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LE TAROT
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La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que
ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et
constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Éditions de La Maisnie, 1981


ISBN 2-85-707-071-3
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GÉRARD VAN RIJNBERK

LE T A R O T
HISTOIRE

ICONOGRAPHIE

ESOTÉRISME

Ouvrage orné de dix-sept planches


et d'un tableau hors-texte

Secreta Investigare

Guy TRÉDANIEL
ÉDITIONS DE LA MAISNIE
76, rue Claude-Bernard
75005 PARIS
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Malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible d'entrer en contact avec les éventuels
ayants droit de l'auteur.
« Croyant honorer sa mémoire et son œuvre, nous avons décidé de procéder à la réédition de
cet ouvrage et tenons à informer ses éventuels ayants droit que le montant des droits à leur revenir
est dès à présent provisionné en comptabilité. »
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PRÉFACE

Quiconque a examiné d'une manière même superficielle un jeu de


cartes de Tarot, doit assurément avoir eu L'impression d'un ensemble
d'images qui sortent complètement du commun. Impression peut-être
fugitive, mais profonde.
Il en est de même que pour un homme entrant dans le temple d'un
culte étranger : il y aperçoit plusieurs objets nouveaux pour lui, dont
la forme et l'aspect l'étonnent, dont la signification et le but lui échap-
pent. Il est tenté au premier abord de se moquer ou de sourire dédai-
gneusement des choses étranges qui attirent son attention. Mais en
même temps, il se produit en lui-même une hésitation intellectuelle, le
prélude d'un doute, le commencement d'une impression, le germe d'une
conviction naissante dans son esprit, que sous cet ensemble d'apparentes
absurdités se cachent des idées, des sentiments, des certitudes religieu-
ses, qui lui font défaut ou qui sont différentes des siennes propres, mais
qui se présentent à son âme comme étant respectables et profondément
humaines.
Quand il réitérera sa visite et qu'il sera familiarisé avec ce curieux
milieu, il se convaincra peu à peu que tous ces objets d'un culte de lui
inconnu, traduisent d'une manière cohérente et systématique la foi dans
l'Absolu, dans l'Esprit, dans Dieu enfin.
Comparable à cette expérience, encore que ce soit dans un ordre
spirituel moins élevé, est l'impression qu'on reçoit à l'examen d'un jeu
de cartes de Tarot. Il en ressort un « je ne sais quoi », une vague inquié-
tude intellectuelle, un agacement pour ces images absurdes, enfantines,
entrelacées, entremêlées... Mais, en même temps, c'est comme si le grain
d'une semence indéracinable avait été enfoncé dans l'esprit, la semence
d'un doute que ces images ne soient les interprêtes de Vérités profondes,
de Connaissances cachées, et qu'elles ne soient telles de petites fenêtres
enfin entr'ouvertes sur l'Inconnu, sur l'Infini.
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Une fois que cet état d'âme s'est établi, il s'en suit la curiosité d'ap-
prendre, le souhait de savoir, le désir de comprendre le message que
ces cartes semblent apporter.

Le présent livre veut satisfaire en partie aux différentes questions


que le Tarot paraît poser.

Il communique le, résultat des recherches historiques sur l'origine des


cartes à jouer, et transporte le lecteur des bords de la Méditerranée aux
confins lointains des Indes et de la Chine, pour découvrir les traces les
plus anciennes des jeux des cartes. Dans cette première partie, je me
suis occupé des documents ensevelis sous la poussière des Archives et des
Bibliothèques : actes de notaire, vieilles chroniques locales, lois et défen-
ses, décrets pénaux et fiscaux, où l'on peut trouver mentionnées les car-
tes à jouer. En dehors de cela, l'histoire de la fabrication des cartes,
l'histoire de l'industrie du papier, et l'histoire des arts graphiques y occu-
pent une modeste place.

Puis le livre étudie quels faits historiques, quelles idées exprimées


dans les belles-lettres et dans les écrits des philosophes de l'époque clas-
sique et médiévale, peuvent traduire les images tarotiques ? Enfin, dans
quelles manifestations des Beaux Arts trouvons-nous leurs prototypes,
ou des représentations identiques, analogues ou apparentées ? Dans cette
deuxième partie, j'ai réuni tous les passages de la littérature classique et
médiévale où, à ma connaissance, se trouvent des idées exprimées éga-
lement dans les curieux emblèmes du Tarot. En outre, j'ai recueilli les
descriptions des œuvres d'art de l'antiquité et du Moyen Age, qui illus-
trent les mêmes sujets représentés dans le Tarot. Cette étude m'a conduit
à une série de chapitres, chacun formant une petite dissertation spéciale
et presque complète, qui embrassent des tranches importantes de l'his-
toire de notre civilisation gréco-romaine et médiévale. L'histoire litté-
raire, l'archéologie, la philologie, et même un tant soit peu la théologie,
ont été mises à contribution. C'est à ma connaissance la première fois
qu'on a abordé le Tarot de ce point de vue. Evidemment il s'agit d'un
travail immense dont les lignes générales ne sont encore qu'esquissées
à larges traits. Mais quoi qu'il en soit, ce livre est une tentative honnête
pour rechercher l'origine des emblêmes tarotiques et pour en retracer
l'histoire.

Dans la troisième partie du livre, je m'occupe de la signification ésoté-


rique des images du Tarot, telle que d'autres l'ont cru découvrir et telle
que moi-même je l'ai trouvée.
Au total, ce livre est donc, dans sa première partie, un travail de
compilation ; dans la seconde, une œuvre d'érudition ; dans la dernière,
le résultat de méditations et d'inspirations personnelles. Des savants et
des curieux de toute sorte pourront y trouver aliment à leurs besoins
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intellectuels. Philologues, archéologues, historiens en général et en par-


ticulier des belles-lettres et des beaux-arts, y trouveront matière à
apprendre..., à enseigner.. et... à critiquer. Les occultistes enfin respecte-
ront, je l'espère, l'effort, le désir, l'aspiration d'un humble étudiant en
la Sapience.

Mon ami Paul Derain a eu la complaisance de corriger mon français


parfois quelque peu hétérodoxe. A lui et à ma secrétaire, Mlle E.-J. de
Vriès, qui a infatigablement dactylographié mon écriture presque illi-
sible, va toute ma reconnaissance.

G. VAN RIJNBERK.
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INTRODUCTION
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INTRODUCTION

L'histoire des jeux de cartes en général, et surtout celle du


jeu dénommé Tarot, forme un chapître important dans l'histoire
de la civilisation humaine ; de nombreux problèmes de toute sorte
y sont mêlés ; quand et où, chez quel peuple, ont été inventés
les jeux de cartes ? Quand a-t-on commencé à s'en servir pour
lire dans l'avenir et dire la bonne aventure ? De quelle façon
a eu lieu leur diffusion dans le monde ? Comment, par quels
procédés, les cartes ont-elles été fabriquées dans les cours des
siècles ? Quelle est l'origine des images qu'elles portent ? L'eth-
nographie, l'histoire des arts graphiques, l'histoire des costumes
s'y trouvent directement intéress ées.
Ajoutons à ces problèmes celui qui est le plus fondamental de
tous : quelle est l'origine des jeux de carte du point de vue
psychologique ? C'est à cette question que nous allons d'abord
accorder un instant notre attention.
Tout jeu a pour cause le désir de l'homme d'exercer ses facul-
tés physiques et cérébrales, à quoi peut s'ajouter le désir de
montrer la supériorité de sa propre force ou habileté sur celle
des autres. Mais une remarque importante s'impose immédiate-
ment : toute sorte de jeu où le hasard entre pour une part, qu'il
soit jeu de cartes ou de dés, contient un élément divinatoire,
ésotérique. Le jeu se joue pour savoir lequel des joueurs sera le
plus favorisé du sort ou de la Providence. Tout jeu implique
donc l'interrogation d'une sorte d'oracle qui manifestera la
volonté divine ou les décrets de la fatalité. Cela est de toute
évidence quand les cartes sont employées pour lire l'avenir, mais
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ce l' est aussi quand il s'agit purement et simplement d'un « jeu ».


« Le sort me favorise ». ou bien : « le sort m'est opposé », dit
le joueur selon qu'il gagne ou perd, soit aux dés soit aux cartes.
Celui même qui s'amuse à un jeu solitaire de « Patience » inter-
roge le sort inconsciemment, et souvent consciemment aussi.
L'étude des cartes à jouer nous mène ainsi tout droit sur le
terrain des Sciences divinatoires et même de l'Occultisme en
général. L'histoire des cartes doit donc poursuivre un double
b u t : en rechercher l'origine, en tracer le développement maté-
riel, extérieur, mais s'occuper en outre de leur interprétation
ésotérique.
Pour expliquer cette dernière affirmation, nous conterons une
légende allégorique (1) Dans une époque très reculée, les sages
hiérophantes, dépositaires de la tradition occulte de l'Egypte,
s'étaient réunis pour discuter d'un très grave problème. Par leurs
facultés prophétiques, ils avaient acquis la certitude que, dans
un temps prochain, la civilisation égyptienne serait détruite et,
avec elle, les temples des dieux, les Sanctuaires du Culte public
et secret, ainsi que les Ecoles initiatiques où s'enseignait la Vérité
métaphysique. Il s'agissait donc de rechercher le moyen de pré-
server de la destruction complète les points les plus importants
de la doctrine occulte. Plusieurs procédés furent proposés par les
membres du conseil des hiérophantes. « Peignons les textes des
axiomes sur les murs les plus solides du temple le plus véné-
rable », disait l'un, mais on lui objectait que la rage des envahis-
seurs et la force destructive du temps n'épargnerait pas l'édi-
fice. « Gravons-les sur des plaques du métal le plus résistant »,
proposait un autre, mais lui répondait-on : « Si c'est un métal
non précieux, il ne résistera pas à la rouille, et, s'il est précieux,
il sera inévitablement sujet à la convoitise ». U n troisième hasar-

(1) Cette légende sur l'origine du Tarot m'a été racontée par M. V.
Tomberg, vice-consul d'Esthonie à Amsterdam. Il m'a communiqué
l'avoir apprise en Russie où elle faisait partie de l'enseignement prépa-
ratoire d'une puissante société occulte de l'époque antérieure à la Ré-
volution bolchévique. Actuellement il n'est guère probable que des
membres de cette société survivent. Il parait en outre, selon ce que le
m ême M Tomberg m'a assuré, que cette légende était connue aussi
parmi les Chevaliers de Malte dans la Pologne de jadis. Elle a été impri-
mée la première fois par Papus, en 1889, dans son Tarot des Bohémiens
d'après un ancien Ms., selon ce qu'il affirme.
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da : « Confions nos arcanes à un homme simple mais vertueux,


qui en conservera le secret et le transmettra avant sa mort à
une autre âme égalment simple et vertueuse, et ainsi de suite
jusqu'au moment où la vérité pourra être de nouveau professée
et comprise » ; mais on lui opposait que la vraie simplicité de
l'âme est chose rare et que la vertu est très sujette à la tentation.
Alors, le plus jeune des adeptes parla ainsi : « Servons-nous des
vices, des péchés, des mauvaises passions de l'homme pour pré-
server le dépô t de nos doctrines secrètes : exprimons celles-ci
symboliquement par des figures apparemment innocentes, qui,
multipliées à l'infini, puissent servir à assouvir une des passions
les plus vives de l'homme : la passion pour le jeu. Confions aux
énergies du Mal la préservation des germes de Vérité qui con-
tiennent la condition du Salut et du Bonheur du Monde ». Cette
proposition fut acceptée. Les Adeptes fixèrent donc en images
symboliques les axiomes fondamentaux de leur Doctrine secrète :
ils en firent un jeu qu'ils mirent en circulation et qui, diffusé
à l'infini, préserva réellement sous cette forme allégorique les
Vérités cachées. Telle serait l'origine du jeu de Tarot.
Evidemment cette légende sur l'origine du « livre à images
du Diable » n'est qu'allégorie, mais le fait demeure que la voie,
le but, les bienfaits, les dangers et revers de l'incommunicable
Initiation ont été souvent indiqués, ou pour mieux dire cachés,
révélés, c'est-à-dire « re-voilés », au moyen d'un langage figuré,
à l'aide de mots ou de symboles de toute nature.
En tout cas, parmi les cartes à jouer dont les symboles imagés
sont les interprètes supposés ou réels d'une doctrine du Mystère,
les cartes du jeu de Tarot occupent une place toute spéciale. Si,
vraiment, comme le veut la légende, des Sages ont caché délibé-
rément leurs secrets dans le jeu de Tarot, leur but a été parfaite-
ment atteint. En effet, pendant des siècles, on les a considérés sim-
plement comme des objets servant de passe-temps, d'amusement,
de vrai jeu enfin, ou encore comme un instrument étrange ser-
vent aux commères et aux Bohémiens errants pour « dire la
bonne aventure » aux gens crédules.
Dans le cours des temps, seuls deux savants : Raimond Lulle
et Guillaume Postel ont été supposés par Eliphas Levi d'avoir
fait allusion à ce que les figures de ce jeu de cartes cachaient un
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sens secret, à ce qu'elles contenaient la clef de toutes les sciences,


transmises sous leur forme bizarre et symbolique depuis une
antiquité fabuleuse.
Pour Postel, la chose n'est pas impossible. Savant universel,
il connaissait douze langues, parmi lesquelles l'hébreu ; voyageur
intrépide, il a visité plusieurs contrées de l'Orient ; il a été philo-
sophe original, théologien hétérodoxe, mystique et visionnaire.
Il a vécu de 1510 à 1581. La possibilité matérielle qu'il ait eu
sous les yeux un paquet de cartes tarot existe et dans ce
cas il aurait pu y reconnaître sans doute un ensemble d'images
symboliques et en apprécier la valeur ésotérique.
Mais il n'y a absolument aucun indice qu'il ait connu vrai-
ment le Tarot. Cette idée un peu saugrenue a été lancée par
Eliphas Levi sur une apparence de preuve assez spécieuse. Exa-
minons celle-ci. Postel a publié en 1546 un petit Traité semi-
mystique intitulé Absconditorum Clavis a constitutione mundi :
Clef des choses cachées depuis la constitution du Monde. Il n'y
a dans ce livre pas même un seul mot qui puisse faire rêver le
fantaisiste le plus impressionnable et crédule que l'auteur fasse
allusion au Tarot ou le connaisse. Comment donc Eliphas a-t'il
pu assurer cela ? Par le fait que dans l'édition d'Amsterdam de
l'an 1646, parue un siècle après la première publiée par A. Franc.
de Monte S(ancto) il est ajoutée une : Clavis Editoris ad Clavem
autoris : Clef de l'éditeur de la Clef de l'auteur. Cette explication
consiste en quelques pages de texte, un tableau, (qui devrait se
rapporter à l'un des chapitres du livre de Postel, mais qui ne s'y
rapporte aucunement) et enfin une figure symbolique (pl. I).
Cette figure représente d'une manière très schématique une
grosse Clef, ornée de dessins géométriques (cercle, carré, tétraè-
dre) et d'inscriptions. Parmi celles-ci très évidentes sont quatre
majuscules. Lues de haut en bas et dans le sens des aiguilles d'une
horloge ces lettres sont : T.A.R.O. Eliphas Levi les a lues ainsi
et découvert que si l'on ajoute à la fin la lettre initiale, l'on
obtient T A R O T . Cela a suffi pour sa mentalité aux aspirations
volcaniques d'idées, de se convaincre que Postel a connu le Tarot
et que son petit Traité en est une interprétation.
Mais cette vue est certainement arbitraire et probablement fausse.
Car les autres inscriptions dans la même partie de la figure doi-
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vent se lire toutes de bas en haut. Ainsi : sur les trois faces visi-
bles du tétraèdre on lit : P(ater), F(ilius), S(piritus) ; contre les
trois cotés : E. N. S. Aux quatre angles : Homo. Dans l'anneau
de la clef, en caractères cursifs, il est écrit (de bas en haut dans
le sens des aiguilles d'une montre) Pulsate et aperietur vobis, et
en caractères majuscules : ROTA. Ce mot a le R en bas. Il est
donc évident qu'il faut lire ROTA et non pas TARO. Cela est
d'autant plus sûr que sur les barbes de la clef ce mot est répété :
là on trouve en petits carrés les mots DEUS, HOMO et ROTA.
Le mot rota est employé dans le texte de Postel où il dit que
l'Arbre de la science dans l'Eden est comme une roue dans le
centre d'une roue (Rota in medio Rotae).
En conclusion : il n'y a ombre de preuve que Postel ait connu
le Tarot.
Quant à Raimond Lulle, d'après Eliphas Levi, suivi par Papus
et d'autres auteurs, son Ars Magna ne serait qu'une allusion con-
tinue au Tarot. Commençons par une observation de chronolo-
gie. Lulle a vécu de 1235 à 1 3 1 5 ; s'il eût vraiment connu le
T a r o t , il l ' a u r a i t d o n c é t u d i é b i e n avant que ce jeu, c o m m e n o u s
le v e r r o n s , ait été c o n n u g é n é r a l e m e n t e n Europe. V u que Lulle a
voyagé longtemps et souvent en Orient et en Afrique musul-
mane, il s e pourrait qu'il ait eu sous les y e u x en ces pays un
Tarot primitif, antérieurement à la pénétration de celui-ci en
Europe ! D'ailleurs, l'île d e Majorque, où Raimond Lulle est né.
a v a i t été c o n q u i s e p a r les M a u r e s dès 7 9 7 , et était restée en leur
pouvoir jusqu'environ l'année 1200. Si les Maures jouaient aux
cartes, il est très admissible qu'ils les aient introduites aussi aux
Baléares, et que Lulle, étant enfant, en ait vues dans son pays
natal. Ceci suffit pour juger de la possibilité matérielle que Lulle
ait pu faire allusion au Tarot dans ses œuvres.
Passons maintenant à l'examen de la théorie d'Eliphas Levi.
Lulle parle de la révélation qu'il eut vers sa 3 0 année d'une
méthode philosophique pour démontrer et trouver chaque rap-
port idéologique, chaque vérité. Lulle y traite d'une machine
philosophique qui, par la transposition de ses éléments symbo-
liques, pourrait fournir le développement de toute idée prise pour
point de départ et la réponse à toute question pour abstruse
qu'elle puisse être. Suivant Langlois, « l'art démonstratif »
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repose sur des diagrammes, des figures, et des lettres ou notations


pseudo-algébriques. « L'art inventif » se passe des lettres mais
non de « figures », de « condicions » de disques divisés en com-
partiments concentriques et mobiles les uns sur les autres, autour
d'un pivot. Ces méthodes d'exposition ont été probablement
empruntées par Lulle au Fotuhat d'Abenarabi.
On a prétendu que la machine, base de l'ars combinatoria, de
Lulle serait le Tarot, dont il suffirait de mélanger et ranger les
feuilles, représentant les idées mères, pour constituer des déve-
loppements indéfinis. Autant que j'aie pu apprendre par la lec-
ture difficile et abstruse de ces tomes volumineux, l'idée que
Lulle fasse allusion au Tarot me semble absolument gratuite et
presque ridicule.
Avec autant de droit et de vraisemblance pourrait-on admet-
tre avec le fameux Bras de Fer que le jeu des cartes soit un traité
de Théologie, ou avec le vaillant soldat Richard Middleton, qu'il
peut servir d'Almanach perpétuel et de manuel d'éthique, ou
avec le très savant Murmer O. M. que les cartes à jouer peuvent
servir pour apprendre la Logique et le Droit ! L'esprit humain a
une puissance admirable d'abstraction et de concrétisation : dans
tout système d'objets, il lit symboliquement ce qu'il veut, et il
induit chaque objet des idées qui lui conviennent.
Quoi qu'il en soit, les théories de Lulle et de Postel, réelles ou
prétendues, n'ont point attiré l'attention de leurs contemporains.
Ce fut seulement vers la fin du XVIII siècle qu'un érudit fran-
çais, Court de Gébelin, les reprit en les amplifiant et en les com-
plétant. Il déclara que le Tarot était les feuilles détachées du
livre le plus ancien du Monde, d'origine égyptienne, et dont
l'auteur était Hermès Trismégiste ou Thot. Le Tarot ne serait
donc qu'un Liber mutus, un livre muet, une bible à images.
Court de Gébelin appartenait à l'ordre secret et occultiste des
Elus Coens fondé par Martines de Pasqually. Il était le disciple
et l'ami du mystique Louis-Claude de Saint-Martin. Il fut le
maître de Fabre d'Olivet.
L'idée émise par Court de Gébelin fut reprise par Eliphas
Lévi et elle eut un grand succès parmi les franc-maçons et occul-
tistes français, puis, plus tard, parmi quelques rares Anglais et
Allemands. Peu à peu il se forma sur le Tarot une littérature
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étendue, ayant pour but d'expliquer son prétendu sens ésotéri-


que et les mystères contenus dans ses curieuses images. Par con-
tre, bien moins s'est-on occupé, parmi les occultistes, des ques-
tions exotériques, d'histoire et de critique : d'où ces cartes pro-
venaient-elles vraiment ? quel était leur âge réel ? quel était
l'aspect original et primitif de leurs images ? quelles modifica-
tions ces dernières avaient-elles subi dans le cours des siècles ?
Toutes questions auxquelles les occultistes ne se sont intéressés
et dont il ne se sont occupés que peu ou point du tout. Les
recherches de cet ordre ont été accomplies par des savants appar-
tenant à de toutes autres directions d'études, ce sont surtout des
historiens des arts graphiques, des bibliothécaires ou des archivis-
tes. De leur côté, ces savants ont en général ignoré ou négligé
complètement les travaux interprétatifs des occultistes, de même
que ceux-ci ont dédaigné systématiquement les travaux des
autres.
Le but de la présente étude tend à concilier ces deux tendan-
ces. D'une part, j'ai voulu profiter des efforts des historiens pour
fixer quelques points de l'histoire exotérique du jeu de Tarot,
la réduire à ses proportions réelles et la faire rentrer dans ses
justes limites. J'ai pu y ajouter de ci, de là, quelque élément nou-
veau. D'autre part, j'ai voulu résumer le travail vaste en étendue
et en profondeur des occultistes. Il est hors de doute que l'his-
toire objective des cartes est indispensable et qu'elle doit fournir
ne fût-ce qu'un minimum de base à l'interprétation ésotérique.
Celle-ci, à son tour, peut jeter une lumière réflexe sur l'histoire
de fait des images et de leur transformation à travers les âges.
Il va de soi qu'une telle trame de travail n'admet pas une sépa-
ration absolue des deux ordres de recherches, mais qu'elle doit
tendre autant que possible à leur fusion. Malheureusement, nos
connaissances actuelles trop fragmentaires et mes capacités trop
limitées m'ont empêché d'atteindre à ce résultat. J'ai donc divisé
le présent travail en trois parties : la première purement histori-
que et descriptive, la seconde d'iconographie exotérique, et la
dernière enfin d'iconographie ésotérique.
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PREMIERE PARTIE :

HISTORIQUE ET DESCRIPTIVE
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I.— ORIGINE DES CARTES A JOUER

LEUR PÉNÉTRATION ET DIFFUSION EN EUROPE

Le problème, quand et où l'on a commencé de se servir de


cartes comme jeu, et pour invoquer les puissances fatales du sort,
est probablement insoluble. Ceci seulement paraît certain ; de
petites plaques revêtues d'images, des figures représentées sur des
feuilles ou fiches en papier, ivoire ou métal, ont été utilisées en
Extrême-Orient à une époque très ancienne, alors qu'on ignorait
encore complètement cet usage en Europe. Je m'occuperai de
l'hypothèse que les cartes à jouer soient d'origine chinoise dans
un chapitre à part. Ici je traiterai seulement sur leur apparition
en Europe. Mais il n'est pas sûr du tout que les cartes de jeu de
l'Extrême-Orient semblables à nos cartes soient vraiment com-
parables à nos propres jeux. On peut même se demander si, parmi
les cartes orientales actuelles, celles qui ressemblent aux nôtres
ne sont pas imitées de celles-ci.
Les anciens grecs jouaient aux « astragaloi », osselets et aux
« cuboi » dés. Les Romains aux « aleae », aux « taxilli », aux
« tali » et aux « tessarae ». Probablement s'agit-il de quatre
sortes de jeux de dés. Toutefois, il faut remarquer que le mot
« tessara » (2) ferait penser aussi aux quatre « couleurs » des
cartes. Mais il manque absolument tout indice que l'antiquité
classique ait connu les jeux de cartes. Prenons un exemple dans
Cicéron. Dans son De Divinatione, il écrit : « Quid enim sors
est ? Idem propemodo quod micare, quod talos jacere, quod

(2) de quatre, parce que chaque dé est formé de faces


carrées.
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tessaras, quibus in rebus temeritas et casus non ratio nec consi-


lium valet », c 'est-à-dire : « Enfin, qu'est-ce oue le sort ? La
même chose que jouer à la morra (3), ou jeter les dés et les tes-
sarae ; dans ces jeux, c'est la témérité et le sort, non point l'in-
telligence, ni le jugement qui valent ».
Rien donc qui se rapporte à un jeu de cartes. Il en est de même
dans le premier millénaire de la Chrétienté. Les conciles par leurs
décrets, les Papes par leur censure, les princes par leurs lois, ont
proscrit les jeux de hasard ; ils en nomment beaucoup : les cartes
n'y figurent jamais. Dans le Traité des spectacles et des jeux de
hasard, attribué à Saint Cyprien, qui fut évêque de Carthage,
mort en 258, mais qui fut certainement écrit plus tard, l'auteur
ne fait nulle mention des jeux de cartes. Il faut avancer de huit
siècles pour trouver une phrase qui pourrait contenir une allu-
sion aux cartes à jouer : le Lombard Papias, qui florissait en
1054, grammairien grec et auteur d'un dictionnaire, se sert de
cette expression : mappa etiam dicitur vel forma ludorum ;
mappa c'est-à-dire une feuille, se dit aussi pour une forme de jeu.
Mais il est bien douteux que ce terme équivale à notre mot de
carte à jouer.
U n problème spécial est le suivant : quand est-ce qu'est née
l'habitude de se servir des cartes à jouer pour prédire l'avenir ?
Cet usage n'est certainement pas plus ancien que celui des jeux
de cartes. Peucer, dans son commentaire sur les principaux genres
de divination, imprimé en 1552, ne mentionne pas les cartes.
Paracelse (1493-1541), qui s'est occupé des différents moyens de
connaître l'avenir, selon Maxwell, ne nomme pas la cartomancie.
On peut voir dans ces deux absences, une nouvelle preuve de ce
que l'argumentum e silentio ne vaut pas pour fixer une date, car
nous verrons que sur un tableau attribué faussement aux van
Eyck, mais qui n'est certainement pas postérieur à la fin du XV
siècle, il est représenté un duc de Brabant consultant une tireuse
de cartes.
Passons maintenant à l'examen des données documentaires sur
l'origine des cartes. Nous diviserons cette étude en plusieurs para-
graphes. En premier lieu, nous rechercherons de quelle époque

(3) Jeu spécial en Italie.


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d a t e n t les plus a n c i e n n e s m e n t i o n s faites des j e u x d e cartes d a n s


les A r c h i v e s e t d a n s les livres. P u i s n o u s s u p p u t e r o n s les q u e l q u e s
t é m o i g n a g e s de l ' e x i s t e n c e des cartes à j o u e r q u ' o n p e u t t r o u v e r
d a n s les œ u v r e s d ' a r t . E n f i n , n o u s s o u m e t t r o n s les a n c i e n n e s car-
tes q u i o n t é c h a p p é à la d e s t r u c t i o n à u n e x a m e n q u i p o u r r a n o u s
r e n s e i g n e r sur l ' é p o q u e à laquelle elles o n t été m a n u f a c t u r é e s .
E n outre, nous donnerons notre attention à quelques problè-
mes c o n n e x e s .

I. DOCUMENTATION SUR L'ANCIENNETÉ DE L'USAGE DES CARTES


A JOUER EN EUROPE: LES ÉCRITS

Les d o c u m e n t s q u i a t t e s t e n t l ' u s a g e de v é r i t a b l e s j e u x d e cartes


sur n o t r e c o n t i n e n t a p p a r t i e n n e n t a u p l u s t ô t à la fin d u XIII
siècle, mais l ' u s a g e l u i - m ê m e est c e r t a i n e m e n t p l u s a n c i e n . D è s
q u ' i l a été u n e fois m e n t i o n n é , les p r e u v e s a b o n d e n t e n s u i t e .
France
D a n s u n é d i t d e S a i n t - L o u i s d u mois d e d é c e m b r e d e l ' a n -
née 1 2 5 4 , réitéré e n 1 2 5 7 , p l u s i e u r s j e u x se t r o u v e n t d é f e n d u s ,
p a r m i lesquels les dés ; les cartes n ' y s o n t pas n o m m é e s . P o u r
t r o u v e r ce q u i p o u r r a i t ê t r e u n e allusion a u x cartes à j o u e r , il
f a u t , après cet édit, a v a n c e r d e près d ' u n siècle d a n s le cours d u
t e m p s . E n effet, la m e n t i o n la plus a n c i e n n e e n F r a n c e , m a i s q u i
est d o u t e u s e , a é t é t r o u v é e p a r D u C a n g e ; il cite u n passage des
S t a t u t s de l ' A b b a y e d e S a i n t - V i c t o r d e M a r s e i l l e e n l ' a n 1 3 3 7 ,
o ù il est q u e s t i o n d e q u e l q u e s j e u x d é f e n d u s a u x r e l i g i e u x :
« Q u o d n u l l a p e r s o n a a u d e a t nec p r a e s u m a t l u d e r e a d taxillos
nec a d p a g i n a s nec a d e y s s y c h u m »; « Q u e p e r s o n n e n ' o s e , ni
n ' e n t r e p r e n n e d e j o u e r a u x dés, ni a u x pages, n i a u x échecs. »
D u C a n g e e x p l i q u e le m o t « p a g i n a s » p a r jeu d e cartes : F o l i a
lusoria ni fa lor « L u d o s a d p a g i n a s » nostris. Si je n e m e t r o m -
pe pas, ce « jeu a u x p a g e s » est n o t r e jeu d e cartes.
M a i s les recherches sur la l i t t é r a t u r e d u M o y e n A g e j u s q u ' à
la fin d u X I V siècle n ' o n t m i s e n l u m i è r e a u c u n t e x t e d ' a u t e u r
o ù il soit fait m e n t i o n d u jeu d e cartes. Les t r o u v è r e s , les r o m a n -
ciers, les moralistes q u i d é c r i v e n t la vie q u o t i d i e n n e d a n s les châ-
t e a u x , d a n s les m a i s o n s des b o u r g e o i s et d a n s les t a v e r n e s ; les
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prédicateurs qui, de la chaire, fulminent contre les vices, parlent


de différents jeux et passe-temps : les dés, le trictrac, les échecs,
Les cartes ne sont pas nommées.
Donnons quelques exemples que je tire de plusieurs auteurs
anciens et modernes qui s'occupent de la littérature médiévale
français. Commençons par trois poèmes de Renart. Dans « L'Es-
coufle » écrit avant 1202, le comte Richard de Montvilliers joue
à Jérusalem aux échecs avec son hôte. Son fils, le garçonnet Guil-
laume « servait » son amie Allis, fille de l'Empereur, de « dits »,
de « jeux partis », de dés et d'échecs. Le même Renart dans son
« Galeran.», écrit avant 1280, assure que le Chapelain Lohier
de l'abbesse Hermine de Beauséjour :
vs. 930. Si savait tous les jugements (jeux)
d'échecs, de tables, d'autres jeux.
Dans le poème « Guillaume de Dôle » (vers 1200) est décrite
la vie à la Cour d'un Empereur Conrad ( I ou I I du X XI s.).
On y joue aux échecs aux tables, aux dés, à la mine. Les cheva-
liers de Guillaume de Dôle jouent aux échecs avec M. le curé.
Dans le Jouffrou écrit par un inconnu au temps de Philippe
Auguste (1180-1223) sont nommés les des (vs. 842) et les échecs
(vs. 1551).
Philippe de Reccin dans Jehan et Blonde, écrit avant 1280,
raconte que Jehan était très expert à divers jeux « de chambre »,
aux échecs, aux tables et aux dés.
Avançons dans le temps : dans la Châtelaine de Coucy, écrit
vers la fin du XIII s. par Jacques Bretel, le châtelain visite le
château de Jaiel. Après dîner, les uns jouaient aux tables, et aux
échecs, les autres allaient leurrer les faucons.
Dans la Patience de la Comtesse d'Anjou (1316) par Jehan
Maillard, la fille de la comtesse d'Anjou et de Maine ne permet
à la maison que des distractions honnêtes : tables, échecs, ouvra-
g e s d e s o i e . E l l e - m ê m e j o u e a u x é c h e c s a v e c s o n p è r e (vs. 2 8 0 ) .
Le poète inconnu qui, dans la première moitié du XIV s. a
raconté l'Histoire de Sone de Nançai nous informe que Sone,
fils cadet du Comte Ausian de Brabant, eut une éducation par-
faite : il apprit les jeux d'échecs, de tables, de chiens, d'oiseaux,
l'escrime, la géométrie, la « nigremance », les lois. A 12 ans, il
chantait. Les cartes ne faisaient point partie de cette éducation
très soignée du petit prince.
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Ecoutons comment Robert Wace (XII s.) nous instruit de la


manière dont Richard, fils de Guillaume Longue-Epée fut élevé :
Son pere l'out bien fet decire et doctrines
de table et d'echez sont son compagnon mater,
Bien doit paisdre un oisel a livrer e porter.

Richard sont escremir o verge et o baton.


Dans « Vetula », la petite vieille, poème français du XIV s.
traduit du Latin de Richard de Fournival par Jean Lefèvre, plu-
sieurs jeux parmi lesquels les échecs, les tables et les dés sont
nommés. La plupart de ces jeux sont condamnés par le poète,
exception faite du noble jeu des esches. Les cartes ne sont pas
nommées.
Il est donc bien sûr que les cartes, si elles ont existé déjà, n'ont
pas été crues dignes d'être mentionneés par les poètes des XIII
et XIV siècles. On a longtemps eu l'illusion qu'il en était diffé-
remment.
En effet, dans quelques poèmes et contes de la seconde moitié
du XIV siècle les cartes sont mentionnées. Mais, l'historique de
ces passages offre ceci de particulier, que successivement on a dé-
couvert ou cru découvrir qu'ils étaient des interpolations d'épo-
ques postérieures, ou du moins on les a supposés et déclarés tels.
Ainsi dans le Pélerinage de l'homme, poème composé vers
1350 par Guillaume de Guilleville et imprimé en 1501 à Paris
par Vérard, on lit à la page 45 :
Jeux de tables, et d'échiquiers,
de boules et de méreillers,
de cartes, jeux de tricheries,
et à la page 75 :
Maints jeux qui sont deniez
Aux marelles, quartes et dez.
Mais il paraît bien qu'il s'agit d'interpolations et de substitu-
tions, car, d'après Merlin, dans le texte des manuscrits anciens
originaux, le mot « cartes » ne se trouve pas.
De même, dans la Chronique de Petit Jean de Saintré de 1367,
on lit que les pages de Charles V de France auraient joué aux
dés et aux cartes. Mais il semble certain que le mot « cartes »
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a été interpolé par Antoine de la Sale en 1459, car dans le ma-


nuscrit original il ne figurait pas.
Et encore dans un manuscrit du « Renard le contrefait » de
la dernière moitié du XV siècle on lit les vers suivants :
vs. 36043 Si comme folz et folez font,
Qui pour gaaigner au bordel vont,
Jouent aulx dez, cartes o tables (trictrac)
Qui a Dieu ne sont delictables.
Le poème a été terminé en 1342, et ce serait une belle preuve
qui ferait prendre date aux cartes à une époque fort reculée. Mais
on a objecté que dans un autre manuscrit, certainement plus
ancien, du poème, le passage cité est différent :
Si comme fols et folles font
Qui pour gaigner au bordel vont
Jouent a geux de dez ou de tables
Qui a Dieu ne sont délitables.
Le mot « cartes » manque ! Mais il est certain que l'auteur
de Renard le Contrefait qui avait entrepris son poème de 32.000
vers en 1318 l'a repris, remanié et augmenté de neuf mille vers
de 1328 à 1342. La question se pose donc si le mot « cartes »
a été interpolé au XV siècle par un copiste ou si c'est l'auteur
lui-même qui l'a ajouté. Dans ce cas, on pourrait supposer qu'en
France le jeu de cartes soit entré dans les habitudes générales
entre 1318 et 1342 de manière a attirer l'attention du poète
satirique. Cette possibilité existe, mais le doute subsiste.
Vers la fin du XIV siècle les choses changent. A cette époque
on commence à trouver mentionnées les cartes dans plusieurs
écrits du temps.
Toutefois, dans les ordonnances royales de cette époque, les
cartes à jouer ne sont pas mentionnées. Pour préciser, nous indi-
querons que dans une ordonnance de Charles V de l'an 1369
sont défendus les jeux de dés, de tables, de paumes, de quilles, de
palet, de boules, de billes et « tous autres tels geux qui ne chéent
point à exercer ne habiliter nos subjez à fait et usaige d'armes,
à la défense de notre dit royaume ».
Les cartes n'y sont donc pas nommées, mais cela n'exclut pas
qu'elles ne puissent être comprises dans la phrase générale qui
termine l'ordonnance. Cela semble très probable, si les cartes ont
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été introduites en France peu avant 1369, en sorte qu'elles


n'avaient pas encore conduit à des abus tels qu'elles aient pu
attirer spécialement sur elles l'attention de l'autorité royale. En
tout cas l'argumentation e silentio : conclure à la non-existence
des cartes dans une époque quelconque seulement par le fait
qu'elles ne sont pas mentionnées, est hasardeux. Le silence des
auteurs et des lois peut avoir une toute autre cause, qui nous
échappe.
En tout cas, on trouve mention expresse des cartes en 1377,
quand le Prévôt de Paris défend de jouer les jours ouvrables :
« Paumes, boules, cartes, dés, quilles ».
Dans les minutes d'un notaire de Marseille, Laurent Aycardi,
on a découvert un acte daté du 30 août 1381 par lequel un jeune
homme passionné au jeu promet de ne jouer à aucun jeu pen-
dant un voyage à Alexandrie, qu'il va entreprendre. Les jeux
qu'il se défend sont : aleau, taxilli (les dés), nahipi (les cartes),
scaqui (les échecs), paletum (le palet). Les cartes à jouer étaient
à cette époque indiquées souvent sous le nom de « naipes »,
terme sur lequel nous reviendrons bientôt.
Une ordonnance de l'an 1382 du Magistrat de Lille défend le
jeu des « quartes ».
Enfin, dans les comptes de Claude Poupart, trésorier du roi
Charles VI, nous trouvons la fameuse notice de date incertaine,
peut-être 1392, découverte par l'abbé Menestrier : « Donné à
Jacquemin Gringonneur, peintre, pour trois jeux de cartes à or
et à diverses couleurs, de plusieurs devises, pour porter devers le
dit seigneur Roi, pour son ébattement, 56 sols Parisis ». L'abbé
Ménestrier, qui a découvert ce passage, crut devoir lancer l'idée
que c'était là la déclaration de l'invention des cartes à jouer. Il
l'attribua à ce Jacquemin, au sujet de qui l'on doute présente-
ment si le mot « Gringonneur » est son nom de famille ou l'in-
dication de son métier. En effet, par gringons on entendait en
ces temps les jeux de dominos et de dés, et par gringonneurs, les
artisans qui en fabriquaient les pièces. Pour peu qu'on se rende
compte des réalités, il apparaît en tout cas de toute évidence que
le jeu des cartes ne peut avoir été « inventé » par un seul hom-
me, de but en blanc et en un moment (4).

(4) Je trouve dans un périodique néerlandais d'art et de littérature


de l'an 1853 la note suivante: Dans la Rue de la Verrerie à Paris des ou-
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Dans le Cabinet des Estampes, à Paris, il existe une série,


malheureusement incomplète, de cartes à jouer, merveilleuse-
ment dessinées et peintes, attribuées à ce Jacquemin. Si cette
attribution est exacte, elles datent d'environ 1392. Si elle est
fausse, elles sont plutôt postérieures à cette année. Dans la réa-
lité, il semble des plus probables qu'il s'agit de cartes prevenant
de la collection de Mgr de Graignière, gouverneur des petits-
fils du roi Louis XIV, et qu'elles ont été peintes dans la pre-
mière moitié du XV siècle, dans l'Italie septentrionale.
Quoi qu'il en soit, après 1392, on trouve plusieurs fois men-
tion des cartes. Ainsi, l'année suivante, dans le livre d'un
inconnu, intitulé le Menagier de Paris, sont décrites des dames
romaines, à l'époque des Tarquins, passant leur temps à jouer
aux cartes... ce qui veut dire que c'était l'usage à Paris du temps
où l'auteur écrivait son Menagier !
L'an 1396, le caissier de la Reine, Hemon Ragnier, note une
dépense de 12 sols parisis « à Guiot Groslet, gaignier, (pour) un
estuy pour mettre les cartes de la reyne ».
Les cartes à jouer sont encore désignées dans une chronique
de Provence de 1365. Malheureusement, le Ms. originel est
perdu ; on ne le connaît que par une citation de Nostradamus,
le fils du fameux astrologue, dans son Histoire chronique de
Provence, qui ne fut imprimé à Lyon qu'en 1614.
Depuis le commencement du XV siècle, les données abondent.
Je me limite à rappeler l'arrêt du Synode de Langres de l'an
1409 où, au titre des jeux défendus, l'on lit une défense aux
ecclésiastiques entre autres jeux de jouer aux cartes.
Quant à l'origine des cartes à jouer en France, les historiens
modernes ne sont pas d'accord. Certains admettent que Dugues-
clin les aurait apportées d'Espagne en 1366. Mais d'autres pen-
sent, au contraire, qu'il les a introduites en ce pays !

vriers qui exécutaient des excavations, ont trouvé peu profondément


sous le sol, des restes de voûtes anciennes. Dans une d'elles se trouvaient
des ossements humains et dans une petite caisse à demi pourrie des res-
tes de cartes à jouer. Ces cartes ont dû être dorées et datent probable-
ment du règne de Charles VI. Dans l'endroit où on les a découvertes, se
trouvait autrefois la maison de l'enlumineur Gringonneur, qui aurait
été le premier à peindre des cartes à or et à diverses couleurs.
Il m'a manqué l'occasion de vérifier quelle est l'origine de cette infor-
mation extraordinaire.
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ALSACE
En Alsace, la première défense de jouer aux cartes date de
l'an 1441. Il faut évidemment faire ici la même remarque que
nous ferons plus loin pour l'Espagne et Francfort : la date la
plus ancienne où le jeu est défendu ne nous dit rien sur l'époque
où il fut connu pour la première fois dans une contrée.

ANGLETERRE
Pour l'Angleterre, il existe dans la comptabilité du garde-
robe du Roi Edouard I pour l'année 1278, un article ainsi
rédigé : Waltero Sturton, ad opus regis ad ludendum ad quat-
tuor reges VII s. V. d. ; « A Walter Sturton, pour le roi, pour
un jeu aux quatre rois, sept shillings cinq deniers ».On a sup-
posé que ce jeu aux quatre rois était le jeu des cartes. Le Roi
Edouard I fut en Syrie en 1272 : il y aurait appris à jouer à
ce jeu et l'aurait introduit en Angleterre, mais il est infiniment
plus probable qu'il s'agit simplement du jeu des échecs, et que
le terme « jeu aux quatre rois » n'est que la traduction littérale
du mot sanscrit chaturraj (quatre rois), par lequel une forme du
jeu des échecs est souvent désignée en Orient. La même obser-
vation s'applique à une interdiction antérieure, prononcée en
1240 par le concile de Worcester, dont le Canon 38 s'occupe
du jeu de Rege et Regina : du Roi et de la Reine. Pour impro-
bable que puisse sembler une défense ecclésiastique d'un jeu
aussi intellectuel, concentratif et noble que les échecs, il est
pourtant difficile de penser qu'il s'agisse d'autre chose, à moins
qu'il s'agisse d'un jeu de société où, parmi les jeunes gens qui
participaient, un était nommé Roi et une autre Reine. Ce jeu
assumait parfois un caractère érotique, d'où peut-être la défense
faite.
Il semble historiquement avéré que les cartes ne furent intro-
duites en Angleterre qu'après le règne d'Henri IV, en 1405.
Elles y furent employées certainement et abondamment avant
1463, année où, sous le même Roi, l'introduction des cartes
étrangères fut défendue, ce qui prouve qu'on en fabriquait à
cette époque en Angleterre même.
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ALLEMAGNE
En Allemagne, les cartes à jouer auraient été introduites
après la campagne de l'Empereur Henri VII, en Italie, pendant
les années 1310 à 1312. Ses soldats auraient appris à jouer dans
dans ce pays. C' est un fait que l'un des jeux favoris en Alle-
magne était alors le lansquenet, mot dérivé de Landsknecht, qui
signifie un milicien. Cela s'accorde avec ce qu'on lit dans un
livre appelé Das guldin Spiel (le Jeu d'or), publié à Augsbourg
en 1472, dans lequel l'auteur affirme que le jeu des cartes aurait
commencé en Allemagne vers 1300.
L'étude des Archives nous apprend que ni dans le recueil des
ordonnances de la ville d'Augsbourg de l'année 1275, confir-
mées par l'Empereur Rodolphe I ni dans celui de Nuremberg
des années 1280 à 1290, il n'est fait mention du jeu de cartes
(selon von Stelten, 1779). La plus ancienne allusion aux cartes
à jouer serait, si elle était authentique, celle d'un décret synodial
de Würzbourg, qui en aurait défendu l'usage aux ecclésiastiques
dès 1329. Mais ici, il y a une grave objection à formuler. Le dé-
cret de 1329 n'est que la répétition mot pour mot d'une défense
du convent de Mayence de l'an 1316. Or, dans cette défense, à
la place du terme cartarum, on lit corearum. Ce ne serait donc
pas les cartes qui auraient été défendues aux ecclésiastiques, mais
la danse ! Les auteurs (Würdtwein, 1783 ; Himmelstein, 1855)
qui ont reproduit le Ms. de 1329, paraissent donc avoir mal lu.
Les mentions authentiques les plus anciennes des cartes à
jouer sont, pour l'Allemagne, des décrets prohibitifs de 1378
à Regensbourg, de 1380-1384, à Nuremberg (selon von Murr,
1775), 1301 à Augsbourg, de 1397 à Ulm. A Francfort, on
ne trouve aucune interdiction des cartes antérieurement à 1437.
Mais il est certain qu'il y existait bien avant cette époque des
maisons de jeu, où l'on jouait aussi aux cartes, maisons que l'on
appelait, là comme en Alsace, « Heisser Stein » (pierre chaude) ;
en effet, en 1392, vivait à Francfort un fabricant de cartes qui
faisait de très bonnes affaires, à en juger par les impôts qu'il
payait.
Au commencement du XV siècle, la passion des cartes s 'était
furieusement développée. Il suffit, pour s 'en convaincre, de rap-
peler un seul fait : en 1450, à Nuremberg, le Cardinal Capis-
tran prêcha éloquemment contre le vice du jeu ; en conséquence,
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des milliers de cartes à jouer furent brûlées sur le marché. Cette


abondance fait supposer une industrie florissante ! On peut
d'ailleurs s'en former une idée quand on apprend qu'en 1441,
le Sénat de Venise dut défendre l'importation de cartes à jouer
allemandes, qui faisait un grand tort à l'industrie et au com-
merce national.

ESPAGNE
Pour l'Espagne, la plupart des documents anciens sont dou-
teux. Passavant a le premier mentionné qu'il se trouve à la
Bibliothèque de l'Escurial un Ms. de l'an 1321, composé
sur l'ordre d'Alphonse le Sage, traitant des règles du jeu
d'échecs, de trictrac et de dés, manuscrit publié in extenso en
1943. Ce Ms. contient beaucoup de figures, mais il n'y est pas
question de cartes. Il y aurait eu une défense de jouer aux cartes
dans les Statuts de l'Ordre de la Bande, instituée en 1332 par Al-
phonse XI de Castille, mais il est impossible de vérifier le texte
originel.
Dans la Récapitulacion de las Leyes destos Regnos, imprimée
en 1640, on trouve une ordonnance de Jean I de Castille où il
est défendu de jouer aux cartes (naipes, naypes, naibs). Cette
ordonnance est de 1387; mais dans une édition plus ancienne
de ces lois, dans les Ordenanças reales de Castille, par Medina
de Campo, imprimée en 1541, le mot « naypes » ne se trouve
pas parmi les noms des jeux défendus. Il s'agit donc certaine-
ment d'une interpolation dans l'édition postérieure. Toutefois,
il paraît bien assuré que dans les Archives de la Ville de Bar-
celone se trouve un acte notarial de l'année 1380, attestant la
présence d'un « ludus de naips » dans l'héritage d'un négociant,
et, peu après, en 1382, des arrêtés municipaux dans lesquels,
parmi différents jeux, celui des cartes est nettement désigné, les
cartes elles-mêmes étant indiquées par le mot « naypes ».
Les cartes à jouer ont donc été certainement connues en Es-
pagne au cours de la seconde moitié du XIV siècle. Le premier
décret royal qui en défend l'usage est de beaucoup postérieur
et serait de Ferdinand II et Isabelle, en 1476. En Espagne, on
a donc joué paisiblement aux cartes pendant plus d'un siècle
avant que le jeu ait été défendu. Les choses ont dû évidem-
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ment se passer ailleurs de la même façon, comme l'exemple de


Francfort l'enseigne. Les dates auxquelles les cartes sont inter-
dites pour la première fois établissent de façon avérée l'exis-
tence, à cette époque, du jeu en question, mais malheureuse-
ment cela ne nous apprend rien sur son ancienneté.

SUISSE
En Suisse, le jeu de cartes semble avoir été introduit à Bâle
en 1377. En effet, le Dominicain Johannes a Rheinfelden, au-
teur d'un Traité De moribus et disciplina humanæ conversa-
tionis, écrit textuellement : « Ludus qui ludus cartarum appel-
latur hoc anno ad nos pervenit, scilicet anno domini
MCCCLXXVII ». Le savant Dominicain vivait à cette époque.
Le plus ancien Ms. de son livre qui ait été conservé date de
1472, mais il Semble impossible que l'assertion si nette que le
jeu des cartes « nous est parvenu en 1377 » puisse être une
interpolation.
A Constance, c'est en 1388 que l'on trouve la première men-
tion de cartes à jouer. A Zurich, en 1389, il est constaté que le
jeu des cartes est permis les jours de fêtes ; il doit donc avoir
été connu bien avant cette date.

PAYS-BAS

Pour les Pays-Bas, il existe de très curieux et très sûrs docu-


ments qui ne renseignent pas sur l'introduction des cartes à
jouer, mais témoignent de la faveur dont elles ont joui déjà à
une époque relativement éloignée.
Commencons par le duché de Brabant. Le 14 mai 1379,
nier Hollander, receveur général du duché, note ce qui suit :
« Ghegeven Minehere ende Minrevrouwen XIIII in Meyo
(1379) quartspel met te copen : IIII peters, II gulden, maken
VIII 1/2 mottoenen » ; « Donné à Monseigneur et Madame le
14 mai 1379 4 peters, 2 florins, valant 8 1/2 mottons, pour
acheter un jeu de cartes ».
A cette époque, le duc Wenceslas et sa femme Jeanne ré-
gnaient sur le Brabant depuis 1355. Ces Princes étaient certai-
nement très férus du jeu de cartes, car la même année on trouve
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encore une autre note : « Ghegeven, Inghel van der Noet van
enen quartspel dat Minrevrouwe iegen hem dede copen,
X X V in Junio (1379). II mottoenen » ; « Donné à Ange van
der Noet le 25 juin 1379 deux mottons pour un jeu de cartes
que Madame avait donné l'ordre de lui acheter ».
Jusqu'en 1383, c'est-à-dire en quatre années, il est mentionné
vingt jeux de cartes de prix très différents achetés pour les
souverains de Brabant. D'autres articles se rapportent à des som-
mes perdues par eux au jeu. Il paraît bien qu'à la cour de
Bruxelles, on ne manquait point de passe-temps, car on trouve
indiquée toute une série de jeux dont elle se délectait : ad talos
(aux osselets), ad tabulas (au tric-trac), au « werptafel », ad
annulum (deux jeux de nature inconnue), ad aleas, ad taxil-
las (aux grands dés, aux petit dés). De plus, dès 1373, on parle
d'un jeu « ad falias » : on peut se demander s'il ne s'agirait pas
d'une erreur de transcription ou de lecture pour folias, ce qui
pourrait être un terme primitif pour désigner les cartes à jouer,
tout comme nous avons vu qu'en 1337, dans les Statuts du
Couvent de Saint-Victor, à Marseille, il était employé le mot
« paginas ». A bon droit, peut-on supposer que la traduction
en latin du terme populaire primitif de naibi, par lequel on
indiquait les cartes, a causé une certaine difficulté et qu'il y a eu
au début une certaine incertitude, jusqu'à ce que, finalement,
on se soit décidé pour les mots « ad chartas ».
Pour le comté de Hollande, il y a pareillement une série de
notes dans les livres de comptes se rapportant à de l'argent fourni
au comte Albert, au duc de Bavière et à sa femme et à Jean
de Blois, soit pour jouer aux cartes, soit pour en acheter. La plus
ancienne notice qui se rapporte au jeu de cartes est d'environ
l'an 1365. Un peu plus tard, en 1389, on trouve dans les
comptes de Jean de Blois, qu'il fut donné à Harlem, par Gysker
Uterlamer, à Monsieur, pour jouer aux cartes, 22 livres 8 grains
(Bi Gysker Uterlamer geg. tot kleur om qrt (quaert) speule voor
Minehere 22 th. 8. gr). Et dans les comptes du sieur Gomenies,
du 13 avril 1391, on lit: « Mijnre vrouwe geleent mede te
qwtem (quairten) III gulden. » — « Prêté à Madame trois flo-
rins pour jouer aux cartes. » D'autres articles semblables parais-
sent dans les années suivantes. Les cartes étaient assez chères.
On les conservait dans de petits sachets de lin ou de cuir qu'on
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suspendait au mur. Les jeux se jouaient sur une petite table


souvent d'ivoire, couverte d'un tapis spécial, dont l'achat est
mentionné à plusieurs reprises. Depuis l'année 1396, on jouait
tous les soirs à la cour comtale. Il est difficile de dire si cette
mode a été importée à la cour à l 'époque sus-visée, directement,
soit de France ou de Brabant, ou bien si le jeu se jouait déjà dans
le peuple ou dans la noblesse, avant qu'il ait pénétré dans la
cour.

AUTRICHE

En Autriche, la première défense date de l'an 1457, ce qui


évidemment n'a aucune valeur pour nous faire connaître l'épo-
que de l'introduction du jeu.

ITALIE

Dans un document daté du 13 mai 1371, mais publié seule-


ment en 1734, relatif aux droits et devoirs de l'Abbaye de Mon-
tecassino, il existe un passage douteux où il est fait mention du
« ludus cartarum ». Un document florentin, postérieur de quel-
ques années, paraît plus sûr ; il s'agit d'un décret du 23 mars
1375, des Prieurs de Florence, dans lequel on lit : « Volentes
malis obviare principis, domini priores audito quomodo quidam
ludus qui vocatur naibbe, in istis partibus noviter innolevit... »
— « Messieurs les Prieurs, voulant combattre les mauvais prin-
cipes... ayant ouï dire qu'un certain jeu qui s'appelle naibbe a
pris pied dans cette région... »
Il paraît bien que le jeu des naibs n'avait pas seulement « pris
pied ». à Florence, mais qu'il s'était bientôt répandu d'une ma-
nière telle que le fisc en fut intéressé. M. Zdekauer a retrouvé
une « Provigione » (décret) du 23 mars 1376, établissant que les
droits de douane sur le jeu des naibi ont dû être relevés.
Trois ans plus tard, on rencontre une autre information im-
portante. A cette époque, c'est-à-dire en 1379, l'Italie était en
pleine guerre ; celle-ci avait été causée par un schisme et l'anti-
pape Clément guerroyait contre le pape Urbain VI. Les deux
partis se servaient de mercenaires et parmi ceux-ci il n'est pas
exclu qu'il y ait eu des Musulmans. Or, il existe une chronique
de Viterbe allant jusqu'en 1476, compilation dont l'auteur est
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Niccola della Tuccia; celui-ci note pour l'an 1379, évidem-


ment d'après un document ancien, que les mercenaires commi-
rent plusieurs vols de bétail, puis il ajoute pour la même année
parmi les faits divers : « Fu recato in Viterbo il gioco delle carte
da un saracino chiamato Hayl. » — « En l'an 1379, il fut ap-
porté à Viterbe, par un Sarrasin du nom de Hayl, le jeu de
cartes. » Haik signifiant un Arménien, il y a là peut-être une
coïncidence à remarquer.
Dans un autre manuscrit de la même chronique, on lit une
variante de ce passage : « Il gioco delle carte che in saracino
parlare si chiama nayb » — « Le jeu des cartes qui, en langue
sarrasine, s'appelle nayb. » Dans un troisième manuscrit, datant
de l'an 1480, auteur Giovanni Covelluzzo, on lit enfin : « Il
gioco delle carte, che venne da Saracinia e chiamasi tra loro
naib. » — « Le jeu des cartes, venu du pays des Sarrasins et
qu'ils appellent naib. » Ce dernier manuscrit a été imprimé
en 1742, dans l'Istoria di Viterbo, par Feliciano Busi. Il importe
de noter que dans les inventaires des possessions des ducs d'Or-
léans de l'année 1408, les cartes « saracènes » sont nettement
distinguées des cartes « de Lombardie ». On avait donc à cette
époque-là encore un souvenir précis quant à l'origine des cartes
appelées actuellement tarots et françaises.
Dans une chronique de Giovani Morelli, de l'année 1393,
publiée pour la première fois à Florence en 1728, dans l'Istoria
Fiorentina de Ricordano Malespini, on lit : « Non giuocare a
zara, nè altri giuochi di dadi : fa dei giuochi, che usano i fan-
ciulli ; agli aliossi ; alla trottola, ai naibi. » — « Ne joue pas à
la zara (5) ni à aucun autre jeu de dés, fais (plutôt) des jeux
comme les enfants : aux osselets, à la toupie, aux naibes. » Ici
donc le mot naibes se trouverait employé pour indiquer un jeu
d'enfants. Cela pourrait signifier simplement que les enfants
se servaient des jeux de cartes pour des usages enfantins, ou
bien que l'auteur n'était pas encore très au courant de l'usage
des cartes introduites depuis peu en Italie.
Une allusion d'incertaine valeur se trouve encore dans un
poême italien Spagna istoriata. Ce poême, écrit au XIV siècle,
n'a été imprimé qu'en 1519, à Milan. Au chant XX, il est un
(5) Jeu qui se joue à trois dés.
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vers qui veut indiquer que Roland, pour découvrir où se trou-


vent les ennemis de Charlemagne, eut recours à la magie :
Fece un cerchio e gittô le carte
« Il fit un cercle (magique) et y jeta les cartes (dans un but divi-
natoire). »
Ces données sont déjà suffisamment anciennes, mais dans un
autre manuscrit italien, de beaucoup antérieur, il doit exister
aussi une mention directe du jeu des cartes ; Tiraboschi le cite
dans sa Storia della Letteratura italiana. Il s'agit d'un Trattato
del governo della familia de Pipozzo del Sandro, dans lequel
on lit : « Se guicherà di danari o cosi o allé carte, gli apparu-
chierai la via. » — « S'il joue pour de l'argent, ainsi ou aux
cartes, tu lui prépareras le chemin. » Ce bon conseil daterait de
l'an 1299, en sorte que la documentation la plus ancienne qu'on
possèderait sur l'usage des cartes en Europe serait donc ita-
lienne. Cela ne signifierait pas, du reste, que l'usage même du
jeu de cartes aurait commencé en Italie : il peut avoir existé ail-
leurs sans qu'on en ait trouvé jusqu'à présent une trace dans les
archives.
Il est un argument d'un certain poids contre l'hypothèse que
les cartes à jouer ont été employées communément en Italie à
une époque aussi lointaine : Pétrarque, mort en 1374, énumère
divers jeux dans son De remediis utriusque Fortunæ, mais ne
nomme pas celui des cartes. Cette omission pourrait toutefois
s'expliquer par le fait que les cartes, quand Pétrarque écrivait
son livre, n'étaient pas encore entrées généralement dans les
habitudes de la société. Même observation à faire pour Boccace
qui, dans le Décaméron, ne les mentionne pas non plus.
Par contre, vers le milieu du XV siècle, il paraît bien que les
cartes à jouer ont pénétré et qu'elles ont fait rage dans la belle
société, comme il résulte de ce qui suit. Dans les Acta Sancto-
rum des Bollandistes, à la « Vie de Bernardin de Sienne », il est
relaté que ce Saint, mort en 1450, a violemment prêché à Sienne
contre toutes sortes de jeux. L'effet n'a pas manqué : « Ludi
vero taxillorum non solum suo jussu deleti fuere, sed coram
gubernatore hujus reipublicæ naibes, taxillos, tessares et instru-
menta in super lignea super quæ avare irreligiose ludi fiebant,
combustos esse præcepit. » — « Sur son ordre, ne furent pas
seulement détruits les jeux de dés, mais en présence du gouver-
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neur de cette république, il fit brûler les dés grands et petits,


les naibes et encore les tables de bois sur lesquelles se faisaient
passionnément des jeux irreligieux. » Ce fait doit être advenu
en 1423.
Il faut aussi remarquer en passant, que le nom de « Naibi »,
donné en Italie aux cartes, se trouve donc encore employé vers
le milieu et même la fin du XV siècle.
Au chant VII, stance 67 de l'Epopée burlesque, Il Morgante
Maggiore, de Ludovico Pulci, publié en 1481, on lit :
Gridava il Gigante :
Tu sei qui, Re di Naibi o di Scacchi :
Col mio battaglio convien che io ti ammachi !
« Le Géant criait : te voilà, Roi du jeu des cartes ou du jeu
d'échecs : avec ma masse je t'écraserai ! »
De même, en France, à Toulouse, les fabricants de cartes s'ap-
pelaient encore « Naypiers » en 1466.
CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER
Nous pouvons ainsi, nous résumer : les cartes à jouer sont
mentionnées en Europe au plus tôt vers la fin du XIII siècle.
Pendant tout le XIV siècle on les trouve mentionnées très sou-
vent, premièrement dans les pays baignés par la Méditerranée :
l'Italie (Venise), la France (Marseille) et l'Espagne (Barcelone) ;
mais aussi dans l'Allemagne méridionale. De là, elles furent
probablement diffusées dans le reste de l'Europe continentale.
La mention expresse faite dans la chronique de Viterbe de l'an
1379 qu'il s'agit d'un jeu en usage parmi les Sarrasins, porte
à croire que les cartes nous sont parvenues de l'Orient. Elles
ont pu pénétrer par voie de mer en Europe méridionale.
Résumons les données les plus anciennes sur le jeu des cartes
en Europe.
A. — Passages d'écrits anciens où parmi d'autres jeux les
cartes ne sont pas mentionnées.
III siècle S. Cyprien. Traité des' spectacles
et des jeux de hasard, attribué
à cet auteur.
1200 France Auteur inconnu, Guillaume de
Dôle. Poême.
1202 » Renart, l'Escoufle. Poême
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environ France Auteur inconnu. Jouffrou. Poê-


1200 me
1250 » Guillaume de Guilleville. Le
Pèlerinage de la vie humaine.
Poême.
1254 » Décret de défense de plusieurs
jeux par saint Louis.
1275 Allemagne Ordonnance de la ville d'Augs-
bourg.
1280 France Renart. Galéran. Poême.
1280-1290 Allemagne Ordonnance de la ville de Nu-
remberg.
Philippe de Reccin. Jehan et
1280 France Blonde.
Première moitié du XIII siè- Auteur inconnu. Sone de Nan-
cle France çai. Poême.
Fin XIII sB » Jacques Bretel. La Châtelaine de
Coucy. Poême.
1316 Allemagne Décret synodial de Mayence.
1316 France Jehan de Maillart. La patience
de la comtesse d'Anjou. Poê-
me.
1321 Espagne Règles des jeux d'échecs et de
dés.
1329 Allemagne Décret synodial de Würzbourg.
1332 Espagne Statuts de l'ordre de la Bande.
1367 France Petit Jean de Saintré. Chro-
nique.
1369 » Ordonnance sur les jeux, de
Charles V.
1374 Italie Petrarca. Traité de Remediis
utriusque Fortunæ.
1374 » Boccace. Décaméron.
B. — Textes médiévaux où les cartes à jouer sont mention-
nées.
1054 Italie Vocabulaire de Papias. Le jeu
de mapa (douteux).
1240 Angleterre Interdiction par le Concile de
Worcester, douteux.
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1278 Angleterre Jeu des quatre rois, douteux.


1299 Italie Pipozza del Sandro. Trattato
della famiglia.
1300 Allemagne Suivant le livre: Das Guldin
Spiel.
1329 » Défense de Würzbourg, dou-
teux.
1337 France Statuts de l'Abbaye de Saint-
Victor à Marseille.
1365 » Chronique de Provence de Nos-
tradamus.
1371 Italie Défense aux moines de Monte-
cassino.
1373 Brabant Mention faite du jeu « ad Fo-
lias ».
1375 Italie Florence. Défense par les
Prieurs.
1376 » Florence. Décret fiscal.
1377 Suisse Suivant Jean de Rheinfelden.
1377 France Défense du Prévôt de Paris.
1378 Allemagne Ratisbonne. Décret prohibitif.
1379 Brabant Compte de Reinier Hollander.
1379 Italie Viterbo. Chroniques de Nicco-
la della Tuccia et de Giovan-
ni Covelluzzo.
1380 Espagne Acte de notaire à Barcelone.
1380 France Défense du Magistrat de Lille.
1380-1384 Allemagne Décret prohibitif à Nuremberg.
1381 France Acte de notaire, Marseille.
1382 Espagne Arrêt du Conseil Municipal de
Barcelone.
1382 France Ordonnance du Magistrat de
Lille.
1388 Suisse Décret de défense, Constance.
1389 » Décret de défense, Zurich.
1389 Hollande Comptes de Jean de Blois.
1391 Allemagne Décret de défense, Augsbourg.
1391 Hollande Comptes du Sieur Goméniés.
1392 France Comptes de Claude Poupart,
Paris.
1392 Allemagne Impôt dû par un fabricant de
cartes à Francfort-sur-Mein.
1393 France Le Ménagier de Paris.
1393 Italie Chronique de Florence, par Gio-
vanni Morelli.
1396 France Notice du caissier Hémon Ra-
gnier.
1397 Allemagne Décret de défense. Ulm.
1405 Angleterre Terme a quo.
1408 France Inventaire des ducs d'Orléans.
Je répète : dans toute l'Europe méridionale et occidentale, on
a dû connaître les cartes à jouer dès le commencement du
XIV siècle, et dans le XV siècle l'usage doit avoir été très répan-
du, car, à cette époque, se multiplient les décrets, restés d'ail-
leurs lettre morte, qui les défendent ; les estampes, miniatures,
tableaux qui les représentent ; les passages des chansons et
proses qui en parlent. Vers la fin du XV siècle apparaissent,
surtout dans les contrées du Rhin, des jeux de cartes gravées au
burin ou en taille douce. Dans les traités de l'histoire de l'art,
on connaît un Maître du jeu des cartes de l'année 1462, un jeu
de cartes gravé par le Maître E. S. de l'année 1466, et plusieurs
autres jeux attribués à des maîtres-graveurs de cette époque,
comme Martin Schon ou Schongauer, Israël van Meckenen, Jost
Amman, pour citer seulement les plus fameux.

2 . DOCUMENTATION S U R L'ANCIENNETÉ DE L'USAGE DES CARTES

A JOUER EN E U R O P E : L E S ΠU V R E S D'ART.

Sur quelques rares tableaux et sur quelques rares enluminures


de manuscrits, on trouve représentés des personnages jouant aux
cartes. Malheureusement les tableaux sont d'une époque rela-
tivement récente et les enluminures ne peuvent être datées avec
certitude.

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