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© Bruno Jeanbart, 2017


pour Cent Mille Milliards et Descartes & Cie
À Morgane et Augustin,
dignes représentants du nouveau monde.
« Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal,
mais entre le préférable et le détestable. »
Raymond Aron
AVANT-PROPOS

L’analyse de la présidence Hollande, de l’élection présidentielle de 2017 et


des enjeux du quinquennat d’Emmanuel Macron présentée dans ce livre a
pour source principale l’ensemble des enquêtes réalisées par l’auteur dans le
cadre de ses fonctions chez OpinionWay. Tout au long du quinquennat, il a
suivi l’opinion des Français sur le président et son action au travers
d’enquêtes aussi bien quantitatives, permettant de « chiffrer » leurs opinions,
que qualitatives, afin d’écouter leurs propres mots sur cette période.
Le propos qui suit est issu de l’ensemble des données recueillies durant
cette période, notamment au travers de deux outils :
• L’Observatoire du Quinquennat, une enquête annuelle auprès d’un très
large échantillon représentatif de Français1 sur leur perception de l’action
de François Hollande et les valeurs politiques.

• OpinionLive, une communauté d’une centaine de personnes, représentant la


diversité de la société française, qui aura débattu tout au long de ces cinq
années des sujets rythmant l’actualité du pays, qu’elle concerne la vie
politique ou non.

Les données citées dans ce livre sont accessibles sur le site :


www.lapresidenceanormale.fr

1. 6 000 personnes interrogées en moyenne par an.


INTRODUCTION

6 mai 2011 : à un an de l’élection présidentielle, peu nombreux sont ceux


prêts à miser sur les chances de François Hollande de devenir le septième
président de la Ve République. Certes, le mécontentement à l’égard du
titulaire du poste, Nicolas Sarkozy, atteint ses plus hauts niveaux depuis 2007
(70 % pour seulement 27 % de satisfaits en avril 2011).
Pour autant, la gauche et le parti socialiste semblent encore loin d’avoir
réglé une crise de leadership qu’elles traînent depuis près de dix ans et le
retrait de Lionel Jospin de la vie politique. Si cela n’a en rien empêché
d’accumuler des victoires électorales lors des élections locales intermédiaires
depuis cette date, l’absence d’un chef incontesté pour diriger les socialistes
fut un obstacle majeur pour trancher les différends idéologiques qui
traversent le parti, et permettre à sa candidate d’entrer à l’Élysée en 2007.

L’homme de l’année 2004

Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen symbolise à


merveille les fractures au sein du PS et leurs conséquences. Alors Premier
secrétaire, auréolé du quasi grand chelem des socialistes lors des élections
régionales (21 régions conquises sur 22 en métropole), François Hollande est
l’homme de l’année pour Le Point en décembre 2004. La logique voudrait
qu’il devienne le candidat naturel du parti pour l’élection de 2007. Mais le
destin semble lui tourner le dos au même moment. Bien sûr, il réussit à
imposer sa ligne favorable à la ratification du traité européen lors d’un vote
interne des militants en décembre de la même année. Mais, pour lui, c’est une
victoire à la Pyrrhus.
La campagne divise violemment le parti et le résultat final (58 % des
adhérents sont favorables au « Oui ») ne convainc pas les partisans du « Non »
de rendre les armes. D’autant plus que les sondages, dès février 2005, laissent
entrevoir un possible rejet de la ratification du traité et un électorat de gauche
séduit par les arguments des opposants au texte et réticent à « voter en
faveur » de Jacques Chirac, une nouvelle fois. Le résultat du 29 mai 2005 et la
large victoire du « Non » (55 %) vont balayer les chances de François
Hollande de l’emporter en 2007. Pire, le rejet du traité, majoritaire parmi les
électeurs socialistes, l’empêche tout simplement de concourir à la désignation
du candidat en 2006, par vote des adhérents du parti. Une terrible séquence
qui s’achève en 2008 lorsqu’il quitte son poste de Premier secrétaire.

Une primaire ouverte à tous les électeurs

À l’aune du précédent de 2007, nombre d’observateurs doutent encore, à un


an de l’élection, de la capacité des socialistes à remporter la présidentielle à
venir. Tous sous-estiment cependant le changement majeur opéré par le parti
en 2009. Sur la recommandation du think tank Terra Nova, créé un an plus
tôt par Olivier Ferrand, sous l’impulsion d’Arnaud Montebourg, secrétaire
chargé de la rénovation, le PS adopte le principe de la primaire ouverte à tous
les électeurs se reconnaissant dans la gauche pour désigner son candidat à ce
scrutin. À cinq mois de cette première expérience, l’exercice est plus souvent
raillé que salué, même au sein de la gauche. Pourtant, les études d’opinion
soulignent que le potentiel de participation à cette primaire est élevé : 2 à 4
millions d’électeurs semblent prêts à se déplacer. En adoptant ce mode de
désignation pour son candidat, le PS s’est donné les moyens de résoudre cette
crise de leadership qui le handicape dans sa reconquête de l’Élysée.
Néanmoins, hormis ses promoteurs, personne ne croit réellement à
l’exercice. Si les socialistes se sont ralliés au principe de la primaire, c’est
plus par dépit que par enthousiasme. Ils partagent le constat qu’ils ne sont
plus en mesure de désigner leur candidat par une procédure interne. Le
passage par la primaire vise à contourner cette difficulté. La situation n’en
reste pas moins paradoxale : ni Martine Aubry, la Première secrétaire, ni
François Hollande, qui vient de déclarer sa candidature deux mois plus tôt, ne
sont des adeptes de cette procédure. Certains prêtent même à Dominique
Strauss-Kahn, grand favori du scrutin dans les sondages, le secret espoir de
dissuader ses concurrents d’aller au bout, rendant la primaire caduque.
Si personne ne croit réellement dans les chances de François Hollande,
c’est que la victoire semble promise au directeur du FMI, tant à la primaire
qu’à la présidentielle. Bien qu’il n’ait toujours pas annoncé sa candidature,
DSK survole les enquêtes d’opinion, face à ses rivaux socialistes. Dans le
même temps, il recueille des scores titanesques dans les duels l’opposant à
Nicolas Sarkozy, atteignant même parfois les 70 % d’intentions de vote au
second tour, du jamais vu. Et dans l’hypothèse où celui-ci préférerait le
confort de Washington à celui de l’Élysée, Ségolène Royal est considérée par
beaucoup comme la plus à même de l’emporter, en raison de la stature que lui
a conférée sa candidature en 2007.

Les Français tournent la page

Pourtant, depuis près d’un an, la cote de popularité de l’ancien Premier


secrétaire du PS remonte doucement mais sûrement, tant auprès de
l’ensemble des Français que des électeurs de gauche. En dix mois, il a gagné
14 points, pour devenir le socialiste le plus populaire derrière DSK. Tandis
que le directeur du FMI laisse planer le doute, François Hollande prépare
méthodiquement sa campagne et envoie à l’opinion les signes de sa
détermination. Ainsi, il annonce sa candidature dès le 31 mars « à l’élection
présidentielle à travers la primaire du parti socialiste »1. Incontestablement,
il est celui, parmi les leaders socialistes, qui a le mieux saisi l’état d’esprit de
l’opinion. Le soir du second tour des cantonales, à l’issue de la victoire
socialiste lui permettant de conserver la présidence du Conseil général de
Corrèze, il déclare vouloir se projeter dans l’avenir, les Français ayant tourné
la page du « Sarkozysme ».
Dès lors, six jours plus tard, à l’issue de la folle nuit new-yorkaise de
DSK, François Hollande dispose de tous les atouts pour endosser le rôle,
désormais orphelin, de favori du scrutin. Il creuse très vite l’écart sur ses
concurrents, notamment Martine Aubry, qui suite à l’empêchement de DSK
hésite à se lancer dans la bataille. Elle ne le reverra jamais.
Le 16 octobre 2011, François Hollande, en tête des sondages tout au long
de la campagne et du premier tour, l’emporte avec 56,57 % des voix.
L’ampleur de l’avance sur sa rivale – François Hollande obtient 373 000 voix
de plus et est en tête dans 90 des 95 départements métropolitains – clôt tout
débat sur la sincérité du scrutin, évitant au PS de revivre le traumatisme de
2008 lors de l’élection du Premier secrétaire. Elle lui permet de mettre en
ordre de marche derrière lui l’ensemble des prétendants à la primaire et, par-
delà, un parti dont le réseau local d’élu rayonne sur l’ensemble du territoire,
puisqu’il détient plus de 90 % des régions, 60 % des départements et 50 % des
grandes villes. Il se pose dès lors en favori incontestable de la présidentielle à
venir, même si dans l’entourage du président sortant, beaucoup semblent
encore le sous-estimer.

Le candidat le plus convaincant

Et pourtant, Nicolas Sarkozy, lui non plus, ne reverra jamais François


Hollande. À compter de sa désignation, OpinionWay mesurera chaque
semaine les intentions de vote des Français pour la présidentielle d’avril et
mai 2012. Pas une fois, le président sortant ne sera en tête de l’une de ces
enquêtes, aussi bien au premier qu’au second tour. Ni son entrée en
campagne en février ni le dramatique épisode Merah en mars, dont la droite
imagine dans un premier temps qu’il profitera à Nicolas Sarkozy, ni la
poussée d’une concurrence à gauche avec la candidature Mélenchon, ne
seront de nature à changer le cours de l’élection. Durant toute cette période,
François Hollande conserve l’avantage, déjouant tous les pronostics. Il
parvient à la fois à gérer son avance et sa position de favori et à distiller, ici
ou là, quelques signaux lui permettant de faire l’agenda de la campagne et de
demeurer le candidat autour duquel le débat s’organise. Après un lancement
officiel réussi avec un discours au Bourget demeuré célèbre, sa proposition
d’une taxe à 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros par an ou son
plan d’action pour la première année de son mandat le 4 avril – la veille de la
présentation par Nicolas Sarkozy de son programme – lui permettent de
donner en permanence le tempo. Le 2 mai au soir, les derniers espoirs du
président sortant semblent s’envoler à l’issue du débat d’entre deux tours.
Non seulement Nicolas Sarkozy n’écrase pas son adversaire, mais les
Français jugent même à 57 % que François Hollande fut le plus convaincant
des deux ce soir-là. Le résultat, le 6 mai au soir, est donc tout sauf une
surprise, même si avec 51,64 % des suffrages exprimés, la victoire de
François Hollande est un peu plus étriquée qu’attendue au soir du premier
tour.

Le terreau des années Macron

Comment, à l’issue de ce parcours sans faute, François Hollande a-t-il pu


devenir le président le plus impopulaire de la Ve République ? Comment la
question même d’une candidature à sa réélection a-t-elle pu apparaître aussi
hypothétique plus d’un an avant le scrutin de 2017 ? Comment une frange de
son propre parti et la majorité de ses électeurs ont-elles pu réclamer la tenue
d’une primaire pour désigner le candidat des socialistes ? Comment a t-il fini
par renoncer à se représenter, en dépit de sa volonté affichée de postuler à un
second mandat ? Comment la présidence de François Hollande a-t-elle pris
une tournure aussi anormale en dépit d’un régime institutionnel si favorable
au titulaire du poste ? Et comment au final, pour tourner la page du
« hollandisme », les Français choisiront l’un de ses disciples, qui fut
successivement son conseiller, son secrétaire général adjoint de l’Élysée et
son ministre ?
Ce livre est l’histoire de cette singularité. Désormais en France, une
nouvelle présidence tend à s’opposer avant tout à la précédente. Rien de
mieux dès lors pour appréhender ce qui se jouera durant les années Macron
que de comprendre le terreau sur lequel elles se sont bâties, le quinquennat
Hollande.

1. Pour reprendre ses propres mots.


1.

L’ÉTÉ MEURTRIER

En septembre 2012, lorsque les enquêtes de popularité de rentrée sont


publiées, le constat est sans appel : la trêve estivale marque une rupture avec
l’opinion pour le nouveau président. La satisfaction à l’égard de l’action de
François Hollande chute de 14 points et est désormais minoritaire dans le
pays (46 % seulement de satisfaits pour 40 % de mécontents). Cette baisse
brutale concerne l’ensemble des catégories de population, mais se révèle
particulièrement marquée auprès de deux électorats : celui de la droite
parlementaire mais également dans la gauche radicale. Le président perd 15
points auprès des sympathisants de droite, et ces électeurs ne sont déjà plus
que 15 % à être satisfaits de son action. Cela peut sembler contre-intuitif mais
un basculement aussi rapide des électeurs de l’opposition n’est pas la norme
pour les nouveaux présidents.
Il est, sous la Ve République, de tradition que durant quelques mois, les
électeurs de ses adversaires adoptent une attitude bienveillante envers le
nouvel élu à la présidence dans les enquêtes d’opinion, de par la puissante
légitimité qu’offre l’élection au suffrage universel, dans un scrutin à deux
tours qui permet au vainqueur de franchir la barre symbolique de 50 % des
suffrages exprimés avec une participation historiquement élevée (80,34 % en
2012).
En comparaison, à la même période, son prédécesseur, Nicolas Sarkozy,
connaissait cet « état de grâce » en conservant le soutien de 64 % des Français
et de 37 % des sympathisants de gauche. Ce reflux massif de confiance de la
part de la droite se traduit naturellement par le décrochage de François
Hollande auprès des Français les plus âgés (moins 17 points) ou des
indépendants (moins 20 points).
Mais la défiance croît également sociologiquement dans des électorats qui
ont massivement voté pour lui en mai 2012 : les salariés et notamment les
employés (moins 15 points pour chacune de ces catégories). Dans le même
temps, la satisfaction des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, qui ont contribué
à la victoire du candidat socialiste mais ne sont pas représentés au
Gouvernement, baisse de 21 points. Elle demeure certes légèrement
majoritaire (53 %), mais ce décrochage souligne que les prémices de la
grande fracture entre les deux gauches s’installent dès cette première rentrée.

Un sévère désenchantement des Français

Cette chute brutale de la rentrée 2012 n’aurait pu être qu’un avertissement,


mais elle va se poursuivre, si bien que six mois après son élection, le
président ne satisfait plus que 36 % des Français, soit 22 points de moins que
Nicolas Sarkozy à la même date. La désaffection s’est encore élargie depuis
le mois de septembre et atteint désormais l’électorat centriste, et ceux-là
mêmes qui ont porté au pouvoir François Hollande. Seuls 70 % des Français
ayant choisi le président au premier tour du 22 avril sont désormais satisfaits
de son action. Rien n’est donc plus étranger au nouveau quinquennat que le
concept d’état de grâce. Le désenchantement des Français à l’égard de l’hôte
de l’Élysée est l’un des plus sévères depuis les débuts de la Ve République.
Est-ce pour autant une surprise ? Pas vraiment si l’on examine les premiers
pas de son mandat.
Les premières décisions du quinquennat, c’est l’un des paradoxes de cet
été meurtrier, sont pourtant bien accueillies par les Français. Certaines sont
certes symboliques mais leur portée n’est pas négligeable dans un contexte de
défiance politique majeure. La baisse de la rémunération de 30 % du président
et de ministres, la signature par chaque ministre d’une charte de déontologie
ou la constitution d’un gouvernement paritaire suscitent une forte approbation
dans l’opinion. D’autres mesures, prises dès les premières semaines, car ne
nécessitant pas le recours à une loi mais simplement un décret, ont tout lieu
de satisfaire l’électorat ayant porté au pouvoir François Hollande, en
répondant à son attente de changement. C’est le cas du rétablissement de la
retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans et
cotisé 41 annuités, de l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire de
25 %, du gel des prix des carburants ou de la fixation d’un écart maximal de 1
à 20 pour les rémunérations dans les entreprises publiques. Enfin, sur un plan
plus sociétal, l’abrogation de la circulaire sur les étudiants étrangers et la
réaffirmation de l’engagement à légaliser le mariage pour les couples
homosexuels confirment la volonté du nouveau pouvoir de marquer sa
différence avec le quinquennat précédent, et de s’inscrire dans une tradition
« progressiste » sur ces enjeux. Lorsqu’il s’adresse aux Français pour le 14
juillet, le président bénéficie du soutien de 60 % d’entre eux et de 90 % des
sympathisants de gauche, preuve que ces premiers pas sont bien reçus.

Des difficultés économiques persistantes

Mais les circonstances et le contexte sont très défavorables au nouvel élu.


Nicolas Sarkozy a certes été battu, les difficultés économiques n’ont pas
disparu pour autant. Durant l’été 2011, l’Europe affronte une tourmente
financière qui relance les inquiétudes sur la dette de plusieurs de ses
membres, notamment dans le sud du continent (Grèce, mais aussi Espagne,
Portugal ou Italie). Une nouvelle crise qui aboutira, en janvier 2012, à la
décision de Standards & Poor’s de retirer à la France son Triple A, signe que
le pays est désormais considéré comme potentiellement à risque. Le nombre
de chômeurs, qui semblait se stabiliser depuis le milieu de l’année 2010,
recommence nettement à croître. En mai 2012, lorsque François Hollande
prend ses fonctions, il approche les 3 millions1. C’est donc lui qui devra
assumer le franchissement symbolique de cette « barre », ce qui n’est jamais
aisé. Son ministre du Travail, Michel Sapin, prépare d’ailleurs l’opinion à ce
fait en anticipant son annonce, probablement pour tenter d’en porter le moins
possible le fardeau, et de le faire reposer sur l’ancienne majorité. Dans le
même temps, selon une triste tradition qui veut que les fins de mandat ne
soient guère propices à la rigueur budgétaire, François Hollande hérite d’un
déficit budgétaire qui, si les objectifs sont atteints, sera au mieux de 4,5 % du
PIB2, soit bien loin de l’objectif des 3 % fixé par le pacte de stabilité
européen. Tenir sa promesse de le ramener à ce taux de 3 % dès la fin 2013
s’annonce d’ores et déjà compliqué.
Or, à l’été 2012, le président, contrairement à son prédécesseur cinq ans
plus tôt, ne fait pas le choix d’une mise en œuvre rapide de son programme.
Symbole de ce choix, le vote de la taxe à 75 % sur les revenus supérieurs à 1
million d’euros – mesure phare de la campagne – est renvoyé au vote du
budget à l’automne. Certes, la majorité adopte un collectif budgétaire au mois
de juillet, mais les mesures les plus visibles de ce texte visent à « défaire » le
quinquennat Sarkozy plus qu’à construire celui de Hollande : suppression de
la TVA sociale et surtout des allégements fiscaux sur les heures
supplémentaires mis en place dès l’été 2007. La fin du « travailler plus pour
gagner plus » : voilà ce que retiennent les Français du premier été du
président.

Un pays impatient

Le problème, c’est que cela réactive un sentiment très présent dans l’opinion,
car éprouvé maintes fois dans le passé : l’obsession d’une nouvelle majorité
consisterait davantage à revenir sur le passé, à « se venger », qu’à construire la
nouvelle politique sur laquelle elle souhaite engager le pays. La suppression
des dispositifs votés sous Sarkozy aurait pu renforcer le soutien au nouveau
pouvoir, accompagnée du vote des mesures phares du programme du
candidat. Mais, agrémentée simplement de hausse d’impôts, quand bien
même ces hausses concernent les plus aisés (ISF, non-résidents, taxe sur les
transactions financières), elles interpellent l’opinion sur le sens et la
temporalité du changement martelé pendant la campagne et annoncé pour
« Maintenant ».
Plus encore, ce premier été interroge sur la compréhension de l’état
d’esprit du pays par le nouveau président. Lui qui avait si bien su saisir dans
les mois précédents l’envie de tourner la page Sarkozyste, par exaspération à
gauche ou par déception au centre et dans l’électorat populaire, semble passer
à côté des attentes des Français après le 6 mai. Le pays est impatient, et
changer de président ne suffit pas à le contenter. C’est l’une des
conséquences de la défiance politique qui s’est amplifiée suite à la crise de
2008 : plus que jamais, c’est aux actes que les Français jugent les gouvernants
et la notion d’état de grâce est désormais un mirage. Pour preuve, l’indicateur
de moral des ménages de l’INSEE ne bouge quasiment pas en mai, après
l’élection de François Hollande : un maigre gain de 2 points, pour un indice
qui reste nettement sous la barre des 100 points (92) et demeure donc négatif.
En mai 2007, l’indicateur avait bondi de 6 points après la victoire de Nicolas
Sarkozy, pour s’établir à 107. Sans surprise, l’arrivée à l’Élysée de François
Hollande ne suscite donc guère d’enthousiasme, mais cela ne signifie pas que
les attentes soient faibles. Au contraire, l’opinion s’inquiète de la situation du
pays et estime qu’il faut agir vite pour inverser la tendance.
Ce n’est visiblement pas le cas du président, qui croit à la théorie des
cycles économiques et est persuadé que le retour de la croissance n’est
qu’une affaire de quelques semaines, ou de quelques mois. Un sentiment
probablement renforcé par sa précédente expérience de la gauche au pouvoir,
sous Lionel Jospin. En 1997, tout le monde s’inquiétait de la capacité du
Gouvernement à boucler le budget qui devait être celui de la qualification
pour l’entrée dans l’euro. Cette angoisse avait conduit Jacques Chirac à
dissoudre l’Assemblée et anticiper les échéances électorales de l’année
suivante. Non seulement ces craintes ne se concrétiseront pas, mais dans les
faits, c’est l’inverse qui survient. La croissance, en fin d’année, atteint 2,3 %,
en nette progression par rapport à 1996 (1,4 %) et franchit même les 3 %
l’année suivante (3,6 %), pour la première fois depuis 1989. Ce taux de
croissance qui ferait rêver n’importe quel président aujourd’hui perdurera
jusqu’à la fin de l’année 2000. À l’aune de cette expérience, le nouveau chef
de l’État semble persuadé que le scénario va se reproduire, accéléré par
l’alternance.
Mais la France de 2012 n’est pas celle de 1997. Le changement de
majorité ne crée pas de choc de confiance dans l’opinion, comme le souligne
la faible évolution du moral des ménages. D’autant plus que, quinze ans plus
tôt, la croissance était en réalité de retour avant l’arrivée de Lionel Jospin à
Matignon, ce que n’avait visiblement pas perçu le pouvoir en place. En effet,
elle avait atteint 1,3 % pour le seul second trimestre alors que les législatives
ne se dérouleraient que le 25 mai et le 1er juin. Les premières décisions
(emplois jeunes notamment) ont pu à l’époque renforcer cette embellie
économique, mais elles n’en sont pas à l’origine. Ce qui explique
fondamentalement le rebond à l’époque, c’est la première vague de la
révolution numérique, qui se transformera plus tard en « bulle Internet ».
L’été qui ne passe pas

Est-ce pour cela que le signal du changement envoyé durant l’été est de si
faible ampleur ? Difficile à dire mais, à la rentrée, lors de son discours le 31
août 2012 à Châlons-en-Champagne, François Hollande semble prendre la
mesure de l’impatience du pays. Les mots qu’il emploie sont rudes : « nous
sommes devant une crise d’une gravité exceptionnelle », « la croissance
ralentit partout », « la France doit résoudre son problème de compétitivité ».
Ces propos arrivent tardivement pour les Français. Dans nos communautés
qualitatives, l’effet de ce changement de ton est désastreux. Les électeurs ne
comprennent pas que le « président découvre la crise », et ils se demandent
« où il était durant toutes ces années ». Ils n’ont pas le sentiment que la
situation s’aggrave, contrairement à ce qu’ils entendent, simplement qu’elle
perdure depuis quatre ans et que le nouveau chef de l’État n’en saisissait pas
l’ampleur. Les réactions sont d’autant plus épidermiques pour certains que la
crise dure même depuis quarante ans, tant le discours sur ce thème est perçu
comme permanent depuis le milieu des années 1970. Une partie des électeurs
de gauche en concluent également que certaines promesses ne pourront pas
être tenues, « sous prétexte de la situation budgétaire, qui a bon dos », ce qui
explique le décrochage de popularité dans la gauche radicale. La crise de
confiance qui s’installe entre le président et les électeurs puise donc ses
racines dans le terreau économique et social : les Français n’ont retenu aucune
mesure forte du premier été présidentiel, mais voient arriver désormais les
hausses de l’automne (impôt sur le revenu, impôts locaux), constatent pour
certains les avantages perdus (heures supplémentaires), ou regrettent
l’insuffisance des mesures souhaitées (comme celles visant à limiter les effets
de la hausse du prix de l’essence).
La désillusion n’est pour autant pas qu’économique, elle est également
charnelle vis-à-vis de François Hollande. Le nouveau président semble, en
ces premières semaines, vouloir surtout marquer la différence avec Nicolas
Sarkozy dans l’exercice personnel de ce premier été. Fini les attitudes et les
vacances « bling-bling », place à la simplicité. Il ne s’agit pas de renoncer aux
congés – après tout, une majorité des Français en prennent durant la période
estivale – mais de les rendre les plus ordinaires possibles. Départ en train au
milieu des voyageurs, promenades sur la plage publique avec sa compagne,
pas d’intervention médiatique durant ses quinze jours de repos, tout est fait
pour que cet interlude passe le plus inaperçu possible. Comment, dès lors,
imaginer, alors que son prédécesseur n’avait pas souffert dans l’opinion de
son premier été mouvementé, que le décrochage d’opinion brutal de François
Hollande dès la rentrée puisse être lié à ses congés ?
Paradoxalement, derrière un exercice de la fonction totalement différent de
celui de Nicolas Sarkozy, le nouveau président en renverse tout autant les
fondamentaux avec cette « normalité ». Dans notre pays, la fonction relève de
la toute-puissance depuis l’avènement de la Ve République, plus pour des
raisons historiques – la trace impulsée par le premier titulaire, le général de
Gaulle, y est pour beaucoup – qu’institutionnelles. Après tout, les pouvoirs
présidentiels dans la Constitution sont certes importants mais en deça de la
pratique qui s’installe dès l’origine. Elle relève tout autant du sacré : le chef
de l’État incarne la nation, s’en revendique comme le père, s’attribue un rôle
d’arbitre et se drape d’attributs empruntés à la monarchie, instaurant
sciemment de la distance avec le peuple, pour mieux être en mesure de
remplir ces différentes fonctions. Elle s’appuie enfin sur la mythologie
politique de l’homme providentiel, qui doit guider le pays et permettre à la
France d’assumer son destin universel.

Un pays en perpétuelle défiance politique

Tant Sarkozy qu’Hollande tentent, à leur manière, de rompre avec cette


tradition. Le premier à travers « l’hyper-présidence », incompatible avec cet
imaginaire de père de la nation et d’arbitre de ses tensions. Le second avec
son concept de « président normal », qui annihile le caractère providentiel de
la fonction. La transgression est toutefois plus dévastatrice dans le cas de
François Hollande, en raison du paradoxe qui marque son élection. S’il
devient le nouveau chef de l’État le 6 mai 2012, François Hollande n’a pas
pour autant pas fondamentalement convaincu les Français. Dans l’opinion, le
doute subsiste sur la capacité du nouveau président à endosser la fonction.
Non pas, comme on l’a trop souvent souligné, parce que le scrutin marquerait
plus la défaite de Nicolas Sarkozy que la victoire de François Hollande.
Être élu sur le rejet de son adversaire n’est pas le propre du nouveau
président, et ce principe est consubstantiel à une élection à deux tours, dans
laquelle s’affrontent les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Le
doute porte davantage sur les qualités propres à François Hollande. Non pas
sur sa dimension « normale », cet attribut ne suscite aucun débat dans
l’opinion. En revanche, il emporte le scrutin contre un adversaire perçu
comme plus à même de prendre des décisions difficiles, diriger le pays ou
défendre les intérêts de la France à l’étranger. Parce qu’ils veulent que les
choses changent et par insatisfaction, voire mécontentement à l’égard du
quinquennat Sarkozy, les Français envoient François Hollande à l’Élysée,
mais restent à convaincre de sa capacité à exercer la fonction et à endosser le
costume présidentiel.
En soi, cette faiblesse n’est pas dramatique, d’autres y ont été confrontés
dans le passé. Mais elle aurait dû être levée dès les premières semaines du
mandat, quand le bénéfice de l’élection et la légitimité qu’elle confère
démultiplient la possibilité de faire évoluer son image personnelle. La
« normalité » étant acquise, la renforcer était inutile voire contre-productive,
en éloignant un peu plus le nouveau président de l’exceptionnalité induite par
la fonction. À l’inverse, il fallait s’attaquer aux interrogations subsistant sur
la compatibilité de l’homme avec la fonction, et lutter contre les critiques sur
l’esprit de décision du nouveau président et son manque d’autorité. L’absence
combinée de mesures emblématiques ou radicales et la poursuite de la
désacralisation de la fonction, entamée sous la présidence précédente,
transformeront un printemps qui aurait pu être de grâce en été meurtrier qui
plombera, d’entrée, l’ensemble du quinquennat.
Emmanuel Macron sait probablement, depuis cet été 2012, que la
popularité s’effondre toujours plus vite qu’elle ne se reconquiert. La défiance
politique qui structure le pays et les tragédies qui le touchent depuis janvier
2015 rendaient illusoire tout espoir d’état de grâce des Français à l’égard de
ses premiers pas, au mieux pouvait-il espérer bénéficier de leur bienveillance,
après avoir été élu comme en 2002 non pas dans un duel gauche-droite
classique mais face au Front National.
Président sans période d’essai, il lui fallait faire un sans-faute dès l’été.
D’abord en consolidant sa victoire électorale de mai en effaçant les derniers
doutes personnels qui subsistaient en dépit de son élection. Puis, en parallèle,
en impulsant la mise en œuvre de son projet et des promesses que son
programme avait engendré. Tout autant qu’un projet, il lui était indispensable
de disposer d’une méthode, celle du passage à l’acte, pour que nul ne doute
de sa volonté de l’appliquer. Il s’est fait fort de tirer parti de cette expérience
et de remplir ces impératifs. Mais l’impatience des Français est à son
paroxysme. Fin août 2017, 56 % des Français se déclarent déjà mécontents de
son action. Même si la fin d’année voit ce taux retomber sous les 50 %, le
rétablissement de la confiance dans l’action politique sera une très grande
marche.

1. Chiffres Pôle emploi pour la catégorie A.


2. Finalement, le déficit sera de 4,8 % en 2012.
2.

LA GUERRE DU MARIAGE N’AURAIT PAS DÛ AVOIR LIEU

Le 29 mai 2013, peu après 18 heures, est célébré à Montpellier le premier


mariage entre deux personnes de même sexe en France. Contrairement à celui
célébré par Noël Mamère à Bègles en 2004, il ne risque pas d’être annulé.
Onze jours plus tôt, la loi Taubira concrétisant l’engagement n° 31 du
candidat Hollande de légaliser le mariage et l’adoption pour les homosexuels
a en effet été promulguée. Quatorze ans après le vote du PACS sous Lionel
Jospin, solution de compromis à l’époque, la gauche au pouvoir est allée au
bout de son engagement dans ce domaine, et adopte une mesure qu’une large
majorité de ses représentants soutient depuis longtemps. Cette promesse de
campagne est tenue à peine plus d’un an après l’entrée à l’Élysée de François
Hollande, délai relativement court au regard des standards français en matière
de réforme. Pourtant, pour en arriver là, le débat semble avoir duré une
éternité.
Une éternité alors que la France ne fait que rejoindre un mouvement
continue d’extension de ces droits aux homosexuels en Europe depuis que les
Pays-Bas, en 2001, ont ouvert la voie. Lorsque le conseil constitutionnel
valide la loi, le 17 mai 2013, la France devient le 9e pays européen à autoriser
le mariage des couples homosexuels et à leur accorder le droit à l’adoption.
Tous ne sont pas issus de l’Europe du Nord, à tradition protestante et réputée
pour cette raison plus ouverte sur ce débat : l’Espagne (en 2005) et le Portugal
(en 2010), pays catholiques s’il en est, ont en effet déjà légalisé le mariage
pour les homosexuels (même si concernant le Portugal, il faut attendre 2016
pour que soit ajouté le droit à l’adoption). Et si cette évolution juridique a fait
l’objet de débats animés dans nombre des pays concernés, la controverse et
l’opposition que suscitera cette réforme en France sera particulièrement vive.
Le contraste est flagrant avec l’adoption du mariage gay en Grande-Bretagne
le mois suivant, pourtant sous l’égide d’un gouvernement conservateur.
Une éternité également car, lorsque le Gouvernement confirme en juin
2012 qu’il fera voter cet engagement, le rapport de force dans l’opinion est
assez favorable à la majorité. Rien à voir avec la situation de 1981 quand la
gauche décide d’abolir la peine de mort alors que les Français y sont très
majoritairement opposés. Pas de comparaison possible non plus avec le vote
du PACS en 1999 : seuls 48 % des Français déclarent alors que les
homosexuels devraient avoir le droit de se marier et 33 % d’adopter des
enfants. Mais cette première évolution législative semble accélérer le
mouvement d’acceptation du mariage gay dans la société française.

Un clivage massif surtout générationnel

Ainsi, dès le début des années 2000, l’adhésion au mariage gay devient
majoritaire, et lorsque François Hollande est élu, ce sont 61 % des Français
qui soutiennent ce principe. Dans le même temps, 54 % sont favorables au
droit à l’adoption pour les homosexuels. Oui, la hiérarchie catholique
s’oppose ouvertement au projet de loi du Gouvernement mais, là encore, si
plus d’un Français sur deux se déclare catholique, seuls environ 10 % sont
pratiquants. Cela ne semble donc pas un obstacle insurmontable pour le
nouveau pouvoir, car les enquêtes soulignent que seuls les catholiques
pratiquants sont majoritairement opposés à cette réforme, pas ceux qui ne se
définissent ainsi que culturellement.
Oui, le clivage politique sur cet enjeu demeure massif, puisque 78 % des
sympathisants de gauche soutiennent ce principe, contre seulement 39 % des
sympathisants de droite1, mais la reconnaissance du mariage homosexuel
progresse dans les deux France depuis des années, et tout indique que le
peuple de droite acceptera bientôt majoritairement cette évolution. Pour la
quasi-totalité des Français de 2012, la famille demeure certes un pilier
essentiel de la société, mais cela n’est plus contradictoire avec l’acceptation
des formes diverses qu’elle peut recouvrir. Quelle que soit l’orientation
politique, l’opinion considère que le modèle traditionnel d’un couple marié
avec enfant n’en est plus qu’un exemple parmi d’autres.
Il faut dire que la filiation n’est plus depuis longtemps associée au
mariage : à partir des années 1980, la part des enfants nés hors mariage
explose pour passer de 11,4 % cette année-là, à 30,1 % en 1990 et 42,6 % en
2000. Et depuis 2006, plus d’un enfant sur deux naît même hors mariage
(55 % en 2011). Dans le fond, le mariage n’est plus tellement en odeur de
sainteté dans la France de François Hollande. Depuis 2000, son nombre
annuel ne cesse de décroître : 305 000 célébrés cette année-là contre
seulement 236 000 en 20112.
Le clivage sur le mariage et l’adoption pour les homosexuels, il convient
de le rappeler, est massivement générationnel. Les moins de trente-cinq ans
sont plus de 70 % à y être favorables, contre seulement un tiers des soixante-
cinq ans et plus, et il s’agit moins d’un effet d’âge que de génération : en
vieillissant, les nouvelles générations conservent sur ce sujet leur point de
vue. L’adhésion grandissante à accorder ces droits aux homosexuels n’a donc
aucune raison de changer et a même vocation à s’amplifier dans les années
qui viennent. Pour toutes ces tendances de fond, le clivage est en tout cas
bien moins politique qu’on ne le dit.
Frappés de constater dans nos enquêtes qualitatives que, très rapidement,
les conversations dérivaient du mariage homosexuel au débat sur le mariage
tout court, nous avons ajouté à nos sondages une question sur le rapport au
mariage, quel qu’il soit.
L’expérience confirme que le positionnement sur ce débat renvoie en
priorité au rapport que chacun entretient avec le mariage en général. Plus
l’importance accordée à cette institution est élevée, plus le rejet du mariage
pour les homosexuels est grand. L’attachement au mariage se révèle une fois
et demie plus discriminant que le vote ou l’appartenance religieuse dans les
opinions sur le mariage gay. Ainsi, quand 60 % des Français sont favorables
au mariage pour tous, ils ne sont que 43 % parmi ceux qui considèrent le
mariage en général important, mais 80 % parmi ceux qui n’accordent que peu
d’importance à cette institution. Ce phénomène se retrouve même parmi les
catholiques : 75 % de ceux qui jugent le mariage peu important sont
favorables au mariage homosexuel.

Une opposition qui ne désarme pas


François Hollande peut donc s’attendre à une opposition vive et résolue des
anti-mariage gay, comme ce fut le cas en 1999, mais ne risque rien
électoralement en engageant le processus. De plus, la majorité a toutes les
armes pour faire adopter rapidement le texte : en 2012-2013, elle dispose,
pour la première fois sous la Ve République, à la fois de la majorité à
l’Assemblée mais aussi au Sénat. Pas besoin dès lors de multiples examens
dans les deux chambres pour faire voter le texte.
Le projet de loi, qui est adopté en conseil des ministres le 7 novembre
2012, semble pourtant déjà faire preuve de prudence puisque le recours à la
procréation médicalement assistée (PMA) ne figure pas dans le texte. C’est
en partie une surprise car si le droit à la PMA n’était pas dans les
engagements présidentiels, le candidat s’y était déclaré favorable durant la
campagne. Nombre de députés de la majorité annoncent vouloir amender le
projet en ce sens lors des débats. Rien d’étonnant non plus à ce que dix jours
après, une première manifestation mobilise fortement les opposants à la
réforme – 100 000 à 200 000 personnes selon les sources.
En revanche, compte tenu du contexte d’opinion, rien ne laissait présager
que le mouvement perdure et s’amplifie. Or, entre le 13 janvier et le 23 avril,
vote définitif de la loi, au moins quatre manifestations de grande ampleur
vont se tenir dans le pays. Celle du 13 janvier est même remarquable dans un
pays où la droite descend rarement dans la rue, avec 340 000 manifestants
selon la préfecture de police (et un million selon les organisateurs).
Le mouvement a cependant bénéficié de l’étonnante faiblesse du soutien
présidentiel à la réforme. En politique, la force va à la force et tout signe de
tergiversation se retourne contre vous. En se prononçant, le 20 novembre,
trois jours après la première manifestation, devant le congrès des maires pour
que les élus qui ne souhaiteront pas marier des personnes de même sexe
puissent faire jouer leur « liberté de conscience », François Hollande sème le
trouble parmi les partisans du mariage pour tous et laisse planer le doute sur
sa capacité à aller au bout de la réforme. Même si, dès le lendemain, il revient
sur ses propos et rappelle que « la loi devra s’appliquer dans toutes les
communes », les adversaires du projet se sont sentis encouragés par ce propos
inattendu.
De même, l’annonce dès le 9 janvier par les députés socialistes de ne pas
déposer d’amendement concernant la procréation médicalement assistée,
alors que l’examen du texte n’a pas encore commencé à l’Assemblée
Nationale, laisse espérer aux opposants que la majorité cédera si les
manifestations s’inscrivent dans la durée, d’autant que l’histoire récente du
pays est jonchée de projets de loi retirés face à la contestation dans la rue. Ce
ne sera pas le cas, le rapport est trop défavorable aux opposants à la réforme :
même au plus fort de la contestation, l’adhésion au mariage homosexuel
recule mais demeure nettement majoritaire (57 %) et, sur cet enjeu, la gauche
radicale et écologiste fait bloc avec la majorité socialiste, offrant au
Gouvernement une large majorité pour faire voter le texte.

Une réforme plus subie par le président

Cette réforme aurait dû offrir au président un marqueur de gauche solide pour


la suite du quinquennat. Le mouvement de la « Manif pour Tous » met
assurément, dans un premier temps, en difficulté la droite parlementaire, prise
en porte à faux entre la volonté d’une partie de ses élus de ne pas se battre
contre le projet, et le sentiment que son électorat bat le pavé pour obtenir son
retrait. Mais le succès de la manifestation du 13 janvier, qui surfe sur le
sentiment d’hésitation qu’inspire François Hollande sur le sujet ou le rappel à
l’ordre de l’enseignement catholique par le ministre de l’Éducation, Vincent
Peillon, ressoude la droite sur la question et fait passer au second plan ses
divisions. Le mouvement réussit même, pendant un temps, à incarner le
mécontentement global qui s’exprime dans l’opinion contre l’exécutif et à
dépasser l’objet du contentieux.
Résultat, le président va laisser de nouveau dans l’affrontement une part de
sa popularité, déjà bien entamée fin 2012. Entre le début du débat en
novembre 2012 et le vote de la loi, il perd 10 points de satisfaction
supplémentaires. En plein cœur de l’affrontement, entre janvier et avril 2013,
il décroche fortement (moins 22 points) auprès de son noyau dur électoral,
ceux qui ont voté pour lui dès le premier tour de 2012. Une étonnante
déconnexion s’est donc instaurée entre le soutien de l’électorat de gauche à la
réforme et l’effet qu’elle produit sur le président.
Le mariage pour tous aurait dû symboliser le caractère progressiste du
mandat de François Hollande. Il n’en est rien. Les électeurs de gauche lui
reprochent son manque de fermeté et d’avoir laissé traîner le débat, au
détriment des enjeux économiques et sociaux, urgents à leurs yeux. Plus
encore, dans nos enquêtes qualitatives, le peuple de gauche ne crédite pas le
président de la réforme. Il donne le sentiment de l’avoir plus subie que
voulue, « peut être parce qu’il n’était pas lui-même dans le fond réellement
un défenseur du mariage gay »3.
Au contraire, la tournure des événements incitera très vite le président à
« faire une pause » dans les réformes de société, par crainte de la brusquer.
Une attitude et une vision du pays très « chiraquienne ». Le droit pour les
homosexuels d’accéder à la PMA sera définitivement écarté dans les mois qui
suivent, le droit de vote des étrangers aux élections locales plus réellement
envisagé. Plus frappant encore, durant son mandat, lorsqu’il évoque son
bilan, François Hollande met rarement en exergue la loi Taubira pour
valoriser son action. Comme s’il craignait qu’elle ne lui porte préjudice.

Les Français de plus en plus favorables

Pourtant, quatre ans après, non seulement le soutien au mariage homosexuel a


retrouvé son niveau précédant le débat, mais il a conquis de nouveaux
adeptes. Désormais, 71% des Français y sont favorables (plus 11 points par
rapport à 2012) et les électeurs de droite sont un peu plus nombreux à
accepter ce principe (51 %) qu’à le rejeter (48%). Comme après le PACS,
l’évolution législative a plutôt accéléré le mouvement d’adhésion à ce
principe. Et depuis 2013, plus de 25 000 mariages entre couples homosexuels
ont été célébrés en France, soit une moyenne supérieure à 8 000 par an, qui
dépasse celle constatée pour le PACS de 2000 à 2012 (6 000 environ par an).
Le mariage pour tous rencontre donc un réel succès parmi les Français
concernés.
Dans une note de février 2016, basée sur son dispositif de suivi de la
campagne présidentielle, le CEVIPOF note que « les bénéficiaires du mariage
pour tous sont systématiquement moins enclins à voter pour le PS que les
couples homosexuels non-mariés ». Même auprès de l’électorat gay, tenir une
vieille promesse de la gauche n’aura guère eu d’effets positifs. Dans le
mécontentement ambiant, la mesure ne suffit pas semble-t-il à les fidéliser et
à renforcer leur attachement au parti socialiste. Tout simplement parce que ce
sont des électeurs comme les autres.
L’évolution de l’opinion sur ce sujet et l’élection d’Emmanuel Macron en
2017 ont sans aucun doute clôt le débat sur la loi Taubira. Il ressurgira en
revanche si le nouveau président décide de mettre en œuvre sa promesse
d’ouvrir le droit à la PMA aux femmes seules ou en couple avec une autre
femme. Le rapport de force lui sera plus que jamais favorable. À lui d’en
faire bon usage.
1. Les données utilisées ici sont issues des enquêtes d’OpinionWay à partir de 2006 et des enquêtes
IFOP auparavant (question quasi identique à celle d’OpinionWay).
2. Source INSEE pour la part des naissances hors mariage et le nombre de mariages.
3. Propos maintes fois recueillis dans les débats organisés par Opinionway sur ce sujet.
3.

LE RAS-LE-BOL FISCAL

Le samedi 29 décembre, le Conseil constitutionnel annonce sa décision de


censurer la taxe de 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d’euros, votée
dans le cadre du premier projet de loi de finance du quinquennat. Un coup
rude puisqu’il concerne l’une des mesures les plus emblématiques du
candidat Hollande durant la campagne présidentielle. Saisi par le groupe
UMP de l’Assemblée, le Conseil considère que cette disposition frappe les
foyers fiscaux de façon inégale, suivant la répartition des revenus entre les
deux conjoints, et constitue donc une « rupture d’égalité ». La taxation est en
effet assise sur les revenus de chaque personne physique alors que l’impôt sur
le revenu est prélevé par foyer. Avec la version adoptée, un ménage, dont
chaque membre percevrait un revenu de 900 000 euros, se trouverait exempté,
tandis qu’un autre, dont un seul membre gagnerait 1,2 million d’euros et
l’autre rien, devrait l’acquitter. À la lecture de ce seul exemple, l’erreur dans
la conception du dispositif semble incompréhensible. Résultat, il faudra
attendre décembre 2013, soit dix-huit mois après l’élection du nouveau
président, pour que ce symbole du changement promis en 2012 soit mis en
œuvre. Un délai beaucoup trop long au regard du temps de l’opinion.
Comme, de surcroît, elle s’éteint dès 2015, conformément au projet initial de
ne durer que deux ans, nombre d’électeurs auront finalement la sensation que
cette promesse n’a jamais été appliquée, renforçant le sentiment, notamment
dans les catégories populaires, que « ceux d’en haut s’en sortent toujours ».
La taxe qui ne passe pas

Ce « couac » a des effets considérables dans l’opinion, bien plus que certaines
disputes entre les ministres qui agitent le monde médiatique, mais
n’atteignent que rarement les électeurs. En effet, la taxe à 75 %, si elle ne
devait toucher qu’environ 1 500 personnes, a joué un rôle central dans la
campagne de 2012. Elle est annoncée en février alors que Nicolas Sarkozy
semble bénéficier de la dynamique de son entrée en campagne, quand Jean-
Luc Mélenchon progresse également dans les sondages et tente d’incarner
une autre option pour l’alternance. Elle avait permis à François Hollande de
reprendre la main sur la campagne, d’ancrer le candidat plus nettement à
gauche et de souligner sa volonté de marquer un tournant par rapport au
quinquennat précédent. Elle rencontrait un courant majeur à ce moment-là
dans l’électorat.
En octobre 2011, 73 % des Français estiment que, « pour établir la justice
sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres », 11 points
de plus qu’un an auparavant. Même les électeurs de droite partagent
désormais majoritairement ce point de vue (51 %). Sans surprise donc, au
moment de voter, en mai 2012, une large majorité des électeurs approuve la
mesure (69 %). Voilà les éléments à mettre au crédit de cette mesure. Mais
passent au second plan à ce moment-là les conditions de son annonce, qui
constitueront plus tard autant de faiblesses, démonétisant la mesure au
moment du bilan du quinquennat.
Car si la taxe est censurée en décembre 2012, c’est aussi parce qu’elle est
improvisée par François Hollande et un cercle très restreint quelques heures
avant son passage sur TF1 dans l’émission Parole de candidat. La mesure ne
figurait pas dans les 60 engagements dévoilés quelques jours plus tôt. Preuve
de cette impréparation, François Hollande annonce même, dans un premier
temps, qu’elle concerne les revenus supérieurs à 1 million d’euros par mois,
avant de se reprendre et de préciser par an. Autre signe, Jérôme Cahuzac, son
conseiller pour les questions fiscales, apprend en direct sur France 2 cette
proposition, et est en conséquence incapable d’en préciser les contours
lorsqu’on l’interroge sur sa mise en application. Est-ce parce qu’elle est plus
politique et symbolique que centrale dans la politique du nouveau
Gouvernement que sa conception en sera si mal assurée ? Difficile à affirmer,
mais il est probable que les deux soient liés, au moins en partie. Reste que le
symbolique, en politique, est souvent source de davantage de dégâts que le
reste.

Un sentiment d’overdose fiscale

Mais les revers concernant cette taxe n’auraient probablement pas autant
coûté au président si elle ne s’était accompagnée, dans l’opinion, du
sentiment d’être victime d’un « matraquage fiscal » par le nouveau pouvoir.
Cette perception peut être considérée comme injuste, car les hausses d’impôt
ont démarré lors des deux dernières années du quinquennat Sarkozy. Or, si le
ras-le-bol s’exprime autant contre le nouveau pouvoir sur ce terrain, il le doit
avant tout à lui-même.
L’origine de cette révolte réside, en premier lieu, dans le malentendu qui
s’instaure durant la campagne entre le candidat et les électeurs. François
Hollande n’a jamais caché qu’il augmenterait les impôts afin de rétablir la
situation des comptes publics et de revenir à 3 % de déficit en 2014.
Cependant – et la proposition de taxe à 75 % renforce cette perception –, il
laisse comprendre aux Français que ces hausses de prélèvement concerneront
les hauts revenus. L’ambiguïté dépasse d’ailleurs la campagne électorale,
puisque la communication accompagnant le budget pour 2013 s’organise
autour de l’idée que neuf Français sur dix ne sont pas touchés par celles-ci.
Or, le sentiment qui domine très vite dans l’opinion est tout autre. Il relève
plus de l’overdose générale que du ciblage sur les plus riches.
Dès septembre 2012, 81 % des Français, et même 71 % des électeurs de
François Hollande, pensent que les impôts vont augmenter en 2013 pour les
classes moyennes contre seulement 58 % qui pensent que ce sera le cas pour
les Français aisés. Dans un pays où plus d’une personne sur deux pense
appartenir à cette catégorie sociale, le décalage est total et ravageur pour le
président. La majorité des électeurs estime qu’on leur a menti durant la
campagne, et le désenchantement rapide envers l’exécutif n’en est que
renforcé.
En politique, la perception est la réalité. Peu importe donc que
l’argumentaire gouvernemental soit vrai, ce qui compte, c’est l’idée que s’en
font les Français. Mais si la perception est aussi défavorable au nouveau
pouvoir sur la question fiscale, c’est parce que celui-ci croit pouvoir fonder
son message sur un texte (le budget) quand un pays raisonne sur le contexte.
Le maintien du gel du barème sur l’impôt sur le revenu, la suppression de
l’exonération des heures supplémentaires, les hausses de taxe sur le tabac ou
sur la bière, tout cela concerne bien plus d’un Français sur dix. Elles ne sont
peut être pas inscrites dans le budget 2013, mais savoir par quel canal ces
mesures sont décidées n’est pas un sujet pour l’opinion. Seul compte pour
elle le solde final, et il tend vers une augmentation pour bien plus d’un
Français sur dix.
Dans ce domaine également, les premiers pas du quinquennat laisseront un
goût de Fernet-Branca aux Français et plomberont l’ensemble de la
mandature. D’autant plus que le malentendu avec l’opinion va se creuser
encore lorsque le Premier ministre annonce, en novembre 2012, une
augmentation de la TVA au 1er janvier 2014, quelques mois après avoir
annulé celle décidée par le Gouvernement précédent.
Quelques semaines avant l’entrée en vigueur de cette hausse, destinée à
financer le plan de rétablissement de la compétitivité des entreprises, seuls
26 % des Français y sont favorables. Les sympathisants de gauche sont
logiquement parmi les plus opposés à cette mesure. Non seulement parce
qu’elle semble tourner le dos à un engagement de campagne du président,
mais aussi parce que la TVA est un impôt honni par l’électorat de gauche, qui
le considère injuste car touchant davantage les bas revenus que les plus aisés.

Le mal est fait…

Dès lors, les déconvenues vont se succéder sur cet enjeu pour la majorité et,
fait rare, la fiscalité va devenir une motivation de vote importante. Ainsi,
alors que seulement 22 % des électeurs ont voté sur ce critère au premier tour
de la présidentielle 2012, ils sont désormais 39 % qui feraient leur choix en
fonction de cette thématique en juillet 2014. De même, lors des élections
municipales de mars 2014, dans les communes de plus de mille habitants, les
impôts locaux constituent la première motivation de vote des électeurs
(55 %), loin devant le développement économique ou la sécurité.
C’est un phénomène atypique dans la mesure où les Français n’attendant
plus grand-chose dans ce domaine de la part des politiques, et doutant de leur
capacité à diminuer le niveau de la fiscalité, cet enjeu est en général assez
marginal dans les choix des électeurs. Le « ras-le-bol fiscal » est bien entendu
plus prégnant à droite, mais il n’est pas absent à gauche, puisqu’il concerne
environ 40 % de ses électeurs. La réactivation d’un tel enjeu est, quoi qu’il en
soit, toujours défavorable au pouvoir en place, en contribuant à renforcer
l’envie d’utiliser son bulletin de vote pour sanctionner les gouvernants.
L’exécutif en a conscience et tente de reprendre la main sur le sujet dès
l’automne 2013. François Hollande annonce une « pause fiscale » pour le
budget 2014. La maladresse de la formule ne peut que surprendre. D’abord
parce que la notion même de pause renvoie dans l’imaginaire de l’opinion au
provisoire, laissant entendre que les hausses reprendront par la suite. De plus,
le calendrier lui-même de l’annonce est étonnant. En effet, la pause ne pourra
être effective qu’en 2015, car de nombreuses mesures déjà votées entrent en
application en 2014.
En conséquence, le président a beau préciser son propos et s’engager à ce
qu’il n’y ait plus de hausse d’impôts d’ici la fin de son mandat, rien
d’étonnant à ce que les Français n’y croient pas. Que ce soit au moment de
l’annonce, en 2013, ou un an plus tard, en novembre 2014, 76 % estiment
qu’il ne tiendra par cet engagement, et seul un électeur sur deux ayant voté
pour lui lui fait crédit de cette promesse. Le Gouvernement a beau adopter
des mesures allant dans ce sens pour les ménages, le mal est fait. 84 %
pronostiquent que les impôts payés par les particuliers ne baisseront pas d’ici
la fin du quinquennat.
Ce ne sera pas mieux du côté des entreprises. Certes, la mise en place du
CICE en novembre 2012, et l’annonce du pacte de responsabilité et de
solidarité fin 2013 sont de nature à les rassurer sur la volonté du
Gouvernement de s’appuyer sur elles pour redresser la situation économique
du pays. Tout comme le sont les propos du Premier ministre Manuel Valls
– « J’aime l’entreprise » – à l’université d’été du Medef, en août 2014. Le
message perçu par l’opinion aurait donc dû être sans ambiguïté.
Mais une mesure fiscale envisagée dans le budget 2013 va elle aussi
laisser des traces. Il est alors prévu que les plus-values de cession
d’entreprises ne soient plus taxées désormais à 34,5 % mais indexées sur le
barème de l’impôt sur le revenu. Ce projet déclenche le mouvement des
« pigeons », qui regroupe notamment des chefs d’entreprise de l’économie
numérique. Dans un contexte où les Français critiquent certes les grandes
entreprises mais valorisent les PME et les créateurs d’entreprises, les
contestataires jouent sur du velours. Ils portent l’imaginaire de ceux qui ne
pourront plus bénéficier du fruit de leur travail. En ce sens, les citoyens
peuvent facilement s’identifier à eux, ce sentiment que les efforts ne payent
plus étant fortement répandu dans le pays. Le Gouvernement revoit très
rapidement la mesure pour en supprimer les effets pervers, mais jamais, par la
suite, il ne parviendra réellement à effacer l’idée qu’il favorise ceux qui
entreprennent.
Pour toutes ces raisons, le contexte d’opinion durant le quinquennat
Hollande sur les questions fiscales est profondément bouleversé. Dès
décembre 2015, les Français qui pensent qu’il faut, pour établir la justice
sociale, prendre aux riches pour donner aux pauvres ne représentent plus que
53 % de la population, soit 20 points de moins en un an. Tout cela n’est pas
sans conséquence sur le quinquennat qui s’ouvre. Les évolutions fiscales
qu’envisage Emmanuel Macron, notamment l’allègement de l’ISF et la flat
tax sur le capital, bénéficieront d’un créneau de tolérance à défaut d’être
populaires. Mais plus que jamais, la défiance dans la parole politique est de
mise dans de domaine. En août 2017, la nouvelle majorité a beau marteler le
contraire, 63 % des Français s’attendent à ce que leurs impôts augmentent
dans l’année qui vient.
4.

LEONARDA, PREMIÈRE OPPOSANTE

Le 9 octobre 2013, Leonarda Dibrani, âgée de quinze ans et élève en classe


de troisième, est interpellée alors qu’elle participait à une sortie scolaire pour
être expulsée de France avec le reste de sa famille, en situation irrégulière.
L’incident ne passe pas longtemps inaperçu. Cinq jours plus tard, le réseau
« Éducation sans frontières » publie sur son blog une lettre des enseignants du
collège de la jeune fille, qui attire rapidement l’attention du monde politique
et médiatique. François Hollande va connaître à cette occasion l’une des
polémiques les plus violente de son quinquennat. Comme nombre de ses
prédécesseurs, il se retrouve confronté aux débats enflammés liés à
l’immigration. Bien que cette thématique soit restée longtemps relativement
marginale dans les préoccupations des Français, la question ne cesse d’agiter
le débat public avec l’émergence du Front National en 1984. Tous les
pouvoirs ont connu depuis de vifs affrontements sur le sujet. Réforme du
code de la nationalité, règles de régularisation des sans-papiers, double peine,
définition de quotas : les angles de polémiques ne manquent pas lorsque l’on
aborde cette matière. Et ce d’autant plus que cela demeure l’un des thèmes
qui suscite encore le plus de clivages entre droite et gauche. Dans son projet
présidentiel, le candidat Hollande s’est ainsi engagé sur une régularisation
des étrangers résidant depuis longtemps en France, certes au cas par cas, mais
sur la base de critères objectifs, reprenant ainsi la logique appliquée sous le
gouvernement de Lionel Jospin en 1998.
« L’affaire Leonarda » est sensible en raison des conditions de son
arrestation. Il est en effet très rare que cela se déroule dans le cadre scolaire.
En effet, cette situation, qui choque le corps enseignant, a conduit à la
création en 2004 du réseau « Éducation sans frontières », dont le premier fait
d’armes fut l’obtention, en 2005, d’une circulaire signée par le ministre de
l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, précisant entre autres que les
arrestations, « pour des raisons évidentes », ne devaient pas avoir lieu « dans
l’enceinte scolaire ou dans ses abords ». De tels cas existent pourtant
toujours. En mars 2007, l’un d’entre eux avait déclenché une très vive
polémique. Une Chinoise venue chercher sa petite-nièce à la maternelle, fut
interpellée devant une école du quartier de Belleville à Paris, sous le regard
d’autres parents qui tentèrent de s’interposer. La femme dut être relâchée
sous la pression de la foule. Le lendemain, un autre Chinois est arrêté alors
que des contrôles de police sont en cours dans les cafés du quartier. L’homme
allait chercher son petit-fils de 4 ans à l’école voisine. Là aussi, la situation va
dégénérer et à l’issue de ces deux incidents, des banderoles demandant la
protection des élèves risquant l’expulsion fleurissent sur les murs des écoles
parisiennes. Sous la présidence Sarkozy, les cas d’arrestations dans le cadre
scolaire ont beau se compter sur les doigts d’une main, ils constituent un
symbole de la politique d’immigration du président sortant et d’affrontement
avec la gauche.

L’immigration, sujet de plus en plus clivant

Il n’est donc pas surprenant que l’arrestation de Leonarda, une fois connue,
suscite une levée de bouclier parmi les élus ou certaines associations proches
de la gauche. Comme en mars 2007, le mot « rafle » est employé pour
qualifier l’arrestation. La FIDL, syndicat lycéen proche du PS, tente de
mobiliser les lycées contre les expulsions, comme elle aurait pu le faire sous
un gouvernement de droite. Et le « Mouvement des jeunes socialistes » (MJS)
exige la régularisation de Leonarda et de sa famille ! Une frange de la gauche
estime donc que concernant la politique migratoire, en matière de
changement, le compte n’y est pas et regrette, là encore, l’absence de rupture
avec le quinquennat Sarkozy. L’abrogation de la « circulaire Guéant » sur les
étudiants étrangers dès l’été 2012 ne lui suffit pas. Elle profite de
l’événement pour le faire savoir. Mais il ne s’agit que d’une partie de la
gauche, car à l’image du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, nombre d’élus
de gauche défendent une politique stricte en matière de lutte contre
l’immigration clandestine.
Il faut dire que depuis plusieurs années, sur cet enjeu, l’opinion n’a cessé
de pencher pour davantage de fermeté, même si cette évolution n’est pas
linéaire durant la période. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que l’on entend
parfois, d’une « droitisation » : la réticence face à l’immigration ne recoupe
pas historiquement le clivage gauche-droite de manière uniforme, de même
qu’elle peut se révéler politiquement variable d’un pays à l’autre. Il est
question, plus simplement, en France, d’une adhésion aux mesures prônant
davantage de contrôle de l’immigration.
Tout cela se produit dans un contexte où, depuis une dizaine d’années, le
sentiment d’une trop grande présence d’immigrés dans le pays revient à des
niveaux très élevés, comparables à ceux des années 1980. Depuis les émeutes
en banlieue de 2005, la part de Français jugeant qu’il y a trop d’étrangers en
France est de nouveau majoritaire, et lorsque François Hollande remporte la
présidentielle, deux tiers des Français partagent toujours cette opinion (64 %).
La période est à la méfiance face à l’immigration plutôt qu’à l’ouverture. Ce
n’est pas la première présidentielle à se dérouler dans ce contexte néanmoins.
En 2007, une petite majorité des Français (55 %) approuvaient l’idée
défendue par Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l’Immigration et de
l’Identité nationale, bien que celle-ci ait alors suscité un tollé médiatique et
politique. De même, une majorité soutenait le principe de durcir les
conditions pour qu’un immigré installé en France puisse faire venir sa
famille.
C’est une tendance lourde de la décennie : sur la plupart des indicateurs, on
constate un recul important des opinions favorables à l’immigration. Non
seulement sur l’opinion selon laquelle l’immigration est une chance pour la
France, mais également sur celle selon laquelle « on en fait plus pour les
immigrés que pour les Français », désormais partagée par les deux tiers des
Français en 2013. Mais si les tensions au sein de la gauche sont aussi fortes
dès que l’on aborde cet enjeu, c’est parce que le rapport à l’immigration
divise la gauche désormais.
Ainsi, en 2013, lorsque « l’affaire Leonarda » survient, les Français qui se
positionnent à gauche sont 37 % à être d’accord avec l’idée qu’il y a trop
d’étrangers en France, contre 85 % de ceux se situant à droite ou 98 % des
sympathisants du Front National. L’électorat de gauche, qui reste
majoritairement ouvert à l’immigration, n’est cependant pas unanime sur le
sujet, contrairement à celui de droite ou d’extrême droite. À l’image de ses
leaders.

Solution hybride et manque de décision

Que François Hollande valide une ligne de fermeté ou de générosité face au


cas Leonarda, il est donc certain de mécontenter une part de son électorat.
Mais, après tout, c’est souvent le propre de la décision politique, et compte
tenu de la popularité de son ministre de l’Intérieur à ce moment-là, l’incident
aurait pu rester anecdotique.
Comme tous les gouvernements en France depuis 1968, celui-ci craint les
mouvements de jeunesse, mais celui déclenché à cette occasion est d’une
ampleur très limitée et le calendrier lui est défavorable, puisque les vacances
de la Toussaint sont proches. Rien ne laisse penser, dans les enquêtes
d’opinion, que le mouvement puisse prendre une autre dimension, les jeunes
ne semblant pas particulièrement vindicatifs face à l’expulsion de la jeune
Kosovar, et leurs positions étant plutôt hétérogènes. Une légère majorité se
déclare opposée au retour de la famille et approuve la position de Manuel
Valls dans ce dossier. Le père de Leonarda, compte tenu de ses antécédents,
n’aide pas non plus à transformer la jeune fille en martyre.
Pourtant, la satisfaction à l’égard du Président, qui s’était stabilisée depuis
le printemps 2013 autour de 29 %, va connaître une nouvelle chute de 6
points suite à la polémique et ses traits d’image présidentiels, bien que déjà
très entamés, connaître une forte érosion dans l’enquête semestrielle que nous
réalisons sur ce sujet. Désormais, seuls 22 % des Français pensent qu’il sait
prendre des décisions difficiles (moins 9 points), 13 % qu’il sait faire preuve
d’autorité (moins 9 points) et 11 % qu’il est capable de rassembler les
Français (moins 8 points). Comment expliquer un tel impact ? Si le choix
qu’il fait à cette occasion se révèle aussi préjudiciable pour lui, c’est qu’il
combine communication inadaptée et décision ambigüe.

Ce « moment de télévision », qui vit le président intervenir en direct depuis


l’Élysée cinq jours après le début de la polémique pour annoncer que la jeune
fille pouvait revenir en France, mais sans sa famille, relevait plus d’un
Secrétaire d’État que d’un Président. De surcroît, en voulant se conformer à
sa ligne sur les questions d’immigration, visant à concilier « fermeté et
humanité », François Hollande ne fait que conforter ses détracteurs et les
doutes de l’opinion. Alors que depuis son élection il doit convaincre de sa
stature de « commandant en chef », la solution hybride qu’il propose à cette
occasion ne peut que relancer les critiques sur son « incapacité à trancher ».
Et réactiver le sentiment qu’il n’est définitivement que « l’homme de la
synthèse », là où les Français attendent d’un chef de l’État qu’il soit
« l’homme des décisions ». Une fois de plus, il passe à côté d’une occasion
d’investir la fonction et de dire qui il est, pour quoi faire et où il va. Des
réponses le concernant que les Français attendent depuis le 6 mai 2012.
Il ne faut pas s’y tromper, la réplique cinglante, en direct à la télévision,
que l’adolescente lui adresse aussitôt, n’est qu’un effet secondaire mais pas la
cause des dégâts créés par cette affaire sur l’image présidentielle. Si le
président avait tranché clairement sur ce cas, la réponse dans la foulée de
Leonarda n’aurait jamais connu le même « succès ». Harlem Désir, le Premier
secrétaire du PS, n’aurait pas davantage pu faire entendre une voix
discordante après l’intervention, souhaitant que « tous les enfants de la
famille de Leonarda puissent finir leurs études en France accompagnés de
leur mère ». En l’espèce, les chaînes info ne sont pas la source des ennuis
présidentiels mais un révélateur de ceux-ci.

Des interventions médiatiques sans poids

En revanche, il est permis de s’interroger sur le choix fait par François


Hollande d’intervenir à la télévision sur ce dossier. Comme souvent durant
son quinquennat, le président gère étrangement ses passages télévisés. Il ne
réserve que rarement ses grandes annonces pour ces moments de
communication de masse par excellence, à l’exception notable du « pacte de
responsabilité » lors de ses vœux le 31 décembre 2013. Cela ne l’aide pas à
accentuer l’effet de la parole présidentielle. Il multiplie à l’inverse de petites
interventions à la télévision, sur des sujets qui relèveraient plus d’un Premier
ministre voire d’un ministre, s’exposant directement à des polémiques dont il
aurait intérêt à s’extraire.
Il faut cependant reconnaître que son prédécesseur a lui aussi été confronté
à la même difficulté. Comme Nicolas Sarkozy, François Hollande peine à
s’inscrire dans le temps du quinquennat. Tous les deux sentent bien que
l’exercice mitterrandien ou chiraquien de la fonction n’a plus lieu d’être dans
ce nouveau schéma, que le chef de l’État ne peut plus apparaître
épisodiquement et donner le sentiment de commenter la politique du pays.
Sarkozy a notamment eu la juste intuition que les Français attendaient un
président qui gouverne mais n’a jamais trouvé l’équilibre entre diriger le
pays, être à l’origine de la politique menée, l’assumer et laisser sa place au
Gouvernement pour la mise en œuvre. Il a trop souvent donné l’impression
d’être le seul aux manettes, d’où le succès de la critique sur l’hyper Président.
Et il a été trop souvent présent sur les écrans pour donner à ses prises de
parole médiatiques l’importance qu’elles devraient avoir.
François Hollande, lui, par rejet du modèle sarkozyen, se fait dans un
premier temps plus rare, mais ne réussit pas pour autant à redonner du poids
aux interventions présidentielles. Le doute est tel sur son autorité, dans la
sphère médiatique et dans l’opinion, que ses décisions n’apparaissent jamais
comme mettant un terme au débat. Et plus le quinquennat avance, plus sa
présence ressemble à celle de son prédécesseur, à savoir trop incessante pour
créer de l’attente. Dans les deux cas, au-delà de la présence physique dans les
médias, le goût des deux hommes pour les petites phrases distillées aux
journalistes en permanence nuit à l’incarnation de la fonction telle que le rêve
les Français, en les ramenant sans cesse dans tout ce qu’ils détestent, le jeu
politicien.

Pas de droit de vote pour les étrangers

Mais si l’affaire Leonarda créé autant de remous dans l’opinion et abime un


peu plus encore l’image du chef de l’État, cela ne peut être uniquement en
raison de cette intervention télévisée ratée. Les causes sont plus profondes, et
relèvent des choix du nouveau pouvoir sur la politique d’immigration. Car ce
n’est pas dans l’électorat de droite ou d’extrême-droite que François Hollande
perd des points à cette occasion, mais au sein même de la gauche.
Pour la première fois depuis son élection, en novembre 2013, ceux qui ont
voté pour lui au premier tour de la présidentielle sont majoritairement
insatisfaits de son action (53 %, soit 5 points de plus que le mois précédent).
Car si la fermeté dont fait preuve le ministre de l’Intérieur dans ce dossier
recueille un soutien majoritaire dans l’opinion, sa position est minoritaire
auprès des sympathisants de gauche, qui aimeraient que l’adage présidentiel
penche davantage du côté de son volet « humanité ». Si depuis son arrivée à
l’Élysée le président avait offert plus de gages aux attentes de son électorat
sur la politique migratoire, le cas Leonarda n’aurait probablement pas eu
autant d’impact. Mais il vient conforter que dans ce domaine également, la
politique menée par François Hollande ne rompt guère avec le sarkozysme,
comme tant de ses électeurs l’auraient souhaité.
Le symbole de cette absence de changement est incontestablement le
reniement de l’engagement du candidat à – enfin – accorder le droit de vote
aux élections locales pour les étrangers résidant légalement en France depuis
cinq ans. Lorsqu’il est élu, la mesure est certes impopulaire (59 % des
Français y sont opposés) et s’apparente à un serpent de mer – elle figurait
dans nombre des programmes de la gauche depuis 1981 sans jamais avoir été
adoptée par la suite. Mais elle fait consensus à gauche, puisque 76 % de ses
sympathisants plaident pour cette réforme. Et historiquement, le droit de vote
des étrangers aux élections locales n’a pas toujours été rejeté par les Français :
au cours des années 2000, l’adhésion à cette proposition a plus souvent été
majoritaire que minoritaire.
Or, pour la première fois en 2012, la gauche détient une majorité à
l’Assemblée nationale et au Sénat concomitamment. Le prochain
renouvellement sénatorial n’intervenant qu’en septembre 2014, la nouvelle
majorité dispose de deux ans pour voter le texte. Il nécessite, certes, une
révision de la constitution, donc d’obtenir les trois cinquièmes des deux
assemblées réunies en congrès à Versailles, ce que n’a pas a priori la gauche
(il lui manque une trentaine d’élus). Mais rien n’interdit de penser que dans le
cadre d’une réforme institutionnelle plus globale – incluant par exemple
l’introduction de la proportionnelle aux législatives – il soit possible de
trouver une majorité. Et pourtant, alors que Lionel Jospin avait fait adopter
une loi en ce sens en 2000 par sa majorité, ou que la gauche avait fait de
même au Sénat en 2011, sans pouvoir aller au bout de la démarche dans les
deux cas, car ne contrôlant pas l’autre chambre, jamais un texte en ce sens ne
sera présenté au Parlement après l’alternance de 2012. Dans nos études
qualitatives, beaucoup d’électeurs de gauche affichent leur déception face à
cette situation, qui alimente une fois de plus la sensation que « cette promesse
n’était que tactique » et que « décidément, Hollande ne mène pas une
politique de gauche ». C’est aussi cela que paye le président lors de l’épisode
Leonarda.

Favoriser l’accès à la nationalité française

Deux ans plus tard dans le quinquennat, lorsque survient la crise des réfugiés
suite au chaos syrien, une majorité de l’électorat de gauche (60 %) attend de
nouveau de son Gouvernement qu’il fasse preuve de générosité en acceptant
d’accueillir une part de cette population en détresse. La déception de voir la
France rester impassible face à ce drame est d’autant plus grande lorsqu’ils
constatent que la Chancelière allemande, pourtant conservatrice, fait, elle,
preuve d’une plus grande ouverture. Une fois de plus, celui qu’ils ont porté
au pouvoir ne leur donne guère de gages dans ce domaine.
Durant la campagne 2017, Emmanuel Macron préconisera de favoriser
l’accès à la nationalité française plutôt que donner le droit de vote aux
étrangers. Bien qu’il y soit visiblement favorable, il déclarera ne pas vouloir
« faire de propositions qui ne soient pas tenables ».
5.

ET LA COURBE S’INVERSA

En août 2016, tous les indicateurs vont désormais dans le même sens.
L’embellie sur le front de l’emploi semble cette fois bel et bien là, et la
courbe du chômage enfin inversée. Sur les sept premiers mois de l’année, le
nombre de demandeurs d’emploi n’ayant exercé aucune activité a baissé de
75 000 personnes. Les données de l’INSEE indiquent, en parallèle, que les
créations d’emplois dans le secteur privé continuent de croître pour s’établir à
143 000 postes sur un an (+0,9 %). Toujours selon l’INSEE, le taux de
chômage au deuxième trimestre 2016 est en baisse de 0,3 point. La baisse
concerne toutes les tranches d’âge, même les jeunes et sur un an, le taux de
chômage diminue de 0,5 point. Il aura fallu quatre ans quasiment pour que
cette inversion se produise enfin.
Invité de TF1 le 9 septembre 2012, le président s’était donné comme
objectif d’« inverser la courbe du chômage d’ici un an ». Dans ses vœux aux
Français fin 2012, qu’il voulait optimistes, il a confirmé cette échéance pour
la fin 2013. Très vite, il apparaît que François Hollande aura du mal à tenir
cet engagement. En juin 2013, l’INSEE est catégorique : le chômage
continuera de croître en fin d’année pour atteindre 10,7 % de la population
active, un taux très proche du record historique du pays. L’OCDE confirme le
pessimisme de l’INSEE. Selon l’institution, le chômage en France devrait
même augmenter jusqu’à la fin de l’année 2014 et le taux de chômage
s’établir à 11,2 % à cette date. À chaque fois, le Gouvernement contestera ces
prévisions, maintenant l’objectif présidentiel, mais se heurtera jusqu’en 2016
à la dure réalité des chiffres.
Le premier critère de choix des électeurs

Pourtant, à bien y réfléchir, la promesse présidentielle est tout sauf absurde


d’un point de vue politique. Dans une société touchée par le chômage de
masse depuis plus de trente ans, l’emploi est le plus souvent l’enjeu décisif de
la présidentielle en France, celui sur lequel se fracassent les gouvernements
sortants qui prétendent se faire réélire.
À la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, c’est concernant la lutte
contre le chômage que le bilan est jugé le plus négatif (85 % de mécontents).
Guère surprenant dès lors qu’en 2012, cette thématique constitue le premier
critère de choix des électeurs au second tour pour départager les deux
finalistes (50 %), notamment parmi ceux ayant voté Hollande (58 %).
D’autant que le sortant avait déclaré en 2007 que sa présidence serait un
échec si le taux de chômage ne revenait pas à 5 % en 2012. En mai 2012, il
est de 9,8 %.
Le sous-emploi est vécu comme un drame existentiel par de nombreux
Français, qu’ils soient personnellement touchés par le chômage,
indirectement à travers leurs proches, ou qu’ils projettent cette angoisse
concernant leurs enfants ou leurs petits-enfants. Les citoyens craignent bien
sûr les conséquences financières du chômage, la difficulté qui s’ensuit à
boucler les fins de mois.

Une relation à l’entreprise bouleversée

Mais pour une large majorité de nos concitoyens, l’argent n’est ni la seule ni
la principale motivation du travail. L’intérêt pour l’activité exercée,
l’ambiance ou les relations humaines sont tout aussi déterminants. Plus des
deux tiers des actifs ont le sentiment que leur travail sert à quelque chose et
qu’ils disposent d’une réelle autonomie dans le cadre de leur activité
professionnelle. L’élévation générale du niveau d’éducation et les formations
qualifiantes ont permis, durant la seconde moitié du XXe siècle, à un plus
grand nombre de salariés de prétendre à un métier choisi.
Les bénéfices psychologiques qu’apporte le travail comptent tout autant
que les avantages matériels qu’il procure. L’entreprise est souvent vécue
comme un groupe d’appartenance, une communauté humaine, une
microsociété, bref, le premier réseau social des individus. Le métier et le
poste d’un individu contribuent toujours très largement à définir son identité
et à sa position sociale. Et par effet de miroir, il se sait perçu comme tel et se
construit en fonction de ce positionnement, choisi ou subi.
Dans le même temps, la frontière entre vie professionnelle et vie privée, si
elle est loin de disparaître, apparaît de plus en plus floue et à géométrie
variable. Un phénomène renforcé par l’émergence du numérique et du digital
mais pas seulement. L’affaiblissement du modèle de l’entreprise unique,
voire du métier unique, tout au long de la carrière, conforte l’interpénétration
entre les deux mondes pour une partie des actifs. La vie professionnelle pèse
sur les décisions ou contraintes personnelles, puisqu’il faut s’adapter aux
ruptures de carrière. Mais l’inverse existe aussi parfois : des aspirations
individuelles ou familiales déterminent des choix de carrière ou des
bifurcations professionnelles.
La relation à l’entreprise en est profondément bouleversée et devient pour
le moins ambiguë. D’une part, elle évolue vers plus d’indifférence et
l’attachement réciproque du salarié et de l’entreprise tend à s’affadir. Mais,
dans le même temps, la recherche de solidarité au sein même de l’entreprise
demeure très forte. Cette solidarité n’est que partiellement affective et est tout
sauf angélique. Elle est également intéressée, pragmatique et réaliste. Les
entreprises sont les premières à prendre conscience de ces évolutions et des
risques qu’ils engendrent. Toutes nos enquêtes indiquent qu’elles sont clés
dans la motivation et l’engagement des salariés.
Ce n’est pas un hasard si après plusieurs années de débats sur la notion de
souffrance et de stress, on voit émerger désormais la question du bien-être au
travail. En mars 2008, suite au Rapport sur la détermination, la mesure et le
suivi des risques psychosociaux, Xavier Bertrand, alors ministre du Travail,
avait demandé à l’INSEE d’établir une enquête nationale annuelle pour
mesurer le stress au travail et identifier les secteurs touchés. Il est frappant de
voir à quelle vitesse le phénomène de burn out s’est vulgarisé au point d’être
désormais une réalité identifiée par tous les salariés, y compris la grande
majorité de ceux qui n’y ont pas été sujets.
Ainsi, même dans un contexte de chômage de masse, le travail est reconnu
lui aussi comme une source de souffrance potentielle bien réelle. Enfin, on
constate une réflexion face aux aspirations des « millenials », cette génération
née avec le digital, et la suivante, dont le rapport à l’entreprise est
profondément bouleversé.
Des Français non résignés face au chômage

Ce n’est donc pas uniquement l’angoisse qu’inspire le chômage qui fait de


cet enjeu un élément déterminant des choix électoraux. L’importance occupée
par le travail dans la société y concourt également. Dans ce contexte, la
promesse de François Hollande d’inverser la courbe du chômage rapidement
après son entrée à l’Élysée fait sens. Elle n’est d’ailleurs que la reprise d’un
engagement évoqué une première fois par le candidat Hollande, pendant
l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, en mai 2012. Il précise
parallèlement qu’il acceptera d’être jugé sur cette promesse, un peu comme
son prédécesseur.
Puisque les majorités sont souvent déchues pour avoir failli sur l’emploi,
puisque les Français l’ont élu pour combattre le chômage et compte tenu de la
faible croyance en la parole politique, il fallait incontestablement pour
François Hollande prendre un engagement fort sur ce sujet. La critique
médiatique – voire politique – qui lui a été adressée suite à cette phrase est
donc du point de vue de l’opinion publique infondée. Que n’aurait-on dit s’il
n’avait pas fixé d’objectif et de calendrier dans ce domaine ? Le choix du
président est d’autant plus justifié que contrairement à une idée reçue, les
Français ne sont pas résignés concernant la lutte contre le chômage. Cela
explique certainement pourquoi il fut autant reproché à François Mitterrand
de déclarer, en 1993, que « dans la lutte contre le chômage, on a tout
essayé ». Ainsi, au début du quinquennat, 66 % des Français pensent que
l’État peut empêcher ou limiter les plans sociaux et plus de 80 % des électeurs
de gauche partagent cette idée. Si les électeurs jugent que l’État ne peut pas
tout, ils estiment aussi qu’il a le devoir d’essayer dans ce domaine d’inverser
la tendance.

Une promesse tenue deux ans trop tard

Si cet engagement va se transformer en cauchemar pour le président tout au


long du quinquennat, il ne faut donc pas inverser la cause et la conséquence.
C’est la difficulté à tenir la promesse qui va se retourner contre lui, pas le
propos initial. Réussir à enclencher la baisse du chômage dès 2013 aurait été
d’autant plus bénéfique pour François Hollande que dès l’origine, les
Français font part d’un grand scepticisme face à cet horizon. Lorsque le
président s’y engage, en septembre 2012, seuls 21 % des électeurs estiment
qu’il y parviendra. Un an après, ils ne sont plus que 13 % à considérer qu’il
réussira cette inversion avant l’échéance, trois mois plus tard. Face à cette
défiance, concrétiser une promesse à laquelle personne ne croyait aurait
certainement eu des effets démultipliés sur la perception de son action.
Malheureusement, en décembre 2013, le nombre de personnes inscrites en
catégorie A à Pole emploi a augmenté de 400 000 depuis son élection, et le
taux de chômage est désormais de 10,1 % (plus 0,3 point). Cet échec n’est
cependant pas la seule raison pour laquelle la non-inversion va tant coûter à
François Hollande dans l’opinion.
De manière surprenante, il va souffler le chaud et le froid tout au long de
l’année 2013 sur ce sujet. Ainsi, en février 2013, au Salon de l’agriculture, il
concède que la mission de l’inversion est difficile, mais faisable. Plus
étonnant encore, il continue d’afficher sa certitude d’y parvenir, même
lorsque tout indique que l’atteinte de l’objectif s’éloigne de plus en plus. En
octobre 2013, alors que toutes les données économiques rendent improbable
ce scénario, François Hollande, tout en reconnaissant que « nous n’y sommes
pas encore », précise que selon lui, « les derniers chiffres, si on les regarde
avec objectivité, montrent que nous sommes sur le chemin ». Et le 26
décembre 2013, au soir de la publication de mauvais chiffres du chômage
pour le mois de novembre (+17 800 demandeurs d’emploi de catégorie A), il
indique dans un communiqué que l’inversion de la courbe du chômage est
selon lui « bien engagée ». Il contribue ainsi lui-même à placer au centre du
débat l’un de ses échecs, ce qui n’est pas la meilleure façon de promouvoir
son action. Il ne pouvait évidemment pas effacer cette promesse, mais il
aurait pu assez rapidement en redéfinir le calendrier, afin de renforcer ses
chances de bénéficier par la suite d’un renversement de tendance sur le
chômage.
Insister sans cesse sur cette date, presque comme un « gimmick », va au
contraire rendre impossible de capitaliser sur la baisse qui va s’enclencher
durant l’année 2016. D’abord parce que le scepticisme dans ce domaine s’est
définitivement installé dans l’opinion. En décembre 2015, alors que cette fois
les conjoncturistes prévoient tous une amélioration sur le chômage dans
l’année à venir, 48 % des Français estiment qu’il va encore augmenter et 36 %
qu’il stagnera. Et en avril, alors que pour la troisième fois en quatre mois le
nombre de demandeurs d’emploi est en baisse, 78 % considèrent que
l’inversion de la courbe n’est toujours pas survenue. Ensuite, parce que
lorsqu’elle commence enfin à être actée, il est désormais aisé de rétorquer au
président qu’une promesse atteinte deux après son échéance n’est pas un
succès. Et ce ne sont pas les propos de François Hollande, rapportés dans un
ouvrage paru à l’été 2016, selon lesquels il considère qu’il « n’aurait pas eu
de bol » sur l’atteinte de cet objectif, qui contribuent à changer la donne.

La défiance envers les chiffres du chômage

Au-delà de ces considérations, un dernier élément est à prendre en compte


pour comprendre l’absence d’effet positif de cette amélioration sur le pouvoir
en place. Les politiques tendent à surinterpréter la relation qu’entretient
l’opinion avec les statistiques et les indicateurs économiques. Les modèles de
prévision politico-économiques, qui utilisent cette variable depuis longtemps,
soulignent qu’une baisse du chômage doit être importante, donc longue pour
produire des effets sur les comportements des électeurs. Ils démontrent
également qu’elle ne peut bénéficier réellement aux gouvernants que lorsque
ceux-ci ont conservé un minimum de soutien dans l’opinion. Enfin, pour être
efficace, encore faut-il que la confiance dans les indicateurs soit puissante.
Dans la France de 2016, aucune de ces conditions n’est remplie. La baisse
n’intervient que très tardivement, laissant – trop ? – peu de temps aux Français
pour en ressentir les effets, notamment dans leur entourage ou leur
environnement proche. Le président et le Premier ministre sont au plus bas en
popularité quand l’inversion se produit enfin. Et la défiance institutionnelle
du pays est telle qu’elle touche également les statistiques publiques : aucun
des principaux indices économiques du pays ne recueille la confiance des
Français.
Les chiffres du chômage sont mêmes ceux qui suscitent le plus de
méfiance, 70 % de nos concitoyens ne les croyant pas. Dans le cas présent, le
phénomène est encore renforcé par l’ancienneté de la promesse. Ou par la
condition à sa candidature que la baisse incarne désormais. En effet, le 14
avril 2014, le président déclare lors d’une rencontre avec des ouvriers de
Michelin que si le chômage ne recule pas d’ici à 2017, il n’a aucune raison
d’être candidat à un deuxième mandat, avant de le confirmer sur TF1, devant
les Français, au mois de novembre. Dans nos études qualitatives,
l’interprétation du propos est claire : si le président en a désormais fait une
condition de sa candidature, il y parviendra, quels que soient les moyens
nécessaires pour y arriver. Car les électeurs ne doutent pas de la volonté de
François Hollande de se représenter. Dès lors, tout sera interprété à cette
aune. Que ce soit les moyens supplémentaires accordés pour mieux former
les chômeurs ou les contrats de professionnalisation, tout est perçu comme
visant à inverser plus la courbe que le chômage.
Pour toutes ces raisons, bien que la décrue soit désormais amorcée, il était
hautement improbable que cela profite au président sortant. Elle a
incontestablement plombé la campagne du candidat socialiste qui l’a
remplacé, bien qu’il ait adopté une position critique vis-à-vis de la politique
menée par son propre camp. C’est désormais à Emmanuel Macron d’affronter
ce traumatisme de la société française. Pour tenter de ne pas revivre le
cauchemar de son prédécesseur, l’une des premières décisions de sa ministre
du Travail sera de ne plus commenter mois par mois les chiffres du chômage.
Cela ne suffira probablement pas.
6.

LA STATURE INTROUVABLE

Le 14 juillet 2016, pour la troisième fois en dix-huit mois, la France subit un


choc effroyable. Quatre-vingt-quatre personnes venues assister au feu
d’artifice célébrant la fête nationale décèdent à l’issue de la course folle d’un
trente-trois tonnes sur la Promenade des Anglais, à Nice. L’émotion qui
s’empare du pays s’apparente à celle consécutive à l’attaque contre Charlie
Hebdo ou ayant suivi la nuit du 13 novembre 2015, à Paris. Avec au moins
une différence : cette fois, elle n’aura aucun impact sur la popularité du
président. Revenue à 16 % en moyenne avant l’attentat de Nice, elle ne
dépassera pas 17,6 % dans les deux mois qui suivent. Autant dire un
encéphalogramme plat. Il faut dire que quelques heures avant le drame, lors
de la traditionnelle interview du 14 juillet, le président se voulait rassurant et
avait annoncé la levée imminente de l’état d’urgence.
Pourtant, comme pour la plupart de ses prédécesseurs, l’action
internationale de François Hollande aurait pu constituer une véritable planche
de salut dans l’opinion. En général, mêmes impopulaires, les présidents
réussissent sous la Ve République à capitaliser sur la fonction et son prestige
pour bénéficier d’une stature internationale dans l’électorat. Ce fut le cas pour
François Mitterrand avec son discours au Bundestag sur les euromissiles en
janvier 1983, ou pour Jacques Chirac lors de sa célèbre altercation avec les
services de sécurité israéliens en octobre 1996 ou pour son opposition à la
guerre en Irak en 2003. Nicolas Sarkozy en tira également profit à plusieurs
reprises durant son quinquennat, que ce soit lors de la crise géorgienne à l’été
2008 ou pour son activisme dans le cadre du G20 après la crise survenue la
même année. Ce dernier fut, d’ailleurs, parmi quinze domaines testés, celui
dans lequel le précédent président obtint son score de satisfaction le plus
élevé dans une enquête de bilan de sa présidence réalisée en décembre 2011
(52 %).

Des enjeux internationaux incompris

Mais il était dit que ce quinquennat ne répondrait pas aux mêmes règles.
François Hollande, en dépit d’une présence forte sur la scène internationale,
n’a jamais réussi à acquérir une position aussi forte dans l’opinion sur les
affaires internationales. Quatre ans après son élection, seuls 35 % des
Français approuvent la manière dont il défend les intérêts de la France à
l’étranger. Ce ne sont cependant pas les événements qui ont manqué.
Dès janvier 2013, soit huit mois après son élection, le président lance
l’opération « Serval » au Mali pour enrayer l’avancée des islamistes qui
menacent de prendre le pouvoir à Bamako. L’efficacité de l’intervention
militaire française et l’attitude du président sont unanimement reconnues par
l’ensemble des acteurs politiques. Sa présence sur place quelques jours plus
tard, où il est acclamé, offre des images telles que les Français aiment les voir
traditionnellement. Et les deux-tiers de la population approuvent
l’intervention de l’armée française dans ce pays, qui est plébiscitée même par
les sympathisants de gauche, souvent plus réfractaires dans ce type de
circonstances. Pourtant, elle ne lui offre aucun répit en termes de popularité.
Il en sera de même en décembre 2013, lors de l’intervention en Centrafrique,
bien qu’elle aussi reçoive un soutien très majoritaire dans l’opinion.
Les enjeux internationaux sont généralement peu prégnants dans la
formation des choix politiques, et n’intéressent que faiblement les citoyens,
que ce soit en France ou dans la plupart des démocraties occidentales. Cela
explique que la popularité soit rarement indexée aux événements qui
surviennent au-delà de nos frontières. En l’occurrence, la situation politique
de ces deux pays et le danger qu’ils encourent, totalement méconnus du grand
public, ne facilitaient pas une traduction politique de ces interventions dans
l’opinion. Les Français ont découvert l’existence de ces conflits lorsque la
France y a déployé ses troupes. L’absence de perception d’un danger
préalable a limité les effets de la réponse présidentielle sur la visibilité de son
action.
Même sur la capacité à prendre des décisions difficiles ou à faire preuve
d’autorité, l’image présidentielle, déjà très faible, continue de se dégrader
après ces deux interventions africaines.
La situation est en revanche tout autre en août 2013 lorsque le président
souhaite punir le régime syrien pour son usage présumé d’armes chimiques
dans le conflit qui ravage ce pays. Contrairement à l’Afrique, le Moyen-
Orient est une zone perçue par les citoyens comme décisive pour la stabilité
mondiale. Anxiogène depuis longtemps, en raison du conflit israélo-
palestinien, elle agite un peu plus encore depuis vingt ans les opinions
publiques en raison des deux guerres d’Irak. Si les Occidentaux, sous
l’impulsion de la France, avaient frappé les forces d’Al-Assad, nul doute que
le débat parmi les Français eut été d’une tout autre ampleur.
L’image de François Hollande aurait pu en être profondément modifiée,
notamment dans sa composante la plus faible : le manque d’autorité. D’autant
qu’une telle action se serait inscrite dans la tradition gaulliste voulant que la
France porte une voie originale dans le monde arabe. En contrepartie, elle
aurait aussi été beaucoup plus risquée pour le président. Autant les opérations
au Mali et en Centrafrique étaient soutenues par les Français, autant une
intervention en Syrie suscitait des réticences : 55 % s’y opposent lorsque le
débat surgit à l’été 2013. Le souvenir récent de l’enlisement des Américains
en Irak et des difficultés de la présence de la France en Afghanistan
expliquent ces inquiétudes.
Le risque était renforcé pour un président qui avait fait du retrait de nos
troupes dans ce pays une promesse de campagne très largement appréciée
dans son camp. La question ne se posera cependant jamais puisque suite au
vote négatif de la chambre des communes, David Cameron, le Premier
ministre britannique, renoncera à de telles sanctions militaires, entraînant
dans son sillage le désistement de Barack Obama. Il n’y aura dès lors pas de
traces du volontarisme présidentiel dans l’opinion, si ce n’est de réactiver
dans les enquêtes qualitatives le regret national que « décidément aujourd’hui,
sans les Américains, nous ne pouvons plus mener d’action militaire ». Une
sensation qui souligne à quel point les interventions africaines ont eu peu de
poids dans le grand public.
Reconquérir la considération des Français

Toutefois, si la politique étrangère de la France au cours des deux premières


années du quinquennat n’a modifié en rien l’image de François Hollande, ce
ne sera pas le cas pour son ministre de la défense.
Peu connu du grand public à sa nomination (50 % ne peuvent pas se
prononcer dans nos enquêtes sur son action par trop faible connaissance de la
personne), Jean-Yves Le Drian va s’affirmer au fil des mois comme l’un des
ministres les plus populaires du Gouvernement. Début 2014, après
l’intervention en Centrafrique, la satisfaction à l’égard de son action atteint
57 %. Les Français plébiscitent ce ministre capable aussi bien de défendre et
d’expliquer les choix de la France dans ses opérations extérieures que de
vendre des Rafales, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait réussi jusque-là.
Sa popularité ascendante et durable est une rareté dans ce quinquennat.
Aujourd’hui encore, il est le plus souvent à la première place dans notre
palmarès mensuel des ministres. Est-ce, entre autres, pour cela que François
Hollande envisage de le nommer à Matignon après l’échec électoral des
municipales en mars 2014 ? Ce qui est certain, c’est qu’en décembre 2015,
son résultat lors des élections régionales surperforme celui du parti socialiste
et de la gauche, preuve qu’il s’est constitué un capital politique personnel
depuis 2012.
D’une certaine manière, on assiste au même phénomène après l’attentat
contre Charlie Hebdo même si, dans un premier temps, François Hollande
semble enfin en mesure de reconstituer son image. Alors qu’il n’avait jamais
connu de rebond depuis son élection, contrairement à tous ses prédécesseurs,
pour la première fois le président a bénéficié d’une hausse significative de la
satisfaction ou de la confiance à son égard.
Fin décembre, sa moyenne de popularité s’établissait à 18,9 %. Un mois
plus tard, elle est de 31 % (+12,1), un gain considérable dans ce type de
mesure. Mais au-delà de cette progression, le caractère exponentiel de la
remontée de sa popularité est également remarquable : 5 points lors des
enquêtes survenant juste au début des événements, 10 points juste après la
manifestation du 11 janvier et 20 points une semaine après. Cela signifie très
clairement que cette hausse dépasse la simple émotion engendrée par le
drame survenu, mais réside bien dans la perception que les Français ont alors
de sa gestion par François Hollande. L’ensemble des enquêtes réalisées
confirment d’ailleurs que le président a convaincu les Français pendant
l’ensemble de la séquence dramatique qu’a affronté le pays.
Par sa présence et sa détermination face au drame, François Hollande a su
reconquérir, du moins provisoirement, la considération d’une partie des
Français. Sa nette progression sur les traits d’image relevant le plus de la
fonction présidentielle (est capable de rassembler les Français, +18 ; sait
prendre des décisions difficiles, +17) souligne que c’est potentiellement
l’image profonde du président qui s’est modifiée. Pour la première fois
également, il saisit cette occasion pour parler directement aux Français, au
cours de plusieurs interventions télévisées, et leur réserve les principales
annonces qu’il a à faire dans ces circonstances tragiques et sans précédent.
Tout était en place logiquement pour que, quelle que soit la durabilité de cette
amélioration de la popularité du président, François Hollande ressorte
renforcé de l’épreuve qui frappe la France, et pour lever enfin le débat sur sa
capacité à assumer la fonction.
Analysée dans le détail, cette embellie de popularité concerne avant tout la
gauche, notamment les sympathisants du PS ou son électorat du premier tour
en 2012. Le Président progresse également nettement dans l’électorat
écologiste, tandis qu’auprès de celui de la gauche radicale, cela semble plus
incertain. Cette remobilisation du socle électoral du parti socialiste est une
bonne nouvelle pour lui dans la perspective d’une année 2015 qui s’annonce
chargée sur le plan électoral, avec deux scrutins à venir. Au moment
d’affronter le premier d’entre eux, les départementales en mars, il a conservé
un surcroît de popularité de 6 points par rapport à l’avant 11 janvier.

Mais le mécontentement demeure intact

Pourtant, rien ne va vraiment s’améliorer pour François Hollande durant


l’année 2015, en dépit de ce rebond spectaculaire. Sur la durée, il conserve
moins de la moitié du terrain gagné et ses traits d’image présidentiels baissent
à nouveau dès le printemps, même s’ils ne seront plus jamais à des niveaux
aussi faibles qu’avant les attentats.
Deux raisons majeures expliquent ce faible bénéfice. Tout d’abord, le
calendrier politique lui est défavorable. Les départementales sont à la fois
trop lointaines et trop proches des événements de janvier pour changer la
donne. Trop lointaines pour être fondamentalement impactées par un effet
Charlie foudroyant. Dès lors, ce qu’il reste du rebond du président est anéanti
par la dispersion des candidatures à gauche, dans un scrutin aux effets de
seuil dévastateurs.
Pour se maintenir au second tour, il fallait obtenir 12,5 % des inscrits pour
les candidats arrivés au-delà de la deuxième place. Avec une participation de
50 % en moyenne au premier tour, cela va éliminer la gauche, qui n’a pas su
s’unir, dans de nombreux cantons dès le 22 mars, et lui faire perdre plus de
trente départements. La poussée du Front National est certes forte, mais la
dimension de proximité induite par le vote dans le cadre d’un canton a permis
à la droite parlementaire de devancer l’extrême droite. Et elle va bénéficier à
plein au soir du second tour du scrutin majoritaire, pour n’être finalement que
peu handicapée par cette montée du FN, au contraire de la gauche. Le scrutin
est donc également trop proche pour permettre à la dynamique d’image de
François Hollande de s’installer dans la durée.
Cette lourde défaite, perçue comme un nouveau vote sanction contre la
majorité, renvoie en effet mécaniquement le président à son quotidien, celui
du désamour avec les Français et son électorat. Sans compter qu’elles rendent
difficile la prolongation d’une union nationale qui s’est si fortement exprimée
lors de la manifestation du 11 janvier – même si les prémices de sa fragilité
apparaissent de suite dans le débat sur la présence ou non du Front National
ce jour-là. Cela étant dit, à aucun moment François Hollande n’a pris
d’initiative forte pour maintenir cette unité, ni sur le terrain politique ni sur le
terrain sociétal.
Au-delà de ce handicap calendaire, il reste que le fondement du
mécontentement à l’égard de l’exécutif, qui réside dans le sentiment que sa
politique économique et sociale est un échec, ne s’est pas évaporé avec les
attentats. Pour bénéficier durablement de ce rebond de popularité, le président
et le Premier ministre devaient donc rapidement obtenir des résultats sur ce
front, notamment sur le chômage. D’autant plus pour François Hollande que
son image personnelle est profondément touchée suite aux insatisfactions
nombreuses du début du quinquennat. Ce ne fut pas le cas. L’histoire s’est
donc répétée : en 1991, après avoir connu une envolée de sa popularité d’une
dizaine de points lors du déclenchement de la première guerre du Golfe,
François Mitterrand retrouvait dès l’été suivant le niveau qui était le sien
avant le conflit.
Une fracture décisive de son propre camp

Pour les mêmes raisons, les attentats de Paris le 13 novembre n’infléchissent


pas plus le cours du mandat et ne lui permettent pas de se relancer, en dépit là
encore d’une dizaine de points de gagnés dans les enquêtes de popularité. En
revanche, cette fois, François Hollande prend une initiative forte à l’issue du
drame. Devant le Congrès, le 16 novembre, il annonce vouloir réformer la
Constitution pour l’adapter à cette nouvelle donne en y inscrivant notamment
les conditions de l’état d’urgence. Il profite de l’occasion pour proposer d’y
inscrire une mesure de déchéance de nationalité, comme le réclame la droite.
Il s’agirait, en l’occurrence, d’élargir ce dispositif déjà existant aux
binationaux. Le pari du président est, à défaut de constituer un gouvernement
d’union nationale, de prouver que sa réponse à la terreur dépasse son propre
camp et intègre des demandes de l’opposition. Mais ce choix va tourner au
cauchemar pour François Hollande. Il suscite dans son propre camp une forte
incompréhension, nombre d’élus de sa majorité refusant une telle mesure.
D’autant que la gauche avait eu des mots très durs lorsque Nicolas Sarkozy
envisageait de « réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la
nationalité française » lors du fameux discours de Grenoble de 2010. Certes,
pour une fois, le président a pour lui le soutien massif de l’opinion, qui
adhère à la mesure à 85 %. 80 % des sympathisants socialistes y sont eux-
mêmes favorables. Cela contient largement la fronde de sa majorité, qui
hésite à affronter le Gouvernement sur une proposition aussi populaire, dans
un contexte de surcroît dramatique qui appelle à l’unité.
Mais l’épisode va lui coûter cher symboliquement et rétrospectivement.
Symboliquement car il voit une nouvelle fois sa majorité se rétrécir. Après le
départ des Verts en 2014 lorsque Manuel Valls débarque à Matignon, c’est
désormais Christiane Taubira qui démissionne le 27 janvier 2016. Si elle
reste très mesurée dans ses propos, son départ, pour beaucoup d’électeurs de
gauche, est un très mauvais signal. 59 % des sympathisants socialistes le
regrettent notamment parce que 71 % jugent son bilan au ministère de la
Justice positif. Elle incarne désormais, pour beaucoup d’électeurs de gauche,
le combat pour la réforme la plus progressiste du quinquennat, la légalisation
du mariage homosexuel. Ce départ éloigne encore un peu plus François
Hollande de sa base électorale.
Le mois suivant, il perd 20 points de satisfaction parmi ses électeurs de
premier tour en 2012, avant d’en perdre 13 de plus en mars. Ils ne sont
désormais plus que 31 % à être satisfaits de l’action du président, soit le plus
bas niveau enregistré durant tout le quinquennat dans cet électorat. Car,
rétrospectivement, s’ajoute à ce trouble celui que va susciter le lancement de
la loi travail. Il explique en partie le décrochage de mars. Surtout, cette fois,
les opposants à gauche ne craignent pas d’exprimer publiquement leur
farouche opposition, l’opinion n’étant pas du côté du pouvoir. Il y a fort à
parier que la virulence de leur combat contre la loi travail fut inversement
proportionnelle à la nécessité de faire profil bas lors du débat sur la
déchéance de nationalité.
François Hollande a de plus négligé un autre obstacle en faisant le choix
de la révision constitutionnelle. À droite, la primaire est déjà quasiment
lancée. Nicolas Sarkozy s’engage fermement en faveur du texte proposé par
le président, mais ses futurs adversaires ne sont pas disposés à lui offrir un
succès à moins d’un an du futur scrutin qui les départagera. Aux défections
de la gauche, s’ajouteront très vite celles d’une partie de la droite, notamment
au Sénat, rendant impossible l’adoption du texte. Le 30 mars, après quatre
mois de débats qui lui auront de nouveau beaucoup coûté dans l’opinion, il
devra annoncer lui-même l’abandon du projet constitutionnel. Mais il est trop
tard, la rupture morale avec une partie de son électorat est consommée. Elle
rendra inopérante sa tentative – qui aurait été cohérente sans cela, pour
mobiliser la gauche et réactiver l’antisarkozysme – de se positionner comme
un rempart face aux dérives potentielles que pourraient représenter les
propositions de la droite sur ces enjeux.
Les circonstances exceptionnelles que traverse la France depuis 2015 ne se
sont pas évaporées suite à l’élection présidentielle. En annonçant la fin de
l’état d’urgence pour cet automne mais la pérennisation dans la loi de
certaines de ses dispositions, Emmanuel Macron va tenter de trouver un
consensus dans la société qui aura fini par échapper à son prédécesseur.
7.

PRIVÉ DE VIE PRIVÉE

En cette première semaine de septembre 2016, trois couvertures suffisent à


nous rappeler à quel point nous avons changé d’époque. En une de VSD,
Emmanuel Macron, jeune ministre démissionnaire, pose avec sa femme
Brigitte, qui lui indique l’horizon, sous le titre « Ils disent oui à l’Élysée ».
Nicolas Sarkozy, lui, voit son ex-femme Cecilia en couverture de Gala qui,
paraît-il, signe un retour inattendu. Last but not least, Julie Gayet occupe la
pleine première page de Paris Match, dans une posture pour le moins intime
– pieds nus à la tombée de son lit – prête, nous dit-on, à « jouer son rôle, libre
et engagée derrière le président », probablement dans la bataille électorale
qui s’annonce. Le microcosme parisien ne bruisse que d’une chose ce jour-là :
mais quelle est donc cette bague à son annulaire gauche que la compagne de
François Hollande semble ostensiblement vouloir faire remarquer ? Dans
l’échelle de l’inattendu lors du quinquennat Hollande, la poursuite de
l’affaissement de la frontière entre vie privée et vie politique ne sera pas le
moindre.
Si elle n’est pas la cause principale de la défaite de Nicolas Sarkozy en
2012, tout en indiquant que la principale rupture de confiance avec le sortant
résidait dans le sentiment qu’il n’avait pas tenu ses engagements, la question
du style d’exercice de la fonction joua son rôle. Des symboles comme le
Fouquet’s ou les vacances sur le yacht de Vincent Bolloré purent assez
facilement être agités durant la campagne, tant ils pouvaient rappeler, jusque
dans l’électorat acquis de Sarkozy, un style de présidence qui demeura, même
avec le temps, incompris et source de malaise. Mais plus que ces événements
médiatiques, ce furent deux épisodes qui contribuèrent à affaiblir la situation
de l’ancien président lors du scrutin de 2012, et les deux touchent à
l’impression qu’il donna de mélanger affaires privées et publiques. Le
premier fut la séquence de la rencontre puis de la confirmation de sa relation
avec Carla Bruni. « Avec Carla, c’est du sérieux », voilà une phrase qui lui
coûtera cher – à commencer par 8 points de popularité – tant elle heurtait la
tradition française de laisser de côté la vie privée des présidents. Mais que
dire surtout de l’épisode de l’EPAD, au cours duquel la simple possibilité que
son fils Jean, alors encore étudiant, puisse prendre la tête de cet organisme,
mit à terre tout le discours qu’avait réussi à imposer le candidat sur la
reconnaissance du mérite en 2007. On dit souvent que les Français ne
s’intéressent pas à la vie privée des politiques, mais c’est faux. Ils la
regardent et s’en délectent, comme ils le font pour celle des « stars » en
général. Si Paris Match demeure aujourd’hui encore l’hebdomadaire
d’actualité le plus vendu, ce n’est pas un hasard. Ce qui est vrai en revanche,
c’est qu’une affaire privée ne constitue pas pour un politique un obstacle à sa
carrière, tout du moins jusqu’à aujourd’hui. Ce qui a exaspéré sous Nicolas
Sarkozy, c’est à la fois le sentiment que le président privilégiait par moments
celle-ci à sa fonction, ou qu’il favorisait ses proches de manière inique. Bref,
qu’elle finissait par empiéter sur les affaires publiques. Tout cela, en plus,
dans un contexte qui veut que la presse française hésite de moins en moins à
aborder ce sujet, en raison de polémiques passées sur l’omerta dont elle aurait
fait preuve, notamment sous François Mitterrand. L’affaire du Sofitel
concernant Dominique Strauss-Kahn n’a évidemment fait qu’envenimer la
situation, tant les journalistes politiques ont été accusés de ne pas avoir « dit
ce que tous savaient ».

Un président sans autorité naturelle

Lorsque François Hollande s’installe à l’Élysée, les Français sont intimement


convaincus, à défaut de l’être par sa stature et son programme, que le
mélange entre vie privée et fonction présidentielle ne se mêlera plus dans les
cinq ans qui viennent. Car l’image du nouveau président est empreinte de
bienveillance à l’égard de l’homme, considéré comme « quelqu’un de bien,
qui nous évitera les excès de Sarkozy et de sa vie ». Ils vont dès lors vite être
surpris car décidément rien ne devait se passer comme prévu. Et ce, dès le 12
juin à 11 h 56, quand Valérie Trierweiler, la compagne du nouveau chef de
l’État, règle son compte, par tweet interposé, à Ségolène Royal.
Elle y proclame publiquement son soutien à Olivier Falorni, l’adversaire
au second tour des législatives de l’ancienne candidate socialiste à la
présidentielle, qui a fait dissidence contre le parachutage de Royal dans cette
circonscription qui lui était destinée. Visiblement, Valérie Trierweiler n’a pas
supporté que François Hollande apporte personnellement son soutien à son
ancienne compagne, par écrit, dans la profession de foi qu’elle a envoyé aux
électeurs dans l’entre-deux tours. Lorsque le message apparaît sur le réseau
social, l’étonnement est tel que l’AFP préférera même obtenir confirmation
de la part de l’intéressée de la véracité du message.
Tout peut paraître anecdotique dans cette prise de position. En premier
lieu, le média qui le porte, qui n’est utilisé que par une minorité de Français.
Son impact potentiel sur le résultat du duel ensuite. Les dés sont en fait déjà
jetés depuis que l’UMP n’a pas obtenu un score suffisant pour maintenir sa
candidate au second tour, ce qui garantit au dissident un réservoir de voix
dans cet électorat tant il n’apprécie pas Ségolène Royal. L’information qu’il
véhicule enfin, à savoir la détestation que porte Trierweiler à Royal, qui est
de notoriété publique et dont chaque citoyen est capable d’en comprendre les
ressorts. Mais ce qui n’est pas anecdotique, c’est que la « déclaration » de
Valérie Trierweiler survienne justement après que le président se fut engagé
aussi personnellement en faveur de la candidate socialiste.
C’est en cela que l’effet du tweet est dévastateur pour François Hollande.
Lui qui ne bénéficie pas d’une image naturelle d’autorité dans l’opinion est
dès lors touché en plein cœur par la saillie de sa compagne, d’autant qu’il se
refuse à réagir à ce propos, estimant qu’il relève selon lui d’une affaire
privée. S’il a, dans le fond, philosophiquement raison, il a également
politiquement tort. Tout le monde comprend bien que ce tweet est un désaveu
du soutien apporté par le président à Ségolène Royal. De plus, si la vie privée
n’est pas un acte politique dans l’opinion, il n’en demeure pas moins que son
observation contribue à façonner l’image que les électeurs ont de leurs
gouvernants. Son choix d’ignorer ce moment est une erreur d’appréciation
majeure. L’affaire du tweet pèsera en effet considérablement sur le
quinquennat, en le privant d’entrée de la possibilité, par sa posture ou son
action, de corriger cette faiblesse d’image et d’installer celle d’un véritable
commander in chief, dimension indispensable dans un pays qui a une vision
aussi monarchique de la fonction présidentielle. En octobre 2012, sans
surprise, après six mois de mandat, moins d’un Français sur trois considère
que le président sait faire preuve d’autorité, quand plus de la moitié
reconnaissait cette qualité à Nicolas Sarkozy à pareille époque.
L’histoire aurait pu s’arrêter là et Valérie Trierweiler trouver ensuite sa
place dans ce rôle de « première dame » qui n’existe pas dans nos institutions
mais s’est imposée avec le temps. Former un couple non marié n’était en
aucun cas un handicap, en l’occurrence, puisque depuis le milieu des années
2000, c’est un statut qui ne cesse de gagner du terrain. Elle semble même
dans un premier temps réussir à s’adapter à cette nouvelle situation. Certes,
elle continue de poursuivre un métier, le journalisme, qui n’est pas neutre
compte tenu des nouvelles fonctions de son compagnon, mais cela ne suscite
pas longtemps la polémique. Elle regrette publiquement ce message
« maladroit » qu’elle dit avoir écrit comme « une simple citoyenne ». Et elle
s’investit dans l’humanitaire, trouvant comme nombre de ses devancières un
combat à mener pendant le mandat de son compagnon. Mais, pour François
Hollande, malheureusement, le pire est à venir.

Loin de l’imaginaire imposé par de Gaulle

Dans la France de 2012, les politiques ne sont plus un tabou pour les
journaux people. Il a vite l’occasion de s’en rendre compte, dès le mois
d’août, lorsque sont publiées des photos de ses vacances avec sa compagne à
Brégançon et à Porquerolles. Il va de nouveau le constater en janvier 2014,
quand il fait la une de Closer pour ses escapades nocturnes. Pour la première
fois, un président est traité sans ménagement, comme n’importe quel people.
Laurence Pieau, la directrice de la rédaction du magazine, justifie ce choix
par le fait que cette relation « est connue de journalistes politiques nombreux
et de journalistes tout court à Paris ». Et elle ajoute cette référence terrible : la
publication de ces photos constitue le récit « d’un président normal, une
personne normale. C’est un président qui a un coup de cœur et une histoire ».
L’un des marqueurs de campagne de François Hollande se retourne
définitivement contre lui.
L’impact de l’épisode Closer dans l’opinion n’est pas simple à
appréhender. Écartons une hypothèse d’entrée : le reproche de l’infidélité n’a
jamais été évoqué par les Français et n’est pas de nature à pénaliser le
président. Une enquête de 2013 du Pew Research Center permet de
comprendre aisément pourquoi. Parmi les quarante pays étudiés, la France est
celui où l’adultère choque le moins, et le seul dans lequel une majorité de la
population ne le condamne pas moralement. Une analyse attentive des
courbes de popularité ne montre par ailleurs aucune baisse suite à la
publication du reportage, ce qui laisserait supposer qu’elle n’a eu aucun effet.
Toutefois, à cette époque, le président est déjà très affaibli (25 % de
popularité en moyenne), ce qui limite par nature les variations. De plus, les
études qualitatives qui suivront cet événement indiquent clairement une
dégradation de l’image du chef de l’État. Le sentiment que la présidence
Hollande marche sur les pas de celle de Sarkozy s’impose de plus en plus. Le
changement pour lequel nombre d’électeurs ont voté en 2012 apparaît dans
tous les électorats comme un simple slogan, lorsque même dans l’imbrication
vie publique/vie privée il devient indécelable. Enfin, phénomène qu’il ne faut
jamais négliger, le président est désormais victime de railleries, comme nous
le sommes tous dans ce genre de situation. Cela l’éloigne une nouvelle fois
de l’imaginaire national imposé depuis de Gaulle, qui voudrait que la
fonction soit occupée par une personnalité hors du commun, à l’heure où tant
de Français s’interrogent sur l’avenir du pays.

La place de la vie privée en politique

Choisir un président, c’est investir sa confiance dans un homme ou une


femme, pour qu’il ou elle nous guide. L’électeur cherche non seulement
quelqu’un qui partage ses idées sur les enjeux qu’il estime majeurs, mais
également un lien émotionnel qui lui permette de lui accorder sa confiance.
C’est pourquoi la vie personnelle – avec ses hauts et ses bas – n’est pas neutre
sur le jugement politique. Les positions et propositions politiques demeurent
le prisme prioritaire, mais la personnalité, le caractère et les valeurs incarnées
ne sont pas loin derrière. Dès lors, comment s’étonner que la troisième salve,
à savoir la sortie du livre de Valérie Trierweiler en septembre 2014, se
traduise cette fois par une nouvelle baisse de popularité de François
Hollande, alors qu’il ne bénéficiait pourtant plus que du soutien de 20 % en
moyenne des Français.
Oui, les Français sont tolérants envers les incartades de leurs dirigeants.
Oui, ils estiment que François Hollande ne met pas en scène sa vie privée
pour en tirer un bénéfice politique. Mais l’accumulation des événements
touchant sa vie privée finit par les exaspérer. Ils aspirent à un retour au calme
sur ce plan, veulent un président tout entier dévolu à sa mission de redresser
le pays. Au lieu de cela, ils n’en reviennent pas d’assister à un déballage
permanent de sa vie personnelle.
Ce qui n’est pas incompatible avec la curiosité dont ils font preuve : avec
plus de 600 000 exemplaires vendus, le livre de son ex-compagne est le
succès de l’année 2014 en librairie. Quoi qu’il en soit, l’épisode est
catastrophique pour le quinquennat et pour François Hollande. Après avoir
connu deux défaites électorales majeures au printemps, bien qu’ayant un
nouveau Premier ministre qui dispose des faveurs de l’opinion et de
l’électorat de gauche en cette rentrée 2014, à mi-mandat, son image est au
plus bas. En octobre, seuls 12 % des Français (et 26 % de ses électeurs)
estiment qu’il sait faire preuve d’autorité et 10 % (22 % de ses électeurs) qu’il
est capable de rassembler les Français. L’apaisement auquel aspirait le pays,
qui semblait inéluctable tant François Hollande tranchait avec son
prédécesseur, est loin d’être au rendez-vous, et ce ne fut pas le moindre des
obstacles à une candidature à sa réélection.
Demeure une question : la place de la vie privée dans la vie politique sera-
t-elle définitivement différente désormais ? La Présidence Macron parviendra
t-elle à rompre avec la « peopolisation » politique ? Si deux personnalités
aussi différentes que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été
confrontées à cette intrusion, n’est-ce pas le signe que cela dépasse leur
propre personne et que rien n’est plus comme avant ?
8.

UNE PRIMAIRE PEUT EN CACHER UNE AUTRE

Les mêmes causes produisent les mêmes effets : comme le parti socialiste
après 2007, la droite n’a plus, en 2012, de leader incontesté qui s’impose,
naturellement ou par sa puissance dans l’opinion. Et comme en 2009 pour les
socialistes, la dernière fois que l’UMP a tenté de trancher la question de son
leadership, le scrutin s’est terminé en pugilat médiatique et a flirté avec un
dénouement devant les tribunaux. On ne saura jamais qui l’a emporté de
Jean-François Copé ou de François Fillon en novembre 2012, lors de
l’élection du président de l’UMP. Ce qui est sûr en revanche, c’est que ce
jour-là, le premier a probablement annihilé ses chances de représenter son
camp à la présidentielle en 2017. Ainsi, même si la droite est
idéologiquement et historiquement réfractaire à la logique de la primaire
– rien ne rompt plus avec le mythe gaullien de la rencontre d’un homme et
d’un peuple qu’une procédure partisane, même ouverte –, elle n’a eu d’autres
choix que de s’y rallier, comme le PS en son temps, qui n’y était guère plus
favorable. Et ce en dépit des réticences que les uns et les autres continuent
d’exprimer sur ce principe.
Dans un pays qui rejette massivement les partis politiques (seuls 12 % des
Français leur font confiance), difficile pour eux désormais de conserver le
monopole de la sélection des candidats aux élections. Sur les modalités de
son organisation, les républicains n’ont d’ailleurs pas cherché à innover.
Même modalités pour le vote, à savoir se rendre dans un bureau (hormis pour
les Français de l’étranger, ce qui aurait condamné la tenue du scrutin pour
cette frange de la population). Même maillage territorial, avec environ dix
mille bureaux de vote. Même mode de scrutin, calé sur celui de la
présidentielle, majoritaire à deux tours avec une finale opposant les deux
candidats arrivés en tête. Même mode de financement, avec une obligation de
contribuer pour voter (2 euros par tour cette fois). Même engagement moral,
avec la signature d’une charte d’adhésion aux valeurs de la droite et du
centre. Même dispositif médiatique, avec trois débats avant le premier tour et
un entre les deux tours, qui serviront à rappeler aux électeurs les règles pour y
participer. Même recours au numérique pour informer les électeurs des
bureaux de vote auxquels ils sont rattachés. Il faut dire que le succès de
l’expérience socialiste de 2011 et la mythologie qui en a découlé, puisque
finalement son vainqueur est devenu président de la République, en a fait un
modèle à suivre.

La télévision, arme de conviction massive

Le 27 novembre 2016, François Fillon remporte la primaire organisée pour


choisir le candidat de la droite à l’élection présidentielle. Pour Nicolas
Sarkozy, rien n’aura pu inverser la tendance à l’œuvre depuis près d’un an : ni
son entrée en campagne, ni l’énergie qu’il a investi dans ce dernier combat, ni
sa tentative d’électriser le scrutin. Tout s’est probablement joué en décembre
2015, lors des élections régionales. En ne réussissant pas à empêcher le Front
National de sortir en tête au premier tour, il a perdu son dernier atout. Celui
d’être perçu comme le sauveur de la droite, le seul à pouvoir contenir la
montée de l’extrême droite et à incarner la promesse de la victoire. Dès lors,
la rupture de confiance qui s’est instaurée entre l’ancien président et une
partie de l’électorat de droite, à laquelle il a refusé de s’attaquer lors de son
retour en 2014, a constitué pour lui un mur infranchissable. Nombreux étaient
ceux qui attendaient à cet instant de Nicolas Sarkozy une réponse à leur
interrogation fondamentale : pourquoi réussirait-il aujourd’hui dans la
mission qu’il a échoué à accomplir hier ? En l’absence de réponse probante,
ils ont préféré ne pas retenter le pari.
Dans ce que l’on aura trop communément appelé l’antisarkozysme, il
conviendra de distinguer trois périodes. Avant 2007, le rejet fut peut-être
d’une violente intensité, mais il était clairement minoritaire dans la
population, ne concernant environ qu’un tiers des Français. À partir de 2009,
il devint majoritaire dans l’électorat mais épargnait largement les
sympathisants de droite. En 2016, au moment de la primaire, une courte
majorité de ces derniers ont également basculé dans le rejet : 52 % des
électeurs ayant l’intention d’y participer excluent de voter pour lui dans ce
scrutin, même au second tour. L’exceptionnelle participation au scrutin du 20
novembre engendrera une mobilisation contre l’ancien président au final telle
qu’il est éliminé dès le premier tour.
Contrairement à ce qui s’était passé en 2011 pour la gauche, la campagne
aura en revanche fait bouger les lignes sur un point essentiel, à savoir le
vainqueur. Bien qu’une fois de plus la primaire se soit jouée dans un corps
électoral restreint (9 % en l’occurrence), bien plus diplômé, informé et
politisé que la moyenne, normalement moins susceptible de changer d’avis au
fil des événements, François Fillon aura connu un momentum dans les dix
derniers jours lui permettant non seulement de finir largement en tête du
premier tour avec plus de 15 points d’avance sur Alain Juppé, mais aussi de
l’emporter avec 66,5% des voix au second tour. L’ancien Premier ministre de
Nicolas Sarkozy, dont le projet était depuis des mois le plus en phase avec
l’électorat potentiel de la primaire – libéral sur les questions économiques,
conservateur sur les enjeux de société –, aura réussi l’exploit de rompre le
duel qu’ont tenté d’imposer durant toute la campagne Alain Juppé et Nicolas
Sarkozy, pour masquer leurs faiblesses respectives dans l’opinion. Il a su
profiter au maximum de l’exposition massive offertes par les débats
précédant le premier tour, dont l’audience cumulée a surpassé celle des
affrontements de 2011 (13,6 millions pour les trois débats de 2016 contre 7
millions à l’époque). S’il est une leçon à retenir de ce scrutin, c’est bien que
la télévision demeure une arme de conviction massive dans une primaire :
74% se sont forgé leur opinion sur les candidats via ce média en 2016.

Une situation unique sous la Ve République

Jean-Luc Mélenchon étant déjà installé à la gauche du parti socialiste, et


Marine Le Pen étant la candidate naturelle du Front National, tout est donc en
place pour que démarre la campagne de 2017. Tout ? Non, car un parti
d’irréductibles frondeurs résiste encore et toujours à la logique
institutionnelle de la Ve République. Et la vie n’est pas facile pour les
partisans de François Hollande, qui auraient probablement rêvé d’un tout
autre scénario pour l’investiture de leur favori par la rue de Solférino. Si, en
inventant la primaire ouverte et en l’inscrivant dans ses statuts, les socialistes
ont probablement changé pour longtemps les campagnes électorales à venir,
ils ont également dissimulé une bombe à retardement dans leur règlement
intérieur. En effet, aucune exception n’a été prévue dans l’hypothèse où le
président sortant serait des leurs et entendrait se représenter. En temps
normal, cette difficulté aurait dû pouvoir se contourner facilement.
Un président en exercice s’impose naturellement à ses troupes et un
gentleman agreement peut aisément voir le jour pour surseoir à la procédure.
Mais il était dit que normal, ce quinquennat ne le serait pas. En octobre 2016,
les socialistes actent que les 22 et 29 janvier 2017, ils choisiront leur candidat
par l’intermédiaire d’une primaire ouverte à leurs sympathisants et que le
président sortant ne bénéficiera pas d’un traitement de faveur. S’il veut se
représenter, il devra s’y soumettre. Résultat, le 1er décembre, il préfèrera se
démettre. Au lendemain de son élection en 2012, bien peu auraient parié sur
un tel scénario.
Cette absence d’automaticité à être perçu comme le candidat naturel de
son camp se diffuse très tôt dans l’opinion. En mai 2014, à l’issue de la
lourde défaite aux municipales et en dépit du changement de Premier
ministre, 65 % des Français et 81 % des sympathisants socialistes souhaitent
que le PS organise des primaires pour désigner son candidat à la
présidentielle, même si François Hollande est candidat.
Jamais une telle situation ne s’était produite sous la Ve République.
D’autant qu’à mi-mandat, 86 % des Français et 63 % des électeurs socialistes
ne souhaitent pas que le président se représente. Être impopulaire à mi-
mandat n’est pas en soi un phénomène rare, ce fut le cas notamment des deux
prédécesseurs de François Hollande. En revanche, que cette impopularité se
traduise par une fin de non-recevoir sur un éventuel second quinquennat
interpelle.

Une gauche définitivement dispersée

Le président a tout juste entamé sa seconde année à l’Élysée que son pouvoir
semble déjà dévitalisé dans le pays. Trois spécificités du désamour qui
s’installe avec les Français auraient dû, dès cet instant, alerter le chef de
l’État.
Le premier, c’est la diffusion de ce rejet. Aucune catégorie
démographique, sociale ou politique n’échappe au fort mécontentement à
l’égard du président, même des catégories qui sont traditionnellement parmi
les plus fervents soutiens de la gauche ou du parti socialiste. Ainsi, une
seconde candidature présidentielle est rejetée par 90 % des salariés du public,
83 % des 18-24 ans ou 72 % de ses électeurs de premier tour en 2012. En
comparaison, Nicolas Sarkozy, bien qu’également impopulaire dans
l’opinion, conservait des « bastions » de soutien : les plus de 65 ans (61 %) ou
les indépendants (53 %). Et même au plus fort du mécontentement à son
égard, en mars 2011, 62 % de ses électeurs de premier tour en 2007 le
soutenaient encore.
Second phénomène marquant dans ce rejet de François Hollande :
l’intensité. Au-delà des 86 % des Français qui ne veulent pas de sa
candidature en 2017, le fait que 62 % ne la souhaitent « pas du tout » est une
difficulté supplémentaire pour le président. On néglige souvent cette notion
d’intensité dans l’analyse de l’opinion, mais elle est pourtant majeure dans la
compréhension du phénomène. Elle souligne l’existence d’un véritable
décrochage à l’égard de François Hollande, d’une nature certes différente de
celui qu’a connu dans la période précédente Nicolas Sarkozy, mais qui ne le
rend pas moins puissant. Au-delà du reproche sur l’absence de résultats, c’est
déjà à l’époque l’exercice de la fonction présidentielle par François Hollande
qui est remis en question. Le président ne parvient pas à remplir son rôle
d’incarnation, dimension pourtant décisive dans l’imaginaire de la fonction
présidentielle dans l’opinion sous la Ve République.
Enfin, troisième marqueur du rejet sous François Hollande : sa linéarité.
De son élection à l’attentat contre Charlie Hebdo, le président n’aura jamais
réussi à inverser la courbe de son impopularité. Contrairement à ses
prédécesseurs, il n’a connu aucune période de « rebond » dans l’opinion, lui
permettant pendant 4 à 6 mois de retrouver un peu d’air et d’espace politique.
Toutes les tentatives de « représidentialisation », notamment sur la scène
internationale, se sont révélées sans effet. Là encore, en comparaison, Nicolas
Sarkozy, de juillet 2008 à janvier 2009 avait regagné 8 points, passant de 38 à
46 % de satisfaits. Puis, après une rechute en février 2009, il avait reconquis 6
points d’avril à juillet.
À chaque fois, l’ancien président avait su profiter des événements ou du
calendrier qui lui était offert, que ce soit par l’intermédiaire de son
volontarisme au sein du G20 face à la crise économique ou à l’occasion de la
présidence française de l’Union européenne. Nulle trace de cela dans la
courbe de popularité du chef de l’État depuis son élection.
Résultat, pour François Hollande, le principe d’une nouvelle candidature à
l’Élysée est en lui-même un combat, dont la rudesse ne s’adoucit pas
réellement au fur et à mesure que se rapproche l’échéance de 2017.
Traditionnellement, l’imminence des échéances électorales tend à
reconstituer les clivages politiques et à remobiliser chaque leader à l’intérieur
de son camp. Tel n’est pas le cas pour le septième président de la Ve
République. Plus la date fatidique approche et plus sa situation se dégrade,
non pas auprès de l’ensemble des Français, mais parmi ses électeurs de 2012.
En mai 2016, à un an du scrutin, ce sont désormais 68 % de ses électeurs de
premier tour en 2012 qui ne souhaitent pas sa candidature. En septembre,
alors que le chef de l’État a lancé l’offensive du « ça va mieux », la situation
se dégrade encore avec 73 % de ses partisans de 2012 qui ne veulent pas qu’il
concoure. En prenant son propre camp à contre-pied deux fois durant l’année
écoulée, d’abord avec la déchéance de nationalité puis avec la loi travail,
François Hollande s’est coupé un peu plus encore de sa base électorale au
moment où rassembler son camp s’avère plus que jamais nécessaire.
Alors que la droite a tant bien que mal réussi à faire l’union autour de son
candidat, pour se donner toutes les chances de se qualifier au second tour,
dans un contexte où le Front National a recueilli entre 25 et 28 % lors des
trois derniers scrutins nationaux, le président semble impuissant à contenir la
dispersion de la gauche. Cela n’est pas sans conséquence : à partir de juillet
2013, dans toutes les enquêtes mensuelles d’intentions de vote que nous
réalisons, François Hollande n’est jamais en situation de se qualifier au
second tour de la présidentielle. Pire, lors de trois scrutins – européennes
2014, départementales 2015 et régionales 2015 – les socialistes arrivent au
niveau national systématiquement en troisième position, derrière la droite et
le FN qui eux se disputent la première place.

Des frondeurs de plus en plus déterminés


Ce n’est donc pas un hasard si, dès le 11 janvier 2016, la question de
l’organisation d’une primaire à gauche pour désigner son candidat à l’élection
présidentielle de 2017 est de nouveau posée, au travers d’un appel lancé dans
Libération par une quarantaine d’intellectuels, historiens, économistes, dont
l’économiste Thomas Piketty ou le sociologue Michel Wieviorka. Elle
ressurgit en plein débat sur le projet très controversé d’introduire la
déchéance de nationalité pour les terroristes bi-nationaux dans la révision
constitutionnelle, et traduit les interrogations d’une partie de la gauche qui se
sent malmenée par cette proposition et voit le drame de 2002 se profiler de
nouveau à l’horizon.
Habilement, Jean-Christophe Cambadélis, le Premier secrétaire du PS, ne
ferme pas la porte à ce principe mais y pose deux conditions qui rendent
inéluctable son abandon. En jurant être disposé à une telle primaire, à
condition que chaque formation de gauche y participant accepte que François
Hollande puisse y concourir s’il le juge nécessaire le moment venu et que
chaque prétendant accepte de soutenir pour 2017 le gagnant quel qu’il soit, il
sait parfaitement qu’elle n’aura pas lieu. Pour la gauche radicale, accepter
l’idée de soutenir le président sortant s’il remportait une telle primaire est en
effet un casus belli.
L’appel de janvier 2016 va donc rapidement tomber dans l’oubli. Mais il
signe une forme de libération du postulat selon lequel le président sortant
serait le candidat évident de sa famille politique et, loin de refermer le débat,
en constitue les prémices. La bataille menace dans un second temps de se
dérouler dans les prétoires. Trois adhérents du PS saisissent au printemps le
tribunal de grande instance de Paris pour exiger de leur parti l’organisation
d’une primaire pour 2017, en application de ses statuts. Là encore, la
démarche n’aura guère de succès puisque le 15 juin, leur demande est
déboutée.
Entre-temps, le 11 mai, des députés socialistes frondeurs ont franchi un
nouveau pas dans leur opposition à la politique du Gouvernement en tentant
de rassembler assez de signatures pour déposer une motion de censure de
gauche à l’occasion de l’utilisation de l’article 49-3 pour faire passer la loi
travail. Ils échouent dans cette aventure en ne recueillant le soutien que de
cinquante-six députés, sur les cinquante-huit nécessaires (ils n’y parviendront
pas plus en juillet en seconde lecture), mais cet épisode est l’aboutissement
d’une longue fracture qui mine la majorité depuis quasiment le début du
quinquennat.
Quelques mois à peine après la victoire à la présidentielle, en octobre
2012, le nouveau président ratifie le traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance que Nicolas Sarkozy avait signé avec ses homologues de
l’Union européenne, sans le renégocier comme il s’y était engagé durant la
campagne, notamment pour refuser le principe d’une « règle d’or » budgétaire
au niveau de la zone euro. Lors du vote de ratification de ce texte à
l’Assemblée nationale, vingt députés socialistes votent contre et neuf
s’abstiennent. Régulièrement, au cours du quinquennat, une part non
négligeable du groupe socialiste vote contre ou s’abstient sur les textes
présentés par le Gouvernement. C’est le cas en juin 2013 pour l’accord
national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de
l’emploi passé en janvier entre les organisations patronales et trois syndicats
(CFE-CGC, CFDT et CFTC), lors du vote de confiance demandé par Manuel
Valls suite à sa nomination à Matignon après les municipales 2014 ou en
avril de la même année lors du vote du plan d’économies budgétaires qu’il
soumet au parlement. À cette date, quarante-et-un députés socialistes
s’abstiennent. Sans augmenter numériquement, ces défections au sein du
groupe socialiste vont se radicaliser sans cesse jusqu’à cette tentative de
dépôt d’une motion de censure contre un gouvernement issu de leur rang.
Cette rébellion interne s’avère particulièrement dramatique pour un
président dont l’assise n’a cessé de se réduire dès les premiers jours du
quinquennat. Élu avec le soutien explicite ou implicite des forces politiques
allant de Jean-Luc Mélenchon à François Bayrou, François Hollande a
pourtant gouverné dès l’origine sans les deux extrémités de cette « alliance ».
La gauche radicale a décliné d’entrée toute participation au Gouvernement,
sans surprise au vu des divergences politiques exposées durant la campagne.

Le pari fou d’occuper l’espace médiatique

Tout autre est la situation vis-à-vis du Modem. En refusant de tendre la main


à François Bayrou dans sa circonscription des Pyrénées-Atlantiques, voire
même en lui « offrant » quelques députés dans d’autres circonscriptions, le
président s’est privé d’une tendance susceptible de compenser la défection de
la gauche radicale.
Au regard de la politique de l’offre menée à partir de novembre 2012, ce
choix se serait révélé plus qu’opportun. D’autant que la majorité va encore se
rétrécir par deux fois : en avril 2014 avec le départ des écologistes du
Gouvernement lorsque Manuel Valls devient Premier ministre, puis en
septembre lorsqu’Arnaud Montebourg est limogé, entraînant avec lui le
départ de Benoît Hamon et d’Aurélie Filippetti. Si l’on y ajoute la fronde au
sein du groupe, c’est à un véritable délitement de la majorité présidentielle
auquel on assiste jusqu’à cette tentative de dépôt d’une motion de censure de
gauche.
Certes, le PS disposant, avec les radicaux de gauche, de la majorité
absolue, cela n’empêche à aucun moment François Hollande de gouverner,
mais cette motion fragilise considérablement sa situation politiquement.
Combinée à sa faiblesse dans l’opinion, elle rend inévitable la tenue d’une
primaire que le président fait pourtant tout pour éviter. La force des
institutions ne pèse guère face à l’incapacité désormais avérée des partis à
contrôler le monopole de la sélection des candidats.
Au fil des semaines et de la situation qui se dégrade pour le chef de l’État,
même ses partisans finissent par se rallier, à contrecœur, à cette issue. C’est
ce que fera Jean-Christophe Cambadélis, en juin 2016, en proposant au
conseil national du parti socialiste de valider l’organisation en janvier 2017
d’une primaire ouverte à « la gauche de gouvernement ». Face à
l’impossibilité d’échapper à ce défi, le camp du président finit par rationaliser
l’impensable, en défendant l’idée que la primaire pourrait relégitimer le
sortant face à ses opposants internes ou ne pas abandonner tout l’espace
politique et médiatique à la droite et à sa primaire à l’automne 2016. Une
analyse qui échappe à l’entendement.
Rappelons qu’aux États-Unis, les deux derniers présidents démocrates et
républicains à avoir affronté une primaire compétitive – Jimmy Carter et
Georges Bush père – réussirent certes tous les deux à la gagner, mais furent
aussi défaits quelques mois plus tard lors de l’élection présidentielle, dans un
pays où, pourtant, les sortants sont le plus souvent réélus. François Hollande
n’aura pas à vérifier cette règle. La publication du livre Un président ne
devrait pas dire ça, en déclenchant l’ire de nombre de ceux qui le soutenaient
encore, finira par avoir raison de sa volonté de se représenter.
L’impossible rassemblement à gauche

Reste l’idée qu’une primaire permettrait de désigner un autre candidat


socialiste, plus performant et susceptible de se qualifier pour le second tour
en avril 2017. Cette thèse ne semblait guère pertinente, en cette fin d’année
2016. Toutes les enquêtes à cette date soulignaient en effet que c’est
l’ensemble de la famille socialiste qui finirait par payer les difficultés du
quinquennat et les affrontements permanents au sein de la majorité.
Benoît Hamon l’emporte certes nettement le 29 janvier par près de 59%
des voix face à Manuel Valls. Il bénéficie massivement de l’expression du
mécontentement de l’électorat socialiste tandis que l’ancien Premier ministre
endosse malgré lui les habits du sortant de substitution. Mais la ligne
politique sur laquelle il est élu n’ouvre pas plus la voie au rassemblement
avec les autres gauches qui se sont déjà lancées dans la bataille présidentielle.
Ni Jean-Luc Mélenchon, persuadé de tenir dans ce scrutin une occasion de
passer devant le candidat socialiste au premier tour, ce qui serait une
première depuis 1969, ni Emmanuel Macron, dont les positions semblent
incompatibles avec le candidat vainqueur, n’ont de raisons de conclure un
accord. Comme à droite, la primaire n’avait de sens que pour éviter
l’éparpillement. Mais en politique, le souhaitable – une primaire de toute la
gauche – le plus souvent, n’est pas possible.
9.

LA CAMPAGNE ANORMALE

À tous points de vue, le quinquennat qui s’achève en ce début d’année 2017


aura pris une tournure que nul n’aurait soupçonnée le 6 mai 2012. Certes, des
doutes pouvaient exister sur la capacité du nouveau président à résoudre les
défis économiques qui se dressaient sur sa route, compte tenu de
l’environnement international, peu porteur depuis 2009 malgré un le rebond
passager de 2010. De même, que François Hollande ne fasse pas de la finance
son principal ennemi n’aura surpris que les ingénus : ni son histoire politique
personnelle ni l’analyse de son projet économique durant la campagne ne
plaidait pour une politique radicale dans ce domaine. Il était prévisible que la
phrase du discours du Bourget s’apparenterait plus à un propos d’estrade, au
même titre que la « fracture sociale » pour Jacques Chirac en 1995.
Qui pouvait imaginer en revanche que la présidence Hollande ne serait pas
plus apaisée que celle de Nicolas Sarkozy ? Que le président serait perçu
comme moins rassembleur que son prédécesseur ? Que la chronique de la vie
privée présidentielle se poursuivrait sous son mandat ? L’honnêteté obligerait
à reconnaître que personne ou presque n’aurait pu prédire un tel scénario, qui
conduit à un dénouement inédit sous la Ve République, à savoir le
renoncement du président à solliciter un second mandat.

Un président particulièrement impopulaire

Il faut dire que ses chances de réélection à l’aube de l’année 2017 semblaient
infinitésimales, sans événement politique exceptionnel d’ici le scrutin. On
peut même se demander, à la lumière de l’histoire de ce quinquennat, si le
moindre événement aurait été de nature à bouleverser le destin électoral du
président sortant. Lorsque des attaques aussi dramatiques que celles dont a
été victime la France de janvier 2015 à juillet 2016 n’ont pas abouti à une
modification profonde du rapport de l’opinion publique au chef de l’État, on
imagine mal ce qui aurait pu changer la donne dans les semaines suivantes.
Seule une double candidature au sein des républicains aurait pu rétablir ses
chances, mais elle n’est désormais plus d’actualité, le résultat de la primaire
s’étant imposé à tous. Fin 2016, s’ajoute à tous ces handicaps pour François
Hollande l’obstacle que constitue désormais la nécessité de remporter une
primaire socialiste, dont tous comprennent, au vu de la mésaventure
rencontrée par Nicolas Sarkozy dans celle de la droite, qu’elle pourrait bien
mettre un terme prématurément aux ambitions du Président.
Dans le fond, quelle ambition aurait pu soutenir dans le scrutin à venir un
président dont le solde d’opinion n’aura été positif durant son mandat que
pendant quatre mois, de juin à septembre 2012 ? Depuis octobre 2012, plus
une seule fois, il n’a obtenu davantage de satisfaits de son action que de
mécontents. En décembre 2016, cela fait donc pas moins de cinquante mois
consécutifs que son solde de satisfaction est négatif. Ce qui veut dire que
l’action de François Hollande est depuis plus de quatre ans et demi
continûment rejetée par une large majorité de Français.
C’est un phénomène absolument inédit sous la Ve République. Tout
comme le fait qu’il arrivera durant le quinquennat que les personnes se
déclarant « très mécontentes » du président soient, à elles seules, majoritaires
(51 % en avril 2016 par exemple), signe de l’intensité du rejet à l’égard de
François Hollande. Enfin, depuis maintenant un an, le président mécontentait
majoritairement ses électeurs de 2012. Contrairement à Nicolas Sarkozy, qui
avait lui aussi connu une forte impopularité durant son quinquennat mais
avait toujours réussi à conserver une base de soutien à droite qui lui permit
d’échapper à la déroute en 2012, François Hollande a vu son noyau dur
électoral basculer dans « l’opposition » en fin de mandat. Un handicap
probablement insurmontable dans une élection présidentielle, dont la règle
première est de pouvoir mobiliser son électorat au premier tour du scrutin.
Enfin, dernier point et non des moindres, la popularité extrêmement faible du
président s’est vue confirmée lors de trois scrutins depuis 2014. À chaque
fois, les listes socialistes ont fini en troisième position, avec a minima plus de
3 points de retard sur le second.
François Hollande comprend dès lors qu’il n’est pas en situation de
rassembler son camp, si ce n’est contre lui, annihilant par la même toute
chance de victoire. Le jeudi 1er décembre à 2016 peu après 19h, François
Hollande annonce avoir « décidé de ne pas être candidat à la présidentielle ».
La vie politique étant impitoyable, passé les quelques jours consacrés au
commentaire de cette annonce, le quinquennat semble s’arrêter net. Chaque
jour qui passe marque un peu plus l’effacement du titulaire du poste. En dépit
des efforts de François Hollande pour inverser cette tendance, rien n’y fera,
tant les regards se portent désormais vers le scrutin qui se profile.

Un seul fauteuil à pourvoir

C’est donc une campagne au point de départ inédit qui s’ouvre en janvier
2017. Une campagne dans laquelle pour la droite et son candidat, François
Fillon, le chemin vers l’Élysée semblait tout tracé. La réussite de la primaire,
d’abord en relevant le défi de la participation et la comparaison avec
l’expérience socialiste de 2011 ou de 2017, puis en évitant toute contestation
du résultat, a levé l’un des principaux obstacles qui se dressaient sur sa route,
à savoir la division.
Il lui reste certes à réussir sa campagne et à mobiliser la minorité de
l’électorat de droite qui ne jure que par Sarkozy et à maintenir dans son giron
le centre droit, dont une partie a déjà voté pour lui dès la primaire (il a obtenu
50 % des voix des sympathisants du Modem et de l’UDI le 27 novembre).
Mais l’envie d’alternance de l’électorat de droite est tel qu’il doit lui
permettre d’y parvenir. D’autant plus que le camp adverse se présente divisé
sur la ligne de départ : au socialiste vainqueur de la primaire, s’ajoute le
candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, celui des écologistes
Yannick Jadot et depuis le 16 novembre, Emmanuel Macron.
Or, tout indique à l’aube de 2017 qu’il ne reste plus qu’une place pour le
second tour et que c’est Marine Le Pen et le Front National qui se dresseront
sur la route de l’un des finalistes. Depuis trois ans, toutes les enquêtes
d’intentions de vote menées par OpinionWay indiquent une qualification de
la présidente du FN au second tour de la présidentielle, quels que soient
l’offre électorale et les adversaires qui lui sont proposés. Et lors des trois
derniers scrutins, qui ne sont pourtant pas les plus favorables au Front
National historiquement (à l’exception des régionales), son parti y a obtenu
de 25 % à 28 % des suffrages exprimés. Aucune tendance d’opinion ne plaide
pour que les électeurs ayant voté pour le FN ces derniers mois changent leur
bulletin : ni la hiérarchie des préoccupations, ni le rejet du système politique
et des partis actuels n’évoluent fondamentalement depuis les Régionales de
2015. Le fait que, dans une présidentielle, la participation soit bien supérieure
aux élections intermédiaires ne constitue pas pour le FN un handicap a
priori : la sociologie des électeurs qui se mobilisent uniquement pour ce
scrutin ne lui est pas défavorable.
Difficile dans ces circonstances d’imaginer que Marine Le Pen ne
parvienne pas à recueillir un score proche de son parti aux Européennes,
synonyme d’accession quasi automatique au second tour. Pas un candidat
ayant recueilli 22 % des suffrages exprimés n’a été éliminé au premier tour de
la présidentielle depuis qu’elle se déroule au suffrage universel (1965). Ses
chances de l’emporter au second tour demeurent en revanche limitées, au
regard des résultats des scrutins de 2015. Si aucune des deux Le Pen n’a
réussi à l’emporter au second tour dans des zones du territoire qui lui étaient
aussi favorables que le nord ou le sud-est, y parvenir sur l’ensemble du
territoire semble pour le moment encore inaccessible.
François Fillon bénéficie d’ailleurs, comme François Hollande en 2011,
d’une dynamique qui semble irrésistible à l’issue de la primaire. Au
lendemain de sa victoire, il atteint 30 % des intentions de vote et permet au
candidat de la droite parlementaire, pour la première fois depuis des mois, de
devancer nettement Marine Le Pen au second tour, qui ne recueille elle plus
que 23 %. À cette date, aucun candidat à gauche ne dépasse les 15 %,
confirmant que la fragmentation qui se prépare à gauche s’annonce
suicidaire.
Certes, en ce début de janvier, une partie de l’effet primaire s’est évaporé,
ramenant le candidat Fillon a des scores plus en phase avec les tendances
électorales du quinquennat, autour de 25 %, nez à nez avec Marine Le Pen. Il
doit également affronter de premières frondes sur son projet, jugé trop
radical, même au sein de son camp, notamment sur la protection sociale.
Mais sa stature présidentielle surpasse celle de tous ses concurrents : quand
46 % des Français considèrent qu’il a l’étoffe d’un président de la
République, ils ne sont que 29 % à penser de même pour Marine Le Pen ou
34 % pour Emmanuel Macron, un écart qui semble décisif à quatre mois du
scrutin.

Un électorat réduit à son noyau dur

Mais une campagne n’est jamais un long fleuve tranquille et décidément, il


était dit que la présidentielle de 2017 ne ressemblerait à aucune autre. La
polémique concernant François Fillon qui éclate le 25 janvier nous le rappelle
à bon escient. À compter de la révélation par le Canard Enchaîné de ce qui
deviendra très vite le « PénélopeGate » sur les réseaux sociaux et dans les
médias traditionnels, le candidat de la droite va décrocher dans les intentions
de vote et ne plus apparaître dans le duo des qualifiés pour le second tour,
même s’il n’en sera jamais très éloigné. Il accuse dans l’instant une nette
baisse de 5 points, qui le ramène autour de 20 %.
Lorsque l’on analyse avec attention les catégories qui continuent à soutenir
François Fillon et celles qui désormais lui font défaut, on constate un
rétrécissement de sa base électorale sur le noyau dur de la droite. Il peut
certes toujours compter sur le vote de plus d’un tiers des retraités, de 38 %
des catholiques pratiquants, de 30 % des personnes vivant dans un foyer
gagnant plus de 3 500 euros par mois, de 69 % des sympathisants Les
Républicains ou de 64 % des sympathisants UDI. Il a perdu en revanche le
soutien d’une frange importante d’autres catégories indispensables pour
atteindre le score de 23 % ou plus, garantissant historiquement une
qualification au second tour.
Désormais, seule une infime minorité des catégories populaires (9 %, en
chute de 10 points), des personnes dont le revenu du foyer est inférieur à
2 000 euros par mois (14 %, moins 5 points), des personnes les moins
diplômées (15 %, moins 5 points) ou des salariés (12 %, moins 7 points) lui
accordent leur suffrage. L’électorat aisé, âgé, la droite patrimoniale, pèse
désormais de façon démesurée dans son électorat au regard de son poids dans
l’ensemble de la population française.
Cette concentration de l’électorat potentiel de François Fillon se résume
politiquement en un chiffre : désormais, seuls 60 % des électeurs de Nicolas
Sarkozy en 2012 pensent voter pour le candidat de la droite. En une semaine,
il perd 13 points dans cette catégorie. L’ancien héraut de la droite faisait
certes, en 2012, des scores élevés chez les personnes âgées. Mais il parvenait
aussi à rallier 19 % des catégories populaires (dont 16 % des ouvriers), ou
encore près de 20 % des personnes vivant dans des foyers à bas revenus.
François Fillon ne parvient plus à élargir un minimum de la droite héritière
du gaullisme et semble se recroqueviller sur le score historique du
« Chiraquisme » à la présidentielle. Avec un Front National aussi haut qu’il ne
l’est en cette fin de quinquennat, un tel score l’expose dangereusement à
l’émergence ou la consolidation de l’un des candidats issus de la gauche,
même s’il lui laisse encore l’espoir de survivre le soir du premier tour comme
Jacques Chirac en 2002.
Car c’est l’un des paradoxes de cette campagne. Là où l’on aurait dû
assister à une descente aux enfers du candidat Fillon, accélérée par la
succession des révélations nouvelles et du feuilleton qui en découle, sous
l’œil abasourdi de nombre de Français, c’est à une stabilité hors norme que
l’on va assister. Du 6 février, date de lancement de notre enquête quotidienne
sur la présidentielle, au 22 avril, veille du premier tour, les intentions de vote
en faveur de François Fillon vont évoluer dans un couloir allant de 18 % à
21 %, à la limite de l’anomalie statistique d’un point de vue de sondeur. Les
deux décrochages autour de 18 % correspondent à deux épisodes des affaires
le concernant, l’annonce par la candidat lui-même de sa convocation en vue
d’être mis en examen, le 1er mars, puis la révélation le 12 mars de « l’affaire
des costumes ». À chaque fois, il ne mettra pas plus d’une semaine pour
revenir à 20 %.
L’analyse de la composition du profil de son électorat confirme cette
étonnante stabilité. Les catégories qui n’ont pas décroché dès le début de la
polémique demeureront indéfectiblement arrimées au candidat de la droite,
jusqu’au premier tour, considérant qu’il est le meilleur candidat pour diriger
la France pour les cinq prochaines années.
Certes, il fait campagne sur une ligne très à droite qui divise au sein même
de cette famille politique. Il s’engage sur de fortes diminutions des dépenses
publiques et sur des baisses d’impôt concentrées sur les entreprises,
thématiques a priori peu susceptibles de séduire les électeurs. Sa crédibilité
pour appliquer ce programme d’austérité est désormais affaiblie par les
accusations de détournement d’argent public et les interrogations sur son
train de vie.
Mais il fait plus que résister durant cette campagne, demeurant à portée de
tir des deux candidats qui font la course en tête, prêt à bénéficier de tout
décrochage de l’un ou de l’autre. Car son projet séduit, en dépit de sa dureté,
ou plus exactement, en raison de celle-ci. Ses électeurs sont convaincus que
la France décline irrémédiablement et que pour inverser cette tendance, la
réduction de la dépense publique et de la dette publique sont indispensables.
Or, sur ce créneau, il est désormais seul et la radicalité de ses propositions
se porte garant de sa crédibilité. Les électeurs rebutés par le « PénélopeGate »
ont décroché dès les premiers jours et ceux qui sont restés ne le sont guère.
Le scandale a certes profondément atteint l’image du candidat et ils ne
l’absolvent pas pour autant. Mais dans le monde des fake news et autres
alternative facts, l’affaire et son traitement médiatique relèvent pour eux tout
autant d’un acharnement, dans un univers, celui des élus, dont les pratiques
sont jugées plus que discutables. Pire, face au feuilleton que déroulent les
médias, François Fillon leur apparaît solide dans l’adversité, disposant de la
force de caractère nécessaire à l’exercice de la fonction et du pouvoir en
général. Il se transforme en figure sacrificielle, celle qu’une frange du pays
attend.
La coagulation de cet électorat autour de François Fillon se fait d’autant
plus facilement que pour ces électeurs qui continuent de vouloir voter pour
lui, ses deux principaux concurrents souffrent de lourds handicaps. Ils
doutent de la volonté réelle d’Emmanuel Macron de mettre en œuvre les
propositions qu’ils formulent, dont une partie aurait pu les séduire. Quant au
vote en faveur de Marine Le Pen, une très large majorité l’exclut. La
perspective d’une sortie de l’euro effraie la frange la plus âgée de son
électorat et dans la fraction catholique pratiquante, le vote en faveur du FN se
heurte souvent à un refus de principe.

Mauvais calcul pour le candidat socialiste

Mais en 2017, obtenir 20 % ne suffisait pas pour passer le premier tour. Non
pas que la candidature surprise de Benoît Hamon permette aux socialistes
d’échapper à la défaite annoncée. Choisir un autre candidat que le sortant
n’apparaissait pas en amont du scrutin de nature à renverser
fondamentalement le rapport de force électoral. Le candidat du PS fut certes
un frondeur durant le quinquennat, aux yeux de la majorité et des
observateurs. Mais dans l’opinion, il ne suffit pas d’émettre des réserves ou
de contester pendant la mandature pour échapper à un bilan perçu très
négativement par les Français.
Au lendemain de sa victoire à la primaire, Benoît Hamon doit par ailleurs
réconcilier deux courants de la famille socialiste dont les projets sont apparus
très divergents, tant sur les questions économiques entre tenants d’une
politique sociale-libérale et ceux qui s’y opposent, que sur des enjeux
sociétaux tels que la sécurité ou l’immigration comme l’ont révélé les débats
post-attentats. La mission semblait impossible, le résultat final le confirmera.
Toutefois, rien ne prédestinait le candidat socialiste à un score aussi faible
(6,36 %), surtout à l’issue d’une primaire au taux de participation honorable
dans le contexte d’impopularité du parti au pouvoir et après avoir obtenu le
ralliement de Yannick Jadot et des écologistes.
Lorsqu’il est désigné, il bénéficie de 15 à 16 % d’intentions de vote et
devance Jean-Luc Mélenchon de 3 à 4 points. Début mars, il compte même 5
à 6 points d’avance sur le leader des « Insoumis ». Cet écart ne cessera par la
suite de se réduire avant de s’inverser à l’issue du premier débat télévisé, le
20 mars. Le 23 avril, Benoît Hamon finira plus de 13 points derrière Jean-Luc
Mélenchon. Le candidat socialiste s’effondre littéralement parmi les soutiens
traditionnels de l’électorat socialiste entre son entrée en campagne et le jour
du premier tour : moins 14 points parmi les 18-24 ans, moins 16 points auprès
des salariés du public.
En tentant de recentrer son discours à l’issue de la primaire, en lissant son
projet de revenu universel par exemple, il cherche à se présenter en
gouvernant crédible. C’est une erreur fondamentale, signe qu’il s’est trompé
sur le potentiel réel du candidat socialiste dans ce scrutin : Benoît Hamon ne
pouvait pas gagner cette élection, il fallait donc pratiquer une stratégie de
niche. Les catégories populaires ayant rejeté le PS depuis 2012, mécontents
du bilan du quinquennat, le électeurs socialistes réformistes ayant déjà rejoint
Emmanuel Macron – 40 % des électeurs de Hollande en 2012 pensent voter
dès la fin de la primaire socialiste pour l’ex ministre de l’Économie – il
convenait donc de s’adresser et de mobiliser un cœur de cible jeune, urbain,
diplômé, travaillant dans les professions intellectuelles, ouvert à la thèse de la
fin du travail et du revenu universel. Cet électorat est certes minoritaire mais
aurait pu lui permettre de trouver sa place dans le casting de cette élection.
L’adoucissement du projet n’aura pour effet que de libérer l’espace pour
Jean-Luc Mélenchon, qui s’y engouffre. Dès lors, s’ouvre pour Benoît
Hamon un cercle vicieux. Pris en tenaille entre la gauche radicale de
Mélenchon et la gauche progressiste de Macron, il ne cesse de baisser dans
les sondages. Cette chute s’auto entretient, incitant une partie supplémentaire
d’électeurs potentiellement proches du PS à préférer soit un vote plus utile et
efficace, pour le leader d’En Marche, soit un vote d’affirmation à gauche,
pour le chef des « Insoumis ».

La gauche radicale divisée elle aussi

Jean-Luc Mélenchon sera donc l’un des grands bénéficiaires de


l’effondrement de la maison socialiste. Il s’avance sur la ligne de départ dans
une configuration plus favorable qu’il y a cinq ans. Sa popularité, plus élevée
qu’au démarrage de la campagne de 2012 (40 %), en fait l’une des
personnalités de gauche les plus appréciée. Il fidélise très largement ses
électeurs de la dernière présidentielle (77 %) tout en séduisant près d’un
électeur de François Hollande sur deux (45 %). Même si sa qualification pour
le second tour n’est pas envisageable à l’aube de la campagne, il peut espérer
renverser le rapport de force au sein de la gauche.
Mais rien n’est acquis. Lors de tous les scrutins intermédiaires depuis
2012, les résultats de la gauche radicale se sont révélés décevants en dépit des
difficultés croissantes rencontrées par les socialistes. À l’inverse de ce qui se
passe en Espagne ou en Grèce, elle n’a pas réussi à mettre en difficulté ou à
supplanter le parti dominant jusque-là à gauche. Bien que n’ayant jamais
participé au Gouvernement, la gauche radicale n’échappe pas au
désenchantement des électeurs de gauche qui, lors de ces élections
intermédiaires, semblent avoir fait payer à l’ensemble de ses formations sa
déception. Les divisions n’épargnent pas non plus la gauche radicale.
Le parti communiste, qui a encore des élus et une base militante, rechigne
à rompre totalement avec le parti socialiste, avec lequel il dirige des
collectivités au niveau local. Ce n’est pas le cas du parti de gauche, qui n’a
pas ces contraintes, mais dont la base d’élus et de militants est bien plus
restreinte. D’où des tensions régulières qui mettent en péril l’alliance des
différentes composantes de ce courant politique. Toutefois, son talent
oratoire, ses qualités de débatteur, la cohérence et la clarté de son projet ainsi
que la faiblesse de son rival socialiste vont lui permettre d’atteindre
largement cet objectif. Au premier tour, 26 % des électeurs de François
Hollande de 2012 choisiront de voter pour le candidat « insoumis », contre
18 % qui voteront Benoît Hamon. Ce n’est pourtant pas lui qui renversera la
table pour s’emparer du jackpot, mais Emmanuel Macron.

Le centre retrouve sa stabilité

L’hypothèse d’un candidat venant de la gauche qui surpasserait les difficultés


de ce camp, en se présentant en dehors des partis, semblait aléatoire à
l’automne 2016. Le pari était audacieux, en phase avec la volonté de
renouvellement qui s’affirme dans le pays, en colère contre les partis
traditionnels, mais extrêmement périlleux dans notre système politique.
Pour y parvenir, incarner une position centrale est un atout considérable
dans la perspective du second tour, mais peut se révéler une difficulté au
premier lorsqu’il faut mobiliser une base électorale permettant de se qualifier.
Tenir un discours « ni gauche ni droite » comporte toujours le risque de se
priver d’un tel noyau dur le jour du scrutin. Sur un tel positionnement, la
victoire, comme l’effondrement, étaient des hypothèses aussi défendables
l’une que l’autre.
Le plus probable était peut-être un destin à la François Bayrou en 2007,
celui du troisième magnifique qui réussit une percée phénoménale mais sans
lendemain, en raison de son incapacitée à accéder au second tour. Il n’en sera
rien et réussira l’exploit époustouflant de devenir le 7 mai le plus jeune
président de la Ve République. Cette victoire a des causes multiples, certaines
le dépassant, d’autres relevant de son talent.
Primo, en dix ans, la colère des Français contre le système politique s’est
considérablement amplifiée. Quand 50 % considéraient encore à l’époque que
la démocratie fonctionnait bien en France, ils ne sont plus que 29 % à estimer
de même en 2017. Pourtant, dans le même temps, l’intérêt pour la politique
n’a pas baissé. Durant la même période, le sentiment que le clivage gauche-
droite ne veut plus dire grand chose a progressé de près de 20 points : les
trois-quarts des Français partagent désormais cette opinion. Secundo, la
concurrence qu’affronte Emmanuel Macron en 2017 est médiocre au regard
de celle contre laquelle avait lutté Bayrou en 2007. À gauche, Benoît Hamon
est loin d’avoir le charisme de Ségolène Royal. Et que dire de la capacité de
François Fillon à faire face aux vents contraires au regard de celle de Nicolas
Sarkozy dans le passé. Tertio, son talent de candidat est supérieur à celui du
leader du Modem. Quand François Bayrou avait butté sur le sentiment
d’isolement qu’il suscitait dans l’optique de gouverner et échoué à répondre
aux critiques sur son absence de projet, Emmanuel Macron réussit durant la
campagne à convaincre les Français qu’il a une stratégie et des solutions pour
le pays. Et ironie de l’histoire, c’est l’ancien candidat centriste qui va
permettre au nouveau président de rompre l’isolement qui le guette.
En annonçant, le 22 février, qu’il renonce à être candidat et en déclarant
faire à Emmanuel Macron une offre d’alliance, que ce dernier accepte
quasiment dans la minute, François Bayrou lui apporte un soutien décisif. A
posteriori, on peut même parler de tournant politique dans cette campagne.
Pour la première fois depuis sa déclaration de candidature, la courbe
d’intentions de vote de l’ancien ministre de l’Économie s’est en effet
inversée. En deux semaines, il est passé de 23 % à 20 %, se retrouvant de
nouveau sans réelle marge face à François Fillon. Il a suffit de deux faux pas,
sur la colonisation, qualifiée de « crime contre l’humanité » dans une
interview donnée sur le sol algérien et sur le mariage gay, en regrettant que
ses opposants aient été « inutilement humiliés », pour que sa situation se
dégrade.
Une baisse d’autant plus inquiétante que les candidatures centristes ne
supportent guère, dans une campagne électorale, les ruptures de dynamique.
François Bayrou en avait fait l’amer expérience en mars 2007. Cette fois, le
scénario sera tout autre. À l’issue du ralliement du président du Modem,
Emmanuel Macron entame sa séquence la plus favorable dans la campagne,
en gagnant 6 points pour atteindre 26 % des intentions de vote. Non
seulement il se détache désormais définitivement de François Fillon, mais de
surcroît il réduit l’écart qui le sépare de Marine Le Pen, pouvant désormais
envisager de sortir en tête au premier tour. Le 23 avril, il la devance de près
d’un million de voix.

Des Français attachés à l’idéal européen


Car dans le même temps, la présidente du Front National va connaître une fin
de campagne délicate, perdant 6 points durant le dernier mois, pour finir à
moins de 22 %. Elle semble pâtir de plusieurs phénomènes : d’une part, des
électeurs qui ne constituent pas son cœur de cible, mais tentés par un vote FN
de mécontentement, décident de ne pas sauter le pas, visiblement par peur
d’un second tour opposant la candidate d’extrême droite au candidat de la
France insoumise.
C’est le cas parmi les séniors notamment, qui craignent la menace que
ferait peser sur l’euro un tel affrontement. C’est le cas également au sein des
classes moyennes. Au sein des catégories populaires, dans lesquelles le Front
National recrute depuis longtemps nombre de ses électeurs, le recul de
Marine Le Pen est plus limité, voire inexistant. Les affaires qui n’épargnent
pas durant la campagne le Front national et sa candidate, sans ébranler les
électeurs acquis à ce parti, affaiblissent incontestablement son discours anti
système et anti élites, limitant la portée de la nouvelle progression qu’il
connaît dans ce scrutin.
Convaincue, à raison, d’accéder au second tour, Marine Le Pen a mené
une campagne de second tour avant le premier, afin de contrer très tôt les
handicaps qui l’attendent dans le duel final. Cette volonté explique la
stratégie de campagne prioritairement axée sur la question de l’euro, visant à
déminer l’inquiétude que suscite cet enjeu dans l’électorat.
Les Français sont certes critiques sur la construction européenne et ses
imperfections, mais ils demeurent majoritairement attachés à l’idéal
européen, et l’abandon de la monnaie unique, son principal symbole
aujourd’hui, en est d’autant plus anxiogène. En reléguant au second plan ses
thématiques traditionnelles, elle s’est normalisée et a subit une concurrence
venue de toute part : de la droite sur le conservatisme sociétal, de la gauche
radicale sur la fronde sociale, du centre sur la révolte contre les élites.
Elle recueille le 23 avril certes 1,2 million de voix de plus qu’en 2012 et
850 000 voix de plus qu’au second tour des régionales de 2015, mais sa
défaite est d’ores et déjà consommée : avec près de 3 points de retard sur
Emmanuel Macron, même l’abstention des électorats des battus ne lui
offrirait pas la victoire. Un second tour au scrutin majoritaire nécessite des
alliés ou des ralliements et seul Emmanuel Macron en a de solides.
L’entre deux tours tourne vite au cauchemar pour elle : à courir après
l’électorat de la France Insoumise, elle ne cesse de s’affaiblir auprès de ceux
qui auraient pu le plus facilement la rallier, à savoir les électeurs de droite,
sans réussir pour autant à séduire les premiers. Le 7 mai, 56 % de l’électorat
Fillon vote Macron contre 23 % qui la choisissent. Au sein de l’électorat
Mélenchon, 62 % se prononcent pour le candidat d’En Marche, contre 13 %
qui lui préfère Marine Le Pen. Le débat précédant le second tour a mis au
jour les contradictions dans lesquelles la candidate s’enferrait en essayant de
ramener à elle des électorats non conciliables.
10.

RÉUSSIR LA RESTAURATION

Dans ce contexte, quel avenir pour le quinquennat Macron ? Quels sont les
écueils à éviter et les défis à relever pour le transformer en réussite dans
l’opinion et rompre enfin la spirale inexorable de la défaite annoncée du
sortant ? Avant de les définir, il convient tout d’abord de rappeler les
conditions de l’élection d’Emmanuel Macron.
Contrairement à ce qui se dit parfois, sa légitimité n’est pas moins forte
que celle de ses prédécesseurs. Il l’a emporté largement au second tour, certes
dans un scrutin avec un très faible taux de suffrages exprimés (66 %), le plus
faible après la présidentielle de 1969. Mais son score, rapporté au nombre
d’inscrits (43,6 %), est supérieur à celui de ses deux prédécesseurs (42,7 %
pour Nicolas Sarkozy et 39,1 % pour François Hollande). Il a par ailleurs fini
en tête du premier tour, devançant Marine Le Pen. Sa victoire n’est donc pas
que le produit du rejet de la candidate du Front National. Il n’en reste pas
moins que l’état du rapport de force politique se mesurant au premier tour, sa
base électorale de premier tour est plus faible que celle des deux derniers
présidents.
Avec 24 % des suffrages exprimés et un peu plus de 8,6 millions de voix,
le nouveau président est loin d’avoir rassemblé autant que ses deux
prédécesseurs. François Hollande avait en effet dépassé les 10 millions et
Nicolas Sarkozy les 11 millions de bulletins en 2012 et 2007. L’ampleur de la
victoire de son parti aux législatives, cinq semaines après son élection, ne
change pas cette réalité. Là encore, La République en Marche accuse un
déficit de voix sur le Parti Socialiste en 2012 de plus d’un millions de voix et
sur l’UMP en 2007 de près de 4 millions.
Emmanuel Macron est donc tout autant un président à la légitimité
incontestable que celui d’une France éclatée politiquement.

Un nouveau quadripartite plus clivé

D’abord parce que quatre blocs électoraux se font face et ont chacun recueilli
entre un peu moins de 20 % (Jean-Luc Mélenchon) et les 24 % du Président,
du jamais vu sous la Ve République.
Ensuite, parce que ce quadripartisme apparaît bien différent de celui
qu’avait connu le pays dans les années 1970 et 1980. À l’époque, socialistes
et communistes à gauche, gaullistes et démocrates-chrétiens à droite,
s’affrontaient au premier tour mais se fondaient dans une même majorité au
second. Rien de tel en 2017 : aucun de ces quatre blocs ne semble compatible
avec l’un des trois autres, réduisant de facto la coalition électorale de l’élu à
ses voix de premier tour.
Il faut dire que la sociologie et le positionnement politique de ces
différentes forces politiques se révèlent particulièrement clivés. La France qui
a voté pour Jean-Luc Mélenchon se classe politiquement à gauche et même
très à gauche, puisque c’est ainsi que se définissent 44 % de ses électeurs.
Elle est plus politisée que la moyenne, 57 % de cet électorat déclarant que les
choix politiques occupent une place importante dans leur vie quand moins
d’un Français sur deux pensent de même. Elle est jeune et ne compte que
14 % de plus de 65 ans contre 60 % de moins de 50 ans. Elle se recrute au sein
du salariat, du public bien sûr mais également du privé (60 % de ses électeurs)
et des classes moyennes (qui pèse pour environ 40 % dans son électorat).
Les similitudes des soutiens du candidat de la France Insoumise sont
nombreuses sociologiquement avec celles de la France qui a préféré soutenir
Marine Le Pen. Là aussi, c’est une France jeune qui ne compte que 10 % de
plus de 65 ans contre 63 % de moins de 50 ans. La candidate frontiste est
également puissante auprès des salariés (61 %) et fait aussi bien que Jean-Luc
Mélenchon auprès des fonctionnaires et salariés du public. La France
Lepéniste est en revanche plus implantée parmi les catégories populaires un
électeur sur deux de Le Pen en est issu et 40 % des ouvriers qui ont voté le 23
avril se sont prononcés en sa faveur. Elle est surtout bien moins diplômée que
celle de la France Insoumise : 35 % des personnes titulaires d’un diplôme
inférieur au bac ont voté pour la candidate du Front National contre
seulement 10 % des titulaires d’un diplôme supérieur à Bac+2. En revanche,
politiquement, ces deux électorats s’opposent. 57 % des électeurs de Marine
Le Pen se classent très à droite sur une échelle politique et leurs priorités
politiques divergent : immigration et sécurité demeurent fondamentaux pour
ceux qui choisissent Marine Le Pen, tandis que protection sociales et
inégalités sociales l’emportent pour ceux de Mélenchon. Au final, même sur
le rapport à l’Europe, les attitudes politiques de ces deux France semblent peu
compatibles. Si 58 % des électeurs frontistes estiment que l’Europe est une
mauvaise chose pour le pays, ils ne sont que 18 % à juger de même lorsqu’ils
ont voté Mélenchon. La France de Marine Le Pen est donc une France de
droite, mais elle n’incarne qu’une partie de ce courant politique.
Car ceux qui ont voté Fillon se définissent à 82 % également de droite.
Une droite qui a privilégié dans ses motivations de vote la dette et les déficits
(56 %), l’emploi (53 %) ou la lutte contre le terrorisme (52 %), qui croient au
bénéfice pour le pays de l’Union Européenne (64 %). Sociologiquement aux
antipodes de la droite frontiste, l’électorat de François Fillon est âgé (45 % a
65 ans ou plus et seulement 13 % moins de 35 ans), pas ou plus en activité
professionnelle (60 %) et aisé (38 % vivent dans un foyer gagnant plus de
3 500 euros nets par mois). Il ne ressemble que très partiellement à celui ayant
soutenu le nouveau président.
Comme celui de Fillon, l’électeur Macron est plus diplômé et plus aisé
économiquement que la moyenne. Mais le nouveau président a cependant
réussi à mobiliser plus fortement dans l’ensemble des catégories de
population. En atteste la structure générationnelle de son électorat très étale :
on y trouve autant de moins de 35 ans (25 %) que de seniors (25 %) ou de
personnes en plein âge d’activité (25 % parmi les 35-49 ans). Il est certes plus
souvent un habitant des centres-villes mais n’est pas absent pour autant des
zones rurales (21 %). Et si Macron réalise un résultat exceptionnel parmi les
cadres et professions intellectuelles supérieures (34 %), il recueille également
17 % parmi les employés. Surtout, le leader d’En Marche incarne une France
plus optimiste, concentré sur les enjeux socio-économiques (emploi, santé,
éducation) et peu préoccupée par l’immigration, l’insécurité ou le terrorisme.
Une France qui souhaite que le pays s’ouvre davantage sur le monde, libérale
économiquement et progressiste sur les questions de société, (immigration ou
homoparentalité par exemple).

Rétablir la confiance dans le politique

Ces différences sociologiques et de vision du monde expliquent le


phénomène inédit que l’on a vu émerger pendant la campagne : chacun des
quatre candidats majeurs était rejeté par l’électorat de ces concurrents. Dès
lors, le second tour de la présidentielle, quel que soit sa configuration, ne
pouvait s’apparenter qu’à une élection de rejet de l’un des finalistes, vidant
de sa substance la notion même de majorité présidentielle.
Désormais élu et doté d’une majorité confortable à l’Assemblée Nationale,
Emmanuel Macron doit donc diriger un pays politiquement polarisé comme
rarement dans son histoire récente. De ce point de vue, son projet politique
visant à dépasser le clivage gauche-droite traditionnel, s’inscrit parfaitement
dans ce contexte et est de nature à répondre à ce défi auquel fait face le
nouveau Président. Il constitue naturellement le principal point d’appui du
macronisme dans l’opinion.
Fin juillet 2017, jamais les Français n’ont été aussi nombreux à ne faire
confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner (71 %) et à juger que
ces notions ne veulent plus dire grand-chose (80 %). En nommant au
lendemain de son investiture un Premier ministre de droite et en confiant
Bercy à deux ministres transfuges des Républicains, il a donné un visage à
l’élément central de sa campagne et de ce fait tenu son principal engagement
de campagne. C’est un atout pour le quinquennat qui s’ouvre, quoi qu’il
advienne.
Le préalable à la réussite de celui-ci réside en effet dans le rétablissement
d’un minimum de confiance politique. Emmanuel Macron a veillé dès les
premiers jours à respecter sa promesse de rompre avec l’ordre politique
ancien. Dans la composition de son premier gouvernement, dans le profil de
sa nouvelle majorité parlementaire, à travers la première loi sur les règles
concernant la vie politique, il a envoyé des signaux attendus par l’opinion
pour concrétiser la promesse qui l’a porté à l’Élysée. Il faut dire qu’il était
probablement de tous les prétendants celui qui avait le mieux analysé et
compris les errements du début du quinquennat Hollande et savait dès lors
que s’il ne le faisait pas, il serait durement sanctionné. Cela lui a permis
d’élargir rapidement sa base de soutien, en agrégeant à ses électeurs près des
deux tiers de ceux de Benoît Hamon et de François Fillon dans les premières
semaines de sa présidence. Certes, cela n’en a pas fait qu’un président aussi
populaire que ses prédécesseurs à l’issue de son élection, mais compte tenu
de son socle initial, ce n’était pas garanti.

Transformer le clivage gauche/droite

Le programme économique et sociétal qu’il a proposé au pays peut-il


également lui permettre d’élargir durablement son soutien dans l’opinion ?
Cela semble plus incertain. Non pas que les mesures proposées par le
candidat soient dans l’absolu rejetées ou minoritaires. Comme souvent, il n’y
a pas de réponses uniformes à cette question. Certaines sont adoubées
largement, comme la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des
Français (64 %) ou le rétablissement du jour de carence pour les
fonctionnaires (61 %). D’autres en revanche suscitent des réticences voire une
opposition franche. C’est ainsi le cas de la réforme de l’ISF qu’il souhaite
mettre en œuvre (58 % des Français n’y sont pas favorables) ainsi que de
certaines mesures contenues dans son projet de refonte du code du travail
(52 % des Français et 65 % des salariés contestent le plafonnement des
indemnités prud’homales). La difficulté à venir, pour Emmanuel Macron, est
donc plutôt d’une autre nature.
Son projet agrège des propositions dont certaines plaisent à l’électorat de
droite et d’autres à celui de gauche, qui pourrait lui laisser espérer de
rassembler plus largement que ses prédécesseurs. Mais cet exercice déjà
délicat dans une campagne électorale sous risque de perdre sur les deux
tableaux – et que le nouveau président a réussi avec brio – l’est encore plus
dans l’exercice du pouvoir. La nature critique du tempérament français
comporte un risque majeur dans une telle situation : se heurter à des citoyens
qui ne retiendront que les mesures qu’ils rejettent, en oubliant celles qu’ils
soutiennent.
Pour contourner ce prisme pessimiste de l’opinion, il faudra que les
décisions prises soient suffisamment fortes pour laisser des traces profondes
dans les esprits. Autrement dit, le dépassement du clivage gauche-droite, s’il
s’avère n’être sur chaque sujet qu’un compromis ou une synthèse entre les
deux, risque de fort de n’agréger que les mécontentements. Ses chances de
succès seront plus élevées s’il consiste à combiner selon les enjeux des
transformations profondes souhaitées par l’une ou l’autre.

Conquérir la droite par la base

Face à l’opinion, Emmanuel Macron devra affronter une ambiguïté majeure


qui résulte des conditions de son élection : porté au pouvoir majoritairement
par un électorat de centre gauche (environ un électeur sur deux de François
Hollande de 2012 a voté pour lui), qui lui a permis de finir en tête du premier
tour, sa politique est perçue comme penchant au centre-droit. Il y a des
racines à cela, la nomination d’Édouard Philippe à Matignon et de Bruno Le
Maire à Bercy en étant la principale. Emmanuel Macron avait besoin d’un
Premier ministre de droite pour rendre inéluctable sa victoire aux législatives.
En effet seuls Les Républicains pouvaient à l’époque constituer une
majorité alternative et il fallait s’en prémunir. Nommer un Premier ministre
de droite symbolisait ce « ni droite ni gauche » que le président voulait
incarner et rendait la promesse tangible. Une fois les élections gagnées, la
légitimité du Premier ministre était construite pour poursuivre sa mission.
Tout cela a conduit dès les premières semaines à une popularité présidentielle
renforcée, au delà de l’électorat Macron, davantage par la droite que par la
gauche. En juillet 2017, 60 % des électeurs de François Fillon sont satisfaits
de son action. Un phénomène accentué par l’agenda économique du début de
mandat (ordonnances travail, baisse de la fiscalité du capital, respect des 3 %
de déficit public, etc.).
La conséquence de cette situation est qu’elle renforce le poids du Premier
ministre car le président a absolument besoin de conserver le soutien de la
droite pour conserver une assise plus large que le socle qui lui a permis de
l’emporter le 23 avril. La couleur présidentielle a imperceptiblement glissé du
centre gauche au centre droit. Édouard Philippe est politiquement bien placé
pour incarner la politique menée et dès lors le rapport de force avec le
président s’en trouve rééquilibré. Cela induit néanmoins une situation
politique potentiellement instable car il n’est pas certain en revanche que le
Premier ministre soit au point d’équilibre de la majorité.
Pour toutes ces raisons, dans le quinquennat qui débute, l’électorat de
droite est dans le fond, le premier risque et la première opportunité pour le
Président. Le premier risque car numériquement, la droite reste la première
force d’opposition à la majorité actuelle. Elle est la force politique qui a le
plus de députés et celle qui a obtenu le plus de voix au premier tour des
législatives (au sein des « oppositions »). Certes, elle n’a pas de leader et de
projet pour le moment, mais rien de moins classique après une défaite et la
nature ayant horreur du vide, l’un et l’autre finiront probablement par
émerger. Elle dispose aussi d’une base d’élus locaux forte ce qui n’est pas
négligeable, même dans le « nouveau monde » issu de l’élection d’Emmanuel
Macron. C’est donc naturellement en son sein que devrait se forger la future
opposition ou alternative au chef de l’État.
Mais l’électorat de droite est aussi la première opportunité pour le
président car c’est un courant qui aujourd’hui se fracture entre soutien, passif
ou actif, à la politique gouvernementale et opposition au nouveau pouvoir. La
volonté de transformer le pays, clairement réaffirmée d’Emmanuel Macron
depuis son élection, tant sur le droit du travail, que sur la fiscalité ou
l’éducation, ouvre en son sein un potentiel pour élargir la majorité actuelle et
imposer plus durablement la domination politique du « Macronisme ». Une
course de vitesse est probablement engagée entre le pouvoir et Les
Républicains, afin d’arrimer un électorat de droite flottant depuis la défaite de
son camp. C’est l’un des enjeux de la constitution du groupe des constructifs
à l’Assemblée Nationale, mais la limite de l’exercice vient du fait que la
majorité n’a pas besoin d’eux pour faire passer ses textes. Ce n’est donc pas
au parlement que cela se jouera.
Dans le champ politique, il faudra plutôt surveiller ce qui se passe au
niveau local, notamment dans les exécutifs départementaux ou régionaux.
C’est ici que pourraient se construire les « relais » de droite du nouveau
pouvoir, notamment au moment de la série de scrutins locaux qui démarrera
avec les municipales de 2020. Une droite centriste autonome, plus puissante
qu’actuellement, pourrait se reconstituer et servir de force d’appui pour
l’implantation du parti présidentiel localement.

En finir avec l’ancien monde politique

Emmanuel Macron doit parallèlement résoudre l’équation qui s’est révélée


insoluble pour ses deux prédécesseurs, celle du positionnement de la fonction
présidentielle à l’heure du quinquennat. Il s’est construit contre François
Hollande pour parvenir à l’Élysée, il a donc naturellement pris
systématiquement son contrepied depuis son investiture, afin que chacun
comprenne qu’il serait tout sauf un président « normal ».
Pour ne pas revivre le même cauchemar, dès les premières heures, il s’est
attelé à étouffer l’idée qu’il puisse manquer d’expérience et de stature dans
un monde redevenu instable et dangereux. Du pas lent et quasi militaire dans
la cour de l’Élysée lors de la passation de pouvoir à la méticulosité de la
scénographie de ses rencontres avec Trump ou Poutine, tout fut pensé dans
cet esprit. En parallèle, il a veillé à la construction d’une imagerie
présidentielle extrêmement calibrée, pour investir d’emblée la dimension
régalienne de la fonction et incarner l’imaginaire gaullien de l’exercice de la
fonction. Enfin, son choix sur les enjeux nationaux de raréfier la parole
présidentielle dans les médias pour la dispenser exclusivement dans un cadre
plus institutionnel rappelant les ors de la fonction – comme ce fut le cas
devant le Congrès de Versailles – visait à rompre là encore avec la posture de
son prédécesseur.
S’il y a bien une chose qui oppose Macron à Hollande, c’est le rapport à la
communication. Quand ce dernier tentait de lui résister et la jugeait futile,
Emmanuel Macron y accorde une importance toute particulière. La
communication élyséenne qu’il veut imposer renoue avec la tradition en
vogue sous François Mitterrand puis Jacques Chirac. C’est probablement de
son point de vue le meilleur moyen de réinstaurer de la verticalité dans la
relation entre le président et les Français. Les électeurs ne lui reprocheront
pas d’user des attributs du pouvoir, tant la demande d’autorité est l’une des
marques de la société française d’aujourd’hui. Cela passe également par
retrouver un rapport plus conventionnel entre les deux têtes de l’exécutif,
président et Premier ministre pour replacer le chef de l’État au dessus de la
mêlée.
Mais ces orientations sont contradictoires avec d’autres caractéristiques du
macronisme au pouvoir. Son choix d’un gouvernement de techniciens plus
que de politiques et les consignes strictes qui leur ont été donné de ne pas
s’épancher dans les médias les rendent peu visibles. Tout comme le fait
d’avoir reçu les partenaires sociaux dans son bureau à l’Élysée pour débuter
la concertation sur la loi travail. Elles se heurtent également à la complexité
de la demande des citoyens : si la verticalité est appréciée, elle n’exclue pas
une demande d’horizontalité à l’égard du politique afin de mieux prendre en
compte leur avis et de les associer à la décision. Dès lors, le nouveau chef de
l’État peut bien ne pas s’exprimer dans les médias, son image y est
omniprésente et concentre tous les regards, d’autant plus que sa figure est si
récente dans le paysage politique qu’elle suscite un intérêt maximal. Ce qui
ne lui permet pas de s’extraire autant qu’il le souhaiterait du quotidien de
l’exercice du pouvoir et le ramène à l’hyper-présidence tant décriée sous
Nicolas Sarkozy. D’autant plus qu’il sera très vite rattrapé par un contexte
médiatique qui n’a plus rien à voir avec celui des années 1980 ou 1990. Dès
l’automne, après sa forte chute estivale dans les sondages, il renoue avec des
interventions médiatiques plus fréquentes.
Dévaster l’ancien monde politique fut la condition nécessaire de la victoire
présidentielle et législative d’Emmanuel Macron. Il lui faut désormais éviter
d’en être la première figure. L’extraordinaire capacité d’adaptation dont il a
fait preuve durant la campagne et depuis sa prise de fonction peut le garantir
contre ce risque. Elle est également son pire ennemi s’il en a déduit que tout
est rattrapable. L’opinion est loin d’avoir fait sienne le concept du droit à
l’erreur.
Son entrée à l’Élysée n’a en rien effacé les racines de la défiance politique,
toujours aussi puissantes dans le pays. La perte de crédit de l’État, dans un
pays qui ne jure que par lui, n’est pas l’une des moindres. Si l’opinion
publique s’accorde sur la nécessité de sortir le pays de ses blocages afin de se
projeter à nouveau vers l’avenir, la société est divisée sur les remèdes à
apporter à ce surplace et sur les acteurs qui doivent être moteurs dans cette
transformation.
Une majorité de Français craint par ailleurs de ne pas faire partie des
bénéficiaires de ces changements. Le président aime laisser dire que « France
is back » depuis son élection. Les Français souscrivent à cet espoir. Encore
faut-il qu’ils le ressentent dans les mois ou années qui viennent, sous peine
que cette défiance sous-jacente ne s’exerce désormais contre lui.
11.

TROIS SCÉNARIOS POUR LE NOUVEAU MONDE

Quelques mois après l’élection d’Emmanuel Macron, le grand


bouleversement auquel nous avons assisté en 2017 semble loin d’être achevé.
Si l’on commence clairement à distinguer ce qui n’est plus, les contours du
nouveau paysage politique demeurent encore incertains. Réfléchir à quelques
grands scénarios pour ce quinquennat semble dès lors une démarche adaptée
pour appréhender les quatre années à venir.
Jouez avec nous en choisissant à l’issue de ce chapitre le scénario que
vous jugez le plus probable d’ici 2022.

⋆⋆⋆

Scénario 1

La dévitalisation
Ce premier scenario comblerait probablement de bonheur le président de la
République s’il se réalisait. Il pourrait s’intituler « La dévitalisation ». Dans
cette hypothèse, la vie politique française ne s’organiserait plus demain
autour du clivage gauche/droite, comme ce fut le cas tout au long de la Ve
République, mais se polariserait entre ceux qui défendent des valeurs
d’ouverture sur le monde et ceux plutôt tentés par le repli ou la demande de
protection au sein de frontières nationales.
Un tel basculement ne signifierait pas la disparition des notions de droite
ou de gauche mais plutôt que cette distinction ne constituerait plus, comme
ces dernières années, la base sur laquelle se constituerait les rassemblements
ou alliances politiques permettant de former des majorités politiques, tant au
niveau des électeurs, lorsqu’ils doivent arbitrer dans un duel de second tour,
que des partis politiques, lorsqu’ils sont amenés à former des majorités dans
les assemblées d’élus. Dans ce schéma, La République en Marche, le parti
présidentiel, occuperait bien évidemment une position centrale et
probablement dominante pour plusieurs années. La gauche se diviserait en
effet entre une frange radicale et souverainiste incarnée par France Insoumise
et une tendance pro-européenne, tout comme la droite l’est déjà aujourd’hui
– et depuis trente ans – entre le bloc Les Républicains-UDI et le Front
National. Cette fracturation autour du clivage ouverture/fermeture face au
monde continuerait d’affaiblir les formations à la gauche et à la droite de La
République en Marche, leur offre politique étant moins lisible et cohérente
que celle du parti présidentiel ou des forces radicales des deux bords.
Après avoir capté une grande part de l’électorat socialiste – la plus
européenne – lors de la présidentielle, la majorité capterait notamment
l’électorat de droite le plus favorable à l’approfondissement de l’UE. PS et
LR se retrouveraient donc électoralement dans une impasse : affaiblis par la
fuite d’une partie de leurs électeurs vers cette grande formation centrale, ils
ne pourraient compenser ce handicap à travers des alliances, compte tenu du
différent fondamental qui les opposent aux souverainistes sur les enjeux liés à
la mondialisation et à la construction européenne.
Dès lors, un véritable cercle vicieux s’enclencherait contre eux : face à la
pression des mouvements populistes, les électeurs modérés seraient tentés de
se rassembler autour de La République en Marche pour leur faire barrage. De
leur côté, les deux rives « souverainistes » (France Insoumise et Front
National) étant culturellement inconciliables, elles ne parviendraient pas plus
à constituer une coalition susceptible de l’emporter. Sans être nécessairement
majoritaire, Emmanuel Macron serait en position de force pour briguer un
second mandat, même si les résultats de sa politique se révélaient décevants.
Dans un système politique parlementaire, une telle évolution pourrait
permettre à La République en Marche de devenir incontournable à toute
majorité pour plusieurs années, même affaiblie, en devenant le pivot central,
comme ce fut le cas sous la IIIe République pour le Parti Radical, ou avec la
Démocratie Chrétienne en Italie. Mais le présidentialisme imposé par la Ve
République ne garantirait probablement cette configuration que tant
qu’Emmanuel Macron en serait le leader. Autant le délai serait très court d’ici
2022 pour que le PS ou LR inversent cette évolution, autant par la suite,
l’usure du pouvoir et la difficulté de faire émerger un leader aussi talentueux
que le président ouvriraient une ère plus incertaine.
Ce scénario idéal pour assurer la domination du macronisme bénéficie
aujourd’hui d’atouts incontestables. Il convient d’abord de rappeler que bien
avant 2017, l’émergence puis la progression du Front National avait
largement perturbé l’affrontement droite/gauche traditionnel. Le réalignement
politique constaté lors de la présidentielle et son paysage politique fragmenté
serait la suite logique de ce processus. Combinée à la vitalité des deux forces
politiques aux extrémités du spectre politique (France Insoumise et Front
National), un tel paysage contribue à déplacer le débat politique vers ce
nouveau clivage ouverture/fermeture face au monde.
Par ailleurs, l’ampleur de l’effondrement du Parti Socialiste rend
également un tel scénario possible. Le score de son candidat à la
présidentielle fut si faible qu’il a balayé l’implantation locale de ses
parlementaires, dont le nombre a été divisé par dix quelques semaines plus
tard. Cumulé à l’affaiblissement des positions locales du PS durant le
quinquennat Hollande, il semble improbable que les socialistes reconstituent
dans les cinq années qui viennent une force capable de s’extraire de l’étau
dans lequel La République en Marche et France Insoumise l’enferment
aujourd’hui. Dès lors, si l’étroitesse de la base sociologique du macronisme
est souvent décriée, son homogénéité apparaît suffisamment forte pour
continuer à dominer un PS laminé par son échec de 2017.
Reste pour Emmanuel Macron à réussir la même opération à droite. Le jeu
y est moins écrit, dans la mesure où les élections du printemps ont rappelé
que la droite dispose d’une base électorale d’environ 20 %, sur laquelle elle
peut s’appuyer pour une refondation. Ajouté à son implantation locale et à la
crise de confiance qui s’est installé au Front National durant l’été, l’avenir de
LR semble à ce jour certes incertain mais plus qu’ouvert.
Mais, le principal obstacle à la mise en place de ce scénario demeure la
persistance du clivage gauche/droite. La campagne électorale nous rappelle
que ce clivage est incontestablement affaibli et concurrencé par d’autres
fractures, mais qu’il n’a pas disparu pour autant. À ce jour, les deux tiers des
électeurs continuent de se définir de gauche ou de droite lorsqu’on leur
demande de se positionner sur une telle échelle, contre un tiers seulement qui
s’y refusent ou se placent au centre. Et la cohérence de valeurs de nombre
d’électeurs permettant de les rattacher à la gauche ou à la droite perdure.
Dépasser ce clivage, tel que l’a réussi si brillamment le président de la
République au printemps dernier est une chose. Le dévitaliser en est une
autre.

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Scénario 2

Retour au centre
Ce deuxième scénario verrait le champ politique connaître une forme de
destrisme dans son évolution. Dans cette hypothèse, bien qu’ayant largement
réussi à secouer le champ et l’espace politique, Emmanuel Macron ne
parviendrait pas à mener à son terme la recomposition. Subrepticement, le
quinquennat avançant, le pessimisme français reprenant le dessus, la droite
résisterait aux assauts du Président, qui ne parviendrait pas à mordre plus sur
son électorat qu’il ne l’a fait au cours des élections de 2017. Dans le même
temps, les difficultés rencontrées par le Front National affaibliraient la
concurrence subie par Les Républicains de ce côté de l’échiquier.
Naturellement, ayant déjà aspiré la moitié de ses électeurs à la
présidentielle et n’ayant pas réussi à intégrer ses prises au centre droit au sein
du mouvement, La République en Marche occuperait l’espace précédemment
occupé par le Parti Socialiste, certes amputé de son aile gauche mais renforcé
par le centrisme de François Bayrou. Le parti d’Emmanuel Macron se
substituerait ainsi au PS, dans une position plus centrale, mais sans lui laisser
l’espace suffisant pour renaître compte tenu de l’importance prise par la
France Insoumise à l’issue de la présidentielle.
Les socialistes pourraient même se retrouver dans l’obligation de choisir
entre Mélenchon et Macron, renforçant un peu plus encore cet ancrage de
LREM au centre gauche. Le quinquennat avançant, la recomposition
politique imposée par Emmanuel Macron se traduirait donc moins par un
grand chambardement que par un repositionnement et une refondation du
principal parti de la gauche gouvernementale, plus à droite sur l’échiquier
qu’il ne l’était précédemment. Il est possible qu’il s’accompagne également
d’un déplacement vers la droite de LR, mais ce n’est pas obligatoire.
La probabilité de réalisation de ce scénario tient à la fois à la difficulté
d’effacer un clivage ayant structuré si profondément l’affrontement politique
depuis des décennies et à la pression exercée par le mode de scrutin à la
présidentielle, qui pousse à la bipolarisation. Sous la Ve République, occuper
le centre est utile dans la perspective du second tour sous réserve de pouvoir
s’appuyer sur une base solide de premier tour. Cette évolution permettrait à
La République en Marche d’en disposer en stabilisant l’électorat conquis en
2017.
Contrairement à une idée reçue, ce scénario n’est pas incompatible avec la
politique économique menée par le président depuis son élection : en effet,
ses électeurs de premier tour – et donc ceux qui pourtant votaient socialistes
auparavant – soutiennent massivement les orientations prises depuis son
entrée en fonction. Ce retour à gauche pourrait se concrétiser lorsque le
président quittera le terrain purement économique et social pour s’aventurer
sur les enjeux sociétaux. Il semble avoir renvoyé pour le moment ces choix à
plus tard dans ce domaine. Mais si demain, il décidait d’ouvrir le droit à la
PMA à toutes les femmes, de pratiquer une politique d’accueil des réfugiés
plus généreuse, il recréerait inéluctablement de la distance avec un électorat
de droite et du centre rétif à ces propositions. Son principal obstacle réside en
revanche dans la volonté présidentielle de ne pas faire de son mouvement un
simple successeur su PS. Emmanuel Macron fera tout pour éviter de le voir
se réaliser et ne s’y résoudrait probablement que par défaut.

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Scénario 3

L’enlisement

Enfin, dernier scénario possible, celui de l’enlisement. Dans cette hypothèse,


le macronisme n’aurait été qu’une parenthèse politique, porté par des
éléments purement conjoncturels, s’appuyant sur la crise de leadership et la
défiance morale à l’égard des deux principaux partis de gouvernement.
Le président aurait magistralement profité de la situation pour s’imposer
en 2017 mais ne parviendrait pas à substituer à l’offre précédente une force
politique qui s’impose durablement. Les résultats économiques décevants de
sa politique, les tensions sociales et l’incapacité de La République en Marche
à s’enraciner localement lors des élections municipales et régionales de fin de
mandat laisseraient suffisamment d’espace, tant à gauche qu’à droite pour
que se reconstituent des forces de gouvernement concurrentes et
compétitives. L’attractivité dont fait preuve la majorité en ce début de
quinquennat s’inverserait et le parti présidentiel serait confronté à la tentation
du retour vers leur famille d’origine d’une partie de ses soutiens. Les
oppositions entre les différentes sensibilités présentes au sein de la majorité
s’exprimeraient de plus en plus ouvertement et l’affaiblirait, ce qui ne serait
pas ans effet sur la cristallisation de son électorat. Nous assisterions à une
forme de retour à la case départ et si Emmanuel Macron ne se représentait pas
en 2022 ou ne réussissait pas à s’imposer comme l’un des deux finalistes, son
mouvement politique aurait de grandes difficultés à rompre cette spirale
négative.
Aujourd’hui, un tel scénario n’apparaît pas comme le plus probable. Le
délai offert aux deux anciens partis de gouvernement pour renaître est bien
court, face à la crise idéologique et de leadership qu’ils rencontrent. Que l’un
d’entre eux y parviennent à cette échéance reste envisageable, mais que les
deux le fasse simultanément dans ce calendrier est plus douteux. De surcroît,
la rapidité avec laquelle Emmanuel Macron a réussi à endosser la fonction
présidentielle et l’habileté dont il fait preuve depuis le début de son mandat
plaident contre une telle évolution. Mais l’élection de 2017 doit nous
conduire à l’humilité lorsque l’on s’essaye aux prévisions et donc à ne
balayer aucune hypothèse d’un revers de la main.

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REMERCIEMENTS

Merci à l’ensemble des équipes du département politique d’OpinionWay, qui


ont contribué au cours de ces cinq dernières années à la production des
données qui m’ont permis de rédiger cet ouvrage.
Merci également à Hugues et Yann pour la confiance qu’ils m’accordent
depuis plus de onze ans et leurs encouragements dans ce projet.
Merci à Jean qui en dépit des multiples péripéties de cette aventure, n’a
jamais rien lâché.
Merci enfin à Delphine et Joséphine, pour leurs conseils et relectures
attentives.
TABLE

Avant-propos
Introduction
1. L’été meurtrier
2. La guerre du mariage n’aurait pas dû avoir lieu
3. Le ras-le-bol fiscal
4. Leonarda, première opposante
5. Et la courbe s’inversa
6. La stature introuvable
7. Privé de vie privée
8. Une primaire peut en cacher une autre
9. La campagne anormale
10. Réussir la restauration
11. Trois scénarios pour le nouveau monde
Remerciements
Table
Colophon
COLOPHON

Préparation, correction, composition et mise en page :


Cent Mille Milliards

Version électronique :
Jean-Marie Benoist

Typographies :
à l'intérieur, Coline Première et Cursive, © Émilie Rigaud ;
en couverture, Gotham, © Hoefler & Co.

ISBN : 979–10–97455–25-5

www.editions-descartes.fr
www.centmillemilliards.com

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