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122–5, 2e et 3e alinéas,
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L’ÉTÉ MEURTRIER
Un pays impatient
Le problème, c’est que cela réactive un sentiment très présent dans l’opinion,
car éprouvé maintes fois dans le passé : l’obsession d’une nouvelle majorité
consisterait davantage à revenir sur le passé, à « se venger », qu’à construire la
nouvelle politique sur laquelle elle souhaite engager le pays. La suppression
des dispositifs votés sous Sarkozy aurait pu renforcer le soutien au nouveau
pouvoir, accompagnée du vote des mesures phares du programme du
candidat. Mais, agrémentée simplement de hausse d’impôts, quand bien
même ces hausses concernent les plus aisés (ISF, non-résidents, taxe sur les
transactions financières), elles interpellent l’opinion sur le sens et la
temporalité du changement martelé pendant la campagne et annoncé pour
« Maintenant ».
Plus encore, ce premier été interroge sur la compréhension de l’état
d’esprit du pays par le nouveau président. Lui qui avait si bien su saisir dans
les mois précédents l’envie de tourner la page Sarkozyste, par exaspération à
gauche ou par déception au centre et dans l’électorat populaire, semble passer
à côté des attentes des Français après le 6 mai. Le pays est impatient, et
changer de président ne suffit pas à le contenter. C’est l’une des
conséquences de la défiance politique qui s’est amplifiée suite à la crise de
2008 : plus que jamais, c’est aux actes que les Français jugent les gouvernants
et la notion d’état de grâce est désormais un mirage. Pour preuve, l’indicateur
de moral des ménages de l’INSEE ne bouge quasiment pas en mai, après
l’élection de François Hollande : un maigre gain de 2 points, pour un indice
qui reste nettement sous la barre des 100 points (92) et demeure donc négatif.
En mai 2007, l’indicateur avait bondi de 6 points après la victoire de Nicolas
Sarkozy, pour s’établir à 107. Sans surprise, l’arrivée à l’Élysée de François
Hollande ne suscite donc guère d’enthousiasme, mais cela ne signifie pas que
les attentes soient faibles. Au contraire, l’opinion s’inquiète de la situation du
pays et estime qu’il faut agir vite pour inverser la tendance.
Ce n’est visiblement pas le cas du président, qui croit à la théorie des
cycles économiques et est persuadé que le retour de la croissance n’est
qu’une affaire de quelques semaines, ou de quelques mois. Un sentiment
probablement renforcé par sa précédente expérience de la gauche au pouvoir,
sous Lionel Jospin. En 1997, tout le monde s’inquiétait de la capacité du
Gouvernement à boucler le budget qui devait être celui de la qualification
pour l’entrée dans l’euro. Cette angoisse avait conduit Jacques Chirac à
dissoudre l’Assemblée et anticiper les échéances électorales de l’année
suivante. Non seulement ces craintes ne se concrétiseront pas, mais dans les
faits, c’est l’inverse qui survient. La croissance, en fin d’année, atteint 2,3 %,
en nette progression par rapport à 1996 (1,4 %) et franchit même les 3 %
l’année suivante (3,6 %), pour la première fois depuis 1989. Ce taux de
croissance qui ferait rêver n’importe quel président aujourd’hui perdurera
jusqu’à la fin de l’année 2000. À l’aune de cette expérience, le nouveau chef
de l’État semble persuadé que le scénario va se reproduire, accéléré par
l’alternance.
Mais la France de 2012 n’est pas celle de 1997. Le changement de
majorité ne crée pas de choc de confiance dans l’opinion, comme le souligne
la faible évolution du moral des ménages. D’autant plus que, quinze ans plus
tôt, la croissance était en réalité de retour avant l’arrivée de Lionel Jospin à
Matignon, ce que n’avait visiblement pas perçu le pouvoir en place. En effet,
elle avait atteint 1,3 % pour le seul second trimestre alors que les législatives
ne se dérouleraient que le 25 mai et le 1er juin. Les premières décisions
(emplois jeunes notamment) ont pu à l’époque renforcer cette embellie
économique, mais elles n’en sont pas à l’origine. Ce qui explique
fondamentalement le rebond à l’époque, c’est la première vague de la
révolution numérique, qui se transformera plus tard en « bulle Internet ».
L’été qui ne passe pas
Est-ce pour cela que le signal du changement envoyé durant l’été est de si
faible ampleur ? Difficile à dire mais, à la rentrée, lors de son discours le 31
août 2012 à Châlons-en-Champagne, François Hollande semble prendre la
mesure de l’impatience du pays. Les mots qu’il emploie sont rudes : « nous
sommes devant une crise d’une gravité exceptionnelle », « la croissance
ralentit partout », « la France doit résoudre son problème de compétitivité ».
Ces propos arrivent tardivement pour les Français. Dans nos communautés
qualitatives, l’effet de ce changement de ton est désastreux. Les électeurs ne
comprennent pas que le « président découvre la crise », et ils se demandent
« où il était durant toutes ces années ». Ils n’ont pas le sentiment que la
situation s’aggrave, contrairement à ce qu’ils entendent, simplement qu’elle
perdure depuis quatre ans et que le nouveau chef de l’État n’en saisissait pas
l’ampleur. Les réactions sont d’autant plus épidermiques pour certains que la
crise dure même depuis quarante ans, tant le discours sur ce thème est perçu
comme permanent depuis le milieu des années 1970. Une partie des électeurs
de gauche en concluent également que certaines promesses ne pourront pas
être tenues, « sous prétexte de la situation budgétaire, qui a bon dos », ce qui
explique le décrochage de popularité dans la gauche radicale. La crise de
confiance qui s’installe entre le président et les électeurs puise donc ses
racines dans le terreau économique et social : les Français n’ont retenu aucune
mesure forte du premier été présidentiel, mais voient arriver désormais les
hausses de l’automne (impôt sur le revenu, impôts locaux), constatent pour
certains les avantages perdus (heures supplémentaires), ou regrettent
l’insuffisance des mesures souhaitées (comme celles visant à limiter les effets
de la hausse du prix de l’essence).
La désillusion n’est pour autant pas qu’économique, elle est également
charnelle vis-à-vis de François Hollande. Le nouveau président semble, en
ces premières semaines, vouloir surtout marquer la différence avec Nicolas
Sarkozy dans l’exercice personnel de ce premier été. Fini les attitudes et les
vacances « bling-bling », place à la simplicité. Il ne s’agit pas de renoncer aux
congés – après tout, une majorité des Français en prennent durant la période
estivale – mais de les rendre les plus ordinaires possibles. Départ en train au
milieu des voyageurs, promenades sur la plage publique avec sa compagne,
pas d’intervention médiatique durant ses quinze jours de repos, tout est fait
pour que cet interlude passe le plus inaperçu possible. Comment, dès lors,
imaginer, alors que son prédécesseur n’avait pas souffert dans l’opinion de
son premier été mouvementé, que le décrochage d’opinion brutal de François
Hollande dès la rentrée puisse être lié à ses congés ?
Paradoxalement, derrière un exercice de la fonction totalement différent de
celui de Nicolas Sarkozy, le nouveau président en renverse tout autant les
fondamentaux avec cette « normalité ». Dans notre pays, la fonction relève de
la toute-puissance depuis l’avènement de la Ve République, plus pour des
raisons historiques – la trace impulsée par le premier titulaire, le général de
Gaulle, y est pour beaucoup – qu’institutionnelles. Après tout, les pouvoirs
présidentiels dans la Constitution sont certes importants mais en deça de la
pratique qui s’installe dès l’origine. Elle relève tout autant du sacré : le chef
de l’État incarne la nation, s’en revendique comme le père, s’attribue un rôle
d’arbitre et se drape d’attributs empruntés à la monarchie, instaurant
sciemment de la distance avec le peuple, pour mieux être en mesure de
remplir ces différentes fonctions. Elle s’appuie enfin sur la mythologie
politique de l’homme providentiel, qui doit guider le pays et permettre à la
France d’assumer son destin universel.
Ainsi, dès le début des années 2000, l’adhésion au mariage gay devient
majoritaire, et lorsque François Hollande est élu, ce sont 61 % des Français
qui soutiennent ce principe. Dans le même temps, 54 % sont favorables au
droit à l’adoption pour les homosexuels. Oui, la hiérarchie catholique
s’oppose ouvertement au projet de loi du Gouvernement mais, là encore, si
plus d’un Français sur deux se déclare catholique, seuls environ 10 % sont
pratiquants. Cela ne semble donc pas un obstacle insurmontable pour le
nouveau pouvoir, car les enquêtes soulignent que seuls les catholiques
pratiquants sont majoritairement opposés à cette réforme, pas ceux qui ne se
définissent ainsi que culturellement.
Oui, le clivage politique sur cet enjeu demeure massif, puisque 78 % des
sympathisants de gauche soutiennent ce principe, contre seulement 39 % des
sympathisants de droite1, mais la reconnaissance du mariage homosexuel
progresse dans les deux France depuis des années, et tout indique que le
peuple de droite acceptera bientôt majoritairement cette évolution. Pour la
quasi-totalité des Français de 2012, la famille demeure certes un pilier
essentiel de la société, mais cela n’est plus contradictoire avec l’acceptation
des formes diverses qu’elle peut recouvrir. Quelle que soit l’orientation
politique, l’opinion considère que le modèle traditionnel d’un couple marié
avec enfant n’en est plus qu’un exemple parmi d’autres.
Il faut dire que la filiation n’est plus depuis longtemps associée au
mariage : à partir des années 1980, la part des enfants nés hors mariage
explose pour passer de 11,4 % cette année-là, à 30,1 % en 1990 et 42,6 % en
2000. Et depuis 2006, plus d’un enfant sur deux naît même hors mariage
(55 % en 2011). Dans le fond, le mariage n’est plus tellement en odeur de
sainteté dans la France de François Hollande. Depuis 2000, son nombre
annuel ne cesse de décroître : 305 000 célébrés cette année-là contre
seulement 236 000 en 20112.
Le clivage sur le mariage et l’adoption pour les homosexuels, il convient
de le rappeler, est massivement générationnel. Les moins de trente-cinq ans
sont plus de 70 % à y être favorables, contre seulement un tiers des soixante-
cinq ans et plus, et il s’agit moins d’un effet d’âge que de génération : en
vieillissant, les nouvelles générations conservent sur ce sujet leur point de
vue. L’adhésion grandissante à accorder ces droits aux homosexuels n’a donc
aucune raison de changer et a même vocation à s’amplifier dans les années
qui viennent. Pour toutes ces tendances de fond, le clivage est en tout cas
bien moins politique qu’on ne le dit.
Frappés de constater dans nos enquêtes qualitatives que, très rapidement,
les conversations dérivaient du mariage homosexuel au débat sur le mariage
tout court, nous avons ajouté à nos sondages une question sur le rapport au
mariage, quel qu’il soit.
L’expérience confirme que le positionnement sur ce débat renvoie en
priorité au rapport que chacun entretient avec le mariage en général. Plus
l’importance accordée à cette institution est élevée, plus le rejet du mariage
pour les homosexuels est grand. L’attachement au mariage se révèle une fois
et demie plus discriminant que le vote ou l’appartenance religieuse dans les
opinions sur le mariage gay. Ainsi, quand 60 % des Français sont favorables
au mariage pour tous, ils ne sont que 43 % parmi ceux qui considèrent le
mariage en général important, mais 80 % parmi ceux qui n’accordent que peu
d’importance à cette institution. Ce phénomène se retrouve même parmi les
catholiques : 75 % de ceux qui jugent le mariage peu important sont
favorables au mariage homosexuel.
LE RAS-LE-BOL FISCAL
Ce « couac » a des effets considérables dans l’opinion, bien plus que certaines
disputes entre les ministres qui agitent le monde médiatique, mais
n’atteignent que rarement les électeurs. En effet, la taxe à 75 %, si elle ne
devait toucher qu’environ 1 500 personnes, a joué un rôle central dans la
campagne de 2012. Elle est annoncée en février alors que Nicolas Sarkozy
semble bénéficier de la dynamique de son entrée en campagne, quand Jean-
Luc Mélenchon progresse également dans les sondages et tente d’incarner
une autre option pour l’alternance. Elle avait permis à François Hollande de
reprendre la main sur la campagne, d’ancrer le candidat plus nettement à
gauche et de souligner sa volonté de marquer un tournant par rapport au
quinquennat précédent. Elle rencontrait un courant majeur à ce moment-là
dans l’électorat.
En octobre 2011, 73 % des Français estiment que, « pour établir la justice
sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres », 11 points
de plus qu’un an auparavant. Même les électeurs de droite partagent
désormais majoritairement ce point de vue (51 %). Sans surprise donc, au
moment de voter, en mai 2012, une large majorité des électeurs approuve la
mesure (69 %). Voilà les éléments à mettre au crédit de cette mesure. Mais
passent au second plan à ce moment-là les conditions de son annonce, qui
constitueront plus tard autant de faiblesses, démonétisant la mesure au
moment du bilan du quinquennat.
Car si la taxe est censurée en décembre 2012, c’est aussi parce qu’elle est
improvisée par François Hollande et un cercle très restreint quelques heures
avant son passage sur TF1 dans l’émission Parole de candidat. La mesure ne
figurait pas dans les 60 engagements dévoilés quelques jours plus tôt. Preuve
de cette impréparation, François Hollande annonce même, dans un premier
temps, qu’elle concerne les revenus supérieurs à 1 million d’euros par mois,
avant de se reprendre et de préciser par an. Autre signe, Jérôme Cahuzac, son
conseiller pour les questions fiscales, apprend en direct sur France 2 cette
proposition, et est en conséquence incapable d’en préciser les contours
lorsqu’on l’interroge sur sa mise en application. Est-ce parce qu’elle est plus
politique et symbolique que centrale dans la politique du nouveau
Gouvernement que sa conception en sera si mal assurée ? Difficile à affirmer,
mais il est probable que les deux soient liés, au moins en partie. Reste que le
symbolique, en politique, est souvent source de davantage de dégâts que le
reste.
Mais les revers concernant cette taxe n’auraient probablement pas autant
coûté au président si elle ne s’était accompagnée, dans l’opinion, du
sentiment d’être victime d’un « matraquage fiscal » par le nouveau pouvoir.
Cette perception peut être considérée comme injuste, car les hausses d’impôt
ont démarré lors des deux dernières années du quinquennat Sarkozy. Or, si le
ras-le-bol s’exprime autant contre le nouveau pouvoir sur ce terrain, il le doit
avant tout à lui-même.
L’origine de cette révolte réside, en premier lieu, dans le malentendu qui
s’instaure durant la campagne entre le candidat et les électeurs. François
Hollande n’a jamais caché qu’il augmenterait les impôts afin de rétablir la
situation des comptes publics et de revenir à 3 % de déficit en 2014.
Cependant – et la proposition de taxe à 75 % renforce cette perception –, il
laisse comprendre aux Français que ces hausses de prélèvement concerneront
les hauts revenus. L’ambiguïté dépasse d’ailleurs la campagne électorale,
puisque la communication accompagnant le budget pour 2013 s’organise
autour de l’idée que neuf Français sur dix ne sont pas touchés par celles-ci.
Or, le sentiment qui domine très vite dans l’opinion est tout autre. Il relève
plus de l’overdose générale que du ciblage sur les plus riches.
Dès septembre 2012, 81 % des Français, et même 71 % des électeurs de
François Hollande, pensent que les impôts vont augmenter en 2013 pour les
classes moyennes contre seulement 58 % qui pensent que ce sera le cas pour
les Français aisés. Dans un pays où plus d’une personne sur deux pense
appartenir à cette catégorie sociale, le décalage est total et ravageur pour le
président. La majorité des électeurs estime qu’on leur a menti durant la
campagne, et le désenchantement rapide envers l’exécutif n’en est que
renforcé.
En politique, la perception est la réalité. Peu importe donc que
l’argumentaire gouvernemental soit vrai, ce qui compte, c’est l’idée que s’en
font les Français. Mais si la perception est aussi défavorable au nouveau
pouvoir sur la question fiscale, c’est parce que celui-ci croit pouvoir fonder
son message sur un texte (le budget) quand un pays raisonne sur le contexte.
Le maintien du gel du barème sur l’impôt sur le revenu, la suppression de
l’exonération des heures supplémentaires, les hausses de taxe sur le tabac ou
sur la bière, tout cela concerne bien plus d’un Français sur dix. Elles ne sont
peut être pas inscrites dans le budget 2013, mais savoir par quel canal ces
mesures sont décidées n’est pas un sujet pour l’opinion. Seul compte pour
elle le solde final, et il tend vers une augmentation pour bien plus d’un
Français sur dix.
Dans ce domaine également, les premiers pas du quinquennat laisseront un
goût de Fernet-Branca aux Français et plomberont l’ensemble de la
mandature. D’autant plus que le malentendu avec l’opinion va se creuser
encore lorsque le Premier ministre annonce, en novembre 2012, une
augmentation de la TVA au 1er janvier 2014, quelques mois après avoir
annulé celle décidée par le Gouvernement précédent.
Quelques semaines avant l’entrée en vigueur de cette hausse, destinée à
financer le plan de rétablissement de la compétitivité des entreprises, seuls
26 % des Français y sont favorables. Les sympathisants de gauche sont
logiquement parmi les plus opposés à cette mesure. Non seulement parce
qu’elle semble tourner le dos à un engagement de campagne du président,
mais aussi parce que la TVA est un impôt honni par l’électorat de gauche, qui
le considère injuste car touchant davantage les bas revenus que les plus aisés.
Dès lors, les déconvenues vont se succéder sur cet enjeu pour la majorité et,
fait rare, la fiscalité va devenir une motivation de vote importante. Ainsi,
alors que seulement 22 % des électeurs ont voté sur ce critère au premier tour
de la présidentielle 2012, ils sont désormais 39 % qui feraient leur choix en
fonction de cette thématique en juillet 2014. De même, lors des élections
municipales de mars 2014, dans les communes de plus de mille habitants, les
impôts locaux constituent la première motivation de vote des électeurs
(55 %), loin devant le développement économique ou la sécurité.
C’est un phénomène atypique dans la mesure où les Français n’attendant
plus grand-chose dans ce domaine de la part des politiques, et doutant de leur
capacité à diminuer le niveau de la fiscalité, cet enjeu est en général assez
marginal dans les choix des électeurs. Le « ras-le-bol fiscal » est bien entendu
plus prégnant à droite, mais il n’est pas absent à gauche, puisqu’il concerne
environ 40 % de ses électeurs. La réactivation d’un tel enjeu est, quoi qu’il en
soit, toujours défavorable au pouvoir en place, en contribuant à renforcer
l’envie d’utiliser son bulletin de vote pour sanctionner les gouvernants.
L’exécutif en a conscience et tente de reprendre la main sur le sujet dès
l’automne 2013. François Hollande annonce une « pause fiscale » pour le
budget 2014. La maladresse de la formule ne peut que surprendre. D’abord
parce que la notion même de pause renvoie dans l’imaginaire de l’opinion au
provisoire, laissant entendre que les hausses reprendront par la suite. De plus,
le calendrier lui-même de l’annonce est étonnant. En effet, la pause ne pourra
être effective qu’en 2015, car de nombreuses mesures déjà votées entrent en
application en 2014.
En conséquence, le président a beau préciser son propos et s’engager à ce
qu’il n’y ait plus de hausse d’impôts d’ici la fin de son mandat, rien
d’étonnant à ce que les Français n’y croient pas. Que ce soit au moment de
l’annonce, en 2013, ou un an plus tard, en novembre 2014, 76 % estiment
qu’il ne tiendra par cet engagement, et seul un électeur sur deux ayant voté
pour lui lui fait crédit de cette promesse. Le Gouvernement a beau adopter
des mesures allant dans ce sens pour les ménages, le mal est fait. 84 %
pronostiquent que les impôts payés par les particuliers ne baisseront pas d’ici
la fin du quinquennat.
Ce ne sera pas mieux du côté des entreprises. Certes, la mise en place du
CICE en novembre 2012, et l’annonce du pacte de responsabilité et de
solidarité fin 2013 sont de nature à les rassurer sur la volonté du
Gouvernement de s’appuyer sur elles pour redresser la situation économique
du pays. Tout comme le sont les propos du Premier ministre Manuel Valls
– « J’aime l’entreprise » – à l’université d’été du Medef, en août 2014. Le
message perçu par l’opinion aurait donc dû être sans ambiguïté.
Mais une mesure fiscale envisagée dans le budget 2013 va elle aussi
laisser des traces. Il est alors prévu que les plus-values de cession
d’entreprises ne soient plus taxées désormais à 34,5 % mais indexées sur le
barème de l’impôt sur le revenu. Ce projet déclenche le mouvement des
« pigeons », qui regroupe notamment des chefs d’entreprise de l’économie
numérique. Dans un contexte où les Français critiquent certes les grandes
entreprises mais valorisent les PME et les créateurs d’entreprises, les
contestataires jouent sur du velours. Ils portent l’imaginaire de ceux qui ne
pourront plus bénéficier du fruit de leur travail. En ce sens, les citoyens
peuvent facilement s’identifier à eux, ce sentiment que les efforts ne payent
plus étant fortement répandu dans le pays. Le Gouvernement revoit très
rapidement la mesure pour en supprimer les effets pervers, mais jamais, par la
suite, il ne parviendra réellement à effacer l’idée qu’il favorise ceux qui
entreprennent.
Pour toutes ces raisons, le contexte d’opinion durant le quinquennat
Hollande sur les questions fiscales est profondément bouleversé. Dès
décembre 2015, les Français qui pensent qu’il faut, pour établir la justice
sociale, prendre aux riches pour donner aux pauvres ne représentent plus que
53 % de la population, soit 20 points de moins en un an. Tout cela n’est pas
sans conséquence sur le quinquennat qui s’ouvre. Les évolutions fiscales
qu’envisage Emmanuel Macron, notamment l’allègement de l’ISF et la flat
tax sur le capital, bénéficieront d’un créneau de tolérance à défaut d’être
populaires. Mais plus que jamais, la défiance dans la parole politique est de
mise dans de domaine. En août 2017, la nouvelle majorité a beau marteler le
contraire, 63 % des Français s’attendent à ce que leurs impôts augmentent
dans l’année qui vient.
4.
Il n’est donc pas surprenant que l’arrestation de Leonarda, une fois connue,
suscite une levée de bouclier parmi les élus ou certaines associations proches
de la gauche. Comme en mars 2007, le mot « rafle » est employé pour
qualifier l’arrestation. La FIDL, syndicat lycéen proche du PS, tente de
mobiliser les lycées contre les expulsions, comme elle aurait pu le faire sous
un gouvernement de droite. Et le « Mouvement des jeunes socialistes » (MJS)
exige la régularisation de Leonarda et de sa famille ! Une frange de la gauche
estime donc que concernant la politique migratoire, en matière de
changement, le compte n’y est pas et regrette, là encore, l’absence de rupture
avec le quinquennat Sarkozy. L’abrogation de la « circulaire Guéant » sur les
étudiants étrangers dès l’été 2012 ne lui suffit pas. Elle profite de
l’événement pour le faire savoir. Mais il ne s’agit que d’une partie de la
gauche, car à l’image du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, nombre d’élus
de gauche défendent une politique stricte en matière de lutte contre
l’immigration clandestine.
Il faut dire que depuis plusieurs années, sur cet enjeu, l’opinion n’a cessé
de pencher pour davantage de fermeté, même si cette évolution n’est pas
linéaire durant la période. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que l’on entend
parfois, d’une « droitisation » : la réticence face à l’immigration ne recoupe
pas historiquement le clivage gauche-droite de manière uniforme, de même
qu’elle peut se révéler politiquement variable d’un pays à l’autre. Il est
question, plus simplement, en France, d’une adhésion aux mesures prônant
davantage de contrôle de l’immigration.
Tout cela se produit dans un contexte où, depuis une dizaine d’années, le
sentiment d’une trop grande présence d’immigrés dans le pays revient à des
niveaux très élevés, comparables à ceux des années 1980. Depuis les émeutes
en banlieue de 2005, la part de Français jugeant qu’il y a trop d’étrangers en
France est de nouveau majoritaire, et lorsque François Hollande remporte la
présidentielle, deux tiers des Français partagent toujours cette opinion (64 %).
La période est à la méfiance face à l’immigration plutôt qu’à l’ouverture. Ce
n’est pas la première présidentielle à se dérouler dans ce contexte néanmoins.
En 2007, une petite majorité des Français (55 %) approuvaient l’idée
défendue par Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’Immigration et de
l’Identité nationale, bien que celle-ci ait alors suscité un tollé médiatique et
politique. De même, une majorité soutenait le principe de durcir les
conditions pour qu’un immigré installé en France puisse faire venir sa
famille.
C’est une tendance lourde de la décennie : sur la plupart des indicateurs, on
constate un recul important des opinions favorables à l’immigration. Non
seulement sur l’opinion selon laquelle l’immigration est une chance pour la
France, mais également sur celle selon laquelle « on en fait plus pour les
immigrés que pour les Français », désormais partagée par les deux tiers des
Français en 2013. Mais si les tensions au sein de la gauche sont aussi fortes
dès que l’on aborde cet enjeu, c’est parce que le rapport à l’immigration
divise la gauche désormais.
Ainsi, en 2013, lorsque « l’affaire Leonarda » survient, les Français qui se
positionnent à gauche sont 37 % à être d’accord avec l’idée qu’il y a trop
d’étrangers en France, contre 85 % de ceux se situant à droite ou 98 % des
sympathisants du Front National. L’électorat de gauche, qui reste
majoritairement ouvert à l’immigration, n’est cependant pas unanime sur le
sujet, contrairement à celui de droite ou d’extrême droite. À l’image de ses
leaders.
Deux ans plus tard dans le quinquennat, lorsque survient la crise des réfugiés
suite au chaos syrien, une majorité de l’électorat de gauche (60 %) attend de
nouveau de son Gouvernement qu’il fasse preuve de générosité en acceptant
d’accueillir une part de cette population en détresse. La déception de voir la
France rester impassible face à ce drame est d’autant plus grande lorsqu’ils
constatent que la Chancelière allemande, pourtant conservatrice, fait, elle,
preuve d’une plus grande ouverture. Une fois de plus, celui qu’ils ont porté
au pouvoir ne leur donne guère de gages dans ce domaine.
Durant la campagne 2017, Emmanuel Macron préconisera de favoriser
l’accès à la nationalité française plutôt que donner le droit de vote aux
étrangers. Bien qu’il y soit visiblement favorable, il déclarera ne pas vouloir
« faire de propositions qui ne soient pas tenables ».
5.
ET LA COURBE S’INVERSA
En août 2016, tous les indicateurs vont désormais dans le même sens.
L’embellie sur le front de l’emploi semble cette fois bel et bien là, et la
courbe du chômage enfin inversée. Sur les sept premiers mois de l’année, le
nombre de demandeurs d’emploi n’ayant exercé aucune activité a baissé de
75 000 personnes. Les données de l’INSEE indiquent, en parallèle, que les
créations d’emplois dans le secteur privé continuent de croître pour s’établir à
143 000 postes sur un an (+0,9 %). Toujours selon l’INSEE, le taux de
chômage au deuxième trimestre 2016 est en baisse de 0,3 point. La baisse
concerne toutes les tranches d’âge, même les jeunes et sur un an, le taux de
chômage diminue de 0,5 point. Il aura fallu quatre ans quasiment pour que
cette inversion se produise enfin.
Invité de TF1 le 9 septembre 2012, le président s’était donné comme
objectif d’« inverser la courbe du chômage d’ici un an ». Dans ses vœux aux
Français fin 2012, qu’il voulait optimistes, il a confirmé cette échéance pour
la fin 2013. Très vite, il apparaît que François Hollande aura du mal à tenir
cet engagement. En juin 2013, l’INSEE est catégorique : le chômage
continuera de croître en fin d’année pour atteindre 10,7 % de la population
active, un taux très proche du record historique du pays. L’OCDE confirme le
pessimisme de l’INSEE. Selon l’institution, le chômage en France devrait
même augmenter jusqu’à la fin de l’année 2014 et le taux de chômage
s’établir à 11,2 % à cette date. À chaque fois, le Gouvernement contestera ces
prévisions, maintenant l’objectif présidentiel, mais se heurtera jusqu’en 2016
à la dure réalité des chiffres.
Le premier critère de choix des électeurs
Mais pour une large majorité de nos concitoyens, l’argent n’est ni la seule ni
la principale motivation du travail. L’intérêt pour l’activité exercée,
l’ambiance ou les relations humaines sont tout aussi déterminants. Plus des
deux tiers des actifs ont le sentiment que leur travail sert à quelque chose et
qu’ils disposent d’une réelle autonomie dans le cadre de leur activité
professionnelle. L’élévation générale du niveau d’éducation et les formations
qualifiantes ont permis, durant la seconde moitié du XXe siècle, à un plus
grand nombre de salariés de prétendre à un métier choisi.
Les bénéfices psychologiques qu’apporte le travail comptent tout autant
que les avantages matériels qu’il procure. L’entreprise est souvent vécue
comme un groupe d’appartenance, une communauté humaine, une
microsociété, bref, le premier réseau social des individus. Le métier et le
poste d’un individu contribuent toujours très largement à définir son identité
et à sa position sociale. Et par effet de miroir, il se sait perçu comme tel et se
construit en fonction de ce positionnement, choisi ou subi.
Dans le même temps, la frontière entre vie professionnelle et vie privée, si
elle est loin de disparaître, apparaît de plus en plus floue et à géométrie
variable. Un phénomène renforcé par l’émergence du numérique et du digital
mais pas seulement. L’affaiblissement du modèle de l’entreprise unique,
voire du métier unique, tout au long de la carrière, conforte l’interpénétration
entre les deux mondes pour une partie des actifs. La vie professionnelle pèse
sur les décisions ou contraintes personnelles, puisqu’il faut s’adapter aux
ruptures de carrière. Mais l’inverse existe aussi parfois : des aspirations
individuelles ou familiales déterminent des choix de carrière ou des
bifurcations professionnelles.
La relation à l’entreprise en est profondément bouleversée et devient pour
le moins ambiguë. D’une part, elle évolue vers plus d’indifférence et
l’attachement réciproque du salarié et de l’entreprise tend à s’affadir. Mais,
dans le même temps, la recherche de solidarité au sein même de l’entreprise
demeure très forte. Cette solidarité n’est que partiellement affective et est tout
sauf angélique. Elle est également intéressée, pragmatique et réaliste. Les
entreprises sont les premières à prendre conscience de ces évolutions et des
risques qu’ils engendrent. Toutes nos enquêtes indiquent qu’elles sont clés
dans la motivation et l’engagement des salariés.
Ce n’est pas un hasard si après plusieurs années de débats sur la notion de
souffrance et de stress, on voit émerger désormais la question du bien-être au
travail. En mars 2008, suite au Rapport sur la détermination, la mesure et le
suivi des risques psychosociaux, Xavier Bertrand, alors ministre du Travail,
avait demandé à l’INSEE d’établir une enquête nationale annuelle pour
mesurer le stress au travail et identifier les secteurs touchés. Il est frappant de
voir à quelle vitesse le phénomène de burn out s’est vulgarisé au point d’être
désormais une réalité identifiée par tous les salariés, y compris la grande
majorité de ceux qui n’y ont pas été sujets.
Ainsi, même dans un contexte de chômage de masse, le travail est reconnu
lui aussi comme une source de souffrance potentielle bien réelle. Enfin, on
constate une réflexion face aux aspirations des « millenials », cette génération
née avec le digital, et la suivante, dont le rapport à l’entreprise est
profondément bouleversé.
Des Français non résignés face au chômage
LA STATURE INTROUVABLE
Mais il était dit que ce quinquennat ne répondrait pas aux mêmes règles.
François Hollande, en dépit d’une présence forte sur la scène internationale,
n’a jamais réussi à acquérir une position aussi forte dans l’opinion sur les
affaires internationales. Quatre ans après son élection, seuls 35 % des
Français approuvent la manière dont il défend les intérêts de la France à
l’étranger. Ce ne sont cependant pas les événements qui ont manqué.
Dès janvier 2013, soit huit mois après son élection, le président lance
l’opération « Serval » au Mali pour enrayer l’avancée des islamistes qui
menacent de prendre le pouvoir à Bamako. L’efficacité de l’intervention
militaire française et l’attitude du président sont unanimement reconnues par
l’ensemble des acteurs politiques. Sa présence sur place quelques jours plus
tard, où il est acclamé, offre des images telles que les Français aiment les voir
traditionnellement. Et les deux-tiers de la population approuvent
l’intervention de l’armée française dans ce pays, qui est plébiscitée même par
les sympathisants de gauche, souvent plus réfractaires dans ce type de
circonstances. Pourtant, elle ne lui offre aucun répit en termes de popularité.
Il en sera de même en décembre 2013, lors de l’intervention en Centrafrique,
bien qu’elle aussi reçoive un soutien très majoritaire dans l’opinion.
Les enjeux internationaux sont généralement peu prégnants dans la
formation des choix politiques, et n’intéressent que faiblement les citoyens,
que ce soit en France ou dans la plupart des démocraties occidentales. Cela
explique que la popularité soit rarement indexée aux événements qui
surviennent au-delà de nos frontières. En l’occurrence, la situation politique
de ces deux pays et le danger qu’ils encourent, totalement méconnus du grand
public, ne facilitaient pas une traduction politique de ces interventions dans
l’opinion. Les Français ont découvert l’existence de ces conflits lorsque la
France y a déployé ses troupes. L’absence de perception d’un danger
préalable a limité les effets de la réponse présidentielle sur la visibilité de son
action.
Même sur la capacité à prendre des décisions difficiles ou à faire preuve
d’autorité, l’image présidentielle, déjà très faible, continue de se dégrader
après ces deux interventions africaines.
La situation est en revanche tout autre en août 2013 lorsque le président
souhaite punir le régime syrien pour son usage présumé d’armes chimiques
dans le conflit qui ravage ce pays. Contrairement à l’Afrique, le Moyen-
Orient est une zone perçue par les citoyens comme décisive pour la stabilité
mondiale. Anxiogène depuis longtemps, en raison du conflit israélo-
palestinien, elle agite un peu plus encore depuis vingt ans les opinions
publiques en raison des deux guerres d’Irak. Si les Occidentaux, sous
l’impulsion de la France, avaient frappé les forces d’Al-Assad, nul doute que
le débat parmi les Français eut été d’une tout autre ampleur.
L’image de François Hollande aurait pu en être profondément modifiée,
notamment dans sa composante la plus faible : le manque d’autorité. D’autant
qu’une telle action se serait inscrite dans la tradition gaulliste voulant que la
France porte une voie originale dans le monde arabe. En contrepartie, elle
aurait aussi été beaucoup plus risquée pour le président. Autant les opérations
au Mali et en Centrafrique étaient soutenues par les Français, autant une
intervention en Syrie suscitait des réticences : 55 % s’y opposent lorsque le
débat surgit à l’été 2013. Le souvenir récent de l’enlisement des Américains
en Irak et des difficultés de la présence de la France en Afghanistan
expliquent ces inquiétudes.
Le risque était renforcé pour un président qui avait fait du retrait de nos
troupes dans ce pays une promesse de campagne très largement appréciée
dans son camp. La question ne se posera cependant jamais puisque suite au
vote négatif de la chambre des communes, David Cameron, le Premier
ministre britannique, renoncera à de telles sanctions militaires, entraînant
dans son sillage le désistement de Barack Obama. Il n’y aura dès lors pas de
traces du volontarisme présidentiel dans l’opinion, si ce n’est de réactiver
dans les enquêtes qualitatives le regret national que « décidément aujourd’hui,
sans les Américains, nous ne pouvons plus mener d’action militaire ». Une
sensation qui souligne à quel point les interventions africaines ont eu peu de
poids dans le grand public.
Reconquérir la considération des Français
Dans la France de 2012, les politiques ne sont plus un tabou pour les
journaux people. Il a vite l’occasion de s’en rendre compte, dès le mois
d’août, lorsque sont publiées des photos de ses vacances avec sa compagne à
Brégançon et à Porquerolles. Il va de nouveau le constater en janvier 2014,
quand il fait la une de Closer pour ses escapades nocturnes. Pour la première
fois, un président est traité sans ménagement, comme n’importe quel people.
Laurence Pieau, la directrice de la rédaction du magazine, justifie ce choix
par le fait que cette relation « est connue de journalistes politiques nombreux
et de journalistes tout court à Paris ». Et elle ajoute cette référence terrible : la
publication de ces photos constitue le récit « d’un président normal, une
personne normale. C’est un président qui a un coup de cœur et une histoire ».
L’un des marqueurs de campagne de François Hollande se retourne
définitivement contre lui.
L’impact de l’épisode Closer dans l’opinion n’est pas simple à
appréhender. Écartons une hypothèse d’entrée : le reproche de l’infidélité n’a
jamais été évoqué par les Français et n’est pas de nature à pénaliser le
président. Une enquête de 2013 du Pew Research Center permet de
comprendre aisément pourquoi. Parmi les quarante pays étudiés, la France est
celui où l’adultère choque le moins, et le seul dans lequel une majorité de la
population ne le condamne pas moralement. Une analyse attentive des
courbes de popularité ne montre par ailleurs aucune baisse suite à la
publication du reportage, ce qui laisserait supposer qu’elle n’a eu aucun effet.
Toutefois, à cette époque, le président est déjà très affaibli (25 % de
popularité en moyenne), ce qui limite par nature les variations. De plus, les
études qualitatives qui suivront cet événement indiquent clairement une
dégradation de l’image du chef de l’État. Le sentiment que la présidence
Hollande marche sur les pas de celle de Sarkozy s’impose de plus en plus. Le
changement pour lequel nombre d’électeurs ont voté en 2012 apparaît dans
tous les électorats comme un simple slogan, lorsque même dans l’imbrication
vie publique/vie privée il devient indécelable. Enfin, phénomène qu’il ne faut
jamais négliger, le président est désormais victime de railleries, comme nous
le sommes tous dans ce genre de situation. Cela l’éloigne une nouvelle fois
de l’imaginaire national imposé depuis de Gaulle, qui voudrait que la
fonction soit occupée par une personnalité hors du commun, à l’heure où tant
de Français s’interrogent sur l’avenir du pays.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets : comme le parti socialiste
après 2007, la droite n’a plus, en 2012, de leader incontesté qui s’impose,
naturellement ou par sa puissance dans l’opinion. Et comme en 2009 pour les
socialistes, la dernière fois que l’UMP a tenté de trancher la question de son
leadership, le scrutin s’est terminé en pugilat médiatique et a flirté avec un
dénouement devant les tribunaux. On ne saura jamais qui l’a emporté de
Jean-François Copé ou de François Fillon en novembre 2012, lors de
l’élection du président de l’UMP. Ce qui est sûr en revanche, c’est que ce
jour-là, le premier a probablement annihilé ses chances de représenter son
camp à la présidentielle en 2017. Ainsi, même si la droite est
idéologiquement et historiquement réfractaire à la logique de la primaire
– rien ne rompt plus avec le mythe gaullien de la rencontre d’un homme et
d’un peuple qu’une procédure partisane, même ouverte –, elle n’a eu d’autres
choix que de s’y rallier, comme le PS en son temps, qui n’y était guère plus
favorable. Et ce en dépit des réticences que les uns et les autres continuent
d’exprimer sur ce principe.
Dans un pays qui rejette massivement les partis politiques (seuls 12 % des
Français leur font confiance), difficile pour eux désormais de conserver le
monopole de la sélection des candidats aux élections. Sur les modalités de
son organisation, les républicains n’ont d’ailleurs pas cherché à innover.
Même modalités pour le vote, à savoir se rendre dans un bureau (hormis pour
les Français de l’étranger, ce qui aurait condamné la tenue du scrutin pour
cette frange de la population). Même maillage territorial, avec environ dix
mille bureaux de vote. Même mode de scrutin, calé sur celui de la
présidentielle, majoritaire à deux tours avec une finale opposant les deux
candidats arrivés en tête. Même mode de financement, avec une obligation de
contribuer pour voter (2 euros par tour cette fois). Même engagement moral,
avec la signature d’une charte d’adhésion aux valeurs de la droite et du
centre. Même dispositif médiatique, avec trois débats avant le premier tour et
un entre les deux tours, qui serviront à rappeler aux électeurs les règles pour y
participer. Même recours au numérique pour informer les électeurs des
bureaux de vote auxquels ils sont rattachés. Il faut dire que le succès de
l’expérience socialiste de 2011 et la mythologie qui en a découlé, puisque
finalement son vainqueur est devenu président de la République, en a fait un
modèle à suivre.
Le président a tout juste entamé sa seconde année à l’Élysée que son pouvoir
semble déjà dévitalisé dans le pays. Trois spécificités du désamour qui
s’installe avec les Français auraient dû, dès cet instant, alerter le chef de
l’État.
Le premier, c’est la diffusion de ce rejet. Aucune catégorie
démographique, sociale ou politique n’échappe au fort mécontentement à
l’égard du président, même des catégories qui sont traditionnellement parmi
les plus fervents soutiens de la gauche ou du parti socialiste. Ainsi, une
seconde candidature présidentielle est rejetée par 90 % des salariés du public,
83 % des 18-24 ans ou 72 % de ses électeurs de premier tour en 2012. En
comparaison, Nicolas Sarkozy, bien qu’également impopulaire dans
l’opinion, conservait des « bastions » de soutien : les plus de 65 ans (61 %) ou
les indépendants (53 %). Et même au plus fort du mécontentement à son
égard, en mars 2011, 62 % de ses électeurs de premier tour en 2007 le
soutenaient encore.
Second phénomène marquant dans ce rejet de François Hollande :
l’intensité. Au-delà des 86 % des Français qui ne veulent pas de sa
candidature en 2017, le fait que 62 % ne la souhaitent « pas du tout » est une
difficulté supplémentaire pour le président. On néglige souvent cette notion
d’intensité dans l’analyse de l’opinion, mais elle est pourtant majeure dans la
compréhension du phénomène. Elle souligne l’existence d’un véritable
décrochage à l’égard de François Hollande, d’une nature certes différente de
celui qu’a connu dans la période précédente Nicolas Sarkozy, mais qui ne le
rend pas moins puissant. Au-delà du reproche sur l’absence de résultats, c’est
déjà à l’époque l’exercice de la fonction présidentielle par François Hollande
qui est remis en question. Le président ne parvient pas à remplir son rôle
d’incarnation, dimension pourtant décisive dans l’imaginaire de la fonction
présidentielle dans l’opinion sous la Ve République.
Enfin, troisième marqueur du rejet sous François Hollande : sa linéarité.
De son élection à l’attentat contre Charlie Hebdo, le président n’aura jamais
réussi à inverser la courbe de son impopularité. Contrairement à ses
prédécesseurs, il n’a connu aucune période de « rebond » dans l’opinion, lui
permettant pendant 4 à 6 mois de retrouver un peu d’air et d’espace politique.
Toutes les tentatives de « représidentialisation », notamment sur la scène
internationale, se sont révélées sans effet. Là encore, en comparaison, Nicolas
Sarkozy, de juillet 2008 à janvier 2009 avait regagné 8 points, passant de 38 à
46 % de satisfaits. Puis, après une rechute en février 2009, il avait reconquis 6
points d’avril à juillet.
À chaque fois, l’ancien président avait su profiter des événements ou du
calendrier qui lui était offert, que ce soit par l’intermédiaire de son
volontarisme au sein du G20 face à la crise économique ou à l’occasion de la
présidence française de l’Union européenne. Nulle trace de cela dans la
courbe de popularité du chef de l’État depuis son élection.
Résultat, pour François Hollande, le principe d’une nouvelle candidature à
l’Élysée est en lui-même un combat, dont la rudesse ne s’adoucit pas
réellement au fur et à mesure que se rapproche l’échéance de 2017.
Traditionnellement, l’imminence des échéances électorales tend à
reconstituer les clivages politiques et à remobiliser chaque leader à l’intérieur
de son camp. Tel n’est pas le cas pour le septième président de la Ve
République. Plus la date fatidique approche et plus sa situation se dégrade,
non pas auprès de l’ensemble des Français, mais parmi ses électeurs de 2012.
En mai 2016, à un an du scrutin, ce sont désormais 68 % de ses électeurs de
premier tour en 2012 qui ne souhaitent pas sa candidature. En septembre,
alors que le chef de l’État a lancé l’offensive du « ça va mieux », la situation
se dégrade encore avec 73 % de ses partisans de 2012 qui ne veulent pas qu’il
concoure. En prenant son propre camp à contre-pied deux fois durant l’année
écoulée, d’abord avec la déchéance de nationalité puis avec la loi travail,
François Hollande s’est coupé un peu plus encore de sa base électorale au
moment où rassembler son camp s’avère plus que jamais nécessaire.
Alors que la droite a tant bien que mal réussi à faire l’union autour de son
candidat, pour se donner toutes les chances de se qualifier au second tour,
dans un contexte où le Front National a recueilli entre 25 et 28 % lors des
trois derniers scrutins nationaux, le président semble impuissant à contenir la
dispersion de la gauche. Cela n’est pas sans conséquence : à partir de juillet
2013, dans toutes les enquêtes mensuelles d’intentions de vote que nous
réalisons, François Hollande n’est jamais en situation de se qualifier au
second tour de la présidentielle. Pire, lors de trois scrutins – européennes
2014, départementales 2015 et régionales 2015 – les socialistes arrivent au
niveau national systématiquement en troisième position, derrière la droite et
le FN qui eux se disputent la première place.
LA CAMPAGNE ANORMALE
Il faut dire que ses chances de réélection à l’aube de l’année 2017 semblaient
infinitésimales, sans événement politique exceptionnel d’ici le scrutin. On
peut même se demander, à la lumière de l’histoire de ce quinquennat, si le
moindre événement aurait été de nature à bouleverser le destin électoral du
président sortant. Lorsque des attaques aussi dramatiques que celles dont a
été victime la France de janvier 2015 à juillet 2016 n’ont pas abouti à une
modification profonde du rapport de l’opinion publique au chef de l’État, on
imagine mal ce qui aurait pu changer la donne dans les semaines suivantes.
Seule une double candidature au sein des républicains aurait pu rétablir ses
chances, mais elle n’est désormais plus d’actualité, le résultat de la primaire
s’étant imposé à tous. Fin 2016, s’ajoute à tous ces handicaps pour François
Hollande l’obstacle que constitue désormais la nécessité de remporter une
primaire socialiste, dont tous comprennent, au vu de la mésaventure
rencontrée par Nicolas Sarkozy dans celle de la droite, qu’elle pourrait bien
mettre un terme prématurément aux ambitions du Président.
Dans le fond, quelle ambition aurait pu soutenir dans le scrutin à venir un
président dont le solde d’opinion n’aura été positif durant son mandat que
pendant quatre mois, de juin à septembre 2012 ? Depuis octobre 2012, plus
une seule fois, il n’a obtenu davantage de satisfaits de son action que de
mécontents. En décembre 2016, cela fait donc pas moins de cinquante mois
consécutifs que son solde de satisfaction est négatif. Ce qui veut dire que
l’action de François Hollande est depuis plus de quatre ans et demi
continûment rejetée par une large majorité de Français.
C’est un phénomène absolument inédit sous la Ve République. Tout
comme le fait qu’il arrivera durant le quinquennat que les personnes se
déclarant « très mécontentes » du président soient, à elles seules, majoritaires
(51 % en avril 2016 par exemple), signe de l’intensité du rejet à l’égard de
François Hollande. Enfin, depuis maintenant un an, le président mécontentait
majoritairement ses électeurs de 2012. Contrairement à Nicolas Sarkozy, qui
avait lui aussi connu une forte impopularité durant son quinquennat mais
avait toujours réussi à conserver une base de soutien à droite qui lui permit
d’échapper à la déroute en 2012, François Hollande a vu son noyau dur
électoral basculer dans « l’opposition » en fin de mandat. Un handicap
probablement insurmontable dans une élection présidentielle, dont la règle
première est de pouvoir mobiliser son électorat au premier tour du scrutin.
Enfin, dernier point et non des moindres, la popularité extrêmement faible du
président s’est vue confirmée lors de trois scrutins depuis 2014. À chaque
fois, les listes socialistes ont fini en troisième position, avec a minima plus de
3 points de retard sur le second.
François Hollande comprend dès lors qu’il n’est pas en situation de
rassembler son camp, si ce n’est contre lui, annihilant par la même toute
chance de victoire. Le jeudi 1er décembre à 2016 peu après 19h, François
Hollande annonce avoir « décidé de ne pas être candidat à la présidentielle ».
La vie politique étant impitoyable, passé les quelques jours consacrés au
commentaire de cette annonce, le quinquennat semble s’arrêter net. Chaque
jour qui passe marque un peu plus l’effacement du titulaire du poste. En dépit
des efforts de François Hollande pour inverser cette tendance, rien n’y fera,
tant les regards se portent désormais vers le scrutin qui se profile.
C’est donc une campagne au point de départ inédit qui s’ouvre en janvier
2017. Une campagne dans laquelle pour la droite et son candidat, François
Fillon, le chemin vers l’Élysée semblait tout tracé. La réussite de la primaire,
d’abord en relevant le défi de la participation et la comparaison avec
l’expérience socialiste de 2011 ou de 2017, puis en évitant toute contestation
du résultat, a levé l’un des principaux obstacles qui se dressaient sur sa route,
à savoir la division.
Il lui reste certes à réussir sa campagne et à mobiliser la minorité de
l’électorat de droite qui ne jure que par Sarkozy et à maintenir dans son giron
le centre droit, dont une partie a déjà voté pour lui dès la primaire (il a obtenu
50 % des voix des sympathisants du Modem et de l’UDI le 27 novembre).
Mais l’envie d’alternance de l’électorat de droite est tel qu’il doit lui
permettre d’y parvenir. D’autant plus que le camp adverse se présente divisé
sur la ligne de départ : au socialiste vainqueur de la primaire, s’ajoute le
candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, celui des écologistes
Yannick Jadot et depuis le 16 novembre, Emmanuel Macron.
Or, tout indique à l’aube de 2017 qu’il ne reste plus qu’une place pour le
second tour et que c’est Marine Le Pen et le Front National qui se dresseront
sur la route de l’un des finalistes. Depuis trois ans, toutes les enquêtes
d’intentions de vote menées par OpinionWay indiquent une qualification de
la présidente du FN au second tour de la présidentielle, quels que soient
l’offre électorale et les adversaires qui lui sont proposés. Et lors des trois
derniers scrutins, qui ne sont pourtant pas les plus favorables au Front
National historiquement (à l’exception des régionales), son parti y a obtenu
de 25 % à 28 % des suffrages exprimés. Aucune tendance d’opinion ne plaide
pour que les électeurs ayant voté pour le FN ces derniers mois changent leur
bulletin : ni la hiérarchie des préoccupations, ni le rejet du système politique
et des partis actuels n’évoluent fondamentalement depuis les Régionales de
2015. Le fait que, dans une présidentielle, la participation soit bien supérieure
aux élections intermédiaires ne constitue pas pour le FN un handicap a
priori : la sociologie des électeurs qui se mobilisent uniquement pour ce
scrutin ne lui est pas défavorable.
Difficile dans ces circonstances d’imaginer que Marine Le Pen ne
parvienne pas à recueillir un score proche de son parti aux Européennes,
synonyme d’accession quasi automatique au second tour. Pas un candidat
ayant recueilli 22 % des suffrages exprimés n’a été éliminé au premier tour de
la présidentielle depuis qu’elle se déroule au suffrage universel (1965). Ses
chances de l’emporter au second tour demeurent en revanche limitées, au
regard des résultats des scrutins de 2015. Si aucune des deux Le Pen n’a
réussi à l’emporter au second tour dans des zones du territoire qui lui étaient
aussi favorables que le nord ou le sud-est, y parvenir sur l’ensemble du
territoire semble pour le moment encore inaccessible.
François Fillon bénéficie d’ailleurs, comme François Hollande en 2011,
d’une dynamique qui semble irrésistible à l’issue de la primaire. Au
lendemain de sa victoire, il atteint 30 % des intentions de vote et permet au
candidat de la droite parlementaire, pour la première fois depuis des mois, de
devancer nettement Marine Le Pen au second tour, qui ne recueille elle plus
que 23 %. À cette date, aucun candidat à gauche ne dépasse les 15 %,
confirmant que la fragmentation qui se prépare à gauche s’annonce
suicidaire.
Certes, en ce début de janvier, une partie de l’effet primaire s’est évaporé,
ramenant le candidat Fillon a des scores plus en phase avec les tendances
électorales du quinquennat, autour de 25 %, nez à nez avec Marine Le Pen. Il
doit également affronter de premières frondes sur son projet, jugé trop
radical, même au sein de son camp, notamment sur la protection sociale.
Mais sa stature présidentielle surpasse celle de tous ses concurrents : quand
46 % des Français considèrent qu’il a l’étoffe d’un président de la
République, ils ne sont que 29 % à penser de même pour Marine Le Pen ou
34 % pour Emmanuel Macron, un écart qui semble décisif à quatre mois du
scrutin.
Mais en 2017, obtenir 20 % ne suffisait pas pour passer le premier tour. Non
pas que la candidature surprise de Benoît Hamon permette aux socialistes
d’échapper à la défaite annoncée. Choisir un autre candidat que le sortant
n’apparaissait pas en amont du scrutin de nature à renverser
fondamentalement le rapport de force électoral. Le candidat du PS fut certes
un frondeur durant le quinquennat, aux yeux de la majorité et des
observateurs. Mais dans l’opinion, il ne suffit pas d’émettre des réserves ou
de contester pendant la mandature pour échapper à un bilan perçu très
négativement par les Français.
Au lendemain de sa victoire à la primaire, Benoît Hamon doit par ailleurs
réconcilier deux courants de la famille socialiste dont les projets sont apparus
très divergents, tant sur les questions économiques entre tenants d’une
politique sociale-libérale et ceux qui s’y opposent, que sur des enjeux
sociétaux tels que la sécurité ou l’immigration comme l’ont révélé les débats
post-attentats. La mission semblait impossible, le résultat final le confirmera.
Toutefois, rien ne prédestinait le candidat socialiste à un score aussi faible
(6,36 %), surtout à l’issue d’une primaire au taux de participation honorable
dans le contexte d’impopularité du parti au pouvoir et après avoir obtenu le
ralliement de Yannick Jadot et des écologistes.
Lorsqu’il est désigné, il bénéficie de 15 à 16 % d’intentions de vote et
devance Jean-Luc Mélenchon de 3 à 4 points. Début mars, il compte même 5
à 6 points d’avance sur le leader des « Insoumis ». Cet écart ne cessera par la
suite de se réduire avant de s’inverser à l’issue du premier débat télévisé, le
20 mars. Le 23 avril, Benoît Hamon finira plus de 13 points derrière Jean-Luc
Mélenchon. Le candidat socialiste s’effondre littéralement parmi les soutiens
traditionnels de l’électorat socialiste entre son entrée en campagne et le jour
du premier tour : moins 14 points parmi les 18-24 ans, moins 16 points auprès
des salariés du public.
En tentant de recentrer son discours à l’issue de la primaire, en lissant son
projet de revenu universel par exemple, il cherche à se présenter en
gouvernant crédible. C’est une erreur fondamentale, signe qu’il s’est trompé
sur le potentiel réel du candidat socialiste dans ce scrutin : Benoît Hamon ne
pouvait pas gagner cette élection, il fallait donc pratiquer une stratégie de
niche. Les catégories populaires ayant rejeté le PS depuis 2012, mécontents
du bilan du quinquennat, le électeurs socialistes réformistes ayant déjà rejoint
Emmanuel Macron – 40 % des électeurs de Hollande en 2012 pensent voter
dès la fin de la primaire socialiste pour l’ex ministre de l’Économie – il
convenait donc de s’adresser et de mobiliser un cœur de cible jeune, urbain,
diplômé, travaillant dans les professions intellectuelles, ouvert à la thèse de la
fin du travail et du revenu universel. Cet électorat est certes minoritaire mais
aurait pu lui permettre de trouver sa place dans le casting de cette élection.
L’adoucissement du projet n’aura pour effet que de libérer l’espace pour
Jean-Luc Mélenchon, qui s’y engouffre. Dès lors, s’ouvre pour Benoît
Hamon un cercle vicieux. Pris en tenaille entre la gauche radicale de
Mélenchon et la gauche progressiste de Macron, il ne cesse de baisser dans
les sondages. Cette chute s’auto entretient, incitant une partie supplémentaire
d’électeurs potentiellement proches du PS à préférer soit un vote plus utile et
efficace, pour le leader d’En Marche, soit un vote d’affirmation à gauche,
pour le chef des « Insoumis ».
RÉUSSIR LA RESTAURATION
Dans ce contexte, quel avenir pour le quinquennat Macron ? Quels sont les
écueils à éviter et les défis à relever pour le transformer en réussite dans
l’opinion et rompre enfin la spirale inexorable de la défaite annoncée du
sortant ? Avant de les définir, il convient tout d’abord de rappeler les
conditions de l’élection d’Emmanuel Macron.
Contrairement à ce qui se dit parfois, sa légitimité n’est pas moins forte
que celle de ses prédécesseurs. Il l’a emporté largement au second tour, certes
dans un scrutin avec un très faible taux de suffrages exprimés (66 %), le plus
faible après la présidentielle de 1969. Mais son score, rapporté au nombre
d’inscrits (43,6 %), est supérieur à celui de ses deux prédécesseurs (42,7 %
pour Nicolas Sarkozy et 39,1 % pour François Hollande). Il a par ailleurs fini
en tête du premier tour, devançant Marine Le Pen. Sa victoire n’est donc pas
que le produit du rejet de la candidate du Front National. Il n’en reste pas
moins que l’état du rapport de force politique se mesurant au premier tour, sa
base électorale de premier tour est plus faible que celle des deux derniers
présidents.
Avec 24 % des suffrages exprimés et un peu plus de 8,6 millions de voix,
le nouveau président est loin d’avoir rassemblé autant que ses deux
prédécesseurs. François Hollande avait en effet dépassé les 10 millions et
Nicolas Sarkozy les 11 millions de bulletins en 2012 et 2007. L’ampleur de la
victoire de son parti aux législatives, cinq semaines après son élection, ne
change pas cette réalité. Là encore, La République en Marche accuse un
déficit de voix sur le Parti Socialiste en 2012 de plus d’un millions de voix et
sur l’UMP en 2007 de près de 4 millions.
Emmanuel Macron est donc tout autant un président à la légitimité
incontestable que celui d’une France éclatée politiquement.
D’abord parce que quatre blocs électoraux se font face et ont chacun recueilli
entre un peu moins de 20 % (Jean-Luc Mélenchon) et les 24 % du Président,
du jamais vu sous la Ve République.
Ensuite, parce que ce quadripartisme apparaît bien différent de celui
qu’avait connu le pays dans les années 1970 et 1980. À l’époque, socialistes
et communistes à gauche, gaullistes et démocrates-chrétiens à droite,
s’affrontaient au premier tour mais se fondaient dans une même majorité au
second. Rien de tel en 2017 : aucun de ces quatre blocs ne semble compatible
avec l’un des trois autres, réduisant de facto la coalition électorale de l’élu à
ses voix de premier tour.
Il faut dire que la sociologie et le positionnement politique de ces
différentes forces politiques se révèlent particulièrement clivés. La France qui
a voté pour Jean-Luc Mélenchon se classe politiquement à gauche et même
très à gauche, puisque c’est ainsi que se définissent 44 % de ses électeurs.
Elle est plus politisée que la moyenne, 57 % de cet électorat déclarant que les
choix politiques occupent une place importante dans leur vie quand moins
d’un Français sur deux pensent de même. Elle est jeune et ne compte que
14 % de plus de 65 ans contre 60 % de moins de 50 ans. Elle se recrute au sein
du salariat, du public bien sûr mais également du privé (60 % de ses électeurs)
et des classes moyennes (qui pèse pour environ 40 % dans son électorat).
Les similitudes des soutiens du candidat de la France Insoumise sont
nombreuses sociologiquement avec celles de la France qui a préféré soutenir
Marine Le Pen. Là aussi, c’est une France jeune qui ne compte que 10 % de
plus de 65 ans contre 63 % de moins de 50 ans. La candidate frontiste est
également puissante auprès des salariés (61 %) et fait aussi bien que Jean-Luc
Mélenchon auprès des fonctionnaires et salariés du public. La France
Lepéniste est en revanche plus implantée parmi les catégories populaires un
électeur sur deux de Le Pen en est issu et 40 % des ouvriers qui ont voté le 23
avril se sont prononcés en sa faveur. Elle est surtout bien moins diplômée que
celle de la France Insoumise : 35 % des personnes titulaires d’un diplôme
inférieur au bac ont voté pour la candidate du Front National contre
seulement 10 % des titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2. En revanche,
politiquement, ces deux électorats s’opposent. 57 % des électeurs de Marine
Le Pen se classent très à droite sur une échelle politique et leurs priorités
politiques divergent : immigration et sécurité demeurent fondamentaux pour
ceux qui choisissent Marine Le Pen, tandis que protection sociales et
inégalités sociales l’emportent pour ceux de Mélenchon. Au final, même sur
le rapport à l’Europe, les attitudes politiques de ces deux France semblent peu
compatibles. Si 58 % des électeurs frontistes estiment que l’Europe est une
mauvaise chose pour le pays, ils ne sont que 18 % à juger de même lorsqu’ils
ont voté Mélenchon. La France de Marine Le Pen est donc une France de
droite, mais elle n’incarne qu’une partie de ce courant politique.
Car ceux qui ont voté Fillon se définissent à 82 % également de droite.
Une droite qui a privilégié dans ses motivations de vote la dette et les déficits
(56 %), l’emploi (53 %) ou la lutte contre le terrorisme (52 %), qui croient au
bénéfice pour le pays de l’Union Européenne (64 %). Sociologiquement aux
antipodes de la droite frontiste, l’électorat de François Fillon est âgé (45 % a
65 ans ou plus et seulement 13 % moins de 35 ans), pas ou plus en activité
professionnelle (60 %) et aisé (38 % vivent dans un foyer gagnant plus de
3 500 euros nets par mois). Il ne ressemble que très partiellement à celui ayant
soutenu le nouveau président.
Comme celui de Fillon, l’électeur Macron est plus diplômé et plus aisé
économiquement que la moyenne. Mais le nouveau président a cependant
réussi à mobiliser plus fortement dans l’ensemble des catégories de
population. En atteste la structure générationnelle de son électorat très étale :
on y trouve autant de moins de 35 ans (25 %) que de seniors (25 %) ou de
personnes en plein âge d’activité (25 % parmi les 35-49 ans). Il est certes plus
souvent un habitant des centres-villes mais n’est pas absent pour autant des
zones rurales (21 %). Et si Macron réalise un résultat exceptionnel parmi les
cadres et professions intellectuelles supérieures (34 %), il recueille également
17 % parmi les employés. Surtout, le leader d’En Marche incarne une France
plus optimiste, concentré sur les enjeux socio-économiques (emploi, santé,
éducation) et peu préoccupée par l’immigration, l’insécurité ou le terrorisme.
Une France qui souhaite que le pays s’ouvre davantage sur le monde, libérale
économiquement et progressiste sur les questions de société, (immigration ou
homoparentalité par exemple).
⋆⋆⋆
Scénario 1
La dévitalisation
Ce premier scenario comblerait probablement de bonheur le président de la
République s’il se réalisait. Il pourrait s’intituler « La dévitalisation ». Dans
cette hypothèse, la vie politique française ne s’organiserait plus demain
autour du clivage gauche/droite, comme ce fut le cas tout au long de la Ve
République, mais se polariserait entre ceux qui défendent des valeurs
d’ouverture sur le monde et ceux plutôt tentés par le repli ou la demande de
protection au sein de frontières nationales.
Un tel basculement ne signifierait pas la disparition des notions de droite
ou de gauche mais plutôt que cette distinction ne constituerait plus, comme
ces dernières années, la base sur laquelle se constituerait les rassemblements
ou alliances politiques permettant de former des majorités politiques, tant au
niveau des électeurs, lorsqu’ils doivent arbitrer dans un duel de second tour,
que des partis politiques, lorsqu’ils sont amenés à former des majorités dans
les assemblées d’élus. Dans ce schéma, La République en Marche, le parti
présidentiel, occuperait bien évidemment une position centrale et
probablement dominante pour plusieurs années. La gauche se diviserait en
effet entre une frange radicale et souverainiste incarnée par France Insoumise
et une tendance pro-européenne, tout comme la droite l’est déjà aujourd’hui
– et depuis trente ans – entre le bloc Les Républicains-UDI et le Front
National. Cette fracturation autour du clivage ouverture/fermeture face au
monde continuerait d’affaiblir les formations à la gauche et à la droite de La
République en Marche, leur offre politique étant moins lisible et cohérente
que celle du parti présidentiel ou des forces radicales des deux bords.
Après avoir capté une grande part de l’électorat socialiste – la plus
européenne – lors de la présidentielle, la majorité capterait notamment
l’électorat de droite le plus favorable à l’approfondissement de l’UE. PS et
LR se retrouveraient donc électoralement dans une impasse : affaiblis par la
fuite d’une partie de leurs électeurs vers cette grande formation centrale, ils
ne pourraient compenser ce handicap à travers des alliances, compte tenu du
différent fondamental qui les opposent aux souverainistes sur les enjeux liés à
la mondialisation et à la construction européenne.
Dès lors, un véritable cercle vicieux s’enclencherait contre eux : face à la
pression des mouvements populistes, les électeurs modérés seraient tentés de
se rassembler autour de La République en Marche pour leur faire barrage. De
leur côté, les deux rives « souverainistes » (France Insoumise et Front
National) étant culturellement inconciliables, elles ne parviendraient pas plus
à constituer une coalition susceptible de l’emporter. Sans être nécessairement
majoritaire, Emmanuel Macron serait en position de force pour briguer un
second mandat, même si les résultats de sa politique se révélaient décevants.
Dans un système politique parlementaire, une telle évolution pourrait
permettre à La République en Marche de devenir incontournable à toute
majorité pour plusieurs années, même affaiblie, en devenant le pivot central,
comme ce fut le cas sous la IIIe République pour le Parti Radical, ou avec la
Démocratie Chrétienne en Italie. Mais le présidentialisme imposé par la Ve
République ne garantirait probablement cette configuration que tant
qu’Emmanuel Macron en serait le leader. Autant le délai serait très court d’ici
2022 pour que le PS ou LR inversent cette évolution, autant par la suite,
l’usure du pouvoir et la difficulté de faire émerger un leader aussi talentueux
que le président ouvriraient une ère plus incertaine.
Ce scénario idéal pour assurer la domination du macronisme bénéficie
aujourd’hui d’atouts incontestables. Il convient d’abord de rappeler que bien
avant 2017, l’émergence puis la progression du Front National avait
largement perturbé l’affrontement droite/gauche traditionnel. Le réalignement
politique constaté lors de la présidentielle et son paysage politique fragmenté
serait la suite logique de ce processus. Combinée à la vitalité des deux forces
politiques aux extrémités du spectre politique (France Insoumise et Front
National), un tel paysage contribue à déplacer le débat politique vers ce
nouveau clivage ouverture/fermeture face au monde.
Par ailleurs, l’ampleur de l’effondrement du Parti Socialiste rend
également un tel scénario possible. Le score de son candidat à la
présidentielle fut si faible qu’il a balayé l’implantation locale de ses
parlementaires, dont le nombre a été divisé par dix quelques semaines plus
tard. Cumulé à l’affaiblissement des positions locales du PS durant le
quinquennat Hollande, il semble improbable que les socialistes reconstituent
dans les cinq années qui viennent une force capable de s’extraire de l’étau
dans lequel La République en Marche et France Insoumise l’enferment
aujourd’hui. Dès lors, si l’étroitesse de la base sociologique du macronisme
est souvent décriée, son homogénéité apparaît suffisamment forte pour
continuer à dominer un PS laminé par son échec de 2017.
Reste pour Emmanuel Macron à réussir la même opération à droite. Le jeu
y est moins écrit, dans la mesure où les élections du printemps ont rappelé
que la droite dispose d’une base électorale d’environ 20 %, sur laquelle elle
peut s’appuyer pour une refondation. Ajouté à son implantation locale et à la
crise de confiance qui s’est installé au Front National durant l’été, l’avenir de
LR semble à ce jour certes incertain mais plus qu’ouvert.
Mais, le principal obstacle à la mise en place de ce scénario demeure la
persistance du clivage gauche/droite. La campagne électorale nous rappelle
que ce clivage est incontestablement affaibli et concurrencé par d’autres
fractures, mais qu’il n’a pas disparu pour autant. À ce jour, les deux tiers des
électeurs continuent de se définir de gauche ou de droite lorsqu’on leur
demande de se positionner sur une telle échelle, contre un tiers seulement qui
s’y refusent ou se placent au centre. Et la cohérence de valeurs de nombre
d’électeurs permettant de les rattacher à la gauche ou à la droite perdure.
Dépasser ce clivage, tel que l’a réussi si brillamment le président de la
République au printemps dernier est une chose. Le dévitaliser en est une
autre.
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Scénario 2
Retour au centre
Ce deuxième scénario verrait le champ politique connaître une forme de
destrisme dans son évolution. Dans cette hypothèse, bien qu’ayant largement
réussi à secouer le champ et l’espace politique, Emmanuel Macron ne
parviendrait pas à mener à son terme la recomposition. Subrepticement, le
quinquennat avançant, le pessimisme français reprenant le dessus, la droite
résisterait aux assauts du Président, qui ne parviendrait pas à mordre plus sur
son électorat qu’il ne l’a fait au cours des élections de 2017. Dans le même
temps, les difficultés rencontrées par le Front National affaibliraient la
concurrence subie par Les Républicains de ce côté de l’échiquier.
Naturellement, ayant déjà aspiré la moitié de ses électeurs à la
présidentielle et n’ayant pas réussi à intégrer ses prises au centre droit au sein
du mouvement, La République en Marche occuperait l’espace précédemment
occupé par le Parti Socialiste, certes amputé de son aile gauche mais renforcé
par le centrisme de François Bayrou. Le parti d’Emmanuel Macron se
substituerait ainsi au PS, dans une position plus centrale, mais sans lui laisser
l’espace suffisant pour renaître compte tenu de l’importance prise par la
France Insoumise à l’issue de la présidentielle.
Les socialistes pourraient même se retrouver dans l’obligation de choisir
entre Mélenchon et Macron, renforçant un peu plus encore cet ancrage de
LREM au centre gauche. Le quinquennat avançant, la recomposition
politique imposée par Emmanuel Macron se traduirait donc moins par un
grand chambardement que par un repositionnement et une refondation du
principal parti de la gauche gouvernementale, plus à droite sur l’échiquier
qu’il ne l’était précédemment. Il est possible qu’il s’accompagne également
d’un déplacement vers la droite de LR, mais ce n’est pas obligatoire.
La probabilité de réalisation de ce scénario tient à la fois à la difficulté
d’effacer un clivage ayant structuré si profondément l’affrontement politique
depuis des décennies et à la pression exercée par le mode de scrutin à la
présidentielle, qui pousse à la bipolarisation. Sous la Ve République, occuper
le centre est utile dans la perspective du second tour sous réserve de pouvoir
s’appuyer sur une base solide de premier tour. Cette évolution permettrait à
La République en Marche d’en disposer en stabilisant l’électorat conquis en
2017.
Contrairement à une idée reçue, ce scénario n’est pas incompatible avec la
politique économique menée par le président depuis son élection : en effet,
ses électeurs de premier tour – et donc ceux qui pourtant votaient socialistes
auparavant – soutiennent massivement les orientations prises depuis son
entrée en fonction. Ce retour à gauche pourrait se concrétiser lorsque le
président quittera le terrain purement économique et social pour s’aventurer
sur les enjeux sociétaux. Il semble avoir renvoyé pour le moment ces choix à
plus tard dans ce domaine. Mais si demain, il décidait d’ouvrir le droit à la
PMA à toutes les femmes, de pratiquer une politique d’accueil des réfugiés
plus généreuse, il recréerait inéluctablement de la distance avec un électorat
de droite et du centre rétif à ces propositions. Son principal obstacle réside en
revanche dans la volonté présidentielle de ne pas faire de son mouvement un
simple successeur su PS. Emmanuel Macron fera tout pour éviter de le voir
se réaliser et ne s’y résoudrait probablement que par défaut.
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Scénario 3
L’enlisement
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REMERCIEMENTS
Avant-propos
Introduction
1. L’été meurtrier
2. La guerre du mariage n’aurait pas dû avoir lieu
3. Le ras-le-bol fiscal
4. Leonarda, première opposante
5. Et la courbe s’inversa
6. La stature introuvable
7. Privé de vie privée
8. Une primaire peut en cacher une autre
9. La campagne anormale
10. Réussir la restauration
11. Trois scénarios pour le nouveau monde
Remerciements
Table
Colophon
COLOPHON
Version électronique :
Jean-Marie Benoist
Typographies :
à l'intérieur, Coline Première et Cursive, © Émilie Rigaud ;
en couverture, Gotham, © Hoefler & Co.
ISBN : 979–10–97455–25-5
www.editions-descartes.fr
www.centmillemilliards.com