorte , à une loi de l'étant et à la détermi-
nation de celui -ci par lui-même . Parce que l'affection n'est pas cela et
que son concept doit être tiré de l'ambiguïté sur laquelle repose
tout entière la Pseudo -positivite de la psychologie objective, le
mécanisme lorsqu ' il la concerne et lui est appliqué, ne désigne pas
non plus cette détermination d'un étant par un autre, la relation
intérieure et vivante de l'être-affecté a ce qui l'affecte à titre d 'objet,
c'est la seulement ce qui est visé maintenant et interprété par lui.
Interp rétée à la lumière du mécanisme , ici compris comme une sorte
de mécanisme psychologique par conséquent , et de ses postulats,
la relation de l'affectant et de l'affecté se propose comme la déter-
mination rigoureuse de l'être -intérieur de l'être affecté par ce qui
l'affecte, par l'objet dont il constitue la synthèse passive . Qu'une
telle détermination, bien plutôt, ne soit jamais rigoureuse et que
l'être-intérieur de l'être affecté ne se réduise jamais au simple effet de
ce qui l'affecte, cela résulte de ce qu'il en est au contraire la condition.
Ce qu'on appelle la spontanéite du vivant et qu'on oppose à ce
titre au « mécanisme » n'est qu'une dénomination impropre , l'expres-
sion en termes mondains de ce qui constitue la nature de l'affection,
a savoir, non pas l'action de l'étant, mais l'événement ontologique
qui la rend possible . Parce que l'affectivité constitue la structure
originaire de cet événement et sa réalité, la réalité de l'action de l'étant
elle-même comprise dans son effectivité pbénome'nologiqué et dans sa possi-
bilité, comme action sur nous, celle - ci, l'action de l'étant, trouve son origine
et sa réalité là otè elle se fait sentir, où se creuse l'ipséité, en nous-mêmes et
L'.AFFECTIVIT:É
Gzi

dans l'essence, trouve en nous dans l'essence l'or


, a$ane et le .rén.r de la ^ déter-
mination qu'elle accomplit chaque fois.
Tels sont les fondements ontologiques structurels qui régissent
la relation essentielle de la vie et de l'être extérieur , c est-a-dire
l'affection,
^ e et à partir
telle desquels seulement
relation un .:peut et
doit être comprise . La relation de la vie et de l'être extérieur, trouvant
son fondement dans l'affection et rendue possible par elle, se laisse
comprendre en effet, à partir de la nature de l'affection, comme ce
qu'elle est, comme irréductible à la simple production passive dans
l'être - affecté de ce qu'il éprouve à la suite d
' excitations extérieures,
comme impliquant au contraire la détermination par lui et par son
être- soi de la tonalité qui est chaque fois la sienne, la determination
du sentiment par le sentiment lui-même et par l'essence de l'affectivité
en lui. • La relation de la vie et de l'être extérieur , l' d 'un être
histoire
comprise comme cette corrélation de ce qui lui arrive . ceet de qu'il
est, c 'est la ce qu ' on appelle sa destinee ,
Si celle -ci ne se 1aisse
' pas
réduire à ce qui se p roduit en nous sans nous et s i,
a vrai dire, r ien
de tel ne se produit j amais , si « la destinée c'est l' '
ensemble des evene-
ments qui, sans que nous les ayons recherchés ..,
n'en '
sont pas moins.
eprouves par nous lorsqu'ils nous arrivent .,, comme étant en confor-
mité avec ce que nous sommes » (Y), cette manifestation de las on-
tanéité de
e doit pas êtrela vie
traduite rien p
simplement termes
psychologiques , son origine doit être cherchée ailleurs, non dans.
l' histoire du sujet ou dans le contenu particulier '
de ses expériences
antérieures , mais dans ce qui constitue la structure ontologique de
toute expérience possible en general, dans la structure de _ l'affection
elle-même et dans son essence . Quelque chose une
commedestinée
ne peut se comprendre ultimement qu'a partir du destin de l 'absolu
lui-même et comme son historiai.
La structure ontologique universelle de l'affection est celle de la

(I) S, 289.
G z z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sensibilité elle-même . Qu'une telle structure trouvant sa possibilité


dernière et la réalité de son être - concret dans l'affectivité de l'essence
et dans son autonomie absolue, c'est - à-dire aussi bien dans ce qui
constitue l'essence de l'ipséité, détermine nécessairement et fonde
tout ce qui nous affecte et peut être senti par nous , c'est là justement
ce qui détermine et fonde la « spontanéité » du sentir, le fondement
ontologique et la mise en évidence dans son apodicticité de ce
qui fut aperçu par Lagneau dans la profondeur de l'intuition et
formulé par lui sur le mode assertorique : « on ne saurait concevoir
une manière de sentir qui doive être considérée comme la vraie pour
nous dans des circonstances données . En effet, cela supposerait soit
que notre nature sensible ne change pas, soit que son développe-
ment est soumis à une loi rigoureuse , c'est- à-dire que cette nature
résulte complètement en nous de son. rapport avec le monde exté-
rieur, dont elle ne serait qu'un effet, une résultante . Mais alors
il n'y aurait pas en nous de spontaneite,. de nature sensible, Or
c'est la même chose de dire que nous sommes des individus et de dire
que dans ces individus il y a une nature sensible dans laq= uelle quelque
chose ne résulte pas de l'action du milieu. Si tout dans la nature
sensible . était soumis à la nécéssité, s'il y avait -pour nous une manière
de sentir qui serait la vraie, si à chaque instant notre manière de
sentir résultait du monde extérieur, nous ne sentirions pas ( i ). »

4 S 6. AFFECTIvrrÉ ET SENSATIONS

En tant que l'affectivité fonde l' affection et la détermine, elle


ne peut être réduite à ce qui trouve au contraire dans l'affection elle-
même la condition de sa possib ilité et son propre fondement, à la
sensation, ni être confondue ou identifiée avec elle. La confusion
de l'affectivité et de la sensibilité, telle qu'elle se fait jour dans le

(1) Célèbres Leçons et Fragments , Presses Universitaires de France, Paris;


1950, 182.
L'AFFECTITIIT,É
623

« préjugé » qui a etc dénoncé.,dans .:.: _, . _ ....:_ .. .


c recherches en même temps
, , .. es
que son origine était montrée, ne vrai
pas, signifie
dire, leurâ semple

identification, mais plutôt l'interprétation de l
'affectivité comme
résultant de tout ce qui affecte notre s ensibilité, laquelle pour cette
raison n'est ointelle-même
point comprise c ^ comme le pouvoir ontolo-
i ue pur qui
g q rend possible toute affection possible en général, mais
comme ce qui se produit en lui et nous affecte chaque foi s « réelle-
ment », précisément comme l'ensemble de nos sensations
. C'est la
sensibilité empirique qui sert de fondement a l 'explication
que se
donne de l'affectivité le sens commun comme a celle que proposent.
â leur tour les recherches « positives ». Assurément le sentiment ne
se ramène pas a la sensation et ne se laisse pas enfermer en elle
elle• passe et il dure, elle est simple, et il est.. •
complexe superficielle. et il
a toujours une certaine profondeur . Mais la sensation, celle qu'on dit
simple, fugitive , etc., la sensation isolée n'est qu
' une abstraction
jamais réalisée, as même dans les conditions , elles-
mêmes abstraites
du laboratoire . Ce qui est réel,^ à chaque
estanti , c'est le tout de nos
sensations , non pas leur somme ,
mais ceqû'
elles composent
ensemble,
se fondant, l'une dans
de l'autre, la tonahte affective '
l 'existence et les
modahtes par lesquelles celle-ci passe successivement et dans les-
quelles elle ne cesse de se transformer.
Le tout de nos sensations leur être-ensemble , le cc sens commun»
ou s ' unit dans une tonalité qui se différencie et se .
modalise conti-
nuellement .. , sans
e, cesser
tout pour
ceautant
quid'êtreest un '
produit
par 1a sensibilité c'est la ce qu'
on appelle la caenesthesie. La coenes-
-thésie ne constitue as une . dimension a part constituée par certaines
.
sensations spécifiques , dites internes, mises
en évidence par la
psychologie â un moment de son histoire plus precisement, par les
idéologues français --- et venant se juxtaposer dans la sensibilité au
contenu fourni par les cinq sens traditionnel . s La sensibilité re re-
sentative appartient elle aussi la cœnesthésie , et cela non
pas
seulementp arec que les
sensations qu'elle nous procure se lient
624 L 'ESSENCE DE LA , MANIFESTATION

inévitablement aux sensations internes afférentes , l'exercice des


sens correspondants . Considérée en elle-même, en effet, toute sensa-
tion même représentative comporte un élément irréductible à la
représentation proprement dite, un contenu impressionnel subjectif,
impossible à analyser et à décrire, qui ne peut être qu'éprouvé et
précisément senti, homogène à celui de toute autre sensation , fût-elle
interne, susceptible par conséquent , non plus seulement de se lier à
elle selon le lien externe de l'association , mais de se fondre avec
elle dans l' unité consubstantielle d'une même tonalité. Celle-ci,
le sentiment général qu'à tout instant nous avons de notre être,
le sentiment de l'existence , est donc pensable à partir de ce qu'est
la ccenesthésie elle-même et comme ce qui en résulte.
Que la tonalité qui ne cesse d'affecter l'existence et de la définir
comme son caractère le plus constant, résulte de la ccenesthésie, ne
signifie pas qu'elle diffère en nature de celle - ci, mais parce que
résulter veut dire ici dépendre de l'ensemble des sensations simul-
tanément ou successivement éprouvées comme ce qu'elles produisent
et comme l'unité où elles se fondent toutes, qu'elle lui est identique.
Vota p ourquoi, parce qu'il est identique à la cœnesthésie, le senti-
ment se laisse comprendre comme un sentiment « sensoriel » ou
« sensible » , toujours complexe, fait d'éléments multiples bien
qu'indiscernables et fondus en lui , pourquoi et comment , en fin de
compte, l'affectivité est assimilable à la sensibilité elle-même , dans la
richesse de son effectivité concrète, à la sensibilité réelle ou emp i
. Pour cette raison aussi, parce qu'elle se confond avec le-rique
contenu impressionnel de la sensation et ce qu'il comporte de
qualitativement ineffable, l'affectivité ne peut être saisie qu'à l'inté-
rieur de celle-ci et son étude doit s'orienter , comme elle le fait
d'ailleurs dans la psychologie positive, vers les tonalités simples
telles que le Plaisir ou la douleur, l'agréable ou le désagréable, afin
de découvrir en elles précisément les bases mêmes de l'affectivité et ses
déterminations Premières, à Partir desquelles il est possible alors de
L'AFFECTI VIT.É
625

suivre la formation des sentiments complexes


plûs dont 1'affectlvlte
toutefois reste toujours homogène à celle de leurs « éléments ».
Ceux-ci, il est vrai, les tonalités premières qui constituent
le fond du sentiment de l'existence et dete '
rminent les modalités dans
lesquelles il ne cesse de se transformer, ne sont pas toujours identifies
par les psychologues avec la sensation le pro
bleme de cette •
identl-
fication, c'est-a-dire finalement de la nature des elements qui consti-
tuent la « base» de l'affectivité, donne lieu à des discussions multiples,
comme on le volt par exemple lorsqu'il est question de savoir si la
douleur est• précisément
elle est une sensation
homogènesi au
plaisir, sil existe une source unique de la vie affective ou -si au
contraire celle-ci doit se comprendre comme '
une «dichotomie »,
Le fait même cependant que cette différera ce entre les éléments
fondamentaux de l'affectivité et la sensation proprement dite constitue
un problème,• que pour y re ondre
p psychologie positivela ' sort
contrainte de recourir a des critères extérieurs à gion la red'être
'" a
laquelle ces phénomènes appartiennent
artiennent pour onsiderer c 1a
' disposition
' • •
des organes auxquels ils sont référés chercher par exemple s'il existe
des terminaisons nerveuses algiques s ecifiqu
p es, ' est de même
s'il en
dans le cas du plaisir, sur quelle organisation physiologique reposent
les sensations internes, si le dans
partage la senormale
nsibilite ' :entre
l'agréable et le désagréable tient •
a cette organisation elle-même ou
seulement à ses modalités fonctionnelles, atteste l'homogénéité pré=
miere de toutes ces impressions, leur indissociabilit'e sur le pian
phénoménologique de ce qui fait chaque fois leur être-affectif.
Une telle homogénéité du contenu impressionne! et affectif
de la sensibilité n'est pas mise en question d'ailleurs,. -
mais soulsgnee
plutôt par sa mise en relation avec le corps entendu comme l'objet
de la physiologie à l'unité de l'être s'ajoute
^ simplement ici pour la
confirmer, quand ce n'est pas pour la fonder, . l'unitede
' l'explication
.
Que celle-ci, l'explication de l'être immanent par une cause trans-
cendante à son contenu effectif et foncièrement étrangère par rapport
626 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

à lui, se propose et prétende faire valoir ses droits aussi bien dans
le cas de l'affectivité que dans celui de la sensibilité, ou plutôt comme
attestant la communauté d'origine de ce qu'il y a à la fois et identi-
quement d'affectif et de sensible de qualitativement spécifique,
,
dans le contenu impressionnel et les tonalités de l'existence subjective
en général, la philosophie de l'affectivité le montre suffisamment,
qui affirme à travers toute son histoire et par-delà l'opposition appa-
rente des doctrines qu' «il n'y a pas de sentiments sans un ensemble de
phénomènes corporels (i). » -
Que l'affectivité ne s'identifie pas à la sensation et ne se laisse
pas comprendre non plus comme son effet, cela résulte de ce qu'elle
en est au contraire la condition . Là est le paralogisme de toute théorie
sensualiste de l'affectivité. Un tel paralogisme revient à considérer la
sensation in abstracto, comme quelque chose d'isolé et se suffisant
à soi-même. Considérer la sensation comme quelque chose d'isolé ne
signifie plus ici considérer une sensation isolément, en dehors du
contexte phénoménologique concret auquel elle appartient et où elle
se montre comme une modalisation du sentiment général de l'exis-
tence, le modifiant mais plus encore et toujours d'ores et dé j à modifiée
par lui. Le problème concerne en réalité la suffisance ontologique de
la sensation et aussi bien celle du contenu impressionne) d'ensemble où
elle vient se fondre . Précisément la sensation, le tout de la sensation,
,
n'a par lui-même aucune suffisance, ce n'est pas la spécificité qualitative
du contenu impressionnel de la sensation, pas davantage la spécificité de la
tonalité d'ensemble où elle vient se fondre qui constitue et fonde chaque fois sa
réalité, l'effectivité de son être phe'noménologique et concret . Où réside
la réalité de la sensation ? La sensation est réelle en tant qu'elle est sentie.
La réalité de la sensation réside dans l'être-senti lui-même considéré
en tant que tel et, plus avant, dans l'essence où l'être-senti trouve sa
propre possibilité et l'effectivité de son effectuation , dans l'affectivité,

(z) SAi Ti , L'imaginaire, Gallimard , Paris, 1948, i77.


L'AFFECTIVITÉ 627

. , L'affectivité n'est
pasune condition
de 1a extérieure
sensation,
une forme â l'intérieur de laquelle la sensation serait donnée et ou
elle se manifesterait â titre de contenu. La sensation . n'est pas un
contenu, le contenu de la sensibilitépresu pposant, comme tel,
l' existence d'un pouvoir chargé de le recevoir et de le rendre mani-
feste, à savoir précisément la sensibilité et, par
suite, l ' affectivité elle-
même. Que la sensation soit réelle en tant qu'elle est sentie
, dans. le
sentir lui - même et par lui, cela veut dire •
. la sensation , la sensation
originelle n'est pas ce qui noua affecte , l'
être que le sens se donne dans l'oppo-
sition elle est l' ^afection
elle-m8me , l 'etre- a.^
ecce tel
par que, affecte
ce qui
l'affecte, il est dans cette détermination de l'affectio
n et d'abord, affecté par
soi. La sensation originelle s'affecte elle -même se sent elle
-meme,
_ reluppose
la dimen sion ontologique del 'auto-affection • . p
et de l'a ectwité
se forme et '
.^ surgit
en elle. C est de cette façon ue l'affectivité es
q t la condition de la
sensation , comme constituant sa réalité même et la
substance de son
être phenomenologiq ue effectif et cons ret. C®mme telle trouvant sa
réalité et l'effectivité de son être concret dans l'affectivité,
la sensation,
toute sensation possible en général Pst.^a ective l'a ec '
f.^ tivite de la s ensation e.st
nécessaire à priori, lui appartient , non as seulement
, p , a vrai dire, comme
un ça actère eidétique parmi d'autres , mais comme son
essence.
même et précisément comme sa substance. Com me. telle aussi, parce
que son essence est l'affectivité , la sensation est vivant e, est,.
porte en
elle le fremissemen;t intérieur de la vie ormeselaf ou
` se forme . la vie,
vibre en elle , avec elle, et la détermine co
corne sa détermination,
possible à partir d'elle, comme une modal'ite` et une.. tonalité
. de la vie
elle-même . Ainsi est levée du même coup 1'a
bsuraite qui pesé sur le
concept de « sensation exterieure », comme
si riefl d'extérieur, de
transcendant, pouvait constituer ar soi-même une sen
,A p sation, porter
en soi 1 être-intérieur de ceq ui est vivant le
uver s'épro
soi-meure
seul susceptible comme tel d ' é rouver quei
p que chose comme. un
mode précisément de son « s'ep
rouvver soi-même une déter-
», comme
mination de son affectivité,
628 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

« Extérieure », la sensation ne l'est que par sa signification,


dans sa référence à ce dont elle est la sensation. Précisément parce
qu'elle s'accomplit dans le sens, comme un mode du sentir et de la
transcendance en lui, la sensation, toute sensation est par nature la
sensation de quelque chose. Ce dont la sensation est sensation, c'est
précisément l'excitant . L'excitant n'est pas le terme inconnu = x,
déterminable seulement par le progrès scientifique et agissant sur
,
un organe sensoriel lui-même étranger à l'expérience sensible, il est
l'objet de cette expérience , c'est comme tel et à ce titre seulement
qu'il nous affecte . En tant que la sensation se réfère à un objet dont
elle est la sensation , elle est représentative. Qu'elle « représente» un tel
objet ne signifie nullement qu'elle le pense, qu'elle se le représente
dans un acte de connaissance, que cet objet soit l'objet déterminable
de l'entendement . Parce que l'objet de la sensation est reçu par elle,
dans le sentir, il est senti, « affectif » au sens qui a été dit, et se propose
avec cette détermination ontologique essentielle. Que celle-ci ne
concerne pas seulement, toutefois , l'objet de- la sensation mais aussi
bien les productions de la pensée, toutes sortes d'objets, qu'elle se pro-
pose comme une détermination ontologique structurelle de l'être trans-
cendant cela résulte justement de ce que la pensée elle-même prend
appui sur le sens et se produit en lui, dans le milieu ontologique de
l'affection qui est la condition de toute expérience d'objets en général.
La sensation a deux contenus , un contenu immanent , affectif,
le contenu de l'être-affecté , ce qu'éprouve la vie quand elle s'éprouve
elle-même dans cette détermination particulière qui résulte en elle de.
l'affection, et un contenu transcendant, l'excitant lui-même, l'affec-
tant, tel qu'il lui est donné dans le sentir et par lui. Que celui-ci
s'accomplisse, dans le cas de la sensation proprement dite, par l'entre-
mise d'organes corporellement déterminés, détermine seulement la
spécificité du contenu impressionnel de la sensation correspondantes
lequel toutefois doit s'entendre dans les deux sens indiqués, trouve
chaque fois sa condition ontologique, la condition ontologique
L':AFFECTIVITJ 629

de sa « sensibilité » et de son « affectivité » dans la structure


ontolo-
gique de l'affection elle-même, dans la structure du sens interne et
dans celle de l'affectivité. Bien , entendu « contenu transcendant »
et « contenu immanent » doivent être prissdans un sen
radical tel que
« transcendant » désigne tout ce qui n'est as la vie elle-même dan
p .s
sa subjectivité absolue, à savoir non seulement les sign'ifications
transcendantes visées par les intentionnalités objectives mais de 1
même manière, les esquisses des choses , leurs a arences subjectives
pp ,
les silhouettes et les données « immanentes » dans la terminologie de
Husserl, à partir desquelles les choses sont constituées. Parce que,
conformément a la structure ontologique de l'affection,^ la sensation
a
toujours deux contenus , la sensibilité dont elle est un mode et qu'elle
de'ter mane se propose necessaarement comme une sensibilité affective et en
même temps représentative , comme le fait d'intui^i ' et
onner un contenu (ensable
affectif dans un acte tonalement déterminé par ce contenudune ' part, et
codéterminé par l'essence de l'affectivité en lui.
Ainsi s'explique et se trouve dissi p ée l'illusi on propre au point
de vue génétique p ar lequel la psychologie positive '
prétend dépasser
le cadre nécessairement tro p étroit où s'enferme la henomenol
p ogre
en se limitant à la seule considération des données de l'ex erience
vecue, l'illusion selon laquelle la sensibilité affective et la sensibilité
représentative constituent deux p hases successives à
l'intérieur d'un
même processus d'évolution.
. processus apparais A l'intérieur de ce
tout d'abord la sensibilité affective dont l'essence demeure d
'ailleurs
dans une obscurité ontolo gique totale, puisqu'elle est comprise ise
encore, en l'absence du concept déterminant de l'auto - affection comme
une affection dont le caractere affectif reste privé de tout fondement
affection elle-même confondue , par ailleurs avec un processus e
.., ^ n
troisleme personne , avec un ensemble de réactions reflexogènes à des
stimulations simples - avec un « automatisme » ( i) . Parce
qu'elle

(i) « ('affection n'est qu'un automatisme », Piiu i ^s , op. cil., 1,6 17.
630 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

n'est pas seulement cela et, conformément au double emplois des


signes en usage dans les sciences positives, retrouve subrepticement
la signification ontologique fondamentale par laquelle elle désigne le
surgissement originel de quelque chose et sa manifestation, appa -
raissant a nouveau sur le pian « psychologique », « parfait décalque
conscientiel de la stimulation neuromotrice qui l'accompagne . »(i),
l'affection est, en cette première phase de son histoire , cette stimu-
lation elle-même et sa réaction consécutive instantanée une sorte de
choc quasi mécanique mais chargé de conscience de cette forme de
conscience confuse, plus précisément, qu'on appelle l'affectivité.
Ainsi se produit « dans des décharges à bout portant, lourdement
affectives », l'excitation initiale où les choses « nous affectent simple-
ment d'abord sans nous donner ... aucune image » (z), ou l'être affecté
et l'affectant ne font pour ainsi dire qu ' un, où le premier sans s'op-
poser encore le second le connaît simplement « dans une communion
intime av& lui », comme il arrive « quand l' objet se fond en nous
dans le torrent inconscient de la vie vegetative» (3).
Ainsi se fait jour la représentation d'une affection originelle
exclusive de toute distance entre l'affectant et l'affecté et de plus
instantanée, d'une affection ponctuelle où l'affectant nous affecte dans
un contact immédiat et précisément comme par un choc analogue
,
à celui qui se produit entre deux réalités contiguës . Pour confuse et,
à vrai dire, impensable que soit une telle représentation -- confuse
parce qu'elle identifie le surgissement de l'affectant à un contact,
aveugle de deux étants, impensable parce qu'en un tel contact il n' y
a précisément aucune affection -, elle laisse pressentir en elle,
avec l' idée de la suppression de toute distance entre l'affectant
et l'affecté -- et si impropre que soit à son tour la figuration de cette
idée à l'aide d'éléments toujours empruntés à un réalisme élémentaire,

(1) P i.Annn s, op, cit., I, 185.


(2) ID., I, 281.

(3) ID., I, 395.


L'APFECTIVIT,É
63I

de ce « contact immédiat"» -- une autre structure que celle de


l'affection et qui la fonde en même temps qu ' elle fonde son affecti-
vité, c'est elle en tout cas qui désigne l a sensibilité sous sa forme
originelle comme sensibilité affective.
A celle-ci succède la sensib ' 't e représentative ,
laquelle se produit
lorsque l' être affecté, cessant de subir l ' affectant dans un contact.
immédiat ou même de se mêler à lui en une fusion quasi mystique, se
retourne contre lui, le tient à distance , n'étant plusatteint
par. lui
que « dans des excitations à retardement qui,de moins en
moins
affectives , de plus en plus capables de retards, nous signifient,
^ dans
des anticipations de plus en plus longues de l ' excitation vive, des
distances de plus en plus grandes de l'excitant lui-même » . Celui-ci
dès lors, n'est plus subi directement mais re
p résenté seulement dans
« un symbole dégradé de son action » qui est sa « qualité » taradis
qu'il est lui-même inséré dans l'espace , « a une certaine distance >y,.
comme « objet » (i ). Ainsi se substituent
aux i mp res sions affectives
primitives « qui remuent », des imp ressions « ui laissent insensib
g les
en tant qu'elles sont seulement représentées , une telle substitution
exprimant l'effort du vivant pour se mettre hors d'attei
rate et ménager
autour de lui un champ inoffensif qui est celui de la représentation.
Cette dermere ne succède donc p as simp lement au re ne primitif
g
de l'affectivité, elle est destinée àme,
mettre en
un tersorte qu 'il
y a entre elles « une relation inverse », comme une diminution
pro-
gressive de i'affectivite tandis que se oppedevel
au contraire' la
representation. elle-même , la sensation representative ou sen
cation
proprement dite qui marque l'aboutissement de ce combat étant
« le type exemp laire d'une impression
p.en qui a l compression pro-
gressive de l'élément affectif a fait saillirpde lus e n plus l' élément
représentatif, c'est-à-dire erce tif » ( 2) .
p p

(i) PRAnnvES, op. cit., I, 281.


(2) ID., I, 450.
Gaz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

L'idée d'une relation inverse entre l'affectivité et la représen-


tation et, aussi bien, de leur apparition successive au sein d'un même
processus temporel ne peut cependant que paraître absurde à la
pensée qui les saisit comme des structures ontologiques en même
temps qu'elle aperçoit leur contemporanéité dans l'essence et le
rapport de fondation qui les unit . La philosophie , précisément, n'a
pas à choisir entre la genèse et la description, laquelle se donne
aujourd'hui pour « phénoménologique », alors qu'elle n'est le plus
souvent qu'un inventaire extérieur de caractères non fondés que la
genèse pour cette raison reconnaît à son tour et énumère dans l'ordre
qui lui convient. La philosophie est l'intuition éidétique de la struc -
ture ontologique de la réalité, comme telle elle prescrit à tous les
phénomènes, et par exemple à la sensation, les caractères essentiels
qui leur appartiennent de toute nécessité pour autant qu'ils doivent
et peuvent être des phénomènes réels. Une telle prescription d'ordre
éidétique a, en ce. qui concerne la sensation , la signification de définir
le lieu où elle se donne à sentir et est éprouvée comme constituant
précisément sa réalité, comme le s'éprouver soi-même de la vie dans
l'immanence absolue de son affectivité.

. § S ]. L'AFFECTIVITÉ COMME FORME UNIVERSELLE


DE TOUTE EXPÉRIENCE POSSIBLE EN GÉNÉRAL
ET COMME FORME DE CETTE FORME . LE CONCEPT PUR DE L'AFFECTIVITÉ

Qu'après cela l'être total de la sensation -- son contenu représen-


tatif irréel et aussi sa réalité comme réalité affective immanente dans
la sphère de la subjectivité absolue se trouve constitué, retenu
dans la rétention, et se profile ainsi comme une unité transcendante,
« immanente » selon la terminologie de Husserl , dans le flux de la
conscience interne du temps, n'affecte en rien le statut ontologique
de la sensation originelle, empêche seulement la pensée de le
comprendre. Car c'est cette sensation constituée qu'inévitablement la
L'AFFECTIVITÉ
633

pensée a devant le regard


. , lorsqu'elie se dirige vers elle pour tenter de la
saisir, comme c'est elle qui intervient delà dans l ' ex perience immédiate
en tant que le contenu représentatif de la sensation contient toujours
aussi en lui la représentation de son être subjectif immanent , c'est^a•
dire de son affectivité. L'erreur de la pensée philosophique n
'est
pas de confondre l'affectivité avec la coenesthésie ,elle réside dans son
incapacité de saisir l'être-originel de celle -ci l'être or iganellement
'
immanent del impres sion comme trouvant sa réalité dans le
se souffrir ,roi-
même de l'être qui la souffre, dans son inca pacité de saisir
l'essence de
l'affectivité elle-même . C'est d'un seul coup, pour une mémé raison,
que s'opère la dégradation corrélative du conce pt de la sensation
originelle et de celui de l'affectivité.
Une telle dégradation est visible chez . Lachelier. Ayant saisi
l'être originel de la sensation comme i dentique a son etre-senti,
c'est-à-dire â son affectivité et bien plus,celle- ci comme constitutive
de l'être- donné-à-soi - même du sujet, c'
est-à-dire de sa subjectivité,
--- « c'est par ce qu'il y a en elle d'affectif qu'elle appartient au
sujet et que le sujet est donné à lui-même» -- l'auteur de P ychologae et
Méiaphysique ( i) se révèle aussitôt faute de disposer
des catégories
ontologiques
. susceptibles fondamentales d'élémenter
son intuition,
incapable de maintenir celle-ci et d'en réserver la i '
p signification
décisive. L'être-originel de l'im p ression est confon du avec
son être-
constitue, avec son insertion dans le cor s ro
p p pre les sensations ne
sont plus précisément que nos affections organi
ques et est dans leur
relation a celles - ci, « c'est parce qu'elles sont liées à
ces affections et
plongent en quelque sorte leurs racines dans nos vi
sceres »que les
choses sensibles « nous sont données et qu'elles '
existent pour nous »,
---- l'être-donné de la chose n'étant plus saisi, ultimement , dans l
'affec-
tivité de la sensation , c'est-à-dire aussi bien dans l
'auto-affection
originelle du sujet constitutive de son être même mais, d ' une maniéré

(I) Op. cit., 35•


M. HENRY
21
6 34 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

absurde, dans la connexion établie entre deux réalités transcendantes,


entre la chose et le monde organique auquel elle est « liée » selon la
représentation naive du réalisme. Insérée dans ce monde organique et
le constituant , constituant la ceenesthésie elle-même, explicitement
comprise comme une première couche de transcendance, la sensation
n'est plus rien d'autre en effet que quelque chose de transcendant,
de telle manière que ce qui fait son être originel , à savoir l'affectivité,
se trouve décidément perdu, de telle manière que l'affectiirité elle-
même se trouve saisie comme un contenu transcendant , extérieur
au sujet et à ce qui constitue l'ipséité en lui : « nos sensations, ou ce
qu'il y a de subjectif en elles , ... sont-elles nous-mêmes ? ... Dire que
nous j ouissons d' un plaisir et que nous souffrons d'une douleur,.
n'est-ce pas avouer que nous sommes quelque chose de distinct de
ce plaisir et de cette douleur (i)? »
La philosophie classique à son déclin et, aussi bien , les pensées
qui croient s'y opposer laissent paraître, en ce qui concerne la sensa-
tion, la même déchéance de son être originel et, par suite, l'oubli
du pouvoir ontologique de donation qui lui appartient en tant que
cet être est identique à l'affectivité elle-même. C'est ce pouvoir d'ac-
complir l'oeuvre ontologique originelle de la donation qui se trouve
confusément pensé sous le concept de la cœnesthésie pour autant que
celui-ci ne désigne pas seulement une dimension spécifique de la
sensibilité , mais plutôt son fondement universel, à savoir l'être-donne
de toute sensation comme telle . Une telle signification qui confère
à la coenesthésie son rôle ontologique fondamental se fait jour lorsqu'il
est dit « qu'il n'y a sensation visuelle que parce qu'il y a sensation
ccenesthésique de l'appareil visuel » et que « ce que comporte d'uni-
quement périphérique la sensation visuelle » ne serait sans ce soutien
« qu'une donnée insuffisante pour prétendre à l'existence », lorsque,
à propos de la vision dans le noir qui implique, en même temps que

(I) Psychologie et Métaphysique , op. cit ., 35-36.


L'.AFFECTIj7IT1 G
3S

«la suppression du périphérique», la subsistance du « cœnesthési ue»


il est affirme précisément qu'une telle vision « ne peut être définie
par une négation qu'à propos . du périphérique » mais que « ccenes-
thésiquement elle est positive », étant, « autant que l'absence de
lumière, la présence de l 'oeil vivant» (r).
La présence du vivant, l'auto-affection de la sensation constitu-
tive de son être-donné originel, de son être et de son essence, et
présente comme telle en toute sensation aussi bien dans la « sensation
visuelle »- pour autant qu'on ne la réduise pas arbitrairement à
son contenu représentatif -- que dans la « sensation coenesthésique
de l'appareil visuel », c'est la cependant ce qui n'est pas pensé, le
phénomène ontologique fondamental de cette auto-affection, au
lieu d'être saisi dans sa structure et dans sa possibilité intrinsèque ,
est au contraire complètement escamoté puisque l'idée qui l'exprime,
le privilege de «l'imme'diatete» en vertu de laquelle, «à propos de ces
sortes de sensations, la chose qui est connue est aussi la chose par
ou elle est connue », se trouve référé à une cause extérieure et
expliqué par elle, «tient uniquement à une disposition physiologique» ..
Encore celle-ci ne concerne-t-elle pas l'auto-affection elle-même et
ne vise-t-elle même plus à la fonder, elle « fournit la matière de la
conscience mais ne suffit pas à la constituer elle-même » (2) 1a
sensation au lieu de porter en elle, comme sensation vivante et dans son
immanence originelle, la possîbihie de l'être-donné n'est plus préc:sement
que la « matière de la connaissance », quelque chose de transcendant qui pré-
suppose hors de soi au contraire une telle possibilité, la p ossibilité de la
connaissance et de l'expérience en général.
De même en est-il dans la philosophie de Sartre où la caenesthésie
parait d'abord sur le plan de l'existence irréfléchie et semble lui
appartenir. Ainsi dans le cas d'une conscience de lecture qui s'accom-

(t) B ÉNÉZÉ, Allure du T ranscendautal, :op, cit., 71-72.


(2) ID., 74-7.
636 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pagne d'une douleur oculaire , • celle-ci n'est en aucune façon un


objet et ne se réfère pas non plus à un corps objectif, c'est seulement
au regard de la réflexion qu'elle peut paraitre telle et se trouve dés lors
connue et nommée comme « douleur des yeux ». En elle-même cepen-
dant une telle douleur n'est pas différente de la conscience de lecture,
elle est son être même , « la matière translucide de la conscience »,
« elle existe par-delà toute attention et toute connaissance , puisqu'elle
se glisse dans chaque acte d 'attention et de connaissance , puisqu'elle
est cet acte même ». La douleur est la texture de la conscience,
l'ineffable de son existence même, ce dont elle ne p eut se sép arer' de
telle manière que le projet de lui échapper échoue inévitablement,
parce que cet « ineffable qu'on veut fuir se retrouve au sein de cét
arrachement même. .., est l'être de la fuite qui veut le fuir » (i).
La douleur ne constitue cependant chez Sartre que l'être-en-soi
de la conscience , « son être-là », « son • rattachement au monde » 9
« sa contingence », elle n'est ce qu'est la conscience qu'en tant
que la conscience n'est pas ce qu'elle est . La douleur est l'être la
conscience est le néant . La douleur n'est ce qu'elle est, n'est donnée
que parce que le néant la néantise . L'être- donné n'appartient pas â
la douleur elle-même ni à ce qui constitue son essence, l'essence de
l'affectivité en elle, il est le fait d'un pouvoir extérieur à celle-ci et
qui est l'extériorité elle-même comme telle. Après avoir identifié
l'être de la douleur et celui de la conscience non thétique , il faut les
distinguer, instituer entre eux un intervalle qui est précisément celui
de l'extériorité. « Pourtant même sur ce plan- d'êtré pur , la dou-
leur... ne peut être existée non thétiquement par la conscience
que si elle est dépassée. La conscience douloureuse est négation
interne du monde, mais en même temps elle existe sa douleur - c'est-
à-dire soi-même -- comme arrachement à soi (z). » La sensation

(x) EN, 398-399•


(2) Ibid.
L'AFFECTIVITÉ 6
37

douloureuse et son affectivité sombrent, dès lors, dans le transcen-


dant, y apparaissent comme un contenu. Non passans comme
doute
l'objet d'une contemplation indifférente et libre comme 1' « objet
psychique » à la douleur qui l'accom pag ne, la conscience de lecture
reste liée invinciblement , mals ce lien est un lien de transcendance
la conscience existe sa douleur, de telle manière que « exister » signifie
,,
« dépasser », de telle manière que la douleur est la texture même de la
conscience en tant que la conscience « dépasse cette texture vers ses
possibilités prôpres » (I) et vers le monde.
Tel est précisément le statut de la ccenesthésie c'est - à-dire aussi
bien du cors plui-même^ e de ce
la que Sartre
contin appelle encor -
gence, la facticité : celui d'une p résence qui hante la conscience
comme ce dont elle ne peut se défaire, comme le terme inévitable
à partir duquel elle se lève. vers le monde et construit ses projets,
étant entendu que cette presence n 'est telle, n'est une presence que par la ds-
lance où la tient la conscience, elle-même identique avec cette distance comme
telle. La coenesthésie est « cette contin gence, cette lourdeur à distance
du pour- soi, qu'il n' est jamais ` mais a à être comme lourdeur dépassée
et conservée dans le dépassement même » , est « la facticité » ( z). C'est
précisément parce qu'une distance s'institue nécessairement comme
identique au pour- soi lui-même, entre celui-ci et la coenesthésie qui
signifie la contingence originelle de son existence, qu'il est ossible et
p
a vrai dire inévitable pour la conscience de prendre attitude à l'é g ard
de cette existence corporelle qui la transit , de la vivre de telle ou
telle façon, de surmonter par exemple sa fatigue, sa douleur, ou de
s'y abandonner dans un projet dont le sens est chaque fois décelable
et conduit finalement par la voie d ' une analyse régressive jusqu'au
projet initial et fondamental du rapport que le Pour -soi choisit
d'entretenir avec sa facticité et avec le monde (s). Vécue dans un

(I) EN, 396.


(2) ID., 162, souligné pax nous.
(3) ID., 533-534.
63 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

projet, toujours « assumée » en quelque manière, l'affectivité inhérente


àla conesthésie et définie par elle est, dans l'existentialisme comme dans
la philosophie classique un contenu transcendante qui trouve hors de lui, dans
,
l'extériorité de la transcendance elle-même la condition ontologique de sa
,
poss:b:hte.
C'est ici le moment crucial d'une problématique de l'affectivité,
celui où ce qui constitue la condition de toute affection et de toute expérience,
à savoir l'affectivité elle-même , se trouve inclus au contraire dans le contenu de
l'expérience et soumis dès lors à ce qui doit en être la condition. Ce q ui
constitue la condition de toute affection et de toute expérience, de
tout ce qui est susceptible de nous être donné, l'être-donné lui-même
considéré en tant que tel, dans sa p ossibilité intrinsè que et dans sa
réalité propre, c'est là ce qu 'on appelle une Forme, l'élément transcen-
dantal du réel et ce qu ' il y a d'ontologique en lui. Telle est precise-
ment l'affectivité, la forme universelle de toute expérience possible
en général, la dimension ontologi que et transcendantale q ui fonde la
réalité de tout ce qui est.
Le concept de la forme, à vrai dire, n'est pas simple. En lui est
inclus d'abord celui de la structure de l'affection pure comme affection
de l'essence par l'horizon qu'elle proj ette Si la forme desi gne . la
structure de l'affection, elle doit elle-même toutefois être possible, sa
propre possibilité, la possibilité ontolog ique ultime de tout ce qui ^.
est, est la forme dans laquelle la forme est, comme forme, donnée à
elle-même, est l'auto- affection de la transcendance . L'affectivité est
la forme de la forme, l 'essence de l'essence Pour cette raison de
.
cette façon, la forme est affective , non p as comme la sim ple forme des
objets, comme la condition ontologique de leur possib ilité, mais en
tant que cette forme d'objets est elle -même possible C'est pourquoi
.
la problématique ne peut se contenter d'énoncer le fait de l'affectivité
de la forme, car l'affectivité n'est p as un caractère de celle-ci, une
propriété énigmatique j ointe à elle et l'accom p agnant comme quel que .
chose d'opaque et d'inintelligible dont on se borne précisément à
L'AFFECTIVITÉ 639

constater la présence . L'affectivité est dans la forme ce qui -la rend


possible, le . s'éprouver soi-même qui la rend ori ginellement précente à elle-même
et susceptible d'agir , bref sa forme la plus intérieure, ce qu'il y a de p lus
intelligible en elle et le princip e ultime de toute intelligibilité,
. son essence.
Quand l'affectivité n'est plus saisie au contraire , sur le p lan
transcendantal lui-même, comme cette pure possibilité ontologique
de ce qui est et comme une forme, comme constituant, bien plus, la
possibilité la plus intérieure de cette p ossibilité et la forme de nette
forme, quand, identifiée à la coenesthésie comprise, non dans son
être originel, lequel réside précisément dans l'élément transcendantal
de l'affectivité pure, mais comme le tout constitué de nos sensations
et par suite comme un contenu transcendant , elle se présente elle-
même et est interprétée comme un contenu de cette sorte, alors la
philosophie entre dans une confusion où nous la vo yons encore
aujourd'hui, ce qui constitue à la fois et identiquement l'essence de
l'aiéctivité et celle de la forme , l'essence de l'être lui-même, est irrémé-
diablement perdu.
Et d'abord, en ce qui concerne l'affectivité , elle n'est plus la
forme ni son essence mais justement un contenu , médiatisé par elle
et la présupposant , parmi beaucou p d'autres , de la vie conscientielle,
étranger ' à l'essence de celle-ci, à la conscience pure et à la p henomé-
nahte pure comme telle , quelque chose d'opaque par conséquent,
d'heterogene à l'esprit, plus ou moins assimilable au contenu im p res-
sionnel spécifique contingent , variable et irrationnel, d'une sensa-
,
tion quelconque ou, pour mieux dire , identique , P récisement, à
celui-ci . Contingente, variable, i rrationnelle , l'affectivité n'est comme
telle rien d'universel ni de nécessaire, rien qui puisse être P rescrit à
priori , par sa structure même, à l'expérience , et s'il arrivait que
cette dernière manifestât partout et toujours un caractère affectif,
ce ne serait encore là qu'un fait imprévisible , une determinat on
apprise au même titre que toutes les autres déterminations qui
constituent ensemble sa « matière ». Parce qu'elle appartient à celle-ci,
640 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

au contenu empirique de notre expérience, l'affectivité n'est pas seule-


ment contingente, variable, irrationnelle, elle partage encore avec
ce dernier son statut, se propose comme un contenu transcendant et ne p eut
apparaître et se donner que dans cette forme. Telle est l'absurdité qui
domine pourtant l'histoire de la philosophie de l'affectivité, car
l'essence de celle-ci, le s'éprouver soi-même constitutif comme _tel
d'une sphère d'immanence radicale et de la vie elle-même dans son
intériorité vivante, ne peut, bien entendu , se trouver réellement
comme être-donné -à-soi effectif, comme sentiment de soi, dans le
contenu insensible et aveugle de l'entité transcendante ni lui appar-
tenir (I).
Quant à la forme, précisément parce que l'affectivité est posée
hors d'elle comme un contenu étranger à ce qu'il y a de proprement
ontologique en elle et à son essence, elle n'est rien d'affectif, la
dureté de l'élément transcendantal si8f ni ie justement l':nafectw:te de la
forme. « La forme transcendantale, dit Beneze, est entièrement
étrangère à l'affectivité . » Ainsi se présente l'expérience comme la
pure manifestation en elle -même inaffective, atonale , d'un contenu
infiniment divers auquel l'affectivité app artient, au même titre toute-
fois que n'importe quel autre contenu Les états affectifs comme les

états intellectuels et les états actifs re çoivent l'encadrement de cette
forme non sensible (z ). » Ce caractère inaffectif et atonal de la mani-
festation pure, c'est là p recisément ce q ui la détermine comme
une connaissance , comme un regard impersonnel et vide une
pure lumière éclairant toute chose mais indifférente à ce qu'elle
éclaire, l' « objectivité » comme telle, avec les significations existen-
tielles et axiologiques afférentes à son concept, --- l'effortvisible dans
la philosophie contemporaine, pour définir l'événement ontologique
de la relation au monde en dehors de la pure théorie , qui n'en est plus.

(i) Tout au plus, l'essence de l'affectivité est-elle susceptible d'être représentée


dans un tel contenu , ce qui est tout différent. Zà-dessus, cf. infra, § 66, 67.
(z) Bue, Allure du Transcendantal, op. cit., 63.
L'AFFECTIVITÉ 641

qu'une modalité, demeurant vain toutefois , aussi longtemps que la


possibilité la plus intérieure de la forme , que la forme de la forme ne
fait le thème d'aucune problématique et n'est pas saisie en elle-même.
Car c'est de cette façon seulement que le rapport est affectif, sur le
fond en lui de son anti - essence, identique précisément à l'affectivité.
Mais quand elle n'est pas référée à cette possib ilité la plus intérieure
de tout ce qui est, l'affectivité de la forme, elle-même saisie désormais
comme la simple forme des objets, comme transcendance , devient
incompréhensible, ne peut plus être que constatée comme un fait
énigmatique et la philosophie, dans cette situation absurde où elle
décrit complaisamment ce dont l'essence lui échappe, n'est plus rien
d'autre en effet que de la littérature.
Ou bien si l'affectivité ne trouve pas son origine dans l'essence
même de la forme et si elle se manifeste pourtant en elle comme un
caractère apparent et irrécusable , c'est qu'elle lui advient de façon
accidentelle, sous une influence extérieure, comme une adjonction
synthétique et parasitaire , comme une altération de la forme elle-même
et de sa pureté ontologique originelle. Une telle situation se réalise
chez Descartes. Que l'affectivité ne constitue point dans le carté-
s anisme la forme de notre connaissance, l'essence de la pensée,
on le voit dans le fait qu'elle la présuppose bien plutôt, que les
modifications affectives ou sensibles de notre âme, les unes et les
autres confondues , ne se proposent à nous, dans l'effectivité de l'être'
manifeste , que pour autant qu'elles sont reçues par l'entendement,
dans le fait que l'âme elle-même en général « ne se conçoit que par
l'entendement pur » (i). Ce qui caractérise au contraire celui-ci,
l'essence de la pensée pure, c'est son hétérogénéité radicale â ce
qu'il y a d'affectif dans la sensibilité et dans le sentiment lui-même,
c'est l'hétérogénéité de la forme & l'essence de l'affectivité et son
opposition foncière â celle-ci . C'est que Descartes comprend précisé-

(I) Lettre à Elizabeth, AI', III, 691.


642 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment cette forme comme l'entendement, comme la saisie ob ljective


non pas seulement des natures simples, mais de tout ce qui se propose
a titre d'objet et peut comme tel, dans cette condition de la forme de
l'objectivité de la représentation et de la transcendance, et par elle,
être quelque chose pour nous. Voilà pourquoi la sensibilité elle-même
et l'affectivité . enveloppent des éléments représentatifs, comme la
condition même de leur effectivité dans l'être-donné. Considérée
in abstracto, comme la simple condition de cette con naissance objective.
et finalement comme l'objectivité elle-même, la forme n'est en effet
comme telle, rien d'affectif. Ainsi prennent naissance dans cette
abstraction de la forme considérée dans son rapport à ce qu'elle rend
possible, non dans sa propre possibilité intérieure l'idéal et la fiction
d'une connaissance pure, d'une pensée pure, étrangère à l'affect vite
et à,.tout ce qui porte en lui l'intérêt de la vie, d'une théorie pure et
« desmtéressée », y
Après cette conception abstraite d'une '
connaissance et dune
pensée pures, ainsi entendues, le cartésianisme se heurte au fait de
l'affectivité de la forme, et cela dans l'évidence irrécusable du cogito
qui rend manifeste l'existence d'Erlebnisse de l'affectivité et de la
sensibilité sentir, c'est encore penser (x). L'affectivité n appartient
plus au contenu de la connaissance, elle apparaît sur le plan de la
forme précisément et concerne penséela comme telle. Com
pure ment
le fait de l'affectivité de la forme, faute d'être référé à lapo ss
ibil`it'
e.
intérieure
. et dernière de celle-ci, se trouve rapporté dans le carte '-
sianisme à l'influence d'une réalité étrangère à la forme mais liée à
elle et qui en altère la nature originellement pure on le sait. Le
corps est cette réalité hcterogene à la pensée pure qui3 agissant
sur elle, la rend affective. Ainsi l'affectivité de la forme rendue
manifeste dans le cogito, c'est-à-dire sur le plan de la pensée pure
elle-même et précisément comme l'affectivité de cette pensée est-elle

(I) cf. AT, VII, 29.


L'AFFECTIVITÉ 643

de façon significative reconnue par Descartes et en même temps


niée par lui, puisqu'elle ne tient pas à la nature de la pensée elle-même,
à la forme en tant que telle, mais seulement à la détermination de
celle-ci par une réalité qui lui est à la fois extérieure et étrangère.
Semblable théorie dont le dessein transparent est en réalité le main-
tien, en dépit de l'évidence , de cette négation, de la • négation de
l'affectivité de la forme en tant que telle, se heurte à une impossibilité
de principe. La détermination de la pensée par une réalité extérieure
ne saurait s'accomplir selon le mode d'un processus causal ou
aveugle, comme une détermination en troisième personne ; préci-
sément parce qu'elle est celle de la pensée, elle se manifeste en celle-ci,
elle est vécue par elle, la passivité qu'elle implique est éprouvée
comme telle. La détermination de la pensée signifie nécessairement
l'affection . Mais l'affectivité est la possibilité dernière et l'essence. de
toute affection possible en général. . Loin de pouvoir la fonder,
l'affection de la pensée par une realité etrangere presupp p ose au
contraire l'affectivité de cette pensée comme sa condition.
C'est comme constitutive de la forme elle-même en tant que
telle qu'apparaît au contraire , et cela d'une manière tout à fait insolite
non seulement dans le cartésianisme mais à l'intérieur de l'histoire
de la philosophie en général, l'affectivité chez Malebranche. La
signification ontologique décisive reconnue par Malebranche au
concept de l'affectivité tient à ce que celle-ci constitue précisément la
dimension originelle d'existence mise en évidence dans le cogito et
identique à ce dernier à l'essence de la conscience pure et à l'âme
,
elle-même, la dimension originaire et fondamentale de la phéno-
menalite dans son opposition irre`ductible à celle de l'idée, â la
phénomenahté de la spatialite transcendantale du monde pur ou de
1' « étendue ». L'affectivité ne s'oppose pas simplement, toutefois,
comme constitutive de la dimension originaire de la phénoménalté
de la conscience pure et, du même coup, de l'existence originelle, à
l'idéalité pure de l'étendue , elle la fonde . L'idée, en effet, ne trouve
644. L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la condition ontologique suffisante de son existence dans laspatialité


pure de l'étendue intelligible que pour autant qu'on ne considère
en elle que son contenu représentatif, que sa réalité objective,
comme dit Malebranche, dont la phénoménalité, c'est-à-dire la
réalité, se révèle constituée précisément par celle de l'étendue et
lui est identique. A ce contenu représentatif dont la phénomé-
nalité ou la réalité est l'étendue, l'idée, il est vrai, se trouve
identifiée par Malebranche, c'est. comme telle réduite à sa réalité.
objective, considérée comme une pure détermination de l'étendue
intelligible et comme un mode de celle-ci, qu'elle s'oppose à l'âme
et lui- est irréductible:
Considérée comme une mode de l'étendue cependant et bien
que celle-ci lui confère la positivité de sa rationalité interne et ce
caractère rigoureux en vertu duquel elle s'impose à l'esprit, l'idée
n'est encore qu'une abstraction, ne devient réelle que pour autant
qu'elle est reçue. L'être-reçu de l'idée, c'est là sa forme, identique
^
a .
la pensée elle-même. L'affectivité est cette forme. En tant qu'elle
présuppose celle-ci et que son être réel, au même titre que celui de
la sensation, consiste dans son être-donné-à-soi-même, dans l'être-
senti, l'idée, comme la sensation p recisement
De est affective.
meure
l'entendement est affectif en son fond en tant que celui-ci consiste
dans l'être-donné-a-soirmême du pouvoir qui se représente le contenu
objectif de l'idée, dans l'être-donné-à-soi de l'entendement lui-même.
Cet être-donné-à-soi-même comme être-donné-à- soi de l'entende-
ment, de l'idée ou de la sensation n'est là précisément l'essence de la
pensée, de l'âme, de la conscience l'essence de la formes Quecelle-
ci,
que l'être-donné-à-soi-même considéré en tant que tel, que l'auto-
affection réside dans l'affectivité, là est le pressentiment génial de
Malebranche, de telle manière que pour lui la pensée' la conscience
l'âme ne sont^ pas. seulement affectives, elles sont constituées par
l'affectivité elle-même comme constitutive de la forme. Telle est
telle devrait être la signification ultime de l'affirmation selon laquelle
L'AFFECTIVITÉ 645

l'âme ne se connaît point elle -même par idée, et cela parce que,
n'étant pas séparée de soi , elle se sent elle-même.
Mais, on l'a vu, la permanence des présuppositions cartésiennes
qui réservent l'intelligibilité à la connaissance objective, c 'est-à-dire
finalement à l'étendue , empêchent la pensée de Malebranche, égarée
par ailleurs par ses propres présuppositions religieuses et son inter-
prétation aberrante de la finitude de l'âme humaine et de son obscurité
intrinsèque, de rester fidèle à son intuition initiale et centrale. Le
se-sentir-soi-même de l'âme qui la constitue, son affectivité n'est
plus comprise comme un pouvoir ontologique mais, à la lumière de
l'idée de cette finitude et de cette obscurité, comme quelque chose
d'opaque, comme un simple fait et comme un contenu empirique
qui, loin de pouvoir fonder l'intelligibilité du réel, lui est au contraire
irréductible. L'inévitable réception de l'idée par l ' âme, son appar-
tenance nécessaire à une forme en elle-même obscure et inintelli-
gible, à un entendement précisément affectif, devient, dès lors,
incompréhensible . Aussi voit on de façon significative Malebranche
-
être soucieux de minimiser ce caractère affectif de la forme , distinguer
du sentiment proprement dit et de tout ce qu'il comporte de lourd,
d'obscur et enfin de proprement affectif, le simple sentiment inté-
rieur qui n'est qu'un mot finalement pour désigner la conscience
et dont l'affectivité est nulle. Car il convient d'éviter la contamination
par celle-ci et par son irrationalité intrinsèque, par la confusion non
provisoire mais insurmontable et en quelque sorte essentielle qu'elle
porte en elle, de l'idée pure dont il est dit encore , pour cette raison
précisément, qu'elle ne fait que « toucher légèrement l'âme ». L'inté-
riorite fondatrice de la forme , le concept même de celle-ci se trouve
éliminé, remplacé par la représentation grossièrement réaliste d'un
« contact », d'une intrusion réelle, bien que réduite au minimum, de
l'idée dans l'âme et de la modification qu'elle y détermine et qui est
tout autant et davantage une modification de l'idée par l'âme, une
altération par cette dernière du principe de toute intelhgibilité
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Bref, l'interprétation ontologique de l'affectivité est perdue, tandis


que celle-ci n'est plus rien d'autre q u'un « contenu em piri que » .
Quand la problématique est capable au contraire de conserver
au concept de l'affectivité sa signification ontologique radicale il
lui reste encore a faire sienne cette p rop osition : l'inter rétation de
p
l'affectivité comme constituant, non un contenu déterminé de l'ex é-
. p
rience, mais sa forme, comme forme universelle et ure, et, bien lus
p p
la forme de cette forme et sa possibilité la lus intérieure , n'a oint
p p
pour effet de rejeter l' idée de contenu en général hors du plan rigou-
reusement ontologique où elle se meut, hors de la forme elle-même.
L'affectivité précisément a un contenu , Elle dérigne l 'essence dont
le propre., est de se sentir soi-même,
, de s'éprouver
de soi-même
telle manière que, dans ce s'é p rouver soi-même ui la constitue
q
elle se donne à elle-même telle q u'elle est, dans sa réalité . C'est sur
le fond en lui de cette essence , qui est la sienne , de l'essence de 1 affec
tivite, que tout sentiment est par nature ce q u'il est le sentiment de
soi. Être le sentiment de soi veut dire avoir un contenu , non n'im-
porte lequel, veut dire avoir pour contenu ce qu'on est soi -même,
sa propre réalité . Telle est récisément la forme en tant que sa propre
forme est constituée par l'affectivité : le sentiment de soi. La forme
est à soi-même son propre contenu . Pour cette raison^réci '
sèment
elle est possible, parce que, donnée à soi-même être ce qu'elle est, elle
pour
est comme telle seulement susceptible d'agir .
Pour cette raison aussi, parce que sur le fond en elle de sa possi-
bilité la plus intérieure , de sapropre
forme la forme est affective >
a un contenu, à savoir ce contenu qu'elle est elle-même, elle n'est
pas vide . L'opposition classique i nstituée entre la forme de la connais-
sance, comme forme « vide », et le contenu comme contenunéces- '
sairement étranger à cette forme perd ses droits. Assur'eurent l'inter-
prétation de la forme de l'expérience , telle qu'elle s'accomplit dans ,
le monisme, est suscep tible, lorsqu'elle se situe sur un plan ontolo-
gique, comme elle le fait chez Heidegger , de lui reconnaître un contenu
L'AFFECTIVITÉ 647

propre , comme contenu « pur » et lui- même ontologique . Mais, la


problématique l'a montré, l'horizon pur que développe la transcen-
dance ne constitue pas le contenu réel de celle -ci. C'est pourquoi .
un tel développement, la forme elle- même considérée dans son
rapport à ce qu 'elle rend possible, n'est pas elle-même possible,
aussi longtemps que son être originel et, par suite, la possibilité
d'agir, ne lui sont pas donnés dans l'être-donné originel qui la
constitue. Dans l'af ftctivité seulement et en tant qu'elle est constituée far
elle, la forme trouve son contenu réel, comme contenu immanent.
L'interprétation ontologique de d'affectivité comme constituant
la possibilité universelle et dernière de l'experience et comme sa forme
permet seule de comprendre le rapport de celle-ci et de son contenu
comme contenu ontologique et pur, constitué par la forme elle-même
et identique à sa réalité. Ainsi se trouvent écartées non seulement la
conception classique d'un contenu par principe hétérogène à la
forme et comme tel non ontologique , la conception heideggerienne
d'un contenu pur, ontologique, mais irréel, étranger encore, par
suite, à la réalité de la forme, mais encore celle de Malebranche,
dont le trait le plus remarquable est la reconnaissance du contenu
de l'affectivité, c'est-à-dire de la forme, comme identique, dans son
immanence radicale, à cette forme elle - même et à sa réalité. C'est
là en effet ce qui caractérise tous nos sentiments, le fait qu'ils appar
tiennent à l'âme, et cela non seulement par leur forme , c'est-à-dire
en tant qu'il sont sentis par elle, mais encore par leur contenu,.
lequel n' est rien de transcendant ni d'objectif à quelque degré que
ce soit, rien d'étranger à la réalité même de l'âme, mais se trouve au
contraire constitué par elle. Par là j ustement le sentiment s'oppose
a l'idée dont la forme seule au contraire réside dans l'âme et lui est
identique , tandis que son contenu est situé hors d'elle, se propose
comme un contenu représentatif, comme une « réalité objective »
qui n' est pas seulement extérieure à celle de l'âme mais encore tota-
lement indépendante par rapport à elle. Ici pourtant se lève cette
648 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

évidence : considérée dans sa forme, comme une pure mod fication de lame,
l'idée a un contenu, identique à l' âme et constitué par la propre réalité de
celle-ci, un contenu originel, radicalement immanent et qui lui appartient
nécessairement. C'est là en effet ce qui appartient de toute nécessité
à la forme en tant qu'elle est ultimement possible , en tant qu'elle
est constituée par l'affectivité , un contenu, comme contenu identique
à sa propre réalité. Et c'est là aussi ce qui fait sa réalité, la réalité
de l'élément ontologique de l'expérience , de la pure possibilité
ontologique considérée en tant que telle, le fait qu'elle n'est jamais
une forme vide, le pur milieu de transparence à travers quoi on
parvient à autre chose, mais ce qui, à travers sa propre transparence,
parvient d'abord en soi , le sentiment, l'affectivité.
A cette prescription ultime de l'essence de la forme, l'idée, en
tant qu'elle est elle-même nécessairement forme, n'échappe pas,
comme telle, précisément, elle est affective et se trouve constituée,
dans son être originel, comme sentiment de soi. Et de même que
l'idée a nécessairement, comme affective , un contenu originel imma-
nent, ce que Malebranche n'aperçoit pas, de même la sensation,
contrairement à ce qu'il affirme, et précisément parce qu'elle s'accom
plit dans le sens et porte ainsi en elle la structure ontologique de
l'affection, a un contenu transcendant , se propose toujours et néces -
sairement comme une sensation representative . L'inclure dans
l'âme, la considérer tout entière comme une modalité de celle-ci,
c'est insérer dans le flux orig inellement immanent de la vie absolue
des éléments qui lui sont ontolog- iquement hétérogènes et en même
temps, réserver de façon arbitraire à la réalité objective de l'idée,
à la nature simple cartésienne , le privilège de l'extériorité qui appar-
tient aussi bien en réalité à l'image ou à la sensation elle-même . Consi-
dérée comme affective, dans sa réalité, la sensation assurément n'est
rien de transcendant ni d'obljectif, mais il en est de même pour l'idée.
En cela consiste précisément l'affectivité, dans l'immanence radicale du
contenu comme identique à sa forme, à l'affectivité elle-même.
L',AFFECTI VITÉ
649

L'interprétation ontologique de l'affectivité comme constituant


la forme universelle de l'expérience , sa possibilité intérieure ultime
et, de la même
. manière, son contenu comme contenu ontologique et
pur identique a la forme elle - même et à sa réalité, met la problema-
tique en presence d ' un concept pur de l'affectivité , écarte la com-
préhension de celle-ci à ^partir de l'être de la sensibilité empirique
son assimilation à un contenu spécifique , déterminé et lui-même
« empirique •». Car la sensation sans doute est affective et bien plus,
elle l'est dans sa spécificité . L'affectivité de la sensation ne signifie
. .
rien de plus cependant, la problematique
. l'a montré, que son être-
donné-à-soi- même, elle est en elle sa propre forme comme forme
pure et par elle-même non empirique, la forme transcendantale et
fondamentale de l'auto -affection constitutive de la réalité de la sen-
sati on comme de toute réalité possible en general. C'est en tant que
pure, comme accomplissant l'oeuvre de la donation originelle dans
1 autodonaton a soi-même de tout ce qui est, que l'affectivité est
présente dans la sensation , comme sa pure possib ' te ontologique,
.
constitutive de sa réalité et identiquea celle - ci, que l'affectivité
est présente, de même, dans l'idée, dans l'imagination et dans toutes
les déterminations de ia vie, en tant qu'elle constitue l'essence de
celle-ci: Car c'est là encore ce qui caractérise la forme en tant qu'elle
est constituée par l'affectivité, à savoir qu 'elle n' est pas une structure
vide présupposée par toute chose et, aussi bien, la presupposant pour
que la réalité soit, une abstraction qui par elle-même n'est encore rien
mais, précisément, a vie elle-même et son essence.
L'interprétation ontologique de l'affectivité et corrélativement
la dissociation qu'elle institue entre son concept et celui de la sensi-
b' 'té empirique mettent en cause les présuppositions implicites
ou avouées sur lesquelles repose toute la philosophie classique de
l'affectivité et qui se trouvent contenues et résumées par exemple ,
et cela de façon remarquable, dans la théorie kantienne du res pect o
C' est pourquoi la critique de celle - ci a une signification générale en
G 5 o L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TION

même temps qu'elle se propose à la problématique comme une répé-


tition de ses évidences fondamentales concernant la nature et l'essence
de l'affectivité.

4 L'INTERPRÉTATION ONTOLOGIQUE DE L'AFFECTIVITÉ


COMME FORME ET COMME AFFECTIVITÉ PURES
ET LA PROBLÉMATIQUE KANTIENNE DU RESPECT

La présupposition jamais mise en question et donnée comme


allant de soi qui commande la p roblémati que kantienne du res p ect,
est l'interprétation de l'affectivité comme constituée p ar le contenu
de la sensibilité empirique et comme trouvant en celle-ci son fonde-
ment. En tant qu' elle est constituée p ar le contenu de la sensibilité
empirique, l'affectivité est réductible à des « états » tels que ceux du
plaisir, de la douleur, de l'agréable, du desagreable, sans que jamais
ce qui fait de chacun de ces états , quelle que soit sa s p écificité , quelque.
chose d'affectif, bref l'essence de l'affectivité en lui soit prise en
considération par la pensée kantienne , laquelle s'insère, à cet égard,
dans une tradition qu'elle ne commence ni ne finit . Ce qu'il y a cepen-
dant de commun entre tous ces états et p eut à ce titre caractériser
l'affectivité , c'est leur condition, le fait précisément qu'ils se ro osent
p p
chaque fois comme un contenu du sens interne . Que l'affectivité
appartienne à la structure ontologique de celui-ci et la constitue
en son fond, comme sa possib ilité la plus intérieure, comme la possi-
bilité
'té de l' affection pure elle-même, n ' est ni envisage ni même pen-
sable. Le sentiment n'est pas seulement , au contraire, le contenu du
sens interne, il en est le contenu emp irique et doit comme tel être
mis en relation non seulement avec la forme p ure de la sensibilité
mais encore avec un pouvoir empirique et avec la structure psycho-
physique ou psycho -physiologique de l'homme, avec ses sens, ses
besoins, ses tendances. Ainsi l'affectivité est-elle de l'ordre de la
« nature » et, comme telle, livrée au mécanisme. Par celui-ci, il est
L'AFFECTIVITÉ
6si

vrai, il convient d'entendre , non le processus aveugle qui régit les


objets, mais le jeu en sorte
quelque psychologique en vertu duquel
le sujet poursuit en général la satisfaction de ses besoins , recherche
l'agréable , le plaisir et se trouve ainsi déterminé c'est '
la le « méca-
nisme » - par le sentiment compris dans sa connexion
avec la
nature empirique de l'homme et comme l'ex p ression de
celle-ci.
Parce qu'il est ainsi compris dans sa connexion avec la nature empi-
rique et psychophysique de l'homme comme ce qui l'exprime et en
résulte, le sentiment , tout sentiment en général est, selon l
'affirmation
explicite de Kant , « pathologique » (i).
La détermination de l'être du sentiment à partir de la nature
sensible et empirique de l'homme et comme trouvant en celle-ci,
dans le moi pathologique identifié à l'ensemble de nos penchants
et lui-même compas comme la faculté empirique '
de désirer, son
origine, l'absence corrélative ou plutôt la négation explicite de tout
concept ontologique ou pur de l'affectivité pose un pnoble me lorsque
le sentiment intervient à l'intérieur de p lamanque
roblé ' kantienne,
non plus sur le plan de la nature à laquelle il appartient, mais sur
celui de la moralité . Car c'est comme radicalement et
essentiellement
pure dans son concept que se ro ose chez Kant lade
oralité, m
telle manière qu'elle ne se révèle gère
as seulement étran
a la nature
mals ne peut encore être pensée et, bien plus , se reallser que dans
son opposition foncière à celle-ci. Le libre développ eurent
de nos
penchants , la prétention de les suivre et d'eriger ainsi
les principes
subjectifs et empiriques de détermination du libre arbitre en
cipes objectifs
de la determination de la volonté prin-en eneral bref
l'amour , g '
de soi qui, s'il se donne comme principe pratique incondi-
tionne, s ' appelle encore présom d on, c'est là
. p ^ que J ustement ceL
moralité a pour tache de contraindre et de combattre. Comment ce
qui est ainsi combattu p ar la morale et en tout
cas foncièrement

(I) R, 79.
652 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

étranger à son essence, comment un sentiment en lui-même et par


nature empirique, sensible ( i) et pathologique est-il susceptible au
contraire d'entrer, à titre d'élément lui appartenant, dans le système
pur de la moralité comme le comprend Kant ?
Tel est pourtant le cas du res p ect, comme res p ect p our la loi
morale. L'hétérogénéité du respect, comme sentiment, et de la
moralité, comme excluant tout élément em p iri que, expli que la ten-
tative faite par Kant pour minimiser d' abord le rôle du premier à
l'intérieur de la seconde, l'affirmation selon la quelle il ne saurait en
aucune façon la fonder, selon laquelle la moralité en général ne peut
reposer sur un sentiment ni être déterminée par celui - ci. « Il ne faut
pas admettre .., une espèce particulière de sentiment qui serait anté-
rieure à la loi morale et lui servirait de fondement. » « Il n'y a p oint
antérieurement dans le sujet de sentiment qui le déterminerait à la
moralité (z). » L'appartenance d'un sentiment au système pur de la
moralité subsiste ce pendant comme une eni g ripe, celle^ci, bien plus,
se transforme en un paradoxe incompréhensible quand il app araît
.
que le rôle de ce sentiment est en réalité loin d'être secondaire, Le
respect sans doute ne fonde pas la loi morale qui trouve au contraire
son origine dans la Raison Pure elle-même, comme Raison Pratique.
Mais la loi morale n' est pas la moralité, laquelle réside tout entière
dans l'intentionnalité du sujet comme essentiellement soumis à la loi
et désireux de l'accom plir p our elle,même. Une telle intentionnalité
est le respect, Loin d'être dans le sujet un s:m le élément capable ou inca-
pable de le de'terminer à la moraltie, le respect constitue l'essence de celle-ci,
La détermination du respect comme constituant , non un élé-
ment accessoire â l'intérieur du système p ur de la moralité, mais
l'essence de celle -ci, explique l'embarras de Kant, les méandres
de son anal yse et son résultat inconsciemment recherché à savoir

(I) t Tout sentiment est sensible ^, R, 79•


(2) 1x., 78-79.
L'AFFECTIVIT.É 653

l'escamotage de la nature affective du respect, c'est-à-dire de ce ui, en fin de


q
compte, fait de lui ce qu'il est, et cela au profit de son « origine » ou encore de
sa« signification ». L'origine du res pect réside dans le fait ue la loi
q
morale, en s'opposant à la nature ; empirique de l'homme et au libre
développement de ses penchants , exclut l'amour de soi, porte préju-
dice à notre présomption , nous humilie (i). L'humiliation , c'est là
ce qu' est le respect en tant qu' il est l'effet de la loi morale sur la
sensibilité, en tant que celle-là abaisse celle - ci et lui donne à sentir
sa bassesse. « Comme effet de la conscience de la loi ...ce sentiment...
s'appelle humiliation . » Comme tel, comme ff e et de la loi sur la sensibi-
lité, et en tant que cet effet appartient à la sensibilité elle-même en est une
détermination, comme sentiment précisément, le res ect est encore
p
quelque chose de sensible , de pathologique. « L'action négative
sur le sentiment est, comme toute influence sur le sentiment et comme
tout sentiment en général, patholog:que (z) , »
Le respect n'est ce qu'il est, ce p endant, n'est dans la sensib' 'té
sa propre humiliation, que pour autant qu'il résulte de la loi morale.
C'est dans cette relation a la loi morale seulement en effet en tant
que la représentation de celle-ci, p ar le fait même qu'elle nous humilie
et dans la mesure ou elle le fait, excite , comme le dit Kant, « le respect
pour soi-même », que ce dernier est ce qu'il est, non seulement l'humi-
liation de la sensibilité, mais precisément le res p ect de la loi morale.
Celle-ci a donc sur le sentiment une double action, l'une négative
par laquelle elle l'humilie, lui et la sensibilité à laquelle il appartient,
l'autre positive par laquelle elle le détermine dans sa relation à elle-
même comme respect poux la loi. Conformeront à cette double
action sur lui de la loi morale, le respect présente deux aspects,
de telle manière que quel que soit l'aspect sous lequel on le considere,
comme respect pour la loi, bien sûr, mais aussi comme l'effet négatif

(I) Cf. R, 78.


(2) ID., .79.
6 5 4 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de celle-ci sur la sensibilité, comme humiliation, il résulte en tout


cas du principe suprême de la raison pure pratique, à savoir de la loi
morale elle-même. Celle-ci constitue ainsi la cause du res ect et
p
son origine véritable comme origine purement intellectuelle, c'est -
à-dire non sensible . C'est sur ce caractère purement intellectuel non
sensible, de l'origine du respect , que s'appuie l'analyse kantienne.
pour établir entre celui- ci et la sensibilité empirique ou pathologique
à laquelle il appartient par nature au même titre que n'imtorte quel senti-
ment, une dissociation ontologiquement impossible, donnée ourtant
p
comme radicale et qui ne peut être telle p récisément que p our autant
que le caractère affectif du respect, c'est-à-dire son essence est tenu
en lui pour un fait négligeable,
Ici s'accomplit l'escamotage par lequel un sentimexrt se trouve
vidé de son affectivité , c'est- à-dire de ce qui constitue ro rement la
p p
positivi té de sa réalité interne, pour n'être plus rien qu'un concept
défini par l 'ensemble des rapports idéaux qu 'il entretient avec les
autres éléments purs du s ystème de la mor alité, avec la loi morale
et par sa médiation avec la raison pure elle-même . Ainsi est rendu
homogène à celle-ci ce qui en diffère pourtant, selon Kant, ontolo-
giquement. Ainsi l'origine et la signification du res ect, c'est-à-dire
p
précisément son insertion dans le système de la moralité, sa défini,
tion purement extrinsèque à partir de ce dernier , se trouvent-elles
substituées en luis la considération de sa nature et de ce qu'il est.
« Le sentiment sensible, qui est le fondement de tous nos enchants
p
est sans doute la condition du sentiment (Empfindung) que nous
nommons respect, mais la cause de la détermination de ce sentiment
réside dans la raison
pure pratiqueet suite ce sentiment ne peut,
, par
à cause de son origine , s'appeler pathologique, mais doit être a elé un
pp
effet pratique. » La substitution à ce qu 'est le respect - à savoir une
sensation --, et que Kant donne ici de façon impropre mais signi-
ficative pour une simple « condition », de son origine, permet donc
.,
que soit levée l'incompatibilité de ce sentiment avec la moralité
L'AFFECTIVITÉ 655

qui « doit être libre de toute condition sensible » ( I), et de l' appeler
précisément un « sentiment moral» (z).
Que la singularité en vertu de laquelle un sentiment se manifeste
finalement comme quelque chose de moral, tienne uniquement à son
origine , comme origine extérieure à ce qu ' il est toutefois, et à sa
nature, au caractère extrinsèque , par conséquent, de la définition
qui en est donnée, on le voit dans l'échec auquel se heurte Kant
quand il se propose au contraire de faire apparaître cette singularite
sur le plan du respect lui-même . Le respect, dit-il alors, en une propo-
sition célèbre, s'applique toujours uniquement aux personnes , jamais
aux choses ( s). C'est là, on le remarquera cependant , définir le
respect par son objet, c'est-à-dire encore, par un élément etranger
,
à son affectivité, et croire que parmi tous nos sentiments le respect
est le seul dont l'objet ne soit pas nécessairement sensible, est juste-
ment une présupposition, contraire à l'expérience en ce qui concerne
les autres sentiments, et qui reste précisément à fonder sur le plan
ontologique en ce qui concerne le respect lm-même. C'est l'affectivité
de celui-ci au contraire qui est, semble-t-il, prise en considération
lorsque, toujours pour faire apparaître la singularité de ce sentiment,
c'est-à- dire en fait son caractère non sensible Kant l'oppose au
,
plaisir et a la peine, de telle manière toutefois que cette définition
reste purement negatlve, dit ce que le respect n'est pas, non ce qu'il
est en lm-même, dans la réalité de son affectivité prop,re. Celle-ci,
la réalité affective spécifique du respect permet seule de l'opposer
,
à d'autres tonalités affectives comme le plaisir , l'agrément, la peine,
elle seule nous permet d'abord , précisément parce qu'elle constitue

(Y) R, 79, souligné par nous.


(z) « Ce sentiment ( sous le nom de sentiment moral) est donc exclusivement
produit par la raison ... Quel nom s'adapterait mieux à ce sentiment singulier, qui
ne peat être comparé à aucun sentiment pathologique ? Il est d'une nature si parti-
culière qu' il parait être exclusivement aux ordres de la raison et même de la
raison pure pratique » (ID., 8o).
(3) ID., 8o.
G S G L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sa réalité, de saisir ce qu'il est, c'est elle enfin qui fait la force secrète
de ce sentiment et, par contrecoup, celle de la théorie qui s'appuie
sur lui. La détermination de la réalité affective spécifique du respect,
c'est-à- dire du respect lui-même, présuppose cependant un concept
pur de l'affectivité qui fait totalement défaut à Kant. C'est pourquoi
au lieu de se proposer comme une distinction immédiate reposant
sur ce que l'affectivité du respect a de spécifique , l'opp osition . de
celui-ci aux déterminations affectives de la sensib ilité empirique est
établie à l'aide d'ar guments, de raisonnements, bref d'un ensemble de
considérations médiates (i), qui font de cette o pp osition le terme
d'une déduction, comme est déduite en général, faute d'étre saisie en elle-
même, la nature du respect, et cela à partir d'un contexte étranger à celle-ci
à partir de son « origine »

La définition extrinsèque du respect a parhr de son « origine » ce en


fiant, à partir d'une réalité étrangère à sa propre réalité, loin de ouvoir
p
escamoter celle-ci, à savoir son affectivité et l'essence de l'affectivité en lui,
y ramène au contraire inévitablement. La définition du respect à part ir de
son origine conduit à la loi morale comprise comme cette origine
même, le respect est précisément le respect de la loi et n'est intell-
gible que comme tel. La loi n'est susceptible toutefois> de susciter
à son endroit le respect du sujet que pour autant qu'elle affecte celui-ci,
pour autant qu'elle est représentée par lui. La représentation de la
loi, c'est là la condition ontologique du respect. Le sujet sans doute
ne se représente pas seulement la loi dans le respect, il se la represente
comme ce à quoi il doit se soumettre, de telle manière que cette
nécessaire soumission du sujet, comme réception par lui de ce qu'il
a lui-même librement prol' ete, apparti ent, au même titre que cette
projection , à la structure ontologique de la représentation et la
constitue. L'affection du sujet par la loi, telle qu'elle s'accomplit
dans la représentation de celle -ci, présuppose encore, toutefois,

(I) cf. R, 8i, 82.


L'AFPECTIVITfl G$7

la condition ontologique universelle de toute affection possible en


général, l'auto- affection de l'acte qui projette et qui reçoit , l'affectivité.
A la question proposée par Kant comme une énigme impénétrable
à la raison speculative, celle de savoir comment une representation
pure peut être liée à une tonalité déterminée , comment est possible
« l'influence d'une idée simplement intellectuelle sur le sentiment» z
il est répondu quand l 'affectivité est com prise, non p as comme liée
seulement à cette idée pure, mais comme appartenant à la structure
de sa représentation et comme la possib ilité la plus intérieure de
celle-ci. Ainsi la relation à 1a loi dans la représentation revêt-elle,
en vertu d'une nécessité édétique , la forme de l'affectivité, la q uelle
constitue la réalité de cette relation elle-même, la réalité du respect
défini comme la représentation de la loi.
Le respect, toutefois , n'est p as défini seulement par Kant comme
la représentation de la loi, comme l'affection par elle de la conscience
pure. Précisément. parce que celle-cl n'est rien d'em piri que et comme
telle, selon Kant, rien d'affectif, parce que son affection par la loi,
c'est-à-dire par la forme pure du principe universel de la raison pra-
tique, exclut elle aussi l'affectivité, la quelle n'est point comprise
comme la possibilité ontologique ultime de cette affection pure ni
comme son essence , le respect, comme sentiment , présuppose
nécessairement l'intervention d'un élément autre que la forme. En
même temps que la représentation de la loi, le respect doit se com-
prendre comme l'effet de celle-ci sur la sensibilité empirique. « La
conscience d'une libre soumission de la volonté à la loi, unie ce en=
dant a une coercition inévitable qui est exercée sur tous les penchants, mais
seulement par notre propre raison , est donc le respect pour la `loi. »
Pareille coercition est encore désignée explicitement par Kant comme
un « effet subjectif sur le sentiment » (z). Comment comprendre un

(I) F, 84•
(z) Ibid., souligné par nous ; 8.
65 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tel « effet », l'effet de la loi sur la sensibilité empirique ? Quel sens


donnera cette action du produit de la raison pure sur la sensibilité
empirique de l'homme
Ici doit être dénoncée l'ambiguïté fonciére du concept kantien
de la sensibilité selon qu'il désigne l'affection de la conscience pure,
c'est-à-dire de la raison elle-même, par la loi qu'elle produit ou au
contraire l'action de celle-ci sur la subjectivité em p iri q ue, l'affection
pathologique du sentiment. Dans le premier cas, le concept de
sensibilité a une signification ontologique radicale, il désigne la
possibilité même de l'affection et sa structure comme constituée par le
sens interne et, ultmement , par l'essence de l'affectivité en lui.
C'est précisément parce que celle-ci constitue , conjointement avec la
transcendance et comme son fondement ultime, l'essence de l'affec-
tion pure, que la détermination de cette essence , c'est-à-dire de la
conscience pure elle-même, par ce qu 'elle projette se propose néces-
sairement comme une détermination affective et, dans le cas de
l'affection par la loi c'est - à-dire par le principe suprême de la raison
pratique , comme le respect. Mais il s'agit là d'une détermination
affective pure, d'un sentiment pur auquel Kant n'entend rien.
En ce qui concerne l'action de la loi sur la sensibilité empirique,
la détermination pathologique de celle-ci ne peut s 'accomplir, main-
tenant, selon un processus aveugle comme celui de la causalité
naturelle, elle . signifie encore une affection , et c'est ainsi que Kant la
. désigne en dépit de son caractère pathologique . La sensibilité empirique
ne peut toutefois être affectée par la loi que pour autant qu ' elle porte
en elle, comme un pouvoir ontolog ique et pur, celui d'être affecté en
général par quelque chose . Un tel pouvoir est précisément la sensi-
bilité pure, la structure pure de l'affection et son essence ultime,
l'affectivité . Quand ce pouvoir est déterminé par la loi, c'est-à-dire
par la forme d'un principe universel, :il l'est par un objet pur. Dans
l'affection de la sensibilité par la loi il n'y a rien d'empirique. Bien
plus, l'idée d'une affection pathologique de la loi, d'une affection par
L'AFFECTIVITÉ
659

elle de la sensibilité empirique est, point


au de vue ontologique,
une absurdité. Pareille absurdité s'introduit dans le système kantien
a la faveur d'un nouveau concept, non ontologique de la sensibilité,
laquelle ne désigne plus, dès lors, ce qu'elle est le pouvoir d'être
affecte mais son contenu, comme contenu empirique, toutefois
codetermine par la nature psychophysique de l'homme. Encore un tel
contenu n'est-il pas ris pour ce qu'il est sur lui p ese
e ldiscrédit
ethico-religieux qui trouve son origine dans la formation personnelle
de Kant. Ainsi se propose maintenant la sensibilité comme quelque
chose d'opaque, d'irrationnel, d'hétérogène à l'esprit, comme repré-
sentant dans l'homme un élément inférieur, en relation avec la nature
plus ou moins marque par le mal et, ^ du
point de vue
ontologique,
comme le contenu qualitativement différencié, variable et contingent
du sens interne, contenu étranger a a forme, c'est-à-dire a son pouvoir.
Comme feue la sensibilité ne peut précisément étre a eceee par rien. L'affec-
tion par la loi de la sensibilité ainsi entendue (de même en serait-il
dans le cas de son affection par un objet l empirique)
gne si e mfi
plus qu'une action comme celle qui peut exister entre des choses, leur
choc ou leur « union », une sorte de mélange objectif, -- n'est lus
une affection, ne signifie plus rien du tout.
L'intervention dans la problematique kantienne d'un concept
non ontologique de la sensibilité implique en ce qui concerne
l'humanité de l'homme sa division en deux éléments hétérogènes,
la sensibilite precisement, ainsi entendue comme un contenu empi-
rique et comme . l'être-total de ce contenu, la raison d'autre part
comme constituant l'élément pur de la forme. C'est conformément
à nette division de ce qui fait dans .l'homme son humanité que s ac-
complt l'action sur lui de la loi morale de telle manière que, issue
de la raison et l'affectant elle-même dans une représentation pure,
elle ne revêt une forme affective que autant
pour qu'elle affecte par
ailleurs la sensibilité où réside précisément l'être du sentiment
« e respect, dit Kant, est une action sur le sentiment, pautant sur la
66o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sensibilité d'un être raisonnable (Y). » Ainsi la sensibilité se présente-


t-elle comme une adjonction synthétique à ce qui fait de l'homme un être
raisonnable , l'affectivité qui la fonde, comme un élément opposé de la raison,
alors qu'elle constitue l'essence de celle-ci. Pour cette dernière raison préci-
sément, pour cette raison seulement, « une action sur le sentiment » est
possible, parce qu'une telle action, comme toute action s'exerçant fur l'huma-
tillé de l'homme, signifie son affection, et que
- l'a
.^ ectivite est l'essence de cette
affection comme de toute affection possible en général.
La moralité pourtant ne presuppose-t-elle pas dans l'homme le
dualisme des facultés, s' il est vrai qu'elle se présente a lui comme un
combat, comme l'inévitable conflit entre l'attrait ressenti pour les
objets de penchant , entre le plaisir par conséquent et, d'autre part,
la représentation d'une loi dont l'origine se situe manifestement
ailleurs que dans la sensibili té empirique, puisqu'elle est susceptible .
de s'opposer à celle -ci et a l'ensemble de ses inclinations ? Mass c'est la
possibilité d'un tel conflit qu'il faut d'abord fonder. Pareille p ossib°'te
réside sans doute dans l'opposition de la raison et de la sensibilité
comme sensibilité empirique, plus ultimement, toutefois, dans la
dimension d'unité à laquelle elles coappartiennent par essence de telle maniere
que, dans cette coappartenance essentielle à l'unité d 'une même dimension
ontologique fondamentale , les déterminations opp osées qu'elles suscitent en
celle-ci existent les unes pour les autres et trouvent en elle le lieu de leur
conflit. A quelle dimension d'unité coappartiennent la sensibilité
empirique et la raison pure ? La sensibilité empirique n'est pas un
contenu empirique opaque, contingent, elle est le pouvoir d'être
,
affecté par lui, sa possibilité réside dans l'être -affecté considéré en
tant que tel, c'est-â-dire dans la raison pure elle -même, identique à .
l'affectivité. C'est pour cela que toute détermination de la sensibilité
empirique se propose comme une détermination affective . L'affecti-
vité de la sensibilité ne tient nia son contenu - - elle réside dans

(I) R, 8o.
L'AFFECTIVITÉ 66i

l'être-éprouvé de celui-ci ni, en premier lieu, à la relation de ce


contenu avec un pouvoir psychophysique différencié, avec un « sens »,
avec une tendance . Ou plutôt c'est cette relation qu 'il s'a it de
g
comprendre ontologiquement , car « l'obj et » d'une tendance ne peut
procurer le plaisir que pour autant qu'il nous affecte , pour autant
que l'affectivité constitue l'essence de cette affection . Toute affection
possible en genéral par conséquent, empirique ou pure l 'affection
de l'esprit par la matière , comme dit Kant, ou au contraire par la
simple forme de la loi, se présente nécessairement comme une déter-
mination de l'affectivité le respect est un sentiment au même titre que le
,
plaisir ou le désir et peut pour cette raison, et pour cette raison seulement, les
« combattre ».
Que toute détermination de l'affection se présente nécessairement
comme une détermination de l'affectivité , c'est là ce qui fait d'elle
un mobile . Toute représentation est soumise à cette prescription de
l'essence ultime de l'affection il n'y a pas de re resentation « pure »
,
si l' on entend par la une représentation qui ne serait pas affective
dans sa structure , pas de pur et motif », Tour les motifs s sont nécessairement
des mobiles, et la pure représentation de la loi le respect, en est un.
,
Dans sa tentative pour escamoter ce qui fait de celui-ci un sentiment
et éliminer ainsi l'affectivité, irrémédiablement comprise comme un
contenu empirique, du système pur de la moralité, Kant est amené
à déclarer que « le respect n'est pas un mobile pour la moralité mais
c'est la moralité elle-même, considérée subjectivement comme un
mobile » ( z) . « Le véritable mobile de la raison pure pratique' dit-il
encore, n'est autre que la pure . Toi morale elle^même (z) . » Pourquoi
faut-il cependant que la loi morale reve"te la forme subjective d'un mobile et se
propose ainsi comme une de'termmation de 1'affectivite, sinon parce que
celle-ci constitue l'essence de toute affection possible ? La loi morale

(r) R, so.
(z) 1•, 93.
66z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

précisément ne nous détermine à la moralité que pour autant qu'elle


nous affecte loin de s'opposer à celle-ci, l'affectivité en est la condition.
L'affectivité cependant n'est la condition de la moralité que parce qu'elle
est en général celle de l'action . La possibilité pour une représentation
quelconque de susciter une action su pp ose l'affection p ar elle de la
subjectivité et la détermination du sujet ainsi affecté à l'action. Une
telle possibilité, toutefois , n'est p as différente de la structure ontolo-
gi que de la représentation elle-même , de toute rep résentation p ar
conséquent, en tant que cette structure est celle de l'affection, c'est-
à-dire. ultimement celle de l'affectivité . Voilà pourquoi toute repré
sentation, comme il a été dit, est un mobile. Tout ce qui se propose
à nous à titre d'exp érience et comme un contenu de celle-ci tout ce
qui nous affecte provoque en nous un intérêt, une détermination
pratique, dont le schéma est celui de la rep résentation elle-même.
Bien entendu, une telle détermination n'est pas toujours suivie d 'effet,
c'est une action réelle, une intention ou une possibilité d'action.
Bien entendu aussi, un « objet» peut susciter le contraire d'un intérêt,
le dégoût ou encore l'indifférence . C'est en tout cas, quel q ue soit son
sens, positif, négatif ou neutre un mobile, ainsi le veut sa ro re
, p p
possibilité ontologique comme trouvant son essence ultime dans
l'affectivité, sa condition d'objet. L'action elle-même toutefois, est
affective, non seulement en raison de l'intérêt au quel elle obéit, de son mobile,
mass précisément en elle -même, comme action réelle en tant qu 'elle est, dans
son efectuation
,
même, une détermination de la subjectivité absolue (i),
c'est-à-dire de l'affectivité. Il existe une unité de toutes les choses de leur
action sur nous, de tout ce qui vient à nous, nous touche et nous affecte et nous
détermine à l'action, une unité ontologique de l'action elle-même comme
unité de toutes nos actions possibles, une unité enfin de l'affection et de
l'action, comme unité de l'action des choses sur nous et de notre action sur les
choses. Pareille unité est celle de la vie et n'est possible qu'à partir de l'unité

(I) Irà -dessus, cf. Philosophie et Phénoménologie du corps, op. cit ., chap. II.
L'AFFECTIVITÉ 66 3

originelle qui constitue la structure interne de la vie elle-même à partir de


l'affectivité.
L'absence d'une transcendantale
philosophie de
l'affectivité déter
mine chez Kant l'absence corrélative d'une interprétation ontolo.
Bique adéquate de ce qui constitue l'être de la vie la dé valorisation
de celle-ci et son assimilation, au même titre que , l'affectivité précisé-
ment et parce qu'elle est identique a cette dernière, à quelque chose
d'empirique, a l'ensemble des états pathologiques qui composent le
contenu du sens interne. C'est par opposition à la vie, , précisément
,
que la moralité doit être pensée, prétendre fonder celle-ci sur celle-là
attribuer à la spontanéité sensible une bonté naturelle c'est oublier
que cette spontanéité est celle de nos penchants qui, parce qu'ils
dépendent de « causes physiques », ont un objet autre que la loi
morale, c'est produire « une manière de penser frivole » ( 1)La
moralité consiste au contraire dans la soumission par l'homme de sa
nature sensible à une réalité hétérogène à celle-ci, c'est-à-dire à la
vie elle-même, réalité qui est sa ersonnalite
p intelligible,
son dans
indépendance radicale à l'égard du mécanisme de la nature entière.
Une telle soumission, « la conscience d'avoir en sa
personne '
maintenu
l'humanité dans sa diniteg », ^apporte la « consolation » (z) . Quelle est
cependant la nature de celle-ci, ne constitue-t-elle pas manifestement une
détermination de la vie elle-même ? Kant ne peut la définir que de façon
purement negative, ne peut la définir : « cette consolation n'est as le
p
bonheur, elle n'en est pas la plus petite partie ». « Cette tranquilhte
• ,.
interleure est donc simplement négative par rapport à tout ce qui eut
rendre la vie agreable. » En vains efforce-t-il de souligner cette
opposition de la consolation non seulement au bonheur, à ce qui
est agreable, mals precisément a la vie elle-même en général, comme
si cette opposition pouvait tenir lieu d'une définition « Elle est

II ! R, 88, 89.
(2) ID., 92.
664 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'effet d'un respect pour quelque chose qui est tout à fait autre que la vie. »
Pareille opposition, bien plus, est absurde, s'il est vrai que, tout
comme le respect, la consolation est une manfestation, un mode de la vie et se
propose pour cette raison précisément comme une tonalité affective. Cette
positivité de la vie en chacune de ses déterminations et p ar suite
dans la vie morale elle-même, il faut bien la reconnaître . La défi-
nition de la moralité dans son opp osition à la vie laisse p araître alors sa
contradiction à laquelle Kant est insensible lorsque, parlant de
l'homme moral pour qui « la vie... n'a aucune valeur », il déclare
qu' « il ne vit plus que par devoir » (t).
La dévalorisation de la vie est visible dans la criti que adressée
par Kant aux morales de l'amour et dans la substitution à celui-ci,
comme principe de toute moralité précisément, du respect. L'amour
en effet exprime la spontanéité de la vie, c'est-à-dire d'une nature
sensible et « pathologique » il est de l'ordre du penchant et Kant le
confond avec celui-ci, avec l'attrait p our un objet sensible. Est ignoré
l'amour spirituel , dont l'objet pourrait être lui-même spirituel, Dieu
par exemple, ou une autre personne. Mais on n'a pas ici, au vrai, à
opposer deux sortes d'amour d'après la considération des objets sur
lesquels ce dernier est susceptible de se porter, il s'agit dans tour les
cas d'une intentionnalité dont le statut est celui de la subjectivité absolue,
c'est-à-dire de la vie elle-même, et se trouve comme tel identique à celui de
toutes les autres modalités de cette vie, à celui du respect par exemple. Pour
cette raison, l'opposition instituée par Kant au point de vue moral
entre ces deux modalités de la vie absolue, entre le res p ect et l'amour,
et le rejet de celui-ci , comme ne pouvant être commandé , hors de la
sphère de la moralité , prête à discussion. Le respect p lui-même ne peut
se commander, ni plus ni moins en tout cas que n'importe quel sentiments la
possibilité ou la non-possibilité de se donner librement le sentiment qu'on
éprouve est inscrite dans l'essence de celui-ci, dans l'essence de l'affectivité

(I) R, 93, souligné par nous.


L'AFFECTIVITÉ 665

elle-même et ne peut se comprendre qu'à partir d'elle. On sait, d'autre part,


que Kant lui- même a reconnu nomme douteuse l'existence chez
l'homme, considéré comme une créature que ses penchants écartent
naturellement de la loi, d ' une intention consacrée à celle-ci c'est-à-
dire d' un respect véritable.
A y regarder de plus près, d'ailleurs, ii apparaît que la discussion
conduite par Kant ne s'institue pas véritablement entre le respect et
l'amour. A celui -ci, pour autant qu ' il prétend intervenir dans le
système pur de la moralité, s'est d'ores et déjà substitué autre chose,
à savoir précisément le respect. C'est comme respect pour une loi
qui commande l'amour que ce dernier, dès qu'il n'est plus patho-
logique, est interprété par Kant. Une telle interprétation s'explique
sans doute par le désir de passer sous silence ce qu'il y a de propre -
ment
ment affectif dans d'amour pour ne retenir que sa relation à un
commandement de la raison. Pareil désir, toutefois, la problématique
l'a montré, domine l'analyse du respect lui - même et de la moralité
en général. La substitution du respect à l'amour obéit en réalité,
bien que de façon inaperçue par Kant lui - même comme par ses
commentateurs, à des présuppositions ultimes . Le respect signifie
une détermination de l'action à partir de la représentation , sa condi
p ure, de telle manière-tioneslaruc ogiqedl'afctn
toutefois que ce qui constitue la possibilité dernière de cette structure
n'est pas ici pris en considération, l'affectivité du res p ect est laissée de
côté, seule est retenue en lui la relation à la loi, la transcendance.
Avec l'amour, au contraire, le principe de l'action ne se trouve
plus dans la représentation d'une loi ni dans q uoi que ce soit de sem-
blable, rien de transcendant ne le contient , il est etranger à toute
affection et la pensée de celle -ci, l'horizon ontologique du monisme,
le laisse échapper. L'amour signifie une détermination de l'action
à partir de la structure interne de l'essence comprise dans son imma-
nence radicale et dans ce qu'elle est originellement pour elle=même,.
comme auto- affection et comme affectivité . La pensée kantienne est
M. IIENRY
666 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ici commandée par tout autre chose que ses origines puritaines et
c'est pourquoi elle a eu un grand retentissement , car les préférences
d'une éthique sont rarement subjectives . La substitution du respect
à l'amour a une signification ontologique ultime, elle est la substitution
de la structure de l'affection pure à celle de l'affectivité.
Avec la substitution du respect à l'amour, et precisément grâce
à elle, Kant a pu se croire d'accord avec le christianisme . Mais le
christianisme repose justement sur la substitution inverse , sur celle
de l'amour à la loi, et cela parce que sa pensée suprême est la non-
pensée, l'unité avec la vie absolue, l'unité de . celle-ci plutôt, que le
Christ appelait Dieu et qui effectivement est Dieu lui -même. C'est
pourquoi encore le christianisme n'est pas une morale, laquelle repose
toujours sur la conscience de la loi , ou du moins sur une pensée, mais
une nouvelle détermination de l'existence affective et, par suite, de
l'action elle-même comme modalité de cette existence, La determi-
nation de l'action à partir d'une representation suppose elle-même
bien entendu, l'affectivité, c'est toujours à partir de celle- ci en réalité
que se produit l'action et le respect de la loi, comme il a ete montré
est précisément un mobile. Le rôle de l'affectivité dans le s ystème de la
moralité pure tel que le comprend Kant ne s'épuise pas cependant dans
l'ouvre fondatrice de l'affection . Si un tel système repose ultimement
sur le principe universel de l'obligation morale compris comme le fait
de la raison (factum rations , la possibilité de celui- ci, c'est-à-dire de
la raison en tant que posant elle-même la loi par laquelle elle s'affecte
réside dans l'auto-affection de l'acte qui pose la loi, dans l'affectivité de
la raison elle-même en tant quepratique. L'affectivité , elle seule, permet que
le fait de la raison soit tiré de l'incertitude foncière où il baigne chez
Kant comme elle permet en général la détermination de l'action, soit
immédiatement à partir d ' elle-même, sait par la médiation de l'affection
dans la représentation, 'est-a-dire encore à partir d'elle-même et cela
parce qu'elle constitue, non un contenu de l'expérience, mais sa forme
précisément et la possibilité ultime de ce qui est.
L'APFECTIVIT1 66 7

§ S 9. L'AFFECTIVIT COMME POUVOIR ORIGINAIRE DE RÉVÉLATION


ET LA DESTRUCTION DE L'ENSEMBLE DES PRÉJUGÉS LA CONCERNANT

Que l'affectivité constitue, non un contenu de l'expérience


mais sa forme, la forme de toute expérience possible en général, la
phénoménalité elle-même comme condition de tour les phénomènes, cela fi rn e
précisément : l'affectivité pasn'est un uelque chose q
phénomène, quise
manifeste, elle est la mani f
estation elle-même et son essence.
. C'est comme
l'essence de la manifestation, comme son essence ultime en effet, que
l'affectivité a été saisieproblématiquepar la et cela en tant que,
comme auto. affection, elle fonde toute affection possible, toute
.
manifestation possible par conséquent, L'essence fondatrice de la
manifestation est l'essence originaire de la révélation, identique
à l'affectivité elle-même. L'essence originaire de la révélation cepe n
dant n'accomplit son oeuvre et n'est ce qu'elle est que pour autant
qu'elle se re v ele elle-même, en elle-même et telle qu'elle est Que
l'affectivité constitue l'essence originaire de la révélation, cela veut
dire l'affectivité est en elle-même de part en pa,rt rév elati on.
. Que
part l'affectivité
en soit en elle-même, révélation
part, de 9
signifie que sa substance même, la matière dont elle est faite et ce
qu'elle est, son affectivite enfin, n'est en soi rien d'opaque, rien qui
doive être eclaire par une autre chose et attendre d'elle son propre
éclairement, rien d'étranger à la phenomenalité, La matière de l'affec-
tivite, sa substance, est la henomenalite elle-même le surgissement
p de celle-ci, son surgissement originel, ce qui en premier lieu rejette
.
le néant, ce qui se révèle de telle manière que le « ce que » de cette
revelation, le « ce que» dontil est dit qu'il se révele, est la révélation
elle-même, son effectivité sa fulguration est la présence comme .
présence effective, en tant qu'elle existe, est l'existence, en tant qu'elle
est présente, est la flamme de la présence pure et de l'existence pure
la flamme qui n eclaire rien d'autre qu'elle et qui ne consume rien,
ne laisse rien d'obscur à partir de quoi elle se produirait est la
668 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

transparence de son propre éclat, l'acte d' apparaître considéré en


tant que tel dans l'effectivité de son apparence et de sa fulguration.
L'affectivité est révélation de son être et c'est pourquoi elle est l'être.
C'est pourquoi aussi elle est la Raison, car Raison veut dire fonde-
ment. L'affectivité est le fondement en tant que, comme fondement de
l'affection, elle rend possible et fonde tout ce qui nous affecte et se
manifeste, tous les . phénomènes . La possibilité ontologique des phéno-
mènes doit cependant être pensée pour elle-même, le fondement est
fondement en lui même en tant qu'il se révèle lui-même tel qu 'il est. C'est là
ce qui constitue proprement la Raison, à savoir la phénoménalité
interne du fondement et son effectivité. L'affectivité est le fondement
en tant qu'elle est en elle-même, dans ce qui fait la substantialité
de sa substance, dans son être, de part en part,. révélation.
Ainsi se trouve posé, avec la saisie de l'affectivité comme consti-
tuant en elle -même, dans son être , la dimension originelle de la
révélation et son effectivité , un nouveau concept de l'esprit, comme
identique précisément à l'affectivité . Ainsi se trouve reieté du même
coup l'ensemble des prjugés concernant l'affectivité, prjugés dont la présup-
position commune est au contraire la détermination de l'être de l'affectivité
dans son opposition irréductible à celui de la phénoménalité considérée
en tant que telle. La détermination de l'être de l'affectivité dans son
opposition à celui de la phénoménalité trouve sa formulation explicite
dans « l'obscurité » qui lui est attribuée. L'obscurité du sentiment
comme obscurité intrinsèque lui appartenant en tant que tel et le
qualifiant dans son être, quelles que soient par conséquent les tona-
lités particulières dans lesquelles il se réalise , c'est là ce qui fonde et
justifie le discrédit dont il est l'objet de la part de la réflexion philoso-
phique, d'accord en cela avec le sens commun. Un tel discrédit se
fait jour aussi bien sur le plan psychologique que sur le pian moral
ou métaphysique.
Sur le plan psychologique , le caractère affectif des détermina-
fions originelles de l'affection et de l 'action et, d'une manière générale,
L'AFFECTIVITÉ 66 9

de la relation du vivant et de son milieu se trouve immédiatement


interprété, en ce qui concerne le Problème essentiel de la Phén o
-menalit,d'u èrégvecomunartèpqePci-
sément et l'indice de la non-conscience. La lumière de la conscience ,
au contraire, n'appartient aux déterminations fondamentales que la
relation revêt dans l'affection ou dans l'action que pour autant que .
celles-ci, et la relation elle-même, se trouvent considérées abstraction
faite de l'affectivité qui les imprègne pourtant d'une manière originelle
et constitue en fait leur réalité. La lumière est précisément la relation
considérée en tant que telle, c'est-a-dire abstraitement et, confor-
mément a des presuppositions qui n'ont Plus ici a être explicitées, la
conscience se confond avec la représentation. C'est par la médiation
de celle-ci seulement que les tonalités affectives dans lesquelles
existant vit sa relation au monde, s'éclairent, Sans cette médiation
de la représentation, au contraire, l'affectivité de l'affection se perd
dans l'inconscience de la vie végétative ou organque, la relation du
vivant et de son milieu qu'elle détermine ., n'est plus rien
. que le
mécanisme aveugle d'un processus en troisième personne.
Ainsi
. voit-on un psychologue
. comme Pradines s'efforcer d'expli-
quer la promotion phénoménale de l'affectivité qui caractérise
l'affection par l'insertion dans celle-ci d'une conscience explicitement
comprise comme le developpement d'un espace et la projection en
lui de l'objet. C'est pourquoi, en dépit de l'ordre postule' par l'expli-
cation génétique, la sensibilité affective ne précède pas véritablement
la sensibilité representative, elle n'existe comme quelque chose dont
il nous est loisible de parier et comme =un phenomene que pour
autant que la lumière de la représentation l'éclaire rétrospectivement
et la pénètre, la rendant ainsi expressive, lui apportant le complément
indispensable de la conscience, pour autant que, par le jeu de ce
choc en retour, elle se trouve être en elle-même représentative (i).

(1) cf. P nuv s , op. cit., I, 179, 1 85, 282, 380.


670 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

De même que, dans la sphère de la vie immédiate , le compor-


tement qui prolonge
. l'affection réclame comme celle-ci , et s'il
est autre chose que la consécution d'un mécanisme aveugle, la lumière
de la perception et de la représentation en général, de même et
à p lus forte raison, sur un plan sup érieur de la conduite, l'action ne
peut revêtir une signification axiologique quelconque que pour autant
qu'elle se p roduit, non à partir des impulsions aveugles et incontrô
lées de l'affectivité, mais en prenant pour guide une représentation
et, p ar exemple, la re p résentation d'une loi, -- la possibilité pour le
sentiment de servir de mobile exclusif à une action et de la déterminer pfésup-
posefait au contraire l'idée de l'appartenance au sentiment lui-même du
pouvoir ontologique de révélation seul susceptible, en éclairant l'action, de la
distinguer d'un mouvement naturel et brutal, idée qui justement fait
totalement défaut à la spéculation aussi bien psychologique que
morale.
Cette app artenance au sentiment d'un pouvoir de révélation,
la détermination ontologique de l'affectivité comme constituant en
elle-même un tel p ouvoir et l'effectivité de la révélation dans laquelle
il se réalise, c'est là enfin, c'est la seulement ce qui serait susceptible
de conférer à la vie affective et à ses diverses modalités une signi-
fication proprement métaphysique, celle d ' instituer une relation
avec la réalité , de constituer en même temps cette relation et la réalité avec
laquelle elle nous met en relation comme réalité identique à la révélation
elle-même. Une telle détermination de l'essence de l'affectivité comme
constituant la dimension ontologique de la réalité, parce qu'elle
n'est pas d'abord celle de la problématique mais se trouve inscrite
précisément dans la réalité elle-même, est présente dans les repre-
sentations immédiates et non thématiques de celle-ci, dans certaines
représentations religieuses, celles qui par exemple proposent sans
équivoque une d4finition affective de l'absolu. Mas le contenu abrupt et
non conceptuel de la dogmatique n'a pu encore être pensé . Lorsque,
de façon d'ailleurs exce p tionnelle, la philosophie se rend présente
L'AFFECTIVITÉ
67 1

l'appartenance du sentiment à la structure ultime du réel les préjugés


régnants sont plus forts que son intuition d'un moment et la signi-
fication ontologique du concept de l'affectivité est aussitôt perdue.
Ainsi voit-on chez Malebranche où il est compris cependant
., ..
d'une mamere explicite comme constituant la dimension fondamen-
tale de l'existence et la réalité de l'âme et bien plus, dans son etre iden-
tique à celui du cogito, le mode de révélation de cette réalité et sape
h' nomenalité
même, le sentiment être immédiatement et paradoxalement privé de
.
cette ^ignificatlon décisive, frappé de nullité dans son être et cela
precisement en ce qui concerne le pouvoir de révélation qui lui est
propre. Aucun pouvoir de nette sorte finalement ne doit lui être
reconnu, les déterminations affectives de notre âme ne nous font a
connaître la reahte veritable de celle-ci mals seulement ses modalités
superficielles. Encore une telle « connaissance » s'accomplit-elle dans.
la confusion, ne mérite en aucune façon le nom de connaissance, ce
qu'elle atteint est lui-même obscur, confus, une simple existence
non plus celle qui définit la réalité précisément, l'essence 9 mais ce
qui est là purement et simplement dans son opposition foncière a la
lumière de l'intelligibilité, le fait brut irrationnel et opaque.
Ici, a partir du préjugé de l'inintelligibilite du sentiment, s'organise
l'extravagante construction de Malebranche l'éclatement de la réalité,
à savoir de la réalité `de l'âme, en réalité profonde et superficielle, et ,
pareillement, l'éclatement de l'affectivité elle-même la division impen-
sable de son essence . en une hiérarchie de degrés plus ou moins
obscurs suivant qu'ils sont plus ou moins affectifs le degré zéro de
l affectivite du sentiment deÏ rossant comme par hasard la conscience ,
les modalités proprement affectives de. celle-ci se divisant à leur tour
selon qu'il s'agit de nos sensations ou devers nossentiments,
di ' bref
de l'ensemble des modalités empiriques et obscures de notre âme
finie, ou au contraire du sentiment de la liberté auquel il est fait
une place à part. Celui-ci, à savoir l'appréhension immédiate du
mouvement constitutif de la réalité métaphysique de notre être, .
672 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sa . révélation intérieure, ne la révèle pas, la révèle de telle manière


qu'il ne sait pas ce qu' il révèle et que c'est la « Raison », la saisie
transcendante de l'essence de l'âme dans l'étendue intelligible, qui
peut seule nous faire « connaître » ce qu'éprouve notre sentiment, à
savoir précisément la liberté.
La raison toutefois ne peut, selon la juste expression de
M. Guéroult , « décrire du dehors et enseigner » (i) que le contact
avec l' absolu se réalise dans le sentiment et se trouve constitué par
lui qu' en se fondant sur l'intuition de l'essence du sentiment c'est
là ce que signifie precisément la saisie transcendante de l'essence de
l'âme dans l'étendue intelligible . Et il est vrai que le savoir philoso-
phique s'accomplit toujours et se constitue de cette manière, selon
le mode rationnel de l'intuition eidétique, c 'est-â- dire par la média-
tion d'une connaissance transcendante . Ce qui fait qu'un tel savoir
est vrai cependant indépendamment de la question de sa possi-
bilité interne , laquelle réside dans l'auto- affection de l'acte de l'intui-
tion, c' est-à-dire précisément dans l'affectivité qui constitue ainsi la
révélation de ce savoir et sa vérité en un sens absolu - -- ce qui fait,
pour parler d' une manière plus précise par conséquent, la vérité de
son contenu transcendant, c'est la réalité de la relation représentée
dans l'essence intuitionnée. Il est contradictoire que le contact avec
l'absolu puisse être lu dans l'essence transcendante du sentiment
comme sentiment de la liberté du moins, et que, par ailleurs, un tel
contact, â savoir la révélation effective de d'absolu, ne se réalise pas en
lui. Une telle contradiction qui ne signi fie rien de moins que la ruine
de la méthode phénoménologique et, par suite , la négation même de
la philosophie, atteste seulement le maintien , au sein des ensees
p
qui cernent la réalité, du préjugé traditionnel concernant l'affectivité,
à savoir la présupposition de l'obscurité intrinsèque du sentiment,
c'est-à-dire de son incapacité de principe lde constituer en lui-même un

(I) Étendue et Psychologie chez Malebranche, op. cit., too.


L'AFFECTIVITÉ 673

authentique pouvoir de révélation et l'accomplissement effectif de


celle-ci. C'est pourquoi lorsque l'intuition lit ce pouvoir dans l'essence,
dans l'essence du moins de la liberté , il est aussitôt nié, remplacé par
celui de l'intuition elle-même, et c'est ainsi que la « connaissance »
proprement dite, le savoir véritable, est le fait de la Raison et d'elle
seule.
De même en est-il par exemple chez Fichte où, après que le
sentiment, ou du moins une de ses modalités , à savoir l'amour,
a été compris dans la nouvelle philosophie de l'existence comme
l'essence même de celle-ci, de la vie et de la réalité, et bien plus,
comme leur expérience , comme l'expérience même de l'absolu et sa mani, fes-
lation, comme la source de toute certitude par suite et de toute vérité,
comme celle de la béatitude ( x), ce caractère phénoménologique
interne du sentiment et le pouvoir de révélation qui lui appartient en
propre se trouvent une fois de plus, et comme la conséquence encore
d'un préjugé capable de recouvrir l'intuition vivante d'une pensée
aussi bien que l'influence sur elle d'un contenu dogmatique dont
elle se veut l'explicitation, oubliés ou pour mieux dire explicitement
niés. « C'est la conscience de soi seule qui est capable de saisir la vie et
d'en jouir », de telle manière que cette conscience de soi qui concentre
en elle l'essence de la révélation et son effectivité doit être comprise
dans son identité à la pensée ou encore à la connaissance pure et, du
même coup, dans son opposition explicite au sentiment , incapable en
tant que tel d'appréhender l'absolu et la permanence de l'être en lui.
« Comment pourrions -nous, étant donné l'obscurüé que le sen:ment
•com forte... voir et goûter intérieurement cette durée immuable
Non, seule la flamme de la connaissance entièrement transparente à
elle-même et se possédant librement, garantit, grâce à cette clarté,
son immuable subsistance (2). »

(r) I4-dessus, cf. supra, § 38.


(2) VB, 110, souligné par nous.
614 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 6o. DÉTERMINATION ONTOLOGIQUE


DU POUVOIR DE RÉVÉLATION DE L'AFFECTIVITÉ

10. DÉTERMINATION DU « COMMENT » DE CE POUVOIR :


LA VÉ RITÉ DE L'AFFECTIVITÉ

La détermination ontologique de l'affectivité comme essence


originaire de la révélation et, par suite comme constituant en.
,
elle-même, dans son être , l'effectivité de celle-ci - détermination
qui rejette d'un coup l'ensemble des préjugés où se perd la spécula
ton psychologique, morale ou métaphysique , dans sa relation au
problème de l'affectivité -- s'achève avec l'élaboration ar la problé-
p
matique de ces deux questions comment s 'accom plit la révélation
qui réside dans l'être même du sentiment et trouve en lui son effec-
tivité ? Quel est, d'autre p.art; le contenu de cette révélation ? En
d'autres termes : comment révèle l'affectivité ? Que révèle-t-elle?
La. réponse à la première question concernant le mode confor-
mément auquel s'accom plit la révélation qui réside dans l'être
même du sentiment, concernant le comment de cette révélation est
celle-ci :l'affectivité est ce « comment », l'affectivité révèle comme affectivité.
C'est là précisément ce que signifie pour l'affectivité , être en elle-même
dans son être, révélation l'affectivité est le mode même selon le ue&
.. q
s'accomplit la révélation originelle, elle est l'effectivité de cette révélation
sa phénoménalité propre, sa substance enfin, l'apparaître qu'elle détermine et
dans lequel elle, se réalise.
Ici doit être mise en question, pour que se présente en pleine
lumière un résultat essentiel de la problématique, la prop osition
fameuse selon laquelle « la connaissance d'une douleur n'est p as
douloureuse mais vraie » (I). Il s'agit de savoir ce qui constitue la
vérité de la douleur, c'est-à-dire précisément sa manifestation,

(i) I4CHELIER , Ouvres, A1can, Paris, 1933, I, 201.


L'AFFECTIVITÉ 675

laquelle fonde ce que Lachelier appelle, avec la philosophie classique,


sa « connaissance » En opposant d'emblée celle- ci, la vérité de la
douleur, à la douleur elle-même à son caractère douloureux Lachetier
situe ailleurs que dans un tel caractère, ailleurs que dans l'affectivité
de la douleur, le pouvoir de révélation qui lui confère l'être en la
rendant manifeste. Semblable pouvoir réside selon lui dans l'objec-
tivité. Que la connaissance d'une douleur ne soit pas douloureuse
mais vraie, cela veut dire : il est vrai que moi, tel individu , j'éprouve
telle douleur maintenant , ou que je l' ai éprouvée autrefois , de telle
manière que la vérité de cet « il est vrai que » désigne le milieu
où tout cela, cet individu , cette douleur , le temps où elle s'est pro-
duite, ç'est-à-dire l'ensemble des événements qui l'accompagnent,
devient visible, de telle manière que ce milieu est l'Esprit, comme
esprit universel et objectif, est précisément l'objectivité . Insérée
dans un tel milieu, la douleur est dépassée par lui au même titre que
tout ce qui est vrai, est dépassée par la vérité qui est ce dépassement
même et le monde comme tel.
La douleur cependant n'est-elle pas un état interne, ce qu'il
a de plus « subjectif » ? Comme telle , précisément, elle n'est vraie
que alise en rapport avec l'objectivité d'un monde . L'objectivité
du monde consiste dans l'ensemble des relations par lesquelles , les
choses se déterminent les unes les autres , reçoivent ainsi chaque fois
une place assignable, laquelle constitue leur vérité , La vérité de la.
douleur est la place qu' elle occupe dans 'univers et cela en tant que ,
comme état interne, elle se trouve liée selon un ensemble de rapports
â l'ordre des choses hors de nous. Les rapports qui lient la douleur
à cet ordre objectif en font partie, toutefois et le constituent la
douleur elle- même appartient à cet ordre en tant que liée à lui. La
vérité de la douleur est l'ordre transcendant des rapports nécessaires
dans lesquels elle est prise et qui définissent l'objectivité.
Des rapports nécessaires ne définissent pas seulèment l' objecti-.
vité, il est vrai, ils la présupposent s'ils se manifestent . La significa-
676 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tion du concept de l'objectivité, de la vérité, finalement est double :


elle vise la détermination d'un contenu selon des rapports nécessaires,
la définition de son existence à partir de cette nécessité, comme consti-
tuée par elle, et, d'autre part, plus ancienne que cette détermination
et présupposée par elle, la manifestation de ce contenu , celle des
rapports qui le déterminent dans le 'eu ouvert du monde. Cette
double signification du concept de l'objectivité concerne la douleur
et sa vérité. La douleur est vraie en tant que , liée à l'univers, elle
occupe dans le sens interne une place déterminée en tant que, abstrac-
,
tion faite de cette détermination et antérieurement à elle, elle surgit
dans l'extériorité originelle de l'opposition que le sens développe
et se manifeste en elle comme élément opposé et comme objet (I)..
Ainsi, selon Lachelier, la vérité de la douleur ne réside pas en.
elle ni dans son essence, dans ce qui fait que la douleur est doulou-
reuse, mais au contraire hors d'elle, dans sa relation extrinsèque au
reste du monde et, finalement , dans l'extériorité elle-même comme
telle, dans l'objectivité . Celle-ci éclaire la douleur comme elle éclaire
n'importe quel étant, de l'extérieur, le baignant dans une lumière
dont il est par lui^méme dépourvu . Ce qui baigne dans cette lumière
et se trouve éclairé par elle, lorsqu'il s'agit de la douleur et de ce
contenu spécifique qu 'elle constitue en tant que telle, doit cependant
être possible, dans sa spécificité. La douleur précisément n'est rien
qui puisse se proposer à nous comme un étant éclairé, comme un
objet, nous ne sommes jamais devant elle comme devant quelque
chose qui est devant nous. Seule une représentation de la douleur
peut se présenter ainsi sous la forme d'un contenu transcendant. Il
,
est remarquable à cet égard que, pour opposer la vérité telle qu'il la
comprend à ce qui fait le caratère douloureux de la douleur, à son.
affectivité, Lacheher ait choisi , non un sentiment précisément, mais
une sensation dont l'être -constitué se substitue devant le regard de la.

(i) Nos sensations sont différentes de nous , disait IIACHELIER, f. supra, § 57.
L'AFFECTI VIT.É
677

pensée à son être - originel, dont l'affectivité se trouve


ainsi déchue,
transportée de la dimension originaire de l'immanence où elle est la
vie et trouve sa réalité, dans celle de l'idéalité . ou elle ne peut
être précisément que représentée . Mais plus
l'être constitué de la sensa-
tion suppose son être
, p l affectivité,originel , la re résentation de '
sa réalité . Ce qui fait qu'un contenu est susceptible de se
., proposer
dans le monde avec le caractère représentatif de l'être-douloureux,
c' est la réalité originelle de la douleur .
La réalité originelle de la douleur
n'est paf dans le monde et ne se man i f est ' La douleur pourtant
e paf en lui.
n'est pas rien, elle se manifeste. La réalité de la douleur est sa mani
fes-
tauon, son surgissement premier, sa révélation, de telle manière cependant
que cette révélation est constituée par la douleur elle-même et trouve en '
celle-ci,
dans la douleur comme telle, l'effectivité de sa phénoménalité.
Ainsi se
renverse la proposition de Lachelier : la connaissance dune douleur,.
si nous voulons bien entendre par là la connaissance que
. originelle
nous en avons , est vraie en tant qu' elle est douloureuse l ' '
a verste de
la douleur est la douleur elle-même comme telle.
Que la vérité de la douleur soit la douleur elle-meure , l'être-
douloureux comme tel, ne signifie as que la douleur est par elle-
même vérité, ni l'essence de celle-ci moins ne
(du pouvons nous le
dire maintenant . La douleur elle-même, la douleur considérée en
tant que telle, n'est pas quelque chose de simp le, son être n' est rien '
d'immédiat. L'être de la douleur , sa réalité ce qui fait d
'elle quelque
chose de vivant
. dans la structure et une détermination de la vie réside
interne de celle-ci , est le fait que la douleur se sent elle-même immé
-
diatement, s'eprouve elle-même est son être-
donne a_.soi_meure dans
la passivité originelle du souffrir , et l'essence de l 'affectivité en_ elle.
L'être de la douleur , sa réalité, est ;p recisément
vélation sa re comme
trouvant son essence , non dans la dlouleur elle-même toutefois, mais
dans ce qui lui permet d'être ce q.u'flle est et constitue précisément sa
r&lite, dans l'affectivité. Ainsi doit être énoncé le phénomène dont
Lachelier ne sut pas saisir l ' essence : la vérité de la douleur est
son affectivité.
678 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

C'est précisément parce que la vérité de 1a douleur est son affec-


tivité que cette vérité se présente aussi et se propose , en ce qui.
concerne la douleur, comme la douleur elle-même, comme trouvant
son effectivité et le mode de sa présentation phénoménologique
concrète dans l'être-douloureux comme tel . Que la vérité de la
douleur soit son affectivité, cela veut dire en effet : ce qui révèle la
douleur et l'éclaire et, dans cette révélation , lui confère l'être, c'est
son être-donné- â-soi-même tel que, résidant dans l'affectivité préci-
sément et constitué par elle, trouvant sa réalité dans l'essence dont
le propre est de se recevoir elle-même, de s'éprouver elle -même et
d'être affectée par soi, ce qu 'il donne, à savoir la douleur , est aussi ce
à quoi il le donne, tel que, en lui et par lui, c'est en elle que plonge
la douleur à travers la transparence de son affectivité . La douleur est
le contenu phénoménologique, l'apparence effective, la phénoména -
lité de cette révélation qu'elle est elle- même, sur le fond en elle de
son affectivité. C'est en ce sens que la vérité de la douleur est la
douleur elle -même, au sens où celle-ci, où la douleur est cela même
qui se manifeste dans son affectivité et par elle.
Comme telle, étant ce qu' elle est, exhibant ce qu'elle exhibe
au sein de son affectivité et par elle, la douleur est une modalité de la
vie affective et c'est à ce titre, bien entendu, qu'elle est prise ici, à
titre d'exemple parmi toutes les tonalités affectives possibles. A
celles-ci il est prescrit que se révélant au sein de l'affectivité et par
,
elle, elles se révèlent chaque fois comme affectives trouvent neces
,
sairement dans l'affectivité leur vérité , le mode de leur présentation
phénoménologique effective et le comment de cette présentation.
La signification de la question fondamentale concernant le « Com
ment » de la révélation de l'affectivité, le comment de l'essence originaire
de la reve'lation, s'éclaire ici comme étant double. Le comment de la
révélation de l'affectivité désigne en premier lieu la structure interne
du pouvoir qui accomplit cette révélation , à savoir l'affectivité elle-
même comprise comme cette structure , désigne l'immanence.
L'AFFECTIVITÉ 679

Conformément au « Comment » qui désigne sa structure interne


et l'affectivité elle-même comprise comme cette structure , la révéla-
tion s'accomplit, sur le fond en elle de ce comment d'une certaine
façon, selon un certain mode de présentation, elle a un « comment w
qui vise précisément ce mode de sa présentation phénoménologique
et la nature de la phénoménalité qu'elle réalise cha que fois. Un tel
« comment » est l'affectivité elle-même , le mode de présentation qu'il
,.
désigne est un mode affectif. La révélation qui trouve son essence dans
l'affectivité se
présente
nécessairement sous la forme de celle-ci. Telle est
la signification de la proposition selon laquelle l'affectivité révèle
comme affectivité, est, en ce second sens, le « comment » de la révé-
lation qui s'accomplit en elle. .

§ 6t. L'oBscuRITL DU SENTIMENT ET SON LANGAGE,


AFFECTIVITÉ ET PENSÉE

Révélant comme affectivité, constituant en tant que telle le


mode de présentation phénoménologique concret selon le quel
s' accomplit la révélation originaire, son effectivité , l'affectivité
revele dans l'invisible et comme cet invisible lui-même. L'affec
tivite ne dit pas seulement ce qu'est l 'invisible, arrachant le concept
de celui-ci à l'indétermination d'une détermination purement dia-
lectique, elle trouve encore en lui , dans l'invisible compris à part ir
,, ..
de son heterogénéité structurelle au règne du visible et de son indif-
férence par rapport à lui, sa propre détermination et la loi de son
apparence, Conformément à cette loi , il apparaît que la révélation
qui trouve dans l ' affectivité sa présentation effective est une révéla-
tion cachée. La phénoménalité qui la constitue et dans laquelle elle
se résout tout entière , tout entière étrangère à la lumiere du monde,
n'est pas autre chose que le s'éprouver - soi-même de l'être qui
s'éprouve lui-même et demeure en soi et, dans le secret de ce
demeurer - en-soi-même, fait l' expérience de soi,
pasautre ch
chose
68o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

que l'intériorité du sentiment et de la vie , que l'affectivité elle-même


comme telle. Personne n'a jamais vu un sentiment un sentiment n'a
jamais rien fait voir. Pourtant , quand rien n'est vu et quand le pou-
voir qui nous fast voir les choses fait également défaut dans la
nuit sans partage et sans degré que laisse en se retirant la lumière
du monde dans l'invisible , le sentiment est là tout entier, qui grandit
,
en lui et se nourrit de son obscurité . L'obscurité de l'invisible ouvre
la dimension ontologique où le sentiment trouve son existence originelle
elle est le lieu où il déploie son être et n'épanouit, le milieu où il fructifie,
.
ors il est possible. L'affectivité est l'essence intérieure qui ne s'étale
pas dans la lumière mais reste en soi et se retient tout entière en
elle-même, hors du monde. La pudeur est un sentiment particulier
mais aussi l'essence de tous les sentiments et leur possib' 'té.
Parce que la possib i lité du sentiment, le milieu où il dé ploie
son être, réside dans l 'invisible, dans l'essence qui se retient tout
entière hors du monde, en celui-ci précisément le sentiment ne peut .
être aperçu ni trouvé. Tel est le fondement ontologique qu 'il convient
de reconnaître aux remarques d'ordre psychologique par lesquelles
on a coutume de noter, comme un fait d'ailleurs inexpliqué, la dis-
parition des sentiments devant le regard de l'attention ou du moins
la perturbation apportée â leur être sous l'effet de ce regard, pertur-
bation si importante qu'elle ne signifie pas seulement une altération
de la tonalité du sentiment et la transformation de sa nature mais son
évanouissement et, précisément sa disParition . Évanouissement
disparition , sont d'ailleurs des termes impropres, . traduisant la
manière essentiellement inadéquate dont la Pensée, fût -elle psycholo
gique, se représente les choses dès qu ' elle parvient dans le domaine
du fondement. Ce n'est pas devant le regard de l'attention , en réalité,
que le sentiment s'évanouit , le thématisme de ce re gard ou encore
d'une considération proprement theorlque et scientifique n'est pour
..
rien dans sa « disparition ». Le sentiment ne disparate pas du monde
ouvert où le cherche la pensée lorsqu 'elle le cherche, lorsqu'elle
L'AFFECTIVITÉ
G8t

se dirige vers lui , pour cette raison 'il' ne s' •


qu'il y est damais trouvé.
Là où il se trouve toutefois , et quand bienmeure
" un regard le cher-
cherait pendant ce temps dans le monde il n e disparaît pas non
mais subsiste
, mdifferent a ce regard qui ne peutplus
le concerner '
ni
l'atteindre , car, comme la problématique l'a
" montre, un sentiment
ne peut être perçu.
Mais la pensée qui ne dispose
, pas de la dimension
ontologique
fondamentale a laquelle appartient le sentiment, ou n réside et se
révèle en l'absence de toute thé
perception , manque ou non, dirigée
sur lui, se représente les choses autrement .
C'est le thematisme de la
perception ou, pour parler avec
plus d 'exactitude la réflexion et le
mode de vie proprement réflexif dans lequel la conscience est capable
d'entrer qui sont rendus responsables précisément de la disparition
du sentiment , de son évanouissement . Avant ce regard de la réflexion,
toutefois, de l'attention, le sentiment était
^ là, comme un contenu de la
conscience, baignant dans sa lumiere et éclairé par elle, de
• • manière
indirecte, il est vrai , comme un contenu marginal situé dans
l'ombre
plutôt et plonge en elle, dans cette ombre dont Hei degger dit qu «elle
reste confiée à la lumiere, projetée par elle(ï), » dan s l 'obscurité
qui partage la phenomenalité
du monde et lui appartient comme son
mode décroissant ou comme son mode ilinite. C'
est de cette façon,
en effet, que la philosophie u% se meut à l'intérieur '
q de l 'horizon du
monisme
,. , .tente du de s'incorporer
sentiment, l'être-invisible ' en
l'intégrant dans la serie des modes phénoménologiques ' du zéro
qui,
de l'inconscient ou de la subconsciencea la clarté absolue de l'évi-
dence, coappartiennent à l'objectivité du monde et la définissent
ensemble. Ainsi est rendue homogène , àcomme celle-ci '
représentant
simplement son degré le plus bas, la henoménalite propre au sen-
tuent et le constituant . Le concept de « confusion » exprime
justement cette réduction a la lumière du monde, lumière qui brille

(I) Essais et Conférences


, op. Cit., !4I.
682 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dans la clarté mais peut aussi s'éteindre et se voiler , diminuer pro-


gressivement et se dégrader, de la phénoménalité qui habite le
sentiment et dans laquelle il se montre : celui-ci, précisément, n'est
qu'une perception confuse.
L'obscurité du sentiment toutefois, Malebranche l'a montré
avec force, est irréductible à la confusion de l'idée, c'est-à-dire en
fait au mode inférieur de l'objectivité. La confusion de l'idée est
susceptible au moins en principe, de se muer dans la détermination
,
contraire, des rapports aperçus ensemble dans l'indistinction d'une
vision globale ou marginale peuvent être saisis en eux-mêmes,
portés l'un après l'autre dans la lumière de l'évidence , chacun étant
distingué de tous les autres et compris en même temps dans son
unité avec eux, cette unité, le nouveau rapport qu'elle institue étant
lui-même l'objet d'une pensée discrète et claire. L'appartenance du
sentiments une conscience marginale et obscure devrait rendre
possible de la même manière son transfert , sous l'effet d'un dépla-
cement corrélatif de l'attention, hors de cette zone d'ombre et son
surgissement dans la lumière. La coexistence de celle-ci et de celle-là,
en effet, et leur lien inévitable , leur co-insertion dans le processus
où se produit la phénoménalité du monde , est une loi de ce processus
et le concerne exclusivement, une loi ontologique. Ce qui est pres-
crit par une telle loi, c'est à la fois une nécessité et une contingence,
la nécessité éidétique conformément à laquelle le devenir de la lumière
est aussi mdissociablement celui de l'ombre, de telle manière que ces
déterminations- phénoménologiques pures se trouvent liées entre
elles par des liens insurmontables , -- une contingence aussi, en ce
qui concerne le rapport de cette loi et de ce qu'elle régit, de la phéno
ménaitté du monde et de l'étant qui se manifeste en elle comme son
contenu, de telle manière que ce rapport est nécessairement un rapport
contingent, qu'un même contenu peut apparaître tantôt dans l'ombre
et tantôt dans la lumière, être éclairé par l'une et puis par l'autre de ces
déterminations phénoménologiques pures et passer de l'une à l'autre.
L'14FFECTIVI2'1
683

C'est ainsi que le sentiment parexemple, s 'il se produit d 'abord


en marge de la conscience , doit être susceptible de
se présenter en
pleine lumière, là où se concentre le regard de la pensée, et , de cette
manière,. d'être illuminé par elle dan s son être
. Qu'il n'en soit as
ainsi, que, loin de s 'étale. p
r devâiât le regard de la conscience et de
pouvoir être é clairé par elle, le senti •
, ruent s'évanouisse au contraire
devant ce regard, echa e à tout acte d'attention dirigé sur lui et
le concernant , cela veut dire l'obscurité
ose il banne n'est pas un mode
d'éclairement qui puisse se changer en un autre et, p
ar une variation Intensive
continue, en la clarté de l'évidence arexemple, n'est pasp un mode d'éclaire..
ment contingent par rapport à ce qu 'il éclaire
, par rapp ort au sentiment,
exteraeur a lui, transcendant a son lire , n'est as la transcendance
, -- cela
veut dire le mode d'éclairement du sentiment est constitué par le rentament
lui: même , de telle manière que l'obscur ' ' ' • .... , .
Ise precssement qui caractersse un
tel mode et le pdétermine henomenologiq_ n'
uementa prrnc:p:ellement rien a
voir avec la confusion d'une
,, ombre d'un conscience marginale , avec l'
horizon,
de telle manière que cette obscurité étrangère a la phénoménalité du monde
et.àidentique
ses modes déclinants •, à l'nvisible ,Identique au sentiment, .
signifie pour celui-ci, pour tout sentiment en gé
possible neral, une ob scurité
de principe et, en même tem s, ff 'e ectivité Phenomenologique de son Itre
p
concret. Telle est la signification de la
proposition selon laquelle:
l'affectivité, révélant en tant que comme telle, •
affectivité , révèle
dans l'invisible et p ar lui.
La détermination Ontologi que de l'être •
du sentiment a partir
de son obscurité intrinse ue, irréductible à
q celle du monde, comme
principiellement inaccessible aux modes d'éclair
émeut qui' empruntent
au . contraire leur lumiére à celui-ci ne rte-telle
se heu pa s ' aune
objection si , dans la clarté de l'être-étendu-devant
, sous . le regard
de l'attention par exemple, le sentiment ne disparait pas purement et
simplement et ne se trouve p asdétruit mais
simplement modifié,
altere dans son être et subsistant à ce titre ^ '
„précisément,. comme :un
sentiment modifié . Un tel phénomène celui d'une
modification et
684 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

non d'une destruction de l'être du sentiment, n'est-il pas visible dans


l'introspection psychologique, dans la réflexion en général, comme
lié à ces actes et comme ce qui les caractérise justement dans leur
relation au contenu qu'ils appréhendent chaque fois, au sentiment
dans le cas qui nous occupe ? Celui-ci, sous sa forme modifiée, n'est-il
pas saisi en . lui-même dans le regard de la conscience et par lui?
Considérons l'exemple de Husserl, l'exemple d'une joie ressentie dans
l'accomplissement d'un travail phénoménologique fécond. Qu'un
regard maintenant se dirige, non plus sur l'objet de ce travail,
mass . sur la joie, cette joie est une joie au passé, la tonalité affective
de la conscience qui travaillait et maintenant s'observe, en tout cas,
est modifiée. Une telle modification est la suivante : à la joie se
substitue, là où elle déployait son être toutefois, dans la sphère d'immanence
radicale de l'invisible, une autre tonalité. L'être de celle-ci ne se présente
en aucune façon dans la lumière devant le regard de l'attention ou
de la réflexion et ne s'étale pas devant lui. Four cette raison précisé,
ment, cette nouvelle tonalité est une tonalité réelle, et la modification
qu'elle apporte à la joie dans le prolongement de laquelle elle se situe,
une modification réelle.
La modification réelle de la joie, sa transformation dans une tona-
lité nouvelle, n'est-elle pas liée, cependant, à l'intervention du regard
objectivant ? Comment celui-ci pourrait-il être • responsable- de cette
modification sinon en la faisant apparaître, en rendant manifeste
la joie modifiée, la nouvelle tonalité issue de cette modification,
et cela dans l'objectivité qu'il fait surgir ? Le regard objectivant est
responsable de la modification de la joie et peut l'être de celle de
toutes les tonalités affectives en général, non pas toutefois
f en tant qu'il
les fait apparaître comme joie modifiée, comme tonalités modifiées dans
l'objectivité qu'il suscite mais précisément en tant qu'il est incapable de le
faire, en tant que netteJôle, mocfiée ou non, en tant que ces tonalités, modifiées
ou non, sont par principe incapables de se manifester dans le milieu ontolo
tique de l'objectivité. La conscience qui s'adonne à un travail théorique
L'AFFECTIVITÉ
685

et se trouve déterminée affectivement dans ce travail comme « joie »,


,
lorsqu'elle se dirige sur celle-ci pour la saisir dans un regard, dans
« un monde », ne peut la saisir, ne la trouve dans le '
pas milieu ouvert
de ce monde d'où par la
principe toute
joie , ton alite affective en
général, est absente . L'inquiétude s'empare d'elle est celle d'
qui une
recherche qui n'aboutit pas, c ' est la tonalité d'une intentionnalité
de connaissance non remplie succédant à la tonalitédune
' intention-
nalité dont le rem p
lissement se
poursuit . de manière satisfaisante,
à la joie d ' un travail théorique fructueux dans l '
exemple de Husserl.
Ainsi doit se comprendre l'être-troublé du sentiment, sa modification
dans l'introspection et, d'une manière générale , quand la pensée
prétend le saisir dans le milieu où elle se meut dansconnaissance,
la '
non comme une altération subie par lui pendant son ob'l ectivation,
mais à partir de l'impossibilité de celle-ci comme le surgissement
d'un sentiment nouveau et réel , exprimant le trouble de la connais-
sance et l ' angoisse ressentie par elle , en tant q
u'elle ne trouve pas.
et ne peut trouver ce qu'elle cherche , en tant que lui échappe par
principe l ' affectivité elle-même `comme telle.
, Quectivite,
l'affectivité révèle comme affe ' en elle-meure et dans
l'invisible, c ' est Ola en effet ce qui la détermine dans son opposition
irreductible aux modes d 'éclairement qui empruntent leur
lumière
a celle ;du monde et se meuvent en elle dans son o '
pposition a la
perception , à la connaissance, à la ensee . Celles -
p ^ inévi- ci toujours et '
tablement
^ supposent
ement l'ouverture d'un horizon le depli
' '
de
l'être-étendu-devant, lequel suscite et rend possible sa saisie dans la
perception rassemblante de la p ensee ,et, éventuellement
sa saisie
thematlque dans la connaissance . C'est ainsi que l'être, re, lorsqu'il
lorsqu'il
est compris comme le monde , lorsque son langage est celui du m onde,
est le,
À&'..
v qui estoeuvre
le laisser -s'étendre - devant , met en la
pensee, sel ordonne , la dirige vers lui, laisse la
. pensee lui appartenir
comme ce qui le découvre sur le fond de sa propre découverte dans
le ? ys .v, dans la lumière de l'être-étendu-devant. Parce que sa
686 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

révélation, parce que la phénoménalité qui la constitue et dans


laquelle elle révèle, n'est pas cette lumière , n'est pas la phénoména-
lité de l'être-étendu-devant l'affectivité n'attire pas à elle la pensée,
,
elle ne la . suscite ni ne la fonde , mais lui est foncièrement étrangère
et ne peut non plus être éclairée par elle . L'hétérogénéité phénomé-
nologique de l'affectivité et de la pensée est une détermination éidé-
tique irréductible , détermination qui résulte du mode de révélation
propre à l'affectivité et de son comment.
Une telle détermination est le fait fondamental dont il faut partir
chaque fois que la pensée prétend instituer une relation entre elle-
même, entre le mode de saisie qu'elle accomplit , et l'affectivité.
Le projet d'éclairer nos sentiments tel qu'il se donne habituel-
lement comme celui de la pensée précisément , comme le projet
d'exhiber dans le milieu où elle se meut le contenu du sentiment lui -
même, est vide de sens . L'échec auquel il aboutit inévitablement,
l'« évanouissement » du sentiment, n'est que l'expression de l'absur -
dité dont il témoigne au point de vue ontologique , tandis que la
pensée, aveugle en ce qui concerne l'origine d 'un tel échec et inca-
pable de le saisir en elle d'abord, l'inte rete à sa manière , se fait
critique et morale, et constate avec une ironie teintée d'amertume le
caractère illusoire de nos sentiments même les plus profonds. Ainsi
s'expliquent, à partir de cette incapacité de principe de la pensée de
saisir, dans la lumière ou. elle saisit toute chose, l'être réel du senti -
ment, tant d'affirmations péremptoires et de dissertations confuses
qui, de La Rochefoucauld à l'existentialisme contemporain , décrivent
avec complaisance la prétendue comédie que les hommes se donnent
à eux- mêmes au sujet de sentiments qu'ils n'éprouvent point mais
s'efforcent seulement d'éprouver, de feindre et précisément de
« jouer ».
Éclairer nos sentiments dissiper les illusions que nous entre-
tenons à leur égard, par lesquelles , pour mieux dire, nous les perdons
et nous perdons nous-mêmes, c'est écarter d'eux d'abord la pensée,
L'AFFECTIrzJTÉ 68 7

tout projet visant à les rendre manifestes dans le milieu où par


principe ils ne peuvent se manifester , c'est renoncer en ce qui les
concerne au thématisme de la conscience cartésienne qui oursuit
p
partout la réalisation d 'une évidence et l'avenement de la vérité qui
lui est propre. Car dans la révélation du sentiment , dans son être
phenoménologi que effectif et réel il n'^aqui
rienpuisse titre rendu
homogène à la hénoménalité
p deoù s'accomplit la la,perception
pensée ni se glisser en elle. C'est pourquoi il est faux de dire, comme le
fait Descartes , qqu'il a
Y dans nos sentiments part une . de vérité,
au sens où il l'entend , qu'on peut apprendre à « distinguer » en
eux « ce qu'il y a de clair d' avec ce qu'il a d'obscur » ( i) . Il n' a
rien de clair, au sens où le prend Descartes dans le sentiment lu-
même , rien d'obscur non plus - si on entend p ar là une diminution
ou une altération de la clarté ou son degré le plus bas --- et qui
doive comme tel être transmué. en une clarté plus grande être
éclairé par la pensée. Éclairer nos sentiments , c'est les confier à cette
lumière qui est la leur, laisser être et se développ er leur
phénomé
nalité propre, c'est laisser être, la où elle est et comme elle es dans
l'invisible et selon son mode de présentation phénoménologique
spécifique, comme affective, la révélation qui les constitue et les
définit et qui est l'affectivité gille-même.
Un tel laisser-être, celui de nos sentiments à savoir encore
l'affectivité elle-même, se produit en l'absence de toute pensée,
quand disparaît le milieu au quel elle est ordonnée et dans le quel .
elle pense, se produit dans l'&no du monde. Alors dans cette ^o
quand est aboli: le m ilieu de lumxere où p ense la ensee et ue toutes
p q
les productions qu'elle é difie dans ce 'eu, les conce ts ar les-
p p
quels elle saisit les choses , et les choses elles-mêmes qu'elle mtui-
tionne, se sont évanouies aussi, quand se tait le langage du monde,
dans l'obscurité co-extensive à l'être de nos sentiments et consubs-

(t) AI', VIII, 33.


688 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tantielle à lui, ou cet être grandit et se développe, parle l'autre langage,


le langage de nos sentiments eux-mêmes . Pareil langage n'a rien
de commun avec celui que connaît la psychologie , avec l'ensemble
des signes « naturels » par lesquels nos sentiments sont censés « s'expri-
mer » et trouver ainsi, dans le milieu ouvert de l'être-étendu -devant
où ces signes paraissent, lear propre manifestation. L'embarras où
nous nous trouvons , lorsqu'il s'agit de désigner un sentiment que
nous éprouvons , pour trouver le mot juste, le concept sous lequel
sa tonalité propre puisse être subsumée, l'impossibilité d'établis
une équivalence rigoureuse entre un tel sentiment et le mouvement
qui lui est lié, dans le cas où un tel mouvement existe, la possibi lité
toujours ouverte, au contraire, pour que vienne s'introduire entre
le signe quel qu'il soit et ce qu'il signifie l'erreur ou la feinte , l'inadé-
quation principielle dont celles-ci témoignent , ne sont pas des
difficultés provisoires susceptibles d'être surmontées.
De telles difficultés ne signifient en aucune façon l'irréductibilité de
l'affectivité â l'être du langage. Ce qui ne peut apparaître dans le dé p lie
ment du Pli ni être présent dans sa présence, ce quine se laisse pas
nommer dans le dire qui correspond au Ph et ne peut être dit par
lui, par le XEy^cv en tant qu'il laisse la présence s'étendre devant, a
déjà été dit, s'est déjà manifesté . Pour cette raison p récisément,
parce qu'il s ' est manifesté et que son dire s'est déjà dit, parce qu'il est
le Logos originel dans son accomplissement, celui-ci, l'être originel
du Logos, refuse le langage du monde et peut le refuser comme
ce en quoi, tel qu'il se montre en lui-même et tel qu'il est, il ne p eut
se montrer ni être. Quel est ce langage , comment parle-t-il ? Comment
se révèle en lui -même l'être originel du Logos p our être ce qu'il est,
refuser le langage du monde et ne pouvoir se montrer en lui ? Comme
affectif, comme essentiellement déterminé dans son mode de pré-
sentation phénoménologique effectif par l'affectivité .. L'affectivité
telle qu'elle se révèle originairement en elle-même et surgit dans la force de
sa présentation phénoménologique spe' Pique, comme affective et comme ce
L'AFFECTIVITÉ 689

qu'elle est, est l'essence originelle du Logos, de telle manière que celui-ci
refuse le langage du monde , le langage de pensée
la et ne peutse montrer en
lui. Mais le langage est l'être . Qu'il réside ori inellement dans l'a
g y ffectrvite
interdit
• de comprendre celui-ci comme il le fut depuis Parménide
nos ours, a partir de la pensée et comme lui étant identique.
L' irréductibilité du Logos originel de l'affectivité au ? é s .v qui,
laissant l'être s 'étendre devant, déploie le m ilieu au q uel s 'ordonne
la pensée, la suscite et l'appelle , attend d'elle u'elle lui ré
q ponde et,
se tournant vers lui, le saisisse dans sa perception rassemblante et
se meuve en lui et, recevant de lui sa lumière, le pense , a cette consé
quence ce qui parle dans le Logos originel , le sentiment ne parle
pas seulement
. ,., avant toute pensée et indépendamment d'elle • pour
cette raison precisement , parce que son cure, et ce qu 'il :énonce, est
foncièrement indépendant de la irréductible
pensée, sonàtitre
' et
a tout ce qu ' elle peut dire, à ce qu'elle exprime , rend manifeste et.
pense, le sentiment n'attend pas d'elle qu'elle se tourne vers lui,.
n' attend de la pensee aucune reponse . Le sentiment n'a as à être
p
pris dans le t( prendre dans son attention » de la pensée est indifferent
a celle- ci, de telle manière que ce qu ' il dit ne peut être ni souligne
. ,
ni ratifié, ni corrigé, ni éclairé, ni modifié , ni défini ni contredit
par elle, rejette toute prise de position de la Pensée, toute attitude
de l'homme à son égard , rend d'avance ino p Brante inefficient
e,
inutile, toute interprétation et toute correction , tout commentaire
transforme d'avance celui-ci en un vain bavardage ' glisse sur
qui
lui, sur l' être du sentiment , sans même l'effleurer.
C'est pourquoi on se méprendrait complètement sur ce que dit
le sentiment si l'on s'en tenait à ce que pense , affirme, sugge're a-son.
sujet la pensée, si l'on croyait pouvoir lire et déchiffrer le conte nu
de ce dire à l'intérieur d'un acte de compréhens ion diri é sur lui
g
et par le moyen d'un tel acte . C'est donc une erreur absolue • un
contresens ontologique total que de prétendre j ustement saisir
dans la pensée, a l 'intérieur du pouvoir de compréhension qu'elle.
690 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

met chaque fois en oeuvre, le contenu de la révélation originelle


du Logos, de telles manière que ce qui est dit dans ce contenu, ce
contenu lui-même comme contenu manifeste, se trouverait subor-
donné à un acte de compréhension et à son libre mode de réalisation,
ne serait plus rien d'autre qu'un contenu dépendant, un signe, si
l'on veut, mais dont toute la signification, constituée dans la vie
de la conscience et par elle, lui viendrait de celle-ci, lui viendrait
de notre pensée. Nous ne recevons notre religion que par nos propres
mains, dit Montaigne. Et Sartre : « n'est toujours moi qui déciderai
que cette voix est la voix de l'ange » en sorte qu'« il n'y a pas de
signe », car « l'homme déchiffre le signe comme il lui plaît » (i).
Et sans doute en ce qui concerne l'ange, sa voix, et autres choses
semblables, tous les signes et les oracles que les hommes écoutent
et sont habiles à interpréter depuis qu'il y a un monde, tout cela,
tout ce que l'homme se représente et comprend au sujet de la révéla-
lion, dépend évidemment de lui, de sa pensée, est compris librement
par lui. Mais la révélation elle-même, la révélation originelle, n'a
aucun rapport avec ce que l'homme pense ou se représente à son
sujet, avec la pensée de la représentation en général. C'est pourquoi,
appliquées cette essence originelle de la révélation, la signification
de la proposition selon laquelle « il n'y a pas de signe » se renverse,
ne désigne plus la dépendance de ce qui se révèle au pouvoir de
compréhension qui habite l'homme, mais au contraire son indépen-
dance absolue à l'égard d'un tel pouvoir, l'indépendance absolue
du sentiment à l'égard de toute forme de pensée, de toute compréhen-
sion et de toute interprétation possible en général. Qu'il n'y ait pas
de signe, cela veut dire ; • la révélation en son essence originelle, comme
sentiment, ne peut être pensée ni comprise, ce qui parle en elle n'a pas de
sign fication et' ne peut non plus en recevoir. Ce qui parle dans le Logos
originel, le sentiment, parle et ce n'est pas l'homme qui interprète,

(z) L'Existentialisme est un Humanisme, Nagel, Paris, i6, 3r , 36-38.


L'AFFECTIVITÉ 6QI

parle avant toute interprétation et indépendamment d'elle, parle au


nom de l'absolu et rien n'a pouvoir contre sa parole. Ce qui parle dans
le Logos, le sentiment, parle et sa p arole est là est le sentiment tel
qu' il se revele originellement en lui-même et tel qu'il est. Pour cette
raison précisément , parce que le langage du sentiment est le senti-
ment lui-même et queparole sa réside en lui arceque
parce ue l'affectivité
révèle comme affectivité, e langage, cette parole ne peuvent être
entendus par la pensée, n'attendent d'elle aucune réponse.
.. Ce qui peut être entendu par la pensée et attend d'elle qu'elle
lui réponde, se mette en chemin vers lui, dirige vers lui son regard
, .
et 1,eclaire, ce qui attend de la pensée qu ' elle l'énonce et le rende
manifeste et le revele, contracte un rapport avec l'histoire, avec

1histoire de la pensée , attend que la Pensée le révèle, se révèle pro-
gressivement au fur et à mesure que la pensée le révèle et pour
autant qu'elle le révèle . Qu'elle ne le révèle pas pourtant ou se mé
prenne à son sujet, alors ce qui peut être entendu par la pensée et
attend d'elle qu' elle lui réponde, demeure dans l'obscurité , ne parle
plus qu' un langage obscur ou perverti. Ce qui peut être entendu
par la pensée et attend d ' elle qu'elle lui réponde est ce qui la fonde
est le Logos dont le h&ccv laisse l'être s'étendre devant, C'est pour-
quoi l' être auquel correspond ce X Y£ cv, bien u' il fonde l'histoire de la
q
pensée qui le pense, l'histoire de la metaphysique occidentale, se
révèle en elle et, aussi bien, se cache, se perd en elle , dans l'histoire
de la perversion de la pensée et de la conscience mystifiee depend
d'elle en tout cas. C'est pourquoi aussi le Logos ori inel ce qui ne peut
être entendu par la pensée et n'attend pas d'elle qu'elle lui re ^ onde ne se
cache et ne se perd jamais , toujours il dit ce qui est et son langase n'a pas
d'histoire.
Mais que dit ce qui ne peut être entendu par la pensée et n'attend
pas d'elle qu' elle lui réponde, ce qui ne se cache et ne se perd jamais
et dont le langage ne se laisse point travestir dans l'histoire ? Que
révèle l 'affectivité?
692 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 6`2. DÉTERMINATION ONTOLOGIQUE


DU. POUVOIR DE RÉVÉLATION DE L'AFFECTIVITÉ

20 DÉTERMINATION DU CONTENU DE CE POUVOIR

LA RÉALITÉ DU SENTIMENT

A la question de savoir ce que révèle l'affectivité, quel est le


contenu de la révélation qui trouve en elle son essence et le comment
de son accomplissement effectif et concret, la problématique a
répondu avec la détermination ontologique de ce « comment ».
En tant que celui-ci réside précisément dans l'affectivité, én tant que
l'affectivité révèle comme affectivité, en elle-même et en tant que telle, et
que le mode de présentation phénoménologique de la révélation qu'elle déter-
mine se propose comme essentiellement affectif, ce qu'elle exhibe, le contenu
de la révélation qui trouve en elle son essence est l'affectivité elle-même.
C'est là en effet ce que signifie p our l'affectivité être le mode même
selon lequel s'accomplit la révélation originelle, son mode de présen-
talion phénoménologique , l'effectivité de nette révélation, sa phéno-
ménalité propre, sa substance , l'apparattre enfin qu'elle détermine.
et dans lequel elle se réalise être son contenu.
En tant que l'affectivité ést le propre contenu de la révélation
originelle qui trouve en elle son essence, cette révélation, l'affectivité,
se produit nécessairement et s'accomplit comme révélation de soi.
L'affectivité, elle seule, se révèle elle-même, de telle manière que
le « se révèle » qui la qualifie et la détermine n'a rien à voir avec le
« se révèle » par lequel nous désignons la simple manifestation
de n'importe quel étant et celle du monde lui-même, la qualifie
et la détermine comme accomplissant soi-même la révélation,
comme constituant à la fois et identiquement le pouvoir qui
l'accomplit et ce qui s'accomplit en elle . Pour cette raison pré-
cisément l' affectivité peut signifier la vie, pour autant que ce
qu'elle révèle, c'est elle-même, pour autant qu'elle se produit
L'AFFECTIVITÉ 693

nécessairement, elle seule, et s'accomplit comme révélation de soi.


Se produire nécessairement et s'accomplir comme révélation
de soi, c'est donc là ce qui détermine l'affectivité relativement au
contenu de la révélation qu'elle réalise chaque fois, ce qui la
caractérise, elle et ce qui trouve en elle son essence. Le sentiment,
tout sentiment possible en général, « se révèle » de telle manière que ce qu'il
révèle dans cette révélation qui le constitue , . c'est lui-même et rien d'autre.
La détermination ontolog i que structurelle du sentiment comme
sentiment de soi trouve ici son explicitation phénoménologique.
Celle-ci, en son apparente simplicité, a une signification rigoureuse.
Elle signifie : ce que révèle la haine, c'est la haine elle-même, et rien
d'autre, ce que révèle l'amour, c ' est l'amour, et , pareillement l'ennui
révèle l' ennui, le désespoir révèle le désespoir, la crainte la crainte
et l'angoisse révèle, découvre, exhibe, fait voir l'angoisse et rien
d'autre . La mélancolie se révèle de telle manière que le contenu de la
révélation qui s 'accomp lit en elle et la constitue est constitué ar
p
elle, par la mélancolie . C'est de nette façon que toutes nos tonalités
que tous les sentiments révèlent, en tant qu'ils se révèlent , en tant
qu'ils constituent eux-mêmes le contenu de la révélation qui
s'accomplit chaque fois en eux.
En tant qu' il constitue lui-même le contenu de la révélation qui
^ A
s accomplit chaque fois en lui, qu'il est lui-même ce qui se produit,
se montre et s'exhibe dans cette révélat i on, le sentiment est ce qu'il
est, a savoir precisenment ce qui se produit , se montre et s'exhibe
dans cette révélation qu'il est lui-même. La détermination ontologique
del affectivité comme constituant le propre contenu de sa révélation déter-
mine et fonde la réalité du sentiment . Comme telle comme essentielle=
ment déterminée par le mode de révélation de l'affectivité et par la
propre détermination de cellewci comme constituant le contenu de la
révélation qui: s'accomplit en elle, la réalité du sentiment se presente
et se propose comme phénoménologique . La réalité du sentiment
est co-extensive et consubstantielle à sa révélation comme identi ue au
q
694 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

contenu de celle-ci. La détermination ontologique de la réalité du senti-


ment comme co-extensive et consubstantielle à sa révélation et comme
identique à son contenu , fonde le caractère absolu de cette réalité,
la désigne et l'institue comme ce qui, se montrant dans l'apparence
qu'elle donne d'elle-même et s'épuisant dans cette apparence, coïn-
cidant avec elle et trouvant en elle, dans la réalité de son apparaître
et de ce qu'il laisse paraître et dans sa substance , sa propre réalité,
sa propre substance, se pose et s'affirme dans la positivité de
son être phénoménologique irrécusable et nu, et ne se laisse
point contester . La haine est haine, la souffrance est souffrance..
Chaque tonalité est ce qu'elle est, cela veut dire, la matière dont elle
est faite est sa propre phénomenalite et le mode selon lequel celle-ci s'accomplit
chaque fois, le mode selon lequel l'affectivité se détermine cha que fois en elle
pour être ce qu'elle est, cette tonalité déterminée.
Lorsqu'on dit par conséquent que « la haine est malheur »,
cette proposition , si elle a un sens , si elle est autre chose qu'un juge-
ment synthétiquement lié à ce qu'il j uge, qu'un commentaire gra-
tuit auquel pourrait aussi bien s'opposer un autre commentaire
-^-. « soyons haineux , la haine stimule et fortifie, etc. » se réfère
au contenu manifeste d'une. expérience en est la simple explicita-
,
tion phénoménologique . Que la haine soit malheur ne signifie
pas qu 'elle entraîne celui-ci comme sa conséquence , comme un
ensemble de répercussions malheureuses sur la vie de celui qui
hait, sur sa vie active, intellectuelle morale ou même sur sa vie
,
proprement affective, déterminant en lui l'apparition d'un certain
nombre de troubles et de sentiments nouveaux mais également
pénibles tels que le remords, l'inquiétude , la colère, bref une série de
désordres fâcheux, signifie que la haine est en elle-même malheur,
que son caractère malheureux est un caractère phénoménologique
de l'expérience en laquelle elle consiste , n'exprime rien d'autre que
la tonalité de cette expérience, cette souffrance d'un certain type,
ce désespoir d'un certain type auxquels se ramène l'Erlebnis de haine
L'AFFECTIVITÉ
695

considéré en tant que tel, n'exp rime rien d'autre que la haine
elle-même.
Et de même lorsqu'on affirme que « la souffrance est un mal »,
une telle affirmation , si elle a un sens, se ramène en réalité à celle-ci :
« la souffrance est souffrance » se ramène et c'est la ce qui lui confère.
tout son poids , à l'énoncé du contenu de la souffrance comme iden-
tique à sa manifestation et comme constitué par elle à l'énoncé de
cette tonalité spécifique irrécusable et simple ue nous a elons
q pp
la souffrance. Que la souffrance soit souffrance et en ce sens un
« mal », qu ' elle soit ce qu'elle est et s'impose à nous comme ce qu'elle
est et comme un fardeau qu'il faut p orter et au uel on ne p eut se
q
soustraire , c'est là justement ce :qui rend vaine toute tentative pour
l '•intégrer dans un ordre, dans un système dont elle serait un moment
nécessaire et comme tel justifié , où elle apparaîtrai t finalement
comme un « bien ». Car aucune signification accolée à l ' être de la
souffrance ne peut changer quoi que ce soit a ce dernier , diminuer
en rien le poids de sa présence , ni travestir sa « vérité » cette vérité
qui lui est consubstantielle qui est sa propre
revélat on comme con.rtituee
par son affectivité et parle mode selon lequel celle-ci s'accomplit en lui,
comme constituée précisément par la souffrance C'est là ce q ui fait ,
comme l'a noté Scheler (i), la profondeur de l'attitude chrétienne
à l'égard de la souffrance, par opposition à l'attitude heroique et
orgueilleuse de l'antiq uite qui vise à la surmonter
entr , à la t
pour
rien, dans l'im p assib ' ' té par
erence,exemple ou dans l' ndif'et,
finalement, à la nier, la reconnaissance au contraire de la souffrance
comme souffrance infinie parcourant le monde et son aveu une sorte
de naivisme et d'humilité qui tient la douleur p our ce u'elle est,
q
la souffrance pour la souffrance. Une telle attitudea le refus justement
de prendre attitude à l 'égard de la souffrance de la minimiser ,
de
lui porter atteinte en quelque façon ou de prétendre le faire n'est
s

(I) SS, b3.


696 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pas morale, n'est pas une attitude , elle exprime la réalité de la souffrance
rance
comme révélation de soi et comme constituée par le contenu de cette révélation,
comme affectivité.
La détermination ontologique de la réalité du sentiment comme
constituée par le contenu de la révélation qu'il accomplit, comme
révélation de soi, comme affectivité , donne sa rép onse à l'inévitable
question qui élémente en fin de compte toute prétendue philoso-
phie de l'affectivité : d'où savons-nous qu'un sentimen t est ce qu'il
est ? Quelle est l'origine de la « connaissance » que nous en avons,
que nous avons de sa réalité ? Considérons le respect dont parle
Kant, ce sentiment, dit-il, « est le seul que nous connaissons parfaite-
ment a priori» (x). Cette connaissance a priori du respect, telle que
l'entend Kant, n'est rien d'autre que sa déduction, que la mise en
évidence de son origine dans la détermination de nos sentiments
sensibles par la loi morale, dans l'affection de « l'esprit », entendu de
façon confuse comme la faculté humaine de désirer et comme le sens
interne, par un pur principe intellectuel. C'est parce qu 'il est saisi
comme l'effet de celui -ci précisément , comme l'effet d'un principe
qui, trouvant son fondement dans la raison, est l'objet d'une
connaissance a priori, que le respect est lui-même l'objet d'une
connaissance de cette sorte et se propose comme un sentiment dont
nous pouvons déterminer la nature par des concepts purs a priori,
comme le seul sentiment, dit encore Kant, « dont nous pouvons
apercevoir la nécessité » (2).
Jamais cependant la saisie du respect comme effet de la contrainte
exercée par la raison pratique sur nos penchants et, par suite, comme
cette détermination pénible et douloureuse de la sensibilité contrariée
par la loi, abaissée et humiliée devant elle dans le respect à son égard,
ne nous ferait connaître la nature de ce dernier, la positivité et l'effec-

(I) R, 7
(2) Ibid.
L'AFFECTIVITÉ 697

tivité de sa tonalité affective propre, si nous ne savions d'ailleurs ce


qu'il est, en l'éprouvant, si nous ne le savions précisément du respect
lui-même comme constituant lui-même le contenu de la révélation
qu'il accomplit. La prétendue déduction du respect à partir d'un
principe pur de la raison, loin de pouvoir fonder sa réalité, présup-
pose au contraire celle-ci et sa révélation originelle dans l'affectivité.
Pour cette raison le respect n'est pas l'objet d'une connaissance a.
priori, au sens où l'entend Kant, et ne Jouit d'aucun privilege par
rapport aux autres sentiments, par rapport aux « sentiments sen-
sibles » dont la réalité est également présupposée par la déduction
kantienne. Cette réalité, la tonalité affective propre à chaque senti-
ment et le constituant, n'est Pas donnée non Plus, bien entendu,
dans une connaissance a posteriori, c'est-à-dire comme un contenu
empirique du sens interne et comme un objet, elle consiste préci-
sement dans la propre révélation du sentiment lui-même comme
identique à cette révélation et à son contenu.
La détermination ontologique de la réalité du sentiment, de ce
qui constitue chaque fois sa tonalité propre, à partir de son auto-
révélation à lui-même, c'est-à-dire comme trouvant son fondement
dans l'essence qui, se révélant originellement à soi, constitue elle-
même le contenu de la révélation qu'elle accomplit, met la proble'-
matique en présence de cette évidence : le prrncpe. de la différence ui
existe entre nos divers sentiments est identiquement celui de leur unité.
Et d'abord pour ce qui est de cette différence, il est clair que son
origine doit être Cherchée dans ce qui fait la tonalité spécifique
de chaque sentiment, c'est-à-dire précisément sa réalité propre. Nos
sentiments diffèrent en eux-mîmes, chacun se distingue par soi de tous
les autres, par soi, c'est-à-dire en raison du contenu phénoménolo-
gique déterminé qu'il exhibe chaque fois en lui comme ce qu'if est.
C'est par elle-même, en elle-même, dans sa réalité phénoménologique
propre, irréductible et irrécusable, qu'une joie par exemple se dis-
tingue d'une peine, d'un plaisir, de l'ennui, de la morne « absence
M. HENRY 28
698 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de sentiment », de l'indifférence ou de toute autre tonalité suscep-


tible de la précéder ou de lui succéder dans le déroulement de notre
vie. Pour cette raison , parce que la différence qui s'institue entre
nos sentiments s'institue d'elle-même, à partir de leur contenu plié-.
spécifique et irréductible, de leur réalité, elle se
popose elle-même comme une différence phénoménologique, comme
immédiate et irrécusable.
Qu'elle s'établisse, maintenant, à partir de la réalité de chaque
sentiment et repose sur elle, cela veut dire , cette différence repose
en lui sur le pouvoir qui, le révélant originairement à lui-même, le
détermine ainsi chaque fois comme le propre contenu de la révélation
qu'il accomplit et comme ce qu'il est. Un tel pouvoir réside dans
l'affectivité, laquelle constitue l'essence commune de tous nos senti-
ments et comme telle, précisément, le principe de leur unité. Ce qui
fait que la joie est joie, c'est donc là ce qui fait que la douleur est
douleur, ce qui fait la réalité de chacune de nos tonalités affectives et,
pour cette raison, son unité avec toutes les autres . Parce que celle-ci,
l'unité de toutes nos tonalités , doit être cherchée dans ce qui fait
leur réalité et la fonde chaque fois dans sa spécificité , elle ne leur est
pas extérieure, n'est pas l'unité problématique d'une substance étran
gère aux phénomènes qu'elle fonde et dont elle est chargée précisé-
ment de réaliser l'unité. L'unité de tous nos sentiments réside dans
leur phénoménalité même, non pas toutefois dans la transcendance
. d'un 'eu qui les dépasse et dans lequel ils se manifesteraient comme
dans un monde comme des phénomènes extérieurs . En ceci précisé-
,
ment l'unité de nos sentiments diffère de celle de tous les autres
phénomènes fondée sur ce qui fonde chaque fois leur réalité, à
savoir leur autorévélation à eux-mêmes , consubstantielle à cette
révélation intérieure qui les constitue, l'unité de tous nos sentiments
habite en eux et leur est intérieure comme cette révélation même.
Pour cette raison précisément elle est et peut être identique à leur
réalité.
L'AFFECTIVITÉ 699

La détermination ontologique de la réalité du sentiment dans sa


tonalité affective p ro p re, dans sa différence s p écifi q ue et en même
temps dans son unité avec tous les autres sentiments , à p artir de son
auto-révélation à lui-même, c ' est-à-dire de l'essence de l'affectivité
en lui, rend a priori cadu q ue la tentative de définir au contraire
cette réalité par sa relation à des éléments qui lui demeurent en fait
étrangers, aux mouvements ou aux représentations q ui l'accom-
pagnent, aux objets ou aux valeurs en présence desquels le sentiment
se produit. De tels éléments n'ont en effet rien à voir avec la p ositivité
phénoménologique interne de chaque sentiment, ils. ne sauraient
donc circonscrire sa réalité ni servir à la dési gner. C'est P our q uoi la
psychologie s'égare quand elle pense classer nos divers sentiments
et établir par ce biais une théorie systémati q ue de l'affectivité en se
fondant sur des critères de ce genre. La distinction qu'elle institue
par exemple entre l'émotion et le sentiment à proprement parler,
reposera- t-elle sur le fait que la première est essentiellement transi-
toire, s'accompagne de phenomenes cor p orels , p eut se rep roduire
mais non se conserver, inhibe l'activité , perturbe la pensée et se
présente ainsi comme un « trouble tandis que le second est un
»,
état qui dure, que son intensité ou sa p rofondeur n'est nullement pro-
portionnelle aux manifestations physiologiques qui l'accompagnent
mais dont il peut se passer, qu'il est susceptible de donner lieu à
des souvenirs , de stimuler l'action enfin et de régler la p ensee, et
sur d' autres considérations semblables ? Celles-ci , cependant, outre
leur caractère chaque fois contestable, ne sauraient en aucune façon
nous faire apercevoir la différence en q uestion ni la constituer, nous
faire apercevoir la différence q ui p eut exister p ar exem ple entre une
crainte subite et momentanée, et une tristesse susceptible d'imprégner
toute une existence, si nous ne savions d'ailleurs, de la crainte elle-
même et de la tristesse, ce qu'elles sont et comment elles diffèrent
à partir d'elles-mêmes et de ce q ui fait leur tonalité propre..
Fallacieuse est pour la même raison toute énumération de senti-
700 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ments qui prétend se faire, non d'après cette tonalité qu'ils manifestent
chaque fois comme ce qu'ils sont, mais en fonction de ce à quoi ils
se rapportent, en fonction de leurs « objets ». Des sentiments égoïstes,
altruistes, moraux, religieux, esthétiques, ne diffèrent pas parce
qu'ils
qus se réfèrent au moi,,a autrui, à la valeur morale, à Dieu ou à une
oeuvre d'art, ils diffèrent en eux-mêmes, dans leurs contenus phé-
noménologiques irréductibles et propres, de telle manière que ni
l'idée de ces contenus ni la conscience de la différence qui les sépare
ne peut damais venir de la considération de leurs objets respectifs.
•è remarque concerne les diverses modalités possibles
Cette dernière
d'un même sentiment, de l'amour par exemple comme amour
maternel, filial, de la patrie, sexuel, etc., modalités quis comme l'a
reconnu Scheler (i), diffèrent en elles-mêmes avant de différer
par les objets sur lesquels
. elles se portent.
La même critique vaut évidemment contre la tentative de fonder
la réalité propre de nos sentiments sur la relation qu'ils entretiennent
avec cette catégorie particulière d'objets que constituent les valeurs.
A l'origine de cette tentative est la reconnaissance D dans la diversité
des structures noético-noématiques susceptibles d'être décrites
par une phénoménologie pure, de corrélations d'un certain type ui
s)i nstituent précisément entre un acte intentionnelq constitué par.
un sentiment et son corrélat d'ordre axiologique. La tentation est
grande, dès lors, étant donné le caractère éidéti ue des structures
en question et, par suite, la signification rigoureuse des corrélations
qu'elles régissent, de chercher à définir la réalité d'un sentiment
déterminé à partir de la nature de l'objet auquel il est lie
' par une loi
d'essence. Mais hexistence d'un lien nécessaire entre l'objet axiolo-
gique et le sentiment qu lui correspond peut bien ^ être reconnue,
elle ne fonde nullement maïs présuppose la positivité de celui-ci
laquelle ne saurait être confondue avec celle de la valeur ni inférée

(Y) cf. S, 255.


L'AFFECTIVITÉ 701

à partir d' elle. Considérons l'insatisfaction , elle n'est pas la simple


absence de satisfaction, ce qui se produit quand une de nos tendances
n'atteint pas son but. L'insatisfaction , et d'abord la satisfaction elle-
même, impliquent l'existence et la perception d'une valeur positive
ou négative et un effort orienté vers elle comme vers sa fin. L'activité
résultant de l'effort vers une valeur positive ou d'un mouvement
de répulsion devant une valeur négative s 'accompagne justement
d'un sentiment de satisfaction, tandis que l'insatisfaction présuppose
elle aussi la positivité d'une valeur et l'effort tendanciel vers elle
lorsqu'elle est négative , la répulsion devant elle lorsqu'elle est
positive. La positivité de l'insatisfaction n'a cependant rien à voir avec
la positivité de la valeur, positive ou négative, en présence de laquelle elle se
produit, rien à voir non plus avec la positivité de la relation qu'elle entretient
avec cette valeur, elle consiste dans l'autorévélation à elle-même de la toua..
lité qu 'elle définit, à savoir l'insatisfaction elle-même, et dans l'exhibition
par celle -ci de ce qu'elle est chaque fois.
La détermination ontologique de la réalité du sentiment à p artir
de son autorévélation â lui-même, c 'est-à-dire de son essence inté-
rieure, abstraction faite de toute considération relative à l'objet
axiologique ou non en présence duquel il se produit comme de tout
autre phénomène susceptible de l'accompagner, peut-elle se maintenir
si, comme l 'expérience l'enseigne, ce qui fait chaque fois la specifi-
cité de ce sentiment , sa réalité, se trouve dépendre du cours des
circonstances dans lesquelles il se produit , s'il varie en fonction
d'elles, c'est-à-dire précisément d'un ensemble d'objets auqùel il
se trouve lié par des lois rigoureuses de type éidétique ? L'inser-
taon du sentiment dans les corrélations noetico-noematiques qui
définissent la conscience, c'est-à-dire le tout de l'expérience, ne le
désigne-t-elle pas, dans cette appartenance à ce tout dont il est
fonction, comme une réalité fonctionnelle justement et, a ce titre,
essentiellement dépendante et variable ? Les variations du sentiment
sont-elles autre chose que l'expression des variations du milieu
702 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

auquel il se rapporte, ne leur sont-elles pas liées en tout cas ? De


telles variations ne définissent-elles p as cep endant la réalités p éci-
.
fique du sentiment, ce qu'elle devient chaque fois ? Celle-ci ne trouve
t-elle p as son p rincip e, dès lors, non p as en elle-même, dans l'essence
intérieure de l'affectivité mais hors d'elle, dans ce à quoi le senti-
,
ment se rapporte et dont il est justement le sentiment
A ces questions se lie une interrogation essentielle ce que révèle
le sentiment n'est-ce J'as, outre sa tonalité propre, sa « réalité », ce à quoi
il est lié, à quoi il se rapporte ? Qu'il se rapporte â quelque chose, cela
ne signifie-t-il pas que dans ce rapport, si celui-ci n 'est pas une
relation morte, il se porte au-devant de la chose , se la donne et ainsi
la rend manifeste, la révèle ? La thèse qui fait dépendre la tonalité,
la réalité d'un sentiment , de la nature de l'obj et ou de la valeur en
présence de laquelle il se produit , ne met-elle pas en question l'affir-
mation fondamentale de la problématique selon laquelle le contenu
de la révélation qui s'accomplit dans l'affectivité est constitué par
celle-ci et par rien d'autre ? Ainsi l'amour ne doit-il p as être comp ris
comme ce qui nous révèle l'obiet aimé ou, plus exactement, découvre
en lui cette qualité aimable qui fait que mous l'aimons ? Peu imp orte
finalement le sens de la dépendance qui s'institue entre le sentiment
et son corrélat axiologique, qu'une telle corrélation existe suffit
à montrer l'appartenance du sentiment à une structure d'ensemble,
la signification phenoménolo gi que de cette a pp artenance, à savoir
la révélation par le sentiment de ce qui se propose chaque fois à
lui comme son objet s p ecifi que, donné à lui seul, c'est-à-dire Juste-
ment révélé par luit
Le pouvoir de révélation de l'affectivité ne doit-il pas dés lors se laisser
déterminer comme étant double, comme consistant, non pas seulement dans
la révélation du sentiment à lui-même, mais en même temp s dans la révéla-
lion à celui-ci et par lui de l'objet auquel il se rapporte, de telle manière que,
ontologiquement défini jar la nature du pouvoir de révélation qui lui est
consubstantiel et le constitue , le sentiment se propose et doive être compris.
L'AFFECTIVITÉ 703

comme « sentiment de soi » et en même temps comme « sentiment à l'égard


de », de telle manière que ce qu'il est chaque fois comme sentiment de soi,
que le contenu phénoménologique de la tonalité spécifique qui le détermine et
détermine sa « réalité », se trouve essentiellement codéterminé par la nature
de l'objet auquel il se rapporte, en présence duquel il se produit ? Le respect
par exemple n'est-il pas cette tonalité déterminée qui se connaît
soi-même et ne peut être « connue » que de cette façon, par soi, et,
d'autre part, « ce qui nous ouvre à la loi », une « manière spécifique
de la dévoiler » ( I), en sorte que ce qui s'accomplit en lui, comme
dans tout sentiment possible en général , c'est une révélation, non
pas simple mais double, la révélation du sentiment à lui-même et,
conjointement, celle de l'objet dont il est le sentiment et par lequel
il se trouve déterminé ou du moins codéterminé dans sa réalité même?
Ce qui nous révèle la loi et nous ouvre à elle et, pareillement,
ce qui révèle et nous fait connaître les qualités affectives dont les
objets sont porteurs ou des prédicats spécifiquement axiologiques
tels que « bon », « mauvais », « plaisant », « déplaisant », « favorable »,
« défavorable » et d'autres semblables, quelle que soit la faculté qui,
dans chaque cas, nous fait accéder à ces termes comme à des corré -
lats phenoménologiquement évidents et à ce titre irrécusables, c'est
ce qui confère chaque fois à cette faculté particulière son pouvoir,
celui de se référer à un objet et de l'atteindre comme elle l'atteint,
comme une réalité transcendante, c'est la transcendance , La trans-
cendance, elle seule, rend p ossible et fonde la saisie de l'objet spécifique en
présence duquel le sentiment se produit et auquel il se rapporte. Pour cette
raison précisément une telle saisie, si elle diffère , et cela en vertu
de caractères qu'il est possible de mettre en évidence , d'une connais-
sance théorique ou intellectuelle, d'une connaissance à proprement
parler, lui demeure cependant homogène en ce qui concerne sa
structure ontologique fondamentale : elle se produit comme elle

(I) K, 215.
704 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sous la forme d'une intentionnalité et si le terme qu ' elle atteint se


trouve être porteur de propriétés qui sont absentes dans le cas d'une
simple position théorique , il se propose encore, toutefois, comme un
corrélat, comme une réalité transcendante . Pour cette raison aussi
pareille saisie, celle de l ' objet en
présence
duquel le sentiment se
produit, ne peut se produire là où il n' Y a ni intentionnalité ni
connaissance d'aucune sorte, dans l'essence où la transcendance
n'agit pas, dans l'essence du sentiment lui-même. Le dévoilement
de l'objet spc figue, qualité affective ou valeur, en récence duquel le sentiment
se produit n'est pas le fait de celui-ci. Ce n'est pas qui
as l'amour assurément
connaît l ' objet aime, lequel est donné dans une perception •
le
caractère , toutefois, en vertu duquel un tel objet se propose à nous comme
aimable n e st pas saisi non plus par l'amour . Et de même ce qui fait qu'un
.. .
objet est haïssable n ' est pas connu parla haine . pas
Et ce n'est le
respect qui nous ouvre a la loi. De telles propositions avec ce
qu'elles comportent de paradoxal sont ce pendant le sim p le corollaire
de celle-ci, deja etablie par la problématiura ue : le sentiment ne sa it,
sur lé fondement en lui de ce qu'il est, se ra pp orter à un objet à u n
corrélat quelconque, quelle que puisse être l'originalité du mode de
position d ' un tel raport, et l'affirmation selon la uelle « le sentiment...
q
vise à sa manière » ( I) est â la rigueur vide de sens.
Ou bien le . sentiment doit-il se comprendre comme un tout,.
comme une structure complexe incluant en elle le mouvement vers
l'objet, une intentionnalité
P srnanièxe,
ecifique visant à sa 'lci comme
amour,
A la comme
^haine, et là encore comme désir , un
orrelat c '
lui -
même spécifique, éidétiquement lie à l'acte qui le vise et déterminé
par lui, et, en même temps , une tonalité définie la tonalité de cet
acte précisément qui atteint chaque fois un objet ^ .?Ce qui conféré,
toutefois, à l'acte qui vise l ' objet et l'atteint chaque fors comme son
corrélat transcendant , la tonalité qui lui appartient et fait de lui un

(I) SARTRE, L'imaginaire, op, cit., 93.


L'AFFECTIVITÉ 705

sentiment, c' est l'autô-affection originelle de cet acte par lui-même,


â savoir précisément sa réalité comme constituée p ar cette auto.-
affection elle-même, par l'essence de l'affectivité en lui. Mais c'est
du pouvoir de révélation de l'affectivite qu'il est ici question, du pouvoir de
révélation qui appartient au sentiment en tant que tel, dans ce qui fait de lui
un sentiment. Ce que révèle un tel pouvoir, le contenu de la révélation qu'il
accomplit n'est ni ambigu ni complexe, est parfaitement déterminé. En tant
qu'un tel pouvoir consiste dans l 'auto-affection, dont le concep t a e`te dé ini,
la. réalité dans laquelle il habite et dont il constitue l'essence s 'affecte elle-
même, a le pouvoir d'être affectée par foi, par foi etpar rien d'autre. C'est
par lui-même que le sentiment est affecté dans son affectivité, dans ce i
fait de lui un sentiment, c'est lui-même qu'il révèle, lui-même et rien d'autre.
La philosophie est le respect de la distinction et son accomplis-
sement, elle est la décomposition de la pensée sen ses diverses facultés
et l'attribution à chacune de ce qui lui revient, la reconnaissance du
pouvoir qui lui est propre et de ce qui le fonde chaque fois, la re
connaissance des structures fondamentales qui partagent le réel
et leur saisie dans des essences . Attribuer au sentiment le pouvoir
de se rapporter a un objet spécifique et, en se ra pp ortant ainsi â lui,
de le rendre manifeste , c'est attribuer â l'affectivité un pouvoir de
révélation qui n'appartient qu'a la transcendance et, en même tem p s,.
oublier et manquer le pouvoir de révélation propre à l'affectivité
elle-même, oublier et manquer complètement l'essence qu'on se
propose de saisir et qu'on prétend élucider . Dans la structure d'en-
semble où s'accomplit la révélation à soi-même dans l'affectivité de
l'acte de la transcendance et conjointement, la libération p ar celle-ci
de l'horizon où se manifeste l'objet auquel se rapporte chaque fois
une intentionnalité spécifique , il convient donc de distinguer comme
deux essences irréductibles -- et si justement on veut éviter la confu-
sion ou, en attribuant â l'une ce qui revient à l'autre, toutes les deux
se trouvent perdues et la philosophie avec elles -- le pouvoir de
révélation propre à l'affectivité et celui de la transcendance. Pour
706 L'ESSENCE DE 'LA MANIFESTATION

cette raison, le sentiment considéré dans le pouvoir de révélation


qui lui appartient en p rop re et constitue sa réalité ne saurait être
identifié, ' bien 'qu'il la fonde, aveu une telle structure d'ensemble
incluant en elle la manifestation de l'objet et, précisément, le pouvoir
qui le rend manifeste en s'y rapportant. Que la révélation du senti-
ment à lui-même dans sa réalité p rop re, toutefois, et la manifestation
de l'objet s'accomplissent conjointement, dans l'unité d'une même
structure , d'une structure d'ensemble cela résulte j ustement de ce
que le sentiment fonde celle- ci, de ce que l'affectivité constitue le
fondement de toute affection possible en général.
Que l'affectivité constitue le fondement de toute affection pos
sible en général, c ' est la précisément ce qui fonde et rend intelli gible
a la corrélation qui existe chaque fois entre le sentiment et l'objet en
présence duquel il se produit . Une telle corrélation ne signifie en
aucune façon la détermination mecanique du sentiment par une réalité
extérieure et étrangère à la sienne et le schéma selon lequel une
, ,
entité transcendante qualitativement ou axiologiquement différenciée,
telle que l'odieux, l'effroyable, le bon , le mauvais,>etc. , seraitp
susce -
table de provoquer comme son effet le sentiment qui lui correspond
la haine , l'effroi, l'attrait et l'inclination ou leur contraire est à
rejeter comme relevant d ' une pensée causale et proprement magique.
Mais la corrélation du sentiment et de son objet telle qu'elle s'accom-
plit 'en fait, a l'intérieur d'une relation intentionnelle , comme une
motivation du premier par le second ne signifie en aucune façon
que le sentiment se rapportera it lui-même,^ en vertu de ce9 qu'il est
à l'objet qui précisément le « motive ». Une telle motivation n'est
rien d' autre en effet qu'une affection elle est de lale fait _
transcen-
produit
dance et se ^
assurément comme telle sousdune
la forme
relation intentionnelle. Parce que la transcendance , toutefois, trouve son
essence dans l'auto-affection de la relation qu'elle fonde, une telle relation
se réalise affectivement, revêt la forme d'une tonalité déterminée s la détermi-
nation de cette tonalité, la détermination du sentiment dans sa réalité parti-
L'.AFFECTIVITÈ 707

culière et variable, est celle de la relation elle -même, varie comme elle e
avec elle, de telle manière cependant qu'elle en constitue chaque fois la réalité
se fonde chaque fois et exclusivement sur l'auto-affection de la relation, de la
transcendance elle-même dans l'affectivité.

§ 63. LA VÉ RITÉ DU SENTIMENT


ET LE PROBLÈME DES « SENTIMENTS FAUX »

La détermination ontologique de la réalité du sentiment comme


çonstituée par le propre contenu de la révélation qu'il accomplit,
comme coextensive et consubstantielle à celle-ci et comme identique
à sa p hénoménalité, comme trouvant dans la substance même de.
cette phénoménalité et dans le mode conformément auquel elle se
phénoménalise chaque fois , sa propre substance et le mode de sa
détermination particulière comme réalité déterminée d'un sentiment
déterminé, l'interprétation phénoménologique radicale de l'être
du sentiment à partir de l'essence de l'affectivité en lui comme
essence originaire et pure de la révélation et comme révélation de soi,.
ne se heurte-t-elle pas à une autre objection, la prétention du senti-
ment à l'orna-exhibition de soi-même ne se trouve-t-elle pas mise
en question si, comme l'enseignent la p sychologie et la philosophie
elle-même, d'accord une fois de plus avec le sens commun il existe
,
des « sentiments faux » ? Par là il convient d'entendre des sentiments
qui ne sont pas ce qu'ils paraissent être, de telle manière que, avec
cette dissociation de l'être et de l 'apparence, la détermination onto
logique de leur réalité à partir de leur phenoménalté interne et
comme identi que à celle-ci devient immédiatement impossible. Que
des sentiments ne soient pas ce qu'ils paraissent être, c 'est ce que
montre l'expérience la plus commune, et cela de façon d'autant plus
frappante qu'elle revêt la forme d'une histoire . Ce qui se donnait
comme un grand amour et semblait tel aux yeux mêmes de celui ou
de celle qui l'éprouvait , se révèle après un temps plus ou moins
708 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

long, quelquefois très vite , n'être ou n'avoir été qu'un penchant


superficiel, une attirance pour un objet aux charmes éphémères.
Et de même une haine dans laquelle le sujet qui la vivait avait l'im-
pression de s'engager tout entier, faisant corps avec elle et avec la
volonté destructrice qu'elle manifestait, se révèle après coup avoir
coïncidé avec un « moment de colère », se réduire finalement à celle-ci,
à un affect brusque mais lui aussi superficiel, pouvant laisser place à
une absence totale d'hostilité, voire à un sentiment de sympathie
à l'égard de l'objet un instant haï et qui apparaît dès lors sous un tout
autre jour. Ce qui est remarquable dans ces cas et dans d'autres sem-
blables , c'est que l' illusion ne porte pas seulement sur l'objet du sen-
liment mais précisément sur la nature de celui-ci, sur le sentiment
lui-même considéré dans sa subjectivité et comme une experience
.t
vecue.
Pareille illusion portant sur la nature même du sentiment peut
consister, soit dans le fait de tenir pour un élément déterminant de
notre existence, pour un sentiment profond, ce qui n 'est qu'une vél-
leite passagère, un sentiment superficiel, soit dans le fait de se mé-
prendre totalement sur le sentiment éprouvé, d'interpréter comme
un mouvement de générosité ce qui émane d 'un besoin individuel
d'affection (dans certains cas d'adopt ion d'enfants par des personnes
dont la vie autrement serait vide et sans but, par exemple), comme un
mouvement de pitié ce qui n 'est qu'une impossibilité de supporter
soi-même la vue du malheur , soit dans le fait de ressentir comme un
sentiment personnel une attitude affective que la société exige de
nous dans une situation déterminée (les exemples généralement cités
sont ici` ceux d'une tristesse éprouvée â l'enterrement d'une personne
même très proche mais dont la mort nous laisse malgré tout et au
fond de nous-mêmes « indifférents », d'un plaisir manifesté en présence
d'un cadeau inutile . et qui, sur le moment même, peut très bien n'être
pas feint), soit encore et c'est . alors le cas de la jeune fille qui se prend
,
pour Yseult, de subir comme une
. passion plus forte que toute volonté
L'AFFECTIVITÉ 709

humaine et à laquelle il serait vain de vouloir s'opposer un senti-


ment purement imaginaire, entretenu secrètement et favorisé P ar
l'activité même du sujet qui pense sincèrement en être la victime.
En quoi consiste toutefois l'illusion que tant d' exemples rendent
manifeste ? Quel est son fondement , le fondement de la distinction
présupposée par elle entre l'être réel du sentiment et ce q u'il p araît
être, son « apparence » ? Celle-ci désigne -i-elle la manifestation originelle
du sentiment comme constituée J. ar son auiorévélation à lui-même dans
l'affectivité ? Dire que l'apparence du sentiment ainsi entendue de
façon originelle diffère de son être réel serait dire, de façon absurde
que celui-ci , que la réalité du sentiment n'est pas , constituée par son
affectivité. C'est pourquoi ce qu'on oppose comme son apparence à l'être
réel du sentiment ne désigne en aucune fafon, au vrai, la révélation originelle
de celui-ci dans l'affectivité, révélation consubstantielle à cet être réel et le
constituant, mais l'interprétation que l'existence affective se donne â elle-même
de la tonalité qui est la sienne, la manière dont elle s y rapporte et p rend
attitude à son égard pour l'intégrer dans sa vie , la signification qu'elle
lui prête et à la lumière de laquelle elle la comp rend, à la lumière de laquelle
elle se comprend elle-même. Peu importe qu'une telle compréhension
se produise ae façon thématique ou non , qu'elle aille j usqu'au concept
et revête une forme proprement intellectuelle, ou que, se tenant au
contraire , comme il arrive le plus souvent , sur un plan irréfléchi
et spontané, elle se laisse guider par les représentations sociales ou
symboliques de la conscience naïve, sa structure est dans , tous les
cas celle de la compréhension ontolo gi que de l'être et elle demeure
comme telle, quel que soit le mode de son accom p lissement, fonciè
rement étrangère à la réalité du sentiment identique à sa révélation
originelle dans l'affectivité . Pour cette raison, p arce q ue la réalité
du sentiment , identique à sa révélation originelle dans l'affectivité,
n'a rien à voir avec la manière dont l'existence la comprend, s'y
rapporte, l'intègre dans sa vie et la pense , parce qu'elle demeure
foncièrement étrangère â toute forme de comp réhension, elle ne
710 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

saurait dépendre d'elle ni être atteinte par les modes déficients ou


impropres selon lesquels cette compréhension se produit le plus
souvent dans la vie des hommes l'illusion ou l'erreur ne concerne
jamais le sentiment lui-même et ne lui est jamais intérieure, comme
telle elle ne saurait mettre en cause la détermination phenomenolo-
gique de sa réalité, L'illusion ou l'erreur se trouve touj ours hors du
sentiment dans l'interprétation que s'en donne la pensée. Ce qu'on
appelle des sentiments faux ou illusoires sont des sentiments mal
compris.
Que des sentiments puissent être mal compris et, par suite, se
donner sous une forme illusoire ài la pensée qui projette en eux sa
propre erreur et sa propre illusion, présuppose toutefois que cette
compréhension du sentiment par la pensée peut précisément se faire
mal, être inadéquate, ne pas correspondre à l'objet qu'elle cherche
à saisir, à ce qu'est réellement le sentiment dans la positivité de son.
être phénoménologique irrécusable et prop re: Celle-ci, la positivité
du sentiment dans sa réalité phénoménologique irrécusable et propre est le
seul crilère, le seul point de référence par rapport auquel puisse
se de inirf
toute erreur, toute illusion le concernant, illusïon qui, loin de mettre en ques-
tion, par suite, l'autorevélation à lui-mime du sentiment dans sa réalité,
la présuppose au contraire comme sa condition. Ce qui rend possible toute
erreur, toute illusion concernant le sentiment, ce n'est pas seulement,
toutefois, son autorévélation à lui-même constitutive de sa réalité ;
en celle- ci précisément ne se lisse aucune erreur , aucune illusion,
i1 n'y a pas de mensonge de l'affectivité et le sentiment est ce qu'il
y a de moins ambigu . Ce qui rend possible toute forme d' erreur ou
d'illusion concernant le sentiment réside plutôt dans le pouvoir
dont celles -ci procèdent immédiatement, dont procede chaque fois
« la vérité » qui, en elles, s'affirme indûment et qui n'est qu 'une appa
rence, dans le Logos de la compréhension ontologique de l'être et
de la pensée. Encore l'erreur, l'illusion, ne tient-elle nullement, en
fin de compte, à un mode déficient de l'exercice de ce pouvoir, à une
L'AFFECTIVITÉ 7"

mauvaise compréhension de l'être du sentiment par la pensée, elle lui


est plutôt consubstantielle, et cela en tant que la compréhension
ontologique de l'être, par suite, toute forme possible de compréhen-
sion, est par principe incapable de saisir, c'est-à-dire de laisser être
et se développer, la vérité incluse dans le sentiment et qui lui est
identique comme son affectivité même, en tant que le Logos de la
transcendance est irréductible au Logos de l'affectivité.
Parce qu'elles trouvent leur ori gine dans l'irréductibilité du
Logos de la transcendance au Logos de l'affectivité, l'erreur et
l'illusion qui concernent l'être du sentiment ne sont nullement réduc-
tibles ni comparables , aux erreurs et aux illusions qui interviennent
dans le domaine où la p ensée est chez elle, dans le domaine de t'être
transcendant, et on ne saurait dire avec M. Merleau- Ponty que « tout
n
ce qui est senti... en nous-mêmes ne se trouve pas placé de ce fait sur
un seul plan d'existence ou vrai au même titre, qu'il y a des degrés de
réalité en nous comme ü- y a hors de nous des « reflets », des « fan-
tômes » et des « choses »» (x) . L'apparence brisée du bâton dans l'eau
et qui vaut à ce titre comme un donné phénoménologique irrécusable
peut être interprétée de façon inadéquate par la pensée, saisie et
perçue comme le signe d'une cassure réelle, une telle interprétation
est susceptible d'être corrigée, peut se muer en une interprétation
adé quate, ce qu'elle comprend bien ou mal appartient au domaine d'essence
où se meut la compréhension ontologique de l'être, toute forme de pensée, et se
montre en lui. Mais le sentiment est pour la pensée un abîme, ce qui
ne peut être compris. L'hétérogénéité du sentiment au domaine
d'essence où se meut la compréhension ontologique de l'être rend
celle-ci inopérante à son endroit, explique le caractère principieile-
ment inadéquat de toute interprétation, partielle ou systématique,
na'ive ou pretendue philosop`hiq-ae, de la vie affective, de ses modalités
et de son histoire, et, plus encore, son essentielle gratuité.

(I) PhP, 433.


z 2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Celle-ci devient visible dans la p rolifération des ensembles ex pli-


catifs à l'intérieur desquels le sentiment est intégré et prend place
comme dans un enchaînement où tout est clair et conséquent,
si ce n'est toutefois la tonalité même du sentiment et son surgisse-
ment mystérieux . Les interprétations cep endant qui découlent de
ces ensembles et des grands systèmes d'explication édifiés p ar la
pensée, les constructions fantaisistes ou fantastiques auxquelles
elles donnent lieu, ne laissent pas seulement hors d'elles l'être réel
du sentiment et son contenu phénoménologique propre , elles revêtent
une forme proprement délirante quand, au nom de leurs p rincip es
et selon le jeu de leurs conséquences , elles p rétendent nier ce contenu
et, précisément, traiter comme une « illusion » ce u'est cha ue
q q
fois le sentiment pour lui-même , tenir l'expérience vécue d'une
jalousie à l'égard d ' un partenaire sexuel pour une p ure « a arence »
pp
de ce qui n'est en « réalité » qu'un désir inavoué de le trom per soi
même, l' expérience intérieure de la pitié pour une simple procession
intelligible de motifs , etc. (i ). De telles interprétations ce endant
p
peuvent se poursuivre à l'infini, multiplier les connexions concep-
tuelles par lesquelles elles s'accroissent et se constituent en des
mythologies envahissantes , le sentiment a déjà parlé, ce qu'il est
« en r' 'té », il l'a déjà dit dans la simplicité de son être trans parent
et la vérité
,, de l'affectivité se laisse exprimer dans une seule proposition.
Qu il n' y ait point de sentiment faux ni d'erreur ou d'illusion

(I) Ainsi en est-il évidemment chez Freud, et cela en dépit de l'affirmation


décisive selon laquelle, tandis qu' u une représentation peut exister même si elle
n'est pas perçue, le sentiment par contre consiste dans la perception même » (note
ajoutée par Freud à la thèse de De SAÛSSURE sur La Méthode psychanalytique, 17,
cf. aussi FREVD, Introduction d la Psychanalyse, trad. JAxsÉLÉVITCH, 438), selon
laquelle par conséquent le sentiment se trouve arraché aux grandes masses trans.
cendantes de l'inconscient et du mécanisme psychologique. Parce que l'affectivité
dont le caractère essentiellement phénoménologique se trouve ainsi improprement
mais effectivement reconnu par Freud, constitue cependant la réalité de la repré•
sentation elle-même et sa possibilité, c'est tout le contexte philosophique et eoncep•
tuel du freudisme qui s 'écroule.
L'AFFECTIVITÉ
713

incluse
sion en lui, dans sa réalité que toute erreur et toute illu-
illu-
sion le concernant trouvent au contraire leur principe hors de lui,
dans l'interprétation qu'en propose la pensée et dans le Logos ou
elle se meut, c'est là ce qui rend sans objet la critique instituée par
Hegel. contre ce qu'il présente
, comme une opnion du sens commun
opinion sur laquelle se fonde justement l'arbitraire de toutes les oPi-
nions, a savoir l ' affirmation que le sentiment ne trompe point et que
toute vérité trouve en lui son fondement et son assurance dernière.
Faisant ainsi « appel au sentiment,^ son oracle
, le intérieur
sens »
commun, dit-11, « rompt tout contact avec ce qui n'est pas de son
.
avis », car « il n'a rien.. , â dire à celui qui ne trouve pas et ne sent bas
en soi-même la vérité ». C'est pourquoi, dans cettep rétention ede s
fonder sur ce qu'il sent en soi - même et sur son sentiment intérieur,
le sens commun, dit encore Hegel, « foule au pied la racine de l'huma-
nite, carda nature de l'humanité c'est de tendre à l'accord mutuel»
( i)
La vente cependant que le sens commun, selon Hegel, pretend fonder
sur ce qu' il sent en lui- même et sur son sentiment intérieur ,
n'est
pas la vérité de celui -ci, la vérité qui trouve son essence et son contenu dans
l'affectivité elle-même, c'est chaque fois une thèse pensee, de la à sa voir
qu'il y a ou qu' il n'ypas
a de dans l'histoire
progrès '
de 1 humanité,
que les hommes sont méchants par nature ou qu'ils sont bons, que la
guerre est inévitable, l'amour aveugle, l'é alite une utopie, etc,
g >
autant
. ,
d'affirmations
. p jugtaprétendu
osées de façon gratuite à un
sentiment interieur de leur vérité, lequel n'existe as, car la vérité
du sentiment lui est mterieure et consubstantielle est foncièrement
étrangere à la « vérité » incluse dans de telles propositions et formulée
par elles . Parce que la vérité du sentiment est foncièrement étrangère
à la vérité incluse dans de telles ro ostions elle ne saurait assuré-
ment ni la fonder, ni être atteinte au contraire lorsque celle-ci se
révèle illusoire . Pour cette raison la crit ique instituée par Hegel

(i) PILE, I, 59.


714 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

contre l'attitude décrite comme celle du sens commun ne vise en


aucune fa çon, comme il le croit pourtant , le sentiment lui-même ni
le pouvoir de révélation qui lui appartient en propre . Elle ne pourrait
le faire que si l'on comprenait la vérité rendue manifeste par un
tel pouvoir comme identique à celle de la pensée , ce qui est précisé-
ment la thèse du sens commun, laquelle se ramène ainsi à celle de
Hegel selon laquelle toute vérité procède de la pensée et se fonde sur
elle. Qu'il n'en soit pas ainsi cependant , que la vérité du sentiment,
à savoir le contenu qu'il manifeste , soit constituée par le sentiment
lui-même et par rien d'autre, c'est la ce qui ruine la prétention de
fonder sur celui-ci le contenu d'une thèse dorique et , en même temps,
les objections dirigées contre le pouvoir de révélation de l'affectivité
lorsque ce pouvoir est interprété comme la position d'un contenu
de ce genre et en général comme une position . Les objections dirigées
contre le pouvoir de révélation de l'affectivité viennent justement de la méconnais-
sance complete de la nature de ce pouvoir, de la nature de la reve'lation qu'il
accomplit.
La méconnaissance de la nature du pouvoir de révélation de
l'affectivité et ce qui en résulte, l'ensemble des pr juse's concernant le
sentiment, c'est là toutefois, la problématique l'a reconnu, ce qui ne
peut être simplement constaté ce dont l'origine doit être montrée.
,
La détermination ontologique du pouvoir de révélation de l'affecti-
vité, de son comment, de son contenu, la détermination de ce contenu
comme constitué par ce comment, du contenu de la révélation de
l'affectivité comme constitué par l'affectivité elle-même et par suite,
,
comme un contenu s'accomplissant dans l'invisible, comme invi-
s ole dans sa positivité phénoménologique propre, rend claire cette
origine. La méconnaissance du pouvoir de révélation de l'affectivité
s'enracine dans la nature même de ce pouvoir.
Des préjugés concernant l'affectivité et de ce qui les détermine,
la méconnaissance du. pouvoir de révélation propre à l'affectivité
elle-même, il a été dit qu'ils ne dominent pas seulement les représen-
L'AFFECTIVITÉ
71 5

tations du sens commun mais, plus encore, l'histoire de la pensée


philosophique , Aujourd' hui cependant une telle affirmation eut-elle
être maintenue ? L interet de la réflex i on contemporaine ne se porte-
.
t-il pas au contraire , d'une façon très remarquable, sur l'affectivité
comprise justement comme un pouvoir de révélation original et
fondamental ? Une telle tendance ne se manifeste-t-elle pas notam-
ment, avec éclat, chez Scheler et chez Heidegger?

64. LE POUVOIR DE RÉVÉLATION DE L'AFFECTIvrr SELON SCHELER

L'un des traits caracteristi q ues de la p ensée de Scheler est son


effort pour arracher l'affectivité au discrédit qui p èse traditionnelle -
ment sur elle, et cela justement en lui reconnaissant un pouvoir de
i
revelation propre et , qui plus est, originaire et fondamental. Pareil
effort se manifeste tout d'abord dans le rejet de la distinction classique
de la sensibilité et de la raison, telle qu ' elle se propose habituelle-
ment comme un partage institué dans le tout de l ' ex erience humaine
entre ce qui relève d ' une légalité apriorique et pure, absolue et éter-
nelle, à savoir précisément un ordre rationnel dont les contenus
conceptuels et, en même temps, les actes et les fonctions qui les
donnent, laissent paraître en eux des caractères ori ginels, des struc-
tures definies visibles partout ou se présentent de telles fonctions
et leurs contenus , et les réglant, réglant le jeu de corrélations,
leurs '
bref des essences , et, d'autre part, un ordre de faits extérieur et
étranger à cette légalité intellectuelle et trouvant au contraire son
principe dans la structure organique et psychophysique de l'homme,
à savoir l'ensemble de nos expér iences sensible '
s, émotionnelles
et affectives . En celles- ci bien au contraire selon Scheler, ddans les
actes et les fonctions sur lesqtelles elles reposent et de la même
manière, dans les objets avec lesquels elles nous mettent en rapport
se montrent des caractères éidet ques spécifiques et irréductibles,
des caractères originels absolument comparables à ceux que mari-
716 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

festent les actes qui saisissent des objets logiques, différents d'eux
sans doute, mais égaux en dignité , c'est-à-dire justement dans leur
capacité de définir a priori et de régler un ordre de fonctions pures
et d'objets purs, et leurs corrélations, les corrélations noético-noéma-
tiques de la vie émotionnelle et affective . Ainsi y a-t-il, à côté de
l'entendement et du mode d'expérience qu'il détermine , un « ordre
du coeur », une « logique du coeur », conformément à laquelle « le
coeur a ses raisons », c'est-à-dire « quelque chose qui équivaut véri-
tablement en dignité et en signification à des fondements » (t).
Que la vie émotionnelle et affective ait ses fondements propres,
cela veut dire qu'elle n'est pas une simple accumulation de phéno-
mènes naturels, contingents et aveugles , et ne peut y être réduite,
mais constitue au contraire un mode d'expérience authentique et
déterminé, lequel consiste précisément dans cet ensemble d'actes
et de fonctions éidétiquement définies et nous mettant en rapport
avec des objets spécifiques liés à ces actes par des corrélations
,
rigoureuses, obéissant elles-mêmes à des structures définies. Ne se
laissant pas réduire à une accumulation de faits naturels, contingents
et aveugles, constituant au contraire en elle-même et par elle-même
un mode d'expérience authentique et déterminé , l'affectivité se
laisse comprendre comme ce qu'elle est, comme un pôuvoir de révé-
lation original et propre. En quoi consiste l'originalité de ce pouvoir
comparé à celui de l'entendement ? En ceci que les fonctions et les
actes dans lesquels il se réalise se proposent comme essentiellement
affectifs, de telle manière que ce caractère qui les distingue leur
appartient comme un caractère essentiel et constitue justement leur
spécificité.
Aux perceptions de l'entendement
. s'opposent ainsi irréductible-
ment, à l'intérieur même de la sphère noétique à laquelle ils coappar
,tiennent, des actes et des fonctions dont l'essence est comprise par

(I) F, 266-267.
L'AFFECTIVITÉ
711

Scheler et subsumée par lui sous le concept général de la <perce p


-tionafecv».Prlàutnedfocisaequn't
ni une perception sensible ni une intuition intellectuelle ni un juge.
ment ni un acte quelconque de l'entendement mais, précisément,
un sentiment. Celui-ci, le sentiment considéré en tant que tel, est
donc ce qui accomplit la saisie, le pouvoir de saisir est le pouvoir
du sentiment lui-même et lui est identique. Le caractère affectif
de la perception affective ne sautait désigner, par suite, une simple
tonalité accompagnant perception
une ordinaire une représentation
sensible ou intellectuelle par exemple, la tonalité de cette représenta-
tion, ce qu'il prétend définir, c'est au contraire une perception fui
• ,•, ..
. et,
generis precisement, le mode d'une saisie s'accom lissant comme
p
sentiment, dans le sentiment et par lui. Parce que, dans la perce ption
.
affective, c'est le sentiment qui accomplit la saisie, ce qu'elle saisit
ne peut l'être que par celui-ci, par le sentiment lui-même. L'objet
de la perception affective n'est accessible qu'en elle. C'est précisé-
ment la ce que signifie l'idee d'une corrélation noético-noématque
de type éidétique entre les fonctions et les actes de l'affectivité et
leLrs objets,
1 g l'ide'e d'une lé alité affective
propre, d'une logique
affective.
La détermination ontologique du pouvoir de révélation propre
à l'affectivité s'accomplit des lors avec la mise en évidence de l'essence
de la perception affective, des essences des fonctions dans lesquelles
elle se realise, des essences des objetsa que saisissent ces s fonction
et auxquels on n'accède que par elles. Vois sortes d'objets, selon
Scheler, se découvrent dans la perception affective et sont atteints
par les diverses fonctions dans lequelles elle se réalise des qualités
affectives, en premier lieu, des caractères d'atmosphère émotionnelsi
et objectifs, tels que le caractère paisible d'un fleuve serein d'un
ciel, etc. ; en second lieu, des sentiments qui sont soit les ^sentiments^
mêmes du sujet qui les perçoit affectivement, par exemple une colère
une douleur dont l souffre ou au contraire dont il jouit, soit les
718 L'ESSENCE DE LA MANLFESTATION

sentiments d'autrui donnés comme tels dans la sympathie ; des


valeurs, enfin, telles que l'agréable, le beau , le bon, qui peuvent être
saisies sur les objets qui en sont les porteurs ou au contraire être
atteintes en elles-mêmes et constituer ainsi un monde axiologique
autonome, absolument indépendant â l'égard du monde de la repré-
sentation . Les fonctions qui donnent chaque fois ces ob j ets sont la
perception affective des qualités affectives transcendantes , la sym-
pathie, des fonctions affectives telles que « jouir de », « souffrir de »,
« se réjouir au sujet de », et qui concernent soit des sentiments, soit
des objets porteurs de valeurs , la saisie immédiate de celles-ci,
enfin, dans des actes d'amour, de haine, de préférence , qui atteignent
directement les qualités et les structures axiologiques en l 'absence
de tout contenu représenté ou imaginé , Dans ce dernier cas apparaît
en pleine lumiere le caractère absolument propre et specifique du
pouvoir de révélation de l'affectivité , puisque celui - ci s'exerce indé-
pendamment de toute représentation sensible , imaginative ou
intellectuelle, indépendamment de l'entendement.
Le pouvoir de révélation ` de l'affectivité ne s'exerce pas seule-
ment, toutefois , indépendamment de l'entendement , de toute repré-
sentation, il précède l'intervention de celle-ci, ce qu'il révèle, l'objet
de la perception affective, se révèle antérieurement à l'objet de la
représentation et se comporte chaque fois comme un guide pour la
détermination de ce dernier . « Les valeurs des choses , dit Scheler,
sont données avant leurs représentations imaginatives et indépen-
damment de ces représentations ( 1) . » En cela consiste le caractère.
originaire du pouvoir de révelation propre à l'affectivité. Un tel caractère
se manifeste partout où se produit quelque chose comme une percep-
tion affective. Sur le plan de la vie déjà, le sentiment vital nous révèle
des valeurs afférentes aux processus vitaux qui s'accomplissent en
nous ou hors de nous, des valeurs vitales telles que l'avantageux, le

(I) F, 304.
L'.AFFE C TIVJTf
719

nuisible, le dangereux avant -même que soient donnés les phno


,
mènes qu'elles concernent
, « de telle sorte qu'il nous est possible de
provoquer ou d'empêcher leur apparition » (i). De même, à l'autre
extrémité de la hiérarchie axiolog i que, la valeur supérieure, la qualité
axiologique du divin, est l'objet d'une perception étrangère à tout
acte de représentation, d'une perception affective immédiate et
spécifique, laquelle consiste dans la visée intentionnelle de l'amour de
Dieu (z). Une telle perception, par essence affective consistant dans
l'amour, ne présuppose même pas, comme les actes émotionnels
de la préférence et en général de l'évaluation , la donnée préalable
des valeurs aimées, c 'est, bien au contraire, dans le déroulement même
de cette perception, dans l'accomplissement d'un mouvement d'amour
et par la force de celui-ci que de telles valeurs et ultimement l'essence
axiologique de Dieu se trouvent découvertes et révélées (i). Que
cette révélation des valeurs supérieures ne doive rien à la représenta-
tion ni à l'entendement et au contraire precède leur action et la rende
possible, on le voit justement dans le fait qu'elle fournit la substance
de l'ethos qui est celui de l'humanité à un moment donné de son
histoire, substance autour de laquelle s'organisent et se developpent
ultérieurement, de façons ldiverses et parfois opposées, les représen -
tations et les conceptions par lesquelles la pensée tente de l'exprimer.
Et c'est ainsi que ;se constitue, comme le remarque Scheler , une
« unité morale de l'humanité » (4), un accord sur le noyau axiologique
de l'ethos et par exemple de l'idée de Dieu, en dépt des différences

(I) F, 349. -- Cette signification originaire du pouvoir dé révélation propre au


sentiment vital met ainsi directement en cause l'affirmation de Husserl selon laquelle
au contraire c pour que quelque chose puisse être donné comme ... redoutable , repâus-
saut , attirant .., il doit d' une certaine façon être présent... dans l ' expérience sensible
immédiate, meure si nous n'allons pas plus loin dans sa perception et ne cherchons
pas à l'expliquer.... n (EU, 53)•
(2) F, 304.
(3) Cf.ID., 314•
(4) ID., 305.
720 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qui se font jour parmi les individus et les groupes en fonction de


leurs niveaux de culture , c'est-à-dire précisément des degrés divers
du développement de la représentation et de la pensée.
Cette question cependant ne peut plus être différée : dans l'essence
de cette fonction sui generis de saisie, irréductible à un acte de repré-.
sentation et le précédant, que constitue la perception affective,
sur quel élément se fonde le pouvoir de révélation qui lui appartient en propre,
sur son caractère affectif ou sur sa structure perceptive , à savoir la structure
intentionnelle que Scheler lui reconnaît ? Celle-ci en réalité, l'intentionnalité
constitue en tant que telle, dans le mouvement de transcendance qu'elle accomplit
chaque fois, le pouvoir de révélation propr à la p ercepff tion a ective, pouvoir
e que Schel r comprend justement comme celui de lf'a fectivité. « Dès l'ori gine,
écrit-il, la perception affective comporte une « relation de soi »
et une « orientation de soi » vers un obj ectal (i ). »
C'est précisément parce qu'elle porte en elle cette structure inten -
tionnelle comme sa propre structure, parce que d'elle-même elle
s'ouvre à l' objet et se rapporte intérieurement et, par suite, effective-
ment à lui, que la perception affective diffère totalement d'un « état »,
d'une réalité fermée sur elle-même et incapable dès lors d 'entretenir
avec ce qui l'entoure autre chose qu'une relation externe, associative,
incapable de représenter, à l'intérieur de cette relation, autre chose
qu'un « signe ». « Cette perception affective n'est pas un état brut,
un simple état de fait susceptible d'entrer en relations associatives
ou de devenir « signe » ; c'est un mouvement a yant une fin déter-.
minée... mouvement dans lequel quelque chose m'est donné et « se matifeste »
à moi (2).
. Que le pouvoir de révélation de la perception affective, compris
comme celui de l'affectivité elle-même, réside dans le mouvement
intentionnel de la perception et soit situé en lui et dans sa structure

(I) F, 269-270.
(2) Ibid., souligné par nous.
L'AFFECTIVITÉ 721

fondatrice, dans la transcendance elle-même , cela montre en premier


lieu que l'essence de ce pouvoir , l'essence de l'affectivité, a été tota-
lement méconnue par Scheler, falsifiée et confondue avec une autre,
en second lieu que la distinction instituée entre la perception affec-
tive et la représentation, et donnée comme essentielle comme permet-
,
tant d'isoler et de reconnaître l'essence de l'affectivité par opposition
à celle de la pensée, ne peut précisément j ouer ce rôle, se propose bien
plutôt comme inessentielle , s'il est vrai que, loin de différer comme deux
essences irréductibles, la perception affective et la représentation sont toutes
deux intentionnelles et trouvent ainsi dans la structure d'une essence commune,
dans la structure de l'intentionnalité , le pouvoir de révélation qui les constitue
l'une et l'autre et les détermine comme ontologiquement homogènes Mais
là-dessus donnons la parole à Scheler lui -même « la perception affec-
tive a le même rapport à son corrélatif axiologique que la « représentation »
à son « Objet », savoir un rapport intentionnel » (i).
Parce que le pouvoir de révélation qui lui appartient en propre
et la constitue réside dans l'intentionnalité et, ultimement , dans son
essence , dans la transcendance , c'est- à-dire encore dans la structure
fondatrice de la compréhension ontologique de l'être, structure qui
fonde toute forme possible de compréhension et, par exemple,
celle qui est à l'oeuvre dans la représentation et dans la pensée, la
perception affective, homogène à celles-ci, se présente nécessairement
elle aussi et se laisse déterminer comme une forme de compréhen-
sion. « Toute perception affective de quelque chose est par
principe une forme de compréhension ». Comme telle , elle a, néces-
sairement aussi , une « signification », c'est-à-dire une relation à
l'objet auquel précisément elle se rapporte, sur lequel elle se règle
intérieurement, de telle manière que la compréhension qui s'accomplit
en elle est susceptible de se faire de diverses façons, adéquatement
ou non. « La perception affective est donc un événement ayant une

(i) F, 270, souligné par nous.


722 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

signification et par là même aussi capable de correspondre ou de ne


pas correspondre à un contenu de réalisation (i). »
Que la perception affective ait un contenu de réalisation sur
lequel elle doit se régler intérieurement , au q uel elle est capable de
correspondre ou non, cela veut dire, celui-ci, le contenu de la percep-
lion affective est par essence différent d'elle. Une perception affective
déterminée peut se produire, viser un contenu déterminé , p ar exemp le
une douleur , et ce contenu n'être pas atteint par elle, la douleur
être seulement une douleur visée et non pas une douleur « réelle »,
intuitivement saisie dans la perception et présente en elle comme une
réalité donnée en personne . En ce cas, précisément , la p erce p tion
affective ne « correspond pas» à son « contenu de réalisation ». Lorsque
la compréhension qui s'accomplit dans la perception affective s 'achève
au contraire avec son remplissement intuitif adé quat, corres p ond à
son contenu de réalisation, celui-ci n'en demeure pas moins différent
de la perception affective elle- même, extérieur à elle, foncièrement
étranger à son être propre. C'est pour cette raison , p arce q ue le
contenu de la perception affective demeure en tout cas extérieur à
elle, étranger à son être p ropre, qu'elle est susceptible d'être remplie
ou non par lui, que la compréhension qu'elle accom plit est suscep-
tible de trouver ou non en lui sa réalisation.
L'extériorité du contenu de la p erception affective n'est p as seule-
ment, toutefois, la condition de celle-ci et de la com préhension qui
s'accomplit en elle, elle en résulte. Précisément parce que Scheler inter-
prèle le pouvoir de révélation de l'affectivité, identifiée à une percep tion
affective, comme celui de l'intentionnalité, le contenu de ce pouvoir, ce qu'il
révèle, se trouve déterminé, se propose nécessairement comme le corrélat
d'une intentionnalité, comme un contenu transcendant . Les qualités affec
tives, les valeurs, les sentiments eux-mêmes que révèle la perception
affective se présentent ainsi chaque fois sous 'la forme d'un corrélat

(I) F, 2 70.
L'AFFECTIVITÉ 723

intentionnel, comme un contenu extérieur dont l'extériorité n'est


ni provisoire ni accidentelle mais s'enracine au contraire dans la
structure ontologique de l'objet et lui est identique. C'est à la lumière
de cette signification ontologique structurelle de la transcendance de
l,« objet » que doit se comprendre l'appartenance au monde des
qualités affectives, l'appartenance à un monde des valeurs elles
mêmes et la constitution par elles d'un univers axiologique objectif.
La transcendance du corrélat intentionnel de la perception affec-
tive, constamment affirmée par Scheler, a été mise en évidence par lui
de façon remarquable dans le cas de la sympathie dont l'objet, abso-
lùment étranger au sentiment de celui qui sympathise, se trouve
constitué précisément par le sentiment de l'autre, vécu et saisi comme
tel dans son altérité. L'extériorité ontologique du corrélat de la per-
ception affective doit être affirmée également, toutefois, dans le cas
où celle-ci se dirige vers le sentiment même du sujet qui perçoit, de
telle manière que ce sentiment perçu par le sujet comme le sien propre
n'en demeure pas moins foncièrement étranger au pouvoir qui le
vise et à la tonalité de ce pouvoir, distinct d'elle, de la perception
affective elle-même précisément. Ainsi en est-il lorsque je souffre
de la joie secrète que me cause un événement qui devrait m'attrister
le souffrir qui constitue la perception affective de cette joie demeure
assurément différent d'elle. Une telle différence, toutefois, ne tient
pas au fait que le souffrir est par essence différent de la joie, elle subsis-
terait dans le cas de deux tonalités identiques. La différence qui existe
entre la tonalité de la perception affective et celle de son objet résulte- de la
structure même de leur relation comme constituée par l'intentionnalité, résulte
de ce que le contenu de celle-ci lui est par essence étranger. Ainsi s'accomplit
la détermination ontologique du pouvoir de révélation de l'affectivité.
comprise comme une perception affective se meprenant totalement
sur la nature de ce pouvoir et le confondant avec celui de la trans-
cendance, Scheler se méprend nécessairement sur son contenu et le
confond avec le contenu de la transcendance elle-même.
724 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

La perception affective qui se rapporte intentionnellement à son


objet et se le donne chaque fois comme un corrélat transcenda nt,
en laquelle s'accomplit chaque fois, comme dans le cas de la repré-
sentation bien que de manière différente, une forme déterminée de
compréhension, qui peut, comme telle, correspondre ou ne pas
correspondre à un contenu de réalisation, se produit cependant avec
un caractère spécifique en vertu duquel elle se présente précisément
.
comme affective. Qu'en est-il de ce caractère affectif de la perception affec-
tive, c'est-à-dire de l'affectivité elle-même ? Considéré en lui-même, inde en-
damment de la structure intentionnelle de la perception, constitue-t-il
l'affectivité considérée en elle-même constitue-telle, en tant que telle, quelque
chose comme un, pouvoir de révélation ? La réponse de Scheler est négative.
Précisément parce que pour lui, comme pour l'ensemble de la philo-
sophie occidentale, le pouvoir de révéler réside et trouve son essence
dans la structure intentionnelle de la conscience et ultimement dan s
ce qui la fonde, dans la structure de la transcendance ce qui ne porte
pas en soi cette structure et ainsi ne se rapporte à rien, ne se trans-
cende vers aucun objet, est par principe depourvu d'un tel pouvoir ,
du pouvoir d'accomplir une révélation quelconque. Telle est préci-
sénaent la condition de ce qui est affectif considéré dans son affecti-
vité, la condition du sentiment en tant que tel.
Cette condition devient visible dans le cas du sentiment sensoriel le quel
justement ne se transcende vers rien. Les sentiments sensoriels dit
Scheler, et par là il entend des tonalités de l'ordre du plaisir et de
la douleur, sont « présents sans objecta » (i). Pour cette raison les
relations qu'ils peuvent entretenir avec des objets, par exemple avec
ceux qui sont censés agir sur eux comme leurs causes sont seulement
des relations externes, posées ou représentées par la Pensee extérieures
en tout cas au sentiment lui-même. Paice qu'il ne constitue jamais en
lui-même la relation et ne se rapporte jamais de lui-même à des ob Jjets ,

(x) F, 268.
L'AFFECTIVITÉ 725

parce que la structure de l'intentionnalité n'est pas présente en lui et


dans ce qui fait son affectivité, dans ce qui fait le caractère agréable
du plaisir ou le caractère douloureux de la douleur, le sentiment
sensoriel est par principe incapable
. de révéler quoi que ce soit, Cette
incapacité du sentiment sensoriel, cependant, ne lui est pas propre,
ne résulte nullement en lui de son caractère spécifiquement sensoriel,
c'est-à-dire de sa liaison avec une structure organique déterminée,
liaison qui demeure d'ailleurs totalement extérieure au sentiment lui-
même, étrangère à son contenu. L'incapacité d'accomplir en soi-
même et par soi l'oeuvre de la révélation concerne en réalité ce qu'il
y a de proprement affectif dans le sentiment sensoriel, ce qui fait que
la douleur est douleur, que le plaisir est plaisir, l'élément affectif en
tant que tel, c'est-à-dire encore l'essence même de l'affectivité ; elle
doit pour cette raison se retrouver dans tous nos sentiments et en
chacun d'eux résulter chaque fois de ceci que l'élément affectif consi-
dere en tant que tel précisément ne se transcende pas.
Ainsi voit-on Scheler être amene' à dire d'un sentiment qui n'a
rien de sensoriel, par exemple d'une tristesse, très exactement ce qu'il
a dit du sentiment sensoriel lui-même. je puis par exemple m'in-
terroger sur la cause de ma tristesse, sur son « objet ». A celui-ci
cependant la tristesse ne se rapporte pas d'elle-même par un mou-
vement intérieur, seul un acte représentatif, étranger à la tristesse,
peut rapporter cette dernière, de l'extérieur, à un objet comme à sa
cause : « ce n'est qu'après coup et par une visée mentale que je les
mets en relation. Il n'est pas vrai qu'ici le sentiment soit lié d'entrée
de jeu à une réalité ob j ective... En aucun cas le sents'ment ne se réÎre de
soi-même à l'objet... Il ne contient en lui aucune « visée mentale », il n'est
aucunement « orienté vers » (x).
Les sentiments supérieurs cependant, ceux qui nous ouvrent
le monde axiologique par exemple, ne portent-ils pas en eux ce

(I) F, 268-269, souligné par nous.


726 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ppùvolr, justement, de nous découvrir les objets qui composent ce


monde, de se rapporter intentionnellement à eux ? La problématique
l'a montré, toutefois, le pouvoir de découvrir de tels objets et,
pareillement, les qualités affectives transcendantes ou encore les
tonalités elles-mêmes auxquelles le sentiment est censé se rapporter,
est celui, chaque fois, d'une intentionnalité déterminée , trouve son
essence dans la structure de celle ci, dans la structure de la perception,
-
en aucune façon dans la tonalité qui accompagne cette intentionnalité
et lui est liée selon une relation dont Scheler ne recherche point le
fondement et qu'il prend au contraire comme allant de soi. Que le
pouvoir de se rapporter à des objets et de les révéler ne soit jamais
celui de la tonalité affective considérée en elle-même et dans ce qui
fait son affectivité, qu'il ne réside pas dans l'essence de celle-ci et lui
demeure au contraire étranger, cela résulte de ce que cette essence se
réalise pleinement dans le sentiment sensoriel par exemple , ou dans
la tristesse, et pareillement dans la joie ou dans la souffrance et dans
l'amour considéré en lui-même comme une tonalité, sans que se
lève l'intentionnalité du rapport , en l'absence de toute relation
intérieure à l'objet, en l'absence de toute transcendance.
En l'absence de toute transcendance cependant, et parce que
celle-ci est comprise unilatéralement comme l'essence même de la
manifestation et son unique fondement , aucune manifestation ne se
produit. Pour autant qu'il laisse hors de lui l'intentionnalité du
rapport, le sentiment considéré en lui-même n'est plus qu'une déter-
mination opaque, foncièrement étrangère à l 'élément de la phéno
ménalité, analogue à n'importe quel étant. En lui-même, le sentiment
est aveugle. Scheler ne pressent la détermination ontologique struc-
turelle de l'essence de l'affectivité comme constituée par l'exclusion
hors d'elle de toute transcendance que pour laisser déchoir cette
essence et tous les phénomènes qu'elle fonde sur le plan des détermi-
nations ont.tques.
Ici se fait jour une connexion essentielle , une connexion entre
L'AFFECTIVITÉ 727

l'impossibilité ou la possibilité pour une chose d'accomplir en soi,


de soi-même, l'oeuvre de la révélation, et la nature de cette chose. Ce
qui ne porte pas en soi une telle p ossib ' 'te et ne lui est p as identi ue
q
dans son être, ce qui est par principe incapable de révéler quo que ce
soit, se trouve essentiellement déterminé , en vertu de cette connexion,
comme n'étant précisément qu'une « chose », ce qu'on trouve et qui
ne se trouve j amais soi• même , un « état ». « Tous les sentiments spéci-
fiquement sensoriels, dit Scheler, sont par nature même des états. »
Mais la tristesse aussi ou la colère , q ui elle non plus ne se rapp orte à
rien, dont « le lien avec ce contre quoi ' e me mets en colère n'est ni
intentionnel ni originaire », en sorte que par elle « il est sûr q ue je ne
saisis rien » (i), sont des états. Et de même les sentiments vitaux pris ,
non pas dans leur « totalité », c'est-a-dire dans leur liaison avec une
structure i ntentionnelle extérieure à leur « contenu affectif immé-
diat » (2 ), mais réduits à ce contenu, c'est - â -dire recisement à leur
p
affectivité, sont des états. L'amour est un état, si on considere l'étoffe
dont il est fait, sa substance, sa tonalité si on considère en lui le
sentiment. Tous les sentiments considérés en eux-mêmes , c'est-à-dire dans
leur affectivité, ce que Scheler appelle de s «qualités affecti ve s » sont par
essence des états, des « états affectifs` », de « simples états affectifs » Ii n'
y
a pas de différence à faire entre eux à cet égard , la distinction hiérar-
chique qu' institue Scheler entre les sentiments sensoriels vitaux
psychologiques ou spirituels ne concerne pas leur affectivité et ne
la met pas en cause La distinction instituée p ar Scheler est une
.
distinction entre les « simples états affectifs `», d'une p art, et, d'autre
part, des « visées intentionnelles affectives », des « p erce tions affec-
p
tives » (3), c'est-à-dire des structures intentionnelles affectivement
déterminées mais extérieures à l'essence même de l'affectivité, puisque
les sentiments ne ,vont pas toujours intentionnels et que, réciproquement,

(I) F, 268, 270.


(2) ID., 348.
(3) ID., 267-268.
728 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

les intentionnalités ne sont pas toujours affectives, comme on le voit, selon


Scheler, dans les actes de la représentation et de la pensée , dans les
actes simples de l'objectivation.
Parce que les sentiments sont des états, parce qu'ils sont étrangers
à l'élément pur de la phénoménalité et ne portent pas en eux-mêmes,
dans leur affectivité, comme identique à celle-ci, comme identique à
leur être, le pouvoir de révéler , leur propre révélation , la promotion
de nos sentiments dans la condition de phénomène s n'est paf leur fait et ne
s'accomp lit pas en eux, ne trouve en eux ni son fondement ni son effectivité,
est le fait d'un pouvoir étranger et s'accomplit en lui, est le fait du pouvoir
qui est comp ris comme celui d'accomplir la révélation, du pouvoir de la per-
ception et de la transcendance elle-même . La distinction instituée par Sche-
ler entre les états affectifs et les percep tions
. affectives est précisément
une distinction entre l' affectivité par elle-même incapable d'accomplir
la révélation et réduite ainsi au rang d'état, de simple contenu empi-
rique ou ontique, et, d'autre part, l'élément ontologique de la mani-
festation pure identifié à la structure intentionnelle de la perception :
« les états -affectifs et les perceptions affectives sont donc des réalités
fondamentalement distinctes ; les uns appartiennent au domaine
des contenus et des phénomènes, les autres aux fonctions chargées
de saisir ces contenus et phénomènes » ( i). Que ces fonctions chargées
de saisir l'affectivité ne trouvent pas en celle -ci, qui doit justement
être saisie par elles, leur essence , qu'elles ne la trouvent pas non plus
par conséquent dans la tonalité qui les accompagne en tant qu'elles
se présentent comme des perceptions affectives , mais seulement
dans la structure même de la perception comme intentionnelle, on
le voit encore â ceci que les fonctions chargées de saisir les déterminations
de l'affectivité ne sont ni toujours ni même le plus souvent des perceptions
affectives, ce sont des perceptions ordinaires, de simples actes objectivants, des
« représentations » telles que la perception interne ou la réflexion,

(I) F, 268.
L'AFFECTIVITÉ 729

Les affirmations de Scheler sont explicites . Dès qu'il ne s'agit


plus du monde des objets auxquels se rapporte intentionnellement la
perception affective, mais au contraire de celle-ci considérée en elle-
même et dans les actes par lesquels elle se réalise concrètement en
nous, la révélation du contenu immanent de ces actes , c'est-à-dire de l'affec-
tivité . elle-même , est explicitement attribuée à la perception interne, c'est-à-
dire à une attitude représentative. « On ne prend jamais garde à ce qui,
dans la perception affective , dans la préférence, dans l'amour et dans
la haine, s'ouvre à nous du monde et des constituants axiologiques
de ce monde,' on se soucie uniquement de ce que nous trouvons en nous par
la perception interne, c'est-à-dire par une attitude représentative, lorsque
nous percevons affectivement, lorsque nous préférons, lorsque nous ai-
mons et haïssons, lorsque nous jouissons d'une oeuvre d'art , lorsque
nous prions Dieu (x). » A cette prescription de ne pouvoir se révéler que
par la médiation d'un acte de représentation est soumis tout état affectif comme
tel et par exemple la tonalité affective de la perception affective elle-même
« dans l'effectuation de la perception affective, le percevoir-affecti«
veinent ne nous est pas objectalement conscient ; ce qui se présente
à nous, venant du dehors ou du dedans , c'est seulement une qualité
axiologique . Et il faut un acte réflexif nouveau pour que le percevoir-
affectivement lui-même soit objectalisé devant nous » (2). Ainsi
s'accomplit la prétendue détermination du pouvoir de révélation
propre à l'affectivité, avec la méconnaissance complète de la nature
de ce pouvoir et finalement avec sa négation pure et simple, avec
cette prescription faite au sentiment de ne pouvoir se révéler que par
la médiation d'un pouvoir étranger à son essence, par la médiation
d'un acte de re p resentation, de se présenter ainsi nécessairement comme le
corrélat de cet acte, comme une réalisé perçue transcendante et, en ce sens préci-.
comme un état.

(I) F, 272•
(2) ID., 271.

M. HENRY 24
730 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Le sentiment cependant est ce qui ne peut être perçu, ce qui


refuse par principe la condition de l'objectivité . Le moment où elle
se confronte avec cette détermination structurelle inhérente à l'être
du sentiment est pour la pensee de Scheler comme pour toute proble
mati que qui, méconnaissant l'essence de l'affectivité et le pouvoir de
révélation qui lui appartient en propre , prétend la soumettre au
contraire au regard de l'intentionnalité et la saisir en cette dernière,.
celui de la contradiction . Après avoir défini la condition phénomé-
nale de l'état affectif comme son être -donné dans une fonction de
saisie dont la structure qu'il s'agisse d'une perception affective ou
,
d'une simp le p ercep tion interne, d'un acte de l'attention ou de la
réflexion, est en tout cas l'intentionnalité , il faut reconnaître que
celle-ci laisse échapper ce qu'on prétend atteindre en elle. L'hété-
rogénéité ontologique structurelle du sentiment et de la perception se montre
en ceci que , ou bien le sentiment se produit dans son effectivité et dans la
plénitude de sa réalité, ce que Scheler appelle improprement son intensité,
et alors toute perception affective de ce sentiment devient impossible, ou bien
cette perception a lieu, et le sentiment s'évanouit, perd toute réalité, de telle
manière que le sujet qui le perçoit cesse précisément de l'éprouver. Dans les
cas d'émotion très forte il y a, note Scheler, d'accord sur ce point
avec Jaspers, « une disparition presque totale de la capacité-affective-
perceptive » Une telle disparition cependant n'est pas due à la nature
particulière du sentiment considéré ni à sa violence, mais seulement
« au fait qu'il nous remplit », c'est-à-dire précisément à sa réalité.
Immédiatement après avoir considéré ce cas -limite de l'émotion
Scheler ajoute « nous n'avons affaire qu 'à une forme plus marquée
de. ce qui se passe lorsque précisément l'intensité d'un sentiment et le
fait qu'il nous « remplit » tout entiers , nous rendent momentané-
ment « insensibles » à son égard et nous mettent par rapport à lui
dans un état « d'indifférence » paralysante », c'est- à-dire en fait dans
l'impossibilité de diriger sur lui une perception . Celle-ci ne pourra se
produire que lorsque le sentiment nous aura quittés , aura cessé d'être
L'AFFECTIVITÉ 731

réel : « ce n'est que lorsque le sentiment diminue d'intensité , lorsque


disparaît progressivement l'impression que nous avions d'être
« pleins » de lui, qu'il peut devenir l'objet d 'une véritable perception
affective ». Ainsi se découvre l'incom p atibilité de celle-ci et du senti-
ment considéré dans la réalité de son expérience subjective , c'est-à-
dire dans sa passivite originelle à l'égard de soi dans le souffrir, ce
que Scheler exprime à sa manière « la perception affective
nous « allège » et nous fait échapper à l'oppression qu'exerçait
d'abord le sentiment », de même que « l'authentique co-sentir
a la peine d'autrui » , c'est-à-dire précisément sa perception,
« nous libère de la contagion de cette peine » (i). L'impossibilité
de se présenter sous la forme d'un obj et pour la perception est finale
ment reconnue par Scheler comme une loi valable pour tous les
sentiments , à l'exce p tion des sentiments sensoriels qu'il confond
avec une unité constituée de sensations , c'est-acre avec un cor-
relat transcendant , lequel peut évidemment être saisi dans l' inten-
tionnalite mais n 'a 'justement plus rien â voir avec un sentiment réel.
« Tous les autres sentiments disparaissent dès qu'on fait attention à
eux. » Les sentiments vitaux « sont à tout le moins troublés dans leur
cours normal par l'attention qui s'attache â eux et ils ne fonctionnent
avec leur plein sens et de fa ç on normale qu'au-delà des sphères d'éclai-
rement de l'attention... Ils ne prosperent, dit encore Scheler, que
dans une obscurité dont p recisement l'attention détruit la force excita-
trice et fructifiante ». « Les p urs sentiments de « l'âme » ont tendance
à se dissi p er com p letement sous les rayons de l'attention . » Quant
aux sentiments spirituels il est « impossible de les viser intention-
nellement » (z).
La de' termination ontologique du pouvoir de révélation de .
l'affectivité comme constitué par la structure intentionnelle d'une

(i) F, 269, note i, souligné par nous.


(2) ID., 343-344, souligné par nous.
7 z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

perception ne se heurte pas seulement toutefois , lorsque ce pouvoir


vise le sentiment lui-même et s 'applique à le rendre manifeste, à une
insurmontable contradiction , elle aboutit en ce qui concerne l'affec-
tivité elle-même au démembrement de son essence entre « l'état »
auquel elle se trouve réduite lorsqu 'elle devient paradoxalement
l'objet de cette perception et, d'autre part, la « signification » dans
laquelle elle s'exprime lorsqu'elle est saisie au contraire comme cette
perception même et comme une forme de compréhension. Ce qui
est qualifié de sentiment apparaît ainsi, d'une part, comme un simple
fait,- comme une qualité affective opaque et fermée sur elle-même,
incapable de révéler quoi que ce soit ni de se révéler soi-même. Ici
se reconnaît semblable à elle-même à travers toute l'histoire de la
,
philosophie, l'extraordinaire déchéance du concept de l'affectivité..
Cette déchéance est visible, par exemple , dans la critique schélérienne
de la conception affective de la religion : « aucune idée concernant
un objectum religieux ne saurait d'aucune façon se fonder sur un
sentiment, c'est-à-dire sur un étai subjectif» (i), --- plus généralement dans
l'abandon au mécanisme de. tous les états affectifs considérés en tant
que tels : « les purs états affectifs ne peuvent être que constatés et expliqués
au moyen de leurs causes » (2).
A l'état affectif, toutefois se juxtapose la signification qu'il
,
confère en tant qu'il est compris, par ailleurs , comme une fonction
perceptive ou qui lui est conférée en tant qu'il est saisi par celle-ci.
A cet égard le sentiment n'est plus un simple fait opaque, contingent
et livré au mécanisme, il a un « sens ». Si le sentiment n'est pas « un
« état » aveugle, muet, se succédant... selon la loi de causalité, c'est
qu'il apporte... dans l'expérience quelque chose comme une signi -
fication », c'est, d'autre part, parce que « ce qu'il est en tant qu'état
peut supporter, de la manière la plus variable , des modes de compor-

(i) F, 305 , souligné par nous.


(2) ID., 270, note, souligné par nous.
L'.AFFECTI VITÉ
733

tement émotionnel ou fonctions se construisant sur lui » (x).


En tant que l'état affectif se trouve soumis à un mode de saisie
émotionnel extérieur et contingent par rapport à son être et lu'i
conférant, par suite , une signification également extérieure et contin-
gente, une signification « variable », la détermination ontologique
du sentiment comme étant ce qu'il est , ce qui faisait selon Scheler
la force du christianisme et en quelque sorte son naïvisme ce qui
faisait la vérité du sentiment , se trouve perdu, place est faite au
contraire aux interprétations qui, sous prétexte d'instituer , au-delà
du fait irréductible de la souffrance par exemple, « une sphère du
sens et de la liberté » (2), feront un « bien » de ce qui est un « mal »
et réciproquement . A cet égard d'ailleurs, le sentiment qui est censé
supporter une signification extérieure â lui, une signification trans-
cendante, se trouve encore dans la situation de n'importe quel autre
fait et reçoit dans sa subsomption sous cette signification - sub-
somption dont la problematique a montré cependant qu'elle était
impossible par principe - la marque de sa déchéance . Que le senti-
ment, d' autre part, « apporte dans l'expérience quelque chose comme
une signification qu'il se comporte comme une fonction de saisie ,
»,
c'est là justement un probleme. Comment un simple fait pourrait-il se
rapporter intentionnellement à quelque chose ? Comment l'état
affectif qui n'est qu' une chose, un contenu par lui-même aveugle ,
privé de signification et incapable de se dépasser vers celle-ci, pour-
.. .
rait-i1 justement le faire ' Le démembrement de l'essence de l'a ectiv te
ff
entre les états et les significations n'aboutit en elle qu'à leur impossible
juxtaposition.
La question de la possibilité pour le sentiment de se rapporter
intentionnellement à quelque chose , plus exactement de la possibilité
pour lui d'être pris dans la structure d'ensemble où s'accomp lit originaire-

I SS,
( ) I, 3,
(2) ID ., 5.
734 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment la transcendance du monde et de lui appartenir à titre d'élément et,


bien plus, comme son essence fondatrice, se ramène à la question, non posée
par Scheler et chez lui insoluble de la possibilité de la perception af f ective
,
elle-même, à la question du fondement du caractère affectif de la perception
affective. Car le caractère affectif de la perception affective ne saurait
être constaté simplement , sa possibilité précisément doit être montrée.
Cette possibilité réside dans l'affectivité elle-même ontologiquement
comprise comme l'auto-affection de la relation et, en ce sens précisé-
ment, comme sa possib ilité, comme son essence dernière. Parce
qu'elle trouve son essence dernière dans l'affectivité , toute perception
est par nature affective . Ici doit être rejetée la thè se de Scheler selon laquelle
il existe une perception affective sui g eneris, c'est-à-dire une percep tion
dont la spécificité consisterait dans son caractère affectif même. L'opposi-
tion de la perception affective et de la représentation est irrecevable.
Scheler a compris, et c'est là l'intuition géniale d'un philosophe
hors série, que les corrélations noético noématiques intéressent
-
l'affectivité et la mettent en jeu, que la découverte des éléments qui
conditionnent notre compréhension du monde et • qui la guident
originellement, ne s'accomplit pas sans la présence de sentiments
déterminés ni indépendamment d'eux et que, par exemple, toute
modification fondamentale de la Weltanschauung humaine est liée
à d'apparition de déterminations affectives nouvelles qui la rendent
possible, â l'existence des grands génies affectifs par le pouvoir des-
quels de telles déterminations entrent dans l'effectivité de l'histoire
et y deviennent agissantes . La signification affective de ces corréla-
tions décisives, cependant, n'est pas limitée à des actes spécifiques.
Elle trouve son principe dans l'essence qui détermine originairement
tous les actes et toutes les fonctions de saisie possibles comme affec-
tifs, non dans leur structure intentionnelle mais dans ce qui la fonde
ultimement . C'est pourquoi une telle signification ne peut être
reconnue dans son universalité et fondée que pour autant que cette
essence est elle-même reconnue , pour autant que le pouvoir origi-
L'AFFECTIVITÉ 135

naine de révélation de l'affectivité est saisi en lui-même et non pas


confondu avec celui de la transcendance, comme on le voit chez
Scheler et, de la même manière chez Heidegger.
,

§G LE POUVOIR DE RÉVÉLATION DE L'AFFECTIVITÉ


SELON HEIDEGGER

Comme celle de Scheler , la pensée de Heidegger se caractérise,


à l'encontre de la philosophie classique , par l'im p ortance qu'elle
accorde au phénomène de l'affectivité ontologiquement saisi et
interprété comme un pouvoir de révélation et par la signification
fondamentale qu'elle lui reconnaît . Celle-ci éclate tout de suite et se
manifeste en ceci que l'affectivité n'est p as seulement un p ouvoir
de révélation au sens ordinaire du mot, celui de révéler quelque chose,
telle ou telle chose , mais précisément le pouvoir de nous révéler ce qui
révèle toute chose à savoir le monde lui-même comme tel, comme identique
,
au néant. Que cette signification ontologique fondamentale et p ro p re.
prement décisive du pouvoir de révélation propre à l'affectivité
demeure le plus souvent inaperçue, ne le met pas en question , montre
seulement qu'un tel pouvoir est par principe indifférent à la manière
dont la pensée le comprend et l'interprète habituellement, à la
manière dont se comprend soi-même le sujet qui é p rouve un senti
-mentl'irpèafdesnchrjutmlasignfcover
table et ce qu 'elle comporte chaque fois d'angoissant.
Dans l'angoisse pourtant cette signification paraît ; « l'angoisse
est la disposition fondamentale qui nous p lace face au néant »,
nous ouvrant ainsi l'être de tout ce qui est, car « l'être de l'étant n'est
compréhensible ... que si le Dasein, par sa nature même, se tient dans
le néant ». Que l'angoisse nous place face au néant et ainsi nous ouvre
l'être lui-même, c'est là ce qui lui confère son caractère fondamental
et décisif, et non l'intention de privilégier arbitrairement une tonalité
parmi d'autres «l'angoisse est tenue pour la disposition fondamentale
736 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

décisive (Grundbefindlichkeit) , non pas en vue de prêcher, en faveur


d'une idéologie quelconque , un idéal concret d'existence, elle ne tire
ce caractère décisif que de sa relation au problème de l'être comme
tel » (i).
Ce caractère fondamental spécifiquement ontologique de l'an-
goisse ne lui est cependant pas propre, il concerne en elle l'affectivité
elle-même et le pouvoir de révélation qui lui a ppartient en général,
celui de se tenir face au néant. Pour cette raison, un tel caractère se
retrouve en toute disposition affective quelle qu'elle soit, celle-ci
nous . ouvre chaque fois le monde, sa signification, dans tous les
cas, est ontologique . La peur nous ouvre le monde comme ce à
travers quoi vient vers elle le terme redoutable dont l'approche la
suscite. L'espoir, de la même façon projette l'espace qui le sépare
,
de ce en quoi il se prend à espérer et où celui - ci d'abord, l'espéré,
se montre à lus. Espoir et peur, assurément , ne découvrent pas le
monde de la même manière que l'angoisse, ne nous livrent pas de
la même manière au néant . La découverte de la peur est inauthen-
tique s'accomplit selon le mode du Verfallen. Par là, il faut entendre
,
que la peur prend garde à -l'étant dont elle a peur , non à son surgisse-
ment, c'est-à-dire au monde comme tel et , bien plus, se masque
celui-ci, l'origine de toutes les peurs , derrière l'étant dont elle se
soucie. Le souci de l'étant, toutefois présuppose la découverte du
,
monde et se meut en lui. L'inauthenticité de la peur est un mode de
cette découverte, un mode de l'angoisse et son travestissement. Les
différentes tonalités sont justement les modes selon les quels s'accomplit
diversement, de façon authentique ou non, de manière à la rendre apparente
ou au contraire à la cacher, la révélation propre à l'affectivité elle-même,
à savoir la découverte du monde comme tel et de son néant.
Ce qui découvre le monde dans l'acte même par lequel elle
le projette au-delà de l ' étant comme. son horizon , c'est la transcen-

(Z) K, 293.
L'AFFECTIVITÉ 737

dance. Pour autant que l'affectivité nous ouvre le monde et nous lace ace
p f
au néant, son pouvoir de révélation réside dans la transcendance elle-même
et se trouve constitué par elle. Cette évidence dès lors se présente sans
plus attendre l'essence de la révélation propre à l'affectivité et s'accom lit-
p
tant en elle est complètement manquée par Heidegger , confondue par lui avec
celle de la compréhension ontologique de l'être à la quelle pourtant elle demeure
bérétogène dans sa structure comme dans sa phénoménalité. Ainsi dépouillée
du pouvoir de révélation qui lui appartient en propre et dont l'es-.
sence n'est point reconnue , l'affectivité ne garde sa signification onto-
logique et précisément le pouvoir de révéler quoi que ce soit que dans
la mesure où, confondue avec la transcendance, elle oeuvre à la manière
de celle-ci et, chaque fors, d 'un acte s 'accomplissant dans le 'eu
ouvert par elle, quel que soit le mode authentique ou inauthentique
selon lequel se réalise un tel acte : « l'affectivité ouvre par l 'acte de
tourner vers ou de détourner du Dasein propre » (i). Parcè que l'affec-
tvité, pour autant qu ' elle accomplit l'oeuvre de la révélation, oeuvre
à la manière de la transcendance , c'est-à•dire encore sur le fond en
elle du pouvoir ontologique de la compréhension de l'être le senti-
ment, tout sentiment possible en général , ne peut être autre chose
qu'un fait brut et aveugle, par lui-même étranger à l'élément de la
phénoménalité, que par la médiation de ce pouvoir et précisément
comme un mode du comprendre . « Toute Befindlichkeit, dit Heidegger,.
est comprenante (2). »
En tant que le pouvoir de révélation qui est pensé
. comme le.
sien est celui de la compréhension ontologique de l'être et réside dans
la transcendance, l'affectivité , conformément à l'eidos de ce pouvo ir,
révèle nécessairement autre chose qu'elle-même et que sa propre.
essence, autre chose, à savoir en premier lieu le monde , c'est-à-dire
précisément le milieu pur de l'altérité, en second lieu l'étant qui se

(Z) SZ, 340.


(a) 1•, 335.
738 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

manifeste dans ce milieu sous la forme de l'être-autre et comme un


objet. A la révélation du monde, cependant, il s'en faut de beaucoup
que se limite le pouvoir de l'affectivité. Cha que Be indlichkeit « ouvre
l'être-dans-le-monde total selon tous ses moments constitutifs (i). »
Ouvrant l'être-dans-le-monde total, selon tous ses moments, l'affec-
tivité révèle le monde comme coappartenant à cette structure totale
et porté par elle, mais aussi, et de façon plus essentielle, l'Être-dans
comme tel, l'existence elle-même ontologiquement interprétee et
saisie comme constituée par cet « être-dans » par la transcendance.
L'affectivité cependant ne flotte pas en l'air, comme un pouvoir
abstrait, séparé de l'existence et chargé de la saisir, elle est l'affectivité
de l'existence et lui appartient comme sa détermination la plus essen-
tielle. Que l'affectivité révèle l'être-dans-le-monde total, selon tous ses
moments, cela veut donc dire : en elle, dans 'chacune des tonalités
dans lesquelles l'existence existe et se réalise 9 se révèle l'existence
elle-même, l'existence ontologiquement interprétée et saisie comme
Être-dans et comme transcendance. Ici se découvre la signification
radicale du pouvoir de révélation propre à l'affectivité, celle de révé-
ler, non pas seulement l'étant, non pas seulement le monde où l'étant
paraît, mais le pouvoir même qui nous ouvre le monde dans le projet
du néant. Avec l'affectivité se présente quelque chose comme la poss ..
buté pour la transcendance, en se révélant à soi-même et en se rete-
nant ainsi soi-même dans la structure de cette révélation et dans son
unité, de se constituer comme une essence cohérente et concrète.
Une telle possibilité, celle pour la transcendance, pour l'existence
de se révéler à soi-même et de se constituer ainsi comme une essence
cohérente et concrète, celle pour le fondement ontologique de
toute manifestation possible en général de se fonder soi-même, n'est
ni théorique ni abstraite : parce qu'elle définit l'essence de l'existence.
et son fondement dernier, elle est visible en elle, comme son affec-

(I) SZ, 190.


L'AFFECTIVITÉ
739

tivité précisément, et-- se laisse reconnaître dans chacune • des dispo-


sitions et des tonalités dans lesquelles l'existence existe et se réalise.
La peur, par exemple , ne révèlepasseulement ni d'abord
dont le terme
l'approche menaçante la suscite, ni le milieu où cette approche
s'accomplit , où surgit le terme mena çant, celui-ci précisément ne
peut être tel , susciter notre ue si l'existence
peur q de au lieu se
dépasser vers lui simplement comme vers une réalité exte rieure et
qui ne la concernerait pas, le laisse au contraire revenir en arrière sur
elle qui lui est livrée â l'intérieur même de la relation qii 'el1e entretient
avec lui, que si, dans la peur , l'existence se révèle originelleme nt a
elle-même comme livrée au monde et liée à lui. Cette révélation a
elle-même de l'existence dans la peur , l'existence dans la peur , il
est vrai, se la dissimule, l'angoisse qui monte de l'existence livrée au
monde, la peur la pro j ette sur l'étant dont elle se soucie et qu'elle
pense comme son origine ou comme sa cause La fuite de l'existence
vers l'objet de sa peur présuppose ce pendant,
. - comme
^ fuite devant
soi, sa révélation a elle-même , la révélation originelle de soi de l'exis-
tence telle qu'elle s'accomplit dans son affectivité même. A la révé-
lation originelle de soi de l'existence dans l'affectivitë il '
appartient
seulement que, comme la révélation du monde ui lui est consubs-
q
tantielle et contemporaine , elle p eut se produire de fa ç on authenti ue
q
ou non.
La révélation or iginelle de soi de l'existence dans l'affectivité se
produit de façon authentique dans l'angoisse Dans l'angoisse l 'exis-
tence cesse de se perdre aupres de l'étant intramondain dont la peur
se soucie , celui-ci plutôt a sombré dans l'indifférence, les tâches qu'il
suscite et par la médiation desquelles il se donne à nous dans le mode
de vie déchu de la banalité quotidienne, apparaissent privées de
signifi cation seul paraît maintenant, comme son être véritable, le
néant de l'étant, le monde comme tel. L'ango i sse toutéfois ne révèle
pas seulement le monde : venant se heurter à lui et à son néant, elle
se trouve ramenée à l'Être-dans-le - monde comme tel à l'existence
740 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

elle-même comme livrée au monde . En tant qu'elle est livrée au


monde, l'existence d'abord est livrées elle-même. C 'est là précisé-
ment ce que lui révèle son angoisse : celle-ci apporte l'existence
devant elle-même, elle la révèle à elle-même, elle lui révèle le fait de
son existence et en même - temps cel qu'elle est, son être livré à elle-
même pour être livré au monde . Que la révélation de l'existence
elle-même, de son être livré à elle-même p our être livré au monde,
s'accomplisse toutefois de façon inauthentique dans. la peur et aussi
bien, d'ailleurs, dans l'ensemble des tonalités affectives de l'exis-
tence, comme elle s'accomplit de façon authentique dans l'angoisse,
cela veut. dire : elle n'est pas propre à celle-ci, comme la révélation du
monde, la révélation de l'être-dans-le-monde, la révélation de l'existence
à elle-même est le fait de l'affectivité comme telle. Pour cette raison
,
une telle révélation \s'accomplit dans chacune des tonalités affectives
de l'existence, tonalités qui représentent précisément les divers modes
selon lesquels se réalise cette révélation, les modes de la révélation à
foi-même de l'existence comme originellement et essentiellement constituée
par son affectivité. Chaque disposition affective, dit Heidegger, «c porte
le Dasezn plus ou moins explicitement... devant le fait qu'il est (i »
La détermination ontologique du pouvoir de révélation propre
à l'affectivité est identiquement celle de l'affectivité elle-même, la
détermination de sa nature, des structures essentielles qui la consti-
tuent et la définissent . Parce que dans son. affectivité, dans chacune des
tonalités dans lesquelles elle existe et se réalise, l'existence , en même
temps qu' elle révèle le monde au q uel elle se rapp orte et se trouve
livrée, se révèle à elle-même telle qu'elle est, le sentiment, sur le fond
en lui de cette essence qui le constitue et le détermine, se laisse déter-
miner comme ce qu'il est, comme un sentiment qui n'est jamais
seulement et d'abord un sentiment à l'égard du monde et de ce qui
se manifeste en lui, un sentiment à l'é g ard . d'un objet, mais aussi et

(I) SZ, 276.


L'AFFECTIVITÉ 741

nécessairement, dans cette révélation de. l'existence à elle-même que


constitue son affectivité, une manière pour elle de se sentir soi-même,
de s'éprouver, un sentiment de soi . C'est ainsi que le plaisir par
exemple « n'est p as seulement p laisir de tendre vers un objet ou..
de le posséder, mais en même temps état de plaisir, c'est-à-dire une
manière pour l'homme de s'éprouver heureux, de se sentir heureux.
Ainsi trouve-t -on dans tout sentiment, sensible (au sens étroit) ou
non sensible , cette structure : le sentiment est un sentiment à l'égard
de... et, comme tel, pour celui qui l'éprouve , une manière de se sentir,
un sentiment de soi » Et encore : « le sentiment est sentiment à
I'egard de..., tel que, par lui, le moi qui l'éprouve se sent être soi» (i).
Sur quoi se fonde, cependant , la détermination structurelle du
sentiment comme sentiment de soi ? Quelle est l'essence de l'exis-
tence en tant qu' elle se révèle à elle-même dans ses dispositions affec-
laves ? En quoi consiste le p ouvoir de révélation propre â celles-ci, le pouvoir
de révélation de l'affectivité ? « Notre propre existence (Da-sein) nous
devient manifeste en chacune de nos dispositions affectives on se
sent être disposé de telle ou telle manière. Nous comprenons donc l'être
q uoique son conce p t nous manque. Cette compréhension préconcep-
tuelle de l'être, si constante et si étendue qu'elle soit, est le plus
souvent totalement indéterminée (2) . » Le pouvoir de révélation de
l'affectivite' consiste dans la compréhension ontologique de l'être.
L'essence de l'existence en tant qu'elle se révèle à elle-même est la
transcendance . Quand donc, dans l'angoisse par exemple, l'exis-
tence, ne p ouvant p lus se p erdre dans l'objet du souci et se heurtant
au monde, se trouve ramenée à elle-même , à l'In-der- W'elt-Sein comme
tel, la révélation de celui-ci, la révélation de l'existence à elle-même,
mise au compte de l'angoisse , est le fait de la transcendance, trouve
son essence dans la structure de la comprehension ontologique de

(I) K, 214 -215.


(2) ID.., 283 . « être », souligné par Heidegger ; nous comprenons donc
l'être ^, souligné par nous.
742 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'être et s'accomplit comme un mode de cette compréhension


« venant se heurter au monde, le « Verstehen» est amené dans l'angoisse
a J'In-der- I7e11-Sein comme tel » (I).
Parce que dans l'angoisse l'existence se trouve apportée devant
elle-même, le devant quoi ( W"ovor) de l'angoisse se trouve être
identiquement ce pour quoi ( VVorum) elle s'angoisse à savoir sa
propre existence. Parce que la révélation de l'existence à elle-même
s'accomplit dans l'angoisse comme un mode de la compre hension
ontologique de l'être, le Ïl7orum de l'angoisse n'est pas seulement
identique, toutefois, a son JVovor comme ayant un même objet , il
trouve encore
. en lui, dans la structure d'un mode de presentation qui
s'accomplit essentiellement comme un présenter devant, sa propre
structure. C'est en ce sens ontologiquement radical que le U7orum
de l'angoisse est identique a son IVovor, en tant qu'il se produit lui-
même comme un wovor, comme un mode de la transcendance.
Mettre l'existence en presence d'elle-même l'apporter devant elle,
de telle maniere que cet « apporter devant» ne signifie pas simplement
et d'une façon indéterminée « révéler », mais désigne le mode selon
lequel s'accomplit cette revelatlon et sa structure interne comme
constituée par la transcendance c'est là le fait de l'affecta vite en
général.
Parce que la mise en présence de l'existence avec elle-même
s'accomplit chaque fois dans l'affectivité comme un mode de trans-
cendance, elle revêt aussi chaque fois et necess alrement la forme.
d'une ekstase.. La structure ekstatiq ue a
de la relation
soi de l'exis-
tence dans l'affectivité est visible dans toutes les tonalités y compris
celles où cette relation s'accomplit selon le mode inauthentique de
la déchéance. Si la peur révèle l'existence à elle-même et se trouve
ainsi déterminée essentiellement dans sa possibihte meure, comme
une peur pour soi (Sichftrchlen), c'est une , tc unité ekstatique spéci-

(I) $Z, 343, soulign pair nous.


L'AFFECTIVITÉ
143

que qui rend possible existentialement le Sichfürchten» (i).L'espoir,


de la même manière, en tant qu'il n'est jamais seulement l'attente
d'un bien futur mais concerne en premier
, lieu, comme espoir pour
soi, celui qui espère, présuppose la relation ekstatique de l'existence
avec soi .nomme le seul fondement ontologique possible du « espérer
pour sol » qui constitue proprement « le caractère affectif.,. de
l'espérer lui-même (z). » Si lal'existence
relation de avec soi, sa
révélation â elle-même dans l'affectivité, s'accomplit chaque fois
comme un mode de transcendance et revêt pour cette raison une
structure ekstatique, c'est que cette révélation n'est as le fait de
1 affectivite consideree comme un pouvoir specifique distinct de
l'existence et lui servant de fondement, et qu'elle appartient au
contraire a l'existence elle-même identique à la transcendance. A
celle-ci, à l'existence, il est donné, sur le fond en elle de sa propre
0
structure, en tant qu'existence précisément, comme transcendance,
de se rapporter â soi-même en même temps qu'elle se rapporte au
monde. « Au Dasem il appartient par essence que, avec l'ouverture
de son monde, il est ouvert à lui-mime de telle sorte qu'il se comprend
t0190urs d ja (3), » Ici se découvre en pleine lumière l'ambi u te fon-
cie.re de 1 Erschlossenheat heideggerienne. La révélation de l'existence
â elle-même est ontolog i uement homogene âdu
q ation la revel
monde,
le pouvoir de l'affectivité, qu'il soit compris comme celui de révéler
l'existence ou de révéler le monde, est le même est le pouvoir
. de la
transcendance.
Le pouvoir de révéler l'existence â elle-même l
pense comme
celui de l'affectivité, n'est pas seulement ontologiquement homogene
au pouvoir de révéler le morde, il ne s'agit pas seulement non plus
d'un même pouvoir, comme si celui-ci pouvait se porter tour â tour
et en quelque sorte librement sur l'existence elle-même ou sur le

(I) SZ, 342.


(2) ID., 345.
(3) ID., 272, souligné par nous.
744 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

monde, c'est par un seul et même acte de ce pouvoir unique que s'accomplit
conjointement et nécessairement dans l'affectivité la révélation de l'existence
et du monde. Le p ouvoir unique par lequel s'accomplit conjointement
et nécessairement dans un seul et même acte de ce pouvoir la rév&
lation de l'existence et du monde, est le temps . Le temps, dans sa
temporalisation originelle , est le mouvement par lequel l 'existence,
projetant en avant de soi l'horizon de l'avenir et venant s'y heurter,
se trouvant rejetée en arrière à partir de lui et ramenée sur elle,
découvre dans l 'unité de ce double mouvement, dans l'ekstase du
projet « en avant vers » contemp oraine de l'ekstase du retour « en
arrière sur », et le monde comme monde fini, et sa propre existence qui
lui est livrée . Lep ouvoir de révélation de l'affectivité est p récisément celui du
temps. C'est le temps qui, dans la peur, ouvre l'horizon où surgit le
terme mena çant à venir, c'est lui qui le laisse revenir en arrière sur
l'existence menacée et , dans ce revenir en arrière sur elle, la dévoile
à elle-même dans l'ekstase de son p assé inauthentique. C'est le
temp s qui fait surgir devant l'existence angoissée l'horizon pur du
futur, comme un horizon fini, comme l' horizon de sa mort, c' est lui
qui, la laissant revenir à partir de cet horizon en arrière sur elle-
même, la découvre à elle-même, dans l'ekstase du passé authentique,
comme une existence finie, déchue et livrée au monde comme à sa
pareil-
p ropre mort. Que la révélation de l'existence à elle-même , et,
lement, la révélation du monde, s 'accomplisse dans l'affectivité de
façon authenti que ou non, cela résulte justement de ce qu 'à la tempo-
ralité il app artient de se tem p oraliser par principe de diverses façons,
de façon authentique ou non. La temporalité cependant n'est rien
que la transcendance elle-même dans le mode . de son accomplisse-
ment effectif et concret , de telle manière que sa temporalisation
se p roduit nécessairement sous une forme ekstat que, de telle manière
que les différentes ekstases qui la constituent et dans lesquelles elle
s'accomplit , constituent les divers modes de réalisation de la transcen-
dance elle-même . Que le p ouvoir de révélation de l'affectivité soit
L'AFFECTIVITÉ 745

celui du temps veut donc dire, le pouvoir de révélation de l'affectivité


est celui de la transcendance.
Quand il est compris comme celui de la transcendance, le pouvoir
de révélation propre à l'affectivité est perdu et, en même temps, la
nature même de l'affectivité comme constituée par ce pouvoir.
L'interprétation ontologique existentiale de l'affectivité nomme temporalité
fait s'évanouir ce qui constitue proprement le caractère affectif de ce qui est
affectif et le manque par principe , manque par princtye l'essence de l'af fec-
tivité comme telle. De cette lacune , à vrai dire essentielle, de la philo-
sophie de l'affectivité présentée dans Sein und Zeit, Heidegger a en
le pressentiment : « 1' interprétation temporelle de la Befindlichkeit ne
peut vouloir déduire les Stimmun^en de la temporalité ni les dis-
soudre en purs phénomènes de temporalisation . Il s'agit seulement
de montrer que les Stimmungen dans ce qu'elles « signifient » existen-
tiellement ne sont possibles que sur le fond de la temporalité » (i) .
Que sont cependant les St mmun^en, indépendamment de ce qu'elles
signifient existentiellement, c'est-a-dire indépendamment de leur
pouvoir de révélation compris comme celui de la transcendance
La pensée de Heidegger se caractérise c'est là du moins un de ses
,
traits les plus remarquables, par le rejet délibéré du psychologisme
considéré comme un des modes de pensée de la conscience qui s'en
tient à l'étant sans s'interroger =sur son être, -- se caractérise, en ce
qui concerne le sentiment, par le refus de le considérer comme un
« fait », un « fait psychique », un « état d'âme », « un état vécu »,
toutes déterminations dans lesquelles l'être de l'affectivité, la sign
fcation essentielle et fondamentale qu'elle revêt comme pouvoir
originaire de révelation, se trouve perdue , tandis que le sentiment
lui-même, déchu au rang d'un objet, se propose désormais comme.
le simple terme d'une pensée ou d'une action.
Cette déchéance du sentiment est particulièrement visible dans

(I) SZ, ;340.


746 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

le monde moderne de la technique où la volonté traitant toute chose


dans sa relation à elle-même et la considérant comme telle, comme
l'objet de son vouloir et de son action, rend la pensée aveugle à
l'égard de ce qui a lieu et l'enferme dans son aveuglement , de telle
manière que rien, pas même la souffrance et précisément parce que
celle-ci est elle-même réduite à la condition d'un objet sur lequel
on p eut a gir, n'est susce p tible de p roduire aucun changement
« même l'immense douleur qui passe sur la terre ne peut éveiller
directement aucun changement, parce qu'on l'éprouve seulement
comme douleur, c'est-à-dire passivement , comme un objet offert à
une action et p ar consé q uent comme logée dans la même région d'être
que l'action dans la région de la volonté de volonté » (z). C'est
p ourquoi encore, en cette dernière étap e de la métaphysique, dans
ce monde de la technique qui représente son aspect extrême, qui
trouve dans le psychologisme comme d'une manière générale dans
l'extraordinaire développement « des sciences humaines » qu'il
suscite, une illustration remarquable parmi d'autres, « sous le règne
de la volonté » p ar conséquent, « il semble presque que l'être de la
douleur soit fermé à l'homme, et pareillement l'être de la joie » (z).
Le dépassement de la métaphysique de la volonté, le dépasse
ment du psychologisme , ne peut s'accomplir cependant, en ce qui
concerne le sentiment , celui-ci être autre chose qu'un état , l'élément
ontologique de la manifestation et comme tel, ainsi que le déclare
explicitement Heidegger, « un mode de la conscience de soi », un
« sentiment pur » (3), que pour autant que cet élément ontologique
qui constitue l'être du sentiment se trouve saisi précisément comme
le sien , comme son essence propre . De quel élément cependant dis-
pose la philosophie de la transcendance pour esquisser une interpré-

(I) HEIDEGGER , Dépassement de la Métaphysique , in Essais et Conférences, off.


cit., 114.
(2) ID., 115.
(3) K, 214.
L'AFFECTI VIT É
147

tation ontologique de l'être du sentiment sinon de la transcendance


elle-même ? Pour autant qu'il
u'il refuse
use le pgcboloisme, Heidegger se voit
contraint fonder l'être du sentiment sur la relation ekstatiqu e de l'être-
au-monde et de le comprendre comme une détermination de cette relation.
« La liberté, dit Vom W'esen der JVahreit a
d'avance, accorde tout
comportement à l'étant en totalité en tant qu'elle est l'abandon au
dévoilement de cet étant en totalité et comme tel. Cet accord affectif
ne se laisse jamais saisir comme « état vécu » ou comme « état d ' âme ».
Car on le détourne ainsi de son essence et on le comprend a partir de
notions qui (comme la « vie »
ou « l'âme » ne peuvent elles-mêmes
prétendre à la dignité d'essence u'a aremment et aussi longtemps
qu'on se méprend sur cet accord affectif et qu'on en falsifie la signi-
fication . Un accord affectif, c'est-à-dire une exp
osition ek-Pistante a l'étant
en totalité, ne peut être « vécu » et « senti »
que parce que « l'homme,
être doue de sentiment » s'est abandonné à un accord '
dévoilant de
l'étant en totalité, tout en ne ressentant pas l ' essence de cette dis-
position affective (i). »
La réduction de l'essence de l'affectivité a celle de la transcen-
dance s'accomplit de deux façons. L'affectivité t out d'abord' est
comprise comme une determnation de la transcendance de telle
manière que celle - ci, l'exposition eksistante '
a l'étant en totalité,
se trouve inévitablement affectée par une tonalité , liée à elle et l'accom-
pagnant toujours, se produit comme un accord affectif. «Toute
compréhension , dit Heidegger , est affectivement déterminée
(2).
Et encore ; « le Dasein est constitué par l'Erschlossenh est,
c'est-à-dire
par un comprendre qui s'accomplit dans une certaine situation affec-
tive » ( 3). Parce que le comprendre s '
accomplit toujours dans une
certaine situation affective il appartient à l a problématique de sécher-

(i) L'essence de la vérité , op cit., 89-90, souligné par nous.


(2) SZ, 265.
(3) ID., 260.
148 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

cher, en présence d'un mode déterminé de son accomplissement,


« quelle Stimmung correspond â ce comprendre » ( i). L'Erschlossenheit
du Gewissen, par exemple, se laisse ainsi caractériser comme la
compréhension par l'existence de sa déréliction , compréhension
à laquelle corresp ond, comme sa tonalité propre, l ' angoisse (z).
Sur quoi se fonde cependant la correspondance du comprendre
et de la Stimmun dans l'Er rchlo ssenheit ? Pourquoi la transcendance
se réalise-t-elle nécessairement sous une forme affective ? L impossi-
b 'té de laisser le caractère affectif de la transcendance subsister
simplement à côté d ' elle, comme une détermination non fondée et
comme une présupposition gratuite , explique pourquoi , très vite,
un effort se fait j our, en dépit de l'affirmation de l'irréductibilité des
Stimmungen à de purs phénomènes de temporalisation , pour fonder
au contraire celles - ci, non pas seulement à vrai dire leur signification
existentielle mais précisément leur affectivité , sur l'être même du
comp rendre qu'elles déterminent chaque fois , sur la structure eksta-
tique de la temporalité. La réduction de l'essence de l 'affectivité a
celle de la transcendance s'accomplit maintenant de telle façon qu'elle
aboutit à leur confusion pure et simple . Cette confusion est visible
quand il est dit qu'il faut « montrer la structure ontologique de
l'affectivité dans sa constitution existentiale-temporelle », que, plus
la Be indlichkeit se temp oéalise p remierement dans le
recisement « f
p
passé », c'est-à-dire aussi bien « dans la Geworfenheit », que « le carac
.,
tère existental fondamental de la Stimmung est un rapporter en arrière
sur » bref que l'élément proprement • ontologique de l 'affectivité,
son être, réside dans la structure ekstatique de la transcendance et
dans les modes concrets de son accomplissement temporel. Parce
que son être ce qu'il p a en elle de proprement ontologique,. réside
dans la structure même de la transcendance , l'affectivité ne se juxta-

(I) ID., 295.


(2) Cf. ID., 287, 296-297.
L'.AFFECTI VITÉ
749

pose pas seulement à celle-ci, dès lors, comme une détermination


inexpliquée, le caractère affectif du comprendre cesse
d'être une
présupposition sans fondement et il est au contraire
possible d'aper-
cevoir « comment se comprend le lien existential de la
Befindlichkeit
et du Verstehen a partir de l'unité ekstati ue de ce qui est chaque fors
la temporalité » (i).
Que la structure ontologique de l'affectivité réside dans sa
constitution existentiale temporelle , c'est là toutefois ce qui n e
peut; être simplement affirmé . Heidegger entreprend de le montrer.
Si la simple attente d'un terme menaçant qui s'approche n'est pas la
peur, c'est qu'« il lui manque précisément le caractère affectif spéci-
fique de la peur ». Celui-ci réside, selon Heidegger, dans le fait que
l'attente de la peur concerne l'existence elle - même, n'est pas une
simple attente mais un s'attendre , dans le fait que « le s'attendre de la
peur laisse le terme redoutable revenir en arrière sur le pouvoir-
ê tre se souciant factice », c'est-à-dire sur l'existence elle-mêm e,
codécouverte à elle-même dans ce mouvement de retour en arrière
sur elle, c'est-à-dire précisément dans l'ekstase du assé. « ue' le
p Q
s ' attendre de la peur soit un « j' » ai peur, c'est-à-dire que la peur
de.., soit une peur pour ..., c'est en cela que ré side le caractère de « Stirn-
mung », le caractère affectif de la peur (z). » La découverte de l'exi s
tence
elle-même dans l'ekstase du tassé comme existence actice dont a
f pproche
le terme menaçant qui revient sur elle d de l'avenir ne contient cepen
part:r
gène à la simple-dantcomel, prctionasedhm
perception du terme menaçant dans l 'avenir, et as lus ue celle-ci rien
p p q ,
d'affectif, rien qui puisse constituer uel ue chose comme le caractère affectif,
q q
comme le caractère de « Stimmung » de la peur. Une telle découverte pourrait
très bien s 'accomplir dans une conscience urement théori ue dans une
p q
conscience indifférente, ou pour mieux dire a-tonale de sa ro re existence
p p

(I) SZ, 340•


(2) ID., 341, souligné par nous.
750 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et du terme qui vient vers elle. Bien plus, c'est comme une conscience de cette
sorte, comme une conscience purement théorique , indifférente et a-tonale que
se produirait la découverte à elle-même de l'existence si elle se produisait
dans l'ekstase du passé ou, d'une manière générale , comme un mode de irans-
cendance.`Il nÿ a pas de peur possible sur le fond de la seule relation ekstatique.
Pas d'angoisse non plus. Jamais la saisie de l'existence esseulée
et vouée à la mort comme à ce qui domine l'horizon même de son
monde et de son temps , ne ferait se lever la Stimmung de l'angoisse,
si elle s'accomplissait sous la forme d'une sim ple apercep tion et comme
un mode du comprendre, comme une relation ekstatique . Une telle
aperception, en effet, n' est encore par elle-même que la présentation
indifférente d'un obj et indifférent, et la compréhension de l'existence
comme être-pour-la-mort ne détermine nullement ce com p rendre
comme angoisse. Elle ne peut le faire, l'abandon de l'existence livrée
au monde de sa mort n'est effrayant, angoissant, que si le pouvoir qui découvre
cet abandon est capable non seulement de le découvrir , dans l'opposition
par elle-même atonale de l'ekstase, mais précisément d'être effrayé, de
s'angoisser, que si ce pouvoir n'est pas seulement un comprendre mais se
trouve d'ores et déjà constitué en lui-même, antérieurement à tout ce qu'il
peut comprendre, comme affectif et susceptible de se laisser déterminer
affectivement, comme affectivité. Le comprendre assurément est affectif
et pour cette raison la conscience atonale de la sim ple ap ercep tion
ici postulée par la problématique comme celle de l'ekstase, de l'opPo-
siton, ne se produit jamais , se produit du moins comme une cons-
cience indifférente . L'affectivité du comprendre toutefois ne réside
pas en lui-même ni dans la structure ekstatique qu'il développe chaque
fois, mais dans l'antistructure de cette structure , dans l'antiessence
de la transcendance . Toute l'ambiguïté de la philosophie de la trans-
cendance consiste dans la présupposition de l'affectivité du com -
prendre, présupposition qui ne présuppose pas seulement l'essence
de l'affectivité mais qui, en la réduisant à celle du comprendre lui-
même et en la confondant avec elle, la nie.
L'AFFECTIVITÉ
75 '

Les remarquesprécèdent
qui valent bien
- entendu toute
esp s, ycompris ceux qui, comme pôur
èce de sentiment ressent' '
posent l ' opposition et semblent trouver ment, présup
elle un principe d'ex•-
en
cation suffisant . Considérons pli
la vengeance . Elle est, selon .Nietzsche,
Nietzs
« le ressenti.ment de la volonté envers le temps et son « il
Au y avait» »(I),
temps en effet, a son « passer »
et à ce qui passe e n lui, . au deve-
nir, la volonté vient se heurter comme à
la chose devant laquelle
elle est sans pouvoir et dont elle souffre. L'impuissance souffrante
de la volonté détermine en elle l'esprit de vengeance par lequel elle
rabaisse tout ce qui passe et la vie elle - même en même temps
pose l'absolu
des idéaux supra-terrestres.
. esprit de vengeance
qu'elle
Cet
détermine la méditation de l'homme, c est -
a-dire la maniere dont
celui-ci comprend sa relation à l'être de l'étant et la vit ..
Parce que
cet esprit de vengeance détermine la relation de l'homme à l'être
de l ' étant, Nietzsche dit Heidegger
, , cc pense d'emblée la vengeance
métaphysiquement » ( 2). Ce qui importe dans la vengeance
, toutefois,.
c' est moins ce a quoi elle s'oppose, à savoir le temps et son « il y
avait », que le fait même qu'elle s'y oppose
,, que l'opposition comme
telle. C'est pourquoi l'esprit de vengeance subsiste quand, au lieu
de la dénigrer,. « un homme qui souffre
beaucoup • sous
prend la vie
sa protection » ( s), l'éprouve dans une ex erience elar '
p gie (Dionysos),
absolut se le devenir dans le Retour
ernel de et `' •
l'identique ,
Que l'important . dans
soitla vengeance ..
l ' opposition comme telle,
c'est là Justement ce qui en fait.
caractère le .
metaphysique . « La pensée
métaphysique , dit Heidegger ,
à (d.) » Non pas, repose sur la distinction ,
vrai dire , sur la distinction de ce qui est véri •
véritablement et de ce qui
n'est qu'apparence, ruais sur la distinction laquelle
par l 'existence se

(y) I,â-dessus et pour toute l'analyse qui suit •


, cf . HEIDEGGER , Qui est le Zara-
th0ustra de Nietzsche ?, in
Essais et Conférences , op, cit, 130.
^ 141•
(2) Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ?, ap. cit. 1 30.
(3) ID., 141.
(4) ID., 142.
75 2 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

rapporte à l' être comme constituée par cette distinction même, comme
opp osition . L'opposition à l'être compris comme le temps que
cette opposition soit instituée pour le valoriser ou le dévaloriser
est l'être lui-même, est le temps . Avec la pensée métaphysique de la
vengeance se fait j our la possibilité d'une interprétation existentiale-
temporelle exhaustive de l'être de ce sentiment , car la vengeance
.
"
est completement expliquée par le temps quand elle désigne une
relation au temps constituée par le temps lui-même. Ce qui manque,
toutefois à cette interprétation existentiale -temporelle de l'être de la
vengeance , ce n'est rien de moins que le caractère affectif de la relation
par laquelle l ' existence se rapporte a ce qui passe et prend attitude
vis-à-vis de lui, rien de moins que le caractère affectif de la vengeance.
Parce qu' un tel caractère ne réside j amais dans l'opposition comme
telle, celle-ci ne peut expliquer non plus les autres sentiments qui
semblent trouver en elle et dans la séparation qu'elle institue chaque
fois leur origine naturelle, la souffrance de l'être-séparé, la nostalgie.
L'être transcendant il est vrai, ce qui ne trouve jamais que dans le
lointain de la séparation la condition de sa présence, de sa proximité,
le monde en général, éveille notre souffrance « La nostalgie, dit
Heidegger, est la douleur que nous cause la proximité du lointain (i). »
Mais la transcendance du monde, si elle fonde la séparation dont
souffre la nostalgie, ne fonde j amais le caractère souffrant de cette
séparation, la nostalgie{ elle-même et son affectivité , laquelle ne réside
,
pas dans l'acte de cette transcendance mais dans son auto-affection
,.,.
originelle et, précisément , dans l'essence même de l'affectivite.
Que la transcendance ne fonde jamais l'affectivité et ne constitue
pas son essence, on le voit dans le fait qu'elle ne fonde jamais non..
plus ce à quoi l'affectivité se trouve liée en vertu d'une connexion
essentielle : l'ipséité. Une telle connexion se laisse apercevoir dans
l'interprétation existentiale -temporelle de l'affectivité lorsque le

(z) Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ?, op. cit., i25.


L'AFFECTIVITÉ
753

pouvoir de révélation de cette dernière, compris comme celui du


temps, se concentre, non plus sur le monde, mais sur l'existence qui
lui est livrée, de telle manière que celle-ci constitue en tout premier
lieu le contenu propre et en quelque sorte spécifique de ce pouvoir,
de telle manière que c'est l'existence elle-même qui, dans l'affectivité
se découvre et se révèle à elle-même. Que cette révélation à elle-même
de l'existence, sa relation originelle avec soi et finale
ment , on"être-sol,
se propose comme une détermination essentielle de son affectivité
et comme consubstantielle à celle-ci, on le voit plus nettement encore
quand il est dit, à propos de l'espoir, que son « caractère affectif repose
d'abord
. dans l'espérer comme dans un « espérer pour soi » » « ce
qui, ajoute Heidegger, présuppose un « s'être-obtenu » (e:n sich
gewonnen haben) » (i). Le «. s'être-obtenu » de l'existence, présupposé
en elle comme la possibilité même de son affectivité et comme l'es-
sence de celle-ci, précisément parce qu'il constitue son essence, se
laisse voir en chacune de ses tonalités, dans eur enla p 1q u'elle
tant
.
se trouve déterminée originellement et nécessairement comme
« peur pour soi », dans l'angoisse qui, de la même manière, n'est
possible que comme l'angoisse du Dasein devant sa propre existence
et pour elle. C'est précisément parce que le s'être-obtenu de l'existence sa
révélation originelle à fol-même et ce qui la détermine chaque fois comme un
foi trouvent leur fondement dans l'ekstase dupasse que celui-cijjoue dans l'inter-
pretation ontologique de l'affectivité comme tem oralité le r5oie
le qua est le sien
et se propose finalement comme le propre fondement de l'affectivité et comme
son essence, de telle manière que les différentes tonalités apparaissent comme
les modes divers de sa réalisation, par que le exemp
la « Be findlichkeit » de
l'angoisse est donnée explicitement` comme constituée par un mode ekstati ue
spécifique du passé (2). Dans sa relation à soi-même telle qu'elle s'ac-

(I) SZ, 345•


(2) ID., 344• -- I,a même remarque est faite au sujet de la peur « L'unité eksta-
tique spécifique qui rend possible ... le Sich f ürchten se temporalise de façon primaire
à partir de l'oubli ... comme mode du passé ... » (ID., 342).
754 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

complit dans l'ekstase du passé , l'existence ne peut cependant se


rapporter ce à quoi elle se rapporte que pour autant qu'elle se trouve
d'ores et déjà constituée en elle-même comme un soi, elle ne peut
s'y rapporter comme à sos-meme que pour autant que ce Soi, déjeté
dans le milieu de l'altérité ouvert par le passé et se proposant néan-
moins en elle comme un soi et comme son propre soi , n'est rien
d'autre que l'objectivation de son Soi originel et sa représentation (I).
Pas plus que l'opposition en général et précisément parce qu'elle est
un mode de celle-ci, l'ekstase du passé ne peut . constituer l'ipséité de
l'existence consubstantielle à son affectivité ni la fonder, elle la pré
suppose bien plutôt comme sa propre condition.
L'impuissance de l'opposition à constituer par elle-même l'es-
sence de l'ipséité apparaît lorsque la problématique entreprend de
déterminer la « structure transcendantale et fondamentale de la
transcendance du soi éthique » (z). Il est remarquable que la question
de cette détermination de l'être du Soi à partir de la transcendance
intervienne à l'intérieur d'une analyse explicitement orientée vers
la saisie de l'essence du respect et , à travers lui, vers celle du sentiment
en général. Comment se produit dans le sentiment , et plus parti-
culierement dans le respect, cette détermination de l'essence de
l'ipséité à partir de la transcendance ? Comment le respect constitue-
t-il en lui-même l'être du Soi ? En tant qu'il le révèle. « Dans le respect
pour la loi, le moi qui la respecte se révèle d'une certaine façon à soi-
même » « Une telle révélation , ajoute Heidegger afin d'en souligner le
caractère essentiel, ne saurait être ni subséquente ni occasionnelle. »
on dans le respect lui-même ni. dans ce
En quoi consiste-t-elle ? En aucune faç
qui fait de lus ce qu 'il est, dans la révélation originelle de son être â soi-même
constitutive comme telle de son affectivité et, identiquement , de son être-soi

(I) I,a théorie de la constitution de ce Soi transcendant est une des tâches
propres de la Phénoménologie de l'Ego . Elle n'a pu prendre place dans le cadre de
ces recherches.
(2) K, 216.
L'AFFECTIVITÉ
755

et de l'essence de l'ip séité en lui.


La révélation du mol lui-meure dans
le respect tel que le comprennent Heidegger et Kant n'est u'indi
p par la médiation d'un processus complexe -ret,ls'acomi.q
loin de pouvoir f qui,
onder l'être du moi, le présuppose au contraire
comme la condition même de son accomplissement Un tel processus
n'est autre que la transcendance elle-même
A on du. La révélai
moi.
lui-meure s'accomplissant « dans le respect »,
en fait par la médiation
de la transcendance , se décompose des '
lors comme suit ; e respect
dévoile la loi de telle manière que ce dévoilement est recisemen
l'oeuvre de la ira p t
ascendance la loi cependant est la loi de l'action, la
commande , elle implique conséquent
par ésupposeetpr un moi u1
se soumette à son co q
mmandement et l'accomplisse A cette simple
présuppos iti on d'un soi agissant soumis a la loi se ramène en fait
tout le contenu d ' une proposition comme celle
- ci . « le respect pour
la loi c est-a-dire . cette maniere
- specifique de dévoiler la loi comme
fondement de la détermination deenl'agir
^r est soi un -- ^•
dévoilement
e moi-même comme soi agissant» (i) Ainsi se renverse l'ordre des
facteurs ,
la hiérarchie des essences : de l'opposition prise comme
allant de soi ,
de la re resentation de la loi, c est a dire finalement du
simple concept de celle-ci, est déduite l'existence reeile d'un moi qui.
constitue pourtant la condition ontologique de possibilte et le fon-
dement de cette représentation , de ce concept,
e toute opposition
en géneral , tandis que cette déduction se trou '
ve baptisée du ..nom de
« dévoilement ».
Que loin de pouvoir être de déduit '
la representation de la loi
comme ce qui fui est soumis
, nstitde le la
au contraire moi co '
condition
ontologique de possibilité et le fondement de -cette représentation,
de l'opposition général,
en on le voit à ceci
que la raison se donne
la loi à elle- même(z),
de telle maniér
e il est vrai que l ' être de cette

(I) K, 215.
(2) Ibid.
756 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

raison et, plus avant, son être-soi, ce qui lui permet précisément
de se donner la loi à elle-même, se trouve à nouveau et une fois de plus
simplement présupposé, de telle manière que le moi qui se donne la
loi à lui-même, faute d'apparaître dans le respect et d'être saisi en
lui comme son affectivité même, n'est plus rien d'autre qu'une
condition = x, une réalité métaphysique . Entre la réalité méta-
physique du moi de la raison qui Pose la loi et la réalité empirique du
moi qui se soumet à elle dans le respect , une différence s'institue
dès lors, qui ne tient pas seulement au fait que le premier échappe à la
sphère d'expérience dans laquelle le second est au contraire plongé,
mais à la nature même de la relation qui s'établit entre eüx , en tant
que cette relation, médiatisée par la représentation de la loi et consti-
tuée par elle, se trouve constituée par la différence elle-même comme
telle.
Parce que les deux moi, celui qui pose la loi et celui qui s'y soumet,
se trouvent définis à Partir de la différence de la représentation et
par suite comme essentiellement différents, l'affirmation de leur unité
au contraire l'affirmation selon laquelle « le respect à l'égard de la
,.
loi » (à l'égard du moi métaphysique où elle trouve son origine)
« est respect à l'égard de soi-même » (i) demeure elle aussi sans fonde -
ment. L'interprétation ontologique de. l'être du moi à partir de la
transcendance, plus précisément ici à partir de la représentation de la
loi morale, ne presuppose pas seulement chaque fois l'ipséité des
deux moi qu'elle est amenée à posera partir de cette représentation,
l'ipséité du moi comme tel, elle fait encore éclater celuici en une pluralité
:mpensable de\ moi di tirent c et irréductibles.
Au moi de l'expérience qui rencontre la loi, au moi métaphysique
qui la pose, s'en ajoute d'ailleurs un troisième, celui qui se réalise
dans la soumission du premier au second et par elle : « je suis moi-
même dans cet acte de soumission à moi-même ». Un tel moi, se

(I) K, 215.
L'AFFECTIVITÉ
7S7

réalisant progressivement dans la libre et contin g ente soumission


d' un premier mol a un sur -mol, est le moi authentique et vrai
« l'être-soi véritable », comme si celui-ci ne devait pas désigner en
tout premier lieu l'essence même du moi et sa possibilité, comme si
cette essence, comme si une essence en général pouvait jamais se
réaliser progressivement , êtrequelquechose qui devient. Parce
qu'elle repose ultimement sur le même fondement ou plutôt , en ce
qui concerne l'essence de l'ipséité , sur la même absence de fondement
la philosophie de la transcendance rejoint la m ythologie classique
et s ' achève en elle. En se soumettant a la loi qui lui vient de la raison
pure, le moi s'élève â celle-ci, s'élève â soi-même comme être libre
de telle manière qu'il lui est impossible désormais de se mepriser.
« Le respect est donc le mode .d'être- soi du moi qui lui défend de
« rejeter le héros hors de son âme ». » Une définition du héros vient
se substituer â la détermination ontologique de l'essence de l'i pseite' .
Faute de se révéler en lui-même , dans son essence, « le moi se révèle
dans sa dig vite » (i) et
e l'ontologie
fois,défaillante un ' de plus,
,
cede la place a l'enthousiasme moral.
Que l'inter p retation de l'être du soi. àpresen-
partir de la re
Cation de la loi morale et en genéral â partir de l'essence de la trans-
cendance
. é choue inévitablement et, pareillement, l'interpretat on
de l'essence de l'affectivité à partir du pouvoir de révélation propre
a la transcendance, c'est-a - dire â partir de la transcendance elle-mêm e,
confirme la problematiq ue dans ses ro res résultats, si nifie
p p g
l'essence de l'ipséité, et, identiquement, celle de l'affectivité qui la
fonde et lui est consubstantielle, ne Peut précisément se fonder sur
la transcendance ni se comprendre à partir d'elle mais seulement
â partir de ce qu'elle est réellement, ne peut se comprendre que
comme immanence.

(I) K, 216.
zig
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 66. L'AFFECTIVITÉ COMME IMMANENCE


ETRE-ORIGINEL ET ÊTRE•CONSTITUÉ DU SENTIMENT

L'interprétation ontologique fondamentale de l'affectivité comme


immanence a été donnée par la problématique. Conformément à
cette interprétation, il apparat que les déterminations ontologiques
structurelles de l'immanence sont identiquement celles de l'affectivité
et, par suite, de tout sentiment comme tel. A celui-ci appartiennent,
sur le fond en lui de son essence, comme ses déterminations ontolo
gigues lles précisément, l'être-vivant, l'être-situé, l'être-soi,
structure -
la passivité originelle à l'égard de soi dans le souffrir, la non-liberté ;
corrélativement, l'ensemble des déterminations qui se réfèrent à la
transcendance et ont en elle leur fondement se trouvent au contraire
exclues de ce qui constitue son être réel et propre. Que l'ensemble des
déterminations qui se réfèrent à la transcendance se trouvent exclues
de l'être réel et propre du sentiment, c'est la ce qui fait de celui-ci
un contenu immanent au sens radical défini par la problématique,
comme contenu de l'essence dont la structure interne est justement
l'immanence c'est-à-dire aussi bien l'affectivité elle-même comme
telle. La détermination ontologique fondamentale du sentiment
comme contenu immanent et, réciproquement, de tout contenu imma-
nt comme affectif, la détermination ontologique fondamentale de.
nent
l'affectivité comme constituant l'essence de l'immanence et comme
identique se heurte au contraire à une objection
à celle-ci, ^ décisive
susceptible de mettre en cause tous les résultats de la problématique
si, dans un seul cas, une seule fois, le sentiment déploie son être
dans le milieu ontologique de l'extériorité et se présente ainsi en lui
comme un contenu transcendant. Tel est justement le cas du senti-
ment sensoriel selon Scheler.
Le sentiment ^ sensoriel et par là il faut entendre toute sorte de
pl e douleurs
plaisirs et d de sentiments agréables ou désagréables liés
a l'exercice des différentes fonctions de l'organisme et, par suite,
L'AFFECTIVITÉ 759

d'origine manifestement sensorielle , se propose, et c'est ce qui le


caractérise en premier lieu, comme étendu , comme situé en des
endroits déterminés du corps propreet se divisant
conformément
aux structures qui apparaissent en celui-ci et le déterminent. Le
sentiment sensoriel ne se laisse pas réduire sans doute à une sensation
il n'est pas. une simple propriété de celle-ci , « un ton» lui appartenant
au même titre que sa qualité ou son intensité , mais représente toujours
par rapport à elle, par rapport à un ensemble de contenus sensoriels
spécifiques, « une qualité nouvelle^ fondée sur uneun série et sur
ordre de tels contenus ». Comme la sensation toutefois comme les
différents contenus sur lesquels i1 se fonde , le sentiment sensoriel
est inclus dans la partie du corps organique dont il exprime l'état
et la tonalité, dont il est le sentiment, « Je le sens dit Scheler, là où
je vis par expérience vécue l ' unité organique dont il est l'état, »
Parce qu' il est inclus dans la parte du corps organique dont il
exprime l ' état et la tonalité, le sentiment sensoriel revêt l'extension
qui est celle de cette partie, il s'étend réellement en elle, son mode
d'existence est le mode d'existence spatial et temporel du corps.
organique et de ses différentes parties, « Sa forme d 'existence exclu-
sive est celle de son existence en son temps et en son lieu dans le
corps propre `I). »
Que le sentiment sensoriel se trouve inclus dans une partie du
corps organique , qu'il existe de cette existence s patiale et temporelle
qui caracterise ce dernier , ce n'est pas là une affirmation spéculative,
cela veut dire : le sentiment sensoriel se manifeste comme tel étendu
dans l' étendue corporelle et durant en elle, dans sa durée , de telle
manière que cette extension spatiale et temporelle d 'une partie de l'orga-
nisme et identiquement du sentiment sensoriel lui-même constitue prec:sé..
le mode de manifestation de celui-ci et son surgissement eissementectifdans
la condition de phénomène. C'est en ce sens ultime qu'il convient d'en-

(I) F, 341'-342.
760 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

tendre la proposition selon laquelle le sentiment sensoriel « est


donné... comme fondé sur l'être-donné d'une partie quelconque. déjà
délimitée du corps propre, précisément comme un état de cette par-
tie » (i). Parlant du pouvoir du sentiment sensoriel de révéler l'état
axiologique, l'épanouissement ou l'inhibition de l'activité vitale,
non dans l'organisme entier, comme le fait le sentiment vital, mais
dans des organes déterminés, Scheler dit : « dans les organes où
se trouve aussi le sentiment à titre de phénomène » (z). Parce que le senti
ment sensoriel se trouve comme phénomène dans les organes dont
il estle sentiment, Parce que l'extension du corps organique et de son
temps propre , l'extension comme telle, constitue ultimement le
mode de manifestation et la réalité de ce • sentiment le statut de
,
celui-ci , son statut ontologique et phénoménologique est clairement
défini et le détermine à partir de l'extension où il s'étend et de ce qui
la fonde comme une réalité étendue et transcendante.
Dans l'extension de ce qui est étendu, cependant, dans l'extension
de la structure organique du corps propre où s'étend le sentiment
sensoriel, comme d'une manière générale dans l'extension de l'être-
étendu-devant qui fonde toute extension possible, toute extension
spatiale et temporelle notamment, ne se trouve en aucune façon
et ne peut être trouvé ce qui fait l'affectivité de ce qui est affectif,
l'affectivité du sentiment sensoriel par exemple . En prétendant définir
l'être de celui-ci et ce qui le détermine comme un sentiment à partir
de l'extension d'une partie du corps organique et de son apparence
étendue, Scheler confond deux choses, d'une part, la révélation ori-
ginelle du sentiment à lui-même constitutive de son affectivité
et qui consiste dans cette affectivité même , d'autre parts la représen-
tation de ce sentiment , d'ores et déjà constitué en lui-même, sur le
fond de son autorévélation originelle, comme affectif, comme senti-

(z) F, 342, souligné par nous.


(2) ID., 365, souligné par nous.
L'AFFECTIVITÉ 761

ment, dans le milieu ontologique de la représentation `et plus parti-


culièrement, quand il s'agit du sentiment sensoriel , sa localisation
dans l'espace spécifique du corps organique et dans une région par-
ticulière de cet espace.
Que le sentiment puisse être représenté dans le milieu de la
représentation, localisé dans l'espace spécifique du corps organique
par exemple, et dans une région particulière de cet espace , c'est là
ce qui le determne comme une réalité constituée, spatiale et, par
suite, comme une réalité transcendante dans le milieu transcendant
de la représentation. L'être- constitué du sentiment sensoriel son
être représenté dans le 'eu de la représentation localisé dans
l'espace spécifique du corps organique, ne se ramène en aucune fa çon,
toutefois, à son être originel, à ce qui fait de lui un sentiment et ne
peut prétendre le définir , ne peut prétendre définir l ' essence de l'affec-
tivité en lui. La détermination ontologique thématique de l'être-
constitué du sentiment, du sentiment sensoriel dans le cas qui nous
occupe, appartient à une phénoménologie constitutionnelle dont la
tâche
. est justement l'élucidation s ystématique des p roblèmes consti-
tut ifs. Une telle phénoménologie demeure cependant étrangère,
dans sa visée, aux présentes recherches et ne peut trouver place en
elles. En ce qui concerne l'objet actuel de la problématique, la mise
en évidence du caractère radicalement immanent du sentiment, il
suffi ra de remarq uer que la representation de celui-ci, son être-
constitué, n'est pas quelque chose de simple, rien qui puisse servir
à une détermination éidétique de ce qui fait l'affectivité de ce qui
est affectif et, précisément, la simplicité de son essence pure. La
représentation du sentiment présuppose ; l'extension originelle du
milieu ouvert où le sentiment est représenté, à savoir précisément sa
représentation, et en mime temps, comme une présupposition écran ire
g
a celle-ci et ne pouvant trouver en elle son fondement, l'affactivité de ce ^i
est représenté en elle, l'affectivité du sentirent lui-même, son être originel
et propre, Que l'affectivité du sentiment ne puisse trouver son fonde-
M. HENRY 25
762 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment dans le.. milieu de la représentation, dans ' l'extension de l'être-


étendu-devant, cela résulte de son essence même et de la structure de
la phénoménalité en elle comme irréductible à celle de l'être-étendu-
devant, cela résulte de ce que la révélation originelle du sentiment
à lui-même constitutive de son affectivité consiste dans son affectivité
mêmes laquelle, considérée en elle-même, en tant que telle, n'est
rien d'étendu, de ce que l'apparence de l'être-étendu devant réside
-
dans son extension même, laquelle , considérée en elle-même, en tant.
que telle, n'est rien d'affectif. Parce que la p hénoménalité du milieu
qu'elle développe est irréductible à celle de l'affectivité , la re p résen
tation, loin de pouvoir définir dans un cas, dans le cas du sentiment
sensoriel, ce qui fait l'être de ce sentiment , à savoir p récisément son
affectivité , présuppose au contraire celle-ci et ce qu'elle est toujours,
elle la présuppose comme ce qu'elle re p résente mais q ui ne trouve
jamais dans le 'eu de sa représentation la condition de ce qui
constitue son être propre, son autorévélation à lui-même dans la
phénoménalité originelle de son affectivité.
Ici s'éclaire, en même temps que la nature de l'être-constitué
du sentiment, celle du paralogisme accompli par Scheler lors-
qu'il identifie purement et simplement à cet être -constitué l'être
même. du sentiment l'être du sentiment sensoriel L'être-constitué
, .
du sentiment est fondé sur son être originel . En identifiant
l'être- constitué et l'être originel du sentiment sensoriel Scheler
,
confond . deux sortes de caractères , les caractères a pp artenant au
sentiment lui-même, en raison de ce qu'il est, en raison de son affec-
tivité, et ceux qui sont relatifs au milieu dans le quel le sentiment se
trouve représenté, bien plus il p rend explicitement les seconds
pour les premiers , les caractères éidétiques de l'espace s pécifi q ue du
corps organique et de ses structures différenciées, les caractères
de l'être transcendant en général, p our des caractères affectifs , p our
les caractères du sentiment considéré en lui-même et dans son affec-
tivité. Ainsi s'expli que la p rétendue descrip tion du sentiment senso-
L'AFFECTIVITÉ
763

riel, l'énumération des propriétés par les quelles Scheler p rétend le


caractériser et en même temps l'opposer à tous les autres à savoir
,
le fait que le sentiment sensoriel « n'a jamais
l ^ d'ob'ectade
en face d
lui » ni « aucune visée intentionnelle orientée vers eux » (i), qu'il ne
se transcende pas, qu'il existe « sans continuité de signification »,
c'est- à-dire sans être motivé par rien et sans rien motiver non plu s,
sans rien appeler ni exiger, sans entratner « aucune conséquence
d' expérience vécue émotionnelle » et sans « être lui- même «la consé-
quence vécue » d'autres expériences vécues émotionnelles » (z),
que, limité à lui-même et enfermé en lui comme un oint, il se pro-
p
pose précisément avec un caractère « ponctuel », avec le mode d'exis-
tence spatial et tem p orel de ce qui est sp atial, et cela arce u'« il
p q
est donné comme é tendu et localisé en des lieux déterminés du cor ps
propre » (3}, qu'il ne remplit pas complètement le Je proprio-cor-
porel (4), qu'il ne souffre pas enfin de l'attention portée sur lui
au contraire (S), toutes propriétés et caractères qui sont ceux de
l'être transcendant, plus précisément de cette partie de l'espace
intra- organique auquel le sentiment sensoriel se trouve référé et
dans lequel il est situé, Le sentiment sensoriel ne se transcende
. pas'.
parce qu' en effet rien de transcendant ne se transcende vers rien, il
n'est pas motivé et ne motive rien, parce qu'une structure or ani ue
g q
ne peut être motivée en effet mais seulement déterminée causalement
(intérieurement ou extérieurement ), il se présente comme une exis
tence ponctuelle, spatiale et co rporelle, p arce que c'est là en effet
ce qui caractérise le mode d'existence d'un organe dans le cor p s
propre, il ne souffre pas de l'attention qu'on lui porte, enfin, p arce
,,
qua toute détermination de l'être transcendant , à tout ce qui se pro-

(I) F, 341.
(2) ID.,. 343.
(3) ID., 340-341.
(4) Cf. ID., 341.
(5) ID., 343-344.
764 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

pose à nous comme un objet, que ce soit l 'objet d'une intentionnalité


perceptive ou, plus originellement , celui d'une intentionnalité motrice,
il appartient de pouvoir être donné selon des modes de clarté croissant
jusqu'à l'évidence de l'être- donné sous le regard thémati que du Je.
Les caractères éidétiques de l'être transcendant du corps organique
et de ses structures différenciées n'ont cependant riens voir avec les
caractères éidétiques conformément auxquels le sentiment est chaque
fois ce qu'il est et ne sauraient les contenir, un point de l'espace orga-
nique ne saurait s'éprouver foi-même, être un sentiment, mais se trouve au
contraire et par principe privé de ce pouvoir ; l'unité d'un continuum or ga-
nique étendu, d'un organe du corps propre, ne peut non plus se sentir soi-
même, se retenir et se rassembler originellement avec soi dans l'unité
intérieure et vivante de la vie, comme le fait le sentiment , c'est une
unité fondée, présupposant l 'unité de la synthèse qui déploie l'être-
étendu-devant et le retient dans l'unité de son acte d 'unir, lequel ne
peut accomplir ce qu'il accomplit, être ce qu'il est, l'Un-Unissant,
que pour autant qu'il est d'abord l' Un, pour autant qu'il s'affecte
originellement lui-même dans l'unité intérieure immanente de son
affectivité, de telle manière que celle-ci, que l'être du sentiment , réside
d'abord et seulement et ne peut être trouvé. que dans cette unité
intérieure originelle, dans la structure interne de l'immanence comme
telle. L'incapacité de se rapporter intentionnellement à un objectum
quelconque, inscrite dans la structure du corps organique comme une
propriété purement négative d ' ailleurs et comme une détermination
de l'étant en général, n'a rien à voir non plus avec l'absence de trans
cendance, avec l'impossibilité principTelle de se depasser soi-même
qui caractérise essentiellement l'être du sentiment , elle est seulement
celle de la chose étrangère à l'élément ontologique de la manifes-
tation, l'incapacité du continuum organique comme de toute entité
transcendante en général , tandis que l'impossibilité pour le sentiment
de se dépasser soi-même affecte l'être intérieur de la transcendance
elle-même et la constitue, la déterminant ainsi originellement comme
L'.AFFECTI VITÉ
763

affective, détermine l'être du sentiment dans son appartenance on.


ginelle à la structure d'ensemble de la transcendance et comme son
fondement ultime. En ce qui concerne, enfin, la propriété des fonde-
ments organiques du sentiment sensoriel de se soumettre au regard
de l'attention sans être altérés ôû détruits par lui, elle ne saurait non
plus être imputée au sentiment lui-même lequel manifeste précisé-.
ment la propriété opposée.
L'hétérogénéité ontologique irréductible des caractères éidétiques
du sentiment, d'une part, du milieu dans lequel il est situé comme
sentiment constitué, d'autre part, l'hétérogénéité ontologique de
leurs essences, de l'essence de l'affectivité et de celle de l'être trans-
cendant spatial du corps organique, devient visible à l'intérieur même
de la problématique instituée par Scheler quand se pose la question
de savoir si « l'extension et la localisation des sentiments sensoriels» ne
se réduiraient pas à une « apparence
, », de telle manière « qu'en fait ces
sentiments seraient aussi inétendus et sans lieu que les sentiments « de
l'âme» et les sentiments spirituels, qu'ils ne seraient liés, par exemple
que par une « association née de l'expérience » aux images de tels ou
tels organes ou qu'ils ne seraient que « projetés » dans ces organes ».
Qu'il n'en soit pas ainsi, que l'extension. du sentiment sensoriel lui soit
inhérente et le détermine originellement dans son être même Scheler
en donne pour preuve le fait qu'elle existe quand bien même nous
n'avons aucune connaissance, par le moyen de la perception extérieure
ou des images qui lui correspondent, des organes avec lesquels, par
suite, le sentiment ne peut être associé pour tenir d'eux, de son associa-
tion avec leurs images, une extension qui lui appartient au contraire par
principe. « Même dans la douleur et le plaisir sensoriels, sans aucune
connaissance des organes affectés (au moyen de la perception exté-
rieure et des images-du-souvenir correspondant à ces organes) nous
nous trouvons en présence de l'extension et de la localisation ( i ). »

) F, 346.
766 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Il s'en faut de beaucoup cependant que la « connaissance » de la


spatialité originelle du corps organique nous soit donnée d'abord
et par le moyen exclusif de la perception extérieure ou des images
qui lui correspondent, celles-ci p euvent faire défaut et, de la même
manière, la perception , tout acte de connaissance à p ro p rement
parler, le surgissement du corps organiquese produit pourtant comme
celui d'un continu auquel l'existence adhère immédiatement dans la
tension latente qui la définit, comme une première dimension de
transcendance sur laquelle se fondent â leur tour, dans l'objectivation
de l'être total de l'existence et de ce corps organique qui lui a p partient
originellement , l'image que nous avons de notre corps propre et les
divers schémas qui la constituent . C'est sur le fond de ce corps orga-
nique originel et dans le milieu de sa spatialité propre que se trouve
constitué précisément le sentiment sensoriel comme une réalité orga
, de telle manière que le surgisse--niquemtéd frncie
ment de cette spatialité et la constitution en elle du sentiment ne sont
tributaires d'aucun acte de connaissance ni d'aucune association née
de l'expérience, de telle manière aussi q ue le sentiment est seulement
constitué, c'est- à-dire représenté en elle.
Que le sentiment sensoriel soit seulement constitué , c'est-à-dire
représenté dans l'être étendu du çor p s or g anique, on le voit dans
l'illusion des amputés dont la signification , à cet égard, a pp araît
décisive : comment le sentiment sensoriel, s'il se trouvait réellement dans
une partie du corps,. si son être s'identifiait à l'être de celle-ci et à la p ortion
d'étendue qui le délimite, pourrait -il subsister lorsque cette partie est détruite,
comment pourrait-il exister quand elle n'existe pas ? C'est, dit Scheler,
qu'à la partie détruite du cor p s- or gani que, au membre amputé, se
substitue son image mnémonique dans laquelle la douleur se trouve
dès lors ressentie, au lieu de l'être au niveau du moi gnon ( i ) . L'être de
l'image mnémonique du membre amputé est cependant, par definition f et par

(I) F, 346.
L'AFFECTIVITÉ 767

essence, un être imaginaire, la douleur ressentie par l'amputé, au contraire,


est une douleur réelle, son être , l'être du sentiment sensoriel loin de pouvoir
s'identifier à l'être-étendu de l'image oû le sentiment est représenté, en diffère
au contraire de manière essentielle et, précisément, comme le réel diffère de
l'imaginaire. Ici encore Scheler confond l'être originel et réel de la
douleur avec son être constitué , avec sa re presentation dans l'étendue
imaginaire de l'image mnémoni q ue du membre absent. Que p our .
expliquer l'illusion de d'amputé, c'est-à-dire précisément cette
extension de la douleur, et cela en l'absence de son substrat organique
étendu habituel , Scheler fasse explicitement appel à l'image mnémo
nique de ce substrat , montre avec éclat que l'être originel de la douleur
ne contient en lui- même aucune extension et ne revêt celle-ci que pour
autant que se trouve donnée , indépendamment de la douleur elle-
même et comme un milieu ontologique étranger à son affectivité,
l'extension de l'être-étendu, l'extension d'une partie du corps
organique et, en l'absence de cette partie , dans le cas de l'am p utation,
celle de son substitut imagina i re Ainsi est démentie, par l'analyse
même de Scheler, l'affirmation précitée selon laquelle dans la douleur
sensible nous nous trouverions ' en présence de l'extension et de la
localisation, et cela sans avoir aucune connaissance des organes
affectés, que ce soit par le moyen de la perception ou des images du
souvenir correspondant à ces organes. Qu'il n'en soit point ainsi,
que la « connaissance » de l'étendue organique, quel que soit le mode
selon lequel elle s'accomplit, soit au contraire re q uise p our q ue
l'affectivité de la douleur par elle-même etrangg ère à toute extension.
puisse être representee en celle-ci rend claire la non-appartenance
originelle et essentielle du sentiment ,
, fût-il sensoriel , au milieu
transcendant du corps où il est constitué, l'heterogeneite onto-
logique i rréductible des caractères affectifs et de ceux de l'être-
étendu.
Une telle hétérogénéité , le fait que le sentiment ne se trouve jamais
déterminé en lui-même comme étendu et ne se propose en
768 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

lui-même comme une détermination de l'étendue, s'exprime dans une


loi d'essence, dans la contingence de la relation qui existe entre le sentiment
et l'être organique étendu qui sert de substrat à sa constitution Telle est la
.
signification décisive de l'illusion des amputés, la mise en évidence
de. cette contingence, de la possibilité pour le sentiment d'être repré-
senté et constitué, non plus dans l'organe intérieurement appréhendé,
mais dans son image Cette contingence de la relation du sentiment
.
et de l' être étendu organique qui sert de substrat à sa constitution
apparaît plus nettement encore dans les douleurs vagabondes de
l'hystérie qui se caractérisent justement par la contingence absolue
de leur localisation . La possibilité même d'une illusion de ce genre,
de toute illusion concernant le sentiment sensoriel en général, la
possibilité d'une illusion concernant, non l'affectivité où par prin-
cipe il n'y a point d'illusion, mais la localisation de ce sentiment,
présuppose l'hétérogénéité foncière en lui de sa localisation et de
son affectivité et, au-delà de la nécessité de fait de la liaison habituelle
dans l'expérience normale de ces déterminations ontologiques hété
rogènes, la contingence principielle de leur relation.
L'hétérogénéité ontologique de l'affectivité et de l'être étendu
du corps organique, de l'être transcendant en général c'est ce qui
,
ressort égaiement, et cela en dépit de son but explicite, de l'analyse
schélérienne du sentiment vital. Comme le sentiment sensoriel,
en effet, le sentiment vital, selon Scheler, est étendu, il est situé dans
le corps organique et participe réellement à son extension . La diffé
rence est que le sentiment sensoriel se trouve localisé dans des
organes déterminés du corps propre, tandis qu'une localisation de
ce genre est impossible dans le cas du sentiment vital qui ne contient
en lui aucune extension ni aucun lieu déterminé mais s'étend dans
l'être total du corps propre dont il partage le caractère globalement
extensif et en même temps l'unité . Entre le sentiment sensoriel et
le sentiment vital toutefois, Scheler note une seconde différence
,
au lieu de se présenter sous la forme d 'une simple fait d'un « état
L'AFFECTIVITÉ 769

brut » ( i) dont l'existence se réduit à celle d'un point, à « un contact


immédiat dans l'espace et dans le temps », comme le fait le sentiment
sensoriel (z), le sentiment vital tire sa signification de ce qu'il se
p rop ose comme un « sentiment-à-distance » 3), comme la saisie
intentionnelle des constituants axiologiques des processus vitaux
qui se déroulent à l'intérieur ou à l'extérieur de notre corps propre.
Comment cependant le sentiment vital pourrait-il revêtir ce « carac-
tère fonctionnel et intentionnel » qui lui confère une « signification »,
se transcender vers un objet si son être se confondait avec celui du
,
corps organique vers lequel se dépasse immédiatement l'existence.
dans le J e p eux de sa p osition originelle et qui, comme tel, comme
corps originellement transcendant, se trouve précisément et par
principe dépourvu du pouvoir de se dépasser vers quoi que ce soit,
Ici encore la confusion faite par Scheler entre l'être originel, entre
l'être affectif du sentiment vital et le milieu ontologique qui sert de
substrat à sa constitution , enferme la problématique dans une contra-
diction qui vaut comme une réfutation décisive de la thèse de la
transcendance du sentiment, comme la mise en évidence de son
immanence radicale.
La distinction de l'être-originel et de d'être constitué du senti-
ment donne une signification â la théorie schelerienne , en elle-même
irrecevable, des niveaux affectifs , théorie qui se propose comme une
explication et, plus avant, comme le fondement de la réalité de la
différence qui s'institue entre nos :sentiments . Celle-ci ne se ramène
p as, en effet, à une sim ple différence de qualité comme celle qu'on
peut observer entre le plaisir , le déplaisir, le de'couragement, la

(I) F, 347•
(2) La théorie de ce contact immédiat , qui recouvre eu fait le phénomêne
transcendantal de l'affection et plus originellement de 1'auto -affection, qui ne
saurait pour cette raison se produire « dans l'espace et dans le temps b, a déjà été
critiquée par la problématique , cf. supra, § 56.
(3) F, 349.
770 L'ESSENCE DE LA MANIFESTA TION

tristesse, etc., car des modalités entre lesquelles n'existerait qu'une


différence de cette sorte ne subsisteraient pas dans la distinction de
l'extériorité réciproque mais se fondraient les unes aux autres pour
ne constituer ensemble, dans un même instant, qu ' un état affectif
unique, or, si cette fusion de diverses modalités en une tonalité
unique se produit dans des champs déterminés de l'expérience et
bien plus , s'y produit nécessairement, il faut noter comme un fait
décisif la coexistence possible au même moment et dans un même
acte de conscience de modalités affectives distinctes , une telle coexis-
tence_ se trouvant mise en évidence lorsque l'une des modalités est
positive tandis que l'autre est nég ative, comme dans le cas d'un
bonheur éprouvé en même tem p s q u'une douleur physique ou dans
celui d'un . désespoir persistant au milieu de plaisirs sensoriels carac-.
térisés. Le fait que de tels sentiments demeurent distincts en dé pit
de leur simultaneite temporelle et ne se mêlent pas pour constituer
un état unique, c'est là, dit Scheler , « la preuve qu' il ne s'agit as de
sentiments que seule distinguerait leur qualité , mais bien de senti-.
ments qui appartiennent en outre â des de g rés différents de profon
deur ». Des niveaux affectifs de profondeur différente desi vent des
g
dimensions d'existence spécifiques , ontologiquement différenciées
extérieures et étrangères les unes aux autres, de telle manière qu'un
phénomène appartenant a l ' une de ces dimensions ne diffère pas
seulement par sa qualité mais précisément p ar la ré gion d'être où il
s 'accomplit d' un phénomène appartenant â une autre couche et par
rapport auquel il se présente ainsi dans l'indifférence de son extériorité
réelle. Il existe, selon Scheler , qquatre niveaux affectifs « correspondant
â la structure de notre existence humaine tout entière » (i) et confor-
mément auxquels se différencient quatre sortes de sentiments dont
on saisit ici en quoi ils diffèrent « réellement
», à savoir, comme on
l'a vu, les sentiments « sensoriels », « vitaux» , « de l'âme », « s irituels ».
p

) F, 339-340.
L'AFFECTIVITÉ 771

La problématique a montré cependant que la différence des


sentiments repose au point de vue ontologique sur leur unité. C'est
l'autorévélation immédiate de chaque sentiment sur le fond en lui
de son affectivité, c'est la co-appartenance de tous les sentiments à
cette essence commune, qui fait de chacun d'eux ce qu'il est et le
différencie ainsi phénoménologiquement de tous les autres. La répar-
tition des sentiments en différentes classes ou catégories est elle-
même immédiate, chaque sentiment venant se ranger spontanément,
étant donné ce qu'il est, c'est-à-dire encore sur le fond en lui de son
autorévélation immanente dans l'affectivité dans la catégorie de
ceux avec lesquels son contenu phénoménologique présente quelque
affinité. L'existence même de différentes catégories, classes ou groupes de
sentiments, loin de pouvoir se fonder sur la structure psj'chophysique de
l'être humain et sur ses différenciations naturelles, loin de « corresp ondre à la
structure de notre existence humaine tout entière », présuppose au contraire,
comme son fondement unique et suffisant, la révélation immanente de cha que.
sentiment, l'essence de l'affectivité. Parce qu'elles reposent sur l'essence
de l'affectivité, les différences qui s'instituent entre les diverses caté-
gories de sentiments comme celles qui, à l'intérieur de chaque groupe.,
s'établissent entre les sentiments eux-mêmes, ne sauraient revêtir
une signification ontologique, designer des sphères d'existence ou
des régions fondamentalement et essentiellement distinctes a réelle-
ment extérieures ou etrangeres les unes aux autres. La conception
d'une pluralité de niveaux affectifs entendus comme des plans diffé
rents s'étageant selon des degrés de profondeur variable, depuis la
profondeur la plus grande qui désigne l'intériorité de l'existence, ce
que Scheler appelle l'être même de la personne, jusqu'au plan le
plus extérieur où le sentiment « périphérique » se déploie dans l'être-
étendu du corps organique et dans ce qui lui sert de substrat, dans
l'extériorité elle-même et dans le milieu ontologique de sa transcen-
dance, est vide de sens si les sentiments appartenant à ces différents
niveaux et les constituant appartiennent d'abord, en ce qui concerne
772 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

du moins leur être réel et ce qui fait d ' eux chaque fois ce qu 'ils sont,
à` la sphère d'immanence radicale définie par l'affectivité elle-même
comme telle . La répartition de nos sentiments en différentes caté-
gories et, si l'on veut, selon divers niveaux de « p rofondeur », re ose
p
sur leur contenu manifeste et se fonde sur lui, concerne seulement la
portée de ces sentiments , leur importance respective leurs coné-
quences possibles pour l'existence , n'a et ne p eut avoir u'une
q
signification axiologique.
Considérons la différence qui existe entre le sentiment sensoriel
et le sentiment vital et , p areillement, celle q ui sé p are les sentiments
« superficiels » et les sentiments « p rofonds ». Le sentiment vital ,
parce qu'il s'étend à travers l'être total du corps organique, résente
- p

une unité qui ne saurait résulter de la fusion des sentiments sensoriels,


sinon, dit Scheler , « ces derniers devraient se trouver réunis en lui
et ne pourraient en outre se trouver à côté de l u i » ( I ) , ue les senti-
Q
ments sensoriels se trouvent réunis dans le sentiment vital, c'est la
cependant ce qui fait l'être de celui - ci lequel comprend .
l'ensemble
des contenus sensoriels qui se fondent en lui, le déterminent en
même temps qu'ils sont déterminés p ar lui. Il existe une unité affec
tive de l'existence corporelle. Une telle unité résultant de tout ce. q ui,
a chaque instant , affecte le corps, consiste nécessairement dans la
fusion de tous les sentiments produits par cette affection en un e seule
tonalité affective de l'existence identique à l'existence elle-même.
L'extériorité réelle d ' une pluralité de sentiments différenciés par
cette extériorité même signifierait au contraire l'éclatement de
l'existence et sa destruction ou si l'on préfère, une pluralité d'exis-
tences, une multiplicité de moi, dont chacun serait identi q ue à l'un
de ces sentiments séparé de tous les autres.
Comment nier cependant que, dans le sentiment général que nous
avons de notre existence corporelle, un sentiment sensoriel ne puisse

(I) F, 347.
L'AFFECTIVITÉ 773

être considéré à part, dans cette portion déterminée du corps orga-


nique où il se trouve et apparaît ainsi j uxtaposé aux autres senti-
ments qui peuvent au même moment être ressentis dans des p arties
différentes de ce corps et, pareillement, au sentiment général qui
occupe celui-ci tout entier, au sentiment vital ? Une gêne localisée,
une légère piqûre au doigt, ne peut-elle se détacher dans une extério-
rité réelle, phénoménologiquement irrécusable , sur le fond d'un
sentiment d'euphorie résultant de l'accomplissement favorable d'une
activité vitale orientée vers une valeur positive ? De quelle extériorité
s'agit-il toutefois lorsque le sentiment sensoriel se donne comme
juxtaposé au sentiment vital ? Où réside le fondement de l'extério-
rité réciproque de ces sentiments ? En aucune façon en eux -mêmes,
dans leur affectivité , mais précisément dans l'extériorité elle-même
comme telle . C'est la place que le sentiment sensoriel occupe à
l'intérieur du corps propre, c 'est la portion d'étendue où il est
représenté et situé qui entretient comme telle, comme ontologique-
ment constituée par l'extériorité elle-même , des relations d'exté-
riorité avec les autres parties de l'étendue intra-organique et avec
l'être total de celle-ci. L'extériorité réciproque du sentiment sensoriel
et du sentiment vital, de tous nos sentiments en général, est celle de leur
être-constitué.
Parce que l'extériorité réciproque de tous nos sentiments est
celle de leur être-constitué et ne concerne en aucune façon leur être
originel et réel, ce qui fait de chacun d'eux un sentiment, elle ne
saurait instituer ni fonder leur partage entre différentes régions, une
dissociation de leur être selon divers plans ou niveaux pourvus d'une
signification ontologique et concernant ainsi chaque fois, comme
l'affirme Scheler, l'être même du sentiment considéré dans son affec-
tivité. Que l'extériorité réciproque des sentiments n'ait pas cette
signification ontologique de fonder une pluralité de régions affec-
tives réellement étrangères les unes aux autres, on le voit à ceci qu'elle
se produit à l'intérieur d'une même région, celle des sentiments sensoriels
774 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qui se caractérisent, selon Scheler lui-même, par « la forme de variété


de l'extériorité mutuelle » (i). Le fait même pour un sentiment
d'être constitué dans l'extériorité, situé et représenté en elle, ne
suffit pas à le distinguer ontologiquement d'une autre tonalite
qui ne posséderait pas cette référence médiate à l 'étendue tous nos
sentiments précisément sont l'objet d'une constitution possible
au terme de laquelle ils se trouvent représentés et apparaissent comme
situés, sinon dans l ' étendue du corps organique ou dans une partie
de celui-ci, du moins dans l'être étendu de l'extériorité pure qui
constitue comme telle le milieu ontologique de l'être transcendant
en général. C'est ainsi que les sentiments psychologiques eux-mêmes,
les sentiments de l'âme ou du ) e, selon la terminologie de Scheler,
sont référés à un moi empirique, à un ego transcendant dont ils
partagent le statut, auquel ils sont inhérents comme ses propres états,
comme des états transcendants. De même en est-il pour les « senti-
ments spirituels ». Loin de pouvoir fonder l 'existence d'une plura-
lité de régions affectives fondamentalement différentes , la distinc-
tion de nos sentiments en sentiments superficiels ou profonds rend
manifeste en eux la permanence de leurs déterminations éidéti ques
structurelles et, pareillement, celle des déterminations qui leur sont
liées synthétiquement dans le phénomène universel de la constitution.
Avec la dissociation ontologique de l'être ori g inel et de l'être
constitué du sentiment se fait j our la possibilité p our les diverses
modalités affectives de se trouver, pour reprendre les termes de
Scheler, « réunies » dans l'unité d'une seule tonalité fondamentale
et « en outre » de se situer les unes « à côté » des autres dans « la
variété de l'extériorité mutuelle ». L'unité de toutes l e s modalités
dans une tonalité fondamentale où elles se fondent à chaque instant
concerne leur être originel et précisément leur affectivité, c'est une
unité immanente, leur juxtaposition dans la forme de l'extériorité

(I) F, 347.
L'AFFECTIVITÉ 775

mutuelle est celle de leur être constitué. Bien entendu, la différence


qui existe entre nos divers sentiments ne trouve en aucune façon
son principe dans celui de leur constitution possible c'est> avant
d'être représentée, une différence réelle qui apparaît sur le plan
de leur affectivité même, dans la sphère d'immanence radicale définie
par celle-ci. Parce qu'elle apparaît et se réalise dans la sphère d'imma-.
pence radicale de l'affectivité, la difj érence qui s'institue entre nos divers
sentiments n'a pr:nc:p:ellement rien à voir avec l'extériorité mutuelle
conformément à laquelle ils se trouventJuxtap osés dans le milieu transcendant
de leur constitution. La différence qui s'institue entre nos divers sen-
timents est une différence dans l'unité de la vie telle qu'elle s'accomplit
concrètement avec le passage incessant d'une modalité dans l'autre
comme modalités d'une seule vie. Loin de mettre en cause cette
unité principielle et concrète de toutes nos tonalités la coexistence
dans le même instant de deux modalités opposées la présuppose au
contraire comme sa condition. Si nous pouvons nous sentir ternes
et misérables tout en éprouvant un vif plaisir sensoriel, ce n'est pas ,
comme le pense Scheler, parce que ces deux tonalités se dérouleraient
sur des plans affectifs extérieurs l'un a l'autre et réellement separes.
La possibilité même de l'opposition réside au contraire dans l'unité,
dans l'unité concrète d'une seule tonalité fondamentale qui n'est que
legerement modifiée par le plaisir eprouve et, bien plutôt le modifie >
de telle manière que, pour décrire fidèlement ce qui se passe dans ce
cas, il faut dire ce qui devrait être n plaisir et se presente sous le
concept de celui-ci, en réalité n'en est pas un, n'est pas éprouvé comme
tel. L'indifférence elle-même qui semble s'instituer entre ces deux
tonalités, dans le cas precisement où le plaisir nous laisse ind ffe-
rents, ne s'institue nullement entre deux tonalités réellement diffé-
rentes et situées sur des plans séparés, extérieurs l'un â l'autre9
elle est l'indifférence de l'existence comme prmcipillement inca-
pable d'être modifiée par quoi que ce soit, sa tonalité fondamentale
et une.
776 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Ici doit être rejetée radicalement la proposition de Scheler selon


laquelle « la loi intérieure de la cohésion et de la succession des
expériences affectives à un niveau déterminé demeure essentielle-
ment indépendante par rapport à l'ordre d'un autre niveau, quelle .
que soit l' oscillation de l'attention d'un niveau à l'autre » ( x),
proposition qui repose précisément sur la thèse de d'extériorité réci-
proque des niveaux affectifs
. et veut la rendre manifeste . A l'appui
de cette proposition, Scheler fait valoir le fait qu'une succession de
douleurs sur le plan de la sensibilité et, d'une manière générale9 de
malheurs et de maux dans l'histoire d'une existence n'empêche pas
.
celle=ci, la personne qui souffre ces douleurs et ces maux, d'e'prouver
en même temps qu'eux, au niveau affectif le plus profond, un senti-
ment de béatitude , -- le fait encore qu'une suite de plaisirs p eut être
accompagnée, non comme par une conséquence, mais a dans l'unité
d'un même instant, d'un sentiment de désespoir qui subsiste en
dépit de leur accumulation . Ainsi les sentiments spirituels se révèlent-
ils être sans relation autre que temporelle, autre qu'extérieure, avec
des sentiments qui s'accomplissent sur d'autres plans, avec les senti-
ments sensoriels vitaux ou même avec les sentiments de l'âme.
,
« Il appartient précisément à l'essence de la béatitude et du désespoir ,
dit Scheler avec profondeur,
ue leur existence soit indépendante q de
l'alternance du bonheur et du malheur (z) . » L'indépendance de
la béatitude et du désespoir à l'égard de l'alternance du bonheur et
du malheur ne signifie nullement, toutefois, l'absence de toute
relation entre ces divers sentiments mais, bien au contraire la déter-
mination des seconds par les premiers, détermination qui fonde
précisément l'indépendance des uns et, con j ointement aux vicissi
tudes d'une histoire, la dépendance des autres . Le fait que la couche
profonde , comme le déclare encore Scheler, n 'est en aucune fa çon

(i) SS, 69.


(z) F, 356.
L'AFFECTIVIT.
117

conditionnée ou déterminée par la couche périphérique (Y) veut dire,


de la même manière, qu'elle la conditionne et la détermine '' -
n im
plaque aucune extériorité réelle de ces différentes « couches »
mals, tout au contraire, l'unité ontologique du milieu où ce condi-
tionnement et cette détermination sont possibles et s'accomplissent.
Pareille détermination constitue le contenu même de la loi
aperçue par Scheler et énoncée par lui, « de la tendance a des
succédanés dans le cas de détermination négative des couches
émotionnelles profondes du Je », elle est visible quand il est dit que
cette détermination négative de la couche affeçtive rofonde « pro-
p
dziit » (i) la tendance a rechercher des compensations périphériques
que « l'insatisfaction à un . niveau p lus central.. • a pour conséquence
de provoquer â un niveau de la zone sensible un sentiment de plaisir en compen-
sation del absence de bonheur intérieur » (3), C'est cette même détermi-
nation qui se fait jour, en réalité, dans la relation qui s'établit entre
des sentiments périphériques négatifs et une béatitude centrale de
telle manière que celle-ci n'est pas seulement contemporaine de
ceux-la, ne se produit pas seulement en même temps qu'eux mais
a le pouvoir encore de les rendre inopérants et ainsi seulement de
n'être ni affectée ni supprimée par eux. Comment une telle détermi-
nation des sentiments superficiels par les sentiments « profonds » ,
détermination qui présuppose non l'extériorité réelle des niveaux
affectifs mais la co-a artenance de tous les sentiments a une même
dimension de l'existence, à las p, hère d'immanence
e de radical l'affec-
tivité, s'accomplit-elle, de telle manière qu'elle s accomplit précisé-
ment comme une détermination de ce qui est superficiel par ce qui
est profond, comme une détermination « à partir de l'intérieur »
c'est ce que la problématique aura encore à montrer.
La distinction de l'être originel et de l'être constitué du senti-
(I) F, 355•
(2) ID., 352.353, souligné par cous.
(3) SS, 69, souligné par nous.
778 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ment éclaire la question , posée par Scheler et discutée par lui dans
une obscurité ontologique extrême, de la relation au Je inscrite en
tout sentiment comme un de ses caractères les plus apparents. La
prise en considération d'un tel caractère constitue l'un des thèmes
de réflexion qui ont conduit Scheler à sa distinction des différents
niveaux affectifs et à l'attribution à celle - ci de la signification que l'on
sait. Après avoir déclaré que « tout sentiment quel qu'il soit possède
une référence vécue au Je », Scheler introduit entre les modes selon
lesquels celle- ci s'accomplit une différence telle qu'elle conduit
précisément à une différenciation ontologique des divers sentiments
qui sont concernés par elle . C'est ainsi que « le sentiment sensoriel
n'a aucune relation à la personne et n'est référé au Je que de façon
doublement indirecte » (i), en tant qu'il est situé dans une partie
du corps organique , laquelle ne se trouve rapportée au Je spirituel
que par la médiation de ce corps dont elle dépend , tandis que celui-ci
ne se rapporte lui-même que médiatement au Je, en tant qu'il lui
appartient seulement et ne lui est pas identique . C'est par la médiation
de ce corps organi que auquel toutefois, à la différence du sentiment
sensoriel , il s'attache immédiatement que le sentiment vital se trouve
lui aussi rapporté au Je. Seuls les sentiments de l'âme se proposent
d'emblée comme « une qualité du Je » et n ' ont aucunement besoin
pour être tels, « pour se présenter comme état ou comme fonc-
tion du Je... que soit phénoménalement donné un corps propre
qui m'appartienne en tant qu'appartenant à :ce Je » (z). Les sentiments
spirituels enfin font corps avec le moi et lui sont unis de façon si
intime qu'il n'est pas possible à celui-ci de se séparer d'eux ni de
les diriger. Ainsi est confirmée , avec . la prise . en considération du
caractère spécifique et chaque fois différent de la relation que les
différents sentiments entretiennent avec le Je, la théorie de la plura-

(1) F, 340.341.
(2) ID., 349.
J

L'AFFECTIVI TÉ
779

lité des niveaux affectifs , de telle manière que ceux-


ci désignent des
degrés divers d'éloignement par rapport au '
mol véritable de l'expé-
rience intérieure, des degrés divers de transcendance, de telle manière
que la thèse de la co-appartenance ontologique de tout es nos tonalités
"
a une même sphère d'immanence radicale se trouve à nouveau et
expl icitement ruée.
Pourquoi cependant la référence au Je du sentiment est-elle
comprise et décrite comme doublement indirecte dans le cas du
sentiment
, celui sensoriel, comme simplement
du médiatesen-
dans
tinrent vital ? Parce que tel est le caractère de la relation au Je du lieu
où ces sentiments sont représentés . En ceux-ci la médiation affecte
et détermine la relation auJe de leur être constitué
, en aucune façon
celle de leur être originel et réel. C'est la relation au Je de l'être ori-
ginel et réel du sentiment que considère au contraire Scheler dans
le cas des sentiments de l'âme et des sentiments spirituels . Les senti-
ments de l'âme et les sentiments spirituels sont toutefois l'objet d'une
constitution , comme tels ils ne se réfèrent à l'ego absolu que par
l'intermédiaire du moi empirique, c'est - à-dire précisément d'une
façon médiate. En ce qui concerne la question de leur relata ' '
cn médiate ou
immédiate au Je, l'opposition ne se situe en aucune
fafon entre les sentiments
superficiels et les sentiments profonds mais à l'interi
eus de chaque senti-
ment, entre son être constitué et son être réel de telle manière que le premier
ne se réfère au moi que par l'intermédiaire du corps organique ou de
l'ego trans-
cendant qui sont eux- mêmes constitués comme a artenant '
pp originellement
à ce moi, tandis que le second, l'être réel d
u sentiment, ne se rapporte pas
seulement a l'ego absolu de façot immédiatemais lui es
t identique en tant
que son essence, l'essence de l'affectivité, fonde l'ipséité elle- mem.
e comme . telle
et la constitue.
Que le sentiment sensoriel considéré dans son erre réel ne se réfère
point au Je de façon médiat; « doutilement indirecte », on le voit a
ceci que damais ce qui fait l'affectivité de ce sentiment le caractère
douloureux d'une douleur , ne se situe devant nous dans le lieu ou
780
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la douleur se trouve représentée et constituée. S'il en était autrement,


si l a douleur se trouvait réellement dans le lieu du corps organique
ou elle est située nous pourrions nous retirer d'elle comme la mer
se retire de la plage, la laisser là devant nous, inoffensive et constatée
par nous comme par un spectateur étranger, par l'Esprit universel.
La douleur serait vraie au sens de Lachelier. Disons pour parler en
toute rigueur la douleur serait transcendante. Mais la douleur, aussi
longtemp s qu'elle est là , n'est pas là devant nous, ce qui la détermine
existentiellement est ce qui la détermine ontologiquement,l,incapa-
cité principielle de l'ego absolu de prendre un recul quelconque
par rapport à elle et de lui échapper, c'est-à-dire aussi bien l'appar
tenance principielle de la douleur considérée dans son affectivité a
- A
la sphère d'immanence radicale qui est celle de l'ego lui-même (x).

(t) Ira question de la relation au Je des sentiments se complique chez Scheler


d'un certain nombre de confusions supplémentaires. Parce qu'elle appartient non
seulement aux « états » mais encore aux « fonctions », une telle relation est comprise
comme la relation au Je, non plus seulement du sentiment lui-même, mais de ce
qui se donne en lui, du corrélat axiologique transcendant auquel le sentiment se
rapporte intentionnellement. I,a relation au Je se propose dês lors comme. une
relation transcendante, comme la transcendance elle-même et le problème est de
comparer le mode selon lequel cette relation se réalise dans le cas du sentiment,
c'est-à-dire en fait de la perception affective, avec le mode qu'elle revêt dans la
perception ordinaire, dans la représentation : « lorsque je perçois affectivement
quelque chose, par exemple une valeur quelconque, la valeur est fonctionnellement
liée au sujet affectivement percevant de façon plus intime que lorsque je me repr&
sente quelque chose » (F, 340). Une telle différence entre le mode de relation au Je
du contenu de la perception affective et de celui de la représentation est indûment
prise pour une différence entre la relation au Je du sentiment lui-même et celle de
la représentation. « Cette différence entre la référence au Je, propre a toute émotion,
et celle de toute représentation consiste avant tout en ce que le caractère subjectif
de l'expérience vécue ne diminue ni n'augmente ici, comme c ' est le cas sur le plan
intellectuel, avec l'activité qui s'y joint » (ibid.). Ira relation au Je ainsi comprise
comme celle d'un contenu au pouvoir qui le vise n'est pas seulement absurde dans
le cas du sentiment qui n ' est ni ce pouvoir ni ce contenu , elle est encore impen-
sable chez Scheler lui-même qui considère explicitement le moi , non pas comme le
pouvoir de se lier plus ou moins étroitement à tel ou tel contenu , et cela en s'y
rapportant intentionnellement , mais précisément comme un contenu transcendant
L'AFFECTIVITÉ 78 1

§ 67. AFFECTIVITÉ RÉELLE ET AFFECTIVITÉ IRRÉELLE

La détermination ontologique fondamentale de l'affectivité comme


immanence et, par suite, du sentiment comme contenu immanent
ne se heurte-t-elle pas à une nouvelle objection si le sentiment est
susceptible, non seulement d'être localisé dans le corps propre ou
référé en général à un moi empirique, mais de se donner encore
lui-même et de façon immédiate à une perception, de se proposer
ainsi lui-même comme le contenu transcendant de celle-ci ? L'être-
donné du sentiment lui-même dans la perception est un fait d'expé-
rience, bien plus, il détermine et fonde une ré g ion de celle-ci s'il
est vrai que la connaissance d'autrui ne peut être le produit d'une
dé narche discursive au terme de laquelle l'état psychique de l'autre
se trouverait problématiquement posé par analogie .^ avec le mien
dans une situation semblable, mais présuppose justement la saisie
immédiate de cet état et consiste en elle, consiste dans la perception
du psychisme de l'autre et, par exemple, de son sentiment.
L'être-donné du sentiment lui-même dans la perception se
propose en tout cas comme un fait incontestable lorsqu'il est question,
non plus de la relation à autrui, mais de l'expérience par le sujet de
ses propres états. Si la perception de l'e'tat psychique actuel le trouble
et le fait « s'évanouir », si son regard, tout regard intentionnel en
général, manque par principe l'être-vivant de cet état, l'être du senti-
ment actuellement éprouvé, et le laisse échapper, comment nier,
d'autre part, la possibilité inhérente à toute conscience d'atteindre

incapable comme tel de se rapporter à rien. Cf. : « dans quelque sens qu'on le prenne
(Je empirique , prétendu « Je transcendantal » ou de la « conscience » en général)
le Je lui-même est encore objet d'expérience vécue intentionnelle et par conséquent
d'une conscience de quelque chose :.. Le Je n'est donné que dans l'intuition interne
et ne constitue en tant que tel qu'une certaine forme de la multiplicité des pheno-
ménes visés par l ' intuition interne » (ID., 277-278). Et encore : « Même sous son
aspect formel en tant qu ' ipséité , le Je est objet de conscience axiologique , non point
de départ essentiellement nécessaire d'une telle conscience » (ibid.).
782 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ses propres sentiments dans des actes de représentation, de souvenir


ou d'attente . Je peux, comme l'a noté Scheler avec force, « post-
sentir » un sentiment que j'ai vécu autrefois, de telle manière que,
sans l'éprouver réellement à nouveau je le perçois cependant comme
,
identique à ce qu'il était et suis ainsi capable de me le représenter
et de le reconnaître , capable également de « pré -sentir son retour » et
éventuellement de « le vivre de nouveau » { I}. Cette propriété de la
conscience d'atteindre dans les actes du souvenir ou de l'attente et,
d'une manière générale, de se représenter les sentiments ne se limite
nullement d'ailleurs aux tonalités qui appartiennent à sa sphère d'expé-
rience personnelle . Je peux, comme le souligne encore Scheler,
imaginer affectivement un sentiment que je n 'ai jamais vécu et ne
vivrai peut-être jamais , je peux sentir , et cela précisément dans les
modes du pré-, du co ou du post-sentir, des sentiments qui ne sont
pas les miens et me sont cependant donnés dans ces actes de saisie
comme leur contenu intuitif manifeste et indubitable . Cette possi-
bilité de co-sentir des sentiments qui ne sont pas les miens , l'angoisse
d'un homme devant la mort qui vient, alors que, en ce qui me concerne,
rien ne menace ma propre vie et que je n'éprouve aucune angoisse,
et, bien plus, de co-sentir des sentiments qui ne sont ceux d'aucun
homme virant, la souffrance du Christ à Gethsémani , par exemple,
est identiquement celle de l'exemple et la fonde, fonde la possibihte
pour moi d'élargir mon existence bien au-delà de la sphère limitée
des expériences et des sentiments jusque -la réellement vécus et
connus par moi (z) .
Ici tombe, comme le voulait Scheler la barrière donnée comme
,
infranchissable entre l'expérience que j'ai de ma propre existence et
celle que j'ai d'autrui. Dans l'une comme dans l'autre, ou plutôt dans
l'expérience originelle antérieure à leur différenciation progressive,

(I) F, 342.
(z) i,à-dessus , cf. les belles analyses de SCHILER in S, 8o.
L'AFFECTIVITÉ 783

j'atteins immédiatement, non pas seulement ni d'abord le lieu où


le sentiment se trouve situé ni le moi auquel il est référé , mais p réci
sément le sentiment lui-même, de telle manière que le contenu de
cette expérience originelle, le monde qu'elle nous livre immédia-
tement, n' est pas un monde de choses , mais un monde psychique,
un monde de sentiments . Ceux - ci, quels qu'ils soient, qu'il s'agisse
de sentiments qui nous apparaîtront comme les nôtres ou comme ceux
d'autrui, ou encore qui ne seront référés à aucun moi particulier ,
qu'il s'agisse de sentiments passés , présents, futurs, imaginaires ou
abstraits, nous entourent nous vivons en leur p résence et les attei-
,
gnons directement dans des actes déterminés . Que de tels actes doi-
vent être compris comme de pures fonctions intellectuelles ou au
contraire comme des modes du sentir , leur structure dans tous les
cas est celle de l'intentionnalité et ce q u'ils attei gnent, à savoir p réci-
sément le sentiment , un corrélat transcendant . La thèse fondamentale
de la problématique selon laquelle un sentiment ne saurait être ni
perçu ni senti est en question.
En ce qui concerne la relation de la conscience à ses propres
états, à ses propres sentiments , il faut remar quer tout d'abord q ue
lorsque cette relation existe , lorsqu 'il y a perception ou intuition dans
le sentir d'un sentiment, celui-ci n'est pas réel, n'est pas le sentiment réelle-
ment et actuellement éprouvé par la conscience qui le perçoit ou le sent. C'est
pourquoi la possibilité de « vivre de nouveau » un sentiment, mise
par Scheler sur le même plan que celle de le post -, co ou p re-sentir,
apparaît au plus haut point équivoque . Ou bien vivre de nouveau
un sentiment signifie l' éprouver réellement une nouvelle fois,
signifie sa répétition authentique dans la vie et alors , dans son a pp ar-
tenance â celle-ci et à son cours réel, un tel sentiment ne peut être ni
perçu ni senti, son mode de présentation à la conscience , excluant
tout acte de saisie intentionnellement dirigé sur lui, réside au contraire
en lui-même, dans le s'éprouver soi-même intérieurement qui le
constitue, est son affectivité . Ou bien vivre de nouveau un sentiment
784 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

veut • dire se le donner de nouveau dans un acte de la reproduction,


de l'imagination, de la représentation, de la perception ou encore
dans un acte du sentir, comme re-sentir, de telle manière toutefois
que le sentiment perçu, senti et, en ce sens si l'on veut, « vécu » de
nouveau, n' est jamais celui de la conscience qui le «vit» : le sentiment
de la conscience est la tonalité de l'acte de reproduction , d'imagina-
tion, de représentation, de perception, de l'acte de sentir qui se dirige
sur ce sentiment « vécu à nouveau » et se le donne, celui-ci n'est que
le corrélat de cet acte , son contenu extérieur et étranger.
La même constatation vaut pour la relation de la conscience,
non plus à ses propres sentiments , mais à ceux d'autrui . La possi-
bilité d'atteindre ces derniers dans des actes de la perception ou de
l'intuition affective, de les co-sentir, de se réjouir ou de s'affliger de
ce qu'ils sont et, pareillement , de se les donner dans la représentation,
la reproduction , l'imagination, le souvenir ou l'attente, ne signifie
en aucune façon pour cette conscience la possibilité de les éprouver
réellement comme des tonalités appartenant à sa vie propre et comme
ses déterminations immanentes mais, bien au contraire, l'exclut. Il
n'y a aucun rapport par exemple entre un sentiment de sympathie
éprouvé devant la souffrance d'un autre homme et cette souffrance
elle-même. La sympathie sans doute s'adresse à la souffrance, elle
est une « sympathie pour » cette souffrance devant laquelle elle s'éveille
et se développe. La sympathie pourtant diffère par principe de la
souffrance éprouvée par l'autre . Une telle différence ne se ramène
pas, malgré l'apparence, à la différence qualitative qui existe entre
ces deux sentiments . Celle-ci assurément existe et se laisse reconna3tre
dans la plupart des cas, la tonalité de la sympathie n'est pas celle de
la souffrance, entre elles s'institue , à partir de ce qui est chaque fois
leur contenu affectif manifeste , une différenciation analogue à celle
qui sépare chacun de nos sentiments en tant précisément qu'il diffère
qualitativement des autres , différenciation dont le principe a été
établi par la problématique. La sympathie cependant peut se faire
L'.AFFECTI VITÉ
785

souffrante et il est loisible d'envisager, au moins sur le plan de la


libre fiction, comme une possibilité éidétique par conséquent le
cas où la tonalité de cette sympathie se trouve être, comme souffrance
précisément, identique à la souffrance à laquelle elle compatit. Dans
ce cas extrême de l'exemplification phénoménologique une différence
de principe subsisterait entre les tonalités considérées. Pareille diffé-
rence ne tient pas non plus, comme on serait tenté de l'avancer alors, .
au fait que la première, la sympathie, est éprouvée par un moi
déterminé et lui appartient, tandis que la souffrance est éprouvée
par un autre mol. Des ego différents peuvent éprouver. des sentiments
identiques et inversement des sentiments différents peuvent être
éprouves par un même ego. Celui qui sympathise avec la souffrance
de l'autre peut, on vient de le voir, souffrir à son tour et bien plus ,
éprouver la même souffrance, celui qui souffre peut sympathiser
avec e premier et, dans ce sentiment de sympathie, éprouver une
tonalité qualitativement identique. La différence de principe qui
existe et subsiste en tout cas entre ces deux sentiments tient à la nature
même de la relation qui les unit, comme relation intentionnelle, tient
au fait que la sympathie a pp artient à l'essence de cette relation et la
détermine, détermine la réalité même de l'acte qui se dirige sur l a
souffrance, tandis que celle-ci ne constitue que le corrélat transcen-
dant de cet acte, c'est-à-dire encore son contenu extérieur et etran er.
L experience d'autrui est identique a l'experience de soi lorsque celle-
ci s'accomplit par la médiation de l'intentionnalité et pour cette
raison précisément. . Une même loi éidétique
^ les régit conformémènt
a laquelle la conscience n'éprouve jamais réellement le sentiment qu'elle se
donne dans la perception ou dans l'intuition a ective non plus que dans les
acier de représentation et de reproduction fondes sur elles.
Que signifie cependant une telle loi, que veut dire pour un ..sente
ment visé et atteint dans la perception ou l'intuition affective, « n'être
pas réellement éprouvé » par la conscience ? Quand donc un senti-
ment est-il réel et qu'est-ce qu'un sentiment qui ne l'est pas ? Ici doit
786 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

être rappelée la distinction fondamentale instituée par la problé-


matique, à l'intérieur même de l'élément pur de la phénoménalité
qui définit, au point de vue ontologique, la réalité, entre le concept
strict de celle-ci et ce qu'il désigne , l'auto-affection originelle de
l'essence dans son immanence radicale , à savoir précisément l'affec-
tivité elle-même et, d'autre part, ce qui trouve seulement dans cette
dernière, dans la réalité de l'acte qui le projette etle reçoit , la condition.
de sa possibilité, l'horizon du néant et sa manifestation effective,
c'est-à-dire encore le milieu de l'idéalité ou de l'irréalité pure comme
telle. A la lumière de cette distinction et des thèses fondamentales
qu'elle exprime, il apparaît que la réalité appartient au sentiment
comme son essence même, comme le s'éprouver soi-même intérieure-
ment qui le constitue et lui permet d'être ce qu'il est. Parce que la
réalité constitue son essence, le sentiment, tout sentiment possible
en général, s'il existe, dès qu'il existe, est « réel» , « réellement éprouvé»
ou, comme on peut le dire encore, « réellement éprouvé par la
conscience ». Car le concept de celle-ci, entendu il est vrai dans son
sens premier n'ajoute rien à l'essence du sentiment mais la désigne
,
seulement et l'explicite comme constituant en tant que telle, comme
identique à la réalité, la dimension originelle de la Phénoménalité
pure et, précisément, la conscience pure elle-même comme telle.
Que le sentiment donné dans la perception ou dans l'intuition affec-
tive, ou encore dans les actes de représentation ou de reproduction
fondés sur elles, ne soit jamais réellement éprouvé par la conscience,
cela veut dire un tel sentiment n'en est pas un et ne peut en être un,.
se trouve au contraire privé par principe de ce qui constitue son
essence. Cela veut dire : l'appartenance du sentiment à la sphère de la
transcendance et au ' eu qu'elle développe, au milieu de l'idéalité
et de l'irréalité pures, a pour effet de le vider de sa réalité ( i). Cela

(z) I,a problématique a justement montré que tout regard intentionnel dirigé
sur le sentiment avait pour conséquence , non pas de le troubler ou, comme le
L'AFFECTIVITÉ
787

veut dire : le sentiment n'appartient pas à ce milieu de la transcen-


dance et ne peut se proposer en lui comme un contenu transcendant
ne peut précisément être perçu ni senti . Cela veut dire le sentiment
:
est immanence radicale, est affectivité.
Quelle est la nature du contenu que se donne la conscience dans
la perception ou dans l'intuition affective lorsque ce contenu se
propose, en dépit de son être-intuitionné ou perçu, . en dépit de sa
transcendance comme un « sentiment » Qu'est-ce qu'un sent-
ment privé de sa réalité , un .gentiment qui ne s'é rouve passoi-
meure
p
intérieurement et ne se donne paf originellement à lui- même dans son ec-
.. ,
tivate et par elle ? C'est un sentiment sim lement re resenté. Nous
p . p
l' appellerons un « sentiment irréel ». Un sentiment irréel est un senli-
ment donné dans la représentation au lieu de l'être dans son affectivité.
Remarquons ici le sens du mot représentation . Représentation désigne
l'événement ontologique fondamental dans le q uel l'essence s'o ose
pp
l' horizon et plus précisément celui-ci, le milieu de l'être o osé
.. pp
comme tel, Un tel milieu se trouve présupposé , on l'a vu, par la
perception et l'intuition en g eneral, , par la perception et l'intuition
affective et, de la même façon, p ar les actes de « re p résentation »
et de reproduction fondés sur elles. Ces derniers diffèrent des actes
de la perception en ceci que leur ob j et n'est pas la chose elle-même
^
mais seulement un « portrait », une « ma e », une « re
g pr oduction » ,
bref une « représentation » de cette chose en son absence. Le conce t
p
de « representation » entendu de cette seconde manière a une signi-
.
fication restrictive par rapport a celui de la perception, une signi-
fication positive mais aussi négative : la re résentation donne de
p
telle façon que ce qu'elle donne n'est pas la chose elle-même mais .

disait Scheler, de diminuer son intensité, mais - et c'était là un événement ontolo-


gique décisif que la psychologie et la philosophie ne pouvaient méconnaître mais
qi:e, faute de disposer des catégories ontologiques fondamentales qui permettent
de le déterminer, elles se contentaient d'exprimer d'une façon impropre - de ie
priver de sa réalité.
7 8 8 L'ESSENCE DE LA MA NIFES- TA TIO N

son simple substitut , quelque chose qui, sans être la chose, « vaut »
pour elle, y renvoie.
La p erception cep endant ne donne la chose elle-même que lorsque
celle-ci dé ploie son être dans le milieu de l 'êAtre transcendant et lui
app artient, lorsqu'app araître , pour elle, sgn fie être étendu devant. Ainsi
^
en est-il de l'être de l'arbre ou de celui du cercle, de l'être de l 'his-
toire, par exemple, et de tout ce qui est historique . Parce que appa-
raître, pcur le sentiment , ne signifie pas être étendu devant , la per-
ception q ui se meut dans cet être - étendu et se le donne, ne se donne
pas le sentiment lui-même , n'atteint ni son être ni sa réalité mais
seulement « q uel que chose qui vaut pour lui », qui y renvoie . La per-
ception du sentiment s 'accomplit nécessairement comme sa repré sentation
au sens d'une « simple représentation », au sens d'un « portrait » ou d'un
« concep t ». Les deux sig nifications successivement reconnues par la
problématique au concept de représentation se rejoignent lorsqu'elles
s'appliquent au sentiment si la représentation ontologique, l'acte
de présenter quelque chose dans le milieu de l'être opposé et comme
identique a celui-ci, n' est plus que l'acte de presenter une image de
ce quelque chose . C'est en ce sens que le sentiment est représente, au sens
où sa représentation n'est jamais et ne peut être qu'une « simple représen-
tation ». Que la représentation du sentiment ne soit damais et ne
puisse jamais être qu'une « simple représentation », n'est pas une
ProPriete isolée donnant l'occasion à une psychologie soucieuse du
détail d'énoncer une loi parmi d'autres . La réalité du sentiment est
la réalité de l'absolu. Que celui-ci ne p uisse être saisi en lui-même ni
atteint dans la représentation , qu'il ne trouve . jamais . en elle et dans
le milieu pur qu'elle déploie que sa simple « image », c'est la ce qui
fait de celui- ci, du milieu de la représentation et de la transcendance
en général, le milieu ontologique de l'irréalité.
C'est à la lumière de cette signification décisive d'une loi éidé-
tique suprême qui divise l'élément pur de la phénoménalité en celui
de la réalité où l'apparence est l'essence et, d'autre part , de l'idéalité
L'AFFECTIVITÉ 789

et précisément de l'irréalité où elle n'est qu'une image, que doit être


mise en question l'affirmation de Scheler selon laquelle « il y a dans
la sphère du Pubien une différence qui correspond à la différence de la
perception et de la représentation Vorstellen , c'est-à-dire d'une
possession directe ou indirecte » (i). Une telle différence assurément
existe. La perception de la souffrance d'un ami ne se ramène en aucune
façon à la simple représentation de cette souffrance ou encore à son
souvenir. Je peux également imaginer la souffrance qui serait la
sienne dans une situation donnée, dans le cas par exemple de la
perte d'un être qui « est tout pour lui » Il nous est possible d'une
manière générale d'imaginer des sentiments que nous n'avons jamais
perçus et qui peut-être ne l'ont jamais été. Ces sentiments imaginaires
diffèrent évidemment de ceux qui nous sont donnés dans la percep-
tion et nous établissons entre eux une distinction immédiate. Une
différence du même genre existe entre le fait de sentir un sentiment
en s'en souvenant ou encore en se le représentant simplement et celui
de le sentir au contraire comme une existence et une réalité actuelle,
comme quelque chose en présence de quoi la conscience se trouve
réellement, de le sentir précisémentr dans la perception. En celle-ci,
dans le mode d'accomplissement perceptif du sentir, il y a une
« possession directe » du sentiment par la conscience, tandis que
cette possession n'est qu'« indirecte » dans le cas ou l'intuition affec-
tive revêt la forme d'un acte de l'imagination, du souvenir, de `la
reproduction, de la simple représentation en général.
Que peut signifier cependant la possession directe du sentiment
par la conscience qui le perçoit affectivement si, comme la problé
matique l'a montré, le contenu de celui-ci echappe par principe à
toute perception possible ? Et si le contenu du sentiment échappe
par principe à toute perception possible, s'il ne peut être réellement
donné mais seulement représenté, « simplement représenté » en

(i) Idole, 42-43.


790 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

elle, où réside alors la différence entre la perception et « la simple


rep résentation » d'un sentiment ? Ce qui se p ro p ose devant le regard
intentionnel , quelle que soit la nature de celui-ci, perception ou
simple représentation , c'est, on l'a vu, non le sentiment lui-même
mais « quelque chose qui vaut pour lui ». Quelque chose qui, sans
être le sentiment lui-même, vaut pour lui, y renvoie, quelque chose
qui signifie le sentiment , c'est là ce qu'il convient d 'appeler propre-
ment une si g nification affective . Toute signification affective est par
essence transcendante et par là même « vide ». En cela elle diffère de toutes
les autres significations visées par la conscience et qui sont susceptibles
de recevoir un renl plissement intuitif adéquat ou partiel . La signifi-
cation affective au contraire se refuse par principe à recevoir un
remplissement de ce genre, tout remplissement intuitif en général,
et cela p arce que le sentiment précisément n'est rien qui puisse être
rencontré dans l'intuition. C'est pourquoi le caractère de signifi-
cation visée à vide avec lequel elle se présente et qui lui appartient
comme sa propriété la plus remarquable, . n ' est pas provisoire, c'est
une p rop riété éidétique et, comme telle, insurmontable.
Le rem lissement d'une signification désigne cependant le pas -
sage a la perception, a l' intuition effective et concrète qui donne
« en p ersonne ». D'ou vient, des lors, le caractere perceptif du sentir
dans le cas où le contenu de celui-ci est constitué par le sentiment ou
plus exactement par une signification affective dont le propre est
justement de refuser tout rem p lissement intuitif p ossible en général?
Ce qui se trouve visé comme un sentiment , avec cette signification,
se trouve visé encore comme quelque chose d'imaginaire, comme
quelque chose de passé ou de futur , comme quelque chose qui n'est
que la simple « copie », le « représentant », l'« analogue » d'un senti-
ment réel ou au contraire comme celui-ci, comme un sentiment réel-
lement é p rouvé et vécu. La « réalité » du sentiment, visée dans la per-
ception affective, est une signification , un caractère du noème et, comme
tel, un caractère irréel analogue en lui à tous ses autres caractères,
L'AFFECTIVITÉ 791

au caractère en vertu duquel ce qui est visé se trouve visé précisé-


ment « comme un sentiment » ou encore, dans le cas de l'imagina-
tion, comme un sentiment « en image » , dans le cas de la simple
représentation , comme un sentiment « rep roduit » dans le cas de la
mémoire, comme un sentiment « passé », etc. Les différences qui s'ins-
tituent entre les divers modes du sentir ou plutôt entre ce qui constitue cha ue
q
fois leur contenu, entre ce qui e st visé dans la simple représentation du senti-
ment ou au contraire dans sa perception, n'ont, en ce qui concerne celui-ci,
qu'une signification idéale , ce sont p récisément des différences entre
des significations idéales. Rien d 'étranger à celles-ci, aucun contenu
intuitif suscep tible de les remplir, ne distin g ue ici une perce p tion
d'un acte de reproduction ou de re p résentation fondé sur elle.
De telles différences comme différences p urement idéales entre
des significations elles-mêmes idéales, entre les p ro p rie'tes irréelles
des noèmes , n'en ont pas moins leur réalité propre, a savoir leur
évidence phénoménolo gique, et à ce titre elles sont irrécusables ( i).
C'est pourquoi on ne saurait acce p ter sans réserve la conclusion de
la critique dirigée par Sartre contre la thèse des « abstraits émotion-
nels » de Baldwin. Que ceux -ci ne p uissent se com rendre u'à
p q
partir des « intentions vides », des « purs projets d'émotion » ui
q
les visent, et se présentent ainsi en réalité comme des « si gnifications
sans matière », n'autotise nullement à appeler celles - ci des « images
affectives » (2). Les significations affectives ne se limitent pas aux ima es,.
g
elles comprennent aussi , et c'est la l'essentiel, des perceptions. Ou
bien il faut entendre par ima g e, non plus le corrélat d'une inten-
tionnalite spécifique, mais le milieu pur où se meut toute intentionna-
lité possible en g eneral, l'eus maginarium q ue proj ette l'essence comme
son néant , la dimension ontolo g i q ue de l'irréalité, Les si nifications
g
affectives p récisément a pp artiennent à ce milieu et le déterminent

(i) De telles di fférences se fondent d'ailleurs sur la différence réelle des inten-
tionnalités qui visent chaque fois et constituent ces propriétés nématiques:
(2) EN, 396.
792 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la dissociation noématique de l'image et de la perception lui est inté-


rieure, celle-ci comme celle-là laisse échapper la réalité du sentiment,
Q ue la perception comme l'image laisse échapper la réalité du
sentiment, c'est ce que la pensée qui , dans le domaine de l'être,
confère tout pouvoir à l'intentionnalité et à son fondement ultime,
la transcendance, n'admettra pas facilement . Ici renaissent les objec-
tions. La perception de la souffrance d'un autre homme par exemple
n'atteint-elle pas réellement cette souffrance , une souffrance réelle,
réellement éprouvée et vécue par lui ? Comment prétendre réduire
celle.-ci à une signification vide ? Ne fournit -elle pas au contraire à.
la visée perceptive intentionnelle un remplissement intuitif concret ?
De même dans le cas de la relation de l'ego à lui-même, la percep-
tion d'une douleur ou d'une honte , si elle peut dans une certaine
mesure les troubler, ne saisit -elle pas. encore quelque chose de vivant,
l'être -troublé d'un sentiment réel, réellement éprouvé et vécu?
Ou bien ces prétendues évidences , dissoutes par l'analyse , n'appor-
tent-elles pas à celle-ci la confirmation de ses résultats ? Que l'expé-
rience humaine ne se laisse réduire, ni dans le cas de la relation à
autrui, ni dans celui de la relation à soi-même, à un jeu de sign 6-
cations idéales et vides , que soit présent au contraire en elle, comme
ce qui fait chaque fois son caractere concret et sa gravité , quelque
chose comme la réalité d'un sentiment réellement éprouvé et vécu,
cela est vrai. Que la réalité de celui-ci, cependant , ne soit point
saisie par la perception , qu'elle ne constitue jamais son corrélat.
intentionnel et ne s'exhibe jamais en lui comme son contenu mani-
feste, c'est ce qui apparaît avec 4vidence dans l'expérience d'autrui.
La souffrance atteinte en celle -ci, dans le cas de la perception, est
précisément la souffrance de l'autre, c'est par lui, par un autre ego,
qu'elle est réellement vécue, par lui et en lui qu'elle trouve sa réalité.
La réalité de la souffrance est, dans l'autre, son affectivité, son auto-
révélation à elle-même dans la sphère d 'immanence radicale qui
constitue précisément comme telle l'ipséité de l'autre. La souffrance
L'.AFFECTIVITj
793

atteinte dans la perception . d'autrui n'est au contraire qu'une souf.


france visée, la signification par essence vide d'une souffrance qui se
trouve déterminée en outre comme souffrance « réellement vécue »
« vécue par l'autre », c'est - à-dire par un ensemble de significations
jointes à la première et idéales comme elle . C'est précisément arce
p
que la souffrance réelle visée dans la perception d'autrui ne s'identifie
pas au contenu phenomenologi q ue de cette percep tion mais lui est
au contraire foncièrement étrangère, comme elle est étran gère à
l'affectivité de cette perception , qu'elle se trouve posée comme la
souffrance d'un autre , qu'un autre ego se trouve posé en face de
l 'ego percevant . La pluralité des sphères subjectives d'ex érience, la
p
pluralité des ego repose sur la pluralité des sphères d'ex érience a ective
pff
réelle et est exigée par elle.
Le partage entre une sphère d'expérience affective réelle où le
sentiment est donné dans son affectivité et p ar elle et d'autre art
la sphère idéale des significations visées dans la erce tion n'a a-
p p pp
raît pas seulement, toutefois , dans le cas de la relation à autrui,
l'expérience de soi l'exige et le p resu pp ose de la même manières
Ce n'est pas. à un regard intentionnel , thématique ou non, au regard
de l'attention ou de la perception , pas davantage à celui des inten-
tionnalités de la conscience originelle du temps qui constituent
l'objet du sens interne, ce n'est pas comme un objet , q uelle que soit
la nature de celui- ci, comme un corrélat transcendant
, que se donne
a moi le sentiment que l'éprouve réellement . Dans le milieu vers
lequel se dépasse l'intentionnalité il n'yy a ici
d encore
autrerien '
qu'une signification, quel que chose qui est visé « comme une honte»
ou « comme une douleur » et, de plus, comme une honte ou une
douleur « réellement vécue par moi ». Mais la douleur réellement
vécue par moi ou la honte réelle n'est donnée qu'en elle-même, dans
son affectivité, dans une sphère d'immanence radicale et demeure
comme telle foncièrement étrangère au milieu vers lequel se trans-
cende la perception , aussi étrangère à ce milieu u' une douleur
q
M. HENRY 26
794 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

ou une honte éprouvée par un ego autre que le mien. Il arrive seule-
ment que, dans l'expérience de soi, la douleur ou la honte étant
contemporaine de la perception ou plutôt identique à celle-ci et à
sa réalité , la p ensée commune ou philosophique, incapable d'insti-
tuer les distinctions fondamentales où se découvre chaque fois la.
source du réel, attribue au pouvoir de la perception et comprend
comme donné en elle ce qui la donne, la tonalité affective qui la
détermine.
L'illusion selon la quelle la visée p erceptive dirigée sur un senti-
ment atteint quelque chose de réel a, dans le cas de l'expérience
d'autrui, une origine : quelque chose de réel en effet se donne à
cette perception, à savoir le corps de l'autre . Car c'est la réalité de ce
corp s, son être-étendu qui p arait dans l'être-étendu-devant auquel
s'ordonne la perception . A l'être-étendu du corps , à son être-là dans
l'étendue ne se réduit nullement, il est vrai, le corps de l'autre dans
la communication . Il faut, comme l'a justement noté Scheler, une
modification fondamentale du regard , une attitude nouvelle et à
vrai dires exce p tionnelle comme celle de l'étudiant opérant une dis-
section, pour que ce qui se donne essentiellement et d'abord comme
une structure signifiante n'apparaisse plus, dépouillé de sa signi»
fication, que comme un être-là mort dans l'étendue et comme une
p artie de celle-ci, p our que l'oeil ou plutôt le regard ne soit plus rien
d'autre précisément qu'un « globe oculaire ». C'est une signification
précisément qui, dans l'expérience immédiate, s'ajoute au donné étendu
pour constituer synthétiquement avec lui quelque chose comme une totalité
sign1fiante. La joie p erçue dans un sourire et qui fait de celui-ci, il
est vrai, ce qu'il est, non un mouvement objectif dans l'étendue mais,
comme le dit Scheler , une structure « représentative », n'est pas la
joie réelle de l'autre mais quelque chose qui précisément la « repré-
sente », la designe, y renvoie, la joie réelle de l'autre mais visée
seulement à travers son corps et non pas réellement saisie dans la
p erception de celui-ci, bref une signification vide.
L'AFFECTIVITÉ
795

Une situation analogue se dans


produit d la sphère ' '
expérience ou
l'ego se rapporte à lui-même lorsqu'à la signification affective visée
par la perception se joint un élément réel à savoir le corps organique
ou la partie de ce corps dans laquelle le sentiment nt visé
vise se trouve.
localise. Pareille situation est justement celle qu'on observe dans le
cas du sentiment sensoriel ou du sentiment vital dont nt l'être
^a été
1 être '
élucidé par la problématique. Comment une détermination spatiale
réelle (il s'agit bien entendu de la s patialité sui ' du corps orga-
generis
nique) peut, en se liant synthétiquement au contenu noematique
affectif idéal vise dans la en lui conférant
perception, sa réalité, créer
l'illusion qu'un tel contenu est un contenu réel, que la perception
atteint un sentiment réel, on le comprend ici, comme on comprend
pourquoi le choix de Scheler se porta précisément sur le sentiment
sensoriel et sur le sentiment vital lorsqu'il voulut montre r que la
réalité du sentiment pouvait, dans certains cas être une réalité étendue
et se proposer comme telle. Mais la tâche de la estjuste-
philosophie
ment de dissiper l'illusion et elle le fait, comme le voulait Kierkegaard,
en recourant à la distinction, en dissociant de manière rigoureuse le
mode d'existence et le genre de réalité qui sont respectivement ceux
del être-vise dans la perception affective du corps organique ou le
sentiment visé est localisé, du sentiment réel enfin réellement éprouvé
et vécu, donné dans son affectivité et echa
pp par anta' toute
principe
perception possible, que ce soit celle de la signification affective qui'
se réfère à ce sentiment ou du cors porganique
il est. où situé.
La dissociation de ces divers :éléments conduit à`
une nouvelle
distinction, celle qu'il convient d'établir entre le cas du sentiment
sensoriel ou vital précisément, où le sentiment visé par la perception
et situé par elle dans le corps organique est , précisément « le même »
que le sentiment réellement vécu par l'ego percevant et y renvoie,.
et celui au contraire où le sentiment visé est un sentiment différent,
un sentiment passé, imaginaire ou encore appartenant à aut ...rut.
Toutes les distinctions qui, d'une manière générale, peuvent et doi-.
79 6 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

vent être faites par une philosophie de l'affectivité soucieuse de son


objet ou par une psychologie phénoménologique , ne reçoivent une
signification valable que si elles se réfèrent à cette distinction fonda -
mentale d'une affectivité réelle et d'une affectivité irréelle, et dans la
mesure où elles peuvent le faire . Si l'on oppose par exemple, à la
manière de Scheler, les sensations et les états affectifs aux actes inten-
tionnels et, plus particulièrement , aux perceptions affectives qui
les visent ( i), il convient de faire chaque fois le partage dans le phéno-
mène décrit dans ce qui se donne comme affectif , entre ce qui est
,
réel, entre l'être-vivant du sentiment réellement éprouvé et vécu, et
ce qui n' a au contraire que la signification d'être tel, entre la tonalité
de l'acte ou de la perception considérée et son corrélat noématique
affectif irréel , qu'il s'agisse d'un « sentiment », d'une « qualité affec-
tive » ou d' une « sensation ».
De même les modifications diverses subies par les sentiments
dans leur histoire parallèlement aux modifications fondamentales
qui affectent et déterminent l'attitude de l'homme à l'égard du
monde et de lui-même, les modifications qui interviennent dans
le cas , par exemple, d'un détournement de la visée perceptive ou
de l'attention de la valeur primitivement saisie dans la chose vers
le sentiment éprouvé en présence de cette valeur , dans le cas du regard
auto-érotique glissant de l'objet aimé et de son contenu axiologique
sur les tonalités sensorielles propres du sujet (z), dans le cas où se
produit d' une manière générale quelque chose comme une esthé-
tisation du sentiment à l'égard duquel il est loisible à la conscience,.
dès lors, de prendre position dans les modes du jouir ou du souffrir,
dans le cas encore de la relation avec autrui lorsque l'insertion des
états affectifs vécus par les diverses consciences dans le processus
dialectique de leur lutte rend chacun de ces états transcendant pour

(i) Cf. F, 269 ; S, 3-4 ; Idole, 17, note,


(2) 14-dessus, cf. Idole, go.
L'AFFECTIVITÉ
797

celui-là même qui le vivait avant d'en faire un élément de son prestige
dans le milieu ouvert de la reconnaissance ces transformations et
ces altérations de la vie affective, les situations 'phénoménologiques
complexes auxquelles elles donnent lieu, ne peuvent être pensées
et décrites
décr quumière ,a fondamentales
des structures ontologiques la l ,
où se définit en chacune de ces situations, à travers chacune de ces
transformations, la réalité du sentiment et ce qui n'est au contraire
chaque fois qu ' un corrélat noématique intentionnel, une signification
affective transcendante et par là même irréelle.
La dissociation ontologique fondamentale de l 'affectivité réelle
et de l' affectivité irréelle éclaire la critique dir igée par la problématique
contre la thèse de l'existence de sentiments « faux » « illusoires
ou « imaginaires » et lui confère un fondement plus assuré . Une telle
critique revenait , on s'en souvient, à montrer que l' « apparence »
sous laquelle le sentiment était censé se presenter tout d'abord
-
pour s'evanouir ensuite avec elle, n'était pas le sentiment réellement
éprouvé par la conscience mais seulement l'interprétationcelle.ci que .'
se donnait à elle-même de ses propres tonalités de telle manière
que l'erreur ou l'illusion ne résidait j amais dans cellesci mais préci-
sèment dans cette interprétation qui en était proposée et, d'une manière
générale, dans l'inadéquation de principe qui existe entre le langage
du sentiment et celui de la pensée . Ce dernier cependant ne se ramène
en aucune façon à un pur jeu de significations intellectuelles c'est
.. à
la lumière des significations affectives qu'elle projette ou qui lui
sont données dans le monde ou elle vit que l'existence se comprend
et, le plus souvent et d'abord, se mé p rend à son sujet de telle manière
que l' illusion dont elle est victime n'est pas seulement une erreur
du jugement mais précisément une illusion affective. Qu'une illusion
de ce genre existe ne met as en cause, on le voit la vérité absolue
du sentiment considéré dans sa réalité , elle trouve son origine dan
le caractere inadequat de la signification affective à la lumière de
laquelle cette réalité du sentiment est comprise dans la comprehen-.
798 L'ESSENCE DE LA MA NIFESTA TIO N

sion existentielle immédiate de soi -même, et dans ce qui fonde un


tel caractère et, ultmement, l'inadéquation principTelle de toute
compréhension existentielle affective de soi-même ou d'autrui,
dans la différence ontologique fondamentale de l'affectivité réelle et de l'a ec-.
livilé irréelle.
Une telle différence permet de préciser ce qu'il convient d'entendre
par « sentiments imaginaires », lesquels sont donnés précisément
comme une source d' erreurs ou d'illusions dans la vie affective. Ou
bien il s'agit de sentiments éprouvés en présence d'objets imaginaires
et des significations affectives dont ils sont porteurs ou qui leur sont
liées, des sentiments réellement éprouvés par la jeune fille tandis
qu'elle revit l ' histoire d'Yseult en s'identifiant plus ou moins avec
elle, et alors il faut reconnaître que de tels sentiments sont ce qu'ils
sont, sont réels , absolument vrais et qu'il n'y a place en eux ni pour
l'erreur, ni pour l'illusion, ni pour rien d' « imaginaire ». Ou bien
par sentiments i maginaires on entend les grandes directions affectives
.r.
empruntées le plus souvent au monde ambiant et qui dirigent la
compréhension affective de soi - même, la manière dont le sujet
« vit» et sent ses propres sentiments, et alors on se trouve en présence
de significations sinon imaginaires du moins irréelles et qui, à ce
titre, sont elles aussi ce qu'elles sont et ne comportent par suite rien
de faux ou d'illusoire , rien d' « imaginaire » en ce sens . Ce qui est
faux, illusoire, « imaginaire », c'est la subsomption de certains senti
ments sous certaines significations qui ne leur correspondent pas,.
c'est le fait de prendre pour une détermination de la vie ce qui n'est
que visé par elle et, dans. le cas de la j eune fille, ses propres sentiments
pour ceux d ' Yseult. Une telle confusion qui est proprement celle
de la réalité et de l ' irréalité ne s'accomplit pas seulement, toutefois,
sur le plan de la vie irréfléchie et elle n'est pas non plus le privilège
des êtres romanesques, la problématique la commet de son côté aussi
longtemps que, faute de disposer des catégories ontologiques fonda -
mentales de la réalité et de l'irréalité, elle se montre précisément
L'AFEECTI VIT.É
799

incapable de les distinguer et les mêlant l'une a l'autre inextricable-


ment, établit de ce mélange rendu homogène en dépit de l'hétéro-
généité structurelle de ses composantes, quelque chose comme des
modes ou des degrés de concentration des « degrés de réalité » ou
de « profondeur », depuis les sentiments authentiques et «vrais »,
situés au «centre » de la personne, jusqu'aux sentiments «illusoires »
ou « imaginaires » de l'hystérique qui « sont bien vécus m ais pour
ainsi dire avec la périphérie de nous-mêmes » ( i ).
Ou bien a la place de cette confusion ou plutôt comme une
nouvelle façon pour elle de s'accomplir, on trouve, ..avec l'omission
pure et simple de la dimension ontologique fondamentale de la
réalité, l'assimilation de tous les sentimentsptiblessusced'être
^ vécus
par l'homme à des sentiments simplement visés par lui, la réduction
del être du sentiment à celui d'une structure transcendante irréelle.
Ainsi en est-il chez Sartre. L'affirmation selon laquelle « un sentiment
est sentiment en présence d'une norme c'est-à-dire d'un sentiment
du même type mais qui serait ce qu'il est » (2) pas
q laisse ne subsister,
malgré l'apparence, en face du sentiment normatif, de la signification
affective idéale visée par ma conscience un sentiment réel, le désir par
exemple de réaliser cette signification dans l'existence concrète, toute
la réalité du sentiment en fait, la réalité de l'affectivité elle-meure, se
trouve rejetée du côté du corrélat intentionnel de laconscience, dans
la sphère ontologique de l'irréalité précisément, et, par la même,.
détruite. Tous les sentiments chez Sartre sont des sentiments irréels,
et cela non par hasard en confiant au néant le pouvoir de rendre
manifeste tout ce qui est, et le sentiment lui-même, la problématique
abandonne nécessairement celui-ci au milieu que s'oppose ce pouvoir
comme ce qu'il n'est as.
p Lae conscience
néant de est 1 tous les senti -
ments y compris de ceux qu'elïe éprouve elle-même. C'est pourquoi

(a) PhP, 435.


(2) ENS 135.
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

en réalité elle ne les éprouve pas , séparée d'eux qu'elle est par son
néant. Elle cherche seulement à les éprouver mais ils sont là devant
elle comme des masses transcendantes qu'elle ne peut rejoindre. La
souffrance par exemple n'est présente au coeur de la conscience que
comme ce dont elle manque . « Cette souffrance opaque, énorme »,
m'échappe « et je ne peux la saisir, je ne trouve que moi, moi qui..
me plains gémis, dois pour réaliser cette souffrance que je suis,
jouer sans répit la comédie de souffrir » (I). Ainsi se produit sur le
plan de la conscience irréfléchie déjà la scission qui sépare l'existence.
de ses propres sentiments et la condamne , subjectivité vide et en
elle-même atonale, à les « jouer ». Ainsi vaut contre sa propre philo-
sophie la critique adressée par Sartre à La Rochefoucauld, celle de
ne connaître qu'une affectivité pervertie par le regard et comme telle
essentiellement différente de l'affectivité originelle. Ainsi s'accomplit
avec la détermination absurde dé la réalité de la souffrance, de son
« être-en-soi » comme être nié et néantisé, comme être transcendant,
avec la détermination de la réalité du sentiment comme irréalité, le
renversement dés catégories ontologiques fondamentales et, dans
ce renversement, avec l'inextricable confusion qu'il engendre, celui
de la philosophie elle-même.
La distinction ontologique fondamentale de l'affectivité réelle
et de l'affectivité irréelle permet d'éclaircir enfin un dernier caractère
du sentiment, celui en vertu duquel il se présente comme une réalité
à laquelle il peut ou ne peut pas être « co-senti ». Un tél caractère se
trouve précisément interprété par Scheler comme susceptible de
faire apparaître entre nos divers sentiments des différences radicales
qui justifient leur répartition selon des régions étrangères les unes
aux autres comme un nouveau motif de scinder l'affectivité en diffé-
,
rents plans ou niveaux. C'est l'impossibilité de co - sentir un sentiment
sensoriel, que ce soit celui d'un autre homme ou d 'un animal, ou

(i) EN, '35.


L'AFFECTIVITÉ Soi

encore mon propre sentiment sensoriel passé , qui l'isole et l'oppose


a tous les autres sentiments , vitaux, de l'âme ou s pirituels. C'est
cette même impossibilité qui fait du monde des sentiments sensoriels
et des sensations organiques un monde à part où l n'est pas possible
de pénétrer, sinon à celui précisément qui éprouve ces sentiments et
ces sensations . Voilà pourquoi la définition fameuse « est psychique
ce qui, a un moment donné , n'appartient qu'à un seul » ne vaut en
réalité que pour les sentiments sensoriels . Qu'elle soit valable pour
eux, toutefois,
. rend manifeste la sign ification ontologique et méta-
physique de l'univers qu 'ils comp osent, de ce « p lan somati que »
dont l'importance apparaît ainsi décisive
. p our l'experience d'autrui
quis arrête devant lui tandis qu ' elle pénètre au contraire tous les
autres contenus psychiques . « Dans la mesure où l'homme est capable
.
de s'élever au-dessus de ses états corporels, de considérer son co rps
comme un simple . objet et de débarrasser ses faits psychiques des
sensations organiques qui y sont adhérentes , il voit la vie psychique
de ses semblables s'étaler devant lui. »
Voir la viepsychique soi,
de ses semblables s'étaler devant
ce n'est encore toutefois, la problématique l'a montré, qu'en per-
devoir la signification affective , la saisir mais sous la forme de celle.
ci, comme quelque chose d 'irréel. L'affirmation selon laquelle <c on
peut « ressentir » la même souffrance ... qu'autrui » ( i) n'a que ce sens
relatif. A cette possib ' ' te de ressentir la souffrance d'autrui on ne
saurait donc opposer, comme le fait Scheler , ld éprou
ver sa douleur-. Car l'être-intérieurement - éprouvé de la souffrance
d'autrui, sa réalité m'échappe dans la même mesure et de la même
façon que la réalité de sa douleur . L'une et l'autre au contraire le
sentiment sensoriel par conséquent aussi bien que le sentiment
psychique, me sont accessibles dans la perception « comme douleur
ou souffrance réellement vécue par l'autre » et à ce titre seulement,

( s,
I) 37g.
8o2 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Les significations vides de d'affectivité irréelle constituent tout le


contenu auquel il est co-senti dans la perception , de telle manière
que cette possibilité de co-sentir des sentiments les concerne tous
également, qu'il s'agisse d' une souffrance psychique ou d'une douleur
sensorielle. Ce qui échappe à cette possibilité , au contraire, et se
refuse elle par principe, c'est, dans tous les cas, et quelle que soit
la nature du sentiment considéré , la réalité de celui-ci . La possibilité
ou l'impossibilité de co-sentir des sentiments ne saurait donc établir
entre eux aucune différence de nature, elle concerne en chacun d'eux
et chaque fois, la première la signification dans laquelle ils sont visés
à vide; la seconde leur réalité.
C'est pourquoi lorsque Scheler affirme encore « je peux co-sentir
de façon réelle la fatigue d'un oiseau, mais non point jamais ses états
affectifs de caractère sensoriel qui me sont totalement impénétra
bles » (x), le paralogisme qu'il commet est clair , car il n'oppose pas
ici, malgré l' apparence et comme il croit le faire,. le sentiment sen-
soriel et le sentiment vital mais, d'une part, un sentiment sensoriel
réel auquel, il est vrai, ni Scheler ni l'oiseau lui-même ne peuvent
co-sentir et, d'autre part, un sentiment vital irréel auquel il est pos
sible, non point toutefois parce qu'il s'agit d'un sentiment vital
mais en raison de son irréalité seulement , de co-sentir. Ici encore
la distinction ontologique rigoureuse de l'affectivité réelle et de
l'affectivité irréelle p ermet seule à l'analyse de nos sentiments de
ne pas se perdre dans des oppositions qui n'en sont pas, de ne pas
prendre l' accidentel pour l ' essentiel et de saisir précisément la
nature de celui-ci, la réalité du sentiment constitutive de son affec-
tivité, dans son hétérogénéité foncière au domaine de la perception
et ultimement de la transcendance , dans son immanence radicale.

(I) F, 348.
L'AFFECTIVITÉ 803

§ 6 8. AFFECTIVITÉ ET ACTION

La détermination ontologique de l'immanence radicale du senti-


ment rend possible une élaboration systématique du problème de
,
l'action considérée dans son fondement, c'est-à-dire précisément
dans sa relation a l'affectivité elle-même comme telle. La relation
de l'affectivité et de l'action aperçue par Kant mais dépourvue chez.
lui de tout caractère fondamental, rejetée^ bien de plutôt hors la
sphère de l'action proprement dite, de l'action morale et libre, et
abandonnée au domaine des simples consécutions empiriques de la
sensibilité et à son déterminisme, fait au contraire chez Scheler
l'objet
sance d'une problématique dont lennais-
thème est justement la reconnais-
sauce de sa signification universelle. Une telle relation reconnue
dans sa signification universelle se propose tout d'abord , il est vrai,
comme indirecte, elle ne s'établit que par la médiation d'un troi-
sième terme, le monde des valeurs auquel la pensée de Scheler
confère une importance décisive et par rapport auquel elle s'organise
et le plus souvent se définit. C'est parce que l'affectivité est comprise
comme le pouvoir de révéler originairement les valeurs qu'elle
Intervient comme un élément inséparable de l'action, laquelle . présup-
pose précisément comme sa condition la mise à découvert des conte-
nus axiologiques vers lesquels elle s'oriente et dont elle poursuit
l'obtention ou la réalisation. Cette orientation qualitative préalable
vers des contenus axiologiques déterminés, c'est là ce qui constitue
proprement l'être de la tendance, laquelle « comporte » ainsi par
essence « une perception affective concernant une valeur quelconque,
perception affective qui est à, la base de ses composants imaginatifs
.
ou de signification » (I). Toute tendance par conséquent, tout désix
toute impulsion présupposée par l'action comme ce qui la suscite
et lui assigne un but défini, présuppose à son tour une perception

(I) F, 351-352.
804 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

affective sans laquelle elle ne serait pas , puisqu'elle consiste tout


entière dans une détermination émotionnelle ouverte à une valeur
et mue par elle dans ce mouvement vers un contenu axiologique
,
pré-donné.
Considérons l'une des impulsions fondamentales de la nature
humaine, la libido . Elle ne saurait s'expliquer à partir de la simple
sensation voluptueuse et comme une tendance précisément à éprôuver
de nouveau cette sensation. L'orientation qualitative de la tendance,
en effet, est ce qu'il faut fonder et on ne peut le faire comme Freud
de façon mécaniste et associative . La faim du nourrisson, par
exemple, ne naît pas d'une association entre le sein maternel et les
impressions de plaisir qui s'y attachent c'est, dit Scheler « une impul-
,
sion instinctive ayant d'emblée une orientation déterminée » et
impliquant à ce titre, « sinon une image de la nourriture ..., du moins
une intuition de la valeur de la nourriture » (i), c'est-à-dire précisé-
ment une perception affective de cette valeur. D'une manière générale,
la libido présuppose la perception affective des valeurs caracteris-
tiques. de la sexualité opposée et cette perception est présente dans
les manifestations de la première enfance à laquelle manque cepen-
dant toute représentation ` concrète du sexe opposé, toute connais -
sance objective de sa structure La phase de vagues pressentiments
.
qui est celle de cette période de la vie, le comportement sexuel indiffe-
rencié ou polymorphe dans lequel elle s'exprime déjà le plus sou-
vent, atteste justement l'effectivité de la saisie des valeurs sexuelles
antérieurement à toute représentation ou connaissance proprement
dite et la détermination par elle, par la perception affective, des
modes primitifs de la conduite et de l'action en général.
C'est la transcendance pourtant , en aucune façon l'affectivité,
la problématique l'a montré, qui dans la perception affective découvre
et rend manifestes les contenus axiologiques susceptibles de susciter

(I) S, 295.
L'AFFECTIVITÉ 805

l'action et en même temps d'en définir les directions et les buts.


Des contenus axiologiques découverts dans la transcendance de la
perception et par elle ne peuvent susciter l'action toutefois en
définir les directions et les buts, que pour autant qu'ils nous affectent a :
pour autant qu'ils déterminent en nous l'essence ultime et le fonde-
ment de toute affection possible en général, à savoir l'affecti viré.
Telle est la signification universelle de la critique qui futdirigée
'
contre Kant : au même titre que la représentation de la loi ou qu'une
représentation empirique quelconque, que n ' importe quel contenu
transcendant en général ce qui se propose comme le corrélat axio-
,
logique noémati ue de la revêteaussi
q perception forme un subjec-
tive, se propose subjectivement comme une détermination de l'affec-
tivité et comme un mobile . Ici parvient à nouveau dans l'évidence
la nature de la relation originelle qui unit l'affectivité et l'action
comme relation s'accomplissant , non par la médiation d'un contenu
transcendant, mais dans l'immanencei immédiatement,
comme la
détermination immédiate de l'action par une tonalité affective donnée .
La détermination immédiate de l'action parunetonalité affec_
tive, par un état affectif donné, est reconnue par Scheler '
. L'éluci-
dation systématique des de' terminants affectifs de l'action Juxtapose
a 1 affectlvite de la perception affective de la valeur qui oriente
l'action « l'état affectif, quel qu'il soit, d'où sortent pour ainsi dire
par effraction la tendance et le vouloir et u, à la différence de la
motivation, contient en soi le phénomène du « choc » physique (de
la vas a tergo) ». C'est pourquoi, ajoute Scheler, « un état qui joue un
rôle de ce genre peut être appelé aussi la source ou le ressort de la
tendance » (i). L'état
q affectif
ounce ui constitue
de la la s tendance
et de l'action n'est pas différent , à vrai dire de la perception affective
du contenu axiologique qui motive l'action ou, plus exactement de
ce qu'il y a d' affectif dans cette perce ption . C'est prédséme#t parce que

(Y) F, 352.
8o6 L'ESSENCE DE LA _MANIFESTATION

l'affection par la valeur revêt la forme subjective d'un état affectif et parce
que cet état est identiquement la source de l'action qu'il se présente et se
laisse déterminer comme un « mobile ». La reconnaissance de la détermi-
nation immédiate de l'action par l'affectivité demeure ce p endant
équivoque chez Scheler, et cela parce qu'elle ne peut recevoir sa
pleine signification qu'à la lumière de l'inter p rétation ontolo g i q ue
fondamentale de l'affectivité comme immanence , interprétation qui
rend seule possible une saisie adé quate du caractère affectif de la
motivation, l'identification de l'état-source de l'action avec la réalité
affective de la perception et non avec la p ercep tion elle-même consi-
dérée dans sa transcendance.
L'orientation exclusive de la doctrine vers des considérations
d'ordre axiologique i ntroduit encore une distinction contestable
entre les états affectifs « positifs » et « négatifs », les p remiers étant
seuls capables de déterminer une « orientation du vouloir vers la
réalisation de valeurs p ositives et relativement su p érieures » ( i ) .
Ce qui fait l'ambiguïté d'une telle distinction, c'est qu 'elle n'est pas
établies partir de la considération des états affectifs tels q u'ils se
présentent d'eux-mêmes dans l'effectivité de leur contenu phénomé-
nologique chaque fois déterminé , dans la réalité de leur affectivité,
mais de manière indirecte , d'ap res la relation que ces états entre-
tiennent ou n'entretiennent p as avec des valeurs p ositives. La rela-
tion extrinsèque de l'affectivité à ces valeurs , sa p retendue transcen-
dance, ce que Scheler appelle la perception affective , se substitue
à nouveau, comme source de l'action, à l'affectivité elle-même consi -
dérée dans son immanence, à l' « état affectif la détermination immé-
»,
diate de la première p ar la seconde s'efface derrière la sim p le déter-
minati on médiate de l'action à partir des contenus axiologi q ues
visés dans la perception.
Cette i mpuissance â saisir l'affectivité comme source immanente

(I) F, 355.
L'AFFECTIVITÉ
807

de l'action se fait j our notamment dans la critique dirigé e par Scheler


contre la théorie , introduite par Locke et donnée depuis comme allant
de soi, selon laquelle le des diverses
principe productions et realisa-
tions auxquelles l'action donne lieu se trouve dans le besoin dans le
sentiment du manque , bref dans des « états affectifs négatifs ».
II est remarquable en effet que pour établir au contraire le caractère
positif
. de l'état affectif d'où procèdent ces productions et réalisa-
tions, d'où procède l'action, Scheler croit nécessaire et suffisant
de
montrer que la perception affective d ' une valeur est présente à
l' origine de cette action et comme sa condition. Si le besoin par
exemple ne peut être considéré comme la source première de l'acti -
vité créatrice, individuelle ou collective , c'est précisément parce
^•
qu il présuppose lui-même la perception affective des valeurs posi-
tives, des biens qui font défaut et dont il peut , dès lors, être le besoin .
Le besoin, d'ailleurs , au sens de Locke, le besoin duconsommateur,
est toujours cale produit d 'un devenir historique et psychologique.» (x)9
il ,
est second
p par ont rapport à la production des biens d
l'existence
l'eveille et le détermine , production qui p resupp p ose
justement la
perception affective préalable de la valeur de ces biens . Et cela vaut
au même titre pour « les biens culturels » dont la production repose
- sur la saisie des valeurs spirituelles, et pour les « biens de civilisation »
qui sont co- détermines par les instincts et les stimuli instinctifs. La
pression de ces derniers ne suffirait as à elle seule en effet . a créer
le besoin, lequel, comme besoin de quelque chose implique toujours
l'être- donné préalable , comme bien de ce dont il est le
besoin,
c'est- à-dire historiquement la production effective de ce bien
(z) .
Si la perception affective de la valeur qui oriente l'action signifie
touj ours, cependant, une affection , si elle trouve
p
ar suite sa réalité
dans une détermination del 'affectivité , dans un état affectif donné,

(I) F, 358•
(2) Zà-dessus, cf. ID., 357-359.
8o8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

celui-ci, conditionné il est vrai par le contenu axiologique visé dans


la perception mais plus encore et d'abord conditionnant cette per-
ception même, est l'origine véritable et la source de l'action, son
motif, consubstantiel à l'action elle-même, subjectif et affectif comme
elle. Un tel état, origine et source de l'action, consubstantiel et
homogène à celle -ci, et qui n'est somme toute que son premier mo-
ment, est précisément le besoin. Que celui-ci implique la saisie
d'un contenu axiologique donné n'est pas même évident . Dans le
cas de la détermination de l'action par un stimulus instinctif, déter-
mination que la pensée causale interprète comme un processus en
troisième personne comme un; consécution mécanique et aveugle
,
entre l'excitant et la réaction , celui-ci, l'objet de l'affection qui cons-
titue l'essence d'un tel phénomène , n'est pas nécessairement un
contenu d'ordre axiologique, la tonalité affective qui définit la
réalité de cette affection surgit et produit une action en l 'absence de
toute perception affective orientée vers une valeur. Le besoin, dans
les modes élémentaires de la vie, se présente le plus souvent sous
cette forme, comme un simple malaise comme la conscience par
,
essence affective et ici douloureuse de quelque chose qui est l'affec-
tant et demeure cependant comme tel axiologiquement indifférencié.
La faim est constituée par des « sensations internes » indépendamment
de la saisie perceptive de la valeur nourriture . De même en est-il
pour la libido qui est une tonalité affective avant d'être la saisie des
qualités axiologiques déterminées de la sexualité o pp osée ou p ropre.
Freud et d'une manière générale, le sensualisme, bien qu'ils ne
,
disposent d'aucun concept ontologique de l'affectivité, ont raison
contre Scheler. L'affectivité qui détermine l'action est l'essence de l'af fec-
lion, l'affectivité de la perception affective n'est qu'un cas particulier de celle
af fectivité comme la perception affective elle-même n'est qu'un caf parti-
culier de l'affection. Cette évidence, dès lors, s'impose à la probléma-
tique : la positivité de l'état affectif qui est la source de l'action réside
dans sa réalité même, dans son affectivité, nullement dans la relation,
L'AFFECTIVITÉ
809

qu'il n'entretient d'ailleurs amais lui-mê •.


j me, avec un contenu a^o_
logique quelconque . Tout état affectif
est par essence positif et le
besoin ou le manque immédiatement détermine par un stimulus ins-
tinctif n' en est pas moins capable ,
en l'absence de toute perception
orientée vers une va1 eur, de provoquer une action .
La distinction
d'états affectifs « positifs » ou « négatifs
»est inessentielle, d'ordre
appréciatif ou axiologique, et son intervention dans la probléma-
tique ne peut qu ' égarer celle - ci et lui mas '
guet la orale nature de la
relation ontologique originelle de l'affectivité '
et de l'action.
Que l'état affectif considéré en lui-même et non dans sa prétendue
relation à un corrélat ax i ologi que Crans cendant,
relation qui ne eut
que le vider de, détermine
enu propre son cont l'action , on p .
chez. Scheler lui- même dans la critique '' 'ri le volt
qu'il dirige contre la théorie.
adlérienne' de la surcom
p ensat qu' on . Ce
une telle critique vise.
montrer, c est, il est vrai, que la puissance créatrice de
l'action ne
saurait être liée à un défaut , à une déficience or
lo ganique ou p5ycho-
gi que quelconque non lus qu'à
p conscience, sa •
au sentiment
négatif de déplaisir qui l'accompagne. En
quoi consiste cependant
la positivité de lse'tat d'où découle l' action créatrice ainsi que les
productions supérieures auxquelles elle aboutit ?. En l ui-même, dans .
sa réalité immanente et dans son affectivité. « I 'Incontestable-
1 existe
ment, dit Scheler, une conscience spécifique de pouvoir positif,
accompagnee de la joie de pouvoir que en tant ' et c
pouvoir, 'est
cette conscience qui normalement produit dans un do `
. maire deter-
mine un etalon (idéal) des réalisations effectives. » '
Ainsi le projet
de l'action s 'enracine- t-il dans la réalité
subjective et concrète de
l'existence corporelle , dans. le J.
e peux et dans la tonalité qui lui
appartient par principe.
p Bien plus, l'c idéal » vers lequel ce
est orienté le contenu dont il poursuit la réalisation et
d'étalon âcelle - ci trouve qui
lui aussi, de l'aveu même de Scheler, son
origine dans l'immanence absolue de la vie affective .
Celle-ci ne
constitue pas seulement la source de l'action et la réalité de son accom.
8 io L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

plissement subjectif, elle pose encore le but, « l'idéal » sur lequel se


reglent les diverses productions de l'activité créatrice. « Ce qui
appartient ainsi au domaine des forces les plus intimes demeure en
même tem p s un « idéal » qui, en tant qu'« irréalisable », peut accom-
pagner [une] vie tout entière. » Ainsi se renverse le rapport établi
par Scheler entre les contenus axiologiques nématiques de la cons-
cience et l'affectivité ce ne sont plus les premiers qui déterminent
la seconde et . en règlent, selon des lois éidétiques , les tonalités,
mais celle-ci au contraire, l'affectivité, qui détermine originellement
et fonde l'être même des valeurs . Cette détermination de l'action
et, de la même manière, des contenus axiologiques et des idéaux qui
l'orientent à partir de l'état affectif qui constitue la tonalité fonda-
mentale d' une existence et révèle « le domaine de ses forces les
plus intimes », ne définit pas seulement la relation « normale » de
l'affectivité et de l'action, elle se laisse encore reconnaître avec les
cas décrits p ar Adler et dans les quels ce n'est pas le sentiment d'un
pouvoir positif mais au contraire celui de son absence qui fait surgir
par contraste et se former les idéaux de la surcompensation. Car
le sentiment de l'absence d'un pouvoir positif dans un domaine donné
n'est pas quelque chose de négatif mais suppose, comme le remarque
Scheler avec force , « une authentique conscience de pouvoir ou du
moins ... le pouvoir encore indifférencié de la personne elle-même » (x)
et le transfert de ce pouvoir authentique dans un domaine où il ne peut
encore s'exercer, suppose en tout cas la réalité, à savoir l'être-donné dans
l'affectivité, d'un pouvoir quelconque, différencié ou non, capable dà ou non de
s'exercer, l'être-donné de l'existence elle-même dans la réalité de son affectivité.
Que signifie cependant la relation originelle de l'affectivité et
de d'action ? En quoi consiste la détermination immédiate de celle-ci
par celle-là ? A l'intelligence de cette relation et de la détermination
qu'elle implique est essentielle la remémoration par la problématique

(1) F, 360-361, note.


L'AFFECTIVITÉ
81I

de ce qui constitue l'être même de l'affectivité et de l ' action, la remé-


moration de l'acte qui les circonscrit et le s définit sur le plan ontolo-
gique. L'action est l'existence elle-même et son essence, elle est le
pouvoir qui la constitue originellement éprouve et vécu' dans le
J e peux, et son exercice . L'affectivité est l'être de l'action ,
l'être du
J e peux, elle est , la problématique vient de le rappeler, l etre
- donne-
a-elle-même de l'existence dans sa réalité sa révélation originaire,
son essence . Parce que l'affectivité constitue l'essence de l'action,
l'essence du Je peux et de son vouloir , leur relation ne peut .
plus se
comprendre comme une relation entre des termes distinct '
s, la déter-
mination de d'une par l'autre n'est réduct
plus able a une c< action »
de la première sur la seconde comme sur une réalité séparée et diffé-
rente d ' elle, à un processus de causation externe entre
deux étants,
pas davantage à la. motivation d'un
comportement ou '
dune conduite
par un etat affectif et il est vrai de dire en ce sens que ^ « 'epuis
ne '
chercher en moi l ' état ou le sentiment qui me
. pousse a agir », et
cela non pas parce que « ce sont mes actes q
ui feront ce sentiment » (z)
mais parce qu 'il n' y a dans le phénomène décrit aucune dualité
parce
que le sentiment est la réalité même de l'acte . La relation de l'affec-
tivite et de l'action est une relation interne immanente c' .
^ esta-dire
aussi bien l'absence de toute relation. La de relation ' -et
1 affectivité
de l'action n ' est pas une relation de l'action avec autre chose qui la
provoquerait du dehors ou qui la fonderait comme un fondement
etranger, c'est u ne relation de l'action à elle-même en tant que cette
relation, constitutive de sa réalité resi de précisément dans son affec-
tivite, dans l'affectivité elle-même comme telle. C'est de :cette façon
en effet que l'affectivité détermine l'action non comme un antécé-
dent détermine un conséquent , non comme un e cause, un motif ou
un mobile, mais comme son essence.
A la lumière de cette détermination de la structure interne de

(z) SARTRE, L'Existentialisme est un Humanisme


, op, cit., 45
812 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'être seulement, de la détermination ontologique de l'affectivité


comme ' constituant la réalité même de l'action et son essence, devient
transparente et trouve son sens la thèse de Luther selon laquelle la.
béatitude est la condition de l'action bonne, selon laquelle seul
l'homme heureux et bienheureux se conduit bien. S'il s'a g it là en
effet d' autre chose que de la simple affirmation ontco -existentielle
d'une liaison habituelle ou même inévitable entre un état affectif
donné et le caractère de l'action qu'il détermine si cette détermination
se propose au contraire comme une corrélation d'ordre éidétique,
celle-ci à son tour ne saurait être affirmée simplement, son enracine-
ment dans l'essence est l'exhibition de l'essence elle-même la saisie
de l'état affectif comme constituant l'être-donné-à-soi-même du
vouloir, sa possibilité la plus intérieure et précisément sa réalité.
C'est pourquoi le concept même de corrélation , celle-ci fût-elle
entendue en un sens éidétique et non plus empirique se révèle ici
impropre s'il est vrai qu'il ne peut subsumer la relation fondatrice
,
de l'essence et de ce qu 'elle fonde, son unité avec lui. Impropre par
conséquent est encore l'affirmation selon laquelle il existe une « même.
sorte de corrélation... entre les valeurs d'actes et les sentiments qui
accompagnent l'effectuation de ces actes », selon laquelle « tout
vouloir donné comme bon est accompagné de sentiments de bonheur
centraux, tout vouloir donné comme mauvais est accompagné de.
sentiments de peine également centraux » (i). Car le problème est
justement de savoir ce qu ' il convient d'entendre par « est accompagné
.
de », ce qui constitue le lien du vouloir bon ou mauvais et du senti-
ment central qui l'accompagne, et la détermination ontologique de
ce lien, l' interprétation de l'affectivité comme constituant l'être-inté
rieur du vouloir et sa réalité , rend singulièrement insuffisante sa saisie
sous la forme d' une simple « corrélation », laquelle ne peut plus, dès
lors, être que constatée.

( I) F, 357.
L'AFFECTIVITÉ
813

L'insuffisance de la détermination du « lien » de l'état . affectif et


du vouloir est identiquement celle de la critique dirigée par Scheler
contre les concepts moraux traditionnels de « récompense » et de
« punition » Celles-ci, les biens qui servent de ré compense, les maux
qui servent de punition, ne sauraient se confondre selon lui, avec
les sentiments de bonheur ou de malheur lié ' '
s a 1effectuation du vou-
loir bon ou mauvais, et cela parce qu'ils ne se situent pas au même
niveau de « profondeur », n'atteignentpas gré
au mêmede de «centra-
lité » (i). Assurément l'idée d'un état affectif synthétiquement lie
au vouloir et à l'action et leur servant de récompense ou de punition
est irrecevable. Où pourrait se trouver en effet le fondement d'un
tel lien et de la synthèse qu'il prétendposer,sin
on dans 1a spéculation
ou encore dans une foi pratique, l'une et l'autre étra ngeres aux présup-
positions de la philosophie qui s'en tient a ce qui est et se montre
tel ? Scheler cependant ne maintientpas as seule
seulement l'idée dune
telle synthèse en ce qui concerne la relation de l'action a des biens
ou à des maux de récompense ou de punition, se bornant a la dévalo-
riser en même temps que ce qu'elle synthétise, ces biens et ces maux
considérés, conformément à la théorie des différents niveaux affectifs,
comme des états « superficiels », il la conserve encore, on l'a vu,
pour définir la relation de l'action et des sentiments centraux qui
l'accompagnent dans la mesure où cette relation est comprise précisé-
ment comme une corrélation, Aucun
. , p , en réalité, bien de récom ense
ni aucun mal de punition, aucun état affectif '
en général, et pas davan-
tage un état affectif « central » ne se trouvent liés synthétiquement
au vouloir ou à son effectuation, et cela parce qu'ils appartiennent
en tant que tels, dans leur affectivité, à la conscience analytique de ce
vouloir et de l'action, et la constituent. C'est pourquoi si l'éthique
prétendait maintenir, en dépit des évidences de l'ontologie, les
concepts de récompense et de punition, elle ne pourrait le faire. qu'en

(I) Cf. F, 357.


8 14 L'ESSENCE .DE LA MANIFESTATION

cessant de considérer les biens et les maux qu'ils désignent comme


des adj onctions synthétiques, comme des conséquences séparées
des différents actes qu'As accompagnent pourtant et auxquels ils
se joignent ainsi mystérieusement , pour les saisir au contraire comme
l'être même de ces actes , comme leur affectivité. C'est là en réalité ce qui
se cache derrière la conception du sens commun selon laquelle rien
ne se fait im p unément et lui donne la force d'une conviction si iné-
branlable que la philosophie rationnelle; au lieu de s 'y opposer, crut
nécessaire plutôt de la justifier et même de la fonder en recourant
au besoin à des p ostulats : la détermination de l'être du vouloir et de
l'action, de l'être en général, comme affectivité.

§ 69. L'IMMANENCE RADICALE DU SENTIMENT


ET L'IMPOSSIBILITÉ DE PRINCIPE . D'AGIR SUR LUI

La détermination ontologique fondamentale de l'affectivité


comme constituant l'être du vouloir et de l'action apporte la problé-
matique devant cette conséquence essentielle : en tant qu'il leur est
intérieur comme leur être, comme constituant leur e ssence et leur réalité même,
le sentiment ne saurait dépendre du vouloir ou de son exercice , de l'action,
ni être produit par eux . Que le sentiment ne puisse dépendre du vouloir
ou de l' action, qu'il ne se produise pas comme leur conséquence ou
comme leur effet, qu'il ne puisse non plus être modifié si peu que ce
soit par leur exercice, cela résulte justement de ce qu 'il les précède,
non pas seulement , • à vrai dire , comme un antécédent ou comme
un mobile, mais comme ce qui leur confère l'être précisément, comme
leur possibilité la plus intérieure et comme leur fondement . Le sen-
timent ne peut être produit ni modifié par le vouloir parce qu'il est
présent en lui, il échappe nécessairement à notre action parce qu'il
est là, d'ores et déjà, lorsque l'action se produit et précisément pour
qu'elle puisse se produire. Parce que le . sentiment est présent dans
le vouloir, parce qu'il est là, d'ores et déjà, lorsque l'action se produit
L'AFFECTIVITÉ
815
et pour qu ' elle puisse se produire ,
parce qu'il
q es 1pénètre comme ce
qui leur donne chaque fois la permission d'être et comme leur être
originel, le sentiment les- dominé nécessairement
, domine et déter-
mine toute ce que veut ce vouloirce etqu'il
toutréalise,
'' tout ce
fait cette action . que
Ainsi se trouve posée, non comme une simple propo-.
s ition psychologique concernant les diverses modalités de la vie
affective,
^ mais comme appartenant à l'essence de celle-ci, a l'affectivité
elle-.même, propriété
une essentielle
. La détermination ontolo gique
fondamentale de l'affectivité comme constituant^l'être du vouloir
et de l'action signifie identique ment
` son indépendance absôlue à
leur égard , l'impossibil i té principielle d
' agir sur le sentiment.
L'indépendance absolue du sentiment a l'égard du vouloir et
de l'action, l'impossibilité princi pTelle d'agir
r sur . lui, le fait qu 'aucun
acte, aucunpossible comportement
en général, n'est en mesure de l'
provoquer ou de le modifier, cc'est la le contenu thématique
de la
proposition de Luther selon laquelle la béatitude est requise comme
la condition de toute acti trie
on bonne et de toute bonne conduite comme
condition de l'
p c< oeuvre
la ositive et salvatrice .
» ' ,
Luther,. en effet, tout autant queCele qui -intéresse

. principe qui vient d'être ici rappelé,
a savoir la détermination immanente de l'a -
ction par I affectivite,
c'est sa conséquence immédiate
e qu' etc • elle signifie concrètement
pour l'homme, son i mpuissance radicale
. a se sauver lui-meure, cest-a-
direa changer son: être , par son action . L'affirmat • • - -
ion réitérée selon
laquelle tout ce que nous. pouvonsest foire
sans 'importance , du moins,
en ce qui concerne l'essentiel r notreàtransformation.
savon • et notre
régénération .intérieures , la critique de
s bonnes oeuvres considérées
en elles-mêmes comme inop érantes et '
vaines, comme incapables
de provoquer , telle une conséquence
assurée et nécessaire, le devenir
en nous de la béatitude ,
de « mériter » celle- ci, 1a critique corrélative
des mérites, l'idée que, circonscri
pour circonscrire ce qu'il en est ultirnement
de l ' être métaphysique de la personne, il convient
, non d'apprécier
la somme de ses efforts ni la signification qu'ils donnent à sa vie,
8 r G L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

mais de remonter plus haut, à un domaine d'origine d'où tout dépend


mais qui lui-même ne dépend de rien et en aucune façon de ces efforts,
de ces oeuvres, de tous les actes et de toutes les modalités qui compo-
sent ensemble l'accomplissement temporel d'une destinée individuelle,
expriment-elles autre chose que cette impuissance radicale de l'action
à l'égard de son fondement ? L'antériorité ontologique de celui-ci,
son indépendance absolue à l 'égard de l' action, le fait que l'être du
fondement, à savoir l' affectivité elle-même et ses tonalités fonda-
mentales la béatitude du salut ou, à l'opposé, le désespoir et la perdi -
tion, loin de dépendre de notre vie pratique et de son histoire et de
l'être-accompli de cette histoire dans ce qu'on appelle un destin, les
domine au contraire et leur soit à j amais surordonné comme ce qui
les détermine et ainsi les prédestine , n'est-ce pas là encore, au-delà
de son interprétation proprement théologique ou religieuse, le
contenu philosophique de la doctrine de la prédestination ? Ici s'ac
corde visiblement , sinon en ce qui concerne cette interprétation
théologique et ses prolongements éthco-religieux , du moins sur
le fond, la pensée de Luther à la source où elle s'alimente . La concep-
tion d'un élément affectif fondamental de l'existence surordonnant
tous mes actes de telle manière que ceux-ci, quels qu'ils soient,
ne l'affectent en rien , de telle manière que, quelle que soit leur
signification axiologique apparente ou réelle, quoi que je fasse, tout
cela est vain, si cet élément n'est pas préalablement posé dans sa
détermination essentielle et salvatrice , « si je n'ai pas la charité »,
est celle de saint Paul . Que cette position préalable d'un élément
affectif fondamental et de ce qu'il est chaque fois soit indépendante
de l'action, c'est ce qu'exprime encore, à travers toute son histoire,
ses incertitudes et les multiples controverses auxquelles elle a donné
lieu, la doctrine de la grâce : l'impuissance de l'homme devant Dieu n'est
précisément que l'impuissance de d'action à l'égard de l'affectivité.
L'impuissance de l'action à l'égard de l'affectivité ne résulte pas
seulement de l'immanence en elle de celle-ci, de l 'immanence du
L'AFFECTI VIT. 81 7

sentiment, elle confirme encore la problématique dans ses thèses


fondamentales. Ce que présuppose en général l'action considérée
dans sa relation à ce sur quoi elle agit, c'est en effet cette relation, de.
telle manière que celle-ci ne s'ajoute nullement de façon extrinse ue
a l'action elle-même mals lui est au contraire inhérente et la constitue
de telle manière que l'action n'est as
p concevable
relation sans cette
à ce sur quoi et à ce pour quoi elle agit, à ce qu'elle vise à obtenir
et à réaliser. Une telle relation, pour autant qu'on n'entende pas .
arbitrairement sous le concept d'action une simple consécution
mécanique et aveugle entre deux étants, est par essence intention-
nelle. L'action ne se rapporte pas seulement de façon intentionnelle
au
. but qu'elle suppose toujours, au corrélat axiologique de la peccep.
tion affective inhérente à la tendance qui la suscite, en elle-même 9 dans
son effectuation concrete et dans son accomplissement, elle est cette
relation, s'il est vrai que l'acte de mouvoir quelque chose par exemple
n'est que la transcendance d'un effort et sa relation intérieure au terme
mû par lui. Le vouloir, de la même manière présuppose l'extériorité
érlorite
de ce qu'il veut et n'est possible que comme cette relation intérieure
à un « objet », Parce que la structure du vouloir et de l'action consiste
dans la relation intentionnelle toutefois parce qu'ils se proposent
nécessairement . comme• « vouloir de », comme « action sur », ce que
veut ce vouloir, ce sur quoi cette action agit se trouve déterminé
au point de vue ontologique d'une manière rigoureuse , comme le
corrélat de cette relation, comme ce que le sentiment par principe se
refuse à être jamais. C'est là, en effet, ce que sigmfie l'immanence du
sentiment, l'impossibilité principielle où il se trouve de se presenter
comme un contenu transcendant. Pour cette raison d'abord, parce
qu'il n'est pas et ne peut être le corrélai d'un vouloir ni son objet, le terme ou
le but d'une acon, le sentiment ne saurait être produit.
Opposera-t-on ici au résultat de l'analyse éidétique la leçon de
.
l'expérience ? Celle-ci ne montre-t-elle pas que le sentiment est j°us-
terrent ce que les hommes proposent
, le plus souvent à leur action
8 x 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

comme son but, que le bonheur par exemple constitue, dans un grand
nombre de sociétés en tout cas, la fin dernière de toutes les formes
d'activité individuelle ou collective ? La. problématique elle-même
ne doit-elle pas reconnaître, comme une possibilité pure,
. la relation
d'un vouloir au sentiment comme à son « objet » ? Pour autant qu'un
sentiment se trouve visé dans le vouloir, toutefois, il est irréel : loin que celui-ci
puisse le poser ou l'action le produire, toute relation intentionnelle au senti-
ment suffit à le rendre impossible, ce qu'elle donne n'est pas le sentiment lui-
même, sa réalité, mais seulement le concept de cette réalité, c'est-à-dire sa
négation. « Il y a des choses, remarque justement Scheler, qui préci-
sément ne s'obtiennent pas quand elles sont devenues le but conscient
de l'activité (i). » Ainsi en est-il du bonheur et de la souffrance, du
sentiment en général. Si celui-ci est lié à un acte, ce n'est jamais comme
son corrélat mais comme sa réalité. Faire au contraire du sentiment,
quel qu'il soit, le corrélat de cet acte, le but d'un vouloir, c'est le
manquer. La fusion affective par exemple, l'émotion voluptueuse qui
monte d'elle ne sauraient être visées, elles font précisément défaut,
comme le note encore Scheler, « là où la volupté étant recherchée
intentionnellement et pour elle-même, le partenaire est considéré
comme un simple moyen de jouissance auto-érotique ». La raison
de cette disparition de la volupté dans le cas d'une intention dirigée
sur elle ne réside pas toutefois dans une simple loi psychologique,
dans le fait- que la « concentration de l'attention exerce sur les mou-
vements d'expression automatiques... une influence inhibitrice» (z),
ou plutôt, c'est à l'origine de cette loi qu'il convient de remonter,
à l'incapacité prmcipielle du sentiment de se développer sous le
regard de l'attention, de s'exhiber, d'une manière générale, dans le.
milieu de l'être transcendant, incapacité qui est celle du mouvement
lui-même comme subjectif, comme originellement afectif, . des mouvements

(I) SS, 55.


(2) S, '70.
L'AFFECTI VITÉ
819

d'expression liés à la voluptée par conséquent et impro


prement qualifiés par
Scheler d « automati ues ».
q
L'impossibilité pour le sentiment de constituer jamais, comme
sentiment réel, le thème du vouloir ou de l'action , le fait que,
vise comme tel, il se trouve au contraire et nécessairement privé
de réalité , ne confirme as seulement '
p la problématique dans ses
résultats essentiels, elle éclaire le caractère paradoxal et, au niveau
de la psychologie , nécessairement énigmatique de la relation de
l'existence à ses propres sentiments c'est-à-dire aussi bien de
l'affectivité à elle-même. Qu ' on ne puisse
par exemple aimer -son
amour, que le sentiment ne puisse se viser ,
roi-même s'aimer .roi-meure,
ne signifie pas as surément qu'il demeure
privé de toute relation avec
foi mais que celle-ci, à savoirpréci sé
menf l'affectivité, est irréductible
à la relation intentionnelle comme à f oule forme
de transcendance en
général.
L'impossibilité pour l'existence affective de se rapporter a ses
propres sentiments , c'est- à-dire aussi bien •
pour ces derniers de
constituer jamais le corrélat d ' une intentionnalité, la structure onto-
logique ultime °.où s'enracine cette double
impossibilité , c'est là
encore ce qui est susceptible de donner à une éthique de l'affectivité,
a l' éthique en général , quelque chose comme
un fondement. Si le
pharisaïsme par exemple doit être critique pasnon '
en raison de son
caractère déplaisant, non pas au re d'une referenc '
. , g p e subjective, s'11
se critique ou plutôt se détruit lui -même, si l'amour '
, du bien en
général est un non-sens , c'est qu'on ne peut aimer
sa propre bonté,
c'est-à-dire l ' amour qu'on porte aux autres c'est que le bien, l
'amour
ne peut s ' aimer lui-même Encore cette destruction d e
e sol de l'amour
dans la relation intentionnelle à soi-même, cette autodestruction du
sentiment dès qu 'il se propose à lui-même ou
pour mieux dire a
l' existence qu'il détermine affectivement comme son thème
propre
et, plus particulièrement en ce qui concerne l'éthique , comme le
thème de son vouloir ou de son action ne doit -
elle pas erre comprise
8 zo L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

dialectiquement (i). Car c'est trop encore d'accorder, à ceux-ci,


dans leur rapport intentionnel au sentiment, le pouvoir de le faire
s'évanouir. Pas plus qu'elle ne peut produire le sentiment, en réalité,
l'action ne saurait le détruire. On peut très bien vouloir éprouver
un sentiment, faire effort vers lui, et l'éprouver dans une expérience
effective. Ce qui est vrai, c'est que cette expérience ne doit rien au
vouloir ni à l'effort, c'est que le sentiment ne peut naître et grandir,
apparaître dans le milieu ouvertpar eux. Le caractère paradoxal et appa
remment dialectique de la relation du vouloir au sentiment qu'il
vise, le fait que, voulant le poser, il le manque par là même, n'exprime
en fait aucun rapport réel mais souligne plutôt l'absence entre eux
de tout rapport, l'heterogeneité ontologique absolue de la réalité
du sentiment et du milieu où se meut l'action. Précisément une
action sur le sentiment ne serait possible que si celle-ci était capable
de le rencontrer, que si le sentiment était capable de se proposer
comme un corrélat intentionnel.
Il est remarquable à cet égard que les diverses théories qui, du
Portiques la Christian Science en passant par Spinoza et Goethe, ont
prétendu soumettre l'affectivité au pouvoir de l'homme et la placer
sous la dépendance de son vouloir et de son action, ont commencé
par la réduire à un ensemble de représentations ne différant de celles
de la pensée que par leur confusion et qu'il était possible dès lors,
grâce au jeu de l'objectivation, de rendre homogènes à celles-ci
et inoffensives comme elles. Traiter la réalité comme une représen-
taton, pretendre la réduire à celle-ci, à quelque élément idéal et
soumis comme tel au pouvoir de l'activité consciente, c'est là pro-
prement ce qu'on appelle une mystification. Cette dernière trouve sa
forme extrême et la plus scandaleuse dans la Christian Science et, d'une
manière générale , partout où la pensée, tenant la réalité pour une
.simple illusion, s'efforce par là de la rendre docile à ses procédés et

(i) C'est de cette façon que la comprend SCHELER, cf . F, 357, note 1.


L'AFFECTIVITÉ 82i

à ses techniques . Ce qui s'offre à celles-ci toutefois aux diverses


formes d'objectivation dans lesquelles elles consistent c'est tout
au plus l' « objet » de l'affectivité, en aucune façon sa réalité, laquelle
échappe et se maintient d'autant plus dan g ereusement qu'on a cru
la saisir ou l 'éliminer. L'échec auquel ne manquent pas d'aboutir les
tentatives de cette sorte ne fait cependant que confirmer les résultats
de l'analyse eidétique, laquelle ne saurait être démentie par lexpe-
rience puisqu'elle n'est rien d'autre, somme toute que la lecture de ses
,
structures essentielles . Ainsi se trouve incluse a priori dans la .déter
mination ontologique de l'essence de l'affectivité comme immanence
et dans l'interprétation de celle -ci comme constitutive de la réalité ,
l'impossibilité, principielle d'agir sur le sentiment et cela en un
double sens, comme imp ossib lite dede
et, le produire
la meure
manière, de le modifier ou de le détruire.
Parce qu ' elle s'enracine dans son essence , dans l'essence de
l'affectivité, l'impossibilité d'agir sur le senti ment s'affirme et se
laisse reconnaître quelle que soit la nature de ce dernier. Ici encore
doit être rejetée la prétention émise par Scheler d'instituer à cet
égard une distinction entre les différents sentiments ou entre leurs
« niveaux » , comme
.... si p seuls les sentiments les lus, « l es
profonds
sentiments qui faillissent ... du tréfonds de notre personne » ( i), étaient
indépendants de la volonté, tandis que celle-ci serait susceptible
d'agir sur les autres , et cela de façon d ' autant plus efficace qu'ils
seraient plus proches du niveau périphérique ou sensoriel. C'est
ainsi que l'excitant convenable peut provoquer toute les formes de`
plaisir, alors que cette production du sentiment voulu est dei a plus
difficile dans le cas du sentiment vital qui est lié à un rand nombre
de conditions dont certaines, comme les dispositions individuelles
ou ethniques, sont précisément soustraites au vouloir9 plus encore
dans celui des sentiments de l'âme qui , intérieurs au moi, ne peuvent

(I) F, 344.
8zz L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

être modifiés par lui, cette dernière impossib ilité étant insurmontable
dans le cas du désespoir ou de la béatitude . Que l'imp ossibilité
d'agir sur le sentiment résulte de son appartenance intérieure au moi
et de sa profondeur, que, bien plus, elle soit proportionnelle à celle-ci
cela veut dire, de toute évidence, elle résulte de son immanence, de
l'immanence de l'affectivité et lui est identique . Scheler, toutefois, ne
découvre ce caractère du sentiment, --- encore ne le fait -il que d'une
façon purement psychologique comme un caractère du sentiment
,
précisément, non comme son essence -- qu'à propos des sentiments
spirituels, « les plus profonds », et cela parce que, comme la problé-
matique l'a montré, ce sont les seuls qu'il considère dans leur réalité,
tandis qu'il confond toujours plus ou moins les autres avec leur être-
constitué. Quant à l'action qu'il envisage sur ces derniers, sur les
sentiments sensoriels, vitaux et même « de l'âme », il est remarquable
qu'il la présente comme indirecte, comme s'accomplissant par la
médiation d'une cause ou d'un excitant , c'est-à-dire en réalité par
la médiation d'un objet susceptible de nous affecter.
Une action indirecte de cette sorte sur le sentiment, par la médiation
d'un objet, par la médiation de l'affection, n'est-elle pas possible , il est vrai,
et cela en ce qui concerne non pas certains sentiments sensoriels ou vitaux
par exemple , mais tous les sentiments en général ? Ne s'accomplit-elle
pas en fait lorsqu' un comportement individuel ou collectif ménage
une situation telle que l'existence qui se trouve placée en elle éprouve
inévitablement, très probablement en tout cas, des tonalités déter-
minées, positives ou négatives , agréables ou désagréables ? Certaines
dispositions affectives , du moins, ne sont- elles pas dépendantes
à l'égard des conditions où précisément elles se produisent ? La
possibilité d'une action indirecte sur le sentiment par la médiation
de l'objet n'est rien d' autre cependant que la possib ilité d'une déter-
mination de l'affectivité par l'affection elle-même, détermination
dont la problématique a montré que son sens devait j ustement être
inversé, qu' elle devait être comprise comme une détermination de
L'AFFECTI VITÉ
8.23

l'affection par l'affectivité. Linde'


pendance absolue du sentiment a,
l,egard
de l'action recouvre son rodé en
p dance absolue a l'egard de l'affection
corrobore et lui esi identique.
L'indépendance absolue du sentiment a l e ard de l'action
de l'affection apporte inévitablement la problématique devant la
question de son origine, devant la question de l' origine et du fonde-
ment qui doivent être reconnus et assignés aux ..diverses tonalités
de l ' existence en tant qu'elles ne sont •
explicables ni par le cour p or-
tement dans lequel celle-ci s ' exprime ni par l'affection qu'elle ne
cesse de_ subis.
Si l'origine du sentiment et de ses diverses moda
ne se
ouve ni dans tr
l'action ni dans l'affection lités
dont 11 est au contraire
le fondement , ne convient-il as del
p a chercher , des lors , en lut-merise
et dans son essence ? La problématique doit mettre en évidence
l' enracinement des tonalités affectives fondamentales dans l
même de l ' affectivité,. leur ^ être-poss ible 'essence
et leur devenir a partir de
la structure interne de celle-ci.

§ 70. L'ESSENCE DE " L'AFFECTIVITÉ


ET LES TONALITÉS AFFECTIVES FONDAMENTALES .
AFFECTIVITÉ ET ABSOLU

La structure interne de l'immanence, c ' est-à-dire aussi bien de


l'affectivité elle-même, a été comprise comme l '
essence de la ion-
liberté. En celle-ci réside l'origine ultime - •
et le fondement de ce qui
vient d'être reconnu par la pro .
blematique comme un caractère e'idé-
tique du sentiment , a savoir 1 im ossib ' 't'
p e de principe d 'agir sur
lui. Une telle. impossb
ne' 'tient
te en effet
pas seulement ni d 'abord
au fait que l'affectivité constitue l'essence du vouloir, de telle maniéré
. que, immanente à ,celui .- ci et identique à ^
son erre, elle précédé néces-
sairement son action et la détermine
• • , , , pouvoir , l oin de en '
résulter.
Que l affectivlte détermine l 'action et la
précédé comme son essence,
comme la source d'où elle découle nécessairement, cela veut dire
824 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'impuissance du vouloir et de l 'action à l'égard du sentiment doit


être cherchée, non dans le vouloir ni dans l'action elle -même, mais
précisément dans ce qui les détermine et leur sert de fondement, et
constitue leur essence à savoir dans le sentiment lui-même. L'impos-
sib' 'té d'agir sur le sentiment concerne celui-ci ou plutôt son essence
et lui est imputable. L'impossibilité d'agir sur le sentiment trouve son
origine et réside dans l'impuissance originelle du sentiment â l'égard de soi,
dans l'affectivité elle-même comprise comme l'essence de la non -liberté.
. L'impuissance originelle du sentiment à l'égard de soi, la déter
mination ontologique fondamentale de l'affectivité , c'est-à-dire de
l'être lui-même comme trouvant sa structure dans l'essence de la
non-liberté, c'est là ce qu'expriment les doctrines, auxquelles il a
été fait allusion, de la p rédestination et de la grâce, ce qui leur confère,
au-delà de leur contenu dogmatique immédiat, une signification
métaphysique ultime. L'incapacité où se trouve l'homme d 'assurer
lui-même son salut ne se réfère pas en dernier lieu au rapport qui
s'institue entre son action et son être, au fait que la première se
révèle finalement inca p able de modifier le second, lequel lui est au
contraire intérieur et la détermine . Car ce n'est pas de ce rapport
de l'action de l'homme à son être qu'il est question en réalité, mais
de celui-ci et de sa structure interne, de la structure interne de l'être
lui-même en tant que tel. C'est cette structure, la relation originelle
de l'être à soi, relation qui le constitue , qui se découvre à nous et
se laisse reconnaître à travers les p rop ositions théologiques dont la
visée demeure, par-delà leur conséquence pratique ou proprement
religieuse, la nature de l'absolu à la lumiére duquel elles s'éclairent
et prennent un sens. C'est pourquoi il convient de reconnaître que
la critique 'des bonnes ouvres et des mérites ne concerne ni l'action
ni la relation qu'elle entretient avec son prop re fondement, à savoir.
l'affectivité et les tonalités fondamentales qui la déterminent, elle
concerne celui-ci . L'impuissance qu'elle met à jour est celle du fonde-
ment lui-même, son impuissance , à l'égard de soi comme livré à soi
L'AFFE Crlvlrf 825

dans la passivité ontologique originaire du souffrir. L a théologie


de la grâce n'exprimepas la détermination
dans de l'activitéson
ensemble à partir d'un élément affectif fondamental de l'existence
ni la position pure et simple de celui-ci dans son indépendance
radicale à l'égard du vouloir et de l'action mais la structure même de
cet élément, la structure de l'affectivité et de l'être lui-même comme
ne pouvant se poser soi-même, comme originellement passif a
l'égard de soi.
La détermination ontologique fonda mentale de l ' être comme
originellement passif à l'égard de soi la détermination de l'affectivité
comme constituant l'essence de cette p assivité et son contenu phé-
nomenologique effectif, ne laissentp as indéterminé
de le conce p t
celui-ci, ne laissent pas la problémati que en présence d'un quelque.
chose d'affectif, compris par elle comme le fondement ultime de
toute chose et dont elle ne pourrait direplus avant
q ceQueu'il est.
l'affectivité constitue le fondement ultime de toute chose au
sens
toutefois d'un fondement phénoménologique, qu'elle soit l 'essence
de la passivité ontologique originaire et précisément son contenu
effectif, implique sa détermination car ce qui se propose effecti-
vement sous la forme de l'affectivité, dans cette forme et ar elle
p ,
ce qui se propose comme affectif, se propose nécessairement comme
une tonalité, comme cette tonalité -ci ou cette tonalité -là. A l'essence
de l'af fectivâte il appartient qu'elle se sous forme
phenomenalise la < d '^n
sentiment particulier. Le sentiment p recisement est toujours un senti-
ment particulier , et cela non as en raison d ' une détermination
extrinsèque, d'une détermination de l'existence affective à
partir
de l 'affection ou de l 'action, mais en raison de son essence comme
une conséquence
.. de l'affectivité elle-même et de ce qu'elle est. Car
l'affectivité est l'auto-affection , elle est le s'éprouver sol-même 'inté-
rieurement et ce qui s'éprouve soi-même intérieurement s'e rouve '
p neces-
sairement tel qu'il est, comme un contenu deter rne' par conséquent
, L'affec-
tivité est l'essence de l'expérience , son surgissement ori eginl, sa
M. IZENRY
27
8z6 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

substance et son effectivité, et l'expérience, pour autant qu'elle est


effective, pour autant qu'elle a une substance et un contenu, est tou-
jours une expérience. C'est parce que son essence réside dans l'affec-
tivité, toutefois, que l'expérience revêt nécessairement une forme
déterminée, c'est parce qu'elle consiste dans le s'éprouver soi-même
intérieurement de l'être, dans le fait de s'éprouver soi-même inté-
rieurement, qu'elle se propose comme une expérience particulière,.
comme une expérience concrète. Le s'éprouver soi-même intérieu-
rement se proposant nécessairement comme une expérience parti-
culière et concrète, c'est la le sentiment,. et ce qui fait de lui chaque
fois un sentiment déterminé.
La détermination du sentiment, sa particularité, parce qu'elle
s'enracine dans son essence, dans une structure ontologique, n'a rien
à voir avec celle d'un simple fait, avec la particularité ou la déter-
mination qui appartient en général aux faits empiriques et de la
même manière aux faits psychiques traités comme tels. La particula-
rité d'un fait se constate comme lui, comme lui elle est inexplicable,
irrationnelle et contingente, c'est une détermination a posteriori. La
particularité du sentiment, au contraire, s'enracine dans la structure
originelle de toute expérience possible en général, comme expérience
effective, elle est l'effectivité elle-même comme identique à l'affectivité
et, par suite, comme tonalité déterminée. Pour cette raison encore la
particularité du sentiment, la particularité de l'être lui-même et de
l'existence ne doit pas être prise au sens où l'entend Berkeley lorsqu'il
affirme que « tout ce qui existe est. particulier » (i). Le caractère parti-
culier au sens berkeleyen de tout ce qui existe trouve assurément
son origine, et cela en dépit des présuppositions explicites de l'empi-
risme, dans une essence, dans l'essence de l'expérience sensible qui
prescrit à celle-ci de s'accomplir sous la forme de contenus sensoriels

(z) a Every thing which exists is particular. n Three Dialogues between Hylas
and Philonous, Berkeley's complete works, Fraser, Oxford, I, 403.
L'AFFECTIVITÉ
827

soumis aux, structures régnantes de l'espace et du temps . Mais la


particularité de ces contenus se fonde dans la particularité de l'expé-
rience pure et concrète où l'expérience sensible trouve sa propre
possibilité. La particularité de l'expérience pure est ^ j ustement celle
,
u sentiment, de ce qui, s ' affectant et s'éprouvant soi-même dans sa
passivité ontologique originelle à l 'égard de soi s'affecte et s 'éprouve
dans la détermination de çe qu'il est.
L'affirmation du caractère déterminé depl'ex erience ' ne
affective
demeure-t- elle pas abstraite toutefois ? Car c' est seulement le concept
d'une détermination qui est visé aussi long temp s
que celle-ci n' est
pas exhibée dans son contenu effectif, et le simp le concep t d'une
détermination est en soi aussi vide que celui de l'être
indétermi ne
ou de l' existence. Ou bien la détermination ontologique de l'essence
- e
de l 'affectivité ne pose -t-elle as, outre le caractère nécessairement
p parti
culier . des modes selon lesquels celle-ci se hénoménalise cha ue ois
.^ q f , le contenu
de ces modes, le contenu effectif et la nature des tonalités déterminées dans
lesquelles l'essence se réalise et qui constituent à cetaire
' les modes originels
et fondamentaux de l'être ? L'essence de l'affectivité réside dans le
souffrir et se trouve constituée par lui. Dans le souffrir le sentiment
s'éprouve lui-même dans sap assivite
gabsolue
soi, à l'e ard de
dans
son impuissance à se changer lui-même, il s'éprouve et fait l'exp - --
rience de soi comme irrémédiablement livré à soi pour être ce qu'il
est, comme charge a j amais du poids de son être prop re. Être livré
a soi, être charge a jamais du poids de son être propre, la lourdeur de
la tonalate incluse dans sa situation originelle et la constituant c'est donc la
ce qu'éprouve le sentiment quand il s'ep rouge lui -même,il est ce qu ' al
quand
est. La structure ontologique universelle de l'affectivité est son contenu déter-
miné, le sentiment particulier dans le quel elle se phenomenal:se chaque
fois,
Dans le souffrir comme se souffrir soi-même réside et se découvre comme son
mode originel et .Î
ondamen.eal,
essenceconsubstantielle à son et posée elle par i
la souffrance del'être. L'être , l,af fectavate, par essence, est souffrante
La souffrance n'est pas un simple fait, une tonalité particulière
8z8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

au sens de la psychologie, une détermination parmi d'autres, ayant


pour elle l'évidence de sa présence et à ce titre insurmontable mais
passagère et contingente comme elles, comme n'importe quel fait.
Encore moins tiendrait-elle à la nature de celui-ci et à sa condition,
au fait lui-même considéré en tant que tel, au fait de l'existence par
exemple. Car l'exister. ce ne se découvre telle, un simple fait,. tout fait
en général n'est ce qu'il est, insurmontable, contingent et, d'une
manière ou de l'autre, passager, que dans le regard de l'ekstase, de
telle façon toutefois que la souffrance de cette découverte ne réside
jamais dans ce qu'elle découvre mais en elle et dans sa structure la
plus intérieure, dans la structure interne de l'être. La possilnl:te de la
souffrance
france précisément doit être saisie dans l'être nomme possibilité de l'être
lui-même, comme identique à l'essence de l'affectivité et prescrite par elle.
Que l'existence se decouvre originellement souffrante ne tient pas
au fait qu'elle est là, injustifiable et non fondée, mais à la nature de
son fondement, le pathétique^de l'absolu ne réside pas dans sa contin-
gence mais dans son essence.
Parce que le pathétique de l'absolu réside dans son essence, et la
souffrance dans l'être, comme sa possibilité la plus intérieure, comme
ce qui se phénoménalise originellement dans le « se souffrir soi-même»
qui le constitue, ce qui se phénoménalise ainsi ne dépend de rien
d'autre que de l'être, de l'absolu et de sa structure universelle. Loin
de pouvoir résulter de notre action, d'une action quelconque, ou
encore de d'action de la pensée (x), la souffrance forme le tissu de
l'existence , elle est le lieu ou la vie devient vivante, la réalité et
l'effectivité phénoménologique de ce devenir. La souffrance, à vrai
dire, n'est pas seulement indépendante à l'égard de l'action, qu'elle
n'en résulte pas, bien plus, qu'elle ne puisse en résulter, c'est là juste-.
ce qui la rend possible. C'est parce que, sans distance et sans

(i) « Ce serait en tout premier lieu la pensée qui donnerait la douleur aux.
mortels ^, disait HEIDEGGER dans son commentaire de Hülderlin , cf. Essais et
Conférences, op. cit., i 6z.
L'AFFECTIVITÉ 8 29

pouvoir à l'égard de soi, elle n ' est jamais le « ce sur quoi » de ce


pouvoir, le « ce sur quoi » d'une action, que, dans sa passivité origi-
pelle a l ' égard de sol et dans l'impuissance de cette passivité elle
se détermine comme ce qu'elle est, comme la souffrance du souffrir
et comme son pathos . Pour cette raison aussi, parce qu'elle se déter-
,
mine et réside dans la passivité originelle du souffrir et dans son
impuissance , dans l'auto-affection de l'être la souffrance ne résulte
pas non plus et ne saurait résulter de l'affection de celui-ci par d'être
étranger, de l 'affection . La non-motivation de l'affectivité, le ait ûe le
f q
sentiment ne résulte paf de ce qui nous affecte, loin de laisser indéterminé le
contenu de celui-ci, loin de laisser l'affectivité dans l ' abstraction et le vide
de son concept, est ce qui les détermine et pose l ' essence dans l'effectivité,
la réalité et la particularité d'une tonalité , dans la souffrance de son souffrir.
Pour rendre compte de la souffrance , de ses modalités et de son
devenir en nous, la s chologie assurément ne manque as d'expli-
cations, p Y
lesquelles se réfèrent inévitablement p
à l'être extérieur , à
la relation, plutôt, qu'il entretient avec la structure psychop h ysique
de l ' homme, avec ses déterminations intérieures , naturelles ou
psychiques . West p arce qu'il a le p ouvoir d'être en accord avec celles-
ci ou au contraire de s'y o pp oser, le p ouvoir ar suite de rep résenter
p
leur satisfaction ou leur échec en des s ymboles multi les liés
p
entre eux selon des lois, donnant lieu à des processus de transfert,
substitution, sublimation etc.,
, q ue le réel détermine en nous la
modalisation de notre vie affective et, parce qu'il la heurte le plus
souvent dans ses aspirations secrètes ou avouées , ou tout simplement .
les ignore, provoque le jeu divers de nos « contrariétés de nos
»,
peines et de nos chagrins , notre souffrance. Pourquoi cependant ce
qui dans l'affection par l'être extérieur se trouve contrarié ou blessé
par lui prend-il la forme de quel que chose d'affectif, plus précisément,
devons-nous demander maintenant, la forme de ce sentiment déterminé que
nous appelons peine ou souffrance ? Toute « explication » de celle-ci la
présuppose, présuppose son surgissement originel dans l'essence
8 30 L'ESSENCE DB LA MANIFESTATION

de l'affection, dans l'essence de l'affectivité elle-même, à titre de


possibilité pure permise et prescrite par elle.
La détermination de l'affectivité comme souffrance, comme cette
tonalité particulière où l'essence de l'affectivité trouve l'effectivité
phénoménologique de son être-concret, peut-elle prétendre à une
signification ontologique radicale et pure, à l'universalité, si d'autres
tonalités se proposent à nous dont le contenu, de lui-même, s'oppose
manifestement à celui de la souffrance, si des Stimmungen comme le
plaisir, le bien-"être, la joie, la béatitude sont possibles et réelles ? Les
déterminations qu'on pourrait appeler, et qu'on appelle parfois
« négatives », de la vie affective, à savoir les diverses modalités de la
souffrance, ne doivent-;dles pas être comprises, non comme des
déterminations ontologiques précisément, mais comme de simples
déterminations existentielles, dont l'origine assurément demeure mal
expl quee, mais dont la différenciation et l'existence au sein du flux
des Stimmungen constituent un fait analogue à celui de ces autres
Stimmungen, analogue au fait et à l'existence des couleurs par exemple?
Prétendre assigner à certaines de ces tonalités une signification onto-
logique et, à ce titre, universelle et fondamentale, n'est-ce point les
privilégier arbitrairement au mépris du donné, au gré d'une préfé
rence subjective, et pour satisfaire au goût moderne d'un certain
pathétique, au pessimisme d'une époque troublée, n'est-ce point
substituer à l'ontologie précisément des considérations d'ordre
axiologique, étrangères en tout cas à son dessein ?
Ce qui se réalise dans l'impuissance du souffrir, dans la souffrance
par consequent, la problematique, toutefois, l'a montré. L'impuis-
sance du souffrir, la souffrance, est l'être-donné-à-lui-même du senti-
ment, son être-rivé-à-soi dans l'adhérence parfaite de l'identité et,
dans cette adhérence parfaite à soi, l'obtention de soi, le devenir et
le surgissement du sentiment en lui-même dans la jouissance de ce
qu'il est, est la jouissance, est la joie. Ici se découvre, dans son contenu
phénoménologique concret, comme une tonalité affective fonda-
L'AFFECTIVITÉ 831

mentale, comme un mode fondamental et originel de l'être, inscrit


dans sa structure et voulu par elle, i dentique à son effectivité, ce qui
a été reconnu comme la puissance du sentiment . La puissance du
sentiment n'est pas une abstraction, l'idée d 'une puissance ou d'un
pouvoir, c'est une expérience, 'expérience de soi de l'être dans la
jouissance de soi. La puissance du sentiment , la problémati que l'a
montré, est le rassemblement édificateur , l'être saisi par soi, son
embrasement, sa fulguration , est le devenir de l'être , le surgissement
triomphant de la révélation . Ce qui advient, dans le triomp he de
ce surgissement, dans la fulguration de la présence , dans la Parousie
et, enfin, quand il y a quelque chose plutôt que rien , c'est la joie.
La joie n'est pas une conséquence de la Parousie, elle ne vient pas
après elle, après la venue de ce qui vient , comme un émerveillement
devant elle, à la manière du Oau & .v t p latonicien . Pour cette raison
elle n'a rien à voir avec une attitude , avec un enthousiasme quel-
conque, voire avec l ' excitation du philosophe lui-même. Car une
attitude est toujours une attitude « devant », l'enthousiasme, un
enthousiasme « pour », l'excitation , une excitation « au sujet de» -- au
sujet de, pour, devant l'aeuvre de l'être dont l'accom plissement provo
querait notre admiration et notre joie. Ainsi en est-il dans le savoir
absolu de la philosophie, dans le savoir philosophique . Mais la joie
n'a rien au sujet de quoi elle puisse être joyeuse . Loin de venir après
la venue de l'être et de s'émerveiller devant lui, elle lui est consubstantielle,
le fonde et le constitue . La joie est une structure ontologique elle est
le mode selon lequel l'être s'historialise , son devenir et son surgissement en
lui-même dans le rassemblement édificateur de la Parousie , elle est la Parousie
elle-même, sa phénoménalité originelle et son effectivité.
Comme la puissance du sentiment réside dans son impuissance
et lui est identique, ce que nous subsumons sous le conce pt de cette
puissance, son contenu phénoménologique effectif et concret, la
joie du rassemblemen t, la jouissance de soi de l'être, réside et se
réalise dans sa passivité originelle à l'égard de soi, dans la souffrance
. 8 3 z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de son souffrir et lui est identi que Souffrance '


ce etjo:e ensemble et andzs-
tinctement composent et désignent ce qui se phénoménalise originellement
dans l'être et le constitue , l'ef fectivité de la Parousie. ue si nifie ce endant
. Q g p
« indistinctement » ? La souffrance et la 'oie ne sont-elles as en
raison de ce qui constitue chaque fois leur contenu manifeste et
déterminé en raison de ce qu'elles sont des tonalités différentes et,
,
par la même , distinctes ? Entre celles- ci, ce qui constitue le devenir
effectif de l ' être et son historiai, la réalité hénoménolo i
p g que de l'absolu
ne se trouve -t-il pas scindé inexplicablement ? Ou bien la uelle de ces
q
deux tonalités faut- il considérer comme la manifestation authentique
de l' absolu, comme la Parousie ? Quel choix arbitraire déci
dera
si Dieu est triste ou joyeux ?
Ou bien encore ne convient-il p as ici, si l'absolu doit être com ris ,
p
de dépasser nos habitudes de p enser ? Aussi longtemp s que la souf-
france et la joie sont saisies comme des faits comme des réalités
discrètes et séparées , leur conjonction au sein de l'absolu, leur unité
en lui est impensable . Pareille unité ourtant u' elle soit com ruse.
p q p
ou non par la pensée, existe , son affirmation n'est ni un aradoxe ni
p
une postulation de la problématique. L'unité de la souffrance et de la
joie est l 'unité de l'être lui-même, l'unité de l'événement ontologique un et
f ondamental dans lequel ce qui, se sentant soi-même et s'ep rouvant
dans sa
passivité absolue à l 'égard de soi, et devenant comme tel, dans ce sou
ffrir,
l'être, se sent et s'éprouve nécessairement dans la sou rance et dans l.
ff a Bouts-
lance de ce souffrir. Souffrance et 'oie ne sont as deux tonalité
l p s préexis-
tantes et séparées , se suffi sant à elles- mêmes et q u'on chercherait
ensuite et vainement a réduire à l'unité, comme , dans certaines
philosophies , le multiple à l'uns Elles naissent conjointement d
'un
même événement qu'elles rendent possible et constituent , elles en
sont l'effectivité , la manifestation . C'est un seul et même contenu phéno-
ménologique, une feule tonalité qui est pensée comme souffrance et comme
joie,
celles-ci, l'une et l'autre également, en composent la trame la substance, la
phénoménalité enfin, comme phénoménalité effective et concrète, elles sont
L'AFFECTIVITÉ
833

une seule apparence , l'unique apparence de l'absolu et son être-r'eel, la


Parousie.
Comment la souffrance et la 'oie^ peuvent-elles constituer un
seul contenu phénoménologique, une seule tonalité, 1 unique appa-.
rence de l'absolu ? A la condition d'être elles-mêmes unes, a la
condition d'être identiques . L'unité de la souffrance et de la joie
n'est pas une unité abstraite , le simp le conce t de l'unité ue la
p q
philosophie promène sur les choses et qui leur demeure à toutes
étrangère, n'est pas une unité extérieure au contenu effectif de l'entité
,
à sa singularité concrète . L'unité de la souffrance et de la joie réside en
elles, dans leur contenu, et elle est constituéeparlui. souLa ffrance
sou rance '
est joie
parce que en elle, dans son contenu et dans ce qu'elle est , se réalise l'être-donné-
à-soi, la jouissance de l'être, parce que son effectivitép hénoménolo
gigue' est
cette jouissance . La joie est souffrance parce ue l'être-donné-
q à-soi de l'être,
sajouissance réside et se réalise dans le s'éprouver soi-même de son sou rir
parce que le contenu phénoménologique effectif de la joie est la souffrance de
ce souffrir. Incompréhensible à la pensée qui considère la souffrance et
la joie comme des états , incompréhensible, à vrai dire comme eux et pour
autant qu 'ils le demeurent eux-mêmes, leur unité s'éclaire et devient trans-
parente dans l'oeuvre de l'être elle s'accomplit en lui comme son
accomplissement même . Unes à vrai dire la sou ffrance et la j oie ne le
sont point de par elles - mêmes, mais de par la volonté de l'absolu et en
raison de ce qu'il est . Consubstantielles à l'absolu unes en lui,
comme lui, elles puisent en lui leur réalité , l'effectivité de sa révéla-
tion, le contenu de la Parousie est leur contenu son unité '
phénomé-
nologique, leur unité. Ce qu'est celle-ci l'unité p heno menologique
de la souffrance et de la joie, la problématique
p l'a reconnu. Pensant
l' essence du sentiment , sa puissance et son impu issance, leur unité
et
. leur identité, non comme des concepts, mais dans leur effectua-
tion concrète, celle- ci s'est découverte à elle comme ce qu'elle est en
effet, comme une tonalité , s'est découverte comme la douceur
A de
l'être et de la vie. La douceur est ce qui se sent s ' éprouve soi-même
834 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et, donné à soi, repose en soi dans le sentiment de soi . La douceur


est le sentiment . La douceur de l'être et de la vie n'est pas un çarac-
tére, une détermination qu'ils présentent parfois, elle est leur essence,
leur s'éprouver soi-même dans la souffrance et dans la jouissance
du souffrir.
Parce que la douceur de l'être est la souffrance et la jouissance
de son souffrir , celles-ci, la souffrance et la joie, sont inscrites en lui,
dans sa structure, comme des possibilités pures , absolument origi-
naires et fondamentales . Parce qu'elles sont inscrites dans la struc.
tune de l'être comme des possibilités pures , originaires et fondamen-
tales, comme la propre possibilité de l'être lui-même, la souffrance
et la joie constituent à proprement parler des tonalités ontologiques
et doivent être comprises comme telles . C'est à partir de ces tonalités
ontologiques que sont possibles en général toutes les tonalités que revêt l'exis-
tence et par lesquelle s elle passe au cours de son histoire, toutes les détermi-
nations dans lesquelles sa vie se modalise indéfiniment. Les diverses tona-
lités de l'existence précisément, les tonalités existentielles , ne sont
pas de simples faits inexplicables et contingents elles sont possibles,
,
elles ont une structure, une essence, elles s'enracinent dans la structure
de l'être et dans les modes phénoménologiques fondamentaux aux-
quels cette structure donne lieu et par lesquels elle se réalise, dans
la souffrance et dans la joie . Toutes les tonalités possibles toutes les
,
déterminations affectives en général sont des déterminations des tonalités
ontologiques fondamentales , des modes de la souffrance et de la joie.
La dichotomie de l'affectivité, le fait que tous nos sentiments,
quels qu'il soient , se distribuent d'eux -mêmes, en un partage pour
ainsi dire spontané, selon deux classes distinctes , selon les caté-
gories, « positive » dû plaisir , de la joie, du bonheur et « négative »
de la douleur de la souffrance, du désespoir, n'est pas non plus
,
quelque chose de contingent , un simple fait aussi inexplicable que
le contenu propre de chaque tonalité . En vain prétendrait-on réduire
cette contingence en recourant pour chacune de ces catégories à une
L'AFFECTIVITÉ
835

explication différente, comme si les tonalités négatives par exemple


étalent de l'ordre de la sensation ou s'expliquaient du moins à partir
d'elle, de la structure p sycho hy ^sip.ue de la sensibihté q tandis que. les
tonalités positives ne pourraient se comprendre que dans le prolon-
gement de la tendance à l'effectuation de laquelle elles seraient liées
dans le prolongement de la vie active par conséquent, sur le fond
de sa substructure et de son développement organique. De telles
explications ne demeurent pas seulement transcendantes à l'ordre
des phénomènes qu'elles prétendent réduire elles
sont encore. illu_
soires en ceci que jamais la référence à la sensibilité ou à l'activité prises
d'ailleurs comme des facultés mal définies inexplicitées dans leur
possibilité et dans leur fondement, ne rendra compte de la tonalité
spécifique des déterminations « positives » ou « négatives » : loin de
pouvoir fonder la dichotomie de l'affectivité, lagenèse la présup ose simplement.
La dichotomie de l'affectivité a une signification phénoméno-
logique, elle s'enracine dans la structure meme de la phenomenalite, dans
la siructure de l'être, et lui est consubstantielle. Les tonalités positives
et negatives quis enracinent dans la structure même de la phenomée
nalité et de l'être, qui sont leurs modes originels de réalisation cons
situent le seul fondement assignable â la dichotomie que laisse
paraître en elle la vie affective, son fondement ontologique précisé-
ment. Qu'un tel fondement ne puisse lui-même être considéré comme
un terme mystérieux posé pour les besoins de l'analyse, on le voit
a la manière dont il accomplit son oeuvre de fondation et se comporte
justement comme un fondement phénoménologique, on le voit
a ceci que les multiples tonalités qui composent l'histoire de l'exis-
tence et dans lesquelles celle-ci ne cesse de se transformer, les zona-
lités existentielles, ne sont que les modalisations et le s modes des
tonalités ontologiques fondamentales positives ou négatives inscrites
dans l'essence à titre de possibilités pures et leur actualisation, à
ceci que leur phénoménahte, la phenoménalité de ces modahsations
et de ces modes n'est que la modalisation et le mode de la ph'enome
836 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

nalté elle-même et de son essence originelle, la manière infiniment


diverse dont l'être se réalise et son historial.
Qu'en est -il toutefois de cès tonalités existentielles en tant qu'elles
composent l'histoire d'une existence et se succèdent en elle indéfi-
niment ? Si leur possibilité , comme p ossibilité pure, la p ossibilité
que survienne et s'historialise quelque chose comme la souffrance
ou la joie, ou leurs divers modes réside dans la structure même de
,
l'être et lui est consubstantielle , réside' dans l'essençe , le surgissement
effectif de chacune de ces tonalités son actualisation dans une his-
,
toire et cette histoire elle - même, à savoir le fait de la succession des
tonalités, de leur passage les unes dans les autres selon un ordre
donné et apparemment contin g ent, selon un ordre indéfiniment
variable, tout cela ne trouve - t-il p as au contraire son p rinci e hors
p
d'elle, hors de l'essence de l'affectivité et de l'être, dans l'être exté-
rieur par conséquent et dans ce qui nous affecte ? Ici re rend ses.
p
droits, semble- t-il, l'interprétation de la conscience naturelle qui
trouve la raison des sentiments qu'elle é p rouve dans le monde qui
l' entoure et qu'elle saisit comme déterminant ici sa joie et là sa clou
leur. West donc l'histoire de ce par quoi elle est sans cesse affectée,
l'histoire du monde , de son « monde » en tout cas et de ce qui se
produit en lui, qui commande sa ;propre histoire , l'histoire de ses
sentiments et c'est ainsi qu'elle la' vit.
L'histoire, cependant, le passage des tonalités les unes dans les autres
doit être elle-même possible . Une telle possibilité ne réside en aucune,
façon dans la succession des événements extérieurs comme si,
l'un d'eux suscitant notre peine , le suivant notre j oie, celle-ci et
celle-là se succédaient comme ce qui les motive hors de nous. La
joie et la peine précisément ne sont pas possibles comme des faits
isolés que pourrait, non poser dans l'être assurément, mais produire
à la manière d'une cause occasionnelle si l'on veut un déterminant
approprié, d'événement précisément qui les motive . Qu'il Y ait
quelque çhose comme une histoire de nos tonalités elles- mêmes, que la
L'AFFECTI vITLE
837

j oie succède à la peine , cela veut ' dire, elle se produit


à partir d'elle,
à partir de la peine et de ce qu'elle est. C'est dans la peine et dans son
essence, dans l'essence de l'affectivité
ectivité,, c'est- à-dire de l'être lui-même que
réside et se tient la possibilité du passage q ui conduit de zote,
peine la à la
la possibilité pour celles-ci, pour toutes nos tonalités en général, d' « avoir
une « histoire ». La possibilité pour nos tonalités d'avoir une histoire,
la possibilité du passage qui conduit de l'une à l'autre est identi
... , , que
ment la possibilite de chacune de ces tonalités, est son être -possible
a partir de l'absolu et en lui. La joie est possible à partir de la peine
parce que ce à partir de quoi la peine est possible peut devenir oie
parce
que l ' absolu qui s historialise dans la peine et devient en. elle
ce
qu' elle est, peut s'historialiser dans la ' oie. L ' histoire de nos tonalités
l
est l 'historiai de l 'absolu . L'absolu est lui-même le passage, lui-même
l'histoire, ce qui, pouvant se tonaliser comme peine et comme joie,
constituant leur commune possibilité, constitue comme tel aussi la
possibilité de leur commune transformation de leur naissance l'une
à partir de l'autre et de leur incessant devenir.
Que l'histoire de nos tonalités ait elle-même sa '
propre popssibilité,
identique à la possibilité de chacune de ces tonalités identique à
l'absolu, que cette histoire donc soit celle de l'absolu voulue
et
prescrite par lui, le devenir et l ' explicitation de ce qu'il est et son
.
historiai, tout cela échappe à l'existence qui se vit, elle et ce
^ qui..
lui advient en fait de peines et de 'oies, comme une succession ha sary
deuse de sentiments opaques, comme un défilé chaoti q ue dont elle
demeure le témoin étonne ( i). C'est la vie deplupart
pourquoi la
des hommes, le passage en eux des sentiments les uns dans les autres
n'est le plus souvent qu'un éternel passage incompris, l'éternel
retour du semblable et du pareil , et l'ennui de ce qui est connu à
jamais. Ce que sont ces sentiments , c'est là ce qui leur échappe la révé
lation intérieure de l'absolu en ses modes concrets n'estr lus pou

(i) R Vieux bonheurs, vieux ma heurs, comme une file d'oies A,


dit Verlaine.
838 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

eux, comme la révélation extérieure dont parle Kierkegaard, qu'une


enveloppe qu'ils se transmettent sans en connaître le contenu
et la philosophie n'a fait q ue s y stématiser cette com p réhension exis
tentielle spontanée de soi^même et la porter dans le concept quand,
depuis Aristote elle oppose à l'essence l'accident, la contin gence de
,
ce qui est historique et l ' irrationalité du devenir, quand, bien plus,
elle interprète ce royaume de la contingence , dans son opposition
au monde des possibilités pures et de leurs structures eidéti ques,
comme celui de l 'effectivité.
Ici doit être entendu , au contraire ce que signifie pour l'histoire-,
pour l'histoire de l'existence et de ses tonalités, être située dans
l'essence et lui appartenir, être située dans la possibilité de l'absolu
Pas plus que les tonalités fondamentales . inscrites dans la structure
de l'être à titre de possibilités
. pores et lui appartenant ne constituent
pour autant de simples possibilités, pas davantage l'histoire qui
s'institue a partir d ' elles et trouve sa propre possibilité dans l'être
lui-même, ne se propose elle - rnême comme la simple possibilité
d' une histoire qui devrait chercher ailleurs la condition de son effec-
tivité et son contenu . Dès qu'un homme vit, il éprouve des senti -
ments, et cela non pas en raison des circonstances dans lesquelles il
serait placé (i), de sa structure PsychophYsique caractérielle ou heré-
ditaire, de tout ce qui constitue en apparence la particularité de sa
vie, mais sur le fond de l'essence de la vie en lui, de cette essence qui
fait justement que sa vie est singulière en même temps qu'effective
et qu'elle se réalise en des tonalités déterminées . Comme celles-ci
toutefois , et pour la même raison, ^ passagele ui conduit de
q l'une a
l'autre, l'histoire dans laquelle elles sont prises est elle-même déter -
minée. Dans l'être, dans la souffrance du souffrir et dans sa jouis-
sance, sont les possibilités sommeillantes de tous nos sentiments,

. (r) Ainsi s'écroule notamment la théorie freudienne de l'affectivité qui cherde


dans l'angoisse, plus exactement dans les conditions où elle se produit et dans le
traumatisme de la naissance , l'origine de notre vie affective et de ses développements.
L'AFFECTIVITÉ 839

sommeillantes et pourtant effectives . Effectif aussi est ce qui som-


meille en elles , le passage consubstantiel à leur essence, voulu par
chacune d'elles, de l'une dans l'autre. L'essence de la vie, comme
l'avait reconnu Nietzsche , sur le mode assertorique il est vrai,
comme un caractère ontique de la vie par conséquent, non comme une
propriété ontologique , identique à son essence , est une puissance
originelle d'oscillation entre la souffrance et la joie, puissance anté-
rieure à celles -ci comme leur source précisément, comme ce d'où
elles découlent nécessairement et qui se réalise en elles.
Considérons la souffrance , considérons-la comme une simple
tonalité, comme une détermination de l'existence parmi d'autres.
Elle n'est pas seulement cela, pas seulement cette tonalité déterminée
et qui se propose comme ce qu 'elle est, comme la souffrance . En elle
réside et s'accomplit l'oeuvre intérieure qui la fait être, son être-donné-
à-soi dans le s'éprouver soi-même qui la constitue . L'essence de
l'affectivité , l'essence originaire de la révélation et de l'être, c'est là
ce qui est présent en elle et la détermine . L'essence présente dans la
souffrance et qui la détermine n'est pas présente en elle, toutefois,
comme une structure inaperçue et que l'analyse découvrirait ulté,
rieurement , elle est le s'éprouver soi-même j ustement et son effectivité,
ce qui se révèle originairement à soi, elle est la vie. C'est précisément
parce que l'essence présente dans la souffrance est le s'éprouver soi-
même et son effectivité, ce qui se revele originairement à soi, que la
souffrance elle-même se revele à elle-même, est ce qu'elle est, la
souffrance et un mode de la vie. Dans la souffrancerance se révèle ce qui la
révèle : l'absolu. La souffrance ne se révèle pas d'abord pour nous
révéler ensuite, en elle, l 'absolu, celui- ci bien plutôt est ce qui se
révèle en premier lieu, la révélation originaire et son effectivité. La
révélation originaire et effective de l'absolu ne précède pas elle-même
la souffrance, elle surgit en même tenps qu'elle, elle est son surgisse-
ment, l ' être-donné-à-soi de la souffrance , le s'éprouver soi-même
dans et par lequel celle -ci advient et se réalise . C'est en ce sens. que
840 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

la' souffrance révèle Ï'absôiù, au sens où sa révélation présuppose la


révélation de l'absolu, se fonde en elle et lui est identi que.
Que la souffrance révèle l 'absolu, que celui -ci se révèle original ' -
rement en elle comme ce qui la révèle à elle-même c'est là ce qui fa'it
d' elle autre chose qu ' une simple tonalité, ce qui constitue `
^ a proprement
parler son dépassement. Car, dans l'unité de son immanence radicale,
en l'absence de tout dépassement, la souffrance ne se dépasse pas
seulement vers elle-même , vers son propre contenu, pour être ce
qu'elle est, cette tonalité déterminée Parce qu'elle n'est ce
. qu'elle est,
cette tonalité, que sur le fond en elle de son dépassement ver
" s elle-
même, c' est vers celui-ci d'abord qu'elle se dé asse, vers le dé
p passe-
ment comme identique au non-dépassement et trouvant en lui son
essence. La force de ce qui cohère originellement en soi dans le ras-
semblement édificateur de l'être , la force de l'affectivité et du senti
-
ment, c' est là ce dont la souffrance est chargée avant de l'être du poids
de sa tonalité propre ,. le supplément, l'excédent de puissance qu'elle
laisse éclater et libère comme ce qu'ily apermanent
de en elle lors
même qu'elle culmine et se brise dans l'extrême douleur et dans le
sanglot . Dans la douleur, je peux encore l 'exprimer,
« improviser sur
ce thème, dit Kafka, simplement ou antithétiquement ou avec des
orchestrations entières d'associations »,
^ et cela ajoute-t-il , pas
n'est
« mensonge » mais « excédent de forces » (i). A la question explici
-
tement posée de savoir « quel est cet excédent » du. Le
, il est ici répon
pouvoir qui habite la douleur et par lequel, dans le non-dé passement
de son dépassement vers sol, elle se dépasse , est celui de l'absolu..
C'est pourquoi le langage qui l'exprime et quiprocède de cet excédent
n'est pas celui de la compréhension ni du concept, le milieu ou
baignent les choses dans l'extériorité il réside en elle, dan, la douleur,
dans le s'éprouver soi-même de son essence intérieure, et lui est
consubstantiel, n'est pas le Logos de la mort mais
le Logos de la vie.

(I) Journal intime , op. cit., 184.


I'AFFECTI VI TÈ
841

La_ sou ff rance


qui, trouvant son paroxysme dans la douleur, peut
en elleextrême
encore, en ce point de son oscillation,
s'exprimer, qui porte
comme un supplément de forces , le
d possibilité, cette Logos
e la vie, l'absolu, n'est prise ici selon la présupposition explicite
de l'analyse, ue comme une simple tonalité .
C'est ce qui
vient d'être dit ' pourquoi
a son sujet concerne toutes les autres déterminations
possibles de la vie affective et vaut aussi bien pour elles. Le projet
d'instituer une élucidation systématique. de l'essence de l'affectivité
a trouvé son expression dans la délimitation de deux questions fonda-
mentales visant la nature de la révélation originaire qui s'accomplit
en elle et la constitue , visant le comment et
le contenu de cette révé-
lation. La réponse apportée à la seconde de ces questions trouve ici
sa formulation complète. Le sentiment un sentiment quelconque,
ne•se révèle
A pas seulement
ndis lui-même en luiqu ta ' il se révèle a
lui-même, en tant qu'il
. , , q même et que se révéler ainsise révèle à fui- ' • a
sol, s eprouver soi-même , est l'acte de l'essence l'absolu se '
^ revele
celui-ci, l'essence de l'absolu identique a l 'affectivité -
elle-même. Le
contenu originel de la révélation qui s'accomplit dans un senti-
ment particulier n'est jamais constitué de manière exclusive par
ce sentiment considéré dans sa comme
particularité , une tonalité
determinee , mais par l'absolu, est la re '
velation de l ' absolu et -son
effectivité.
Que signifie toutefois, pour le contenu d ' un sentiment quel
-
conque, n' être jamais constitue de manière exclusive
. par ce sentiment
lui-même considéré dansp sa art ' comme une tonalité déter-
culante,
minée ? Que veut dire ou ^ ,
, pour la souffrance par exemple, révéler
l' absolu ? La révélation de l ' absolu n'est rien d
' extérieur au sentiment
lui-même, à la révélation .
en celui-ci de son propre contenu , elle e.rt
cette révélation . La révélation de l'absolu cependant
, sorti. s'éprouver
soi-même dans le souffrir , la roblemati uc l'a mont
p q re, est souffrance
et j oie. Dans le .t'éprouver foi-même de la souffrance considérée comme une
tonalité déterminée , comme une détermination de •
l'existence parmi d'autres,
84.2 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

est inclure et se réalise, outre ce qui la fonde et à partir de quoi elle est possible,
à savoir la souffrance comme tonalité ontologique fondamentale, comme
souffrance de l'être, la joie consubstantielle à celle - ci et qui lui est identique.
La souffrance de l'existence , dès lors, se décline et se modalise, elle
entre dans l'histoire et l'histoire se produit . L'histoire originelle est
le devenir immanent des tonalités subjectives de l'existence, comme
telle, comme immanente et s'accomplissant dans une sphère d'imma-
nence radicale elle ignore le temps de l'opposition, toute forme de
,
compréhension possible par conséquent, et n'est pas dialectique.
Étrangère à celle-ci, à la dialectique de l'opposition et de la compré-
hension, l'histoire pour autant n'est pas irrationnelle, les détermina-
tions qualitatives ne surgissent pas dans le « saut » et ne se produisent
pas â partir de lui , ne se produisent pas à partir du néant et n 'en résul-
tent pas non plus. Car ce qui arrive est possible à partir de ce qui est,
n'est rien d'autre à vrai dire que ce qui est et était, est la venue de l'être
et sa modalisation. S'éprouvant soi-même dans la souffrance et dans
la jouissance de soi, la souffrance de l'existence devient ce qu'elle est,
cette souffrance de l'être et sa jouissance , la jouissance de soi de l'être
absolu et sa joie. « On se sent au moins et on se possède soi-même
jusque dans le sentiment de la douleur, dit Fichte, et cela seul déjà
donne une inexprimable félicité (i). »
Le devenir de la souffrance, sa transformation intérieure en ce
qu'elle est, en la joie de l'absolu , c'est là ce' qu'exprime toute parole
essentielle concernant l'être de la souffrance , toute aperception asser-
torique ou apodictique de l'aeuvre dans et par laquelle elle advient
et s'historialise comme ce qu'elle est, comme un sentiment et comme
la souffrance, « C'est seulement ici-bas , dit Kafka , que la souffrance
est la souffrance. Non pas que ceux qui souffrent ici dussent être
élevés ailleurs, en raison de nette souffrance ; mais parce que ce qui
se nomme souffrance en ce monde -ci se retrouve inchangé et libéré de

(I) VB, 209.


L'AFFECTIVITÉ
843

son contraire , est la béatitude (r).» Ce qui


dans la souffrance se retrouve
inchangé et
" souffrance libéré pourtant de son contraire de la elle-
même, ce qu'est la béatitude, la problémati
q ue le com p rend ici. La
béatitude est la jouissance de soi de l'être absolu elle est le s'éprouver .roi-
même, présent dans la souffrance et qui subsiste tandis que celle-
'
ci, s'eprou-
vant soi-même et devenant dans ce s'éprouver soi-même cette
^'ouissance
de soi,
n'est plus rien d' autre que son être devenu ue la
,q jouissance et la jo e de
l'absolu. Ici s'éclaire à la lumière de l'ontologie l'étrange prièrei de
saint Bernard : « Seigneur, si tu es avec moi dans la
souffrance,
donne-moi toujours à souffrir,
afin que tu sois toujours avec moi et
en moi et que je puisse t'avoir toujours. » Pour autant,,toutefois, sque
dans la souffrance persiste et se retrouve inchangé l'être, l' absolu,
la jouissance de soi de l ' être absolu en elle dans son souffrir
, en tant
qu'elle souffre, se produit le mouvement qui l'abolit. « i s
S ma souffrance
est en Dieu, dit Eckhart, ma souffrance
devient elle-même Dieu.
Comment.., la souffrance pourrait - elle encore être une '
peine, si la
souffrance perd sa peine (Z) ? » « Le fond des sentiments purs, dit
encore Eckart, est Dieu lui-même (3), » La ureté du sentiment ré
p side
dans son fond. Purs , nos sentiments le deviennent dans le
s'éprouver
soi-même qui est l'être et la vie, la vie de Dieu lui-tn neme, une vie
absolue Dans cette vie, trans p arentepure et se
. , produit l'histoire
de la souffrance , son devenir intérieur , sa transformation dialectique
dans la joie.
Avec le devenir de la souffrance sa transformationet •
intérieure
dans la joie se révèle à nous un concept nou veau et , a vrai dire,
essentiel de la dialectique , celui d'une dialeeti ue immanente, d'un
mouvement s'accomplissant dans l'immanence et qui est le mouve-
ment de nos tonalités , le passage des déterminations qualitati
ves
les unes dans les autres . Pour essentiel que soit un tel concept,
essen-
(I) Journal intime, op. cit., 276, souligné par nous.
(2) T, 93, 95•
(3) ID., 169.
844 L'ESSENCE DE LA MA NIFES TA TIO N

Ciel à la compréhension de la vie et de son histoire, il n'a cependant


aucune signification ontologique . La dialectique ne constitue pas la
structure de l'être, elle e st po ssible à partir de lui. Que le mouvement
de nos tonalités s'accomplisse dans l'immanence ne détermine pas
seulement, en effet, son milieu dans son hétérogénéité ontologique
à celui de l'opposition par exemple , détermine et désigne la structure
de ce milieu, la structure interne de l'immanence , comme la source
du mouvement, le souffrir de l'être, sa souffrance et sa joie, comme
le fondement des déterminations qualitatives et de leur devenir,
comme le fondement de la dialectique. C'est sur le fond de l'unité
avec soi de l'être dans le souffrir que la souffrance se transforme dia-
lectiquement dans la joie ; dans l'existence le contraire ne procède
pas de l'opposition mais de l'identité.
Le concept immanent de la dialectique permet seul une compré-
hension philosophique adéquate de l'antinomie . En deux mondes
assurément entre les deux règnes du visible et de l'invisible, le
,
christianisme partage le tout du réel et l'antinomie apparaît d'abord.
comme une conséquence de ce partage , comme la simple expression
de l'opposition qu'il institue . Ce qui advient dans un monde, disait
la problématique, est sans rapport avec ce qui se réalise dans l'autre.
.. « Sans rapport », cela veut dire structurellement hétérogène, de telle
manière que dans cette hétérogénéité structurelle de deux termes il
n'y a effectivement et ne peut y avoir entre eux aucun rapport. L'anti-
nomie pourtant désigne tout autre chose que l'hétérogénéité des
dimensions fondamentales qui partagent le réel tout autre chose que
,
l'extériorité réciproque et radicale des plans ontologiques et des
déterminations qui leur appartiennent respectivement . Elle ne vise
paf l'absence de rapport, mais le rapport. Celui-ci le rapport antinomique
,
trouvant sa formulation rigoureuse en même temp s qu'explicite
dans le contenu dogmatique du christianisme « heureux ceux
qui souffrent » - se situe à l'intérieur d'une seule et même région
ontologique , dans la sphère de la subjectivité absolue . L'antinomie
L'AFFECTIVITÉ 845

est une loi du monde spirituel invisible et se produit en lui, se produit


ou se produisent les déterminations qualitatives de l'existence affec-
tive et ses tonalités, comme leur rapport précisément, comme leur
transformation intérieure et dialectique, elle est leur mouvement
immanent, s'accomplissant dans l'immanence, possible â partir d'elle
et de sa structure.
Parce qu'elle s'accomplit à l'intérieur de la sphère d'immanence
radicale de la subjectivité absolue et n'est possible qu'a partir d'elle
et de sa structure, la relation des tonalités ne peut être comprise au
contraire, saisie dans son intériorité dialectique, là où la compréhen-
sion de cette structure fait elle-même défaut. Scheler a bien vu que le
rapport de la souffrance et de la joie n'est pas un simple rapport
d'exclusion réciproque, comme si l'une de ces tonalités ne pouvait
se produire dans l'existence qu'en l'absence de l'autre. Loin de
. s'exclure, la souffrance et la joie sont liées au contraire par une rela-
tion positive, elles vont ensemble, de telle manière qu' « on ne peut
vouloir l'une sans l'autre » (i). C'est précisément parce que la souf
france est liée à la joie selon une relation positive, bien plus,, c'est
parce qu'elle y conduit, conduit à la béatitude dont elle apparaît
ainsi comme la condition, que se produit, au moment même où cette
relation positive est reconnue, l'inversion radicale de l'attitude de
l'homme â l'égard de la souffrance, l'acceptation de celle-ci sa trans-
formation « d'ennemie mortelle qu'elle était en l'amie bienvenue de
l'âme » (2) . C'est pourquoi, comme l'a vu encore. Scheler, ïil n'est
plus question dans le. christianisme de combattre la souffrance soit
en cherchant à éliminer ses causes extérieures, comme dans le monde
occidental de la technique, soit en supprimant toute résistance inté
rieure contre elle, comme dans le bouddhisme, soit encore en émous-
sant progressivement la sensibilité de manière à parvenir à une' insen

(I) SS, 18-23.


(2) ID., 65.
846 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sibilité héroïque, comme dans le stoïcisme. La souffrance au contraire


est ce qui doit être posé et reconnu, et cela non plus seulement en
raison du fait de son existence, de l'existence de son contenu phéno-
ménologique effectif, mais pour cette raison plus profonde que ce
contenu n'est précisément pas un simple fait, quelque chose d'isolé,
mais le terme mouvant d'une dialectique, pour cette raison que la
souffrance se dépasse vers la joie et peut y conduire.
Comment cependant la souffrance se dépasse-t-elle vers la l'oie
et peut-elle y conduire ? En tant que celui qui souffre se trouve
renvoyé de par sa souffrance même à ce qui en lui supporte et souffre
cette souffrance, à lui-même. L'être de la personne, ce qui constitue
« le noyau même de l'existence' », c'est là ce qui se découvre dans la
souffrance comme son sujet en quelque sorte, comme cette réalité
intérieure et spirituelle à laquelle il est porté atteinte et qui, dans
cette atteinte, se révèle. C'est dans la mesure ou elle nous met en
relation avec l'être spirituel de la personne que la souffrance devient
elle-même quelque chose de spirituel et pour ainsi dire de sacré,
acquiert une valeur et un sens. « La souffrance innocente, écrit Scheler,
acquiert par la qualité divine de celui qui souffre une nouvelle et
merveilleuse noblesse. » Parce qu'elle renvoie à celui qui souffre,
à l'être de la personne, la souffrance nous dirige « sur les biens
centraux de la vie et du salut », permet leur séparation, la séparation
de l'< essence » de tout ce qui n'est pas elle, de l'« inférieur », du
« faux », de la « confusion terrestre » ( i ). La conscience de ces biens
toutefois, n'est rien d'autre que la béatitude. Cette conscience pré-
sente au sein même de la souffrance et rendue possible par elle
explique par exemple la joie du supplicié. « La béatitude vécue dans
la possession d'un Dieu clément... libérait dans le martyr, au milieu
des tourments de son supplice, des forces miraculeuses (2). » C'est

(z) SS, 65, 6.6, 63.


(2) ID., 68.
L'AFFECTIVITÈ , 8 47

de cette manière, par conséquent , que la souffrance se dé asse vers


. p
la joie, en tant qu'elle révèle l'absolu.
La révélation de l'absolu dans la souffrance et par elle révélation
telle qu'elle signifie identiquement béatitude et ' oie, ne saurait toute
fois être affirmée simplement . Une telle révélation, la problématique
l'a montre, est la révélation de la souffrance elle-même, son s'éprouver
A
soi-même tel que, dans ce s'éprouver et par lui, elle se révèle être
identiquement souffrance et joie , devient celle-ci la douceur et la
sérénité de l'être absolu et sa béatitude . Mais, la p roblémati ue l'a
q
montré aussi, Scheler méconnatt la nature du pouvoir de révélation
propre à l'affectivité, l'absolu identi q ue à ce ouvoir et p résent dans
p
la souffrance comme son essénce même est rejeté p ar lui, au contraire ,
hors de cette° souffrance, celle-ci ne le révèle lus en elle comme
p
constitué par sa propre révélation , elle ne le révèle, à vrai dire en
aucune façon mais suscite seulement , de façon d'ailleurs m ystérieuse,
un acte auquel la tâche d ' accomplir cette révélation se trouve dès lors
confiée, un acte intentionnel qui ne peut plus révéler ce qu'il révèle a
l'absolu, que comme un terme transcendant , extérieur à lui comme à
la souffrance dont il est censé procéder (i) . « Toute détermination
négative de la couche émotionnelle lus périphérique
plus éri p
héri que possède
a l

(I) Ira conception de l'absolu comme réalité transcendante est caractéristique


de la pensée de Scheler . Elle trouve évidemment son origine dans la nature inten-
tionnelle du pouvoir dei vélation , qu'il s'agisse comme ici d ' une perception ordi-
naire ou au contraire d'une perception affective à proprement parler . Dans ce cas,
le plus fréquent, l ' absolu se présente comme un contenu axiologique , Dieu est
valeur, il apparaît comme le terme d'une visée , comme une réalité à atteindre aussi
et en voie de devenir. Une telle conception se heurte chez Scheler lui-même à la
philosophie de la personne et à la thèse qu ' elle implique et formule parfois expli-
citement d' une immanence radicale des valeurs et de l'absolu lui-même identifié
à l'être de la personne et à son intériorité radicale . I,e développement d'une philo-
sophie de la personne n'aurait pu ainsi échapper à la contradi.cticn et recevoir son
plein développement qu'à la faveur d'une modification complète de la conception
de la phénoménalité , modification dont on ne trouve au contraire aucune trace
chez Scheler.
848 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

valeur d'être source d'un acte qui nous rend conscients de la présence
d'une couche existentielle plus profonde en nous-mêmes et qui,
p our ainsi p arler, nous ramène vers cette couche (i). N L'extériorité
de la souffrance et de l'absolu, la détermination de celle-ci comme située sur
la couche la plus périphérique de l'existence, de celui-là comme appartenant
au contraire à sa couche la plus profonde, l'extériorité des niveaux affectifs
et de leurs tonalités respectives vient corroborer celle qu'institue la relation
intentionnelle , comprise comme le seul mode possible de manifestation, entre
la connaissance et le connu , l'extériorité de la transcendance, elle en est
le corrélat sur le plan ontologique et en résulte.
La souffrance, dès dors, ne se transforme plus intérieurement,
dialectiquement , dans la joie, elle lui est contemporaine , de telle
manière que cette contemporanéité n'exprime aucune relation posi-
tive véritable, nécessaire n'est qu'une relation contingente de simul-
,
tanéité , exprimant le fait que deux phénomènes se déroulant sur des
plans d'existence différents, étrangers l'un à l'autre, peuvent préci-
sément être simultanés (z). La contingence de la relation de la souf-
france et de la joie ainsi distribuées sur deux plans d'existence, à deux
niveaux différents , n'est plus tem pérée que p ar l'affirmation selon
laquelle la première nous aide à concevoir cette autre région ou
règne la seconde, affirmation toutefois qui reste elle-même contin-
gente et gratuite aussi longtemps que la souffrance n'est pas saisie
comme constituant dans son essence même, dans son affectivité,
cette révélation de l'absolu identique à la béatitude . Qu'elle ne le soit
pas et se propose ainsi dans une extériorité radicale par rapport à la
béatitude de l'absolu, que la propriété qu'elle a de conduire à celle-ci,
de révéler en l'homme la couche la plus profonde de son être , demeure
une simple affirmation sans fondement , c'est là ce qui apparaît avec

(I) F, 354•
(2) C'est pour rendre compte de la simultanéité possible en nous de deux senti-
ments différents que Scheler justement avait construit l'invraisemblable théorie
des niveaux affectifs.
L'AFFECTIVITÉ
g49
évidence : « Ce que nous trouvons par expérience vécue a ce cuveau
de profondeur, par exemple la béatitude... n'est en aucune façon
conditionné ou déterminé par la souffrance et la douleur de la couche
périphérique . La douleur ne rend aucun homme
bienheureux, elle.
se contente de le faire « rentrer en lui-même »
, de l'aider à concevoir
cette couche profonde de son être et à en prendre conscience (t). »
Ainsi la souffrance ne porte-t-elle lus en elle inscrite dans son
essence comme une possibilité pure et dé j à effective, l a béatitude,
l'idée que le fait même de souffrir rapproche de Dieu n'est, selon
Scheler, qu'une déformation de l'enseignement et '
du contenu vers-
tables du christianisme , une conception « infiniment plus hellénique
et néo-platonicienne » que seule l ' église grecque orient
ale, expri-
mant en cela le besoin de souffririntégré
ro re à l'âme russe a
dans son christianisme (z). La relation de la souffrance et de la joie
n'est pas une relation intérieure , nécessaire de telle maniéré que la
première se propose comme la condition de la seconde et l'unique
moyen de parvenir à elle, elle n ' est ce moyen que '
si 1 amour l'exige,
dans le cas, particulier , du sacrifice. Alors il est
.. vrai, souffrance et
joie vont ensemble mals le rapport qui les unit dans ce cas demeure
synthétique , la souffrance se produisant sur un plan,
. , n, le bonheur
sur un autre, la liaison de ces plans, le passage de la souffrance au
bonheur ne pouvant être saisi à l'intérieur de la souffrance elle-meure
ni procéder de son essence mais seul eurent « de la vision sereine d 'un
ordre de choses supérieur » (}
3 , deextérieure
la considération 4 'une..
hiérarchie objective entre les divers degrés de l'être, hiérarchie telle
qu' elle oblige a renoncer à ce qui a une valeur inférieure pour ce qua
a une valeur supérieure, à sacrifier la partie pour le tout . La souffrance
est justement, selon Scheler, l'expérience de ce sacrifice
(d.), elle
(T) F, 355
(z) SS, 66.
(3) ID.y 64.
(4) ID., 9.
850 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

n'est jamais en elle-même joie et ne se change pas non plus en celle-ci,


son acceptation, le renoncement sur un plan permet seulement le
développement du bonheur sur un autre, le sens de la souffrance qui
réside dans le sacrifice n'exprime qu'une relation extrinsèque à
autre chose les actes héroïques ne comportant un sens métaphy-
sique que si le héros est bienheureux -- non pas dans la sphère même
de sa souffrance et par elle - mais, dit Scheler, « dans une sphère qui
dépasse celle de ses souffrances » (I). Faute d'être saisies dans la
structure interne de l'immanence absolue comme des possibilités
pures prescrites et voulues par celle-ci, dans la structure de l'être
lui-même, référées au contraire aux stratifications d'une prétendue
structure ontico-métaphysique de l'homme, les tonalités se disposent
sur les niveaux correspondant à ces stratifications et n'ont entre
elles qu'une relation externe, leur simultanéité possible ne fait
qu'exprimer la contingence de cette relation qui les laisse en fait
étrangères l'une à l'autre comme des termes figés et réfractaires au
passage ; et Luther, devant sa fille morte, peut être à la fois « joyeux
dans l'esprit, triste dans la chair », l'eudémoniste antique voir le
monde extérieur gai et joyeux tandis que le noyau de ce monde est
pour lui triste et obsccir, le chrétien juger au contraire ce monde
obscur et sombre, tandis que son noyau est tout entier sérénité et
enchantement (2), sans que la possibilité intérieure de ces tonalités,
c'est-à-dire aussi bien celle de leur commune transformation soit
aperçue ou, pensée seulement comme un problème. La dialectique
immanente de la vie s'est perdue pour laisser place aux oppositions
extérieures et arbitraires.
C'est dans la structure de l'être lui-même au contraire, dans la
structure interne de l'immanence, comme des possibilités pures
voulues et prescrites par celle-ci, que les tonalités affectives fonda-

(I) SS, . 33.


(2) ID., 68-69-70.
L'14FFECTIVIT.É
851

mentales de l'existence se trouvent aperçues par Kierkegaard et


définies par lui dans le Traité du Désespoir ( i ).
Laen
souffrance
effet,
sa .modalisation existentielle extrême et la plus jntense dans le déses-
poir, ce désespoir, par conséquent, ne peut être compris, saisi dans
sa possibilité intérieure, que pour autant que celle-ci se trouve elle-
même saisie et située dans le moi. Au moi se rapporte le désespoir
lors mime qu'il semble se rapporter a autre chose au monde et
ce qui, en celui-c1, le suscite et le provoque. Car on ne désespère
pas de n'être pas devenu César, « mais de ce moi. qui ne l'est pas
devenu » (2). Que le désespéré pense désespérer de ceci ou de cela
qu'il vole « avec tant de clarté... de quoi il désespère, tout en ne voyant
pas quant à quoi» (3), n'empêche pas qu'en réalité il désespère quant à
. A
sol ou de soi-même, de ce soi éternel qui est en lui l'essence de la vie.
Et c'est justement pourquoi, pendant que tourné vers le monde,
l'homme du spontané « est là à indiquer ce qui n'estp asdésespoir,
du
tout en se disant désespéré, .., le désespoir se produit derrière lui, .
a son insu » « Derrière lui », « à son insu» , cela veut dire dans cette

(I) Ici doit être rejetée catégoriquement l'affirmation de Heidegger selon laquelle
Kierkegaard n'aurait saisi le problème de l'existence que comme un problème
existentiel, selon laquelle « la problématique existentiale lui est si étrangère que
du point de vue ontologique il se tient entièrement sous la domination de Hegel
et de la philosophie antique aperçue à travers celui-ci », en sorte que sur le
plan philosophique il y aurait « plus à apprendre de ses écrits édifiants que de
ses écrits théoriques » (SZ, 235, n. a). Parce que la détermination des tonalités
affectives fondamentales de l'existence, c'est-à-dire de l'existence elle-même,
s'élabore en fait chez KIERKEGAARD, dans le Traité du Désespoir notamment
,
c'est-à-dire précisément dans un écrit théorique, à partir de la structure interne
de l'immanence et en elle, elle ne revêt pas seulement une signification ontologique,.
« existentiale » manifeste mais présuppose encore une conception de l'ontologie
radicalement différente de celle des Grecs et de Hegel comme de Heidegger lui-
même. C'est pourquoi encore la thèse selon laquelle celui-ci aurait donné à certains
développements existentiels de KIERKEGAARD, à ceux du Concept d'A ngoisse
notamment, une assise ontologique qui leur faisait défaut, doit elle aussi être rejetée.
(2) D, 73.
(3) ID., 138, note.
(4) ID., 123-124.
852 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

sphère d'immanence radicale qu'on ne se représente jamais, en lui, dans son moi.
Le moi, dit Kierkegaard, est le rapport à soi... posé par un autre (i),
il est la relation à soi en tant qu'il n'a pas posé lui-même cette relation,
qu'il ne s'est pas pose lui-même, il est l'auto-affection comme trouvant son
essence dans la passivité ontologique originelle de l'être à l'égard de soi,
passivité qui est précisément l'ipséité comme telle. Dans la passivité
ontologique originelle de l'être à l'égard de soi, dans son souffrir,
réside sa souffrance . Dans l'impossibilité de surmonter cette passivité,
dans l'impossibilité pour le moi de rompre le lien qui l'attache à lui-même,
la relation à soi, d'échapper à sa souffrance , réside son désespoir. C'est de
cette façon que le désespoir se rapporte, au moi, ontologiquement
d'abord, en tant qu'il prend naissance en lui, dans la souffrance de son
souffrir, dans la structure interne de l'ipséité comme telle, c'est -a -dire aussi
bien de l'immanence, comme un mode de réalisation de cette structure et
comme son actualisation phénoménologique. Il est impossible de désespérer,
dit Kierkegaard, sans avoir conscience d'avoir un moi (2).
Pourtant, ajoute-t-il, c'est de cela qu'on désespère . Le désespoir,
en effet, qui procède de la souffrance du moi ne lui est pas identique :
en elle, dans cette souffrance et dans la structure de son souffrir,
surgit et se développe un vouloir, celui de briser cette structure,
de rompre le lien qui attache le moi à lui-même, le vouloir se défaire
de soi. C'est de cette façon maintenant que le désespoir se rapporte
au moi, existentiellement, en tant que celui-ci, ontologiquement lié
à lui-même dans sa passivité originelle à l'égard de soi, dans la rela-
tion à soi qui le constitue , refuse cette passivité, décide de rompre
cette relation. Désespérer, désespérer de soi, désespérer quant à
soi, veut dire « vouloir se débarrasser de son moi ne pas vouloir
,
être soi -même » {3), Se débarrasser de son moi, rompre le lien qui

(i) D, 6z-62.
(2) Cf. ID., 1 39.
(3) ID., 62-63.
L'AFFECTIVITÉ 853

l'attache à lui-même, c'est justement là, toutefois , ce dont le moi est


incapable si l'irrémissibiité de ce lien, le caractère insurmontable
de' la relation à soi du moi dans sa passivité absolue à l'égard de soi
si l'impossibilité pour lui de se dépasser de quelque façon que ce
soit, de se séparer de soi, d'échapper à soi, bref si la structure interne
de l'immanence constitue , comme la problémati que l'a montré
son essence même. Se séparer de soi signifie pour le moi se détruire
mais justement cette séparation contraire à l'essence , cette destruc-
tion de soi est impossible . « Cette destruction d'elle-même u'est le
q
désesp oir est impuissante et ne parvient pas à ses fins. » C'est pourquoi
comme le note encore Kierkegaard , il est superficiel de dire pue le
désespéré détruit son moi, « car c'est ce dont à son déses p oir.., il
est incapable » (i).
L'incapacité du moi de se détruire lui-même, de rompre la relation
à soi qui le constitue , l'impuissance de p rincipe où il se trouve de briser le
lien qui l'attache à lui-même e st dans le désesp oir ce quifait de celui-ci
une expérience . Le désespoir est une expérience parce que son effort
pour se séparer de soi reste près de soi et le demeure par principe,
parce qu' il se produit dans une sphère d'immanence radicale où le
moi du désespoir ne peut précisement ni se separec de soi ni se
détruire. « S'il pouvait détruire le moi, dit Kierke g aard avec force
il n' y aurait pas non plus alors de désespoir . » Que l'effort pour se
separer de soi ne puisse precisement se separer de soi , reste pres de
soi et le demeure par principe , c'est là ce qui fait son échec , le vouloir
du désespoir, sa visée, se heurte à l'être même de ce vouloir et à son essence,
à l'essence de toute expérience possible en général. Telle est la contradic
tion monstrueuse , l' « atroce contradiction du désespoir » (z).
De cette contradiction monstrueuse, comprise comme l'essence
conceptuelle du déses p oir, découlent tous les caractères de celui-ci

(Z) D, 72, 73•


(2) I D., 7 5.
854 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

et d'abord son caractère le plus remarquable , son éternité. Car c'est


en ce sens que le déses p oir est la « maladie mortelle », en tant qu'il
est éternel . Comment le désespoir est-il la maladie mortelle ? En quel
sens est-il éternel ? Le moi qui désespère veut se débarrasser de soi,
se défaire de son moi, rompre le lien qui l'attache à lui-même et,
comme ce lien est proprement ce qui le constitue, ce qui constitue
en lui la vie, veut mourir. Mais ce lien ne peut être délié, la relation
à soi du moi dans sa passivité ontolog ique originelle à l'égard de soi,
son unité avec soi comme unité absolue dans une sphère d'immanence
radicale, comme unité avec soi de la vie, ne se laisse ni surmonter
ni briser. La structure interne de l'immanence l'unité absolue qu'elle enferme
,
et constitue, c'est là ce que Kierkegaard appelle l'éternité, et cela à bon droit
si une telle structure se détermine par l'exclusion hors d'elle du temps de la
trancendance, si, positivement, l'unité qu'elle enferme et constitue, l'unité
intérieure et vivante de la vie , ne peut être brisée . Voici donc comment et
p our quoi le desespoir est la maladie mortelle, comment et pourquoi
il est éternel, en tant que la relation à soi subsiste dans le moi qui veut
rompre cette relation comme la condition même et l ' essence de l'acte par lequel
il veut la rompre, comme la condition et l'essence de son désespoir . Le déses-
poir porte en lui la vie, l'éternité, son vouloir mourir n'est pas la
mort mais un mode de la vie , et c'est de cela qu'il meurt, de là que
vient « sa torture... de ne pouvoir mourir ». Vouloir mourir et, dans
ce vouloir même, ne pouvoir mourir, « mourir sans pourtant mourir», .
c'est là « la maladie mortelle », c'est là « mourir la mort », « éternel-
lement mourir ». Éternellement, parce que ce mourir, donné à lui-
même dans sa passivité insurmontable à l'égard de soi, dans l'unité
indestructible de sa relation à soi, ne peut être ni surmonté ni détruit,
ne cesse d'être donné. à lui-même comme ce qu' il est, comme ce
mourir, ne cesse de mourir, de vivre sa mort et ainsi meurt éternel-
lement. « -Mourir la mort, dit Kierkegaard, veut dire vivre sa mort (i).»

(I) D, 71.
L'14 FFEGTI VITÉ 855

Pour qu'on meure de désespoir, dit-il encore, il faudrait que ce


qu'il y a d'éternel en nous p uisse mourir , que la structure interne de
l'immanence, son unité absolue, l'unité absolue du moi, soit brisée. Mais
alors il n'y aurait pas de désespoir, car celui-ci désespère justement
de ne pouvoir mourir mais d'abord, et c'est pour cette raison qu'il ne
peut mourir, d'être et d'exister dans l'unité indissoluble de son être-donné-
à-soi, comme un mode de la vie éternelle et absolue. « Sans éternité en nous-
mêmes nous ne pourrions désespérer (I).
En tant que son essence conceptuelle réside dans la contradic-
tion atroce et monstrueuse du vouloir mourir de ce qui ne peut
mourir, du vouloir se défaire de soi de ce qui ne peut se défaire
de soi, le désespoir qualifie et détermine toute forme de vie dans
laquelle se manifeste un tel vouloir, le projet, quel que soit son mode
de réalisation ou de déguisement, d'instituer entre le moi et lui-même
ce minimum de distance à la faveur de laquelle il pourrait se décharger
de soi et ne plus être concerné par sa propre vie la tenir du moins
dans une soumission inoffensive et lointaine. La réflexion, la réflexion
de la vie sur elle-même, le regard sur soi, vise l'objectivation de ce qui .
ne peut être objectivé. C'est pourquoi cette tentative de la vie de
se détruire elle-même en se séparant de soi, de se de'truire ou de se
connaître, ne détruit pas plus la vie qu'elle ne la connaît, n'est qu'un
mode nouveau de cette vie, une forme de désespoir. La connaissance
est une forme de désespoir et, de même, la connaissance de soi
bien des formes de l'ironie et de l'humour, toutes les déterminations
dans lesquelles la vie tente de se rapporter à elle-même autrement qu'en s'aban-
donnant à son essence propre, c'est-à-dire à Dieu. Car la vie, de par sa
volonté propre, de par son essence, ne saurait entrer dans le rapport
ni s'objectiver, elle ne peut le faire ou plutôt vouloir le faire que
pour autant qu'elle se tourne contre elle-même et s'efforce, dans le
désespoir précisément, de se défaire de soi et de se détruire. Ainsi

(I) D, 75.
856 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

en est-il encore dans le jeu par lequel le moi prétend « jouer » sa vie,
joue à être ceci ou cela, garçon de café ou pédéraste . Car le moi
assurément ne peut être la détermination transcendante 'qu'il feint
de prendre pour son être propre de maniere à ne pas l'être, à ne pas
être ce qu'il est, de man ere à se défaire de soi dans la separation
.
d'avec soi . Quelque chose , toutefois, n'entre pas dans le jeu et c'est
la proprement ce que Kierkegaard appelle le sérieux l'être du vouloir
ne pas être soi, du vouloir se défaire de soi, en tant que cet être, donné
à lui-même dans l'unité absolue de son immanence radicale éternel-
lement donné à lui-même dans l'ipséité de son être - soi, ne peut préci-
sement se defaire de soi, ni cesser d'être ce Soi qu'il est.
Kierkegaard a donné une autre définition du désespoir : « Vouloir
être soi » (i ). « Vouloir être soi », toutefois , c'est là, comme Kierke-
gaard le reconnaît , « le contraire même du déses poir » (2). Vouloir
être soi, quand il s'agit du désespoir , veut dire en réalité, non pas
vouloir être soi-même , mais vouloir être un autre moi que celui
qu'on est , un moi qu'on n 'est pas. Ainsi en est-il de l'esperance chez
les jeunes, du souvenir chez les vieux (s), de tous les modes de vie
imaginaires dans lesquels le moi substitue au sien un autre moi avec
lequel il s'identifie, de toutes les expériences, que devait décrire
Scheler, de participation et de contagion affective par lesquelles. le
moi vise à se fondre dans un autre , à n'unir à lui de manière à
devenir précisément cet autre moi qu'il n'est pas. Un même projet
se retrouve en réalité lorsque le moi, voulant rejeter au contraire
comme illusoire toute forme de vie imaginaire ou affective toute
attitude « féminine », prétend se choisir ou encore se faire lui-même,
« construire lui-même son moi » (4) Dans tous ces cas et dans d'autres
semblables, le vouloir être soi du moi au sens de vouloir être un moi

(i) Cf. D, 6i , 74, ii6, 146.


(z) ID., 74.
(3) Cf. ID., 133.
(4) ID., 148.
L'AFFECTIVdTÉ
857

qui n'est pas ou pas encore, présuppose son vouloir ne pas être
le moi qu'il est véritablement, se ramène par conséquent à la forme
de désespoir précédemment examinée et se heurte au même échec
a la même impossibilité, à l'impossibilité pour le moi de se défaire.
de soi. La passivité ontologique originelle de l'être à l'égard de s os dans son.
unité immanente avec soi est la condition une et universelle du désespoir, la
structure ors il s'enracine en tant qu'il prend naissrnce en elle, dans la ,pou -
f
f rance du souffrir, en tant qu'il trouve en elle la condition de ce qu'il est
une tonalité, plus généralement encore une expérience, en tans que lié et
livré a lui-même sur le fond en lui de cette structure etformant le projet de
rompre ce lien, de se défaire de soi, il ne peut le faire et se heurte à une contra-
diction insurmontable, en tant que cette contradiction est sa torture, porte sa
souffrance à son paroxysme, met le feu en lui, dans le moi à quelque chose
d'indestructible et qui br ale éternellement.
En tant que le désespoir trouve sa condition dans 1 a structure
interne de l'immanence et rend naissance en elle dans la souffrance
du souffrir, dans la souffrance et dans la jouissance de soi de l'être
absolu, il se dialectise, entre dans l'histoire et devient son contraire.
Plus grande est la détresse dans laquelle désespérant de soi et voulant
se défaire de soi, il mesure son impuissance à se détruire lui-même ,.
plus violente aussi et plus forte l'expérience de son être rivé à soi
livré et lié à soi pour être ce qu'il est, d'expérience de son être-
donné-à.-soi-même et de l'essence de la vie en lui. Le fond du désespoir est Dieu
lui-même, l'être pour soi de l'être absolu le rassemblement et la
profusion de la Parousie. Le fond du désespoir, ce d'où il émane ,
se decouvre a lui dans sa transparence, comme ce q u'il est et devient
comme cette transparence et comme son éternité. Parce qu'il est
éternel, le désespoir est passager, il est le passage, et ce qui conduit
à l'absolu, Voilà pourquoi « le désespoir est la maladie que le pire
des malheurs est den avoir pas eue » (i). Il est la maladie l 'extrême

(I) D, 83,
M. EENRY
85 8 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

souffrance qui s 'achève dans son contraire, dans la béatitude que


Kierkegaard appelle encore « la foi » et qu'il définit ainsi : « étant
soi-même et voulant l'être, plonger en Dieu à travers sa propre
transparence » (x).
*
**

Dans le désespoir, dans la souffrance , dans chaque tonalité de


l'existence se révèle, comme ce qui la révèle à ,lle-même , l'absolu.
L'absolu présent en chaque tonalité comme ce qui la révèle à elle
même est l'essence de cette tonalité , est l'affectivité . La révélation
de l'absolu à l'intérieur de chaque tonalité réside dans l'affectivité identique
à l'absolu lui-même et se trouve constituée par elle . En tant que la révé-
lation de l'absolu réside dans l'affectivité et se trouve constituée par
elle, réside dans son affectivité, elle est p arfaite. Dans sa p assivite
originelle et insurmontable à l'égard de soi, dans l'adhérence parfaite
à soi de son identité , dans sa coïncidence avec soi à l'intérieur de
l'unité absolue de l'expérience adéquate qui le constitue, dans son
affectivité donc, l'absolu l'être se révèle à lui-même tel qu'il est,
,
dans la totalité de sa réalité. Totalité, réalité, c 'étaient là les déter-
minations ontologiques structurelles comprises par la problémati que
comme celles de la révélation qui trouve sa structure interne dans
l'immanence, c'est-à-dire dans l 'essence dont l'effectivité phénomé-
nologique, dont la réalité est justement 1'a ff ectivite comme telle,
L'affectivité révèle l'absolu dans sa totalité p arce qu'elle n'est rien
d'autre que son adhérence parfaite à soi , que sa coïncidence avec
soi, parce qu'elle est l'auto -affection de l'être dans l'unité absolue de
son immanence radicale . Dans l'unité absolue de son immanence radicale
l'être s'affecte lui-même et s'éprouve de telle manière qu 'il n y a rien en lui
qui ne l'affecte et ne soit éprouvé par lui, aucun contenu transcendant à
l'expérience intérieure de soi qui le constitue . Le sentiment se donne à sentir

(X) D, I7I.
L'AFFECTIVITÉ
gS9
à lui-même en tous 1 -
es points de son être et c'est ustement
un sentin1ent, en cela au ^ en cela qu'il est
• sa transparence
aussi que réside . La transparence du
sentiment n'est pas le milieu fluide
de la lumière,. aucun élé
immatériel , incolore, évanescent ment
néant _ elle est ^^ rien 'irréel non plus comme. 1
l'être donné à sôi en e
être plongé en soi tous les points de s son^:être s
^ a réalité, -et nedans faisant
on
Le sentiment se d qu'un avec elle.
°nne tout entier, d'un seul cou
L'être du sentiment se p^ comme un absolu.
donne tout entier en lui. même,
non point
simplement parce qu'il ne s'annonce pas, a la façon de
matérielle, série dans une 'la chose
d Abschattungen, comme u
toujours incompl n d°nrie intuitif
et et toujours dépassé, mais parce
un donné intuitif , • qu'fl n'est jamais
rien qui soit peau ni senti. C'est pourquoi
encore l'idée qu'un sentiment
pourrait être connu peu â eu
que l'absolu se révélerait p ' l'idée
progre ssivement est absurde recou
impossibilité de pr i ncipe Un sent , vre une
i nrent se donne tout entier
du tout. L' absolu qui se ré • ou pas
vèle originairement et dont 1
originaire rend p ossible t a révélation
out ce qui se révèle et tout ce
révèle nécessairement dans 1 qui , est, se
a totalité de son absoluit'
disait Eckhart,
ne eut donner peu ; ou bien il doit tou
la fors- ou rien .., son t donner a.
don est simple et parfait.
nté z . » Le tout dâns 1'eter
En tant que la révélation de l'absolu réside
se trouve constituée dans l affectivité et
par elle, c'est la réalité de c -
l'absolu lui-mê eluici, la réalité de
me . qui se révèle et se réalise en elle
de l'être absolu n'est . pas separee de- • La révélation
lui, n 'est rien d 'extérieur -a lus, rien
d'irréel, n ' estpas
une image de "lire mais résid
et lui est identique,
que, est en lui, dans sa réalité
l'être lui-même. Ici seerencon
ne sur it tre, parce que l'absolu
g pas hors de lui, dans le milieu vide ' -
parce qqu'il enselui révèle et sans vie de l'irréalité,
- même, dans la
,i réalité de son affectivité
1 insurmo ntable limite de 1 déalisme '
,son incapacité de principe

(I) cf. ,cura. 3 ^.


86o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

té. Une telle incapacité est â vrai dire celle de toute


à saisir la réalité.
pensée. qui ne pense pas l'affectivité comme l ' essence de l'absolu,.
comme sa révélation, de toute pensée et de toute forme de pensée
' de l'horizon du monisme , c'est-à-dire preci-
qui• se meut a l'intérieur
serrent dans le milieu de l ' idéalité et de l'irréalité comme telles.
Parce que l'affectivité révèle l'absolu dans sa totalité et dans sa
' e révèle
réalité, elle 1 tel qu'il est. C'est en ce sens que l'affectivité
Dans cette
révélé l'absolu en tant qu ' elle le révèle absolument .
révélation absolue de l'absolu, dans l'affectivité, l ' absolu surgit et
' lise dans son absoluité. Cette révélation absolue de l'absolu,
s'historia
de l'absolu. dans son absoluité, est l'Esprit. C ' est pourquoi il est dit
que « l'Esprit souffle où il veut » (1), parce que « l'éternité de l'esprit
ressemble au souffle du vent , on ne sait d'où il vient, où il va •
partout il est fin et partout commencement ... en chacun de [ ses ]
moments l'esprit est complet » (z).
Pour plénitude
lirees cette de l'esprit, cette plénitude qui est. dou-
ceur et joie, mots nous manquent. L'appellera-t-on « certitude »,
<c évidence » ? Mais ces concepts, empruntes au monde et qui reposent
sur lui, nous égarent . Ou bien faut -il, les dépouillant du contenu
qu'ils reçoivent dans le developpement de la pensée occidentale,
que leur confere toute forme de pensée
, , les référer au contraire à ce
a -quoi ils se réfèrent au rassemblement intérieur où l'être cohère
comme le fit Pascal
avec soi et a la -force de ce rassemblement ,
quand, submergé par ce qui est tout , il le nomma : « certitude , sent:-
ment » (3)•
Il existe deux modes spécifiques et fondamentaux conformément
auxquels s'accomplit et se manifeste la manifestation de ce qui est.
Dans le premier dë ces modes l'être se manifeste hors de lui, s'irréa-

(i) JEAN, 3' s.


(Z) JANKÊLÉVITCH, L' Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de
Schelling, op. cit., 73.
(3) Mémorial, Pensées, I^afwma , off. cit., 333.
L'AFFECTIVITÉ 86x

lise dans le monde, il est sa lumière, le pur milieu de visibilité où


sont visibles les choses, où l'étant se manifeste. A la lumière où il
se manifeste l'étant aussi bien se dérobe il est ce qui nalt et ce qui
meurt, de telle manière cependant que ce destin, celui de naltre et de,
mourir, n'est pas le sien, trouve sa raison dans la finitude du lieu
où il parait, dans la lumière elle-même et dans son déclin. C'e st
pourquoi le savoir qui se meut dans cette lumière et est éclairé
par elle n'a pas la forme d'accomplissement d'un pur laisser parattre
^
mais sa manifestation même renvoie â ce qui ne se manifeste pas.
Dans le second de ces modes, dans le sentiment, l'être surgit et se
révèle en lui-même, se rassemble avec soi et s'éprouve, dans la
souffrance et dans la jouissance de soi, dans la profusion de son être
intérieur et vivant. Savoir d'un savoir auquel ce qu'il sait dérobe sa
réalité et qui n'est lui-même, comme savoir, que le non-savoir
d'où il vient et auquel il retourne, le simple éclat qui brille un instant
et glisse sur les choses, c'est peu. Se révéler de telle manière que ,
dans cette révélation, c'est l'absolu lui-même qui se révèle à lui-
même dans son absoluité, de telle manière que son être s'embrase
et devient tout entier pour lui-même et devient la vie vivre, c'est
beaucoup. Dans le rapport de ce « peu » à ce « beaucoup » se joue le
destin de la révélation et, s'il lui est lié, le destin de d'homme lui-
même. Écoutons Hôlderlin
Peu de savoir mais beaucoup de joie
Tel est le lot des mortels (i ).

*
**
La détermination ontologique structurelle et fondamentale de
l'essence originaire de la révélation comme immanence et comme
affectivité rend seule possible le développement cohérent et assuré

(I) Êdit. von HELLINGRATH, O. cit., IV, 240.


86z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de. lui-même d'une problématique visant l'être de la subjectivité


absolue ainsi que les questions essentielles qui lui sont liées, le
développement d'une phénoménologie et d'une philosophie phéno-
ménologique de l'expérience vécue, de l'ego, de la connaissance de
soi, de la vie intérieure et de la temporalité qui lui appartient en propre,
de la structure de l'expérience en général et de ses formes essentielles.
L'élaboration de ces questions ne présuppose pas seulement en effet
une délimitation préalable du concept de la phénoménologie au
traitement de laquelle elles sont soumises, parce que les réalités visées
en elles appartiennent en fait à la structure interne de la phénoménalité
pure elle-même et la constituent, leur détermination est identique-
ment celle de cette structure et la présuppose. Les sciences qui, de
la même manière, prétendent se rapporter à ces réalités, les sciences
humaines par exemple, ne pourraient atteindre à quelque positivité,
se prévaloir d'une utilité quelconque, que si le travail ontologique
qui doit leur fournir un fondement et un sens était accompli et ses
résultats préservés. La préservation de ces résultats. exige le rejet
de l'horizon à l'intérieur duquel se meuvent en fait ces sciences et,
plus généralement, la pensée philosophique occidentale dans son
ensemble. Les présuppositions qui constituent cet horizon trouvent
chez Hegel une formulation systématique particulièrement remar-
quable. L'essence originaire de la révélation se trouvera mise en
évidence et préservée dans son opposition au concept hégéhen de
manifestation.
APPENDICE

MISE EN LUMIÈRE
DE L'ESSENCE ORIGINAIRE
DE LA RÉVÉLATION
PAR OPPOSITION
AU CONCEPT HÉGÉLIEN
DE MANIFESTATION (EKSCHEINUNG)
71. LE PROBLÉME DE L'ESSENCE DE LA
MANIFESTATION ET LE DÉCHIREMENT
L'affirmation centrale
de la philosophie hégélienne, c'est que le réel est E •
Ce qui est avancé partaon' une telle affirma ' spot,
ce n'est
raison, un idéalisme absolu. Seule une i pas l'idéalisme ni, à plus forte
la pensée de He nterprétation superficielle qui fait déchoir
gel du plan ontologique ou elle se meut
dérations d'ordre, ontique, peut , ^ un ensemble de consi-
prétendre contraindre la philoso hie et celle
Hegel en particulier, à poser la uestion p de
1'etre, ou bien q de savoir ce qui est premier, du réel et de
de l'esprit. Le problème d'une déduction '
-exemple, d partir de !'esprit ne se ose ontique du réel, p
as
l'esprit, il ne p p . En vérité, le réel n'est point déduit de
l' procède pas de lui, il est Esprit. Dire maintenant que l
est dire qu'il est essentiellement Acte de se re e réel est Esprit,
réel est phénomriu..u La grande ruse, dit Regel veler et de se manifc,rter, c'est dire que le ,
elles sont ... il y a simplement(i), c'est
à lesque les
choses soient comme
l'essence est de prendre dans leur phénoménalité... L'essence de
se manifester. » Que l'essence de l'essence soit
cela comporte cette conséq uence, a de se manifester,
apparemment décisive, de fonder
pour l'homme
d'une connaissance absolue. y pas lieu, Il n'y alapossibilité
en effet, de mettre
(r) Note - personnelle , citée par J. HYPPOL
minologie d^ l'Esprit de Hegel
op . , I22. cit.
864 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

d'un côté la connaissance humaine et, de l'autre, l'essence que cette connaissance
cherche à appréhender, ni de poser par suite le problème critique d'une déformation
possible, voire nécessaire, de l'essence par une . connaissance qui ne peut la toucher
qu'en la modifiant, si le fait d'être connu n'est pas un prédicat qui se surajoute de
l'extérieur au réel mais constitue , au contraire, son essence même . Car l'essence
n'est point modifiée ou altérée mais achevée et constituée par sa manifestation si la
manifestation est l'essence de l'essence.
La détermination du réel comme Esprit nous `montre que le problème de la
révélation est essentiel pour Hegel, Mais une telle détermination ne fait précisé-
ment que poser le problème . Si' l'essence de l'essence est de se manifester , il faut
dire en quoi consiste cet acte de se manifester , quelle est l'essence de cette essence
de l'essence, quelle est l'essence de la manifestation telle que la comprend Hegel?
L'essence de la manifestation est comprise par Hegel.d'une façon traditionnelle
(depuis Descartes) à partir du phénomène de la conscience. L'essence de la
conscience, à son tour, est interprétée par lui d'une manière qui est directement
commandée par la philosophie des grands postkantiens, et notamment par la
première philosophie de Schelling. Il n'y a heu, en aucune façon, de parler ici
d'une opposition entre Fichte et Schelling ni, par suite, d'une synthèse que Hegel
aurait eu réaliser entre les deux philosophes. II n3' a point d'opposition non plus,
sur ce point essentiel, entre Scbelling et Hegel. En réalité, sur l'essence de la conscience,
tout le monde est d'accord : il y a conscience là ou il 5 a division. Si Schelling soutient
une philosophie de l'identité, c'est qu'il a accepté l'idée d'abandonner l'Absolu
à l'inconscience. De la même façon, et cela dès ses premiers travaux, Hegel pose
l'équivalence, qui traversera toute son oeuvre, de l'identité et de la nuit. La
condition de la conscience, l'essence du phénomène et de toute manifestaüon, c'est la
scission qui s'introduit dans l'être un et opaque, c'est le de'doublemenf de cet être qui,
ainsi divisé d'avec soi, peut prendre position en face de lui-même et, dès lors,
exister pour soi, c'est la réflexion en soi-même par laquelle l'être prend conscience
de soi en s'élevant au-dessus de soi-même , en se rejetant par suite hors de soi et
en s'apercevant ainsi soi-même comme autre, dans l'élément de la difference. La
manifestation de l'être implique ainsi le moment essentiel de l'opposition et
présuppose que soit institué, à la place du règne de l'identité, un dualisme qui est
comme celui de l'être et de sa propre image. Or , la manifestation de l'être n'est
rien d'autre que l'Esprit. A celui-ci doivent donc appartenir, à titre d'essence, la
différence et le dualisme, Hegel le dit explicitement « Le principe du dualisme
appartient au concept de l'esprit qui, comme concret , a la différence pour
essence (i). » I

(1) L, 163.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN 86 f

On caractérise souvent les systèmes philosophiques de l'extérieur. On dit que


l'hégélianisme est un intellectualisme . Ce qu'il faut, en réalité, c'est mettre à Four
le motif profond de cet intellectualisme afin d'être capable de décider s'il repré-
sente quelque chose d'ultime -ou s'il dérive, au contraire , de présupposés plus
fondamentaux. En fait, ces derniers existent, ils concernent directement la déter.-
mination ontologique de l'essence du phénomène . L'intervention de la réflexion
dans la philosophie hégélienne n'est pas la simple conséquence d'un privilè e
indûment accordé à un mode de penser proprement intellectuel et théorique. Le
processus de la réflexion n'est tout d'abord rien d'autre que l'accomplissement de
la rupture qui vient briser l'identité de l'être et, du même coup , promeut celui-ci
au rangg de «
phénomène ». Le terme même de réflexion est le strict équivalent de la
scission , du dédoublement de la différence, de l'opposition, du dualisme dont
,
Hegel fait état dès qu'il est question pour lui de définir les conditions qui per-
mettent à la lumière de surgir au détriment de l'inconscience et de la nuit. Que la
structure interne de la réflexion soit liée , à titre de condition et comme simple
synonyme de division , à l'essence du phénomène, et non point à celle d'un mode
déterminé °de la pensée, c'est ce que marque avec éclat son intervention dans la
première philosophie vitaliste et romantique du jeune Hegel . La vie en effet n'est
,
vraiment la vie que si elle est capable de sortir de la nuit de l'inconscience pour
.
parvenir au sentiment d'elle-même et à la conscience de soi . Or, cette présence à
soi-même, la vie ne l'obtient qu'à la condition de se diviser et de s 'opposer à
soi-même . Elle ne peut « se sentir » que dans le «redoublement de soi-même » (x)J.
Si la vie apparaît ainsi déchirée dans son être le plus intime , ce n'est point la le
résultat d'un affrontement obscur de forces mystérieusement opposées. C'est
pour satisfaire, au contraire, à l'appel de la lumière, c'est pour se hisser au rang de bbw
p
mène que la vie fait accueil en elle à la division et au déchirement , C'est parce que
l'essence de l'essence est de se manifester que l'essence de la vie est la contradiction. Le
dualisme a d'ores et déjà, dans la pensée du jeune Hegel, une si gnification ontolo-
gique. S'il étend son règne sur le réel, ce n'est pas en vertu d'une division en
quelque sorte ontique de la réalité en deux principes ou en deux entités opposées
c'est parce que le réel est Esprit.
Dans la mesure où la vie est réelle, elle n'est pas seulement la vie qui existe
elle est la vie qui se manifeste . La vie réelle est la vie divine . Parce que la vie divine
est réelle Dieu n' est pas seulement l'are divin, il est le Logos qui est l'élément
,
formel de cet être, le milieu dans lequel celui-ci parvient à la lumière et, par suite,
à la réalité. Le Logos n'est certes pas distinct de l'erre même de Dieu, et pourtant
il est autre que lui, a la fois égal à Dieu et différent de lui . Or, c'est précisément

(I) CD, 142.


866 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATI

parce qu'il est différent de l'être de Dieu qu'il peut lui être égal . La différence est.
l'événement ontologique d'où jaillit la lumière par laquelle le Logos éclaire l'être
divin. Elle est ce qui déploie le milieu où s'institue la connaissance divine, la connais-
sance exacte de l'être divin, une connaissance qui lui est rigoureusement égale. La
lumière résulte de la différence qui permet l'établissement de l'égalité, c'est-à-dire
la connaissance. C'est ce que dit encore le jeune . Hegel dans un texte remarquable,
très proebe de l'analyse fichiéenne du début de l'.Évangile jobannique et qui obéit aux
mêmes présupposés ontologiques : K seule une conscience égale à la vie, et telle que
toutes deux ne diffèrent qu'en ce que la vie est l'être , tandis que la conscience est
cet être comme réfléchi, est pwç » (t).
L'intervention de la réflexion dans la première philosophie hégélienne „de la .
vie, ta ainsi une signification ontologique qui n'est pas sur k même planque la
simple ' orientation intellectualiste d'une pensée . Elle prépare la compréhension
thématique de l'essence du phénomène et appartient déjà à la définition structurale
des conditions qui. fondent celui-ci dans sa possibilité . La critique de l'intuition
a, dès les travaux de jeunesse, et aura dans l'oeuvre ultérieure une signification
identique. Il ne s'agit nullement , ici encore, d'une préférence accordée par Hegel
à ce que nous appellerions aujourd 'hui la réflexion par opposition à la pensée
intuitive. On n'a pas le choix entre deux modes de pensée, mais entre la pensée et
la non-pensée, c'est-à-dire l'inconscience. L'intuition en question est, ne l'oublions'
pas, celle de Schelling, à laquelle pense par exemple Hegel lorsqu'il parle des
enfants et des anges qui vivent dans un état où « l'opposition de l'intuitionnant et
de l'intuitionnë, comme d'un sujet et d'un objet , disparaît dans l'intuition elle-
même » ( 2). Au moment même, cependant où l'opposition disparaît, la conscience
,
s'évanouit aussi:. L'inconscience :est la Asuppresaionrde tôïtt ditinctintr(( )S1'
l'animal est Dieu, c'est au plus profond de sa nuit. Aussi bien ce Dieu est-il irréel
puisqu'il ne porte pas en lui le Logos. Ce n'est pas, encore une fois, le philosophe
intellectualiste qui dit que la réflexion est intérieure à l'Absolu, c'est celui qui
s'incline devant la prétention de l'Absolu d'être un phénomène. En d'autres termes,
la réflexion ne désigne pas un mode particulier de la vie de la conscience, elle en`
constitue bien plutôt l'essence, et cela non point parce que la conscience serait
conçue à partir de l'expérience privilégiée de la réflexion, mais parce que la
scission et la division (le terme de réflexion ne désigne ici rien d'autre) sont pensées
comme la condition de la possibilité d'une présence, comme l'essence même du
phénomène interprétée à partir de l'idée de lumière (p&).

it j CD, 82.
(a) In., 172.
(3) ID., 144.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN
867

72. LA NÉGATIVITÉ INTERPRÉTÉE COMME UNE CA


TÉGORIE DE L'ÉTRE
La division interne de l'être est
la condition de sa promotion au rang de phéno.
mène. Cette division est I'oeuvre de la négativité. Celle-
opération déterminée ni ci ne désigne pas une
C est une un -processus ou un comportement. d'ordre ontiqûe,
' essence ontologique. En tant que l'être comporte en lui, a titre de
structure essentielle, la négativité, il semble livré au dualisme. La n
pas l'être, elle est ce qui s' négativité n'est
oppose a lui. Elle prend naissance en même tem ps que
lui, main en face de lui,. et ainsi . le co-naît. l^ q
scission, elle est , par suite, ce qui fonde la La négativité est la condition de la
possibilité d'un e ranifestati' on• C'est le
travail du né gatif (Hegel emploie
cette expression dès les travaux. de
qui fait que la vie n'est pas seulement la vi -^ jeunesse)
e qui existe mais aussi la vie qui se
manifeste. C'est par l'opération de la négativité que l'é
donné (Sein). txe est ce qu'il est, un être
La négativité est l'essence du Sujet, C'est parce que ' est dans on
le Sujet
essence tc la pure et ' • •
simple négativité » qu'il est « la scission du simple en deux
parties (I). Et c'est parce qu'il est cette scissio n que. le Sujet est l
'origine de notre
Connaissance. On formule une affirmation contingente et vide
à déclarer que uqui c'est
connaîtle sujet tant qu 'on se borne
», sans rattacher ce laouvoir de connais-
sance a l'événement ontologique qui le fonde. Cet événem
universelle et éternelle de 1 eut advient dans l 'ceuvre,
a négativité qui introduit dans l 'inconscience de la
nuit cette « distinction à l'intérieur d'elle•rnême » 2
où brille la f) par laquelle s 'ouvre l'espace
lumière du savoir,
,L'Absolu, dit Hegel, n'est as seulem ent
substance, mais . aussi Sujet. Cela
signifie qu'il y a place en lui pour la négativité Cette l'
négativité elle-même qui p ace, toutefois, c'est la
la produit , en tant qu'elle n'est rien d'autre dans
essence, que cette ouverture qui fonde la possibilité d'une son
l'acte par lequel elle sein connaissance., Dans.
de l'identité de l'être absolu, la négativité institue
distance qui permet, a cet être d'a itre ^
, elle
Parce ppara est son laisser-être. phénoménal,
que la négativité prend place au sein de l'Absolu celui -
mouvement dialectique, ou plutôt il , ci engendre le
est lui-même un tel mouvement . Le mouve-
ment dialectique repose sur l'opération par laquelle la négati vité
identique et, dans cet acte repousse l'être
de repousser, l'installe à distance de soi dans la lumière.
C'est, en effet, par l'instauration de cette distance in .
.. , , stauration :qui est I'aeuvre de
la négativité , que l'être identique, par lus -même
pavé. . dans sa
de . lumière,, surgit
nouvelle condition de K phénomène ». La dialecti que a une
signification ontola
(I)PhE,I,i7=z8,
(2) ID., II, 204.
868 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

Bique, La structure de la dialectique n'est autre que la structure éidétique du phénomène,


tel que le comprend Hegel. La possibilité de l'expérience ne trouve pas son origine
dans l'essence préalablement pensée de la dialectique, mais cette pensée de la
dialectique prend au contraire appui sur la possibilité de l'expérience qui n'est
autre que la réalité ontologique absolue, qui est l'essence même de la manifestation.
Comme le remarque Heidegger (t), Hegel ne conçoit pas l'expérience dialecti
q Lement, mais pense le dialectique - a partir de l'essence de l'expérience. La
compréhension de la structure de la dialectique devient aisée quand elle suit celle
de l'essence du phénomène. Le mouvement dialectique est celui par lequel une
négation : aboutit a une affirmation. Or, ces deux moments de l'affirmation et de la
négation sont par eux-mêmes abstraits. Ils trouvent a la fois leur réalité et leur
identité dans une essence ontologique commune qui les fonde l'un et l'autre. Cette
essence qui n'est rien d'autre que celle de la manifestation, c'est la négativité. La
manifestation de l'être dans sa condition d'être manifeste, d'être donné, implique
la négation de l'être pur et simple qui baigne par lui-même dans la nuit inconsciente
de l'identité. La négation de l'être trouve son fondement dans l'opération même
de la négativité. Celle-ci ouvre l'horizon phénoménologique où la négation
repousse l'être pur et simple et le tient a distance. La négation de cet être est donc
une avec son propre surgissement dans la lumière, avec sa promotion au rang de
phénomène une, par conséquent, avec sa position et son affirmation. Par suite,
la négation se nie elle-même en tant que négation puisqu'elle se confond avec
l'affirmation de ce qu'elle nie, c'est-à-dire avec la manifestation de l'être manifeste.
L'auto-négation de la négation, qui n'est autre que l'affirmation, trouve son
fondement dans l 'essence de la manifestation.
La négativité est l'essence de la manifestation. Elle est ce qui permet à l'être
d'être présent, d'être là. L'être ne nous est donné dans la présence que pour
autant qu'il est nié . La suppression dialectique de l'être coïncide avec son propre
avènement . Elle est ce qui le maintient près de nous, ce qui le préserve et le
conserve . L'ambiguité de l'Aufhebung hégélienne a la signification ontologique
la plus rigoureuse. Conformément à une telle signification, i1 apparaît que la négativité
est l'essence d l'aide de laquelle Hegel pense l'ouvre de la transcendance et, d'une façon très
remarquable, l'essence de la finitude qui lui est principiellement liée. Ce qui subsiste de
l'essence de la suppression dialectique dans l'être qui se trouve fondé par une telle
suppression, c'est le fait d'être déterminé. Le n'être-pas l'être du négatif constitue
l'être même de l'être. Dans une telle constitution, toutefois, l'être se présente a nous
sous la forme de la détermination. L'essence de la négativité, comprise comme
l'essence de la manifestation , est ce qui nous permet de penser l'essence de la

(I) H, 169-I70.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN 869

détermination. Celle-ci n'est autre que la structure même de l'être en tant qu'il
est rendu manifeste par l'opération de la négativité. La négativité détermine l'être
en tant qu' elle le situe dans l'espace transcendantal q u'elle a déployé ur
pour lui
permettre de s'y manifester. L'entité qui apparaît dans ce champ ontologique
primitif ne peut lJamais tel s'égaler
champ la dépasse à lui. Un bienplutôt
plut8t de
toutes parts. Ce dépassement est si radical qu'il n'est autre que la suppression
dialectique de l'entité. C'est, toutefois, dans l'acte même de cette suppression en
vertu de laquelle elle apparaît essentiellement déterminée et finie, ue l'entité
q
trouve le moyen yen d'êtreprés
là et de sede
tenir nous,. dans la présence.
L'essence de la négativité n'est rien d'autre que l'essence de la présence. La
négativité qui nie l'entité particulière n'est par diffrante d'elle elle la }ait exister'
Elle est son essence même , en tant^ •
que celle enfile -, Elle^
est présente est l'etre de l'être-là
en tant qu'il
L'entité transcendante est.
n'est, dans sa là.
présence, rien d'autre ,
que la négativité elle-même ; elle est l'acte de se supprimer dialecti uement
q
soi-même. La négativité est une catégorie conftitullve de la détermination lransindante,
elle est l'élément de cette détermination.
Ce n'est pas sans une restricti3n, à vrai dire décisive, que la négativité peut être
appelée une essence ontologique. Sans doute y a-t-il entre la négativité et l'être.
pur et simple qu'elle nie une différence qu'on doit tout d'abord qualifier d'onto..
logique. La négativité n'est , à vrai dire, rien d' autre dans son essence 'une telle
différence. Mais la différence n'est pas étrangère à l'identité. Elle est bien plutôt
l'essence même de l'identité en tant que celle-ci prétend à l'être . La manifestation
de l'être identique n'est possible que sur le fond de la différence en lui. Cette
différence est si peu extérieure à son essence que c'est d'elle et d'elle
l'êt , , • feule, que
re identique reçoit le privilège d' exister dans son identité même . La différence
est le fondement de l'identité; sur un tel fondement, l'être identique se développe
avec, en lui, la caractéristique essentielle d'être la détermination. L'être de celle-ci
est l'essence négative. Négativité et Identité sont si peu séparées ue l'acte
q
lequel l'identité
parvient, s détermination, à ladansvie concerte, la par
n'est rien d'autre
que l'acte même dans lequel s'exprime l'essence de la négativité . « La vie concrète
de la déterminabilité, dit explicitement Hegel, est elle-mime l'oP^tion de se
dissoudre (i). »
I.'étre n'est réel qu'en tant qu' il est là. Le processus par lequel l'être devient
réel a son origine dans l'essence de la négativité. Ce n'est pas dé l'extérieur,
cependant, que la négativité confère à l'être la réalité dans l'être-là. L'être-là
inclut en lui-mime le négatif, La négativité est l'essence, la réalité et la vie de l'être
qui; est là. L'être-là n'est pas séparé de la négativité ou, si l'on préfère du concept.

(I) PhE, I, 48, souligné par nous.


o L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

«. L'être-là, dit Hegel, est dans son concept ( i). » La négativité est l'essence de
l'être , En tant que l'être trouve son essence dans la négativité , il nous est
donné dans la présence , il est là.
L'immanence essentielle de la négativité à l'être (l'extériorité de l'être n'est
qu'une conséquence de.l'immanence en lui de la négativité) constitue le motif ontologique
et, par suite, le sens profond de la critique dirigée par Hegel contre le formalisme.
L'essence de la pensée est, pour Hegel, la négativité. Par suite, cette pensée ne
saurait être considérée comme extérieure au contenu qu'elle pense. On ne peut
appliquer de l'extérieur le formalisme au contenu . concret, si la forme est, en
réalité, l'essence du contenu. La pensée n'est pas et l'activité qui manipule le contenu
comme üne chose étrangère ». Étrangère, la pensée l'est si peu par rapport au
contenu que son acte n'est en réalité rien d' autre que l'acte même du contenu
en tant qu'il se supprime lui-même dialectiquement . L'activité du savoir, dit encore
Hegel, est immergée dans ce contenu (2). La Préface de la Pbénoménologie de l'Esprit
où Hegel domine son propre système , veut à l'aide des thèses fondamentales qui
seront celles de la Logique, écarter la conception, que pourrait faire naître une
lecture superficielle du texte même de la Pbénoménologie, d'une opposition en
quelque sorte extérieure du sujet et de l'objet. En fait, c'est à la lumière de l'inter-
prétation ontologique de la. dialectique qu'il convient de comprendre l'identité
d'essence du.. sujet et de l'objet ou, comme le dit souvent Hegel, l'immanence du
Soi dans le contenu. .
La dialectique nous apprend que seul est réel l'ensemble du processus dialec-
tique lui-même, c'est-à-dire . la Totalité ., Par Totalité, il convient d'entendre le
Réel, c'est-à-dire l'Être lui-même dans sa présence. Par rapport à cette Totalité
qui: seule est concrète , l'identité et la négativité ne sont que deux termes abstraits.
La restriction précédemment apportée à la désignation de la négativité sous le
titre d' K essence ontologique » trouve ici sa justification : la négativité n'est paf
l'essence, elle n'a qu 'une pseudo-originalité ontolog que Loin d'ouvrir par son être propre
une sphère . ontologique nouvelle et autonome , elle n'est, en réalité, qu'un moment de la seule .
sphère ontologique . qui existe et qui est celle de l'être. La négativité n'est pas une essence,
c'est une catégorie. .
Ce qui doit être ici mis en cause, c'est le prétendu dualisme hégélien , La scission
de l'être, condition de sa promotion au rang de phénomène , ne signifie pas une
division du réel en deux essences qu'on pourrait opposer extérieurement. Cette
division n'a pas pour conséquence la position des deux sortes d'êtres fondamenta-
lement différents, par exemple l'être naturel et l'être humain. La division est la

(i) PhE, I, 40,


(s) 1., I, 48.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN 87!

condition de l'être,. mais ce; qui est posé par une telle division , c'est un seul et
même être, celui qui est dénommé dans le cadre de ces recherches
« l'être trans-
cendant ». L'essence, qui inclut en elle la négativité ,
est la position de cet titre. Cette
position n'est pas extérieure à l'êtré, ` elle n 'est pas différente de lui et ne
saurait
lui être opposée qu'arbitrairement, u n'y a pas, d 'un côté, la substance et de
l'autre, le Sujet. C'est la substance elle-même, « en elle -même »,
dit Regel i qui
es/ Suj et. J n' aLe
pas d'être propre Sujet
, il est 1 ,titre de la substance. O'
Dire que le réel
est Esprit, ce n'est pas soutenir un idéalisme absolu
, c'est dire au contraire, que
l'Esprit, ou du moins le Sujet, n'a point par lui-même de réalilépro . .
On a souvent reproché à Hegel d 'avoir étendu sa dialectique à la sphère de la
nature et de l'être naturel. La dialectique de la force et celle de la vie préfigurent,
d'une façon assez étrange , dans la Phénoménologie, la dialectique des consciences.
Elles ont de ce fait, signification '
spirituelle qui semble incompatible avec la
nature des domaines qu'elles prétendent expliquer . Afin de réduire les prétentions
dece « monisme » hégélien, il conviendrait delui opposer un « dualisme
» qui réser-
verait l'essence dialectique à l'interprétation de l'être humain et a la cornpréhen-
sion de ses rapports avec le monde (2). Les analyses qui précèdent permettent de
comprendre ur uoi une telle criti que -passe à côté de la pensée de Hegel,. Il n'y
a pas deux régions d 'être, dont l 'une aurait une structure incompatible avec
l'essence dialectique . L'être pur et simple échappe . si peu à l'em
prise de cette
essence que c'est en elle, au contraire,qu'il trouve son fondement . L'identité est la
différence . Elle ne laisse pas en dehors d'elle la né ativité comme
g si celle-ci devait
seulement concerner un autre secteur de l'être . A quelle région d'être la né atlvité
pourrait-elle bien s'appliquer si ce n'est à celle de l'être identique ? La sphère g de l'être
transcendant constitue la seule région ontologique que connaisse l'hégélianism e,
et la négativité est si peu étrangère ` à une telle région 'qu'elle en constitue, au
contraire, l'essence et le fondement , La négativité répétons-le, n'a oint d'être
propre. C'est commettre un contresens complet sur, la signification de l'ontologie
hégélienne que de prétendre interpréter l'être de la réalité humaine à partir de
la négativité comprise comme une esseic e. La négativité n'est pas une : essence,
mais une catégorie de l'être . A ce titre, elle concerne, il est vrai , l'être de la réalité
humaine. Mais le fait d'être fondé sur la négativité ne confère en réalité à l'être
humain aucun privilège . L'homme n'a pas dame l'be élianisme d'être propre
g . Pour
Hegel, comme plus tard ` pour Heidegger, et jour les mêmes ultimes
raisons, il faut
dire que « pas plus que les autres êtres, nous ne sommes chers au fondement de

(I) PhE, I, 47) .


(2) C'est notamment l'interprétation d'A, goJEvE, cf. Introduction d la ieciura
de Hegel, Galljmard, Paris, 1947, `472 (note), 483-485 (note).
872 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

l'être en nous ». Ce que nous sommes , Hegel le dit, il est vrai :. « nous sommes le
néant ». Mais la nature aussi est le N.. éant « les ténèbres sont néant, l'espace et le
temps ne sont pas, ... tout est néant» (I).

s 73• LA PSEUDO-ESSENCE DE LA SUBJECTIVITÉ ET LA CRITIQUE DU CHRISTIANISMB

La négativité n'est pas l'essence , elle, est seulement un moment de l'essence qui,
comme Totalité, es t seule concrète. L'essence est l'essence de la manifestation.
Elle est le « phénomène ». La négativité est une condition de la manifestation, elle
est ce qui permet à l'être de se manifester . Ce qui advient par l'opération de la
négativité, c'est l 'être dans sa condition d'être . manifeste. Ce qui se manifeste, c'est
1'lire, ce n'est point la négativité elle-même. La négativité est une structure du phénomène,
mais elle. n'est point elle-même un phénomène. .
La négativité est si peu l 'essence phénoménale que, livrée à elle-même, elle
signifie bien plutôt la disparition et la nuit . Elle est l'acte de la suppression dialec-
tique qui s'enfonce dans les profondeurs inconscientes de . l'abime . « Moi dit
Hegel, est la nuit de la disparition (z). » Encore faut-il bien comprendre que cette
nuit• n'est pas, aux yeux de Hegel, . quelque chose qui pourrait subsister par soi-
même. Il n'y a pas comme une dimension ontologique de la nuit qui poursuivrait
quelque part une existence autonome . Si la disparition est quelque chose dont nous
pouvons du moins parler, c'est uniquement en tant qu 'elle participe à l'essence
accomplie de la manifestation, c'est-à-dire au surgissement de l'être dans la lumiere.
Ce qui s'accomplit à la faveur du mouvement de cette disparition, c'est en effet
nous le savons, l'essence même de la présence . L'acte de disparaître est un avec
l'avènement de l'être, « La manifestation , dit Hegel, est le mouvement de naître
et de; périr (;), » Or, d'une part, l'essence ou plutôt le moment de la dis arition
p
n'est rien d'autre que celui de la naissance, en sorte qu'il nous est im ssible de
.. po
pennr la négabvrté à l'état séparé, que celle-ci n'est rien par elle-même, mais s'épuise tout
misère dans l'acte migra par lequell'ître surgit dans la lumière de la transcendance , d'autre
part, es qui surgit aigri, grâce à l'am're en lut de la négativité, a précisément, uant a son
q
être, tais structure rigoureusement déterminée . Le monisme ontologique de Hegel s'exprime
dans ces deux affirmations fondamentales et intimement liées, selon lesquelles
t° u n'existe qu'une seule essence . Conformément à cette essence, qui est la sienne,
l'être ne s'historiala'se que grâce à l'opération de la négativité . Cdlle'ci le fonde dans

(i) Reslphilosophie d'Iena , CEuvres complètes , op. cit., XX, i 8o.


( Z) Realpbilosophle d'Iena II, r85, GEuvres complètes, xX, cité par J. Hvx' o•
LITE, in . Genèse et structure de la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel , op. cit.,
547•
(3) PhE, I, 40•
LE CONCEPT HÉGÉLIEN
813

l'acte même par . lequel elle..le rep{ ous e •


s hors de lui; Par un tel acte s 'instaure la
distance phénoménologique grâce à laquelle l'être eut s'a
L'être qui s'apparaît à lui•m ^ ` .. ^ P pparaitxe ^ luimeure
eme par la médiation de la distance phénoménolo gique
est l'étre transcendant. L'essence de la manifestation est la transcendanc ce. Il
n'existe aucun autre mode de révélation , zo La négativité appartient`
vient d'être décrite ,. Elle à l'essence •
, par elle-même, n'a qui
aucun être propre. Elle est seulement
la condition de l'être , une condition qui ne lui est as extérieure
pas • •
. Dire que !a nega-
tivité n'est f une efftnce, c'est dire, dans rare
pbilos opbte phénoménologique, 'elle n'a
paf un mode de se révéler qui lui feraitpropre, D'une ellee ne se révèle pas. Elle est
part,
la nuit de la disparition . D'autre part, elle ne révèle que dans la trans
ne se révèle as ce qu'elle révèle dans la transcendance . Elle est fille-même le
mode universel selon lequel s 'accomplit toute manifestation.
La négativité constitue, chez Hegel, l'être même du Sujet ,
, té, sa fubfectivt. Tl.
résulte des analyses qui précèdent que la subjectivité n'a dans l'hégélianisme
lire propre, L'essence subjective n'est , aucun
our He icctif en réalité, quede
l'aspect subjectif
l'essence
Ce qui est réel= p gel, c' est l'Esprit , l'essence
même de l'objectivité, ce que
Heidegger appellera l'Être. La subjectivité est abstraite elle ne constitue pas
elle-même qu 'un moment de l'Esprit, moment ar lui„mem
irréel. Elle ne trouve sa queréalité qui,
dans le Tout , c'est-â-dire dans l 'essence de la
manifestation interprétée selon les présuppositions ontolog i ques fondamentales
du monisme.
La thèse selon laquelle la sub l j ectivité est par
elle- même abstraite nous introduit
au coeur même de la pensée hégélienne . Elle nous indique le centre de
où il faut venu s'installer r saisir d'un seul pou perspective
regard les grandes directions
critiques qui traversent le système hégélien et lui donn ent sa physionomie propre.
L'argument qui préside au développement dialectique des principales critiques
dirigées par l'hégélianisme contre la philoso hie subjective sous
contre le christianisme , contre l'Intérieur et'P 'toutes
le principe ses
d'une vie formes,
intérieure , contre
la moralité subjective , etc., trouve en réalité son fondement
e et •1 essencedans mime
de la dialectiqu n'est damais, e ce fait qu'une répétition sous des formes
,
diverses des présuppositions ontologiques fondamntale' qui ont été. évoquées.
Dés sa jeunesse, Hegel réfléchit sur la vie et , en relation avec l 'essence '
sur le christianisme . Ce d de celle-ci,
envier lui apparaît tout de suite comme une « limitation
de la vie ». '
Le Christ renonce è beaucoup de choses, sus relations de l'individu
avec la société ou il vit et, d'une manière générale , à toutes les formes
de 1a vie . « Un gran d nombre de extérieures
rapports agissants , de relations vivantes se trou-
vèrent perdus ( i).» Ce qui définit . le christianisme
, c'estpar
opposition â la i
richesse
(I) CD, ioy.
814 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de la vie, une certaine « pauvreté » dont il importe de comprendre le caractère


essentiel. II ne s'agit pas, en effet, d'une pauvreté relative , en rapport avec un
enseignement moral par exemple, comme si certaines choses étaient refusées ou
interdites , tandis que d'autres, du moins , seraient permises. En réalité, le christia-
nisme ne laisse rien subsister car il met en cause, aux yeux de Hegel, l'essence mime
de la chose. Cette essence, c'est l'Esprit, c'est l'être concret, réel, dans sa qualité
d'étre manifeste, c'est l'objectivité en tant que telle. Mais l'objectivité était pour le
Christ« le plus grand ennemi » ( t). Pour cette raison, il devait rester, avec ceux qui
le suivraient, essentiellement pauvre, dans un dénuement absolu, privé de toute
chose. Il est vrai que ce dénuement n'est, aux yeux des disciples , qu'apparent. u est
comme la face tournée vers le monde d'une richesse qui se veut intérieure et qui,
comme telle, est ` infinie . Ce que le Christ enseigne, c'est la pureté du coeur, c'est
un amour intérieur et sans limites. Mais, si les mots ont un sens, il faut pouvoir
indiquer, sur le plan ontologique, quelle essence peut servir de support a un tel
amour afin. de lui conférer une réalité. Or cette essence, qui ne pourrait titre que la.
subjectivité, n'en est pas une, L'indigence à laquelle est voué dans 1eprincipe le cbrul:a
mime, n 'es! autre que celle de cette pseudo-essence qu'est, au point de vue ontologique,
la négativité. Séparée de l'essence de l'objectivité à laquelle en fait elle appartient,
isolée de la Totalité qui est seule concrète , la négativité n'est plus qu'une catégorie
vide dont le sens est perdu. Vouloir «. maintenir dans son absoluité » ce qui, par
soi-même, n'est qu'une abstraction, c'est sombrer dans le « fanatisme » (z). Le
destin du christianisme résulte d'une tentative de se fonder sur ce qui n'est pas
une essence, à quoi s'ajoute la prétention vaine de rejeter l'essence véritable, a
savoir l'objectivité comme telle,
Or, il y a dans ce double dessein une contradiction ruineuse : ce qu'on prétend
opposer à l'essence n'est qu'un moment de celle-ci, moment qui lui est consub-
stantiel et gui a, en fait, la mime sigmfwahon ontologique. La négativité est une en effet
avec l'essence objective en tant que celle-ci consiste dans l'ouverture de l'horizon
phénoménologique où l'être peut se manifester avec la caractéristique essentielle
de la détermination. La négativité est la catégorie de la détermination . On ne peut
vouloir l'essence subjective et refuser la determination objective. Le vouloir par lequel
l'Absolu se fail rubjeclw:Il et celui par lequel il s'apparalt à lui-mime sous la forme de la
&terminalion objective, sont rm seul et mime vouloir, le vouloir de l'Absolu d'erre prisent à
luimime. Le refus de la détermination entraîne le christianisme dans un « amor-
phisme » complètement vide , et cela parce qu'en se détournant du monde le
disciple ne perd pas seulement les riches formes concrètes de la vie, en fait l'ersenn

(I) CD, 1x0111.


(z) Ibid.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN gis

subjective de la négativité lui éebappe aussi parce qu'une telle essence appartient à la
structure marne de la réalité dont il se, ,d$tourne. Ce qui subsiste n'est strictement
rien : ce n'est pas même le néant de la ne àf
ivité. Si nous pouvons,
du moins, parler de
ce « rien » sur lequel le christianisme tente d'asseoir un nouveau royaume
,. c'est en
fait
Si grâce la
à un recours
end à cette essence
se de l'obdétourner,
j ectivité dont on prét
réalité nouvelle dont il fait profession n'est pas absolument « rien », c'est que
le christianisme , en fait, se la représente, c'est qu'il la projette dans le champ
primitif où règne la lumière , Le. Ciel qui est le terme imaginaire 'auquel aboutit
finalement le christianisme , a cependant le degré de réalité phénoménologique qui
appartient à toute représentation transcendante comme telle . Cette réalité pbéno-
menologrque, il la doit évidemment à l'essence de la manifestation ,
c'est-à•dire à
l'essence de l'objectivité , On sait, d'autre part, que dans le christianisme l'amour
divin s' est présenté à l'homme sous la forme d'une figure concrète
, d'abord
effectivement donnée , et conservée ensuite dans le souvenir . La réalité chrétienne
ne peut se manifester qu'en intervenant dans le monde, « Pour que le divin a
misse, dit Hegel, l'esprit doit etre uniinvisible pl?a-
à du visible (t), » L'être divin
lui-même ne peut vouloir être près de l'homme et méconnaître :en même temps
l'essence de toute Les miracles
présence le
s prophéties ,, les sacrements mêmes,
le culte sous toutes ses formes, l'élément historique qui se synthétise partout avec
un amour qui sans lui serait sans vie, sont là pour dire que le christianisme n'a pu
se passer de ce qu'il condamne.
Il n'y a chez Hegel aucune ontologie de la subjectivité, Celle-ci ne fait lamais.
chez lui l'objet d 'une véritable problématique . Il faut bien voir, maintenant que
cette lacune essentielle ne caractérise en aucune façon sa pensée . L'hégélianisme.
s'oppose r, peu aux prétendue : ph losopbies de la subjectivité gui l 'auraient écéde' 'il se
situe bien plutoi, en fait, dans l'exact prolongement de celles-ci, De même que
cb Kant
l'être de la subjectivité n'est pensé que dans sa t^erence d la. structure de 1'objectivié dont
il est seulement la condition , de même cbe Hegel la prise en considération de l'aspect
sub ecti
jf
de l'Esprit n 'est qu'un moment dans !'élucidation de son essence, essence i n'est autre
cella e ljobJ
ectivité
que,, Et selondeKant même , la catégorie ne ^sauraitque
avoir qu'un
usage empirique , de même la négativité n^est pas , chez Hegel,
dissociable de
l'être objectif qu'elle s 'épuise à fonder. Le seul apport positif de He g et au problème
^
central qui constitue le thème de ces recherches consiste dans l'interprétation de
l'être de la catégorie à partir de l'idée de négativité . Qu'un tel apport ait eu au
point de vue historique, des conséquences décisives qu'il commande directement
la prise de position de la philosophie moderne à.l'égard du problème de la subj'ec-
tivité, ne change rien au fait que cette subjectivité demeure dans l'hé ' e

(I) CD, ii.


876 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

une catégorie Bien au contraire, l'interprétation de !'être de la catégorie comme négativité


.
corrompt définitivement la problématique de la subjectivité. Cette corruption s'exprime
dan le fait qu'une fois assimilée à la négativité , la subjectivité ne peut plus se
comprendre indépendamment de l'essence objective . Car l'acte de nier inclut en
lui une référence essentielle à ce qu'il nie. C'est uniquement en vertu d 'une telle
référence que la négativité est susceptible de recevoir une détermination. La
négation ne se détermine qu'en fonction du contenu qu'elle repousse chaque fois
hors de soi. Le néant, dit Hegel , est K le néant de ce dont il résulte » (i). La négativité
s'affranchit si peu, dans son oeuvre négatrice; du contenu qu'elle nie, qu'elle le
garde bien plutôt en elle et n'est finalement rien d'autre que cette action de garder
et de conserver. La « liberté » de la négativité est l'assujettissement à l'égard de la
détermination objective. Le lien indissoluble en •vertu duquel la négation est
comme rivée d l'être objectif dont elle ne peut plus se séparer , est la conséquence
du mouvement interne de la négativité . Conformément à la structure éidétique
de celle-ci, il n'est pas possible qu'un tel lien soit dénoué.
ü importe, cependant, de mettre à jour le motif ontologique sur lequel repose
cellef imtude essentielle qui résulte de l'acte même par lequel la négativité «transcende»
tout contenu. Il ne faut pas seulement dire, en effet, que la négativité est comme
rivée à l'être objectif au sein méme du mouvement par lequel elle le supprime,
qu'elle ne reçoit sa détermination que de celle du contenu qu'elle nie. Dans ces
thèses qui se trouvent, il est vrai, fréquemment énoncées, la problématique trahit
déjà un fléchissement ou se perdent la rigueur et la pureté de son dessein ontolo-
gique initial, Retrouver le sens originaire de cette problématique , c'est comprendre
que la négativité et' l'être ne sont pas comme deux entités indis solublement liées,
certes, mais qu 'on pourrait cependant séparer par abstraction. La négativité est.
assurément autre chose que la réalité objective considérée dans sa détermination
singulière, mais elle n'est pas autre .chose • que l'être de cette réalité objective, pas autre
chose que la détermination objective en tant que telle: °Dans le cadre de l'interprétation
de l'être du Sujet comme négativité, la subjectivité apparaît comme l'être même de
l'acte de supprimer. Celui-a, cependant , consiste tout entier dans le mouvement
par lequel se déploie le 'eu phénoménologique ou se manifeste la détermination
transcendante. La subjectivité est l'objectivité en tant que telle.
La critique hégélienne de l'Intérieur met justement en cause la possibilité d'une
dissociation entre l'être de la subjectivité et l'essence de l'objectivité . Il est vrai que
certains textes de Hegel semblent conférer à l'intérieur une réalité propre en éta-
blissant une coupure entre celui-ci et la manifestation . objective qui est cernsée
l'exprimer. Dans la recherche de lois prétendait établir une relation rigoureuse

(I) PhE, I, 70.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
877

entre l'intérieur; envisagé comme concept ,


et les déterminations objectives juxta
posées dans l'élément de '
l'étré Regel ne voit qu'une entreprise vaine, parce
le postulat d'une unité de l 'intérieur et implique
de l 'extérieur . ^ p rce que
, dans son principe,
une véritable chute ontologique de l'Idée , L'im ossibihté de s'a
corps objectif ' et sur
l differentes
les p s'appuyer sur le
determinations qu'il présente pour tenter une
reconstruction de l'intérieur qui l'habite semble traduire une m
éfiance à l'égard. du
pouvoir effectif de manifestation qu'il convient
de reconnaître
comme . telle,. Cette méfian ce, Hegel ne l'éprouve
, en réàlité
l'intérieur qui ne pourrait trouver dans l' obje ^, qu'à l'égard de
ctivite qu' une'manifestation
' ' •
inadéquate . Ce qui est mis en cause , c'est seulement la réale
Le réel té de cet Intérieur.
•H
p our .egel,
c'est l 'esprit , n'est le fait de se manifester .
ou l 'Intérieur est inégal à la manifestation Dans la mesure
objective, il n'est rien. Intérieur
L' '
qui ne se manifeste pas n'est finalement que le heu imaginaire ou se
trouvent
placées toutes les virtualités , potentialités et intentions par la
les hommes se consolent a' ' pensée desquelles
isément de l'insuffisance de leur être réel et de leurs
réalisations effectives.
D'ou vient cependant le sentiment d'une
ci • _ - - , ,,telle ? insu Nelance signifie-t-il pas, pré.
sément, qu'il y a comme une richesse subjective que la
détermination objective
n'a pu traduire ni épuiser ? La seule richesse, p our R egel,
est celle de l'Esprit.. Il
y a assurément chez l'homme le. sentiment quasi permanent
d'une in suffisance
d'une iné galité , d'un inachèvement.
Ce sentiment se retrouve au coeur de la
pensée hégélienne, dont la visée propre est précisément l'abolition d' une
inégalité , le repo s translucide et simple
». En quoi consiste, cependant, une telle
inégalité ? Elle ne surgit pas dans l' hégélianisme entre la su
bjectivité et l'objectivité
comprises comme deux essences opposées
ve ou comme deux k entités sé parées, et
se
produit à l'intérieur de l'essence objecti elle-meme
, elle est le fait de cette essence. Elle est
l'inégalité entre le mouvement infini par lequel se depploie
l'horizon p henomeno
' o- 'l
gigue transcendantal . et le terni e transcendant
fini qui se manifeste
sur le fond de
cet horizon. Ce qui n' entre pas dans un rapport d'égalité avec la '
détermination
objective, c'est l'être même de cette détermination ,
c'est l'essence ob jective,
ve, c'est
finalement !a détermination ob>ecve elle-mëme en tant que telle.
C'est seulement parce
que l'inégalité lui est aussi intérieure ue sa ro re
q p p essence, qur l'être objectif est dialec-
tique. Si la dialectique hégélienne est la dialectique interne de
l'objectivité, si le
processus est immanent à la détermination c'est que le Concept hé ehen
qui
est l'âme de ce processus , ne se réfère à, aucun g Dmais
e subjectivité authentique,
désigne seulement et expressément la détermination obj
.i ective elle-même dans son
objectivité.
878 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

s 74• LE ROYAUME DE LA PRÉSENCE EFFEC'TIVB


E1' LA FUITEHORS DE TOUTE EFFECTIVITÉ

La présence de l'inégalité au sein de l'essence objective laisse subsister un doute


sur la signification exacte qu'il convient de reconnaître à la critique de l'Intérieur.
Elle nous invite à une réflexion plus approfondie sur la nature même de l'ob-
jectvité.
La signification générale des grandes critiques 'dir gées par Hegel contre les
concepts qui impliquent l'existence effective et autonome d'une essence de la
subjectivité, est de rappeler que seul est réel ce qui se manifeste et d'affirmer qu'il
n'existe qu'un seul mode fondamental de manifestation, celui de l'objectivité.
L'affirmation que « seul est réel ce qui se manifeste » ne signifie nullement, cepen-
dant, que la tâche de la philosophie doive consister dans le simple inventaire de
tout ce qui existe, en tant qu'il se manifeste . Hegel se tient infiniment éloigné de la
platitude d'une pensée qui se confie purement et simplement , comme la conscience
naturelle ou comme l'Aufklârung qui en est la répétition sur le plan philosophique,
L la détermination objective . Il ne dit pas exactement tt est réel ce que nous
voyons et découvrons autour de nous avec le caractère d'être manifeste »; sa pensée
s'exprimerait plus justement dans cette formule « tout ce qui est réel doit pouvoir
se manifester ». II y a, antérieurement à la réalité de la manifestation , plus exacte-
ment, antérieurement à la réalité manifestée, comme une exigence qui la précède.
Cette exigence est celle d'un accomplissement . Ce qui doit s'accomplir, c'est la
réalité. L'accomplissement de la réalité consiste pour celle-ci dans le fait de devenir
un phénomène. La « vie accomplie », par opposition à la « vie non accomplie» (i)
où se cantonne, par exemple, le christianisme, était déjà, aux yeux du jeune Hegel,
la vie qui se manifeste. En tant que la vie accomplie est la vie qui se manifeste,
elle renvoie cependant à une « vie non accomplie » qui ne se manifeste pua encore.
Tout accomplissement ne soutient pas seulement une référence à ce qui sera par lui
accompli, il est aussi l 'accomplissement de quelque chose qui n'est pas encOtt
L'unité développée, pour parler comme Hegel, implique une rétro -référence à une
a unité non développée ». La vie non accomplie, l'unité non développée , n'est-ce
pas cependant ce qu'il convient d'entendre sous le nom d'Intérieur ? Celui-ci ne
désigne pas seulement la représentation illusoire de nos possibilité , inaccomplies, il
est bien plutôt ce qui précède effectivement, d'une certaine façon, tout accomplis-
sement, toute réalisation sous la forme de la détermination objective.
Ii ne s'agit pas ici de mettre en cause les résultats de la critique de l'Intérieur ni,

(1) CD, 142 note (b), 113.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
879
plus profondément, l'interprétation générale de
rote rétaton ^ lanégativité comme catégorie,.
rp qui a montre l'absence . dans l'hégélianisme de toute '
positive de la subjectivité, La subjectivité n'est en aucune façon pour Hegel
essence autbentique, pbenomenologiquement de'terminee bar sure
L'Intérieur désigne i m mode de révélation propre,
. peu une essence de ce genre qu'il est, en réalité, rivé de
toute lumière. L'Intérieur n'est en aucune façon ' p
l'en soi. Il est, , pop soi. Hegel ! appelle au contraire
précisément ce qui doit devenir pour sot. Devenir pour soi . se réaliser,
se manifester, c'est entrer dans la lumière de la transcen '
dans cette lumière sous la forme d'une détermjnati dance, c'est se produire
on obJectlve. On dit quelque-
fois que Hegel conçoit l'Es rit comme c •
l.'Esprit est 1 P e 9m dort se manifester . En réalité,
e produit de la manifestation, il est le terme et no '
accomplissement. est L'Esprit
l'Esprit objectif.réel l'origine
L'Intérieur n'est j at
a: l'Ec rit,
Il est, au contraire, ce qui n'est as encore pa
rvenu dans la lumière de la réalité,
quelque chose d'obscur, la possibilité, l'en-soi qu'il flou
le Fond sans descause s faut comprendre comme
Recherches sur la Liberté humaine, ou comme la
Puissance (- A) de la dernière première
philosophie de Schelling, C'est a partir de cette
obscurité du « Grund » où baigne l'intérieur,
toutefois , que la
La détermination objectivé n'est 1' ^ . , manifestat ion $e produit.
pas etre rigide que l'entendement se représente
aussi longtemps qu'il ne la conçoit pas. Elle a en fait, une
origine, Elle est le
mouvement de se produire à partir de cette origine. Interpréter
l'être de la détermination objective, correctement
c'est saisir celle-ci à l'intérieur même du
processus par lequel elle devient. Concevoir l'être qui se manifeste
prendre dans l'acte par le uel il se , c'est le sur-
q manifeste, c'est le comprendre sur le fond de
cc qu'il est comme un perpétuel parvenir dans la lumière.
mouvement de naître, . ^ La manifestation est le
Ce mouvement est le devenir de l'être qui se manifeste, il
est son historiai, son Concept.
La manifestation est le mouvement par le •
rodait en quel la détermination objective se
produit se manifestant dans la lumière à partir de quelque chose qui n'
lui-même dans la lumière. La manifestation est pas
se produit « à partir de ». Ce à partir
de quoi la manifestation se produit, c'est l'Intérieur Grsard
Comment faut-il comprendre ' c'est un obscur.
• • cet Intérieur ? Comment doit se déterminer ce
Grand ?
Y a-t-il une réalité qui précède celle qui est là pour nous et se présente à
nous comme phénomène objectif ? En fait, l'essence de l'objectivité es
Hegel, la seule essence. Ce à de quoi se l t, pour
l'étre-là de la détermination partir produit le mouvement qui aboutit à
objective, c'est ce
mouvemnt meure, c'est^ . .
la négativité
qui est la Nuit, c'est le Concept, c'està-dire le processus.
il est le devenir de l'être-là ^ Concept n'est pan ^
. II y a, dans l'essence de l'objectivité, quelque chose
de non objectif, Ce qui dans l'essence de l'objectivité tivité n'est
n est pas en soi-mémo
objectif, ce n'est pas la subjectivité
, comprise comme une essence autonome.
88o L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

C'est le mouvement par lequel advient l'être objectif, c 'est l'essence même de
l'objectivité en tant qu'elle n'est pas une essence statique mais une production,
en tant qu' elle est le processus par lequel se produit l'être objectif dans son objec-
tivité. L'objectivité ne peut se comprendre que comme objectivation,
L'objectivation est l'essence. Elle est ce qui nous introduit dans le royaume
de la présence effective . Ce qui est effectivement présent, « la réalité effective »,
c'est la • réalité objective, c'est ce qui résulte de l'objectivation . L'objectivation
est le mouvement par lequel quelque chose devient présent dans la lumière en
tant qu'objet. Que l'Esprit doive s'objectiver pour être réel, cela signifie qu'il est
quelque chose d'antérieur à la détermination objective . Cela ne signifie pas qu'il
soit antérieur à l'objectivation elle-même . En fait, l'Esprit est lui-même le pro-
cessas de l'objectivation en tant que tel. Il est le mouvement par lequel l'être
devient réel, c'est-à-dire devient un phénomène. Ce mouvement, qui est à la fois
le déploiement du milieu phénoménologique transcendant et le surgissement` de
la détermination dans ce 'eu, c'est l'objectivation.
La critique hégélienne consiste , dans ses principaux thèmes, à montrer que la
subjectivité est quelque chose d 'abstrait et d'irréel, qu'elle n'est pas une mani-
festation suffisante de l'Esprit qu'elle n' est pas, a vrai dire, par elle-même une manifes-
,
iation. La manifestation ne se produit que dans et par l'objectivation . Que l'objec-
tivation soit l'essence, l'Esprit, c'est ce que mettent en lumière les parties positives
du système. Celles-ci consistent dans la description des diverses formes fonda-
mentales de l'objectivation dans et par laquelle le réel se réalise . Ainsi s'explique,
notamment, le rôle décisif dévolu par l'hégélianisme aux grands phénomènes de
l'action, du langage . Ce qui se trouve pensé sous ces termes , ce n'est, chaque fois,
rien d'autre que l'essence.
La nécessité de l'action est souvent affirmée par Hegel, notamment lorsqu'il
s'agit de mettre en lumière l 'insuffisance de la morale traditionnelle, c'est-à-dire
de la moralité subjective . Mais le recours à l'action n' a pas pour but de définir
un mode de vie authentiquement moral par opposition à un autre qui ne serait
qu'hypocrisie. Le débat ne se situe pas du tout , malgré l'apparence, sur le plan
moral. Les impératifs éthiques de l'hégélianisme trouvent leur fondement dans
l'ontologie. Si la nécessité du recours à l'action revient comme un leitmotiv,
c'est que l'action est la condition de la réalité . « Il y a action, dit Hegel , parce que
le fait d' opérer est en soi et pour soi-même l'essence de la réalité effective (i). »
Par réalité effective, il convient d'entendre la détermination objective qui résulte
de l'action , non pas toutefois, dans sa singularité, mail dans son objectivité. Il convient,
plus précisément,, et comme le montre avec éclat le contexte , d'entendre cette
.
(t) PhE, I, 334.
LE CONCEPT HÉGÉLIEN
88 1

objectivité considérée en elle-méme: L'action est la condition de l'obj


qu'elle n'est rien d 'autre que le mouvement même ar le uell'ob ectivitéectivité en tant
'
devsent,. en tant
qu'elle est une, ob 1 'ecdvation
. L'action est la conditionq du ^réel .
Mais le réel est
Esprit, il est a phénomène », manifestation . L'action est
condition de la manifestation, , devënir, elle son ' par conséquent, la
est la manifestation elle-même en tant
que l'essence de celle-ci est le devenir. L'action est le passage de l'en-soi dans le
c'est-à-dire dans l'objectif, s e pour-soi,
Il ne faut pas entendre ce passage comme la simp le
entrée d'un contenu dans la lumière de l'être transcend
ant. Ce qui s'h;storralisa
dans l'action, c'est la lumière elle-même. L'action a
une si gnification ontologique.
Elle est l'événement même de la transcendance . Ce qui compte, ce n'
singulière, avec son conter ^ est pas l'action
u particulier et contingent
, c'est le fait même de l'action.
C'est et le fait d'opérer en soi et pour soi ». L'action est une opération universelle,
elle est le déploiement transcendantal du milieu
phénoménologi que '
C'est parce que le fait d'o pérer en soi et pour soi est l
' ouverture même de l'horizon
transcendantal qu'il peut être dit la réalité effective, c'est-à-dire la réalit é dans sa
condition et dans sa possibilité même, la réalité en tant que telle.
L' antinomie classique du savoir et de l'action ne trouve as . làce a
de l'hégélianisme. L'action est le devenir p p u sein
du savoir. L'essence de l'action est
l'essence de la manifestation . Il n'y a pas, chez He gel,
une consci ence proprement
subjective qui précéderait l'action et qui serait déjà ^enindépendamment
elle-même ,
de cette action , lumière et savoir .
L'avènement de la conscience est un avec l'opé-
ration dans son accomp lissement
Quelle que soit sa motivation partsculiere, l'action
humaine trouve en fait sa véritable raison dans une nécessité ontolo i ue. C
est le destin de l'Absolu en tant gq ette nécessité
qu'il est aussi Sujet . Ce qui se fait entendre dans
cette nécessité, c 'est l'appel de la lumière . Celle-ci, comp
rise p ar Hegel comme la
lumière du visiblc implique un devenir visible qui est l'objectivation même.
La conscience n'est rien d'autre que cette lumière elle est le résul tat de l'objecti-
vation . II est inexact de dire que la conscience doit a gir p our s'objectiver
s'objectiver EnEfait,
'
l'objectivation est lela devenir de p
conscience . Elle est ce qui permet à l'Esprit
d'être réel. « L'agir, dit Hegel, est justement le devenir de l'esprit com3ne
Conscience (i).
Parmi les motifs qui déterminent l'action humaine , le désir de reconnaissance
joue apparemment dans l 'hégélianisme unprivilégié rôle Il.convier
t, cependant,
de le comprendre lui aussi, dans sa signification ontologique
. Celle -ci se manifeste
dans le fait que ce désir est originairement lié â l'action . C'est l'action
le milieu où peut l'homme eut qui déploie
être reconnu. Étre reconnu, cela signifie, tout d'abord, se
manifester comme un phénomène, s'exposer à la lumière du our.
C'est à une certaine

(I) PhE, I, 327.


88z L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

exhibition que l'homme prétend dans l'action. Avant de fournir le contenu


particulier de ce qui s'exhibe ainsi chaque fois en elle, celle-ci a déjà ouvert le
champ de lumière où ce contenu est là pour tous et pour chacun. Qu'il soit là
pour tous et pour chacun, cela n'est précisément possible que par la médiation
de la transcendance. L'action est l'action de la transcendance. L'intersubjectivité
repose sur l'objectivité. Le tissu concret des relations interhumaines évoluant vers
l'égalité de la reconnaissance réciproque ne peut être interprété comme quelque
chose d'ultime et comme le véritable but que si l'on perçoit en lui, et dans chacune
des actions dont ü résulte continuellement, la signification ontologique du a fait
d'opérer en soi et pour soi ». En produisant la substance sociale, l'action et la
lutte des hommes confèrent à l'objectivité naturelle une nouvelle dimension plus
proprement « spirituelle ». Mais l'Esprit englobe toutes les formes de l'objectivité,
il est l'objectivité elle-même, en tant que telle. « L'élément spirituel du devenir
reconnu » (i) emprunte sa réalité à l'oeuvre universelle de la transcendance.
L'action reçoit sa signification de l'essence qui habite en elle en tant qu'elle
est un mode fondamental de l'objectivation. Celle-ci est essentiellement mou-
vement. Elle est le processus, la pure opération, l'absolue négativité, le K fait
d'opérer en soi et pour soi ». Elle est le Concept. Le Concept est l'objectivité
elle-même, envisagée comme une essence naturante, comme objectivation. Ce qui
advient par l'opération du concept, c'est la détermination, c'est en quelque sorte
l'objectivité naturée, c'est l'être objectif en tant qu'être présent, Le Concept est
précisément l'ouverture de cette dimension de présence où l'être est maintenant
là pour nous . Hegel appelle souvent réalité effective la réalité de l'être objectif
qui s'offre ainsi à nous. La réalité qui est primitivement celle du concept se réfère
maintenant à la détermination objective en tant que telle. Cette modification du
sens du mot réalité semble impliquer une chute de la pensée du plan ontologique où
elle se meut primitivement sur celui des déterminations ontiques que la conscience
naturelle prend pour l'Absolu. Une telle chute, toutefois, n'est pas due à une
quelconque déficience de la pensée personnelle du penseur, elle trahit, en fait,
une obscurité foncière qui trouve son origine dans l'essence. Celle-ci a été déter-
minée comme objectivation. Quel que soit le mode particulier selon lequel cette
objectivation s'accomplit (action, langage, art, religion), elle signifie dans tous
les cas un passage dans la lumière, . elle est l'opération par laquelle l'être surgit
dans la dimension de l'objectivité en tant qu'être-là. Mais le surgissement de l'être-là
est la disparition de l'opération. L'acte par lequel la détermination se manifeste est aussi
celui par lequel le Concept s'évanouit. Le Concept est lui-même l'évanouissement. Il est
la Nuit de la disparition. Le fait d'opérer en soi et pour soi est l'objectivité elle-même en

(I) PhE, II, 175.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
883

tant qu'objectivation . Il est l'essence de la manie


station, Mass' l'essence de !a manifestation
ne se matsi este pas. La manife
station est le mouvement de érir.
La dialectique de l'aeuvre exprime, p
faitqqui ^ au-delà
s enracine de sa signification existentielle , ce
dans l ' obscurité de l'essence , que la
concrète comme chose subsistante production de -l'aeuvre
dis dans le milieu de l'être est. immédiatement 1
parition de cette production comme telle .
en fait, qu'une existence abandonnCe ui se tro a
q Uve ainsi produit n'est,
ée, une. chose morte . Dans.. la lumière nue où
baigne l 'être-là qu'a délaissé le Concept, ce qui
se manifeste , c'est seulement ce
caractère d'être délaissé, ce caractère d'être nu c'est la
tivité . Ainsi' abandonnée ^ profonde misère de l'objec-
nuée,, la détermination objective s'enferme dans sa
et dans son absurdité . Elle n'est plus , comme le contingence
vulgaire » (i). De cette vulgarité , dit Hegel, qu'une a effectivité
cependant, l'artiste n'est
à tort qu'il l'attribue quelquefois à lui-me p^ responsable. C est
me, à une. déficience de ses capacités
personnelles ou à un fléchissement de son effort, L' •
d'activité humaine en se heurte
général,
à la monstrueuse contradiction de l'essence.
La prétention de celle-ci est de se réaliser alors
rtion même . Ce qui doit être réalisé, en effetque sa réalisation signifie sa dispa-
ce • n'
le Concept , Mals le conce t s'enfe , est point ceci ou cela, c'est
p rme dans sa nuit . Ce qui est produit , ce n'est
pas l'essence , la déception de l'homme devant
l'ouvre réalisée, quelle qu'elle soit,
provient de l'inégalité entre la détermination et Sonn milieu '
rrulieu ontologique ,. inégalité
qui appartient à l'essence de l'objectivité comme
insurmontable cela
suite de ceré
quet^e• Que cette inégalité soit
l 'opération qui déploie le milieu '
en tant qu'elle est la dissimulation même l se dissimule
f inalement. de ce que cbeZ Hegel ^, a négativité qui est la Nuit, cela vient
noménologique . la subjectivité n'est point en elle-même une essence pbe-

L'hégélianisme prétend. surmonter l '


réconcilier le fini^ et l'infini., l'être- e dualisme de la forme et du contenue
là et le fonce t, M ' '
dans la détermination p ais
demeure affirmation
une l'immanence
• de l'universel
'elle n 'est pas vécue . purement spéculative aussi lon g-tempsqu
Et comment le serait-elle lo rsque l'élément universel
n'est plus un donné phénoménologique
` , lorsqu'il n'est plus présent dans
mnation transcendante mals s'est au p ^ détèr-
contraire retiré de celle -ci et cela, non point
par l'effet d'un accident, mais en vertu
d'une prescription de l'essence . Confer- .
miment à cette essence , ce n'est pas à un moment
se trouve livré à l'abandon , de son histoire que l'être-là
cette déréliction est aussi ancienne que lui , elle remonte
a- son origine , elle est cette origine
même uis ue la
une avec l'avènement de p q disparition du Concept est
la détermination objective ; Le Concept et l'être
en fait dans une extériorité si radicale qu'il
' peine làdesont
q . nous est à peine possible la; Penser,
(1) PliE, II, 184.
884 L'ESSENCE DE LA. MANIFESTATION

La détermination inclut le négatif en soi-même , l'être-là, a-t-on vu, est dans son
concept;t • mais le Concept qui contient l'être-là n'est pas lui-même une effectivité
présente, il est bien . plutôt la fuite hors de toute effectivité et de toute présence, non pas
l'être mais le néant. Ce. n'est pas seulement le christianisme , c'est aussi , à vrai dire,
le Concept hégélien qui est en soi l'acte de repousser le monde et ses déterminations
objectives, la fuite hors de l 'effectivité . L'immanence de l'infini dans la determi-
nation ne peut recevoir une signification positiveque si elle se réfère à une présence
phénoménologique du Concept. Mais, dans le. monisme hégélien , seul l'être trans-
cendant est véritablement là. Le Concept ne possède pas un mode de révélation propre
au sein duquel il se livrerait tel qu'il est en lui-même. Il doit bien plutôt, pour s'offrir
dans la p résence, pour être véritablement là, se soumettre à ce qui est compris
par Hegel comme la condition générale de toute présence , c'est-à-dire à l'horizon
de l'objectivité . Le Concept pourtant ne se plie pas à un tel mode de manifestation,
cette présence qu'on lui offre sous la forme d'une détermination objective, il la
refuse et la fuit . Il est la disparition . Il est ce qui échappe perpétuellement à l'être-là,
bien qu'il soit aussi ce qui permet à cet être d 'être précisément là. Il est cet échap-
pement qui est une permission . Cet échappement hors de l' être-là, ce mouvement
par lequel le concept se refuse à la détermination , c'est le Temps. Le Temps est
un évanouissement, il est ce qui fuit et ce qui échappe. Le Temps n'est-ii pas
précisément le mode de présence phénoménologique du Concept?

§ %S LE TEMPS ET LE PROBLÈME DE LA MANIFESTATION DU CONCEPT

Les difficultés inhérentes à la théorie du concept se retrouvent à propos du


problème du temps . Avant de se demander si l'être du Temps peut jouer par
rapport au Concept le Yole d'un donné phénoménologique dans lequel ce: concept
serait susceptible de se manifester , il convient de s'interroger sur cet être du
Temps . Le Temps ne peut, en effet , être pensé comme l'être-là du Concept (t)
que s'il est lui-même un être -là. Le Temps est-i1 un donné phénoménologique 1 Entre
la question de l'être du temps et celle de savoir si : le temps est. un donné pheno
mnnologique, la corrélation est si étroite qu'il s'agit, en fait, d'une seule et même
question. Être, cela signifie se donner à titre de phénomène . Cela signifie plus
précisément, dans le monisme . ontologique , se donner comme un phénomène
transcendant, dans ce que Hegel appelle le K milieu de l 'être ». Si donc le temps
est un donné phénoménologique, c'est que son être doit pouvoir s'interpréter à
partir de celui de l'être-là. L'être-là compris dans sa signification temporelle est
précisément le maintenant. Le maintenant est l'être en tant qu'il est là, il est l'être

(I) PhE, I, 39-40 : « I,e temps est le concept même étant-là'.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN 885

qui est là maintenant , das absolute Diesel. Cependant, si le temps


dre à partir . du .maintenant, il n'est pas lut-meme peut se compren-
A le maintenant , Ce qui doit étre
ajouté à l'être du maintenant pour obtenir celui du temps, c'est 1'
extériorité, c 'est
la catégorie du «1 un à l'extérieur de l'autre» sous la forme du
«l'un après l'autre».
Le temps est la succession des maintenant , une succession telle
qu'en elle cha
maintenant se trouve être extérieur à tous 1 ainsi
es autres . Le temps que compris à
partir du maintenant est un temps donne , un temps vorbanden.
Si nous réfléchissons
cependant, sur ce qui se donne réellement à travers un tel temps, nous vo
yons que
ce n'est rien d'autre qu'une suite de data concrets d'él éments réels
. dont chacun
consiste en un maintenant-ceci. Le donne pbenomenologrque
est toujours constitué
par un maintenant concret , par un être-là déterminé. Ce qui fait
cependant qu'un
tel donné phénoménologique est
temporel, c'est que chaque élément concret qui
le compose apparaît en tant qu' il est seulement un maintenant c'est
-à-dire en tant
qu'il s'évanouit. ' Mais le fait de s'évanouir, considéré
en lui-même n'est pas un
phénomène, il n'est jamais là. S'il en était autrement ,
il ne serait as l'évanouis-
sement, mais un nouvel être-là. La seul e manifestation phénoménologique du
« fait de s'évanouir » consiste justement dans le nouvel
être-là dans le nouveau
maintenant qui prend la place de l'ancien . Cela signifie que le
« fait de s'évanouir »
ne peut être « considéré en lui-même
», indépendamment de l'être-là qui s'évanouit
ou qui surgit. Ce qui se manifeste dans
comme la phénoméno-
un donné lumi t
Bique, c' est toujours l'être-là. Le fait
logique, èrede s'
évanouir ne s'insère as, à titre d'élé-
ment réel, dans la chaîne concrète des
maintenant-.ceci «sepsuccèdent.
» qui
Que le temps pur ne puisse
se manifester comme un phénomène dans la.
sphere de l'être transcendant , cela signifie,
aux yeux de la conscience naturelle qui
s'abandonne, dans sa naïveté pré-philosophique,
au culte de l'être -là qu'un tel
temps n' est rien en lui-même et qu'on ne
peut, en tait, le séparer de son contenu
L'acte par lequel le temps se trouve pensé à l'état
séparé est une abstraction..
C'est par l'opération de celle -ci que le «fait de dis paraître
»«l'acte de se consumer»
se trouvent posés en fait indépendamment de l'être
-là qui disparaît, de la réalité
temporelle qui se consume . Lorsqu 'il a voulu saisir le tem
ps dans sa prétendue
pureté , Hegel a-t-ilpu définir
le autrement que comme « l'abstraction du consu-
mer» (r ) ? Que le temps ne puisse être pensé en soi
et pour soi que par l'opération
d'une abstraction cela nous i nvite à réfléchir
sur la nature de celle-ci. Elle est le
temps originaire et pur compris lui- même comma la condition
de tout être- là de tout
effectivité, réelle ou non, et, par exemple, de la représentation dans laquelle le
temp sppur est
pour nous une réalité phénoménologique donnée encore
qu'idéale. C'est parce que l'être-là
trouve son fondement dans une temporalité plus originelle que tout ce
qui est

(I) Encyclopédie , § 258, supplément.


886 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qu'il est temporel et fini. La temporalité n'est rien d'autre que la négativité. Elle
est la suppression sur le fond de laquelle toute détermination se donne à nous en
tant que finie.- Que le temps puisse être défini comme l'abstraction du consumer,
cela ne signifie pas qu'il faille le réduire une entité métaphysique , cela signifie
que c'est l'abstraction qui consume, que le Concept est Temps . Cependant , le temps
qui vient d'être reconnu comme l'essence du Concept ne peut en aucune façon lûi servir de
« phénomène ». Pas plus que le Concept, il ne se manifeste lui-même à titre de donné. Il est
l'acte de la suppression dialectique qui s'enfonce dans l'abîme , la nuit de la
disparition.
Hegel n'a pas méconnu l'essence originaire du temps, il a osé, le premier,
interpréter le temps comme l'essence de l'esprit . Après avoir montré comment,
dans la Logique, l'affinité du temps et du concept repose sur l'identité de leur
structure formelle, Heidegger ajoute dans Sein und Zeit « Mais comme le temps
est aussi saisi [par Hegel] comme un temps du monde purement et simplement
nivelé et qu'ainsi son origine demeure complètement cachée , il se tient simplement
en face de l'esprit comme une réalité donnée . C'est pourquoi l'esprit doit d'abord
tomber « dans le temps ». Ce que signifient cette « chute » et cette « réalisation »
de l'esprit qui est le maître du temps et qui existe proprement à l'extérieur de lui,
demeure obscur (i). » Pourquoi le temps qui s'identifie dans l'origine au Concept
est-il « aussi saisi» comme « un temps du monde purement et simplement nivelé»?
Comment faut-il exactement comprendre cette juxtaposition, au sein de l'hégé-
lianisme, d'une temporalité authentique et d'un temps déchu ? Quelle est l'origine
de cette « chute » en vertu de laquelle l'esprit s'enfonce dans un temps historique
vorbanden lorsqu'il veut se « réaliser » ? A quoi tient l' « obscurité » où baigne l'ori-
gine d'une telle « chute » ? Non pas, ici encore, à une quelconque insuffisance de
l'analyse. Cette obscurité appartient en propre à l'essence . La chute de l'esprit a,
comme le reconnaîttlui-même Heidegger, la signification d'être la propre « reali-
sation » de cet esprit. Se réaliser signifie, pour celui-ci, devenir conscient, passer
de l'en-soi au pour-soi. Le temps est justement le devenir conscient de l'esprit.
De quel temps est-il question , toutefois, lorsque l'être de celui-ci est interprété
comme le devenir conscient de l'esprit ? II ne - s'agit alors, en réalité, ni de la
temporalité authentique ni du temps déchu , mais du mouvement même par
lequel le temps originaire se transforme en un temps vorbanden et devient ainsi une
réalité donnée. Le temps est le devenir conscient de l'esprit sous la forme d'une
chute, il est l'essence même de l 'objectivation.
1 est à la fois vrai et faux de dire qu'il n'y a chez Hegel aucune philosophie de
la temporalité originaire. Sans doute le temps authentique n'est -il pas saisi par

(I) SZ, 435.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
881

Hegel en et pour soi. La raison en est que le pour-soi


une. propriété de Pori 8irae . Celle- ci demeure , n 'est paf, dans l'hégélianisme,
foncièrement obscure ell e n 'est rien
d'autre, comme telle, que le mouvement vert
!a lumière, vers ce que Hegel appelle
la réalité. Le temps originaire n '
a pas de réalité propre , il est ce mouvemen t vexa
la réalité, c'est-à-dire la «réalisation » en tatst
que telle • Qu'une telle «réalisation»
soit une n chute » Cela
résulte immédiatement du fait que ce qui est roduit ar
un tel mouvement, c'est la réalité donnée, c'est le temps vorhanden
où le temps
originaire se perd pour se réaliser. Le temps n'est rien d'autre ue ce m
de se perdre, La « chute» est donc le temps lui-même. q ouvement
du monisme 1 Tout. ceci résulte finalement
qui la réalité avec l'objectivité en tant que telle. L'esprit
ne peut se réaliser, conformément à e, L esprit
de tels présupposés, qu'en entrant dans
l'objectivité et en acceptant la forme de la réalité do
nnée. Le temps lui=même est
cette entrée dans la réalité donnée , il est sa pro p
re suppression en tant
pur. Le temp s vorhanden est 1 que temps.
a vérité du temps originaire . Le `temps lui-
même est
l'accomplissement de cette vérité, c'est-à-dire de l'Esprit. ^^ entree-dans l'objec
tivité,
est la transformation de l'en - soi en pour-soi,
l'accomplissement. de l'Intérieur, cc'est
-à-dire sa manifestation comme « phéno-
mène » dans la lumiere. C'est pourquoi « le terras se manifeste
et la nécessité de l'esprit... p . • • comme le destin
comme la nécessité de réaliser ce qui n'est d'abord
qu'intérieur et de le révéler » (t), Il est inexact de
dire, sans plus d'exp lication,
que l 'esprit « tombe dans le temps ». Le tem ps qui
comme une réalité donnée e tue en se siface de l'ésprit
t dans lequel l'esprit doit « tomber », n'est que le
temps vorbanden.
Mais le temps originaire n'est as asextérieur a l'
d'autre part, d'une façon mystérieuse p
et, pour
temps vorhanden se situe en face de l'Esprit, mais l'Es Hegel, incompréhensible, que le
prit qui
est. le mouvement même par lequel
la réalité se réalise, c'est à-d re se se en ace de
soi en tant que réalité histori ue, f
q
La réalité historique est, pour He gel, la seule
réalité. L'Esprit se réalise en tant
qu'il est le temps pur. Le temps vorbanden est l'esp
rit réalisé qu'il •
l'esprit apparaFt sous la forme d 'une
série de figures concrètes au sein de l'hi t '
L'Esprit réel est. cette apparence historique en tant s ocre,
que telle. Le monisme de la
manifestation a pour conséquence que cette manifestation ne peut être qu'histo-
rique. L^essence de la manifestation consiste dans le tra
déploie l'horizon par lequel la, négativité '
vail
phénoménologique universel. La vérité entendue co
l'ouverture de cet horizon est ainsi le fait
du vrai est de percer p p^.duVoilàtem s mme
pourquoi « la nature.
p quand son temps est venu » (2), Quand le temps est venu
,
(i) PhE, II, dos,
(Z) ID., I, 6i.
888 L 'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

alors l' Esprit peut être là, il est présent comme un Esprit réel, comme une figure
concrète de l'esprit.
Si la « chute » de l'esprit dans le temps vorbanden a la signification positive d'être
la u réalisation » de l'Esprit sous la forme de son propre devenir conscient, cette
réalisation cependant est tout aussi immédiatement comprise comme une « chute».
Le temps vorbanden est un temps déchu . Dans la succession objective des phéno-
mènes qu'il nous présente , quelque chose n' a pas trouvé place qui touche pourtant
à l'essence. Ce quelque chose d'essentiel , c'est le temps originaire lui-même, c'est
le fait de disparaître qui ne s'insère jamais â titre d 'élément réel dans la chaîne
constituée par la succession des data concrets . C'est le Concept qui n 'est pas en et
par lui-même un donné pbinoménologique et qui appelle le temps afin que celui-ci lui
confère la présence et l'être -là, mais le temps qui est l'être-la du Concept n'est qu'un
temps vorbanden où le temps pur s'est perdu et, avec lui, le Concept. La réalisation,
sur le fond du temps, du Concept dans l'être -là est en fait la disparition du Concept,
la perte et l'oubli de sa nature originaire , son aliénation dans la forme de la manifes-
tation objective. L'aeuvre du Temps est contradictoire.

s 76. L'ALI.NAT ION : FINITUDE ET INADÉQUATION


DE LA MANIFESTATION OBJECTIVE

Hegel comprend l'essence de la manifestation à partir du processus fonda-


mental de l'objectivation . Ce processus est le Concept . Le Concept est l'origine
de ce qui se manifeste , bien qu'en lui-même il ne se manifeste pas. L'acte pax
lequel quelque chose surgit dans la lumière à titre de phénomène est indissolu-
blement celui par lequel quelque chose se cache . Ce qui se cache dans l'opération
de l'acte qui fait surgir la lumière , c'est cet acte lui-même , c'est le fait d'opérer en et
pour soi. L' essence de l'essence est de se manifester. Mais Hegel comprend
l'essence de la manifestation de telle manière que cette essence ne se manifeste
pas, S'il y a dans l'essence de l'objectivité quelque chose de non objectif, c'est
que l'objectivation est une aliénation.
L'effort pour récupérer et offrir à la lumière ce qui se dissimule dans le surgissement
mime de celle-ci. est celui de Hegel, aussi bien que de la conscience naturelle . Lorsque, par
exemple la dialectique de. l'acti n _ a montré que le produit de celle -ci, c'est-à-dire
,
l'être objectif dans son objectivité, laisse échapper l'essence de la production, le
fait d'opérer considéré en soi et pour soi, de telle manière qu'il n'est plus , dans le
'eu de la lumière, qu'un être-là abandonné et contingent, un nouvel effort se
fait jour qui vise à restituer à la sphère de l'objectivité cela méme qui vient d'en
étre exclu. Cet effort est celui du langage qui vise à exprimer ce a quoi le produit
de l'action n'a pu s'égaler L'insuffisance de l'action doit être compensée par
.
LE CONCEPT HLEGLLIEN
889

l'avis de 1a conscience sur sa pro re action avis


l'action p ^ qui est censé contenir ce que
considérée dans son résultat avait été incapable de traduire, L' '
de Hegel, sa foi dans la puissance de l'Esp-rit reposent °pnrnsme
formulée, n' ri ^ sur l'affirmation, souvent
qu'il y a en qui ne soit susceptible d'être dit, . et que le langage
l'homme est capable. de tout exprimer. La de
puissance de l'esprit n'est=elle-même
rien d'autre que l'empire de l'objectivité qui doit
erre à même, finalement, de
tout contenir. Cette puissance de l'esprit doit justement rep
en tant que celui-ci représente la • suroser le langage,.
cela possibilité concrète de soumettre à la.loi du jour
même qui s'y dérobe et s'y refuse. Le langage doit
du Concept. C'est dans la me pouvoir être l'être-là
sure où le Concept se trouve identifié par lui avec le
Moi pur que Hegel peut dire de ce dernier :.« Le Moi co
ment
L que par p
le langage
O., n'est as»
^ I mme ce moi pur, autre-
La pretention de lever grâce au langage la contradiction que manifeste
de l'action ne saurait cepen este la
dent être prise au sérieux. Une telle contra-
diction ne tient pas, en effet, a la nature particulière de t
minée. Elle pose repose elle ou telle action défet-
^ bien plutôt sur l'essence de l'action, sur l'ob eaivation en tant
que Melle, Mais 1 ob^ectsvatron e.rf aussi l'essence du 1 J
engage tel. que le comprend Hegel.
Sans doute l'individu qui vient d'accomplir une action a-t-il le pouvoir d'exprimer
aux autres sa propre déception. Celle-ci, comme être-réfléchi de l'individu
l'intérieur de lui-même et comme rapport de cet individu avec son oeuvre, devient
manifeste et visible pour tous grâce au langage qui l'expose • •li
l'objectivité.
l s, comme le remarque Mai dans
lui-même Hegel le milieu de
, « ce qui doit être ' e xpres-
sion de l'intérieur est. en même temps ex
" pression dans l'élément de l'être, et retombe
par là dans la détermination de l'être qui est absolument contin
consciente de soi » Z , gent pour l'essence
, En sorte que l'Intérieur, en devenant dans le lan gage
« invisible visible », cesse d'être en réalité un Intérieur pour devenir un phénomène
comparable aux autres mais
lui-même.désormais B ra incomparable à la réalité ori inai •
de ! Inlérseur
Sans. doute une telle critique, que qui ne fait
reprendre .
les remarques
logiques traditionnelles sur l'ambi ité du signe, n'a-t-elle psycho-.
^ - qu'une portée toute
relative aux yeux de Hegel pour qui l'Intérieur que la manifestation
impuissante exprimer objective
n'a finalement aucune réalité, Être réel, cela signifie .
se manifester, et la comparaison de ce qui
se manifeste avec ce qui ne se manifeste
pas ne devrait avoir, â la rigueur, aucun sens. Mais l'intérie ur ne désigne pas
seulement dans l'hé gélianisme
on ne sait quelle réalité psychologique obscure et
irréelle, il se réfère, dans sa signification profonde au processus
transcendante!

(I) PliE, II, 6g,


(z) ID., I, 263.
M. HENRY
29
890 L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

qui ouvre l'horizon de l'objectivité , bien qu'il ne soit pas en lui-même quelque
chose d'objectif.. L'inégalité entre un tel processus interprété comme le Concept
et toute réalité effective objectivement présente réapparaît. Cela signifie que
quelque chose qui ne peut cependant être tenu pour une fiction est en fait incapable de a
manifester. Et il est vain de croire que la réalité objective serait susceptible, â
force de se transformer et de s'enrichir, de contenir finalement en elle et d'exhiber
ce qui se refuse ar principe à un tel mode de manifestation. La critique que Hegel
avait feint de diriger contre le langage a , en fait, une signification ontologique
décisive : elle frappe au caur l'essence de l'objectivité comme telle. Ce qu'elle pose d'irré-
cusable, c'est que ce qui en soi n'est pas objectif se trouve en fait incapable de le devenir
jamais. On peut prétendre qu'if y a entre une détermination objective, d'une
part, et,- de l'autre, un élément non objectif, une correspondance, que la première
joue par rapport au second le rôle d'un signe ou d'un symbole, mais le fait même
qu'on doive reconnaître aussitôt qu'un tel signe est absolument contingent suffit
à faire pressentir qu'on se trouve, en fait, devant une hétérogénéité irréductible
et insurmontable, parce que d'ordre éidétique. L'effectivité présente dans la
sphère de l'être transcendant peut bien avoir la signification de représenter ce qui,
par principe, n'appartient pas à une telle région de l'être , elle demeure une effec-
tivité transcendante et rien d'autre . La Concept` n'a pu, par la médiation de l'action
ou par celle du langage, percer jusqu 'à la lumière et s'objectiver dans l 'être qu'à
la condition de s'aliéner, et cela d'une façon si radicale que nous ne savons pas, en
réalité, ce qui nous. permet de dire, en présence d'une telle effectivité, qu'elle est
précisément l'être-là dans lequel le. Concept ,c'est aliéné.
Il est vrai que, pour Hegel, le Concept n'est rien d'autre que le fait même de
s'aliéner, le processus de l'aliénation en tant que tel. Il est le mouvement même de
devenir autre, l'instauration d'une distance à travers laquelle le Soi se manifeste
comme autre que Soi. Se manifester signifie nécessairement se manifester comme.
autre. Le devenir-autre de l'aliénation est la condition de toute manifestation
possible, l'élément constitutif de celle-ci. Le fait de se manifester étant l'essence.
même de la réalité , l'aliénation a la signification d'être la réalisation en tant que
telle. L'être-aliéné de ce qui se manifeste appartient, par suite, à l'entité réelle
comme un caractère phénoménologique de celle-ci, plus précisément, il est la
réalité même de cette entité, non pas un de ses caractères phénoménologiques
parmi d'autres, mais son être-manifeste, il est l'entité réelle en tant que telle.
L'être-aliéné est identique au fait de se manifester, au phénomène comme tel.
Le fait de se manifester trouve son fondement dans l'oeuvre du Concept. Le
fait d' être aliéné est justement ce qui atteste dans le fait de se manifester l'oeuvre du
Concept. L'être-aliéné qui appartient en propre à la détermination objective est ce
qui indique en elle son origine. L'aliénation de la manifestation est la manifestation du
LE CONCEPT HÉGÉLIEN
891

Concept. Ce qui seul s'offre, à titre de donné phénoménologique, à n


cherchons l'être du Concept originaire et pur, c'est le donné phénoménologique
lui-même, en tant que s'annonce en lui quelque chose qui renvoie à son
perdue.• C'est
simple, en tant qu'être-là
c'est au sein pur et origine
même de son abandon
qui fait de lui ce qu'il est, une effectivité morte et sans vie, que l'être-là est
son Concept. L'immanence du Concept au sein de la détermination transcendante
a une signification ambiguë. Conformément à cette si nification ce n'est
Concept qui est là et qui se
manifeste en personne dans l'entité effective présente.
Ce qui est véritablement là, c'est l'entité effective dans sa contingence et
finitude, et c'est seulement à travers cette contingence et cette finitude que trans-
paraît la nature originaire du Concept. Laffinitude de la manifestation
est la seule
manifestation de l'infini. Cette finitude, toutefois, constitue si eu une mamfes-
tation adéquate de la réalité dont seeelle est cen
cependant p
erre l'accomplissement,
que ce qu'elle manifeste ne se trouve en fait jamais resent en elle autrem
que sur le mode de la dissimulation. Elle autrement
manifeste en laissant échapper. Elle
cache autant qu'elle révèle. Elle n'est qu'une apparence dont la seule justification
peut, à la rigueur, • consister
q donne dans le fait
pour ce qu'elle
qu'elle seest,
1 pour
une simple apparence. Ainsi comprise, elle renvoie perpétuellement à un au-delà
qui, cependant, n'est jamais présent. La seule vérité de la manifestation objective
consiste dans le processus par lequel la vérité de cette manifestation est sans
cesse niée. La succession objective des data phénoménologiques concrets comprise
comme leur auto-suppression .en qquel
p enteue sorte
n'est erman '
elle-même
une manifestation du Concept que sur le mode du « manifester en dissimu-
lant », car, bien qu'elle implique comme son fondement l'acte plus originaire de
la suppression dialectique la succession objective n'est pas, en fait, séparable de
son contenu objectif, elle appartient tout entière à la sphère de la manif •
evtation
transcendante. Elle exprime et traduit, sous la forme intuitive, il est vrai, du.
« l'un après l'autre », la finitude qui est liée à l'eidos de cette sphère, mais elle
n'est elle-même que l'ombre du Concept. Si elle le manifeste à lui-même ce n'est
point toutefois tel qu'il est en lui-même. L'être-pour-soi du Concept est justement
la suppression de son être-en-soi.
La réalisation de l'être-pour-soi par la médiation de la manifestation objective
ayant la signification d'être l'aliénation de l'acte originaire du Concept, la déter-
mination objective manifeste cette aliénation sou s la forme de sa propre. finitude.
C'est à partir de cette finitude qu'il convient d'interpréter la_ nature de l'ex -
rience, qui est l'acte d'errer par lequel la conscience se porte d'une détermination
à une autre, sans jamais pouvoir trouver l'apaisement ni le repos. Encore faut-il
bien comprendre que la conscience n'est pas.. comme une réalité concrète située
en face des déterminations effectives qui viennent occuper tour à tour le champ
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

de son expérience, elle n'est rien d'autre elle-même que ce champ d'expérience avec
son `contenu concret, elle est la présence effective de ces déterminations , la lumière
dans laquelle celles-ci se manifestent. La conscience est cette lumière qui n'est pas
dissociable de ce qui se manifeste en elle. La totalité constituée par la manifestation
de ce qui `se manifeste définit l'Esprit lui-même en tant qu'Esprit réel, elle est la
détermination objective en ° tant que telle. Qu'en une telle totalité l'Absolu soit
cependant encore loin de s'être intégralement exprimé, cela résulte du fait qu'il
s'est bientôt plutôt aliéné en elle, en tant que le processus même qui a ouvert
l'horizon ou l'être est là dans la lumière, ne se manifeste pas lui-même en soi et
pour soi. La détermination objective est justement une détermination finie. La
totalité concrète constituée par la manifestation de ce qui se manifeste a seulement
la signification d'être un « maintenant ceci est présent ». La succession objective
des maintenant concrets exprime immédiatement l'insuffisance de chaque main'
tenant sans pouvoir, en aucune façon, la surmonter. Elle marque bien plutôt
l'obstination et l'entêtement de la conscience qui demeure dans l'être-là et qui
n'est rien d'autre, précisément, que cette succession d'apparences dans laquelle
les différentes déterminations objectives émergent tour à tour dans la lumière
comme autant de masses concrètes.
La finitude de la détermination objective ne fait que réapparaître avec chaque
nouvelle. détermination. La suppression de la détermination objective, la mort,
ne peut -avoir la signification génerale d etre le refus de la finitude inhérente à
toute détermination en tant que telle que si elle est autre chose ` que le simple
remplacement d'une totalité concrète, d'une « expérience », par une autre. Le
moment d'une mort définitive et décisive qui met explicitement en cause la
prelention de la mamfeslation objective de pouvoir révéler intégralement l'Absolu, est
présent dans le christianisme, sous` la forme de la mort du Christ. Tandis que le
dieu grec demeure dans le phénoménal, l'apparition n'est dans le christianisme.
qu' « un moment du divin » (i), et qu'un tel moment doive précisément être
supprimé, que la forme finie de l'apparition `du Christ doive disparaître, cela .
signifie que' la manifestation objective est dans son essence inadéquate, impropre
à accueillir en elle l'être de l'Absolu tel qu'il est en soi, Mais lorsqu'a été reconnue
l'inadéquation foncière de la forme de l'apparition, une fois «mise de côté l'objec.
tivité de l'etre » (2), que reste-t-il ? L'Absolu n'est rien s'il ne se manifeste, c'est-à-
dire s'il ne revêt précisément cette forme finie de l'apparition dont l'inadéquation
vient pourtant d'être proclamée. De même que le divin n'a pu continuer à se
manifester à la première communauté chrétienne qu'à la condition de conserver

(1) L , 226.
(z) ID., 291.
LE CONCEPT H.ÉGÉLIEN
893
sa forme finie , de même le Concept hégélien
l'être-) sept hegélien ne peut, en réalité ,, se retirer de
à de la détermination finie que si ce mouvement de ^ retour en soi n
fait rien d'autre que l'acte d 'aller à l'extérieur de 'est en
soi et de semanifester : àso-même
dans la lumière de l'extériorité . La su cession
en tant que celle -ci se montre pp de la détermination objective
tivité . Celle-ci, cependant , inégale à l'essence absolue, est l'oeuvre de la né a-
n'est rien d'autre u'une g
constitutive de la détermination ob'ecti q catégorie de l'être . Elle est
l ve elle-même dans son objectivité,
dire dans sa finitude . La négation doit détruire ce c'est-à-
que la négation a fait.. Cela
n'est point contradictoire puisque la négation '"
position meure de celui- • de l'être fini est, en réalité, la
ci. Mais cela signifie aussi que le Concept ne eut écha
à la finitude qui est son oeuvre et en dehors p pler
de laquelle il n'a aucune . réalité. Le destin
du christianisme , tel que !e comprend Hegel,
celui de ne pouvoir se passer de !a de
objective, n'est justement rien d 'autre que 'termination
le destin même 1de ''
hegelsanrsme.
En tant qu'elle est l '
acte du Concept de rentrer en soi - même la su
de la détermination objective n'a, par elle -même au ppression
sauce de la nuit , le mouvement ^ aucune réalité . Elle est la puis-
nt dialectique par lequel cette puissance se Supp rime
elle-même en posant comme seule effective la
qui est l' Esprit réel . Le Conce p uissance inverse u
pt n'est rien d'autre que le processus par lequel
l'objectivité se produit .,
Si l'on peut affirmer que la réalité trouve son fondement
dans la subjectivité ,
c'est dans la mesure ou celle-ci se cconfond dans son être avec
l'essence même de l'ob j ectivité .
l C'est de cette façon qu'il convient d'entendre
textes qui posent que l'effectivité n'est conférée a les
du Concept ou du Soi , ou encore, ce qui revientlaausubstance m"
que parla médiation
dualité . Une telle médiation qui
seule confère l'effectivité ne signifie en aucune
façon un passage de l'entité transcendante dans une région
pourvue d'un mode de révélation proprement subjective,
effet, l 'individualité conf n autonome et propre . De quelle manière, en
ère-telle l'être a la substance ? C'est, dit Re el , ar son
action . C'est l'individualité agissante qui fait de lage p
spirituelle,
si e, c'est -à-dire réell substance
objective
une substance
. La médiation active de 1' individualité
gnifie si peu l 'entrée dans la sphère d
'une subj ectivité
l'engloutissement dans la nuit, authentique ou même
qu'elle est bien plutôt cc le devenir de l'essence
universelle oblestive c'est-à-dire le devenir du monde effectif
». u Ce ui se
manifeste ici, dit encore Hegel, comme la force de l'indivi q
tombe la substance devenant ainsi supprimée ,
que l 'actualisation de cette substance; car la for est précisément la même chose
fait qu ' ce de l
'individu consiste dans le
il se rend adéquat à la substance, c'est-à-dire
re aliène
aliène son Soi et se pose
donc lui-même comme la substance objective dan l'
qui s 'accomplit dans objective dans élément de l'être. » Ce
• l'acti on de l'individu, c'est l'essence elle
qu'elle n ' - même en tant
est rien d'autre que le processus d'ob'ectivatio '
l n qui confère à l'être la
894 L'ESSENCE DE LA M4NIFEST4 TION

réalité sous la forme de l'objectivité . Ce processus est le concept lui-même, il est


le devenir pour soi qui signifie le devenir effectif , Ce devenir est aussi, il est vrai,
la suppression du Concept , « Le Soi,. dit Hegel, est conscient d'être effectif seule-
ment comme Soi supprimé (1) . » Le retour en soi du concept est son acte d'aller
à l'extérieur de soi, .
Le concept ne peut être saisi dans son acte de rentrer en lui-même indépen-
damment de son aliénation ou, plus exactement (l'aliénation en elle-même n'est
en effet rien d'autre que le Concept), de son être-aliéné . La chute ontologique
entendue comme le passage dans la différence absolue est la condition de la
présence, Il n'est pas possible au Concept d'être présent dans sa pureté , comme.
négativité pure, Quel est le statut pbenomenologique de la négation non encore
réalisée ?. La négativité n'est pas un phénomène . Ne constitue-t-elle pas cependant
un moment positif de l'expérience humaine, ne se fait-elle pas jour, et cela juste-
ment comme négation pure, dans le scepticisme par exemple ? Elle n'est préci-
sément qu'un moment, qu'une « expérience. ». Cela ne signifie pas qu'elle n'a,
en tant que négation pure, qu'une présence éphémère , Cela signifie qu'elle n'est
jamais présente dans sa pureté. Le scepticisme n'est qu 'une figure concrète de l'esprit,
il se situe dans le temps « vorbanden » auquel appartient tout ce qui se manifeste
effectivement, il est « une expérience effective », Être une « expérience effective »,
cela signifie être dans le milieu universel de l'objectivité , etre un phénomène
dans la lumière de la transcendance , être-là sous la forme d'une détermination
objective. La négativité ne se manifeste précisément que dans la mesure où elle
devient une expérience, c'est-à-dire un moment concret dans l'histoire humaine,
un maintenant dans le temps déchu . Cependant , le scepticisme entendu comme
une figure historiquement déterminée et concrète de l'esprit n'est pas la seule
manifestation de la négativité , Celle-ci, qui préside à la formation de toutes les
expériences, se retrouve bien plutot en elles toutes Mais parce qu'elle masque
chaque fois par sa présence l'acte de se supprimer dialectiquement soi-même
sur le fond duquel elle se manifeste , l'entité transcendante ne figure jamais la
négativité dans sa pureté. La suppression de cette entité n'est rien d'autre dans
la sphère de la transcendance que l'apparition d'une nouvelle entité. C'est pourquoi
cette suppression ne coincide pas, â vrai dire, avec l'acte de rentrer en soi-même du Concept,
elle n'en est que l 'équivalent phénoménal, la manifestation déchue . Elle appartient à la
sphère de la succession .objective où la disparition ne se traduit pas autrement que
par le remplacement , perpétuel de ce qui disparaît.
C'est ici le lieu de dénoncer l'ambiguité foncière de la philosophie hégélienne
de la mort, Cette ambiguïté sera levée si on réserve le terme de mort pour désigner

(i) PhE, II, 57.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN 895

la disparition de la détermination objective en tant que cette disparition se manif


este
ef
effectivement â titre de donnée phénoménologique, c esta-dire le simple remplacement de
cette délerminalion par une autre de même nature qu'elle . On ne peut donc entendre
par
« mort » l'acte même de la négativité transcendantale considérée en et pour soi
car, en toute rigueur , un tel acte ne se manifeste pas. Pas autrement du moins
que par la destruction et le remplacement de l'entité transcendante , destruction
dans laquelle la nature originaire du Concept est bel et bien détruite. L'ambi
guité qui fait que la pensée de la mort se réfère aussi et trop souvent à l'acte trans-
cendantal de la suppression dialectique considéré en soi et pour soi, trouve ainsi
son origine dans le fait qu ' un tel acte ne peut se manifester autrement que d
la f ans
sphère de la transcendance , sous la forme de la destruction et du remplacement
de l'entité objective c'est-à-dire comme la mort de cette entité .
, Ce n'est as seule-
ment en Grèce , comme le déclare la Philosophie de l'Histoire ,
que la liberté subjec-
tive ne peut apparaître que comme une destruction ,
dans l'ensemble de la philo-
sophie hégélienne le Concept est en fait soumis à cette condition de ne ' se
pouvoir
manifester que par la mort . C'est ainsi que dans la dialectique de la lutte des
consciences -, dialectique qui se répète en réalité à chaque étage de la phénomé
-
nologie la mort apparait comme le seul moyen laissé à la liberté de faire la
preuve d'elle-même , c'est-à-dire de se manifester ou, comme le dit encore Hegel
,
de se faire reconnaître . Car si le Concept nepeut r se réalsc se manifestant,
qu'en
s'il ne peut se manifester qu'en s'objectivant dans l 'être-là qui est son seul recours.
contre la puissance de l'Abîme , cet être-là cependant a la si gnifi cation d'être
l'aliénation la disparition du Concept ; il doit donc laisseret paraître'tout aussi
immédiatement son inégalité à l'être originaire et pur du Concept, il doit se
manifester comme ne manifestant pas le Concept et il ne peut le `faire qu'en disparaissant
à son tour . L'aliénation et la chute du Concept dans l'être -
là - aliénation qu'on
pourrait aussi entendre comme une mort - ne peuvent précisément signifier
autre chose que la mort du Concept que si l'entité dans laquelle le Concept s'est
nié, se trouve mec à son tour, et cela de telle façon que la fin empirique de cette
entité exprime , du moins à sa façon, que le Concept est autre chose que ce qui
prétendait un instant remplir , par sa présence concrète, le champ de l'ex erience.
Ainsi le Concept n 'est-il réservé
préserve de sa
destruction que propre
par celle dep l'entité
transcendante qu'il fonde et qu 'il supprime tout à la fois. La mort est, cbe Hegel,
lu seule manifeslation de la vie.
L'avènement de la réalité est dans l'heg éüanisme l'histoire d'une chute.
L'insuffisance de toute manifestation objective se traduit par sa propre sup-
pression. Celle-u n'est cependant rien d 'autre que le surgissement d'un nouvel
être-là . I.l n'y a pas de mort définitive dans l'hégélianisme .
Le mouvement inces-
sant de naître et de _ périr des déterminations qui remplissent successivement le
896L'ESSENCE _ DE LA MANIFESTATION

champ de la conscience est le cours de cette expérience. Ce cours atteste le caractère


inadéquat du mode de gestation objective qui est cependant le seul que
reconnaissent l'hégélianisme et toute philosophie moniste en général. La conscience
est dès lors la proie du cours sans fin de l'expérience qui marque l'inéluctabilité de
son acte d'errer. Le Concept ne peut ni se passer ni se satisfaire des
réalités concrètes qui sont les figures successives de l'esprit. L'infini n'existe que
dans le passage d'une détermination finie à une autre, il n'est que l'extension
indéfinie du règne de la finitude.
Hegel arme cependant que ce cours de l'expérience a une fin et d'abord un
sens, qui est le mouvement même par lequel cette expérience converge vers le
terme ultime qui est son véritable but, Il comprend ce but comme le savoir
absolu.

77. L'EFFORT VERS LE SAVOIR ABSOLU

Le cours de l'expérience se donne à nous comme un cours sans fin en tant


que le Concept est incapable de s'y produire et de s'y manifester tel qu'il est en soi.
L'inégalité de chaque expérience par rapport au Concept a comme conséquence
la disparition de cette expérience, disparition qui est aussi bien le surgissement
d'une nouvelle expérience, La fin du cours de l'expérience, c'est-à-dire du mouve
ment incessant de naître et de périr conformément auquel les expériences se
succèdent, ne sera atteinte que lorsque sera surmontée l'inégalité dans laquelle
se trouve chaque expérience par rapport au Concept , inégalité qui est l'origine.
d'un tel mouvement. Cette inégalité sera précisément surmontée lorsque la der..
mère expérience se manifestera égale dans son être au Concept, lorsque le contenu
de cette expérience sera le Concept lui-même . A ce moment -là le cours de l'expérience
aura atteint son but, un but qui sera aussi bien sa propre suppression, sa fin.
L'expérience dont le contenu est le Concept lui-même est le Savoir absolu. Le
Concept est la condition de possibilité de l'expérience . Il est l'acte de la suppres-
sion dialectique qui déploie le milieu phénoménologique où peut se produire
quelque chose comme une expérience . Ainsi compris comme l 'horizon et la
condition de toute présence , le Concept est l'essence .. Il est l'acte même par lequel
l'Absolu nous éclaire. Le Concept est immanent à toute connaissance comme son
essence. En toute connaissance l'esprit ce dirige sur un donné , mais cet acte de
« se diriger sur » n'est possible que sur le fond de la présence du donn4 sur lequel
l'esprit se dirige . Ce qui fait que l'esprit ne s'en tient pas à sa connaissance pré-
sente, c'est justement l'immanence du Concept â celle -ci. Dans le contenu de
sa connaissance l'esprit trouve plus que ce qu 'il croit trouver immédiatement,
à savoir le contenu déterminé sur lequel son attention se dirige d 'abord. En fait,
LE CONCEPT HÉGÉLIEN
897

il entre aussi en rapport , quoique d'une manière implicite, avec ce


qui rend pos-
sible 1'être4 de ce contenu déterminé c'est-à-dire avec l '
être meure de la présence
comme telle, avec l'essence. C'est précisément à cause de cette relation im
plicite
avec l' essence que toute connaissance est une expérience ,
c'est sur le fond de cette
relation qu'elle est `appelée à devenir finalement l' expérience su
prême,, le savoir
absolu. L'expérience est le mouvement par lequel la conscience entre ex
plicitement
en rapport avecdès
de l'essence dans laquelle elle seelle
l'abord, meutest laeprise

conscience progressive du Concept . Dans l'expérience, en effet, la conscience
découvre que l'entité transcendante en présence de laquelle elle vit et qu'elle
recevait, jusque-là avec la si gnification d 'être l'en-soi n'a
en fait une telle signi -
fication que « pour elle »• La découverte de cette nouvelle signification
confor-
mément à laquelle le donné phénoménologique est seulement « pour elle » ce
qu'il est , peut plonger la conscience dans le désespoir d'avoir p
perdu l'en-soi de ce
donné. Le contenu positif de cette découverte contenu qui sera aussi « pour
elle » lorsque cette conscience sera parvenue au savoir philosophique - n'est
cependant rien d'autre que le concept lui-même . Le fait que l'entité soit « our la

conscience » n'est pas différent en effet, de ia presena même de cette entité P
, • Lorsque
dans le mouvement de l'expérience un tel fait est reconnu c 'est donc l'essence
elle-méme qui est prise en considération . L'essence, cependant, est ce qui rend
possible cette prise en considération . L'expérience est l'
pé expérience de l'essence.
L'essence est l 'essence de l'expérience,
Le Savoir absolu est le savoir de l'essence . Qu'un tel savoir puisse intervenir
dans le cours de l' expérience, cela résulte de ce que l 'expérience est l'expérience de
l'essence, Dans le mouvement de l'expérience, la conscience est mise en rapport
avec le fait que le donnéq u'èlle
pourvise estelle
un donné «
». Ce caractère du
donné d'être « pour elle », c'est la réalité même de ce donné ,
c'est l'Esprit La
conscience qui fait l'expérience entre ainsi en relation avec le fait ue le donné est
q
pour elle, avec le pour-soi de l'Esprit. Faire l'expérience d'une chose
, c'est Juste-
ment découvrir l 'essence de cette chose , c'est aller jusqu '
à ce qui, en elle, lui
permet d 'être ce qu'elle est. Ce qui permet au réel d 'être ce qu'il est, c
'est l'acte
même en vertu duquel il se donne à nous . Un tel acte est l'opération même de
l'essence. Parce que l'expé rience est ce dans quoi la conscience este mise en relation
avec l 'essence , le déroulement de l'expérience est le mouvement même par le uel
la conscience s'approche du savoir • absolu, q
Dès qu'elle se rapporte à l'être-là, la conscience se rapporte aussi au Concept
.
Ce rapport avec le concept , la conscience se le représente , et cela dès qu'elle pense.
Toute pensée est essentiellement reügiexre. Cependant, la manière dont la
conscience
se représente son rapport avec le Concept, c'est-à-dire le Concept lui-même, n'est
pas tout d'abord adéquate à ce dernier . La conscience se f gare
le ConcePt sous` des
898 w k L'ESSENCE DE= LA MANIFESTATION

formes diverses auxquelles correspondent les différentes religions . Chacune


de ces figures exprime la conscvtue que l'Esprit prend de lui -méme. Mais cette
conscience n'est pas encore égale à l'essence . « L'esprit comme essence, dit Hegel,
n'est pas égal à sa conscience ( i).» Cette inégalité entre la figure que se représente
la conscience et, d'autre part, l'essence, ne trouve pas son origine dans la nature
particuliere de la figure représentée (élément naturel, plante, animal, etc.), mais
dans le fait que celle-ci est une figure . Le caractère particulier et par suite contingent
de la figure appartient en fait à l'eidos de celle -ci. L'inégalité entre l'essence et la
figure - inégalité dans laquelle l'bistoire des religions trouve son principe n'est
en fait rien d'autre que l'inégalité précédemment décrite du Concept et de la
détermination. Sans doute la détermination dont il s'agit ici présente un caractère
pbénoménologique bien déterminé conformément auquel elle se donne à nous comme
une détermination religieuse. Ce qui s'annonce dans un tel caractère , c'est le fait
que la détermination a la ,signification d'être le Concept. Sur quoi repose une telle
signification ? Sur le fait assurément que l'être de la détermination n'est autre que
le Concept, en tant que celui- ci constitue la réalité de tout ce qui est réel . Le fonde-
ment de la signification religieuse de 1a détermination est le propre fondement de
cette détermination. Ce qui est rappelé par la pensée religieuse , ici â propos du
boeuf,, là au sujet de la pierre, c 'est ce qui doit, en : fait être dit de toute détermi-
,
nation en tant qu'elle trouve son origine dans l'essence qui lui fait le don de la
présence et de l'être, dans l' essence protectrice du sacré. C'est dans le pressen-
timent de cette essence et de son caractère protecteur que se manifestent à la fois
la . signification authentiquement philosophique de la religion , celle proprement
religieuse de toute philosophie authentique.
Cependant, si la signification existentielle de la détermination religieuse repose
sur le fondement ontologique de celle-ci, cette signification doit alors être la proie
d'une dialectique qui habite l'essence . La détermination est la figure de l'essence,
une essence qui se cache bien plutôt, toutefois, dans le mouvement même par
lequel elle prend cette figure . Comme l'essence, dans sa venue au jour, est soumise
à la loi de la disparition , l'entité dans laquelle cette venue s'accomplit n 'est plus,
dans la lumière, qu'un être-là mort et sans secret. Le culte et l'adoration rendus à
la figure du divin ne peuvent en fait s'adresser qu'à ce qui est mort au moment
,
même où cette figure a pris forme . Mais la croyance dont l'objet a disparu n'est
qu'une super:Iition. En vain cette croyance prétend-elle s'aâresser a l'objet plein
de sens, non à l'idole.: absurde. Ce qui est là n'est cependant rien d'autre que le
morceau de bois , le bloc de pierre. L'infime ne peut manifester le suprême qui a
disparu en lui qu'en disparaissant à son tour . A la terrible loi de l'histoire et du

(I) PhE , II, 2X0.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
899

temps, qui exprime la déchéance et l'anéantissement de l'essence, la religion est


elle-même soumise . La plus pure figure du divin a dû, elle aussi , . accepter la
disparition et la mort comme une dernière et vague chance (le Chrisi n'est en effet
rien d'autre dans l'begélianisme comme, en général, dans une pbilosopbie moniste, qui
considère toute chose de l'extérieur, qu'une « figure »). La signification religieuse de la
détermination qui est la figure du divin ne peut se maintenir si cette détermination
est tout aussi immédiatement la disparition et l'anéantissement de l'essence.
divine. Le sens spirituel de l'entité présente dans l'élément de l'être doit avoir un
fondement pbénoménologique que cette entité déterminée est par elle-même bien
incapable de lui fournir , puisque son être ne peut se comprendre que comme
l'être- supprimé du Concept. L'inégalité de la figure et de 'essence tient finalement
à ce que la . figure seule se manifeste . La signification positive de la figure de
renvoyer à l'essence demeure , en l'absence de toute assise phénoménologique, à la
rigueur incompréhensible . Hegel comprend en tout cas la tâche du savoir absolu
comme celle de « délivrer l'essence divine de sa figure contingente » (i),
Le caractère contingent et inadéquat de la figure est mis par Hegel au compte
de la représentation à l'intérieur de laquelle se meut la pensée religieuse . Dans la
représentation ou dans le souvenir , . l'essence ne saurait en effet se présenter
autrement que sous la forme immédiate d'un mode sensible dont le lien avec la
pensée pure ne peut être que synthétique et paradoxal . Il ne s'agit donc plus de se
représenter cette pure pensée par la médiation d'une figure , mais de la concevoir.
Le rejet de la représentation semble parfois signifier., âux yeux de Hegel, l'abandon
de l'essence objective . A la représentation . correspond la figure imparfaite de la
religion, le côté de la conscience qui est « le côté non surmonté à partir duquel
l'esprit doit passer dans le Concept pour résoudre en lui tout à fait la forme de
l'objectivité ». Mais le passage _dans le Concept « qui renferme en soi-même aussi bien
ce contraire de soi » (2), à savoir cette forme de l'objectivité, ne peut avoir comme consé-
quence la suppression de l'essence objective elle-même. Il en est bien plutôt le
maintien . Que signifie, cependant, ce maintien de la forme de l'objectivité au sein
même de sa résolution ? Ce qui est présent danse le savoir absolu , ce n'est plus la
figure dont l'être- là déterminé résorbe en soi-même sa propre signification d'être
le Concept, c'est le Concept lui-même . Ce qui est définitivement surmonté , avec le
dépassement de la religion , c'est l'existence sous la forme d'une figure, ce n'est paf,
à vrai dire, la forme de l'objectivité, c'est la forme de la figure, c'est l'essence de la
forme, de l'entité qui se manifeste à l'intérieur de l'horizon de l'objectivité, ce
n'est pas cet horizon lui-même.

(I) PhE, II, 256.


(2) ID., II, 211, souligné par nous.
900 L'ESSENCE . DE , LA MANIFESTATION

C'est . une prescription de l'essence que l'entité se donne toujours comme


contingente, déterminée et finie, tandis que l'essence de l'objectivité est, comme
telle, si peu `contingente, si peu déterminée et si peu finie , qu'elle est justement
l'eidos sur le fond duquel l'entité :se manifeste avec ces caractères qui lui appar-
tiennent en propre. Le savoir absolu ne se représente donc plus la figure, mais
seulement l'essence, de telle manière que ce qui s'offre à lui s'offre justement avec
la signification immédiate et totale d'être l'essence et seulement elle.' C'est â :l'intérieur de
cette signification que vit le Savoir absolu. Ce qui est là pour lui, ce n'est plus
l'être-là déterminé et contingent, c'est le fait d'être la, l'apparaftre comme tel de
tout ce qui apparaît, c'est l'essence universelle, l'universel fondement. Tel est
le et sens » du contenu du savoir absolu. Comment cependant, un tel contenu est-il
donné au savoir absolu lui-même ? Le savoir absolu ne peut se rendre présente l'essence
universelle de la présence que par la médiation de cette essence même. Que le savoir absolu
consiste, non dans la représentation du Concept, mais dans l'acte de concevoir le
concept lui-mime, cela signifie : ce qui est donné à un tel savoir, ce n'est pas la
figure, mais l'essence. C'est en ce sens seulement que le . concept (c'est-à-dire le
savoir absolu) est susceptible de « résoudre en lui tout à fait la forme de l'objec
tivité » Mais lorsqu'il est dit que « le concept renferme aussi bien en soi-même
ce contraire de soi », la forme de l'objectivité dont il est maintenant question
n'est plus en réalité la forme de la figure, mais. l'essence universelle de l'objectivité,
en sorte que cette dernière proposition signifie que c'est seulement sur le fondement de
l'essence de l'objectivité que cette essence peut être présente au savoir absolu. Le passage
de la représentation au concept ne saurait, par suite, impliquer l'abandon de
l'essence objective puisque, bien au contraire, le savoir absolu ne peut s'accomplir.
chez Hegel qu'à l'intérieur de celle-ci.
Le maintien de l'essence objective'contemporain au sein du savoir absolu
de la suppression de la « forme de l'objectivité» a, en fait, une double signification.
L'essence universelle de l'objectivité désigne, en effet, à la fois ce qui est présent
dans le savoir absolu et: constitue proprement son contenu, et, d'autre part, le
mode même selon lequel s'accomplit la présence de ce contenu, c'est-à-dire la
forme de ce savoir. Ces deux significations ne sont pas extérieures l'une à l'autre,
la compréhension de leur unité nous introduit en fait dans la structure interne du
savoir absolu. En concevant l'essence de l'objectivité dans sa pureté, le savoir
absolu déploie du même coup le • champ transcendantal où cette essence peut
s'apparaître à ea le-même. Le contenu du savoir absolu est identique à sa forme.
Il s'agit dans l'un et l'autre cas de l'Absolu lui-même. L'abstraction qui sépare
l'apparaître comme tel de ce qui apparaît est une avec le surgissement de cet appa-
raître, avec l'être-pour-nous de l'essence au sein du savoir absolu. L'être-pour-
nous de l'essence est ainsi l'essence même et trouve sa condition dans la libération
LE CONCEPT HÉGÉLIEN . Soi

de cette essence . En quoi consiste , il est vrai, cette libération de l'essence, hbé-
ration dans laquelle s'accomplit le devenir-pour-nous de l'Absolu, c'est-à-dire
l'Absolu lui-même ? La venue à elle-même de l'essence dans le devenir -pour-soi
de l'Absolu s 'identifie avec l'acte d ' aller hors de soi dans lequel l 'essence se sé pare
de soi-même et ainsi seulement se trouve etre près de soi. La libération qui rend
l'essence à elle-même n'est autre que la propre aliénation de cette essence.
« L'essence, dit Hegel, se contemple donc seulement soi-même dans son être-
pour-soi elle est dans cette aliénation seulement près de soi-même. L'être-pour-
soi qui s'exclut de l'essence est le savoir de soi-même . de l'essence (t). » L'aliéna-
tion de . l'essence est ainsi le processus même par lequel l'essence se réalise et
comme tel, l'historiai de l'Esprit. Dans l'acte par lequel elle s'en va hors de soi,
l'essence se dirige vers elle-même et, dans l'accomplissement de cet acte, elle
demeure près de soi. L'aliénation est ainsi la venue au-devant de soi de l'essence et,
dans cette venue au-devant de soi, l'essence de la manifestation est enfin présente
à elle-même , le savoir absolu s'est accompli.
L'aliénation ne signifie donc pas pour l'essence. la perte de soi-même elle
est l'autodéploiement au sein dûquel l'essence constitue son être propre, se pose
soi-même telle qu'elle est et ainsi se retrouve dans son égalité avec soi-même. Si,
comme le dit Hegel, l'essence « est le mouvement de retenir dans son être-autre
l'égalité avec soi-même » (2), il faut bien comprendre que ce n'est pas en dépit
de cet acte de . devenir autre que l'égalité se maintient, c'est dans et par l'aliénation
que cette égalité se produit. L'aliénation comprise comme l'élément formel du savoir
n'est pas l'autosuppression de l'Absolu, mais. le devenir de celui-ci tel qu'il est en
soi. A l'élément ontologigiie formel qui fait de lui un savoir et qui signifie . le
devenir-pour-soi de l'Absolu tel qu'il est en soi, le savoir absolu emprunte donc aussi
bien son contenu: C'est ainsi que le contenu . du savoir absolu est identique à sa
forme. « Moyennant ce contenu, la dégradation de l'objet à la pure objectivité, à
la forme de négativité de la conscience de soi, disparaît (i). » L'objet du savoir
absolu est ce . savoir. lui-même. Dans la production de l'objectivité, le savoir se
produit lui-même. Il se produit à la fois dans son être propre et dans ce qui permet
à cet être d'être présent: Le Savoir absolu est l'absolu lui-même en tant que réel,
c'est-à-dire en tant que présent à lui-même. C'est parce que l'acte d'aller hors de soi
est constitutif de l'essence même de la présence que l'aliénation de l'Absolu est le
propre devenir-réer de celui-ci . L'aliénation de l'essence est ainsi , comme le
remarque Heidegger dans ' son commentaire , le rassemblement et la réunion de

(t) PhE, II, 274.


(2) ID., II, 266.
(3) ID., II, 2X0.
902 L'ESSENCE DE. LA MANIFESTATION

cette essence en elle-même , l'accomplissement de l'Erscbeinen dans, sa plénitude.


C'est dans cette identité ontologique de l'acte de s'aliéner et de celui de se ras-
sembler et de se réunir en soi -même , identité qui constitue proprement la structure
interne de l'essence, que l'esprit puise sa propre force , cette « force » qui « consiste
à conserver son égalité avec soi-même dans son aliénation » (i). C'est dans cette
structure ontologique interne de l'essence que trouvent leur fondement les
thèmes ultimes de l'hégélianisme, celui de l'égalité avec soi-même au sein de la
scission , celui de l'infinité comme unité avec soi dans le dédoublement, celui du
bonheur comme division surmontée , celui de la suppression de toute différence,
enfin, dans le maintien de cette différence.
L'accomplissement du savoir absolu compris - comme la suppression de
l'aliénation se produit par la médiation de celle-ci. L'aliénation est le processus qui
permet. àl'essence de se réunir et de se retrouver soi-même telle qu 'elle est; elle
est l'essence elle-même. C'est donc au sein de la diférence et sur le fondement ontologique
de celle-ci que cette différence est supprimée. La suppression de la différence n'a pas
la signification d'être la suppression de l'aliénation entendue comme une structure
ontologique puisque c'est sur le fond et para la médiation de cette structure que la
différence se trouve supprimée . La suppression de la différence est un môft nt,
le moment du savoir absolu , elle n'a qu'une signification existentielle. Le maintien
de la différence au sein même de cette suppression se réfère au contraire à la
permanence d'une structure ontologique . Le moment ou la différence se trouve supprimée
est justement celui où cette structure ontologique , comprise comme l'ultime
fondement de toute présence , est rendue â elle-même, où l'événement ontologique de
l'aliénation s'bislorialise lui-même dans sa plénitude, oû l'essence, enfin, se rassemble
et se retrouve en soi-même . Le savoir absolu est si peu la suppression de la forme
de l'objectivité qu'il a bien plutôt la signification d'être la libération de cette forme,
l'accomplissement de l'être-en-soi de l'essence universelle de la présence objective
dans le devenir-pour-soi de cette essence . C'est à l'intérieur de l'borion constitué
par les présuppositions ontologiques ultimes du monisme que se produit le savoir de soi de
l'essence. Ainsi s'explique la vanité de la dialectique qui conduit de la conscience
à la conscience de soi. Le moment de la conscience demeure , en fait, le moment.
essentiel de la conscience de soi , celle-ci reste en effet une conscience extérieure,
puisque l'extériorité est le 'eu dans lequel la conscience est présente à elle-même
dans la conscience de soi . Hegel n'a pas conçu pour la conscience un mode de
présence à soi-même autrc que le mode de présence de l'objet , et cela parce que la

(I) PhE, II, 309. - Dans la Philosophie de l'Histoire H x dit de même que
I ce n'est que grâce à son hétérogénéité interne qu'il (l'esprit) acquiert la force
d'exister comme esprit » (L, zo6).
LE CONCEPT HÉGÉLIEN 903

présence de l'objet comme telle n'est rien d'autre à ses yeux (et c'est en cela, on l'a
vu, que la philosophie moderne n'est que le prolongement de l'ontologie antique) .
que l'essence même de la conscience. L'essence de l'objectivité constitue l'unique
fondement, elle est le milieu universel où s'accomplit tout ce qui se manifeste.
En tant. qu'elle se manifeste en et. pour soi comme conscience de sois la conscience
accepte elle aussi le mode de l'existerncë objective. C'est dans l'élément universel de
l'être que le savoir absolu, qui se représente justement cet élément dans . son
universalité, s'accomplit lui aussi. Ainsi l'essence devient-elle présente à elle-
même à l'intérieur d'elle-même, c'est-à-dire dans l'élément de l'objectivité.
« L'esprit, dit Hegel, se manifestant à la conscience dans cet élément, ou, ce qui
est la même chose, produit par elle dan: ras tel clément, est la Science (i). »
L'essence est le devenir-pour-soi de la substance, le mouvement par lequel
l'en-soi Se fait Esprit. Le savoir absolu est le devenir-pour-soi de ce devenir-
pour-soi, il est le savoir de soi de l'essence. En tant, cependant, que :le processus
par lequel la substance devient une substance réelle se dissimule dans le surgisse-
ment même de cette substance dans la lumière de l'esprit, quelque chose d'obscur
demeure dans l'essence. C'est justement parce que l'essence est quelque chose
d'obscur que le problème du savoir de soi. de l'essence se pose avec urgence. Le
savoir absolu vise précisément à rendre présent à la conscience ce qui se dissimule
constamment dans l'acte ordinaire par lequel cette conscience connaît les choses.
En vertu de cette dissimulation, la connaissance de la conscience est toujours une
connaissance finie. Le savoir de soi de l'essence s'accomplit toutefois par la
médiation de celle-ci. Dans l'acte par lequel l'essence vient au jour dans le savoir
de soi de l'essence, quelque chose se dissimule donc encore, qui affecte aussi bien
la forme que le contenu de ce savoir. Le paradoxe de l'hégélianisme est de prétendre
surmonter la finitude inhérente à l'essence de l'objectivité en demeurant à l'inté-
rieur de celle-ci. Le savoir qui se représente l'essence se représente aussi bien,
cependant, ce. qui se dissimule au sein même du processus de l'objectivation que
ce qui advient dans la lumière à la faveur d'un tel processus. Que la finitude :oit
décrite, cela. n'implique-t-il pas que le savoir absolu est possible en dépit sle cette
finitude ? Lorsque le devenir-pour-soi, qui est l'Esprit, se réfléchit en soi-même, il
se comprend, dans cette réflexion en soi-même, tel qu'il est en soi, et l'élément de
ce devenir-pour-soi qui, dans le devenir-pour-soi de la substance, ne devient pas
pour soi, est cependant compris parle savoir absolu comme un élément de l'essence.
C'est de cette façon-là seulement que le contenu du savoir absolu peut titre égal
à sa forme.
Le contenu du savoir absolu demeure équivoque aux yeux de la pensée philo..

(X) PhE, II, 303, souligné par nous.


904 L'ESSENCE DE LA 1VI4NIFESTATION

sophique. Cette équivoque trouve son origine dans l'essence de l'objectivité qui
constitue précisément un tel contenu . Sous le titre de cette essence, on peut
entendre soit le champ de lumière qui renferme en lui tout ce qui se manifeste
en tant qu'etre objectif soit l'ouverture même de ce champ, en tant qu'elle se
,
réfère à un processus qui se dissimule essentiellement . C'est encore un problème
que celui de savoir si la forme de l'objectivité comprise comme l 'essence même
de la lumière peut être saisie en elle-même , indépendamment de ce qui se manifeste
en elle , si l'apparaître n'est pas toujours l'apparaître de ce qui apparaît. Lorsque
Hegel déclare que « la science contient en elle-même cette nécessité d'aliéner de soi
la forme du pur concept et contient le passage du concept dans la conscience » (i),
l'intervention ici réclamée de la conscience extérieure au sein du savoir absolu a
pour mission à la fois de rappeler que l'essence du concept est la conscience
elle-même comprise comme le milieu ontologique de l'extériorité , avec sa signifi-
cation phénoménologique ambiguë , et, d'autre part, de laisser entendre qu'un tel
milieu n'est peut-être pas dissociable du contenu , et d'abord du contenu sensible,
qui se manifeste en lui.
L'aliénation a la signification positive d'être la réalisation . Elle comporte
aussi une signification négative qui, a vrai dire, n 'est pas différente de la première,
mais se réfère au mode selon lequel cette réalisation se produit et au résultat
dans lequel elle trouve son accomplissement . Cette signification négative est
double : elle indique que l'origine se dissimule dans le 'eu de l'objectivité et,
d'autre part, qu'un tel milieu appartient en propre à la détermination dont il
constitue l'élément . C'est ainsi que le contenu du savoir absolu semble s'identifier,
non plus avec l'esprit envisagé comme la forme pure du concept , mais avec
l'ensemble des figures concrètes dans lesquelles l'esprit s 'est réalisé en s'aliénant au
cours de l'histoire . Sans doute cet etre-al éné du Concept doit-il s'aliéner à son
tour et le concept rentrer en soi-même , mais ce retour en soi est si peu l'abandon
des déterminations et des figures concrètes de l'esprit qu 'il n'est rien d'autre,
en fait, que le lien qui unit ces figures . C'est dans la compréhension de ce lien que
consiste finalement le savoir absolu . De cette appartenance ultime du Concept à la
détermination , le contenu de la Logique, qui est justement le contenu du savoir
absolu, témoigne lui aussi. C'est en effet par l'ensemble de toutes les détermina-
tions possibles qu'un tel contenu est constitué et le concept n'est rien d'autre que le
processus` par lequel ces déterminations passent les unes dans les autres.
Ce qui met en cause , en tout cas, la possibilité, au sein de l'hégélianisme et de
toute philosophie moniste en général , d'un savoir véritablement absolu, c'est que
l'essence qu'un tel savoir est censé se représenter et par la médiation de laquelle

(I) PhE, II, 3 !!.


LE CONCEPT HÉGÉLIEN
903
cette représentation doit elle-même s 'accomplir,
ontologique , elle demeure quelque chose d'abstrait n'a en fait a,aucune : autonomie
plus profond . Ce qui est pensé avec l ' qui requiert un fondement
essence
, M • l^D1té, de l'obje ctivité, c'est ^ condition
universelle de toute précence
ais aucune présence ne pourrait s'accomplir per 1a
seule médiation de la, forme de l'objectivité, Ce par
quoi toute
d'ores et déjà médiatisée c'est d 'abord
• présence effective se trouve
ce a quoi une telle présence est. donnée. Or
si l'horizon de la transcendance constitue ce dan, quoii l'en 'té
l'entité
à pitre de phénomène dans le mili eu de l'être ,, milieu ne nous offre encore en
meme que l ' abstraction d'une présence qui ce n 'est rattach ée '
temps que l'acte de transcendance n'est pas pensé à partir de l'autoprésence à
lui-même de cet acte au sein de la subjectivité absolue. L'
, L'' L'esprit est interprété par
Hegel comme une présence àsoi-même intervention d 'un et pour-sot »dans la
problématique philosophique lie dans l '
origine l'essence de •
celle de l'ipséité. Cette liaison ^ manifestation et
réside à son tour dans le phénomène ontologique de
la passivité. C'est dans l'immanence radicale de la sph
ère de la subjectivité absolue
que cette passivité trouve son fondement. Cependant
sphère d 'immanence radicale , comme , la découverte de
ultime fondeur
fondem ent de toute cette présence
sible, exige un dé passement décisif de pos--
la problématique hégélienne du p hénomène
et de toute philosophie moniste de
la manifestation en général.
Dans la Philofophie de l'Hs'ftoc 're,
Hegel déclare, à propos de la religion des
Perses,
erses, que celle -ci n '
est pas une superstition parce qu'elle ne vénère
objets particuliers de la nature mais l'universel meure
( z), Le culte de la lumière
s'adresse, en effet, à travers le symbole de l
'essencephphysique lumineuse,. au fonde-
ment universel de toute ch ose, a l'horizon
transcendantal de l'être
lumineuse, comprise dans sa signification ontologique, Regel ' . Cette essence
Phénoménologie de l'Esprit l'étre l appelle dans la
pur, la substance . Une telle essence ne semble
pourtant pas le satisfaire : « Cette substance,
dit-il, ne fait que surg 'r sans descendre
en foi-mïme (i), » A cette
revendication d un Soi qui manque a l'essence de la
manifestation objective, l'hégélianisme ne peut ce
pen dant donner aucun contexte
solide. L'acte de descendre en foi-mïme
, c'est-à-dire le Concept , n'est en effet rien
d'autre, à ses yeux, que le sur ifsemenl
de ..
'horizon transcendantal .
de visibilité.
Le pour- « g l
soi » trouve son fondement dans le déploiement du 'eu absolu de
l'extériorité avec lequel, en réalité , il s'identifie.
Cet être dit Hegel dans le meure
passage, est donc en vérité le Soi
. Mais c'est 'là une affirmation , gratuit
l'essence de l'objectivité ne contient as e'
lianisme donne p en soi les conditions ide :l'ipséité . L'hégé-
nne le change, d'autre part , en paraissant opposer à l'essence
de
(z) L, 162.
(a) PhE, II, 213.
906 L'ESSENCE DE A MANIFESTATION

l'objectivité un concept authentique de la subjectivité dont la reconnaissance est,


parait-il, la grande découverte de la philosophie moderne . [1 distingue, à Pinté-
rieur de l'expérience , la certitude intérieure et :la vérité objective. Mais néces-
saire référence de l'être objectif à la certitude subjective ne signifie rien d'autre
que l'immanence de l'entité transcendante dans le milieu universel de l'être avec
lequel la conscience est en fast identifiée. L'obligation pour la certitude de se
manifester dans sa vérité n'a pas même la signification d'une dégradation de
l'essence subjective dans le 'eu de l'être, pour la bonne . raison qu'une telle
essence n' existe pas. Elle caractérise seulement la tâche de la philosophie comme
celle d'une prise de conscience de l'essence de la vérité objective , prise de
conscience qui ne peut s'accomplir que par la médiation de cette essence même.
L'hégélianisme commande la philosophie moderne . Il n'a pas peu contribué à
donner à celle-ci sa physionomie propre , à lui conférer ses caractères distinctifs :
l'absence de toute ontologie positive de la subjectivité , l'abandon de l'homme au
milieu absolu de l'extériorité, le désespoir.
TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

ABRÉVIATIONS UTILISÉES DANS LES NOTES ` .


VII
INTRODUCTION. Le problème de !'être de l'ego et lei, pre.rupporstronr fondamen-
taler de l'ontologie ...................... ; ::.
^ z. L'idée d' une évidence
apodicti que .
légiéea l'être d comme voie d accès ' privi-.
e l'ego . ........:.....................:
§ 2. La nécessite d'une , édification
pré alable d ' ^ •
une ontologie phénomé • 3
nologique universelle .......
......
3. Le dépassement de l'intuitionnisme et la lib
libération de l'horizon
phénoménologiq ue unive rsel
§ 4.. L'insertion de l'ego cogito et de sa Problématique à l'intérieur de
l'horizon libéré par l'ontologie Phénoménologique
§ S • Le problème de l'insertion de l'ego cogito universelle . • 2j .
go cogito à l'intérieur de
l'horizon
.phénoménologique
erre universel :1'
» de l'ego absolu . 3 I
§ 6, Les difficultés relatives à l'édification de l ontologie phénoméno-
ogique universelle .................
7. La problématique concernant l'être de l'ego 39
une problématique originaire et f interprétée comme
ondamcntale . . ......: . : ...
46
SECTION I. -Élucidation du concept de bén
p amène, Le mvtu`rme Otstologique ,
§ 8. L'élucidation de l'essence du phénomène
tache centrale de la
S9
phénoménologie
.
9. La déterrriinatitinilatérale d e l' 59
essence
concept de distance du phénomène et le
phénoménologique ...............:... .
§ i o. La distance Phénoménologique et le dédoublement de l'être : p 72
sence et aliénation .• ................. . .
§ I I • . • Le .................
mont ré- :
monisme ontologique et le problème de son d
Philosophie de la conscience et épassement :
Philosophie de l'être , . , . • • , ,
90.8:
L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ I z. La critique de la philosophie de la conscience . ....:..... 119


i 3. L'ambiguïté du Dasein. Essence et détermination ........... i z6
i 4, Le rapport de l'essence et de la détermination ontique dans la
philosophie de la conscience...... . .... . ............ . . . ..... 137
nification ontologique de la problématique qui vise
s 15 . La si g
l'essence et le concept originaire de finitude , ............... • 150
16. L'idée de la structure formelle de l'autonomie de l'essence et la
tâche d'une répétition de l'élucidation ontologique du concept de
phénomène ............................................. 16o

SEcTIoN II. -- Repétüion de l'élucidation du concept de phénomène. Transcendance.


et immanence ............................................. 165

§ 17 Le caractère originaire de la manifestation de l'être et le problème


de la conscience naturelle ..........................• . ^ .... 16S
§ i 8. Le concept de représentation structure ontologique et
compréhension existentielle ....... ......................... 173
§ i 9. L'être-pour. soi au point de vue ontologique et au point de vue
existentiel . Conscience et vérité ...... ...... . ............. 186
, § zo. Critique du concept hégélien de l'expérience .....:......... 193
21 La réaffirmation du caractère originaire de la manifestation de
l'être dans la mise en lumière de son caractère non historique .... zoo
22 L'interprétation de l'essence de la phenoménalité à l'intérieur des
présuppositions fondamentales du monisme et le problème de la
réceptivité. Signification ontologique de ce. problème ........ zo6
§ 23, La possibilité interne, de la réceptivité de l'être et la probléma-
tique du schématisme ........... ...................... z 13
§ 24. La réaffirmation du caractère central. du problème de la récep-
tivité et l'interprétation ontologique du temps comme auto-
affection ......... ... .......... .. .............. . ............ .227 .
5. L'élucidation de l'essence de la réceptivité et le problème de la
détermination phénoménologique de la réalité originaire de la
transcendance ..... ...... .................... zoo
z6. L'intervention de l'homme dans la problématique de la réceptivité
et la non-appartenance des conditions originaires de la vérité au
milieu absolu de l'extériorité .. . ,.... • .. • • • • • • • ..... • 249
z i. La compréhension du caractère central de la problématique de
la réceptivité et la mise en question des présuppositions onto-
logiques ultimes du monisme ................................. 255
TABLE DES ; MATIÈRES 909.

§ 28. Le caractère abstrait de l'essence de la manifestation . â l'intérieur


des présuppositions ontologiques du monisme et le problème de
l'édification d'une phénoménologie du fondement , . 259
§ 29. Mise en évidence du motif ontologique de l 'impuissance de la
problématique à édifier une phénoménologie du fondement
et à donner un contenu à l'idée de la structure formelle de l'auto -
norme ... ...: ............. ... 268
§ 30. Détermination ontologique de l'essence originaire de la révélation
comme immanence . Contenu immanent et contenu transcendante 278
3I. L'ambiguité fondamentale du concept de l'auto-affection.
ction, Auto-
affection et affection par soi ............... .............. 28
. 9
§ 32. Immanence et transcendance ............................... 307
§ 3 3 • L'interprétation ontologique de l'essence de la transcendance
comme immanence et la possibilité interne du dépassement ..... 3IS
34• Conscience du monde et conscience sans monde ............ 326
§ 3 S • La cohérence de la structure interne . de l'essence ..............
333
§ 36 , La signification ontologi q ue essentielle du conce pt d'imma-
nence l'immédiat ................:........... ; • .... 340

SECTION III . La structure interne de l'immanence et le problème de sa détermi-


nation phénoménologique : l'invisible ............................ 349
§ 37• La structure interne de l'immanence ...: ...................
349
§ 3 8. La structure interne de l'immanence et le p roblème de sa
compréhension comme révélation Fichte ... 3 71
§ 39. Eckhart ........:.... ... ...............,........... 385
§ 40. La présupposition ontologique fondamentale de la pensée
d'Eckhart et l'essence . originelle du Logos ................. 407
§ 4I. Immanence et situation absolue 4I9
§ 42. La détermination ontologique de l'essence de la situation comme
immanence et l'ambiguïté foncière de la Nicb#igkeit ... ....... 43 2
§ 43 • Situation et temporalité , L'hétérogénéité ontologique de leurs
structures originelles et son interprétation dans la philosophie de
la transcendance : l'idée de contingence et la chute du Dasein ..... :448
§ 44• Le concept de situation dans l 'existentialisme. La faillite de l'onto-
logie et le réalisme : « nature. et liberté » . , 6
44
910 L'ESSENCE. DE LA MANIFESTATION

SECTION III. -- La tfuctarc interne de l'immanence et le problème de sa


détermination pbénoménologique l'invidble (suite) ................... . 471
§ 4S. La dissimulation de l'essence originaire de la révélation et son
oubli .............. ....... ........ 417
4 46. La critique de la connaissance. L'essence de la religion 502
§ 47. La critique de la connaissance a l'intérieur du rationalisme . 514
§ 48. Signification ontologique de la critique du rationalisme .... 524
§ 49 • La signification ontologique de la critique de la connaissance chez
Eckhart.................................... ........ . 532
§ 5 o. Le non-visage de l'essence ............................ . '49
§ 51. Visible et invisible ...................................... 557

SECTION IV. Interprétation ontologique. fondamentale de l'essente originaire de


la révélation comme affectivité ..................................... 513
$ s z. Interprétation ontologique fondamentale de l'essence originaire
de la revelation comme affectivite : affectivite et ipséité ......... S 73
§ 5 3' L'affectivité comme passivité ontologique originaire et l'cffec-
tivité de son essence dans le u souffrir » ........ ... 585
s 54• Interprétation ontologique de l'affectivité comme fondement de
l'affection ; le problème de l' « affectivité intentionnelle» ........ 598
. s S 5 • Détermination ontologique de l'affection par l'affectivité ..... 6 i o
§ 56. Affectivité et sensations ............ ..................... 622
§ 57• L'affectivité comme forme universelle de rouie expérience pos-
sible en général et comme forme de cette forme . Le concept pur
de l'affectivité .. . ............................. C 632
§ S 8. L'interprétation ontologique de l'affectivité comme forme et
comme affectivité pures et la problématique kantienne du respect 6j o
4 59• L'affectivité comme pouvoir originaire de révélation et la des-
truction de l'ensemble des préjugés la concernant ...... 667
§ 6o. Détermination ontologique du pouvoir de révélation de l'affec-
tivité. 10 Détermination du « Comment » de po uvoir la
ce
vérité de l'affectivité .. ............... .............. . ........... . .674
61. L'obscurité du sentiment et son langage. Affectivité et pensée .... 679.
s 62. Détermination ontologique du pouvoir de révélation de l'affec-
tivité. 20 Détermination du contenu de ce pouvoir la réalité du
sentiment............. ................................... 692
9" L'ESSENCE DE LA MANIFESTATION

§ 63. La vérité du sentiment et le problème des « sentiments faux» .... 707


§ 64, Le pouvoir de révélation de l'affectivité selon Scheler ....... 115
§ 65. Le pouvoir de révélation de l'affectivité selon Heidegger 135
§ 66. L'affectivité comme immanence. Être-originel et être-constitué
du sentiment..........: ............................. 758
§ 67. Affectivité réelle et affectivité irréelle ............. .. , . 781
§ 68. Affectivité et action ............ . ........................... 803
§ 69. L'immanence radicale du sentiment et l'impossibilité de principe
d'agir sur lui .......................................... 814
§ 70. L'essençe de l'affectivité et les tonalités affectives fondamentales.
Affectivité et absolu .................. ................ 8 23

APPENDICE. -- Mise en lumière du concept originaire de la réyélalion par oppori-


lion au concept bégélien de mani, fesiation (Errcbeinrmg) , .. , .. , , .. , .
863
§ 7I. Le problème de l'essence de la manifestation et le déchirement ... 863
§ 72. La négativité interprétée comme une catégorie de l'être .. , . 867
73. La pseudo-essence de` la subjectivité et la critique du chris-
tianisme .................... .. .... . .................... . .... 872
§ 74. Le Royaume de la présence effective et la fuite hors de toute
effectivité .................... ........................ 878
§ 73. Le temps et le problème de la manifestation du Concept ... 884
76. L'aliénation : finitude et inadéquation de la manifestation
objective ................................................ 888
§ 77. L'effort vers le savoir absolu ............................... 896
DU MÊME AUTEUR

Philosophie et phénoménologie du corps, pu', coll. « EPimé-


thée », 1965 ; Ze éd. 1987.
Marx, I : Une philosophie de la réalité; II Une pbilosophie

de l'économie, Gallimard, « Bibliothèque des Idées »
1976.
Généalogie de la psycbanalyse. Le commencement perdu, pux,
coll. « Epiméthée :», 1985,
Pbénoménolo^ie matérielle, puer, coll. « EPiméthée » sous
presse).

Lejeune officier, roman, Gallimard, 1954•


L'amour les yeux ,fermés, roman, Gallimard 1976 Prix
Renaudot).
Le fils du roi, roman, Gallimard, 1981.
La barbarie, Grasset, 1987.
Voir l'invisible, François Bourin, 1988.
1PIM1TH1E
TEXTES

Collection fondée par Jean Hy olite


pp
et dirigée par Jean -Luc Marion

Anaximandre, Fragments et témoignages


Texte établi, trad. et commenté par M. CONCHE
Arnauld Antoine; Textes philosophiques. Conclusions philosophiques. Dis-
sertations en deux parties...
Texte traduit et introduit par D. MOREAU
Bacon, Le Novum Organum
Introd., trad. et notes par M. MALHERBE et J.-M. POUSSEUR
- Récusation des doctrines philosophiques
Introd., texte latin, trad. et notes par D. DELEULE et G. ROMBI
Bergson, COURS I : Leçons de psychologie et de métaphysique (2ee' d.) --
COURS II : Leçons d'esthétique. Leçons de morale, psychologie et méta
.
physique. -- COURS III : Leçons d'histoire de la philosophie moderne.
Théories de l 4me. - COURS IV : Sur la philosophie grecque
Édition par H. HUDE et J.-L. DUMAS
Berkeley, Ouvres, tomes I (2e éd.), II (2e éd.), III : Aki hron ou
p le petit
philosophe, IV : Le questionneur. Siris
Trad. sous la dir. de G. BRYi<MAN
Bonaventure (saint), Sentences
Texte traduit et commenté par M. OzILou
Descartes, L entretien avec Burman
Texte latin, trad., notes et commentaire par J.-M. BEYSSADE
- Abrégé de musique. Compendium musicæ
Présent., texte latin, trad. et notes par F. de BUZON
- Exercices pour les éléments des solides
Présent., texte latin, trad. et notes par
, P. COSTABEL
- Écrits physiologiques et médicaux
Texte traduit, présenté et annoté par V. AUCANTE
Duns Scot, Sur la connaissance de Dieu et l'univocité del étant
Introd., trad. et commentaire par O. BOULNOIS
- Prologue de l'Ordinatio
Introd., trad. et commentaire par G. SONDAG
Epicure, Lettres et Maximes (5e éd.)
Texte établi, trad. et commenté par M. CONCHE
Érgène, De la division de la Nature, 1: Livres I et II. - 2 Livre III. -
3 : Livre IV
Introd., trad. et notes par F. BERTIN
Feuerbach Ludwi g , Manifestes philosophiques, textes choisis, 1839-1845
(3e éd.)
Textes traduits et édités par L. ALTHUSSER
Fichte, Le systeme de l'éthique d'apres lesprincipes de la doctrine de la science
Présent., trad. et postface par P. NAULIN
Fichte/Schelling, Correspondance (1794:1802)
Présent., tract. et notes par M. BIENENSTOCK
Gadanmer, Là p hilosophie herméneutique
Avant-propos, trad. et notes par J. GRONDIN
Galilée, Discours concernant deux sciences nouvelles
Introd., trad. et notes par M. CLAVELIN
He gel, La philosophie de l'esprit, 1805
Trad. par G. PLANTY-BONJOUR
Le premier système. La philosophie de l'esprit (Iéna, 1803-1804)
Présent., trad. et notes par Myriam BIENENSTOCK
- La positivité de la religion chrétienne
Trad. du CRDHM (Poitiers-CNRS) sous la dr. de G. PLANTY-BONJOUR
- La théorie de la mesure (2e éd.) .
Trad. par André Doz
Leçons sur la philosophie de la religion. I : Introduction. Le concept de la
religion
Introd., trad. et notes par P. GARNIRON.
Héraclite, Fragments (4e éd.)
Texte établi, trad. et commenté par M. CoNCHE
Hobbes, Court traité des premiers principes (1630-1631)
Texte anglais, trad., notes et commentaires par J. BERNHARDT
Husserl, Recherches phenomenologiques pour la constitution (Idées direc-
trices..., Livre II)
Trad. P ar É. ESCOUBAS (2e éd.) 55 5 5 5

- La phénoménologie et les fondements des sciences (Idées directrices...,


Livre III)
Trad. par D. TIFFENEAU et A.-L. KEL.KEL
- Leçons pour une phenomenologie de la conscience intime du temps
(5e éd.) Trad. par H. DUSSORT
- Expérience et jugement
(3e éd.) Trad. par D. SOUCHE-DAGUES
- Sur l'intersubjectivité
Vol. I et vol. II
Texte traduit et commenté par N. DEPRAZ
- Recherches logiques
1 : Prolégomènes à la logique pure (5e éd.). - 2 : Recherches our la hénomé-
p p
nologie et la théorie de la connaissance -- lre partie (4e éd.), 2e partie (3e éd. .
- 3 : Elements d'une élucidation phénoménologique de la connaissance (4e éd.
Trad. pax H . ELIE, A.-L. KELKEL et R. SCHÉRER
- Logique formelle et logiq ue transcendantale (4e éd.
)
Trad. par S . BACHELARD
- L idée de phénoménologie.
la Cinq leçons ( Se q éd.).
Trad . par A. LOWIT
( 3eéd. )
- La philosophie comme science ri oureuse
Trad. par M .- B. de LAUNAY
- Chose et espace. Leçons de 1907
Trad. et notes par J.-F . LAVIGNE
-- L 'origine de la géométrie ( 5e éd.)
Trad. et introd. par J. DERRIDA
- Philosophie première, 1. Histoire critique des idées (3e éd. )
Trad . par A.-L. KELKEL
Philosophie première, 2. Théorie de la réduction phénoménologique
(3 e é d.)
Trad . par A.-L. KELKEL
- Problèmes fondamentaux de la phénoménologie
Trad. et notes par J. ENGLISH
- Philosophie de l 'arithmétique. Recherches psychologiques et logiques
(2e éd.)

Trad. et notes par J . ENGLISH


- Articles sur la logique ( 2e éd.)
Présent., trad . et notes par.J. ENGLISH
-- Méditations cartésiennes et les Conférences de Paris
Présent., trad. et notes par M. de LAUNAY
Kant , Opus postumum . Passages desp rinci es métaphysiques
P de dela science
la nature à la physique
Présent., trad. et notes par F. MARTY
Leibniz, Principes de la nature et de la grâce .. . Principes de la philosophie ou
Monadologie (3e éd. revue)
Texte établi, présenté et annoté par A. ROBINET
- Recherches générales sur l analyse des notions et des vérités
Introd. et notes par J.-B. RAUZY
- Textes inédits. 2 vol. (2e éd.)
Textes traduits et présentés par G. GRUA
Lequier, La recherche d'une première vérité et autres textes
Introd : par A. CLAIR ; préf. de Ch. RENOUVIER
Locke, Le second traité du gouvernement
Trad. et présent. par J.-F. SPITZ
Lévinas, Positivité et transcendence. Suivi de Lévinas de la. hénoménolo
sous la dirëction de J.-L. MARION
Merleau - Ponty, Notes de cours sur L'origine de la géométrie de Husserl.
Suivi de Recherches sur la phenoménologi'e de Merleau-Ponty, sous la
direction de R. BARBARAS
Nietzsche, Écrits autobiographiques, 1856-1869
Trad. et notes par M. CRÉPON
Parménide, Le Poème : Fragments (2` éd.)
Texte établi, trad . et commenté par M . CONCHE
Pic de la Mirandole, OEuvres philosophiques
Introd., trad. et notes par O . BouLNois et G. T0GN0N
Russell, Écrits de logique philosophique
Introd., trad. et notes par J.-M. RoY (2e ed.)
Schelling, Contribution a l'histoire de la philosophie moderne (Leçons de
Munich)
Introd trad. et notes par J.-F. MARQUET
.,
- Premiers écrits, 1794-1795
Présent ., trad. et notes par J. -F . COURTINE
-- Philosophie de la Révélation, Livre I. - Livre IL - Livre III
Trad. sous la dir. de J. -F. MARQUET et J. -F. COURTINE
- Les âges du monde. Fragments (Premières versions de 1811 et 1813)
Trad. et notes par P. DAvID
Spinoza, Traité theologico politique. OEuvres eompletes, tome III
Texte latin établi par Fokke AKKERMAN , trad. par J. LAGRÉE et
P.-F. MoREAU
Wittgenstein,
a Leçons sur la liberté de la volonté
Trad. par ' A SoULEZ. Suivi de Essai sur le libre feu de la volonté. par
A. SOULEZ
La science divine. Textes de Avicenne, Abélard, Thomas d'Aquin...
Textes traduits, commentés et introduits par J.-C. BARDOUT et
0. BOULNOIS

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