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Noureddine DOUGUI
1
Actes du colloque sur « Les relations tuniso-françaises au miroir des élites », Faculté des lettres de la
Manouba, 2, 3 décembre 1994.
2 Le professeur Saïd Mestiri, chirurgien renommé, appelé à la veille des événements de Bizerte à
renforcer le corps médical de l’hôpital de la ville, a eu l’amabilité de nous confier un chapitre inédit de
seS mémoires.
2
restent en suspens. Aucun terrain d’entente n’est trouvé sur trois points :
l’évacuation des 22000 militaires français qui stationnent en Tunisie, le statut de
la base aéronavale de Bizerte et la sécurité des frontières avec l’Algérie.
3
Georges Gorse, «La nuit de mai » in Revue des Deux Mondes, novembres 1984.
4
Victor Silvera, « en marge des événements de Bizerte : réflexions sur la crise des rapports franco-
tunisiens ». in Revue de Défense nationale, avril 1962, p. 618.
5
La suspension de l’aide française ne met fin à la coopération entre les deux pays. A la veille de la
crise de Bizerte, 60% du commerce extérieur tunisien continue à s’effectuer avec la France, les
groupes français contrôlent, de leur côté, en totalité les mines de fer, de plomb, de zinc et la moitié des
actions du complexe phosphatier de Sfax-Gafsa. Dans l’agriculture, 500 000 hectares de terres
agricoles sont entre les mains de sociétés ou de colons de nationalité française. Bien que peu
importante, l’activité industrielle est soumise à la tutelle de grandes entreprises françaises qui
détiennent un véritable monopole sur le secteur des transformations de métaux et des engrais. Leur
part dans la production de branches telles que la papeterie, la cartonnerie, la brasserie atteint 90%, et
50% dans la production des matériaux de construction. Dans la minoterie, leur chiffre d’affaires global
est de l’ordre de 130 millions de nouveaux francs.
6
La République délivrée de l’occupation étrangère (1959-1964), Textes réunis et commentés par
Mohamed Sayah, Tunis 1986, p. 169 et suivantes.
3
Il est vrai que Bizerte abrite la rade la plus large et la mieux défendue de
toute la Méditerranée. Couvrant une superficie de 300 km2, elle comporte un
complexe opérationnel composé d’un port de guerre, un aéroport, un arsenal, un
poste de commandement et de détection sous abri antiatomique et quelques
postes de défense isolés, séparés de quelques Kilomètres11.
7
Le Monde du 20/6/1960.
8
Le Petit Matin du 3 février 1960.
9
L’Est Républicain du 22 février 1958 cf aussi le Journal du 21/3/1958.
10
Journal de Genève du 3/3/1958 voir aussi Le Monde diplomatique du 16/4/1960 « Bizerte
et l’Occident ».
11
Vice-amiral Barjot, « Bizerte port antiatomique et nouveau Gibraltar de la Méditerranée
centrale », Revue de Défense nationale, août-sept 1952, pp.147-160, voir aussi contre-animal
Lepotier, « Bizerte, Base stratégique », Revue de Défense nationale, avril 1958, p. 561.
12
France Observateur du 27 juillet 1961 cf aussi Le Courrier de la Colère du 27/3/1958.
13
Arch. CDN, affaire de Bizerte, avis présenté un nom de la commission de la défense de l’union
françaises à l’assemblée de l’union française, 13 juin 1956.
4
est reconnue, mais le périmètre militaire est considéré comme une préfecture
maritime française, comme Brest et Toulon ; et ce, en vertu de la convention
franco-tunisienne du 21 mars 1942 qui avait consenti aux installations militaires
de Bizerte le privilège d’extra-territorialité14. Les textes de 1942 sont abrogés au
lendemain de la crise de Sakiet, mais la France rechigne à changer le statu quo15.
14
Le Monde du 20 mars 1958 « Les textes accordant un statut particulier à Bizerte n’ont pas été
abrogées ».
15
Ibid.
16
Arch CDN, Affaire de Bizerte, discours du président Bourguiba du 25 janvier 1960.
17
Le Monde Diplomatique, op, cit.
18
Charles Debbasch, « La politique de Bizerte », Annuaire de l’Afrique du Nord. T.II, 1963, p. 205.
5
19
Arch CDN, affaire de Bizerte, conférence de presse de Bourguiba du 17 février 1959.
20
Arch, CDN, affaire de Bizerte, discours de Bourguiba du 4 février 1959.
21
Arch CDN, affaire de Bizerte, conférence de presse de Bourguiba du 17 février 1959.
20
Arch, affaire de Bizerte, conférence de presse de Bourguiba du 17 février 1959.
22
Ibid
23
Finance de 27 Juillet 1961.
6
On sait toutefois que trois sujets ont dominé les conversations des deux
chefs d’Etat : l’Algérie, Bizerte et Sahara.
24
Amiral Lepotier, Bizerte, Paris 1966, p. 396.
25 Habib Bourguiba junior, « Contribution au centenaire du général de Gaulle » in Espoir,
Revue de l’Institut Charles de Gaulle, Plon, juin 1992
26 Pour de Gaulle, la visite effectuée par Bourguiba à Paris a un seul objectif : négocier la
cession d’une partie du Sahara : « s’il a tenu à me faire visite, c’est assurément pour marquer
qu’il approuve mon action en vue d’une négociation algérienne et qu’il souhaite jouer un rôle
conciliateur au cours de la confrontation. Mais c’est aussi pour obtenir quelques avantages au
moment où l’Algérie va recevoir beaucoup. » Mémoires d’espoir, Paris 1969, p. 108.
27 Charles de Gaulle, conférence de presse du 5 septembre 1961, Le Monde du 7 septembre 1961.
7
Or, non seulement il n’est pas écouté en France qui entend imposer l’idée
d’une africanisation du désert sous contrôle 31 , mais il constate que le FLN
accentue sa position sur le Sahara. La France a réussi à diviser le maghrébins sur
un problème essentiel : l’exploitation du pétrole saharien. Résultat : le
rapprochement avec la France a affaibli la position de la Tunisie au Maghreb et
dans le monde arabe.
La concomitance de certains faits extérieurs circonscrits, combinés avec
les maladresses des autorités militaires de la base navale de Bizerte expliquant le
rebondissement inopiné des revendications tunisiennes sur Bizerte et l’ouverture
de la crise.
Les sources françaises tendent à accréditer la thèse d’une volte-face
tunisienne ou d’une simple fuite en avant32.
Malheureusement, l’état actuel des documents consultables et la fragilité
des indices disponibles sur le chevauchement des événements ne permettent pas
de tirer des conclusions définitives sur la responsabilité effective des différents
protagonistes dans l’évolution dramatique des événements.
30
El Moujahid du 19 juillet 1961.
Sous le titre « les revendications tunisiennes encouragent la France à se poser en arbitre entre
les Etats africains » El Moujahid écrit : s’adresser au gouvernement français pour demander le
règlement d’un tel problème ne saurait être ni juste, ni opportun. En effet, une telle procédure
implique nécessairement une reconnaissance de la souveraineté française sur le Sahara
algérien. »
31 Pour de Gaulle, la revendication tunisienne sur le Sahara risquait de provoquer une cascade
de revendications frontalières qui mettraient en cause toutes les constructions étatiques
fragiles de l’Afrique saharienne : « Quel prurit d’excitation, notait de Gaulle dans ses
mémoires, en recevrait les prétentions marocaines sur Colomb-Béchar et sur Tindouf, pour ne
point parler de ce que la Mauritanie, le Mali, ni le Niger, le Tchad, la Libye pourrait vouloir
revendiquer ! Or il est de notre intérêt de régler, le moment venu, l’exploitation rationnelle du
pétrole saharien d’un seul tenant (Mémoires d’espoir, Plon Paris, 1970, p. 110).
32 Le Parisien du 27/7/1961. « communiqué du gouvernement français », publié avant la
réunion du Conseil de sécurité
9
39 Amiral Amman, Mémoires (1904-1988), Sans date, éditées vraisemblablement par l’auteur lui-
même, p. 202. L’exemplaire que nous avons consulté se trouve dans la bibliothèque du Service
Historique de la Marine à Vincennes.
40 Amiral Amman, A Bizerte de juillet à septembre 1961, sans date, p. 12
41 Arch CND, affaire de Bizerte, la documentation française, « Chronologie internationale », n° 14 ,
1961, du 16 au 31/7/1961.
42 Arch CDN, affaire de Bizerte, discours de Bourguiba du 17 juillet 1961.
12
Les délais fixés par Bourguiba précipitent les choses. Mardi 18, à midi
30’, la réponse de De Gaulle arrive par la voie diplomatique classique. Elle
rejette la demande présentée, sous prétexte « qu’une solution ne saurait être
recherchée dans une atmosphère de passion, ni sous la menace de manifestations
populaires »43.
La réponse française ne laisse aucune ouverture à Bourguiba trop
engagé. 44 L’encerclement de la base devient effectif, à partir de mercredi 19
juillet, 0 heure. En même temps, des volontaires entreprennent leur marche à
travers le désert, sous le commandement d’ Ahmed Tlili, vers la Borne 233. A
13 heures, le ministre français de l’Information déclare que : « les éléments
parachutistes destinés à compléter ceux qui sont actuellement dans la base ont
été ou vont être envoyés là-bas ». Au même moment, un Task groupe composé
de trois vaisseaux de guerre et du porte-avions « l’Arromanche » reçoit l’ordre
de se placer sous le commandement de l’amiral Amman et de croiser au large de
Bizerte. 45
A 13 heures 30’, Radio-Tunis annonce que « l’armée tunisienne a reçu
l’ordre de tirer sur tout avion violant l’espace aérien tunisien ». La violation de
cette interdiction par un hélicoptère français constitue le coup d’envoi de la
guerre. A 15 heures 13, les premiers coups de feu sont tirés par la Garde
nationale tunisienne. Pour les Tunisiens, il ne s’agit encore que de simples coups
de semonce, les installations de la base n’ayant pas été visées.
Leur plan de guerre ne prévoit d’ailleurs pas une confrontation
généralisée. Tout au plus s’attend-on à des accrochages limités entre des
garnisons terrées à l’intérieur de leurs enceintes et des volontaires solidement
encadrés par les militaires46. La tactique adoptée a par conséquent consisté à
combiner le harcèlement populaire avec une pression militaire plus au moins
graduée selon l’évaluation de la situation. Mais l’ampleur de la réaction
française va désorganiser complètement l’exécution du plan tunisien.
47
Arch CDN, affaire de Bizerte, dépêchés d’agences (spécial gouvernement).
48
Amiral Amman, op, cit.
49
Devant la multiplication des méthodes de harcèlement populaire, l’amiral Amman en réfère à Paris.
Il reçoit, le jeudi 20, du ministre de la Défense le télégramme suivant :
« Le procédé des Tunisiens qui consiste à mêler systématiquement des femmes et des enfants aux
éléments combattants pose un problème. Chaque fois que la chose sera possible, vous tenterez de la
résoudre en exigeant le retrait des non combattants, par des mises en demeure adressées aux autorités
civiles et aux chefs militaires.
Mais quelque soit le résultat de ces démarches, c’est en dernière analyse, l’exécution de votre mission
qui prime sur toute autre considération ».
50
Arch CDN, affaire de Bizerte, rapport sur le déroulement des opérations militaires.
14
sur la ville et se prépare à résister rue par rue. Le vendredi 21, commence la
bataille de Bizerte. Elle durera deux jours et deux nuits pendant lesquels de
jeunes officiers tunisiens ( Ferchichi, Cheikh, Boujelabia, Taj et Makaddem..),
coupés souvent de leur hiérarchie, résistent, pied à pied, à la tête de soldats
sommairement armés à l’offensive de troupes d’élite appuyées par des chars et
précédées par des avions de chasse. La guerre est inégale mais la résistance est
acharnée. La ville tombe à 70%. Le dimanche 23, à 0 heure, un cessez-le-feu
intervient.51
Les pertes des tunisiens sont particulièrement lourdes. Officiellement, il y
a eu 670 morts et 1155 blessés tunisiens, 30 morts et 100 blessés du côté
français. En fait, il y aurait, selon différentes sources, entre 1300 et 2000 morts
dans les rangs des Tunisiens.
L’écrasante majorité des victimes appartient à la masse des volontaires
civils et des manifestants. Sur le terrain, les troupes françaises ont non seulement
dégagé les installations de la base, mais elles ont étendu leur zone d’occupation
à des territoires sur lesquels la souveraineté tunisienne est incontestée.
A ce désastre humain s’ajoutent toutes les conséquences politiques d’une
guerre mal préparée : les relations diplomatiques avec la France sont rompues,
les fonctionnaires et agents français détachés dans l’administration tunisienne
sont mis en congé52, des mesures conservatoires sont prises contre les positions
économiques françaises en Tunisie.
De cet épisode bref et tumultueux des relations franco-tunisiennes,
l’historien retient trois éléments essentiels :
Le premier est que la guerre de Bizerte a une portée politique qui dépasse
le cadre étroit des relations franco-tunisiennes. L’ampleur de la riposte française
ne se justifie nullement par les impératifs de la défense de la base. 53 De Gaulle a
réagi en fonction de la nervosité d’une armée frustrée de sa victoire à Suez et en
Algérie54.
51
Arch CDN, dépêches de presse.
52
La police a perquisitionné dans les domiciles de certains européens où on a trouvé des dépôts
d’armes et des postes de radio, 300 d’entre eux ont été enfermés dans deux camps d’internement.
53
Dès le premier jour de la guerre, les armes lourdes qui menacent la base sont neutralisées par
l’aviation française.
54
Selon de nombreux analystes militaires de l’époque, les Tunisiens ont fourni à l’armée française une
occasion inespérée d’une victoire facile et d’occuper une partie de Bizerte. Le bruit a couru quelques
heures que l’armée d’occupation de l’Algérie allait faire mouvement vers la Tunisie pour « liquider »
les 25000 hommes de l’ALN « l’affaire, disent certains officiers français, n’aurait guère fait plus de
bruit internationalement que le massacre de Bizerte et on peut toujours se replier ensuite ». Victoir
Silvera, « La Tunisie après la crise de Bizerte », Revue de Défense nationale, avril 1963, pp.. 633.650.
15
Mais par- delà l’armée, on a sans doute voulu signifier au FLN, à travers
le massacre de Bizerte, que « l’heure des faiblesses françaises n’a pas encore
sonné ».
Le second est que de Gaulle a perdu en la personne de Bourguiba un allié
potentiel qui aurait pu jouer un rôle modérateur dans la solution du drame
algérien.
En ce qui concerne les relations franco-tunisiennes, si la guerre de Bizerte
n’a pas mis fin à toute forme de coopération entre deux pays, elle a entrainé le
recul de l’importance numérique et financière de la colonie française en Tunisie
(de 100.000 à 20.000 personnes) et la réorientation de la politique étrangère
tunisienne vers un neutralisme provisoire.