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la situation à la faveur du procureur », expliqua-t-


il à un journaliste japonais, qui s’étonnait du refus
Le show Ghosn
PAR MARTINE ORANGE
d’accréditer un certain nombre de journaux nippons.
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 8 JANVIER 2020
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Monologuant et gesticulant pendant près d’une heure


avant de répondre aux questions, Carlos Ghosn
déroula longuement ses explications. Il ne s’est pas
dérobé à la justice, il n’a pas fui ses responsabilités.
Il a quitté le Japon « parce qu’il ne pouvait obtenir
justice ». Il a « fui l’injustice ». D’emblée, l’ancien
dirigeant prit le parti de décrire le traitement indigne
Carlos Ghosn, lors de sa conférence de presse du 8 janvier. © AFP
auquel il fut soumis : les interrogatoires pendant
Après avoir fui la justice japonaise, l’ancien PDG
plus de huit heures, la cellule d’isolement, la prison
de Renault-Nissan a récusé, lors d’une conférence de
pendant 130 jours, les tentatives pour lui extorquer les
presse, toutes les accusations portées contre lui. Carlos
aveux. Sa femme, ses avocats avaient déjà longuement
Ghosn s’estime victime d’un « complot » et a fui
dénoncé les conditions de détention qui lui étaient
« l’injustice ». Pour lui, l’Alliance entre Renault et
infligées lorsqu’il était en prison. « J’ai cru que j’allais
Nissan est morte, incapable de survivre à son départ.
mourir au Japon », confessa l’ancien dirigeant.
À elles seules, les images de la conférence de presse
Le parquet de Tokyo a immédiatement réagi aux
de Carlos Ghosn à Beyrouth ce mercredi 8 janvier
violentes critiques émises par Carlos Ghosn contre
donnaient tout à voir de l’ancien PDG de Renault-
la justice japonaise, les jugeant « unilatérales » et
Nissan, tel qu’en lui-même, dans toute sa démesure,
« inacceptables ». « Les allégations du prévenu
son hubris. Carlos Ghosn retrouvait son monde. Il
Ghosn font abstraction de sa propre conduite et ses
était à nouveau le grand patron hors norme, doublé
critiques unilatérales du système de justice pénale du
désormais de ce qu’il veut croire une aura héroïque
Japon sont totalement inacceptables », ont écrit les
depuis sa fuite de Tokyo le 31 décembre. Une sorte de
procureurs dans un communiqué mis en ligne, une
rock star industrielle.
démarche rare de la part du parquet de Tokyo.
Et le show fut là, par instants lunaire, par moments
Que le système judiciaire japonais soit
pathétique. Il donnait un parfait reflet de l’esprit de ces
particulièrement dur et souvent injuste – mais il n’est
élites mondiales qui ont fait sécession, qui s’estiment
pas le seul – est incontestable. Pour avoir vécu plus de
au-dessus de toute fiscalité, de toute contrainte, au-
dix-sept ans au Japon, Carlos Ghosn ne peut pas dire
dessus des lois, pour ne répondre qu’aux leurs.
qu’il ignorait tout de son fonctionnement. Mais tant
Toute la presse internationale était là dans la salle qu’il n’était pas directement concerné, il ne s’en est
pour assister au spectacle. « Je souhaitais avoir ici jamais préoccupé. « J’ai été brutalement tiré du monde
la BBC, CNN [etc.] car ce sont des personnes qui que je connaissais », dit-il.
représentent des médias objectifs alors que certains de
Au-delà des duretés mêmes de la machine judiciaire
vos collègues, pendant 14 mois, ont toujours présenté
japonaise, c’est sans doute le fait d’être rabaissé aux
lois communes, de revenir dans le lot du commun des
mortels, lui qui avait été consacré comme le nouveau
shogun de l’automobile japonaise, qui lui a fait le plus
mal. Il ne pourra d’ailleurs s’empêcher de le rappeler
et d’en montrer quelque aigreur, lui qui a redressé
Nissan, qui a été le premier à revenir au Japon après le

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tsunami de 2011, qui a accepté d’aller dans la région réécriture de l’histoire : les différents montages autour
de Fukushima que tout le monde fuyait par crainte des de l’Alliance, les schémas mis à l’étude, tout tendait
radiations nucléaires. « Le Japon me rembourse en mal à cette réalisation. Des responsables de Renault et des
pour tout le bien que j’ai apporté à ce pays. Je ne membres des ministères l’ont confirmé par la suite.
comprends pas », dit-il. Aujourd’hui, Carlos Ghosn se présente comme
Car Carlos Ghosn n’a commis aucune faute, n’est un dirigeant sans calcul, sans arrière-pensées, ne
coupable en rien de ce qu’on lui reproche. Il est victime pratiquant jamais les coups fourrés. Il est tombé sous
d’un « complot mené par les dirigeants de Nissan » l’attaque d’un « Pearl Harbor » qu’il n’avait pas vu
en collusion avec le parquet de Tokyo. « Qui faisait venir.
partie de ce complot ? À l’évidence, Hiroto Saikawa « Je ne suis pas un dictateur froid et cupide
[le directeur général de Nissan, poussé à la démission »
à l’automne] en faisait partie, Hari Nada [ancien bras
Reprenant les charges pesant contre lui, l’ancien
droit de Carlos Ghosn] en faisait partie et Toshiaki
dirigeant les récusa scrupuleusement, au point de
Onuma [le responsable du secrétariat chez Nissan].
rendre ses propos parfois incompréhensibles pour qui
Mais il y a bien d’autres personnes. Masakazu
n’était au fait de tous les détails de la procédure. La
Toyoda, membre du conseil d’administration, faisait
justice japonaise lui reproche de ne pas avoir déclaré
le lien entre le conseil de Nissan et les autorités »,
un certain nombre de ses revenus ? Carlos Ghosn
a lancé Carlos Ghosn. Tout a été monté pour faire
estime qu’il n’avait pas à le faire. « C’était des revenus
échouer une fusion Renault-Nissan que les dirigeants
différés qui n’avaient pas encore été approuvés par le
japonais redoutaient. Une accusation que l’ancien
conseil d’administration et qui ne devaient être versés
dirigeant a formulée dès les premiers jours de son
qu’au moment de [son] départ en retraite. » « Il n’y
emprisonnement.
avait aucune raison de m’arrêter. »
Carlos Ghosn est tombé, sans doute possible, dans
La justice nippone le poursuit aussi pour abus de biens
une révolution de palais au sein du constructeur
sociaux pour avoir imputé des pertes personnelles
japonais. La façon dont cependant il présente les
sur les comptes de Nissan après la crise de 2008.
choses est assez surprenante. À l’entendre aujourd’hui,
Là encore, Carlos Ghosn se dit blanc comme neige.
il n’est responsable de rien, n’a rien vu venir. La
Toutes les demandes ont été approuvées, selon des
première responsabilité, il la fait porter à l’État
procédures du groupe impliquant de nombreuses
français, lorsque Emmanuel Macron, alors ministre
personnes, plaida-t-il, documents à l’appui. Il profite
de l’économie, décida d’adopter un système de droits
de maisons à Beyrouth et Rio achetées par le biais
de vote double pour les sociétés où l’État détenait
de sociétés offshore mises en place à partir de la
des participations. Cela a effrayé les responsables
holding néerlandaise de l’alliance ? Ce ne sont que des
japonais, dit aujourd’hui l’ancien PDG de Renault.
avantages parfaitement connus, qui ne posent aucun
C’est oublier qu’à l’époque, Carlos Ghosn, furieux de
problème. « Les maisons appartiennent à Nissan », dit
voir l’État renforcer ses droits alors qu’il ne cessait
Carlos Ghosn.
d’œuvrer depuis 2009 pour s’en débarrasser, fut le
premier à attiser les craintes des dirigeants et des Tout cela, de toute façon, ne mérite pas d’aller en
pouvoirs japonais et à les affoler, afin de contrer la prison, selon l’ancien dirigeant de Renault-Nissan.
manœuvre de Bercy. Celui-ci soutient que cela ne se fait nulle part ailleurs
dans le monde. Ce qui est faux. Si la justice française
De même, à entendre Carlos Ghosn aujourd’hui,
ne poursuit que très rarement et que très tardivement la
celui-ci n’a jamais cru ni voulu une fusion complète
délinquance financière, dans un grand nombre de pays
entre Nissan et Renault, qu’il juge « impossible à
occidentaux, à commencer par les États-Unis, il arrive
manager ». On serait tenté de dire qu’il s’agit d’une
que les dirigeants aillent en prison.

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Mais dans le monde de Carlos Ghosn, cela ne se peut. L’excellence de sa direction est d’ailleurs pour lui
L’ancien PDG de Renault a toujours eu du mal à incontestable. Grâce à lui, Renault et Nissan ont
rendre des comptes. Il ne saurait s’abaisser à cela. Les réussi à se hisser aux premiers rangs des constructeurs
multiples controverses sur l’absence de transparence mondiaux, ont gagné beaucoup d’argent. Aujourd’hui,
sur ses rémunérations en France comme au Japon, tout est à terre ou presque, pour Carlos Ghosn. Depuis
l’opacité régnant autour de certaines de ses pratiques qu’il a quitté la direction de Nissan en 2017, le
notamment au sein de l’Alliance aux Pays-Bas, dont le constructeur japonais enregistre déboires sur déboires,
conseil d’administration de Renault commence juste à perd des parts de marché et de l’argent, explique
se préoccuper, les recours à des officines comme dans l’ancien dirigeant, passant soigneusement sous silence
l’affaire des espions de Renault ou plus encore ces la crise existentielle que traverse l’ensemble de
derniers jours pour s’échapper du Japon, prouvent que l’industrie mondiale automobile, à commencer par le
l’ancien dirigeant aime l’ombre et les pratiques d’un diesel.
monde parallèle où il peut évoluer selon ses propres De même, Carlos Ghosn considère que l’Alliance
règles. entre Renault et Nissan est en perdition, surtout après
Carlos Ghosn a soigneusement passé sous silence tout avoir raté le mariage avec Fiat-Chrysler sur lequel il
cela, comme toutes les actions engagées contre lui travaillait. Pour lui, les deux constructeurs n’ont plus
ailleurs qu’au Japon. Il a préféré revenir sur sa fête à de projet ni de produits innovants. Pas une seule fois, le
Versailles. Il faut savoir donner du grain à moudre à doute ne semble traverser l’esprit de l’ancien dirigeant.
une presse qui se repaît de ce genre d’anecdotes ! Mais Car si dix-huit mois suffisent à mettre par terre une
là encore, rien de répréhensible dans cette fête, selon œuvre industrielle de plus de dix-sept ans, c’est peut-
Carlos Ghosn, aucune envie de jouer « à Louis XIV et être qu’il y avait un défaut de conception : faire tout
à Marie-Antoinette » mais juste le goût de célébrer « le reposer sur un seul homme, en l’occurrence lui, ne
génie français ». pouvait que conduire à la catastrophe. Mais Carlos
Ce fut peut-être le moment le plus hallucinant de cette Ghosn croit à l’homme providentiel, au génie. Le pire
étrange conférence de presse. Pour les 50 ans de sa est que ses conseils d’administration l’aient entretenu
femme, raconta Carlos Ghosn, celle-ci lui demanda dans cette vision.
de trouver un endroit « pour inviter quelques amis L’ancien dirigeant de Renault se dit prêt désormais à
libanais et américains ». Et naturellement, l’idée de se battre sur tous les fronts pour laver sa réputation,
Versailles, dont Renault est un mécène, s’imposa : rétablir son nom. Comme il le dit sans rougir, il est
les salons du château lui étaient prêtés gratuitement. l’homme de « mission impossible ». Il semble déjà
« C’était pour moi un geste commercial. » Dans disposé à engager la bataille avec Renault, dont il dit
l’univers de l’ancien PDG de Renault, Versailles c’est ne pas avoir démissionné. En clair, il entend réclamer
un peu comme l’achat d’un espace publicitaire ou des comptes au groupe automobile, et notamment
d’une voiture, cela se négocie, se concède. Il s’agit ses bonus, ses stock-options et sa retraite-chapeau.
d’un rien, un à-côté dont les puissants peuvent disposer Il se dit aussi disposé à répondre devant la justice,
à leur guise, comme il se doit. mais à la condition d’être assuré « d’avoir un procès
« Je ne suis pas le dictateur froid et cupide » que l’on a équitable ». En clair, qu’il soit dans la capacité d’en
décrit, justifia Carlos Ghosn. La preuve selon lui, « une fixer ou d’en discuter les règles. Car il ne saurait
vingtaine de livres sont consacrés à ses pratiques de répondre à la justice des communs.
management ». Il est cité « à Harvard et à Princeton ».
Des références qui comptent et qui absolvent de tout.

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