Sunteți pe pagina 1din 18

Langages

Introduction à l'étude de l'intensif


H.-Vidal Sephiha

Citer ce document / Cite this document :

Sephiha H.-Vidal. Introduction à l'étude de l'intensif. In: Langages, 5ᵉ année, n°18, 1970. L'ethnolinguistique. pp. 104-120;

doi : 10.3406/lgge.1970.2031

http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1970_num_5_18_2031

Document généré le 31/05/2016


H.-VIDAL SEPHIHA

INTRODUCTION A L'ÉTUDE DE L'INTENSIF

I. — Considérations générales.

A considérer l'ensemble des outils (formules, locutions, clichés,


particules, etc..) que les langues utilisent pour renforcer et intensifier
l'expression, l'esprit se perd. Je voudrais montrer qu'en interrogeant
inlassablement les langues il est possible d'aller à l'essentiel et ainsi définir ce que
j'appellerai d'un terme général Fintensif. J'en présenterai quelques
caractères généraux et passerai ensuite à l'étude d'une série intensive particulière
qui, au départ, charrie une notion d'horreur, d'épouvanté, de douleur, de
peur ou de tout cela à la fois.

A) Approche.
Il s'agit de la présentation d'un matériel de base puisé dans tous les
registres des langues. Aucun n'est figé et c'est à pleines mains que le registre
dit noble emprunte au registre populaire ou y puise. Je le classerai
grossièrement selon des catégories et un ordre numérique encore arbitraires et
montrerai que chaque exemple peut figurer sous un autre numéro et tout
particulièrement sous le n° 2 sans préciser s'il s'agit de 2a, 2b, 2c, 2d ou 2e.

1. Violence, force, tranchant...

cingler (la réponse fut cinglante : par rapport à frapper 2);


décider (décisif et adv. : étym* trancher 2);
se raidir (25) (Elle est raide! (27) = fort tendu : 8 et 2);
couper la parole;
trancher sur le vif;
en y allant un peu fort = sauf votre respect.
(ce dernier exemple pour montrer que la dynamique du système est à double
sens);
Forcer (de force, forcément : fort!, fort de café! (2 x 2)), et en vrac г :
violer, fracasser (déclaration fracassante); le châtiment de Dieu s'abat sur;
rude (rudement); résolu (résolument); être violemment pour ou contre, etc..

1. En vrac, car il serait impossible d'analyser chaque exemple dans le cadre de


cet article.
105

2. Limites.

2a. Limite frisée.


A ras bord; en avoir ras le bol; en avoir jusque-là! (2 -f- 27); friser la
folie; être sur le point de; être à l'article de la mort; avoir sur le bout de la
langue (sur la pointe dit l'espagnol); être au bord des larmes; tout près de
pleurer; être prêt à; au millimètre près (et son renforcement, son propre
dépassement) au millipoil près; veillée d'armes; imminence; l'épée de Damo-
clès; être à la dernière extrémité; au bas mot; ne pas arriver à, etc..

2b. Limite atteinte.


Assez! (27); Suffit! (27); Stop! (1, 27 et emprunt); je n'en peux plus (6);
au plus haut degré; au dernier degré; au plus bas degré; le nec plus ultra
(étymologiquement : ' et pas plus outre '), etc..

2c. Limite dépassée.


En outre; c'en est trop! (trop + 27); déborder (débordante); exagérer
(+ adv.); exténuer; excès (à l'excès, excessivement); énorme (+ adv.);
extraordinaire (-f adv.); suprême (+ adv.); transcender (transcendant,
+ adv.); c'est un peu gros; plus; très; c'est étourdissant!; ça nous dépasse;
tant et si bien que; il est autrement scrupuleux ( = bien plus); être en
passe de; mourir de rire Ф joyeux à mourir (ici mourir est la limite en vue
alors que dans le premier membre de l'inégalité c'est la limite dépassée : en
fin de compte l'effet recherché est le même); désopilant; saoul comme toute
la Pologne (dépassement de « saoul comme un Polonais »);
démesurément, etc..

2d. Limite surdépassée.


En avoir bien trop ou bien plus; très très grand; et tout et tout et tout;
oui oui, oui oui oui, Ou... ou... i...!; mort et enterré; le super gros lot; le roi
des rois, etc..

2e. Limite refusée ou niée.


Sans fin; infiniment; à n'en plus finir; éternellement; sempiternelle-
ment (2rf par pléonasme); sans limites; illimité; inaccessible; impossible!;
infranchissable, etc..
Remarques.
En y regardant de plus près on constate que ces cinq types de limites
sont en fin de compte des dépassements. En effet, 2d est un dépassement
de 2c, qui l'est de 2b, qui l'est de 2a, qui l'est de la norme ou de la moyenne
comme l'est aussi 2e.

3. Unicité.

Sans égal (2); inégalé (2); exceptionnel (2); extraordinaire (2); unique
(2 -f 27 : unique!) (l'exclamation en fait un dépassement de unique); pri-
sunic (est « surrenforcé » par l'emprunt orthographique unie à l'anglais);
il n'y en a qu'un, qu'un seul, qu'un seul et unique (et on pourrait allonger la
chaîne en continuant d'en remettre), etc..
106

Remarques.
Singulariser et multiplier permettent de renforcer. Multiplier les efforts
peut aboutir à la force, à la violence (1), à un point unique de violence
(1 + 3) due à l'accumulation des efforts (6). Je me permets ces remarques,
apparemment contradictoires, pour montrer combien ces diverses catégories
restent arbitraires, sont imbriquées et peuvent retrouver leur place en (2).

4. Totalisants.

Pleinement (2 + 7); tout à fait (2 + 7); totalement (2 + 7); et tout


et tout et tout (2 + 7); et tout le bataclan (2 + 7 + le renforcement dû
au caractère onomatopéique de bataclan); globalement; en gros; en vrac, etc..

5. Points de comparaison, images, symboles.

Il parle /il crie /il hurle = série de (2)


foncer (2 de courir)
adorer (2 d'aimer)
arrêter /arrêter net = stopper /stopper net : série de (2)
et en vrac : flambant neuf; bouche cousue; un bourreau de travail ; à se
décrocher la mâchoire; hermétiquement; à perdre haleine; un froid de
canard; prestigieux; prodigieux; for intérieur (populairement senti comme
fort); à tue-tête; à gorge déployée; à toutes jambes; à coups redoublés; faire
table rase; écorché vif; honneur insigne; invaincu, etc..

Remarques.
Il s'agit ici de la série la plus ouverte que l'invention peut enrichir sans
discontinuer. En fait, le sujet parlant cherche un point de comparaison aussi
tendu que possible et lui emprunte de sa force pour dire ce qu'il veut
exprimer. Car, comme le dit le mot, il est sous pression, il est tendu. S'exprimer =
sich ausdriicken en allemand (où est également présente la notion de
* pression ', Druck, en allemand). En hébreu parler = dabbér est une forme
dite intensive. Il faudrait poursuivre l'enquête dans d'autres langues et l'on
ferait certainement des constatations semblables.

6. Abondance.

Masse (2); en masse, massivement (2); foisonner (2); à foison (2), et en


vrac : à flots; en quantité(s); une foule de; une série de; une chiée de; à
profusion; à pleines mains; à pleine bouche; des tonnes de; criblé de coups;
innombrable; incommensurable; en avoir à revendre; en veux-tu en voilà;
à Г envi; à gogo; à qui mieux mieux, trop; bien trop; en surabondance;
surplus; à en crever; urgent (étym* pressant, cf. besoin pressant); force
détails, etc..

Remarques.
Il va de soi que cette série pourrait par les images qu'elle charrie entrer
presque entièrement dans la catégorie (5). En outre, qui dit abondance dit
accumulation. On peut accumuler en pressant, en amassant, en entassant,
en amoncelant, en empilant, en rangeant côte à côte et ce dans tous les
107

sens et jusqu'à une certaine limite, celle de l'éclatement, de l'explosion, de


la crevaison, etc.

7. Perfectifs.

Mener à bien = llevar a cabo (2); achever (2), et en vrac : un homme


parfait, accompli; mûrement réfléchi: rire tout son saoul: Fieffé (selon le
Petit Larousse : qui a atteint le dernier degré d'un vice ou d'un défaut);
fieffé coquin; pâle fripouille; exécuter (étym*); permanent; persiflage;
persister; performance; de A à Z; et le tour est joué!; exsangue, etc.

Remarques.
Achever implique aussi abondance d'efforts et limite à atteindre. C'est
le sens figuré de fieffé qui s'est maintenu. Le sens figuré est un emprunt fait
au sens propre.

8. DÉMATÉRIALISÉS, type TRÈS, COTON...


Très; drôlement; extra; fanta; à tout casser; à tout berzingue;
énormément; vachement; beaucoup; force détails; fort; bien; j'ai beau; marcher
d'un bon pas; un rhume carabiné; un rhume je ne te dis que ça!; une
débauche de; une histoire trapue; un demi bien tassé; un meuble coton; un
récit maison; monumental!; un as; c'est champion!; c'est comme ça!
(accompagné du geste); un menton impossible ou impossible (selon la place de
l'accent tonique); c'est épique!; c'est quelqu'un ou quequ'un;
rois
le roi des <- vitriers = le plus grand des...; je m'en fous royalement; un
idiots
signalé service, etc..

Remarques.
N'oublions pas qu'étymologiquement très dérivant de tra(n)s signifie
déjà en soi un dépassement. Il en sera question dans le paragraphe
consacré aux etymologies.

9. Négatifs.

Invaincu (2); indéracinable (2); et en vrac : illimité; infiniment;


imperturbable; du tout; pas du tout; nullement; ne... pas, et étymologiquement
la série ne... point, ne... goutte, ne... mie, ne... rien, etc..

Remarque.
Cette dernière série montre combien l'effort du sujet parlant est grand
pour saisir la notion du néant, de l'inexistant inconcevable sans recourir à
des choses concevables aussi petites soient-elles. La tension est grande
(cf. remarques de 5 et 6). Il y a, en outre, renouvellement continu par
emprunts de toutes sortes, ainsi, c'est pas bezef, dont le dernier terme est
d'origine arabe et renforce la négation.

10. Locatifs.

De première (2); au dernier degré (2), et en vrac : c'est la crème de


la société; une huile; un cacique; une grosse légume; un chef-d'œuvre; chef
108

de file; le roi des; principal; le cœur du problème; problème qui le préoccupe


au premier chef; tout d'abord; en premier lieu, etc..

Remarque.
Huile, cacique, etc., pourraient être rangés en (5).

11. Immédiateté.

D'emblée (2); sans crier gare (2), et en vrac : tout de suite; aussitôt;
tout de go; de but en blanc; pris sur le vif; toutes affaires cessantes; au
plus vite; à l'instant; à l'instant même; sur-le-champ; sans attendre;
immédiatement; maintenant; vite vite; prestement; presto!; illico presto; sur
l'heure, etc..

Remarques.
Catégorie particulièrement édifiante participant à la fois de (5), (26)
et (2).
Presto est un emprunt, on le renforce par un second emprunt, illico,
lequel se termine en о comme presto. C'est là un nouveau renforcement. En
outre, on constate que cette notion d'emprunt est beaucoup trop limitée.
En effet, combien d'exemples se présentent dans cette dernière série pour
exprimer l'immédiateté! et chaque fois en empruntant au point de
comparaison.

12. DÉPLACEMENT DE L,' ACCENT TONIQUE.

Nous en avons vu un exemple en (8). Il est inutile d'allonger la liste.


C'est là une de ces redondances dont il est souvent question. Y avoir recours,
c'est transgresser la norme, la dépasser et par conséquent se placer dans la
catégorie (2).

13. A noter.

Notoire (2 et 19); remarquable (remarquablement); digne d'être retenu;


fameux (fameusement); archiconnu; bien connu; considérable
(considérablement), etc..

14. L'ininterrompu.

Tout d'une laisse; tout d'une traite; tout d'une tirade; tout d'un jet;
d'un seul jet; tout d'un trait; d'une seule coulée; sans interruption, etc..

Remarque.
On se situe dans chacun de ces cas au-delà de la discontinuité (2), en
recourant à des images (5), auxquelles on emprunte leur spécificité.

15. Lenteur.

Au compte-gouttes = très lentement (2), et en vrac : c'est lent!; oh là


là que c'est lent!; ça dure!; quelle lenteur!; on n'en finit pas!; on n'en voit
pas la fin, le bout, longue durée, longue lononon...gue durée, etc..
109

16. Le temps, l'âge.

Toujours (étym1 tous les jours); de tout temps, de tous temps; l'aîné;
un seigneur (étym* plus âgé, seňor en esp. a parfois le sens de supérieurement
de même aujourd'hui padre); à jamais; à tout jamais; éternellement;
sempiternel; archi (étym* ' ancien ' et ' qui commande ', soit aussi ' de premier
rang '), etc..
Remarque.
Il est intéressant de constater que archi est devenu un véritable
instrument d'intensification. Pour ce faire, il a fallu lui emprunter sa valeur
superlative et n'en retenir que celle-ci. Le préfixe ur- allemand (par exemple
Urvàter, * ancêtres '), a été exploité dans le même sens. C'est ainsi que l'on
entend maintenant urulkig pour wrkomisch (archicomique), et que l'on va
même jusqu'à le contracter en urig.

17. Sens, directions.

Aux quatre vents; partout; à gauche et à droite, de gauche et de droite;


dans tous les sens; de tous côtés; de-ci de-là, par-ci par-là; parsemer;
distribuer; semer; tous azimuts, etc.

Remarques.
Dans cette série on renforce en multipliant dans les deux dimensions,
puis dans les trois, tous azimuts emprunté au langage scientifique est repris
avec sa force de frappe par la publicité dont le langage constitue un terrain
de choix pour le genre d'étude qui nous intéresse ici.

18. Extra-humain.

Immense (dépasse grand et vaste); gigantesque; colossal;


fabuleusement; hors de; inimaginablement; surhumain; éblouissant; insensé;
étonnant; c'est fou!; ça nous dépasse, etc..

19. Mémorisation.

A retenir; à souligner; mémorable; historique!; record (étym*), etc..

Remarque.
Cette catégorie recouvre en partie le numéro (13). C'est bien la preuve
qu'il faut trouver d'autres critères.

20. L'emphase.

Moi je; toi tu (et ainsi de suite pour toutes les parties du discours);
ne plus; non plus; moi non plus (il y a ici une attirance des emphatiques moi
et non); certes!; maintes; il est si sage et doué d'une telle intelligence, etc..
110

Remarques.
Comme l'indique son etymologie, l'emphase explique, démontre, met
l'accent sur ou souligne, bref, renforce et aboutit à un dépassement de la
formule renforcée.

21. Le poids.

Une personne de poids; d'importance (important); lourd de conséquence.


Ainsi, de Gaulle dans son dernier discours radiodiffusé : « Françaises,
Français, dans ce qu'il va advenir de la France, jamais la décision de chacune
et de chacun de vous n'aura pesé aussi lourd » (je souligne); en hébreu
Kavod, ' honneur ' dérive d'une racine kaved qui signifie ' être lourd ', etc..

22. Le dénombrement.

Faire les quatre cents coups; mille et une choses; trente-six fois, etc..

23. Intériorité.

Démultiplier; dans le menu; amphi bondé à craquer; dans le ou les


détail(s); grouiller; fourmiller; pulluler (étym* ' faire des petits ') et son
correspondant esp. menudear, etc..

Remarques.
La terminaison en -ear de menudear est généralement considérée
comme un fréquentatif qui n'est autre qu'un intensif. On constatera
d'ailleurs que la plupart des néologismes espagnols actuels ou anciens notamment
dans les parlers judéo-espagnols qui empruntent aux langues voisines, le
turc en Turquie, l'arabe au Maroc, se terminent pour la plupart en -ear et
sont sentis comme des intensifs. De même, en hébreu toute racine
quadrilatère empruntée est sentie comme un intensif et se vocalise comme celui-ci.
Ex. : LeTaRGeM, ' traduire '.

24. Le centre.

Occupation centrale (aussi centrale que possible, en tension vers ce


point limite qu'est le centre); le nombril du monde; le vif du sujet; le cœur
du problème; le nœud de la question; le noyau, etc..

Remarques.
Occuper une position centrale c'est également occuper un rang élevé,
une des premières places, une place de choix, une place de marque, être
une grosse légume, un notable, un homme de poids, un vache d'homme,
et ainsi de suite en empruntant à chacune des catégories étudiées ici ou
non faute de place.

25. Le réfléchi.

Se ronger (2 de ronger); se tirer la barbe; s'arracher les poils de la


barbe; se raidir; se tordre de rire; se le dire, etc..
Ill

Remarques.
Le réfléchi implique une pluralité de sujets et d'objets ou le
dédoublement du sujet en objet et sujet. П у a donc toujours pluralité, autre
aspect de l'intensif et que l'hébreu manifeste clairement par sa
sémiologie. C'est ainsi que le hitpa'el, forme réfléchie, emprunte sa vocalisation
au pi'el, forme intensive (cf. remarques 5 et 23).

26. La répétition.

Il va de soi que la répétition renforce et dépasse de par sa nature même


l'objet de la répétition. Mais les procédés sont multiples.

a. La répétition simple ou multiple.


Oui oui/oui oui oui; zut et zut/zut, zut et zut; c'est vrai, c'est vrai =
c'est bien vrai; trente-six fois; mille et une fois; fusil à répétition — repe-
tidas veces (' bien des fois ' en esp.), etc..

b. Le réitératif re-.
Véritable instrument, ce réitératif peut s'accoler à la majorité des
verbes français : réintégrer — remanger — se rasseoir — revoir, etc. En
outre, comme le signalent Bloch et Wartburg dans leur Dictionnaire
étymologique de la langue française (P.U.F., p. 536), ce préfixe re- peut exprimer
une idée de renforcement ou une idée perfective (garder /regarder — lier/
relier : exemples cités par lesdits auteurs). Le re-, dit de renforcement, est
attesté par des exemples tels que resserrer (Petit Larousse : serrer
davantage... — Fig. Rendre plus étroit); les remous (emprunté au prov. et
déverbal); renommer et ses dérivés renom, renommée, etc.. Mais la valeur
intensive de ce re- est bien plus fréquente en espagnol, où on en vient même
à renforcer des adjectifs : bueno/rebueno (' bon '/ ' très bon ') et ce, très
probablement grâce à l'intensité du phonème r- initial espagnol auquel a
été empruntée son intensité pour en donner aux emprunteurs.

с La répétition par réduplication.


Chouchou; foufou; chouchouter; chichiteux; concombre (étym*) —
zizag, etc.. et un autre groupe de ce type:

d. L'onomatopée.
Tic tac; glouglou; coucou, etc.. Onomatopée de plus en plus exploitée
par la publicité voire par la radio officielle (j'entendais l'autre jour le
premier plouf du sous-marin atomique pour la première plongée).

Remarques.
Avec 26c et 26 d nous touchons au problème des hypocoristiques et
des diminutifs /augmentatifs, qu'ils apparaissent dans des formes verbales,
nominales adjectivales ou d'autres (cliquetis, ondoyer, bécoter, végéter,
vivoter, etc..) que je classe également parmi les intensifs. Je compte en
faire une étude détaillée prochainement. Qu'il suffise d'insister sur le
caractère relatif de ces dénominations. En effet, l'effort du sujet parlant peut
aller vers la saisie de la petitesse qualitative ou quantitative. La langue
qui bricole à partir de ce qu'elle a à sa disposition — et c'est bien peu
112

quand on y regarde de près — se renouvelle, systématise autant que


possible et se trompe parfois d'aiguillage. Mais il y a toujours une logique
interne dans ces erreurs. Ainsi, l'espagnol en seguidita (' tout tout de suite ')
se comprend parfaitement quand on considère que le diminutif d'un temps
très court ne peut être qu'une intensification de cette notion. De même,
sous l'augmentif -on de raton (' souris ' alors que rat se dit rata) se cache
le pullulement des souris, la masse dans le menu (cf. 23).

e. Figures de style.
Il faudrait également classer ici Fanaphore (Petit Larousse : répétition
du même mot au début de phrases successives), les pléonasmes (aujourd'hui
renforcé en au four d'aujourd'hui où apparaît trois fois la notion de jour —
sempiternel, né natif de, puntiagudo (esp. littéralement ' pointu-aigu '),
creux à l'intérieur, voire même, etc.), la progression (net, propre, sans
fard; c'est un pic, c'est un roc, c'est un cap... — ), la paronomase (qui se
ressemble s'assemble, qui vivra verra, en user et en abuser, châtier du
châtiment de Dieu, qui a bu boira, etc.), l'hyperbole, la rime pauvre ou riche
(sans foi ni loi, esp. sin oficio ni beneficio, etc.), et bien d'autres figures de
style qu'il serait superflu de passer en revue ici. Ajoutons simplement que
les mots dits explétifs (étym* , qui remplissent, complètent) en remettent
également (on vous le prend, on vous l'assomme).

27. L'exclamation.

Dès l'étude du dépassement il a été question de ce type de


renforcement. Il faudrait y ajouter l'interjection qui s'y associe souvent. Ça alors!
Oh la vache!; zut! zut! zut!; je ne vous dis que ça! (affirmation renforcée).
A la limite, merde! se substitue à zut et vient ponctuer tout le discours
en ses jointures pour finalement prendre la place du « la » de la langue
française. Euh! euh... euh..., comment dirais-je?!
Cette série de catégories pourrait être considérablement allongée, les
injures et les insultes y occuperaient une place de choix. Mais il est temps
d'en tirer des enseignements et de définir l'intensif.

B. Conclusions.
Qu'y a-t-il de commun entre tous les éléments de cette collection dont
il serait bon de compléter le catalogue?
Il y a volonté plus ou moins bien exprimée d'en dire plus, de grossir,
de gonfler (d'affaiblir, amoindrir, diminuer, et réduire un peu plus ou à
l'extrême), d'ajouter, de multiplier, de charger, d'augmenter, d'insister, de
souligner, de mettre l'accent sur (« surligner »), d'accroître, d'en remettre,
de bourrer, de boursoufler, de « sur-réduire », d'en rajouter (en + ou en —),
de surmultiplier, de démultiplier, de surcharger, de renchérir, de faire
rebondir, de renouveler, de singulariser en pluralisant et de pluraliser en
singularisant, de renforcer et d'exagérer, et ce pour chacune des catégories
ou qualités envisagées.
Il y a quantification et, pour ce faire, une tension extrême de la langue
à la recherche de ses extrêmes qui ont en commun de l'être. D'où cette
possibilité de ne retenir que l'extrémisme d'une catégorie déterminée pour
renforcer, à la limite, n'importe quoi avec n'importe quoi. D'où aussi ces
illogismes apparents qui font que le dernier puisse devenir le premier, un
diminutif un augmentatif (et inversement, voire apparaître formellement
côte à côte : saloncito, ratoncito) et que baisser un peu plus ou à l'extrême se
113

traduit par surbaisser et sous-entendre par sobrentender (sur-entendre) en


espagnol.
Il y a quantification, mais une quantification commune, non encore
mathématique, une quantification qualitative se réduisant à trois
positions : une limite, un avant et un après réversibles. C'est un système
éminemment dynamique dont la limite peut être frisée (en deçà ou au-delà), peut
être atteinte, sur le point d'être dépassée, dépassée ou surdépassée
(dépassement dépassé). On dépasse par le haut ou par le bas, sur ou sous, sur et
sous à la fois (on pourrait concevoir un pays sur-sous-développé comme on
surbaisse), dans et hors de, dans la précision et dans le vague. C'est un
système toujours en dépassement virtuel, toujours à la recherche de ses limites
comme les sciences exactes. Dépasser c'est aussi emprunter. On prospecte
les limites de tout. L'intouchable et l'inaccessible se font sacré- et archi-.
Il est des chances pour que demain l'on dise c'est enzyme! comme on dit
extraordinaire, maison, champion ou coton. On transcende et l'on peut être
transcendantalement idiot ou intelligent. On peut être au comble de mais
aussi combler la cave de. Tout terme peut se dénaturer, se « dénotionnaliser »,
se dématérialiser, se dépasser en se grammaticalisant ou être en passe de
se grammaticaliser. Il suffit qu'une brèche s'ouvre dans le système pour
que s'y engouffrent de nouvelles possibilités et qu'y naissent de nouveaux
degrés de liberté donnant lieu par exemple à des superlatifs du type de
vachement. Si on n'y fait attention on s'y noie, tant les glissements de sens y
sont fréquents et, de ce fait, les cartes brouillées. Mais la langue se défend,
elle accepte, par exemple, invaincu mais rejette invictorieux tout comme
elle accepte insolite et rejette solite. Il y a redressement à gauche,
rectification à droite, redondance par-ci, bricolage par-là. La langue opère
continuellement et toutes ses opérations sont accompagnées d'une tension
intérieure.

С Définition de l'intensif.
De tout ce qui précède nous pouvons définir comme intensif tout outil
linguistique qui permet de tendre vers la limite d'une notion ou de la
dépasser. L'intensif est chacun ou l'ensemble de ces outils et de ces moyens.
On pourrait schématiser cette limite operative comme suit :
114

champ opérationnel à double sens

près de dès que


auprès de ensuite
limitrophe puis
bientôt alors
sous peu peu après
adjacent AVANT APRÈS adjacent
contigu TRÈS contigu
proche TRANS proche
friser PAR friser
raser à travers raser
tangent per- tangent
frôler ex- frôler
effleurer accomplissement effleurer
toucher limite toucher
aborder frontière s'éloigner
coudoyer ligne de démarcation coudoyer
jouxter passer jouxter
etc. passé

dépasser dépassé
surpasser surpassé
transpercer transpercé
transférer transféré
traverser traversé
transcender transcendé
transgresser transgressé
exalter exalté
excéder excédé
violer violé
enfreindre enfreint
doubler doublé
frisé etc.
rasé
frôlé
effleuré
touché
abordé
jouxté
etc.

et inversement.

Remarques.
a) J'emprunte le mot intensif aux hébraïsants qui dénomment ainsi
le pi'el, « conjugaison active de l'action intensive » (cf. le P. Paul Jotion
S. J., Grammaire de l'hébreu biblique, Rome 1947, pp. 115-116, § 52).
b) J'insiste en outre sur la tension intérieure qui sous-tend toute
parole et fait que l'on s'exprime souvent par l'inexprimable et l'indicible
(cf. remarques 5, 6 et 9). Ne rien dire pour dire, telle est la grande invention
des hommes.
c) L'intensif recouvre ainsi tout ce que l'on appelle de noms si divers
115

(renforcement, emphase, superlatif, expressivité, etc..) et si vaguement


définis. J'en veux pour preuve Grévisse, qui dans son Bon Usage, p. 165,
§ 759, note 3, dit « à aimer, la langue familière par besoin d'une expressivité
plus grande substitue fréquemment adorer ». Ce serait plus clair si l'on disait
qu'adorer est l'intensif spécifique d'aimer ou, en essayant de systématiser,
adorer = Is (aimer) à lire comme suit : adorer est l'intensif spécifique
d'aimer tout comme x = f(y).
On aurait de même hurler = Is (crier), crier = Is (parler), s'épou-
monner = Is (s'écrier), river = Is (fixer), etc..
d) Chacune des catégories posées antérieurement peut être considérée
comme une limite et retrouver sa place sous le n° 2.
e) Bien qu'ils appartiennent à diverses catégories grammaticales, les
intensifs ont en commun leur force percutante qui résulte de leur
dépassement virtuel ou réel.
f) Étant donné le dynamisme du système il se développe dans l'espace
et dans le temps et se caractérise par un très grand relativisme. Tout
dépend de l'endroit et du moment ou l'interception se fait.
C'est ainsi que stopper = Is (arrêter) (1)
que stopper = arrêter net (2)
que stopper net = Is (stopper) (3)
Stopper emprunte sa puissance à l'anglais to stop, puis s'identifie à (2).
Mais en (3) la surcharge de net l'affaiblit. Il en résulte que (1) devient
stopper = arrêter et qu'il se substitue à arrêter dans un contexte déterminé.
g) II y a usure, affaiblissement et recréation dans le temps. Ceci pose
le problème de l'étymologie ou de la sémantique diachronique. Il convient
d'en rappeler quelques exemples pour comprendre ce que parler veut dire
et combien la langue se fait, se défait et se refait.
Étymologiquement :
Très = tra(n)s, ' à travers ' avec son dépassement esp. tras =
'derrière '.
Tôt = ' grillé, rôti, brûlé ' selon Bloch et Wartburg a dû signifier
d'abord « chaudement » « promptement ». Aujourd'hui la langue se
renouvelle dans le même sens. Que l'on songe à ça sent le roussi, ça brûle, ça urge,
ça va chauffer, il n'y a pas le feu! ; de même le judéo-espagnol caler, ' falloir '
étym* ' chauffer ', il faut, ça chauffe.
Surtout, toujours (tous les jours), fréquent (nombreux).
Jamais = * déjà plus '. Ne jamais ne s'utilisait que pour le futur à
côté de ne onques pour le passé. On le renforce avec plus ou par son
redoublement jamais au grand jamais. Il acquiert bientôt une force telle qu'il
balaie tout le champ opérationnel dans ses deux sens et recouvre le passé
en repoussant hors du système ce ne onques aujourd'hui vieilli mais qui, la
mode et le snobisme aidant, pourrait retrouver vigueur et vie.
Presque = ' pressé, tout contre, tout serré '. C'est là une notion très
exploitée par les intensifs. Urgent lui-même = ' pressant '. Un besoin
pressant. La pression précède l'éclatement elle est une poussée vers un seuil.
Réussite = ' double issue ', surdépassement.
Rato esp. = ť rapt, ravissement ' désigne l'instant le moment. C'est
une vitesse limite qui ici est en vue. Songeons à sa traduction allemande
Augenblick, littéralement coup d'oeil, et à ces expressions saisir d'un seul
coup d'œil, le temps d'un éclair, le temps de dire si, etc..
Multi- dérive d'une racine mel-ii qui exprime une idée d'abondance;
nous retrouvons ainsi une de nos catégories (6). Il en sera de même pour
bon, bien et beau qui dérivent d'une racine latine obscure dwenos et de
son dérivé dwenolos et finiront par désigner l'abondance, peut-être à
cause de leur comparatif melior dérivé de la racine mel-ii. Citons en vrac
116

les emplois suivants : tout beau, tout beau, Monsieur! — avoir beau faire —
c'est un beau coup (joli glisse aussi dans ce sens aujourd'hui, c'est un joli
coup et péjorativement c'est du joli!) — la belle (au jeu = remettre cela) —
de bon matin — de bonne heure (que, fait significatif, Г esp. traduit par un
diminutif tempranito) — savoir une bonne fois pour toutes — et
péjorativement il m'a donné un bon coup (= un mauvais coup). Tout comme tout beau,
Monsieur! il peut servir d'arrêt (bon! bon!, la même chose avec bien, bien!
bien!) — je suis bien malade — je suis bien gai, etc.. On constatera qu'ici
encore ces trois particules balaient le champ opérationnel dans son entier
en se délestant de leur contenu sémantique. On peut même les combiner, ce
qui constitue un pléonasme diachronique : c'était bel et bien son mari.
Trop = ' entassement ' du francique *throp qui a donné troupe en fr.
et troppo en it.
h) Ce dernier exemple met bien en évidence l'attraction des extrêmes
et des contraires par assimilation de situation (nouveau dépassement). Au
dépassement de l'intensif correspond aussi un dépassement du contenu
sémantique, une perte de spécificité. Rappelons ici le trouble de
Mendelssohn qui ne sait que penser de ses œuvres parce qu'après l'audition d'extraits
de celles-ci, ses invités et amis ne savent dire qu'une chose : Admirable!
Admirable! Il aurait préféré une critique précise et constructive. Il en sera
de même pour son contraire Abominable!
i) C'est aussi une perte de spécificité que connaissent les emprunts
qu'ils soient faits à une langue étrangère (emprunts proprement dits) ou à
sa propre langue (sens figurés et emprunts à des groupes plus restreints,
corps de métier — milieux scolaires — armée, etc..)
Le passage du propre au figuré s'accompagne d'une intensification
selon le schéma suivant, et ce, que le résultat de cette opération soit un
mélioratif ou un péjoratif
INTENSIFICATION
Sens propre > Sens figuré
On aura de même :
INTENSIFICATION
Langue prêteuse > Langue emprunteuse
On peut rappeler ici l'exemple de stopper (cf. remarque /) et signaler
les suivants :
Payer cash = Is (payer comptant).
Delikatesse (all.) = Is (délicatesse culinaire); on ne parlera pas de la
Delikatesse d'une personne.
Ein italienisches Subjekt = Ipéj. (un sujet italien). Il faut ajouter que
le genre neutre de Subjekt en ail. renforce le caractère péjoratif.
Ein ganz pénétrantes Parfum (ail.) = Ipéj. (un parfum pénétrant).
Situation (all.) = Is (Lage). En fait l'emprunt Situation est plus en
pointe, plus momentané, plus sur la brèche que son faux synonyme Lage.
On emprunte également aux sciences et obtient ainsi, en publicité
notamment, une plus grande force de frappe : lessive aux enzymes;
détergents activés et suractivés, etc..
j) Tout ce qui est étrange, curieux, inordinaire, extraordinaire,
inaccoutumé, insolite, hors norme, énorme, etc., a une valeur intensive. La mode,
l'exotisme et le snobisme toujours à la recherche du jamais vu, jamais
entendu 1, bref des extrêmes en sont très friands. Il en résulte souvent
ces nouveaux sabirs que sont le « franglais » et le « fragnol ».

1. Inouï couvre jamais vu et jamais entendu.


117

II. — La série horriblement, terriblement... vachement,

A. Approche.
Considérons les intensifs suivants :
Tuant, éreintant, écrasant, casse-pieds, féru d'histoire (étym* blessé),
une méchante histoire, un méchant bonhomme, prendre le train en
catastrophe, une victoire à l'arrachée, une tempête d'une rare violence, se tordre
de rire, etc..
On constate qu'à partir du quatrième exemple (féru de), ces intensifs
se dégagent de leur contenu sémantique et parcourent l'ensemble du champ
opérationnel, mais cette fois, au départ, dans un sens contraire à celui de
bon, bien et beau (cf. remarque g) ou de exquis dans la locution douleur
exquise. Ces exemples et les suivants charrient une idée de douleur,
d'horreur ou d'épouvanté et, à première vue, peuvent très paradoxalement se
substituer à très et en partie à beaucoup.
Être horriblement malade ou gai
— férocement atteint — royaliste
— rudement malade — gai
— abominablement — — —
— atrocement — — —
— terriblement — — —
— fantastiquement — — —
— follement — — —
— surnaturellement — — —
— violemment pour — contre
— diablement malade — gai
— furieusement pour — contre
— farouchement — — —
— faramineusement malheureux — heureux
— affreusement — — —
— formidablement — — —
— passionnément amoureux — —
— frénétiquement — — —
— vachement malade — gai
Sehr krank oder frôhlich sein
J'emprunte le dernier exemple à l'allemand car il est édifiant. En
effet, le mot sehr remonte au moyen haut-allemand sêr qui signifiait '
douloureux ' (cf. néerl. zeer doen, ' faire mal ' et ail. versehren, ť blesser ').
Cette intensification de sehr date comme le moyen haut-allemand des
xne et xine siècles. Le cas est remarquable; il nous permet de comprendre
qu'à cette époque déjà et probablement de tous temps toute formule
convoyant une notion négative de douleur, de mal, de peur et, à la limite, de
violence et d'étrange pouvait s'en délester pour n'en retenir que la valeur
limite, c'est-à-dire intensive.
On s'en étonnera moins encore à la lecture des intensifs suivants : à
peine (avec peine, ce que l'espagnol rend par un pluriel apenas et, en en
remettant a duras penas); une insolente tenue de route (publicité); c'est
grave!; c'est vache; c'est prodigieux; oh, mon salaud 1; à en devenir fou,
dingue; effarant!; effroyable!; étourdissant; éblouissant; tordant;
renversant; délirant; désopilant; exorbitant; un bourreau de travail; ça mon
cochon (en ail.); Sauwetter (' temps de cochon '), mais aussi « ich fiihle
mich sauwohl » (je me sens « cochonnement » bien).
Ajoutons deux exemples de la publicité :
118

a) Bikini ne figure pas encore dans le Petit Larousse de 1959, il figure


par contre dans le Larousse 3 sous la forme suivante : « bikini n. m. (nom
déposé). Maillot de bain en deux pièces de dimensions très réduites. » II
s'agit en effet d'une marque de fabrique de deux produits différents dont
les libellés de dépôt sont reproduits ici. Personne ne songe plus à l'îlot de
Bikini désigné dès 1945 comme le théâtre d'expériences sur les bombes
atomiques! Toute l'horreur que cela implique a disparu à ce point qu'on en
fait même une fausse interprétation. Bi- est considéré comme un préfixe
de dualité, et, l'accent étant mis sur le caractère réduit dudit maillot, on
passe à « monokini ». En outre, la marque n'étant déposée qu'en France,
le mot a été adopté partout ailleurs dans le monde comme un nom commun.
C'est là la maladie que les « publicitaires » appellent la « kodakite ».
Il faut ajouter que vers les années 45-50 on disait d'une chose
extraordinaire qu'elle était atomique! ou pulvérisante! (cf. encore aujourd'hui
pulvériser tous les records). L'horreur se mémorise (cf. coup de Trafalgar),
puis se dématérialise pour ne conserver que sa valeur intensive.
b) Oradour. J'avance cet exemple avec beaucoup de réserves car je
n'en retrouve pas les documents. Il semble en effet qu'une fabrique de
chaussures d'outre-Rhin, il y a quelques années, adopta cette marque et
qu'elle dut y renoncer à la suite de protestations multiples. Si cela est
vrai, il n'y a pas lieu de s'en indigner plus que devant l'adoption de Bikini.
Dans les deux cas il s'agit d'horreur, mais d'une horreur oubliée à laquelle
n'a été empruntée qu'une valeur intensive. Ne dit-on pas aujourd'hui en
Allemagne sans jamais penser à Auschwitz ou à Treblinka Wir haben bis
zur Vergasung daruber gesprochen!, littéralement nous en avons parlé
jusqu'à l'asphyxie = jusqu'à plus soif, sans fin, à n'en plus finir, etc..

B. Conclusions.
Il est certain que la notion d'horreur, de douleur ou de mal charrie
et convoie celle d'intensif. Cette connotation s'en dégage et prédomine
comme une industrie annexe peut acquérir une importance primordiale au
point de repousser dans le secteur secondaire celle dont elle est issue.
On pourrait à partir de ces constatations tenter une explication de
vachement. Il faut pour cela partir du sens figuré de vache : « délateur;
traître. — Agent de la Sûreté : Mort aux vaches!... — sergent de ville :
Vache à roulettes, agent cycliste... » (Dictionnaire des argots, Larousse, 1965;
auteur : Gaston Esnault.)
Pensons à présent aux images de violences qui s'associent à la gent
gardienne (passer à tabac, les cognes, etc.) et l'on comprendra que
vachement au départ du sens figuré de vache ait suivi le chemin de la série
horriblement, terriblement, etc..
Il faudrait bien entendu pour corroborer cette hypothèse faire une
étude historique poussée qui d'avance me semble passionnante.

Remarques.
1) Cette série aurait pu entrer dans le cadre de la première approche
et plus particulièrement sous la rubrique violence qui n'est qu'une
abondance de force.
2) On pourrait essayer de prévoir, la publicité et la mode aidant, des
intensifs du type : c'est canon! — *c'est ausclrwitz! — *c'est treblinka! —
e'est quelqu'un! — c'est quequ'chose! — *c'est estomaquant! — *c'est
bourreau! — *c'est mini! — *c'est maxi! — *c'est enzyme! — *c'est
fracassant — *c'est hiroshima! — *c'est nagasaki! (cf. les « 7 jours Punch du
B.H.V. » et, à Europe I, « Kad... » c'est la mode... terriblement mode...
119

C'est Kadmode.). On constate par des exemples comme ces derniers qu'on
emprunte en chaîne, intensifie de même et aboutit à une force percutante
décuplée. Enfin, si la mode du structuralisme durait on pourrait imaginer
un *c'est struc!
3) Vachement était en passe de disparaître, était déjà démodé, lorsque,
tout récemment, la publicité Га repris dans le slogan « vachement frais »
couronnant une vache aux pattes plongées dans des pots de yaourt. Du
coup, le voilà relancé; mais il reste phoniquement trop lourd pour se
substituer entièrement à très. D'où, le raccourci un vache de prof., une vache de
tarte. Il faut souligner le comportement de vache vis-à-vis du genre. C'est
un véritable adjectif. Cette tendance est contraire à celle de espèce dont le
féminin disparaît de plus en plus au profit du masculin (« un espèce de »).
4) L'éphémérité de vachement est d'autant plus étonnante qu'il recouvre
tout le champ de très et une partie de beaucoup. Très intensifie des qualités,
beaucoup des quantités. Vachement participe de l'un et de l'autre à la fois.
Exemples :
Je suis très, vachement ennuyé (*beaucoup).
Il ment beaucoup, vachement (*très).
J'ai beaucoup de livres (*très, *vachement).
Mais :
J'en ai beaucoup, vachement (*très).
Il tue vachement les lièvres (*très, ""beaucoup).
Mais :
II en tue vachement, beaucoup (*très).
Il faudrait poursuivre cette enquête afin de mieux cerner la nature de
vachement.
5) Si vachement était définitivement accepté il deviendrait un outil
aussi mobile et universel (au sens de pince universelle) que bien ou beaucoup.
6) II faut enfin insister sur l'intérêt de cette étude en ce qui concerne
la diachronie restreinte ou « microdiachronie ». L'exemple de Bikini est
assez éloquent. L'analyse de son évolution en vingt ans est un phare qui
peut éclairer les zones les plus obscures de l'histoire des mots. Il faut se
départir d'une certaine respectabilité et attaquer de front le langage qui se
fait sous nos yeux, celui de la publicité et de ses influences sur les langues
des hommes.
120

Extraits du Bulletin officiel de la propriété industrielle (communiqués


par le Ministère de l'industrie.

Bikini

Berruer,
substances
gr.
d'industrie
du392.979.
Cette
tri.
etBordeaux.
de
de
marque
à ménage,

polir,
com.M. de
intéresse
cires
p. substances
Bordeaux
dès.
et des
encaustiques,
également
produits
(n°
pour
43.360),
lessiver,
les
chimiques,
dép.
classes
parblanchir,
leM.15
14,
drogueries,
Neyrat
juin
15,nettoyer,
1946,
32
(Henri),
etsavons
a33.
teintures,
11 60,
h., rue
au

BIKINI

laine
parfumerie
photographie,
lingerie
fleurs
rubans;
alimentaires,
autres
S.A.R.M.A.
pansements,
16 h.Cette
400.457.
ou
30,
savons,
artificielles;
fibres;
deau
bonneterie,
marque
poil;
corps
(soc.
gr.

salaisons;
désinfectants,
fils
peignes,
matières
M.
du
et
fils
et
an.),
intéresse
tissus
broderies,
trib.
p.
ganterie,
et
deproduits
éponges
tissus
dés.
80,
tannantes
ménage;
de
deproduits
avenue
com.
coton;
également
des
de
passementeries,
mercerie,
pharmaceutiques
etsoie;
produits
de
chapellerie,
autres
vêtements
préparées,
Emile
vétérinaires,
Bordeaux
fils
les
corsets,
accessoires
etGounord,
chimiques
classes
tissus
confectionnés
modes,
drogueries,
galons,
(n°
spéciaux
aiguilles,
dép.
43.424),
dede
44Bordeaux.
pour
chanvre,
plumes
àboutons,
le
toilette;
52,
ou
26
fils
épingles;
par
en
l'industrie,
non,
58,
juil.
et
tous
delin,
les
conserves
62
dentelles,
objets
tissus
parures,
1946,
Etablis.
genres;
jute
et 79.
de
et
la
à

S-ar putea să vă placă și