Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Sephiha H.-Vidal. Introduction à l'étude de l'intensif. In: Langages, 5ᵉ année, n°18, 1970. L'ethnolinguistique. pp. 104-120;
doi : 10.3406/lgge.1970.2031
http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1970_num_5_18_2031
I. — Considérations générales.
A) Approche.
Il s'agit de la présentation d'un matériel de base puisé dans tous les
registres des langues. Aucun n'est figé et c'est à pleines mains que le registre
dit noble emprunte au registre populaire ou y puise. Je le classerai
grossièrement selon des catégories et un ordre numérique encore arbitraires et
montrerai que chaque exemple peut figurer sous un autre numéro et tout
particulièrement sous le n° 2 sans préciser s'il s'agit de 2a, 2b, 2c, 2d ou 2e.
2. Limites.
3. Unicité.
Sans égal (2); inégalé (2); exceptionnel (2); extraordinaire (2); unique
(2 -f 27 : unique!) (l'exclamation en fait un dépassement de unique); pri-
sunic (est « surrenforcé » par l'emprunt orthographique unie à l'anglais);
il n'y en a qu'un, qu'un seul, qu'un seul et unique (et on pourrait allonger la
chaîne en continuant d'en remettre), etc..
106
Remarques.
Singulariser et multiplier permettent de renforcer. Multiplier les efforts
peut aboutir à la force, à la violence (1), à un point unique de violence
(1 + 3) due à l'accumulation des efforts (6). Je me permets ces remarques,
apparemment contradictoires, pour montrer combien ces diverses catégories
restent arbitraires, sont imbriquées et peuvent retrouver leur place en (2).
4. Totalisants.
Remarques.
Il s'agit ici de la série la plus ouverte que l'invention peut enrichir sans
discontinuer. En fait, le sujet parlant cherche un point de comparaison aussi
tendu que possible et lui emprunte de sa force pour dire ce qu'il veut
exprimer. Car, comme le dit le mot, il est sous pression, il est tendu. S'exprimer =
sich ausdriicken en allemand (où est également présente la notion de
* pression ', Druck, en allemand). En hébreu parler = dabbér est une forme
dite intensive. Il faudrait poursuivre l'enquête dans d'autres langues et l'on
ferait certainement des constatations semblables.
6. Abondance.
Remarques.
Il va de soi que cette série pourrait par les images qu'elle charrie entrer
presque entièrement dans la catégorie (5). En outre, qui dit abondance dit
accumulation. On peut accumuler en pressant, en amassant, en entassant,
en amoncelant, en empilant, en rangeant côte à côte et ce dans tous les
107
7. Perfectifs.
Remarques.
Achever implique aussi abondance d'efforts et limite à atteindre. C'est
le sens figuré de fieffé qui s'est maintenu. Le sens figuré est un emprunt fait
au sens propre.
Remarques.
N'oublions pas qu'étymologiquement très dérivant de tra(n)s signifie
déjà en soi un dépassement. Il en sera question dans le paragraphe
consacré aux etymologies.
9. Négatifs.
Remarque.
Cette dernière série montre combien l'effort du sujet parlant est grand
pour saisir la notion du néant, de l'inexistant inconcevable sans recourir à
des choses concevables aussi petites soient-elles. La tension est grande
(cf. remarques de 5 et 6). Il y a, en outre, renouvellement continu par
emprunts de toutes sortes, ainsi, c'est pas bezef, dont le dernier terme est
d'origine arabe et renforce la négation.
10. Locatifs.
Remarque.
Huile, cacique, etc., pourraient être rangés en (5).
11. Immédiateté.
D'emblée (2); sans crier gare (2), et en vrac : tout de suite; aussitôt;
tout de go; de but en blanc; pris sur le vif; toutes affaires cessantes; au
plus vite; à l'instant; à l'instant même; sur-le-champ; sans attendre;
immédiatement; maintenant; vite vite; prestement; presto!; illico presto; sur
l'heure, etc..
Remarques.
Catégorie particulièrement édifiante participant à la fois de (5), (26)
et (2).
Presto est un emprunt, on le renforce par un second emprunt, illico,
lequel se termine en о comme presto. C'est là un nouveau renforcement. En
outre, on constate que cette notion d'emprunt est beaucoup trop limitée.
En effet, combien d'exemples se présentent dans cette dernière série pour
exprimer l'immédiateté! et chaque fois en empruntant au point de
comparaison.
13. A noter.
14. L'ininterrompu.
Tout d'une laisse; tout d'une traite; tout d'une tirade; tout d'un jet;
d'un seul jet; tout d'un trait; d'une seule coulée; sans interruption, etc..
Remarque.
On se situe dans chacun de ces cas au-delà de la discontinuité (2), en
recourant à des images (5), auxquelles on emprunte leur spécificité.
15. Lenteur.
Toujours (étym1 tous les jours); de tout temps, de tous temps; l'aîné;
un seigneur (étym* plus âgé, seňor en esp. a parfois le sens de supérieurement
de même aujourd'hui padre); à jamais; à tout jamais; éternellement;
sempiternel; archi (étym* ' ancien ' et ' qui commande ', soit aussi ' de premier
rang '), etc..
Remarque.
Il est intéressant de constater que archi est devenu un véritable
instrument d'intensification. Pour ce faire, il a fallu lui emprunter sa valeur
superlative et n'en retenir que celle-ci. Le préfixe ur- allemand (par exemple
Urvàter, * ancêtres '), a été exploité dans le même sens. C'est ainsi que l'on
entend maintenant urulkig pour wrkomisch (archicomique), et que l'on va
même jusqu'à le contracter en urig.
Remarques.
Dans cette série on renforce en multipliant dans les deux dimensions,
puis dans les trois, tous azimuts emprunté au langage scientifique est repris
avec sa force de frappe par la publicité dont le langage constitue un terrain
de choix pour le genre d'étude qui nous intéresse ici.
18. Extra-humain.
19. Mémorisation.
Remarque.
Cette catégorie recouvre en partie le numéro (13). C'est bien la preuve
qu'il faut trouver d'autres critères.
20. L'emphase.
Moi je; toi tu (et ainsi de suite pour toutes les parties du discours);
ne plus; non plus; moi non plus (il y a ici une attirance des emphatiques moi
et non); certes!; maintes; il est si sage et doué d'une telle intelligence, etc..
110
Remarques.
Comme l'indique son etymologie, l'emphase explique, démontre, met
l'accent sur ou souligne, bref, renforce et aboutit à un dépassement de la
formule renforcée.
21. Le poids.
22. Le dénombrement.
Faire les quatre cents coups; mille et une choses; trente-six fois, etc..
23. Intériorité.
Remarques.
La terminaison en -ear de menudear est généralement considérée
comme un fréquentatif qui n'est autre qu'un intensif. On constatera
d'ailleurs que la plupart des néologismes espagnols actuels ou anciens notamment
dans les parlers judéo-espagnols qui empruntent aux langues voisines, le
turc en Turquie, l'arabe au Maroc, se terminent pour la plupart en -ear et
sont sentis comme des intensifs. De même, en hébreu toute racine
quadrilatère empruntée est sentie comme un intensif et se vocalise comme celui-ci.
Ex. : LeTaRGeM, ' traduire '.
24. Le centre.
Remarques.
Occuper une position centrale c'est également occuper un rang élevé,
une des premières places, une place de choix, une place de marque, être
une grosse légume, un notable, un homme de poids, un vache d'homme,
et ainsi de suite en empruntant à chacune des catégories étudiées ici ou
non faute de place.
25. Le réfléchi.
Remarques.
Le réfléchi implique une pluralité de sujets et d'objets ou le
dédoublement du sujet en objet et sujet. П у a donc toujours pluralité, autre
aspect de l'intensif et que l'hébreu manifeste clairement par sa
sémiologie. C'est ainsi que le hitpa'el, forme réfléchie, emprunte sa vocalisation
au pi'el, forme intensive (cf. remarques 5 et 23).
26. La répétition.
b. Le réitératif re-.
Véritable instrument, ce réitératif peut s'accoler à la majorité des
verbes français : réintégrer — remanger — se rasseoir — revoir, etc. En
outre, comme le signalent Bloch et Wartburg dans leur Dictionnaire
étymologique de la langue française (P.U.F., p. 536), ce préfixe re- peut exprimer
une idée de renforcement ou une idée perfective (garder /regarder — lier/
relier : exemples cités par lesdits auteurs). Le re-, dit de renforcement, est
attesté par des exemples tels que resserrer (Petit Larousse : serrer
davantage... — Fig. Rendre plus étroit); les remous (emprunté au prov. et
déverbal); renommer et ses dérivés renom, renommée, etc.. Mais la valeur
intensive de ce re- est bien plus fréquente en espagnol, où on en vient même
à renforcer des adjectifs : bueno/rebueno (' bon '/ ' très bon ') et ce, très
probablement grâce à l'intensité du phonème r- initial espagnol auquel a
été empruntée son intensité pour en donner aux emprunteurs.
d. L'onomatopée.
Tic tac; glouglou; coucou, etc.. Onomatopée de plus en plus exploitée
par la publicité voire par la radio officielle (j'entendais l'autre jour le
premier plouf du sous-marin atomique pour la première plongée).
Remarques.
Avec 26c et 26 d nous touchons au problème des hypocoristiques et
des diminutifs /augmentatifs, qu'ils apparaissent dans des formes verbales,
nominales adjectivales ou d'autres (cliquetis, ondoyer, bécoter, végéter,
vivoter, etc..) que je classe également parmi les intensifs. Je compte en
faire une étude détaillée prochainement. Qu'il suffise d'insister sur le
caractère relatif de ces dénominations. En effet, l'effort du sujet parlant peut
aller vers la saisie de la petitesse qualitative ou quantitative. La langue
qui bricole à partir de ce qu'elle a à sa disposition — et c'est bien peu
112
e. Figures de style.
Il faudrait également classer ici Fanaphore (Petit Larousse : répétition
du même mot au début de phrases successives), les pléonasmes (aujourd'hui
renforcé en au four d'aujourd'hui où apparaît trois fois la notion de jour —
sempiternel, né natif de, puntiagudo (esp. littéralement ' pointu-aigu '),
creux à l'intérieur, voire même, etc.), la progression (net, propre, sans
fard; c'est un pic, c'est un roc, c'est un cap... — ), la paronomase (qui se
ressemble s'assemble, qui vivra verra, en user et en abuser, châtier du
châtiment de Dieu, qui a bu boira, etc.), l'hyperbole, la rime pauvre ou riche
(sans foi ni loi, esp. sin oficio ni beneficio, etc.), et bien d'autres figures de
style qu'il serait superflu de passer en revue ici. Ajoutons simplement que
les mots dits explétifs (étym* , qui remplissent, complètent) en remettent
également (on vous le prend, on vous l'assomme).
27. L'exclamation.
B. Conclusions.
Qu'y a-t-il de commun entre tous les éléments de cette collection dont
il serait bon de compléter le catalogue?
Il y a volonté plus ou moins bien exprimée d'en dire plus, de grossir,
de gonfler (d'affaiblir, amoindrir, diminuer, et réduire un peu plus ou à
l'extrême), d'ajouter, de multiplier, de charger, d'augmenter, d'insister, de
souligner, de mettre l'accent sur (« surligner »), d'accroître, d'en remettre,
de bourrer, de boursoufler, de « sur-réduire », d'en rajouter (en + ou en —),
de surmultiplier, de démultiplier, de surcharger, de renchérir, de faire
rebondir, de renouveler, de singulariser en pluralisant et de pluraliser en
singularisant, de renforcer et d'exagérer, et ce pour chacune des catégories
ou qualités envisagées.
Il y a quantification et, pour ce faire, une tension extrême de la langue
à la recherche de ses extrêmes qui ont en commun de l'être. D'où cette
possibilité de ne retenir que l'extrémisme d'une catégorie déterminée pour
renforcer, à la limite, n'importe quoi avec n'importe quoi. D'où aussi ces
illogismes apparents qui font que le dernier puisse devenir le premier, un
diminutif un augmentatif (et inversement, voire apparaître formellement
côte à côte : saloncito, ratoncito) et que baisser un peu plus ou à l'extrême se
113
С Définition de l'intensif.
De tout ce qui précède nous pouvons définir comme intensif tout outil
linguistique qui permet de tendre vers la limite d'une notion ou de la
dépasser. L'intensif est chacun ou l'ensemble de ces outils et de ces moyens.
On pourrait schématiser cette limite operative comme suit :
114
dépasser dépassé
surpasser surpassé
transpercer transpercé
transférer transféré
traverser traversé
transcender transcendé
transgresser transgressé
exalter exalté
excéder excédé
violer violé
enfreindre enfreint
doubler doublé
frisé etc.
rasé
frôlé
effleuré
touché
abordé
jouxté
etc.
et inversement.
Remarques.
a) J'emprunte le mot intensif aux hébraïsants qui dénomment ainsi
le pi'el, « conjugaison active de l'action intensive » (cf. le P. Paul Jotion
S. J., Grammaire de l'hébreu biblique, Rome 1947, pp. 115-116, § 52).
b) J'insiste en outre sur la tension intérieure qui sous-tend toute
parole et fait que l'on s'exprime souvent par l'inexprimable et l'indicible
(cf. remarques 5, 6 et 9). Ne rien dire pour dire, telle est la grande invention
des hommes.
c) L'intensif recouvre ainsi tout ce que l'on appelle de noms si divers
115
les emplois suivants : tout beau, tout beau, Monsieur! — avoir beau faire —
c'est un beau coup (joli glisse aussi dans ce sens aujourd'hui, c'est un joli
coup et péjorativement c'est du joli!) — la belle (au jeu = remettre cela) —
de bon matin — de bonne heure (que, fait significatif, Г esp. traduit par un
diminutif tempranito) — savoir une bonne fois pour toutes — et
péjorativement il m'a donné un bon coup (= un mauvais coup). Tout comme tout beau,
Monsieur! il peut servir d'arrêt (bon! bon!, la même chose avec bien, bien!
bien!) — je suis bien malade — je suis bien gai, etc.. On constatera qu'ici
encore ces trois particules balaient le champ opérationnel dans son entier
en se délestant de leur contenu sémantique. On peut même les combiner, ce
qui constitue un pléonasme diachronique : c'était bel et bien son mari.
Trop = ' entassement ' du francique *throp qui a donné troupe en fr.
et troppo en it.
h) Ce dernier exemple met bien en évidence l'attraction des extrêmes
et des contraires par assimilation de situation (nouveau dépassement). Au
dépassement de l'intensif correspond aussi un dépassement du contenu
sémantique, une perte de spécificité. Rappelons ici le trouble de
Mendelssohn qui ne sait que penser de ses œuvres parce qu'après l'audition d'extraits
de celles-ci, ses invités et amis ne savent dire qu'une chose : Admirable!
Admirable! Il aurait préféré une critique précise et constructive. Il en sera
de même pour son contraire Abominable!
i) C'est aussi une perte de spécificité que connaissent les emprunts
qu'ils soient faits à une langue étrangère (emprunts proprement dits) ou à
sa propre langue (sens figurés et emprunts à des groupes plus restreints,
corps de métier — milieux scolaires — armée, etc..)
Le passage du propre au figuré s'accompagne d'une intensification
selon le schéma suivant, et ce, que le résultat de cette opération soit un
mélioratif ou un péjoratif
INTENSIFICATION
Sens propre > Sens figuré
On aura de même :
INTENSIFICATION
Langue prêteuse > Langue emprunteuse
On peut rappeler ici l'exemple de stopper (cf. remarque /) et signaler
les suivants :
Payer cash = Is (payer comptant).
Delikatesse (all.) = Is (délicatesse culinaire); on ne parlera pas de la
Delikatesse d'une personne.
Ein italienisches Subjekt = Ipéj. (un sujet italien). Il faut ajouter que
le genre neutre de Subjekt en ail. renforce le caractère péjoratif.
Ein ganz pénétrantes Parfum (ail.) = Ipéj. (un parfum pénétrant).
Situation (all.) = Is (Lage). En fait l'emprunt Situation est plus en
pointe, plus momentané, plus sur la brèche que son faux synonyme Lage.
On emprunte également aux sciences et obtient ainsi, en publicité
notamment, une plus grande force de frappe : lessive aux enzymes;
détergents activés et suractivés, etc..
j) Tout ce qui est étrange, curieux, inordinaire, extraordinaire,
inaccoutumé, insolite, hors norme, énorme, etc., a une valeur intensive. La mode,
l'exotisme et le snobisme toujours à la recherche du jamais vu, jamais
entendu 1, bref des extrêmes en sont très friands. Il en résulte souvent
ces nouveaux sabirs que sont le « franglais » et le « fragnol ».
A. Approche.
Considérons les intensifs suivants :
Tuant, éreintant, écrasant, casse-pieds, féru d'histoire (étym* blessé),
une méchante histoire, un méchant bonhomme, prendre le train en
catastrophe, une victoire à l'arrachée, une tempête d'une rare violence, se tordre
de rire, etc..
On constate qu'à partir du quatrième exemple (féru de), ces intensifs
se dégagent de leur contenu sémantique et parcourent l'ensemble du champ
opérationnel, mais cette fois, au départ, dans un sens contraire à celui de
bon, bien et beau (cf. remarque g) ou de exquis dans la locution douleur
exquise. Ces exemples et les suivants charrient une idée de douleur,
d'horreur ou d'épouvanté et, à première vue, peuvent très paradoxalement se
substituer à très et en partie à beaucoup.
Être horriblement malade ou gai
— férocement atteint — royaliste
— rudement malade — gai
— abominablement — — —
— atrocement — — —
— terriblement — — —
— fantastiquement — — —
— follement — — —
— surnaturellement — — —
— violemment pour — contre
— diablement malade — gai
— furieusement pour — contre
— farouchement — — —
— faramineusement malheureux — heureux
— affreusement — — —
— formidablement — — —
— passionnément amoureux — —
— frénétiquement — — —
— vachement malade — gai
Sehr krank oder frôhlich sein
J'emprunte le dernier exemple à l'allemand car il est édifiant. En
effet, le mot sehr remonte au moyen haut-allemand sêr qui signifiait '
douloureux ' (cf. néerl. zeer doen, ' faire mal ' et ail. versehren, ť blesser ').
Cette intensification de sehr date comme le moyen haut-allemand des
xne et xine siècles. Le cas est remarquable; il nous permet de comprendre
qu'à cette époque déjà et probablement de tous temps toute formule
convoyant une notion négative de douleur, de mal, de peur et, à la limite, de
violence et d'étrange pouvait s'en délester pour n'en retenir que la valeur
limite, c'est-à-dire intensive.
On s'en étonnera moins encore à la lecture des intensifs suivants : à
peine (avec peine, ce que l'espagnol rend par un pluriel apenas et, en en
remettant a duras penas); une insolente tenue de route (publicité); c'est
grave!; c'est vache; c'est prodigieux; oh, mon salaud 1; à en devenir fou,
dingue; effarant!; effroyable!; étourdissant; éblouissant; tordant;
renversant; délirant; désopilant; exorbitant; un bourreau de travail; ça mon
cochon (en ail.); Sauwetter (' temps de cochon '), mais aussi « ich fiihle
mich sauwohl » (je me sens « cochonnement » bien).
Ajoutons deux exemples de la publicité :
118
B. Conclusions.
Il est certain que la notion d'horreur, de douleur ou de mal charrie
et convoie celle d'intensif. Cette connotation s'en dégage et prédomine
comme une industrie annexe peut acquérir une importance primordiale au
point de repousser dans le secteur secondaire celle dont elle est issue.
On pourrait à partir de ces constatations tenter une explication de
vachement. Il faut pour cela partir du sens figuré de vache : « délateur;
traître. — Agent de la Sûreté : Mort aux vaches!... — sergent de ville :
Vache à roulettes, agent cycliste... » (Dictionnaire des argots, Larousse, 1965;
auteur : Gaston Esnault.)
Pensons à présent aux images de violences qui s'associent à la gent
gardienne (passer à tabac, les cognes, etc.) et l'on comprendra que
vachement au départ du sens figuré de vache ait suivi le chemin de la série
horriblement, terriblement, etc..
Il faudrait bien entendu pour corroborer cette hypothèse faire une
étude historique poussée qui d'avance me semble passionnante.
Remarques.
1) Cette série aurait pu entrer dans le cadre de la première approche
et plus particulièrement sous la rubrique violence qui n'est qu'une
abondance de force.
2) On pourrait essayer de prévoir, la publicité et la mode aidant, des
intensifs du type : c'est canon! — *c'est ausclrwitz! — *c'est treblinka! —
e'est quelqu'un! — c'est quequ'chose! — *c'est estomaquant! — *c'est
bourreau! — *c'est mini! — *c'est maxi! — *c'est enzyme! — *c'est
fracassant — *c'est hiroshima! — *c'est nagasaki! (cf. les « 7 jours Punch du
B.H.V. » et, à Europe I, « Kad... » c'est la mode... terriblement mode...
119
C'est Kadmode.). On constate par des exemples comme ces derniers qu'on
emprunte en chaîne, intensifie de même et aboutit à une force percutante
décuplée. Enfin, si la mode du structuralisme durait on pourrait imaginer
un *c'est struc!
3) Vachement était en passe de disparaître, était déjà démodé, lorsque,
tout récemment, la publicité Га repris dans le slogan « vachement frais »
couronnant une vache aux pattes plongées dans des pots de yaourt. Du
coup, le voilà relancé; mais il reste phoniquement trop lourd pour se
substituer entièrement à très. D'où, le raccourci un vache de prof., une vache de
tarte. Il faut souligner le comportement de vache vis-à-vis du genre. C'est
un véritable adjectif. Cette tendance est contraire à celle de espèce dont le
féminin disparaît de plus en plus au profit du masculin (« un espèce de »).
4) L'éphémérité de vachement est d'autant plus étonnante qu'il recouvre
tout le champ de très et une partie de beaucoup. Très intensifie des qualités,
beaucoup des quantités. Vachement participe de l'un et de l'autre à la fois.
Exemples :
Je suis très, vachement ennuyé (*beaucoup).
Il ment beaucoup, vachement (*très).
J'ai beaucoup de livres (*très, *vachement).
Mais :
J'en ai beaucoup, vachement (*très).
Il tue vachement les lièvres (*très, ""beaucoup).
Mais :
II en tue vachement, beaucoup (*très).
Il faudrait poursuivre cette enquête afin de mieux cerner la nature de
vachement.
5) Si vachement était définitivement accepté il deviendrait un outil
aussi mobile et universel (au sens de pince universelle) que bien ou beaucoup.
6) II faut enfin insister sur l'intérêt de cette étude en ce qui concerne
la diachronie restreinte ou « microdiachronie ». L'exemple de Bikini est
assez éloquent. L'analyse de son évolution en vingt ans est un phare qui
peut éclairer les zones les plus obscures de l'histoire des mots. Il faut se
départir d'une certaine respectabilité et attaquer de front le langage qui se
fait sous nos yeux, celui de la publicité et de ses influences sur les langues
des hommes.
120
Bikini
Berruer,
substances
gr.
d'industrie
du392.979.
Cette
tri.
etBordeaux.
de
de
marque
à ménage,
—
polir,
com.M. de
intéresse
cires
p. substances
Bordeaux
dès.
et des
encaustiques,
également
produits
(n°
pour
43.360),
lessiver,
les
chimiques,
dép.
classes
parblanchir,
leM.15
14,
drogueries,
Neyrat
juin
15,nettoyer,
1946,
32
(Henri),
etsavons
a33.
teintures,
11 60,
h., rue
au
BIKINI
laine
parfumerie
photographie,
lingerie
fleurs
rubans;
alimentaires,
autres
S.A.R.M.A.
pansements,
16 h.Cette
400.457.
ou
30,
savons,
artificielles;
fibres;
deau
bonneterie,
marque
poil;
corps
(soc.
gr.
—
salaisons;
désinfectants,
fils
peignes,
matières
M.
du
et
fils
et
an.),
intéresse
tissus
broderies,
trib.
p.
ganterie,
et
deproduits
éponges
tissus
dés.
80,
tannantes
ménage;
de
deproduits
avenue
com.
coton;
également
des
de
passementeries,
mercerie,
pharmaceutiques
etsoie;
produits
de
chapellerie,
autres
vêtements
préparées,
Emile
vétérinaires,
Bordeaux
fils
les
corsets,
accessoires
etGounord,
chimiques
classes
tissus
confectionnés
modes,
drogueries,
galons,
(n°
spéciaux
aiguilles,
dép.
43.424),
dede
44Bordeaux.
pour
chanvre,
plumes
àboutons,
le
toilette;
52,
ou
26
fils
épingles;
par
en
l'industrie,
non,
58,
juil.
et
tous
delin,
les
conserves
62
dentelles,
objets
tissus
parures,
1946,
Etablis.
genres;
jute
et 79.
de
et
la
à