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Revue des Études Grecques

Les Erinyes dans la tragédie grecque


Hugh Lloyd-Jones

Résumé
L'équivalence Érinyes-Euménides a été mise en doute. A. Brown (Class. Quart., 1984) a prétendu que les Semnai Theai
de l'Aréopage n'étaient pas les Érinyes. C'était faire bon marché des données de l'histoire religieuse, qui permettent de
suivre l'évolution de ces divinités, connues dès l'époque mycénienne : elles châtient les meurtriers et finissent par
apparaître comme protection de la justice en général. La pièce d'Eschyle a gardé le souvenir de cette ancienne évolution
et les Érinyes y sont appelées semnai. Le nom d'Euménides, qui leur était donné par euphémisme, n'est pas une invention
d'Euripide (dans son Oreste). Le rôle qu'elles jouent dans Œdipe à Colone montre bien que l'équivalence avec les Érinyes
était familière aux Athéniens depuis longtemps.

Citer ce document / Cite this document :

Lloyd-Jones Hugh. Les Erinyes dans la tragédie grecque. In: Revue des Études Grecques, tome 102, fascicule 485-486,
Janvier-juin 1989. pp. 1-9.

doi : 10.3406/reg.1989.2434

http://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1989_num_102_485_2434

Document généré le 19/10/2015


LES ERINYES
DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE

Homère s'occupe principalement des dieux d'Olympe, des


ouranioi; il ne mentionne qu'assez rarement les dieux du monde
infernal, les chthonioi1. Mais dans la tragédie les chthoniens
deviennent importants. Eschyle exploite la différence entre
ouranioi et chthonioi, comme il exploite la différence entre les
dieux anciens et les dieux qui régnent sur l'Olympe autour de
Zeus, dans YOreslie comme dans la Promèlhie. Dans YOreslie,
grâce au thème de la vendetta, les ministres de la justice divine,
les Erinyes2, ressortent très nettement. A la fin des Choéphores
elles apparaissent à Oreste, en demandant la vengeance du
meurtre de sa mère ; dans le dernier drame de la trilogie, elles
forment le chœur, se manifestent visiblement avec toute
l'horreur de leur aspect terrifiant. Enragées par l'acquittement
d'Oreste par le tribunal de l'Aréopage, elles menacent Athènes
d'une vengeance terrible. Mais Athéna est capable de détourner
le danger. En leur offrant un domicile dans sa cité, où elles
recevront des honneurs spéciaux, elle sauve Athènes de leur
courroux, gagnant en même temps pour la cité l'avantage
considérable de leur faveur. Désormais les meurtriers à Athènes
seront jugés par le tribunal de l'Aréopage.
Est-ce que cela veut dire que les fonctions anciennes des
Erinyes sont abrogées? Les Erinyes changent-elles leur nature
en devenant des «Euménides» au lieu d'être des «déesses

(1) Voir Jasper Griffin, Homer on Life and Death, 1980, 186-7.
(2) Sur les Erinyes voir Ernst, Wust, H.-E., Suppl. VIII, 1956, 82-166.
R.E.G. tome Cil (1989J1), pp. 1-9.
I HUGH LLOYD-JONES

redoutables»? On discute encore sur ces problèmes. Il y a même


un savant anglais — il s'appelle Andrew Brown3 — qui a mis en
doute l'opinion généralement acceptée que les déesses qu'on
adorait sur l'Aréopage comme Semnai Theai, les «déesses
redoutables», sont identiques avec les Erinyes; il a soutenu
aussi que les Euménides, dans le bois sacré desquelles le vieil
Œdipe s'établit en obéissant à un oracle delphique, ne sont pas
les mêmes Erinyes que celles qui ont causé les maux de lui-
même et de sa famille. Il vaut la peine d'examiner ces questions,
et aussi celle de l'origine des Erinyes, qui jettera peut-être une
lumière sur leur nature.
Dans Homère4 quiconque a offensé quelqu'un qu'on pourrait
regarder comme ayant un droit spécial à être considéré par lui
peut être puni par l'Erinys ou par les Erinyes de cet individu.
Ainsi (Edipe est puni par les Erinyes de sa mère Épicaste, qu'il a
épousée et qui s'est suicidée après avoir découvert qu'elle était
sa mère ; Phoenix est puni par les Erinyes de son père dont il a
séduit la maîtresse pour faire plaisir à sa mère ; Télémaque, s'il
chassait de la maison sa mère Pénélope, pourrait être poursuivi
par ses Erinyes ; Althée, après que son fils Méléagre a tué ses
frères, frappe la terre des poings et invoque les Erinyes contre
lui ; Iris rappelle à Poséidon le fait que les Erinyes suivent
toujours un frère aîné, afin qu'il cesse de défier son frère aîné
Zeus. En tous ces cas, les personnages dont les Erinyes agissent
sont des parents de ceux qui les ont offensés, mais dans l'Odyssée
on entend que même les mendiants ont leurs dieux et leurs
Erinyes. Cette notion reflète la croyance que les étrangers et les
suppliants sont protégés spécialement par Zeus Xénios et par
Zeus Hikesios. En développant l'idée originelle, on a attribué
aux mendiants la même protection qu'aux parents, de telle
façon que les Erinyes, qui avaient commencé par être les
protectrices des parents, sont devenues les défenseurs de la
justice. Ainsi on les a invoquées comme protectrices des
serments, afin qu'elles punissent les parjures. En leur qualité de

(3) A. L. Brown. Class. Quart. 34, 1984, 260-81. Il a été effectivement réfuté
dans un bel article d'Albert Henrichs, « Namenlosigkeit und Euphemismus : zur
Ambivalenz der chthonischen Machte im attischen Drama», qui paraîtra dans les
actes d'un colloque en l'honneur de S. L. Radt, qui a eu lieu à Groningen au
mois de septembre 1987. Je veux remercier très vivement M. Henrichs pour
m'avoir fait voir son œuvre avant sa publication ; mon article n'est qu'une
annotation au sien.
(4) Sur les Erinyes chez Homère, voir Wust 101 s.
LES ERINYES DANS LA TRAGEDIE GRECQUE Ο

défenseurs de la Diké, elles suppriment les offenses contre


l'ordre général de l'univers; quand le cheval d'Achille avertit
son maître de sa mort prochaine, ce sont les Erinyes qui le font
taire, comme ce sont elles qui selon Heraclite défendront au
soleil de dépasser les limites de son chemin.
Jane Harrison5 a vu, ce qui a échappé à Wilamowitz, que le
traitement des Erinyes par Eschyle révèle une étape de leur
existence antérieure à celle qui a été présentée par Homère.
Certes dans la première moitié de la trilogie les Erinyes sont les
défenseurs de la justice en général, comme elles le sont dans
plusieurs des passages où Homère fait mention d'elles. Une
Erinys sera envoyée par Apollon ou Pan ou Zeus pour punir
ceux qui ont volé les petits des vautours ; et de la même façon
l'Erinys présidera au mariage de Paris avec Hélène, et punira
Paris et les Troyens pour leur offense contre la justice. A la fin
du premier stasimon, le chœur de Y Agamemnon déclare que les
dieux ne sont pas oublieux de ceux qui ont beaucoup tué, et
qu'enfin les Erinyes noires mettront dans les ténèbres celui qui
est fortuné en dépit de la justice. Mais plus tard nous trouvons
des Erinyes dont la fonction se limite à la punition des
meurtriers de leurs propres parents. Cassandre les aperçoit dans
la maison d'Atrée quand elles sont sur le point de punir
Agamemnon pour le crime de son père contre les enfants de son
frère Thyeste et pour le sacrifice de sa propre fille. Dans les
Choéphores, Apollon avertit Oreste qu'elles le puniront s'il
manque de venger son père ; elles le puniront également s'il tue
sa mère, mais en ce cas il aura le soutien du dieu. Mais dans le
grand Kommos dans lequel Oreste et Electre suscitent l'esprit
de leur père afin qu'il les aide à le venger de ses meurtriers, il n'y
a que peu de mention des Erinyes ; ici l'accent n'est mis que sur
le rôle joué par le revenant. Avant la vengeance d'Oreste, le
Chœur n'invoque que les dieux Zeus, Apollon et Hermès,
ensemble avec la Diké. Mais après la mort de Clytemnestre et
d'Egisthe, les Erinyes, jusqu'à ce moment invisibles, se révèlent
au vengeur. Comme Clytemnestre n'a aucun héritier qui puisse
la venger, elles doivent apparaître personnellement; ainsi
Eschyle prend la mesure exceptionnelle d'abandonner la règle
générale selon laquelle les dieux grecs agissent non pas
directement mais par le moyen des actions humaines pour

(5) JUS 19, 1899, 225 et s., et Prolegomena to the Study of Greek Religion,
19031, 19223, 217s.; pour Wilamowitz, voir n. 7.
4 HUGH LLOYD-JONES
accomplir leur volonté sur la terre. Dans le troisième drame de
la trilogie, ce sont les Erinyes qui forment le chœur; du moment
que le calme austère de Delphes est rudement rompu par leur
apparition terrifiante, l'accent est mis avec toute l'insistance
possible sur la nature épouvantable de ces êtres noirs, ailés, qui
ont des serpents pour cheveux et qui sucent le sang de leurs
victimes, qui selon Apollon ne doivent habiter que les pays
barbares où les atrocités se multiplient. Quand Apollon leur
demande pourquoi elles n'ont pas poursuivi Clytemnestre pour
le meurtre de son mari, elles répondent qu'il n'était pas son
parent consanguin. Quand Athéna les interroge, elles lui disent
que dans leur domicile souterrain elles s'appellent les Arai, les
Malédictions.
A ce point arrêtons notre examen des Euménides et
considérons le problème de l'origine des Erinyes. Rohde6, suivi
par Jane Harrison et par Nilsson, a pensé qu'elles avaient
commencé par être les revenants des victimes du meurtre ;
Wilamowitz7, suivi par Dodds, l'a nié. Wilamowitz a pensé que,
comme Homère est le plus ancien des auteurs qui ont parlé des
Erinyes, il a dû décrire l'étape la plus ancienne de leur histoire.
Mais pourquoi ? Eschyle s'est beaucoup occupé des divinités
chthoniennes, et il est bien possible que ce soit lui qui ait gardé
le souvenir des phases les plus anciennes de leur existence.
L'auteur du commentaire sur un poème orphique préservé sur
le papyrus de Derveni8, un auteur qui a écrit dans la première
moitié du iv siècle — Burkert9 pense que c'était Stesimbrotos
de Thasos, et il peut bien avoir raison — dit que les Euménides
sont des esprits. Certes nous ne sommes pas obligés d'accepter
l'opinion de cet auteur, mais quand même nous devons en tenir
compte. En effet il est bien possible qu'à la première des étapes
par lesquelles s'est développée l'histoire des personnages que
nous connaissons sous le nom d'Erinves se trouvent les

(6) Psyché, éd. 5 et 6, I 270 f. ; Harrison, JUS, op. cit., 205 f. et Prolegomena,
Le. ; M. P. Nilsson, Geschichte der griechischen Religion, I2, 1956, 100 avec la note
8 ; cf. Lloyd-Jones, The Justice ofZeus, 1971 , 1983, 75. En général voir Wust 93.
(7) Griechische Tragédien II (lme. éd., 1899), 210s. ; Der Glaube der flellenen I,
1931, 398s. ; E. R. Dodds, The Greeks and the Irrational, 1951, 6s. et, n. 37 sur
p. 21. Cf. L. R. Farnell, The Cults of the Greek States V, 1909, 437 f.
(8) Papyrus de Derveni, ZPE 47, 1982, Appendice, p. 2, col. ii, 9-10 Εύμενίδις
γαρ/ψυχαί [εί]σιν : cf. Ilenrichs, Alii del XVII Congresso di Papirologia, Naples,
1984. II 261 s.
(9) ZPE 62, 1986.
LES ERINYES DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE 5
revenants des personnes assassinées qui sont revenus pour se
venger de leurs meurtriers ; il est assez probable que les
revenants des parents consanguins possédaient des pouvoirs
exceptionnels.
Mais d'où vient le nom des Erinyes? Ce nom se trouve sur une
des tablettes de Knossos10 ; et dans trois endroits en Arcadie et à
Telphousa en Béotie il y avait des cultes de Déméter Erinys11.
On a donc attribué à une déesse de la terre la punition des délits
des mortels; et les revenants, apparentés12 aux Kères, aux
Sirènes, aux Gorgones, aux Harpies, aux Sphinx, qui punissaient les
meurtres, se sont confondus avec cette déesse terrestre. Ainsi on
a fait des Erinyes des divinités qui non seulement vengeaient le
meurtre, mais aussi punissaient ceux qui avaient violé un
serment, et on en a fait enfin les protectrices de la justice dans
son sens de l'ordre de l'univers. Aussi on a cru que l'Erinys
punissait ceux qui offensaient la justice en envoyant la déesse
Até pour leur faire perdre la raison, comme Agamemnon quand
il a fait la faute désastreuse de se brouiller avec Achille, et
Melampus quand il a fait la faute de se laisser tomber au
pouvoir de Phylacus.
Les Erinyes d'Eschyle reflètent plus qu'une phase de ce
développement. Quand elles punissent Paris et les Troyens pour
leur crime contre Ménélas, elles sont les protectrices de la justice
en général ; mais dans leur traitement de la maison d'Atrée elles
apparaissent comme des Malédictions personnifiées ressemblant
aux Kères, et n'existant que pour poursuivre les meurtriers de
leurs parents.
Après l'acquittement d'Oreste elles se mettent dans une colère
extrême, et menacent de leur courroux formidable la cité où cet
événement a eu lieu. Mais Athéna possède non seulement le
pouvoir mais aussi l'astuce nécessaire pour les persuader; elle
sait bien que, comme toutes les divinités terrestres, elles
peuvent ou entraver la fécondité d'un pays ou la faire s'épanouir
en faisant monter des biens, des richesses infinies du royaume
souterrain. «C'est leur rôle, dit-elle, de contrôler les affaires des
hommes»; «la puissante Erinys exerce une grande influence sur
les mortels et sur les habitants du pays infernal, et il est évident

(10) Κ Ν 200, 8; voir Burkert, Structure and History in Greek Mythology and
Ritual, 1979, 127.
(11) Voir Farnell, op. cit., Ill, 1907, 50-62 et Wust 94 f.
(12) Voir Harrison, Prolegomena, ch. V.
6 HUGH LLOYD-JONES

qu'elle contrôle les affaires des hommes, en envoyant aux uns


une vie de chansons et aux autres une vie émoussée par la
douleur». Ces pouvoirs ne sont pas des acquisitions nouvelles,
mais ont appartenu depuis longtemps aux Erinyes en leur
qualité de déesses infernales. Quand Athéna leur explique
qu'elle va faire en sorte qu'aucune maison ne prospère sans elles
et qu'elle-même va faire prospérer ceux qui les révèrent, elle ne
fait que leur promettre un domicile à Athènes où elles pourront
exercer ces pouvoirs et où elle-même les aidera dans leur
exercice.
On ne trouve nulle part le moindre soupçon que leurs
pouvoirs seront en quelque façon diminués ou qu'elles seront
remplacées par le tribunal de l'Aréopage ; plutôt elles exerceront
ces pouvoirs par le moyen de ce tribunal lui-même. « II est vrai,
a écrit Rohde13 il y a presque cent ans, que l'État dirigera la
vendetta des parents du mort par des voies constitutionnelles,
qui ne contreviennent nullement aux lois de la communauté ;
mais il n'a pas la moindre intention d'abolir l'idée fondamentale
de la vendetta familiale ancienne». Rohde cite les orateurs du
iv siècle pour montrer l'importance du rôle joué même à cette
époque par les déesses redoutables. Sur la pente nord-est de la
colline de l'Aréopage se trouvait l'autel des Semnai Theai; et
tout proche il y avait une caverne, une descente aux enfers. Au
commencement d'un procès de meurtre, et le plaignant et le
défenseur devaient jurer par ces divinités, en prononçant contre
eux-mêmes des imprécations terribles en cas de parjure ; on peut
imaginer la force d'un tel serment pendant une époque quand on
croyait encore aux dieux avec une foi sans limites. Chacun des
trois jours du mois dans lesquels le tribunal siégait était
consacré à une des déesses, qui pendant l'époque classique
étaient trois.
Si, comme on le croit généralement, les Semnai Theai étaient
confondues avec ces Erinyes devenues Euménides, on voit
aussitôt quel a été le rapport du drame d'Eschyle avec la
pratique légale de la cité. Dans ce drame les Erinyes s'appellent
semnai (383) ; le spondée anomal occupant la position d'un mètre
iambique prête à ce vocable et au mot correspondant de
l'antistrophe (Ihesmon) un poids tout à fait exceptionnel. Dans
les paroles finales des Athéniens qui accompagnent les Erinyes à

(13) Op. cit., dans la n. 6,178s.


LES ERINYES DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 7

leur nouveau domicile, ils les appellent semnai, et après ce mot il


y a une lacune d'une syllabe ; le supplément le plus probable est
theai.
Certes il est surprenant que le texte du drame ne contienne
aucune mention du nom des Euménides. Hermann a supposé
que ce nom se trouvait dans la lacune qu'il a indiquée après le
vers 1027; et si Brown a soutenu que cette lacune ne peut pas
avoir contenu ce nom, il n'a pas établi sa thèse, parce que nous
ne savons pas l'étendue de la lacune. Quant à la conjecture de
Brown que la pièce n'a reçu le nom des Euménides que
longtemps après sa production, elle n'est guère soutenable. C'est
vrai que beaucoup de drames avaient des titres alternatifs ; mais
dès leur origine ils doivent avoir porté un titre quelconque, et
nous n'avons aucune raison de croire que cette pièce ait jamais
porté un autre nom que celui des Euménides. Si, comme il est
très probable, tout le monde savait que les Erinyes, les Semnai
Theai et les Euménides étaient identiques, il était bien naturel
de donner à la pièce ce titre, même si le nom ne se trouvait nulle
part dans le texte. En effet l'euphémisme et la répugnance à
prononcer les noms des dieux formidables sont des traits qu'on
retrouve partout dans le culte des divinités chthoniennes. On
évitait souvent de prononcer le nom d'Hadès; par allusion à son
aspect sympathique, on préférait l'appeler Ploutos ou Plouton.
On évitait aussi la mention de Persephone, et même son
équivalent en attique Pherephatta ; la reine de l'enfer est
souvent simplement Koré, quoiqu'on l'ait appelée par d'autres
noms, comme Despoina. Quand les dieux infernaux font l'objet
d'un culte, on les appelle régulièrement par un nom qui indique
leur côté bienveillant.
Ainsi quand Œdipe demande au paysan de Colone quel est le
nom des déesses dans le bois desquelles il se trouve, il répond
qu'ici on les appelle les Euménides, mais que leurs noms varient
selon les régions. Pour lui elles sont des filles de la Terre et des
Ténèbres; dans Eschyle elles s'appellent des filles de la Nuit, et
les Ténèbres et la Nuit sont la même chose. Quand Œdipe leur
adresse sa prière, il les appelle potniai deinopes, «déesses
d'aspect terrible»; c'est auprès des Semnai Theai qu'Apollon lui
a dit qu'il trouverait le repos, et comme plus tard Œdipe les
invoque par ce nom, on ne peut guère discuter l'identité des
Semnai Theai et des Euménides. Les paysans de Colone qui
forment le chœur sont très troublés de trouver Œdipe dans le
bois sacré «des vierges invincibles, dont ils tremblent de
Ο HUGH LLOYD-JONES

prononcer le nom, et près desquelles ils passent sans regard, sans


voix, sans parole, en n'usant que d'un langage, celui du
recueillement». Ils avertissent Œdipe que son incursion
demande un acte de purification accompagé d'un sacrifice comme on en
rend normalement aux dieux chthoniens, pour lequel ils
fournissent les instructions les plus exactes possibles. Si Œdipe
leur obéit, disent-ils, ils seront prêts à l'assister sans crainte ;
mais sinon, ils auront peur pour lui. Il doit demander aux
déesses que, comme nous les appelons les Euménides, elles
fassent donc d'un cœur bienveillant un accueil sauveur à leur
suppliant. Comme les gens qui passent par le sanctuaire ne
parlent que d'une voix basse, il doit prononcer sa prière d'une
voix qu'on n'entende pas; on se souvient que la famille qui
s'occupait du culte des Semnai Theai sur l'Aréopage s'appelait
les Hésychidae14. Quand il aura terminé son sacrifice il devra se
retirer sans tourner la tête, comme dans les Choéphores Electre
devra partir sans tourner la tête quand, en obéissant à sa mère,
elle aura fait l'offrande à son père comme à un esprit inamical.
Pendant que l'action de la pièce se déroule, on n'oublie pas la
présence des déesses. Œdipe termine sa dénonciation solennelle
de Créon en les appelant à son aide, afin que Gréon puisse
apprendre ce que valent les gens qui gardent la terre d'Athènes.
Plus tard, dans sa dénonciation encore plus terrifiante de
Polynice, il prononce contre lui une malédiction finale, en
invoquant ensemble Tartaros, le domicile souterrain des
Erinyes, les déesses de Colone, et cet Ares qui a inspiré à ses fils une
telle haine mutuelle. Le nom d'Erinys n'est prononcé que par
Polynice, qui deux fois attribue ses propres maux aux Erinyes
de son père ; mais l'identité des déesses avec elles est évidente.
Dans les scènes postérieures du drame les déesses sont moins
importantes, quoique dans le dernier stasimon le Chœur fasse
suivre à une prière à «la déesse invisible» et à Aidoneus une
autre prière aux 'déesses de la terre', qu'il associe avec le chien
infernal Cerbère. Dans la description des derniers moments
d'Œdipe, l'impression qu'un pouvoir divin se révèle d'une façon
mystérieuse est augmentée par le fait que le nom d'aucune
divinité ne soit prononcé ; mais on sait que les plus grands des
dieux, Hermès, Apollon et Zeus lui-même, s'occupent de ce qui
se passe.

(14) Σ Sophocle, OC 489, qui cite Callimaque, fr. 681 Pf.


LES ERINYES DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE 9

A Colone, comme près de l'autel des Semnai Theai sur


l'Aréopage, il y a une descente aux enfers, dont il y a plusieurs
mentions dans le drame de Sophocle. Il y a aussi un sanctuaire
de Déméter, et un autel de ce Poséidon qui a commencé par être
le consort de l'ancienne déesse de la terre, auquel Thésée rend
un sacrifice. C'était ici que le fils de ces deux divinités, Areion le
cheval miraculeux, a porté son maître Adraste après la débâcle à
Thèbes ; cela nous rappelle que dans plusieurs endroits Déméter
portait l'appellation d'Erinys15.
Après sa mort Œdipe apportera des biens à ses amis et des
dommages à ses ennemis ; cet homme qui toute sa vie a été
étroitement lié aux déesses redoutables jouira de privilèges
pareils aux leurs. Sa malédiction contre les fils qu'il déteste
apportera la mort non seulement à eux mais aussi aux filles qu'il
adore ; cette remarque doit nous mettre en garde contre l'idée
sentimentale qu'Œdipe une fois arrivé à Colone sera de toute
façon heureux. Celui qui croit que dès qu'Œdipe se sera établi
dans le sanctuaire des Euménides, la malice des Erinyes contre
la maison de Laios est terminée ne comprend pas grand chose à
la religion grecque.
Le premier auteur à notre connaissance qui ait appelé les
déesses Erinyes et Euménides au cours de la même œuvre est
Euripide, dans son Oresle; pour soutenir son sophisme puéril,
Brown est porté à suggérer que cette identification était une
innovation euripidienne. Pourtant tout indique que les Erinyes,
les Euménides et les Semnai Theai étaient les mêmes
personnages, qui, comme toutes les divinités chthoniennes, ont possédé à
la fois un aspect hostile et un aspect bienveillant, et que leurs
appellations ont varié selon l'aspect qu'on privilégiait en les
envisageant.
Christchurch, Oxford. Hugh Lloyd -Jones.

(15) Wilamowitz, I.e.

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